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ANNALES

DE L'INSTITUT PASTEUR

SCEAUX. IMPRIMERIE E

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ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR

(JOURNAL DE MICROBIOLOGIE)

FONDÉES SOUS LE PATRONAGE DE M. PASTEUR

ET PUBLIÉES

PAR

| ME DUCEAMUX

MEMBRE DE L'INSTITUT PROFESSEUR A LA SORBONNE DIRECTEUR DE L'INSTITUT PASTEUR

Assisté d'un Comité de rédaction composé de

MM. CHAMBERLAND, chef de service à l’Institut Pasteur; Dr GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine; METCHNIKOFF, chef de service à l’Institut Pasteur ; NOCARD, professeur à l'École vétérinaire d'Alfort ; À Dr ROUX, sous-directeur de l'Institut Pasteur; Dr VAILLARD, professeur au Val-de-Grâce.

TOME DOUZIÈME 1898

AVEC NEUF PLANCHES

PARIS

MASSON ET Ci, ÉDITEURS LIBRAIRES DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE 120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN

DAT?

19m ANNÉE JANVIER 1898 No 1.

ANNALES

DE

L'INSTITUT PASTEUR LES MICROBES DES NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES

Par M. MAZÉ

Préparateur à l’Institut Pasteur

SECOND MÉMOIRE Étude physiologique.

Dans un travail antérieur ‘, j’ai montré que les bacilles des légumineuses, placés dans un milieu convenable qui rappelle d'aussi près que possible les conditions naturelles qu'ils trouvent dans les nodosités, se développent d’une façon surprenante, et remplissent leur fonetion si importante de la fixation de l'azote libre de l’atmosphère. La symbiose n’est plus nécessaire pour expliquer la fixation de l'azote par le microbe des nodosités ; cette propriété lui appartient en propre. Les conditions qui la lui assurent sont la présence d’une réserve d’azote combinée assurant les premières phases de son existence; une dose de sucre qui ne peut tomber au-dessous de 2 0/0 ; enfin l'accès fa- cile de l'air. À cette question de la présence de l’air viennent se rattacher beaucoup d’autres questions que le moment est venu d'étudier, et dont l’ensemble constitue un commencement de l’étude physiologique du microbe des nodosités. Nous abor- derous, dans un troisième mémoire, son étude morphologique.

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LES MICROBES DES NODOSITÉS ET L'AIR ATMOSPHÉRIQUE

Nous venons de dire que le bacille des légumineuses est un microbeessentiellement aérobie. Pour nous faire une idée nelte de ses besoins d'oxygène, prenons deux ballons plats à deux tubu-

4. Ces Annales, t. XI, p. 44, 1897,

2 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

lures munis d'une couche de quelques millimètres de gélose de même composition que celle qui nous a déjà servi. Ensemençons- les etplaçons-les en dérivation surle courant d'air dépouillé d’azote combiné qui circule sur d’autres cultures, après les avoir fait précéder d’un tube en U rempli de ponce imbibée de potasse, pour absorber l'acide carbonique de cetair. Isolons maintenant l'atmosphère des deux vases à l’aide de deux pinces à vis placées sur les caoutchoucs des deux extrémités. La masse d’air ainsi confinée est munie d’un manomètre à mercure formé d'un tube en U presque capillaire, gradué.

L'appareil reste fermé pendant huit jours, à une température moyenne de 23-24°, Au bout de ce temps on fait une prise d’air à l’aide d’une trompe de Schlæsing; on la mesure dans une éprouvelte de Schlæsing, et on étudie sa composition.

Ces manipulations terminées, on a renouvelé l'atmosphère des cultures à l’aide de la trompe que l’on faisait fonctionner assez longtemps pour entrainer l'acide carbonique dissous. Puis on l’a isolée de nouveau et, 64 heures après, on a recommencé la mème opération afin de se rendre compte de l'absorption d'oxygène dans une culture en plein développement.

Une troisième analyse a été faite 24 heures après la seconde.

Voici les résultats en volume rapportés à 100 du gaz, à la pression 760 et à 0°.

NATURE DES GAZ Îre ANALYSE 2e ANALYSE ANALYSE MOUECATDOMQUE SR ARR 20,7 18,7 - 8,04 OSYRÈRE Je E ER US 1,8 5,16 13,41 AZOIPEATÉON 2e dise 11,5 78,1% 78,55 Acide carbonique + oxygène... 22,9 21,86 21,45

Les chiffres de ce tableau montrent combien le bacille @es légum'neuses est avide d'oxygène. En 24 heures, une culture d'une surface totale d'environ 27 décim. carrés absorbe le tiers du volume d'oxygène contenu dans une atmosphère confinée de EME Soit 0 *c.

Considérons maintenant les chiffres de la quatrième ligne horizontale ; ils sont tous supérieurs au nombre 21 qui repré- sente la teneur normale de l’air en oxygène; cela veut dire que le rapport de l'acide carbonique à l’oxygène est toujours supé-

bi à dl din nai néÉ dat di Le

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 3

rieur à 4 ‘. À côté d’une combustion complèle qui se traduirait par la mise en liberté d’un volume d’acide carbonique égal au volume d'oxygène absorbé, il y a une dislocation plus ou moins avancée de la molécule de saccharose. Les produits intermé- diaires de cette dislocation ne sont pas constitués par des acides volatils ou fixes, puisque le milieu conserve sa réaction alcaline ; ils ne peuvent être que des corps plus ou moins oxydés, quel- ques-uns volatils, dont la présence se révèle par l'odeur caracté- ristique des cultures. Les milieux liquides qui se chargent peu à peu de tous ces produits de la combustion du sucre, deviennent de plus en plus impropres à la culture du microbe, si on ne prend pas la précaution de les en débarrasser. Voilà une autre raison qui explique la supériorité des cultures peu profondes et de grande surface, au point de vue de la fixation de l’azote atmos- phérique.

Ce n’est pas tout, nos chiffres comportent encore un ensei-

-gnement : on conçoit que les hydrates de carbone soient épuisés

rapidement par un dégagement aussi abondant d’acide carboni- que. Évaluons, en effet, la quantité de carbone mise en liberté au moment de notre dernière prise d'air, c’est-à-dire après 12 jours d'expérience. Cela est très facile, connaissant le volume de l’atmosphère confinée et la quantité de saccharose introduite dans la culture.

On trouve ainsi que sur 1347%*,3 de carbone irtroduits dans la culture sous forme de saccharose, 1055%:"6 sont mis en liberté à l'état d'acide carbonique.

Ces chiffres nous prouvent qu'une culture du bacille des node- sités, âgée de 16 à 20 jours, dans laquelle la liqueur de Fehling ne révèle plus trace de sucre réducteur après inversion préalable, a perdu la presque totalité du carbone que le saccharose y avait

1: Ce rapport n’est pas, en réalité, aussi éloigné de l’unité que l’indiquent les calculs ; on ne tient pas compte en effet de l’azote fixé; on sait cependant que toute diminution d'azote libre se traduit par une augmentation apparente de CO2+0; mais la différence entre les nombres 79 et 77,5 fournis par la première analyse, ne provient pas tout entière de l’appauvrissement de l’atmosphère en azote, car s’il en était ainsi, au bout de huit jours, dans une atmosphère confinée de 5}. nous obtiendrions un gain d’azote de 70 milligr. Or, en 16 jours, dans un courant d’air continu, nous n'avons pas obtenu ce résultat, à beaucoup près, L’excès d'acide carbonique dégagé sur oxygène absorbé se traduit d’ailleurs par une augmentation constante de pression, indépendante des oscillations baromé- triques,

4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

apporté. Mais, en échange, ils’y est produit un gain d'azote, et il s’y est formé une mucosité si abondante que les milieux liqui- des servant à la culture, en couche mince, sont presque solidifiés.

Dans la fermentation visqueuse des jus sucrés, quelque chose de semblable se produit; mais l’analogie est toute superficielle, La matière visqueuse provient d’une sorte de transformation isomérique du sucre; avec le bacille des nodosités on assiste à une combustion presque parfaite du saccharose; la mucosité qu'il fabrique nous apparaît donc comme une substance digne d'attention, lorsqu'elle se forme abondamment, il y afixalion d'azote ; lorsqu'elle est absente ou peu abondante, on ne constate pas de gain d'azote dans les cultures. C’est ce rapprochement que je voulais mettre en relief : les faits nous l'imposeront encore plus d’une fois dans le cours de ce travail.

D’après tout ce qui précède, nous voyons que le bacille des légumineuses est un microbe essentiellement aérobie; l'azote atmosphérique ne joue dans sa vie qu’un rôle très effacé; une: fraction très petite seulement est mise en jeu.

M. Laurent a cependant constaté la formation de colonies dans une atmosphère d’azote pur; cette observation semble en contradiction avec les faits que nous venons d'exposer, et elle mérite d’être éludiée.

Prenons pour cela des tubes à essai ordinaires, et soudons une tubulure à étranglement à l'extrémité fermée; étirons l’autre extrémité de facon à obtenir une tubulure semblable à la pre- mière; celle-ci est légèrement inclinée sur l’axe du tube pour permettre de le pencher lorsqu'il contient quelques centimètres cubes de gélose. Grâce à ce dispositif, on peut placer ces tubes les uns à la suite des autres sur un courant d’azole préparé en faisant agir le nitrite de potassium sur le chlorure d’ammonium en solution concentrée; le gaz est débarrassé des produits nitreux et de l’ammoniaque par des flacons laveurs remplis de potasse et d'acide sulfurique. Les tubes sont adaptés encore bouillants sur l'appareil purgé d’air par le dégagement de l'azote.

Puis on attend une demi-heure; au bout de ce temps, la gélose est solide et froide; on l’ensemence avec deux ou trois gouttes d’une dilution copieuse de bacilles, et quelques minutes après, on ferme les deux extrémités à la lampe sur le courant

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. à d'azote. On ensemence ensuite Les autres tubes les uns après les autres, et on les scelle à la flamme de la même manière.

_ Ces cultures ont été conservées à la température de la chambre avec des témoins préparés de la même façon, mais remplis d'air. Au bout de 5 jours ceux-ci donnent une culture abondante; les autres ne présentent pas de développement visible à l'œil nu ; on en sacrifie un et on prend avec une pipette une goutte de la dilution qui surnage pour l’ensemencer dans un tube ouvert; celui-ci se couvre de colonies au bout de 3 jours.

Au bout de 15 jours on ouvre deux autres tubes sur lesquels on ne constate pas non plus trace de développement ; on s’en sert pour ensemencer des tubes ordinaires; les germes conservés à l'abri de l'air pendant 15 jours poussent encore énergique- ment.

On a refait la même expérience avec une nouvelle série de 4 tubes préparés de la même façon; ils ont fourni les mêmes résul- tats.

Le bacille des légumineuses ne pousse donc pas dans une atmosphère d'azote pur; M. Laurent n’a sans doute observé la formation de colonies que parce que son azote, obtenu par l'oxydation du cuivre porté au rouge, renfermait encore des traces d'oxygène.

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INFLUENCE DE LA RICHESSE DES MILIEUX EN AZOTE COMBINÉ ET EN SACCHAROSE SUR LA FIXATION DE L’AZOTÉ LIBRE

Jusqu'ici, nous nous sommes bornés à étudier la fixation de l’azote libre dans des cultures de composition à peu près constante. Deux éléments exercent une action prépondérante sur le résultat final: l’azote combiné et le saccharose ; faisons varier l’un et l’autre, et cherchons quelle est l'influence de ces varia- tions sur le gain d’azote.

Dans ce but, mettons en culture 5 ballons plats renfermant 50 c. c. de bouillon de haricots préparé comme plus haut ; comme

6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

l’eau du robinet est suffisamment alcaline par elle-même, on supprime le bicarbonate de soude; on supprime également le chlorure de sodium qui, à la dose de 5 0/00, paralyse le dévelop- pement du microbe. Ces ballons contenaientavant l'expérience :

AZOTE SACCHAROSE NOM {{me,6 481,75 NO ue OS 2 RS ne : 9 8 DD ARE : 9 2150 nr eco 9 9 Observations sur les cultures. Le 1 se trouble fortement dans les

24 heures. Les n9$ 2 et 3 se développent plus lentement; les microbes forment une membrane adhérente au fond du vase, visible dès le 2e jour: la mucosité se développe presque aussi rapidement que dans le {, dont le bouillon est complètement figé au bout de 8-9 jours.

Il n'en est pas de même pour les nos 4 et 5; la membrane de fond ne devient visibie qu’au 4€ jour, elle apparaît comme une toile d’araignée dont les mailles irrégulières sont réunies par une membrane extrêmement fine. Examinée au microscope avec un grossissement de 50, on la voit striée, dans toutes les directions, de tubes uniformément colorés, lorsqu'on se sert de colorants basiques ; si on fait agir modérément l'alcool, ces tubes s’éclair- eissent, et l’on distingue nettement dans leur intérieur de petits baciles noyés dans une enveloppe de mucosité. Ces tubes présentent des renflements et des étranglements sur tout leur parcours. Nous aurons encore l’occasion de les observer daus d’autres circonstances.

Cette membrane s’épaissit lentement, et au bout du vingt et unième jour de culture, au moment l'on met fin à l'expérience, le liquide surnageant est tout à fait dépourvu de viscosité; le microbe présente l'aspect d'un bacille qui prend bien la couleur.

La culture 1 à été arrêtée au dix-neuvième jour; elle pré- sente tous les caractères des cultures dans lesquelles on constate une fixation abondante d'azote.

Les cultures 2 et 3 présentent des formes ramifiées et des formes en poires; à part ce caractère, elles ressemblent à la première, comme aspect, elles ont duré respectivement 21 et 22 jours.

Voici les résultats concernant l’azote et le sucre restant, fournis par l’analyse: les 5 et 6 ne figurent pas dans ce tableau; on y retrouve tout le sucre primitif à un décigramme près, et le gain d'azote y a été nul.

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NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES.

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Azote final. Azote gagné. Sucre restant. Sucre consommé. Rapport de l'azote gagné au sucre consommé.

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Eu égard à la durée des cultures, ces résultats sont à peu près identiques ; ils concordent avec ceux qui nous ont été fournis par les premières expériences, le rapport de l’azote gagné an sucre consommé oscille toujours aux environs de 1/100.

Ces chiffres nous montrent en outre que le gain d’azote est indépendant de lPaspect morphologique du microbe; la culture { ne renferme pas de formes ramifiées, les deux autres con- tiennent un mélange de bacilles simples et de formes ramifiées, ou en poires. Le développement de celles-ci a été cependant plus lent au début; le retard augmente avec la dose de sac- charose; à partir de 4,5 0/0, le bacille se multiplie encore, mais la culture reste pauvre; la mucosité ne se forme pas, et 11 n’y a pas d’azote fixé. Avec 5 et 6 0/0 de sucre, on observe seulement une légère prolifération de microbe.

Calculons maintenant la relation qui existe entre le sucre initial et l’azote fournt au microbe avant l'expérience.

Nous avons les {rois rapports suivants :

fe 116 66 ce 17500 10 000 98 49 no 2 EEK EE 20 000 10 000 s 98 43 3 > =

29 500 10 000

Si nous prenons la moyenne, nous oblenons le rapport 1/200 en chiffres ronds, ce qui veut dire que les cullures qui fournissent le meilleur rendement au point de vue de la fixation de l’azote doivent renfermer, au début, une partie d’azote com- biné pour 200 de saccharose ; la limite inférieure du sucre étant 2 0/0 et la limite supérieure 4 0/0.

Reprenons maintenant la même expérience en laissant con- stante la dose de saccharose et en introduisant des doses variables d'azote combiné.

8 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Cet élément est représenté dans les cultures par les chiffres ROUES 6, CHAOS SOU AEN EGEEE CRT

ils sont entre eux comme les nombre 5, #4, 3, 2, 1; chaque cul- ture avait recu 1,5 de saccharose; les quatre premières se sont montrées à peu près aussi actives les unes que les autres au point de vue de la fixation de l'azote libre; ïe 4 s’est développé plus lentement que les trois autres; le 5 a donné une mem- brane de fond, mince et résistante, mais pas de mucosité ni d’a- zote fixé : sa teneur en azote inilial estinsuffisante. Nous sommes donc conduit à assigner comme limite minimum à l'azote com- biné dans les bouillons de culturele chiffre de 7 milligrammes pour 50 c.c. de liquide; la limite maximum étant naturellement fixée à 15" environ par les rapports que nous avons établis plus haut.

Voilà les chiffres; quelles conclusions pouvons-nous en tirer? Ceux qui représentent la limite maximum de saccharose et le minimum d'azote combiné offrent beaucoup d'intérêt. Dans les deux cas, lorsque ces chiffres sont dépassés ou ne sont pas atteints, il n’y a plus de gain d’azote dans les cultures; le développement se fait mal et la mucosité est toujours absente. Cette substance ne se rencontre jamais non plus dans les cultures le bouillon atteint plusieurs centimètres d'épaisseur et, dans ces conditions, l'analyse ne révèle aucun enrichissement en azote.

Comme nous avons montré, d'autre part, que la mucosité ne résulte pas d’une modification allotropique du sucre, nous sommes conduit à la regarder comme un composé azoté élaboré par le bacille des légumineuses. Dans la série des transforma- tions auxquelles le saccharose est soumis, il se forme des com- posés capables de s’unir à l'azote atmosphérique, grâce à l'énergie mise en jeu par la dislocation de la molécule de sucre.

Le même phénomène doit se passer dans les tubercules radi- caux; cependant, on ne trouve pas de mucosilé dans ces forma- tions. Une goutte d’une émulsion faite avec le contenu d’une nodosité possède la fluidité d’une goutte d'eau, et s'étale avec facilité sur une lame de verre. Au contraire, la moindre parcelle d'une culture sur gélose, prise avec un fil de platine, donne une consistance visqueuse à la goutte d’eau dans laquelle on la délaye, et s'étend difficilement sur le verre.

Faut-il en conclure que le bacille des légumineuses ne pro- duit pas de mucosité lorsqu'il se développe dans le tissu des

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. (

racines ? Cette supposition ne semble pas probable, lorsqu'on voit un fragment de pulpe de nodosité donner sur gélose sucrée une quantité appréciable de cette substance au bout de 24 heures à la température de 24-25°. Si on ne constate pas sa présence dans les tubercules, c’est sans doute parce qu’elle est entraînée par la sève à mesure qu’elle se produit, et c’est probablement elle qui sert de trait d'union entre le microbe et la plante.

Dès que les nodosités apparaissent sur les racines des légu- mineuses cultivées dans du sable stérile, celles-ci traduisent l’action bienfaisante de leurs hôtes par une reprise très nette de la végétation, succédant à une période de souffrance due à la privation temporaire d’aliment azoté.

MM. Hellriegel et Wilfarth ', qui ont observé les premiers ces phénomènes, en ont donné une description très nette :

« Ainsi les cultures de légumineuses, en présence de solutions nutrilives pourvues de nitrates depuis leur sortie de terre jus- qu'à leur récolte, c’est-à-dire jusqu'à l'épuisement des nitrates fournis, ont continué à croître sans aucune interruption visible, tandis que la végétation des cultures privées d'azote marcha pour ainsi dire, par bonds successifs, à trois époques différentes, non moins claires que frappantes.

« Dans la première période qui comprend les trois ou quatre premières semaines de leur existence, pendant lesquelles les jeunes plantes sont alimentées évidemment par la réserve nutri- tive de la semence, la croissance fut active et normale. A cette période en succéda une autre d'interruption complète et d'arrêt dans la production. Les jeunes plantes perdirent leur fraiche couleur verte; on voyait les vieilles feuilles périr par résorplion, tandis que celles qui étaient nouvellement formées poussaient visiblement plus petites que les premières et fort misérables.

« Enfin, à ce moment, les pois se comportèrent exactement comme les graminées végétant dans un sol privé d'azote et depuis longtemps alfamées. La durée de cette période fut très variable pour chaque plante : chez les unes elle ne fut que de quelques jours, et chez les autres elle persista pendant plusieurs semaines. Puis la troisième période suivit presque sans transition; les plantes reverdirent, et, recommencant à assimiler, eurent une bonne végétation jusqu’à la fin. »

1. Untersuchungenuber die Stickstoffnährung, Berlin, 1888.

10 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Ces observations établissent clairement que la reprise de la végétation coïncide avec l'apparition des nodosités sur les racines : mais MM. Hellriegel et Wilfarth ne disposaient d'aucune preuve matérielle qui leur permit de donner une démonstration rigou- reuse de ce fait. L'étude des cultures pures du bacille des nodo- sités ne fit que l’embrouiller davantage; ce microbe se montrait incapable de fixer de l'azote libre dans les milieux artificiels: tout au plus se développait-il un peu dans les milieux dépourvus d'azote combiné, mais toujours sans gain d'azote appréciable. C’est sur la plante seule qu’il y avait développement, avec fixa- tion d’azote qui, disait-on, entrait dans les tissus des bacilles pour les constituer; c’est cet azote des bacilles qu'utilisait la plante, et les nodosités devenaient ainsi de véritables organes de réserve. Telle était l'opinion de MM. Beyerinck, Praz- mowski!', Frank et Laurent.

Les résultats que nous avons obtenus au point de vue de la fixation de l'azote donnent, de l’observation très exacte de MM. Hellriegel et Wilfarth, une explication aussi simple que satisfaisante. Le bacille fabrique, dans certaines conditions de nutrition hydrocarbonée et azotée, une sève muqueuse et azotée que le végetal utilise.

Les caractères physiques de cette mucosité concordent bien avec le rôle que nous lui attribuons : c’estune substance colloïde, diffusible dans l’eau et susceptible, par conséquent, de servir d’aliment à un organisme vivant; mais quels sont les caractères de cette solution muqueuse ? C’est ce dont on peut se faire une idée en cherchant comment elle traverse les membranes ou les cloisons poreuses.

Une culture de 50 c. c., renfermant 26 milligrammes d’azote, étendue de deux fois son volume d’eau distillée, a été filtrée à travers une bougie Chamberland, sous une pression de 20 c. de mercure; la bougie plongeait de 2 c. dans l’eau distllée; la filtration se faisait de l’intérieur vers l'extérieur. Elle a duré 24 heures. La quantité d'azote passée à travers la bougie est de 286, soit 1/10 de l'azote total.

Une deuxième expérience a été faite avec une culture de 50 c. ce. étendue également de deux fois son volume d’eau; mais

1. Landiwirthsch. Versuchstat., XXXNIII. Bot. Centralbl., XXXIX.

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 11

ce liquide a été placé cette fois dans un dialyseur cylindrique en papier parcheminé.

L'appareil a été soumis à l’action d’un courant d’eau ordi- daire pendant 48 heures, et pendant 36 heures à l’action de l’eau distillée renouvelée toutes les 8 heures, Au bout de ce temps, Omsr,6 d'azote sur 13,6 ont passé à travers la membrane. Le contenu du dialyseur a conservé toute sa viscosité et son homo généité.

On a repris cette expérience avec une culture de 100 c. c. étendue cette fois de 8 fois son volume d’eau distillée.

Dans le même laps de temps et dans les mèmes conditions que tout à l'heure, le liquide a perdu 8"£",5 d'azote; avant l’expé- rience il en renfermait 322,04 ; un quart environ de l’azote Lotal avait donc traversé la membrane. Le liquide avait perdu toute sa viscosité ou à peu près; les microbes formaient un dépôt aggloméré au fond du dialyseur.

Cette dernière expérience prouve que la culture renferme, à côté de l'azote immobilisé dans le corps des microbes, un com- posé quaternaire capable de diffuser à travers les membranes. Cette matière azotée diffuse d'autant mieux qu’elle est plus étendue ; dans les nodosités elle est donc entrainée facilement par la sève, et c'est pour celte raison qu’on ne la rencontre jamais dans ces organes ‘.

Il peut sembler surprenant que dans ces conditions le microbe qui la produit ne l'utilise pas, et que nous ayons pu voir notre culture 5 (p. 8), qui renfermait au début de l’expérience 3msr,3 d'azote combiné, ne donner qu’un faible développement sans aucun gain d’azote après 21 jours de durée. On pourrait croire « priori qu'il suffise de fournir une trace d’aliment azoté, pour amorcer la culture et permettre au bacille de s’alimenter en fabriquant son protoplasme aux dépens de l’azote libre, et en con- sommant les hydrates de carbone qu’on lui a offerts.

1. Le hasard m'a permis cependant de la rencontrer une fois dans des tuber- cules de pois tardifs, qui étaient encore en pleine végétation au mois de novembre dernier. À la suite d'un abaissement assez brusque de la température, l’assimi- lation par la plante s’est ralentie, et la production de mucosité a été supérieure à la consommation; elle s’est accumulée dans les tubercules, dont la pulpe très pâteuse, déposée dans une goutte d’eau sur une lame de verre, rend le liquide très visqueux.

Cette observation confirme, d’une manière éclatante, les déductions que j'avais déjà formulées.

12 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

L'expérience montre pourtant qu’il n’en est rien. Dans une culture pauvre en azote combiné, le développement est pénible; les microbes se multiplient, mais ils perdent leur activité vis-à- vis de l'azote libre; ils ne consomment pas d’hydrate de carbone ou ils en consomment très peu. Ils n'élaborent pas de mucosité visible, et n’utilisent pas les quantités insaisissables qu'ils pour- ralent fabriquer, car ils ne poussent pas.

Les corps quaternaires qui constituent la mucosité doivent donc nous apparaître comme des produits d'élaboration micro- bienne, analogues à l'alcool ou à l’acide lactique, qui sont inat- taquables par les cellules qui les ont produits, mais restent nutritifs pour d’autres organismes.

De ce que les bacilles vivent péniblement dans les milieux contenant de faibles quantités d'azote combiné, comme dans notre expérience 5 (p. 8), nous pouvons inférer qu'ils ne se développeront pas dans des milieux privés d'azote. Cette con- clusion esten contradiction avec les observations de MM. Franck, : Prazmowski et Laurent, mais elle est d'accord par contre avec les résultats de M. Beyerinck, qui a vu le développement des cultures s'arrêter sur gélose renfermant du sucre et des sels, dès que la petite quantité d’azote assimilable est épuisée.

Il y a donc lieu de vérifier ces résultats contradictoires. J'ai pris pour cela deux ballons plats lavés à plusieurs reprises avec de l’acide sulfurique concentré, puis avec de l’eau ordinaire et avec de l’eau distillée, quatre ou cinq fois, pour en enlever toute trace de matière azotée.

Chacun de ces ballons a reçu 50 c. e. de la solution suivante, faile avec de l’eau distillée et des corps chimiquement purs.

Fauidistillee ere ere EC 1.000 D 'LCCHAROSE MATE En An 20 Phosphate de potassium................ 1 Uhlorurerde SOUMET RE 1

SULLATE Te EL RE RE ET Cr Dulfaterde MAasnEsIe M CAIREPERC EEE ET Ehlorire "de Zinc 2 PRE PU

traces

Les deux ballons, bouchés avec des tampons d’amiante, ont été stérilisés à 120° et ensemencés avec une dilution assez riche

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NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 13

d’une culture âgée sur gélose, faite avec de l’eau distillée stérile. Les cultures étaient parcourues par un courant d’air débar- rassé de tout composé azoté par la méthode employée plus haut.

Au bout de huit jours les solutions sont limpides comme au début de l'expérience.

Le contenu d’un vase, examiné au microscope après colora- tion par le bleu de méthylène, ne montre que quelques bacilles irréguliers, plus ou moins recourbés et prenant mal la couleur: examinés en goutte suspendue, ces bacilles se montrent immo- biles.

Ensemencée sur gélose, une goutte du liquide de culture donnait un développement luxuriant au bout de 3 ou 4 jours.

Le second ballon a été laissé en expérience; mais on a arrêté la circulation d’air et on a supprimé toute communication avec l'atmosphère ambiante. Après 28 jours la solution est toujours limpide; l'examen microscopique et la culture d’épreuve ont donné les mêmes résultats que la première culture.

La conclusion est nette : la semence avait conservé toute sa vitalité pendant 28 jours ; mais on n’a pas observé, même au microscope, la moindre prolifération de cellules.

Il nous reste, pour terminer l’examen des expériences faites plus haut, à étudier la nature du pseudo-mycélium que l’on observe dans les nodosités, tout à fait au début de leur dévelop- pement. Dans une coupe fraiche de jeunes tubercules, cette for- mation présente l’aspect de tubes réfringents non cloisonnés, irréguliers; ils décrivent dans lesjeunes cellules un trajet sinueux et semblent traverser les cloisons sans solution de continuité",

M. Beyerinck les considère comme les restes des filaments nucléaires désagrégés par l'infection microbienne.

M. Prazmowski en a vu sortir des coccobacilles très fins: il les regarde comme une forme transitoire du bacille des légumi- neuses qui en dérive par voie endogène. Aux yeux de M. Laurent ils ont la même signification; mais pour lui les microbes ne prennent pas naissance par voie endogène ; ils se forment par

bourgeonnement comme les formes-levures qui se montrent sur

1. Voir à ce sujei les deux belles planches du Mémoire de M. Laurent (ces Annales, t. V).

14 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

le mycélium de certaines espèces de champignons microsco- piques. M. Prillieux affirme que ce sont des trainées d’une mucosité analogue à celle qui se forme dans les cultures.

En rapprochant les observations de MM. Prazmowski et Prillieux des faits que nous avons établis, on peut expliquer la production de ces tubes d’une façon simple. Lorsque le microbe envahit les tissus des jeunes racines, il progresse surtout par voie de multiplication; il élabore aussitôt cette substance glaireuse dans laquelle il reste englobé, et c’est ainsi que s’édifient les tubes irréguliers qui affectent l'aspect d'un mycélium et con- servent leur apparence organisée tant que les vaisseaux ne se sont pas formés dans les jeunes {ubercules; mais lorsque la circulation de la sève se fait régulièrement dans ces organes, la mucosilé est entraînée, et les coccobacilles, débarrassés de leur enveloppe, s’allongent et se ramifient.

Si l’on fait une préparation avec la pulpe d’un jeune tuber- cule à peine visible à l'œil nu, on ne trouve en effet que des coccobacilles; cette pulpe ne renferme jamais de fragments mycéliens, parce que la substance qui les constitue se diffuse immédiatement dans ie suc cellulaire et dans la goutte d’eau que l'on dépose sur la lame de verre.

Si ces tubes étaient formés par un être vivant, ils résiste- raient comme tous les microorganismes à ce mode de prépara- tion. Ils ne résistent pas mieux aux manipulations qu’exigent les tissus pour les coupes en séries; on ne peut les soumettre à d’autres méthodes de coloration que celles que l’on emploie pour le protoplasme vivant. (Laurenr, {. ç.)

Nous trouvons page 6 une autre preuve de cette interpré- tation, c’est la formation de tubes analogues dans les cultures qui renferment une dose exagérée de saccharose; la seule diffé- rence qu'ils présentent avec le pseudo-mycélium consiste dans une question de volume. Colorés par la fuchsine de Ziehl, ils ont l'aspect de gros tubes opaques qui sillonnent dans toutes les directions la fine membrane qui se forme après eux au fond du vase de culture. Si on décolore convenablement à l'alcool, ces tubes deviennent plus transparents, et l’on peut distinguer nettement les coccobacilles qui les remplissent.

1. Comptes rendus, t. CXI, p. 926.

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NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 15

IV LE MICROBE DES NODOSITÉS ET L'AZOTE MINÉRAL

Les nitrates et les sels ammoniacaux constituent des aliments pour les microbes des nodosités, comme l’ont établi MM. Frank, Prazmowski, Beyerinck et Laurent.

Le développement est cependant assez médiocre dans les solutions purement minérales, additionnées de 1 0/00 de sulfate d'ammonium, même placées en couche mince dans des ballons plats; les microbes se déposent en cercle dans les parties déclives, et forment une légère couche pulvérulente, facile à mettre en suspension. Laliqueurne prend jamais une consistance visqueuse ; le saccharose se retrouve presque inlact au bout de quinze jours.

Si on remplace le sel ammoniacal par de l’azotate de sodium à poids égal, il se forme au bout de quinze jours une membrane de fond, et le liquide prend une légère viscosité.

La supériorité de l'azote nitrique sur l’azote ammoniacal s'observe également dans un bouilion formé d'une décoction de terre additionnée de 3 0/0 de saccharose et de 1 0/00 de sulfate d’'ammonium ou de nitrale de sodium.

Dans le milieu nitré, le développement se fait régulièrement; il se forme une membrane assez épaisse; le liquide devient vis- queux ; le saccharose est consommé, et les cultures accusent un léger gain d'azote au bout de 30 jours.

Dans le bouillon ammoniacal on observe seulement, pendant les 4 premiers jours, un dépôt pulvérulent; puis à partir de cette époque, on voit poindre à la surface de ce dépôt quelques z00- glées sphériques, d’une couleur blanche, adhérant très peu au fond du vase et s’étirant par la moindre agitation en longs fila- ments visqueux ; ces flocons augmentent peu à peu de volume et se fondent les uns dans les autres ; ils sont constitués par un long bacille vacuolaire qui donne des cultures ordinaires sur gélose. Quelque temps après l'apparition des zooglées, on voit se former une légère membrane; le liquide prend une consistance un peu visqueuse; mais, après 30 jours de culture, le saccharose a très peu diminué et le gain d'azote est nul.

«

16 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Les 50 c. ec. de décoction de terre qui constituaient les milieux de culture renfermaient 0"879 d'azote total provenant du : sol : le bouilloa nitré ne donnait plus de coloration à la diphé- nylamine à la fin de l'expérience : le milieu ammoniacal se, colorait très nettement au réactif de Nessler.

L'ammoniaque, même en présence de quelques traces d’azote organique, constitue donc un aliment très médiocre pour les microbes des nodosités ; ceux-ci poussent aussi bien dans de l’eau de terre pure addilionnée de quelques millièmes de saccharose.

Ils se multiplient également dans de la terre stérilisée et dépourvue de nitrates, mais il semble qu'ils soient incapables d'enrichir la terre en azote. Voici les résultats que j'ai obtenus en cullivant les microbes des nodosités dans 50 grammes de terre sur le fond d’un vase à deux tubulures, constamment traversé par un courant d'air lent. Cette terre avait été préalablement lavée pour la débarrasser des nitrates.

L'analyse de l'azote total a fourni les chiffres suivants pour un gramme de terre bien desséchée à 100°.

Terre avant l'expérience ra NME AE Ter, 05 Terre ensemencée avec le bacille des légumineuses.. 6megr,5

Cette culture a duré trois mois, le bacille avait conservé au bout de ce temps toutes ses propriétés ; il n’a pas donné de gain d'azote; mais on ne peut pas considérer ce résultat comme défi- nitif : l'échantillon de terre qui m'a servi a été pris dans l'enclos de l'Institut Pasteur; c’est plutôt un véritable terreau. Unsol, pour s'enrichir en azote sous l'influence des microbes, doit réaliser d’autres conditions; on les connaît suffisamment maintenant pour qu'il soit nécessaire d'y insister plus longuement.

De tout ce qui précède, on peut conclure que ces microbes peuvent vivre dans le sol: on les trouvera surtout très nombreux dans les sols riches en matières organiques, puisque les nitrates, loin de paralyser leur développement, peuvent au besoin leur servir d'aliments.

Les botanistes et les agronomes sont cependant unanimes à constater que les nodosités sont plus nombreuses et plus grosses sur les racines des légumineuses qui poussent dans les terres pauvres. Ils attribuent ce fait à l’action des nitrates; dans les

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 17

sols fertiles cet engrais suffit à assurer largement l’alimenta- tion azotée de la plante, celle-ci peut se passer du secours des microbes et résiste à leur envahissement.

Les mêmes observations peuvent se faire avec des plantes cultivées dans des solutions nutritives stériles. Il y a même plus : quelques auteurs ont remarqué que les tubercules radi- caux exercent une influence contrariante sur le développement des légumineuses en présence des nitrates *.

On a interprété ces faits de la façon suivante : les légumi- neuses renferment un composé capable de se combiner aux nitrates, et d'empêcher ensuite le développement du bacille des nodosités. (Lauren, oc. cit.) Celui-ci assimilerait également les nitrates aux dépens de la plante, et par suite la gènerait dans son développement. (Norsr, loc. cit.)

Nous allons essayer à notre tour d’élucider la question ; mais auparavant, nous devons établir encore quelques faits nouveaux.

y

ACTION DES RACINES DES LÉGUMINEUSES SUR LES FORMES LIBRES DES MICROBES DES NODOSITÉS

Les microbes des nodosités sont très mobiles; pour observer leurs mouvements, il suffit d'examiner, en goutte suspendue, une culture sur gélose âgée de 4-5 jours, à la température de 25° environ. On les voit doués d’un mouvement de translation très rapide, qu'ils conservent très longtemps en chambre hu- mide. Au-dessus de 25°, la mobilité est beaucoup moins générale; on ne l’observe plus à 30°, ni au-dessous de 15°.

Le bacille des légumineuses est donc capable d’obéir promp- tement à des actions chimiotaxiques.

A l’origine de mes recherches, j'ai fait un grand nombre d'inoculations sur des plantes végétant en solutions stériles, dans le but de vérifier la nature du microbe que j'avais isolé des

1. Nous. Versuchsstationen, 1896. Scurisaux. Agriculture pratique, 1897. t-1, nv93. 2

18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tubercules. Je n'ai pas tardé à remarquer que ceux-ci se forment toujours, non pas sur les racines anciennes, mais sur les portions de racines qui.se sont développées après l'introduction des bacilles dans les solutions nutritives. Cette particularité attira tout de suite mon attention. Essayons d'en découvrir la cause.

Pour montrer que ce sont les extrémités des racines qui atürent les microbes des nodosités, prenons 5 jeunes plants de pois que l’on a fait germer en milieu stérile. Ils ont deux ou trois feuilles, et leurs racines principales ont en moyenne 15 centimètres de long. Coupons ces racines de façon à supprimer larégion des poils absorbants, etintroduisons-les sur unelongueur d'environ 5-6 centimètres dans une dilution de culture pure du microbe des nodosités, contenue dans une poche de collodion hermétiquement fermée avec un tampon de la même substance, bien lavée dans de l’eau distillée. Le liquide de la dilution est identique à la solution nutritive dans laquelle on fait pousser les plantes.

Les résultats de cette expérience sont les suivants: toutes les fois que la portion de racine principale enfermée dans la poche de collodion donne naissance à des racines latérales, celles-ci sont couvertes de tubercules, la première n'en porte jamais, malgréla section qu'on y a pratiquée. Il semble doncque les parties jeunes des racines et plus particulièrement les régions pilifères attirent seules les microbes, et que l'infection de la plante soit provoquée par une substance quelconque qui diffuse à travers les membranes, à la façon par exemple de la sécrétion acide des poils absorbants.

L'action attractive des régions pilifères peut encore être mise en évidence de la façon suivante. Faisons germer quelques pois à l’abri des microbes et transplantons-les dans la terre, bien arrosée, lorsqu'ils portent trois ou quatre feuilles; au bout de trois semaines environ, ils ont donné trois ou quatre nouvelles feuilles; arrachons-les et examinons leurs racines ; celles qui étaient formées avant le repiquage ne portent aucun tubercule ; toutes celles qui se sont développées dans le sol en sont pourvues.

Ceci étant établi, il y a lieu de se demander quelle est la substance qui entre en jeu dans ce phénomène de chimiotaxie.

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 19

Les hydrates de carbone s'imposent à l'attention en raison de la place si importante qu'ils tiennent dans Fhistoire des microbes des nodosités. De plus, on les rencontre dans la sève de tous les végétaux.

On n’a pas montré jusqu'ici, du moins à ma connaissance, qu'il s’en élimine aux extrémités des racines. Dès qu'ils se ré- pandent dans la terre ou dans les solutions nutritives l'on fait végéler des plantes, ils deviennent la proie des microbes. Il faut donc les rechercher dans les milieux stériles l’on fait germer des graines.

Prenons quelques lots. de dix semences de vesce de Nar- bonne bien stérilisées; plaçons-les, dans un vase d'Erlenmever, sur une couche de coton recouvrant des fragments de verre immergés dans de l’eau distillée, le tout préalablement stérilisé à 120°.

Sur ce nombre de récipients, quelques-uns sont toujours con- taminés par des germes apportés par les graines; on les rejette.

Quand les jeunes plantes ont formé une ou deux feuilles, on change le liquide des ballons et on le remplace par de l’eau distillée stérile. On fait cette opération tous les deux ou trois jours en s’assurant avant chaque prise, par des ensemencements sur gélose, que les cultures ne sont pas contaminées. On sou- met au fur et à mesure le liquide recueilli à une ébullition pro- longée, afin d'être toujours sûr de le conserver à l'abri des microbes.

Au bout de quinze jours, on a accumulé ainsi un demi-litre d'eau de germination. Cette eau évaporée à 30 ou 40°, bouillie avec une goutte d'acide chlorhydrique, et essayée par la liqueur de Fehling, donne un précipité d’oxydule de cuivre caractéris- tique de la présence d’hydrates de carbone

1 Je me suis proposé de déterminer par le même procédé la nature de l’acide mis en liberté par les racines ; dans ce but, j'ai évaporé à sec 200 c. c. d’eau de germination ; l’extrait a été épuisé par l'éther.

Celui-ci évaporé à son tour laisse au fond de la capsule un enduit liquide presque imperceptible, fortement acide au papier de tournesol ;"on le redissout dans de l’eau distillée, on fait agir à l’ébullition de l’oxyde de zinc pur préparé au laboratoire, on filtre, et on fait évaporer très lentement dans un verre de montre, à l'abri des poussières. Le récipient se recouvre de fines stries concentriques dans lesquelles on distingue au microscope de petites aiguilles enchevétrées, caracté- ristiques du lactate de zinc.

L’extrait épuisé par l'éther, redissous dans deux ou trois centimètres cubes d'eau distillée, n’est plus acide.

20 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

Nous avons donc le droit de rechercher si les hydrates de carbone, les plus communs dans le règne végétal, exercent une action chimiotaxique sur le bacille des légumineuses.

Je me suis servi, pour faire ces recherches, d’un tube à essai de 20 centimètres de longueur sur deux de diamètre, divisé en deux comparti- ments par une cloison en verre; lecomparti- ment supérieur à 8 centimètres de hauteur, l’inférieur en a 12. Celui-ci porte une tubu- lure latérale, de même diamètre que le tube principal; elle est fixée au-dessous de la cloison. On la ramène, par une courbure convenable, dans la position verticale; son ouverture se trouve dans le même plan que celle du tube. Un tube capillaire très fin, d’une longueur de 8 centimètres, fixé à la cloison au moyen d'une soudure intérieure, met les deux chambres en communication. Son extrémité supérieure affleure de quel- ques millimètres au-dessus de la cloison. L'autre extrémité porte une courbure dont la petite branche a 5 millimètres de lon- gueur. On souffle une ampoule au tiers inférieur ; elle a un diamètre de 8 à 10 mil- limètres.

Remplissons cet appareil d’un liquide stérile, de facon à faire affleurer la surface libre à une hauteur de 2 centimètresenviron au-dessus de la cloison. Placons, dans Ja chambre supérieure, une trace d’un corps soluble convenable- ment choisi, et laissons tomber dans la chambre inférieure, par la tubulure latérale, deux gouttes d’une dilution de cul- ture jeune sur gélose d’un microbe mobile, faite avec un liquide identique à celui qui remplit l'appareil. Si la substance qui diffuse à travers la colonne liquide du tube capillaire exerce une attraction sur les microbes, ceux-ci pénètrent dans le tube et montent peu à peu dans la chambre supé- rieure la concentration du liquide est la plus forte.

Ou pourra y constater leur présence en faisant, à des inter-

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 21

valles de temps plus ou moins espacés, des ensemencements sur gélose avec des prises de liquide.

L'’ampoule du tube capillaire et la position latérale de son ouverture inférieure ont pour but d'empêcher le passage accidentel des microbes dans la partie supérieure du grand tube, par un entrainement de liquide occasionné soit par les chocs, soit par une légère dénivellation des deux surfaces libres.

J'ai fait un grand nombre d’essais avec le microbe des nodosités et les hydrates de carbone. Comme milieu, j'ai employé de l’eau physiologique, du bouillon de haricots et de l'eau de terre. C’est ce dernier liquide qui m'a fourni les meilleurs résultats.

J'ai fait agir le saccharose, le glucose, l’amidon soluble, et de l’eau distillée stérile dans laquelle avaient germé des semences de vesce de Narbonne; chacune de ces substances était répartie dans trois tubes à raison de quatre gouttes d’une solution à 2°/, dans chaque tube; dans chacun d’eux on introduisait ensuite deux gouttes d’une dilution, dans de l’eau de terre, de culture sur gélose âgée de deux jours. On opérait en même Lemps sur trois tubes témoins qui ne recevaient que des microbes. Inutile d'ajouter que toutes ces opérations exigent l'emploi de milieux stériles et des cultures pures. Elles ont été faites à une tempéralure moyenne de 23-25°.

Deux chiffres permettent d'apprécier l’action exercée par chacune des substances employées : 1°le temps que les microbes mettent à franchir une colonne liquide de 8 centimètres ; le nombre des microbes qui franchissent ce trajet dans un temps donné. |

Je n’ai employé que le premier procédé, car les hydrates de carbone favorisent la multiplication des microbes, et la question de numéralion s’en trouve faussée.

En faisant des prises de semence toutes les quatre heures, j'ai constaté de celte facon que les tubes qui ont recu du saccha- rose et du glucose donnent tous régulièrement des ensemence- ments positifs au bout de 8 heures. Les tubes témoins ne donnent des résultats qu'au bout de 12 heures ; ils sont tous fertiles au bout de 16 heures. Les tubes additionnés d’amidon soluble ne présentent qu’une légère avance sur les tubes témoins. Ceux qui ont recu de l'eau de germination accusent générale-

22 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ment un léger retard sur les témoins ; les prises de liquide ne donnent pas toujours des ensemencements positifs après seize heures.

En résumé, les résultats sont les suivants : les hydrates de carbone attirent les microbes des nodosités ; l’eau de germination semble les repousser.

La raison de cette contradiction n’est pas difficile à découvrir; l'eau de germinalion est légèrement acide, et, de plus, elle ne contient que des quantités infinitésimales d’'hydrates de carbone. Si l’action des acides n'est pas éliminée par la réaction alcaline des milieux, elle se traduira toujours par un retard très sensible, ear les acides, employés à raison de deux ou trois gouttes d'une solution à 1/1000 par tube, suffisent pour conserver la stérilité du liquide des chambres supérieures pendant plus de 24 heures. Quelquefois, les prises de semence redeviennent stériles après avoir donné des résultats positifs. Si l'alcalinité de l’eau de terre, par exemple, est suffisante pour neutraliser l'acidité de l’eau de germinalion, on constate encore que les microbes ne parviennent pas, dans la partie supérieure des tubes, plus vite que dans les témoins. Il faut donc admettre que les racines des légumineuses n’émettent pas, abstraction faite des hydrates de carbone, une substance spécifique capable d’exercer une action chimiotaxique sur les microbes du sol.

Nous aurions pu étudier aussi l’action de quelques sels, en particulier des nitrates, car on se rappelle que nous nous sommes proposé d'expliquer l'influence de ces corps sur la formation des tubercules radicaux. Mais l'explication découle tout naturel- lement de ce qui précède. Nous n'avons qu’à nous rappeler le rôle physiologique des nitrates dans l’organisme des végétaux ; MM. Lœw! et Olto® ont démontré qu'ils sont utilisés dans les feuilles principalement et dans tous les organes en voie de déve- loppement. Ils se combinent aux produits résultant de l’assimi- lation chlorophyllienne pour former des corps quaternaires.

En nous appuyant sur ces observations, nous pouvons affirmer que si la plante trouve dans le sol assez de nitrates pour absorber les hydrates de carbone élaborés par les organes verts, la sève descendante n’en renfermera que très peu, et, par suite, les poils

1. Compte rendu dans les Annales agronomiques, t. XVI. 2. Ber. d. d. bot. Gesellsch., t. VII.

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 923

absorbants n'en perdront pas par diffusion; les microbes du sol ne seront pas attirés et il ne se formera pas de nodosités. C’est le cas des terres riches. Les rares tubercules qui peuvent se développer restent chétifs parce qu’ils sont dépourvus d’aliments hydrocarbonés. Au contraire, si le sol renferme peu de nitrates, leshydrates de carbone circulent dans toutes les parties dela plante parce qu'ils sont en excès sur les aliments azotés; ils parviennent ainsi vers les extrémités végétatives des racines, et de se ré- pandent dans la terre. Les bacilles des légumineuses, attirés par la présence de cetaliment, envahissentlesrégionspilifères, parceque c’est dans l'intérieur même des cellules que les liquides sont le plus riches en hydrates de carbone, car, évidemment, les mêmes phénomènes que nous avons observés avec nos tubes à chimio- taxie se passent dans la nature.

Nous voyons donc que la question de la symbiose des légu- mineuses est réglée d’un bout à l’autre par le jeu naturel et simple des forces physiques que la vie met continuellement en action. Les plantes vertes disposent, dans les radiations solaires, d’ure source d'énergie inépuisable; mais elles ne peuvent l'utiliser pour triompher de l’inertie de l'azote. On a vu par quel mécanisme les légumineuses y parviennent; grâce à cette propriété, elles sont aussi intéressantes au point de vue biolo- gique qu'au point de vue agricole. Elles peuvent, suivant les conditions, vivre de la vie indépendante des autres plantes supé- rieures, ou de la vie saprophyte par l'intermédiaire des bacilles, ou bien encore des deux simultanément.

Cette dernière remarque nous permet d’aller au-devant d'une objection qui se présente ici : l'émission d'hydrates de carbone n’est pas particulière aux légumineuses, car ces composés se rencontrent dans tous les végétaux; pourquoi n’y a-t-il pas symbiose avec d’autres plantes? Remarquons que le carac- tère spécifique des légumineuses ne réside pas dans cette pro- priété de diffuser des hydrates de carbone, mais bien dans la faculté d'utiliser directement les composés quaternaires fabriqués par les microbes des nodosités aux dépens de l'azote libre.

Toutes les plantes privées de cette propriété se conduisent, vis-à-vis du bacille des nodosités, comme elles se conduisent à l'égard d'un microbe quelconque; elles se défendent par tous les moyens dont elles disposent. |

24 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

VI

CONCLUSIONS

Les microbes des nodosités fixent l’azote libre sans le secours de la plante; il suffit pour cela de les placer dans les conditions les plus favorables à leur développement. Nous avons montré qu'il faut aérer énergiquement les culiures et introduire dans les milieux nutritifs une quantité de saccharose qui ne peut pas être inférieure à 2 0/0.

Le bacille se montre assez exigeant sur la nature de l’azote organique; la légumine lui convient très bien; elle permet au bacille d'utiliser le mieux possible l'énergie latente du saccha- rose en vue de la fixation de l’azote libre. C’est dans ces condi- tions seulement qu'il se montre capable de faire la synthèse d’une quantité appréciable de matière azotée.

Le rapport qui existe entre l'azote combiné et le sucre fourni aux microbes influe sur le résultat final. Celui qui nous a donné le meilleur rendement est 1/200 ; nous avons plus que doublé la richesse en azote des milieux de culture; le rapport de l’azote fixé au sucre consommé est sensiblement supérieur à 1/100. C’est à peu près le rapport qui existe entre l’azote total et le saccharose dans une betterave à sucre. De cette comparaison, nous avons pu conclure que la fixation de l’azote libre dans nos cultures a été à peu près aussi active que dans les nodosités.

Dès le début de nos expériences, notre attention a été vive- ment frappée par l’abondance de la mucosité qui se forme dans les cultures; nous avons établi qu’elle ne résulte pas d’une transformation isomérique du saccharose; nous avons constaté qu'il y a une relation étroite entre la quantité d’azote fixée et l’abondance de cette substance dans les cultures ; sa solubilité dans l’eau, sa propriété de passer à travers les membranes, son absence dans les nodosités, bien que les bacilles transportés sur des milieux artificiels en élaborent dans les 24 heures, nous ont conduit à la considérer comme une matière azotée provenant de la fixation de l'azote libre, et servant de trait d'union entre

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 25

la plante et son hôte. Pour le microbe, c’est un produit de désassimilation, et c’est pour cela précisément que le bacille des nodosités ne peut pas se développer si on ne lui fournit que de l'azote libre. Pour la plante, au contraire, c'est un élément directement assimilable.

En rapprochant les observations de MM. Prazmowski et Prillieux, nous avons pu établir que le pseudo -mycélium des Jeunes nodosités n’est pas une forme de transition du microbe des légumineuses. Il résulte d’une accumulation de mucosité autour des coccobacilles qui envahissent les cellules, il disparaît dès que la circulation est assez active pour dissoudre et entrai- ner cette substance. Ce n’est qu'à partir de ce moment seule- ment que les formes ramifiées se montrent : nous verrons sous quelles influences elles naissent, en même temps que nous com- pléterons, dans un troisième mémoire, l’histoire des microbes qui pénètrent dans les racines.

Pour le moment, rappelons que nous avons obtenu dans nos cultures des formations analogues sinon identiques. Rappelons également que ce pseudo-mycélium ne résiste pas aux procédés de préparation microscopique employés pour tous les autres microorganismes. Nous compléterons aussi cette dernière remarque.

L'utilisation du nitrate par les microbes des nodosités nous prouve que la rareté des tubercules radicaux sur les racines des plantes cultivées dans les sols riches en matières azotées n’est pas due à une influence nocive exercée par ces produits sur le développement des microbes. Nous avons montré qu’elle est la conséquence d’une double cause : l’action attractive exercée par les hydrates de carbone mis en liberté dans la région des poils absorbants, et l'influence mutuelle que ces composés et les azolates exercent les uns sur les autres dans les tissus mêmes de la plante.

PRODUCTION

DE LA

TOXINE DIPHTÉRIQUE

Par M. ze D' Lours MARTIN

Chef de laboratoire à l’Institut Pasteur.

Plus on avance dans l'étude de la production des toxines et plus on voit que les microbes doivent être cultivés dans des conditions spéciales qu’il importe de bien déterminer lorsqu'on veut qu'ils remplissent au maximum leur fonction toxigène.

ÉTUDE DES MILIEUX DE CULTURE

SL. Influence de l'acidité du milieu. Dans leur premier mémoire de 1888, MM. Roux et Yersin obtiennent de la toxine diphtérique en cultivant le bacille diphtérique dans du bouillon de veau peptonisé:; ils constatent que le bouillon de culture préa- lablement alcalin devient acide dans les premiers jours de la culture et redevient alcalin ensuite. Ils démontrent en outre que la toxine se forme au moment l'acidité diminue, et que son activité augmente en même temps que l’alcalinité.

Ces faits ont été vérifiés par tous les expérimentateurs, qui se sont toujours guidés sur la marche de l’alcalinité dans la prépa- ration de la toxine diphtérique.

Celle-ci apparaît d’autant plus vite que le bouillon redevient plus rapidement alcalin; c’est pour cela que MM. Roux et Yersin ont essayé de diminuer la période d’acidité, en faisant passer un courant d’air sur la culture.

Dans tous les travaux parus depuis lors, on a toujours cher- ché à expliquer et à éviter la production d'acide.

1. Annales de l'Institut Pasteur, décembre 1888.

LL.

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ue, LY :

PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 27

M. Spronck! a accuséla qualité des viandes employées ; tandis que Park et Williams * ont insisté sur l’alcalinisation préalable des bouillons.

Dans l’étude qui va suivre, je m’efforcerai de préciser et de compléter les travaux de ces savants, en indiquant de nouvelles causes qui favorisent la formation de la toxine et en signalant les circonstances qui la contrarient.

S IF. Influence de l'aération des cultures. Pour diminuer la durée de la période d’acidité des cultures du bacille diphtérique, MM. Roux et Yersin répartissaient le bouillon peptonisé dans des ballons Fernbach qu'ils ensemençaient et plaçaient à l’étuve pendant 24 heures.

Lorsque la culture était bien développée, ils mettaient les tubulures des ballons en communication avec une trompe aspirante, et de cette façon la culture se trouvait largement aérée ; on obtenait ainsi facilement en 15 jours des toxines actives, au dixième, au vingtième ou même au trentième de €. c€., pour un cobaye de # à 500 grammes ; tandis qu’il fallait un mois et plus pour obtenir sans courant d’air, avec le même milieu et le même microbe, des toxines aussi actives.

MM. Roux et Yersin indiquaient déjà, dans leur mémoire ?, que les changements dans les réactions sont plus rapides dans les cullures aérées.

Pour préciser la question, j'ai fait plusieurs expériences qui toutes démontrent que le courant d’air diminue la période d’aci- dité, et par suite permet une production plus hâtive de la toxine lorsque cette période d’acidité existe *,

Du reste, les travailleurs qui, après le Congrès de Budapest,

4. Annales de l'Institut Pasteur, 1895.

2. The Journal of Experimental Medicine, 1896, p. 1.

3. Annales de l'Institut Pasteur, 1890.

4. Expériences : Prenons deux ballons de même forme, mettons dans chacun la même quantité du même liquide, faisons passer un courant d’air dans l’un et laissons l’autre sans courant d’air. le ballon aéré est alcalin à la phtaléine. le ballon non aéré n’est pas alcalin à la phtaléine.

Après 7 jours, les deux ballons sont alcalins à la phtaléine. Mais si nous dosons l’alcalinité, nous voyons que, dans le ballon aéré, 1 litre de bouillon est neutralisé par 32 c. c. d'acide oxalique normal; dans le ballon aéré, 1 litre de bouillon est neutralisé par 25 c. c. d’acide oxalique normal.

Voici une autre expérience :

. Prenons un bouillon dans lequel le bacille diphtérique ne donne pas d’acide; si on ajoute de la glycérine, il y aura production d’acide.5

Après 3 jours

28 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ont voulu produire de la toxine diphtérique avec du bouillon peptonisé, ont en général adopté l’emploi du courant d’air qui permettait d'obtenir des toxines plus rapidement et surtout plus régulièrement, Toutefois, en Allemagne, bien des auteurs, avec Aronson’, ont affirmé que sans courant d’air on pouvait obtenir rapidement de la bonne toxine.

Cela tenait à ce que dans les milieux qu’ils employaient, le bacille diphtérique ne donnait pas d'acide ou en donnait peu; ces auteurs se servaient surtout de solutions peptonisées d'extraits de viandes.

Il est facile de se convaincre que dans les solutions pepto- nisées (avec certaines peptones du moins), le bacille diphtérique pousse sans changer la réaction du milieu. Ce fait très important n'a pas attiré l'attention autant qu'il le méritait.

MM. Roux et Yersin font passer de l’air sur leurs cultures pour les rendre plus rapidement alcalines ; mais si nous avons des milieux le bacille diphtérique ne donne pas d’acide, l'emploi du courant d'air sera-t-il encore utile ?

Faisons l'expérience : dansles bouillons qui restent constam- ment alcalins, la toxine apparaît dès les premiers jours; mais, même dans ce cas, les cultures aérées deviennent plus rapide- ment toxiques.

Après 48 heures, on a, dans les cultures aérées, de la toxine

Dans deux ballons ajoutons 1 6/0 de glycérine.

ballon aéré, acidité 8. ballon non aéré, acidité 29. Dans deux ballons ajoutons 2 0/0 de glycérine.

( ballon aéré, acidité 12.

| ballon non aéré, acidité 37. Dans deux ballons ajoutons 5 0/0 de glycérine.

ballon aéré, acidité 19. ballon non aéré, acidité 45.

On voit que, dans tous les cas, la production d’acide est moindre dans les ballons aérés que dans les ballons non aérés.

Les expériences de M. Louis Cobbett publiées dans les Annales de l'Institut Pasteur, t. XI, p. 260 arrivent au même résultat.

Si on ajoute à un bouillon qui ne donne pas d’acide 0,15 0/0 de glucose, l’acide le produit et l’alcalinité succède à l’acidité après 8 jours.

Dans les ballons aérés, l’alcalinité est de 15.

Dans les ballons non aérés, l’alcalinité est de 4.

Nous ne voyons pas pourquoi l’auteur conclut que l'influence du courant d’air ne ressort pas clairement de cette expérience; pour la rendre plus probante, il suffirait d'augmenter la dose de glucose et on aurait un bouillon acide dans les ballons sans courant d'air.

1. AroNsoN, Wiener Med. Wochenschr. 1894. No 46-48.

Après 48 heures de culture

Après 48 heures de culture

Après 48 heures de culture

PRODUCTION DE LA TOXINE DiPHTÉRIQUE. 29

active au cinquantième, tandis que le liquide des cultures non aérées tue seulement au dixième. Toutefois, après4 jours, les cul- tures non aérées contiennent, elles aussi, des toxines actives au cinquantième.

On voit par cette expérience que l’aération donne un gain de quelques heures ; cette plus grande rapidité dans la production des toxines ne compense pas les complications d’appareillage qu'elle exige.

Mais on sait que la toxine diphtérique s’oxyde facilement ; l’aération, qui, au début, en facilite la production, détruira en partie la toxine formée si elle est prolongée; aussi, dès le cin- quième jour, la toxine diminue dans les cultures aérées , tandis que cette diminution ne devient réellement appréciable qu'après le ou le 10° jour dansles cultures non aérées.

La conclusion est donc que l’aération des cultures est utile lorsqu'on se sert de milieux de cultures dans lesquels le bacille diphtérique produit des acides ; mais on peut la supprimer lors- qu'on emploie des milieux qui deviennent rapidement alcalins ou mieux qui restent toujours alcalins.

C'est de l’obtention de ces milieux que nous allons nous occuper maintenant.

S IT. Alcalinisation préalable des milieux. C'est certaine- ment avec le mémoire de Park et Williams! qu’un grand pro- grès a été réalisé dans la production des toxines diphtériques.

Avant ces savants, on avait des toxines actives au 1/10 au 1/20 ou au 1/30 de centimètre cube; ils ont obtenu une toxine active au 1/100 et même au 1/200.

Kossel ?, quelques mois après, fait paraître un travail sur la production des toxines; ses résultats sont semblables à ceux des auteurs précédents.

D’après Park et Williams, pour obtenir des toxines très actives, 1l faut bien alcaliniser les bouillons de culture; voici du reste leurs conclusions : «Les meilleurs résultatssont obtenus avec du bouillon qui, après avoir été neutralisé, est additionné d'environ 7 €. c. de soude normale par litre. »

Pour neutraliser le bouillon, on se sert, comme indicateur, de

1. The Journal of Experimental Medecin, vol. 1, pag. 1. 2. Kossez, Centralblatt für Bact., Abth. I 1896.

30 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

la teinture de tournesol ; le mieux est de préparer un tube

témoin contenant de l’eau distillée et de la teinture detournesol amenés à la teinte sensible; c’est à ce tube témoin qu'on compa- rera Je tube de bouillon.

Si l'on se sert de papier de tournesol, il faut qu'il soit bien sensibilisé; il est plus sûr de le préparer soi-même.

Quand le bouillon est neutre au tournesol, on doit ajouter, par litre de bouillon peptonisé à 2 0/0, 7 c. ec. de soude normale.

Autrefois on disait que Île bouillon, pour donner une bonne toxine, devait être alcalin au tournesol et acide à la phtaléine; il est facile de se convaincre que l’alcalinité réclamée par Park et Williams correspond à cette réaction; mais nous devons savoir gré aux auteurs d’avoir précisé les conditions de lPalcali- nisation.

Toutefois, si cette règle doit être absolument observée, on ne peut pas dire, comme Park et Williams, que « l'abondance de la culture et la production de la toxine dépendent plus de la réaction du bouillon que de toute autre chose ». En ne tenant compte que de l’alcalinité du milieu, on a dans les premiers jours une production d'acide, comme en témoigne le tableau ci- joint emprunté au mémoire de Park et Williams.

TABLEAU VII

MONTRANT LA RELATION ENTRE LA RÉACTION DU BOUILLON DE CULTURE ET LA QUANTITÉ DE TOXINE

CULTURES ne . ——_— RE rs 3 Oo 3 . : . . . ee . Che BACILLE 8 | Réaction, | Toxicité. | Réaction. | Toxicité. | Réaction. | Toxicité. | Réaction. | Toxicité. 1 0/0 peptone ; lécer : mort en rt en Pep à acide, = acide. Ê , | neutre. mo neutre. _ 0 c. c. alcali. . | œdème. 4j. 1/2 40 heur. 1 0/0 peptone, £ lécer 4 mort en mort en * é. (RER 3 acide. = acide. : alcaline. alcaline. == 5 c. c. alcali. œdème. 24 heur. 23 heur. 20/0 de peptone, : léger : mort en : mort en é / pep À acide. 5 acide. |. . acide. acide. == Oc.c. alcali. ædème. > jours. 10 heur. 2 0/0 de peptone, : mort en . mort en 4 mort en À ! PSP : acide. e acide. |, alcaline. alcaline. Cast 5 c. c. alcali. 3 jours. 10 heur. 40 heur.

PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 31

Enfin, dans certains cas, on constate des irrégularités dans la production de la toxine.

Voici des exemples empruntés au mémoire de Park et Williams :

« Sur 14 lots examinés, dans tous, sauf dans trois, la produc- tion des toxines est rapide.

« Dans un lot, la culture du bacille et la production de la toxine ont été extrêmement intéressantes, étant tout à fait semblable à la description classique donnée par MM. Roux et Yersin.

« Durant le premier jour, les bacilles ont poussé vigoureu- sement et une pellicule assez épaisse s’est formée.

« Après 24 heures, la réaction alcaline du début était changée « en une légère acidité; la culture du bacille diminuant, la pelli- « cule tombait partiellement au fond du vase de culture et ne se « reformait pas immédiatement ; ces conditions se maintiennent « jusqu’au 12° jour l'acidité commençait à diminuer ; au « 16° jour, la pellicule était reformée, le bouillon était trouble et « alcalin.

« [l n’y avait pas de toxine au 12° jour, il y avait de la « toxine forte au 18e.

« Dans deux autres échantillons, la culture restait acide et i! « n’y eut pas de toxine formée ‘. »

Lorsqu'on étudie de plus près la production de la toxine diphtérique, on voit que des bouillons parfaitement alcalinisés se refusent parfois à donner de la toxine.

Pour éviter ces accidents, il faut supprimer la période d'acidité. Voyons s’il existe un milieu dans lequel le bacille diphtérique pousse sans donner d'acide à aucun moment et en produisant de la toxine.

S IV. Préparation d'un milieu favorable à la production de la torine diphtérique. M. Spronck? a indiqué dans son mémoire que, dans les bouillons d'extraits de viande, le bacille diphtérique ne donne pas d'acide; malheureusement les extraits de viande ne se ressemblent pas, et les peptones qu'on y ajoute contiennent

A

4. Je tiens à remercier Mie Williams de l’amabilité avec laquelle elle à bien voulu me donner une culture de son microbe toxigène (n° 8); c’est ce bacille qui est désigné dans le cours de ce travail sous le nom de microbe américain.

2. Annales de l'Institut Pasteur, 1895.

32 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR,

quelquefois des produits qui permettent la production d’acide.

Avec ces substances qu’il ne peut fabriquer lui-même, l’expé- rimentateur n’est jamais sûr du résultat.

Voici un bouillon que tout le monde peut préparer, dans lequel le bacille ne donne jamais d'acide et cependant pousse assez abondamment.

Bouillon d'estomac de porc. C’est une eau peptonisée qu’on fabrique soi-même avec des estomacs de porcs; ces estomacs, appelés panses dans le commerce, nous fournissent ce que nous appellerons pour plus de simplicité le bouillon de panse.

Pour l'obtenir, nous prenons des estomacs de porcs et nous broyons ou hachons ensemble les tuniques muqueuse et mus- culaire. Pour éviter autant que possible les variations qui pourraient survenir par suite de la quantité variable de pepsine de chaque estomac, nous prenons ordinairement cinq panses, pour une opération.

Placons ce hachis dans l’eau acidulée à 50°, dans les pro- portions suivantes :

Hachstd estomac delporc rem Ce ne 200 grammes. Acide CHOTAYATITUEMDUT: RACE EE 10 au A UbD00 ET ER RCE ERA RARE 1000

L'eau doit être maintenue à 50°, car à cette température la pepsine de la muqueuse stomacale digère plus activement les tissus et les transforme en peptone ‘.

Après 12 heures, l'opération est généralement terminée; on peul sans inconvénient attendre 24 heures : dans ce milieu très acide, il ne se développe pas de microbes. Lorsque la digestion est achevée, on chauffe le bouillon d'estomac de pore à 100, on détruit ainsi la pepsine en excès; puis on le passe au tamis, ou mieux on le filtre sur une couche de coton hydrophile peu épaisse et peu serrée, on chauffe le liquide filtré et on l'alcalinise au moment le liquide atteint environ 80°.

Dans le liquide, de gros flocons se forment qui le clarifient.

Après l’alcalinisation, il est utile de filtrer le bouillon sur

4. On peut sans inconvénient, pour améliorer le milieu et l’adapter à certains microbes, mettre à digérer des organes, par exemple du poumon, des intestins, du placenta ou des muscles; il y a suffisamment de pepsine pour digérer les fibres de l'estomac et les autres matières albuminoïdes.

ET it mms tuant TMS 9

PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 39

papier; 1] faut ensuite chauffer à 120°, filtrer sur papier, réparür dans les vases de culture qu’on stérilise en chauffant 1/4 d'heure à 4150 !.

Le liquide obtenu par cette auto-digestion de l'estomac est une véritable solution de peptone, dans laquelle le bacille diphté- rique se développe bien sans fournir d'acide; la peptone ainsi préparée donne des résultats plus constants que les peptones commerciales dont la composition est si variable *.

Avec ce milieu, on obtient de la toxine dont 1/100 de centi- mèlre cube tue un cobaye de 500 grammes; toutefois, si on lui ajoute de la macération de viande, la toxine est plus active encore.

L'addition de 2 grammes d’acide acétique par litre avant l'alcalinisation rend le milieu plus favorable à la production de la toxine. Le mélange de bouillon de panse et de macération de viande est encore préférable.

Il est à désirer que l’on arrive à supprimer tout à fail l'em- ploi de la viande, dont les inconvénients sont nombreux, comme nous allons le voir.

Macération de viande. Tous les expérimentateurs sont d’ac- cord pour rejeter la viande de cheval qui ne donne pas des résul- tals aussi réguliers que la viande de bœuf ou de veau. Je me suis servi surtout de viande de veau. Mais faut-il employer des viandes très fraîches cu très anciennes ?

C’est M. Spronck qui le premier a eu le mérite d’attirer l'attention sur ce fait que les bouillons obtenus étaient très différents suivant l’état de la viande employée. D'après

1. Quelquefois le bouillon de panse est louche; si on chauffe à 1200 cela n’a pas d’unportance, car le bouillon se clarifie à l’autoclave. Si on veut seulement chauffer à 100, il faut avoir soin de bien écumer le bouillon comme on écume un pot-au-feu, puis on le laisse refroidir et on enlève la graisse solide qui sur- nage. Si, malgré ces précautions, le liquide était louche, on le clarifierait sûrement en ajoutant, avant de l’alcaliniser, un fragment de chlorure de calcium et immé- diatement après un morceau de phosphate de soude.

Une pratique meilleure est de chauffer la macération d’estomac de porc tous les deux jours à 100; après trois ou quatre chauffages, le liquide se clarifie très facilement.

2. Dans le milieu ainsi préparé, plusieurs microbes se développent bien.

M. Salimbeni s’est assuré que le vibrion cholérique y pousse abondammerit et y donne la réaction du roth-choléra.

J'ai constaté que le bactérium coli y donne aussi la réaction de l'indol.

Ce milieu peut se préparer d'avance, il est peu coûteux; son usage rendra des services dans les laboratoires.

D)

34 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

M. Spronck ‘, « si la viande est toute fraîche, le bacille diphté- rique transforme rapidement le milieu alcalin en milieu acide, ce milieu devient de plus en plus acide et reste acide.

« Si la viande a séjourné quelques jours chez le boucher, elle contient moins de glucose ; la culture du bacille dans ce milieu est d’abord acide, mais devient ensuite alcaline comme dans les expériences de MM. Roux et Yersin.

« Enfin si le boucher fournit une viande ancienne dégageant une légère odeur, on obtient avec cette viande un milieu très favorable pour la production d’une toxine aclive, car dans ce milieu la culture ne devient jamais acide. »

Toutes ces expériences de M. Spronck sont faciles à répéter, cependant je ne voudrais pas affirmer que les viandes très frai- ches soient moins favorables à la production des toxines que les viandes de deux ou trois jours. En effet, M. M. Nicolle ? conseille d'employer de la viande d’un animal qui vient d’être abattu, pour obtenir de la bonne toxine.

Comme M. Nicolle, j'ai pu obtenir de la toxine active avec des viandes très fraîches ; mais à Paris on éprouve de grandes difficultés pour obtenir de la viande du jour.

Ainsi que l’a dit M. Spronck, avec la viande putréfiée, on a des cultures qui restent constamment alcalines et poussent bien. Mais à quel moment faut-il arrêter la putréfaction ? Dans quelles conditions doit-elle s’opérer? M. Spronck n’a pas donné de règles fixes, il a simplement indiqué que cette putréfaction devait détruire les sucres de la viande.

Pour arriver rapidement au même résultat, M. Roux nous a conseillé d'employer une viande fermentée ; pour cela, il nous faisait ajouter à la macératicn de viande de la levure et le tout était porté à l’étuve à 35°; il est facile, toutefois, de se convaincre qu'il est inutile d'ajouter de la levüre et qu'il suffit de placer la macération de viande 20 heures à l’étuve à 35°; on obtient avec cette macéralion un bouillon qui ne donne pas d’acide lorsqu'on l'ensemence avec du bacille diphtérique.

Ce procédé n’est qu’une modification de celui de Spronck, mais il est plus simple et plus rapide.

Après de nombreux essais comparatifs, la macération de

1. Annales de l’Institut Pasteur, 1895. 9. Annales de l’Institut Pasteur, 1896.

PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 30

viande faite à la température de 35° s’est toujours montrée supé- rieure aux autres milieux ; depuis que nous employons ce procédé, jamäis nous n'avons eu d’acidité dans les cultures. Toujours le développement du bacille a été abondant et la pro- duction de la toxine rapide et régulière.

Voici la technique que nous conseillons de suivre : hacher de la viande de veau, mettre 500 grammes de ce hachis par litre d’eau et placer le tout à l’étuve à 35° pendant 20 heures ; expri- mer la viande et, au liquide recueilli, ajouter 5 grammes de sel marin par litre, peptoniser, alcaliniser et stériliser.

Nous avons déjà dit quel était le meilleur moyen pour alcali- niser le bouillon, voyons quelle peptone il faut ajouter.

Peptonisation. Je n’apprendrai rien à personne en disant

que les peptones sortant d’une même fabrique ont rarement la même composition; j'ai utilisé les échantillons les plus variés. De tous ces essais, je pourrais conclure qu'il y a des peptones commerciales qui donnent le plus souvent de fortes Loxines; mais de temps en temps, même pour les marques les meilleures, on trouve des échantillons qui ne fournissent plus d'aussi bons résultats : aussi vaut-il mieux préparer soi-même la solution de peptone.

Voici comment je procède :

Je prends 1 litre de macération de viande de veau fermentée à 35° et j'ajoute 5 grammes de sel marin.

A cette macération de viande, je mélange 1 litre de la solution de peptone déjà alcalinisée, filtrée et préparée commeil a été dit plus haut avec les estomacs de pores.

Quand on a mélangé par parties égales la macération de viande à 35° et le bouillon de panse de porc, on chauffe le mélange à 70° jusqu’à coagulation des matières albuminoïdes, on filtre sur papier, on alcalinise et on stérilise.

Stérilisation. Dans tous nos essais, nous avons vu qu'on obtient un très bon milieu en chauffant ce mélange à 70°, en l’alcalinisant comme l'indiquent Park et Williams, et en le stéri- lisant par filtration sur bougie Chamberland.

Jusqu'ici c'est le milieu qui nous a paru le plus satisfaisant.

Cest avec ce milieu que nous avons obtenu des toxines tuant au 1/500, soit à 0 c. c. 002, les cobayes de 500 grammes.

C’est dans ce milieu que nous ensemençons les microbes

36 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. -

qui donnent une cullure peu abondante ou qui poussent en pro- fondeur, pour qu'ils s’habituent à pousser en surface. Ils s'adaptent très vite à ce milieu, s'y régénèrent et font une toxine active.

Je pourrais citer de nombreuses expériences! qui démontrent que les milieux chauffés à 120° sont moins bons pour produire la toxine diphtérique que les milieux chaulfés à 70° et filtrés.

Quand on ne peut pas employer ce procédé, on se trouvera bien de stériliser les milieux en les chauffant trois fois à 1000.

Disons toutefois que le milieu fabriqué comme nous l'avons

indiqué donne encore de très bons résultats, même lorsqu'il est chaultfé à 1200.

Les cultures s’y font en voile. Un milieu dans lequel le bacille diphtérique ne pousse pas facilement en voile, dès le début, ne convient pas pour la préparation rapide de la toxine.

ÉTUDE DU BACILLE DIPHTÉRIQUE

SI. Caractères des cultures. Lorsqu'on ensemence le milieu, préparé comme nous venons de l'indiquer, avec du bacille diph- térique, la culture est abondante dès les premières 24 henres et un voile se forme à la surface. Au commencement du second jour, le voile est en général continu et assez épais.

Si les bacilles employés ne sont pas encore bien habitués à vivre en dehors de l’organisme, le voile n’apparait quelquefois qu'après 36 heures.

Ju microbe qui ne forme pas de voile doit être rejeté.

Quand une culture marche bien, le voile tombe le jour par lambeaux qui gagnent le fond du vase. En général un nouveau

voile remplace progressivement le premier et s'immerge à son ,

tour. Au 6€ jour, le voile ne se reforme plus.

4. Expérience :

Milieu chauffé à 70, filtré. Milieu chauffé à 1200. Après 1/10 meurt en 36 heures ( 1/10 / 48 heures 1,50 meurt en 3 jours | 1/50 Ÿ ne meurent pas. d’étuve, 1/100 meurt en 6 jours | 17100 Aypre ( 1/50 meurt en 4 jours 1/50 meurt en 3 jours. 4 jours 1/100 meurt en 3 jours 1/100 meurt en 3 jours. d’étuve. l 1/200 meurt en jours | 41/200 ne meurt pas.

PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 97

Si nous étudions ja réaction du milieu, nous voyons que jamais il ne devient acide au tournesol et qu'il est alcalin à la phtaléine le ou le jour de la culture, au plus tard le jour.

Enfin la production de la toxine est très rapide; on a facile- ment une toxine active au 1/10 après 30 heures et au 1/50 de centimètre cube après 48 heures de culture.

Le maximum de toxicité de la culture est atteint du au jour, elle tue alors un cobaye de 500 grammes à la dose de 1/200 de c. c., soit 0 c. c. 005.

Après ce temps, la toxine n’augmente plus dans la culture; le 10° jour, elle diminue.

Tels sont les résultats obtenus avec le milieu dont nous avons décrit la préparation, et avec des races de bacilles très aptes à produire de la toxine.

S IL. Bacilles toxigènes. Avant le mémoire de Park et de Wil- liams, on regardait comme un résultat satisfaisant l’obtention régulière d'une toxine active au 1/20 ou au 1/30 de centimètre cube. Après que ces auteurs eurent préparé un poison diphté- rique mortel au 1/200 de centimètre cube, on ne pouvait se contenter des toxines anciennes,

M'e Williams avait bien voulu me remettre le bacille qui avait servi à ses expériences et, en me conformant aux indica- tions des savants américains, je préparai facilement un poison aussi actif que le leur.

Pendant longtemps, le bacille américain fut le seulà me don- ner ce résultat: tous les bacilles isolés par moi, culiivés dans des bouillons préparés comme l'indique nt Park et Williams, don- naient une toxine beaucoup plus faible.

J'en vins à penser que le bacille de Park et Williams appar- tenait à une race plus toxigène que nos bacilles ordinaires; cette idée paraissait d'autant mieux fondée que Park et Williams eux-mêmes, sur plus de trente échantillons examinés, n'avaient trouvé aucun autre bacille aussi bon producteur de toxine.

Toutefois, le bacille américain ne donne pas toujours un poison aussi fort: cultivé dans du bouillon préparé et alcalinisé comme le veulent Park et Williams, il le rend acide au tournesol pendant les deux ou trois premiers jours, puis il devient alcalin à ia phtaléine vers le quatrième jour environ ; c’est à ce moment que la toxine se forme en abondance. Cependant, il arrive que

38 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

certaines cultures se maintiennent acides beaucoup plus long- temps, et alors la production de la toxine est tardive et moins considérable.

Le microbe qui vient de ces cultures paraît modifié et, ense- mencé de nouveau, il produit moins de poison.

Lorsque je me suis servi de bouillon de viande macérée à 39°, additionnée de peptone d'estomac de porc, qui à aucun moment ne devient acide, ces irrégularités ont disparu.

Il est donc évident que la courte période d'acidité du début de la culture est nuisible, et qu'elle peut modifier un microbe aussi bien adapté à la production de la toxine que le bacille amé- riCain.

À plus forte raison devait-elle agir sur les bacilles que j'iso- lais des cas de diphtérie à Paris, et qui sont de moins bons producteurs de toxine.

J'ai donc repris les essais avec le milieu, macération de viande à 95° et bouillon de panse.

Sur vingt bacilles provenant de la gorge de vingt enfants diphtériques pris sans choix, (reize me donnèrent des toxines tuant le cobaye de 500 grammes à moins de 1/100 de centimètre cube.

Les cultures étaient en tout semblables à celles du bacille américain.

Pour bien m'assurer que le passage dans un bouillon le bacille donne de l’acide modifie rapidement le pouvoir toxigène, j'ai ensemencé un bacille diphtérique dans du bouillon ordinaire ; la toxine obtenue était active au 1/10, tandis que le même bacille, poussé dans le mélange de macération et panse, fournis- sait en cinq jours une toxine active au 1/50.

La différence s’accentuait encore si on répétait plusieurs fois de suite les cultures dans ces mêmes milieux.

Ce fait explique bien des échecs, et montre que la fonction toxigène d’un microbe est fragile.

La production de la toxine ne se faisant pas, ou se faisant mal, lorsque les milieux deviennent acides, déterminons, si cela est possible, quels corps favorisent l'acidité des milieux ; cette étude nous permettra peut-être d'aborder l'influence de ces diffé- rents produits sur la fonction loxigène.

S LIL. Causes qui favorisent la production d’acidité. Plusieurs

a AL Le

PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 39

fois dans son mémoire, M. Spronck attribue l’acidité des cul- tures diphtériques à la transformation des sucres contenus dans la viande. MM. Flügge ‘, Roux et Yersin ont indiqué que le bacille diphtérique donne une acidité plus prononcée dans les milieux glycérinés que dans les milieux ordinaires.

La viande de cheval, a-t-on dit ?, est moins favorable à la production de la toxine, parce qu’elle renferme une plus grande quantité de glycogène.

Le milieu de panse, préparé comme nous l’avons indiqué et dans lequel le bacille diphtérique ne donne pas d’acide, nous permettra de distinguer les substances que le bacille diphtérique transforme en acide.

Avec le docteur Louis Momont, nous avons ajouté divers sucres au bouillon, à la dose de 5 grammes pour 1,000, et nous avons noté ceux qui donnaient lieu à la production d’acide; ce sont :

La glucose, la lévulose, la saccharose, la glycérine, la galac- tose.

Au contraire, le glycogène, l’amidon, la lactose, la maltose, la raffinose, l’arabinose, l’érythrite, la dulcite et la mannite ne provoquent pas l’apparition de l'acidité.

Quand on fait des expériences comparatives, on voit que les milieux additionnés de lévulose et de glucose sont ceux qui de- viennent le plus rapidement acides; les milieux à la glycérine et à la saccharose viennent ensuite, et enfin ceux à la galactose.

Dans le bouillon ordinaire, il y a beaucoup moins de glucose que dans le milieu panse-glucose, et cependant l'acidité s’y montre plus rapidement.

L'expérience nous a montré que le glycogène ne modifie pas la réaction du milieu, ce n’est donc pas le glycogène de la viande en tant que glycogène qui produit l'acidité.

La viande de cheval n’est donc pas un mauvais milieu parce qu'elle contient du glycogène, mais sans doute parce que celui-ci, au cours de l’expérience,se transforme en un corps capable de donner de l’acide, probablement en glucose.

La raison pour laquelle M. Nicolle obtient de bonne toxine

4, Cité par MM. Roux et Yersin, Annales de l'Institut Pasteur, 1890, mémoire.

2. Smirxow, Berliner klinische Woch, 1895, 30. Nresez, Zeëtschr. für Fleisch und Milch. Hygiene, 1892.

10 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

avec de la viande fraîche est que celle-ci renferme du glycogène non encore devenx glucose.

S IV. Modifications des fonctions toxigènes. Alténuation. 1 nous est facile maintenant d’étudier l'influence de l'acidité du milieu sur la fonction toxigène du bacille diphtérique.

Faisons une culture dans du bouillon de panse-lévulose de aotre bacille le plus toxigène, le bacille américain; et après 48 heures, quand le milieu est franchement acide, ensemençons un peu de cette première culture dans un second tube contenant aussi de la panse-lévulose. Au bout de cinq passages, le bacille reporté dans le milieu le plus favorable à son développement pousse mal et ne donne un voile qu'après la 48° heure, il produit encore de la toxine, mais plus tardivement que la culture témoin.

Si on maintient le bacille américain 20 jours dans le milieu panse-lévulose et qu'après on le transporte dans un milieu très favorable à son développement, sa culture est encore complète- ment modifiée; la culture est mauvaise, avec un voile grêle se formant vers la fin du jour.

Après 48 heures, un dixième de centimètre cube est inoffensif pour le cobaye; au même moment une culture témoin donne déjà une toxine active au 1/50.

Au jour, la culture filtrée tue difficilement au 1/50 de centimètre cube, tandis que les cultures témoins sont actives au 1/200.

Cette expérience prouve qu’on peut diminuer la propriété ioxigène du bacille américain, mais il faut laisser séjourner longtemps ce bacille dans les milieux défavorables; ce bacille est depuis plus d’un an dans les laboratoires ; ila été sélectionné en vue d’une production rapide de toxine, et il ne perd que difficile- ment son pouvoir toxigène.

La diminution du pouvoir toxigène est beaucoup plus mar- quée lorsqu'on opère sur des microbes venant de la bouche des enfants.

Lorsqu'on prend de la semence dans une même colonie poussée sur sérum, provenant directement de la bouche des enfants, et qu'on la porte dans le milieu panse-lévulose et paral- lèlement dans le mélange bouillon et panse, on voit qu'après un séjour de # jours à l’étuve, soit après deux passages dans ces

PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 41

milieux, le bacille qui a vécu dans le milieu qui reste alcalin donne une toxine active au 1/50,tandis que celui qui a passé dans le milieu qui devient acide fournit une toxine qui ne tue pas tou- jours au 1/10 de centimètre cube. Cependant les deux échan- tillons de bacilles font périr dans le même temps des cobayes auxquels on l’inocule à la même dose.

Lorsqu'on possède un bacille diphtérique très toxigène, il ne faut donc pas le conserver dans les bouillons il produit de l'acide, et le milieu qui nous a paru le meilleur pour conserver au microbe ses fonctions loxigènes est encore celui que nous avons indiqué comme milieu de choix pour la production de la toxine.

C’est donc dans le mélange de macération de viande et de bouillon de panse chauffé à 70° et filtré sur bougie Chamberland que nous conservons nos bacilles toxigènes.

Les cultures doivent être placées à l’étuve entre 33° et 35°.

Après 8 jours de culture, les semences sont retirées de l'étuve et conservées à l’abri de la lumière.

Si, par accident, un bacille s’atténue, il suffit de reprendre une de ces vieilles cultures, de la rajeunir par deux ensemence- ments successifs, et on a ainsi une nouvelle souche de bacille toxigène ; comme l’a très bien indiqué M. Behring', ces vieilles culturesrajeunies fournissent parfois des microbes trèstoxigènes.

Augmentation du pouvoir toxigène. Nous venons de voir qu'un microbe peut perdre en partie ses fonclions toxigènes: ne peut-on pas remonter le pouvoir toxigène comme on a pu remonter la virulence?

Examinons rapidement les moyens de remonter la virulence du bacille diphtérique.

MM. Roux et Yersin * ont signalé l'association du bacille diphtérique avec le streptocoque.

M. Bardach * a surtout étudié les passages chez le chien.

M. Trumpp a injecté, en mème temps que le microbe non virulent, de la toxine diphtérique, et le bacille retiré du point d’inoculaiion luait le cobaye.

. Deutsche med. Woch., 1893.

. Annales de l'Institut Pasteur, 189,0.

. Annales de l’Institut Pasteur, 1895, page 40, . Cent. f. Bact. XX, page 721.

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42 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

J'ai surtout étudié le passage en sac de collodion dans le ventre des lapins, d’après la méthode indiquée dans le mémoire de MM. Metchnikoff, Roux et Salimbeni sur le choléra: dès les premiers passages, un bacille qui ne tuait pas le lapin, mais tuait le cobaye, a été rendu virulent pour le lapin.

Ce passage en sac de collodion dans le ventre du lapin est aussi le procédé qui m'a fourni les meilleurs: résultats pour l'augmentation du pouvoir loxigène.

Avec le bacille tuant beat le cobaye en 24 heures et donnant seulement une toxine active au 1/10, j'ai pu obtenir après 6 passages en sac placés dans LE ventre du lapin une toxine active au 1/50.

De même avec le bacille américain qui donnait, au moment j'ai fait les passages, une loxine active au 1/100, j'ai obtenu une toxine active au 1/500.

Dans tous ces passages en sac dans le ventre du lapin, la virulence pour le cobaye n’a pas changé.

Le bacille 261 tue depuis 5 ans le cobaye en 24 heures, lors-

qu’on injecte un centimètre cube d’une culture en bouillon âgée

de 24 heures et, cependant, pendant ce temps, son pouvoir toxi- gène a considérablement varié.

Le bacille américain 8 de Park et Williams, dans les mêmes conditions, tue le cobaye entre 30 et 36 heures, et cependant il a donné des toxines actives au 1/500 sans augmenter de viru- lence.

$ V. Bacilles non virulents, mais toxigènes. En possession d’un bon milieu de culture permettant au microbe de sécréter facilement sa toxine, et de plus connaissant comment on doit cul- tiver un microbe pour lui conserver ses fonctions toxigènes, il importait de reprendre une expérience tentée autrefois avec de mauvais milieux.

J'avais cherché au mois de décembre 1895 si un microbe non virulent * pour le cobaye donnait de la toxine, j'avais sans résul- tat injecté de 1 à 5 c. c. de culture filtrée.

Et cependant le bacille 261, qui pendantlongtemps a été pour nous le microbe le plus toxigène, ne tue pasle lapin lorsqu'on in-

. Annales de l'Institut Pasteur, 1896. : Pour apprécier la virulence d'un bacille, j'injecte à l’animal 1 c. c. d’une culture de 24 heures.

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is cmt

PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 43

jecte 1 c. c. d’uneculture de 24 heures, mais il sécrète une toxine qui à la dose de 1 c. ce. tue rapidement le lapin.

Il est bien probable que, parmi les bacilles qui ne tuent pas le cobaye, il en existe cependant qui sécrètent une toxine capable de tuer cet animal.

Pour faire cette expérience, j'ai pris 7 microbes provenant de la gorge d’enfants malades, qui ne tuent pas le cobaye lorsqu'on injecte sous la peau 1 c. c. d’une culture de 24 heures.

J'ai aussi essayé le bacille 261 court qui est un bacille atténué dérivant du 261, bacille très virulent et toxigène. Ge bacille s'est spontanément atténué et en même temps est devenu très court.

Ces 8 échantillons injectés sous la peau d’un cobaye ne le tuent pas.

Un seul, le 1, donne del’ædème et unelégèreescarre au point d'inoculation ; lesautres nedonnentaucunelésionlocale. Etcepen- dant tous ces microbes produisent de la toxine comme on peut le voir d’après le tableau suivant :

CULTURE. TOXINE. NS ne œdème-lég. escarre. 4 ©, c. tue en 30 heures. Le C 40 heures. 10 Ne he. Rien. Forces 5 jours. OS SELS RE Re Rien. ARCICANE— 5 jours. NOR pe due 1e Rien. INC EN IUPIOUrS: 1 PET ASE ST RENE Rien. À ce. 94 jours. 6. (261 court)... Rien. AC CIS Jours: Nr ODA Rien. 1 ©. ©. 22 jours. NOR SE (AS ons ras Rien. DC n 6 jours.

Comme en témoigne le tableau ci dessus *, tous les microbes essayés ont donné de la toxine.

1. Ce bacille retiré de Gustave Aubry n’est pas virulent, ne donne pas d’acide dans le bouillon ordinaire et il est court ; ce garçon est entré à l'hôpital un jour après sa sœur, Germaine Aubry, qui avaitun bacille morphologiquementsemblable ; mais il était virulent, il produisait une toxine active à 1/50 et donnait de l'acide dans le bouillon ordinaire.

2. Avec ces mêmes microbes, j'ai fait l'expérience que M. Spronck, dans la Semaine médicale du 29 septembre 1897, regarde comme décisive pour séparer les bacilles diphtériques des pseudo-diphtériques.

Le T octobre 1897, à 4 heures du soir, j'ai injecté sous la peau de huit cobayes

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ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR.

Le 1 sécrète beaucoup de poison puisque sa loxine tue en 40 heures à la dose de 1/10 de c. c.

Le n°5 est de beaucoup le moins toxigène, puisqu'il a fallu 24 jours pour tuer un cobaye.

Il est probable qu’on trouvera des microbes moins toxigènes encore.

Les lésions des cobayes morts rapidement étaient bien celles de la diphtérie, et je me suis assuré que le sérum antidiphtérique neulralise ces toxines et empêche les cobayes de mourir.

Cette expérience est pleine d'enseignements. Nombre d’au- teurs désignent, sous le nom de pseudo-diphtériques,des bacilles morphologiquement semblables au bacille diphtérique, et qui n’en dillèrent que par leur manque de virulence pour le cobaye; au lieu d'admettre avec MM. Roux et Yersin que ces bacilles sont des races atténuées du bacille diphtérique vrai, ils soutien- nent qu'ils n’ont rien de commun avec lui.

Sur les huit échantillons de bacilles qui ont servi aux expé- riences précédentes, sept sont tout à fait inoffensifs pour le co- baye, ils rentreraient donc dans la catégorie des bacilles pseudo- diphtériques, et cependant tous donnent de la toxine capable de tuer les animaux, et de plus le sérum antidiphtérique se montre le coutre-poison de celte Loxine.

Ces faits suflisent à établir combien est artificielle la dis-

1/2c. c. de sérum préventif au 4/150,000 et antitoxique à 200 unités par centimètre cube.

Le 8 octobre, à 4 heures du soir, j'ai injecté, sous la peau, 2 c. ec. d’une cul- ture de 24 ‘heures (j'ai pris 2 ce. c. comme l'indique M. Spronck).

Le 9 octobre

3 heures du matin! 2h. | 6 h. 10 octobre. LAS EM Eee OEdème ædème|ædème OEdème qui persiste RSR ES E RES Très léger œdème| Disparait | Rien Rien DM ee net ‘OElème Lèger | Léger Léger œdème LR ete Rien Rien | Rien Rien LR RU AS EPA Très téger œdème| Léger | Léger Rien 6. (261 court)....| Léger œdème | Leger | Léger | Léger œdème, devient dur HR Ne Mars es .| Léger œdème Léger | Léger Léger œdème CRETE Léger æœdème Léger | Léger Rien

Pour M. Spronck, un seul bacille serait diphtérique, le 4. De beaucoup e moins diphtérique serait le 1, qui cependant donne une toxine active à 1/10 influencée par le sérum.

PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 45

tinction absolue que l’on veut trouver entre les bacilles diphté- riques vrais et les bacilles pseudo-diphtériques.

On a souvent observé que des diphtéries d’allures bénignes se terminaient par une syncope mortelle : la bactériologie nous fournit l'explication de ces faits en nous montrant que des mi- crobes peu virulents peuvent sécréter de la toxine; la sécrétion sera lente, l’empoisonnement sera moins rapide, mais ses consé- quences n’en seront pas moins fatales.

Il fauc donc, dans l'intérêt du malade et pour se conformer. aux faits, cesser d'altacher une grande importance à ces distinc- tions subtiles de bacilles diphtérique et pseudo-diphtérique, et regarder comme atteints de diphtérie tous les malades dont l’exsudat ensemencé fournit sur sérum, en 24 heures, de nom- breuses colonies de bacilles ayant l’aspect et les réactions colo- rantes de celui la diphtérie.

En agissant ainsi, le médecin s’évitera de pénibles surprises.

$ VI. Conséquences pour la production du sérum antidiphtérique. Quaud on a pu obtenir des toxines très actives, on a pensé qu'avec ces toxines les propriétés préventives et antiloxiques du sérum allaient immédiatement augmenter.

Nous allons voir que l’augmentation s’est faite, mais lentement et progressivement.

Les sérums, au moment j'ai employé la nouvelle toxine, étaient, pour l’ensemble des chevaux, préventifs au 1/50000 et avaient 100 unités antitoxiques.

Sous l’iufluence dela nouvelle toxine, ils sont devenus rapi- dement préventifs au 1/100000, puis antitoxiques à 150 unités et enfin à 200 unités par centimètre cube.

Dans un lot de 20 chevaux, on en trouvait d'abord un ou deux qui se maintenaient à 200 unités; après une nouvelle injection de toxine, sur 20 chevaux, la moitié donnait un sérum possé- dant les 200 unités, et finalement huit mois après l’emploi de la nouvelle toxine, la grande majorité des chevaux possèdent les 200 unités anlitoxiques.

Si on remarque que les nouvelles toxines sont environ dix fois plus actives que les toxines anciennes, on voit que les sérums ne se sont pas améliorés dans la même proportion.

Des toxines dix fois plus actives ont permis d'obtenir des sérums seulement deux fois plus actifs.

46 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

On trouve cependant, dans un lot de chevaux, certains ani- maux qui, parfois, donnent des sérums préventifs au 1/150000 et antitoxiques à 300 unités. ;

Il faut espérer que, dans la suite, les sérums gagneront et pro- fiteront plus encore de la grande activité des toxines.

Ces résultats rendront plus facile et plus sûre l'application de la sérothérapie, et permettront d'abaisser encore la mortalité de la diphtérie.

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PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 4

1

APPAREIL A FILTRATION POUR FAIRE LES ESSAIS DES TOXINES

En étudiant la toxine diphtérique, j'ai souvent faire dans un court espace de temps un très grand nombre de filtrations. Il m'était difficile d'employer les appareils en usage dans les laboratoires et j'ai cherché un dispositif plus simple permettant de filtrer très vite de petites quantités de diverses cultures.

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VROUSSEL.

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Ce réservoir est formé

Voici la description de l'appareil qui m'a servi : comme l'indique la figure ci-jointe, il se compose essentiellement d’un tube à essai enveloppant une bou- gie Chamberland ; tube et bougie sont placés dans une chambre à vide, tandis que l'intérieur de la bougie est en communication avec le liquide à filtrer.

La partie filtrante de l’appareil est constituée par une bougie Chamberland sans embase dite bougie de laboratoire; cette bougie est vernissée à l’intérieur et à l'extérieur sur une longueur de 5 centimètres à partir de son orifice. Autour de la partie vernissée, on enroule du coton ordinaire et on adapte la bougie à l'extrémité d'un tube à essai de façon qu’elle pénètre à frottement dur.

On peut adapter un certain nombre de bougies à des tubes à essai de capacité variable suivant les be- soins ; On à ainsi un appareil commode, peu coûteux, facile à stériliser et à conserver stérile,

Il faut avoir soin de ne pas stériliser l’appareil à l’autoclave, car pendant la stérilisation l’eau se con- denserait dans les tubes et le liquide après filtration se diluerait dans cette eau condensée; pour éviter cet inconvénient, il faut stériliser le petit appareil dans le four à flamber.

On doit au préalable boucher avec du coton l’ori- fice de la bougie Chamberland; avec cette précau- tion, l’intérieur de la bougie et tout l'appareil pour- ront rester stériles aussi longtemps que les tubes flambés.

Quand on a stérilisé un certain nombre de bougies réunies à leurs tubes, il est facile de faire autant

‘d’essais qu’on a de tubes et cela très rapidement,

Lorsqu'on veut filtrer, on prend un de ces appa- reils stérilisé d’avance, on enlève le coton qui ferme l’or fice de la bougie et on met l’intérieur en communi- cation avec un réservoir qui contient le liquide à fil- trer. par une boule de verre ouverte à l'un de ses pôles et

soudée par le pôle opposé à un tube de verre qui s’engage dans l’orifice de la bougie ; un bouchon de caoutchouc perforé sert à fixer le tube du réservoir à

cet orifice.

Il faut avoir bien soin de faire pénétrer de force le bouchon de caoutchouc dans l’intérieur de la bougie pour que celle-ci soit bien fixée au réservoir. Le réservoir peut servir à plusieurs filtrations, il suffit de prendre la précaution de le passer à l’eau bouillante à chaque changement de bougie. ,

Lorsqu'on a réuni la bougie à son réservoir, on place tout l'appareil dans un tube de verre ; ce tube-manchon est fermé à l’une de ses extrémités, ouvert à Pautre ; mais cette ouverture doit être obturée par un bouchon de caoutchouc

48 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

perforé en son centre,(ce trou livre passage au tube du réservoir qui va s'enga- ser dans la bougie. Ce gros bouchon B doit se placer entre la boule de verre du réservoir et le petit bouchon à qui fixe le tube du réservoir à l’orifice de la bougie.

Le manchon porte en outre une tubulure latérale par on peut faire le vide dans son intérieur et par conséquent dans l’intérieur du tube à essai, la commn- nication s’établissant au travers du coton qui fixe la bougie au tube à essai.

Il est prudent de garnir avec du coton le culot du tube-manchon; car il peut arriver que le tube à essai quitte sa bougie ou que la bougie quitte le réservoir ; cet accident ne se produit pas si la bougie entre à frottement dur dans le tube à essai ou si le petit bouchon est bien fixé à l’orifice du tube, mais avec la précau- tion que nous indiquons, alors même qu'il se produirait, cet accident resterait sans importance.

Quand la filtration est terminée, on enlève la bougie de l’intérieur du tube à essai, elle est aussitôt remplacée par ie tampon de coton d’un gros tube flambé ; grâce à cette précaution, on peut conserver le liquide filtré sans le transvaser.

La bougie qui a servi à la filtration doit être placée dans l’eau bouillante ou dans l’autoclave pour être désinfectée.

Les bougies qui servent le plus souvent ont une longueur de 15 centimètres; comme elles sont vernissées sur 5 centimètres, 40 centimètres sont utillsés pour la filtration.

Avec ces bougies on filtre en moins de 5 minutes 50 centimètres cubes de toxine. Si on place dans le réservoir exactement 50 centimètres cubes de culture, on recueille dans le tube à essai 45 à 47 centimètres cubes de liquide.

Si lon veut employer ce filtre pour essayer de petites quantités de liquides organiques, on voit que pour 10 centimètres cubes de sérum mis dans le réser- voir, le filtre laisse passer 7 centimètres cubes, la perte est donc de 3 centimètres cubes.

Dans le cas on serait obligé de filtrer de très petites quantités de liquide, il suffirait, pour éviter l'absorption jar les parois de la bougie, de diminuer sa partie filtrante et de la reduire à 5 ou même à 2 centimètres.

CONTRIBUTION

A L'ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE

Par HENRI POTTEVIN

(Travail fait au Laboratoire de Chimie biologique à l’Institut Pasteur.)

INTRODUCTION

Un grand nombre de microbes produisent de l'acide lactique aux dépens des sucres ; mais de même que nous réservons le nom de ferments alcooliques aux êtres qui dédoublent le sucre en alcool et acide carbonique de façon que la somme des deux produits représente à quelques centièmes près le poids du sucre détruit, de mème nous appellerons ferments lactiques ceux qui transforment intégralement le sucre en acide Jactique à quelques centièmes près. Ces ferments, dont le premier a été décrit par Pasteur, ont été étudiés par Lister, par Richet, par Kayser : leur histoire est trop connue pour qu'il soit nécessaire de la rappeler ici. Les autres êtres qui donnent aussi de l'acide lactique en fournissent des quantités variables dont le poids ne correspond parfois qu’à une très faible partie de celui du sucre consommé.

D'une façon générale on peut dire que les ferments lactiques produisent de l’acide inactif; les autres microbes desacides actifs.

Nencki avait pensé qu'un même microbe fournissait toujours le même acide et que celte propriété pouvait servir à le caracté- riser d’une façon certaine; nous savons aujourd'hui qu’il n’en est rien. M, Péré a montré que telle espèce de B. coli qui, cultivée sur glucose, donne de l'acide droit, fournit de l’acide inactif quand elle agit sur la lévulose; elle est pourtant capable de donner, même avec la lévulose, de l'acide droit, il suffit pour cela qu'on lui rende la vie pénible en remplaçant, dans le milieu de culture, la peptone par un sel ammoniacal; dans ce cas, le microbe parait vivre sur le racémale en attaquant de préférence l’acide gauche.

M. Péré a montré qu'il en est réellement ainsi en faisant

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D0 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

agir le B. coli sur le lactate de chaux : celui-ci est facilement attaqué, mais tandis que dans les solutions de peptone les deux isomères disparaissent avec une vitesse égale, en sorte que Île résidu est toujours de l'acide inactif, dans celles la peptone est remplacée par un mélange de phosphate et de sulfate d’am- moniaque l'acide droit est détruit le premier, et la différence est d'autant plus accusée que la proportion des sels ammoniacaux présents dans Ja culture est plus réduite.

Nous sommes donc amené à considérer que les ferments producteurs d’acide lactique commencent tous par donner aux dépens du sucre de l’acide inactif ; les uns, capables de détruire cetacide, brülent, avec des vitesses variables selon les conditions de la culture, chacun des deux isomères, et aboutissent ainsi à des résidus actifs: les autres, les ferments lactiques, hors d'état de consommer l'acide lactique, laissent intact celui qu'ils ont une fois formé. Tout ce que nous savons sur les caractères généraux, communs aux microbes qui composent chacune des espèces artificiellement définies ainsi, confirme cette manière de voir. Les ferments lactiques ensemencés dans une solution de peptone additionnée de lactate de chaux restent sans action appréciable sur le sel : ils sont fragiles, perdent facilement leur pouvoir ferment. M. Richet a montré qu'ils étaient très difficiles au point de vue de l’azote alimentaire, ils se refusent à vivre dans les milieux privés de matière albuminoïde en solution. Les autres ferments sont au contraire des agents de combustion énergiques, peu difficiles sur les conditions de la culture, s’ac- commodant bien des milieux à azote ammoniacal ; il semble que les ferments lactiques dérivent d’eux par atténuation.

Dans les travaux que j'ai eu l’occasion de citer précédemment, M. Péré s'était proposé de rechercher s’il existe des relations de structure moléculaire entre un acide lactique et le sucre dont il dérive. De pareilles relations, si nous en connaïssions, en nous montrant quels sont les groupements atomiques de la molé- cule sucrée qui se retrouvent dans la molécule acide, nous permettraient de fixer sur quel point de la première s’est portée l’action du ferment et à quel acte chimique précis cette action peut être ramenée. Le mécanisme de la fermentation lactique serait éclairci, et ce que j'ai dit de son ubiquité indique quel serait l'intérêt physiologique d’une semblable trouvaille. D'ail-

ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. D

leurs, à mesure que nous pénétrons plus avant la chimie des cellules vivantes, nous nous apercevons davantage que partout entrent en jeu les mêmes forces soumises aux mêmes lois, et que le bénéfice de toute notion nouvelle s'étend bien au delà du cas particulier à l’occasion duquel elle a été acquise. Dans l’ordre d'idées qui nous occupe, M. Duclaux a introduit dans la science des faits singulièrement suggestifs : nous savons par ses travaux quelle parenté étroite existe entre les phénomènes de décomposition des sucres sous l'influence des ferments et sous l’action de la lumière solaire. Exposé au soleil en solution alcalinisée par l’eau de chaux, le glucose est détruit avec pro- duction d'alcool et d’acide carbonique ; si on se sert pour alcali- niser de la solution sucrée d’hydrate de baryte au lieu de chaux, on obtient de l'acide lactique; dans ces conditions le mal- tose a donné de l'acide droit, le lévulose de l'acide gauche, le sucre interverti de l'acide inactif par compensation. Nous voyons que le groupement atomique qui dans la molécule de sucre commande par sa position, d’après nos idées actuelles, le sens du pouvoir rotatoire, se conserve dans la molécule d'acide. Malheureusement les faits recueillis jusqu'ici ne semblent pas indiquer qu'il en soit de même dans les fermenta- tions; M. Péré nous a appris qu'un même sucre lévogyre pou- vait donner naissance indistinctement à de l’acide droit ou à de l'acide gauche, suivant que l'azote introduit dans le milieu de culture est à l’état de peptone ou d'’ammoniaque. Malgré ces résultals peu encourageants, j'ai pensé que la question valait la peine d’être reprise sur nouveaux frais. Il est à remarquer que toutes les expériences faites jusqu'ici dans celte voie l’ont été avec des ferments produisant peu d'acide lactique; dans l'exposé que nous venons de faire, nous avons été amené à considérer cet acide comme le résidu d’une double opération, donnant d’abord aux dépens du sucre une forte proportion d'acide, puis détruisant partiellement l'acide ainsi formé; il ne faut pas trop nous étonner que le résultat de la seconde intervention ne présente pas avec le sucre initial des relations étroites. Si de pareilles relations existent, il semble naturel de les chercher en s'adressant à des ferments lactiques vrais qui nous laissent l'acide tel qu'ils l'ont une fois produit aux dépens du sucre : c'est le but que je me suis proposé dans le présent travail.

92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

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FERMENTATION DES SUCRES

Pour me procurer un ferment lactique, j'ai abandonné Fétuve, sans stérilisation préalable, du jus d'oignons additionné de 10 0/0 de glucose; ce jus se peuple rapidement d’une infinité de microbes parmi lesquels les ferments lactiques dominent; ceux-ci ont été isolés par la méthode des dilutions en liquide.

Le ferment qui fait l'objet de cette étude est un bâtonnet immobile: dans les cultures il se présente isolé ou réuni en chainettes d'une dizaine d'articles au plus. Il pousse à 35° dans le lait qu'il coagule en 24 heures environ, dans l’eau de tou- raillons sucrée : son milieu d'élection est le jus d'oignons addi- tionné de 0,5 0/0 de peptone. Il ne pousse que très pénible- ment sur les mêmes milieux solidifiés par la gélatine ou la gélose.

À la température de 23°, la culture est plus lente qu'à 35%, mais se fait encore ; à 40° elle est très pénible, au-dessus il n’y a pas de développement.

Dans l’eau peptonisée à plus de 2 gr. par litre, le ferment se développe bien : il envahit toute la masse du liquide qui devient d’abord légèrement acide, puis à la longue très légèrement alcalin : l'acide volatil qui prend naissance a été étudié par la méthode des distillations fractionnées: c’est de l'acide acétique pur : dans un liquide à 2 0/0 de peptone, il ne s’en trouve jamais plus de 0,2 par litre. L’extraction à l’éther en présence d'un excès d'acide sulfurique ne m'a jamais permis de constater la production d'acide lactique.

Action sur les sucres. Les cultures ont été faites à 35° dars l’eau peptonisée en présence d'un excès de carbonate de chaux.

Pour la recherche des acides fixes, le liquide de culture con- centré à consistance de sirop était additionné d’une quantité d'acide sulfurique juste suflisante pour précipiter Be chaux et épuisé par l’éther.

Le meilleur procédé pour caractériser et différencier les acides lactiques est l’étude de leurs sels de zinc: ces sels très solubles dans l’eau chaude, peu solubles dans l’eau froide, sont faciles à obtenir purs cristallisés en helles aiguilles.

A PS OO I ENT TS

| Û

ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. D3

Le sel de l'acide inactif cristallise avec 3 molécules d’eau : CSH'°0Zn + 3H°0. Les sels actifs cristallisent avec deux mo- lécules seulement: C'H'°0fZn + 2H°0. Tous ces sels perdent leur eau de cristallisation par un chauffage de 1 heure à 1600. La perte d’eau correspond à 18,1 0/0 pour le sel inactif, à 42,9 0/0 pour les sels actifs.

Le sel de zinc de l'acide droit dévie à gauche, celui de l'acide gauche dévie à droite.

Le pouvoir rotatoire du lactate lévogyre varie avec la concentration de la solution observée, 1l diminue quand la con- centration augmente; 1l est de 5, d’après Wislicenus, pour les solutions contenant de 4 à 5 0/0 de sel.

Pour la recherche des acides volatils, j’ai eu recours à la méthode de distillation fractionnée de M. Duclaux.

Lorsque, la nature des acides étant connue, il s’est agi sim- plement d’en suivre les variations quantitalives au cours d'une fermentation, je me suis contenté de doser la chaux dissoute et les acides volatils ; j'ai calculé l'acide lactique par différence.

Pour le dosage de la chaux en solution, le procédé suivant est très rapide et donne des résullats exacts.

50 e.c. du liquide à essayer sont disposés dans un vase de Bohème au-dessus d’un bec Bunsen, additionnés de quelques gouttes d'une solution de phénol-phtaléine et portés à l’ébulli- tion; dans le liquide bouillant, on verse goutte à goutte, en agitant constamment, une solution titrée de carbonate de potasse, il se forme du carbonate de chaux qui se précipite et un sel neutre de potasse qui reste en solution; quand toute la chaux a été précipitée, l’addition d’une nouvelle quantité de CO*K? rend le liquide alcalin. De la quantité de carbonate employée, on déduit la quantité de chaux dissoute. Lorsque la coloration du liquide ne masque pas la couleur rouge de la phtaléine, ce qu’il est toujours facile de réaliser par une dilution convenable, le procédé est très exact.

Je prépare deux solutions, l’une de lactate de chaux pur contenant en 100 e.c. 2 gr. 002 d'acide lactique et l’autre de carbonate de potasse à 3,6 0/0 :

90 c.c. de la sol. de lactate sont précipités par. 14,1 de la sol. CO?K? 25 + 95 c.c. eau dist... 7,0 10 + 40 ee 12,9

ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

© CS

Lactose. J'ai employé du lactose obtenu pur par des cris- tallisations successives dans l’eau, il possédait un pouvoir rota- toire de 55°,1 à 20°.

Des ballons contenant chacun :

BAUER RON ee LIL OPEN RE AR 200 PO DIONE ET bite rush Rectree rte LR ELEC 2 L'ACEOS ER Re ser eue ee Ne CET RL 8,86 Carhonate der ChAUXE. Ne ER I 12

sont ensemencés et mis à 350. Au bout de 24 heures ils sont le siège d’un dégagement actif d'acide carbonique ; en prélevant de temps à autre un ballon, on obtient :

Durée de la ferment. Sucre cons. Ac. fixe. Ac. vol. 3 jours 4,66 4,4 0,10 D Jours 6,52 6,2 0,14 12 jours 8,86 8,5 0,16

D'un bout à l’autre de la fermentation, l'acide volatil a été de l'acide formique.

Le contenu de trois ballons pris au 12e jour a été mélangé : l'acide fixe extrait à l’éther. On a obtenu :

SUCRE GENS OMR EL: bi Le ntm vremeratenet 26,58 Acide MIRE EE nie ot Elena D CEE 26,0 Acidemolati{ac dormi) er he sine eperete 0,5

L'acide après l’évaporation de l’éther a été transformé en sel de zinc celui-ci purifié par 2 cristallisations a donné : ;

Perte d’eau à 1600 0/0 de sel...... RAR C es D 10/0 1de sel anhydre "1 musritene 5e: O8 RASE UE 10 NT AR AE PAR TN ER PRES NE LR Inactif.

L’acide est de l'acide inactif.

IL est à remarquer que l'acide volatil de la culture, qui était de l'acide acétique lorsque le ferment se développait dans la peptone seule, devient de l'acide formique lorsqu'il est produit aux dépens du sucre ! :

L’acide lactique obtenu représente 97,7 0/0 du sucre détruit ; il est bien produit uniquement aux dépens du sucre et non de la

4. Dans toutes les expériences rapportées ultérieurement, l'acide volatil sera, sauf indication contraire, exprimé en acide formique.

ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE, 5 1)

peptone ou des impuretés que celle-ci peut apporter avec elle, car l'augmentation de la teneur en peptone n’augmente pas la quantité d'acide fixe, tandis que l'addition d’un certain poids de sucre détermine la formation d’un poids exactement correspon- dant d'acide lactique.

Trois ballons ont reçu chacun 200 c. ce. d'une solution de lactose à 5,01 0/0, du carbonate de chaux, et en outre

Le’bpallon, DST. 2 grammes de peplone. MER Re ARR Le HUE MR etes emer ce 10

Après 15 jours de séjour à l’étuve, les ballons ont été repris. Le sucre avait disparu de tous. Les quantités d'acide formé étaient :

Ac. fixe, Ac. vol. . RS RE A AN dur ee 9,8 0,18 RP 1e NU NU 9,5 0,20 Re RER RE un Rene ire 9,5 0,25

L'acide volatil est de l'acide formique dans les trois ballons.

Trois ballons ont reçu chacun du carbonate de chaux, 200 c, c. d’une solution contenant 4 0/0 de peptone et en plus :

Dans JeDalont IE er ee M nue 7,6 de lactose. RAT SR ER CE 3,8 AN RE RO AR RE EE 1,6

Les ballons ensemencés et mis à l’étuve ont donné au bout de 15 jours, . le sucre ayant entièrement disparu de tous :

Ac, fixe, Ac, vol,

AR A iQ te ROUE 0,14 CR TR De te RC nn x RE 00 0,11 PAR Re an TIR divine 1,5 0,09

Si, au lieu de diminuer la proportion de sucre comme dans l'expérience précédente, on diminue la proportion de peptone, la culture devient traïînante, la proportion d'acide volatil produit augmente, et la nature de l’acide lactique est modifiée.

Trois ballons ont reçu chacun 100 c.c. d’une solution de lactose conte-

nant 5,12 de sucre, du carbonate de chaux et les quantités de peptone sui- vantes :

Ballon SRE on de DE Are cc 1,0 Et TES ER RE 4m PR RL De PEU ONE 0,5 tn ME SC ME NA RE SR RSR Eat 0,2

Après deux mois de séjour à l’étuve, ils ont donné :

6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Sucre restant. Ac. fixe Ac. vol. Ac. vol. 0/0 d'ac. fixe. LATE 0 5,0 0,1 2,0 IIS EE CSS 0 4,2 0,45 10,7 TIR YARIS 4,2 0,5 0,07 14.0

L'acide du ballon I est de l’acide inactif.

Le sel de zinc obtenu avec l'acide du ballon II a donné :

l gramme de sel dissous dans l’eau de façon à faire 25 c. c. a donné une rotation gauche de 10’ au tube de 20 centimètres.

Le sel est un mélange de lactate inactif et de sarcolactate.

Aïinsi done, en diminuant la proportion de peptone, nous déterminons la production d’un acide actif, sans que le ferment perde pour cela ses qualités de ferment lactique vrai, puisque l'acide obtenu représente 82 0/0 du sucre détruit.

Pour bien mettre ces faits en évidence, il y aurait lieu de reprendre l'expérience avec des doses comprises entre celle du ballon II et celle du ballon IT : je ne l'ai pas fait parce que j'ai retrouvé, en étudiant les autres sucres, toujours le même phé- nomène très nettement. Ê

Saccharose. Le saccharose mis à fermenter en présence de 1 0/0 de peptone se comporte comme le lactose.

10,1 grammes ont donné après 15 jours :

SUCTE ETUI See AC A EE TN ET EPS RARE 10,1 AEIAe RCLIQUE ANTENNES PARA RE 9,8 ACTE NO] RER EE EE A SERRE CARRE 0,12

L'acide est inactif.

Un essai de fermentation en présence de 5 0/0 de saccharose et de 0,8 0/0 de peptone, ne m'a pas donné d'acide lactique en quantité appréciable.

Maltose. J'ai employé du maltose industriel purifié par des cristallisations dans l'alcool.

Son pouvoir rotatoire était « = + 140,0.

Quatre ballons ont recu chacun 200 c. c. d’une solution sucrée contenant 112",40 de maltose, du carbonate de chaux et en outre :

Ballon Lire ER RP 2 gr, de peptone. LL RE TE A en de à drone qe 1 SE 1 PR à 022 7 ae 0,8

tale dt ditétetieute dus di détient dE dde OS SE D Se D

ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. x

Dans les ballons [ et II la fermentation, très rapide au début, a paru ter-

minée vers le dixième jour. Les 4 ballons repris au bout de { mois ont donné :

Sucre cons. Ac. fixe Ac. vol. ILE RSS 14,4 10,8 0,14 NOUS RON 11,4 10,6 0,16 IT ACER 9,6 9,2 » ER den 3,4 S 0 A OL

Le contenu des deux ballons I et II mélangé a donné de l'acide inactif. Le ballon IV a fourni un sel de Zn donnant :

Pentescire aus AGO PAR EN Re Es 12,8 /n6N0/0 dersellanhydres 2.508. stade 32,9 0,936 dissous en 25 c. c. d’eau. Rot. 20 ce. ce. 00,63 COUV TO DECO NE RAR Re 805

L'acide est de l’acide droit.

Nous voyons très nettement, dans le cas présent, quele ferment qui donne en présence d’une certaine dose de peptone de l'acide inactif, donne avec une dose à peine plus faible de l'acide droit : nous devons remarquer aussi que le poids d'acide obtenu repré- sente 88 0/0 du poids du sucre consommé : il ne saurait être question ici de la formation d’un racémate dédoublé par une action ultérieure du ferment. Le corps actif est formé directe- ment aux dépens du maltose.

Nous allons retrouver le même fait d’une façon constante en étudiant les sucres à six atomes de carbone.

Glucose. J'ai employé un glucose pur du commerce.

10", 0 de glucose ont donné au bout de ! mois:

Gluc. cons. Ac. lact, Ac. vol. Rot. sel. Za

En prés. 1 0/0 pept. 10,0 SET 0,13 Inactif,

0,5 100 009 8 2045 -N Inactif, 0,4 CA CARE 0,3 29 2,4 GA A8 20

Sucre interverti. 115,2 de sucre interverti ont donné après 14 jours, en présence de 1 0/0 de peptone :

Lee SAME ARRERRRE ROUEN EE CORRE ! Acide volatil

L’acide est inactif. Galactose. J'ai employé un galactose pur du commerce. Le pouvoir rotatoire évalué en mesurant la rotalion sur une solu-

58 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tion à 5 0/0, le sucre étant dosé par réduction, est de 829,4 à 17°. 92,2 de galactose ont donné au bout de cinq semaines :

Suc. cons. Ac. lact. Ac. vol. Rot. sel. zinc.

En prés. 10/0 pept. 9,2 8,9 0,1% Inactif. 0,5 6.9 6,7 0,14 0,4 4,9 4,6 0,12 = /80,9 Mannose. 100 grammes de poudre de corozo délayés

daus 500 c. c. d’eau additionnée de 16 c. c. d’acide sulfurique à 66° B, ont été maintenus à l’autoclave à 120° pendant 1 heure; la masse étant refroidie et le liquide filtré, j'ai fait subir au résidu deux fois encore le même traitement, l’ensemble des liquides acides saturé par le carbonate de chaux, décoloré par le noir animal, est limpide, à peu près incolore, il contient une quantité de sucre qui, évaluée comme mannose, représente 465,5, avec un pouvoir rotatoire de + 12°,8. Le sucre est donc du mannose pur. 8,96 de mannose ont donné au bout de un mois :

SUC. CONS. FAC ICE, NCEVOI. R. sel. Zn

En prés. 1 0/0 pept. 8,96 8,5 0,21 Inactif. 0,5 4,4 4,06 0,12 = 00

Ainsi lorsque, l'aliment azoté étant abondant, la culture est facile, le ferment donne avec tous les sucres étudiés indistinc- tement de l’acide inactif; si l’azote devient rare, la culture est pénible et nous aboutissons dans tous les cas à de l’acide droit. Il apparaît bien clairement que ce n’est pas de la constitution stéréochimique du sucre que dépend la nature de l’acide, mais bien des conditions de vie qui sont faites au ferment: pour com- pléter cette notion, il y avait lieu d'examiner si, quand on gêne la culture de différentes façons, en changeant la nature de l’azote alimentaire, en élevant la température, en ajoutant des antisep- tiques, on obtiendrait des résultats analogues à ceux que donne la diminution de la dose de peptone. J'ai vainement essayé de substituer à la peptone les sels ammoniacaux, tartrate, succinate, nitrate ou l’asparagine, le ferment n’a pas poussé.

J'ai dit que la température optima pour le ferment était vers 390; à 400 le développement se fait encore, mais très pénible- ment; dans ces conditions, 12#,5 de lactose dissous dans l’eau peptonisée à 1 0/0 ont donné après six semaines :

ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. D9

SUCRE COMORES 2 eu ve dus 0 8 A UE Noa M Coien DO DORE TA Rein ue vie bts 9 0e TES 2,6 OR ATERES e an LE ou be veste use CRT 0,4

Le sel de zinc de l’acide a donné :

DRE GATE NSIOTENRERNRS NO RER ER 15,4 RAU0/0ide’Selanhydre rer Meet 33, AGrdiss sen 290; Crea Rat. 29520 nie. 00,4

L’acide obtenu est un mélange de droit et d’inactif.

Un certain nombre de ballons contenant du carbonate de chaux et 200 c. c. d’une solution à 1 0/0 de peptone et 4:",02 0/0 de lactose, ont reçu des doses croissantes d'acide phénique, ils ont été ensemencés et mis à 35°: au bout de un mois et demi, ils ont donné :

Suc. cons. Ac. lact. R. sel. Zn.

En prés. de 2 gr. p. lit. dephén. 0 0 1 5,95 5,1 80,4. 0 8,04 7,87 Inactif. Il

FERMENTATION DES ALCOOLS POLYATOMIQUES

Les sucres sont pour notre ferment des aliments de digestion facile ; si les conditions de la culture sont bonnes par ailleurs, ils sont rapidement consommés; il n’en est pas de même des alcools polyatomiques : ceux du moins que j'ai étudiés, la mannite, la glycérine, la dulcite sont d’une digestion extrèmement pénible. Dans l’eau peptonisée à 1 0/0, le ferment se développe bien, envahissant la totalité du liquide qui devient uniformément trouble. Dans le même milieu additionné de 5 0/0 de mannite, la culture se fait lentement; elle est en grumeaux qui restent dépo- sés au fond du balion : si on les agite, ils se répandent dans le liquide sans produire de trouble véritable. Dans les solutions peptonisées à 1 0/0, la destruction des alcools polyatomiques est lente, elle ne donne jamais lieu à un dégagement visible d'acide carbonique. On ne gagne rien à augmenter la dose de peptone qui a pu être portée à 2 0/0 et 5 0/0 sans que l’action devienne

60 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

plus rapide. La proportion d'acide volatil obtenu est ici bien plus considérable qu'avec les sucres, etil se forme en outre une quantité notable d'alcool éthylique.

Mannite. Des ballons contenant chacun 5 grammes de mannite dissous dans 100 c. c. d’eau peptonisée à 1 0/0 ont donné:

Act. lact. Ac. vol. Alcool APres MAIOULS ENTER 1,45 0,2 0,6 Aprés mois 2, 0 0,3 0,8 APLES LS MNOISS- LE CRAN 4, D 0,6 0,4

L’acide obtenu était toujours de l’acide droit.

On obtient une destruction un peu plus rapide de la mannite en remplaçant l’eau peptonisée par le jus d'oignons additionné de 0,5 0/0 de peptone. 100 grammes de mannite, mis à fermenter dans ces conditions, ont donné après deux mois et demi :

ATCOO MER IIQUE LEA AE ENS PERNE oi ACC ACER as cs den LOU MERE te Re »,0 AGide or iqUe SEE RPE TEASER RE UN 4;9 Acide lacÜque re. mie RE ARTE Ce 62,1

L’acide était de l'acide droit. Dulcite. 30 grammes de duleite mis à fermenter à 35°, dans 600 c. ce. d’eau peptonisée à 1 0/0, ont donné au bout de 1 mois:

ATCOOMÉ RNA SEE ALES EEE RUN Fee 4 AGIde ROFQUE: ST EN MARNE IS RAR ER EE 1,74 Acide-Hlactique 221407 7,83

Acide droit. Glycérine. 25 grammes de glycérine ont été mis en fermen- tation dans 500 c. ec. d’eau peptonisée à 1 0/0 : le ballon a été repris au bout de deux mois; dans 50 ce. c. de liquide, j'ai dosé la glycérine non attaquée; dans le reste j’ai dosé les acides; j'ai

trouvé : Glycérine consommer PE ANr ERP

6) Acide 1actique PERRET EE ER EEE 3,2 Acide Tormique ERPMELEMAMER

Acide droit.

ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. 61

IT ACTION SUR QUELQUES ACIDES ORGANIQUES

Le ferment que nous venons d'étudier est sans action sur le lactate de chaux. Des cultures en eau peptonisée à 5 0/0 de lactose, abandonnées à l'étude pendant plus d'un an, ont donné à l'analyse la même quantité d'acide fixe que les cultures sem- blables analysées 15 jours après l’ensemencement. Deux essais faits, l’un dans du jus d’oignon additionné de 1/2 0/0 de peptone et de 5 0/0 de lactate de chaux pur, l’autre dans une solution de lactate de chaux pur à 2 0/0 additionnée de peptone aux doses de 1 : 0,5 : 0,3 0/0, laissés trois mois à l'étude, ne m'ont permis de constater aucune attaque du lactate de chaux: pourtant, dans tous ces liquides, le ferment s'était développé.

Je n’ai pu constater l’attaque ni du succinate de chaux, ni des tartrates de chaux de magnésie ou d’ammoniaque : par contre, le malate de chaux est attaqué avec facilité.

Ensemencé dans une solution de peptone à 2 0/0 additionnée de 5 0/0 de malate neutre de chaux, le ferment se développe rapi- dement et, au bout de quelques jours, le liquide est le siège d’un dégagement gazeux très aclif.

100 grammes de malate de chaux, correspondant à 64%',4 d'acide malique, ont donné après 1 mois de culture, le dégage-

x

ment gazeux étant arrêté depuis plusieurs jours déjà :

AlCO0ÉtTR Ye EE NE A fente eus 5,28 Aide ACÉTIQUE SEE. ae En ln te coins « 10,3 ETC O LME SE D ee ou sie sine D à derele sta 16,2 Acide carbonique restant à l’état de carbonate de CR A ht Lune de rue aGioeRRe PS0

Tout l’acide malique a disparu, et il ne reste dans la culture ni acide lactique, ni aucun autre acide fixe, car la chaux en solu- tion correspond à celle qui sature les acides acétique et for- mique, et d'autre part le résidu insoluble qui reste au fond du ballon dissous dans l'acide acétique donne de l’acétate de chaux sans mélange.

ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

(æp) [ES

CONCLUSIONS

Il résulte de l'étude que nous venons de faire :

Qu'un ferment lactique peut, tout en conservant ses qualités de ferment lactique vrai, donner naissance à l’acide actif, celui-ci représentant plus de 80 0/0 du sucre détruit;

20 Que la nature de l'acide n’est sous la dépendance directe ni de la fonction chimique, ni de la constitution de l’hydrate de carbone dont il dérive ; elle dépend d’un ensemble complexe de facteurs. J'ai montré qu’un certain nombre d'influences qui aboutissent à un ralentissement de la culture, la diminution de l'azote alimentaire, une température élevée, l'addition d’antisep- tiques, la résistance plus grande de l'aliment hydrocarboné déterminaient toutes la production du même acide droit; peut- être en est-il d’autres qui nous conduiraient à l'acide gauche. Dans des questions aussi complexes, il faut accumuler patiem- ment les faits et avant tout se garder des généralisations hâtives.

PE

FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRES PAR LE COLI-BACILLE DU NOURRISSON

Par M. A. PÉRÉ

Pharmacien-major de {re classe.

Travail du laboratoire de Chimie biologique, à l'Institut Pasteur.

L'étude biologique des microorganismes a depuis longtemps révélé l'existence de types de transition entre des êtres nette- ment séparés par leurs caractères : c’est ainsi que les mucors, les myrolevures sont venus prendre leur place naturelle entre les mucédinées et les levures ‘. Cette notion ne s’est que lente- ment fait jour, parce qu’elle heurtait certaines habitudes d'esprit et paraissait hostile à tout essai de classification morphologique. Il a fallu pourtant l’accepter, et même, quand on a appliqué les méthodes qui l’avaient fournie à l'étude des groupes qui, à un premier examen, avaient paru consliluer une espèce bien déter- minée, on s’est souvent aperçu que celte espèce sortait un peu ou même totalement disloquée de cette étude plus approfondie de ses caractères biologiques.

Par ce côté, rien n’est plus édifiant que l’étude du Bacterium coli commune. Tant que l’on se borna, pour déterminer ce mi- crobe, à l’observation de ses caractères morphologiques et de l'aspect de ses cultures sur les divers milieux, on put le consi- dérer comme formant uue espèce déterminée, et même soutenir l'hypothèse de son identité avec le bacille typhique ; mais la discussion s’éteignit dès que l’on s’avisa de recourir aux carac- tères biologiques : il fallut alors reconnaître, non seulement que ces deux microbes ne sont pas identiques, mais encore que le B. coli ne constitue pas un type unique, que ses propriétés varient suivant son origine, comme s’il était en continuelle évolution.

4. Ducraux. Chimie biologique.

64 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Pour n’envisager qu’un seul des attributs du B. coli, celui de faire de l’acide lactique droit en partant du glucose, à l’in- verse du bacille typhique qui fait de l’acide lactique gauche, Van Ermengen à reconnu que parmi plusieurs échantillons soumis à son étude, les uns faisaient de l’acide lactique droit, les autres de l’acide lactique gauche. J'ai déjà cherché à m’ex- pliquer ces divergences : j'ai reconnu que le coli-bacille de l'homme, lorsqu'il provient de l'intestin de l'adulte, fait tou- jours de l’acide lactique gauche avec le glucose; mais qu'il fait, lorsqu'il provient de l'intestin du nourrisson, ou de l'acide lactique droit ou de l’acide lactique gauche, suivant la nature de l'azote alimentaire.

D’autres contradictions subsistent : plusieurs observateurs accordent au B. coli la propriété, que d’autres lui refusent, de faire fermenter certains corps sucrés, tels que le saccharose, la olycérine. Comme je le montrerai, ces contradictions ne sont qu'apparentes.

Mais en entreprenant ces nouvelles recherches, j'avais sur- tout en vue de réunir quelques faits sur une question que je m'étais déjà posée *, et qui me semble encore d'actualité, bien que M. Kayser * et M. Pottevin l’aient enrichie de documents d'un haut intérêt, à savoir quelles relations peuvent exister entre la structure moléculaire de l’acide lactique produit par un ferment donné et la structure moléculaire du sucre générateur, ou la quantité et la qualité de l’azote alimentaire, ou les condi- tions générales de la fermentation. Les faits consignés dans cette note ne me semblent pas faire tous double emploi avec ceux qui nous sont déjà connus. J'appellerai plus particulière- ment l’attention sur le suivant : c’est qu’un même ferment peut, en partant d'un même sucre, laisser de l'acide lactique inactif, ou de l’acide droit, ou de l’acide gauche, ou un mélange non compensé des deux stéréo-isomères.

1. Société de biologie, mai 1896.

2, Ces Annales, t. VII, Formation des acides lactiques isomériques.

2. Ces Annales, t. VIII, Contribution à la fermentation lactique.

4. Contribution à l'étude de la fermentation lactique, ce volume p. 49.

FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRÉS.

65

Dans une première série d'expériences, j'ai mis en œuvre les divers sucres et alcools polyatomiques dans des conditions de

culture absolument identiques. Voici la composition de ces liquides de culture :

LIQUIDE A !

Sucre ou alcool polyatomique.... 10 grammes. LS CN RENE RER PET 3 pour 200 c. c. Carbonate de.chaux:::. 1.7... 6

Après stérilisation, ces liquides recevaient la valeur d’une

anse de platine d’une culture sur bouillon âgée de 6 jours. semence provenait des selles d’un nourrisson âgé d'un mois.

température d’incubation était de 38°.

a La

J'ai exprimé les résultats par le poids du lactate de zinc obtenu, sa teneur en eau de cristallisation, et son action sur la lumière

polarisée. Dextrose. Durée de la fermentation : # à 5 jours. Pdurlacta te deze DURÉE 2 Scene Monroe ue 4,157 gr DR = UV NAN ARC RSR PRE RARE AURA EE 3047! !

Après 24 heures, la solution a laissé déposer 0,2144% de cristallisé qui a donné :

Éertedienu AGO RS A EN DS sata me te 16,04 a OS Pan yes RE TELE RENE 0 dure sas 33.20

Le sel obtenu par l’évaporation du liquide filtré a donné :

Pertesdieda4160040/022%. 7... 12 EM RRMER eh 14,16 ADO OF SORMEEUTEE.: 2. EE ERA A 7. 39,14

sel

1. Dans toutes ces expériences, la solution du sel de zinc total était ramenée à 20 c. c; l'observation au polarimètre se faisait à la température de 20° et au tube de 2 décimètres. Je rappellerai que les lactates actifs de zinc renferment

12,90 0/0 d’eau et le lactate inactif 18,18 0/0,

66 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Nous retrouvons donc un mélange d’acide lactique inactif et d'acide lactique droit, soit que l’acide droit et l’acide gauche prennent naissance concurremment et en proportions inégales, soit plulôt que la formation primitive d’acide inactif s’accom- pagne, dans le protoplasma cellulaire, du dédoublement de cet acide par l’attaque plus prononcée du côté gauche de sa molécule racémique.

Mannose. Durée de la fermentation : 10 jours.

bédu selde ZINC Pur Er ten eee Le 1,738 gr. Perle d'eau fé24000 0/0 RE AS nr caen 18,06 710070 du sel an Ryder PAT PARC RE 39,26

Acide lactique inactif. Galactose. Durée de la fermentation : 10 jours.

Padussel ide 71nC DURE ee ME ER EP ee 1,015 gr. PCTE MEANS TODOr 70 ESA TENNIS 18,10

Acide lactique inactif.

Sucre interverti. Durée de la fermentation : 9 à 10 jours. Pdusel ide ZINC pure: OR Rte Reis 1,615 gr, Perte idieau 8 4000, 0/0 M RL RER dore 18,04

Acide lactique inactif.

Ces trois fermentations aboutissent à l’acide inactif, soit que la quantité d'acide lactique retrouvée représente la quantité totale de l’acide lactique formé dans le protoplasma, soit que l'acide lactique, primitivement formé, subisse une attaque parallèle et d’égale intensité par les deux côtés de sa molécule racémique.

Arabinose. Durée de la fermentation : 13 jours.

SolUtION TOUS ele INE NE RE ET CENTRE + 14

Nous voyons apparaitre ici l'acide lactique gauche en petite

quantité. Saccharose. Durée de la fermentation : 6 jours. Ptduseldezine pure APN ERREUR TEE 1,950 gr. 1067. [al RCE RE RER EEE 0088! Perte d'eau à 1600, 0/02 HR 0 RE RME OR Ce 13,62

7Zn0:10/0.dusel anhydre., 54 RAA RERSERARSR M 33,20

e

NP) « POUR ner 14 bé) RS

- Tape a T'ON

FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRÉS. 67

Acide lactique droit.

Il ne se dépose pas spontanément de cristaux, comme dans le cas du dextrose. Néanmoins la proportion d’eau un peu élevée permet d'assurer que l'acide droit est mêlé d’une faible propor- tion d'acide gauche.

Lactose. Durée de la fermentation : 41 à 12 jours.

PAU Sel Ain parie ML RL Res D Lee 0,460 gr. CRETE CL OO PR RE RNA de . + 804!’

Acide lactique gauche.

Mannite. Durée de la fermentation : 12 jours,

Pedusel de zine Durée ni cit ne SERRE TE ET 0,652 gr. ane on do en pomagee don don + 8010 HÉRADEAURE LOUP JOEL De dan ed eee noue 12,94 PUDSU/URduselanRydre re Ste MUR 32,90

Acide lactique gauche. Dulcite. Durée de la fermentation : 16 jours.

Bolton sel TC ZIRC @— 2e IQ + 1#

Acide lactique gauche. Glycérine. Durée de la fermentation : 15 jours.

DOLHIOM Id SEL dE ARC G —= 2.4 ua sans + 22°

Acide lactique gauche.

Ainsi, parmi tous ces corps sucrés, les uns produisent de l'acide inactif (mannose, galactose, sucre interverti) ; d’autres de l'acide droit (dextrose, saccharose) ; les autres de l'acide gauche (arabinose, lactose, alcools polyatomiques) ; et cela, par l’action d’un mème ferment et dans des conditions de culture identiques pour tous, puisque les liquides mis en fermentation ne différaient entre eux que par la nature du corps ternaire. Il est bien vrai- semblable, vu la petite proportion d’acide lactique retrouvée et les formes stéréo-isomériques différentes qu’il affecte, sans qu’il nous soit possible de relier ces formes à la structure moléculaire du corps générateur, que les acides actifs ne dérivent point direc- tement des divers sucres, mais procèdent d’une fermentation

68 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

secondaire qui atteindrait l'acide inactif primitivement formé : hypothèse raffermie par le fait que ce microbe, comme je lai montré ailleurs, peut attaquer et dédoubler le lactate de chaux.

Les résullats ci-dessus permettentun curieux rapprochement entre la structure de l’acide lactique formé et la résistance que le sucre générateur oppose à l’action dislocatrice du ferment : les sucres dont la destruction est très rapide nous donnent de l'acide droit; ceux qui fermentent moins vite nous donnent de l'acide inactif; enfin l’acide gauche provient de ceux qui résis- tent le mieux à l’action du rent IL est dès lors bien évident que la structure de l'acide lactique engendré estliée à des raisons de l’ordre purement physiologique, en particulier à la valeur alimentaire des divers corps sucrés, et non d’une manière directe à la structure stéréo-chimique de ces sucres.

Il est aussi à noter que les proportions d'acide gauche sont minimes, dans les fermentations lentes il se produit, en regard des proportions d'acide inactif ou d'acide droit, dans les fermen- tations plus rapides qui leur donnent naissance. Il semblerait que le microbe, effectuant difficilement l'attaque de l'aliment ternaire qu'on lui a offert, poursuit d'autant plus énergiquement l’atta- que de l’acide lactique formé dans la réaction initiale ; le choix entre les deux aliments, sucre ou alcool et acide lactique, se trou- vant moins marqué dans les fermentations lentes que dans les fermentations rapides.

En outre des différences de quantité, ce coli-bacille présente, avec le ferment lactique de M. Pottevin, des différences de qua- lité extrémement intéressantes : à inverse du premier, celui-ci donne de l’acide droit avec les sucres dont l'attaque lui est diffi- cile; avec les divers sucres, il ne donne que deux acides lacti- ques, le droit et l’inactif, alors que le coli-bacille peut aboutir aux trois acides stéréo-isomériques.

Je ferai remarquer, en dernier lieu, que le coli-bacille du nourrisson attaque le saccharose, la dulcite et la glycérine, ce que ne peut faire le coli-bacille de l’adulte : c’est peut-être à la différence dans l’origine des germes étudiés qu'il faudrait attri- buer les divergences dans les résultats obtenus par divers obser- vateurs, dans leur étude du Bact. coli commune.

M Ex ROVER T TO ro x:

FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRÉS. 69

Il

A la suite de ces données se présente naturellement à l’esprit cette hypothèse que tout sucre, saccharose, dextrose, mannose, qui donne de l'acide lactique droit ou de l’acide inactif dans les conditions de fermentation indiquées ci-dessus, que j’appellerai normales, pourra nous conduire à l'acide lactique gauche, si, par quelque artifice de culture, nous rendons son attaque plus diffi- cile, et sa fermentation plus lente. J’ai donc fait quelques expé- riences sur ces trois sucres, en modifiant les conditions de la fermentation, soit par l’addition d’antiseptiques, soit par l’abais- sement de la température, soit par une diminution de l'azote ali- mentaire ou par la substitution de l'azote minéral à l’azote organique.

Saccharose. 1. Le liquide A est additionné de 1 pour 1000

de phénol :

Pda tte deze DURE eue cure eneeceses 1,506 gr. CL SIRET RS RE en 60,11

Acide lactique droit. Rien n’est donc changé dans les résultats; mais il faut dire

que si la fermentation débute plus tard que la fermentation nor- male, elle se poursuit, une fois mise en train, avec une grande régularité et la mème vitesse. Il est possible qu'il se fasse parmi les germes une véritable sélection, les moins vigoureux ne pou- vant s'adapter à ces conditions d'existence.

2. Le liquide A est maintenu à 25°,

SolUtIondUSelderZIN CRE NME RL IE ae

Acide lactique droit ‘. 3. La proportion de peptone est réduite à 10 0/0 de ce qu’elle était dans le liquide A. La fermentation s'arrête avant que le sucre soit ne détruit. 4. Je dois signaler ici la formation d’acide succinique en proportion no table alors que la fermentation normale du sucre de canne n’en fournit pas; mais la

fermentation du lactose et des alcools polyatomiques en donnait de petites quantités,

70 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Solution di sel de INC RARE ER œ— 99

Acide lactique droit.

4. Sels ammoniacaux, en place de peptone. Le sucre n’est”

pas attaqué.

Nous obtenons donc toujours de l’acide lactique droit, comme dans les conditions normales de culture : le saccharose s’est montré rebelle à toute influence modificatrice.

Nous allons voir qu’il n’en est pas de même avec le dextrose, bien que ce sucre se comporte comme le saccharose dans les conditions normales de culture.

Dextrose. 1. Température : 25°. Liquide A.

Pure ec POELE EP RRENOREERE 1,5024 gr. D PRO RRE IG) IDE AE PILES EE A RE + 30,37 Hanide cristallisation 20/0 RER EN ee 45,76 290./0/0/du sel'nliydire Rare TA TER ANS 33,1

Nous sommes en présence d’un mélange des acides stéréo- isomères, mais ici la proportion d'acide gauche l'emporte, contrairement à ce quis’est produit dans la fermentation normale.

2. La proportion de peptone est réduite à 10 0/0 de ce qu'elle était dans le liquide A.

SOIUTONn ANSE IAAeIZ INC MREERPRREERR e & a

Acide lactique gauche.

La fermentation s’est arrêtée alors que le liquide renfermait encore de notables proportions du sucre.

3. Sels ammoniacaux, en place de peptone.

Pardi sel de wine DUTIAÉ NET SPA PA 0,5964 gr. ie D OA ER EE ed TER ee 2020) pauvde*cristallisation 40/0 RER NES Re 12,82

Acide lactique gauche.

Toutes les influences modificatrices mises en jeu nous ont conduit à l'acide lactique gauche. Voyons à présent ce que nous donne la mannose.

4, Sulfate d’ammoniaque............ 9 orammes Phosphate d’ammoniaque........ 2 pour 200e de liquide Carbonatetdenchaux PME OS:

nt as tte de ne de

sde ot eu Dubai Éd ed Sa SR On TT OO te ds

nttetlel sd rhin dat des:

FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRES. 71

Mannose. 1. La composition du liquide de culture ne diffère de celle du liquide A que par l'addition de 5/10000 de phénol.

ER IRAN EL DUT HAE. LL à Re 1,4756 gr. OR (Ge DER PES LIU LI UT 60,7 Bau/derenstalhsation. 0/04.7::.,.,..2. 10 LR 13,12

Acide lactique droit. 2. Température : 25°. Liquide À.

D duESBIN dE Zn CS DUT ARCS VUE AR ne 1,9246 gr. ER RL EU Da M NS En ce da —- 50,32 Hausdesonstalisation 00e mener 13,50

Acide lactique droit mêlé de traces d’acide gauche.

3. La proportion de peptone est réduite à 10 0/0.

La solution de lactate laisse déposer spontanément des cristaux renfermant 17,08 0/0 d’eau.

Solutions derlactate devzinc iItrée. M A & 8!

Léger excès d’acide lactique droit. 4. Seis ammoniacaux, en place de peptone.

URSS ZINC PULTILÉ DE RS En een tis 0,762 CORRE ARS (ORDRES CNE RERO NE Res NN + 70 Bandes cristallisation 0/O ne Re EE REA Er re 12,76

Acide lactique gauche.

Il est très intéressant de remarquer que les trois sucres mis à l'épreuve ne reconnaissent pas de la même manière les diverses influences que j'ai fait agir : tandis que le saccharose s’est montréindifférent à ces influences, à ne considérer, bien entendu, que la structure de l'acide lactique engendré, la dextrose leur obéit toujours dans le même sens, faisant de l’acide gauche sitôt que nous modifions les conditions de la fermentation. Quant au mannose, il réagit diversement sous les influences diverses, faisant tantôt de l’acide droit, tantôt de l’acide gauche, alors qu'il donne de l’acide inactif dans la fermentation normale.

Rien ne saurait montrer avec plus de netteté l’absence de toute relation directeentre lastructure du sucre générateur et celle de l'acide lactique formé, ni mettre plus clairement en évidence

12 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

les relations étroites qui existent entre la structure de l’acide lactique produit et les conditions générales de la fermentation.

Comme on le voit, le ferment de M. Pottevin, qui donne deux acides lactiques (droit et inactif) avec les divers corps sucrés, suivant la nature du sucre mis en fermentation, peut aussi donner les deux mêmes acides lactiques avec un même sucre; de même notre coli-bacille, qui fait les 3 acides lactiques stévéo-isomériques avec les divers corps sucrés, peut faire aussi ces trois acides lactiques avec un même sucre.

REVUES ET ANALYSES

RAPPORT

PRÉSENTÉ AU NOM DE LA SOUS-COMMISSION DE L'HYGIÈNE

À LA COMMISSION EXTRA PARLEMENTAIRE du Monopole de l’Alcool.

Par M. DUCLAUX. !

MESSIEURS,

Votre Sous-Commission de l'hygiène s’est uniquement préoccupée, dans ses premières séances, de ce qu’on pourrait appeler le côté phy- siologique du problème de l'alcoolisme. Tous les projets de monopole ou de rectification publiés jusqu'ici visent avant tout une réforme hygiénique: c’est la valeur morale et sociale qu’on leur supposait sous ce rapport, bien plus que leur incertaine valeur fiscale, qui leur a fait rapidement tant et de si chauds partisans. Il a paru à votre Sous- Commission qu’elle se devait et qu’elle vous devait d’attirer l'attention du public sur le degré de solidité de ces espérances hygiéniques, de dresser le bilan de ce qu’on pouvait attendre, dans cette voie, des mesu- res proposées, d'indiquer les barrières naturelles devant lesquelles toute action législative devient impuissante, bref, d'établir les princi-

1. A la suite de la présentation de divers projets de monopole de l'alcool, une commission extra parlementaire a été nommée pour l'étude des questions scien- tifiques et industrielles que soulevaient ces projets. Après avoir tenu quelques séances, cette commission a nommé deux sous-commissions, l’une dite de l'hygiène, l'autre dite des voies et moyens. La première a clôturé provisoirement ses travaux par l’adoption du rapport que voici.

En publiant ce rapport, qui date du mois d'avril dernier, je crois devoir faire observer qu'il représente les idées de la Sous-Commission, présidée par M. Ribot, qui l’a accepté à l’'unaminité. Mais il ne va pas jusqu” au bout des mien- nes. On y retrouvera pourtant quelques-unes de celles que je soutiens depuis long- temps dans ces Annales, et qui sont revêtues aujourd'hui de toute l’autorité de la Sous-Commission.

74 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

pes dont les pouvoirs publics ne peuvent faire autrement que de s’ins- pirer, sous peine d’échouer dans leur œuvre.

Tout d’abord une question préliminaire s’est posée devant elle. Avait-elle le droit, au nom des principes, de proscrire l'alcool sous toutes ses formes, même sous celle de vin, de bière, de cidre? Il lui a paru que cet ostracisme absolu n’était pas autorisé. Le vin a une histoire hygiénique remplie de vicissitudes. Les vieux médecins le prônaient. IL était encore très en honneur il y a quarante ans. On en médit aujourd’hui, C’est peut-être qu'en moyenne il est plus mauvais qu’autrefois et qu’il y entre moins de raisin. Mais ce qui prouve que ce n’est pas la seule cause, c’est que beaucoup des médecins qui proscrivent le vin rouge acceptent le vin blanc, qui est encore plus facile à falsifier. Quoi qu’il en soit, il y a contre le vin un courant d'opinion, provoqué par les mauvais vins, mais qu'il serait injuste d'étendre aux bons. Une Commission, instituée en juillet 1895 auprès du Ministère de l’Instruction publique, et dont faisait partie notre col- lègue le docteur Lancereaux, a été bien inspirée de dire que « l’usage modéré des boissons fermentées produit une légère stimulation du système nerveux. Le cidre détermine une augmentation de la sécré- tion urinaire ; la bière à petites doses excite la faim; le vin agit plus particulièrement comme stimulant ». Mise en présence de la même question, votre Sous-Commission a cru devoir être encore plus pru- dente ; elle n’a pas voulu parler des avantages de la consommation du vin, de la bière, du cidre, du poiré; elle a seulement exprimé l'opinion que leur usage modéré est sans inconvénient.

Il est entendu que le terme modéré n’est pas défini, parce qu’il n’est pas définissable. Il faudrait faire entrer dans sa définition à la fois celle du vin et celle du consommateur, et cela n’est pas possible. Mais cha- que consommateur sait ce que représente pour lui une dose modérée, et tout ce qu’a voulu faire la Sous-Commission est de tranquilliser ce consommateur sur les suites prochaines ou éloignées de son penchant, à la condition qu’il se modère. Elle y est autorisée au nom de la science qui ne nous montre dans le vin et la bière bien préparés aucun principe nocif, au nom de l’expérience qui pendant des siècles a témoi- gné que l’usage modéré de ces boissons était inoffensif, au nom de l'intérêt agricole des cultures qui aboutissent au vin, à la bière et au cidre, au nom enfin (mais je mets cette considération en dernier lieu) du danger qu’il y a à se montrer intransigeant dans une affaire, même quand on la traite au nom des principes. Il faut accorder quelque chose au consommateur quand on veut obtenir de lui quelque chose.

Ce premier point établi, le terrain était déblayé. L'alcool se présente à la consommation non seulement dans les boissons fermentées, mais aussi dans les eaux-de-vie qu’on en retire, ou bien encore dans les fleg-

REVUES ET ANALYSES. 75

mes provenant de la distillation des moûts fermentés de betteraves, de grains et de fruits de diverse nature. Dans ces flegmes et eaux-de- vie, l'alcool est à un degré de concentration qui en change l'effet sur l'organisme, Il est absorbé plus rapidement dans l’estomac, passe en plus grande abondance dans la circulation générale, et l'effet d'exci- tation qu'il amène lorsqu'il est en petite quantité augmente et peut devenir dangereux lorsque cet effet est porté trop haut chez celui qui s’enivre, ou lorsqu'il se répète trop souvent chez celui qui prend l’ha- bitude de l’alcool. Or toute sensation, même la plus agréable, même la plus utile, lorsqu'elle est trop exaltée, devient un danger. Il en est de même pour l'excitation alcoolique qui, même produite au moyen d'alcool tout à fait pur, est nuisible à la santé, dès qu’elle devient trop violente ou trop fréquente. :

Ce n’est pas tout : les flegmes et eaux-de-vie contiennent tous, en proportions variables, des aldéhydes, des alcools supérieurs et d’au- tres produits provenant soit des fermentations variées dont le moùt a été le siège, soit des matières premières qui ont servi à les obtenir. Toutes ces substances, que nous appelons du nom impropre d'impu- relés, sont toxiques, bien plus toxiques à volume égal que l’alcool. C’est ce que nous ont montré, les premières, les belles expériences de MM. Laborde et Magnan, et ce qui a été confirmé depuis par une foule de physiologistes. Le danger propre de ces substances s’ajoute au dan- ger de l'alcool qui les a entraînées avec lui, de sorte qu'il y a plus d'inconvénients à boire un alcool chargé d’impuretés qu’un alcool au même degré qui n’en contiendrait pas.

C'est de cette conséquence très juste que sont partis tous les projets qui visent à résoudre hygiéniquement le problème de l’alcoolisme en améliorant la rectification. Supprimons ces impuretés, ont-ils dit, et nous obtiendrons un alcool à peu près inoffensif, que le consommateur pourra absorber et l’État vendre en grandes quantités, et qui enrichira le Trésor sans appauvrir la race. Ce serait l’idéal. Mais votre Sous- Commission était obligée de s’en tenir aux réalités.

Ellea d’abord établi comme principe qu’il n’y a aucun alcool distillé quisoithygiénique, et qu’au delà d’une certaine limite l’alcool éthylique le plus pur devient dangereux. Cette limite est, il est vrai, assez élevée pour lui, plus élevée que pour les autres alcools et les substances quali- fiées d’impuretés. Mais il a paru inutile de la fixer, parce que l’alcoo! tout à fait pur est imbuvable. Le consommateur ne le recherche ou ne l’accepte qu’accompagné de quelques-unes de ces impuretés qui lui donnent son goût, son parfum ou son cachet: de sorte que si en recti- fiant l'alcool on le rend plus inoffensif, on lui enlève d’un autre côté sa clientèle.

De bons esprits ont pensé qu'il y avait une solution, et qu'en ne

76 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

donnant aux consommateurs que de l'alcool purifié et par peu agréable à boire, on les corrigerait de ce goût. C’est évidemment une illusion. Il faudrait un gouvernement singulièrement fort pour imposer un goût au public, et une police singulièrement vigilante pour empêcher ce public de faire rentrer dans la consommation les impuretés donton voudrait le priver, ou de les remplacer par d’autres tout aussi dan- gereuses. L'expérience a du reste montré qu’en Suisse il a fallu rendre aux consommateurs le goût de fusel, d'alcool de pomme de terre, auquel ils étaient habitués dans leur alcool, Ils le réclamaient comme électeurs, comme clients, et comme logiciens, car pourquoi leur refuser les éléments de sapidité qu’on concédait aux buveurs de kirsch ou de cognac authentique.

Aucun alcool, même le plus cher, n’est en effet exempt de ces impu- retés. Elles varient de l’un à l’autre en qualité eten quantité, sont, de l’un à l’autre, plus ou moins dangereuses à raison de cette double cause de variation; mais elles existent partout, parce qu'elles ne peuvent être absentes nulle part. On ne peut songer à les faire disparaitre, et par suite le problème de l’alcoolisme n’est pas un problème de perfection- nement dans la rectification. D'ailleurs ceux-là mêmes qui préconisent cette solution n’ont jamais songé à en faire une solution générale. Ils ne songent nullement à rectifier les kirschs, les cognacs, les rhums et en général les eaux-de-vie de marque. Ils proposent de rectifier seule- ment les eaux-de-vie de betteraves ou de grains, ce qu’on appelle d'ordinaire les alcools d'industrie.

Il est certain qu’il y a un progrès à accomplir de ce côté, et qu'on pourrait chercher à assurer davantage la pureté des alcools provenant non seulement de l'industrie, mais aussi des bouilleurs de cru. Contrairement à ce qu’on croit d'ordinaire, il n'y a aucune supério- rité des uns sur les autres. Les fermentations industrielles donnent parfois des alcools très impurs, mais que la rectification purifie. Par contre, les fermentations faites chez les bouilleurs de cru donnent parfois des alcools impurs que la simple distillation à laquelle ils sont soumis n’améliore pas, et quand ces bouilleurs de cru deviennent à leur tour des bouilleurs de cuit et font de l’alcool de betteraves ou de pommes de terre, leur alcool est beaucoup plus mauvais que l'alcool industriel. Un contrôle hygiénique qui arrêterait des l’origine ou empècherait de circuler un alcool contenant au delà d’un certain minimum d’impuretés serait un bienfait.

Mais autant il est sage d'espérer une amélioration de ce côté, autant il serait vain d'espérer qu’elle sera considérable; car d’un côté, les impuretés, de quelque nature qu’elles soient, ne peuvent être totalement éliminées dès qu’une catégorie de consommateurs les recherche ; de l’autre, dès qu’elles atteignent une certaine proportion,

REVUES ET ANALYSES. 14

elles deviennent intolérables pour l'immense majorité des consom- mateurs. C’est entre ces deux barrières naturelles que l'action légis- tive doit se mouvoir, si elle ne veut pas se briser contre plus fort qu'elle.

Or, dans ces limites, il est facile de faire le départ de l’action nocive due aux impuretés et de l’action nocive due à l'alcool qui leur sert d’excipient. On trouve alors qu'il y a disproportion évidente entre ces deux actions nocives. Les substances qui constituent les impuretés sont chacune individuellement un poison plus actif que l'alcool, 80 fois plus actif par exemple pour le furfurol. Mais, amenées à l’état de dilution tolérable pour le consommateur, elles tombent, comme nocivité, au-dessous de lalcool qui les contient. C’est ainsi par exemple, que pour absorber dans un rhum la quantité de furfurol capable de le tuer par injection dans les veines, un consommateur devrait boire un demi-mètre cube de liquide: il serait mort par l'alcool longtemps avant de l’ètre par le furfurol consommé.

Votre Sous-Commission a cru nécessaire de traduire cette notion scientifique en disant que « dans les alcools livrés à la consommation, même les plus mal rectifiés, l’action nocive des impuretés est loin d’égaler l’action nocive de l’alcool qui les contient »,

La question ainsi réglée du côté des impuretés naturelles des alcools de distillation, la Sous-Commission avait devant elle les impu- retés artificielles et ajoutées, les bouquets, les essences, les sauces, les ingrédients divers qui servent à préparer les absinthes, bitters, ver- mouts, apéritifs, etautres boissons d’avantetaprèslesrenas. Envisagées dans leur ensemble, ces substances sont beaucoup plus dangereuses, à l’état pur, que les impuretés naturelles. C’est ce qu'ont démontré les expériences de tous les physiologistes. Votre Sous-Commission a été d'accord avec tous ceux qui l'ont précédée dans l'étude de cette question, en affirmant une fois de plus que «le danger est beaucoup plus grand avec les essences, bouquets et autres ingrédients artificiels qu’on ajoute à l’alcool pour en faire les vermouts, apéritifs, absinthes du commerce. L’action nocive de ces substances, même lorsqu'elles sont les plus pures et les mieux choisies, peut augmenter dans une large mesure l’action nocive de l’alcoo! qui les contient ».

La dernière partie de cette proposition répond à une préoccupation qui existe chez un grand nombre d'hygiénistes, et dont on trouve trace dans tous les projets de réforme du régime des alcools, Presque tous, sinon tous, renoncent à proscrire par exemple labsinthe : ils considèrent comme impossible cette œuvre hygiénique au premier chef, et comme ils sentent bien qu’ils pratiquent ainsi un énorme accroc dans les principes dont ils s'inspirent, ils se sauvent de cette difficulté en disant qu’on cherchera des substances moins dangereuses

18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

que l’absinthe pour faire de l’absinthe, et qu’au besoin on les deman- dera à l’Académie de médecine,

Cette Académie, quelle que soit l'illustration de ses membres, sera sûrement fort embarrassée le jour elle aura à répondre à cette demande. Elle dira sans doute, en se tenant à son tour sur le terrain des principes, qu’elle ne connait pas plus parmi les essences et bouquets que parmi les alcools supérieurs de substance qui soit agréable au consommateur sans être périlleuse pour lui, point de plaisir qui ne devienne un danger si on en abuse, et qu’en particulier si elle peut enseigner, à la rigueur, à verdir de l’orgeat, elle n’ensei- gnera pas pour cela à en faire de l’absinthe. Il n’y a donc qu’à répéter, à ce sujet, ce que nous disions au sujet des impuretés naturelles des alcools : il est souhaitable qu’un contrôle hygiénique survienne pour empêcher les fabrications trop éhontées de ces boissons à bouquets ou à essences, bien que ce contrôle soit destiné à se heurter à de plus grandes difficultés qu’au sujet de l’alcool ; mais de ce côté-là encore, il n’y à pas grand’chose à espérer au point de vue hygiénique; car «on ne connaît aucune substance qui soit agréable au goût, capable de donner à l’alcool pur une des saveurs réclamées par le consommateur, et qui ne soit pas en même temps une substance dan- gereuse pour qui la consomme habituellement. »

Ceci est la proposition votée par la Sous-Commission, et elle termine l’exposé des principes. La proposition tire de ces principes leurs premières conséquences pratiques, et on va y retrouver, conden- sées et résumées, quelques-unes des conclusions rencontrées plus haut.

« En ce qui concerne les alcools de distillation, il est souhaitable de les voir ramenés à un taux de pureté qui les rende le plus inoffensifs possible ; mais on ne peut espérer trouver la solution du problème de l'alcoolisme dans l'amélioration de ces produits.

« En ce qui concerne les liqueurs alcooliques fabriquées avec des bouquets ou des essences, elles présentent un tel danger pour la santé publique qu’il faut chercher autant que possible à en restreindre l'usage; on doit essayer aussi de rendre plus inoffensifs les ingrédients qui servent à les fabriquer, mais on n’en connaît pas qui satisfassent à la fois le consommateur, et soieni sans action nocive sur ses organes. »

Dans toutes les directions, c’est donc toujours la même loi qu’on rencontre : le plaisir engendre l’abus, et l’abus fait naïtre le danger. IL y a au fond de ce problème de l'alcoolisme, une question de physiologie qui domine la question de législation. Contre ce fonctionnement physio- logique, ni l'individu ni la société ne sont désarmés, mais à la condition d'avoir appris à le bien connaitre. L’individu peut se surveiller et faire intervenir sa contrainte morale; la société peut, par l’éduca-

REVUES ET ANALYSES. 17

tion, rendre chez lui l'exercice de la volonté plus facile et plus libre, diminuer autour de lui les occasions de tentation en diminuant le nombre des cabarets, etc. Mais discuter ces moyens serait empiéter sur le domaine de la Sous-Commission des voies et moyens. Pour le moment, la Sous-Commission d'hygiène ne peut que lui renvoyer, à titre documentaire, le résultat de ses délibérations, qu’elle a terminées par la proposition suivante qui les résume :

« Toute réforme qui veut être hygiénique doit donc s’attacher, d’abord et surtout, à diminuer la quantité d’alcool consommé, et en second lieu à en améliorer la qualité. »

Si on revient maintenant sur l’ensemble de ces propositions, qui sont surtout d'ordre théorique, et si on les confronte avec les divers projets de monopole présentés jusqu’à ce jour, on peut voir que la conclusion de cette comparaison est la suivante :

La Sous-Commission conclut qu’il y a quelque chose à gagner au point de vue de l'hygiène à assurer la purification des alcools d’alambic. Divers projets de monopole visent le même but, mais latéralement, et on peut l’atteindre sans aucun monopole.

La Sous-Commission conclut plus fortement encore contre les bois- sons à bouquets et à essences. Les divers projets de monopole accep- tent l’absinthe, et émettent seulement l’espérance illusoire qu’on arrivera à en fabriquer d'hygiénique; à ce point de vue, votre Sous- Commission ne peut se rallier à aucun d’eux.

La Sous-Commission conclut enfin qu’il faut essayer de restreindre le plus possible le nombre des buveurs. Tout monopole rêve au con- traire de l’augmenter, et cela par la force des choses, et malgré toute législation. A ce point de vue, votre Sous-Commission considérerait tout monopole comme funeste au point de vue de l’hygiène, car il n'existe pas d’alcool hygiénique, si bien purifié ou si bien cuisiné qu'il soit.

CONCLUSIONS.

À, L'alcool, lorsqu'il est consommé à l’état de vin, de bière, de cidre, de poiré, etc.., est une substance dont l’usage modéré est sans inconvénients lorsque ces boissons sont bien préparées.

9. Aucun alcool distillé n’est hygiénique, et, au delà d’une cer- taine limite, l’alcool le plus pur devient dangereux.

3. Les impuretés naturelles qui accompagnent à la distillation l'alcool! de fermentationajoutent leur danger propre au dangerde l’alcool qui les contient.

4. Dans les alcools livrés à la consommation, même les plus mal rectifiés, l'action nocive des impuretés est loin d’égaler l’action nocive de l’alcoo!l qui les contient,

80 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

5. Le danger est beaucoup plus grand avec les essences, bouquets et autres ingrédients artificiels qu’on ajoute à l'alcool pour en faire les vermouts, apéritifs, absinthes du commerce, etc. L'action nocive de ces substances, même lorqu’elles sont les plus pures et les mieux choi- sies, peut augmenter dans une large mesure l’action nocive de l'alcool qui les contient.

6. On ne connaît aucune substance qui soit agréable au goût, capable de donner à l'alcool pur une des saveurs réclamées par le consommateur, et qui ne soit pas en même temps une substance dan- gereuse pour qui la consomme habituellement.

7. En ce qui concerne les alcools de distillation, il est souhai- table de les voir ramenés à un taux de pureté qui les rende le plus inofensifs possible; mais on ne peut espérer trouver la solution du problème de l'alcoolisme dans l’amélioration de ces produits.

En ce qui concerne les liqueurs alcooliques fabriquées avec des bou- quets ou des essences, elles présentent un tel danger pour la santé publique qu’il faut chercher autant que possible à en restreindré l'usage ; on doit essayer aussi de rendre plus inoffensifs les ingrédients qui ser- vent à les fabriquer; mais on n’en connaît pas qui satisfassent à la fois le consommateur et soient sans action nocive sur ses organes.

8. Toute réforme qui veut être hygiénique doit s'attacher d’abord et surtout à diminuer la quantité d'alcool consommé, et en second lieu à en améliorer la qualité.

—— ——————— ————

Le Gérant : G. Masson.

Sceaux, Imprimerie E. Charaire.

49me ANNÉE FÉVRIER 1898 No 2.

ANNALES

DE

L'INSTITUT PASTEUR

RECHERCHES SUR L'INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES

Par EL. METCHNIKOFF

DEUXIÈME MÉMOIRE

INFLUENCE DU SYSTÈME NERVEUX SUR LA TOXINE TÉTANIQUE

Les recherches résumées dans mon premier mémoire sur les toxines (ces Annales, novembre 1897, p. 801) m'ont amené à étudier d’une façon plus détaillée les phénomènes qui se passent dans l’organisme des sauropsidés en général, et des poules en particulier, après injection de la toxine tétanique.

Dans le courant de ces expériences, faites pendant les deux dernières années, j'ai eu souvent occasion d'étudier l’action tétanigène sur des souris auxquelles j'avais injecté en même temps ou peu de temps auparavant des fragments du cerveau et de la moelle épinière de tortues et de poules; comme je l’ai dit dans mon premier mémoire, je n'ai observé aucune action anti- toxique de ces organes.

Comme cette constatation semble être en désaccord avec les faits, si intéressants, découverts tout récemment par MM. Was- sermann et Takaki', et comme d'un autre côté ces faits promet- taient de jeter une vive lumière sur la question de la produc- tion de l’antitoxine, je me me suis mis à étudier l'influence du système nerveux central sur la toxine du tétanos.

1. Berliner Hlinische Wochenschr., 1898, 1,

82 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Dans le but d’élucider l’apparente contradiction entre les résultats de MM. Wassermann et Takaki, obtenus surtout avec le cerveau de cobaye, et les miens, obtenus avec les centres ner-” veux des tortues et des poules, j’ai d’abord étudié comparative- ment l'influence du système nerveux central de ces diverses espèces animales sur la toxine télanique.

J'ai pu d’abord confirmer l’expérience fondamentale et si intéressante de MM. Wassermann et Takaki : le cerveau de cobaye, broyé avec de l’eau stérile ou avec de la solution physiologique de chlorure de sodium, et injecté en mélange avec des doses plu- sieurs fois mortelles de toxine tétanique, préserve contre le téta- nos les animaux les plus sensibles, comme le cobaye et la souris. Des doses minimes de cerveau exercent déjà une action mani- feste, et, par exemple, 8 milligrammes de cerveau de cobaye normal peuvent suffire pour préserver des souris contre la dose sûrement mortelle (pour des souris non traitées) de toxine téta- nique.

Le cerveau de cobaye produit cette action antitoxique non seulement chez la souris, mais aussi chez le cobaye.

Même le cerveau, prélevé sur des animaux atteints de tétanos mortel, manifeste son action contre la toxine tétanique dans le cas on l’injecte en mélange avec celle-ci à des animaux neufs. Ainsi 36 milligrammes de cerveau, retirés à un cobaye en plein tétanos généralisé, ont préservé une jeune souris blanche contre le tétanos mortel. Des constatations analogues ont été faites pour le cerveau des souris tétaniques.

Eh bien, tandis que le cerveau de ces rongeurs, doués d’une sensibilité extraordinaire pour le tétanos, agit d’une façon si remarquable, les centres nerveux des animaux réfractaires ou très peu sensibles au tétanos n’exercent aucune action antitéta- nique, ou bien cette action n’est que très peu appréciable.

La moelle épinière des tortues (Cistudo lutaria et Testudo pusilla), injectée à des souris en mélange avec des doses faibles de toxine tétanique, non seulement n'empêche pas le tétanos mortel de se produire, mais même n’amène aucun retard dans la marche et l’issue de la maladie. Le cerveau de ces reptiles ralentit l'apparition du tétanos, sans empêcher son développe- ment, ni la mort.

Les centres nerveux de la poule, animal incomparablement

INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 33

moins sensible au tétanos que le cobaye ou la souris, exercent une action faible sur le tétanos des souris. [ci encore la moelle épinière est inefficace, tandis que le cerveau, s'il n'empêche pas le développement du tétanos, ralentit au moins la marche de la maladie et transforme un tétanos aigu et mortel en une maladie chronique et guérissable. Et encore, pour obtenir cet effet, il ne faut se servir que de doses faibles de toxine, amenant la mort des témoins en trois à cinq jours au moins. Ces faits expliquent pourquoi, dans mes expériences de ces dernières années, je n’ai pas pusaisir l'effet antitétanique des centres nerveux des saurop- sidés étudiés.

Des données que je viens de résumer on pourrait conclure que l’action antitétanique des centres nerveux n’a rien à faire avec l’immunité des espèces animales qui fournissent la matière cérébrale, mais serait plutôt en rapport avec la réceptivité pour le tétanos. Plus un animal est sensible à la toxine tétanique, plus ses centres nerveux seraient eflicaces contre ce poison. Dans l'intention de vérifier cette hypothèse, je me suis adressé à des grenouilles, animaux très sensibles pour le tétanos. Il est vrai qu'à des températures basses, les grenouilles ne contractent cette maladie qu'avec des doses considérables de toxine, mais à 37° (ou à peu près) il suffit de doses très petites pour amener chez elles Le tétanos mortel. Ainsi toutes mes tentatives pour vacciner des grenouilles contre la toxine tétanique ont échoué à cause de la grande sensibilité de ces batraciens vis-à-vis du tétanos.

Eh bien, le cerveau des grenouilles (Rana fusca) est d’une inef- ficacité absolue contre la toxine tétanique, injectée en même temps que lui à des souris.

Il résulte donc de mes expériences que l’action antitétanique des centres nerveux est un privilège des mammifères. La poule a des centres nerveux beaucoup moins efficaces; les tortues ne produisent qu’un effet très faible; les grenouilles ne manifestent aucune action antitétanique.

On arrive à cette conclusion que le fait découvert par MM. Wassermann et Takaki ne peut nullement étre utilisé pour expli- quer l'immunité naturelle contre le tétanos. Déjà les données anté- rieures ont démontré que cette immunité ne pouvait être attribuée à une action antitoxique du sang. Celles que nous venons de

84 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

résumer prouvent qu'elle ne peut non plus trouver son explica- tion dans une action antitoxique des centres nerveux. La thèse, exposée dans mon premier mémoire, que l’immunilé naturelle ne dépend pas du pouvoir antitoxique, se trouve donc corroborée.

Mais peut-être l’immunité acquise pourrait-elle être réduite à l’action antitétanique des centres nerveux des animaux vacci- nés contre le tétanos? Des expériences inédites de MM. Roux et Vaillard sur leslapins immunisés, ainsi que mes propres recher- ches sur les poules, dont le sang était devénu antitoxique à la suite d’injections de toxine tétanique, ne plaidaient pas en faveur de cette hypothèse. Mais, comme le problème est en général très délicat et compliqué, il était nécessaire de chercher des faits nouveaux, capables de l’élucider autant que possible.

Comme les éléments qui produisent l’antitoxine peuvent en même temps renfermer des dépôts de toxine ou au moins de toxoïdes d'Ehrlich, ces substances pourraient masquer l’action antitétanique des centres nerveux des animaux injectés avec de fortes quantités de toxine tétanique. Voilà pourquoi il est devenu très important de faire des études comparatives du pou- voir antitoxique des humeurs et des centres nerveux d'animaux immunisés qui, depuis une période de temps suffisamment longue, n'avaient pas reçu d’injections toxiques. C’est ce que nous avons tâché de réaliser.

Parmi nos poules, traitées avec de la toxine tétanique, il s’en est trouvée une dont le sang était encore sensiblement anti- toxique, bien que la poule n’eût plus reçu de toxine depuis près de huit mois (239 jours). Une partie des hémisphères du cerveau a été enlevée à l’animal vivant, dans le but d'étudier le pouvoir antitétanique de cet orgare, comparé à la propriété anti- toxique du sang. Cette expérience a démontré que le sang était plus antitétanique que le cerveau. Aïnsi par exemple, 10 centi- grammes de ce dernier n'ont pas empêché le tétanos, tandis que 6 centigrammes de sang élaient suffisants pour préserver une souris. L’injection de mélange d’une dose de toxine tétanique faiblement mortelle (en 5 et 6 jours), avec 0,05 gramme de cer- veau n’a pas empêché une souris de mourir en même temps que le témoin. Et cependant cette quantité de cerveau d’une poule normale est déjà quelquefois capable d'exercer une cer- laine influence (quoique faible) sur la marche du tétanos.

[INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 85

L'opération d’ablation d’une partie du cerveau, comme c’est larègle, a été bien supportée par la poule. Le lendemain il s’est produit une leucocytose notable, et le sang, retiré deux jours après l’ablation d’une partie des hémisphères, s’est montré plus antitoxique qu'auparavant. Trois centigrammes de sang entier ont suffi pour empêcher le tétanos de se produire chez une sou- ris. Son pouvoir antitétanique a donc doublé.

La poule opérée a été gardée pendant 17 jours, après quoi elle a été sacrifiée, dans l'intention d'étudier la propriété anti- toxique de ses organes. Cette fois le sang a été trouvé moins antitétanique que le surlendemain de l'opération, et même moins actif qu'avant celle-ci. 3 centigrammes n’empêchaient plus le développementdutétanos, et même la dose double (0,06 gramme) n'était pas suffisante pour préserver les souris d’une façon complète; elles prirent un léger tétanos, duquel elles guérirent facilement. |

Le cerveau s'est montré au contraire plus efficace qu’aupara- vant. Les doses employées étaient, il est vrai, incapables d’em- pècher le tétanos; mais elles amenaient un certain ralentissement dans la marche de la maladie. Le pouvoir antitétanique du cerveau s’est montré égal à celui du sang entier. Par contre, la moelle épinière n’a pas manifesté d'action antitoxique à des doses correspondantes aux doses actives du sang et du cerveau.

De tous les'autres organes internes (muscles, foie, rate, reins, moelle des os, ovaire), l'ovaire, composé d’ovules jeunes, ne renfermant que du vitellus blanc, s’est montré le plus efti- cace. Dix centigrammes de ce vitellus ont préservé d’une façon complète la souris contre {a dose de tétanine, mortelle en trois ou quatre jours. Les ovules ont donc été plus antitétaniques que la moelle épinière.

Les faits que je viens de résumer ne permettent pas de voir dans les centres nerveux la source unique ni principale de l’antitoxine tétanique, chez la poule traitée par la toxine. Si tél était le cas, on ne comprend pas pourquoi le sang, liquide renfermant beaucoup plus d’eau que les systèmes nerveux, pré- senterait un pouvoir antitétanique égal ou même plus fort que le cerveau et la moelle épinière.

Comme, dans l'expérience que je viens citer, 1l s’est présenté cet inconvénient que la propriété antitoxique du sang n'avait

86 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

été que peu marquée, je me suis adressé à un cobaye vacciné, chez lequel le pouvoir antitétanique des humeurs était plus prononcé, el qui, sous d’autres rapports aussi, présentait de. grands avantages pour l’expérimentation.

Il s’agit d'un cobaye vacciné contre le tétanos en 1895, et qui a reçu sa dernière injection de toxine il y a déjà presque deux ans (exactement depuis 23 mois et 12 jours avant l’opé- ration). Malgré ce long laps de temps, son sang a encore été si nettement antitoxique, que deux dix millièmes de c. c. empè- chaient le tétanos mortel (qui tuait les témoins en 3 ou 4 jours), et des doses un peu plus élevées préservaient complètement contre le tétanos.

Dans le but d'étudier l’action antitoxique des liquides de l'organisme (pour lacomparer ensuite avec celle des organes), j’ai provoqué chez le cobaye en question une exsudation péritonéale, à l’aide d’une injection de 10 c. c. de solution physiologique de NaCI. Vingt-deux heures après j'ai retiré un exsudat opaque, renfermant 118,000 ieucocytes par m. m. c. {dont 46 0/0 de gros mononucléaires). Son pouvoir antitélanique s’est montré au moins deux fois plus fort que celui du sang entier : 0,0002 ce. c. empêchaient le tétanos de se développer, tandis qu'avec 0,0001 ce. ©. les souris ne prenaient qu'un tétanos des plus légers, duquel elles guérissaient au bout de quelques jours.

Trois jours après, il a été fait une nouvelle prise de l’exsudat péritonéal. Gette fois-ci il était purement hémorragique, ne renfermait que 43,800 leucocytes dans 1 m. m. c. et, au point de vue de la propriété antitétanique, il se comportait tout à fait comme le sang entier dont j'ai déjà parlé.

Le lendemain de la dernière prise de l’exsudat péritonéal, il a été retiré un peu de substance des hémisphères du cerveau, opération qui a été bien supportée par le cobaye. La masse cérébrale extraite a été broyée avec de la solution physio- logique de NaCI, stérilisée et inoculée dans la cuisse de souris blanches, mélangée avec la toxine tétanique. Injecté à toute une série de souris, le cerveau s’est montré notablement moins antitétanique que le sang et l’exsudat péritonéal. Pour préserver une souris du tétanos, il fallait lui introduire une quantité de cerveau 25 fois plus forte (0,005 gramme) que celle d’exsudat péritonéal. La moitié de cette dose (0,0025 gr.) n’empèchait pas

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INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 87

encore le développement manifeste du tétanos avec une quantité de toxine qui tuait les témoins en 3-4 jours. Avec des doses de cerveau qui correspondaient à des quantités de sang sûrement et entièrement antitoxiques (0,0003-0,0006 gr.) les souris pre- naient un fort tétanos chronique, tandis que les quantités de matière cérébrale, auxquelles correspondaient des doses efficaces de l’exsudat péritonéal (0,00015 gr.) ne faisaient que retarder la mort de deux jours.

Comme les cobayes résistent souvent moins bien à l’ablation cérébrale que les poules, le mien, quoique bien rétabli et en bon élat, a été sacrifié deux jours après l'extraction d’une partie des hémisphères.

En fait d'humeurs, on a étudié le sang entier (renfermant 18,200 leucocytes dans 1 m. m. c.), l’exsudat péritonéal hémor- ragique (avec 25,400 leucocytes dans 4 m. m. c., dont 28 0/0 de gros mononucléaires) et le liquide du péricarde (avec 4,500 leu- cocytes, dont #7 0/0 de macrophages). Les deux premiers liquides se sont montrés de force antitétanique pareille, mais plus active que n’a été le sang avant l’ablation du cerveau. Il s’est produit après celle-ci un accroissement du pouvoir anti- toxique, semblable à celui du sang de la poule. Avec 0,00012 c. c. de sang ou de l’exsudat péritonéal, le tétanos n’était pas complè- tement empêché, mais présentait une forme très légère et passa- gère. Même une dose deux fois moindre (0,00006 c. c.), incapable d'empêcher le tétanos grave, amenait cependant la guérison définitive. Le liquide péricardique a manifesté une efficacité sen- siblement plus faible que les deux autres liquides, mais il empêchait le tétanos grave et mortel même à la dose de 0,00012 c. c.

En outre des centres nerveux (cerveau et moelle épinière), Le pouvoir antitétanique a été étudié avec le foie, la rate, la moelle des os, le rein et les capsules surrénales.

Le cerveau et la moelle épinière ont manifesté une propriété antitoxique égale, et notablement plus faible que le sang et les autres liquides de l’organisme. Même 0,0019 grammes de cer- veau et 0,0018 grammes de moelle n’ont pas empèché le dévelop- pement d’un tétanos fort avec des doses de toxine qui ne tuaient les témoins qu’en 4 à 5 jours 1/2.

Malgré l'injection de 0,00095 grammes de cerveau, la souris

88 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

est morte de tétanos avec un retard de deux jours, et la souris qui a reçu la moitié de cette dose de cerveau (0,00047 grammes), est morte du tétanos avant son témoin.

Les centres nerveux ont donc présenté un pouvoir antitéta- nique dix fois plus faible que le sang et l’exsudat péritonéal.

Comme le cobaye a été sacrifié par la saignée à blanc, les organes internes ne renfermaient pas beaucoup de sang. Et cependant tous ceux que j'ai examinés ont manifesté une action antitétanique plus forte que les centres nerveux, mais moindre que les liquides; c’est le rein qui s’est montré le plus antitoxique parmi les viscères, ce qui correspond aux données établies par M. Dzierzgowski pour des chevaux immunisés contre la toxine diphtérique.

Le foie a présenté une antitoxicité à peu près quatre fois plus forte que les centres nerveux. La rate et la moelle des os se sont montrés au contraire être les viscères les moins antfitétaniques.

Le cobaye, dont je viens de résumer l’histoire, nous fournit des renseignements encore plus précis que ceux que nous avait donnés la poule. Nous sommes conduit à cette conclusion que les centres nerveux, même dans des conditions particulièrement favorables, ne se présentent pas comme le foyer de production ou le lieu de dépôt d’antitoxine, qui de passerait dans le sang et les autres humeurs de l'organisme.

Pour M. Wassermann et un grand nombre des savants qui ont analysé son travail, il paraît naturel d'admettre que la pro- priété antitoxique de la matière des centres nerveux corres- pond à la même propriété existant dans ces organes à l’état normal. Et cependant il est impossible d'accepter cette manière de voir. Déjà au moment des publications de MM. Wassermann et Takaki, M. Roux est arrivé à cette conclusion, basée sur un travail sur le tétanos céphalique, exécuté par M. Worax dans son laboratoire, que les choses doivent se passer d'une façon bien différente lorsque la toxine tétanique pénètre dans le cerveau normal, et lorsqu'elle est introduite dans l'organisme avec de la substance cérébrale broyée. En effet, M. Morax a pu constater que la toxine télanique, injectée dans le cerveau, produit invariable- ment le tétanos cérébral, même si l’on n’introduit que la dose minimale mortelle pour un lapin par injection sous-cutanée.

1. Archiv f. exper. Pathologie 1897. F.38, p. 211.

INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 89

Les faits rapportés dans ce mémoire corroborent cette manière de voir. Ainsi, les animaux en plein tétanos fournis- sent une substance cérébrale, dont une petite quantité suffit pour préserver du tétanos des animaux neufs. Le cerveau d'un cobaye, incapable de protéger contre la dose simplement mor- telle de la toxine tétanique lorsqu'il se trouve dans ces condi- tions naturelles, suffit pour préserver au moins dix cobayes, qui le reçoivent broyé, en mélange avec la même dose de toxine tétanique. Les expériences de M. Marie, publiées dans ce même numéro des Awnales, dans lesquelles une partie du cer- veau, prélevée sur un lapin et injectée au même animal avec la dose mortelle de toxine tétanique, le préserve contre le tétanos, amènent à la même conclusion. Il se produit donc dans cette immunité artificielle, conférée par les centres nerveux, quelque chose d’analogue avec ce qui se passe pour la propriété bactéricide du sang des rats. Ces rongeurs prennent facilement le charbon, inoculé sous la peau; la maladie devient sûrement mortelle et n’est nullement empêchée par toute la masse du sang de l'animal. Mais lorsqu'on introduit avec la bactéridie un peu de sang retiré à un rat, celui-ci résiste au charbon.

Dans cet exemple d’immunité artificielle, conférée par du sang d'un animal sensible au charbon, il s’agit d’une propriété bactéricide très accusée, exercée par le sang de l'organisme, vis-à-vis de la bactéridie. En est-il de même pour l’immunité contre le tétanos, produite avec la substance cérébrale? Cette substance, impuissante pour empêcher le tétanos, lorsqu'elle se trouve dans ces conditions naturelles, serait-elle capable de détruire la toxine tétanique, lorsqu'elle est broyée et mélangée avec celle-ci ? Cette supposition doit être rejetée en présence du fait que l'émulsion de matière cérébrale de cobaye est plus active pour la souris que pour le cobaye. En effet, si l'on injecte dans la cuisse de ces deux espèces de rongeurs les mêmes mélanges de substance cérébrale avec la toxine tétanique, on constate que le létanos est plus facilement empêché chez la souris que chez le cobaye. La toxine tétanique n'est donc pas détruite pur la masse cérébrale broyée, et l'efficacité de celle-ci doit être attribuée à l'intervention de l'organisme même.

Lorsqu'on examine les phénomènes qui se produisent dans l'organisme qui a reçu de la toxine tétanique seule ou bien

90 , ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

additionnée de substance cérébrale, on trouve une grande différence dans les deux cas. On peut la constater dans n’im- porte quelle région de l'organisme, mais c’est la chambre anté- rieure de l'œil des lapins qui se prête le mieux à ce genre d'observation. À la suite d’une injection de toxine tétanique seule, l'œil conserve son état normal ou à peu près, la réaction étant insignifiante. Lorsque au contraire on introduit dans la chambre antérieure la même toxine avec un peu de substance cérébrale broyée, on voit se produire une inflammation intense qui amène un hypopyon. Cette réaction est beaucoup plus forte que celle qu'on obtient après l'injection de la substance céré- brale seule.

Le mélange de toxine tétanique et de masse cérébrale provoque done une réaction inflammatoire considérable dans l'œil, comme dans les tissus de la cuisse ou ailleurs encore, et cette réaction amène une quantité de leucocytes. Or, depuis longtemps on a remarqué que ces cellules, si aptes à saisir et détruire les microbes, sont aussi capables d’absorber des sub- stances toxiques.

Dans mon rapport sur J'immunité, présenté au congrès de Budapest en 1894, j'ai insisté sur ce fait que les phagocytes réagissent non seulement contre les microbes, mais aussi contre les poisons.

Dans le mémoire sur le choléra, publié par MM. Roux, Salimbeni et nous-même ?, il a été question de ce rôle des leucocytes dans la péritouite cholérique expérimentale, et il a été exprimé cette idée que les leucocytes, saisissant les vibrions, digèrent en même temps les microbes et « la toxine qu’ils con- tiennent ». Ce rôle des phagocytes, dirigé contre les poisons, devient de plus en plus évident, et il est extrêmement probable qu'il s'exerce aussi dans le cas de l’immunité artificielle contre le tétanos conférée par la masse des centres nerveux. Nous espé- rons dans un mémoire prochain revenir sur cette question qui présente un intérêt général.

4. Ces Annales, 1894, pp. 719 et 721. 2. Ces Annales, 1896, p. 272.

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RECHERCHES

SUR LEN © PROPRIÉTES ANTITÉTANIQUES »

DES CENTRES NERVEUX DE L'ANIMAL SAIN

Par Le Dr A. MARIE,

(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.)

Dans un travail antérieur ‘, nous avions entrepris autrefois une série d'expériences sur le sort de la toxine tétanique injectée chez différents animaux; dans aucun cas, nous n'avions pu déceler trace du poison dans aucun des organes du corps, en par- ticulier ni dans l’encéphale ni dans le moelle épinière.

La découverte récente de Wassermann ? sur « l’action anti- tétanique des centres nerveux » chez l’animal sain explique ces résultats négatifs. On sait en quoi consiste l'expérience de Was- sermann. Si dans une émulsion d'éléments du cerveau ou de la moelle d’un animal sain, on incorpore la dose de toxine téta- nique mortelle, on pourra injecter ce mélange à une souris, sans qu’elle prenne le tétanos, dont mourra la souris témoin qui a reçu la même dose de toxine seule.

Les mammifères, aptes à contracter le télanos ; quelques oiseaux, dont le pigeon, qui sont également sensibles à la toxine, présentent cette propriété intéressante de leurs centres nerveux.

Nous allons relater ici quelques expériences pour lesquelles nous avons opéré sur le lapin.

Ayant trituré et dilué le cerveau entier d’un lapin normal dans 20 c. c. d’eau physiologique stérile, on pratique les trois inoculations suivantes :

À un lapin de 2 kilos on injecte sous la peau 1/4 de

1. A. Mare, Recherches sur la toxine tétanique. (Annales de l’Institut Pas- teur, juillet 1897.) 2. WassenmanN et Takaxr, Ueber eine neue Art von künstlicher Immunität.

Ueber Tetanus-Antitoxische Eigenschaften des normalen Centralnervensystem (Berliner klin. Woch., 3 janvier 1898.)

92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

milligramme d’une toxine tétanique dont la dose minima mortelle pour cet auimal est 1/10 de milligramme ;

20 On inocule un lapin de même poids avec un mélange de 4/4 de milligramme de toxine et de 1 c. c. de l’émulsion du cerveau d’un lapin neuf;

Un troisième reçoit 1/4 de milligramme de toxine addi- tionné de # c. c. de émulsion.

Or, tandis que le témoin prend un télanos rapide auquel il succombe le jour, le dernier lapin n'offre aucun signe de la maladie. Quant au 2, il présente des symplômes télaniques lé- gers auxquels 1l succombe seulement 20 jours après l’inoculation.

Ainsi done, une petite quantité d’une macération de cerveau frais a suffi pour empècher l’action d’une dose 2 fois 1/2 plus forte que la dose minima mortelle de toxine tétanique.

La moelle épinière, d’après les recherches de Wassermann, possède « un pouvoir antitétanique de moitié moins fort que le cerveau ».

Si l’on cherche à se rendre compte des « propriétés antitéta- niques » des différentes parties de l’encéphale d’un mouton, par exemple, on constate en effet que celles qui sont des prolonge- ments de la moelle sont moins actives.

Un lapin, inoculé avec 1/10 de milligramme de toxine téta- nique dilué dans 1 c. ce. d'une macération des pyramides bul- baires, présente des signes légers de tétanos; le témoin suc- combe au jour.

D'autre part, le ( pouvoir antitétanique » de la substance grise varie suivant sa provenance : les cellules des ganglions centraux sont beaucoup moins actives que celles de l'écorce cérébrale.

Si on inocule à un lapin 1 c. c. d’une émulsion des corps opto-striés du mouton, additionné de la dose minima mortelle de toxine, l'animal présentera une légère contracture de la patte inoculée.

Les cellules de l'écorce cérébrale sont même tellement ac- tives, qu'il en suffit de quantités minimes pour préserver l’ani- mal du tétanos.

On peut réaliser l’expérience de façon à montrer que ses propres cellules cérébrales sont capables de prévenir l’appari- tion du tétanos chez l’animal lui-même,

PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX. 93

On prend 3 lapins : le premier subit la résection de toute la zone post-rolandique de son hémisphère droit; la partie sec- tionnée est laissée en place. Il reçoit ensuite 1/10 de milli- gramme de toxine tétanique sous la peau.

Un deuxième subit la même opération, avec cette différence qu'on enlève la portion cérébrale réséquée ; il reçoit également la dose minima mortelle de toxine. Enfin on injecte au lapin la même portion réséquée de son propre hémisphère droit, tri- turée, et additionnée de 1/10 de milligramme de toxine.

Les deux premiers lapins témoins prennent en même temps un tétanos auquel ils succombent ; le dernier, au contraire, n'offre aucun signe tétanique et survit.

Or, la quantité de matière cérébrale réséquée ne dépassait pas 25 à 30 centigrammes ; de plus, elle n’était pas composée exclusivément des cellules corticales, mais comprenait aussi les fibres blanches sous-jacentes. Enfin, comme nos dilutions ont toujours été faites dans la proportion d’une partie de substance nerveuse pour deux parties d’eau physiologique, on peut donc affirmer que les cellules de l'écorce cérébrale peuvent, à un haut degré, prévenir le développement du tétanos.

L'expérience devient encore plus frappante si on la compare à ce qui se passe quand on injecte sous la peau, ou même dans l’encéphale, la toxine tétanique. Dans ces cas, on sait que la même dose provoque le tétanos ; par conséquent, tandis que dans les conditions ordinaires d’inoculation, le cerveau tout entier est incapable de protéger l'ammal contre l'action tétanisante de la toxine libre, au contraire, une parcelle de ce même cerveau suf- fra pour le garantir du tétanos, pourvu que la toxine injectée ait été préalablement incorporée et firée à quelques cellules cérébrales.

Nous verrons en effet plus loin que cette fixation artificielle de la toxine sur les éléments nerveux est la condition sine qua non de la réussite de l'expérience de Wassermann.

Mais, auparavant, revenons à nos expériences antérieures ; d’après elles la moelle et l’encéphale d'animaux tétanisés peuvent être broyés et injectés à des souris sans que ces dernières pré- sentent la moindre contraction tétanique. Il n’en faudrait pas conclure que la toxine n’est pas localisée dans les centres ner- yeux; au contraire, elle s’y trouve si bien fixée, si solidement retenue, qu'il est impossible de l’y déceler, en employant le seul

94 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

procédé à notre disposition. Il faudrait la séparer des cellules qui la retiennent, et c’est actuellement au-dessus de nos moyens. Même en admettant que la toxine se trouve localisée en un point de la moelle épinière, nous ne faisons que réaliser l'expérience de Wassermann en broyant et en injectant la moelle tout entière, puisque du même coup nous inoculons de nouvelles quantités de substance nerveuse qui vont achever de retenir et de fixer soli- dement la toxine que nous voulions précisément mettre en liberté dans le corps de la souris.

IT en est de même pour l’encéphale. Nous ferons remarquer ici, à propos du cerveau, la contradiction, signalée par Wasser- mann et vérifiée par nous, entre le peu d'importance des phéno- mènes cérébraux dans le tétanos et l’action préservatrice si intense des grandes cellules de l'écorce cérébrale.

Tout intéressant que soit ce fait, constaté par Wassermann, de ce qu'il appelle ( l’action antitétanique du système nerveux central », chez les animaux sains, une analyse plus soignée du phénomène nous montre combien il serait dangereux d’en faire une fonction d'une substance identique à l’antitoxine, celle qui se forme dans le sérum au cours de l’immunité artificielle.

Telle est cependant la déclaration de Wassermann. « La préservation du tétanos, dit-il, s'effectue dans un cas comme dans l’autre : elle reste efficace non seulement tant que la substance préservante circule dans l’organisme, mais encore plus tard, comme dans l’immunité antitoxique. Et mes expé- riences donnent ainsi un nouvel appui à la théorie d'Ehrlich, d'après laquelle l’antitoxine tétanique se formerait aux dépens des parties élémentaires de la moelle épinière‘. » Wassermann fait 1ci allusion aux expériences qui lui ont permis de prévenir l'intoxication télanique en injectant une émulsion d'organes nerveux 24 heures avant la toxine, ou même d'empêcher le tétanos chez des animaux en leur injectant de l’émulsion ner- veuse quelques heures après la toxine tétanique.

Et cependant, il suffit, comme nous allons le voir, d’inter- vertr, de façon en apparence minime, les facteurs de l’expé- rience, pour obtenir un résultat totalement différeut.

Trois lapins de même poids reçoivent, l’un dans une patte antérieure, l’autre dans le flanc, le troisième sous la peau du dos,

4. WAssERMANN, loc, cût,

°

PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX. 95

la même quantité de la même émulsion de cerveau frais de lapin. De plus, en même temps, ilsreçoivent tous les trois au même point, c’est-à-dire sous la peau de la patte droite postérieure, 1/10 de milligramme, dose minima mortelle de toxine tétanique. Or ces trois lapins prennent le tétanos et en meurent le même jour que le témoin. Si, en se plaçant au point de vue de la théorie de Wassermann, on objecte que le contenu des cellules nerveuses à un pouvoir de diffusion plus lent que la toxine, on peut citer cette autre expérience dans laquelle l'injection de cerveau a été faite, d'un côté du corps, 24 heures avant l'inocu- lation de la toxine de l’autre côté, et l'animal a néanmoins pré- senté un télanos mortel.

Il a donc suffi d’une très légère modification dans les facteurs de l’expérimentation pour changer du tout au tout le résultat.

Voilà qui montre donc qu'onne saurait, en aucune facon, inter - préler l'expérience de Wassermann dans le sens d’une fonction anti- toxique, au sens vrai du mot.

Il suffira de rappeler ce qui se passe quand on expérimente avec le sérum antitélanique; si on injecte,en même temps, de la toxine dans une paite, et dans l’autre du sérum, l'animal pré- sente tout d’abord quelques signes légers de tétanos, mais ils ne tardent pas à se dissiper complètement, dès que le sérum a pu effectuer sa diffusion dans l’organisme.

De cette analyse de l'expérience de Wassermann, dont il serait prématuré de vouloir donner dès maintenant une inter- prétation, on peut déjà conclure qu'une action de contact, entre les éléments nerveux et la toxine tétanique, est indispensable à la réussite du phénomène.

À

LOIS GÉNÉRALES DE L'ACTION DES DIASTASES

Par E. DUCLAUX.

Dans leur action sur les substances qu’elles transforment, les diastases obéissent à des lois générales que nous avons intérêt à connaître, et qui, jusqu'ici, sont restées un peu confuses. Cette question a été en eflet beaucoup étudiée, mais on ne peut pas dire qu’elle soit résolue. Elle est hérissée en ce moment de solu- tions contradictoires entre lesquelles il nous faudra choisir, si nous voulons faire autre chose que de les enregistrer avec rési- gnation ou indifférence. Or ce choix est difficile. Nous aurons, pour nous guider, d'abord la confiance qu’il y a une loi, et que par conséquent toutes les expériences qui se traduisent par une courbe irrégulière ou en zigzag ont été troublées par des causes d'erreur inconnues et sont à rejeter. Nous pourrons en éliminer d'autres dont l’auteur ne s'est pas suflisamment mis en garde contre des influences latérales qu'il ignorait ou dédaignait, et que nous savons aujourd'hui être très puissantes, celle de la lumière par exemple, ou celle des microbes. Il se trouve que, celte ventilation faite, il reste peu de chose sur le crible, mais il en reste assez pour pouvoir établir un commencement de théorie de l’action des diastases : c'est ce que je voudrais essayer de montrer.

Comparaison avec l'action des acides. Étiminons d’abord une assimilalion, qui a été souvent faite, entre l’action des diastases et celle des acides. Sous le prétexte que les acides et les diastases sont souvent capables de produire les mêmes transformations et leur donnent la même allure, on a parfois appliqué, sans autre formalité, aux actions diastasiques, les lois trouvées pour l’action des acides. Celles qui président à l’interversion du sucre sont par exemple assez bien connues par les travaux de Wilhelmy (1), d'Ostwald (2) et d’autres savants. On les a considérées comme

DE L'ACTION DES DIASTASES 97

représentant aussi l’action de la sucrase. Il importe de repousser de suite cette assimilation.

Étudions pour cela ce qu’il serait juste d'appeler la loi de Wilhelmy. Elle revient à ceci. La quantité de sucre qui s’inter- vertit à chaque instant dans une solution sucrée traitée par un acide est proportionnelle à la quantité de sucre présente à l'instant considéré. Cela veut dire que si la quantité de sucre présent devient double, la quantité de sucre intervertie dans l'unité de temps deviendra double aussi, alors qu’on laisse constantes les autres conditions de l'expérience, nature du milieu, température et dose d'acide. La quantité de sucre intervertie dans l'unité de temps, ou la vitesse de la réaction, augmente donc propor- tionnellement à la quantité de sucre pour une même dose d'acide. Get acide proporlionne son effort au travail à accomplir, et, théo- riquement, dans les mêmes conditions d’acidité et à la même température, des solutions sucrées différentes s’intervertissent dans le même temps, quelle que soit leur richesse en sucre.

Voilà la notion exposée en langage ordinaire. Le langage mathématique permet de lui donner plus de précision et de la pousser plus loin. Soit S la quantité de sucre existant à l’origine dans un volume connu, par exemple dans 100 c. c. d’une liqueur qu'on intervertit par l’action d’un acide. Soit s la quantité qui existe encore au bout d’un temps {, compté à partir du commen- cement de l'expérience, qui est supposée s’accomplir constamment à la même température. La loi de Wilhelmy nous dit que la variation As du sucre pendant le temps Af est proportionnelle às. Si le temps Af est suffisamment court, elle est aussi propor- tionnelle à At, de sorte qu'on peut écrire, en faisant précéder la variation As du signe —, pour montrer que la quantité de sucre diminue lorsque le temps augmente,

AS —UNSAT

m est la quantité de sucre qui s’intervertirait, dans l’unité de temps, dans une solution sucrée contenant l’unité de poids de sucre dans le volume pris pour unité, et cela dans les mêmes conditions de milieu, de température, et d’acidité, que celles de l'expérience. On tire de là, facilement, en désignant par | le logarithme népérien

lo ji ab (D

98 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

C étant une constante qu'on détermine facilement en écrivant qu’à l’origine de l'expérience, pour {= o, la liqueur contenait S de sucre. On a donc | SU

S d'où, 1S—I1S=IS= mr

On voit tout de suite, sur cette valeur de £, que toutes les phases de l’hydrolysation de solutions sucrées inégalement concentrées s’accompliront dans le même temps, que par exemple elles mettront toutes le même temps à s’intervertir à moitié, c’est-à-dire à arriver au moment

LI

On aura en effet,

S 1 ——=2etlt—=—1]2 S m

Toutes ces réactions marcheront donc du même pas, et, commencées en même temps, se finiront au même moment : c’est ce que nous avons vu plus haut. Mais nous pouvons en plus, ici, mesurer la valeur de m, en évaluant le temps que met une dissolution sucrée à s’intervertir à moitié par exemple. On a alors

M— 12 t

et l'expérience montre en effet que cette valeur de » est indépen- dante de la quantité de sucre, lorsque l'acidité est la même. De une première conclusion qui a pu servir d'argument pour rapprocher les acides des diastases : les solutions de sucre jes plus concentrées peuvent être interverties par des quantités relativement très faibles d'acide. Les acides jouissent donc de la puissance d'action quasi indéfinie que possèdent les diastases. D'autres expériences ont montré que la valeur de m croît à peu près proportionnellement à la concentration de l’acide, c’est- à-dire à la quantité d'acide contenue dans l’unité de volume, L'unité de mesure la plus commode dans la pratique, pour évaluer la concentration, est la solution d’une quantité d’acide égale à son poids moléculaire évalué en grammes, dans uu litre d’eau. Des

DE L'ACTION DES DIASTASES. 99

concentrations égales correspondent à des volumes égaux d’eau de chaux ou d’un autre alcali nécessaires pour la saturation, On trouve alors que la valeur de » croît un peu plus vite que la concentration pour les acides forts, un peu plus lentement pour les acides faibles.

En admettant une proportionnalité exacte, on peut écrire m na, expression dans laquelle « représente la concentra- tion de l’acide évaluée comme plus haut, en grammes-molécules, et n représente la quantité de sucre qu'intervertirait dans l’unité de temps, et dans les conditions de l'expérience, dans une solu- tion contenant l’unité de poids de sucre par unité de volume, l’unité de concentration de l'acide employé.

Cette quantité n est ce qu'on nomme la constante d’inversion. Ostwald l’a déterminée en faisant agir, à 250,10 c. c. de solutions normales de divers acides sur 10 c. c. de solutions contenant de 30 à 40 °/, de sucre. Voici les valeurs numériques de » pour quel- ques acides, et leurs rapports avec celle de l’acide chlorhydrique supposée égale à 100, et prise comme terme de comparaison.

Acide bromhydrique .... 24.4 111.4 Aclde diglycolique....... DOME —Mchlüriqué 2... 226 -103:5 méthylglycolique.. 0.40 41,8 chlorhydrique...., 21.9 100 » CLIQUE ee SDF SE LENT ROIITIQUE res ctce 21.9 400 » glycérique......... DR STE éthylsulfurique ... 21.9 100 » IONIQUE CL 0.54 1.5 ethylsulfonique... 19.9 91.2 méthylacétique.... 0.30 4.4 trichloracétique .. 16,5 75.4 éthylglycolique.... 0.30 14.4 sulfurique ........ 10536 ,— glycolique......... 0.28 1.3 dichloracétique... DOTE Al AIR ne me e OEM

+ oxalique ........ : 4,0 18.6 —_ lactique 1202003 0225051 pyrotartrique..... 1,42 6.5 oxyisobutyrique.., 0.23 4.1 phosphorique..... 4.36 6.2 succinique ........ 01288075 monochloracétique 1.06 6.2 en ATCUDUE pe 0.09 0.4 arsénique......... 1.05 4.8 isobutyrique....... 0070 malonique.......: 0.67 3.1

On voit que les constantes d’inversion sont très variables avec les divers acides, et même que le caractère minéral ou organique joue un rôle assez effacé. L’acide sulfurique vient par exemple après l’acide trichloracétique, et l’acide phosphorique après l'acide oxalique. L’acide acétique se montre d'autant plus puissant, d'un autre côté, qu’on introduit davantage de chlore dans sa molécule, et, en moyenne, les acides organiques sont moins actifs que les acides minéraux. Coneluons donc de ce qui pré- cède que si les divers acides ont pour caractère commun de ne

100 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

pas tenir compte du poids de sucre présent et de l’intervertir dans le même temps, quelle que soit sa quantité, ils diffèrent beaucoup entre eux par l'activité qu'ils mettent à ce travail, et letemps qu'ils y consacrent. Ce sont donc des forces qui sont très différentes de celles que nous connaissons et que nous sommes habitués à manier. D’ordinaire, deux forces qui produi- sent le même effet mécanique dans le même temps sont dites égales. Deux quantités du même acide, qui intervertissent dans le même temps des quantités très inégales de sucre, peuvent aussi êlre égales pondéralement. Deux quantités de deux acides différents peuvent être égales au point de vue pondéral ou quant au nombre des molécules, et cependant se montrer très inégales au point de l’interversion. Telles sont, en laissant pour le moment de côté l'influence de la température, les lois générales de l’interversion par les acides.

Condition d’une étude précise des diastases. Si nous voulons maintenant comparer l’action des diastases à celle des acides, la première condition est de s'adresser aux actions diastasiques faciles à mesurer avec précision. Cette condition en élimine un grand nombre, toutes celles, par exemple, qui s'adressent à la fibrine, àl’albumine, à la cellulose, bref, aux matières dont la composition initiale n’est pas bien connue, et dont par suite les transformations nous échappent. L’amidon est mieux connu dans sa nature; on connaît assez bien aussi le maltose et la dextrine qui proviennent de ses transformations sous l’action de l’amylase. Mais les divers amidons ne se ressemblent pas, et les diverses parties d’un même granule d’amidon ne se ressemblent pas davantage, comme l’a montré Guérin-Varry, il y a 60 ans. Cette circonstance élimine aussi, dans une certaine mesure, l’action del’amylase. Avec des diastases coagulantes, la marche de l’ac- tion est impossible à étudier. Les diastases oxydantes sont en- core trop mal connues. Il ne reste guère que les diastases qui, comme l’émulsine, donnent des dislocations dont les termes sont connus et faciles à étudier. Mieux encore, la sucrasese prête à une recherche précise, parce qu’on sait préparer du sucre pur, dont peut suivre la transformation, soit au moyen de la bqueur de Fehling, soit au polarimètre.Cette étude a précisément été faite d’une façon très soigneuse, par MM. O’Sullivan et Tompson (3),

DE L'ACTION DES DIASTASES. 101

dont nous n'accepterons pas toutes les conclusions, mais dont les déterminations numériques méritent toute confiance.

Expériences de MM. 0’Sullivan et Tompson. Pour étudier la rapidité de l’action de la sucrase sur le sucre de canne, on com- mençait par faire dissoudre celui-ci dans l’eau chaude, qu’on lais- sait ensuite refroidir à la température à laquelle on voulait opérer. Cette liqueur sucrée, convenablement acidulée, était en- suite mélangée rapidement à une solution de sucrase préalable- ment portée à la mème température. L’interversion commencait, Pour en suivre la marche, on prélevait une certaine quantité de

liquide qu'on versait immédiatement dans un verre contenant une goutte d’une solution concentrée de potasse ou de soude, cela suffit pour arrêter l’inversion. Deux points sont à signaler dans ce mode opératoire : en premier lieu, la dose d’acide sulfu- rique ajoutée n’était pas quelconque; c’était celle qui donnait au phénomène son maximum d'activité, et on la déterminait par une opération préliminaire. En second lieu, la lecture au polarimètre ne se faisait qu'après avoir laissé un quart d'heure de repos au liquide alcalinisé. Ces deux précautions opératoires ont de l’im- portance, mais pour des raisons que nous n’avons pas à déve- lopper ici.

Cette méthode permettait donc de déterminer divers points

102 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

de la courbe d'inversion. MM. O'Sullivan et Tompson ont recommencé l'expérience à diverses températures, en présence de quantités variables de sucrase. Ils ont fait varier aussi la concentration de la liqueur sucrée, la dose d’acide, etc. Ils ont toujours trouvé que la courbe obtenue, rapportée à deux axes dont l’un mesurait les quantités de sucre, et l’autre les temps, était une logarithmique, et pouvait s’appliquer presque exacte- ment sur une logarithmique théorique (fig. 1) tracée avec la condition de ne coïncider avec la courbe expérimentale qu’en deux points, au départ, et en un point quelconque du parcours. Quand la coïncidence avait lieu en ces deux points, elle avait lieu partout.

MM. O’Sullivan et Tompson ont vu quelque chose de plus, c’est que toutes les courbes obtenues, ramenées à la même échelle, c’est-à-dire amenées à coïncider au départ et en un point de leur parcours, s’appliquaient aussi les unes sur Îles autres, ce qui prouve que la loi du phénomène est toujours la même, quelles que soient les circonstances de milieu et de tempé- rature, à la condition seule que toutes ces circonstances soient maintenues constantes pendant la durée du phénomène.

Toutes ces propriétés, découvertes par l'expérience, s’accor- daient très bien avec les propriétés théoriques de la courbe que fournit la loi de Wilhelmy :

1 1

re = le

m S Cette courbe est une logarithmique, bien définie quand on donne la valeur de S pour { o, c’est-à-dire le point de départ de la courbe, et un autre point, c’est-à-dire la valeur de { pour

S : à une valeur connue de —, ce qui permet de connaître #. On com- S

prend donc que O’Sullivan et Tompson aient considéré leurs expériences comme confirmatives du raisonnement qui nous à conduit plus haut à cette équation, et en aient présenté comme démontré le point de départ,à savoir que l’action de la diastase est, toutes choses égales d’ailleurs, proportionnelle à la quantité de sucre présent dans la liqueur, et croît ou décroît avec elle.

Expériences de Duclaux.— C'était l'assimilation complète avec l'action des acides. Mais nous avons un autre moyen, moins dé-

DE L'ACTION DES DIASTASES. 103

tourné que l’étude de la courbe, de savoir si cette assimilation est possible. Mettons, comme je l'avais déjà fait en 1883 (4), une même quantité de sucrase, 20 milligrammes par exemple, dans 100 c. e. de solutions contenant 10, 20 et 40 0/0 de sucre, et expo- sons le tout à une température de 37° : nous observerons que, pendant les premières heures de l’action, les quantités de sucre interverti dans l’unité de temps ne seront pas du tout, comme dans le cas des acides, inégales, et proportionnelles aux nom- bres 1, 2 et 4, c’est-à-dire aux quantités de sucre présentes dans la liqueur. Elles seront au contraire égales, à quelques milligrammes près, ce qui prouve qu'une quantité déterminée de sucrase produit son effet, toujours le même, sans se préoccu- per, comme les acides, de la quantité de sucre présente autour d'elle, et agit comme une force constante qui, pendant un temps donné, ne peut produire qu'un travail déterminé.

Il est vrai qu’elle n’accomplit pas toujours le même travail. Dans les liqueurs ci-dessus, il y a, au bout de quatre heures à 31°, environ 5 grammes de sucre interverti. Si on avait mis la même quantité de diastase dans 100 c. c. de liquide ne contenant que 5 gr. de sucre, on aurait trouvé un résidu assez notable après le même temps; c’est que, pour une cause que nous aurons à élu- dier, l’action se ralentit à mesure qu'elle se complète. Mais, au début, elle marche du même pas, quelle que soit la quantité de sucre présente, et par conséquent n’est pas proportionnelle à la quantité de sucre, comme l'avaient trop hâtivement conclu MM. O’Sullivan et Tompson.

Expériences de Dubourg. Ge n’est pas seulement la sucrase qui se comporte ainsi. M. Dubourg (5) a retrouvé les mêmes propriétés pour l’amylase de l’urine. En la mettant en contact avec de l’empois d’amidon à 50°, et en mesurant après 2 heu- res et après 24 heures les quantités de glucose formées, il a trouvé les chiffres suivants, exprimés en grammes, pour des quantités d’amidon ailant croissant comme les nombres de la première colonne.

104 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Quantités Glucose Glucose d'amidon apr. 2h. apr. 24 heures | gr. 0,34 1,71 ge 0,33 1,73 gi 0,34 1,70 RES 0,32 1,72 re 0,36 1,70 Re 0,30 1,75 10 0,37 1,72

La constance de ces nombres est remarquable en ce qu’elle se maintient pour deux intervalles de temps pendant lesquels l’action a été en se ralentissant de plus en plus, et ici encore nous trouvons qu'une quantité déterminée d’amylase produit toujours le même effet, quelle que soit la quantité d’amidon avec laquelle on la met en contact.

Il faut donc renoncer à l'hypothèse qui a servi de base aux calculs de MM. O’Sullivan et Tompson, et qui semblait vérifiée par leurs résultats. Il faut accepter leur conclusion, parce qu’elle est conforme à l'expérience, et repousser leurs prémisses, parce qu’elles sont en contradiction avec elle. La chaîne du raisonne- ment se rompt donc quelque part, et ce point de rupture est facile à signaler. C’est quand MM. O’Sullivan et Tompson ad- mettent que, seule, leur hypothèse conduit à une logarithmique. En réalité, beaucoup d’autres hypothèses conduisent à des cour- bes de même forme. Pour choisir entre elles, il faut opérer à l'inverse de MM. O’Sullivan et Tompson ; il faut les soumettre d'abord à l'expérience, puis les introduire dans une équation, si l'expérience les justifie, et chercher si elles conduisent à une lo- garithmique.

Réaction des produits formés sur l'action de la diastase. —- Une diastase qui hydrolyserait dans un temps donné une quantité constante de sucre, comme nous ont paru le faire, au début de l’action, les diastases étudiées plus haut, donnerait une réaction régulière : la quantité de sucre irait par exemple en décroissant proportionnellement au temps, et la réaction serait terminée au bout d’un temps facile à calculer, étant connue la quantité m de sucre, qu'intervertit, dans l'unité de temps, et dans les conditions de l’expérience, la quantité de diastase sur laquelle on opère. Dans un temps /, la quantité de sucre interverti serait m t, et siS était

DE L'ACTION DES DIASTASES. 105

la quantité de sucre initiale, la réaction serait terminée au bout d’un temps T tel qu'on ait S —m T, d'où S

m

L'expérience est entièrement en désaccord avec cette conclu- sion. La réaction n’est jamais celle qui résulte de cette hypo- thèse ; très active au début, elle se ralentit toujours à la fin, et le temps de l’action est toujours beaucoup plus long que celui qui résulte de l'équation que nous venons d'écrire.

Il faut donc qu’à l’action uniforme de la diastase se super- pose une action retardatrice. Comme on s'attache à ne troubler en rien le phénomène, on ne voit guère, « priori, d'autre cause perturbatrice que celle qui pourrait provenir des produits de la réaction. Essayons donc par l'expérience si ces produits ont une action réellement retardatrice.

Il n’y a pour cela qu’à faire, avec la même quantité de dias- tase et dans ies mêmes conditions de température et de milieu, deux expériences comparatives, dont l’une ne contiendra que la matière sur laquelle la diastase doit agir, et l’autre cette matière additionnée des produits auxquels donne lieu la réaction. Si ceux-ci ont une action retardatrice, la seconde transforma- tion devra s’accomplir plus lentement que la première.

Or, c'est toujours ce qui arrive, et non seulement ce fait a été observé depuis longtemps, mais il a été tout de suite rap- porté à sa véritable cause. Payen (6) avait remarqué que l’action de la diastase sur l’empois d’amidon, qui, en général, ne se ter- mine pas et s'arrête à un niveau déterminé, allait beaucoup plus loin lorsqu'on faisait disparaître peu à peu, en le soumet- tant à une fermentation alcoolique, le maltose formé. Payen ne se préoccupait pas, dans son explication, de l’action possible de la levure, et son interprétation a pu être légitimement contestée par MM. O'Sullivan et Kieldahl. Mais elle est exacte dans ses traits généraux, ainsi que l’ont montré les expériences de M. Lindet.

Dans un moût de grains, saccharifié à refus par la diastase, ce savant ajoute, à 62°, la quantité de chlorhydrate de phényl- hydrazine et d’acétate de soude nécessaire pour précipiter non seulement le maltose déjà formé, mais encore tout celui qui pourrait provenir de la saccharification ultérieure du résidu que

106 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

la première digestion à laissé inattaqué. La moitié environ de ce résidu disparaît dans ces conditions nouvelles.

Dans une autre expérience portant aussi sur un moût sac- charilié à refus, on divise les liquides en deux parties égales dans lesquelles on précipite des quantités inégales de maltose par la phénylhydrazine. En ajoutant à ces deux moitiés des quantités égales de diastase, on voit la saccharification reprendre dans les deux, et marcher plus vite et aller plus loin dans celui dans lequel on a précipité le plus de maltose.

En s’adressant à des substances plus faciles à faire dispa- raître d’une liqueur que les glucoses, on rencontre les mêmes résultats. Ainsi, par exemple, dans l’action de l’émulsine sur la salicine, 1l se forme de la saligénine qui est soluble dans l’éther, et qu’on peut enlever en agitant avec ce réactif le liquide dias- tasifère. De même pour l'alcool coniférylique produit par l’ac- tion de l’'émulsine sur la coniférine. Il existe sur ce point deux expériences de Tammann (10). Dans l’une, de la salicine, mise à 26° en présence d’émulsine, avait été hydrolysée dans la pro- portion de 83 0/0 et ne dépassait pas ce chiffre; on agite le liquide avec un tiers de son volume d’éther, pour enlever la saligénine. 24 heures après, la totalité de la salicine avait dis- paru. Dans une autre expérience, faite toujours à 26°, la pro- portion de coniférine hydrolysée, qui n’avait pu dépasser 42 0/0, a atteint en 24 heures le chiffre 60 0/0, à la suite d’un traite- ment à l’éther.

On peut, du reste, au lieu d’enlever les matières produites par la réaction, ce qui l’active, ajouter à l’avance ces matières préparées ailleurs, ce qui la retarde. Toutes ces expériences aboutissent à la même conclusion : c’est que les produits de réaction ont une influence retardatrice.

Comme ils augmentent naturellement à mesure que la réac- tion avance, leur influence augmente aussi, et nous sommes naturellement conduits à nous demander si ce n’est pas à cette influence retardatrice qu'est le retard croissant de la réaction, et la lenteur qu’elle met toujours à se terminer. Nous pouvons même aller plus loin et remarquer que l'introduction de cette force retardatrice doit nous conduire à la même courbe loga- rithmique que celle sur laquelle MM. O’Sullivan et Tompson ont appuyé leur argumentation,

4

DE L'ACTION DES DIASTASES. 107

Traçons en effet (fig. 2) la courbe représentative de la loi de décroissance du sucre en prenant comme abscisses les temps écoulés depuis le commencement de l'expérience, et pour ordon- nées les quantités de saccharose encore présentes à chaque instant. La courbe part du point $, représentatif de la quantité de saccharose initiale, s’abaisse ensuite, rapidement d'abord, plus lentement vers la fin de l’action. À un moment quelconque T, la quantité de saccharose non encore transformé est TM $, et la quantité de sucre déjà interverti peut être représentée par MI=S—$: cela posé, la loi de la courbe, si c’est une loga-

rithbmique, est que la décroissance MN de l’ordonnée, quand on passe du temps T au temps T,, est proportionnelle à la longueur de cette ordonnée, ce qui veut dire, en revenant aux notions concrètes, que la diminution dans la quantité de saccharose est proportionnelle à la quantité de saccharose présent dans la liqueur. C’est donc, dans cette conception, l'influence décroissante des quantités de sucre non transformé qui com- mande la forme de la courbe. Or, cette influence retardatrice pourrait être remplacée par l’influence retardatrice des quantités croissantes de sucre interverti, car, la somme MT + MI étant constante, la loi de décroissance de MT est la même que la loi de croissance de MI. La logarithmique tracée expérimentale- ment par MM. O’Sullivan et Tompson s’accommode donc tout

108 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

aussi bien de la première conception que de la seconde, qui a l'avantage d'être seule d'accord avec l'expérience.

Le langage mathématique permet de préciser ces notions- générales, et nous allons pouvoir arriver, en prenant toujours l'expérience pour guide, à une formule de l’action des dias- tases, autre que celle que nous avons donnée plus haut pour les acides et plus d'accord avec les faits.

Soit à intervertir une solution sucrée contenant une quan- titéS de saccharose par unité de volume. Appelons » la quantité de sucre que transformerait, dans l'unité de temps, dans les conditions et à la température de l’expérience, la quantité de sucrase employée. Nous savons qu’au début de l'expérience, lorsque l'influence des produits de la réaction est nulle ou encore faible, l’action a tous les caractères d’une action constante, et que les quantités de sucre interverti sont les mêmes pendant le même temps, quelle que soit la quantité de sucre. Nous pouvons alors écrire que la diminution As de la quantité de sucre, si elle ne dépendait que de l’action de la diastase, serait propor- tionnelle au Lemps, et qu’on aurait

AS 1m Al.

L'influence des produits de la réaction est retardatrice, et intervient pour diminuer la quantité m, qui sans cela serait constante, d’une fraction croissante avec la quantité (S—s) de sucre interverti, et qu'on peut, dans une première approxima- tion, lui supposer proportionnelle. En appelant » un facteur qui dépend non de $S, mais des conditions extérieures qu'on maintient constantes, et qu’on peut dès lors supposer aussi constant, au moins dans une même expérience, la quantité » est donc diminuée de la quantité mn(S—s), et devient

m— mn(S —s) = m [1—n(S —s)|

On a donc, si nos hypothèses sont exactes,

AS = m [1 n (S —s)]At.

Ici, une première vérification s'impose. Si cette équation est exacte, As devient égal à zéro, ce qui veut dire que la réaction s'arrête lorsqu'on a

1=n(S—S) 0);

s il d'où S —.$ —— n

DE L'ACTION DES DIASTASES. 109

Ceci revient à dire que dans aucune expérience d'interversion de sucre, la quantité de sucre interverti ne pourrait dépasser un certain nombre =. Cette conclusion est entièrement en désac- cord avec la réalité. L'expérience apprend en effet, comme nous l'avons vu, que toute interversion commencée se termine, si 6n lui en laisse le temps. Il y », il est vrai, des transformations dias- tasiques qui ne sont jamais complètes. Mais l'expérience apprend à leur sujetqu’elles s’arrêtent, non pas lorsque la quantité absolue de matière transformée est constante, comme le voudrait l’équa- tion ci-dessus, mais lorsque la proportion de matière transformée est constante, ce qui est tout différent.

Je ne prendrai pas d'exemple dans l’action diastasique la plus connue sous ce rapport, celle de l’amylase sur l'empois d’amidon, parce que les conditions de l’action sont un peu trop complexes. Mais on peut en demander à l’action de l’émulsine sur divers glucosides. Je trouve par exemple, dans le travail de Tammann visé plus haut, des chiffres qui ont été recueillis pour un autre objet, mais qui n’en sont que plus probants pour la thèse que je soutiens. Tammann a fait agir, à 46°, une même quantité d'émulsine sur des quantités de salicine croissantes comme les nombres 1, 2, 4, 8 et 16, et a trouvé que, au bout de 16 heures et de 24 heures, Les proportions de salicine hydrolysée alteignaient les chiffres suivants

Salicine Salicine hydrolysée CC —— - employée ap. 16 heures. ap. 24 heures 0,188 94,2 0/0 94,2 0/0 0,376 94,4 94,3 0,752 94,4 94,3 0,503 94.5 94,4 3,007 94,4 94,4

L'action ne s'arrête donc pas lorsqu'il y a une quantité cons- tante, mais une proportion constante de salicine décomposée. Comme c’est la même quantité d'émulsine qui a agi partout, elle était certainement en excès dans les solutions de salicine les plus pauvres, mais l’action n’a pas été poussée pour cela plus loin. Mèmes conclusions pour des solutions de coniférine qui ont été traitées par l'émulsine.

110 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Coniférine Coniférine hydrolysée a a. SA employée. ap. 16 heures. ap. 24 heures, 0,377 42,3 42,3 0,500 42,0 42,0 ù

Ce sont donc les proportions qui paraissent jouer, quand il s’agit des diastases, le rôle que jouent les quantités absolues quand il s’agit des acides. C’est une notion qui peut paraître étrange, et nous fait sortir de nos habitudes d'esprit. Mais si l’ex- périence l’impose, ilfaudra bien s'y habituer. Nous sommes con- firmés dans cette vue en nous rappelant l'expérience de p. 103, dans laquelle nous avons vu que la même quantité de sucrase, qui donnait 5 grammes de sucre interverti en # heures dans des solutions contenant 10, 20, 40 grammes de sucre, en donnait moins dans une solution qui n’en contenait que 5 grammes dans

A \ . S—s$ . 5 le même volume. C’est que la proportion Tu sucreinterverti

au sucre initial était plus considérable dans cette dernière solu- tion que dans les autres. Nous sommes donc conduits par l'ex- périence à modifier notre première conception, et à remplacer, dans l'équation écrite plus haut, la quantité S s par la fraction S—$

et àécrire S —5 AS = M (r- }se

Cette fois, il y a concordance avec l'expérience. La réaction s’ar- rête lorsque Le S Ds 1

d’où RE = D n

1—n —11

et la valeur de n est même facile à calculer, on à en effet, pour l'émulsine et la salicine

1 94,4

ee 5 29 ot 6

: 700 a 1,06 De même pour l'émulsine et la coniférine

{ 42

——— d'où n = 2,39

n 100 ons s

Enfin pour les réactions qui, comme celles de la sucrase sur le saccharose, se terminent toujours, on a s—0, d'où n = 1.

DE L'ACTION DES DIASTASES. 114

Ici se présente une remarque intéressante. Pour ces réactions, c’est-à-dire quand n— 1, l'expression de Af se simplifie, et devient. AS pr

S

Si on la compare avec l'expression correspondante écrite plus haut au sujet de l’action des acides, on voit qu’elles ne dif- fèrent que par l'introduction du rapport Z. La diminution de la quantité desucre dans le temps A f n’est donc pas proportion nelle à la quantité absolue de sucre, comme dans le cas des acides, mais proportionnelle à la proportion de sucre dans la liqueur. Par suite nous n’aurons pas, comme dans le cas des acides, des actions qui s’accompliront dans le même temps, quelle que soit la dose de sucre, mais des actions qui, étantd' au- tant plus lentes à chaque instant que les quantités de sucre sont plus fortes, iront en augmentant de durée proportionnellement à la dose de suere.

On peut du reste préciser cette notion et la généraliser en se servant du calcul, qui permet, par des voies simples et régulières, de passer de l'équation écrite ci-dessus, et qui exprime une rela- tion entre des quantités infiniment petites, à l'expression des valeursfinies de $S et de {. On a en effet, en appelant comme plus haut s la quantité de sucre non encore transformé au temps £.

È ea ñ o— mni [mn S PSE et mn 1 HE S

On voit, dans ces équations, d’abord que nous aboutissons, comme nous pouvions nous y attendre, à une logarithmique comme avec l'hypothèse de MM. O’Sullivan et Tompson. Dans le cas # —1, la dernière équation peut s’écrire

S S

bL=—]

m S et ne diffère de celle que nous avons écrite plus haut (p. 98) que par l'apparition du facteur $, qui n’existait pas dans le cas de l’ac- tion des acides, et qui nous assure qu'ici la durée de l’action croît proportionnellement à la quantité de sucre. D'une manière géné- rale, si on a plusieurs actions diastasiques marchant parallèlement

112 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

dans les mêmes conditions avec des quantités égales de dias- tases et des quantités différentes de sucre, les temps nécessaires

=

à = : S S z pour arriver à des proportions égales Rp de sucre transformé :

seront proportionnels aux quantités de sucre présentes, et il en sera de même naturellement pour les durées totales de l’action. Il est à remarquer que les durées de l’action totale sont toujours données comme infinies par le calcul, qu'il s'agisse des acides ou des diastases. Comme, dans une logarithmique, la diminution de l’ordonnée est toujours proportionnelle à l’or- donnée, elle ne se réduitjamais à zéro. La courbe est asymptote à l'axe des x, et ne le rencontre qu’à l'infini. Mais pratique- ment la réaclion est terminée quand nos méthodes analytiques deviennent incapables d'en apprécier le progrès, et par consé- quent, pratiquement, la transformation a toujours une fin.

Mesure des constantes m et n. Nous sommes donc arrivés à des équations qui nous permettent de comparer à chaque instant les nombres que fournit l'expérience à ceux que fournit le calcul, et par conséquent de voir siles hypothèses que nous avons introduites dans cette étude sont d'accord avec les réalités.

Elles se rapportent toutes aux valeurs données à et à n. Voyons comment on peut calculer ces constantes dans chaque expérience. Pour n, la chose est déjà faite. Nous savons qu'il suffit d'étudier la réaction lorsqu'elle est à terme, c’est-à-dire lorsqu'elle est arrivée à lalimite qu’elle ne peut pas dépasser, dans les conditions de température et de milieu dans lesquelles on opère. La valeur de n est égale à 1 dans toutes les actions qui s’achèvent, et plus grande que l’unité dans toutes celles qui aboutissent à une limite. C’est donc l’action terminée qui nous donne »; c’est l’action à ses débuts qui va nous donner "”.

Considérons en effet l’action à ses débuts, au moment le facteur n (S —s) est encore négligeable. Pendant quelque temps l'action progresse proportionnellement au temps, et on a

AsS—=mAt

La valeur de »%» a, dans ces conditions, une représentation géo- métrique très simple. Soit en effet S A (fig. 3) la courbe de l’inter-

DE L'ACTION DES DIASTASES. 113

version. Dire que l’ordonnée diminue proportionnellement au

temps, c'est dire qu’à l’origine, sur une certaine longueur 8 M, la

courbe se confond avec une ligne droite S T. On voit alors que AS S S

M = -

Ab, : sM en appelant « l'angle de la droite ST avec l’axe des temps. Il est d'ailleurs évident que la droite ST est la tangente à la courbe, à son origine. Nous arrivons donc à celte conclusion que la valeur du cofficient m, qui, seul, dans l'équation de la

= {ÿ à

À Â \

à

| | i | | |

\ K |

a Û RRNCIT LETTRE TIRE OUI LE DE

Fig, 3.

logarithmique, mesure l’action de la diastase, est la langeñte de l’angle que fait avec l'axe des temps la tangente à l’origine de la courbe d’interversion.

Le tracé empirique d'une tangente comporte toujours beati coup d'incertitude, surtout sur une courbe déterminée par points. Il arrive heureusement, d'ordinaire, que la courbe se confond assez longtemps avec sa tangente pour qu’on puisse déterminer deux ou plusieurs points du parcours commun, qui revient à dire que l’action à ses débuts reste proportionnelle au temps pendant une période suffisante pour que l’on puisse faire plü- sieurs déterminations. Si elles sont concordantes, c’est-à-dire si elles s’'échelonnent sur une même droite, le tracé de cette droite sera facile. On sera d’ailleurs averti du moment interviert

8

114 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

l'influence perturbatrice des produits de la réaction par celui la courbe se détachera nettement de la tangente à l’origine.

On trouve, disséminées dans divers mémoires, même dans . ceux qui ne lescherchaient pas, des preuves de cette proportion- nalité de l’action au temps. Mayer (14) et moi(4) l'avons, je crois, observée les premiers indépendamment l’un de l’autre. Mayer s’est servi d’une solution très étendue de sucrase, qu'il a mélangée à une solution de sucre de canne à 10 0/0. On a déter- miné immédiatement, puis à divers intervalles, les quantités totales de sucre interverti, et on en a déduit les quantités de sucre interverti par heure pendant chacun des intervalles con- sidérés. L'expérience a donné les chiffres suivants :

Sucre interverti pour 100

Temps entotalité par heure

0 1 »

4 heure 1:60 » 17 h. 1/2 18,2 1,0 22 h.1/2 23,4 1,0 44 D. 39,8 0,8 95 h. 66,2 0,5

120 h. 74,4 0,33 145 h. 83,2 0,33

On voit que, pendant les 20 premières heures, la quantité de sucreinterverti par heure està peu près constante, et que la propor- tionnalité n’existe plus dès qu'il y a environ 25 0/0 du sucre inter- terverti. J'avais trouvé de mon côté que la limite était 8 0/0 pour des solutions à 30 et 40 0/0 de sucre. Mais l'important n'est pas le moment la proportionnalité cesse, c’est qu’elle existe pen- dant une durée assez longue, pour qu'on puisse faire plusieurs observations concordantes propres à assurer la valeur de m.

Nous pouvons trouver, dans le mémoire cité d'O’Sullivan et Tompson, un autre exemple, intéressant parce que la transforma- tion y a été rapide. Les nombres qui suiventse rapportent à l’in- version, à 150,5, d’une solution à 20 0/0 de saccharose, convena- blement acidulée. Le tableau donne les intervalles des prises et les proportions de sucre interverti.

DE L'ACTION DES DIASTASES. 115

Au début 0, 0/0 de sucre interverti ap. » minutes 3,1 15 9,8 30 19,2 _. DT 33,6 90 45,8 120 58, —— 150 67,4 _ 210 79,8 240 84,4 270 87,3 430 95,1 1470 99,2 48 heures 100,0

Nous avons donné la série à peu près complète des détermina- tions comme exemple d'une étude bien faite, et pour montrer qu'une action qui marche vite à ses débuts peut être longue à se

terminer. Pour le moment, nous ne prenons de ces chiffres que les premiers, qui montrent que pendant la première demi-heure, et jusqu’à ce qu’il y ait eu environ 20 0/0 de sucre interverti, l’action a été à peu près proportionnelle au temps.

La quantité de sucre intervertie par minute dans les condi- tions de l'expérience qui précède, ou la valeur de m, est facile à calculer. La liqueur contenait par 100 c. c. 20 grammes de saccharose dont 3,1 0/0, soit 0 gr. 62, ont été intervertis pendant

116 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

les 5 premières minutes ; cela donne 0 gr. 124 par minute. On trouverait de même 0 gr. 13 pour le premier quart d’heure, 0 gr. 128 pour la première demi-heure. Puis les nombres décroissent de plus en plus, mais ils sont assez bien déterminés pour celte première période. Nous pouvons donc désormais tabler sur une détermination assez précise de la valeur de m. Elle est ici égale à 0 gr. 127:

Influence de la quantité de diastase. En simplifiant, comme nous venons de le faire, l’étude de l’action d’une diastase, et en la réduisant à celle de l’inclinaison d’une droite sur l’axe des temps, nous allons pouvoir rendre intuitives quelques notions importantes que le calcul viendra du reste confirmer.

Soit S T (fig 4) la tangente à l’origine dela courbe d’interver- sion d’une quantité OS de la saccharose. Le point T auquel elle vient couper l'axe des temps est la durée { qu’aurait le phénomène s’il n’était pas troublé par l’intervention des produits de la réac- tion, et s’il marchait constamment avec sa vitesse originelle. On a en eflet

Imaginons maintenant que, sans rien changer à la température et aux conditions de l'expérience, nous ayons opéré sur un poids de sucre double, dissous dans la même quantité deliquide ctavec la même quantité de diastase. Notre courbe partira d’un point plus élevé S’, tel que OS = 2 OS. Etcomme l’action d’une diastase au départ ne dépend que des conditions extérieures, qui sont restées les mêmes, et non de la dose de sucre, quiseule a varié, la tangente à l’origine aura même inclinaison que la première, et viendra rencontrer. l'axe du temps à une distance OT’ = 2 OT. Ceci, remarquons-le, n’esi pas un fait nouveau, c'est une autre forme de la notion que l’action d’une diastase ne dépend pas de la quautité de sucre.

Mais imaginons maintenant que nous ayons doublé la quan- tité de diastase en même temps que celle du sucre. Dans ce cas, nous pouvons supposer que nous avons mis, dans le même volume de dissolvant inerte, deux doses de sucre et de diastase égales à celles de la première expérience. Nous avons donc deux actions parallèles, confondues dans le même milieu, et si nous admet-

DE L'ACTION DES DIASTASES. 117

tons, ce qui est très vraisemblable, qu’elles ne s’influencent pas l'une l’autre, chacune d’elles, et par conséquent l’action totale doit s’accomplir dans le même temps { que précédemment. L’in- clinaison au départ de la tangente à l’origine doit donc être telle qu'elle vienne passer par le point T. Ce sera la droite ST. Donc, en doublant, pour une même quantité OS'de sucre, la quan- tité de diastase, nous avons réduit à moitié le temps de l’action, et doublé la valeur de m, car tout à l'heure, pour S'T', nous avions M ur = {x OT et nous avons pour ST

Anar

S £ M = —> = 2m, ou bien {gx = 2{Aa. OF À 4

Pour des quantités égales de sucre, la valeur de # double donc quand la quantité de diastase devient double. En généra- lisant, on voit que » est proportionnel à la quantité de diastase, et qu’en appelant mäâintenant a la quantité de sucre que peut in- terverür, dans les conditions et à la température de l’expérience, une unité de poids ou de volume, arbitrairement choisie, de la diastase employée, une quantité d de cette diastase, évaluée au moyen de cette unilé, en intervertira la quantité «d. On aura donc:

m = «ad

et pendant le commencement de l'action, de même que pendant toute sa durée quand l’action perturbatrice des produits de la réaction n'intervient pas, on a

SRE

en appelant S la quantité de sucre tranus'ormée pendant la pé- riode à laquelle s'applique la loi de proportionnalité signalée plus haut. Pendant cette période, le produit de la quantité de diastase d par la durée t{ de l’action est donc constant pour des quantités égales de malière transformée.

Généralisation de ces résultats. J'ai dit plus haut que j'avais particularisé mon raisonnement pour le rendre plus simple et plus intuitif. Mais je n’ai pas besoin de dire qu’on arrive à des conclusions analogues ou identiques, en étudiant non plus la {angente à l’origine, mais la courbe elle- -même, Le coeflicient angulaire de la tangente à l’origine de la courbe RE ounVEQN

27 2:

118 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ss; (1 et) n est en effet», comme nous pouvions nous y attendre, pour {—0. -. Quant au temps de l’action, donné par l'équation : S 1

[

t

on peut avoir avec lui des relations plus générales que celles que nows avons tirées tout à l'heure, mais d'accord avec elles. On voit en effet que, pour diverses interversions faites avec des quantités inégales de sucre et de diastase, à la seule condition —5$ S a, en appelant A une constante

Les durées d’action qui correspondent à des progrès égaux dans la marche de l’action sont donc proportionnels aux quantités de sucre pour les mêmes quantités de diastase; ils sont en raison inverse des quantités de diastase pour les mêmes quantités de sucre. Ceci revient à dire que si on faitmarcher simultanément, et dans les mêmes conditions, plusieurs actions diastasiques avec des quantités égales de diastase et des quantités inégales de sucre, On pourra, au lieu de mesurer le temps total de l’action, ce qui est long et parfois difficile, se contenter de mesurer le ätemps au bout duquel une fraction quelconque de l’action est ccomplie, ce qui simplifie et facilite les mesures. Dans leurs recherches sur la sucrase, MM. O0’ Sullivan et Tompson ont choisi le moment la rotation de la liqueur, d’abord droite, passe par le zéro en devenant négative. Ce terme correspond, ainsi qu'il est facile de le calculer, à l’interversion de 74,1 0/0 du sucre présent, et on pourra faire, en prenant cette finite et ce terme de comparaison, toutes les évaluations de » que nous faisions plus haut en comparant entre elles les inclinaisons des tangentes à l’origine sur l’axe du temps.

S : ce que la valeur de soit la même, et que # soit constant, on

Vérifications expérimentales. Nous sommes donc maintenant en possession de quelques conclusions théoriques établies sur nos hypothèses, et des moyens de les contrôler. Essayons cette

DE L'ACTION DES DIASTASES. 119

véritication. Le nombre des expériences faites dans cette direc- tion est malheureusement très restreint. Ce n’est pas qu’il n’en ait été fait beaucoup. Mais ou bien elles pèchent par défaut de comparabilité, ou bien elles ont été faites avec une méconnais- sance complète des conditions qui pouvaient les rendre pro- bantes.

C'est ainsi par exemple que Tammann {10) ne pouvait rien trouver en cherchant une relation entre la quantité de diastase et la quantité de substance hydrolysée à la fin de la réaction. D'abord, le caractère essentiel des diastases est de pousser à bout l’action qu'elles produisent, quelle que soit leur quantité, si on leur en donne le temps. De ce côté-là, par conséquent, le terrain de l’étude était mal choisi. Puis, en revenant à nos formules, si » dépend de la quantité de diastase, la quantité de substance intacte à la fin de la réaction dépend de #, qui n'a avec » aucune relation nécessaire, et on comprend l’incohérence des résultats obtenus par Tammann. D’autres mémoires se prè- teraient à des critiques pareilles. Quand on a fait cette ventila- tion nécessaire, il ne reste plus que quelques expériences, assez probantes cependant pour qu’il ne reste aucun doute sur l’exac- titude des lois posées ci-dessus.

Influence de la quantite de sucre. Chose curieuse, c’est la plus facile à étudier, celle qui relie le temps de quantités égales d'action, ou de l’action totale, aux quantités de sucre, qui est la plus mal appuyée par l’expérience. Barth (11) a trouvé, en faisant agir de la sucrase sur du saccharose, des nombres irré- guliers qui, au lieu de suivre une marche régulière à mesure qu'augmentait la quantité de sucre, passaient par un maximum. Peut-être ne s’est-il pas assez méfié des légères doses d’alcali que le sucre apporte dans les solutions, et qui, lorsqu'on prend des liqueurs concentrées, peuvent devenir assez fortes pour troubler l’action de la diastase.

En somme, je ne connais pas d'expérience dans laquelle on ait mis, dans des conditions tout à fait comparables, une même quantité de sucrase en présence de quantités inégales de sucre, et on ait noté une proportionnalité entre la dose de sucre et la durée des réactions. Tout ce qu'on peut affirmer, comme résultant de toutes les expériences faites, c’est que la durée de

120 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

la réaction n’est pas indépendante de la quantité de sucre, comme dans le cas des acides, mais augmente avec lui.

Heureusement, cette loi de proportionnalité n’estaulre chose, ainsi que nous l'avons vu, qu’une autre forme d’un fait bien établi, je veux dire l'égalité entre les quantités de sucre inter- verti que donne dans le même temps, au début de l'expérience, la même quantité de sucrase dans des solutions de sucre inégale- meut concentrées. La tangente au départ des diverses courbes d'interversion a la même inclinaison sur l’axe des temps, et doit venir le rencontrer à des distances de l’origine proportionnelle aux quantités de sucre initiales. D'un autre côté, sin est constant à une même température, comme nous allons le montrer lout à l'heure, la loi qui se vérifie pour les tangentes à l’origine doit se vérifier aussi pour les courbes réelles d’interversion, de sorte que nous pouvons considérer la loi comme sûre.

Influence de la quantité de diastase. Cette influence a été beaucoup étudiée, mais pas toujours dans des conditions qui rendent l'étude fructueuse. Brucke a fait, par exemple, agir sur de la fibrine des quantités différentes de suc gastrique; mais il est difficile de trouver, dans ce cas, une mesure de l’action qui se produit. De même, Schwarzer a fait agir du malt sur de l'empois, et a employé, comme critérium du degré d'avancement de l'action, l'iode qui, comme on le sait, est un réactif infi- dèle. Cohnheim a été mieux inspiré en recourant à la mesure de la quantité de glucose formé. C’est à Paschutin (12) qu’on doit la première démonstration d’une proportionnalité à peu près exacte entre les quantités de diastase et les quantités d'action dans le même temps.

Il a fait agir des quantités différentes de salive sur une solu- tion sucrée, et a trouvé les nombres suivants :

Salive employée. Sucre produit.

0,25 e:/c. 0,40 grammes. à 0,50 Dani ON & 2 1,21 É 1,00 4,55 —— LODETES Adi D,00 2,97

On voit que tant que l’action reste à ses débuts, la quantité

DE L'ACTION DES DIASTASES., 124

de sucre produit reste proportionnelle à la quantité de diastase. Cette loi ne se vérifie pas pour toute la durée de la réaction, mais nous savons qu’elle ne peut plus être vraie dès qu'inter- vient l’action perturbatrice des produits formés. Ce qu'il faut alors comparer, ce ne sont pas les quantités d'action pendant le même temps, mais les durées de quantités d’action égales. C'est pour avoir oublié cette notion essentielle que Kjeldahl, Mayer, ont échoué dans leurs tentatives pour mettre en évidence cette proportionnalité. C’est parce que MM. O’Sullivan et Tompson avaient adopté le mode d'évaluation signalé plus haut qu'ils ont pu vérifier la loi dans des limites beaucoup plus étendues,

Ils ont en effet mesuré, aux températures de 15°,5 et de 56°,5, les durées nécessaires pour qu'une solution de sucre arrive au zéro dans l'appareil de polarisation, en présence de quantités variables de sucrase. Ce passage par le zéro correspond, nous l'avons dit, à l’interversion de 74 0/0 du sucre, Voici les nom- bres qu'ils ont obtenus : en A, ce sont les nombres bruts, éva- lués en minutes; en B, on trouve les produits des deux nombres qui représentent la quantité de sucrase et la durée de l'action. Les solutions sucrées étaient acidulées de façon à donner l'action la plus rapide possible,

Température. Sucrase. A B 450,5 0,15 grammes, 283 minutes. 424,5 » » 0,45 94,8 426,6 » » 1,50 - 30,7 460,5 560,5 0,0345 157,6 ; 54,4 » » 0,0722 °_ 74,8 | 24,0

On voit que, surtout pour la lempérature de 56°, le produit mt de la quantité de diastase par la quantité d'action est con- stant. Or, quand, comme dans ce cas, il y a eu intervention des produits de la réaction sur sa marche, il faut, d’après l'équation 1

S —5$

S QE Il 1—n S

pour que le produit mt soit constant pour des quantités . d'action égale, que n le soit aussi. Voilà donc vérifiées deux des hypothèses sur lesquelles nous avons basé toutes nos déduc- tions.

122 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Étude de la présure. Cette proportionnalité inverse entre la dose de diastase et la quantité d'action se vérifie très bien aussi, etsans tant de difficultés, pour la présure : elle se vérifie- rait sûrement aussi pour les autres diastases coagulantes, parce que, avec elles, les produits de la réaction ne peuvent l’entra- ver, puisqu'ils prennent l’état solide. La difficulté est de trouver un terme défini à la réaction. Avec le lait, on y arrive assez fa- cilement quand on le coagule dans des tubes à essai ou des flacons allongés. Le lait forme, une fois coagulé, une masse solide qui reste adhérente au vase quand on le renverse. Dans un vase plat, le moment de la coagulation peut être aussi exactement apprécié en enfonçant dans la masse la lame d’un couteau ou le doigt. La boutonnière formée doit avoir des lèvres nettement coupées, et le liquide qui s’y réunit doit être transparent. Quand on opère à température constante, et qu'on ajoute à du lait des quantités inégales de présure, on obtient pour la durée de la coagulation des chiffres variables dont l'expérience suivante donne une idée.

Dans mes expériences (15), la présure employée était de la présure de Hansen, de Copenhague. On en a mis la même quantité, 1 c. c., dans les volumes de lait indiqués, en c. c., dans la première colonne. La seconde donne les durées de coa- gulation de ces mélanges divers à la température de 360,5. La troisième donne le produit mt de la proportion de diastase par le temps de coagulation.

Valeurs de m. T. de coagulation. Produit mt. 1/24,000 240 minutes. 100 1/12,000 1 7 Ne 275

1/8,000 Dre 266 1/6,000 21.30" 970 1/4,000 15 266 1/3,000 EL 275 1/2,000 7.30" 266 1/1,500 6.20" 240 1/500 4.20" 120 1/230 3.30" 80 1/175 3.20" 40

On voit que la loi se vérifie bien pour des volumes de lait compris entre 2,000 et 12,000 fois le volume de présure, mais qu’en decà et au-delà de ces limites, elle cesse d’être exacte. Cela

à

DE L'ACTION DES DIASTASES. 123

tient à des causes diverses connues sur lesquelles je revien- drai. Pour le moment, ce qui doit nous frapper, c'est que la loi se vérilie d’une façon aussi précise pour une action diastasique aussi différente de celle des diastases hydrolysantes,

Lœærcher (13) est arrivé aux mêmes résultats en ajoutant à du lait des solutions étendues de présure, employées aux doses de 0,01 c.c. à lc. c., dans 10 c. c. de lait chauffé et maintenu à 37°. Voici les nombres obtenus rangés en série. La série de gauche est obtenue avec des proportions de présure décuples de celle de droite, et on a calculé pour chacune des expériences le produit mt.

Doses de Temps de Produit Doses de Temps de Produit présure coagul. mt présure coagul, mt OOc'e: non obs. OMC. c: 43 430 0,02 245 min. 490 0,2 24,5 190 0,03 155 465 0,3 16 480 0,04 126,5 , 485 0,4 12,5 500 0,05 92 460 0,5 10 200 0,06 78 468 0,6 8,79 525 0,07 69,95 485 0,7 8,46 561 0,08 63 d04 0,8 7,9 600 0,09 56 204 0,9 6,7 603 0,10 43 430 1,0 6 600

Il y a dans ces nombres des irrégularités singulières, le phé- nomène étant certainement régulier et continu, mais on voil encore que, dans la zone moyenne, pour des proportions de pré- sure qui ne sont ni trop fortes ni trop faibles, la loise vérifie bien,

Expériences de O’Sullivan. Nous pouvons enfin donner une vérification en bloc de la formule générale LASER LA NES HET, Giue Er S

en recourant à des expériences de O’Sullivan (1) faites dans des conditions on ne pouvait pas s'attendre, «a priori, à voir une telle loi apparaître. Ce savant a observé, et c’est un point sur lequel nous reviendrons, qu’une levure de Bass fraiche et saine, mise en suspension dans l’eau, n’ylaisse pastranssuder de sucrase, ou presque pas. Mise en contact avec une solution de sucre, elle l’intervertit pourtant, et même avec quelque rapidité ; mais cette

interversion est un phénomène intracellulaire, ou au moins ne

124 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR

s’accomplit qu’au contact de la cellule, car si on filtre le mélange avec assez de soin pour qu'aucun globule de levure ne traverse le filtre, toute interversion s'arrête dans le liquide filtré, Il ne contient donc pas de sucrase soluble. De plus, pendant les pre- mières heures du contact de la levure et du sucre, il n’y a pas d'alcool produit. On peut donc admettre que tout se passe comme si, en introduisant de la levure dans de l’eau sucrée, on yintrodui- sait autant de centres d'action diastasique qu'il y a de cellules. En maintenant celles-ci en suspension par un courant d’air, qu’on peut du reste remplacer par un courant d'acide carbonique, on assure leur égale répartition dans le liquide et l'homogénéité du système. La levure hydrolyse peu à peu le sucre à l’aide de ladias- tase toute faite qu’elle contient, et ne semble pas en fabriquer de nouvelle dans un liquide elle ne rencontre que du sucre. Quoi qu'il en soit, on voit apparaitre, dans ces conditions nouvel- les et singulières, la loi écrite plus haut.

Elle se simplifie en ce que, pour le sucre etlasucrase, la valeur de »,comme nous l’avons vu, est égale à l’unité. On à donc l’équa- tion

Chose curieuse, M. O’Sullivan ne songeait pas à vérifier cette formule dans ses essais, mais bien la formule

à laquelle le conduisait sa se du phénomène (p.102). Il a donc mesuré, à divers intervalles, {,$, s, et de ces mesures il a tiré les valeurs do m. Dans sa Ro et d’après sa formule, ces valeurs eussent croître avec la proportion de levure, et être indépendantes des doses de sucre comme elles le sont dans le cas des acides. Il trouve au contraire, et il remarque lui-même qu’elles varient en raison inverse des quantités de sucre, la quan- tité de levure étant la même, de sorte qu’on a m M! = T

C'est donc en réalité la formule que nous avons proposée qui ressort de l’expérience, et non celle de O’Sullivan.

Pour donner une idée de l’approximation avec laquelle elle se vérifie, nous allons citer les résultats de deux expériences

DE L'ACTION DES DIASTASES. 195

comparatives faites avec la même levure, mise en contact avec des solutions de sucre à destitres variés : 5, 10, 20, 30 0/0. Dans chacune de ces liqueurs, on mettait 0 gr. 5 et 1 gramme de levure, qu'on maintenait en suspension à l’aide d’un courant d’air. Au bout de 30, 60, 120 minutes, on prélevait un échantillon qu’on étudiait au polarimètre. On avait donc pour chaque cas #, S, s, et on en tirait, pour chaque expérience, trois valeurs assez concor- dantes de #'

l M = = i l C’est la moyenne de ces valeurs de »#' qui est donnée ci-de:-

sous pour les 3 liqueurs sucrées additionnées de 0 gr. 5 et de Î gramme de levure.

Séries Sucre Levure Valeur de #»’ Valeur de m5 m 30/0 Ogr5 : 0,0027 0,000135 Leur, 0,0057 0,00028 | J0o/o O5 0,0013 0,000130 \ ur, 0,0026 0,00026 Lao, O0#,5 0,0007 0,000 140 A gr, 0,0012 0,00024 30 0/5 Ow5 0,00035 0,000105 | Le. 0,0006 0,00018 5 0/0 Ogr,8 0,0045 0,00922 X )100/0 Ow,8 0,0022 0,00022 Ü200/) Ow,8 0,0010 0,00020

On voit que ia loi apparaît nettement au travers de la com- plicalion de l'expérience et de la délicatesse des mesures, La quantité m croit proporlionnellement à la quantité de levure ou de diastase, La vérification est moins bonne pour les solu- tions sucrées à 30 0/0. Mais O’Sullivan remarque que pour cette concentration, la cellule de levure se contracte et réduit son volume de 1/5 environ. En outre la liqueur est visqueuse. Il n'est donc pas étonnant que l’action diastasique faiblisse dans ce cas. Ce qui est étonnant, © est qu’une loi faite el écrite pour une réaction entre des subtances solubles se retrouve aussi exacte pour une réaclion entrent des cellules vivantes, Ceci nous prouve que tout ce qui précède est vrai, non seulement dans le domaine de la chimie, mais dans celui de la physiologie, et qu'il y a des échanges cellulaires qui peuvent se comporter comme des réaclions purement chimiques.

126 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Expériences de Moritz et Glendinning. Enfin, je signalerai une, dernière conséquence, d'accord à la fois avec la théorie et avec l’expérience. Supposons que dans une action diastasique. # est plus grand que l'unité, et la valeur maximum de S s est donnée comme plus haut, par l'expression :

SE SEM

S n on ajoute, une fois la réaction arrêtée à ce terme, une quantité nouvelle de la substance transformable par la diastase. Ilest clair que la réaction va reprendre, et que la portion T

ajoutée va se transformer jusqu’à ce qu’il en reste une quantité finale { telle que :

T—t 1

Æ n de sorte que la réaction s’arrêtera de nouveau à son terme initial, si on maintient constantes les conditions dans lesquelles elle s’accomplit du commencement à la fin. On a donc ici le fait curieux d’une diastase qui reste inerte aussi longtemps qu’on voudra, dans la première partie de l'expérience, alors qu’il reste encore la quantité s de matière à transformer, et qui recommence à agir lorsqu'on lui donne à digérer de nouvelle matière en tout analogue à s.

C'est au moins ce qui résulte de nos formules. Or la réalité du fait résulte d’une foule d'observations déjà faites, parmi lesquelles je relèverai comme les plus concluantes celles de MM. Moritz et Glendinning sur la saccharification de l’amidon. Une fois cette saccharification à terme à une température quel- conque, par exemple 52°, ils la partagent en deux moitiés dont l’une est réservée pour l’analyse. Dans l’autre, ils mettent une quantité d'empois d’amidon égale à celle qu’elle contenait pri- mitivement, et recommencent la saccharification à 52. Il n’y a de diastase que la moitié de celle qui existe primitivement, et qui semblait inerte. La saccharification recommence pourtant. Au bout de 2 heures on opère sur ce second liquide comme sur le premier, c’est-à-dire avec le quart de la diastase initiale, et le quart de l’empois d’amidon initial. Les saccharifications deviennent de plus en plus lentes, car la diastase travaille de plus en plus en présence des produits de son action, mais elles aboutissent au même terme, ainsi que le montrent les chiffres

DE L'ACTION DES DIASTASES. 127

suivants, qui sont les pouvoirs réducteurs de la matière en solution dans les liquides, rapportés à ce qu’ils seraient si cette malière était du dextrose. Toutes les corrections ont été faites pour le sucre apporté par le malt, et les autres petites causes d'erreur du procédé opératoire :

RLEACONVEESIO Ie R Pr sue M need 48,7 2e (faite avec la première). 48,6 3e (faite avec la seconde)... 48,4

En résumé, il m'a paru que les formules que je propose comprenaient et expliquaient tous les faits connus. Elles sont en outre assez simples, malgré leur complication apparente, et en outre elles reposent sur des notions faciles à saisir. C’est pour cela que je les propose avec confiance aux savants que préoccupent les difficiles questions de diastase, qui ont englobé l'étude des toxines et des venins, et n’en sont devenues que

plus urgentes à résoudre.

BIBLIOGRAPHIE

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LES MICROBES DES NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES

Par M. MAZÉ

Préparateur à l’Institut Pasteur. TROISIÈME MÉMOIRE

DEUXIÈME PARTIE

Morphologie du microbe des nodosités.

Dans le cours des recherches déjà publiées', qui ont surtout porté sur le côté chimique de la fixation de l’azote, je n’ai ren- contré pendant longtemps que la forme bacillaire mobile des microbes des nodosités. Les auteurs ont décrit des formes‘rami- fiées, des formes en étoile associées aux bacilles. Je ne les ai vues apparaître qu’en présence d’un taux élevé de chlorure de sodium ou d’une dose exagérée de saccharose. Ce caractère accidentel semble traduire des conditions de développement défavorables.

Je me suis proposé de préciser ces conditions et d'essayer en même temps d'obtenir les formes en poire que l’on rencontre dans les nodosités de trèfle. Dans ce but, j'ai eu recours : à l’action de la chaleur ; aux milieux acides. |

Action de la chaleur. M. Laurent à fixé à 30° la limite du développement des microbes des nodosités. Cependant, si on fait des ensemencements abondants, ils poussent encore àf35° sur gélose * ; ils s'habituent même assez vile à cette température.

Si on réensemence toutes les 48 heures les cultures exposées pendant quelques jours à 35°, on observe, dès le deuxième passage, dans les cultures âgées de 24 heures, de nombreux bacilles pourvus de bourgeons latéraux; ces ramifi- cations disparaissent dans les cultures âgées de 3 jours, lorsque la mucosité est déjà abondante.

1. Ces Annales, février 1897 et janvier 1898.

2. La gélose dont il est question dans toute la derniére partie de ce travail a été faite avec du bouillon de haricots additionné de 3.0/0 sactharose,

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 129

A partir du deuxième passage, les formes rameuses deviennent de plus en plus nombreuses; elles diminuent ensuite et dispa- raissent complètement lorsque le microbe s’est adapté à la tempé- rature de 35°. C’est dans les cultures de 24 heures qu’elles sont le plus nombreuses. Les figures 1 et 2, PI. IT, donnent une idée de leur richesse et de leur abondance. Comme on le voit, les bacilles s’allongent et forment un grand nombre de bourgeons; si on dilue un peu de ces cultures riches en formes ramifiées - dans de l’eau physiologique ou du bouillon de haricots stérile, on les voit se désagréger rapidement et donner naissance, par voie de division transversale, à des éléments simples. La fig. 3, PI. IL, représente deux de ces formes à deux stades différents de division. Les rameaux prennent naissance et grandissent comme les bourgeons ordinaires; il n’y a donc pas, chez les microbes des nodosités, de division longitudinale.

Action des acides. Les microbes ne se cultivent pas dans le bouillon de haricot additionné de 1/1000 d'acide tartrique; les germes déposés dans ce milieu ne se régénèrent plus au bout de 2 à 3 semaines, lorsqu'on les transporte sur des milieux alcalins.

Ils se développent sur gélose additionnée de 1 0/00 d'acide tartrique ou oxalique ‘, à condition, toutefois, d’ensemencer très abondamment. Dès la première culture sur ce milieu, les bacilles donnent naissance à des formes en poire, à la température de la chambre; leur contenu est vacuolaire, leur diamètre atteint 2-3 u, quelquefois plus (fig. 2, PI. I).

Ces métamorphoses sont générales lorsque l’ensemencement est pauvre; mais si on transporte beaucoup de mucosité, la transformation est limitée à la minorité des microbes; dans le premier cas, le développement s’arrête au bout de 3 ou 4 jours et les formes en poire persistent dans la culture, tandis qu’elles sont passagères lorsque la mucosité envahit toute la surface.

Si on combine l’action de la température de 35° avec l’in- fluence des milieux acides, les résultats sont diflérents : les bacilles s’allongent, se renflent en chapelets et se ramifient. Tous se transforment; il est impossible de trouver dans les cultures un bacille normal; l'organisme qu’on obtient ainsi présente la

4. L’acidité n’atteint pas le chiffre de 1/1000, car la gélose étant préparée avec une eau légèrement calcaire, une partie de l’acide se trouve neutralisée.

9

430 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,

plus grande analogie avec des fragments de mycélium âgé d’une culture d’oospora (fig. 3, PL. TI).

Mais il est impossible de fixer ces formes ; elles disparaissent au. bout de quelques jours dans la culture même, lorsque la mucosité devient assez abondante; si on les transporte sur gélose alcaline, elles se désagrègent très vite, et au bout de 24 heures on obtient un bacille typique, chez lequel rien ne trahit les modifications que ses ancêtres ont subies.

On obtient encore des formes analogues à celles de la fig. 5, PI. I, lorsqu'on ensemence sur de la gélose de viande pepto- nisée un microbe habitué au bouillon de haricots sucré.

Rien n’est donc plus facile que d'obtenir sur des milieux artificiels des formes aussi variées que celles que l’on rencontre dans les nodosités. On ne peut pas attribuer celles-ci à l’action d’une température exagérée, mais il est clair qu’elles s'expliquent par l’influence de l'acidité de la sève.

La plante n’exerce aucune action spécifique en dehors de celle des acides; j'ai déjà dit que les microbes pénètrent dans les racines sous forme de coccobacilles (V. p. 13); ils y conser- vent cet état tant que la sève ne circule pas en abondance dans le tubercule; mais lorsque les vaisseaux sont formés dans cette région, le liquide nourricier dissout la mucosité protectrice qui englobe les microbes; à partir de ce moment, ils nagent dans un liquide acide constamment renouvelé, et c’est alors que les formes rameuses apparaissent; elles persistent aussi longtemps que dure la vie dans ces régions.

Autres formes physiologiques. L'histoire morphologique des microbes des nodosités ne se borne pas à ce que je viens d’ex- poser. Pour observer les formes si variées que je viens de décrire, il faut faire usage de cultures récemment tirées de la pulpe de jeunes tubercules. Les cultures d’origine ancienne présentent aussi un certain nombre de particularités intéres- santes que je vais passer maintenant en revue.

J'ai montré que le microbe des légumineuses ne se déve- loppe pas dans une atmosphère d'azote pur; il y conserve cependant assez longtemps sa vitalité; et si, au bout de 15 jours ou 3 semaines, on le reprend dans les tubes scellés pour l’ense- mencer sur des tubes ordinaires, il donne de petites colonies grisätres, constituées par une forme à peu près ronde, de très

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 131

petit diamètre. En goutte suspendue, ces microbes se présentent soit à l’état isolé, soit réunis par deux ou disposés en chaînes.

Ce résultat, obtenu dans une première expérience, laissait place au doute; il a été vérifié immédiatement dans une autre expérience faite avec des cultures dont la pureté avait été préa- lablement contrôlée.

La forme ronde a repris son aspect primitif au bout de quelques passages sur gélose, mais je n’ai pas réussi à lui faire produire de mucosité. Avec les cultures récentes on n’obtient pas ces transformations. Ensemencées dans une atmosphère d'azote, elles se comportent comme les cultures d'origine ancienne; mais les germes repris dans les tubes fermés, plusieurs semaines plus tard, ont conservé leurs propriétés caractéris- tiques.

Ceci prouve que les cultures entretenues par des rajeunis- sements répétés se différencient peu à peu sur milieux artificiels.

Si on en prend une appartenant à la même série que celles qui ont servi dans l’expérience précédente, et si on l’ensemence de façon à obtenir des colonies séparées, voici ce qu’on observe : au bout de deux ou trois jours, on voit apparaitre une série de colonies blanches, nacrées, étalées sur le milieu; elles atteignent facilement3-4 millimètres de diamètre. Puis,un à deux jours après, une autre série de colonies se forme; celles-ci sont plus proémi- nentes, légèrement jaunâtres; leur diamètre reste toujours infé- rieur à celui despremières.Les deux espèces de colonies renferment deux bacilles qu'il est impossible de distinguer lorsqu'ils sont intimement mélangés; mais quand on est prévenu, on remarque que les colonies jaunâtres sont constituées par un microbe dont le contenu présente de petites vacuoles.

Ensemencés séparément, ces deux bacilles ne fabriquent pas de mucosité; si on les associe, ils donnent des cultures caracté- ristiques. Dans un même tube, des colonies séparées conservent _l’aspect de colonies de microbes banaux; si deux d’entre elles empiètent l’une sur l’autre, la mucosité se forme en cet endroit, et au bout de quelques jours elle envahit toute la culture, Il est donc impossible de considérer l’une ou l’autre de ces formes comme une impureté.

Les cultures sur pomme de terre permettent de pousser la transformation encore plus loin, à condition, toujours, de se

132 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

servir de cultures d’origine ancienne : sur un fragment de pomme de terre ensemencé depuis quatre semaines, on ne trouve plus que des formes rondes. On peut suivre au microscope l’évolution des bacilles ; on les voit s’allonger et se diviser peu à peu en articles courts qui deviennent indépendants les uus des autres; si on ensemence des tubes de gélose avant que la transformation ne soit complète, et si on s’arrange de façon à obtenir des colonies séparées, on peut, à un moment donné, observer des colonies de formes rondes et des colonies de formes bacillaires.

En ensemençant séparément sur pomme de terre les deux bacilles que nous avons isolés précédemment, on les voit évoluer tous deux vers la forme ronde.

Les cultures issues des colonies provenant directement des nodosités, et conservées pendant huit mois, peuvent être rajeu- nies au bout de ce temps; elles montrent les mêmes transfor- mations. L’une de ces cultures m'a fourni une forme ronde et un bacille qui, ensemencés à part, ne fabriquent pas de mucosité; si on les associe, ils donnent des cultures tout à fait ty- piques.

Propriétés physiologiques des formes précédentes. Les propriétés physiologiques des microbes des nodosités ne sont pas plus stables que leurs caractères morphologiques. Le bacille des légumineuses, au moment on l’isole des tubercules, ne iquéfie pas la gélatine; les formes rondes qui en dérivent la Miquéfient très rapidement, les formes bacillaires très lentement; les microbes ne troublent pas la gélatine peptonisée; ils se réu- nissent au fond des tubes et forment un dépôt floconneux.

Leur action sur l’azote libre ou combiné est également inté- ressante. Pour l’étudier, jai eu recours aux deux formes extraites des cultures que j'ai conservées pendant huit mois sans les rajeunir; ces deux microbes sont très différenciés, et, de plus, lorsqu'on les associe, ils exercent l’un sur l’autre une influence très remarquable.

La forme bacillaire avait acquis spontanément, pendant la belle saison, la propriété de produire de la mucosité ; pour cette raison, j'ai fait deux séries d'expériences correspondant à deux états différents de ce microbe. J'ai adopté le dispositif que j'ai déjà utilisé plusieurs fois.

NODOSITÉS DES LEGUMINEUSES. 133

On a mis en expérience six ballons de culture renfermant chacun 50 c. c. de bouillon de haricots.

Le ballon no 4 a été ensemencé avec la forme ronde.

no 2 _ la forme bacillaire primitive ‘.

3 -— les deux formes précédentes.

4 la forme ronde.

5 la forme bacillaire active.

6 la forme ronde et la forme active.

Le tableau ci-dessous résume les résultats obtenus:

Cultures Durée des cult. S. initial Sucrefinal S.consommé Az. final Az.initial Azote gagné

no A4jours A500mgr 1{{Amgr 38Omer ABmer,8 A9mer, 3mer,7

2 14 id. 891 609 il id. 2,4 3 14 id. 797,9 625 21,7 id. + 2,2 4 29 1750 1578 172 169 154 + 0,8 5 25 id. 921 823 99 id. + 2,2 6 25 id. 1128 627 9,5 id. + 2,4

Les chiffres fournis par les 1, 2, 3, qui constituent la pre- mière série, sont très instructifs. Dans les deux premières cul- tures il s’est produit une déperdition d'azote; on est donc ici en présence de ferments de la matière azotée; ce caractère est d'au tant plus prononcé que l’on se rapproche davantage de la forme ronde. La consommation de saccharose est à peu près inverse- ment proportionnelle à la perte d’azote; celui-ci se dégage à l'état gazeux; des barboteurs à acide sulfurique convenablement placés sur le courant d’air ne retiennent pas de trace d'ammo- niaque.

Lorsque les deux formes microbiennes sont associées, les résultats sont bien différents; en 14 jours, dans un milieu trop riche en azote initial, il s’est produit un gain de 2,2 d'azote.

L’aspect des cultures concorde bien avec ces chiffres; les va- ses let 2 renferment un bouillon très fluide; les microbes forment un dépôt pulvérulent qui se réunit dans les parties les plus déclives du fond. Le contenu du 3 esttrès épais, très riche en mucosité.

Dans la deuxième série, le 4 a conservé safluidité jusqu’au

4. J’appelle forme bacillaire primitive celle qui ne produit pas de mucosité, tandis que l’expression forme active correspond à l’état sous lequel elle en donne.

134 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

20° jour. A partir de ce moment il est devenu visqueux ; ce chan- gement dans l'aspect de la culture a coïncidé avec l’évolution de la forme ronde vers la forme bacillaire. Lorsqu'on a mis fin- à cette expérience, les tubes de gélose ensemencés avec le con- tenu du ballon montraient au microscope deux bacilles mobiles, légèrement différenciés ; incapables de produire de la mucosité lorsqu'ils sont séparés, ils en élaborent lorsqu'ils sont associés. De plus, ces microbes ne provoquent plus de déperdition d’azote. Cette évolution vers la forme bacillaire active s’est faite sous l'influence d’une température favorable et d’une aération très active, car pendant ce temps, les formes conservées sur gélose ne se sont pas transformées. Il faut noter également l'influence de la composition du milieu de culture, très pauvre en azote com- biné et très riche en saccharose.

Les chiffres relatifs au gain d'azote correspondent assez exactement, dans les deux autres cultures, aux propriétés des microbes qu’elles renferment. Le 2 a consommé plus de sac- charose pour produire à peu près le même travail, l’association de deux formes exerce donc encore une influence sensible sur le résultat final.

À ces deux séries d'expériences correspondent deux séries d'inoculations faites sur des vesces de Narbonne ‘; les résultats obtenus dans cette voie reproduisent assez fidèlement ceux que l'analyse vient de fournir.

1. Cette légumineuse donne des nodosités 9 à 12 jours après l’inoculation. La graine est de la grosseur du pois le plus volumineux. Le testa, plus dur, permet de faire agir pius longtemps le sublimé et d'obtenir une stérilisation plus rigou- reuse sans s’exposer à endommager l'embryon.

Comme mes recherches ont nécessité l'emploi d'un grand nombre de plantes poussant dans des solutions nutritives stériles, je donnerai ici le mode opéra- toire auquel je me suis arrêté.

Pour la stérilisation, j'ai eu recours au procédé ordinaire qui consiste: en lavages préalables à l’eau stérile; 2 séjour d’un quart d’heure dans le sublimé acide au 1/100, en récipient stérile; 4 à 5 lavages à l'eau stérile en ballons sté- riles.

Les semences ainsi préparées sont réparties dans des tubes de 20 centimètres de longueur sur 2 de diamètre et remplis au 1/3 de leur hauteur d’eau distillée; ces tubes sont munis de deux tampons de coton; l’un, assez lâche, repose surl’eau dans laquelle il est immergé en partie; l’autre, plus serré, remplit le rôle ordi- naire des tampons de coton. Le tube ainsi préparé est stérilisé à 120°; pour met- tre la graine en germination, on la dépose avec une pince flambée sur le tampon de coton intérieur.

Au bout de 48 heures à la température de la chambre, en été, la racine sort ; elle traverse facilement le tampon de coton et va baigner dans l'eau distillée, pendant que la tige occupe le compartiment supérieur du tube; celle-ci peut

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 135

La forme ronde et la forme bacillaire inoculées séparément ne donnent pas de tubercules. Il n’y a rien sur les racines qui rappelle les formations de cette nature ; mais les bacilles culti- vent-dans le feutrage des poils absorbants ; ils forment ainsi une gaine persistante qui entoure le corps de la racine et la grossit beaucoup; on y trouve au microscope un bacille très fin, mobile, identique au point de vue de la forme à celui que l’on observe dans les jeunes nodosités à peine visibles à l’œil nu.

Ea fixant et en colorant la préparation, on voit, dans l’en- chevêtrement des poils absorbants, desfilaments fortement colo- rés ; en les décolorant modérément par l'alcool, on leur donne de la transparence et l’on peut distinguer nettement le bacille qu'ils renferment. La figure 6, PI. I, représente un de ces filaments muqueux à un grossissement de 100 D avec quelques fragments de poils absorbants ; ils sont identiques à ceux de la figure 4 de la même planche, et comme eux ils ne diffèrent que par le volume du pseudo-mycélium qu’on observe dans les jeunes nodosités.

Les racines des plantes rente avec. les deux formes microbiennes associées portent de très nombreuses nodosités ; celles-ci renferment des bacilles ramifiés ; elles sont aussi volumineuses que celles que produisent, dans les mêmes condi- tions, les microbes sortant de la pulpe des tubercules.

La seconde série d’inoculations a donné des résultats iden- tiques aux précédents ; celte fois, par conséquent, l'harmonie n’est pas si complète avec les indications de la chimie. La forme bacillaire active est encore impuissante à produire des nodosités.

Une question s'impose maintenant à la suite de toutes ces expériences qui se confirment mutuellement. Les microbes des

acquérir une longueur de 7 à 8 cm. et développer deux ou trois feuilles, étiolées naturellement.

Lorsqu'il y a contamination, la graine a apporté des germes qui sont surtout des spores de moisissures, de mucors principalement; les penicilliums et les aspergillus sont plus rares; les microbes constituent l’exception. S'il y a des im- puretés, la plante se développe mal et périt le plus souvent; dans les tubes sté- riles, l’eau reste parfaitement limpide et les racines sont d’un blanc d'ivoire, Lors- qu'on a bien choisi ses graines, la contamination n’attéint pas plus du 1/20 des plantes en germination.

Quand la tige a T à 8 centimètres de longueur, on transporte la jeune plante dans un récipient stérile muni d’une solution nutritive, en prenant toutes les pré- cautions pour opérer ce transfert d’une manière aseptique,

136 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

nodosités appartiennent-ils à deux espèces bacillaires, ou bien toutes ces formes résultent-elles d’une évolution graduelle d’une seule et même espèce ?

Il semble bien, par ce qui précède, qu'on se trouve en pré- sence de deux espèces. Rien ne permet d'affirmer que lorsqu'on part d’une colonie obtenue avecun microbe sortant d’une nodo- sité, on ne prend pas, à son insu, les deux espèces simultané- ment ; elle peuvent se confondre longtemps par leurs caractères morphologiques, puis se différencier sous l’influence des agents de transformation ; et ce n’est qu’au moment leurs caractères sont suffisamment distincts qu’on s’aperçoit qu'il y a en réalité deux espèces de formes et de propriétés bien tranchées, comme on l’a vu.

En observant attentivement le passage des formes rameuses des nodosités à la forme bacillaire des cultures, on remarque que les premières sont des colonies et non des individus. M. Franck avait déjà observé que chacune de ces formes met successive- ment en liberté plusieurs coccobacilles mobiles. Voici ce que j'ai vu à mon tour : les formes ramifiées des tubercules, trans- portées sur des tubes de gélose, se gonflent en une petite série de vésicules séparées par des étranglements qui prennent bien la couleur (fig. 4, PI. I). Les vésicules ne se colorent pas ; ce sont des vacuoles dilatées par les courants osmotiques dus au changement de milieu ; elles se résorbent ou éclatent ; les gra- nules protoplasmiques, mis en liberté, donnent naïssance à autant de bacilles mobiles. Nous devons donc considérer ces formes complexes comme des agrégats d'individus, et rien ne prouve a priori que ces colonies ne soient pas formées par deux espèces microbiennes.

Il est vrai que si nous regardons à l’autre extrémité de la chaîne que nous connaissons déjà, nous trouvons encore qu'elle se ferme par ia forme ronde qui serait également commune aux deux espèces.

Pour arriver à donner une solution nette de cette question, j'ai cherché dans une autre voie. J'ai transformé à la tempéra- ture de 35° des cultures d’origine très récente, par une série de réensemencements effectués toutes les 48 heures sur gélose acide. Ces cullures, conservées ensuite à la température de la chambre sur milieu alcalin, donnent, au bout de 15 jours,

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 137

deux sortes de colonies; les unes normales, les autres blanches, nacrées, luisantes; ensemencées séparément et portées brusque- ment sur gélose acide à la température de 35°, elles donnent les unes et les autres des formes ramifiées.

Inoculées séparément ou ensemble, elles produisent dans tous les cas, au bout de 12 à 15 jours, de nombreux tuber- cules radicaux. On ne peut plus admettre après tous ces pas- sages que chacune des colonies séparées dans la suite soit formée par deux germes d'espèces différentes. Il faut donc considérer toutes les variétés de microbes qui ont été examinées jusqu'ici comme des modifications d’une espèce unique.

Conclusions. La série de faits que je viens d’exposer entraîne un certain nombre de conclusions.

Ce qui frappe tout d’abord, c’est la variété des formes que l'on peut obtenir sur les milieux artificiels ; mais il faut se hâter d'ajouter que, dans l’intérieur même des nodosités, ils’ opère des transformations analogues.

Lorsqu'on examine le contenu de ces organes épuisés, on ne trouve plus que des formes bacillaires ou des formes rondes qui n’offrent aucune parenté apparente avec les microbes rami- fiés si caractéristiques des jeunes tubercules. M. Laurent les considère comme des formes saprophytes du sol attirées dans ces régions par l’abondance de la nourriture. Elles donnent, en effet, très rarement, des tubercules par inoculation et, de plus, leurs cultures ne présentent plus les caractères des bacilles ty- piques. Comme les expériences précédentes montrent que le microbe des nodosités peut perdre toutes les propriétés qu'on est convenu de regarder comme caractéristiques, on peut, en groupant les faits épars dans la première partie de ce travail, donner une interprétation des transformations qui ont leur siège dans les tubercules mêmes.

J'ai déjà montré comment se fait l'infection, comment naissent et disparaissent les tubes muqueux, et sous quelles influences les formes rameuses succèdent aux coccobaeilies. Si on reprend maintenant les tubercules à un âge plus avancé, on assiste à leur épuisement graduel par le retrait de la sève. Mais avec la disparition du liquide nourricier, l'acidité cesse égale- ment son action. Les microbes peuvent faire retour à la forme simple, et commeils ne reçoivent plus d'aliments tout préparés,

138 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ils s'adaptent aux nouvelles conditions d'existence qui leur sont faites. De ferments des matières hydrocarbonées, ils deviennent ferments des matières azotées, et, de fixateurs d'azote libre, ils deviennent consommateurs d'azote. Ils sont alors capables de vivre dans la terre à l’état de microbes saprophytes, et à partir de ce moment, ils se confondent avec la plupart des microorga- nismes qui la peuplent.

VII

LES MICROBES DES NODOSITÉS DANS LE SOL

Personne à ma connaissance n’a isolé directement le bacille des nodosités du sol. M. Laurent a observé des kystes dans les vieux tubercules; il n’a pas réussi à les faire germer; d’après lui ils persistent dans la terre et germent sur le passage des racines, à la faveur des actions chimiotaxiques exercées par les poils absorbants. Pour M. Nobbe, il existe dans le sol une forme neutre, capable de s’adapter à la longue à une espèce de légu- mineuses, et de donner ainsi des races susceptibles d’envahir plus particulièrement une espèce ou un genre déterminés.

Le chapitre précédent renferme des faits qui serontun guide précieux dans la recherche des formes libres du sol.

Pour orienter mes investigations, j'ai ensemencé une trace de délayure de terre sur une série de douze tubes. Parmi toutes les colonies que j'ai obtenues ainsi, aucune ne présentait les caractères du bacille des légumineuses. Ce résultat était prévu ; car au moment les débris de tubercules radicaux se disso- cient dans la terre, l’évolution des microbes est si avancée qu'il est, je le répète, impossible de les caractériser.

J’ai pris alors deux échantillons de terre; l’un À, à la surface ; l’autre B, à 20-95 centimètres de profondeur. Après en avoir dilué quelques décigrammes dans de l’eau stérile, j'ai introduit deux ou trois €, c. de chacune des délayures dans deux récipients végélaient, à l'abri des microbes, deux jeunes plants de vesce de Narbonne. En même temps, j'ai ensemencé deux séries de huit tubes de gélose avec les mêmes délayures.

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES, 139

Parmi ces tubes, j’en ai choisi deux (un dans chaque série), ceux qui renfermaient le plus de colonies microbiennes, tout en étant exempts de moisissures vulgaires, et, sans me soucier d'isoler les espèces, je les ai ensemencées toutes à la fois sur de nouveaux tubes, de façon à faire un grand nombre de passages. On devine aisément que cette opération a pour but de provoquer, par l'association des formes inégalement différenciées, une évolution rapide vers le stade caractéristique, De plus, il est bien évident que si le microbe qu'on se propose d'isoler se trouve dans les cultures, loin de succomber dans cette sélection forcée, il prendra plutôt le dessus sur les espèces antagonistes, puisqu'il se trouve dans les conditions les plus favorables à son dévelop- pement.

Au début de ces manipulations, les deux cultures A etB étaient constituées par une couche glaireuse, peu abondante, mais elles ont acquis au bout de quelques semaines un développement luxuriant.

A 35°, sur gélose acide, elles ne produisent pas de formes rameuses après 48 heures d’étuve. Si on les abandonne ensuite à la température de la chambre pendant 6 jours, on découvre au microscope, avec un peu de patience, quelques bourgeons bien caractérisés. D'autre part, l'aspect des cultures est assez encou- rageant, et si l'on ne peut pas affirmer déjà qu’elles renferment le microbe cherché, le doute n’est plus possible lorsque les nodo- sités se sont montrées sur les deux plantes inoculées.

La culture A présente un aspect variable suivant son âge. Durant les deux ou trois premiers jours, la gélose est couverte d'un enduit sec qui rappelle un peu l’aspect du subtilis, Vers le quatrième jour, la surface devient humide, et une mucosité pâteuse et grisâtre coule au fond des tubes lorsqu'on les main- tient debout.

Dans le mucus on ne distingue àu microscope qu'un bacille court, mobile, tandis qu'avant l'apparition de cette substance, on ne trouve pour ainsi dire que de gros filaments bactériens complètement sporulés.

La culture B ne présente pas le même aspect; la mucosité s y développe dès les premiers jours; elle est plus abondante que dans la culture A; elle est égaiement plus hyaline et plus épaisse; elle ne renferme que des bacilles et des formes rondes.

140 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Il s’agit maintenant d'isoler les espèces qui peuplent ces cul- tures, et d'y caractériser, si possible, le microbe des nodosités.

La culture À m'a fourni trois espèces : deux bactéries sporo- gènes et un bacille représenté sur six tubes par trois colonies; les colonies de bactéries sont beaucoup plus nombreuses; l’une d'elles, que j'appelle «4, présente un aspect particulier ; elle s'étend à la surface de la gélose, en donnant des arborescences tout à fait comparables à celles que l’eau congelée forme snr les vitres. L'autre bactérie donne des colonies riches et chagrinées,; elle n'oflre aucun intérêt.

Le bacille forme des colonies proéminentes, pâteuses, qui s’étalent en vieillissant ; je l'appelle b.

La culture B renferme un plus grand nombre d'espèces; je n’en ai conservé qu'une seule, €, un bacille très mobile assez semblable comme aspect au microbe des nodosités.

Les microbes a et b attirent l’attention par la régularité avec laquelle ils se succèdent dans la culture ; j’ai déjà dit que la bac- térie apparaît la première, envahit tout le tube, et donne des spores ; puis le bacille b se développe à son tour, et dans la cul- ture de huit jours, il semble qu’il soit seul; on ne trouve plus ni spores ni bactéries. En séparant les espèces contenues dans une culture âgée, afin d’être plus sûr d'obtenir les microbes pro- ducteurs de mucosité, je n’ai obtenu que 3 colonies de bacille b. Ceci m'a fait penser que la bactérie & doit présenter un stade bacillaire qui ne serait autre que 6.

Pour établir les relations qui existent entre ces deux formes, j'ai isolé à nouveau la bactérie & du sol. Rien n’est plus facile : cette bactérie est très répandue à la surface de la terre arable ; et comme elle se reconnaît facilement à son mode de développe- ment, on l’obtient à l’état de pureté au bout de sept ou huit jours. Voici comment : on prend un fragment de colonie, on le dépose au milieu d'un tube de gélose. En moins de 48 heures, la bac- térie s'est propagée à plus de 2 centimètres du point d’origine ; on détache un fragment périphérique qu’on dépose sur un autre tube. En répétant cette opération trois ou quatre fois, on est parfaitement sûr d’avoir éliminé toutes les impuretés. En culture pure, la bactérie « donne de longs filaments qui rayonnent en tout sens, se croisent et se groupent en faisceaux visibles à l'œil nu, légèrement proéminents etadhérant fortement

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. A4

à la gélose ; des filaments diffus et nuageux pénètrent dans le substratum et l’envahissent lentement. Au bout de 2# heures, les filaments les plus âgés renferment déjà des spores. Après 3 à 4 jours, ces spores germent en donnant naissance à des filaments analogues aux premiers, mais plus courts et plus gros, la culture revêt alors un aspect humide et se laisse détacher assez facileme.t de sa gélose. Cette seconde génération sporule très lentement à son tour, et les spores une fois formées se con- servent indéfiniment. Ce n’est pas le seul processus de reproduction que les formes courtes présentent. Au bout de quinze jours on voit poindre un peu partout de petites colonies laiteuses qui augmentent de volume ; elles sont fournies par un bacille court, noyé dans une mucosité abondante. Si on ense- mence une parcelle de ces colonies, on n’obtient que la forme bactérienne et le processus recommence.

On peut l'activer par la chaleur, par l'emploi des milieux acides placés à 35°, etaussi par la concurrence vitale, comme cela se passait dans la culture A.

Les formes courtes, avant de se résoudre en coccobacilles, pré- seutent dans chaque article une, deux ou trois condensations protoplasmiques, suivant la rapidité de la transformation. Ces granulations absorbent peu à peu la masse de Ja bactérie,et, une fois indépendantes, elles se reproduisent sur place en donnant des colonies laiteuses.

La fig. 9, PLIT, représente cette évolution, et la fig. 6, PL. F, reproduit les coccobacilles libres.

La forme bacillaire ne se fixe qu’à la longue,et c’est pour cela, précisément, que les colonies du bacille b étaient si rares alors qu’on s'attendait à n’obtenir qu’elles. Le bacille b est en effet le stade dissocié et mobile de la bactérie 4. En partant d’une culture pure de cette dernière, on arrive à obtenir en huit jours des cultures identiques comme aspect à celles que l'on obtient en ensemençant directement le bacille b. Dans les deux cas la mucosité est abondante, d’une couleur rosée quandelle estépaisse, et virant au rouge orangé par la dessiccation ‘.

4. Donnons en passant les caractères que présente la bactérie & sur quelques milieux de culture. Ce qui précède se rapporte à la gélose de haricots.

Sur gélose de viande, elle est beaucoup plus stable.

Dans les bouillons, elle forme des zooglées hyalines qui restent longtemps en suspension dans le liquide. Au bout de plusieurs semaines, elles se désagrègent

142 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Ceci étant établi, nos investigations se borneront désormais à identifier les deux bacilles b et c avec le microbe des nodosités. Tous deux produisent une mucosité abondante, légèrement lactescente avec b, et très hyaline avec c : le plus souvent, la muco- sité fabriquée par le bacille authentique est intermédiaire entre les deux. On sait en outre que celui-ci ne liqu‘fie pas la géla- tine, qu'il possède un stade ramifié qui apparaît dans des condi- tions déterminées, qu'il fixe de l’azote dans les milieux de cul- ture, et enfin qu'il produit des tubercules par inoculation aux légumineuses.

Voyons si les bacilles b et c possèdent ces propriétés.

Culture sur gélatine. b liquéfie la gélatine d’une facon irrégulière; si on l’ensemence en stries, il se développe une trainée grisâtre très proéminente; quelquefois des excavations se forment sur son trajet ; leurs bords sont taillés à pic, la li- quéfaclion ne se généralise jamais.

ec ne liquéfie pas la gélatine.

Formes ramifiées. L'action de la température de 35° est sans action sur les microbes betc:;ils s’y habituent très facile- ment, et se développent aussi abondamment et plus vite qu’à la température de la chambre.

Lorsqu'on fait usage, à 35°, de gélose additionnée de 1/1000 d'acide tartrique ou d’acide oxalique, le bacille b forme des filaments composés généralement de deux segments dont les extrémités paraissent vides et ne prennent pas la couleur. Pour observer les formes ramifiées, il faut examiner des cultures de 24 heures ; elles sont alors constituées par des colonies sèches, aplaties, très minces, comme de légères écailles ; elles renferment des bâtonnets enchevêtrés présentant souvent des renflements et des ramifications très nettes.

Au bout de 48 heures, les filaments commencent à se seg- menter en boules, et à partir de ce moment la mucosité se forme ; dans les cultures de 3 à 4 jours on ne trouve plus de formes longues et ramifiées.

et tombent au fond des récipients en formant un dépôt pulvérulent, renfermant des bacilles fins et des spores.

Elle liquéfie énergiquement la gélatine, et se comporte ensuite dans le liquide comme dans les bouillons,

Elle ne coagule pas le lait; elle se développe trés bien sur pomme de terre glycérinée, mais perd son aspect particulier : elle forme un épais enduit glaireux.

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 143

Le bacille s’est montré complètement réfractaire à cette transformation; j'ai fait une série de trente réensemencements successifs, d'abord toutes Les 24 heures, puis à huit heures d’in- tervalle ; à aucun moment il n’a présenté de formes rameuses ; J'ai arrosé des cultures âgées de huit heures avec quelques gouttes d'acide oxalique au 1/300; il n’en a pas trahi la moindre gène dans son développement.

Les microbes présentaient cependant des modifications assez prononcées vers le quinzième passage : quelques-uns avaient la forme de point d'exclamation ; leur contenu, d’une manière gé- nérale, était granuleux et vacuolaire. Le 15° passage a servi à ensemencer un tube de gélose alcaline; la culture a été conservée à la température de la chambre. Le 30° passage a été exposé à la température de 35° pendant 30 jours, puis ense- mencé sur milieu alcalin et conservé à la température de la chambre. Nous le retrouverons plus loin.

Fixation de l'azote libre. Pour étudier le pouvoir fixateur des bacilles b et c vis-à-vis de l’azote libre, j’ai employé la mé- thode habituelle. Le tableau suivant contient le résumé des résultats obtenus :

Désignation des cultures. Sucre initial. Sucre consommé. Az. init. Az. final, Az. gagné. mgr. mgr. mgr. mer. mer. No 1 (b) 1500 » 19,5 22,8 3,3 2 (c) id, » 19,5 25,5 6,0 3 (b) 1750 585 7,1 7,4 0,4 4 (c) id. 1376 7,1 10 2,9 5 (b+c) id. 1307 7,1 13,4 6,3

Les cultures 1 et 2 ont été beaucoup plus actives que les n' 3 et 4. L’explication se trouve peut-être dans la composition des bouillons; ce qui montre d’ailleurs que le second n’est pas favorable, c’est l'apparition des spores dans le 3. Par contre les deux formes associées doublent la quantité d'azote initial ; ceci prouve que les deux microbes s’influencent favorablement, à l'instar des formes différenciées des microbes des nodosités. L'aspect des cultures concorde bien avec ces résultats, d’après ce que l'on sait des relations de la mucosité avec l'azote gagné. Dans le vase 5, le bouillon est littéralement gélatinisé.

Inoculation des plantes. Jusqu'ici, il n’y a pas concordance complète entre les caractères du bacille et ceux du microbe

144 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

des nodosités: b seul répond à toutes les exigences; c possède à un haut degré la faculté de fixer l’azote libre, mais il ne pro- duit pas de formes rameuses. L’inoculation des plantes va tran-. cher la question.

J'ai inoculé les formes microbiennes suivantes en employant encore des vesces de Narbonne végétant en milieu stérile ;

Bactérie a ; bacille b ; bacille c;. a + b;: 5 a +c; 6°c+b. Les plants inoculés avec (c + b) seuls ont donné des résultats positifs, qui ont été confirmés immédiatement après par une nouvelle série d'expériences.

Si on rapproche ces résultats de ceux qu’on a obtenus avec les formes différenciées du bacille authentique, on saisit facile- ment l'harmonie qui existe entre eux; et comme on a déjà éta- bli que les variétés de microbes, étudiées dans le chapitre précé- dent, appartiennent à une espèce unique, on est en droit de conclure que les deux microbes b et « constituent aussi deux formes différentes des microbes des nodosités.

On connaît donc maintenant la forme de résistance de ce microbe: c’est la bactérie 4; mais, à côté de cette forme de résis- tance, il y en a d’autres qui vivent à l’état de liberté dans le sol, comme des microbes saprophytes; le bacille c est de ce nombre. Comme c’est lui qui se rapprochait le plus de la forme typique, parmi toutes les espèces qui peuplaient la cul- ture B, c’est à lui que j’ai donné la préférence dans mes démon- strations. Il se peut que toutes les autres espèces qui poussaient à côté de c soient distinctes du microbe des nodosités. Néan- moins il existait dans cette culture un ensemble d'espèces qui s’influençaient d’une manière favorable. Aucune des espèces associées ne donnait en culture pure un développement compa- rable à celui qu’atteignait la culture B, et le bacille c lui-même n'a fourni ce résuitat qu’à la suite d’un grand nombre de pas- sages sur gélose.

La bactérie « est un microbe immobile; elle est incapable d'obéir aux actions chimiotaxiques exercées par la racine des légumineuses; elle ne s'implante pas sur ces organes; ce sont les formes libres et mobiles seules qui produisent l'infection des plantes.

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 145

IX

LES MICROBES DES NODOSITÉS POSSÈDENT UNE FORME O0SPORA

J'ai montré comment la bactérie & passe au stade bacillaire b. J'ai insisté sur ce fait, que le bacille b ne se fixe que lentement; lorsque celui-ci affecte la forme ramifiée ou lorsque le microbe des nodosités subit les mêmes transformations, on assiste encore à un commencement d'évolution vers une forme ignorée. On ne peut pas dire que ces éléments ramilfiés représentent un stade de souffrance, puisqu'ils sont la règle dans les tubercules radicaux. Quelle peut être cette forme jusqu'ici purement hypothétique? Si on regarde les figures 2 et 3, PI. L et les figures 1 et 2, PL IT, on voit que les organismes qu’elles représentent offrent la plus grande analogie avec les fragments dissociés d’un mycélium âgé d’oospora; je n'ai pas réussi à conserver et à fixer ces formes dans mes cultures; mais elles se sont développées elles-mêmes spontanément dans la culture faite avec le 15° passage du bacille c, conservée à la température de la chambre (voir p. 143). Au bout de deux mois, cette culture, placée horizontalement, portait à la surface de la mucosité‘ quatre petits amas d’une poussière d’un gris cendré, accompagnés d’un grand nombre d'autres particules presque invisibles de la même substance, réparties surtout autour des taches principales.

Je n’aipas eu de peine à reconnaître la forme oospora avec son mode de sporulation en chapelets. Dans la masse de la mu- cosité, on trouvait un grand nombre de microbes en voie de transformation; les uns allongés seulement, les autres présen- tant déjà plusieurs rameaux et formant quelquefois des paquets enchevêtrés (fig. 10, PI. D.

En présence de ce résultat, qui m'a surpris, étant donné l'échec auquel je m'étais heurté, précisément avec le bacille €, dans la recherche des formes ramiliées, je me suis empressé de

1. Cette substance se dessèche très lentement; lorsqu'on ineline les tubes, elle s'étale uniformément sur la gélose et la protège contre la dessiccation, pendant cinq ou six mois, même dans les tubes fermés simplement au coton.

10

146 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

reprendre la culture de ce microbe sur milieux acides, mais cette fois à la température de 39-400, |

Dès le premier essai, j'ai obtenu en 24 heures un résultat comparable à celui que m'a fourni le bacille des légumineuses. La ramification devient générale au bout de deux ou trois pas- sages : les microbes ramifiés forment des amas zoogléiques qui se conservent assez longtemps dans la mucosité, mais ils dis- paraissent toujours; ils tranchent nettement sur le reste de la préparation, parce que les éléments qui les constituent sont plus gros, se cclorent mieux que les bacilles simples.

En somme, on voit que le bacille c possède aussi la faculté d'évoluer vers la forme oospora; mais on ne peut fixer celle-ci qu'à la condition d’épuiser complètement les générations suc- cessives qui prennent naissance dans une série de réensemence- ments répétés un très grand nombre de fois dans un temps très court, et dans les conditions les plus défavorables pour le stade que l’on veut transformer.

La culture issue du 30° passage n’a pas présenté ces transfor- mations. Elle avait été conservée, je le répète, pendant 30 jours à 390, sur milieu acide; la culture était déjà desséchée au mo- ment elle a été rajeunie.

La forme oospora, que j’ai obtenue ainsi, présente à peu près les caractères de l'espèce qui a été décrite dans ces Annales, t. VI, par MM. Sauvageau et Radais; elle pousse très bien sur gélose de bouillon de haricots neutre ou alcaline, additionnée de 3 0/0 de sucre, elle donne des conidies à partir du jour à la température de la chambre. Elle se cultive très bien sur gélose de viande peptonisée; mais, dans ces conditions, elle ne produit pas de spores. Elle se développe d’une façon luxuriante sur pomme de terre glycérinée, en donnant des spores à partir du 4 jour; la pomme de terre verdit d'abord, puis brunit.

L’oospora partage cette préférence marquée pour la pomme de terre glycérinée avec la bactérie a etles bacilles b et c; ceux- ci surtout produisent une couche glaireuse extrêmement épaisse et des dépôts très abondants:; le microbe retiré des nodo- sités est plus exigeant; il pousse mal sur pomme de terre ordi- naire etencore plus mal sur pomme de terre glycérinée.

La pomme de terre n’est pas d’ailleurs le seul milieu qui établisse une démarcation entre le bacille extrait de la plante et

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES, 147

les microbes b et « qui proviennent directement de la terre; le premier ne pousse pas sur gélose de viande peptonisée ni dans le bouillon de viande; tandis que b et ce s'y cultivent bien, sans toutefois produire de mucus; dans le bouillon, ils forment des voiles le microscope montre des formes ramifiées nom- breuses; secs et écailleux avec b, ces voiles sont plus gras avec c.

Nous devons maintenant identifier par un autre procédé la bactérie &, la forme oospora et la forme caractéristique des mi- crobes des nodosités, en les ramenant à trois microbes identiques, au point de vue de la forme et des propriétés physiologiques.

Le genre oospora renferme plusieurs espèces parasites. Sans rien préjuger des propriétés pathogènes de celle que j'ai obtenue, il est permis de supposer qu’elle pourra s’acclimater dans l’or- ganisme des animaux, surtout si on la met à l’abri des phago- cytes par le procédé de culture en sac préconisé par MM. Roux, Metchnikolif et Salimbeni (Annales de VI. P.t. XT).

Le microbe des nodosités, bien qu'’essentiellement aérobie, ne meurt pas vite, lorsqu'on le prive d’air; comme il peut, d’autre part, évoluer vers un stade saprophyte, il est permis d'espérer qu'il résistera également à ce procédé de culture. La bactérie «a supportera également cette épreuve en raison de son caractère exclusivement saprophyte.

Pour ménager autant que possible la transition entre la vie aérobie et la vie anaérobie, il suffira d’'alterner la culture en bouillon avec les passages dans le péritoine, qui ne devront pas durer plus de deux ou trois jours.

Les microbes des nodosités ont été cultivés dans le péritoine du lapin, la bactérie & ou le bacille b qui en provient directe- ment, et la forme oospora, dans celui du cobaye.

On a ensemencé le contenu de chaque sac dans du bouillon de haricots et de viande, et sur des tubes de gélose de même nature. Les cultures placées 24 heures à 35° étaient examinées au microscope avant de faire le passage suivant. Enfin, pour s'assurer que les sacs étaient demeurés intacts, on ensemençait un tube de gélose avec l’exsudat contenu dans la fausse membrane qui se forme autour du sac.

Le premier passage a duré 48 heures, À l'œil nu, il était mpossible de distinguer à l’aspect du bouillon le moindre développement dans les sacs.

148 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Le bacille b avait évolué vers la forme ramifiée, représentée dans la fig. 7, PI. IT.

Le microbe des nodosités présentait des formes renflées, des formes irrégulières dont quelques-unes ramifiées.

L'oospora, qui avait été ensemencé à l’état de mycélium!, est représenté par quelques fragments de tubes vides à côté desquels on observe quelques formes rondes groupées par deux.

Les milieux liquides ensemencés avec ces trois formes se troublent au bout de 24 heures. En goutte suspendue, on ne trouve qu'une forme à peu près ronde, isolée, ou groupée par deux, ou réunie en chaînes.

Les milieux solides présentent les mêmes microbes qui poussent assez abondamment. Au bout de trois semaines, la forme oospora apparaît, représentée par 3 colonies; le microbe des nodosités donne immédiatement quelques colonies de bac- téries a, reconnaissables à leur mode de développement si carac- téristique ; les filaments produisent des spores au bout de trois jours ; il y a donc eu un retour brusque vers le stade sporulé; cette transformation ne s’est jamais produite dans mes cultures ordinaires. Par contre, aucune colonie ne rappelle par son aspect celles du bacille typique.

Toutes ces formes de transition disparaissent au bout du troisième passage en sac, et, à partir de ce moment, les trois cul- tures sont identiques sur les mêmes milieux de culture, bien que les microbes aient passé par deux espèces animales et à des époques différentes.

La forme commune aux trois microbes est une forme ronde d’une finesse extrème; les grains ont un diamètre de 0,45 à 0,47y., ils sont isolés ou groupés par deux ou même réunis en petites chaînes.

Tous trois forment un enduit très mince sur les milieux solides, bleuâtre par transparence et gris par réflexion.

Ils troublent uniformément le bouillon, puis se déposent au bout de trois ou quatre jours en formant un amas visqueux qui s'élève en fils par l'agitation.

1. Les spores ne germent pas dans les sacs mêmes après un mois de séjour dans le péritoine. Si on les reprend dans le sac pour les ensemencer sur des tubes de gélose de viande, elles germent et donnent exclusivement des colonies

d’oospora qui produisent des spores au bout de huit à dix jours; on a vu qu'avant ce passage elles ne sporulaient pas sur ce milieu.

\

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 149

Ils liquéfient la gélatine sans la troubler.

Ils coagulent éuergiquement le lait; le coagulum se rétracte et se sépare du sérum.

Ils acidifient tous les bouillons sans dégagement de gaz, même dans les bouillons lactosés. Si on les additionne d’un peu de carbonate de chaux, les bulles se forment au bout de trois ou quatre heures.

La réaction acide des bouillons permet de pousser plus loin l'identification en déterminant la nature et la quantité des acides qui prennent naissance dans des milieux de compositon variable.

Voici les résultats obtenus avec trois bouillons différents :

BOUILLON DE VIANDÉ BOUILLON DE HARICOT BOUILLON DE HARICOT NATURE 1,5/100 de peptone. à 3/100 de lactose. à 3/100 de sucre.

|

lactique acétique formique

DES

MICROBES

Aciditè lactique acétique.

acétique. formique

2 2 L-1 = s = = 2 = 2 = = = L=] = L— = S <

Bacille des 0,05 nod.

Bacille b. 2,5 | 2,05 15 ids, #0 30 | 0,04 0.06

Oospora. DC 1 2 2 5 id. 0,34 |traces. ,27 |traces.

Comme on le voit, les trois microbes, placés dans les mêmes conditions, produisent les mêmes acides à peu près dans les mêmes proportions.

Propriétés pathogènes des trois formes microbiennes. Xci encore les résultats concordent. Les petits lapins de 1,000 grammes, ino- culés sous la peau ou dans le péritoine, meurent au bout d’un temps variant de 10 jours à 3 semaines. L’inoculation sous- cutanée est toujours suivie d’un abcès qui évolue lentement.

Le sang ne renferme jamais de microbes; on en trouve tou- jours dans l’exsudat péritonéal qui est assez abondant. Les cultures fournies par cet exsudat possèdent les mêmes carac- tères que les cultures qui ont servi aux inoculations.

Un lapin de 1,000 grammes, inoculé sous la peau avec 1 c.c. d’une culture en bouillon faite avec le contenu du premier sac

150 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ensemencé avec le microbe des nodosités, est mort au bout de 3 semaines. L’exsudat péritonéal, aspiré à l’aide d’une pipette à travers la paroi abdominale, ensemencé sur un tube de gélose, a donné une culture qui renferMait quelques colonies d’oospora à côté de colonies nombreuses dues à la forme ronde. Le con- tenu du même sac a déjà donné la bactérie 4: on a donc retrouvé, en partant du bacille authentique des légumineuses, les deux formes que l’on a déjà obtenues avec les microbes retirés du sol. Mais les stades sporogènes sont très instables dans les conditions nous avons opéré. Il faut les saisir au bon moment.

Ainsi, en résumé, les microbes des nodosités présentent une succession de générations alternantes qui rappellent assez exactement le mode de développement d’un grand nombre de végétaux et d'animaux inférieurs.

La bactérie a est répandue dans le sol, surtout à la surface; on la rencontre de préférence en hiver et au printemps; pour la forme oospora c’est l'inverse: celle-ci est très rare en hiver et très commune à la fin de l’été. C’est ainsi par exemple qu’au mois de septembre, sur un total de 169 colonies des différentes espèces microbiennes qui ont poussé sur six tubes de gélose de haricots ensemencés avec une trace de délayure de terre, j'ai compté une colonie de bactéries a, et 43 colonies appartenant à deux ou trois espèces d’oospora. Ce résultat, vérifié immédiate- ment après, avec des tubes de gélose de viande, s'est confirmé rigoureusement. Sans accorder à ces chiffres plus d'importance qu'ils n’en comportent, il est permis de dire toutefois que la succession des saisons exerce une certaine influence sur les formes sporogènes du microbe des nodosités. Les spores endo- gènes, plus résistantes aux intempéries, sont surtout communes en hiver, tandis que les conidies, qui constituent d'excellents agents de dissémination, se rencontrent principalement en été. C’est là, on le sait, une loi très générale chez les champignons microscopiques.

La réaction de Gram appliquée aux microbes des nodosités. La méthode de coloration de Gram est employée couramment pour caractériser les espèces microbiennes; elle ne s’applique pas aux différentes formes des microbes des nodosités. Ainsi, les microbes contenus dans les tubercules, colorés par le violet d'Ehrlich, et traités ensuite par la solution de Gram, ne se déco-

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 151

lorent pas complètement par l'alcool. Au bout de deux passages sur gélose, ils se décolorent complètement.

Le bacille b prend le Gram plus ou moins bien; le bacille c ne le prend pas; toutes les formes rondes le prennent, ainsi que quelques formes bacillaires cullivées sur pomme de terre, au moment elles évoluent vers la forme ronde; les autres bacilles différenciés ne le prennent pas. Les deux formes sporogènes le prennent.

Les formes ramifiées obtenues avec le bacille c le prennent également; cependant la décoloration est partielle; sur un même filament, les parties renflées restent colorées pendant que tout le reste se décolore.

Des deux formes bacillaires issues de la forme ronde, culture 3, tableau p. 133, l’une se décolore complètement, l’autre par- tiellement.

X

CONCLUSIONS GÉNÉRALES

Pour résumer les conclusions de ce travail, il nous suffira d'exposer brièvement l’histoire du bacille des légumineuses, telle que nous venons de l’établir.

Les formes libres du sol, attirées sur las racines des légumi- neuses par l'intermédiaire des hydrates de carbone diffusés dans la région des poils absorbants, pénètrent dans les tissus à l’état de coccobacilles, et provoquent la formation d’un méristème qui donne naissance aux tubercules.

Tant que les vaisseaux ne sont pas formés, ces coccobacilles restent englobés dans une matière glaireuse qui simule l'aspect d’un mycélium. Plus tard, lorsque la sève circule dans les tubercules, la mucosité est emportée Dans toutes les régions de la plante ; les bacilles sont alors exposés à l’action permanente des acides dissous dans le suc végétal ; ils réagissent contre cette influence en formant des ramifications. Le pseudo-mycé- lium ne constitue pas un organisme vivant, une forme de transition du microbe des nodosités ; les observations que nous avons faites dans le cours de ce travail (p. 6 et 135) confirment la conclusion que nous avons exposée (p. 13), ne peut pas

152: ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

retrouver ces tubes muqueux, ni dans la pulpe des nodosités broyées sur une lame, n1 dans les coupes colorées par les cou- leurs d’aniline ; il n’en serait pas de même si la forme d'infection” était la bactérie a ou la forme oospora, ces deux microorganismes résistant à tous les réactifs colorants aussi bien d’ailleurs qu'aux manipulations nécessitées par la préparation des inclusions pour les coupes en série.

Lorsque la plante arrive au terme de son évolution, Îles nodosités privées de sève et d'aliments se vident en partie ; elles ne renferment plus que des formes simples qui ne sont pas des formes banales du sol, mais des microbes issus du bacille typique, possédant des propriétés nouvelles et capables de vivre en liberté dans le sol.

La fixation de l’azote libre se fait dans les cultures artificielles aussi bien que dans les nodosités ; elle est comme ici le résultat d’une synthèse qui se fait aux dépens de l’énergie mise en jeu par la combustion des hydrates de carbone.

Toutes les formes si variées qui se rencontrent dans la nature peuvent s’obtenir dans les milieux artificiels en faisant agir convenablement l’action des acides et de la chaleur; les milieux peptonisés produisent les mêmes résultats ; on les obtient encore en exagérant la richesse en sucre ou en composés minéraux alimentaires.

Les bacilles récemment isolés des nodosités conservent la propriété de produire de nouveaux tubercules par inoculation ; les formes différenciées dans le sens de la vie saprophyte la perdent peu à peu; mais le travail qu'une seule de ces formes est incapable de produire, deux formes associées peuvent l’accomplir ; cette influence de l’association est tout à fait nette, aussi bien dans la production des nodosités sur les racines que dans la fixation de l’azote libre dans les cultures.

C’est évidemment grâce à cette propriété que les formes saprophytes du sol parviennent à se fixer sur les racines et à former des tubercules ; nous n’avons pas réussi à isoler de la terre un microbe capable par lui-même de produire des nodosités. On ne peut pas eninférer qu'il n’en existe pas à aucune époque de l’année; ceux que nous avons obtenus ont été isolés au commencement du printemps.

Les formes indépendantes des microbes des nodosités

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 153

représentent un stade dissocié d’un végétal qui possède en outre deux formes sporogènes ; l’une, la bactérie 4, donne des spores endogènes, l’autre est un oospora et donne des conidies. Ces deux derniers stades se rencontrent de préférence à la surface du sol; la bactérie & est très répandue en hiver, la forme oospora se rencontre surtout à la fin de l'été. Ce mode de développement pourrait bien être plus répandu dans le monde des microbes qu'on ne se l’imagine; l’évolution de ces êtres serait ainsi sem- blable à celle d’un grand nombre de végétaux et d'animaux infé- rieurs.

Le microbe des légumineuses est pathogène pour quelques espèces animales ; il affecte dans l’organisme une forme à peu près ronde d’un diamètre très réduit ; elle a une tendance à se mettre en chaîne.

154 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

EXPLICATION DES PLANCHES

PLANCHE I

Fig. 1. Microbes extraits de la pulpe des nodosités et transformés par un séjour de 24 heures sur gélose au bouillon de haricots à 3 0/0 de sucre. Une forme ramifiée donne naissance à plusieurs coccobacilles séparés par des vésicules qui se résorbent rapidement. Les vésicules se produisent sous l'influence des courants osmotiques provoqués par le changement d'habitat des microbes. G 1,200 D.

Fig. 2. Formes en poires obtenues sur gélose de viande peptonisée, les portions incolores représentent des vacuoles. G = 1,200 D.

Fig. 3. Formes ramifiées et renflées obtenues à 350 sur gélose acide; elles ressemblent aux formes dissociées des filaments âgés d’oospora.

1,200 D:

Fig. 4. Tubes muqueux formés dans une culture de bouillon de haricots à 6 0/0 de saccharose, traversant une portion de membrane. G = 1200 D.

Fig, 5. Les mêmes à un grossissement plus faible, 500 D environ.

Fig. 6. Tubes muqueux formés dans le feutrage des poils absorbants, obtenus avec un bacille qui ne donne plus de mucosité. L'intérieur de ce tube est rempli de coccobacilles comme le tube de la fig. 4.

Les filaments foncés sont des fragments de poils absorbants. G 100 D.

Fig. 7. Aspect d'une culture sur plaque de gélose de la bactérie, vue à l'œil nu.

Fig. 8. La même à un grossissement de 100 D. Toutes les bactéries sont transformées en spores. Fig.9. Forme courte de bactérie c se transformant en coccobacilles.

Ceux-ci restent disposés en files dans l’intérieur du filament qui se colore de plus en plus mal. Les coccobacilles se reproduisent et forment des zooglée enfermées dans une capsule commune.

Fig. 10. Culture du bacille a évoluant vers la forme oospora; les fila- ments n'ont pas encore donné de conidies.

PLANCHE II

Fig. 1. Forme ramifiée du bacille des nodosités obtenues sur gélose alcaline à 350. G 1,200 D. Fig. 2. Portion obtenue avec la même préparation, montrant les

NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 155

formes ramifiées groupées par l’évaporation du liquide sur la lame de verre G— 1,200 D.

Fig, 3 Formes ramifiées de la même culture se résolvant en bacilles. après un séjour de quelques heures en milieu liquide à 250. G = 1,200 D.

Fig. 4 Bactérie a. Culture âgée, sur pomme de terre glycérinée. G = 1,900 D.

Fig. 5. Spores de la bactérie & obtenues sur gélose au bouillon de haricot, G = 1,000 D.

Fig.6.— Bactérie a se transformant en coccobacilles. Culture diluée dans de l’eau distillée. G = 1,200 D.

Fig. 7. Formé ramifiée obtenue à 350 sur gélose acide avec le cocco- bacille issu de la bactérie. G = 1,200 D.

Fig.8. Fragment de colonie jeune d’oospora. G = 1,000 D.

Fig. 9. Forme commune à la bactérie a, au microbe des nodosités, et à la forme oospora, obtenue par des passages en sac de collodion dans le péritoine des animaux. G 1,200 D.

REVUES ET ANALYSES

QUE SAVONS-NOUS DE L'ORIGINE DES SACCHAROMYCES ?

Par M. Azs. KLocker ET H. SCHIONNING

(Travaux du laboratoire de Carlsberg, t. IV, 1896.)

Voici une analyse qui attend depuis longtemps sur le marbre, comme on dit dans les imprimeries. Elle a trait à une question sur laquelle les Annales sont souvent revenues, celle de l’origine des levures. Doit-on considérer ces levures comme formant une espèce indépendante, ou ont-elles une relation génétique avec quelque autre végétal microscopi- que auquel on pourrait les rattacher?

Nousavons, il ya deux ans, publié le résumé d’un travail de M. Juhler qui, répondant à cette question, faisait dériver la levure d’un asper- gillus qui sert de temps immémorial, au Japon, pour faire fermenter le riz, et auquel on à donné, à raison de ce fait, le nom d’aspergillus oryzæ. Semé dans certaines conditions, ce végétal donnerait des formes bourgeonnantes capables de produire une fermentation alcoolique.

Cette conclusion de Juhler, appuyée par Jorgensen et par Sorel, fut bientôt contestée par Wehmer, et par les auteurs du mémoire que nous analysons. Une polémique s’ensuivit, polémique dont le mémoire résume, non sans entrain, les diverses péripéties. Peut-être même met- il un peu trop d’insistance à reprocher aux savants qui se sont occupés de ce sujet leurs erreurs et leurs contradictions. Qui n’a pas commis d’erreurs? Et qu'importe du moment qu’elles sont redressées ? La science est une quêteuse à domicile : chaque jour elle fait le départ des pièces fausses qu’elle a reçues et ne garde nulle rancune à ceux de qui elle les tient, à la condition que ce ne soit pas chez eux une habitude. Quant aux contradictions, lorsqu'elles sont, chez un savant, le rem- placement d’un mauvais sou par un bon, au lieu de l’en gronder, elle doit lui en savoir gré.

Les détails de la polémique résumée par MM. Klôcker et Schiünning n’ont du reste plus qu'un intérêt historique et rétrospectif, et il suffira,

e

REVUES ET ANALYSES 157

pour ceux que la question intéresserait, d'emprunter au mémoire que j'analyse la bibliographie du sujet. Mais il est curieux d’envisager cette discussion au point de vue philosophique : on y voit combien les questions de fait s’embrouillent lorsqu'on les mélange de questions de mot.

Ici la question de fait était simple, relativement. Historiquement et scientifiquement, elle se posait de la façon suivante : Connaït-on un végétal microscopique capable de donner, dans certaines conditions d'existence, et à la suite de changements survenant dans la forme et dans les fonctions de quelques-uns de ses éléments, des cellules indéfi- niment bourgeonnantes, à la façon de la levure, et capables comme elle de produire des fermentations alcooliques.

Cette question, remarquons-le, estune question de fait, indépendante de toute classification. On la complique dès qu’on y introduit la bo- tanique. Hansen, par exemple, à été conduit par ses études soigneuses à attribuer une grande importance à la formation des spores dans les levures, et à séparer celles qui en donnent et qu’il appelle des saccharo- myces, de celles qui n’en donnent jamais, et qu'il appelle des non-sac- charomyces. C’est son droit, et cette division, intéressante au point de vue botanique, eût peut-être été utile si elle avait été acceptée par tous. Comme elle ne s’imposait pas, comme elle disloquait ce monde des levures, si intéressant au point de vue scientifique et industriel, en laissant parmi les saccharomyces authentiques les mycodermes du vin, incapables de produire une fermentationrégulière, et en rangeant parmi les non-saccharomyces la levure apiculée qui est une levure véritable, beaucoup de savants se sont cru le droit de dédaigner la spore comme moyen de classification, de continuer à appeler saccharomyces toutes les levures capables de produire une fermentation, de sorte que les savants se sont mis à parler deux langues différentes, et que la ques- tion de fait s’est compliquée d’une question de mots qui ne pouvait que l'obscurcir.

Toutes les discussions, même les plus confuses, finissent pourtant par s’éclaircir dès qu’on les aborde par l’expérience,c’est-à-dire dès qu’on revient aux faits. Naturellement on a cherché tout d’abord à faire dériver les levures des moisissures pourvues d’un mycélium, comme laspergillus orizæ. Ce qu’on cherchait était d'établir des tran- sitions, de faire dériver des levures de la transformation des filaments mycéliens, puis de faire dériver des mycéliums d’abord, des moisis- sures complètes ensuite, des ensemencements de levure.

C'est un des adversaires de la thèse de Juhler qui a le premier reussi à produire aux dépens d'une levure un mycélium typique. Hansen, en étudiant le saccharomyces Ludwigii, trouvé par Ludwig dans une exsudation muqueuse d’un chêne, a trouvé que cette levure

158 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

et un certain nombre d’autres peuvent donner des filaments cylin- driques et rameux qui en font de vrais mycéliums. Mais jamais la transformation n’est allée plus loin, et, réduit à ces termes, l'argument

était insuffisant pour démontrer une relation génétique entre la levure :

et un champignon supérieur.

Les preuves fournies par Juhler, Jürgensen, étaient de sens inverse. En ensemençant dans certaines conditions de l’aspergillus orizæ en semences pures, on voyait des filaments mycéliens devenir des levures, et Sorel avait ajouté que l’ensemencement de levures pures sur du riz cuit à la vapeur donnait de nouveau de l’aspergillus. MM. Klôcker et Schionning ont répété sous toutes leurs formes les essais précédents, avec la seule précaution de prendre des semences pures, et n’ont pu retrouver les mêmes faits. Il y a dans l’aspergillus orizæ, tel qu’il est fourni par l’industrie, une levure et un aspergillus; quand on les ensemence sur certains milieux, c'est l’aspergillus qui se développe seul. Sur d’autres, c’est la levure. Mais il n’y a aucune relation géné- lique entre l’un et l’autre.

Cette thèse est acceptée de tous les savants qui ont depuis étudié ce sujet. M. Kayser, qui l’a étudiée dans mon laboratoire de l’Institut agronomique, l’accepte aussi pleinement, et MM. Jürgensen et Juhler n’y contredisent plus.

MM. Klôcker et Schionning sont allés plus loin. Ils ont voulu voir si des levures ne pouvaient pas provenir de formes telles que le dematium, le cladosporium herbarum, dont la parenté avec les levures est soupconnée depuis longtemps. Ici la réponse est moins topique. En opérant purement, on n’ajamais vu naître de saccharomyces formant des endospores, quelle que fût la variété des conditions offertes au dematium : cultures pures en milieux divers, ou sur les fruits mûrs et non mûrs, en nature libre ou dans des serres. Des fruits qu’on met à l'abri des insectes ou des poussières extérieures, en les enfermant dans des vases, des flacons, des cages de verre, au moment ils ne sont pas encore mûrs, portent, à leur maturité, des dema- tium et des cladusporium en abondance, mais ne donnent pas de saccharomyces authentiques, de quelque façon qu'on les traite. Il y avait, au contraire, fréquemment des saccharomyces sur les fruits non enfermés.

Rappelons-nous ici que la question de savoir s'il y a des saccha- romyces vrais n'est intéressante qu'au point de vue de la classification. Mais la vraie question, importante au point de vue génétique, c’est s’il naît aux dépens des cellules de dematium on de cladosporium, de formes bourgeonnantes, sporifères ou non, capables de devenir des ferments alcooliques. Si, comme tout le doit faire croire, MM. Klüc- ker et Schionning suivent la classification de Hansen et appellent snc-

PPS EE PE

REVUES ET ANALYSES 159

charomyces les seules levures à endospores, ils ont répondu à la pre- mière question, mais non à la seconde.

Enfin, ils ont essayé, toujours sans sucéès, de provoquer des trans- formations de saccharomyces en champignons supérieurs, en les mettant, autant que possible, dans des conditions identiques à celles qui leur sont faites dans la nature. Tout ce travail, poursuivi avec un soin et une constance digne d’éloges, aboutit done à une conclusion négative, mais qui n’en est pas moins importante, c'est que les sac- charomyces doivent jusqu’à nouvel ordre être considérés comme des organismes indépendants.

Ducraux.

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Le Gérant : G. Masson.

Sceaux, Imprimerie E. Charaire.

19me ANNÉE MARS 1898 3.

ANNALES

DE

L'INSTITUT PASTEUR

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGEUTINÉE

Par M. CHaARrces NICOLLE

Chef du laboratoire de bactériologie de l’École de médecine de Rouen.

De nombreux travaux ont été déjà publiés sur l’agglutina- tion des microbes. La médecine, grâce à M. Widal, en a retiré une de ses méthodes de diagnostic les plus précieuses. Et cependant la nature intime du phénomène nous échappeencore.

Notre ignorance vient sans douteen grande partie de ce fait que la plupart des expérimentateurs qui ont cherché la solution de la question ont étudié soit les conditions de la réaction, soit le sérum actif, c’est-à-dire la substance agglutinante, et que, sauf de rares exceptions, ils ont laissé de côté la substance passive de l’agglutination, e’est-à-dire la substance agglutinée. Nous pensons que la connaissance de celle-ci pourra seule donner la clef du problème. C’est dans ce but que nous avons entrepris les quelques recherches dont l’exposé va suivre.

L'historique de nos connaissances sur la substance agglu- tinée sera court. Longtemps on s’est contenté d'étudier l’action” du sérum des animaux infectés ou immunisés sur les cultures de microbes vivants. Les microbes morts réagissent cependant aussi bien qu'eux. M. Bordet l'a montré le premier pour les vibrions cholériques tués par le chloroforme. Même constata- tion a été faite plus tard par MM. Widal et Sicard * sur les cul-

1. Borper, ces Annales, avril 1896, page 208. 2. Wipaz Er Sicanp, Bulletin de l'Académie de médecine, 29 septembre 1896; Société de biologie, séance du 30 janvier 1897. 11

162 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tures du bacille typhique tuées par la chaleur ou par l’addition de quelques gouttes de formol. M. Van de Velde a confirmé depuis ces résultats, et montré que le thymol, le chloroforme, l'acide phénique, l'éther, le bichlorure de mercure, ajoutés à dose antiseptique aux cultures du bacille d'Eberth, n’'empèchaient point leur agglutination par le sérum des malades atteints de fièvre typhoïde. On a même préconisé l'emploi de cultures mortes pour la pratique du séro-diagnostic lorsque l'éloignement d’un laboratoire ne permet point l’usage de cultures vivantes et récentes, loujours préférables.

La propriété qu'ont les microbes de s’agglutiner sous lac- tion du sérum actif n’est donc point une propriété vitale, puisque la mort ne la fait point disparaître.

Il fut ensuite démontré que la substance agglutinable pou- vait diffuser du corps du microbe dans le bouillon de culture. La preuve en fut donnée d’abord indirectement par MM. Widal et Sicard”, Lévy et Bruns *, qui firent naître la propriété agglu- tinante dans le sérum d'animaux inoculés avec des cultures filtrées de bacille typhique ; puis directement par M. R. Kraus', qui détermina la production d’amas dans les cultures filtrées de divers microorganismes.

Le travail de M. Kraus est le plus important de ceux que nous avons à passer en revue : il montre que le phénomène de l’agelulination ne nécessite point la présence des corps micro- biens, qu'il peut être facilement obtenu par l’action d’un sérum actif sur les cultures filtrées du vibrion cholérique, du bacille typhique et du bacille de la peste. Cette réaction est spécifique; elle n’est donnée par aucun autre sérum. Par contre, les cultures du bacille de la diphtérie ne s’agglutinent point sous l’action du sérum antidiphtérique.

M. Kraus ne dit pas avoir examiné au microscope le produit de l’agglutination ; il ne donne point de détails précis sur le degré des pouvoirs agglutinants des sérums employés par lui, pas plus que sur l’âge des cultures filtrées dont il s’est servi. Il serait injuste néanmoins de ne point reconnaître la valeur de

1. Vax DE VeLne, Académie royale de médecine de Belgique, 27 mars 4897. 2. Wipaz Et Sicarp, Ces Annales. 3. Lévy Er Bruns, Berliner klinische Wochenschrift, 1897, 23.

4. R. Kraus, A. Æ. Gesellschaft der Aerste in Wien, 30 April 1897; et Wiener klinische Wochenschrift, 42 August 1897, 32, page 736.

4

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 163

son travail. Nos recherches entreprises presque concurremment avec les siennes viennent les confirmer en grande partie.

Notons encore, pour être complet dans cet historique des travaux qui ont trait à la substance agglutinée, les premières observations de M. Gruber expliquant l’agglutination des mi- crobes par le gonflement de leur membrane d’enveloppe. Cette interprétation du phénomène n’a été soutenue depuis que par M. Roger ' à propos de l’agglutination de loïdium albicans. Enfin, M. Malvoz *, dans son article sur l’agglutination des mi- crobes par les substances chimiques, fait en passant quelques remarques qui concernent la substance agglutinée.

Nos recherches ont porté principalement sur trois microbes, le bacterium coli, le bacille typhique et le vibrion de Massaouah. Elles ont été conduites de la même manière pour chacun d’eux, et ont abouti à des résultats presque identiques. Aussi ne les exposerons-nous en détail que pour l’un d’eux, le bacterium coli, dont la substance agglutinée se prête un peu mieux à l'étude, pour des raisons que nous verrons plus loin.

LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE DU BACTERIUM COLI

Conditions des expériences et réaction de contrloe. La substance agglutinée d’un microbe (on pourrait dire tout aussi bien agglu- tinable) ne peut être mise en évidence que par l’action qu’a sur elle un sérum doué du pouvoir agglutinant. Nous devions donc tout d’abord nous procurer un sérum actif vis-à vis du bacterium coli. Nous l'avons obtenu facilement par l’inoculation répétée de cultures vivantes de 24 lieures, en bouillon de viande pepto- nisée, au lapin.

Les inoculations ont été faites sous la peau : les doses ont été de 1 à 2 centimètres cubes, à 5 à 10 jours d'intervalle. En un mois et demi l’animal a reçu 141 c. c. de culture; il a été sacrifié, et son sang recueilli aussitôt après la mort, par ponction dans l’oreil- lette droite. Nous avons obtenu ainsi par le repos quelques c. c. d’un sérum parfaitement limpide, dont la stérilité a été éprouvée

1. Rocer, Revue générale des sciences, 1896. 2. Mazvoz, Ces Annales, juillet 1897, page 582.

164 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

par le séjour à l'étuve pendant 48 heures, et qui nous a servi pour toutes nos expériences !,

L'échantillon de bacterium coli dont nous avons fait usage provient de l’Institut Pasteur, et a été entretenu dans notre labo- ratoire par des cultures successives depuis plus de deux ans.

Nous nous sommes assuré tout d’abord que notre sérum n'avait aucune action agglutinante sur les cultures de bacille typhique, baaille de la psittacose, vibrion de Massaouah, et d’un grand nombre de variétés de bacterium coli des eaux.

Notre bacterium colin’est sensible ni à l’action du sérum normal d'homme ou de lapin, ni à celle du sérum de lapins infectés avec des cultures de bacille typhique ou de vibrion de Massaouah.

Action du coli-sérum sur les cultures vivantes ou stérilisées de bacterium coli. Mensuration de son pouvoir agglutinant. Nous avons fait agir notre colisérum sur des cultures jeunes de bacte- rium coli et solution peptonisée. L'emploi de cette solution évite la production d’amas spontanés dans les cultures *. Lorsqu’à 10 gouttes d'une culture de 24 heures dans ce milieu, on ajoute 1 goutte de sérum, l’agglutination se produit instantanément.

Au microscope, les amas microbiens sont de dimensions très grandes : il n'existe pour ainsi dire aucun microbe isolé entre eux ; ceux qu'on y voit par exception sont toujours immobiles. Les corps des microbes formant ces amas sont comme fondus ensemble, très différents en cela des microbes qu'on rencontre dans les amas spontanés des cultures et qui sont en contact plus ou moins étroit, mais jamais confondus.

La mensuration du pouvoir agglutinant de notre sérum, pra- tiquésuivant la méthode de M. Widal, c’est-à-dire par le procédé extemporané, montre que son activité est de 1 pour 15,000; une goutte de sérum agglutine quinze mille gouttes de culture. À cette dilution, le phénomène demande généralement une demi-heure : à 1/5000, la réaction est presque instantanée.

Des cultures du même âge stérilisées soit par quelques gouttes de formol, soit par le chauffage à 58°, se montrent à peu près aussi sensibles à l’action du sérum que les cultures vivantes.

1. Ce même sérum nous sert, dans la pratique courante du laboratoire, à recon- naître les diverses variétés de Z. coli et de bacilles coliformes isolés des eaux,

2, C. Nicoue et A. Haripré, Sérodiagnostic de la fièvre typhoïde. Presse médi- cale, 25 juillet 1896.

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 165

Action du colisérum sur les cultures filtrées de bacterium coli. Afin de nous procurer des cultures de bacterium coli riche en sub- stance agglutinée, nous avons suivi à peu près la méthode indi- quée par Sanarelli pour la production de ses soi-disant toxines typhique et colique. Nous avons ensemencé notre bacterium coli dans du bouillon de viande peptonisé et glycériné à 1°/,; nous avons laissé notre culture un mois à l’étuve; elle a ensuite été distribuée dans des ballons qu'on a fermés à la lampe, portés pendant six jours une heure à 60 degrés, puis abandonnés deux mois à la température du laboratoire. Le produit ainsi obtenu, qui correspond à une macéralion de corps de microbes, a été ensuite filtré sur le filtre Chamberland. Il se présente sous l'aspect d’un liquide un peu foncé, sa réaction est fortement acide. Sa stérilité a été constatée en portant pendant 48 heures à l’étuve les flacons qui le contenaient.

Si, dans un tube à essai stérile, on met dix gouttes de ce bouillon filtré, puis qu’on y ajoute une goutte de notre colisérum et qu'on abandonne le tube à la température ordinaire du labo- ratoire, on ne note la production d'aucun phénomène pendant les heures qui suivent; le lendemain, parfois, il se montre un léger dépôt au fond du tube, mais il n’y faut point compter. A l’étuve 37°) au contraire, au bout d'un temps variable, rarement avant 4 à 5 heures, toujours après 15 à 20 heures, on constate à l'œil nu la présence de grains dans le liquide. Ces grains sont souvent réunis au fond du tube, mais la plus légère agitation les fait flotter dans le bouillon. Ils sont identiques comme aspect avec les grains formés par des microbes agglutinés: même coloration grisâtre, même légèreté, mème apparence floconneuse ; ils sont seulement d’un volume un peu moindre. C’est la réaction qui a été décrite pour la première fois par Kraus sur les cultures fil- trées de vibrions cholériques, puis constatée également par lui pour le bacille typhique et celui de la peste.

A l'examen microscopique, que Kraus n’a point pratiqué (et qu'il est indispensable de faire, nous verrons tout à l'heure pourquoi), on constate la présence d’amas plus petits certaine- ment que ceux qu’on obtiendrait par l’action de notre sérum à 1/10 sur des cultures de bacterium coli (ils sont énormes); mais d’un volume sensiblement égal à ceux que l’on constate dans la moyenne des cas, par l'addition d’une goutte de sérum de malade

166 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,

atteint de fièvre typhoïde à dix, à vingt gouttes de culture de bacille typhique. Ces amas sont absolument semblables à des amas microbiens ; 1 serait impossible, si l’on n'était prévenu, de les en distinguer. Ils sont brillants, irréguliers, comme composés de particules séparées, vaguement arrondies ou ovalaires, d'aspect granuleux, mais soudées et comme fondues entre elles. On jurerait qu’il s’agit de microbes accolés; et lorsqu'on à bien comparé ensemble un amas microbien et un amas de substance agglutinée, on a l'impression que, dans le premier cas, les microbes sont fondus entre eux par la coalescence de leur substance.

Entre ces amas de substance agglutinée, il en est de plus petits, quelquefois de si petits qu'on les dirait formés par la réunion de quelques unités microbiennes.

Pour bien étudier ces détails, il suffit de se servir du dia- phragme ; il est inutile de pratiquer une coloration. La substance agglutinée se laisse cependant facilement teindre par les solu- tions colorantes employées ordinairement dans les laboratoires (fuchsine de Ziehl étendue, surtout). L'aspect est le même; mais la coloration est plutôt nuisible qu'utile. La matière agglutinée ne se colore point par la méthode de Gram.

La production d’amas dans les cultures glycérinées filtrées est un phénomène des plus nets ; il importe cependant de signa- ler une cause d'erreur due à ce que, parfois, dans le four à flamber, le coton qui ferme les tubes se carbonise en partie; il se forme alors dans l’intérieur du tube un léger dépôt de particules carbonisées qui, lorsqu'on y verse le liquide à examiner, donnent lieu à la production de petits amas. Il faut, par conséquent, ne se servir que de tubes irréprochablement propres, et toujours pratiquer l'examen microscopique qui ne permet point la moindre confusion entre ces faux amas et les vrais.

Cette réaction est absolument spécifique : la culture filtrée mise à l’étuve sans addition de colisérum reste limpide; on n’observe point non plus la formation d’amas en remplaçant le colisérum par un des sérums suivants : sérum de lapin normal, de lapin infecté avec le bacille typhique ou le vibrion de Massaouah, sérums d'individus divers atteints ou non de fièvre typhoïde,

et adressés au laboratoire pour la recherche de la réaction de Widal.

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 167

La production d’amas demande dans ces conditions généra- lement 15 à 20 heures. On peut la mettre en évidence d’une façon plus rapide et plus frappante, en ajoutant au liquide filtré une substance solide insoluble à l’état de fractionnement infini- tésimal, des cultures d’un autre microbe par exemple, et en faisant l’essai avec notre sérum non à l’étuve, ce qui serait impossible à cause du développement probable du microbe ajouté, mais à la température ordinaire du laboratoire.

L'expérience réussit parfaitement. On peut, soit ensemencer le bouillon glycériné filtré de bacterium coli avec un autre mi- crobe (bacille typhique, bacille de la psittacose, proteus) en y ajoutant, si l’on veut (cela est préférable), un peu de bouillon neuf, puis après quelques heures de séjour à l’étuve, alors que la culture devient apparente, faire agir dessus le colisérum; soit faire un mélange extemporané à parties égales du bouillon filtré et de la culture du microbe choisi, puis y ajouter le sérum, toujours dans la proportion de 1/10. Dans ces conditions, en une demi-heure généralement, quelquefois plus vite, l’aggluti- nation est visible à l'œil nu; les grains sont légers, floconneux; au bout de quelques heures ils se déposent au fond du tube, la clarification est complète. Au microscope, on voit que les mi- crobes ajoutés sont agglutinés en amas; s’il s’agit d’un microbe mobile, il est immobilisé. Si l’on a fait choix du bacille typhique ou du baaille de la psitlacose, identiques au point de vue mor- phologique au bacterium coli, les amas qu'ils forment ne sauraient être distingués de ceux que formeraient dans des conditions identiques les bactéries du colon. On remarque tou- jours le même aspect de fusion des corps microbiens entre eux, Il semble que les microbes ajoutés aient été comme collés par la substance agglutinée du bacterium coli, et il est impossible au microscope de distinguer dans ces amas ce qui est le microbe étranger et ce qui est la substance agglutinée du bacterium coli,

Voici le résumé de quelques-unes de ces expériences, qui ont toutes été répétées un grand nombre de fois, en raison même de la singularité du phénomène.

{. Nous avons noté dans nos expériences que le B. coti ne pousse point dans son bouillon de macération filtré; le bacille de la psittacose y pousse très bien et très vite (5 heures); ls bacille typhique, le proteus y poussent peu et lentement.

Si on ajoute à ce produit une quantité égale de bouillon neuf, ces trois microbes et le B. coli lui-même s’y développent abondamment,

168 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Bouillon glycériné filtré de B. coli et bouillon neuf à parties égales, ensemencés avec du bacille typhique. Le mélange est laissé 20 heures à l'étuve, puis additionné de colisérum à 1/10. Au bout de quelques minutes l'agglutination devient nette à l'œil nu. Contrôle au microscope.

Même expérience avec le proteus, avec le bacille de la psittacose : pour ce dernier les résultats sont un peu moins nets.

Mélange extemporané à parties égales d’une culture de 24 heures de bacille typhique et du bouillon glycériné filtré de B. coli. Addition de coli- sérum à 1/10. Agglutination rapide; clarification complète en 24 heures.

Contrôle au microscope.

Même mélange mis pendant 1 heure à l’étuve avant l'addition du sérum. Réaction identique, pas plus marquée.

Même expérience avec le proteus et le bacille de la psittacose; formation d’amas, toujours plus lente avec ce dernier.

Mêmes résultats avec des cultures mortes de ces microbes ajoutées au bouillon filtré.

Il est à noter que le bacille typhique, qui a ainsi acquis la propriété d'emprunt de s’agglutiner sous l'influence du colisérum, est resté tout aussi sensible vis-à-vis du sérum typhique qu’un échantillon neuf.

Il n’est point nécessaire, pour mettre en évidence ce phéno- mène, d'employer des corps de microbes vivants ou morts : on peut les remplacer par une substance inorganique en poussière très fine, du talc par exemple. Pour faire cette expérience, à quelques c. c. de bouillon glycériné filtré de B. coli, on ajoute une pincée de poudre de tale, on agite, on laisse quel- ques instants en contact, et on filtre sur du papier. Le mélange filtré présente absolument l'aspect d’une culture peu abondante de bacille typhique ou de B. coh : même trouble général, mêmes ondes soyeuses par agitation. Au microscope, les particules de talc sont visibles sous forme de petits corpsirréguliers, brillants, bien isolés les uns des autres. Si, à ce liquide, on ajoute du colisérum à la dose &e 1/10, l’agglutination se montre à la tempé- rature ordinaire en 1/2 heure à 3/4 d'heure; il est complet et le liquide clarifié par le dépôt des amas en 24 heures. Au micros- cope, les particules de talc se montrent agelomérées en îlots de volume irrégulier, il n’existe plus pour ainsi dire de particules isolées entre eux. C’est à peine si, avec attention, on peut dis- tinguer qu'il ne s’agit point d’amas microbiens.

Le bouillon filtré contenant du talc non additionné de sérum, abondonné à lui-même, ne donne jamais d’amas à l’œil nu ou au

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE, 169

microscope; au bout d’un certain temps le tale se dépose sur les parois et au fond du tube, sous forme d’une couche fine et pulvérulente que l'agitation ne parvient point à en détacher. Les amas déterminés par l'addition du colisérum sont au contraire bien séparés les uns des autres, légers et flottants dans le liquide dès qu'on agite le tube.

L'addition de sérums autres que notre colisérum n’a jamais donné lieu à la production de ce phénomène.

Si curieuse que soit cette réaction, elle ne saurait comporter d'application pratique ; lorsqu'on voudra rechercher si un sérum fournit des propriétés agglutinantes vis-à-vis du B. coli, il sera _ préférable de s'adresser à des cultures vivantes et récentes.

Le bouillon glycériné filtré qui nous a servi dans ces expé- riences était acide, avons-nous dit, et représentait le produit d’une macération prolongée de corps de microbes. Nous avons recher- ché si dans un bouillon de culture de réaction alcaline l’aggluti- nation pouvait également être mise en évidence. Nous avons préparé à cet effet un bouillon de viande peptonisée légèrement alcalin, que nous avons ensemencé avec une culture de B, coli, laissée à l’étuve un mois, puis filtrée. Les expériences précédentes répélées avec ce liquide ont donné des résultats comparables à ceux obtenus avec le bouillon glycériné filtré. Voici le tableau résumé des trois expériences les plus typiques. La stérilité du produit filtré avait été préalablement vérifiée.

Bouillon alcalin filtré, d’un mois, additionné d’ure goutte pour dix de coli- sérum, puis mis à l’étuve pendant 24 heures. Au bout de ce temps, présence de grains abondants dans le liquide. Contrôle au microscope.

Mélange du même liquide filtré à parties égales avec une cullure de 24 heures en bouillon de bacille typhique, additionnée d’une goutte pour dix de colisérum agglutination nette à la température du laboratoire en une heure, clarification totale en 24 heures Contrôle au microscope.

Même liquide avec poudre de tale, traité par le sérum à 1/10. Mêmes résultats.

Ces expériences nous ayant montré la présence constante de la substance agglutinée dans des cultures anciennes, quelle qu’en soit la réaction, nous nous sommes demandé si cette substance existait également en quantité appréciable dans des cultures plus jeunes. A cet effet, une culture de B, coli en bouillon de viande peptonisé légèrement alcalin a été faite, puis filtrée au bout de

170 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

48 heures de séjour à l’étuve. Voici quels ont été les résultats des principales expériences faites avec ce produit :

La

Bouillon alcalin filtré de 48 heures, additionné d’une goutte pour dix de colisérum laissé à l’étuve 24 heures. Présence d'amas douteux à l'œil nu; au microscope res amas se montrent très nombreux, mais bien plus petits que ceux obtenus avec des cultures plus vieilles.

Bouillon alealin de 48 heures mélangé à parties égales avec une culture de bacille typhique de 24 heures, puis additionné d’une goutte pour dix de colisérum agglutination nette à l'œil nu en une heure à la température du laboratoire. Contrôle au microscope.

Les cultures filtrées de B. coli, anciennes ou récentes, alca- lines ou acides, contiennent donc une substance spécifique qu'ag- glutine et rend visible le colisérum. L’agglutination est d'autant plus rapide et plus marquée que culture filtrée est plus ancienne.

Action du colisérum sur les corps de microbes lavés. En pré- sence de ces résultats, il était indiqué de rechercher si des corps de microbes lavés assez longtemps dans l’eau distillée, pour qu'on püt être sûr que tout le liquide dans lequel ils s'étaient développés fût enlevé, se laissaient encore agglutiner par le colisérum. Malvoz ayant lavé longtemps à l’eau des corps de microbes (il opérait sur le bacille typhique) vit que ces bacilles s'agelutinaient moins bien. Cet auteur n'indique point quel était l’âge de ses cultures. Or, c’est le point important. Les corps de microbes lavés réagissent d’une façon tout à fait différente suivant qu’ils proviennent d’une culture jeune ou ancienne.

Pour nous procurer de ces microbes lavés, nous avons filtré sur filtre Chamberland des cultures en bouillon ordinaire de B. coli d’âges différents, puis nous avons fait passer sur le filtre une quantité d’eau distillée égale à 10 fois la quantité de bouil- lon filtré. On raclait ensuite la bougie, et les corps de microbes ainsi obtenus étaient émuisionnés dans de l’eau distillée. Voici les résultats donnés par l'addition du colisérum à 1/10 à ces émulsions :

Les corps de microbes provenant de cultures jeunes (2 à 3 jours) s'agglutinent à peu près aussi vite que le feraient des cul- tures ordinaires. Les corps de microbes provenant de cultures âgées (25 à 30 jours) ne s'agglutinent plus ou bien le font qu'avec une extrême lenteur. La raison de cette différence nous

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 171

est révélée parl’examen microscopique de ces corps de microbes. Ceux qui proviennent de cultures jeunes sont presque tous bien vivants et mobiles, ceux qui viennent des cultures âgées sont désagrégés, déformés, morts pour la plupart; quelques-uns seulement ont conservé leur forme et quelques mouvements lents.

Action du colisérum sur le liquide de macération filtré des corps de microbes. En faisant macérer dans de l’eau distillée à basse température des corps de microbes lavés, provenant de cultures jeunes, puis en filtrant le produit, on obtient un liquide clair qui s’agglutine légèrement par l'addition de colisérum à 1/10.

De tout ce qui précède nous pouvons déjà conclure que le corps du B. coli, vivant ou mort, contient une substance agglu- tinable qui diffuse peu à peu dans le bouillon de culture, et que l’addition de colisérum précipite sous forme d’amas, abso- lument comme elle précipiterail le baclerium coli en cultures. La production de cette substance paraît liée à la désagrégation des corps de microbes ; elle est d'autant plus abondante dans le liquide que la culture est plus vieille et par conséquent les microbes plus dégénérés.

Présence constante de la substance agglutinée dans les cultures du B. coli, quelles que soient les conditions de cette culture et le milieu employé. Nous nous sommes demandé si cette substance agglu- tinée du B. coli se rencontrait d’une façon constante dans les cultures de ce microbe et s’il n’était point possible, en variant les conditions de la culture et le milieu lui-même, d'obtenir des bactéries du colon légitimes, bien vivantes, ne contenant plus cette substance, et par conséquentne s'agglutinant plus. On comprend la portée très grande qu’aurait eu une pareille consta- tation.

Nous avons cultivé le B. coli sur un très grand nombre de milieux naturels ou artificiels : bouillon de viande avec ou sans peptone, solution peptonisée, solution de syntonine, bouillon phéniqué, gélose ou gélatine peptonisées avec ou sans viande, gélatine sans peptone, pomme de terre, milieu d’'Elsner, milieux artificiels de Péré’; milieu d'Uschinsky modifié par Fran-

1. Les milieux de Péré essayés ont été : milieu À : lactate d'ammoniaque 20; phosphate de potasse 2,5; phosphate de soude 2, 5 ; sulfate de magnésie, 1, 95; Chlorure de sodium 1, 5; Eau 1 000 Ze même milieu avec de la dextrine à la

172 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR.

kel”, milieu de Calpaldi et Proskauer ?. Sur tous ces milieux, le B. coli a poussé plus ou moins abondamment suivant les cas, et dans toutes les cultures il s’est agglutiné presque instantanément par l'addition du colisérum. Les cultures en solution de syn- tonine, (parapeptone) et sur gélatine à l’eau (sans peptone et sans viande) ont seules demandé quelques instants avant de s’aggelu- üner, et il est à remarquer que ces cultures létaient remarqua- blement pauvres; or, les microbes s’agglutinent tous d'autant plus rapidement que leur culture est plus abondante.

Nous avons également recherché l'influence que pouvait avoir la température à laquelle la culture est faite. Cette influence est nulle. Le B. coli cultivé à la température ordinaire du laboratoire ou à l’étuve à 42 s’agglutine aussi bien que celui qui s’est développé à 37° (en tenant compte toujours de l’abondance de la cuiture).

Les cultures anaérobies se montrentaussi sensibles que celles faites en présence de l’air.

En résumé, toutes les fois que le B. coli pousse sur un milieu de culture, il est sensible à l’action du colisérum. La substance agglutinée paraît donc faire partie intégrante du microbe.

Actions de quelques agents physiques et chimiques sur la substance agglutinée du B. coli. I était intéressant de rechercher quelle action pouvaient avoir sur la substance agglutinée divers agents physiques et chimiques.

Chaleur. Nous avons d’abord étudié l’action de Ja chaleur. Des cultures de B. coli de 24 heures, en bouillon de viande légèrement alcalin, ont été portées pendant vingt minutes à des températures variant de 10 en 10 degrés, depuis 60° jus- qu'à 1400. Les résultats ont été les suivants. A 60°, 70°, 80°, l’agglutination se produit presque instantanément après addi- tion du colisérum; à 90° et 100° il est encore très rapide; à 115°, 1209, 130°il ne se montre qu’au bout de quelques minutes ; à 1400 il faut attendre 3/4 d'heure avant de le constater. Nous place du lactate d’ammoniaque. Milieu B. : lactate de soude 20; phosphate double d’ammoniaque et de soude ; sulfate d’ammoniaque 2 ; phosphate de potasse neutre 1; sulfate de magnésie 1; chlorure de sodium {; eau 4 000 Ze méme avec de la dextrine à la place du lactate de soude.

1. Formule de ce milieu : eau 1 000; chlorure de sodium 5; biphosphate de potasse 2 ; asparagine 4; lactate d'ammoniaque 6.

2. Formule : Eau 100; asparagine 0, 2; mannite 0, 02; sulfate de magnésie 0, 01 ;chlorure de calcium 0, 02; phosphate de potasse 0,02; chlorure de sodium 0,02.

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 173

n'avons point cherché l’action de températures plus hautes. A partir de 120°, le bouillon se trouble à l’autoclave et fonce; il s’y forme des flocons abondants 140° ils sont en quantité particulièrement grande), on s’en débarrasse avant d'ajouter le sérum en filtrant la culture sur un papier à filtre épais.

Ilest indispensable de rechercher la réaction agglutinante sur les cultures chauffées aussitôt que possible après leur exposition à la chaleur: si l’on attendait quelques jours, la réaction serait bien plus lente à se produire, probablement parce que la substance agglutinable tend à quitter le corps des microbes désagrégés par la chaleur et à se répandre dans le liquide.

Des corps de microbes provenant d’une culture jeune, émul- sionnés dans de l’eau distillée et exposés ensuite à des tempéra- tures variées, se comportent exactement comme les cultures. A 1409, l’agglutination est peut-être encore plus tardive, mais elle se montre d'une façon constante. Nous avions fait ces expé- riences dans le but de rechercher si la réaction ou la nature du milieu de culture pouvaient avoir une action sur la résistance de la subtance agglutinée à la chaleur.

Les cultures en bouillon filtrées se comportent de même. Nous avons exposé vingt minutes à 115° des tubes contenant notre bouillon glycériné filtré. Le mélange de dix gouttes de ce liquide filtré avec une goutte de colisérum mis à l’étuve pendant vingt-quatre heures s’agglutine à peu près aussi nettement que si le bouillon glycériné n'avait pas été chauffé. La même expérience répétée avec du talc donne une agglutination nette en une heure à la température ordinaire, et une clarification complète en vingt-quatre heures. Mème résultat avec un mélange de bouillon glycériné filtré et chauffé, el d’une culture de bacille typhique de vingt-quatre heures. La substance agglu- tinée du B. coli est donc très résistante à la chaleur.

20 Froid. Dans un mélange refrigérant nous avons placé de petits tubes contenant une culture en bouillon peptonisé de bacterium coli et des corps jeunes de microbes en émulsion dans l’eau distillée. La température, de 6°, a été main- tenue 5 heures environ. Le bouillon ne s’est point congelé, l’émulsion de microbes a rapidement fait prise. L’addition d’une goutte de sérum à dix de bouillon donne une agglutination

174 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

immédiate; la réaction est un peu plus lente avec l’émulsion de microbes.

Insolation. Une culture en solution de peptone de bacte- rium coli exposée deux heures au soleil (de 11 heures à 1 heure, en décembre) donne une agglutination immédiate par l'addition de sérum.

Dessiccation. Une culture est filtrée sur papier à filtrer épais qui retient à sa surface une bonne partie des corps de microbes. Le papier est séché à l’étuve à 37°, puis abandonné huit jours à la température du laboratoire. Il est ensuite mis à macérer dans de l’eau distillée : le liquide de macération est fil- tré sur papier (pour le débarrasser des particules en suspension nombreuses) ; il s’agglutine rapidement par le sérum à 1/10.

Bo Age de la culture. Une culture de bacterium coli sur pomme de terre, de plus de deux ans d'âge et morte, retrouvée dans un coin du laboratoire, présente encore à sa partie infé- rieure quelques gouttes d’eau tenant en suspension un grand nombre de corps de microbes désagrégés. L’addition d’une goutte de colisérum à dix gouttes de ce liquide épais en provc- que l’agglutination presque immédiate.

Substances chimiques. De ces diverses expériences on peut conclure que la substance agglutinable du B. coli est très résistante aux divers agents physiques. On sait déjà que l'addi- tion de certaines substances antiseptiques ne gêne en rien l'agglutination des cultures du bacille typhique : formol, chloro- forme, thymol, etc. Nous nous sommes assurés qu’il en était de même pour le bacterium coli. Par contre, un certain nombre de corps chimiques précipitent les cultures de ces microbes. M. Malvoz les a étudiés en détail; comme il n’est nullement démontré que la substance précipitée dans ce cas soit identique à la substance qu’agglutine le sérum, nous avons laissé de côté ce point de la question.

Solubilité de la substance agglutinée du bacterium coli dans l’eau, l'alcool absolu, l'éther. La substance agglutinée du B. coh est soluble, cela ressort des expériences que nous avons décrites plus haut, dans le bouillon alcalin neutre ou acide et dans l’eau. Nous avons recherché si elle était soluble dans l’alcool absolu et l’éther. Dans ce but nous avons filtré sur papier à filtre épais des cultures jeunes de bacterium coli. Le papier

Lu st amis

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 175

x

à filtre a été ensuite séché pendant quelques heures à l’étuve à 31°, puis découpé en petits morceaux que nous avons laissé macérer quarante-huit heures les uns dans l'alcool absolu, les autres dans l’éther. Le liquide de macération a ensuite été décanté : les couches superlicielles ont été distribuées dans de petits tubes bouchés, qui ont été placés dans un centrifuseur pendant 5 heures, de manière à débarrasser le liquide des pro- duits solides (corps de microbes et autres) qui auraient pu y persister. Les couches supérieures de ce liquide ont ensuite été transvasées et mises à évaporer dans une étuve à 20°. Le léger dépôt laissé par l’évaporation a été dissous dans du bouillon faiblement alcalin et celui-ci filtré sur papier : nous. avons obtenu ainsi un liquide tout à fait clair auquel nous avons ajouté notre sérum actif à la dose de 1/10. Les tubes le mélange avait été fait ont été abandonnés à une basse tempé- rature pendant quarante-huit heures (leur non stérilité empè- chait de les mettre à l’étuve). Au bout de ce temps des amas très nets étaient apparus dans le bouillon. Examinés au micros- cope, ces amas se montrent identiques à ceux observés avec des cultures simplement filtrées et très analogues aussi à des amas microbiens.

La solubilité paraît égale dans lalcool absolu et l’éther.

Apparition du pouvoir agglutinant dans le sérum d'un animal sous l'influence des injections de substance agglutinée. MM. Widal et Sicard, puis Levy et Bruns, ont montré les premiers qu’en inoculant aux animaux des cultures stérilisées ou fillrées de bacille typhique, on déterminait l'apparition de la propriété agglulinante dans leur sérum: ce pouvoir agglutinant se montre plus lentement et toujours à un degré plus faible que lorsqu'on inocule à ces animaux des cultures vivantes.

Nous avons repris ces expériences en nous servant comme liquide d’inoculation de notre bouillon glycériné filtré de B. coli. Un lapin a reçu en injections sous-cutanées dix-huit cent. cubes de ce liquide chauffé au préalable à 4150, en sept jours. Il est sacrifié au bout de ce temps, il présente des altérations rénales manifestes et son urine est très trouble. La mensuration du pouvoir agglutinant du sérum de cet animal montre qu'ilest de 1/25 environ; son urine est active à 1/10, Nous avons répété avec le sérum de cet animal les expériences

176 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

décrites plus haut sur l’action du colisérum sur les cultures filtrées de bacterium coli avec ou sans addition de tale : l’agglu- tination est plus lente à se montrer, mais se produit d’une’ manière constante,

Un autre lapin ayant reçu les mêmes doses du liquide glycé- riné chauffé à 115° et présentant un sérum actif à peu près au même degré, reçut ensuite, en 15 jours, 15 c. c. de la même culture filtrée non chauffée. Le pouvoir agglutinant de son sérum monta rapidement à 1/400.

Ces expériences démontrent que c’est sous l'influence de la substance agelutinée qu’apparaît le pouvoir agglutinant du sérum. Lorsque cette substance est altérée par le chauffage, le pouvoir agglutinant est plus faible.

De mème qu'une culture vivante s’agglutine toujours mieux sous l'influence du sérum qu’une culture stérilisée ou filtrée, les inoculations de cultures vivantes déterminent plus rapide- ment et à un degré plus élevé l'apparition du pouvoir agglu- üinant dans le sérum que celles de ces mêmes cultures stérilisées ou filtrées. |

Nous avons recherché dans l'urine de nos lapins la présence de la matière agglutinée, mais sans la déceler; l’urine au con- traire, comme nous l’avons vu plus haut, acquiert rapidement, comme le sérum, des propriétés agglutinantes.

LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE DU BACILLE TYPHIQUE

Les détails dans lesquels nous sommes entrés à propos de l'étude de la substance agglutinée du B. coli vont nous permettre d’aller un peu plus vite dans l'exposé de nos recherches sur la substance agglutinée du bacille typhique. Un certain nombre d'expériences avaient été faites d’ailleurs sur celle-ci, antérieure- ment aux nôtres.

Conditions des expériences et réactions de contrôle. Le sérum agglutinant dont nous avons fait usage est le sérum d’un lapin infecté avec des cultures jeunes en bouillon de viande peptonisée de bacille typhique. En quatre mois, ce lapin a reçu 45 c. c. de cultures sous la peau. Nous l'avons sacrifié et par ponc- tion du cœur nous avons obtenu une quantité notable de sang

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 177

qui nous à donné par le repos les quelques c. c. de sérum nécessaires à nos expériences. La stérilité de ce sérum a été éprouvée par son séjour à l’étuve pendant 48 heures, L'essai en a été fait tout d’abord sur une culture jeune de bacille typhique en bouillon pour la mensuration de son pouvoir agglutinant. Ce pouvoir est de 1/8000; il est à peu près égal quand on fait agir le sérum sur des cultures stérilisées récemment par l'addition de quelques gouttes de formol. Ce sérum est dépourvu d’action agglutinante sur le bacterium coli, le bacille de la psittacose, et sur un certain nombre de coliformes isolés par nous des eaux.

Le bacille typhique qui nous a servi pour nos expériences et pour la préparation de ce sérum est un bacille typhique légitime, isolé de la rate d’un typhique, et servant dans notre laboratoire à la pratique du sérodiagnostic de la fièvre typhoïde.

Nous avons répété un certain nombre de nos expériences en employant, à la place de notre sérum de lapin, divers échantil- lons de sérum provenant d'individus aiteints de fièvre typhoïde. Les résultats ont toujours été les mêmes.

Action du sérum typhique sur les cultures filtrées du bacille. Nos premières recherches ont été failes sur une culture en bouillon de viande peptonisé et glycériné à 1 0/0, filtrée sur bougie Chamberland après un mois de séjour à l’étuve. Ce produit, dont la stérilité a été tout d’abord éprouvée parun séjour à l’étuve pendant 24 heures, est fortement acide. Il est très analo- gue au bouillon glycériné filtré qui nous a servi pour l’étude du bacterium coli : il représente cependant le produit d'une macé- ration moins complète des corps microbiens.

Si, à dix gouttes de ce liquide, on ajoute une goutte du sérum actif et qu’on mette le mélange à l’étuve, on constale quelque- fois après 5-6 heures, toujours après 24 heures, la présence de petits grains dans le liquide. Au microscope, ces amas sont très nets, identiques à des amas microbiens. Kraus qui a, le pre- mier, constaté cette réaction, l’a décrite comme très variable dans son intensité, quelquefois très lente à se produire, pouvant même faire défaut. Il croit que ces variations, dont la cause véritable lui échappe, peuvent être attribuées aux différences de virulence, de toxicité, d’alcalinité ou d’âce des cultures.

Nous avons eu pour notre part des résullats constants, et nos

12

178 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

cultures n'étaient n1 virulentes, ni toxiques. La réaction au tournesol ne paraît point non plus jouer de rôle dans la produc- iion ou l'intensité du phénomène. Un bouillon alcalin filtré se comporte exactement comme notre bouillon glycériné acide (nous l’avons déjà vu pour le B. coli, nous le reverrons tout à l'heure pour le bacille cholérique). Il est à noter que Kraus ne nous donne ni l’âge exact de ses cultures filtrées, ni le degré d'activité de son sérum. C’est probablement la cause des dif- férences observées par lui, et que nous n'avons pas retrouvées, nous servant dans toutes nos expériences d’un sérum actif tou- jours le même et de vieilles cultures. Nous verrons plus loin que des cultures jeunes filtrées donnent une réaction moins nette.

L'expérience faite avec du talc en suspension dans le liquide filtré, additionné de sérum à 1/10, donne, à la température ordi- naire, une agglutination faible au boutde quelques heures, des plus évidentes én 24 heures. Un mélange à parties égales du liquide filtré et d’une culture jeune de bacterium coli est agglutiné par le sérum à 1/10 en une demi-heure à la température ordinaire ; le lendemain la réaction est entièrement disparue, le B. coli s'étant développé dans le milieu de culture.

Des expériences de contrôle faites avec le liquide filtré et le tale, ou bien du B. coli sans addition de sérum, n’ont point donné lieu à la formation d’amas à l'œil nu ou au microscope. Par contre, le sérum d’un malade atteint de fièvre typhoïde, actif à 1/300, a agglutiné en moins d’une demi-heure un mélange de culture de bacterium coli et de notre liquide glycériné filtré.

Avec une culture de bacille typhique en bouillon légèrement alcaline, d’un mois, filtrée, nous avons eu des résultats analogues. Voici le résumé des expériences les plus typiques faites avec ce produit : |

Ge liquide filtré additionné à 1/10 de sérum actif : agglutination en 24 heures à l’étuve.

Même liquide tenant en suspension du talc additionné à 1/10 de sérum : agglutination débutant après quelques heures à la température du labora- toire.

Même liquide mélangé avec une culture de B. coli à parties égales additionné de sérum à 1/10 : agglutination en une heure à la tempé- rature ordinaire ; la réaction devient moins nelte ensuite, puis disparaît par suite du développement du B. coli.

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 179

La réaction du liquide ne joue done aucun rôle dans la pro- duction du phénomène,

Avec une culture jeune de 3 jours, en bouillon simple légère- ment alcalin, filtrée, la réaction existe, mais plus faible, comme le montre le tableau de nos expériences qui suit :

Bouillon alcalin de trois jours filtré, additionné de sérum typhique à 4/10, et mis à l’étuve : agglutination légère après 24 heures. Le même liquide tenant en suspension du tale et additionné de sérum à 1/10 ne donne à la température du laboratoire que des amas très petits, au bout de plusieurs heures.

Un mélange de ce liquide à partie égale avec une culture de B. coli, addi- tionné d’une goutte de sérum pour dix, donne une agglutination très faible à la température ordinaire au bout de plusieurs heures, nulle le lendemain, le B. coli s'étant développé.

Ce sont des résultats comparables à ceux que nous avons notés pour le B. coli. La substance agglutinée du bacille typhique diffuse dès les premiers jours de la culture, du corps des microbes dansle liquide; maiselle y est alors très peu abondante, Sonabon- dance croît à mesure que la culture vieillit ; elle reste toujours moindre dans les cultures de bacille typhique que dans celles de bacterium coli, parce que ce microbe se développe toujours bien davantage en bouillon que le bacille d'Eberth.

Les réactions de la culture filtrée de bacille typhique sous l'influence de sérum actif sont spécifiques. Kraus avait déjà fait voir que ces cultures filtrées ne s’agglutinaient point par l’action des sérums suivants : sérum d'homme ou de cheval sain, sérum anticholérique et anticolique de chèvre, sérum antidiphtérique et antistreptococcique de cheval. Nous avons de même obtenu des résultats négatifs avec des sérums normaux d'homme et de lapin, et le sérum de lapin infecté avec des cultures de bacterium coli et de vibrion de Massouah.

Action du sérum typhique sur les corps des microbes lavés. Les résultats soni les mêmes que ceux observés avec le B. coli. Des corps de bacilles typhiques provenant d’une culture en bouillon de 24 heures, lavéssur un filtre à l’eau distillée, puis émulsionnés, s’agglulinent rapidement par l’action du sérum. Au contraire, des corps microbiens provenant d'une culture âgée d’un mois, et traités de même, ne s’agglutinent point ou bien ne le font qu'avec une extrème lenteur. L'examen microscopique montre dans le

180 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

premier cas des bacilles vivants et mobiles, dans le second, presque uniquement des corps microbiens dégénérés.

Action du sérum typhique sur une macération filtrée de corps de microbes. Kraus ayant fait macérer dans de l’eau distillée des corps de bacilles typhiques pris sur une culture sur gélose, puis ayant filtré le liquide, vit qu'il s’y formait des amas par l'addition de sérum. Nous avons obtenu des résultats analogues avec une macération filtrée de bacterium coli. Nous n’avons point répété cette expérience pour le bacille typhique.

Présence constante de la substance agglutinée dans les cultures du bacille typhique. Nous avons répété pour le bacille typhique les expériences déjà rapportées à propos du bacterium coli. En de- hors des milieux de culture employés ordinairement daus les laboratoires, nous avons fait usage des milieux artificiels de Péré. Nous avons également varié la température de culture. Toutes les fois que le bacille typhique s’est développé dans nos milieux, il s’est montré sensible à l’agglutination par le sérum. Celle-ci est d'autant plus rapide et d'autant plus complète que la culture microbienne est plus abondante.

Action de quelques agents physiques et chimiques sur la substance agglutinée du bacille typhique. F

Chaleur. M. Widal avait déjà noté que des cultures de bacille d'Éberth portées une demi-heure à trois quarts d'heure à des températures intermédiaires entre 57° (où la culture est stérilisée en 5 minutes) et 60°, s’agglutinaient aussi rapidement que des cultures vivantes ; mais qu’un séjour de même durée de 10° à 100° leur faisaient perdre en partie ou totalité cette pro- priété. Avec un sérum très actif, il obtenait encore des amas, mais ceux-ci étaient petits et lents à se former.

Nous avons repris ces expériences en nous servant de cultures de 24 heures en solution de peptone, que nous avons exposées pendant un quart d'heure à des températures diverses. Nos résultats se rapprochent sensiblement de ceux de M. Widal.

Une température comprise entre 57° et 65° ne paraît'avoir aucune action empêchante ou retardante sur l’agglutination de la culture. Entre 75° et 85°, on note un retard de quelques minutes. À 95°, la réaction ne devient évidente qu'après dix minutes; à 100° elle demande vingt minutes pour se produire. Une culture chauffée à 115° donne avec notre sérum une aggluti-

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 181

nation lente (3/4 d'heure) et les amas restent toujours petits. Au- dessus de 115°, l’agglutination manque, ou bien est si lente et si inconstante qu'il est impossible de compter sur sa production.

En employant à la place de bouillon alcalin une émulsion dans l’eau distillée de corps de microbes jeunes et lavés, nous avons obtenu des résultats analogues.

20 Froid. Une température de agissant pendant cinq heures sur des cultures en bouillon ou sur une émulsion de corps de microbes jeunes, retarde de quelques minutes à peine l'appa- rition d’amas sous l'influence du sérum.

Insolation. Deux heures d'exposition à la lumière solaire se montrent sans action sur la production du phénomène,

Dessiccation. Des corps de bacilles typhiques filtrés sur un papier à filtre, puis séchés à 37°, exposés pendant huit jours à la température du laboratoire, et émulsionnés dans de l’eau dis- tillée, s’agelutinent très rapidement par l’addition de notre sérum.

Addition d'antiseptiques. L'’addition d'acide phénique à 1/1000 au bouillon de culture n'empêche point le développe- ment du bacille typhique, et celui-ci conserve toute sa sensibi- lité vis-à-vis du sérum agglutinant. Ce fait a été signalé par nous dès le mois d’août 1896 ‘. Nous avons même à cette époque préconisé l’addition d’acide phénique à cette dose aux cultures en bouillon, dans la pratique du séro-diagnostic, lorsqu'on n’est point bien sûr de la stérilité du sérum et qu'on veut faire la réaction à l’étuve par le procédé lent. Cette précaution est géné- ralement inutile, le procédé extemporané donnant presque tou- jours en peu de temps une certitude. M. Van de Velde à montré depuis que l'addition d'acide phénique à dose antiseptique n’empêchait point la production du phénomène.

L’addition de formol aux cultures, à la dose de trois gouttes de la solution du commerce pour 150 de culture, jouit de la même propriété ; MM. Widal et Sicard ont proposé une modi- fication du séro-diagnostic basée sur cette constatation, et con- sistant dans l’emploi de cultures ainsi tuées et restées cependant sensibles au sérum typhique. Ce procédé peut rendre des services en dehors des laboratoires, iorsqu’on ne peut se procurer des cultures vivantes, toujours infiniment préférables, Dans

4. ©. Nicozee et À. Hauipxé, Normandie inédicale, 45 août 1896.

182 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

leurs expériences, MM. Widal et Sicard ont vu s’agglutiner très rapidement, sous l’action du sérum de malades atteints de fièvre typhoïde, des cultures stérilisées par l’emploi du formol depuis cinq mois.

Des constatations analogues ont été faites par M. Van de Velde en ajoutant aux cultures du bacille d'Éberth du chloro- forme, de l’éther, du sublimé à dose antiseptique.

La substance agglutinée du bacille typhique est donc très résistante aux agents physiques et antiseptiques ; elle ne paraît point cependant jouir d’une résistance tout à fait égale à celle du B. coli. Ce n’est sans doute qu'une apparence tenant à ce que, dans tous nos milieux de culture, le B. coli pousse plus abondamment que le bacille typhique, et que par même il produit plus de substance agglutinable.

Solubilité de la substance agglutinée du bacille typhique dans l'eau, l'alcool absolu, l'éther. Des expériences identiques à celles que nous avons décrites à propos du B. coli nous ont montré la solubilité de la substance agglutinée du bacille typhique dans alcool absolu et l’éther. Les amas obtenus par dissolution du produit évaporé dans le bouillon sont identiques à des amas microbiens.

Nous savions déjà la solubilité de cette substance dans l’eau et le bouillon légèrement alcalin ou acide.

Apparition du pouvoir agglutinant dans le sérum des animaux sous l'influence de l'inoculation de la substance agglutinée du bacille typhique. Nous avons inoculé à deux lapins sous la peau, de nos cultures de bacille typhique en bouillon glycériné, d’un mois, filtrées et chauffées au préalable à 1159. A cette tempé- rature, nous le savons, la substance agglutinée n’est plus que difficilement mise en évidence. Nos animaux, après avoir reçu en douze jours 26 c. c. de ce produit, n’ont présenté qu'un pouvoir agglutinant des plus faibles. et même douteux (1/10) de leur sérum. L'inoculation ultérieure de 19c.e. du même liquide non chauffé, en vingt-cinq jours, a déterminé l'appa- rition d’un pouvoir agglutinant des plus manifestes.

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 183

LA SUBSTANCE .AGGLUTINÉE DE VIBRION DE MASSAOUAH

Nous serons encore plus bref dans l’exposé de nos recherches sur la substance agglutinée du vibrion de Massaouah. Il nous paraît en effet inutile d’accumuler les redites, nos expériences ayant été identiques et leurs résultats comparables.

Conditions des expériences et réactions de contrôle. Le sérum qui nous a servi comme réactif est celui d’un lapin ayant reçu sous la peau, en 40 jours, 4 c. c. de culture en bouillon peptonisé, de vingt-quatre heures, du vibrion de Massaouah. Ce microbe, que nousavonsreçu de l’Institut Pasteur, étant très pathogène,a être inoculé tout d’abord à dose faible : un 1/10 de e. c. Nous nous sommes arrêtés quand nous avons atteint la dose de 1 c. c. Le sérum de notre lapin, essayé sur une culture sur gélose du même microorganisme délayée dans de l’eau disullée (pour éviter les amas que donne en bouillon le voile du vibrion parsa désagrégation), s’est montré actif à 1/1000. A cette dilution, trois quarts d'heure sont nécessaires pour la formation des amas. Au titre de 1/250, ce sérum provoque une agglutination immédiate. C’est donc par rapport à nos sérums colique et typhique un sérum d'activité faible.

Nous nous sommes assurés tout d’abord que nos cultures de vibrion de Massaouah n'étaient agglutinées par aucun autre sérum que celui que nous avons préparé, et que notre sérum ne jouissait d'aucun pouvoir agglutinant vis-à-vis d’autres micro- organismes.

Action du sérum vibrionien sur les cultures filirées du vibrion de Mas- saouah. Une culture de vibrion de Massaouah a été faite en bouillon glycériné à 1 0/0 et filtrée après 19 jours de séjour à l’étuve. Nous avons répété sur le liquide de filtration, dont la stérilité avait été préalablement vérifiée, les expériences déjà décrites à propos du B. coli et du bacille typhique. Nous avons obtenu des résultats identiques, comme l’indiquele résumé ci-joint de nos principales expériences :

Bouillon glycériné, filtré, additionné d’une goutte pour dix de sérum, puis mis à l’étuve : au bout de 24 heures des amas sont bien visibles dans le liquide ; ils sont identiques à des amas microbiens et se colorent bien par

184 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR

la fuschine de Zieh] diluée. (C'est l'expérience faite pour la première fois par Kraus sur un vibrion cholérique différent de celui de Massaouah.) Même liquide tenant des corpuscules de talc en suspension additionné

de sérum à même dose et abandonné à la température du laboratoire : apparition des amas au bout d'une heure,

Mélange à parties égales de ce liquide et d'une culture de B. coli de 24 heures, addition de sérum : même résultat.

Ces réactions sont spécifiques, aucun autre sérum n’a cette action sur les cultures filtrées du vibrion de Massaouah.

Action du sérum vibrionien sur les corps de microbes lavés. Des corps de vibrions, provenant d’une culture en bouillon simple de 24 heures, lavés sur un filtre à l’eau distillée, puis émulsion- nés dans l’eau, s’agglutinent immédiatement sous l'influence du sérum actif. Une culture en bouillon glycériné, âgée d’un mois, traitée de la même facon, donne encore une agglutination ra- pide. Au microscope on remarque dans ce cas que les vibrions sont encore en général animés de mouvements rapides. Cette résistance des vibrions explique pourquoi les cultures âgées de Massaouah se laissent encore agglutiner facilement, tandis qu'il n'en est point absolument de même pour celles de B. coli ou de bacille typhique moins résistants.

Action du sérum vibrionien sur une macération de corps de vibrions. Celle expérience a été faite par Kraus avec des cultures sur gélose, délayées dans l’eau, soumises à une pression de 300 atmosphères, puis filtrées. L’agglutination s’est montrée sous l'influence du sérum. Il s'agissait dans cette expérience, que nous n'avons point répétée, d’un vibrion autre que celui de Massaouah.

Présence constante de la substance agglutinée dans les cultures du vibrion de Massaouah quel que soit le milieu de culture employé. Nous avons cultivé le vibrion de Massaouah sur tous les milieux employés généralement dans les laboratoires, et dans quelques milieux artificiels : solution de syntonine, milieu B de Péré, liquide de Capaldi et Proskauer. Partout le vibrion cholérique se développe, il se laisse agglutiner par le sérum.

Action de quelques agents physiques. Chaleur. Une culture en bouillon peptonisé légèrement alcalin, portée un quart d'heure à 100°, s’agglutine encore très facilement; si la cul- ture est laissée le même temps à 115°, elle n’est plus aggluti-

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 185

née que lentement par le sérum et les amas sont très petits.

20 Froid. Une température de maintenue pendant 5 heures retarde manifestement l’agglutination d’une culture en bouillon du vibrion de Massaouah : il faut attendre 1/2 heure, et encore plus s’il s’agit d’une émulsion du même microbe dans l'eau.

Pression. Nous avons vu plus haut que, dans ses expé- riences, M. Kraus avait soumis à une pression de 300 atmo- sphères une macération de corps de vibrions d'une espèce différente du vibrion de Massaouah sans leur faire perdre pour cela la propriété de s’agglutiner sous l’action du sérum actif.

Solubilité de la substance agglutinée du vibrion de Massaoual dans quelques liquides. Cette substance est soluble dans l’eau, le bouillon neutre, alcalin ou acide, l'alcool absolu et l’éther.

LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE DE CERTAINS AUTRES MICROBES

Le B. coli, le bacille typhique, le vibrion de Massaouah ne sont point les seuls microbes dont les cultures se laissent agglu- tiner par l’action du sérum des animaux infectés par eux. Un certain nombre d’autres microorganismes sont dans le même cas: le séro-diagnostic de quelques maladies autres que la fièvre - typhoïde et les colibacilloses, paraît dès aujourd'hui possible. Il est a priori certain que tous les microbes qui se laissent agglu- tiner doivent celte propriété à la présence, dans leur corps, d'une substance agglutinable analogue comme propriétés à celle que nous venons de décrire pour le bacille typhique, le vibrion de Massaouah et le B. coli.

Nous possédons déjà, sur l'existence de cette substance dans les cultures de deux autres microorganismes, quelques notions dues à M. Kraus, qui a montré que les cultures filtrées d’un vibrion cholérique (de la race de Koch sans doute) et du bacille de la peste, donnaient par l’addilion des sérums homologues de petits amas, après 24 heures de séjour à l’étuve. Ces réactions sont tout aussi spécifiques que celles que présentent les cultures vivantes de ces microbes.

Cependant toutes les cultures microbiennes ne se iaissent point agglutiner sous l’action du sérum des animaux infectés par elles. Le phénomène de l’agglutination n’est donc point un

186 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

phénomène constant. Un certain nombre de preuves en ont été déjà apportées. Nous en donnerons deux nouveaux exemples.

Depuis quatre mois, dans notre laboratoire, M. le D' Hébert inocule régulièrement des cultures de divers échantillons de bacille de Friedlænder, isolés par nous des angines ou de l’eau, à des lapins par toutes les voies: sous-cutanée, intraveineuse, intrapéritonéale. Suivant la virulence ou les doses inoculées, les animaux sont plus ou moins malades: un certain nombre d’entre eux ont présenté des suppurations localisées quiontguéri. La résistance de ces animaux au bacille de Friedlænder est aujourd'hui très grande; ils peuvent supporter sans grand malaise l’inoculation de doses vraiment considérables de cultures vivantes dans le péritoine. Jamais le sérum de ces animaux n’a présenté le moindre pouvoir agglutinant vis-à-vis des cultures du bacille inoculé.

M. Nicolas (de Lyon) a décrit l'agelutination des cultures du bacille diphtérique sous l'influence du sérum antidiphtérique de cheval‘. Seul le sérum thérapeutique de cet animal et celui des individus traités par lui aurait cette propriété. Il n’en a jamais constaté l'existence dans le sérum d'animaux de laboratoire, infectés soit avec des cultures vivantes, soit avec de la toxine diphtérique; pas plus d’ailleurs que dans celui des enfants atteints de diphtérie et non encore inoculés. Sa conclusion est . qu'on ne peut parler de séro-diagnostic pour la diphtérie.

Nous avons repris en partie les expériences de M. Nicolas. Nous basant sur les résultats obtenus par lui, nous espérions, par des inoculations répétées de cultures chauffées à 65°, et par conséquent devenues peu toxiques, délerminer la production du pouvoir agglutinant dans leur sérum. Le pouvoir agglutinant chez les animaux infectés avec des cultures de B. coli, bacille typhique ou vibrion cholérique, étant lié à l’inoculation des corps microbiens, nous avions lieu de croire qu’il en était de même pour le bacille diphtérique : c’est pourquoi nous nous étions efforcé de nous débarrasser de la présence de la toxine qui rend les inoculations répétées dangereuses.

Nos expériences ont été faites sur un nombre assez impor- tant d'animaux. En voici le résumé :

4. J. Nrcoras, Société de biologie, 30 janvier 1897.

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 187

À un premier lot de lapins nous avons inoculé des cultures du bacille diphtérique chauffées à 65° pendant 1/2 heure; à un second lot, de la toxine préparée par nous et active à 1/30 de centimètre cube, chauffée également à 65°; à un troisième lot, des corps de bacilles diphtériques recueillis sur un filtre, dilués dans du bouillon stérile et chauffés à 600,

A un premier lot de rats blancs (animaux réfractaires) de la toxine diphtérique non chauffée; à un second lot, de la toxine chauffée à 65°; à un troisième lot, des corps de microbes chauffés à 600

Il nous paraît inutile de donner le détail de nos expériences, étant donné le résultal négatif qu’elles ont eu. Le bacille diphté- rique employé par nous est l'échantillon qui sert à l’Institut Pasteur pour la préparation du sérum antidiphtérique et qui est connu sous le nom de bacille américain. Nos inoculations ont été poursuivies pendant trois mois avec la plus grande prudence, Nous avons eu cependant une mortalité de 1/3 sur nos lapins; un seul rat est mort (il recevait de la toxire non chauffée). Nos animaux avaientacquis à la fin une résistance extrêmement con- sidérable. Jamais le sérum d'aucun d'entre eux n'a présenté de pou- voir agglutinant vis-à-vis de l'échantillon de bacille diphtérique employé, que les cultures d’épreuve aient été faites en bouillon ou aient consisté en une émulsion dans l’eau distillée de cultures sur sérum coagulé.

Nous avons en même temps recherché l’action agglutinante du sérum avtidiphtérique de l’Institut Pasteur et de celui préparé par nous à notre laboratoire sur les cultures du bacille améri- cain. Nous n'avons point noté d’agglutination réelle, soit que le mélange de culture et de sérum à 1/10 ait été porté à l’étuve, soit qu'il ait élé laissé à la température du laboratoire. Au bout de 24 à 48 heures il se-fait souvent un dépôt au fond du tube, mais ce dépôt n'a rien de spécifique; nous l'avons obtenu avec d'autres sérums, en particulier avec notre sérum lyphique de lapin; au microscope il n’y a point d’amas agelutinés; les microbes qui forment les petits amas, constants d’ailleurs dans toute culture diphtérique, sont toujours bien nettement distincts les uns des autres, jamais confondus.

La race de bacille diphtérique sur laquelle nous avons expérimenté ne se laisse donc point agglutiner par le sérum homologue.

Ce fait ne paraît point lui être spécial; car M. Kraus avait

188 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

déjà noté que le sérum antidiphtérique (de cheval), dont il faisait usage dans ses expériences, ne provoquait jamais la pro- duction d’amas dans les cultures filtrées du bacille diphérique,: après vingt-quatre heures de séjour à l’étuve.

RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS

Le corps de certains [microbes (Bacterium coli, bacille typhi- que, vibrion de Massaouah, etc.) renferme une substance parti- culière : substance agglutinée ou agglutinable, à l'existence de laquelle est liée la production du phénomène de l’agglutination des microbes.

Ces microbes vivants, les mêmes microbes tués par la chaleur ou par l'addition de certaines substances antiseptiques, réagissent sensiblement de la même manière.

Leur culture filtrée, traitée par le sérum, donne également lieu à la production d’amas bien visibles à l'œil nu et tout à fait identiques au microscope avec des amas microbiens, dontils pré- sentent les réactions vis-à-vis des matières colorantes. Ce phénomène, pour lequel le séjour à l’étuve pendant quinze à vingt heures est généralement nécessaire, est constant quand on em- ploie des cultures filtrées d’un certain âge; il se montre déjà très nettement, quoique à un degré plus faible, quand on se sert de cultures de quelques jours.

Pour le mettre en évidence d’une façon plus rapide et plus sensible, on peut ajouter au liquide filtré de la poudre de tale, ou bien une culture jeune d’un autre microbe : l’agglutination par le sérum se produit alors généralement en trois quarts d'heure à la température du laboratoire.

Ces réactions sont spécifiques ; aucun autre sérum que le sérum homologue ne les donne.

Les corps de microbes lavés à l’eau distillée, quand ils pro- viennent d’une culture jeune, s’agglutinent rapidement par le sérum ; ils ne réagissent que lentement et faiblement si la cul- ture est vieille. |

Le liquide de macération des corps de microbes (jeunes), fillré, se comporte comme le bouillon de culture filtré,

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 189

Ces diverses réactions ne sauraient être préconisées pour la pratique du séro-diagnostic ‘des maladies ; l'emploi de cultures vivantes et récentes est toujours préférable.

La présence de la substance aggiutinée dans le corps du mi- crobe est un fait constant, quelles que soient les conditions dans lesquelles la culture à été faite et le milieu de culture employé; la substance agglutinée fait partie intégrante de la constitution du microbe.

La substance agglutinée est très résistante aux divers agents physiques tels que la chaleur, le froid, la lumière solaire, une haute pression, la dessiccation. Celle du bacteriwm coli paraît un peu plus résistante, par cette seule raison probablement que les cultures de ce microbe étant toujours très riches dans les milieux de culture, la substance agglutinée s’y rencontre par même toujours en très grande abondance.

L’addition d’un certain nombre de substances antiseptiques aux cuitures n'empêche point la production du phénomène,

La substance agglutinée est soluble dans l’eau, dans les liqui- des alcalins ou manifestement acides; elle est soluble également dans l’alcool absolu et dans l’éther.

La production du pouvoir agglutinant dans le sérum d’un animal infecté par un microbe est liée à l’inoculation de la subs- tance agglutinée. Les causes qui l’affaiblissent ou la détruisent dans le liquide inoculé empêchent ou retardent l’apparition du pouvoir agglutinant dans le sérum de l’animal. Mais de même que rien ne vaut comme réactif passif de l’agglutination une cul- ture vivante et récente, pour la production d’un pouvoir agglu- tinant rapide et puissant rien n’égale l’inoculation de la culture vivante.

Au début de sa vie, le corps du microbe contient senl la subs- tance agglutinée. Il en fait la synthèse aux dépens des matériaux nutritifs qui lui sont offerts ; ce n’est que plus tard, lorsqu'il se désagrège, que cette substance passe dans le liquide.

La nature de la substance agglutinée ne nous est point encore connue. Sa composition chimique est sans doute très complexe. M. Kraus aurait trouvé au produit de précipitation par le sérum des cultures filtrées de vibrions cholériques les caractères des peptones et des alcali-albumines. Cela est bien vague.

La production de la substance agglutinée n’est en rapport ni

190 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

avec la virulence, ni avec la toxicité des cultures employées. Le bacille typhique et le bacterium coli qui nous ont servi dans. nos expériences sont à peu près dépourvus de virulence et Lota- lement de toxicité.

En ce qui regarde spécialement la substance agglutinée du bacille typhique, elle diffère essentiellement de la toxine ty- phique soluble décrite par M. Chantemesse : loin de disparaître à la longue du bouillon quand celui-ci vieillit, elle y devient plus abondante ; elle n’est point sensible à l’air, à la lumière, à l’aci- dification de la culture comme l’est la toxine typhique. Elle se sépare enfin de toutes les toxines microbiennes connues par sa solubilité dans l'alcool absolu, qui précipite celles-ci des liquides elles existent. La présence du pouvoir agglutinant dans le sang ne saurait donc par même être le signe d’une intoxi- cation.

Ce qui caractérise la substance agglutinée, c’est la propriété qu’elle présente de s’agglomérer en amas et d’agglomérer avec elle, sous l'influence du sérum actif, Les corps qui la contiennent ou qui sont en suspension dans le liquide elle se trouve*. Dans ce bouillon filtré, la substance agglutinée qui était en dissolution devient visible à l’œil nu et au microscope sous forme d’amas; il semble que le sérum agisse sur elle en la rendant insoluble. Les amas qu’elle donne sont formés comme de grains agrégés les uns aux autres, et plus ou moins confondus ensemble; ils donnent exactement la même impression au mi- croscope que des amas microbiens. L'aspect est identique, si l’on fait agir le sérum sur la substance agglutinée, extraite par l’éther ou l'alcool du corps des microbes, et dissoute à nouveau dans le bouillon.

La substance agglutinée siège dans la couche externe du mi- crobe. En effet, quand on ensemence un microbe agglutinable dans du bouillon stérile additionné de sérum homologue, ce mi- crobe s’y développe toujours bien. La seule particularité qui empêche cette culture d’être identique à une culture en bouillon ordinaire, c’est qu'au fur et à mesure qu'un microbe nouveau se

1. Cuanremesse, Société de biologie, 23 janvier 1897.

2. Si on fait ce mélange de cultures vivantes de bacille typhique et de Z. coli en proportions égales, puis qu’on ajoute l’un ou l’autre des deux sérums homo-

logues, la Zotalité des microbes est agglutinée; il n'y a plus un seul microbe mobile entre les amas.

RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 191

forme, sa couche externe subit l'influence du sérum actif, se gonfle, devient apparente et se soude à la couche externe des individus voisins. Notre opinion sur la nature intime du phéno- mène de l’agglutination se rapproche donc tout à fait de celle émise par Gruber qui le premier constata le phénomène et que, seul, M. Roger a défendue après lui. Nous pensons que l’agglu- tination consiste dans la coagulation et la coalescence des couches ex- ternes des microbes agglutinables sous l'influence du sérum agglu- tinant.

Nous arrivons donc, d’après nos expériences, à considérer l’agelutination des microbes comme un phénomène purement passif. La virulence, la toxicité, la vie, la conservation de la forme des microbes n’y jouent aucun rôle; le microbe réagit passivement vis-à-vis du sérum actif par la substance agglutinée de sa couche externe.

La présence de la substance agglutinée sur le corps des microbes n’est point, nous l’avons vu, un phénomène constant, certains en contiennent, d'autres en sont dépourvus. Il n’est donc point étonnant que le pouvoir agglulinant d’un sérum, pouvoir quiest la conséquence de l'imprégnation de l’organisme par la substance agglutinée, n’ait rien à voir avec l’immunité de celui-ci vis-à-vis des microbes ou de leurs poisons. Il n’a rien de commun non plus avec le pouvoir bactéricide, quoiqu'on les ait pendant longtempsconfondus; le pouvoir bactéricide est d’ailleurs détruit à 60°, et cette température est sans action sur le pouvoir agglutinant!, très résistant à la chaleur, de même que la substance agelutinée de laquelle il procède.

Le pouvoir agglutinant n’est même point à proprement parler un signe d'infection, puisqu’un microbe dépourvu de toute virulence, une culture filtrée peuvent le faire naître par leur inoculation. Il est la simple signature du passage dans l'organisme de la substance agglutinée spécifique.

1. C. Nicozce et A. Hazrpré, Presse médicale, 25 juillet 1896.

Rouen, 31 janvier 1898,

LA

DESTRUCTION DES MICROBES DANS LE TISSU SOUS-CUTAN

DES ANIMAUX HYPERVACCINÉS

Par LE Dr A. T. SALIMBENTI

Préparateur à l’Institut Pasteur.

(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.)

! Grâce aux recherches nombreuses et persévérantes de ces dernières années, de remarquables progrès ont été réalisés dans nos connaissances sur la question de l’immunité.

L'immunité doit être désormais envisagée à deux points de vue différents : immunité contre les microbes, immunité contre les toxines. Le mécanisme biologique de l’immunité antitoxique nous est encore inconnu ; pour la plupart, les auteurs admettent que, pour les animaux sensibles à l’action d’une toxine, il est en rapport avec la propriété antitoxique des humeurs. Par contre, le mécanisme de l’immunité anti-infectieuse est assez bien connu et en parfail accord avec la théorie cellulaire. Cette théorie, généralement admise, est encore contestée par ceux qui attri- buent aux substances bactéricides des humeurs le rôle principal dans la défense de l'organisme contre les microbes. C’est ainsi que M. Pfeiffer‘ revenait, l’année dernière, sur la question, qu'on croyait définitivement jugée, de l’immunité contre le vibrion cholérique, le bacille d'Eberth et le bacterium coli. Contrai- rement aux résultats obtenus par M. Metchnikoff* et M. Mesnil’, qui opéraient sur des animaux activement et passivement immu- nisés, il affirmait que lorsqu'on opère sur des animaux hyper- vaccinés, on peut observer le phénomène de Pfeiffer sous ia peau aussi bien que dans le péritoine, que l'intervention leuco-

4. Deutsche med. Wochenschr., 1897.

2. Ces Annales, juin 1895. 3. Ces Annales, juin 1896.

MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS, 193

cylaire dans ce cas ne se fait pas d’une façon appréciable et ne Joue aucun rôle important.

La seule réaction locale observée consiste en un œdème léger et très passager qui se forme à l’endroit de l'injection ; sous l'in- fluence des bactériolysines qui se trouvent dans le liquide d'œdème; les microbes sont d'abord immobilisés, puis transformés en boules et dissous.

Presque en même temps, M. Bebhring!, qui reconnaît dans les cas ordinaires l'importance de l'intervention leucocytaire dans le mécanisme de l’immunité anti-infectieuse, affirmait que, quand on opère sur des animaux hypervaccinés, si l’on fait des expé- riences bien précises, aucun phénomène exsudatif ni phagocy- taire ne s’observe à la suite d’une injection de microbes vivants sous la peau.

« Nous devons admettre, écrit-l, que les corps de microbes se dissolvent de la même façon qu'un corps organique,introduit sous une forme facile à digérer, s’assimile dans l'organisme de l'individu qui l’a ingéré. Si, chez les animaux immunisés, après l'injection des microbes vivants, des phénomènes exsudatifs et phagocytaires se produisent encore, cela veut dire que l’immu- nité antitoxique n’est pas suffisante. La toxine qui n’est pas complètement neutralisée irrite les tissus, détermine la forma- tion d’un exsudat, etdans l’exsudat on peut rencontrer des cellules qui englobent les microbes (Metchnikoff) et d’autres substances qui agissent directement sur eux {bactériolysines de Pfeiffer, agglu- tinines de Gruber). »

Bien que les faits avancés d’une façon si affirmative par MM. Pfeiffer et Behring fussent en complet désaccord avec un certain nombre de faits bien constatés et généralement acceptés sur le mécanisme de la destruction des microbes chez les ani- maux activement et passivement immunisés, par le fait que leurs expériences avaient été faitessur des animaux arrivés au plus haut degré d’immunité, il aurait été difficile de les infirmer « proori.

Nous avons repris ces expériences et nous avons étudié la destruction du vibrion cholérique, du bacille diphtérique et du streptocoque sous la peau des animaux hypervaccinés.

Pour nous mettre dans les conditions les plus favorables à

1. Article Zmmunités dans le Eulenburg Real-Encyclopædie, 3e édition, 1897.

13

194 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

lPaction des humeurs, nous nous sommes adressé aux grands animaux, les chevaux, chez lesquels on peut arriver à un degré

d'immunité impossible à atteindre avec les petits animaux de laboratoire. Inutile de dire que parmiles nombreux échantillons de chevaux hypervaccinés qu’on peut trouver à l’Institut Pasteur, nous avons choisi ceux qui, au moment de nos expériences, don-

naientles sérums les plus actifs.

-__ Abordons maintenant les résultats des expériences que nous avons faites et donnons d’abord, sur la technique employée, quelques détails absolument indispensables.

La dose de virus injecté dans nos nombreuses expériences était la même: une demi-culture de 24 heures sur gélose diluée dans 4 c. c. d’eau physiologique stérile, pour le vibrion cholérique ; 2 c. c. de culture de 24 heures en bouillon pep- tonisé pour la diphtérie; 2 c. c. de culture de 24 heures dans le milieu de Marmorek pour le streptocoque. Les prises d’ex- sudat pendant les 12-14 premières heures après l'injection ont été faites toutes les deux heures; à partir de 14 heures jusqu’au moment de la disparition complète de toute réaction locale, deux fois par jour.

Toutes les fois qu’on pique avec un tube de verre effilé pour obtenir quelques gouttes d’exsudat, on lacère très facilement des capillaires et on détermine des petites hémorragies.

Or, M. Metchnikoff' a démontré que la présence du sang dans le liquide d'œdème peut conférer à celui-ci des propriétés bacté- ricides très énergiques qu'il ne possède pas à lui tout seul : le vibrion cholérique, par exemple, qui ne se transforme jamais en boules dans l’œdème sous-cutané formé à l'endroit de l'injection chez les animaux activement ou passivement immu- uisés, peut présenter celte transformation toutes les fois que, soit en faisant l’injection, soit en faisant des prises d’exsudat, on lèse des capillaires.

De même, l’œdème provoqué par ralentissement de la cir- culalion chez un animal immunisé, qui est incapable, lorsqu'il est mis à vitro au contact des vibrions, de déterminer leur trans-

1. Ces Annales, juin 1895.

MICROBES CHEZÂLES ANIMAUX HYPERVACCINES. 195

formation en boules, peut, comme l'a démontré M. Bordet!, acquérir cette propriété lorsqu'il est mélangé à une trace de sang du même animal.

Il fallait donc, dans notre cas, éviter le mélange du sang avec le liquide d'œdème, et avoir en même temps des prises d'exsudat assez nombreuses et rapprochées, pour pouvoir suivre pas à pas les modifications que subissent les microbes injectés.

Pour cela, dans les diverses expériences que nous avons faites, nous nous sommes arrangé de façon que, si par exemple dans {a première, les prises d’exsudat étaient faites au bout de 1 heure et de 10 heures, dans la seconde, on les faisait au bout de 2 et 44 heures, et ainsi de suite ; en opérant exactement dans les mêmes conditions, c’est-à-dire avec le même microbe et sur le même animal, les résultats en sont parfaitement com- parables.

Encore une question de détail sur laquelle nous croyons indispensable d’insister. Les microbes injectés sous la peau des animaux hypervaccinés restent localisés à l’endroit de l’injec- tion; tout autour du foyer microbien se forme un œdème : déjà une demi-heure à À heure après l'injection, les mailles du tissu conjonctif sous-cutané en sont complètement gorgées. Quand on fait des prises d'exsudat à ce moment-là, si l’on n’a pas eu soin de bien limiter par un artifice quelconque l'endroit précis l'injection des microbes a eu lieu, il est extrêmement difficile de les retrouver. On tombe la plupart du temps à côté, et on retire alors un liquide tout à fait clair et transparent : l'examen microscopique de ce liquide pratiqué soit en goutte pendante, soit sur des préparations colorées, ne révèle traces ni de mi- crobes ni de cellules ; les ensemencements sur gélose restent la plupart stériles ; exceptionnellement on observe le développe- ment de quelques rares colonies.

De une cause d'erreur dont il faut se garder avec soin.

# +

R£ECHERCHES SUR LE BACILLE DIPHTÉRIQUE, Pour nos expériences sur ie bacille diphtérique, nous nous sommes servi d’un échan- tillon isolé par M. Park et M'e Williams, connu sous le nom

1. Ces Annales, juin 1895.

196 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

de microbe américain, et obligeamment mis à notre disposition par M. Martin. Ce microbe tue un cobaye de 400-500 grammes à la dose de 1/10 de c. c. d’une culture de 24 heures sur bouillon peptonisé, et donne une toxine capable de tuer un cobaye de la même taille à la dose de 1/500 de c. c.

Le cheval que nous avons employé pour nos recherches, qui remontent au mois de mai 1897, était en voie de vaccination depuis le 25 octobre 1894. Il avait reçu en 97 injections 13,093 c. c. de toxine, et donnait un sérum qui possédait 150,000 unités préventives et 250 unités antitoxiques.

L’injection des microbes a été toujours pratiquée sous la peau de l’encolure. Déjà une demi-heure après, on constate une petite tuméf:ction à l'endroit de l’injection, tuméfaction qui augmente peu à peu pendant les premières 6-8 heures, et qui diminue ensuite assez rapidement.

Au bout de 24 heures, les phénomènes locaux qu'on peut constater par l’observation directe ont presque complètement . disparu; il ne reste qu’une toute petite tuméfaction qui disparaît complètement en deux ou trois jours.

L’exsudat retiré une demi-heure après l’injection renferme des microbes qui, soit à l’état frais, soit sur des préparations colorées, ne présentent aucun changement ni dans leur forme, ni dans leur réaction vis-à-vis des matières colorantes.

On remarque déjà quelques leucocytes ; dès le coñmence- ment, les polynucléaires apparaissent en proportion bien plus considérable que les mononucléaires et les lymphocytes. Quel- ques cellules renferment déjà des microbes, mais la plupart sont vides. Le nombre des leucocytes augmente progressivement, et dans les exsudats retirés au bout de 2 à 4 heures, on en trouve des quantités considérables. La phagocytose, com- mencée presque aussitôt après l'injection, se poursuit activement, et elle est complète au bout de 6 heures : à ce moment, on ne trouve plus guère de microbes extra-cellulaires, et le nombre de leucocytes augmente toujours. Ce sont en grande majorité des polynucléaires: il y a très peu de mononucléaires, pas de lympho- cytes. La plupart renferment des microbes ; il y en a qui en sont complètement remplis et présentent parfois des aspects très caractéristiques. Ils ont acquis un volume double de celui des cellules vides qui se trouvent à côté d’eux ; il y en a qui présen-

Fr.

MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINES. 197

tent une forme parfaitement ronde ou ovale : la substance chro- matique du noyau est repoussée vers la périphérie; elle se pré- sente sous forme de deux bandes assez minces aux deux extrémités opposées de la cellule ; au milieu, une espèce de grande vacuole remplie de microbes.

À partir du moment la phagocytose est complète, la lutte entre l'organisme et les microbes est finie : ceux-ci une fois englobés périssent et se dissolvent de la façon bien connue dans l’intérieur des cellules.

Tant que nous avons trouvé des microbes libres, nous n'avons pas pu constater, soit à l’état frais, soit sur des préparations colo- rées, aucun changement ni dans leur forme ni dans leur aspect général : les microbes libres et les microbes contenus dans l’intérieur des cellules réagissaient de la même façon aux matières colorantes employées (bleu de Kuhne, méthode de Gram, etc.). |

A chaque prise d’exsudat, nous faisions des ensemencements sur sérum coagulé et dans le bouillon peptonisé ; en même temps une gouttelette d’exsudat était mise en chambre humide à 37°.

Les ensememcements sur les milieux artificiels ont donné des cultures jusqu'à 40, et une fois même 54 heures après l'in jection. Le développement des microbes dans les gouttes pen- dantes se faisait toujours assez péniblement, sauf pour les gouttes préparées avec les exsudats retirés jusqu’à 2 heures après l’in- jection, qui se présentaient complètement remplies de microbes au bout de 24 heures de séjour à l’étuve à 37°. A partir de 10 à 12 heures après l'injection, les gouttes d’exsudats restaient complètement stériles. Examinées au microscope après un séjour de 24 heures au thermostat à 37°, on voit par-c1 par-là, à côté des cellules encore bien conservées et qui renferment des microbes, des cellules en voie de destruction, quelques bacilles libres et quelques petits amas de microbes parfois enveloppés dans un magma protoplasmique; en laissant plus longtemps à l’étuve, le nombre des microbes n’augmente pas. Nous ne pouvons donc pas considérer ces formes extracellulaires comme un commencement de culture: il ne s’agit que de microbes mis en liberté par un certain nombre de leucocytes qui se sont détruits. Ensemencés sur le sérum coagulé ou dans le bouillon peptonisé, après 24 heures et même 48 heures de séjour à .

198 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

l’étuve, ces microbes donnent une culture ; par conséquent, au moins un certain nombre d’entre eux sont encore vivants.

Nous avons d'autre part constaté qu'ils peuvent très bien se développer dans les gouttes préparées avec des exsudalts retirés pendant les 2 premières heures après l’injection, exsudats encore relativement pauvres en cellules.

Ilest donc logique de conclure que c’est la présence d’une quantité considérable de cellules et de produits mis en liberté par la destruction d’un certain nombre d’entre elles qui empêche le développement des microbes.

Dans le cas du bacille diphtérique sous la peau des animaux hypervaccinés, il est vraiment surprenant de constater la rapidité avec laquelle la leucocytose et la phagocytose s'effectuent.

Les cellules, comme nous l'avons vu, commencent à appa- raitre très peu de temps après l'injection, et la phagocytose commencée aussitôt est complète au bout de 6 heures ; on trouve encore à ce moment un nombre de cellules deux ou trois fois plus grand qu'il n'aurait fallu pour englober les microbes injec- tés, et la plupart restent par conséquent vides.

Pour étudier ce phénomène de plus près, dans une expé- rience, nous avons injecté 1/2 c. c. de culture sous la peau de l'oreille de notre cheval, et au bout d’une heure nous avons coupé le morceau d'oreille correspondant qui, convenablement fixé et durci, nous a servi à faire des coupes que nous avons colorées au carmin aluné d’abord, et ensuite par la méthode de Gram.

Sur les coupes, nous avons pu constater que les microbes restent localisés à l'endroit de l'injection, et qu’on ne les retrouve ni dans les capillaires ni dans les vaissaux lymphatiques qui se trouvent tout autour ; à travers Les petites veines, les capillaires sanguins etles lymphatiques, s'effectue une diapédèse de globules blancs très intense; les lymphatiques spécialement sont telle- ment remplis de globules blancs qu’ils présentent l’aspect de vrais cordons cellulaires. Nous avons en outre pu constater que cette diapédèse, contrairement aux affirmations de la plupart des auteurs, s’effectue aussi à travers les petites artères. Sur une série de coupes, nous avons pu suivre une artér'ole avec ses trois tuniques bien développées ; elle se trouvait située presque à égale distance entre le cartilage de l'oreille et le foyer * microbien ; la moitié de l’artériole qui se trouvait vers le carti-

MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 199

lage était remplie de globules rouges; l’autre moitié qui se trou- vait du côté des microbes était complètement remplie de leuco- cytes qui,.en grande quantité, se trouvaient faufilés le long des fibres musculaires de la tunique moyenne, et avaient déjà traver- sés en partie la tunique externe. Guidés par leur sensibilité chi- mio-tactique, ils ne se trompent pas et se portent ils sont appelés à accomplir leur fonction.

k * *

RECHERCHES SUR LE VIBRION CHOLÉRIQUE. Le cheval dont nous nous sommes servi pour étudier la destruction du vibrion cho- lérique dans le tissu sous-cutané était en voie de vaccination depuis 14 mois, et il avait reçu en 37 injections 189 cultures sur gélose de vibrions vivants très virulents de la Prusse orientale, en partie sous la peau, en partie dans le péritoine. Au moment de nos expériences, il donnait un sérum capable, à la dose de 1/20 de millig., de préserver un cobaye de 250 gr. contre l'injection d’une dose de vibrions trois fois mortelle pour un cobaye témoin ; 1/50 de millig. de ce même sérum provoquait l’agglutination de 1/10 de culture de 24 heures, de vibrions sur gélose, diluée dans 1 c. c. d’eau physiologique stérile.

La destruction des vibrions sous la peau des cobayes neufs, activement et passivement immunisés, a été déjà l’objet de recher- ches très nombreuses, et nos expériences nous ont permis de confirmer l'exactitude des conclusions auxquelles sont arrivés à ce propos M. Cantacuzène ‘, M. Metchnikoff * et M. Mesnil *,

A la suite d’une injection de vibrions vivants sous la peau de notre cheval hypervacciné, jamais nous n'avons pu constater leur transformation en boules en dehors des cellules. Si l’on suit pour ainsi dire minute par minute ce qui se passe depuis le moment de l'injection jusqu'au moment de la disparition com- plète de toute réaction locale, voici ce qu'on peut observer. Presque immédiatement après l'injection, immobilisation des vibrions, qui est complète au bout d’une demi-heure ; puis après ce laps de temps, apparition des leucocytes dont le nombre va

4. Canracuzexe. Recherches sur le mode de destruction du vibrion cholérique. Paris, Steinheil, 4894.

2. Ces Annales, loc. cit.

3. Ces Annales, loc, cit.

200 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

en augmentant graduellement ; dès lors, la phagocytose com- mence et se poursuit activement. Au bout de dix à douze heures, tous les microbes sont dans l’intérieur des cellules. Dans les premières cellules qui apparaissent, on remarque quelques lym- phocytes; bientôt, on ne trouve plus que des mononucléaires et des polynucléaires.

Les vibrions englobés par les polynucléaires se transforment en boules très rapidement, et au bout de 5 à 6 heures tous ont subi celte transformation ; les vibrions englobés par les mononucléaires ne se transforment jamais en boules, et mème 24 et 36 heures après l'injection, on retrouve dans leur intérieur des vibrions ayant conservé leur forme. C’est un fait nouveau que j'ai pu vérifier dans toutes mes expériences.

Comme pour la diphtérie, à chaque prise d’exsudat, nous avons fait des ensemencements sur les milieux de culture ordi- naires (eau peptonisée, gélose) ; en même temps, nous mettions à l’étuve, en chambre humide, des gouttelettes d’exsudat. Tous les ensemencements faits avec des prises d’exsudat dans les 48 premières heures qui ont suivi le moment de l'injection ont toujours donné des résultats positifs. Après 48 heures, l’exsudat ensemencé ne donne plus de culture. Les gouttes suspendues préparées avec des exsudats prélevés dans les six premières heures donnent toujours au bout de 24 heures des cuitures abon- dantes : cependant si, en retirant l’exsudat, on détermine une petite hémorragie dans les gouttes préparées avec de l’exsudat renfermant du sang, on observe la transformation rapide en boules de microbes encore libres, et les gouttes restent stériles.

Si, dans les gouttes préparées avec des exsudats ne renfer- mant pas de sang, on suit attentivement au microscope le déve- loppement des microbes, on voit que les vibrions contenus dans les polynucléaires et transformés en boules ne se développent jamais, et que les cultures proviennent exclusivement des vibrions libres contenus dans l’intérieur des mononucléaires.

Les gouttes, préparées avec des exsudats retirés à partir de la dixième heure après l'injection, restent en général stériles. Exceptionnellement on voit des vibrions ayant conservé leur forme se développer encore dans l’intérieur des mononucléaires ; mais la culture s'arrête là. Dans les gouttes qui restent stériles, les vibrions périssent assez rapidement, et déjà après 20-24 heures

MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 201

de séjour à 37°, leur ensemencement sur la gélose et même dans l’eau peptonisée ne donne pas de culture.

Le liquide d'ædème qui se forme pendant les premières heures qui suivent l'injection et qu’on peut retirer facilement pur, c’est-à-dire sans microbes ni cellules, possède des propriétés spéciales. Mélangé in vitro à une émulsion de vibrions, cet œdème les agglutine très rapidement, mais il est incapable à lui tout seul de les transformer en boules. Une trace de vibrions ensemencée dans une gouttelette de ce liquide s’y développe abondamment : les microbes poussent réunis en amas. Latrans- formation en boules dans le liquide d’œdème peut cependant être obtenue si l’on ajoute, au mélange des vibrions et du liquide d'œdème, une trace de sang ou de sérum du même animal ou d'un animal neuf, même d'espèce différente.

Ces mêmes propriétés avaient été reconnues par M. Metchni- koff' et par M. Bordet* dans l’œdème passif provoqué, par ralentissement de la circulation, chez les lapins et les cobayes vaccinés.

Nous pouvons donc conclure que, contrairement à l'opinion de M. Pfeiffer, 4 transformation en boules et la destruction des vibrions injectés sous la peau des animaux hypervaccinés s'opère dans l’intérieur des leucocytes ; et que dans le cas de l'injection sous- cutanée la transformation en boules des vibrions a lieu seulement dans l'intérieur des leucocytes polynucléaires.

RECHERCHES SUR LE STREPTOCOQUE. —- Pour le bacille diphtérique et le vibrion cholérique, les phénomènes qui suivent l'injection de ces microbes dans le tissu sous-cutané des animaux respec- tivement hypervaccinés sont relativement assez simples, se succèdent rapidement et avec une grande régularité. Pour le streptocoque, l'étude est plus délicate, les phénomènes appa- raissent plus complexes, et seule une observation minutieuse et suivie permet de les interpréter.

Nous avons employé pour nos recherches un échantillon de streptocoque très virulent, obligeamment mis à notre disposition

4. Ces Annales, loc. cit. 2, Ces Annales, loc. cit.

202 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,

par M. Marmorek. A la dose de 1/100,000 c. ce. de culture de 24 heures dans le milieu bouillon-ascite, ce microbe tuait sûre- ment, par injection sous-cutanée, un lapin de 2 kgr. en 20- 26 heures. Le cheval, sur lequel nos expériences ont été faites, avait reçu pendant 26 mois et en 38 injections 4,825 c. c. de culture vivante du même microbe ; son sérum, à la dose de 1 c. c., était capable de préserver un lapin contre l'injection d’une quan- de microbes 100 fois mortelle -pour un lapin neuf de la même taille ; il était, en plus, légèrement antitoxique.

Quand on songe aux difficultés que présente la vaccina- tion des animaux contre le streptocoque, on doit reconnaître que ce cheval était arrivé à un des plus hauts degrés d’immu- nité atteints jusqu’à présent, et il se trouvait relativement dans les conditions les meilleures pour nos recherches.

La réaction locale, qui se manifeste à la suite d'une injection sous-cutanée de 2 c. c. de culture de 24 heures, est beaucoup plus intense et beaucoup plus prolongée que celle que nous observions dans le cas du bacille diphtérique et du vibrion cho- lérique. L’œdème au point d’inoculation, déjà considérable au bout de 2-4 heures, va en augmentant pendant toute la première journée. A partir de ce moment, il diminue graduellement et lentement jusqu’à ce qu'il ne reste plus, 50-60 heures après l'injection, qu'un point empâté simulant un petit abcès, mais qui, cependant, n’aboutit pas à une vraie suppuration. Au bout de 8-10 jours seulement, toute réaction locale a disparu.

Pendant les 6-8 premières heures qui suivent l'injection, les microbes restent libres dans l’exsudat, sous forme d'articles isolés, de diplocoques ou de courtes chaïînettes. Les rares leuco- cytes qu'on trouve à ce moment ne renferment qu'exception- nellement des microbes. Mais la réaction cellulaire, lente à débuter, marche ensuite avec rapidité dans les heures qui suivent, et 10-14 heures après l’inoculation, la quantité de cellules est déjà très considérable ; les mononucléaires sont proporlionnel- lement plus nombreux que les polynucléaires. Malgré la présence de cellules en grande quantité, la plupart des microbes sont encore libres; ceux qui sont englobés se trouvent surtout dans l'intérieur des mononucléaires. C’est seulement 20-24 heures après l'injection que la phagocytose peut être considérée comme complète et c’est alors que l’œdème commence à diminuer.

4

MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 203

Le nombre de phagocytes, à ce moment, est beaucoup plus considérable que celui qui est nécessaire à l’englobement total des microbes ; les mononucléaires sont toujours plus nombreux et englobent la presque totalité des microbes : quelques poly- nucléaires renferment aussi des microbes, mais la plupart sont vides.

Ce qui frappe, c’est la quantité de microbes contenus dans l'intérieur de chaque mononucléaire. Il y en a qui en sont com- plètement remplis; les microbes forment une masse centrale dans une sorte de grosse vacuole; le protoplasma et le noyau de la cellule, qui a doublé de volume, sont refoulés à la périphé- rie. Les polynucléaires qui renferment des microbes n'en ont absorbé que quelques-uns, et leur aspect reste le même. Mais, après cette première période de phagocytose qui est, autant qu’on peut l’affirmer, complète, au bout de 30-36 heures après l’injec- tion, on constate de nouveau l'apparition d’un nombre assez considérable de microbes libres, en partie uniformément répandus dans l’exsudat en articles isolés, en diplocoques ou en courtes chainettes, en partie réunis en petits amas et entourés d’une zone protoplasmique. On constate en même temps que les pha- gocytes mononucléaires, renfermant des microbes, ont considé- rablement diminué comme nombre, et que beaucoup d’entre eux sont en voie de désagrégation. Dans la suite, les mononucléaires deviennent de plus en plus rares, et on n’en rencontre qu'excep- tionnellement dans les exsudats retirés à partir du troisième ou quatrième jour. Le nombre des phagocytes polynucléaires, au contraire, augmente toujours considérablement. Au bout d’un certain temps, leur fonction phagocytaire se manifeste avec activité; ils s'emparent assez rapidement des microbes libres et c’est seulement dans leur intérieur qu’on peut encore les voir, même 5-6 jours après l'injection.

Au moment toute réaction locale va cesser et l’exsudat va disparaître complètement, on voit réapparaitre des leucocytes mononucléaires en assez grande proportion; ce sont de véritables macrophages qui viennent pour englober les débris des cellules détruites. Mais, à ce moment, dans aucune espèce de phagocytes, on ne trouve plus de microbes, et les ensemencements restent parfaitement stériles.

Ce qu'il y a de certain, c’est que la destruction du strepto-

204 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

coque s'opère d'une façon très lente. Des exsudats retirés au bout de cinq ou six jours donnent encore des cultures, bien que, à l'examen direct, on ne trouve plus que de rares granula- tions microbiennes dans l’intérieur des polynucléaires. Ces gra- nulations, en général, prennent très mal la couleur, mais jusqu’au dernier moment conservent la propriété de se colorer d'après la méthode de Gram.

De ce que nous venons de dire, ressort encore une différence remarquable entre le mécanisme de la destruction du strepto- coque et celui du bacille diphtérique et du vibrion cholérique dans le tissu sous-cutané des animaux hypervaccinés. Pour ces deux derniers, une fois la phagocytose complète, leur destruc- tion s'opère de la façon bien connue dans l’intérieur des cellules. Pour le streptocoque au contraire, nous voyons une première phase pendant laquelle il y a englobement de la totalité des microbes, puis une seconde phase avec de nouveau une quantité assez considérable de microbes libres. Ces microbes ne paraissent pas sensiblement altérés : ils se colorent bien par le bleu de Kühne et par la méthode de Gram ; une trace d’exsudat ense- mencée sur le milieu de Marmorek ou sur la gélose donne au bout de 24 heures une culture abondante ; une goutte du même exsudat placée en chambre humide, à l’étuve à 37°, reste stérile. Dans la suite, le nombre de microbes libres diminue très rapidement, tandis que le nombre de cellules renfermant des microbes augmente toujours.

Comment expliquer la réapparition des microbes libres après une phagocytose complète ?

L'étude des préparations faites à chaque prise d'exsudat nous avait montré un changement des caractères de l’exsudat coïnci- dant avec la réapparition de microbes libres. À ce moment en effet, comme nous l’avons déjà dit, le nombre des mononu- cléaires, très nombreux au début, a considérablement diminué; et beaucoup d’entre eux sont en voie de désagrégation et finissent bientôt par disparaître complètement de l’exsudat : dans la suite, c’est seulement dans l’intérieur des polynucléaires qu'on rencontre des microbes. On pouvait done admettre que les mononucléaires qui arrivent immédiatement après l’injection et qui manifestent dès le début une si grande aptitude à englober les microbes étaient par la suite incapables de les

MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS, 205

détruire, et, en se détruisant eux-mêmes, mettaient en liberté les microbes contenus dans leur intérieur.

À l'appui de cette façon de voir, on pouvait invoquer la seconde phase de la phagocytose, ressemblant par sa rapidité à une véritable crise, phase dans laquelle la phagocytose complète et définitive était dévolue aux polynucléaires seuls.

Pour vérifier cette interprétation, nous n'avons pas voulu nous en rapporter simplement aux préparations de l’exsudat étalé sur des lames, mais nous avons voulu étudier sur des coupes, après fixation, l'endroit d'inoculation au moment de la réapparition des microbes libres. Nous avons fait nos expé- riences sur des lapins. Nous leur inoculions un jour sous la peau 10 c. c. d'un sérum anti-strepltococcique dont 1 c.c. était capable de protéger un lapin contre une dose cent fois mortelle des microbes vivants; puis le lendemain nous leur injections sous la peau de l'oreille 0,1 ou 0,2 c. c. d’un streptocoque capable de tuer un lapin neuf, de la même taille, à la dose de 1,100,000 de c. c. Par des prises successives de l’exsudat au point d’inoculation, nous avons pu constater que, chez les lapins vaccinés dans ces conditions, les phénomènes de la destruction des microbes se succédaient identiques à ceux que nous avions observés chez le cheval. La phagocytose des microbes injectés paraissait complète, au bout de 16 à 18 heures, et c'étaient loujours des mononucléaires qui arrivaient dès le début en proportion plus considérable que les polynucléaires, et qui englobaient les microbes très activement. Puis, à cette première période, en succédait une autre dans laquelle un certain nombre des microbes redevenaient libres pendant que les mononucléaires renfermant des microbes étaient diminués comme nombre et en grande partie détruits. À ce moment-là, nous enlevions le mor- ceau d'oreille correspondant au point d’inoculation qui, après fixation au sublimé acétique et durcissement, nous servait à faire des coupes que nous colorions au carmin aluné, puis par la méthode de Gram.

Ces coupes nous montraient au centre une masse nécrotique dans laquelle on pouvait encore distinguer des leucocytes mononucléaires en voie de destruction, une grande quantité des microbes libres, et enfin, çà et là, quelques polynucléaires bien conservés et renfermant des microbes. Tout autour de

206 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ce foyer nécrotique, une abondante infiltration cellulaire, constituée presque exclusivement par des polynucléaires. Cette infiltration s'étend très loin du point d'inoculation; les leuco- cytes qui se trouvent dans le voisinage de la masse nécrotique sont absolument gorgés de microhes ; à mesure qu’on s'éloigne de ce foyer, le nombre des cellules renfermant des microbes diminue jusqu’au moment on ne trouve que des cellules vides. La démonstration ne nous semble pas pouvoir être plus complète.

La destruction du streptocoque dans le tissu sous-cutané des ani- Maur achivement passivement hypervaccinés comprend donc trois phases bien distinctes. Une première phase dans laquelle les mono- nucléaires semblent à eux seuls absorber la presque totalité des microbes : une seconde phase dans laquelle il y a destruction des mononucléaires et réapparition de microbes libres, el enfin une dernière phase dans laquelle les polynucléaires englobent les microbes redevenus libres et en assurent la destruction définitive.

Lu

Pour l’étude de la destruction du bacille diphtérique nous avons employé un cheval hypervacciné contre la toxine diphté- rique et qui donnait un sérum doué d’un pouvoir antitoxique très fort. Pour le vibrion cholérique, nous avons employé un cheval fortement immunisé contre les microbes vivants; son sérum, doué d’un pouvoir antiinfectieux très fort, se montrait complètement dépourvu de tout pouvoir antitoxique. Pour le streptocoque enfin, le cheval qui nous a servi était vacciné contre les microbes vivants, et son sérum était fortement préventif et un peu antitoxique.

Nos recherches nous ont démontré tout d’abord que, au point de vue général de la destruction des microbes sous la peau des animaux hypervaccinés, il n’y a pas de différences essen- lielles dans le cas de l’immunité antitoxique et de l’immunité antinfectieuse ; dans tous les cas, nous avons vu en effet que l'organisme arrive à se débarrasser des microbes, grâce à l’acti- vité des leucocytes qui les englobent, les tuent et les détruisent.

Nous avons aussi pu constater que, dans le tissu sous-cutané des animaux hypervaccinés, les leucocytes doués de propriétés phago- Cylaires n'interviennent pas tous dans la même proportion et

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n'agissent pas de la même façon sur les microbes qu'ils ont englobés.

Pour les microbes que nous avons étudiés, ce sont surtout les leucocytes polynucléaires qui se sont montrés doués des propriétés bactéricides les plus énergiques. Dans le cas de la diph- térie, en effet, les leucocytes mononucléaires n'interviennent presque pas. Les vibrions cholériques englobés par les polynu- cléaires sont aussitôt transformés en boules et périssent rapide- ment ; les vibrions englobés par les mononucléaires, au contraire, conservent constamment leur forme et périssent plus len- tement. Dans le cas du streptocoque, les mononucléaires arrivent dès le début en très grand nombre et phagocytent la plupart des microbes, mais ensuite en grande partie au moins périssent et se désagrègent ; les streptocoques, mis en liberté par la destruction des mononucléaires, sontde nouveaux phago- cytés par les polynucléaires, et c’est dans l’intérieur de ceux-ci qu'ils sont tués et digérés.

De l’ensemble des faits que nous venons d'exposer, résulte encore que,à aucun momentavant d’être englobés,les microbes ne présentent de changement appréciable ni dans leur forme ni dans leur aspect général; inutile d'insister sur ce fait, depuis longtemps démontré et qui résulte aussi nettement que possible de l'exposition détaillée que nous venons de faire de nos expé- riences sur les animaux hypervaccinés, que les microbes sont englobés à l’état vivant.

Un point très délicat et encore discuté, même par un cer- {ain nombre des partisans convaincus de la théorie cellu- laire de l'immunité, c’est de savoir si les microbes injectés à un auimal immunisé perdent leur virulence par l’action directe des humeurs avant d'être phagocytés.

Nous avons fait des recherches à ce sujet, et voici ce que nous avons pu constater. Pour le bacille diphtérique et le vibrion cholérique, l’inoculation directe chez les cobayes (sous la peau pour la diphtérie, dans le péritoine pour le vibrion) de quelques gouttes d’exsudat retiré même très peu de temps après l'injection (1-2 heures) n’a jamais déterminé un état de maladie appréciable; il n'y à rien d'étonnant à cela, d'abord parce que l'exsudat renfermait une quantité trop petite de microbes qui n’agissent qu’à des doses relativement assez fortes (1/10 de culture sur bouillon pour la diphtérie, 1/30 de culture sur gélose pour le

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vibrion que nous employions), et puis parce que, ayant affaire à des animaux très fortement immunisés et qui donnaient des sérums actifs à des doses très petites (quelques fractions” de m.m.gr.), nous injections avec l’exsudat des quantités de substances, antitoxiques pour la diphtérie, préventives pour le choléra, capables de les préserver contre des doses plusieurs fois mortelles de virus.

Dans le cas du streptocoque, au contraire, nous avions affaire d’abord à un microbe extrêmement virulent, et puis à un cheval qui donnait un sérum beaucoup moins actif.

Pendant les premières 16-18 heures qui suivent l'injection, le sireptocoque conserve dans le tissu sous-cutané du cheval immunisé toute sa virulence : l’exsudat, à la dose de 1-2 gouttes, tue par injection sous-cutanée un lapin dans l’espace de 24-36 heures, ce qui représente à peu près le laps de temps né- cessaire pour Luer un lapin de la même taille avec une dose mor- telle d’une culture du même microbe. L’exsudat retiré au bout de 24-30 heures, au moment la phagocytose des mononu- cléaires est, autant qu’on peut l’affirmer, complète et au moment de la réapparition des microbes libres, est encore capable de tuer un lapin dans l’espace de deux à trois jours, avec généra- lisation des microbes dans le sang.

La plupart des lapins injectés avec des exsudats retirés à partir de la 36° heure après l'injection résistent; 1l y en a pour- tant qui meurent au hout de 9-12 elmème 14 jours, cachectiques et sans microbes, ni au point d’inoculation, ni dans le sang, ni dans la rate.

Pour le streptocoque, nous pouvons donc conclure que, tant qu’il existe des microbes libres daus l’exsudat sous-cutané, il n’est pas possible de voir une modification appréciable dans la virulence des microbes injectés, et que même les microbes englobés pendant la première phase phagocylaire sont tou- jours capables de donner l'infection mortelle.

*

+ +

Pendant nos recherches, nous avons eu l'occasion d'observer encore un fait assez intéressant et qui mérite d’être signalé.

On sait depuis longtemps que certains microbes peuvent, dès qu’ils se trouvent dans l’intérieur des phagocytes, changer

MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS, 209

leur réaction vis-à-vis des matières colorantes et, au lieu de prendre les couleurs basiques, ils peuvent fixer une couleur acide, l'éosine par exemple.

M. Metchnikoff, le premier, l’a constaté pour le vibrion cholé- rique, puis M. Cantacuzène pour le vibrio Metchnikowi, M. Mesnil pour la bactéridie charbonneuse chez le lézard, M. Marchoux pour le même microbe chez les lapins immunisés, M. Bordet pour le bacille diphtérique, le streptocoque, le proteus vulgaris dans l'in- térieur des leucocytes du cobaye.

J'ai voulu rechercher si le bacille diphtérique, le vibrion cholérique et le streptocoque dans les leucocytes du cheval devenaient aussi éosinophiles, et à chaque prise d’exsudat j'ai traité un certain nombre de préparations avec la méthode bien connue de la double coloration à l’éosine-bleu de méthylène, après fixation dans la solution aqueuse concentrée d’acide picrique. À aucun moment, pas même dans les préparations faites avec des vieux exsudats retirés au bout de 48-60 heures, nous n'avons pu constater ce changement de réaction des mi- crobes contenus dans l’intérieur des cellules.

Les animaux chez lesquels on a décrit ce changement ont des leucocytes à granulations pseudo-éosinophiles : or, chez lecheval, on ne rencontre jamais des leucocytes à granulations pseudo- éosinophiles, mais on rencontre, comme M. Ebrlich l’a indiqué, des leucocytes à granulations neutrophiles.

Nous avons traité des préparations avec le mélange neu- trophile d’'Ehrlich, et nous avons pu constater qu'un certain nombre des microbes qui se trouvent à l'intérieur des cel- lules finissent par prendre la couleur des granulations neu- trophiles. Dans les vieux exsudats, quand on ne trouve plus trace de microbes, la presque totalité des leucocytes renferme des granulations neutrophiles. La proportion de ces cellules a donc nettement augmenté.

C’est un fait assez intéressant, non seulement au point de vue général de l’origine de certaines granulations qu’on peut ren- contrer dans les leucocytes, mais au point de vue général de la digestion intra-cellulaire des bactéries.

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ACTION DE LA TONINE DIPHTÉRIQUE SUR LES MUQUEUSES

Par MM. V. MORAX #r M. ELMASSIAN,.

(Travail du laboratoire de M. Roux à l’Institut Pasteur.)

Dans leurs remarquables recherches sur la toxine diphtérique, MM. Roux et Yersin se sont plus particulièrement occupés de déterminer les effels généraux produits par cette substance. Cependant ils avaient vu que, lorsque l’on injecte dans le tissu cellulaire la toxine diphtérique fixée au précipité de phosphate de chaux, il se produit au siège de l’inoculation des lésions plus intenses que celles qui suivent l'injection de toxine filtrée. « L’æœdème est plus hémorragique, les vaisseaux plus dilatés; il semble que le poison, diffusant plus lentement, produise une action plus intense. Les grains de phosphate de chaux sont emprisonnés dans un réseau de fibrine mêlé de globules blancs, véritable fausse membrane quirappelle celle que cause l'injection du microbe lui-même ».

Malgré cette expérience qui montrait le rôle de la toxine dans la production de la fausse membrane, on admettait généralement que, pour réaliser expérimentalement des lésions pseudo- membraneuses chez les animaux, il était nécessaire d’inoculer sur des muqueuses, préalablement lésées, des cultures vivantes de bacilles diphtériques.

MM. Roger et Bayeux * s’élevèrent contre cette conception en se basant sur les résultats obtenus par l'injection intra-tra- chéale de toxine diphtérique chez le lapin. Sur les onze lapins de leurs expériences, trois moururent d'intoxication, dans un délai de 24 heures à 4 jours, sans présenter de lésions locales ;

4. Roux gr Yersin, Contribution à l'étude de la diphtérie. Annales de l'Institut Pasteur, avril 1889, p. 285. 2. RoGer Er Bayeux, Sur le rôle de la toxine diphtérique dans la formation des

fausses membranes. Comptes rendus de la Société de biologie. Séance du 43 mars 1897, p. 265.

TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 211

chez six autres animaux, ils ont constaté, par contre, la pré- sence de fausses membranes glottiques ou trachéales. Les fausses membranes laryngées déterminèrent chez quelques-uns d’entre eux un obstacle à la respiration et réalisaient ainsi, dans une certaine mesure, l’image de la diphtérie laryngée. De ces expé- riences, ils concluent qu’on peut produire des fausses membranes au moyen de la toxine diphtérique sans léser au préalable les muqueuses.

Dans un travail commencé peu après la publication de ces résultats, M. le D' H. Coppez' étudie les lésions produites par l’instillation de la toxine diphtérique sur les membranes oculaires, dans le but de déterminer la pathogénie des lésions cornéennes de la diphtérie. N'ayant pas obtenu de lésions par la seule inslillation, sans traumatisme ou sans altération préalable de la cornée ou de la conjonctive, alors que ces lésions appa- raissaient lorsque la cornée était lésée, il en conclut que si la toxine estla cause des altérations cornéennes, celles-ci ne peuvent se produire lorsque l'épithélium cornéen est intact.

Il nous a paru intéressant de reprendre ces expériences pour déterminer exactement la part de vérité contenue dans ces deux conclusions en apparence opposées.

La toxine diphtérique, qui nous a servi dans toutes nos expé- riences, nous à été obligeamment fournie par M. Martin. Cette toxine, identique à celle qui a servi aux expériences de MM. Roger et Bayeux, tuait le cobaye de 500 grammes à la dose de + ec. c. et le lapin de 2 kilogrammes à la dose de + c. c. par injection sous-cutanée.

Nous avons tenté tout d’abord de répéter les expériences de Roger et Bayeux sur le lapin ; malheureusement ces savants ne donnent pas d'indications détaillées sur le manuel opératoire de leur injection intra-trachéale, L'injection de toxine pratiquée avec une canule introduite dans le larynx par la voie buccale est impos- sible si l’on veut éviter de blesser la muqueuse laryngée. Le frottement, même léger, de la canule sur la muqueuse peut provoquer une érosion épithéliale qui modifie considérablement les conditions d'absorption de la toxine. Pour nous mettre à l'abri

1. H. Correz, Des altérations cornéennes dans la diphtérie de l'œil et du trai- tement local par le sérum. Revue générale d'ophthalmologie, 1897. No 5, p. 197,

242 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

de cette cause d’erreur, nous avons choisi l'injection intra-tra- chéale après l’incision de la peau du cou. La trachée est mise à nu et, à l’aide d’une fine aiguille introduite entre deux anneaux cartilagineux, on peut injecter le liquide dans la trachée, en rédui- sant le traumatisme au minimum, et en déposant la toxine à distance du point lésé de la muqueuse.

Deux lapins ont été inoculés de cette manière. L’un d’eux ne présenta aucune lésion pseudo-membraneuse locale; chez l’autre, par contre, il existait une petite fausse membrane limitée au point de pénétration de l'aiguille.

Expérience I. Lapin de 1,870 grammes. Le 23 juin 1897, injection intra-trachéale de 0,6 ce. c. d’une dilution au 1/5 de la toxine; aucun trouble les jours suivants. Le lapin est sacrifié le 26 juin. Autopsie : pas de lésions trachéales, un noyau de congestion et d’œdème dans le poumon droit.

Expérience II. Lapin de 1,940 grammes. Le 23 juin 1897. Injection . intra-trachéale de 0,25 c. c. d’une dilution au 1/5 de toxine diphtérique.

Mort spontanée le 26 juin, sans trouble respiratoire apparent. Autopsie : une petite fausse membrane adhérente au point correspondant à la péné- tration de l’aiguille et de la dimension d’une lentille. Congestion et œdème du lobe pulmonaire droit.

Le léger traumatisme causé par l’aiguille de la seringue paraissait avoir nettement favorisé la production pseudo-mem- braneuse. Du reste, l’intensité des lésions pulmonaires démon- trait clairement que l'absorption de la plus grande partie de la toxine s’était faite au niveau des bronches et des alvéoles pul- monaires. Pour éviter toutes lésions traumatiques de la couche épithéliale et pour obtenir un contact plus prolongé de la toxine avec la muqueuse, nous avons, alors, expérimenté sur le pigeon dont le larynx est facilement accessible. Par la simple ouverture du bec, il est facile de faire tomber goutte à goutte la quantité de toxine désirée sur les parois du larynx et de la trachée. encore, nos essais ont donné des résultats absolument négatifs, au point de vue de la production des lésions locales. Nous n’en avons cependant pas conclu que ces lésions n'étaient pas réali- sables, et nous avons cherché à nous rapprocher autant que pos- sible des conditions dans lesquelles se produit l'absorption de la toxine sur les muqueuses atteintes d’inflammation diphté- rique. Là, en effet, on peut admettre que l'absorption est lente el continue,

TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 243

La muqueuse oculaire nous a paru beaucoup plus apte à la réalisation expérimentale de ces conditions que la muqueuse respiratoire, c'est, en définitive, à l'étude des lésions produites par l’absorption de la toxine dans le sac conjonctival que nos recherches se sont limitées. Ainsi que nous l’avons dit, Coppez déclare que l'instillation de toxine diphtérique dans l’œil non traumatisé du lapin ne provoque aucune réaction locale ou générale. Mais, dans son unique expérience, Coppez se con- tente d’instiller une goutte d'heure en heure. Dans ces condi- tions, la quantité de toxine mise en contact avec la conjonctive ou la cornée est excessivement faible, d'autant qu'elle est en grande partie balayée par la sécrétion lacrymale. Pour obtenir une absorption continue, nous avons pensé tout d'abord à incorporer la toxine à de petits disques de gélose, introduits entre les paupières et le globe oculaire, et laissés en contact pendant un temps variable. Dans ces conditions, on voit se développer, après 36 heures, des lésions pseudo-membraneuses des plus nettes. Mais nous nous sommes vite aperçus que, malgré le frottement minime qui résultait de la présence de ce disque de gélose, il se produisait néanmoins des lésions épithé- liales de la conjonctive et de la cornée qui, à elles seules, favo- risaient considérablement l'absorption de la toxine. Finalement, nous nous sommes arrêlés au procédé d’instillations fréquentes et prolongées qui nous a donné des résultats fort précis.

Voici comment nous avons procédé : 2 c. c. de toxine diphté- rique sont étendus de 8 ce. c. de solution physiologique stéri- lisée de chlorure de sodium. Cette dilution au 1/5 est instillée à l’aide d’un compte-gouttes, de trois en trois minutes, dans l'œil d’un lapin. Il suffit pour cela de relever la paupière supérieure avec le doigt, en laissant tomber la goutte sur le bord supérieur de la cornée. Les instillations sont répétées pendant un mini- mum de 8 à 10 heures consécutives. On aura soin, avant de commencer les instillations, de couper les cils, de manière à éviter leur pénétration entre les paupières. De cette manière, on supprime tout traumatisme et, bien qu’une partie de la toxine passe sur la face cutanée de la paupière, ou s'écoule par les voies lacrymales, on réalise ainsile contact à peu près con- tinu de la toxine avec la muqueuse oculaire, et l’on peut suivre très exactement la marche du processus inflammatoire qui en

214 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

résulte, en écartant toutes les causes étrangères à cette action.

Pendant la durée des insüllations, la muqueuse oculaire reste sensiblement normale, et ce n’est guère que 10 heures” après le début des instillations qu’il se manifeste une très légère hyperémie conjonctivale, sans aucun trouble cornéen. Cette hyperémie s'accroît progressivement. Le lendemain matin, c’est-à-dire 24 heures après le début de l’instillation, les signes oculaires deviennent plus marqués. On constate déjà un cer- tain degré d’œdème palpébral; cet œdème est surtout appa- rent à la paupière supérieure. Celle-ci ne se relève qu’incom- plètement. Dans l’angle interne de la fente palpébrale, on remarque un peu de sécrétion jaunätre, formée par des leu- cocytes.

La conjonctive tarsienne et bulbaire est injectée et œdè- maliée; la cornée ne présente encore aucun trouble; on voit parfois dans le cul-de-sac inférieur des concrétions purulentes qu'il ne faudrait pas prendre pour des fausses membranes. En effet, elles ne présentent aucune adhérence à la muqueuse sous- jacente, et un filet d’eau suffit pour les enlever. Cette conges- tion intense de la conjonctive augmente encore dans les 24 heures qui suivent, et c’est le surlendemain seulement, 48 heures après le début des insüllations, que le processus inflammatoire atteint son acmé.

A ce moment, l’aspect de l’œil reproduit exactement l’aspect clinique de la conjonctivite diphtérique : le gonflement palpé- bral est considérable, la paupière supérieure œdématiée est en contact avec la paupière inférieure et ne peut se relever sponta- nément. De l’angle interne de la fente palpébrale s’écoule une sécrélion séro-purulente. Lorsqu'on écarte les paupières, on constate sur la muqueuse tarsienne une exsudation fibrineuse blanchâtre, continue, adhérente à la muqueuse, etne pouvant en être détachée sans suintement sanguin. Au niveau de la conjonc- tive bulbaire, l’exsudation pseudo-membraneuse est moins évi- dente, etsurtoutn’y forme pas unrevêtementcontinu ; le chémosis, par contre, y est très marqué. La cornée présente assez souvent, mais non d’une manière constante, des lésions d’un aspect assez particulier et qui se rapprochent de celles que l’on rencontre dans la diphtérie oculaire humaine. Ces lésions consistent en un trouble diffus et de coloration opaline. La cornée a perdu

TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 215

si

son reflet normal, elle est dépolie et présente une surface légè- rement irrégulière. Ce trouble n’est pas uniformément réparti, il prédomine dans la moitié interne, ce qui s'explique par ce fait que cette partie de la cornée est en contact plus continu avec la toxine et que l’absorption y est par conséquent plus considérable.

Le troisième jour, les lésions persistent au même degré, puis le gonflement diminue. Les fausses membranes se détachent, mais il persiste encore de l’œdème et de l'injection conjonctivale. Le trouble cornéen ne progresse plus.

Le quatrième jour, on n’observe plus qu'un peu d'injection conjonctivale. Le trouble cornéen s’atténue à la périphérie. Les jours suivants, la cornée reprend progressivement sa transpa- rence normale et, après une quinzaine de jours, l’opacité cor- néenne a complètement disparu.

Quant aux phénomènes généraux qui accompagnent les manifestations locales, ils sont peu apparents. L'étude de la courbe de température montre cependant une légère élévation thermique qui n’atteint jamais 1 degré, et qui ne s’observe que le jour de l’instillation et le lendemain.

Lorsque l'animal ne meurt pas dans les 6 premiers jours, ce qui est assez fréquent, il subit une perte de poids très marquée, et il est rare que la mort par cachexie ne se produise pas dans les 15 jours ou 3 semaines qui suivent l'instillation.

Lorsque la mort survenait dans les premiers jours, nous avons toujours eu soin d'examiner les fosses nasales et de recher- cher s’il existait des lésions congestives ou pseudo-membraneuses de la piluitaire, mais jamais nous n’en avons observé.

C’est que la toxine qui s'écoule avec la sécrétion lacrymale dans les voies lacrymales et les fosses nasales est trop diluée pour provoquer une lésion locale.

Nous aurons à revenir sur le rôle de la dilution dans [a production des lésions locales. |

Nous avons POUR parallèlement l'étude histologique des lésions provoquées par la toxine. Pour suivre la marche des lésions, les yeux ont été énucléés 4 heures, 8 heures, 24 heures, 36 heures et 48 heures après le début des instillations

4. Dans une première série d'expériences, nous avons fixé les yeux dans une solution de formol à 10 0/0. Lorsque nous avons voulu mettre en évidence la fibrine, au moyen de la méthode de Weigert, nous nous sommes aperçu que,

216 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Après 4 heures on ne constate aucune lésion des membranes oculaires. L’épithélium conserve ses caractères normaux, et il est impossible de constater une diapédèse ou une dilatation vasculaire plus marquée que dans l’œil non instillé.

Ces modifications n'apparaissent guère d'une manière certaine qu'après 8 heures. On constate alors au niveau du cul-de-sac et au voisinage du limbe cornéen une infiltration cellulaire discrète. Les vaisseaux conjonctivaux sont un peu plus dilatés. Sous l'épithélium de la conjonctive tarsienne on trouve quel- ques rares leucocytes infiltrés. La cornée est absolument normale.

Après 24 heures ces lésions sont plus accusées. L’infiltration leucocytaire est très manifeste, l’épithélium de la conjonctive tarsienne est disloqué. Cette infiltration cellulaire existe égale- ment au niveau du limbe cornéen. Elle y forme une nappe circu- laire au-dessous de la membrane de Bowmann. Cette infiltration s’avance à un millimètre environ dans la cornée. A son niveau l’épithélium forme encore une couche continue, mais les cellules superficielles sont un peu gonflées.

Après 36 heures, on rencontre en certains points de la conjonctive tarsienne de petits exsudats, formés par une accumula- tion de leucocytes, et au niveau desquels l’épithélium a complè- tement disparu. Dans la profondeur de la muqueuse l'infiltration cellulaire et l’hyperémie sont des plus marquées. L'infiltration leucocytaire superficielle de la cornée est plus étendue, mais le revêlement épithélial est encore continu.

Après 48 heures, l'exsudation pseudo-membraneuse auniveau de la conjonctive tarsienne est considérablement augmentée et forme un revêtement continu, plus épais au niveau de la région tarsienne qu’au niveau des culs-de-sac. L’épithélium n’y est plus reconnaissable. L'exsudat est formé par une accumulation de leucocytes polynucléaires et de globules enserrés sanguins dans un réseau de fibrine, que la méthode de Weigert met bien en évidence. Les vaisseaux sous-conjonctivaux sont fortement dilatés. Du côté de la cornée on constate une desquamation épithéliale limitée en général à un secteur de la cornée. L’infil-

sous l’influence de ce fixateur, la fibrine perdait la propriété de se colorer par le

violet de gentiane. Les yeux fixés avec de l’alcool nous ont donné, au contraire, des résultats trés nets.

TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 217

tration cellulaire superficielle est diffuse, mais elle est surtout marquée dans les parties dénudées d'épithélium. L’endothélium de Descemet ne présente pas d’altération manifeste. Dans la chambre antérieure on constate quelques leucocytes polynu- cléaires, mais on remarque surtout une exsudation fibrineuse prédominant dans les parties déclives et au niveau de l’angle irido-cornéen.

Du côté de l'iris les modifications consistent uniquement en une dilatation vasculaire.

En résumé, les modifications histologiques qui se dévelop- pent par suite de l'absorption de la toxine à la surface de la conjonctive non lésée, consistent dans une dilatation vasculaire avec réaclion leucocytaire, qui suit une évolution progressive à partir du moment se fait l'instillation, mais qui n’atteint son maximum qu'après 48 heures. Pendant les 36 premières heures, les phénomènes histologiques réactionnels ne diffèrent en rien des phénomènes banaux. C’est à partir de ce moment seulement que l’on peut metirenettement en évidencel’exsudation fibrineuse. Cette exsudation se fait d’une part à la surface de la muqueuse, d'autre part dans la profondeur des tissus, ou dans la chambre antérieure de l’œil. Dans l'épaisseur de la muqueuse proprement dite, la méthode de Weigert ne met la fibrine en évidence que dans la paroi des petits vaisseaux.

La réaction inflammatoire est plus particulièrement marquée au niveau de la conjonctive tarsienne. Du côté de la cornée, les phénomènes réactionnels sont plus tardifs. Ils se traduisent par la desquamation épithéliale, et on n’observe jamais d’exsudation fibrineuse à la surface de la cornée.

De ces constatations macroscopiques et histologiques, nous pouvons conclure que toutes les lésions locales qu’on observe dans la diphtérie peuvent être attribuées à la seule action de la toxine, et que cette toxine peut être absorbée par une muqueuse n'ayant subi aucune altération.

Ce point n’avait pas été nettement établi par les expériences de Roger et Bayeux. On sait en effet que les conditions d’absorp- tion des muqueuses sont très différentes suivant que l’épithé- lium qui les recouvre est normal ou qu’il a subi des modifications traumaliques ou autres, même légères. Le rôle protecteur de lépithélium des muqueuses contre l'absorption des liquides est

218 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

un fait bien établi, et l’intéressante thèse de Mermet'a précisé nos connaissances à cet égard.

Si l’on détruit l’épithélium cornéen ou conjonctival par cau- térisation ou par un traumatisme quelconque, ainsi que l’a fait Coppez dans ses expériences, on active l’absorption de la toxine au niveau des lésions, dans des proportions considérables, et l'instillation continuée et prolongée devient inutile. Si nos expé- riences viennent à l'appui des conclusions de MM. Roger et Bayeux, elles nous portent à croire qu'ils n’ont pu obtenir de fausses membranes, après une ou deux injectionsintra-laryngées, qu'en traumatisant l’épithélium de cette membrane avec la canule de leur seringue, [a muqueuse laryngée ou trachéale, ainsi que nous l'avons vu par nos expériences, ne diffère pas sensiblement, par ses propriétés absorbantes vis-à-vis de la toxine diphtérique, de la muqueuse conjonctivale.

On pouvait objecter à nos expériences la réaction alcaline de la toxine employée, et admettre que ce liquide alcalin provoque une altération primitive de l’épithélium. Mais nous avons tou- jours eu soin de diluer la toxine dans une solution neutre, de telle sorte que l’alcalinité de la solution devenait excessivement faible*. M. Martin nous a fourni d’aillenrs une toxine diphté- rique solide, avec laquelle nous avons obtenu les mêmes résultats. Cette toxine solide nous a permis, en outre, d'étudier les condi- tions de dilution nécessaires pour provoquer une lésion locale, et aussi de préciser le rapport qui existe entre l’absorption à la surface des muqueuses saines et l'injection dans le tissu cellulaire sous-cutané.

Cette toxine solide tuait, à la dose de 1/2 milligramme, un lapin de deux kilogrammes en 3 jours. Pour tuer un lapin de même poids dans un temps sensiblement égal, par instillation dans le sac conjonctival non lésé, il faut instiller une dose de 20 milligrammes au moins. Dans ces conditions, la lésion locale est presque nulle. Lorsque l’on prend une dose inférieure

1. Merwer, Etude expérimentale sur l’absorption et la diffusion cornéennes, Thèse'‘de Paris, 1897, (Steinheil, éd.)

2, Nous avons aussi répété l'expérience dans les mêmes conditions avec de la toxine chauffée, avec de la toxine additionnée d’une dose exactement neutrali- sante de sérum antidiphtérique, et avec du bouillon stérile. L'œil du lapin n’a présenté aucune réaction à la suite de ces instillations, malgré l'ouverture répétée des paupières.

TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. | 219

à 20 milligrammes, cette dose ne produit de lésions locales que si elle est fortement diluée et si linstillation se fait dans les conditions que nous avons citées plus haut, c’est-à-dire pendant 9 à 10 heures consécutives au moins.

Disons encore que l'injection de toxine, dans l'épaisseur de la muqueuse, ne provoque qu'une réaction locale très peu marquée, et qui ne diffère pas de ce qu’on observe lorsque l’in- jection est faite dans le tissu sous-cutané.

Nous avons répété ces expériences d’instillation, avec quatre toxines d’origine différente, dans le but d'établir s’il existait, pour des toxines d’origine différente, une prédominance d’action locale ou générale. Nous avons constaté alors que la réaction locale était en rapport direct avec la toxicité générale de la toxine, et que si l’on avait soin de faire des dilutions dont, à dose égale, la toxicité était la même, on obtenait toujours des réac- tions locales identiques.

Chez deux lapins qui avaient survécu aux instillations de toxine et chez lesquels les lésions oculaires avaient complète- ment disparu, nous avons répété l'instillation de la toxine après 12 jours chez l’un, et un mois chez l’autre, de manière à voir s'il existait un certain degré d’immunité locale, mais nous n'avons DSC aucune différence dans les réactions à la première ou à la seconde instillation.

Il va sans dire que, lorsqu'on fait la deuxième instillation peu de jours après la première, les lésions observées sont beau- coup plus intenses: c’est que, dans ces conditions, l'absorption est facilitée dans des proportions énormes, par les lésions des couches superficielles de la muqueuse.

On peut réaliser des lésions pseudo-membraneuses très mar- quées de la conjonctive en faisant le premier jour une instilla- tion de toxine diluée au 1/5 pendant 3 ou 4 heures, puis en répétant cette instillation pendant 1 à 2 heures le lendemain, lorsque, sous l'influence des premières doses de toxine, il s’est développé un peu d’æœdème et de congestion conjonctivale. Dans ces conditions, les lésions sont le plus marquées 36 à 48 heures après la deuxième instillation. Si nous ne nous sommes pas arrèlés à ce procédé, c’est que nous tenions avant tout à nous rendre exactement compte de la manière dont se comporte la toxine vis-à-vis de l’épithélium non altéré. L'examen histolo-

220 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

gique nous a montré que la couche épithéliale restait normale pendant les 8 premières heures, c’est-à-dire pendant tout le temps que dure l’instillation. On peut admettre, dans ces con- . ditions, que l'absorption de la toxine s’est poursuivie en quelque sorte normalement. Au contraire, après 24 heures, l’épithélium a déjà subi des altérations manifestes qui ont pour etfet de mo- difier complètement les conditions d'absorption.

Ces expériences sur l’absorption de la toxine diphtérique à la surface des muqueuses non altérées peuvent, semble-t-il, nous faire comprendre leur action lente sur les cellules de l'organisme et le temps qui s'écoule entre le moment la toxine est mise en contact avec les cellules et celui les réac- tions cellulaires se développent.

Que l’on compare, en effet, l'absorption des alcaloïdes, sels cristallisables, à la surface de la muqueuse oculaire, avec l’ab- sorption des toxines, comme la toxine diphtérique ou tétanique. Pour les alcaloïdes, l'absorption est presque immédiate, et les ellets physiologiques produits par ces substances se manifestent fort peu de temps après l’instillation ou l'injection hypoder- mique. Pour les toxines, au contraire, l'absorption ne se fait que très lentement; il faut un contact prolongé des cellules avec la toxine pour que celle-ci pénètre les éléments cellulaires et pro- voque la réaction physiologique par laquelle nous jugeons de son action. Il nous semble donc que dans l'interprétation de cette action tardive des toxines, il faut tenir compte des pro- priétés physiques de diffusion de ces substances {qui, par ce caractère tout au moins, se rapprochent beaucoup des albumi- noïdes). Nous reviendrons d’ailleurs, dans un mémoire ulté- rieur, sur ces phénomènes d'absorption des toxines, et sur les déductions pathogéniques qui en découlent.

Nous avons tenu à nous limiter, dans ce travail, à l’étude de l'absorption de la toxine diphtérique à la surface des mu- queuses, et, de ces recherches répétées sur un grand nombre de lapins, nous concluons :

La toxine diphtérique instillée sur la muqueuse oculaire, en l'absence de toute lésion et de tout traumatisme de la couche épithéliale, provoque des lésions locales qui n’atteignent leur acmé que 36 à 48 heures après le début de l’instillation, et qui ne diffèrent en rien de celles que provoque linoculation du

TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 221

bacille diphtérique. Les lésions locales de la diphtérie doivent, par conséquent, être attribuées, pour la plus grande part du moins, à l’action toxique.

Lorsque l’épithélium de la muqueuse n’est pas lésé, c’est-à- dire lorsque l'absorption de la toxine instillée dans le sac con- jonctival se poursuit d’une manière normale, le contact de la toxine avec la couche épithéliale doit être prolongé pendant 8 à 10 heures au moins, si l’on veut obtenir le maximum de réac- tion locale. Il faut en outre que cette toxine soit dans un état de dilution telle que son absorption ne détermine pas l’intoxication générale rapide, et que la quantité totale de la toxine instillée soit un peu inférieure à 30 ou 40 fois la dose mortelle pour le lapin, par injection sous-cutanée.

Les lésions cornéennes apparaissent plus tardivement que les lésions conjonctivales; mais si le traumatisme local favorise leur apparition en facilitant l'absorption de la toxine diphté- rique, ces lésions de la cornée peuvent néanmoins se déve- lopper en dehors de toute dénudation épithéliale.

RÉSUMÉ DE QUELQUES EXPÉRIENCES

Nous avons répété nos expériences sur de nombreuses séries de lapins. Pour éviter des longueurs, nous limiterons le compte rendu de ces recherches à quelques expériences choisies parmi les plus typiques.

Exp. XIV. Lapin de 1,675 grammes. Le 2 juillet 1897, on instille pendant 7 h. 1/2 consécutives, dans l'œil droit, 1,5 c. c. d'une dilution au 1/5 de la toxine diphtérique Martin.

3 juillet. Injection conjonctivale légère avec un peu de sécrétion.

4 juillet. Congestion intense de la conjonctive tarsienne avec quel- ques exsudats pseudo-membraneux sur la membrane clignotante et la con- jonctive tarsienne inférieure. Léger trouble cornéen à la partie interne et supérieure. OEdème palpébral peu accusé.

5 juillet. Le trouble cornéen est un peu plus marqué. Plus d’exsudats pseudo-membraneux sur la conjonctive.

6 juillet. Les phénomènes réactionnels sont moins accusés.

8 juillet. La conjonctive est revenue à son état normal. Il persiste seulement du côté de la cornée une opalescence légère et peu étendue.

AA juillet. Les troubles oculaires ont complètement disparu. On fait

299 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

une nouvelle inslillation de toxine diluée au 1/5 dans les deux yeux, pen- dant 6 heures consécutives. Poids du lapin : 1,660 grammes.

12 juillet. Légère congestion de la conjonctive avec sécrétion peu abondante.

13 juillet. Congestion conjonctivale beaucoup plus intense avec quel- ques exsudats pseudo-membraneux sur la conjonctive larsienne inférieure. Le bord supérieur et interne de la cornée présente un léger trouble diffus. Les phénomènes réactionnels sont absolument identiques dans les deux

yeux. 14 juillet. Les phénomènes réactionnels sont un peu moins marqués. 16 juillet. Les conjonctives et les cornées des deux yeux ont repris

leur aspect normal.

Mort par cachexie le 28 juillet. Poids : 1,200 grammes.

Exr. XV. Lapin de 2,050 grammes. Le 7 juillet 4897, on instille dans l’œil droit 1,5 c. c. d'une dilution au 1/5 de toxine diphtérique pen- dant 7 h. 1/2 consécutives.

8 juillet. Léger œdème palpébral. Congestion vive de la conjonctive avec sécrétion abondante.

9 juillet. OEdème palpébral plus marqué. Exsudat pseudo-membraneux adhérent au niveau de la membrane nictitante et de la conjonctive tarsienne de la paupière inférieure. Pas de lésions cornéennes.

10 juillet. L'état ne s’est pas modifié; les lésions n’ont pas aug- menté.

A1 juillet. Les fausses membranes ont disparu; la conjonctive est un peu injectée, mais la sécrétion est presque nulle.

On fait une nouvelle instillation de toxine diluée pendant 6 heures con- sécutives dans les deux yeux. Poids du lapin : 1,750 grammes.

12 juillet. L'œil droit présente des lésions plus marquées que l'œil gauche. À droite, les paupières sont fermées; il existe un chémosis très accusé et une légère exsudation pseudo-membraneuse peu adhérente sur la conjonctive tarsienne. La cornée n'est pas altérée. À gauche, on ne constate qu'un peu de gonflement de la paupière supérieure et d'injection conjoncti- vale avec sécrétion minime.

13 juillet. Les paupières de l'œil droit sont fortement œdématiées; elles ne s’entr'ouvrent pas spontanément. La conjonctive tarsienne est uni- formément recouverte par une exsudation pseudo-membraneuse adhérente, La cornée présente dans son 1/3 supérieur interne une opalescence diffuse. A gauche, les paupières sont entr'ouvertes. La conjonctive est le siège d’une congestion intense avec sécrétion, mais sans exsudat pseudo-membraneux net.

15 juillet. Les fausses membranes ont disparu. À droite, il persiste un peu de trouble cornéen et d'injection conjonctivale. A gauche, tout est rentré dans l'ordre.

20 juillet. On remarque encore une légère opalescence cornéenne, sans autres lésions, Poids : 1,570 grammes.

Mort par cachexie au commencement d'août.

Expérience XL. Lapin de 1,835 grammes. Le 23 septembre, on instille

TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 223

dans l’œil droit, pendant 10 heures consécutives, 5 ce. c. de toxine diluée au 1/5.

24 seplembre. Les paupières sont œdématiées, mais s’entr'ouvrent encore à moitié. Chémosis très accusé sans fausses membranes et sans lésions cornéennes. Sécrétion peu marquée.

25 seplembre. Le gonflement palpébral a notablement augmenté. Il s'écoule par l'angle interne une sécrétion fibrino-purulente assez abondante. Une fausse membrane peu épaisse, mais adhérente, recouvre la conjonctive tarsienne en à culs-de-sac. La cornée n’est pas allérée dans sa partie centrale. Sur ses bords on constate un léger trouble dont les bords sont diffus. |

20 septembre. Les paupières de l'œil droit sont agglutinées, mais l'æœdème y est moins accusé. La conjonctive est moins injectée et l’exsuda- tion pseudo-membraneuse n'existe plus qu’en des points limités, La sécré- tion est plus abondante.

27 septembre. Les paupières s’entr'ouvrent spontanément. La conjonc- tive est encore un peu injectée. Poids : 1,720 grammes.

30 septembre. La conjonctive et les paupières ont repris leur aspect normal.

3 octobre. Mort spontanée par cachexie. Poids : 1,595 grammes,

EXPÉRIENCE XVIII. Lapin de 1,980 grammes. Le 7 juillet 1897, on instille dans l’œil droit, pendant 8 heures consécutives, 1,5 c. c. de toxine diluée au 1/10. Les jours suivants, on ne constate aucune modification du côté de la conjonctive ou de la cornée.

EXPÉRIENCE XXV. Lapin de 1,725 grammes. Le 19 juillet, on instille dans l'œil droit 0,8 c. c. de toxine diluée au 1/5 pendant 3 h. 1/2 consé- cutives.

20 juillet. Légère congestion conjonctivale sans œdème palpébral.

21 juillet. La congestion conjonctivale a un peu augmenté ainsi que la sécrétion purulente, mais il n'y a pas de fausses membranes.

22 juillet. L'injection conjonctivale a notablement diminué, 24 juillet. État normal de l'œil droit. EXPÉRIENCE XX. Lapin de 1,900 grammes. Le 19 juillet, on instille dans l'œil droit, pendant une heure, 1 c. c. de toxine non diluée, 20 juillet. Légère injection conjonctivale avec sécrélion minime. 21 juillet. La congestion conjonctivale est un peu plus marquée, Il n’y a pas de fausses membranes. La cornée est intacte. 22 juillet. La conjonctive tarsienne est faiblement injectée. 23 juillet. Plus de réaction conjonctivale. 28 juillet. Mort spontanée par cachexie. Poids : 1,530 grammes. ExPÉRIENCE LXIII. Lapin de 2,090 grammes. Le 14 novembre, on

instille dans l’œil droit, pendant 6 heures consécutives, 10 milligrammes de toxine diphtérique solide, dissoute dans 2 e. c. d’eau salée physiologique. Cette toxine tue le lapin à la dose d’un demi-milligramme en 3 jours par injection sous-conjonctivale.

Le 15 novembre, les paupières sont tuméfiées. La conjonctive tarsienne est le siège d’une injection intense avec secrétion peu abondante,

224 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

4 novembre. L'œdème palpébral et l'injection conjonctivale ont un peu augmenté, mais il n'existe pas de fausses membranes nettes.

A7 novembre. Diminution de l'injection conjonctivale.

6 décembre. Mort spontanée par cachexie. Ce lapin a présenté, pen- dant les 3 derniers Jours, une paralysie complète du train postérieur. Poids : 1,340 grammes.

ExPÉRIENCE LXVI. Lapin de 1,600 grammes. Le 22 novembre, on instille dans l’œil droit, pendant 7 h. 1/2 consécutives, 10 milligrammes de toxine diphtérique solide, dissoute dans 5 c. c. d’eau.

23 novembre. L'œil est un peu injecté, les paupières sont faiblement œdématiées. À

24 novembre. L'œdème palpébral est plus accusé, ainsi que l'injection et la sécrétion conjonctivale. Sur la membrane clignotante et sur la conjonctive tarsienne de la paupière inférieure, on constate une légère exsudation pseudo-mmembraneuse peu adhérente. La cornée ne présente pas de lésions.

25 novembre. Les phénomènes réactionnels ont diminué et l’exsudation a disparu.

26 novembre. On fait une nouvelle instillation, pendant { heure, de la même dilution de toxine que précédemment, dans l’œil droit dont la conjonc- tive est encore faiblement injectée. Poids : 1,560 grammes.

27 novembre. OEdème palpébral très marque et vive injection conjonc- tivale.

27 novembre. Le gonflement palpébral a augmenté, la conjonctive tar- sienne est recouverte d’une fausse membrane adhérente, La cornée est le siège d’un trouble diffus.

ExPÉRIENCE LXV.— Lapin de 1,860 grammes. Le 14 novembre, on instille dans l'œil droit, pendant 5 h. 1/2 consécutives, 20 milligrammes de toxine diphtérique solide dissoute dans 1 c. c. d’eau salée physiologique.

45 novembre. Les paupières sont normales; on ne constate qu'une injection conjonctivale minime et une très faible sécrétion purulente. 16 novembre. Mort spontanée dans la journée. La réaction locale n’a

pas augmenté. Autopsie: pas de lésions macroscopiques des organes, pas de microorganismes dans le sang ou les organes.

Le Gérant : G. Masson. .

Sceaux. Imprimerie E. Charaire.

49me ANNÉE AVRIL 41898 No

LS

ANNALES

DE

L’ENSFÉRU, PASTEUR

TÉTANOS CÉRÉBRAL ET IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS

Par MM. E. ROUX er A. BORREL".

I

Le télanos a toujours été considéré comme une maladie du système nerveux, mais c’est seulement depuis la découverte de la toxine tétanique que l’on a pu dire, avec plus de précision, que le tétanos est un empoisonnement de certaines cellules ner- veuses. Le poison tétauique agit sur les cellules de la moelle épinière dontla lésion détermineles contractures caractéristiques; injecté sous la peau ou dans le sang, il va les atteindre de préfé- rence.

Il existe en effet une affinité véritable entre la cellule ner- veuse et la toxine tétanique. Cette affinité se manifeste dans l'expérience suivante, inspirée par celle de MM. Wassermann et Takaki *. De la substance cérébrale d’un cobaye est broyée, puis additionnée de toxine tétanique : le mélange soumis à l’action de la turbine se sépare en deux couches; au fond du vase, la matière nerveuse, au-dessus le liquide opalin*. Si les proportions de cerveau et detoxine sont bien choisies, on cons- tate que le liquide ne contient presque plus de poison tétanique. Celui-ci, fixé par le tissu nerveux, s’est déposé en même temps que lui. Il n’est point détruit, comme le croyait M. Wassermann, il adhère aux débris de substance cérébrale à la facon d’une

1. Le résumé de ce travail a été communiqué au Congrès international d'hygiène et de démographie de Madrid, par M. Borrel, le 12 avril 1898,

2. Berliner klinische Wochenschr. 1898, 1. 3. V. Kxorr. Münch. med. Wochenschr. 1898, 12, p. 187.

12

226: ANNALES DE-"L'INSTITUT PASTEUR.

matière colorante et peut de nouveau être mis en évidence, comme l’a fait voir M. Metchnikoff'. La toxine a changé d’étal, mais sa nature n’est point modifée. »

Le véritable intérêt de l'expérience de M. Wassermann est de nous montrer, se salisfaisant ix vitro, et pour ainsi dire d’une façon tangible, cette affinité de la cellule nerveuse et de la toxine tétanique.

Ce qui se passe dans notre tube à réaction se fait aussi dans l'organisme. La toxine tétanique, injectée sous la peau de la patte postérieure d’un cobaye, sera fixée par les cellules de la moelle épinière après un certain nombre d'heures, au bout des- quelles apparaissent les contractures. Le poison arrive à l'axe nerveux par deux voies; une partie, d’après M. Marie’, suit directement le trajet des nerfs, et c’est pour cela que, chez les animaux, la contracture commence toujours dans la région l'injection a été pratiquée ; une autre partie du poison pénètre dans le sang, d’où elle est extraite par les cellules nerveuses et peut-être encore par d’autres, suivant leur affinité.

Cette affinité spécifique des éléments nerveux pour la toxine tétanique s’exerce lorsqu'on introduit un peu de celle-ci dans la substance même du cerveau d’un lapin. On détermine ainsi une maladie caractéristique, le tétanos cérébral. Ce fait suffirait à renverser l'opinion de M. Wassermann sur l'existence d’une antitoxine tétanique dans le cerveau normal. Comment admettre cette antitoxine qui n’agit pas, même dans le lieu elle se pro- duirait ? En réalité, le mélange de cerveau broyé et de toxine tétanique est inoffensif, parce que le poison adhère à la matière nerveuse, et qu'introduit à cet état, sous la peau des animaux, il ne diffuse pas, mais est englobé par les phagocytles et digéré dans leur intérieur, en même temps que les débris nerveux qui lui servent de support. C’est le cas de la toxine cholérique con- tenue dans le corps des vibrions ainsi que l'ont montré MM. Metchnikoff, Roux et Salimbeni*.

La fixation quasi immédiate du poison tétanique sur les éléments nerveux permet de limiter l’action de celui-ci à un groupe déterminé de cellules, en le portant directement à leur

4. Ces Annales, 1896, p. 257,

2. Ces Annales, juillet 4897. , 3. Ces Annales. février 1898.

IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 297

contact, On obtient alors une maladie dont les symptômes dépendent des fonctions du territoire intoxiqué. |

Ainsi, la toxine injectée en plein cerveau provoque, chez le lapin et chez le cobaye, une maladie caractérisée par une exci- tation extraordinaire, par des crises convulsives intermittentes, des troubles moteurs et de la polyurie, qui ne rappellent en rien le tétanos ordinaire. Dans ces conditions, le poison n’agit plus sur [a moelle épinière, mais sur les centres psychiques et sur les régions motrices du cerveau, qui réagissent à leur façon, et nous voyons évoluer une maladie expérimentale à symptômes variables suivant l'étendue de la région intéressée‘.

M. Tizzoui * et Me Cattani, en injectant de la toxine tétanique sous la dure-mère d’un lapin, ont observé des manifestations du tétanos cérébral, bientôt suivies de la raideur des membres. Dans ce cas, les expérimentateurs ont eu affaire à un tétanos mixte cérébral et médullaire : ils avaient probablement lésé la surface du cerveau, car M. Vaillard * et M. Conrad Brunner ont introduit de la toxine tétanique dans la cavité arachnoïdienne sans déterminer autre chose que des contractures généralisées. Certaines observations de tétanos humain, survenu à la suite de plaies à la tête, relatent des symptômes, comme la paralysie faciale, qui pourraient se rapporter au tétanos cérébral. Mais, cette maladie, si facile à donner expérimentalement, est à peine connue et cependant elle mérite d’être approfondie. Depuis plu- sieurs mois M. Morax en a entrepris l’étude, à l’Institut Pasteur.

L'introduction de la toxine tétanique dans le cerveau se fait le plus simplement du monde, en pratiquant, au moyen d’un foret, un petit trou dans les os du crâne; un curseur limite la pénétration et évite la blessure de la dure-mère. Il est facile de faire le pertuis au même endroit, de façon à atteindre la même région de l’encéphale dans les expériences comparatives. On enfonce l'aiguille de la seringue en plein dans la substance céré-

1. Nous donnerons à ce tétanos provoqué par l'introduction de la toxine dans le cerveau le nom de tétanos cérébral, pour le distinguer du tétanos céphalique et du tétanos hydrophobique de Rose.

2, Tizzoxi et Mile Carrant. Archiv. fur experimentale Pathologie. Vol.927, p. 439. 1890.

3. Annales de l'Institut Pasteur.

-__4.Conran Bruxxer, Tétanos céphalique experimental et clinique, 1894. Beitrage für klinische Chirurgie. À

228 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

brale à une profondeur réglée par un arrêt, et on injecte 1/20 ou 1/10 de c. c., suivant la dilution de la toxine.

Il va sans dire que l'opération par elle-même est inoffensive, que la lésion faite par l'aiguille ne cause aucun accident, et que si l’on injecte de la même manière cinq fois plus d’eau stérilisée, de solution physiologique ou de toxine chauffée à 100°, le lapin n’en souffre à aucun moment,

Dans les heures qui suivent, l’animal se meut avec aisance et mange avec toutes les apparences de la santé. Mais, au bout de 8 à 12 heures, le lapin devient inquiet, change de place à chaque instant, prend une attitude particulière, le train relevé comme s’il ne pouvait s'asseoir complètement. En même temps il paraît en proie à des hallucinations, cherche à cacher sa tête, et, comme pris de terreur, tourne autour de sa cage. Si on le fait sortir, il s’élance haut sur pattes avec une démarche de lièvre. Souvent, à chaque foulée, les pattes postérieures pro- jetées en avant dépassent la tête. Le désir de fuir est très marqué, le lapin parcourt le laboratoire, se réfugie dans les coins et se dresse contre les obstacles. Les émissions d'urine sont nom- breuses et abondantes. Des crises convulsives, épileptiformes, surviennent plus ou moins fréquentes, soit spontanément, soit à la moindre excitation. L'animal tombe en grinçant des dents, le cou et les membres convulsés, mordant la litière de sa cage; puis il se redresse et se met à manger pour retomber bientôt.

Parfois, les pattes postérieures sont écartées et malhabiles, et des trépidations musculaires rendent la démarche hésitante.

L'intensité et la durée de la maladie varient suivant la dose de toxine. Avec une quantité un peu forte, 1/10 de c. c. dans certaines expériences, les accès convulsifs étaient incessants et toute la scène évoluait en 12 à 20 heures. Avec des doses plus faibles, l’affection peut durer 3, 5 et même 8 et 15 jours. L'animal a de temps en temps des crises, dans l'intervalle il mange et paraîtrait normal sans son attitude inquiète; il maigrit de plus en plus et succombe.

De toutes petites quantités de toxine donnent un tétanos gué- rissable, avec tendance à se cacher, petits accès épileptiformes

4. A l’autopsie on ne trouve aucune lésion cérébrale appréciable à l’œil, sou- vent la trace de l'aiguille n’est plus visible.

IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 229

passagers et amaigrissement., Même à ce degré, le tétanos céré- bral persiste longtemps, un mois et parfois davantage.

À cause du volume du cerveau chez le lapin, il est possible d'introduire la toxine en des points différents. Après une injec- tion dans le cervelet, il survint, au bout de trois jours, de la paralysie du train postérieur, en même temps que des crises convulsives. Pour n'intéresser qu'un groupe de cellules limité, il ne faut employer que très peu de toxine, de façon à ce que l'excès ne diffuse pas. Les poisons qui ont une grande affinité pour les cellules nerveuses, et quise fixent sur elles, nous four- nissent un moyen original d'exploration des divers territoires encéphaliques. Chez les animaux à cerveau plus développé et à facultés mieux différenciées, on obtiendra sans doute des résul- tats intéressants pour la physiologie.

Le lapin est assez résistant au poison tétanique introduit sous la peau ou dans le sang; 2 c. c. 1/2 de notre toxine, mis dans le tissu cellulaire, donnent à un animal de 2 kilos un tétanos ordinaire mortel en quatre jours ; 1/10 de c. c. dans le cerveau provoqueun tétanos cérébral intense, et tue en moins de 20 heures. La résistance du lapin à la toxine tétanique, injectée dans Îles conditions habituelles, ne tient donc pas à une insensibilité rela- tive des centres nerveux, mais, sans doute, à ce que beaucoup du poison introduit n’arrive pas aux cellules nerveuses et est détruit quelque part dans l’organisme.

Le cobaye qui, à poids égal, prend le tétanos bien plus faci- lement que le lapin, quand il reçoit la toxine sous la peau, résiste mieux à l'injection intra-cérébrale. À un cobaye de 500 grammes, on donne 1/100 de c. c. de toxine sous la peau d’une patte postérieure, la contracture apparaît à la 12° heure et la mort survient vers la 50° heure ; un autre cobaye du même poids reçoit la même dose dans le cerveau : les premiers symptômes se montrent après 48 heures et la maladie dure 3 jours.

Le tétanos cérébral du cobaye est tout aussi caractéristique que celui du lapin. Point de contractures permanentes, mais des crises con vulsives plus ou moins répétées après lesquelles l'animal mange et se meut librement. Le besoin de fuir se manifeste chez ces animaux; aussitôt qu'on les sort de la cage, ils partent en ligne droite par un mouvement rapide des pattes et comme mus par un ressort, 1l se heurtent au premier obstacle, tombent en

230 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

convulsions, puis se relèvent et reprennent pour un temps leur allure normale. Le tétanos cérébral du cobaye présente aussi tous les degrés d'intensité et peut guérir.

Pour provoquer chez le rat des symptômes saisissants de tétanos cérébral, il faut plus de toxine que pour le tuer par injection sous-cutanée. L'incubation est de quarante-huit heures à trois jours. Si l’expérimentateur n'avait pas la certitude qu’il a injecté du poison tétanique, jamais il ne reconnaîtrait le tétanos dans la maladie qu'il observe. Les manifestations psychiques dominent, le rat est inquiet, attentif : pris, sans cause apparente, de terreurs soudaines, il court follement autour de sa cage. Si on ouvre celle-ci, il bondit sur le plancher, court se réfugier dans un coin, puis, l'accès passé il se laisse prendre et reste calme pendant un certain temps, malgré les excitations. Durant la crise, 1l semble obéir à une impulsion intérieure, 1l donne l’idée d’un animal pris de folie, et. en le considérant, on se demande si beaucoup d’affections psychiques ne sont point pro- duites elles aussi par la fixation sur certaines cellules nerveuses de toxines microbiennes élaborées à un moment donné dans l'intestin ou dans quelque autre partie du corps. Get état peut durer plusieurs jours, le rat cesse de manger et meurt très amaigri. De plus faibles quantités de poison tétanique amènent seulement un état cachectique qui se termine par la mort après un délai variable.

Chez les souris le tétanos cérébral est moins dramatique. La dose de toxine qui, sous la peau, les tuerait en trente à trente- six heures, introduite dans leur cerveau, parait tout d’abord ne produire aucun effet : plus tard l'animal est stupéfié, lent dans ses mouvements, et meurt amaigri sans contractures.

En résumé, au lieu des contractures permanentes du tétanos ordinaire, nous voyons, dans le tétanos cérébral, de l’excitation, des crises épileptiformes, de la polyurie et des troubles moteurs qui donnent à cette maladie une physionomie facile à recon- naître.

IL

TÉTANOS CÉRÉBRAL ET IMMUNITÉ PASSIVE

L’injection dans le cerveau est un moyen d'explorer la sensi- bilité des cellules nerveuses à la toxine tétanique, et de savoir

IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 231

ce que devient cette sensibilité chez les animaux immunisés de diverses facons contre le tétanos. |

Un animal qui a recu du sérum antitétanique acquiert limmunité dite passive, et résiste à des doses plusieurs fois mortelles de toxine mises sous sa peau, dans ses muscles ou dans ses veines. Est-ce parce que ses ceilules nerveuses sont devenues insensibles au poison? Pour le savoir, mettons la toxine directement en contact avec elles.

À cinq lapins du même poids, injectons dans le tissu sous-cutané, 5c.e., 10 c. c., 15 c. c., 20 c. c. de sérum anti- tétanique.

Un des animaux à 5 c. e. est éprouvé par l'injection hypoder- mique d’une dose de toxine cinq fois mortelle, ilreste bien portant.

Vingt-quatre heures après l'introduction du sérum, les quatre lapins restants reçoivent, en même temps qu'un témoin, 4/10 de centimètre cube de poison tétanique dans le cerveau, c’est-à-dire une dose qui, dans la cuisse d’un lapin neuf de même poids, ne détermine même pas un tétanos local.

Le lendemain le lapin témoin est en proie aux crises convul- sives. Les lapins à 10 c. c., à 15 c. c. et à 20 c. c. de sérum sont manifestement pris et leur maladie va en s’accusant. L'animal à 20 c. c. meurt en 48 heures, comme le témoin. Celui à 10 ce. c. succombe le quatrième jour et celui à 15 c. c. le sixième jour.

Seul le lapin à 5 c. c. reste bien portant.

Et cependant, le sang de ces animaux qui ont péri est anti- toxique ; à l'heure de la mort, une goutte de sang du lapin à 20 c. c. suffisait à neutraliser la dose de toxine dix fois mortelle pour une souris.

Une goutte du sang du lapin à 10 c. c., retirée au moment de l'injection intra-cérébrale, est ajoutée à la quantité de poison tétanique capable de donner un tétanos cérébral mortel; le mélange introduit dans le cerveau d’un lapin neuf ne produit aucun effet.

Le mélange de toxine et d’antitoxine est inoffensif pour les cellules nerveuses, et une trace du sang de ces lapins qui meurent dans les accès du tétanos cérébral aurait suffi à détruire le poison tétanique s'il était venu en contact avec lui. Une hémorragie causée par la piqûre, empècherait l’apparition de la maladie,

232 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

C'est ce qui est arrivé sans doute pour le lapin aux 5 c. c. de sérum de l’expérience ci-dessus.

Quand on opère sur un certain nombre d'animaux, il en est . toujours quelques-uns qui restent bien portants, car on ne peut constamment éviter un petit épanchement sanguin. Celui-ci se produit même dans tous les cas, et,sur les coupes des cerveaux, le microscope montre des globules sanguins dans la piqûre. On conçoit que cette minuscule extravasation de sang antitoxique suffise parfois pour neutraliser la petite quantité de toxine intro- duite, surtout chez les lapins qui ont eu des doses énormes de sérum. Il y a doncune limite à l'expérience. En réalité, la portion du poison qui agit est celle qui est pour ainsi dire happée par les cellules. Aussi la maladie est-elle souvent plus lente chez les lapins au sérum, qui se comportent alors comme les lapins neufs qui n'ont reçu que de très pelites doses de toxine.

L'expérience manque quelquefois avec les cobayes immunisés par le sérum, parce que leur cerveau est plus vasculaire que celui du lapin, et moins sensible à la toxine tétanique. Pour la réussir, il faut une dose suffisante de poison, inoffensive cepen- dant si elle est mise sous la peau.

Tous ces faits peuvent être aussi constatés avec la toxine diphtérique. Celle-ci est plus rapidement meurtrière, et à plus petites doses, dans le cerveau que sous la peau. Elle détermine en douze heures des paralysies, bientôt suivies de mort. Les lésions ordinaires, à savoirla congestion des capsules surrénales et l’épanchement de sérosité dans les plèvres, se rencontrent chez les cobayes à la suite de l'injection intra-cérébrale. Le poison diphtérique n’a pas seulement de l’affinité pour le système nerveux, mais aussi pour d’autres organes qui dégénèrent sous son action.

Les lapins et les cobayes auxquels on a donné du sérum anti- diphtérique résistent à des doses énormes de toxine mises sous la peau, mais ils périssent si on leur en introduit un peu dans le cerveau. La maladie est alors exclusivement nerveuse; elle dure plus longtemps, et à l’autopsie on ne trouve ni congestion des capsules surrénales, ni exsudat pleural. Tous les organes étaient protégés par l’antitoxine, excepté la cellule nerveuse.

À maintes reprises, nous avons donc produit le tétanos et la diphtérie cérébrale sur des lapins qui avaient reçu jusqu'à

IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 233

40 c. c. de sérum antitoxique, 48 et 96 heures auparavant, c'est-à-dire après que l’antitoxine avait eu le temps dese répandre partout. Même dans ces conditions, elle ne protégeait pas les cellules nerveuses. Celles-ci n’ont pas pour l’antitoxine la mème affinité que pour la toxine. Aussi l’antitoxine tétanique injectée aux animaux reste-t-elle dans le sang, tandis que la toxine en est extraite et fixée par les éléments nerveux. Le contre-poison n'arrive pas au contact du poison, et les deux substances, pourtant si rapprochées, ne se rencontrent pas. Le sérum est efficace contre la toxine mise sous la peau, puisque la majeure partie de celle-ci passera par le sang, mais il est impuissant contre le poison arrivé déjà aux éléments nerveux.

C’est pourquoi, dans le tétanos déclaré, il échoue si souvent. Au moment on l’emploie, une partie de la toxine est déjà adhérente aux cellules nerveuses ; l’antitoxine neutralise bien le poison qui circule encore, mais elle n’atteint pas celui qui est fixé aux éléments de la moelle épinière. Elle limite l’empoison- nement. Si celui-ci est trop avancé, la maladie suivra son cours, car la toxine diffusera de cellule nerveuse à cellule nerveuse à l’abri de l’antidote.

S'ilen est ainsi, ce n’est pas dans le sang des tétaniques qu'il faut accumuler l’antitoxine pour les guérir, il faut la mettre Ja même progresse la toxine, et préserver les portions vitales de la moelle avant qu’elles soient atteintes.

III

TRAITEMENT DU TÉTANOS DÉCLARE

C’est à l'expérience de prononcer.

A 20 cobayes de 400 à 450 grammes on injecte dans une patte postérieure une dose de toxine tétanique mortelle en 70 heures environ.

18 heures après, tous les cobayes ont de la raideur de la patte. A la 24° heure, ils sont tous tétaniques.

Les 5 plus gros sont conservés comme témoins.

Les 15 autres sont divisés en 3 lots.

Un cobaye du premier lotreçoit, 24 heures après l'injection

234 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

de toxine, 1 c.c. de sérum sous la peau. Aux 4 autres on donne, en pleine substance cérébrale, 4 gouttes du même sérum dans chaque hémisphère, soit à peu près un quart de centi- mètre cube.

On agit de même avec les cobayes du second et du troisième lot, qui sont traités à la 28° et à la 32° heure.

Les résultats sont les suivants :

Les 5 cobayes témoins succombent de la 67° à la 74° heure.

Les 3 cobayes au sérum sous la peau meurent de la 64° à la 72° heure.

Les douze cobayes, au sérum dans le cerveau, ont leur tétanos arrêté. Les contractures restent limitées à une patte ou aux deux pattes postérieures, suivant l'heure de l'intervention. Un mois après, les cobayes sont bien portants, mais les contractures per- sistent encore.

Sur 45 cobayes, traités à divers moments dans différentes expériences, 35 ont survécu à lasuite del'injection intracérébrale. Sur 17 autres cobayes qui ontreçu le sérum sous la peau à doses beaucoup plus fortes ‘, 2 seulement sont restés vivants. 17 co- bayes témoins, auxquels on n’a point donné de sérum, sont tous morts.

On peut donc dire que quelques gouttes de sérum antitéta- nique dans le cerveau guérissent mieux le tétanos que de grandes quantités introduites dans le sang ou sous la peau. Il ne suffit pas de donner de l’antitoxine, il faut la mettre au bon endroit.

Les cobayes rendus tétaniques au moyen d'échardes peuvent aussi être guéris, de mème que leslapins auxquels on a injecté une dose mortelle de toxine dans les muscles.

L’antitoxine portée dans le cerveau protège la moelle supé- rieure, alors que la moelle inférieure est déjà atteinte par le poison, mais elle ue défait pas les lésions accomplies ; les con- tractures établies au moment de l'intervention persistent long- temps. Aussi, l’injection intra-cérébrale ne sauve pas tous les animaux tétaniques; si l’empoisonnement des parties supérieures de la moelle est fait, la mort ne sera pas évitée. Il y a un temps après lequel l’antitoxine ne peut rien, quelle que soit la façon dont

1. Jusqu'à 10 c.c. et 20 c.c. dans certaines expériences.

e]

IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 235

elle est employée. L’injection intra-cränienne augmente la pé- riode d'intervention efficace.

Pius d’un lecteur pensera peut-être que le cerveau est un organe délicat, que la dilacération causée par l'aiguille, que la compression produite parle sérum injecté, sont capables d'amener des accidents pires que ceux du tétanos lui-même. Il n'a qu’à répéter l'expérience ; il se convaincra que, chez les cobayes et les lapins, rien n’est plus facile et moins dangereux que d’injecter dans le cerveau un liquide pur, tel quele sérum antité- tanique. Les cobayes supportent aisément huit gouttes en deux piqüres et les lapins 1/2 c. ce. Le liquide pénètre, sans doute, dans les ventricules, et la compression détermine des mouvements des pattes chez les cobayes et des mâchoires chez les lapins. Tout rentre bientôt dans l’ordre, et quelques instants après l'animal mange et se meut sans autre gène que celle de sa patte tétanisée.

IL est bien entendu que nous ne proposons pas d’inonder d'emblée de sérum le cerveau des hommes télaniques. Il faut avant tout mulliplier les essais sur diverses espèces animales, car il se pourrait que sur les chevaux et les moutons, par exemple, le résultat fut différent de celui constaté chez les cobayes. Un animal dont le tétanos serait bulbaire dès le début, ne guérirait peut-être pas mieux par le sérum injecté dans le cerveau que par le sérum injecté sous la peau !

Il n’est question ici que de la guérison des cobayes tétaniques.

IN,

TÉTANOS CÉRÉBRAL ET IMMUNITÉ ACTIVE

Les lapins et les cobayes qui ont l'immunité passive prennent le tétanos cérébral quand on leur injecte la toxine dans le cerveau; en est-il de même des animaux qui ont l'immunité active?

La question est particulièrement intéressante, car beaucoup de savants sont d'avis que l’antitoxine est élaborée par les

ARE D: L'injection du sérum dans le canal rachidien des lapins nous a donné, jusqu'à présent, de moins bons résultats que l'injection intra-cérébrale,

236 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

cellules sensibles à la toxine, et que chaque système qui est impressionné par le poison répond en faisant un contre-poison. L'un de nous a soutenu cette idée à diverses reprises dans son - enseignement. L'immunité contre le tétanos, maladie surtout nerveuse, nous apparaissait comme l’accoutumance des cellules nerveuses à la toxine et la production de l’antitoxine était une conséquence de celle-ci.

On sait quelle forme saisissante M. Ebrlich a donnée à cette doctrine. Pour cesavant, il existerait, dans les cellules nerveuses, comme un groupement central, avec des chaînes latérales auxquelles la toxine, introduite dans ie corps, viendrait s’accro- cher. Ces chaines latérales ainsi surchargées constituent l’anti- toxine, qui se détache quand elle est surabondante et pénètre dans la circulation.

Si la cellule nerveuse est la source de l’antitoxine, de toutes les cellules du corps elle doit être la mieux protégée contre la toxine.

L'injection intra-cérébrale nous fournit le moyen de voir s’il en est ainsi.

M. Vaillard a bien voulu mettre à notre disposition deux lapins immunisés à divers degrés contre le tétanos, et dont le sérum était antitoxique'. Après avoir constaté que ces animaux n’éprouvaient aucun effet de l'injection, sous la peau, de 8 c. c. et même de 12 c. c. de toxine tétanique, mortelle à la dose de 2 c. c. pour un lapin neuf de même poids, nous leur en avons introduit dans le cerveau 1/10 de c. c. en même temps qu’à un lapin témoin.

Le lendemain, les lapins immunisés et le lapin neuf ont des signes de tétanos cérébral. Les crises sont intenses et fréquentes chez le témoin qui meurt dans la journée. Les lapins immunisés présentent l'excitation, la démarche caractéristiques, et des accès épileptiformes, répétés les premiers jours, plus rares ensuite. Ils maigrissent, le moins immunisé meurt après 17 jours, et l’autre après 20 jours. Ils se sont comportés comme des lapins neufs qui n'auraient reçu qu’une faible quantité de toxine.

L'expérience est démonstrative, elle prouve que chez un

1. Une goutte de sang du moins immunisé de ces lapins neutralisait une dose de toxine dix fois mortelle pour une souris. On n’a pas déterminé la limite pré- cise du pouvoir antitoxique.

IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 237

lapin immunisé capable de supporter sans malaise de la toxine à doses massives sous la peau ou dans les veines, capable aussi de fournir une antitoxine active, les cellules nerveuses sont encore sensibles à la toxine.

Comment admettre que ce sont elles qui préparent l’anti- toxine ?

Il semble plutôt que, pendant tout le cours de l’immunisa- tion, elles n'aient jamais été en contact avec la toxine. L'immu- nité dans le tétanos ne serait donc point l'accoutumance des cellules nerveuses au poison tétanique.

On pourrait objecter que ce ne sont pas les cellules du cer- veau qui prennent la toxine dans les conditions ordinaires, mais celles de la moelle épinière, que chez l’animal immunisé ces dernières seules sont accoutumées au poison et font l’an- titoxine, et que s’il est possible de donner le tétanos cérébral aux lapins réfractaires, il est impossible de leur donner le vrai tétanos, le tétanos médullaire.

Pour répondre directement à cette objection, il faudrait porter la toxine dans la moelle, mais il est difficile de le faire chez les petits animaux sans amener des paralysies qui empêchent d'observer les symptômes du tétanos. On ne peut explorer la moelle comme le cerveau. Remarquons, cependant, avec M. Metchnikoff, que l’antitoxine mise dans le cerveau d’un cobaye tétanique se répand jusque dans la moelle et la protège; pourquoi l’antitoxine, si elle existe en tel excès dans la moelle de l'animal immunisé qu’elle passe dans le sang, ne diffuserait- elle pas jusqu’au cerveau ?

Nous comptons multiplier ces essais sur les animaux rendus réfractaires au télanos et à la diphtérie, et voir siles mèmes faits se reproduisent chez ceux qui ont atteint le plus haut degré d’immunisation.

W TOXINES ET IMMUNITÉ NATURELLE Certains animaux supportent des doses considérables de

toxines microbiennes sans y avoir été graduellement habitués. Ainsi le rat ne souffre nullement d’une dose de poison diphthé-

238 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

rique qui tuerait plusieurs lapins. On en a conclu que les cellules du rat sont naturellement insensibles à la toxine diphtérique.

Il est facile de vérifier si les cellules nerveuses du cerveau sont dans ce cas. Injectons, dans la substance cérébrale d’un rat, 41/10 de c. c. de toxine diphtérique; cette dose, mise sous la peau d’un autre rat, ne provoque même pas d’œdème local. Cependant, celui qui l’a reçue dans le cerveau est bientôt atteint de paralysie totale. Il reste inerte pendant deux ou trois jours et succombe.

Le cerveau du rat est donc sensible au poison diphtérique, et si cet animal ne meurt pas, à la suite de l'injection de grandes quantités de toxine dans le tissu sous-cutané, c’est que celle-ci n'arrive pas à l’encéphale. Elle est arrêtée quelque part dans le corps. L’immunité naturelle du rat vis-à-vis du poison diphté- rique ne tient point à une résistance des cellules nerveuses, mais à quelque autre propriété de l’organisme.

Le lapin passe pour être très réfractaire à l’action de la morphine; une injection hypodermique de 30 centigrammes d’un sel de cet alcaloïde est parfaitement supportée par un animal de moins de 2kilogrammes. L'introduction d’un seul milligramme de chlorhydrate de morphine dans le cerveau cause à un lapin de même poids des accidents presque immédiats. Les membres sont agités d’un tremblement, la marche est impossible; l'animal reste stupéfié pendant 24 à 30 heures, puis il parait aller mieux, mais il maigrit et meurt en # à 5 jours. |

Les cellules nerveuses du lapin ne sont donc pas insen- sibles à la morphine. Lorsque ce rongeur résiste à l'injection hypodermique d’une grande dose de cet alcaloïde, c'est que celui-ci n'arrive pas jusqu'aux cellules cérébrales.

Les faits que nous venons de rapporter montrent que, dans l’immunité acquise comme dans l’immunité naturelle vis-à-vis de certains poisons du système nerveux, la résistance n’est pas due à une accoutumance ou à une insensibilité des cellules ner- veuses, du moins des cellules nerveuses du cerveau. Les toxines introduites sous la peau et dans Le sang ne les atteignent pas, malgré qu’elles aient pour elles une affinité manifeste. Ces poisons sont sans doute retenus par d’autres cellules qui exercent un rôle de protection et fabriquent probablement les antitoxines. Quelles sont ces cellules? Peut-être les cellules phagocytaires que l’on voit, en maintes circonstances, capables de détruire les

[|

IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 239

poisons contenus dans les corps microbiens ? Nous ne pouvons l'affirmer, mais il nous semble que le problème de l'immunité contre les microbes et celui de l'immunité contre les toxines recevront des solutions semblables.

1, Voir, dans ce même numéro, Mercunixorr, Toxine tétanique et leucocytes.

LE MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE

Par MM. NOCARD ET ROUX

AVEC LA COLLABORATION DE MM. BorREL, SALIMBENIET DUJARDIN-BEAUMETZ.

La lésion essentielle de la péripneumonie contagieuse des bètes bovines consiste dans la distension des mailles du tissu conjonctif interlobulaire, par une grande quantité de sérosité albumineuse, jaunâtre et limpide.

Cette sérosité est très virulente.

Inoculons-en une goutte dans le tissu cellulaire sous-cutané d'une vache neuve : après une incubation qui n’est jamais infé- rieure à huit jours, mais qui peut aller jusqu’à vingt-cinq jours et plus, nous verrons apparaîlre un engorgement inflammatoire, chaud, tendu, douloureux, dont les dimensions varieront beau- coup, suivant le siège de l’inoculation et aussi suivant les sujets inoculés.

S1 la sérosité virulente est déposée sous la peau du tronc, de l’encolure, ou de la partie supérieure des membres, elle provo- que, avec une fièvre intense, un engorgement considérable, rapidement envabissant, souvent suivi de mort. A l’autopsie, on trouve les mailles du tissu cellulaire distendues par une quantité énorme de sérosité jaune, limpide, çà et coagulée en masses gélatineuses et tremblotantes; l’exsudation est parfois si abondante qu’on peut recueillir plusieurs litres de sérosité virulente. Si étendue qu'elle soit elle n’envahit jamais les cloisons conjonctives du poumon ; on peut trouver un peu d’exsudat séreux dans la cavité pleurale, mais jamais on n'observe de lésions viscérales; la mort est donc bien le résultat d'une intoxication.

Certains sujets résistent : après quelques jours, l’engorge- ment, toujours chaud, tendu et douloureux, reste stationnaire, puis s’aflaisse et disparait peu à peu sans laisser de traces; ces animaux sont désormais réfractaires aux effets de l’inocu- lation virulente comme à ceux de la contagion naturelle.

MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 241

Cette évolution heureuse est la règle quand l’inoculation est faite loin du tronc, à l'extrémité de la queue, par exemple, la densité des tissus et la température locale peu'élevée ne permet- tent pas une active pullulation du virus. L’engorgement consé- cutif à l’inoculation est toujours analogue à celuidécrit ci-dessus; mais il reste peu étendu et il disparaît peu à peu, en laissant l'animal réfractaire à la contagion naturelle ou expérimentale.

Parfois, cependant, l’exsudation est si abondante, elle exerce sur le tégument une tension telle, qu'elle entraîne la mortifi- cation et la chute d'un tronçon de queue plus ou moins long. Parfois, enfin, mais rarement (une ou deux fois sur cent), l’en- gorgement, au lieu de rester limité à l'extrémité de la queue, monte rapidement le long de l'organe et envahit le tissu cellu- laire de la croupe et du bassin ; la mort s'ensuit d’orainaire, et les régions envahies se montrent, à l'autopsie, infiltrées d’une quantité considérable de sérosité semblable à celle du poumon dans la maladie naturelle.

La sérosité péripneumonique, si virulente pour les animaux de l'espèce bovine, est sans action sur ceux des autres espèces. La chèvre, le mouton, le chien, le porc, le lapin, le cobaye, les oiseaux de basse-cour, supportent sans aucun dommage l’injec- tion sous-cutanée ou intra péritonéale de doses massives de sérosité virulente.

Ces faits ont été établis par Willems dès 1850 : ilen a déduit les règles d’une prophylaxie efficace. Mais l’inoculation Wil- lemsienne, qui a rendu de grands services, n’est pas sans incon- vénients. Elle nécessite le dépôt d’une goutte de sérosité pulmo- naire dans le tissu cellulaire de l'extrémité caudale de l’animal qu'on veut immuniser. Or, cette sérosité pulmonaire s’altère avec une extrème facilité; elle devient rapidement putride, et la putréfaction détruit sa virulence. Il faut donc avoir un poumon frais pour inoculer; ordinairement on sacrifie un animal péri- pneumonique au moment de l'opération ; mais, parfois, l’animal abattu n’a qu'une lésion ancienne, l’exsudat séreux peut avoir perdu sa virulence, quand il ne fait pas entièrement défaut ; parfois, aussi, surtout quand il s’agit de faire des inoculations vraiment préventives, on n’a pas de vache péripneumonique à faire abattre.

Un réel progrès a été réalisé le jour M. Pasteur nous a

13

242 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

appris à recueillir purement la sérosité qui distend les cloisons conjonctives du poumon péripneumonique, et surtout à produire de grandes quantités de sérosité virulente, en inoculant au veau, en région défendue, une goutte de sérosité pulmonaire. Dès lors, il fut possible de faire des provisions de virus et d'en expédier au loin, à mesure des besoins.

Pourtant, le problème n’était pas entièrement résolu : la sérosité péripneumonique, mème recueillie purement, perd assez vite sa virulence; après un mois, six semaines au plus, l’inocu- lation reste ordinairement sans effets. Pour être sûr de pouvoir salisfaire à tous les besoins, il faut donc créer des centres de production de virus où, chaque mois au moins, on inocule de nouveaux sujets. C’est ce qui a été réalisé à grands frais dans un petit nombre de pays!.

La détermination de l'agent spécifique du virus péripneumo- nique, son isolement et sa culture constitueraient done un progrès considérable. Malheureusement tous ceux qui se sont attelés à cette étude et ils sont légion ! y ont échoué.

Nous avons, pour notre part, fait de nombreuses tentatives, et depuis bien longtemps! Elles sont toutes restées infruc- tueuses. Quand elle a été recueillie purement, dans les sacs lymphatiques périlobulaires ou sous-pleuraux, la sérosité péri- pneumonique la plus virulente peut être ensemencée dans tous les milieux usuels, à l'air ou dans le vide, sans jamais donner aucune culture. De même on ne réussit pas à y colorer, par les procédés connus, aucun élément microbien.

Nous avions donc renoncé à toute tentative de culture quand parut le Mémoire de MM. Metchnikoff, Roux et Salimbeni * sur la toxine et l’antitoxine cholérique. Les résultats que leur avait donnés l’emploi des cultures in vivo, à l’aide de sacs en collodion, nous rendit l'espoir du succès.

Nous rappellerons, en quelques mots, les principes et la technique de cette ingénieuse méthode de culture.

On prépare de petits sacs de collodion à paroi très mince : après les avoir stérilisés à l’autoclave, on y introduit quelques centimètres cubes de bouillon, ensemencé au préalable avec une trace du liquide virulent à étudier ; on les ferme exactement ;

4. M. Loir a établi un pareil service en Australie. 2. Annales de l'Institut Pasteur 1896, page 257.

MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 243

puis on les introduit dans le péritoine d’un animal neuf, cobaye, lapin, chien, mouton, vache, etc... On apprend vite à exécuter purement toutes ces manipulations, et, pas un instant, l’ani- mal ne paraît souffrir, soit de l’opération, soit de la présence des sacs dans la cavité péritonéale.

Après un temps variable depuis quelques jours jusqu’à plu- sieurs mois, suivant la nature du microbe étudié, on sacrifie l'animal ; on trouve le sac logé en quelque coin de la cavité périto- néale, enveloppé d’une couche plus ou moins épaisse de fibrine et de cellules, ou de tissu fibreux jeune, dont on l’énuclée aisément.

Quand l'animal d'expérience et le liquide de culture ont été convenablement choisis, on obtient des résultats surprenants dont, pourtant, l'interprétation est aisée.

La paroi de collodion offre une barrière infranchissable aux microbes comme aux cellules; les microbes ne peuvent sortir du sac, mais ils peuvent s'y multiplier en toute sécurité, car, les cellules ne pouvant y pénétrer, ils sont à l'abri de la phago- cylose. D'autre part, cetle paroi impénétrable aux microbes et aux cellules est perméable aux liquides comme aux substances dissoutes; elle forme une membrane osmotique; à son niveau s'établissent des échanges qui modifient profondément la composilion primitive du liquide emprisonné; des substances élaborées par le microbe peuvent diffuser au dehors et, quand elles sont suffisamment actives ou l’animal suffisamment sen- sible, elles peuvent entraîner la mort du sujet ou des accidents d'intoxication plus ou moins graves, sans qu’un seul microbe ait envahi les tissus. En tout cas, les conditions réalisées dans le sac sont favorables à la culture, l’auto-intoxicalion microbienne se trouvant diminuée, sinon supprimée; enfin, des produits venus de l'organisme du sujet pénètrent dans le sac, qui peuvent être utiles au microbe; c’est le cas le plus fréquent ; aussi, quand on ouvre le sac, y trouve-t-on d'ordinaire une culture d’une richesse invraisemblable.

« Ce procédé, disent les auteurs, est très commode pour conserver les microbes fragiles et 1l réussit avec beaucoup d'espèces. »

Peut-être réussirait-il avec le virus péripneumonique? L’évé- nement confirma nos prévisions.

Des sacs de collodion, remplis de bouillon ensemencé, au

244 ANNALES DE L’INSTIIUT PASTEUR.

préalable, avec une trace de sérosité péripneumonique, fermés avec soin et insérés dans la cavité péritonéale de lapins, con- tiennent, après 15 à 20 jours, un liquide opalin, un peu louche, légèrement albumineux., Ce liquide ne renferme ni cellules, ni bactéries cultivables sur les milieux usuels. En revanche, l’exa- men microscopique y montre, à très fortgrossissement (environ 2,000 diamètres) et à un puissant éclairage, une infinité de petits points réfringents et mobiles, d’une si grande ténuité qu'il est difficile, même après coloration, d’en déterminer exac- tement la forme. Si on a eu le soin d'insérer dans le péritoine du même lapin un deuxième sac de collodion renfermant du bouillon, identique, mais non ensemencé, on peut s'assurer que les modifications éprouvées par le liquide du premier sac ne sont pas dues purement et simplement aux échanges osmotiques qui se sont opérés au niveau de la paroi; on constate, en eflet, que le liquide du sac témoin a conservé sa transparence et sa limpi- dité primitives.

En réalité, les points mobiles et réfringents du liquide ense- mencé, si nombreux qu'en dépit de leur extrême finesse ils ont rendu ce liquide opalescent, sont des êtres vivants qui ont pullulé à la faveur des moditicalions subies par le liquide de culture et grâce à l'obstacle opposé par la paroi de collodion à l'action phagocytaire.

Ce qui le prouve, c’est que si l’on insère dans le péritoine d’un deuxième lapin deux sacs de collodion, ensemencés, le premier avec une trace du liquide opalin ainsi obtenu, le deuxième avec plusieurs gouttes du même liquide, préalablement chauffé, celui-ci se comporte identiquement comme le sac témoin de tout à l'heure; son contenu reste limpide et transparent, tandis que l’autre présente bientôt l'opalescence et les innom- brables points réfringents décrits plus haut : le chauffage avait tué les germes ensemencés.

Avec le liquide opalin de cette deuxième culture, on peut ensemencer de nouveaux sacs qu’on insère dans le péritoine d’un troisième lapin, et ainsi successivement; on obtient toujours des résultats identiques. Mais il est prudent de faire plusieurs sacs pour chaque passage, la rupture du sac se produisant assez fré- quemment’.

4. Le sac de collodion peut être remplacé, et souvent avec avantage, par un

MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 245

Le plus souvent les lapins sont très amaigris au moment on les sacrifie; parfois même ils succombent avant le jour fixé pour l’autopsie; ils sont alors dans un état de cachexie profonde ; ils n'ont plus que la peau et les os; l’autopsie ne révèle pourtant aucune lésion organique appréciable; le sang et la pulpe des parenchymes, ensemencés dans des milieux variés, même en sacs de collodion, ne donnent pas de culture; il s’agit donc, selon toutes probabilités, d'une intoxication due à la diffusion, en dehors du sac, de produits élaborés par le microbe; on ne peut en tout cas les attribuer à des troubles digestifs (ou autres) qu'aurait provoqués la présence du sac, corps étranger : quand le bouillon n'a pas été ensemencé, les lapins peuvent recevoir plusieurs sacs et les conserver plusieurs mois, sans présenter le moindre malaise, sans perdre un gramme de leur poids. Il nous a paru d'ailleurs que ces accidents étaient d'autant plus accusés et la cachexie d'autant plus profonde que les sacs introduits après ensemencement étaient plus nombreux, d’une capacité plus grande ou que la culture effectuée était plus riche. Voilà donc un nouvel exemple d’un animal très sensible aux toxines d’un microbe contre lequel ilest pourtant tout à fait réfractaire.

Nous avons essayé plusieurs fois d'obtenir des cultures en sacs chez le cobaye; nous n’y avons jamais réussi : même après six semaines de séjour dans le péritoine du cobaye, le liquide le plus largement ensemencé est retrouvé aussi limpide qu’au début.

Il s’agit donc bien d’un microbe spécial qui à pullulé en cultures successives dans le milieu que les échanges osmo- tiques ont créé, chez le lapin, à l’intérieur du sac de collodion ou de roseau.

Ce microbe si particulier est-il bien l'agent de la virulence péripneumonique ?

L’inoculation permet de répondre affirmativement.

On trouvera à la fin de ce travail l'observation détaillée de cinq vaches bretonnes chez lesquelles l’inoculation d’une petite

segment plus ou moins long de la fine membrane tubulaire qui tapisse la cavité centrale du roseau; M. Metchnikoff a montré que cette membrane estimpéné- trable aux microbes et aux cellules; elle est au contraire très perméable aux liqui- des et aux substances dissoutes; elle est aussi très résistante.

246 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

quantité de cullure en sacs a provoqué le développement d'un engorgement péripneumonique absolument caractéristique.

L'une de ces vaches (n° 1) a succombé avec une infiltration . œædémateuse formidable ; les quatre autres ont résisté. Deux de celles-ci (n° 2 et 3), réinoculées en région défendue avec une forte dose (1 ©. c.) de sérosité pulmonaire, n’ont manifesté absolument aucun symptôme local ou général, tandis qu’une vache neuve (n° 4) inoculée en mème temps qu'elles, à titre de lémoin, avec 10 gouttes de la mème sérosité, succombait vingt- deux jours après l’inoculation.

Une troisième vache (n° 5) réinoculée après quatre mois avec! c.c. de sérosité pulmonaire provenant &’une lésion suraiguë, n’a présenté ni fièvre, ni lésion locale.

La quatrième (n° 6) n’a pas encore été réinoculée.

Comme nous le disions plus haut, la culture extraite d’un sac de collodion ou de roseau, après 15 à 20 jours de séjour dans le péritoine d'un lapin, si riche qu’elle soit, ne donne aucune culture quand on la réensemence in vitro, à l'air ou dans le vide, dans l’un quelconque des milieux, liquides ou solides, ordinai- rement usités en bactériologie. On peut cependant obtenir des cultures à peu près semblables à celles des sacs. Mais il faut, pour cela, employer comme liquide de culture du bouillon stérile, non ensemencé, qu’ona faitséjourner pendantquelques semaines, à l’intérieur de sacs de collodion, dans le péritoine d'une vache ou d’un lapin. Ce bouillon, quoique non ensemencé, se modilie, lui aussi, à la faveur des échanges qui s’opèrent à travers la paroi du sac; il devient légèrement albumineux; il acquiert surtout la faculté de pouvoir servir à la culture, in vitro, du microbe péripneumonique.

Une seule fois nous avons obtenu, par l’ensemencement de quelques gouttes de sérosité péripneumonique dans du bouillon peptonisé fraîchement préparé, une culture analogue à celle des sacs. Tout au moins, le bouillon ensemencé présentait, après 72 heures de séjour à l’étuve, la très légère opalescence, et les petits grains mobiles et réfringents qui caractérisent cette cul- ture. Mais il ne nous fut pas possible de reproduire l’expérience,

MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 247

ni même d'obtenir une seconde culture en partant de celle que le hasard nous avait fournie.

Pourtant cette observation nous confirmait dans l’idée que le virus péripneumonique peut être cullivé en dehors de l’orga- nisme.

Il fallait donc trouver un milieu de culture favorable. Nous y sommes parvenus après de longues recherches. Le liquide qui nous a donné les meilleurs résultats est constitué par l’addi- tion d’une petite quantité de sérum de lapin ou de vache à la solution de peptone, préparée par M. Louis Martin pour obtenir la toxine diphtérique‘. La proportion de sérum ne doit pas dépasser 1/25 (4 gouttes environ pour 5 c. c. de solu- tion). Une plus forte proportion de sérum donne au liquide une opalescence qui empêche de reconnaître le début de la cul- ture. On n'a pas de culture si l’on emploie une solution de peptone de Witte ou de Chapoteaut; enfin la culture ne se fait pas en présence de gaz inertes ou dans le vide.

Le bouillon Martin-sérum ne permet pas seulement d’en- tretenir la culture mise en train par le passage en sacs de collo- dion ou de roseau ; il peut aussi donner une culture d'emblée, quand on l’ensemence avec une trace de sérosité naturelle.

La culture in vitro du microbe de la péripneumonie constitue un gros progrès; on va pouvoir étudier sa toxine, essayer de modifier sa virulence; elle présente déjà cet avantage de con- server intacte la virulence péripneumonique, tandis qu’il nous a semblé que les passages successifs par l'organisme du lapin l’atténuent sensiblement. Mais le degré de réceptivité pour le virus péripneumonique est si variable, même chez des individus de même âge et de même race, que nous n'’osons pas être très affirmatifs. Cette question de l’atténuation du virus ne pourra être résolue que par un grand nombre d’expériences.

Quant au premier point (conservation de la virulence par les cultures successives in vitro), il est nettement établi par l’obser- sation des vaches 7 et 8 qu’on trouvera ci-après : l’un de ces animaux, inoculé. le 26 février 1898 avec 10 gouttes d’une culture, a succombé le 19 mars avec un engorgement œdé- mateux énorme, en tout semblable à ceux que provoque l’ino- culation de la sérosité pulmonaire la plus virulente; l'autre, in-

1. Annales de l'Institut Pasteur, 95 janvier 1898.

248 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

jecté le 19 mars avec 1 c. c. d’une dixième culture, tombe malade neuf jours après. La fièvre est prononcée et, au point d’inocu- lation, il se forme un œdème en même temps que l’on constate une zone de matité dans les poumons.

La découverte de l'agent de la virulence péripneumonique n'offre pas seulement l'intérêt de la difficulté vaincue; sa portée est plus haute. Elle donne l'espoir de réussir également dans l'étude de tels autres virus dont le microbe est resté jusqu’à présent inconnu.

Ce qui rendait si difficile la détermination de ce microbe, c’est, d’une part, son extrême ténuité; c'est, d'autre part et surlout, les conditions si étroites de sa culture en milieu artificiel.

Or, il est bien permis de concevoir l'existence de microbes plus petits encore, lesquels, au lieu de rester en decà des limites de la visibilité, comme c'est le cas pour celui-ci, seraient au delà de ces limites; en d’autres termes, on peut admettre qu’il existe des microbes invisibles pour les yeux de l’homme.

Eh bien ! même pour ces microbes, l'étude reste possible, à la condition de trouver un milieu qui soit favorable à leur cul- ture. Il faudra même, dans ces tentatives de culture, ne pas s’en tenir, pour juger de l'échec ou de la réussite, aux modifi- cations survenues dans l’aspect ou dans la transparence du milieu. La culture du microbe de la péripneumonie est abon- dante; pourtant, elle ne provoque qu’un très léger louche, une opalescence à peine sensible du liquide; on est souvent obligé, pour se convaincre de la réalité de la culture, d'examiner cora- parativement, à côté d’elle, un tube de même bouillon non ensemencé. On peut donc admettre la possibilité d’une culture microbienne ne modifiant pas d’une facon appréciable l'aspect et la limpidité du milieu. Dès lors, dans l'hypothèse ce même microbe serait de ceux qui sont au delà des limites de la visibilité, le seul critérium de sa présence et de sa multiplica- tion dans la culture serait l’inoculation.

Déjà, peut-être, certains expérimentateurs ont-ils obtenu de telles cultures ; mais ils les auront méconnues parce que, le

4

MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 249

liquide ayant conservé sa limpidité, ils auront jugé inutile de l’inoculer.

Dans cet ordre d’idées, la culture in vivo, à la faveur des sacs de collodion ou de roseau, nous rendra sans doute encore des services.

CONCLUSIONS

L'agent de la virulence péripneumonique est constitué par un microbe d’une extrème ténuité ; ses dimensions, très infé- rieures à celles des plus petits microbes connus, ne permettent pas, même après coloration, d'en déterminer exactement la forme.

Ce microbe cultive aisément dans les sacs de collodion ou de roseau insérés dans le péritoine du lapin;

Il ne donne pas de culture quand on l’ensemence /# vitro dans les milieux ordinairement usités;

Au contraire, il cultive aisément, quand on l'ensemence dans le bouillon-peptone de Martin, additionné de sérum de vache ou de lapin, dans la proportion d’une partie de sérum pour vingt parties de bouillon.

APPENDICE

Première expérience.

Le 16 mai 1896, à 8 heures du matin, on sacrifie une vache flamande, atteinte de péripneumonie aiguë; cette vache a été envoyée le 14 mai, au service de police sanitaire de l’École d'Alfort, par M. Redon, vétérinaire délégué du secteur, comme sujet d’études.

À l’autopsie, hépatisation suraiguë de presque tout le poumon droit; la lésion n’a épargné que le lobe antérieur et le bord supérieur de l'organe. Pas d'épanchement dans le sac pleural. Pleurésie sèche sur toute la partie hépatisée.

Une quantité énorme de sérosité jaunâtre et limpide distend les sacs lymphatiques périlobulaires et sous-pleuraux. En cer- tains points, la plèvre est soulevée par de véritables lacs de sérosité; on en recueille purement, sans la moindre difficulté, plus de 20 c. c., répartis en 50 tubes effilés flambés.

250 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Le 2 juin 1896, on prépare deux sacs de collodion qu'on rem- plit de bouillon-peptone ensemencé avec une trace de sérosilé recueillie le 16 mai (une gouttelette pour 40 c. c. de bouillon). La sérosité de la pipelte qui a servi à cette opéralion, ensemencée sur gélose et sur bouillon et mise à l’étuve, n'a donné aucune culture. Les deux sacs de collodion, fermés exactement, sont insérés daus le péritoine de deux lapins.

Ces lapins sont sacrifiés le 27 juin; ils sont maigres, mais

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No 4. Génisse Bretonne, 10 mois, inoculée le 29 juin 1896 avec 5 gouttes de culture péripneumonique en sac de collodion.

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encore vigoureux. Les sacs de collodion sont intacts; ils renfer- ment un liquide opalin, un peu louche, légèrement albumineux, fourmillent une infinité de petits points réfringents, mobiles, si petits qu'on ne peut les distinguer qu’à un très fort grossis- sement (environ 2,000 diamètres), sans pouvoir en déterminer la forme.

Le 29 juin, à 8 heures du matin, j'inocule une génisse bre- tonne âgée de 10 mois (vache 1), par injection sous-cutanée en arrière de l'épaule gauche, avec cinq gouttes du liquide opalin extrait le 27 d'un sac de collodion. Ces cinq gouttes de culture ont été diluées au préalable dans 2 c. c. de bouillon stérilisé.

Jusqu'au 7 juillet on n'observe rien d'anormal sur la génisse

MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 251

inoculée ; elle conserve sa gaieté et son appétit; sa température oscille autour de 38°5 comme avant l'injection.

Le 8 juillet, la température est de 39°1 le matin, 39°7 le soir; à compler de cette date, elle s'élève lentement et graduellement pour atteindre, le 19 juillet, 4193.

Le 7 juillet, on notait déjà un petit engorgement au niveau de l'injection; sur une surface large comme la paume de la main, la peau est soulevée ; elle a perdu de sa souplesse; elle est un peu chaude et sensible. Ces caractères s’accentuent rapidement; la tuméfaction s'accroît dans tous les sens; dès le 10 juillet, elle a plus de 25 centimètres de diamètre : elle est dure, tendue, très douloureuse; l'animal se défend de la corne et du pied contre les attouchements. Un bourrelet saillant marque son contour.

L’engorgement s'accroît rapidement en avant, en arrière et en bas; il gagne sous l'épaule qu'il écarte du tronc et qu'il immobilise presque entièrement; il s'étend sous le ventre jus- qu'à la mameile; enfin, dès le 16 juillet, il forme au fanon une tumeur œdémateuse, chaude, tendue et douloureuse, du volume de la tèle. Peu à peu le bras et l’avant-bras s’engorgent, et la légère pression provoque une vive douleur dont la génisse témoigne par une plainte sourde et prolongée.

L'appélit, qui s'était maintenu jusque vers le 12 juillet, diminue peu à peu; à compter du 18 juillet, la bête refuse tout aliment.

Le 19 juillet, la bête est couchée sur la table d'opérations; après cautérisation profonde de la peau, on recueille purement, à l’aide de tubes eflilés flambés, une grande quantité de sérosité limpide, légèrement ambrée ; la pression est telle qu’il n’est pas besoin d'aspirer; le liquide jaillit dans la pipette jusqu’au tam- pon de ouate; après l’opération, un filet de sérosité s’écoule par chaque piqûre, imprègue la litière et forme bientôt un véri- table ruisseau.

Les jours suivants, l'animal reste étendu sur la litière, inca- pable de serelever ou même de se tenir debout; il meurt dans la nuit du 23 au 24 juillet.

A l’autopsie, on constate l'existence d’une infiltration ædé- mateuse énorme, occupant toute la face droite et toute la partie inférieure du corps, depuis la région de l’auge jusqu'aux ma- melles.

252 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Au fanon, elle forme une masse plus grosse que la tête dela génisse; le membre antérieur droit est soulevé, écarté du tronc et infiltré dans toute sa hauteur; le bras et l’avant-bras sont doublés d'épaisseur, en dépit de la résistance opposée par les aponévroses; le tissu cellulaire est envahi jusqu’au voisinage de l'os. Chaque coup de scalpel fait jaillir des flots de sérosité.

Le tissu conjonctif est comme gélatineux; ses mailles sont distendues par une masse de sérosité limpide, un peu ambrée. Au niveau de l'épaule et du bras, l'infillration conjonctive a envahi jusqu'au tissu interfasciculaire, en sorte que, sur la coupe, le muscle présente un aspect cloisonué, comme scléreux ; seulement, les cloisons conjonctives, au lieu d’être fibreuses, sont œdémateuses ; entre elles, le tissu propre du musele a une teinte pâle, lavée, et sa consistance est friable.

Cet aspect se retrouve identique dans les intercostaux; l’in- filtration séreuse s'est propagée jusqu'au tissu conjonctif sous- pleural qui forme comme un matelas épais et fluctuant. On le retrouve également, mais moins intense, dans le tissu cellulaire du médiastin antérieur. Le sac pleural renferme également _ deux litres de sérosité jaune, un peu roussâtre.

Enfin, les deux lobes pulmonaires sont sains; il n'y a pas trace d'infiltration interstitielle ou sous-pleurale.

Li #

On pourrait croire que le résultat de celte expérience tient à ce que l’on a inoculé une simple dilution du virus; ce n’est pas soutenable. Le bouillon primitif a été ensemencé avec une goutte de sérosité sous-pleurale, soit 1/20 de ec. c. pour 10 ce. c. de bouillon; la dilution était donc à 1/200.

On a inoculé cinq goultes du liquide du sac dilué au 4/200, soit un c.c. d’une dilution au 1/800; l'inoculation a été faite quarante jours après la récolte du virus, c'est-à-dire à une époque d'ordinaire cette sérosité a perdu sa virulence : notons, en outre, que pendant vingt Jours la sérosité diluée à 1/200 a supporté une température voisine de + 40° (dans le péri- toine du lapin), conditions éminemment défavorables à la con- servation de la virulence ; rappelons, enfin, que l’incubation a été très courte et la marche de l'infection très rapide, et nous conclurons que les résultats observés sont bien dus au microbe

MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 253

cultivé et non à une simple dilution du virus péripneumonique. Au surplus, les expériences ci-après lèvent tous les doutes à cet égard.

Deuxième série d'expériences.

Le 19 juillet, on recueille purement une grande quantité de la sérosité qui distend le tissu conjonctif de la région costale gauche de la génisse dont il vient d’être question.

Le 1% août, trois sacs de collodion recoivent: l’un, du bouillon neuf non ensemencé (servira de témoin); le deuxième, du même bouillon auquel on a ajouté 1/10° de la sérosité recueillie le 49 juillet ; le dernier, une dilution au 1/1000 de la même sérosité. Les deux tubes de bouillon ensemencé, qui ont servi à remplir les sacs, mis à l’étuve, restent stériles. Les deux premiers sacs de collodion sontinsérés dans le péritoine d’un lapin (b. 116); le troisième dans le péritoine d’un autre lapin (c. 135).

Les deux lapins sont sacrifiés le 17 août. Les deux sacs du lapin b. 116 sont intacts; le sac {moin ( bouillon non ensementcé) est absolument limpide; l’autre est fortement louche; le liquide fourmille des petits points réfringents et mobiles déjà vus pré- cédemment. Le sac du lapin c. 135 renferme un liquide opalin, moins louche que le précédent ; il renferme également un grand nombre de microbes.

Avec la culture du lapin b. 116, on refait deux dilutions qu'on met en sacs de collodion : l’un des sacs (dilution au 1/100) est mis dans le péritoine d’un lapin (i. #1); l’autre (dilution au 1/1000) est déposé dans le péritoine du lapin (4. TJ).

Ces deux lapins sont sacrifiés le septembre ; le contenu des deux sacs est louche et plein des points réfringents décrits plus haut. Le 2 septembre, le liquide du sac du lapin i. 79 est inoculé à une vache bretonne neuve (vache 2); l’autre sert à faire deux nouveaux sacs insérés dans le péritoine de deux lapins : 48 (dilution au 1/200) et 92 ( dilution au 1/500).

Le lapin 92 meurt le 9 septembre, cachectique, sans lésions viscérales apparentes; le sac est intact, le liquide louche ne ren- ferme rien autre chose que les points réfringents habituels. On en fait une dilution au 1/60 qu'on insère (en deux sacs) dans le péritoine du lapin A. 357. Disons tout de suite qu’à l’au-

954 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

topsie de ce lapin, les deux sacs ont été trouvés rompus et que celte série de passages a élé ainsi interrompue.

Le lapin 48 est sacrifié le 18 septembre, il est très maigre; le sac, intact, renferme un liquide très louche, plein des points réfringents habituels; on en fait deux nouveaux sacs (dilution au 1/200) insérés dans le péritoine des lapins B. 833 et B. 831. Le reste de la dilution, mis à l’étuve, reste stérile.

Le lapin B. 833 meurt le 29 septembre au matin, sans cause apparente, cachertique ; son sac est intact: le liquide, très opa- lin, renferme uniquement les petits grains réfringents habituels ; on le conserve en tubes scellés jusqu’à l'autopsie du lapin B.831.

Celui-ci est sacrilié le 6 octobre. Il est très maigre, mais encore vigoureux. Le sac intact renferme très peu d’un liquide très trouble : à côté des petits points réfringents habituels, on trouve, en assez grand nombre, des coccobacilles analogues à celui du choléra des poules, mais plus petits; il n’y a point de cellules blanches ; il s’agit vraisemblablement d’une impureté in- troduite au moment l’on à rempli et fermé le sac de collodion.

Le 8 octobre, on injecte 1 centimètre cube de la culture du lapin B. 833, sous la peau, en arrière de l'épaule d’ane vache brelonne (vache 3).

Voici l'observation résumée des deux vaches inoculées aux cours de celte série d'expériences :

Vache 2 (a reçu, le 2 septembre, 1 centimètre cube d’une deuxième culture en sac, représentant une dilution à 1/10,000 de la sérosité recueillie sur la génisse 2, le 19 juillet 1896).

Jusqu'au 15 septembre, cette vache ne présente rien d’anor- mal ; le16, on note au point d’inoculation une tuméfaction dure el sensible, du volume d’une mandarine; température encore normale.

Le 17, la tuméfaction s’est élargie : elle est tendue, chaude et très douloureuse.

Le 18, elle mesure plus de 20 centimètres de diamètre; la température s'élève à 3903.

Le 20, l'engorgement, très tendu, a gagné l'épaule dont elle gêne le fonctionnement ; latempérature est à 40°2; l'animal est triste et laisse une partie de sa ration; on fait des injections d’eau iodée dans le bourrelet œdémateux qui marque le contour de la tumeur.

MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 255

Jusqu'au 23, l’état reste le même, loujours inquiétant; on continue les injections iodées. À compter du 24, la tumeur s’affaisse, la température tombe, l’animal reprend son appétit et sa gaieté. Le 27, tout est rentré dans l’ordre.

TITERTEFEETEEE ŒE |] Este] pts] Eee] RHONE

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No 2, Vache Bretonne, 6 ans. inoculée le ? septembre 1896, avec 10 gouttes de culture en sac du lapin à. 79 (Dilution au 110.000).

Vache 3 (a reçu, le 8 octobre, 1 ce. c. d'une culture en sac, représentant une dilution à 1/40,000,000 de la sérosité recueillie le 19 juillet).

Cette vache n’a rien présenté d’anormal jusqu'au 21 octobre. Le 22, on observe, au point d'inoculation, une tuméfaction dure et sensible, du volume d’une noix : le 23, la nodosité est envi- ronnée d’un œdème mou, assez étendu; la température est à 392; le 24, tuméfaction large comme la paume de la main, tendue, chaude et douloureuse; le 26, l’engorgement, toujours très sensible, s’est encore étendu en surface; température 3906; les jours suivants, l’élat reste stationnaire, puis tout s'affaisse, se résorbe, la température revient à la normale; le 31, tout avait disparu.

* # *

Si les accidents observés sur les vaches 2 et 3, consécuti- vement à l’inoculation des cultures en sacs de collodion, étaient bien de nature péripneumonique, ces vaches devaient avoir

[Re

)6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

l’immunité contre la maladie naturelle et contre l’inoculation de la sérosité virulente. Il fallait s'en assurer. L'expérience ci-après confirma ces prévisions : -

Le 11 décembre 1896, M. Dervaux, d'Armentières, envoie à l’École d'Alfort les deux poumons d’un bovidé péripneumonique; le lobe droit a sa moitié postérieure envahie par une hépatisation récente ; le tissu est gorgé de sérosité jaunâtre et limpide; on en recueille purement quelques centimètres cubes qui servent à

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No 3. Vache bretonne, 5 ans, inoculée le 8 octobre 1896, avec un centimètre cube de culture en sac du lapin B. 833 (Dilution à 140,000,000.

inoculer, par injection sous la peau, en arrière de l'épaule, les vaches 2 et 3 (dont chacune recoit vingt gouttes de sérosité) et la vache 4 (normande, dix-huit mois, actinomycose de la mâchoire), laquelle servira de témoin et reçoit seulement dix gouttes de sérosité.

Tandis que les vaches 2 et 3 ont supporté l'injection sans rien présenter d'anormal, ni engorgement ni fièvre même passa- gère, la vache témoin succombait le 22° jour avec un engorge- ment considérable renfermant plus de dix litres de sérosité. L'incubation n'avait été que de huit jours; c'est le 18 dé- cembre que la fièvre s’allumait et qu'apparaissait la tumeur œdémateuse au point d’inoculation. Ci-joint le tracé relatif à la vache 4.

MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 257

Troisième série d'expériences.

Le 9 mars 1897, M. Borrel recueille purement de la sérosité sous-pleurale, fournie par une vache abattue à Grenelle et mise à sa disposition par M. Martel.

Le 12 mars, on prépare deux sacs de collodion qu’on emplit avec une dilution de sérosité dans du bouillon-peptone, dilution faite au 1/1000. Un des sacs est mis dans le péritoine d’un lapin, l'autre dans le péritoine d’un cobaye.

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No 4. Vache normande, 18 mois (actinomycose), inoculée le 11 décembre 1896 avec 10 gouttes sérosité pulmonaire.

Le 4 avril, on sacrilie les deux animaux : le sac du cobaye est plein d'un liquide transparent, limpide; le lapin, très amaigri, donne un sac un peu flasque, renfermant un liquide opalescent fourmillent les petits grains réfringents habituels. Avec la culture du lapin, on ensemence du bouillon dont on fait une dilution au 1/100 et une autre au 1/1000; on en emplit deux sacs qu’on insère dans le péritoine de deux nouveaux lapins.

Le 28 avril, les deux lapins sont sacrifiés; la culture s’est faile dans les deux sacs, identique aux précédentes et très riche.

Le 29 avril, on injecte dix gouttes de la dilution au mil- lième, sous la peau, en arrière de l'épaule gauche, à une vache bretonne, âgée de huit ans (vache 5).

258 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

En voici l'observation résumée : Jusqu'au 24 mai, tout reste normal; pas de fièvre, pas de

lésion locale. : ERA Le 25 mai, [= HOMMES DRE vingt- sept jours = TE BRRBASERTRBRRS SEE S Sd idee Slip) à MA Ne Fe HANNAH) S tion, une tumeur, = RER ES HER ] = du volume d’une pe FEES Ba anage DAS AL mandarine, sail- SE Te 5 , + + ur 102 5 20410] = = lante, dure, sensi- Lo FH pee de Tree HS 2 ble, se montre au es FÉERIES Hs) à niveau du point er EN EI HERTE RE 5 à nd ee me can en aune LUS] # inoculé; cette tu- Re HOME pre ET ANS) 2 meur s'étale peua [SHOT QI PTEEENUS| à peu les jours sui- ÉRRÉZe sp godes Pop D TH 3 SHARE) vants, toujours FÉRÉTRHNOINNRNNNNE = tendue et doulou- LS HN HS] % PLe >) LS] = 1 Es : > BBQ [] CETITITE CSN ERRBER > elle a les dimen- [SH ENIINNNENRNONTIEe £ sions d'une as- [Se ARE HER IT À ‘étend ce FERRER RSS) = siette,s étendsous {se REPARER £ , - s LL l'épaule, dont elle ee FROM) « M ee mauve HUNSUINEE à 2 Ce HÉRNONMESNINNNENHNE. S ments;elleesttou- Fe RHINNINNNNN TUE 2 jourstrèssensible; [2 FSI Frenms due one One, tenants) à la vache se défend LEE de la corne et du [SRENININNIS NN © ed contre tout Ce HARRIS) pet ont On GHANA SN à ARODS ER RARES) * partir de ce mo- |[e Hip Mnnnr tn DS HILL EE + È ment, la tumeur e HE BR Rte s . . 2 + A L s’affaisse rapide- tu HE - ment. ee Le 6 juin. tout |}

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Voir ci-contre le tracé de sa température. Réinoculée le 7 octobre 1897, avec 1 c. c. de sérosité péripneumonique recueil- lie le 3 sur un poumon envahi par une lésion suraiguë, celle vache n’a présenté ni fièvre nilésion locale au point d'inoculation,

MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 259 Elle était donc bien vaccinée par sa tumeur du mois de mai. Quatrième série d'expériences.

Le 19 janvier 1898,un poumon atteint de péripneumonie aiguë, envoyé de la Villette, permet de recueillir purement, dans les sacs lymphatiques sous-pleuraux, plusieurs pipettes de sérosilé limpide. Après s'être assuré, par ensemencement sur gélose et sur bouillon, que cette sérosité ne renferme aucune bactérie banale, on prépare des sacs decollodion et de

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No 6. Vache bretonne, 4 ans, pleine de 8 mois, inoculée le 11 février 1898 avec 9 gouttes culture en sac de roseau.

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moelle de roseau que l’on emplit d’une dilution au 1/200. Le 29 janvier, ces sacs sont insérés dans le périloine de deux lapins et de deux cobayes. Chaque sujet reçoit un sac de collodion etun sac de roseau.

Les quatre animaux sont sacrifiés le 10 février.

Les sacs des cobayes n’ont donné aucune culture; ils renfer- ment un liquide limpide et transparent.

Au contraire, les sacs des lapins ont tous cultivé; le liquide qu'ils renferment est louche, opalin, plein des petits grains mobiles et réfringents accoutumés. La culture, peu abondante dans les sacs de collodion, est d’une grande richesse dans les sacs de sureau; le liquide est lactescent.

260 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Le 11 février, à 9 heures du matin, on inocule sous la peau, en arrière de l'épaule gauche, à une vache bretonne (vache n°6), ägée de # ans, pleine de huit mois, cinq gouttes de la culture en sac de roseau, diluées dans 2 c. ec. cubes de bouillon sté- rilisé.

Jusqu'au 22, rien d’anormal; ce jour-là, on constate au point d'inoculation un peu de sensibilité à la pression, rien de plus: la température est à 38°,5. Le 23, œdème un peu chaud et sen- sible, large comme la paume de la main. La température s'élève au-dessus de 39°. Le 25, il existe une tuméfaction dure, tendue, chaude, très douloureuse, ayant les dimensions d’une assielte ; les jours suivants, la tuméfaction s'étend sous l'épaule dont elle gène les mouvements ; l’animal se défend de la corne et du pied quand on y porte la main; la tumeur reste stationnaire jusqu’au 2 märs, puis elle s’affaisse peu à peu, lentementet graduellement, pour disparaître entièrement le 10 mars. La température, qui s'était élevée jusqu'à 39,8, retombe à la normale à compter du 3 mars. Le # mars a lieu la mise bas; elle se fait rapidement, sous nos yeux, sans efforts; la délivrance est presque immédiate. Depuis cette époque, la vache n’a pas éprouvé le plus petit malaise.

Le 10 février, on avait ensemencé plusieurs tubes de bouillon- peptone, sérum, avec une trace de la culture en sac de roseau ; seul, le bouillon Martin, additionné d’un peu de sérum de bœuf ou de lapin, cultiva, le liquide prenant peu à peu l’aspect opa- lescent du liquide des sacs; on continua !es cultures successives et, Le 26 février, on put inoculer à une vache bretonne (n° 7), 3 ans, fraiche vêlée, dix gouttes d’une cinquième culture in vitro. L'inoculation fut faite en arrière de l’épaule droite.

En voici l'observation résumée :

Le vêlage et la délivrance ont eu lieu le 23 février ; les suites ont été assez régulières; cependant, pendant plusieurs jours, la vache a rendu d'assez grandes quantités de matières sanguino- lentes grisâtres, légèrement purulentes; puis tout est rentré dans l'ordre. Le veau, séparé de la mère, a été nourri au seau; la vache donnait de quatre à cinq litres de lait à chaque traite.

Rien à noter au point d'inoculation jusqu'au 8 mars; ce jour-là apparaît une tuméfaction de la largeur de la main, dure et sensible ; la tumeur gagne rapidement les jours suivants,

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MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 261

augmentant de tension et de sensibilité; elle s’insinue sous l'épaule qu'elle écarte du tronc et dontelle gène les mouvements. Dès le 11, la température s'élève au-dessus de 40, et elle reste à ce niveau jusqu'à la mort, atteignant, le 13 mars, 4007. En mème temps que l’engorgement progresse dans tous les sens, gagnant le fanon il forme une tumeur œdémateuse, molle et tremblotante, du volume de la tête d’un enfant, s'étendant le ong de la ligne blanche jusqu'aux mamelles, formant sous le

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No 7. Vache bretonne, 3 ans, vêlée le 23 février, inoculée le 25 février 1898 avec 10 gouttes d'une 5e culture in vitro.

ventre une tumeur œdémateuse de l’épaisseur du bras, Ia sécrétion lactée diminue considérablement, l'appétit est sup- primé, la bête maigrit à vue d'œil; la rumination persiste, lente et irrégulière.

Le 17 mars, l’'engorgement est énorme, l’appui ne se fait plus

le membre antérieur gauche, le bras et l’avant-bras sont fortement ædématiés, tout mouvement est impossible.

Le 18 mars, l’animal est étendu sur la litière, absolument incapable de se relever. Il succombe le 19 mars, vers 2 heures, avec de l'hypothermie (37° 8).

Autopsie. En dépouillant l'animal, on fait écouler une quantité énorme de sérosité citrine et transparente.

Le tissu conjonctif sous-cutané est le siège d’une infiltration

262 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

considérable qui atteint, en certains points, plus de 10 centi- mètres d'épaisseur ; l’exsudation occupe toute la face inférieure du corps, depuis l’encolure jusqu'aux mamelles; elle remonte le long de la trachée dans la gouttière de la jugulaire, elle descend dans l’avant-bras, en dehors comme en dedans de l’aponévrose, disséquant les muscles jusqu’au-dessous du genou.

Il existe un peu de sérosité dans les cavités pleurales et péri- cardique ; mais le poumon et tous les viscères sont absolument sains.

Ci-joint la courbe de la température de la vache 7 depuis le vêlage jusqu'à la mort.

Le 19 mars, on inocule à une vache bretonne, âgée de 3 ans (n° 8), 1 c. c. d’une dixième culture (in vitro) du microbe de la péripneumonie en bouillon Martin-sérum.

Le 28 mars, la température s'élève de 2°, une tumceur œdéma- teuseapparaitaupointd'inoculationets’étendles jourssuivants, le membre antérieur est écarté, la région chaude est douloureuse. On constate une respiration accélérée et une matité dans la partie supérieure du poumon droit. Le 6 avril, matité au niveau de la côte gauche région moyenne, et matité à la partie infé- rieure du poumon droit. Dans ces points, le murmure respira- toire est presque imperceptible. L'état général est grave. A partir du 8 avril, l'œdème, qui avait envahi la face externe du bras et l’aiselle, commence à diminuer. Le 15 avril, l’état général est redevenu bon, et et la matité a disparu en partie. On constate seulement de la crépitation à la partie inférieure des deux pou- mons. La température se maintient au-dessus de 39°, mais la maladie marche vers la guérison.

_ RECHERCHES SUR L'INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES

TROISIÈME MÉMOIRE

TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES Par M. ÉLIE METCHNIKOFF

(Rapport communiqué au Congrès international d'hygiène à Madrid.)

Depuis la fondation de la section de microbiologie aux congrès internationaux d'hygiène, la question de l’immunitéest restée à l’ordre du jour. D'abord, c'était le problème de l’immunité vis-à- vis des microbes qui occupait l'attention. Au Congrès de Londres, toute une séance y a été consacrée et vous vous rappelez bien la profonde divergence de vues des partisans des théories humo- rales et de la théorie cellulaire de l’immunité. M. Buchner, dont nous regrettons aujourd’hui si vivement l'absence, a exposé alors, avec sa clarté habituelle, son opinion sur l’immunité dans les maladies infectieuses. Cette immunité consistait, pour lui, en une action bactéricide des humeurs, grâce à la présence des alexines qui se trouveraient constamment dans le sang, en quantité suffisante pour détruire les microbes‘.

Au Congrès de Budapest, M. Buchner * modilia sa théorie en ce sens qu'il attribua aux leucocytes le rôle de producteurs des alexines qui ne se trouveraient pas accumulées une fois pour toutes dans les humeurs, mais seraient sécrétées par les leu- cocytes au fur et à mesure de leurs besoins, pour défendre l'orga- nisme contre les microbes.

Dans la dernière publication de M. Buchner*, les leucocytes sécréteraient non plus des substances capables de détruire les microbes dans les humeurs, mais seulement des substances qui influenceraient, et ceci encore d’une façon passagère, le fonc-

1. Munchener, med. Woch., 1891, n°s 32 et 53. 2, Munchener, 1894, n°° 37 et 38. 3, Munchener, 1897, 47.

264 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

lionnement chimique des microbes. Après cet affaiblissement moinentané, les agents pathogènes seraient englobés par les phagocytes et subiraient dans leur intérieur l’action destruc- tive des substances microbicides.

M. Buchner s’aperçoit lui-même que sa théorie modifiée se rapproche de celle des phagocytes. L'école de M. Bouchard, qui pendant si longtemps a fait opposition à cette dernière théorie, se montre dans ces derniers temps beaucoup plus conciliante. Par l'organe de M. Roger, cette école a déclaré au Congrès de Moscou que : « sans l'intervention de la phagocytose, les mi- crobes auraient fini par se développer comme ils le font dans les sérums au dehors de l'organisme; et la maladie, pour avoir été retardée dans ses débuts ou pour être atténuée dans ses mani- festalions, aurait fini par éclater ».

Les derniers travaux, provenant du laboratoire de M. Denys, à Louvain, accusent la même tendance, d’une façon encore plus marquée. Il a paru lout récemment un mémoire de M. Mar- chand* sur l’immunité vis-à-vis du streptocoque, dont l’auteur se place entièrement sur le terrain de la théorie des phagocytes.

L'Institut pour les maladies infectieuses à Berlin conserve son attitude plus que réservée vis-à-vis de cette théorie, sans cependant l’attaquer d’une façon aussi générale qu’autrefois. Le principal argument sur lequel se base cette école consiste dans la destruction extracellulaire des microbes dans le péritoine des animaux vaccinés, fait bien démontré par M. R. Pfeiffer. Voilà pourquoi, dans les travaux nombreux exécutés à l'Institut de Berlin, on étudie presque exclusivement Iles phénomènes de l’immunité dans la cavité péritonéale, et cependant il faut bien accepter que cette destruction en dehors des cellules ne s'opère que dans le péritoine et seulement dans certaines conditions bien déterminées. Dans le péritoine préparé par des inoculations préventives, ainsi que dans les autres régions de l'organisme (sous la peau, dans l'œil, etc.), la destruction des microbes s'opère dans l’intérieur des phagocytes, en parfaite harmonie avec la théorie cellulaire.

M. Bebring *, dans son exposé général de l'immunité, à

1. Etude sur l'immunité, Paris, 1897, p. 29.

2, Archives de médecine expérim., 1898, p. 253.

3. Art. Immunität dans la Æeal-Encyclopädie d'Eulenburg, édit., 1897, vol. XI.

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TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES. 265

accordé une place marquée à la phagocytose dans l'immunité contre les microbes. Seulement il insiste beaucoup sur ce fait que, dans l’immunité vis-à-vis des toxines, ce sontd’autres facteurs qui agissent, et que souvent la phagocytose ne peut s’opérer qu'à la suite d’une action préalable des antitoxines".

Sans entrer dans les détails, nous pouvons donc conclure que la réaction des phagocytes contre les microbes, comme défense de l'organisme, est un fait généralement accepté. Ce résultat se faisait- déjà bien sentir au Congrès de Budapest en 1894, l'opposition a été bien moins vive qu'aux Congrès précédents de Londres et de Vienne.

Cependant la science ne pouvait pas se contenter d'établir ce résultat, il lui fallait autant que possible approfondir l’étude de l’immunité.

Parmi les facteurs dont le rôle, à côté de celui des phagocytes,

a surtout attirer l'attention des savants, il faut signaler avant tout le pouvoir antitoxique de l’organisme, que nous a fait connaître la grande découverte de M. Behring. Comme les microbes sont nuisibles surtout par leurs poisons, les agents qui détruisent ces toxines ont donc une importance capitale. . Depuis mes recherches sur l'immunité des lapins contre Île microbe de la pneumo-entérite des pores, j'ai attiré l'attention sur l’analogie entre la réaction phagocytaire contre le microbe vivaut el contre la toxine*.

Deux aunées plus tard, au Congrès de Budapest, je me suis cru autorisé à formuler cette opinion” que les phagocytes réagissent contre les toxines microbiennes et même contre les poisons minéraux, comme l’arsenic.

Depuis cette époque, plusieurs membres de l’Institut Pasteur, notamment M. Roux, ainsi que moi-même avec quelques-uns de mes élèves, parmi lesquels je citerai MM. Chatenay, Marie et Besredka, nous nous sommes occupés beaucoup de cette ques- tion du sort des toxines dans l'organisme, etdu rôle des leucocytes dans la défense contre les poisons.

Le fait que les microbes élaborent des poisons dans leur corps, rapproché de cet autre fait que les phagocytes englobent

4. Deutsche med. Woch., 1898, No 5. 2. Annales de l’Inst. Past., 1892, p. 308. 3. Ann, de l'Inst. Past., 189%, pp. 719, 721.

266 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

si souvent les microbes entiers, amenait la conclusion que ces cellules sont capables d’absorber les toxines. Dans l’étude sur la toxine et l’antitoxine cholériques, faite par MM. Roux, Salim- beni et moi-même, il a été précisé que les phagocytes absorbent et digèrent la toxine cholérique”.

On conçoit facilement la grande difficulté de ce genre d’étu- des, en présence de l'impossibilité de constater d’une façon directe l'existence d’une toxine bactérienne dans les tissus et les cellules. Et cependant nous avons réussi à démontrer le fait de l'absorption de la toxine tétanique par les leucocytes de la poule ?. En provoquant des exsudats chez des poules, auxquelles oninjectait préalablement cette toxine, j'ai pu me convaincre que ces exsudats, beaucoup plus riches en leucocytes que le sang, étaient aussi plus tétanigènes que celui-ci.

D'un autre côté, j'ai observé une leucocytose plus ou moins marquée à la suite de l'injection de doses non mortelles de toxine tétanique à des poules.

Cette réaction leucocytaire, à la suite de l'introduction de la toxine tétanique dans l'organisme, se produit non seulement chez les espèces très résistantes, comme la poule, mais aussi chez le cobaye, mammifère des plus sensibles à la toxine tétanique. Même à la suite de l'injection de doses plusieurs fois mortelles, il se manifeste une leucocytose des plus accusées, et ce n’est qu'après l'introduction d’une quantité cent fois mortelle que Île nombre des leucocytes reste stationnaire ou présente une diminution. Tous ces faits indiquent donc que l’organisme le plus sensible présente une réaction manifeste contre la toxine télanique.

Comme les leucocytes de la poule, qui deviennent si nom- breux après l'injection de la toxine tétanique, absorbent ce poison, il se pourrait bien que les leucocytes du cobaye le prennent aussi pendant l’hyperleucocytose. La preuve cependant n’est pas facile à fournir, précisément à cause de la grande sen- - sibilité des cobayes et de l'impossibilité de leur injecter d'assez fortes quantités de toxines pour permettre l'essai des exsudats sur des animaux. Pour arriver à un résultat précis, il faut par conséquent recourir à une argumentation indirecte.

4. Annales de l'Inst. Pasteur, 1896, p. 272. 2. Ibid., 1897, p. 808.

TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES. 267

Tout le monde a présentes à la mémoire les expériences inté- ressantes de MM. Wassermann et Takaki', dans lesquelles ils ont constaté l'inactivité de la toxine télanique lorsqu'elle est injectée avec de la substance cérébrale. M. Wassermann, guidé par la théorie si suggestive de M. Ehrlich, ce savant qui a tant contribué à nos connaissance sur l’immunité contre les toxines, a supposé l’existence, dans les centres nerveux des animaux normaux, d’une antitoxine comparable à l’antitoxine artilicielle que MM. Behring et Kitasato ont découvert dans le sang des animaux vaccinés contre le tétanos.

M. Wassermann et, avec lui, un grand nombre de savants qui ont abordé le même sujet admettent que l’antitoxine du cerveau normal, injectée à des souris, se résorbe dans leur organisme et, se rencontrant dans le sang avec la toxine létanique, la neu tralise d’une facon définitive, tout à fait comme le ferait un sérum antitélanique.

Constatons d’abord que cette action est très limitée dans l’espace et dans le temps. Pour bien empêcher l'intoxication, il faut mélanger le cerveau avec la toxine télanique. Si l’on injecte les deux malières séparément, l'effet sera insignifiant ou nul.

M. Marie’ a prouvé que si on injecte de la matière céré- brale dans une patte postérieure d’un lapin et de la toxine dans l’autre palte, celui-ci prend le tétanos et en meurt comme le témoin. Bien plus, si l’on injecte sous la peau de la face dorsale de la cuisse d’un cobaye de la substance cérébrale en quantité suffisante pour neutraliser une dose plusieurs fois mortelle de toxine tétanique, et sous la peau de la face ventrale de la même cuisse la dose mortelle de cette toxine, le cobaye prendra le tétanos mortel. L'action antitoxique de la substance nerveuse ne se répand donc même pas à faible distance : elle est stric- tement locale.

Ce résultat se confirme par un autre mode d’expérimenta- tion. On injecte de l’émulsion cérébrale dans la cavité périto- néale d'un cobaye. Le lendemain, on lui inocule dans une patte postérieure la toxine tétanique. Le cobaye meurt du tétanos comme son témoin.

L'action de la substance cérébrale est également limitée au

4. Berliner klinische Wochenschr., 1895, 1, p. &, s. 2, Annales de l'Inst. Pasteur, 1898, p. 95,

268 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

point de vue du temps. Lorsque l’on injecte la toxine tétanique 24 heures après la substance cérébrale, au même endroit, par exemple dans le péritoine d’un cobaye, on le préserve sûrement du tétanos. Mais si l'on attend plus longtemps, et si l’on inocule la toxine 48 heures ou plus longtemps après l’'émulsion céré- brale, le cobaye prend inévitablement le tétanos mortel.

Cette série de faits prouve une localisation étroite dans l'ac- tion de la matière cérébrale et, en même temps, démontre la grande différence entre ce phénomène et l’action du sérum anti- tétanique.

Il est bien prouvé, par le travail de MM. Roux et Borrel inséré dans ce numéro, et par les recherches de MM. Knorr! et Blumenthal?, que la toxine tétanique, mise en présence du certeau broyé, est fixée par celui-ci. Ce fait explique l’impor- tance du contac tintime entre les deux substances pour la pré- venlion de l’animal contre le tétanos.

La toxine tétanique, injectée en mélange avec le cerveau broyé, se trouve à l’état fixé dans l'organisme. Mais cette fixa- tion n'est pas permanente et ne suffit pas par elle seule pour empêcher le tétanos.

Comme je l'ai indiqué dans un mémoire antérieur *, la toxine ne se détruit pas dans ces conditions, mais peut facilement mani- fester son action tétanigène. La matière cérébrale de lapin et de cobaye agit d’une façon beaucoup plus efficace chez la souris que chez le cobaye. La dose du mélange de cerveau et de toxine télanique deux fois mortelle pour le cobaye et 20 fois mortelle pour la souris est cependant beaucoup plus tétanigène pour le premier. Chez le cobaye, ce mélange, injecté dans les muscles de la cuisse, produit un télanos grave, quoique le plus souvent non mortel, tandis que chez la souris, il ne provoque qu'un téta- nos léger nul. De ces faits, j'ai déduit que la matière céré- brale ne détruit pas la toxine télanique, dont l’effet est empêché par l'intervention de l'organisme.

Seulement, dans l’expérience que je viens de citer, il s'agit de deux espèces animales différentes. On pourrait donc objecter que le cerveau agit sur la toxine dans les humeurs du

1. Münch. med. Wochenschr., 1898. 2. Deutsche med. Wochenschr., 1898, no 12, p. 187. 3. Ann. de l’Inst. Past., 1898, p.. 89.

TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES, 269

cobaye d'une façon autre que dans celles de la souris. Eh bien, l'intervention de l'organisme peut être démontrée chez la même espèce. Pour cela, il suffit d'injeeter le même mélange de cerveau et de toxine, tantôt dans les muscles de la cuisse, tantôt dans le péritoine des cobayes. Bien que, en général, l'injection de la toxine tétanique soit plus meurtrière dans le péritoine que dans les muscles de la cuisse, l'eflet du mélange sera plus prononcé dans la cuisse que dans le péritoine. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la toxine télanique Injeclée avec la malière cérébrale dans la cuisse provoque un télanos grave ; l'injection du même mélange dans la cavité péritonéale n’est suivie d'aucun effet morbide, ou, s'il y a raideur des muscles abdominaux, celle-ci est très faible et passagère.

L'action de la matière cérébrale sur la toxine tétanique est donctrès localisée et nécessite, pour que le tétanos soit empêché, l'intervention de l'organisme. Pour nous faire une idée plus précise du mécanisme de cette intervention locale, injectons le mélange de cerveau et de toxine dansle péritoine des cobayes, et prélevons, à l’aide de tubes eflilés, le liquide péritonéal au bout de quelques minutes, de quelques heures ou de quelques jours. Dans tous ces cas, nous trouverons la lymphe du péritoine remplie d’une quantité très grande, souvent énorme de leucocytes, parmi lesquels nous serons surpris de ne trouver que des gros mononucléaires.

Quelques minutes déjà après l'injection du mélange, ces macrophages se trouvent bourrés de matière cérébrale; souvent on ne distingue que le noyau du leucocyte, entouré de masses de myéline et de fragments de cellules nerveuses. Quelques heures après l'injection, quelquefois même au bout de 20 minutes seulement, on ne trouvera plus de matière cérébrale libre : elle sera toute englobée par les macrophages. Ces cellules bourrées de particules de cerveau restent pendant longtemps logées dans la cavité périltonéale, et encore 3 semaines après l'injection du mélange on en trouve des quantités dans la lymphe du périloine.

La digestion intracellulaire de la matière cérébrale par les macrophages se fait évidemment avec une grande lenteur.

Comme il est démontré que la toxine tétanique est fixée à la malière cérébrale et comme celle-ci est en peu de temps englobée

270 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

par les macrophages, il en résulte que la toxine elle aussi a être incorporée par les phagocytes.

Si l'on compare cette réaction des mononucléaires dans la cavité péritonéale et dans les muscles de la cuisse, on constate facilement que, dans ce dernier lieu, elle est beaucoup pluslente à se produire que dans le péritoine. En outre, l’exsudat de la cuisse est plus riche en leucocytes polynucléaires, qui n’absorbent que très peu de matière cérébrale, qu'en macrophages si avides de celte substance. On comprend donc facilement pourquoi la toxine tétanique, injectée en mélange avec l’émulsion cérébrale, est plus tétanigène dans la cuisse que dans le péritoine. Dans la cuisse, elle reste plus longtemps en dehors des phagocytes, et peut s'échapper plus facilement pour provoquer lintoxication tétanique. Dans le péritoine, elle est rapidement incorporée par les macrophages, et ces cellules doivent évidemment empêcher son action létanigène. Nous arrivons donc à celte conclusion que la torine tétanique, fixée sur la matière cerébrale, est absorbée par les macrophages et empêchée dans son action tétanigène. Ces cellules sont donc un moyen de défense de l'organisme contre les Loxines. Leur aclion peut être caractérisée comme une action détruisante ou phlérotoxique.

Les données que je viens de résumer s'accordent bien avec un grand nombre de faits acquis dans la science. Après avoir lait sa découverte, M. Wassermann a admis que le cerveau normal fixe la toxine tétanique et neutralise son action. Cette interprétation ne peut pas être acceptée comme je l’ai déjà déve- loppé dans mon mémoire précédent sur le sort des toxines dans l'organisme; M. Roux, avecses collaborateurs MM.Morax et Borrel, a démontré que la toxine tétanique, injectée directement dans le cerveau des lapins, même en quantité beaucoup plus faible que celle qui est nécessaire pour produire le télanos par injection intramusculaire, provoque un télanos cérébral mortel. Et cependant un simple fragment de cerveau de lapin, broyé et mélangé avec la toxine télanique, exerce une action préventive très nelte. Cette différence s'explique par ceci que dans l'injec- Lion directe de la toxine dans le cerveau, celui-si fixe bien la toxine, mais il de se produit pas de réaction leucocytaire sufli- sante, tandis que l’injection du mélange de toxine et de matière cérébrale sous la peau, dans le muscle ou le péritoine, amène une

TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES. 271

réaction leucocytaire considérable et efficace. La découverte si intéressante de M. Wassermann, au lieu de prouver l'existence d'une antiloxine cérébrale, a abouti à la démonstration del action des phagocytes contre les toxines.

Cette action, que nous avons lâché de déterminer dans un exemple précis, est très probablement la manifestation d’une loi générale. Nous avons déjà mentionné le fait de l’englobement des microbes renfermant dans leur corps des toxines par des phagocytes. Dans cette catégorie doit être rangée l'observation de MM. Vaillard et Vincent :, de l’innocuité des bacilles tétani- ques qui renferment la toxine tétanique dans leur corps, mais qui ne produisent pas d’empoisonnement, grâce à l’englobe- ment eflicace par les leucocytes.

L’hyper-leucocytose que l’on observe régulièrement après l'injection de toxines en doses non mortelles ou en quantités pas trop rapidement mortelles, s'explique aussi par le rôle phtérotoxique des leucocytes, analogue à l’action anti- microbienne de ces cellules. Il a été constaté depuis longtemps que l’injection des sels de fer, aussi solubles que possible, amène une réaction des phagocytes très prononcée. (Grâce à la facilité avec laquelle on révèle la présence du fer dans les cellules, à l’aide des réactions microchimiques, il a été démontré, notam- ment par les élèves de M. Kobert à Dorpat *,que cette substance est absorbée par les leucocytes et les autres phagocytes, et est transportée surtout dans le contenu du tube digestif,

Maislefer n'étant pasun véritable poison, l’histoire deson élimi- nalion de l'organisme ne peut servir que comme indication pour des recherches sur des éléments plus toxiques. Parmi ceux-ci, il faut menticnner notamment l’arsenic, poison dont l'intérêt s'accroît à cause de la facilité avec laquelle on habitue les ani- maux de laboratoire à absorber la dose mortelle. De mes expé- riences sur la réaction de l'organisme contre l’arsenic chez les lapins accoutumés et chez les témoins, expériences communi- quées au Congrès de Budapest, mais surtout des recherches beaucoup plus nombreuses et suivies, exécutées par M. Besredka et encore inédites, il résulte une intervention active des leuco- cytes. Tandis que des doses rapidement mortelles produisent

1. Ces Annales, 1891, p. 26. 2. Arbeiten a. d. pharmakol. Inst. in Dorpat (1893, 1894).

279 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

chez les animaux neufs une hypoleucocytose véritable et progres- sive, chez les animaux accoutumés elles provoquent une forte hyperleucocytose, dans laquelle les polynucléaires jouent le rôle prédominant. Il devient de plus en plus probable que les phagocytes, ces éléments qui ont le mieux conservé le type ances- tral, amæbien, sont les cellules les moins sensibles à l’action toxique des poisons. Grâce à cette particularité, ils peuvent impunément pour eux, se charger de grandes quantités de sub- stances toxiques qui alors n’atteignent plus les éléments beau- coup plus sensibles aux poisons, comme, par exemple, les cellules nerveuses.

Il est extrèmement probable que les toxines subissent une modification chimique, une sorte de digestion dans l’intérieur des phagocytes. Malheureusement cette question est trop délicate pour être résolue en peu de temps el voilà pourquoi, pour le moment, il faut se contenter d'hypothèses, qui peuvent du reste servir à faciliter la solution expérimentale du problème posé.

M. Portier a démontré récemment que les leucocytes vivants renferment des ferments oxydants qui s’échappent facilement après la mort de ces cellules. [l est donc très probable que les Loxines bactériennes absorbées par les phagocytes y subissent l'influence de ces oxydases. Or, il est depuis longtemps connu que l'oxygène affaiblit en peu de temps et même détruit les toxines bactériennes. Guidés par ce fait, MM. Roux et Metchni- koff ont conçu depuis plus d'un an un plan de recherches sur l'influences des oxydases sur les toxines, qu'ils sont en train d'exécuter.

L'ensemble des données que je viens de résumer permet donc de conclure que les phagocytes jouent un rôle très important non seulement vis-à-vis des microbes, mais aussi dans la défense de l’organisme contre les poisons. D'un autre côté, les faits réunis dans ce rapport peuvent servir d'argument en faveur de celle thèse que les phagocytes peuvent accomplir leur fonction antimicrobienne sans que les produits toxiques des microbes pathogènes aient subi une destruction préalable et indépendante des cellules phagocytaires.

1. Les Oxrydases, Paris, 1897.

NOUVELLES RECIÉRCHES SUR LE MODE DE DESTRUCTIUN

DES VIBRIONS DANS L ORGANISME Par Me Le .-Dr.J. CANTACUZENE

(Travail du Laboratoire de M. Metchnikoff.)

l

Le rôle tout à fait prédominant des phagocytes dans la des- truction des vibrions qui ont pénétré dans les tissus semblait an fait définitivement acquis à la science, lorsque M. Pfeiffer, en 1894, publia une expérience qui, selon lui, ruinait complètement la doctrine phagocytaire de l’immunité : si l'on injecte une émul- sion de vibrions cholériques dans le péritoine d'un cobaye hyper- vacciné contre le choléra, ou bien cetle même émulsion addi- tionnée de sérum préventif dans le péritoine d’un cobaye neuf, on observe que très rapidement, 5, 10, 20 minutes après l'injec- tion, les vibrions perdent leur forme allongée et se transforment en granulations arrondies, immobiles, libres dans l’exsudat ; au bout d’un temps très court, ces granulations disparaissent, dis- soutes par le liquide ambiant. Voilà donc un cas bien net de des- truction des vibrions dans les humeurs; ici l’activité des phago- cytes n’a joué aucun rôle, et l'animal a guéri sans leur interven- üon. Il s’agit là, vraisemblablement, d’une sécrélion bactéricide due, surtout, aux cellules endothéliales du péritoine. M. Pfeiffer attache à ce fait une importance doctrinale considérable; il le considère comme apportant une preuve décisive en faveur de l'action bactéricide des humeurs dans la lulte de l'organisme contre les microbes. '

M. Metchnikoff, reprenant l'étude du phénomène de Pfeiffer, constala d’abord que la dissolution des granulations n'est jamais extracellulaire : en effet, elles conservent indéfiniment leur forme dans J’exsucat péritonéal placé, en goutte suspendue, à l’étuve à 37°, La destruction de ces granules se fait à l’intérieur du pro- toplasma des phagocytes; peu de lemps après l'injection de Pfeiffer, l’'exsudat se peuple de leucocytes nouvellement arrivés,

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274 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

qui englobent rapidement les granulations et les digèrent à l’in- térieur de vacuoles intracellulaires. Mais le rôle des leuco- cytes ne s'arrête pas là; ce sont eux, en effet, qui, grâce aux sub- slances bactéricides qu’ils renferment, sont les véritables agents de la transformation en granules des vibrions cholériques; au con- traire, l’'endothélium péritonéal ne joue aucun rôle dans ce phé- nomène. En effet, on peut réaliser in vitro le phénomène de Pfeiffer, à condition qu’à l’émulsion de vibrions additionnée de sérum préventif, on ajoute une trace de lymphe péritonéale nor- male contenant des leucocytes.

Si, d'autre part, on observe attentivement ce qui se passe après que l’on a injecté dans le périloine d'un cobaye neuf le mélange de Pfeiffer, on remarque que peu de secondes après l'injection, les leucocytes de la cavité péritonéale deviennent subitement immobiles, s’agglulinent en paquets, et s'entourent d'une substance glaireuse qui diffuse hors de leur protoplasma ; au contact de cette substance, les vibrions se transforment en granules. Il s’agit d’un véritable phénomène de phagolyse : sous l’action de l'injection de Pfeiffer, les phagocytes présentent mo- mentanément un état de souffrance, au cours duquel ils laissent diffuser la substance bactéricide contenue dans leur protoplasma. S'il est vrai que la phagolyse soit due à un affaiblissement momentané des phagocytes, il est naturel de supposer que le renforcement de leur activité supprime la phagolyse et, par con- séquent, la transformation extracellulaire des vibrions ; c’est ce qui à lieu en effet si, 24 heures avant d’injecter le mélange de Pfeiffer, on injecte dans le péritoine des cobayes 3 c. c. de bouil- lon : dans ce cas, la transformation des vibrions en granules n’a plus lieu dans le liquide de l’exsudat; les vibrions sont presque instantanément englobés par les leucocytes, et c’est à l’intérieur du protoplasma de ces derniers que s'opère la transformation. Il est bien évident, dans ce cas, que c’est grâce à une action phagocytaire très intense que l'animal s’est débarrassé des vibrions.

M. J. Bordet, de son côté, a pu observer que la transformation des vibrions en granulalions est due aux substances bactéricides élaborées par les leucocytes, substances non spécifiques, et exis- tant, mais en faible quantité, chez les leucocytes des animaux neufs : chez ces derniers, en effet, il est aisé de constater, à l'in-

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 275

térieur du protoplasma, la transformation en granules des vibrions englobés.

Chez les animaux hypervaccinés, cette transformation se fait avec une intensité beaucoup plus considérable, grâce à l'appari- tion, dans l'organisme de ces derniers, d’une substance spécifique, la substance préventive, qui représente probablement un produit microbien modifié par l’activité cellulaire. Cette substance spé- cifique a la propriété d'exalter le pouvoir bactéricide des leuco- cyles en lui imprimant un caractère de spécificité, et la trans- formation des, vibrions en granules s'opère grâce au mélange des deux substances, bactéricide et préventive, que ce mélange se fasse à l'extérieur ou à l'intérieur des leucocytes.

Les leucocytes sont bien le lieu de formation et le siège de la substance bactéricide ; elle y reste contenue durant la vie de l'animal et ne diffuse dans le liquide ambiant que si les leuco- cytes placés dans des conditions de vie anormales laissent, en éclatant, échapper leur contenu; si en effet l’on fait in vivo la séparation du sérum et des cellules (soit en déterminant un ædème par compression, soit en produisant l’hypoleucocytose du sang par des injections intraveineuses de poudres inertes), le sérum ainsi obtenu ne présente pas de propriété bactéricide ; quant à son pouvoir préventif, il est faible. Si au contraire la séparation a lieu in vitro, le sérum est à la fois très bactéricide el très préventif.

Ces deux substances sont pafaitement distinctes : le sérum d’un vacciné, chauffé à 55°, perd ses propriétés bactéricides, mais conserve ses propriétés préventives, qui ne disparaissent pas lorsque l’on maintient le liquide pendant une heure à une tem- péralure de 70° (ce dernier fait avait déjà été établi par MM. Fraenkel et Sobernheim).

Alors que le sérum préventif chautfé à 55° est incapable de produire à lui seul le phénomène de Pfeiffer in vitro, il suffit d'y ajouter une trace de sérum contenant de la substance bactéri- cide (p. ex. du sérum frais de cobaye neuf) pour que la transfor- mation en granulations se produise aussitôt.

Le mélange des deux susbtances est donc la condition néces- saire et suffisante pour la production du phénomène.

Le sérum préventif exerce sur les leucocytes une action chi- mio-tactique positive ; il est un excitant puissant de l’activité

276 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

phagocytaire : ainsi, que l’on mélange du sang défibriné bien frais à une émulsion de vibrions, etque l’on ajoute à la goutte pendante une trace de sérum préventif, en portant le tout à 37°, les leu- cocytes englobentles vibrions et se montrent bientôt bourrés de granulations. l

Ces faits nous permettent d'interpréter ainsi le mode d’action du sérum préventif: la substance préventive injectée pénètre dans le protoplasma leucocytaire, s’y mélange à la substance bacté- ricide, en sorte que les vibrions englobés s'y transforment en eranules ; lorsque, par suite d'un étatparticulier de souffrance, les leucocytes laissent diffuser la substance bactéricide, la transfor- mation en granules sera extra-cellulaire, et nous aurons le phénomène de Pfeiffer.

M. Pfeiffer a cru pouvoir récemment démontrer que la trans- formation des vibrions en granules est possible dans un tissu très pauvre en leucocytes, comme l’est, p. ex., le tissu cellulaire sous-cutané. Il est bien certain aujourd’hui que si M. Pfeiffer a obtenu la transformation des vibrions dans de pareilles conditions, c'est qu'il a déterminé, au niveau du foyer de l’in- jection, une petite hémorragie, amenant ainsi des leucocytes au contact de la substance préventive injectée.

M. Salimbeni, étudiant récemment la destruction des vibrions injectés sous la peau d'animaux hypervaccinés, a nettement établi que jamais, dans ce cas, l’on n’observe de transformation extracellulaire des vibrions en boules; cette transformation s'effectue toujours à l’intérieur des leucocytes polynucléaires l’intérieur des mononucléaires, au contraire, les vibrions conservent une forme allongée).

Dans le présent travail nous nous sommes proposé de reprendre l'étude de la transformation extracellulaire des vibrions dans l'organisme, et d'observer les variations du phé- nomène quand on fait varier l’état d'activité des leucocytes, soit en déprimant cetle activité, soit en l’exaltant. Puis nous avons tenté de déterminer quelle part revient à la phagocytose dans la protection de l'organisme, le phénomène de Pfeiffer une fois produit.

Le vibrion employé dans nos expériences provenait de l'épidémie qui sévit en 1894 dans la Prusse orientale ; il tuait un cobaye de 400 grammes à la dose de 1/25 de culiure

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME, 974

sur gélose, injectée dans le péritoine. Nous nous sommes servi de deux sérums immunisants, obligeamment fournis par notre collègue le D'Salimbeni; l’un, provenant d’une chèvre, était pré- ventif à la dose de 1/300 de c. c. pour un cobaye de 400 grammes; l'autre, provenant d’une jument, était préventif à la dose de 1/150 de c. c.; 1/10 de goutte du premier, 1/5 de goutte du second donnaient sûrement le phénomène de Pfeiffer dans le péritoine d’un cobaye neuf,

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Si l’on injecte sous la peau d’un cobaye une émulsion de vibrions cholériques additionnée de sérum préventif, la trans- formation en granules n’a pas lieu, à condition que Pon ait soin de ne pas déterminer d’hémorragie en piquant la peau. Le phénomène se produit au contraire chaque fois que le m‘lange injecté arrive au contact de leucocytes préexistants mélangés au liquide d'injection.

Expérience I. Un lapin reçoit sous la peau de l'oreille gauche 1 c. e. d’une culture en bouillon de streptocoques, tués par la chaleur à 85°; au bout de rois jours, on injecte dans l'abcès ainsi formé 1/2 c. c. d’une émulsion de vibrions addi- tionnée de 1 goutte de sérum immunisant. Simultanément le même mélange est injecté sous la peau de l'oreille droite et sous la peau de la cuisse; en ce dernier point, on a soin de provoquer au préalable une légère hémorragie. Au bout de 1/2 heure, presque tous les vibrions injectés dans la cavité de l’abcès sont transformés en grosses granulations arrondies, prenant le violet avec énergie; un grand nombre sont englobées par les leuco- cytes polynucléaires: un nombre plus grand est libre. Au bout de 3 heures on retrouve beaucoup de granulations libres, mais plus aucun vibrion ayant conservé sa forme. Les vibrions injectés sous l'autre oreille sont entiers, sans trace de trans- formation au bout de 3 heures; au niveau du foyer hémorra- gique, les 3/4 des vibrions sont transformés en granules au bout de 1/2 heure : la transformation est complète 2 heures plus tard,

Expérience LL. On provoque chez un lapin la formation d'un abcès en lui injectant sous la peau de l'oreille une culture tuée de streptocoques. Quelques gouttes du pus ainsi formé sont

218 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

mélangées à 1 c. c. d’une émulsion de vibrions, additionnée de 4 goutte de sérum préventif. Le mélange est injecté sous la peau de l'oreille d’un second lapin : au bout de 10 minutes, il y a transformation partielle ; au bout de 25 minutes, transformation complète des vibrions en granulations de Pfeiffer. Le même mélange, mais sans addition de pus, injecté sous la peau de l’autre oreille, ne présentait au bout de 3 heures aucune trace de transformation.

Expérience III, Un lapin porteur, à la face ventrale, de 3 gros abcès froids provoqués par l'injection sous-cutanée de bacilles tuberculeux tués, reçoit : 4) dans la cavité de l’un des abcès, 1 c. c. d’émulsion vibrionienne addilionnée de 1 goutte de sérum préventif; la transformation en granules est totale et immédiate; b) le même mélange en injection sous la peau de la cuisse : les vibrions au bout de deux heures ont conservé tous leur forme et leur colorabilité.

Il est hors de doute, d’après cela, que la substance qui transforme en granulations les vibrions cholériques est contenue dans les leucocytes. Les cas cette transformation ne se fait pas prouvent bien que les cellules fixes du tissu conjonctif ne jouent aucun rôle dans la production du phénomène.

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Avant de rechercher dans quelle mesure les variations de l'activité leucocytaire retentissent sur la transformation des vibrions en granules, nous allons présenter un tableau rapide, d'après nos propres observations, des péripéties visibles de la lutte qui s'établit entre l'organisme et les vibrions injectés dans le péritoine, d’abord chez des animaux qui possèdent l’immu- uilé active, puis chez des animaux neufs auxquels on injecte du sérum préventif en mème temps que des vibrions. On trouve parfois des cobayes qui résistent naturellement à des quantités considérables de vibrions injectés dans le péritoine; pour tous, il existe une dose maxima dont l'organisme triomphe après une courte maladie. Tous les cobayes possèdent donc jusqu'à un certain point l'immunité naturelle pour les vibrions cholériques. Voici ce que l’on peut observer en pareil cas : durant la première heure qui suit l'injection, les vibrions vivent à l'aise dans la

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 279

cavilé péritonéale, y conservent leur forme, leur mobilité et leur colorabilité. On n'observe guère dans ce cas de granu- lations libres plus nombreuses que celles que l’on peut constam- ment rencontrer dans les cultures de 36 heures. Les rares leuco- cytes de l’exsudat ont une apparence saine, mais n’englobent aucun microbe. Au bout de 1 h. 1/2, des leucocytes nom- breux commencent à apparaître dans la cavité et englobent immédiatement de grandes quantités de microbes; parmi les vibrions englobés, les uns conservent leur forme allongée, les autres se transforment en grosses granulations, de plus en plus nombreuses : les uns et les autres prennent les couleurs basiques d’aniline. Bientôt les formes allongées aussi bien que les grosses granulations se fragmentent en granulations beaucoup plus petites, colorables au bout de quelque temps par l'éosine; il arrive parfois que les vibrions entiers ou les grosses granu- lations perdent leur affinité pour les couleurs basiques, et deviennent éosinophiles en bloc, avant leur fragmentation en granulations plus petites. Pourtant ce fait, observé par plusieurs micrographes, est relativement rare. Il résulte de que le pro- duit de la transformation intracellulaire des vibrions est de deux sortes : grosses granulations, basophiles comme les vibrions eux-mêmes ; fines granulalions, basophiles d’abord, puis éosino- philes, provenant de la désintégration soit des vibrions (direc- tement), soit des grosses granulations (ces dernières beaucoup plus nombreuses que les vibrions allongés). Le nombre des leu- cocytes (polynucléaires et mononucléaires du groupe vasculaire) augmente rapidement dans l’exsudat ; la phagocytose devient de plus en plus énergique. Au bout d’un nombre d'heures variant de 12 à 20, la presque totalité des vibrions est englobée; assez long- temps cependant quelques vibrions isolés persistent dans l’ex- sudat sans être englobés, malgré la masse colossale de leuco- cytes immigrés : ce sont là, sans doute, les individus particuliè- rement virulents.

Bientôt ces derniers survivants sont englobés à leur tour et l’exsudat est stérile au bout de 48 heures.

Pendant tout le temps que dure ce processus, les vibrions extra- cellulaires gardent leur forme, leur mobilté, leur colorabilité. A aucun moment on ne trouve en dehors des leucocytes des granules, grands ou petits, ou des microbes éosinophiles. Les

280 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

gouttes pendantes faites avec l’exsudat montrent un actif déve- loppement intra-leucocytaire des vibrions.

Par conséquent, dans un semblable cas, aboutissant à la gué- rison, les vibrions sont englobés vivants; il n'y a pas d’action bactéricide de la part des humeurs; la destruction des microbes est entièrement intra-cellulaire ; leur transformation en granules l’est également.

Chez les cobayes immunisés contre l'infection vibrionienne, la série des phénomènes est la même: ils se distinguent seule- ment par leur plus grande énergie. Ainsi, au bout de 10 heures, l’exsudat est purulent et ne renferme plus de microbes libres. Au bout de 25 heures, il est stérile. À aucun moment on ne ren- contre de granulations libres en dehors des cellules; les vibrions non englobés gardent leur mobilité et leur forme. Vers la fin du processus, tous les polynureléaires de l’exsudat sont bourrés de très petits grains éosinophiles, appartenant à la catégorie des fines granulations signalées plus haut.

Dans les deux cas (immunité naturelle, immunité acquise), la fin du processus est marquée par l’arrivée de gros mononu- cléaires à noyau vésiculeux (du groupe Ilymphoïde), qui englobent bon nombre de polynucléaires et les détruisent à l’intérieur de vacuoles intra-cellulaires.

Par conséquent, dans aucun cas d'immunité active, qu'elle soit naturelle ou acquise, on ne peut observer de transformation extracel- lulaire de vibrions en granules. Les microorganismes sont constam- ment englobés vivants, sous leur forme vibrionienne et mobile, par les leucocytes polynucléaires ou mononucléaires (du groupe vasculaire) qui sont, dans ce cas, les seuls agents de la défense de l'organisme contre les envahisseurs.

On sait que si l’on injecte des vibrions cholériques dans le péritoine d’un cobaye hypervacciné, ou un mélange de vibrions et de sérum préventif dans le péritoine d’un animal neuf, les vibrions subissent la transformation extra-cellulaire en granules. Ilexiste done un certain état d’immunité active, l'état hypervaccinal, qui établit un passage naturel entre les cas moyens d'immunité active, la transformation des vibrions en granules s'effectue à l'intérieur des leucocytes, et les cas d'immunité passive, cette transformation a lieu hors des cellules; on peut donc & priori supposer que le second cas n’est qu'une modification du premier.

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 281

En effet, voici la série des phénomènes que l’on observe lorsque l’on injecte, par exemple, dans le péritoine d’un cobaye neuf,une dose mortelle de vibrions, émulsionnés dans du bouillon auquel on a ajouté une goutte de sérum préventif: 10 minutes après l'injection, la moitié des vibrions, 10 minutes plus tard l’immense majorité d’entre eux sont transformés en grosses granulations rondes ou légèrement ovales, non réfringentes, se colorant avec intensité par les couleurs basiques d’aniline. Nous recomman- dons pour cette étude la coloration par la thionine phéniquée. Le nombre des leucocytes de l’exsudat est à ce moment extrè- mement faible ; les lymphocytes ont l'aspect normal; les polynu- cléaires, au contraire, ont en général un contour peu net, comme estompé, et se perdant insensiblement dans une zone trouble qui entoure l'élément et se colore légèrement en violet très pâle : cet aspect se différencie neltement de celui des rares leucocytes restés normaux, et dont le bord est nettement délimité. Le noyau des éléments en état de phagolyse conserve ses caractères, ce qui permet de ne pas confondre les leucocytes phagolysés avec une forme de dégénérescence leucocytaire qu'il arrive souvent de rencontrer dans les exsudats abondants : dans ce. dernier cas les contours du protoplasma restent nettement marqués, mais le noyau s’est dissocié, et forme une série de gouttelettes arron- dies, isolées, dispersées dans le protoplasma, et prenant très fortement les couleurs basiques. Il s’agit de phénomènes de karyolise qui accompagnent la mort du leucocyte. L'existence de la zone glaireuse répond, chez les leucocytes phagolysés, à un état de souffrance : en effet, on observe, au contact immédiat de ces éléments, des amas de granalations libres qu'ils refusent d'englober; tous les vibrions compris dans la zone glaireuse ou situés dans son voisinage sont transformés en granules. Pendant un temps assez long (1-2 heures), on observe un certain nombre de vibrions qui n’ont pas subi la transformation en granules. Parmi les microorganismes libres dans l’exsudat (vibrions et granulations), quelques-uns prennent mal la cou- leur, sont réfringents d'aspect, et présentent une coloration de gelée de groseilles claire des plus caractéristiques. Nous revien- drons plus loin sur cet aspect. Une demi-heure après l'injection, le nombre des leucocytes polynuciéaires croît rapidement dans l'exsudat; ces nouveaux arrivants ont leur protoplasma absolu-

282 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ment normal et ne présentent aucune apparence de phagolyse; à partir de ce moment l’englobement des granulations se fait avec la plus grande rapidité; les phagocytes en sont bientôt gorgés; à leur intérieur, ces granulations pâlissent et deviennent invisibles en très peu de temps. Trois heures après l'injection, le nombre des phagocytes est énorme et celui des granulations libres est faible. Il arrive fréquemment ge les granulations dispa- raissent de l’exsudat peu de temps après l'injection, alors que le nombre des phagocytes immigrés est encore peu considérable ; il ne faut pas croire pour cela qu’elles se dissolvent dansle liquide ambiant; car si à ce moment on sacrifie l’animal et que l’on examine la surface du péritoine, on la trouve, ainsi que l'avaient déjà constaté MM. Gruber et Durham, entièrement recouverte de granulations; en effet, ces dernières, étant immobiles, subissent le sort des poudres inertes injectées dans le péritoine; elles adhèrent aux parois de la cavité (surtout au grand épiploon) d'autant plus vite que les mouvements péristaltiques de l'intestin opèrent un brassage plus complet du liquide péritonéal; ce dernier devient ainsi rapidement clair et privé de particules en suspension.

Si donc, dans le cas qui nous occupe, nous désirons suivre l'évolution ultérieure du processus, il faudra l'étudier non plus dans le liquide cavitaire, mais bien à la surface du péritoine, sur des frottis ou sur des coupes de l’épiploon.

Nous constaterons alors qu'en ce point un bon nombre de microorganismes conservent leur forme vibrionienne, et que la transformation en granulations extracellulaires n’est jamais intégrale: ces vibrions sont d’ailleurs immobiles, comme les granulations. Un fait également intéressant est que, tandis que les phagocytes englobent activement Îles granulations, ils refusent les vibrions, si bien que 6-7 heures après l'injection, l’'englobement des granulalions étant achevé à la surface du péritoine, il ne reste plus, à l'intérieur des phagocytes, que des vibrions bien colorables.

Ces vibrions, d’ailleurs, sont englobés à leur tour et enfermés dans des vacuoles intracellulaires : àce moment, les leucocytes de l’exsudat sonttous d'aspect absolument sain. Vingt-quatre heures après le début de l'expérience, le microscope ne décèle plus de microbes intra ou extra cellulaires ; cependantune trace de l’exsu-

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 283

dat, ensemencée sur gélose, donne encore à ce moment une cul- ture pure de vibrions; à la surface du péritoine se trouve un épais dépôt de leucocytes et de fibrine; de nombreux mono- nucléaires à noyau vésiculeux se gorgent en ce moment de polynucléaires. Vers la 30° heure, l'exsudat est stérile.

La quérison de l'animal est la règle lorsque l'on injecte le sérum préventif en même temps que la dose mortelle de vibrions. L'animal quérit encore lorsque l'injection du sérum a lieu 4-2 heures après celle des vibrions; si l’on dépasse ce temps, \ meurt toujours, malgré la transformation complète des vibrions en granulations.

On sait, en effet, combien l’intoxication cholérique présente chez le cobaye une marche rapide : dans le cas dont nous venons de parler, l’intoxication est déjà consommée quand interviennent les facteurs de la défense. Lorsque l'injection de sérum suit de 3 heures celle des vibrions, la transformation en granulations est instantanée et presque complète ; si l’on dépasse ce moment; si le sérum, par exemple, n’est injecté que 4-5 heures après les vibrions, on trouve un nombre de plus en plus grand de vibrions qui conservent leur forme. Il est probable qu'à mesure que se prolonge leur séjour dans l'organisme, la virulence des vibrions augmente ; parconséquent, leur résistance à la substance bactéricide croît également.

Voici comment se passent les choses lorsque l'injection de sérum a lieu 3 heures après celle des vibrions : immédiatement avant l'injection de sérum, l’exsudat péritonéal contient une quantité colossale de vibrions entiers, très mobiles, bien colo- rables. La leucocytose est nulle et la phagocylose également. Les quelques leucocytes présents dans le liquide sont d’aspect absolument normal. Cinq minutes après l’injection, l'aspect des leucocytes a changé totalement; leurs bords sont flous, et ils présentent une zone glaireuse des plus nettes, la phagolyse est ici mauifeste, Il est rare, à ce moment, de rencontrer encore ça et un vibrion ayant conservé sa forme; presque tous sont transformés en grosses granulations non réfringentes, franche- ment colorées en violet. Une heure après l'injection de sérum, les leucocytes pénètrent en grand nombre dans l’exsudat et l’'englobement commence; au bout de 3 heures, la leucocytose a augmenté; il n'y a plus guère de granulations libres dans l’exsudat. Remarquons en passant que le nombre des leucocytes

284 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

immigrés est infiniment moins grand que dans les cas le sérum est injecté en même temps que les vibrions. À ce moment, il y a un grand nombre de granulations libres, mêlées à des vibrions entiers, à la surface du péritoine. La phagocytose en ce point est des plus énergiques. Quand la mort survient assez rapidement, c’est-à-dire 12-15 heures après l'injection des vibrions, il n’y a plus de granulations libres à la surface du péri- toine; on ne trouve plus dans le liquide que quelques rares vibrions: les leucocytes sont pleins à éclater de granulations prenantlacouleuravec plus ou moins d'intensité. Si, au contraire, la mort tarde à venir, si l'animal ne succombe que 24 ou 30 heures après l'injection des vibrions, on trouve fréquemment à l’intérieur des leucocytes des vibrions extrêmement courts, virgulaires, la grosse extrémité coiffée souvent d’une granulation de Pfeilter. Il s’agit d’une croissance intra-cellulaire des boules de Pfeitfer ; il est facile, avec un bon objectif et un fort éclairage, de retrouver tous les stades intermédiaires entre les granuiations sphériques et les virgules bien développées.

Un fait qui frappe l’observateur est que ces jeunes vibrions, isolés à l'intérieur des leucocytes polynucléaires, se présentent à l’intérieur des mononucléaires sous forme d'amas: fait d'autant plus curieux que, ainsi qu’il a été nettement établi par Salimbeni, la transformation des vibrions en boules n’a pas lieu dans le protoplasma des mononucléaires. Voici l'explication possible du phénomène : le protoplasma des leucocytes polynueléaires est infiniment plus bactéricide pour les vibrions que celui des mono- nucléaires; parmi les granulalions englobées par les polynu- cléaires, très peu ont pu résister aux sucs digestifs et regermer : d'où l'isolement et la rareté relative des jeunes vibrions dans ces éléments. Au contraire, les mononucléaires, grands man- geurs de polynucléaires affaiblis, mettent de la sorte en liberté, avant leur destruction complète, de véritables amas de granu- lalions englobées par ces derniers; ces granulations regerment dans le protoplasma des mononucléaires, incapable de produire la transformation en boules, et y forment les petits paquets de virgules qu’on y observe. Toujours au voisinage de ces paquels on trouve des débris de noyaux digérés. Dans les cas la mort survient tardivement, on trouve constamment à la surface du péritoine, en dehors des cellules, de nombreux vibrions libres,

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 285

très courts, vraisemblablement issus de granulations et sortis des leucocytes, constituant ainsi une race plus virulente, mieux adaptée au milieu bactéricide que la race primitive.

Jusqu'ici, l'étude des phénomènes qui accompagnent l'injec- lion du sérum dans le péritoine nous apprend : à) que d’une facon constante les phagocytes pénètrent dans l’exsudat peu de temps après l'injection, et englobentles granulations, qui jamais ne se dissolvent librement dans le liquide péritonéal. Les phago- cytes sont les seuls agents de la destruction des granulations : b) que, lorsque les granulations semblent disparaître de l’exsudat en s’y dissolvant, il s’agit en réalité d’un transport de ces éléments inertes à la surface du péritoine : c’est en ce point que s’opère leur destruction en masse ; c) que le sérum agit d’une part en attirant les leucocytes dans l’exsudat (la diapédèse commence toujours, en effet, dans l'heure qui suit l'injection), de l’autre en provoquant la phagolyse et, par là, la transformation des vibrions en granules : sous cette dernière forme, peu virulente, les microbes sont très rapidement englobés, ce qui débarrasse en très peu de temps l'organisme de la presque totalité de ses envahisseurs ; d) que la précocité de la défense (transformation en granules et phagocylose) est une condition sine qua non pour la guérison de l'animal; les cobayes meurent en effet intoxiqués, lorsque l'injection de sérum retarde de 3 heures seulement sur l'injection de vibrions, et cela malgré la transformation complète des vibrions en granulations.

IV

Comment la marche des phénomènes que nous avons étudiés jusqu'à présent se trouve-t-elle modifiée quand on suspend pour un certain temps l’activité des leucocytes ? C'est ce que nous allons tâcher d'établir dans le chapitre présent.

Pour obtenir ce résultat, nous employons la teinture d’opium en injection sous-cutanée, à la dose de 1 c.c. de teinture fran- çaise pour 200 grammes d'animal. La narcose qui en résulte dure de 2 à 4 heures. Avant d'étudier l'influénce de cette narcose sur la marche de l'infection vibrionienne, déterminons d’abord son action sur les leucocytes eux-mêmes.

Sous la peau de l'oreille de deux cobayes vaccinés contre le

286 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

choléra, introduisons une série de tubes capillaires fermés à un bout et contenant une émulsion de vibrions; soumettons l’un des animaux à la narcose par l’opium, et examinons les tubes retirés d'heure en heure : le narcotisé commence à se réveiller au bout de deux heures ; à ce moment, aucun leucocyle n’a pénétré dans les tubes ; chez le témoin, les tubes contiennent un bouchon leucocytaire de 2 mm. de longueur environ. Deux heures plus tard, les tubes, chez le narcotisé, ne renferment aucun leucocyte; chez le témoin, les bouchons leucocytaires atteignent une longueur de 4 mm. Deux heures après (c'est- à-dire 6 heures après le début de l'expérience) les tubes du nar- cotisé contiennent un bouchon leucocytaire de 2 millimètres de long ; dès cet instant, la pénétration des leucocytes dans les tubes va se faire avec rapidité.

La narcose des leucocytes a donc duré 5 heures environ: la diapédèse de ces éléments a été suspendue dès le début du phé- nomène, et cela malgré la dilatation vasculaire qui existe chez l'animal durant tout le temps de la narcose. Il y a lieu de se demander si, au cours de celte anesthésie, la motilité, la sensi- bilité tactile et la sensibilité chimiotactique ont été également atteintes chez les cellules migratrices.

Faisons à un cobaye narcotisé une injection intrapéritonéale d'encre de Chine délayée dans de l’eau physiologique tiède 375). Si nous retirons une goutte d’exsudat un quart d'heure après l'injection, nous constaterons que le nombre des leucocytes est très faible et ne dépasse pas la proportion normale des leucocytes intrapéritonéaux. Tous contiennent cependant un certain nombre de grains noirs. Cette absence complète de diapédèse dure 2 1/2 à 3 1/2 heures environ, ainsi que le prouve l'examen des exsudats péritonéaux et des coupes de l’épiploon; par conséquent, dès le début de la narcose, il y a chez les leucocytes suppression de la diapédèse, mais persistance de la motilité et de la sensibilité tactile, puisqu'ils sont encore capables d’englober les corps au contact desquels ils arrivent. Nous devons donc considérer la sensibilité chimiotactique comme la première atteinte.

La dilatation vasculaire et l’hyperhémie des vaisseaux sont cause qu'une certaine quantité de sang passe à travers les parois des capillaires dans la cavité péritonéale durant les deux

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 9287

premières heures de la narcose; c’est ainsi que bon nombre de leucocytes se trouvent entraînés mécaniquement avec les glo- bules rouges, si bien que 3 heures environ après l'injection, malgré l'absence absolue de diapédèse, le nombre des globules blancs a augmenté dans l’exsudat (leur proportion, relativement aux hématies, est sensiblement la même qu'à l’intérieur des vaisseaux). Tous ces globules blancs nouvellement arrivés sont vides; aucun ne contient de grains noirs; leur motilité et leur sensibilité tactile sont donc abolies. C’est donc 3 heures environ après l'injection d’opium que la narcose des leucocytes est la plus profonde; elle correspond au moment l'animal donne les premiers signes du réveil. Cette phase de narcose profonde apparait d'autant plus vite que la dose d’opium injecté est plus forte, ou que l’absorption en est plus rapide. Ainsi, si la dose de 1 c.c. d’opium pour 200 grammes d'animal est directement injectée dans le péritoine, la phagocytose est abolie dès le début.

Des frottis d’épiploon et des coupes du même organe, faits à différents moments de la narcose, nous apprennent que la dia- pédèse commence à se faire vers la heure (l'étude des tubes capillaires nous l’avait déjà prouvé). À partir de ce moment, l'englobement des granules d'encre de Chine se fait avec la plus grande rapidité; cet englobement est surtout énergique à la surface de l’épiploon sur laquelle se sont déposés la plupart des granules de l’exsudat. (Surlalocalisation de l'encre de Chineinjec- tée dans la cavité péritonéale, voirlemémoire récent de M. Pieral- lini). Cette dissociation de la sensibilité chimiotactique d'une part, de la sensibilité tactile et de la motilité de l’autre sous l’influence de l’opium, apparaît bien plus nettement encore si l’on a eu soin, 24 heures à l'avance, d’injecter dans le péritoine des cobayes, 5 c. c. d’eau physiologique. Chez les cobayes ainsi préparés, puis soumis à la narcose, 15 minutes après l'injection intrapéritonéale d'encre de Chine, tous les leucocytes de l’exsu- dat, fort nombreux à ce moment, sont gorgés d’une quantité énorme de grains noirs; les mononucléaires en particulier sont bourrés à éclater. Il n’y a pas là, au point de vue de l’énergie de la phagocytose, dedifférence entre un cobaye ayant reçu de l’opium et un témoin, également préparé dès la veille, mais non narcotisé. Au contraire, tandis que chez le témoin non narco-

288 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tisé, le nombre des leucocytes de l’exsudat croit rapidement pen- dant les premières heures qui suivent l'injection de sépia (53,000 à 97,000 par mm. c. d’exsudat), leur nombre chez les narcotisés reste stationnaire durant les 4 heures qui suivent l'injection d'opium. Par conséquent, dans le cas de cobayes préparés, la narcose n’atteint que la sensibilité chimiotactique des globules blancs.

Ainsi donc : la teinture d’opium supprime presque instanta- nément la diapédèse, en abolissant chez les leucocytes la sensi- bilité chimiotactique. L'état le plus profond de narcose s'observe 3 heures environ après l'injection d’opium : à ce moment, la motilité et la sensibilité tactiles sont abolies ; les cellules ne phagocytent plus. L'injection préalable d’eau physiologique dans le péritoine est impuissante à empêcher l’anesthésie chi- miotactique; elle conserve au contraire aux leucocytes, malgré la narcose, la motilité et la sensibilité tactile.

V

Chez les cobayes possédant l’immunité naturelle on acquise, la guérison est fonction de l’aclivité phagocytaire. Tout autre est l'issue de la lutte, ainsi que nous l’avons établi dans un travail antérieur, quand on paralyse l’action des leucocytes en narcotisant l’animal. Un cobaye solidement vacciné contre l'infection vibrionienne reçoit sous la peau 1 c. c. de teinture d’opium par 200 grammes, et dans le péritoine une émulsion de vibrions non mortelle pour un témoin non narcotisé. Dans ce cas, l'animal meurt d'intoxication cholérique, Si nous suivons les péripéties de la lutte, voici ce que nous apprend l'étude com- binée de l’exsudat péritonéal et des coupes de l’épiploon : malgré la dilatation et l’hyperhémie considérable des vaisseaux, malgré l’'hyperleucocytose notable du sang, aucune diapédèse ne se produit pendant les premières heures qui suivent l'injection d'opium, et ce n’est que 5, 6 heures après cette injection que les leucocytes commencent à apparaître dans la cavité péritonéale; nous sommes de la sorte ramenés au cas d’un cobaye neuf, non immunisé : 6, 8 heures suffisent en effet pour tuer, avec la dose de vibrions employés, un cobaye non vacciné. Pendant ce temps, les vibrions pullulent et l’intoxication de l'organisme

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME, 289

a lieu, ainsi qu’en témoigne la courbe progressivement descen- dante de la température; les vibrions conservent entièrement leur mobilité, leur colorabilité, et l’on ne trouve pas de granula- tions dans l’exsudat. Vers la heure, la diapédèse commence et devient rapidement très abondante; la cavité péritonéale se remplit de leucocytes polynucléaires qui englobent des quan- tités énormes de microbes. L'animal meurt toujours avec 5, 6 heures de retard sur les témoins non vaccinés, et la mort survient de 14-18 heures après l'injection; à ce moment on ne trouve plus de vibrions libres dans l’exsudat : tous sont enfermés à l'intérieur des leucocytes polynucléaires et transformés, pour la plupart, en granulations grosses ou petites : ces dernières prennent souvent l’éosine.

Sur les coupes de l’épiploon, on trouve sous l’endothélium une grande quantité de petits amas vibrioniens donnant l'im- pression de colonies développées sur place. Un examen attentif permet de constater que ces amas sont contenus à l’intérieur de leucocytes polynucléaires démesurément distendus et à noyau ayant subi la chromatolyse ; c’est un phénomène comparable à la pullulation intraleucocytaire des vibrions en goutte sus- pendue. Or jamais on ne l’observe chez les cobayes non soumis à l’action de l’opium. Dans le cas qui nous occupe, les leucocytes ont retrouvé à un certain moment leur activité phagocytaire ; mais bon nombre d’entre eux, encore affaiblis par la narcose, ont succombé à l’action des vibrions englobés et sont devenus autant de centres de multiplication.

L'étude que nous venons de faire est des plus intéressantes en ce qu’elle nous démontre : que chez les cobayes vaccinés contre le vibrion cholérique les humeurs ne sont pas bactéricides pour ce vibrion, puisque les microorganismes ont pu y vivre et s'y multiplier à l'aise jusqu’à l’arrivée des leucocytes ; que la guérison de l'animal dépend de la précocité de l’intervention leucocytaire ; le temps nécessaire à l’intoxication de l'organisme dépassé, l’action des phagocytes ne sert à rien (peut-être à retarder légèrement le moment de la mort) : en effet, l’animal meurt, bien que ne présentant plus de microbes libres dans son péritoine.

Ainsi donc, chez des animaux immunisés activement, la narcose supprime l’immunité en paralysant l’action phagocytaire.

16

290 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Que se passe-t-il quand on soumet à l’action de l’opium des animaux auxquels, en même temps que des vibrions, on injecte du sérum préventif dans le péritoine? Voici le résultat des expériences extrèmement nombreuses que nous avons faites à ce sujet.

Nous savons que chez un cobaye qui reçoit, en même temps qu'une dose mortelle de vibrions dans le péritoine, une dose suffisante de sérum préventif, la guérison est la règle; elle devient l’exception si, avant d’injecter le mélange, on narcotise l'animal au moyen de la teinture d’opium. Les 4/5 des animaux environ succombent dans ce cas à l’intoxication au bout d’un temps qui varie de 20 à 70 heures. Il v a donc, quand l’animal meurt, un relard très considérable sur les témoins qui n'ont pas reçu de sérum. Voici comment les choses se passent :

Dans les cas la mort survient assez rapidement (au bout de 24 heures, par ex.) la transformation des vibrions en granu- lations se fait plus lentement que chez les cobayes qui n’ont pas reçu d’opium; chez ces derniers, la transformation est presque complète au bout de 10 à 15 minutes; il faut 1/2 h. ou 3/#h, chez les narcolisés pour arriver au même point. De plus, les granulations disparaissent ici de l’exsudat bien moins vite que chez les témoins, ce qui doit être attribué au fait que l’opium arrête le péristaltisme intestinal. Dans l’exsudat examiné 1/4 h. après l'injection, les leucocyles montrent les signes de phagolyse et n’englobent pas les microbes; la diapédèse commence à se faire 2 heures environ après le début de la narcose ; à partir de ce moment, les leucocytes immigrés englo- bent activement les granulations, mais refusent d’une façon absolue les vibrions entiers, toujours assez nombreux dans l'exsudat, À partir de la heure, granulations et vibrions dispa- raissent de l’exsudat : c'est à la surface du péritoine qu'il faut les chercher ; on les y trouve en quantité. Vers la 20° heure, la surface du mésentère et de l’épiploon est recouverte d’un nombre très grand de leucocytes bourrés de granulations; il n'y a plus de granulations libres. Par contre, on trouve en dehors des cellules un nombre considérable de petits vibrions courts qui dès lors se multiplient jusqu’à la mort de l'animal. A ce moment l’exsudat contient une foule de vibrions bien mobiles.

Il est bien certain que dans ce cas les vibrions restés en

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 291

dehors des phagocytes représententdes individus particulièrement virulents, que les leucocytes, déprimés par l’opium, évitent de saisir, Cette abstention des globules blancs a pour conséquence la mort de l’animal.

Quand la mort ne survient que 60 ou 70 heures après l’injec- tion, voici les faits très intéressants que l’on peut observer : il y a dès le début une transformation des vibrions en granules beau- coup plus complète et plus rapide que dans le cas précédent (quelques vibrions gardent cependant leur forme). Au bout de 8 heures, les granulations sont toutes englobées par les pha- gocytes. Au bout de 24 heures, il n’y aplus de granulations dans l'exsudal, mais celui-ci renferme un nombre considérable de vibrions courts et très mobiles; le nombre de leucocytes présents est faible et la phagocytose nulle. Vers la 30° heure, les vibrions sont très nombreux; beaucoup de leucocytes ont également pénétré dans l’exsudat, mais ils n’englobent que très peu de microbes. Vers la 40° heure, on constate une phagocytose éner- gique; les vibrions englobés se transforment en granulations à l’intérieur des phagocytes. A la mort de l'animal, vers la 70° heure, les vibrions ont disparu de l’exsudat; sur toute la surface du péritoine, il y a un nombre colossal de leucocytes en général vides ; le nombre des vibrions libres est minime.

Voici comment on doit interpréter les faits dans cette lutte prolongée : les leucocytes, sortis de leur narcose, ont englobé les granulations, peu virulentes et trop peu toxiques pour avoir pu déjà intoxiquer l'organisme; parmi les vibrions injectés, les individus plus virulents, moins sensibles à la substance bacté- ricide, ont gardé leur forme vibrionienne et n’ont pasété englobés. Vers le moment les leucocytes ayant reconquis toute leur activité eussent les saisir, ils se sont trouvés en présence de vibrions bien adaptés maintenant au milieu péritonéal et d’une virulence exaltée ; d’où éloignement des leucocytes, absence de phagocytose, pullulation des vibrions et intoxication de l’orga- nisme. Durant cette deuxième phase de la lutte, les leucocytes à leur tour se sont accoutumés au milieu nouveau, ont fini par revenir et par englober énergiquement les microorganismes. Malgré la destruction presque complète de ces derniers, l'animal a succombé à l'intoxicalion. |

Ainsi donc : si chez un animal qui à recu dans le péritoine un

292 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

mélange de vibrions et de sérum préventif, on retarde l'intervention des phagocytes et si on affaiblit leur activité au moyen de la narcose, l'animal mourra intoxiqué malgré la transformation des vibrions en granulations. Eneffet, les phagocytes auront étéincapables d'arrêter la - pullulation de ceux des vibrions, particulièrement virulents, qui n'ont passubi la transformation de Pfeiffer. Le phénomène de Pfeiffer est donc incapable à lui seul de protéger l'organisme : dans ce cas, commie dans celui de l'immunité active, la phagocytose est la condition indispen- sable pour débarrasser l'organisme de ses parasites.

Si, maintenant, nous faisons varier les conditions de l’expé- rience, el si, au lieu d’injecter le sérum préventif à l'animal nar- cotisé en même temps que les vibrions, nous l’injectons plus tard, voici ce que nous constaterons : tant que l'injection du sérum a lieu dans les 2 heures qui suivent celle des vibrions, ceux-ci se transforment en granulations : si le sérum est injecté entre 2 heures 1/2 et et 3 heures et 1/2, la transformation ne se fait plus : les vibrions restent entierset bien mobiles; si l’on dépasse ce temps, la tendance à la transformation se manifeste de nouveau; la transformation est complète si l'injection de sérum a lieu 5 ou 6 heures après celle des vibrions.

Analysons de plus près ce phénomène, et voyons ce qui se passe dans le cas suivant : un cobaye nareotisé reçoit dans le péritoine une dose mortelle de vibrions cholériques. Trois heures plus tard on lui injecte dans le péritoine 1 goutte de sérum préventif. L'’exsudat examiné immédiatement avant l'injection du sérum fourmille de vibrions bien mobiles ; les rares leucocytes que l’on y trouve ne contiennent pas de vibrions. Leur aspect est normal.

L’exsudat, examiné 1/2 d'heure après l'injection de sérum, présente des caractères identiques : les vibrions sont entiers, mobiles. Dans la plupart des cas on ne trouve aucune granula- tion de Pfeiffer; dans quelquels cas, exceptionnels, de rares vibrions (1/100 environ) sont transformés. Quant aux leucocytes de l’exsudat, ils ont conservé la netteté de leurs contours; ils ne pré- sentent aucun signe de phagolyse.

Deux heures environ après l'injection de sérum, les leuco- éytes commencent à pénétrer en foule dans l’exsudat et l'englo- bement des vibrions commence; ceux-ci se transforment à l’in- térieur des cellules en granulations arrondies. L'animal meurt

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME, 293

12 ou 15 heures après l'injection des vibrions : à ce moment la phagocytose, bien qu'énergique, est incomplète. A aucun moment il n’y a eu transformation extracellulaire des vibrions.

Très manifestement, dans ce cas, la non-transformation des vibrions en granulations est liée à l’absence de phagolyse. Pour- quoi cette phagloyse n’a-t-elle pas lieu chez les cobayes qui reçoivent le sérum vers la heure de la narcose? L’'interpréta- tion en est difficile à donner dans l’état actuel de nos connais- sances ; rappelons-nous seulement que c’est le moment la narcose des éléments migrateurs est la plus profonde, celui tous les ordres de sensibilité sont le plus déprimés en eux.

Nous recommandons, pour Fétude de ce phénomène, des cobayes pastrop âgés, bien sensibles par conséquent à l’action de l'opium. Ceux de 300 grammes sont les plus convenables à ceteffet.

De cette série d'expériences ressort l’étroite connexion qui existe entre la transformation des vibrions en granulations et la phagolyse leucocytaire ; c’est ainsi que, au cours de la narcose, le seul moment cette transformation n'a pas lieu est préci- ment celui l’on n’observe aucune phagolyse. Cette phago- golyse doit être considérée comme une forme particulière et anormale de la fonction phagocytaire : elle paralyse l’activité d’un grand nombre de vibrions et rend leur englobement plus facile. Mais elle est loin d’être suflisante pour la protection de l'organisme; la guérison ne survient en effet que si les phago- cytes détruisent les microorganismes de l’exsudat (granulations et vibrions); supprimons en effet leur intervention ou retardons- la, et l'animal mourra.

Voilà pourquoi, chez les animaux auxquels le sérum est injecté quand l'intoxication à déjà eu lieu (3 heures, par exemple, après Les vibrions), la mort survient malgré la trans- formation intégrale en granulations. Voilà pourquoi la nar- cose par l’opium, qui fait arriver les phagocytes en retard et affaiblis sur le champ de lutte, détermine le plus souvent la mort de l'animal: dans ce cas, en effet, d’une part, les phagocytes ne retouvent pas la force nécessaire pour détruire à temps les vibrions particulièrement virulents qui n’ont pas subi la trans- formation, de l’autre, il arrive fréquemment que les granula- tions englobées repullulent dans le protoplasma des leucocytes tués, contribuant ainsi à la réinfection du péritoine. Ce dernier

294 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

fait est également intéressant en ce qu'il nous prouve la nature vivante des granulations de Pfeiffer.

VI

Si, dans les cas de narcose, la mort d’un animal est réelle- ment due à l’affaiblissement de ses phagocytes, il est naturel de supposer que le résultat sera tout autre si l’on prend soin de surexciter préalablement leur activité de façon à atténuer les effets de la narcose. Nous avons dit, en effet, que chez des animaux préparés au moyen d’une injection péritonéale d’eau physiologique, la narcose suspend la diapédèse (par suite de l’anesthésie chimiotactique), mais laisse subsister la sen- sibilité tactile et la motilité.

Et, en effet, chez des cobayes auxquels on a injecté, la veille, dans le péritoine, 5 c. c. d’eau physiologique, on a beau faire varier les conditions de l'expérience, injecter le sérum long- temps après les vibrions, narcotiser l'animal, la quérison sur- vient loujours. Voici un rapide exposé des phénomènes que l’on observe dans ces différents cas.

Nous savons qu’on cobaye ainsi préparé se trouve immunisé au bout de 24 heures contre une dose de vibrions mortelle pour un témoin. Le fait a été démontré par Issaef en 1893. Au moment de l'injection vibrionienne, il y a dans l’exsudat péri- tonéal de 50,000 à 70,000 leucocytes polynucléaires par milli- mètre cube. Dix minutes après l'injection des vibrions, les leucocytes ont déjà englobé de nombreux microbes; un très grand nombre de microbes englohés sont tués immédiatement sans prendre la forme de gros granules ; ils perdent rapidement leurs affinités colorantes et se transforment en granulations fines. Il n’y aucune transformation extracellullaire de microo:- ganismes. Le nombre des leucocytes augmente rapidement dans l'exsudal. Au bout de 7-8 heures, l'englobement est terminé; il n’y a plus de vibrions libres.

Si, en même temps que les vibrions, nous injectons une goulle de sérum immunisant, il n’y a pas, ainsi que l’a établi M. Metch- nikoff, de transformation extracellulaire des vibrions en gra- nules. L’englobement des microbes est ici, pour ainsi dire, ins- tantané ; instantanée également leur transformation intracellu-

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 293

laire en granulations. Nous avons pu constater nous-même que les rares microbes non englobés conservent la forme vibrio-

nienne. Dans l’exsudat, tous les leucocytes sont bondés de granulations ; aucun ne présente le phénomène de la phago- lyse.

Si, au contraire, nous injectons le sérum 3 heures après les vibrions, la transformation intégrale des vibrions non englobés a lieu dans l’exsudat; un quart d'heure après l'injection du sérum, tous les vibrions intra ou extracellulaires sont transfor- més en granules. Très rapidement, d’ailleurs, les granulations extraleucocytaires sont englobées et l'animal guérit. Il semble donc que, par suite de la lutte menée depuis trois heures contre les vibrions, les phagocytes aient perdu de la suractivité qui leur permettait d'échapper à la phagolyse.

Quelles sont les péripéties de la lutte chez les cobayes narco- tisés ? (Nous avons dit que, même dans ce cas, la guérison est la règle.)

Un premier fait, très intéressant, c'est que, lorsque après avoir narcotisé un cobaye préparé par l’eau physiologique, on lui injecte dans le péritoine des vibrions sans sérum, une grande partie des vibrions (1/4 ou 1/2) est, malgré cela, transformée en dehors des cellules en granulations de Pfeiffer. On trouve dans l’exsudat, un quart d'heure après l'injection des microbes, un certain nombre de leucocytes phagolysés, entourés d'une zone albumineuse bien nette, et n’englobant aucun microbe. À part ces quelques éléments souffrants, tous les leucocytes présents englobent avec rapidité granules et vibrions. Pen- dant les 4 heures qui suivent, le nombre des leucocytes de l’exsudat n'augmente pas, ce qui n'empêche que l'immense majorité des microorganismes sont déjà phagocytés quand com- mence la diapédèse : la narcose, en empêchant cette dernière de se produire, n’a cependant pas supprimé la sensibilité tactile ni la motilité des cellules. La presque totalité des vibrions se trouvant de la sorte détruits dès le début du processus, l’animal guérit.

Il y a lieu de se demander comment on pourrait expliquer ici la transformation d’une partie des vibrions en granulations extracellulaires ? Tous les leucocytes contiennent à l’état normal une certaine quantité de substance bactéricide capable de trans-

296 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

former en granulations les vibrions englobés; ici, les leuco- cytes, étant en état de suractivité fonctionnelle, ont élaboré à leur intérieur une quantité de substance bactéricide supérieure à la normale (comme en témoigne la rapidité avec laquelle sont détruits les vibrions englobés); il suffit donc qu'un petit nombre d’eutre eux éclatent dans l’exsudat pour lui communiquer des propriétés bactéricides.

Or, dans un exsudat aussi riche en cellules que celui qui nous occupe, on conçoit qu'il y ait toujours quelques éléments, plus particulièrement atteints par la narcose, qui se laissent sur- prendre par le brusque contact de l’émulsion vibrionienne et subissent ainsi la phagolyse; d’où production partielle du phéno- mène de Pfeiffer.

Nous voyons donc que l’opium atténue jusqu’à un certain point l’excitabilité des leucocytes surexcités par l’injection d’eau physiologique. Aussi n'est-il pas étonnant que lorsque l’on injecte, dans ce cas, aux cobayes narcotisés, une goutte de sérum préventif en même temps que les vibrions dans le péritoine, il y ait transformation intégrale, en dehors des leucocytes, des vibrions en granulations de Pfeiffer ; c'est ce qui a lieu en effet. Le nombre des vibrions qui gardent leur forme est minime. Malgré l'absence de diapédèse, l’englobement des microorga- nismes se fait rapidement, et, 5 heures après l'injection, iln'y a plus en dehors des cellules ni granulations ni vibrions. L'animal guérit. Cette dernière série d'expériences ne fait que confirmer la relation qui existe entre la phagolyse et la transformation extracellulaire des vibrions ; toute cause qui suspend la première

supprime la seconde. Nous n’insisterons pas davantage sur un fait surabondamment démontré.

VII Il résulle de ce qui a été dit jusqu'ici que, même dans le cas la transformation extracellulaire des vibrions a lieu, l’orga- nisme ne résiste que grâce à l'intervention de ses phagocytes:; les granulations de Pfeiffer, en effet, ne représentent nullement des microbes morts; elles sont bien vivantes et capables de regermination.

Quant aux vibrions tués, ils ne prennent jamais la forme de

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 297

granulations. Nous avons déjà signalé au cours de notre travail que les vibrions tués par les phagocytes, aussitôt après leur englobement (ce que l'on reconnaît au fait qu’ils ne se colorent plus que très mal), ne se transforment jamais en granulations de Pfeiffer.

Si l’on stérilise une émulsion de vibrions dans l’eau physio- logique, soit par la chaleur à 90° pendant 10 minutes, soit par le chloroforme, et que l’on injecte cette émulsion, additionnée de dix gouttes de sérum préventif, dans le péritoine d’un cobaye neuf, jamais les vibrions injectés ne subissent la transformation en granules ; ils gardent leur forme et prennent mal la couleur. On les retrouve ainsi pendant 3-4 heures à la surface de l’épiploon; il ne sont en effet englobés que très tardivement par les phagocytes. Ces mêmes vibrions donnent au contraire nel- tement le phénomène de l’agglutination; ils se présentent en grumeaux dans l’exsudat retiré 5 minutes après l'injection.

Nous avons d’ailleurs constaté à plusieurs reprises, dans les chapitres précédents, que les granulations reprennent fréquem- ment la forme vibrionienne, soit à l’intérieur des leucocytes, soit dans le liquide de l’exsudat,. Il est aisé d'observer directe- ment ce phénomène de regermination. Émulsionnons, en effet, une culture de vibrions dans 2 c. c. de liquide composé en parties égales d’eau physiologique et de sérum préventif. Introduisons le tout dans un sac de collodion, hermétiquement clos, que nous plaçons dans la cavité péritonéale d’un cobaye. Quatre jours après retirons le sac. Nous trouverons que tous les vibrions contenus à son intérieur ont la forme de grosses granulations, rondes, pre- nant bien la couleur ; aucun ne possède la forme vibrionienne. Ensemençons avec le contenu du sac une série de gouttes sus- pendues, composées d’eau peptonisée et portées à l’étuve à 37°. Ilest dès lors facile d'examiner une goutte d'heure en heure sous le microscope; on voit au bout de 5-6 heures un grand nombre de granulations pousser une petite pointe eflilée qui leur donne bientôt l’aspect d’un bouchon de carafe court et à très grosse tête; le petit appendice s’allonge en s’incurvant, et bientôt on se trouve en présence d'une virgule peu allongée et à grosse extré- mité très renflée. |

Les granulations de Pfeilfer représentent donc des microor- ganismes vivants, immobiles et à virulence atlénuée (ils

298 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

sont, en effet, saisis par les phagocytes avant ies formes vibrio- niennes), mais aptes à repulluler s'ils ne sont englobés à temps. La transformation des vibrions en granules constitue un phé- nomène actif de la part de ces vibrions, qui revêtent ainsi la forme sous laquelle leur surface de contact avec un milieu défavorable est minima; les granulations extracellulaires de Pfeiffer sont identiques aux grosses granulations intracellulaires que l’on observe à l’intérieur des leucocytes qui ont englohé des vibrions. Tout comme les formes vibrioniennes allongées, elles se fragmentent, après l’action des sucs digestifs, en fines granulalions qui prennent mal les couleurs basiques et devien- nent rapidement éosinophiles. Cette dernière transformation n’a jamais lieu à l'extérieur des leucocytes.

Il est à peine besoin d'indiquer ici que ces granules de Pfeif- fer n’ont rien à faire avec des spores; ils ne résistent, en effet, ni à la dessiccalion ni à une chaleur supérieure à 80°.

IL arrive parfois qu'après la transformation extracellulaire des vibrions, un certain nombre de granulations périssent direc- tement dans le liquide (le même fait se produit pour des vibrions transportés brusquement dans un milieu nouveau). Ces granu- lations mortes sont facilement reconnaissables : elles sont comme sonflées, réfringentes, prennent très mal la couleur, et présen- tent celte coloration gelée de groseille claire que nous avons signalée plus haut. Si l’on produit in vitro le phénomène de Pfeiffer, il se trouve toujours parmi les granulations formées quelques grains réfringents ; il est aisé de se rendre compte que jamais ces dernières formes ne regerment. Elles sont d’ailleurs relativement rares. Les granulations de Pfeiffer sont constituées par la masse entière du protoplasma vibrionien qui s’est rétracté à l’une des extrémités de la membrane d'enveloppe. Si, en effet, on examine à un très fort grossissement et avec un éclairage puissant les premières phases du phénomène, in vitro, on, trouve appendues aux granulations des gaines incolores, de même réfringence à peu près que l’eau, qui reproduisent exacte- ment la forme du vibrion, bien que légèrement plus gonflées. Ces gaines vibrioniennes ne tardent pas à se détacher et à deve- nir bientôt invisibles dans le liquide ambiant.

DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 299

VIII

Si nous essayons de résumer en quelques mots les résultats de nos recherches, nous dirons que les phagocytes sont les seuls agents destructeurs des vibrions dans les tissus, et que leur intervention est la condition sine qua non de guérison pour l’ani- mal : cela est également vrai pour les cas d'immunité active (naturelle ou acquise) et pour les cas d’immunité passive, la destruction des vibrions est précédée de leur transformation extracellulaire en granulations de Pfeiffer. Dans l’immunité active, en effet, il y a parallélisme constant entre la guérison de l'animal et l'énergie de la phagocytose. La mort survient toutes les fois que l’on suspeud, au début du processus, l’activité pha- gocytaire. On augmente au contraire considérablement la résis- tance de l’animai en surexcilant l’activité de ses phagocytes. Les cas de mort chez les animaux vaccinés et soumis à la narcose prouvent que les humeurs de ces derniers ne sont point bacté- ricides.

Dans les cas d’immunité passive l'injection du sérum préventif détermine la transformation extracellulaire des vibrions, les phagocytes représentent également les véritables agents de la guérison; l'animal meurt le plus souvent lorsqu'on empêche, par la narcose, les leucocytes d’englober les granulations de l'exsudat : en effet, ces dernières représentent des microorga- nismes vivants, capables de repulluler. Jamais, d’ailleurs, la transformation en granules n’est complète; on trouve toujours, à la surface du péritoine, bon nombre de vibrions non transfor- més qui deviennent le point de départ d’une réinfection s'ils ne sont englobés à temps par les globules blancs. Il suffit, d'autre part, d’atténuer les effets de la narcose en surexcitant par avance l'activité. leucocytaire, pour voir l'animal guérir d’une façon constante.

Enfin, la transformation extracellulaire des vibrions, si exceptionnelle qu’elle soit dans la nature, représente elle-même une extension de la fonction phagocytaire, et pour ainsi dire une action enzymotique substiluée à l’action intracellulaire ; elle est, en effet, intimement liée à la phagolyse et ne se produit plus quand, dans certaines conditions spéciales de narcotisation, on

300 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

empêche la phagolyse de se faire. Remarquons d’ailleurs que cette transformation extracellulaire des vibrions n’est jamais wne destruction extracellulaire, et que le sort final de la lutte dépend, même ici, des phagocytes. La preuve que les leucocytes sont bien le siège de la substance bactéricide qui transforme les vibrions en granules est fournie par le fait que le phénomène de Pfeiffer n'est possible à réaliser sous la peau que si l’on amène des leucocytes au contact du sérum préventif (par exemple en ajoutant du pus au mélange injecté).

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ne -

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LES VACCINATIONS ANTIRABIQUES À L'INSETTUT PASTEUR

EN 1897 Par M. ce Dr H, POTTEVIN

l

Pendant l’année 1897, 1,521 personnes ont subi le traitement antirabique à l’Institut Pasteur : 8 sont mortes de la rage. On trouvera leurs « observations » résumées à la fin de ce travail.

Si nous retranchons, des 8 cas de mort que nous venons de signaler, deux cas, ceux de Heniquet et de Morin, dans lesquels la mort est survenue avant que les vaccinations aient pu produire leur effet, les résultats des vaccinations pendant l’année 1897 sont :

BFSORHESILRIIER SES M RU ce een ue 4519 NOEL SR RS NE RSA CELA QU Gare Rd 6 Mortalité DOME MSA CRT tre AAA EN 0,39

Dans le tableau ci-dessous, ces chiffres sont rapprochés de ceux fournis par les statistiques des années précédentes.

Années, Personnes {raitées, Morts. Mortalité 0/0 1886 NO) AA 29 0,94 1887 1,710 14 0,79 1888 1,622 9 0,5 1889 1,830 ÿl 0,38 1890 1,340 3 0,32 1891 1,559 4 0,25 1892 1,790 4 0,22 1893 1,648 6 0,36 1894 1,387 7 0,50 1895 1,520 D 0,33 1896 1,308 4 0,30 1897 1,521 6 0,39

IT

Les personnes traitées à l’Institut Pasteur sont divisées en trois catégories correspondant aux tableaux suivants :

302 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Tableau A. La rage de l'animal mordeur a été expérimen- talement constatée par le développement de la rage chez des ani- maux inoculés avecson bulbe.

Tableau B. La rage de l'animal mordeur a été constatée par examen vélérinaire.

Tableau C. L'animal mordeur est suspect de rage.

Nous donnons ci-dessous la répartition, entre ces catégories, des personnes traitées en 1897. La première colonne de chaque catégorie donne le nombre des mordus; la seconde le nombre des morts ; la troisième la mortalité pour cent.

| 5 | | Morsures à la | Morsures aux Morsures aux |

tête. mains. | membres. Totaux.

Tableau A | 15 0 81 46 À 07

0 Tableau B | 106-|0| 0 | 539 | 2 0,4. 918 fie | ET

Tableau | 30

| 451 |0

Les tableaux suivants, qui contiennent les résullats acquis depuis l’origine des vaccinations, montrent que la gravité des morsures varie avec leur siège, et que la mortalité est toujours inférieure à 1 0/9 pour les personnes mordues par des chiens sûrement enragés,.

Personnes traitées. Morts. Mortalité. Morsures à la têle .... 4,759 21 1,1 Morsures aux mains .. 11,118 53 0,47 Morsures aux membres - 7,289 | 22 0,30 20,166 96 0,46

Personnes traitées. Morts. Mortalité. Hableau. As... , 2,872 20 0,69 HableaudB. #0. 4... ASDAT 61 0,48 Tabloaues Jr: . 422 4,741 15 0,31

20,166 96 0,46

STATISTIQUE DE L'INSTITUT PASTEUR. 303

IL Au point de vue de leur nationalité, les 1521 personnes trai- tées à l'Institut Pasteur en 1897 se répartissent de la façon suivante :

Allemagne 8 États-Unis 1 Anpglelerre 83 Grèce 1 Belgique 14 Indes Anglaises 33 Égypte 2 Suisse 32

Soit 175 étrangers et 1346 Français. Le tableau suivant donne la répartition, par départements, des 1346 Français.

eq ARE es ne AOC MES MER AIIOISE ES 13 AISTBE ML TX 3 | Garonne (Haute-) NO EE ER TEEN 3 ATTER SR ES Sos ue A CELSE Meet 18 | Pas-de-Calais ... 9 Alpes nn FE OCTO RTE. 61 | Puy-de-Dôme... ... 6 Alpes (Hautes-). ONFHÉTAUIT Re CE 10 | Pyrénées (Basses-). 32 Alpes-Maritimes ... 0 | Ille-et-Vilaine. .,... 13 | Pyrénées (Hautes-). 21 AAC Ex CRT de 2 | Indre-et-Loire ..... 3 | Pyrénées- Orientales 3 Ardennes 2:16. 2Andres:t rs. DRE A RhôRE Sert 139 ASIE REIN ne NS ARS 24| Rhin (Haut-)...... 1 AUDE SERRE AE Drame AR Le CUP 3 | Saône (Haute-)..... (! AGO NS ENT raie 19)Eandes. 2 Se 15 | Saône-et-Loire... 4 AVÉNLON Er ee MSP lOrr-et-Ghers.. 2% NS ANTAIINOR LEUR ER Te ARE 1 Bouches-du- Aube DPOITEM ES RE ne HAE SAVOIE eee se eee 19 Calvados 7": 12 | Loire (Haute-) .. .. 171] Savoie (Haute-) .... 14 Cantal mer ten 1 Péonre-Infeneure- "2 /iSome ns 349 Charentes sr se AS DITEL-R ES ner ù | Seine-et-Marne . ..…., 0 Charente=inférieuresan47 lot: sine. 31 | Seine-Inférieure ,,, 25 Chers us ER 2 | Lot-et-Garonne .... 26 | Seine-et-Oise....... 32 Corrèze D UD OZÉ LE Rent 5 | Sèvres (Deux-)..... 8 Corse rer. LE SERA 4 | Maine-et- Li Re 2'SOMIME. LL 2e 7 Cole Orne ns 0 | Manche. 2] VEN 45 Côtes-du-Nord ..... AHEMarne tre tree. 0 | Tarn-et-Garonne 35 Creuse... DRE 1 | Marne (Haute-) .... DIN AT ete EE 0 Dordogne #7. 30 | Mayenne.,....:.... APVNaUCluSeR re ete ) DÉTDSEET RE 3 | Meurthe-et-Moselle . LI Nendée tar 11 Drome ME RnAu ee 1AIMOUSeS SMART, 'INienneteese RE 9 EUPER SR eee 42\ Morbihan -...5..... 9 | Vienne (Haute-).... 2 Eure-et-Loir ....... 4 | Nièvre. its LIVES REPARER 0 Hinistérenr.2" 7. RL EN OT noue D\EVONTIE REP EE AE Fe )

OBSERVATIONS

HourG Camille, 26 ans. Mordu le 11 avril, traité à l’Institut, Pasteur, du 13 au 30 avril. Mort de la rage à l'hôpital Lariboisière, le 26 mai. Les morsures, au nombre de six, pénétrantes, étaient situées sur l'éminence

304 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

thénar de Ja main gauche. Le chien mordeur examiné par M. Grenot, vété- rinaire à Paris, avait été reconnu enragé à l’aulopsie. Une autre personne mordue et trailée en même temps que Bourg est actuellement en bonne santé.

Fiquer Louis, 23 ans. Mordu le 22 avril, traité à l’Institut Pasteur du 23 avril au 10 mai. Mort de la rage à l'hôpital Necker, le 4 juin. Les mor- sures, aunombre de cinq, dont deux profondes, étaient situées sur la périphérie du pouce droit; elles avaient été cautérisées au bout de cinq heures par un agent chimique indéterminé. Le chien mordeur, examiné par M. Caussé, vétérinaire à Boulogne-sur-Seine, avait élé reconnu enragé à l’autopsie. Une autre personne mordue en même temps que Fiquet est actuellement en bonne santé.

Beaurorr Annelte, 19 ans. Avait été léchée le 15 avril sur les mains qui portaient des écorchures à vif par un chien qui, abattu le lendemain, fut déclaré enragé, à l’autopsie, par M. Lachmann, vélérinaire, à Saint- Etienne. Traitée à l'Institut Pasteur du 20 avril au 7 mai. Morte de la rage le 14 octobre. Deux autres personnes mordues par le même chien et traitées à l'Institut Pasteur sont actuellement en bonne santé.

HexiQuer Julien, 53 ans. Mordu le 11 mai par un chien que M. Jenvresse, vétérinaire à Beaumont-sur-Oise, a déclaré enragé après autopsie. Une première morsure avait déchiré la lèvre inférieure, les deux bords de la plaie avaient être réunis par trois points de suture : trois autres blessures siègeaient à la racine du nez. Les plaies n'avaient pas été cautérisées. Traité à l'Institut Pasteur du 18 mai au 5 juin. Les premiers symptômes rabiques se sont manifestés le 4 juin, avant la fin du traitement ; la mort est survenue le 7 juin. La rage ayant éclaté au cours des inoculations, il convient de retrancher Heniquet du nombre des personnes mortes de la rage après traitement.

SEGOND Germain, 7 ans. Mordu le 23 mai à l'avant-bras droit : la morsure pénétrante avait été faite sur le membre nu; elle avait été cauté- risée au fer rouge au bout d'une heure. Traité du 26 mai au 9 juin. Mort de la rage le 22 juillet. Le bulbe du chien mordeur avait été remis à l'Institut Pasteur; un cobaye inoculé dans l'œil le 26 mai a été pris de rage le 10 septembre.

RicHarp Suzanne, 8 ans. Mordue le 12 juin à la jambe gauche par un chien reconnu enragé après autopsie de M. Touret, vétérinaire à Sannois. La morsure pénétrante s'étendait sur une longueur de 3 centimètres (les lêvres avaient être réunies par des points de suture); elle avait été faite autravers d’une chaussette de coton et cautérisée au bout d’une demi-heure avec un agent chimique indéterminé. Traitée du 13 juin au 30 juin, morte de la rage le 2 août. (Renseignement de M. le docteur Marguy, à Sannois).

VANDALE Joseph, 33 ans. Mordu le 8 août à la main gauche. Les morsures, au nombre de six, pénétrantes, siégeaient sur la face dorsale; elles n'avaient pas été cautérisées. Le chien mordeur avait été déclaré enragé par M. Verraert, vétérinaire à Ostende. Traité à l'Institut Pasteur, du 11 août au 28 août, mort de la rage le 27 septembre.

MorN Paul, 38 ans. Mordu le 24 août à la joue gauche; la morsure unique, qui s’étendait sur une longueur de 2 centimètres, n'avait subi aucune cautérisation, Le chien mordeur, conduit à l’École d'Alfort, le 25 août, fut reconnu enragé. Traité à l’Institut Pasteur du 26 août au 15 septembre. Mort de la rage quelques jours après la fin du traitement (trois semaines après la morsure, dit la note qui nous a été remise). Le délai qui s'est écoulé entre la fin du traitement et le début des accidents rabiques étant inférieur à 14 jours, Morin ne doit pas être compté au nombre des per- sonnes ayant subi les inoculations dans les conditions elles sont efficaces. |

Le Gérant : G. Masson.

Sceaux, Imprimerie E. Charaire,

au

19me ANNÉE MAI 1898 No 5.

ANNALES

DE

L'INSTITUT PASTEUR

DE LA BEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE

ÉTUDE EXPÉRIMENTALE ET CLINIQUE

Par Le Dr BESREDKA

(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.)

La diphtérie est une maladie à laquelle ne paraissent pas s'adapter jusqu'ici les conceptions phagocytaires fournies par d’autres maladies infectieuses. Faut-il modifier ces conceptions pour la diphtérie, ou bien Îles remplacer par d’autres ? Telle est la question que nous nous sommes posée en reprenant l'étude de la diphtérie.

Avant d'entrer dans le cœur de notre sujet, il serait intéres- sant de jeter un coup d'œil rapide sur les phénomènes analogues dans d’autres maladies que la diphtérie.

Les cliniciens ont remarqué que dans toutes les maladies infectieuses 1 existe une réaction leucocytaire. Mais pour que cette réaction leucocytaire prenne le caractère d’un phénomène physiologique etrégulier de protection de l’organisme, ilfautqu’on lui trouve des allures en rapport avec la fonction qu’on lui attri- bue, et, pour pouvoir aspirer au titre de phagocytes, la première condition que doivent remplir les leucocytes, c’est de faire preuve d’une sensibilité chimiotactique ; ils doivent affluer en grand nombre dans le sang, y séjourner le plus longtemps pos- sible pendant que l'organisme est sous le coup de l'infection, et ne disparaître que quand l'organisme est hors de danger ou bien quand, la lutte étant inégale, le virus prend le dessus.

e ÿ

306 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Ceci est la première des trois conditions auxquelles doit satis- faire un vrai phagocyte, les deux autres étant, comme l’a établi M. Metchnikoff, l'engloblement et la digestion, phénomènes que nous ne traiterons pas dans le présent mémoire.

Ce premier temps du processus phagocytaire, le temps chi- miotactique, le trouvons-nous dans les maladies infectieuses ?

Lorsqu'on a approfondi la question de la leucocytose, on a constaté ce fait important, commun à la majorité des maladies infectieuses : quand l'organisme est envahi par des microbes ou leurs produits, le nombre de leucocytes du sang augmente considérablement, et ceux-ci déploient un maximum d'activité lorsque la maladie est à son apogée. Au fur et à mesure que l’organisme se débarrasse de son virus, cette suractivité leuco- cytaire va aussi en s’affaiblissant jusqu'à atteindre le niveau normal.

Dans certaines maladies, notamment dans la pneumonie, quand une augmentation des globules blancs survient au cours de l’affection, la clinique veut qu’elle finisse par guérir; quand au contraire les leucocytes deviennent rares, l'expérience de tous les jours montre que c’est très probablement le virus qui va triompher, les leucocytes n'étant plus capables de lui résister.

Telles sont en termes généraux les variations leucocytaires observées au cours des maladies infectieuses les mieux étudiées.

Si ces phénomènes ne s’observent pas dans toutes les maladies sans exception, c'est qu’une maladie humaine n’évolue’pas avec la pureté d’une maladie expérimentale. Chez l'homme traver- sant une maladie de longue durée, beaucoup d’influences étran- gères viennent impressionner les leucocytes, et il est parfois difficile de déceler une régularité quelconque dans le jeu leuco- cytaire. Mais souvent elle se rapproche tout à fait de celle que montre l’expérimentation.

LS * *

Parmi les maladies qui paraissent au premier abord démentir notre conception de la leucocytose, les adversaires de la doctrine phagocytaire citent la diphtérie, la fièvre intermittente et la fièvre typhoïde. |

Pour ce qui concerne la fièvre intermittente, nous renvoyons au mémoire de M. Vincent qui a fait justice de l’opinion d'après

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE 307

laquelle cette affection constituerait une exception à la règle.

Quant à la fièvre typhoïde, qui se caractériserait par une hypoleucocytose persistante pendant toute la durée de la maladie (Hayem, Rieder), 1l nous suffit de nous adresser à des recher- ches publiées récemment par M. Stiénon, peu connues peut-être, mais très soigneusement exécutées, pour nous assurer que cette opinion n’a rien de fondé. fe témoignage de M. Stiénon est d'autant meilleur à invoquer que cet auteur ne paraît pas partager notre manière de voir en ce qui concerne ec" de la leucocytose.

En se basant sur ses nombreuses numérations, M. Stiénon arrive à la conclusion « qu’en réalité rien n’est plus irrégulier que le chiffre des leucocytes dans la fièvre typhoïde »; mais lorsqu'il tient compte des différents genres de leucocytes, il arrive à constater une évolution régulière, comprenant quatre phases dont les caractères sont les suivants :

« Première phase: prédominance notable des formes à noyau polymorphe, dépassant le chiffre de 80 0/0 et atteignant parfois celui de 90 0/0. |

Deuxième phase : diminution progressive des formes à Moyau polymorphe; la chute n’est pas régulière, elle offre des sursauts dans un certain nombre de cas.

« Troisième phase : les formes à noyau polymorphe ne dépas- sent plus guère en nombre les formes à noyau simple.

« Quatrième phase : les diverses formes tendent à reprendre une valeur normale. »

Ainsi, au début dela fièvre typhoïde, il ya une augmentation très accentuée des polynucléaires. Eh bien, en nous plaçant sur sur le terrain phagocytaire, nous dirons que dans la fièvre typhoïde, même dans les cas on observe l’hypoleucocytose, l'organisme gagne en qualité de ses leucocytes ce qu’il perd en quantité.

De sorte que, au point de vue de notre conception de la leuco- cytose, nilafièvre intermittente, ui la fièvre typhoïde ne méritent une place à part dans la famille des maladies infectieuses.

Pour en avoir le cœur net, il nous reste à étudier la diphtérie, question autrement importante autant au point de vue du prin- cipe que des applications pratiques qu'elle comporte. Nous di- viserons cette étude en deux parties: dans la première nous

308 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

traiterons la question au point de vue expérimental, et ce n’est qu'après nous être armés des données précises du laboratoire que nos aborderons utilementle côté clinique.

La leucocytose dans la diphtérie expérimentale a fait le sujet de très peu de travaux ; nous ne connaissons que ceux de Ga- britchewsky, Chatenay et enfin Nicolas et Courmont.

Gabritchewsky a seul étudié les phénomènes leucocytaires sous l'influence des cultures entières du bacille diphtérique. Il conclut que les inoculations entraînant la mort sont suivies d’une hyperleucocytose qui augmente progressivement jusqu’à la mort; par contre, chez les animaux immunisés, l’hyper- leucocytose atteint son maximum huit heures après l'injection des microbes, pour disparaître complètement au bout de 24 heures. Ce sont des phénomènes diamétralement opposés à ceux aux- quels nous devions nous attendre par analogie avec d’autres maladies infectieuses.

Nous verrons plus loin que, loin d’être en dissonance com- plète avec la conception phagocytaire, ils sont en réalité de ceux qui vont le mieux servir notre cause et lui fourniront le plus solide appui.

Chatenay a le premier, sur le conseil de M. Metchnikoff, étu- dié les réactions leucocytaires vis-à-vis des produits microbiens solubles, et, entre autres, vis-à-vis de la toxine diphtérique ; mais les expériences concernant cette toxine n'étant pas assez nom- breuses pour être concluantes, nous passons directement aux recherches de MM. Courmont et Nicolas.

Ces savants étudièrent d’abord la leucocytose dans les intoxi- calions rapides, par doses massives, puis la leucocytose dans les intoxications chroniques, par doses faibles, et enfin les phénomènes qui se passent pendant l’immunisation. Nous les suivrons dans toutes ces différentes phases.

Examinons d’abord les résultats obtenus en employant des doses massives. Comme ce sont précisément ces résultats qui nous ont déterminé à reprendre ces recherches, nous croyons

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 309

ulile de rapporter ici les conclusions des auteurs telles qu’elles ont été formulées par eux-mêmes.

« Si nous résumons, disent-ils, la série de six expériences, nous pouvons mettre en évidence les faits suivants :

« À) Dans quatre expériences ia leucocytose n’a pas été sensiblement influencée par l’intoxication; les chiffres ont varié irrégulièrement de 3,000 à 14,000. Nous ne tenons pas compte de ces variations et de la légère élévation du nombre des leuco- cytes ; elles peuvent être mises sur le compte de la répétition des piqüres de l'oreille ou de toute autre cause accidentelle. Des variations au moins aussi marquées ont été observées chez les témoins sans qu'on ait à invoquer l’intoxication.

« Daus deux expériences seulement, la leucocytose a atteint des chiffres extrêmement élevés... Lorsque cette hyperleucocy- tose se produit, son maximum se présente peu de temps avant la mort.

« B) Quelles que soient les variations de la leucocytose, il n’y a pas de relation bien marquée entre celle-ci et la Lempéra- ture. Tandis que la température suit une courbe absolument régulière (hyperthermie, puis hypothermie finale comme l'ont montré J. Courmont et Doyon), la leucocytose suit une marche très irrégulière par rapport à la première, qu'il y ait hyperleu- cocytose ou non.

« L’intoxication massive diphtérique produit donc chez le lapin des réactions leucocytaires très inconstantes, tantôt une hyperleucocytose insignifiante, tantôt une hyperleucocytose énorme et progressive jusqu'à la mort.

Il semble que tantôt (le plus souvent) l’organisme sidéré par le poison ne peut plus réagir au point de vue leucocytaire, ou ne réagit que d’une manière à peine appréciable : tantôt au contraire, et c’est le cas une fois sur trois, sa réaction leucocy- taire se fait sans peine, et l’on voit les globules blancs atteindre des chiffres énormes de 40,000, 89,000. Quoi qu'il en soit, ces extrêmes traduisent une atteinte très profonde de l’organisme et telle que, ou bien cet organisme est devenu incapable de réagir, ou bien il est rendu inapte à régler sa réaction qui dépasse alors toute limite. »

Telles sont les conclusions de MM. Nicolas et Courmont, très peu encourageantes, évidemment, pour la doctrine qui

310 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

considère les leucocytes comme les défenseurs de l'organisme; le rôle des leucocytes dans la diphtérie devient plus obscur encore si on se rappelle les faits de Gabritchewsky dont nous avons parlé plus haut.

L'idée directrice de nos recherches était de savoir si la leu- cocytose est un phénomène phagocytaire; il est donc tout nature] que nous fixions toute notre attention sur les polynu- cléaires, ces phagocytes par excellence. C’est ce que nous allons faire dans le cours de toutes les expériences qui vont suivre.

Mais, pourra-t-on nous objecter, pourquoi n'avons-nous pas procédé de même quand il s'agissait d’autres maladies. Jus- qu'ici on avait l'habitude de parler de la leucocytose en général, sans viser tout particulièrement les polynucléaires. La raison en est bien simple, répondrons-nous. Dans les autres maladies l'augmentation totale des leucocytes va parallèlement avec celle des polynucléaires, et même plus, l’hyperleucocytose dans presque tous les cas se fait au dépens des polynucléaires ; il n’en est pas de même dans la diphtérie, et notamment dans l’intoxi- cation rapide, le parallélisme entre le nombre total des leuco- cytes et celui des polynucléaires n'existe guère. Puisqu'il en est ainsi, la logique nous commande de scinder la question pour la diphtérie; si notre but est de savoir quel rôle est dévolu aux phagocytes dans cette maladie, il faut oublier pour le mo- ment tous les autres leucocytes et s'occuper des phagocytes, notamment des polynucléaires.

Cette considération si simple et surtout logique a échappé à nos prédécesseurs ; et elle nous a amené à modifier de fond en comble les conclusions de MM. Nicolas et Courmont.

Hâtons-nous de dire que les chiffres obtenus par ces auteurs ont été confirmés par nous dans la majorité des cas; seulement ils ont eu tort de ne pas prendre la question par le bon côté.

* *X *

Intoxication par doses massives.

Prenons un lapin ; injectons-lui sous la peau une dosemassive, une dose dix fois mortelle, par exemple, de toxine. Le lapin mourra invariablement au bout de 26 à 30 heures au plus.

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 311

Prélevons-lui toutes les heures, ou toutes les deux heures, deux gouttes de sang, une pour compter le nombre total des leucocytes, l’autre pour en faire une préparation sèche.

Si nous considérons la masse totale des leucocytes sans faire aucune distinction entre eux, et que nous présentions les chiffres obtenus sous une forme graphique, nous obtiendrons une courbe analogue à celle de MM. Nicolas et Courmont, courbe fortement tourmentée, (tracé 1) n'ayant de constant que l’irrégularité de ses formes.

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Tracé no 1.

Lapin 1.—2050 gr. Reçoit, le 19 septembre à 2 heures 15, sous la peau 1 c. c. de toxine ; son sang est examiné toutes les heures pendant les sept premières heures (jusqu'à 9 heures 30 du soir), et le 20 septembre, de 7 heures du matin jusqu’à 4 heures 30, moment de la mort (sept fois). Pour voir les variations du sang ayant lieu pendant la période correspondant à la nuit et pour ne pas multiplier les piqûres aux oreilles, un autre lapin 2 a été inoculé dans des conditions identiques, avec cette différence qu'il a reçu la toxine à 10 heures du soir le 19 septembre : son sang a été examiné le 20 septembre de 7 heures du matin jusqu’à la mort survenue vers minuit; c'est ce second lapin qui nous a permis de compléter la courbe fournie par le premier; les données obtenues avec le lapin 2 sont représentées par un pointillé, qui a pour but d'indiquer plutôt le caractère général de la leuco- cytose que les chiffres exacts.

Ne nous arrêtons pas là, comme l’ont fait lessavants lyonnais.

1. La toxine diphtérique, qui nous a été très obligeamment fournie par M. Martin, tuait un lapin de 2 kilos environ à la dose de 1/10 de c. c.

312 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Examinons les préparations sèches du sang par des méthodes appropriées (bleu de méthylène-éosine),et notons le nombre des polynucléaires qui se rencontre dans différents champs micros-

copiques sur cent leucocytes; exprimons les chiffres obtenus par une courbe (tracé 2).

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Nous sommes immédiatement frappés de la régularité que pré- sente cette courbe; ce ne sont plus les zigzags de celles de MM. Nicolas et Courmont, qui parlaient si peu à l'esprit; nous avons au contraire une courbe d’une régularité parfaite et très significative, L’inspection seule de la courbe suffit pour nous dispenser de l’accompagner des commentaires. De plus, tandis que diflérents lapins de MM. Nicolas et Courmont présentaient des courbes à allures très variées, ici nous sommes en présence d’une courbe commune à tous les lapins que nous avons examinés, et ils étaient nombreux.

Ce n’est pas tout. Faisons un petit calcul et exprimons en chiffres absolus (et non pour cent) les nombres des polynucléaires contenus dans { mm. c. à chaque prise de sang; pour mieux voir, traçons une courbe (tracé 3). Il s’agit toujours du même lapin.

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 313

Ici ce n’est pas seulement la régularité de la courbe qui nous frappe; elle porte en elle un enseignement autrement important.

Comme nous l’avons déjà dit plus haut, le fait dominant dans la leucocytose de la diphtérie, et qui la distingue de toutes les autres maladies, c’est, d’après Gabritchewsky, aussi d’après MM. Nicolas et Courmont, l’hyperleucocytose très accentuée qui précède la mort.

Cette courbe (tracé 3) nous fournit la clef de ce fait quasi-

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Tracé 3.

paradoxal; elle nous montre de la façon la plus nette que cette hyperleucocytose in extremis n’en est pas une, elle n’est qu’appa- rente, dès que nous nous rapportons seulement aux polynucléai- res: en réalité les phénomènes se passent de la même façon, avec une régularité qui ne se trahit jamais, et qui est encore plus par- faite que dans toutes les autres affections.

Cette courbe, associée à la précédente, nous montre qu'a- près l'injection, les leucocytes, pendant les premières heures,

314 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ne semblent pas s’apercevoir de la présence de la toxine; mais, au commencement de la troisième heure environ, les poly- nucléaires commencent à se mettre en mouvement (tracé 2) bien que leur nombre total reste encore stationnaire; dans cer- tains cas nous avons même pu observer, pendant les premières heures, une diminution de la masse totale de polynucléaires, c’est-à-dire une hypoleucocytose polynucléaire ; ce stade est de très courte durée etil faut savoir le surprendre.

Déjà dès la cinquième ou sixième heure, on constate une ascension progressive, d'abord lente, puis très rapide, des polynucléaires. Cette ascension atteint un maximum 14 à 16 heures après l’inoculation. Arrivés à l'apogée de leur activité, les polynucléaires rebroussent chemin, et cette fois-ci très rapidement, en y mettant beaucoup moins de temps qu'ils n’ont mis pour atteindre le maximum ; leur nombre diminue de plus en plus, et avant la mort il tombe au-dessous de la normale, ou bien atteint le minimum qu'il avait présenté au cours de l'intoxication.

Donc ce n’est pas l’hyperleucocytose qu’on observe avant la mort, c’est tout à fait le contraire, et dès lors le fait signalé par tous les auteurs, si paradoxal et si contraire en apparence à l'esprit de la phagocytose, se trouve en accord le plus parfait avec les desiderata de cette doctrine.

x x »

MM. Nicolas et Courmont s’étonnent que, dans l'intoxica- tion par doses massives, il n’y a jamais eu de relations entre les variations leucocytaires et la température.

« Tandis que, disent-ils, la température suit une courbe absolument régulière (hbyperthermie, puis hypothermie finale), la leucocytose suit une marche très irrégulière par rapport à la première, qu'il y ait hyperleucocytose ou non. »

Eh bien! Ces auteurs n'ont qu’à consulter nos courbes des polynucléaires, et les comparer avec celle de Doyon et de Cour- mout, pour se convaincre que non seulement il existe des rela- tions étroites entre les variations leucocytaires et la température pour le cas étudié, mais que ces deux courbes sont si voisines l'une de l’autre, qu'il y a presque fusion complète entre elles.

Il est à peine nécessaire d’ajouter que la conclusion princi-

=

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 315

pale de MM. Nicolas et Courmont, qui veut que « l’intoxication massive diphtérique produise chez le lapin des variations ieu- cocytaires très inconstantes », tombe devant la régularité des réactions que nous venons de mettre en lumière, et qui est au contraire très constante.

Nous ne pouvons également souscrire à l’opinion de ces auteurs que, ( dans l’intoxication massive, l'organisme sidéré par le poison ne peut plus réagir au point de vue leucocytaire, ou ne réagit que d’une mauière à peine appréciable ».

Nos expériences ont démontré tout à fait le contraire : quelle que soit la dose de toxine, la régularité de la courbe ne se dément jamais, et c'est une erreur de penser que, dans les intoxications rapides, les leucocytes sont comme sidérés, se désistent de leurs fonctions habituelles. Cela n’est pas exact, ils interviennent tou- jours, ettoujours avec le même rôle de protecteurs de l’organisme.

* CE?

Inioxication par doses faibles.

Nous serons plus bref en ce qui concerne la leucocytose dans l’intoxication lente. Là, même lorsqu’ou ne tient pas compte des polynucléaires, il est facile de constater des variations leucocy- taires, variations qui se maintiennent le plus souvent au-dessus de la normale.

C'est pour cela que même MM. Nicolas et Courmont, qui n'enregistraient que les chiffres totaux des leucocytes, ont pu, eux aussi, observer l’hyperleucocytose dans les formes lentes.

En résumant leurs expériences à ce sujet, ils déclarent que « l’hyperleucocytose moyenne (2 ou 4 fois au-dessus de la nor- male), dans l’intoxication diphtérique lente, est un phénomène à peu près constant ».

Quand on examine leurs protocoles d'expérience, on constate que dans quelques cas l’hyperleucocytose manquait: dans d’autres, elle a eu lieu, elle était souvent trop passagère, trop : fugace; et on se demande comment l’hyperleucocytose peut apparaître, par exemple, le lendemain de l’injection de toxine, puis faire totalement défaut pendant plusieurs jours, pour réap- paraître de nouveau pendant un ou deux jours.

Ce ne sont pas !des détails insignifiants, car ils empé-

316 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

chent de se faire une idée quelconque sur le rôle de la significa - tion de la leucocytose.

En effet, si l'hyperleucocytose est un phénomène de défense de l'organisme, il ne doit pas y avoir un seul lapin qui puisse s'y soustraire. Si l’hyperleucocytose traduit véritablement une lutte qui se déroule dans l'intimité des éléments cellulaires, comme sont disposés à l’admettre les auteurs, nous ne conce- vons pas comment cette lutte. une fois engagée, cesse brusque- ment à un certain moment pour faire place à un armistice pen- dant plusieurs jours, puis se renouvelle vivement sans motif appréciable.

Nous admettons volontiers que la lutte peut s’accompagner

Lonrimo ee.

darts

EE nappe ie ner

Tracé No 4.

d’alternatives de victoire et de défaite de la part des leucocytes. mais qu’elle s’apaise tout à fait à un moment donné pour réapparaître plusieurs jours après, cela ne cadre pas bien avec notre idée de la leucocytose.

Pour toutes ces raisons, l’hyperleucocytose « à peu près constante » constatée par MM. Nicolas et Courmont ne nous satisfait pas.

x *#

Procédons pour les intoxications lentes de la même façon

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 317

que plus haut pour les intoxications rapides; et cherchons les polynucléaires, dont l'intervention est si utile, lorsqu'il s’agit de la défense de l’organisme.

Injectons à un lapin une dose de toxine qui le tuera en plusieurs jours, et examinons le sang toutes les deux heures ou à des moments plus espacés (tracé 4).

Un lapin n0 3 reçoit le 22 septembre à 10 h. 10’, 0,25 c. c. de toxine. Voici le résultat de l’examen de ses leucocytes. La lettre L représente le nombre total des leucocytes, P le nombre des polynucléaires : il est suivi du chiffre représentant la proportion centésimale de ces derniers dans l'ensemble. avant l'inj. 9,400 L dont 3,290 P 35 0/0.

à 40 h. 10’ injection de 0,25 c. c. de toxine.

22 sept.

à midi. 12,000 L dont 6,000 P 50 0/6. à 2 heures. 18,600 L 12,462 P 67 0/0. à 6h. 16,400 L 9,M6 P 56 00. à 8h. 15,000 L 7,500 P 50 0.

On trouve beaucoup de formes intermédiaires entre L et P.

à 9h. 30’ 7,000 L dont 4,410 P 63 0/0. 23 sept. à 8 h. 30’ 24,000 = 10,800 | —42 0/6. à 10 h. 30’ 11,500 —1 4,600 40 0/0. à 2h. 30! 10,200 À,984 42 0/0. à 4 h. 30’ 11,000 5,500 50 0/0. 24 sept. à 10 h. 18,400 —1411,040 : 60 070. à 3 h. 10,600 6,572 —62 0/0. 25 sept. à 40 h. 16,000 12390010 7710/6: ROUE 14,000 8,820 63 0/0. 26 sept. à 10h. 7,000 3,00 —:50 0/0. à 3 h. 12,300 8,610 70 0/. 27 sept. à 10h 9,200 6,624 72 0/0. a 2h 9,000 05,610 LV=—=1631076 à 4h 12,600 8,694 69 0/0. à 6.h: 8,600 = 144,300 = 5010)

28 sept. à 7 h. du matin, le lapin est trouvé

mort. Le tracé 4 résume

l’histoire de la maladie.

Ce qui caractérise surtout cette courbe, comme d’autres ana- logues obtenues dans les mêmes condilions, ce sont ses oscil- lations, qui ne s’interrompent nulle part et témoignent par cela que, dès le début de la réaction jusqu’à la fin, la lutte est conduite sans trêve ni repos, et ne se termine qu'avec la mort de l'animal.

A plusieurs reprises, nous voyons que le chiffre total de leucocytes atteint la limite normale, et descend même au-

318 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

dessous, ce qui pourrait faire penser que la lutte s’est arrêtée; il n’en est rien : il suffit de jeter un coup d’œil, à ces moments, sur ce qui se passe avec les polynucléaires, pour acquérir la conviction que la lutte continue sans répit.

Autre point sur lequel nous tenons à insister, c’est que cette courbe, aussi bien que les courbes précédemment étu- diées, n’est pas particulière pour le lapin À ou B, comme c’est le cas de MM. Nicolas et Courmont, mais qu'elle s’applique à tous les lapins ayant subi le même genre d'intoxication, et constitue l’image desréactions leucocytaires vis-à-vis de la toxine diphtérique.

Immunisation par la toxine diphtérique.

Jusqu'ici nous avons vu que chaque fois que l'animal reçoit la dose mortelle, à courte ou longue échéance, les leuco- cytes ne manquent pas d'intervenir. Il s'engage une lutte par les polynucléaires entre l'organisme et la toxine; cette lutte très aclive ne s’interrompt à aucun moment de la maladie, et ne cesse qu'avec la vie de l'animal.

Mais comment les choses se passent-elles, quand l’animal ne meurt pas? Ici vient se greffer une autre question, à savoir comment se comportent les leucocytes, quand la dose non mor- telle de toxine est souvent renouvelée, en d’autres termes quand l'animal subit une immunisation active ?

L'importance de ce problème n'échappe à personne.

Si les leucocytes restent tout à faitindifférents à des injections répétées de toxine à doses non mortelles, il devient fort probable qu’ils n’ont rien à y voir ; par contre, nous ne pourrons refuser aux leucocytes une part active dans la défense de l’organisme quand nous verrons qu'ils manifestent une activité des plus nettes pendant l’immunisation.

La question semblait être résolue par MM. Nicolas et Cour- mont. Ces auteurs, après avoir étudié la leucocytose chez plu- sieurs chevaux en cours d’immunisation, sont arrivés à la conclusion suivante :

« Au cours d'une longue immunisation contre la toxine diphtérique, on n’observe pas, ou très rarement, de réaction leucocytaire notable chez le cheval, soit au début, soit à un

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 319

stade avancé de la période des injections, et même dans les pre- mières heures qui suivent celle-ci.

« Les modifications de l’organisme qui produisent l’immu- nité semblent donc pouvoir s'effectuer en dehors de toute varia- tion appréciable du nombre des leucocytes. »

Cette conclusion, surtout la seconde partie, tout en ayant le mérite d'être très nette, est inexacte; non pas que MM. Nicolas et Courmont aient mal observé, mais par ce que leur méthode était défectueuse.

Avant d'exposer les résultats de nos expériences, nous ferons observer aux auteurs lyonnais qu'ils ont oublié de nous renseigner sur le pouvoir antitoxique du sérum de leurs chevaux; si ce pouvoir étaitnul, ce qui arrive quelquefois malgré plusieurs mois d'immunisation, l’absence des réactions leucocytaires ne saurait nous étonner beaucoup.

Nous avons immunisé une chèvre, les détails de cette immu- nisation sont exposés ci-dessous.

Avant l'expérience, nous avons essayé le sérum de la chèvre et constaté qu'il ne jouissait d'aucun pouvoir antitoxique. Huit jours après la dernière injection de toxine, nous avons constaté que 0,5 c. c. de son sérum, mélangé à la dose vingt fois mor- telle (0,20 c. c. de toxine), préserve un cobaye de 500 gr. ; nous nous sommes ainsi assuré que notre chèvre a acquis au cours de l’immunisation des propriétés antoxiques incontestables.

Immunisation de la chèvre,

Avant la première injection son sang a été examiné à plusieurs reprises; la moyenne de piusieurs examens a été 7,000 L dont 1,750 P 25 0/0.

8 novembre, à 10 h., la chèvre pèse 21 livres; elle reçoit sous la peau 1 c. c. de toxine diphtérique chauffée à 600. Cinq heures après son sang présente, à 3 h. 15, 10,500 L dont 7,350 P 70 0/0.

9 nov. à 2 h. To 400,2; 13,700 L dont 8,220 P 60 0/0,

10 nov. à 2 h. To == 390,2; 9,000 L dont 4,950 P = 55 0/0,

11 nov. à 2 h. To 360,2; 5,600 L dont 1,960 P = 35 0/0.

13 nov. 2 h. 30. Elle pèse 23 livres. On lui injecte sous la peau 3 c. c. de toxine chauffée à 600 pendant une heure (2e injection).

14 nov. à 11 h. To 390,5; 30,600 L dont 26,010 P 85 0/0,

45 nov. à 4 h. To 390,3; 16,200 L dont 8,100 P 50 0/0. :

16 nov. à 8 h. 390,5; à 2 h. To 390,1; 15,200 L dont 6,682 P 44 0/0,

17 nov. à 3 a. To 400; 10,000 L dont 1,500 P = 45 0/0.

320 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

48 nov. à 4 h. To 390,9 ; 9,700 L dont 1,649 P 17 0/0.

49 nov. à 3 h. To 390,8; 10,800 L dont 1,620 P 145 0/0.

20 nov. à 2 h. 30, la chèvre reçoit sous la peau 1/2 c. c. de toxine chauffée pendant une heure à 500 (3e injection).

21 nov. à midi. To 399,8 ; 14.100 L dont 9,549 P 67 0/0.

22 nov. à 4 h. To 390,9; 6,300 L dont 1,575 P 25 0/0.

23 nov. à 8 h. 30. To 390,7; puids 21 livres; à 4 h. To 400; 5,500 L dont 825 P = 15 0/0. |

24 nov. à 8 h. 30. To 390,4; à 4 h. To 390,5; 7,000 L dont 1,120.P 16 0/0.

25 nov. à 8h. 30. To 390,5; à 4 h. To 390,7; 8,600 L dont 2,666 P 31 0/0.

26 nov. à 9 h. To 390,1; poids 19 livres 300 gr.; à 4 h. 13,200 L dont 3,828 P 29 0/0.

27 nov. à 9 h. 390,4; à 3 h. To 390; 8,700 L dont 2,697 P 31 0/0.

28 nov. à 9 h. To 390,3; poids 20 livres ; 13,000 L dont 2,080 P 16 0/0.

29 nov. à 9 h. To 380,7; à 3 h. To 390,6.

4er décembre. La chèvre reçoit à 8 h. 45 du mat. 0,5 c. c. de toxine nor- male, non chauffée (dose 50 fois mortelle pour un cobaye de 500 gr.), (4e injection); à 3 h. 15. To 390,7; 14,300 L dont 4,148 P 36 0/0.

2 déc. à 9 h. To 380,5; à 3 h. To 390,5; 8,000 L dont 2,640 P 33 0/0.

3 dée. à 9 h. To 380,9; à 3 h. To 390,6: 8,000 L dont 1,520 P 19 0.

4 déc. à 9 h. To 380,7; à 3 h. To 390,5; 13,800 L dont 4,002 P 923 oo.

5 déc. à midi. To = 590,5; poids 21 livres; 14,400 L dont 5,760 P 40 0/0. Reçoit après l'examen du sang 1 c. c. de toxine (5e injection).

6 déc. à 9 h. 380,7; à 3 h. To 390,3; 7,400 L dont 1332 P 18 0/0.

1ndéc. a000h.-12—=69%0 24/3 0h/ 10 596,6: 9700 "dont 1,940 PP

20 0/0.

8 déc. à 9 h. To 390,5; à 4 h. 400; 9,000 L dont 1,980P 22 0/0.

9 déc. à 9h: —3%%2; à 2 h. To—39%,2; 9,200 L'dont 2,516 P— 28 0/0.

10 déc. à 9 h. To 390,4; à 4 h. To 390,9; 13,700 L dont 6,850 P 15 0/0.

41 déc. 9h. To —39%,2; à 4 h. To 39/6; 11,700 L dont 2,357 P 21 0/,. Après l'examen du sang, elle reçoit sous la peau 2 c. c. de la toxine normale (6e injection).

12 déc. à midi. To 400; 11,400 L dont 4,446 P 39 0/0.

13 déc. à 9 h. To = 390,4; à 2 h. 30, To 390,9; 9,900 L dont 2,970 P 30 0/0.

14 déc. à 9 h,10—590,2; a 4h 000390 8-42 100 dont 2; 500 419 0/0.

15 déc. à 9 h. To 390,9; à 5 h. 80. To 390,8; 17,100 L dont 9,063 P 93 0/0.

La chèvre est visiblement malade,

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. : 391

16 déc. à 9 h. To 390,9; à 4h. To 400,7; 10,700 L dont 6,420 P 60 0/5. La chèvre paraît être plus malade que la veille.

47 déc. à 7 h. To 400,2; poids 19 livres 300 gr. ; à 3 h. To 400,2; 21,300 L dont 14.058 P 66 0/0.

18 déc. à 9 h. To 390,1. Le train de derrière est paraplégié; à 4 h. To 400,2; 75,400 L dont 31,668 P 42 0/0.

Les jours suivants le nombre des leucocytes a été très considérable, ainsi que le nombre des polynucléaires. La chèvre marchait difficilement en trai- nant les pattes de derrière. Le sang était par moments noir ; on y constatait beaucoup de formes intermédiaires entre les mono et polynuclunéaires.

La chèvre a été complètement rétablie le 28 janvier.

28 janvier à 4 h. 380,9; 9,200 L dont 1,932 P 21 0/0.

Novembre

avant l dyection

JITTTIY LITITE 2 LOLTETA ETT LIAU TANT TT TA APRES TITI DIN) SALLE IP MT CRE LIT

Tracé no 5.

29 janv. Elle pèse 21 livres, poids primitif.

31 janv. à 5 h., elle reçoit sous la peau 1/10 c. e. de toxine tuant un cobaye de 590 gr. à 2/100 de c. c.

4er février à 5 h., 9,100 L dont 2,730 -P 30 0/.

4 fév. à 5 b.,7,400 L dont 2,368 P 32 0/, : après l'examen reçoit sous la peau 2/10 c. c. de la même toxine.

12 fév., reçoit 0,5 c. c. de toxine.

15 fév. à 3 h., 7,000 L dont 2,450 P 35 0/0.

49 fév. à 3 h. To 390,1 ; 8,700 L dont 2,871 P 33 0/0, reçoit après examen 0.75 c. c. de toxine.

20 fév. à 41 h. To 390,1 ; 13,600 L dont 6,256 P 46 0/0.

21 fév. à 5 h. To 390,8 ; 12,100 L dont 4,719 P 39 0/s.

23 fév. à 3 h. To 390,5; 11,300 L dont 4,068 P 36 0.

24 fév. à 4h. To 390,8; 7,300 L dont 2,555 P 35 0). Recçoit 1 c. c. de toxine.

25 fév. à 9h. To = 390,5; à 4 h. To 400; 11,200 L dont 6,596 P 58 0/0.

26 fév. à 4h. To 400 71e 9,700 L dont 4 2 P 46 0).

18

322 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

28 fév. à 4 h. To 400,6 ; 5,000 L dont 950 P 19 0/.

4er mars. To 390; poids 11 kilos.

2 mars à 4 h. To 400,4; 8,000 L dont 2,400 P = 30 0/0.

4 mars à 4 h. To 400,4; 11,800 L dont 2,478 P = 21 os.

7 mars. To 400 ; poids {1 kilos.

8 mars. To 390,8.

10 mars à 3 h. To 390,5; 7,300 L dont 1,825 P 95 0/,, reçoit 1,5 c. c. de toxine.

11 mars à 3 h. To 400; 7,000 L dont 2,940 P 42 0/0.

12 mars à 4h. To 400, 3: 4,400 L dont 968 P 22 0/5,

14 mars à 4 h. To 400,2.

45 mars à 4 h. To 400,5; 6,500 L dont 1,560 P = 24 0/0.

16 mars To 400,2

A1mars To 390,7.

18 mars à 3 h. To 390,6; 4,000 L dont 1,000 P 25 0/0, saignée pour essayer le pouvoir antitoxique.

Fevrier Mars 11) 4915

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est E.0 RENNES

Tracé no 5 (suite),

Le tracé ci-dessus nous amène done à des conclusions diamétralement opposées à celles de MM. Nicolas et Cour-- mont.

Tout en nous servant de leur formule, nous nous permettrons de la modifier de la facon suivante : au cours d'une immunisation contre la toxine dipthérique, on observe toujours une réaction notable chez la chèvre, soit au début, soit à un stade avancé de la période des injections, et surtout dans les premuères heures qui suivent celles-ci.

Les modifications de lorganisme qui produisent l'immunité sem- blent donc se trouver en relation intime avec les modifications leuco- Cytaires .

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 323

Avant de terminer ce chapitre, nous croyons nécessaire d'appeler l'attention sur un fait que nous avons observé pendant l’immunisation.

Nous savons déjà, l'inspection seule du tracé n°5 suffit à le montrer, que chaque injection de toxine est suivie d’une hyperleucocytose, laquelle se fait exclusivement aux dépens des polynucléaires. Mais au fur et mesure que l’on avance dans l’immunisation, et c’est le fait que nous voulons souligner, on s’aperçoit que les polynucléaires deviennent moins prompts à réagir, et ce sont les mononucléaires qui commencent à les rem- placer. Nous n'avons pas poussé l'expérience assez loin pour que nous puissions nous prononcer avec plus de précision ; nous nous réservons d'y revenir une autre fois.

2 7

L'animal intoxiqué quéri par le sérum.

Avant de passer à l'étude de la leucocytose dans la dipthérie humaine, nous avons cru intéressant de faire une expérience qui serve de trait d'union entre le laboratoire et la clinique, c’est-à-dire de mettre unlapin dans des conditions se rapprochant plus ou moins de celles qu’on observe en clinique.

A cet effet, nous avons intoxiqué des lapins avec la toxine diphtérique, puis nous les avons traités avec du sérum.

Pour que les phénomènes gagnent en netteté, nous injec- tâmes aux lapins des doses massives de toxine, tuant en 26--

28 heures, et quelque temps après des quantités notables de sérum en d’autres endroits.

Lapin 4. 2,150 gr. Reçoit le 3 octobre, à5 h. 30, sous la peau de la cuisse gauche 0,5 c. c. de toxine (dose 5 fois mortelle); cinq minutes après on injecte sous la peau de la cuisse droite 4 c. c. du sérum antidiphtérique,

Leuc. Mon. Pol.

0/0 0/0

Avant l'expérience 8,000 64 36 4 octobre à 10 h. 14,000 49 5!

GE IH ITUn 11,000 42 DS

à midi 10,000 50 50

à 2h. 15 16,200 34 66

à 3 h. 45 18,600 36 64

à 4h: 15 43,600 60 40

à » h. 45 12,009 D8 42

324 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Leuc. ms ne

à Gh. 415 10,000 36 64

A TAN ALES 10,000 D0 )0

5 octobre à 91h: 15,500 48 D2

à 10h. 13,200 50 50

à 11 h. 12,500 42 D8

à midi 19,000 DO 50

à 21h: 90 20,000 33 67

à 3 h. 30 18,600 D0 D0

à 4 h. 30 18,000 34 66

à 6h. 22,000 60 40

6 octobre à Sh.45 14,500 50 D0

à 9 h. 15 9,000 )0 D0

à midi 25,000 42 58

à 2 h. 45 23,000 31 69

à 4 h. 45 20,000 42 DS

à 9 h. 30 18,500 50 50

7 octobre à 9 h. 30 9,400 50 d0

à 2 h. 45 22,500 30 70

8 octobre à midi 14,200 38 62

à 4 h. 30 18,000 43 57

à 6h. 62

9 octobre à 11 h. 45 14,700 40

10 octobre à 41 h. 30 12,000 60 40 11 octobre à 1h. 9,700 42 58 12 octobre à 11h. 7,000 36 64 4h 8,000 50 50

43 octobre à 11h. 7,500 50 50 14 octobre à 11h. 4,900 50 x 170 15 octobre à 11 b. 9,400 65 39

État normal.

Dans ces cas la courbe représentant la marche des polynu- cléaires n’a plus la forme parabolique à maximum unique, comme cela devrait être si le sérum n’était pas intervenu. Sous l'influence de ce dernier, elle se transforme en une courbe ana- logue à celle que nous avons vue dans l’intoxication lente par doses faibles. Iciaussi nous voyons des oscillations assez notables, des polynucléaires, oscillations continues et ayant pour carac- tère important de se maintenir toujours dans des régions supé- rieures, et de ne pas toucher au cours de la maladie la ligne repré- sentant l’état normal.

Ces oscillations ont lieu pendant tout le temps de la maladie dont la durée est de 12 à 15 jours ; à mesure que l’animal s’ap-

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 395

proche de la guérison, l’amplitude des oscillations devient de moins en moins grande, pour se réduire progressivement à zéro quand Panimal est complètement rétabli.

Ces mêmes caractères, nous les retrouverons en clinique chez les enfants diphtériques lorsque la maladie marche vers la gué- rison.

IL

Tandis qu’il y a quelques années seulement que la diphtérie est entrée dans le domaine du laboratoire, pour les cliniciens, au contraire, elle est une connaissance de vieille date: c'est pour cela que sur la leucocytose expérimentale nous trouvons à peine deux ou trois travaux (signalés plus haut), tandis que les recher- ches cliniques sur le même sujet ont été assez nombreuses.

Mais, disons-le tout de suite, la question n’est pas pour cela plus avancée en clinique que du côté expérimental. La raison en est la même que nous avons déjà indiquée à plusieurs reprises. Les cliniciens prenaientmal la question : ils comptaient tous les leucocytes en bloc, oubliant que les globules blancs n’ont pas tous la même signification; cette confusion amena des contradictions nombreuses.

Comme toutes ces recherches ne sont pas de nature à nous éclairer, nous ne nous arrèterons que sur le travail le plus récent et le plus détaillé qui existe à ce sujet, à M. Schlesinger.

Cet auteur a étudié 24 cas ; lui aussi comptait tous les leuco- cytes en blos sans tenir compte de leurs différentes fonctions, mais il a l’avantage sur les autres d’avoir fait ces numérations sur un grand nombre d'enfants d’abord, et ensuite de les avoir pratiquées d’une facon méthodique, en se plaçant toujours dans des conditions identiques.

Sur les 24 malades, dont l’âge variait de 15 mois à 12 ans (un seul est mort), l’auteur a constaté 21 fois une hyperleucocytose à l'entrée de l’enfant à l’hôpital.

Cette hyperleucocytose est, d’après l’auteur, très prononcée, surtout le et le jour de la maladie: elle l’est moins le jour et disparaît le 5°, ou jours : dans deux cas seulement l’auteur l’a constatée encore le 10° et 11° jour.

L'hyperleucocytose ne paraissait influencée ni par l’âge de l'enfant, ni par la température ; elle ne présenterait pas, d’après

326 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Schlesinger, de relation étroite avec la gravité de la maladie, comme l’affirme Gabritchewsky.

Contrairement à l’assertion de Gabritchewsky, d’après lequel les malades devant guérir présentent une hyperleucocytose moin- dre que ceux qui doivent mourir, Schlesinger a eu l’occasion de constater une hyperleucocytose très prononcée chez des enfants non gravement atteints, et vice versa, l'hypoleucocytose dans un cas de gravité moyenne et dans deux cas graves.

Déjà ce travail de Schlesinger, s’il n’entraîne pas la convic- tion tout entière, nous laisse au moins sous l'impression que la diphtérie se caractériserait généralement par une hyperleucocy- tose; il est vrai que ce n’est pas la règle générale, mais les exceptions en sont relativement rares.

Quant à la valeur de cette hyperleucocytose, sa signification biologique, les faits de Schlesinger ne sont pas de nature à nous donner la moindre satisfaction là-dessus.

Au cours de nos recherches cliniques, nous avons fait aussi souvent des numérations des globules blancs, tantôt d’une façon méthodique, tantôt à différents moments de la maladie.

Pour ne pas faire double emploi avec le travail allemand cité, nous ne rapporterons pas nos chiffres, d'autant plus que sous ce rapport nos expériences viennent complètement confirmer celles de M. Schlesinger. Mais dès le début de nos recherches, ilest devenu clair pour nous que nous ne tirerions pas grand profit des numé- rations des leucocytes en bloc.

%

*x *

Fidèle à notre manière de procéder dans nos expériences de laboratoire, nous nous sommes attachés, en clinique aussi, à fixer notre attention sur les polynucléaires.

Comme, à l’état normal, chez les enfants du même âge, le rapport entre les polynucléaires et les mononucléaires varie dans des limites étroites et peut être considéré comme constant, nous nous sommes proposé d'étudier ces rapports à différents moments de l’intoxication diphtérique, et de les comparer avec les rapports à l’état normal. |

L'étude du sang, à ce point de vue, a l’avantage d’être plus précise et plus sûre que quand on tient compte seulement du nombre total des leucocytes.

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 327

En effet, au cours de nos études sur le sang, nous avons eu l'occasion d'étudier un grand nombre d'animaux de différentes espèces, et voici ce que nous avons pu constater : bien que le nombre des leucocytes à l’état normal variät d’un animal à l’autre de même espèce, et quelquefois du simple au double, bien que des variations aussi étendues pussent être observées chez le même animal à différents moment de la journée, les rapports entre les poly et mononucléaires restaient cependant presque invariables, et des modifications ne s’y produisaient que sous l'influence des phénomènes importants intéressant l’organisme tout entier.

Ainsi, notre point de départ étant le rapport existant dans le sang entre les poly et les mononucléaires, le premier problème qui se posait était d'établir ces chiffres à l’état normal.

#

A cet égard, il existe une différence profonde entre les en- fants et les adultes. Tandis que chez ces derniers les polynu- cléaires sont trois fois plus nombreux (175 0/0) que les mononu- cléaires, chez les enfants ce sont au contraire les mononucléaires qui font la majorité.

Le rapport entre Les poly et mononucléaires varie avec l’âge de l'enfant ; il est de 20 0/0 dans les premiers mois de la vie : les polynucléaires augmentent rapidement avec l’âge; ils atteignent 35 0/0 à 40 0/0 en moyenne chez les enfants de 3 à 5 ans. Quelquefois à cet âge on trouve autant des uns que des autres (50 0/0) mais nous n’avons jamais vu ce chiffre de 50 0/0 dépassé chez les enfants bien portants ou conva- lescents.

La majeure partie de nos recherches cliniques ont porté précisément sur les enfants entre 3 et à ans, pour lesquels la limite maxima des polynucléaires est 50 0/0.

Chaque fois que l’on observe un chiffre supérieur à 50 0/0 à cet âge, on est sûr que l’on a affaire à un état pathologique ; qu'il s’agit, en d’autres termes, d’une hyperleucocytose polynu- cléaire.

C’est un avantage dont on est parfois dépourvu quand on a à se prononcer sur les enfants au-dessous de 3 ans ; chez ceux-

328 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ci, les chiffres des polynucléaires oscillant dans de plus larges proportions, de 20 0/0 à 50 0/0. on est quelquefois embarrassé de préciser chez eux le degré d’hyperleucocytose.

En présence de 50 0/0 de polynucléaires chez un enfant de 18 mois, par exemple, comment qualifier cet état ?

Est-ce une hyperleucocytose, est-ce simplement l’état nor- mal? Les deux choses sont également possibles.

Il est évident qu’au delà de 50 0/0, il n’y a plus de doute; mais en deçà, l'interprétation est épineuse.

C'est pour éviter ces cas susceptibles de faire naître des doutes, que nous nous sommes bornés dans la majorité des cas d'examiner les enfants dont l’âge était entre 3 et 5 ans.

Nous avons examiné en tout 49 enfants; sur ce nombre, 14 ont été examinés à différents moments de leur maladie. Les 35 autres l’ont été d’une façon très régulière, dès le jour de leur entrée à l'hôpital, jusqu’au jour de leur sortie. |

Tous les matins, sans exception, loujours à la même heure, pour se mettre dans la mesure du possible dans les mêmes con- ditions, nous leur prélevions une goutte de sang, que nous éta- lions immédiatement sur une lame en couche mince et très uni- forme.

Le séjour des enfants à l'hôpital, sauf les cas compliqués, étant généralement de 15 jours, nous pouvions suivre pas à pas la marche de l’intoxication dans toutes ses phases, y compris celle de la convalescence.

Voici quelques courbes qui pourront donner l'idée de la réaction des polynucléaires au cours de la diphtérie ; comme dans nos courbes précédentes, nous avons pris comme abscisses les temps écoulés depuis l'entrée du malade, et pour ordonnées le nombre des polynucléaires sur 100 leucocytes.

Os. I. H...d. Gabrielle, 7 ans. Malade depuis 5 jours. Fausses membranes très étendues, épaisses et grisätres sur les deux amygdales. Luette entièrement encapuchonnée par des fausses membranes qui s'étendent un peu sur le voile du palais. Engorgement ganglionnaire assez marqué. Rien du côté du larynx. A l'examen bactériologique : bacille moyen; sur gélose, streptocoques et staphylocoques. Diagnostic : angine grave.

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 329

29 novembre, avant le sérum 41 D9

30 _ 36 64 1er décembre, = 29 rh 2 29 78 3) 3% 6 4 38 62 5 =. 37 63 6 39 65 7 40 6

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Obs. I

8 _— 40 60

9 26 74 10 34 66 11 32 68 12 30 70 13 3) 65 14 _— 26 74 15 32 68 16 _ 50 50 17 90 0 18 D4 46 19 61 39 20 60 40 21 66 34

Sortie de l'hôpital.

330 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Ons. II. J. Gaston, 3 ans et demi. Malade depuis 3 jours. Rougeur intense et uniforme des amygdales et du pharynx. Engorgement gan- glionnaire très léger. Voix conservée. Tirage léger. Plusieurs vési- cules d’herpès sur la lèvre inférieure. A l'examen bactériologique : b. moyen, streptocoques, gros diplobacilles. Diagnostic : croup.

Entré le 8 nov. ; 20 c. c. du sérum.

M. ‘0 P. 0 9 novembre 33 67 10 _ 42 DS ml 40 60 12 _ 38 62 13 32 68

14 30 70 B) 4% )6 16 DD 67 1 = 30 70 S 30 T0 19 30 70 20 27 73 91 30 70 22 40 60 23 94 66 24 99 65 25 D0 D0

Sortie.

Os. III. Z..all, Georges, 3 ans. Malade depuis 6 jours. Amyg-

dales un peu rouges; fausses membranes un peu grisàtres, mais peu épaisses. Engorgement ganglionnaire bilatéral, peu marqué. Voix conservée ;

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 331

léger tirage. A l'examen bactériologique : b. moyen; sur gélose, strepto- coques. Diagnostic : angine moyenne ; Croup. Entré le 12 nov.; 20 c. c. du sérum.

M. P. ojo 13 novembre 20 80 14 14 - 86 45 D yl 83 16 28 72 17 25 TD 18 40 60

E27t va PE ETAT ET EEE EEE] SUCER Eee ES

Températiue

Obs. III. 19 50 50 20 50 50 21 56 44 22 50 50 23 50 0 24 D) 45 25 50 50 26 75 25 27 60 40 22 DD 45

Sortie.

Oss. IV. R...er, Alphonse, 3 ans et demi. Malade depuis 4 jours. Gorge un peu rouge; fausses membranes sur chaque amygdale, un peu gri- sâtres. Engorgement ganglionnaire peu marqué. Voix couverte ; tirage

332 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

peu intense. A l'examen bactériol. : bacille très long, culture abondante. Diagnostic : angine moyenne : croup. Entré le 10 nov. ; 20 c. c. du sérum.

M. 0, P. 0)o 11 novembre 30 70 12 33 67 13 30 70 14 31 69 15 = 29 7 16 25 ris 17 30 70

FT 32 68 MR 42 58 LEE 30 70 HAUT 95 75 D RARE 29 7A DANS = 97 73 RCE 924 76 RE 50 50 ENS 50 50

Le trait caractéristique de toutes les courbes est l’augmen- tation considérable des polynucléaires comparativement à l’état normal. Leur nombre va jusqu’à 70 0/0, 80 0/0 et même 85 0/0, au lieu de 50 0/0 qui est le chiffre maximum à l’état normal.

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 333

* # *#

Dans un certain nombre de cas (20) nous avons examiné le sang chez les enfants aussitôt qu’ils sont arrivés à l'hôpital, c’est-à-dire avant que l’on leur injecte du sérum antidiphtérique. Dans plus de moitié de cas, en comparant les chiffres obtenus ainsi avec ceux du lendemain, on pouvait constater une aug- mentation notable des polynucléaires après l'injection du sérum.

Cette augmentation des polynucléaires constatée le lende- main de l'injection s’est-elle produite à la faveur du sérum? Ceci est fort probable.

En effet, nous constations souvent avant le sérum 50 0/0 de polynucléaires environ, chiffres qui comportent, comme nous le verrons plus loin, un pronostic grave. Or, il est probable que ce sont précisément ces enfants, pauvres en polynucléaires, qui n'auraient pas survécu, abandonnés à leurs propres forces, et qui avaient guéri sous l'influence du sérum qui fit rapidement élever le nombre des polynucléaires, le lendemain de l'injection.

Quant à ces enfants qui arrivent à l'hôpital déjà avec un grand nombre des polynucléaires, lequel se modifie peu ou pas du tout sous l'influence du sérum, ce sont peut-être ceux pour lesquels le sérum est un médicament de luxe, et qui auraient pu se tirer d'affaire aussi avant l’époque sérothérapique.

* # #

Quand on examine simultanément les courbes des polynu- cléaires et celles de la température, on est frappé du fait suivant : le thermomètre a beau indiquer la défervescence la plus légi- time, l’enfant a beau présenter des phénomènes généraux et locaux de plus en plus satisfaisants, et cependant les polynu- cléaires n’en cessent pas moins de manifester une suractivité remarquable. C’est qu'ils sont de beaucoup plus sensibles que tous nos moyens d'investigation.

En réalité, nous savons fort bien que l'enfant, malgré la chute de la température, malgré la disparition des phénomènes locaux et généraux, n’en est pas moins un malade qu’il serait téméraire et dangereux de considérer comme guéri : c'est ce que nous disent si bien les polynucléaires.

Ces derniers ne cessent pas de rester plus nombreux que les

334 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,

monucléaires encore pendant 5-10 jours après la chute de la température; ils ne reviennent à l’état normal que lorsque l’en- fant est entré réellement dans la période de convalescence.

De sorte que lorsqu’aucun signe physique n’est plus capable de nous révéler l’état pathologique, seuls les leucocytes restent à témoigner de la réalité de cet état.

Cet état, le médecin le devine plus qu'il ne le sait, grâce à son sens clinique, qui lui conseille de garder l'enfant pendant 10 à 12 jours au moins à l'hôpital, alors que les phénomènes visibles ont disparu depuis longtemps; et chose curieuse, c’est généra- lement au bout de 10 à 12 jours que les leucocytes reviennent à leur état normal.

Cette sensibilité extrème des leucocytes, et en particulier des polynucléaires, est significative; elle est appelée à jouer un rôle important, comme nous allons le voir, à propos du pronostic.

x # *

Le fait que dans toutes les maladies infectieuses il est donné d'observer une augmentation considérable de leucocytes (que nous proposons de désigner sous le terme de « polynucléose »), ce fait, répétons-nous, pourrait faire penser que cette polynu- cléose n’est qu'un phénomène corrélatif de l’état fébrile, lequel aussi est le compagnon constant des maladies infectieuses.

Nos observations montrent que cette supposition est tout à fait gratuite.

Déjà la simple inspection de nos tracés montre avec évidence que la polynucléose dure beaucoup plus longtemps que la fièvre. On sait que dans la diphtérie la fièvre ne se maintient qu'excep- tionnellement au delà du ou jour : cela n’empêche que les polynueléaires manifestent encore pendant 10-12 jours une suractivité que rien en apparence ne justifie. Même dans les cas de diphtérie pour ainsi dire apyrétiques (et ces cas l'état fébrile est à peine marqué ne sont pas rares), les polynucléaires n’en réagissent pas moins, comme le démontre l'observation IIL par exemple, et plusieurs autres que nous avons pu relever.

Ea polynucléose n'est donc pas un corollaire forcé de la fièvre ; elle semble plutôt être fonction de quelque autre proces- sus qui dure tant que l’enfant n’est pas entré franchement dans la période de convalescence.

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 335

Quel est ce processus ? L'observation suivante, choisie parmi plusieurs autres, nous donnera quelques indications.

O8s. V. S...chet René, 3 ans et demi. Malade depuis # jours. Gorge un peu rouge. Engorgernent ganglionnaire peu marqué. Voix couverte. Tirage intense. A l’examen bactériol. : b. long et moyen. Diagnostic : croup. Dès le lendemain de l'entrée la température monte; dyspnée intense. Les jours suivants (10 14 nov.) température très élevée; dyspnée intense, souffle, puis râles dans les deux poumons.Bronchopneumonie double. Cas très grave.

Température.

Line Ses Bee EEE ENENE

ob de

=

DEEE UM

EEE FRE Obs. V.

L'examen de cette courbe est fort instructif. Lorsqu'on met en regard les tracés thermométriques avec ceux des polynu- cléaires, on ne tarde pas à s’apercevoir qu'il existe une dis- cordance frappante entre eux aux moments critiques de la maladie.

Précisément au moment la température redevient très élevée, la diphtérie, en s'étendant aux petites bronches, prend une allure des plus défavorables et menace la vie de l’enfant, on constate que les polynucléaires, de nombreux qu'ils étaient, deviennent rares, et à certains moments on n’en trouve que 40 0/0, chiffre que l’on n’observe jamais dans la diphtérie à évolution normale; autre fait non moins intéres-

336 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

sant : la chute de la température, indiquant que l'enfant est hors de danger, est synchrone à l'augmentation très accentuée des polynucléaires.

L'étude de cette courbe est encore instructive à un autre point de vue : nous voyons que l’abaissement extrême des polynu- cléaires (10 nov.) précède l’élévation maxima de la tempéra- ture (14 nov.) ; d'autre part que l'apparition d’une polynucléose intense précède de beaucoup la chute de la température; ainsi, déjà le 16 nov. au matin, ayant constaté 86 0/0 de polynucléaires, nous avons prévu l'issue favorable de la maladie, bien que l’état de l'enfant fût loin d’être brillant et que la température restât élevée pendant les 48 heures suivantes.

Ceci montre combien sensible est la réaction leucocytaire; alors même qu'aucun changement apparent ne paraïil s’être pro- duit dans l’état du malade, ies polynucléaires mettent en garde l'observateur en lui faisant pressentir l'approche d'une nouvelle phase favorable ou défavorable.

Ces observations et plusieurs autres du même genre com- portent deux conclusions : d’abord, que la marche des polynu- cléaires n’a rien à voir avec la fièvre : loin de là, dans certains cas, ces deux phénomènes marchent dans des voies diamétrale- ment opposées; puis, et c’est un fait sur lequel nous ne sau- rions trop insister, les polynucléaires semblent marcher de pair avec l’état général du malade.

Très nombreux lorsque l’enfant s'achemine normalement vers la guérison, les polynucléaires deviennent de plus en plus rares dès que la maladie tourne mal; en d’autres termes, le degré de la polynucléose traduirait ce degré de gravité de la mala- die.

Cette conclusion n’est pas de nature à nous surprendre. Il suffit de nous reporter à nos expériences de laboratoire pour nous rappeler d'avoir rencontré déjà cette notion, sous une autre forme.

Cette coïncidence est d’autant plus précieuse qu’elle permet d'établir une harmonie complète entre le laboratoire et la cli- nique, et en plus, laisse prévoir le parti important que le clini- cien pourra en tirer pour les besoins du pronostic.

1. L'état était si mauvais que le 17 nov. on fit appeler la mère de l'enfant, la mort étant considérée comme une question de quelques heures.

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 331

* *

Si le degré de polynucléose reflète véritablement l’état du diphtérique, il est évident que dans les cas à issue mortelle les choses doivent se passer autrement que dans les cas ordinai- res, cités plus haut.

La polynucléose dans les cas mortels fait-elle vraiment défaut? Les neuf cas mortels de diphtérie que nous avons observés permeltent de donner une réponse nettement affirmative.

A l'encontre des cas ordinaires se terminant par la guérison, dans lesquels le chiffre des polynucléaires varie entre 60 0/0 et 85 0/0 en moyenne, chez les enfants devant mourir ce chiffre ne dépasse guère 50 0/0, et parfois n’est pas mème atteint.

En d’autres termes, lorsque l’enfant ne peut guérir, cela se traduit par l'impuissance dans laquelle il se trouve de mettre en œuvre un nombre de polynucléaires supérieur à celui qu'il possède à l’état normal.

Voici quelques exemples :

Os. VI. Z...er, Marcelle, 2 ans et demi. Malade depuis 2 jours (?).

Fausses membranes sur les deux amygdales. Engorgement ganglion- naire assez marqué. Voix couverte. Toux rauque. Tirage intense. A l'examen bactériologique : bacille long, coccus; sur gélose streptocoques. Diagnostic : angine grave ; croup. Tubage à l'entrée (19 déc.). Le 20 déc., détubage et tubage à plusieurs reprises ; à 10 h. du soir, trachéotomie; l’enfant est sou- lagé. Le 21 déc., le matin la tre tombe, l'enfant est assez calme; elle meurt à 6h. du soir.

19 déc, soir, 400,3; injection de 30 c. c. de sérum.

20 déc. matin, 400,3; soir, 400,4; à 9 h. s. 60 0/0 M. ; 40 0/4 P., formes intermédiaires.

21 déc. matin, 370,8; soir, 400; à 8 h. m., 56 0/0 M. ; 44 0/0 P., formes intermédiaires.

Ogs, VIL Lem...ier, 6 ans. Entré le 17 déc. à 11 h. 30 du soir.

Amygdales énormes ; elles se rejoignent sur la ligne médiane; fausses membranes épaisses, recouvrant lés amygdales. Engorgement ganglionnaire

moyen, Voix couverte. Tirage assez marqué. L'enfant est en très mau- vais état, asphyxie. A l’auscultation, souffle à la base gauche. A l'examen

bactériologique : b. long, streptoc. très nombreux ; sur gélose, streptocoques 814 5 5 ) q et staphylocoques. Diagnostic : angine jrave; croup.

Le 17, trachéotomie ; le 18 déc. l'enfant parait mieux, plus calme, bien que la respiration soit fréquente; le 19 déc., un souffle et râle fin dans le poumon gauche.

47 déc. soir. 390,8 ; 30 c. c. de sérum.

19

338 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

18 déc. matin, 390,5; soir, 390,1; à 9 h. m,. 60 0/0 M; 40 0/o P., beau- coup de formes en croissant.

49 déc. matin, 39 ; soir, 380,6; à 9 h. m. 67 0/0 M.: 33 0/0 P,, formes intermédiaires comme la veille.

Mort à 1 h. du matin.

O8s. VIII. Fr...et René, 3 ans. Malade depuis 5 jours.

Petites fausses membranes sur l’amygdale droite. Engorgement gan- glionnaire assez marqué. Voix couverte. Toux rauque. Tirage. Etat général mauvais; cyanose. A l'examen bactériol. : bacille court.

Diagnostic : angine, croup. Broncho-pneumonie.

31 janv. soir, 400,2; 20 c. c. du sérum de Roux. Caféine, éther, sérum artificiel, 200 gr.

1 fév. matin, 390,7; 50 0/0 M. 50 0/0 P. ; soir, 400; 50 0/6 M. ; 50 0/o P. --- Mort dans la nuit.

Oss. IX. H...on, Gaston, 6 ans. Malade depuis 4 jours. Entré le 15 déc. Mucosités abondantes dans la gorge; il est très difficile de voir les amyg- dales ; il semble cependant qu'il y a une plaque blanche à droite. Engor- gement ganglionnaire très peu marqué. Voix couverte. Toux rauque. Tirage intense. A l'examen bactériologique : b. moyen et long; sur gélose, streptocoque pur. Diagnostic : angine 2noyenne, croup.

Le 16 déc., broncho-pneumonie double.

15 déc. soir, 380,8; 30 c. c. de sérum. Avant le sérum 31 0/0 M. 69 0/0 P.

16 déc. matin, 400,1 ; soir, 390,4; à 9 h. m. 21 0/4 M.; 79 0/6 P.

17 déc. matin, 400,2; à 9 h. m. 62 0/, M. ;,38 0/0 P., formes intermé- diaires en abondance. Soir, 390,8; à 7 h. s. 60 0/, M.; 40 0/0 P., formes intermédiaires en abondance.

Mort à 9 h. du soir.

Ogs. X. Gir...et, Maurice, 3 ans et demi. Malade depuis 4 jours. Amygdales hypertrophiées; l’amygdale droite recouverte par des fausses membranes, très peu à gauche. Engorgement ganglionnaire peu marqué.

Voix couverte; toux rauque; tirage intense. L'enfant à l’état d'asphyxie. A l'examen bactériologique : bacille moyen et court, staphyloc. et strepto- coque. Diagnostic : angine moyenne, croup. Broncho-pneumonie.

8 fév. matin, 39°,2; soir, 40°; 30 c. ec. du sérum de Roux.

9 fév. matin, 39°,9; soir, 390,8; à 9 h. m. 50 0/0 M.; 50 0/0 P., éther, caféine, sérum artificiel.

40 fév. matin, 390,6; à9 h. m. 68 0/0 M.; 32 0/0 P.

Mort à 3h. de l'après-midi. |

L *# #

L'examen attentif des leucocytes dans des cas mortels permet de constater une particularité qui mérite de nous arrêter. Quand on examine le sang provenant des enfants sur le

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE, 339

point de mourir, et qu’on veut établir les rapports exacts entre polynucléaires et mononucléaires, on est souvent fort embar- rassé, et voici pourquoi: A côté des leucocytes à caractères bien tranchés, on en trouve d’autres dont le noyau désoriente tous vos calculs : à chaque instant vous vous heurtez à un leucocyte que vous hésitez à qualifier de polynucléaire, parce qu’il a le caractère de mononucléaire et ne l'est pas cependant. On n’est dans le vrai que lorsqu'on constitue un groupe à part pour leucocytes; nous le désignerons sous le nom de « formes in- termédiaires ».

Ces formes sont caractéristiques pour les cas mortels, quoi- qu'on ne les rencontre pas dans tous les cas. Leurs noyaux se présentent sous des aspects assez variés : tantôt ils pren- nent la forme d'un biscuit étranglé au milieu, tantôt d’un arc de cercle, forme la plus fréquente; par-ci par-là on trouve des noyaux en marteau dont la grosse extrémité, bien que fai- sant corps avec le reste du noyau, simule un polynucléaire vrai.

Chaque fois que ces formes intermédiaires apparaissaient chez les enfants diphtériques, la mort ne se faisait pas long- temps attendre.

*

* *

Maintenant que nous sommes renseignés sur le caractère de la leucocytose dans différentes phases de la diphtérie, nous pou- vons aborder le problème du pronostic, question très importante pour les cliniciens, étant donné que dans la diphtérie, maladie à surprises par excellence, on manque sous ce rapport de bases tant soit peu solides. La question a été beaucoup débattue; nous n’entrerons pas dans les détails qu’on trouvera dans les traités de médecine; beaucoup de signes pronostiques ont été proposés, mais toujours est-il qu’en présence d’un enfant bien malade on est très embarrassé., Les indications fournies par la tem- pérature et le pouls sont précieuses, et MM. Martin et Chail- lou ont eu raison d’y insister, mais si importantes qu'elles soient, souvent elles se montrent impuissantes à prévoir l’issue de la maladie. (Filatow.)

Nous avons cherché à appliquer à la question du pronostic les données que nous venons d'acquérir sur la leucocytose dans ses différentes manifestations,

340 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

D'un côté, l’enfant guérit et les polynucléaires dépassent de beaucoup le chiffre normal ; de l’autre côté, l'enfant meurt et les polynucléaires ne dépassent guère 50 0/0, le chiffre maximum à l’état normal.

Nous avons vu en plus que lorsqu'au cours [de la diphtérie la maladie s'aggrave, les polynucléaires baissent (observ. V). Tous ces faits dont le caractère commun se retrouve dans toute l'histoire de la leucocytose, soit expérimentale, soit clinique, uous autorisent à formuler la proposition suivante, qui a été confirmée par de nombreuses observations :

Lorsque le lendemain et surlendemain de l'injection du sérum, l'enfant présente plus de 60 0/0 de polynucléaires, le pronostic est favo- rable quels que soient la température, le pouls et l'état général.

Pour plus de süreté, il est bon de renouveler l'examen du sang ; si le nombre de polynucléaires va en augmentant, la gué- rison peut être considérée comme certaine.

Si au contraire, chez un enfant, âgé de 3 ans ou plus, la tem- pérature est élevée, et si, malgré le sérum, le chiffre des polynucléaires se maintient à 50 0/0, le pronostic est mauvais : si ce chiffre est inférieur à 50 0/0, si la température reste élevée et si on apercoit dans le sang des « formes intermédiaires », l'enfant peut être considéré comme perdu, même si l’état général paraît s'améliorer.

Il va sans direqueces formules ne s'appliquent qu'aux cas de diphtérie avérée, confirmée par l’examen bactériologique, et pure, c’est-à-dire, non compliquée d’autres maladies (rougeole, scarlatine, etc.).

Quant à la broncho-pneumonie se déclarant si souvent au cours de la diphtérie, nous ne la considérons pas comme une maladie à part, ce qui revient à dire que la diphtérie com- pliquée de broncho-pneumonie est justiciable du mème pronostic que la diphtérie pure ‘.

En résumant les données principales fournies par nos tracés graphiques, nous voyons que :

1. Dans l’intoxication par doses massives, les polynu-

ue Tee *. a 5 cléaires décrivent une courbe ayant la forme parabolique, à maxi- mum unique survenant douze à seize heures après l’inoculation ;

1. Rappelons à ce propos que Belfanti a pu reproduire expérimentalement la broncho-pneumonie en injectant aux animaux de laboratoire la toxine seule,

LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 341

au delà de ce maximum les polynucléaires décroissent rapide- ment et régulièrement jusqu’à la mort.

2. Dans l'intoxication lente tuant en plusieurs jours, la marche des polynucléaires est représentée par des courbes à oscillations assez étendues, ayant pour caractères essentiels : de se maintenirtoujours au-dessus du taux normal, et de ne s'interrompre à aucun moment de l’intoxication.

3. Au cours de l’immunisation, la réaction leucocytaire est très manifeste, surtout pendant les premières heures et jours qui suivent l'injection.

4. L'animal intoxiqué parune dose massive de toxine et sauvé par le sérum reste malade « polynucléairement » pen- dant 12 à 15 jours, durant lesquels on observe les mêmes oscilla- tions que dans le cas d'intoxication lente, avec cette différence que cette fois-ci les leucocytes finissent par prendre le dessus, ce qui se traduit par un rétablissement progressif et graduel du chiffre normal.

5. Les enfants diphtériques en voie de guérison ont une hyperleucocytose polynucléaire très nette, laquelle dure, en moyenne, 12 à 15 jours jusqu’à la guérison complète.

6. Lorsque l’évolution de la diphtérie n’est pas régulière et qu’aucours de la maladie surviennent des phénomènes entravant la guérison, on constate une corrélation frappante entre le degré de la polynucléose et la gravité de la maladie.

7. Les enfants qui ne peuvent pas guérir malgré le sérum présentent un état leucocytaire que l’on n’observe jamais dans les cas se terminant par la guérison : ils ne présentent guère l’hyperleucocytose polynucléaire caractéristique.

8. Le degré de la polynucléose après l'injection du sérum antidiphtérique constitue un des éléments les plus sûrs de pro- nostic dansla dinhtérie : c’est l’hémopronostic.

11 s'ensuit donc que toutes nos expériences, si variées qu’elles soient, qu’elles aient trait aux animaux de laboratoire ou qu’elles se rapportent aux enfants diphtériques, sont unanimes à témoigner desrelations intimes entre les leucocytes et la toxine diphtérique. Dans toutes ces différentes manifestations, le jeu des leucocytes reste invariablement fidèle à la conception phagocy- taire qui, elle seule, est capable d'expliquer les moindres détails

342 -ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

de toutes les variations leucocytaires subies par l'organisme intoxiqué.

Nos recherches cliniques ont été faites à l'hôpital des Enfants- Malades (pavillon Trousseau) ; nous avons à cœur d’apporter nos profonds remerciments à M. le D' Sevestre, chef de service, pour avoir très obligeamment mis à notre disposition ses ma- lades diphtériques; nous exprimons également notre sincère reconnaissance à M. Méry, chef du laboratoire, professeur agrégé, et à M. Bonnus, interne des hôpitaux, pour les nombreux services qu'ils nous ont rendus au cours de nos études à l'hôpital.

BIBLIOGRAPHIE

Nicoras et Courmonr, Archives de médec. expérim., 1897. SCHLESINGER, Archiv. f. Kinderheilk:unde, Bd. XIX, 378. STIÉNON, Annales de la Soc. royale de Bruxelles, 1896. GABRITCHEWSKY, Annales de l'Institut Pasteur, 1894,

SUR LB MÉCANISME DE D'IMMENISATION CONTRE LES VENINS

Par ze D' A. CALMETTE

Directeur de l'Institut Pasteur de Lille.

L'étude des venins, qui a fait l’objet de nombreuses recherches dans ces dernières années, est très commode pour préciser nos connaissances sur les réactions cellulaires à l’égard des toxines, L'analogie étroite que présentent les venins avec quelques toxines microbiennes d’une part, et, d'autre part, la rapidité et la précision plus grandes de leur action, permettent au physio- logiste de varier à l'infini les conditions de ses expériences sans s’exposer aux causes d'erreur qui peuvent exister lorsqu'on expérimente avec des toxines provenant de cultures différentes, ou avec des animaux dont la résistance individuelle à l'égard de certains poisons est très variable.

Les travaux que j'ai publiés depuis 1883 sur l’envenimation et sur la sérothérapie antivenimeuse ont nettement établi :

Que les venins de tous les reptiles venimeux des divers pays du monde présentent entre eux des analogies très étroites, et qu’un animal artificiellement immunisé contre un venin très actif, comme celui de naja ou de bothrops, est très réfractaire à l'intoxication par tous les venins moins actifs que ceux aa ont servi à le vacciner; ;

20 Que le sérum des chevaux vaccinés contre des doses con- sidérables de venins très actifs possède un pouvoir préventif et un pouvoir curatif tellement intenses, qu’il est capable de com- muniquer en quelques minutes, aux animaux neufs auxquels on l'injecte, une insensibilité absolue à l'égard de tous les venins;

Que la quantité de sérum curatif que doit recevoir un animal intoxiqué par le venin est inversement proportionnelle à son poids, quand on expérimente sur des cobayes, des lapins et des chiens par exemple, et directement proportionnelle à la quantité de venin qu'il a reçue; il suffit de 1 c, c. 1/2 du

344 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

sérum que je possède actuellement, pour immuniser un lapin de 2 kilogr. contre une dose de venin mortelle en 15 minutes par injection intra-veineuse, et pour préserver un chien de 10 kilogr. contre une dose de venin mortelle en 3-4 heures par voie sous-cutanée.

Le traitement sérothérapique des morsures venimeuses chez l’homme et chez les animaux est maintenant répandu et adopté dans tous les pays, sans qu'aucun échec ait encore été signalé, de sorte qu'il n’est plus utile d’en discuter les avantages. Mais il reste encore beaucoup de points de détail à élucider dans le mode d’action des venins, et, pour la raison que j'indiquais tout à l'heure, cette sécrétion toxique normale des ophidiens veni- meux présente un intérêt très grand au point de vue biologique.

Je poursuis actuellement à l’Institut Pasteur de Lille, en collaboration avec M. Guérin, médecin-vétérinaire, et M. le D' Wehrmann, de Moscou. une série d'expériences qui ont pour but de déterminer le rôle respectif que jouent le système ner- veux, les leucocytes et les diverses humeurs de l’organisme dans l'immunité arlificielle contre les venins.

Les recherches de Fraser d'Édimbourg, puis celles de M. Phisalix, du Muséum d'histoire naturelle de Paris, sur le pouvoir préventif de la bile, du glycocholate de soude, de la cholestérine, et aussi de la tyrosine de la carotte ou des tuber- cules de dahlia sur le venin ont attiré notre attention, parce que nous avions observé, de notre côté, qu'on pouvait très facile- ment augmenter la résistance des animaux à l’égard de ce même poison en leur injectant préventivement du sérum antitétanique, du sérum de chiens vaccinés contre la rage, certains sérums normaux de cheval ou de chien, et même, dans quelques cas, du bouillon normal de bœuf fraîchement préparé.

Nous avons alors entrepris de vérifier si, dans ces cas, il s'agissait d'une véritable immunité plus ou moins durable, ou si l’on avait affaire seulement à des phénomènes de résistance cel- lulaire, essentiellement passagers et ne présentant aucun carac- tère de spécificité.

Nous nous sommes proposé d'étudier de plus près le pouvoir préventif de la bile et de la cholestérine, et nous avons fait un nombre considérable d'expériences avec des échantillons de bile de divers animaux, et avec de la cholestérine pure.

IMMUNISATION CONTRE LES VENINS. 345

Pour ce qui concerne la bile, nous avons constaté, comme M. Fraser, que cette humeur détruit le venin in vitro, c'est-à-dire en mélange, à la condition toutefois qu’on opère avec des doses de venin très voisines de la dose mortelle limite.

Tous les venins, comme d’ailleurs certaines toxines micro- biennes, la toxine tétanique par exemple {Wehrmann), mis en contact pendant 24 heures avec une certaine quantité de bile fraîche, perdent leur toxicité et ne produisent aucun effet nui- sible lorsqu'on injecte le mélange à des animaux neufs. Il semble que la bile exerce sur le poison un pouvoir digestif,

La bile chauffée à 100°, et même à 120°, est encore active, quoique plus faiblement. Chauffée à 120°, elle ne l’est plus si l’on a soin de la filtrer sur papier pour éliminer les substances précipitées par la chaleur.

Mais lorsqu'on injecte la bile quelques heures, ou même 24 heures avant le venin, et à doses relativement élevées (4 c. c. 5 ou 2 c. c. de bile de bœuf par exemple pour un cobaye de 500 grammes), on n’observe aucun pouvoir préventif. De même, injectée après le venin, elle n’exerce aucun effet théra- peutique et ne modifie pas la marche de l’envenimation.

Il importe de remarquer que, pour vérifier ces expériences, on doit éprouver les animaux avec des doses de venin sûrement mortelles en 2-3 heures, car si on n’injecte que des doses mor- telles en 5-6 heures, comme le fait M. Phisalix, on trouve environ quatre cobayes, sur dix de même poids, qui survivent après avoir été plus ou moins malades, et sans injection préventive de bile.

Nous avons injecté directement dans la vésicule biliaire de lapins une dose mortelle de venin, et dans ces cas, la mort est toujours survenue à peu près en même temps que chez les animaux qui recevaient la même dose sous la peau (en 1 h. 1/2 à 2 heures). Dans ces expériences, le venin est probablement absorbé avant d’avoir pu être modifié ou détruit par la bile, UE nous avons vu que cette destruction ne peut s’opérer qu'après un assez long contact.

En expérimentant avec de la cholestérine pure de Merck, fusible à 146°, et dissoute dans l’éther ou dans l’huile de pieds de bœuf, nous avons constaté que cette substance, même à doses élevées (1 c.c. de solution éthérée saturée), ne possède pas de pouvoir préventif réel. Elle retarde la mort de 1 à 5 jours

346 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

lorsqu'on l’injecte 2 à 4 heures avant une dose de venin mortelle en 3 à 4 heures. Mais si on l’injecte 48 heures avant le venin, elle ne produit aucun effet préventif.

Or. nous avons pu nous convaincre que beaucoup de sub- stances d'origines très diverses pouvaient donner lieu aux mêmes phénomènes de retard ou d'arrêt dans l’intoxication. Nous avons observé, par exemple, que le bouillon normal frais, injecté à la dose de 5 ou 10 c.c. 2 heures avant le venin, ou des quantités variables de certains sérums normaux ou antité- taniques, possèdent des propriétés préventives semblables. Il n'est pas possible d'envisager ces faits comme démontrant une spécificité réelle de la bile, de la cholestérine, de certains sérums ou du bouillon normal de bœuf à l’égard du venin. Nous pen- sons qu'il faut les interpréter tout simplement dans le sens d’une stimulation passagère des leucocytes qui ont pour mission de fixer le venin et de le véhiculer vers les éléments nerveux qu'il doit frapper de mort,

Le rôle des leucocytes dans la fixation du venin nous paraît très important, car l'introduction de ce poison dans l’organisme, localement ou par voie intraveineuse, s'accompagne toujours d’une hyperleucocytose manifeste, et, d'autre part, si on injecte à un animal neuf une dose de venin diluée dans une petite quantité d’exsudat leucocytaire frais, on observe toujours un retard considérable dans l’envenimation et, très souvent, la survie.

Nous avons voulu rechercher si les éléments du système nerveux possèdent à l’égard du venin les mêmes propriétés que Wassermann et Takaki leur ont reconnues dernièrement à l'égard de la toxine tétanique. Nous avons fait plusieurs expé- riences avec des émulsions de cerveau de lapin et avec des émulsions de cerveau de serpent (bothrops lanceolatus.)

Aucune de ces émulsions n’a manifesté le moindre pouvoir antitoxique in vitro ou préventif. Il n’y a donc pas d’analogie d'action entre ce qui se passe dans les éléments nerveux vis-à-vis de la toxine tétanique et vis-à-vis du venin.

Nous avons été amenés à nous demander si, après avoir immunisé passivement des lapins, par exemple, avec du sérum antivenimeux, il ne serait pas possible de faire perdre à ces ani- maux leur immunité en leur injectant certaines substances

[IMMUNISATION CONTRE LES VENINS. 341

capables d'agir énergiquement sur les cellules nerveuses du cerveau, du bulbe et de la moelle, et en les éprouvant ensuite avec une dose sûrement mortelle de venin. Nous nous proposions de voir, par ces expériences, si le sérum antivenimeux (dont d'action est si rapide et si intense qu'aucun autre sérum anti- toxique ne peut lui être comparé à cet égard) agit sur les éléments nerveux ou sur les leucocytes.

Avec môn collaborateur M. Guérin, j'ai injecté à une série de lapins une dose de sérum antivenimeux suffisante pour les immuniser solidement (2 c.c. contre une dose de venin sûrement mortelle en 15 minutes par injection intraveineuse.)

L'un de ces animaux a reçu 3 milligrammes de curare, et une heure après, pendant l’intoxication curarique, il a été éprouvé avec le venin et a résisté.

D'autres lapins ont reçu, après le sérum antivenimeux, de l'alcool éthylique pur (20 ce. c. d’une dilution à 50 0/0 sous la peau): du chloral (05,45) dans les veines; du bromure de potassium (0,3) dans les veines ; du sulfate de strychnine (0s',0003) dans les veines; puis, quelques instants après, la même dose de venin mortelle en 15 minutes.

Aucun de ces animaux n’est mort. Donc aucune de ces sub- stances toxiques qui ont une action élective sur les éléments nerveux n’a pu supprimer l’immunité passive conférée préala- blement par le sérum antivenimeux.

Nous avons répété les mêmes expériences en injectant les substances toxiques d’abord, puis le sérum antivenimeux, puis le venin. Aucun des animaux ainsi éprouvés n’a succombé.

Deux conclusions se dégagent donc de nos expériences :

On ne peut pas considérer l’action antitoxique de la bile, de la cholestérine, etc... pas plus que celle de certains sérums normaux ou antitétaniques ou antirabiques, etc... comme une action antitoxique vraie, c'est-à-dire spécifique à l'égard du venin. On a tout simplement affaire ici à des effets de stimulation cellulaire, mais ces effets sont très passagers et peuvent être produits par des substances très différentes ;

Après l'injection de sérum antivenimeux, ce sérum mani- feste son action préventive, malgré que l'on se soit efforcé de diminuer la résistance des éléments nerveux par l'injection de divers poisons qui agissent sur ces derniers,

PREMIÈRES EXPÉRIENCES sr l'emploi du sérum euratt et préventt de la Üévre Jak,

Par Le Pror. D' JOSEPH SANARELLI

Directeur de l’Institut d'hygiène de Montevideo.

Il n’est qu'une voie aujourd'hui qui puisse conduire à un traitement spécifique de la fièvre jaune : c’est la sérothérapie.

L'espoir de pouvoir obtenir un sérum doué en même temps de propriétés curatives et préventives est basé sur l'observation pratique de deux phénomènes importants :

L'accoutumance au virus chez les gens nés dans les pays à fièvre jaune ou y ayant vécu longtemps, « l’acclimatation » comme on dit vulgairement, et l’immunité acquise après une attaque de la maladie,

Ce dernier fait est compris dans les lois générales qui régissent presque toutes les maladies infectieuses aiguës. Quant à l’acclimatation, on ne peut guère y voir autre chose aujour- d’hui qu’un phénomène de mithridatisation par le poison amaril, phénomène que nos connaissances actuelles nous permettent de comprendre facilement.

L’accoutumance facile et rapide aux petites doses de ce poison, bien mise en lumière par mes expériences sur l’homme, donne une idée approximative de ce qui arrive probablement dans la nature.

Le sérum destiné à la préservation et au traitement de la fièvre jaune chez l’homme, provient des animaux vaccinés contre le bacille ictéroïde et supportant une dose de virus amaril plusieurs fois mortelle; mais cela ne suffit pas, etil faut encore qu'il soit capable de prévenir et de guérir l'infection amarile expérimentale chez les cobayes.

Je crois inutile de m'étendre sur la préparation de ce sérum;

4. Résumé d’une conférence faite le 8 mars 1898 à la Société de médecine et de chirurgie de Saint Paul (Brésil).

SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 349

elle ne diffère des autres que par la difficulté qu'on rencontre à vacciner solidement les animaux. Chez les chevaux, il faut pour cela un traitement intensif assidu de 12 à 14 mois.

Le sérum anti-amaril n’agit pas comme le sérum anti-diphté- rique.

Je n’ai pas encore constaté chez les animaux vaccinés la pré- sence de substances antitoxiques.

Les chiens qui, après un an et plus de vaccination intensive, peuvent tolérer une dose de virus plusieurs fois mortelle, vomis- sent, tombent en prostration et présentent une forte élévation de température à chaque nouvelle injection.

Voici un exemple : un chien bien vacciné, en traitement depuis plus de 15 mois, et qui fournissait un sérum curatif et préventif excellent pour les cobayes, mourut en 48 heures, après une phlébite oblitérante qui avait permis une multiplication accidentelle des bacilles ictéroïdes injectés; à l’autopsie, tous les viscères étaient stériles et le foie tellement dégénéré en graisse, que l’analyse chimique donna 32, 72 0/0 de substance grasse *, quantité de beaucoup supérieure à celles signalées jusqu'ici,non seulement dans la fièvre jaune et dans les autres maladies stéatogènes de l’homme, mais aussi dans les plus graves intoxi- cations expérimentales par le phosphore ou l’arsenic.

Tout ceci démontre, jusqu'à l’évidence, que l’état vaccinal n’est pas, jusqu'ici. caractérisé par la présence de substances anti- toxiques, et que le sérum anti-amaril ne peut avoir une action efficace que lorsque la quantité de poison formée dans l'orga- nisme n’a pas atteint la dose mortelle pour le-malade.

Ce sérum, comme plusieurs autres déjà connus, mais qui n’ont pas été employés avec succès hors des laboratoires, agit donc contre les microbes et non pas contre leurs toxines; il est bactéricide et non pas antitoxique.

Son emploi dans le traitement de la fièvre jaune pourra donc être efficace seulement dans les cas d'intervention précoce. Ceci constituera certainement le principal obstacle à l'emploi pra- tique de la sérothérapie contre la fièvre jaune.

Cette maladie se présente à ceux qui ne l'ont pas vue de près,

A. Le foie des chiens vaccinés contre le bac. ictéroide est loujours normal, ainsi que nous avons pu le constater à l’autopsie de quelques chiens morts après des accidents traumatiques ou opératoires.

390 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

et en particulier aux médecins européens qui n’ont pas voyagé, avec un aspect différant beaucoup de la réalité.

On la compare souvent au choléra, et on s’imagine que sa lésion principale, son siège d'élection, presque spécifique, est le tube gastro-intestinal.

Contrairement à cette idée, j'ai montré que la fièvre jaune doit entrer dans le groupe des maladies typhiques : c’est une maladie fébrile, essentiellement toxique, et dont les complica- hons les plus graves et les plus importantes sont loin d’être confinées au tube digestif.

Très souvent les malades présentent déjà de l’albuminurie, de l’anurie et sont même en délire, sans avoir accusé aucun symptôme du côté du tube digestif.

Dans certaines épidémies, les phénomènes hémorragiques et intestinaux constituent presque l'exception, tandis que l’alté- ration précoce, immanquable et inexorable est l’anurie.

Or, lorsque le filtre rénal est frappé par la toxine amarile, et qu'en outre de l’intoxication spécifique, l’organisme doit résister à l’empoisonnement urémique, toute intervention séro- thérapique reste inefficace et aléatoire.

Au commencement de cette année, j'avais déjà un bon sérum, très actif chez les animaux de laboratoire, et provenant de deux chevaux À et E, en traitement, le premier depuis 18 mois et le second depuis un an. Je possédais en plus un bœuf, lequel, après une année de traitement, fournissait un sérum doué d’une action assez faible.

Je désirais essayer ce sérum chez l’homme malade, et je dois à mon confrère et ami le D' Seidl, directeur de l'hôpital de Saint-Sébastien à Rio de Janeiro, les premières observations sur l’action réelle du sérum anti-amaril.

Le Dr Seidl, avec les D Fajardo, Couto et da Rocha essayèrent le sérum A, que j'avais envoyé en décembre 1897, sur 8 malades, qui présentaient, aux différentes périodes, les symptômes les plus caractéristiques de la fièvre jaune.

Sur ces 8 malades, cinq étaient déjà au jour de la «maladie et dans des conditions assez graves : 4 présentaient déjà de l’anurie ou étaient en délire. Le dernier des 5, bien qu'en conditions très graves, ne présentait encore ni anurie mi délire, et fut le seul qui guérit, ayant recu en tout 80 c. c. de sérum.

SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 301

Des trois autres malades soumis au traitement sérothérapique à l’hopital Saint-Sébastien de Rio de Janeiro, 1 était au jour et 2 au jour de la maladie; ils avaient tous les symptômes principaux et assez graves de la fièvre jaune, y compris l’albu- minurie, mais la diurèse se faisait régulièrement et le système nerveux ne paraissait pas atteint.

Ces 3 malades guérirent après un traitement sérothérapique énergique, et dans les tracés thermographiques qui m'ont été remis par le D' Seidl, on constate parfaitement que chaque injection de sérum était suivie d’une descente de la tempéra- ture. Dans le seul cas l’application du sérum fut faite le second jour de la maladie, une seule injection fut suffisante pour abaisser de suite la température, pour arrêter les symplômes les plus imposants de l'infection, et pour faire entrer le malade en franche et rapide convalescence.

Ces premières recherches d'orientation présentaient donc un intérêt, facile à saisir, et m'ont fait souhaiter d’employer le sérum anti-amaril sur une plus vaste échelle, afin d'établir exactement sa valeur et ses indications dans le traitement de la fièvre jaune.

L'occasion se présenta pour moi au moment précis, grâce à l’'aimable invitation qui me fut faite, au mois de janvier dernier, par les autorités et par le corps médical de l’État de Saint-Paul au Brésil.

L'Etat de Saint-Paul, le plus riche de la République brési- lienne, pays d'immigration, traverse aujourd'hui une triste période, depuis que la fièvre jaune, qui jusqu'à ces dernières années n'avait pas quitté les côtes, s'est diffusée et a envahi comme un incendie presque toutes les villes et presque tous les villages de l’intérieur, semant des ruines partout.

La voie de cette diffusion rapide de la maladie dans l’état de Saint-Paul est l’immigrant, contaminé au port de débarquement, et allant constituer à l’intérieur du pays des nouveaux foyers de la maladie. (AE

La fièvre jaune est bien plus grave à l’intérieur du pays, et atteint une mortalité bien plus élevée que celle qu'on observe dans les côtes, par exemple, à Rio de Janeiro, à Santos ou à Pernambuco.

Dans ces dernières villes, les immigrants en général ne

302 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

séjournent pas; la fièvre jaune atteint en général des indigènes, ou tout au moins des gens relativement acclimatés par un séjour plus ou moins long, et la mortalité ne dépasse pas 50 à 60 0/0 des malades.

Dans l’intérieur du pays, au contraire, la maladie trouve un élément neuf, européen, récemment arrivé, non encore habitué au climat et au genre de vie des pays intertropicaux, et par suite extrèmement faible et sans défense. La mortalité est d’alors 80 ou 90 0/0 des malades, et il y a eu à Campinas, à Rio-Claro, à Araraquara, et sur d’autres points, des épidémies comparables seulement aux invasions légendaires de la peste au moyen âge.

Le Gouvernement et la Direction des services sanitaires de l'état de Saint-Paul, préoccupés avec raison de cet état grave de choses, voulurent que mes premières expériences de sérothé- rapie humaine fussent faites de facon à rendre possible une opi- nion définitive sur leur valeur réelle.

On désigna une commission officielle d’hygiénistes distin- gués, constituée par MM. : D' Silva Pinto, directeur des Services sanitaires de l'État, Dr C. Ferreira et Vieira de Mello, inspec- teurs sanitaires, et le D' C. Espinheira, directeur de l’hôpital d'isolement à Saint-Paul.

On ajouta à cette commission le Dr Ad. Lutz, directeur [de l’Institut bactériologique de Saint-Paul, et ses assistants, les D'S A. Menzouça et Vital Bazil.

L'endroit choisi pour l'expérience fut San Carlos do Pinhal, ville d'environ 25,000 habitants, située à 820 mètres d'altitude, et à huit heures de chemiu de fer de Saint-Paul.

A San Carlos, la fièvre jaune est aujourd’hui installée à demeure, mettant en fuite presque tous les habitants, qui cher- chent asile dans les campagnes voisines, et continuant ses ravages parmi les rares travailleurs qui sont encore restés dans la ville déserte. |

Voici le résumé de mes résultats que, sur la demande de la Commission officielle sanitaire de Saint-Paul, j'ai déjà exposés dans une conférence faite le 8 mars dernier, devant la Société de médecine et de chirurgie de cette capitale.

Le sérum que j'allais employer dans ces premières expé- riences sérothérapiques provenait, comme je l'ai dit plus haut, de trois animaux.

SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 333 _

J'avais déjà essayé depuis longtemps le sérum de cheval chez les animaux et je l'avais trouvé d’une puissance vraiment remarquable; je lavais aussi essayé chez l’homme dans un but préventif, en me l'injectant moi-même, quelques jours avant mon départ de Montevideo et pendant mon séjour à Sau Carlos d6 Pinhal. Ces injections, même à doses assez élevées, m'ont démontré que le sérum des chevaux vaccinés contre la fièvre jaune était parfaitement toléré, et pouvait par conséquent être employé sans danger dans le traitement de cette maladie.

Le sérum de bœuf ou sérum F, comme j'ai l'habitude de l'appeler, s’était montré, dans les expériences sur les animaux, d'un pouvoir curatif assez faible, ce qui m’avait décidé à ne l’'employer que dans un but prophylactique.

Arrivé à San Carlos, nous trouvàmes à l’hôpital d'isolement très peu de malades ; la plupart des gens préféraient rester chez eux pour y mourir; les seuls malades à ce moment à l’hôpi- tal étaient deux enfants nommés Louis et Assunta del V..., ramassés dans la maison leur père était déjà mort de fièvre jaune.

Ces deux petits malades présentaient les symptômes carac- térisques de la maladie, y compris le vomüto negro: Louis était au second jour et Assunta au troisième de la maladie. Ils furent soumis de suite au traitement, dont les résultats furent presque immédiats : la fièvre et l’albuminurie disparurent, les symptômes généraux s'atténuèrent et les deux enfants entrèrent en franche convalescence, ayant reçu, pendant toute la maladie, l'injection d’une quantité de sérum vraiment peu élevée : Assunta 20 c. c. et Louis 65 c. c.

Nous avons ainsi traité jusqu’au 17 février six autres malades ; un de ceux-ci, Raphaël M... anurique et albuminurique à son entrée à l'hôpital, n’éprouva aucun soulagement; comme il était à supposer, l’anurie suivit son cours et le malade mourut au jour.

Des 5 suivants, 4 entrèrent en convalescence, après avoir présenté des incidents plus ou moins importants, et avoir néces- sité un traitement sérothérapique assez prolongé. Le dernier succomba au dixième jour de maladie, avec des lésions céré- brales.

Cette première série de nos expériences (2 morts et 6 guéri-

20

304 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

sons) nous avait renseignés sur l’efficacité et Les effets du traite- ment sérothérapique à petites doses.

Je dirai de suite que ces doses se montrèrent insuffisantes. De plus, on acquit la conviction que, lorsqu'on n’arrivait pas, avec la première injection, à arrêter tout de suite le processus infec- tieux, la maladie reprenait son cours, après une rémission pas- sagère, et l'organisme, déjà en proie aux phénomènes toxiques, devenait incapable de retirer un bénéfice réel des injections ulté- rieures de sérum.

Dans les cas terminés par la guérison, après une élévation de température, qui accompagne presque sans exception et comme une sorte de réaction spécifique les premières injections de sé- rum, surtout lorsqu'elles sont pratiquées dans les veines, la fièvre disparaissait pour ne plus revenir, et le thermomètre n’accusait les jours suivants que quelques oscillations insigni- fiantes et passagères. En même temps les phénomènes de la période d'invasion déclinaient et disparaissaient, sans qu'aucun des accidents de la troisième période apparüt.

L'absence des phénomènes hémorragiques a accompagné d'une facon constante et a caractérisé notre traitement sérothé- rapique.

Au point de vue de la diurèse, ces premières expériences mirent bien en évidence un fait important, quis’est répété depuis chez presque tous les malades soumis aux injections de sérum.

Dans la plupart des cas, en effet, nous avons constaté une in- fluence extrêmement favorable sur la sécrétion rénale, au point parfois de provoquer une véritable polyurie ; même dans les cas terminés par la mort, l’anurie ne fut jamais complète ni précoce.

Or, si l’on considère que dans l’épidémie actuelle de San Car- los, le symptôme dominant, précoce et fatal, chez presque tous les malades, est l’anurie, l’action directe exercée par le traitement spécifique sur lacomplication la plus insidieuse et la plus redou- table de la fièvre jaune apparaît évidente.

Dans le cours de cette première série de recherches, un autre phénomène frappa notre attention. L

Chez quelques malades et à cause de leur excessive sensi- bilité ou de la médiocrité des résultats obtenus chez eux par les injections sous-cutanées, nous eùmes l'idée de recourir aux injections intra-veineuses de sérum.

SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 399

La technique de ces injections intra-veineuses, qu’on prati- que toujours dans les veines superficielles de l’avant-bras, est tellement simple et tellement sûre, qu’elle ne doit pas être con- sidérée comme une méthode d'exception dans la pratique médi- cale.

L'action des injections intra-veineuses de sérum anti-amaril, chez les malades de fièvre jaune, est extrêmement intéressant.

De suite après l'injection, même à faible dose (15 c. c.), le malade reste tranquille ; au bout de quelques minutes, on observe une congestion légère des téguments, surtout au niveau des régions pectorales et de la face; les conjonetives s’injectent, le pouls devient plus fort, moins fréquent, et atteint souvent le chiffre normal; le malade éprouve une sensation de chaleur à la tête, a quelques quintes de toux, parfois des nausées, et présente sur plusieurs points du corps un léger érythème cutané, sous forme d’urticaire.

Quelques heures après, la température s'élève, ce qui se traduit au tracé thermographique; cette élévation réactive est suivie dans la plupart des cas d’un abaissernent durable du pro- cessus fébrile et d'une amélioration générale plus ou moins per- sistante.

Profitant de ces observations préliminaires, nous fümes d'accord, mes collègues et moi, pour imprimer une direction un peu différente au traitement sérothérapique des malades à venir; nous résolùmes d'intervenir rapidement, avec de fortes doses de sérum et en choisissant la voie intra-veineuse, dans le but d'introduire en une seule fois dans l’organisme malade la quan- tité de sérum nécessaire pour arrêter le processus infectieux à ses débuts.

Cette méthode, que nous appelions conventionnellement « méthode intensive », nous a donné des résultats bien supé- rieurs aux précédents et que nous pouvons considérer, au moins pour le moment, comme définitifs.

Je crois cependant utile de dire que les injections intra-vei- neuses de fortes doses de sérum doivent être pratiquées avec certaines précautions, tirées de ce fait, que la tolérance du sérum n’est pas identique chez tous les malades. Ceux qui sont au début de la maladie sont beaucoup plus sensibles et réagis- sent en général bien plus énergiquement et bien plus bruyam-

396 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

D!

ment que ceux qui se trouvent à une période plus avancée.

En dehors de cette réaction différente, qui peut facilement être expliquée, mais sur laquelle nous ne voulons pas insister maintenant, nous avons observé que certaines constitutions individuelles et certaines lésions organiques persistantes, telles que l’hypertrophie paludéenne du foie et de la rate, les lésions du myocarde, ete., conseillent la plus grande prudence au point de vue de la dose de sérum qu’on peut introduire dans les veines en une seule fois.

Nous commençâämes la nouvelle série d'expériences par un jeune ouvrier, Pasqual B..., tombé malade le jour même, 17 fé- vrier, avec tous les symptômes les plus graves et les plus impo- sants de la fièvre jaune : frisson interne, céphalalgie, rachialgie, épigastralgie intense, injection faciale, température à 39°, pouls à 104. On lui pratique de suite deux injections de 20 c. c. cha- cune, la première intra-veineuse, la seconde sous la peau.

Cinq minutes après, une réaction générale énergique sur- vient : la peau devient d'un rouge érythémateux, le pouls des- cend à 88, le malade tousse un peu et est pris d’agitation géné- rale accompagnée de frisson. Peu après la température monte à 400,2, et, avant la fin de la journée, on pratique au malade une troisième injection de 20 c. c. de sérum, sous la peau. Le len- demain matin la température descend à 38; on lui pratique encore deux autres injections de sérum, lesquelles provoquent une légère réaction fébrile (38°,5), mais font descendre la tem- pérature du lendemain à 37°,3; le malade devient apyrétique, les symptômes généraux, déjà très atténués, disparaissent rapi- dement et le cinquième jour de son arrivée à l'hôpital, B. est renvoyé complètement guéri.

Cette nouvelle série d'expériences, commencée avec un succès aussi remarquable par le rapport étroit et immédiat qu'on avait pu observer entre les injections de sérum et l’améliora- tion successive des symptômes les plus importants de la mala- die, fut continuée sur un second groupe de quatorze malades, c'est-à-dire du 9 au 22. Tous ces malades étaient arrivés à l'hôpital en condition assez grave et avec des symptômes très nets de la maladie; chaque cas était choisi de commun accord entre nous, dans le but de mettre bien en évidence l’action thérapeutique du sérum, mettant toujours de côté tous les cas qui

SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 357

se présentaient avec des symptômes vagues ou atténués ou en forme légère ou fruste.

On ne conservait donc que les cas où, d’après la violence des phénomènes d'invasion, on devait considérer comme très peu probable une crise spontanée de la maladie.

Sur ces quatorze malades, dix arrivent à guérir sous l’in- fluence manifeste du traitement sérothérapique, démontrant, à tout moment, les rapports les plus évidents de cause à effet, entre les injections de sérum et l’amélioration progressive des principaux symptômes morbides et de l’état général.

Sur quelques-uns, le traitement intensif changea si rapide- ment le type de la maladie, supprima si vite l’élévation de tem- pérature et montra une influence si manifeste sur les autres symptômes de l’amarilisme, que l’action favorable du sérum s’'imposa à nous avec une évidence indiscutable,

Un seul de ces malades peut être considéré comme ayant échappé à l’action curative de sérum; il s'agissait d'un nommé Adrien M..., homme extraordinairement robuste et atteint d’une des formes les plus violentes de la maladie. Nous eùmes un peu trop de confiance dans la résistance naturelle de l’organisme, et nous tinmes un peu au-dessous de la règle dans les premières injections de sérum; le lendemain survinrent des phénomènes si graves, du côté du système nerveux, que nous jugeâmes inutile tout traitement ultérieur.

Quant aux trois autres cas suivis de mort, que nous devons inscrire dans cette seconde série d'expériences, les conditions déplorables ils étaient, lorsqu'on les soumit au traitement, laissaient prévoir dès le commencement que la terminaison leur serait funeste. :

Dans le premier cas, il s'agissait d’un jeune Portugais, rebelle à tout traitement, et chez lequel nous pümes, avec grande peine, arriver à pratiquer quelques injections sous- cutanées : on n’a pas pu suivre le traitement intensif habituel. Ce jeune homme fut ainsi abandonné à lui-même, et mourut le cinquième jour après son entrée à l’hôpital.

Dans le second cas, il s'agissait d’une jeune femme, Louise V..., accouchée depuis un mois et nourrissant deux en- fants ; elle était au troisième jour de la maladie et dans un état de dénutrition extrême. Je ne lui pratiquai que deux injections

358 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

de sérum, jugeant dangereux et inutile un traitement rapide et intensif. Les forces de la malade s’épuisaient à vue d’œil; je lui fis encore quelques injections sous-cutanées, plutôt dans le but de ne pas abandonner la malade que de lui apporter un soula- gement réel, mais bien vite le délire survint et toute interven- tion ultérieure fut jugée inutile.

Dans le troisième cas enfin, il s’agissait d’un ancien paludéen, nommé G... P..., qui présentait une hypertrophie remarqua- ble du foie et de la rate, avec un état général presque cachec- tique et une faiblesse intellectuelle voisine de l’inconscience.

Nous commençämes par l'injection d’une forte dose de sérum (100 c. c.) en partie dans les veines et en partie sous la peau, mais les phénomènes congestifs, qui apparurent presque de suite, se montrèrent avec une intensité si grande, et faisaient supposer l'existence de lésions si graves de l'appareil circu- latoire, que nous décidèmes d’arrèter tout traitement et de continuer l'observation au seul titre d'expérience. Le malade perdit rapidement les forces et mourut au milieu des symptômes légèrement atténués de la maladie.

Dans un total de vingt-deux cas, nous avons donc eu six morts.

Je me garderai bien de vouloir tirer de une statistique; cependant, vu le caractère très grave de l’épidémie actuelle de fièvre jaune, vu l’épuration systématique que nous avons faite des cas légers ou frustes, vu que les premières expériences ont eu presque exclusivement pour but de nous orienter dans la dose etles indications du traitement, etcommelastatistique comprend enfin les cas le traitement était formellement contre-indiqué dès le commencement, il nous semble qu’une moyenne de 27 0/0 dans la mortalité pour nos premiers essais autorise l’espoir de résultats encore plus satisfaisants, le jour avec une vacci- nation plus prolongée des animaux on disposera d’un sérum plus actif, et une expérience plus étendue aura établi plus nettement les indications et les contre-indications de la séro- thérapie anti-amarile.

Mais guérir n'est pas tout: il vaudrait mieux prévenir, et je me suis demandé si le sérum qui, nous venons de le voir, peut rendre des services en thérapeutique, n’en rendrait pas de plus grands et de plus sûrs comme moyen prophylactique.

SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 339

Un hasard vraiment heureux nous a permis d'essayer le sé- rum anti-amaril comme moyen prophylactique rapide contre la fièvre jaune.

Dans la prison de San Carlos Pinhal s'était développée brusquement la fièvre jaune, à la fin du mois de février.

La première victime fut un condamné, qui vivait avec tous les autres dans une salle les conditions hygiéniques étaient assez mauvaises. Le lendemain, la sentinelle, qui était en rap- port continuel avec La salle des condamnés, tombait malade. Quelques jours après, un autre condamné suivait le sort du pre- mier et bientôt un quatrième cas, mortel aussi, finit par signaler la prison comme un nouveau foyer d'infection, qui venait s’al- lumer au centre d’un quartier de la ville encore resté indemne.

Si on avait abandonné la chose à elle-même, on aurait vu se produire le même spectacle qu’avaient fourni, dans des con- ditions identiques, pendant les dernières épidémies, les prisons de Rio Claro, de Limeira et d’autres villes de l’État de Saint-Paul.

Une seule mesure pouvait encore conjurer le danger mena- çant : nous allâmes à la prison et nous pratiquâmes des injec- tions de sérum anti-amaril à tous les condamnés, excepté un qui affirma qu'il avait déjà eu la maladie. Deux militaires arri- vés dernièrement d'Europe et qui étaient en rapports continuels avec le quartier infecté s’offrirent spontanément à l'injection du sérum. k

L'effet immédiat de cette mesure prophylactique fut celui qu’on attendait ; il n’est plus apparu un seul cas de fièvre jaune dans la prison et tout laisse supposer, qu’au moins pendant le temps que durera l’étal vaccinal provoqué par le sérum, ni les prisonniers, ni leurs gardiens ne seront victimes du bacille icté- roïde, et que la prison ne constituera pas un foyer dangereux d'infection .

Il faut remarquer que la suppression rapide de ce foyer infec- eux fut obtenu malgré les conditions les plus défavorables : n'ayant plus de sérum de cheval, nous avons injecté celui de bœuf ; les individus inoculés étaient presque tous des étrangers

1. Les dernières nouvelles reçues jusqu’au 2 avril courant m'ont confirmé qu'aucun cas nouveau de fièvre jaune ne s'était présenté dans la prison de San Carlos, après mes vaccinations pratiquées à la fin de février, quoique l'épidémie conti- nue à sévir dans la ville, comme auparavant,

360 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

et se trouvaient dans des conditions physiologiques misérables ; l'hygiène de la prison laissait beaucoup à désirer; on devait donc considérer ces gens comme étant très prédisposés à la maladie.

On saisit facilement la grande importance de l’application de ce système prophylactique à bord des vaisseaux, dans les stations en quarantaine, dans les foyers domiciliaires, etc., etc.

* #* »

Nous terminons ici l’exposition sommaire de ce que nous avons fait, en compagnie des distingués confrères qui ont bien voulu nous aider avec tant de dévouement, pendant notre séjour au milieu de l'épidémie de San Carlos d6 Pinhal.

Comme il arrive presque toujours dans des circonstances ana- logues, quelques médecins peu familiarisés avec la fièvre jaune et attachés aux opinions anciennes, d’après lesquelles le typhus ictéroïde ne pouvait pas abandonner le littoral et se développer à 800 ou 900 mètres sur le niveau de la mer, ont prétendu que la maladie qui a ravagé quelques villes du florissant État de Saint- Paul n'était pas la fièvre jaune.

Eh bien! même ce doute est aujourd’hui complètement éva- noul.

Les bactériologistes distingués qui faisaient partie de notre Commission scientifique, les D'S Lutz, Mendouça et Vital Brasil ont réussi trois fois à isoler le bacille ictéroïde du sang des malades, pendant la période agonique.

Le Gouvernement de l'État de Saint-Paul, d'accord avec la Commission officielle qui a suivi, à San Carlos Pinhal, les ré- sultats de la sérothérapie curative et préventive de la fièvre jaune, a déjà décidé la création, dans la capitale de l’État, d’un Institut sérothérapique contre la fièvre jaune.

Cet Institut sera installé dans quelques mois et aura pour but de rendre plus pratique, et par suite plus parfait et plus sûr, le traitement spécifique, curatif et préventif, d’une maladie redou- table qui est appelée avec raison « le fléau du continent améri-

cain ».

REVUES ET ANALYSES

PES NTIC LEIN ES)!

PARCM-SLE DEP :NOLEN:

On sait combien sont rudimentaires nos connaissances sur la cons- titution chimique des albuminoïdes. Il n’en est que plus utile de passer en revue ce qu on sait le mieux sur ce sujet, et de tâcher de grouper, au moins provisoirement, les quelques notions qui semblent définiti- vement acquises. Un des groupes albuminoïdes les plus étudiés dans ces dernières années, et certainement un des mieux connus, c’est celui des nucléines. La première des nucléines fut découverte dans le, pus par Miescher, élève de Hoppe-Seyler, en 1869?. Ayant soumis le pus frais à l’action du suc gastrique, Miescher constata qu'après un certain temps, le corps protoplasmique des cellules blanches passe complète- ment en solution, laissant un dépôt pulvérulent qui, examiné au microscope, est constitué uniquement par les noyaux des leucocytes ou tout au moins par le squelette de ces noyaux. Chimiquement, ce résidu se trouve être une substance albuminoïde spéciale, nettement caractérisée. En raison de son origine, Miescher l’appela nucléine.

Sa découverte fut bientôt confirmée par Hoppe-Seyler, et d’autres élèves de ce chimiste décrivirent des corps analogues tirés des noyaux des globules sanguins des sauropsidés (Plosz) de la caséine du lait (Lubavin), du jaune d’œuf (Miescher). Hoppe-Seyler lui-même a extrait une nucléine des globules de levure. Tous ces corps présentaient, à part certaines divergences secondaires, un ensemble de propriétés chimiques communes qui en formaient un groupe nouveau, bien dé-

1. Les publications françaises sont en général peu au courant des nombreux travaux faits à l’étranger dans les laboratoires de chimie physiologique. M. le D: P. Nolf a bien voulu se charger de résumer pour nous les notions acquises au sujet des nucléines et des matières albuminoïdes. Je me réserve de reprendre un jour toutes ces notions si intéressantes, en les présentant sous un jour qui, j'espère, facilitera leur intelligence et leur classement. E. D.

2. Hoppe-SeyLer, Physiologisch-chemische Untersuchungen, p. 441.

362 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

terminé, le groupe des nucléines: substances albuminoïdes acides, solubles dans les solutions alcalinisées par les hydrates des métaux alcalins, insolubles dans l’eau et les acides dilués, riches en phosphore.

La teneur en phosphore, variable d’ailleurs d’une nucléine à l’autre, atteignait °/, et même davantage; elle devint la vraie carac- téristique des nucléines et les sépara des autres albuminoïdes, qui, à l’état de pureté, ne contiennent pas cet élément.

Ces premières données furent bientôt considérablement enrichies, grâce aux nombreux travaux de Kossel, auquel nous sommes rede- vables de presque toutes nos connaissances actuelles sur la question.

Ayant soumis la nucléine de la levure pendant plusieurs heures à l’action de l'eau bouillante, Kossel trouva parmi les produits de décomposition, trois substances ou groupes de substances : de l'acide phosphorique ; un mélange d’albuminoïdes ordinaires, non phosphorées ; des bases xanthiques, parmi lesquelles la xanthine, Fhypoxanthine, la guanine.

En soumettant méthodiquement au même traitement diverses nucléines, Kossel fit bientôt? la découverte importante que si l’on trouve d’une façon constante, pour toutes les nucléines, le radical albuminoïde et l'acide phosphorique, les bases xanthiques, au contraire, n'apparaissent pas toujours. Tandis qu'il y en a dans les nucléines de la levure, des leucocytes, des globules rouges des oiseaux, celles du lait, du vitellus n’en contiennent jamais.

Or, coïncidence remarquable, les premières sont extraites de cellules nossédant une substance nucléaire en pleine évolution vitale, les secondes n'ont aucun rapport avec le noyau cellulaire et sont des substances de réserve. A la division chimique correspondait donc une signification physiologique différente. Et ce qui prouve l'exactitude de cette conclusion, c’est que les bases xanthiques, absentes de la nucléine de l'œuf, se trouvent déja abondamment dans les tissus d'embryons de 15 jours, leur apparition correspond à la formation des nombreux noyaux embryonnaires, partant des nucléines du premier type. Kossel proposa plus tard ? de réserver le nom de nu- cléines à ces dernières, et d’appeler paranucléines celles qui ne contien- nent pas de bases xanthiques dans leur molécule. Parmi les bases xanthiques qu’il put isoler, figurent la xanthine, l'hypoxanthine, la guanine, et une nouvelle base, l’adénine de formule C*’H°N°.

De la diversité des bases ainsi trouvées, il semble légitime de con-

1. Ueber das Nuclein der Hefe. Zeëtschrift f. Physiologische Chemie,t.3 et 4.

2. Kosser, Untersuchungen über die Nucléine und ibre Spaltungsprodukte. Strasbourg, 1881.

3. Archiv. f. Anatomie und Phys. de Dubois Reymond. Physiol. Abteil, 1891, page 181.

REVUES ET ANALYSES. 303

clure à la diversité des nucléines qui les fournissent, et si deux nucléines peuvent différer ‘par la base xanthique qu’elles contiennent, il est à supposer que des différences plus nombreuses sont provoquées par des changements dans le groupe albuminoïde de leur molécule. D'où le peu de difficulté de décider pour un cas donné, si on se trouve en présence d’un individu chimique ou d'un mélange de corps voisins.

Ces idées de Kossel sur la constitution des nucléines ont été com- battues par L. Lieberman! qui, se basant tant sur l'étude des nudléines naturelles que sur celle des précipités obtenus par l’acide mé- taphosphorique dans les solutions d’albumine et de bases xanthiques, émit l'hypothèse que les nucléines sont dues à la précipitation simul- tanée, dans les liquides organiques, d’albumine ei de bases xanthiques par l’acide métaphosphorique, et sont donc tout au plus des mélanges de ces différents précipités. Lieberman, outre qu'il n'expliqua pas l'origine de cet acide métaphosphorique dans l'organisme, ne fournit jamais de preuve décisive à l’appui de ses idées. Celles-ci perdirent bientôt tout intérêt à la suite de la découverte des acides nucléiques. Altmann ? fit en 1887 la constatation importante que si l’on traite à froids les diverses nucléines par des solutions de potasse caustique à 3 0/0 et si, après acidification de la solution par l’acide acétique, on filtre, le filtrat contient un acide organique très riche en phosphore (en moyenne 9 0/0), que l’on peut obtenir en le précipitant de sa solu- tion acétique par l'alcool acidulé d’acide chlorhydrique. Ainsi prépa- rés, ces acides sont des poudres blanches solubles dans l’eau, ne pré- sentant aucune des réactions caractéristiques des albuminoïdes. Ils jouissent de la propriété très intéressante de provoquer dans les solu- tions d’albumines ou d’albumoses des précipités ayant tous les carac- tères des nucléines. Par voie d’analyse et par voie de synthèse, Altmann arrivait ainsi à la conclusion que les nucléines contiennent dans leur molécule un radical albumine combiné à un acide organique phosphoré. Altmann isola des acides à propriétés analogues, qu’il appela acides nucléiques, des nucléines de la levure, du thymus de veau, des têtes des spermatozoïdes de l’esturgeon. La constatation était donc d’ordre général, et les propriétés très intéressantes de ces subs- tances en rendaient très désirable une étude détaillée.

C’est ce qu’entreprit Kossel *.

Attaquant tout d’abord à chaud l’acide nucléique de la levure par les acides minéraux étendus, Kossel retrouva parmi les produits de décomposition les bases xanthiques que le même traitement isole de la

4. Berichte der Deutschen chemischen Gesellschaft, t. 21, p. 598, et Central- blatt für die Medicinische Wissensch. Bd 27, pp. 210, 225, 447.

2. Archiv für Anatom. ü Physiologie. Physiol. Abteil, 1889, p. 524.

3. Archiv f. Anatom. üù Physiol. Physiol. Abteil, 1891.

364 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

nucléine correspondante. Ceci confirmait l'hypothèse d’Altmann, fai- sant de la nucléine une combinaison d’une albumine avec l'acide nucléique, car cette hypothèse admise, il fallait attribuer à l’acide nucléique les bases xanthiques, puisque l’albumine n’en contient pas.

Un deuxième produit de décomposition était un hydrate de car- bone, mélange d’hexose et de pentose : un troisième était un acide orga- nique très riche en phosphore.

Dans ses travaux ultérieurs ‘, Kossel continue, de façon plus détail- lée, l'étude chimique d’acides nucléiques d'origines diverses (levure, thymus de veau, rate), et il leur trouve un ensemble de propriétés constantes et bien caractérisées.

Ces acides ont des compositions cenlésimales très rapprochées. Chez tous, fait curieux, le rapport de la quantité d'azote contenue dans la molécule et exprimée en atomes, à celle de phosphore, est constant et égal à 3/1. Tous contiennent dans leur molécule un ou plusieurs hydrates de carbone, qui dans certains cas s’isolent facilement : levure (Kossel), pancréas. glande mammaire (Hammarsten) ; dans d’autres ils ne se décèlent que grâce à la formation d'acide lévulinique sous l’action prolongée des acides minéraux forts à l’ébullition (thymus).

Tous donnent naissance par le même traitement à des bases xan- thiques diverses. En dernier lieu, si au lieu d’acides minéraux on fait agir sur eux l’eau bouillante pendant peu de temps, ils fournissent, à côté des bases xanthiques, un acide organique phosphoré, différant surtout des acides nucléiques par sa solubilité dans les acides minéraux dilués. Cet acide produit lui aussi des précipités dans les solutions d’albumine, mais ces précipités se caractérisent, comme l’acide lui- même, par leur solubilité dans l’eau acidulée d’acide chlorhydrique.

Cet acide, appelé par Kosselacide thymique, constitue, par sonunion en combinaison organique aux bases xanthiques, les acides nucléiques.

Traité à l’ébullition par l'acide sulfurique à 50°/,, l'acide thymique, qu'il soit extrait de la rate, du thymus, de la levure, fournit parmi ses produits de désintégration de l’acide phosphorique et une base orga- nique bien cristallisée, la thymine de formule C**H?6N$OS.

Toutes ces données se rapportent aux acides nucléiques extraits des nucléines vraies de Kossel. Il a été dit plus haut que les paranu- cléines ne contiennent pas de bases xanthiques ; l’acide paranucléique qu’elles fournissent quand on les soumet à la méthode d’Altmann n’en contient naturellement pas davantage. Dans ces conditions se posait la question de savoir si l’acide paranucléique et l’acide thymique ne sont pas identiques. Cette question a été résolue par la négative dans

4. Archiv f. An. und. Phys. Phys. Abt., 1893, p. 152, 1894, p. 194. Berichte der d. ch. Gesellsch., 1893, p. 2753, 1894, p. 2215. Z. f. Physiol. Chemie, tome 22.

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REVUES ET ANALYSES. 369

un travail d’un élève de Kossel!. Les deux acides forment avec les albumines des combinaisons, de propriétés assez rapprochées, se différenciant cependant par leur composition centésimale. D'ailleurs, tandis que l'acide thymique n’a aucune des propriétés des substances albuminoïdes, l'acide paranucléique en possède les principales. Chimiquement il existe donc une différence essentielle entre nucléines et paranucléines. Nous savons déjà que les valeurs physiologiques des deux groupes de substances sont tout aussi différentes.

On peut en effet admettre comme démontrée l’origine nucléaire des nucléines.

Miescher d’abord avait prouvé, par la combinaison des méthodes microscopique et chimique, que dans le pus et le sperme, les nucléines forment la partie essentielle du noyau cellulaire. Plus tard, Kossel montra que la richesse des organes en nucléines est proportion- nelle à leur richesse en noyaux cellulaires. C’est ainsi que le tissu musculaire de lembryon en contient beaucoup plus que celui de l'adulte, que les globules rouges du sang des mammifères en sont exempts, tandis que ceux des sauropsidés en contiennent beaucoup. Par contre, les paranucléines se trouvent abondamment dans le lait, le vitellus des œufs d’oiseaux, de poissons, dans les graines végétales. Elles sont, de par leurlocalisation, des substances d'épargne, produits de synthèse organique destinés à être assimilés facilement par l'em- bryon et à lui fournir les matériaux dont il doit constituer ses organes.

Une question très intéressante est de savoir sous quelle forme nucléines et paranucléines existent dans la nature. Sont-elles libres dans la cellule, s’y trouvent-elles à l’état de combinaison et, dans ce dernier cas, à quelles autres substances sont-elles combinées? Nous avons appris à comprendre les nucléines comme résultant de la com- binaison d’un radical albuminoïde à un acide organique. En raison de la décomposition ordinairement assez facile de cette combinaison par les bases et les acides, il semble légitime de l’assimiler aux sels des bases organiques, la base étant ici l’albumine. Mais la nucléine étant de réaction fortement acide correspondrait à un sel acide, capable de s'unir à une nouvelle quantité d'albumine pour former des composés neutres ou moins acides. C’est sous cette dernière forme que l’on rencontrerait ordinairement dans la nature les combinaisons des acides nucléiques avec l’albumine.

En effet, les nucléines décrites jusqu’à présent ont été extraites des organes soit par l’action des liqueurs alcalines faibles, soit par celle de

4. Miroy, Uber die Eiveissbindungen des Nucleïnsaure… Zeitsch. f. physiol. Chemie, Bd 22S, 307.

366 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR.

suc gastrique artificiel sur des composés plus complexes, appelés nucléo-protéides quand ils fournissent une nucléine vraie, et nucléo- albumines quand leur produit de décomposition phosphoré est une paranucléine. Ces composés à molécule très volumineuse sont très répandus dans la nature. On a isolé des nucléo-protéides des différents organes (foie, pancréas, glande mammaire, thymus, etc.); les vitel- lines, la caséine du lait sont des représentants importants de la classe des nucléo-albumines. Nucléo-protéides et nucléo-albumines se diffé- rencient des nucléines et paranucléines par leur solubilité dans les acides minéraux dilués. Les dissout-on dans le suc gastrique artificiel pour les soumettre à l’action d’une température de 40°, on voit au bout de quelque temps se produire un précipité qui n’est autre chose que la nucléine ou la paranucléine, tandis qu'il reste de l’albumine en solu- tion.

Cette propriété des acides nucléiques et des nucléines de pouvoir fixer des albumines pour former des molécules énormes, mais très fragiles, est des plus intéressantes au point de vue physiologique : elle cadre bien avec le rôle synthétique que l’on attribue généralement au noyau dans la vie cellulaire.

D'autre part, elle fournit un nouvel exemple de la part considérable qu’il faut accorder en physiologie cellulaire aux combinaisons de l’albumine avec différents radicaux, aux protéïdes, suivant la termino- logie de Hoppe-Seyler. Ce seraient ces protéïdes, dont le premier exemple bien défini fut l’hémoglobine, et en particulier les protéïdes phosphorées, qui seraient les vrais constituants de la cellule, tandis qu’il faudrait considérer comme de moindre importance les albumines simples, les globulines, matériaux relativement peu compliqués, employés à l'édification de la molécule vivante. Mais si, laissant de côté le radical protéïque, on n’envisage dans la nucléine que le côté acide, l’acide nucléique et les propriétés curieuses que lui ont décou- vertes les recherches chimiques, on est encore en droit de vouloir rattacher ces propriétés à des phénomènes biologiques importants. Ainsi la propriété de se combiner aux albumines et aux albumoses n’en fait-elle pas un bactéricide et un antitoxique énergique, et n’est-ce pas par leur acide nucléique que les leucocytes exerceraient sur les microbes et leurs toxines l’action destructive qu’admet Metchnikoff?

En réalité, Kossel ! a constaté une action bactéricide nette de l'acide nucléique extrait des leucocytes vis-à-vis de plusieurs microbes pathogènes. D’autre part ? Tichomiroff a pu précipiter par l'acide nucléique plusieurs toxines végétales et microbiennes, telles que la

4. Archiv. de Dubois Reymond. Phys. abteil, 1849, p. 200. DZ PAYS GRhemie KN21,p:1907

REVUES ET ANALYSES, 367

ricine, les toxines tétanique, diphtérique; les précipités obtenus étaient toxiques eux-mêmes.

Ces faits, en admettant qu'ils puissent être considérés comme une réponse à la question précitée, supposent un acide nucléique libre dans le suc nucléaire. On a voulu par des méthodes de coloration prouver la réalité de cette supposition, mais il semble actuellement certain que toutes les théories de chimie cellulaire basées sur des réactions de coloration micro-chimiques manquent de base sûre, et il faut, à ce sujet, attendre la lumière de nouveaux procédés.

Un autre fait, physiologiquement important, c'est la découverte, parmi les produits de décomposition de l’acide nucléique, en premier lieu d’un groupe se rattachani aux hydrates de carbone, en second lieu des bases xanthiques. Il résulte de la première constatation la possibilité chimique d'une formation de sucres aux dépens de sub- stances protéiniques telles que nucléines et nucléo-protéides; quant aux conséquences de la seconde, elles ont été développées par Horbaczewsky et elles ont trait à la genèse de l’acide urique. Se fondant sur ia parenté chimique des bases xanthiques avec l’acide urique, Horbaczewsky : s’est demandé si l'acide urique ne dérive pas de la désassimilation des nucléines. Cette question avait déjà été posée par Kossel, mais sans être souraise à l’expérience. Horbaczewsky cite, à l'appui de l’origine nucléaire de l’acide urique, divers arguments tirés de l'observation clinique et de l’expérimentation. Parmi les premières, il appelle l'attention sur le parallélisme qui existe entre l'élimination de l'acide urique et la teneur du sang en leucocytes, qui, on le sait, sont riches en nucléines, parallélisme surtout intéres- sant dans la leucémie.

Comme preuve expérimentale, Horbaczewsky cite l’augmentation de quantité de l'acide urique éliminé dans les urines chez les animaux nourris avec des nucléines. D’autre part il soumet à la putréfaction en présence ou en l’absence d'oxygène, des tissus abondent les nucléines (pulpe splénique). Il trouve dans le premier cas de lacide urique, dans le second des bases xanthiques parmi les produits de destruction des nucléines, et en conclut que la désintégration des nucléines, en présence d'oxygène fournit de l’acide urique.

Jusqu’à quel point les diverses théories qui ont été passées rapide- ment en revue sont dignes de créance, c’est aux recherches futures à le décider; il n’en est pas moins vrai que l’étude purement chimi- que des nuciéines, outre qu’elle nous a fait voir dans ses grands traits la constitution de composés très intéressants, a eu également

3. Horgaczewsky, Zur Theorie des Harnsaürebildung im Thierorganismus, Prag., 1892.

368 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ce grand avantage qu’elle a fourni dès à présent à la physiologie des idées nouvelles sur plusieurs questions de première importance. Seule- ment, il reste, tant au point de vue chimique que physiologique, une lacune dans nos notions sur les nucléines. C’est la connaissance plus approfondie du groupe basique de leur molécule, et ici encore nous sommes acculés à cette question qui a déjà désespéré tant de savants, la structure chimique de l’albumine.

Il est un point sur lequel il est peut-être utile d’insister à la fin de cet article. L'étude chimique des produits que l’on a pu retirer usqu’aujourd’hui des divers organismes vivants n'a pas conduit, comme on aurait pu s’y attendre, à la conclusion qu’il existe dans les différents êtres vivants un nombre incalculable de composés chimi- ques. Au contraire, comparé à la quantité innombrable des produits organiques, préparés synthétiquement dans les laboratoires, le nombre des composés chimiques dus à la vie est relativement restreint, et cela est vrai surtout en ce qui concerne les types chimiques princi- paux dont les plus connus sont les graisses, les sucres, les albumines.

Un nouveau type, c’est celui des acides nucléiques et, pour celui-ci comme pour les autres, il existe une singulière fixité du haut en bas de l’échelle des êtres vivants. D’après les recherches de Kossel, l'acide nucléique des saccharomyces ressemble, à s'y méprendre, à l’acide des leucocytes humains. Ces analogies très importantes, puisqu'elles portent sur des éléments nucléiniens, sont à rapprocher des analogies du même genre que les études anatomiques ont mises en vive lumière pour ce qui concerne la structure intime de la cellule. Dans son essence chimique comme dans son apparence morphologique, la cellule est donc bien la base de la vie, et comme telle elle est soumise à la nécessité d’un type constant dans ses traits principaux.

Liège, le 10 avril 1898. DR ANOLE

Le Gérant : G. Masson. RAR ca 0 ne CURRENT SENS RE

Sceaux. Imprimerie E. Charaire.

49me ANNÉE JUIN 1898 6.

ANNALES

DE

L'INSTITUT PASTEUR

ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DES ALTÉRATIONS HISTOLOÉIQUES

PRODUITES DANS L'ORGANISME

PAR LEN VENINS DEN NERPENIS VENDEUX ET DEN NCORPIONN

Par Le Dr J. NOWAK

Privat-docent d'anatomie pathologique à l'Université de Cracovie, n

(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.)

Il existe une ressemblance remarquable entre les toxines microbiennes et certains matériaux toxiques fabriqués soit par les plantes, soit par les animaux. Cette ressemblance est sur- tout très nette dans l’action de ces poisons sur l’organisme animal.

On a établi que les animaux peuvent être immunisés, non seulement contre les toxines microbiennes, mais encore contre les venins de différentes origines. Ehrlich® a par exemple immu- nisé des animaux contre la ricine et l’abrine, poisons végétaux extrêmement actifs, et Calmette* contre des venins de ser- pents venimeux.

Toxines et venins ne supportent, sans dommage, qu’un cer- tain degré de chaleur, et, chauffés au-dessus, ils deviennent inactifs.

Exracx, Experimentelle Untersuchungen über Immunität; I. Ueber Ricin, IT. Ueber Abrin, Deutsche medicin. Wochenschr. 1891 (972-1218).

2. A. CaLMETTE, Le venin des serpents. Physiologie de l'envenimation, trai-

tement des morsures venimeuses par le sérum des animaux vascinés. Paris, 1896,

24

370 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Dans le sang des animaux qui sont immunisés contre ces venins, On trouve certaines substances qui possèdent des pro- priétés antitoxiques, et souvent aussi sont préventives et curatives.

Les expériences, en particulier celles de M. Calmette et Deléarde ‘, ont démontré, en outre, que le sérum des animaux immunisés contre les venins peut agir contre certains poisons d’un autre groupe. Ils ont constaté que le sérum des animaux immunisés contre l’abrine est antitoxique contre les venins des serpents, contre la ricine ct contre les toxines diphtéritiques. Il n’a aucun pouvoir antitoxique contre les toxines du charbon: en outre, les animaux immunisés contre ce poison supportent l'infection par ce microbe.

Le sérum antitétanique a des propriétés antitoxiques contre les venins des serpents.

La similitude entre ces poisons d’origine si d'verse laisse prévoir une certaine analogie dans les lésions des tissus des ani- maux tués par ces poisons, et sous ce rapport les venins des ser- pents et des scorpions offrent un terrain encore neuf et peu étudié.

A côté de cet intérêt purement théorique, il y a un intérêt pratique, à cause du nombre de personnes succombant chaque année à la morsure des serpents venimeux.

On peut facilement recueillir le venin des serpents venimeux et ceux des scorpions, en irritant les animaux et en prenant les venins qui coulent de leurs appareils venimeux sur un petit verre qu’on leur donneà mordre. On peut après conserver ce venin liquide dans un flacon, ou le dessécher et le réduire en poudre.

Les venins, soit liquides, soit desséchés, se conservent assez longtemps, s’ils sont préservés de l'influence de la lumière. Leur puissance varie suivant l'espèce de serpent qui les fournit, sui- vant son âge et la saison, et, d’après M. Calmette*, suivant l’état de jeûne plus ou moins long qu’il a subi.

L'effet de ces venins sur l'organisme dépend non seulement

4. À. Cazmerte et A. DeLéarpe, Sur les toxines non microbiennes et le mé- canisme de l’immunité par les sérums antitoxiques. Annales de l'Institut Pasteur 1896, t. VI.

2. À. CALMETTE, Le venin des serpents Physiologie de l’envenimation Trai- tement des morsures venimeuses par le sérum des animaux vaccinés.

VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 311

de la toxicité et de la quantité du venin, mais aussi de la manière dont ils ont été introduits dans l'organisme.

L'inoculation sous-cutanée, par exemple, ne produit jamais, suivant M. Calmette, la mort foudroyante ; si au contraire on introduit dans la veine marginale de l'oreille d’un lapin un dixième de milligramme de venin de cobra, on le tue instanta- nément. Le venin des scorpions est aussi un poison très actif.

Les venins des serpents et des scorpions diffèrent en ceci des toxines microbiennes, de l’abrine, et des diastases toxiques, que leur action peut être immédiate. Il est bien connu que si on injecte même une quantité très grande de toxine tétanique ou diphtéritique, on ne peut pas diminuer au delà d'un certain minimum le temps qui s'écoule du moment de l'injection jusqu’à la mort, ou jusqu'aux premiers symptômes d'empoisonnement. Au contraire, si nous injectons une dose de venin de scorpion ou de serpent en quantité suffisante, nous pouvons avoir une mort instantanée.

Les venins des serpents aussi bien que ceux des scorpions produisent un double effet, un local, phlogogène, et un autre général, toxique.

Calmette a relevé et décrit les phénomènes qui se produisent chez les mordus par les serpents venimeux et les lésions cons- tatées à l’autopsie.

Dans ce travail, j'ai eu pour but d'étudier les lésions anato- miques qui se produisent chez les animaux après l'injection sous-cutanée (le mode d’inoculation le plus rapproché de la morsure) des venins de serpents et de scorpions. Dans mes expériences, je me suis servi de ces venins chauffés à 80 degrés, et ainsi dépourvus de leur puissance phlogogène. Ces venins pas- sent ensuite par un filtre stérilisé, qui sépare les divers corps albumineux coagulés par le chauffage. Le filtrat ainsi obtenu présente un liquide tout à fait clair, qui ne provoque au point de l'inoculation aucun phénomène inflammatoire et reste bien toxique.

J'ai opéré avec les venins que M. Metchnikoff a bien voulu me remettre, et j’ai aussi utilisé les animaux morts à la suite de l’envenimation dans les expériences de M. Metchnikoff, et que ce savant a bien voulu me céder.

Les venins des scorpions proviennent des grands scorpions

372 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

jaunâtres qui vivent dans le midi de la France, et les venins des serpents forment un mélange de sécrétions de diverses espèces de ces reptiles des pays chauds.

J’ai fait mes expériences sur les souris, les cobayes, les lapins et surles chiens. Ces animaux sont tués par diverses doses de telle facon que quelques-uns d’entre eux meurent peu de minutes aprèsl'injection, d’autres quelques heures voire même plusieurs jours après.

L'’autopsie a toujours été faite peu de temps après la mort : des morceaux de foie, de rate, des poumons et du cœur étaient plongés dans le liquide de Fleming, dans le sublimé et dans la formaline, montés ensuite dans la paraffine, et les coupes obtenues étaient colorées par l’hématoxyline, l’éosine, et diverses couleurs d’aniline, surtout par la safranine et la thionine.

Le cerveau et la moelle épinière étaient durcis dans le liquide de Müller, dans la formaline et le sublimé.

Quant aux lésions macroscopiques, je peux noter seulement que le parenchyme du foie est en général friable, d’un aspect trouble ou jaunâtre, et toujours congestionné. On a trouvé aussi les reins congestionnés, succulents et contenant de petiles ecchymoses. La rate et le cœur ne présentent aucune lésion macroscopique. Dans les poumons, surtout dans les cas les animaux ont survécu un temps plus long après l’inoculation, on a trouvé des parties congestionnées, privées d'air et friables; ces parlies se surélevaient à la surface des poumons. Le reste des poumons est également congestionné, gorgé de sang. Les intestins présentent seulement quelquefois une hyperémie assez marquée.

Beaucoup plus distinctes sont les lésions microscopiques, dont le siège principal est le foie, les reins et les poumons.

Dans le foie, la lésion qui frappe le plusles yeux est la dégé- nérescence graisseuse.

Il faut ici remarquer que dans ces derniers temps’ M. Rosen- feld à prétendu que la dégénérescence graisseuse n’existe pas, et que ce que nous appelons de ce nom, c’est-à-dire la transfor- mation du plasma des cellules en matières grasses, n’est qu’une infiltration des organes par les corps gras de l'organisme. Tant que ces expériences ne seront pas répétées et confirmées, je

1. Verhandlungen des XV Congresses fûr innere Medicin. Berlin, 9-12 Juni, 1897.

VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 313

me servirai du vieux terme de dégénérescence graisseuse.

La dégénérescence graisseuse des cellules hépatiques, après l'injection sous-cutanée des venins de serpents venimeux ou de scorpions, se produit déjà chez les animaux qui meurent une demi-heure après l’empoisonnement. La fig. 1 (PI. TT représente une préparation du foie d’une souris morte 35 minutes après l’injection. Le nombre des globules gras dans les cellules est beaucoup plus grand que dans le foie normal.

Si la mort est plus lente, les lésions des cellules hépatiques sont plus marquées, et la fig. 2 nous donne une idée exacte de leur intensité. Le nombre des globules gras est plus considérable que dans le cas précédent. Il y en a dans la plupart des cellules hépatiques, et bien qu'ils en remplissent presque complètement quelques-unes, on voit néanmoins qu'ils se placent surtout à la périphérie, sur le bord des capillaires, qui sont un peu dilatés.

La stéalose est encore plus manifeste dans la fig. 3. C’est une coupe provenant du foie d’un cobaye qui est mort deux jours après l’administration des venins. Les parties périphéri- ques de toutes les cellules hépatiques sont totalement remplies de petites gouttelettes de graisse, et les vaisseaux capillaires sont dilatés de telle sorte qu’ils rendent le parenchyme du foie sem- blable à un tissu angiomateux. Les globules gras sont petits, mais on en trouve aussi de gros, non seulement dans l'inté- rieur des cellules hépatiques, mais aussi dans les vaisseaux capillaires, on observe également des globules blanes qui sont dans un état plus ou moins avancé de dégénérescence graisseuse.

C'est surtout chez le chien que la dégénérescence graisseuse du foie se produit très vite et atteint un fort développement. Déjà chez les animaux qui sont morts quelques heures après l'injection des venins, on trouve le parenchyme hépatique presque totalement dégénéré et en partie détruit. L'aspect est celui de la fig. 4. Les globules gras remplissent complètement quelques cellules. Il y en a aussi dans les vaisseaux capillaires dilatés. Les cellules épithéliales qui tapissent les canalicules biliaires subissent aussi la dégénérescence.

Mais la dégénérescence graisseuse des cellules hépatiques qui se développe sous l’influence du venin de scorpion est encore plus grande et atteint un degré plus élevé que celle qui se manifeste après les venins des serpents. La fig. 1 (PI. [V) nous

3714 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

montre une coupe du foie d’une souris qui a succombé en 24 heures à une injection de venin de scorpion. Ici le protoplasma cellulaire est constitué presque uniquement par des granulalions

noires cachant souvent le noyau. Les vaisseaux capillaires sont

aussi dilatés, mais je n’ai pas trouvé de graisse dans leur intérieur.

Les lésions subies par le foie des animaux tués par les venins de serpent ou de scorpion ne se limitent pas à la dégéné- rescence graisseuse. Il se produit dans le protoplasma des cellules hépatiques des altérations d’une autre nature.

Dans les cas la mort a suivi rapidement l'injection, le protoplasma cellulaire est seulement trouble, granuleux, et les granulations se colorent très bien dans leur périphérie, mais leur intérieur reste incolore. Si au contraire l'animal a survécu quelques heures, le protoplasma se condense dans certaines parties de la cellule, laissant des vacuoles, dont les limites ne sont pas bien déterminées. C’est pour ce motif qu’une partie du protoplasma cellulaire est nécrotisée et détruite. Dans ces cas, les noyaux ont déjà aussi subi une altération : quoique leurs contours soient bien définis, on ne trouve dans leur intérieur que très peu de chromatine sous forme de petites granulations, et le liquide des noyaux se colore un peu par les couleurs basi- ques, parce qu'il contient un peu de chromatine dissoute.

Quandle protoplasma des cellules hépatiques a subi deslésions plus prononcées, les altérations des noyaux sont aussi plus mar- quées, la quantité dechromatine nucléolaire diminue et perd len- tement sa propriété de prendre les couleurs, au fur età mesure que le protoplasma des cellules hépatiques subit une nécrose, etenfin, de la cellule hépatique, il ne reste plus qu’une petite quanüté de protoplasma granuleux sans noyau.

La marche successive des altérations ci-dessus décrites peut èlre étudiée sur les fig. 5 à 8 (PI. IH).

La fig. 5 nous représente une cellule hépatique dont le proto- plasma est granuleux, dont le noyau ne possède que très peu de chromatine et de liquide nucléolaire, et qui se colore aussi un peu par l’hématoxyline.

Dans la fig. 6, le noyau ressemble à celui que nous venons de décrire, mais, dans le protoplasma cellulaire, il y a des lé- sions plus avancées par suite d’une désorganisation, el à côté des noyaux on remarque des vacuoles plus ou moins étendues.

pc -—— sntntnfit

VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS, 379

Dans la fig. 7, la destruction du protoplasma cellulaire est encore plus marquée. On voit seulement dans la périphérie de la cellule des restes du corps cellulaire, sous forme de petites granulations qui sont disposées principalement à la périphérie, et en très pelite quantité autour du noyau qui se colore imper- ceplüiblement ; la cellule est ballonnée et augmentée de volume.

Dans la fig. 8, on n’aperçoit que quelques débris du proto- plasma cellulaire sous forme de granulations peu visibles. Le noyau se colore si peu qu’à peine on le remarque, les contours des cellules sont pourtant bien limités et suffisamment visibles. On ne trouve de cellules totalement détruites, c’est-à-dire dépouillées de membrane cellulaire, que très rarement. Au fur et à mesure que les cellules hépatiques subissent les lésions décrites plus haut, elles sont augmentées de volume, mais quand les altérations atteignent an degré élevé, leur volume diminue.

Les changements des cellules hépatiques que nous venons de signaler ci-dessus nous amènent à parler de la nécrose du parenchyme du foie, qui se produit sous l'influence des venins des serpents et des scorpions, introduits sous la peau. Cette nécrose commence par la transformation du protoplasma en pelites granulations, qui se disloquent et disparaissent succes- sivement, en laissant des vacuoles vaguement contourées. Il ne reste que les membranes cellulaires avec des débris du proto- plasma et du noyau cellulaire.

Chez les animaux morts rapidement après l'injection, à côté de la dégénérescence graisseuse déjà décrite, on ne trouvait pas d’autres altérations. Chez les animaux qui ont survécu plus longtemps, les lésions sont plus marquées.

D'ordinaire elles ne sont pas uniformes : à côté des parties les plus atteintes, il y en a qui sont presque à l’état normal.

La nécrose du parenchyme du foie est surtout rapide et accusée chez les chiens après une dose assez forte de venin. Dans ce cas, comme le montre la fig. 8, il ne restait du protoplasma que quelques filaments, squelette du corps cellulaire.

Mais une lésion, qui dans ce dernier cas (chez les chiens) surprend encore plus que la nécrose des cellules hépatiques, c'est la destruction totale de la structure microscopique du parenchyme du foie. On ne peut plus distinguer la disposition

316 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

des cellules hépatiques en lobules, les trabécules cellulaires du foie sont rompues, brisées, et on ne voit plus qu’une agglomé- ration confuse de cellules hépatiques qui souvent flottent dans le sang extravasé ou dans un liquide contenant de l’albumine. Cette désorganisation de la structure du foie, cette désintégration de son parenchyme nous apparaît suffisamment dans la fig. 4.

Dans les lésions décrites ci-dessus, une partie seulement de la vacuolisation appartient à la dégénérescence graisseuse; les corps gras dissous par l'alcool dans les coupes non trailées par le liquide de Fleming n’occupaient que les petites vacuoles ; il y en a d’autres dues à la nécrose hépatique, qui ne marche pas de pair avec la dégénérescence graisseuse, et souvent dans le cas cette dégénérescence est très grande, les lésions nécrotiques sont très peu avancées. Il faut encore remarquer que les vacuoles qui résultent de la dégénérescence graisseuse ont des contours bien limités et une forme régulière : les vacuoles, dont l’origine est la nécrose, sont d’une forme irrégulière et possèdent des contours mal limités.

Chez les animaux qui ont survécu plus longtemps à l'empoi- sonnement, se produisent aussi des lésions des voies biliaires. La dégénérescence graisseuse des cellules épithéliales de cet appareil s’observe surtout chez les chiens. Chez les autres animaux, très souvent, je trouvais autour des tubes biliaires une infiltration par de petites cellules mononucléaires. Ces cellules non seulement entourent ces mêmes tubes, comme on le voit sur la fig. 2 (PI. IV), elles pénètrent entre les cellules épithéliales qui tapissent les canalicules, et elles parviennent jusqu'à l’intérieur des canaux biliaires, elles se trouvent quelquefois en grand nombre.

Ces cellules sont assez petites, d’une forme ronde, et la plus grande partie de leur corps cellulaire est constituée par des noyaux très gros, autour desquels on ne voit qu'un cercle protoplasmique très mince. Les noyaux sont ronds et ne se composent que de chromatine presque seule. Si autour des canalicules biliaires, il existe du tissu conjonclif, il s’infiltre par ces cellules ; sinon celles-ci s’amassent entre les cellules hépa- tiques et les épithéliums des canaux biliaires.

J'ai déjà dit qu’elles arrivent jusqu'à l’intérieur des canali- cules, on les trouve en grande partie déjà altérées, et souvent

VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 311

on aperçoit seulement leurs noyaux situés dans une masse amorphe.

Quelquefois aussi les cellules épithéliales qui tapissent les canalicules biliaires subissent certaines lésions. Elles sont tumé- fiées, gonflées et renferment de grandes vacuoles situées dans leur partie périphérique externe, c’est-à-dire à leur base.

Ces vacuoles sont souvent considérables. Les autres cellules épithéliales intercalées entre les cellules gunflées sont aussi d'une forme allongée; même dans l’intérieur de ces cellules comprimées on trouve de petites vacuules. Les noyaux de ces épithéliums gonflés ont augmenté de volnme, et ne se colorent que très faiblement.

Il faut encore ajouter que cette infiltration que j'ai signalée plus haut existe seulement autour des voies biliaires : on ne la rencontre pas autour des vaisseaux sanguins.

Ainsi les venins des serpents et des scorpions, introduits sous la peau des animaux en quantité suffisante, produisent dans le foie de grandes lésions, qui se développent très rapidement. Ces lésions sont : la dégénérescence graisseuse, parfois très avan- cée ; la nécrose qui, si la dose du venin est assez grande, atteint et détruit toutes les cellules hépatiques. À côté les vaisseaux capillaires se dilatent et compriment les trabécules hépatiques qui subissent une déformation plus ou moins prononcée. Enfin, il y a des lésions des voies biliaires, par infiltration et pénétra- tion des cellules lymphatiques dans l’intérieur des canalicules biliaires, amenant la tuméfaction et vacuolisalion des épithé- liums qui tapissent ces canaux; dans certains cas, on y trouve aussi de la dégénérescence graisseuse.

Un autre organe fortement atteint est le rein. C’est surtout que nous trouvons une dégénérescence graisseuse des épithéliums rénaux ; mais elle n’atteint jamais un degré aussi développé que dans le foie, et eile se produit moins vite. Par exemple, chez les animaux morts une heure après l’envenima- tion, les reins ne présentent encore aucune trace de corps gras, et quand la mort ne survient qu'après quelques heures, on trouve de toutes petites gouttelettes de graisse dans l'intérieur des cellules épithéliales des tubes rénaux, surtout des {ubuli con- tortr.

Dans ces derniers cas, la dégénérescence atteint aussi un

318 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

plus grand degré, mais elle est localisée surlout dans les tubuli contorti, et les petits globules gras occupent toujours la partie extérieure des cellules épithéliales, c'est-à-dire la base. La _ dégénérescence est toujours dispersée en petits foyers, et autour des parties dégénérées, on trouve le parenchyme non altéré, comme le montre la fig. 3 (PI. IV).

Quelquefois on rencontre aussi dans les cellules endothé- liales, qui tapissent les capsules de Bowman et les glomérules, de petites gouttelettes de graisse. et dans les vaisseaux sanguins des leucocytes polynuciéaires qui sont aussi dégénérés. L’endo- thélium des vaisseaux sanguins (sauf les glomérules) n’est jamais alteint par celte lésion.

En comparant les fig. 1 et 4 (PL IV) qui représentent le foie et le rein d’une souris morte 24 heures après l’envenimation, on voit bien la différence qui existe dans les lésions de ces deux organes.

Outre cela nous trouvons dans les reins, surtout quand l’ani- mal a survécu longtémps à l'injection, des altérations nécrotiques des épithéliums rénaux. Ces lésions, comme la dégénérescence graisseuse, se produisent principalement dans les fubuli contorti. Le protoplasma des cellules épithéliales qui tapissent ces tubuli, comme celui des cellules hépatiques, devient granuleux et subit lentement une nécrose complète. Dans les stades les lésions sont encore peu avancées, le protoplasma est seulement granu- leux, mais on trouve aussi des parties les cellules qui tapis- sent les {ubuli contorti sont si tuméfiées que la lumière de ces tubuli est presque oblitérée. Si les altérations sont plus avancées, les cellules sont encore tuméfiées, mais leur protoplasma est non seulement granuleux, il est aussi raréfié par vacuolisation comme dans les cellules hépatiques. A côté de ces cellules tuméfiées, on trouve des cellules épithéliales qui, au contraire, sont plus petites que les cellules normales, et dont le proto- plasma, quoique granuleux, remplit uniformément la cellule. Ces cellules ne sont pas bien limitées : surtout du côté de la cavité des tubes, on ne voit pas la membrane cellulaire, et le protoplasma changé en petites granulations sort à l'intérieur des tubes.

Enfin la membrane qui enveloppe le protoplasma plus ou moins nécrolisé subit aussi une nécrose, et nous ne voyons

VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 319

plus que des couches uniformes formées par toutes ces petites granulations qui sout contiguës à la paroi des canalicules. Très souvent, les cellules nécrotisées et transformées en pelites gra- nulations ne se réunissent pas, mais elles restent comme de petits amas de débris du protoplasma cellulaire.

Quelquefois, les épithéliums plus ou moins nécrotisés, des- quamés, des parois, remplissent les tubes et oblitèrent com- plètement leur lumière.

Souvent les tubes ne sont pas remplis par des cellules seule- ment, mais aussi par de petites granulations qui souvent peuvent se disposer en un réseau granuleux, réparti en mailles plus ou moins larges.

Quelquefois les cellules rénales plus ou moins changées se détachent de la membrane des fubuli, s’agglutinent et forment des cylindres qui remplissent la lumière des canaux urinaires. Souvent ces cylindres sont formés seulement par les débris des cellules nécrotisées totalement, et on y trouve aussi quelques noyaux à peine colorés, parce que les noyaux subissent aussi des lésions : ou ils ne prennent les couleurs que très faiblement, ou ils ne se colorent pas du tout.

Les mêmes oblitérations, mais dans une proportion moindre, se retrouvent dans les tubes qui constituent les branches de Henle. Pour la plupart, les cellules qui les tapissent ne sont que tuméfiées, de telle façon qu'elles oblitèrent complètement la lumière de ces tubes. De plus, les parties qui regardent l'inté- rieur des tubes se colorent très peu et ont un aspect hyalin.

Dans les tubes droits et les tubes collecteurs, les épithé- liums sont parfois détachés en bloc dans l’intérieur de ces tubes. Les cellules en sont pour la plupart altérées, mais on observe rare- ment une nécrose. Le plus souvent, elles out changé leur forme et sont comme atrophiées. Quelques-uns de ces canaux sont oblitérés par des cylindres granuleux et encore par des cylindres composés de cellules épithéliales. On trouve aussi dans les tubes droits, ainsi que dans l’intérieur des tubuli contorti, ou dans les branches de Henle, des globules rouges du sang plus ou moins nombreux.

Les vaisseaux qu'on rencontre dans le parenchyme rénal sont toujours très distendus, et quelquefois ils sont rompus, d’où il résulte une formation de petits foyers d’hémorragie intersti-

380 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tielle. Souvent le sang extravasé détruit aussi le parenchyme rénal, c’est-à-dire les tubes urinifères. 11 faut encore ajouter que ces hémorragies se trouvent quelquefois autour des capsules de Bowman.

Les lésions décrites ci-dessus sont aussi, comme la dégéné- rescence graisseuse, disséminées, et, à côté des parties qui montrent de grandes lésions, on en trouve qui sont très peu allé- rées. Nous trouvonsdeslésions importantes aussi dans les glomé- rules. Nous remarquons que l’espace capsulaire des glomérules est rempli d'une masse en parlie amorphe, et en partie formée de toutes petites fibres. Dans cette masse, on découvre quelques globules de sang et des cellules endothéliales détachées des capsules de Bowman. L'intérieur des capsules de Bowman est presque rempli par cet exsudat : le glomérule est comprimé, à peine visible, comme la fig. 4 (PI. IV) le prouve.

Dans les reins prédominent donc les lésions nécrotiques et les exsudations ; la stéatose se produil aussi, mais elle ne se développe pas à un degré aussi élevé que dans le foie.

Dans la rate, je n'ai pas trouvé de lésions macroscopiques ni microscopiques; seulement, dans les cas la dégénéres- cence graisseuse du foie et des reins est très avancée, on aperçoit dans le parenchyme de la rate une dégénérescence graisseuse de ses cellules.

Les fibres musculaires du cœur ne présentent aucune altéra- lion : seulement dans quelques cas je les ai trouvées atteintes de dégénérescence graisseuse, mais très peu développée.

Enfin j'ai constaté des altérations remarquables dans les poumons.

J'ai dit déjà plus haut qu à l’autopsie des animaux morts tardivement après l'injection des venins, on trouve des parties ne contenant pas d'air, extrêmement congestionnées et plus dures qu’à l’état normal. Dans ces parties on distingue au moyen du microscope les vaisseaux capillaires très dilatés, rem- plis totalement de globules rouges ; les vésicules pulmonaires renferment un exsudat composé d’une masse uniforme de gelo- bules blancs, rouges, et de cellules endothéliales détachées des parois des vésicules. C’est l’inflammation du parenchyme pul- monaire. L’intensité de cette inflammation est variable dans les différentes parties des poumons.

VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 381

Très souvent les globules blancs, c’est-à-dire les cellules lymphatiques polvnucléaires, dominent à un tel point qu'on ne peut pas à côté d’elles distinguer les autres éléments, et quand le tissu intervésiculaire est aussi infiltré, la pneumonie présente plutôt le caractère d’une inflammation purulente. et on trouve les vésicules pulmonaires remplies de globules rouges, et on rencontre aussi des extravasats dans le tissu interstitiel.

Dans les parties du poumon l’on ne trouve pas de lésions inflammatoires, les vaisseaux capillaires sontextrèmement dilatés et les vésicules pulmonaires sont devenues très petites. Les lésions inflammatoires des poumons ne se manifestent bien que chez les animaux qui sont morts au moins quelques dizaines d'heures après l’envenimation, mais on les trouve, moins déve- loppées il est vrai, dans les sujets qui sont morts beaucoup plus tôt après l'injection.

En résumé, les venins de serpent et de scorpion, intro- duits sous la peau des animaux, occasionnent de grandes et importantes lésions du foie, des reins et des poumons. Quand la survie est un peu longue, le foie peut être presque complètement détruit en partie par le processus stéatogène, et en partie par la nécrose qui quelquefois est accompagnée d’une vaso-dilatation considérable.

C’est un phénomène d’une importance particulière, au point de vue de la pathologie générale. Le foie n’est pas en effet seu- lement un organe de sécrétion, il semble aussi destiné à détruire et à neutraliser les divers matériaux toxiques qui envahissent l'organisme, ceux qui proviennent de l'intestin comme les autres.

Il est très probable qu'ici l'influence nuisible de certains poisons sur la cellule hépatique a sa cause dans le rôle rétentif du foie qui, lorsqu'il ne peut ni détruire ni transformer le poison absorbé, en subit une altération profonde.

Il est vrai que, quelquefois, dans les cas les animaux sont morts aussitôt après l'administration de ces venins, les lésions du parenchyme hépatique n'étaient pas très avancées, mais il est bien possible que dans certaines conditions l’organe sup- prime ses fonctions avant qu’on ait pu observer ses altérations anatomiques, parce que celles-ci ont toujours besoin d’un cer- tain temps pour se développer.

Les venins de serpent et de scorpion provoquent en général

382 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

dans les autres organes des lésions quelquefois graves, mais ces lésions sont toujours moins accentuées que les altérations du foie, et elles ne sont pas constantes. Les altérations du foie sont les seules qu’on puisse considérer comme spécifiques de l’'envenimation".

Sous ce rapport, les venins de serpents venimeux et de scor- pions ressemblent à certains poisons, d’origine microbienne, et ce qui nous frappe avant lout, c’est la ressemblance de leurs ellets avec ceux qui suivent la fièvre jaune. Cette ressemblance est très nette, et elle ne se limite pas aux lésions du foie seu- lement, car nous trouvons aussi, dans les autres organes, des altérations semblables.

Sanarelli avait déjà remarqué, dans son travail sur la fièvre jauné, que les phénomènes qui résultent de l’'empoisonnement par les venins de certains serpents venimeux ressemblent à des phénomènes de la fièvre jaune *.

Ces altérations, qu’il a trouvées chez les morts à la suite de la fièvre jaune, ainsi que celles qui sont provoquées dans les animaux tués par les microbes spécifiques de cette maladie ou par ses toxines, sont lrès rapprochées de celles que j'ai obtenues au moyen des venins de serpents et de scorpion. Sanarelli a trouvé des lésions des plus graves dans le foie, dégénérescence graisseuse, vaso-dilatation, infiltration leucocytaire autour des vaisseaux sanguins. La dilatation capillaire atteint souvent un tel degré, qu’elle produit une dislocation plus ou moins accentuée de la travée hépatique. À côté des altérations graisseuses, il a trouvé aussi des lésions nécrotiques pareilles à celles que j'ai rencontrées dans le foie des animaux sur lesquels j’ai opéré dans ce travail.

M. Sanarelli, ainsi que moi, avons trouvé dans les reins des altérations propres à des maladies infectieuses, c’est-à-dire des altérations qui se présentent comme une népbhrite aiguë paren- chymateuse ou hémorragique. Le parenchyme de la rate ren- ferme quelquefois de petites gouttelettes de graisse.

Dans mes expériences je n’ai pu découvrir des lésions du tube digestif aussi caractéristiques que celles de l'infection amarile ;

1. Les altérations du système nerveux feront l'objet d'un travail prochain. 2. J. SANARELLI, Etiologie et Pathogénie de la fièvre jaune. Second mémoire. Annales de l'Institut Pasteur. 'T. XI, 9. F. 695.

VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 383

j'ai trouvé, en revanche, des altéralions inilammatoires dans les poumons, qui n'existent que rarement dans la fièvre Jaune.

Mais, sauf ces deux points, les ressemblances sont très grandes et je pourrais, pour résumer certaines parties de mon travail, me contenter de copier certains passages du mémoire de M. Sanarelli sur la fièvre jaune.

C'est un devoir extrêmement agréable pour moi d'exprimer ma sincère et profonde reconnaissance à M. Metchnikoff pour m'avoir reçu dans son laboratoire, pour les matériaux d'étude qu’il m'a cédés, et enfin pour le vif et bienveillant intérêt qu'il a montré à mon travail.

EXPLICATION DES PLANCHES

PI. II. Fig. 1. Coupe provenant du foie d'une souris qui est morte 35 minutes après l'injection du venin des serpents.

Fixation dans le liquide de Fleming. Zeiss. Apochrom. lmmers, 3 mm. Comp. Oc. 6.

Fig. 2. Foie d'une souris morte deux heures après l'injection du venin des serpents.

Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 4.

Fig. 3. Foie d’un cobaye qui a succombé à une injection du venin des serpents, deux jours après.

Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 4.

Fig, 4. Foie d'un chien mort en à heures après l'injection du venin des serpents.

Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 6.

PI, IV. Fig. 1. Foie d'une souris morte 24 heures après l'injection du venin des scorpions.

Fixation dans le liquide de Fleming. Id, Oc, 4.

384 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

PI. III. Fig..5, 6, 7, 8. Cellules hépatiques à divers stades de nécrose.

Fixation dans le sublimé. Id. Oc. 12.

PI IV. —- Fig. 2. Infiltration leucocytaire autour d'un canalicule biliaire et pénétration des leucocytes dans l’intérieur de ce canalicule.

Foie d'un lapin tué par les venins des serpents.

Fixation dans le sublimé. Id. Oc. 4.

Fig. 3. Coupe du rein d’une souris morte 24 heures après l'injection du venin des scorpions.

Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 6.

Fig. 4. La même préparation. Glomérule rénal comprimé par l’exsu- dat: les épithéliums des canaux urinifères qui l'entourent se trouvent à diverses stades de nécrose. Id. Oc. 4.

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RECRERCHES SUR LA PRODUCTION BICCRIMIQUE DU SORBOSE

Par M. GABRIEL BERTRAND

Le sorbose est une substance sucrée, de formule C‘H"0", qui a été découverte par Pelouze en 1852".

Ce savant avait abandonné à lui-même, dans des terrines, du jus de baies de sorbier avec l'espérance de voir l’acide malique qu'il renferme se transformer à l’air en acide succinique. Mal- gré une attente de treize à quatorze mois, son espérance fut déçue: mais il put extraire, par contre, une certaine quantité d’un sucre nouveau, parfaitement cristallisé, auquel il donna le nom de sorbine. C’est ce sucre qu’on appelle aujourd’hui sorbose en raison de sa parenté avec le glucose, le lévulose, et les autres substances du même groupe.

Depuis cette époque, bien des chimistes ont essayé de repro- duire l’expérience de Pelouze ; mais, comme on peut s’en rendre compte en examinant les recherches qui ont été publiées sur ce sujet, quelques-uns seulement ont été assez heureux pour voir, par hasard, leurs nombreuses tentalives couronnées de suc- cès. Aussi la préparation régulière du sorbose a-t-elle fini par devenir une véritable énigme.

Byschl*, dans une étude sur la composition des baies de sor- hier, a admis l’existence du sorbose dans ces fruits, à côté d’un autre sucre, réducteur et fermentescible; cependant, il n’a pu le faire cristalliser.

Delffs”, au contraire, a prétendu que le sorbose ne préexiste pas dans le jus des sorbes, mais qu'il y prend naissance par suite d’une transformation spéciale de lacide malique. Il explique ainsi les insuccès qu'il a éprouvés en voulant extraire du sorbose de jus qu’il avait d’abord précipité par l’acétate de

1. Sur une nouvelle matière sucrée extraite des baies de Sorbier. Ann. Chim. rs 3e série, t. #5, p. 222-235 (1852) et Compt. rend. Ac. d. Sc., &. 34, p. 377-386

2, Archivd. Pharm., série, t. 78, p. 488. 3. On sorbit. Chemical News, t. 24, p.75 (1871).

386 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

plomb, et, d'autre part, la disparition de l’acide malique dans un jus qui lui avait fourni spontanément du sorbose. On verra, par la suite, que cette conclusion de Delffs est erronée, qu’elle doit reposer sur des coïncidences.

Le sorbose avait été décrit par Pelouze comme un sucre infermentescible. En s'appuyant sur cette observation, Boussin- gault' a attribué le pouvoir réducteur du vin de sorbes à la pré- sence du sorbose. Il a cherché à faire cristalliser ce sucre, mais, à la place, il a obtenu un corps voisin de la mannite, par consé- quent non réducteur, et de formule C'H"0°, qu'il a étudié sous le nom de sorbite. Quant au corps réducteur, objet primitif de sa recherche, il a seulement constaté qu'il reste dans l’eau-mère de la sorbite, sans établir s’il est identique ou différent du sorbose.

Les observations publiées par Vincent* n’ont pas, non plus, permis d’élucider la question. Ce savant ayant réussi, une pre- mière fois, à oblenir du sorbose, en suivant les indications de Pelouze, voulut s’en procurer une plus grande quantité, et entre- prit pour cela une nouvelle préparation. Tout se passa, en appa- rence, comme dans la précédente, mais, au lieu de sorbose, ce fut de la sorbite qui cristallisa.

Freund*, dans ces dernières années, a serré davantage les cir- constances de la préparation du sorbose. Des nombreux essais qu'il a entrepris sur les fruits de Sorbus aucuparia, il résulte que le jus de ces fruits recueillis en automne, c’est-à-dire tout à fait mürs, peut donner du sorbose quand on l’abandonne longtemps à lui-même après l'avoir étendu d’eau, de manière à diminuer son poids spécifique jusqu’au voisinage de 1,09. Il a reconnu, en outre, que le sorbose pouvait cristalliser des jus dont on avait séparé d’abord l'acide malique, et que la sorbite disparaissait peu à peu de ces jus. D'où sa supposition que le sorbose apparaît aux dépens de la sorbite sous l'influence des moisissures (Schim- melpilze).

En réalité, aucune solution définitive ne se dégage de toutes ces recherches. Il reste bien établi, par Freund, que le sorbose ne 4. Sur la sorbite, matière sucrée analogue à la mannite, trouvée dans le jus du Sorbier des oiseleurs. Comptes rendus Ac. d. Sc., t. 24, p. 939-942 (1872). 00 Note sur la sorbine et sur la sorbite. Bull. Soc. chim., t. 34, p. 218-219

3. Zur Kenntniss des Vogelbeersaftes und der Bildung der Sorbose. Monatshefte für Chemie, t. 11, p. 560-578 (1890).

PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE 387

dérive pas de l'acide malique, mais la question de la préexistence du sorbose dans le jus n’est même pas complètement éclaircie.

Nous avons vu, par les observations de Byschl et de Boussin- gaull, qu'il y à dans le jus de sorbes un corps réducteur et infer- mentescible. Or, on ne peut décider, par de simples essais de cristallisation, si ce corps réducteur est ou n’est pas du sorbose. Tous ceux qui ont eu l’occasion d'étudier les sucres savent que ces corps restent opiniätrément dissous en présence de minimes quantités de substances étrangères. Le fait que le sor- bose cristallise quand la sorbite (Freund) ou l'acide malique (Delffs) ont disparu par l’action des moisissures, ne prouve donc pas que le sorbose était absent du jus au commencement de l'expérience ; 1l n’établit pas non plus, par conséquent, que le sorbose est bien un produit d’oxydation de la sorbite.

Ces objections ne sont pas les seules qui se présentent à l'esprit au sujet des recherches énumérées plus haut. Est-il sûr, par exemple, que Pelouze et ceux qui ont voulu répéter son expérience aient toujours opéré avec des fruits de la même espèce? Les baïesde Sorbusaucuparia, L., S.latifolia Pers.,S. inter- media Pers., se ressemblent tant! Enfin, à supposer que le sor- bose se forme vraiment aux dépens de la sorbite, il reste à véri- lier si ce sont bien les moisissures qui interviennent, à déterminer quelles sont ces moisissures et dans quelles conditions elles opèrent.

Ce sont les diverses questions que je me suis proposé de résoudre dans le présent mémoire.

RECHERCHE DU SORBOSE DANS LE JUS DE SORBES

J'ai dit plus haut que les essais de cristallisation ne suffisent pas pour établir d’une manière certaine l'absence du sorbose dans le jus de sorbes. C’est pourquoi j'ai eu recours à l'emploi beaucoup plus précis et plus sensible de la phénylhydrazine.

Quand on chauffe du sorbose, en solution à 1 0/0 par exemple, avec deux fois son poids de phénylhydrazine dissoute dans l'acide acétique, on observe la formation d’un précipité microcristallin de couleur jaune, qui augmente beaucoup par refroidissement. Ce précipité, purifié par recristallisation dans l'alcool méthylique dilué et lavage à l’éther, fond à 159-160°

388 | ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

(au bloc Maquenne). C’est de la phénylsorbosazone, ou plus simplement de la sorbosazone, dont on peut se servir, dans les conditions précédentes, pour caractériser le sorbose.

Ceci posé, et après avoir vérifié que le sorbose est infer-° mentescible, j'ai essayé de produire la sorbosazone avec le jus de sorbes débarrassé des autres sucres réducteurs par la fer- mentation.

Du jus, provenant de fruits de Sorbus aucuparia L., récoltés le 8 août 1892, fut stérilisé, additionné de 1 0/0 de levure de bière, et placé dans l’étuve. La fermentation, très vive au début, sembla complètement terminée le quatrième jour. Après une semaine, le pouvoir réducteur fut déterminé avec la liqueur de Fehling; il ne correspondait plus qu'à 10 gr. 5 de glucose par litre, au lieu de 44 gr. 1, trouvé avant la fermentation.

Un quart de litre de ce jus fermenté et filtré fut chauffé une heure au bain-marie, avec 5 grammes de phénylhydrazine et 5 grammes d'acide acétique cristallisable. Aucun précipité d'osa- zone ne se produisit, ni pendant le chauffage, ni par refroidis- sement. Le corps réducteur infermentescible du jus de sorbes n’était donc pas du sorbose. Selon toutes vraisemblances, il diffère même tout à fait des sucres, et se rapproche du groupe des tannins.

La même expérience a été répétée plusieurs fois, avec du jus provenant des baies de Sorbus aucuparia, Linné, de Sorbus intermedia, Persoon, et de Sorbus latifolia, Persoon, les premières ayant été récoltées à divers états de maturation et dans cinq localités différentes. Comme cette expérience a toujours donné le même résultat négatif, il faut admettre définitivement que le sorbose n’est pas un principe immédiat des fruits de sorbier, mais qu'il doit prendre naissance dans le jus exposé au contact de l'air. Aussi ai-je étudié avec soin ce qui peut arriver dans cette circonstance.

FERMENTATIONS SPONTANÉES DU JUS DE SORBES

Quand on abandonne à lui-même du jus de sorbes, il ne tarde pas à subir la fermentation alcoolique. En quelques jours, tous les sucres fermentescibles ont disparu, faisant place à une quantité correspondante d'alcool.

PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 389

Lorsque cette fermentation est terminée, la fleur de vin (Saccharomyces mycoderma, Rees)' envahit la surface du liquide ; elle s’y développe en une pellicule d’un blane mat, mince et fragile, unie au début, puis fortement plissée. Ce n’est pas elle qui produit le sorbose, Comme l’a montré Pasteur, elle fait dis- paraître l'alcool à l’état d’eau et de gaz carbonique, mais elle peut aussi s'attaquer aux autres ne et les détruire d’une manière analogue ?

Pour donner un ne à cette dernière assertion, je citerai l'expérience suivante : un demi-litre de jus de sorbes fermenté fut additionné d’un demi-volume d’eau, et placé à l’étuve à + 30° dans une cuvette ronde de 21 cent. de diamètre. La fleur du vin, ensemencée sur le liquide, s’y développa très rapidement. Après 10 jours les cellules furent séparées par filtration, et le liquide, ramené à son volume primitif, fut analysé. On trouva :

Avant la culture Apres la culture Matières dissoutes ............. 18,70 070 14,05 0/0 Pouvoir réducteur (en glucose). 1,05 » 0,40 »

23 gr. 25 de substances solubles, autres que l'alcool, avaient done été consumées par la fleur du vin.

A ce microorganisme, des moisissures diverses, et surtout Penicillium glaucum Link, succèdent le plus souvent. Elles se comportent de la même manière, c'est-à-dire qu'elles épuisent le jus des substances dissoutes, mais, pas plus que la fleur du vin, elles ne donnent de sorbose.

Enfin, dans quelques cas, de petites mouches rougeûtres, attirées par l'odeur du liquide, viennent et déposent leurs œufs sur ses bords. La pellicule superficielle change alors complète- ment d'aspect ; elle devient d'abord, par places, gélatineuse et consistante ; de nombreuses larves y fourmillent, qui émergent ensuite, montent le long des parois et s’y transforment en insectes parfaits. Ceux-ci pondent à leur tour et, si la saison n’est pas trop avancée, de nombreuses générations de la petite mouche se succèdent ainsi. Les larves utilisent la membrane

4. Syn : Mycoderma cerevisiæ et Mycoderma vini, Desmazières.

M Mahot (Sur la transformation de la sorbite en sorbose par le Saccharo myces mycoderma, Comptes rendus Ac. d. Sc. t. 125. p. 874, 1897) a prétendu que la fleur du vin était capable de transformer la sorbite en sorbose. J'ai réfuté cette assertion, basée sur des cultures incomplètement purifiées (Action de la fleur du vin sur la sorbite; Compt. rend. Ac. Sc., t. 126, p. 653, 1898).

390 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

gélatineuse comme substratum, mais leur présence n’a, comme on le verra plus loin, qu'un rapport très indirect avec la production du sorbose; elles disparaissent aux premiers froids et la membrane continue seule son développement. Comme cette membrane n’adhère presque pas aux parois du récipient, il arrive parfois, à la suite d’un choc ou quand elle devient trop épaisse, que son poids l’entraîne au fond du liquide; peu de jours suffisent pour qu'il en reparaisse une nouvelle.

Enfin, après un temps qui varie, suivant l'épaisseur du liquide, de quelques semaines à plusieurs mois, la dernière membrane perd sa translucidité; elle se dessèche et prend une coloration verdàtre. Toutes Les transformations successives sont alors terminées ; la liqueur sous-jacente réduit énergiquement le réactif cupro-potassique et renferme une forte proportion de sorbose.

Si l’on veut comprendre maintenant ce qui s’est passé, il faut examiner de près la membrane gélatineuse, et, pour cela, le moment le plus favorable est celui elle vient de se reformer.

LA BACTÉRIE DU SORBOSE

A ce moment, en effet, la membrane n’est pas trop souillée: elle n’est pas non plus trop consistante et, avec un fil ou un cro- chet de platine, on peut en détacher quelques minces fragments qu'on colore avec du violet de méthyle ou de la fuchsine,et qu’on examine au microscope. On observe alors de très nombreux bâtonnets immobiles, de 2 à 3 y de longueur sur un demi y en- viron d'épaisseur (fig. 1). Ces bätonnets, facilement colorables par les couleurs d’aniline, sont réunis les uns aux autres par une sub- stance gélatineuse, dont l’affinité pour les matières colorantes est beaucoup plus faible . Au milieu d'eux, on aperçoit généra- lement, çà et là, des cellules ovoïdes, d'assez grandes dimen- sions, se reproduisant par bourgeonnement, et qu’il est facile de reconnaître comme des cellules de fleur du vin. Quelquefois aussi, surtout si la membrane est un peu ancienne, on rencontre quei-

:

ques filaments mycéliens. D’après ce que j'ai dit plus haut, ces

4. Dans les cultures anciennes et épuisées, on ne voit plus que des granula- tions sphériques, ayant à peu près un demi p de diamètre ; elles représentent peut- être des spores (fig. 2).

PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 391

cellules de saccharomyceset ces filaments mycéliens sont des impu- retés de la membrane gélatineuse, et leur présence n’a rien à faire avec la production du sorbose. Les bätonnets seuls jouent

Fig. 4. Bactérie jeune.

un rôle efficace. On peut s’en assurer, d'ailleurs, en cultivant le microbe à l’état pur sur du jus de sorbier.

Pour cela, on stérilise un peu de ce jus fermenté, non par chauffage, mais par filtration à travers une bougie de porcelaine, et l’on répartit le jus filtré dans une série de matras coniques.

Fig. 2. Bactérie vieille.

On ensemence en portant dans le liquide l'extrémité d’un fil de platine avec lequel on a touché la membrane gélatineuse en un

392 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

point d'apparence homogène, et l’on place les matras dans une étuve chauffée à la température de + 29-30°. Quelques matras restent stériles, d’autres donnent de la fleur du vin ou même des moisissures, mais la plupart fournissent, après quelques jours, une belle culture de la bactérie. Dans ce dernier cas, ilse forme dans l'épaisseur du liquide de petites zooglées gélatineuses, d’abord peu visibles, qui gagnent la surface et s'y développent en taches blanchâtres, translucides, se réunissant bientôt en une seule membrane unique, semblable à celle qui a servi de point de départ. Comme les microbes capables de végéter dans un milieu aussi acide que le jus de sorbier sont très rares, on arrive très vite, par des ensemencements successifs, à posséder la bactérie pure. C'est alors qu’on peut constater avec certitude son rôle producteur du sorbose. Chaque fois, en effet, qu'on cultive cette bactérie sur le jus de sorbes, on voit apparaître dans celui-ci un sucre réducteur, aisément cristallisable, et possédant tous les caractères du sorbose.

Cela ne va pas cependant sans quelques précautions, dont l’une est relative à la stérilisation du jus, et l’autre à son mode d’ensemencement.

Quand on chauffe du jus de sorbes à + 100° et surtout à une température supérieure, il devient peu à peu antiseptique pour la bactérie; la semence qu’on y porte doit subir une sorte d’ac- climatation avant de se développer, et il faut attendre quelquefois plus d’un mois avant de voir apparaître une zooglée bien distincte.

La cause de cette transformation du jus me paraît tenir à la présence, dans celui-ci, d’une substance primitivementsans action, mais qui se dédoublerait par le chauffage en présence de l'eau et surtout de l’eau acide, en donnant un corps antiseptique. La substance dédoublable peut être enlevée au jus par agitation avec de l’éther, mais très difficilement. Aussi le mieux est-il, si on tient à employer la stérilisation par le chauffage, de diluer le jus ‘avec de l’eau ( de 1/2 à 2 volumes). On diminue ainsi, d’une manière indirecte, la proportion de substance antiseptique, et la bactérie n’éprouve plus que peu de retard dans son développe- ment. On à soin, d’ailleurs, de ne chauffer qu'un temps très court à 100-105°, tout au plus.

PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 393

Eafin, malgré ces précautions, il faut encore ensemencer le jus d'une certaine manière, si l’on veut réussir à tout coup. La bactérie du sorbose est très fragile et ne se conserve pas long- temps dans les milieux qu’elle a épuisés. En outre, la zooglée qu'elle forme, quand elle croît au voisinage de la température optimale, devient rapidement si consistante qu'il est difficile d'en détacher des germes à coup sür avec le fil de platine. On aura donc soin, pour les ensemencements, de conserver toujours quelques cultures à la température ordinaire, cultures qu’on rajeunira chaque fois qu'elles tendront à passer de l’état gélati- neux clair à celui de membrane consistante.

MODE D'ACTION DE LA BACTÉRIE DU SORBOSE

Après avoir vérilié, soit par l’action directe des réactifs sur le liquide de culture, soit par l'extraction du sucre à l’état cristal- lisé, que le sorbose apparaît dans le jus de sorbes sous l'influence de la bactérie isolée plus haut, il reste à déterminer aux dépens de quelle substance et par quel processus chimique cette bactérie arrive à produire le sorbose.

Delffs, on l’a vu au commencement de ce mémoire, croyait que le sorbose dérive de l'acide malique. Cette supposition a été reconnue inexacte par Freund qui, s'appuyant sur des faits mieux observés et des analogies plus frappantes, pensait, au contraire, que le sorbose est produit par des moisissures aux dépens de la sorbite. J'ai déjà dit quelles objections on pouvait faire aux expériences de Freund. Comme, en outre, les relations chimiques qui existent entre la sorbite et le sorbose ne suffisent pas à prouver que la seconde substance dérive de la première, j'ai cultivé la bactérie productrice de sorbose non seulement sur du jus de sorbes, qui contient des quantités considérables de substances diverses, mais encore sur des solutions artificielles, additionnées successivement de chacune des substances dont il m'a paru utile de faire l'étude.

J'ai pu me convaincre ainsi, sans qu'il subsiste de doute, que la sorbite est bien la substance qui, dans le jus de sorbes, est transformée en sorbose. Seuls, en effet, les liquides qui

394 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

renferment de la sorbite donnent du sorbose quand on y cultive la bactérie. En même temps, comme cela a lieu d’ailleurs pour le jus de sorbes, l’analyse constate la disparition progressive de la sorbite au fur et à mesure de l’apparition du sorbose. A la fin, quand la transformation est complète, 100 parties de sorbite sont remplacées par 80 parties de sorbose.

Dans une expérience, deux matras contenant chacun 50 c. c. d’une décoction de levure additionnée de sorbite furent stéri- lisés et placés dans une étuve chauffée à 30°. Après avoir vérifié la stérilité de ces matras, on ensemença l’un d'eux avec la bac- térie pure (22 décembre). Le lendemain, on apercevait de petites zooglées flottantes; elles se rassemblèrent à la surface dès le 24 el, trois jours après, la membrane superficielle, épaisse de 2 à 3 millimètres, était déjà blanche et opaque.

Après trois semaines, le contenu des matras fut analysé et les résultats comparés avec ceux obtenus dans des circonstances semblables, sur la même décoction de levure non additionnée de sorbite. On trouva que toute la sorbite avait disparu, laissant 80 0/0 de son poids de sorbose.

Résidu Acidité Sorbose., 1400 0), (en acide acétique). Décoction de levure + sorbite (ensemencée)..... 1,890 0,018 1,511 = (non ensemencée). 2.080 0,023 0,000 seule (ensemencée)..... 0,210 0,018 6,000

(non ensemencée). 0,220 0,023 0,000

La différence de 20 0/0, entre le poids de la sorbite et celui du sorbose, provient non seulement de la perte d'hydrogène qui résulte de la transformation d’un corps CSH'‘05 en un corps CSH:206, mais surtout de ce que le sorbose est lui-même oxydé par la bactérie. Ceci résulte au moins de l’expérience suivante, exécutée en même temps et dans les mêmes conditions que la précédente, mais avec du sorbose au lieu de sorbite :

Résidu Acidité Sorbose.

100 0). (en acide

acétique). Décoction de levure + sorbose (ensemencée).... 1,290 0,036! 0,888 as (non ensemencée). 2,210 0,036 1,943

1. Cette légère augmentation d’acidité (décoction de levure seule 0,023) résulte d’une légère altération du sorbose par la stérilisation.

PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 395

Si on observe maintenant que la bactérie du sorbose ne se développe pas dans le vide, on a tous les éléments nécessaires pour définir son mode d'action sur le jus de sorbes.

Gràce à l'absorption de l'oxygène de l'air, elle enlève deux atomes d'hydrogène à la sorbite normalement renfermée dans le jus, et la transforme en sorbose d'après l'équation suivante :

2C6H1106 + 02 2CSH1206 + 2H°0.

La bactérie du sorbose est donc, comme le Mycoderma aceti, une bactérie oxydante, capable de vivre en milieu acide. En étudiant son origine, on verra se justifier encore mieux cette comparaison.

ORIGINE DE LA BACTÉRIE DU SORBOSE

En décrivant les fermentations spontanées du jus de sorbes, j'ai insisté sur la présence, dans les cas il se forme du sor- bose, d’une petite mouche rougeûtre à la surface du jus. C'est qu’en effet, cette petite mouche, ou mouche du vinaigre (Droso- phila cellaris, Macquart) est l'agent convoyeur de la bactérie du sorbose; c’est elle qui apporte la bactérie dans le jus. Voici, à ce sujet, une observation bien significative :

Ayant placé dans une étuve, vers la fin du mois d'avril, un cristallisoir contenant un liquide favorable (vin et vinaigre), j'y aperçus, après quelques jours, une culture d'aspect caracté- ristique, développée en ligne sinueuse à la surface. Une petite mouche du vinaigre, venue peut-être de fort loin, était tombée dans le liquide; après bien des efforts et du chemin parcouru à la nage, elle avait fini par mourir; je la retrouvait à l'une des extrémités de la ligne sinueuse, au milieu d’une sorte d’auréole beaucoup plus large, témoignant de ses dernières luttes contre la mort. Il est manifeste que cette petite mouche, née au sein d’une culture antérieure, avait le corps recouvert de germes: partout, sur son sillage, elle en avait ensemencé le liquide.

La bactérie du sorbose se rencontre d’ailleurs assez souvent dans le vinaigre; on peut alors la faire développer en abandon- nant ce liquide pendant quelques jours dans un endroit tiède

396 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

(20° à 30°), après l'avoir mélangé avec son volume de vin rouge et 2 d’eau. Aussi ai-je déjà exprimé l'opinion que la bactérie du sorbose devait être identique au Bacterium xylinum de Brown, ou tout au moins fort voisine de ce microbe. Bientôt, les recherches que je poursuis sur la bactérie du sorbose étant plus avancées, j'espère élucider définitivement cette question.

IL est à remarquer ici qu’en raison des endroits elle vit d'habitude, la petite mouche du vinaigre ne doit pas convoyer que la bactérie du sorbose

Très souvent, comme l'a si dit M. Duclaux dans sa Chimie biologique. elle doit apporter avec elle le Mycoderma aceti, ferment ordinaire du vinaigre. Mais, j'en ai fait plus d’une fois l'expérience, ce mycoderme périt très rapidement sur le jus de sorbes; il s'ensuit que la bactérie gélatineuse se développe seule.

Si on place un fragment de voile de ferment acétique à la surface du jus de sorbes, on voit, en quelques minutes, le frag- ment se dissocier, recouvrir une surface de plus en plus grande et finir par disparaître. On est ainsi conduit à une explication très simple du cas, déjà signalé, la présence de la petite mouche sur le jus de sorbes n’a pas été suivie d’une production de sorbose : la petite mouche n'avait probablement apporté que du Mycoderma aceti*.

PRÉPARATION DU SORBOSE

Voici maintenant comment on peut, d’après toutes ces obser- vations, préparer régulièrement le sorbose :

On commence par se procurer le ferment spécifique en aban- donnant à l'air, en plusieurs endroits, soit le mélange de vin et de vinaigre indiqué plus haut, soit du jus de sorbes débarrassé de sucre par fermentation. Quand le microbe se développe à la surface de ces liquides, apporté par la mouche ou autrement, on le reconnaît à ses colonies gélatineuses, plus épaisses et plus

1. Préparation biochimique du sorbose (Bull. Soc. Chim., série, t. 15, 627-630, 1896).

2. Cette explication est purement hypothétique, et l’on pourrait tout aussi bien admr-ltre que, dans le cas en question, la bactérie du sorbose ayant été ensemencée, il y avait tant de moisissures, que celles-ci faisaient disparaitre le sorbose au fur et à mesure de sa formation.

PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 397

opaques dans leur partie centrale, qui fait légèrement saillie au- dessus du liquide. Ces colonies, assez semblables au début à des gouttes de suif, deviennent bien vite confluentes et forment alors une membrane si épaisse qu'on peut l'enlever d’une seule pièce. Sans attendre un tel développement, on procède à la purifica- tion du mierobe par des ensemencements successifs sur du jus de sorbes. On peut aussi employer, pour ce dernier usage, le mélange de vin, d’eau et de vinaigre, mais on n'a pas alors la certitude de séparer le Mycoderma aceti, pour lequel ce mélange est un milieu de culture très favorable”,

Une fois en possession du ferment, on l'ensemence sur un liquide nutritif contenant de la sorbite. Et. pour cela, on peut prendre soit un milieu artificiel, soit un suc de fruit.

Comme milieu artificiel, je me suis servi d’abord d’une solu- tion de peptone à 1 0/0, minéralisée de la manière suivante :

Phosphate monopotassique ............. 0,100

de sodium cristallisé ......... 0,100 ; Chlorure de calcium fondu ............. 0,100 LRROEANUEE Sulfate de magnésium cristallisé ........ 0,060

Mais ayant remarqué, depuis, que toutes les peptones com- merciales ne convenaient pas au développement de la bactérie, je recommande de préférence une décoction de levure, renfer- mant environ 5 grammes de matières dissoutes par litre. On y ajoute quelques centièmes de sorbite. J'ai essayé avec succès jusqu’à 5 0/0.

Parmi les jus de fruits, c’est assurément pour cause de tradition celui de sorbes qu’on emploiera le plus souvent ; mais on peut aussi en employer d’autres. Non seulement je me suis servi du jus des trois espèces de sorbes déjà mentionnées, mais j'ai obtenu aussi de bons résultats avec du jus de cerises et, une fois, avec du jus de pommes. Il est du reste probable qu'on pourrait utiliser dans le mème but tous les autres fruits de pomacées et d'amygdalacées qui, d’après les recherches de MM. Vincent et Delachanal, doivent contenir de la sorbite *. Je dois dire cependant que le jus de sorbes justifie dans une cer-

4. Je crois d’ailleurs que cela est sans importance quand il s’agit seulement de la préparation du sorbose. 2. Comptes rendus Ac. d. Sc., t. 108, p. 354, 1889,

398 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

taine mesure Ja préférence qu’on est tenté de lui accorder : ilest très riche en sorbite et l’on peut, à bon compte, s’en procurer de grandes quantités. En revanche, c’est, m'a-t-1l semblé, le jus qui convient le moins au développement de la bactérie du sorbose. Quand les sorbes ont été recueillies dans un état de maturation très avancée, le jus qu'on en tire est si concentré qu'il faut prendre la précaution de l’étendre d'eau, par crainte de détruire la bactérie par plasmolyse ‘. Et, dans tous les cas, il faut se rappeler ce que j'ai déjà dit, relativement au pouvoir bactéricide que ce jus acquiert sous l'influence de la chaleur. Une bonne concentration est celle qui correspond à la densité 1,05 à 1,06, et si l’on veut éviter la stérilisation par le filtre, assez peu pratique encore pour de grandes quantités, on aura soin de porter le liquide seulement quelques minutes à l’ébulli- tion. Ce court chauffage suffit en général, à cause de la forte acidité du jus de sorbes.

Une dernière recommandation, applicable à tous les jus de fruits, est d'abandonner ceux-ci pendant quelques jours dans un endroit tiède, avant de s’en servir pour l’ensemencement de la bactérie. Pendant ce repos, la pectine se coagule et les sucres fermentescibles disparaissent. On passe alors sur une toile et l’on termine la clarification au papier.

Bref, qu'on emploie un milieu artificiel ou un jus de fruits, le liquide est réparti dans des matras à large ouverture, fermés par un tampon d'ouate. Il ne doit y former une couche que de quelques centimètres d'épaisseur, deux à trois par exemple, si l’on veut que la transformation se fasse vite.

Après stérilisation, on ensemence, puis on maintient les matras vers 29° 30°.

Le sorbose se formant dès que la bactérie se développe, le liquide de culture acquiert rapidement la propriété de réduire le réactif de Fehling. On détermine de temps en temps ce pouvoir réducteur et, quand il cesse d’augmenter, on met fin à la culture. Les zooglées sont séparées passées à la presse, et tout le liquide réuni est précipité par le sous-acétate de plomb, à la manière ordinaire.

4. Freund ayant obtenu une première fois du sorbose avec un jus fortuitement étendu d’eau, alors que le même jus pur n'avait rien donné, a conseillé d’étendre

le jus jusqu’à ce que sa densité soit descendue à 1,09: et, de fait, ce procédé empirique lui a réussi (/oc. cit.).

PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE, 399

On filtre, puis on enlève l'excès de plomb par l'acide sulfurique. Le liquide limpide et presque incolore qui résulte de ce traite- ment est enfin concentré par distillation dans le vide.

Quand on est parti d'une culture en milieu artificiel, on obtient un sirop se prenant en masse cristalline, Quand, au contraire, on a utilisé un jus de fruit, il faut reprendre le sirop par l’alcool; on ajoute au mélange juste assez d'acide sulfurique pour précipiter les substances qui gênent la cristallisation du sorbose, puis, après repos suffisant, on décante et on chasse l'alcool en distillant dans le vide. Le nouveau sirop cristallise alors avec facilité, surtout si on l’amorce avec un peu de sorbose antérieurement obtenu.

CONCLUSIONS

Le sorbose, sucre découvert par Pelouze sous le nom de sorbine, ne préexiste pas dans le jus de sorbes.

Il apparaît dans celui-ci, par oxydation de la sorbite qu'il renferme, sous l'influence d’une bactérie analogue ou identique au Bacterium æylinum de Brown.

En cultivant cette bactérie à l’état pur sur un milieu conve- nable, contenant de la sorbite, on obtient avec certitude une transformation de la sorbite en sorbose, avec des rendements qui peuvent atteindre, dans certains cas, 80 0/0 du rendement théorique.

SUR LA MATURATION DES FROMAGES

Par M. J. SCHIROKICH

J'ai essayé de vérifier les conclusions de M. de Freudenreich au sujet du rôle joué par les ferments lactiques dans la matura- tion des fromages. Aucune de mes cultures pures de ferments lactiques ne m'a donné de phénomène se rapprochant du tra- vail de la maturation. Il est donc probable que M. de Freuden- reich a travaillé avec d’autres espèces que moi.

J'ai alors fait de nouvelles expériences surles diastases pro- duites par les tyrothrir, diastases qui, d’après M. Duelaux, sont les agents principaux de la maturation des fromages.

Pour obtenir ces diastases, je me suis servi de cultures de tyrothrix tenuis, filtrées au filtre poreux, après quatre jours d’é- tuve à 35°. Ce liquide filtré, ajouté à du lait stérilisé, l’a trans- formé comme le fait le bacille lui-même, mais sans aucun phé- nomène correspondant à la maturation : la caséine était devenue soluble dans l’eau, mais le liquide n’avait pas du tout l’odeur du fromage.

J'ai donc essayé d’une autre méthode. J'ai fait d’abord, dans du lait stérilisé, une culture pure du ferment lactique, en y ajou- tant de la diastase après que le lait s'était complètement coagulé par suite de l'acide lactique produit par les microbes.

Par litre de culture, j'ai ajouté 50 c.c. de solution de diastase

en agitant ensuite fortement le ballon. Ce mélange, à son tour, a été gardé dans l’étuve à 35°. Cette fois-ci, le

mélange est acide, la diastase n'agit sur la caséine que très fai- blement, et après une quinzaine de jours, celle-ci avait l’odeur du fromage. |

Cette expérience a été répétée à plusieurs reprises, et son résultat a toujours été le mème, c’est-à-dire que lodeur du fro- mage se retrouvait, le caillé était très bon, et le mélange d'acides gras volatils qu'on en tirait était semblable au mélange extrait d’un bon fromage.

L'intensité de l'odeur dépendait beaucoup des relations qui

SUR LA MATURATION DES FROMAGES. 401

existaient entre la diastase et l'acidité de la culture au moment du mélange; plus l'acidité était prononcée, plus la quantité de diastase devait être augmentée. Les conditions les meil- leures étaient 0:,40 acidité et 15-25 c. c. de solution de dias- tase pour 500 c. c. de culture. Si l'acidité dépassait 04,40, l'odeur apparaissait plus lentement, et dans les cultures l'acidité était de 05,75, aucune odeur de fromage ne pouvait être constatée. En plus, certaines espèces de ferment lactiqué donnaient des résultats différents; avec de l’acide lactique ajouté directement, la diastase ne produisait point d’odeur.

D'après ces expériences, je crois que, dans la maturation du fromage sec, le rôle principal appartient justement à cette dias- tase produite par les tyrothrix et par le bacillus subtilis, qui est une espèce du même genre. S’ilenest ainsi, la fabrication du fromage doit dépendre des conditions plus ou moins favorables dans lesquelles on fait agir la diastase.

Parmi ces conditions, M. Duclaux fait figurer en premier lieu la température. L'été passé, ayant été chargé par le minis- tère de l’Agriculture d'aller étudier la fabrication du fromage facon Emmenthaler, dans le gouvernement de Smolenski, c’est surtout sur la température des cartes que j'ai porté mon attention, et j'ai cru, en effet, constater qu'une des causes produi- sant la différence qui existe entre la plupart de ces fromages et l’'Emmenthaler authentique est justement l’irrégularité de la température des caves.

Certainement, cela ne veut pas dire que l'acidité du lait, à laquelle actuellement les savants anglais et américains donnent tant d'importance, ne joue pas aussi son rôle ; au contraire, c’est elle justement qui régularise la production dela diastase par les tyrothrix. À ce point de vue, comme l'énergie de certains ferments lactiques varie beaucoup, il sera très utile d’employer pour la préparation du fromage des cultures pures de ferment lactique, et de surveiller l'augmentation de l’acidité; mais le procès de la maturation ainsi commencé devra se poursuivre par l'intervention des ferments de la caséine, qui ne s'implan- tent pas facilement dans un milieu acide, et qui doivent être présents à l’origine de la culture. Il y a une question de sym- biose sur laquelle je me propose de revenir.

Note sur ue petite épidémie de fèvre typhoïde dorigiue hydrique.

Par M. 1e Dr G. SCHNEIDER

Aux environs du 25 décembre 1897 se déclaraient quelques cas de fièvre typhoïde parmi les pensionnaires d’un hôtel de T***. Cinq ans auparavant, les locataires de l’immeuble avaient l’évacuer, après le décès, par la même affection, de leurs deux enfants. Depuis cette époque, la dothiénentérie n'avait point sévi sur le personnel de l'établissement ; cependant, à la suite d'analyses chimiques et bactériologiques, l’eau du puits de l'hôtel avait été signalée comme d’un usage dangereux.

La nouvelle explosion fut meurtrière. Sur cinq personnes atteintes, deux moururent, deux autres eurent des formes très graves, chez la dernière seulement, la maladie fut bénigne.

En l’absence d’autres éléments étiologiques, l'infection parut devoir être rapportée à une origine hydrique. L’eau d’alimen- tation est, en effet, fournie par un puits couvert que dessert une pompe. La simple inspection des locaux permet de constater que le tuyau d'aspiration de cette pompe n’est séparé du principal tuyau de chute des latrines que par un mur d’une épaisseur de 0,30. Une telle disposition implique la contiguiïté de la fosse et du puits. Et dès lors, étant donné ce fait que les latrines sont à « matières perdues », il est logique de supposer que l’eau du puits a été souillée par l’infiltration des matières fécales de cette fosse, aux parois non étanches.

L'hôtel ayant été évacué, il ne s’est plus produit de cas de fièvre typhoïde.

L'analyse bactériologique, faite le 18 janvier 1898, c’est-à- dire vingt-quatre jours après l'apparition du premier cas, à décelé la présence dans cette eau du bactérium coli, presque à l’état de pureté.

Deux analyses chimiques, en date des 18 et 31 janvier 1898, ont fourni les résultats suivants :

18 janvier, Eau très riche en nitrates et en chlore, exigeant pour la combustion de sa matière organique, 0#,0062 de 0, emprunté au permanganate de potasse.

ÉPIDÉMIE DE FIÈVRE TYPHOIDE D'ORIGINE HYDRIQUE. 403

L’extrait sec perd au rouge sombre 0£,074 par litre de produits volatils et de matières organiques.

Pas de phosphates.

Chaux en quantité normale.

31 janvier. Eau très riche en nitrates et en chlore, conte- nant l'équivalent, en matières organiques, de 0:,0012 de O emprunté au permanganate de potasse.

L'extrait sec perd au rouge sombre 0£,148. Son poids est de 0:,668.

Pas de phosphates.

Chaux 08,286.

Si le voisinage du puits et de la fosse avait éveillé les soup- cons des habitants de l'hôtel, ils n’auraient donc eu aucune difficulté à se convaincre qu'une eau aussi riche en chlore, en nitrates, en matières organiques, recevait à petite distance des infiltrations répugnantes ou dangereuses, et qu’il était prudent de fermer le puits.

Statistique de l’Institut Pasteur Hellénique d'Athènes.

Par M. ve Direcreur Dr P. PAMPOUKIS

L'Institut Pasteurien hellénique a été fondé à Athènes par M. le D' Pampoukis au mois d'août de l’année 1894. |

Au mois de janvier de l’année 1895, la mairie d” Athènes lui a accordé une subvention, et en même temps, par décision du Conseil municipal, approuvé par le préfet d'Attique, cet Institut a été mis sous la protection de la mairie d'Athènes.

Au mois de juin de la même année, le Gouvernement hellé- nique a fait avec l’Institut une convention, votée par la Chambre et approuvée par S. M. le Roi. D’après cette convention, l'Etat hellénique accorde à l’Institut une subvention annuelle et met l’fnstitut Pampoukis sous le contrôle officiel du ministère de l'Intérieur, lequel exerce cette surveillance par deux membres du Conseil sanitaire supérieur de l'Etat.

L'Institut antirabique d'Athènes, se composant d’un bâti- ment central à trois étages, dont le premier sert à héberger les pauvres, et de deux pavillons latéraux, avec 24 pièces en tout, a élé construit aux propres dépens de M. Pampoukis.

Le personnel de l’Institut, qui est dirigé par ie fondateur lui-même, se compose, outre le personnel inférieur, d’un chef de clinique, d’un vétérinaire chef de service, d'un préparateur et d'un aide.

Voici le résumé de sa statistique depuis l’origine.

Nombre total des personnes traitées. Depuis le commen- cement des travaux de l’Institut (août 1894), jusqu’à la fin de l’année dernière, 797 personnes ont subi le traitement antira- bique, dont 590 (74 °/,) appartenaient au sexe masculin, et 207 (26 ‘/,) au sexe féminin.

Age des personnes trailées.

Depuis 1 jusqu’à 10 ans il y avait 162 personnes (20,3 0/0).

Sr 10 = 20 = 189 231 0/0). 1) ap ENS TN Cu) 30 40 128 ee (16,6 0/0). AUD too) a Ce (7,7 0/0).

50 et au-dessus _ D4 -—- (6,7 0/0).

STATISTIQUE DE L'INSTITUT PASTEUR D’ATHÈNES 405

Par conséquent, sur 797 mordus, il y a 553 (69,3 °/) qui avaient de 1 à 30 ans inclus.

20 Animaux mordeurs. Chiens, 732 fois (91,8 °/,); chats, 34 fois (4,2 °/.); loup, 1 fois; autres animaux, 13 fois (1,7 °/;).

Il y a de plus 17 personnes infectées par la salive des indi- vidus enragés.

Siège des morsures. a) A la tête et à la face, 44 (5,5 °/,); b) aux mains, 431 (54°/,); c) au tronc, 17 (2,1 °/:); aux mem- bres, 305 (38,2 2/0).

Nombre des morsures. Simples, 400 (50,1 °/,); multiples, 397 (49,8 °/c). Cautérisation. Il n'y a que 188 (soit 23,5 °/,) personnes

qui ont fait cautériser leurs morsures : de ie -ci 69 ont été cautérisées par l'acide phénique; #1 par le nitrate d'argent ; 36 par de l'huile bouillante; 18 par la teinture d’iode ; 14 avec du fer rouge, et les autres par des moyens divers.

To Provenance. Hellènes, 736 (92,3 °/); Étrangers (de l'Orient}, 61 (7,7 2/2).

Mouvement mensuel. Janvier, 40 ; février, 40 ; mars, 62; avril, 76; mai, 58; juin, 72; juillet, 130 ; août, 79; septembre, 81 ; octobre, 77 ; novembre, 39, et décembre, 59.

Epoques de l'année. Printemps, 195 (24,5 si : été, 281 (35.2 c/); automne, 197 (24,7 °/.); hiver, 123 (15,4 0/4).

100 Arrivée des mordus après la morsure.

De 1 à 10 jours, 331 personnes (41,5 0/0).

10 20 264 (33,1 0/0). 20 30 115 (14,4 0/0). 30et au-dessus 8 _ (10,6 0/0). 110 Séries. Du nombre total des personnes traitées, 245

(30,7 °/,) appartenaient à la série A des statistiques de l’Institut Pasteur, 112 (14 °/,) à la série B et 440 (55,1 °/,) à la série C.

120 Mortalité. Parmi les 797 personnes traitées, il y a deux morts, dont l’un appartenait à la série B et l’autre à la série C. La mortalité a donc été de 0,25 °/,.

Outre ces 2 personnes succombées à la rage, il y en a encore 5 chez lesquelles les premiers symptômes rabiques se sont mani- festés moins de 15 jours après la dernière inoculation.

406 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Enfin, à part ces 797 personnes mordues, il y a encore une autre mordue par un loup, chez laquelle le traitement a échoué. Si nous comptons cette dernière personne à la statistique de la mortalité, nous avons parmi 798 individus traités, trois morts, à savoir une mortalité totale de 0,37 °/,.

13° Mortalité des personnes mordues et non traitées. Outre ces 198 personnes traitées à l’Institut, il y en a eu d’autres qui n’ont pas subi le traitement antirabique pastorien, rassurées par les affirmations de ceux qu’on appelle en Grèce des Empiriques : parmi ces personnes non traitées, il y en a 40 qui sont mortes de la rage.

14° Incubation. L’incubalion de la maladie est connue sur 27 personnes seulement, parmi les 40 morts, et elle est la sui- vante :

Chez 3 personnes, de 20 à 3C jours (11 0/0).

3 30 40 (11 0)o).

1 40 50 (3,9 0/0). 8 50 60 (28,8 0/0). 8 90 120 (28,8 9/0). == 5 6 mois (7,8 0/0). À _— 6 7 (3,9 9/5). À a 4 an (3,9 0/0).

REVUES ET ANALYSES

URSS RROENZYNES

REVUE CRITIQUE

La science s’est enrichie, dans ces dernières années, d’une foule de noms nouveaux, apportés par une étude de plus en plus approfondie des enzymes ou diastases. Quand un traitement quelconque faisait apparaître dans un milieu des propriétés diastasifères, on a admis que la diastase qui s’y manifestait n’y préexistait pas, ou plutôt y préexis- tait sous une forme différente de sa forme active, qu’on a appelée proenzyme prodiastase. Comme il y a beaucoup de diastases diffé- rentes, chacune d'elles a été pourvue d’un ancêtre, naturellement différent de l’une à l’autre; le nombre des membres de la famille s’est ainsi trouvé doublé. On a eu d’abord une trypsine et une protrypsine, puis une pepsine et une propepsine, une présure et une proprésure, et ainsi de suite.

Quel accueil faut-il faire à ces acquisitions nouvelles, et quelle place faut-il leur réserver ? La création d’un mot nouveau peut être utile dans la science comme moyen de classement; mais à la condition qu’on n’oublie pas qu'il n’est qu’une simple étiquette, en attendant l'inventaire des faits qu’il couvre. C’est cet inventaire que nous sommes en mesure de faire maintenant.

Étude théorique des phénomènes. La définition générale des pro- diastases, telle qu'on peut la tirer d’une étude soigneuse des faits publiés jusqu'ici, est la suivante : une prodiastase est une diastase qui attend, pour agir, l'intervention d’une action extérieure. On pour- rait aussi dire qu'une prodiastase est une matière non diastasique qui attend, pour se transformer en diastase, l'intervention d’une action extérieure. Au fond, comme nous ne savons pas ce que c’est qu’une diastase, les deux définitions n’en font qu’une, et la première est cer- tainement plus simple.

Quoi qu’il en soit, on reconnaît l’apparition de la diastase à ce qu’elle commence à agir en suivant les lois que nous avons posées dans ce volume, p. 81. Si nous revenons aux notations que nous y avons

408 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

adoptées, nous pouvons dire que dans un liquide jusque-là inerte, nous voyons apparaître une action spécifique qui, à ses débuts au moins, obéit à la loi F, ta

S sest la quantité d’action produite au bout du temps f, par une quantité de diastase d, dont l’activité, en prenant ce mot dans le sens que nous lui avons donné p. 102, est représentée par «. Nous pouvons faire ici une première remarque. Dans un liquide resté inerte pendant un temps {, nous voyons, sous l'influence d’un certain traitement, apparaître une action représentée par «dt pendant le même temps. L'hypothèse de la prodiastase est qu’on y a fait apparaître la quantité d de diastase qui n’y existait pas; mais il y a une autre hypothèse que nous n'avons aucun droit de négliger à priori, c’est que ce n’est pas d qui a augmenté, mais 4. En d’autres termes, l'addition du réactif a augmenté, comme nous savons qu’il peut le faire, l’activité de la dias

tase présente, sans en changer la quantité, et cette seconde hypothèse est au moins aussi probable que la première.

Voici une solution de sucrase ou d’amylase qui est un peu alca- linisée. On les met en contact avec un peu de sucre ou d’amidon qu'elles ne transforment pas, quel que soit le temps du contact. On ne gagne du reste rien à le prolonger, car dans ces conditions les diastases s'oxydent et se détruisent. À un moment quelconque, on ajoute une trace d’acide, différente dans les deux. L’acide peut, du reste, nous le savons, être quelconque, à la condition que sa dose soit propor- tionnée à sa puissance. On voit alors se manifester une interversion du sucre ou une saccharification de l’empois. Dira-t-on qu'il y avait une prodiastase que l'acide a mise en liberté? Non, évidemment. La quantité de diastase n’a pas varié. Seulement elle était inerte et ne l'est plus. j

Prenons la même action par le bout inverse. Voici encore une solu- tion d’amylase ou de pectase qui reste inerte en milieu trop acide. On y ajoute de l’alcali en quantité convenable, et l’amidon se saccha- rifie, ou bien la pectine se coagule. Dira-t-on qu'il y avait une proamy- lase, une propectase que l’alcali a remise en liberté? Je pourrais évi- demment poser la même question au sujet du chlorure de calciuin, qui accélère l’action de doses faibles de présure, de fibrinase ou de pec- tase, de façon à les rendre apparentes on pouvait croire à leur absence. Faut-il conclure de qu’il les crée? Évidemment non.

Nous pouvons donc affirmer qu’il y a une première, ventilation nécessaire dans tous les phénomènes qui ont fait conclure à l’existence de proenzymes. C’estseulementlorsqu’onsesera assuré, parl'expérience, que les réactifs employés sont incapables de faire varier la puissance

REVUES ET ANALYSES. , 409

de la diastase étudiée, qu’on sera en droit de leur attribuer l'apparition de cette diastase dans les milieux on les a introduits.

A cette première ventilation, il faut en ajouter une autre, sortant, comme la première, de l'interprétation de faits connus. Je prendrai encore un exemple. Voici un précipité de phosphate de chaux produit dans un liquidédiastasifère, et qui a entraîné avec lui toute la diastase. Dans ce mélange devenu inerte, dira-t-on qu’il y a une prodiastase, en se basant sur ce fait que quelques gouttes d’acide, même d'acide acé- tique, peuvent, en dissolvant le phosphate de chaux, remettre en liberté la diastase qu'il contenait ? On le peut, à la rigueur, en considérant, contrairement à toutes les apparences, l'adhésion de la diastase au phosphate de chaux comme une combinaison chimique que l'acide décomposerait. Mais, avec cette interprétation, voici un certain nombre de faits qui se compliquent beaucoup. Ce sont ceux qui sont relatifs à la fixation des diastases sur les matières qu’elles doivent transformer. Les plus probants sont ceux que MM. Wurtz et Bouchut ont trouvés à propos de la papaïne.

Le suc de Carica papaya donne, en se coagulant, un liquide surna- geant un dépôt gélatineux. Du liquide on peut précipiter, au moyen de l'alcool, une substance blanche, pulvérulente, capable de dissoudre la fibrine en liqueur neutre ou alcaline, et sans que cette fibrine se gonfle.

En liqueur acide, la fibrine se gonfle, mais elle se dissout aussi. Si donc la papaïne n’est pas un mélange de trypsine et de pepsine, elle Jouit à la fois des propriétés de ces deux diastases.

Le dépôt gélatineux du suc, broyé dans l’eau, abandonne à celle-ci de nouvelle papaïne, parfois en quantité plus considérable qu'il n’y en avait dans le liquide surnageant. Dans l’interprétation contre laquelle je m’élevais tout à l'heure, on peut dire que ce dépôt contient de la propapaïne que l’eau transforme en papaïne. Mais prenons une solu- tion de diastase,et mettons-la en contact pendant quelques minutes, à la température ordinaire, avec de la fibrine aussi finement divisée que possible; exprimons les filaments et lavons-les pendant une demi- heure sous un filet d’eau, et enfin 10 fois de suite, avec expression à chaque fois, avec de l’eau distillée. La dernière eau de lavage, mise en contact à 40° avec de la fibrine, n’en a pas dissous en 24 heures la moindre trace. Si on met, au contraire, les filaments de fibrine ainsi lavés en digestion à 40° avec de l’eau pure, le lendemain tout est dissous à 1 pour cent près.

L'eau, quitransformait la propapaïne en papaïne au contact du coa- gulum du suc de la plante, laisse donc la papaïne redevenir de la pro: papaïne aucontact des filaments de fibrine ; et dansceux-ci, la transfor- mation qui se fait à la température ordinaire se défait à 40°, car si Wurtz avait cherché, il aurait certainement vu qu’il pouvait dissoudre encore

410 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

de la fibrine nouvelle dans le liquide de digestion de la fibrine impré- gnée, et qu'il y avait, par conséquent, à nouveau de la papaïne libre.

M. Wurtz a fait la même expérience avec le même succès, en met- tant de la fibrine divisée en contact avec une solution de pepsine, - lavant ensuite à grande eau, et en laissant cette fibrine pendant 48 heures au contact d'acide chlorhydrique à 4 millièmes. La fibrine se dissout si bien que le liquide ne précipite plus par l’acide nitrique.

D’autres expériences un peu moins nettes ont été faites avec la caséine impressionnée soit par la papaïne, soit par la pepsine. C’est que ces diastases ne sont pas de celles de la caséine. De l’ensemble de ses résultats, Wurtz tire la conclusion que les deux diastases se fixent à l’état insoluble sur certaines matières albuminoïdes, contractant avec elles des combinaisons temporaires qui se dissocient après que l’action diastasique est produite. Tout s'explique évidemment mieux en voyant non des combinaisons chimiques, mais des phénomènes de teinture dans le sens que nous avons toujours donné à cette expression. Il n’y a pas plus de raisons de distinguer dans ce cas entre la diastase et la prodiastase qu'entre la couleur libre et la couleur fixée, entre la couleur et la procouleur.

En résumé, nous devons faire sortir du cadre des prodiastases toutes celles dont l’apparition dans un liquide résulte, non de ce qu’elles sont de nouvelle formation. mais de ce que, préexistantes, elles sont mises en liberté par les réactifs employés. Si on n’accepte pas cette délimitation, on est condamné à dire que l'alcool, l’éther, le phosphate de chaux, le collodion, versés dans une liqueur diastasique, déter- minent la formation de prodiastases que l’eau, les acides pour le phos- phate de chaux, l’éther pour le collodion, retransforment ensuite en diastases actives. Or, les cas qui relèvent de cette interprétation sont nombreux, et on peut même à leur sujet faire une remarque.

Voici une substance qui, introduite dans un liquide, y amène, sans y produire de précipité ni amener un changement de réaction quel- conque, l’apparition ou l’augmentation d’activité d’une diastase, car les deux choses n’en font évidemment qu’une. Est-on fondé à s'appuyer sur Pabsence de toute action chimique visible pour dire : «la liqueur ne change en rien, et pourtant une diastase y apparaît; donc celle-ci en était absente. Voici un liquide qui, à froid ou à l’obscurité, ne donne rien; qui, à chaud ou à la lumière, sans que rien y ait été ajouté de l'extérieur, manifeste une action diaslasique : donc il y a eu une pro- diastase détruite par la lumière ou par la chaleur.» Raisonner ainsi serait oublier que les diastases sont, comme on le voit bien à propos de l’action des acides sur la sucrase ou l’amylase, des réactifs plus sensibles que les réactifs chimiques, et distinguent fort bien entre des liqueurs que nos réactifs ou nos papiers colorés ne différencient pas.

REVUES ET ANALYSES. AA

Lorsqu'on a fait cette seconde ventilation, et éliminé les faits qui s'expliquent mieux par les lois de l’adhésion moléculaire que par des productions ou des destructions de prodiastases, il ne reste plus que les cas, plus compliqués en apparence, dans lesquels on s’adresse, pour avoir des diastases, non à des substances inertes comme le phos- phate de chaux, qui peuvent s’en charger artificiellement et s’en débarrasser, mais aux cellules vivantes qui les produisent. C’est ici que l’idée de prodiastase, évidemment artificielle par ailleurs, redevient naturelle. Il n’y a pas de diastase, dès l’origine, dans la cellule épi- théliale du scutellum du grain d’orge. À un moment donné, on en voit apparaître subitement beaucoup. N’est-il pas naturel de penser qu'au moment de la germination, il y en avait une réserve quelque part, sous une forme non active? Voici un estomac dans lequel on ne trouve pas, à certains moments, de pepsine ou de présure, et il yena beaucoup quelques minutes après. A quel état inactif, proenzymatique, étaient-elles avant d’apparaître dans la sécrétion ?

Cette question est évidemment très intéressante; mais on peut voir tout de suite qu’on y peut répondre autrement que par l’hypothèse d’une diastase de réserve, n’ayant besoin, comme une troupe armée au moment d’une bataille, que d’être démasquée pour pouvoir agir. Comme les diastases peuvent produire des effets très mesurables sous des poids inappréciables, on a toujours le droit d’attribuer celles qui apparaissent, même le plus inopinément, dans la vie cellulaire, à des sécrétions qui ne sont pas hors de proportion avec la puissance des cellules, étant donné surtout que celles-ci manifestent, au moment de la sécrétion, une activité particulière.

Il y a donc un problème à résoudre, qu'on peut poser ainsi : Existe-t-il, dans une cellule diastasigène, en dehors de la diastase prête à agir, une substance, actuellement distincte de la diastase, et ayant besoin de subir un changement chimique quelconque pour devenir de la diastase ?

Voyons si ce problème a été résolu et comment il a été résolu pour quelques diastases. ;

La question a été étudiée, surtout à propos de la présure, par Hammarsten, Boas, Arthus, Lürcher et d’autres savants. C'est le travail de Lürcher que nous résumerons surtout, parce qu'il est le dernier et le plus explicite. Lürcher prépare sa présure par un procédé déjà employé par Ebstein et Grutzner. Après avoir fendu l'estomac sur la ligne de la petite courbure, on l’étale sur la main, la muqueuse en dessous; on tond la tunique musculaire avec un rasoir, on étale la poche sur du papier filtré, la muqueuse en dehors, et on fait sécher à douce température, ce qui ne demande que quelques heures. On enlève

412 ANNALES DE L'INSTITUT. PASTEUR.

le papier et on coupe la tunique en petits morceaux qu’on conserve dans un flacon bien bouché. Pour l’usage, on en prend un fragment, on le broie finement dans un mortier, et on fait un extrait glycériné avec la poudre fine obtenue.

C'est ici qu’un éclaircissement manque. Cet extrait est-il débar- rassé, par filtration ou autrement, de tout débris cellulaire ou de toutes granulations protoplasmiques? Est-ce un liquide limpide, ou un liquide tenant en suspension des corps solides ? Lürcher n’en dit rien, et pour- tant la question est importante; voici pourquoi :

Pour Lürcher, l’extrait glycériné contient à la fois de la présure et de la proprésure, différant de la présure en ce qu'elle n’est pas prête à agir, et qu’elle a besoin, pour cela, d’un contact d’une heure, environ, avec une solution étendue d’un acide. De sorte qu’on peut faire avec cet extrait l'expérience suivante :

Du lait, additionné de 1/10000 d’acide chlorhydrique, puis de 1/20 de son volume d’extrait glycériné, se coagule en 17 minutes; il se coagule, au contraire, en 2 minutes si on y ajoute les mêmes quantités d'acide et d’extrait, après les avoir laissés en contact pendant 2 heures l’un avec l’autre. Donc, conclut Lürcher, il y a dans l'extrait une substance qui ne devient présure qu'au contact d’un acide.

Cette conclusion est acceptable si l'extrait ne contient aucune substance en suspension. Il peut alors se faire que les matières dis- soutes y soient modifiées lentement par l'acide. Si, par exemple, comme cela est possible, la diastase est le produit d'une hydrolysation prove- nant d’une cause extérieure ; si elle a la faculté de se détacher d'une substance mère (Muttersubstanz), par adjonction d'une molécule d’eau ou autrement, avant de pouvoir commencer à agir, l’action de l’acide s’expliquera sans peine, et même on pourra remarquer avec intérêt que si on range les acides, comme l’a fait Lürcher, suivant leur degré de puissance pour la production de cette présure, l’ordre est à peu près le même, sauf pour l’acide sulfurique et l’acide azotique, que l’ordre dans lequel ils se présentent d’après leurs constantes d’inversion. (Ces Annales, p. 84.)

Mais si l'extrait contient des granulations ou des débris cellulaires, toutes ces déductions tombent, et on s'explique fort bien que la présure accolée aux granulations ou adhérente aux cellules puisse être mise en liberté par l'acide ajouté, et aller aider, après ce contact, la présure contenue en dissolution dans l’extrait glycériné de Lürcher. C’est alors une opération analogue à celle qu'on réalise constamment en teinture- rie dans les bains de dégorgeage : un tissu teint, et qui n'abandonne que peu ou pas de sa couleur à l'eau, en cède davantage sous l’action d’un alcali, d’un acide, sans qu’on prétende pour cela qu’il y a dans le tissu une pr'ocouleur différente de la couleur elle-même.

REVUES ET ANALYSES. 413

On est d'autant moins autorisé à repousser cette explication que l’extrait employé par M. Lürcher était très peu actif. Il ne coagulait que 20 fois son volume de lait en 23 minutes. Les présures industrielles coagulent 5000 fois leur volume de lait dans le même temps, et sont par conséquent 250 fois plus fortes. Dans un liquide aussi peu actif que celui de Lürcher, la plus petite quantité de matière en suspension peut faire varier beaucoup la force.

Ce qui invite en outre à des réserves, c’est qu'on n’a pas trouvé de différences bien sensibles de propriétés entre la proprésure et la présure.

Boas avait cru pouvoir les distinguer en ce que la présure était plus facilement attaquable par les alcalis que la proprésure. « On alcalinise, disait-il, une solution de présure, et on la divise en 2 parties dont l’une reçoit un peu de chlorure de calcium, l’âutre rien. La première coagule le lait, l'autre le laisse liquide. Donc, conclut-il, la proprésure a résisté à l’alcali ». Pour accepter cette conclusion, il faut admettre que l’alcali a détruit toute la présure, car s’il l’a seulement atfaiblie, elle peut, on le sait, rester inaperçue tant qu’elle n’est pas aidée par l’action du chlorure de calcium, et l'expérience s’interprète alors facilement d’elle- même, sans cette complication de présure et de proprésure. Telle est, en effet, la conclusion de Lürcher, qui, sur ce point, est en désac- cord avec Boas.

Enfin Klemperer a cru aussi trouver une différence de résistance à la chaleur. Il chauffe un suc stomacal à 70°, c’est-à-dire à une tempé- rature qu’il suppose mortelle pour la présure. Ce su& devient, en effet, incapable de coaguler le lait, mais il le coagule quand on ajoute du chlorure de calcium. C’est la même expérience el le même raison- nement que tout à l'heure, avec cette différence qu'ici l'expérience n’est pas exacte. D’après Lürcher, en effet, l’action de la température est la même sur la présure et la proprésure, ce qui s’accorde mieux, il faut le reconnaître, avec l’idée qu’il n’y a qu’une présure qu'avec celle qui en voit deux, l’une née, l’autre encore à naïtre.

On peut du reste remarquer que ces petites différences à l’action des agents chimiques ou physiques, alors même qu’on en relèverait de bien nettes, en opérant avec plus de soin qu’on ne l’a fait jusqu'ici, n'auraient de valeur probante qu’autant qu’elles porteraient sur des substances à l’état de solution. Nous savons, en effet, que les diastases sont plus résistantes à la chaleur et à d’autres agents quand elles sont précipitées sur des corps solides que quand elles sont en solution dans l'eau.

Concluons, en résumé, que rién n'autorise jusqu’à plus ample informé l'introduction d’une proprésure dans la science, tous les faits qu'on considère comme démonstratifs de l'existence de cette substance pouvant être interprétés plus simplement-en dehors d'elle.

A4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

J'ai insisté sur la discussion relative à la proprésure parce que je pourrai être plus bref au sujet des autres proenzymes, pour lesquelles il n'existe pas de meilleures preuves. Aussi, d’après Schmidt et l’École de Dorpat, les globules blancs ne contiennent pas de la fibrinase (fibrin ferment) toute faite, mais une prodiastase, la prothrombine, qui a besoin, pour devenir de la thrombine active, d'une certaine substance dite « zymoplastique », car il est toujours plus facile de trouver un nom que de mettre quelque chose derrière. Voyons de quelles expé- riences est sorlie cette interprétation.

On peut, dans la méthode de Schmidt, séparer, péniblement il est vrai, par l’action de l’alcool, mais enfin séparer un peu de fibrinase d’un coagulum normal de fibrine qui s’est formé dans du sang en repos; mais si on reçoit dans l'alcool du sang au sortir de la veine, la même méthode ne donne plus de fibrinase. Donc, conclut-on, les globules blancs qui la contiennent ne la contiennent pas toute formée, car s’il en était ainsi ils devraient en donner autant dans le second cas que dans le premier. C’est leur mort lente, dans le premier cas, qui permet à la diastase de se former.

Autre argument. Quand on ajoute du sel à du sang quelques mi- nutes après la sortie de la veine, on obtient un plasma salé qui peut se coaguler spontanément si on l’étend d’eau. La coagulation n’a jamais lieu quand le sang est reçu au sortir de la veine dans une solution salée de même concentration. La conclusion est la même que tout à l'heure.

Mais aucune des deux conclusions ne s'impose. Du moment que c’est une cellule qui extravase la diastase, les différences dans la forme et le degré de l’osmose peuvent dépendre autant de l’état de la cellule que de celui de la diastase. Il suffit de cette remarque pour ruiner les deux raisonnements. On comprend, par exemple, que la diastase d’un leucocyte reçu directement dans l’alcool et coagulé par lui ne se com- porte pas comme cette diastase n'ayant eu le contact de l’alcool que lorsque la mort du leucocyte lui a permis de se diffuser dans le liquide, Concluons donc, non contre l’existence possible d’une pro- thrombine, mais contrelesargumentssur lesquels on a appuyé jusqu’ci cette existence. Je pourrais dire la même chose des autres arguments tirés par Hammarsten, par Peckelharing, de l’action des sels de chaux sur la prothrombine. Ce sont ceux que nous avons rencontrés tout à l'heure chez Boas au sujet de la présure, et ils sont justiciables des mêmes objections.

Nous pouvons en dire autant à propos de la propepsine. C’est à propos de la pepsine qu’ont été faites les premières expériences sur les prodiastases. Ebstein et Grutzner ont trouvé que les cellules de la muqueuse donnaient un liquide beaucoup moins actif lorsqu'elles élaient macérées avec de la glycérine qu'avec de l’acide chlorhy-

REVUES ET ANALYSES. 415

drique étendu. Donc, ont-ils conclu, l’acide transforme en pepsine une propepsine de la cellule. En vérité, il eût été surprenant que les deux macérations fussent de même force, étant donné que la glycérine provoque l’extravasation du suc cellulaire par osmose et grossit les granulations protoplasmiques, tandis que l’acide chlorhydrique gonfle la cellule et la rend transparente. Nous n’insisterons pas davantage sur ce point que nous avons suffisamment visé plus haut. Les autres argu- ments qu’on a fait valoir au sujet de l'existence de cette propepsine sont de même nature que ceux que nous avons combattus.

J'ai hâte d’arriver à la proenzyme de l’orge germé, parce que nous allons trouver à son sujet un exemple différent des précédents, en ce que c’est la lumière qui semble provoquer la formation de la diastase.

Dans son étude sur l’action de la lumière sur les diastases saccha- rifiantes, M. Green a vu que quelques-unes des radiations du spectre augmentaient la puissance diastasique du liquide traversé. Green rap- proche lui-même ce fait de la conversion des prodiastases en diastases sous l’action de la chaleur, et en particulier de celle qui lui semble la mieux démontrée, celle de la trypsine pancréatique. 1l n’est pas dou- teux qu’une macération de pancréas ne devienne beaucoup plus active après digestion à 38° qu’elle ne l’est à température ordinaire, et les chiffres cités par M. Green sont d’un autre côté trop probants pour qu’on puisse douter que les rayons rouges enrichissent en diastase active les solutions de salive qu'ils ont traversées. La question est de savoir s’il n’y a pas, à ce fait, d'autre explication que la transforma- tion d’une prodiastase en diastase. Or, il y en a beaucoup d’autres, et ici encore, on n’a pas le droit de faire abstraction des cellules ou granulations présentes dans le liquide. Ces cellules peuvent abandonner plus ou moins facilement ce qu’elles contiennent de diastase, en aban- donner plus ou moins à chaud qu’à froid, et dans certaines condi- tions de milieu que dans &’autres. Rappelons d’ailleurs que les nom- bres fournis par M. Green résultent d’une correction un peu incertaine au sujet de l’effet des rayons ultra-violets. Nous en conclurons, non pas qu'il n’y a pas de proamylase dans la salive, mais que sa présence n’est pas démontrée. Il est même peu probable que cette explication par une prodiastase se fût présentée d’elle-même à l'esprit de Green, comme conséquence logique des faits observés, si elle n’avait pas déjà existé dans la science.

Green a cherché à appuyer sa conclusion sur une autre expérience destinée à affirmer la ressemblance de la salive avec le suc pancréa- tique. Avec de la salive débarrassée de mucine, et additionnée de 2 millièmes de cyanure de potassium, on fit deux lots, dont l’un fut mis à 380, et l’autre laissé à 180, À divers intervalles, on prélevait 2 c, c. de

416 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

chaque liquide et on déterminait son pouvoir diastasique par la méthode de Kjeldahl, On a obtenu les nombres suivants :

Durée de l'expérience. Salive à 380. Salive à 180, 2 jours 26,9 45 SHC 69,5 45 seu 07,0 62 9 « 70,6 70,8

15 66.0 95 TR 32,0 94

On peut interpréter cette expérience de deux façons: on peut d’abord admettre que les différences présentées tiennent à ce que, dans le pre- mier échantillon, la proamylase s’est transformée plus vite en diastase et a donné au bout du jour le.maximum que le second échantillon n’a atteint qu'au 15e. Ce sont deux hypothèses superposées. On peut d’un autre côté admettre que les granulations, ou même les cellules que la salive conserve malgré le traitement purificateur qu’elle a subi, laissent se dissoudre plus lentement leur diastase à froid qu’à chaud. Ceci n’est pas une hypothèse nouvelle : c'est ce qu'on sait par ailleurs. On peut même remarquer que le maximum atteint est plus grand à froid qu’à chaud dans l’expérience de Green, ce à quoi on pouvait aussi s'attendre avec les notions acquises au sujet de l’action funeste de la chaleur sur les diastases. En résumé, la question des pro- diastases reste ouverte. Rien n’assure qu’elles n’existent pas, mais rien assure qu’elles existent, et on ne risque rien à les rayer pour le moment de la science qui est, déjà, sans elles, assez hérissée et rébar- bative.

E. Duczaux.

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Le Gérant : G. Masson.

om tt

Sceaux. Imprimerie E. Charaire,

49me ANNÉE JUILLET 1898 No 7.

ANNALES

DE

L'INSTITUT PASTEUR

RECHERCHES SUR L'ACTION SPORICIDE DU SÉRUM

Par M. ze Dr Jos. HALBAN, DE VIENNE.

Grohmann a le premier découvert, en étudiant l’action coa- gulante des microbes sur le sérum, cette action bactéricide du sérum sur laquelle M. Buchner a si fortement appelé l'attention. L'idée préconçue de la forte résistance des spores a empèché ce dernier d'étudier l’action bactéricide du sérum sur ces formes de résistance. Lubarsch a montré ensuite par l'expérience que cette action était nulle. Peckelharing a trouvé plus tard que le sérum normal de lapin et de chien tuait en peu de temps les bacilles et les spores du bacille charbonneux. Puis ses données furent contestées par Trapeznikoff, Sanarelli, confirmées au contraire par Leclef”, qui a vu les spores du bacille de la pomme de terre et du subtilis, si résistantes par ailleurs, périr rapidement au contact du sérum de lapin.

On peut reprocher à ses expériences, de même qu'à celles de Peckelharing, de n'avoir pas été assez prolongées. Ce n'est pas parce qu’un ensemencement reste stérile au bout de 24 heures qu'on peut conclure que les semences sont mortes, Un autre reproche est de n'avoir pas séparé l’action du sérum in vitro et dans l'animal vivant. On sait qu’il y a, dans le sérum tiré du corps, des substances mises en liberté à la suite de la destruction des leucocytes, et qui n'existent pas dans le sang circulant.

Comme d’un autre côté Wyssokowitch?® a vu les spores du

1. La Cellule, v. 1894, p. 349. 2. Zeitschrift für Hygiene, 1, | 27

418 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

bacille du foin, injectées dans les veines d’un lapin, persister 2 ou 3 mois dans les organes parenchymateux, tandis que les formes bacillaires périssent rapidement, il y a sur ce sujet des contradictions et des obscurités telles que j'ai cru devoir le reprendre, en séparant les essais in vitro et les expériences sur l'animal vivant.

Î. EXPÉRIENCES IN VITRO

Une vieille culture, sur gélose, du bacille du foin, sert à ensemencer un tube de bouillon qu'on chauffe à 100°, pour éliminer les formes végétatives et répartir également les spores dans le liquide. Une anse de platine de ce bouillon est portée dans des tubes de sérum de lapin, qu'on met à l’étuve à 37, D’autres tubes de sérum sont ensemencés de même après chauf- fage à 60° et servent de témoins. Le nombre des microbes, après des temps variables, est déterminé au moyen de la méthode des plaques de Pétri. Voici, pour quelques expériences, les nombres de colonies données par ces plaques.

I. 2 c. c. sérum de lapin, vieux de 3 jours. Après l’ensemencement colonies innombrables. 2h 3/4 après 90 colonies Abe 20 ss She 90 24h colonies innombrables.

Le sérum était limpide à ce moment, avec un dépôt de bacilles au fond.

Il. 4. 4 c. c. sérum de lapin. Après l'ensemencement T. nomb. colonies. 2h après = AN 6h environ 50 colonies. 24, 48h après 0 3, 9, 7 jours après 0 8 jours environ 300 colonies. 10, 14 jours après 0

Le sérum est déjà limpide après 24 heures, Il se trouble de nouveau le 10e jour, mais pas par des bacilles. B. Même expérience, sérum chauffé à 600. Après l’ensemencement T. nomb. colonies 2, 4, 6, 24h après me 2 et 14 jours après, a Le sérum est troublé après 24 heures par la culture,

ACTION SPORICIDE DU SÉRUM. 419

IT. 4 c. c. sérum de lapin frais, ensemencés en même temps sur des plaques de Pétri et dans des tubes de bouillon.

bouillon plaques Après l’ensemencement cult. t. abond. cult, t. abondante Après 3 heures —= 5h Pas de cult. cult. abondante 24h —- culture moyenne 48h 3, 4, 5 jours Pas de dévelop. 7 jours voile (ap. 4 jours) 9 jours

10, 12, 16, 21, 35 jours, pas de cult. Le sérum donne après 24 heures un dépôt floconneux et ne change plus d'aspect. Le 14 jour, trouble de nature non bactérienne,

IV. 2 c. c. sérum de cheval, vieux de 3 jours.

Après l’ensemencement forte culture

2h,15 après cult. moins abond. 4h —— 15 colonies

94h == 0 Ur

48h culture abond.

96h 3 colonies

> jours cult. très riche

Le sérum était limpide au bout de 24 heures, et surnageait des grumeaux qui, au bout de 5 jours, donnèrent un nouveau développement.

V. 4 c. c. sérum de cheval frais.

Après l’ensemencement 9 colonies 1" après 8 2h 5 ADI 4 = 5h 4/2 0 24, 48, 96h 0

Le sérum normal ensemencé avec des spores de b. subtilis peut donc devenir complètement stérile au bout de quelque temps.

Quant à savoir si ces spores sont tuées à l’état de spores, ou bien si elles sont détruites après s’être développées en bacilles, nos expériences ne disent rien à ce sujet.

Aussi les avons-nous complétées par des préparations microscopiques que nous étudierons plus bas.

Il résulte aussi de nos expériences que le pouvoir bactéricide n’est pas également efficace dans toutes les circonstances. Avant tout, la quantité des germes ensemencés joue un rôle impor-

420 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

tant. Si cette quantité est trop grande, il se forme un dépôt, mais suivi d’un développement ultérieur de bacilles.

Quoi qu’il en soit, nous voyons que le résultat négatif d’une culture après un contact de 24 heures ne permet pas de con- clure à la mort des bacilles, ainsi que l’ont soutenu Leclef, Pekelharing et Bauchner. Ainsi, en IE, il y a eu culture en bouillon après 7 jours de contact entre le sérum et les spores. Un très grand nombre de spores ont été anéanties de suite par le sérum: les plus résistantes ont été simplement retardées dans leur développement. Mais elles étaient déjà altérées, car le voile qu'elles formèrent dans le bouillon ne se développa qu’au bout de # jours d’étuve.

Il n’est pas possible d'attribuer la destruction des bacilles uniquement au changement du milieu, car d’abord les spores sont très résistantes à ces influences: puis elles se développaient dans les tubes de sérum chauffé.

Il faut donc admettre la présence de substances bactéricides dans le sérum normal, du moins pour ce qui concerne nos expériences vitro.

Quant au sérum chauffé, il s’y développa toujours une cul- ture abondante, mais jamais aussi riche que dans les cultures témoins en bouillon. Il semble donc qu'à 60° les substances bactéricides du sérum sanguin sont fortement altérées, mais non détruites.

Je ne veux pas omettre de dire que le sérum normal, ense- mencé avec des spores de subtilis, se trouble au bout de 8 jours, même lorsqu'il est absolument stérile. Ce trouble, qui peut donner lieu à un interprétation erronée, n’est pas au développe- ment des bactéries, mais à la formation d’un précipité indéter- minable par le microscope.

Arrivons maintenant à la rapide diminution des germes sur les plaques, déjà peu d'heures après l’ensemencement. Cette diminution n’est pas due à une destruction rapide, mais à des causes tout à fait différentes 'qui résulteront de l'examen de nos préparations microscopiques.

Préparations microscopiques. Dans le sérum chauffé, la germination des spores se fait au bout de 3 ou 4 heures. On trouve des bacilles en petits amas de 30 ou 40 individus, mais point de microbes isolés. Au bout de peu d'heures, cette dispo-

ACTION SPORICIDE DU SÉRUM 421

sition en amas disparait complètement, et l’on trouve alors des bacilles tous isolés.

Dans le sérum normal, si l’ensemencement est suffisant, la germination se fait au bout de 6 à 8 heures; et alors apparaît la formation de petits amas, composés d’un nombre d'individus moins grand que dans le sérum chauffé, de 4 à 10 en général. Ce groupement en amas, à condition que l’ensemencement n'ait pas été trop abondant, persiste et se retrouve même au bout de 8 jours. Si l’ensemencement est peu abondant, il est impossible de découvrir les bacilles dans le tube.

Dans le bouillon, la germination débute déjà au bout de 2 ou 3 heures, mais ici les bacilles restent toujours isolés, sans former des amas.

Avec l’exsudat péritonéal, le liquide d’œdème obtenu par la ligature de l'oreille du lapin, ou le liquide d’ascite humain, on trouve les mêmes résultats qu'avec le sérum chauffé.

Nous avons donc ici affaire avec l'apparition de l’agglutina- tion, et comme on l’observe aussi bien dans des liquides bacté- ricides, que dans des liquides non bactéricides, nous voyons une confirmation de la conception de Grüber, qui affirme l’indé- pendance de l’agglutination à l'égard des substances bactéri- cides.

Les préparations microscopiques ne nous éclairent pas sur l’état des spores jusqu’au moment de la germination, à cause de leur trop petit nombre et de la difficulté de les retrouver. C'est pour cela que nous avons examiné ce qui se passe dans une goutte suspendue.

En faisant un mélange à parties égales d'une émulsion de spores et de sérum, nous avons pu observer, immédiatement après l’ensemencement, de nombreuses spores isolées, en mou- vement moléculaire, C'était le même aspect que nous offrait une goutte de bouitlon ensemencée avec des spores.

Déjà une heure après, toutes les spores sont immobiles dans le sérum et disposées en pelits amas qui sont formés de 5 à 8 indi- vidus. Mais il ne s’agit pas ici d’une véritable agglutination, car on ne remarque point un accolement des individus : on peut au contraire constater entre eux des espaces libres.

Déjà 3 heures après l’ensemencement, on trouve dans le sérum de nombreux bacilles nettement agglutinés, à côté des-

422 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

quels on peut encore distinguer des spores. Tout cela est encore retrouvé après 24 heures.

Dans le bouillon témoin il y a, 3 heures après l'introduction des spores comme 24 heures plus tard, une très grande quan- tité de bacilles, très mobiles et point en amas.

Dans le sérum chauffé à 60°, il y a, comme dans le sérum ordinaire, d’abord une disposition des spores en amas; mais, au bout de 3 heures, la germination survient, avec forte pullula- tion des bacilles. L’agglutination disparaît, et on ne trouve plus de spores.

Le mélange à parties égales d’une émulsion de spores et de sérum n’est pas très favorable à l'étude de ces processus, parce que, avec cette proportion, l’action du pouvoir bactéricide du sérum ne peut pas bien être mise en évidence. Avec un ense- mencement plus faible (4 : 10), la formation d'amas de spores a lieu en quelques minutes, le mouvement moléculaire cesse, et les spores restent dans cet état d’immobilisation pendant quelques heures sans germer. Tandis qu’en employant le sérum chauffé ou le liquide péritonéal normal, la germination se fait en 3 ou 4 heures, le mélange étant dans le rapport de 1 : 10, celle-ci n’arrive qu'au bout de 24 heures ou même plus tard si l’on se sert du sérum normal,

Il est aisé de tirer des conclusions intéressantes de toutes ces expériences in vitro et de l'examen microscopique.

Il est d’abord évident qu’un certain nombre de spores de b. subtilis peut être complètement stérilisé in vitro dans le sérum normal.

Les spores sont longtemps empèchées de germer, et une fois qu’elles ont donné de jeunes bacilles, ceux-ci périssent, tués par l'action du sérum. Il ne s’agit done pas ici d’un pouvoir sporicide, mais seulement d’une action bactéricide secondaire, qui a pour point, de départ une influence gènante du sérum vis-à-vis des spores.

Il résulte, en second lieu. de nos expériences, que la diminu- tion frappante des spores qu'on observe quelques heures après l’ensemencement, ne témoigne pas de leur destruction complète, comme le pensent tous les auteurs. Elle est due plutôt à ce que les spores s’accolent en amas, de sorte qu'en prélevant une goutte il est plus difficile d’en trouver, et d’autre part à ce qu'une

ACTION SPORICIDE DU SÉRUM. 423

colonie sur plaque de Pétri ne correspond pas à un individu, mais à un groupe de spores.

M. Leclef n’a pas observé cette agglutination des spores. Il constata, il est vrai, la formation des groupes, mais seulement après leur germination et dans le sérum chaulfé. Ce phénomène Jui échappa complètement dans le sérum normal, quoiqu'il s’y montre encore plus clairement et y persiste plus longtemps.

Agglutination. Nous avons dit qu’en faisant l’examen en goutte suspendue, on voit les bacilles isolés et mobiles se mettre en amas au bout de 5 à 10 minutes, si l'on ajoute un dixième du volume de sérum normal de lapin ou de cheval, ou de sérum chauffé, ou enfin de liquide péritonéal.

Quelques bacilles seulement restent isolés et mobiles. De même, dans un tube à essai, la culture s’agglutine et se dépose au fond. Nous n’avons pas essayé d'obtenir cette aggluti- nation avec une quantité plus petite de sérum, mais par contre nous avons vu que l’addilion de sérum, dans la proportion de 1 : 1, produit ce phénomène très rapidement, et sous le micros- cope on peut observer de très grands amas de bacilles.

Il n’est pas aisé de décider si ce phénomène doit être envisagé comme l'ont fait MM. Gruber et Durham, c’est-à-dire comme une aclion spécifique du sérum vis-à-vis du b. subtilis, microbe non pathogène. Il faudrait, pour y arriver, entreprendre encore d’autres expériences sur des microbes non pathogènes. Nous voulons encore mentionner que nous avons obtenu l’agglutina- tion avec le bacillus prodigiosus, mais pas du tout avec la bactérie charbonneuse et le vibrion cholérique.

EXPÉRIENCES SUR LES ANIMAUX

On a injecté à des lapins une émulsion abondante de spores de b. subtilis dans la veine marginale de l'oreille. Cinq animaux périrent après injection de 2 c. c. Tous supportèrent celle de 4 c. c. et augmentèrent même sans exception de poids. Ils furent sacrifiés à des intervalles réguliers, et leurs organes examinés au point de vue de leur contenance en b. subtilis. On enleva des fragments d'organes de la grosseur d’une noix, on les broya avec du sable et de l’eau stérile dans un mortier, et

42% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

avec la bouillie ainsi obtenue, on fit trois plaques de Pétri. Voici les résultats :

Lapin 1, sacrifié 8 jours après l'injection. Poumon, rate, foie, rein, moelle osseuse : masse de colonies de bacillus subtilis. Sang, stérile,

Lapin 2 sacrifié 14 jours après l’injection, même résultat en 1.

3 3 semaines

SAR ot Ra = a Er

5 2 mois colonies moins nomb. que 1.

6 2 mois et demi quelques col. d. la rate. Rien ailleurs.

ML = 3 mois et demi Tous les organes sont stériles.

Il résulte de ces expériences que l'organisme n’est débar- rassé du b. subtilis qu’au bout de trois mois.

Il s’agit maintenant de savoir si le subtilis éliminé de l’orga- nisme en a disparu à l’état de spore ou de bacille.

L'examen histologique des organes se prêtant mal à l’obser- valion des spores, la solution fut abordée par voie indirecte, Une partie de l’émulsion a servi à faire des plaques de gélose après avoir été bouillie pendant une minute.

Les plaques qui devaient rester stériles, si l’émulsion d’or- ganes n'avait contenu que des bacilles, montrèrent toujours un riche développement de colonies de subtilis, bien qu'à la vérité moins nombreuses qu'avec l’émulsion non bouillie.

Nous n’en sommes pas moins autorisés à affirmer que les spores du bacillus subtilis peuvent séjourner trois mois dans l'organisme d’un lapin, et ainsi se trouvent confirmées les affirmations de Wyssokowitch.

Comme nos expériences in vitro confirment d'un autre côté les conclusions de Leclef, nous nous trouvons en présence de contradiction que nous avons déjà signalée plus haut. Il existe cependant un moyen très simple de la résoudre. Les expériences de Wyssokowitch, pas plus que les nôtres, ne concluent contre l'existence du pouvoir bactéricide du sérum dars l’organisme vivant. Et cela pour les raisons suivantes. Nous avons vu que le sérum n’est capable de détruire qu'une certaine quantité de spores, c’est ainsi qu'une anse de platine, contenant trois milli- grammes d’une riche émulsion de spures, doit être ensemencée dans À ec. c. de sérum de lapin pour qu'il en résulte une des-

ACTION SPORICIDE DU SÉRUM 425

truction complète. Il résulte de que pour détruire 1 e. c. de l'émulsion (c’est la dose que nous injections dans les veines) il faudrait au moins 300 c. c. de sérum sanguin. Mais un lapin de taillé moyenne ne renferme guère plus de 160 c. e. de sang. De telle sorte que Wyssokowitch et nous-même avons injecté dans les expériences une quantité beaucoup trop grande de spores pour pouvoir compter sur leur destruction par le sérum.

En effet, en injectant à quelques lapins 1/6 de c. c. dans les veines, voici les résultats que j'ai obtenus :

Lapin 8, tué au bout de 3 jours; dans le poumon, rate, foie, rein, moelle osseuse, abondante culture de subtilis ; dans le sang, point. Lapin 9, tué au bout de 8 jours. Lapin 10, tué au baut de 10 jours; tous les organes sont absolument stériles.

Par conséquent, les spores disparaissent après un temps très court, si leur quantité est convenable.

On voit par que les résultats obtenus par M. Wyssokowitch ne contredisent nullement l’existence d’un pouvoir bactéricide du sang dans l'organisme vivant. Mais, d'autre part, ils ne le démontrent pas davantage. Au contraire, on peut toujours objecter que, dans ce cas, ce n’est pas le pouvoir bactéricide, mais l’action phagocytaire qui fait périr les spores.

La démonstration directe du rôle des phagocytes est extraor- dinairement difficile. Des expériences avec des petits sacs de collodion, contenant des spores et introduits dans la cavité péri- tonéale d’un lapin, nous ont donné des résultats peu décisifs.

C'est pourquoi nous avons abandonné cette méthode, et nous avons prélevé aseptiquement sur l'animal vivant de la lymphe péritonéale que nous avons ensemencée de suite êw vitro avec des spores. De nos expériences répétées ressort ce fait intéressant, que la lymphe péritonéale ne présente absolument aucun pouvoir bactéricide, pas même in vitro. En effet, les spores s’y sont toujours développés abondamment et plus rapidement même que dans le sérum sanguin chauffé à 60°.

Dans le but de constater si les leucocytes sont bien les véhicules des substances bactéricides, et si ce sont eux qui communiquent ce pouvoir au sérum, nous avons entrepris l'expérience suivante. Nous avons injecté à un lapin 10 €. c. de bouillon stérile dans la cavité péritonéale. Par ce moyen, on provoque la formation d’un abondant exsudat stérile. 24 heures

426 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

après, on prélève aseptiquement de cet exsudat, et après avoir attendu 24 heures encore, pour que les leucocytes soient déposés au fond du tube à essai, on prélevait au moyen d’une pipette le liquide privé de cellules qui surnageait, et l’on ense- mençait avec les spores de subtilis. Ce liquide a présenté un pouvoir bactéricide manifeste, tout aussi énergique que celui du sérum sanguin servant de témoin. Ce pouvoir bactéricide peut être expliqué de deux façons. On peut admettre, d’après M. Metch- nikoff, que les substances bactéricides ont diffusé in vitro hors des leucocytes ; ou bien on peut penser qu’elles existaient déjà dans l’exsudat chez l’animal vivant. Pour résoudre cette question, nous avons injecté une émulsion, très riche en spores, directe-- ment dans la cavité péritonéale d’un lapin. Nous avons retiré à divers intervalles, au moyen d’une pipette capillaire, une goutte d’exsudat pour examiner ce que devenaient les spores. Un animal qui en avait reçu 3 c. c. mourait au bout de 8 jours. L’exsudat péritonéal, le foic, la rate donnaient d’abondantes cultures de subtilis. Au contraire, le sang était stérile. En règle générale, la quantité injectée, 1,5 ce. e. d'émulsion, fut toujours bien supportée par l’animal.

L’exsudat retiré au bout de 8, 12, 24, 36 et 72 heures était toujours très riche en leucocytes mono et polynucléaires.

Les ensemencements donnèrent sans exception des cultures pures et fort riches en subtilis.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IMMUNITE VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS

Par LE D' PODBELSKY, pe Kazan

(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.

L'étude des moyens de défense de l'organisme animal contre l’'envahissement des bactéries, et en particulier des spores, a une grande importance théorique et pratique.

Nous nous sommes proposé d'étudier dans le présent travail ce qui se passe avec les spores d’un saprophyte assez répandu dans la nature, du bacillus subtilis, lorsqu'on l’introduit dans le corps du lapin. La bibliographie de la question, que nous allons rapidement passer en revue, n’est pas bien riche.

Fodor: a le premier montré que le sang de l’animal vivant tue les bacilles du foin. Il injectait dans les vaisseaux sanguins des lapins de très grandes quantités de b. subtilis, et constatait chaque fois qu'ils disparaissaient du sang au bout de 4 heures,

Wyssokowitch”?, cherchant le sort des microbes pathogènes et saprophytes introduits dans le système vasculaire des animaux à sang chaud, étudia aussi les spores du D. subtilis.

En ensemençant des gouttes de sang sur plaques, il a vu que, déjà 45 ou 30 minutes après l'injection, elles ne donnaient plus de cultures. Il sacrifiait ensuite des lapins à différents intervalles après l'injection intraveineuse, mélangeait des morceaux des organes avec de la gélatine qu'il coulait en plaques; ces dernières donnaient des colonies qui étaient surtout nombreuses avec des morceaux de rate et de foie... Le sang du cœur ne contenait jamais de spores. Chez un lapin sacrifié 78 jours après l'injection, on a trouvé encore des spores vivantes dans la rate et le foie.

4. Berichte aus Ungarn, von Frôhlich. Bd.IILS. 223, cité dans la thèse de Tna-

PEZNIKOFF : « Du sort des spores dans l’organisme animal », 1891, p. 5. 2, W. WyssoxowitcH, Zeitschrift für Hygiene, Bd. I, 1886, p. 2-75.

428 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Pour Wyssokowitch, les moyens de défense de l’organisme contre les microbes résident dans l’endothélium des parois vas- culaires et dans les cellules du foie, de la rate et de la moelle des os. =

Trapeznikoff ! introduisait des spores du bacillus subtilis dans la chambre antérieure de l'œil des lapins. En examinant les gouttes prélevées 17, 23 et 48 heures après, l’auteur trouvait des spores à l’état libre et dans les leucocytes, mais jamais il ne voyait ni bacilles, ni filaments. En ensemençant avec des spores des gouttes pendantes d'humeur aqueuse, il remarquait, déjà 18 heures après, l'apparition de quelques bâtonnets mobiles : ces derniers devenaient plus nombreux 48 heures après, et, en plus, ils donnaient naissance à des filaments.

Le fait que les formes végétantes se rencontraient dans les parties périphériques de la goutte pendante fit conclure à l'au- teur que si, dans la chambre antérieure de l'œil, les spores ne végètent pas, c’est parce qu’elles manquent d'oxygène.

Dernièrement M. Leclef* a fait une série d'intéressantes observations, dans le laboratoire de M. Denys, concernant l’action sporicide du sérum de lapin en dehors de l'organisme sur les spores du bacillus subtilis et du bacille des pommes de terre. L’au- teur ensemençait le sérum normal avec un mélange de spores, et montrait que déjà le lendemain le germe devenait stérile. L'examen microscopique du sérum ensemencé a montré que les spores donnent naissance à des bacilles, et que ces derniers sont tués par le sérum.

Buchner a établi les trois propriétés suivantes de Ia substance sporicide : ° elle est détruite par chauffage à 60°, elle manifeste son action en présence de certains sels, et 3°elle conserve son pou- voir quand on ajoute une certaine quantité de substances nutri- tives pour les microbes. En opérant avec le sérum dans les con- ditions indiquées, Leclef est arrivé à la conclusion que les sub- stances bactéricides et Sporicides sont identiques.

Les observations de Leclef établissent ce fait que le sérum jouit des propriétés sporicides in vitro, mais ne disent pas si ces propriétés sont propres au sérum dans l'organisme, et cependant les expériences de Wyssokowitch, décrites plus haut, laissent

4. Tnapeznixorr, Thèse citée, 1891. 2. Lecuer, La Cellule, T. X, 1894, p. 349-375.

IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 429

supposer que le plasma du sang vivant agit sur les spores autre- ment.

Tout récemment, M. Halban a étudié la façon dont agit le sérum sur les spores du bacillus subtilis en dehors de l'organisme et dans l'organisme même; les résultats auxquels il est arrivé sont exposés dans ce même numéro des Annales.

Si l’on met en regard les conclusions des auteurs dont nous venons de résumer les travaux, on ne tarde pas à constater qu'il y a une discordance. Pour Fodor, c’est le sang tout entier qui défend l'organisme contre les microbes; pour Wyssokowitch, c’est l’'endothélium des vaisseaux et les cellules des organes. Leclef affirme que c’est le sérum. De sorte que la question de la défense de l’organisme contre les spores n’est pas encore bien assise.

Nous nous sommes proposé de faire d’abord une étude plus détaillée du sort des spores dans l'organisme, et ensuite d’obte- nir une race modifiée du bacillus subtilis pouvant résister au pou- voir bactéricide du sérum.

ACTION DU SÉRUM DE LAPIN SUR LES SPORES EN DEHORS DE L'ORGANISME

Avant de passer aux injections des spores à des lapins, j'ai cru nécessaire de m’assurer de l’action sporicide du sérum frais normal in vitro.

Le sang retiré de l'artère carotide du lapin était recueilli aseptiquement dans un tube spécial, qu'on laissait pendant 24 heures dans un endroit obseur et à la température de la chambre. Le sérum obtenu de cette façon, limpide et clair, dépourvu des éléments figurés du sang, était distribué dans des tubes stériles par doses de # ec. e.

Pour l'ensemencement du sérum, on se servait d’une émulsion de spores du bacillus subtilis en bouillon. Des voiles âgés de 5 à 7 jours, ràclés de la surface de tubes de gélose non peptonisée, étaient soigneusemont disloqués dans 4 à 4,5 c. c. de bouillon ordinaire, Afin de tuer les formes végétatives, le tube à essai contenant le mélange était placé dans un bain-marie chauflé à

1. Nous nous servons ici et ailleurs de l'expression action sporicide » pour

abréger; en réalité, les spores végétent et donnent naissance à des bacilles qui, eux, sont tués par le sérum,

430 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

l’ébullition pendant 3 à 4 minutes. Après refroidissement du bouillon, il se formait dans ses couches supérieures un mélange uniforme de spores. C'est le mélange obtenu de cette façon qui servait à ensemencer le tube à sérum normal, à raison d’une. anse pour # c. c. Pendant tout le cours de l'expérience, l’on se servait de la même anse qui contenait 3,000 spores, comme l'ont montré les ensemencements sur gélose dans les boîtes de Petri.

Après l’ensemencement du sérum avec le mélange des spores, nous mettions le sérum à l’étuve et en prélevions une anse à différents intervalles pour l’ensemencer sur gélose dans des boîtes de Petri. Ces dernières restaient à l’étuve pendant 24 heures et plus, puis on comptait le nombre de colonies déve- loppées. Les expériences concernant l action sporicide du sérum ont été répétées plusieurs fois, et chaque fois les résultats étaient les mêmes, comme l’on peut en juger par le tableau suivant.

TEMPS

Dans

2 heures. Dans heures.

|:

D’ENSEMENCEMENT

Immédia- tement

2 semaines

3 semaines

Nombre des colo-|innomb.| 211 nies.

Il s’ensuit que le sérum frais tue les bacilles du foin dans À ou 2 jours. Quant à l’aspect extérieur du sérum, il était, 24 heures après l’ensemencement comme il l'était avant, clair et limpide; cela durait pendant 15 à 18 jours, après quoi la limpi- dité devenait moins franche; il se formait au fond du tube un petit précipité d’une couleur blanc grisätre; ce précipité agité se présentait sous forme de petits flocons et était formé des sels du sérum.

Le sérum de trois jours manifestait les mêmes propriétés que le sérum frais. L'action sporicide du sérum était nette seule- ment dans le cas la quantité de spores n’était pas trop consi- dérable. Si on prenait 3 anses du mélange des spores pour 4 c. c. du sérum ou 4 anse pour 2 c. c., l’action sporicide ne s’observait que pendant les premières heures après l’ensemencement ; au

IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS, 431

bout de 24 heures, les spores donnaient naissance à des bacilles, lesquels poussaient déjà facilement dans le sérum.

Le sérum distribué dans des tubes à essai, en quantité de 4 c.c., était soumis pendant une heure à 60° et était ensemencé après avec une anse du mélange très riche en spores. Dans tous les tubes, le sérum ainsi traité n'empêchait pas le développement des spores, ayant perdu tout à fait la propriété sporicide propre au sérum non chauffé.

Mes expériences sont donc en accord complet avec celles de Leclef et Halban, qui ont établi que le sérum normal frais des lapins a la propriété in vitro de tuer le bacillus subtilis,

Une question se pose alors : la substance sporicide du sérum est-elle due au plasma sanguin, ou aux leucocytes qui, en se détruisant pendant la coagulation, laissent diffuser dans le sérum la dite substance? IL n’est guère possible, in vitro, de séparer l’action du plasma de celle des substances qu'y versent les leu- cocytes détruits. Pour résoudre ce problème, il était indispen- sable de faire une série d'expériences en introduisant les spores dans l'organisme même, et d'y étudier l’action du sérum. En plus, il était possible d'éliminer dans le corps de l'animal l'in- tervention d’un des facteurs indiqués, à savoir, les leucocytes, ce qu'on obtient en introduisant les spores protégées par une enveloppe quelconque, qui d’une part empêche l’accès des élé- ments cellulaires du sang, et, d'autre part, laisse librement passer les substances dissoutes dans le plasma.

INTRODUCTION DES SPORES EN SACS EN ROSEAU DANS LA CAVITÉ PÉRITO- NÉALE DES LAPINS

La membrane qui tapisse la cavité intérieure des roseaux fournit un récipient très commode pour des spores, étant donné que la diffusion s’y accomplit très suffisamment, comme nous le montrerons plus loin. Comme lieu d'introduction on s’est arrêté à la cavité péritonéale, vu les dimensions des sacs et les conditions favorables à l’osmose,

La technique de préparation des sacs n’est pas bien compli- quée. On laisse macérer pendant une heure des segments de roseaux dans de l’eau chaude; on les taille ensuite comme un

432 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

crayon jusqu'à ce qu'on arrive à la membrane intérieure; on lie celle-ci à l’une des extrémités, et, à l’aide d'une fine baguette introduite dans l’intérieur du roseau, on pousse devant elle la membrane qui apparaît à l’autre extrémité en forme de doigt. de gant. Nous introduisions ensuite un petit tube en verre dans une extrémité des sacs précédemment obtenus, et dans l’autre une petite ampoule destinée à faciliter la manipula- tion, après quoi les susdits sacs étaient fortement liés à leur par- tie supérieure. On s'assure que le sac ainsi obtenu n’a pas de fissures quand, plongé dans l’eau, il ne se produit pas de bulles lorsqu'on souffle dans le sac à l’aide d’un tube. On remplissait le sac avec 1 ou 1,5 €. c. d’eau physiologique, on le plaçait dans des tubes à essai contenant un peu d'eau, et on chauffait le tout à l’autoclave à 115°. Avant d'introduire le sac dans la cavité péri- tonéale, on l'ensemençait avec une anse du mélange très riche en spores (ce mélange était contenu dans du bouillon que l’on diluait avec trois fois son volume d’eau stérilisée) ; après l’en- semencement, on liait le sac avec un fil au-dessous du tube en verre, et on plongeait les deux extrémités du sac dans du collo- dion.

Nous pratiquions la laparatomie chez des lapins en les endormant avec de l’éther. Après avoir enlevé les poils, nous désinfections la peau du ventre. Disons ici une fois pour toutes que, dans toutes nos expériences avec des animaux, nous pre- nions toutes les précautions possibles contre l'infection. L'inci- sion de la peau le long de la ligne blanche avait 3 à 4 centimètres, celle du péritoine était deux fois moins longue. Nous introdui- sions le sac dans la cavité péritonéale; quant au fil attaché à son extrémité pourvue de l’ampoule en verre, nous le gardions entre la première série des points de suture, pour avoir ultérieurement un point de repère pour retrouver le sac.

Nous abandonnions le sac pendant 2, 3, 4,5,7,10 et 15 jours. Dans les cas les sacs restaient dans la cavité péritonéale 10 et 15 jours, nous les trouvions entourés d’une couche épaisse de leucocytes et fort comprimés; il était même difficile de distinguer leurs parois de la couche leucocytaire, et aussi difficile de retrouver leur cavité. C’est pour cela que nous ne laissions pas les sacs dans le corps plus de 7 jours. Généralement le con- tenu des sacs, après l'extraction, était deux fois moins volumineux

IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 433

que lors de leur introduction, ce qu'il faut mettre naturellement sur le compte de la diffusion de la solution physiologique.

Après avoir retiré le sac de la cavité péritonéale, nous brü- lions ses parois avec du fer rouge, et nous prélevions avec une pipette son contenu; ce dernier était ordinairement trouble et ren- fermait en suspension des flocons blanchâtres.

Le liquide ainsi obtenu nous servait pour faire une goutte pendante, faire une série de préparations colorées, et ensemencer un tube de gélose (avec une anse).

Nous avons pratiqué la laparotomie à 8 lapins, dont deux ont reçu dans la cavité péritonéale un second sac après l'extraction du premier.

Dans tous les cas, l'examen du contenu du sac en goutte pendante a montré une grande quantité de bactéries et peu de filaments; on voyait aussi une quantité suffisante de spores.

Sur les préparations sèches, les bactéries se coloraient bien avec le bleu de méthylène, et ne présentaient pas de formes anormales. Les ensemencements du contenu du sac sur gélose étaient toujours suivis d’une culture abondante du bacillus subtilis.

A l’état frais, aussi bien que sur préparations colorées, on pouvait observer un entassement de microbes en petits amas, c’est-à-dire des phénomènes d’'agglutination.

Nos recherches montrent donc que dans le corps animal les spores, se trouvant à l'abri des leucocytes en même temps que sous l’influence des substances diffusibles du plasma sanguin, ne s'arrêtent point dans leur développement, donnent des bacilles, et ces derniers continuent à pousser dans le liquide du sac.

LA DIFFUSION A TRAVERS LES PAROIS DE LA MEMBRANE DES ROSEAUX

Afin de savoir si la diffusion a lieu à traversles parois des sacs, nous avons fait les expériences suivantes. Nous mettions des sacs contenant 1,5 à 2 ce. c. de sérum normal frais dans des tubes à essais, en les pliant préalablement en deux sous forme de U. Ces tubes renfermaient, dans une série d'expériences, de

28

434 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

l’eau physiologique ; dans une seconde série, du sérum chauffé pendant une heure à 600; dans la troisième série, de l’eau sté- rilisée. Les extrémités liées des sacs se trouvaient au-dessus du niveau du liquide dans les tubes. Nous avons mis ces derniers à l'étuve à 37° pendant 2, 3, 4, 5 jours, après quoi nous avons retiré aseptiquement le contenu des sacs et l’avons transporté dans d’autres tubes. Le sérum normal ainsi que le liquide qui à diffusé étaient ensemencés avec une anse du mélange riche en spores (bouillon dilué de trois vol. d’eau), et les liquides ainsi ensemencés étaient mis à l’étuve pendant 24 heures. Nous en avons prélevé de chacun d'eux une goutte, après les avoir agités préalablement, pour en ensemencer des boîtes de Petri. Les résultats de cette méthode sont indiqués dans les tableaux ci-des- sous. Les liquides qui se sont diffusés mutuellement sont réunis par une accolade :

EXPÉRIENCE A.

= QUANTITÉ DURÉE NOMBRE DE COLONIES | NOM DU LIQUIDE ! EVE du liquide. |de la diffusion.| sur les plaques. |

Sérum normal 1/2Rcuc: jours. 39 À | Solution physiologique. JE Jours. Grande quantité.

Sérum normal 2 jours. 44 : Solution physiologique. 3 Jours. Grande quantité.

Sérum normal 2 3 Jours. 340 Solution physiologique. 2 3 Jours. Grande quantité.

QUANTITE | DURÉE

NOMBRE DE COLONIES! du liquide. ide la diffusion.

sur les pla Léna oc S.

l

1 NOM DU LIQUIDE | |

Sérum chauffé 2 4 jours. Grande quantité.

Sérum normal

19 4] 37 Sérum chauffé......... 1/2 4 jours.

Grande quantité.

150 Grande quantité.

Sérum normal Sérum chauffé

6.0,

4/2 Jours. 4/2 ù jours.

OMC URI

5 | Sérum normal. 4... DACIIC: 4 jours. 15

IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 435

EXPÉRIENCE C.

QUANTITÉ DURÉE NOMBRE DE COLONIES

At RE UETE du liquide. |de la diffusion.| sur les plaques.

{ Sérum normal PIC: 2 jours. 3 EE | Eau stérilisée 2 jours. Grande quantité.

{ Sérum normal 4/2 3 Jours. 215

| Eau stérilisée 4.1/2 3 jours. Grande quantité.

{ Sérum normal 2 5 jours. ; 610 | Eau stérilisée > Jours. Grande quantité.

Pour compléter les expériences indiquées dans le tableau C, nous avons pris # tubes à essai, dont chacun renfermait 2 €. €. du sérum normal frais et autant d’eau stérilisée, et nous les avons ensemencés avec le même mélange de spores, après quoi ils ont été mis à l’étuve pendant 24 heures. Dans chacun de ces tubes, on a ensuite prélevé une anse de platine pour en faire des plaques ; les deux premières plaques n’ont pas donné de colonies, la troisième a donné 63 colonies et la quatrième 100. Il s'ensuit donc que l'addition au sérum d'une quantité égale d’eau ne lui enlève pas la propriété sporicide, mais l’affaiblit un peu.

En outre, nous avons plongé dans plusieurs tubes à essai, contenant de l’eau stérilisée, des sacs renfermant du sérum normal et pliés en deux en forme de U; nous avons mis le tout à l’étuve à 37° pendant 2 à 6 jours; puis, après avoir retiré les sacs, nous cherchions dans les tubes de l’albumine. Dans tous les cas, la réaction xanthoprotéique a donné un résultat positif, Pour nous assurer que l’albumine ne provient pas des parois mêmes des sacs, nous avons placé, dans trois tubes à essai ren- fermant chacun 2 ec. c. d’eau, des sacs vides, stériles: après 3, 4, 5 jours de séjour à l’étuve, la recherche de lalbumine a donné un résultat négatif.

Les expériences que nous venons d'exposer montrent que la substance sporicide du sérum contenu dans les sacs diminuait, et que l’albumine passait en parte dans l’eau contenue dans le tube à essai; tout ceci permet de conclure que la diffusion de la substance sporicide à travers les sacs des roseaux est cer- taine.

436 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

INJECTION DES SPORES DANS LE TISSU SOUS-CUTANÉ

Pour étudier les modifications que peuvent subir les spores” mises directement dans le corps animal, nous avons injecté un mélange riche en spores (en solution physiologique) dans le tissu sous-cutané, dans la chambre antérieure de l'œil et dans la cavité péritonéale. Nous avons injecté À à 4,5 c. c. du mélange (200,000 à 300,000 spores) sous la peau du ventre des lapins.

Le lendemain, la peau, au lieu d'injection, était un peu rouge et œdématiée; ces phénomènes locaux persistaient pendant 3 à 5 jours. Nous retirions l’exsudat formé dans le tissu sous-cutané au bout de 24, 48 et 72 heures, avec une pipette stérilisée, après avoir brülé préalablement la peau avec un fer rouge, et nous faisions une goutte pendante des préparations colorées (fachsine et bleu de méthylène), et enfin nous prélevions une goutte pour l’ensemencer sur gélose, pour nous assurer de la vitalité des microbes retirés de l’exsudat.

Au début, nous n'avons réussi à colorer les spores, dans les frottis provenant de l’exsudat, qu’en employant le procédé de Müller modifié. Après la fixation de la préparation sur la flamme d’un bec de gaz, elle était traitée pendant 10 à 12 minutes par l’acide chromique à 5 0/0, puis lavée à l’eau; la lamelle était ensuite mise dans la solution de fuchsine de Ziehl, chauffée jusqu’à l’ébullition 15 à 20 minutes, puis décolorée pendant quelques secondes dans le chlorhydrate d’aniline à 2 0/0, lavée à l'alcool, à l’eau, puis colorée par le bleu de méthylène. La préparation séchée était enfin incluse dans le baume de Canada. Ce procédé donnait une coloration très belle et très nette : les spores étaient colorées en rouge et les noyaux des leucocytes en bleu.

En outre, nous avons essayé à plusieurs reprises le nouveau procédé de coloration des spores proposé récemment par M. Aladar Aueszky (Centralbl. f. Bacteriol., 8, 1898), qui se sert d’une solution chaude d’acide chlorhydrique à 2 0/0 comme mordant. Ce procédé, en dehors d’une petite économie de temps, ne présente pas d’autres avantages et nous l’avons abandonné.

En examinant l’exsudat sur des préparations colorées, nous

IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 437

avons constaté une grande quantité de spores: celles-ci se trouvaient surtout dans l’intérieur des mononueléaires, elles étaient au nombre de 3 à 15 et plus, tandis que dans les polynu- cléaires elles étaient plus rares : ordinairement on n’en ren- contrait qu'une ou deux; en plus on voyait quelques spores libres, en dehors des leucocytes. Dans la goutte pendante, c’est aussi dans les leucocytes qu’on observait des spores. Nous n'avons jamais constaté des bâtonnets, Dans l’exsudat retiré 72 heures après, il y avait très peu de spores ; au bout de 4 jours, il n’y en avait plus du (out. Les ensemencements des gouttes d’exsudat donnaient pendant les 3 premiers jours des cultures pures sur gélose : au bout de 4 jours ils restaient stériles. L'injection sous-cutanée des spores a été pratiquée sur 10 lapins: sur ce nombre, trois nous ont fourni l’exsudat, deux fois avec un intervalle de 24 heures. Les mêmes lapins ont reçu l’injection des spores dans {4 chambre antérieure de l'œil. La cornée était lavée à l’eau stérilisée, puis piquée avec une pipette eflilée, dans laquelle montait une quantité voisine de 1/6 de e. e. d'humeur aqueuse, puis nous injec- tions, à l’aide d’une aiguille de seringue, deux à trois gouttes (12-18000 spores) du mélange des spores. Le lendemain, la conjonctive était rouge, la cornée légèrement trouble au voisi- nage de la piqûre, et dans l'humeur aqueuse on voyait un petit trouble, des dimensions d'une tête d’épingle, qui augmentait et doublait en 3-4 jours. Les prises du liquide de la chambre antérieure étaient faites dans les mêmes intervalles que pour l'exsudat du tissu sous-cutané. Sur les préparations colorées, on à pu constater que les spores se trouvaient à l’intérieur des leucocytes, notamment des mononucléaires, très rarement à l’état libre. L'examen en goutte pendante a confirmé les résultats obtenus avec les préparations colorées. L'ensemen- cement de l'humeur aqueuse sur la gélose donnait une culture abondante et typique au bout de deux jours de séjour à l'étuve. . Au bout de trois jours, on trouvait déjà peu de spores dans la chambre antérieure de l'œil, et, au bout de quatre, l’on ne pouvait plus constater la présence des spores ni par la coloration ni par l’ensemencement. Cependant le trouble persistait dans la chambre antérieure encore durant 10 jours et plus. Nous avons ensemencé plusieurs fois l'humeur aqueuse

438 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

normale avec des spores du bacillus subtilis. Après 16 heures de séjour à l’étuve, on pouvait déjà voir des bacilles mobiles ; après 28 heures, il y avait déjà un grand nombre de bacilles et les filaments commençaient à se développer ; après 48 heures, il n°y restait qu'une toute petite quantité de spores non transformées. Il s'ensuit donc que l'humeur aqueuse ne possède pas in vitro de propriétés sporicides.

INJECTION DES SPORES DANS LA CAVITÉ PÉRITONÉALE

Nous avons injecté à plusieurs lapins 2,5 c. c. du mélange très riche en spores daus la cavité péritonéale. L’exsudat retiré 20-22 heures après était trouble, très riche en leucocytes et en spores; ces dernières se trouvaient le plus souvent et en grand nombre dans l’intérieur des mononucléaires, plus rarement des polynucléaires ; très rarement elles étaient à l’état libre. Les mêmes résultats ont été constatés après 46 et 72 heures.

Dans l’exsudat retiré après 26 heures, 1l y avait très peu de spores, exclusivement dans l’intérieur des leucocytes.

Cinq jours après l'injection, nous ne sommes pas parvenus à constater des spores dans l’exsudat péritonéal à peine trouble, ni par la coloration ni par lensemencement sur gélose, tandis que les 4 premiers jours, l’exsudat transporté dans le tube de gélose donnait une abondante culture du bacillus subtilis.

Des deux lapins. un a été sacrifié 5 jours, l’autre 6 jours après l’injection intrapéritonéale des spores. Après avoir brûlé avec un fer rouge la surface de la rate, du foie, des reins et des poumons, nous en avons excisé des petits morceaux de un c. €. et les avons triturés avec un peu d’eau stérilisée, et mélangés avec de la gélose pour en faire des plaques. Tous les organes ont donné naissance à une grande quantité de colonies. Le sang a été stérile.

Dans toutes les expériences, qu'il s'agisse de l'injection sous-cutanée, intrapéritonéale ou dans la ee antérieure de l'œil, nous avons pu constater, aussitôt après l'injection des spores, un afflux local des leucocytes, d’abord des polynu- cléaires, puis des mononucléaires ; 24 heures après, les uns et les autres devenaient très nombreux. Les leucocytes manifestent vis-à-vis des spores une chimiotaxie positive, les englobent,

IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 439

empêchent leur végétation, mais ne leur enlèvent pas la vitalité, ce que nous prouvent les résultats positifs d'ensemencements. Il faut cependant admettre que le séjour des spores dans l'intérieur des leucocytes en affaiblit en partie la vitalité, puisqu'elles ne donnent de cultures abondantes qu'après un séjour de deux jours à l’étuve.

Après 3 à 5 jours, les spores disparaissent de l'endroit de l'injection, étant transportées par les leucocytes dansles organes, comme l’ont démontré les ensemencements de ces organes. Les spores gardent probablement leur vitalité, grâce à leur enveloppe qui résiste au pouvoir digestif des leucocytes. Les expériences de Wyssokowitch et de Halban montrent que.lorsqu'on injecte des grandes quantités de spores dans les veines, elles restent vivantes dans le corps du lapin pendant trois mois.

Nous avons dit plus haut que, sur les préparations colorées, nous avons pu observer des spores à l’état libre; ceci peut être à des influences purement mécaniques : en retirant l’exsudat avec une pipette et en faisant des frottis, il était très facile de léser des leucocytes, surtout des éléments si délicats que les mononucléaires, d'où apparition des spores à Pétat libre.

EXAMEN DU LIQUIDE D OÉDÈME

L'introduction des spores dans des sacs a démontré, comme nous l'avons déjà dit plus haut, que les substances solubles du plasma sanguin n’arrêtent pas le développement des spores et ne tuent pas les bacilles; pour compléter cette expérience, nous avons cherché à étudier l’action sur les spores du liquide d’œ- dème, presque dépourvu d'éléments cellulaires du sang.

Nous avons déterminé l’ædème chez les lapins en posant une rondelle du caoutchouc à la base de l'oreille. La pression exercée par le caoutchouc ne devrait être ni trop forte, pour ne pas com- primer l'artère, ni trop faible, pour pouvoir comprimer les veines.

Quelquefois l’on n’obtenait la pression voulue qu'après quelques tätonnements. On retirait la rondelle après un à deux jours, après quoi l'oreille restait œdématiée pendant quelques heures. Nous retirions le liquide d'œdème avec une pipette. Nous ne nous servions pour nos expériences que de liquide absolument limpide et incolore, c’est-à-dire privé de toutes

440 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

traces de sang. (Chaque oreille ne donnait que rarement plus de 1 c. c., le plus souvent la quantité du liquide était inférieure à ! ec. ec.) Nous laissions le liquide pendant 2% heures, au bout desquelles il se formait un coagulum. Le liquide ainsi obtenu (séparé du coagulum) était distribué dans des petits tubes à essai; nous en prélevions une goutte pour nous assurer que le liquide était stérile; puis nous ensemencions les tubes avec l'extrémité d’un fil de platine chargé de spores, et24 heures après nous retirions une goutte pour préparer des plaques. Avec l’ex- trémité de la même aiguille, nous ensemencions une quantité correspondante du sérum normal du sang, lequel ensemence- ment restait stérile 24 heures après.

Le liquide d’œdème, comme nous nous en sommes assuré par des ensemencements préalables, contenait souvent des microbes au moment il était retiré; 1! va sans dire que nous ne nous sommes pas servi du liquide contaminé; cette contami- nation in situ est due à ce qu'il se forme des fissures de lépi- derme dans les cas d’æœdème considérable, et ces fissures étaient des portes d'entrée pour les microbes.

Le liquide d’æœdème ne manifeste pas d’action sporicide, comme l'indique le tableau suivant.

QUENENE PPT LIQUIDE © NOMBRE DE COLONIES d’æœdème.

0,5 c. c. 217 AOPCAC: 260

(LKSACENTES 446

Les jours suivants, le bacillus subtilis poussait dans le liquide d’œdème aussi bien que dans du bouillon.

EXAMEN DU SÉRUM D'EXSUDAT

Nos expériences avec l'injection des spores dans la cavité péritonéale dans des sacs, d’une part, d'autre part les résultats obtenus avec le liquide d’œdème, confirmaient l'hypothèse que la propriété sporicide du sérum en dehors de l'organisme est due

IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS, 441

aux substances provenant de la destruction des leucocytes. Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons étudié la propriété du sérum d’un exsudat très riche en leucocytes. Nous avons injecté à cet effet, dans la cavité péritonéale des lapins, divers liquides capables de provoquer un afflux leucocytaire, comme bouillon frais, solution de peptone à 1 0/0, mélange de bouillon frais (3 c. c.) avec sérum de lapin (5 c. c.), eau physiologique ou tu- berculine', (3 c. c.) avec de l’eau phys'ologique (7 c. e.).

Il n’était pas toujours aisé d'obtenir un exsudat abondant et riche en leucocytes, comme en témoigne en partie la diver- sité des liquides employés. Nous avons obtenu les meilleurs résultats en employant le mélange du sérum et du bouillon, et aussi le mélange de la tuberculine avec de l’eau physiologique (0,6 0/0 NaCIÏ).

Dans un cas, ayant fait la numération des leucocytes contenus dans 1 m. m. ce. d’exsudat, nous en avons trouvé 9,600 ; l'examen de la préparation sèche a montré une quantité presque égale de mononucléaires et de polynucléaires.

Nous nous sommes servi pour nos expériences d'exsudat péritonéal retiré 20, 24 et 42 heures après l’injection. Vingt- quatre heures après la prise de l’exsudat, celui-ci présentait deux parties bien nettes, une constituée par les éléments figurés et albuminoïdes, l’autre claire, représentant le sérum, que nous transportions dans des petits tubes à essai et ensemencions avec des spores.

De pareils ensemencements ont été faits dans des tubes témoins, contenant du sérum normal de lapins; ce sérum a toujours été stérile déjà au bout de 24 heures. Quant au sérum d'exsudat, après l'avoir mis à l’étuve, nous en avons prélevé une anse au bout de un jour, deux et trois jours, pour faire des plaques. Quand l’exsudat élait trouble et quand lexamen microscopique révélait une quantité considérable de leucocytes, son sérum ensemencé avec des spores restait stérile pendant un, deux, parfois trois jours, et ce n’est que plus tard que les bacilles commençaient à y pousser. Ces expériences nous autorisent à conclure que, plus l’exsudat contient de leucocytes, plus il se rapproche par son pouvoir sporicide du sérum normal du sang.

4. Tuberculinum Kochii, tuberculine brute.

442 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

SPORES DU BACILLUS SUBTILIS ACCOUTUMÉES A SE DÉVELOPPER DANS LE SÉRUM NORMAL

Le fait que les microbes jouissent d'une certaine plasticité, ajouté à celui que les ensemencements abondants permettent de résister à l’action sporicide ou bactéricide du sérum, fait espé- rer d'obtenir, par des passages successifs, une race du bacillus subtilis pouvant résister à la substance sporicide.

Pour ces expériences, nous nous sommes servi d'un voile d'un mois et demi qui s'était formé sur sérum normal; ce voile-a servi à faire une première émulsion de spores de bacillus subtilis. Nous avons ensemencé une anse de ce mélange dans 2,5 €. c. du sérum normal frais; le voile qui s’y est formé a servi de semence pour un autre tube contenant 3 c. c. du sérum. De cette facon, dans une période de 6 semaines, nous avons fait plusieurs passages successifs des spores ; enfin, nous avons pris un peu de la culture du dernier passage et en avons ensemencé 4 c. c. de sérum normal fraîchement préparé; pour mettre en évidence la différence de la nouvelle race avec la race primitive du bacillus subtilis, nous avons pris de cette dernière une quantité corres- pondante pour une même quantité du sérum (4 €. c.). Les deux tubes ont été mis à l’étuve à 37° et, quelques heures après, nous avons-pris de chacun une anse pour faire des plaques. Le tableau suivant montre la différence d'action qu'exerce le sérum vis-à-vis des deux races du bacillus subtilis.

NOMBRE DE COLONIES APRÈS

3 heures. 20 heures. | 48 heures.

3000

Dans le sérum ensemencéavec la nouvelle race, on constatail” 24 heures après, des petits flocons blanchâtres ; au bout de 4-5 jours, il se formait à sa surface de petits voiles qui se confon- daient le 6-7° jour en un seul voile avec de nombreux plis.

IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 443

INJECTION AUX ANIMAUX DES SPORES DE LA NOUVELLE RACE

Afin d'étudier les modifications que subiront dans le corps des lapins les spores de la race obtenue, nous les avons injectées dans le tissu sous-cutané, dans la cavité péritonéale et dans les veines.

Nous avons injecté sous la peau du ventre 1,5 €. e. à 2 c. c. d’un mélange riche en spores, et préparé avec des voiles de 7 à 8 jours sur sérum normal. Une anse du mélange était, après le chauffage, mélangée avec de la gélose qui, coulée dans une boîte de Pétri, donnait de nombreuses colonies. Cinq heures après l'injection à apparu une faible rougeur et de la tuméfac- tion ; vingt heures après, ces phénomènes locaux sont devenus plus intenses ; ils ‘ont disparu quelques jours après. L’exsudat retiré 3, 5, 20, 40 heures du tissu sous-cutané a été au début pauvre en leucocytes, puis il en est devenu riche; outre les poly- nucléaires il y avait des mononucléaires. Sur les préparations colorées, nous avons constaté beaucoup moins de spores que lors de l'injection de la race primitive du bacillus subtilis. Les spo- res, cette fois-ci aussi, se trouvaient à l’intérieur des leucocytes, et exceptionnellement en dehors d'eux. Les bätonnets étaient encore moins nombreux que les spores ; le plus souvent ils étaient dans les leucocytes ; quelques-unsse coloraient faiblement, ce qui indiquait une modification dans leurs propriétés vitales.

En goutte pendante, beaucoup de bâtonnets manifestaient des mouvements assez vifs. Dans l’exsudat retiré au bout de trois jours, il n’était pas possible de voir ni bâtonnets, ni spores. Les ensemencements sur gélose donnaient des cultures typiques du bacillus subtilis pendant les trois premiers jours: au delà de trois jours, plus de cultures.

Nous avons injecté dans la cavité péritonéale 4,5 c. c. à 2,5 e. c. du mélange riche en spores. L’exsudat a été examiné 2, 3,5, 7, 22 et 24 heures après. L'examen des préparations sèches à permis de constater un petit nombre de bâtonnets tantôt dans les leucocytes, tantôt en dehors d’eux : quelques-uns se coloraient mal avec le bleu; les spores, aussi peu nombreuses, étaient exclusivement dans l’intérieur des leucocytes.

Quelquefois, à l’examen del’exsudat, l’on ne rencontrait que des bâtonnets et point de spores,

ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

a EC Le

Vu le petit nombre des microbes sur les préparations, nous avons pensé qu'ils forment des amas quelque part à la sur- face du péritoine; un lapin a été sacrifié 4 heures après l'injec- tion, et la surface péritonéale a été soigneusement examinée le péritoine a été trouvé uniforme dans toute son étendue, et l’exsudat aussi uniformément trouble, sans présenter nulle part de flocons; l’étude bactériologique n’a relevé rien de particu- lier. Notre supposition n’a donc pas été justifiée.

Nous nous sommes proposé d'étudier si beaucoup de micro- bes viennent de la cavité péritonéale dans des organes; à cet effet nous avons sacrifié des lapins à différents intervalles après l'injection, et examiné des parcelles des organes par la méthode des plaques. Les résultats de nos expériences sont indiqués dans le tableau suivant :

NOMBRE DE COLONIES, LES LAPINS SACRIFIÉS APRÈS ET ORGANES

4 jours. 5 jours. 6 jours.

L'exsudat péritonéal, retiré après 3 jours et ensemencé sur gélose, ne donnait plus de culture; il en-résulte qu’à cette épo- que une partie des microbes a été détruite ; une autre parue, comme le montre le tableau, a été transportée dans les organes, lesquels se sont montrés, dans une expérience, déjà stériles au bout de 8 jours.

Les résultats fournis par l’examen microscopique d’exsu- dats sous-cutané et péritonéal, diffèrent suivant que l’on a injecté des spores de la race primitive ou celle de la nou- velle race; dans le second cas il y avait peu de spores et on trouvait des formes végétatives, des bâtonnets. II s’ensuit donc

IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. A45

que les spores de la nouvelle race ayant acquis la propriété de se développer sur le sérum normal in vitro, donnent aussi, dans le corps animal, naissance à des bacilles que les leucocytes vien- nent englober, puis digérer; et cependant l'enveloppe des spo- res peut probablement résister très longtemps à l’action des- tructive des leucocytes.

INJECTION DES SPORES DANS LES VEINES

Nous avons injecté à trois lapins, dans la veine de l'oreille, Ze. c. du mélange riche en spores.

Ils ont été sacrifiés 4, 7, 11 jours après; leurs organes ont élé ensemencés en plaques sur gélose, et voieéi les résultats obtenus après 2 jours du séjour à l’étuve :

NOMBRE DE COLONIES APRÈS SR ORGANES

4 jours. 7 jours. | 11 jours.

102

96

Le sang du cœur a été stérile dans tous les cas.

En même temps, nous avons injecté à trois autres lapins témoins, dans la veine de l’oreille, 1 ec. c. de spores de la race primitive ; ils ont été sacrifiés dans les mêmes intervalles que dans l’expérience précédente. Les organes de deux premiers la- pins ont donné de nombreuses colonies; celui qui à été tué 41 jours après l'injection a donné :

RACE Re 820 colonies. ROSE er AT 328 Reine em nelene 24

POUMONPÉRER CEE TU

446 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Il en résulte qu'après l’injection dans le sang, la majorité des spores de la race modifiée est détruite; dans ce cas un nom-

bre considérable des spores donnent évidemment des bacilles

qui sont englobés par les leucocytes qui les détruisent.

En comparant les chiffres des colonies fournies par les or- ganes après l'injection intraveineuse avec celles consécutives à l'injection intrapéritonéale, nous voyons que les premières sont supérieures aux dernières. Ce fait nous permet de croire que, dans la cavité péritonéale, les leucocytes rencontrent des con- ditions plus favorables à la lutte avec les bacilles que dans le torrent sanguin et les organes parenchymateux.

En nous basant sur les expériences qui viennent d’être ex- posées, nous pouvons formuler les conclusions suivantes :

Le sérum normal du lapin tue in vitro les spores du bacillus subtulis :

Cette propriété du sérum est très probablement due aux substances provenant de la destruction des leucocytes;

Le liquide d’œdème et l'humeur aqueuse n’empêchent pas le développement des spores et ne tuent pas les bacilles.

Le sérum d’exsudats riches en leucocytes se rapproche du sérum normal du sang en ce quiconcerne son action sur le bacillus subtilis en dehors de l'organisme ;

Les substances du plasma sanguin qui diffusent à travers les membranes du roseau n’empêchent pas le développement des spores et ne tuent pas les bacilles dans le corps du lapin vivant;

Les spores du bacillus subtilis, introduites dans le corps du lapin par différentes voies, sont englobées par les leucocytes et arrêtées dans leur développement ;

70 Les spores de la race modifiée du bacillus subtilis, placées dans les mêmes conditions, se développent pour la plupart, et les bacilles auxquels elles donnent naissance sont englobés et digérés par les leucocytes.

Nous tenons à remercier M. le professeur Metchnikoff des nombreux conseils qu’il nous à prodigués au cours du présent travail.

AS

DU POUVOIR PÉNÉTRANT DE L'ALDÉHYDE FORMIQUE

Par LE D' G. pe RECHTER

Professeur à l'Université nouvelle de Bruxelles.

Depuis l’époque (1888) Trillat attira l'attention du monde savant sur les propriétés antiseptiques de la formaldéhyde, les travaux publiés sur l'action de cet agent se sont maltipliés.

Notre but en publiant la présente note n’est pas de revenir sur l'étude de ces propriétés aujourd'hui bien connues. Nous nous proposons seulement de faire connaître certains faits relatifs au pouvoir pénétrant du formol.

Jusqu'à présent, presque tous les auteurs dénient à l’aldéhyde formique tout pouvoir de pénétration. Depuis que Miquel (18), se basant sur ses expériences, affirma que le formol est seulement un désinfectant des surfaces, tous les auteurs, à peu d’exceptions près, se sont ralliés à cette manière de voir. C’est ainsi que Vaillard et Lemoine (25) déclarent que le formol doit être considéré « comme n’agissant que sur les souillures superficielles, librement exposées au contact des vapeurs ».

Van Ermengen (12, et 29), Tétrop (30) vont même plus loin et pensent que le pouvoir de pénétration du formol est incompatible avec les lois de la Physique.

Dès 1892, Trillat (3) avait pourtant montré que des déchets de viande fraiche, traversés par un courant d'air ayant barboté dans une solution de formol à 5 0/0, le débarrassaient de toutes les vapeurs d’aldéhyde qu'il avait emportées dans son passage. Nous ne voyons pas comment pourrait s'expliquer ce phénomène, sinon par l'absorption et partant par la pénétration du formol dans la masse organique.

Ailleurs (33) Trillat signale que si on expose aux vapeurs de l'aldéhyde des cylindres de gélatine teintée par la fuchsine, on peut suivre, par le changement de coloration de cette matière qui vire au violet sous l'influence du CH?O, la pénétration graduelle du gaz jusque dans la profondeur.

Que deviennent dans ces circonstances les prétendues lois

448 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

physiques invoquées? Et puis, comment les concilier avec ce qu'on sait, non seulement sur Ja pénétration des gaz dans les corps poreux, mais sur les phénomènes d'absorption et de dif- fusion à travers des parois pleines, gutta, caoutchouc, dans les célèbres expériences de Graham. Nous même, en 1894 (34), avec notre collègue et ami regretté le D' Legros, avons montré le pouvoir de pénétration de l’anhydride sulfureux et de lacide carbonique dans un grand nombre de corps solides.

Nous avons vu dans deux éprouvettes placées sur le mercure etcontenantune certaine quantité de gaz Pictet(CO0*et SO*), une mince feuille de caoutchouc enroulée sur elle-même absorber les gaz à peu près totalement.

Nous avons essayé les substances les plus diverses. Celles que nous devons citer en toute première ligne sont : la laine, le lin, la gélatine, le papier. Ces substances, aussitôt introduites dans la cloche de gaz, produisaient une ascension du mercure vraiment curieuse, à cause de la rapidité du phénomène, et l’on pouvait, au simple toucher, rien qu’en tenant le tube entre les doigts, percevoir manifestement un dégagement de chaleur.

Dans ces quatre expériences, la presque totalité du mélange gazeux (25 ou 30 c. c.) était absorbée, la totalité peut-être pour certaines, car la bulle gazeuse qui demeurait à la partie supé- rieure de la cloche pouvait n'être qu’un peu d’air laissé lors du remplissage par le mercure, ou introduit en même temps que les fragments divers dans leurs plis et leurs anfractuosités.

Pour d’autres substances, le phénomène fut moins marqué; c’est ainsi que nous pümes établir une échelle décroissante de l'intensité de l'absorption, qui est la suivante. (Notons que le volume des substances introduites était sensiblement le même pour toutes, et égal environ à 1 c. €.)

L’absorption se fait, pour la laine et le lin, la plus rapide et la plus complète. Puis viennent : gélatine, caoutchouc, soie, papier à filtrer blanc et gris, papier à écrire ordinaire blanc et glacé, bois, Cuir, Corne, SUif.

Le liège, l’amadou, l'éponge, le bitume de Judée sont de moins en moins actifs. Le coton dégraissé (ouate hydrophile), la gomme arabique, la colophane, la craie ne font pas s'élever le niveau du mercure de la moindre quantité appréciable.

Nous inspirant de ces expériences, nous avons cherché à

4

POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL,. 449

établir par des procédés analogues le pouvoir de pénétration de l'aldéhyde formique à l’état gazeux et sec.

Malheureusement il n’est pas possible d’expérimenter sur du formol gazeux pur: dans ces conditions, le corps se polymérise immédiatement, se transformant en trioxyméthylène solide, L'état gazeux ne peut être maintenu que par mélange, avec une quantité relativement considérable d'air atmosphérique, de vapeurs d’aldéhyde formiques obtenues dans un état de séche- resse suffisant en chauffant modérément un mélange d’aldéhyde et de chlorure de calcium (formochlorol de Trillat), ou bien en distillant à feu doux du trioxyméthylène, soit seul, soit en présence d’un acide (suivant l'indication de Freundler) (35).

Nous avons pu constater une absorptionévidente de l'aldéhyde par des fragments de substance musculaire, de substance osseuse, d'ivoire, de peau fraîche ou tannée, de graisse, de corne, en un mot de tous les tissus animaux. De même la laine, le drap, les tissus de coton, les étotfes de soie, louate, le papier, la gélatine, le liège, font monter le mercure. A remar- quer toutelois que le papier à filtrer et l’ouate hydrophile, presque exclusivement formés de cellulose, ne montrent pour le gaz qu'une avidité très faible. Le caoutchouc, que nous avons vu si avide d’anhydride sulfureux, ne semble pas absorber du tout le formol.

Les réactions chimiques qui se passent, comme l’a indiqué Trillat, entre l'aldéhyde formique et les albuminoïdes (albumines diverses, gélatine, ete.) peuvent, jusqu'à un certain point, expli- quer l'absorption du produit gazeux par les tissus organiques, mais nous pensons que, même dans ces cas, intervient un pro- cessus physique, qui, seul, peut être invoqué quand il s’agit de substance ne réagissant pas chimiquement sur le formol.

Le fait nous est démontré par l'exhalation prolongée à l'air de vapeurs de formol, décelables par lodorat, par des fragments de peau fraiche ou tannée, saturés par une exposition suffisante au produit gazeux. Une autre preuve est l'expérience suivante : nous renversions une éprouvelte sur la cuve à mercure, nous y introduisions de l'air, puis nous amenions dans cette atmo- sphère un fragment de peau de chamois fortement imprégné d’aldéhyde formique gazeuse : nous constations que l'évaporation de l’aldéhyde amenait une légère dépression du mercure. C’est

29

450 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

pourquoi nous pensons, comme nous l'avons dit en 189% à la suite de Reychler (36) à propos de l’anhydride sulfureux, qu'il y a ici, abstraction faite des réactions chimiques, une véritable « dissolution » d’un gaz par les solides, cette dissolution se faisant suivant une loi analogue à la loi de Henry et Dalton pour la dissolution des gaz dans les liquides.

Cette conception du mode de pénétration de certains gaz dans certains solides et particulièrement de laldéhyde formique sazeuse dans les tissus animaux, devait nous amener à admettre qu'en maintenant pendant un temps suffisant un cadavre d’ani- mal ou d'homme dans une atmosphère saturée de formol d’une manière permanente, le gaz antiseptique devait pénétrer jusque dans la profondeur de la masse, et dans un état de condensa- tion relatif qui favoriserait l’action antiseptique du produit.

Les faits ont démontré que nos conjectures étaient justifiées. En collaboration avec notre frère, l'ingénieur F. de Rechter, nous avons étudié et fait exécuter un appareil nous permettant de réaliser des conditions d’expérimentation convenables pour le but poursuivi. L'appareil, que nous avons déjà décrit ailleurs (38) et que représente notre figure 1, est essentiellement eomposé de deux chambres, l’une, chambre d'exposition dans laquelle on introduit le cadavre à conserver ; l’autre, chambre d'évaporation, dans laquelle se produit lévaporation intensive du formol grâce à la grande surface sur laquelle est répartie sa solution. L'ensemble de l'appareil est absolument hermé- tique.

La dissolution aqueuse de formol que nous employons (solu- lion concentrée du commerce à 40 0/0) est versée dans les deux récipients qui se trouvent au-dessus de la chambre d’évapora- tion; ces récipients, construits sur le type des graisseurs auto- matiques de machines, ont un débit réglable, ils fonctionnent

comme des flacons de Mariotte ; leur contenu n’est en rapport

avec l'air extérieur que par un tout petit pertuis, ce qui nous met pratiquement à l'abri de l’appauvrissement par évaporation de notre réserve.

La formaline, débitée par les récipients réglables, est distri- buée par un système de conduits, placés à l’intérieur de la cham- bre d’évaporation, sur une série de mèches suspendues vertica- lement de telle sorte que nous obtenons le maximum de surface

POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL. 451

d'évaporation possible pour le minimum de substance employée.

La chambre d’évaporation communique largement par sa partie inférieure et d’une façon directe avec la chambre d’ex- position; par sa partie supérieure, elle communique aussi avec cette chambre, par l'intermédiaire du chenal indiqué à la partie supérieure de la figure et qui débouche à l'extrémité opposée de la chambre d'exposition.

Enfin un ventilateur placé dans le chenal et mu, dans le type

représenté dans la figure, par une petite dynamo, détermine une cireulation permanente de l'atmosphère intérieure de l'appareil, de la chambre d’évaporation à la chambre d'exposition et vice- versa. Cette circulation permanente de l'air active fortement l’é- vaporation du formol. Grâce à ce dispositif, nous maintenons constamment l’air à l’état de saturation, car tandis qu'il tend à s’appauvrir en aldéhyde au contact du corps exposé, en raison des phénomènes d'absorption, il vient constamment s'enrichir au contact des mèches dans la chambre d’évaporation. Un litre de formaline suffit pour traiter complètement un cadavre humain.

452 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Dans cet appareil, nous pouvons conserver indéfiniment des cadavres d'animaux ou d’hommes sans aucune putréfaction. Si la décomposition a commencé avant l'introduction du cadavre dans l’appareil, la décomposition est enrayée. De plus, quand le *

Fig.2:

cadavre a séjourné dans l'appareil pendant un temps suffisant pour que l'aldéhyde qui a pénétré toute la masse soit entrée en combinaison chimique avec les composés organiques des tissus, ceux-ci sont devenus imputrescibles, et le cadavre peut se con-

Fig. 3.

server indéfiniment à l'air. Les organes internes, les viscères, conservent néanmoins leur consistance, leur coloration et leur aspect normaux. Si le cadavre d’un animal ainsi traité est ex- posé à l'air, écorché et ouvert, si le local on le conserve est sec, les organes et tissus exposés à l’évaporation se dessèchent, se racornissent.

POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL, 453

La figure 2 représente l’état actuel du cadavre d’un petit chien qui, tué le #octobre 1897, c’est-à-direil y a cinqmois, a été mis dans un petit appareil d'essai le 5 octobre ; 1l y a séjourné jusqu’au

18 octobre; il est resté depuis exposé à l’air et est toujours intact. La figure 3 représente l’état actuel du cadavre d'un grand chien de 30 kilos tué le 8 janvier 1898; il a été introduit dans

Fig. 5.

l'appareil décrit ci-dessus 48 heures après la mort. Il en a été retiré le 5 février, soit 4 semaines après. Depuis lors il est resté exposé à l'air, il est loujours intact.

La figure 4 représente le cadavre de S. D..., femme âgée de

454 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

48 ans, morte d’éthylisme le 7 février, à 3 heures du matin; la photographie à été faite immédiatement avant l'introduction du cadavre dans l'appareil, soit le 8 février, à 6 heures 1/2 du soir. Le ventre commençait à se ballonner et présentait déjà à sa par- tie inférieure des taches cadavériques, la décomposition était donc manifestement commencée. (Il est d’ailleurs connu qu’elle se produit très rapidement chez les alcoolisés.)

La figure 5 représente le même cadavre au moment du défournement qui a eu lieu le 8 mars, soit 1 mois après le décès. On peut constater que le ventre s’est affaissé et que le cadavre est absolument intact *.

Mais peut-être ces faits pourraient-ils ne pas être considérés comme suffisamment coneluants pour les esprits prévenus. En voici d’autres qui, eroyons-nous, démontreront d’une façon irré- futable le réel pouvoir pénétrant de l’aldéhyde formique.

L. Notre collègue M. le P' Coremans a mis dans notre appa- reil d'essai le cadavre d’un cobaye mort du charbon. Le cadavre était ouvert. Six heures après ilfut retiréet M. Coremans, parexa- men direct, ensemencements et inoculations, put vérifier la des- truction complète des bactéridies charbonneuses. De même un cadavre fermé fut stérilisé en 4 jours.

IL. M. Guérin, assistant du D' Calmette de l’Institut Pasteur de Lille, à la demande de celui-ci eten vue de contrôler les résul- tats précédents, mit au mois de septembre dernier, dans le même appareil, un cadavre de cobaye charbonneux non ouvert. Le cada- vre resta soumis aux vapeurs d’aldéhyde formique pendant quatre jours. Par l'examen direct du sang du cœur et par des ensemence- ments, on constatala destructiondes bactéridiesetde leursspores.

IT, En janvier 1898, M. Coremans introduisit dans le même appareil le cadavre d’un cobaye mort de morve inoculée. Le cadavre fut exposé aux vapeurs de formol pendant 4 jours. A l’autopsie on constata que tout l'organisme de l’animal était farci de nodules morveux. Un cobaye neuf inoculé avec la pulpe d'un nodule de la rate, c’est-à-dire siégeant dans un organe profond, ne ressentit aucun malaise : il y avait destruction du bacillus mallei.

4. L'autopsie de ce cadavre a été pratiquée le 23 mars, les organes internes étaient dans un parfait état de conservation ; le 18 juin, moment nous rédi- geons cette note, le corps est toujours intact.

POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL. 455

IV. Le 21 avril 1898, nous mettons dans le grand appareil un poumon de vache pommelière. Nous recueillons dans la masse de la matière tuberculeuse au bout de 24 heures, et nous inocu- lons un cobaye sous la peau : le cobaye devient tuberculeux. De même les inoculations faites à des cobayes avec de la matière recueillie après 48 heures de séjour dans l'appareil donnent la tuberculose.

La matière tuberculeuse, recueillie après 72 heures de séjour dans l'appareil, inoculée à un cobaye, a donné un résultat dou- teux. Le 14 mai, l’animalinjecté est sacrifié; ilprésente, comme seule manifestation, une légère augmentation du volume du gan- glion précrural : l'injection avait été faite sous la peau de la cuisse. Après 4 jours d'exposition à l'atmosphère de l'appareil, la stérilisation du poumon malade était complète ; deux cobayes ino- culés ont été sacrifiés 3 semaines après l'inoculation et à l’au- topsie ils ne présentaient aucune trace de tuberculose.

V. De même nous avons cherché à stériliser 3 cadavres de cobayes tuberculeux. L'un resta 2 jours dans l'appareil, Le deuxième # jours, le troisième 6 jours. Nous avons pu constater que les cadavres n'ayant séjourné que 2 et # jours dans l’appa- reil n'étaient pas stérilisés.

Nous pûmes le démontrer par l'inoculation à des cobayes d'une émulsion des masses tuberculeuses de la rate de ces ani- maux. Les résultats de ces inoculations furent positifs. Au con- traire, l'emploi du même procédé de vérification nous permet d'affirmer la stérilisation du cadavre traité dans l’appareil pen- dant 6 jours.

Si la première série d'expériences démontre déjà à l'évidence la pénétration des vapeurs du formol dans toute l'épaisseur des cadavres, la seconde série démontre que la conséquence de cette pénétration consiste non seulement en une stérilisation des milieux organiques et en une action empêchante de l’évolution des germes, notamment des microbes de l'intestin que Malvoz (39) considère comme les agents les plus puissants de la décompo- sition cadavérique, mais qu’en outre il y a action microbicide, même pour les microbes sporulés comme la bactéridie charbon- neuse.

De tous ces faits nous croyons être autorisé à conclure que l’aldéhyde formique gazeuse, contrairement à ce qui a été

456 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

affirmé, possède un pouvoir pénétrant très considérable, si l’on sait se placer dans des conditions qui favorisent ce pouvoir péné- trant.

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POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL. 457

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SUR LA CONSERVATION DU BACILLE TYPRIQUE DANS LE CIDRE

Par M. ze Dr E. BODIN

Professeur suppléant à l'Ecole de médecine de Rennes.

Dans cette note je me propose de résumer diverses expériences que je viens de faire relativement à la vitalité et à la conserva- tion du bacille typhique dans le cidre. Cette question mérite qu'on s’y arrête tout particulièrement en raison de la consomma- ‘tion considérable du cidre, surtout dans le nord-ouest de: la France où, dans beaucoup de contrées, il forme la boisson ordi- naire de la majeure partie de la population ‘. J'ajouterai que c’est un point spécial de l'hygiène qui n’a point été jusqu'ici étudié sérieusement *.

Il faut d’ailleurs, pour traiter complètement le sujet, Le divi- ser, car 1l est double :

Lorsque l’on fabrique du cidre en se servant d'eaux conta- minées par le bacille typhique, cette bactérie persiste-t-elle dans la liqueur après la fermentation *?

1. À Rennes, dont la population est de 80,000 habitants environ, la consom- mation du cidre s'élève à 267,662 hectolitres en moyenne par an, soit plus de 3 hectolitres par habitant.

2, En 1897 M. Vigot, de Caen, a fait sur la conservation du bacille d'Eberth dans le cidre une série d'expériences. Mais, outre que ce travail laisse sans les combler une série de lacunes importantes, la technique que M. Vigot a employee dans ses recherches n’est pas suffisamment rigoureuse pour que ses conclusions soient admises sans contrôle. Ainsi M. Vigot, ayant ensemencé des échantillons de cidre avec du bacille d'Eberth, recherche ensuite le bacille dans ces échantil- lons à l’aide du microscope et de la méthode de Gram (moyen infaillible pour reconnaitre le bacille d’'Eberth, nous dit-il), et aussi par l'inoculation intrapérito- néale du cidre aux cobayes. Ceci se passe de commentaires, et me semble tout aussi illusoire que de vouloir rechercher le bacille de la fièvre typhoïde dans une analyse d'eaux par l'examen microscopique du liquide ou par l’inoculation de quelques centimètres cubes d'eaux dans le péritoine d’un cobaye.

3. Dans les campagnes bretonnes, un usage fréquent est de prendre pour la fabrication du cidre l’eau des mares souillée par toutes les déjections des habi- tants et des animaux des fermes; car chez les paysans, il est de tradition que ces eaux favorisent la fermentation du cidre.

PE PPS RS RE EE EE ous ét RARE

BACILLE TYPHIQUE DANS LE CIDRE. 459

2 Si l’on ajoute au cidre fermenté de l’eau contenant du bacille d'Eberth, ce microbe peut-il pulluler ou se conserver vivant pendant un certain temps dans le liquide.

A priori rien ne dit que l'acte de la fermentation soit favo- rable ou défavorable à la vitalité du bacille. C’est à l'expérience à prononcer; je n'insisterai donc pas sur ce premier poiñt, que je me réserve de reprendre à l’époque de l’année se fabrique le cidre.

Reste la seconde partie de la question, celle qui a trait à l'addition d'eaux contaminées au cidre fermenté, et ce n’est pas, je crois, la moins importante, car le mouillage des cidres est une opération habituelle parfois pour la vente en gros et surtout dans la vente au détail (bien que dans certaines villes les arrètés municipaux, exigeant un degré déterminé d'alcool pour les cidres, en aient diminué la fréquence).

En soi cette opération du mouillage est une fraude, mais ne présente pas d'inconvénients au point de vue de l'hygiène. Seulement, par suite de ce fait qu’elle constitue une fraude, elle se pratique non pas avec l’eau des fontaines publiques, mais plus discrètement, avec l’eau du puits situé derrière la maison, recevant l’égout des cours et situé à proximité des fosses d'ai- sances.

Or, tous ces puits sont contaminés par le bacille d’'Eberth et par le Bacterium coli commune, ainsi que j'ai pu m'en rendre compte l’année dernière par plusieurs analyses des eaux de puits prélevées dans diverses parties de la ville et des fau- bourgs.

Au point de vue hygiénique, il devient d'importance majeure de savoir d’une manière précise si le bacille introduit dans le cidre y pullule ou s’y conserve pendant une période plus ou moins longue, au cours de laquelle l’ingestion de cette boisson pourrait déterminer l'apparition de la fièvre typhoïde.

Voici quels sont les résultats des expériences que j'ai faites à ce sujet : :

1. Dans toutes ces expériences, la technique que j'ai employée est la sui- vante : le cidre, filtré au filtre Chamberland et reçu dans des matras stérilisés, était laissé à la température du laboratoire. Les échantillons de 500 c. c. chacun ont tous été ensemencés avec 10 gouttes d’une culture de bacille d'Eberth sur bouillon de 2 ou 3 jours.

Pour la recherche ultérieure du bacille, je prélevais dans les échantillons 50 c. c. environ, pour les ensemencer par 2 c. c. sur des matras de bouillon. Le

460 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Cidres purs ensemencés avec le bacille d'Eberth *.

Désignation des Titre en Acidité par litre Examen après échantillons. alcool pour 100. (en acide malique). l’'ensemencement. 2 h. après. 12 h. aprés. A 3.52 3,4 5 B 3,89 5 21 C 4,92 5.4 PA

Un échantillon (D), üitrant 3,92 0/0 en alcool et 5 grammes d’acidité par litre (en acide malique), a été ensemencé, après filtration préalable au filtre Chamberland, avec une dose mas- sive de culture de bacille d'Eberth sur bouillon (3-4 €. c.), et, dans cet échantillon, j'ai pratiqué des numérations successives des bacilles, afin de mieux me rendre compte de la rapidité de leur disparition. Ces numérations m'ont donné les chiffres sui- vants :

Nombre de bacilles typhiques par centimètre cube.

Au moment de l’ensemencement.............. 1,250,000 2Aheures aprés ee Dee Eee 91,400 48 ) DU RE RENE PSP A ONE 1,300 60 » DD TE dE EU ee Li Re te PE Test 0

On voit, par ces numérations, que la destruction du bacille a été très rapide dans cet échantillon pendant les premières 24 heures. Ensuite, les germes ont disparu plus lentement. D'ailleurs, il n'y à pas d’analogie complète entre ce qui s'est passé dans cette expérience et ce qui à lieu dans la réalité, une infection aussi intense du cidre est pour ainsi dire irréali- sable.

Une seconde série d'examens a porté sur des cidres étendus d'eau.

20 Cidres étendus d'eau et ensemencés avec le bacille à Eberth. bouillon était rendu légérement alcalin avec de la soude, de façon que la petite quantité d'acide ajoutée au bouillon avec les 2 c. c. de cidre ensemencés se trouve ainsi neutralisée et ne puisse nuire en rien à la culture du bacille.

Dans les matras de bouillon la culture a été positive, le bacille a été exa- miné, et je me suis assuré qu'il s'agissait bien, dans ces cultures, du bacille d’Eberth par les caractères suivants : mobilité extrême du bacille, décoloration par la mélhode de Gram, culture classique sur gélatine, culture non apparente sur pomme de terre, non fermentation du bouillon lactosé, absence de coagula- tion du lait, pas de production d'indol.

1. Dans le résumé de ces expériences, le signe + indique la persistance du bacille et le signe la disparition de ce bacille.

BACILLE TYPHIQUE DANS LE CIDRE. 461

Désignation Titre en Acidité par Examen des des alcool 1 litre (en acide échantllons après échantillons. pour 100. malique). l'eosemencement.

2 h. après. 18 h. après,

E étendu de 1/2 d'eau. 4,125 5 F étendu de 1/2 d'eau. 4,35 ol + _ G étendu de 1/3 d'eau, 4,225 2,6 + _ H étendu de 1/3 d'eau. 3,92 3,4 +- =

Nous arrivons ainsi à celte conclusion que le bacille typhique ne se développe en aucune façon dans le cidre fermenté pur ou étendu de 1/2 ou de 1/3 d'eau, et qu'il y disparait même assez rapidement, puisque après l'ensemencement, au bout de 2 heures au minimum et de 18 heures au maximum, tous nos échantil- lons sont restés stériles.

Cette première série d'expériences m'a toul naturellement conduit à rechercher à quel facteur il faut surtout imputer cette destruction du bacille d'Eberth dans le cidre; et d’abord, j'ai éliminé la richesse en alcool de la liqueur, car, dans les échan- tillons les plus alcooliques, le bacille n'a pas disparu plus vite que dans les autres.

Puis j'ai constaté, dans des matras de bouillon, qu'il faut une proportion d'alcool atteignant 7 0/0 pour arrêter la culture, proportion élevée à laquelle n'atteignent que rarement nos cidres bretons, dont la richesse en alcool oscille entre # et 6 0/0.

Par contre, l'acidité m'a immédiatement paru jouer un rôle important dans la stérilisation du liquide; aussi ai-je recherché quelle était l'influence de l'acide malique (qui représente la ma- jeure partie des acides du cidre) sur le microbe.

Dans les bouillons acidifiés à l'acide malique, la culture du bacille typhique se développe facilement jusqu'à 1 gramme pour 1,000 d'acide malique; à 18,50 0/00, elle est très lente, très pauvre, et ne se développe, à l'étuve à 37°, qu'au bout de 3 jours environ. Enfin, lorsque la quantité d'acide malique atteint 2 0/00, il n’y à plus aucune culture et la destruction du bacille est même rapide. En effet, si lon sème ce bacille sur un matras de bouillon titrant 2 0/00 d'acide malique, puis si on neutralise ce bouillon et si on le porte à l’étuve au bout de 24 heures, il reste absolument stérile.

Ces faits nous expliquent parfaitement la rapidité avec

4. Le titre en alcool et l'acidité indiqués ici sont ceux des échantillons avaaut le mouillage.

462 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

laquelle le bacille typhique à été détruit dans les échantillons de cidre que nous avons examinés et pour lesquels lacidité, en acide malique, était dans tous les cas supérieure à 2 0/00 ou voisine de ce chiffre.

Afin de mieux préciser ce rôle des acides dans le cidre lui- même, j'ai pris alors des échantillons de cette boisson auxquels j'ai ajouté une quantité plus ou moins grande de soude pour y faire varier l'acidité. L’ensemencement de ces échantillons a été pratiqué avec le bacille d'Eberth, comme je l'ai indiqué précé- demment, et l'examen ultérieur du liquide m'a conduit aux résultats que je résume dans le tableau ci-dessous :

Désignation Titre en Acidité par Examen des échantillons après des alcool litre en l'ensemencement. échantillons. pour 100. acide malique. 24 h. après. jour. 4e jour. 20e jour. l 4,125 neutre. + + _ + J 3,92 =:10:90 + + K 3,92 1,8 DE

De toutes ces expériences, une nolion se dégage : l'acidité du cidre fermenté entraîne la destruction rapide du bacille typhique introduit dans cette boisson, pourvu que celte aci- dité atteigne 2 grammes par litre en acide malique.

Toutefois, malgré la rapidité de la disparition du microbe, la liqueur reste encore dangereuse pendant 18 heures environ. C'est-à-dire que dans la journée qui suit l'addition d'eau conta- minée au cidre, l’ingestion de cette boisson peut déterminer la lièvre typhoïde. Et c’est peut-être à cette cause qu'il faut ratta- cher les cas de lièvre typhoïde isolés que nous observons sou- vent à l’'Hôtel-Dieu de Rennes, et pour lesquels l’origine hydrique ne peut être retrouvée.

Au point de vue de l'hygiène, il y a par suite le plus grand intérêt à répandre celte notion que le mouillage du cidre peut ètre dangereux s'il n’est pas pratiqué avec des eaux pures. L'idéal serait de renoncer au mouillage. On supprimerait ainsi du mème coup un danger et une fraude.

Il reste maintenant à examiner cette question de l'acidité des cidres et à savoir s'ils présentent habituellement la propor- tion d'acide qui assure la destruction du bacille.

Pour obtenir des renseignements précis à ce sujet, je ne pou- vais mieux faire que de m'adresser à M. Lechartier, doyen de la

BACILLE TYPHIQUE DANS LE CIDRE. 463

Faculté des sciences, et directeur de la station agronomique de Rennes, dont la haute compétence en la matière est bien connue, et que je tiens à remercier ici de son obligeance.

Lesanalyses de M. Lechartier", portant sur les cidres bretons, montrent que l'acidité y varie entre 2,42 et # grammes 0/00 en acide sulfurique monohydraté*, chiffres plus élevés que l’on ne pourrait le supposer tout d'abord, parce que l’on pense généralement que l'acidité du eidre lui donne un goût désagréable ; mais si l’on veut bien se reporter aux examens pratiqués à la station agronomique de Rennes, on verra qu'il faut dépasser 4 0/00 d’acidité, en acide sulfurique, pour que la saveur acide soit perceptible et encore jusqu'à 4,59 0/00 cette saveur n'est-elle pas désagréable.

Voici, d'autre part, le résumé des analyses de M. Kayser, faites sur les cidres de toutes provenances primés à l'Exposition de 1888.

Désignation des Acides Acides Acidité totale (en acide

cidres. volatils. fixes. sulfurique) pour 1,000 Cidres normands (9 échant.). 0,72 0,98 1,70 Cidres bretons (10 échant.). 1,38 1,16 9,54 Divers (4 échant.). 0,7 1,23 1,98

Toutes ces analyses concordent pour établir qu'il existe dans le cidre fermenté, mème après le mouillage qui ne peut dépasser une certaine limite, une quantité d'acide plus considé- rable que celle que nous avons démontré être suffisante pour stériliser la liqueur dans un certain nombre d'heures.

Mais, dira-t-on, cette quantité d'acide ne varie-t-elle point, et un cidre n'est-il pas plus ou moins acide suivant son âge? Est- elle la mème pour les cidres vieux?

Sous ce rapport, lorsque l’on étudie les moûts destinés à la fabrication du cidre, on voit qu'ils sont, pour des raisons qui restent à trouver, plus acides que les cidres qui en proviennent.

Cette perte des acides du moût peut aller jusqu’à 40 0/0 du poids de l'acide malique préexistant (Kulisch) et même #4 0/0

4. G. LecaarTier, De l’acidité des pommes, des moüûts et des cidres. Bulletin de l'Association pomologique de l'Ouest, t. XIII, p. 99.

2. Dans ces analyses, l'acidité est exprimée en acide sulfurique monohydraté; afin de la comparer avec l'acidité en acide malique des cidres que j'ai examinés,

il suffit de se rappeler que { gramme d'acide sulfurique correspond à 1:,36 d'acide malique.

464 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

(Lechartier). Mais cette diminution de l'acidité primitive se trouve en partie compensée par la production des acides nor- maux de la fermentation alcoolique.

De la sorte, l'acidité totale baisse toujours un peu quand on s'éloigne de l’époque de la fermentation".

Dans les expériences que j'ai faites, les cidres que j'avais à ma disposition étaient déjà vieux, l'acidité élevée qu’ils possédaient doit done être considérée comme un minimum, puisqu'elle s’abaisse toujours après la fermentation, et par suite ces cidres ont toujours contenu (même après mouillage) une proportion d'acide assurant la destruction du bacille tyÿphique dans le laps de temps que j'ai indiqué précédemment.

CONCLUSIONS

{9 Le bacille typhique introduit dans le cidre y est détruit dans un laps de temps qui va de la à fa 18° heure après la contamination du liquide ;

20 Cette destruction du bacille d’'Eberth est surtout due à l'acidité du cidre, et se produit toujours dans le temps que je viens d'indiquer, pourvu que lacidité de la liqueur soit de 2 grammes 0/00 (en acide malique). Au-dessous de ce chiffre, le bacille peut persister dans le cidre 3 à 4 jours si l'acidité est de 0,8 à 1 0/00 (en acide malique) et plus de 20 jours si le liquide est neutre ;

Les cidres de toutes provenances possèdent ordinairement, depuis la fermentation jusqu'au moment ils sont consommés, une acidilé supérieure à 2 0/00 (en acide malique) ; par suite, le bacille typhique qui pourrait y être introduit ne peut y per- sister que pendant 18 heures environ. Dans le cas le mouillage a causé la contamination du cidre par le bacille typhique, cette boisson est donc, pendant la journée qui suit lPaddition d’eau, susceptible de déterminer Ia fièvre typhoïde au même titre que l'ingestion d'eaux infectées par le bacille d’'Eberth.

1. Bien entendu, nous exceptons ici les cidres malades atteints par la maladie

de l'acescence ; dans ce cas, la quantité d'acide acétique croit rapidement en proportions anormales,

0]

SUR L'EMMUNITÉ NATURELLE DES ORGANISMES MONOCELLULAIRES CONTRE LES TOXINES

Par O. GENGOU.

Il ne manque pas d'exemples d'immunité naturelle, observés chez des groupes d'animaux très divers, à l'égard de substances toxiques, microbiennes ou autres. Telle est, par exemple, celle des serpents ou des scorpions vis-à-vis de leur propre venin, celle de certains mammifères, ainsi que l’a montré Calmette, vis-à-vis du venin de serpent, celle que M. Vaillard à trouvée à la poule vis-à-vis de la toxine tétanique, etc.

Je ne veux pas faire 1e1 le relevé de toutes les publications écrites sur ce sujet; il est d’ailleurs donné par Metschnikoff dans son beau travail sur l’Immunité ‘. Dans tous les ouvrages qu'il cite, comme dans tous ceux que j'ai parcourus, je n’ai nulle part vu mentionnée l’action que pourraient avoir des {toxines bacté- riennes sur des organismes tout à fait inférieurs, tels que des animaux monocellulaires. Sur les conseils de MM. Firket et Malvoz, j'ai entrepris quelques expériences dont les résultats, pour négatifs qu'ils soient en général, sont intéressants au point de vue de l'immunité comparée.

Je me suis servi du Paramecium aurelit, infusoire que Je cultivais dans une simple macération de foin, dans laquelle sa multiplication est très rapide. Je dois à la bienveillance de M. le Dr Calmette, directeur de l’Institut Pasteur de Lille, d’avoir pu expérimenter une toxine diphtérique capable de tuer un cobaye à la dose de 1/30 de €. c., et une toxine tétanique produisant le même effet à la dose de 1/300 de c. ce.

Dans toutes mes expériences, j'ai {enu mes infusoires au contact de la toxine, dans des verres de montre contenant beau- coup de liquide, placés en chambre humide, les cultures en

1. Merscanikorr, /nmunilat. Handbuch der Hygiene, 9 B1 1897. 30

466 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

goutte pendante ayant l'inconvénient de mettre trop peu de liquide nutritif à la disposition de l’infusoire.

Pour me mettre en garde contre une fausse interprétation des faits, j'ai d'abord recherché quelle était l’action du bouillon de veau ordinaire ou neutralisé par HCI, et plus ou moins dilué, sur le Paramecium d’une macération de foin. Voici une des nom- breuses séries d'expériences que j'ai faites : les proportions de bouillon et de macération sont indiquées dans la première colonne.

Bouillon naturel. Bouillon neutralisé. 4 2 mort en 11 minutes 7 minutes. 1 46 2h,17 4 4 1h,6 2h,3 il 5 3h,5 dh,5 _ 1 6 4h ,47 8h 27 _ 14: 9h, 32 15h,30 ANS O0 161,20 24h A0 45 24h 1 9908 10:20 36h _ 48h Mes survieindéfinie : survie indéfinie. 145:230

1. Mort des formes normales, survie des formes dégénérées.

Ce tableau montre que le Paramecium ne supporte pas une dose de 1 de bouillon ordinaire pour 20 de macération; à cette dose, la mort survient après un délai maximum de 2 jours; parfois cepen- dant quelques infusoires ont supporté des doses de 1 pour 15. Ce fait n’a rien d'étonnant, étant donné les différences considérables qui existent entre le bouillon de veau et le milieu naturel de l'infusoire. On voit aussi que la réaction du bouillon n’a qu’un rôle un peu effacé, et que ce n’est pas le passage d’un milieu neutre, comme une infusion fraîche de foin, dans un milieu alcalin, tel que le bouillon, qui détermine la mort du Paramecium. Si donc les toxines tétanique ou diphtéritique ont une action sur ce dernier, ce n’est pas à leur caractère alcalin qu’elles le devront.

Cela posé, j'ai successivement expérimenté ces deux toxines. Étant donné l'identité des résultats auxquels ces expériences m'ont conduit, je puis résumer dans un seul tableau l’action de l’une et l’autre de ces substances : la première colonne donne les rapports entre les volumes de toxine et de macération.

MICROBES ET TOXINES. 467

Toxine diphtérique. Toxine tétanique. { 3 mort en minutes D minutes. 1 3 44 40 I 4 {1h 925 1h 37 ! ù 4h ,20 1 4h 2 ms 1006 7h 7h,22 AE re 16h20 16h 5 47410 27h 30h : MMA 3 jours ! 2 jours et 1/2! D0:120; 25,30 survie indéfinie. survie indéfinie.

4. Mort des formes normales, survie des formes dégénérées.

Il résulte de qu’on peut faire agir sur des infusoires des doses de 1 pour 25 et 1 pour 20 de toxine diphtéritique ou téta- nique, sans que la mort survienne ; celle-ci n’est guère assurée qu’à la dose de 1 pour 15.

Si l’on rapproche cette dose de celle qu'il suffit d'employer, quand il s’agit du bouillon ordinaire du bouillon neutre, il est de toute évidence que, dans les deux cas, la mort est due aux principes organiques ou salins du bouillon, milieu anormal pour l’infusoire, et que les toxines diphtéritique et tétanique n’ont absolument aucune influence nocive sur le Paramecium aurelia. Nous sommes loin ici de la dose minime de toxine reconnue mortelle pour le cobaye.

J'ai constaté, dans toutes ces expériences, ainsi du reste que le montrent les tableaux précédents, que la forme normale de l'infusoire était toujours plus sensible à l’action du bouillon et des toxines que les formes dégénérées, c’est-à-dire les formes plus petites qui résultent toujours de la multiplication par division des infusoires lorsqu'ils arrivent à la fin de leur cycle évolutif. Tandis que dans le bouillon, de même que dans les toxines, la première mourait en 2 jours à des doses variant de 1 pour 20 à 1 pour 15, les secondes continuaient parfaite- ment à vivre dans du foin contenant À pour 15 et même 1 pour 14 de bouillon ou de toxine, pendant plusieurs jours.

Non seulement les toxines en expérimentation n’empêchent pas la conservation du Paramecium, mais elles lui permettent mème de se multiplier, ainsi qu’il découle des faits suivants :

2 Infusoires dans du foin contenant 1 de tox. diphtér. pour 30: après 4 jour en donnent 6.

A68 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

2 de ceux-ci, placés dans du foin contenant 4 pour 25 de tox. diphtér. après un jour, en donnent 3.

Ceux-ci sont placés dans du foin contenant 4 pour 20 de tox. diphtér. morts après trois jours.

2 Infusoires sont placés dans du foin contenant 1 pour 30 de tox. tétan. ; après À jour on en trouve ».

Ceux-ci sont placés dans du foin contenant 1 pour 25 de tox. tétan. : ils continuent à vivre sans se multiplier.

2 d'entre eux sont placés dans du foin contenant 1 pour 28 de tox. tétan.; après À jour, morts sans multiplication,

“…

.

-

w

Des doses de toxine de 1 pour 30 et même de À pour 25 per- mettent donc la multiplication de l’infusoire ; elle est cependant moins rapide que dans du foin normal. Ici encore, les formes dégénérées se sont montrées plus résistantes que les formes normales; elles se multiplient admirablement à la dose de À pour 15.

Mais si les toxines diphtéritique et tétanique n’ont aucune action nocive sur la Paramécie, exercent-elles, à de faibles doses, une action attractive sur elle?

Je me suis servi, pour observer ce fait, de tubes capillaires, dont je remplissais, par aspiration, la première moitié, d’une culture de Paramecies et l’autre moitié de la solution de toxine. Quelle que soit la dose employée de cette dernière, jamais Je n'ai vu l’infusoire spécialement attiré par la solution de toxine el s’y cantonner; au contraire, il voyageait uniformément dans tout le tube.

En résumé, les toxines tétanique et diphtéritique n'ont aucune action attractive pour les infusoires, telsique le Para- mecium aurelia, et ne sont nullement toxiques pour lui.

Le sérum antidiphtérique, quelle que soit la dose employée, n’a jamais donné une plus forte résistance à l’Infusoire vis-à- vis de la toxine.

J'ai fait des expériences du même ordre avec des levures. J'ai employé le Saccharomyces cerevisiæ, la levure du vin de Huy, et une levure qui avait été isolée des fausses membranes relirées de fa bouche d’un enfant atteint d’angine diphtéritique. Toutes trois m'ont donné les mêmes résultats. Ces trois levures étaient cultivées soit en eau de touraillon sucrée, soit sur géla- üne à l’eau de malt. L'observation microscopique étant plus facile pour les milieux liquides, je me suis servi de gouttes

MICROBES ET TOXINES. 469

pendantes, placées à une température uniforme de 21° C. J'ai pu constater que, même à des doses de 1 pour 2, c’est- à-dire dans un mélange de une goutte d’eau de touraillon sucrée pour une goutte de toxine pure, il y avait non seulement con- servation, mais multiplication des levures. A cette dose de 1 pour 2, la multiplication était cependant réduite au quart environ de ce qu’elle est dans l’eau de touraillon ordinaire: mais, en employant des doses un peu plus faibles, telles que 1 pour 8 à 1 pour 10, je retrouvais rapidement le pouvoir nor- mal de multiplication. Une goutte pendante contenant 1 pour 8 de toxine tétanique, par exemple, et 5 à 6 cellules de levure, en renfermait des quantités innombrables après 3 à 4 jours.

En comparaison avec cette immunité naturelle des infusoires et des levures pour les toxines diphtéritique et tétanique, je citerai les expériences suivantes dans lesquelles j'ai recherché l’action du nitrile malonique sur le même Paramecium.

Doses de nitrile malonique.

De 1 p.2 à 1 p. 60 mort avant un jour. De 1 p. 70 à 1 p. 900 mort entre À et 2 jours. De 1 p. 900 à 4 p. 1050 après 2 jours. De 1 p. 1200 survie indéfinie.

Il faut donc descendre, pour permettre à l’infusoire de vivre en contact avec cette substance, à une dose infime (1 pour 1200). Il m'a paru intéressant de rechercher si l’hyposulfite de soude exerçait une action curative vis-à-vis du Paramecium, comme il en exerce une chez les animaux supérieurs’. Dans le tableau suivant, j'ai consigné quelques-uns des résultats auxquels j'ai été conduit :

Nitrile malon. Hypos. de soude. 1 p. 1,000 4 p. 100 Les formes normales succombent après 4 jours. Les formes dégénérées survivent après 7 jours. 1 p. 750 1 p. 70 Les formes normales succombent en par-

tie après 4 jours. Les autres et les formes dégénérées sur- vivent après 7 jours.

1. HEeywaxs, Annales Pasteur, 1897.

470 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Dans les cas qui précèdent, j'avais en même temps fait agir nitrile et hyposulfite. Dans d’autres cas, j'ai fait agir le second un certain temps seulement après le premier. C'est ainsi que. 2 infusoires que j'avais placés pendant 2 jours dans une solution de nitrile malonique à 4 pour 900, furent mis alors en contact avec une solution d'hyposulfite à 1 pour 90, la mort survint néan- moins 1 jour après.

Dans tous les essais faits avec des doses plus ou moins fortes d'hyposulfite de soude, l’action de ce dernier a toujours été incertaine. Elle l'était néanmoins beaucoup moins pour les formes dégénérées que pour les formes normales du Paramecium.

Je crois pouvoir conclure de tout ce qui précède à l’immunité naturelle complète des infusoires et des levures à l'égard des toxines diphtérique et télanique, ainsi qu'à l’absence de toute chimiotaxie positive ou négative de ces dernières sur ces orga- nismes.

Je crois pouvoir admettre, d'autre part, que cette immunité naturelle des organismes monocellulaires vis-à-vis des toxines diphtéritique et tétanique constitue un argument de plus en faveur de la théorie d’après laquelle limmunité naturelle des animaux supérieurs résulterait d’une insensibilité de la cellule vivante vis- à-vis des poisons. Pour ces organismes, en effet, 1l ne peut être question ni d’un pouvoir autitoxique du sang, ni d’ane élimination rapide des toxines injectées, puisque ces organismes se meuvent dans le milieu toxique et sont par conséquent toujours en contact avec lui. Il ne peut donc s'agir ici que de lPimmunité «<histogène », ainsi que l'appelle Behring. Peut-être les cellules des animaux supérieurs, naturellement immunisés, jouissent- elles, vis-à-vis des toxines, de propriétés semblables à celles des organismes monocellulaires.

Liége (Institut d'anatomie pathologique et de bactériologie), juin 1893.

REVUES ET ANALYSES

DE SSP NTI N OTEOES

Il serait impossible de faire ici un exposé complet de tous les tra- vaux écrits dans ces dernières années sur la chimie des albuminoïdes. Impossible par faute d’espace et par manque de cohésion, car dans ce domaine scientifique naissent journellement des œuvres à doctrines et méthodes si nombreuses et si différentes que les faire tenir toutes ou presque toutes dans une seule revue aurait pour premier résultat de rendre cette revue trop indigeste pour qu’elle restât intéres- sante. Je me suis donc borné à signaler quelques points de vue, quelques directions et quelques travaux, ne prétendant aucunement épuiser la littérature même sur ces sujets plus spéciaux, voulant indiquer avant tout qu'en cette question si complexe de la chimie des albumi- noïdes la science, si elle ne marche pas vite, progresse néanmoins.

Le point de départ de tout travail de chimie sur une albumine quelconque devrait être, théoriquement, une substance chimiquement pure.

Quiconque a dans sa vie préparé une de ces substances sait com- bien est difficile la solution de ce premier problème. Le moyen qui offrait le plus de garanties était à coup sûr la cristallisation. Diverses tentatives heureuses dans cette direction avaient été accomplies de longue date par Maschke, Schmiedeberg, Drechsel, Grubler, etc. Ces savants avaient fait cristalliser les globulines que l’on trouve dans cer- taines graines végétales, globulines se distinguant précisément par une grande facilité de cristallisation, soit seules, soit en combinaison avec différents métaux.

Ces essais ont été renouvelés en 1893 par Osborne‘ qui obtint des cristaux de diverses globulines retirées des graines de la noix de Para, du chanvre, du ricin, de la courge, du lin et de l’avoine. Il réussit ces cristallisations, soit par le refroidissement de solutions faites à chaud dans l’eau salée, soit par la dialyse de ces solutions salines.

Hofmeister ?, en 14890, était déjà arrivé, en suivant la méthode de

4. American Chemical Journal, tome XIV. Maly’s Jahresbericht f. Thier- chemie, 1895. 2, Zeitschrift fur physiologische Chemie, Bd. XIV-XVI.

472 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Grübler, à faire cristalliser l’albumine du blanc d'œuf. Il dissolvait l’albumine débarrassée de la globuline dans des solutions à demi-satu- rées de sulfate d’ammoniaque, et les laissait s’évaporer lentement. Au. bout d’un certain temps se déposent dans ces conditions des sphères transparentes ou des agrégats de sphères qui représentent bientôt la presque totalité de Falbumine dissoute. Ce dépôt, soumis trois ou quatre foisau mêmetraitement, se transformeinsensiblement; à côté dessphères apparaissent des aiguilles fines isolées ou groupées en sphérolithes. Et si l’on opère avec précaution, l’albumine se transforme bientôt presque toute en aiguilles ou lamelles cristallines. Pour se débarrasser des eaux-mères, Hofmeister essore à la trompe, puis reprend la masse cristalline par l'alcool absolu, qui coagule l’albumine et permet l'éloi- gnement des derniers restants de sel par un lavage à l’eau. Ainsi coagulés et purifiés, les cristaux d’albumine n'ont guère changé d'aspect. Ces résultats d'Hofmeister ont été vérifiés par différents auteurs. Un travail très soigneux de Bondzynsky et Zoja leur donne pleine confirmation tout en les complétant. Ces derniers auteurs, par des ceristallisations fractionnées, ont pu séparer plusieurs produits cristallisés, dont les différences de composition centésimale sont telle- ment faibles qu’elles rentrent dans les limites d'erreur possible. Au contraire, ces fractions présentent des différences assez considérables dans deux de leurs constantes physiques, le point de coagulation et le pouvoir rotatoire. Ces données confirment l’opinion des auteurs qui, en se basant sur les coagulations successives du blanc d'œuf par la chaleur, ont admis que l’albumine de l'œuf n’est pas un individu chimique, mais un mélange. Mais l’albumine de l’œuf n’est pas restée la seule albumine animale dont on réussit la cristailisation. Bramwell et Paton * ont décrit une albumine cristallisant spontanément dans une urine pathologique. Gürber, puis Michel et Gürber # ont pu, par un procédé peu différent de celui de Hofmeister, faire cristalliser l'albumine du sérum de cheval, et l'ont obtenue en beaux prismes hexagonaux, sur- montés d’une pyramide à six pans. Moraczewsky‘ prétend avoir obtenu des cristaux d’une combinaison de caséine avec le phosphate de magnésium. Il est curieux de remarquer que, à l'exception de Hof- meister, qui dit avoir préparé des cristaux d’albumine ne laissant aucune cendre à la combustion, les différents auteurs qui se sont occu- pés de l'obtention d’albumines cristallisées ont toujours obtenu des quantités assez notabies de matière minérale après incinération, ce

1. Zeitschrift {. physiologische Chemie, Bd. XIX.

2. Reports from the Laboratory of the Royal College of Physicians Edin- burgh, vol. IV, 1892.

3. Maly's Jahresbericht [. Thier-chemie, 1895.

4. Zeitschrift f. physiol. Chemie, XXI.

REVUES ET ANALYSES. 413

qu'ils expliquent, non par un manque de pureté, mais en admettant la combinaison de l’albumine avec différents sels minéraux. Dans ces dernières années, divers auteurs ont encore affirmé avoir obtenu soit des albumoses, soit des peptones à l’état de poudres cristallines, mais sans donner de description précise des cristaux qu’ils auraient obtenus.

Il est donc établi aujourd’hui, de façon définitive, qu'albumines et globulines, tant animales que végétales, possèdent, comme beaucoup d’autres substances, un état cristalloïde à côté du colloïde. Cette con- statation a son importance, car si une solution aqueuse d’albumine est capable de déposer des cristaux, on est en droit de la considérer comme une solution vraie, et non comme une sorte d’émulsion ou de gelée liquide. On pourra donc faire légitimement sur elle les opéra- tions pratiquées sur les solutions salines vraies, l'utiliser par exemple à la détermination cryoscopique de la grandeur moléculaire de l’albu- mine. On s’est posé la question de savoir si l’albumine ordinaire avait la même grandeur moléculaire que l’albumine cristallisée, et l’idée a été émise que cette dernière était une dépolymérisation de la pre- mière. Les raisons invoquées, telles que les filtrations beaucoup plus rapides des solutions d’albumine cristallisée, l’espèce d'entraînement qu'il faut faire subir à l’albumine amorphe pourl’amener à la cristalli- sation franche, peuvent s’expliquer aussi par la présence d’impuretés, et jusqu’à présent l’idée manque de base certaine.

Au point de vue de l'obtention de produits purs, les résultats obtenus jusqu'’aujourd’hui sont faits pour engager dans la même voie ceux qui veulent aborder l'étude chimique d’une albumine quelconque ; car ce mode de préparation, quand il est possible, offre incomparable- ment plus de garanties de pureté que les dissolutions et précipitations, auxquelles on recourt habituellement. Il serait à souhaiter que l’on attachât grande importance à l’état de pureté absolue de la substance à étudier, de façon à éviter le plus possible les résultats approximatifs, suite nécessaire d'un point de départ incomplètement défini.

* # *#

Pour étudier la structure chimique des albuminoïdes, le chimiste possède ses deux moyens habituels : la synthèse et l’analyse. Je ne dirai rien des essais de synthèse, faits dans ces dernières années. Les substances préparées de toutes pièces par divers auteurs n’avaient avec l’albumine que des rapports éloignés et toujours incomplets.

L'analyse de l’albumine a été tentée par les moyens chimiques violents, tels que l’action des bases et des acides forts, et par les moyens moins énergiques que nous fournissent les fermentations, tant par microorganismes que par enzymes. À priori, c'est aux seconds

474 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

qu'il faut donner la préférence, car, pour arriver à la connaissance de molécules aussi énormes que celle des albuminoïdes par létude des fragments qu’elles fournissent sous l'influence d’agents divers, il faut que les morceaux obtenus soient encore assez volumineux pour qu’on puisse leur assigner une localisation sûre, dans le grand complexe. La reconstruction d’une statue au moyen de ses débris n’est guère possible, si ces derniers ne sont plus qu’un gravier menu, dont les parcelles n’ont gardé dans leur forme rien qui indiquât les rapports primitifs.

Sous ce rapport, les diastases protéolyliques ont donc un grand avantage, car ordinairement leur action est plus lente et moins pro- fonde que celle des moyens chimiques ordinaires. Quant aux ferments vivants, outre que leur action est souvent plus profonde, elle se com- plique souvent de procédures synthétiques, dont il peut être très difficile de faire la part exacte.

Un grand progrès dans l'étude des transformations des albumi- noïdes, par les ferments protéolytiques, date des travaux de Kühne et de ses élèves Chittenden et Neumeister. Il est utile, je crois, d’ébau- cher dans ses grands traits la conception que s'est faite Kühne de la digestion des albuminoïdes, avant d’en arriver aux travaux plus récents sur la matière.

Quand on place, dans un suc gastrique artificiel, de la fibrine ou du blanc d’œuf coagulé, il y a dissolution lente de l’albumine solide, avec transformation de ses propriétés physiques et chimiques. On distinguait, depuis les travaux de Meisner, divers produits de transformation.

Ce chimiste avait montré que la simple neutralisation du liquide résultant d’une digestion pepsique récente suffisait pour précipiter une partie des produits solubles : c’était la parapeptone.

Le liquide filtré contenait un corps albuminoïde, soluble dans l'eau et les solutions acides, alcalines et salines, non précipitable par la cha- leur : la peptone. En réalité, les transformations sont beaucoup plus complexes, et différentes dans les digestions pepsique et pancréatique.

Tout d’abord, si la digestion n'est pas trop rapide, et si l’albumine n’est pas fortement coagulée, il peut y avoir, au début des digestions pepsique! et trypsique?, une simple dissolution du coagulum sans transformation chimique appréciable. L'albumine ou la globuline passent en solution en conservant leurs propriétés *, notamment celles d’être coagulées par la chaleur. Voyons maintenant comment se pro-

. HaseBrock, Zeitschrift fur physiologische Chemie, Bd XI. . HERMANN, Zandbuch f. Physiol. . Arraus Et Huser, Archives de Physiologie, XXN.

O2 NO

REVUES ET ANALYSES. 475

duit la protéolyse dans la digestion pepsique considérée spécialement.

L’albumine prend tout d’abord les caractères que lui donnent les acides minéraux dilués agissant seuls; elle perd sa coagulabilité par la chaleur, elle est précipitée de ses solutions par la neutralisation de celles-ci. Ainsi transformée, l’albumine est devenue la parapeptone de Meisner, la syntonine ou acidalbumine de Kühne. La syntonine disparaît bientôt dans le liquide de digestion. Elle s’est transformée en peptone vraie de Meisner. D’après Kühne, la transformation est complexe, et il y a lieu, pour la comprendre, de tâcher d'isoler, par des précipitations fractionnées au moyen de sels minéraux, les diffé- rents produits qui ont pu prendre naissance. Il établit une première sub- division entre les corps précipitables par le sulfate d’ammoniaque saturé à chaud, en solution successivement neutre, acide et alcaline, et ceux qui restent dissous après ce traitement. Ces derniers sont les peptones vraies. Les autres sont les albumoses. Mais ces albumoses redissoutes dans l’eau se laissent encore différencier en primaires et secondaires. Les premières sont précipitées de leurs solutions : partiellement, par l'acide nitrique ou par la saturation au moyen de chlorure de sodium; complètement, moyennant certaines précautions ', par les sels de cuivre, sulfate, acétate. Ces divers agents n'ont aucune action sur les deutéro-albumoses. Ces dernières se précipitent partiellement de leurs solutions saturées de chlorure de sodium, quand on les acidule par les acides acétique ou nitrique.

Elles ne sont complètement précipitées que par le sulfate d’ammo- niaque. Parmi les albumoses primaires s'établit une nouvelle différen- ciation entre protalbumoses et hétéroalbumoses, les premières solubles dans l’eau pure, les secondes exigeant, pour se dissoudre, une certaine quantité de sels minéraux. Leur séparation se fait en soumettant à la dialyse une solution saline d’un mélange d’albumoses primaires. L'hé- téroalbumose se précipite, la protalbumose reste en solution. Kühne a encore proposé les noms de dysalbumose. d'acro-albumose, pour des variétés se distinguant par des caractères de solubilité peu importants et dont la situation et la signification sont moins étudiées. D’après une série de dosages faits à différents moments de la digestion, Kühne admet que la syntonine, sous l’action de la pepsine, serait transformée en un mélange d’albumoses primaires, celles-ci étant irréductibles entre elles, se produisant simultanément et non consécutivement l’une à l’autre aux dépens de parties différentes de la molécule albuminoïde, Cette opinion se base sur le fait que la protalbumose, soumise à la digestion pancréatique, fournit des produits de décomposition analogues à ceux de l'hétéroalbumose, mais en proportions différentes. Ces deux albu-

1. Fou, Zeitschrift fur physiologische Chemie, Bd XXY.

476 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

moses, par l’action ultérieure du sue gastrique, donnent par hydrata- tion une deutéro-albumose, de sorte que la deutéro-albumose, isolée des produits de la digestion globale, serait, en réalité, un mélange de la deutéro-albumose dérivée de la protalbumose et de celle dérivée de l’hétéroalbumose. Par hydratation plus profonde, les deutéro-albu- moses fourniraient la peptone définitive. s’arrête, d’après Kühne, l’action des sucs pepsiques, naturel et artificiel, incapables tous deux de scinder la molécule de peptone.

Si nous examinons maintenant les actions du suc pancréatique, nous voyons que les premiers produits d'hydrolyse sont ici les deu- téro-albumoses, se formant directement aux dépens des albuminesnatu- relles, sans qu’il soit possible de décéler les albumoses primaires. Les deutéro-albumoses subissent ultérieurement la transformation en peptones. Mais ne s'arrête pas l’action de la trypsine. Elle attaque une partie de la peptone et laisse intacte l’autre. Nous aurons à reve- nir plus tard sur les produits de désintégration de la peptone, parmi lesquels figurent les acides amidés. Ici nousinsisterons sur ce fait que, d’après les vues de Kïühne, peptone pancréatique et peptone gastrique sont deux composés différents, la peptone gastrique ou amphopep- tone étant le mélange de deux substances, dont l’une, l’hémipeptone, est détruite par le suc pancréatique, tandis que l’autre, l’antipeptone, lui résiste indéfiniment. L'antipeptone, attaquée par les acides forts ou les bases à l’ébullition, fournit d’une manière générale les mêmes pro- duits de décomposition que l’hémipeptone. Kühne admet dans la molé- cule albuminoïde l’existence de deux proupes : le groupe hémi et le groupe anti, différents par leur résistance vis-à-vis des agents hydro- lysants.

Cette conception, à laquelle Kühne est arrivé par l’étude de la digestion par les diastases, se trouve appuyée par l'observation antérieure de Schützenberger, que les acides minéraux attaquent rapi- dement une partie de l’albumine coagulée de l’œuf, en laissant intact un résidu qu'il appelait hémiprotéine.

Cette hémiprotéine a reçu de Kühne le nom d’antialbumide, et il fut constaté par ce savant qu’elle se transforme intégralement en antipeptone par l’action du suc pancréatique, sans production d’acides amidés.

L'action du suc pancréatique, comme celle des agents chimiques, mène donc à la conception de deux groupes, le groupe hémi et le groupe anti. Plus haut il a été dit que la digestion pepsique fournit deux albumoses primaires, correspondant aussi à des groupes préfor- més dans la molécule albuminoïde. Quels sont les rapports entre ces deux ordres de données? Kühne, se basant sur les résultats de la diges- tion trypsique de la protalbumose et de l’hétéroalbumose, croit que

REVUES ET ANALYSES. 477

toutes deux contiennent en mème temps le groupe anti et le groupe hémi, la protalbumose étant surtout riche en hémi; l’hétéroalbumose, fournissant surtout de l’antipeptone, serait constituée en bonne partie par le radical correspondant.

Nous voyons donc apparaitre, parmi ces produits de la digestion autrefois confondus sous le nom de peptone, une série de différencia- tions, qui sont de haute importance si elles répondent à la réalité des faits. Mais une objection se présente rapidement : on s’est demandé, et c'est un problème d’ordre général dans l'étude des albumines, Jusqu'à quel point les résultats fournis par la précipitation au moyen des sels minéraux peuvent servir comme base de différenciation entre plusieurs albuminoïdes. Les lecteurs de cette revue se rappelleront suffisamment les critiques et les travaux de Duclaux sur ce sujet, pour que j insiste sur P’importance de l’objection. Elle a d'autant plus besoin d’être examinée dans le cas présent que différents auteurs, parmi les- quels Herth, Hamburger *, ont soutenu que les diverses hémialbu- moses de Kühne et de Chittenden ne sont qu’un seul et même corps, précipité en fractions successives par le traitement qui sert à la diffé- renciation des albumoses. Plus récemment, Stokvis’ dénie toute signification chimique précise au mot peptone, et en fait l'étiquette d’un produit commercial.

À ces objections, Kühne a opposé plusieurs arguments. Il prétend d’abord que, en réalité, la résistance de plus en plus forte qu'opposent les différents produits de la digestion à la précipitation par les sels minéraux est en rapport étroit avec leur grandeur moléculaire, et a par conséquent sa base dans leur nature chimique.

Et il appuie cette assertion sur l’étude des pouvoirs osmotiques des différentes albumoses ‘.

Après 24 heures de dialyse dans un courant d’eau, l'hétéroalbu- mose avait perdu par diffusion en solution alcaline 5,2 0/0, tandis qu’en solution acide ou saline, la perte était insignifiante. La protal- bumose en solution aqueuse donnait une perte de 19 0/0, en solution chlorhydrique faible, 28,3 0/0; la deutéroalbumose dans l’eau, 40 0/0; en solution chlorhydrique, 24, 10/0. Pour autant qu’on puisse tabler sur des chiffres accusant d’aussi fortes différences suivant les conditions de expérience, des trois albumoses l’hétéroalbumose a de beaucoup la molécule la plus grosse : viennent ensuite en ordre de décroissance la deutéroalbumose et la protalbumose. Ce qu’il y a d’intéressant dans

1. Annales de l'Institut Pasteur, À, 4892, p. 499, 274, 369, 657, 584,854. À, 4895, p. 51. Malyÿ's Jahresbericht für Thier-chemie, 1884, p. 18; 1886, p. 20. . Gentralblatt für Physiologie, Bd. VI, p. 43. . Zeilschrift für Biologie, B. XXIX.

& C2 ©

478 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

l'expérience, c’est que la deutéroalbumose doit être considérée, d’après Kühne, comme le mélange des deux albumoses secondaires provenant par hydratation des deux albumoses primaires. Or ce mélange se trouve être composé de molécules en moyenne plus grosses que la molécule d’une des albumoses primaires dont il dérive, de la protalbu- mose. La contradiction apparente se comprend si l’on admet avec Kühne que la deutéroalbumose provenant de l’hétéroalbumose possède une molécule plus volumineuse que la protalbumose,

Des résultats concordant absolument avec ceux de Kühne ont été obtenus par une voie toute différente. Sabanejeff' ayant déterminé l’abaissement du point de congélation de l’eau par l’albumine de l’œuf et ses dérivés, arrive, en appliquant la formule de Raoult, aux grandeurs moléculaires suivantes : 15,000 pour l’albumine, 2,400 pour la pro- talbumose, 3,200 pour la deutéroalbumose, environ 400 pour la peptone. Nous voyons ici encore que le mélange des deux deutéroalbu- moses possède une moyenne moléculaire plus forte que la grandeur de la molécule de protalbumose.

Ces chiffres sont à rapprocher de ceux obtenus par Sjüqvist* dans ses études sur la conductibilité électrique de solutions 1/20 normales d'acide chlorhydrique, additionnées de quantités connues d’albumine ou d’albumose.

L’addition de ces corps a pour effet une diminution de la conducti- bilité, parallèle à la saturation de l’électrolyte HClpar le non électrolyte albumine, diminution aboutissant à un minimum correspondant à la neutralisation de l'acide par la base organique. D'où la possibilité théorique de déterminer l’équivalent chimique de lalbumine. Dans les recherches de Sjüqvist, l'albumine aurait ‘pour équivalent 800, le mélange des albumoses qui constitue la peptone de Witte 600, la pep- tone vraie de Kühne (préparée par digestion trypsique prolongée de la fibrine) 250.

Paol # et Siegfried *, ayant déterminé par la méthode de Raoult le poids moléculaire de la peptone vraie,sont arrivés le premier au poids moléculaire de 203-243, le second de 257, et ils considèrent tous deux la molécule comme monovalente dans sa combinaison avec les acides. Ces résultats sont donc en accord complet avec ceux de Sjüqvist.

Ils s’éloignent davantage de ceux de Sabanejeff. Il est d’ailleurs probable que ces premières données seront encore modifiées avant qu'on puisse les considérer comme solidement établies. Mais l’ensemble

4. Chemisches Centralblatt, 1891 et 1893.

2, Scandinav. Archiv. f. Physiol. V, p. 227, d’après Centralblatt f. Physiologie, 1895, p. 460. ;

3. Berichte d. Deutsch. chemischen gesellschafft, Bd. 27,

4. Archiv, f. Anatomie und Physiologie ; Phys. Abtheil., 1894,

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REVUES ET ANALYSES. 479

des résultats acquis plaide fortement, comme on le voit, en faveur de l'hypothèse de Kühne, qui fait de la peptone vraie, non précipitable par le sulfate d’ammoniaque, l’aboutissant ultime d'une série de scis- sions moléculaires opérées par les sucs digestifs, et dont les termes de passage seraient les diverses albumoses.

Une autre preuveen faveur de l’existence et de l’importance de ces différents produits de la digestion des albuminoïdes nous est donnée, d'après Kühne et Chittenden, par la constance de leur apparition. Quelle que soit Palbumine qui serve de point de départ, que l'on ait eu recours à la fibrine, à la globuline du sang, à la myosine, à l’albu- mine de l’œuf, aux globulines cristallisées végétales, toujours on pourra isoler, par les mêmes procédés, les mêmes albumoses et les mêmes peptones, se caractérisant par les mêmes propriétés essentielles, ne conservant de leurs origines différentes que quelques particularités de peu d'importance.

Si d’autre part, à l'exemple de Pick', on tâche d'isoler les divers produits que contient un milieu de digestion artificielle, non plus d’après les procédés de Kühne, mais par la précipitation fractionnée au moyen de quantités de plus en plus fortes de sulfate d’ammonia- que, on obtient, pour une concentration correspondant à la demi- saturation, un précipité dont les propriétés sont celles d’un mélange des deux albumoses primaires. Par des concentrations correspondant au 2/3 de saturation, à la saturation complète en solution neutre, à la saturation complète en solution acide, se produisent trois précipités dont les propriétés sont très peu différentes entre elles et sont celles du mélange des deutéro-albumoses de Kühne.

Au point de vue plus strictement chimique, c’est-à-dire envisagées dans leur composition centésimale et dans leur façon de se comporter vis-à-vis des réactifs ordinaires des substances albuminoïdes, les albumoses se différencient très peu entre elles, et elles ont conservé d'autre part les propriétés et la composition des albuminoïdes. Au contraire, les peptones s’en écartent assez fortement. Leur composi- tion centésimale n'est pas encore exactement connue, les résultats d'analyse variant suivant les auteurs. Ce désaccord tient entre autres motifs aux grandes difficultés de préparation qui résultent, et de l'hygroscopicité excessive de ces corps, et de leur combinaison facile avec les acides, les bases, voire même Palcool*. Quant à leurs pro- priétés chimiques, il s'en faut également de beaucoup qu’on soit d'accord à leur sujet. Un premier point qu’il serait très important de fixer de façon définitive, c’est leur teneur en soufre. Tandis que Neu-

À, Zeitschrift für Physiologische Chimie, Bd. XXIV. 2. Paur, Loc. citato.

480 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

meister n’admet pas de peptone absolument dépourvue de soufre, d’autres auteurs tels que Siegfried ‘, Schroetter ? sont d’un avis opposé, et font de cette non-existence du soufre dans la molécule des peptones une différence essentielle entre peptones et albumoses. Faut-il voir la raison de ce désaccord dans la propriété, observée par Siegfried, que posséderait la peptone de pouvoir se combiner à l’acide sulfhydrique en solution aqueuse pour donner des composés sulfurés? Un fait en tout cas certain, c’est, d’après les analyses de Kühne, le peu de cons- tance de la quantité toujourstrès faible de soufre que contientlapeptone, de 0,3 0/0 à 0,7 0/0. Dans sa facon, de se comporter vis-à-vis des réac- tifs ordinaires des matières albuminoïdes, la peptone diffère également, en plus d’un point, des albumines et des albumoses. Je ne dirai rien des réactions de précipitation, sans leur nier cependant toute importance, surtout quand les différences portent non sur une seule d’entre elles, mais sur un ensemble. Seulement ici encore il y a désaccord entre les divers auteurs. Un point admis par Kühne, Siegfried, Pick, etc., c’est l'absence de réaction {vis-à-vis du réactif de Millon, correspon- dant, d’après Kühne et Siegfried, à l’absence de la tyrosine parmi les produits de décomposition de l’antipeptone. Pick «4 également noté le manque de la réaction de Molisch, c’est-à-dire le manque de coloration violette par l'acide sulfurique et le naphtol, réaction qui appartient aux hydrates de carbone etaux albumines et albumoses * et serait due, en ce qui concerne ces derniers corps, à l’existence dans leur molécule d’un chaïnon d’hydrate de carbone qui, sous l'action de l’acide sulfurique, donne du furfurol *.

Cet ensemble de données de différentes natures semble suffisant pour admettre avec Kühne une différenciation chimique certaine entre albumines, albumoses et peptones. Et nos connaissances sur les albuminoïdes auraient à gagner beaucoup à l'étude de ces différents composés. On peut donc dire que l’étude de la digestion des albumines par les enzymes est, à l'heure actuelle, grossière- ment ébauchée, et que la chimie des albumines aura tout à gagner de fulures recherches méthodiques et patientes faites dans cette direc- tion.

Dr P. Norr.

|. SieGrrtep, Loco citato.

2, Scuroerrer, Monatshefte f. Chemie.

3. Seecen, Journal für Thier-chemie de Maly. FT. XXE, p. 230. 4. Unraxsky, Zeitschrift f. physiologische Chemie, XH.

Le Gérant : G. Masson.

go —————

Sceaux. Imprimerie E. Charaire.

me ANNÉE AOÛT 1898 8.

> [Re

ANNALES

PEN ELEUL. PASTEUR

SUR LE MODE D'ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF CONTRE LE ROUGET DES PORCS

Par M. FELIX MESNIL CHEF DE LABORATOIRE À L'INSTITUT PASTEUR

(Travail du service de M. Metchnikoff.)

S LE. HisroriQue.

Le rouget des pores est une des premières maladies pour les- quelles on ait préparé un liquide doué de propriétés préventives. Emmerich et Mastbaum", dès 1891, ont immunisé des lapins contre le microbe de cette maladie; après leur avoir injecté des doses assez élevées de cultures virulentes, à des dates très rapprochées, ils les sacrifiaient, filtraient le sang et aussi le suc qu'ils extrayaient par pression des organes internes (foie, poumon, etc.). Ces liquides, à des doses de 2 c. c., protégeaient les souris contre l’inoculation de 1/2 ce. c. derouget; l'injection de 1 c. c: 5, faite 7 heures après l'introduction du virus, préservait encore 2 souris sur 3. Chez le lapin, la maladie produite par inoculation sous-cutanée de virus n’était jamais mortelle, l’in- jection préventive de suc d'organes la rendait très bénigne; elle préservait les individus inoculés dans la veine. Lorenz * a voulu faire entrer la sérothérapie du rouget dans une voie pratique, et 1l a examiné la valeur du sérum de pores À. Euuericu ET MasrBaum, Archiv. f. Hygiene, XII, 1891, p. 275.

2. Lorexz, Deutsche Zeitschr. f. Thiermed, XX, 1894, p. 1 et XXI, 1895, Dr2738 Deutsche thierärstl. Woch., 1896, p. 244; Centr. f. Bakt., XX, 1896, p. 792,

31

482 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

immunisés par des virus atténués. Il a constaté que ce sérum, à la dose de 1/100 c. e., protège Les souris contre une inoculation virulente faite 24 heures après. Mais, d’après Sander ', ce sérum, actif préventivement à des doses si faibles, n'empêcherait pas la mort des souris, quand il est inoculé seulement 1/2 heure après le virus.

Voges *, en 1896, a préparé un sérum préventif en se servant de lapins et de moutons. Dans ses tableaux d'expériences, on relève qu'il fallait O0 c. c. 1 de sérum de lapin et 0 c. c. 03 de sérum de mouton pour protéger les souris qui recevaient, en même temps, 0 c. €. 1 de culture de rouget. Inoculé 24 heures après le virus, son sérum, à la dose de 0 €. ce. 5, protège encore les souris qui reçoivent 2 « anses de platine » de culture sous la peau. Enfin, 48 heures après l'inoculation d'une « petite anse » de culture du virus, 2 c. c. ont protégé 1 souris sur 2.

Voges note qu'une température de 55° n’altère pas les pro- priétés préventives du sérum.

Leclainche*, en 1897, a également préparé un sérum immuni- sant en utilisant les lapins; chez les souris, il faut des doses assez élevées (1/4 à 1 ec. c.) pour empêcher la mort‘. La protec- tion acquise est toujours passagère, sauf quand on inocule un mélange, préparé in vitro, de sérum et de virus; on a alors une immunité durable.

Peu après, Loir et Panet” ont déclaré avoir obtenu un sérum protecteur en inoculant des pigeons avec des cultures de plus en plus virulentes.

La plupart de ces savants ne se préoccupent pas du mode d'action de leur sérum. Pourtant, Emmerich et Mastbaum constatent que, chez la souris, on retrouve encore des microbes au point d’inoculation (il y a aussi quelques leucocytes, mais sans traces de bacilles à leur intérieur), dansle sang et les orga- nes, 6 heures après l'introduction, sous la peau, d’un mélange de

4. Saxner, Archiv f. Thierheilkunde, XXI, 1895, p. 53.

2. Voces, Zeitschr. f. Hygiene, XXII, 1896, p. 515.

3. LECLAINCHE, C. À. Soc. Biologie, séance du 1°" mai 1897.

4. Depuis, LECLAINCHE a renforcer la valeur de son sérum; il déclare (ën Nocard et Leclainche. Les maladies microbiennes des animaux, édition, Paris, 1898, p. 161) qu’il immunise le lapin à la dose de 1/10 c. c. de sérum par kilo d'animal; il enraye l'infection 48 heures après l'introduction du virus chez le lapin (mort des témoins en 4-6 jours), 12 heures après chez la souris.

5. Loir gr Paner, C. X2. Soc.Biologie, séance du 5 juin 1897.

+ PT ON]

ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF, 483

leur liquide immunisant et de virus; il n’y a plustrace de bacilles du rouget, 8 heures après.

Dans son mémoire déjà cité, Voges croit, de quelques expé- riences in vitro, pouvoir conclure que le sérum contre le rouget agit comme le sérum cholérique anti-infectieux : chez l'animal vivant, il y aurait transformation de la substance microbicide, inactive in vitro, en une autre active.

Voges et Schutz!', tout récemment, ont précisé les idées pré- cédemment exposées par Voges. Comme leur sérum immuni- sant ne manifeste pas d'action bactéricide marquée, in vitro, ils prétendent, sans en avoir encore fourni les preuves, qu'il n'agit que sur le corps protoplasmique de la bactérie, alors qu’elle est débarrassée de son enveloppe protectrice. Celle-ei, qui confère à la bactérie sa résistance à la chaleur, à la dessiccation, au sérum préventif in vitro, et sa propriété de ne pas se décolorer après l’action du liquide de Gram, est détruite par une énigma- tique action physiologique de certains organes, et alors le pou- voir bactéricide des Antikürper » contenus dans le sérum pré- ventif peut se manifester.

Je vais essayer de montrer, dans les pages qui vont suivre, que l’action du sérum préventif contre le rouget des porcs est tout autre que celle indiquée par Voges et Schütz. Il m'est impossible de critiquer d’une facon directe le travail de ces savants puisque, jusqu'ici, ils se sont contentés d'affirmer leur manière de voir, sans faire l’exposé de leurs expériences. Et même, un long mémoire qui vient de paraître”, ne contient rien de bien explicite à cet égard.

$ 2. PRÉPARATION D'UN SÉRUM CONTRE LE ROUGET.

La plupart des savants qui ont préparé un sérum doué de propriétés immunisantes n'indiquent pas leur mode opératoire. Emmerich et Masthaum, en revanche, donnent des détails très précis. Leur méthode consiste à faire une première inoculation de 2 c. c. ou 1 c. ce. 5 d’une culture très diluée, dans la veine de l'oreille; puis, quand les lapins résistent (il en est mort 1 sur 3), ils leur inoculent des doses de plus en plus élevées de virus, à des temps assez rapprochés. Le sérum, ou plutôt le suc d'organes,

4. Voces et Scaurz, Deutsche Medic. Wochenschr., 27 janvier 1898. 2, Voces et Scaurz, Zeitschr. f. Hygiene, XXVIIT, 1898, p. 38.

484 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

qu'ils obtiennent ainsi, est peu actif (voir plus haut). Nous avons essayé leur procédé qui nous a paru peu pratique.

Voges et Leclainche qui, seuls parmi les autres expérimen- tateurs, ont opéré sur des lapins, ne donnent que des rensei- gnements très vagues sur leurs méthodes.

J'ai employé également les lapins et il m'a semblé, après quelques tàätonnements, que le meilleur procédé pour leur donner une immunité solide était, comme Metchnikoff l’a déjà indiqué’ en 1889, d'employer la méthode pastorienne des virus atténués, de soumettre à des inoculations préventives avec les 2 vaccins de Pasteur et Thuillier les animaux à immuniser.

Le tableau suivant indique le détail de la préparation de 2 lapins :

1er LAPIN 2e LAPIN DATES Ë —_ EE ———— Poids. Inoculations (2). Poids. Inoculations.

15 nov. 1897] 2.320 gr. 4/4 c. c. 1er vaccin. 2,420 gr. 1/4 ©. c. 1er vaccin. 23 nov. 9 300: ANCAC 2300— ECC: 30 nov. 2,315 1/4 c. c. %e vaccin. 2,270 1/4 c. c. 2e vacccin. 7 déc. | 2,340 1NCNC: 2,300 ANCEC:

forte baisse. forte baisse. 24 déc. | 2,220 gr. |1/4 c. c. Rouget normal. 2,070 gr. 0 5 janv.1898] 2,180 |174 c. c. _ ADO 1/4 c. c. Rouget normal. 13 janv. | 2,400 | 4 c.c. _ 2,200 À cc: =

forte baisse. forte baisse. 24 janv. 2,520 CAGE 2,350 gr. ANCLC: 31 janv. |" 2.580 DAC. C —= 2,300 3 C. C 8 févr. 2 600 =— k ©. c 2,380 4 c. c:-

forte baisse, 'orte baisse. DEEE 2,670 DNCELC: 2,400 gr. D ICAC: 4 mars 2,920 NC. C- 2,650 RC: 10 48 mars | 2,950 4 c. c. 2,650 NC 4 avril 2,650 |Saignée (10 c. c. sérum).} 2,370 0 43 avril | 2,780 5e. c. Rouget normal.| 2,600 ÆIC-NC: 29 avril | 2,950 3 C. C. 2,850 UC. IC: A6 mai —"| 2730: "| 2 "cc. 9,880. ANCIC: 15 = 25 mai | 2,800 ONC-LCe 2,900 |Saignéele 29 mai (10 c. c. sérum). 3 juin | 2,850 HRCUC: 2,150 > c. c. Rouget normal. 12 juin -— 2,950 10e rc: 2,750 HACACS 25 juin | 3,150 |Saignée(10 c. c. sérum).[ 3,050 dONcCe- = 5 juillet | 3,120 5 c. c. Rouget normal.| 2,950 Saignée (10 c.c. sérum).

4. Mercaxixorr, ces Annales, IIT, 1889, p. 289. 2. Toutes les inoculations de ces 2 lapins ont été faites sous la peau du ventre. Dans certaines séries, nous avons fait la première dans la veine de l'oreille

ACTION DU SÉRUM. PRÉVENTIF. 485

Comme on peut le voir, les doses inoculées étaient d’abord très faibles et faites à des dates assez éloignées. L'animal réagit en effet très vivement, au commencement de l’immunisation; on a élévation de température, forte baisse de poids, et, malgré toutes les précautions, il y a toujours quelques animaux qui succombent. Les 3 premiers mois écoulés, l'animal peut recevoir, tous les 8 ou 10 jours, une forte dose de culture virulente, sans réagir de façon notable.

$S 3. VALEUR DU SÉRUM.

Le rouget qui a servi à toutes nos expériences provenait d'un porc autopsié à l’Institut Pasteur, en novembre 1896. Nous le cultivions d’abord dans le bouillon de veau peptonisé par la peptone ducommerce ; les cultures étaient peu abondantes. Plus tard, nous avons utilisé le bouillon de veau peptonisé par la digestion de la panse de pore, d’après le procédé Martin ‘; les cultures sont beaucoup plus luxuriantes,

Toutes les cultures inoculées avaient de 18 à 24 heures de séjour à 37°; 1/4 c. c. de pareille culture tue une souris de taille moyenne en 24-48 heures (quelquefois mème 20 heures) par injection éntrapéritonéale, en 40-72 heures par inoculation sous- cutanée. À ©. c. tue le pigeon, sous la peau, en 2 jours (en moyenne). 1 c.e. 1/2 tue un lapin en 2 j. 1/2 par inoculation intraveineuse ?. Les inoculations sous la peau ne sont que rare- ment rapidement mortelles pour le lapin; mais l'animal se cachectise ordinairement et finit par succomber avec des bacilles du rouget dans le sang du cœur.

Nous avons essayé la valeur de notre sérum en opérant avec la souris *.

Prenons pour exemple les lapins 1 et 2.

Le lapin 1, saigné le 5 avril, donne un sérum qui, à la dose de 1/20 c. c., sous la peau du dos, protège une souris qui reçoit le lendemain, dans le péritoine, 1/4 c. c. de rouget. A la dose comme le conseillent Emmerich et Mastbaum; mais nous n’avons jamais observé que le sérum obtenu de cette façon füt particulièrement actif.

4. Marin, ces Annales, XII, 25 janvier 1898.

2, Dès une période précoce de leur préparation, les lapins producteurs de sérum résistent à cette inoculation intraveineuse.

3. Même à des doses très fortes (Lou 2c. c.), le sérum de lapin neuf n'a aucune action préventive,

486 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

de 1/100 c. c., la souris meurt en 2 j. 1/2, alors que le témoin qui n’a rien reçu ou qui a reçu du sérum de lapin non immunisé meurt en 36 heures.

Le même lapin, saigné le 25 juin, a un sérum qui empêche la mort à la dose de 1/160 c. c. et à des doses supérieures, la retarde seulement à 1/250 et à 1/500.

Le lapin 2, saigné le 29 mai, a un sérum qui protège à la dose de 1/10 c. e., retarde la mort à 1/20. Le sérum du 5 juillet protège à la dose de 1/50 c. c.; retarde la mort à 1/100 et à 1/150.

Les doses de sérum qui, injectées la veille, protègent contre

1/4 c. c. de culture dans le péritoine ont la mème action contre

la même quantité de culture injectée sous la peau.

La quantité de sérum qui immunise, injectée 24 h. avant le virus, protège également quand on la mélange à la culture au moment de l'injection de cette dernière, ou, ce qui revient sen- siblement au même, quand on injecte sérumet culture au même point. Il nous a même semblé que le sérum, mélangé à la cul- ture, agissait à des doses plus faibles. Ainsi, dans le cas d’un sérum dont il fallait 0 ce. c. 1 pour amener la survie définitive, étant injecté la veille du virus, 0 c. c. 05 suffisait quand on fai- sait l’inoculation en même temps et au même point.

En revanche, si on injecte, en même temps, mais en des points différents (cuisse et peau du ventre, par ex.), le sérum et le virus, il faut, pour amener la survie définitive, une quantité de sérum plus forte que quand la protection a lieu la veille. Avec le sérum de l'exemple précédent, 0 e. e. 1 retardait considérable- ment la mort (7 jours au lieu de 36 heures), mais il fallait 0 c. c. 25 pour protéger complètement.

Les mêmes doses agissent de la même façon injectées 8 heures après la culture.

Le résultat est tout autre quand on intervient plus longtemps après l'introduction du virus. 18 heures après, on n’obtient plus qu'une survie insignifiante (7-8 heures), même en injectant 1/2 e. c. de sérum. Mais, dans tous ces cas, les souris recevaient 1/4 ce. c. de culture; et, dans la dernière expérience, le témoin est mort en 40 heures; une des souris, traitées par le sérum 18 heures après l'introduction du virus, présentait déjà des signes évidents de maladie.

ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 487

Nous avons été plus heureux en agissant sur des souris qui n'avaient reçu que 1/20 c. c. de virus sous la peau. 16 heures après, avec 1/2 c. c. de sérum, nous avons sauvé une souris; mais notre intervention, au bout de 22 heures, n’a servi qu'à prolonger de 12 heures environ la vie de la souris (morte en 3 jours au lieu du témoin 2 jours 1/2), bien que la dose inocu- lée ait été de 3/4 c. ce. de notre sérum le plus actif.

Ces résultats sont au moins aussi encourageants que ceux relatés par Voges, si l’on réfléchit que ce savant inocule à ses souris des doses de virus (1 ou 2 anses) beaucoup plus petites que les nôtres. Or notre rouget, même à 1/400 c. c., tue la souris en 3 jours 1/2.

Dans les conditions nous nous étions placé, nous avons reconnu que, environ 24 heures après l'introduction du virus sous la peau, la rate et Le rein de la souris commencent à montrer des bacilles en assez grande quantité dans leurs capillaires. Or, sinous remarquons que c’est à peu près à ce moment que notre inter- vention devient inefficace, nous pouvons conclure que le sérum, préparé par les méthodes actuelles, n’est pas capable d’enrayer une maladie généralisée.

* *# *

Nous avons essayé l’action de notre sérum chez le pigeon et le lapin.

Le pigeon, qui a reçu préventivement 1 c, c. de sérum, ne succombe à l’inoculation sous-cutanée de 1 c. c. de virus qu'en 5 à 7 jours, au lieu de 2 jours 1/2; 2 c. c. 1/2 de sérum amènent une survie définitive.

Un lapin qui avait reçu 1 c. c. de sérum, et le lendemain 1 c. ce. 5 de virus dans la veine, est mort en 10 jours; le sang du cœur, ensemencé sur gélose, a donné de nombreuses colonies de rouget. Le témoin a succombé en 2 jours 1/2.

* *# *#

Le sérum obtenu est antinfectieux ; les faits exposés en four- nissent la preuve. Nous pensons qu'il n’est pas antitoxique, sans que nous puissions en donner une démonstration rigoureuse ; on ne connaît pas en effet la toxine du rouget des pores.

Mais les procédés mis en œuvre pour obtenir le sérum contre cette maladie ne donnent que tout à fait exceptionnellement

488 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

(microbe pesteux) un liquide doué de propriétés antitoxiques, très faibles d’ailleurs ; et nous pouvons penser que nous n'avons pas rencontré l’exception.

$ 4. ACTION DU SÉRUM 0N Dir0.

A. Pouvoir BAcTÉRICIDE. Emmerich et Mastbaum attribuent, à leur suc d'organes, in vitro, une faible action bactéricide pour le microbe du rouget des pores. En faisant des plaques de géla- tine, au moment ils mettaient une trace de culture dans leur liquide immunisant, puis après 24 heures de contact, 1ls ont obtenu un nombre de colonies plus faible dans le second cas que dans le premier. Ces savants ne disent pas à quelle température ils abandonnaient leur liquide. Leurs résultats s'expliquent d’ailleurs sans faire intervenir de pouvoir bactéricide; nous allons établir, en effet, que le sérum contre le rouget est agglu- tinant : après 24 heures de contact avec le virus, le suc d'organes contenait certainement des amas, et l'expérience prouve simple- ment que le nombre des amas était inférieur à celui des bacilles ensemencés.

Voges parle d’un faible pouvoir bactéricide. Il faut, dit-il dans son mémoire de 1896, ensemencer assez abondamment pour avoir une culture dans du sérum (lapin ou mouton) immu- nisant. En 1898, il déclare qu'il faut ensemencer plusieurs anses de platine de virus, dans 1 c. c. de sérum de mouton, pour obtenir une culture. Mais Voges et Schütz sont bien obli- gés de reconnaître que le sérum n’a qu'un très faible pouvoir bactéricide, et nous avons vu à quelles hypothèses ils doivent avoir recours pour faire admettre leur théorie d’une action bacté- ricide dans le corps des animaux immunisés activement ou pas- sivement.

Pour le sérum immunisant de lapin, le seul que nous ayons préparé, nos expériences prouvent que le pouvoir bactéricide in vitro peut être considéré comme nul.

1 c. c. de sérum frais (retiré lavant-veille), ensemencé avec À anse de culture de rouget dans notre bouillon, donne le len- demain une très abondante culture, aussi abondante que le sérum de lapin neuf, ou même le bouillon peptonisé à la panse du porc. Les microbes qui ont poussé se colorent bien et on ne rencontre pas de formes dégénérées.

ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 489

Une autre expérience prouve que le développement n’est pas arrêté dans les premières heures qui suivent l’ensemencement. On dépose 3 gouttes de sérum frais très actif sur 3 lamelles; on ensemence la première avec une anse de platine de culture en bouillon et on rend le mélange homogène; ensuite la avec une anse de la goutte, et enfin la goutte, avec une anse de la seconde. On a ainsi, dans la goutte, une dilution très faible de virus (approximativement 1/4000 de la semence origi- nelle) dans le sérum. On dispose les 3 lamelles en gouttes pen- dantes qu’on observe au microscope ; au bout de 2 ou 3 heures, on voit la culture s’affirmer, même dans la troisième goutte et, au bout de 24 heures, on a 3 belles cultures.

Nous pouvons donc affirmer que, tn vitro, le sérum des lapins immunisés contre le rouget a un pouvoir bactéricide nul ou insigni- fiant. En réalité, ce sérum consiste un excellent milieu de cul- ture pour le bacille du rouget. Metchnikofÿ, en 1889, avait déjà fait la remarque pour le sang de ses lapins immunisés dont le sérum avait, vraisemblablement, des qualités préventives.

B. Pouvoir AGGLUTINANT. Aucun des savants qui ont étudié le sérum contre le rouget n’a examiné son pouvoir agglutinant. Voges déclare que, dans le sérum non dilué, ou dilué avec du bouillon ou de l’eau physiologique, le rouget présente une cul- ture uniformément trouble, sans petits amas. Nous sommes, sur ce point, en complet désaccord avec le savant allemand.

Examinons d’abord l’action du sérum sur des cultures de 24 heures dans le bouillon peptonisé avec la panse du porc. Nous avons généralement opéré dans le laboratoire, à 20-22. Nous déposions, dans une série de tubes à essai, 1 ec. c. de culture de rouget et nous ajoutions une ou un petit nombre de gouttes de sérum pur, ou dilué dans l’eau physiologique. Le degré de dilution, dans chaque tube, était le rapport entre la quantité de sérum et la quantité de culture.

L’agglutination ne se manifeste généralement pas avant ! heure. D'abord, en agitant le tube, on constate que les nuages produits par le déplacement des microbes ne se manifestent plus ; les microbes sont pour ainsi dire figés sur place. Puis, on aperçoit des amas, d'abord très fins, qui grossissent ensuite, et enfin tombent peu à peu au fond des tubes ; la partie supérieure du liquide devient tout à fait limpide.

490 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Le temps que le phénomène met à s’accomplir dépend, dans une certaine mesure, du degré de la dilution. Prenons comme exemple le sérum extrait le 25 juin du lapin numéro 1.

Pour tous les tubes dont la dilution est supérieure à 1/100, l’agglutination commence à peu près en même temps (au bout d’une heure); on constate même, à un moment donné, et cela est surtout net si l’on opère à l’étuve, que le tube avec la dilu- tion 1/25 est en avance sur les autres. Il semble done y avoir une dilution pour laquelle l’action agglutinante atteint son opti- mum *.

A partir de la dilution 1/100,le temps que la culture met à se condenser en amas est d'autant plus grand que le sérum y est plus dilué; à 1 pour 500, il a fallu 3 heures; à 1/800, 5 heures ; à 1/1200, 8 heures. Enfin à 1/2500, au bout de 24 heures, la culture agitée ne produit plus de nuages; il y a un dépôt au fond du tube; mais l’ensemble est encore trouble; il y a demi- agglutination. Nous considérons 41/2500 comme a dilution limite. Lorsque l’agglutination n’estpas faite au bout de 18 heures, elle ne se fait jamais.

Ce sérum du 25 juin avait (voir plus haut) un pouvoir pré- ventif à 1/200 c. c. environ chez la souris. D’autres sérums, ayant un pouvoir préventif à 1/10 c. e., 1/20 ce. c., 1/50 c. c. avaient pour dilutions limites respectives 1/250, 1/500, 1/1000. Les deux pouvoirs, préventif et agglutinant, paraissent donc croître parallèlement.

Le sérum de lapin neuf, même à des dilutions très fortes (1/10, : 1/5), ou bien ne manifeste pas de pouvoir agglutinant, ou bien donne ce demi-dépôt caractéristique des dilutions limites. Le sérum de souris à 4/25, 1/10, n’a aucune action agglutinante. Le sérum de cheval lui-même, qui est si agglutinant pour certains microbes, l’est à peine pour le bacille du rouget; à 1/10,ona des traces de dépôt.

Nous pouvons donc conclure que la réaction agylutinante vis- à-vis du microbe du rouget est spécifique du sérum préventif contre cette maladie. Jusqu'à une certaine dilution, le temps que l'agglutina- tion met à se produire est à peu près indépendant du degré de dilu-

4. Le sérum anticholérique présente des phénomènes de mème ordre; il y a, très nettement, une dilution pour laquelle on a une action agglutinante optimum.

(D’après des expériences inédites dont notre ami A. Salimbeni a bien voulu nous communiquer les résultats.)

ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 491

tion ; ilest sensiblement constant. À des dilutions plus faibles, le temps est fonction de ce degré de dilution. A l’étuve, les choses vont un peu plus vite que dans le laboratoire, et la dilution limite semble être encore plus faible; mais le parallélisme est parfait.

Agglutination à l’état naissant. Si l’on ensemence un tube de sérum de Japin immunisé, soit pur, soit additionné de doses variables de bouillon, le lendemain, on a une culture au moins aussi abondante que dans le bouillon ordinaire, mais elle est en amas au fond du tube, elle est agglutinée.

Si l’on colore ces amas par la méthode de Gram, on constate qu'ils sont formés de microbes prenant très bien la couleur, mais présentant la particularité d’être en chaines d'un grand nombre d'articles, une vingtaine et même davantage. Un fait semblable a été signalé par Metchnikoff', puis par Issaeff * pour le pneuno- coque de Talamon-Fraenkel cultivé dans le sérum de lapins vacci- nés, pour le pneumocoque de Friedlaender.

Nous avons cherché si le pouvoir agglutinant du sérum était plus fort sur les microbes à l’état naissant que sur les cultures déjà développées.

Il nous a semblé que des dilutions trop faibles pour ageluti- ner les cellules faites, agissaient encore sur des microbes à l’état naissant; mais les dilutions limites, dans les deux cas, sont bien voisines.

Le microbe, qui a pris l'habitude de se développer en amas dans une première culture, garde-t-il cette propriété quand on l'ensemence dans un tube de bouillon neuf, après l’avoir débar- rassé de toute trace de sérum? Il la conserve en partie; la deuxième culture est encore seelutnées mais seulement en partie ; la troisième ne l’est plus.

En revanche, les microbes, agglutinés après leur formation, ensemencés dans un bouillon neuf, y donnent un trouble uni- forme ; leur propriété de se mettre en amas n'a pas persisié.

Enfin, nous nous sommes demandé si les microbes agglu- tinés, qui certainement ne sont pas atteints dans leur vitalité (coloration et ensemencements le prouvent), le sont dans leur virulence. Nous avons opéré à la fois sur des cultures agglu- tinées après leur formation, et d’autres agglutinées à l'état nais-

4, Mercaxixorr, ces Annales, V, 1891, p. 473-474. 2. [ssazrr, ces Annales, VII, 1893, p. 269.

492 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

sant. Naturellement, le liquide de culture était décanté, rem- placé par du bouillon neuf, et l'opération répétée autant de fois qu'il était nécessaire pour éliminer toute action possible du sérum; toutes ces manœuvres, effectuées à 20°, ne duraient guère plus d'une heure et il n’y avait pas de nouvelle culture microbienne.

Les souris, inoculées avecles amas lavés, succombaient dans le temps normal (48 heures, sous la peau).

L'agglutination n’altère en rien la vitalité et la virulence du microbe du rouget des porcs.

Les premiers observateurs qui ont noté le phénomène de la culture en amas dans le fond des tubes, Charrin et Roger, Metchnikoff, avaient remarqué que cette particularité culturale ne se produisait que dans le sérum des animaux immunisés et pas dans celui des animaux neufs. Il n’en est pas ainsi pour le microbe du rouget. Il pousse en amas dans le sérum de lapin neuf pur, ou additionné de 1, 2 et même 5 fois son volume de bouillon; à la dilution de 1/10, le sérum n’a plus d’action, culture présente un trouble uniforme.

Le sérum des lapins neufs a donc un pouvoir agglutinant sur le microbe du rouget à l’état naissant, mais seulement en dilution très faible; il en est de même du sérum de cheval. Si l’on colore les amas, on reconnaît que les microbes se colorent bien, mais ils sont en articles isolés, ou par chaînes de 2 ou 3 (comme dans les cultures non agglutinées). La croissance des microbes en longues chaînes reste donc caractéristique des cultures contenant du sérum de lapins vaccinés.

$S 5. MopE D'ACTION DU SÉRUM.

A. INOGULATIONS INTRAPÉRITONÉALES. Si l’on inocule, dans la cavité abdominale de la souris, 1/4 ou 1/2 c.c. de culture en bouillon du rouget, on détermine une septicémie ne différant pas sensiblement de la maladie par inoculation sous-cutanée, mais évoluant plus rapidement : la souris succombe toujours en 24 à 48 heures.

Examinons les diverses étapes de la maladie. Supposons que nous ayons inoculé 0 c. c. 4 de culture, en prenant la précau-

ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 493

tion que la température du bouillon soit assez voisine de celle de la souris, 32 à 35°. Dans ces conditions, l’afflux des leucocytes, mononucléaires et polynucléaires, se fait rapidement. Mais la phagocytose ne commence que 1 heure ou 1 heure 1/2 après l’inoculation, Les deux catégories de leucocytes englobent les microbes; les mononucléaires, malgré leur nombre restreint, jouent un rôle presque aussi important que les polynucléaires… Certains mononucléaires triplent de volume et contiennent bien à leur intérieur une centaine de microbes.

Grâce à cette phagocytose, le nombre des microbes libres diminue rapidement et, 6 ou 7 heures après l’inoculation, il est devenu très faible; mais jamais nous ne l’avons vu devenir uul ;ilreste toujours des microbes libres. Il y a incontestablement destruction de bacilles dans l’intérieur des leucocytes, mais ce phénomène se produit avec peu d'intensité, et la majorité des microbes englobés continuent à se colorer aussi bien que les libres par la méthode de Gram.

Bientôt, les microbes, jusque-là à peu près localisés dans la cavité péritonéale !, vont envahir les organes internes. Le gros ganglion mésentérique est atteint en même temps que la rate : on voit des sortes de traînées de bacilles à l’intérieur des capil- laires sanguins de ces organes, et une observation attentive permet de constater, dans un certain nombre de cas, que ces microbes sont dans des cellules endothéliales. Cette infection des organes internes commence au bout de 10-12 heures quand la mort doit survenir en 24-30 heures, de 24 heures quand la souris met 2 jours à succomber.

En résumé, dans l'infection de la souris par voie péritonéale, il y a réaction leucocytaire tout à fait nette. Mais cette réac- tion se manifeste avec une certaine lenteur; il reste toujours des microbes libres ; les englobés ne sont que partiellement détruits ; les organes internes sont envahis et l'animal succombe.

Voyons maintenant l’évolution parallèle de la maladie chez une souris qui a reçu la veille 1/4 ou 1/2 c. ec. de sérum actif. L’afflux des leucocytes se fait rapidement comme dans le cas précédent; mais la phagocytose commence beaucoup plus tôt;

4, Dès les premières heures, on trouve des microbes dans le sang du cœur, mais en petit nombre.

49% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

déjà 1/2 heure après linoculation du virus, une partie des microbes sont englobés par les leucocytes, et ici nous avons constaté que les leucocytes qui agissent sont presque exclusive- ment des polynucléaires, au moins au début de la réaction.

Nous avons recherché avec soin si les microbes ne subis- saient pas, avant leur englobement, quelque action de la part des humeurs de l'organisme vacciné. Nous n'avons pu en saisir aucune. Les microbes libres se colerent toujours d’une façon bien uniforme et bien intense par la méthode de Gram; ils ne sont jamais gonflés.

line se produit aucune agglutination dans le corps de la souris ; en examinant des gouttes suspendues d’exsudat aussitôt après l’avoir retiré du péritoine, on s’en convainc facilement. D'ailleurs, in vitro, les microbes de l’exsudat ne s’agglutinent généralement pas; une fois ou deux, nous avons constaté de petits amas de 5 ou 6 microbes au plus.

La phagocytose est complète peu d'heures après l’introduc- tion du virus, quelquefois au bout de 2 heures 1/2, toujours au bout de 4 heures. À ce moment, on trouve un certain nombre de leucocytes mononueléaires renfermant des microbes se colo- rant bien; mais il y a toujours moins de ces macrophages que chez le témoin. On est frappé de ce fait que, dans les prépara- tions colorées au carmin aluné, puis par la méthode de Gram, les polynucléaires, bourrés de microbes dans la première heure de la réaction, n’en renferment plus qu’un nombre très faible. Mais, en examinant avec beaucoup d'attention ces leucocytes, on constate qu'un certain nombre renferment une quantité de bâtonnets, ayant exactement la forme et les dimensions des bacilles du rouget, ne prenant plus le violet de gentiane, mais se colorant faiblement en rouge par le carmin; ce sont des microbes en partie digérés'. Les bacilles du rouget, à l’intérieur des microphages de la souris, sont donc englobés et partielle- ment digérés sans perdre leur forme; jamais nous n'avons observé de boules comme chez les polynucléaires des cobayes qui ont reçu le vibrion cholérique.

La digestion des microbes par les mononucléaires se fait

4. Nous avons coloré souvent nos exsudats avec l’éosine, puis le bleu de

méthylène, ou avec le mélange des 2 couleurs, sans jamais observer de microbes teints en rouge par l’écsine.

ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 495

certainement moins vite que par les polynucléaires. Si, en effet, on fait une prise d’exsudat dans la cavité abdominale 24 heures après l’inoculation, on a une petite quantité de liquide purulent qui contient une majorité de polynucléaires ; ils sont quelquefois tous vides, d’autres fois, un petit nombre ont encore des microbes à leur intérieur. Mais l'attention est surtout attirée par les mononucléaires, en proportion assez élevée, qui ont une taille considérable et dont le protoplasme vacuolaire renferme encore quelques microbes, les uns se colorant bien par la méthode de Gram, les autres paraissant émiettés. 48 heures après l’inoculation, on trouve encore de rares macrophages avec des microbes à leur intérieur. Enfin, 3 jours après l’inoculation, les 2 catégories de leucocytes sont représentés en nombre à peu près égal dans la cavité abdominale; tous sont vides; quelques mononucléaires contiennent à leur intérieur des polynucléaires. D'autres ont une taille considérable et on y voit quelques gra- nules prenant le violet de gentiane.

De ces faits, nous pouvons conclure que les mononucléaires mettent un temps assez long à digérer les microbes qu'ils ont incorporés; les polynucléaires jouent plus rapidement et mieux leur rôle de défenseurs de l’organisme,

Nous avons recherché si les microbes étaient englobés à l’état virulent. Nous prélevions, au même moment, des exsudats chez la souris qui n'avait pas reçu de sérum immunisant, et chez celle qui avait été traitée, et nous inoculions ces exsudats à d’autres souris, sous la peau du dos.

Dans une expérience, l’exsudat pris au bout de 5 h, 1/2 (la phagocytose était complète depuis une heure au moins chez la souris traitée) a tué :

Exsudat des temoins

RP one 8 en > Jours, +: PATRONS ENNERPRRET TRE SR: A jours Expérience II. Prise 8 heures après : HR AGES MÉMOINS 2,1 sue » tee 28. 20e 4 jours et demi, RAD AR ee cime ee ol ie ue 8 Jours. Expérience HE. Prise 23 heures après : Exsudat des lémoins.......... Jrarasse 2 jours et demi. 2 SOUL ETAITE"S eue Mie tte ae cos TAUT :2DJOurS!,

1. Une goutte de sang de cette souris, pris dans le cœur à l’autopsie, a tué une autre souris en 4 jours 1/2.

496 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Dans tous les cas, l’autopsie a révélé la présence de microbes du rouget dans le foie, et le sang du cœur a donné une culture pure.

Le temps assez long que les souris, qui reçoivent l’exsudat de la traitée, mettent à mourir, s'explique très facilement par le nombre très faible de microbes inoculés. C’est un fait bien connu et nous n'insistons pas. |

En définitive, nous avons le droit de conclure que les souris qui ont reçu du sérum préventif et qui sont inoculées dans la cavité abdominale, présentent une réaction phagocytaire très vive, se mani- festant par un englobement et une destruction rapide des microbes par les leucocytes polynucléaires, et par une action plus lente des imono- nucléaires. Les microbes englobés sont vivants et virulents. Les mi- crobes restent localisés dans le péritoine ; la maladie est locale.

Si maintenant nous comparons les phénomènes observés chez les souris traitées par le sérum préventif et chez les autres, nous pouvons dire que le sérum « pour effet d'exciter l'activité des pha- gocytes et surtout des polynucléaires : ls englobent plus vite, is digèrent plus vite. Le sérum est donc un stimulant des cellules chargées de la défense de l'organisme.

_Remarquons enfin que, dans nos expériences, nous n'avons jamais observé de phénomène de Pfeiffer, de destruction extra- cellulaire des bactéries. La transformation en boules n’a même jamais lieu à l’intérieur des leucocytes polynucléaires. Le mode d'action du sérum contre le rouget est donc assez différent de celui du sérum anticholérique. La ressemblance qu'admet, a priori, Voges, est donc toute superficielle et ne saurait être poussée dans le détail.

B. INocuLATIONS sous-cuTANÉES. C'est le mode classique d’inoculation des souris. Comme nous l’avons déjà dit, Ia maladie évolue moins rapidement que quand l'injection est faite dans la cavité abdominale; d’une façon générale, l’animal met 24 heures de plus à succomber.

Pour bien étudier la maladie développée par inoculation sous-cutanée, la difficulté est d'obtenir des exsudats. Or, le rou- get est une maladie réputée pour ne pas donner d'œdèmes nota- bles au point d'inoculation. Emmerich et Masthbaum, Voges se sont heurtés à cette difficulté sans en triompher. Metchnikoff, dans ses recherches sur le rouget chez les lapins, a usé d’un

ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 497

stratagème, l'introduction de chambres de Ziegler sous la peau, et il a pu constater ainsi chez les animaux inoculés, réfractaires ou non, une réaction phagocytaire.

Chez nos souris, nous faisions d’abord les inoculations sous la peau de la cuisse et, comme nos devanciers, nous n’obtenions pas d’œdème, ni d'exsudat au point d'injection. Nous avions alors imaginé d'introduire sous la peau de la cuisse des tampons d’ouate trempés dans une culture en bouillon de rouget; nous constations alors une réaction phagocytaire très nette, plus prononcée chez les souris immunisées que chez les autres. Mais cette méthode était passible d’objections relatives à la présence du coton, et nous avons enfin réussi à produire un œdème sans user d'artifice. Il suffit d'introduire, avec précaution, le virus sous la peau du ventre. Il se forme, à l'endroit de la boule d’ino- eulation, un petit exsudat gélatineux, tremblotant, formé de leucocytes enrobés de fibrine. Nous avons pu ainsi étudier la réaction des souris, immunisées et non, contre le microbe du rouget des pores introduit sous la peau.

Il ya, dans tous les cas, une réaction leucocytaire très nette; mais la phagocytose ne commence à se manifester abondam- ment que 5 ou 6 heures après l’inoculation de 1/4 c. ce. de cul- ture.

Il est difficile de se rendre un compte exact des phénomènes qui se succèdent, en faisant des prises d’exsudat avec une pipette stérilisée; quand on étale ensuite la petite goutte de liquide obtenue sur une lamelle, on brise un grand nombre de leuco- cytes et des microbes sont ainsi rendus libres. Il est préférable de sacrifier des souris à des temps variables après l’inoculation du virus, et de faire des coupes dans un fragment de peau enlevé au point se trouve l’œdème.

On constate alors que, chez la souris immunisée, la phago- cytose est à peu près, sinon absolument complète 24 heures après l’inoculation (déjà, au bout de 15 heures, les microbes libres sontrares) ; l’æœdème est constitué par un très grand nombre de cellules, serrées les unes contre les autres, presque toutes renfermant des microbes à leur intérieur, plus ou moins dégé- nérés, la plupart prenant encore bien le violet de gentiane.

4. Ainsi, sur les frottis, on n’observe jamais de leucocytes mononucléaires avec des microbes à leur intérieur; les coupes seulesrévèlent leur présence.

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498 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

La majorité de ces cellules est constituée par des leucocytes polynucléaires, mais on trouve aussi quelques mononucléaires. Ces derniers apparaissent proportionnellement plus nombreux 48 heures après l’inoculation; un certain nombre sont très” allongés et manifestent une tendance à se transformer en cel- lules conjonctives. A ce stade d’ailleurs, les microbes ont disparu en grande partie, et les leucocytes polynucléaires qui en ren- ferment, se colorant par la méthode de Gram, deviennent assez rares. Parfois même, au bout de 48 heures, la phagocytose est complètement terminée.

L’exsudat de la souris prélevé 24 heures après l’introduction du virus, est pathogène pour la souris; retiré 48 heures après, il n’amène jamais la mort.

En dehors du point d’inoculation, les microbes sont excessi- vement rares.

Une goutte de sang du cœur, prise 24 heures après l’intro- duction du virus, ensemencée sur gélose, ne donne que 4 ou 5 colonies; l’examen de coupes du ganglion de l’aîne, de la rate, du foie, ne décèle aucune trace de microbes. La maladie reste donc localisée.

Chez la souris témoin, qui n'a reçu que du sérum de lapin non immunisé, il y a également phagocytose assez intense par les leucocytes polynucléaires, 24 heures après l’inoculation du virus.

Mais, à côté des microbes englobés, il y en a de libres, et tout le tissu avoisinant l'œdème, même la base des poils, est infiltré de bacilles libres et isolés. D'ailleurs cet œdème est moins volumineux que chez la souris immunisée, et les leucocytes y sont nettement moins serrés les uns contre les autres.

C’est également au bout de 24 heures que les bacilles enva- hissent les organes internes de la souris qui doit succomber. On en trouve libres ou inclus dans les cellules endothéliales des capillaires spléniques et rénaux (nous n’en avons pas vu dans les capillaires des glomérules); le foie n’est pas encore atteint; l’ensemencement d’une goutte de sang du cœur sur gélose donne de très nombreuses colonies.

Nous avons encore le droit de conclure des faits observés que les souris, immunisées par le sérum, résistent à une inocu- lation sous-cutanée du virus, parce que les leucocytes (et surtout

ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF, 499

les polynucléaires) ont acquis le pouvoir d'englober rapidement et de digérer les bacilles vivants et virulents.

Conclusion. Les résultats obtenus mettent donc en lumière le rôle capital et décisif des leucocytes dans la guérison des souris immunisées passivement. Certes, chez les souris qui suc- combent au rouget, la réaction leucocytaire n'est pas négti- geable; elle est très intense; mais elle est insuffisante pour pro- téger l'animal; beaucoup de leucocytes, surtout les mononu- cléaires, paraissent ne pas pouvoir détruire les microbes qu’ils renferment, et on trouve, à la mort de la souris, des quantités de microbes à l’intérieur des macrophages. Au contraire, chez les souris immunisées, l’englobement des microbes par les leu- cocytes est complet, leur destruction aussi; elle est plus ou moins rapide suivant le leucocyte qui les contient.

IL n’est donc plus possible de soutenir, comme l'ont fait Emmerich et Masthbaum d’une part, Voges et Schütz de l’autre, que la phagocytose ne joue aucun rôle dans la défense de l'or- ganisme chez les souris immunisées.

Enfin, 1l nous est facile d’infirmer les hypothèses formulées par les deux derniers savants. Puisque nous prouvons que les microbes sont englobés par les phagocytes à un état ils sont vivants, virulents, ils se colorent par la méthode de Gran, il n’est plus possible de prétendre à priori que, dans l’organisme des vaccinés, 1l y a d'abord destruction de la coque du microbe (cette coque à laquelle il devrait la propriété de prendre le Gram), puis de son corps protoplasmique, le tout en dehors des cellules.

CONCLUSIONS GÉNÉRALES.

1. On peut, en vaccinant les lapins par la méthode pasto- rienne, obtenir un sérum antinfectieur contre le microbe du rouget des porcs.

2. Ce sérum, utilisé chez les souris, a des propriétés préven- tives; il est également curatif à condition d'intervenir moins de 24 heures après l'introduction du virus, alors que l'infection n’est pas encore généralisée,

Il est actif chez le pigeon et chez le lapin.

3. In vitro, le sérum contre le rouget n’est pas bactéricide ; il est doué de propriétés agglutinantes très manifestes, et à des

500 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

dilutions très fortes. Les microbes agglutinés n’ont rien perdu de leur virulence. Ces bacilles, dans le sérum immunisant, croissent en chaînes d’un grand nombre d'articles.

4. Chez les souris immunisées passivement, les humeurs de organisme n’exercent aucune action sur les microbes; leur destruction a lieu par les phagocytes qui les englobent à l’état vivant et virulent.

Le sérum est un stimulant des cellules chargées de la défense de l'organisme. (Le virus était introduit soit dans la cavité abdo- minale, soit sous la peau du ventre.)

Ce travail a été exécuté sous la direction de M. Metchnikoff. Je prie mon illustre maitre de croire à ma vive reconnaissance pour ses excellents conseils.

CONTRIBUTION

L'ÉTUDE DE LA PLASMOLNSE CHEZ LES BACTÉRIES

Par M, Le Proresseur W. PODWYSSOTZKY er M. B. TARANOUKHINE

(Travail de l'Institut de pathologie générale à l’Université de Kieff.)

Cette courte communication présente le résultat d’un certain nombre d'observations concernant la morphologie d’une bactérie charbonneuse. Ces observations offrent un intérêt général pour l’étude de la structure d’une cellule bactérienne, pour celle de la plasmolyse, et aussi pour celle du mouvement brownien.

La lécithine, d’après les observations de M. B. Danilewsky, est un des plus forts stimulants de l’organisme animal et végé- tal. Pour étudier systématiquement les conditions vitales des bactéridies charbonneuses sous l'influence de la lécithine, il fallait mélanger au milieu de culture ordinaire, gélatine ou gélose, non seulement de la lécithine pure, mais aussi des corps organiques renfermant beaucoup de lécithine et notamment les jaunes d'œufs et le cerveau. Nous ne nous occuperons point dans cette étude de l'influence de la lécithine et des milieux qui en contien- nent sur la biologie de la bactérie charbonneuse, parce que cette étude formera le sujet d’un chapitre spécial, fait par M. B. Taranoukhine : nous nous bornerons ici au milieu conte- nant la matière du cerveau, pour étudier les altérations si importantes qu'il produit dans le corps des bactéries.

Pour obtenir ce milieu, on triture 200 grammes de cerveau frais de veau jusqu’à ce qu'on obtienne une masse'homogène, d’une couleur rose claire, ressemblant à de la pommade. On complète à un litre avec de l’eau ordinaire et on laisse cette émulsion à 20 0/0 reposer pendant 24 heures dans un endroit froid. On chauffe ensuite à 100° pendant une 1/2 heure.

502 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

On ajoute 5 grammes de sel ordinaire, 16 grammes de gélose et 15 grammes de peptones, et on chauffe encore une fois à 120°. La réaction du milieu est alcaline : il est surpertlu de le neutra- liser. On filtre, on verse dans des éprouvettes et on stérilise encore une fois pendant 1/4 d'heure à 115°.

Les cultures des bacilles charbonneux ensemencés sur cette gélose à une température de 42-43° C, présentent certaines particularités qui permettent d'étudier avec une clarté inconnue jusqu’à présent la structure de la cellule bactérienne, de prouver la présence d’une membrane d’enveloppe dans les bactéries, et d’élucider quelques détails dans la formation des spores. Il est aisé aussi d'observer le mouvement brownien avec une netteté parfaite.

Faisons par la méthode ordinaire, sur un porte-objet, une préparation sèche d’une culture de 20 à 24 heures, à la tempé- rature de 42-43°, de bactéries charbonneuses, coloronsrapidement par une solution aqueuse de violet de gentiane, puis lavons dans une eau légèrement acidulée par 1-2 0/0 d’acide acétique, nous verrons que les bactéries se présentent sous forme de filaments plus ou moins allongés, avec une segmentation très nette en articles séparés, et avec une membrane d’enveloppe très visible et incolore. La partie colorée de chaque article se différencie clairement de la membrane d’enveloppe très brillante, ainsi que de la cloison, non moins brillante, qui la sépare de l’article voi- sin. Grâce à cette disposition, chaque article de la bactérie offre la forme d’un étui ou d’une boîte allongée, remplie par un corps coloré, ressemblant à un bâtonnet, et qui adhère par toute sa sur- face aux parois de l’étui.

La membrane d’enveloppe offre une certaine épaisseur, un double contour, elle est brillante et incolore.

A côté de ces cellules, remplies complètement par le proto- plasma coloré, ou observe quelquefois dans les mêmes filaments, et quelquefois dans d’autres filaments, des cellules dont le contenu coloré est notablement réduit et réuni au centre.

Ces bactéries présentent la forme d’une boîte, renfermant au centre un petit corps ratatiné, fortement coloré. Si les articles sont courts, c’est-à-dire appartiennent à des bactéries jeunes, en voie de division, le corps central coloré est aussi court, presque globuleux (v. la fig. 2, pl. V).Danslesarticles allongés au contraire,

ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 503

le corps coloré central offre une forme allongée, et dans ce cas son grand diamètre correspond au grand diamètre de l’article (v. la fig. 1,3, 4, 8).

Les filaments des bactéries, changés en bâtonnets, séparés par des cloisons et entourés d’une membrane très visible, ren- fermant dans leur intérieur le plasma ratatiné et fortement coloré, sous forme de corps plus ou moins courts ou allongés, offrent un aspect tout particulier, qui ressemble si peu aux bactéries charbonneuses, qu'aucun observateur non prévenu ne les recon- naîtra comme telles.

Cette altération particulière est surtout typique sur des cul- tures de 2, 3, 4 jours, conservées à 42-439 C. Ici, on trouve des places tout le champ visuel est recouvert par des bactéries modifiées. Il est très rare de rencontrer un bâtonnet plus ou moins normal avec sa membrane d’enveloppe très nette, complè- tement remplie par du plasma coloré.

Ce qui frappe surtout et attire l'attention de l'observateur, c’est la mobilité des corps colorés, renfermés dans leurs boîtes, Au début, au moment on vient de mouiller la préparation sèche, ce mouvement ne s’observe que par places, sur certains bâtonnets, et offre le caractère d'une simple vibration. Petit à petit il devient de plus en plus énergique, et au bout de quelques minutes on voit tout le champ visuel s’animer, et chaque corps ovale ou allongé, renfermé dans son étui, accomplit des excur- sions agiles dans sa cavité. Ces excursions sont d'autant plus rapides que le corps est plus petit. On rencontre aussi des boîtes qui renferment un corps allongé séparé en deux corps plus petits; dans ce cas chaque corps effectue une danse véri- table. Si le corps est très petit, il se meut avec une activité sur- prenante, se heurte aux corps voisins, etc.; chaque particule a un petit flagellum (fig. 5).

Il est vraiment impossible de croire qu’on se trouve en pré- sence d’un mouvement passif. Le mouvement que nous venons de décrire peut durer dans quelques bâtonnets jusqu'à la dessic- cation de l’eau. Si on enduit la préparation par du baume pour éviter l’'évaporation de l’eau, on peut observer ce mouvement 3, 4 jours, et même davantage, quoiqu'il ne s’effectue plus avec la vivacité primitive. Le mouvement s'arrête quand la prépa- ration est trop longtemps exposée à l’action de l’eau, et les corps

504 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

colorés, parallèles au grand diamètre du bâtonnet, sont alors devenus perpendiculaires, de sorte qu'ils paraissent s'appuyer aux parois latérales de la membrane (v. la fig. 4). Si on ajoute un peu d'eau à la préparation préalablement desséchée, on observe que le mouvement des corps colorés réapparaît: mais ce phénomène ne s’observe que dans les corps qui ont conservé leur position normale, c’est-à-dire quand le grand axe du corps correspond au grand axe du bätonnet. Si le corps coloré a pris une position perpendiculaire, s’il est luxé, en quelque sorte, son mouvement ne peut plus être restitué. D’une manière générale, on peut dire que l’addition de l’eau à une pré- paration desséchée réveille le mouvement, mais ce mouvement ne possède plus le caractère énergique qu'il offrait à l’état frais.

Les modifications que nous venons de décrire dans la struc- ture des bactéries charbonneuses ne peuvent être expliquées que de la façon suivante : sous l’influence d’une température élevée, combinée à l’action du mélange de peptone et du cerveau de veau à 20 0/0 avec la gélose ordinaire, il se produit une disso- lution, une plasmolyse de la couche albumineuse plasmique de la cellule qui avoisine la membrane. Par suite de cette action, le contenu se différencie, se sépare en quelque sorte de l'enveloppe, qui apparaît alors avec une netteté surprenante. La dissolution ne s'effectue pas au mème degré dans toute la longueur du contenu albumineux de la bactérie, elle est plus forte au centre : gràce à celte circonstance, les corps centraux sont plus minces en leur milieu et épaissis à leurs bouts. Quand la dissolution arrive à un degré plus avancé, le corps peut se rompre en deux granulations séparées.

Quant à la mobilité des corps non dissous, il est évident que nous avons affaire au mouvement brownien. Il est plus net que dans les corpuscules salivaires" il a été découvert, que dans les œufs fraîchement écrasés des grenouilles et des poissons? ou des particules organiques très fines, suspendus dans l’eau”. Les mouvements s'effectuent ici dans une cavité bien

1. Roserr Broww, botaniste anglais, qui le premier a vu et décrit le mouve- ment oscillatoire des particules élémentaires, naquit en 1773.

2. R. Anvor. Beobachtungen an den Eiern der Frosche und Fische (Virch. Arch., 1888, Bd. 80). ;

3. Comp. les travaux de Brücke, Wiener, Exner et particulièrement de Naegeli Ueber die Bewegung kleinster Kürperchen (Untersuch., über niedere Pilse, München 1882). Voyez aussi Zettnow dans son travail Ueber die Bau der grossen

4

ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 505

limitée, les mouvements sont plus vifs et plus capricieux que ceux -qui persistent lorsque, par suite de la rupture d’une cellule, les granules protoplasmiques entrent en suspension dans l’eau. Les plus fins de ces corpuscules allongés, non seulement s’agitent dans leurs cylindres creux, mais s’infléchissent, se contournent et simulent si bien le mouvement actif, indépendant, d’un microbe vivant que des yeux bien exercés peuvent s’y tromper et les prendre pour des bactéries vivantes,

* *# *#

En étudiant les cellules, exposées pendant 3-4 jours à une température de 42-439, on les trouvait farcies de spores, fait intéressant à noter, prouvant que les spores peuvent produire à une température aussi élevée. Les vieilles cultures renfer- ment des quantités énormes de spores, et l'augmentation de leur nombre suit pas à pas la destruction des filaments de bactéries.

Si on étudie attentivement les préparations contenant beau- coup de spores, on arrive à voir que les spores peuvent se produire dans l’intérieur des restes ratatinés du plasma des bactéries. On voit apparaître un champ clair au centre et quelquefois au bout du corps coloré : ce champ s'agrandit, devient ovale, brillant, et en examinant toute une série d'états transi- toires, on acquiert la conviction qu'on se trouve en présence de spores (comp. les fig. 6) qui deviennent peu à peu complètement libres après la destruction de leur membrane d’enveloppe. Ce mode de production des spores démontre qu’elle s'effectue aux dépens de la substance protoplasmique de la bactérie. Quand la spore acquiert sa grandeur définitive, la substance colorée appa- raît sous forme de petits amas, réunis aux deux pôles.

La membrane d'enveloppe de la bactérie ne prend aucune part dans la formation des spores.

Ce mode de production des spores n’a pas encore été observé jusqu’à présent. Quand on colore les spores, ce ne sont que les spores devenues libres qui prennent une couleur rouge intense : les spores contenues dans leurs boîtes ne prennent qu’une colo- Spirillen (Zeit. f. Hygiène, Bd. 24, 1896), qui donne une description du mouve-

ment moléculaire du contenu finement granuleux des bactéries dans une vieille culture de Spiril. undula.

d06 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ration rose clair'. Les corpuscules renfermant des spores déve- loppées ou des spores en voie de formation n'offrent plus de phénomènes de motilité.

Tous ces phénomènes ne s’observent d’une façon nette que dans les cultures contenant de la matière cérébrale et de la peptone : si on supprime la peptone, on n’a plus de phénomènes aussi nets; on ne remarque dans ce cas que quelques mouve- ments moléculaires se montrant de temps en temps dans l’inté- rieur des bactéries. On n’a pu trouver rien de bien accentué sur les milieux de gélose préparés avec un mélange de lécithine ou de jaune d’œuf. Ce phénomène fait aussi défaut sur les cul- tures du vaccin charbonneux sur de la gélose ordinaire, sur la gélose additionnée de peptone, de jaune d'œuf, ou sur de la gélose cérébro-peptonée. Dans tous ces cas, les bactéries se dis- solvaient et s’amincissaient sur toute leur surface ensemble avec leur membrane d’enveloppe* (fig. 11, 12, 13). Cette mem- brane d’enveloppe ne présente pas un contour séparé brillant, et on n’observe que de temps en temps les phénomènes de plasmolyse, qui consistent en une désagrégation du plasma des bactéries en quelques granulations très fines, animées dun mouvement brownien de peu d'importance dans leur cavité entourée d’une membrane. Par conséquent nous pouvons recom- mander notre nouveau milieu de culture, à la tempér. de 42-439 C., comme le meilleur pour étudier les phénomènes de plasmolyse qui se relient à une séparation nette de la membrane d'enveloppe, ainsi que pour l'observation du mouvement broinien.

La théorie actuelle, qui fait de la plasmolyse un processus relié aux phénomènes de l’osmose, résultant d’une contraction du contenu protoplasmique après séparation de la membrane d’enveloppe, fut étudiée en 1891 par Atfred Fischer * sur les bactéries. Ce savant a aussi attiré l’attention sur limportance de ce processus de plasmolyse pour l'intelligence de la structure fine d'une cellule de bactéries.

Quelques années plus tard, il consacra à la même question

4. L'apparition des spores dans l’intérieur du plasma ratatiné des bactéries ne doit pas être confondue avec le processus de vacuolisation qui est si fréquent dans le phénomène de plasmolyse, A. Fischer attire l'attention sur cette erreur très fréquente. (Untersuch. über Bacterien, page 8.)

2. On pourrait, en se basant sur ce fait, conclure que la cause de la faiblesse de la cellule du vaccin se rapporte à la moindre résistance de la membrane.

8. Bericht. d. Künig Sachs. Gesells. d. Wissensch, 1891, pag. 52.

ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 507

des études approfondies ‘, et démontra que le processus de con- traction du contenu protoplasmique des bactéries sous l’influence des solutions de sel ou de salpêtre, se fait comme dans d’autres cellules végétales, et témoigne de l'existence chez les bactéries d’une membrane d’enveloppe propre, indépendante, comme Cohn * l'avait dit le premier. Depuis Cohn, on n'avait bien vu cette enveloppe que chez certaines bactéries, chez qui elle s’épaississait fortement de manière à se transformer en une capsule hyaline. Dans ces cas, cette capsule ne fut nullement considérée comme une formation indispensable, existant dans toutes les bactéries, mais comme une accommodation temporaire à caractère défensif *. C’est Fischer qui a démontré l’existence chez les bactéries d’une membrane propre, différenciée au point de vue chimique et physique du contenu protoplasmique. Pour les bactéries charbonneuses en particulier, eette membrane propre fut remarquée pour la première fois en 1888 par Serafini. Johne *, en 1894, démontra que, pour rendre visible la présence d’une membrane propre dans une bactérie charbon- neuse, il est indispensable, après avoir coloré le couvre-objet à la gentiane, de le relaver dans une solution à 2 0/0 d'acide acétique, et, après la dessiccation, de monter, non au baume de Canada mais dans l’eau. Dans ce cas la membrane apparaît avec une clarté étonnante, et non seulement sur les pièces prises sur l'animal lui-même, mais, d’après les observations de Hasse, confirmées plus tard par Johne, sur les pièces recueillies sur des milieux nutritifs artificiels, et plus particulièrement sur les cultures en sérum liquide.

Il est vrai que par la méthode de Johne on peut voir très distinctement la membrane d’enveloppe, mais comparées à cette méthode, nos préparations de cultures sur de la gélose cérébro- peptonée à la température de 42-43° C. offrent des images incomparablement plus nettes. Il n’est pas nécessaire de relaver

4. A. Fiscaer, Untersuch. uber Bakterien (/ahrbücher f. wiss. Botanik- Bd. xxx11, 1894, p. 14-160). Voyez aussi: Untersuchungen uber den Bau der Cyano- phyceen und Bakterien, Jena, 1897, et Vorlesungen uber Bakterien, 1897, Jena.

2. Beitrage zur Biologie der Pflanzen, 1875, pag. 138.

3. Comparer sous ce rapport les premières observations de Metchnikoff {Virch. Arch. 1884) et aussi les données nouvelles de 7. Sawtchenko (Arch. Russes de Pathologie, 1897, vol. III, pag. 233).

4. Deuts. Zeitchr. d. Thiermed. und vergl. Pathol., 1893, Bd 19; 4894. Bel 20, et Deutsche Thierargtlich Wochenschr., 1894,

DUS ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

la préparation avec de l’acide acétique; l’image que nous avons décrite plus haut s’observe après un lavage dans de l’eau ordi- naire. Cette circonstance démontre clairement que lenveloppe existait dans la culture même, et qu’il n’est pas nécessaire pour prouver son existence de recourir aux différents réactifs produi- sant une tuméfaction de cette membrane. L'enveloppe devient moins distincte (sans pourtant arriver à une complète dispari- tion) quand on monte nos préparations dans le baume, mais ceci dépend des conditions de ia réfringence de la lumière.

Grâce à ce mode d'isolement de la membrane d’enveloppe d'une bactérie, il devient possible d'étudier sa composition chimique. En nous basant sur les réactions que nous avons faites jusqu à présent, nous pouvons dire qu'elle ne se compose point de cellulose. On faisait agir sur nos préparations tous les réactifs possibles renfermant de l’iode (teinture d’iode, solution de Lugol, chlorure de zinc iodé) et on n'a pu démontrer aucune trace de cellulose dans la membrane d’enveloppe de la bactérie ; elle reste invariablement jaune. Il est évident que l'enveloppe présente une composition albuminoïde, car sous l'influence de la solution de Lugol ou de chlorure de zinc iodé, dans l'inté- rieur des bactéries, on voit apparaître des granulations se colo- rant fortement en rouge brun, comme le glycogène.

L'action plasmolytique de notre milieu de culture à 42-43 C. ne se manifeste plus à 37-38 C. Nous ne l’avons en outre étudiée que sur les bactéries charbonneuses. Nous espérons que ce milieu produira une influence identique sur les autres bactéries et per- mettra d'étudier différents points obscurs dans la morphologie bt la biologie des bactéries, particulièrement la structure de la membrane d'enveloppe, la formation des spores, et le mouve- ment brownien sur lequel on sait si peu de chose.

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EXPLICATION DES FIGURES DE LA PLANCHE V

Fic. 19, La bactéridie virulente cultivée sur de la gélose renfer- mant la matière cérébrale à 420,5-430. Coloration par le violet de gentiane.

Fi6. 1, 2, 5. Développement pendant 24 heures à 420,5. Grossisse-

ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 509

ment de la fig. 2, 750 diam. ; fig. 4, 1,200 diam. ; fig. 5, 1,500 diam. Les amas de plasma de la fig. 1 n’ont pas manifesté de mouvements; les petits corps ronds de ia fig. 2 présentent des mouvements vifs. Ces mouvements sont surtout très forts dans le segment le corps plas- mique s’est divisé en deux parties (fig. 5).

Fis. 3. Développement à 420,5 pendant 48 heures. (Grossissement 1,200 diam.).

Fr6. 4. Développement à 420,5 pendant 48 heures ; grossissement 750 diam. Les corps allongés, renfermés dans des cavités, présentaient une mobilité énergique. Il n’y a que les corps, disposés dans le dia- mètre transversal du segment, qui sont restés immobiles. Malgré que la préparation avait été entourée de vernis, les mouvements se prolon- gent pendant 4 jours.

F1G. 5. Une partie de la même préparation, grossie 1,500 fois. Dans le segment inférieur, le plasma s’est déchiré en deux parties qui mani- festent des mouvements énergiques, notamment le fragment inférieur, muni d’un appendice allongé.

Fic. 6. Cinquième jour à 430. Quantité de spores, dont quelques- unes se développent dans l’intérieur de plasma coloré.

Fig. 7, Même préparation, traitée par la solution de Lugol. Les granulations sont peut-être du glycogène.

Fi6. 8. Préparation d'une goutte pendante de culture âgée de 2 jours et faite à 420,5. Les mouvements sont tout aussi énergiques. La

‘préparation a été colorée sans dessiccation préalable.

Fi6. 9. Culture de 4 jours à 42°. On observe l'apparition des parties transparentes au milieu de chaque amas coloré.

Fi. 10. Premier vaccin, cultivé sur gélose ordinaire pendant 24 heures à 42°. Chaque segment renferme plusieurs petites granula- tions qui se meuvent faiblement. Grossiss. 1,000 diam.

Fic. 11. Premier vaccin, cultivé sur gélose, renfermant de la substance cérébrale, pendant 48 h. à 43°. Grossiss. 1,000 diam.

Fi. 12. Premier vaccin cultivé sur gélose lécithinée pendant 24 heures à 420,5. Les segments sont petits; quelques-uns d’entre eux sont à peine visibles. Grossis. 1,200 diam.

Fi. 13. Premier vaccin, développé pendant 36 heures à 53°, sur gélose, renfermant du cerveau. Beaucoup de segments sont contournés. Grossiss. 1,000 diam.

CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DU VENIN DES SERPENTS

Par C. WEHRMANN

{Travail du laboratoire de M. le docteur Calmette, à l’Institut Pasteur de Lille.

Les glandes venimeuses des serpents ne sont que des paro- tides, et le venin présente une analogie étroite avec la salive qui, comme l’a montré M. le professeur A. Gautier, est toxique même chez l'homme, mais à un bien moindre degré.

En 1884, M. Lacerda, dans ses Leçons sur le venin des serpents du Brésil, exposait le résultat de ses recherches sur le pouvoir digestif du venin. Ses expériences établissent que le venin émulsionne les graisses, coagule le lait, dissout la fibrine et le blanc d'œuf coagulé, mais qu'il ne saccharifie pas l’amidon. Toutefois, les solutions de venin dont il faisait usage n'étant point stériles, on peut admettre que des phenomènes de putré- faction sont intervenus dans ses expériences.

De plus, rien ne dit que ce soit le venin lui-même qui pro- duise les actions diastasiques. Il se peut que, dans le liquide organique qui le contient, il ÿ ait en même temps que lui des dias- tases dont il peut lui-même éprouver l'influence, comme lazymase de la levure subit l’action de la trypsine qui l'accompagne ordi- nairement.

Les sucs digestifs normaux de l’organisme exercent, dars beaucoup de cas, une action destructive sur les diastases et sur les toxines microbiennes. Ainsi en ce qui concerne les toxines diphtérique et tétanique, MM. Nenchi, Sieber et Schoumoiv-Sima- nowski (Centralblait für Backteriologie, 1898, N°5 19 et 20) ont constaté leur destruction par le suc gastrique et le suc pancréa- tique des animaux. D'autre part Ransom (Deutsche medicin. Wochenschrift, 8, 1898) trouva que la toxine tétanique, absorbée en doses énormes (100,000 doses mortelles), ne pro- duit aucun malaise chez les animaux, ne passe pas dans leur

ÉTUDE DU VENIN DES SERPENTS. 511

sang, et ne donne à ce dernier aucun pouvoir antitoxique, mais qu’elle traverse le tube digestif, impunément pour l'animal et sans être détruite. Toutefois les recherches des premiers expé- rimentateurs que nous avons cités montrent que les toxines sont bien détruites par les sucs digestifs, surtout par certains mélanges de ces sucs, tels que le mélange de suc pancréatique et de bile.

Le suc pancréatique et la bile n’ont cependant aucune action immunisante à proprement parler; ils modifient ou détruisent les toxines après un contact in vitro plus ou moins prolongé, mais cette action n’est pas immédiate.

Nous savons, d’après les recherches de Fraser, de Phisalix et d’après celles que nous avons publiées antérieurement (ces Annales, 1897, XI), qu'à l'égard du venin des serpents la bile exerce aussi une action digestive manifeste in vitro.

Il nous à paru intéressant, à tous ces points de vue, de rechercher, avec les données nouvelles qui nous ont été apportées par l’étude des sucs glandulaires normaux de l'organisme et par celle des diastases oxydantes (oxydases de G. Bertrand), si les faits annoncés par Lacerda sont exacts, et quel est l’effet produit sur le venin par les principales diastases hydratantes ou oxydantes.

I. ACTION DIASTASIQUE DU VENIN.

a) Action du venin sur l'amidon. Nous avons étudié l’action du venin tel qu'il est extrait des glandes des serpents, simplement desséché dans le vide, puis redissous dans l’eau distillée à 1 : 100.

Par comparaison, nous avons étudié ensuite l’action de la même solution chauflée à 75° et filtrée au filtre Chamberland, c’est-à-dire débarrassée FA l’albumine et des éléments cellulaires qui se trouvent toujours en grande quantité dans le venin normal.

La toxicité de ces deux solutions de venin (chauffée et non chauffée) est sensiblement la même, comme l’a démontré M. Calmette, mais la solution chauffée et filtrée présente le grand avantage d'être stérile.

Nous les avons expérimentées l’une et l’autre sur l’amidon cru et sur l’amidon amené à l’état d’empois. L’amidon cru est stérilisé au préalable par un chauffage à 80° pendant 24 heures

512 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

dans une étuve sèche; ensuite nous l’émulsionnons à 1/100 dans de l’eau distillée stérile. L’empois d’amidon 1/100) est stérilisé à 120 degrés.

L'émulsion d’amidon cru est distribuée par fractions de 40 c. c. dans plusieurs petits ballons, puis additionnée de 1 et 2 c. c. de venin cru et de venin chauffé. Après 24 heures à 40°, le liquide ne contient pas de sucre réducteur.

Le contenu d’un ballon est filtré, pour le débarrasser des grains d’amidon, et traité par l'acide chlorhydrique à 110° pen- dant une demi-heure. Ensuite il est neutralisé au carbonate de soude et éprouvé au Fehling. I n’y a ni précipité ni trouble. Le liquide ne contenait donc pas de dextrine, qui serait hydrolisée et transformée en sucre réducteur.

La même série d'expériences est répétée avec l’empois d'ami- don. Ni avant l'expérience, ni après le contact avec le venin, l’empois d’amidon n’a décelé Ia moindre trace de sucre réducteur.

Le venin ne saccharifie donc mi l’amidon cru ni l’empois d’amidon.

b) Action sur le saccharose. Une solution de saccharose à 10 0/0, stérilisée à 120° ettrès légèrement alcalinisée par le carbo- nate de soude, est éprouvée au Fehling. Pas de sucre réducteur.

20 c. c. de cette solution, additionnés de 2 c. c. de venin cru, sont portés à 40° pendant 20 heures. Le liquide est devenu opa- lescent; éprouvé au Fehling, il prend une couleur verdàtre et donne un léger précipité cuivreux sur le filtre.

La même expérience, faite avec du venin chauffé à 75° et filtré au Chamberland, donne un résultat identique.

Notre venin, même après chauffage jusqu’au delà de la tempé- rature de coagulation des albumines, intervertit donc faiblement, mais nettement, le saccharose.

c) Action sur la fibrine. Pour avoir de la fibrine aussi pure et aussi stérile que possible, nous détachons la partie supérieure, riche en fibrine, d’un caillot de sang de cheval, nous la hachons et la Javons longtemps sur un tamis à l’eau stérilisée. Les gru- meaux sont ensuite macérés pendant une nuit, en y ajoutant un peu de chloroforme, et le lendemain on change encore l’eau jus- qu'à ce qu’elle reste parfaitement limpide.

On prépare 4 ballons contenant chacun 10 grammes de fibrine dans de l’eau stérilisée. Dans les trois premiers on ajoute 2, # et

ÉTUDE DU VENIN DES SERPENIS 513

6 c. ce. de venin chauffé et filtré, le seul qu’on puisse employer, car le venin non chauffé donne à lui seul la réaction du biuret,. Le quatrième ballon sert de témoin. On y ajoute un cinquième ballon témoin contenant le même venin sans fibrine. Tous ces ballons sont maintenus à 40° degrés pendant 24 heures.

Au bout de ce délai, le contenu des deux ballons témoins n’a pas changé d'aspect et ne donne pas la réaction du biuret. Les trois ballons d’épreuve donnent cette réaction d’une façon d’au- tant plus nette qu'ils contiennent plus de venin, sans que toute- fois les grumeaux de fibrine aient changé d’aspect.

Le venin peptonise done la fibrine, bien que faiblement.

IT. ACTION DES DIASTASES ANIMALES OU VÉGÉTALES, HYDRATANTES ET OXYDANTES SUR LE VENIN.

Nous avons commencé par nous assurer que les doses de ces diastases que nous devions employer ne peuvent pas provoquer d'accidents toxiques ; nous croyons inutile de donner les nom- breuses expériences par lesquelles l'innocuité de ces doses a été démontrée.

Nous avons employé les mêmes doses pour essayer le pou- voir préventif des diastases et leur action par injections simulta- nées avec celles de venin, mais faites à part, dans d’autres endroits du corps.

Les résultats de toutes ces dernières expériences furent négatifs ; aussi devons-nous admettre qu'aucune de ces diastases n'a d'effet préventif ou curatif sur l’envenimation.

a) Action des diastases mélangées au venin. Nous examine- rons l’action des diastases suivantes : 1). Diastases animales. Ptyaline, pepsine pure médicinale, présure, pancréatine et oxy- dase leucocytaire. 2). Diastases végétales. Emulsine, amylase, papaïne, sucrase et oxydase des champignons de couche.

Pour celles de ces diastases que l’on se procure dans le com- merce, nous avons employé les produits de Merck et ceux de Poulenc.

Les diastases sèches ont été dissoutes dans de l’eau distillée stérile dans la proportion de 1 0/0, filtrées sur papier et prépa- rées au moment de l’usage.

Pour ce qui est de l’oxydase leucocytaire, nous l'avons obte-

33

D14 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR.

nue en provoquant chez un animal un exsudat dans le péritoine par une injection de bouillon. Cet exsudat est centrifugé. On décante le liquide; le dépôt de leucocytes est digéré à l’aide d’une goutte de pancréatine dissoute (selon le procédé de P. Por-" tier). Si cette digestion a duré un temps convenable, 24 heures à 37°, le produit réagit assez bien à la teinture de gaïac, qu'il colore en bleu verdâtre, grâce à la formation d'acide gaïaconi- que. Cette réaction est caractéristique de l’oxydase leucocytaire : les leucocytes non digérés par la pancréatine ne la donnent pas.

Pour obtenir l'oxydase des champignons de couche, selon le procédé de M. G. Bertrand, on coupe en menus morceaux et on triture dans un mortier une certaine quantité de champignons avec leur pied (car c’est le pied qui contient le plus d’oxydase), ensuite on fait macérer pendant 2 heures la pâte ainsi obtenue dans de l’eau chloroformée (200 c. c. d’eau pour 100 grammes de champignons). On filtre rapidement sur papier et on emploie le liquide brunâtre immédiatement. Il peut aussi être conservé pendant un assez long temps en y ajoutant du chloroforme et le mettant à l'abri de l’air et de la lumière.

La sucrase est obtenue à l’état de pureté aussi parfaite que possible en cultivant de l’Aspergillus niger dans du liquide Raulin, mais on n'obtient ainsi qu’une solution faible. Pour avoir un liquide riche en sucrase, il vaut mieux faire macérer une cer- taine quantité de levure sèche de boulangerie dans 2 volumes d’eau. La macération est faite à la glacière, pendant 24 heures, en ajoutant un peu de chloroforme ou d’essence de moutarde. Le liquide filtré sur papier est assez riche en sucrase. Il peut être directement employé pour les expériences.

Les deux tableaux suivants montrent les résultats de nos recherches.

ÉTUDE DU VENIN DES SERPENTS 515

TABLEAU 1

ACTION DES DIASTASES ANIMALES SUR LE VENIN,

SOLUTIONS DE DIASTASES ET DE VENIN (1 : 100) EN CENTIMÈTRES CUBES.

INJECTIONS SOUS LA PEAU COBAYES EN CONTACT IDENTIQUES Er 4 DOSES TT —| RÉSULTATS |effectuées Nes| Poids DURÉE Tempéra. 4 | 310|Ptyaline 0,4 venin 0,1. 24 heures. 370 Survie. 4. ë : , : Injecté :

9 s = =: G 2 | 335|Ptyaline 0,4 + venin 0,1. ET ARMent Survie. 2. 3 | 380|Pepsine pure 0,4 + venin 0,1.| 24 heures 370 Mort 4 jours. sas 4 | 630|Présure 0,64 L venin 0,16. 24 heures. 370 Mort 5 heures, 4. 5 | 710|Pancréatine 0,8, + venin 0,2.| 24 heures. 370 Survie. L. 6.| 52 ETES re 6—-venin0.15.| 24 heures 370 Mort 2h. 1/2 3

leucocytaire | ‘? male 4 RENTE É 7 | 400|Venin 0,1. Mort 2 h. 1/2.

TABLEAU 2.

ACTION DES DIASTASES VÉGÉTALES SUR LE VENIN.

SOLUTIONS DE DIASTASES ET DE VENIN (1 : 100) EN CENTIMÈTRES CUBES.

} C N £ £

RÉSULTATS dites

EFFECTUÉES

COBAYES EN CONTA CT -

Durée. Températ.

Emulsine 0,6 venin 0,15. 24 heures. Mort 2? heures.

Amylase 0,4 + venin 0,1. 24 heures, Mort à heures.

Amylase 0,4 L 0,1. 23 heures. Mort 2 1/2 b.

Papaïne 0,4—+ venin 0,1. 24 heures, Survie.

O[Sucrase 0,6 + venin 0,1. 24 heures, Mort 2 1/2 h.

- | Oxydase de |}

; L : champignon | 0,4 venin 0,1. heures.

Mort 2 heures,

Venin 0,1. 24 heures, Mort 214/2h.

516 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

CoNeLUSIONS

I. Action diastasique du venin. La première partie de notre. étude confirme les observations de Lacerda. Nous avons vu que le venin ne saccharifie pas l’amidon, mais qu'il peptonise la fibrine. De plus, nous avons pu constater qu'il intervertit le saccharose.

Le venin contient donc à la fois une substance toxique et une diastase faible. Nous ne savous pas encore si le toxique et la diastase se confondent.

IT. Action des diastases sur le venin. Si nous classons les diastases dont avons étudié l’action sur le venin d’après le degré d'intensité de cette action, nous devons les énumérer dans l’ordre suivant :

Diastases très actives. Faiblement actives. Inactives. 1) Ptyaline 1) Pepsine 1) Emulsine 2) Papaine 2) Présure 2) Sucrase 3) Pancréatine 3) Amylase 3) Oxydase leucocytaire

4) Oxydase des champignons.

L'action très énergique de la ptyaline sur le venin est tout particulièrement remarquable, car le venin représente lui-même comme nous l'avons dit au début de ce travail, une véritable salive.

Signalons ensuite le peu d'activité de la pepsine. La pepsine pure ne nous a donné que des résultats douteux, une survie et une mort— avec un grand retard.

On sait cependant, après les travaux de M. Calmette et ceux de M. Fraser d'Edimbourg, que le venin introduit dans l’orga- nisme des animaux par la voie gastrique est inoffensif. Sa des- truction est certainement effectuée d’abord par la salive, qui accompagne en plus ou moins grande quantité toutes les substances introduites par la voie buccale, et elle s'achève ensuite par l’action du sue pancréatique, mais la pepsine n’y participe pas.

L'oxydase leucocytaire s’est montrée inactive, mais nous n'avions que de faibles quantités de cette diastase à notre dispo- sition. Certainement on ne peut pas en conclure à l'inactivité absolue des sucs protoplasmiques leucocytaires à l'égard du venin.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'AZOTE CONTENU DANS LE VIN

Par J. LABORDE

Sous-directeur de la station agronomique de Bordeaux

Le moût de raisin, comme tous les jus naturels sucrés, ren- ferme de l'azote sous une forme essentiellement assimilable pour un grandnombre d'êtres microscopiques, eten particulier pour les levures. Le vin qui résulte de la fermentation de ce moût contient une quantité d'azote inférieure à celle qui y existait primitive- ment, puisqu'une partie, entrée dans la constitution de la levure, a été insolubilisée avec elle.

Par conséquent, l'étude des variations de l'azote pendant la fermentation alcoolique du moût de raisin est liée à la question générale de la nutrition azotée de la levure, actuellement bien connue depuis les travaux de MM. Pasteur, Béchamp, Duclaux, Schutzemberger, Destrem, Mayer, Laurent, etc.

Mais jusqu’à ces derniers temps, M. Duclaux' seul s'était occupé spécialement de l’action de la levure sur les matériaux azotés du moût de raisin. Il a montré d’abord que ce jus naturel contient, en dehors des combinaisons organiques de l'azote (matières albuminoïdes et autres), de petites quantités de sels ammoniacaux ?, et ensuite, que, même en présence de cet azote organique très assimilable, la levure absorbe l’azote ammoniacal avec une grande facilité, ne laissant ordinairement que quelques milligrammes d’ammoniaque dans le vin, alors que le moût pouvait en contenir jusqu'à 120 milligrammes par litre *.

1. Sur l'absorption d'ammoniaque et la production d'acides gras volatils pendant la fermentation alcoolique. (Annales de l'Ecole Normale Supérieure, t. II, 4866 )

2. Liebig avait trouvé de l’ammoniaque dans les jus de l’érable, du bouleau, de la betterave, mais il n’avait pas parlé du moût de raisin. Mulder, qui niait for- mellement la présence de l’'ammoniaque dans le moût, en trouvait dans le vin.

3. Pasteur avait déjà établi que l’ammoniaque est un aliment azoté de la, levure, en produisant des fermentations dans les milieux cette base était l'unique élément azoté.

D18 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

L'ensemble des recherches de M. Duclaux s'applique prinei- palement à des levures vivant dans des conditions très favorables à leur développement, en ce qui concerne la température et l’absence d’autres organismes dans le même milieu. L

Ces conditions ne sont pas toujours celles de la pratique vinicole, et MM. Muntz et Rousseaux ‘, en analysant des vins pro- venant de fermentations défectueuses dues à l'influence d’une température trop élevée, y ont trouvé récemment des quantités d’ammoniaque variant depuis quelques milligrammes jusqu’à 100 milligrammes, dont ils ont attribué la production aux ferments des maladies des vins.

En même temps MM. Roos et Chabert* s’occupaient des variations de l’azote total dans les vins obtenus par des fermen- tations exemptes de microbes, à température normale et à haute température. [ls ont vu que dans le premier cas la quantité d'azote contenu dans le vin était inférieure à celle du second; les différences, qui étaient de 20 à 80 milligrammes par litre, ont été rattachées à une plus grande élimination, par les levures fonctionnant à température élevée, de matières azotées dont quelques-unes seraient peut-être toxiques pour ces levures. À la même époque j'étudiais l'influence de l’alimentation azotée de la levure sur une de ses fonctions particulières, et comme je culti- vais en même temps les organismes des maladies des vins, j'ai dirigé mes recherches dans le sens d’une étude précise des faits

qui venaient d'être signalés; ce sont ces recherches que je pré- sente dans ce travail.

Il

J'ai songé d’abord à généraliser un peu les résultats obtenus en 1866 par M. Duclaux sur les moûts du vignoble d’Arbois (Jura), en dosant l’ammoniaque dans des moûts provenant de

4. A. Muxrz, Études sur la vinification dans les régions méridionales (Comptes Rendus, t. CXXIV, page 331).

A. Muxrz et E. Rousseaux, La formation de l’ammoniaque dans les vins (Æevue de viticulture, t. VIII, 1897, page 173)

2. Contribution à l'étude des fermentations viniques (Âevue de viticulture, t. VIII, 1897).

ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 219

raisins récoltés principalement dans la Gironde et dans l'Hérault, et écrasés au laboratoire. La méthode suivie est celle qui a été employée par M. Muntz', et qui consiste à déplacer l’ammo- niaque par le carbonate de soude et une ébullition produite à basse température à l’aide du vide, tandis que M. Duclaux s'était servi du procédé Boussingault, mais après avoir vérifié que la magnésie n'attaque pas sensiblement, à 100°, les matières organiques azotées du moût. J’ai moi-même vérifié que ce dernier procédé donne des résultats très voisins de ceux obtenus par la méthode de M. Muntz’; c’est cette dernière que j'ai employée dans tous les dosages consignés dans ce travail.

Le tableau suivant donne les quantités trouvées dans un certain nombre de moûts provenant de cépages divers, ainsi que l'acidité et la richesse saccharine de ces moûts.

_

AzH3 ACIDITÉ SUCRE

NATURE DES MOUTS en S04H2 réducteur

par litre. parlitre. parlitre.

| Chasselas(Sain........... sc. 0870742 3sr,40 A81er,6

| 1896 ne expérimentalement....... 0 0453 20153 150 0

| Cépages rouges divers, 1896.. O0 1830 8 00 140 0

Cépages rouges(Côtes ........ 0 0700 6 20 175 4

1897 PAU Pre Pere 0 O810 5 90 170 0

CGhasselas 1807 rene 0 4305 4 80 153 8

Cépages rouges divers, 1897... O 1157 1 20 169 %

GIRONDE. ......./ Cépages rouges et blancs, 1897 0 1584 7 60 160 0

Sémillon(Sain ...... A PRET 0 1480 322 470 6

SO IMOIS PERTE tr ACL LeE 0 1382 3 10 180 5

Prunonr els TIRER PR ee s 0 2240 7 70 160 0

Cabernet Sauvignon, 1897..., O0 1661 8 50 1502

Giabernet\Samentr rer Etre ee 0 1030 9 60 160 0

| 4897 fAltérations diverses. O0 0440 7 65 481 8

AMERO MOMENT re 0 1118 6 05 190 0

LOT-ET-GARONNE. Cépages rouges divers, 1896. 0 1410 8 80 200 0 ATAMONNSAINS eee 0195 » » 5 ASOTNIMOISTE re eee 0 1037 » » HERAULT MaseutR A9 ns 0 0736 » » ( Clsirette, SD HER ES ee 0 0644 » »

Ces chiffres sont, en général, plus élevés que ceux trouvés par M. Duclaux, dont la moyenne est de 0,051 par litre, tandis

4. Recherches sur lintervention de l’ammoniaque atmosphérique dans la nutrition végétale (Annales de la Science Agronomique française et étrangère, 1896),

2. M. Manceau dit la même chose dans son rapport sur les dosages de l’acidité volatile et de l’ammoniaque dans les vins de champagne, il s'est servi encore de la méthode Boussingault. (Voir Bulletin de la Société des viticulteurs de France et d'ampélographie, n°5 T et 8, 1898.)

520 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

qu'elle est ici de 0#',1125, mais un certain nombre de termes de ces deux moyennes sont tout à fait comparables. Les quantités d’'ammoniaque varieut non seulement d’un cépage à l’autre, mais _ aussi, pour un même cépage, avec le lieu d’origine. La matura- tion me paraît jouer un rôle important dans cette question de lammoniaque des moûts, que je compte mieux étudier plus tard. Il semble, en effet, que la quantité d’'ammoniaque doive diminuer à mesure que la maturation avance, car ce sont, généralement, les raisins les moins mürs qui ont donné les moûts les plus riches en ammoniaque.

On peut remarquer encore que les moisissures et les altéra- tions diverses que subit accidentellement le raisin font diminuer les quantités d’ammoniaque contenues dans les moûts; Les diffé- rences observées proviennent de dosages faits sur les moûts après séparation des parties saines et altérées des mêmes rai- Sins.

ITI

Dans les expériences que j'ai faites pour étudier les variations de l’azote dans la fermentation du moût de raisin, j'ai considéré les principaux cas qui peuvent se présenter : Celui la levure est pure, c’est-à-dire non accompagnée de microbes pou- vant attaquer le sucre et les matières azotées du moût; celui ces microbes sont mélangés à la levure dans des conditions favorables à leur développement.

Pour le premier cas, les conditions peuvent être les sui- vantes :

La fermentation se fait à une température favorable à la vie de la levure ;

20 Elle se fait à une température élevée qui gène la levure sans la paralyser complètement.

Dans une première expérience, on a fait fermenter, avec une levure de Médoc de variété unique, des moûts de raisin de diverses provenances, dont on connaissait la richesse en azote organique et ammoniacal après filtration.

Ils éteient contenus dans des matras Pasteur aux trois quarts pleins, qui formaient deux séries maintenues à des températures

ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 521

voisines, La 1" de 280, la 2e de 36°; les liquides étaient stérilisés par l’ébullition et ensemencés après refroidissement avec des traces de levure.

A la fin de la fermentation, la levure formée dans chaque matras était pesée, et l’on dosait l'azote organique et l'azote ammoniacal restant dans le vin; on a trouvé les chiffres du tableau suivant.

MOUTS AZOTE DU VIN AZOTE DU VIN JPOMN \ " AZOTE DU MOUT ; ; SENS divers. fermenté à 280. fermenté à 360. obtenue. a om | FC cl. CU CR Anmont |Organ.| Total | Amon | Organ.| Total | Ammor! |Organ.| Total 28o.|à 36o.

gr. gr.

0,107410,432010,539410,001010,4200 10,421010,0099 0,4350|0,4450[1,786

0,149010,425010,574010,003310,413010,4163[0,0082,0,449010,457212,180

0,0951/0,325010,4201[0,004510,3245|0,329510,013110,3300!0,

0,1502 » |0,0077 » » [0,0365

On voit que, dans les vins faits à 28°, la quantité d'azote ammo- niacal qui reste est toujours beaucoup plus faible que dans ceux obtenus à 36°, et que les différences ne dépendent pas, pour les limites du tableau, de la quantité initiale d'ammoniaque contenue dans le moût, mais probablement de la nature même de ce moût qui a influé sur la nutrition de la levure par d’autres facteurs.

La proportion d'azote organique que conserve le vin est peu différente de celle que renfermait le moût; à 28° elle est égale ou légèrement inférieure, tandis qu'à 36° elle est égale ou supé- rieure,.

Par conséquent cette levure de vin, comme la levure de bière, utilise l'azote ammoniacal avec avidité, et il semble même qu’elle se contente, dans la plupart des cas, de cet aliment azoté.

Dans le vin fait à haute température, la proportion d’azote organique est supérieure à celle qui existait primitivement dans le moût, par suite, évidemment, d’une excrétion de matières azo-

0,1160 » 10,0070

» [0,0247

1. On obtiendrait l’'ammoniaque correspondante en multipliant les poids d'azote ammoniacal par le coefficient 1,214,

022 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tées que s'était constituées la levure par l'assimilation de l'azote ammoniacal.

Cette excrétion, plus importante à haute température qu'à température normale, est d'accord avec les observations de MM. Roos et Chabert, mais nous verrons qu'il n’en est pas tou- jours ainsi.

Les différences qu'ils ont constatées sont de même ordre que celles du tableau ci-dessus; celles-ci sont, en outre, en relation avec les différences des poids de levure produite, inscrits dans les deux dernières colonnes du tableau.

A propos de ces chiffres, je crois devoir entrer dans quelques explications sur la manière dont ils ont été obtenus.

On sait, d’après M. Duclaux, que le poids maximum de levure produite dans un certain volume de liquide fermentes- cible est supérieur à celui qui y existe lorsque la fermentation est complètement terminée, à cause des phénomènes de désassi- milation corrélatifs de la vie de la levure.

Comme cette désassimilation est d'autant plus grande que les conditions sont plus défavorables, le rapport des quantités de levure obtenues à 28° et à 36°, et pesées à la fin de la fermentation, peut être très différent du rapport des poids maxima, le seul intéressant, par suite d’une usure plus grande des matériaux de la levure fonctionnant à 36°.

Aussi, pour éliminer autant que possible l'influence de cette usure, et éviter en même temps une cause d'erreurs due à la crème de tartre précipitée dans le vin avec la lie, j'ai pro- cédé de la manière suivante pour la pesée de la levure.

La fermentation étant achevée et le vin éclaire par un repos de plusieurs jours, la plus grande partie du liquide clair a été décantée, et le reste a été versé sur un filtre après agitation et repos pour laisser la crème de tartre se reprécipiter; la levure plus légère reste en suspension et peut être entraînée à peu près seule sur le filtre. Par quelques lavages à l’eau distillée, la plus grande partie de la crème de tartre est éliminée. Après avoir percé le filtre, on a détaché la levure avec un jet d’eau chaude pour la mettre en suspension dans un volume d’eau égal au volume du liquide fermenté; le mélange a été porté à J’ébullition pendant quelques minutes. Après refroidissement, la levure a été filtrée, lavée et pesée après dessiccation à 400° dans

ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 523

une capsule de platine elle avait été introduite en la détachant du filtre avec un jet d’eau chaude, comme précédemment.

Ce traitement préalable à l’eau bouillante, fait dans des con- ditions bien déterminées, ayant pour résultat d'extraire du globule de levure la plus grande partie des matériaux solubles, conduit à des poids de résidu qui sont nécessairement dans un, rapport plus voisin de celui des poids maxima de levure que le rapport des poids que l’on obtiendrait directement.

Les résultats qui précèdent, fournis par une levure de Médoc de variété unique, méritaient d’être comparés à ceux qui seraient donnés par des levures d’origine et de variété différentes.

Pour cela, on a pris un même moût de raisin, le 2 du tableau précédent, et on l’a ensemencé avec des levures exemptes de microbes, provenant de lies de vin de Champagne, de Camargue et d'Algérie. On a obtenu, dans les conditions de l'expérience précédente, les résultats suivants rapportés au litre.

AZOTE DU VIN AZOTE DU VIN (POIDS DE LEVURE LEVURES DIVERSES fait à 28o. fait à 360. obtenue.

>. CO RS PR. 0 EE Te Amon! |Organ.| Total. | Anmoul |Organ.| Total. 280.|à 360.

gr. gr. gr. gr. | gr. 0,4163[0,008210,4490 |0,4572/2,180|1,8#0 Champagne 0,0345|0,4210/0,4555[0,0660 |0,4340/0,5000!2,120 1,200

Camargue 0,0603|0,4300!0,490310,0873)0,4200!0,5073 [1,400 10,970

Algérie 0,0065/0,455010,461510,0603/0,437010,4973|1,784|1,

Pour une même température, l'azote ammoniacal restant dans le vin varie beaucoup avec les divers levures, et les plus'avides d'ammoniaque sont celles de Médoc et d'Algérie, lesquelles, à 28°, n’ont laissé que des traces d’ammoniaque, tandis que les deux autres en ont laissé des quantités anormales. Mais il est probable que si la richesse ammoniacale du moût avait été moindre, ces différences n’existeraient pas.

A température élevée, l'assimilation de l’ammoniaque est génée dans tous les cas, mais avec plus ou moins d'intensité; c’est la levure de Médoc qui a été la moins sensible à l’influence de la température à ce point de vue.

D24 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Il faut remarquer que ces levures ont fonctionné dans le second cas à une température qui n’était pas encore très défavo- rable, puisque toutle sucre (180 grammes par litre) avaitfermenté. À température plus élevée, une partie du sucre reste inattaquée, le poids de levure est plus faible, et une proportion bien plus grande d’ammoniaque n’est pas utilisée. Par conséquent, pour expliquer les résultats de MM. Roos et Chabert, qui n’ont trouvé, dans les vins fermentés à 35 ou 40° avec des levures pures, que des traces d’ammoniaque, il faut admettre que les moûts sur lesquels ils opéraient n’en contenaient que de faibles quantités, ou bien que les levures employées étaient particulièrement actives à une température élevée. .

Comme dans l'expérience précédente, les variations des poids de levure du dernier tableau sont toujours en sens inverse de celles de l’azote total restant, lesquelles portent encore principa- lement sur les variations de l’azote ammoniacal.

L’excès de la proportion d'azote organique du vin sur celle du moût, c’est-à-dire la sécrétion d'une partie de l’azote orga- nique formée par la levure à l’aide de l'ammoniaque, dépend de la température pour les deux premières levures, tandis que pour les autres, au contraire, et pour la dernière surtout, il paraît dépendre principalement dela quantité d’ammoniaque absorbée. Ily a donc dans ces phénomènes de désassimilation des différences qui ne doivent pas nous surprendre, et qui tiennent à la constitution même de la cellule de levure comme à son fonctionnement.

C’est aussi à ces phénomènes qu'il faut attribuer un résultat qui ressort des expériences précédentes. Nous avons vu que la nutrition azotée des levures de vin étudiées paraît se faire presque exclusivement aux dépens de azote ammoniacal du moût; mais ce n’est qu'une simple apparence, et il faudrait bien se garder de croire que l'azote organique ne joue qu'un rôle très secondaire dans l'alimentation de ces levures.

Pour être mieux fixé sur ce rôle, et sur celui de l’ammoniaque en même temps, nous allons essayer de suivre plus en détail qu'on ne l'a fait jusqu’à présent, la nutrition azotée de la levure de Médoc par exemple, au cours d’une fermentation.

Deux séries de matras Pasteur identiques, contenant la même quantité de moût ensemencé, ont été placées, l’une à 28°, et l’autre à 36°, puis, à des intervalles de temps de plus en plus

ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 525

éloignés du commencement de l’expérience, on a pris un matras de chaque série, pour déterminer le poids de levure contenu dans le liquide et analvser celui-ci. Le tableau suivant contient les résultats obtenus.

MOUT FERMENTÉ à 280. MOUT FERMENTÉ à 360. POIDS AT RP pe | de levure de la Azote organique| Azote ammoniacal. | Azote organique Azote aumoniaal. | OBTENUE RERMENTATIONS I ETES RATE | restant | absorbé. [restant | absorbé. [restant | absorbé. [restant | absorbé. 280.|à 36o.

DURÉE

0,3606 0,0644|10,025810,0792 0,079410,0660!0,0390/1,750 1,600

0,3454,0,0796|0,005010,100010,3242 0,100810,051010,054011,925/1,800

0,3274|0,097610,003610,1014 » » » ) 0,3048 0,1202/0,003610,1014[0,374410,0506|0,027610,077412, 0,4020 0,023010,003610,101410,4224 |0,002610,0072|0,0978/2,500!2,000

0,4116 0,0134|0,003610,101410,4356 » |0,0072,0,097812,400 11,950

On voit que la levure qui se développe dans des conditions normales de température assimile plus rapidement l'azote ammo- niacal que l’azote organique; les choses sont, au contraire, tota- lement renversées à température élevée. On comprend d’ailleurs facilement que dans ces dernières conditions, la vitalité de la levure est atténuée, il lui soit plus difficile de se former des matières azotées avec l’ammoniaque que d'utiliser les matériaux de ce genre existant dans le moût sous une forme vraisembla- blement très assimilable; mais on pouvait ne pas s'attendre à voir un changement si accentué, qui explique par suite très nette- ment la présence de quantités plus importantes d’ammoniaque dans les vins faits à haute température que dans ceux fermentés à température modérée.

Malgré ces variations d'action de la levure vis-à-vis de l’am- moniaque, on ne peut guère admettre qu'elle puisse refuser complètement d’y toucher, et, si la richesse ammoniacale de certains moûts est faible, le vin peut n’en contenir que des traces, bien que la fermentation ait lieu à température élevée et avec une levure pure : mais c’est là, je CTOIS, UN Cas assez rare.

On voit aussi, contrairement à ce qui semblait avoir lieu dans les expériences précédentes, que le poids d’azote organique

926 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

utilisé par la levure est très important, et qu’il peut dépasser la quantité d'azote ammoniacal absorbé, même lorsqu'elle est un peu au-dessus de la moyenne contenue dans les moûts.

La proportion d'azote qui reste dans le liquide fermentescible décroit jusqu'à un certain moment, puis se relève assez rapide- ment et plus vite à température élevée qu'à température normale. L’explication de ces variations est facile.

Le développement de la levure étant très rapide dans les premiers jours de la fermentation, la construction des tissus exige une absorption très notable de matières azotées, qui dé- passe de beaucoup l’excrétion corrélative de cette assimilation.

Lorsque le milieu devient défavorable à l'existence de la plante, les phénomènes de désassimilation l’emportent sur ceux d’assimilation, et les globules vieux restituent alors au liquide une quantité d'azote plus grande que celle qui est absorbée par les globules jeunes. Cette restitution continue pendant que la levure vieillit davantage dans son liquide de culture, et dépend, comme nous le savons, non seulement de la température, mais aussi de la nature de la levure.

Le maximum d'absorption d'azote correspond à peu près à la fin de la fermentation tumultueuse, qui dure plus ou moins, sui- vant les conditions de température. À 36° elle s’arrète plus tôt qu'à 28°, mais il reste à ce moment une portion plus ou moins grande du sucre non fermenté; et, si on veut faire disparaitre ce sucre à peu près complètement, il faut abaisser un peu la tempé- rature.

La fermentation continue lentement, et pendant ce temps la levure formée au début se détruit partiellement et plus rapide- ment qu à température plus basse. Toutefois, si on fait l’analyse des liquides fermentés dans les deux cas, lorsque tout dégagement gazeux a cessé et lorsqu'ils se sont éclaircis après quelques jours de repos, comme dans les expériences ci-dessus, il se trouve, par hasard, que ces liquides renferment à ce moment, à peu de chose près, la proportion d'azote organique que contenait le moût.

Pour une mème fermentation, les poids de levure, obtenus d’après le procédé indiqué, ne suivent que de très loin les varia- tions de l'azote contenu dans cette levure après le maximum d'absorption.

ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 527

En effet, tandis que la levure a perdu près de 50 0/0 de son azote, son poids fictif n’a baissé que de 10 0/0 environ ; c'est ce qui montre que la méthode que j'ai employée pour déterminer ce poids permet d'obtenir, entre deux fermentations différentes, et lorsqu'elles sont terminées, un rapport des quantités de levure produite très voisin du rapport des poids maxima.

Nous avons vu que la levure, vivant dans des conditions favorables, a une préférence assez marquée pour l'azote ammo- niacal sur l’azote organique du moût de raisin; il est alors intéressant de savoir si dans un moût privé complètement d’ammoniaque, l'azote organique pourraitsuppléer complètement à ce défaut.

L'expérience suivante a été faite dans ce but. On a extrait l’ammoniaque d’un moût par le procédé employé dans le dosage, en remplaçant le carbonate de soude par le carbonate de potasse, et on à ajouté dans une autre partie du moût primitif la même quantité de carbonate de potasse; puis on a ramené ces deux moûts à une même acidité par addition d'acide tartrique, qui a précipité, à l’état de crème de tartre, la plus grande partie de la potasse introduite dans les deux cas. Après la fermentation des deux moûts par la même levure on a trauvé les résultats suivants :

NATURE DURÉE PERTES DU MOUT POIDS

dela RE PC DE EURE

Ur A UE FERMENTATION| AZ0te organique. Azote ammon. obtenue.

Naturel. 6 jours. 0sr,4095 Osr,0875 4sr,975

Privé d’ammoniaque| 9 jours. 0 1370 » 195

L’ammoniaque du moût de raisin a donc une influence mani- feste sur la marche de la fermentation vineuse, et ces chiffres montrent bien l'importance du rôle qu’elle y joue; ce rôle explique l'influence presque toujours positive des sels ammonia- caux ajoutés à la vendange pour activer la fermentation. Inver- sement, si, dans certains cas, la fermentation est languissante, c’est peut-être parce que le moût est trop pauvre en ammoniaque.

Le rapport des quantités d'azote ammoniacal et organique

D28 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

empruntées à un moût par une levure peut être considérable- ment modifié quand on vient à changer les conditions de la fermentation dans le sens d’une aération plus grande du liquide.

Ainsi on a fait fermenter à 28° le même volume de moût de raisin avec la même levure : dans un matras Pasteur aux 3/4 plein; dans un matras ordinaire pas même à moitié plein, et fermé par un tampon de coton; on a trouvé les résultats suivants, au bout du même temps de contact du liquide et de la levure :

PERTES DU MOUT RAPPORT POIDS

ET © KT a DE LEVURE

CONDITIONS

de la fermentation Azote organique. azote ammoniacal. Fa obtenue. a b

Matras Pasteur... 0gr,0070 gr,1034 ll 8r,866

Matras ordinaire... 0 41196 104 15 3 000

Ces résultats étaient à prévoir, puisqu'on sait qu’une aération, même très restreinte, favorise considérablement le développe- ment de la levure; ce développement intense n’a pu se faire naturellement qu’en enlevant au moût une plus grande quantité de matières azotées.

En somme, de la série d'expériences qui précède, on peut conclure que : La quantité d’ammoniaque qui reste dans le vin peut varier avec la température de la fermentation, la nature du moût et les variétés de levure qui déterminent cette fermen- tation ;

Les variations de l’azote total du vin dépendent de toutes les circonstances qui ont agi sur la nutrition de la levure pendant la fermentation, ainsi que de la durée de la macération de cette levure dans le vin.

IV

Nous allons maintenant chercher ce que devient l’azote du milieu fermentescible lorsque la levure est accompagnée des ferments d’altération du vin qui se développent dans ce même milieu.

ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 529

Il y aurait des conditions différentes à considérer comme dans le paragraphe précédent, mais je me placerai seulement dans celles qui sont plus favorables pour les microbes que pour les levures, c’est-à-dire lorsque le moût est pauvre en acidité et que la température de la fermentation est élevée.

Dans une-série de matras Pasteur contenant du moût de raisin stérilisé, on a ensemencé d’abord de la levure de Médoc pure, et lorsque la fermentation a été déclarée à 28°, on a élevé graduellement la température de l’étuve jusqu'à 36° dans l'inter- valle de 24 heures. L'un des matras restant comme témoin, les autres ont reçu une semence assez copieuse des ferments que j'ai étudiés dans une note récente à l'Académie des Sciences".

Le ferment À provenait d'un vin de la Gironde de 1896, sain au goût.

Le ferment B avait élé extrait d’un vin de la Gironde de 1884, caractérisé comme tourné.

Le ferment C provenait d'un vin amer de la Gironde.

Le ferment D avait eu pour origine un vin de l'Hérault de 1897, sain au goût.

Le ferment E était le ferment mannitique de MM. Gayon et Dubourg *.

À Ja fin de la fermentation, qui pouvait être considérée comme complète, car, dans tous les cas, la quantité de sucre res- tant ne dépassait guère 0,5 0/0, l'analyse des vins obtenus a donné les résultats suivants :

DIVERSES levure. TOTAL ORGANIQUE | AMMONIACAL témoin. SOS FP2 Témoin 187,775 Or,525 Osr,512 Osr,0125 » 0er,39 A 1 440 0 546 0 506 0 0402 0:,0336 MU B 1.319 0 586 0 500 0 0585 0 0558 3 35 C 1 242 OMS 0 445 0 0763 O0 0874 4 78 D 0 920 0 561 0 468 0 0536 0 1N84 OU 718 E 1 100 0 516 0 429 0 O870 0 090% DE LD

4. Comptes rendus. Sur les ferments des maladies des vins, t. CXX VI, p.1223. 2. Annales de l'Instilut Pasteur, 189%, t. VII, p. 4108.

34

230 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

On voit que, dans les fermentations avec microbes, les poids de levure sont toujours inférieurs à celui du témoin ; encore ces poids sont-ils, en général, un peu trop élevés, car il est. difficile d'éliminer complètement les microbes par Pagitation, puis le repos et la décantation du liquide les tenant en suspen- sion et surnageant le dépôt de levure. |

lei, les poids de levure ne sont pas toujours en relation avec les quantités d'azote total restant dans le vin: par exemple, les fermentations C et E, qui en ont laissé moins que la fermentation témoin, ont donné des poids de levure très inférieurs. Cela s’ex- plique par un développement considérable des microbes, qui ont utilisé une portion importante de l’azote organique pour consti- tuer leurs tissus.

Au premier abord, il semble qu'on aurait le droit de conclure que les excès d’ammoniaque sur le témoin sont une production microbienne, mais 1l faut songer que le développement de la levure ayant été entravé par celui des microbes, l'assimilation de lammoniaque a l’être aussi fatalement ; cependant, dans aucun cas. elle ne paraît avoir été nulle". De sorte que, pour ètre sûr de la production d’ammoniaque par ces microbes, il faut pouvoir les cultiver hors de la présence de la levure, et dans un milieu présentant des conditions physiques et chimiques ana- logues à celles d’un moût en fermentation. C’est ce qui a été fait dans lexpérience suivante qui comporte cinq milieux diffé- rents :

Eau de levure de vin alcoolisée, obtenue en portant à l’'ébulliuon de la grosse lie de vin du premier soutirage, coupée d’un égal volume d’eau et additionnée de moût de raisin ; sucre, 40 grammes par litre;

20 Moût de raisin dilué avec de l’eau de levure de bière ; sucre, 50 grammes par litre;

30 Vin blanc incomplètement fermenté ; sucre, 43 grammes par litre ;

1. MM. Müntz et Rousseaux, au contraire, ont obtenu toujours une augmenta- tion d’ammoniaque en cultivant des levures de vin pures ou des lies de vin mélangées de microbes, dans des bouillons riches en matières azotées formées d’une solution de gélatine, de peptone et de phosphate de potasse. Cette diffé- rence dans les résultats s'explique simplement par les différences qu'il y avait dans la nature des organismes et dans la composition des milieux dans lesquels ils ont vécu.

ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 331

40 Vin incomplètement fermenté fait avec du moût de raisins rouges peu coloré; sucre, #3 grammes par litre;

Mélange de vins blancs divers un peu sucrés et de vin rouge peu coloré; sucre, 9 grammes par litre.

Tous ces liquides contenaient une certaine quantité d’ammo- niaque, variant de 10 à 60 milligr. par litre, qui était parfaite- ment déterminée pour chacun d'eux; leur acidité avait été ramenée à des chiffres compris entre 2 et3 grammes par litre en acide sulfurique. Ils étaient contenus dans des matras Pasteur portant un tube de dégagement soudé au tube du bouchon muni du tampon de coton, et étaient ensemencés de la manière sui- vante :

Après avoir fait bouillir pour stériliser et chasser l'air du milieu, le tube de dégagement étant en relation avec une source d'acide carbonique, on alaissé refroidir ; puisle liquide a été saturé d'acide carbonique par l'agitation, et la semence introduite en soulevant le bouchon, qui était toujours en relation avec la source gazeuse. Le tube de dégagement était ensuite plongé sous le mercure, et, pour éviter la diffusion du gaz, enfermé dans le matras, par le bouchon rodé, celui-ci était graissé préalable- ment avec un peu de suif”.

Le développement des microbes se faisait donc dans un milieu privé d’air et saturé d’acide carbonique, conditions analogues à celles qu’ils trouvent pendant la fermentation vineuse.

Il a donné lieu à un dégagement régulier d'acide carbonique pur pendant plusieurs semaines et aux réactions que j'ai indi- quées ailleurs. Au bout de ce temps, l'analyse des liquides à donné les chiffres du tableau suivant, qui indique pour chaque liquide et pour chaque microbe : la différence positive ou négative entre la proportion iniliale et la proportion finale d’ammoniaque ; 2 la proportion d'acides volatils produits, per- mettant d'apprécier dans une certaine mesure lintensité du développement des microbes.

4. J'ai employé aussi des appareils analogues aux tubes Pasteur pour les cultures à l’abri de l'air, mais j’ai donné la préférence au dispositif indiqué ci- dessus.

232 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ELELELELELELELELELELELZELELELELES

DÉSIGNATION | LIQUIDE no 1 | LIQUIDE no 2 | LIQUIDE no 3 | LIQUIDE ne 4 | LIQUIDE no 5

aes D | EL | me

MICROBES | Ammon,.|Ac. v.|Ammon.|Ac. v.| Ammon. |Ac. v.|Ammon.|Ac. v.|Ammon.|Ac, v. gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr.

A 0,0030| 3,09 |+-0,0198| 3,09 |+0,0035| 2,15 |+-0,0043| 2,20 |+0.0020| 0.21

B —0,0014| 3,18 |0,0067| 3,21 |—0,0933| 1,93 0,0000! 3,35 |+0.0020! 0,28

C +-0.0032| 5,83 |<0,0047| 4,36 |0,0483| 3,45 |[—0,0070| 3,63 |+0.0039| 1,90

D +-0.,0304| 2,83 |+0,0136| 1,78 0,0000! 2,10 | 0,0062| 2,10 |+0,0116| 0.60

E 4-0,0180| 2,88 |+0,0029! 3,15 |+0,0545! 2,70 |—0.0050| 3,17 |+0,0108| 0,42 |

On voit que la production d’ammoniaque est loin d'être en relation avec l'intensité du développement des microbes; elle varie à la fois avec la nature des organismes et avec la compo- silion du milieu ils vivent. À part deux ou trois cas cetle produelion d’ammoniaque a varié de 30 à 50 milligrammes par litre, les autres différences positives sont généralement assez faibles, mais les différences négatives le sont encore plus. Cependant, dans d'autres conditions, certains de ces organismes peuvent faire disparaître l’ammoniaque du milieu en beaucoup plus grande quantité. Ainsi, en cultivant le microbe A dans du moût de raisins rouges exposé à l'air, son existence a été surtout aérobie, on a constaté qu'après avoir consommé 50 grammes de sucre par litre, il avait absorbé presque la totalité de lammoniaque que contenait le moût, soit une diffé- rence de O8".111 05,007 05,104.

Par contre, ce même microbe, ayant vécu dans du moût de raisin saturé de gaz carbonique, a produit 0#",118 d’ammoniaque après avoir fait disparaître une quantité de sucre voisine de la précédente.

Dans ces mêmes conditions, le microbe C qui a donné la différence négative la plus grande dans l’expérience précédente, a fait auzmenter la proportion d’ammoniaque du moût de 0£,054 par litre.

Les propriétés de ces microbes peuvent done varier beaucoup avec les conditions du milieu, et, par suite, l'effet de leur déve-

1. Les chiffres que l’on trouve dans le dosage de l’ammoniaque par la méthode indiquée, expriment en Az H3 toutes les bases volatiles chassées du liquide con-

sidéré, parmi lesquelles il peut y avoir des ammoniaques composées, qui sont des productions microbiennes assez fréquentes.

ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 933

loppement pourra être différent suivant le moment il se fera abondamment au cours de la vinification.

Ainsi s'expliquent, par exemple, les variations, dans un sens ou dans l'autre, des quantités d’ammoniaque trouvées par MM. Muntz et Rousseaux dans les vins pris au commencement el à la fin du premier ou du second pressurage, par rapport à la quantité qui existait dans les vins de coule.

En somme, on peut conclure que les microbes qui se déve- loppent pendant une fermentation vineuse peuvent en général avoir une influence double sur l’augmentation de la proportion d'ammoniaque que renfermera le vin :

En gènant la multiplication de la levure, et par consé- quent l'assimilation de lammoniaque contenue primilivement dans le moût ;

En produisant eux-mêmes des quantités plus ou moins grandes d’ammoniaque.

Ces deux influences peuvent naturellement s'ajouter, et je pourrais citer des résultats d'expériences la quantité d’ammo- niaque qui existait dans le liquide fermenté était supérieure à la quantité initiale du moût, mais ce sont des cas que l’on peut considérer comme tout à fait anormaux, car ils nécessitent un développement très important des microbes, et par suite une altération du vin qui atteint rarement un degré aussi grand dans la pratique.

Si on remarque même les chiffres d'acidité volatile inscrits dans les deux derniers tableaux, on voit que les vins qui les contiendraient seraient pour la plupart complètement perdus pour la consommation et bons seulement pour être dis- ullés.

On voit en outre, en comparant les quantités d’ammoniaque produites dans les vins du dernier tableau et celles qui existent dans ceux du précédent, qu'il y a le plus souvent un écart considérable, qui prouve que l'influence prépondérante des microbes sur la proportion d’ammoniaque restante est la gène qu'ils apportent au développement de la levure.

Il est évident que ces remarques ne s'appliquent qu'aux microbes que j'ai étudiés, et, comme il y a déjà entre eux des différences notables au point de vue de la production d’ammo- niaque, on peut admettre qu'il en existe d’autres qui, dans les

934 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

mêmes conditions, en produiraient davantage ou bien qui en donneraient autant sans déterminer des altérations du vin aussi importantes. D

V

Les résultats des recherches qui précèdent permettront, je crois, d'expliquer la présence des doses variables d’ammoniaque que l'on trouve dans les vins normaux et dans les vins défec- tueux.

Vins normaux. Je considérerai d’abord des vins parfaite- ment sains au goût et bien constitués, provenant principalement du département de la Gironde, les uns très jeunes, sortant presque de la cuve, les autres plus âgés et conservés par les pratiques ordinaires usitées dans notre région.

Comme les vins en général, même ceux qui sont parfaite- ment réussis, ont subi un peu l'influence du développement des ferments de maladie, soit dans la cuve, soit pendant leur conser- valion, pour apprécier cette influence, j'ai dosé, en même temps que l’ammoniaque, leur acidité volatile, et j'ai trouvé les chiffres suivants :

ACIDITÉ 1

ORIGINE DES VINS VOLATILE A OMOAIOQRE par litre. par litre. IMDOrEPUTONEEEERe Er 1897 Os,66 Osr,0231 es PAMONTAVE IEEE EEE 0 70 0 062 = LED, EU 0000 0 48 0 0077 e | AMD ALES LM RER 0 37 0 0036 es ESSINES EE REENET PEN 1896 | O0 62 0 0136 SMRONGES RS in EloubeS pen 0 66 0 030$ = Villenave d'Ornon.... 0 70 0 O1S5 se Hibourne er ere 1895 0 88 0 0154 A Bla ver A at 0 56 0 0255 A Saint-Emilion. ........ 1893 (DATE: 0 0267 = \ NE ARR 0 85 O0 0277 ICS CGRÉON EEE EP RES 0 50 0 0068 BLANCS Leocnanpe nent 0 45 0 0085 DORDOGNE... | BeNCErAC AA EPA CU 1897 |" 0.50 0 0036 AUDE PEAR Saint Coude ere bb] 0 0281

On voit que parmi ces vins, pris tout à fait au hasard, il n'y en a qu'un très petit nombre qui ne contient que des traces

ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 3)

d'ammoniaque ‘; la majorité, au contraire, en a des quantités très appréciables qu'il serait difficile d'imputer à l'action seule des ferments d’altération, mais qui s'expliquent surtout par les autres raisons qui ont été indiquées.

C'est encore quelques-unes de ces raisons qui permettent d'accorder au mode de vinification quelque influence sur Îles différences constatées. Ainsi, les vins de 1897, de Léognan, d'Ambarès et de Bergerac, que je sais sûrement avoir été faits dans des cuves ouvertes, contiennent les quantités les plus faibles d'ammoniaque et pareilles à celles que l’on trouve dans les vins blancs fermentés en barriques. Dans ces deux derniers modes de vinification, les conditions de la fermentalion étant plus favorables que dans les cuves fermées à la vie de la levure, celle-ci a mieux utilisé les matières azotées que lui offrait le moût.

Vins défectueux. Les vins défectueux peuvent se diviser en deux groupes, le premier comprenant les vins anormaux par suite d'accidents survenus soit à la récolte, soit à la fermenta- tion, le deuxième étant constitué par les vins altérés pendant leur conservation.

Vins accidentellement anormaux. W s’agit de vins dou- ceâtres, mannitéset cassés, pour lesquels MM. Müntzet Rousseaux ont trouvé que la quantité d’ammoniaque qu'ils renferment est supérieure à celle que contiennent des vins analogues, de cons- titution normale. Cette relation entre l’état défectueux et la proportion d’ammoniaque peut s'expliquer fort bien par les recherches ci-dessus.

En effet, les vins douceûtres étant le résultat d’un arrêt de la fermentation sous l'influence d’une température trop élevée existant dans la cuve, si la levure est d’abord gènée dans son développement, puis paralysée complètement, l'assimilation de l’'ammoniaque du moût ne peut, par suite, être complète, et une quantité plus ou moins grande de cette base doit se retrouver forcément dans le vin doux.

Cette explication suppose, bien entendu, que les ferments d’altérations n'ont pas pris la place de la levure, ce qui est assez rare, mais généralement c’est le contraire qui arrive et l’on obtient alors des vins mannités.

1. M. Manceau a trouvé des résultats analogues pour des vins de Champagne de bonne conservation.

536 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Je rappellerai ici que tous les microbes que j'ai étudiés plus haut sont des ferments manniliques ; aussi les vins qui ont donné les résultats du tableau de la page 529, étaient tous for- tement mannités. Par conséquent, les conclusions qui ont été tirées de ces expériences s'appliquent d’une manière générale à tous les vins mannités qui se produisent dans la pratique.

Quant aux vins cassables, la relation indiquée par MM. Muntz et Rousseaux entre leur état maladif et la quantité d'ammoniaque qu'ils contiennent ne parait pas pouvoir s'expliquer par les résultats des expériences que j'ai faites, s’il s’agit de vins con- tenant simplement de l’oxydase et non envahis par des microbes. Mais comme les vins sujets à la casse ont, depuis leur naissance même, une constitution débile, due à l’influence de la pourriture grise (Botrylis cinerea) du raisin, ils constituent un milieu très favorable au développement de ces microbes, lequel dans ce cas peul êlre une source d'ammoniaque.

J'ai dosé l’ammoniaque dans un certain nombre de vins rouges cassables et de vins blancs de Sauternes, toujours cassables comme on sait, puisqu'ils sont faits avec des raisins atteints de pourriture noble, produite également par le Botrytis cinerea. Les échantillons de ces derniers, pris après le premier soulirage, avaient été choisis parmi ceux qui ne contenaient plus que de très petiles quautilés de sucre, leur fermentation pouvant êlre considérée comme terminée. Le tableau suivant donne l'acidité volatile et l’'ammoniaque trouvée dans ces vins:

ÉCHANTILLONS ACIDITÉ VOLATILE | AMMONIAQUE DIVERS par litre. par litre. (ANS Osr,65 O2r,0223 VINS ROUGES No 2. 0 65 0 O145 2 l 3. 0 50 0 0289 No 1. 0 42 0 0289 VINS BLANCS ! Ne 2. 0 83 O0 0289 l No 35. 0 89 0 0326 0 217 MOYENNE » 0 0231

On voit que la moyenne des quantités d'ammoniaque dosées dans ces vins ne s'écarte pas de celle que l’on a trouvée dans les

ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 37

vins normaux; elle est d’ailleurs identique à celle qu'ont trouvée MM. Müntz et Rousseaux, dans les vins les plus cassables qu'ils ont examinés.

L'acidité volatile des vins rouges indique qu'ils avaient peu souflert de l’action des microbes, tandis que les vins blancs paraissaient plus atteints ; mais une acidité volatiie élevée n'est pas ordinairement anormale pour les vins de Sauternes, car elle provient en partie de celle que contient le moût lui-même avant la fermentation, et qui est fournie par les grains de raisins aigris existant toujours en pelite proportion.

Les quantités d’ammoniaque contenues dans les vins de Sauternes que j'ai analysés, paraissent cependant assez élevées par rapport à celles qui existent dans les vins blancs ordinaires. Je n'examinerai pas de plus près celte remarque, car elle rentre dans un cas particulier. La fermentation des moûts de Sauter- nes ne peut pas, en effet, être assimilée complètement à la fer- mentalion d'in moût ordinaire, puisque le milieu se trouve notablement modifié par l’action du Botrytis cinerea sur le jus des raisins. Ce que l’on peut dire cependant, c’est que ce cham- pignon ne peut augmenter la richesse ammoniacale des moûts, car l'expérience prouve, au contraire, qu'il absorbe très facilement l’ammoniaque de tous les milieux de cullure ; il n'y a pas d’ex- ceplion pour le moût du raisin, comme l'ont montré au com- mencement de ce travail les dosages faits sur les moût moisis et non mOoISsIs.

20 Vins altérés pendant leur conservation. Parmi les vins de cette catégorie, j'étudicrai les vins fleuris, piqués, tournés el amers".

Vans fleuris et piqués. Le mycoderma vini et le mycoderma aceli ullisent avidement, en se développant sur le vin, lammo- niaque qu'it peut contenir nalurellement ou celle qu’on peut y ajouter. Ainsi, on a ensemencé ces deux organismes séparément sur un vin contenant primitivement 0,025 d'ammoniaque par litre, et sur le même vin dont la richesse ammoniacale avait été portée à 0#,0708 par litre. Au bout de ciuqg jours, dans tous les

1. La production d’ammoniaque pendant la maladie de la graisse vient d’être démontrée par M, Manceau, qui a constaté dans un vin gras une augmentation de 60 milligrammes d’ammoniaque par litre au bout de six mois. (Voir son rapport sur les dosages de l'acidité volatile et de l’ammoniaque dans les vins de Champagne, Bulletin de la Société des Viticulteurs de France et d'ampélographie, 7, 1898.)

538 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

cas, 1l ne restait plus que quelques milligrammes d’ammoniaque dans le vin: le reste avait été Pue dans la formation de voiles mycodermiques abondants.

Dans une autre expérience, on a suivi la disparition pro- gressive de l’ammoniaque en même temps que les progrès de l’altération du vin, et on a obtenu les chiffres ci-après :

e

MISONRERS VINI

=

Acidité totale. ce mt oo. Alcool.

MYCODERMA ACETI

TT ——

OBSERVATIONS

| Az Acidité totale. AzU3

Vin primitif.| 5er,30 Oer, 1028 Ber,30 Osr,1028

0398 28 40

Après 3 jours 2 9 6 ()

Après 6 jours 0 0034 48 90

La consommation de l’ammoniaque a donc été très rapide, surtout avec le mycoderma vini.

Vins tournés et amers. J'ai réuni daus le tableau suivant les résultats des dosages d'acidité volatile, d'azote total et d’ammoniaque, relatifs à quelques vins lournés et amers, géné- ralement assez vieux, en bouteille.

VINS TOURNÉS ACIDITE AZOTE AMMONIAQUE VOLATILE TOTAL ET AMERS par litre. par litret. RS Le 1884 9er,03 Osr,426 0:r,0540 1886 #4 Gin 0 510 0 0561 VINS TOURNÉS.... 1893 4 3% OM 0 0782 1894 { 60 0 546 0 0980 1895 1 76 0 574 0 1054 MONENNES ne 2 2009 0 497 0 0783 1 1872 DETS 0 140 0 0093 | 1881 1 66 0 259 0 0217 VINS AMERS...... (1882 D AauliT (Our 0 0120 | 1893 Ori 0 284 0 . 0224 1893 (035 0 245 0 0108 MOVENNES MERS. 1 70 0 221 0 0152

1. Les chiffres de cette colonne sont de même ordre que ceux publiés par M. Müntz, pour les vins de la Gironde, dans son ouvrage intitulé: Les vignes, recherches expérimentales sur leur culture et leur exploitation. l’aris, 1895. Voir

aussi :

Étude sur la fermentation alcoolique du vin, par ManriNan». Paris, 1893.

ÉTUDE DE L'AZOTE DANS LE VIN 939

On voit que la proportion d’ammoniaque ne dépend pas de l'importance de l’altération, puisque, pour les vins amers notam- ment, ce sont les moins altérés qui en renferment le plus.

Je suis même porté à croire que, dans ce dernier cas, non seulement les quantités trouvées n’ont pas été produites par les microbes, mais que, pour quelques vins, elles sont plus faibles que les quantités contenues au début après la fermentation.

Avec les vins tournés, la production d’ammoniaque au cours de l’altération est évidente ; je puis même citer un exemple très démonstralif, se rapportant à un vin de 1893, mis en 1894 dans deux bouteilles, dont l’une, qui avait été chauffée à 60° et servait de témoin, s’élait parfailement conservée, tandis que l’autre était complètement tournée. L'analyse des deux échantillons a donné les résultats suivants :

Acidité volatile Ammoniaque par litre. par litre. Échantillon témoin............. Ogr, 60 Ogr, 0278 EÉchantillon tourné..…......... re SUIS 0, 0451

[y a donc eu 21,58 d’acidité volatile el 0#,0173 d’ammoniaque produits, soit 0,15 d'acidité volatile par milligr. d'ammo- niaque, proportion qui est également la moyenne des produc- tions positives du tableau de la page 532.

Si nous appliquons ce rapport aux vins de la page 534, le cal- cul montre que l’on ne peut attribuer aux microbes ayant vécu dans ces vins qu'une part très faible dans la proportion d'ammo- niaque qu'ils renferment.

En comparant les moyennes du tableau ci-dessus, on voit que tous les chiffres sont plus élevés pour les vins tournés que pour les vins amers. Celle remarque avait déjà été faite depuis long- temps pour l'acidité volatile, mais pour l'azote Lotal c’est un fait nouveau qui serait intéressant s'il était généralisé.

Il semble, en effet, qu'il pourrait y avoir une relation entre la quantité d'azote contenue dans le vin, et la nature de la ma- ladie qui l’atteint, tourre ou amertume. De sorte que si l’on abandonne un peu l’idée de spécificité des organismes détermi- nant ces maladies, l'influence de la composition du milieu sur la physiologie de ces êtres ressortlirait ici comme pour les expé- riences de la page 532. D'autre part, la maladie de l’amertume

940 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

élant beaucoup plus rare parmi les vins de la Gironde que celle de la tourne, on comprend facilement l'intérêt qui s'attache à une pareille étude, dont les résullats pourraient très bien être applicables à la viticullure et à la vinification de notre région,

VI

En résumé, ce travail montre que l’utilisation partielle des malériaux azotés du moût de raisin par les levures de la fermen- lalion vinique est sujelle à des variations qui dépendent d'abord de la nature de ces levures et des conditions physiques et chimiques de la fermentation agissant sur leur nutrition, et eusuite de l'influence qu'exercent, sur le milieu fermenutescible et sur la levure, les fermeuts de maladie se développant en mème temps qu'elle.

D'une manière générale, l’ammoniaque contenue naturelle- ment dans le moût de raisin est ulilisée avec avidité par les levures, comme l'avait déjà montré M. Duclaux, mais 1l peut en rester dans le vin des quantités plus ou moins grandes, en rela- lion avec la richesse ammoniacale et la nature du moût, et avec les facteurs indiqués ci dessus, parmi lesquels les microbes peuvent jouer un rôle prépondérant.

Les maladies qui altèrent le vin pendant sa conservation font varier dans un sens ou dans l’autre la proportion d’ammoniaque qu'il renferme à sa sorlie de la cuve. Dans les vins fleuris et piqués, cetle proportion diminue, tandis qu'elle augmente dans les vins lournés; elle ne paraîil pas varier beaucoup dans les vins amers.

Le dosage de l’ammoniaque dans uu vin riche en acidité vo- latile et non amer permettra donc d’avoir une preuve très voi- sine de la certitude pour dire si celte acidité est due à la piqûre ou à la tourne, saus être obligé d'appliquer la méthode de M. Duclaux pour la détermination des acides volatils contenus dans le vin.

INSTITUT PASTEUR DE RIO-DE-JANEIRO

Statistique du traitement préventif de la rage (9 février 1888 au 30 avril 1898).

Par Le Dr FERREIRA pos SanTos.

Les premières inoculations antirabiques à l'Institut de Rio-de- Janeiro (Brésil) datent du 9 février de l’année 1888.

Pendant la période écoulée jusqu'au 30 avril de l'année cou- rante, le nombre des personnes qui se sont présentées à l'Ins- titut a été de 3,973, dont 2.647 ont été admises en traitement et 1,326 ne furent pas inoculées, parce que, pour presque toutes, les animaux mordeurs n'étaient pas enragés.

Le tableau suivant montre, pour chaque année, le nombre des personnes qui ont eu recours à l’Institut :

Personnes Personnes Années. traitées. non traitées. 1888 105 121 1889 90 100 1890 158 92 1891 242 114 1892 207 113 1893 241 119 1894 344 137 1895 402 41 29 1896 331 158 1897 397 169 1898 124 74 Total 2,647 1,326

Comme on le voit, parmi les 3,973 personnes venues à l'Ins- titut, le traitement préventif n'a pas été appliqué à 1,326, pour les motifs suivants :

1,176 avaient été mordues par des animaux en état de santé ;

51 n'avaient pas reçu de morsures, mais seulement des con-

042 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tusions par les dents des animaux, sans aucune solution de con- tinuité les exposant à l'infection ;

9 avaient été mordues par des animaux qui furent atteints de la rage longtemps après la morsure ;

4 ont été blessées par des animaux atteints de maladies autres que la rage, vériliées par l'examen vétérinaire ;

2 ne se sont pas présentées à l’Institut ;

3 ont été apportées à l’Institut en état de rage déclarée ;

59 n'ont pas voulu suivre le traitement qui leur avait été proposé, car les animaux étaient suspects, et, dans ce nombre, une personne a succombé à la rage.

Voie les détails concernant les 2,647 personnes auxquelles celte statistique se rapporte :

Au point de vue du sere, 11 y a eu:

1,987 personnes du sexe masculin, dont 1,107 adalles et 880 enfants. 660 » ) féminin, dont 321 adultes et 339 enfants.

Au point de vue de l'âge, 11 y à eu :

DOSqQU'a POLANS, LEE ILE REA ENS PARR 279 Den 6 TONNES LAN ER RTE RAR Re BI DEA A Tee ER En NE EP TA 465 D'ERTE SAR ON ARR ARR OR ARE QU Ten 235 Den AS 0 NU Re Te RER RARE TS NE t 2 403 ASS (UN RE EEE NE PT Es 354 DÉMO OS NE Mme re En ie TU rE Le 217 De AA CODE EL AN Re RE ea ee A Eee 108 DetCAN TON OR RE En RE RNA RP 55 AUSdeSSUSIE MDI SERPENT 14

Au point de vue de la nationalité, il y a eu:

Brésiliens:#519979 SUISSES re 4 Portugais... 431 Argentins .... 4 Italiens or Suédois... 1 Espagnols... )9 Polonais .,... 1 Erancais #7 21 Arabes "tree il Africains...... 19 RUSSE il Allemands.... Al Rép. Orientale 1 Belges 15.1: 3 Anblals Peer di)

Autrichiens... 3

L'INSTITUT PASTEUR DE RIO-DE-JANEIRO) D43

Au point de vue du siège, les morsures sont divisées en six groupes, à Savoir :

Marsurestamanteter is Lu Mu mue 240 UNS aan tre ot 906

aux membres supérieurs........ 468

aux membres inférieurs........ 869 AURA ONC RME RS A Te nt 129

= en plusieurs endroits du corps.. 39

Au point de vue de la cautérisation, 11 y a eu :

Cautérisation efficace............. 96 cas. Hon’elfficace .: "Se: TIRE Pas de cautérisalion: #2. 1,304

Chez 1,900 personnes, les morsures ont été faites à décou- vert: chez 747 personnes, les vêtements ont été déchirés.

Les animaux mordeurs ont été :

CHIENS ER SR CR Nr 2,344 DISC EME PR RARE PERS 280 SD OS ARE AS SP PRES 4 MES Re Eee a RS re 2 Cheval RM ER il À AO SOS A EL PE ES 1 NE NS EPS A ete ae l

Enoutre-11y a eu:

10 cas, dans lesquels le traitement préventif a été appli- qué à la suite de piqûres survenues dans le travail du labora- Loire ;

3 cas, des personnes, porlant aux mains des plaies acei- dentelles, ont été exposées à la contamination par la bave d’ani- maux enragés;

1 cas, une personne a été mordue par une autre qui était atteinte de la rage.

Quant à l’état des animaux mordeurs, les cas traités à l'Institut sont répartis en trois catégories, à savoir :

544 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

A 236 personnes ont été mordues par des animaux dont la rage a été vérifiée expérimentalement ;

B 1,173 personnes ontété mordues par des animaux dont la rage a élé reconnue par les symptômes de la maladie ;

C 1,238 personnes ont été mordues par des animaux dont l'état était si suspect que, par rapport à la plupart, la rage pou- vait être affirmée.

RÉSULTAT DU TRAITEMENT.

Pour que les résultats de l'application du traitement préven- lif de la rage soient appréciés dans toute leur rigueur, il faut retrancher, du nombre total des personnes inoculées, les cas suivants :

30 dans lesquels les inoculations ont été suspendues, parce qu'on apu trouver les animaux mordeurs et vérifier qu’ils n'étaient pas enragés ni suspects ;

65 qui se rapportent à des personnes qui ont abandonné le traitement, et dans ce nombre, il y a eu trois cas de rage ;

6 concernant des personnes qui furent prises de rage au cours des inoculations. Dans ce nombre, il y avait cinq personnes très gravement mordues à la tête, etune à la main, qui, n'étant venue se faire soigner qu'au 21° jour de l'incubation, n’a reçu que deux inoculations, car la rage a éclaté le 23° jour ;

5 se rapportant à des personnes qui sont mortes de maladies diverses, dont la nature n’éveillait aucun soupçon par rapport à la rage.

En retranchant ces 106 cas du total de 2,647 personnes, ce chiffre se trouve réduit à 2,541 personnes ayant subi la vacei- nation antirabique. Parmi ces personnes, il y a eu vingt décès par la rage, ce qui donne, pour la proportion totale de la morta- lité, 0,78 0/0.

Si on retranche des 20 cas de mort qui viennent d’être signa- lés neuf cas dans lesquels la rage est survenue avant le 15° jour de la fin du traitement, c’est-à-dire avant que les vaccinations aient pu produire leur résultat efficace, la statistique définitive de l’Institut de Rio-de-Janeiro, pendant une période de plus de dix ans, est la suivante :

©c Æ ©t.

L'INSTITUT PASTEUR DE RIO-DE-JANEÏIRO.

Personnes traitées........ 2,532 RDS ie te su nee euh 11 Mortalité 0/00 1... 0,43

La proportion des morts, considérée par rapport au siège des morsures, a été celle qui suit :

Morsures td lartéte ete RER es 4, de 3 soit : 4,25 0/0 —- AUX ANAINS Are oder eds » 4 0,44 0/0 aux membres supérieurs... 1 0,21 0/0 inférieurs. .... 2 0,23 0/0 AUTO RE EN Aa mea ee eee il 0,80 0/0 HUIHPIES Et eee à de 0 0, 0/0

La méthode de vaccination antirabique à l'Institut de Rio-de- Janeiro est celle qui est établie par l'Institut Pasteur de Paris. Il n’y a que de légères modifications dans quelques détails, que je signalerai rapidement.

Les inoculations ont lieu à 8 heures du matin; dans cer- tains cas, comme ceux de morsures à la tête ou de blessures un peu anciennes, une deuxième inoculation est appliquée à 5 heures du soir, pendant les deux ou trois premiers jours du traite- mené.

Les moelles employées sont celles de 14à 3 jours; cependant, dans les cas plus dangereux, 1l faut arriver à celle de 2 jours, surtout en été, car la chaleur qui dessèche les moelles étant au- dessus de 23°, il convient de compenser l'effet de l'excès de température par l'inoculation d'une dernière moelle exposée moins longtemps à la dessiccation.

Pour l’inoculation des lapins, je me sers toujours du virus de passage provenant des séries de lapins inoculés à Paris, le 2 juil- let 1887, avec le virus du 152 passage. Je suis arrivé au 512° passage, et les lapins sont toujours pris le jour ; les séries 153 à 512 n'ont pas été interrompues.

Comme les lapins sont peu abondants à Rio-de-Janeiro, il m'a fallu restreindre le nombre des animaux inoculés. Dans le commencement, je trépanais deux lapins par jour ; je me suis, ensuite, arrêté à un seul lapin par jour, et, plus tard, le manque de lapins ayant augmenté, je me suis tenu à la pratique actuelle, laquelle consiste dans l’inoculation de quatre lapins par semaine.

39

546 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Chaque animal fournit deux morceaux de moelle, de 8 à 10 cen- timètres de longueur, dont un est immédiatement suspendu dans un flacon contenant du chlorure de calcium, et l’autre est déposé, à la glacière pour être suspendu le lendemain.

Pour délayer les moelles, j’ai adopté, de préférence au bouil- lon de veau, une solution à 1 0/0 de chlorure de sodium pur dans de l’eau filtrée et stérilisée. Avec l’eau salée, les inocula- ‘ions sont parfaitement supportées, même par les personnes es plus délicates, parce qu’elles ne sont pas douloureuses ou, s'il y a un peu de douleur, elle est très légère.

D' FErREIRA pos Sanros.

Rio-de-Janeiro, le 25 mai 1898.

REVUES ET ANALYSES

BES A LBUMINOLDES

Il a été question, jusqu’à présent, des essais d'analyse des albumi- noïdes par les ferments; il reste à traiter des résultats obtenus par l'action sur ces substances des bases et des acides forts. L'étude détail- lée de l'hydrolyse des albuminoïdes par l’hydrate de baryte à haute tempéralure a été l’œuvre de Schützenberger, et nous devons à ce savant un ensemblede vuesingénieuses sur la constitution del’albumine.

Les travaux de Schützenberger sont trop connus pour que j'en fasse ici l'exposé. Ils ont d’ailleurs été résumés dans les Annales par Duclaux en 1891. L'idée maîtresse qui s’en dégage, c’est que l’albu- mine résulte de la soudure d’un grand nombre d’acides amidés, sou- dure indirecte en ce que l'union se fait par l’interposition d’un certain nombre de molécules d’urée ou d’oxamide. Les résultats de Schützen- berger n’ont pas, que je sache, été modifiés par des travaux plus récents, faits suivant la même méthode. La plupart des savants qui, dans ces dernières années, ont fait l’attaque des albuminoïdes, Pont opérée par les acides forts, suivant en cela la voie tracée par Hlasi- wetz et Habermann.

Parmi ces savants, il faut distinguer entre ceux qui se sont occupés de la recherche spéciale d’un chaînon de la grande molécule, qu'ils tâchaient de mettre en liberté et d'isoler des autres produits d’hydro- lyse, et ceux qui, comme Drechsel, ont essayé de faire le bilan complet des produits de destruction et sont arrivés par cette voie à découvrir, parmi ces produits de décomposition, des composés inconnus Jjus- qu’alors. Dans les recherches faites suivant la première direction, deux points principaux ont été étudiés surtout : la question du soufre des albuminoïdes et celle de leur chaînon sucré, On admet aujourd’hui que les albumines contiennent généralement du soufre dans leur molé- cule. Une exception à cette règle serait constituée, d’après Nencki, par certaines protéines extraites, soit de microbes de putréfaction, soit des spores charbonneuses. Il serait d'ailleurs à prouver dans ce cas que du soufre, très faiblement uni au complexe moléculaire, ne s’est pas déta- ché pendant la préparation de la protéine.

548 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Depuis 1848 on admet, avec Fleitmann, à l'encontre de l’ancienne opinion de Mulder, qu’il y a lieu de distinguer dans la molécule de lal- bumine deux modes de combinaison du soufre. Une partie du soufre est attachée faiblement et se détache à l’état de sulfure par l’action des solutions de potasse et de soude à l'ébullition; l’autre, plus forte- ment combinée, ne se retrouve à l’état de sulfate qu'après incinéralion de l’albumine résiduelle avec le mélange de salpêtre et d’hydrate potas- sique. On appelle souvent à tort celte partie : soufre oxydé, en oppo- sition avec le soufre non oxydé; il est plus exact de parler, comme Krüger, de soufre facile et de soufre difficile à détacher. Ces résultats de Fleitmann, confirméset étendus aux principales albumines par Nasse, Danilewski, Krüger, Suter, Malerba, affirment donc un premier fait important : c’est qu’il y a au moins deux atomes de S dans la molécule de l’albumine, combinés différemment aux atomes voisins. Cette règle n'est d’ailleurs pas constante, car différentsalbuminoïdes ne donnent pas de sulfure de plomb, quand on les soumet à l’aclion d’une lessive de potasse additionnée d’acétate plombique. Malerba cite parmi ces der- niers la caséine, la myosine, la gélatine, la chondrine, la nucléine, la globuline du sang. Krüger * adinet aussi que la légumine et probable- ment la caséine sont dans ce cas. Ces différents auteurs ont tâché de déterminer les quantités de soufre contenues dans les albuminoïdes, suivant l’une et l’autre forme. Mais leurs résultats, obtenus d’ailleurs d’après des méthodes différentes, sont discordants. Ilest certain, comme le fait remarquer Schülz *, que, suivant la méthode employée, on peut avoir des résullats totalement dissemblables; cet auteur met surtout en garde contre l’oxydation possible au contact de l'air des sulfures alcalins formés. Cette oxydation, qui produit des sulfites et des sulfates aux dépens des sulfures, a pour résultat la non précipitation de sul- fure de plomb, due à la solubilité des oxysels de plomb dans la potasse. Elle ne semble cependant pas devoir entraîner de grandes différences dans les résultats, si à la fin de l'opération la solution est acidifiée par l’acide acétique, ce qui aura pour résultat la précipitation du sulfate de plomb produit, et si le sulfure de plomb est pesé après transfor- mation en sulfate, comme dans la méthode de Fleitmann. Si, au con- traire, comme semble l'avoir fait Malerba ‘, la séparation du sulfure de plomb et du liquide alcalin surnageant s’opère sans acidification préalable, il se pourrait, dans le cas d'attaque difficile et prolongée au contact de l’air, que le soufre, s’oxydant au fur et à mesure de sa mise en liberté, reslât complètement en solution sous forme de sulfate de plomb, et échappât par conséquent à l'analyse. Faut-il attribuer à cette

1. Cité d’après Scnuzz et d’après Maly's Jahresbericht, f. Thierchemie, 1884. 2. Pflüger’s Archiv., t. 43. 3. Zeitschrift f. Physiol. Chemie, Bd XXIV.

REVUES ET ANALYSES. D49

raison le fait que Malerba ne trouve pas de soufre labile dans la glo- buline du sérum, alors que Schülz, agissant en milieu réducteur, trouve que la moitié du soufre de cette albumine appartient à la forme labile? Ou bien l’action réductrice du milieu ne peut-elle pas avoir influencé la liaison d’un des atomes de soufre de la protéine et facilité sa mise en liberté? C’est ce qu’il semble difficile de décider tant que des recherches qualitatives n'auront pas établi sous quelle forme le soufre se trouve lié dans les albumines.

Des efforts intéressants faits dans cette direction ont fixé certains résultats. Ainsi, Krüger, ayant, dans ses recherches préliminaires, soumis à l’action de la potasse additionnée d’acétate plombique diffé- rents composés organiques sulfurés bien définis, conclut de ses recherches que :

Les combinaisons du type

| SH ne cèdent généralement pas leur soufre; si, cependant le C porte en même temps un oxygène O—C—SH (thioacides) ou un groupe amidé

|

Az? C—SH | Î

(cystéine), le soufre devient labile;

20 Le soufre est cédé aux alcalis par les molécules du type

St; 30 Les molécules du type =V—=ot=

sont décomposées en partie, mais sans formation de sulfure;

19 Les molécules du type

=C—S—S—C—=

contiennent du $ labile, à moins que le C ne soit uni à O.

Il résulte avant tout de ces recherches que le plus ou moins de sta- bilité de l’atome de S ne dépend pas fatalement de ce qu'il est ou non combiné à de l’oxygène, comme on le croyait précédemment. Il n’en est pas moins vrai que l’oxydation de la molécule d’albumine par le permanganate de potassium ou par l'iode * a pour premier résultat de rendre stabile tout le soufre de l’albuminoïde,

4. Mary, Sitsungsberichte der Kaïiserlichen Akademie der Wissenschaften.

Wien, 1885 et 1888. 2. Hormeister, Zeitschrift f. Physiol, Chemie, Bd. XXIV.

990 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Le soufre résultant de la désintégration des albuminoïdes consti- tuant les tissus des animaux est éliminé dans la biie sous forme de taurine de formule H,Az CH, CH, SO,H. Dans les urines, on le trouve représenté surtout par les acides sulfo-conjugués de Baumann, combinaison de radicaux aromatiques à l’acide sulfurique, et, partiel- lement par la cystine, le sulfocyanate de potassium et des corps inconnus. Parmi ces composés, un des plus intéressants est la cystine, qui résulte de la combinaison par oxydation, avec élimina- tion de deux atomes d'hydrogène, de deux molécules de cystéine. Cette dernière a pour formule H*C— C(SH)(AzH*)-— CO'H. Elle est de l'acide thiolactique amidé. Cette cystéine, ou plutôt la cys- tine qui en dérive en milieu alcalin, apparaît quelquefois en grande quantité dans les urines dans certains états pathologiques. On peut provoquer son élimination par l'urine du chien normal quand, à l'exemple. de Baumann et Preusse', on mélange à sa nourriture les dérivés monochlorés ou monobromés du benzol. Dans ces conditions apparaît dans l'urine une substance particulière, l'acide mercaptu- rique, contenant dans sa molécule une moléeule de cystéine dont l’hy- drogène du groupe SH est remplacé par le groupe CfBrH*. Baumann croit pouvoir conclure de ce fait que la cystéine est un produit intermédiaire de la désintégration des albuminoïdes, qui, dans les conditions normales, est oxydée elle-même et n'apparaît pas dans les urines. Le rôle du monobromobenzol est de s’unir à elle, au moment de sa mise en liberté, pour former une molécule stable que les oxydations organiques n’atteignent plus. Il était intéressant de recher- cher sa présence parmi les produits de désintégration de l’albumine par les acides. C’est ce qu’entreprit un élève de Baumann, Suter ?, qui ne trouva pas, à vrai dire, de cystéine, mais y découvrit un corps très rapproché, l’acide thiolactique. Cet acide, sous l'influence de la potasse additionnée d’acétate de plomb, donne à chaud un précipité abondant de sulfure de plomb. L’acide thiolactique ne fut pas obtenu directement des produits de destruction de l’albumine, il ne put en être isolé à l’état de liberté qu'après leur putréfaction. I semble s’y trouver en combinaison, et ne constitue par conséquent pas un des fragments immédiats de la destruction des albuminoïdes. Cet acide thiolactique, chauffé sur le bain-marie à l’ébullition, se décompose partiellement et émet des vapeurs dont l'odeur rappelle celle du sulfure d’éthyle (C°H°}S. Or Abel a découvert ce dernier corps dans l'urine du chien normal ?. Baumann émet l'hypothèse que ce sulfure d’éthyle pro- vient de l’acide thiolactique.

1. Zeitschrift für Physiologische Chemie. Bd. V. 2. Zeitschrift für Physiologische Chemie. Bd. V. 5. Zeitschrift für Physiologische Chemie. Bd. XX. 4. Zeilschrift für Physiologische Chemie. Bd. XX.

REVUES ET ANALYSES. Do

2 C*H°O*S = (C'H°}S + H°S + 2 CO:

D'autre part, Drechsel* croit retrouver le même sulfure d’éthyle parmi les gaz qui se dégagent dans l'attaque des albumines par les acides. Et, d'après lui, le précipité que l’on obtient quand on précipite par l’acide phosphotungsténique contient une base qui, en se décomposant, met en liberté du sulfure d’éthyle. Une telle base devrait appartenir à la série des composés sulfiniques, dans lesquels l'atome de soufre est tétravalent. Il serait intéressant de prouver définitivement l'existence de cet atome de soufre tétravalent dans la molécule des albumines.

Telles sont, brièvement résumées, les idées acquises récemment sur le soufre des albuminoïdes. (Comme il est facile de s’en rendre compte, nous en sommes encore à la période des tâtonnements, les quelques résultats acquis ouvrant la voie et indiquant certaines direc- tions aux travaux futurs.

On peut en dire autant du chainon sucré, qui, d’après l’opinion de beaucoup de chimistes, se trouve contenu dans la molécule protéinique. Il y a lieu ici de distinguer entre les albumines ordinaires, telles que albumine de l’œuf, du sérum, globulines diverses, etc., et certaines protéides En ce qui concerne les secondes, nous en connaissons actuel- lement un certain nombre, telles que la mucine vraie (Landwehr), la chondromucoïde (Schmiedeberg), les nucléines et nucléo-protéides (Kossel), qui, parmi leurs produits de décomposition, fournissent un ou plusieurs chaïnons sucrés. Mais il est admis que, chez ces composés, que l’on envisage comme formés par l'union d'un radical albuminoïde à un composé non protéinique, variable suivant les cas, c'est ce dernier qui fournit le sucre. Ces données laissaient donc ouverte la question posée précédemment.

Depuis longtemps, l’étude des échanges et des bilans nutritifs, tant physiologiques que pathologiques, a faitadmettre comme vraisemblable l'existence d’un groupe sucré chez les albumines ordinaires. Mais il manquait à cette idée une base chimique. Il est vrai que Schützen- berger avait obtenu, dans ses essais de désintégration de l’albumine par l'acide sulfurique, un corps privé d’azote, réduisant la liqueur de Fehling, qu’il ne décrit pas davantage. Mais ce manque d'identification avec un sucre quelconque, joint au fait que Schützenberger a employé dans des recherches une albumine insuffisamment purifiée, enlève à cette constatation tout caractère de certitude. Et cela d’autant plus que Mürner ?, confirmé par Salkowsky, a découvert récemment, dans le blanc d'œuf, une substance du groupe des mucines, l'ovomucoïde, qui, dans les conditions se plaçait Schülzenberger, fournit un corps réducteur, qui n’est pas un sucre.

1. Physiolog. Centralblatt, 1896. 2. Zeitschrift f. Phys. Chemie. Bd. XVII.

D92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Krukenberg, se basant sur la réduction à chaud de l’hydrate cui- vrique par les diverses albumines et albumoses, croit pouvoir en con- clure à l'existence du groupe sucré dans leur molécule. Drechsel !, qui a pu confirmer récemment ces résultats, fait ressortir avec raison que tous les composés, qui réduisent la liqueur de Febhling, ne sont pas des hydrates de carbone, et il exige, avant de se prononcer, l’isolement et l'identification du groupe réducteur. Mürner * aurait pu obtenir, par l’action de l’eau sur la globuline du sang de cheval, un corps gommeux, qui, traité par l’acide chlorhydrique dilué, aurait fourni, parmi les produits de sa destruction, une substance réductrice, donnant avec la phénylhydrazine un osazone de point de fusion : 1709-1720. La myo- sine, la paranucléine de l’œuf, l'ovalbumine, la sérumalbumine, le fibrinogène auraient fourni des résultats négatifs. Pavy *, dans un travail récent, attribue aux albumines la constitution de glucosides et il les considère comme contenant de façon constante dans leur molécule un groupe sucré, uni au radical qui constitue la peptone. Krawkow *, qui a répété les expériences de Pavy, fait ressortir l'insuffisance de la technique de cet auteur. Krawkow n’admet l'existence du groupe sucré que il peut, par la phénylhydrazine, provoquer la formation d’osazone. Il a pu constater cette production après l'attaque de l’albumine de l’œuf par les acides sulfurique et chlorhydrique de 3 à 5 0/0. Les dérivés de cette albumine oblenus par digestion pepsique ou par l’action des acides et des bases faibles, de même que la fibrine, la sérumalbumine, la sérumglobuline du bœuf, la lactalbumine, four- nissent également un osazone qui, pour tous, a le même point de fusion, 1830-1850. Au contraire la caséine, la gélatine, la vitelline, la légumine donnent un résultat négatif. Krawkow, en raison des quan- tités minimes de l’osazone produite, n'en a pas fait l’analyse. Ces résultats de Krawkow sont en contradiction en ce qui concerne l’albu- mine de l’œuf avec ceux de Mürner. D'autre part Spenzer * n’obtient pas d'osazone après l’attaque de l’ovalbumine suivant le procédé employé par Pavy, quand il emploie une albumine soigneusement purifiée, tandis que le résultat est positif quand il met en œuvre l’albumine ordinaire. Ce désaccord entre les divers auteurs qui ont étudié la question est d’autant plus étonnant que Hofmeister‘ a obtenu, par la destruction de son albumine cristallisée et traitement ultérieur par la phénylhydrazine, un osazone cristallisé en quantité telle que le poids de sucre correspondant représenterait environ 15 0/0 du poids de . Zeitschrift f. Phys. Chemie. Bd. XXI.

. Centralblatt f. Physiologie, 1894. . Pavy, Die Physiologie der Kohlehydrate, 1895. . Krawxkow, Pflüger's Archio. f. Physiologie, 1896.

. Zeitschrift f. Rhysiologische Chemie. Bd. XXIV. . Zeilschrift f. Physiologische Chemie. Bd. XXIV.

CO O7 À 9 RO

REVUES ET ANALYSES, D93

l’albumine. Malheureusement il n'est pas question des propriétés de cet osazone, et Hofmeister ne parle pas des résultats de son analyse.

En ce qui concerne les peptones, même incertitude : Siegfried déclare avoir obtenu parmi les produits de décomposition de l’anti- peptone, un hydrate de carbone, donnant un osazone qui n’est pas le glucososazone, fournissant également du furfurol, mais il n'arrive pas à le déterminer faute de substance. Par contre Pick *, en soumettant à l'épreuve de Molisch les deux peptones qu'il isole par un procédé nouveau, obtient pour l’une d'elles un résultat positif, pour l’autre, négatif.

Cette épreuve de Molisch, basée sur la mise en liberté de furfurol par l’action de l'acide sulfurique concentré, est posilive pour la plu- part des albumines. Tollens, Günther et de Chalmot*, avaient d'ailleurs obtenu des traces de furfurol par l’attaque de la caséine au moyen d'acide chlorhydrique et distillation consécutive. Wehmer et Tollens avaient montré précédemment que tandis que les hexoses et les subs- tances qui contiennent un chaïînon sucré de 6 atomes de carbone four- nissent de l’acide lévulinique par l’action de l’acide chlorhydrique, la fibrine et la caséine n’en donnent pas. De cette série parallèle de recherches, Tollens conclut que si l’albumine contient une très légère quantité de sucre, ce dernier est probablement une pentose et non une hexose.

L'ensemble de ces données aussi discordantes est décevant, et l’on compare involontairement la quantité de travaux parus au peu de certi- tude des notions acquises. La question ne sera tranchée définitivement que lorsque d’une albumine complètement purifiée on aura isolé un sucre chimiquement pur, déterminé par l'analyse élémentaire et par les principales réactions spécifiques de ce groupe de sub- slances,

Plus certaines et importantes sont les conclusions auxquelles sont arrivés les auteurs qui, à la suite de Drechsel, ont repris l'attaque des albuminoïdes par des acides forts. Hlasiwetz et Habermann ÿ ont obtenu, en traitant la caséine par l’acide chlorhydrique de concentra- tion moyenne, en présence de chlorure stanneux, les produits suivanis : leucine, tyrosine, acides glutamique, aspartique et ammoniaque. Horbaczewsky * retrouva les mêmes corps dans l’attaque de divers - Zeitschrift f. Physiologische Chemie. Bd. XXI.

. Zeitschrift f. Physiologische Chemie. Bd. XXIV. Maly's Jahresbericht f. Thierchemie, 1892. . Berichte der Deutsch. Chemisch. Gesellschaft, 19.

. Annal. Chem. Pharm. Bd. CLXIX. Wiener Akademische Sitsungsberichte. Bd, LXXX, 3 Abt.

S QT & % IN

D94 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

albuminoïdes et ajouta à leur liste lacide sulfhydrique. Schulze augmenta encore leur nombre en découvrant l'acide phényl-amido- propionique. Enfin, récemment, Cohn * aurait encore isolé un nouveau corps non encore complètement déterminé, qui serait strement un dérivé de la pyridine; fait intéressant, s’il se confirme, en raison de la nature pyridique de la plupart des alcaloï les.

Or, comme Schülzenberger, à côté de ces produits, en avait encore décrit une série d’autres, et que d’autre part le poids des fractions connues, obtenues par le traitement par les acides, n’égalait pas à beaucoup près le poids de l’albumine détruite, Drechsel ? se proposa de rechercher quels étaient les composés chimiques constituant le résidu non encore analysé. Il établit d’abord que l'attaque par les acides, à l'encontre de celle par la baryle, ne met jamais en liberté d'acide carbonique, ni oxalique, ni acétique. IT fallait donc que le résidu sirupeux, non cristallisable, de Hlasiwetz et Habermann fût constitué par des substances qui, sous l’influence des bases, mettent ces acides et particulièrement l’acide carbonique en liberté. Pour les isoler, Drechsel traita le résidu par l'acide phosphotungstique, et obtint un précipité volumineux, qui fut décomposé par la baryte à froid. Le liquide concentré par évaporation fournit par première cristallisation une base de formule

CHA EA O0 la lysine que Drechsel considéra comme de lacide caproïque diamidé. Les eaux mères, additionnées de nitrate d'argent, laissèrent déposer des cristaux d’un nitrate double d’argent et d’une nouvelle base, appe- lée lysatinine, de formule HS AZ

Enfin, par un procédé Bye Drechsel isola encore un (roISIÈME

corps de propriétés basiques, de formule CH Az 07 qui ne serait autre chose que de l'acide acétique diamidé

De ces trois bases, la seconde est la plus intéressante : soumise à l’action de la baryte à l’ébullition, elle est décomposée et parmi ses produits de décomposition apparait l’urée. Ainsi se retrouvait celte urée que déjà Béchamp crayait avoir obtenue par l'oxydation de l’albu- mine et que Schützenberger avait supposée exister dans la molécule protéinique, en raison du rapport existant entre les poids d’acide car- bonique et d'ammoniaque produit sous l’action de la baryte. Les résultats obtenus par Drechsel ont été étendus par ses élèves à divers

1. Berichte der Deutchem Chem. Gesellschaft, Bd. XVI.

2. Zeitschrift f. Physiol. Chemie Bd. XXII.

3. Archiv. f. Anatomie ü Physiologie. Physiol. Abteil, 1891.

4. Sitsungsheritche der Künigl. Sachs. Gesells. der Wissens. Bd XX.

REVUES ET ANALYSES. DDD

albuminoïdes. Fischer retrouva la lysine et la lysatinine parmi les pro- duits de décomposition de la gélatine. Siegfried étudia au même point de vue la conglutine, la fibrine du gluten, l’hémiprotéine (antialbu- mide de Kühne), l’ovalbumine et son produit d'oxydation par le per- manganate de potasse (acide oxyprotsulfonique). Toutes ces substances, altaquées par l’acide chlorhydrique, fournirent la lysine et la lysatinine. Il était intéressant de voir si la trypsine, dans son aclion énergique sur les albumines, met aussi les mêmes bases en liberté. Un autre élève de Drechsel, Hedin, obtint par la digestion pancréatique de la fibrine un résultat complètement positif. Quant à l’antipeptone, sur laquelle la trypsine n’a pas d’action, elle fournit la lysine et la Iysalinine, quand on l'attaque à 130° par l'acide chlorhydrique à 15 0/0 (Siegfried *). Ainsi futétablie la portée générale de la découverte de Drechseletl'impor- tance de ces bases au point de vue de la compréhension des albumines.

Les travaux récents ont apporté quelques modifications et des additions de grande valeur à ces premiers faits. Hedin *, continuant les recherches méthodiques de Drechsel, parvint par une modification du procédé de ce savant à mettre en évidence, parmi les produits de décom- position de la kératine, un corps basique qui n’y avait pas encore été décrit, de formule

GRH ASS 07 mais qui se trouva être identique à l’arginine, base organique extraite par Schulze et Steiger* des gemmules de lupin et de courge. Il isola la même arginine des produits de destruction de la gélatine, de la conglutine, de la nucléoalbumine du jaune d'œuf, de l’ovoalbumine, de la caséine, du sérum sanguin desséché.

Dans un travail postérieur‘, Hedin démontre que la lysatinine, obte- nue par le procédé primitif de Drechsel, est un mélange par parties égales de lysine et d’arginine. Or, quand on soumet celte arginine, comme l’avaient déjà démontré Schulze et Steiger *, à l'action de l’eau de baryle bouillante, elle est décomposée avec mise en liberté d'urée. Ce résultat, confirmé par Hedin, cadre donc avec l'observation faite arté- rieurement par Drechsel au sujet de la lysatinine. Iedin Ÿ, en poursui- vant l’analyse des produits de décomposition de la kératine, isola une troisième base, qui se trouva être identique à celle que Kossel avait obtenue précédemment dans l’hydrolyse d’une substance protéinique spéciale (protamine) et pour laquelle cet auteur avait établi la formule

CRTHENEARS ED . Archiv f. Anatom. und Physiol. Physiol. Abteil, 1894. . Zeitschrift f. Physiologische Chemie. Bd XX et XXI, p. 155, . Zeitschrift f. Physiolog. Chemie. Bd XI. . Zeitschrift f. Physiolog. Chemie. Bd XXI, p. 297.

. Berichtle der Deutschen chemischen Gesellsch. Bd XXIV. . Zeitschrift f. Phys. Chemie. Bd XXII. '

O D 2% NO

996 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

et proposé le nom d'histidine. La formule fut simplifiée plus tard de moitié CHARS AZ 707!

Le nombre des corps basiques extraits de la molécule des albumi- noïdes s'élevait donc à trois, et la constance de leur apparition parmi les produits de décomposition d’albuminoïdes fort différents rendait très grand Pintérêt s’atlachant à leur étude. Mais leur importance, au point de vue de la compréhension des albuminoïdes, vient surtout d’être mise en relief dans les travaux de Kossel sur les protamines.

C'est à Miescher que nous devons la découverte de la première protamine. Dans ses recherches sur la chimie du sperme du saumon, Miescher arriva à isoler les têtes des spermatozoïdes sous forme d’une poudre dense, blanche, en soumettant, à plusieurs reprises, le sperme à la centrifugation dans l’eau distillée. Les queues des spermatozoïdes gonflent et passent en solution, tandis que les têtes restent histologi- quement inaltérées. Ces têtes, après extraction par l’alcool et l’éther, se trouvent constituées en presque totalité (96 0/0) par une combinai- son bien définie d’un acide nucléique de formule

C9 H°: Az1# P‘ 0°? avec deux molécules d’une base de formule

CAHESASS 0

Cette base fut appelée protamine par Miescher. Pour la préparer, Miescher traitait cette combinaison par l’acide chlorhydrique dilué; la base passait en solution et l’acide nucléique restait comme résidu. Pour la purifier, il la précipitait à plusieurs reprises par le chlorure de platine et décomposait le précipité par Pacide sulfhydrique.

La protamine ainsi isolée était une base forte, dont les sels étaient précipités par lacide phospho-mojlybdique, l’iodure mercurico-potas- sique, le ferrocyanure de potassium, le chlorure mercurique, le nitrate d'argent, le chlorure d’or, etc. Ces propriétés, jointes à sa composi- tion relativement simple, la rapprochaient des alcaloïdes plus que des albumines. Cependant elle possédait de cette dernière substance la réaction du biuret, qu’elle donne à la façon des peptones vraies, c'est-à-dire très rouge. Au contraire, les réactions xantho-protéique, de Millon. etc. étaient négatives. Dans des recherches ultérieures interrompues par sa mort, Miescher ? avait complété et confirmé ces premiers résultats, et il y avait ajouté un essai d’analyse de la struc- ture intime de la substance. Traitée à 170 par de l’acide chlorhydrique à 15 0/0, elle avait été complètement décomposée et parmi les pro- duits de destructions était apparue la même arginine, que nous avons

4. Verhandlungen der Naturforschenden Gesellschaft in Basel. Bd. VI, 2. Archiv. f. experiment. Pathologie. Bd. XXXVIL, p, 100,

REVUES ET ANALYSÉS. 557

trouvé être un produit constant de la décomposition des albumi- noïdes en général.

Entre temps, Kossel avait commencé l’étude de la protamine du saumon et l’ensemble de ses recherches l'a amené aujourd'hui à des données très intéressantes ".

La protamine du saumon, qu’il extrait par l'acide sulfurique dilué des têtes de spermatozoïdes dégraissées, est précipitée à l’état de sul- fate de la solution ainsi oblenue, par 3 fois son volume d’alcool. Le produit brut est purifié par redissolution et précipitation à l’état de picrate. On obtient la même protamine en se servant comme matériel de départ du sperme d’autres poissons tels que le hareng, la truite des ruisseaux, le coregonus oxyrynchus. Elle a pour formule

C3° H°7 Az11 Of Le sperme de l’esturgeon fournit un corps voisin qu’il appelle sturine, par opposilion à la salmine, de composition

CHAT 07

Salmine et sturine sont réunies sous le nom générique de prola- mines. Elles présentent l'ensemble de caractères de précipitations que Miescher leur avait déjà reconnues. Mais ce qui donne à leur étude la plus grande importance, ce sont les résultats de leur destruction par les acides.

Soumises à l’action de l’acide sulfurique étendu à l’ébullition, elles se trouvent scindées et donnent naissance à trois bases : l’arginine, l’histidine et la lysine, les trois corps basiques que les recherches de Drechsel et de Hedin ont mis en évidence parmi les produits de des- truction des divers albuminoïdes. Et, chose remarquable, ces trois bases semblent à elles seules constituer toute la molécule des prota- mines, car il a été impossible à Kossel d'isoler d’autres produits de décomposition, et particulièrement d’autres acides amidés. Après avoir isolé ces trois corps d’après une méthode qui vient d’être publiée?, Kossel représente la décomposition de la salmine et de la sturine par les formules suivantes :

CHAOS LAH0—CSH° Az: 01 —H3CSH': Az O0? ECS H!' Az? 0?

Salmine. Hisudine. Arginine. Lysine. C36 69 AZ1907 + 5H, O— CS Az3° +306 H'Az:02+9C6 H!5 Az: 0? Sturine. Histidine. Arginine. Lysine.

D'où la conclusion importante que les trois bases, qui apparais- sent de façon constante, à côté d’autres produits, dans l’hydrolyse de tous les albuminoïdes examinés jusqu'à présent, sont unies entre elles

4. Sitzungsbericht der Künig. preus. Akademie der Wissensch. 1896. Zeitschrift f. Physiol. Chemie, 22. Silzungsbericht der Gesellsch. zur Befôrd.

der Naturiw. zu Marburg, 1897-1898. 2. Zeitschrift f. Physiol. Chemie. Bd. XXV.

D58 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

avec éliminalion de quelques molécules d'eau pour constituer les pro- tamines. Ces dernières doivent donc étre envisagées comme les corps pr'o- léiniques les plus simples connus actuellement, et leur molécule constitue un noyau, qui se trouve à l'intérieur de la molécule de tous les albumi- noïides. Sur ce noyau se grefferont des chaînes latérales plus ou moins nombreuses et variées. Pour la spongine et la gélatine, ce seront le glycocolle et d’autres acides anidés de la série grasse; pour l'anti- peptone, ces mêmes acides et la tyrosine; pour les albumines ordi- naires les acides amidés gras, la tyrosine, et un ou plusieurs groupes sulfurés. D’où la possibilité d’une division chimique des albuminoïdes basée sur l’étude qualitative et quantitative de leurs produits d’hydro- lyse : d’où également la possibilité, entrevue enfin de façon plus con- crèle, de la connaissance future d'une formule de structure pour ces corps si longtemps indéchiffrables.

Une pareille formule suppose la connaissance de la constitution de chaque fragment. Or, noussavons que la lysine est, d’après Drechsel. de l’acide caproïque diamidé. Schulze et Winterstein' ont lâché der- nièrement d'élucider la structure de l’arginine. Par l’action d’une solu- tion de baryte à 2 0/0 pendant une heure à l’ébullition, ces auteurs sont arrivés à décomposer l’arginine en deux constituants dont l’un est l'urée, comme il avait été dit plus haut, et l’autre s’est révélé être l'acide diamidovalérianique. D’après eux, l’urée ne préexiste cepen- dant pas dans la molécule, mais est due à l’action de la baryte sur un équivalent de guanidine. D'après eux, la formule de structure de l’ar- ginine serait :

AzH°? AZI OH HAz omis a 9

Il est intéressant de faire remarquer que, à l'encontre de Béchamp, Lossen trouva dans les produits d’oxydation de l'albumine par le permanganate, non de l’urée mais de la guanidine.

Des trois bases constituant par leur union ia protamine, deux peuvent donc être considérées comme connues. Il est à souhaiter que l’histidine soit soumise le plus tôt possible à une étude du même genre, indispensable pour la compréhension ultérieure des protamines.

Des faits très intéressants résultent également de l'étude à laquelle s'est livré Kossel, de l’action sur les p'otamines des sucs digestifs. Tan- dis que le suc gastrique artificiel s’est montré complètement inactif, laissant irtactes la salmine et la sturine, le suc pancréatique*, au contraire, les a scindées complètement en leurs trois constituants.

C’est une confirmation éclatante des différences dans l’action sur les

4. Berichte der Deutsch. chemisch Gesellschaft. Bd. XXX, 2879. 1. Kossez ET Marrnews, Zeitschrift [. Physiol. chemie. Bd. XXV.

REVUES ET ANALYSES. 999

albuminoïdes des deux ferments protéolytiques, si bien mise en lumière par les travaux de Kübne. D'autre part, l’action peu prolongée de l'acide sulfurique dilué sur les protamines, les transforme en des sub- stances nouvelles, de propriétés peu différentes, et dont la molécule équivaut à celle de la protamine augmentée de quelques molécules d'eau. Kossel envisage ces composés comme les peptones des protamines.

Ces résultats de protéolyse par acides faibles et ferments constituent un argument à ajouter à ceux tirés de l’étude des produits de décompo- sition des protamines par les acides forts, pour élayer l'hypothèse qui fait de ces corps les plus simples des protéines connues actuellement.

Or, de cet ordre d'idées dérive une conclusion également très inté- ressante, mise en évidence par Matthew', qui a trait à la compo- sition des têtes de spermatozoïdes de divers poissons. Comme il a été dit, ces têtes ont gardé intact, après leur traitement par l’eau distillée, leur aspect microscopique, de sorte que cet auteur admet qu’elles ont encore à ce moment une composition très rapprochée de l’état nor- mal. Elles ont en tout cas conservé leurs caractères histologiques, spécialement leur façon de se comporter vis-à-vis des colorants. En langage anatomique, on les désignerait, après comme avant le trai- tement, sous le nom de grains de chromatine. Or, cetle chromatine Joue, lors des phénomènes de fécondation, un rôle prédominant.

C'est une des plus belles acquisitions de l’embryologie moderne que d’avoir démontré que celle substance, caractérisée par son affinité pour les couleurs basiques d’aniline, est le support, la base phy- sique des propriétés héréditaires paternelles. C’est elle, et elle seule, qui transmet à l'embryon les qualités du père et de ses ascendants. Il faut toute l'évidence des faits pour contraindre la pensée à admettre celte assertion, qui suppose inscrite dans la constitution chimique de ces quelques milligrammes de matière l’histoire de toute une race. Mais l'imagination nous venant en aide, nous aimons à nous représenter cette chromatine paternelle comme une substance extraordinairement complexe, des molécules énormes entrelacent leurs chaiînons dis- parates et leurs groupements atomiques infiniment variés, déposi- taires chacun d’une des mille énergies qui depuis la nuit des temps préparent la naissance de l’être futur. Eh bien! non, il faut enrabattre, et cette chromatine si étrangement complexe se trouve ravalée pour le saumon (Miescher) et le hareng (Matthews) au rang des sels neutres; elle serait due à la combinaison, molécule à molécule, d'acide nucléique et de protamine., Elle serait la plus simple des nucléines vraies, si la protamine est la plus simple des protéines. Simplicité réellement inattendue, plus déconcertante que la complexité la plus plus recherchée, nous montrant, mieux que celle-ci, notre profonde

1. Zeitschrift f. physiol. Chemie. Bd. XXII.

560 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ignorance des choses de la vie. Cependant. il faudrait se garder d’ajouter à ces premiers résultats une importance qu’ils ne pourraient acquérir que lorsque des recherches nombreuses les auront définive- ment élablis. Si jamais la chimie biologique aborde de façon utile ces graves problèmes, ce ne sera pas, sans nul doute, avant que la con- naissance complète et assurée de tous les constituants de la cellule morte permette l'analyse de tous les changements qui accompagnent l'éclosion de la vie. De tous ces problèmes préparatoires, le plus im- portant est celui qui nous occupe, la chimie des albuminoïdes. II est permis de croire que les recherches de ces dernières années, et parti- culièrement les travaux de Kossel, lui ont fait faire un pas décisif.

Avant de terminer cette revue, je signalerai encore l’analogie, mise en évidence par Kossel, qui existe entre l’action des ferments diastasiques sur l’amidon et autres hydrates de carbone, et celle de la trypsine sur les protamines. L’une et l’autre ont pour conséquence la mise en liberté, après hydrolyse, de corps en C,. A vrai dire, l'argi- nine serait décomposée par la baryte en un corps en GC, et en urée, mais il n’est pas impossible que la soudure se fasse par les deux atomes de carbone, témoin la production d’acides formique et lévulinique aux dépens des hexoses. Cette analogie de structure permet de concevoir assez facilement la production de sucre aux dépens de l’albumine. Il est en tous cas intéressant, dit Kossel, à un point de vue purement théorique, de voir que protamines (peut-être albumines) et hydrates de carbone se trouvent bâties aux dépens de fragments de même gran- deur approximative. On pourrait encore, me semble-t-il, donner plus de généralité à cette proposition en montrant l'importance que pos- sède le groupement de 3 atomes de carbone et de ses multiples en 6,9, 12, 18 dans les différents constituants de la cellule. Les hydrates de carbone, l'acide lactique, les graisses, les lécithines, l’albumine et ses dérivés basiques, la tyrosine, la leucine, l'acide thiolactique et la cystéine, les phénols, lacide urique, les bases xanthiques, les acides biliaires, tous ces corps, c’est-à-dire les composés les plus importants que l’analyse chimique ait décrits dans nos organes ont, à la base de leur molécule, un chaînon d’atomes de carbone dont le nombre est 3 ou multiple de 3.

Uniformité bien remarquable, répondant peut-être à certaines énergies, certaines facilités de réaction, nécessaires à l’accomplissement des phénomènes vitaux.

Liège, le 25 juillet 1898. Dr P. Norr.

Le Gérant : G. Massox.

Sceaux, Imprimerie E, Charaire.

19me ANNÉE SEPTEMBRE 1898 No 9.

ANNALES

L'INSTITUT PASTEUR

SUR LES RELATIONS QUI EXISTENT Entre la tuberculose humaine et la tuberculose aviaire.

Par M. NOCARD

Communication faite au 4e congrès de la tuberculose. le 30 juillet 1898.

On ne conteste plus l'identité de la tuberculose chez toutes les espèces de mammifères, On discute encore sur les rapports qui existent entre les bacilles de la tuberculose de l'homme et de la tuberculose aviaire. Avec Rivolta, Maffucci, Straus et Gama- léia, beaucoup d'auteurs en font deux espèces microbiennes dis- tinctes; leurs arguments peuvent se résumer ainsi :

L'aspect des cultures est très différent ; celles de la tuber- culose humaine sont sèches, écailleuses, difficiles à dissocier ; celles de la tuberculose aviaire sont molles, grasses, onctueuses, plissées, elle s’étalent facilement sans pression notable : elles poussent encore à 43°, température à laquelle cesse de cultiver le bacille humain ;

On ne réussit pas d'ordinaire à transmettre aux poules la tuberculose des mammifères, quel que soit le procédé d’inocu- lation mis en œuvre. D’autre part, certains mammifères sont réfractaires à la tuberculose aviaire; le chien est de ce nombre ; le cobaye résiste à l’inoculation sous-cutanée de la tuberculose aviaire et, quand il succombe à l'inoculation intra-péritonéale, il présente des lésions très différentes de celles que provoque le bacille humain.

À ces arguments on peut objecter : que, malgré la différence de leur aspect, les cultures de tuberculose humaine ou aviaire donnent une tuberculose identique ; qu’on réussit parfois à rendre les poules tuberculeuses en leur inoculant de la tuberculose

36

502 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

humaine, et que cette tuberculose est inoculable en série (Bol- linger, Koch, Nocard, Cadiot, Gilbert et Roger, Courmont et Dor); qu'il est des mammifères aussi sensibles à la tuberculose aviaire qu'à la tuberculose humaine, et qu'après un petit nombre de passages, les lésions de l’une et de l’autre sont identiques. C'est le cas pour le lapin.

J'ai montré qu'il en est de même pour le cheval. Le cheval, si résistant à la tuberculose expérimentale, devient assez fré- quemment tuberculeux dans les conditions naturelles. Mais la tuberculose affecte, chez lui, deux formes cliniques bien dis- tüinctes : dans l’une de ces formes, de beaucoup la plus fréquente, la lésion frappe primitivement les organes de la cavité abdomi- nale : intestins, ganglions mésentériques et sous-lombaires, rate, foie, reins, etc.; quand les poumons sont pris, c’est à la dernière période de la maladie, et la lésion pulmonaire est tou- jours de date manifestement récente, Dans l’autre forme, au contraire, la lésion pulmonaire est primitive; elle est d’ailleurs de forme très variée et elle ne se propage que très tard aux organes abdominaux. Il y a longtemps déjà que j'ai indiqué les signes diflérentiels de ces deux formes de la tuberculose du cheval; j'ai pu, tout récemment, établir l’étiologie de ces deux formes clini- ques si différentes ; tandis que la tuberculose pulmonaire primi- tive est provoquée pas un bacille identique à celui de la tuber- culose hamaine ‘, c’est un bacille du type aviaire, assez profon- dément modifié par son passage dans l'organisme du cheval , qui provoque la forme abdominale de la tuberculose du cheval.

Le cheval et le lapin ne sont pas les seuls mammifères capa- bles de contracter la tuberculose aviaire ; j'ai pu étudier, il y a quelques années, des crachats tuberculeux dont l’inoculation, rapidement mortelle pour le lapin, tuait rarement le cobaye ; mais les cobaves qui succombaient à l’inoculation de ces cra- chats présentaient à l'autopsie des lésions se rapprochant beau- coup de celles de la tuberculose aviaire. J’ai pu obtenir des eul- tures de ce bacille, en ensemençant largement de la pulpe de rate de lapins morts après inoculation intra-veineuse ; ces cul- tures étaient identiques à celles de la tuberculose aviaire. Toute- fois les poules inoculées avec ces cultures résistent pour la plu-

1. 2e Congrès de la tuberculose, 4891. 2. Bulletin de la Soc. cent. de méd. vét., 1896, pages 249.et suivantes.

TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 563

part, quel que soit le procédé d’inoculation mis en œuvre; mais celles qui succombent ont des lésions semblables à celle de la maladie naturelle; dans ce cas encore, le passage par l’orga- nisme humain a profondément modifié la virulence du bacille.

Drüse, Pausini, Johne ont publié des observations analo- gues, recueillies tant sur l’homme que sur les bovidés.

IL'existe d'autre part un certain nombre de faits bien observés s appliquant à des basses-cours la tuberculose est apparue plusieurs mois après qu'on les avait confiées aux soins de per- sonnes phtisiques; il paraît évident que les volailles s'étaient infectées en ingérant des crachats tuberculeux.

D'autres faits analogues concernent des poules élevées dans des abattoirs on les laissait picorer sur les viandes saisies, dont les viscères tuberculeux forment toujours la plus grande partie. Je sais bien que Straus et Wurtzn'ont pas réussi à rendre tuberculeuses des poules auxquelles ils ont fait ingérer des quan- ütés énormes de crachats de phtisiques: de mon côté, je n’ai pas été plus heureux en empruntant la matière ingérée à des vaches, des pores ou des chevaux tubereuleux.

Mais est-on bien sûr de réaliser expérimentalement toutes les conditions de la contagion naturelle? L'expérience ne porte jamais que sur un petit nombre de sujets, tandis que, dans les cas cités, les basses-cours infectées en comptaient un nombre considérable, plusieurs centaines pour la plupart. Qu'un seul sujet, en état de moindre résistance, se soit laissé envahir par les bacilles provenant de l’homme ou du bœuf, et l'on conçoit que ces bacilles, acclimatés à l'organisme de la poule, se soient ensuite transmis plus aisément aux autres habitants de la basse- cour.

Bien souvent je me suis entretenu de cette question avec mon vieil ami, Le si regretté professeur Straus; je ne suis jamais parvenu à ébranler sa conviction : « J’admets volontiers, me disait-il, la réalité des faits que vous invoquez; le lapin, le cheval, le bœuf, l’homme lui-même peuvent prendre la tuberculose aviaire, comme la tuberculose humaine, Cela prouve-t-il que ces tuberculoses soient identiques? Quand vous aurez transformé le bacille humain en bacille aviaire, je m'avouerai convaincu! »

Je crois y être parvenu.

Voici comment :

ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

QC > (æp] Le)

On sait tout le parti qu'ont tiré MM. Metchnikoff, Roux et Salimbeni, dans leur beau travail sur la toxine cholérique, des cultures i# vivo en sacs de collodion, Cette ingépieuse méthode nous a permis tout récemment d'obtenir en culture pure le microbe de la péripneumonie contagieuse des bètes bovines, qui s'était jusqu'ici dérobé à toutes les recherches. J'ai eu l’idée de l'appliquer à l'étude du bacille de Koch. Cette étude est loin d’être achevée : elle m'a cependant déjà donné quelques résultats précis en ce qui concerne l’objet de ma communication. Je rappellerai brièvement les principes de la méthode.

On prépare des petits sacs de collodion à paroi très mince; après les avoir stérilisés à l’autoclave on les emplit de bouillon, eusemencé au préalable avec le microbe ou le liquide virulent à étudier; on les ferme exactement; puis on les introduit dans le péritoine d’un animal neuf, cobaye, lapin, chien, mouton, vache, poule, etc... On apprend vite à exécuter purement toutes ces manipulations, et, pas un instant, l'animal ne paraît souffrir, soit de l'opération, soit de la présence des sacs dans la cavité péritonéale.

Après un temps variable, depuis quelques jours jusqu'à plusieurs mois, suivant la nature du microbe étudié, on sacrifie l'animal; on trouve le sac logé en quelque coin de la cavité péri- tonéale, enveloppé d’une couche plus ou moins épaisse de fibrine et de cellules, ou de tissu fibreux jeune, dont on l’énuclée aisé- ment.

Quand l’animal d'expérience et le liquide de culture ont été convenablement choisis, on obtient des résultats surprenants qu'il est pourtant facile d'interpréter.

La paroi de collodion offre une barrière infranchissable aux microbes comme aux cellules ; les microbes ne peuvent sortir du sac, mais ils peuvent s’y multiplier en toute sécurité, car, les cellules ne pouvant y pénétrer, ils sont à l’abri de la phagocytose. D'autre part, cette paroi inaccessible aux microbes et aux cellules est perméable aux liquides comme aux substances dissoutes ; elle forme une membrane osmotique parfaite ; à son niveau s’établis- sent des échanges qui modifient profondément la composition primitive du liquide emprisonné : des substances élaborées par le microbe peuvent diffuser au dehors, et, quand elles sont suffi- samment actives, elles peuvent entraîner la mort du sujet ou des

TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 565

accidents d'intoxication plus ou moins graves, sans qu'un seul microbe ait envahi les tissus; en tout cas, c’est une condition favorable à la culture, l'auto-intoxication microbienne s’en trou- vant diminuée, sinon supprimée; enfin, des produits venus de l'organisme du sujet pénètrent dans le sac qui peuvent être favorables ou non à la culture du microbe; en tout cas, la péné- tration de ces produits ne se fait que lentement, graduellement; peu à peu, le microbe s’accoutume à ce nouveau milieu et, quand on letire du sac qui l’a protégé contre l’action phagocytaire, 1l est beaucoup mieux armé pour se développer dans le milieu, primitivement hostile ou réfractaire, que représentait l'animal incubateur.

Partant de ces données, j'ai essayé d'obtenir des cultures du bacille de la tuberculose humaine, en sacs de coilodion insérés dans le péritoine de la poule.

Pour y réussir, il m'a fallu : emplir mes sacs d’une émul- sion épaisse de culture jeune, obtenue de préférence sur une pomme de terre glycérinée ; 2 n'ouvrir les sacs qu'après un délai minimum de 4 mois (plus est longue la durée du séjour dans le péritoine, plus sont accusées les modifications éprouvées par le bacille mis en incubation) : enfin, opérer à chaque fois sur un assez grand nombre de poules, la rupture du sac étant d'autant plus à craindre que l'expérience doit se prolonger davantage.

On trouvera à la fin de ce travail le résumé de mes expérien- ces, de celles au moins que j'ai pu mener à bien avant le Congrès,

Quand on sacrifie l'animal incubateur, pour lui reprendre sac qu'on lui avait confié, ce sac apparaît d'ordinaire affaissé, plus ou moins complètement vide de liquide; il ne renferme plus qu'une sorte de limon plus ou moins épais, formé unique- ment de bacilles de Koch.

Ces bacilles sont encore vivants d'ordinaire; ensemencés largement sur pomme de terre ou sur géluse glycérinées, ils donnent le plus souvent une culture assez maigre, en colonies isolées, dont le repiquage réussit mieux et plus vite. Chose curieuse, quand le sac de collodion a séjourné longtemps dans le péritoine de la poule, les culture; qu’on en obtient offrent tous les caractères du type aviaire : elles sont molles, grasses, onc- tueuses, plissées, faciles à dissocier ; elles s’étalent aisément sur tous les milieux,

D66 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Les caractères du bacille originel se sont donc profondément modifiés au contact des humeurs de la poule. Qu'est-il advenu de sa virulence?

Inoculé sous la peau, le cobaye résiste : il se forme parfois au point d’inoculation un petit abcès, qui s'ouvre spontanément et qui se cicatrise de même; parfois aussi le ganglion voisin s hypertrophie et s’indure; mais se borne tout le mal. Le cobaye reste bien portant; il gagne du poids, et, quand on le sacrifie, on ne trouve à l’autopsie aucune lésion appréciable.

Si l’inoculation est faite dans le péritoine, elle entraîne dans plus de la moitié des cas la mort; à l’autopsie, on trouve de l’ascite fibrineuse, parfois un semis de granulalions caséeuses du péritoine, plus souvent de petits foyers purulents bacillaires de l’épiploon, presque toujours une rate élargie en tous sens, rouge, molle, friable, infiltrée de quelques gros nodules arrondis, blanes, caséeux ou purulents. Jamais on n’observe ces dégénérescences si accusées qui caractérisent le type Villemin de la tuberculose du cobaye. Le poumon et le foie sont presque toujours indemnes.

En somme, ces lésions se rapprochent beaucoup de celles que provoque l’inoculation de la tuberculose aviaire.

Le lapin, inoculé dans la veine de l'oreille, meurt rapidement, en 6 à 10 semaines au plus; il est très amaigri; 1l présente à l’autopsie une tuberculose miliaire intense plus accusée tantôt sur le poumon, tantôt sur la rate ; inoculons un peu de pulpe de cette rate à un deuxième lapin, par la même voie; celui-ci mourra beaucoup plus vite, avec des lésions de septicémie tuber- culeuse, sans granulations apparentes, la pulpe du foie, de la rate et de la moelle des os constituant comme une culture pure, d’une richesse invraisemblable, de bacilles de Koch.

Ces résultats sont identiques à ceux que donne l’inoculation intraveineuse des cultures ou des produits de la tuberculose aviaire.

Les poules, au contraire, résistent à l'inoculation du contenu du sac, quel que soit le procédé mis en œuvre, ingestion, inocula- tion péritonéale ou intraveineuse.

Il semble donc que les modifications qu'a éprouvées le bacille, et dont témoignent l'aspect de ses cultures et les effets de son inoculation au cobaye et au lapin, ne suffisent pas à le rendre capable de surmonter la résistance de la poule.

TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 567

Peut-être y parviendrait-on en multipliant les passages en sacs de collodion, ce qui équivaut à doubler ou à tripler la durée du séjour du bacille au contact des humeurs de la poule, mais à l'abri de ses phagocytes ?

Emplissons donc de nouveaux sacs de collodion avec de la culture jeune provenant des premiers sacs, et confions-les au péritoine de poules nouvelles. Après 4, 5 ou 6 mois, nous les retrouverons, comme précédemment, à demi-pleins d’un mortier bacillaire dont l'étude expérimentale conduira à des résultats à peu près analogues à ceux déjà obtenus. L'’ense- mencement donne, plus sûrement et plus vite, des cultures identiques à celles de la tuberculose aviaire. L'inoculation au cobaye et au lapin provoque des lésions se rapprochant davantage de celle du type aviaire. Elle reste encore sans effet sur les poules.

Répétons une troisième fois l’expérience ; cette fois nous toucherons au but. Le sédiment bacillaire, extrait du sac après un séjour de 6 à 8 mois dans le péritoine de la poule, sera devenu capable de tuer la poule (inoculée dans les veines ou dans le péritoine) avec des lésions identiques à celles de la maladie naturelle.

Dans l’une de mes expériences, cette transformation de la virulence du bacille s’est faite tout naturellement et beaucoup plus vite que je ne le disais tout à l'heure :

Le 11 janvier 1897, un coq vigoureux reçoit dans le péri- toine un sac de collodion plein d’une culture jeune de tubereu- lose bovine. (Ces cultures, provenant d’une mammite tubercu- leuse, ont tous les caractères de la tuberculose humaine, elles tuent cobayes et lapins avec des lésions identiques; elles sont sans action appréciable sur les poules.)

Longtemps bien portant, vigoureux et gros, ce coq se mit tout à coup à maigrir; c'était vers la fin de septembre; sa crête pâlissait et tombait sur le côté, flasque et molle. Cet état s’aggra- vant et la fin semblant prochaine, je sacrifiai le coq le 28 octobre 1897, près de 10 mois après l'insertion du sac,

A l’autopsie, je trouvai, au niveau du testicule gauche, une masse irrégulière, du volume d’un œuf de pigeon, d'aspect sar- comateux, semée de petits foyers caséeux pleins de bacilles. Le péritoine était couvert de granulations tuberculeuses, grisà-

068 - ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tres ou à peine caséeuses dans la partie centrale ; le foie et la rate, triplés de volume, étaient farcis de semblables granulations. Au centre de la tumeur, je retrouvai le sac de collodion, large- ment fissuré au point il est soudé à son ajutage de verre. Il ne me paraît pas douteux que le sac s'était rompu tardivement, à une époque les bacilles, habitués à vivre et à pulluler au contact des humeurs de la poule, ont pu résister à l’action pha- gocytaire de ses cellules et donner naissance aux lésions tuber- culeuses relativement récentes que l’autopsie a révélées.

Or ne saurait prétendre que ce coq était déjà tuberculeux lors de l'insertion du sac, c’est-à-dire près de dix mois avant la mort ; sa longue survie, l’âge récent des lésions observées, les- quelles procèdent manifestement de la tumeur formée autour du sac rompu, éloignent déjà cette hypothèse. Mais ce qui la ruine définitivement, c'est que deux poules inoculées, l’une dans la veine du bras, l’autre dans le péritoine, avec une dilution de pulpe de la rate du coq tuberculeux, sont restées bien portantes et ne présentaient aucune lésion, quand on les sacrifia les 12 mai et 28 juillet 1898. Si la lésion inoculée avait été d’origine aviaire, ces 2 poules seraient devenues rapidement tubercu- leuses.

Messieurs, j'espère vous avoir convaincus qu'il est possible de donner au bacille de la tuberculose humaine les caractères biologiques et la virulence qui caractérisent le bacille de la tuber- culose aviaire ; dès lors, vous concluerez avec moi que ces deux bacilles, si différents en apparence, ne sont cependant que deux variétés d’une même espèce.

APPENDICE

PREMIÈRE SÉRIE D'EXPÉRIENCES Premier passage.

Le 22 avril 1896, trois sacs de collodion, emplis de culture de tubereu- lose humaine sur pomme de terre glycérinée (culture âgée d'un mois), sont insérés dans le péritoine de trois poules (nos 4, 2 et 3).

Pouze 1, sacrifiée le 15 septembre. Le sac, intact, vide de liquide, ren- ferme une sorte de mortier, épais, grisàtre, formé uniquement de bacilles granuleux.

TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 569

Avec ce produit, on ensemence 3 pommes de terre glycérinées et 3 tubes de gélose glycérinée, et l'on inocule 2 cobayes, 2 poules, { lapin.

Résultats : Une seule pomme de terre a donné quelques maigres colo- nies, blanchâtres et verruqueuses, de bacilles de Koch. Repiquées sur pommes de terre après 6 semaines, ces colonies n'ont pas donné de nou- velles cultures.

Un des cobayes (inoculé sous la peau de la cuisse) a eu un petit abcès bacillaire au peint inoculé et un peu d'induration du ganglion du pli du flanc : il est resté bien portant, vigoureux et gras. Sacrifié le 10 décembre, il a été trouvé indemne de toute lésion.

L'autre cobaye (inoculé dans le péritoine) a maigri rapidement; il est mort le 2 novembre. avec des foyers caséeux bacillaires de l’épiploon, une rate élargie, rouge, friable, infiltrée de gros nodules arrondis, blanchätres, purulents, riches en bacilles ; rien d’apparent au foie ni au poumon.

Le lapin a succombé le 27 novembre, ayant perdu plus du tiers de son poids ; à l’autopsie, rate énorme, molle, pleine d’un fin piqueté blanchâtre; sa pulpe fourmille de bacilles. Les 2 poumons présentent un petit nombre de tubercules miliaires, gris avec un point central opaque. Rien d’appa- rent au foie.

Les 2 poules sont restées bien portantes; elles ont augmenté de poids. Sacrifiées le 8 février 1897, elles n’ont présenté aucune lésion apparente.

Pouce 2, sacrifiée le 12 novembre 1896. Sac rompu; débris englobés dans du tissu fibreux jeune l'examen bactériologique permet à peine de retrouver de petits amas bacillaires.

Pouce 3, sacrifiée le 20 décembre 1876. Sac vide de liquide; parois couvertes d’une sorte de limon grisâtre formé uniquement de bacilles de Koch.

Ensemencé 3 pommes de terre glycérinées et 3 tubes de gélose glycé- rinée. .

Inoculé 2 cobayes, l’un sous la peau de la cuisse, l’autre dans le péritoine ; 2 poules, l’une dans la veine du bras, l’autre dans le péritoine ; 1 lapin, dans la veine marginale de l'oreille.

Résultats : 2 pommes de terre et 1 tube de gélose ont donné de nom- breuses colonies, dont le repiquage a provoqué une culture abondante et rapide, ayant tous les caractères de la tuberculose aviaire : couche épaisse, grasse, plissée, s’étalant très facilement.

Comme dans la série précédente, les 2 poules sont restées indemnes,; il en a été de mème du cobaye inoculé sous la peau.

L'autre cobaye est mort, étique, le 26 janvier 1897, avec de l’ascite et de la pleurésie, un boudin épiploïque infiltré de foyers caséeux bacillaires, une rate énorme, rouge, molle, avec 5 ou 6 gros nodules arrondis, blan- châtres, pleins de pus caséeux, assez liquide, très riche en bacilles.

Le lapin a succombé, très maigre, le 14 février, avec: une rate agrandie dans tous les sens, molle, friable, comme piquetée de fines granulations blanchâtres. La pulpe de la rate et la moelle des os longs, examinées par frottis, semblent une culture pure de bacilles de Koch, d’une richesse invrai- semblable.

ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

(dr =1 (=)

Deuxième passage.

Le 21 janvier 1897, 2 sacs de collodion, emplis de bacilles donnés par la culture sur pommes de terre du 27 décembre 1896, sont insérés dans le. péritoine de deux poules. (Nos 4 et 5).

PouLe 4, sacrifiée le 20 mai 1897. Sac affaissé, mais intact; parois couvertes d’une couche épaisse et visqueuse formée de bacilles de Koch, longs, flexueux et granuleux. à

Ensemencé 2 tubes de pomme de terre glycérinée et 2 tubes de gélose glycérinée.

Inoculé 2 cobayes (peau et péritoine), 2 poules (péritoine et veine) et 1 lapin (veine de l'oreille).

Résultats : Cultures assez riches sur tous les tubes ensemencés, épaisses, molles, grasses, plissées, s’étalant sans difficultés, ayant en un mot tous les caractères du type aviaire.

Comme précédemment, les 2 poules et le cobaye inoculé sous la peau sont restés indemnes.

Le cobaye inoculé dans le péritoine est mort le 15 juillet avec de l’ascite, une rate élargie en tous sens, rouge, molle, friable, sans nodules ou foyers de dégénérescence apparents; la pulpe examinée par frottis renfermait de nombreux bacilles.

Le lapin inoculé dans Ja veine de l'oreille est devenu rapidement squelettique ; il a succombé le 11 juillet à une véritable septicémie tuber- culeuse accusée par une rate énorme (17 grammes), molle et friable, pleine de bacilles, comme d’ailleurs la pulpe du foie et la moelle osseuse.

PouLe 5, sacrifiée le 13 juillet.

Sac intact, à demi plein d’une sorte de mortier bacillaire.

Fait cultures.

Inoculé, comme précédemment, 2 cobayes, 2 poules, et lapin.

Comme précédemment, les cultures ont montré tous les caractères de la tuberculose aviaire.

Les 2 poules et le cobaye inoculé sous la peau ont résisté.

Seuls ont succombé : le lapin (16 août) et le cobaye inoculé dans la péritoine (29 août), avec des lésions analogues à celles déjà décrites, lésions très différentes de celles provoquées par le bacille humain, très analogues au contraire à celles dues au bacille aviaire.

Troisième passage.

Avec l’une des cultures sur pomme de terre glycérinée ensemencée le 13 juillet, on emplit 2 sacs de collodion que l’on insère le {1 août 1897 dans le péritoine de 2 poules (n°s 6 et 7).

PouLe 6, sacrifiée le 24 décembre 1897,

Sac intact, à demi plein d’une sorte de mortier, gris jaunâtre, formé uniquement de bacilles de Koch, longs, flexueux et granuleux.

Fait cultures et inoculations.

Résultats : Tous les ensemencements fails sur gélose et pommes de terre

TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 571

glycérinées ont été fertiles et ont donné des cultures ayant les caractères du type aviaire.

Le cobaye inoculé sous la peau est resté indemne ; le cobaye inoculé dans le péritoine est mort le 3 mars, très amaigri, avec un petit nombre de foyers caséeux épiploiques et une rate élargie dans tous les sens, rouge, molle, friable, sans nodules ou foyers de dégénérescence.

Le lapin a succombé le 29 janvier, ayant perdu les 2/5 de son poids, avec une rate énorme, noirâtre, molle et friable. La pulpe de la rate, celle du foie, la moelle des os renfermaient une quantité considérable de bacilles.

Des 2 poules, celle inoculée dans le péritoine est restée bien portante ; sacrifiée le 21 mai 1898, elle n’a présenté aucune lésion tuberculeuse. Au contraire, celle inoculée dans la veine du bras a succombé très amaigrie, le 2 mars, avec une tuberculose miliaire intense du foie, de la rate et de la moelle des es. Deux autres poules, inoculées le jour même, par injection intraveineuse d’une dilution légère de pulpe de rate, sont mortes avec des lésions identiques, mais plus fines et plus confluentes, l'une le 16 avril, et l’autre le 22 avril.

PouLe N°7, sacrifiée le 4 mars 1898.

Sac intact très affaissé; parois recouvertes d’un enduit épais, visqueux, formé uniquement de bacilles longs, flexueux et granuleux.

Les 3 pommes de {erre ensemencées ont donné de riches cultures type aviaire. |

4 poule (inoculée dans la veine du bras) est morte le 20 mai, avec une hypertrophie considérable du foie et de la rate, sans tubercules apparents; mais l'examen bactériologique a montré dans la pulpe des organes et dans la moelle des os longs une véritable culture pure, extrêmement riche, de bacilles de Koch. Une autre poule, inoculée le même jour dans le péritoine, a été sacrifiée le 24 juillet très amaigrie, la crête pâle, la respiration anhélante; l'autopsie a montré une tuberculose miliaire intense du foie et de la rate, identique à celle de la maladie naturelle.

3me SÉRIE D'EXPÉRIENCES

Le 11 janvier 1897, on insère dans le péritoine des poules 8, 9 et 10 un sac de collodion empli de culture de tuberculose bovine (provenant d’une mammite tuberculeuse) ensemencée le 15 décembre 1896 sur pommes de terre glycérinées. = Poure 8, sacrifiée le 20 mai; sac intact, vide de liquide; parois en- duites d'une couche épaisse et grisâtre de bacilles tuberculeux.

Fait cultures et inoculations.

Un des 3 tubes de pommes de terre ensemencés présente, après un mois de séjour à l’étuve, quelques colonies saillantes, verruqueuses, de bacilles de Koch ; ces colonies semblent plus grasses et plus faciles à dissocier que celles des cultures originelles.

1. Je ne fais que mentionner une 2% série d’expériences, concue sur le même plan que la première, mais dont les résultats ont été entièrement négatifs; 2 sacs sur 3 s'étaient rompus; le était intact, mais entièrement vide ; les bacilles ensemencés avaient perdu toute végétabilité et toute virulence ; d’ailleurs ils provenaient d'une culture sur bouillon sans doute trop vieille.

572 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Réensemencées sur de nouvelles pommes de terre glycérinées, elles pous- sent plus vigoureusement et donnent, en moins d’un mois, une couche

épaisse, grasse, visqueuse et plissée, semblable en un mot aux cultures de tuberculose aviaire. -

Un cobaye inoculé sous la peau de la cuisse a un gros abcès caséeux qui s'est ouvert spontanément et s'est cicatrisé de même au bout de quelques semaines. Le ganglion du pli du flanc, d'abord hypertrophié el induré, puis obscurément fluctuant, a donné, à la ponction, un pus caséeux trés riche en bacilles. L'animal, resté gras et vigoureux, a été sacrifié le 11 août : à part le ganglion prépelvien correspondant, qui s’est montré hypertrophié, induré et caséeux dans sa partie centrale, on n'a relevé à l’autopsie aucune lésion appréciable.

Un 2e cobaye inoculé dans le péritoine est mort, très amaigri, le 2 juillet : il avait de l’ascite fibrineuse, une éruption de petits foyers caséeux sur le péritoine et dans l’épiploon, une rate large, rouge, molle, infiltrée de gros nodules purulents et bacillaires.

Un lapin, inoculé dans la veine de l'oreille, succombait le 27 juillet, avec une tuberculose miliaire intense de la rate et du poumon.

Deax poules inoculées dans le péritoine et dans la veine du bras restaient vigoureuses et gagnaient du poids; sacrifiées le 11 août, elles ne présentaient aucune lésion apparente.

Pouce 9, sacrifiée le 11 août; le sac intact, renferme une sorte de mortier grisâtre formé uniquement de bacilles.

Fait cultures et inoculations.

Un tube de pomme de terre sur les 3 ensemencés portait, après un mois de séjour à l’étuve, plusieurs colonies saillantes et verruqueuses, lesquelles, transportées sur de nouveaux tubes, donnaient rapidement une couche épaisse, grasse et plissée, analogue aux cultures aviaires.

Deux cobayes inoculés l’un sous la peau, l’autre dans le péritoine, sont restés absolument indemnes; il en est de même des deux poules inoculées l'une dans le péritoine, l’autre dans la veine du bras.

Seul, un lapin, inoculé dans la veine de l’oreille, succombait le 27 sep- tembre avec une tuberculose intense des deux poumons et quelques granu- lations caséeuses de la rate.

Coo 10, sacrifié le 28 octobre 1897; ce coq maigrissait beaucoup depuis quelques semaines ; il avait la crête tombante, de couleur pâle ou violacée.

A l’autopsie : ascite fibrineuse, éruption confluente sur le péritoine de fines granulations grises, avec un point central opaque; rate et foie infiltrés de tubercules miliaires, à centre caséeux, entouré d'une épaisse zone grisâtre; au niveau du testicule gauche, tumeur à contours irréguliers, du volume d’un œuf de pigeon, d'aspect sarcomateux, avec des foyers caséeux mulliples, pleins de bacilles; au centre de cette tumeur, on retrouve le sac de collodion largement fissuré.

Deux poules inoculées, l’une dans le péritoine, l’autre dans la veine du bras, avec une dilution de rate tuberculeuse, sont restées bien portantes ; sacrifiées les 20 mai et 28 juillet, elles n'ont présenté aucune lésion tuber- culeuse apparente.

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TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 573

Au contraire, un lapin inoculé dans la veine de l'oreille avec la même dilution de rate succombait le 28 décembre 1897, avec une tuberculose miliaire intense de la rate et des poumons.

Enfin, de deux cobayes inoculés le même jour, l'un sous la peau, l’autre dans le péritoine, celui-ci seul succombait le 48 janvier 1898, avec unpetit nombre de foyers, caséeux et bacillaires, de l’épiploon et de la rate.

La pulpe de la rate de la poule 9, ensemencée largement sur gélose et sur pomme de terre glycérinée, n'avait pas donné de culture. Mais j'en obtins de superbes, du type aviaire le mieux caractérisé, avec la pulpe de rate du lapin mort le 28 décembre.

Ces cultures, inoculées dans les veines, tuent les lapins en moins d'un mois avec des lésions très accusées de septicémie tuberculeuse, sans tuber- cules apparents; elles sont sans effet sur les poules quel que soit le procédé d'inoculation et sur les cobayes qu'on inocule sous la peau.

*X * Ces cultures m'ont servi à faire de nouveaux passages en sacs de collodion, mais les animaux témoins sont inoculés depuis trop peu de temps pour que j'aie pu les sacritier avant la réunion du Congrès.

UNE ÉPIDEMIE DE PARALNSIE ASCENDANTE CHEZ LES ALIÈNÉS-

RAPPELANT LE BÉRIBÉRI

L4 Par MM. CHANTEMESSE ET RAMOND Professeur de pathologie expérimentale ét comparée Préparateur du laboratoire de pathologie à la Faculté de médecine. expérimentale et comparée.

Pendant l'été de 1897, de mai à octobre, une épidémie a éclaté à l’asile d’aliénés de Sainte-Gemmes-sur-Loire, elle a atteint cent cinquante personnes et en a tué environ quarante’,

Cette maladie se traduisait par des modifications de la peau, des troubles digestifs, des perturbations nerveuses qui faisaient penser à la pellagre ; elle montrait encore des œædèmes, des atrophies musculaires intenses, des douleurs, des phénomènes de paralysie ascendante, la perte des réflexes tendineux qui la rapprochaient du Béribéri de l’extrème-Orient.

Elle s’attaquait enfin à une certaine classe de la population de l’asile, les indigents; elle frappait d'une manière plus géné- ralisée certaines salles de malades, comme si la contagion jouait un rôle dans sa genèse.

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Au mois de mai 1897, on remarqua chez les épileptiques internés à l’asile une mortalité inaccoutumée. Les malades mouraient au milieu de crises convulsives répétées, et leurs corps étaient atteints d’une enflure notable. L'éveil donné, on rechercha chez les autres malades l’existence de cet œdème, et on l’observa fréquemment chez les idiots, les épileptiques et les mélancoliques de la section des indigents. Cet œdème était, dans

1. L'existence de cette épidémie à l’asile de Sainte-Gemmes fut signaiée à M. le ministre de l'Intérieur par M. le Dr Petrucci, directeur, médecin en chef de l'asile. L'un de nous fut chargé de faire une enquête officielle. La relation que nous publions à été écrite d’après les faits que nous avons vus personneliement, et d’après les observations qui nous ont été communiquées par M. le Dr Petrucci,

par M. Coulon, médecin-adjoint, et M. Malbois, interne de service. Nous leur adressons nos vifs remerciements.

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l'immense majorité des cas, le premier phénomène morbide appréciable. Il apparaissait le soir sur les pieds el dans les régions malléolaires et prétibiales. Il envahissait successive- ment les jambes, les cuisses, les lombes il constituait une épaisse cuirasse, il gagnait enfin les membres supérieurs, la poitrine, la face, le scrotum et même les cavités séreuses. Le gonflement des replis aryténo-épiglottiques a été observé. Il se manifestait surtout dans les régions déclives. Cet œdème de a peau et du tissu cellulaire affectait la particularité remarquable d'être dur, et de ne pas conserver l'empreinte du doigt qui le pressait.

Déjà à ce moment les battements du cœur étaient désor- donnés, rapides, s’élevant à 100, 140 pulsations par minute, sans fièvre bien manifeste. A mesure que la malad'e progressait, le pouls devenait ordinairement plus rapide et plus misérable. Rarement il était ralenti.

En même temps que l’æœdème, d’autres phénomènes appa- raissaient. C’étaient de fréquentes nausées, surtout le matin au lever, du hoquet, des vomissements répétés, alimentaires ou bilieux. Ces vomissements, malgré l’état de la langue qui était parfois saburrale et souvent d'apparence normale, ne s’accom- pagnaient pas d’anorexie ; au contraire, les malades témoignaient d’une certaine avidité pour la nourriture. La constipation accom- pagnée de légères coliques et de météorisme était plus fréquente que la diarrhée. Les vertiges étaient constants. Les malades se plaignaient de ressentir des douleurs dans les reins, dans les côtés, autour de la ceinture ; ils accusaient surtout la sensation d’un poids qui les oppressait au-devant du sternum.

Cependant les forces étaient conservées, la station debout et la marche étaient possibles. Un examen attentif permettait de constater chez quelques malades un léger trouble dans la coordi- nation motrice des jambes. Les réflexes tendineux étaient diminués. Parfois, mais non toujours, l'urine contenait de Talbumine.

Un phénomène plus frappant était constaté déjà. Bon nombre de malades présentaient dans les parties découvertes de la peau, à la face et sur le dos des mains, une teinte brunâtre absolument semblable à celle qu’on voit sur la peau des hommes astreints aux travaux des champs.

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Ces divers phénomènes morbides caractérisaient la première période de la maladie. Celle-ci pouvait être longue, les symp- tômes persistaient en état un mois ou deux.

Dans les cas les plus heureux ils s’amendaient peu à peu, et- le malade entrait en convalescence. Celle-ci était entrecoupée de retours offensifs de l’œdème, qui obligeaient le patient à reprendre le lit pour quelques jours.

Les signes de paralysie s’accentuaient souvent d’une manière plus ou moins brusque. Chez quelques malades la station deve- nait de plus en plus difficile ; daus le cours d’un mouvement, les jambes se dérobaient sous le corps: chez d’autres, les signes de cette paralysie frappaient brutalement avant tout autre phéno- mène prémonitoire, culané ou digestif.

Quelle que füt la progression du début, arrivés dans celte période paralytique, les patients étaient dans l'impossibilité de marcher seuls ou de se tenir debout. Soutenus par un aide, ils lançaient les jambes en avant à la façon des ataxiques, et les pieds glissaient sur le parquet, la pointe tournée en dedans, le bord interne légèrement élevé et la face supérieure bombée. Assis, le malade laissait flotter ses jambes, qui subissaient, comme celles d’un polichinelle, les mouvements imprimés.

Le malade qui pouvait encore progresser ne le faisait qu’en prenant un point d'appui avec les mains. Le corps courbé, la tête en avant, il s’avançait en traïnant les pieds qu’il heurtait par saccades l’un contre l’autre. S'il tombait, il lui fallait le secours d’un aide pour se remettre dans son lit. Plusieurs présentaient le signe de Romberg. Chez tous, les réflexes patellaires étaient abolis, les réflexes cutanés ne disparaissant qu'à la période ultime.

La paralysie s’étendait parfois au rectum et à la vessie. Le cathétérisme devenait nécessaire. Sur 150 malades atteints, le tiers a été paralysé.

Chez plusieurs sujets, un notamment, dont nous avons fait l’autopsie, la paralysie a présenté une marche ascendante pro- gressive et rapide. Les membres supérieurs comme les inférieurs étaient dans la résolution complète, le diaphragme a été para- lysé, et la scène s’est terminée lentement par des phénomènes asphyxiques et cardiaques, tels qu’on les voit dans les lésions bulbaires.

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Ces paralysies avaient un caractère particulier; elles s’ac- compagnaient d’atrophies musculaires intenses et de troubles marqués de la sensibilité. Dès le début, l'atrophie frappait symétriquement les muscles des jambes, des cuisses, des bras ; les fléchisseurs résistaient mieux que les extenseurs. Les muscles réduits, flasques, ballottants, étaient le siège de douleurs spon- tanées, sous la forme de fourmillements incessants, de crampes, de tiraillements extrèmement pénibles. La pression des masses musculaires atteintes arrachait des cris aux malades. On consta- tait parfois l'hyperesthésie ou l’anesthésie de la peau, plus rare- ment la perte du sens musculaire.

La vaso-motricité présentait des troubles profonds. Couché, un paralytique offrait une teinte normale de la peau: mis debout, la moitié inférieure de son corps se couvrait en quelques instants d'une couleur écarlate.

L'examen ophthalmoscopique a été pratiqué chez la plupart des malades par M. le D' Motais (d'Angers). Chez tous. mème les plus atteints, la pupille était normale et intacte. Ce médecin a constaté de l’hypermétropie chez quelques sujets, et une amblyopie marquée chez une femme d’une cinquantaine d'années.

A cette période de troubles trophiques musculaires. certaines régions de la peau étaient profondément touchées et présentaient des lésions qui se rapprochaient beaucoup de celle de la pellagre. Sur le dos des mains, des plaques d’érythème, roses d'abord, rouges ensuite, apparaissaient. Très irrégulières de forme et d’étendue, elles pouvaient envahir toute la face dorsale des mains et des poignets. À leur niveau, les malades accusaient une sensation de démangeaison, puis de brülure. Sur ces plaques érythémateuses, des phlyctènes s’élevaient et se des- séchaient rapidement, laissant de larges squames fendillées, très adhérentes à la peau. Leur desquamation mettait à jour une peau rouge par endroits, blanche en d’autres, comme cicatricielle.

Les troubles trophiques ne se limitaient point là. Il y avait fréquemment des eschares du sacrum, quelquefois du purpura et des ecchymoses. Trois malades ont été pris, sans trace de rou- geur ni d’empâtement articulaire, d’une lésion des jointures, deux fois au genou, une fois à l’épaule. Le début s’est fait progressi- vement par des douleurs vives dans les articulations atteintes.

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La palpation, très douloureuse, permettait de reconnaître la pré- sence d’un épanchement considérable; on ne percevait pas de froissements articulaires.

Parvenue à cette période atrophique, l'évolution de la maladië variait suivant les cas. Chez certains malades, les douleurs mus- culaires et les troubles trophiques diminuaient progressive- ment, le malade parvenait peu à peu à se lever et à marcher. Pendant le cours de latrophie musculaire il se créait des posi- lions vicieuses sous l'influence du tonus des fléchisseurs, qui n’était pas contre-balancé par celui des muscles antagonistes ; des rétracüons tendineuses s’installaient avec leurs conséquences: les fig. 1 et 3 de la planche VI montrent des faits de ce genre.

Chez d’autres, au contraire, les symptômes nerveux au lieu de s’amender ne faisaient que s'accroitre. Les troubles gas- triques, cardiaques et respiratoires se montraient plus marqués. Les vomissements reparaissaient. Le pouls devenait misérable, imperceptible, très fréquent et fournissait 150 pulsations ct au delà. On voyait la respiration se précipiter, le diaphragme se paralyser, les mucosités s’accumuler dans les bronches; le malade ne pouvait plus expectorer ni mème déglutir. L’agonie commençait et durait plusieurs jours, accompagnée de sueurs profuses, parfois odorantes. Il n’y avait pas de fièvre. Il est à remarquer en effet que dans cette maladie les perturbations nerveuses étaient si profondes, les modifications thermiques n’occupaient qu'une place modeste. Au début de la maladie, dans les formes à marche rapide, on constatait assez souvent une fièvre de quelques jours de durée ne dépassant pas 39°, puis la maladie évoluait apyrétique. Dans les périodes ultimes de l’atfec- tion, quand des complications dues le plus souvent aux eschares du sacrum se développent, il n'était pas rare de voir la tempé- rature s'élever : il était difficile en pareil cas de ne pas accorder, dans la genèse de cette fièvre, une part importante à l'infection secondaire.

Il Tels sont en résumé les principaux caractères de l'épidémie

que nous avons observée. En s'en tenant seulement aux phénomènes cliniques, à quelle maladie déjà décrite se rap-

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porte-t-elle? Dans quel cadre nosologique faut-il la placer?

Lorsque cette épidémie a éclaté à l'asile de Sainte-Gemmes, en mai 1897, l’érythème bronzé des régions de la peau exposées au soleil, les vomissements et les troubles digestifs caractérisés par de la constipation et parfois de la diarrhée, les phénomènes nerveux et la cachexie ultime avaient fait penser qu'il s'agissait d'une épidémie de pellagre. On sait que cette dernière présente des symptômes qui ne sont pas très éloignés des précédents. Dans les épidémies qui ont frappé la Lombardie, la Vénétie, la Vieille Cestille, et certaines régions de la France telles que les provinces des Landes, du Laurençais, de la Champagne, on a reconnu autrefois ou cru reconnaître la pellagre. La différence avec l'épidémie que nous avons observée consiste en ce que la pellagre frappe de pauvres gens mal nourris, mais sains d'esprit, et qu'elle les amène lentement, en plusieurs années, à un état de faiblesse tel que la démence s'ensuit, accompagnée souvent de tentatives de suicide. À Sainte-Gemmes, au contraire. la maladie a attaqué des individus déjà déments, des idiots, des épileptiques. Dans le cours de leur longue maladie, l’état mental des sujets ne s'est pas modifié. Les maniaques sont restés excités jusqu'au dernier moment, incohérents et loquaces, les mélancoliques tristes, déprimés ou dans la stupeur, les déments absurdes ; la folie circulaire s’est déroulée avec les mêmes alternatives d’excitation et de dépression. La maladie n’a pas eu en somme les allures lentes de la pellagre; elle a frappé vite et a tué quel- quefois en peu de temps. Mais une différence dans la rapidité d'action de deux phénomènes morbides ne peut suffire à elle seule à les départager. D'autant mieux que dans ce même asile de Sainte-Gemmes, une épidémie très analogue à celle de notre époque a éclaté de 1855 à 1865. Elle a eu pour historien princi- pal ie médecin directeur de cet asile, le D' Billod*. Ce médecin: distingué, frappé par la ressemblance des symptômes qu'il obser- vait à l’asile de Sainte-Gemmes et qu'il avait constatés antérieu- rement à l'asile de Rennes, avec ceux que présentaient les pellagreux d'Italie, voulut que la maladie de Sainte-Gemmes fût la pellagre, ou tout au moins une variété de la pellagre, la pel- lagre des aliénés. Il voulait lui réserver une place à côté de la

4. Voir les diverses publications du Dr Billod dans les Archives de Médecine de 1858 et dans son Zraité de la pellagre. Masson, 1865.

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pellagre italienne, castillane, landaise. Il se donna pour mission de démontrer, d’une part que la maladie de Sainte-Gemmes était bien la vraie pellagre, et d'autre part que, ses malades n'ayant pas mangé de maïs et par conséquent de maïs altéré,” la cause de la pellagre ne pouvait être cherchée dans l’alimenta- lion par une farine de maïs défectueuse. C'était, on le voit, la réfutation de l'opinion qui, à cette époque, sous l'influence des travaux de Balardini et de Th. Roussel, avait rallié la majorité des médecins.

Sans s'attacher à l'étude attentive de l'évolutjon des deux maladies, à l'analyse détaillée des symptômes nerveux, de leurs particularités, de leur mode d'apparition, des différences qu'une comparaison pouvait établir, le D' Billod s’efforça de mettre en parallèle les phénomènes cutanés de la pellagre d'Italie et de la sienne. H s’étendit sur l'existence de la diarrhée etde la cachexte, et partout il aurait pu rechercher l’évolution des troubles musculaires paralytiques et trophiques, il ne les désigne que par deux mots : émaciation, marasme. C'est dire que les observa- tions de Billod ne sont pas toujours assez complètes pour permettre de juger si l'épidémie qu'il a observée à Sainte-Gemmes en 1855, et celle que nous avons vue en 1897 sont une seule et même chose,

Cependant, si on se rapporte non à la description didactique, mais aux observations publiées par Billod', on en trouve plu- sieurs qui paraissent être les protocoles d'observations que nous avons faites personnellement. Billod cite plusieurs faits qu'ilnomme pellagre aiguë, qui ont évolué en 3, 4 et5 semaines. Il signale que ses malades n’ont jamais été soumis à l’insolation, et qu’à l’autopsie, faite 2 à 3 mois après le début, il a trouvé de l'infiltration des membresinférieurs etdes muscles des gouttières vertébrales, la flexion forcée de la jambe sur la cuisse, la rétrac- tion de tous les doigts de la main droite vers la face palmaire, etc.

À l’autopsie enfin, il constatait souvent le ramollissement apparent de la partie inférieure de la moelle, fait quia été retrouvé plusieurs fois dans l'épidémie actuelle.

La conception de Billod que l'épidémie de Sainte-Gemmes était la vraie pellagre, ne fut pas adoptée par tous les médecins. La commission de l’Académie des sciences, présidée par Rayer,

1. Arch. génér. de Médec. 1858, T°, 12, p. 67, 73 el suivantes.

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chargée de faire un rapport sur les observations de Billod, con- clut, tout en rendant hommage à sa découverte, qu'il avait observé autre chose que la pellagre. Le caractère le plus saillant de l’épidémie que nous avons observée, et que Billod a observé aussi, croyons-nous, réside dans les troubles trophiques portant principalement sur les muscles. Ces troubles trophiques muscu- laires n’existent pas dans la pellagre. Le livre si remarquable de Th. Roussel ne les mentionne pas. Les recherches récentes de Tuczeck, de Belmondo sur la pellagre montrent que les symp- tômes de cette maladie sont étroitement correspondants à la selé- rose des cordons latéraux et des cordons postérieurs de la moelle. ils consistent dans des phénomènes de paralysie spas- modique, avec des réflexes rotuliens le plus souvent exagérés.

L'évolution rapide et les troubles trophiques musculaires de la maladie que nous avons étudiée dans l'épidémie de Sante- Gemmes, comme Billod Pavait étudiée quarante ans avant nous, n'appartiennent donc pas à la vraie pellagre.

Le phénomène (pelvis ægra) qui a donné son nom à la mala- die, a, comme rançon, troublé son histoire pathologique, L'érythème cutané brunâtre ou rose, ou rouge, est devenu, dans l'esprit de certains auteurs, un signe pathognomonique de cette affection. Cependant la pellagre n’est pas la seule maladie l’on voie survenir, en même temps que des troubles digestifs e! nerveux allant jusqu’à la paralysie, des érythèmes localisés qui laissent à leur suite un épiderme jaune noirâtre. Telle est, par exemple, cette singulière maladie qui a sévi épidémiquement à Paris en 1828, elle a frappé, dit-on, 40,000 malades, qui s’est ensuite montrée en Belgique en 1846, et plus tard dans l'armée française, en Crimée (Tholozan).

L'acrodynie qui, en 1828, parcourait successivement à Paris les casernes, les prisons, puis les différents quartiers de la capi- tale, ne laisse pas que d'offrir quelques traits communs avec la maladie de Sainte-Gemmes. Les travaux de Genest, Dance, les observations de Chomel, les publications plus tardives de Tho- lozan et de Gintrac nous montrent l’acrodynie commençant par des troubles digestifs, puis par une bouffissure, un œdème dur de la face, qui souvent ne garde pas l'empreinte du doigt et qui peut se généraliser. Bientôt apparaissent, vers les pieds et les mains, des phénomènes d’engourdissement, de fourmillements

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ct mème de crampes irradiant vers les divers segments du membre. La contractilité est plus ou moins affectée. Alors, se développent à la face plantaire et palmaire, et parfois dorsale des extrémités, des rougeurs érythémateuses, de dimensions, de cou- leurs. de localisation extrèmement variables. Plus tard, lhyper- esthésie et les phénomènes spasmodiques des extrémités font place à de l’anesthésie, à de la faiblesse, ou mieux à des paraly- sies. L'érythème pâlit, laissant à sa place un épiderme brunûtre, et le patient guérit, sans jamais avoir présenté aucun trouble cérébral. La maladie dure de quelques jours à 5 ou 6 mois, Chomel à vu la paralysie être assez étendue pour occasionner la mort. Si l'on tient compte de l'énumération des symptômes en particulier, troubles digestifs. troubles trophiques de la peau et du tissu cellulaire, paralysies précédées de douleurs vives, on voit que l’acrodynie présente des signes qui ne sont pas rares dans la maladie de Sainte-Gemmes. Mais si on envisage l’évolu- tion totale des accidents, les différences sont assez profondes pour que les deux maladies ne puissent être confondues.

Comme la maladie de Sainte-Gemmes, l'acrodynie a sévi d'une manière épidémique. En 1828, les soldats de la garnison de Paris, nourris avec les mêmes vivres, étaient atteints dans certaines casernes (Lourcine, La Courtille, Popincourt) et res- pectés dans d’autres. Les malades de l'hospice Marie-Thérèse fournirent de nombreuses victimes à l'épidémie. Le boulanger de l'hospice fut accusé de livrer du mauvais pain et changé. L'épidémie ne disparut pas. L'idée de la contagion s’imposait déjà dans cette singulière maladie.

Sila maladie de Sainte-Gemmes n’est ni la pellagre, niPaero- dynie, il est une affection à laquelle elle ressemble singulière- ment, c’estle Kakke du Japon, le Béribéride Ceylan, de la Chine, de l'Inde, des îles du Pacifique, de la côte occidentale d'Afrique, de certaines portions de la côte du Brésil et des Indes Occiden- tales.

D’après les descriptions de Bäülz et Scheube, de Peckelharing, de Lacerda, le Béribéri-se caractérise par une paralysie et une atrophie musculaire portant sur les membres inférieurs et plus particulièrement sur les muscles de larégion antéro-externe de la jambe, d'où la chute de la pointe du pied et la démarche spé- eiale- de steppage. La paralysie peut s'étendre au tronc, aux

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membres supérieurs ; dans la forme dite pernicieuse, son évolu- tion rappelle celle de la paralysie ascendante aiguë.

En même temps qu'apparaissent ces phénomènes de paraly- sie amyotrophique, les malades accusent des douleurs vives dans les masses qui s’atrophient. Les réflexes rotuliens sont abolis; lœdème des membres inférieurs est souvent très pro- noncé; enfin, dès le début de la maladie, il existe des troubles car- diaques, caractérisés par des souffles et de la tachycardie très manifeste. La maladie se présente sous diverses formes, bénigne ou grave, hydropique, atrophique, pernicieuse; les patients peuvent guérir, même après avoir été longtemps paralysés.

Cliniquement, on voit combien lxsymptomatologie du Béribéri est rapprochée de celle de la maladie de l'asile de Sainte-Gemmes, Sa ressemblance est aussi étroite au point de vue anato- mique.

Bälz et Scheube ont montré que la lésion du Béribéri était une polynévrite périphérique ; nous allons voir que cette polynévrite existe dans la maladie de Sainte-Gemmes.

II

Nous n'avons observé l'épidémie que dans sa période termi- nale et n'avons pratiqué que deux autopsies. Les cadavres avaient été placés de bonne heure dans la glace pour éviter la putréfaction. Dans le premier cas, il s'agissait d’un homme de soixante-trois ans, paralytique général, ayant succombé à la suite de troubles qui rappelaient ceux d'origine bulbaire. Les enveloppes de la moelle ne présentaient pas de lésions ; la moelle était congestionnée dans la région lombaire. Rien à signa- ler du côté du bulbe; l’encéphale était atteint de méningo-encé- phalite diffuse. Les poumons étaient congestionnés aux deux bases : le cœur dilaté et rempli de gros caillots cruoriques. Le foie apparaissait normal ; la rate était hypertrophiée, comme dans la plupart des autopsies pratiquées par M. Petrucei. Les autres viscères, le péritoine, n’offraient aucune lésion à l'œil nu.

La deuxième autopsie se rapportait à une idiote de trente- deux ans, morté dans les mêmes conditions que le précé- dent. ; |

Les enveloppes de l’axe cérébro-spinal étaient injectées,

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sans granulalions dans leur épaisseur ou à leur surface. La moelle était congestionnée sur toute son étendue. L'examen des organes n’a révélé à l'œil nu aucune particularité intéres- sante. s

Nous avons pratiqué, suivant les méthodes en usage, les exa- mens histologiques et bactériologiques. Les culiures ont été faites sur les divers milieux du laboratoire, en présence ou à l'abri de l'air. L’axe cérébro-spinal à été fixé par une solution de formol au dixième ; les nerfs périphériques ont été mis dans une solution d'acide osmique au centième. Enfin les fragments des divers viscères ont passé dans le sublimé acide, avant l'inclusion dans la paraffine.

Les renseignements les plus importants sont fournis par Fexamen du système nerveux. Les nerfs périphériques se ren- dant aux muscles paralysés de la jambe, le cordon cervical du grand sympathique, le tronc du pneumogastrique gauche pris au cou, présentent des phénomènes de névrite ne portant pas sur tous les filets nerveux, mais sur quelques-uns, plus ou moins nombreux suivant les régions que l’on examine.

Comme le montrent les fig. 6 et 7 de la planche VI, les fibres sont atteintes à divers degrés. Dans les unes, la myéline est segmentée en boules et se colore encore par l’acide osmique ; dans les autres, les altérations sont plus profondes, la myéline est désagrégée et méconnaissable, le cylindre-axe a disparu, la gaine du nevrilème est vide.

Les lésions de névrite périphérique sont donc très mani- festes. Dans ies muscles correspondant à ces nerfs altérés on constate aussi des lésions. À côté de fibres musculaires dont la striation est normale et le volume conservé, on en distin- gue d’autres qui ont perdu leur striation ct leur couleur habi- tuelles. Elles sont diminuées de voiume et présentent dans la gaine du sarcolemme un grand nombre de noyaux.

La moelle montre une congestion intense de ses vaisseaux sanguins. La substance blanche des cordons est intacte dans toute son étendue, On ne constate nulle part l'existence d’une sclérose portant sur les cordons postérieurs nt sur les cor- dons latéraux: rien en un mot qui ressemble aux lésions de la pellagre.

Les lésions principales se voient sur les grandes cellules des

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cornes antérieures. Nombre de ces éléments paraissent tuméfiés, ont perdu leurs grains chromatophiles, présentent un noyau excentrique; quelques-unes montrent dans leur protoplasme des vacuoles nombreuses (fig. 5, planche VI).

Dans les deux cadavres conservés dans la glace jusqu'à l’autopsie, l’ensemencement a permis de constater dans les organes et surtout dans le foie, la rate, le liquide céphalorachi- dien, la présence d’un mème microbe, tantôt à l’état de pureté et tantôt associé à un coccus ou bien au coli-bacille, comme dans les viscères du second individu.

Ce microbe (fig. 2) se présente sous la forme d’un bâtonnet mobile, de dimensions variables, rappelant un peu l'aspect du proteus vulgaris de Hauser. Dans une culture pure, à côté de bacilles courts et trapus, il s’en trouve d’autres plus longs, alteignant parfois 4 à 8 w de longueur. Ils prennent bien les couleurs d’aniline, mais se décolorent par l'emploi de la méthode de Gram. Ensemencés sur les divers milieux, ils troublent forte- ment le bouillon-peptone dès la 27° heure, ne formant qu'un mince dépôt au fond du tube, et un voile presque imperceptible à la surface. L’odeur de la culture fraiche n’est pas fétide. Is liqué- fient la gélatine ; sur plaques de gélatine la colonie se présente sous une forme arrondie, sans prolongements serpigineux à la périphérie. Sur gélose inclinée, ils produisent, le long de la strie d’ensemencement, un large ruban gris blanchâtre, à contours polyeyceliques, épais et de consistance crémeuse, mais n'ayant aucune tendance à recouvrir toute la surface de ‘culture. Le lait est rapidement coagulé en masse, le coagulum ne se redissout pas ultérieurement; de même, l’on observe la fermentation des milieux lactosés. Sur pommes de terre, les colonies, d’abord incolores, prennent une teinte brunâtre au bout de quelques jours.

A côté de ce bacille, nous avons rencontré dans le foie, chez les deux individus, un coccus, du genre streptocoque, immobile et prenant le Gram. Comme le streptocoque, il ne liquéfiait pas la gélatine, coagulait tardivement le lait, et sur gélose donnait des cultures peu volumineuses, « en grain de semoule », assez con fluentes; cependant, le bouillon était uniformément troublé, et l’inoculation de ce microbe sous la peau de l'oreille d’un lapin n’amenait point d'érysipèle. Quoique nettement pathogène pour

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les lapins, cobayes et souris, il n’a jamais amené d'accidents nerveux remarquables.

Toute autre fut l’action du bacille et de la toxine soluble

sécrétée par ce microbe, après 6 jours de culture dans un bouil-”

lon fabriqué par la digestion d’une rate avec la nepsine d'un estomac de porc.

IL est à remarquer tout d’abord que ce microbe est sujet dans sa virulence et sa toxicité à des variations importantes. Ses germes, retirés fraîchement du corps humain, possédaient un pouvoir toxi-infectieux beaucoup plus marqué que ceux qui étaient conservés dans les milieux de culture du labora- toire

Lorsque ce microbe possède une grande virulence, il suffit d'en inoculer une petite quantité sous la peau de l'oreille d’un lapin. Il se développe bientôt au point d’inoculation une eschare sèche, qui amène la destruction de l'oreille par une sorte de nécrose. L'animal présente un peu de fièvre. Au bout de 7 à 8 jours. des signes de paralysie du train postérieur se dessinent. la vessie et le rectum se paralysent, une eschare apparaît sur la région fessière. Le lapin continue à se mouvoir un peu avec les membres antérieurs et à manger; puis les signes de paralysie ascendante deviennent plus manifestes, la tête peut difficilement se soulever et l’animal succombe en 12 ou 14 jours. Le microbe se retrouve dans les viscères, on constate notamment lexis- tence d’une méningo- -myélite dont les exsudats renferment le bacille à l’état de pureté.

Si la dose inoculée est plus forte, l'animal suecombe en 24 ou 36 heures à une septicémie.

Dix lapins ont reçu de la toxine Soie en injections sous- cutanées, à la dose de 2 à 5 c. e., répétées une ou plusieurs fois. Cinq de ces animaux, après avoir présenté des signes de paralysie plus ou moins développée dans les membres inférieurs, ont guéri. Chez les autres, les signes de paralysie, au lieu de disparaître, se sont accentués, il s’est fait un amaïgrissement considérable des muscles du train postérieur, des gouttières vertébrales la région dorsale. L’émaciation musculaire con- trastait vivemént avec le bon état des membres antérieurs. La souillure des déjections tachaït le train postérieur, et des eschares se développaient aux points qui subissaient des compressions.

Br Se sad

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Dans deux cas, la mort est survenue avec des phénomènes de paralysie ascendante.

L'autopsie n'a pas permis de constater trace de névrite, mème dans les nerfs qui se distribuaientaux museles atrophiés. En revanche, les lésions médullaires étaient très marquées, elles ne portaient pas sur les tractus blancs, mais à peu près exclusi- vement sur la substance grise.

Il y avait une congestion très intense des capillaires, et sur- tout un œdème, développé particulièrement dans la région de la commissure. Cet œdème rendait le tissu tellement diffluent que la région ceutrale de la moelle semblait creusée d’une cavité syrin- gomyélique., Cet œdème infiltrait aussi les cornes antérieures. Les grandes cellules nerveuses présentaient des altérations très manifestes (fig. 4 et 8 de la planche VI) : gonflement, chroma- tolyse, cavités vacuolaires, et en beaucoup de points destruction complète de la cellule qui n’était qu'à peine reconnaissable.

Les lésions reflétaient en somme, d’une manière générale mais avec plus d'intensité, l'aspect de celles que nous avions vues dans les moelles humaines.

IV

Reste la question d’étiologie de cette épidémie, qui a sévi si cruellement chez les aliénés de Sainte-Gemmes.

Quelques remarques doivent être faites tout d'abord. La maladie n'a attaqué dans cet asile que les indigents. Les servi- teurs sont restés indemnes, les pensionnés le sont restés aussi, sauf deux qui appartenaient à la classe, dans laquelle le régime alimentaire était celui des indigents, à très peu de chose près. La maladie à sévi à l’état épidémique pendant l'été de 1897, elle existait avant cette époque dans l'asile, puisque en 1896 ct même en 1895 des malades ont été atteints de phénomènes de paralysie ascendante tout à fait semblables à ceux qu’on a observés pendant l'épidémie de l’année dernière.

Peut-être serait-il possible de trouver des traces plus anciennes de la maladie, puisque, crovons-nous, les faits observés par Billod il y a 40 ans n'étaient pas essentiellement différents de ceux de l'heure actuelle. Enfin quelques salles d’indigents ont payé un tribut plus lourd que d’autres à l'épidémie, comme si la contagion s'était manifestée.

538 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

La farine de maïs n'a jamais été ulilisée pour l'alimentation dans l'asile.

Notre enquête ayant été faite au mois d'octobre, nous n'avons pu juger de la nature, ni de la quantité, ni de la qualité des ali- - ments fournis aux malades au début de l'épidémie et dans la période qui a précédé ce début; 1l est certain cependant que les patients, en leur qualité d'indigents, recevaient une nourriture inférieure sous tous les rapports à celle des serviteurs et des malades pensionnés.

On à attribué l'épidémie à l'absorption d'une eau impure. L'eau potable distribuée à Sainte-Gemmes a deux origines ; elle provient d'une part, par une conduite spéciale, de l’eau de la ville d'Angers, et d'autre part elle est prise dans la Loire à l’aide d’une galerie, non loin de l'endroit vient se jeter la rivière l'Authion dans laquelle on fait rouir du chanvre.

Que l’eau de cette dernière provenance soit mauvaise, cela ne fait pas l'ombre d’un doute, mais cette eau est universelle- ment distribuée à la population de l'asile; si seule elle avait été la cause de l’épidémie, celle-ei se serait répandue d'une manière à peu près uniforme chez les habitants de Sainte-Gemmes : or la seule classe de population qui ait été atteinte est celle des indigents, qui avait un régime alimentaire inférieur à celui des autres en qualité et en quantité.

Que l’eau impure ait apporté des germes favorisant le microbe spécilique de lépidémie, cela est possible, mais ce microbe n’a exercé son pouvoir infectieux et toxique que sur les organismes qui étaient débilités par l'alimentation. Il s’est passé à Sainte-(remmes ce qu'on observe dans les épidémies de béribéri de lExtrème-Orient. Les Européens bien nourris échappent presque toujours à la maladie; on la trouve en revanche dans les prisons, dans les bagnes, sur les navires d’émigrants indiens transportés aux Antilles. Là, la maladie s'arrête ou cesse dès qu'une alimentation favorable intervient.

Cela ne veut pas dire cependant que l'affection ne puisse apparaître chez des gens sains et bien nourris. Un germe de puissance moyenne peut ne témoigner sa virulence et sa toxicité que sur des organismes débilités ; un germe plus actif, dont la virulence aura été exaltée par des passages successifs de patients à patients, pourra frapper des individus vigoureux.

ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. 589

Les faits qui ont été signalés récemment dans un asile d'aliénés d'Irlande offrent, à l’égard de l'épidémie qui nous occupe, de curieux enseignements.

Depuis 1894. trois épidémies rappelant singulièrement le bére- béri ont éclaté à l'asile d’aliénés de Dublin. La première épidé- mie sévit pendant l'été et l’automne de 1894 : il y eut 25 décès sur 174 cas: la deuxième épidémie eut lieu en août 1896 ; sur 116 cas il y eut 9 décès. Durant cette épidémie on constata pour la première fois la contagion chez les infirmières, dont 7 furent atteintes. Enfin la troisième épidémie date de juin 1897 : sur 124 cas, il n’y eut qu'un seul décès.

S. Conolly Norman, Stoker, Smith et Manson admirent qu'il s'agissait de vrai béribéri; aussi le gouvernement hollandais délégua-t-1l MM. Verschrur et Van Ijsselesteijn, dont le rapport est consigné dans le Nederlandsch Trdschrift voor geneeskünde du 11 décembre 1897.

Après une étude clinique très approfondie, les médecins hollandais constatèrent de légères différences entre l'évolution de la maladie de Dublin et celle du vrai béribéri. Cependant la cause de cette épidémie étant aussi inconnue que celle du béribéri indien, ils ne purent affirmér avec certitude que la polynévrite épidémique d'Irlande était de nature différente de la polynévrite cinghalaise.

Comme à Sainte-Gemmes, la maladie a éclaté à Dublin dans un asile d’aliénés. Voici encore une épidémie américaine tout à fait semblable aux précédentes, qui s’est montrée dans l'asile d’aliénés de Tusculoosa (Alabama) en 1896. L’historien en a été le professeur Bondurant ‘. Par les symptômes, par l’évolution de la maladie, par les planches photographiques qui accompagnent sa description, par les lésions anatomiques consistant en des polynévrites périphériques, avec altérations des cellules des cornes antérieures de la moelle, cette épidémie nous semble être la même que celle que nous avons observée à Sainte-Gemmes.

1. New-York medical journal, 20 et 21 novembre 1897.

990 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

CONCLUSIONS

L'épidémie de l'asile d’aliénés de Sainte-Gemmes n’est nt, la pellagre, ni l’acrodynie. Elle diffère de ces deux maladies, comme en différait, d’après l'opinion de la commission de l'Académie des Sciences et du D’ Costallat, l'épidémie observée dans cet asile par le D' Billod en 1855, et dite par lui pellagre des aliénés ;

2 Elle ressemble étroitement par ses symptômes et son anatomie pathologique au béribéri de l'Extrème-Orient et à la maladie dite béribéri observée dans les asiles d’aliénés de Dublin (Irlande) et de Tusculoosa (États-Unis) en 1895 et 1896 ,

30 Le microbe que nous avons trouvé dans les cadavres de Sainte-Gemmes, qui donne aux animaux une paralysie ascen- dante par infection et aussi par intoxication, est peut-être, mais non sûrement, la cause de cette épidémie. Il faut, pour élucider ce point, étudier d'autres malades et faire de nouvelles autopsies ;

Au point de vue anatomique et étiologique, la maladie n’est pas seulement une polynévrite épidémique. Les centres gris de la moelle sont intéressés. La maladie parait être con- tagieuse ;

Au point de vue hygiénique, de même que le Béribéri de l'Extrème-Orient et le typhus exanthématique, elle est, mais non toujours, une maladie de misère ;

Go Une alimentation saine, variée, copieuse, la viande entrera pour une bonne part, est le meilleur moyen de préser- vation des personnes qui restent au contact des malades. Ceux-ci bénéficieront des mêmes mesures d'hygiène alimentaire ;

L’isolement des patients, la désinfection des objets qu'ils auront pu souiller est nécessaire.

NOTE SUR LA BACTÉMIOLOGIE DE LA VERRUGA DU PEROU

Par M. CHARLES NICOLLE

Chef du laboratoire de bactériologie de l'École de médecine de Rouen.

Au mois de décembre 1893, M. le D' Roux me remit plusieurs pièces provenant d’un cas de verruga, en me chargeant d'en faire l'examen microbiologique. L'aspect nodulaire des lésions me fit penser de suite qu'il s'agissait d’une affection voisine de la tuberculose, et la première méthode de coloration que j'employai, la méthode d'Ebrlieh, me permit de déceler dans le tissu morbide la présence de bacilles tout à fait analogues au bacille de Koch. Je ne crus point devoir publier alors le résultat de mes constatations, attendant l'envoi de pièces nouvelles qui ne me furent point adressées, et estimant qu'une observation unique ne pouvait avoir de valeur absolue. Cependant, dans un article paru dans ces Annales, je laissai mon frère, le D' Mau- rice Nicolle, signaler la découverte que j'avais faite du micro- organisme de la verruga *.

Une communication récente de M. le D' Letulle à la Société de biologie * vient d'attirer l'attention sur cette maladie exotique. Les constatations de M. Letulle étant au point de vue bactériologique identiques aux miennes, je n'ai pas cru devoir retarder plus longtemps la publication de mes recherches anciennes.

* # _*

La verruga est une aflection qui parait spéciale à quelques vallées du Pérou. Elle se caractérise par des symptômes géné- raux plus ou moins graves, fièvre, frissons, douleurs, étc., aux- quels fait suite une éruption particulière. Cette éruption se traduit par la production à la surface de Ja peau, et souvent des muqueuses, de tumeurs (verrugas), de volume et de nombre

1. Annales de l’Institut Pasteur, 1895, page 664. 2. Société de biologie, séance du 23 juillet 1898.

92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tout à fait variables. Ces tumeurs ont tendance à donner lieu à des hémorragies ; elle peuvent s’ulcérer, elles se résorbent par- fois. La durée de la maladie est des plus variables ; la guérison spontanée n'est pas rare.

A côté de cette forme à tumeurs, il en existe une autre bien plus grave, dans laquelle l'éruption n’a point le temps de se pro- duire, le malade étant emporté par les symptômes généraux du début. Pendant longtemps on a discuté l'identité de ces deux formes ; un grand nombre de médecins péruviens pensaient qu'il s'agissait de deux affections distinctes. La preuve de leur identité a été fournie par un étudiant de Lima, Daniel Carrion, qui, s'étant inoculé le sang provenant d’un malade atteint d’une forme discrète à tumeurs, prit la maladie sous sa forme interne et succomba en peu de jours".

L'absence de tumeurs dans la forme interne n’est qu'une apparence; si la peau et les muqueuses explorables n’en présen- tent point, on trouve à l’autopsie une éruption miliaire dans les principaux viscères : foie, rate, poumons, ganglions, ete. Cette forme a principalement été observée lors de la construction du chemin de fer de Callao à la Oroya, sur le personnel employé aux travaux, d’où le nom de fièvre de la Oroya qui lui a été donné*.

Les pièces confiées à mon examen par M. Roux provenaient précisément d’un cas de forme interne de la maladie (type de la Oroya). Elles avaient été adressées à l’Institut Pasteur dans dela glycérine neutre: elles consistaient en fragments de foie, de rein, de poumons, de rate, de ganglions. Je n’ai pu, malgré tous mes efforts, me procurer l’observation complète du malade qui les avait fournies.

1. Daniel Carrion, en 1859 à Cerro de Pasco (Pérou), s’inocule la maladie le 27 août 1885, ressent les premiers symptômes le 20 septembre (23° jour), meurt le 5 octobre,

2. Je tiens à remercier ici M. le docteur Calmette qui m’a fourni en 1894 la bibliographie complète de la verruga. Pour les personnes que cette question intéresserait spécialement, je citerai parmi les travaux publiés sur cette affection: Dounon {thèse 1871), Tasset (thèse 1872), C. de la Corre (Chronique médicale de Lima 1886), Bourse (Archives de médecine navale, mai 1876), Rey (Archives de méd. navale, 1886), Corre (Waladies des pays chauds), etc., M. Odriozola vient de faire paraître dans la Presse Médicale (n° du 27 juillet 1858) un article avec figures sur la verruga.

BACTÉRIOLOGIE DE LA VERRUGA, 393

Aussitôt qu’elles m'eurent été remises, je fixai ces pièces dans la solution de Meyer (sublimé acétique). Elles furent coupées après inclusion dans la paraffine, et les coupes colorées pour l'étude par l’hématéine et le procédé de Kuhne, (méthode d'Ebhrlich modifiée par l'emploi du chlorhydrate d’ani- line). La coloration par la fuchsine de Ziehl fut faite à froid, et l’action de ce colorant prolongée pendant une heure,

Voici quels furent les résultats de mes observations, tels que je les notai à cette époque ; je n’ai rien à y ajouter aujourd’hui, après un nouvel examen de mes préparations.

Poumon. A l'œil nu, la coupe montre déjà la présence de petits nodules analogues comme aspect à des tubercules et assez rapprochés les uns des autres. Au microscope on se rend compte que ces nodules sont constitués par des cellules épithélioïdes ; à la périphérie des nodules, les cellules embryonnaires sont nombreuses. Il n'y a point formation de tubercules vrais; mais plutôt une infiltration du parenchyme pulmonaire par ces élé- ments. Au niveau des points malades, le tissu normal des pou- mons est complètement disparu.

Entre les cellules épithélioïdes qui constituent à proprement parler les nodules, on trouve, disposés très irrégulièrement, mais en grand nombre, des bacilles isolés, absolument semblables au point de vue morphologique aux bacilles tuberculeux. Comme eux, ils se colorent très bien par la méthode d’Ehrlich et seule- ment par cette méthode ; peut-être sont-ils en général un peu plus épais que les bacilles de Koch. La plupart de ces micro- organismes sont libres ; en certains points cependant on en voit qui sont contenus dans des phagocytes mononucléaires. Jamais ces phagocytes n’en contiennent plus de deux: ils ne revêtent donc point l'apparence des cellules lépreuses, si caractéristiques avec leur protoplasma vacuolaire, bourré de microbes. En aucun point, on ne note de caséification. Je n’ai point constaté la présence de cellules géantes dans le poumon.

Foie. Les cellules du parenchyme hépatique sont altérées, on ne peut se rendre compte de la nature et du degré exact de leur lésion, à cause de la mauvaise fixation des pièces. Çà et existent des zones d'infiltration leucocytaire mal délimitées ; les vaisseaux sanguins paraissent sains.

Nulle part il n'existe de tubercules véritables, nulle part de

38

D94 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

caséification. En certains points on remarque la présence de cellules géantes typiques. Des bacilles identiques à ceux déjà vus dans le poumon se rencontrent dans l'intervalle des cellules infiltrées. Aucune cellule n’en présente dans son intérieur; les cellules géantes elles-mêmes sont vides.

Ganglion (dont le siège n’a point été indiqué). Le ganglion est très malade ; la structure normale est pour ainsi dire tout à fait disparue. Les nodules infectieux sont nombreux et très rapproehés ; la plupart d’entre eux sont caséeux au centre.

Nulle partiln’existe de cellules géantes. Les bacilles sont très nombreux entre les cellules infiltrées ou dans la substance caséeuse ; on note des images de dégénérescence de ces microbes, analogues à celles décrites par les auteurs à propos du bacille tuberculeux (déformation des bacilles, transformation en chape- let de grains, etc.).

Rate. Lésions identiques à celles constatées dans le gan- glion, mais encore plus marquées. Il existe des zones caséeuses très étendues. Les bacilles sont rares, difficiles à colorer, toujours libres.

Rein. Le rein est peu malade: on voit en certains points des amas de cellules embryonnaires dans l'intervalle des tubes ; je n'ai pu y déceler la présence des bacilles spécifiques.

Li # *

Bien que les pièces qui m’avaient été confiées fussent con- servées depuis deux mois dans la glycérine, on pouvait espérer qu'un bacille voisin du bacille tuberculeux, et comme lui sans doute assez résistant, aurait pu s’y conserver vivant. Toutes les tentatives de cultures et d’inoculations que j'ai faites (mème les inoculations chez le singe) sont restées infructueuses. II n'est d’ailleurs point prouvé que la verruga, ainsi qu’on l’a avancé, soit inoculable ou puisse se rencontrer spontanément chez les animaux domestiques.

* * *

Avant nous, un seul auteur, {zquierdo, avait étudié la verruga au point de vue histologique et bactériologique ‘. Nous avons traduit son travail. Izquierdo rapproche la verruga des sarcomes : il a trouvé dans les pièces examinées par lui (tumeurs cutanées) un microbe dont il donne une description tout à fait obscure,

,

4. [zourenvo, Spaltpilze bei der Verruga peruana, Archives de Wirchow, page 411.

BACTÉRIOLO GIE DE LA VERRUGA. 595

car 1l le compare tantôt à un bacille, tantôt à un streptocoque. IL est impossible de savoir si ce savant a rencontré ou non le même microbe que nous.

M. Letulle a étudié des pièces de verruga cutanée enlevées par M. Odriozola sur le vivant; ilne nous donne point le nombre des examens faits par lui. Il a trouvé d’une façon constante, dans ses préparations, un microbe identique à celui que nous avions vu, etcomme lui semblable au bacille de Koch par sa forme etses réactions vis-à-vis des matières colorantes.

Les lésions de la verruga (cutanée) consistent pour M. Letulle dans une infiltration du tissu cutané et sous-cutané par des cellules leucocytaires, sans caséification, sans cellules géantes, sans englobement des microbes par les phagocytes.

Si, au point de vue bactériologique, les constatations de M. Letulle et les nôtres concordent, iln’en est point tout à fait de même, comme on le voit, au point de vue histologique. Nous avons constaté la caséification dans deux organes, la rate et un ganglion ; nous avons rencontré des cellules géantes dans le foie ; nous avons noté la présence intracellulaire de certains mi- crobes dans le poumon. Ces différences s'expliquent sans doute pas ce fait que nous n'avons point étudié les mêmes organes et que nous avons eu affaire à deux formes différentes de la même maladie. L'étude anatomo-pathologique de la verruga nous sem- ble donc être encore à faire.

Les constatations de M. Letulle, jointes aux nôtres, ont fait faire au contraire, à notre avis, un pas tout à fait décisif à l’étude bactériologique de la verruga. Tous deux, dans deux formes différentes de la maladie (ce qui prouve, en passant, l'identité de ces deux formes), nous avons rencontré un microorganisme semblable. Il ne nous paraït point possible que ce microbe soit autre chose que l’agent spécifique de la verruga. L'étude expéri- mentale dela maladie montrera sinos conclusions étaientexactes.

Le bacille de la verruga serait dans ce cas un microbe patho- gène nouveau à ranger dans la catégorie des microorganismes dont le bacille de Koch est le type, et qui comprend, en dehors de lui, le bacille aviaire, le bacille de la tuberculose de la carpe, le bacille lépreux, les bacilles pseudo-tuberculeux du beurre, les bacilles de Bordoni-Uffreduzzi et de Czaplewski. Ce serait comme eux un Sclerothrix. Rouen, 31 juillet 1898.

LE BACILLE DE LA DIPHTÉRIE PULLULE-T-IL DANS LES ORGANES?

MÉDECIN DES COLONIES

Dans leurs recherches sur la diphtérie, M: Lüffler, MM. Roux et Yersin ont établi‘ que l’on ne trouve le bacille spécifique que dans les fausses membranes, et que ce bacille est absent ou très rare dans les organes et le säng des personnes qui ont succombé à la diphtérie. Le bacille de la diphtérie ne pullule pas; d’après eux, dans les organes, et son développement parait mème bien- tôt entravé au point d’inoculation.

Au contraire, Frosch *, Kolisko et Paltauf, Wright‘ et d’autres savants, ont voulu démontrer que le bacille de la diphtérie pullule assez ordinairement dans le sang et les organes. En France, MM. Barbier et Richardière, dans des communications faites à la Société médicale des hôpitaux de Paris; ont, le 29 octobre 1897 et Le 2 janvier 1898, apporté des observations desquelles ils concluent qu'à « l’autopsie d'enfants morts de la diphtérie, on peut constater dans un assez grand nombre de cas la présence du bacille de Lüffer dans plusieurs organes (däns le sang, dans le poumon, dans la rate, et surtout fréquemment dans les centres bulbo-protubérantiels) ». Leurs recherches montreraient donc que «la présence du bacille de Lüffler dans les organes serait loin de constituer une rareté ».

En présence de ces opinions contradictoires, nous avons, sur les conseils et les indications de M: Roux, entrepris une série d'expériences et recherché ce que devient le bacillé diphtérique dans l'organisme animal. Nous nous sommes adressé au lapin et

l: Annales de l'Institut Pasteur, 2, 1888.

2 Frosca, Die Verbreitung des Diphteriebacillus in Kürper des Menschen. Zeitsch. f. Hyg. XII 1893.

3. Kouisko &r PazrAür, Züih Wesen des Croups und der Diphterie, Wiener Ain. Woch:, n5 8, 1889.

4. WaiGur, Studies in the Pathology of Diphterie. Boston Med. and Surg. Journal, novembre 1894.

BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 597

au cobaye. Pour éliminer dans nos expériences sur le lapin l'action de la toxine diphtérique soluble, nous n'avons pas employé de cultures en milieux liquides, mais des émulsions en bouillon stérilisé de bacilles de Lüffler, cultivés sur sérum. Les cultures inoculées étaient toutes àgées de 24 heures, et diluées au moment même de linoculation. De plus, pour mettre les bacilles ainsi inoculés dans les conditions les plus favorables à leur dissémination et à leur pullulation dans les organes, nous avons introduit ces émulsions dans le système veineux.

Chez le cobaye, nous avons fait des injections sous-cutanées, à l'abdomen, de cultures en bouillon âgées de 18 à 24 heures.

Nous nous sommes, pour ces expériences, servi de deux échantillons de bacilles mis obligeamment à notre disposition par M. Martin : l’un est le bacille bien connu dans la science sous le nom de bacille américain ou de Park et Williams; l’autre est connu à l’Institut Pasteur sous le 261. Ces deux échan- tillons nous ont amené d’ailleurs aux mêmes résultats.

ExPÉRIENCE 1. Le 98 mars, un lapin reçoit dans la veine marginale de l'oreille une culture de 261 sur sérum délayée dans du bouillon stérile (1 €. e.). Le 29, le lapin ne paraît pas malade, mais il mange peu. Le 30, son poil est hérissé ; l'animal est triste; il ne mange pas. Le 4e avril, le lapin meurt à 2 heures de l'après-midi (100 heures après l’inoculation). L'autopsie, faite immédiatement après la mort, ne dénote, comme lésions, qu'une dila- tation générale des vaisseaux, de la congestion des reins et des capsules surrénales. La rate est noirâtre, grosse. Les poumons sont sains. Le bulbe et l'encéphale paraissent normaux.

Le sang du cœur est examiné au microscope. On n'y rencontre aucun mieroorganisme. Ensemencé sur sérum (6 gouttes), il ne donne pas de culture.

Dans des préparations faites avec la pulpe de rate, de rein, de capsule surrénale, de poumon, de bulbe, de cerveau, le microscope ne montre aucun bacille diphtérique. Deux tubes de sérum sont ensemencés avec la pulpe, puisée purement, de chacun de ces organes : ces divers tubes restent stériles.

Exe. 1. Le 24 avril, on inocule dans la veine d’un lapin une culture sur sérum âgée de 24 heures, délayée dans 1 €. c. de bouillon stérile. Le lapin meurt le 29 avril. L'autopsie faite immédiatement après la mort montre les mêmes lésions que chez le lapin précédent.

Le sang du cœur, examiné au microscope, ne contient pas de bacilles. Six tubes de sérum sont largement ensemencés avec le sang puisé dans le cœur (10 gouttes pour chaque tube), une seule colonie est développée après 24 heures sur l’un de ces tubes.

98 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

La pulpe de la rate est examinée au microscope. On n'y voit aucun bacille, Mise à l’éture à 300, sous cloche humide, on y trouve après 48 heures une quantité assez abondante de bacilles de Lôffler. Les autres organes ensemencés sur sérum ne donnent pas de colonies. b

Exp. m1. Le 25 avril, un lapin est inoculé dans les mêmes conditions que les précédents. Il est trouvé mort le 1er mai au matin. L’aulopsie n’est faite que le 2 mai au matin, soit plus de 24 heures après la mort. Des pré- parations faites avec le sang du cœur et la pulpe des divers organes contien- nent un très petit nombre de bacilles de Lôffler qu'il faut chercher pour les trouver, et une assez grande abondance de bactérium col.

D'autres lapins inoculés dans les mêmes conditions que les précédents et autopsiés immédiatement après la mort donnent les mêmes résultats que dans les expériences I et II. La rate, mise à l’étuve, donne aussi les mêmes résultats que dans l’expérience IT.

De ces expériences on peut déduire que le bacille diphtérique introduit à l'état de pureté dans le système veineux du lapin ne se retrouve pas au microscope, qu'il ne pullule pas dans les organes. On ne le trouve qu'à l’élat d'unités isolées et extrême- ment rares. Pour le mettre en évidence, parles cultures sur sérum, il est nécessaire de faire de larges ensemencements, au moins 10 gouttes de sang pour avoir quelquefois une seule colonie, ou bien mettre la rate à l'étuve. Dans le cas les lapins sont autopsiés tardivement après la mort, le bacille se développe plus ou moins abondamment dans le sang ou les organes, comme dans la rate mise à l’étuve; et on le retrouve en compagnie de microorganismes qui ont passé de l'intestin dans les organes.

A la suite de ces premières constatations, 1l était intéressant de rechercher à quel moment le bacille diphtérique disparait du sang. Pour cela nous avons répété les expériences pré- cédentes en ayant soin de faire des prises de sang dans l'oreille du lapin, à des intervalles variables après l’inoculation, ou en sacrifiant les animaux dont la rate était mise à l’étuve, puis ensemencée.

Exp. 1v. Un lapin reçoit le 2 mai, à 10 heures du matin, dans la veine, une culture de bacille de Lôffler (bacille Park et Williams) sur séram, diluée dans Le. ce. de bouillon stérile. A 10 heures et demie, soit une demi-heure après l’inoculation, le sang pris dans la veine avec toutes les précautions de. pureté nécessaires est examiné au microscope. On y trouve des bacilles en très petit nombre, libres entre les globules du sang. Une goutte de ce sang ensemencée sur sérum donne des colonies typiques de bacille de Lôffler au bout de 24 heures.

BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 599

A 11 heures, soit une heure après l’inoculation, le microscope ne montre plus, dans le sang puisé dans l'oreille, de bacilles libres. On voit dans quelques leucocytes polynucléaires des bacilles ayant à peu près con- servé leur forme et mal colorés. L'ensemencement fait avec le sang ne donne que de rares colonies.

AN heures de l’après-midi, soit 4 heures après l’inoculation, une prise de sang est faite dans l'oreille. On n'y voit pas de bacilles libres. Dans les leu- cocytes polynucléaires on trouve des granulations éosinophiles.

Le lapin est sacrifié à 4 heures après-midi, soit 6 heures après l’inocu- lation. La rate ne renferme pas de bacilles. Ensemencée, elle ne donne pas de cultures. Mise à l’étuve, elle ne contient pas de bacilles après 48 heures. L'ensemencement à ce moment reste de même stérile. Les autres organes ne renferment pas de bacilles au moment de la mort.

ExP. v. Un lapin est inoculé le 3 mai à 2 heures de l'après-midi. Le sang examiné une demi-heure après renferme de très rares bacilles libres entre les globules et donne des colonies sur sérum. Une heure après le sang ne renferme pas de bacilles libres. Deux heures après, pas de bacilles, mais des granulations éosinophiles.

Ce lapin est sacrifié le 4 mai, à 10 heures du matin, soit 30 heures après l'incculation. Les organes et le sang ne donnent pas de culture. La rate, ensemencée, ne donne pas de culture; mise à l’étuve, elle ne renferme pas de bacilles après 48 heures.

Exp. vi. Un lapin inoculé le 3 mai à 2 heures de l'après-midi, dans les mêmes conditions que les précédents, est sacrifié le 5 mai, 48 heures après l’inoculation. La rate mise à l’étuve renferme quelques bacilles après 48 heures. Un ensemencement fait au moment de l’autopsie est resté stérile.

Exp. vu. Un lapin inoculé le 3 mai, à 2 heures après-midi, est sacrifié le 6 mai, alors qu'il paraissait très malade, 68 heures après l’inoculation. Le sang puisé dans le cœur ne contient pas de microbes. La rate mise à l'étuve renferme, 48 heures après, un certain nombre de bacilles ; elle n’en renfermait pas de visibles au microscope au moment de l’autopsie.

Exe. var. Un lapin, inoculé le 9 mai, est sacrifié 36 heures après. On pe voit pas de microbes dans le sang ni dans aucun organe. La rate, mise à l’éluve, ne montre aucun bacille après 48 heures.

Ces expériences montrent que le bacille diphtérique intro- duit dans le sang du lapin disparaît dans un intervalle compris entre une demi-heure et une heure après l’inoculation. Passé ce temps, le bacille est englobé dans les phagocytes on peut le retrouver mal coloré dans les premières heures, puis il se trans- forme en granulations éosinophiles deux heures environ après linoculation. Les bacilles peuvent donc être si réduits en nombre qu'il est impossible de les mettre en évidence au moyen du microscope. Dans certains cas même, les ensemencements

600 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

faits avec le sang six heures après l’inoculation restent stériles.

De même, dans la rate et les autres organes, les bacilles sont très rares dans les premières vingt-quatre heures. Si l’on sacrifie les animaux à ce moment, on peut ensemencer une grande quantité de pulpe sans obtenir de culture.

À mesure que l’empoisonnement progresse et que la mort approche, les bacilles sont plus fréquents, mais toujours cepen- dant à l’état d’unités isolées, et pour les mettre en évidence, le meilleur moyen est de mettre la rate tout entière à l'étuve. C’est après la mort de l'animal que la pullulation se fait vérita- blement.

Une autre série d'expériences a été faite sur le cobaye et a donné des résultats tout à fait semblables :

Exp. 1x. Un cobaye reçoit le {er juillet, sous la peau de l'abdomen, 4 c. c. d’une culture en bouillon de 24 heures. Une heure après, on puise de l’exsudat œdémateux au point d’inoculation. Au microscope on y trouve quelques bacilles libres, assez peu nombreux. On ensemence une goutte de cet exsudat sur sérum. 24 heures après, à colonies ont poussé sur un tube. 2 heures après l’inoculation on prélève de l'exsudat: on y voit des bacilles libres un peu plus nombreux que dans l’exsudat puisé une heure après l'inoeulation. à

Le cobaye meurt le 3 juillet au matin, soit 36 heures après l'inoculation. Dans l’ædème du point inoculé et dans la sérosité péritonéale, on trouve des bacilles libres plus nombreux; d’autres, en petit nombre aussi, sont englobés dans les phagocytes. Des préparations sont faites avec les ganglions mgui- naux, le foie, la rate, le rein, la capsule surrénale, le poumon, le bulbe et le cerveau. On n'y voit pas de bacilles. La rate, mise à l'étuve, renferme des bacilles de Lôffler 8 heures après.

Exp. x. Un cobaye est inoculé le 4 juillet avec 1 ce. c. de culture en bouillon âgée de 24 heures. Il meurt le à au soir. A l’autopsie faite de suite après la mort, on fait les mêmes constatations que dans l'expérience précé- dente, et la rate, mise à l’étuve, donne les mêmes résultats.

Exp. x1. Un cobaye est inoculé le 7 juillet avec 1 ec. c. de culture en bouillon de 24 heures. Il est sacrifié 2 heures après l'inoculation. Les organes ne renferment pas de microbes, pas plus que le sang. L’œdème du point d'inoculation renferme un nombre peu considérable de bacilles de Lôffler. Une goutte de cet exsudat ensemencé sur sérum donne 3 colonies typiques de bacilles diphtériques. La rate, mise à l’étuve, ne renferme pas de bacilles, 48 heures après. Ensemencée à ce moment (48 heures d’étuve), elle ne donne pas de colonies.

Exp. x. On inocule, le 7 juillet, sous la peau d'un cobaye, 1 €. c. d'une culture en bouillon de 24 heures. Le cobaye est sacrifié 4 heures après l’inoculation. Dans l’œdème, on ne trouve plus de bacilles. Une goutte de cet

BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 601

exsudat ensemencée sur sérum donne 18 colonies typiques, 24 heures après. La sérosité péritonéale renferme très peu de bacilles. Ensemencée ({ goutte), elle ne donne pas de colonies. Le sang et les divers organes sont examinés au microscope; on n'y trouve pas de bacilles. Leur ensemencement reste stérile. La rate mise à l’étuve ne renferme pas de bacilles 48 heures après et son ensemencement reste stérile.

Exp. xur. Un cobaye, inoculé le 9 juillet avec 1 c. e. de culture en bouillon âgée de 24 heures, est sacrifié 6 heures après. L'œdème examiné au microscope montre quelques bacilles. Une goutte de l’exsudat ensemen- cée sur sérum donne, 48 heures après, de très nombreuses colonies typiques. Une goutte de sérosité péritonéale ensemencée donne une colonie après 48 heures. La rate, qui ne renfermait pas de bacilles vus au microscope, au moment de l’autopsie, est mise à l’étuve. 24 heures après, on y trouve des bacilies de Lôffler assez nombreux, et son ensemencement donne des colonies sur sérum.

Exp. xiv. On injecte le 13 juillet, sous la peau d'un cobaye, 1 c. €. d'une culture en bouillon âgée de 24 heures. Ce cobaye est sacrifié 8 heures après. Une goutte d'æœdème est prélevée purement, et ensemencée sur sérum : une seule colonie se développe. Au microscope, on ne trouve qu'avec peine de rares bacilles dans l'ædème. La sérosité péritonéale ensemencée (1 goutte) ne donne naissance à aucune colonie. La rate, qui ne renferme pas de bacilles visibles au microscope, est miseà l’étuve; 48 heures après on y voit quelques rares bacilles.

Exp.xv. Un cobaye femelle en état de gestation reçoit sous la peau 1 c. c. de culture en bouillon, le 19 juillet. Il meurt le 21 juillet au matin, 30 heures après l'inoculation. Une goutte d'exsudat œdémateux ensemencée sur sérum donne une dizaine de colonies. La sérosité péritonéale, le microscope ne montre pas de bacilles, ne donne pas de colonies sur sérum. De même l'ensemencement fait avec le liquide pieurétique et le liquide amniotique et les divers organes reste stérile. Notons en passant que c’est la seule fois nous ayons trouvé un épanchement pleurétique chez nos cobayes inoculés avec le bacille de Lôffler, échantillon 261, et signalons aussi la stérilité du liquide amniotique.

En résumé, chez le cobaye, après l'inoculation sous-cutanée, comme chez le lapin, après les inoculations intra-veineuses, le bacille diphtérique n'a pas pullulé dans les organes. En exami- nant les expériences ci-dessus, on observe que dans l'exsudat ædémateux du point d’inoculation le nombre des bacilles parait diminuer dans la première heure qui suit l'inoculaton, puis il augmente jusqu'à la sixième heure, il atteint son maximum, et diminue ensuite jusqu'à la mort, ce nombre n'est pas plus grand qu'uneheure aprèsl’inoculation. De même, lorsqu'on met la rate à l’étuve, on ne trouve sûrement des bacilles dans cette rate que lorsqu'elle est extraite au moins 6heuresiaprès l'inoculation.

602 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

En analysant de près la communication faite par M. Richar- dière à la Société Médicale des Hôpitaux le 2 janvier 1898, on voit que, dans les observations dont il apporte les résultats, le bacille de Lüffler était toujours retrouvé en compagnie du strep— tocoque et du staphylocoque. Nous avons pensé qne la présence de ces microorganismes n’était pas étrangère à la diffusion du bacille diphtérique constatée par cet auteur, et nous avons fait une nouvelle série d'expériences dans le but de déterminer si en réalité le streptocoque et le staphylocoque ont une influence sur la pullulation du bacille diphtérique dans les organes. Nous avons donc inoculé dans la veine, à des lapins, des cultures sur sérum émulsionnées dans du bouillon stérile, en ayant soin d'a- jouter à cette émulsion une culture en bouillon de streptocoque ou de staphylocoque. Ces deux derniers microbes nous ont élé obligeamment donnés, le premier par M. Marmorek, le second par M. Binot.

Exp. xvr. Le 12 mai, à 10 heures du matin, un lapin reçoit dans la veine une culture de bacilles de Lôffler sur sérum âgée de 24 heures, diluée dans 1 c. ce. de bouillon, et à cette émulsion est ajouté 1/10 dec. e. de culture en bouillon ordinaire de streptocoque âgée de 24 heures. Du sang est puisé dans l'oreille 1 heure, 2 h., 4 h., 6 h., 8 h. après l'inocula- tion. Toutes ces préparations de sang montrent la présence des strepto- coques et de bacilles diphtériques plus nombreux à mesure que la prise du sang est faite plus longtemps après l’inoculation. Le lapin meurt le 14 mai, 52 heures après l’inoculation, et l’autopsie est faite immédiatement après la mort. Des préparations faites avec le sang du cœur, la pulpe de rate, le foie, les reins, les poumons, le bulbe, le cerveau renferment toutes un certain nombre de streptocoques avec une petite quantité de bacilles diphtériques, qui nous ont paru plus gros qu'ils n'étaient au moment de l'inoculation.

Exp. XVII ET XVII. Deux lapins inoculés le 18 mai dans les mêmes con- ditions donnent les mêmes résultats. ExP. xXIX ET xx. Le 22 mai, deux lapins reçoivent dans la veine une

culture de Lôffler sur sérum délayée dans 1 c. c. de bouillon, et additionnée de 1/2 ce. c. de culture en bouillon de staphylocoque âgée de 24 heures. Le sang puisé à divers intervalles après l’inoculation renferme des bacilles de Lüffler et des staphylocoques. A la mort, qui survient le 24 mai au matin, 90 et 54 heures après l'inoculation, le sang et les organes renferment des slaphylocoques nombreux et des bacilles de Lôffler en assez grande abon- dance.

EXP. XXI, xxI Er XXII. Des lapins sont inoculés dans les mêmes conditions que les deux précédents; on retrouve les mêmes résul- tats.

BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 603

Exp. xxiv. Un cobaye recoit le 19 juillet { ec. c. de culture de diphtérie, en bouillon, âgée de 24 heures, et 1 c. c. de culture de streptocoque en bouil- lon ordinaire, àgée de 24 heures. Des prises d'œdème faites 2, 4, 6, 8 heures après l’inoculation montrent la présence du bacille de Lôffler avec le strep- tocoque. A la mort, qui survient 30 heures après l’inoculation, les organes renferment tous une certaine quantité de bacilles de Lôffler avec un grand nombre de streptocoques.

Exp. xxv Er xxvi. Chez deux cobayes inoculés le 20 juillet dans les mêmes conditions, les résultats sont identiques. Exe. xXXvIT, XXVII ET xxIX. L'inoculation, le 21 juillet, du bacille diph-

térique associé au staphylocoque, sous la peau de trois cobayes, est suivie de mort en 28-32 heures, et à l’autopsie on retrouve dans tous les organes les bacilles diphtériques et le staphylocoque.

De cette seconde série d'expériences, il résulte que l’inocula- tion d'un mélange de bacilles de Lüffler et de streptocoques ou de staphylocoques est plus sévère que linoculation du seul bacille diphtérique, et que le bacille diphtérique ne disparaît ni du sang ni des organes, mais qu'on le retrouve toujours, quand il est associé, à quelque moment qu'on puise le sang dans l'oreille, ou l’'exsudat au point d’inoculation.

Pour conclure, nous dirons que le bacille de Lüffler ne pullule pas dans les organes lorsqu'il a été introduit isolément dans l'organisme, et que, pour qu'on le retrouve dans le sang ou les organes, il faut, d’une part, ne faire l’autopsie que tardivement après la mort, et d'autre part, qu'il soit associé à d’autres microorganismes, tels que le streptocoque et le staphylo- coque *.

1. M. Cuoghi Costantini a fait paraître dans le Policlinico du 1°: juin un article

sur le même sujet, et les conclusions que je viens de donner sont les mêmes que celles du travail de M. Cuoghi.

L'ÉPIDÉMIE DE PESTE DE DJEDDAH (1898).

Par le Dr NOURY BEY

Médecin de la Quarantaine. Préparateur à l’Institut [mpérial de bactériologie de Constantinople.

L'épidémie a débuté le 21 mars 1898. À ce moment, l’admi- nistration de la Quarantaine, qui nous avait envoyé en mission à la Mecque, nous donna ordre de retourner immédiatement à Djeddah pour étudier l'affection au point de vue bactériologique. Cette étude n’a pu être conduite comme nous l’aurions désiré, et ce n’est qu'au prix des plus grandes difficultés que nous avons recueilli les quelques documents qui vont être résumés.

L'épidémie a éclaté parmi les portefaix travaillant aux « Haouch », sortes de grands entrepôts construits dans deux des quartiers de la ville (quartiers de Yemen et de Mazloum). Ces portefaix appartiennent à la tribu Hadrami ». Ils ont été presque seuls atteints cette année, comme du reste l'an dernier.

L'enquête à laquelle nous nous sommes livré nous a démontré que l’origine première de la contamination doit être rapportée à des sacs de riz venant de Bombay et entreposés dans les « Haouch ». (Contamination directe ou contamination par les rats et souris ?)

Le premier individu atteint (le nommé Salem Ben-Békir) fut pris le 21 mars de fièvre, céphalalgie, etc., avec bubon inguinal gauche; il guérit par la suite. D’autres cas suivirent bientôt, presque toujours dans les deux quartiers existent les « Haouch » ; le troisième quartier (Chäm) fut moins éprouvé. Dès le début de l'affection, on vit dans les rues habitées par les pestiférés de nombreuses souris malades, se trainant avec peine et faciles à prendre à la main: il est remarquable que ces ron- geurs n'aient point joué Le rôle qu'on redoutait dans l'extension de la peste.

Le nombre des malades fut de 35, sur lesquels trois gué- rirent. L'épidémie dura 27 jours.

LA PESTE A DJEDDAH. 605

Nous n'avons rien observé de bien nouveau au point de vue clinique. Les bubons siégeaient le plus souvent à l’une des régions inguinales, deux fois à l’aine et au cou, deux fois au cou, une fois à l’aisselle.

Chez un malade seulement se sont montrés des phénomènes broncho-pneumoniques; ce malade guérit assez rapidement. Nous n’avons observé ni forme intestinale, ni forme hémorra- gique, ni éruptions cutanées. Il nous a été impossible de faire une seule autopsie, l'examen strict des malades offrant déjà les plus grands dangers (nous avons de bonnes raisons pour l’affirmer.)

Quatorze bubons ont été étudiés au point de vue bactério- logique. Parmi eux, 10 étaient déjà ouverts et en pleine suppuration (8° au 10° jour de laffection). Tantôt l'ouverture était spontanée, le plus souvent elle résultait d’une cautérisation au fer rouge pratiquée par le malade lui-même. Le pus de ces dix bubons, ensemencé à plusieurs reprises sur gélose, n’a jamais donné de cultures du bacille de Yersin; nous avons par contre isolé facilement des staphylocoques, des streptocoques, des colibacilles, des tétragènes.

Tous les malades dont il vient d’être question ont succombé, et l’on est en droit de se demander si les infections secondaires n'ont pas joué un rôle prédominant dans cette terminaison fatale.

Dans deux bubons non suppurés (3° et jour de l'affection) nous avons puisé la pulpe ganglionnaire qui nous a montré au microscope de nombreux bacilles pesteux types; les cultures ant été obtenues pures d'emblée.

Enfin, dans deux bubons suppurés et fermés (au 10° et 12° jour de l'affection), le pus prélevé en grande quantité et soumis à l'examen microscopique et aux cultures s’est révélé absolument stérile ; les malades ont guéri. Nous pensons que plusieurs des dix malades dont nous avons parlé plus haut auraient égale- ment guéri s'ils s'étaient abstenus de leur thérapeutique intem- pestive ou si, mieux encore, ils avaient consenti à se laisser soigner.

Deux examens de sang, chez les deux malades aux bubons aseptiques, sont restés négatifs. Les cultures faites avec les crachats de l’un de ces malades, atteint de broncho-pneumonie,

606 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

n’ont pas donné non plus de colonies du bacille de la peste.

Quatre souris ramassées mourantes dans les rues ont été également étudiées. À l’autopsie on trouvait une congestion généralisée des viscères avec hypertrophie de la rate, laquelle était parsemée de fines granulations jaunâtres. Dans le sang et la pulpe des organes, les bacilles de Yersin étaient extrêmement abondants; des cultures pures ont été obtenues avec la plus grande facilité.

Les bacilles rencontrés par nous chez l'homme et la souris étaient absolument caractéristiques. Dans la pulpe des bubons, et le suc des organes des souris, bacilles classiques en navette, avec un certain nombre de grosses formes rondes involutives, formes qu’on retrouvait dans les cultures (surtout anciennes).

Ensemencés dans le bouillon, nos bacilles donnent d’abord un dépôt floconneux avec un trouble léger du liquide, puis un trouble assez marqué, limité aux régions superficielles et suivi de l'apparition d’un voile. Ce voile est trèsépais au niveau des pa- rois du tube, à peine perceptible sur le reste de la surface libre ; il rappelle absolument l'anneau des cultures du pneumo-bacille.

Sur gélose, nous avons rencontré, comme Yersin, de grandes et de petites colonies, ces dernières bien plus nombreuses.

Les bacilles, en chaïînette dans le bouillon, offraient au con- traire une forme assez allongée sur gélose, etc... En somme, caractères classiques.

Les cultures se faisaient infiniment mieux à 30° qu’à 35°. A elles ont toujours échoué. A 30° on peut isoler facilement le bacille en 412 heures sur la gélose.

Avec une trace de suc splénique d’une souris morte de l'affection naturelle, nous avons inoculé sous la peau un lapin de taille moyenne qui est mort en 60 heures avec les signes et lésions ordinaires.

Avec de petites doses de plusieurs cultures, nous avons inoculé, sous la peau, des cobayes de 450 à 500 grammes qui ont succombé en 2-4 jours; ils offraient également les caractères cliniques et anatomiques bien connus.

Inutile de dire que nous n’avons pu faire aucune recherche d'ordre sérodiagnostique ni utiliser le sérum antipesteux que M. le D' Roux avait eu la bonté d'envoyer à Constantinople et à Djeddah. Constantinople, juillet 1898.

REVUES ET ANALYSES

DU POUVOIR BACTÉRICIDE DEN LEUCOCYTES

Par Le D' BESREDKA

(Conférence faite à l’Institut Pasteur le 16 juillet 1898.)

Depuis quelques années, il a paru un nombre considérable de tra- vaux ayant trait aux propriétés bactéricides du sang et en particulier des leucocytes, et qui visent à rattacher les problèmes de l’immunité à l’action bactéricide des humeurs de l’organisme.

Les humeurs, dans la conception primitive des médecins allemands et belges, auteurs de ces travaux, auraient pour mission de veiller à la désinfection des organes internes, à la façon des antiseptiques servant journellement à l’usage externe.

Cette théorie purement humorale, qui, naturelle au début, n’a pas tardé à se montrer bien simpliste, à eu cependant le mérite de susciter de nombreuses expériences, qui ont ramené leurs auteurs à de meil- leurs sentiments vis-à-vis de la théorie cellulaire.

L'étude des propriétés bactéricides des divers éléments du sang, dans ses rapports avec l'immunité, demanderait beaucoup trop de déve- loppements ; nous limiterons donc le sujet de cette Revue à l’étude de l’origine des matières bactéricides du sang. Nous ne traiterons de leurs rapports avec l’'immunité qu’en tant qu’il sera strictement nécessaire.

Pour mettre un peu d’ordre dans cette question fort compliquée, nous croyons utile d’établir différentes périodes : cette division est justifiée par l’évolution successive des idées sur les matières bacté- ricides du sérum et leurs sources d’origine.

I

C’est incontestablement M. Buchner, de Munich, qui a le droit d’être considéré comme le chef autorisé de la doctrine humorale, dans

laquelle le parti intransigeant est représenté au début par les profes- seurs Emmerich et Tsuboï.

608 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Buchner considérait la propriété bactéricide du sérum comme une manifestation vitale; Emmerich et Tsuboï n’y voient qu'une réaction chimique pure et simple. Ils considèrent la sérine comme la substance bactéricide du sérum par excellence, et expliquent la perte de son pouvoir par le chauffage à 55°, en admettant qu’à cette température la molécule complexe de la sérine se désagrège en perdant son élé- ment alcalin, lequel, devenu libre, se combine à l’acide libre (?) pré- sent dans le sérum; d'où impossibilité pour le sérum de récupérer sa propriété bactéricide une fois revenu à la température normale, la composition chimique du sérum n'étant plus la même.

Emmerich et Tsuboï trouvent la justification de leur hypothèse dans ce fait que le sérum chauffé et dépourvu par conséquent de son pouvoir bactéricide, le reprend lorsque lon le traite par une solution étendue d’alcali.

Cette expérience serait en effet démonstrative et fort intéressante ; en effet, voilà un sérum qui ést contenu dans un tube à essai, donc à l'abri de toute influence l'organisme, et qui, d’inolfensif après le chauffage, redevient à volonté aussi bactéricide qu’il était primitive- ment, avant l’action de la chaleur.

Ceci méritait d’être étudié de plus près. Buchner, après avoir fait celte étude, se montra d’un scépticisme peu encourageant vis-à-vis des conclusions de Emmerich et Tsuboï, et s’én trouva affermi dans ses idées propres.

Avant Buchner, divers expérimentateurs avaient observé la des- truction des microbes amenës au contact du sag et d’autres humeurs organiques. Ainsi, Fodor ayant constaté la disparition des bactéridies charbonneuses injectées dans le Sang du läpin, en conclut qué le plasma jouit d’un pouvoir destructif, conclusion qu'il crut avoir jus- tiliée par des expériences faites sur le sang 2h vitro.

La mème influence du sang défibriné sur le charbon à été ensuite constatée par Nuttall, qui a confirmé les conclusions Fodor, ét les à étendues à l’humeur aqueuse du lapin et à d’autres liquides orgä- niques. C’est lui qui a signalé le premier que le sang chauffé à 550 perd sa propriété bactéricide.

En s'appuyant sur ces faits, ainsi que sur d’autres analogues four- nis notamment par Behring et Flügge, M. Buchter à construit toute une théorie de l’immunité, aÿant pour bäse l’action bactéricide dés humeurs.

Dans cette théorie, qui est l’antipode de la théorie phagocytaire, le pouvoir bäctéricide du sang appartient au sérum lui-mêmé, el non pas à une action directe des éléments cellulaires du sang; contraire- ment à Emmerich, Buchner considère ce pouvoir comme une réaction vitale de l'organisme.

REVUES ET ANALYSES. 609

nom d’«alexine »; et il faut avouer qu'à cet égard ses efforts n’ont pas été couronnés de succès.

Toutes nos connaissances actuelles se réduisent à peu près à ce caractère unique, mais précieux, qui a été observé encore par Nuttall : c’est la façon dont les alexines se comportent vis-à-vis du chauffage à 590,

Les autres caractères des alexines, étudiés par Buchner, sont intéressants, mais moins caractéristiques. Ainsi il a vu que les sub- tances bactéricides du sérum sont indifférentes vis-à-vis des basses températures ; qu’elles ont besoin, pour être mises en jeu, de différents sels; que les alexines auxquelles on enlève ces sels par la dialyse perdent leur propriété; en réajoutant ces sels au sérum, on lui rend le pouvoir bactéricide.

Quant à caractériser de plus près la matière albuminoïde des alexines, Büchner y a renoncé. Telle est la physionomie un peu vague des alexines, partie constituante du sérum, d’après Büchner, et fonc- tionnant, toujours d’après lui, dans l’organisme de la même façon qu'en dehors de lui.

Il

Les idées humorales de Büchner ont rencontré l’adhésion cha- leureuse de M. Denys, de Louvain, qui a publié et inspiré plusieurs mémoires dans lesquels ces idées sont défendues avec beaucoup de conviction.

Quand on relit ces travaux en ce moment, les idées en général et celles de leurs auteurs en particulier se sont modifiées, on s’étonne du tribut involontaire que payent aux idées régnantes les conclusions scientifiques, qui peuvent changer, alors que les faits qui ont servi à les justifier sont restés immuables.

Ainsi Bastin, élève de Denys, se propose d'étudier en 1892 l'effet produit sur le pouvoir bactéricide du sang par l'injection des microbes et de leurs produits. En constatant que ce pouvoir est dans ces cas diminué ou aboli, il se demande si cela n’est pas à l’action des toxines bactériennes sur les substances bactéricides du sérum, et à la suite d’une série d'expériences, exactes en elles-mêmes, il arrive à la confirmation de son hypothèse, d’une neutralisation des toxines par les substances bactéricides du sérum.

En expérimentant toujours dans le même ordres d'idées, Bastin a constaté ensuite que dans les infections généralisées, aboutissant à une mort rapide, le pouvoir bactéricide du sang est diminué ou aboli, ét que le degré de cette diminution paraît être en rapport avec l’inten- sité de l’affection.

39

610 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Il est entendu que les expériences ont été effectuées avec le sang retiré des vaisseaux; et maintenant que nous connaissons le véritable mécanisme de ces phénomènes, nous savons à quoi nous en tenir quand l’auteur affirme avoir la conviction que le pouvoir bactéricide du sang doit jouer un rôle important dans la défense de l’organisme contre les microbes.

Les substances bactéricides propres au sérum proviennent, d’après l’auteur, d’une élaboration spéciale de l’organisme, et nulle part, au cours de son mémoire, nous ne trouvons la moindre mention des glo- bules blancs.

Le travail paru l’année suivante, celui de Denys et de Kaïdin, témoigne de ia même confiance dans les idées de Büchner, comme on le voit dans la phrase suivante : ( Ces liquides (sang, sérum, lymphe), constituent de vraies solutions antiseptiques; à ce point de vue, nos travaux confirmentcomplètementla manière de voir de Nuttall,Buchner, Emmerich et de beaucoup d’autres » ; et, un peu plus loin dans le même

mémoire, M. Denys résume ses nombreuses expériences par la décla- ration catégorique que voici : « Nous sommes donc partisans d’une action énergique des humeurs dans la défense de l’organisme. »

Ainsi nous voyons toute une série de travaux se succéder qui, sans souffler mot du rôle des leucocytes, attribuent à la propriété bactéri- cide du sang un rôle essentiel dans l’immunité, et la considèrent comme un caractère inhérent, indissolublement lié au sérum, par conséquent, appartenant au plasma du sang en circulation.

Telle a été la première période que nous pourrions désigner sous le nom de période préleucocytaire ; et dire qu’elle a eu lieu à l'époque la phagocytose entrait presque dans sa dixième année d'existence!

IT

On dirait qu’il avait été écrit que la doctrine cellulaire de l’immu- nité devrait ses plus belles pages à ses adversaires les plus convain- cus. Toute son histoire est pour le prouver. Tantôt directement, comme c’est le cas pour le laboratoire de Denys, tantôt et le plus sou- vent indirectement, ces adversaires contribuaient à découvrir des nou- velles preuves de son importance, précisément ils croyaient avoir démontré sa faillite irréparable.

C’est à M. Denys que revient le mérite d’avoir inauguré la seconde période dans l'étude de la fonction bactéricide du sang.

Cette période se caractérise par la place prédominante donnée aux leucocytes, au détriment du sérum, dont le rôle devient passif et se

trouve ainsi relégué au dernier plan.

REVUES ET ANALYSES. 611

Les expériences de Denys sont aussi démonstratives que simples. Par une technique assez ingénieuse de filtration, il parvient à séparer du sang ses globules blancs et rien que ces globules; il compare ensuite les pouvoirs bactéricides du sang complet et du sang dépouillé de ses leucocytes; et chaque fois il constate que dès qu'il enlève au sang par filtration ses globules blancs, du même coup il le prive de la plus grande partie de son pouvoir bactéricide.

C’est une expérience fondamentale, dont l'interprétation n’est pas discutable : ce sont les globules blancs du sang qui sont la source prineipale de la propriété bactéricide que l’on a Jusqu'ici, à tort, attri- buée au sérum.

S'il en est ainsi, on devait pouvoir restituer au sang séparé de ses leucocytes, et par cela devenu inactif, des propriétés bactéricides, en lui rendant des leucocytes : c’est ce qui a été réalisé par Denys. En ajoutant au sang filtré des globules de pus obtenus avec des cultures mortes de staphylocoques, il a réussi à régénérer le sang, c’est-à- dire à lui communiquer un pouvoir bactéricide considérable.

Il ressort donc de ces expériences que les substances bactéricides du sang ont pour siège les éléments cellulaires, les globules blancs ; quant à la partie liquide du sang, elle en est dépourvue à l'état vivant, et si elle devient bactéricide, ce n’est qu’en empruntant cette propriété aux globules blancs.

Voilà déjà qui est acquis.

Nous ferons toutefois remarquer que M. Denys, si on en juge d’après ses différents travaux, ne paraît pas être partisan de la théorie exclusivement cellulaire ; les leucocytes ne seraient pas pour lui la source unique du pouvoir bactéricide du sang, le sérum pouvant en posséder aussi pour son propre compte.

Cette réserve faite, reportons-nous maintenant au chapitre précé- dent et souvenons-nous que Bastin, élève de Denys, en étudiant ce qui se passe avec le pouvoir bactéricide du sang après l'injection des microbes, avait conclu à la neutralisation des toxines par les substances bactéricides propres du sérum.

Cette conclusion purement humorale a inquiéter M. Denys dès qu'il a pu s'assurer par lui-même que le sérum dans l'organisme vivant n'intervient pas pour beaucoup dans la destruction des micro- bes. Il a donc chargé un autre de ses élèves, M. Havet, de reprendre la question, en lui recommandant probablement de se préoccuper des leucocytes.

Les résultats n'étaient pas difficiles à prévoir. M. Havet a constaté, en effet, que si l'on injecte des microbes dans le sang, le pouvoir bac- téricide diminue graduellement au fur et à mesure que les leucocytes disparaissent; que la perte du pouvoir bactéricide marche de pair

612 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

avec la disparition des leucocytes : qu'enfin la réapparition du pou- voir bactéricide, qui a lieu un certain temps après l'injection, coïncide avec le retour des leucocytes dans le sang.

Le même parallélisme entre le pouvoir bactéricide et les réactions leucocytaires a été constaté par l’auteur lorsqu'il a injecté dans le sang, non pas des microbes, mais des produits microbiens.

Ces expériences démontrent donc avec évidence que l'hypothèse primitive de Bastin, la neutralisation dans le sérum, basée sur la théorie humorale, est complètement erronée; d’autre part, elles por- tent cet enseignement que quiconque voudra dorénavant s’attacher à l'étude des substances bactéricides du sang, devra tenir compte des leucocytes, et d'eux seuls.

C’est ce qu'a compris Buchner, dont la doctrine humorale ne pouvait persister en présence des faits aussi précis. Force lui a été de faire d'importantes concessions.

Ce n’est pas sans formuler des objections au sujet de la technique de filtration de Denys, et par cela même au sujet de ses conclusions, que Buchner, à la suite de ses propres expériences, a renoncé à sa manière primitive de voir, et a finalement accepté les conclusions du savant belge.

Que les leucocytes soient le primum movens dans la destruction des microbes, personne ne le met donc plus en doute, mais M. Buchner se sépare de M. Metchnikoff quand il s’agit d'expliquer le mode d’action des leucocytes.

En effet, en 1894 il a émis une théorie de conciliation qui est con- nue sous le nom de théorie des alexines.

M. Buchner reconnait volontiers le rôle important des leucocytes, puisqu'il déclare que ce sont eux qui accourent dans les endroits menacés par les microbes; seulement, il suppose, et c'est pour cela que sa théorie n’est pas de la phagocytose pure, que les leucocytes mettent en œuvre leur influence destructive non seulement dans l’in- térieur de leurs corps protoplasmiques, mais encore en dehors d’eux, dans le plasma sanguin.

Et voici comment il est arrivé à justifier cette manière de voir.

En reprenant les expériences de Denys résumées plus haut, Buchner a puen effet constater ce fait très important qu’en ajoutant des leuco- cytes à un sérum inactif, on lui restitue par cela même un pouvoir bactéricide notable.

Une question s'impose alors naturellement, c’est de savoir quel est le mécanisme du phénomène.

Denys déclare catégoriquement que c’est le fait de la phagocytose, et il le dit en s'appuyant sur l’examen microscopique.

Buchner est du même avis : il affirme avoir assisté en expérimen-

REVUES ET ANALYSES. 613

tant avec des exsudats leucocytaires « à la phagocytose la plus belle et la plus prononcée »; mais, ajoute-t-il tout à coup, la phagocytose peut ne pas être la cause principale de la destruction des microbes, celle-ci pouvant s’accomplir sous l'influence des produits solubles sécrétés par les leucocytes.

Pour formuler une thèse d’une portée théorique aussi générale, un savant comme M. Buchner doit avoir des preuves tout à fait démonstratives.

Sur quoi se base-t-il pourtant pour parler de sécrétion? Sur le fait que les leucocytes, frappés dans leur vitalité par la congélation, four- nissent un liquide bactéricide, bien qu'ils ne soient plus capables de fonctionner en tant que phagocytes.

Est-ce une démonstration suffisante ?

Nous ne le pensons pas. Est-ce qu’une substance bactéricide quel- conque renfermée dans une fiole devient une sécrétion par le fait que la fiole a été cassée? En congelant dans un mélange réfrigérant l’exsu- dat leucocytaire et en le redissolvant ensuite, Buchner à tout simple- ment rendu le protoplasma ainsi {ué propre à la diffusion facile de sa substance bactéricide, mais rien ne nous autorise à admettre que cette diffusion soit un mécanisme ( de sécrétion physiologique du protoplasma leucocytaire vivant ».

La seule conclusion logique que comporte l'expérience très intéres- sante de M. Buchner est celle-ci : les leucocytes sont capables de fournir des substances bactéricides, lorsqu'ils sont soumis à la congé- lation préalable, ce qui n’est pas précisément le cas dans l’organisme vivant.

Cependant Buchner n’en persiste pas moins à considérer la sécré- tion leucocytaire comme un phénomène vital, ayant la primauté dans la question de l’immunité.

Pour nous cette sécrétion n’est qu’une vue de l'esprit, n’ayant pour elle jusqu'ici aucune base expérimentale.

Et en effet, depuis 1894, de nombreux travaux ont été publiés par les élèves de Buchner, sans qu’ils aient pu apporter le moindre fait sérieux à l’appui de cette hypothèse; et pourtant c’est elle qui est le point unique du litige entre la phagocytose et la théorie dite humorale.

Nous devons toutefois remarquer que Buchner ne se montre plus maintenant aussi enthousiaste de la sécrétion leucocytaire qu'il avait été auparavant. Un de ses anciens élèves qui s’est beaucoup occupé de la question, M. Schattenffroh, est même allé jusqü’à dire, dans son récent mémoire, qu'aucun fait invoqué ou par Buchner ou par ses élèves (M. Hahn entre autres) ne saurait être interprété dans le sens de la sécrétion leucocytaire.

614 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Cetle déclaration d’un ancien élève de Buchner est précieuse en ce sens qu'elle fait avancer la question d’un pas important vers le rap- prochement de deux théories ennemies.

Pour en finir avec cette question, ajoutons que s’il n’y a aucune’ preuve en faveur de la sécrétion leucocytaire, il y a en revanche une expérience de M. Metchnikoff qui plaide contre.

Rappelons-nous que l’exemple pour ainsi dire classique de l’action bactéricide des humeurs est, d’après les auteurs allemands, celui du phénomène de Pfeiffer.

Si récllement les leucocytes sont doués de la propriété de sécréter, supposition qui a priori est fort probable, vu que tant d’autres cellules possèdent une propriété analogue, c’est sûrement dans le phénomène de Pfeiffer que cette propriété doit se révéler de la façon la plus ma- nifeste.

Renforçons les leucocytes par l’injection préalable de bouillon: si le pouvoir de sécrétion est une fonction physiologique des leucocytes, ce pouvoir devrait se trouver renforcé du même coup, et chez l’animal préparé par celte injeclion, nous devrions assister à un phénomène de ?feiffer beaucoup plus accentué que celui qu’on voit chez l'animal non préparé. En réalité, il n’en est rien : au contraire, quand le système leucocytaire de la cavité péritonéale se trouve en état de suractivité, il n'y a plus de phénomène de Pfeiffer, il n’y a plus d'action des humeurs, il n’y a donc plus de sécrétion leucocytaire.

ILest donc évident que le fait de la présence des substances bacté- ricides dans les humeurs, dans le liquide péritonéal en particulier, ne peut nullement être considéré comme relevant de la fonction physiolo- gique des leucocytes; comme l’a démontré M. Metchnikoff, il s'agit d’un phénomène pathologique lié à la souffrance des leucocytes, à la phagolyse.

v

Quelles que soient les idées sur le mode d'action des leucocytes, toujours est-il qu’ils agissent, et plusieurs savants se sont demandé quelie est la nature de la substance active des leucocytes.

Tout le monde a encore présente à l'esprit la tentative infructueuse de MM. Hankin et Kanthack, de considérer les granulations éosino- philes comme bactéricides des globules blancs.

Nous ne pouvons que mentionner la tendance de MM. Vaughan et Kossel de ramener la question sur le terrain chimique ; pour eux, ce sont l’acide nucléique ou les nucléines qui conféreraient aux leuco- cytes leur fonction d'agents microbicides: mais cette supposition a besoin de preuves plus concluantes que celles qui ont pu être appor- tées jusqu'ici, et il semble qu’on soit allé un peu trop vite dans

REVUES ET ANALYSES. 615

le désir de trouver les substances bactéricides toutes faites sous forme de nucléines ou granulations éosinophiles, .

La tendance des bactériologistes de revenir autant que possible sur le terrain chimique a pourtant communiqué une nouvelle orienta- tion aux travaux sur le pouvoir bactéricide des leucocytes.

C’est en Allemagne que les tendances chimiques dans l’étude des leucocytes se sont le plus manifestées. Comme cette nouvelle direction est toute récente, il nous est impossible pour le moment de donner une idée d'ensemble de ces recherches ; nous sommes donc réduits à résumer séparément les travaux qui s'imposent le plus à notre atlen- tion,

Nous nous proposons de parler de travaux de MM. Jacob, Lüwit et Schattenfroh. Tous ces travaux doivent être rangés dans une même catégorie : ils ont ceci de commun qu’ils s'occupent des « extraits » retirés des corps des leucocytes,

VI

M. Jacob, qui est très connu par ses recherches sur les globules blancs, prépare « l'extrait » leucocytaire de la façon suivante. Le sang recueilli directement de la carotide est additionné d'une solution de carbonate de soude à 0,5 0/0; il y ajoute du chloroforme (1 p. 100 du liquide) et abandonne le mélange pendant 24 heures à la température de la chambre; il filtre, et le filtratum additionné à nouveau d’un peu de chloroforme est « l'extrait » en question.

Par l'injection de protalbumose sous la peau des lapins, il provoque une hypoleucocytose qui est suivie d’une hyperleucocytose. Il recueille le sang à ces deux moments, et aussi un certain temps après la dispa- rition de l’hyperleucocytose (40 heures après l'injection).

Le sang recueilli à chacune de ces trois saignées est divisé en trois portions; une portion serià obtenir du sérum par le procédé ordinaire ; une autre portion est employée telle quelle : elle représente donc le sang complet; la troisième portion sert à préparer (l’extrait» leucocy- taire dont il vient d’être question.

Il obtient ainsi neuf différentes préparations de sang, sans compter celles du sang normal dont il tire aussi trois préparations : sérum, sang complet et extrait leucocytaire. En tout, cela fait douze liqueurs dont il se propose d'étudier les vertus préventives vis-à-vis d’une dose mortelle de pneumocoques.

Les résultats de ces expériences sont très intéressants, si on en juge d’après le résumé fait par l'auteur. Ainsi, les extraits «leucocytaires se sont montrés plus actifs » que le sang complet, et ce dernier supé- rieur au sérum seul.

C'est le fait capital du mémoire, L'auteur dit ensuite que dans

616 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

certains cas la différence a été notable quand on comparait les prépa- rations provenant du stadehypo et hyperleucocytaire ; en ce qui con- cerne le sérum pur, cette différence était nulle, c’est-à-dire que le ré- sultat était le même qu'on employât le sérum du stade hypoleucocyÿ- taire ou hyperleucocytaire.

En ce qui concerne le sang normal, aussi l’effet de l’ « extrait » leucocytaire a été plus prononcé que celui du sang complet, et encore beaucoup plus que celui du sérum seul.

Comment donc faut-il interpréter l’action aussi évidente des extraits leucocytaires? M. Jacob déclare que la phagocytose n’est pour rien dans laction de ses « extraits », pourtant si actifs dans leurs deux propriétés préventive et bactéricide (ce qui est un pour l’auteur).

Nous avons déjà répondu à une objection identique formulée par M. Buchner: nous n’y reviendrons plus.

Admettons donc que la phagocytose n’est pour rien dans les « extraits » leucocytaires en général, et dans celui de M. Jacob en particulier.

Mais, en ce qui concerne ce dernier savant, nous nous permettrons d'émettre quelques doutes sur la participation des leucocytes eux- mêmes.

En effet, quand on examine de près les protocoles d’expérience de M. Jacob, on éprouve une certaine désillusion, et, pour la justifier, il est de notre devoir d'exposer les résultats d’une série (11) d’expé- riences.

Dans cette série, qui comprend 11 lapins :

a). 2 ont été traités préventivement par le sérum (hypo et nyper- leucocytaire); ils ont survécu tous les deux.

b). Sur 4 lapins, traités par le sang complet, les 2 qui ont reçu du sang hypoleucocytaire sont morts ; les 2 autres qui ont reçu du sang hyperleucocytaire ont survécu.

c). Enfin, et c’est le point essentiel, 5 lapins ont été traités avec extrait leucocytaire (avec une dose deux fois plus forte que précé- demment) ; sur ces à lapins, 2 seulement ont survécu (extrait hyper- leucocytaire), trois sont morts (extrait hypoleucocytaire).

Il en résulte donc que la réalité est moins brillante que cela ne pa- raît être si on en juge d’après les conclusions de l’auteur.

Voiciun (extrait » leucocytaire qui, à la dose de 15 c. c., laisse périr trois lapins sur cinq, tandis que la dose deux fois moindre (7 c. c.) du sérum ordinaire suffit pour préserver l’animal chaque fois que l'on en injecte.

Et chose curieuse! de ces trois lapins ayant succombé malgré l'extrait, un est mort au bout de 22 heures; le second en moins de 11 heures (l'expérience a été faite le soir et le lapin fût trouvé mort le

REVUES ET ANALYSES. 617

lendemain matin) et le troisième au bout de { heure, tandis que le témoin ne meurt généralement, d’après l’auteur, qu'au bout de 34 heures,

M. Jacob ne semble pas y faire attention; on conviendra cependant que le fait est étrange; et on se demande si la substance active des leucocytes n’entrant que pour une très faible part dans la constitution de L « extrait », le chloroforme n’y serait pas entré pour beaucoup trop au détriment de la netteté du résultat.

Nous ne pouvons pas nous arrêter davantage à ce mémoire, d’ail- leurs très intéressant dans sa conception. Nous passons aux recher- ches de M. Lüvwit, professeur de pathologie générale à [nns- bruck.

VII

M. Lüwit a fait paraître en 1897 un grand mémoire sur les leuco- cytes et leurs rapports avec le pouvoir bactéricide du sang, Ce qui est précieux dans ce travail, c’est la prudente réserve de l’auteur dès qu'il s’agit de tirer une conclusion décisive après l'exposé d’une longue série d'expériences.

Mais au point de vue des faits nouveaux et de la façon de conduire les expériences, ce mémoire laisse à désirer, bien qu'il porte la marque d’un labeur tenace et d’une habileté d’expérimentation remar- quable,

L'auteur se propose de résoudre deux questions :

Sont-ce véritablement les leucocytes qui détiennent le pouvoir bactéricide? et si oui, peut-on en extraire in vivo la substance bac- téricide.

Ce sont des questions que, comme nous le savons déjà, d’autres auteurs ont abordées, mais par des procédés autres que ceux dont s’est servi M. Lüwit.

Voici comment il procède : au lieu de filtrer les globules blancs, comme l’a fait Denys, pour savoir ce que devient le pouvoir bactéri- cide du sang dépouillé de ses leucocytes, Lüwit cherche à atteindre le même effet in vivo par un moyen un peu héroïque : il lie l’aorte immédiatement après l'émergence du tronc brachio-céphalique.

C’est une opération peu banale, surtout si on tient compte des difficultés énormes qu'il a surmonter ; il a eu tout le temps à lutter contre l’æœdème des poumons qui le menaçait à chaque instant; il a avoir soin de bien curariser l’animal pour empêcher la contraction des muscles, ce qui aurait déterminé un œdème fatal ; de bien conduire la respiration artificielle et de la maintenir toujours au même degré; de surveiller attentivement le cœur qui, fortement incommodé par la ligature de l'aorte, ne demandait qu'à céder, etc,

618 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Malgré toute l’habileté de l’auteur, il y a eu de nombreux accidents, puisque les lapins succombaient avant qu’on ait eu le temps de les utiliser. Dans les cas favorables, c’est-à-dire, lorsque l'animal échappait à la mort immédiate, toutes les recommandations sus- indiquées étant minutieusement exécutées, il ne pouvait cependant survivre plus de deux heures.

C'est dans de telles conditions réputées favorables qu’opérait M. Lüwit.

De ses nombreuses expériences l’auteur tire la conclusion suivante : lorsque, après la ligature de l’aorte, le nombre de leucocytes tombe au- dessous de 800 dans un millimètre cube, le pouvoir bactéricide du sang est notablement diminué ou aboli; lorsque le nombre de leucocytes dépasse 1,000 dans un millimètre cube, le pouvoir bactéricide ne se distingue presque pas de l’état normal. Il ajoute ensuite que, vu la dis- parition des polynucléaires dans les cas d’hypoleucocytose notable (au-dessous de 800), on serait autorisé à considérer ces leucocytes comme les possesseurs de la substance bactéricide.

Les conclusions de M. Lüwit auraient certainement un grand mérite, notamment celui de confirmer les expériences de Denyset de les étendre aux phénomènes se passant in vivo, mais malheureusement les expériences qui en font la base prêtent le flanc à des objections sérieuses.

Tout d'abord, M. Lüwit ne devrait pas, croyons-nous, avoir une confiance aussi absolue dans des expériences exécutées dans des con- ditions aussi peu ordinaires.

Si la ligature de l'aorte n’amenait qu’un abaissement considérable des leucocytes et rien de plus, l’auteur serait en plein droit d'en con- clure que le pouvoir bactéricide est lié à la présence des leucocytes: mais ce n’est pas précisément le cas, comme l’a d’ailleurs bien vu M. Lüwit lui-même. A côté d’une hypoleucocytose notable se passent des phénomènes si compliqués etcompromettant à tel point l'organisme, que l'animal meurt dans le cas le plus favorable au bout de 2 heures. Le fonctionnement de tous les organes et en particulier des leucocytes ne saurait évidemment être celui de l'état normal.

M. Lüvwit a constaté lui-même que le sang contient dans ces condi- tions nombre de débris leucocytaires, produits de leur destruction, que la température rectale descend à des degrés impossibles, de 290 à 25°: et c’est au milieu de cet affolement géneral de l'organisme qu'il cherche à établir des relations exactes quelques leucocytes près), entre le nombre de leucocytes et le pouvoir bactéricide…

La seconde objection que nous nous permettons de formuler a trait à la précision des numérations de globules blancs. Au-dessus de 1,000 leucocytes, nous dit-on, le pouvoir® bactéricide reste tel quel, mais déjà, au-dessous de 800, il est très diminué ou aboli;

REVUES ET ANALYSES. 619

D'abord nous ne nous expliquons pas bien comment une hypoleu- cocytose aussi profonde que celle qui ne laisse que 1,000 globules blancs ne retentit nullement ou peu sur le pouvoir bactéricide, et qu'à 800 leucocytes le pouvoir bactéricide se trouvetout d’un coup fortement diminué ou même nul.

Les appareils de numération des leucocytes ne sont d’ailleurs exacts qu’à 400 ou 500 leucocytes près.

Toutes ces considérations nous obligent de faire des réserves en ce qui concerne le premier problème:que s’est posé M. Lüwit, et qui traite du rapport entre le nombre de leucocytes et le pouvoir bactéricide in vivo; non pas que nous mettions en doute la réalité de ce rapport, mais parce que les expériences ci-dessus ne nous semblent pas l'avoir démontré d’une façon péremptoire.

Quant au second problème qui fait le sujet du même travail, et qui touche à la préparation d’un « extrait » leucocytaire, il n’est pas encore définitivement résolu non plus.

Le mode de préparation de cet extrait diffère de celui employé par M. Jacob et de celui de M. Buchner.

Les leucocytes isolés aussi proprement que possible sont triturés avec une poudre fine de verre jusqu’à ce que le mélange ne présente plus à l’examen microscopique des cellules intactes. Ce mélange, addi- tionné de 5 à 10 c. c. d’eau physiologique, est séparé par centrifugation de ses parlies solides, et donne un liquide complètement privé d’élé- ments cellulaires, louche, opalescent, restant trouble même après filtration; ce liquide, d’une réaction faiblement alcaline, contient peu d'albuminoïdes précipitables par la chaleur, donne avec l'acide acé- tique un précipité floconneux qui se dissout dans l'acide chlorhy- drique dilué.

A lui tout seul ou mélangé avec du bouillon ou du sérum inactif, il manifeste un pouvoir bactéricide très net. Mais ce qui distingue sa substance bactéricide des autres, étudiées notamment par Buchner et sesélèves, c’est qu’elle supporte bien une ébullition pendant cinq minutes.

En présence de cette action bactéricide ayant lieu en dehors de toute intervention phagocytaire, M. Lüwit admet aussi hypothèse de la sécrélion leucocytaire, raisonnement qui n’est pas acceptable, comme nous l’avons déjà prouvé plus haut.

Mais chose plus grave, l'extrait leucocytaire de Lüwit, ainsi que celui de Jacob, est fort sujet à caution.

Dans un mémoire paru récemment, M. Schattenfroh, à la suite de ses propres expériences, déclare que la substance bactéricideen question, résistant si bien à ébullition pendant cinq minutes, provient non des globules blancs, mais de la poudre de verre, ayant servi à la triluration des leucocytes.

620 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Une réponse de Lüwit parue ces jours derniers ne nous a pas paru bien convaincante.

Nous laisserons les auteurs élucider ce point litigieux, et nous passe- rons rapidement en revue le dernier travail de M. Schatlenfroh paru dans les Archiv für Hygiene.

VIIT

Ce mémoire, qui s’occupe du pouvoir bactéricide des leucocytes, est intéressant à deux points de vue. Son grand mérite est d’avoir apporté beaucoup de précision dans les expériences et d’avoir ainsi confirmé les conclusions des travaux antérieurs. Il s'impose à notre attention encore à un autre titre : il marque une étape significative dans l'histoire des idées dites humorales. Cest dans ce travail, fait par un ancien élève de Buchner, que pour la première fois nous voyons des chapitres entiers consacrés à l’étude des phénomènes phagocytaires ; c'est que nous avons la satisfaction d’enregistrer la déclaration nette que jusqu'ici aucune preuve expérimentale, y compris les faits invoqués par Buchner et Hahn, n’est venue encore justifier le pouvoir sécréteur des leucocytes.

Pour se mettre à l’abri des objections dont étaient passiblés les expériences antérieures, Schattenfroh étudie les leucocytes en les plaçant dans un milieu indifférent (solution physiologique), et non pas dans le sérum comme le faisaient ses devanciers; il traite les leuco- cytes, dont il se propose d'étudier les propriétés bactéricides, comme s’il s'agissait d’un précipité chimique ordinaire.

Après des centrifugations répétées, suivies de lavages à l’eau phy- siologique, l'auteur croit avoir des leucocytes purs, c’est-à-dire exempts de toutes substances étrangères ; il s'assure en plus qu’ils ont conservé leurs mouvements amiboïdes.

Remarquons à ce propos que la constatation des mouvements ami- boïdes n'est pas encore une garantie sûre que les fonctions des leu- cocytes soient absolument intactes. Nous serions plutôt porté à croire que des centrifugations et des lavages répétés ne laissent pas les leu- cocytes indifférents, et ne voudrions pas conclure avec l’auteur que le « chimisme leucocytaire » n’a subi aucune modification; d'autant plus que l’auteur constate lui-même que, quelque soigneuse que soit la purification, on trouve même dans les dernières eaux de lavage des matières organiques.

Toujours est-il que, par ses nombreuses expériences, Schattenfroh a réussi à démontrer que ce sont les leucocytes qui emmagasinent les substances bactéricides, que ce sont eux qui confèrent au sérum le pouvoir bactéricide.

D’après lui, le passage de ces substances dans le sérum s’effectue

REVUES ET ANALYSES. 621

après la mort des leucocytes, qui d’ailleurs peut survenir dans l'organisme même, dans des conditions physiologiques; mais il n’admet point la sécrétion leucocytaire dans le sens voulu par la théorie de son maître, la théorie des alexines.

Schattenfroh prépare aussi un « extrait » des leucocytes en chauf- fant ces derniers dans la solution physiologique pendant une demi- heure à 60v, ou bien en laissant macérer pendant 2-3 heures les cellules triturées dans la même solution à 370.

L'extrait ainsi obtenu est indifférent au chauffage à 60° pendant une demi-heure, mais il se détruit à la température de 80-870,

Tels sont les principaux faits connus au sujet de la propriété bac- téricide des leucocytes et de leurs extraits.

IX

Nous voyons donc que si ce problème va en s’éclaircissant de jour en jour au point de vue biologique, on ne peut pas en dire autant de son côté physico-chimique.

La tentative, louable en elle-même, de ramener la question sur le terrain chimique, par la préparation des extraits leucocytaires, a abouti à une confusion telle qu’il devient de plus en plus difficile de s’y orienter.

Ainsi nous voilà déjà en présence de quatre substances bactéri- cides, toutes différentes les unes des autres, sans compter l” « extrait » de M. Jacob, dont nous ignorons malheureusement la température de destruction :

Les alexines de Buchner se détruisent à 556.

20 L’extrait de Schattenfroh se détruit à 85°.

30 L’extrait de Lüwit à l’ébullition pendant cinq minutes,

4 L’extrait de Bail, obtenu par l’action de la leucocidine sur les leucocytes, se détruit à 650.

Pour peu que d’autres expérimentateurs se mettent à préparer des « extraits », ce qui est inévitable, nous verrons la liste des subs- tances bactéricides s’allonger encore à n’en plus finir.

Faut-il en conclure à la richesse inépuisable des leucocytes en subs- tances bactéricides, ou faut-il incriminer nos procédés défectueux d'extraction.

Malgré l'opinion, émise tout récemment par M. Bail, d’après lequel chacun des extraits constitue une unité bactéricide à caractères propres, nous whésitons guère à nous ranger à la seconde hypothèse, et nous admettons même qu'aucun de ces extraits ne représente la véritable substance contenue dans les leucocytes.

On aurait certainement tort de s’imaginer que la matière bactéri- cide faisant partie du protoplasme leucocytaire soit d’une constitution

692 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

di

chimique aussi simple que le bichlorure de mercure ou le phénol : il serait même surprenant que par des procédés aussi primitifs que ceux employés jusqu'ici, on eût pu extraire du milieu si complexe et délicat qu'est le protoplasma leucocytaire la matière bactéricide en toute sa pureté et rien qu'elle.

Nous savons combien le leucocyte est sensible aux moindres in- fluences physiques ou chimiques, combien sont multiples les fonctions de cet être si petit, et croire que la trituration grossière avec la poudre de verre ou l'épuisement par le chloroforme permettrait de faire l'analyse fine de ses fonctions est inadmissible.

La matière bactéricide des leucocytes étant certainement d’un ordre de composés tout différent de celui d’un phénol par exemple, il faut commencer par rejeter les méthodes brutales d'extraction qui ne font que compliquer la question. Avant de passer à l’exlraction in vitro, il faudrait, à notre avis, commencer par faire des études sur des leucocytes vivants, et rechercher comment se comporte leur pouvoir bactéricide vis-à-vis de différents agents physiques et chi- miques; et c’est seulement quand nous serons renseignés sur le mode d'action de la température, de la pression, des divers agents chimi- ques, que nous serons à même de combiner des procédés d'extraction dont toutes les phases nous seront connues d'avance; bref, on saura ce qu’on fait, tandis que maintenant on traite les leucocytes au petit bonheur, sans savoir ce qu’il en résultera.

X

Après avoir insisté si longuement sur le pouvoir bactéricide, il semblera peut-être étrange que nous poussions le scepticisme jusqu'à nous demander si ce pouvoir existe réellement dans le sens que lui attribuent les auteurs; en d’autres termes, s’il existe dans les leuco- cytes une matière dont la mission essentielle soit de tuer les mi- crobes.

Nous estimons que les auteurs se préoccupent beaucoup trop du pouvoir bactéricide des leucocytes, et laissent pour cela dans l’ombre une propriété infiniment plus importante et d’un ordre beaucoup plus général, qui est leur pouvoir digestif.

C’est le pouvoir de digérer qui est à notre sens le caractère essen- tiel du leucocyte, le pouvoir de tuer n’est qu'une phase préliminaire nécessaire pour faciliter la digestion, telle l’insalivation qui précède la digestion stomacale.

On a cru pendant longtemps que les leucocytes réagissent seulement vis-à-vis des microbes ; l’idée du pouvoir bactéricide était alors toute naturelle; mais maintenant que nous commençons à savoir qu'ils réagissent aussi bien et avec le même effet vis-à-vis des virus non

REVUES ET ANALYSES. 6923

vivants, n'ayant pas besoin par conséquent d’être préalablement tués, il devient évident que la propriété bactéricide passe au second rang ; ce qui reste immuable, ce qui domine dans le leucocyte, c’est qu'il digère; le fait de pouvoir tuer le virus, si important qu'il soit, ne présente qu’un moyen que le leucocyte utilise ou non, suivant les circons- lances...

Les expériences de M. Metchnikoff avec la toxine tétanique et d’autres analogues qui sont à l'étude nous le prouvent suffisam- ment.

Nous croyons donc que le terme « pouvoir bactéricide » ne répond pas à la totalité de faits, et qu’il serait plus juste de lui substituer celui du « pouvoir digestif ».

Cette substitution aurait encore un autre avantage que celui de mieux traduire les faits.

A force de traiter toujours du pouvoir bactéricide, les savants ont été entraînés dans une voie un peu étroite à notre sens.

Prenons par exemple les extraits leucocytaires sur lesquels nous avous si longuement insisté. Quelle que soit leur valeur intrinsèque, toujours est-il que les auteurs ne cherchaient qu’à en déterminer les propriétes bactéricides, et cependant s'ils avaient pensé au pouvoir digestif des leucocytes, ils auraient certainement abordé une foule d’autres problèmes qui se seraient présentés inévitablement à leurs esprits.

Autre exemple : rappelons-nous qu'en se basant sur une parenté fort éloignée de l'acide nucléique et des nucléines avec le contenu leu- cocytaire, on est allé jusqu'a croire que c’est l'acide nucléique qui est la substance active du leucocyte; et cette hypothèse a été surtout appuyée par ce fait que l’acide nucléique possède des propriétés bacté- ricides. Si on avait eu l'esprit dirigé vers cette idée que la propriété bactéricide n’est qu'une manifestation secondaire dans la vie du leuco- cyte, on n'aurait certainement pas cherché si obstinément la matière active des leucocytes parmi les substances purement bactéricides.

Par contre, la notion du pouvoir digestif a l'avantage de nous ouvrir un nouveau champ de recherches, difficiles il est vrai, dans le groupe des diastases digestives dont nous connaissons déjà plusieurs représentants.

Nous croyons donc que pour être sûr de se trouver sur la bonne piste, il serait utile de se pénétrer bien de cette idée que le pouvoir bactéricide n’est qu'une des phases, peut-être multiples, de la digestion intra cellulaire, qui, elle, est véritablement le phénomène dominant dans la vie du leucocyte.

BESREDKA.

624 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

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Le Gérant : G. Masson. AD OE PONTE N'ES CRE SR Re TE A Sceaux, Imprimerie E, Charaire.

419me ANNÉE : OCTOBRE 1898 10.

ANNALES

L'INSTITUT PASTEUR

LA PROPAGATION DE LA PESTE

Par LE Dr P.-L. SIMOND

CHAPITRE Ie

ORIGINE DES ÉPIDÉMIES DE PESTE OBSERVÉES DEPUIS 1893 EN CHINE ET DANS L'INDE. ÉVOLUTION DE L'ÉPIDÉMIE DE BOMBAY

Plusieurs hypothèses ont été émises touchant la provenance de l'épidémie de peste de Bombay : comme il existe dans cer- tains districts de l'Himalaya, celui de Gahrwal en particulier, des foyers de peste permanents, on a pu supposer que des voya- geurs tels que les fakirs auraient apporté de la maladie. Au- eun fait n’a été cité à l'appui de cette opinion; il est beaucoup plus probable que la peste est venue de Hong-Kong, elle sévis- sait en 1896.

Nous avons été à même de préciser l’origine des épidémies de Hong-Kong et des ports de Chine. Nous l’avons signalée aux autorités sanitaires du Tonkin en 1894, dans un rapport, publié depuis ‘, sur une épidémie observée dans la province chinoise du Quang-Si, à Long-Tcheou, nous étions alors en mission.

Au printemps 1893, la peste sévissait fortement dans les vil- lages du Yunnam, province distante de Long-Tcheou d'environ 200 kilomètres, et qui constitue le plus important des foyers per- manents de peste connus. En raison du grand nombre de postes militaires chinois élablis près de la frontière tonkinoise dans le Yunnam et le Quang-Si, des caravanes de mulets faisaient à cette époque le va-et-vient de lune à l’autre province par les sentiers de montagnes, seules voies de ravitaillement des postes.

1. P.-L. Simon, Notes d’Hist. nat. et médicale, recueillies à Long-Tcheou (Ar- chives de Médecine navale, 1895).

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626 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR. VE

D'après l'enquête à laquelle nous nous sommes livré, c’est par ces caravanes, dont les muletiers sont originaires du Yunnam,

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que la peste à été apportée du foyer primitif à Long-Tcheou, au milieu de l’année 1893 (fig. 1).

PROPAGATION DE LA PESTE. 627

Les premières victimes connues dans cette ville étaient des muletiers de ces caravanes.

De Long-Tcheou la peste est descendue par la rivière de Canton jusqu'à Naning-Phu, elle n'a pas sévi épidémique- ment, puis elle a suivi la voie de terre pour atteindre Pakoï, le premier port de mer l’on ait signalé une épidémie. Cette route de Long-Tcheou à Pakoï par Naning-Phu est celle par laquelle se fait presque tout le trafic du Haut Quang-Si.

Quelques mois plus tard, en 1894, la peste a éclaté presque simultanément à Canton.et à Hong-Kong. Y est-elle arrivée par mer de Pakoï ou par voie fluviale de Naning-Phu ?

C’est un point impossible à déterminer ; de toutes manières, l’épidémie de Long-Tcheou de 1893-94 est la source de l'épi- démie de Hong-Kong de 1894.

Pendant les années 1895 et 1896, des recrudescences ont eu lieu à Hong-Kong, et n’ont pas cessé de constituer un danger pour tous les pays en relations avec ce grand port.

Il nous paraît peu douteux que l'importation de la peste à Bombay ait eu lieu par mer. Le début de l'épidémie par le quar- ter de Mandvi qui avoisine le port et renferme de nombreux entrepôts pour les marchandises, la facilité pour les rats des na- vires, amarrés à quai dans les docks, de descendre à terre et de se répandre dans ce quartier, sont des arguments en faveur de cette opinion. Or, si la peste a été introduite par mer, le seul port susceptible d'être incriminé comme point de départ de l'in- fection est celui de Hong-Kong.

Les premiers cas connus furent signalés dans des maisons du quartier de Mandvi par le D' Viegas. Le corps médical fut quel- que temps hésitant sur la nature de la maladie nouvelle, mais avec les jours le mal faisait des progrès, et les médecins comme le public durent bientôt se rendre à l'évidence.

La mortalité générale était d'ailleurs en augmentation déjà avant la découverte du D' Viegas : elle suivait une marche crois- sante depuis le milieu d’août et la progression s’accentuait de semaine en semaine. Alors que, dans les années précédentes, la moyenne hebdomadaire des décès ne dépassait guère le chiffre de 500 ; on trouve en 1896 les moyennes hebdomadaires sui- vantes : août, 620 ; septembre, 649; octobre, 680; novembre, 690. Enfin, en décembre, l'épidémie prend son essor, s’étend à

628 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tous les quartiers de la ville, affolant la population qui émigre en masse. Il meurt en moyenne dans ce mois 1,240 personnes par semaine. Pendant les mois de décembre 1896, janvier, février et mars 1897, qui constituent la période d'état de l'épidémie, la mortalité hebdomadaire moyenne est de 1,473, c'est-à-dire qu'il meurt environ 210 personnes par jour.

En avril commence le déclin, d'autant plus rapide qu'une grande partie de la population avait quitté la ville. Au mois de juin les cas deviennent rares : on peut dire qu'à ce moment l'épidémie est terminée. En juillet et août, à peine se produit-il quelques cas de loin en loin.

Les habitants de Bombay se croyaient dès lors délivrés du fléau ; seuls quelques esprits judicieux, se basant sur l'expérience des épidémies antérieures, prévoyaient une recrudescence. L'événement leur donna raison et la recrudescence se produisit sous forme d'une épidémie plus grave que la première, avec une marche identique et une exacte correspondance de dates.

Le développement de l'épidémie a présenté trois périodes bien distinctes : période de début ou d’accroissement, qui à duré # mois, août à novembre 1896, et a été marquée par une progression lente et graduelle du nombre des cas, localisés dans une partie de la ville; 2 période d'état, de # mois également, décembre 1896 à mars 1897 : un fait important a caractérisé le début de cette période, c’est l’apparition brusque, au commencement de décembre, de nouveaux foyers dans tous les points de la ville, sans qu'on puisse saisir la relation entre ceux-ci et le foyer primitif. En deux semaines, cette dissémina- tion s’est effectuée avec une intensité telle, que la mortalité a doublé. À partir de ce moment, le chiffre hebdomadaire des décès se maintient entre 1,200 et 1,900 jusqu’à la fin de mars ; le maximum est atteint dans la semaine finissant le9 février, avec 1,911 décès; période de déclin. Pendant le mois de mars, la mortalité a suivi une marche décroissante, mais c'est en avril seulement que le déclin s’est nettement établi; il a été plus rapide que l'ascension et a duré deux mois.

.. PROPAGATION DE LA PESTE. 629

TABLEAU

DE LA MORTALITÉ HEBDOMADAIRE A BOMBAY PENDANT LES DEUX ÉPIDÉ-

MIES SUCCESSIVES DE PESTE, PAR COMPARAISON AVEC LA MORTALITÉ MOYENNE DES CINQ ANNÉES PRÉCÉDENTES.

| MOYENNE MORTALITÉ MORTALITÉ

SEMAINE DE LA MORTALITÉ|HEBDOMADAIRE|[HEBDOMA DAIRE) hebdomadaire pendant pendant

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1974

2080

2184

2137

2968

1938

1519

1303

1202

1116

389

725

616

633

630 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Le seul moyen de se faire une idée à peu près exacte de la part de la peste dans cette mortalité consiste à déduire le chiffre moyen des 5 années précédentes de celui des décès de la semaine correspondante en 1896, 1897 et 1898. Le résultat de cette soustraction est toujours au-dessous de la réalité, en raison de la diminution énorme, pendant la durée de l’épidémie, de la population, dont le quart ou plus a émigré. Il conviendrait donc de faire le calcul de la façon suivante : réduire de 1/5 le chiffre moyen de la mortalité des années antérieures, et soustraire le nombre obtenu du nombre de décès de la semaine correspon- dante des années d’épidémie. Nous nous sommes assuré qu'on obtient ainsi une approximation assez grande. Les chiffres offi- ciels publiés par l'administration sont trop faibles d’un quart au moins. Cela n’a rien de surprenant, étant donnés les elforts déployés par les indigènes pour dérober leurs malades aux recherches de la police.

Pour la ville de Bombay, la statistique administrative accuse, depuis le mois de septembre 1896 jusqu'au 1% août 1898, 30,805 cas et 26,423 décès de peste. Nous estimons que les chiffres de 38,000 cas et 32,000 décès qui résultent de nos calculs sont beaucoup plus près de la vérité.

Il en est de même de tous les relevés établis avec beaucoup de soins dans tous les foyers de peste de l’Inde par l’administra- tion. Par conséquent, on peut considérer les nombres de cas, indiqués sur notre carte pour chaque aire pestiférée, comme trop faibles d’un quart environ.

CHAPITRE II

PROPAGATION DE LA PESTE DANS L'INDE PAR TERRE ET PAR MER. MODES DE PROGRESSION. INSUFFISANCE DE L'HOMME COMME AGENT DE TRANS- PORT POUR EXPLIQUER LA PROPAGATION

Ainsi qu'elle en a coutume, la peste ne s’est point cantonnée dans la ville elle avait fait sa première apparition. Par les voies de mer et de terre, elle a envahi les côtes et l’intérieur de l'Inde, se propageant graduellement en tous sens comme une tache d'huile; elle couvre aujourd’hui la moitié de la surface du pays, on ne peut prévoir s'arrêteront ses ravages.

PROPAGATION DE LA PESTE, 631

Si l’on jette un coup d’æil sur la carte de la peste, on constate d'abord que l'épidémie a sévi précocement sur tous les centres

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CARTE DE LA PESTE DANS L'INDE

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DRESSÉE par le D' P-L. SIMOND v Rousses

Fig. 2.

populeux avoisinant Bombay, dans un rayon de 30 à 40 milles. De ce grand foyer central, elle a progressé le long de toutes les

632 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

voies ferrées, s'étendant à des distances variables pour chacune d'elles. Sur la ligne du nord, les principales villes qu'elle a touchées avec plus ou moins de sévérité sont Surat, Baroda, Ahmedabad, Palampur. Sur la ligne du sud, Poona, Sattara, Karad, Miraj, Belgaum, Hubli. Cette dernière, par 15° late N>; est le point le plus méridional de l'Inde atteint jusqu'ici. Sur les lignes qui, de Poona, se dirigent vers le sud-est, Scholapur et Hyderabad, capitale du Nizam, ont subi des épidémies très sévères. Sur la ligne de l’est, Bombay à Calcutta, Igatpuri, Nasik et un certain nombre de cités moins importantes. Par les lignes qui se détachent de celle-ci en allant vers le nord, la peste a fait une apparition à Khandraoni, dans le Gwalior, et a atteint Hurdwar, lieu de pèlerinage, aux sources du Gange. De cette ville, elle a gagné au voisinage de Lahore les districts de Jullun- der, Hoshiarpur, Amritsar, par 32° de latitude N. La partie centrale de l’Inde traversée par le railway de l’est a été la plus épargnée Jusqu'en 1898. Nous assistons actuellement à l’instal- lation de la peste dans Calcutta, point terminus de cette ligne. Il est à redouter que cette ville ne joue avant longtemps, pour la partie orientale de l’Inde, le rôle de centre d'irradiation, qui est échu à Bombay pour la partie occidentale.

Du côté de la mer, le nord a plus souffert que le sud. La peste a sévi sur les ports du sud très peu au-dessous du 18° degré (Bombay est par 19°), tandis qu’au nord elle s'étend à presque tous les ports du golfe de Cambay, à Porbunder, le plus impor- tant de la grande presqu'ile du Kattywar, à Mandvi et Mundra dans le golfe de Cutch, et enfin arrive à Kurachee, le grand port du nord-ouest de l'Inde, aux bouches de l’Indus, par 25° lat. N. Disons tout de suite que cette grande extension vers le nord, qui contraste avec le médiocre développement dans la direcuüon opposée, tient à ce que les relations maritimes entre Bombay et les ports de la côte sud sont infiniment moins fréquentes qu'avec ceux du nord; elle n’est nullement en rapport avec la théorie d’après laquelle la peste se manifesterait d'autant plus difficile- ment qu'on se rapproche de l’équateur. La preuve en est que par les voies ferrées l'épidémie a atteint Hubli sous le 15° degré, tandis que par mer nous la voyons s'arrêter au 18° degré.

Ce rapide examen de la propagation de la peste dans l'Inde nous permet tout d'abord d'établir un point qui, si banal qu'il

PROPAGATION DE LA PESTE, 633

paraisse, a pu être contesté : c'est que tous les foyers actuels dans l'Inde sont dérivés de Bombay.

Tout en obéissant à une loi générale de progression systéma-

ique, la propagation à très souvent procédé par bonds. Cer- ains points qui se trouvent, pour des raisons particulières à chacun, plus exposés et plus accessibles à l'épidémie que d’autres moins éloignés de Bombay, ont été atteints avant eux et ont constitué de bonne heure des foyers secondaires. C’est ainsi que Kurachee, dont les relations commerciales avec Bombay sont très importantes et qui est relié à cette ville par de multiples services de navigation à vapeur, a été le premier atteint des grands centres : l'épidémie s’y est développée en janvier 1897, Ce foyer mérite une mention spéciale parce que, point de départ, comme Bombay, de lignes de navigation et de voies ferrées, il a été la source des épidémies du nord-ouest de l'Inde, dans la vallée de l’Indus, Hyderabad, Khaïirpour, Rohri, Sukkur, Shikarpour et Jacobabad. De même Karad, situé à 250 milles environ de Bombay, sur la ligne du South Marhatta Railway, a subi son épidémie en juillet 1897, avant Poona qui est beaucoup plus rapproché, et a été le centre d'irradiation de la peste pour Sattara, Miraj, Belgaum, Hubli.

Si la marche de la peste est parfois irrégulière quand il s’agit de son transport à de grandes distances, la progression de proche en proche dans le voisinage immédiat d’un grand foyer affecte au contraire une assez grande régularité; les villages sont atteints les uns après les autres suivant une succes- sion qui est presque constamment en rapport avec leur éloigne- ment, Le cercle infecté s'agrandit peu à peu, et finit souvent par rejoindre l'aire d'infection des foyers voisins. Bien peu de villages ou de villes secondaires échappent à l'épidémie dans un rayon de 25 à 30 milles aulour d’un foyer principal.

L'extension des épidémies esten rapport, dans quelques cas, avec l’émigration de la population de la ville attaquée. Quand on peut obtenir des renseignements précis, on découvre fréquem. ment que, antérieurement à l'apparition de la peste parmi les habitants de la ville ou du village, des étrangers émigrés du foyer principal sont venus mourir de la peste. Cette règle est à peu près constante pour le transport de l'épidémie dans les villes éloignées; elle souffre de nombreuses exceptions, dont nous

634 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

rechercherons plus loin la cause, dans l'extension circulaire de peste aux centres rapprochés.

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Fig. 3.

Donc, d'une manière générale, un ou plusieurs cas que nous appellerons cas importés se produisent parmi les arrivants d’un

PROPAGATION DE LA PESTE. 635

centre pestiféré, avant que des cas indigènes se manifestent. Ce fait est de grande importance pour nous éclairer sur les moyens par le re la peste se propage. Il apparaïl avec beaucoup de

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Fig. 4.

netteté si l’on considère les cartes ci-jointes de la peste dans l'Inde. La plupart des renseignements quinous ont permis d'établir cette carte nous ont été obligeamment communiqués par le D' Grey- foot, qui a relevé avec soin pour chacune des villes de la prési- dence de Bombay les dates du cas importé et du 1% cas indigène,

630 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Nombre de villes sur les côtes comme dans l'intérieur ont présenté des cas importés sans que la maladie ait atteint les habitants. ne suffit pas, en effet, qu'un étranger pestiféré vienne mourir dans un endroit pour y faire naître At une épi- démie. À Poona, par exemple, l'épidémie s’est manifestée long- temps après celle de Bombay, en septembre 1897, bien qu'un grand nombre de cas de peste, probablement plus de cinquante, se soient produits parmi les fuyards de Bombay qui s’y sont réfugiés dès le mois d'octobre 1896.

Done, le premier cas importé n’est pas toujours suivi de près par l’épidémie; toutefois il constitue une menace très sérieuse et, lorsqu'il se produit, lon peut dire que la peste est entrée dans la place.

Deux faits importants découlent de l’étude des dates aux- quelles ont été observés dans une ville un premier cas indigène etun premier cas importé : tout foyer épidémique nouveau, à de rares exceptions près, a reçu des cas importés; les cas importés ont très généralement précédéles cas indigènes. On doit conclure de ces deux faits que l'homme est le plus ordinairement l'agent du transport de la peste d'une ville à une autre.

Nous avons dit que les cas importés se retrouvaient réguliè- rement comme prodromes de l’épidémie dans le transfert de la peste à de grandes distances, mais qu’ils manquaient parfois dans . l'extension à proximité du foyer. Ge fait est difficile à constater, en raison de l’envahissement presque général par les fuyards de tous les villages d'une région, quand l'épidémie éclate dans le chef-lieu.

Néanmoins nous avons pu le relever avec certitude dans cer- tains villages comme Vundiali (dans le district de Karad) et à Pundjiali (dans l’État de Cutch), des cas ont éclaté parmi les habitants sans qu'il y ait eu précédemment un seul cas importé; le même fait s’est présenté dans beaucoup de villages ou petites villes voisines de Bombay, d’après M. Snow. Il y a donc lieu de se demander si l'homme est indispensable pour le transport de la maladie. L'étude de l’évolution d’une épidémie de peste dans un centre populeux permet de résoudre cette question.

Dans le cas ordinaire des cas importés sont constatés tout d’abord, il s'écoule généralement une assez longue période, plus d'un mois, avant l'apparition des cas indigènes. À partir du

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PROPAGATION DE LA PESTE, 637

moment ceux-ci se sont manifestés commence une période de latence pour ainsi dire, période Îles attaques sont rares, localisées à un seul quartier, l’on constate difficilement un progrès d’une semaine à l’autre, ce qui, presque toujours, déter- mine une confiance trompeuse chez les médecins et les autorités locales : on croit à des cas sporadiques excluant le danger d’épi- démie.

Déjà, pendant cette période, on peut observer que les cas

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dans le quartier originel se succèdent dans des maisons tantôt voisines, tantôt séparées, sans qu'il y ait nécessairement des relations entre leurs habitants. Très fréquemment, des familles, qui ont évité tout contact avec les maisons pestiférées et les habitants sains on malades de ces maisons, voient tout à coup la peste s'installer chez eux.

Dans d’autres cas, les habitants d’une maison un cas s’est produit abandonnent leur domicile pour aller demeurer chez des amis ou des parents,etla pestearrive avec eux, soit qu’elle frappe leurs hôtes, soit qu'elle les frappe eux-mêmes. Ainsi, tantôt le transport du germe a eu lieu d’une manière certaine par l'inter- médiaire de l’homme, tantôt il s’est, tout aussi sûrement, effectué sans lui.

C’est surtout à la période suivante, période d’accroissement rapide de l'épidémie pour atteindre son état aigu, que la possi-- bilité de l'extension de la peste sans intermédiaire humain appa- raît nettement. À ce moment, la progression devient tout à fait

638 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

capricieuse; tantôt elle se fait tout le long d’une rue, atteignant toutes les maisons, soit l’une après l’autre, soit plusieurs simul- tanément; tantôt des cas surgissent dans des quartiers éloignés et dans des maisons rien ne pouvait, semble-t-il, justifier leur apparition.

A ce moment, la virulence de la peste semble être au maxi- mum; elle frappe à la fois plusieurs habitants d'une même demeure, plusieurs membres d'une même famille, souvent le même jour, presque à la même heure et avec une égale sévérité. La durée de cette période aiguë est très variable : elle est parfois abrégée par l’émigralion de la popuiation ; on observe alors une diminution du nombre des cas qui n’est nullement le déclin véritable. Celui-ciest marqué par une proportion nettement infé- rieure des cas très rapidement mortels.

Dans les grandes villes, la période d’état aigu est de plus longue durée que dans les petites villes. À Bombay, cette période a été de quatre mois, tandis qu’à Mandvi, Kurachee, elle a duré deux mois et demi environ. Cela lient assurément à ce que Îles différents quartiers d’une grande ville représentent autant de foyers particuliers l'épidémie subit son évolution régulière en trois périodes, et à ce qu'il n’y a pas une coïncidence absolue entre le développement de ces épidémies partielles, bien qu’elles évoluent presque simultanément.

La période de déclin peut donner lieu aux mêmes observa- tions touchant l'irrégularité avec laquelle l'intervention de l'homme se manifeste dans le transport du virus. Générale- ment cette période de déclin est plus courte que les autres; mais après la chute de l'épidémie, on observe encore pendant long- temps des cas isolés.

Ce tableau d’une épidémie dans un grand centre s'applique également à celles des petites localités, à cela près que le nombre des cas et la durée sont presque toujours en rapport avec le chiffre de la population. C'est dans les villages que l’on peut le mieux remonter aux sources de propagation pour chaque nou- veau cas, et c’est surtout que nous avons pu relever avec certi- tude nombre d'attaques de peste dans des familles qui s'étaient tenues à l’abri de tout contact avec des habitants de maisons infectées.

A plusieurs reprises aussi, nous avons noté l'absence de

PROPAGATION DE LA PESTE. 639

causes d'importation du germe par l’homme dans les villages attaqués.

D’autres agents que l’homme sont donc capables de trans- porter le microbe de la peste et de disséminer l'épidémie. Ce ne sont ni l'air, car la localisation du germe infectieux dans l'inté- rieur des maisons, la propagation capricieuse dans une ville suivant des itinéraires compliqués, ou l'apparition d’un foyer à distance du précédent ne s’observeraient pas; ni l’eau, parce qu'il seraitalors facile de retrouver cette origine pour des groupes d'individus ou pour des quartiers alimentés par l’eau suspecte. Il est un animal que les faits observés dans la presque totalité des épidémies dénoncent comme le propagateur le plus actif de la peste, c’est le rat.

De toute antiquité, l’on a observé ia connexion des épidé- mies sur les rats avec les épidémies de peste humaine. Le plus ancien document il y soit fait allusion est un chapitre de la Bible (Savez, livre L, chapitre vi), M. Rocher a décrit en 1881, dans son livre sur le Yunnam, les épidémies qu'il y a observées, et a insisté sur la mortalité des rats qui précède dans cette région la mortalité parmi les hommes. Le fait est si bien connu des indigènes qu'ils abandonnent leurs villages dès qu’ils constatent une mortalité inaccoutumée chez les rats. Il en est de même, d’après le D' Hutcheson, dans le district de Gurwahl, petit foyer permanent de l'Himalaya; de même aussi à Formose, le nom indigène de la peste signifie maladie des rats. Nous avons observé cetle coïncidence de la peste des rats et de la peste humaine en 1893, à Long-Tcheou, dans le Quang-Si. Depuis, elle a été signalée partout la peste est apparue. Mais c'est seule- ment après la découverte du microbe spécifique et la démons- tration de l'identité de la peste du rat et de l’homme par les expé- riences de Yersin, que l’on a pu établir avec quelque certitude une relation de cause à effet entre l’une et l’autre.

Cette importante déduction, formulée pour la première fois par Yersin et Roux‘, n’a point jusqu'à présent trouvé le crédit qu'elle mérite parmi les autorités sanitaires, puisque, jusqu’en 1898, aucune mesure n’a été édictée nulle part pour se garantir

4. « La peste, qui est d'abord une maladie des rats, devient bientôt une maladie

de l’homme. Il n’est pas déraisonnable de penser qu’une bonne mesure prophy- lactique contre la peste serait la destruction des rats. » Acad. méd., 4897, p. 93,

640 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

contre cette source de contagion. Quelques essais partiels sont faits depuis peu de mois dans deux ou trois villes pestiférées de l'Inde pourla destruction des rats, essais trop timides pour amener un résultat efficace. C’est que, jusqu'à présent, la démonstration précise du rôle néfaste du rat n’a pas été établie.

I ne suffit pas, en elfet, que le même microbe produise chez l’homme et l’animal une maladie épidémique semblable pour pouvoir affirmer à coup sûr que l’une dérive de l’autre. Aussi, parmi les savants qui ont étudié la première épidémie de Bom- bay, certains, comme Bitter, n’ont admis le rôle du rat dans la propagation qu'à titre d'exception et comme fait accidentel. Pour la plupart d’entre eux, l'homme, le linge de corps, la literie, les substances et objets capables de fournir au microbe un milieu il se conserve, constituent les agents à peu près exclusifs de la propagation.

L'ensemble des observations que nous avons recueillies au cours des principales épidémies de 1897 et 1898 dans l'Inde nous paraissent laisser peu de doute sur le rôle prépondérant du rat dans la dissémination de la peste.

CHAPITRE TI

ROLE DU RAT DANS LA PROPAGATION DE LA PESTE PAR TÉRRE ET PAR MER

Comme celles observées en Chine pendant les années précé- dentes, toutes les épidémies de peste de l'Inde depuis 1896 se sont accompagnées d’épidémies de rats qui se sont manifestées généralement un peu avant, quelquefois au début même de l'épidémie humaine. Une seule exception à cette règle nous a été signalée par le professeur Hankin, avec la collaboration duquel nous avons étudié le rôle du rat dans la dissémination de la peste. Cette exception s’est produite à Hardwar :

La peste a apparu à Hardwar en avril 1897 et a fait 225 vic- times parmi les habitants, sans qu’on ait constaté de mortalité chez les rats. Au voisinage de Hardwar se trouvent les villes de Kunkhal et de Jawalapour. Au mois de juin 1897 on constate à Kunkhal une épidémie sur les rats, qui est suivie seulement au

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mois de septembre par une épidémie chez les hommes et chez les singes. En octobre 1897, on constate la mortalité de quelques rats à Jawalapour, des cas de peste humaine suivis de cas de peste parmi les singes se manifestent seulement en janvier 1898.

À n’en pas douter, les rapports de date entre les épidémies des rats, des hommes et des singes, dans ces trois villes, pré- sentent des singularités qui placent cette triple épidémie un peu en dehors de la règle commune. En ce qui concerne l'absence de mortalité des rats à Hurdwar, il est permis de ne pas l’accepter comme un fait absolu, car l'attention des habitants n’a pas été attirée sur ce point à l’époque du début. D'autre part, nous dirons plus loin que la peste peut exister parmi les rats sans qu’on puisse constater leur mortalité, soit en raison du petit nombre de leurs cadavres, soit parce que la maladie n’est, en certaines circonstances, pas assez grave pour les tuer. La mortalité des rats à Kunkhal au mois de juin ne peut guère provenir d’une autre source que de lémigration des rats de Hurdwar, qui ont transporté la peste dans la ville la plus voisine, comme cela s’observe fréquemment.

En général, avons-nous dit, l'épidémie des rats précède celle des habitants’. La mortalité de ces animaux dans une ville est à l’origine localisée dans un seul quartier. Or, c’est réguliè- rement dans le même quartier que débute l'épidémie humaine. A Bombay, la mortalité des rats a été précoce et très sévère dans le quartier de Mandvi. À Kurachee, à Karad, nous avons relevé le même fait. Les premières maisons atteintes sont celles qui renferment des dépôts de grains ou de substances quelconques capables d’attirer les rats. C’est en effet dans ces magasins, lieux de rassemblement pour les rats du quartier, que ceux-ci subis- sent en grand nombre l’infection apportée par quelqu'un d’entre eux. Bombay en août et septembre 1896, Karad en juillet 1897 ont présenté des exemples frappants de ce fait. À Kurachee en mars 1898, la mortalité des rats a été observée dans des entre- pôts de coton, grains, etc., situés dans une rue n’existent pas de maisons habitées. Les premières victimes de la peste ont été précisément les gardiens et employés de ces entrepôts, qui y

4. Nous avons relevé cette mortalité des rats, prémonitoire de l'épidémie humaine, non seulement dans les villes, mais aussi dans un grand nombre d: villages des districts de Bombay, Karad, Mandvi, Mundra.

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travaillaient dans la journée et rentraient le soir à leur domi- cile.

Dans l’esquisse que nous avons tracée de la marche d'une épidémie, nous avons fait ressortir la grande et soudaine exten- sion du fléau après être resté confiné quelque temps dans un seul quartier de la ville. Ce développement subit est lié à l'émigra- on des rats du foyer primitif. M. Snow, administrateur de Bombay, a élabli d’une façon très précise que la panique qui a sévi parmi la population, tout au début de la découverte de Ja peste dans le quartier de Mandvi, n'a pas été l’occasion de la dissémination de la peste dans la ville et les villages environ- nants; mais cette dissémination, qui s'est effectuée plus tard, à suivi de près l’émigration des rats, dûment constatée par l'en- quête de ce fonctionnaire. L’épidémie humaine se propagea dans les directions adoptées par l’émigration des rats non seulement pour les divers quartiers de Bombay, mais aussi pour les villages extérieurs. La marche des rats fut déterminée jusqu'aux limites de File de Bombay à 20 ou 25 milles,

A Kurachee, M. James, le gouverneur de la province du Sind, a bien voulu nous communiquer les résultats encore plus précis des enquêtes qu’il a faites à ce sujet. Dans cette ville, dont les quartiers, en dehors de la vieille cité native, sont très éloignés les uns des autres, et qui couvre par suite une surface de plus de 2,000 hectares, la mortalité humaine a suivi d'une façon régu- hère la voie tracée par l’émigration et la mortalité des rats. Il est à noter que ces animaux étaient extrêmement nombreux dans la cité; leur mortalité a été par suite très considérable; nous avons visité une maison dans laquelle 75 rats avaient été trouvés morts le mème jour. Dans ce quartier, la mortalité humaine a été en rapport avec la mortalité des rats.

Il nous paraït indiscutable que quand la peste humaine suit la route préalablement tracée par l'émigration des rats pesti- férés, c’est qu’elle dérive de ceux-ci. On ne saurait refuser à ce fait le caractère d’une preuve matérielle. On comprend d’ailleurs qu'il ne soit pas toujours possible de l'observer en dehors des grandes villes.

Des faits particuliers viennent corroborer d’une manière saisissante cette série de faits généraux : dans toutes les épi- démies on peut observer des cas manifestes de contagion du rat

Er

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à l'homme. Nous en avons noté un très grand nombre, dont nous citerons seulement quelques exemples :

Au commencement de lépidémie de Bombay, un nombre considérable de rats morts furent aperçus un matin dans les magasins d’une importante filature de coton. Vingt cookies furent chargés de ramasser et de transporter hors des magasins ces cadavres; la moitié environ d’entre eux contractèrent la peste dans les trois jours qui suivirent, tandis qu'aucune des personnes qui avaient fréquenté ce matin-là le magasin sans manier les rats ne fut atteinte.

Dans la région du Punjab qui a été infectée, deux villages, Mahrampour et Chack-Kalal, bien que situés au centre d’un dis- trict pestiféré, étaient demeurés indemnes jusqu'en avril 1898. La ségrégation de tous les habitants dans des camps provisoires fut ordonnée comme mesure préventive et exécutée le 7 avril. A ce moment, les habitants de Chack-Kalal avaient constaté un commencement de mortalité des rats, mais aucun cas humain ne s'était manifesté, et toute la population transportée dans le camp était entièrement indemne. Le 15 ayril, deux femmes, la mère et la fille, furent autorisées à se rendre dans le village; elles trou- vent sur le sol de leur maison vide dés rats morts, et les jettent dans la rue avant de rentrer dans le camp. L'une et l’autre con- tractent la peste deux jours après. Un peu plus tard, quelques autres cas se produisirent à Chack-Kalal, tandis que Mahrampour demeura plus longtemps exempt d’épidémie.

A Bombay, dans un quartier les maisons sont isolées et espacées, nous avons relevé le cas suivant : une famille an- glaise occupe un bungalow entouré d’un jardin dans lequel sont situés deux petits bâtiments isolés qui servent l'un d’éeurie, l’autre d'habitation pour les domestiques. Le 13 janvier 1898, le cocher, en entrant à l'écurie, y trouve le cadavre d’un rat, le saisit et le transporte hors de l'enclos. Ce cocher est atteint de peste bubonique le 16 janvier et meurt en peu de jours. I ne se produisit pas d’autres cas dans la maison : la désinfection de l'écurie fut d’ailleurs pratiquée avec soin.

Très nombreux sont les exemples de ce genre le seul cas. constaté dans une maison est celui d’un serviteur qui a pris en main un cadavre de rat, et la plupart du temps c’est dans les sous-sols, les cuisines ou les écuries que le cadavre a été ren-

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contré. Notons en passant que, dans tous ces cas, la peste apparaît dans les trois jours qui suivent la trouvaille du rat mort. Quant aux faits de maisons la peste saisit Les habitants après que des cadavres de rats y ont été vus et sans que ces cadavres aient été maniés par les gens attaqués ensuite, ils sont innom- brables et démontrent péremptoirement que le contact du rat n'est pas nécessaire pour la transmission de la maladie, qu’une maison malpropre, à rez-de-chaussée établi sur le sol nu, encombrée d'habitants, est particulièrement sujette à êtreinfectée par les rats, et que l'infection y est pour longtemps enracinée après que ces animaux y sont morts.

En résumé, la mortalité des rats précède généralement la mortalité humaine ; la peste éclate chez les habitants du quartier eïle a premièrement attaqué les rats : dans les grandes villes, elle y reste confinée tant que l'émigration des rats n’a pas commencé; à partir de ce moment, elle se répand dans les autres quartiers et dans les villages environnants en suivant les routes adoptées par les rats pestiférés. Le contact direct du rat mort de peste est fréquemment la cause évidente de la peste humaine ; ce contact n’est pas indispensable, et il suffit que des rats soient morts dans une maison pour l’infecter et la rendre pour longtemps dangereuse à ses habitants.

Parmiles arguments de second ordre, il faut noter que toutes les causes qui attirent le rat dans les maisons, toutes celles qui favorisent sa pullulation sont des conditions favorables au développement de la peste. A Bombay, de tous les marchands, ceux qui vendent des grains et des farines ont fourni le plus grand nombre de victimes. A Karad, ils ont été les premiers atteints. Dans les habitations européennes, la propreté des appartements, l'isolement des cuisines et des logements de domestiques sont des conditions peu faites pour attirer les ron- geurs ; aussi les attaques d'Européens ont été exceptionnelles dans toutes les villes ; lorsque la peste est entrée dans leur mai- son, c’est presque toujours dans les dépendances qu’elle a sévi, limitée au personnel domestique. On à voulu conclure de ce fait à une certaine immunité de l’Européen vis-à-vis de la peste. Une observation très simple démontre la fausseté de cette opinion, c'est que tous les natifs riches, Parsis, Indous, Musul- mans, qui habitent des bungalows pareils à ceux des Anglais et

RATS

PROPAGATION DE LA PESTE. 645

vivent dans des conditions analogues n’ont fourni nulle part une proportion d’atteints plus forte que les Européens.

Nous avons envisagé jusqu'ici le rôle du rat à terre seule- ment, et montré que si l’homme est le plus généralement l'agent du transport de la peste aux grandes distances, le rat apparaît comme l'agent ordinaire de la dissémination de proche en proche dans les villes et dans l’aire d'infection qui s’étend progressi- vement autour d'elles. Il nous reste à envisager le rôle du rat à bord des navires. Jusqu'à notre époque on a attribué à l’homme et aux marchandises toute la responsabilité du transport de la peste par mer. Les nombreux documents qui nous restent des temps passés sur cette question ne font point mention de mor- talité sur les rats à bord des bateaux infectés.

Il est permis de croire que si cette mortalité s’est produite, elle a été considérée comme chose sans importance, l'attention des équipages n'étant, aux époques d'autrefois, nullement attirée sur ce point. D'ailleurs la mortalité des rats, dans les cales de navires chargés de marchandises, doit souvent passer ina- perçue. Un certain nombre de faits qui se sont produits depuis l’arrivée de la peste à Bombay permettent d’admettre que les rats ont une part active à la propagation du fléau par voie maritime; nous en citerons deux qui nous paraissent concluants :

En février 1898,4e paquebot Shanon effectue le voyage de Bombay à Aden et retour. L'épidémie faisait rage à Bombay à cette époque, et par suite le bateau eut à subir dans toute leur rigueur, avant le départ, toutes les mesures de garantie édictées par la conférence de Venise. Rien d’anormal ne fut remarqué dans le voyage d'aller ni pendant la relâche à Aden, mais pen- dant la traversée du retour, des cadavres de rats furent trouvés dans la cabine du service postal sont entassés les sacs à dépèches. Très peu après, l'employé des postes qui travaillait dans cette cabine fut atteint de peste. Or, cet employé n'avait pu apporter la peste dans ses effets, ni être préalablement en période d'incubalion, car 1l avait été embarqué à Aden et ne provenait point d’un lieu pestiféré. Il n’est pas douteux qu’il ait contracté la peste dans la cabine infectée par les rats. Il est également certain qu'une épidémie de rats a sévi sur ce bateau longtemps après le départ de Bombay, soit que des rats malades aient été

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embarqués dans ce port, soit que les rats du bord aïent contracté la peste introduite avec les matières embarquées.

Un autre fait est celui du Paina, qui arriva de Bombay à Kurachee le 26 mars 1898. Ce navire avait subi l'inspection sanitaire au départ et à l’arrivée, sans que rien de suspect y eût été signalé. Le jour même de l’arrivée à Kurachee, on trouve à bord des cadavres de rats; néanmoins le bateau est autorisé à poursuivre sa route vers les ports du golfe Persique. Le 28 mars, un cas de peste se déclare sur un matelot, peu après sur un passager; en 3 ou # jours, elle atteint 5 personnes. On ne peut refuser d'admettre que la petite épidémie qui à sévi parmi les hommes n’ait été engendrée par l'épidémie antérieure des rats du navire. Les rats malades n’ont pu être embarqués à Kurachee la peste sévissait alors, carle navire était mouillé en rade à une grande distance de la terre et n'avait pas pris de charge- ment dans le port. Mais il est tout à fait probable que pendant le séjour antérieur d’une semaine dans les docks de Bombay il était amarré à quai, le Patna a été le refuge de rats qui fuyaient le quartier voisin pestiféré et dont quelques-uns étaient déjà atteints par la maladie.

Deux autres navires, depuis que Bombay est infecté par la peste, ont présenté des cas humains après avoir relâché dans ce port. Nous n'avons pu recueillir de détails à leur sujet, et nous ignorons si la mortalité des rats y a été constatée. Il suflit que sur 4 faits authentiques de peste sévissant sur des paque- bots un certain temps après le départ du port infecté, nous puissions 2 fois, avec une grande certitude, incriminer les rats de l'avoir introduite à bord, pour attribuer à cette source de contagion une influence importante dans le transport au loin de la peste par les navires.

De tous les exemples que nous avons cités comme arguments en faveur de la contagion par les rats soit à terre, soit à bord, il ressort que la peste se manifeste chez l’homme à bref délai après qu'il a été placé dans les conditions voulues pour la rece- voir de ces animaux. Quand on observe le transport de la peste par les rats d’un quartier d’une ville dans un autre ou d’une ville dans un village, il apparaît que l'épidémie humaine suit de très près l'importation de rats pestiférés. Au contraire, quand on peut rapporter à l’homme l'introduction de la peste dans une

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ville ou dans un village, il est rare qu'il ne s'écoule pas une durée assez longue, de 20 à 50 jours, avant que l'apparition des cas indigènes suive celle des cas importés. Parfois dans la maison un malade provenant d’un lieu suspect est mort, il se produit immédiatement un ou plusieurs autres cas, mais la dissémina- tion épidémique ne se manifeste que plus tard. Nous en cité- rons seulement quelques exemples.

Dans le village de Cherra (district de Karad), le premier décès de peste a été celui d’un fuyard de Karad : il s’est écoulé ensuite une période de quelques semaines sans production de cas indigènes : mais pendant cet intervalle on à constaté la mor- talité des rats dans les maisons voisines de celle était mort l’'émigrant de Karad. Dans le même quartier se sont produits ensuite les premiers cas indigènes.

A Woter, dans le mème district, un malade de Karad est venu se réfugier dans une propriété qu'il y possédait. Deux cas de peste se sont produits parmi les gens de la maison voisine qui avaient eu des relations avec lui, puis il s’est écoulé un intervalle d'environ un mois après lequel d’autres cas se sont manifestés dans le village *.

A Maska, village important de l'État de Cutch, une femme qui avait sa famille arrive de Kurachee malade de la peste, à la fin de février 1897. Elle est isolée hors du village, et meurt dans une hutte sa belle-sœur était venue la soigner. La belle-sœur retourne alors dans la maison familiale, elle éprouve dans les jours suivants les symptômes de la peste pneumonique, et meurt à son tour. Après elle, 10 membres de la famille demeurant dans la même maison meurent avec les mêmes symptômes. Jusqu'au 13 mai aucun autre cas de peste ne fut constaté dans le village; c’est à ce moment que commença véritablement l'épidémie qui fit 199 victimes de mai à septembre 1897 *.

En confirmation des faits que nous venons de citer, on peut observer, sur les cartes 3et 4, queles dates des premiers cas impor- tés et des premiers cas indigènes, dans les villes trop éloignées du foyer primitif pour qu’on puisse attribuer aux rats le transportdela peste, sont en général séparées par un intervalle de 3 à 8 semaines.

4: Ces renseignements nous ont été communiqués par le Dr Robertson.

2. Ces renseignements nous ont été communiqués par le D' Mason, avec le concours duquel nous avons fait dans l'État de Cutch des expériences de séro- thérapie de la peste.

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Nous pouvons déduire de ces faits cette conclusion, que la période de latence, qui sépare les cas de peste importés du début de l'épidémie humaine, est la période nécessaire pour le déve- loppement de la maladie parmi les rats. La transmission préa- lable de l’homme au rat nous apparaît dès lors comme la condi- tion généralement nécessaire du développement de l'épidémie humaine, de cette dissémination rapide qui s’observe, à partir d’un certain moment, dans toutes les grandes villes Re

Des considérations de haute importance découlent de cette observation. Nous pouvons nous expliquer, en effet, pourquoi la peste s'étend avec tant de facilité à de courtes distances, en dépit de tous les obstacles amoncelés sur sa route par les hygiénistes modernes, tandis qu'à de grandes distances, après l’importation des pestiférés humains, elle prend difficilement, et l'on peut dire rarement, son essor. Dans le premier cas, les rats passent avec le microbe à travers tous les règlements, toutes les inspec- tions sanitaires dont les rigueurs s'adressent à l'homme seul: dans le second, :l faut des circonstances favorables qui ne se rencontrent pas dans la majorité des cas, pour permettre la

transmission de la peste de l’homme au rat, génie ordinaire de l'épidémie.

CHAPITRE IV

OBJECTIONS FAITES A LA PROPAGATION PAR LES RATS. —— CONTAGION D'HOMME À HOMME. INFLUENCE DES SAISONS SUR LE DÉVELOPPEMENT

DE L'ÉPIDÉMIE. RECRUDESCENCE PÉRIODIQUE

De ce que nous trouvons à chaque pas, dans l’étude détaillée des épidémies de peste, des arguments en faveur de la propaga- tion par les rats, il ne s'ensuit pas que le rôle de ces animaux soit, dans tous les cas, facile à mettre en évidence, ni qu’on ne puisse dans beaucoup de cas formuler des objections contre leur intervention.

Établissons tout d’abord que si les rats peuvent être accusés de répandre la peste dans un centre habité, il s’en faut que chaque nouveau cas humain relève d’une contagion directe par ces animaux. Il n’est pas douteux que l'infection des maisons

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ne soit en général le fait du passage ou de la mort de rats pesti- férés dans les appartements ; mais cette infection n’a pas tou- jours une action immédiate, elle persiste assez longtemps, et les habitants peuvent en subir les effets bien après que les rats malades ou morts ont infecté l'habitation. D'autre part, l'infec- tion d'une maison peut se faire sans le concours du rat, par des objets infectés provenant d'un lieu suspect ou par l’homme lui- même. À l'égard de ce dernier, une question se pose : La peste est-elle contagieuse d'homme à homme?

Si l'on examine ce qui se passe dans les hôpitaux de la plupart des grandes villes installées à l’européenne, on constate que les manifestations de la contagion y sont tout à fait excep- tionnelles. À peine peut-on en citer quelques exemples parmi les médecins, les gardes et les employés européens qui ont, depuis deux ans, servi dans les innombrables hôpitaux de pestiférés dans lInde; ils sont un peu plus fréquents parmi le personnel indigène, quoique toujours à l’état d'exceptions. Encore, dans aucun de ces cas, ne peut-on affirmer avec certitude que le con- tact des malades est la raison de l'attaque plutôt que le séjour continuel dans un lieu infecté. Nombre de médecins qui ont servi dans ces hôpitaux se refusent à admettre la contagion de la peste.

Cependant la contagion (au sens de transmission à l’homme par la fréquentation d’un pestiféré) est réelle; elle nous a paru même se produire dans une proportion notable au cours des épidémies : seulement les hôpitaux installés à l’européenne et pourvus d’un personnel européen, on la recherche d’ordi- naire, sont précisément les endroits elle se manifeste le moins.

Pour lobserver, il faut la rechercher dans les hôpitaux indigènes encombrés, malpropres, les parquets sont rare- ment et mal balayés, la literie, le linge des malades rarement lavés et jamais désinfectés; dans deux villes différentes nous avons pu relever de nombreux cas de contagion certaine dans ces hôpitaux. On la trouve aussi dans les maisons pauvres, mal tenues, trop peuplées, des natifs ; elle y est plus fréquente qu'il n'est possible de le démontrer, car, pour être démonstratifs, les faits doivent être observés en dehors de l'existence d’une épidémie de rats. Celui, cité plus haut, de la transmission à toute une

650 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

famille par une pestilérée venue de Kurachee à Maska fournit un exemple saisissant de contagion humaine,

L'objection la plus sérieuse formulée contre l'intervention des rats est celle-ci : la mortalité des rats très généralement constatée au début de l'épidémie humaine cesse bien avant ja fin de cette épidémie, et parait souvent de très courte durée.

Il est exact que, dans un foyer de peste, on cesse de trouver des cadavres de rats alors que l'épidémie est encore rigoureuse parmi la population. Ce n’est pas à dire que la peste ait cessé de faire des victimes parmi ces animaux, comme nous l’a montré une série de recherches sur les épidémies des rats, recherches poursuivies depuis le mois de juin 1897 à Bombay, à Karad, à Mandvi, à Mundra et à Kurachee.

Avant que la grande mortalité des rats soit constatée, il n’est pas rare de découvrir dans les entrepôts de substances comes- übles quelques cadavres de ces animaux enfouis sous les sacs ou au fond de leurs trous; un peu plus tard seulement, quand ils meurent en grand nombre, on rencontre leurs cadavres en pleine lumière. À ce moment la maladie a une allure suraiguë, le rat agonisant est pris d’affolement; on le voit sortir en plein jour de sa cachette, souvent trainant les pattes de derrière, courir dans les appartements ou dans la rue sans se soucier de la présence des hommes, des chiens ou des chats, et, bientôt épuisé, se renverser sur le dos pour mourir.

Cette grande mortalité n’est pas de longue durée, et l’on n'entend plus, quand elle a cessé, parler de découverte de rats morts dans la ville, si ce n’est à titre tout à fait exceptionnel. Mais si, pendant les mois qui suivent, on capture un certain nombre de ces animaux, on découvre que la peste fait encore chez eux des victimes. De plus on rencontre parmi eux des indi- vidus bien portants, entièrement réfractaires à la peste. A Kura- chee, de cinq rats qui nous ont été apportés de la ville, le 9 mai 1898, deux étaient malades et sont morts de la peste en cage. Quelques jours plus tard, sept rats furent pris dans une même maison, dont quatre reçurent des inoculations de culture virulente de peste; un seul contracta la maladie et mourut en quatre jours. Les trois autres, conservés et réinoculés un mois plus tard avec une forte dose de sang de rat pestiféré, montrèrent

PROPAGATION DE LA PESTE. 651

la même immunité qu'ils avaient manifestée contre la culture du microbe. Au moment ces animaux ont été capturés, on ne signalait nulle part dans la ville des cadavres de rats, et depuis près d’un mois la peste semblait éteinte parmi eux. De même à Mandvi la mortalité des rats a été observée dans la première quinzaine de mars 1898, époque du début de la épidémie humaine, qui a duré jusqu'en août. Le 28 juin, un rat capturé en ville est mort de peste en cage; le 5 juillet, un rat femelle nous à été apporté malade, il a avorté le 7, puis s'est rétabli au bout de quelques jours. Nous l’avons inoculé le 22 juillet avec le sang d’un rat mort de peste expérimentale sans qu'il en ait éprouvé le moindre inconvénient; tandis qu’un témoin imoculé avec la même dose du même sang est mort en 78 heures. Parmi les nombreux rats capturés dans le mème mois, un troisième est mort dans notre laboratoire, de peste spontanée. L'inocula- tion faite avec son sang à quatre autres rats de la ville a donné la mort à trois, le quatrième a paru malade et s’est rétabli.

On peut donc affirmer que l'épidémie des rats suit une marche analogue à celle de l'épidémie humaine, qu'après une période de début la mortalité est faible et souvent échappe à l’observation, survient une période aiguë pendant laquelle la maladie affecte une allure rapide, fait beaucoup de victimes et se termine fréquemment par une crise qui fait sortir les ani- maux moribonds de leurs cachettes. A cette période, la panique survient qui détermine l’émigration de la majorité des rats. Elle est suivie d'une longue période de déclin caractérisée par une virulence moindre de la peste : une certaine proportion des rats atteints alors guérissent et demeurent immunisés; ceux qui meurent ont une peste d'assez longue durée et une longue ago- nie pendant laquelle ils restent cachés dans des trous obscurs.

À Karad, en septembre 1897; à Mundra, en novembre 1897; à Kurachee, en mai 1898; à Mandvi, en juin et juillet 1898; à Bombay, en août 1898, nous avons dûment constaté l'existence de la peste parmi les rats jusqu’à la dernière période de l’épidé- mie humaine, alors que la mortalité des rongeurs n’était plus observée par les habitants et semblait depuis longtemps arrêtée, Nous sommes donc fondé à croire que cette cause principale de dissémination subsiste dans la plupart des foyers de peste aussi longtemps qu’on observe des cas humains, et à lui attribuer la

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persistance de l'épidémie humaine. Cette cause n’est pas exclu- sive : toutefois la persistance de l'infection dans les habitations, la contagion d'homme à homme paraissent jouer un rôle très secondaire dans la durée des épidémies de peste.

C’est un fait d'observation très ancien, que la peste ne dis- paraît pas définitivement après une première visite. Au bout d'une période d’accalmie, pendant laquelle les populations ras- surées ont regagné leurs foyers, une seconde épidémie se déclare, parfois aussi intense, parfois plus grave, le plus sou- vent plus légère que la première. Elle peut être suivie d’autres épidémies et la région demeurer pestiférée pour un nombre variable d'années.

Les épidémies de Chine et surtout celles de l’Inde ont per- mis de constater une régularité remarquable de l'intervalle écoulé entre le début de deux épidémies successives dans un même foyer : à Bombay, cet intervalle a été de douze mois, à Kurachee de treize, à Mandvi de douze. Dans les deux premières villes la seconde épidémie a été plus grave que la précédente, à Mandvi, elle s’est montrée beaucoup plus bénigne. À Long- Teheou nous avons observé, en 1893, l'arrêt de l'épidémie à lar- rivée de la saison froide et sa reprise au printemps 1894; nous avions alors rapporté aux influences climatériques la recrudes-

cence annuelle de la peste. Cette opinion qui compte de nom-

breux partisans n’est guère en rapport, ainsi qu'on va le voir, avec les faits observés dans l'Inde, Comme le climat varie con- sidérablement dans l'immense étendue du territoire de ce pays la peste s’est répandue, nous devrons indiquer sommairement, pour chaque foyer cité comme exemple, les conditions climaté- riques dans laquelle l'épidémie s’est produite et renouvelée :

Bombay. 1r° épidémie : Début dans la saison pluvieuse et chaude, août 1896 à novembre. Maximum dans la saison fraîche, décembre 1896 à mars 1897. Déclin dans la saison chaude non pluvieuse, mai et juin 1897;

2 épidémie : Début, maximum et déclin aux époques corres- pondantes et dans les mêmes conditions climatériques, de sep- tembre 1897 à juillet 4898.

2 Kurachee. épidémie : Début dans la saison froide, décembre 1896 et janvier 1897. Maximum dans la saison fraîche,

PROPAGATION DE LA PESTE. 653

février à avril 1897. Déclin correspondant à l’établissement de la saison chaude, avril à juin 1897 ;

2e épidémie : Début à la fin de la saison froide, février et mars 1898. Maximum pendant une saison de chaleur tempérée en avril. Déclin pendant la saison chaude, mai à juillet 1898.

Mandvi. 1'e épidémie : Début pendant une saison de chaleur modérée en mars 1897. Maximum pendant la saison chaude en avril et mai. Déclin pendant la saison chaude, juin et juillet ;

2e épidémie : Début maximum et déclin aux époques corres- pondantes en 1898 et dans les mêmes conditions climatériques.

Gundiali. 1'° épidémie : Début en juin 1897 par une saison chaude et pluvieuse. Maximum en août pendant la même saison. Déclin pendant la saison iraîche, novembre et décembre ;

épidémie : Aucun cas n'a été signalé de janvier à juin 1898. Vers la fin de juillet, on a constaté la mortalité parmi les rats, et dans une maison ont été vus des cadavres de rats, quatre personnes ont eu la peste. Ge début de la recrudescence s’est manifesté 13 mois après le début de la 1"° épidémie.

Mundra. 1'° épidémie : Début pendant la saison chaude et pluvieuse, juillet et août 1897. Maximum pendant la saison chaude et sèche, septembre-octobre. Déclin pendant la saison fraiche, novembre et décembre 1897.

On a signalé vers la fin du mois de juillet 1898 quelques cadavres de rats pestiférés, exactement 12 mois après le début de la 1'° épidémie. Toutefois, à la date du août 1898, il ne s'était encore produit aucun cas certain chez les habitants.

Hurdwar. 11° épidémie : Début et maximum pendant la saison de chaleur torride et sèche, avril et juin 1897. Déclin pendant la saison chaude et humide, juillet 1897.

épidémie : Début, maximum et déclin aux époques corres- pondantes et dans les mêmes conditions climatériques en 1898 :

1 Kunckal. 1'e épidémie : Début à la fin de la saison chaude en septembre 1897. Maximum et déclin pendant la saison froide, octobre à novembre 1897.

Il ne s’est pas produit jusqu’à présent de recrudescence.

Jawalapour.— épidémie : Développée en janvier 1898, pendant la saison froide, a été très légère et très courte.

Il ne s’est pas produit jusqu'à présent de recrudescence.

654 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

90 Karad. 1'° épidémie : Début en juillet +897 pendant la saison chaude et pluvieuse. Maximum en août et septembre par une saison de chaleur modérée et pluvieuse. Déclin en octobre dans la même saison. Il ne s’est pas produit de recrudescence jusqu'à présent.

10° Masur. 1"° épidémie : Début en septembre et octobre par une saison de chaleur modérée. Maximum et déclin en novembre et décembre pendant la saison fraîche.

Pas de recrudescence jusqu’à présent.

119 Poona. épidémie : Début pendant une saison de chaleur modérée et pluvieuse, août-septembre 1897. Maximum: et déclin pendant la saison fraîche et sèche, octobre 1897 à février 1898.

Pas de recrudescence jusqu’à présent.

12° Igatpuri. épidémie : Début et maximum pendant une saison de chaleur modérée et de pluies torrentielles, août à octobre 1897. Déclin pendant la saison fraiche et sèche, novem- bre et décembre 1897.

Pas de recrudeseence jusqu'à présent.

13° Districts de Jullunder et Hoshiarpour dans le Punjab. Cette épidémie, qui a atteint 77 villages dans un territoire d’en- viron 80 kilomètres de diamètre, a débuté à la fin de la saison chaude en septembre et octobre 1897; elle a sévi pendant la saison froide de novembre 1897 à février 1898, puis pendant la période de chaleur torride et sèche avec une moyenne thermo- métrique de 40° centigrades de mars à avril 1898. Le déclin s’est produit pendant la mème période en juin 1898.

I ne s’est pas produit de recrudescence jusqu’à présent, mais des cas isolés ont continué à se manifester dans quelques villages.

Nous avons à dessein choisi un certain nombre d'exemples où, sous un même climat, des villes très rapprochées ont déve- loppé leur épidémie dans des saisons différentes : Mandvi, Gun- diali et Mundra; Karad et Masur; Hurdwar, Kunckal et Jawa- lapour.

De la comparaison des époques de Pannée et des conditions saisonnières et climatériques dans lesquelles se sont développées ces diverses épidémies, on peut tirer cette conclusion qu'il my a pas, pour la peste, dans les limites géographiques nous

EE, À

te DE |

PROPAGATION DE LA PESTE. 655

l'avons étudiée, de saison mi de climat particulièrement favora- bles. Nous devons cependant faire une restriction, c’est que les grandes épidémies de Chine et de l’Inde ont eu, en général, leur maximum en dehors de la saison la plus chaude de l'année. Celles qui, comme à Hurdwar en 1897 et en 1898, ou comme à Calcutta de mai à août 1898, se sont développées pendant une saison de chaleur torride, ne paraissent pas avoir eu une gravité en rapport avec l'importance de la population des villes atteintes. Il n’est donc pas démontré que la grande chaleur de 30° à 40° ne puisse dans une certaine mesure nuire au développement de la peste.

Si l'on ne peut reconnaître aux saisons une influence mar- quée dans le développement de la première épidémie, on ne saurait davantage attribuer à cette cause la recrudescence qui apparaît presque mathématiquement à un an d'intervalle.

D'autres causes qui ont été invoquées, telle que le niveau de la nappe d’eau souterraine, sont en telle contradiction avec les faits qu’elles ne méritent pas d'être discutées.

La seule explication plausible de la fixité du laps de temps qui sépare l’évolution de deux épidémies consécutives et du retour annuel de la peste, c’est encore l'intervention du rat ‘.

Nous avons vu que la durée des épidémies de peste est variable, plus courte dans les petites villes, plus longue dans les grandes villes dont les divers quartiers peuvent être atteints successivement. El s’ensuit que la période d’accalmie qui sépare épidémie primitive de la recrudescence est très inégale. À Bombay, elle a duré moins de trois mois en 1897; à Kurachee, elle a duré sept mois; à Cutch-Mandvi, six mois; à Gundiali, six mois. À Bombay, pendant les trois mois d’accalmie, il n’a pas cessé de se produire presque chaque semaine quelques cas isolés; dans les autres villes citées, on n’a pas signalé de cas pendant l’accalmie; mais, étant donné la difficulté d'obtenir ces déclarations des indigènes, on ne peut être certain qu'il ne s’en soit pas produit de loin en loin. Quoi qu'il en soit, par leurs relations avec des cenires pestiférés très voisins, ces villes n'ont pas cessé d’être exposées à une nouvelle infection. On peut en dire autant de tous les foyers la peste a sévi dans linde. Il est

4. Cette intervention, croyons-nous, est une des causes essentieiles, mais non ia seule, des recrudescences de la peste.

656 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

très remarquable que, quelle qu'ait été la durée d’une épidémie, à quelque cause de réinfection que la ville puisse ètre exposée immédiatement après, la recrudescence attende pour se mani- fester qu’une période à peu près fixe d’une année se soit écoulée depuis la première apparition du fléau. Après une épidémie, le foyer pestiféré jouit jusqu’à la fin de cette période d'une véritable immunité. Cette immunité n’a rien à voir avec les conditions climatériques; il est également facile de montrer qu'elle n’est nullement inhérente à la population et que les habitants conservent leur sensibilité à la peste; nous sommes donc conduit à l’attribuer aux rats. Pour nous, l’accalmie est la période pendant laquelle la peste ne peut, pour des raisons multiples, sévir épidémiquement parmi les rats.

Nous savons qu’au cours de l'épidémie, une grande partie de la population des rats meurt, qu'une grande partie émigre, qu'une certaine proportion de ceux qui restent sont immunisés par des atteintes de peste non mortelle, qu'une forme bénigne de la maladie peut continuer à sévir parmi eux sans faire de nombreuses victimes. Si le rat est réellement, comme nous avons essayé de le démontrer, le facteur important de l'épidémie humaine, celle-ci ne pourra recommencer qu'après la repopu- lation de la ville par des générations nouvelles de rats suscepti- bles de contracter et de répandre à nouveau la peste virulente. Des conditions particulières que nous ignorons sont probable- ment nécessaires pour rendre au microbe la virulence première et faciliter parmi les rats le retour épidémique précurseur de la recrudescence chez l'espèce humaine. Notre hypothèse est corroborée par l'observation très générale de la mortalité des rats au début et avant la recrudescence comme pour la pre- mière épidémie.

Pour des raisons que nous exposerons plus loin, nous n’admettons point une nouvelle infection par le virus conservé dans le milieu extérieur. Nous croyons que la peste continue pendant l’accalmie à sévir chez les rats, mais trop atténuée et d'une manière trop discrète pour qu’ils puissent la transmettre aux hommes si ce n’est à titre exceptionnel; telle serait l’origine de la plupart des cas isolés qu’on peut observer durant lac- calmie.

PROPAGATION DE LA PESTE: 657

CHAPITRE V

RECHERCHES SUR LE MÉCANISME DE LA TRANSMISSION DU MICROBE. INSUFFISANCE DE LA THÉORIE DU MICROBE RÉPANDU DANS LE MILIEU

EXTÉRIEUR

Le rôle du rat tel que nous l’avons exposé ne suffit pas à éclairer tous les points mystérieux de l’histoire de la peste.

Nous avons reconnu un cycle de propagation allant du rat à l’homme et de l'homme au rat : la propagation du rat au rat et du rat à l’homme est pour nous le moyen et la condition des épidémies humaines; la propagation de l’homme au rat, moins usuelle et sans importance dans le cours du développe- ment de épidémie, est responsable de la création de nouveaux foyers aux grandes distances, les rats du foyer primitif n'ont pu transporter le virus. La propagation d'homme à homme, médiocrement fréquente, ne joue qu'un rôle secondaire et serait incapable à elle seule de déterminer l'allure épidémique de la peste.

Ce n’est qu'une partie du mécanisme des épidémies de peste animale et humaine. Il nous reste à en étudier le côté le plus délicat et le plus obscur, le moyen par lequel le microbe pénètre dans les tissus, passe d’un rat à un autre, du rat à l’homme, de l’homme à l’homme et de l’homme au rat.

Cette question est celle qui, jusqu’à ce jour, semble avoir le moins embarrassé les bactériologistes et les cliniciens : en ce qui concerne l'infection du rat, on admet généralement qu'elle a lieu par le tube digestif, soit en absorbant du virus répandu par l’homme ou un animal malade dans le milieu extérieur il s’est cultivé, soit en dévorant les cadavres d’autres rats pestiférés. Pour l'infection de l’homme, diverses théories ont été émises : Wilm a soutenu l'infection par le tube digestif, que n’a pas con- firmée l'anatomie pathologique. Depuis les expériences de Wyzokowitch et Zabolotnie à Bombay, on admet à peu près exclu- sivement la pénétration par la peau ou par le poumon. Quelque

idée qu’ou se fasse de l’origine du virus dans un lieu contaminé, 42

658 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

il paraît y avoir unanimité à accepter que ce virus est répandu sur le sol et sur les objets, qu'il s’introduit dans le corps humain tantôt par des excoriations de la peau mises fortuitement en con- tact avec lui, tantôt par l'aspiration de poussières souillées par le microbe, qui serait ainsi transporté dans le poumon. Dans le premier cas, on aurait la forme bubonique ; dans le second, la pneumonie pesteuse, beaucoup moins fréquente”.

Comme on le voit, ces opinions reposent sur l'hypothèse

principale que le microbe existe dans le milieu extérieur, il serait apporté par les excrétions des animaux et des hommes, les crachats hémorragiques des pestiférés atteints de pneumonie, et il se cultiverait et se conserverait plus ou moins pur, suivant les circonstances.

En faveur de la théorie, on peut alléguer les faits suivants :

Les expériences de Wyzokowich et Zabolotnie, prouvant qu'une très légère excortation faite à la peau avec la pointe d’une aiguille chargée de microbes virulents suffit pour donner la peste au singe ; ;

2 L'existence, dans les organes du malade, d'hémorragies qui, lorsque le microbe est généralisé, lui permettent de passer dans les excrétions ;

La facilité avec laquelle le microbe se multiplie et se con- serve dans la plupart des milieux de laboratoire ;

La persistance de l'infection dans une maison, qui oblige ses habitants à l’'évacuer après un premier cas.

La préférence marquée de la peste pour les maisons obscu- res, humides, mal aérées et malpropres;

La grande susceptibilité de la partie de la population misé- rable et qui marche habituellement nu-pieds, vis-à-vis de la peste.

Un examen un peu rigoureux de chacun de ces arguments permet déjà de s’apercevoir que leur concordance avec la théorie édifiée sur eux est très superficielle.

En effet, dans la presque totalité des cas buboniques, il est impossible de retrouver, même tout au début, la trace d’une exCoriation qui puisse avoir servi de porte d'entrée au virus. Or, si au laboratoire on pratique l’inoculation avec la pointe d’une

4. Le mode de pénétration du virus pour produire les cas l’on n’observe cliniquement ni bubons ni pneumonie, demeure inexpliqué dans cette théorie.

PROPAGATION DE LA PESTE. 659

aiguille qui ne laisse aucune marque durable sur la peau, il n’est pas possible que, dans la nature, des excoriations accidentelles capables d'offrir une voie de pénétration au mierobe demeurent régulièrement invisibles en dépit de minutieuses recherches.

Il n'a jamais été prouvé que les excrétions des malades puis- sent, au contact d’une plaie, donner lieu au développement de la peste. Même avec les crachats hémorragiques de la pneumonie pesteuse, on à beaucoup de peine à produire la peste chez les animaux par injection sous-cutanée.

Le microbe qui se cultive si aisément sur des milieux purs est très rapidement détruit par les microbes JARPpErte dès qu'on abandonne la culture à l'air libre. Il n’y a pas de raison pour qu'une maison humide et obscure lui off un milieu favorable à sa conservation, attendu que ces conditions et la température modérée favorisent encore davantage les microbes saprophytes qui l’étouffent si aisément.

Enfin, la difficulté de retrouver chez les pestiférés à bubons inguinaux une ulcération du pied antérieure à la maladie, par le microbe ait pu s’introduire, permet de douter de l'importance pour la contagion de la peste que certains savants ont attribuée à la marche nu-pieds.

Nous avons effectué une série d'expériences qui confirment ces critiques et démontrent l'insuffisance des théories en cours.

Expérience E.

Rat 1 reçoit à boire une dilution dans l’eau de culture de peste sur gélose capable de tuer la souris en 58 heures, par ino- culation en piqüre.

Ce rat n’a présenté aucun symptôme de maladie.

Rat n°2 reçoit pendant 3 jours consécutifs, comme seule nour- riture, le contenu de 3 tubes de la même culture de peste sur gélose.

Ce rat n’a présenté aucun symptôme de maladie".

Souris 4 et 2, nourries avec le contenu d’un tube de la même culture de ee sur gélose, n’ont présenté aucun symptôme

1. Hankin a réussi à donner la peste à des rats en leur faisant manger des cultures très virulentes.

660 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

de maladie. La souris 2 a été sacrifiée 4 jours plus tard; sa rate ne contenait pas de microbes de peste visibles ; l'ensemencement du sang du cœur est demeuré stérile. -

Expérience IL.

Un ensemencement de culture de peste virulente a été fait sur gélose en boite de Pétri. Cette boîte a été ensuite exposée à Pair libre, découverte, dans une chambre obscure et humide pendant 48 heures. La gélose était couverte de moisissures et de colonies de microbes divers, parmi lesquels l'examen microscopique ne nous à pas permis de déceler celui de la peste.

Rat l'a reçu à boire une dilution aqueuse faite avec une partie du contenu de la boîte.

Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie.

Rat 2 a reçu en injection sous-cutanée une petite quantité de la même dilution.

Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie.

Rat 3 a été nourri avec le reste du contenu de la boîte de Pétri.

Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie.

Expérience IIT.

Rat 1 a recu comme nourriture le foie, la rate et le cœur d’un rat mort de peste spontanée.

Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie.

Rat 2 a recu comme nourriture le cadavre d’une souris morte de peste expérimentale.

Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie.

La même expérience à été répétée sur le même rat trois fois en l’espace de 20 jours avec le même résultat négatif. Au bout de ce temps, afin de vérifier s'il était Immunisé, il a été inoculé par injection sous-cutanée avec une culture de peste, et est mort de peste le jour.

Une souris blanche et une souris grise ont reçu comme nour- riture de la mie de pain imbibée de sang de rat mort de peste

spontanée.

PROPAGATION DE LA PESTE. 661

Ni l'une ni l’autre ne sont devenues malades.

Expérience IV.

Rat 1, inoculé avec la peste, est placé au fond d’un bocal de verre avec une provision de grains.

Il meurt au bout de 3 jours.

Rat 2 est placé dans le même bocal d'où on a retiré le cadavre du précédent et n’a, pour se nourrir, que les grains souillés par les excrétions du rat 1 et demeurés au fond du bocal. Au bout de 5 jours il est replacé dans sa cage,

Ce rat n’a manifesté aucun symptôme de peste.

Rat n°3 a reçu à boire du sang du rat n°1 dilué dans un peu d'eau.

Il a contracté la peste et est mort en 4 jours. Ce rat était porteur d’une blessure à la lèvre inférieure, faite avec une pince en fer. Le développement de bubons cervicaux qu'il à présenté nous permet dadmettre que l'infection a eu lieu par la plaie et non par le tube digestif.

Expérience V.

Un rat et deux souris ont été nourris pendant 2 jours avec des boulettes de pâte auxquelles on avait incorporé le contenu intestinal d’un rat mort de peste spontanée.

Aucun de ces animaux n’a contracté la peste.

Expérience VI.

Rat 1 recoit comme nourriture pendant 2 jours une pâte obtenue en délayant de la farine dans des crachats fortement hémorragiques d’un malade atteint de peste pneumonique.

Rat 2 recoit à boire une dilution dans l’eau de crachats paneumoniques provenant d’un second malade.

Souris grise 1 a été nourrie avec la même pâte que le rat HT:

Souris grise 2 a été abreuvée avec la même dilution de crachats pneumoniques que le rat 2.

Aucun de ces animaux n’a été malade. Les deux rats, âgés de

662 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

deux mois seulement, étaient nés en cage et par conséquent en pouvaient être immunisés contre la peste.

Expérience VII.

On a recueilli, 7 heures avant la mort, l'urine d’un malade atteint de peste bubonique. Au bout de quelques heures, le dépôt de cette urine a été séparé et mélangé à des grains. Un rat et une souris ont reçu ces grains comme nourriture, Ni Fun ni l’autre n’ont été malades. L'examen microscopique du dépôt

urinaire ne nous a pas montré de microbe morphologiquement semblable à celui de la peste.

s

Expérience VIIT.

Souris 1 reçoit par injection sous-cutanée 1/5 de centimè- tre cube d’une dilution préparée en délayant dans 5 grammes d’eau 0#,50 de matières retirées de lintestin d’un rat mort de peste spontanée.

Cette souris est morte en 15 heures environ. L'examen de la rate n'a pas montré de bacilles morphologiquement semblables à celui de la peste. L’ensemencement du sang de cœur n’a pas donné de cultures de peste.

Souris 2 (témoin) reçoit par injection sous-cutanée 1/5 de centimètre cube d’une dilution préparée avec 0“,50 de déjections provenant d’un rat sain.

La mort est survenue également au bout de 15 heures.

Souris 3 a été piquée à la patte avec une aiguille préala- blement souillée avec les déjections d’un rat mort de peste spontanée.

Aucun symptôme de maladie.

Souris # a reçu par injection sous-eutanée 1/5 de cen- üimètre cube d'urine recueillie dans la vessie du même rat mort de peste spontanée.

Aucun symptôme de maladie.

Souris ÿ inoculée par piqûre à la queue avec le sang du même rat mort de peste spontanée.

Cette souris est morte en 49 heures, la rate était bourrée de bacilles de peste.

| L Ë | | ;

27

Lbté À 42° .

PROPAGATION DE LA PESTE. 663

Expérience IX.

Un singe de grande taille, d’une espèce très sensible à la peste, a reçu comme nourriture de la mie de pain imbibée de crachats hémorragiques d'un malade atteint de pneumonie pesteuse mortelle. |

Il n'a manifesté aucun symptôme de peste.

Le même singe a mangé quelques jours plus tard de la mie de pain imbibée de sang d’un rat mort de peste spontanée.

Même résultat négatif .

Expérience X.

On a fait respirer à un jeune singe du microbe pesteux en vue de lui communiquer la pneumonie pesteuse *. Voici com- ment l'expérience à été réalisée.

On jette de la farine sur des cultures de peste en boîte de Pétri; on renverse ensuite la boîte pour faire tomber la farine en excès. Il en reste une certaine quantité adhérente à la gélose et aux colonies. On racle alors la surface de la gélose pour en séparer les colonies mélangées à la farine, on les recueille dans un verre de montre et on les dessèche à 38°. Les grumeaux desséchés sont au bout de quelques heures écrasés et réduits en poudre. On place cette poudre au fond d’un petit sac d’étoffe gommée, de forme et de dimensions lelles qu'il puisse être solidement fixé sur le museau de lanimal à la facon d’une mu- selière. En agitant le sac quand il est en place, la poudre reste en suspension dans l’air qu'il contient et pénètre forcément dans les narines et dans le poumon de l’animal par la respiration.

Le singe n’a manifesté après cette expérience aucun symp- tôme de maladie.

La même poudre délayée dans l’eau etinjectée à deux souris les a tuées en 68 heures.

1. Wyzokowitch en 1897 a constaté que le singe ne contracte pas la peste si on lui fait manger des cultures de peste virulente.

2. Le même expérimentateur a donné la pneumonie pesteuse à un singe par inoculation de culture virulente dans la trachée.

664 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Expérience XI.

Singe 1, de l'espèce Semnopithecus entellus particulièrement sensible à la peste, a eu l’épiderme écorché au niveau du pied sur une étendue d'un demi-centimètre environ. On à mis au contact de cette petite plaie des matières excrémentielles reti- rées de l'intestin d’un rat mort de peste spontanée, et on a main- tenu ce contact pendant 10 minutes au moyen d’un bandage.

L'animal n'a pas contracté la peste.

Singe 2, de la nême espèce. On a recueilli des crachats hémorragiques d'un malade atteint de pneumonie pesteuse; on les a mélangés avec de la terre provenant du sol d’une maison indigène, et laissés à l'air libre dans l'obscurité pendant 2% heu- res. Au bout de ce temps, le mélange a été mis en contact avec une excoriation faite à la cuisse du singe.

L'animal n’a manifesté aucun symptôme de maladie.

Expérience XII”.

Écureuil (rat palmiste) 1 a Sté nourri avec de la mie de pain imbibée de sang de rat mort de peste expérimentale.

Il n’a pas contracté la peste.

Écureuil (rat palmiste) 2 à reçu en injection sous-cuta- née une goutte de sang provenant du même rat pestiféré.

L'animal est mort de la peste après 3 jours.

Nous nous sommes efforcé d'effectuer ces expériences dans les conditions les plus semblables à celles s’accomplirait dans la nature la transmission de la peste à l’homme et aux animaux, si les hypothèses admises jusqu'ici étaient fondées. Leurs résul- tats constamment négatifs nous autorisent à croire que si l’in- fection du rat est possible par ingestion du microbe très viru- lent, celle de l’homme et du singe par contact d’excoriations accidentelles avec des excreta d'êtres pestiférés ou par aspira- tion de poussières chargées de microbes pesteux, ces faits sont

1. La peste spontanée du singe est connue depuis les épidémies qui ont sévi sur ces animaux en même temps que sur les hommes en 1897 à Hurdwar, Kunckal, Belgaum. Nous croyons être le premier à avoir observé la peste spon-

tanée de l’écureuil de l'Inde, dit rat palmiste, commun au voisinage des habita- tions ; nous l’avons constatée à Kurachee au moi de mai,1898,

PROPAGATION DE LA PESTE. 665

exceptionnels et üifficilement réalisables en dehors du labora- toire par les moyens de la nature. !

Outre ceux-ci, deux faits importants demeurent inexplicables par la même hypothèse du virus répandu et se cultivant dans le milieu extérieur, comme cause ordinaire de l’infection des êtres vivants : ce sont d’une part l'innocuité des manipulations de cultures de peste et d'animaux pestiférés au laboratoire ; d'autre par’, l’inconstance du danger de la transmission par le cadavre d’un rat pestiféré. Nous les examinerons successivement.

Il est d'observation courante, pour tous ceux qui s’occu- pent de la bactériologie de la peste, que le maniement du mi- crobe en culture. des animaux vivants ou morts inoculés au laboratoire ne présente pas de danger. Dans les innombrables laboratoires où, depuis la découverte du bacille de la peste, on travaille avec ce microbe, il ne s'est encore produit, à notre connaissance, aucun accident parmi le personnel exposé jour- nellement à son contact. Est-il besoin de dire que si la propreté des bocaux, leur antisepsie, et les précautions individuelles peuvent être imvoquées pour quelques laboratoires, elles sont en défaut dans un grand nombre? Nous avons cherché a vérifier si cette innocuité du bacille cultivé sur des milieux artificiels relevait, comme on est & priori tenté de le croire, d’une diffé- rence de virulence entre celui-ci et celui de la peste spontanée : à cet effet, nous avons employé comme réactif le sérum antipes- teux préparé par le D' Roux à l'Institut Pasteur de Paris, au moyen de cultures depuis longtemps entretenues au laboratoire par ensemencements sur les milieux ordinaires et passages par des animaux. Le pouvoir préventif de ce sérum était mesuré à Paris, avant l'envoi, par des expériences sur des souris inoculées avec le même microbe en cultures qui sert à l’immunisation des chevaux. Il nous a paru que si les propriétés du bacille étaient sérieusement altérées pas la culture en laboratoire, on devait

4. Des expériences sur les rats, les cobayes et les lapins, faites avec le concours de M. le D: Batzaroff, nous ont montré qu'il est facile de donner une peste mor- telle à ces animaux en déposant sur leur muqueuse nasale et sans l’excorier, un peu de bacilles pesteux pris sur une culture en gélose ou dans la rate d’un animal pestiféré. On peut ainsi transmettre la peste d'animal à animal plus sûrement que par inoculations sous-cutanées. Il serait intéressant de savoir si le mucus nasal des rats atteints de peste est virulent. Dans le cas il le serait, ce mucus ne pourrait-il pas Jouer un rôle dans la contamination des rats.

Note du Dr Roux.

666 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

constater une différence dans la réaction vis-à-vis du sérum entre les animaux inoculés avec cette culture et ceux inoculés avec le microbe obtenu directement du pestiféré au cours d’une épidémie.

Expérience LT.

Le sérum employé dans toutes ces expériences, provenant du cheval 31, s’est montré préventif à la dose de 1/40 de cen- timètre cube contre l’inoculation à la souris de la culture de peste entretenue à l’Institut Pasteur, et capable de tuer cet animal en 48 heures environ. L'expérience en a été faite au laboratoire du D' Roux, avant que ce sérum nous soit expédié dans l'Inde.

Souris 1 (témoin) est inoculée avec la sérosité contenant le bacille pesteux, retirée d’une phlyctène siégeant sur le dos du pied d'un pestiféré.

Meurt en 56 heures.

Sonris 2 (témoin) inoculée avec la même sérosité.

Meurt en 51 heures.

Souris 3 reçoit 1/20 de centimètre cube de sérum une demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité.

Aucun symptôme de peste.

Souris 4 reçoit 1/30 de centimètre cube de sérum une demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité.

Aucun symptôme de peste.

Souris 5 reçoit 1/40 de centimètre cube de sérum une demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité.

Meurt après huit jours; l'examen dela rate ne montre pas de bacilles pesteux et l’ensemencement du sang du cœur ne donne pas de cultures de peste.

Souris 6 reçoit 1/50 de centimètre cube de sérum une demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité.

Meurt en 55 heures.

Expérience IT.

Souris 1 (témoin), inoculée avec le sang du cœur d’un rat mort de peste spontanée.

Meurt en 49 heures.

Souris 2 reçoit 1/30 de centimètre cube de sérum une demi-heure avant l’inoculation par le mème sang.

PROPAGATION DE LA PESTE. 667

Aucun symptôme de peste.

Souris 3 reçoit 1/35 de centimètre cube de sérum une demi-heure avant l’inoculation par le même sang.

Aucun symptôme de peste.

Souris 4 reçoit 1/40 de centimètre cube de sérum une demi-heure avant l’inoculation par le même sang.

Meurt après sept jours.

Souris 5 reçoit 1/45 de centimètre cube de sérum une demi-heure avant l'inoculation par le même sang.

Meurt après huit jours.

Souris 6 reçoit 1/50 de centimètre cube de sérum une demi-heure avant l'inoculation par le même sang.

Meurt en 48 heures.

Expérience TIT.

Souris { (témoin) inoculée avec le microbe cultivé sur célose, isolé du sang d’un bubon humain (culture âgée de 3 jours).

Meurt en 50 heures. |

Souris 2 inoculée avec la même culture une demi-heure après l'injection de 1/40 de centimètre cube de sérum.

Aucun symptôme de peste.

Nous avons répété ces expériences avec différents sérums, toujours avec un résultat analogue. D'une façon générale, à la dose limite il s'est montré préventif à Paris, 1l est sujet à faillir contre l’inoculation du microbe de peste spontanée, mais il y à toujours survie très longue de l'animal inoculé, et généra- lement absence de microbes pesteux dans les organes, au moment de la mort. La différence entre la dose de sérum nécessaire pour garantir la souris, d’une part contre le microbe d’une culture de peste, d'autre part, contre le microbe pris dans les tissus d’un pestiféré, quand l’inoculation de l’un ou l’autre microbe à cet animal est mortelle au bout d’un mème laps de temps, est telle- ment insignifiante, qu'on peut considérer comme doués de propriétés identiques le microbe cultivé, dont la virulence est entretenue artificiel- lement, et celui qui se multiplie dans le corps des malades en temps d'épidémie.

Ce n'est pas à dire que la virulence du microbe soit identique chez tous les êtres vivants, victimes d’une même épidémie ; on

668 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

constate au contraire des variations considérables de la viru- lence d’un homme malade à un autre et d’un animal à un autre ; .

20 Nous avons cité quelques exemples de contagion indiscu- table du rat à l’homme. Les faits de ce genre, relativement fré- quents, sont un des points les plus singuliers de l'histoire de la peste : qu’un homme trouve sur son chemin le cadavre d’un rat pestiféré, le saisisse par la queue et le jette au loin; ce contact de quelques secondes a suffi, l’homme est condamné à la peste dans les trois jours suivants. En est-il toujours ainsi ? Nullement: pour un cas semblable, cent fois le cadavre d'un rat mort de peste aura pu être manié impunément. Il y aurait donc pendant la même épidémie des cadavres de rats dangereux et d'autres inoffensifs. Mais si l’on étudie en détail chacun des cas, on apprend, chaque fois qu'il est possible d'obtenir des renseigne- ments, que le rat dangereux était mort depuis peu de temps. C’est en général au matin qu'un cadavre de rat, mort dans la nuit, est fatal pour celui qui le touche. Nous n'avons pu décou- vrir un seul cas un rat, dont la mort remontait à 24 heures, ait communiqué la peste. Plusieurs cadavres de rats, toujours datant de la veille, nous ont été procurés par la police en divers foyers épidémiques; leur manipulation prolongée n'a jamais produit le moindre accident. I semble doncqu'il y ait une période de quelques heures, celle qui suit le décès, le cadavre est contagieux ; il deviendrait ensuite parfaitement inoffensif, comme si la substance délétère s'était évaporée. Cette contagiosité sub tile du cadavre de rat atteint de peste spontanée ne se rencontre pas, et ce n’est pas un des points les moins importants à noter, chez le rat conservé en cage dans le laboratoire, que l'on fait mourir de peste expérimentale. Elle n'est donc pas due à la souillure de la peau du rat par ses propres déjections, attendu que le rat mort dans un bocal ne peut éviter cette souillure, rarement visible sur le rat mort en liberté. On ne s’expliquerait pas que le pouvoir contagieux, s’il était au microbe en cul- ture sur la peau du rat, fût de si courte durée ; d'autre part, les expériences faites avec les déjections et l'urine des rats sponta- nément pestiférés, ne permettent pas de leur attribuer un rôle aussi puissant dans la contagion. Encore un détail à retenir : l’homme contaminé pour avoir saisi avec la main le cadavre d’un

PROPAGATION DE LA PESTE. 669

rat n'a pas forcément le bubon axillaire, au moins aussi souvent il présente des bubons inguinaux.

Les observations et les expériences qui précèdent, nous ont amené à écarter l'hypothèse de la transmission épidémique de la peste par le contact de la peau saine ou malade avec le microbe disséminé à l'air libre dausle milieu extérieur, et à rechercher s'il est un mode de transmission plus en rapport avec les faits.

CHAPITRE VI

FAITS D'OBSERVATION CLINIQUE EN FAVEUR DE LA TRANSMISSION PARASI- TAIRE. —— EXPÉRIENCES QUI CONFIRMENT L INOCULATION DU VIRUS AU RAT ET A L'HOMME PAR LES PUCES

Le contraste frappant entre la difficulté de contaminer les animaux par le tube digestif et la facilité avec laquelle on déter- mine la peste chez eux par l'introduction sous la peau de la plus infime trace de virus suggère naturellement l’idée de rechercher s'il n’est pas dans la nature de cause susceptible de faire péné- trer directement le microbe dans la peau saine.

On ne rencontre jamais, chez les animaux atteints de peste spontanée, de lésion de la peau qu'on puisse soupçonner de marquer le point de pénétration du microbe. Il n’en est pas de même chez l’homme.

Les pestiférés présentent dans un certain nombre de cas une phlyetène, parfois plusieurs, dont la dimension varie d’une tête d'épingle à la grosseur d’une noix. Cette phlyetène renferme un liquide, transparent d’abord, qui plus tard devient sanguino- lent ou purulent. Elle apparaît au commencement de la maladie, en général avant tout autre symptôme, et dure jusqu'à la fin. Au début, elle constitue une petite papule dont le milieu est bientôt soulevé par une goutte de liquide; c’est alors une bulle lenticu- laire de 2 à 4 millimètres de diamètre, de couleur grisâtre, dont le contour est marqué par la teinte foncée de l’épiderme épaissi et enflammé. Dans la majorité des cas, particulièrement dans ceux qui guérissent, le processus s'arrête là; la phlyetène n’ar- rive pas à dépasser la grosseur d’une lentille, son contenu devient trouble, ce qui lui donne l'aspect pustuleux, et, la conva-

670 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

lescence survenant, elle se dessèche et disparait. D'autres fois elle atteint des dimensions plus considérables et se comporte de la mème façon. Enfin, dans une partie des cas, la région elle siège devient œdémateuse; la phlyctène, arrivée à une dimension assez forte, se rompt, laissant à découvert une base enflammée en voie de nécrose, la gangrène s'étend plus ou moins en pro- fondeur et en largeur et dépasse rarement le diamètre d’une pièce de cinq francs. On à alors le charbon pesteux, la lésion qui à valu parfois à la maladie le nom de peste noire (Black death). Une escharre profonde se forme dans les cas de guéri- son, tout à fait exceptionnels quand la lésion est arrivée à ce degré. ;

Un caractère de cette phlyciène est d'être douloureuse dès le début et de le demeurer jusqu'à la fin de la maladie.

Invariablement la phlyctène s'accompagne de bubon, et le bubon correspond toujours au siège de la phlyctène : si, au début de l'examen d’un malade, on constate la présence de cette lésion sur un membre, on peut être certain d'avance qu’un bubon existe à la racine de ce membre. Si les phlyctènes sont multiples et siègent sur des régions différentes, chacune de ces régions présente des bubons.

I ne faut pas confondre la phlyctène que nous venons de décrire, et qu'on pourrait appeler phlyctène précoce, avec les phlyetènes pemphigoïdes ou avec les éruptions pustuleuses qui se développent parfois au cours de la peste : tandis que la phlyc- tène précoce apparaît de bonne heure, commence par être une lésion minuscule, siégeant en une région non œdémateuse elle peut devenir plus tard le point de départ d’un œdème, la phlyctène pemphigoïde se développe en général tardivement et sur une région préalablement œdématiée: son apparition est brusque et sa dimension d'emblée considérable; elle se forme par soulèvement rapide de l’épiderme sur une certaine étendue, et constitue une grosse bulle le plus souvent citrine, quelquefois sanguinolente, à la limite de laquelle lépiderme n'est pas enflammé. Les éruptions pustuleuses constituent un accident de la convalescence.

Les phlyctènes précoces se manifestent exclusivement sur des points du corps la peau est fine et délicate ; on peut en juger par le tableau suivant qui porte sur 64 observations.

à msn FÉES

PROPAGATION DE LA PESTE. 671

Le siège des phlyctènes à été :

Partie antéro-inférieure du cou.….............., { fois. HER N EST UUT TE 1, | PRONONCE SERRE ERT<R 1 Face interne de l’avant-bras et du poignet....... 2 Côtés du frane en dehors du sein.......,....... 1. FIANCs 0.7 en Tr Le aotet EMEMRSEMERERERENLEE 3 Région lombaire ISiérale en. 2 1... .. 1... 2 Côté interne de Id cuisse: 37.4... .. IN ER Partie postérieure de la cuisse au-dessus du creux

DOUTE RS ET ET ETS CHENE PERS ER 4 CHPARIEMEIQUÉEDDUR Pare Eur Le 2 Côté interne de la jambe au-dessous de la tête du

LOUE en REP PAR EL ei ee ci PRES RRTAT AT ES Resa Côté externe de la jambe à la hauteur de la tête

LT De oc, FOR AR I CR RE ARC URE PRES COUR ESP AE 4 Mollet au-dessous du creux poplité............. 1 Creux rétro-malléolaire interne................ 2 Creux rétro-malléolaire externe................ T Dépression anté-malléolaire interne............ 5 Dépression anté-malléolaire externe............ 4 DR PDP DIMINUER RPC CCE EMA TT ECM MEN Sr SEAT 49 Commissure dorsale des orteils................ 2 Parhedonale des orteils 2722 LAN Ne 4,

Dans ces 61 cas, les bubons ont été constants et leur siège constamment en rapport avec celui des phlyctènes,

Nous avons fait pour un grand nombre de ces phlyctènes l'examen microscopique de leur contenu ; nous avons dans tous les cas, même lorsque leur contenu est devenu purulent, constaté la pre- sence du bacille de la peste. Quand on fait, aseptiquement et au début du développement de la phlyctène, la prise de la sérosité, on y rencontre le bacille de la peste en culture pure : plus tard l’'ensemencement montre des microbes étrangers concurremment avec celui-ci.

Les phlyctènes précoces se rencontrent environ une fois sur 20 cas, mais elles peuvent être plus fréquentes dans une épidé- mie que dans une autre, et à une période d’une épidémie qu’à une autre.

Quelle est la signification de cette lésion caractéristique? L'apparition précoce, la présence constante du bacille spécifique dans le liquide, la corrélation régulière avec les bubons sont des raisons d'admettre que la phlyctène marque la porte d'entrée du microbe de la peste.

672 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Il s’est produit un fait, dans l’histoire de l'épidémie de Bombay, qui apporte à cette manière de voir une preuve : c’est le cas du D' Sticker, membre de la mission allemande venue à Bombay en 1897 pour étudier la peste. Ce médecin, en faisant l’autopsie d’un pestiféré, fut piqué à la main par la pointe d’un instrument ayant servi à l'opération. Un ou deux jours après apparut au lieu de la piqûre une petite phlyctène qui contenait le bacille pesteux. En même temps, un bubon se développait à l’aisselle du même membre, et le D' Sticker éprouvait une atta- que de peste caractérisée qui, heureusement, se termina par la guérison.

Le même accident est survenu, en 1894, à deux membres de la mission japonaise à Hong-Kong ; l’un et l’autre présentèrent la même lésion au point d’inoculation.

Donc la phlyctène précoce de la peste représente la réaction locale de l'organisme au point d'entrée du virus. La présence, maintes fois constatée, de plusieurs phlyctènes développées ensemble montre que le virus peut être introduit par plusieurs points simultanément.

L'examen à l'œil nu et à la loupe de la phlyctène et de la peau avoisinante, pratiqué de bonne heure, ne décèle aucune trace d’excoriation; si l’on détache l’épiderme soulevé par le liquide et si on l’examine à un grossissement approprié, on constate que les couches épidermiques superficielles sont intactes, et ne portent pas de trace de détérioration antérieure.

On a vu que le siège le plus fréquent des phlyctènes est le pied : il est à noter qu’on ne les rencontre jamais sur les bords de la plante, ni sur les parties latérales des orteils, les exco- riations accidentelles sont le plus fréquemment observées chez les gens qui marchent nu-pieds.

Il est démontré que ni le contact du microbe cultivé, mi le contact du sang d’un animal pestiféré, ou de ses excrétions, avec la peau saine, ne peuvent, chez l’homme et les animaux, déter- miner une attaque de peste. C’est donc d’une manière active, par un agent extérieur, que le virus a été introduit au point l’on observe ensuite une phlyctène. Il nous a paru que seule une intervention parasitaire pouvait être responsable de la pénétra- tion du bacille pesteux dans la peau saine.

La puce et la punaise sont les deux parasites qu'on peut,

nd 2.

PROPAGATION DE LA PESTE, 673

a priori, Soupçonner de jouer un rôle dans la transmission du bacille de la peste. Il ne nous a pas été possible de faire des expériences sur les punaises dont le rôle, s’il est réel, doit être limité à la transmission d'homme à homme. Nous avons étudié la contagion des animaux par les puces autant que pouvait nous le permettre notre installation sous une tente pendant la saison des pluies dans une ville de l’Inde. Les résultats, encore très incomplets, que nous avons obtenus confirment l’idée que ce parasite est le principal instrument de la contagion de la peste dans les conditions naturelles.

La puce que nous avons rencontrée communément sur le rat murin (dans l’Inde) est de taille moyenne, de couleur grisâtre, avec une tache lie de vin sur les faces latérales de l'abdomen; cette tache n’est autre chose que l'estomac rempli de sang vu par

transparence. Nous ignorons si cette puce est une variété diffé-

rente de celle, couleur ponceau, commune sur l’homme et les animaux domestiques : toutefois nous nous sommes assuré expé- rimentalement que, transportée du rat sur l’homme ou sur le chien, elle les attaque immédiatement.

Si l’on examine un rat depuis longtemps captif au labora- toire, il est rare qu’on puisse découvrir sur lui des puces : c’est qu'en effet les laboratoires sont généralement exempts de ces insectes. Il n’en est pas de même du rat en liberté, qui fréquente volontiers leurs repaires préférés : pièces obscures, greniers, magasins à paille et à fourrage. Aussi est-il incommodé par ces parasites au même titre que le chien ou le chat. Soigneux de sa personne, 1l ne les tolère pas longtemps sur lui et s’en débarrasse à l'ordinaire très aisément. Mais vienne la maladie, il néglige sa toilette, cesse de se défendre ; les puces alors envahissent par centaines sa fourrure et se sorgent à l’aise de son sang. Nous avons établi ces faits par des observations répétées : le rat sain, capturé, présente à peine quelques spécimens de ces parasites; placé dans un bocal avec des puces, il arrive vite à les détruire. Au contraire, le rat spontanément pestiféré est, à la fin de la maladie, généralement couvert de puces qui grouillent dans ses poils en quantité inouïe.

Yersin a découvert que le microbe de la peste se cultive dans lintestin des mouches qui l’ont ingéré : il n’est donc pas surpre- nant que le même fait existe pour les puces. Nous avons prati-

43

74 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

qué un certain nombre de fois l'examen microscopique du con- tenu intestinal des puces recueillies sur les rats spontanément pestiférés, et dans plusieurs cas nous avons constaté la présence d’un bacille morphologiquement semblable à celui de la peste. Il ne nous pas été possible, en raison de l’imperfection de nos moyens de travail, d'isoler ce microbe en culture ; mais la certi- tude qu'il s’agit du bacille pesteux nous a été donné par un examen comparatif : si l’on place des puces sur une souris pesti- férée, peu avant la mort, et si on examine leur contenu stomacal après 24 heures, on observe en quantité plus ou moins considé- rable les microbes qui ont l’apparence de celui de la peste. Ces microbes n'existent pas dans le contenu stomacal des puces, de même provenance, qui n’ont pas été mises en contact avec un animal pestiféré.

Nous avons inoculé à 3 souris des puces provenant de rats - pestiférés, triturées dans quelques gouttes d’eau : une seule est morte de peste confirmée au bout de 80 heures, les deux autres sont mortes l’une après 9, l’autre après 12 jours, sans que nous ayons pu trouver le bacille pesteux dans leurs organes.

Un rat capturé dans un quartier pestiféré nous ayant paru suspect de peste, nous l’avons placé dans un grand bocal en verre, et, après avoir constaté qu'il était porteur d’un petit nombre de puces, nous avons jelé dans le bocal une vingtaine de ces insectes provenant d’un chat. Au bout de 24 heures l'animal paraissait à l’agonie. Nous avons alors placé dans le bocal, renfermé dans une petite cage de fer dont un seul côté était grillagé, un rat de petite taille. Le rat malade est mort peu d'heures après: nous avons retiré son cadavre du bocal seulement au bout de 36 heures. L’autopsie nous à montré qu'il était réellement mort de peste spontanée. Le jeune rat mis en expé- rience a élé laissé dans sa cage et dans le bocal.

I est mort le jour de peste caractérisée.

L'expérience répétée dans les mêmes conditions nous à donné un succès sur une souris qui est morte de peste en trois jours, et deux insuccès sur des rats adultes. La dextérité avec laquelle ceux-ci, pendant que nous les observions, se défendaient contre l'attaque des puces et les détruisaient en les mangeant, nous font penser qu’il y a une raison fréquente d’insuccès pour l'expérience.

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PROPAGATION DE LA PESTE. 675

Les deux résultats positifs obtenus ne nous semblent pas pouvoir être attribués à une autre cause qu’à l'infection par les puces, non seulement parce qu’un grillage séparait l'animal en expérience du rat pestiféré, mais surtout parce que nous n’avons jamais réussi à infecter un rat ni une souris en les plaçant au contact d'animaux inoculés au laboratoire et exempts de para- sites, Dans un cas, le cadavre, dépourvu de puces, d’un rat mort de peste spontanée dans la ville de Kurachee, a été laissé pendant 24 heures dans une cage contenant T rats sains, dont aucun wa contracté la peste.

On ne peut faire que des hypothèses sur la façon dont le microbe est porté dans les tissus par la puce : on ne s'explique guère que l’aiguillon souillé de sang puisse conserver longtemps son pouvoir infectieux, et la puce en ce cas ne serait nuisible qu'au moment elle quitte l'animal pestiféré, Mais il est d'observation facile que la puce, pendant la succion, dépose au point même elle est installée ses déjections consistant en une gouttelette liquide de sang digéré. Dans le cas ce liquide est une culture de bacille de la peste, ilest vraisemblable qu'il puisse infecter l'animal par la perforation béante créée par l’aiguillon.

À l'appui de l'infection par les puces, nous devons rappeler la coïncidence remarquable du siège des phlyctènes dans les régions de la peau humaine que ces parasites affectionnent plus particulièrement.

Nous avons dit que la phlyctène est une lésion inconstante, presque rare; la raison de cette rareté nous est fournie par l’expérimentation : quand on inocule la peste à un animal par piqûre avec une aiguille chargée de microbe très virulent, aucune réaction ne se manifeste au point d’inoculation ; mais si l’on emploie un microbe faiblement virulent, on peut observer parfois une petite réaction locale. Ce fait, signalé par Roux, concorde avec nos observations cliniques chez l'homme : l’allure de la peste, dans les cas avec phlyctène précoce, est toujours bénigne, au moins pendant les premiers jours. Sila terminaison est très souvent fatale, cela tient à ce que la défense des tissus contre le microbe est très faible au niveau de la lésion primitive, il se cultive aisément. À un moment donné, la région devient œædémateuse, le derme se nécrose, et la généralisation, toujours mortelle, se fait par la phlyctène. Comme confirmation de cette

676 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

observation, il est à remarquer que, dans les cas à allure très grave d'emblée et à marche très rapide, la phlyctène précoce n'existe pas. °

Nous admettons par suite que l’inoculation parasitaire n’est pas limitée aux cas de peste qui s’accompagnent de phlyctènes précoces.

L'étude clinique et anatomo-pathologique de la peste, les expériences concernant la pneumonie pesteuse faites par Wyzokowitz et par nous-même, laissent supposer qu'il n’y a pas, dans la nature, comme on l’admet couramment, autant de façons de contracter la peste que de formes de la maladie; que ces formes sont en rapport non avec un mode de pénétration spécial, mais avec le degré de virulence du microbe et peut-être avec le degré de sensibilité du sujet. On peut ramener à trois formes toutes les variétés de la peste humaine, la forme à bubons apparents, la forme sans bubons apparents ni pneumonie, la forme pneumo- nique. Dans la première, qui est aussi la plus bénigne, la pullu- lation du microbe est, au moins au début, limitée à un seul ou à un petit nombre de ganglions lymphatiques superficiels. Dans la seconde, la pullulation se poursuit dès la pénétration dans le système lymphatique profond; elle n’est plus endiguée par un groupe ganglionnaire superficiel, c’est une généralisation lym- phatique d'emblée.

Dans la forme, le virus arrive du premier coup jusqu'aux ganglions bronchiques, et de au tissu pulmonaire. Tant que ces formes se présentent isolées, il peut sembler naturel de les rapporter chacune à un mode d'infection spécial. Mais, beaucoup plus fréquemment qu’on ne l’a encore signalé, elles se pénètrent mutuellement ; la généralisation lymphatique et surtout la pneu- monie viennent se greffer sur une forme d'abord simplement bubonique, due à la pénétration du microbe dans la peau d’un membre. Or, si le microbe peut, au cours d’une peste bubonique, arriver au poumon et y développer une pneumonie identique à une pneumonie primaire, on ne comprend pas pourquoi celle-ci nécessiterait un mode d'infection particulier. Il est au contraire conforme à toutes nos connaissances sur les virus pathogènes d'admettre qu'une réaction régionale, le bubon, se manifeste après l’inoculation d’un microbe de moyenne virulence. Si ce microbe est hautement virulent, il peut atteindre, sans résistance

PROPAGATION DE LA PESTE. 677

de l'organisme, les ganglions des organes internes et Le poumon, lieu de moindre résistance chez l’homme dans la plupart des maladies infectieuses. Aussi la grande fréquence des pneumonies et des cas sans bubons est-eile observée à la période des épidé- mies l'allure presque foudroyante de la peste dénote une virulence extraordinaire du microbe. est encore l’explication de ce fait que la guérison, en dehors de la forme bubonique simple, est extrèmement rare.

Tout en reconnaissant que cette théorie n’a pas encore la valeur d’un fait démontré, nous croyons que les diverses formes de la peste spontanée, chez l’homme et chez les animaux, relè- vent ordinairement d’un seul mode d'infection, l’inoculation parasitaire intracutanée. La puce paraît être l'intermédiaire habituel de la transmission ; toutefois, de nouvelles recherches sont nécessaires avant de pouvoir lui attribuer un rôle exclusif. En plusieurs cas noys avons observé la contagion d'homme à homme de peste pneumonique très grave, il nous à paru que l'hypothèse de la transmission par les punaisesrépondrait mieux que tout autre aux détails des faits. Dans l’un de ces cas, plu- sieurs hommes ont à la fois contracté la même forme de peste en visitant un camarade, et sont morts moins de six jours après celui-ci. Le temps et les moyens nous ont manqué pour pour- suivre cette étude.

Nous ne savons également rien sur les modifications subies par le microbe dans le corps d’un parasite. La virulence est-elle augmentée, conservée ou diminuée ? la conservation est-elle de Jongue durée? Ces questions nécessitent de nouvelles investiga- tions. Il nous à été impossible de conserver vivantes dans des flacons plus de trois jours, sans leur fournir l’occasion de se nourrir sur un animal, les puces provenant des rats. Il nous semble probable que dans la nature il n’en est pas ainsi; la durée de la vie de l’insecte, et les conditions dans lesquelles il demeure dangereux, doivent fournir l’explication de l'infection par les linges sales et la literie qui proviennent de maisons infectées, infection connue et redoutée dès l'antiquité. On peut également soupçonner que l’histoire naturelle des parasites, leur plus ou moins grande abondance suivant des conditions locales, doivent jouer un rôle considérable dans la facilité du développement comme dans la gravité d’une épidémie, et fournir peut-être la

678 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

solution du problème incomplètement résolu de la recrudes- cence.

Dès maintenant nous pouvons nous expliquer la plupart des points obscurs de l’histoire de la propagation de la peste, sa pré- dilection pour les maisons mal tenues et encombrées, pour les rez-de-chaussée, pour la partie misérable de la population, l'échec constant des désinfections qui s'adressent seulement aux parquets et aux murailles, l’innocuité des travaux de laboratoire. Nous comprenons pourquoi le cadavre du rat est à certains moments très dangereux, à d’autres inoffensif : après la mort du rat spontanément pestiféré, les puces, au fur et à mesure du refroidissement, s’écartent de l’épiderme sans quitter le cadavre, sur lequel elles demeurent pendant plusieurs heures. Que dans cet intervalle on vienne à toucher ce cadavre, aussitôt elles l’abandonnent et s’élancent dans toutes les directions : en raison de leur nombre parfois inouï, il est impossible, si lon saisit le rat mort avec la main, d'éviter de devenir leur hôte. C’est aussi la raison de la gravité de la présence d’un cadavre de rat dans une mäison pour ses habitants ; les puces qui l'abandon- nent se répandent sur le parquet, dans les lits, et font immédia- tement de appartement un foyer d'infection. Nous comprenons encore comment la contagion d’homme à homme est insigni- fiante par rapport à celle par le rat ; outre que l’homme atteint de peste n’est jamais au même degré la proie des parasites, il ne peut être dangereux que pendant les dernières heures de la maladie, quand le microbe est généralisé et présent dans le sang périphérique. C’est sans doute la raison pour laquelle nous n'avons jamais pu relever des cas certains de contagion entre hommes sans que celui qui avait apporté la maladie n’eñt éprouvé la peste mortelle. Enfin l'absence de parasites dans la literie des hôpitaux à l’européenne, leur ‘abondance dans les hôpitaux entièrement livrés aux indigènes expliquent que les cas de conta- gion, fréquents dans ceux-c1, soient une exception rare dans les premiers.

Les résultats de nos recherches concernant le mede de péné- tration du microbe dans les tissus peuvent se résumer ainsi :

La transmission de rat à rat, contrairement à l’opinion générale, ne s'effectue pas par le tube digestif, en dévorant les animaux pestiférés :

a ERP

PROPAGATION DE LA PESTE. 679

Les matières comestibles souillées par les déjections ou le sang d'un animal pestiféré, ou qui ont subi le contact prolongé de son cadavre; celles souillées par les excrétions du pestiféré humain, les crachats pneumoniques, le sang même du bubon, sont inoffensives pour les rongeurs et les singes ;

30 La cohabitation des rats sains avec des animaux pestifé- rés, ou avec leurs cadavres dépourvus de parasites, ne suffit point à leur donner la peste ;

La transmission ne s'effectue pas, au moins chez les ani- maux, par l'aspiration de microbes pesteux avec les poussières ;

Les phlyctènes précoces que l'on rencontre chez certains malades marquent le point d'introduction du virus. Elles siègent toujours dans des régions exposées aux piqûres des puces ;

La transmission à l’homme par le contact des cadavres frais de rats pestiférés est fréquente, alors qu'un cadavre ancien, abandonné par les puces, peut être manié sans péril ;

La puce qui a absorbé du sang septique sur un animal pestiféré conserve, pendant une durée encore indéterminée, le microbe en culture dans le tube digestif, et l’inoculation au rat du contenu intestinal peut lui donner la peste ;

On peut déterminer la transmission de la peste à la souris ou au rat sains, en les faisant cohabiter avec un rat atteint de peste spontanée et parasité par des puces, dans des conditions telles qu'ils ne puissent avoir de contact direct avec ce dernier.

La transmission parasitaire du microbe éclaire la plupart des points encore inexpliqués de la propagation de la peste.

Si imparfaites que soient encore nos connaissances sur la transmission parasitaire du microbe pesteux, l’ensemble des observations et des expériences qui la confirment nous paraît lni constituer une base assez solide pour qu'on doive dès main- tenant tenir compte de cette cause dans la lutte contre l'invasion de la peste.

CHAPITRE VII DURÉE DE L' INCUBATION DE LA PESTE, PROPHYLAXIE. CONCLUSIONS

Il n'entre pas dans le cadre de cette étude de traiter en détail la prophylaxie de la peste. Nous devons cependant mettre en relief les indications principales qui se dégagent de la conception

680 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,

nouvelle, que nous avons exposée, de la propagation de cette maladie.

Préalablement, nous essayerons de fixer un point dont la connaissance importe au premier chef pour l’organisation de la défense sanitaire, la durée de l’incubation de la peste. Les opi- nions les plus contradictoires ont été émises à son égard; aucune ne repose sur une base précise et scientifique; les éva- luations à 6, 9, 10, 12 jours et plus, données par divers savants, sont en général déduites de l'intervalle écoulé, pour les cas tom- bés sous leur observation, entre le départ du foyer pestiféré d'un individu qui contracte la peste ensuite, et l'apparition des symptômes. En faisant ce calcul, on oublie que l’homme, en s'éloignant d’un milieu contaminé, peut emporter avec lui le germe de la peste par lequel il sera plus tard infecté.

Nous possédons deux éléments pour nous aider à résoudre cette question : l'expérimentation sur les animaux, et l'observa- tion des faits pour lesquels nous pouvons retrouver la source certaine et la date de l'infection.

L'expérimentation sur les animaux sensibles à la peste montre qu'à la suite de l'inoculation sous-cutanée de culture virulente ou de sang provenant des bubons de pestiférés, il se produit une période d’incubation très courte, 10 à 72 heures. Chez les espèces différentes de singes, la différence de sensibilité au virus se traduit surtout par une gravité et une durée varia- bles de la maladie; les écarts sont peu marqués dans la durée de l’incubation qui ne dépasse pas trois jours. On peut, au moyen du microbe atténué, communiquer aux rats et aux souris une forme de peste qui les tue iongtemps après l'inoculation, et leur laisse jusqu’à une période tardive l’apparence de la santé; mais si on les sacrifie au deuxième ou au troisième jour, la pré- sence de cultures dans les ganglions gonflés ou dans la rate dénotent qu'ils sont en période de maladie et non d’incubation.

L'observation des cas humains dont on peut retrouver l'ori- gine concorde entièrement avec les résultats chez les animaux. Nous avons déjà insisté sur les faits de contamination par le cadavre des rats, si frappants dans leur évidence, la peste ne met jamais plus de trois jours à se manifester. Nous pouvons en citer d’un autre genre, ceux des individus provenant d'un endroit sain arrivent dans un foyer épidémique et y contractent

PROPAGATION DE LA PESTE. 681

la peste. Dans un cas, celui d’une femme qui, après un long séjour dans un village indemne, rentre dans la ville pestiférée elle avait sa maison, la maladie a débuté le lendemain, c’est- à-dire que l'incubation a duré moins de 24 heures. Les cas la maladie a débuté dans les trois jours qui ont suivi l’arrivée dans le foyer sont nombreux. |

Nous citerons un cas de contagion multiple qui paraît s’être effectuée d’homme à homme sans intervention du rat, et qui, instructif à beaucoup d’égards, constitue un document précieux pour l'appréciation de la durée de l’incubation. Un cipaye musulman, à Kurachee, contracte la pneumonie pesteuse. Douze de ses camarades, dont il était le supérieur religieux, viennent assister dans sa maison à ses derniers moments et l’enterrent. Trois d’entre ceux-ci manifestent les symptômes de la peste le lendemain de l’enterrement, et quatre autres après deux jours. Chez aucun des sept, l’incubation n’a dépassé 72 heures.

Nous sommes donc en droit d'évaluer à une durée variant entre 12 et 72 heures l’incubation de la peste. Si l'on objecte que, dans les cas humains, c'est à ceux présentant le minimum de durée d’incubation que nous empruntors nos arguments, nous répondrons que ceux-là seuls offrent des garanties de précision, que les exemples d’une courte durée d'incubation sont trop nombreux et trop nets pour ne pas admettre qu’elle consti- tue la règle, et que l'expérimentation sur les animaux fournit un appui solide à cette manière de voir.

A notre avis, toutes les fois qu'on doit tenir compte, pour prendre une mesure prophylactique, de la durée de l’incubation de la peste, on doit évaluer cette durée à un maximum de quatre jours.

Pour être efficace, la prophylaxie de la peste doit être métho- dique, minutieuse et rigoureuse. Les mesures préventives devront être dirigées : contre les rats; contre les parasites des rats et de l’homme; contre l’homme provenant d’un milieu infecté.

La défense contre le rat comprend tous les moyens de le détruire et surtout de l’éloigner; ces moyens sont faciles à déter- miner, sinon toujours à appliquer. Nous devons insister sur la facilité qu’il y a à préserver des rats, et partant de la peste, une maison bien construite, en y entretenant la propreté et rendant

682 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,

inaccessibles aux rats, par une fermeture suffisante, tous les endroits qui peuvent les attirer et les abriter, cuisine, cave, gre- nier, conduite des eaux ménagères. On peut trouver dans les épidémies de l’Inde des preuves multiples de cette assertion, et la plupart des maisons anglaises n’ont pas à autre chose l’im- munité dont elles ont joui'.

À bord des navires, le rat doit être autant qu’à terre l'objet de mesures rigoureuses d’extermination. Pas un navire ne devrait être autorisé à quitter un port contaminé sans avoir, après son chargement fait et sa sortie des docks, subi la désinfection de ses cales par l'acide sulfureux ou les vapeurs de formol, ou n'importe quelle vapeur asphyxiante mortelle pour les rats. La même désinfection devrait être renouvelée au port d'arrivée avant qu'aucune relation ait lieu du bord avec la terre, sauf le débarquement des passagers au lazaret.

Les mesures prophylactiques contre les parasites se rédui- sent à la désinfection par des moyens appropriés de tous les effets et objets, ainsi que des locaux susceptibles de les ren- fermer. Le cadavre d’un rat ou d’un autre animal pestiféré ne doit jamais être déplacé avant d’avoir été inondé d’eau bouil- lante, ou de toute autre substance capable de tuer instantané- ment les parasites qu’il peut avoir sur la peau. Quand une maison est suspecte parce qu'on y à trouvé des rats pestiférés, ou qu'un cas humain s'y est produit, elle doit être désinfectée au plus tôt : rien de ce qu'elle contient, y compris les vêtements des habi- tants, ne doit en sortir avant la désinfection sur place. La

désinfection des locaux dont la fermeture est possible peut être :

effectuée comme à bord des navires au moyen de vapeurs sul- fureuses ; tout ce qui ne peut subir cette désinfection doit être passé à l’étuve. L’arrosage à l’eau bouillante des parquets est un excellent moyen pour la destruction des parasites.

Les mesures qui s'adressent à l’homme forment deux caté- gories, suivant qu'il s’agit de défense ou de préservation. La défense contre l'introduction par l’homme de la peste comprend la quarantaine et la désinfection. La durée de la quarantaine doit être basée sur la durée de l’incubation de la maladie, &

1. Les bungalows des Européns, dans l'Inde, ont toujours la cuisine, l'office, les chambres de domestiques dans des dépendances isolées de lhabitation principale.

PROPAGATION DE LA PESTE, 683

compter du moment tous les effets de l’homme, y compris ses vête- ments, auront subi la désinfection. La préservation de homme qui s’est trouvé exposé à la contagion dans un lieu infecté nécessite son éloignement du local, après désinfection rigoureuse de ses vêtements et de tout ce qu'il emporte avec lui. A celle-ci devra s’ajouter une mesure préventive très importante, la vaccination par le sérum antipesteux : l’action immédiate et sûre, l’inno- cuité de cette injection en font une arme puissante contre le développement de la peste, chez l’homme qui a été exposé à la contracter. Autant est illusoire la vaccination de toute une ville soit par le sérum, dont l’action préservatrice ne s étend pas au delà detrois semaines, soit par les autres procédés connus jusqu'ici, qui, outre le même défaut, présentent une inconstance de l'effet préventif et déterminent une réaction fébrile et douloureuse qui les rendent inacceptables par la popu- lation, autant la prévention par le sérum appliqué concurrem- ment avec la désinfection à tous les individus exposés à l’infec- tion pesteuse sera puissamment efficace pour réduire l'épidémie humaine. Nous avons institué à Cutch-Mandri, avec le concours du D' Mason, une expérience de ce genre qui fonctionne avec succès sous la direction de ce dernier : elle consiste à remplacer par un isolement de cinq jours, joint à la désinfection et à l'injec- tion préventive de sérum, la quarantaine de quinze jours préala- blement imposée aux indigènes provenant de maisons pestiférées.

Les désinfections rigoureuses que nous préconisons ne pré- sentent pas, comme on pourrait le croire, une grande difficulté pratique. Il suffit d’exposer pendant quelques heures à une tem- pérature sèche ou humide de 70° les objets de toute nature, pour leur conférer la garantie contre la peste par destruction des êtres susceptibles de contenir le microbe et du microbe lui-même. Cette température, même très prolongée, est inoffensive pour la plupart des étoffes et des objets usuels susceptibles d'infection. On conçoit que la désinfection, à domicile par des étuves mobiles appropriées, dans les lazarets et hôpitaux au moyen de vastes chambres construites spécialement pour cet usage, doive sou- lever beaucoup moins de difficultés que celle nécessitée par toute autre maladie contagieuse.

De même la désinfection des navires et de leur chargement, des appartements et de leur contenu mobilier, par l’acide sulfu-

684 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

reux ou une autre vapeur délétère pour les rats et pour les insectes, offre une grande facilité d'application.

On doit cette justice au gouverment indien de reconnaître qu'il n’a rien épargné pour maîtriser la peste; le résultat malheu- reusement n'a pas répondu à tant de dépenses et à tant d'efforts. De toutes les mesures prises, une seule, la ségrégation, a donné un succès relatif elle a pu être appliquée sérieusement. La théorie du microbe répandu sur le sol à fait couler à flots dans les rues et dans les maisons tous les liquides microbicides que le génie humain a pu inventer. Une expérience de deux années a montré leur inutilité; si parfois on a pu leur attribuer quelques bons résultats, c'est lorsque leur usage s'accompagne de léva- cuation par ses habitants de la maison ainsi désinfectée et de sa fermeture jusqu’à la fin de l’épidémie.

La ségrégation, c’est-à-dire la mise en quarantaine dans un camp provisoire des gens qui proviennent d’un lieu suspect, soit pour se protéger contre l'importation de la peste par leur intermédiaire, soit pour les soustraire au danger de la contagion, a été beaucoup pratiquée, parfois avec un succès sérieux.

Il a manqué à cette mesure, pour donner Îles résultats qu’on peut en attendre, de s’accompagner de la désinfection de tous les effets introduits dans les camps; aussi voit-on régulièrement des cas de peste s’y manifester en proportions variables. Voici par exemple les résultats de la ségrégation, dans un des camps organisés à Kurachee, que le D' Cox a obligeamment relevés à notre intention. Ce camp recevait les habitants sains des mai- sons l’on découvrait un cas de peste: ils y étaient envoyés le jour même et y subissaient une quarantaine de 10 jours avant d’être autorisés à rentrer chez eux. Le tableau suivant indique le nombre de cas de peste observés parmi ces indigènes par rap- port au jour de leur quarantaine ils se sont produits.

Période de l'observation : du 25 mars au 27 mai 1898.

Nombre de personnes admises pendant cette période : 3,975.

Nombre de cas de peste survenus pendant cette période : 115.

Nombre des cas pour chacun des jours de quarantaine :

4er jour (c’est-à-dire jour de l’arrivée)......... 11 cas.

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PROPAGATION DE LA PESTE, 685

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Ce nombre de 115 cas, soit 3,5 0/0, est certainement infime par rapport à la proportion de victimes qu'auraient fournies ces 3,975 individus s'ils n'avaient pas quitté sans retard leurs demeures infectées ; néanmoins on ne saurait s’en contenter. Nos expériences antérieures de séro-prévention nous permettent d'estimer que la désinfection, jointe à l’inoculation préventive de sérum antipesteux, peuvent le réduire à zéro.

Le même tableau est instructif en ce qu'il montre la per- sistance de la cause d'infection, apportée par l’homme du foyer originel, en même temps que sa décroissance progressive. Cette cause, nous l’avons expérimenté dans des ségrégations beau- coup plus prolongées que celle-ci, persiste bien au delà de 10 jours; nous l'avons vue agir chez des individus qui avaient depuis 24 jours quitté le milieu infecté.

Nous nous sommes assuré personnellement que, dans le camp ces observations ont été faites, aucune autre cause que l'introduction et la conservation de l’agent infectieux par les effets des indigènes ne pouvait être accusée des cas de peste constatés. Il n’en est pas toujours ainsi; les camps très peuplés, limitrophes des villes et par suite très accessibles aux rats, peuvent devenir à leur tour des foyers d’épidémie.

Mieux que toute autre, l'étude des camps de ségrégation démontre l'insuffisance, comme moyen défensif, des mesures de quarantaine en honneur jusqu’à ce jour. Si elle ne s’accompagne de précautions contre les rats et d’une désinfection minutieuse, la quarantaine n'offre, contre la propagation de la peste, aucune garantie. Si ces mesures sont rendues effectives, la quarantaine prolongée au delà de la durée de l’incubation est inutile.

CONCLUSIONS

L. L'étude de la propagation de la peste montre que le rat et l’homme sont les deux facteurs du transport de la maladie.

686 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

L'homme est l'agent ordinaire du transport par voie de terre aux grandes distances ne peut atteindre le rat. Le rat est l'agent du transport de proche en proche ; beaucoup plus redou-” table que l’homme, il joue le rôle essentiel dans la dissémination au point qu’on peut le considérer comme la condition du carac- tère épidémique de la peste.

IT. L'introduction de rats pestiférés dans un milieu sain est généralement suivie à bref délai de cas épidémiques chez l’homme. L'importation de pestiférés humains dans un milieu sain n’est pas toujours suivi de cas indigènes épidémiques; il faut, pour qu’elle ait ce résultat, un concours de circonstances favorables parmi lesquelles la transmission préalable du virus aux rats semble être la plus importante. Il s'écoule, entre le décès du cas humain importé, responsable de l'épidémie, et la manifestation de cette épidémie, une période d’incubation qui représente le laps de temps nécessaire au développement de la peste chez les rats.

I. La gravité d’une épidémie humaine est en rapport avec la gravité de l'épidémie des rats. Sa progression dans une ville suit la voie adoptée par l’émigration des rats.

Alors que la grande mortalité a cessé parmi eux, on peut constater que la peste continue à sévir chez les rats sous une forme bénigne. Les cas humains dits sporadiques qui se mani- festent après le déclin de l’épidémie doivent être attribués à cette cause. La contagion d'homme à homme et la persistance de l'infection dans les habitations jouent un rôle secondaire dans la durée, comme dans la gravité des épidémies de peste humaine.

IV. Les influences saisonnières sont peu marquées dans le développement des épidémies de peste. Dans l'Inde, les épidémies se sont produites en toute saison; toutefois les grandes épidé- mies ont eu jusqu’à présent leur apogée en dehors de la saison la plus chaude.

V. Une épidémie de peste se manifeste en général 12 mois après l’apparition de la 4°, dont elle est séparée par une période d’accalmie plus ou moins longue. La raison de la périodicité du retour épidémique n’est pas déterminée; il est lié au retour épidémique chez les rats et dépend en partie du repeu- plement de la ville par ces animaux.

PROPAGATION DE LA PESTE. 687

VI. L’échec des expériences d'infection du rat, du singe et de l’écureuil (rat palmiste) par les cultures de peste, Le sang et les organes d’aniniaux pestiférés, mélangés aux aliments, démontre la fausseté de la tnéorie qui fait de ces moyens une cause habituelle de la contamination des animaux.

L'observation et l'expérience sont également contraires à l’idée d’une contamination habituelle de l’homme par le contact du microbe, répandu dans le milieu extérieur, avec des excoria- tions accidentelles de la peau.

VIE. L'étude chimique de la peste apprend que, dans une certaine proportion de cas humains, le point d’entrée du microbe est marqué par une réaction locale, la phlyctène précoce, et toujours situé dans ces cas sur une région la peau est délicate et saine. Les travaux de Metchnikof sur linflammation et les faits chimiques d'infection par d’autres microbes pathogènes permettent d'admettre que, dans les cas de peste la réaction locale (phlyetène) et la réaction régionale (bubon) font défaut, leur absence est due à la virulence plus grande du microbe et non à un mode différent de pénétration.

VIE. L'idée d’une transmission parasitaire qui découle de l'observation clinique est en rapport avec l’envahissement des rats malades par les puces qui, quelques heures après la mort, abandonnent le cadavre pour s’attaquer aux autres animaux et à l’homme. Elle est confirmée : par la présence du mierobe spé- cifique dans le contenu intestinal des puces qui ont absorbé du sang seplique; par certaines particularités de la transmission du rat à l’homme et d'homme à homme; pour ce dernier cas, il est possible que d’autres parasites, en particulier la punaise, interviennent ; par la possibilité de la transmission de la peste à un rat sain par sa cohabitation avec un rat pestiféré parasité par les puces, alors que la cohabitation avec le rat pestiféré dépourvu de puces est constamment inoffensive.

IX, Le mécanisme dela propagation de la peste comprend le transport du virus par le rat et par l’homme; sa transmission de rat à rat, d'homme à homme, de l’homme au rat el du rat à l’homme, par les parasites. Les mesures de prophylaxie doivent donc être dirigées méthodiquement contre chacun de ces trois facteurs : les parasites, l'homme et le rat.

Bombay, août 1898,

Sur l'aggntination et la dissolution des globules rouges par Le sérun - D'ANIMAUX INJECTÉS DE SANG DÉFIBRINÉ

Par LE Dr Juzes BORDET

(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.)

Dans un article paru en 1895, nous avons appelé l'attention sur les faits suivants :

Le sérum d'animaux vaccinés contre le vibrion cholé- rique donne lieu, lorsqu'on le mélange à une culture de vibrions délayée dans un liquide tel que l’eau physiologique ou le bouillon, à des phénomènes remarquables. Déjà à petite dose il provoque rapidement l’immobilisation, la réunion en amas, « lagglomé- ration » des microbes. Si le sérum est fraîchement extrait et ajouté en dose suffisante à l’émulsion, l'action sur le microorga- nisme ne s'arrête point là. Les vibrions agglomérés se transfor- ment bientôt en granules identiques à ceux que M. Pfeifter a observés chez les cobayes hypervaccinés, dans la cavité péri- tonéale il injectait la culture, et que M. Metchnikoff* a pu produire in vitro en mélangeant, à l’émulsion de vibrions, un peu de sérum préventif et de l’exsudat péritonéal contenant des leucocytes. Cette transformation en granules est l'indice visible d'une action bactéricide intense:

Le sérum chauffé à 55° ou conservé depuis quelque temps a perdu la propriété de transformer le vibrion en granules, mais il a conservé celle de produire l’agglomération des vibrions. Cette agglomération est une conséquence constante de la pré- sence du sérum préventif. Elle peut donc être très accusée dans un sérum préalablement dépouillé de son énergie bactéricide.

Faisons remarquer ici que M. Fraenkel et Sobernheim* avaient déjà montré que le choléra-sérum chauffé à 55° ou même à des températures supérieures (60-70°) perd son pouvoir bactéricide, mais garde son pouvoir préventif;

4. Les leucocytes et les propriétés actives du sérum chez les vaccinés. Ces Annales, juin 1898.

2. Ces Annales, juin 1895.

3. Hygienische Rundschau, janvier 4894.

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AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES. 689

Si à du choléra-sérum préalablement chauffé à de pareilles températures, et qui par conséquent ne transforme plus les vibrions en granules, mais est resté agglomérant, on ajoute du sérum frais d'animal neuf, on restitue au sérum préventif l’inté- grité de son pouvoir bactéricide, la faculté de produire les gra- nules. Et cependant le sérum préventif chaulfé se prête bien à la culture du vibrion, et le sérum d'animal neuf ne jouit que d’un pouvoir microbicide faible. Les deux constituants du mélange sont donc isolément peu ou pas bactéricides; associés, au con- traire, ils agissent sur le vibrion avec une grande énergie. Le sérum neuf rend donc au sérum préventif ce que la chaleur avait fait perdre à ce dernier, et il devient incapable d'opérer une pareille restitution s'il a été lui-mêmeexposé au préalable à une température de 55°. Chose remarquable, l'addition d’une quantité très faible de sérum préventif, intact ou chauffé à 55°-60°, suffit à conférer au sérum neuf une grande activité microbicide, Nous conclûmes de ces faits que l’intense pouvoir vibrionicide, tel qu’il se présente dans le sérum des vaccinés, était à l’action combinée, sur le microbe, de deux substances bien distinctes, la première appartenant en propre au sérum des organismes immu- nisés, douée du caractère de la spécilicité, capable d'agir même à dose très réduite, résistant à la chaleur, les sérums qui la contiennent ayant aussi la propriété de donner lieu au phéno- mène de l’agglomération; la seconde, présente chez les ani- maux neufs comme chez les vaccinés, destructible à}55°, non spécifique par elle-même, n’ayant qu'une activité faible quand elle n’est point associée à la première, mais dont l'énergie se manifeste très puissamment vis-à-vis des vibrions qui se trou- vent en même temps au contact de la matière spécifique propre au sérum des vaccinés. Sans nous livrer, à cette époque, à des suppositions hypothétiques sur le mécanisme intime suivant lequel ces deux substances agissent, nous émettions l’idée jque vraisemblablement la matière spécifique, en immobilisant les microbes, en provoquant leur réunion en amas, les rend plus sensibles à l'influence de la substance bactéricide (alexine) répandue dans le sérum des animaux neufs comme dans celui des vaccinés.

On comprenait dès lors facilement pourquoi l'injection aux animaux neufs du choléra-sérum, soit intact, soit préalablement

4 4

690 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

chauffé, a comme conséquence l'apparition, dans Le sérum de ces animaux, d'un pouvoir vibrionicide spécifique bien accusé. Dans le corps de l'animal neuf, la substance spécifique rencontre” l’alexine que cet organisme possédait déjà. Le sérum qu'on extrait après une semblable injection contient donc les deux substances dont la présence simultanée est nécessaire pour que le vibrion soit fortement impressionné, et trahisse l'influence nocive par sa métamorphose granuleuse.

Cette théorie « des deux substances », relative à l’origine du pouvoir bactéricide du sérum chez les organismes soumis à l'injection de choléra-sérum, a trouvé l’année suivante des par- tisans en MM. Gruber et Durham: nous aurons l’occasion de revenir prochainement sur cette question et particulièrement sur certaines objections de M. le professeur Pfeiffer.

D’autres faits s’ajoutèrent bientôt à ceux que nous venons de mentionner. Au commencement de 1896, M. Gruber et nous- même reconnûmes que la propriété d'immobiliser les microbes et de les agglomérer n'appartient pas exclusivement au sérum des animaux immunisés. Nous constatämes, par exemple, que le sérum de cheval neuf agglomère très nettement le vibrion cholérique, le B. coli, le B. typhique, le B. du tétanos. Chez d’autres animaux, le sérum est agglutinant aussi, mais à un degré moindre généralement. Cette faculté d’agglutiner, si puis- sante dans le sérum des vaccinés, se retrouve en quelque sorte en germe dans le sérum des animaux neufs. En outre, nous avons attiré l’attention, en 1895 et ultérieurement, sur ce fait que le sérum d’un animal agglomère généralement les globules rouges provenant d’un animal d’espèce différente. Même ce pouvoir se révèle parfois avec une remarquable puissance; c’est ainsi que le sérum de poule agglomère les globules de rat et sur- tout de lapin avec une énergie vraiment surprenante. De plus, on savait depuis longtemps, grâce aux recherches de M. le professeur Buchner, qu’un sérum donné possède, parfois très net- tement, la propriété de détruire les hématies appartenant à un animal d'espèce différente; il en fait diffuser l’hémoglobine et les rend transparentes ; l’action du sérum de lapin sur les glo-

1. Nous avons fait voir en 4895 que si l’on injecte à un cobaye neuf du sérum préventif contre le Vibrio Metchnikovi, le sérum de ce-cobaye devient bactéricide pour le Vibrio Metchnikovi, mais non pour le vibrion cholérique.

2, Ces Annales, avril 4896.

AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES. 691

bules de cobaye fournit un bon exemple de ce phénomène. M. Buchner avait montré que l’action d’une température de 55° détruit ce pouvoir globulicide, en mème temps qu’elle abolit le pouvoir bactéricide du sérum.

On se convainc facilement que ces deux phénomènes d’agglo- mération et de destruction des globules sous l'influence d’un sérum d’espèce différente sont provoqués par deux substances nettement distinctes. Tandis que la substance destructive qui rond les globules transparents et leur fait perdre leur hémo- globine se détruit à 55° comme l'avait montré M. Buchner, la substance agglomérante résiste parfaitement à cette température (je chauffais les sérums à 55° pendant une demi-heure).

C'est ainsi, pour citer un exemple, que le sérum de poule, lorsqu'il est frais, agglutine, puis détruit les globules de lapin ; chauffé à 55°, il les agglomère tout aussi fortement, mais ne les détruit plus; les hématies gardent leur matière colorante et leur éclat normal.

C2 LS +

Il y a donc un parallélisme assez frappant entre les modifi- cations que présentent les vibrions mis en contact avec le cho- léra-sérum et celles que manifestent les globules rouges sous l'influence du sérum provenant d’une espèce étrangère. On cons- tate, dans les deux cas, des actions d'agglomération plus ou moins énergiques, dues à des matières résistantau chauffage à 55°, ou même davantage, et l’on observe aussi des influences des- tructives, nécessitant la présence d’une substance délicate, qu’une température de 55° élimine. En thèse plus générale, ces analogies se retrouvent aussi dans de nombreux sérums d'animaux neufs, puisque la faculté agglomérante, faible il est vrai, y est commu- nément répandue, tant vis-à-vis des microbes que vis-à-vis des globules, et qu’en outre les sérums neufs ont généralement une certaine action altérante et destructive sur les globules comme sur les microbes délicats : le vibrion cholérique, en effet, peut présenter, comme on sait, une transformation granuleuse au moins partielle sous l’action de sérum neuf, lorsqu'il est atténué et peu résistant (Pfeiffer)

Lorsqu'on vaccine un animal contre le vibrion cholérique!,

4. Nous nous en tenons, dans cet exposé, à l'exemple du vibron cholérique, bien que la vaccination contre des microbes très divers fasse, on le sait, appa-

692 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

on exagère considérablement les puissances agglomérante et destructive que le sérum de cet animal possédait à l’origine. Eu

raison du parallélisme que nous venons de signaler, en raison des analogies qu'on observe dans l’action des sérums sur les globules et sur les microbes, une question se posait. Il fallait se demander s'il était possible, en injectant à plusieurs reprises, à des animaux neufs, du sang défibriné provenant d’une espèce différente, d’exalter le pouvoir agglomérant et la faculté destruc- tive exercée par le sérum sur des globules identiques à ceux fréquemment injectés.

L'expérience répond par l’affirmative. Des cobayes reçoivent dans le péritoine cinq ou six injections successives de 10 €. €. de sang défibriné de lapin. Ils supportent ce traitement sans troubie. Au bout de quelque temps on leur retire du sang, et le sérum obtenu présente les caractères suivants :

Mis en contact avec du sang défibriné de lapin, il agglo- mère les globules avec une grande énergie. Par exemple, une partie de ce sérum agglomère très fortement les globules rouges contenus dans 15 parties de sang défibriné de lapin;

Les globules d’abord agglomérés par ce sérum présentent ensuite des phénomènes de destruction rapide et intense. Si l’on mélange, par exemple, une partie de sang défibriné de lapin à deux ou trois parties de sérum actif, le mélange devient rouge, clair et limpide au bout de deux ou trois minutes. Au micros- cope, on ne voit plus dans le liquide que des stromas de globules, plus ou moins déformés, très transparents, dépourvus d’éclat et assez difficilement visibles ;

Ce sérum actif de cobaye chauffé à 55° pendant une demi- heure (ou même vers 60°) perd la propriété de détruire les globules de lapin, mais il reste puissamment agglomérant ;

Si à un mélange de sang défibriné de lapin et de ce sérum préalablement chauffé à 55°, on ajoute une certaine quantité de sérum frais de cobaye normal (qui n’a reçu aucune injection quelconque) ou de lapin neuf, on fait apparaître au sein du mélange, dans leur intégrité, les phénomènes de destruction. Le mélange devient limpide et rouge au bout de quelques minutes.

raitre un pouvoir agglomérant énergique. Mais le vibrion cholérique est un réac- tif de premier ordre pour la substance bactéricide, à laquelle il est exceptionnel- ement sensible.

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AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES, 693

Chose assez remarquable, l'expérience réussit entièrement si, au mélange de sang défibriné de lapin neuf et du sérum actif chauffé, on ajoute du sérum frais du même lapin. Les globules de ce lapin sont donc devenus sensibles à l’alexine de ce mème lapin, cela sous l'influence d’une substance agglomérante étrangère et provenant du cobaye soumis aux injections de sang défibriné ;

S'il est vrai que le sérum actif de cobaye perd sa propriété destructive par le chauffage à 55°, il ne serait pas entièrement exact de dire que le sang défibriné de lapin, mélangé à un tel sérum, reste tout à faitintact. Il se fait une destruction d’héma- ties lente et partielle, il est vrai, mais suffisante pour communiquer au liquide une teinte rouge plus ou moins accusée. Cela est à ce que le sang défibriné contient non seulement des globules, mais aussi du sérum chargé d’une certaine dose d’alexine, et nous venons de voir que l’alexine du lapin neuf agit sur Les glo- bules du même animal lorsque ceux-ei sont impressionnés par la substance agglomérante du sérum actif. Mais la proportion d’alexine contenue dans le sang défibriné de lapin n'est pas suffisante pour détruire l'énorme quantité de globules présents, et c’est pourquoi, dans le mélange dont il s’agit, la destruction des hématies est lente et reste partielle ;

Il va sans dire que les phénomènes ci-dessus mentionnés ne se produisent pas si, au lieu d'employer du sérum de cobaye traité par des injections fréquentes de sang détibriné de lapin, on se sert de sérum de cobaye neuf. Le sérum de cobaye neuf n’est que faiblement agglomérant pour les globules de lapin, et son action destructive sur ces éléments peut être considérée comme nulle ;

Le sérum actif de cobaye traité n’exerce aucune influence sur le sang défibriné provenant d'un cobaye neuf. Ilest égale- ment dénué d’action vis-à-vis des globules rouges de pigeon. Il agglomère fortement les globules de rat et de souris, mais ceux-ci sont agglomérésénergiquement aussi par le sérum de cobaye neuf. Mais le sérum actif est, vis-à-vis de ces derniers globules, supé- rieur au sérum neuf en ce qui concerne la propriété destructive. Cependant la destruction qui s'effectue dans un mélange du sérum actif et de globules de rat ou de souris est considérablement moins complète et moins prompte que celle des hématies de lapin addi- tionnées du sérum. Nous nous réservons d'essayer l'influence

694 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

d'un tel sérum sur de nombreuses variétés de globules rouges,

afin de reconnaitre jusqu’à quel point ces phénomènes présentent le caractère de la spécificité, caractère qui déjà semble s’affirmer

sinon d’une manière absolue, au moins assez nettement, dans les

résultats jusqu'ici consignés ;

Si l’on injecte dans la cavité péritonéale d’un de nos cobayes traités (par des injections successives de sang de lapin) une certaine quantité (2 c. c. par exemple) de sang défibriné de lapin, les globules introduits sont détruits très rapidement. Au bout de dix minutes, le liquide qu'on retire de la cavité par ponction est rouge et limpide.

Lorsque l'injection est faite sous la peau, les globules restent beaucoup plus longtemps intacts. Lorsqu'elle est faite dans le péritoine d’un cobaye neuf, ils ne s’altèrent point dans fl'exsudat et sont finalement englobés par les macrophages;

Si l’on injecte dans la cavité péritonéale d’un cobaye neuf du sang de lapin additionné d’une petite quantité de sérum actif chauffé préalablement à 559, le même phénomène de destruction des globules se produit ;

10° Le sérum actif, qui jouit d’une énergie si grande vis-à- vis des globules du lapin, est toxique pour cet animal, ainsi qu'il fallait s’y attendre. Injecté dans la veine de l'oreille, il tue à la dose de 2 e. c. environ. Nous reviendrons plus tard sur les symptômes et les lésions que provoquent ces injections.

Le lecteur aura saisi sans qu’il soit nécessaire d’y insister avec quelle conformité l’histoire du sérum antihématique histoire simplement ébauchée dans cette courte note et que nous avons besoin de compléter beaucoup est calquée sur celle du choléra-sérum. Il suffirait, pour que les pages ci-dessus déeri- vissent dans leurs principaux traits les propriétés de ce dernier sérum, de remplacer dans le texte les mots « sang défibriné » par les suivants : « culture de vibrions », et les termes « destruc- tion des globules » par l'expression « transformation granuleuse du vibrion ».

Le rapprochement s'impose davantage encore si l’on considère que l’alexine active vis-à-vis des globules rouges est très vraisemblablement identique à celle qui transforme le vibrion en granules. Toutes deux exercent une influence alté-

AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES. 695

rante intense, toutes deux sont délicates et se détruisent à 550. Toutes deux présentent ce caractère d’être répandues non seule- ment dans le sérum, mais aussi dans l’exsudat péritonéal, et d'être absentes du liquide d’ædème sous-cutané que lon obtient facilement par compression veineuse : si l'on met en présence, dans des tubes, des quantités identiques de sang défibriné de cobaye avec du sérum de lapin, d’une part, et d’autre part, avec le même volume de liquide d’ædème provenant du même lapin, on constate que les hématies de cobaye se détruisent dans le tube qui renferme le sérum, restent intactes dans celui qui con- tient le liquide d’œdème.

Celui-ci est dépourvu également de la faculté de produire la métamorphose des vibrions impressionnés par le choléra-sérum chauffé à 550.

Que faut-il conclure de l’ensemble de ces analogies ? Il faut en conclure que les propriétés dont le choléra-sérum est doué n’ont pas été créées de toutes pièces par l'organisme dans un but anti-infectieux, si l’on peut s'exprimer ainsi, mais qu’elles sont dues simplement à la mise en œuvre énergique, contre les vibrions, de capacités fonctionnelles préexistantes, aptes aussi à s'appliquer, si les circonstances s’y prêtent, à des éléments nullement dangereux, tels que les globules rouges. On peut, en effet, en injectant aux animaux non pas des vibrions, mais deg corpuseules très différents, incapables de constituer un danger sérieux pour l'organisme, des hématies, obtenir un sérum agis: sant sur ces globules exactement comme le choléra-sérum agit sur le vibrion. Ces propriétés ne sont pas nées spontanément pour servir à la défense contre le microbe, pas plus que la pha- gocytose, pivot de l’immunité, ne doit son existence et sa raison d’être à la lutte contre les virus. L'une des conclusions les plus hautes qui se dégagent de l’œuvre de M. Metchnikoff est que limmunité n’est qu'un cas particulier de la digestion intracellu- laire, une application heureuse et efficace, à la défense de l’orga- nisme, d’une fonction primordiale qui n’en existerait pas moins sil n'y avait pas de germes pathogènes à la surface du globe, mais qui s’est admirablement appropriée, en raison des garanties de survivance qu’elle donne aux êtres vivants, au rôle protecteur qu’elle était à même de remplir.

Hluence favorable du chauffage du sérum antidiphtériqne SUR LES ACCIDENTS POST-SÉROTHÉRAPIQUES

Par M. LE Dr C.-H.-H. SPRONCK

Professeur à la Faculté de médecine à l’université d’'Utrecht.

Communication faite au Congrès international d'hygiène et de démographie de Madrid en avril 1898

Ce sont les observations de MM. Béclère, Chambon et Ménard', qui m'ont porté à rechercher l'influence qu’exerce le chauffage du sérum antidiphtérique sur les accidents post- sérothérapiques. Ces auteurs avaient observé que le sérum de cheval normal peut provoquer chez l'espèce bovine des accidents ayant une étroite ressemblance avec lurticaire, l’érythème mor- billiforme et les arthropathies qui, dans l'espèce humaine, suivent parfois l'injection de sérum de cheval immunisé ou non immunisé. Quatre génisses, ayant reçu sous la peau une quantité de sérum de cheval équivalente au centième ou cent vingt-cinquième de leur poids, présentèrent, le quatrième jour après injection, un exanthème généralisé avec élévation de la température ; l’une d'elles montra, en outre, des troubles fonctionnels de l’appareil locomoteur, qu’il paraissait légitime de rattacher à des arthro- pathies. Or, le même sérum qui provoquait ces accidents, chauffé pendant 1 heure 3/4 à 58°, injecté à dose équivalenie chez une cinquième génisse placée dans les mêmes conditions, ne produisait aucun accident et en particulier aucune éruption cutanée.

Pour autant qu'on en peut juger par une seule expérience, MM. Béclère, Chambon et Ménard ont conelu qu'il semblait donc que la chaleur détruise ou, tout au moins, atténue les substances nocives contenues dans le sérum de cheval, et ont fait remarquer qu'on pourrait peut-être tirer parti de leur

1. Étude expérimentale des accidents post-sérothérapiques. Ces Annales, octobre 1896.

CHAUFFAGE DU SÉRUM ANTIDIPHTÉRIQUE. 697

constatation pour la prophylaxie des accidents post-sérothérapi- ques dans l’espèce humaine, à la condition, naturellement, que le sérum ne perde pas son pouvoir curateur à la température qui détruit sa propriété nocive. On peut prévoir que les acci- dents post-sérothérapiques seront un jour évités, probablement par le « chauffage des sérums; il est au moins légitime de l’espérer ». C’est ainsi que ces auteurs ont terminé leur commu- nication.

Or, les résultats obtenus en Hollande avec du sérum anti- diphtérique, chauffé pendant 20 minutes de 59° à 59°,5, plaident en faveur de cette espérance et semblent assez intéressants pour justifier un court aperçu.

Après quelques expériences préparatoires, je me suis arrêté à la pratique suivante : le sérum recueilli dans des conditions d’asepsie absolue, sans aucun antiseptique, est réparti asepti- quement en petits flacons de 10 c. c., fermés avec bouchon et capuchon en caoutchouc. Ces flacons sont plongés dans de l’eau froide qu'on amène, en une demi-heure environ, à 58°, et qu'on maintient pendant 20 minutes entre 59° et 599,5. On retire alors les flacons de l’appareil et on procède à l’essai de la puissance du sérum chauffé.

Ce chauffage diminue un peu la puissance antitoxique. Mais cette diminution est insignifiante. En se servant d’une toxine plus forte, on arrive d’ailleurs facilement à compenser la dimi- nution du pouvoir antitoxique résultant du chauffage.

Voici maintenant les résultats obtenus en Hollande avec du sérum préparé à Utrecht, sous ma direction, en 1895, 1896 et 1897, pour autant et tels qu'ils m'ont été communiqués. Depuis le mois d'avril 1897, tout le sérum préparé à l’Institut sérothé- rapique a été chauffé, sauf le sérum des saignées faites en juillet et août. Le chauffage n’a donc pas été pratiqué pendant toute l’année 1897, mais pendant 7 mois seulement. On peut néanmoins admettre que 2/3 environ du sérum délivré en 1897 avaient été soumis au chauffage. Le pouvoir antitoxique du sérum chauffé était pour ainsi dire identique à celui du sérum non chaufté.

En 1895 et 1896, sur 1,365 malades traités avec du sérum non chauffé, 208, soit 15,2 0/0, ont présenté des accidents post- sérothérapiques.

698 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

En 1897, sur 251 malades injectés, chez 12 seulernent, soit 4,7 0/0, des accidents se sont manifestés.

On voit, d’après ces chiffres, qu'en 1897 le nombre d’acci- dents post-sérothérapiques, qui dépassait auparavant 15 0/0, n'atteint plus 50/0. Cette diminution de 2/3 est d'autant plus remarquable que de la totalité du sérum délivré en 1897, 2/3 envi- ron avaient été chauffés.

Il est donc probable que parmi les malades chez lesquels se sont manifestés des accidents, il y en à qui ont subi desinjections de sérum non chauffé. Mais ce n’est qu'une hypothèse, vu que les numéros que portaient les flacons de sérum utilisés n’ont pas été notés.

Décomposons maintenant la statistique d'ensemble et exami- nons les deux hôpitaux, dont les directeurs, MM. les docteurs Kniper et Kousser, ont eu la bienveillance de me communiquer régulièrement les résultats de la sérothérapie dès 1895. Voici un tableau se rapportant à ces hôpitaux, et permettant de comparer les quantités de sérum injecté par sujet, le nombre d’accidents post-sérothérapiques et la mortalité d’une part en 1895 et 1896, d'autre part en 1897.

£ o 2 l _ = © 2 |, 8 | ACCIDENTS | NORTALITÉ HOPITAUX z SERUM |Eg-u| S 4 Æ d Les £ 2*|5$88| 5 | 00 | £ | 0 = ds Eu ea = g-2 © © EE EEE = 7 ARE AE TR RE ten Wilhelmina- 1895 ) ; ffé..| 22 5 L 22 46 | 2 Gasthuis 1896 j Non chante 0 116,7 €. c. 7 se 16 | 20,9 à : : Amsterdam. 1897 | Chauffé pour les 2/3.....| 103 [18,1 9 Sal 1 AONE St-Elisabeths- | 1895 ; Gasthuis 1896 ç Non chauffé.,| 62 [22,9 | 49 | 49,3 | 44 | 46,1 à = Haarlem. 1897 | Chaufté pour les 2/3... CÉM EUR ANR PAP EN TOR DE: 1895 ) 1896 Non chauffé..| 282 1198 69 24,0 57 18,5 Totaux. Chauffé pour 4897 les 2)8. 008 106 = nel NE) 1

CHAUFFAGE DU SÉRUM ANTIDIPHTÉRIQUE. 699

Comme l’on voit, à l’hôpital Wilhelmina-Gastbuis d’Ams- terdam, en 1895 et 1896, sur 220 malades ayant reçu du sérum non chauffé, il y a eu 50 cas d'accidents post-sérothérapiques, soit 22,7 0/0. En 1897, sur 103 malades traités, 9 ont présenté des accidents, soit 8,7 0/0.

A l'hôpital de Haarlem, la diminution des accidents est beau- coup plus notable.

En 1895 et 1896, sur un total de 62 malades injectés, 12 cas d'accidents, soit 19,3 0/0 furent notés. En 1897, sur 95 fmala- des traités avec du sérum chauffé, on n'en compta que 2, soit 2, 1 0/0.

Sur un total de 282 malades ayant reçu dans ces deux hôpi- taux le même sérum non chauffé, le pourcentage des accidents s'élevait à 21.

Sur un autre de 198 malades traités avec du sérum chauffé pour les 2/3, ce pourcentage est réduit à 5,4 0/0.

Comme les statistiques, entre autres celle publiée par M. Wirtz et moi, prouvent que les accidents post-sérothérapi- ques sont d'autant plus fréquents que la quantité de sérum injecté est plus grande, il faut voir si en 1897 les doses adminis- trées avaient été moins fortes qu'auparavant.

Or, notre tableau prouve que les quantités movennes de sérum injectées par sujet ont été, en 1897, pour ainsi dire les mêmes qu'en 1895 et 1896.

M. Bujwid : pense que le sérum contient une substance nocive, lorsque la saignée est pratiquée à une époque trop rap- prochée de l'injection de la toxine.

Pour prévenir les exanthèmes, etc., il conseille de ne saigner les chevaux que 15 jours au plus tôt après la dernière injection de toxine. Or, à Utrecht, la période entre la dernière injection de toxine et la saignée a varié de 10 à 20 jours, aussi bien en 1895 et 1896 qu’en 1897. En 1897, cette période en général a même été plus courte qu'auparavant ; pour ne pas perdre du temps, les 4 derniers mois de cette année, les saignées ont été faites régulièrement le 11° jour.

A l’appui de l’opinion que la chaleur détruit les substances nocives contenues dans le sérum, je puis encore citer l'obser-

4. Buswin, Kann das Diphtherieheilserum schädlich wirken ? Prseglad Le- karski, 1897, 6. Deutsche med. Wochenschr., 1898. Litteratur-Beilage, 5, p. 82.

700 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

vation suivante faite à l'hôpital de la ville de Rotterdam. Dans un court délai, on a vu se produire à cet hôpital dix cas d’acci- dents post-sérothérapiques, après qu’on avait fourni à cet hôpi- tal du sérum non chauffé préparé en juillet et août 1897. Le médecin traitant les diphthériques, M. le D' Langemeyer, qui ignorait que le sérum n’avait pas été chauffé, était si surpris de voir éclater des accidents chez plusieurs enfants, qu’il me com- muniqua les noms des malades ayant présenté de l’exanthème, ainsi que les numéros des flacons employés pour ces malades. Or, en comparant ces numéros avec les livres de l’Institut séro- thérapique, on constata que le sérum injecté dans ces dix cas n'avait pas été chauffé et provenait de quatre chevaux diffé- rents.

D'autre part la statistique prouve que le sérum antidiphtéri- que chauffé n’est pas moins curateur que le sérum non chauffé.

En 1897, la mortalité a même été moindre qu’en 1895 et 1896. À l'hôpital Wilhelmina-Gasthuis d'Amsterdam, elle s'élevait en 1895 et 1896 à 20,9 0/0 ; en 1897 elle n'était que de 10,6 0/0. A l’hôpital de Haarlem, la mortalité en 1895 et en 1896 attei- gnait 16,1 0/0 ; en 1897 elle était de 15,7 0/0. Dans ces deux hôpitaux, en 1895 et 1896, la mortalité a été de 18,5 0/0, en 1897 de 13,1/0.

Je reconnais que les résultats mentionnés ne sont pas abso- lument probants, vu que dans les différentes statistiques le pour- centage des accidents post-sérothérapiques est très variable. Mais les faits observés viennent à lappui de l'opinion de MM. Béclère, Chambon et Ménard, que la chaleur détruit ou au moins atténue les substances nocives du sérum, et légitiment sans aucun doute la continuation de l’expérience, qui de suite a donné des résultats si favorables. Je me propose donc de la pour- suivre et j'espère qu’on instituera des recherches analogues dans d’autres pays.

PRÉPARATION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE SUPPRESSION DE L'EMPLOI DE LA VIANDE Par M. ce D' C.-H.-H. SPRONCK

Professeur à la Faculté de médecine à l’université d’Utrecht.

(Communication faite au Congrès international d'hygiène et de démographie de Madrid en avril 1898.

En me basant sur des recherches faites dans mon laboratoire en collaboration avec M. van Furenhoudt, j'ai fait remarquer, en 1895!, que le glucose empèche le bacille diphtérique de produire sa toxine dans les milieux de culture. Je conseillais à cette époque de faire usage d’une viande, bœuf ou veau, qu'on avait laissé vieillir au préalable, d'employer une peptone (2 0/0) ne contenant pas de glucose, d’ajouter au bouillon, exactement alcalinisé par le carbonate de soude, et additionné de 0,5 0/0 de sel marin, une petite quantité de carbonate de chaux. Dans ce milieu restant constamment alcalin, nombre de bacilles diphté- riques poussent abondamment et produisent en peu de jours, sans aération artificielle, des toxines dont 1/10 ou 1/20 de centimètre cube tue le cobaye de 500 grammes dans les 48 heures.

Peu après la publication de ce procédé, des lettres m'ont appris que l'emploi de bouillon de viandes conservées jusqu’à la putréfaction rendait de réels services dans plusieurs labora- toires, on avait éprouvé auparavant beaucoup de difficultés à préparer une toxine puissante. Ensuite, M. Louis Cobbett: et M. Martin * ont mis en lumière l’avantage de l’emploi d’une viande légèrement putréfiée,.

M. Nicolle‘, au contraire, a conseillé, pour obtenir delatoxine forte, l'usage de viande d’un animal récemment abattu. M. Mar- tin est d'accord avec lui sur ce point, et croit que cela tient à ce que la viande fraîche ne renferme que du glycogène, qui ne modifie pas la réaction du milieu.

4. Sur les conditions dont dépend la production du poison dans les cultures diphtériques. Annales de l’Institut Pasteur, 1895, p. 758.

2. Contribution à l’étude de la physiologie du bacille diphtérique. Annales de l'Institut Pasteur, 1897, p. 251.

3. Production de la toxine diphtérique. 74, 1898, p. 26.

4. Préparation de la toxine diphtérique. /d, 1896, p. 333.

102 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Enfin, M. Thorvald Madsen’ a obtenu des résultats très irré- guliers, tant avec des viandes fraîches qu'avec des viandes con- servées pendant plusieurs jours.

Je n’ai jamais rencontré de difficultés en me servant d’une viande ancienne, dégageant une légère odeur. Il faut remar- quer que depuis 1894 je travaille avec le même bacille diphté- rique, bien habitué à vivre en dehors de l'organisme, donnant une abondante culture dès les premières 24 heures, et formant à la surface un voile très épais: les cultures étaient dans un parfait repos, n'étaient jamais transportées ou secouées.

Mais le point le plus difficile, c’est sans doute de fixer le point auquel il faut arrèter la putréfaction de la viande, et c’est à juste titre que M. Martin objecte que je n’avais pas donné de règles fixes, que j'avais simplement indiqué que cette putré- faction devait détruire les sucres de la viande.

C’est pourquoi M. Martin à modifié et simplifié mon procédé. Sur le conseil de M. Roux, il ajouta tout d’abord de la levure à la macération de viande et porta le tout à l'étuve à 35°. Mais on trouva qu'il suffit de placer la macération de viande pendant 20 heures à 35° pour obtenir un bouillon qui, ensemencé avec le bacille diphtérique, ne donne jamais d'acide.

Tout comme MM. Roux et Martin, j'ai essayé de différents moyens pour simplifier mon procédé. J’ajoutai entre autres à la macération de viande fraîche de la levure de commerce, et j'étu- diai l'effet de la fermentation à différentes températures. En faisant ces expériences, j'ai été bien surpris de constater que la levure est capable de favoriser la production de la toxine, même si l'addition de la levure à la macération n’a lieu qu'au moment de la cuisson, de sorte que toute fermentation était exclue.

Il semblait donc intéressant de rechercher si une simple décoction de levure se prêterait à la production de la toxine.

Les résultats de ces essais ont dépassé mon attente.

Après quelques expériences comparatives, je me suis arrêté à la méthode suivante qui, depuis plusieurs mois déjà, m'a donné régulièrement d'excellents résultats.

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Je me sers de levure de commerce, non de levure de brasse- rie. Un kilo est délayé dans 5 litres d’eau et on fait bouillir pen- dant 20 minutes en agitant constamment avec une spatule. Puis

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4. Zur Biologie des Diphteriebacillus, Zeitschrift für Hygiene u. Infections- krantheiten. Bd. 26, 1897, p. 157.

TOXINE DIPHTÉRIQUE SANS VIANDE. 103

on verse la décoction dans un ou plusieurs vases cylindriques et on laisse reposer pendant 24 heures.

La levure se sépare, laissant au-dessus d’elle un liquide louche qu'on décante. A ce liquide légèrement acidulé on ajoute par litre 5 grammes de sel marin et 20 grammes de peptone Witte de Rostock ; on neutralise avec de la soude, et on ajoute encore par litre 7 c. c. d’une solution de soude normale. On chauffe ensuite, on filtre sur papier, répartit dans les matras et stérilise à 4120.

Pour être sûr du résultat, il est important de ne se servir que d’une peptone de Witte provenant directement de Fa fabrique de Rostock, car il existe dans le commerce des peptones dites Witte qui ne proviennent pas de cette fabrique et donnent des résultats très variables.

Si la levure est additionnée de fécule, on a beaucoup de dif- ficulté pour obtenir un liquide de culture limpide. De préférence je me suis servi d'une levure, dite Koningsgist, de la fabrique de M. van Marken à Delft. Mais bientôt cependant j’observai qu'il est absolument superflu de filtrer sur papier. L'emploi d'un liquide louche ne nuit pas à la production de la toxine, et les cultures filtrées sur papier donnent un liquide limpide.

Le milieu de culture, composé comme je viens de l'indiquer, m'a fourni régulièrement des toxines plus actives que le bouillon préparé avec de la vieille viande. Le même bacille diphtérique, dont je me sers depuis des années, m'a donné des toxines 20 fois plus fortes, depuis que j'ai remplacé le bouillon par la décoction de levure. Les cultures placées à l’étuve à 35° poussent très bien en voile et restent constamment alcalines.

Je conserve mon bacille toxigène sur du sérum solidifié de Loeffler ; après 24 heures de culture à 35°, les tubes sont re- tirés de l’étuve et gardés à l'abri de la lumière. Chaque fois que je désire préparer de la toxine, je rajeunis d’abord la cul- ture. À cet effet, j'ensemence d’abord sur du sérum coagulé; c'est de cette nouvelle génération que je transporte une anse de platine dans un tube à essai contenant 10 €. c. environ de la décoction de levure peptonisée, et je cultive de nouveau à 35° en inclinant fortement le tube. Après 24 heures la surface du liquide est couverte d’un voile épais, dont je me sers pour l’'ensemencement d’une quantité de matras, en déposant à la surface du liquide, disposé en couche d’une épaisseur de

704 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

5 centimètres environ. La pellicule de bacilles flotte à la surface, pousse rapidement et recouvre toute la superficie dans les 24 heu- res. Les matras restent dans un parfait repos.

La production de la toxine est très rapide. Après 48 heures j'obtiens une toxine tuant dans les 48 heures le cobaye de 500 grammes à la dose de 1/20 de centimètre cube. Au bout de 5 à 6 jours le liquide de culture semble avoir atteint son maxi- mum de toxicité. Il tue le ne de 500 grammes à la dose de 1/200 de centimètre cube, soit 0 c. e. 005.

L'emploi de notre décoction de re pour la production de la toxine n'amène chez les chevaux aucun inconvénient. La filtration des cultures par une bougie Chamberland est absolu- ment superflue. En filtrant simplement sur papier, après addi- tion de 3 c. c. d'acide phénique par litre, la toxine obtenue est absolument limpide et se conserve très bien. J’ai remarqué qu'il est très important que l'addition d'acide phénique ne dépasse pas 3 c. c. par litre. En ajoutant davantage on s'expose à voir se développer chez les chevaux des abcès stériles que, sans doute, tous ceux qui s'occupent de la préparation du sérum antidiphtérique ont eu l’occasion d'observer.

C'est donc sans aucune réserve que je puis conseiller de supprimer complètement l'usage de viande fraîche ou fermentée et d'employer dorénavant notre décoction de levure, dont les avantages sont, en résumé, les suivantes :

Le bacille diphtérique y pousse rapidement et abondam- ment, formant à sa surface un voile blanc, excessivement épais ;

Le milieu reste alcalin, lalcalinité augmente rapidement et la production de la toxine est rapide et régulière ;

En employant la même peptone, en cultivant sous des conditions identiques, le même bacille diphtérique produit dans la décoction de levure une toxine beaucoup plus forte’que’dans le bouillon de viande fermentée ;

Un kilo de levure de commerce, ne coûtant que 70 centi- mes environ, donne 5 litres de toxine ; la viande est 5 fois plus chère et ne donne que 2 litres par kilo ;

Enfin l’avantage de la suppression d’une viande conservée jusqu'à putréfaction, puante, fermentée au hasard par des mi- crobes divers, est si évident, qu'il est superflu d’insister.

Le Gérant : G. Masson.

Sceaux, Imprimerie E, Charaire,

me ANNÉE : NOVEMBRE 1898 No 41

[ES 19

ANNALES

L'INSTITUT PASTEUR

LA PROPAGATION DE LA PESTE

Par E.-H. HANKIN

Bien qu'en général la peste ne paraisse pas se répandre avec autant de facilité que le choléra, elle peut occasionnellement devenir endémique dans des pays ordinairement exempts de ce fléau.

J'ai figuré (tracé 1) les épidémies qui ont eu lieu à Londres et aux Indes pendant trois siècles ‘. Pour les épidémies de Lon- dres, les hauteurs des ordonnées indiquent les nombres annuels des morts par peste, tels qu'ils existent dans les « bills of mor- tality » depuis le commencement du dix-septième siècle et au- delà. On ne possède pas de rapports exacts pour les périodes antérieures. Beaucoup d’épidémies de peste ne sont connues dans l’histoire que par cette simple mention : la peste était si violente à Londres qu'il devint nécessaire de transférer le par- lement et les cours de justice à la campagne. Ces épidémies sont désignées dans le diagramme par des lignes ponctuées qui s’élè- vent jusqu'à une mortalité de 2,000. Pour une autre catégorie d’épidémies, il est certain que la maladie s’est propagée de Lon- dres aux autres parties de l'Angleterre. Ces dernières, encore plus violentes sans doute, sont indiquées par des lignes ponctuées représentant une mortalité de 10,000. IL est probable que dans bien des cas ces chiffres sont au-dessous de la réalité. Depuis l'introduction de la peste, en 1347, jusqu’à la « Grande Peste de Londres », en 1665, il y a eu une épidémie violente de peste

1. Les données de ce tableau, relatives à Londres, ont été puisées dans « His- tory of Epidemics in. Great Britain », publié par l’University Press, Cambridge, 1891. Ce livre contient beaucoup de renseignements intéressants sur la peste.

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706 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

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Tracé ne 1.

En haut, épidémies de peste à Londres pendant trois siècles. En bas, épidémies de peste aux Indes pendant trois siècles.

PROPAGATION DE LA PESTE. 707

à Londres, en moyenne, une fois tous les quinze ans. Des épidé- mies moins importantes avaient lieu plus fréquemment. Le fait leplus remarquable indiqué par le diagramme est la soudaineié de l'extinction de la peste.

Les dernières épidémies sur lesquelles il existe des rapports approximativement exacts augmentent progressivement de virulence. La dernière de toutes est la plus sévère qu'ait rappor- tée l’histoire. On supposa que l'extinction en a été due à l'incendie de Londres de 1666. Mais Creighton observa que les dernières apparitions de la peste commencèrent dans les faubourgs de Londres et se développèrent de dans la ville. Ces faubourgs n'ont pas été touchés par le feu. De plus, quelques cas de peste ont été observés à Londres annuellement jusqu'à l'an 1679. La disparition de la peste a eu lieu à cette époque environ, non seule- ment à Londres, mais aussi dans les autres parties de l'Angleterre ainsi qu'en Europe. Il est impossible d'attribuer cette disparition à l'amélioration de l'état sanitaire. L'extinction de la peste fut soudaine, l’amélioration de l’état sanitaire graduelle. Quelles que fussent les causes inconnues, défavorables au développe- ment du virus de la peste, qui se manifestèrent à cette époque, il n’y a pas de raisons positives pour supposer qu'elles existent encore, car, depuis cette disparition, la peste a été importée de nouveau dans quelques parties de l’Europe qui étaient alors libé- rées de ce fléau. Comme exemple nous pouvons citer l'épidémie de Marseille, en 1720, qui fut une des plus considérables.

Le diagramme indique aussi que pendant les trois siècles en question au cours desquels, pour la seule ville de Londres, des épidémies sérieuses se sont développées si fréquemment, il n'y a eu, aux Indes, que deux apparitions certaines. On peut citer : celle qui eut lieu sous Le règne de l’empereur Mogol Iehan- agir, de 1611 à 1618, et une autre en 1683, qui éclata dans le district d'Ahmedabad et qui dura six ans. Dans les notes jour- nalières de l’empereur Ichangir, il y a un récit minutieux des effets de la première de ces épidémies à Agra. Il rapporte le cas d'un rat malade qui fut tué par un chat appartenant à la fille du propriétaire de la maison : une esclave qui enleva le cadavre du rat fut la première atteinte, ensuite la fille citée plus haut, puis la mère de cette jeune fille, et enfin tous les autres membres de la

4 ZLoc..cit,

708 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

S

famille. Ce récit est exactement semblable, en effet, à l’histoire de plusieurs familles pendant l'épidémie actuelle à Bombay. Voici la description qu’il donne, en 1618, de l’épidémie d’Agra.

« La mort noire ou peste fait des ravages à Agra. Une cen- taine de décès sont relevés chaque jour. Un gonflement apparaît au cou, dans l’aine ou dans l’aisselle, et la victime meurt rapide- ment. Pendant ces trois années dernières, la maladie a causé beaucoup de morts pendant l'hiver ; mais, au commencement de l'été, l’'épidémiea cessé, pour apparaître de nouveau dès l’approche des premiers froids. Il est étonnant que pendant ces trois années, bien que la maladie fût épidémique dans la banlieue d’Agra, Fatehpur-Sikri n’ait pas été affecté ‘. »

Plus loin il dit :

« On a observé que ceux qui furent atteints étaient invaria- blement ceux qui avaient porté de l’eau aux malades ou ceux qui s'étaient trouvés en contact avec eux. Bientôt la terreur fut telle que personne ne voulait s'approcher des pestiférés, et qu’on les abandonnait pour mourir ou recouvrer la santé selon leur destin.»

En plus des apparitions certaines de la peste aux Indes que nous venons de mentionner, Le diagramme indique par des lignes ponctuées trois épidémies qui se manifestèrent également aux Indes, et paraissent avoir différé des maladies ordinaires au pays : mais il n’est pas certain qu’il s’agisse de la peste. En 1399, une épidémie eut lieu dans les districts qui furent ravagés par le conquérant musulman Timur, elle y fit de grands ravages. En 1443, une épidémie éclata dans l’armée du sultan Ahmed I. L'historien Ferishta dit que c'était une maladie très rare aux Indes, et il lui applique le terme «taun », mot fréquemment employé actuellement par les habitants de Bombay pour désigner la peste. En 1590-1594, une famine éclata, qui, d’après ce qu'on rapporte, fut suivie d’une pestilence. Finalement, après la fin de l’époque dont nous parlons, la famine qui éclata en 1718 fut mar- quée par de nombreux cas de mortalité, qui, selon l’opinion de quelques-uns, furent causés par la peste.

Quelques faits relatifs à la dernière histoire de la peste aux Indes sont indiqués dans la carte 2. Cette carte ne prétend pas

1. Réunion de palais construits par le roi Okbar, située à 23 milles anglais d'Agra.

PROPAGATION DE LA PESTE, 109

à une exactitude rigoureuse, car il m'était impossible de découvrir les limites précises des territoires affectés par les appa- ritions différentes, mais elle montre l’étendue relative des sur- faces atteintes par les épidémies enregistrées aux Indes pendant: un siècle. Voici un bref récit de ces apparitions : :

L'apparition à Gujerat, de 1812 à 1821.

Cette épidémie éclata sur l'ile de Kutch et se répandit lente- ment dans les districts voisins de Kathiawar, d’Ahmedabad, de Radhanpur et dans quelques parties du Sindh. Elle s’étendit cependant avec une telle lenteur qu’elle mit quatre ans pour tra- verser la courte distance de Kutch au district prochain de Kathia- war. D’après les rapportsofficiels, l’épidémieaurait été importée, avec du coton, de Kutch dans la ville de Dholera, en Kathiawar. Le docteur Whyte dit que dans chaque ville elle se manifesta d’abord sous la forme pulmonaire: elle ne présenta qu’ensuite la forme bubonique. Dans les villes de Vankaneer et de Sayla, presque tous ceux qui furent atteints étaient « Bohoras », caste dont l'occupation était de fabriquer la toile de coton. Les maga- sins de coton cru aux Indes sont généralement infestés par les rats qui se nourrissent des graines du coton. Si le coton est débar- rassé des semences, il n’attire plus les rats etne joue pas de rôle spécial dans la propagation de la peste.

La peste de Pali, de 1836-1837.

Cette épidémie commença dans la ville de Pali, qui à cette époque était le principal centre commercial entre Gujerat et l'Inde centrale.

Les premières personnes atteintes appartenaient à une caste connue sous le nom de « Chippis ». Leur métier était d'imprimer sur la laine importée de la côte et de Gujerat. Six cent soixante- cinq d’entre eux moururent. Ensuite les Brahmins et les Maha- jans furent frappés et, finalement, les habitants en général.

Il est à noter que les Brahmins ainsi que les Mahajans sont des castes dont les membres sont très soucieux de la propreté. Les Mahajans, au moins, sont généralement opulents. Ils tra- fiquent des grains, et leurs maisons sontconséquemment infestées par les rats. On rapporte que, sur 12,000 habitants, 8,000 sur- vivants s’enfuirent pris de panique dans les villages voisins. Plusieurs moururent après leur arrivée. Mais au commencement, l'infection ne frappa aucun habitant des villages ces fugitifs

710 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

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Carte ?. Épidémies de peste dans l'Inde.

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Bombay 1896. . . Postes d'inspection de la peste sur les lignes de chemin de fer:

PROPAGATION DE LA PESTE. 711

se réfugièrent, Après un laps de quelques semaines, la maladie se manifesta dans les villages, atteignant d’abord, non pas spé- cialement les habitants des maisons les fugitifs avaient trouvé asile, mais les marchands de grains dont les habitations, comme nous l'avons déjà mentionné, sont infestés de rats.

Pendant la chaleur, en 1837, la maladie cessa à peu près complètement. Elle éclata de nouveau pendant les temps froids de la même année et finalement disparut au printemps de 1838.

Foyer endémique de Guhrwal.

L'immunité relative des Indes vis-à-vis de la peste est d'autant plus remarquable qu’il y a un foyer endémique dans les montagnes de l'Himalaya, dans les districts de Guhrwal et de Kumaon. Des apparitions dans ces territoires ont été enregistrées, en 1823, 1834, 1835, 1846, 1847, 1849, 1850, 1851, 1852, 1853, 1854, 1859, 1860, 1870, 1875, 1876, 1877, 1884, 1886, 1887, 1888, 1891, 1893, 1894, 1897.

L'histoire ne signale qu'une seule extension de la peste des montagnes aux plaines de l'Inde, savoir en 1853-1854, elle envahit les districts de Bijnor et Moradabad qui sont situés au pied des montagnes de l'Himalaya. Cette absence de diffusion dans les plaines doit être attribuée dans une certaine mesure au peu de communications qui existent entre le territoire en question et le reste des Indes. Pour arriver dans un village infecté, en partant de la plaine, il faut voyager pendant deux ou trois semaines à travers des régions montagneuses et presque. impraticables.

Le choléra ainsi que la peste paraissent ordinairement moins virulents dans les foyers endénriques que dans les pays la maladie sévit comme épidémie. En ce qui concerne la peste, on peut suggérer l'explication suivante, à savoir que les habitants des foyers endémiques, tels que Guhrwal, Arabie et Yunnam quittent habituellement leurs villages aussitôt que la maladie ap- paraît, ou même quand ils observent une mortalité anormale chez les rats. En Guhrwal, les habitants généralement ne permettent pas aux fugitifs d'entrer dans d’autres villages. Ceux-ce1 s’établis- sent habituellement dans les campements sur des mon- tagnes.

L'épisode suivant donne une idée des effets de la maladie dans le district de Guhrwal. Voici un extrait d’un rapport

112 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

officiel communiqué par le chirurgien colonel Hutchison au congrès médical indien en 1894.

A l'apparition de la peste, les habitants avaient déserté un village, y laissant quelques enfants, dont les deux seuls sur- vivants furent trouvés par un fonctionnaire :

« Avant mon arrivée au village, le 12 mai, j'ai été informé que je rencontrerais peut-être des enfants abandonnés. Le village était vide et désolé. On trouva Danuli (une fillette de neuf ans) avec son frère, âgé de cinq ans, près de leur campement tempo- raire en dehors du village. Danuli, une fillette aux yeux brillants, était vêtue d’une vieille jupe, son frère enveloppé dans un morceau de vieille couverture. Ces enfants avaient perdu leurs parents le 12 mars, et depuis ce temps ils avaient été laissés à leurs propres ressources, sauf pendant quelques jours lorsque leur frère aîné vivait encore, car personne au village n'avait voulu s'approcher d’eux.

« La fillette Danuli raconte dans des paroles décousues ses épreuves pendant les huit dernières semaines, comment sou père, sa mère et son frère aîné moururent, comment tout le monde s'enfuit, comment la maison fut brülée, comment son frère, âgé de sept ans, mourut, et comment son corps fut emporté pendant la nuit par des chacals, comment elle avait enseveli son petit frère, àgé de dix-huit mois, plaçant le corps dans un panier et creusant un trou avec un pic, et finalement comment, _ laissée seule avec son frère, elle préparait et faisait cuire le riz chaque jour, conduisant son frère à un ruisseau pour boire, et comment l'enfant dormait dans ses bras chaque nuit. Même maintenant, après un laps de temps si long depuis la mort de la dernière personne, aucun des indigènes ne s’approcha de ces enfants qui restaient assis, isolés, la main dans la main, lorsque la fillette raconta l’histoire pathétique de sa souffrance et de sa patience. »

A propos de ce récit, notons que, dans ce cas. huit personnes seulement succombèrent à l'infection. Les autres familles des villages s’échappèrent à temps de la localité infectée et restèrent en bonne santé. Les habitants de Guhrwal, ordinairement, laissaient passer au moins un mois depuis la date du dernier cas avant d’oser réoccuper un village contaminé.

Un fait démontré clairement par la carte 2 est l'immense

PROPAGATION DE LA PESTE. 113

étendue de l'épidémie actuelle (Bombay) comparée avec l'étendue des autres épidémies de ce siècle. Il est douteux que cette difé- rence puisse être complètement attribuée à l'influence des chemins de fer. Comme cela est démontré par la carte, la peste s’est développée principalement dans les limites de la prési- dence de Bombay, qui embrasse la plus grande partie de la côte occidentale des Indes. Dans les limites de cette étendue, 1l existe un trafic considérable d’un village à l’autre, fait par des marchands ambulants. Cette portion des Indes est séparée du reste du pays par des montagnes et des déserts, à travers les- quels les communications et le trafic par piétons est moins considérable que le trafic par chemin de fer.

En dehors et à quelque distance des limites de la présidence de Bombay, cinq centres d'infection seulement ont été signalés dans lesquels apparemment la maladie a été introduite par voie ferrée. Ce sont : Hoshiarpur, Jullundur, Khandraoni (un seul village), Hurdwar (petite ville avec deux villes adjacentes et quelques villages voisins) et Calcutta. I1 paraît que dans les quatre premiers centres, l'infection en ce moment (juillet 1898) a été enrayée, du moins en apparence, par des mesures éner- giques, et qu'à Calcutta, seulement, des cas isolés ont eu lieu. Elle s’est aussi répandue de Bombay à quelques villages en Hyderabad, mais il semble que les apparitions soient terminées dans ces districts.

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C’est un fait tellement admis que la peste est importée de loin d’une ville à l’autre par l’homme qu'il n’est pas nécessaire de le démontrer. Comme illustration de ce fait, je ne veux citer qu’un exemple que je dois à l’obligeance du professeur Muller,de Bombay. Dharavi Koliwada est un petit village de pêcheurs situé près de l'extrémité nord de l’île de Bombay. Il est habité par des pêcheurs de la caste de Koli. Durant la seconde épidémie de Bombay (pendant l'hiver de 1897-98), ces hommes établirent une quarantaine rigoureuse à légard de toutes les personnes suspectes. Par exemple, aucun Indien de cette caste n'avait le droit de dormir en dehors du village, ni de recevoir un étranger dans sa maison. Ces règlements avaient été édictés par les chefs de la caste, et la peine pour l'infraction à

714 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

cette ordonnance consistait en une forte amende de soixante- quinze roupies au bénéfice du trésor de la caste. Notons. que. suivant les conditions de la société hindoue, les règlements ainsi prescrits par les chefs de la caste ont un caractère plus obligatoire et sont plus strictement observés qu'aucun de ceux imposés par le gouvernement indien ou par un gouvernement quelconque, même par un pouvoir légal.

En conséquence, pendant quelque temps, ces règlements furent efficaces, et la communauté resta exempte de la maladie. Lors de l’apparition de la peste dans le village de Worlee, situé à une distance de trois kilomètres environ, 513 fugitifs arrivèrent à Dharovi Koliwada, désireux d'entrer dans le village. Leur demande ne fut pas agréée, mais on leur permit de s'établir dans un champ voisin. Les règlements de quarantaine furent si rigoureux que les fugitifs de Worlee se plaignirent au professeur Muller de la conduite des habitants de Dharovi, qui, bien que de la mème caste, refusaient de parler avec eux. Mais, au mois de juillet, lorsque la peste, suivant toute apparence, était arrivée à sa fin, les règlements s’adoucirent. On permit à deux frères du village d'assister aux obsèques d’un pestiféré à Danda. Quelque temps après leur retour, un rat mort fut trouvé dans leur maison. Peu de jours après la fille d’un de ces frères fut frappée par la peste et mourut. Ensuite sa mère fut atteinte, mais elle semblait recou- vrer la santé à l’époque j'étais à Bombay (16 juillet). Puis le père fut atteint à son tour et mourut. Successivement un fils, une petite fille et un autre fils le suivirent dans la tombe. Un neveu tomba aussi malade, mais il parut se rétablir. La totalité de ces décès monte à sept personnes sur quatorze qui compo- saient les familles de ces deux frères. Ils habitaient denx chambres voisines, étaient en bonne situation et avaient leur domestique personnel. Ju squ’alors le village était resté indemne de la maladie.

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L'opinion unanime de ceux qui se sont occupés de la peste à Bombay est que la maladie peut être portée à distance par un agent humain, mais que cependant l’infection,pendant l'épidémie, n’est pas ordinairement due à la contamination directe d’une personne à l’autre. En voici les preuves :

PROPAGATION DE LA PESTE. T5

L’immunité générale des amis des malades qui, dans beaucoup de cas, durant l’épidémie de Bombay, les avaient accompagnés à l'hôpital. Le chirurgien-capitaine Thomson, dans son rapport sur lhôpital du « Government House Parel », exprime l’opinion suivante :

« Il est un fait bien établi par lexpérience faite à l’hôpital Parel, c’est que la maladie n’est pas contagieuse.

« Plus de 240 pestiférés furent visités assidument par leurs amis; ceux-ci, dans une vingtaine de cas, quittèrent à peine le chevet des malades, et cependant aucun d’eux ne fut atteint par la maladie. Parmi plus de 140 serviteurs employés à l'hôpital, un seul homme, constamment occupé dans la chambre d’autopsie, fut atteint d’un bubon axillaire. »

Voici l’opinion du docteur Dallas dans son rapport officiel sur le Grant Road Hospital :

« Excepté pour le cas de la peste pneumonique, je ne pense pas que l'infection soit propagée par la contagion humaine. En voici une preuve : ceux qui ont été le plus constamment en rap- port étroit avec les malades. depuis les fonctionnaires médicaux jusqu'aux coolies, ont joui d’une immunité à peu près complète, si l’on songe à leur nombre. Sur 400 personnes hommes, femmes et enfants qui visitèrent leurs amis malades et restèrent con- stamment à leur chevet, aucune n’a contracté la maladie. Seul un infirmier militaire de l'hôpital fut affecté par la contagion directe ; il avait l’habitude de boire les restes de breuvages sti- mulants laissés dans les tasses par les malades; très probable- ment celles-ci avaient été en contact avec la bouche d’un patient atteint de la peste pneumonique. »

A Bombay, les hôpitaux des pestiférés étaient très sou- vent situés dans les quartiers les plus populeux, et cependant ils ne sont pas devenus des centres d'infection pour le voisinage.

Vers la fin de l’été de 1897, le nombre quotidien de cas de peste s'éleva à une demi-douzaine au moins, et ce chiffre se maintint pendant quelques mois. Done, si infection s’était com- muniquée d’un homme à l’autre, on aurait s'attendre à voir les cas de peste se concentrer dans un même district, plutôt que de les voir répandus à peu près sur la ville entière, comme cela se produisit. Ceux qui croient que le malade est la seule source de la contagion devraient expliquer pourquoi, pendant tant de mois,

716 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

les malades semblaient capables de contaminer des personnes demeurant à un nulle de distance, alors queleurs proches restaient parfaitement indemnes.

D'un autre côté, on signale plusieurs cas les méde- cins ou leurs aides ont été atteints en faisant l’autopsie de cadavres pestiférés. Par exemple, un fugitif de Bombay mourait de la peste à Madras. Le médecin qui pratiqua l’autopsie ainsi que le serviteur qui l’assista furent tous deux frappés par la peste. La peste n'ayant pas existé à Madras ni avant ni après cette époque, la source de l'infection n’est pas douteuse en ce cas. Donc, l’innocuité relative des pestiférés dans l’épidémie de Bombay ne peut pas être attribuée à ce que les microbes qu'ils contenaient n'étaient pas capables de produire l'infection. Il est plus probable que dans beaucoup de cas le microbe ne sortait pas du ganglion affecté, ou qu’il n’arrivait pas dans les sécré- tions. Il est certain toutefois que, dans la forme pneumonique de la peste, le crachat qui contient des quantités de bacilles est fort dangereux.

IV

Des observations réitérées faites pendant l'épidémie actuelle ont démontré que lorsque la peste s'établit dans une localité, l'enlèvement des malades, pratiqué aussi rapidement que possible,

ne suffit pas pour arrêter la maladie. Il est nécessaire d’évacuer ‘complètement la localité infectée. Cette méthode est suivie aux Indes dans tousles cas elle est praticable, et presque toujours avec un succès complet et immédiat. Cette mesure est universel- lement adoptée par la population elle-mème dans toutes les con- trées la peste est endémique.

Qu'est-ce que l'infection de la localité? Dans presque toutes les épidémies de la peste, en Occident, on a observé une grande mortalité parmi les rats, et on sait à présent que ces animaux succombaient à la peste. Cette mortalité est-elle la cause ou l'effet de l'infection de la localité? Les arguments suivants se rapportent à cette question.

I. Les faits les plus probants, tendant à démontrer l'influence des rats sur la propagation de la maladie dans les limites d’une ville, sont exposés dans le rapport officiel de la première épidémie

PROPAGATION DE LA PESTE. Ha

de Bombay (1896-97) par M. Snow, commissaire municipal de la ville de Bombay ‘. Dans ce rapport il montre (p. 9) que la propa- gation de la peste de district à district à Bombay coïncidait, quant au temps et à la direction, avec l’émigration des rats, et ne dépen- dait pas d’une façon appréciable du déplacement des hommes. La preuve de ces assertions est indiquée |dans la carte (fig. 3). Mandvie est le district de Bombay la maladie devint d’abord épidémique, en septembre 1896. La carte montre les contours des autres districts de la ville. Pour la clarté, les noms ne sont inscrits que dans un petit nombre de cas. Dans chaque district, on trouve un chiffre indiquant le nombre de semaines écoulées entre l’apparition de la peste sous la forme épidémique à Mandvie et l’apparition sous la même forme dans le district en question. On voit immédiatement que la maladie resta épidémique à Mandvie sans s'étendre aux autres districts, pendant une longue période de temps, sauf en des cas isolés. À part une seule excep- tion, elle se manifesta comme une épidémie dans les autres quar- tiers de la ville après un laps de neuf, dix semaines au plus. Pendant les deux ou trois premières semaines de l'existence de l’épidémie à Mandvie, des milliers de personnes s’enfuirent, prises de panique, vers d’autres quartiers de la ville, spécialement au nord et à l’ouest de l’île, Mais ces fugitifs n’apportèrent pas avec eux la maladie sous la forme épidémique. Elle ne présenta un caractère épidémique dans ces quartiers que trois ou quatre mois plus tard. (Voir le rapport officiel du docteur Weir, officier sanitaire de Bombay, p. 142.) La neuvième semaine environ après l'apparition de la peste sous la forme d’épidémie, à Mandvie, on constata une émigration des rats dans les autres quartiers de la ville. Les observations de M. Snow montrent (voir son rapport, p. 10) que les rats pour la plupart se dirigeaient d’abord dans la direction de l’ouest, et ensuite dans la direction du nord. Cette émigration fut immédiatement suivie par l’apparition de la peste épidémique parmi les hommes dans tous les quartiers les rats s'étaient réfugiés. M. Snow dit: «Presque dans chaque quartier de la ville la peste bubonique se déclara avec force, elle avait été précédée par l'apparition des rats qui mouraïient en grand nombre. En même temps que des rats malades apparais- saient dans les quartiers du centre de la ville, ils disparurent

1. Imprimé par « Times of India », Bombay Press.

718 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Carte 3. Ile de Bombay.

Cette carte indique le nombre de semaines écoulées entre l'apparition de la peste dans l'arrondissement de Mandvie et l'extension de l'épidémie dans les autres parties de la ville. Les rats:ont émigré de Mandvie dans la semaine.

PROPAGATION DE LA PESTE. 749

complètement de Mandvie, où, au commencement de l'épidémie, ils étaient trouvés morts par centaines dans les rues. Plus tard (janvier 1897), à la suite de diverses enquêtes, M. Snow trouva que les rats avaient disparu des quartiers du centre de la ville et qu'ils se trouvaient en grandes quantités à l’ouest et au nord.

a) La seule exception apparente à cette règle est fournie par le quartier de Lower Colaba, où, comme le montre la carte, l’épi- démie commença la sixième semaine après son début à Mandvie. Mais en réalité cette exception confirme la règle. Dans ce quartier 1i y a un nombre considérable de magasins de coton infestés par les rats, qui se nourrissent des graines. Un grand trafic maritime existe entre cette place et Mandvie. Il paraît que l'infection a été introduite parmi les rats de Lower Colaba vers la quatrième semaine. Près de cette place, il y a des maisons habitées par les employés d’une grande compagnie de tramways. On à donné à ces hommes de la poudre carbolique pour la placer dans les égouts et les passages autour des maisons. D'abord ils ne firent aucune opposition à cette mesure sanitaire, mais plus tard ils observèrent que les rats mouraient en quantité, Ils pensè- rent que la mort des rats avait été produite par la poudre, et aver- tirent du fait les autorités. Leur religion interdisant d’ôter la vie aux animaux, l'emploi de la poudre carbolique a été suspendu. Quelques jours plus tärd, les habitants du voisinage commencè- rent à subir les premières atteintes de la peste, qui dans les cin- quième et sixième semaines se manifesta avec le caractère épi- démique. Cet incident montre tous les obstacles contre lesquels le gouvernement doit lutter à Bombay.

b) Un fait intéressant à cause de son évidence, et qui concerne l’émigration des rats dans le quartier marqué « Esplanade », se présenta à mon observation. La partie ouest de ce quartier n’a qu'une population assez dispersée, étant occupée par des bâti- ments du gouvernement et d’autres grands édifices. Non loin sont situés la majorité des hôtels de Bombay. Jamais la peste ne devint épidémique dans cette partie de la ville. Dans la onzième semaine qui suivit le commencement de l'épidémie à Mandvie, j'allai examiner une petite apparition de peste parmi les rats dans un dépôt appartenant à un de ces hôtels. Trois jours avant, le garde de nuit, en station sur le trottoir près de J’hôtel, remar- qua aux premières heures du jour un rat malade, se traînant

720 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

dans la rue vers l’hôtel, et venant de la direction de Mandvie. La religion de cet Indou lui enseigne la charité vis-à-vis des animaux; aussi, voyant que le rat était trop faible pour grimper sur le trottoir, et qu'il n’y parviendrait jamais seul, il l’y aida, et l'animal semblant comme perdu sur ce trottoir, il le plaça dans l'égout qui court entre le dépôt et un autre bâtiment. Trois jours après, des rats (je crois qu'il y en avait huit) furent trouvés morts de peste dans le dépôt en question. Le dépôt fut immédiatement désinfecté par l’hypochlorite de chaux. Aucun cas de peste ne se manifesta plus. C’est le seul cas que je pourrais citer linfection des rats dans une localité de Bom- bay ne fut pas suivie de la peste parmi les hommes.

c) On observera que la plupart des quartiers centraux de la ville furent infectés de la peste dans la onzième ou douzième semaine environ, tandis que le quartier de Walkeshwar ne souf- frit de la peste épidémique que dans la dix-huitième semaine. L’explication de cette interruption dans la propagation de la maladie est celle-c1 :

Les quartiers centraux de la ville sont situés en contre-bas. Walkeshwar est sur une colline. Que ce soit ou non la cause du retard, le fait est que les rats infectés n’arrivèrent dans ce quar- tier que peu de temps avant l'apparition de la peste parmi les hommes. À ce moment, il y eut une émigration marquée de rats dans ce quartier. (Voir le rapport de M. Snow, p. 10.) Le pré- posé à la salubrité, dans son rapport (p. 143), dit qu’antérieure- ment à l'apparition de la maladie sous la forme épidémique à Walkeshwar, de grandes quantités de rats morts ont été trouvés sur les sentiers dans la direction de la colline.

d) À Upper Colaba, il y a une exception apparente à la règle de l’émigration graduelle des rats précédant l'apparition de la maladie parmi les hommes. Comme il est montré dans la carte, la maladie dans ce quartier ne commença que dans la vingt et unième semaine, quoique dans le quartier voisin elle se montra dès la cinquième et la sixième semaine. Mais dans la vingtième semaine, je visitai cette localité à propos d’une appa- rition de la peste parmi les « bandicoots », espèce de rat de grande taille. Je recueillis, pour y chercher les microbes de la peste, des échantillons d’eau, de terre, etc., dans une maison bien construite et bien aérée les bandicoots mouraient. La

PROPAGATION DE LA PESTE. 121

seule personne qui fut frappée de la peste fut un domestique qui s'occupait de la désinfection de la maison chaque jour, et était chargé d’écarter les rats.

e) Lorsque la peste commença pour la première fois à s'étendre hors de Mandvie, les maisons aulour de la prison de Oomercarrie, près de Mandvie, furent affectées. Les prisonniers, cependant, restèrent en bonne santé. A cette occasion, des explications variées ont été proposées concernant l’immunité des prisonniers. Les uns l’ont attribuée à la bonne nourriture, d’autres au blanchiment de la maison au lait de chaux et à l'aménagement intérieur ; d’autres encore, à l'absence d’encom- brement. Personne ne songea que l’immunité püt être due au fait qu’à cette époque les rats de la prison étaient eux-mêmes exempts de toute infection. Finalement, l'épidémie atteignit les quartiers centraux de la ville, se trouve une autre prison connue sous le nom de Byculla House of Correction. Cette prison était dans un bon état sanitaire, avec des murs blanchis à la chaux et aussi peu encombrée que l’autre. Toutes les mesures hygiéniques possibles furent appliquées, sauf la destruction des rats; mais, finalement, les rats de cette prison commencèrent à être atteints de la peste, et bientôt après la maladie éclata chez les hommes. Sur un chiffre moyen de 345 prisonniers, 32 furent atteints de la peste, c’est-à-dire un sur dix, environ, bien qu’en raison de l'isolement rapide des cas suspects, 1l y avait peu de chance de contamination directe d’un malade à l’autre.

Ainsi, Les faits actuels et incontestables concernant la pro- pagation de la peste d’un quartier de la ville de Bombay à un autre me paraissent imposer cette conclusion : que les rats eurent un rôle beaucoup plus important que les hommes pour la diffusion de la maladie.

De semblables preuves paraissent exister en ce qui concerne la ville de Kurachi. En voici le récit par M. Snow : « Précisé- ment, les mêmes phénomènes ont été observés à Kurachi au sujet des rats pendant la récente épidémie. Depuis le mois de décembre, on a remarqué des cadavres de rats dans le voisi- nage de plusieurs maisons contaminées, Dans une des rues principales qui traversent le bazar, des centaines de rats morts

41. Six jours après, je fus atteint de peste légère avec bubons inguinal, fémo- ral et axillaire.

46

122 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ont été trouvés dans le courant de la première semaine de février. À cette époque, de mème qu’un peu plus tard, la peste fit de grands ravages dans la ville. La marche envahissante des rats à Kurachi se fit de l’ouest à l’est, et l’apparition ainsi que le développement de la peste dans les différents quartiers coïncida avec l'émigration de ces animaux. » Voici la conclusion de M. Snow sur le rôle des rats dans la propagation de la peste dans une grande ville :

« Les faits spécifiés ci-dessus ont une grande importance et sont instructifs en ce qui touche la propagation de la peste ainsi que l'efficacité des mesures prises pour l’enrayer. En effet, ilest difficile de voir comment les mesures de désinfection ou lisole- ment des malades pourraient être efficaces avant que l’émigra- tion des rats ait cessé, et tant que les localités infestées ne sont pas délivrées de ce fléau mouvant. Il est clair que si des mesures sérieuses et énergiques ne sont pas prises pour la destruction en masse des rats ou pour entraver leur immigration, il sera impos- sible de circonscrire à son début la propagation de la peste dans une grande ville. Il est extrèmement improbable que des mé- thodes efficaces soient jamais découvertes pour se défendre contre cette importation due aux rats. Tant que l’émigration, qui a duré à Bombay plusieurs mois dans les différents quartiers, a été en progressant, les avantages obtenus par la séparation et l’isotement des malades ont été réduits à presque rien. »

Dans une autre partie de son rapport, M. Snow se réfère au fait bien connu que dans une maison infestée de rats, après la destruction de quelques rongeurs par le poison, les survivants semblent éprouver une véritable panique et quittent la maison pour plusieurs mois. Aussi longtemps que les rats auront cette habitude, toute méthode employée pour les détruire provoquera leur émigration et, par mème, favorisera, en temps de peste, la diffusion de l'infection.

IL. On a observé à plusieurs reprises à Bombay que, parmi les membres d'une même famille frappés de la peste, le mal s'attaquait exclusivement à ceux qui avaient prêté la main à l'enlèvement des cadavres des rats. L'honorable M. Wadia, gentleman Parsi qui occupe plusieurs milliers d'ouvriers dans ses moulins, m'a raconté un cas frappant. Une quantité de rats

PROPAGATION DE LA PESTE. 123

morts furent trouvés dans un de ses magasins. Parmi les secré- taires et les autres personnes qui visitèrent le bâtiment, aucun ne fut atteint. Ce qui prouve, comme le fait remarquer M. Wadia, que l’air n’était pas infecté. Cependant, sur vingt coolies qui furent occupés à l’enlèvement des rats morts et au nettoyage des magasins, douze furent, quelque temps après, frappés par la maladie.

Bien que dans maintes occasions les rats pestiférés se soient montrés très dangereux, il ne faudrait pas en conclure qu’il en soit toujours ainsi, ainsi que je le montrerai par des exemples dans une autre partie de ce travail.

IT. Un incident suggestif m'a été communiqué par le profes- seur Muller. Pendant qu'il recherchait s’il existait des pestiférés dans le village de Mahim Bhundarwada en février 1898, il obser- va qu'au moins un chat vivait dans chaque maison. Un habitant qui en possédait trois répondit à ses questions que les chats chas- sent les rats et que les rats apportent la peste. C’est pour cela que lui et les membres de sa caste avaient décidé d'installer des chats chez eux. Le professeur Muller n’a affirmé que ce district est resté à peu près complètement indemne de la peste alors que la plupart des distriets voisins en étaient infectés. Plusieurs sujets atteints de la peste ont bien pénétré dans le village, et il y eutun ou deux cas sporadiques, mais jusqu'à présent (juillet 1898) la peste n’a pas existé à l’état d’épidémie dans cette localité. Pour donner à cet exemple une valeur scientifique, 1l serait nécessaire de faire le recensement des chats de ce village et celui des chats existant dansles districts voisins dévastés par la peste. D'ailleurs s’il était établi que les chats ont eu dans ce cas une action bien- faisante, il ne s’ensuit pas qu'il en serait de même dans tous les cas. Il est évident qu'un enfant en jouant avec un chat qui vient de tuer un rat pestiféré pourrait aisément contracter le germe de la maladie. De plus, on rapporte que les chats tombent malades dans les districts les rats meurent de la peste. (Voir le rap- port du préposé sanitaire, p.62, 63 et 143). Aucune preuve bac- tériologique n’est venue démontrer que ces chats souffraient de la peste. Cependant, non seulement à Bombay, mais aussi dans le village de Worlee, au nord de Bombay, et dans la ville de Jawa- lapur, dans les provinces nord-ouest, j'ai vu des chats malades,

124 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Dans les deux derniers endroits, mais pas dans le premier, il m'aparuqu'ilétait possible qu’ils souffrissent seulement dela faim,

A"

Si l'infection d’une localité est due en grande partie aux rats, on conclura qu'il sera difficile d’enrayer la contagion par des désinfectants, car une maison désinfectée est toujours sujette à la réinfection. Aussi est-il extrêmement difficile de prouver péremptoirement l'utilité des désinfectants ou d’autres mesures analogues contre la peste. Voici les arguments pour et contre, que j'ai pu recueillir sur les désinfectants.

I. En ce qui concerne Bombay, il est établi que la désinfec- tion, pratiquée avec une profusion qui n’a jamais été égalée dans l’histoire de l'hygiène, n’a pu s'opposer à la propagation de la maladie dans tous les quartiers de la viile.

En février 1897, alors que opinion publique prétendait que les progrès de la peste étaient dus à l’inertie de la municipalité composée en majorité d'indigènes, le conseil municipal n’occu- pait pas moins de 30,966 personnes spécialement embauchées pour le nettoyage et la désinfection des égouts, des rues, des maisons, etc. (Voir le rapport du commissaire municipal, p. 26.) Ce nombre serait l’équivalent d’une armée de 200,000 canton- niers supplémentaires pour une ville comme Londres.

Des mesures énergiques ont été prises dès que la peste eut une allure épidémique, (dans le district de Mandvie en septem- bre 1896). On a des raisons de supposer que des cas isolés de peste s'étaient produits quelques mois antérieurement. (Voir le rapport du commissaire municipal, p. 1 et 3.) La question n'est pas de savoir si la propagation de la maladie après ces cas isolés aurait pu être empêchée par la désinfection et les mesures d’hy- giène, mais si les désinfectants sont capables d'arrêter l'épidémie répandue par les rats. On sait que les rats ne moururent pas en grande quantité à Mandvie avant la fin de septembre 1896, et que ce fut alors seulement que la maladie se manifesta avec le carac- tère épidémique parmi les hommes. L'existence de la peste à- Bombay ne fut connue définitivement que le 23 septembre. Dans un rapport daté du 30 septembre, M. le Docteur Weir, chef de

PROPAGATION DE LA PESTE. 125

la santé, décrit les mesures rigoureuses qui furent prises pour enrayer la maladie. Elles comprenaient notamment la destruction par le feu dela literie, les vêtements et d’autres objets suspects, ainsi que la désinfection des chambres et des maisons à l’inté- rieur et à l’extérieur. On y ajouta l'isolement des malades, l'exposition à l’air ou la destruction du grain suspect, etc.

Je visitai quelques-unes des maisons les plus gravement in- fectées au commencement d'octobre. J'ai vu les solutions d'acide carbolique répandues sur les murs et les plafonds avec une telle profusion, au moyen de pompes à incendie, qu'il était devenu nécessaire d'ouvrir un parapluie pour pénétrer dans les maisons. Aucune panique ne s'était encore produite dans la population, et à cause de cela, pendant quelque temps, le peuple ne cachait pas les cas qui survenaient.

Dans son rapport du 30 septembre, le chef de la salubrité publique a justement estimé la situation en disant que ces mesures étaient de « simples palliatifs ».

Dans le courant de novembre, les égouts d’une petite partie du district de Mandvie et de ses alentours, comprenant 180 maisons infectées, furent journellement désinfectés à l’aide d’une solution d'acide carbolique. 13,500 mètres cubes par jour furent répandus à cet effet. (Voir le rapport du commissaire municipal, p. #1.) Comme la maladie prenait de extension, il fallut avoir recours à la chaux vive, employée à profusion. On eut la preuve que ce produit était impuissant à entraver le développement de la peste, etil cessa bientôt d'êtreconsidéré comme un désinfectant eflicace.

En plusieurs cas, un blanchissage à la chaux avait été opéré par mesure de précaution avant l’apparition de la maladie. C’est ce qui eut lieu dans presque tout le district de Kamatipura. Plusieurs maisons furent blanchies trois fois.

Le chef de la santé publique dit que «sile badigeonnage à la chaux ponvait arrêter le développement de la maladie, 1l aurait l'empêcher à Kamatipura ». Les épreuves accumulées jus- qu'ici démontrent que la chaux n’a aucune efficacité. Dans le district cité, jusqu’au 2 mars 1897, on observa que sur la totalité de 422 cas de peste, il s’en était produit 89 dans des maisons ayant subi plusieurs badigeonnages complets. Ainsi Kamatipura, les maisons avaient été le plus souvent blanchies, fut l’un des quartiers les plus gravement éprouvés de la ville.

126 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Dans certains cas la chaux vive fut employée mélangée au sublimé corrosif, au chlorure de chaux ou à l'acide carbolique, Il se produisait ainsi un mélange plus ou moins inerté ; mais ce ne sont que des cas isolés qui ne peuvent infirmer les preuves de Pinutilité de la chaux pour arrêter la peste.

La chaux a l'inconvénient, au point de vue chimique, de neu- traliser la plupart des désinfectants avec lesquels on la met en contact et d’absorber rapidement l'acide carbonique : Elle devient ainsi inerte. La chaux présente encore un inconvénient au point de vue bactériologique ; le bacille de la peste y résiste facilement, ainsi qu’à l’action d’autres alcalis. Ce bacille est très sensible par contre à l'action des acides. Dans les expériences de laboratoire, ce microbe est détruit même par les solutions diluées de certains acides organiques. Pour empêcher la réinfec- tion d’une maison, les désinfectants qui possèdent une action plus durable que la chaux vive doivent être préférés en cas de peste.

De pareilles indications @nt été obtenues à Poona. A la suite de l'introduction du lavage à la chaux et d’autres mesures prophylactiques, l'épidémie décrut rapidement. Quelques-uns y ont vu la preuve de l'efficacité des mesures sanitaires ordinai- res pour entraver la maladie. Cependant au bout de quelque temps, en dépit d'une plus grande profusion de chaux vive et de désinfectants variés, l'épidémie éclata et se développa dans la ville entiere avec plus d'intensité que jamais.

Toutefois, par l'examen du tableau suivant qui montre que la maladie éclata dans d’autres villes avec plus de violence qu'à Bombay, on peut présumer que les mesures générales adoptées ne furent pas sans utilité.

: Mortalité par la peste. DATE. NOM DE LA VILLE. | Population. | —— -

Totaux. |Par 1.000 hab. AS AS Sent Marseille "2774 ? 57.000 1790 ere RE ES ee 247.000 | 86.000 348 TICDS REA E PONATES RATER 250.000 | 33.347 133 GPA EE EE VÉARENIERR 320.000 | 41.313 129 LG05:. ee UE ARR U ES 460.000 | 68.596 149 PANETTIERE Bombay ee 2 846.000 | 19.849 23

La différence en faveur de Bombay devient plus sensible si

Te Te

PROPAGATION DE LA PESTE. 127

on considère que les habitants de Londres et de Marseille sont habitués à porter des chaussures, tandis que la grande majorité des habitants de Bombay va pieds nus et se trouve, par cette raison, probablement plus exposée à la contamination.

On peut objecter que les chiffres cités montrent simplement que l'infection de la peste est peut-être plus grave dans les cli- mats tempérés qu'aux Indes. Cependant en 1690, les manifesta- tions de la peste à Bombay furent si violentes que la ville fut désertée et ruinée. Sir James Campbell, parlant dans le Bombay Gazetteer de cette apparition, dit : « Sur 800 Européens, 50 seule- ment survécurent : 6 civils, 6 officiers et un peu moins de 40 soldats anglais. Il ne restait plus qu’un seul cheval en état d’être monté et une seule paire de bœufs à atteler. Bombay, citée auparavant comme la plus agréable des villes de Inde, fut transformée en un désert de désolation. »

Bien qu'aucune conclusion absolue ne puisse être tirée sur l’efficacité des mesures sanitaires, cependant un fait peut être retenu qui résulte du chiffre des morts dans les diverses épidé- mies, à savoir que l'épidémie de Marseille en 1720 fit quinze fois plus de ravages que celle de Bombay et que la «grande peste de Londres » de 1665 fut six fois environ plus violente.

La peste éclata de nouveau à Bombay pendant l'hiver de 1897-1898, causant une épidémie un peu plus grave que la pre- mière, et la ville n’est pas encore entièrement délivrée du fléau.

IL. M. Simond m'a communiqué une observation d’où il résulte que les amis de malades qui avaient accompagné ces derniers dans un hôpital insuffisamment désinfecté semblaient avoir été contaminés dans l'hôpital même. Après l'emploi plus complet des désinfectants, la contamination cessa. M. Simond a constaté à cette occasion que les rares cas d'infection qui se produisirent à l'hôpital ne furent pas imputables à la contagion par les rats.

III. Nous avons déjà cité le cas d’une apparition de la peste parmi les rats dans un dépôt attaché à un hôtel où, des mesures énergiques de désinfection ayant été prises, aucun Cas ne se déclara plus parmi les hommes. Le succès s’explique ici par ce fait que le bâtiment en question était fort bien construit et pos- sédait un sol de pierre. Quoique fréquenté par les employés de l'hôtel, ce dépôt n’était pas habité.

728 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

IV. Un journal médical rapporte qu’un grand édifice religieux (tikhana) a été détruit pour cause d'infection par la peste. La démolition s'étant opérée sans qu’on fit usage de désinfectants, on constata que sur vingt coolies occupés à ce travail, cinq furent, dit-on, touchés par la maladie. Dans beaucoup d’autres cas, la démolition de bâtiments qu’on avait eu soin de désinfecter au préalable ne fut suivie d'aucun effet fâcheux sur les ouvriers.

V. Le tableau 4 montre la distribution de la maladie à Sewree, village situé au nord-est de Bombay et habité par 600 personnes environ. Le premier cas a été relevé le 12 décembre. Jusqu'au 27 janvier, 52 cas s’y produisirent. Ce jour-là, un étang situé près du village, dans l’eau duquel j'avais découvert le microbe

e cas mortels de peste. ° Cas terminés par la guérison.

Plan du village de Sewree. (Ile de Bombay.)

de la peste, fut désinfecté par l’acide carbolique. Après cette date, peu de cas se produisirent dans le village, peut-être même aucun. La population, bien que diminuée, n’avait pas complète-

PROPAGATION DE LA PESTE. 129

ment disparu et ne descendit jamais au-dessous de 350 âmes. (Rapport du général Gatacre, président du comité de la peste, p- 190.) Ce fut le seul lieu je réussis, après un travail de plusieurs mois, à découvrir le bacille de la peste dans des subs- tances suspectes. L’étang dont il s’agit contenait de l’eau salée qui, naturellement, n'avait pas été bue. Ses rives servaient de latrines et les villageois utilisaient l’eau pour se laver après la défécation. Les hommes en usaient plus que les femmes du vil- lage, ce qui explique que la plus grande partie des individus atteints furent des hommes. En d’autres lieux, la peste se si- gnala en détruisant des familles entières; mais à Sewree, comme cela est indiqué sur le plan, il n’y eut qu’un ou deux cas par maison. Ce fait exceptionnel concorde avec l’idée que quelque cause extérieure et exceptionnelle, telle que l’étang infecté, était entrée en jeu. Simultanément, avec la désinfection de l’étang, deux cents coolies furent employés au nettoyage et à la désin- fection du village. Il semble que la maladie avait déjà commencé à diminuer avant Parrivée des coolies.

Bien qu'on ne puisse pas tirer de conclusions certaines de ce qu'un grand nombre d'habitants restèrent indemnes, il parait cependant probable qu'ici la désinfection fut utile.

Même si on accepte cette conclusion, elle n’infirme en rien la règle générale que, dans les conditions qui existent aux Indes, on ne peut guère obtenir d'effets sérieux contre la peste par l'emploi des désinfectants, lorsque la maladie sévit sur les rats.

Quelques autres cas ont été invoqués tendant à montrer que la peste a été arrêtée dans son essor par les désinfectants, mais ils me paraissent moins satisfaisants comme valeur probante que ceux que je viens de citer.

Dans un cas, par exemple, la population normale d’un vil- lage se montait à 5,493 âmes. Lorsque, après la fuite des habi- tants, la population se trouva réduite à 176 personnes qui n'étaient pas restées dans les quartiers sérieusement infectés du village, une équipe de 270 coolies fut occupée à désinfecter à la chaux. Six semaines plus tard, lors de la réoccupation du vil- lage, l’épidémie avait totalement disparu. Cette disparition n’est pas nécessairement due à l’action de la chaux.

730 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

VI

On a généralement supposé que le manque d’aération con- iribuait au développement de la peste, et que, pour préserver les maisons et les marchandises de l'infection, il était nécessaire de les exposer librement à l’air. Il faut examiner si les effets de la ventilation sont tels qu'ils permettent de conserver l’ancienne notion que la peste résulte d’un état de corruption de latmo- sphère, et s'ils s’opposent à la théorie qui assigne aux rats un rôle important dans la propagation de la peste dans une grande ville.

I. Au cours des premières semaines de l’apparition de la peste à Bombay, la maladie fut presque absolument circonserite aux marchands de grains et aux locataires habitant au-dessus de magasins de grains. Cette constatation fit croire à certaines personnes que la maladie résultait de quelque particularité dans la ventilation. Elles supposèrent que les courants d'air amenaient le microbe des magasins de grains de Port Trust Estate (contigu à Mandvie). A l'appui de cette thèse, on remarqua que la plu- part des cas s'étaient produits dans les étages supérieurs des maisons, et notamment dans les maisons d'angle plus exposées aux courants d'air, qu’on supposait chargés du microbe infec- tieux. Ces observations, fussent-elles exactes, iraient à l’encon- tre de ce qui fut observé au cours d’autres épidémies de peste.

Par exemple, à Malte, en 1813, le docteur Milroy remarqua qu'à La Valette la maladie se déclarait plus rarement chez les locataires des étages supérieurs, les maisons sont hautes et aérées, que chez les habitants des rez-de-chaussée. Cette convic- tion de la nocuité des étages supérieurs, ancrée dans l'esprit des habitants de Bombay, amena le chef de la santé, le docteur Weir, à diriger ses investigations dans ce sens. Il reconnut que cette idée, imaginée pour le cas de Mandvie, était complètement erronée. D'autre part, il établit que, comme à Malte, dans la majorité des quartiers de la ville, le nombre des pestiférés était bien supérieur dans les rez-de-chaussée, et que les cas devenaient plus rares à mesure qu’on s'élevait aux plus hauts étages.

_ La seule exception à cette règle est celle présentée par l’ar- rondissement B, qui comprend Mandvie et les quartiers adjacents.

PROPAGATION DE LA PESTE. 131

Dans ce cas, il y avait un plus grand nombre d’attaques au pre- mier étage qu'au rez-de-chaussée et aux autres étages. L’expli-

= LC 1819

400

300 d

109

rez de'ch. Aer'ét- 2e ét. 30 ét. 4e ét. 5e ét. 6e ét Diagramme n°5, Ligne pointillée : nombre de cas de peste à chaque étage dans les maisons de l'arrondissement sanitaire B (Mandvie, Chukla, Umarkavi, Dongri).

Ligne pleine : nombre de chambres à chaque étage dans les maisons infectées de Mandvie-Bundar.

cation en est très simple: c’est que, dans ce quartier, les rez-de-chaussée, presque tous occupés par des dépôts de grains, comptent très peu d'habitants. Pour cette raison, il est naturel

7132 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

qu'on ait constaté le plus grand nombre d'attaques aux étages supérieurs. Par exemple, 46 maisons de Mandvie-Bundar comptent au rez-de-chaussée 86 chambres de dépôts et plusieurs boutiques. Mais, même dans ce quartier, 1l ÿ a plus de malades au premier étage qu'au second, au second qu’au troisième. N'est-ce pas ici, dira-t-on, une preuve palpable de lutilité de l’aération? N'est-il pas évident queles habitants des étages supé- rieurs sont plus exposés aux libres courants d’air que les habi- tants des rez-de-chaussée? Mais il est nécessaire de faire’ des réserves avant de tirer ces conclusions.

N’est-il pas possible aussi que le grand nombre de cas obser- vés aux étages inférieurs doive être attribué à ce que ceux-ci renferment plus d'habitants, et non à un défaut d'aération? J'ignore combien de personnes demeuraient à chaque étage de ces maisons contaminées, mais les tables qui sont en ma pos- session donnent le nombre de chambres par étage. J'ai additionné le nombre des chambres et le nombre des cas de peste à chaque étage, et porté le total dans le diagramme (n° 5). On verra un rapport précis entre le nombre des cas et celui des chambres à chaque étage. Done, si les chambres en général sont également habitées, les courbes indiquent que les chiffres des attaques à chaque étage sont à peu près exactement proportionnels aux chiffres des habitants. L’assertion contraire, c’est-à-dire l’idée que les chambres plus élevées sont plus encombrées, est très peu probable. Ces chiffres ne donnent donc aucun appui à l'idée que la ventilation ait une importance en ce qui concerne le nombre des pestiférés.

IT. On a fréquemment prétendu que l’agglomération des locataires dans les maisons mal aérées contribuait, pour une grosse part, à l'extension de la contagion de la peste. Il est évi- dent que l'encombrement peut agir de deux façons: première- ment, dans les locaux encombrés, l'élément infectieux peut se trouver dans des conditions de développement plus favorables et s’y conserver plus facilement ; deuxièmement, dans un local encombré, il y a plus de sujets soumis aux risques d'infection.

Si la dernière supposition est la vraie, on devrait s'attendre à trouver que le nombre des cas de maladie et la densité de la population dans chaque district sont simplement proportionnels.

PROPAGATION DE LA PESTE. 133

En d’autres termes, le nombre des attaques serait proportionnel au nombre des habitants par kilomètre carré. Si la première supposition est exacte, au contraire, on trouverait que le nombre des cas et la densité de la population ne sont pas dans

0 10 20 30 40 50

It Nagpada CERN LMD Kharatalao crus - Byculla EEE SES H 214 Nagpada ms û Khumbarvada = È Chagla 7“ ÜUmarkhaiq— Î Bhuleswar. ÿ DONRR ANNEES : Fort North mm Î Tardeo ris Upper colaba œ— ! Market = H Dhotibalao mme ; Esplanade = Ë Parel j Mandvie creme Khetvadi j Kamatipura à Fanaswadi ms ; Girgaum mm | Tarvari cernes Mazagon cree dues Mahaluskmi rss Chaupati == ; Power Colaba Worfi Ds | Walkeshivar és Fort South = !i Sion a Sewree EG Mabhim CR RESREERRE EE

Li at

OBS ONUT EN 0 Diagramme n°6. Ligne pointillée : nombre moyen d’habitants par maison dans chacun des 32 quartiers de la ville de Bombay, de Nagpada le chiffre est de 45, 4, à Se-

wree et Mahim le chifire est de 6 à 7 seulement. Ligne pleine : morts par la peste sur 1,000 habitants pendant l'épidémie

de 1596-1897.

ce rapport simple, mais que le chiffre des attaques est en pro- portion plus considérable.

Les chiffres donnés par les rapports officiels sur lajpeste de Bombay tendent à démontrer qu'aucune de ces hypothèses n'est exacte. Voici les preuves à ma disposition :

7134 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

a. Comment calculer l'encombrement ?

En premier lieu, on peut obtenir un résultat en comparant la peste-mortalité par 1,000 dans les différents districts de l’île de Bombay avec le nombre moyen des habitants par maison dans chacun de ces districts. C’est le calcul que j’ai établi dans le diagramme 6.

Des données fournies par les rapports officiels’, j'ai tiré le nombre moyen des habitants par maison dans chacun des 32 districts qui se partagent l’île de Bombay. J'ai classé les districts dans le diagramme, suivant l’ordre de l’encombrement décroissant. En haut du diagramme se trouve le district de « First Nagpada » avec le plus grand nombre des habitants par maison, en moyenne #5. Au bas se trouvent les districts de Sewree et Mahim contenant les nombres les plus petits (en moyenne 6 et 7).

A côté du nom de chaque district, j’ai tracé une ligne hori- zontale dont la longueur représente la peste-mortalité par mille dans le district correspondant. On voit immédiatement que les districts dont les maisons contiennent le plus grand nombre d'habitants ne sont pas ceux il y a eu le plus de peste. Une des mortalités les plus élevées se trouve dans un district (Kamatipura) dont les maisons contiennent un nombre moyen de 21,72 habitants par maison. Les trois districts dont les maisons contiennent le plus petit nombre d'habitants se trouvent parmi les plus atteints. Done, il n’y a aucun rapport entre l'intensité de l'épidémie et le nombre d'habitants par maison.

b. Mais on peut contester que ce soit une juste appréciation de l'encombrement. Les maisons contenant le plus grand nombre d'habitants peuvent ètre mieux construites et avoir des chambres plus grandes. Une autre méthode pour estimer l’en- combrement, et à laquelle cette objection ne peut être faite, consiste à comparer Fespace par habitant dans les différents districts. Malheureusement, les rapports officiels ne contiennent pas à ce sujet de renseignements suffisants pour qu’il soit pos- sible de faire le calcul avec exactitude.

Le rapport du chef de la santé publique (p. 148) fournit le

1. Le nombre des maisons dans chaque quartier est donné dans la carte de Bombay, jointe au rapport du général Gatacre, président du comité de la

peste.

PROPAGATION DE LA PESTE. 7139

nombre de yards carrés par maison, dans six quartiers de Bombay ‘.

Dans le diagramme 7 j'ai disposé ces six quartiers d’après la grandeur de l’espace attribué à chaque individu. A gauche du diagramme, j'ai placé Tardeo et Oomercarry, quartiers chaque personne occupe 41,8 yards carrés. Progressivement

50 1 40 û 20 L \ 1) » v L 30 \ 15 L $ Ü ) L 20 : 4 \ L \ 10 - w D] (e] 9 s Ce co T Go) + £ ao so = a Lo] Le] œ ce. nf Et [=] Q eu] + Lu = Lo] > + = Lu] qm Ts Le) æ os m # Fe] TD œ = © Gel Cl a = =] E+ = = a C2

Diagramme 7 Ligne pointillée : nombre de yards carrés par habitant dans chacun des six districts de la ville de Bombay. Lignes pleines : nombre de morts dans chacun de ces six districts.

vers la droite j'ai placé les quartiers dans lesquels l’espace par personne est le plus réduit, finissant par Khara Talao l’espace par personne est de 7,22 yards carrés.

Ces chiffres sont indiqués par une ligne ponctuée. Au-dessus de chaque quartier j'ai, comme avant, tracé une ligne verticale dont la hauteur représente le degré de peste-mortalité pendant

4. Pour deux quartiers les chiffres donnés sont en désaccord avec ceux d’une autre table, p. 184, mais la différence n’est pas assez sensible pour infirmer l'ar- cument.

Le]

736 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

l'épidémie de 1896-1897. On verra d’un coup d’œil qu’il n'existe aucune relation entre le nombre des « yards » carrés par personne et l'intensité de la peste dans ces six quartiers.

Il semble que les chiffres donnés pour ces districts ont été choisis pour donner un exemple de l'encombrement à Bombav. Il est à présumer qu'ils se rapportent aux quartiers les plus

700 \ 30 \ \ \ \ 850 \ 25 \ \ » 600 4 n 20 4 550 : ? L 1 15 \ 4 0 Le (] 500 à 10 \ \ \ \ \ 450 5 \ \ \ 400 Ô Lu Le] © T ü £4 a G] LU 4 Qu Le = ü = gs GJ M Er [=1 [e2 Er Eu n À so QI œ 4 + =] D nl Li 22 =) Li =] e Ce) S 2 ET = 5G is eo 2 a

Diagramme n°8. Ligne pointillée : densité de la population par acre dans cinq districts de Bombay, rangés par ordre de densité de population. Lignes pleines : mortalité par peste sur 1,000 habitants, de septembre 1896 à juillet 1897 inclus, dans chacun de ces districts.

populeux de la ville. On peut donc supposer que certains autres quartiers tels que Parel, Mahim et Sewree, la mortalité fut élevée, étaient moins encombrés que ceux mentionnés dans le diagramme. C’est ce qui est admis dans le rapport du général Gatacre (p. 248).

c. Dans le rapport du général Gatacre (p. 184), la densité de

PROPAGATION DE LA PESTE. 137

la population de cinq quartiers de la ville est spécifiée par acres, elle varie de 441,5 à 699,3. Pour montrer à quel point Bombay est encombré, on mentionne qu'à Londres le quartier le plus peuplé ne contient qu'environ 222 habitants par acre (550 habi- tants à l’hectare).

Ces chiffres ont été disposés comme dans un précédent dia- gramme (diagramme 8). En s’en tenant à ces seuls chiffres, il paraïîtrait que les quartiers les plus encombrés souffrirent

120 39 \ LT A1 è 9= 100 4 “2 \ A \ A \ oh 60 \ ag \ \ $ i\ \ ; \ 60 \ 15 \ \ 1 \ \ 40 ù 10 < - \ - DES = 20 SR É «| EN [0] 0 Ward E fl D A G J B

Diagramme ne 9.

Lignes pleines : mortalité par la peste dans chacun des arrondissements sani- nitaires de la ville de Bombay. Chaque arrondissement comprend plusieurs quartiers.

Ligne pointillée : Nombre de maisons par mille, dans chaque arrondissement, condamnées comme impropres à l'habitation humaine. La figure montre qu'il y a relativement peu de maisons insalubres dans les arrondissements la mortalité a été la plus élevée.

moins de la peste que les autres. On peut citer encore le chiffre élevé de la mortalité parmi la population disséminée des régions de Mahim, Sewree et Parel. On pourrait cependant prétendre qu’en faisant le recense- ment du nombre des maisons dans chaque quartier l’encom- 47

138 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

brement et l'hygiène défectueuse favorisent le développement des maladies, on obtiendrait des éléments de calcul plus précis qu'en prenant des chiffres qui ne visent qu'une condition parti- culière des habitations.

Heureusement de tels chiffres sont à notre disposition. Ils sont dus à un médecin d’un jugement et d’une expérience notoire. A la page 102 du rapport du chef de la santé, il est dit que le chirurgien lieutenant-colonel Kirtikar fut chargé spécialement de fournir un rapport sur les bâtiments impropres à l'habitation. A la page 110 du mème rapport, on trouve une table relatant le nombre des demeures inspectées par ce fonc- tionnaire et reconnues par lui « partiellement ou totalement impropres à l'habitation, du 27 janvier au 30 juin 1897 ». Il est probable que, pendant plus de cinq mois, le D' Kirtikar employa tout son temps et toute son expérience à visiter les quartiers insalubres de Bombay. Le rapport ne dit pas si le D' Kirtikar a déjà terminé son travail, maisil est juste de supposer que pendant ce temps son attention s’est portée sur les points de la ville des mesures urgentes devaient être prises. Le nombre total des logements déclarés insalubres s’est élevé à 1,903.:Tous les arron- dissements ont été visités par le D' Kirtikar. A l’aide de la table, j'ai calculé le nombre de logements déclarés malsains par mille maisons. J'ai fait le tracé des résultats dans le diagramme 9. Les valeurs obtenues sont indiquées par la ligne ponctuée. J’y ai ajouté le chiffre de morts par la peste dans chaque «arrondis- sement ». Ce qu’il y a de remarquable, c’est que la plus grande proportion des logements condamnés comme impropres à l’ha- bitation sont situés dans Les « arrondissements » de la ville qui n’ont pas été les plus sévèrement atteints par la peste. On constate que seulement 8,60 pour cent de logements condamnés étaient situés dans les arrondissements F et G, qui furent beaucoup plus sérieusement atteints que les autres.

III. Une autre série de faits qui peuvent ètre cités en faveur de l'efficacité de l’aération est l’immunité vis-à-vis de la peste dont jouissent certaines classes de la population.

Le chirurgien suppléant, capitaine G. S. Thomson, exerçant à Satara (dans la présidence de Bombay), signale l'immunité dont jouissent les mendiants vagabonds, sans abri, connus sous

PROPAGATION DE LA PESTE. 139

le nom de « byragees ». Ces mendiants ont des habitudes d'hy- giène personnelle déplorables, mais ils vivent constamment au grand air. Un recensement de 1881 fixe leur nombre au quar- ter de Satara à 9,485. Malgré ce chiffre important, le D' G.-S. Thomson, après une longue expérience, n'a jamais vu ni entendu parler d’un seul cas de peste dans cette population. L'immunité de ces gens qui vivent au grand air contraste avec la susceptibilité à la contagion des Brahmins de Saara qui, en dépit d’usages de propreté méticuleux, ne savent pas apprécier l'utilité de l'aération. Le chirurgien capitaine Thomson cite l'exemple d'un Brahmin, qui « avec sa femme, sa belle-mère, ses six enfants, dix buffles et trois bufflons vivaient pêle-mêle sur la même litière, toutes portes ou fenêtres closes ».

L’immunité dont jouissent les « byragees » ne doit pas être cependant exclusivement expliquée par leur vie au grand air. Elle peut être due aussi à l’observance de cette croyance reli- gieuse qui leur interdit d'entrer dans une maison infestée par les rats.

IV. Le chef de la santé publique parle dans son rapport (p. 174) de l'immunité remarquable des prostituées de Bombay qui résident principalement à Kamatipura, district des plus contaminés. En raison des exigences de leur métier, ces femmes tiennent ouvertes les portes et les fenêtres de leur maison la plus grande partie du jour et de la nuit. Leurs maisons sont donc mieux aérées que celles de leurs voisins de mœurs plus respectables. C’est là, semble-t-il, une preuve manifeste de l'efficacité de la ventilation. Mais cette immunité des basses classes de la société a été observée dans d’autres épidémies de peste, Baghurst, dans sa description de « la Grande Peste de Londres », dit : « Toutes les prostituées de Luteners Lane, Dog Yard, Cross Lane, Baldwin Gardens, Hatton Gardens et autres places, les camelots, crieurs d’oranges, d’huîtres, de fruits, etc., toute la populace des ivrognes et des miséreux res- tèrent indemnes. Très peu furent touchés mortellement. Ce qui justifiait le mot de Diemerbroeck « que la peste a épargné les corps pourris et a pris les sains »,

Procope, dans sa description de la peste sous Justinien, à Byzance (a. D. 543), dit : « Ut vere quis possit dicere, pestem illam,

740 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

seu casu aliquo, seu providentia, quasi delectu diligenter habito, sceleratissimos quosque reliquisse. Sed hæœc postea clarius patuerunt. » Nous n'avons pas la preuve que la population dont parlent ces anciens auteurs ait vécu dans des maisons mieux aérées que celles de leurs voisins. D'ailleurs, l’immunité des prostituées à Bombay ne fut pas absolue‘. Le chirurgien capitaine Thomson parle de l’immunité relative des marins. Il cite un cas qu'il a étudié spécialement, celui d’un matelot frappé de la peste. Il découvrit que le malade était resté, avant d’être atteint, une semaine entière chez une prostituée. La prostituée mourut elle- même de la peste, mais le matelot guérit. L’immunité des femmes publiques à Bombay ne peut donc pas être regardée comme une preuve de la valeur de la ventilation.

V. Le chef de la santé publique dit à la page 175 de son rapport : « que les boueux, malgré qu'ils travaillent mains et pieds nus dans la boue des maisons pestiférées, ont été, parmi les classes pauvres, les moins atteints. » Le nombre total de ces balayeurs chargés de la voirie et de l’enlèvement des boues et immondices (halalkalores et bigarries) se monte à un peu plus de six mille, dont la plupart (malheureusement on n’a pas les chiffres exacts) demeurent dans les bâtiments bien construits (chawls) appartenant à la municipalité. Ceux d’entre eux seule- ment qui habitent ces bâtiments jouirent d’une immunité rela- tive. Ceux, au contraire, qui habitent dans des maisons mal construites furent aussi gravement éprouvés que le restant de la population. (Rapport du chef de la santé publique, p. 174.) Cette immunité ne fut pas due au logement spacieux, car plu- sieurs de ces « chawls » furent très encombrés.

L'un d’eux était occupé par 800 personnes avec, en moyenne, sept habitants par chambre, et situé dans un quartier très infesté (Kamatipura). Il n’y eut qu'un cas douteux vers la fin de 1896. L'immunité ne fut pas due, non plus, au déplacement prompt

1. Un certain nombre d’Arabes résidant à Bombay avaient pris l'expérience de la peste dans les foyers endémiques de l’Arabie; ils ont, paraît-il, déclaré que la seule protection contre la peste était la syphilis. Boghurst, médecin qui écrivit sur la peste de Londres (1665), rapporte que plusieurs personnes eurent simultanément la syphilis et la peste, et qu’elles guérirent généralement. Il fait

allusion à une rumeur d’après laquelle des gens se seraient inoculés volontaire-

ment la syphilis pour diminuer le danger d’attraper la peste. (Voir Creighton, loc NC ip A675:)

PROPAGATION DE LA PESTE. 144

des malades, car, dans les rares cas qui se manifestèrent, les pestiférés ne furent pas isolés, mais soignés par leurs amis dans des chambres séparées du bâtiment ils avaient été atteints.

On a dit que les boueux étaient restés indemnes parce qu'ils avaient vécu dans des maisons mieux aérées. Ces maisons avaient bien des fenêtres, en effet, mais j'ignore si elles furent ouvertes plus souvent que les fenêtres des maisons mal cons- truites. Aucun chiffre n’est donné qui puisse nous éclairer sur le degré réel de cette immunité; mais, avant de conclure qu’elle fût due à l’aération, il ne faut pas oublier que les maisons bien construites, et exemptes de dépôt de grains, sont moins fréquen- tées par les rats que les maisons mal bâties.

VI. L’effectif de la police de Bombay est logé en partie dans des baraques bien construites et, en partie, dans de vieilles maisons indigènes. Le tableau suivant, extrait du rapport du chef de la Santé, montre le contraste frappant dans la suscep- tibilité des deux parties de l'effectif policier à l'égard de la peste.

NOMBRE DE PERSONNES ATTEINTES DANS LES ne

Baraquements de Vieilles maisons la police. de la ville.

AePolicereuropeenne.7t5004helacr. 0 1 2. Police à cheval, Musulmans........ 2 0 BR = ER HiNdous Ur Il 0 4. à pied, Musulmans.......... 0 af D. Hindous 666. he 1 98 6. Extra police, Ramoshis, Mahométans. 0 3 1h Hindous..... 0 38

Total : 4 151

n

Voici l'effectif de la police de Bombay, d’après les religions diverses. Chrétiens. Parsis. Juifs. Hindous. Mahométans. ToTaL. 82 7 I 1.603 538 2.231 Ce résultat tend, dit-on, à démontrer les effets heureux des maisons bien aérées. Mais, comme je l’ai fait observer, il ne suffit pas d’avoir des fenêtres, il est aussi nécessaire de les ouvrir, et rien ne prouve que les policiers qui habitèrent les baraquements aimaient plus que les autres le grand air. Le fait certain est que ces baraquements, mieux construits, étaient

742 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

moins favorables à l'établissement des rats que lès vieilles maisons logeait une partie de l’effectif de la police.

VII, On a mentionné le cas de la prison de Byculla, a éclaté une petite épidémie. Iei il est probable que la ventilation était aussi libre et l'encombrement aussi faible que cela est pra- tiquement possible. On peut donc arguer du petit nombre des cas pour conclure en faveur de la valeur de la ventilation. Mais on peut aussi conclure en faveur de la moindre virulence de la maladie dans un édifice bien bâti, présumablement les rats étaient moins à leur aise que dans les maisons des districts environnants.

. Dans les cas cités plus haut (V, VLet VIT), à propos des mai- “sons bien construites, outre l'absence des rats, nous devons retenir une autre cause d'immunité. C’est qu'il est plus facile de désinfecter de semblables maisons lorsque la peste s'y est montrée.

Ceux qui ont un peu étudié la peste savent que le mot « désinfecter » comporte deux significations : jeter des désin- fectants dans un endroit contaminé, ou purger cet endroit de toute infection. En ce qui concerne la peste, il arrive souvent que, seule, la première signification est applicable.

Plusieurs maisons de Bombay ont un sol en terre battue.

Dans une maison de quatre étages que j'ai visitée à Bom- bay, le sol de chaque étage était formé d’une couche de terre noirâtre d'une épaisseur de quinze centimètres environ, qui, sans doute depuis des années, s'était imprégnée de détritus organiques de toutes sortes. L'emploi d’une pompe à incendie déversant des désinfectants sur ces parquets particuliers m'avait paru utile parce que l'opération rendait la maison inhabitable. Je ne crois pas du reste avoir obtenu d’autre résultat.

Pendant mon séjour à Hurdwar, j'ai fait des expériences sur l'effet des désinfectants sur un sol de terre battue.

La table suivante donne sous une forme condensée les résul- tats moyens de ces expériences.

Sur 100 microbes présents dans un sol de bouse de vache et de terre mélangés, il s’en trouvait, vingt-quatre heures après le traitement :

PROPAGATION DE LA PESTE. 743

4. Sublimé au 10008, solution neutre................. 130 2, -— SOlUHLON. acide... Tree 1 s. Chlornredechaucaud(0e2..….......... 11" UMImARe 3105 4. Permanganate de potasse au 100e................. 85 5. Acide sulfurique au 100e..... D AU US SIREN 3) 6. Permanganate et acide sulfurique au 100€ chacun... 7 TAGde SuUuriqe Anal A NL . .,. n e 142 8. Acide carbolique commercial au 100e.......,..... 138 ANS G EURE ER RL. LUCE 220

D’autres observations, il ressort que l'impuissance de Pacide carbolique comme désinfectant ne doit pas être attribué à un pouvoir de résistance spécial des microbes qui existent dans un sol de terre et de bouse de vache, mais plutôt à la présence de quelque substance dérivée de la bouse de vache, qui neutralise l'effet de antiseptique. Naturellement, dans les expériences 2 et 6 quelques effets ont été obtenus, ceux-ci ont été limités à la surface du sol. Aussi longtemps que subsisteront à Bombay un aussi grand nombrede maisons ayant des sols de cette nature, il sera presque imprudent de compter sur le résultat de l’ap- plication des désinfectants.

Les maisons bien construites, au contraire, sont à l'abri de l'invasion des rats et, si la peste y est introduite, il est possible que l'emploi des antiseptiques enraye le développement de l’épidémie.

VIIL. C'est à ceux qui estiment que l’aération est l'unique remède à la propagation de la peste d’expliquer pourquoi les singes en sont atteints, eux qui vivent dans des conditions d'aération telles qu’il serait impossible aux hämmes de vivre de pareille façon. Plusieurs spécimens provenant de singes trouvés morts dans la ville de Kunkhal me furent envoyés. J'y ai trouvé des microbes typiques de la peste. Plus tard, lors de mon séjour à Hurdwar, j'ai trouvé des microbes de la peste aussi bien par l'observation que par la culture chez des singes trouvés morts à Jawalapur.

Un singe apporté vivant dans mon laboratoire mourut spontanément une demi-heure après son arrivée. Je ne trouvai rien à l'examen microscopique de ses organes. Mais, dans une abondante sécrétion nasale, je découvris des microbes innom- brables dont l’apparence était identique avec ceux de la peste.

744 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

L'inoculation dans les narines d’un rat d'une petite quantité de cette sécrétion amena la mort par peste typique, mais un. autre rat inoculé sous la peau avec cette même sécrétion sur- vécut. Le mucus nasal contenait donc des microbes de la peste. La culture à aussi démontré la présence du bacille pesteux dans les organes du singe.

Cela montre qu’un examen sommaire et trop rapide du cadavre du singe aurait pu faire méconnaître la cause réelle de sa mort, qui était bien la peste.

IX. On peut trouver encore des preuves bactériologiques en faveur de l’idée que le virus de la peste peut ètre détruit par l’aération: D'accord avec d’autres observateurs, j'ai trouvé que le microbe de la peste est tué après quelques heures de dessic- cation à l'air, en couche mince sur une lamelle; mais j'ai constaté au contraire que rapidement séché dans un courant de gaz hydrogène purifié et sec dans l’intérieur de ballons de verre, il demeurait vivant pendant cinq jours au moins. Occa- sionnellement j'ai remarqué que, pendant l'été, fort sec à Hurdwaar, le microbe de la peste était sujet à périr dans les cultures sur gélose en une quinzaine de jours, mais je l’ai retrouvé vivant dans une culture de Bombay hermétiquement scellée depuis sept mois.

Ce qui concerne l'influence de l’aération et de l’encombre- ment des logements peut être résumé comme il suit :

Un examen des données fournies par les rapports officiels montrent que les quartiers de la ville la population est la plus dense n’ont pas été plus gravement atteints de la peste que les autres.

Aucun rapport n'existe entre l'intensité de la maladie et le nombre moyen des habitants par maison dans les différents quartiers de la ville.

La plupart des logements déclarés insalubres étaient situés dans les quartiers qui furent le moins gravement atteints.

Parmi lés quartiers les plus violemment frappés, du moins dans la ville et l'ile de Bombay, il s’en trouva trois des moins peuplés, et les habitants sont le plus desséminés et vivent dans les maisons les plus espacées les unes des autres.

.. Un contraste remarquable existe entre limmunité dont

PROPAGATION DE LA PESTE: 745

jouirent les hommes de police et les boueux selon qu’ils étaient logés dans des habitations saines ou dans des maisons mal construites. Cette différence s'explique par ce fait que les habi- tations neuves sont moins envahies par les rats.

On voit qu'aucune des statistiques officielles relatives à la peste de Bombay de 1896-1897 ne peut être utilisée pour confirmer l'idée ancienne que la peste est le résultat d’une atmosphère viciée,et qu'on peut l’'empècher par une grande aération. D'un autre côté, ces statistiques confirment les conclu- sions du commissaire municipal de Bombay, et du chef de la santé publique, à savoir que lémigration des rats est l'agent de la propagation de la maladie le plus important dans une grande ville.

Bien que les chiffres utiles ne soient pas assez complets, ils montrent que l'état favorable au développement de i’épidémie ne consiste pas surtout dans le manque d’air ou de lumière ni dans l'encombrement, mais seulement en ce que les maisons affligées de ces défauts sont généralement mal construites et par conséquent plus accessibles à l’envahissement par les rats.

Les deux quartiers de Bombay qui ont échappé le plus complètement à l'épidémie sont Forth-South et Esplanade. Dans ces deux quartiers, les maisons sont construites en pierre {et aussi bien bâties que celles qu’on rencontre dans les meilleurs quartiers des grandes villes européennes, et ainsi peu favorables à l'établissement des rats.

Le quartier de Walkeshwar l'épidémie sévit plus cruelle- ment présente un exemple instructif,

Ce quartier, qui forme le faubourg le plus à la mode de Bombay, renferme de nombreuses maisons bien construites qui abritent des Européens ou de riches indigènes. En général, les attaques de peste ne se manifestèrent point dans ces maisons bien établies, mais seulement dans les petites maisons voisines mal bâties qui s’y trouvent également. Les rats qui émigrèrent dans cette direction peu de temps avant que la [peste devint épidémique avaient plus facilement trouvé asile dans-les petites maisons.

Les maisons espacées et peu habitées des quartiers de Sewree, Parel et Mahim, la mortalité fut énorme, consistaient surtout en cabanes obscures, et, il faut bien l’admettre, mal aérées, cons-

746 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

truites en bambou brisé, avec toits de nattes en feuilles de pal- mier. Mais, on ne pouvait rien imaginer de plus accessible aux milliers de rats dont on signala l’émigration vers ces quartiers. Quand on enlevait la toiture de ces cabanes, on trouvait fréque- ment des nids de jeunes rats entre les feuilles dont elle était formée.

VII

Nous envisagerons maintenant les considérations qui suggèrent que les rats, quoique présentant le plus grave dan- ger, ne sont pas nécessairement les seuls agents de propaga- tion de la maladie.

Lors de mon récent séjour à Bombay, j'ai appris que depuis l'épidémie de 1896-97 la maladie était restée endémique, non pas dans les quartiers les plus insalubres et les plus encombrés de la ville, mais à Mandvie et Lower Colaba, quartiers dans lesquels, grâce à la présence des dépôts de grains et de coton brut, les rats sont en plus grand nombre. On a prétendu que la peste s'y maintenait par le passage du virus d’un rat à l’autre. Lorsqu'un certain nombre de ces passages de virus a été fait, le microbe atteint assez de virulence pour attaquer les hommes. Cette hypo- thèse pourrait s'appuyer sur le fait cité plus haut de la persis- tance de la peste dans les quartiers de Bombay les plus peuplés par les rats. Mais cette hypothèse avait besoin d’être confirmée par l’expérience et, après plusieurs essais, j'ai obtenu un résultat contraire à mes prévisions.

A Bombay, j’ai travaillé sur un virus de peste parfaitement virulent, ainsi qu'à Hurdwar, mon virus était probablement plus faible, j'ai trouvé que, par le passage d'un rat à un autre, le microbe de la peste n’était pas renforcé, mais, au contraire, rapidement atténué. A la mort d’un rat inoculé de la peste, je me suis servi du sang ou de la rate de l’animal pour en inocu- ler un autre. De celui-ci je me suis servi pour inoculer un troi- sième rat..Si ce dernier rat meurt, on observera moins de microbes dans ses organes que dans les deux premiers. Il sur- vivra peut-être; mais s’il meurt, un quatrième rat à qui j'aurai inoculé de ses organes restera sûrement en bonne santé.

Ce résultat est d’autant plus remarquable que j'ai trouvé,

PROPAGATION DE LA PESTE. 747

conformément à des observations précédentes de Yersin, que le passage du virus chez les souris augmente la virulence de la peste. Mes expériences ont été faites avec des souris blanches.

Yersin je le tiens de lui-même employait des souris brunes pour ses expériences. Cette différence dans la façon dont le microbe se comporte chez les souris et chez les rats est aussi remarquable, parce que les rats dans la nature semblent être plus sensible à la peste que les souris.

À Bombay, selon plusieurs observateurs (voir le rapport du chef de la santé, p. 70) les souris restèrent indemnes dans les quartiers les rats succombaient à la peste en grand nombre.

J'ai appris cependant, par le chirurgien capitaine Ghilde, de Bombay, qu'il trouva une souris morte de la peste.

M. Simond m'a informé qu’il avait étudié une apparition de la peste à Bandora (près Bombay) les souris mouraient comme les rats. M. Bitter, du Caire, m'écrit qu'il constata qu'à l’occasion de l'épidémie de Djeddah les souris et les rats furent atteints par la peste. Lors de l'apparition de la peste à Kankhal et à Jawalapur, on n’y trouva que deux souris mortes, mais dans aucune je ne pus retrouver trace de microbes ressemblant à ceux de la peste. Les rats sont plus susceptibles à prendre la peste par voieintestinale que les souris, mais les rats eux-mêmes échappent à la maladie si on leur donne à manger des microbes qui ne sont pas extrêmement virulents.

En présence de ces résultats, la persistance de l’infection dans une localité ne doit pas être attribuée simplement aux passages de rats à rats avant que des recherches plus détaillées aient été entreprises. Les rats, comme nous l’avons montré dans la première partie de cette étude, peuvent transporter l'infection d'un quartier à un autre, mais il ne paraît pas qu'ils soient capables de maintenir la virulence du microbe. Un autre agent de propagation doit entrer en ligne. Il est possible que, pour rester virulent, le microbe doive passer du rat dans un autre milieu, sol ou eau stagnante, ou peut-être le corps d'un insecte, et de à un autre rat. En tout cas, il reste des recherches à faire avant d'émettre une opinion positive à ce sujet.

=] CS (ee)

ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

VII

Un autre fait montrant qu’un autre agent que les rats est nécessaire pour expliquer la persistance de l'infection de la peste, c'est que l'épidémie peut continuer à sévir avec violence chez les hommes longtemps après la disparition complète des rats.

Par exemple, dans le quartier de Walkeshwar, la peste ne devint épidémique que vers la fin de janvier 1897. Des rats étaient trouvés morts dans cette localité peu de temps avant cette époque. Vers le milieu de mars, au dire des habitants, on n'y voyait plus un seul rat (voir le rapport du commissaire munici- pal, p. 10). Cependant l'épidémie ne prit fin qu’un mois plus tard. Vers le commencement de décembre, presque tous les rats dispa- rurent de Mandvie, mais l'épidémie continua dans ce quartier jusqu'à mai.

Dans le courant du mois de janvier, le commissaire muniei- pal, au cours de ses recherches, trouva que les rats avaient quitté les quartiers du centre dg la ville où, comme à Kamati- pura, la peste continua jusqu’en mai.

Ceci montre que l'infection, ayant été introduite par les rats, peut continuer à l’état endémique quelque temps après la dispa- rition de ces animaux.

En admettant que les rats jouent un rôle important dans la propagation de la peste dans les grandes villes, telles que Bombay et Kurrachie, il n’est pas nécessaire de croire qu'ils jouent exactement le même rôle dans d’autres lieux les conditions de la vie ou du elimat, etc., sont différentes.

L'histoire de l'apparition de la peste, dans les villes de Hurdwar, Kankhal et Jawalapur, suggérait l'idée que, là, les rats jouèrent un rôle différent de celui qu'ils eurent à Bombay, dans la propagation de l'épidémie.

J'ai recueilli des renseignements dans les rapports ofliciels publiés à ce sujet dans La North West Provinces Government Gazette (24 juillet 1897, p. 211; 6 novembre 1897, p. 329, et 27 avril 1898).

Hurdwar est une petite ville, très sainte aux yeux des Hin- dous. Elle est située au point le Gange sort des montagnes de

PROPAGATION DE LA PESTE. 149

l'Himalaya. Des milliers de pèlerins, venus de tous les points de l'Inde, la visitent annuellement. Des fakirs, des prêtres, des personnages religieux ou trafiquant avec les pèlerins habitent la ville. Près de la ville, se trouvent deux autres centres: Kunkha! et Jawalapur, dont les habitants ont les mêmes occupations. La population totale de ces trois villes ne s'élève pas à trente mille habitants.

Du 8 avril au 8 juin 1897, dix-huit cas de peste eurent lieu à Hurdwar; les huit premiers dans un quartier éloigné du centre de la ville. Ce quartier fut complètement évacué. Le dernier cas est du 22 avril. Mais, le 7 mai, un prêtre des envi- rons obtint l’autorisation d'assister, dans la partie évacuée, à la désinfection de quelques vêtements appartenant à un temple. Ces vêtements avaient été déposés dans une maison. On suppose que le prêtre dormit cette nuit-là dans la maison ou sur les vêtements qui étaient placés dans une véranda; sept jours après il fut atteint de la peste. Successivement, neuf autres cas se déclarèrent dans différents quartiers de la ville.

En dépit d’une enquête soigneuse, on ne releva aucune mortalité parmi les rats à Hurdwar. Si la maladie avait été due aux rats, on aurait voir des marchands de grains parmi les premières victimes, comme cela se produisit à Bombay et pen- dant la peste de Pali, en 1836-1837. Aucun marchand de grains, mais quelques marchands de confiseries furent atteints.

Dans le courant de juin 1897, une mortalité parmi les rats fut observée dans la ville voisine de Kunkhal, près d’un dépôt de grains. Sur neuf de ces rats que j'ai examinés, j'ai trouvé les microbes de la peste par l’examen microscopique, et par la culture sur quatre d’entre eux.

On suppose que ces rats ont été contaminés par l'absorption d’une nourriture malsaine, telle que des confiseries apportées clandestinement de Hurdwar. Les cadavres des rats ont été trouvés près d’un grand magasin de grains. Aucun cas de peste ne se manifesta alors parmi la population de Kunkbhal, sauf chez nne vieille mendiante qu'on suppose avoir été contaminée à Hurdwar. Ce résultat satisfaisant peut être aux mesures énergiques de désinfection qui avaient été prises. L’épidémie parmi les rats se termina vers la fin de juin: une trentaine avaient été atteints,

750 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Mais, le 16 septembre, un cas de peste se révéla chez un habitant qui n'avait pas quitté Kunkhal. il fut de suite envoyé : à l'hôpital.

De cette date au 4 novembre 1897, 51 cas de peste furent signalés à tous les coins de la ville, quoique en certains points des foyers plus intenses s'étaient formés. On procéda alors à l'évacuation de la ville entière.

Vers le milieu d'octobre, on observa, parmi les singes, des cas de peste pendant une quinzaine de jours. Les singes étant des animaux sacrés pour les Hindous, il était impossible de les tuer. On en captura donc quelques centaines qu'on laissa en cage jusqu’à ce que l'épidémie fût passée.

Pendant cette période, un seul rat mort de la peste fut trouvé à Kunkhal.

Durant tout ce temps, la ville voisine de Jawalapur avait été surveillée avec soin. Le 9 octobre 1897, on y trouve un rat mort, mais dans lequel aucun microbe de la peste n'a été rencontré.

Le 9 janvier 1898, un cas de peste se produisit à Jawalapur. Peu après, deux parents du pestiféré sont atteints à leur tour pendant un séjour au camp des isolés, ainsi qu'un infirmier indigène attaché au service de ce camp.

Aucun cas ne se produit plus jusqu'au 4 février 1898. Mais, dans le courant de ce mois, 24 cas nouveaux se déclarent : en mars 66 et en avril 19. La grande majorité des habitants (14,000 personnes) se décida alors à s’exiler volontairement, et la ville fut évacuée définitivement.

Dans le campement des évacués, plusieurs cas se produisirent parmi de nouveaux arrivants de la ville. On note encore quel- ques pestiférés parmi ceux qui obtinrent la permission de retourner à la ville pour une seule journée, afin d'assister à la désinfection de leurs maisons, ainsi que parmi les travailleurs occupés à ces travaux de désinfection. Vers la fin d'avril, l’épi- démie paraissait terminée”.

1. Pour donner queiques renseignements précis sur les mesures qui furent prises contre la peste, je dirai que du commencement de février au 22 avril, 801,805 personnes, habitant les villages environnants, furent examinées et réexa- minées. Ces investigations firent découvrir quelques pestiférés dans dix villages. La population exposée à la contagion, dans ies villages reconnus infectés, s’éleva à 34,000 environ. Jusqu’au 27 avril, 271 cas de peste se produisirent.

PROPAGATION DE LA PESTE. 751

Dans le courant de février et mars, plusieurs singes mou- rurent de la peste. D’après ce que je sais, on ne trouva pas, pendant toute la durée de la peste, plus d’une demi-douzaine de rats morts à Jawalapur.

Au sujet de l'épidémie d'Hurdwar, il n’y a aucune raison de supposer que les rats furent pour quelque chose dans la durée ou la propagation de la peste. Les premiers cas se manifestèrent dans une maison fréquentée par des pèlerins qui arrivaient d’une région infectée (Sind). Il y a des raisons de croire qu'ils avaient apporté la peste, quoique restant eux-mêmes en bonne santé.

Le grain vendu à Hurdwar est généralement emmagasiné à Kunkbhal. 11 v a lieu de croire que les rats sont rares à Hurdwar, les maisons de cette ville étant de construction excellente,

Quant à Kunkhal, il est certain que l'épidémie des rats n'a pas produit une infection immédiate des hommes, grâce peut- être aux mesures de désinfection qui furent prises à Kunkhal avant même qu’on eùt remarqué la mortalité des rats. Il est pos- sible, sans qu'il soit permis d'affirmer ou de nier, que la conta- gion des rats de Kunkhal a produit une infection de la localité qui, trois mois plus tard, a causé lépidémie parmiles hommes.

En ce qui concerne Jawalapur, la maladie fut plus violente que dans les deux autres villes, il est permis de soupçonner la contamination par les rats sans qu'on ait pu cependant l’affirmer avec autant de raison que pour Bombay. D'abord, on peut affir- mer que le nombre des rats trouvés morts à Jawalapur n’est pas suffisant pour expliquer une épidémie aussi violente et d'aussi longue durée que celle qui a eu lieu. Ensuite, il faut admettre qu'il est possible que l’autorité n'ait pas eu connaissance du nombre véritable des rats trouvés morts et qu'il peut avoir été très supérieur à celui cité.

Dans les villages et les petites villes de l'Inde supérieure, il se trouve une ie quantité d'animaux qui vivent exclusive- ment des immondices. Les chiens, les chacals. les vautours, ete., enlèvent Lous les détritus avec une rapidité incroyable. Un jour, par exemple, j’ai observé et compté environ 350 vautours sur- veillant, près d’Agra, le travail d’un boucher occupé au dépeçage d’un bœuf. Sa famille était très affairée à préserver les parties utilisables du bœuf. En un clin d’œil les oiseaux en eurent fait disparaitre le restant.

pa

752 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Dans une ville évacuée, dont les maisons sont rarement éle- vées d’un ou deux étages comme Jawalapur, il est probable que ces oiseaux (qui vivent d’immondices, rappelons-le) enlevaient les rats morts beaucoup plus rapidement qu’à Bombay les rues sont obscures et les maisons fort élevées.

En second lieu 1l est à supposer qu’à l’époque éelata l’épi- démie, il n’y avait que peu de rats à Jawalapur. Les récoltes étaient encore sur la terre et les rats avaient quitté les maisons pour les champs.

Outre les affirmations qui m'ont été données, les raisons que j'ai eues en faveur de cette supposition sont les suivantes :

Pendaut les mois de mars et d'avril 1898, j'ai été en station- nement près de Hurdwar pour étudier la peste. J’ai eu besoin de rats pour mes expériences, mais, en dépit des pièges tendus à Kunkhal, Mayapur, Agra et Roorkee, très peu ont été capturés. Avant etaprès cette époque, quand il n’y avait plus de récoltes dans les champs, je n'avais aucune difficulté à capturer tous les rats qui m'étaient nécessaires. Si ma supposition concernant l’émigration des rats est juste, il est étrange que la cessation de la peste à Jawalapur ait coïncidé avec la rentrée des récoltes, c’est-à-dire avec le retour des rats à la ville.

On m'a raconté qu’à Guhrwal, la peste est endémique, les rats désertentles champs et regagnentles maisons à des époques fixes de l’année. On dit qu’à Guhrwal la peste éclate générale- ment à l’époque de la disette, c'est-à-dire au moment les habi- tants vident les silos ils cachent leurs grains. On en a conclu que la peste résultait du grain infesté, mais1l y aune autre hypo- thèse : c’est que la disette a aussi attiré les rats dans les maisons et que leur arrivée a causé le commencement de l'épidémie.

IX

L'existence d'une période d’incubation observée dans la localité est d’une grande importance pour la question que nous traitons. |

A l’occasion d’une discussion importante sur la peste qui eut lieu récemment devant la Société médicale et physique de Bom- bay‘, le chirurgien lieutenant-colonel Clarkson dit que si l'infec-

1, Voir Proceedings of the Bombay Medical and Physical Society. Vol. I. Février, mars et avril 1898.

PROPAGATION DE LA PESTE. 153

tion de la peste est importée dans une localité par les rats, les êtres humains tombent malades au bout de quelques jours. Si, au contraire, la contagion est importée par les êtres humains, ceux-ci ou même les rats ne sont souvent contaminés qu'après un laps de temps d’un mois à six semaines. Qu'est-il arrivé pen- dant cette longue période d’incubation ? On sait que si la conta- gion est amenée par les rats, une épidémie humaine s'ensuit presque toujours, alors que si la contagion est importée par l'agent humain, dans la plupart des cas et peut-être même dans la majorité des cas, il n’y a pas d'infection ultérieure. Par exemple. pendant les cinq premiers mois de l'épidémie de Bombay, vers la fin de 1896, il n’y eut que quatre autres villes qui furent infec- tées. A cette époque, cependant, environ deux cent mille per- sonnes s'étaient enfuies de Bombay.

J'ai trouvé les exemples suivants d’une longue période d'in- cubation dans une localité.

I. Voici la description du début de la peste à Londres en 1665, par Defoe :

«Il y a vraiment une difficulté que je n’ai pu résoudre jus- qu'à présent; voici les faits : la première personne qui suecomba à la peste est morte le 20 décembre 1664 à Long Acre. On a dit que cette première victime avait contracté le germe infectieux d'un paquet de soie arrivant de Hollande et déballé dans la mai- son. Mais ensuite nous n'avons pas entendu dire qu'aucune per- sonne mourut de la peste dans cet endroit avant le 9 février, soit sept semaines après. Alors une autre personne de la même maison fut enterrée. Maïs la maladie s’apaisa et nous fûmes par- faitement tranquillisés pour le public, car aucun cas n’est men- tionné dans le rapport hebdomadaire de la mortalité, jusqu’au 22 avril. Cependant la peste faisait deux morts de plus, non dans la même maison, mais dans la même rue, et, si je me souviens bien, dans la maison la plus voisine de la première.

«Cet événement se produisit au bout de neuf semaines.

«Nous n’en n'avions plus que pour une quinzaine de jours de répit : alors la peste éclata dans plusieurs rues simultanément et se répandit partout. La question qui se pose donc est la suivante : était le germe de l'infection pendant tout cetemps-là? Comment le mal demeurait-il à l’état latent sans se manifester davantage”

48

754 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Est-ce que la maladie ne se propage pas immédiatement par la contamination d'un corps à l’autre, ou bien le corps est-il capable de garder le germe de l'infection plusieurs jours, plusieurs semaines, une quarantaine ou une soixantaine de jours, plus peut-être, sans què la maladie se révèle ? »

Ce récit est fait d’après les rapports hebdomadaires de la mortalité qui existent encore aujourd'hui. Mais Defoe, ne sachant comment expliquer que l'infection puisse demeurer aussi long- temps à l’état latent, cherche à émettre l'hypothèse que l'inter- valle apparent était fécond en cas de morts, mais que ceux-ci étaient tenus secrets.

IL. On dit que la peste de Marseille fut importée en 1720 par un vaisseau, le Grand-Saint-Antoine, qui avait quitté Saïd (Syrie) le 31 janvier avec un chargement de soie. Deux cas de mort se pro- duisirent pendant la traversée, mais on ne sait s’il faut les attri- buer à la peste. Le vaisseau arriva à Marseille le 23 mai. Deux jours après son arrivée au port, un homme de l’équipage fut atteint de la peste. Le vaisseau et son chargement furent immé- diatement mis en quarantaine. La personne atteinte ensuite fut un des hommes qni portaient des marchandises à Pile était établie la quarantaine. Ce cas fut suivi de celui d’un chirurgien envoyé par les magistrats pour examiner les corps. Selon Mead', un intervalle suivit, « car six semaines s'étaient déjà écoulées depuis la mort du marin qui avait donné l'alarme et appelé lPat- tention générale avant que les magistrats eussent reçu le rapport d’un décès attribué à la peste dans la ville, et je crois que jamais auparavant on n'avait vu de peste, une fois déclarée, s’apaiser si longtemps pendant l'été. »

HIT. La ville de Satara (Inde) compte environ 25,000 habitants. La peste y éclata en décembre 1897 et se prolongea sous la forme épidémique jusqu’en mars 1898. Grâce apparemment à l'excellente organisation du service d'hygiène, 781 cas seulement se produisirent jusqu'à cette dernière date. Le mars 1898, la population était tombée à 3,438 habitants, tous logés dans des maisons bien construites et bien aérées. Le reste de la population était dans des campements sanitaires ou avait quitté le district

1. Mean, À discourse on plaque, % édition, Londres 1774; première édition parue en 1720. II cite le « Journal de ce qui s’est passé à Marseille», v. p. 53.

PROPAGATION DE LA PESTE. 199

après un séjour suffisamment prolongé dans ces camps. Avec une organisation aussi parfaite, ilest peu probable que des décès soient restés ignorés. J'ai recueilli ces renseignements dans un rapport du chirurgien Thomson, lu par lui devant la Société médicale et physique de Bombay ‘. Selon M. Thomson, l'infection fut intro- duite par un habitant de Satara qui était allé percevoir des impôts dans une enceinte infectée, et fut atteint de la peste à son retour le 27 septembre 1897.

Le 3 octobre, le premier cas réellement indigène se produisit. L'enfant de ce collecteur de Satara mourut en deux jours. Quel- ques autres cas se manifestèrent bientôt après dans la localité. Quatre maisons furent infectées. Aussitôt les toits furent enlevés, les maisons désinfectées et puis brülées. Les habitants de ces 4 mai- sons furent relégués dans un camp situé à deux milles en dehors de la ville et tous restèrent en bonne santé. Je regrette que le chirurgien Thomson n’ait pas fourni de détails plus précis sur les autres cas de ce foyer. Après un laps de cinq semaines seu- lement depuis le premier cas, la peste se déclara sous la forme épidémique dans les maisons voisines de celles détruites. Le 10 novembre, le chirurgien Thomson fut appelé à examiner de prétendues morsures de serpent dans une maison située à 100 yards de l'enceinte infectée. Il trouva un garçon mort de la peste, et un autre garçon ainsi que deux femmes atteintes de la maladie. Tous avaient été soudainement frappés pendant la nuit. Dès ce moment, la maladie commença à se répandre dans le voisinage.

On peut objecter à cette relation du chirurgien capitaine Thomson que, dans le courant de cinq semaines, quelques cas importés se produisirent en dehors de l'enceinte infectée. La maison les quatre cas avaient eu lieu le 10 novembre était habitée par deux familles de coiffeurs. Il n’y a pas de preuves qu'ils n'aient pas contracté l'infection de quelque cas importé de loin. On rapporte que de grandes quantités de rats morts de la peste ont été trouvés dans la ville, mais nous ne savons pas s'ils ont été trouvés dans Le foyer originel de l'infection. Tout ce qu'on peut établir de façon certaine, c’est que, pendant quel- ques semaines, l'infection ne revètit pas un caractère épidémique.

4. Publié dans les Proceedings pour mars 1898,

756 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

IV. Nous avons des détails plus exacts dans un rapport du chirurgien-major Collie sur la peste dans la ville de Hubli pendant les trois premiers mois de 1898 *.

Le 10 octobre 1897, la peste se manifesta dans quelques bâtiments habités par les employés du chemin de fer près de la ville de Hubli. Des mesures préventives furent prises et la maladie prit fin le 13 décembre 1897, après avoir atteint 35 per- sonnes sur 1,200 employés de chemin de fer qui y furent expo- sés. L'apparition de la peste présentait un grand danger à Hubli, qui est peuplé d'environ 50,000 habitants. Les mesures prises pour le conjurer comprenaient un rapport quotidien de chaque propriétaire de maison, et des mesures pour prévenir de chaque cas de mort ou de maladie, avec défense de laisser brüler ou enterrer un corps sans avoir fait inspecter le cadavre par un médecin.

Voici la liste des premiers cas de peste relevés à Hubli :

Numéro des cas. Dates. Remarques. il 4 nov. 1897 Importé. 2 4 nov. 1897

3 7 déc. 1897 4 13 déc. 1897 Importé probablement. b) 14 déc. 1897 Importé. 6 20 déc. 1897 7 31 déc. 1897 8 9 janv. 1898 Local. 9 9 janv. 1898 10 30 janv. 1898 11 1 fév. 1898 12 3 fév. 1898 13 7 fév. 1898 14 4 mars 1898 415 4 mars 1898 16 4 mars 1898 17 . D mars 1898 18 6 mars 1898 19 8 mars 1898 20 20 mars 1898

Il paraît que la gravité de l’épidémie augmenta par la suite, mais nous n'avons pas de chiffres détaillés. Au sujet des cas importés de cette liste, il y a des raisons de

4 Voir Plaque operations ab Hubli, with remarks on plague, par le capi” taine chirurgien Meyer, et Continuation of the plague history of Hubli, par le chirurgien-major Collie, Proceedings Bombay Med. and Phys. Society. Vol. II, nc 2, et d avril et février 1898.

PROPAGATION DE LA PESTE. 157

penser que le 3 fut la cause de l’expansion ultérieure de l'épidémie. Il s’agit ici du cas d’un nommé Shidu qui, avec l’aide d'amis qu'il comptait dans la police, réussit à franchir le cordon sanitaire et à pénétrer dans les bâtiments occupés par les em- ployés de chemins de fer. Il y resta une nuit, puis retourna chez lui à Hubli. Sa maison se trouvait dans une rue appelée Mabrati- Gully, et c’est qu’il subit les premières atteintes du mal. Effrayé par les mesures préventives, il s'enfuit de la ville avec sa femme. Il chercha à pénétrer dans plusieurs villages, mais les habitants le repoussèrent. Finalement il fut abandonné par le cocher de sa voiture, et mourut dans une jungle le 7 décembre.

Dans le courant de décembre, on signale trois autres cas de peste importés. Il est difficile de préciser l'origine d'un quatrième cas, mais il a toute probabilité pour le considérer comme un cas d'importation. Trois d’entre eux se déclarèrent sur une place toute proche de l’habitation de Shidu (cas 3). Mais ce quartier est également près de la gare et est occupé par une population voyageuse : on devait en conséquence trouver la majorité des cas importés dans ce quartier.

Ce ne fut que le 9 janvier 1898 que des cas sans doute d’ori- gine indigène furent découverts. Deux enfants furent touchés qui demeuraient dans la rue de la maison de Shidu, du côté opposé et à 48 mètres de distance environ. C’est alors qu'on déclara la ville infectée, et la plus grande partie de Mabrati-Gully fut évacuée. Le cas suivant fut celui d’un homme qui avait passé 21 jours dans le campement sanitaire.

Le 20 janvier, il avait appris qu'on avait donné l’ordre de détruire sa cabane contiguë à la maison de Shidu (cas 3). En corrompant la police, il réussit à quitter le camp et à atteindre sa cabane le 22 janvier. Il emporta deux habits et retourna au camp il mourut le 30 janvier. Il se trouve sur la liste sous le 10. Son histoire prouve une fois de plus que la maison de Shidu est restée infectée.

Le février 1898, une autre personne fut frappée (n° 11 de la liste) dans une maison voisine de l’enceinte abandonnée et à 50 mètres de la maison de Shidu.

Les 12 et 13 de la liste sont datés des 3 et 7 février et ont eu lieu à une distance de 139 mètres de la maison de Shidu.

A cette occasion, le chirurgien-major Collie fit brüler toute la

198 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

rue de Mahrati-Gully, mais cette mesure énergique fut encore insuffisante pour arrêter l’expansion de l'infection.

Trois personnes moururent le 4 mars 1898, deux d’entre elles dans des maisons sises à 60 mètres de la maison de Shidu, et la troisième à 145 mètres de la même maison. Dès cette époque se révélèrent des cas isulés et éloignés les uns des autres. Ils étaient dispersés dans la ville loin du lieu la maladie avait pris naissance.

Voici ce qu’en dit le chirurgien-major Collie :

Qu'une enquête minutieuse n’a jamais montré qu'il y eût eu des relations entre les victimes. En général, elles ne se con= naissaient même pas et appartenaient à des castes différentes, comme montre le cas des Brahmins (n° 14, 15 et 16) ;

Qu'une longue période de temps s'était écoulée entre chaque cas en janvier et février ;

Que les maisons se produisirent les cas consécutifs étaient séparées l’une de l'autre; que la peste franchit apparem- ment des quartiers très populeux avant de trouver un nid favo- rable à son développement;

Qu'on n’y trouva ni rats morts, ni rats malades;

Qu'il est impossible, avec notre connaissance actuelle de l'histoire des bacilles, de déclarer qu'une place infectée et évacuée ne contient plus Le virus pesteux, jusqu'à ce que la popu- lation entière y soit revenue et ne présente aucun cas de peste pendant une période prolongée. « D’après ce que j'ai appris, dit le chirurgien-major Collie, il n’est pas probable que la maladie se soit propagée à la suite d’un contact direct entre les hommes. Les mesures prises pour connaître les cas de maladie et de mort, ainsi que les longs intervalles entre les cas successifs excluent réellement l’idée de l'infection humaine directe. De plus, il n’est pas rare de voir des mères atteintes de peste, même de peste pneumonique, allaiter leurs enfants sans les contaminer,, et aussi des enfants pestiférés nourris par leurs mères sans que celles-ci contractent le mal.

V. Des faits relatifs à la propagation de la peste dans les villes de Hurdwar, Jawalapur et Kunkhal ont été rapportés dans la première partie de cette étude. Ces villes sont situées à plusieurs centaines de milles du lieu infesté le plus proche, et l’on a vu

PROPAGATION DE LA PESTE. 159

qu'en certain cas l'épidémie se maintenait à l'état latent pendant plusieurs semaines. Lors de mon dernier séjour à Hurdwar, les fonctionnaires m'ont assuré que lorsqu'un quartier de la ville (Jawalapur) avait été déserté à la suite d’un cas, les atteintes qui suivirent se montrèrent presque toujours dans des maisons situées au bord de l'enceinte désertée et seulement après un intervalle de deux ou trois semaines. Il serait utile de publier en détail tous les faits sur lesquels cette opinion est basée.

VI. Il est remarquable que les seules matières reconnues, durant l'épidémie de Bombay, comme capables de conserver le germe infectieux longtemps, sont les vêtements. Comme exemple de persistance du virus à l’état latent dans les vète- ments, je citerai deux cas :

Un bateau à vapeur quitta Bombay le 20 août 1896, Il arriva dans la Tamise le 11 septembre. Le 26 ou le 27 du même mois, un domestique portugais du bord était atteint, et mourait le 3 octobre. Le mème jour, un autre domestique, portugais aussi, était frappé et mourait le 28 septembre. On croit qu'il s'agit de la peste pour ce second cas. Il a été démontré eliniquement et bactériologiquement que le premier cas était bien la peste. Les deux hommes couchaient dans la même cabine. On considéra comme probable qu'ils avaient porté des vêtements lavés à Bombay, et déballés à cause du froid peu de temps avant l'attente dont ils furent victimes.

Dans ce cas, l'infection était restée latente pendant une période d'au moins 36 jours.

Le cas suivant est rapporté par le chirurgien-major Collie : « J'ai noté un fait intéressant pendant la première année de l'épi- démie, montrant le danger des vêtements portés par des pesti- férés. Un homme perdit sa femme à Bombay. Dix jours après, il portait ses vêtements et ses bijoux dans une maison qu'il pos- sédait dans un village près de Hurnaiï, dans la circonscription de Ratnagiri. Une semaine après, environ, on trouvait des rats morts dans sa maison et dans le voisinage. Les parents tom- bèrent malades l’un après l’autre et moururent de la peste. Finalement, le mari, sixième victime, mourait à son tour. Aucun des membres de cette famille n'avait quitté le village qui, après cette importation, fut sévèrement ravagé. Il n’est pas cer-

160 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tain dans ce cas que l’homme n'ait apporté la maladie par une autre voie que les vêtements, mais l’opinion que les vêtements. des pestiférés sont dangereux est en parfait accord avec ce qui a été observé dans les épidémies antérieures. Mead, par exemple, écrivait en 1720 « que les vêtements abritaient les quintessences mêmes de la contagion ».

Il est évident que les vêtements peuvent conserver l'infection pendant longtemps, mais ce fait est pour moi d'autant plus inat- tendu que dans les conditions des expériences de laboratoire, j'ai constaté que le bacille de la peste était tué par plusieurs acides gras. Les vêtements dans les Indes ont généralement une réaction acide, provenant de la sueur qui les imprègne, mais celle-ci, pour des raisons inconnues, semble ne pas agir sur les microbes des vêtements.

X

Des preuves que nous venons de discuter résulte que l'agent le plus effectif de la propagation de la peste dans une grande ville, aux Indes, est le rat. Les preuves statistiques exposées dans les rapports officiels, sielles n’écartent pas abso- lument les elfets de l'encombrement, de l'insuffisance, de l’aéra- tion, etc., paraissent au moins réduire ces prétendues influences favorisantes au rang d’hypothèses non nécessaires pour expli- quer les principaux faits relatifs à la propagation de l'épidémie à Bombay. Il paraît que les maisons mal construites et mal aérées, si elles sont plus exposées à la contagion, ne le sont pas parce qu’elles sont mal construites ou mal aérées, mais parce qu'elles sont mieux disposées pour offrir un asile aux rats et plus difficiles à désinfecter quand elles sont souillées. En même temps, on a produit des raisons qui font soupçonner que les rats ne sont pas toujours nécessairement l'agent de propagation de la maladie. De même qu'il a fallu, pour expliquer l'expansion de Fépidémie à l'homme, faire intervenir les rats, il faudra, pour se rendre compte de la persistance du virus dans les lieux infec- tés, chercher comment celui-ci passe du rat dans quelque autre véhicule. Du fait que les rats ont été l’obstacle insurmontable dans la lutte contre l'épidémie aux Indes, il ne s’ensuit pas que partout ils constitueront un aussi grave danger. A Bombay, les

PROPAGATION DE LA PESTE. 761

cadavres des rats ont été dépecés par des fourmis et d’autres insectes qui en apportaient les débris dans les maisons, et aidaient ainsi à répandre l'infection.

Les preuves données par le commissaire municipal et le D' Weir, chef de la santé publique, établissant que la mort des rats à Bombay ne fut pas seulement un phénomène concomitant, mais un important agent de cause dans la propagation de la maladie, m’apparaît comme le résultat scientifique le plus précieux.

Il résulte de ces recherches que la meilleure défense d’une ville consiste en une construction telle de ses maisons que les rats ne puissent s’y établir.

Dans une ville menacée de la peste, les dépôts de grains doivent être considérés comme dangereux. Il en est de même de toutes les industries qui attirent les rats. Comme il est possible que l’usage des désinfectants amène l’émigration des rats, 1l faut user de substances telles que le sublimé dans la partie infectée d’une ville, et de l'acide carbolique ou de désinfectants ayant une odeur désagréable pour les rats dans les enceintes environ- nantes non encore infectées.

Le fait de la participation des rats à propagation de la maladie dans une grande ville amène à conclure qu'il est impos- sible d'arrêter la peste une fois déclarée. En premier lieu, parce qu'il est impossible d’évacuer totalement une grande ville, et ensuite parce que personne ne sait comment détruire complète- ment et sur place une population de rats.

C’est ce fait qui donne tant d'importance aux méthodes de vaccination par les vaccins (Haffkine), ou par les antitoxines (Roux et Yersin), dans les pays ces méthodes sont applicables.

On ne contracte pas généralement l'infection, en piétinant un rat mort. D’une manière ou d’une autre, le microbe quitte le rat et trouve un « nid » dans la localité. Nous ne savons pas comment cela se produit. Dans le laboratoire, le bacille de la peste se montre comme un microbe très fragile. Dans la nature, il semble doué d’une force de résistance extraordinaire. De nou- velles recherches sont donc nécessaires pour élucider ces points. Après avoir étudié le microbe pendant plus d’un an dans ce but, je puis affirmer que ces travaux présentent des difficultés peu

ordinaires. Mais tant qu’ils n'auront pas abouti, nous en seron s

762 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

réduits à dire comme Defoe : « Le meilleur remède contre la peste est de s'enfuir. »

P.-S. J'ai fait des réserves sur le rôle que joueraient nécessairement les rats dans tous les cas de propagation de la peste. Elles sont justifiées par l'histoire de certaines épidémies, et il y a des raisons de croire qu’en Angleterre, au moment sévissait la « mort-noire » en 1347, il n’y avait point encore de rats. En effet, en parlant de l'importation en Angleterre des deux espèces de rats connus, le rat noir et le rat brun, le zoolo- giste Bell s'exprime ainsi : « Il semble que mème le premier w’était pas connu ici (Angleterre), avant le milieu du xvr° siècle. » Avant de se prononcer sur cette question, denouvelles recherches historiques sont nécessaires. (V.Becr, British Quadrupeds, p.302.)

SUR LA REPRODUCTION DE LA SUBSTANCE ANTITOXIQUE

APRÈS DE FORTES SAIGNÉES

Par Carz Juz. SALOMONSEN er Taorvazp MADSEN

(Travail du laboratoire de bactériologie médicale de l’Université de Copenhague.)

Dans leur Contribution à l'étude du tétanos (Annales de l'Institut Pasteur, 1893, page 82), MM. Roux et Vaillard ont montré que des lapins activement immunisés contre le téta- nos pouvaient en quelques jours perdre une quantité de sang du même poids que le volume total du sang de l’animal, sans dimi- aution sensible de la force antitoxique du sérum sanguin. Ces auteurs ajoutent la remarque suivante : « Nous ne retiendrons, pour le moment, de cette expérience que sa signification pra- tique. Chez un animal fournisseur de sérum, les saignées peuvent être fréquentes et copieuses sans que de ce fait le pouvoir anti- toxique soit notablement diminué. » Cette remarque de ces deux savants éminents n’a pas eu l'importance pratique désirée. L’ex- périence a montré qu’il est absolument nécessaire d'injecter de nouvelle toxine aux chevaux qu'on emploie pour produire Île sérum antidiphtérique, si l’on ne veut pas s’exposer à constater dans la force antitoxique du sang une diminution rapide causée par les saignées réitérées. D'autre part, la question de la régené- ration de la substance antitoxique sans introduction de toxine est d’une importance de premier ordre pour toute conception théorique de la fonction antitoxique, en sorte qu'il y a lieu de refaire les expériences de MM. Roux et Vaillard dans des con- ditions variées. Deux de nos travaux antérieurs ont effleuré cette question.

Jusqu'ici le cas exceptionnellement favorable de pouvoir

764 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

examiner avec précision l'influence de la saignée sur la force antidiphtérique du sang chez un cheval en parfait « équilibre antitoxique », ne s’est présenté pour nous qu’une seule fois, le cheval s’étant trouvé pendant neuf jours dans cette condition idéale. La valeur de cette recherche est d'autant plus grande que ses résultats sont contrôlés, pour ainsi dire, par des mensu- rations du pouvoir antitoxique du lait. Dans la figure 1, la ligne pleine indique le pouvoir antidiphtérique du sang; la ligne ponc- tuée, celui du lait. On voit que chez une jument pesant 665 kilogr, uue saignée de 7 litres a fait baisser ie pouvoir antitoxique de 120 à 85 U. I.‘ en trois jours. Pendant la quatrième journée, le pouvoir antidiphtérique remonta à 100 et s’y maintint pendant

? 4 6 SNCF EI 0070

six jours, après quoi l’équilibre fut de nouveau troublé par une injection de toxine. En outre, cette figure montre que les deux courbes ont à peu près la même allure.

Le résultat définitif de la saignée fut donc un abaissement du pouvoir antitoxique du sang de 120 à 100 U. I. Comme la masse totale du sang, calculée d’après le poids de l’animal, doit être estimée à 51 litres et qu'on en enlevait 7 litres, soit 1/7 de cette même masse, l’abaissement du pouvoir antitoxique corres- pondant seulement à la dilution du sang par sa régénération, serait environ 17 U. I., soit : 120/7, ce qui donne 103 U. I. pour

4. U. f. signifie unité d’immunisation par centimètre cube.

REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 765

le pouvoir du sérum. La différence entre ce résultat et le chiffre 100 trouvé par nos expériences est si minime qu’on pouvait fort bien, dans ce cas, regarder la diminution mentionnée comme causée mécaniquement par l’ablation de 1/7 de la masse totale du sang. Pourtant nos expériences ultérieures ont établi que cette correspondance n’a lieu que rarement. La diminution, qui attei- gnit 85 U. I. le troisième jour après la saignée, fait d’ailleurs soupçonner que la cause du phénomène n’est pas uniquement la dilution par la régénération du sang. Pour éclairer cette ques- tion, il était nécessaire de faire une série de déterminations com- paratives du nombre des globules sanguins et du pouvoir anti- toxique du sang après la saignée. Nous avons entrepris quelques déterminations de ce genre, mais les saignées furent toujours faites dans des conditions autres que celles de la figure 1. Dans le cas qui correspond à cette figure, le cheval était en équilibre antitoxique, c’est-à-dire avait conservé constant pour un certain temps son pouvoir antitoxique; mais d’autres expériences ont eu lieu alors que le pouvoir croissait après une injection de toxine. On ne saurait donc arguer de ces expériences pour résoudre définitivement si l’organisme du cheval activement immunisé est capable de reproduire en tout ou partie la quantité d’anti- toxine enlevée par la saignée. Car, si l'épuisement du sang a lieu très peu de temps après une injection de toxine, l’accrois- sement qui en résulte pourra n'avoir pas encore atteint son maximum. On ne peut donc pas évaluer un accroissement cons- taté quelques jours après la chute brusque du pouvoir antitoxique causée par la saignée ; car il se peut aussi que l’accroissement soit à l'injection de la toxine.

Néanmoins nos expériences peuvent servir à décider si la dépression antitoxique observée immédiatement après la saignée peut résulter d’une hyperdilution du sang. Les phénomènes repré- sentés par la figure 2 donnent une réponse négative : le cheval immunisé pesait 586 kilog.; on lui enlevait 5,5 litres de sang, ce qui réduisait de 85 à 55 son pouvoir antitoxique. La courbe rend manifeste que cet abaissement d'environ 35 0/0 n’est pas à une hyperdilution du sang, le nombre des globules rouges n'ayant baissé que de 7,6 à 6,5 millions, soit environ 12 0/0.

Par cette même figure, nous voyons encore que le pouvoir antidiphtérique du sang a repris exactement le niveau qu’il

766 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

avait avant la saignée. Ce cas est le seul ledit fait se soit reproduit durant nos recherches. Le plus souvent nous avons constaté qu'après la chute brusque qui suivait immédiatement une saignée, venait une baisse lente et continue, ce que nous avons considéré comme le résultat de l'influence nuisible de l’anémie aiguë sur la puissance antitoxigène de l'organisme.

En faisant les observations mentionnées, nous nous occupions

9 mll

Tirer CMET Es

2 AN

50.

Pouvoir an ie ae sert RPC Nombre des globules rouges

Fig. 2.

de travaux dont le but n'était pas d’élucider la question pré- sente et qu'il nous fallait poursuivre dans des conditions moins favorables.

Au contraire, les expériences qui suivent ont été faites expres- sément pour étudier la régénération spontanée de Fantitoxine.

Nous disposons actuellement des résultats de deux expé- riences qui s’y rapportent. Nous avons tâché d'éviter ou d'atté- nuer l'influence fâcheuse de l’anémie aiguë en recourant à la transfusion, et en employant, dans l'expérience 1, une solution de chlorure de sodium physiologique, dans l’expérience 2 du sang de chèvre défibriné.

Le sujet servant à l’expérience 1 était une chèvre dont le poids pouvait être #1 kilog. En 78 jours, savoir du 29 janvier au 16 avril, on lui injecta en tout 189 c.e. de toxine, dont 100 €. c par doses de 50 c. c. deux jours de suite, le 15 et le 16 avril. HI en résulta chez l’animal un si fort abattement, que nous préfé- ràmes procéder à l'expérience dès le cinquième jour après la dernière injection de toxine, plutôt que d’attendre pour expéri- menter l'établissement de l'équihbre antitoxique.

‘+ dr che

REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 767

: La quantité de sang de l'animal futévaluée à environ 3,100. c. Une saignée de la veine jugulaire en enleva 1,000 e. c., que nous remplacèämes immédiatement par 1,000 c. ce. d’une solution de sel marin. Vingt-quatre heures après, nouvelle saignée, mais de 800 c. ce. seulement; car nous ne croyions pas l’animal capable de supporter une plus forte perte de sang.

Ensuite on injecta 800 c. c. de la. même solution que ei- dessus ; l'animal ne tarda pas à se relever et, une semaine après la saignée, son poids avait un peu augmenté. Le résultat des mensurations du pouvoir antidiphtérique est indiqué dans le tableau I, qui contient aussi des renseignements sur la régéné- ration des globules rouges après la saignée.

TABLEAU I SANG TIRÉ en c.c. à ne : à Fe UNITÉS NOMBRE DATES SOLUTION D'IMMUNISATION [de globules rouges de NaCI à 0.70/0 À SE Eté encre. par {. IC: en millions. 9 avril. 1.0 18: :— 0,6 19 1,0 ANNEE avant 2,2 9,6 = 1000 15 min. après 1,6 6,8 XRALES ._ avant 1,6 ou F= si 15 min. après 1.0 3,2 23 1.6 3,2 DA 1 ,4 ou 25 1,2 3,25 Qbaree- p 3,95 ee 1,2 3,32 29 » 3,0 | 2 mal » 3,9 | D 0,8 6,4 12 » ri DURE » 9,8

Sous une forme graphique, la figure 3 donne un résumé synoptique des variations du pouvoir antitoxique du sang pen- dant l'expérience. On y voit qu'après la première saignée le pou- voir antitoxique tomba de 2.2 à 1,6. Cette baisse répond assez exactementà l’atténuation produite danslesanglorsqu'à 1,000 e.e. de ce dernier on substitua 1,000 c. &..de ka solution physiologique

168 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

de chlorure de sodium. En même temps on observa une dimi- nution correspondante du nombre des globules rouges. Le pou- voir antitoxique du sang se maintint alors sans altération durant

Sn ra EL Pres EPA 2 PE EE Pr A AE UT à) DRdEAPREAIEA ES HiBN AE PE DR NS EM a RS 1 a Ce DE 0 EE PA Se A a AE AE 7 A 1 EE A A SEP ECM EEE BE A ON A EE 2 as A A RENE A CRIE Du) EP AE HN NE PE RAA te EE NA AIN a ee IPB D a EN EN ARE SE AE Pc ERP IL D PIE) ARE TDNE) PE D Ben en a PI TI

el

Fig. 3.

les vingt-quatre heures suivantes, après quoi une saignée de 800 ec. c. l’abaissa jusqu’à 1 U. I. par c. c. Le lendemain fut marqué par une hausse notable du pouvoir antitoxique, atteignant 1,6 sans nouvelle injection de toxine. Cette hausse ne dura qu'un jour

REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 769

et, durant les journées suivantes, elle fit place à une baisse lente ; néanmoins, au bout de quatre jours le pouvoir antitoxique n'avait pas encore baissé jusqu'au point on le trouva après la seconde saignée. Huit jours plus tard, une nouvelle mensura- tion faisait constater que la teneur antitoxique du sang conti- auait à diminuer.

En aucun point la régénération des globules rouges ne cor- respondait aux oscillations du pouvoir du sérum. Quant à l’état des globules blancs, on ne constata rien d’anormal.

Il est à peine contestable que l’accroissement du pouvoir antitoxique durant les jours qui suivirent la deuxième saignée est l’effet d’une reproduction de substance antitoxique. La seule objection qu'on pourrait peut-être élever contre cette assertion, c'est la brièveté relative de l'intervalle de cinq jours entre l’abondante injection de toxine et la saignée. En effet, ce sont indubitablement les grandes quantités de toxine injectées qui suscitèrent l'accroissement rapide du pouvoir antitoxique encore en voie de progrès lors de linterruption par la première saignée. On ne doit donc pas rejeter, comme absolument impos- sible, que l’accroissement qui suit la seconde saignée soit simplement la continuation immédiate de ladite rapide augmen- tation du pouvoir antitoxique, et que cet accroissement n'aurait aucunement eu lieu si les saignées avaient été pratiquées à une époque d'équilibre antitoxique de l'animal. Pourtant cette expli- cation est à peine vraisemblable; du moins, dans nos expé- riences sur l'allure de la courbe antitoxique du cheval, il ne nous est jamais arrivé de voir un accroissement si rapide se con- tinuer durant autant de jours que dans le cas en question. Au contraire, on a lieu de présumer que l’abaissement secondaire du pouvoir antitoxique se serait produit à ce moment.

En tout cas notre seconde expérience ne laisse aucun doute sur la réalité de la régénération. Le sujet opéré était une chèvre qui, durant des mois entiers, avait subi des injections de toxine diphtérique à doses croissant de 0,2 à 200 c. c. et donnant un total de 380 c. c.. Quinze jours après la dernière injection, son sérum avait acquis un pouvoir antitoxique de 5. Alors, durant les deux mois qui suivirent, on fit, à diverses reprises, des saignées d'essai; on mesura le pouvoir antidiphtérique et on le vit finalement baisser jusqu’à seulement un peu plus de 1 unité

49

170 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

d'imniunisation par centimètre cube. Après avoir constaté par trois mensurations consécutives un état stationnaire qui dura . quinze jours, on fixa le jour de l’expérience; mais alors on

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MATINS SSSR USÉES ANA SSIRSRAASEES

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1ESTERSSANERANERIRNEESAE

s’'aperçut que l'équilibre antitoxique était de nouveau rompu, car, immédiatement avant première saignée, le pouvoir était tombé à 0.8.

Toutefois, le fait que les saignées ont été pratiquées à une

REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 171

période de déclin du pouvoir antitoxique ne rend que plus concluant encore l'accroissement observé plus tard.

L'expérience fut conduite de telle manière qu'après avoir enlevé par saignée 1,250 c. e., soit la moitié de la quantité du sang supposée présente, on effectua aussitôt la transfusion d’une quantité équivalente de sang défibriné et chauffé à 37°, provenant d’une chèvre saine. Cette opération se répéta quatre heures après, ainsi que le lendemain et le surlendemain; mais cette dernière fois pourtant nous n’osàmes pas enlever à la chèvre plus de 800 c. c. Au bout des cinquante heures qui nous séparaient du début de l'expérience, il ne restait à cette chèvre que la douzième partie du sang qu'elle avait primitivement. L'animal résistait bien à l'expérience.

Une série d'expériences préparatoires nous avait déjà con- vaincu qu'il était impossible de constater aucun pouvoir anti- diphtérique dans le sérum de n'importe laquelle des quatre chèvres dont le sang servit aux quatre transfusions.

Voici le résultat de l’expérience en question.

TABLEAU II

VOLUME ec. C. du sangenlevél UNITÉS D’'IMMUNISATION et du sang de chèvre par €. c. de sang. défibriné injecté.

29 septembre. > octobre. 12

19 . re ARE 25 immédiatement avant la {re saignée

23 es = 9e =

26 3e

27 Le FRANCE après la 4e

28

29

30

4er

La figure 4 représente graphiquement le résultat de cette expérience : la ligne noire indique le pouvoir antitoxique du

ie ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

sang; la ligne ponctuée, la quantité qui restait encore du sang que l'animal avait primitivement. Les chiffres apposés aux ordonnées sont les unités d’immunisation par centimètre cube de sang, la quantité que l’animal a gardé de son sang primitif est indiquée par les mêmes chiffres; les abscisses figurent les jours d'expériences.

On voit qu'après les deux premières saignées, la production de l’antitoxine subit une diminution directement proportionnelle à la perte de sang éprouvée. Mais après les troisième et quatrième saignées, la relation fut tout à fait changée. Pour résultat de la troisième saignée, on aurait pu s'attendre à voir le pouvoir antitoxique réduit de moitié, comme pour les deux premières; mais on constata au contraire qu'au bout de vingt- quatre heures, ce pouvoir n’avait pas changé. En réalité, ce résultat est identique à la production d’un fort accroissement. Ensuite on procéda à la quatrième et dernière saignée et la fit suivre d’une transfusion. À ce moment. il ne restait dans l’animal qu'un douzième de sang qu'il avait primitivement; on prit alors un échantillon de ce sang et constata que sa teneur antitoxique avait fortement diminué; mais durant les deux jours qui suivirent, à! se produisit dans le pouvoir antitorique un accroissement notable, qui demeura constant pendant trois jours, après quoi il augmenta encore un peu.

A cet égard, il y avait une différence palpable entre les deux expériences. En effet, chez la première chèvre, la courte période de régénération fut suivie d’une baisse brusque et prolongée du pouvoir antitoxique. Or, on ne saurait préciser à quoi tient cette différence, elle résulte peut-être du fait que la chèvre de notre dernière expérience était en parfaite santé lors des premières saignées; que son pouvoir anlitoxique n’oscillait pas fortement et que, de plus, sa perte de sang était immédia- tement réparée par le sang défibriné emprunté à d’autres chèvres.

La première expérience, au contraire, fut faite sur un animal fortement empoisonné de diphtérie et chez qui le pouvoir anti- toxique manifesta un accroissement relativement rapide; de plus, il ne fut injecté que du sel marin en solution. D’autre part, les différents animaux d’essai présentent des variations indivi- duelles si considérables (voir les Comptes rendus des travaux de

REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 773

Acad. Roy. des Sc. de Danemark en 1898), qu'à lui seul ce fait expliquerait peut-être les immenses divergences observées dans la forme des courbes.

Quant à la régénération de l’antitoxine, notre deuxième expérience ne laisse subsister aucun doute. Comme il s'était passé deux mois depuis la dernière injection de toxine et que le pouvoir antitoxique du sang n'avait pas cessé de baisser, l’augmentation qui, à la suite de la quatrième saignée, s’est manifestée dans le pouvoir antidiphtérique ne peut être attribuée qu'à une nouvelle production de substance antitorique, ce qui prouve encore une fois que, sous l'influence de la toxine, certaines cellules de l'organisme ont acquis une propriété sécrétoire nouvelle et persistante, opinion déjà corroborée par nos recherches sur les modifications que la pilocarpine fait subir au pouvoir antitoxique du sang. (Voir Salomonsen et Madsen : C. R. de PAc. des Sc.)

INSTITUT ANTIRABIQUE MUNICIPAL DE TURIN

STATISTIQUE ET NOTES DE LABORATOIRE

Du Dr FRANCESCO ABBA

I

STATISTIQUE DES ANNÉES 1896-1897

Succédant à M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi dans la direc- tion de l’Institut antirabique de Turin, j'ai l'honneur de commu- niquer la statistique des deux années 1896-1897.

Dans le courant de 1896, il se présenta à l'Institut 672 per- sonnes mordues. Sur ce nombre, 470 seulement furent soumises au traitement antirabique, car on put établir que les animaux qui avaient mordu les 202 autres personnes n'étaient pas enragés.

La mortalité, parmi ces 470 personnes traitées, fut de 0,21 0/0.

Durant le cours de 1897, le nombre des personnes mordues qui se présentèrent à l'Institut fut de 584; 376 furent soumises au traitement.

La mortalité, parmi ces dernières, fut de 0,26 0/0.

Du 30 septembre 1886, date de la fondation de l'Institut antirabique de Turin, au 31 décembre 1897, le nombre des per- sonnes mordues qui se présentèrent fut de 4,728, sur lesquelles 3,396 seulement furenttraitées ; la mortalité, parmi ces dernières, s’éleva à 0,73 0/0.

La statistique, comme d'ordinaire, divise les personnes mordues en trois catégories, À, B, C, suivant la partie du corps qui a été atteinte par la morsure. Cette statistique est résumée dans le tableau suivant :

‘af.

PERSONNES MORDUES nn RS —— sur des parties|sur des parties

à la tête. M découvertes. couvertes.

ANNÉES

O

PR. 2 D 2

2 RS _ ! TRAITÉES [uonris TRALTÉES [AR TES TRALTÉES [NORTES

personnes

1896

Ë = & © A B C A B C

1897

œlh,

TOTAUX

Durant le cours de l’année 1896, on constata une augmenta- tion notable dans le nombre des personnes mordues, compara- tivement aux années précédentes. Soupconnant que cela dépen- dait de négligence, de la part des particuliers et des autorités locales, par rapport à la prophylaxie de la rage des chiens, on prit des dispositions, de concert avec les Préfets des provinces qui envoient le plus grand nombre de personnes mordues à cet Institut, afin de faire abattre le plus rapidement possible tous les chiens mordus ou suspects.

L'effet de cette mesure se fit promptement sentir, car, en 1897, le nombre des personnes mordues diminua d'une centaine environ.

On pourrait entrer dans de nombreuses considérations en compulsant la statistique générale de l'Institut antirabique de Turin, qui est, après celui de Paris, un des plus riches en chiffres ; mais elles trouveront leur place dans une étude que nous prépa- rons actuellement, M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi et moi, et dans laquelle nous exposons, avec tous ses détails, la statistique décennale de l’Institut.

776 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Il

CONTRIBUTION A LA QUESTION DE LA PRÉSENCE DU VIRUS RABIQUE DANS‘ L'URINE DES ANIMAUX ENRAGÉS

Dans la séance du 11 juillet 1897, M. le professeur Di Mattei communiqua à l'Accademia Gioenia di Scienze naturali di Catania : que l’urine des animaux enragés, inoculée dans la cavité périto- néale en quantités un peu importantes (15-20 c. c.), peut souvent reproduire la rage.

Dès que j'eus connaissance de cette communication, je prati- quai quatre expériences, en inoculant, chez quatre lapins, l'urine provenant d'autant de lapins inoculés sept jours aupa- ravant avec du virus fire.

L'urine fut recueillie avec une seringue stérilisée, de la capa- cité de 30 c. c., en introduisant directement l'aiguille dans la vessie, après avoir ouvert la cavité abdominale du lapin enragé. Tous mes lapins résistèrent.

Après ces quatre expériences, qui ne concordaient pas avec la communication de M. le professeur Di Mattei, je crus devoir sus- pendre mes recherches, en attendant la publication des détails de ses expériences. Sur ces entrefaites, M. le D' Bebi, de Faenza, publia le résultat de ses recherches ?, lequel fut complètement négatif chez tous les cobayes inoculés.

Vers la fin d'octobre, je repris mes expériences, en continuant à inoculer des lapins avec de l’urine provenant de lapins inoculés tantôt avec du virus fixe, tantôt avec du virus de rue, ou prise tantôt de lapins moribonds, tantôt de lapins qui venaient de mourir, d’autres fois de lapins morts depuis un grand nombre d'heures, pour voir du moins s’il se produit, après la mort, un passage de virus rabique.

Dans deux cas je pus inoculer de l’urine de chien enragé.

La quantité d'urine inoculée fut, le plus souvent, supérieure à la quantité inoculée par M. Di Matter. Dans quelques cas j’ino- culai des quantités considérables (60, 80, 90 et jusqu'à 125 c. c.), sans déterminer, chez le lapin, aucun symptôme de rage ni même aucun trouble fonctionnel.

1. La Réforma medica, 196.

2. Sulla non esistenza del virus rabbico nell’ orina degli animali idrofobi. (Gazz. degli Osped. e delle Clin., 1897, no 124.)

INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN, 171

J'ai fait 23 expériences, dans des conditions diverses. Cinq lapins seulement succombèrent : lun, une demi-heure, l’autre 12 heures après l’inoculation ; trois moururent un mois après l'injection, mais non de la rage, ainsi que le démontrèrent des expériences expressément instituées.

Restent donc dix-huit expériences toutes concordamment et abso- lument négatives.

J'ignore le nombre des expériences faites par M. le profes- seur Di Mattei, et M. le docteur Bebi ne dit point combien de cobayes il a inoculés. Ne pouvant admettre que M. le professeur Di Mattei ait été induit en erreur, car la rage du lapin est une maladie assez caractéristique, et, en tout cas, facilement contrô- lable, je ne veux point conclure d’une manière absolue, malgré la concordance de mes expériences avec celles de M. le docteur Bebi, que le virus rabique n'existe point dans l’urine des animaux enragés ; toutefois je me sens autorisé à affirmer que, si le virus se trouve dans ces urines, il n’est ni assez fréquent ni assez abon- dant pour justifier une nouvelle mesure de prophylaxie delarage, basée sur le danger que peut présenter l'urine des chiens enragés.

Dans sa Note préventive, mentionnée plus haut, M. le docteur Bebi écrit que, vu l'issue des expériences de M. le professeur Di Mattei, laquelle semble démontrer l'existence du virus rabique dans l'urine des animaux enragés, il voulut offrir la preuve in- discutable (experimentum crucis) de l’inexactitude de cette con- clusion.

Dans ce but, il mêla le virus rabique à de l’urine humaine et, au bout de 24 heures, il inocula le tout, à la dose de 1 c. c., sous la dure-mère à une série de cobayes (il ne dit pas combien). Aucun d’eux ne contracta la rage; c’est pourquoi il conclut que le virus rabique, dans l’urine, perd complètement sa virulence, principalement à cause de l’acidité de l’urine même.

Dansune communication à la Société piémontaise d'Hygiène", je fis connaître que je ne pouvais confirmer les conclusions de ce collègue, parce que, même après 48 heures de séjour du virus ra-

1. Séance du 29 janvier. (Rivista d’igiene e sanitàa pubblica, 1898, 3.)

1178 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

bique dans Purine humaine, les lapins inoculés étaient morts de

la rage: alors M. le docteur Bebi, dans une courte Note, précisa. davantage le résultat de ses expériences, disant que l'urine ne

détruit pas toujours le virus rabique, et que beaucoup de ses ani-

maux d'expérience (iln’en donne pas le nombre) contractèrent

la rage.

Or, à mes premières expériences, j’en ai ajouté d’autres, en émulsionnant finement un petit morceau de moelle allongée de lapin, mort à la suite d'injection de virus fixe, avec une quantité plus que décuple d’urine fraiche d'homme ou delapin, ayant une réaction acide. L’émulsion fut tenue dans une glacière, à une température qui ne dépassa pas C.; la quantité d’émulsion ino- culée fut de 1/10 de ce. €. pour chaque lapin.

Je résume ces expériences dans le tableau suivant :

SAR le An AGEDU Aubout de combien de + k DO = | = o 4 £ 2 SAVE gs s mélange d'urine | jours est survenue la = £È DATE 6 0e || 1 SREAGTION De et de NORT DU so È 2 £E & = L = a SE #2 Se | virus fixe. Faute s = z der Japin.|2e lapin. a =— me memes ee | 14 janvier. homme acide. 2 12 heures 1 7 14 RE + a og 24 61/9 ; I APRES = + 2 36 7 7 16 PA Eee > D 48 1 1 22 janvier homme. acide. 2 12 heures. 6 6 Le 2 ME 51 6 Il 23 = À =4 la CEE L EE 2, 48 6 6 17 février. homme. acide. 2 24 heures. 7 61/9 TT es pie 2 48 6 6 III AO RES 2 = 2 3 jours. 7 61/2 2Ou— neutre. 2 EL 6 6 17 février. lapin. acide. 2 24 heures. 7 fl ARTE ex Le 2 EE 6 7 IV FACE 1 _ 2 3 jours. ( 6 20 2 4 6 61/9 23 février. homme. acide. 2 24 heures. 7 7 94 = 2 48 ï 61/9 95 ae À = ES 2 3 jour 6 6 20 o JOUrs ) FN SE de ss 2 4 pis ul T9 DRE Es 2 D 7 8 2 mars. _ légèrement acide. 2 S 8 8 FREE æ ns 2 = 8 8 Es de légèrement alcaline 9 AU 91/9 91), NT au tournesol. ART TUE di alcaline au - 9 20 8 g tournesol. FN Fra alcaline aussi à la 9 RES 8 15 phénolphtaléine. PE == —_ 2 90 a SurVéeu |a survécu DORE Le = 2 30 = FT 3 avril. —— 2 40 = 8 2 45 == 12 2 20 == =

as À proposito dell’urina degli animali rabbiosi, (Æivis. d’ig. e san. pubbl., 5.)

INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN. 779

De ces expériences, il résulte que lurine n’a pas, sur Le virus rabique, un pouvoir neutralisant aussi marqué que semble le croire le docteur Bebi ! ; au bout de 8-10 jours seulement le virus rabique mêlé à l'urine commence à s’atténuer; ce n’est qu'après 30 jours environ qu’il s'éteint, et cela bien que l'urine, après

avoir perdu l’acidité initiale, soit devenue nettement alcalinez. 7 ch

LR? {>

f

III

CONTRIBUTION A LA QUESTION DU PASSAGE DU VIRUS RABIQUE DE LA MÈRE AU FOETUS,

Au cours des expériences rapportées dans la précédente Note, il m'est arrivé d'ouvrir l'abdomen d’une lapine en gestation. Elle avait été inoculée le 27 novembre 1897 avec du virus fixe, et elle était mortele 3 décembre suivant. Après la mortelle fut tenue pendant 24 heures à la température du milieu, qui était de 160-180 C.

Dans l'utérus, qui fut ouvert avec toutes les précautions vou- lues, se trouvaient sept fœtus, presque à terme; je lesretirai un à un, puis je détachai les placentas respectifs.

De la cavité crânienne de chaque fœtus, j’enlevai la substance cérébrale que je recueillis dans un seul verre, je la délayai dans quelques centimètres cubes de solution physiologique.

D'autre part, je pris, de chaque placenta, un morceau (un quart environ) que je hachai finement et que je plaçai dans un autre verre, en diluant un peu avec la même solution.

J'inoculai alors, sous la dure-mère, 4 lapins avec l’émulsion de cerveaux et 4 avec l’émulsion de placentas. Aucun des 8 la- pins ainsi inoculés me présenta des symptômes suspects; üls augmentèrent même de poids, et aujourd’huiencore (après #mois environ) ils sont vivants et sains.

Il n’y eut donc passage du virus rabique, de la mère aux fœtus, n1 pendant la vie, ni même dans l'intervalle de 24 heures après la mort. |

1. On ne sauraït trop déplorer la mort prématurée du docteur Giuseppe Bebi. C’est une perte pour la science, car les premiers travaux de ce jeune docteur laissaient espérer beaucoup de son activité. Dans sa Note préventive, il annon-

çait d’autres faits qu’il avait observés, relativement à l'influence de l’urine sur le virus rabique.

780 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

* # _*#

Un second cas, qui peut concourir à démontrer que, ni durant la gestation ni durant l'allaitement, le virus rabique ne se trans- met de la mère au fœtus, serait le suivant :

Le 16 mars 1897 on inocula, sous la dure-mère, 2 lapins, dont l’un était une femelle, avec le cerveau d’un chien suspect d’être enragé.

Le lapin mourut au bout de 25 jours, avec les symptômes de la rage.

La femelle mourut avec les symptômes de la rage (confirmés par l’inoculation de son cerveau sur deux autres lapins) au bout de 60 jours.

Or, 30 jours avant de mourir enragée, elle donna le jour à 5 petits qu'elle allaita. #4 d’entre eux, malgré la cessation de l’allai- tement, survécurent ; le mourut le même jour que la mère, présentant des symptômes un peu suspects.

Avec son cerveau on inocula deux lapins, dont l’un survécut, tandis que l’autre mourut au bout de 7 jours, avec des symptômes peu précis ; avec le cerveau de ce dernier on inocula 2 autres lapins, qui survécurent.

se

Après cela, en présence de l’unique expérience favorable à l'hypothèse du passage du virus rabique de la mère au fœtus, de Perroncito et Carità ', d'une part, et les nombreuses expé- riences contraires de Bardach*, de Pastéur?, de Zagari', de Bombicei” et de Galtier 5, de l’autre, je dois, comme pour la question de l’urine, conclure avec Zagari et Bombicci, que le passage du virus rabique, durant la gestation ou durant l’allaite- ment, s'effectue d’une manière si exceptionnellement rare qu'il n’a aucune importance hygiénique.

1. De la transmission de la rage de la mère au fœtus à travers le placenta et par le lait (Annales de l’Institut Pasteur, 1887, pag. 177).

2. Le virus rabique dansle lait (/bid., page 180).

3. Notes de Laboratoire sur le même sujet (/bid., page 181).

4. Esperienze intorno alla trasmissione della rabbia, dalla madre al feto, attraverso la placenta e per mezzo del latte. (Giorn.internas. delle Scienses med. 1887).

5. Sopra la trasmissione della rabbia dalla madre al feto (Gazz. degli osped., 1892).

6. Journal de Médecine vétérinaire et de Zootechnie (février 1898).

INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN. 181

IV

SUR LE VIRUS DE RUE NATURELLEMENT RENFORCÉ ET NATURELLEMENT ATTÉNUÉ

M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi, d'abord', puis M. le doc- teur Calabrese * ont démontré l'existence d’un virus de rue natu- rellement renforcé, c’est-à-dire d’un virus qui, inoculé à des lapins, les tue en un laps de temps qui se rapproche davantage de la période d’incubation du virus fixe (6-8 jours) que de celle du virus de rue (15-20 jours).

M. le docteur Calabrese décrit spécialement le cas de 2 virus de rue, provenant l’un d’un mouton, l'autre d’un chien, lesquels tuèrent les lapins inoculés et les passages successifs en 9-10 jours, avec une période d’incubation de 6-8 jours.

Comme je disposais d’un abondant matériel de laboratoire, je voulus, moi aussi, instituer quelques expériences relativement à l'existence du virus rabique naturellement exalté, et voici ce que je pus observer :

I. Chien Ferraris. On inocule 2 lapins qui meurent au bout de9 jours. Avec le cerveau de l’un d’eux, on inocule 2 autres lapins : l’un de ces der- niers meurt au bout de 13 jours, l’autre survit.

IL. Chien Pozzolo. On inocule 2 lapins qui meurent l’un au bout de 6 jours, l’autre au bout de 17. Avec le cerveau du premieroninocule2 lapins: l’un meurt au bout de 13 jours, l’autre survit.

HI. Chien Gabri. Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de 10 jours, l’autre au bout de 14. Avec le cerveau du premier, on inocule 2 la- pins qui meurent au bout de 13 jours.

IV. Chien Monzeglio. Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de 6 jours, l’autre survit. Avec le cerveau du lapin mort, on inocule 2 autres lapins, dont l’un meurt au bout de 16 jours, l’autre au bout de 18.

V. Chien Depaulis. Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de 9 jours, l’autre au bout de 11. Avec le cerveau du premier, on inocule 2 au- tres lapins qui meurent l’un après {1 jours, l'autre après 14.

VI. Chat Ilattero. Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de 8 jours, l’autre au bout de 20. Avec le cerveau du premier, on inocule 2 autres lapins qui meurent au bout de 21 jours ; avec le cerveau de l’un d’eux, on inocule encore 2 autres lapins qui meurent l’un après 11 jours, l’autre après 32; avec le cerveau de celui qui est mort au bout de 41 jours,on inocule 2 lapins qui meurent au bout de 15 jours.

1. La Rabbia canina (Torino, Rosemberg e Sellier, 1890).

2. Sur l’existence dans la nature d’un virus rabique renforcé (Ann. de l'Inst, Pasteur, février, 1896).

7182 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Vil. Chien Hôpital militaire de Turin. Des 2 lapins inoculés, l’un meurt après 3 jours, non enragé, l’autre après 7 jours : avec le cerveau de ce dernier, on inocule 2 lapins dont l’un meurt au bout de 11 jours, l’autre de 76; celui-ci cependant sans présenter de symptômes de rage, comme le démontra également le passage ultérieur chez 2 autres lapins.

VIII. Chien Mondino. Des 2 lapins inoculés, l’un meurt après 6 jours, l’autre après 17; ? autres lapins, inoculés avec le cerveau du premier, sur- vivent.

IX. Chien Prina. On inocule 2 lapins qui meurent au bout de 8 jours. Avec le cerveau de l’un d’eux, on inocule 2 autres lapins qui meurent au bout de 6 jours. On fait un troisième passage, et les lapins meurent au bout de 7 jours ; dans un quatrième passage, les lapins meurent l’un en 6 jours, l’autre en 7, et ainsi de suite.

Donc, sur 9 cas qui se prêtèrent pour faire des expériences relatives à la recherche du virus naturellement exalté, il y en aun seul (IX) dans lequel est exclue toute disposition individuelle des lapins; dans tous les autres, le second passage ne donne plus un résultat correspondant à celui du premier.

Si l’on considère que, entre Le premier et le dernier de ces cas, il s'écoula plus d’un an et demi (du 19 juin 1896 au 16 janvier 1898), et que, dans ee laps de temps, on soumit à l’expérimentation les cerveaux de 229 animaux qui avaient mordu, il faudra convenir que l'existence du virus rabique naturellement exalté est un fait très rare.

Toutefois, voici une observation qui me paraît mériter quel- que attention : en s’en tenant au tableau compilé par M. le doc- teur Calabrese, dans lequel les 280 lapins inoculés avec du virus de rue sont groupés suivant le nombre de jours qui s’écoulèrent avant la mort des lapins de premier passage, le virus de rue tuerait le plus grand nombre de lapins le 14° jour, et le chitire le plus élevé des morts se rencontrerait entre le 12° et le 16° jour après linoculation ; or on sait Pasteur a été le premier à l’éta- blir, et tous les autres expérimentateurs l’ont confirmé que le virus de rue tue habituellement Le lapin d'environ 1,500 grammes en 46-18 jours.

Voulant faire une étude de contrôle, j'ai étudié Îles durées d’incubation de la rage chez 1,534 lapins inoculés avec 167 virus de rue de diverse provenance.

J'ai vu ainsi que le chiffre le plus élevé de morts se trouve entre le 15° et le 20° jour et que le plus grand nombre de morts

INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN. 183

correspondrait au 18° jour. En termes plus précis, on aurait 52,5 0/0 de morts entre 15-20 jours après l’inoculation (virus de rue normal) ; 42,1 0/0 entre 10-14 jours (virus subnormal), 6,3 0/0 entre 5-9 jours (virus renforcé); 4,8 0/0 entre 26-31 jours (virus atténué) ; 15,77 0/0 entre 21-25 jours (virus beaucoup atténué) ; 8,6 0/0 entre 32-100 jours (virus très atténué).

Or, tandis que, dans la période comprise entre 15-20 jours, il meurt, d'après mon tableau, 52,5 0/0 de lapins, d’après celui de M. le docteur Calabrese, dans la même période, il n’en meurt que 47,5 0/0, et la mortalité la plus élevée (57,1 0/0) s’observe dans la période comprise entre 12-16 jours après l’inoculation.

Les choses étant ainsi, 1l faut nécessairement admettre ou bien que M. le docteur Calabrese emploie des lapins d’un poids inférieur à 1,500 grammes, oubienquele virusderue desprovinces méridionales, qui alimentent spécialement l’Institut antirabique de Naples, est naturellement renforcé, comparativement à celui des provinces subalpines.

Véritablement il serait intéressant d'entreprendre une étude pour établir quelles sont les causes qui influent sur la virulence de l'agent spécifique de la rage, et l'Italie, vu sa configuration géographique spéciale et le nombre deses Instituts antirabiques, distribués dans ses principales régions, pourrait apporter une importante contribution de données statistiques pour cette étude.

x PE

Quant à l’existence de virus naturellement atténués, il est également à observer que, très souvent, le retard de la mort des lapins est à une résistance individuelle plutôt qu’à une atté- nuation naturelle du virus rabique : en effet, il n’est pas rare de rencontrer des cas dans lesquels des lapins, inoculés avec la mème quantité et qualité de virus, meurent l’un dans le terme ordinaire de 18 jours environ, l’autre beaucoup plus tard.

Ainsi M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi a vu mourir un lapin, inoculé avec du virus de rue, 203 jours après l’inoculation ; j'en ai vu mourir après 150 jours, 122, 104, 98, 97, etc.; mais, tandis que le lapin inoculé en même temps que celui qui était mort 122 jours après l’inoculation mourait au bout de 55 jours,

1. Et cela n’est pas, comme me l’a déclaré par lettre M. le docteur Calabrese, que j'avais interrogé à ce sujet; dans l’Institut de Naples, dirigé par lui, les lapins employés sont du poids de 1,500 grammes environ.

784 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

et que le compagnon de celui qui était mort après 104 jours mourait au bout de84, les compagnons de ceux dont la mort sur- . vint après 150, 98 et 97 jours moururent respectivement au bout de 20, 25 et 21 jours : ce qui veut dire que si, très souvent, les lapins meurent tard, parce que le virus qui leur est injecté est naturellement atténué, dans un nombre de cas presque égal la mort des lapins est retardée par suite d’une disposition indi- viduelle dont l'essence nous est inconnue.

Le Gérant : G. Masson.

Sceaux. Imprimerie E. Charaire.

49me ANNÉE DÉCEMBRE 1898 No 12

ANNALES

DE

L'INSTITUT PASTEUR

SU 18$ aptitudes pathogènes des microbes SapropuyLes.

Par M. H: VINCENT

Médecin-major de deuxième classe, professeur agrégé au Val-de-Grâce,

(Travail du laboratoire de bactériologie du Val-de-Grâce.)

De toutes les propriétés que possèdent les microbes patho- gènes, la virulence est, peut-être, la plus instable, car elle est étroitement subordonnée aux conditions de nutrition et aux influences physico-chimiques ambiantes, si variables, auxquelles ces microbes sont soumis. On en trouve la preuve dans l'histoire de beaucoup d'infections, en particulier de la maladie charbon- neuse, dont le bacille peut passer de la virulence la plus redou- table à la virulence la plus faible, et récupérer, inversement, son activité première par des passages successifs chez des ani- maux de plus en plus résistants.

En se fondant sur de pareils faits, il est permis de se deman- der s’il ne serait pas possible de soumettre les microbes sapro- phytes à une éducation progressive, capable de leur permettre de vivre dans un milieu jusqu'alors hostile, le milieu vivant. En d’autres termes, ne pourrait-on pas les transformer en microbes pathogènes et créer artificiellement, avec leur aide, des maladies expérimentales analogues à celles que provoquent les agents infectieux usuels ?

Quoique souvent posé, le problème n’a été qu'imparfaitement résolu, parce que, lorsqu'on essaie de réaliser expérimentale- ment de telles infections, on est arrêté par des obstacles vérita- blement considérables. Les moyens habituels (association de microbes favorisants, affaiblissement préalable de lanimal

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186 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

infecté, traumatisme de la région inoculée, injection de doses élevées de culture, etc.) échouent devant la répugnance du saprophyte à se développer dans les tissus vivants. On obtient, parfois, la mort des animaux, à la condition d’employer des doses massives, qui tuent l'animal à la fois par leur volume et par les poisons préexistant dans la culture; mais ce résultat ne s'accompagne d'aucune multiplication locale ou générale du microbe inoculé. Or, un microbe ne peut être considéré comme pathogène que s'il possède la propriété de se multiplier in vivo et d'élaborer sur place des toxines dangereuses. C’est donc ce double attribut que l’on doit se proposer de donner au microbe saprophyte, et la difficulté en est grande.

Dans des tentatives qui remontent à plusieurs années, j'avais essayé vainement de produire une maladie expérimentale par linoculation du B. subtilis à de très jeunes animaux, ou par l’association de microbe à d’autres bactéries. Dans un autre essai, le bacille avait été cultivé dans du bouillon additionné de sang de lapin; il s’y développait, d’ailleurs, médiocrement. Le résultat fut peu démonstratif.

Il est donc important de mentionner ici les recherches de M. Charrin en collaboration avec M. de Nittis'. Ce savant a réussi à obtenir la mort du cobaye en se servant d'un B. subtilis rendu virulent par passages successifs chez l'animal, ou par culture dans du bouillon de plus en plus riche en sang ou sur des milieux artificiels de plus en plus riches en poisons diasta- siques, comme la toxine diphtérique. Au point inoculé, il se développait un œdème renfermant des bacilles abondants. Toutefois, il semble que la généralisation du mierobe n'ait pas été constante, car les auteurs font remarquer que les organés étaient « le plus souvent » envahis.

Du reste, le B. subtilis se développe parfois assez mal, même in vitro, dans les milieux organiques. Le sérum normal, ense- mencé avec des spores de ce microbe, peut même le tuer en quelques heures ou quelques jours*.

Dans le même ordre d'idées, M. H. Roger ayant injecté sous la peau d’un cobaye un peu de liquide de macération de viande

4. CaanniN et pe Nrrmis, Un Bac. subtilis pathogène (Soc. de Biologie, 17 juillet 1897).

2. Conf. Lecrer, La Cellule, X, p. 349-375, 1894, et Hazran, Ann. de l'Inst. Pasteur, 7, p. 417. 1898.

APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 787

putréfiée, l'animal succomba. Son sang renfermait un micro- coque inoculable en série seulement sur un deuxième cobaye. La virulence de ce microbe n'avait donc été que transitoire.

Toutes ces expériences démontrent que les moyens habi- tuellement employés pour renforcer l’activité des microbes pathogènes affaiblis ne sont pas aussi favorables lorsqu'on essaie de les appliquer aux saprophytes. C’est pourquoi il a paru nécessaire d'utiliser un autre procédé qui permit plus aisément l’acclimatement graduel de ces derniers à l'organisme animal.

Dans ce but, je me suis adressé à la méthode de M. Roux, qui consiste à cultiver les bactéries dans des sacs de collodion introduits dans le péritoine des animaux. Par son passage dans l’organisme vivant, et grâce aux échanges qui s’établissent à travers la paroi mince de collodion, le microbe, protégé contre les leucocytes, s’habitue à vivre en présence de leurs produits bactéricides dialysés, et à emprunter aux humeurs une partie de ses matériaux nutritifs. C’est ce procédé qui m'a fourni les résultats les plus efficaces.

Les expériences ont été faites avec deux microbes sapro- phytes incontestablement classés parmi les microbes inoffensifs : le Bac. megaterium et le Bac. mesentericus vulgatus (bacille de la pomme de terre). Au préalable on a, du reste, inoculé aux ani- maux des doses massives d’épreuve, sans éveiller autre chose qu'une réaction passagère de la température.

Les cultures en sac ont été faites avec le bouillon ordinaire. Lorsque, après une série de passages en sacs, ces cultures sont devenues plus riches et plus vivaces, les microbes ont été ense- mencés dans du bouillon additionné de 1/5 de sérum. Chaque sac était retiré le 6°-7® jour; son contenu était réensemencé et mis à l’étuve avant d’être soumis à un nouveau passage en sac.

Il importe de dire que la culture en sac des deux microbes, mais principalement du Bac. mesentericus, a été, primitivement, très difficile à obtenir, Le contenu des premiers sacs, à peine opalescent, ne renfermait que quelques bacilles et beaucoup de spores. Après de nombreuses tentatives pour varier les modes et les conditions de la culture en sac, en particulier l'injection quotidienne d'oxygène dans le péritoine des animaux, il a été constaté que le meilleur moyen d'obtenir une végétation abon-

188 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

dante des deux bacilles consistait dans l’usage de sacs à parois assez épaisses, qui protègent mieux les bactéries contre l'action des humeurs et des sécrétions leucocytaires. Avant d'être réparti et scellé dans les sacs de collodion, le bouillon ense- mencé était fortement agité et, d'autre part, on prenait soin de ne pas emplir entièrement les sacs de premier passage, alin de ménager un espace contenant un peu d'oxygène qui facilitàt initialement la prolifération de ces microbes essentiellement aérobies.

Étudions maintenant les résultats particuliers obtenus avec chacun d'eux.

EXPÉRIENCES FAITES AVEC LE B. MEGATERIUM }

Le B. megaterium est un saprophyte très cominun dans le sol. L’échantilion qui m’a servi a été isolé de la terre de jardin. Ce microbe est inoffensif pour le lapin, le cobaye et la souris blanche; cette dernière peut recevoir 1 c. ec. de culture sans en éprouver de dommage.

Un premier sac est fait le 17 avril 1897, et inséré dans le péritoine d’un cobaye ; il en est retiré le 24 avril. Le contenu est faiblement trouble. On trouve, au microscope, des baciiles légè- rement aggelutinés, immobiles, sans spores. La deuxième culture en sac était plus trouble que la précédente, Ni l’une ni l’autre ne se montra encore pathogène.

Après quatre passages en sac, interrompus, chaque fois, par la culture en bouillon et à l’étuve, le bacille avait déjà acquis de la virulence. Quinze gouttes, additionnées d’un peu de bouillon neuf, tuent la souris en moins de 24 heures, en injection sous- cutanée. A l’autopsie, on trouve, au point inoculé, un peu de liquide d’œdème de couleur jaune clair, renfermant quelques bacilles et de très rares lymphocytes. Les préparations faites avec l’enduit péritonéal montrent également quelques bacilles prenant bien la coloration. Dans la rate et le foie, les bacilles sont cependant vacuolaires et se teintent à peine par le Gram. Les poumons sont vivement congestionnés, parsemés de petits foyers de pneumonie. Le sang du cœur renferme des bacilles dégénérés. Le microbe, quoique déjà un peu virulent, était donc, néanmoins, atteint lui-même dans sa vitalité.

APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 789

Ainsi exalté par cultures successives en sac, le bacille finit, cepen- dant, par acquérir, après le sirième passage, une virulence considé- rable. Quatre gouttes et même, dans un cas, deux gouttes injectées sous la peau tuaient la souris en 10-20 heures, avec des lésions de péricardite et de pleurésie hémorrhagiques. Au micros- cope, le liquide épanché montrait de nombreux bacilles, parfai- tement colorables. On apercevait de très rares lymphocytes intacts, et de nombreux leucocytes dégénérés, parfois même à peine reconnaissables, dont le noyau était fragmenté en un nombre infini de granulations irrégulières, éparses dans le pro- toplasme de la cellule. Nulle apparence de globules rouges, malgré l'aspect hématique de l’épanchement pleuro-péricardique. Il y avait done, en même temps qu’une leucolyse intene, une disso- lution de l’hémoglobine telle qu’on l’observe dans les septicémies hémorrhagiques. Le sang du cœur présentait l'aspect dissous ; le bacille y était abondant. L’abdomen était météorisé ; le foie, d'aspect lavé ; la rate, très tuméfiée, molle et noire. L’exsudat péritonéal renfermait de nombreux bacilles, sans trace de pha- gocytose.

Ce microbe, si actif pour la souris blanche, était également très redoutable pour le cobaye et pour le lapin: un demi c. e. tuait un cobaye de 450 gr. en 24 heures, après injection périto- néale ; en 2 ou 3 jours en injection sous-cutanée, avec envahis- sement des viscères et du sang. L'inoculation intraveineuse de la culture en sac amenait la mort, en 12 heures, d’un lapin pesant 1,850 gr., à la dose de un demi c.c. Un c. c. tuait un autre lapin en 8 heures. L’autopsie ne révélait qu’un peu de congestion des reins et des poumons, et du gonflement de Ja rate. Le sang contenait de nombreux bacilles.

On avait donc réussi à communiquer au B. megaterium des propriétés pathogènes très prononcées qui le rendaient capable d'agir avec la même activité redoutable que les virus les plus énergiques. Il tuait les animaux sans déterminer de lésion locale, presque sans altération apparente des viscères, avec la marche d’une septicémie suraiguë.

En mème temps que le bacille acquérait de la virulence, on constatait un changement manifeste dans les caractères de ses cultures. A l’état normal, le B. megaterium, ensemencé dans le bouillon, y forme, à la surface, un voile assez épais bordé d’une

790 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

collerette. Le bouillon sous-jacent est presque clair et renferme quelques grumeaux, visibles quand on lagite. Or, dès le quatrième passage en sac, notre bacille troublait abondamment et uniformément le bouillon, formait des ondes chatoyantes quand on agitait celui-ci, et ne sécrétait plus de voile ni de collerette à la surface. Il semblait s'ètre adapté aux nouvelles conditions d’anaérobiose relative réalisées par la culture dans les sacs de collodion. Nous allons constater, à propos du B. mesen- tericus, des modifications plus remarquables encore.

Les attributs pathogènes de la race du B. megaterium n’ont pu être conservés qu'à la condition de les entretenir par la cul- ture en sac. Abandonné à lui-même et réensemencé à Pair, le microbe s’atténuait progressivement. Après 3 mois, le bacille avait perdu toute sa virulence, même pour la souris blanche. De pareilles défaillances dans leur virulence existent chez un grand nombre de bactéries pathogènes. Du reste, trois passages en sac reslituèrent au bacille sa virulence antérieure.

Les cultures en sac sécrètent des toxines qui diffusent à tra- vers la paroi du collodion, etamènentun empoisonnement lent et un amaigrissement marqué de l'animal, Si on lui laisse le sac, le cobaye peut mourir entre 20 et 30 jours. Un cobaye est mort au huitième jour.

La ressemblance parfaite qu’affecte la nouvelle race de B. megaterium avec les microbes pathogènes proprement dits, s'accuse encore dans la manière dont se comporte le microbe à l'égard du sérum des animaux. Prenons un bacille dont la viru- lence commence à se dessiner, et qui tue la souris blanche à la dose de 1 ce. c. sous la peau. Cette dose, inoculée au lapin, détermine seulement une fièvre légère et éphémère. On injecte ainsi à ce lapin, à intervalles de 8 à 10 jours, des cultures de plus en plus actives du bacille.

Le sang de ce lapin est devenu assez rapidement capable d’agglutiner le B. megaterium à 1/40 et même 1/100. Cette pro- priété agglutinante n’a pas paru nettement transmise par l’héré- dité maternelle.

Lorsqu'on fait agir comparativement, sur le bacille originel et sur le bacille éduqué, un sérum agglutinant, le premier de ces microbes est plus sensible que le second à l’action du sérum. Tandis que le bacille initial s’est laissé agglutiner à 1/20, la

APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 791

séro-réaction était beaucoup moins marquée à l'égard de son dérivé pathogène, et se manifestait seulement à 1/10.

Lorsque, au lieu d’inoculer le microbe virulent, on inocule seulement la culture initiale, le sérum de l'animal ainsi traité devient-1il capable d’agglutiner? L'expérience montre que le pou- voir agglutinant est très faible (1/5 ou 1/6). L'action produite par le saprophyte n’est donc pas assez efficace pour influencer l'organisme et provoquer le phénomène de la séro-réaction. Cet animal fut, du reste, tué par l’inoculation intraveineuse de 1 e. e. du bacille virulent; la mort survint à la fin du jour; il n'avait donc pas davantage été immunisé par le microbe indifférent.

On peut, cependant, vacciner les animaux contre le Bac. Megaterium virulent en leur inoculant des cultures de plus en plus actives. Un lapin, ainsi traité, est devenu réfractaire à l’inocula- tion intraveineuse de 2 ec. c. d’une culture à son maximum de virulence, dont 1/2 c. ce. tuait un autre lapin en 12 heures.

Les expériences qui précèdent montrent qu’il est possible de transformer un saprophyte inoffensif en un microbe pathogène, et de réaliser avec lui une maladie expérimentale mortelle, par- fois presque foudroyante. Il est également possible de donner à l'animal une immunité véritable, passagère ou durable, contre le microbe à virulence exaltée, en utilisant la méthode de vacci- nation que Pasteur a employée pour la vaccination charbon- neuse. Des expériences bien connues de M. Chauveau sur la bactéridie du charbon’, il semblait résulter que la propriété immunisante constituait un caractère fondamental qui permit de définir le microbe pathogène. Nous venons de voir que cette propriété appartient aussi aux microbes saprophytes. Cette con- statation présente quelque importance, car elle renverse la dernière barrière qui sépare le microbe pathogène du saprophyte vulgaire.

La même démonstration découlera encore de l'étude du microbe suivant.

EXPÉRIENCES FAITES AVEC LE ( BAC. MESENTERICUS VULGATUS )

Le B. mesentericus vulg. (bacille de la pomme de terre) qui m'a servi a été isolé d’une infusion de foin soumise à l’ébullition. 4. Cauveau, C. R. de l'Acad. des Sciences, 1882, 1883 et 1884.

192 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

On sait que ce microbe est l’un des plus répandus dans la nature, soit à la surface du sol, soit sur les plantes (Macé). II possède” des spores très résistantes et donne, sur les milieux nutritifs. des cultures assez analogues à celles du Bac. subtilis, dont il n’est peut-être qu'une simple variété. Ses cultures sont, cependant, plus plissées, plus florissantes, plus extensives, et le bacille n’a pas la mobilité du B. subtilis.

Le B. mesentericus vulqg. est complètement inoffensif. On peut injecter au cobaye, au lapin, 6 à 8 c. c. de culture sous la peau ou dans la veine, sans éveiller autre chose qu’un peu de fièvre. La souris peut supporter sans dommage l’inoculation de 2 c. c. de culture. |

J'ai éprouvé, au début, ainsi qu'il a été dit plus haut, de très grandes difficultés pour cultiver ce microbe dans les sacs de collodion. Il fallut le protéger contre l'influence des sécrétions péritonéales, en l'enfermant dans des sacs à parois un peu épaisses, et fournir un peu d'oxygène à ce microbe essentielle- ment aérobie, en agitant le bouillon, avant de l’ensemencer, et en laissant dans le sac un petit espace libre contenant de l’air. Dans ces conditions, les cultures devinrent bientôt abondantes.

Le premier animal qui succomba à l’inoculation du B. mesen- tericus culüivé en sac fut un cobaye de 330 grammes qui avait reçu, dans le péritoine, 4 c. c. du contenu du sac de passage. L’exsudat péritonéal montrait une abondante quantité de leuco- cytes polynucléaires bourrés de bacilles ; il existait aussi de nombreux lymphocytes. On apercevait quelques bacilles libres, très rares, vacuolaires, à peine colorés. L'animal n’avait donc succombé que par suite de la grande quantité de culture qui lui avait été inoculée, mais il n’y avait pas d'infection véritable.

Cependant la culture du sang fut positive, et ce microbe devint le point de départ de la nouvelle race. Par des passages successifs en sac, la culture devint de plus en plus riche. Au passage, la culture était très trouble, presque laiteuse, tant elle était abondante. Certains sacs ont donné des cultures de consistance visqueuse. Les bacilles étaient enfermés dans une sorte de gangue muqueuse. Quelle que fût l’abondance de la culture, c’est plus particulièrement sur la paroi même du sac que les bacilles étaient nombreux. Ils étaient en quantité prodigieuse, tapissant la face interne de la membrane dont la

APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 793

paroi les séparait de la couenne leucocytaire qui enveloppait le sac. Peut-être cette localisation plus spéciale des bacilles s’explique-t-elle simplement par le besoin d'oxygène du mi- crobe.

Le bacille extrait du passage tuait la souris blanche en moins de 12 heures, à la dose de huit gouttes mélangées à un peu de bouillon frais, et le cobaye en 48 heures, à la dose de 3/4 de c. c. introduits dans le péritoine. Un lapin de 1,450 grammes ayant reçu dans l’abdomen 1 ec. c. du contenu du sac succomba en 37 heures.

Le passage en sac fournit une culture un peu plus virulente encore. Elle tuait, en effet, la souris à la dose de cinq gouttes, et le cobaye de 400 grammes à la dose de 1/2 e. c. dans le péritoine. Un lapin de 2,530 grammes mourut en 30 heures à la suite de l'injection intraveineuse de 1 c. c. de la même culture *.

La culture sporulée, soumise au chauffage à 100, puis recultivée en sac, n'avait rien perdu de sa virulence. Celle-ci n’était donc pas passagère, mais elle s'était transmise par descen- dance.

Les symptômes très particuliers provoqués par l’inoculation de ce bacille modifié méritent d’être décrits.

La souris, après inoculation, ne présente aucun trouble particulier pendant 2 ou 3 heures. Alors, elle devient somno- lente, se hérisse et, quand elle se déplace, titube comme un animal ivre. Au bout de 6 ou 7 heures, cet état d'engourdisse- ment s’est aggravé; le train postérieur semble parésié. Le len- demain, si la dose inoculée n’a pas été trop forte pour tuer pré- maturément la souris, on trouve celle-ci, tantôt sur ses pattes, tantôt couchée sur le flanc, dans un état de stupeur absolue.

4. Peut-être aussi (mais ce n’est qu’une hypothèse), les leucocytes, attirés par les sécrétions bactériennes à la superficie du sac, sécrètent-ils, à leur tour, par une influence chimiotactique réciproque, des substances capables d'attirer les bacilles.

2, Dans les cultures successives en sac, il y a parfois, d’un sac à un autre, et sans qu’on puisse en donner une explication plausible, une perte brusque de la virulence, en même temps qu’une diminution de la vitalité du bacille. A plu- sieurs reprises, sans cause appréciable, la culture en sac, jusque-là très abon- dante, était devenue tout à coup très maigre et avait perdu tout pouvoir patho- gène, C’est seulement après plusieurs nouvelles tentatives que le bacille reprend de nouveau son caractère luxuriant et sa virulence.

Abandonné à lui-même et à l'air, le bacille perd progressivement sa virulence.

794 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Les yeux sont clos; les mouvements respiratoires sont à peine apparents. Lorsqu'on pique la souris, elle se débat faiblement. Certaines souris sont restées pendant 24 heures, dans cet état comateux, puis ont succombé. Le coma est quelquefois inter- rompu par des accès de contractions toniques généralisées en opisthotonos, semblables à celles du tétanos.

Les phénomènes nerveux dont il vient d’être parlé sont tou- jours moins marqués chez le cobaye et chez le lapin. Cependant, on observe chez eux un peu de torpeur, une parésie plus ou moins marquée du train postérieur et un ralentissement des mouvements respiratoires. La température s'élève jusqu'à 40, 40°,6, pendant quelques heures après l'inoculation. Puis elle s'abaisse dès que les troubles nerveux et les phénomènes d’in- toxication apparaissent, et elle revient aux environs de la normale. Chez un cobaye, on a constaté de l'hypothermie (379,2).

Les lésions d’autopsie varient un peu, suivant le sièse de l'inoculation. Lorsque celle-ci a été pratiquée sous la peau, on trouve, à l’autopsie, un léger œædème sanguinolent renfermant des bacilles plus ou moins nombreux; aucune trace de phago- cytose. La rate est un peu grosse; les reins sont injectés. Le sang renferme des bacilles intacts, facilement colorables. Lors- que l'injection est pratiquée dans le péritoine, on trouve, dans l'abdomen, un peu de liquide trouble, légèrement visqueux. Les bacilles sont abondants, libres: quelques-uns présentent le phénomène de Pfeiffer. La pulpe splénique, le sang, contiennent des bacilles. Enfin, l'injection faite dans la veine du lapin tue celui-ci sans déterminer de lésions, sauf, parfois, de petits foyers broncho-pneumoniques et une vive congestion des reins. Le foie est de consistance molle.

On peut déterminer une pullulation extraordinairement abondante du bacille, dans les organes, en injectant simulta- nément un peu de culture stérilisée du bacille pyocyanique ou du B. Col.

Les phénomènes morbides et les lésions déterminées, chez les animaux, par le bacille virulent, démontrent que celui-ci tue non seulement par les toxines existant déjà dans sa culture, mais encore par une véritable infection. Les bacilles sont abon- dants, bien colorés, nullement dégénérés, dans tous les viseères et dans le sang. Ce microbe sécrète une toxine particulièrement

APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 795

active, et le mode de culture en sac, par la méthode de M. Roux, semble exceptionnellement favorable à la production de ces poisons. L’inoculation des cultures faites in vitro donne lieu, en effet, à des symptômes analogues ; mais ils sont beau- coup moins marqués, etilest nécessaire d'injecter une dose trois fois plus forte pour amener la mort des animaux.

La production de toxines très actives, sécrétées dans les conditions précitées, ressortira encore de ce fait que quelques- uns des cobayes à qui on insère des sacs succombent pendant la deuxième ou la troisième semaine, sans autre lésion qu'une forte congestion péritonéale et sans qu'il y ait eu passage du microbe hors du sac.

D'autre part, si l’on filtre le contenu d'un sac et qu’on injecte à un animal le liquide filtré, on détermine des symp- tômes de torpeur ainsi que la mort. Toutefois, la bougie de porcelaine arrête une grande partie des toxines.

La toxine chauffée à 65° perd toute son activité.

Suivant l’exemple fourni par les importantes recherches de MM. Roux et Borrel sur l'influence directe des poisons sur le système nerveux central, j'ai expérimenté l’action de la toxine en injection dans le cerveau des animaux. Dans ces conditions, le cobaye meurt, en moins de 24 heures, dans le coma, à la suite de l'injection intra-cérébrale de 1/200 de centimètre cube de culture du B. mesentericus modifié. Un lapin,à qui on a injecté une goutte de culture dans le cerveau, succombe dans le coma absolu en 24 ou 30 heures. Un lapin a cependant survécu à cette dose, après être resté longtemps très malade.

Le B. mesentericus modifié fabrique donc un poison très éner- gique du système nerveux.

Le phénomène de l’agglutination peut être constaté aisément, en traitant le bacille par le sérum d'un animal ayant reçu, à divers intervalles, des cultures de plus en plus actives. Un de nos cobayes agglutinait à 1/15; un lapin à 1/20.

Parallèlement à ces modifications si importantes de ses pro- priétés biologiques, le bacille de la pomme de terre a offert, dans ses caractères sur les milieux de culture, des changements

796 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

singuliers qui fournissent encore une preuve bien remarquable de la plasticité des infiniment petits.

Cultivé dans le bouillon, le bacille normal, tel qu'il existe dans la nature, témoigne de son extrême avidité pour l'oxygène par la production précoce d’un voile dense, cohérent, qui se plisse et s'étend même sur les parois du tube. Il ne trouble pas le bouillon; le voile qui s’est formé peut tomber spontanément ou sous l'influence de l'agitation, et les bactéries ainsi noyées forment rapidement des germes. Un autre voile succède rapi- dement au premier. La pomme de terre ensemencée est, de même, rapidement envahie sur toutes ses faces.

Ces caractères décrits comme classiques, la nouvelle race de B. mesentericus ne tarde pas à les perdre. Au lieu du voile épais, surnageant à la surface du bouillon resté clair, le nouveau ba- cille commence par troubler abondamment et uniformément le milieu. Après 2 jours, on voit apparaître une pellicule mince et fragile quise dissocie avec la plus grande facilité, et qui est len- tement remplacée par un autre voile aussi délicat. La culture est visqueuse. Examinée après quinze jours, elle est remarquable- ment pauvre en spores.

Ensemencé à la surface de la gélose, le bacille modifié ne s'élend pas au delà de la ligne d’ensemencement. Au lieu de cette membrane touffue et plissée qui recouvre la totalité du milieu nutritif, on obtient une strie opalescente, presque trans- parente, qui rappelle entièrement celle du bacille d’Eberth. La ressemblance est encore plus singulière sur la pomme de terre, le bacille donne une traînée mince, humide, luisante, exclu- sivement limitée à la strie d’ensemencement. Par ses nouveaux caractères botaniques, le bacille différait donc entièrement de son ancêtre, et j'eusse moi-même hésité à reconnaître, à ce mo- ment, le bacille vulgaire de la pomme de terre, si je ne l'avais suivi dans son développement. Il fallut ensemencer in vitro le bacille dans du bouillon, et le cultiver à l’étuve pendant quatre ou cinq générations pour voir ce microbe reprendre progressi- vement et rigoureusement tous ses caractères primitifs, comme on voit une plante cultivée revenir peu à peu et spontanément à son type sauvage, si elle n’est plus soumise aux conditions de culture qui avaient réussi à la modifier.

Cet ensemble montre combien il faut faire peu de fonds sur

APIITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 797

la fixité des caractères morphologiques et des réactions de cul- ture des Schizomycètes.

Il n’est pas jusqu'à l’un de ses attributs les plus importants et, en apparence, les plus immuables, à savoir son caractère strictement etessentiellementaérobie, dont notre bacille ne puisse, dans une certaine mesure, se dépouiller à son tour. Malgré son avidité pour l'oxygène, le microbe s’est lentement habitué à vivre dans l'abdomen des animaux, dans des conditions d’oxygé- nation beaucoup moins favorables. Si, avant de fermer la cul- ture en sac et de la mettre dans le péritoine, on additionne le milieu d’un peu de sulfoindigotate de soude, et qu’on retire le sac déjà après 48 heures, on constate que l’indigo a été totale- ment réduit. Les cultures en sac dégagent une odeur particu- lière, caséeuse, analogue à celle des anaérobies, et que n’ont pas les cultures faites à l’air libre. Il y a plus : en cultivant in vitro et dans le vidé fourni par la pompe à mercure le bacille retiré du sac, on s'aperçoit qu'il s’y développe, quoique très fai- blement, alors qu’un échantillon témoin primitif ne donne lieu à aucune culture. Le bacille modifié trouble le bouillon, dans ces nouvelles conditions, et réduit l’indigo. La culture anaérobie, examinée au microscope, montre des bacilles normaux, sans spores, sans formes d’involution. 1! y a donc eu véritablement cul- ture dans le vide d’un microbe exclusivement aérobie. Ces essais ont été poursuivis; mais, à la deuxième génération, la culture était devenue beaucoup plus faible, et la troisième génération fut nulle.

x *# *

Si nous avions à conclure de ces recherches, nous dirions qu'il ne paraît plus possible d'admettre, comme rigoureusement fondée, la classification, acceptée pendant longtemps, des bacté- ries, suivant qu’elles se développent chez l'être vivant ou qu’elles se refusent à vivre ailleurs que sur la matière morte. Cette distinc- tion est artificielle, autant que l’est la notion, si discutable, de la fixité des fonctions et de la morphologie des microbes. Telle est leur flexibilité qu'ils sont capables de s'élever par degrés, de leur état saprophytique banal, à la dignité d'agents pathogènes. Malgré la tendance qu'ils ont à recouvrer leurs caractères héréditaires, les microbes s’accommodent donc, parfois avec facilité, aux nou-

1. Duczaux, Trailé de Microbiologie, t. 1, p. 235.

798 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

velles conditions d'existence qui leur sont imposées. Ils peuvent ainsi acquérir, plus ou moins laborieusement, la faculté de fa: briquer des substances diastasiques toxiques grâce auxquelles ils digèrent et tuent la cellule vivante pour se multiplier sur ses ruines : ils sont devenus virulents. Cette adaptation à la vie parasitaire dans le. milieu vivant n'est, elle-même, qu'un attribut contingent et instable au même titre que les autres pro- priétés du microbe.

De pareils faits éclairent singulièrement la question, encore bien obscure et bien discutée, de la spontanéité morbide. Ils per- meltent, sans doute aussi, d'expliquer le retour de certaines épi- démies, depuis longtemps disparues, dont le germe peut rencon- trer, chez certains animaux inférieurs, un terrain propice au réveil de leur virulence. Tel est le cas pour le bacille de la peste et, vraisemblablement, pour d’autres virus encore. Qu'un mi- crobe, jusqu'alors inoffensif, se trouve, de même, dans des con- dilions qui lui permettent de se développer chez un premier animal réceptif; si le hasard lui offre la série des passages que nous réalisonsexpérimentalement dans nos laboratoires, le sapro- phyte deviendra pathogène. Aïnsi sera née une nouvelle mala- die infectieuse. C’est l'hypothèse que MM. Pasteur, Chamberland ct Roux ünt soulevée, 1l y a longtemps, dans une note mémorable! sur l’atténuätion des virus et sur leur retour à la virulence. Les expériences qui précèdent semblent venir à leur appui.

4. Acad. des Sc., 95 février 1881.

ÉTUDE CYTOLOGIQUE ET CYCLE ÉVOLUTIF

DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE

Par Micuez SIEDLECKI

HISTORIQUE

La Coccidie dont nous nous occupons dans ce mémoire paraît avoir été vue pour la première fois, en 1862, par Eberth. Aimé Schneider, en 1875 (Arch. 3001. exper.), trouva chez les Octopus vulgaris de Roscoff une psorospermie, à laquelle il donna le nom de Benedenia octopiana, caractérisée par des kystes renfermant de nombreux sporocystes (au sens de Léger) avec une quinzaine de sporozoïtes dans chaque sporocyste ; la description, très courte, est accompagnée de quelques figures dans le texte. En 1883 (Arch. zool. exper.), le même savant décrit longuement l'évolution d’une Coccidie de la seiche qu'il ne distingue pas spécifiquement de celle du poulpe, et qui aurait seulement 3, ou rarement # sporo- zoïtes par sporocyste (c'est cette forme que nous avons eue sous les yeux). Dans une note au bas de la page 101, Schneider remarque lui-mème qu'il avait noté 8—15 sporozoïles par sporo- cyste chez la Coccidie du poulpe vue à Roscoff; il ajoute qu’on peut se tromper en appréciant le nombre des sporozoïtes quand on les compte par transparence à travers la paroi du sporocyste; et il ne conclut rien. Schneider s'est-il réellement trompé ? La chose est fort possible; sa Coccidie avec 15 sporozoïtes par sporo- cyste ne parait pas avoir été retrouvée; Mingazzini (Atti della reale Acad. dei Lincei, 1892, 1) déclare, en revauche, avoir trouvé la même espèce de Coccidie chez Sepia officinalis et chez Octopus vulgaris, et c’est celle à 3 ou # sporozoïtes par sporocyste.

Ces considérations nous ont engagé à ne pas nous montrer plus rigoriste que Schneider lui-même dans les distinctions spé- cifiques et à appeler comme lui : Xlossia octopiana, la Coccidie de

800 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

la seiche. Mais il est bien entendu que si l'avenir prouve la parfaite exactitude de ses observations de 1875, le nom de Xlossia Eberthi. proposé par Labbé pour la Klossia de la seiche, devra être adopté.

On remarquera que Schneider, en 1883, a adopté le nom générique Klossiæ créé pour la Coccidie de l’Helix:; Labbé et Léger ont été du même avis. Au contraire, Mingazzini a conservé le nom générique Benedenia. Provisoirement, nous adoptons le nom Ælossia: car il n'y a pas, à l'heure actuelle, de raison suffisante pour séparer génériquement les Coccidies de l’Helix et des Céphalopodes ; mais les premières sont trop mal connues (l'on ne sait à peu prèsrien sur leur évolution avantl’enkystement) pour que notre manière de voir puisse être regardée comme définitive. Aux savants qui s’occuperont de Klossia helicina de décider si elleestgénériquement distincte ou nonde celle des céphalopodes”.

Labbé”, dans son travail d'ensemble sur les Coccidies, donne une bibliographie très complète à laquelle nous renvoyons. Signalons simplement le travail de Schuberg*, de 1895, sur la Coccidie de la souris, que Labbé ne signale pas dans son index, et les travaux de Simond*, Schaudinn et Siedlecki *, Léger ‘, pos- térieurs au mémoire de Labbé.

Le présenttravail a été fait, partie à la station zoologiquede Na- ples(janvier-mai 1897) et partie à l’Institut Pasteur de Paris (1898). Nous tenons ici à exprimer notre vive reconnaissance aux pro- fesseurs Dohrn et Metchnikoff. M. Dohrn a eu la générosité de nous offrir une place à sa célèbre station, nous avons eu une grande abondance de matériaux à notre disposition; M. Metchni- koff nous a recu très cordialement dans son laboratoire et nous a fait profiter de ses conseils si autorisés.

4. Ces lignes étaient à l’impression quand nous avons pris connaissance de la note de M. Laveran (C. 2. Soc. Biologie, séance du 26 nov. 1898), sur l’évolution de la ÆXlossia helicina; elle diffère tellement de celle de la Coccidie de la seiche, que nous pensons que les deux organismes doivent être séparés génériquement, et qu’on doit revenir à l’ancien nom de Schneider, Benedenia octopiana.

2. Lassé À, Recherches zoologiques, cytologiques et biologiques sur les Coc- cidies. -— Arch. zool. exp., 8e série, t. IV, 1896.

3. ScHugerG, Die Coccidien aus dem Darm der Maus. Verhandl. d. nat. hist. med. Vereins Heidelberg, n. folge, V., 4 Ht, 1895.

4. Simoxp, L'évolution des Sporozoaires du genre Coccidium. Annales de l'Ins- titut Pasteur, 1897, t. XI.

5. SCHAUDINN et SIEDLECKI, Beitrige zur Keuntnissder Coccidien. Verhandl. der deutsch. sool. Gesels, 1897.

6. Lécer L, Essai sur la classification des Coccidies et description de quelques

espèces nouvelles ou peu connues. Bull. du Muséum de Marseille, t. I, asc. I, 1898.

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 801

Un court résumé de notre mémoire a déjà été publié dans les Comptes rendus de la Société de Biologie (séance du 15 mai 1898).

IL

TECHNIQUE

Les seiches qui nous ont servi pour nos recherches ont été pèchées dans le golfe de Naples’, et elles ont été disséquées à ‘état vivant. Parfois, nous laissions les animaux séjourner un ou plusieurs jours dans les aquariums de laboratoire de la station zoologique ; mais leurs parasites, observés au bout de ce temps, nous ont toujours paru identiques avec ceux retirés des animaux sacrifiés immédiatement après la pêche.

Toutes les seiches que nous avons examinées étaient infectées plus ou moins fortement. Les parasites étaient localisés à l’appa- reil digestif?. L’infection était reconnaissable à l’œil nu, car la partie postérieure de l'intestin portait des points blancs opa- ques (kystes de grandes dimensions).

Nous avons fait nos observations sur le frais et aussi sur des préparations fixées et colorées. Pour opérer sur le frais, nous nous servions de lamelles très minces, dont nous fondions très légèrement les # angles à la flamme d’un bec Bunsen; la lamelle était ainsi munie de 4 petits pieds qui empèchaient l’écrasement des objets à examiner. Sur une lamelle ainsi préparée, nous déposions, dans une goutte d’eau de mer ou de liquide intestinal, une petite quantité d’épithélium intestinal, que nous fragmen- tions autant qu’il était possible, La lamelle était alors retournée et placée sur un porte-objet.

Les préparations colorées ont été faites avec des frottis ou bien avec des pièces débitées en coupes. C’est la première méthode qui nous a donné les meilleurs résultats; son emploi est d’une importance capitale pour l’étude des Coccidies ; aussi allons-nous la décrire avec quelques détails.

Nous plaçons sur une lamelle, dans une goutte d’eau de mer ou de suc intestinal, un fragment de la paroi intestinale de 5 à

4. Nous avons étudié aussi quelques seiches qui nous ont été envoyées, fixées au formol, par la Société scientifique d'Arcachon; nous n'avons observé, dans l'étude des parasites, aucune différence avec celles de Naples.

2. Une fois seulement, nous avons trouvé des kystes mürs dans le manteau ; ? d'une seiche,

o1

802 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

40 millimètres carrés. Avec des aiguilles fines, nous enlevons les couches muqueuse et sous-muqueuse; la couche épithéliale et le tissu conjonctif sous-jacent, qui renferment les divers stades de l’évolution du parasite, sont alors dilacérés avec soin et répartis d’une façon aussi uniforme que possible sur toute la surface de la lamelle. La lamelle ainsi préparée est retournée et déposée à la surface du liquide fixateur contenu dans un verre de montre. La couche qui recouvre la lamelle est rapidement coagulée et en même temps lui est assez solidement collée pour qu'elle puisse ensuite passer par les divers liquides nécessaires sans abandonner aucun fragment des lissus qu'on y a déposés. La goutte d’eau ou de suc intestinal qu'on met sur la lamelle au commencement de l'opération doit être juste suffisante pour empêcher le dessèchement des tissus étalés avant leur fixation (la structure des Coccidies est profondément modifiée quand ces organismes ont été desséchés avant d’être fixés; 1l faut donc éviter avec un soin tout particulier cette grave cause d’erreur). Si le liquide est en trop grande quantité, la coagulation par le fixateur est insuffisante; le collage sur la lamelle se fait mal et on perd ainsi une partie des tissus déposés ‘.

Comme fixateur, nous avons surtout employé la solution concentrée de sublimé dans l’eau de mer, additionnée de 3 à 5 goultes d'acide acétique cristallisable pour 100 ce. ce. ; la fixation est toujours excellente et les tissus peuvent ensuite prendre presque tous les colorants. Les liquides de Flemming el d’Hermann donnent également de bons résultats, en particu- lier pour les pièces qui doivent être coupées. Le liquide de Perenyi, le mélange de sublimé, en solution, avec de Pacide nitrique à 3 0/0, donnent des résultats inférieurs à ceux des précédents fixateurs.

Les frotlis, après fixation par le sublimé ou les liquides osmiques, sont lavés à l’eau, puis portés dans les alcools de concentration croissante (30°, 50°, 70°, 960), jusqu’à l'alcool absolu on les laisse de 1/2 heure à 1 heure; on revient ensuite peu à peu à l'alcool à 50°.

Les tissus sont alors prêts à être colorés. La lamelle doit

l. Le principe de cette méthode, que nous avions précédemment employée

avec Schaudinn, est indiqué par R. Pfeiffer, dans son travail sur la coccidiose des lapins. 4

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 803

séjourner de 1/2 heure à 1 heure dans le liquide fixateur, de 10 à 30 minutes dans chaque alcool (sauf lalcool absolu). Si le fixateur est un liquide osmique, le lavage à l’eau doit durer au moins 4 heures, à l'obscurité autant que possible, en ayant soin de changer l’eau plusieurs fois. Après la fixation au sublimé, il convient de mettre de l’iode dans l'alcool à 70 ou à 96°.

Pour colorer aussi bien les frottis que les coupes, nous avons obtenu d'excellents résultats en employant lhématoxyline de Bôhmer, en dilution très étendue dans l’eau distillée. Les prépa- rations séjournaient de 12 à 24 heures dans le colorant; puis étaient différenciées par l'alcool à 50° additionné de traces d'acide chlorhydrique. La couleur passe un peu au rouge; mais on revient au bleu violacé en lavant avec l'alcool à 50° légère- ment ammoniacal. Cette méthode met en évidence toutes les finesses de structure des noyaux.

Pour certains détails, il est bon d'employer (et nous Favons fait souvent, surtout pour les coupes) la méthode de coloration de M. Heidenhain (hématoxyline à l’alun de fer).

Ces colorants donnent également une idée assez nette de la structure du cytoplasme; mais on a de meilleurs résultats en fai- santuneseconde colorationavecl'éosinesoitseule,soitadditionnée d'orange G. Nous employions ces substances en solution aqueuse très faible; la préparation devait y séjourner de 3 à 12 heures.

Pour les pièces fixées au Flemming, c’est toujours la safra- nine qui donne les meilleures colorations.

HIT

STADE ADULTE INDIFFÉRENCIÉ DE LA COCCIDIE

Nous désignons ainsi un état de la Coceidie qui, après être partie du stade de sporozoïte, s’est accrue et a accumulé ses ma- tières de réserve, mais ne se prépare pas encore à la reproduction.

A ce stade, la Ælossia octopiana est une cellule ovale, avec des contours toujours bien réguliers (fig. 3); souvent la diffé- rence de longueur des axes de lellipsoïde est si faible que la Coccidie semble sphérique.

Les individus jeunes sont beaucoup plus allongés et peuvent

804 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

même avoir la forme d’un fuseau tout droit (fig. 1)ou légèrement arqué (fig. 2).

Avec la forme, les dimensions de la Coccidie adulte varient aussi dans des limites assez étendues ; en moyenne (c’est le cas de la fig. 3), le grand axe a de 48 à 52 y, le petit a de 40 à 45 pu. Mais on rencontre très fréquemment des individus énor- mes, presque sphériques, d’un diamètre de 150 à 170 y.

La Alossia adulte est une cellule nue. Elle ne présente aucune membrane de structure appréciable. A. Schneider dessine une membrane assez épaisse autour de la cellule; mais le stade re- présenté correspond sans doute à un état plus avancé que celui de notre figure 3. Labbé, en parlant de la structure du proto- plasma des Coccidies en général, fait mention d’une fine mem- brane à la surface des parasites adultes. Jamais nous n’avons pu constater la présence d’une semblable enveloppe ui chez la Klossia de la seiche, ni les Coccidies des Lithobius et des tritons; Simond partage entièrement notre manière de voir. Les con- tours, toujours si réguliers des Coccidies, s'expliquent fort bien par une plus forte réfringence et une différence dans la structure du protoplasme de la Coccidie, comparé à celui de la cellule hôte. Comme nous le verrons plus loin, un certain nombre de faits bien observés (Ex. : pénétration d’un microgamète) se- raient inexplicables si le parasite était entouré d’une membrane. Tout au plus pouvons-nous admettre que le protoplasme est par- ticulièrement condensé à la périphérie de la cellule,

Le protoplasme a une structure bien caractéristique. À la périphérie de la cellule, comme nous venons de le dire, et aussi autour du noyau, il est un peu plus condensé. Ces deux zones sont reliées par une couche intermédiaire extrêmement vacuo- laire ; le protoplasme dessine dans tout cet espace un réseau à grandes mailles. Les vacuoles sont à contenu clair qui se colore très faiblement par l’hématoxyline.

Chez les individus jeunes, les deux couches limites sont par- ticulièrement nettes; elles arrivent au contact suivant l'équa- teur de l’ellipsoïde : il en résulte que cette zone se colore plus fortement que tout le reste de la Coccidie; c’est une disposition que nous avons également observée chez le Coccidium Schneider du Lithobius.

La structure intime du protoplasme est donc alvéolaire; mais

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 805 les parois des alvéoles sont très épaisses et montrent bien les fins granules qui les composent. Ces granules n’appartiennent à aucune des catégories décrites par Thélohan dans le cyto- plasme des Coccidies ; ce sont simplement des microsomes. Ils sont très réfringents, se colorent assez fortement par l’héma- toxyline, de sorte que, après cette coloration, tout le protoplasme a une teinte bleuâtre. Si l’on fait ensuite une coloration à l’éosine, on à une teinte rouge violacé. Dans les régions le proto- plasme est condensé, les granules occupent tout l’espace ; il n°y a plus d’alvéoles, et la cellule a un aspect granuleux uniforme.

Presque tous les savants qui ont étudié Ælossia octopiana ont plus ou moins bien vu cette structure du cytoplasme, mais c’est seulement Mingazzini quia noté la différenciation en deux zones. La disposition spéciale du protoplasme en trainées radiales, entre lesquelles sont des vacuoles, rappelle un peu ce que l’on observe chezles cellules végétales. La ressemblance est surtout frappante avec les cellules de Chara fragilis, M. Debski décrit une structure alvéolaire du protoplasma, les parois des alvéoles montrant un aspect granuleux.

Dans ces parois, chezles jeunes individus de AXlossia, on re- marque des granules arrondis plus gros que les autres, qui, à l'état frais, se distinguent à leur forte réfringence ; ils ne sont solubles dans aucun des fixateurs employés ; ils se colorent dis- tinctement par l'hématoxyline et le carmin aluné. Ils correspon- dent aux granules chromatoïdes de Thélohan; il ne faut pas les confondre avec les granules de chromatine, d’origine nu- cléaire, que l’on trouve aussi dans les parois des alvéoles, mais seulement à certains stades de la division nucléaire que nous décrirons plus loin. La distinetion est d’ailleurs très facile ; car on reconnaît que le noyau est en état de division à sa structure particulière. En général, chezla Coccidie adulte, les granules chromatoïdes ne persistent pas.

Assez souvent, chez des Ælossia très jeunes, nous avons ob- servé, dans le cytoplasme, des granules que l'acide osmique noir- cit; ce sont des globules de graisse : on neles rencontre chez des Coccidies plus développées que dans des cas de dégénérescence.

Quant aux granules plastiques qui, d’après Labbé, doivent se trouver chez la Alossia de lu Seiche, « plusieurs... ràles..…. dans une même aréole cytoplasmique », nous ne les avons jamais

806 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

observés, malgré les différents modes de fixation et de colora- tion employés.

Ni chez les adultes ni chez les jeunes Alossia, nous n'avons vu de centrosomes. Labbé les dessine comme des corpuscules ronds, situés près du noyau, dans une vacuole, mais sans aucun arrangement du protoplasme autour. Nous sommes persuadé que Labbé interprète inexactement les corps qu'il dessine. Ce sont simplement des granules chromatoïdes, et il n°y a aucune raison de les considérer comme centrosomes.

Le noyau, toujours très bien visible, occupe le centre de la Coccidie. Il comprend une membrane, un réseau de chromatine et du sue nucléaire; au centre, est en suspension un gros corps, se colorant fortement et d’une structure très spéciale. Presque tous les savants qui ont étudié la Ælossia octopiana caractérisent ainsi son noyau. Seul, Schneider n’a pas remarqué la présence du réseau de chromatine, sans doute parce qu'il se servait de méthodes de fixation et de coloration peu précises.

La membrane nucléaire, chez les invidus adultes, est toujours nettement visible comme une couche très mince moulant les con- tours du noyau; elle se colore de la même façon que le réseau de chromatine ; et, en fait, elle ne représente qu’une partie plus condensée de ce réseau. Quand on en prend une vue superficielle à de très forts grossissements (fig, D., p. 810), on constate qu'elle consiste en un réticulum de chromatine très condensée, avec des mailles très petites. Les petits filaments et bâtonnets de chromatine de ce réticulum restent toujours en communication avec ceux de l’intérieur du noyau, Labbé (p. 573) dit, en parlant de la membrane nucléaire de Xlossia Eberthi, que « sur des coupes fines, elle paraît percée de pores », et, plus loin, « que, dans des coupes minces, il est difficile de voir la limitalion exacte du noyau autrement que par la coloration des petits granules de chromatine...». Cette description confirme notre manière de voir; les « pores » correspondent certainement à des mailles superfi- ciélles, et les « granules chromatiques » à des nœuds du réseau chromatique que nous avons décrit. Du reste, les recherches cytologiques ont établi que presque toutes les cellules ont une membrane nucléaire qui n’est autre chose qu’une condensation de chromatine à la surface du noyau; Alossia ne fait done pas exception à la règle générale. A l'extérieur du noyau et en

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 807

contact avec la pseudo-membrane nucléaire, se trouve le réseau chromatique. Il consiste en un amas de bâtonnets et de granules chromatiques, reliés entre eux par de fins filaments, prenant moins fortement les colorants basiques ; ils sont formés de linine. Les portions les plus condensées de ce réseau renferment à leur intérieur des espaces plus clairs. Souvent la couche du réseau chromatique est très mince et adhère tellement à la sur- face du noyau qu'elle semble être simplement une partie moins condensée de la membrane. Vers le centre du noyau, le réseau est de moins en moins compact: mais des parties de chromatine très minces traversent le noyau en entier. En général, on peut dire que le réseau de chromatine est ainsi disposé que ses parties ont une tendance centrifuge. | Le réticulum chromatique est plongé entièrement dans le sue nucléaire qui remplit tous les espaces vides du noyau. Sur les préparations, ce suc apparaît comme une substance très finement granuleuse, qui se colore faiblement aussi bien par les couleurs basiques (hématoxyline) que par les couleurs acides (éosine), Nous en concluons que ce suc consiste dans le mélange de deux substances, l’une correspondant au karyoplasme des animaux supérieurs, l’autre à la chromatine, probablement à l’état de dis- solution. Cette supposition est d'autant plus probable que, à divers stades du développement de la Ælossia que nous décrirons plus loin, il se produit très nettement une dissolution de chro- matine dans le suc nucléaire; il est donc fort possible que, à un stade encore indifférencié, il se manifeste une sorte de prédispo- sition à cette dissolution, A l’intérieur du noyau, souvent même au centre, et toujours dans une région le réseau chromatique est réduit à de très fins filaments traversant tout le noyau, on observe un gros corps rond, prenant fortement les couleurs basi- ques; c'est un nucléole (Schneider, Mingazzini) d’une structure très spéciale. Labbé donne à ce corps le nom de Karyosome. Avec Schaudinn, nous avons appelé des corps semblables chez Adelea ovata et Coccidium Schneideri, « Binnenkürper » (au sens de Rhumbler). La structure et la fonction de cette partie du corps de la Coccidie semble être bien différente de celles des nucléoles vraies|des cellules de métazoaires,.et nous adoptons ici le nom de Karyosome, qui est bien pris au sens de E. Wilson dans son livre sur la cellule. |

808 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Le karyosome est toujours, dans une cellule adulte indiffé- renciée, sphérique. Il se colore souvent si fortement avec les - substances basiques qu'il semble être de structure compacte et uniforme (lig. 3). Mais en employant des colorants très électifs, on voit qu'il se compose de deux parties. L’une corticale, épaisse, est très condensée et, observée à de très forts grossissements, montre une structure alvéolaire. Les alvéoles sont très petites, et les espaces qui les séparent sont relativement très épais, de sorte qu'un gonflement, même léger, provoqué par les réactifs, fait disparaître les alvéoles. Souvent, elles sont disposées si régu- lièrement qu'elles donnent l'apparence d’une striation radiaire, telle qu’elle a été décrite par Schneider. Cette zone corticale se colore très distinctement par les substances basiques, etelle existe toujours, quel que soit l'âge de la Coccidie, même chez les plus jeunes; de sorte que jamais son apparition n'indique une dégé- nérescence du karyosome, comme le veut Labbé. Cette couche corticale semble être la partie principale du karyosome:; elle est formée de vraie chromatine :.

A l’intérieur de cette membrane, on trouve une substance granuleuse, très fine, qui se colore faiblement par lhématoxyline, mais prend assez fortement les colorants acides ; avec le picro- carmin, la membrane se colore en rouge, tandis que la substance intérieure reste jaune. Elle remplit toute la cavité du karyosome, à l'exception d’une vacuole grande et claire, située assez près de la périphérie. Vis-à-vis de cette vacuole, se trouve toujours une petite ouverture dans la paroi du karyosome. De cette ouverture, sort un mince pédoncule formé de la même substance granuleuse qui emplit le karyosome. A l'extrémité de ce pédoncule, est attaché un petit corps rond se colorant très fortement avec les couleurs basiques; c’est un karyosome secondaire. Souvent (fig. 3) le pédoncule est très court, et la petite sphère se trouve tout près de la surface de la grosse, parfois même dans un léger enfoncement de la membrane du karyosome principal.

Nous avons observé la présence du karyosome secondaire chez toutes les Klossia octopiana adultes, mais encore indifférenciées. Mais, pour cela, il est nécessaire que la coloration soit bien élective; car souvent, sur les préparations, la petite sphère est située soit

4. Cette constitution chimique différencie donc notre karyosome des nucléoles vraies qui ne renferment jamais de basichromatine:

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 809

au-dessus, soit au-dessous de la grosse et alors elle devient difficile à apercevoir. Dans les préparations faites par la méthode de Heidenhain (hématoxyline et alun de fer), on réussit à voir très bien le karyosome secondaire dans toutes les positions, car. il prend la couleur noire beaucoup plus fortement que le gros, et on l’aperçoit comme une tache noire au-dessus jou au-dessous de la tache grise du karyosome primaire. La présence du karyo- some secondaire est un fait normal et n’est en relation ni avec une dégénérescence ni même avec une transformation nucléaire quelconque, comme le prétend Labbé.

Chez les jeunes Ælossia, on retrouve la même production, mais sous une forme un peu différente. Il nous a été possible de suivre, sur nos préparations, tous les stades du développement de la Alossia à partir de la pénétration du sporozoïte dans la cel- lule épithéliale de l'intestin, et nous avons constaté que toutes les parties du noyau et du karyosome que nous venons de décrire, ou existent depuis le début de l’évolution, ou se forment de parties déjà existantes, et cela à des périodes il est impossible de parler de dégénérescence.

Une jeune Klossia, dès qu’elle a perdu les caractères d’un sporozoïte (fig. 1), se présente comme une cellule allongée avec un cytoplasme granuleux renfermant un grand nombre de vacuoles. Le noyau a conservé la forme sphérique qu'il avait dans le sporozoïte ; mais, en son centre, on aperçoit un gros karyosome, caractérisé par deux couches de colorabilité diffé- rente.

La chromatine n’a plus l'aspect compact qu'elle présentait chez les sporozoïtes (fig. 26), mais elle se dispose en un réseau très fin qui, du côté externe, constitue la membrane nucléaire, et dont les filaments vont, du côté interne, jusqu’au karyosome (stade de la fig. A). Un certain secteur du réseau annulaire est toujours reconnaissable par la présence d’un amas particulière- ment dense de chromatine ; les contours de cet amas sont assez irréguliers ; il touche par son extrémité distale le karyosome (voir fig. A, à droite et en haut).

Au point de contact des deux corps, on ne distingue pas bien la membrane du karyosome, etil semble qu'une communi- cation puisse se faire en ce point entre les deux masses.

Pendant l'accroissement du noyau, le réseau chromatique se

810 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

relire de plus en plus à la périphérie (fig. B); l’amas, à structure plus dense, prend une forme très régulière, celle d’un triangle appuyé par sa base contre la membrane nucléaire et dont le sommet touche la membrane du karyosome (fig. B).

À / :

La cellule s'accroissant de plus en plus, son noyau grandit, devient ovale ; le réseau de chromatine est presque exclusive- ment à la périphérie du noyau, et la communication entre l’amas polaire et le karyosome ne se fait plus que par un pédoncule mince et allongé. (Fig. C.)

Enfin, quand le noyau atteint presque son état adulte, le contact entre l’amas et la membrane nucléaire cesse ; on a une petite boule de chromatine très condensée reliée au karyosome par ur mince pédoncule (fig. D) ; c’est le karyosome secondaire que nous avons décrit. Le pédoncule se raccourcit encore et nous avons le stade de la fig. 3.

Cette évolution prouve, d’une façon indiscutable, que la présence du karyosome secondaire est normale ; mais sa fonction est assez énigmatique. Nous pensons, d’après son développe- ment et aussi d’après des faits que nous exposerons plus loin, qu'il joue un rôle d’intermédiaire entre la chromatine du réseau nucléaire périphérique et celle qui constitue la couche corticale du karyosome primaire. Durant l'accroissement de la cellule, il peut entrer ainsi une certaine quantité de chromatine dans le gros karyosome. Au moment de la division nucléaire, cette chromatine s'échappe en partie par le même chemin et sert à renforcer le réseau chromatique. C'est au voisinage du karyo- some secondaire, en effet, que commencent tous les change- ments nucléaires qui se produisent au moment de la transfor- mation de l’adulte indifférencié en individus sexués.

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICIHE, 811

L %

Nous montrerons, dans ies pages qui vont suivre, que la reproduction de la Xlossia est précédée d’un phénomène sexué, Ici, nous voulons insister sur ce point que nous avons vainement cherché une multiplication endogène, correspondant aux stades cimériens à kystozoïtes de Léger, aux stades à mérozoïtes de Simond, ou à ce que Schaudinn et nous avons appelé stade à macrogamètes. Chez la Klossia de la Seiche, une pareille multipli- cation n'existe pas, et le macrogamète, c’est-à-dire la cellule femelle, celle qui reçoit l'élément mâle, le microgamète, est simplement le produit de l'accroissement, sans multiplication, d'un sporozoïte sorti d'un sporocyste. Ce cas estunique jusqu'ici chez les Coccidies ; aussi tenons-nous à le mettre en relief.

Malgré cela, l’auto-infection peut fort bien se produire, mais par un mécanisme particulier que nous décrirons plus loin. Disons iei qu'elle n’a pas lieu par une division en deux comme le prétend Labbé. Nous sommes convaincu, d’après l'examen de nos préparations, qu’un pareil mode de multiplication n’existe ni chez Klossia octopiana, ni chez Adelea ovata Schn., ni chez Coccidium Schneideri (Etmeria Schneideri Bütsch.) et C. proprium Schn. Les figures que donne Labbé correspondent à des stades qui suivent la fécondation". La présence de deux Coccidies dans une même cellule hôte s'explique fort naturellement par une infection multiple. Simond a interprété de la même façon les observations de Labbé.

La ÆXlossix de la seiche, après être restée un certain temps dans un état indifférencié, peut se transformer soit en une cellule susceptible d’être fécondée, soit en une quantité de germes mo- biles qui sont des éléments fécondateurs, au même titre que les spermatozoïdes des métazoaires.

Les deux processus débutent de la mème façon, de telle

1. Nous sommes obligé de faire remarquer que les figures de Labbé, en par- ticulier celles qui se rapportent à ÆXVossia Eberthi, sont très inexactes. Les Ælossia sont toujours régulièrement arrondies et, quand la fixation est bonne, elles n'ont jamais les contours plissés et ondulés que représente Lahbé; la même critique est applicable à ses figures nucléaires. Ainsi s'expliquent les nombreuses divergences de faits que nous avons déjè signalées et que nous au- rons encore à signaler entre nos observations et les siennes. Tous les cytologistes qui jetteront un coup d'œil sur les planches de L., se convaincront du bien fondé de nos critiques.

812 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

sorte que, quand on a affaire aux premiers stades de la transfor- mation, on ne peut pas reconnaître le sort ultérieur de la cellule ;. mais nous ne pensons nullement qu’il ne soit pas déterminé d'avance.

EM

DÉBUT DE LA TRANSFORMATION DE LA KLOSSIA ADULTE

Les premiers changements consistent en un bourgeonnement du karyosome primaire. D'abord le karyosome secondaire aug- mente de volume,comme si une certaine quantité de la substance du gros karyosome avait pénétré à son intérieur, en suivant le pédoneule. Et en fait, c'est ce qui se produit. La substance chromatique du petit karyosome devient plus lâche, se répartit sur une boule creuse, dans laquelle pénètre la masse granuleuse amenée par le pédoncule. Le bourgeon grossit ainsi de plus en plus, et peut arriver au même volume que le karyosome primaire; il a aussi exactement la même structure.

À ce stade, nous avons donc 2 karyosomes reliés entre eux par une mince bride de substance granuleuse, et dont les orifi- ces des membranes chromatiques se font vis-à-vis. Ils peuvent se séparer complètement par la rupture du ligament qui les unit; et alors on aperçoit, aux points lesrestes de celigament sont en contact avec les karyosomes, deux petites sphères for- tement chromatiques.

Mais, la plupart du temps, ils restent unis ; et alors on voit, sur le trait d'union, une petite sphère chromatique qui s'accroît, en même temps que son contact avec le filament devient de plus en plus fragile, étant bientôt réduit à un fil de la même substance granuleuse. Le troisième karyosome ainsi formé ressemble com- plètement aux deux premiers et peut, ou bien leur rester uni, ou se détacher.

Les karyosomes, unis entre eux ou libres, donnent, par le même processus que nous venons de décrire, naissance à d’au- tres semblables. Naturellement, les nouveaux karyosomes formés sont d’un volume moindre que les premiers, et ce volume va constamment en diminuant, de sorte que les derniers (il s’en produit souvent plus de 20) se présentent sous la forme de petites sphères l’on peut difficilement reconnaître leur struc- ture formée de deux couches,

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 813

Pendant ce temps, ces deux couches restent presque exacte- ment de même structure dans le karyosome primaire ; pour- tant, la couche chromatique externe devient relativement plus mince. Nous avons une explication satisfaisante de ce fait en considérant le mode de dérivation des karyosomes secon- daires du karyosome primaire. Une partie de la chromatine de la couche corticale de ce dernier se transforme dans la masse granuleuse centrale ; à cet état semi-fluide, de suspension, elle suit le filament qui unit les deux sphères et vient tapisser inté- rieurement la zone corticale du karyosome secondaire. Les ligaments unissant les karyosomes prennent toujours assez bien les couleurs basiques, ce qui indique qu'ils sont formés de chromatine à l’état de très fines particules.

Les zones corticaies des karyosomes des autres générations se constituent de la même façon, et le résultat est la diminution d'épaisseur de la membrane chromatique du karyosome pri- maire ; par conséquent, la zone centrale du karyosome, présentant les réactions de l’'oxychromatine, devient plus volumineuse et par suite plus visible qu'au début du processus. C’est probablement cette observation dernière qui a fait dire à Labbé qu'il y avait transformation de la basichromatine ordinaire du karyosome en oxychromatine.

Le bourgeonnement du karyosome a été constaté par Schneider et par Mingazzini, qui le considèrent comme un stade précédant la sporulation. Schneider a mème remarqué que le Le" bourgeon, «nucléolite », se forme au-dessus du «canal micro- pylaire » et «semble s'être échappé du centre du premier». Labbé, au contraire, voit dans la formation des bourgeons le signe de la dégénérescence du karyosome. D’après lui (p. 580), le karyo- some de ÆKlossia est «une sorte d'organoïde qui, au début, n'est qu'une réserve de chromatine, mais qui s'accroît peu à peu de tous les éléments excrétoires du noyau. En s’accroissant, il bourgeonne continuellement d’autres karyosomes, qui jouent le même rôle et se dissolvent ensuite, pour la plupart, dans le

1. Labbé, en traitant cette partie de la bibliographie, et parlant de la des- cription du bourgeonnement par Schneider, dit (page 571): « Phénomène que l’auteur assure avoir suivi de visu.» Dans le travail de Schneider sur la sporula- tion de ÆXVossia octopiana, nous trouvons au contraire la phrase suivante : «… Je ne viens pas dire: j'ai suivi de visu /a marche du phénomène, mais l’inter- prétation que je suggère se présentera certainement la première à la pensée de tous. »

814 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

suc nucléaire ». La chromatine ainsi transformée se trouve, d'après le mème auteur, remplacée par de nouveaux karyosomes et filaments chromatiques qui apparaissent près de la parot du noyau après la dissolution des karyosomes primaires. Nous avons, d’après l'examen attentif de nos préparations, montré quelle était la marche du phénomène de bourgeonnement, et il nous parait impossible de concevoir ce phénomème comme une dégénérescence, mème «normale». Notons également combien est énigmatique l'apparition de nouveaux karyosomes, d’après Labbé ; il ne dit rien en effet pour expliquer leur provenance.

A partir du stade le karyosome primaire a donné plu- sieurs bourgeons, commencent à se produire des changements nucléaires qui permettent de différencier les stades ultérieurs en stades mâle et femelle.

Nous allons d’abord nous occuper de la formation des élé- ments mâles, des microgamètes.

v

FORMATION DES MICROGAMÈTES (FIG. 4-14).

Quand la division des karyosomes est déjà assez avancée, le noyau entier change aussi d'aspect. Son réseau chromatique ne reste plus uniquement superficiel ; ses bätonnets et ses gra- nules commencent à se réunir en filaments allongés.

Les petits karyosomes qui se trouvent près du réseau chro- matique viennent se confondre avec lui, et leur chromatine ren- force les filaments. Les autres karyosomes secondaires se dis- solvent dans le suc nucléaire qui prend plus fortement lhéma- toxyline (fig, #). A la suite de la transformation du réseau chro- matique, la membrane nucléaire devient de plus en plus mince, sa chromatine entrant dans la constitution de nouveaux filaments, et finalement elle disparaît complètement. Le noyau conserve encore un certain temps sa forme ronde, mais peu à peu ses limites deviennent peu distinctes ; il y a une certaine fusion avec le cytoplasme (fig. 5). Ce dernier subit aussi quelques change- ments consistant surtout en ce que les parois alvéolaires se dis- posent de façon à former des trainées radiaires allant du noyau à

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 815

Ja périphérie de la cellule. La structure alvéolaire du cyto- plasme n'est bientôt plus reconnaissable par suite de l’accroisse- ment du nombre des granules ; cette structure granuleuse est de plus en plus accentuée, surtout au voisinage du noyau et à la périphérie de la cellule.

La fusion du noyau et du protoplasme devient de plus en plus intime. La substance nucléaire, suc et filaments de chro- matine, pénètre dans les espaces intervacuolaires et se dirige vers la surface de la Coccidie (fig. 6). On voit encore quelques grands karyosomes au centre de la cellule, tandis que les petits suivent les filaments chromatiques par les voies radiaires qui existent tout autour du noyau. Les karyosomes restants se divisent et se dissolvent dans le reste du suc nucléaire ; toute la chromatine se porte ainsi vers la périphérie de la cellule (fig. 7) elle constitue des amas ; au centre, ce qui reste du noyau se présente sous forme d’une masse granuleuse se colorant assez fortement. Peu après, les tractus qui unissent le noyau à la périphérie deviennent plus minces ; ce qui reste de chromatine au centre se dirige vers la surface et on la voit comme des gra- nules fortement colorés répartis dans les filaments plasmiques qui rayonnent vers la périphérie. A la place occupée par le noyau, apparaissent des vacuoles.

La chromatine, située maintenant à la périphérie dela Coccrdie, y est réunie en petits amas formés de filaments toujours accom- pagnés de très petits karyosomes.

La Coccidie, durant ces changements, prend une forme de plus en plus sphérique. Si l’on examine sa surface, on voit (fig. 8) qu’elle est couverte d’une sorte de réseau chromatique irrégulier, plus condensé en quelques points, et renfermant dans ses mailles de petites sphères se colorant très fortement (karyo- somes). Il y a condensation de plus en plus grande du réseau en certains points; les amas constitués ainsi sont de grosseur inégale et renferment un nombre variable de karyosomes. Par un phénomène de simple étirement, ces amas se divisent en deux ou plusieurs fragments qui se condensent à leur tour en affectant de plus en plus un aspect nucléaire. Division et con- densation continuent, et nous arrivons à un stade tel que celui figuré en 9, toute la surface est recouverte de noyaux à con- tours un peu irréguliers, espacés assez régulièrement.

816 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Quelques noyaux se divisent encore amitotiquement. Dans le centre de ceux qui sont arrivés au terme de leur division, on peut apercevoir un petit corpuscule fortement chromatique qui, à notre avis, correspond à un petit karyosome. A cause de la difficulté de l'observation et de la petitesse des objets, il nous a été impossible de constater l'existence d’un tel karyosome dans chaque noyau. Mais nous pensons que leur présence est cons- tante. Vus de la surface, les noyaux semblent être ronds ; mais dans une coupe de la sphère, ils sont vus de côté, ils se pré- sentent sous forme de petits sacs (fig. 10) qui touchent la surface du corps de la Coccidie par leur partie fermée. Les parois de ces noyaux sont formées par un réseau chromatique très compact au milieu duquel on aperçoit un corps fortement coloré, le karyosome. Par sa partie ouverte, le noyau semble communiquer avec le protoplasme de l’intérieur de la Coccidie.

Au stade suivant, on constate que les noyaux deviennent plus compacts ; autour de chacun d’eux se différencie une couche de cytoplasme plus condensé ; par suite, on aperçoit des lignes claires séparant les champs des divers noyaux (fig. 11). Bientôt, il va se constituer sur toute la surface de la sphère des excroissances, chacune d'elles étant occupée à son extrémité distale par un noyau. Ces excroissances s’allongent par une sorte d’étirement de la masse plasmique granuleuse centrale, en même temps que les noyaux se condensent et prennent la forme d'un ovale très allongé (fig. 12 et 13). Le réseau chromatique nucléaire n'est alors presque plus reconnaissable. La coloration à l’hématoxyline, par la méthode d'Heidenhain, montre une structure tout à fait compacte ; en revanche elle décèle la pré- sence, dans la partie protoplasmique qui sert de pédoncule aux noyaux, de filaments très ténus qui se colorent en noir intense (fig. 13). Ils semblent former des filaments axiaux allant du noyau à la masse granuleuse centrale.

Les filaments protoplasmiques qui servent de pédoncules aux noyaux s’étirent de plus en plus, et ceux-ci deviennent aigus à leur extrémité (fig. 14). Une partie du protoplasme des pédon- cules pénètre dans les noyaux; la partie chromatique de ces corps s’allonge en effet de plus en plus, tandis que la partie cyloplasmique diminue graduellement. Dans l’intérieur des filaments chromatiques ainsi formés, on aperçoit, en employant

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 817

de très forts grossissements, quelques alvéoles, remplies de cyto- plasme, disposées en file. L'’étirement de la chromatine conti- nuant, elle arrive à occuper toute la longueur des filaments qui recouvrent la sphère centrale; ces éléments se détachent alors de la masse granuleuse restante; en même temps, la partie par ils prenaient insertion s’étire à son tour et se termine en une pointe fine.

Nous avons donc, à ce stade, une masse sphérique granu- leuse centrale', avec quelques vacuoles, et tout autour des fila- ments fortementchromatiques orientés dans toutes les directions. Ces filaments sont formés de chromatine à l'exclusion de quel- ques espaces centraux plus clairs, formés de cytoplasme; ils ont ainsi un aspect moniliforme (fig. 16); ils sont pointus aux deux extrémités et ne possèdent pas de cils. Leur mobilité est très grande. Alors qu’ils sont encore attachés à la sphère de reliquat, ils peu- vent se mouvoir en se pliant dans diverses directions. Dès qu'ils sont libres, ils sont animés de vifs mouvements ser- pentiformes. Nous désignons ces éléments sous le nom de micro- GAMÈTES. Chez la X lossia de la seiche, ils ont déjà été vus par divers savants. Eberth les a le premier signalés, mais ce sont surtout Schneider, Mingazzini et Labbé qui en donnent de longues des- criptions. Mingazzini qui, d'une façon générale, les a bien observés et a même vu certains stades de division nucléaire pré- paratoires à leur formation, pense qu’ils sont homologues des sporozoïtes qui, chez les autres Coccidies, se forment direc- tement en dehors des kystes (sporozoïtes eimériens).

Des deux autres savants, Schneider les considère comme des formations cadavériques, tandis que Labbé prétend (p. 645) que : Q1ln'y a aucun doute pour que ces pseudo-sporozoïtes.. soient des formations tératologiques.… » ; il n’a pas vu leurs mouve- ments, car il décrit seulement des états non adultes où, en effet, ils sont immobiles. Le même auteur donne un dessin et décrit (p. 615) un cas il a trouvé, dans la même enveloppe kystique, des spores, chacune avec 3 noyaux, et (une masse granuleuse avec une couronne superficielle de noyaux, et ces noyaux sont Juste égaux à ceux des sporozoïtes des spores. Ces noyaux for- meront autant de pseudosporozoïtes, qui... auront la valeur de

1. Il arrive parfois que cette masse, au lieu de rester unique, se fragmente

en deux ou trois morceaux. p2

818 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

sporozoïtes de spores, mais... ne seront pas des sporozoïtes ». D’après le dessin fort schématique de Labbé (fig. 11 du texte), nous pensons qu’il s’agit, dans le cas décrit par lui, d’une simple juxtaposition de deux formations distinctes ; et la membrane qu'il représente autour des deux corps est peut-être une por- tion de la couche muqueuse intestinale ou des restes de cellules qui se sont contractées par suite de l’action des liquides fixa- teurs; mais, même si les 2 formations sont bien dans le même kyste, ce qui nous semble peu probable, la seule compa- raison de la grandeur des novaux n’est pas suffisante pour induire de que, morphologiquement et cytologiquement, les sporozoïtes des sporocystes etles microgamètes sont équivalents.

On à déjà signalé, chez plusieurs Coccidies, un stade à mi- crogamètes : Podwyssotzki, Clarke et surtout Simond, chez le Coccidium oviforme ; Schuberg, chez la Coccidie de la souris ; Labbé, Simond et nous-même, chez la Coccidie des tritons ; Simond chez C. salamandræ; Léger et Hagenmüller, dans les genres Diplospora et Barroussia ; Schaudinn et nous, chez Coccidium Schneideri du Lithobius. La plupart de ces savants ont décrit les microgamètes, comme desfilaments formés en majeure partie de chromatine, à la surface d'une grande sphère. Tout récemment, Léger' et Wasielewski* ont trouvé que, chez certaines Coccidies, Barroussia, Echinospora (Léger), C. oviforme et une Coccidie des Myriapodes(Wasielewski), —les microgamètes ont une structure particulière : leur corps, en forme de virgule ou de massue allongée, porte deux cils attachés à l'extrémité antérieure, qui est toujours plus développée; les microgamètes se meuvent grâce à leurs cils. Nous pouvons certifier l'exactitude de ces observations pour C. proprium*. Mais, chez la seiche, nous n'avons noté aucune disposition semblable ; les mouvements sont d’ailleurs faciles à comprendre, étant donnée la longueur du corps desmicrogamètes (30 à 40 &). Léger a d’ailleurs fait déjà cette remarque.

La division nucléaire que nous venons de décrire, et qui aboutit à la formation des microgamètes, présente un intérêt tout particulier, car elle ne ressemble ni à la karyokinèse, ni

1. Lécer, C. R. Soc. Biologie, 11 juin 1898, et C. 2. Ac, Sciences, août 1898.

2, WasreLzewski, Centralbl. f. Bakt., 1 Abth. Bd. xx1v, 1898.

3. Dans une note que nous avons publiée sur l’évalution de cette Coccidie (C. R. Soc, Biol., 18 juin 1898), nous n’avons pas signalé ces cils. Notre dessin était fait d’après des préparations colorées il est impossible de les distinguer.

Q]

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 819

à la division directe, amitotique. Seul, Mingazzini, qui a suivi, dans leurs grandes lignes, ces divisions nucléaires, reconnaît qu’elles diffèrent des modes connus; mais cet auteur les a aussi confondues avec celles qui précèdent la sporulation. Schneider et Labbé n'ont pas parlé de ce mode de division chez Klossia. Cest probablement divers stades de ces phénomènes de division que Labbé a décrits sous le nom de phénomènes prémitotiques ou d'épuration nucléaire. La division nucléaire de Klossia, d’après lui, n’a lieu que par mitose.

C'est pour la première fois, chez C. Salamandre, que nous trouvons indiqué, dans le travail de Simond, ce mode de divi- sion que nous venons de décrire chez Klossia. L’auteur a vu la division des nucléoles jusqu’à un stade elles sont d’un «volume n’excédant pas celui d’un coceus... Au moment, dit Simond (p- 556), cesse leur division, elles se portent à la périphérie de la Coccidie et commencent à subir un allongement qui les fait ressembler... enfin à des cils effilés, » etc. Le même auteur donne une description à peu près semblable pour C. proprium et C. oviforme.

Avec Schaudinn, nous avons, dans une note sur les Coccidies des Lithobius, décrit une division nucléaire semblable conduisant à la formation des macrogamètes chez Adelea ovata, et des microgamètes chez Coccidium Schneideri : nous avons indiqué que ce n’est pas une division mitotique, mais qu’elle ressemble à celle décrite par Schaudinn, chez certains Foraminifères, sous le nom de division multiple (multiple Kerntheilung). Chez Calcituba polymorpha, un Foraminifère, la division a lieu de telle façon que le noyau, d’abord compact, devient alvéolaire; puis sa chromatine se divise, en une fois, en plusieurs fractions qui vont dans des directions diverses, toutes radiales d’ailleurs. La différence principale entre la division multiple de Schaudinn et celle du noyau de ÆKlossia, dans les stades aboutissant à la formation des microgamètes, est la suivante : chez les Forami-

4. Mixcazzi (Contributo alla conoscenza degli Coccidi. Æendic. di Acad. di Lincei, 1892, 1) dit (p. 180) : « Infine noi dobbiano riconoscere, che la divisione per cariocinesi in questi fenomeni non esiste e nemmeno quella che va col nome dei divisione diretta per strorramento... » ; et plus loin il exprime l’idée que ce mode de division est intermédiaire entre la mitose et la division directe, Labbé a mal compris ses idées puisqu'il dit, dans le résumé du travail de Mingazzini (£. ce. p. 572) : « Il n’y à pas de karyokynèse, dit Ming., mais une division directe « per strorramento »,

820 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

nifères, la division multiple se produit dans le même noyau, et ce n’est qu'après leur formation que les noyaux secondaires vont. dans le cytoplasme ; chez les Coccidies, la membrane nucléaire disparait d’abord, et les nouveaux noyaux se forment dans le protoplasme, à la surface de la cellule.

Un fait mérite encore d’attirer l’attention, c’est le rôle des karyosomes dans la division multiple que nous avons décrite. Au début, leur substance sert à renforcer le réseau chroma- tique ; puis ils se rendent à la surface de la cellule et servent de centres de formation de nouveaux noyaux; ils montrent en général une grande indépendance et paraissent même exercer une sorte d'action sur diverses parties du corps de la Coccidie. Il est difficile de les comparer à quelque élément des cellules des métazoaires ou des végétaux. Ils possèdent certaines qualités des nueléoles, puisqu'ils servent à renforcer la chroma- tine pendant la division nucléaire, comme c’est le cas pour certaines nucléoles de métazoaires'; d'autre part, ils possèdent une indépendance semblable à celle des nucléoles des plantes ?, qui peuvent rester dans le protoplasme de la cellule. Mais il est certain que les karyosomes représentent un élément bien spécial, possédant des propriétés diverses, et remplaçant plusieurs organes des cellules des êtres pluricellulaires, à l’état de repos ou pendant la division.

La formation des microgamètes, à partir du stade les noyaux sont disposés à la surface d’une sphère, ressemble beaucoup à celle des spermatozoïdes des métazoaires. Nos figures montrent que le noyau, qui a d’abord une forme de capuchon, prend une forme de plus en plus allongée en entrai- nant à son intérieur de petites masses de cytoplasme.

IL se développe porté sur un mince pédoncule qui montre, : en son milieu, un filament axial se colorant fortement. Ce mode de développement correspond tout à fait à celui des sperma- tuzoïdes, et, en particulier, les jolies figures que Godlewski

4. Korscnecr, Ueber Kerntheilung, Eireifung, und Befruchtung bei Ophrio- trocha puerilis. Zeitschr. f. wiss. sool. Bd. 60, 1895.

2. ZiMMERMANN, Die Morphologie und Physiologie des pflanslichen Zellker- nes. [éna, 1896.

ETUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE, 821

junior ! a publiées sur ce processus chez Helir pomatia ressem- blent, jusqu'à un certain point, aux nôtres (fig. 13).

Schneider et Labbé n’ont assigné aucun rôle aux microga- mètes de Ælossia, puisqu'ils ne les considèrent pas comme des stades normaux. Mingazzini croit voir dans ces éléments des sortes de germes spéciaux qui correspondent aux sporozoiïtes issus des kystes.

Le premier *, Schuberg a émis l'idée que les microgamètes, nommés par lui kleinen sporozoïten, peuvent servir pour la copu- lation, en disant : « .. Namentlich künnte man daran denken dass die Formen eventuell eine Copulation vermitteln müchten. »

Dans son mémoire, Simond a exposé très clairement que, à cause de leur mobilité, de leur structure chromatique, les micro- gamètes (ses chromatozoïtes) étaient probablement des éléments mâles. Il n’a pas observé l’acte même de la fécondation, mais il a parfaitement compris qu'il devait précéder la reproduction par sporocystes et terminer ainsi le cycle évolutif de la Coccidie.

En même temps que Simond publiait ses recherches, Schau- dinn et nous communiquions à la réunion annuelle de la Société des zoologistes allemands le résultat de nos observations sur deux Coccidies du Lithobius; nous montrions, chez ces deux espèces, l'existence d'éléments mâles et femelles et décrivions rapidement les phénomènes de la copulation.

En 1898, nous avons publié deux notes étendant ces pre- mières observations à la Coccidie de la seiche et à celle des

4. Goncewsk: Junior, C. À. Acad. sciences Cracotie, t. XXXIV (en polonais).

2. Labbé, dans des articles de critique parus récemment dans l’Année Biolo- gique pour 1896, déclare à deux reprises (p. 47 et 91) qu'il a prévu le premier, et dès 1892, la reproduction sexuée des coccidies. Nous trouvons, dans une note de lui de 14891 (C. A. Ac. sciences, t. 113, p. 479-481) cette phrase : « Je fais remarquer combien il serait, intéressant de rechercher si, chez les corpuscules falciformes des coccidies, ii n’y aurait point une conjugaison analogue à celle des Drepanidium, conjugaison qui diffère absolument de l'apposision des Zygocystis et autres Grégarines. » Cette idée purement hypothétique n’a pas été confirmée, puisque la copulation des coccidies diffère complètement de celle observée par Labbé chez les Hémosporidies, et que d’ailleurs Laveran a été incapable de retrouver. Dans son mémoire sur les coccidies paru en 1896-1897, Labbé parle, après Schuberg, de reproduction sexuée à propos du dimorphisme des sporozoïtes desa Pfeifferia tritonis (en réalité, macro et microgamètes de Coccidium proprium) ; mais il n’a observé aucun fait qui vienne confirmer son idée. Même, nous croyons pouvoir dire qu’il n'a pas compris quelles étaient les données du problème à résoudre, ni quelle en était la généralité, puisque, se trouvant en présence d’élé- ments mâles tout à fait typiques, ceux des Ælossia Eberthi, il les a pris pour des

formes tératologiques.

822 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Tritons. Par conséquent, à l'heure actuelle, il est hors de doute. que les Coccidies ont une reproduction sexuée et que les microgamètes sont les éléments males

NI

DIFFÉRENCIATION DES MACROGAMÈTES

La formation de l'élément femelle est des plus simples.

Revenons à la Coccidie adulte encore indifférenciée (fig. 3). Il y a d’abord bourgeonnement du karyosome, comme dans les stades à microgamètes. Mais, à partir d'un certain moment, le noyau et le protoplasme de la Coccidie prennent un aspect qui caractérise l'élément femelle. Une grande partie des karyosomes bourgeonnent un grand nombre de fois et se transforment en petits granules qui, finalement, se dissolvent dans le suc nucléaire (fig. 17). Il ne reste donc que quelques gros karyo- somes qui présentent, eux aussi, une tendance à la dissolution: ils deviennent plus pâles; leur couche corticale est plus mince et souvent ils montrent quelques alvéoles claires dans leur inté- rieur. Le réseau chromatique devient si faiblement colorable qu'il n’est visible que sous forme de petits granules ou de très courts filaments faiblement colorés. La membrane nucléaire est très mince et à peine visible (fig. 17). Au contraire, le suc nucléaire se colore maintenant très fortement avec l'hématoxy- line et se présente sous l’aspect d'une masse remplie de gros granules. Le cytoplasme qui ne renferme ni granules plas- tiques ni granules chromatiques ne montre plus de couches périphérique et périnucléaire différenciées. Il a l’aspect d’une masse creusée d’alvéoles toutes à peu près égales, les parois alvéolaires étant formées de granules qui pénètrent même à l’intérieur des alvéoles. Cette structure du protoplasme ne varie pas pendant la copulation que nous allons décrire et même jus- qu'à certains stades ultérieurs assez avancés.

Ainsi formée, la cellule femelle est prête à être fécondée par les microgamètes. Notons que Schneider semble avoir représenté ce stade dans la fig. 1 de sa planche VIII.

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 823

NUE

LA REPRODUCTION SEXUÉE

C’est dans la couche sous-muqueuse de l’intestin de la seiche qu'on rencontre des macrogamètes et des microgamètes mûrs. Il y a des espaces lymphatiques très développés la fécondation peut s'effectuer très facilement. Sur des coupes de l'intestin, on voit des microgamètes mürs, qui ont abandonné la sphère de reliquat et qui se trouvent dans les espaces libres au milieu du tissu conjonctif, au contact de cellules femelles. À un moment donné, les microgamètes se meuvent autour des macrogamètes qui sont également libres, complètement débarrassés des restes de la cellule hôte. On voit alors quelques microgamètes accolés à la surface d’un macrogamète (fig. 18). Le noyau de ce dernier se porte vers la surface et son contenu se dispose de telle façon que la plupart des karyosomes et les filaments de chromatine se trouvent dans la partie la plus éloignée de la périphérie de la cellule. La cellule s’arrondit, devient presque sphérique. Une partie de son noyau se trouve au contact de la surface de la cellule, au point se trouvent accolés les microgamètes. C’est à ce moment qu'il y a pénétration de l'élément mâle à l'intérieur de la vésicule nucléaire femelle. Immédiatement après, le noyau femelle abandonne le voisinage immédiat de la surface de la cellule. En même temps, la couche protoplasmique périphérique du macrogamète fécondé devient réfringente; mince au début, elle s’épaissit lentement, et à sa surface restent accolés les micro- gamètes qui n'ont pas servi à la fécondation; on les aperçoit souvent très longtemps en voie de dégénérescence. La membrane de l’œuf est ainsi constituée ”.

Le noyau femelle contenant à son intérieur le microgamète se retire lentement vers le milieu de la cellule et prend une forme allongée. Son réseau chromatique, de plus en plus visible, occupe la partie opposée à celle par a pénétré l'élément mâle. La chromatine de ce dernier se dissout en un spirème de filaments chromatiques qui se rapproche, en s’étirant, de la chromatine

4. Sur les figures, nous avons représenté la membrane comme on l’aperçoit sur les préparations fixées, c’est-à-dire plissée. Mais le corps cellulaire n’est jamais contracté; il garde toujours une forme bien sphérique.

824 - ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

femelle (fig. 19). On peut parfois distinguer dans son milieu un ou deux corpuscules ronds qui sont peut-être des karyosomes. Le réseau chromatique de la cellule femelle s’accroit; le reste des karyosomes se fragmente. En même temps, le suc nucléaire devient moins colorable; nous pensons que la chromatine qu'il contenait en dissolution est fixée sur le réseau chromatique.

Le noyau entier s’allonge et, du côté opposé à celui a pénétré le microgamète, on observe une sorte de trace granu- leuse qui pénètre dans le protoplasme et va jusqu’à sa surface (fig. 49 et 20). Dans cette région terminale, les contours du noyau ne sont pas visibles, tandis que tout le reste est parfaite- ment limité. Les réseaux chromatiques mâle et femelle se rap- prochent et arrivent au contact. On voit encore, pendant un certain temps (fig. 20), la chromatine màle plus fortement colorée et condensée. Mais finalement, il y a mélange intime. Les fila- ments du réseau chromatique sont disposés parallèlement à l'allongement du noyau. La chromatine commence à former un fuseau qui va d’un bout à l’autre du noyau, et par suite de la cellule; en même temps les karyosomes restent au centre. Nous avons représenté (fig. 6 de notre note préliminaire) ce stade. Le réseau chromatique se présente sous la forme d’un long filament replié en deux et tordu légèrement, qui atteint, par sa partie coudée, la surface de la cellule opposée à celle par s’est faite la pénétration du microgamète; vers le milieu du noyau, le filament porte un spirème de chromatine assez condensé (fig. 21). Ce stade est tout à fait caractéristique.

Plus tard, les contours du noyau deviennent plus nets et il revient à la forme ronde. On voit encore le filament chroma- tique et même le prolongement nucléaire allant jusqu’à la sur- face de la cellule ; mais le réseau du centre du noyau (fig. 21) a acquis une importance prépondérante. Les karyosomes s’émiettent de plus en plus, et le cordon chromatique se trans- forme en un réseau irrégulier. Encore quelques divisions de karyosomes, un arrondissement du noyau, et ce dernier est prêt à se diviser en deux pour entrer dans la phase de formation des sporocystes et des sporozoïtes. Les phénomènes sexués sont terminés.

Les stades que nous venons de décrire ont été signalés dans notre note préliminaire, pour la première fois, chez la Ælossia de

ÉTUDE DE LA COCCIDIE BE LA SEICHE. 825

la seiche. Mais chez d’autres Coccidies, nous avons fait connaître des phénomènes semblables, aussi bien chez Coccidium Schneider: et Adelea ovata de l'intestin des Lithobius que chez C. proprium des tritons. Il y a, dans tous les cas, pénétralion d’un élément mâle, de petite taille, et fortement chromatique, dans une grande cellule ayant les caractères d'un œuf. Chez C. proprium et C. Schneideri. les microgamètes se forment, comme chez Klossia octopiana, à la surface de gros reliquats de différenciation qu'ils abandonnent à la maturité pour aller à la recherche des macro- gamètes.

Chez Adelea ovata, la formation des éléments mâles défini- üfs a lieu en deux temps ; dans le premier, la cellule coccidienne indifférenciée se divise en un petit nombre de croissants (8 à 12) qui vont.se coller à la surface des cellules femelles. Là, s’accom- plit la seconde étape, chaque croissant donne naissance à quatre éléments tout à fait identiques aux microgamètes des Coccidium, et qui se forment aussi à la surface d’un reliquat de différencia- tion. La seule différence consiste donc en ce que, chez Adelea, ce reliquat est subdivisé, avant la formation des microgamètes, en autant de fragments qu'il y a de croissants.

Au point de vue des phénomènes de la fécondation, le genre Coccidium ressemble moins à Ælossix que Adelea ovata. Chez C. Schneideri et C. Proprium, le noyau femelle, avant la copula- tion, perd sa membrane et entre en contact direct avec le protoplasme. Ses contours ne sont pas réguliers; la plus grande partie de sa masse reste au centre de la cellule, pendant qu’un prolongement seul atteint la surface. Les microgamètes se dirigent vers ce point qui, chez C. Schneideri, représente une sorte de micropyle existant, en réalité, chez C. proprium.

Chez Adelea ovata, le noyau, avec un réseau la chromatine est en partie dissoute, se porte tout entier, comme chez Ælossia, à la surface de la cellule, vient à son contact, et un des quatre microgamètes formés sur le croissant accolé au macrogamète y pénètre. Ultérieurement, le noyau résultant de l'union des parties mâle et femelle prend la forme d’un fuseau traversant la cellule fécondée dans toute sa longueur ; il y à encore un phénomène beaucoup plus comparable à ce que nous avons décrit chez Klossia que chez les autres Coccidies.

Les autres savants qui ont parlé de phénomènes sexués chez

826 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

les Coccidies ont émis des idées diverses sur les circonstances dans lesquelles ils se produisent; mais aucun d'eux ne les observés. Labbé constate la présence de deux sortes de germes endogènes chez la Coccidie des tritons (sa Pfeifferia tritonis) : les uns de grande taille, qu’il appelle macrosporozoîtes (stade eimérien), les autres de petite taille, les microsporozoïtes ; il pense qu'une copulation est possible entre ces deux sortes d’élé- ments, {els qu'ils existent au moment de leur formation. On sait, après les observations de Simond et les nôtres, que cette inter- prétation est erronée. Simond, dans son excellent mémoire, a bien indiqué que « il est à supposer que c’est un mérozoïte des formes de reproduction asporulée qui subit la fécondation par conjugaison avec ie chromatozoïte ». Chez le C. oviforme, Simond remarque, à la surface du noyau de formes jeunes, arrondies, une sorte de croissant de chromatine qui se soude peu à peu avec le karyosome sphérique central; et il regarde le croissant comme le noyau d’un chromatozoïte qui avait fécondé la jeune Coccidie. Il nous est impossible de partager la manière de voir de Simond; ce croissant ne représente, suivant nous, qu’une partie du réseau nucléaire, un peu plus condensée. Nous sommes convaincu, en effet, que la fécondation, chez C. oviforme, doit se faire dans des circonstances identiques à celles que nous avons décrites chez la Coccidie des tritons.

Il est très difficile de se rendre compte, chez la Alossia de la seiche, si seulement un microgamète pénètre dans la cellule femelle. Nous sommes bien persuadé qu'il n’y en à qu’un. On peut en effet remarquer que le réseau mâle, visible peu après la copulation, ne représente pas une quantité de chromatine supé- rieure à celle d’un microgamète. La comparaison avec Adelea ovala confirme notre opinion; dans ce cas, quatre éléments mâles pourraient pénétrer, il n’en entre sûrement qu'un, puisqu'on aperçoit les trois autres à côté de la cellule fécondée.

Se

Les phénomènes que nous avons décrits ont beaucoup d’ana-

logie avec ceux de la fécondation des œufs des métazoaires.

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 827

aussi, il y à association de deux individus, dont l’un renferme seul du protoplasme et des matières de réserve, dont l’autre apporte de la chromatine et semble être le déterminant de l’évolution de la cellule femelle. Le spermatozoïde pénètre dans l'œuf, se transforme en un réseau chromatique indépendant, accompagné de deux centrosomes qui deviennent les centres des asters du premier fuseau de division. Il se produit un mélange des chromatines et des systèmes cytoplasmiques, et l'œuf fécondé est susceptible de toute une évolution cellulaire.

Il est certain que, chez Alossia, c'est le microgamète qui est comparable au spermatozoïde et le macrogamète à l'œuf. Le mélange des chromatines de ces deux éléments est aussi net que possible; on voit aussi une transformation du microgamète en un réseau chromatique indépendant et semblable à celui de la cellule femelle. Il y a donc ressemblance entre les noyaux mâle et femelle, comme dans les œufs fécondés des métazoaires. Y a-t-il aussi mélange de systèmes cytoplasmiques, chez Alossia ? Cette question est très difficile à résoudre ; nous pensons pour- tant que le microgamète emporte avec lui une petite quantité de protoplasme, de sorte qu’il contient tous les éléments princi- paux d’une cellule, aussi bien que les spermatozoïdes, Nous avons souvent observé, au centre du réseau chromatique provenant d’un microgamète qui a pénétré dans le noyau d’un macrogamète, de petits corpuscules ayant tous les caractères de karyosomes (fig. 19). Ils proviennent certainement du micro- samète, et nous pensons que ce sont de véritables karyosomes introduits dans la cellule femelle, comme un élément essentiel de la cellule mâle.

Rappelons que l'œuf fécondé des métazoaires à la valeur d'une cellule entière, tandis que, avant la copulation, chacun des éléments mâle et femelle était une demi-cellule au point de vue du nombre des anses chromatiques. La question de savoir s'il y a aussi, chez la Alossia de la seiche, des phénomènes de réduction, est difficile à trancher.

Les figures que donne Labbé, comme illustration de la réduction chromatique (pl. XV, fig. 10, 14, 15, 16) nous semblent représenter, au contraire, certains stades de la fécon-

828 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

dation ou de la division cellulaire, altérés par l’action des. réactifs (comparer les fig. 5 et 20 de ce mémoire avec la fig. 10 de la pl. XV de Labbé). Pour nous, la réduction chroma- tique se produit ici de la façon suivante : il y a dissolution de chromatine dans le suc nucléaire; puis, aux premiers stades qui suivent la fécondation, la membrane nucléaire devient très mince et le noyau s’allonge lentement en se confondant avec le protoplasme environnant dans ce prolongement; alors une partie de la chromatine, dissoute dans le suc nucléaire, peut se répandre dans le protoplasme. Celui-ci, en effet, se colore plus fortement aux stades que nous venons d'indiquer, et on y aperçoit même quelques granules très colorés (fig. 19 et 20) qui ne s’y trouvaient pas auparavant. Jamais nous n'avons observé, chez Klossia, une réduction comparable à celle que nous avons signa- lée, avec Schaudinn, chez Adelea ovata.

Quant à la réduction de la chromatine chez les microgamètes, elle a probablement lieu par le fait de leur formation en nombre considérable aux dépens d’une cellule. Leur ressem- blance avec des spermatozoïdes confirme d’ailleurs celte manière de voir.

VIII

LA FORMATION DES SPOROCYSTES

D’après Schneider, les phénomènes, chez la Ælossia de la seiche, se passent ainsi : le noyau se divise par étranglement à la surface de la Coccidie, en prenant la forme « en bretelles » « en os de grenouille ». Autour de chaque nouveau noyau, se fait une proéminence protoplasmique, et la Coccidie entre dans un stade d’Echinosphère. Chaque proéminence s’ar- rondit, se détache de l’ensemble, s’entoure d’une membrane, et donne naissance à trois ou exceptionnellement quatre sporozoïtes.

Mingazzini a confondu les stades de la division nucléaire, qui conduisent à la formation des microgamètes, avec ceux relatifs à la formation des sporocystes; il croit que ces derniers résultent des noyaux qui, après la division multiple, se trouvent à la surface de la Coccidie.

Labbé pense que, après sa prétendue épuration ou réduction

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 829

nucléaire, se ‘présentent plusieurs divisions karyokinétiques conduisant à la formation d’un certain nombre de noyaux à la surface de la Coccidie; la formation « d'archéspores » avec ces noyaux se produit de la façon indiquée par Schneider ; mais, dans les archéspores, on voit apparaître, à côté du noyau, des centrosomes surtout bien visibles au moment le noyau se divise pour produire ceux des sporozoïdes. Nous n'avons jamais rencontré de figures semblables à la fig. 6 (pl. XV) de Labbé. Étant donné le contour irrégulier de la cellule, peut-être s’agit-il d’une disposition artificielle ressemblant à une figure karyoki- nétique. Les autres figures de Labbé, relatives soi-disant à la division mitotique, correspondent probablement à nos figures 23 et 24, coupées obliquement.

Nos observations sur la sporulation de Ælossia s'accordent, dans leurstraits généraux, avec celles de Schneider et y ajoutent quelques détails nouveaux.

Le noyau d’une Coccidie fécondée, alors qu’il a abandonné la surface de la cellule, montre un réseau chromatique très distinct; les karyosomes sont à l’état de petites boules très colorées. Le suc nucléaire se colore à peine, et il semble que toute la chromatine qu’il contenait en dissolution est maintenant fixée sur le réseau. La membrane nucléaire n’est pas aussi compacte que dans un noyau au repos.

A cet état, le noyau commence à s’étrangler et à se diviser lentement par traction en deux parties égales (fig. 22). Le réseau chromatique se place aux deux extrémités du noyau en division, et il semble que le volume de la chromatine dans les deux noyaux frères est égal. Les karyosomes se disposent aussi, en volumes égaux, de part et d'autre. L’étranglement continue, et finalement on a deux noyaux séparés à la surface de la Klossi. Ils continuent à se diviser de la même façon que le premier noyau, par simple étranglement; il se forme ainsi 4, puis 8, etc., nouveaux noyaux. On peut toujours observer une certaine régu- larité dans ces divisions de telle façon que la chromatine et les karyosomes sont toujours répartis également dans les noyaux nouveaux. À mesure que les noyaux se divisent, leur structure devient de plusen plusdistincte ;ainsi, au stade quereprésente notre figure 23, le réseau des noyaux au repos est formé d’un peloton lâche de chromatine et renferme un karyosome, Pendant leur

830 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

division, les noyaux imitent un peu les figures mitotiques et on peut remarquer un corpuscule fort coloré, qui correspond peut- être aux « Zwischenkürper » de Flemming et Kostanecki.

Autour de chaque noyau, se différencie une portion de proto- plasme qui fait proéminence à la surface de la Xlossia (fig. 24). A ce moment, les noyaux ont déjà pris une structure plus com- pacte, et chez ceux qui ont atteint leur structure définitive, on ne peut plus distinguer les karyosomes; leur réseau est plus condensé du côté externe des proéminences protoplasmiques qui les renferment. Les dernières divisions nucléaires ressemblent beaucoup à des mitoses, car la membrane nucléaire disparaît et on observe une répartition de la chromatine en deux amas, comme dans un « dyaster » d’une mitose.

Lorsque toutes les divisions nucléaires sont terminées, les exeroissances protoplasmiques s’arrondissent et enfin se sépa- rent les unes des autres après avoir absorbé tout le protoplasme de la Xlossia. Elles sont toutes réunies à l’intérieur de la mem- brane kystique, chaque boule est un futur sporocyste, d'après la terminologie de Léger; elle s’entoure d’une mince membrane propre (fig. 25) et le protoplasme y montre une structure alvéo- laire. À sa périphérie est situé un noyau très compact. Dans son protoplasme, on aperçoit quelques corpuscules, ronds ou irréguliers, fortement chromatiques, placés entre ou dans des alvéoles plasmiques : ils correspondent peut-être à ce que Labbé appelle des centrosomes.

Le noyau du sporocyste se divise par simple étranglement, à l'intérieur de la membrane nucléaire: et, en règle générale, la division se fait, du même coup, en 3 parties. C’est une simple division amitotique, durant laquelle il est très difficile de voir même le réseau chromatique du noyau.

Après la division nueléaire, le protoplasme se condense autour de chaque nouveau noyau (ils ont la forme de bâtonnets courts et épais), et les champs plasmiques, en forme de crois- sants, se séparent; on a ainsi formation de 3 sporozoiïtes. Leur protoplasme est très condensé et montre parfois quelques granules chromatiques; les noyaux, qui sont au début allongés, prennent ensuite une forme ronde (fig. 25). À cet état, les spo- rozoïtes sont complètement mûrs.

Les ookystes, renfermant des sporocystes et des sporozoîïtes,

{

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 831

sont souvent de si grande taille {jusqu'à 1 millimètre de diamètre), qu'ils sont visibles à l'œil nu. Leur formation termine le cycle évolutif de la Xlossia de la seiche.

IX

INFECTION DE LA SEICHE

Un sporocyste mûr, arrivé dans l'intestin de la seiche, éclate el les sporozoïtes sont mis en liberté. Le tube digestif de la seiche est tapissé intérieurement par un épitbélium cilié dans lequel sont placées les cellules à sécrétion muqueuse. Les cils des cellules épithéliales sont très forts et très longs, et vibrent avec une telle force que les petits sporozoïtes, malgré leur grande mobilité, ne peuvent arriver au plateau de la cellule. Ils pénètrent donc par une autre voie; ils entrent dans l’inté- rieur des cellules muqueuses et peuvent ainsi, par cette voie détournée, arriver latéralement dans les cellules ciliées.

Par une de ses extrémités, le sporozoïte appuie contre la paroi de la cellule dans laquelle il va pénétrer; il détermine ainsi une petite ouverture par il pénètre en partie; le reste de son corps se contracte assez fortement et ainsi tout le petit vermicule se trouve projeté dans la cellule épithéliale. Arrivé là, il va se placer tout près du noyau; il montre une tendance à s’arrondir; son protoplasme ne reste plus aussi compact, mais prend une structure alvéolaire, et on aperçoit à son intérieur quelques vacuoles claires (fig. 1).

En même temps, le noyau compact du sporozoïte prend une structure plus lâche; l’individualisation du réseau chromatique commence, Pendant la même période, a lieu la formation du karyosome qui, invisible dans les sporozoïtes, apparaît déjà formé dès que la différenciation du réseau chromatique permet d'observer l’intérieur du noyau.

Aux dépens de la cellule infectée, la jeune Klossia s'accroît de plus en plus, en même temps que se différencie sa structure. A l'intérieur de son cytoplasme apparaissent les diverses sortes de granules décrits précédemment, qui, au bout d’un certain temps, sont digérés et transformés dans Le corps de la Coccidie. La forme du corps est de plus en plus ronde: le noyau prend une disposition transversale, et finalement nous arrivons à un stade

832 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

tel que celui de la fig. 3 qui nous a servi de point de départ.

Résumons donc le cycle évolutif de la Klossia de la seiche :

Les sporozoïtes, sortis des sporocystes, pénètrent dans les cellu- les de la paroi intestinale et se transforment en individus adultes indifférenciés. Parmi ceux-ci, les uns subissent une division nucléaire multiple et se transforment en éléments mâles ou microgamètes, tandis que les autres montrent quelques change- ments nucléaires et prennent les caractères de cellules femelles ou macrogamètes. Après la copulation d’un microgamète avec un macrogamète, ce dernier s’entoure d’une membrane, devient un ookyste, et son noyau, qui renferme les chromatines mâle et femelle, se multiplie dans la surface par un certain nombre de divisions égales, rappelant un peu des divisions mitotiques. Autour des nouveaux noyaux s’individualise une couche cyto- plasmique; les sporocystes se trouvent ainsi constitués. Dans l'inté- rieur de chaque sporocyste se forment 3-4 sporozoïtes ; et le cycle évolutif est fermé.

Ce cycle diffère de celui des autres Coccidies par l'absence d'une multiplication cellulaire (stade à mérozoïtes de Simond, stade eimé- rien de Léger) précédant la formation des macrogamèles.

X

LÉSIONS PRODUITES PAR LE PARASITE. AUTOINFECTION.

Les sporozoïtes, nous l'avons dit, pénètrent uniquement dans les cellules épithéliales ciliées, et, en règle générale, en traver- sant les cellules muqueuses. Placé au milieu du cytoplasme de la cellule-hôte, le parasite entre en contact direct avec lui, et c’est seulement à cause de la différence de réfringence et de colorabi- lité des 2 milieux qu’on distingue les contours de la jeune Cocei- die. Il ne se forme aucun espace clair, perceptible autour d'elle; il n’y a que dans les préparations mal fixées qu'on distingue une auréole claire avec des brides protoplasmiques allant de la Cocci- die au plasma de la cellule épithéliale; cet aspect tient à une con- traction. On n’observe donc aucune trace d’une sécrétion de substance quelconque provoquée par la pénétration, comme le pense et le figure Labbé. Néanmoins une action réciproque des deux cellules en présence est évidente. Tandis que le sporozoïte

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 833

s'accroît et se transforme en un être adulte, la cellule éprouve des changements qui se succèdent dans l’ordre suivant; ily a une période d’excitation suivie de dégénérescence.

Tous les phénomènes d’accroissement de la Coccidie que nous avons décrits ne pourraient pas se réaliser sans les matériaux fournis par la cellule-hôte; ils pénètrent dans la Coccidie par simpleosmose. Les matériaux nutritifs introduits ainsi sont emma- gasinés par le parasite sous forme de différents granules, dans son protoplasme. La cellule hôte conserve d’abord sa forme (fig. 1) et toutes ses propriétés. Les cils vibrent fortement et le noyau conserve sa forme ordinaire. Mais la présence et l’accroissement du parasite semblent exciter la cellule-hôte; elle commence à montrer des vacuoles remplies d’un liquide clair, et sa structure entière devient moins compacte. En même temps, son novau grossit et commence à se colorer d’une façon très intense, mais diffuse. La cellule entière semble s'être gonflée et montre une hypertrophie considérable.

Le parasite s'accroît de plus en plus, et il semble que lhyper- trophie de ia cellule-hôte lui fournisse un surcroît de matériaux pour son développement. Il arrive à occuper un volume tel que la cellule de la seiche est considérablement distendue, réduite à ses parois; on ne distingue plus que son noyau aplati par la pres- sion du parasite (fig. 10).

À partir de ce moment commence la dégénérescence de la cellule-hôte ; elle devient facilement perméable et des sporozoïtes de Xlossia pénètrent qui vont se placer à côté de la grosse Coc- cidie; 1l y a alors infection multiple. La Coccidie, continuant à s’accroître, assimile le reste du protoplasme de la cellule-hôte, de sorte qu'il ne reste qu’une très mince couche périphérique et un noyau dégénéré ét aplati à côté.

A ce stade, la Coccidie est déjà presque adulte, mais possède encore les matériaux de réserve accumulés comme granules dans son protoplasme. Leur assimilation et l'accroissement qui en résulte pour la Coccidie font éclater le reste de la cellule épi- théliale et le parasite tombe dans la couche sous-muqueuse de l'intestin. Désormais, il n’est plus intracellulaire ; il est intercel- lulaire ; le fait a été très bien observé par Labbé.

Danslesespaceslymphatiques de cette couchesous-muqueuse, se passent tous les phénomènes que nous avons décrits et qui

93

834 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

aboutissent à la formation des ookystes.. Les gros ookystes, qui ont souvent 1/2 ou 1 millimètre de diamètre, provoquent, une réaction du tissu conjonctif et sont entourés d’une couche cellulaire assez compacte. A cet état, ils peuvent rester très longtemps dans la paroi intestinale.

La destruction des cellules épithéliales de l'intestin par les parasites provoque, comme réaction, dans toute la couche mu- queuse, la plus active division karyokinétique des cellules infec- tées. Nous savons qu’un fait pareil a été remarqué par Simond pour l’épithélium intestinal des tritons. L’explication la plus pro- bable est qu’il s’agit ici de remplacement des cellules détruites par de nouveaux éléments intacts.

Très souvent, nous avons observé, sur des coupes del'intes- tin de la seiche, les sporocystes en dehors de la membrane com- mune, disséminés dans les espaces lymphatiques du tissu con- jonctif sous-muqueux; en particulier, dans le voisinage de la couche épithéliale, on peut apercevoir des groupes de sporocystes, qui semblent chercher à s’insinuer entre les cellules épithéliales. Dès qu'un espace libre se forme entre elles, les sporocystes, probablement par suite de la pression du liquide qui les entoure, se placent entre les éléments épithéliaux. Une rupture de la couche, souvent produite par une dégénérescence des cellules, permet aux sporocystes d'arriver dans la lumière de l'intestin. Là, sous l’action du suc digestif, leur membrane éclate; les spo- rozoïtes s’échappent, se dirigent vers les cellules épithéliales et déterminent une nouvelle poussée infectieuse.

Ces faits nous expliquent très bien comment, chez Klossia octopiana, qui ne possède pas de stades de multiplication endogène (stades eimériens), Vautoinfection se produit. Mingazzini a remar- qué, avant nous, que les sporocystes peuvent arriver par effrac- tion, à travers les parois intestinales, dans la lumière du tube digestif.

Chez la AXlossia de la seiche, par conséquent, un cycle évolutif aboutissant à la formation de sporocystes à sporazoïles, suffit à fournir des germes à la fois pour l'infection d’autres céphalopodes, et pour l’autoinfection.

Ce fait, que nous croyons avoir bien mis en évidence, n'est nullement en opposition avec la théorie du dimorphisme évolutif émise par R. Pfeiffer, acceptée et prouvée par Schuberg, Simond,

ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 835

Léger et la quasi unanimité des savants qui se sont occupés de Coccidies. On peut l’énoncer ainsi : [y &, chez les sporozoaires du groupe des Coccidies, succession de deux périodes dans l’évolution, l’une endogène avec multiplication des germes, produisant l’'autoinfec- tion: l'autre, précédée de phénomènes sexués (Simond, Schaudinn et Siedlecki), qui donne des individus enkystés, résistants, formant dans leur intérieur des sporocystes à sporozoîtes, capables de quitter l'orga- nisme hôte pour transporter l'infection chez d'autres individus. A est évident que, chez Klossia, la facilité de l'autoinfection rend inutile la multiplication endogène des parasites, et la première période se trouve réduite à sa plus simple expression : un sporozoîte issu d'une spore donne directement un macrogamète. D'après cela, il est évident que le cycle évolutif de la Xlossia octopiana rentre bien dans le type que l’on avait pu déduire des observations faites chez d’autres Coccidies.

Le stade de multiplication endogène des parasites, qui existe chez toutes les Coccidies étudiées avec soin, à l'exception de Klossia octopiana, existe aussi chez d’autres sporozoaires. C'est, comme le reconnaissent d’ailleurs Simond et Laveran, à cette multiplication que correspondent les stades en morula, rosette ou marguerite, des hématozoaires de l'homme et des oiseaux, et aussi les stades de reproduction que Laveran‘ vient de faire connaître chez les parasites du sang de la tortue d’eau et de Rana esculentæ.

Caullery et Mesnil° ont décrit un stade semblable chez une Gregarine cœlomique. La théorie de R. Pfeiffer, modifiée par les recherches récentes, présente donc une grande généralité.

1. Laveran, C. 2. Soc. Biolog. (1e", 8 et 22 octobre 1898). 2. Cauzzery Er Mesniz, C. À. Acad. des sciences (17 janvier 1898).

836 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

EXPLICATION DES PLANCHES VI, VII & IX

Tous les dessins ont été faits à la chambre claire de Abbe, avec l'im- mersion apochromatique de 1mm,30 d'ouverture et 20m de foyer.

Fig. 1. Cellule épithéliale de l'intestin d’une seiche avec jeune Alossia.

Fig. 2. Jeune Klossia. Le karyosome est uni à la périphérie du noyau par un secteur chromatique.

Fig. 3. Stade adulte indifférencié.

Fig. 4-16. Formation des microgamètes.

Fig. 4. Apparition des filaments chromatiques dans le noyau.

Fig. 5. Les contours du noyau deviennent irréguliers.

Fig. 6. La chromatine nucléaire se rend à la périphérie de la Coccidie,

Fig. 7. Même phénomène plus avancé.

Fig. 8. Répartition de la chromatine à la surface de la Coccidie.

Fig. 9. Condensation de la chromatine préparatoire à la formation des noyaux des microgamètes.

Fig. 10. Coupe optique d’une Coccidie montrant les noyaux #n sac des microgamètes. En bas et à droite, noyau aplati de la cellule hôte.

Fig. 11. Division protoplasmique à la surface de la Coccidie. Fig. 12. Stade de l’évolution des microgamètes. Fig. 13. Même stade. Dans les pédoncules qui supportent les

noyaux des microgamètes, on distingue des lignes longitudinales plus foncées (filaments axiaux).

Fig. 14. Stade de l’évolution des microgamètes avec noyaux allongés.

Fig. 15. Microgamètes mürs à la surface de la sphère de reliquat.

Fig. 16. Aspect des microgamètes mûrs; au centre des renflements, on remarque des espaces plus clairs, de nature cytoplasmique.

Fig. 17-18. Maturation des macrogamètes.

Fig. 17. Bourgeonnement des karyosomes.

Fig. 18. Macrogamète mûr, Le noyau est venu au contact de la surface de la cellule; et en ce point, on aperçoit plusieurs microgamètes.

Fig. 19-21. Phénomènes seœués.

Fig. 19. Le microgamète a pénétré et s’est transformé en un réseau chromatique situé à un pôle du noyau femelle qui, à l’autre pôle, se termine par une sorte de queue. (A partir de ce stade, on remarque une membrane kystique autour de la Coccidie.)

Fig. 20. Mélange complet des chromatines mâle et femelle.

Fig, 21. Stade plus avancé que le précédent.

Fig. 22-26. Formation des sporocystes.

Fig. 22. Première division nucléaire.

Fig. 23. Divisions nucléaires dans la surface; z, Zwischenkôrper. Fig. 24, Dernières divisions nucléaires. Différenciations protoplas-

miques autour des noyaux. Fig. 25. Sporocystes au stade uninucléé; dans le protoplasme, quelques granules chromatiques.

Fig. 26. Sporocyste mûr avec 3 sporozoïtes,

ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ VACCINALE

Par MM. A. BÉCLÈRE CHAMBON et MÉNARD Médecin de lhôpital St-Antoine, Directeurs de l'Institut de vaccine animale

de Paris.

DEUXIÈME MÉMOIRE

L'IMMUNITÉ CONSÉCUTIVE A L'INOCULATION SOUS-CUTANÉE DU VACCIN

L'étude expérimentale du sérum de génisse vaccinée, recueilli plusieurs jours ou plusieurs semaines après la dessicca- tion des vésicules vaccinales, nous à conduits, dans un premier mémoire’, à la conclusion que ce sérum possède, vis-à-vis de la vaccine inoculée, des propriétés immunisantes.

C’est ce qui résulte d’une expérience capitale, plusieurs fois répétée avec des résultats constants : le sérum de génisse vac- cinée, injecté sous la peau d’un animal de mème espèce, à la dose du centième de son poids, immédiatement avant la vacei- nation à l’aide de nombreuses inoculations sous-épidermiques d'un virus éprouvé, confère à cet animal une immunité encore incomplète, mais suffisante cependant pour rendre stériles le plus grand nombre des inoculations, pour donner aux rares éléments éruptifs un aspect rudimentaire et avorté, et surtout pour faire perdre toute virulence appréciable à la lymphe con- tenue dans ces éléments, puisqu'elle n’est plus inoculable à des sujets non vaccinés, enfants ou génisses.

Cette injection de sérum immunisant modifie la morphologie des éléments éruptifs moins complètement qu’elle ne détruit la virulence de leur contenu : des vésicules à peu près normales d'apparence renferment cependant une Iymphe qui n’est plus inoculable.

1, Ces Annales, du 25 janvier 1896.

838 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.

L'action immunisante de ce sérum se révèle encore par l’insuccès total d’un certain nombre d’inoculations, par l'aspect” plus ou moins rudimentaire des éléments éruptifs et surtout par l’atténuation plus ou moins complète de la virulence du contenu de ces éléments, quand l'injection sous-cutanée de sérum, au lieu de précéder les inoculations sous-épidermiques de vaccin, suit celles-ci à un intervalle de vingt-quatre et même de quarante- huit heures.

Le sérum de génisse vaccinée possède donc, vis-à-vis de la vaccine inoculée, non seulement un pouvoir préventif, mais encore un pouvoir curateur, d'autant plus faible il est vrai, que l'intervention thérapeutique survient plus tard après lino- culation.

Cette action immunisante, plus ou moins parfaite suivant la quantité du sérum injecté et le moment de l'injection, se mani- feste toujours très rapidement.

L'immunité conférée par le virus vaccinal, injecté sous la peau, ne se développe au contraire que lentement. Après trois jours, rien ne la révèle, et elle ne semble pas encore complète avant huit jours écoulés. Un animal, vacciné à l'aide de nom- breuses inoculations sous-épidermiques trois jours après avoir reçu du vaccin sous la peau, n’en présente pas moins une érup- tion d'aspect parfaitement normal; c’est seulement quand l’in- tervalle est de huit jours que les inoculations du même vaccin sous l’épiderme demeurent stériles sans aucune exception.

Dans nos premières recherches, nous avions injecté une quantité déterminée de vaccin sous la peau d’une série de génisses, puis nous les avions inoculées successivement par le procédé habituel des incisions multiples aux deux côtés du tronc, en mettant entre les deux opérations un intervalle d’un jour pour la première génisse, de deux jours pour la seconde, de trois jours pour la troisième, et ainsi de suite. Mais nous nous étions contentés de noter soigneusement l’aspect de l’éruption vaccinale sur chaque animal, sans chercher à mesurer le degré de virulence du contenu des éléments éruptifs. Nous avons voulu combler cette lacune et nous avons répété quelques-unes des expériences (de VI à XVI publiées dans notre premier travail, en y ajoutant la recherche de la virulence de la lymphe vaccinale.

ETUDES SUR L'IMMUNITÉ. 839

EXPÉRIENCE X bis.

INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE {TOS JOURS LES INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES

Une génisse, amenée la veille du Limousin à l’étable d'isolement de la rue Caulaincourt, reçoit en injection sous la peau du flanc gauche, à l’aide de la seringue de Straus, tout le contenu d’un gros tube à vaccin, rempli de pulpe glycérinée préparée depuis deux mois (soit environ à centigrammes d’eau bouillie, 5 centigrammes de glycérine et 10 centigrammes du produit de grattage des vésicules !).

Trois jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, aux deux côtés du tronc, avec du vaccin éprouvé, comme il est de règle à l’établisse- ment vaccinal de la rue Ballu, c'est-à-dire par des incisions linéaires de 2 centimètres, écartées de 3 à 4 centimètres les unes des autres et disposées en quinconce, au nombre de 80 à 120 environ sur chaque côté.

A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau, est inoculée semblablement sous l’épiderme avec le même vaccin.

Chez ces deux génisses, l’éruption vaccinale apparait, dans les délais habituels, avec ses caractères normaux, et ne présente, de l’une à l’autre, que des différences négligeables qui tiennent aux conditions individuelles : toutes les inoculations donnent naissance à des vésicules de forme très régulière, limitées par des lignes bien droites, parallèles aux incisions.

Chez la génisse en expérience et chez la génisse témoin, on fait succes- sivement, à 24 heures d'intervalle, trois récoltes de lymphe vaccinale : on recueille dans les vésicules de chacun des deux animaux et on prépare séparément, sous forme de pulpe glycérinée, suivant le mode habituel, du vaccin datant de quatre jours. de cinq jours et de six jours après les inocu- lations sous-épidermiques.

Les trois vaccins provenant de la génisse témoin peuvent être consi- dérés comme normaux et peuvent servir à mesurer, par comparaison, la virulence de chacun des trois vaccins, d'âge correspondant, qui proviennent de la génisse en expérience.

Dans ce but, l’un de nous, médecin d’un dispensaire pour enfants, fait, avec les précautions convenables, par trois piqûres à chaque bras, des ino- culations à de jeunes enfants non vaccinés : il leur inocule, au bras droit, l’un des trois vaccins normaux, et immédiatement leur inocule, au bras gauche, le vaccin d'âge correspondant, recueilli sur la génisse en expérience, et dont il s’agit de mesurer la virulence.

Cinq enfants sont inoculés : à droite avec du vaccin normal de quatre jours, à gauche avec le vaccin de quatre jours provenant de la génisse en expérience.

De même huit autres enfants sont inoculés avec les vaccins de cinq jours et sept autres avec les vaccins de sx jours.

4. Nous renvoyons à notre premier mémoire pour tous les détails concernant le vaccin employé, dans nos expériences, aux inoculations sous-cutanées et sous- épidermiques. !

840 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Chez tous ces enfants, les inoculations donnent naissance à de belles vésicules vaccinales, sans différence notable d'aspect entre les vésicules du * bras droit et celles du bras gauche.

Il n'existe done pas non plus de différence appréciable entre la virulence des trois vaccins normaux et celle des trois vaccins, d'âge correspondant, recueillis sur la génisse en expérience.

En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous l’épiderme par de multiples incisions, trois jours après avoir reçu du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané :

19 apparaît dans les délais habituels ;

20 est tout à fait normale d'aspect; (ie virulence normale, quatre jours après

30 contient unelymphe : cinq les inoculations ( six sous-épidermiques.

EXPÉRIENCE XI bas.

INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE QuU@lre JOURS LES INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES

Une génisse, qui n’a pas quitté l’étable d'isolement de la rue Caulain- court, reçoit, en injection sous la peau du flanc gauche, tout le contenu d’un gros tube à vaccin, rempli de pulpe glycérinée préparée depuis deux mois et demi.

Quatre jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, au côté droit du tronc, par 157 incisions, avec du vaccin éprouvé.

A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau, est inoculée semblablement sous l’épiderme, aux deux côtés du tronc, par de multiples incisions, avec le même vaccin.

Chez ces deux animaux, l’éruption vaccinale apparaît et évolue très diffé- remment. Le 15 janvier, trois jours après les inoculations sous-épider- miques, la génisse témoin ne présente, au niveau des incisions, non seule- ment aucun soulèvement épidermique, mais encore aucun épaississement du derme, aucune rougeur, en un mot aucune réaction; elle est encore à la période d'incubation.-

Au même moment, la génisse en expérience, au contraire, présente une éruption manifestement prématurée, plus avancée même en son évolution. que ne l’est l'éruption d’un autre animal, vacciné 24 heures plus tôt. Sur la génisse en expérience, toutes les incisions sont entourées d'une aréole d'un rose très vif, indice d’une forte congestion; le derme sous-jacent est infiltré au point de former une saillie très appréciable à la vue et au palper; enfin, au pourtour d'un grand nombre d'incisions, l’épiderme est soulevé, les vésicules vaccinales commencent à apparaître.

Six jours après les inoculations sous-épidermiques, l’éruption de la génisse en expérience se compose de pustules larges, saillantes, tendues, remplies d'un liquide opaque et entourées d’une zone congestive d’un rose

ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ. 841

vif; cependant plusieurs inoculations ont partiellement ou même totalement avorté. Ces pustules sont, pour la plupart, remarquables surtout par leurs contours festonnés et polycycliques : c’est l'indice certain que beaucoup des germes inoculés ne se sont pas développés et que chaque pustule est formée par la réunion d’un petit nombre seulement de colonies sous-épidermiques, trois ou quatre environ. Sur la génisse témoin, les éléments éruptifs sont: bien moins larges, bien moins saillants, remplis pour la plupart d’un liquide encore transparent, quelques-uns cependant d'un liquide opaque, sans teinte congestive à la périphérie; ils ont des contours réguliers, nette- ment rectilignes et ne paraissant pas formés, comme ceux de la génisse en expérience, par la confluence de trois ou quatre vésicules primitivement arrondies.

Sur la génisse en expérience, on fait successivement, à 24 heures d’in- tervalle, trois récoltes de Iymphe vaccinale : on recueille et on prépare, sous forme de pulpe glycérinée, du vaccin datant de quatre jours, de cinq jours et de six jours après les inoculations sous-épidermiques.

Pour mesurer la virulence de chacun de ces trois vaccins, on emploie, comme terrain de culture, la peau de jeunes enfants non vaccinés qu’on inocule par trois piqures à chaque bras et, comme terme de comparaison, un vaccin éprouvé, recueilli sur une autre génisse, six jours après la vaccina- tion sous-épidermique, comme il est de règle à l'établissement vaccinal de la rue Ballu; ce dernier vaccin est désigné sous le nom de vaccin normal.

Six enfants sont inoculés : à droite avec le vaccin normal, à gauche avec le vaccin de quatre jours provenant de la génisse en expérience.

De même quatre enfants sont inoculés avec les vaccins de cinq jours; quatre avec les vaccins de six jours.

Chez tous ces enfants, les inoculations donnent naissance à de belles vésicules vaccinales, sans différence notable d'aspect entre les vésicules du bras droit et celles du bras gauche.

Il n'existe donc pas non plus de différence appréciable entre la virulence du vaccin normal et celle des trois vaccins recueillis sur la génisse en expé- rience.

Tout au plus faut-il noter que, parmi ces trois vaccins, le vaccin de quatre jours a donné naissance à des vésicules particulièrement larges et saillantes, plus belles que les vésicules provenant, chez les mêmes sujets, du vaccin normal.

En résumé, l’éruption vaccinale d'une génisse inoculée sous l'épiderme par de multiples incisions, quatre jours après avoir reçu du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané :

10 apparaît en avance de 24 heures au moins, sur les délais habituels; 20 est légèrement modifiée dans son aspect extérieur ;

de virulence très accentuée, EU jours après Doi normale, cinq les inoculations

six sous-épidermiques,

842 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

EXPÉRIENCE XII bis.

INOGULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE CN JOURS LES INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES

Une génisse, qui n’a pas quitté l’étable d'isolement de la rue Caulain- court, reçoit, en injection sous la peau du flanc droit, tout le contenu d'un gros tube à vacein, rempli de pulpe glycérinée, préparée depuis deux mois et demi, donton vient d'éprouver la virulence,

Cinq jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, par 198 in- cisions au côté droit et 87 incisions au côté gauche, avec du vaccin éprouvé.

Ala même heure, une génisse témoin, qui n'a rien reçu sous la peau, est inoculée semblablement sous l’épiderme avec le même vaccin.

Chez ces deux animaux, l’éruption vaccinale apparaît et évolue très diffé- remment. Elle se montre avec l'aspect normal, dans les délais habituels, chez la génisse témoin. Sur la génisse en expérience, elle est en avance, d'un jour, dans son apparition, et se présente avec un aspect très modifié qui témoigne d’un notable arrêt de développement des éléments éruptifs, Six jours après les inoculations sous-épidermiques, son aspect est le suivant : au côté gauche, sur 87 incisions, 12 n'ont été le siège d'aucun soulèvement épidermique, les inoculations y sont demeurées sté- riles; 26 seuiement ont donné naissance, en un ou deux points de leur étendue, à des vésicules rudimentaires et avortées; pour le reste de l’érup- tion, 15 vésicules environ sont normales, les autres sont remarquables par leur contour irrégulier et polycyclique; comme le vaccin inoculé n’a cultivé qu'en quelques points seulement et non dans toute la longueur de l’incision, elles sont en réalité formées par la confluence d’un petit nombre de vési- cules arrondies, disposées en chapelet sur une même ligne, Au côté droit, l’éruption est encore plus modifiée; sur 128 inoculations, 33 sont demeurées tout à fait stériles, 50 n’ont donné naissance qu'à une ou deux pustules rudimentaires et avortées, quatre ou cinq vésicules, au plus, sont normales, toutes les autres ont un contour nettement polycyclique, indice indirect de l'avortement d’un grand nombre des germes inoculés,

Sur la génisse en expérience, on fait successivement, à 24 heures d’in- tervalle, deux récoltes de lymphe vaccinale : on recueille et on prépare, sous forme de pulpe glycérinée, du vaccin datant de cinq jours et de sir jours après les inoculations sous-épidermiques.

Sur la génisse témoin, on recueille seulement du vaccin de six jours, on le considère comme du vaccin normal.

Pour mesurer la virulence des deux vaccins provenant de la génisse en expérience, on les inocule, par trois piqûres, au bras gauche de jeunes enfants non vaccinés qui reçoivent immédiatement, au bras droit, par trois piqûres également, le vaccin normal provenant de la génisse témoin.

Trois enfants sont inoculés avec les vaccins de cinq jours.

Chez ces trois enfants, toutes les inoculations donnent naissance à de belles vésicules vaccinales, sans différence notable d'aspect entre les vési-

ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ. 843

cules du bras droit et celles du bras gauche. {l n'existe done pas non plus de différence appréciable entre la virulence de ces deux vaccins.

Quatre autres enfants sont inoculés de même avec des vaccins de six jours.

Chez un seul de ces quatre enfants, il n’existe pas de différence entre les vésicules du bras droit et celles du bras gauche; chez les trois autres, au contraire, tandis que les inoculations du bras droit donnent naissance à de belles vésicules vaccinales, celles du bras gauche engendrent des vésicules moins grandes de moitié et qui apparaissent plus tardivement; encore deux de ces enfants ne présentent-ils, au bras gauche, que deux vésicules seule- ment, la troisième inoculation étant demeurée tout à fait stérile.

ILexiste donc une notable différence entre la virulence du vaccin normal et celle du vaccin de sir jours provenant de la génisse en expérience : ce dernier ne possède plus qu’une virulence manifestement atténuée.

Les différences ainsi constatées, par l'inoculation à de jeunes enfants, entre la virulence du vacein de cinq jours et la virulence de vaccin de six jours, de même provenance, sont confirmées par l'inoculation de ces deux vaccins à des génisses.

Deux génisses qu'on vient d'inoculer, aux côtés du tronc, par de mul- tiples incisions, avec du vaccin normal, sont, aussitôt après, inoculées à la région mammaire droite, par 15 incisions, la première avec le vaccin de cinq jours provenant de l'animal en expérience, la seconde avec le vaccin de six jours, de même provenance. Au bout d'un septenaire, tandis que l'érup- tion des côtés du tronc est normale chez les deux génisses, il existe une notable différence entre l’éruption de la région mammaire chez l’une et chez l'autre : la première, inoculée avec le vaccin de cinq jours, présente des vésicules d'aspect normal : la seconde, au contraire, inoculée avec le vaccin de six jours, ne porte, au niveau des incisions, que des vésicules partielles, rudimentaires, manifestement arrêtées dans leur développement.

En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous l’épiderme par de multiples incisions, cinq jours après avoir reçu du vacein dans le tissu cellulaire sous-cutané :

10 apparaît en avance de 24 heures au moins sur les délais habituels; 20 est notablement modifiée dans son aspect extérieur et arrêtée dans son développement ; jours après les inoculations sous-épidermiques.

Û de virulence normale, cinq 30 contient une lymphe : : : On | de virul. très atténuée, six

EXPÉRIENCE XIII bis.

INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE S22 JOURS LES INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES

Une génisse reçoit, à l’étable d'isolement de la rue Caulaincourt. en injection sous la peau du flanc droit, tout le contenu d’un gros tube à vaccin rempli de pulpe glyeérinée, préparée depuis deux mois.

844 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Six jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme par de multiples incisions, avec du vaccin de même provenance que celui qui a servi à l'ino- culation sous-cutanée.

A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau, est inoculée semblablement sous l’épiderme avec le même vaccin.

Tandis que chez la génisse témoin, l’éruption vaccinale apparaît dans les délais habituels et suit son cours normal, elle se montre plus précoce dans son apparition sur la génisse en expérience et s'arrête aussi beaucoup plus rapidement : cinq jours après les inoculations sous-épidermiques, les vési- cules vaccinales, très incomplètement développées, commencent à se dessé- cher ; le lendemain eiles sont remplacées par des croûtes qui recouvrent les incisions dans toute leur longueur ou seulement en quelques points de leur étendue, car en beaucoup d’autres points les inoculations ont avorté, un grand nombre d'incisions est même demeuré tout à fait stérile.

Sur la génisse en expérience, on fait successivement, à 24 heures d’inter- valle, deux récoltes de lymphe vaccinale : on recueille et on prépare sous forme de pulpe glycérinée du vaccin datant de quatre jours et de céng jours après les inoculations sous-épidermiques.

Pour mesurer la virulence de ces deux vaccins, on les inocule par trois piqûres au bras gauche de jeunes enfants non vaccinés qui reçoivent immé- diatement, au bras droit, par trois piqûres également, du vaccin normal.

Quatre enfants sont ainsi inoculés avec les vaccins de quatre jours.

Chez ces quatre enfants, toutes les inoculations du bras droit faites avec le vaccin normal donnent naissance à de très belles vésicules vaccinales. Par contre, deux enfants ne présentent, au bras gauche, aucune réaction, si légère soit-elle ; le troisième porte, au bras gauche, une seule petite vésicule qui, en se desséchant, forme une croûte d’un diamètre moitié moindre que les eroûtes du bras droit: enfin le quatrième porte, au bras gauche, deux petites vésicules, le diamètre des croûtes qu’elles forment en se desséchant atteint pour l’une 5 millimètres, et pour l’autre 2 millimètres seulement, tandis que le diamètre des croûtes du bras droit mesure au moins un centi- mètre.

Il existe donc une très grande différence entre la virulence d'un vaccin normal et celle du vaccin de quatre jours provenant de la génisse en expe- rience : ce dernier ne possède plus qu’une virulence presque nulle.

Trois autres enfants sont inoculés de même avec les vaccins de cinq jours.

Un de ces enfants n’est pas revu, les deux autres présentent au bras droit chacun trois belles vésicules vaccinales et n'offrent au bras gauche aucune réaction, si légère soit-elle.

La virulence du vaccin de cing jours provenant de la génisse en expé- rience semble donc tout à fait nulle. -

En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous l’épiderme par de multiples incisions, six jours après avoir reçu du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané :

ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ. 845

19 apparaît en avance de 24 heures environ sur les délais habituels ; 20 est très modifiée dans son aspect extérieur, rapidement et notablement arrêtée dans son développement;

de vir. presque nulle, qua- jours après 30 contient unelymphe{ tre les inoculations We virulence nulle, cinq | sous-épidermiques.

EXPÉRIENCE XIV bis.

INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE Sepl JOURS LES INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES

Une génisse reçoit à l’étable d'isolement de la rue Caulaincourt, en injec- tion sous la peau du flanc droit, tout le contenu d'un gros tube à vaccin rempli de pulpe glycérinée, préparée depuis deux mois.

Sept Jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, par de mul- tiples incisions, avec du vaccin de même provenance que celui qui a servi à l'inoculation sous-cutanée,

A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau, est inoculée semblablement sous l’épiderme, avec le même vaccin.

Tandis que, chez la génisse témoin, l’éruption vaccinale apparaît dans les délais habituels et suit son cours normal, elle se montre plus précoce dans son apparition sur la génisse en expérience, au moins au niveau de quelques incisions, car le plus grand nombre demeure stérile et les éléments éruptifs incomplets, partiels, rudimentaires se dessèchent encore plus rapidement que dans l'expérience précédente.

Sur la génisse en expérience on fait successivement, à 24 heures d’inter- valle, deux récoltes de lymphe vaccinale : on recueille et on prépare, sous forme de pulpe glycérinée, du vaccin datant de quatre jours et de cinq jours après les inoculations sous-épidermiques.

Pour mesurer la virulence de ces deux vaccins, on les inocule par trois piqûres au bras gauche de jeunes enfants non vaccinés qui reçoivent immé- diatement, au bras droit, par trois piqûres également, du vaccin normal.

Chez quatre enfants, ainsi inoculés avec les vaccins de quatre jours, toutes les inoculations du bras droit donnent naissance à de très belles vésicules vaccinales. L'un des enfants présente, au bras gauche, trois petites taches qui disparaissent rapidement, sans avoir abouti à la formation de vésicules ; les trois autres enfants n’offrent, au bras gauche, aucune réaction appréciable.

La virulence du vaccin de quatre jours provenant de la génisse en expé- rience est donc pour ainsi dire nulle.

Trois autres enfants, inoculés de même avec les vaccins de cinq jours présentent, au bras droit, de très belles vésicules vaccinales tandis que leur bras gauche n’est le siège d'aucune réaction.

La virulence du vaccin de cinq jours provenant de la génisse en expé- rience est donc tout à fait nulle.

846 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous l’épiderme par de multiples incisions sept jours après avoir reçu du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané :

10 apparaît en avance de 24 heures environ sur les délais habituels ; 20 est très modifiée dans son aspect extérieur, très rapidement arrêlée dans son développement, en un mot avortée ; de vir. quasi nulle, quatre ) jours après 30 contient une lymphe | les inoculations . de vir.tout à fait nulle, cinq ) sous-épidermiques.

Ces nouvelles recherches confirment, on le voit, complète- ment les expériences antérieures dont elles sont la répétition : l'immunité consécutive à la vaccination sous-cutanée, dans sa période de développement graduel du quatrième au huitième jour, se manifeste extérieurement par un arrêt de développe- ment plus ou moins prononcé des éléments éruptifs; la propor- tion des inoculations stériles ou presque stériles grandit avec le progrès journalier de l’immunité et permet d’en mesurer, à vue d'œil, le degré croissant.

En outre, ces nouvelles recherches montrent qu’à l'arrêt de développement plus ou moins prononcé des éléments éruptifs correspond une atténuation plus ou moins complète de la viru- lence de leur contenu. A ces deux signes se révèle donc et se mesure, avant d'atteindre son entière perfection, limmunité graduellement croissante des jours qui suivent l’inoculation sous-cutanée du virus vaceinal.

Nous avons fait voir qu'à ces deux signes se révèle et se mesure aussi l’action immunisante, préventive ou curative, du sérum de génisse vaccinée : cette action n’est pas une, mais comporte toute une série de degrés variables avec Les doses du sérum injecté et avec le moment de l'injection.

Ces nouvelles recherches font cependant ressortir entre l’ac- tion immunisante du sérum de génisse vaccinée et celle du virus vaccinal un caractère différentiel qui complète ceux que nous avons déjà signalés.

Le sérum de génisse vaccinée, avons-nous écrit plus haut, modifie la morphologie des éléments éruptifs moins complète- ment qu'il ne détruit la virulence de leur contenu : chez un ani- mal traité par les injections sous-cutanées de sérum immuni- sant, des vésicules à peu près normales d'apparence peuvent

ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ 847

renfermer une lymphe qui n’est plus inoculable. Tout au con- traire, le virus vaccinal, préventivement inoculé sur la peau, agit sur la morphologie des éléments éruptifs d’une façon plus précoce que sur la virulence de leur contenu : des vésicules d'aspect rudimentaire et comme avorté peuvent renfermer une lymphe de virulence encore normale.

Le fait principal mis en lumière par ces nouvelles recherches, c'est que, chez les génisses successivement inoculées sous la peau et sous l’épiderme avec du virus vaccinal, il s'écoule, entre la vaccination sous-cutanée et la complète disparition de la virulence du vaccin sous-épidermique, un intervalle d’au moins onze à douze jours.

Nous avons répété ces expériences sur une autre espèce ani- male, sensible à l’inoculation du vaccin, sur le cochon. Six jeunes cochons ont reçu, sous la peau, chacun tout le contenu d’un gros tube à vaccin; 24 heures après, un de ces animaux a été inoculé sous l’épiderme par de multiples incisions, le lende- main un autre a été semblablement inoculé; le surlendemain un troisième etainsi de suite jusqu’au dernier, de telle sorte que nous avons pu observer les résultats de l’inoculation vaccinale sous- épidermique, précédée, à un, deux, trois, quatre, cinq et six jours d'intervalle, par une inoculation sous-cutanée.

Nous ne rapporterons pas ces expériences en détail : les résultats furent très analogues à ceux que nous avions observés chez la génisse, avec cette différence toutefois que, chez le cochon, six jours après la vaccination sous-cutanée (au lieu de huit jours chez la génisse), toutes les inoculations sous-épider- miques demeurèrent stériles, et qu'il s’écoula entre la vaccina- tion sous-cutanée et la complète disparition de la virulence du vaccin sous-épidermique un intervalle de neuf à dix jours seule- ment (au lieu de onze à douze jours chez la génisse).

En résumé, chez le cochon, ces deux phénomènes, l’immu- mité caractérisée par la résistance de la peau à de nouvelles inoculations d’une part, et la disparition de la virulence du con- tenu des éléments éruptifs d'autre part, apparaissent environ deux jours plutôt que chez la génisse.

Ce sont des faits sur lesquels nous aurons, dans un prochain mémoire, occasion de revenir.

NOTE SUR LA CONTAGOSTÉ DE LA PESTE BONE AU PORC

Par MM. CARRE er FRAIMBAULT

Études faites à l'Institut Pasteur de Nha-Trang.

Au cours de nos recherches sur la peste bovine en Indo- Chine, on nous avait signalé à plusieurs reprises une assez grande mortalité des pores, dans les régions contaminées.

Toutefois, nous n'avions pas attaché une grosse importance à ce renseignement, la peste bovine ayant toujours été consi- dérée comme une maladie absolument spéciale aux ruminants. D'autre part, les maladies contagieuses du porc sont fré- quentes et souvent difficiles à différencier ; nous avions pensé qu'il s'agissait de deux affections simplement concomitantes. Enfin, à en croire les Annamites, pendant les épizooties de peste bovine, tous les animaux domestiques : chiens, chats, poules, seraient atteints, ce qui est peu vraisemblable. Nous avons pu maintes fois nous convaincre du contraire.

Plusieurs missionnaires cependant nous avaient déclaré que la mortalité des pores et des bœufs coïncidait absolument avec les fréquentes invasions de la peste bovine en Indo-Chine.

Au cours de l’épizootie de 1897-98, qui fit de si grands ravages au Tonkin et dans le nord de l'Annam, notre cama- rade Camboulives nous signala de son côté la mortalité énorme des porcs dans les régions infectées par la peste bovine; il croyait à la réceptivité du pore pour cette maladie.

D'autre part, la constatation de la peste bovine chez le pécart, en 1866, par M. Leblanc, pouvait préparer l'esprit à admettre la possibilité de la contamination du porc, le pécari se trouvant en quelque sorte le trait d'union entre les bovins et les porcins. En relisant Friedberger et Frühner, nous remarquons aussi que Penning aurait signalé la transmission de la peste bovine au sanglier, mais nous ignorons les détails de cette observation.

CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC. 849

Dès notre retour à Nha-Trang, nous avons institué une série d'expériences qui nous permettent d'affirmer la contagiosité de la peste bovine au porc.

Nous nous bornerons à relater une de nos séries d’expé- riences : elle montre de la façon la plus évidente la transmissi- bilité de la maladie du bœuf au porc, du porc au porc et du pore au bœuf.

Trois porcelets de 3 mois environ (n° 6, 7et 8) reçoivent en injection sous-cutanée chacun 2 c. c. du sang frais, défibriné, d’un veau atteint de peste et réagissant thermiquement depuis deux jours.

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Porcelet 6. 2 avril, inj. sous-cutanée. 8, mange peu. 9, triste, tremblements. 12, mange bien, état normal. Maladie bénigne.

Tous trois présententle jour une hyperthermie considérable (419,3, 400,8, 400,7) ; ils cessent de manger, deviennent tristes, sont pris de frissons, leurs yeux sont chàässieux, ils vomissent souvent et ont une abondante diarrhée jaune très liquide. Le jour on sacrifie l’un d'eux (le n°8) pour obtenir une quantité de sang assez notable, destinée aux expériences ultérieures. Les deux autres guérissent après avoir été malades huit à dix jours.

D4

850 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Trois autres porcelets, achetés en même temps, étaient conservés comme témoins ; leur température était prise journel- . lement. Ils servirent aux inoculations ultérieures. Il va sans dire qu'ils ne présentèrent rien d’anormal avant leur inoculation.

Le sang du porc sacrifié sert à inoculer un autre pore (n° 10, passage) et un veau (n° 55). Tons deux contractent une maladie assez rapidement mortelle. Le veau succombe à une peste absolument typique treize jours après l’inoculation. Le pore,

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Veau 55. 7 avril, inoc. sous-cut. de 5 c. e. de sang frais. 12, ne mange pas. 17, diarrhée. 18, maigrit. 20, mort. Autopsie : Eëmphysème pul- monaire, épanchement de sérosité citrine dans l'abdomen; péritoine injecté; iléon t. enflammé, couvert de membranes diphtéritiques grisätres; cæcum et gros côlon t. enflammés, ecchymoses d’un rouge sombre sur le côlon flottant.

qui commence à réagir thermiquement le jour après l'ino- culation, de même que le veau meurt le jour et présente à l’autopsie des lésions assez caractéristiques sur lesquelles nous reviendrons plus loin.

Ce porc sert à deux séries d'inoculations : il est saigné par la section de la queue le jour de sa réaction thermique, Avec les quelques gouttes de sang obtenues, on inocule un porc (n° 9, passage), qui commence le jour à réagir thermique- ment, et meurt le jour sans avoir présenté des températures

LA

CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC. 8541

très élevées, mais avec les symptômes cliniques des précédents.

Du sang recueilli une heure après la mort du 9 permet d’inoculer le 15 (4° passage) qui prend une maladie mortelle et dont le sang donne une peste grave au 18 (5° passage).

20 Au moment de la mort du pore 10, on recueille dans le cœur un demi-centimètre cube de sang qui, après dilution dans 5 c. c. d’eau stérilisée, est injecté sous la peau du porc 11 (3° passage). La réaction thermique apparaît le jour

ARRBREERRNE

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Porcelet 10, 7 avril, inj. sous-Cutanée au-pli de l’aine. 11, saignée. * 12, diarrhée Jaune, vomissements. 13, mort. Autopsie : ulcér, Sup. Sur les lèvres. Forte inflammation de l'estomac et des parties moy, et terminale de l'intestin grêle, avec ulcér., sup. Desquammations épithéliales étendues sur le cæcum et le côlon. Foie congestionné par places, bleuâtre par places.

après l'injection ; l'animal est très malade pendant une dizaine de jours, puis se rétablit.

Le jour de sa réaction thermique, on obtient, par la section de la queue, une dizaine de gouttes de sang que l’on injecte au porc 16 (4° passage). |

La réaction thermique se manifeste, chez ce dernier, le 6e jour, la maladie évolue lentement, et l'animal guérit au bout d’une vingtaine de jours.

Le pore n°16, saigné le jour de sa réaction thermique,

donne 6 gouttes de sang qui servent à inoculer dans la trachée

D2 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

le veau 72: il prend une peste caractéristique dont il meurt au bout de 16 jours.

En résumé, 2 centimètres cubes de sang virulent d'un veau ont donné une maladie qui a été transmise pendant 5 passages successifs dans l'organisme du porc, et qui, après le premier et le passages, donne une peste mortelle pour le veau, à la dose de 6 gouttes dans le dernier cas.

De nombreuses expériences nous ont en outre montré la contagiosité de la maladie par contact de porc à porc. L’infection

Avril DONNE NON A0 MAMA AS TA MAN ANATOLE

Ps pause

Porcelet 9. Le 11 avril, inj. sous-cut. de 3 g. de sang du porcelet ne 10. 17, vomissements. 18, frissons, diarrhée. 19, mort. Autopste : Cong. t. acc. du poumon; vive inflammation de la muq. stomacale et de l'intestin gréle, du cæcum, du gros côlon et de la p. du côlon flottant; congestion des plaques de Peyer ; foie congestionné, presque noir.

semble être d’un jour ou deux plus tardive par ce mode de contamination que par l'injection sous-cutanée.

Nous aurions voulu également établir expérimentalement la transmissibilité par contact de la maladie du veau au porc et du pore au veau. Des difficultés matérielles, provenant de notre installation, nous ont fait remettre à une date ultérieure ces recherches complémentaires.

Symptômes de la peste bovine chez le porc. Hs ne sont pas très caractéristiques, et ressemblent un peu à ceux que l’on observe dans la plupart des septicémies hémorragiques.

CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC. 893

Dès le début, l'animal est triste, mange à peine et vomit souvent; très rapidement les matières vomies sont teintées en jaune verdàtre par la bile.

Des frissons apparaissent à peu près constamment à cette période.

Les yeux deviennent chässieux.

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Veau 72. 27 avril, inj. dans la trachée de 6 gouttes de sang du porce le 16 (4° passage). 3 mai, mange peu. 5, diarrhée, maigrit. 10, étique.

reste couché, 12, mort. Autopsie : feuillet très dur, nomb. pétéchies sur lre p. de la caillette et ulcérations sur la partie pylorique: follicules clos in- durés, volumineux. Plaques de Pever peu altérées. Ouverture iléo-cæcale noire; trainées noirätres sur la muqueuse du cæcum et du côlon flottant. Poumon emphysémateux.

Très souvent aussi, on remarque de la salivation, de l’écume sur les lèvres, et l'examen de la bouche fait constater des desqua- mations sur les muqueuses labiale et linguale.

La diarrhée survient ordinairement le deuxième jour de l’hy- perthermie. Elle est jaune, de plus en plus liquide. Jamais nous ne l’avons trouvée striée de sang.

Dans les cas rapidement mortels, tous les symptômes évo- luent très vite, et lanimal ne tarde pas à refuser toute nourri-

854 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ture et à être épuisé par les vomissements et abondance dela diarrhée.

Si l’animal doit guérir, on voit d’abord les vomissements cesser, l'appétit revenir : la à est le symptôme le plus persistant, et dure parfois 10 à 12 jours.

Diagnostic différentiel. symptômes pourraient, à la rigueur, suffire pour diagnostiquer la maladie Ge une région atteinte de peste bovine.

Nous devons avouer toutefois qu'ils sont assez peu signifi- catifs. La nb Eh te l'évolution de la maladie pourraient la faire confondre avec le rouget ou la@neumo-entérite.

A l’autopsie, on ne retrouve pas les altérations des séreuses qui accompagnent presque toujours la pneumo-entérite; d'autre part, les lésions intestinales sont plus nettes que dans Île rou- get.

L'examen bactériologique, les cultures permettront aussi de les différencier : lexamen microscopique, les divers moyens de culture actuellement connus ne donnent pas de résultats positifs pour la peste bovine.

Mais c’est surtout l’inoculation simultanée au pigeon, au lapin et au cobaye qui permettra de voir à laquelle des affections contagieuses du pore on a affaire. Si c’est du rouget, le pigeon mourra en 3 ou à jours, lapin du au jour; si c’est de la paeumo-entérite, le pigeon restera indemne; le cobaye et le lapin succomberont en # ou 8 jours (Nocard et Leclainche).

Enfin, l’inoculation de quelques gouttes de sang au veau permettra de constater de lhyperthermie le jour et les symp- tômes cliniques de la peste bovine vers le ou le jour.

Lésions. Souvent, la rapidité d'évolution de la maladie ne laisse pas au sujet le temps de maigrir, mais dès que l'affection se prolonge, l’'émaciation ne tarde pas à se produire et l'animal «fond » très vite.

Au moment de la mort, on peut constater des taches ecchy- motiques sous-cutanées sur le groin, l'extrémité des membres et la paroi pectoro-abdominale. Dans deux cas nous avons pu constater une sorte d’éruption pustuleuse.

C'est sur l'appareil digestif que les lésions sont les plus accusées.

Presque constamment, on trouve une desquamation épi-

CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC 855

théliale de la muqueuse buccale, et même des ulcérations an niveau des gencives et des lèvres.

L'arrière-bouche est parfois enflammée, mais ce n’est pas la règle.

L'estomac est toujours le siège de lésions très intenses : sou- vent l'inflammation s'étend à toute la muqueuse stomacale, mais toujours la partie pylorique présente des ulcérations plus ou moins profondes, allant du diamètre d’une pièce de 50 centi- mes à celui d’une pièce de cinq francs. Suivant l’âgé de la lésion, tantôt il y a une simple mortification de la muqueuse, assez superficielle ; tantôt et plus souvent la muqueuse a disparu com- plètement, laissant le derme recouvert d’une sorte de fausse membrane diphtéritique. Le contenu de l’estomac est liquide, souvent teinté en jaune par la bile qui reflue dans cet organe pendant les efforts de vomissement.

L'inflammation de l'intestin grêle n’est pas constante; elle est presque toujours beaucoup moins intense que celles de l’es- tomac et du gros intestin. Les lésions sont plus accusées sur la portion terminale de l’iléon; la plaque de Peyer très étendue, qui se trouve dans cette région, est très enflammée, parfois ulcérée, et donne à cette partie du tube intestinal une rigidité particulière.

Le cæcum surtout et le gros intestin, d’une manière générale, sont le siège d’une vive inflammation. Souvent même on voit sur le cæcum des ulcérations aussi accusées au moins que celles de l'estomac.

Le foie a parfois une teinte assez foncée; d’autres fois 1l est décoloré. La bile est généralement épaisse, souvent grume- leuse ; les reins sont rouges, congestionnés, l'urine fortement teintée par des globules sanguins.

Le péritoine est souvent un peu rouge, sans présenter d'ex- sudat.

Les ganglions mésentériques sont presque toujours volumi- neux et parfois noirs, violacés.

L'appareil respiratoire est fréquemment atteint. Les pre- mières voies sont généralement indemnes. Une fois ou deux seulement, nous avons noté un peu d’inflammation du larynx. La congestion pulmonaire, au contraire, existe assez régulière- ment et souvent nous avons observé des îlots de pneumonie.

856 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

L’emphysème pulmonaire est fréquent, mais non presque cons-

tant comme chez le bœuf. Jamais nous n’avons constaté d’exsu- *

dat pleural.

L'examen du sang, du foie, de la rate ne nous à jamais montré aucun microorganisme spécifique. Nous avons eu le même résultat négatif avec nos cultures.

Ces premières recherches nous ont paru présenter un cer- tain intérêt, en raison du danger, d'autant plus grand qu’il est ignoré, de l'introduction possible de la peste bovine par les por- cins.

Par des études ultérieures, nous nous eflorcerons de déter- miner, aussi exactement que possible, la durée de la virulence soit chez les pores convalescents de peste bovine, soit dans la viande conservée par les divers procédés.

De précédentes observations nous permettent de croire que l'agent du contage se conserve pendant un laps de temps assez court, qui ne dépasserait pas une quinzaine de jours, au moins dans nos possessions d’extrème-Orient.

Nous tenons à déclarer aussi que nos expériences ont été faites sur des pores annamites, et que nous ignorons si la récep- tivité des porcs de race celtique pour la peste bovine est moindre ou plus grande.

N. B. Depuis la rédaction de cette note, une lettre de M. le D' Delay, en mission en Chine, nous apprend que les Chi- nois sont également convaincus de la contagiosité de la peste bovine au porc, d’après un missionnaire, le P. Kircher, qui lui indique comme susceptible de contracter la peste, après les bovidés : le porc, le mouton, la chèvre.

Nos essais de contamination de la chèvre et du mouton nous ont donné des résultats presque négatifs qui feront l’objet d’une note ultérieure.

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ÉTUDE SUR L'AGGLUTINATION COMPARÉE DU VIBRION CHOLÉRIQUE ET DES MICROBES VOISINS

Par le sérum spéciñique et par les substances chimiques,

Par J. BOSSAERT.

Le phénomène de l’agglutination des microbes, étudié d’abord au point de vue de son rôle dans l’immunité, a reçu ses plus importantes applications dans la diagnose des espèces mi- crobiennes. Il semble même qu’à l'heure actuelle, le critérium le plus sûr’ que l’on puisse invoquer en faveur de la nature typhique d’un bacille soit sa sensibilité agglutinative au typhus- sérum convenablement dilué.

En bactériologie.pratique, c'est le sérum d’un animal forte- ment immunisé, soit contre la fièvre typhoïde, soit contre le choléra, que l’on emploie couramment pour la diagnose des microbes correspondants, dont la détermination est si impor- tante dans une foule de recherches.

Mais l’agglutination des bacilles, au sein de leurs émulsions, peut être provoquée par d’autres moyens. M. Malvoz® a montré que certaines substances coagulantes, la formaline, l’eau oxygénée, le sublimé, par exemple, jouissaient de la propriété de provoquer, dans les émulsions en eau distillée de bacilles typhiques. la formation de beaux amas, comparables, par leur aspect, à ceux du typhus-sérum. La safranine et la vésuvine sont douées des mêmes propriétés. Blachstein*, de son côté, emploie la chrysoïdine, matière colorante diazoïque, comme agglutinant du vibrion cholérique. Certaines substances, telles que le sulfate

1. Vax pe Veuve, Valeur de l’agglutination dans la séro-diagnose de Widal et dans l'identification des bacilles éberthiformes. Centralblatt für Bakterio- logie, 42, 25 mars 1898.

2. Mazvoz, Recherches sur l’agglutination du bacillus typhosus par les substances chimiques, Annales Pasteur, juillet 1897.1

3, Centralblatt für Bakteriologie, 3, vol, XXI, 1897,

858 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

ammonique', sont encore de bons agglutinants de certains microbes.

De plus, comme M. Malvoz l’a vu?, l’agglutination des microbes se produit encore quand onles entraîne dans certains précipités : après émulsion du bacillus typhosus dans de leau riche en bicarbonate calcique, si l’on ajoute de la soude, les microbes se retrouvent en grands amas dans le précipité de carbonate calcique qui se forme dans ces conditions. Citons encore un récent travail de Nicolle* : si l’on ajoute, non plus à une émulsion de microbes, mais au produit de la filtration d’une culture, une trace du sérum spécifique, il se forme dans le liquide des amas rappelant beaucoup les agglutinats ordi- naires.

Les divers moyens de provoquer l'agglutination, autres que les procédés basés sur l'emploi des sérums spécifiques, peuvent-ils être utilisés en bactériologie analytique? En d’autres termes, donnent- ils des différences assez grandes pour servir au diagnostic?

En collaboration avec M. Lambotte‘, j'ai montré que la for- maline, une des substances étudiées par M. Malvoz, pouvait parfaitement servir au diagnostic du bacille typhique, en ce sens que ce dernier, dans certaines conditions déterminées, est for- tement agglutiné par l’aldéhyde formique, tandis qu'un bon nombre d’échantillons de coli-bacilles, de microbes pseudo- typhiques, ne sont pas agglutinés. Certes, il ne s’agit pas d'identifier comme bacille typhique tout microbe en bâtonnet qui agglutine par la formaline; mais, tout au moins, un bacille qui ne subit pas cette action particulière de la formaline peut être considéré comme non typhique.

Je me suis proposé, dans le présent travail, de rechercher si, au point de vue du vibrion cholérique et des autres microbes qui peuvent être confondus avec lui, il n'existe pas d'agents d'agglutination, autres que le sérum, utilisables en pratique.

Ces recherches sont devenues ainsi une étude comparée sur l’agglutination, par les sérums et les substances chimiques,

4. Travail inédit de M. Malvoz.

2. Annales Pasteur, juillet 4897, page 586.

3. Nicoze, Recherches sur la substance agglutinée, Annales Pasteur, mars 1898. |

4, Recherches sur le diagnostic pratique de quelques microbes par les sub-

stances chimiques agglutinantes, Bulletin de l'Acad. royale de médecine de Belgique, 1847.

VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 859

des spirilles cholériques et des microbes de la même famille naturelle.

J'ai utilisé, pour mes recherches, un microbe type du cho- léra, au moyen duquel j'ai immunisé fortement un animal. Le sérum de cet animal, recueilli au bout d’un certain temps, s’est montré doué de propriétés agglutinantes prononcées vis-à-vis du microbe cholérique.

J'ai étudié, pendant tout le cours de l’immunisation et à la fin de celle-ci, les propriétés de ce sérum, au point de vue de ses propriétés agglutinantes, sur le microbe lui-même ayant servi aux inoculations, sur d’autres microbes du choléra de diverses provenances, et sur les spirilles de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke. J'ai recherché également les propriétés agglutinantes du lait, des organes et du sang du fœtus.

J'ai de même étudié la facon dont se comportent le vibrion du choléra vrai, et ceux de Metchnikoff, de Finkler, et de Deneke, vis-à-vis des agglutinants physico-chimiques.

$ 1. AGGLUTINATION PAR LE SÉRUM SPÉCIFIQUE

Je me suis servi, dans mes expériences, du sérum du sang d'une chèvre à laquelle j'injectais du bacille cholérique, en émulsion, sous la peau des flancs. Le microbe choléra-Angleur, qui à servi aux inoculations, est un microbe type du choléra dit asiatique ; il a été isolé par M. Malvoz en 1894, lors de l'épidémie de Liége et environs.

Il est inutile, pour étudier le phénomène de l’agelutination, de se servir d’un microbe à virulence exaltée; Pfeiffer! le dit expressément dans son dernier travail.

Dans le but d'étudier les propriétés du sérum chez le fœtus ou le nouveau-né, on fit saillir la chèvre le 21 novembre 1897. Du 26 novembre 1897 au avril 1898, la chèvre reçut environ 34 centimètres cubes d’émulsion dans l’eau de vibrions choléri- ques, tués soit par une température de 609, soit par le chloro- forme ; ces émulsions étaient de plus en plus fortes, de sorte que, vers le mois de mars, la chèvre recevait, en une injection d’un centimètre cube, la valeur de 3 à 4 cultures sur gélose de choléra ensemencé depuis 2, 3, au maximum 4 jours.

1. Prerrrer et Marx, Die Bildungstätte der Choleraschutzstoffe, Zeit. fur Hygiène, 21 avril 1898, page 275.

860 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

La chèvre avorta le 14 mars et donna un fœtus màle d’en- viron quatre mois. À partir de ce jour, la sécrétion lactée s’éta- blit et le lait fut également mis en expérience.

La façon dont j'ai opéré a toujours été la suivante : les émulsions de microbes sont faites dans l’eau distillée et non dans l’eau salée, car la présence de sels minéraux peut modifier les propriétés agglutinantes'; des cultures, sur gélose inclinée, âgées de 24 heures environ, servent à faire ces émulsions. de délaie une anse de l’enduit mierobien dans un centimètre cube d’eau distillée. On s’assure, à chaque essai, de l'absence d’amas spontanés de vibrions dans ces émulsions.

Le sérum est également dilué avec de l’eau distillée.

Les préparations sont faites sur porte-objet à raison d’une anse &'émulsion pour une anse de sérum dilué. On les met sous cloche, en chambre humide, en attendant le moment la réaction se produit.

Je considère comme ne donnant plus le phénomène de lag- glutination toute préparation dans laquelle il ne s’est même pas formé de commencement d’agglutination au bout de trois quarts d'heure.

J'appelle limite de l'agglutination la dilution pour laquelle le sérum ne donne plus qu’une très légère agglutination au bout du même temps.

I. Sérum maternel.

Avant le commencement des inoculations, le sérum de la chèvre agglutinait le bacille cholérique à raison d’une partie de sérum pour 50 p. d’émulsion microbienne. Il avait done un pouvoir agglutinant assez considérable vis-à-vis du vibrion du choléra. 1l en est de même, aux mêmes doses, vis-à-vis de divers bacilles cholériques vrais (choléra-Brest, choléra-Tunis, choléra- Guilvinec, choléra-Tilff, choléra-Vaux, choléra-Liège), et pour les vibrions de la famille naturelle du choléra (vibrions de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke).

A la suite des inoculations sous-cutanées d’émulsions stéri- lisées de bacilles cholériques d’Angleur, le pouvoir agglutinant du sérum normal se mit à augmenter: j'ai fini par obtenir un

4, Mazvoz, Loc. cit., Annales Pasteur, 1897;

VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 861

sérum agglutinant le vibrion servant aux injections à la dose de 1 p. 1500,

Je n'ai pas poussé plus loin limmunisation. Il m’a fallu pour cela injecter environ une ceutaine de cultures sur gélose dans l’espace de 4 mois. À ce moment, seul l’échantillon de bacille- virgule servant aux injections était agglutiné à 1 p. 1500. Pour les autres échantillons de choléra vrai, les proportions étaient différentes : de 1 p. 500, par exemple, pour le choléra- Tunis, de 1 p. 1000 pour le choléra-Guilvinec et le choléra- Tilfr.

Quant aux vibrions de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke, le chiffre était le mème que pour le sérum normal, c’est-à-dire voisin de 1 p. 50.

En résumé, ces expériences confirment les faits connus que le sérum d’un animal fortement immunisé contre le choléra, quand il est suffisamment dilué, n’agglutine plus que le vibrion de Koch et même, à une dilution plus forte encore, que l’échan- tillon de choléra ayant servi aux inoculations".

IL, Sérum du fœtus.

J'ai étudié le sérum du fœtus de cette chèvre au point de vue des propriétés agglutinantes. Je l’ai emprunté au sang de la veine ombilicale, du foie, du cœur, des poumons.

Tandis qu’au moment de l’avortement le sérum maternel agglutinait à la dilution de 4 p. 1000 environ, le sérum des

1. Comme Besredka! l’a fait pour la toxine diphtérique, j’ai noté avant et après les injections vibrioniennes le nombre des globules blancs polynucléaires (colora- teur du sang séché sur lamelle à l’éosine et au bleu de méthylène. Après chaque injection, le nombre de ces globules augmente notablement dès le lendemain, atteint son maximum après deux ou trois jours, puis diminue.

Exemple :

Avant l'injection, sur 400 leucocytes, il y a 4 polynucléaires : on injecte 1 c. c. d'émulsion de vibrions cholériques tués par le chloroforme :

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1. Annales Pasteur, Leucocytose dans la diphtérie, 5, 1898.

862 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

diverses parties du fœtus présentait la même propriété à la dose

de 1 p. 100 seulement. Si on se rappelle que le sérum normal:

de la chèvre n’agglutinait pas à plus de 1 p. 50, on peut affirmer qu'il y a un faible passage de la mère au fœtus des substances agglutinantes formées au cours de l’immunisation, On n’a pas trouvé de différence d’un organe à l’autre.

IL. Lait de la chèvre immunisée.

Tandis que l'urine de la chèvre fortement immunisée ne présentait le pouvoir agglutinatif qu'à un très faible degré, environ 1/50, le lait présentait ce pouvoir à un haut degré, voisin de celui du sérum du sang de l'animal : la réaction se montrait encore à 1/1000 et au delà, au moment des dernières injections.

A la différence du sang normal, le lait normal de chèvre n’a pas d'action agglutinante sur le vibrion cholérique, pas plus que sur les spirilles de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke.

Le lait de la chèvre immunisée ne se montra pas plus actif vis- à-vis de ces spirilles pseudo-cholériques. À 1/10 de lait de la chèvre immunisée, plus la moindre trace d’agglutination de ces derniers microbes. Remarquons, en passant, que la propriété agglutinante qui existe à l’état normal dans le sang de la chèvre ne se transmet pas aussi abondamment au lait que la propriété acquise par les injections cholériques.

Quant à la transmission du pouvoir agglutinatif aux petits par l’allaitement, cette question est encore controversée.

À défaut de chevreau, je pris comme sujets d'expérience un chien et une chatte. Les résultats peuvent avoir été contrariés par le fait que ces animaux supportaient très mal le lait de la chèvre immunisée ; ilséprouvaient un dégoût profond à l’absorber et l'ingestion était suivie d’une forte diarrhée, Il y eut certaine- ment transmission, mais dans une faible mesure, du pouvoir agglutinant au sang du chien en lui faisant prendre, par la voie gastro-intestinale, du lait agglutinant fortement. Le sang de chien normal donnait une très faible réaction agglutinante à 1/50 ; après l’ingestion de lait pendant un mois, on obtint une réaction des plus nettes à cette même dilution, mais rien à 1/100.

Chez la chatte, Paugmentation du pouvoir agglutinatif du sang fut plus sensible : le sérum du sang normal de la chatte

dit Ent

VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 863

agglutinait légèrement les vibrions du choléra Angleur à 1/40; le sérum de la chatte qui avait pris du lait pendant environ 20 jours provoquait encore le même phénomène à raison de 1/100.

En présence de cette transmission, si faible qu’elle soit, du pouvoir agglutinant par le tube digestif, il faut rappeler les expériences de Ransom ‘qui a conclu à l'absence totale de résorption des toxines par l'intestin (toxine tétanique tout au moins). Il semblerait donc, si d’autres faits semblables aux miens sont établis, que les substances agglutinantes des humeurs sont mieux absorbées par le tube digestif que les toxines. Il y a lieu également de se demander si le pouvoir agglutinant, si considérable parfois, que Stern * vient de signaler pour le sang normal vis-à-vis du bactérium coli, agglutination beaucoup plus grande que vis-à-vis du bacillus typhosus, ne serait pas à une résorption des substances provenant des bacilles du côlon si abondants dans le tube digestif à l’état de santé.

Nous résumerons comme il suit les principales propriétés du sérum et des humeurs d’un animal fortement immunisé contre le choléra :

Par l’immunisation anticholérique, on obtient, quand celle-ci est poussée assez loin, un sérum et un lait qui, à une cer- taine dilution, n'agglutinent plus que le microbe spécifique lui- même, à l'exclusion des microbes même d'espèces voisines.

Si les injections immunisantes sont continuées, on obtient un sérum qui, très dilué, n’agglutine plus que le microbe ayant servi aux inoculations, à l’exelusion des bacilles cholériques de même espèce mais d’autres provenances.

20 Le sérum de certains animaux (chèvre), à l’état normal, agglutine, même assez dilué (1/50 dans les conditions d’expé- rience je me suis placé), les microbes du choléra etles espèces pseudo-cholériques (vibrions de Metchnikoff, üe Finkler et de Deneke). Si on soumet ces animaux à des injections immuni- santes contre le choléra asiatique, le pouvoir agglutinant normal vis-à-vis des microbres pseudo-cholériques n’est en rien modifié.

1. Ransom, Das Schiksal des Tetanusgiftes nach seiner intestinalen Einver- leibung in den Meerschweinchen-organismus, Deutsche med. Wochenschrift, 24 février 1898,

2. Stern, Typhusserum und Colibacillen, Centralblatt für Bakteriologie, mars 1898.

864 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Le pouvoir agglutinant résultant des injections immuni- santes se transmet au fœtus, mais faiblement. Les substances agglutinantes paraissent réparties uniformément dans les organes du fœtus.

La propriété agglutinante, obtenue par les injections anticholériques, se transmet fortement à la secrétion lactée, tandis que le pouvoir agglutinant du sérum normal se retrouve très faiblement dans le lait.

Le pouvoir agglutinant du lait peut être transmis, mais faiblement, par l’alimentation.

S 2. AGGLUTINATION DU VIBRION CHOLÉRIQUE ET DES SPIRILLES DE METCHNIKOFF, DE FINKLER ET DE DENEKE PAR LES SUBSTANCES CHI- MIQUES PROPREMENT DITES.

M. Malvoz a signalé surtout comme bons agglutinants du bacillus typhosus la formaline (aldéhyde formique à 40 0/0 dans l’eau), le sublimé, la safranine, la vésuvine. Depuis la publication de son travail en juillet 1897, il a découvert d’autres substances agglutinantes : l'acide acétique à certaines dilutions, la fuchsine en solution saturée dans l’eau et bien filtrée (on n’emploie pas la solution alcoolique pour éviter l’action agglutinante de l’alcool).

Toutes mes expériences ont été faites de la même façon : on prenait des cultures fraiches, sur gélose inclinée, des vibrions à étudier; ces cultures avaient séjourné 24 heures à 37°. Une anse de la couche microbienne était délayée dans un centimètre cube d'eau distillée; on s’assurait que l’émulsion était parfaite, que les microbes étaient bien divisés et nullement agglomérés. A une anse de cette émulsion on äjoutait, sur porte-objet, en mé- langeant convenablement, une anse du réactif à étudier. On ne peut, pour ces expériences, utiliser les cultures en bouillon ou en eau-peptone, car ces liquides, même stérilisés, forment sou- vent des coagulats albumineux avec les réactifs. Il est très important de se placer toujours dans les mêmes conditions, sinon les résultats ne sont nullement comparables. Ainsi, une eulture âgée, par exemple, ne se comporte pas vis-à-vis de la formaline comme une culture jeune : les produits formés au sein d’une vieille culture modifient les conditions du phénomène. Nous avons successivement fait agirsurle choléra-Angleur, sur d’autres

4

VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 865

microbes du choléra etsurles vibrions de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke, les substances suivantes, à divers degrés de dilu- tion dans l’eau distillée : la formaline, le sublimé, la safranine, la vésuvine, la fuchsine, le sulfate ammonique, l'acide acétique, l’alcool et la soude.

IL Action de la formaline

40 Anse pour anse d’émulsion et de formaline non diluée,

Choléra-Angleur donne instantanément de petits amas formés de bacilles très nettement agglutinés.

Vibrions de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke donnent immédiatement de gros amas serrés.

Je me suis assuré, par des colorations ultérieures, que les amas, observés au microscope, dans tous les essais qui vont suivre, étaient bien formés de bacilles nettement agglutinés et non de simples coagulations albumineuses. Le mot amas désigne toujours des vibrions bien agglutinés.

20 Anse pour anse d'émulsion et de formaline diluée à moitié,

Choléra-Angieur. Les amas se forment plus leniement (2 à 3 minutes).

ere Fi a " | Agglutination également plus tardive; amas L i i choléra. ENT plus petits que ceux du vraic

Anse pour anse d’émulsion et de formaline diluée au 1/4,

Choléra- IE Les amas sont plus rares et plus petits ; ils ne se

forment qu'après quelques minutes. Vibrions de Meichnakof. Les amas sont plus rares et plus petits; ils

ne se forment qu'après quelques minutes.

Vibrions de Finkler., Agglutination plus faible que pour les 2 hddies précédents.

Vibrions de Deneke. Pas d'agglutination.

IL. Action du Sublime,

40 Solution à 10 0/0 dans l’eau distillée, Choléra-Angleur. Vibrions de Metchnikoff. Vibrions de Finkler. Vibrions de Deneke. 20 Solution à 5 0/0 dans l’eau distillée, Choléra-Angleur. -Vibrions de Metchnikoff. Vibrions de Finkler. Vibrions de Deneke, 30 Solution à 2 0/0 dans l’eau distillée.

Résultats à peu près semblables,

49 Solution à 1 0/00 dans l’eau distillée.

Choléra-Angleur, choléra-Guilvinec, choléra-Brest : pas d'amas.

58

Grands amas.

Amas énormes (tout le champ du microscope).

Petits amas.

Grands amas.

866 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Vibrions de Metchnikoff et de Finkler : petits amas de quelques individus seulement.

Vibrions de Deneke : grands amas formés de centaines de microbés

agglutinés.

IT. Action de la Safranine.

40 Anse pour anse d’émulsion et de safranine à 4 0/00.

Choléra-Angleur et les 3 vibrions : amas nombreux et volumineux se formant immédiatement.

20 Anse pour anse d'émulsion et de safranine à 0,5 0/00.

Agglutination des 4 espèces microbiennes, mais la réaction n'est plus aussi rapide.

30 Anse pour anse d’émulsion et de safranine à 0,25 0/00.

Gholéra-Angleur, vibrions de Metchnikoff et de Finkler : pas d'agglutina- tion. Vibrions de Deneke : petits amas, peu nombreux.

IV. Action de la Vésuvine.

Anse pour anse d’émulsion et de vésuvine à 1/500.

Les 4 microbes donnent une agglutination très nette; les amas sont énormes.

On peut pousser la dilution de la vésuvine jusque 41/5000 et on a encore de l’agglutination pour les # microbes, avec des différences peu prononcées de l’un à l’autre.

V. Action de la Fuchsine en solution aqueuse.

Agglutination très nette pour les 4 microbes, même avec des solutions de 1/5000.

VI, Action du Sulfate ammonique.

Les 4 microbes agglutinent sensiblement de la même façon à raison d’une anse d’émulsion pour une anse de sulfate ammonique en solution saturée. l

Pour peu que l’on dilue la solution de sulfate dont 4 ils finissent par ne plus agglutiner.

VII. Action de l'acide acétique pur. et dilué.

Une anse d’émulsion pour une anse d'acide acétique pur ou dilué de moitié : les 4 microbes n'agglutinent pas.

Avec de l'acide acétique dilué au 1/3, le choléra-Angleur agglutine seul légèrement. |

L’acide acétique au 1/4 donne une agglutination nette pour le cholera- Angleur, légère pour les 3 autres microbes. |

Au 1/5; agglutination nette pour choléra-Angleur et Le vibrion de Deneke ; agglutination légère pour les deux autres microbes.

Au 1/10, au 1/20 et au 1/100, l'acide acétique donne une agglutination très nette avec les 4 microbes.

le tt ti <di

VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 867.

A 1/500, le phénomène de l’agglutination est moins net pour les 4 microbes,

A 1/1000, il ne se produit plus d’agglutination pour aucune des 4 espèces microbiennes.

VIII. Action de l'alcool à 950 et de la soude normale décime sur des émulsions de microbes dans l’eau calcaire et dans l’eau dislillee.

Ce que M. Malvoz! a démontré pour le bac. typhosus, à savoir l’entraîne- ment des microbes dans des précipités formés au séin d’une émulsion de microbes, se vérifie également si l’on se sert d’émulsions de microbes cholériques ou des autres vibrions.

Si à une eau alimentaire comme celle de Liège, assez riche en bicarbo- nate calcique, on ajoute de la soude, on produit un précipité de carbonate calcique qui entraîne les vibrions primitivement émulsionnés dans cette eau : le$ amas ressemblent aux agglutinations provoquées par le sérum,

De même si l’on ajoute à une eau semblable de j'alcool à 950, celui-ci amène également la précipitation de evrtains sels et en même temps celle des microbes que l’on a émulsionnés dans cette eau et qui se rassemblent ‘en amas sous l'effet de cette précipitation.

Si l’on opère avec des émulsions en eau distillée, l’adjonction de ces deux substances ne provoque pas d'agglutination.

Il résulte de ces recherches que l’on peut provoquer le phé- nomène de l’agglutination au sein des émulsions de bacilles du choléra et des microbes de cette famille naturelle, non seule- ment au moyen des sérums spécifiques, mais également de cer- taines substances chimiques de composition relativement simple, On observe, d’un vibrion à l’autre, des différences parfois assez considérables dans la production du phénomène, pour certaines dilutions des réactifs. Ainsi, le sublimé à 1 0/00, la formaline au 1/4, la safranine à 0,25 0/00, n’agglutinent que certaines espèces à l’exclusion d’autres. Mais le phénomène n’a pas la sensibilité ni la netteté qui se révèlent quand on étudie l’action du sérum spécifique. Il est vrai que ce dernier doit aussi être convenablement dilué pour être utilisé pour le diagnostic; mais, à cette dilution déterminée, l’agglutination du bacille spécifique est très nette et aucun autre microbe ne la subit. I n'en est pas de même pour les agglutinants physico-chimiques vis-à-vis du choléra et des espèces de ce groupe. Nous ne sommes pas en possession d’une substance chimique qui,à une dose déterminée,

4. Mazvoz. Loc. cit. Annales Pasteur, 1897,

868 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

agglutinerait exclusivement le vibrion cholérique et pourrait servir ainsi, à elle seule, au diagnostic précis de ce microbe.

Néanmoins, je crois que l’on peut, au besoin, utiliser les données précédentes dans les recherches analytiques, comme je l'ai proposé, avec M. Lambotte, dans les analyses concernant le bacille typhique.

En présence de colonies présentant les caractères du choléra, on fait des cultures sur gélose québon, laisse 24 heures à 37°; on obtient rapidement des émulsions et, à une anse d’émulsion, on ajoute une anse de sublimé à 1 0/00, par exemple. Tous les échantillons qui fourniraient de grands amas seraient consi- dérés comme n’appartenant pas au choléra, et éliminés pour les recherches ultérieures; mais les microbes n’ayant pas subi l’agglutination seraient conservés pour les recherches. Ce moyen d'investigation rendra des services quand on ne sera pas en possession d'animaux fortement immunisés contre le choléra : ce qui est fréquent. En dehors de leur intérêt théo- rique qui permet de creuser davantage le phénomène mystérieux de l’agglutination, nos recherches peuvent aussi avoir une utilité pratique. Le meilleur moyen de déterminer la nature cholérique d’un microbe donné par les caractères tirés du phénomène de l’agglutination, sera toujours l’emploi d’un sé- rum convenable. Mais à défaut d’un tel sérum, certains agglu- tinants chimiques peuvent être utilisés pour la séparation et un premier triage des cultures.

En tout cas, il conviendra dans l'avenir, pour la caractéri- sation des espèces microbiennes, de noter, à côté des autres signes classiques, les particularités de l’agglutination chimique.

Institut d'anatomie pathologique et de bactériologie de l'Université de Liège. Août 1898.

Errarum. Dans l’article de M. Besredka, les premières lignes de la page 609 ont sauté sous presse. Les voici rétablies :

Dans ses nombreux mémoires et ceux de ses élèves, il cher- chait à déterminer la nature chimique de cette substance qui confère au sérum sa propriété microbicide, substance qu'il a désignée sous le.

TABLE DES MATIÈRES

Les microbes des nodosités des légumineuses, par UE MARS RUES tt es Production de la toxine diphtérique, par M. le D' Mann. Contribution à l'étude de la fermentation lactique, par

DEP EG 6, GALL DER ROARTAMNTES Fermentation lactique des corps sucrés, par M. PéRé. . . .

Rapport au sujèt du monopole de l'alcool, par M. Ducraux. . ..

Recherches sur l'influence de l’organisme sur les toxines, HAE PCEMIERGENIRONr.. 47,15 0 044 URSS Recherches sur les proprietés antitétaniques des centres nerveux de l’animal sain, par M. Mae . . . . . . . .. Lois générales de l’action des diastases, par M. Duccaux. . Les microbes des nodosités des légumineuses, par M. Maé AE TENNIS) M OS RRRAIAEIRQUERE PRE LASER EL SNL LOU IL Liane

Que savons-nous de l’origine des saccharomyces ? par MM. KLoc- RNCS CAIONNINES CS See ere tte DOS MONO NMENIEERE

Recherches sur la substance agglutinée, par M. Cu. Ni- GAL OS SARA SP RTE RAA Qu La destruction des microbes dans le tissu sous-cutané des animaux hypervaccinés, par M. SALIMBENT. . . . . . .. Action de la toxine diphtérique sur les muqueuses, par MM MoRAE RE ÉLMASS ANA ICE ETAT PA OMAN S Tétanos cérébral et immunité contre le tétanos, par MM Roux: ets Borret.: 2008 Me PO A AAA NARNIA Le microbe de la péripneumonie, par MM. Nocarp et Roux. Recherches sur l'influence de l'organisme sur les toxines

128

156

870 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

(3° mémoire : toxine tétanique et leucocytes), par NL. E:, METCENKOPP EEE Ar ee RAS Nouvelles recherches sur le mode de destruction des vibrions dans l'organisme, par M. J. CaNTAGuzÈNE. . . . Les vaccinations antirabiques à l’Institut Pasteur en 1897, par M. H. Porrevn . . . . ARE à De la leucocytose dans la des UE M. de Dr a Sur le mécanisme de l’immunisation contre les venins, par MEME DEA ACACMENDE MS RERO AT Re Premières expériences sur l'emploi du sérum préventif et curatif de la fièvre jaune, par M. le D' J. Saxarezrr . .

Des nucléines, par M. le Dr Nozr . .

Étude expérimentale des altérations pathologiques pro- duites par les venins des serpents venimeux et des scorpions, par M. le D' Nowak . . ,

Recherches sur la production oo in bi SO DAS Dar MG: BERTRAND 20e AMAR PAR AT DER ur Re

Sur la maturation des fromages, par M. Scamokicu. . . . .

Note sur une petite épidémie de fièvre typhoïde d’origine hydrique, par M. le D'G. Scnnemer. . ,. *.. .. ...

Statistique de l’Institut Pasteur hellénique d'Athènes, par M6 DE PAMPOURIS.174"0) 178 700 AMENER SA EES

* SURLES p'oénzymes, par DUCLAUX 0 Re

Recherches sur l’action sporicide du sérum, par M. le Dr Jos. Hazsan. . à ;

Contribution à l’étude de He de VIs-à-VIs sn Late subiilis, par M. le D' PODBELSKT CAN SEE DRE AR

Du pouvoir pénétrant de l’aldéhyde formique, ME M. le D' pe RECHTER . .

Sur la conservation du Pate iphique dite le AE 7. M. le D' Bonn. :

Sur l’immunité naturelle He organismes CR LEE contre les toxines, par M. le D' GENGou. . *. . . . . .

Des albumines, par M. le D'P!Nogr.. 00 mn ee

Sur le mode d'action du sérum préventif contre le rouget des porcs, par M. Fxéux MESNIL . . - . . .

TABLE DES MATIÈRES.

Contribution à l’étude de la plasmolyse chez les bactéries, par MM. Porwyssorsky et B. TARANOUKHINE. . . . . . . .

Contribution à l'étude du venin des serpents, par M. 1 D: WEHRMANN . . . . LEA

Contribution à l’étude de Fos TA fee) Fa vin, Fe M. J. LaBorpe.

L'Institut Pasteur de Fra Fe ace. etais Er nale, par M. le D' Errrerma pos Santos . . . . . . . . .

Pesalbuinoides par MAP Nom 0, 2. Us 0

Sur les relations qui existent entre la tuberculose humäine et la tuberculose aviaire, par M. Nocarp. . . . . . ..

Une épidémie de paralysie ascendante chez les aliénés, rappelant le Béribéri, par MM. Cnanreuesse et Ramoxn.

Note sur la bactériologie de la verruga du Pérou, par M. Cu. Nicozre .

Le bacille de la diphtérie te Fe il + le Este DIU AU ONE EE EE PC RE e

L’épidémie de peste de Djeddah en 1898, par M. Novury- LIRE 248 ROC ER A RSR POI RRRERECTE TT

Du pouvoir bactéricide des leucocytes, par M. BESREDKA. . . . ..

La Propagation de la peste, par M. P. Simonn . . . . . .. Sur l’agglutination et la dissolution des globules rouges paniesénuEn par MAJ BORDER... à: . . : Influence. favorable du chauffage du sérum antidiphté- rique sur les accidents post-sérothérapiques, par PR LES LI SR ONG RAR EL... 0, Préparation de la toxine diphtérique : suppression de l'emploi de la viande, par M. C. H. H. SrroNGK . . . . . La propagation de la peste, par M. le D' Hanxin. . . . .. Sur la reproduction de la substance antitoxique après de fortes saignées, par MM. C. Sacomowsen et T. Mans . Statistique de l’Institut antirabique municipal de Turin et notes de labd@htoire, Par Mile D: Fr, Asa. . . 1.0" Sur les aptitudes pathogènes des microbes saprophytes, NP ERENDE Se EME | . 0 à US Étude cytologique et cycle évolutif de la coccidie de la DEP Dan MEUSIEDERCRI 0/7... + . 5 1: UN

991

872 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

Études sur l'immunité vaccinale, par MM. Bécière, CHAMBON

CtMÉNARD 2 AP UENIESRNE EL RENE RP CNE Note sur la contagiosité de la peste bovine au porc, par MM CARRE Li PR AIME AUDE EN ESRI AR RTE TR 848.

Étude sur l’agglutination comparée du vibrion cholérique

et des microbes voisins par le sérum spécifique et

par les substances chimiques, par M. BossarrT. . . . . . 857 Table des matières 08 ANR TM RER APNTE RENE 813

TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS

TRAVAUX ORIGINAUX

FL SINES ERA PA EME Institut antirabique municipal de Turin. . BÉCLÈRE, (CHAMBON et MRNARD REUTERS Immunitéivaceinale. 200, Au. Loue BERTRAND (G.). . .& . .. Production biochimique du sorbose. . . . ÉRBRRDIEA. un 2e releiene Leucocytose dans la diphtérie . . . . . .. BODINPE eme Vies ARC Bacille typhique dans le cidre. . . . . . ; BORDEL (JS) EL Agglutination et dissolution des globules ROUE SA ARE Pa nie msleet 1e ait Voie al RARRRRS te ete mp) ce 0 Voir Roux. BOSS ARR RARE A ques Agglutination des microbes. . . ....... CAMERA LUN Immunisation contre les venins. . . . . . CANTAGUZÈNE. 0-41... 1 Destruction des vibrions dans l'organisme. CARRÉ et FrArmBAULT. . |: Peste bovine chez le porc. . . .. ". . 4.1. CHANTEMESSE et RAMOND. . Paralysie ascendante chez les aliénés . . CHAMBUN 1 ee le Voir BÉCLÈRE. DUCLAUX. ot. Se Lois générales de l’action des diastases. . BRMASSEANS 6e ceci Voir Morax. FERREIRA DOS SANTOS. . . Institut Pasteur de Rio-Janeiro . ... .... FRAIMBAULT . . . . . . . . VOir CARRÉ. ÉRNGOU LS 1e due Immunité des organismes cellulaires. . . RAR Nr el à Action sporicide du sérum . ........ ÉPAN TEE RE Eden air Propagation de la peste. . . . . . - : .… IPABOBDE 2 LUN. Asutecontenu/dans/le vin EE MANSEN ER Ces 4 Voir SALOMONSEN. RARE Re Sole. Propriétés antitétaniques des centres ner- TOUR :2}1, RD RS 62 102 RL MER ORESRRRERRRTr2 MARINS PS CRC. Production de la toxine diphtérique. . . . MA ENT ..... Microbes des nodosités des légumineuses . Mémestiee eus REA (e- MENARDE 4 .-. Voir BÉCLÈRE. MPTCENIROEr ee ee Influence de l'organisme sur les toxines .

—- Même sujet (3e mém.) . ..

ù K © & © +-e

714 837 385

305 458

688

851 343 273 848 974

96 DA 465 417

705 917

81 263

874 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.

DIESNUL- Sp: LCR Sérum préventif contre le rouget. . . . .. MIN Re) (RAMÈNE Bacille de la diphtérie dans les organes . Morax et ELMassrAN. . . . Toxine diphtérique sur les muqueuses. . INICOLLE (CE) EME Recherches sur la substance agglutinée . .

Bactériologie de la verruga du Pérou , . . NocaRD.. . ... . .". . . Tuberculosehumaineet tuberculose aviaire.

st EL ROUX PEUR Microbe de la péripneumonie . . . . .. NOURY-BEYA NEC Épidémie de-peste à Djeddah . ...... NOWAIG NES SENS Er, Altérations pathologiques produites par

LS, SeNINSS NN RE PACS NT MENU EE

PAMPODRIS ES EEE Institut Pasteur hellénique d'Athènes . . .

LUE 1 ORPI VE ACTES Fermentation lactique des corps sucrés. .

PoDBRLSE TA A AE 7e Immunité vis-à-vis du bacillus sublilis. . . Popwyssorsky et Tara- c

NOURBINE 02 6 MORE Me Plasmolyse chez les bactéries, . . . . . ….

DOPTEVINENE ANR E . Fermentation lactique...-.::..+. .:.-.-..,.

Vaccinations à l'Institut Pasteur en 1897. . RAMOND 4-2 tite -. Voir CHANTEMESSE.

REGATER (DE) LEE UTN Pouvoir pénétrant du formol. . . ..... Roux et BorREz. . . . . . Tétañ pe CéTÉbre le PERS ECURIES NRA vs ce Voir Nocarp. « DATIMBANT I TE MUR Destruction des microbes sous la peau des AUX animaux hypervaccinés . . . . . . . . . SALOMONSEN et MADSsEN . . Reproduction de l’antitoxine. . . . . .. .. DANARELLT), ob etes à dE Sérum préventif et curatif dela fièvre jaune. SCRIROKICH.- .. . , . : . . Maturation des fromages. . . . . . . . .. DCANEIDER 10 eu UE IE N Fièvre typhoïde d'origine hydrique . SIEDLECKI +... 0.0.2. à Chccidiede taserthe mire Te DIMOND ee RASE RATE Propasation de peste EEE MEAAREE SBRONCE PES lle Chauffage du sérum antidiphtérique .

—. Préparation de la toxine PAS TARANOUKHINE* 224 0. Voir Popwyssorsky. ; NINCENT A USE RUILESE Microbes saprophytes et pathogènes. . . . NVEHRMANN. 1.0. 0e. Menin'des serpents #0 RSR ne

REVUES ET ANALYSES

BESREDRA? 0110 0 LIU 64 Pouvoir bactéricide des leucocytes . . . . . DucLaux. ... ... ..... …. Rapport au sujet du monopole de l'alcool. —, ,4 Sur l’origine des saccharomyces . . . . ..

= Sur des proengymés..}. 1 14 REC None (Pl) 2. 27e SUL les Nucléinen "fee PEN ET Net Sur les aÏbumines, "40 0e ne Sur les albuminoïdes . . . . « « , . . 0 BRSREDEA | a 404 Pouvoir bactéricide des leucocytes. . . : .

TABLE DES MATIÈRES. 875

PLANCHES HORS TEXTE

Planches Pete Mémoire de MMÉMAZES CR 128 Planches III et IV. . . . . NOWAKS SUPER RTE 369 Planche VE Er R TR RNE = PODWYSSOTSKY. . . . . . 501 PlanchenNi etes... CHANTEMESSE. - - 0 574 Planches VII, VIII et IX. - SIEDÉECKI. 228. eee 799

Le Gérant : G. Masson.

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(JOURNAL DE MiCROBIOLOGIE)

RONDÉES SOUS LE PATRONAGE DB M. PASTEUR ET PUBLIÉES

PAR

M DO CHAUX

go . MEMBRE DE L'INSTITUT À NM ATEN UE PROFESSEUR À LA SORBONNE DIRECTEUR DE L'INSTITUT PASTEUR

Assisté d’un Comité de rédaction composé de

MM. CHAMBERLAND, chef de service à l'Institut Pasteur;

D' GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine; METCHNIKOFF, chef de service à l’Institut Pasteur ;

NOCARD, professeur à l'École vétérinaire d'Alfort ;

‘Dr ROUX, sous-directeur de l'Institut Pasteur;

VD VAILLARD,; professeur au Val-de-Grâce,

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Les Maladies microbiennes des animaux, par Ep. NOCARD, profe l'Ecole d’Alfort, membre de l’Académie de médecine, et E. LEc professeur à l'Ecole vétérinaire de Toulouse. Deuxièine édition, Cr r'efondue. 1 fort Vol..gr. 1n-80% re Le ue Po

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Me Dur, GILBERT, GUIGNARD, L. GUINON, GEORGES GUINON, HAL Lamy, LE GENDRE, MARFAN, MARIE, MATHIEU, NETTER, ŒTTINGER, A) PETIT, RICHARDIÈRE, ROGER, RUAULT, SOUQUES, THOINOT, THIBIER FERNAND WipaL. 10 volumes grand in-8° avec figures dans le texte. sousCription.......... sas din es le a ets QUE BAe SAR NON MECS ARR Traité de Pathologie générale, publié par CH. BoucHarp, membre | V’'Institut, AE al à la Faculté de médecine de Paris. Ses de | des hôpitaux, 6 volumes grand in- _&e d'environ 900 pages, avec nomb figures daus le texte. Prix en’ Souscription. .4:,.:.,,4127. 44e 000 Traité des Maladies de l'enfance, asie sous la FAT de MN. GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine de Paris, membre. | l'Académie de médecine, médecin de l'hôpital ‘des Enfants: Mal

médecin des hôpitaux. 5 forts vol. grand in-&e, avec figures d SABRE Ci SA 0 AA RU OR D DA DO to PALAU D pe A RER ST

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