ANNALES DES SCIENCES NATURELLES ZOOLOGIE PALÉONTOLOGIE ———— Paris, — Imprimerie de E, Marrixer, rue Mienor, ©. 2.D ANNALES DES SUIENCES NATURELLES CINQUIÈME SÉRIE ZOOLOGIE PALEÉONTOLOGIE COMPRENANT L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA CLASSIFICATION ET L'HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX PUBLIÉES SOUS LA DIRECTIO N DE M. MILNE EDWARDS —— TOME IV VICTOR MASSON ET FILS, PLACE DE L’ÉCOLE=DE=MÉDECINE 1365 | # on DO LOTAO. ta EAN ART EN TE PR ne $ uttts 5 i ] MONRANIÉ AUX AE QMIOQMOATIT A so 41 | citer a A ea HAUEAUEA LUS A. "Eur à ANNALES DES SCIENCES NATURELLES ZOOLOGIE ET PALÉONTOLOGIE DEUXIÈME MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES (ANTIPATHES VRAIS), Par le docteur H. LACAZE-DUTHIERS. CHAPITRE PREMIER. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES, I Quand on cherche à dégager la caractéristique des Anripa- THaiREs des descriptions que renferment les ouvrages les plus spéciaux et les plus justement estimés, on est bientôt embar- rassé par les nombreuses difficultés que l'on rencontre, et en y réfléchissant un peu on voit que ces difficultés tiennent toutes à l'insuffisance de nos connaissances. Tel qu'il est représenté dans les musées, le groupe des Anri- PATHAIRES VRAIS est très-naturel, et pour un bon nombre de ses espèces les polypiers seuls peuvent facilement conduire à recon- naître et à définir avec toute la précision désirable non-seulement le groupe, le genre, mais encore l'espèce. Toutefois, à côté des 6 H. LACAZE-DUTUIERS. cas où, le moindre doute ne peut se présenter à l’esprit, on voit des exemples qui mettent en défaut toutes les règles de la dia- gnose, règles que cependant on pourrait supposer de première valeur, quand on n’observe que les exemplés les plus démon- stratifs et les plus nettement caractérisés. À quoi cela tient-il? I] n’en faut pas douter, cela dépend de l'ignorance où nous sommes relativement à des particularités de tout genre qui, si elles étaient connues, nous serviraient pré cieusement en nous permettant de les rapporter à des faits plus généraux et de les coordonner méthodiquement. Les vrais Antipathes sont facilement reconnaissables à leurs polypiers toujours très-fragiles et cassants quand ils sont dessé- chés; à leurs dernières ramifications toujours très-grèles, déliées, et qui ressemblent aux barbules délicates d’une plume ; aux épines plus ou moins nombreuses et grandes qui sont disposées le plus souvent irrégulièrement à la surface des gros troncs et assez régulièrement sur les barbules les plus grêles, enfin à une ‘cer- taine teinte noirâtre, toujours assez foncée, qui ne semble jamais faire défaut. De tous ces caractères, celui qui certainement a le plus d’im- portance dans l’état actuel de nos connaissances, c’est celui que l'on peut tirer de la présence des spinules. Jamais, jusqu'ici du moins, on ne l’a rencontré chez les GorGonEs, qui, elles aussi, ont un polypier noirâtre flexible, quelquefois cassant et d’appa- rence cornée. Que l'absence de ces spinules soit un caractère aussi net et positif chez les GorGones que leur présence l'est chez les Anri- PATHES, Cela n’est pas douteux ; mais dans ces derniers, il peut se présenter des exemples sur lesquels manquent ces épines, tandis que jamais 1l n'a été vu un axe de Gorgone épineux ; aussi quand l’Antipathe est glabre, il devient dans les collections extrêmement difficile de le distinguer du polypier dénudé d’une Gorgone. D'après les observations que j'ai faites dans les riches collec- tions dont j'ai l'honneur d'être chargé au Muséum d'histoire MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 7 naturelle, chez l’Antipathes glaberrima Esp., devenu pour M. Gray le type du genre Leiopathes (1), ce caractère ne manque pas complétement, mais il disparait entièrement sur les gros troncs, et ne se présente que sur les ramuscules, et surtout sur les barbules. Avant d'aller plus loin, il est nécessaire d'établir le sens précis de cette expression déjà plusieurs fois employée Anriparues VRAIS. Dans un précédent mémoire (2) qui, avec celui-ci, peut être considéré comme une introduction à l'histoire de ce groupe, j'ai montré quelle confusion avait eu lieu relativement au genre Leiopathes, élabli primitivement pour l'A. glaberrima, ét com- ment un animal très-différent de ceux qu'on va apprendre à connaître recouvrait les charpentes cornées de la Gerardia. Une révision du groupe des Antipathaires est aujourd'hui nécessaire, Car les genres ont été multipliés sans des raisons, à ce qu'il me paraît, bien plausibles. Toujours est-il que, dans l’état actuel de nos connaissances, on peut donner l'existence des épines sur les polypiers comme caractérisant ce que je nomme les ANTIPATHES VRAIS, qui correspondent au genre Anti- paihes créé primitivement par Pallas. Et qu'on le remarque, je suis loin de dire que le caractère que j'indique ici est absolu. Si l’on juge des richesses des collec- tions en général par celles du Muséum d'histoire naturelle deParis et par le catalogue du British Museum publié par M. Gray (3), qui, ainsi que chacun le sait, manque rarement l’occasion de faire des espèces ou des genres nouveaux, ou bien le nombre des espèces que ce groupe renferme est fort restreint, ou bien les musées sont très-pauvres. La seconde supposition est la plus vraisemblable, et dès lors il serait imprudent dé vouloir sans (1) Voyez, pour la distinction de cette espèce et de ce genre, le travail sur la Gerar- dia (Ann. des se. nat., 5e série, ZooL., t. IT, p. 172). (2) Voyez thid. (3) Voyez la Revue des genres et des espèces d'Antipathes, pat M, Gray (Proceedings of the zoological Society), 8 H. LACAZE-DUTHIERS. plus de recherches caractériser tous les Antipathaires présents et à venir. Les déceptions sont souvent si grandes en zoologie, quand on s’abandonne sans réserve aux déductions analogiques ! Il ne faut jamais oublier ce qu'en zoologie peut et doit donner la méthode naturelle basée sur l’ensemble des carac- tères, car seule elle nous mène à la vérité par la précision. Le plus souvent on se contente d’un seul caractère, si même ce n’est d’un à peu près, et dans l’un et l’autre cas on est conduit certai- nement à des erreurs fàcheuses ou à des classifications pure- ment artificielles. Il serait facile de montrer plus d'un exemple de travaux trop vite et légèrement faits ayant causé des erreurs qu'il est pémble de rencontrer dans une science déjà suffisamment déeriée et délaissée. La Gerardia Lamarckii dont il vient d’être question avait été désignée dans les collections par des noms différents, suivant l'état plus ou moins parfait des échantillons ; aussi son polypier avait-il été confondu avec celui de l'Antipathes glaberrima, Lamarck, ou du Leiopathes glaberrima Gray. Les Polypes des Antipathes vrais paraissent offrir une organi- sation caractéristique. M. Dana a fait connaître les animaux de deux espèces, et il a montré qu’ils n’ont que six tentacules ; ce qui est en parfaite concordance avec ce que Solander avait déjà indiqué pour l’A. spiralis. Moi-même j'ai constaté sur quatre autres espèces que le nombre des tentacules était encore de six. Il semble donc que ce caractère est constant chez ces animaux; or les polypiers ont quelquefois assez de ressemblance pour être confondus avec ceux d’autres espèces qui n’ont pas ce nombre de tentacules ; ainsi il s’est trouvé que la Gerardia, quand elle à été étudiée vivante, a présenté vingt-quatre tentacules, sans compter bon nombre d’autres particularités anatomiques qui la différencient des Anti- pathaires connus. Qu'est-ce qui aurait pu faire prévoir une telle différence? MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES, 9 Certainement, d’après les études peu détaillées qui avaient été faites, ce n'était pas le polypier, et ce n’est à coup sûr pas Lamarck qui l'eût reconnue, lui qui confondait le polypier dé- nudé de cette espèce avec celui de l'Antipathes glaberrima, et qui faisait du même, lorsqu'il était couvert de la couche animale, sa Gorgonia tuberculata. Je le répète encore, ce n’est pas un seul caractère, mais l’en- semble des caractères superficiels et apparents, cachés ou pro- fonds, qui peut et doit guider dans la connaissance des rapports naturels des êtres. Aussi ici comme partout ailleurs, les mono- graphies détaillées sont-elles nécessaires avant d'entreprendre les études générales. Le groupe des Antipathaires est le moins connu de tous ceux qui composent la grande division des Coralliaires ; il est donc utile de faire connaître tous les renseignements qui peuvent porter quelque lumière nouvelle sur son histoire. En accumu- lant ainsi les faits et les détails, on réunit des matériaux qui, plus tard, peuvent servir à une sage et logique généralisation, bien plus propre à rendre d’utiles services que toutes ces déduc- tions analogiques, trop souvent décorées du nom de philoso- phiques, qui séduisent, mais entraînent vers l'erreur, quand elles n'ont pour point de départ que des vues de l'esprit et non des faits sérieusement étudiés. L'histoire anatomique que je présente ici offre quelques lacunes ; elle est moins complète que celle de la Gerardia qui l'a précédée. Le petit nombre d'échantillons en bon état, la diffi- culté très-grande qu’on éprouve à se les procurer, tout cela avec l’époque peu propice à laquelle je les ai vus, ne m'a pas permis d'acquérir des données très-complètes sur les organes de la reproduction. | C'est une lacune regrettable que des observations ultérieures combleront, je l'espère; à part cela, on trouvera ici des faits importants relatifs à l’organisation ; ils n’avaient point encore été indiqués par les auteurs. Ils ont un intérêt réel, car ils 10 H, LACAZE-DUTAHIERS. serviront à l’explication et aux rapprochements morphologiques des diverses formes de la classe des Coralliaires. Quand ces deux monographies anatomiques seront publiées, quand deux types bien distincts, la Gerardia Lamarckii el V Anti- pathes subpinnata, seront connus, je me propose de résumer les observations que j'ai faites en classant la collection du Muséum de Paris. Une revue du groupe Antipathaire est aujourd'hui nécessaire, car la nomenclature de quelques genres et leur dis- tinction laissent beaucoup à désirer. Îl est aussi très-probable que des Gorgones décortiquées, ayant pris place en grand nombre, non-seulement comme genres, mais aussi comme espèces, dans cette famille si différente à tous égards des Alcyonaires, doivent définitivement en être séparées. II On ne sait à peu près rien sur l'organisation des Antipathes ; c'est à peine si l'on à vu quelques animaux épanouis; aussi trois figures de la forme extérieure des Polypes, figures que l’on peut considérer du reste comme fort exactes, forment tous les documents relatifs à ces êtres. | Apres Solander, dont le dessin du Polype de l'A. spiralis à été le premier connu, et recopié partout (4), M. Gray a voulu s'occuper de l'anatomie de ces animaux. Malheureusement ses études ont été faites sur des échantillons conservés dans l'alcool, et l'on sait qu'il est fort difficile d'arriver dans ces conditions, sur des animaux de la nature de ceux qui nous occupent, à des résultats positifs, si, primitivement, on n'a fait des études dans l’état naturel. Toutefois M. Gray avait constaté que les Polypes n'avaient que six tentacules, ce qui ne l'empêche point de leur trouver encore une grande analogie avec les Gorgones. I me parait utile de réunir ici tout ce qui a été dit sur ces animaux ; il y à si peu de chose, que tous les renseignements (4) Voy. Ellis et Solander, pl. 19, fis. 3, 4 et 5, MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 11 acquièrent de la valeur. Ces citations sont d’ailleurs nécessaires pour montrer que l'opinion du savant anglais n’est pas celle à laquelle nous nous arrêtons. « Mr. Gray also stated, that on examining a specimen of Anti- » pathes sent to the British Museum by the Rev. R.-T. Lowe » from Madeira, and which he believed to be identical with the » Ant. dichotoma Pall., he had discovered the animals of this remarkable Coral, and thus ascertained (what had previously been only presumed from the close resemblance of their horny aæes) its near relation to the genus Gorgonia. He regarded this confirmation of the generally received opinion as the more important in consequence of the apparent similarity between some of the species of 4ntipathes and some strong fibrous Sponges, which are now generally believed not to be the habitations of Polypes. The minute branches of the specimen examined bore on their surface at irregular intervals a number of red, dry, pellucid tubercles; and portions of à similar substance were observed hanging from their sides. These on bemg immersed for some time in proof spirits, and afterwards placed for examination in water, exhibited under the micros- cope, in each tubercle, a Polype exactly similar to those of G'orgonia and Corallium, except that it had only six tentacula, while the Polypes of the two last named genera have eight. It is necessary to observe that when examined in spirit, the Polypes and the thin bark by which they are connected to each other and to the stem assumed à uniform waxy appea- rance, and broke down beneath the needle without exhibi- ting any traces of organisation. This circumstance had nearly » induced Mr. Gray to abandon his search, had he not discovered that by macerating in water, and thus removing the spirit, the Polype was restored to its natural gelatinous consistence ; in which state it was readily expanded and observed. Minute, pellucid, oval bodies, which are perhaps similar to the irre- gular papillary spiculæ found in the bark of Gorgonia, are scattered through the bark of this species of Antipathes, and the axes of its smalier branches are minutely tubular, LA Y LA LA LA LA > LA LA > LA A > LA Y 2 > CA C2 > [2 ÿ CA > 4 Y CA CA > 12 MH. LACAZE-DUTHIERS, » Mr.Ellis’s ‘History of Zoophytes” is given a figure of whatthe » author regarded as the Polype of À. spiralis, which he found scat-- » tered over the stem of that species in the shape of small distant » warts. These when soaked in water, he describes as having six » tentacula surrounding a small cup. The tentacula, he observes, » in a letter to Linnæus, published in the ‘‘Correspondence”’ » Of that naturalist, are shaped like a bull’s horns, with wrinkles » across, and full of gelatinous matter ; and the cup of a most » elegant figure. In the figure this part appears to be concave, » with a crenated edge, and placed on an urn-shaped pedicle. » Should this account of the Polype of Ant. spiralis prove to be » correct, it would be necessary to remove that species from » neighbourhood of the Gorgoniæ and other barked Corals, » from all of which it would differ so remarkably in its cup- » shaped appendage, and the want of ciliation of the surface of » its tentacula. Mr. Gray added that he had repeatedly examined » the stem of the species in question, but had never been able to » discover on it anything resembling a Polype. The earlier » observations of Rumphius, Marsigli and Pallas, the former on » Ant. spiralis, and the two latter on Ant. dichotoma, were of » too vague a character to furnish any idea of the Polype (4). » M. Dana (2), dans son magnifique ouvrage de l'exploration scientifique de l'Amérique, a donné des dessins fort beaux de deux espèces, de l’Antipathes arborea et de lAntipathes anguina. Cette dernière espèce doit très-probablement entrer dans le genre Cirripathes de Blainv. D’après les formes extérieures, l’auteur américain a cru devoir établir un rapprochement entre les Zoanthaires et les Antipathaires, comme on peut en juger par le passage suivant : «An examination of the animals of two species has led to an » arrangement of them among the Actinoïdea, as the tentacles (1) Voy. Proceedings of the Committee of Science and Correspondence of the zoological Society of London, part. 11, 4832, p. 41. (2) Voy. United-States exploring Expedition, Zoopaytes, { volume avec atlas grand in-folio, p. 579. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 15 » have the naked character peculiar to this suborder, and the » Polypes elosely resemble those of the Madreporæ in appearance » and habit (4). » Mas on peut juger d’après ce qui suit que ce rapproche- ment n'était point basé sur des considérations anatomiques, car M. Dana reconnaît lui-même que son rapprochement doit être considéré comme provisoire : « The existence of genital lamellæ within the visceral cavity » has not yet been proved by dissection, and as this is the deci- » ding character, the propriety of the present arrangement » cannot be considered as fully established. » MM. Milne Edwards et Jules Haime (2) ont admis aussi ce rapprochement, et, dans leurs {travaux sur les Coralliaires, ils ont toujours placé les Antipathes au nombre des Zoanthaires. Ces auteurs, du reste, reconnaissent que l'on sait fort peu de chose sur ces animaux ; que les replis intestiniformes ne sont pas du tout connus, et que les recherches des naturalistes ne peu- vent être que fort utiles en apportant des lumières qui nous manquent encore. Il n'existe rien de plus sur les Antipathaires, et là doivent se borner les citations bibliographiques. Je n’entends point parler des descriptions d'espèces plus ou moins exactes dont il ne peut être question ici, elles sont fort nombreuses. III L’anatomie des Zoophytaires est en général difficile. Ces animaux, quelquefois très-vivaces, résistent aux efforts que l’on fait pour les anatomiser, car il est presque impossible de pouvoir anéantir chez eux brusquement la vie. Les contractions de leurs tissus sont si violentes, qu’elles les rendent méconnaissables. Dans quelques espèces, ils deviennent durs et résistants, et l'on (1) Voy. Dana, loc. cit. (2) Voyez Milne Edwards et jules Haime, Hisloire naturelle des CUoralliaires. 1% MH. LACAZE-DUTHIERS, éprouve une grande peine à dissocier leurs éléments, si même les formes et les organes ne s’altèrent sous l'influence des con- tractions. Ici ce n’est pas la résistance des tissus contractés qui porte obstacle aux observations, bien au contraire, c’est leur délicatesse ; à peine sont-ils exposés quelques instants à l'air, qu'ils se dessèchent. Les touche-t-on pour les disséquer, qu'ils reviennent sur eux-mêmes, tant leur irritabilité est grande, et qu'ils se décomposent pour ainsi dire en un mucus filant, au milieu duquel les études deviennent fort difficiles. Avec ces conditions, on se rend très-bien compte et de l’état des échantillons dans les musées, et du petit nombre de faits relatifs aux animaux vivants. Si l'on ajoute à cela que ces Anti- pathes habitent toujours, dans la Méditerranée du moins, à de grandes profondeurs, et que les pêcheurs de Corail qui vont au large les rapportent à peu près seuls, on se fera une idée des difficultés que le naturaliste rencontre pour en faire l'étude. Pendant trois saisons de pêche, plusieurs bateaux de la Calle m'ont apporté de très-nombreux objets d’études ; c’est par cen- taine que J'ai eu à ma disposition des Gerardia vivantes et en très-bon état. Je n’ai eu que quelques rares échantillons de trois espèces d’Antipathes. L'une, l’Antipathes dichotoma, entièrement desséchée et décor- tiquée, n'a pu meservir. Les deux autres avaient leur sarcosome ; mais de celles-ci, je n’ai eu qu'un échantillon de l'A. lariæ, dont les animaux restés un peu hors de l’eau n'ont jamais pris un grand développement. J'étais cependant dans d'excellentes con ditions pour bien observer, et pour avoir les produits de la mer avec la plus grande commodité. Il faut d’ailleurs conclure de ces faits que les Antipathes sont relativement peu nombreux dans les mers de l'est de l'Algérie, et je puis dire aussi sur les côtes du Maroc, car des échantillons de bien des choses m'ont été procu- rés par M. Bertrand, commandant le Corail, bâtiment de l’État en station à Oran, et je n'ai eu aucun Antipathes. En Corse et en Sardaigne, il n'en est pas ainsi d’après ce que j'ai pu observer moi-même, et surtout d'après les renseignements qui m'ont été donnés par les corailleurs. Toutes les oi que je MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 15 leur demandais des palmas neras, c’est ainsi qu'ils appellent les Antipathes, toujours ils me répondaient qu'elles se trouvaient en Sardaigne. Il faut, en outre, pour arriver à faire des études sérieuses rencontrer des pêcheurs à la fois intelligents et dévoués qui sachent, qui veuillent surtout, rapporter les objets qu'on leur demande et les soigner à la mer, à partir du moment où ils les ont pris. Ilme souvient qu'étant parti d'Ajaccio pour une excursion, je rencontrai dans le golfe de Propriano deux petites coralines, auxquelles je promis une bonne récompense si elles me gar- daient ce qu’elles pècheraient. C'était le matin; le soir je les trouvai de nouveau ; elles me donnèrent un très-bel exemplaire d'Antipathes lariæ, pris très-peu de temps après mon passage du matin, I n'avait plus trace de matière animale ; tout avait été _desséché par le soleil qui, il faut bien le dire, était fort ardent, et quand les pêcheurs me virent arriver, ils plongèrent à plusieurs reprises le polypier dans l'eau pour le débarrasser de la teinte terreuse et grisâtre qui le recouvrait, et lui donner plus d'appa- rence. Il faut, je le répète, aller soi-même assister à la pêche, ce qui n'est pas toujours possible, afin de montrer ce dont on a besoin et rencontrer des pêcheurs de confiance et intelligents, avec ces conditions seules, on obtiendra quelque chose; c’est à elles que je dois d’avoir pu observer aussi bien que je l'ai fait la Gerardia. LV La spécification des Antipathes laisse beaucoup à désirer ; elle est difficile, et les. ouvrages ne fournissent que des renseigne- ments peu précis ; cela tient à ce que le groupe est très-naturel, par conséquent difficile à diviser, et que l’on a décrit simplement ses polypiers. Que dirait-on d’une classification des Gorgones basée uniquement sur leurs polypiers? Sans doute, les choses ne sont pas absolument comparables ; mais au moins est-il néces- saire de faire entrer en ligne de compte la forme, la disposition, 16 Hi. LACAZE-DUTHIERS. le nombre des spinules, et de ne pas s’en tenir absolument à la disposition de la ramure. J'espère montrer ce qu'il faut absolu- ment faire pour arriver à la spécification dans la revue que je me propose de publier après ce mémoire. J'ai comparé avec les échantillons de la collection du Muséum ceux que j'ai rapportés d'Afrique, et, sans aucun doute, j'arrive aux espèces suivantes d’après les descriptions, les ouvrages, et l’étude des objets décrits et notés par Lamarck. L'une des espèces peu branchue, à barbules très-longues et relativement assez grosses, est le Lithophyton, n° 9, de Marsi- gl (1), etle véritable Antpathes dichotoma de Pallas (2); je ne l'ai pas eu vivant. La seconde a un tronc à peu près indivis, une, rarement deux fois bifurqué. Dans les musées, on la rencontre haute de plus d’un mètre, sans aucune ramification. Des barbules grèles, déli- cates, rayonnent tout autour de son axe : c’est bien l’Anti- paihes larix (3). La troisième est fort irrégulière ; ses troncs sont capricieuse- ment anguleux ou contournés, et ses barbules, fort grêles et délicates, sont placées latéralement sur trois ou quatre rangs très-lâches de chaque côté des dernières ramifications. C’est à n'en pas douter l’Antipathes subpinnata des auteurs (4). Cette dernière espèce a été vivante dans mes aquariums ; c’est elle qui a servi surtout aux études dont je présente ici les ré- sultats. ) Voy. Marsigli, Physique de la mer, p. 105, pl. 21, fig. 404. 2) Voy. Pallas, Elench., p. 216. ) ) Voy. Ellis et Solander, Pallas. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES, 17 CHAPITRE IE. ISATION DE L'ANTIPATHES SUBPIN NATA. I Du zoanthodème. Le zoanthodème de cette espèce à une apparence, un port, bien différents de l'espèce qu'Esper et les autres zoophyto- graphes ont décrit sous le nom de Lariæ (4). Il présente des ramifications primaires fort développées qui sont de véritables tiges, plusieurs fois et très-irrégulièrement ramifiées. Les branches portent latéralement des pinnules (2) ou barbules de 4 à 5 centimètres de long au plus, jamais ramifiées, fort délicates, flexibles, et toutes couvertes d’'épines assez serrées. Nous reviendrons sur ces particularités en nous occupant des polypiers ; elles ont une grande importance, car elles contri- buent beaucoup à la distinction des espèces. Le port général (3) est très-différent des autres espèces qui sont le plus ordinairement assez régulièrement branchues. Le tronc peut être droit et perpendiculaire à la partie qui le supporte, puis se fléchir brusquement, à angle quelquefois aigu, et se porter ainsi obliquement assez loin. Les ramifications peu- vent aussi exister vers la base, tout comme ne se rencontrer que vers l'extrémité. Les barbules sont souvent réunies en sortes de bouquets aux extrémités des rameaux ; elles n'existent qu'ex- ceptionnellement sur les grosses branches. La fragilité du tissu du polypier peut expliquer toutes ces irré- gularités des zoanthodèmes. J'ai reçu une fois un échantillon très-vivant, de la base au sommet, qui était formé, d'une part, en bas d’une grosse masse comme le poing, où les couches du polypier et d’autres corps alternaient; d'autre part, d’une tige (4) Voy. Ellis et Solander, Hist. of Zooph., p. 101, pl. 19, fig. 9 et 10 ; Lamouroux, Pol. flex., p. 379, et Exp. meth., p. 39, pl. 19. (2) Voy. Ann. des se. nat., Zoor., 5° série, t. IV, pl. 4. (3) Voy. ibid. 5® série. Zoor. T. IV, (Cahier n° 4.) 1 15 18 H.- LACAZE-DUTHIERS. assez grêle, longue d'un demi-métre, et cinq à six fois angu- leuse en sens inverse, terminée par un bouquet de barbules dis- posé comme il vient d'être dit sur un ramuscule fort long et d’un faible diamètre. Ce zoanthodème a vécu plusieurs jours dans mon aquarium. Ainsi la forme est très-variable et n’a rien de particulier. La couleur générale, quand les Polypes sont vivants, est d’un gris un peu rougeàtre, lavé de terre de Sienne. Les échantillons conservés dans l'alcool changent peu, car ils ne perdent qu'une très-légère partie de leur nuance rougeâire ; ils deviennent seu- lement plus franchement gris, et à part cette différence, on les croirait vivants et contractés. Si les tissus des Antipathes offrent une grande délicatesse, ils se conservent aussi beaucoup mieux dans les liqueurs que ceux des autres Zoophytes coralliaires, et des échantillons que j'ai bientôt depuis trois ans semblent encore sortir de la mer. 11 Du sarcosome. La couche charnue qui couvre le polypier est relativement assez épaisse, si elle paraît avoir une couleur uniforme à la simple vue ; elle semble à la loupe toute piquetée de fines taches de la même nuance que le polypier, par conséquent presque noiratres. | Quand on la touche, elle se couvre d'une viscosité épaisse, d'une sorte de mucosité filante produite par une exudation des tissus de sa surface. Il'est fort difficile de la détacher du polypier, et cela pour deux raisons ; elle est si peu résistante, que l’on n’en peut avec des pinces arracher que des parcelles insignifiantes ; on n'arrive jamais à obtenir un lambeau d’une étendue même fort restreinte ; son adhérence au polypier est d’ailleurs fort grande, et les épines qui couvrent la surface de celui-ci s’avancent en le tra- MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 49 versant jusqu'à sa limite extérieure ; de la sorte, le sarcosome ne peut être détaché, retenu qu'il est par les innombrables piquants qui le traversent. Il ya déjà dans cette disposition une différence très-grande avec ce qui existe chez les Gorgones, où dans bien des cas on peut décortiquer et dénuder entièrement le polypier en élevant le corps charuu d’une seule pièce. Il est vrai que dans ce groupe le sarcosome est limité à la face interne par une couche de vais- seaux, dont le tissu très-délicat est rompu par les plus légères tractions, tandis que dans le reste de son épaisseur il est con- solidé par une multitude de spicules quise croisent et se feutrent dans tous les sens. Il ne parait exister rien de particulier à la surface des tissus mous, dont nous ferons connaître plus loin la texture intime. Les Polypes font partie du sarcosome, et à ce titre il faut remarquer que le corps charnu général recouvre souvent les bases grosses et bouillonnées, sans présenter de Polypes, et que sur les gros troncs ceux-ci sont fort éloignés. J'insiste sur ce fait qui me parait plein d'intérêt au point de vue de la physiologie générale de ces animaux. Il ne m'a point été possible, avec un aussi petit nombre d'individus que celui dont j'ai pu disposer, de reconnaitre s’il existait des vais- seaux au milieu du corps charnu ; c’est là une lacune regrettable, qu'il me semble bien difficile de combler sans un nombre très-grand d'échantillons, en raison même de la difficulté que présente l'anatomie. On à vu dans la Gerardia un système de canaux irrigateurs fort développé mettre en communication tous les Polypes d’un même zoanthodème; l’analogie et le raisonnement conduisent ici à admettre une disposition semblable. Comment comprendre, en effet, sans elle l'accroissement des bases des troncs du polypier, là où les Polypes sont ou très- éloignés, ou même absents. Il faut bien évidemment que les 20 H. LACAZE-DUTHIERS, substances destinées à la nutrition soient apportées dans les points où en se déposant elles produisent quelque chose. Le rai- sonnement conduit donc à admettre des vaisseaux, que l'ob- servation directe n’a pu démontrer. Nous reviendrons encore sur ce fait en nous occupant des rapports des polypiers et des Polypes sur les barbules. ITI Des Polypes. Les animaux des espèces d’Antipathes qu'il m'a été donné d'observer sont très-différents de ceux de la Gerardia, et cela pendant toute leur existence, car ils conservent exactement les mêmes caractères à la base ou au sommetdes zoanthodèmes, sur les barbules ou sur les grosses branches. N'ai-je point eu d'animaux aussi vivants que M. Dana ; ou bien l'espèce étant différente, les formes qu'ils m'ont présentées étaient-elles en rapport avec leur nature spécifique? 11 m'a semblé trouver quelques différences ; mais comme j'ai si sou- vent remarqué sur les animaux inférieurs que la variabilité des formes est pour ainsi dire illimitée, que l’état de con- traction ou de relâchement peut faire prendre un aspect tout autre à un Polype, je ne saurais trop mettre de réserve dans l'appréciation comme caractères des formes extérieures de l’animal. Les individus que j'ai observés étaient (1) toutefois bien vivants ; ils avaient vécu plusieurs jours se fermant et s’épa- nouissant alternativement, et répondaient très-bien par la mani- festation de leur sensibilité aux irritations extérieures. Mais j'ai vu des choses semblables pour le Corail, et cependant quelque- fois il était à peine ouvert, et ne donnait nullement l'idée de la longueur de ses bras et de l'élégance de ses corolles. Les Polypes n'ont jamais étendu leurs bras bien loin ; ils les épanouissaient de manière à représenter tout au plus dans leur (4) Voy. Ann, des sc. nat., Zoor., 5€ série, t, IV, pl. 4, fig. 2, 3 et 4, MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 21 ensemble une fois et demie le diamètre de la barbule qui les portait. J'entends de la barbule couverte des tissus mous. Dans leur plus grand épanouissement, le grand diamètre de la rosette qu'ils forment ne m'a jamais paru mesurer plus d’un mil- limètre à un millimètre et demi. Ils n’ont que six tentacules disposés en couronne ovale, dont les extrémités ne dépassent jamais que d’une petite quantité les bords de la barbule qui les porte. Jamais cette couronne ou rosette ne s’est éloignée de sa base comme dans la Gerardia, qui, on le sait, a son péristome porté par un tube quelquefois très-long quand elle est épanouie. La bouche occupe le centre du péristome ; elle est comme tou- jours ovale, et quelquefois portée par un prolongement, par une élévation qui ressemble à un mamelon, et forme un mufle. Cela s’est présenté quelquefois dans la Gerardia (1) ; M. Dana (2) l'a aussi indiqué chez | Antipathes arborea, et Ellis et Solander (3) chez lAntipathes sptralis. Les tentacules qui occupent la circonférence du péristome ne se sont jamais, sous mes yeux, étirés pour devenir grèles et lon- guement tubuleux ; ainsi que cela se voit chez les autres Coral- liaires, ils m'ont toujours paru comme de gros tubercules cylin- driques, terminés à leur extrémité par une calotte sphérique. Ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, il m'est arrivé si souvent de reconnaître que la forme des animaux d’une même espèce est toute différente suivant le moment de l’observation, que je ne voudrais pas affirmer que, dans le cas actuel, les tentacules ne fussent jamais plus allongés que ceux dont je donne ici le dessin. Je ne saurais donc trop le répéter, il est impossible de rien préjuger sur la forme, la grandeur et la direction des tentacules. Qui pourrait dire, par exemple, que ces tous petits tubercules qui (4) Voy. Lacaze-Duthiers, Ann. des sc. nat., ZooL., 5° série, t. II, pl. 14, fig. 6. (2) Voy. Dana, Loet cit., pl. 56, 2, 22, 9h, et fig. 4, 42, Ab, 414. (3) Voy. Ellis et Solander, Loc. cit., pl. 19, fig. 1 à 6. Cette figure a été repro- duite par presque tous les auteurs. 29 H. LACAZE-DUTBIERS. entourent la bouche d’une Æydre d'eau douce presque contrac- tée prendront cette longueur et cette gracilité que tous les natu- ralistes leur connaissent. Je n’insiste sur cette remarque que pour bien faire sentir la différence qui existe entre les dessins que je donne ici, et ceux qu'a publiés M. Dana dans l'exploration scientifique de l'Amérique, différence que je ne voudrais rap- porter à la nature de l'espèce qu'en faisant mes réserves. Les tentacules sont très-contractiles, commie on pouvait sans peine le prévoir; mais ils ne se retournent point en dedans comme chez les Alcyonaires. Le péristome ne paraît même pas se déprimer au centre pour les recevoir et les recouvrir de ses parties périphériques, comme on l’observe chez les Zoanthaires. Leur tissu se contracte, et ramène tout simplement au niveau des parois du corps leur sommet arrondi qui se confond presque avec ce dernier, et tout le Polype forme un mamelon froncé à son sommet, éomme cela se présente toujours chez les Zoanthaires, mais sans jamais masquer absolument la bouche et les tentacules. La position des animaux est variable : tantôt ils sont fort rap- prochés, tantôt ils sont éloignés les uns des autres, même séparés par un assez grand intervalle. Dans le premier cas, ils sont presque au contact, si bien qu'une légère dépression les sépare à l'extérieur, et qu'une simple cloison les limite à l’intérieur. Dans le second cas, il y a un tissu intermédiaire fort difficile à bien analyser, et qui ne montre pas dans son épaisseur toutes les particularités que l'on a vu exister dans le sarcosome de Ja Gerardia; la première condition se trouve sur les barbules, la seconde sur les gros troncs. Cette grande distance (1) qui sépare les Polypes sur les grosses tiges mérite d'être considérée d’une façon toute particulière ; elle mesure quelquefois de 3 à 4 millimètres, même davantage, tout à fait sur les bases des zoanthodèmes, et comparée à la taille des animaux cette distance est grande ; nous en reparlerons en (4) Voy. Ann, des sc, nat,, Zoor., 5e série, pl. 1, fig. 2. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 93 fous occupant de l'existence de l’appareil de la cireulation, car ellé a un intérêt d'anatohie physiologique et zoologique tout particulier. Sans vouloir én äucune facon faire ici une étude Comparative des espèces, je dois dire cependant qu'en étudiant la collection du Muséum, j'en ai rencontré quelques-unes portant encore la couche de sarcosome, dans laquelle les animaux étaient fort évidents et faciles à reconnaitre avec tous leurs caractères. Ainsi, par exemple, lAntipathes scoparia présente des animaux qui ont plus dé 2 millimètres de diamètre sur ses branches, et qui sont beaucoup plus volumineux que ceux que l'Antipathes subpinnata porte sur ses barbules et sur ses troncs. Sur les gros rameaux ét les troncs de cette espèce, le diamètre augmente encore, et l’on peut très-bien voir à la loupe sept tubercules, dont l’un repré- sente au centre la bouche, et les six autres, rangés en cerelé, les téntacules. Ici, comme dans les autres éspèces, la rosette répré- sente un ovale et non un cercle parfait. Sur un tronc et sur l'extrémité cassée d’une grosse branche de la collection du Muséum, et appartenañt au Leiopathes gla- berrima (1), dans un espace de quelques centimètres, là couché sarcosomique est parfaitement conservée. Les animaux y sont très-évidents, et leur diamètre dépasse aussi 2 millimètres d'étendué. Les téentacules ne sont qu'au nombre de six, et dis- posés comme il a été dit plus haut. La position des Polypes est assez curieuse dans les deux espèces qui nous occupent pour qu'il soit nécessaire d'en dire quelques mots. M. Dana l’a du reste parfaitement indiquée pour les deux espèces dont il a donné les figures. Dans l'A. anguina (2), les animaux sont irrégulièrement distribués tout autour de l'axe (4) Le genre Leiopathes de Gray doit être conservé pour l'espèce qu'Esper appelait Antipathes glaberrima. Mais il faut en exclure le Leiopathes Lamarckii (J. Haime), devenu le type du genre Gerardia. Voyez, pour plus de détails, cette distinction, Mémoire sur la Gerardia Lamurckii, Ann. des sc. nat., ZooL., 5° Série, t. IN, p. 172, (2) Voy. Dana, Loc. cit, pl. 56, fig. 4, 4a, 4b, 4e, 44, 2h NH, LACAZE-DUTHIERS, simple du polypier, tandis que dans l’A. arborea ils sont disposés en ligne, en file, sur un seul côté des barbules(1). De même dans les deux espèces qui nous occupent ici, et j'ajouterai aussi dans l'A. scoparia, dont les deux échantillons que possède la collec- tion du Jardin des plantes, sont couverts de Polypes très-bien conservés, quoique desséchés, et sur lesquels il est possible de reconnaître parfaitement toutes les dispositions caractéristiques. Dans les trois dernières espèces, les Polypes sont très-régu- liérement disposés sur un seul côté des barbules, sur celui qui est opposé à la base, et qui regarde par conséquent le sommet des tiges. Si donc on suppose une barbule devant soi (2), la tige qui la porte étant verticale, tous les Polypes placés à côté les uns des autres paraissent former comme un feston sur la partie corres- pondant au côté supérieur, dont chaque dentest un animal con- tracté, et chaque échancrure un intervalle entre deux Polypes. Pour l'A. larix, la même chose se présente ; les corps dés Polypes forment une saillie très-évidente sur le côté de la bar- bule qui regarde le sommet de la tige générale. Dans l'A. scoparia, la plupart des barbules sont encore dans le même cas; mais le développement des branches secondaires déplace quelquefois les choses, et l'on peut croire parfois que les Polypes ne sont plus sur le côté qui regarde le sommet de la tige ; mais néanmoins ces animaux forment toujours une série sur un seul côté. Sur les troncs (3) et les grosses branches dans ces espèces qui présentent un arrangement si régulier quand il s’agit des bar- bules, les Polypes n’ont plus une position aussi uniforme; ils sont semés çà et là. Sans doute, cela peut s'expliquer par les nom- breux changements de rapports qui s’accomplissent quand les barbules deviennent branches. Pendant l'accroissement, des dé- placements nécessaires et forcés apportent le trouble dans la régularité primitive ; ainsi des barbules nouvelles naissent sur les barbules, et le sarcosome, en se transformant pour pro- (1) Voy. Dana, Loc. cit., fig. 2, 2a, 2h. (2) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo., 5° série, t, IV, pl. 1, fig. 1 et 2. (3) Voy. ibid,, fig. 2(p, p'). MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 25 duire ces éléments nouveaux, doit s'étendre dans un sens plus que dans l’autre, et détruire ainsi un mode de groupement qu'il.est cependant besoin de considérer comme caractéris- tique des espèces qui le présentent. I était important de signaler ces dispositions, car elles peu- vent servir beaucoup, et aider les spécifications toujours diffi- ciles quand il s’agit de groupes aussi naturels que celui qui nous occupe. IV Organisation des Polypes. Une chose rend l'observation facile et favorise ici le natura- liste, les tissus sont assez transparents et l'animal assez ma- niable, pour qu'il soit possible de voir l’intérieur de la cavité générale avec un grossissement de 50 fois. Voici comment on doit agir pour constater les faits que je vais exposer : Il faut porter avec précaution toute une barbule détachée avec soin du zoanthodème, dans une petite cuvette à observa- tion microscopique ; on doit avoir le soin d’éviter toute compres- sion, afin que les Polypes s'épanouissent, ce qui ne tarde pas à arriver quand on les place dans de l’eau fraîche et nouvellement puisée à la mer. En observant ces animaux soit de face, soit de profil, voici ce qu'on peut reconnaitre par transparence : D'abord en dessus et de face (1), la bouche se présente comme une fente ovale placée au centre d’une figure hexago- nale, dont les angles sont prolongés en lignes délicates et rayonnantes, plongeant et disparaissant bientôt dans l'épaisseur des tissus. Ces lignes sont évidemment les cloisons qui partagent la cavité générale en loges périphériques. On sait que dans tout le groupe des Zoophytes cœlentérés (4) Voy. Ann. des se, nat., ZooL., 5° série, t. IV, pl. 4, fig. 3, et pl. 2, fig. 7. 26 W. LACAZE-DUTMIERS. et plus particulièrement des Coralliaires, la cavité générale ést partagée en compartiments, loges ou Stalles périphériques (À), qui sont limités par des cloisons nées sur les parois du corps, et prolongées vers le centre sans se souder dans lé bas, tandis que dans le hautelles sont unies au tube œsophagien qui descend de la bouche. Ici tout cela se présente, et en étudiant en effet une barbule de profil, on voit bientôt que les cloisons sont unies à un œsophage ou tube central fort court sur les animaux un peu contractés (2). Mais un fait bien curieux, et à mes veux fort important au point de vue de la morphologie des Actiniaires, se présente ici. Dans les Actiniens, on remarque, sans peine, qu'à chaque ten- tacule correspond une loge périphérique de la cavité générale, et que chaque loge est limitée par deux cloisons ; en un mot, qu'il ÿ a autant de cloisons que de tentacules et de loges. On observe aussi que les cloisons, dans la partie de leur bord interne qui est libre au-dessous de l’œæsophage, portent un cordofi bor- dant, qui, plus long que les cloisons, est obligé de se contottner en zigzags répétés, et rappelle par-là les circonvolutions dé l'in - testin suspendues aux lames du mésenitère, d'où le nom de lames mésentéroïdés qu'on à donné aussi à ces cloisons, dé lames radiantes, de lames à cordon pelotonné. La différence que présentent les replis ou cloisons dans l'Anti- pathes subpinnata est des plus remarquables ; élle me paraît tout à fait insolite dans le groupe des Zoophytes cœlenitérés (Coral- liaires). Je pense bien que les six cloisons éxistent ; mais quatre d’entre elles sont tout à fait rudimentaires ou sont peu saillantes sur les parois de la cavité générale. Deux au contraire offrent un déve- loppement considérable (3), et représentent les cloisons avec cordon pelotonné des autres Coralliaires. Ces deux cloisons opposées l’une à l’autre sont symétrique- (1) Voy: Ann. des se, nat., Zoon., 5° série, Mémoire sur la Gerardia Lamarckit t. Il, pl. 17, fig. 29. 2) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo, 5° série, t. IV, pl. 2, fig. 5. ; > » PL 4, (3) Voy. ibid. fig: 7 (m). MÉMOIRE SUR. LES ANTIPATHAIRES, 27 ment placées dans la cavité générale ; elles ont deux cloisons rudimentaires (1) de chaque côté d'elles, et parcagent ainsi en deux moitiés distinctes et parfaitement semblables le corps des Polypes. On les distingue facilement quand on regarde de face la rosette tentaculaire , alors on voit les deux cordons pelotonnés partant de deux points opposés vers le milieu de la bouche, et rayonner vers le centre. Dans un mémoire déjà ancien (2), et qui avait pour but le développement des Actinies (Actinia equinia), Jai montré que les cloisons suivent une certaine loi dans leur apparition. Le jeune Polype est au commencement divisé en deux parties par deux cloisons opposées l’une à l’autre, marchant dans leur accroissement de la circonférence vers le centre, et perpendieu- lairement au grand diamètre. Primitivement donc, le nombre six n'existe pas, c'est le nombre deux. Chacune des moitiés du corps de la jeune Actinie se partage de même que l'avait fait tout le corps en parties secondaires, et n'arrive que par des transformations successives au nombre six, qui disparait même si rapidement qu'on peut le regarder chez elles comme tout à fait transitoire. Après le nombre six vient le nombre huit, qui conduit facilement, quoique moins brusquement, au nombre douze, et le type Actiniaire, où Zoañthaire, est alors caractérisé, car 1l est un multiple de trois ou deux fois six, soit douze. Dans leur développement, quant aux parties qui les composent, les replis radiés suivent une marche analogue ; ainsi les replis sont formés avant les cordons pelotonnés, et quand les cordons sont produits, ils se présentent sur les lames les plus anciennes. De sorte que les premiers cordons répètent dans leur apparition la même marche que les lames. On sent tout de suite quel parallèle il est possible d'établir entre l'organisme naissant d’une Actinie et celui qui est constant dans un Antipathaire. Ne pourrait-on pas dire qu'un arrêt de (1) Voy. Ann. des se. nat., Zoor.., 5° série, t. LV, pl. 2, fig. 7 (n,n,n,n). (2) Voy. Compté rendu de l'Académie dés sciences, 1851. 28 MH, LACAZE-DUTHIERS, développement a frappé quatre des cloisons primitives, et que deux se sont seulement développées ; que les deux premiers cor- dons pelotonnés correspondant aux deux premières cloisons se sont eux-mêmes seuls formés? Quand on regarde de face un Polype, on voit bien que sa bouche est ovale, et que son plus grand diamètre est justement perpendiculaire à la direction des deux replis à cordons pelo- tonnés : or ce sont ces deux replis qui, dans le principe, ont divisé la masse de l’ovoide embryonaire en deux parties. A une période très-peu avancée de son développement, une jeune Actinie avait son corps partagé en deux moitiés, comme le Polype de l’Antipathe ; dans celui-ci, quatre cloisons se sont ajoutées aux deux premières, et ont complété le cycle du nombre six, caractéristique du groupe. Il y a donc, à certains égards, une grande analogie entre le développement des Acrnies, ou mieux des ZoantaaiREs, et celui des ANTIPATHES. Mais ce dernier se caractérise en ne continuant pas une évo- lution qui multiphierait le nombre de ses parties. Il reste sta- tionnaire. Dans un autre travail plus général, je montrerai comment en partant de l’'embryogénie de l'Actinie on peut se rendre un compte aussi exact que facile et simple des différentes formes que nous offre la classe des Coralliaires ; comment, par exemple, on arrive au nombre huit qui caractérise les ALCYONAIRES. Mais revenons à la disposition anatomique de | Antipathes. Quand on examine de profil les barbules couvertes de rangées linéaires et régulières de Polypes, on voit par transparence et de face les deux replis mésentéroïdes avec leurs gros cordons pelotonnés, et l’on sent que le plan qui passerait par ces lames radiantes tomberait sur l’axe de la barbule du polypier paral- lèlement à elle. En un mot, les cloisons des divers Polypes d’une même bar- MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 29 bule sont placées dans un même plan qui passe par la barbule cornée. D'après cela, on voit tout de suite qu'un plan dirigé par le grand axe de la bouche, que l’on a vue être ovoïde et perpendi- culaire aux deux cloisons les plus développées, doit couper per- pendiculairement encore la direction du polypier. Aussi d’après cela quand on regarde la barbule par le côté qui porte les Polypes, on voit que toutes les bouches sont transversales (1). Ces détails minutieux peuvent paraître en ce moment de peu d'importance ; plus tard, quand j'aurai l'occasion de publier un travail général de morphologie, ils acquerront tous une valeur des plus grandes, et permettront de relier les formes parti- culières et peu connues des Antipathaires aux formes plus géné- rales et mieux étudiées des autres Coralliaires. Texture intime des tissus. Lorsque l’on enlève des parcelles des parties molles du sarco- some qui recouvrent le zoanthodème de l’Antipathes subpin- nata, et qu’on les soumet à l'observation microscopique, on voit que les tissus sont essentiellement formés par des éléments cel- lulaires bien caractérisés, qui rappellent ceux qui ont été décrits dans la Gerardia Lamarchii (2). Les cellules (3) sont assez grandes; elles s’altèrent facilement, et autour d'elles flottent de très-nombreuses granulations fines qui paraissent produire une mucosité filante, au milieu de laquelle semblent empâtées un grand nombre d'elles et de cellules mêlées à d’autres éléments (4). (1) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo, 5° série, t. IV, pl. 4, tig. 3 (b). (2) Voy. Lacaze-Duthiers, loc. cit. (3) Voy. Ann. des se. nat., Zoor., 5° série, t. IV, pl. 3, fig. 14 et 45. (4) Voy. ibid., pl. 3, fig. 15. 30 MH. LACAZE-DUTAIERS. Si l'on peut arriver à isoler un tubercule tentaculaire et le comprimer légèrement, on voit que ses éléments affectent les rapports suivants. La chose n’est point aisée, tant les tissus sont délicats; le peu de résistance qu'ils offrent au tranchant des instruments fait qu'il est fort difficile d’en obtenir des lambeaux où les éléments soient intacts. Les cellules sont grandes, et mesurent dans leur plus grand diamètre un centième et demi de millimètre, et dans leur plus petite dimension un centième seulement. Assez lâchement unies, elles se compriment cependant les unes les autres un peu, et deviennent légèrement polyédriques (1) ; mais sous l’action des moindres tractions ou compressiops, elles se désagrégent, et reprennent en devenant libres leur forme sphéroïdale (2). Beaucoup d'entre elles sont remplies de granulations grosses, dont une dizaine, placées bout à bout, mesurent à peu près leur plus grand diamètre. Dans quelques points de l'organisme, il n’est pas rare de ren- contrer d’autres cellules plus grandes, parfaitement transpa- rentes (3), réfractant assez vivement la lumière, et dont les bords paraissent par conséquent sombres. Les tissus les plus colorés présentent aussi les cellules à granulations les plus développées, et ces éléments sont eux-mêmes colorés de la teinte générale gris Jaunâtre. Ce sont ces granulations qui s'échappent quand les cellules qui les contiennent sont rompues, et qui, en se mêlant à l’eau, produisent un mucilage visqueux, filant, au milieu duquel un grand nombre de granulations se voient encore intactes à côté d’autres en voie de désagrégation. Les cellules les plus grandes se rencontrent dans les replis mésentéroïdes (4), soit dans le cordon pelotonné, soit dans la (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo, 5° série, t. IV, pl. 3, fig. 14. (2) Voy. ibid., fig. 43. Ici les cellules sont vues et dessinées avec le n° 7 de Nachet, c'est-à-dire à un grossissement plus considérable que dans la figure précédente. (3) Voy. tbid., fig. 13 (b), et fig. 17. (4) Voy. tbid., pl. 3, fig. 13. * MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. D) la lame tout entière (i), C'est même dans cette dernière que l'on. voit souvent les éléments des tissus encore sphéroïdaux, et comme empilés les uns sur les autres. Dans la Gerardia, on observe une disposition facile à recon- naître, même avec de faibles grossissements. Les éléments cel- lulaires sont réunis en deux couches fort distinctes (2) : l'une externe, à éléments relativement petits, posés, suivant leur grand diamètre, les uns à côté des autres et perpendicu- lairement à la surface générale ; l'autre interne, plus colorée que la précédente, dont les cellules, plus lâchement unies, forment comme la partie parenchymateuse la plus délicate. Lei j'ai cher- ché à retrouver ces deux couches; il ne m'a point paru qu'elles fussent aussi nettement distinctes, tout en pensant qu'elles devaient exister. Les difficultés de l'observation sont la cause de l'incertitude que je laisse exister ici : car sur un animal vu de profil dont je donne le dessin (3), on reconnait tout autour de la ligne colorée, représentant évidemment les limites des parois du corps, comme une trace d’une seconde couche; mais dans quelques points, surtout à l'opposé du polypier, la couche colorée unique hmitant la cavité, étant en dedans couverte d’un épithélium vibratile, il est plus difficile de distinguer nettement les choses. Je prie le lecteur de bien considérer la figure qui repré- sente (a) un Polype grossi et vu de profil. L'axe du polypier (5) est comme enfermé dans un canal, et entouré de toute part d’une couche de tissu cellulaire. Cette couche forme évidemment le plancher de la cavité du Polype ; or, si on la suit jusqu'aux limites de l'animal, par conséquent jusqu'au point où deux Polypes sont contigus, on voit que la couche externe (6) passe sans inter- (4) Voy: Ann. des se. nat., Zoor., 5° série, t, IV, pl. 3, fig. 10 (9). (2) Voy. Mémoire sur la Gerardia, loc. cit., pl. 15, fig. 7 ; Ann. des se. nat., Z001., 5e série, t, II, (3) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo, 5€ série, t. IV, pl. 2, fig. 5. (4) Voy. 1hid., particulièrement fig. 5. (5) Ibid,, B. (6) Voy. thid., le côté de la figure 5 ; (#/), couche externe. 32 H. LACAZE-DUTRIERS ruption aucune d’un animal à l’autre, et que, au-dessous d’elle, perpendiculairement au polypier, une ligne un peu sombre marque la limite des deux animaux ; on croirait que cette ligne est le résultat de l’accolement des deux couches internes, dont la limite dans la cavité n’est que vaguement indiquée. Mais à côté de cela, on voit une des parties des tubercules représentant les tentacules, sans apparence de couche interne, puisque les cils vibratiles sont très-nettement visibles en dedans. Quoi qu'il en soit, on retrouve, dans quelque position qu'on observe la barbule, toujours une couche fort nettement limitée. et présentant une coloration particulière due aux granulations des cellules qui la forment. Les Nématocystes sont remarquables, et ont une apparence toute spéciale; 1ls sont très-transparents, ovoïdes et légèrement lavés de teinte neutre (1). Leur longueur est d’un centième et demi, et leur épaisseur d’un demi-centième de millimètre (2). Vus de côté et couchés sur leur plus grand diamètre, ils paraissent traversés d’un bout à l’autre par une ligne noire plus foncée, plus large vers le milieu de la longueur, et l'on ne découvre dans leur intérieur aucune trace du fil enroulé en spi- rale. Cependant ils en renferment un, car on en rencontre beau- coup dans le champ du microscope qui sont prolongés par un filtrès-délié, mais peu allongé (3). Leur distribution offre des particularités intéressantes. Je ne voudrais pas donner trop de valeur à ce caractère, ne désirant pas me hâter de généraliser ; mais cependant, en fai - sant gonfler les tissus de l’Æntipathes scoparia et du Leiopathes glaberrima dans une solution assez forte de soude, je l'ai trouvé sur les échantillons de la collection du Muséum, aussi marqué que dans les espèces fraichement sorties de la mer. (1) Voy. Ann. des sc. nat., Z0o1., 5° série, t. IV, pl. 3, fig. 41 et 12, (2) Voy. thid. (e,f). (3) Voy. #hid., fig. 42 (e). MÉMOIRE :SUR LES ANTIPATHAIRES. 38 Les capsules urticantes se groupent de quimze à vingt au moins en paquets disséminés, sans régularité et passablement espacés. Chaque groupe ou paquet paraît formé de petits cercles (1) réunis qui représentent la projection de la paroi, au milieu duquel on voit un point noirâtre, qui lui-même est la projection de la ligne longitudinale indiquée plus haut (2). Cette disposition toute particulière semblerait peut-être carac- téristique des Antipathaires ; mais avant de se prononcer d'une manière absolue, il est nécessaire que de nouvelles observations viennent confirmer ces prévisions. Dans les replis intestiniformes, les Nématocystes sont beau- coup plus gros que dans les parois du corps (3). Ils ont un peu plus de longueur, mais surtout leur diamètre transversal est au moins deux fois plus grand. Leur longueur est à peu près la même que celle des Nématocystes des parois du corps ; toutefois elle atteint deux centièmes de millimètre, et leur longueur est bien plus considérable. La traînée obscure du milieu est très-marquée, et l’une de ses extrémités, celle qui correspond au bout le plus obtus de l’ovoide de la capsule, est un peu arrondie, et n’arrive pas jusqu'aux parois de la capsule. Ces cellules filifères n’ont pas dans le cordon pelotonné une disposition semblable à celle que l’on vient de voir dans les parois du corps (4) ; elles sont en effet fort rapprochées, toutes placées à côté les unes des autres, et viennent jusqu'à la surface, où l’on voit leur extrémité la plus large; elles sont mêlées aux cellules renfermant la matière colorante ; aussi quand on com- prime un peu un repli intestiniforme, les Nématocystes se tra- duisent par un espace clair au milieu des granulations colorées (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo1., 5° série, t. IV, pl. 3, fig. 44 (c). (2) Voy. ibid., fig. 12 (,). (3) Voy. ibid. fig. 12 (d), deux Nématocystes des replis intestiniformes ; ils sont plus gros que ceux de la même figure (e, f). (4) Voy. ibid, pl. 3, fig. 40. Le bord du cordon pelotonné montre les Nématocystes placés à côté les uns des autres; en comparant cette figure avec celle de la même planche fig. 16, on appréciera tout de suite les différences indiquées dans le texte. 5e série. Zoor.. T. IV, (Cahier n° 4.) 3 3h H. LACAZE DUTBIERS. des cellules, espace présentant la ligne noirâtre caractéris- tique. Le sarcosome, intermédiaire aux animaux, offre la mêmé structure que les parois de leur corps, et au-dessous des barbulés on retrouve une couche lout à fait analogue à celle qui limite le corps des animaux en dessus. Sur les gros troncs, entre ces animaux, le sarcosome offre une texture semblable à celle qui vient d’être indiquée; seule- ment son étude est fort difficile. On trouve bien les mêmes élé- ments, mais leur mode d'union, que tout doit faire supposer le mème, ne se décèle pas facilement, par cette raison que la couche molle qu'ils forment est traversée par les innombrables spinules qui hérissent, comme un duvet ou un velours, la surface du polypier (1); aussi le sarcosome est-il déchiré et labouré dans tous les sens quand on veut le détacher du zoanthodème. En observant les individus bien vivants et entièrement intacts sur les barbules, on croirait que le polypier est enfermé dans un canal (2), dont les parois, quand elles se contractent, S’appli- quent sur l’axe, et sont traversées par les spinules (3). Mais il y a une grande difficulté à reconnaître l'existence de ce tube, en raison même de la délicatesse des tissus ; toutefois s'il existe, 1l peut être considéré comme un moyen de commu- nication indirecte entre tous les individus rangés en ligne sur une mème barbule, et rien ne s’opposerait à ce qu'il fût continu, se ramifiant plus ou moins irrégulièrement sur les grandes bar- bules, sur les ramusczles et les branches, ainsi que sur les gros troncs. (4) Voy. Ann. des se. *at.. Zoo. 5° série, t, IV, pl: 4, fig. 21. Portion dé surface du Polypier pris sur une tige on voit les autres épines qui toutes, avant la préparation, étaient noyées dans le sarcosome. ‘ (2) Voy. tbid., pl. 2, fig. 5 : B, la barbule; (£), tissu mou formant comme un canal autour du Polyp.er. (3) Voy. tbid., pl. 2, fig. 8. Portion du tissu mou, contracté et traversé par une épine qui est devenue sallanre. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 35 De nouvelles observations sont encore nécessaires à cet égard ; mais si, nous en tenant à cette particularité, nous voyons ici le polypier dans un conduit qui certainement renferme des sucs nourriciers propres à son accroissement, il ne serait pas possible d'admettre que l'axe dur et résistant soit le produit de l'endur- cissement de l'épiderme, car le canal ne peut évidemment pas être considéré comme une partie extérieure rentrée en dedans. Le corps des Polypes est couvert de cils vibratiles qui déter- minent les courants propres à conduire la matière alimentaire vers la bouche. On peut s’en assurer facilement en laissant flotter des particules colorées dans l’eau où vivent ces animaux; on voit bientôt la direction des courants (1) être différente sur les parties voisines du point de contact de deux polypiers. Les courants marchent de la circonférence au centre de la figure ovalaire que représente le corps de l'animal, et le changement de direc- tion commence très-exactéement, entre-deux animaux, en face de cette cloison, que l'on a vu séparer la cavité de leur corps. VI Existe-t-il des spicules ou sclérites dans le sarcosome ? Cette question, qui a été longuement discutée à propos de la Gerardia (2), offre ici bien moins d'intérêt ; du reste, personne u'a décrit, comme pour ce dernier genre, des corpuscules cal- caires ou siliceux dans les tissus mous. Je me serais abstenu d'en parler, si la distinction des Antipa- thaires avec et sans spicules, faite par MM. Milne Edwards et J. Haime, ne m'avait naturellement conduit à rechercher si réellement les spicules se présentaient quelquefois dans le sar- cosome des Antipathes. (1) Voy. Ann. des se, nat., Zoon., 5° série, t. IV, pl. 2, fig. 5. Les flèches indiquent la direction des courants d’eau produits par les cils de la surface du corps. (2) Voy. le mémoire relatif à cette espèce, où la question a été longuement étudiée, t. Il, p.489 des Ann, des sc. nat., Zoor,, 5° série. (Lacaze-Duthiers.) 36 H, LACAZE-DUTHIERS, Une fois des corps étranges tout à fait semblables à ceux qui ont été décrits dans l’histoire de la Gerardia (1), et qui sont res- tés Indéterminés quant à leur origine, se sont présentés accolés au sarcosome (2). Ici se trouverait, s’il était besoin, une preuve de plus à l'appui de cette opinion que les spicules de la G'erardia ne lui appartenaient pas en propre; et que tous ces petits corps qu'on trouvait à sa surface lui étaient entièrement étrangers. On peut donc affirmer qu'il n'existe pas, parmi les espèces d'Antipathaires jusqu'ici étudiées, d'exemples montrant dans leurs tissus mous de concrétions scléreuses, et cela ainsi que les autres caractères, les éloigne encore davantage des Gorgones. VII Du Polypier, Le polypier de l'Antipathes subpinnata offre, at-il été dit, dans sa forme de nombreuses irrégularités dues, sans contredit, aux fractures causées par sa fragilité ; aussi sa ramure ne pré- sente-t-elle rien de particulier qui puisse, comme pour beaucoup d’autres espèces, être considéré comme caractéristique; mais il faut d’ailleurs reconnaître que les ramuscules secondaires et les branches se détachent des troncs des rameaux plus gros qu'eux, sans direction déterminée : c’est là certainement la première cause de l'irrégularité du zoanthodème. Il faut remarquer encore que le volume des branches n’est pas proportionné. Il n’y à aucun rapport entre la longueur et la grosseur. Ainsi, sur des échantillons on voit un gros tronc trois ou quatre fois brusquement anguleux et souvent gros porter une tigelle grèle, fort longue, ayant à son extré- mité seulement quelques barbules. Presque tous les troncs portent à leur base de grosses gib- bosités, de grosses masses bouillonnées ; ces sortes de tumeurs (4) Voy. Ann. des sc, nat., Zoo1., 5° série, t, IV, pl. 46, fig, 24. (2) Voy. thid., pl, 4, fig. 26 et 27. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 37 sont formées de couches alternatives de tissu corné du polypier et de dépouilles de Bryozoaires et d’Algues incrustées de calcaire ; elles sont des témoins non douteux de la lutte pour la vie (Strug- gle for life) ou de la loi de destruction réciproque des êtres (1). La surface du Polypier (2) est couverte de piquants déliés, de fines épines sur lesquelles nous reviendrons plus tard et plus en détail. La couleur à valu à tous les Antipathaires le nom de CoraiL Noir. Comme le polypier est ordinairement assez compacte et dur on en fait, dans les pays orientaux, des grains de chape- lets; car il peut prendre par le travail un très-beau poli. L’Antipathes glaberrima ou le Leiopathes glaberrima présente naturellement, et sans travail, un brillant très-remarquable, on croirait que ses tiges ont été soumises à un polissage très-per- fectionné. Les barbules sont les dernières ramifications des branches, elles sont dans tous les Antipathaires très-grèles et filiformes, et l’on doit les considérer comme les parties terminales et indivises. Je crois qu’il importe de les considérer comme des parties distinctes et spéciales, car leur étude et leur comparaison dans les différentes espèces fournit des caractères spécifiques d’une grande valeur. Ainsi que Je l'ai déjà dit, je me propose de faire une révision . du groupe des Antipathaires, et alors il sera nécessaire d'aborder la définition des termes et des parties servant à la spécification. Je m'en tiens donc ici à mdiquer simplement leur importance relative. En observant une barbule intacte dont l'extrémité est entière, on arrive assez facilement à se rendre un compte exact des par- ticularités que présentent les gros troncs. (4) Voy. Lacaze-Duthiers, Histoire naturelle du Corail, p. 92, et'Ann. des sc. nat., Zoo, 5° série, t. II, p. 220, Histoire de la Gerardia. (2) Voy. Ann. des sc. nat., Zooz., 5° série, t. IV, pl. 4, fig. 21, 38 H. LACAZE-DUTHIERS. La surface (1) est couverte de petites épines, nées de loin en loin et disposées à peu près, sauf la direction, comme les épines d’un rosier. Il y aura aussi à revenir plus tard sur la forme, la direc- tion, etc., de ces spinules qui fournissent de précieux rensei- gnements pour la spécification. Primitivement (2) ces épines sont de toutes petites lames triangulaires fort aplaties, dont le plan perpendiculaire à la sur- face du eylindre, que représente la barbule, est parallèle à sa direction; et dont la pointe libre assez mousse à l’origine devient aiguë plus tard, et se dirige vers l'extrémité libre de la barbule. Chacune de ces épines dans le principe représente fort exacte- ment un triangle, dont le côté antérieur le plus court est con- cave, dont le côté extérieur et postérieur est légèrement con- vexe, et enfin dont l’interne ou adhérant, le plus long, est soudé à la surface de la barbule (3). Avec les progrès du développement les épines se modifient peu à peu, si bien qu’elles deviennent presque coniques, et que la forme lamellaire s'efface presque complétement pour faire place à la forme cylindrique. Ce changement de forme s’observe surtout sur les branches qui primitivement étaient des barbules ; en effet, les spinules sont absolument coniques vers leur extré- mité, et cylindriques au milieu et à la base (4). L'inclinaison sur la partie qui les porte est presque constam- ment de A5 degrés, et l'angle aigu qu’elles forment avec celle-ci est toujours ouvert du côté de l'extrémité libre de la barbule. La distribution des épines sur les barbules ne paraît pas (1) Voy. Ann. des sc. nat., ZooL., 5° série, t. IV, pl. 4. fig. 18. Portion terminale d'une barbule d'Antfipathes subpinnata. Fig, 28, portion terminale d'une barbule d'Antipathes larix. (2) Voy. ibid., les fig. 19 et 24, qui représentent, à un fort grossissement, les som- mets des barbules représentées aux fig. 48 et 23. (3) Les mots extérieur et antérieur indiquent la position des choses relativement à l'extrémité libre de la barbule et, par opposition, les mots interne ou postérieur dési- gnent le côté qui correspond au tronc. (4) Voy. Ann, des sc, nat,, Zoo., 5° série, t, IV, pl. 4, fig. 24. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 39 abandonnée au hasard. Si l’on prend l’une d'elles et si l’on cherche en dehors ou en dedans cominent les autres la sui vent ou la précèdent, on décrit un tour de spire s enroulant de droite à gauche ou de gauche à droite, suivant la direction que l'on a prise, et l'on trouve cinq, six ou sept spinules formant le cycle complet, c’est-à-dire qu'après avoir compté ces nombres on arrive à une épine placée immédiatement sur la même ligne que celles dont on était parti. On voit ici une disposition analogue à celle que l’on rencontre sur les végétaux; on sait, en effet, que dans les plantes les feuil- les ne sont point placées au hasard, et qu’une ligne qui passe par leur insertion décrit une spirale, dont la longueur est fort varia- ble avec les espèces. Das la revue que je me propose de publier après ce mémoire, je chercherai à mettre à profit, autant que cela est possible cette disposition, afin de faciliter la spécification, d’ailleurs fort diffi- cile, des Antipathes ; non pas quand il s’agit d'espèces ayant un port constant et véritablement caractéristique ; mais lorsque lir- régularité de la ramure, dans tous ses détails, ne permet plus d'établir des distimctions avec certitude. C’est avec le plus grand soin que j'ai étudié l'extrémité frai- che des barbules, c’est-à-dire la partie où se fait l'accroissement en longueur et où l’on peut aussi juger de ce qui se passe dans l'augmentation du volume en diamètre. Vues à un assez fort grossissement, 400 diamètres environ, encore fraîches et dépouillées avec soin de leur sarcosome, les barbules paraissent coniques, obtuses, mais jamais avec une extrémité aiguë (1). Les épines n'existent qu'à une certaine distance du sommet qui én est toujours dépourvu. On n'oublie pas qu'il s'agit ici de distances microscopiques relativement fort petites; sans cela, en examinant les objets simplement à la loupe on pourrait croire que cette description est inexacte. (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo., 5° série, t. IV, pl. 4, fig. 49 el 24. LO H. LACAZE-DUTBHIERS. Le tissu est encore transparent, et vu avec la lumière trans- mise, il paraît teinté d’une couleur terre de Sienne très-Chaude. Malgré le plus grand soin je n'ai pu trouver, dans son épais- seur, trace de structure particulière. On voit seulement des lignes concentriques qui indiquent évidemment la succession des dépôts recouverts les uns par les autres. On reconnait là une certaine analogie avec le mode d’accrois- sement en longueur de l'axe des organes chez lesquels, en effet, les extrémités des rameaux présentent aussi des sortes de calottes se recouvrant les unes les autres comme des doigts de gants que l’on invaginerait. Les épines naissent toujours sur des couches déjà déposées, et non sur ces calottes, des extrémités; elles ressemblent, au moment de leur apparition, à de très-légers pincements trian- gulaires et membraneux de la couche la plus externe. Leur forme à leur naissance a été décrite plus haut. Le dépôt, de l'extrémité des barbules se traduisant par ces lignes à peine saisissables, doit être, sans aucun doute, de la même nature sur le reste du polypier. Mais, sans aucun doute aussi, 1l a moins de consistance et peut-être qu'étant formé plus rapidement il reste toujours plus mou et moins dense. Cela fait que, dès qu'il est recouvert par les couches de substance cornée plus dures et plus lentement déposées, il se fait distinguer encore par sa nuance plus claire, et comme les dernières couches for- ment autour de lui un contour plus accusé; on croirait avoir sous les yeux les parois d’un tube (1) ou d’un canal. Que se passe-t-il pendant la vie et après la mort des Antipa- thes? Y a-t-il résorption du tissu central et par cela même pro- duction d'une cavité? Quand après leur sortie de l’eau les poly- piers sont soumis à la dessiccation, un vide se produit-il par le retrait de cette substance plus délicate? Toutes ces suppositions sont les unes aussi plausibles que les autres. Sans vouloir mduire ici de ce qui se passe dans d’autres gen- res, 1l est cependant impossible de ne pas remarquer que chez (4) Voy. Ann. des sc, nat., Zoon., 5° série, t. IV, pl, 4, fig. 20. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. Ul les Cirripathes et plus particulièrement chez le Cirripathes anguina, les polypiers gros comme des tuyaux de plume à écrire, ont un canal extrêmement développé, et cependant son extrémité, quand elle est intacte, est toujours terminée par une portion conique et close. L'idée d’une résorption dont l'effet est augmenté plus tard par la dessiccation se présente donc tout naturellement à l'esprit; mais quant à son mécanisme, il est assez difficile de l'expliquer sans avoir fait des études plus éten- dues sur le vivant et sur un plus grand nombre d'espèces. Dans toute sa longueur la barbule reçoit des couches qui se superposent, augmentent son diamètre et lui donnent la résis- tance qu'on lui connaît. Les couches sont très-faciles à observer. I n’est pas jusqu'aux épines qui ne laissent voir l’emboîtement du dépôt qui les produit (1), Si l’on rompt une épine et si l’on examine à un grossissement suffisant la cassure sur la barbule, on voit les couches concentriques se rapprocher d'autant plus de la circonférence qu'on les regarde plus à l'extérieur. Cela s'explique, puisque l’on a vu que les épines, de lamellaires qu’elles étaient à l'origine, avaient une tendance à devenir coni- ques et cylindriques à leur base. Il nous reste à parler des épines appartenant aux branches et aux gros troncs ; elles offrent un intérêt tout particulier. L'étude du développement du polypier chez l'embryon, alors que le zoanthodème est en voie de formation, présenterait le plus vif intérêt. Mais je n’ai pu obtenir assez d'échantillons pour arriver à voir la reproduction s’accomplir sur mes yeux. Quoiqu'il en soit, il est possible de reconnaître que les bar- bules primitives sont devenues des branches quand sur leur lon- gueur se sont développées d’autres barbules. Cela est évident. Il suffit pour le constater de faire des coupes d’un polypier assez gros pour voir des traînées traverser les tissus, arriver jusqu’à la surface et se continuer dans une barbule ; ces traînées sont si évidentes qu'on pourrait les prendre tout d’abord pour des (1) Voy. Ann. des sc, nat., Zoor,, 5e série, t. IV, pl, 4, fig. 22, h2 M. LACAZE-DUTHIERS. canaux ; ilen est ici comme dans les tiges de végétaux où l’on peut suivre les branches dans l'épaisseur du bois jusqu’à leur pont d'origine. Mais, en est-il de même pour les épines ? Celles qu'on voit à la surface des gros troncs, sont-elles celles-là même qui étaient sur la barbule primitive, seulement allongées et grandies par les dépôts des couches successives? Ce n’est pas probable, d'abord, ces spinules semblent plus nombreuses sur les gros troncsque sur les barbules, et comme la surface du cylindre représenté par le polypier dans ces deux états est infiniment différente, il faut bien admettre qu'il y a eu formation d’épines nouvelles. Par l’observation des coupes minces du tissu du polypier on en acquiert d'ailleurs la conviction, ainsi que par l'étude des soudures des ramuscules chez certaines espèces, on voit des spi- nules enfermés et noyés dans les dépôts des couches cornées. Ce qui montre bien que chacune de celles qu’on trouve sur un gros tronc n’est pas le prolongement de celles qui étaient sur les bar- bules primitives. Ces détails sembleront peut-être un peu minutieux, qui sait même peut-être inutiles, mais il importe cependant d'en tenir compte quand on veut apprécier les particularités dé texture intime des parties. Dans la revue générale du groupe des Antipathaires, que. je désire publier, je me propose de tirer parti pour la spécification de la disposition et des caractères de ces épines. Sur l'Antipathes subpinnata (1), les épines des gros trones sont longues et cylindriques, jusque vers leur sommet qui devient aigu et par conséquent conique. Elles n’ont pas une inclinaison particulière, elles ne sont pas toutes droites, et le plus souvent elles sont flexueuses. Quelques-unes sont bifurquées, mais c’est le très-petit nom- bre. Chez d’autres espèces, au contraire, la bifurcation semble être plus fréquente, et je crois que l’on peut et doit tirer parti de ces différences pour arriver à la spécification. 4) Voy. Ann. des sc, nat., Zook., 5° série, t. IV, pl, 4, fig. 24, À > P 5 MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. h3 Ces épines prises dans leur ensemble forment à la surface du tronc des Antipathaires, qui présentent ce caractère, comme un véritable velours, comme un duvet dur et résistant, qu'on ne saurait mieux comparer qu'à une carde, et ce sont les extré- mités de ses épines qui paraissent comme un fin piqueté brun sur la couche du sarcosome (4). C'est, il faut le remarquer, une disposition bien curieuse et qui mériterait une étude toute spéciale, que la rareté des maté- riaux ne m'a pas permis de conduire à bonne fin. Comment, en effet, sont produites ces épmes ? Quelle est l’organisation de ce sarcosome, au milieu de cette forêt de pointes qui le labourent et le transpercent de toute part? Ce sera surtout par des études comparatives et avec des échantillons nombreux qu'il sera pos- sible d'arriver à l'éclaircissement de ces questions. Jai dit plus haut que je reviendrais sur la nature de ce tissu commun charnu, et je dois maintenant poser cette question : Y a-t-1l dans son intérieur des vaisseaux? Il eût été très-utile de pouvoir apporter une réponse positive. Mais je n'ai pu le faire, de visu ; toutefois le raisonnement indique qu'il doit en être ainsi, car dans les cas où les Polypes sont fort éloignés, comment com- prendrait-on le développemont des couches cornées si les élé- ments de ces tissus n'étaient charriés dans toutes les parties. Dans la Gerardia (2), personne n'avait encore signalé cette disposition des canaux de l'irrigation organique, elle explique bien facile ment l'aceroissement rapide et considérable des gros polypiers de cette espèce. Dans le cas qui nous occupe actuellement, il y a souvent un très-grand intervalle entre les Polypes, et cependant le tissu qui les unit, vit et sécrète des couches cornées ; je ne puis donc m'empêcher d'admettre que dans son épaisseur cireulent des fluides élaborés par la digestion des animaux ; et je. ne le puis surtout lorsque dans tous les Alcyonaires je vois des réseaux (4) Voy. Ann. des se. nat., 5° série, t. IV, pl. 4, fig. 2. (2) Voy. Ann, des se, nat., Zoo1., 5° série, t. LL, p. 220, pl 45, fig. 47. hh H. LACAZE-DUTHIERS. vasculaires, aussi développés qu'ils le sont, mettre en communi- cation directe les différents habitants d’une même colonie, et faire des zoanthodèmes l’image de la communauté la plus parfaite qu’on ait jamais pu rêver. J'ai le regret de n’avoir pas rencontré un assez grand nombre d'échantillons pour tenter de nombreux essais, et arriver à re- connaître ce que j'admets, à priori, c'est-à-dire Ce qui me paraît exister sans aucun doute : la communication des parties par l'intermédiaire d’un système de vaisseaux. Il faut aussi revenir encore sur la position et les rapports des barbules et des branches. Les échantillons bien conservés sont extrêmement rares dans les collections, presque tous sont plus ou moins cassés, et ce n’est qu'au milieu des touffes que l'on rencontre quelques branches qui présentent leurs barbules mtactes. Je nomme Barbule, en général, tout appendice grêle qui n'est point ramifié, et par conséquent qui est simple; quelle que soit du reste sa longueur, aussi peut-il y avoir des barbules de moins d'un millimètre de longueur et de plus d’un décimètre; quand elles naissent, elles sont à l'origine fort semblables à des spinules, et se présentent à l'œil comme étant fort analogues à de petits tubercules. Je n'ai jamais trouvé de barbules ayant plus de 4 à 5 centi- mètres de longueur; presque toujours, quand elles mesu- rent cette étendue, elles portent déjà des barbules naissantes et commencent à devenir des ramuscules. Il n’est question 1ci, on ne l’oublie pas, que de l'Antipathes subpinnata. On peut donner le nom de ramuscule à toute petite tige qui était naguère simple ou barbule, et qui ne porte point de barbule commencant à se ramifier. Je réserve le nom de rameau à toute partie de la tige qui porte des ramuscules, c’est-à-dire qui présente trois ordres d'axes. Il est important d'établir cette nomenclature, car 1l est fort MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. {5 difficile sans cela, sans avoir quelques termes précis, d’expri- mer et de bien faire entendre ce qu’on observe. Les barbules ne sont jamais opposées les unes aux autres sur un même ramuscule. Elles sont alternes; elles ne naissent pas non plus dans un plan unique, c’est-à-dire que si l’on fait passer un plan par certaines d’entre elles et par l'axe du ramuscule qui les porte, on en laisse en dehors de lui. Mais cependant les barbules (1) ne sont point disposées tout autour de la portion de la tige qui les porte ; elles sont toutes contenues dans deux ou trois plans passant par la tige du ramus- cule, et formant entre eux des angles aigus ; de telle sorte qu’un ramuscule et même un rameau présentent dans leur ensemble une sorte d’aplatissement ; mais si les barbules ne sont pas toutes dans le même plan, il n’en résulte pas moins comme une appa- rence bipinnée, irrégulière, qui a valu à l'espèce l’épithète de subpinnaia. Il'est rare qu'il y ait plus de deux ou trois rangées de chaque côté du rameau ; ce qui fait que si l’on enlevait quelques bar- bules, elles pourraient être toutes placées dans un seul et même plan. Le rameau porte souvent, on pourrait même dire toujours, quelques barbules. Il n’est devenu rameau, en effet, que parce que les barbules se sont transformées en ramuscules en cessant d'être simples. Les barbules sont inclinées sur les ramuscules à peu près de h5 degrés, et comme successivement elles deviennent ramus- cules, rameaux et branches, celles-ci se rencontrent entre elles ou avec les rameaux en faisant des angles semblables. On n'a pas oublié quelle est la disposition des animaux ; ils sont rangés en ligne sur le côté des barbules qui regarde l’extré- mité ou le sommet du zoanthodème, c’est-à-dire sur le côté opposé à celui qui regarde la base d'insertion de la colonie. Ceci peut expliquer la courbure que présentent ces barbules ; elles (4) Voy. Ann. des se. nat., Zoo, 5° série, {. IV, pl.1, fig, 4 et 2, h6 H. LACAZE-DUTHIERS, sont en effet un peu arquées en contrebas, leur convexité répond au côté qui porte les Polypes. Toutefois, si cette explication peut être admise dans le cas présent, elle semble faire exception pour d'autres espèces. La structure des tiges est maintenant facile à expliquer. Si l’on fait une coupe perpendiculaire à l’axe, on trouve au centre un canal évident, très-variable quant à son diamètre ; cela tient à une foule de raisons, en tête desquelles il faut placer la dessiccation et la résorption dont ila été parlé précédemment. On distingue des lignes concentriques qui indiquent les sépa- rations des couches superposées de l'accroissement. On voit aussi des trainées qui représentent des ovales, qu'on reconnait être la coupe oblique d'un ramuscule ou d’un rameau recouvert et noyé par les dépôts de la couche cornée, et qui arrive quelquefois jusqu'auprès du centre de la branche. Par des coupes parallèles à la direction de la tige, quand elles tombent sur l'axe même, il est bien rare de ne pas rencon- rer des barbules ou des ramuscules, dont le canal central paraisse encore, et qui rappellent entièrement les coupes longitudinales d'une tige des végétaux ligneux des arbres, sur lesquelles on voit les nœuds ou branches pénétrer obliquement de la surface au centre. En résumé, la structure est fort simple, et toutes les particu- larités qu'elle présente s'expliquent parfaitement. Que l’on suppose à l’origine un embryon, un oozoïte d'Anti- pathes se fixant au rocher ; l’axé primitif qu'il produira, quand les blastozoïtes se formeront autour de lui, pourra être repré- senté par une barbule ; celle-ei deviendra l’axe principal par la naissance de barbules sur ses côtes, et de même plus tard pour celles-ci. Que l’on imagine des ramifications nombreuses nées successivement et donnant une grande activité vitale à la colonie, la barbule primitive sera recouverte de dépôts cornés d'autant plus nombreux, qu’elle sera la plus ancienne ; mais la formation de ces dépôts ne fera point disparaître les connections de la bar- MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. h7 bule primitive avec les barbules secondaires qui, nées sur elle et devenues à leur tour branches, auront masqué ses premières formes. Ces points d'union sont seulement entourés par les dépôts, et plus tard, quand on fait une coupe, on les découvre et rien de plus; ainsi s'expliquent ces longues traînées obliques que l’on voit dans une coupe parallèle à l'axe. Si l’on enlevait une lame mince du polypier, tangentiellement à la surface du cylindre qu'il représente, on verrait encore les barbules printitives immergées dans les tissus; mais dans ces conditions, elles paraitraient comme des petits cercles, souvent percés à leur centre d'un pértuis représentant, ainsi qu'on l'a vu, le canal primitif. Un dernier mot relativement aux épinss, On les a considérées comme élant des rameaux ou rompus, où avortés ; il suffit de se rapporter à la description précédente pour ne pouvoir admettre cette opinion. Dans quelques espèces, outre leur nombre, leur disposition, et enfin leur forme, tout s'oppose à ce qu'on puisse interpréter ainsi leur origine. Deux espèces dont il sera question dans la revue générale du groupe, ont montré des spinules, encore fort reconnaissables, recouvertes par une couche de tissu corné qui avait uni deux barbules entre elles. La croissance, en effet, est limitée, ou mieux la hauteur est bornée; elles peuvent bien être prolon- gées quand la tigelle qui les porte s’allonge, mais elles ne dépassent pas au-dessus de la surface de celle-ci une certaine hauteur, cela paraît certain; c'est d’ailleurs une conséquence de la disposition des tissus mous qui les recouvrent. On n’a qu'à jeter un regard sur le dessin où est figuré un animal entier au-dessus d’une barbule (1), pour reconnaitre que nécessairement les nombreuses spinules qui correspondent à l’espace qu'il recouvre ne peuvent être autant d'origines de branches avortées ou cassées. Leur nombre est beaucoup trop considérable pour permettre de leur attribuer une pareille origine. (4) Voy. Ann. des se, nat., Zoor., 5* série, t. IV, pl, 2, fig. 5. h8 H. LACAZE-DUTHIERS. NH Dans l’étude de la Gerardia, on a pu voir que la question du parasitisme a été longuement discutée; il y avait pour cela des raisons qui nécessitaient ces détails. Ici il est à peine utile de s'occuper de cette question. Les Antipathes recouvrent, enjétalant d'abord leur sarcosome, en déposant ensuite leur polypier, tous les corps qu'ils rencon- trent ; c’est ainsi que sur leurs tiges on trouve des coquilles, des Balanides, etc., recouvertes, et formant des masses plus ou moins irrégulières. En cela, rien de particulier ; les Gorgones, le Corail, les Zoanthaires à polypiers, tous produisent des choses analogues ; mais eux tous ont une forme spéciale arrêtée pour leurs polypiers ; aucun d'eux, comme la Gerardia, n'envahit la totalité d’un polvpier pour le recouvrir ensuite d’une couche dure, et s'approprier ainsi en totalité une charpente étrangère qui ne lui appartient pas. I n'y a donc ici rien de particulier en dehors du parasitisme habituel. + Dans les grosses bases plus ou moins étalées ou bosselées que l’on retrouve vers la racine des troncs, 1l ne faut voir que des effets de la lutte pour l'existence, ou de la loi de destruction réciproque des étres entre les Algues incrustantes, les Bryo- zoaires ou les Zoophytes d'espèces variées. Je ne répéterai point ce qui a été longuement développé à la fin du mémoire sur la Gerardia (1) et dans l'Histoire naturelle du Corail (2). Je n'ai qu'à renvoyer à ces deux travaux. Le parasitisme de la Gerardia a été tellement exagéré, que l’on a même refusé à ces animaux la faculté de produire un poly- pier. Depuis qu'a paru mon travail, j'ai pu observer une tige de Corail recouverte d’un étui corné, sécrété sans aucun doute par une Gérardie. Ce fait confirme pleinement tout ce qui a été publié antérieurement sur ce sujet. (4) Voy. Lacaze-Duthiers, Ann. des sc. nat., Zoo1., 4° série, {. IT. (2) Voy. Lacaze-Düthiers, His{oire naturelle du Corail. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 19 CHAPITRE III. ANTIPATHES LARIX. L'organisation de cette espèce n’a pas été étudiée avec tous les détails nécessaires pour que son histoire puisse être considérée comme complète. L'unique échantillon que j'aieu à ma disposition avait malheu- reusement été exposé pendant quelque temps à l'air ; son sarco- some commençait déjà un peu à se dessécher, et je n'ai pu en faire d'étude qu'après l'avoir laissé tremper dans l'eau de mer. On ne trouvera donc ici que peu de renseignements, Le sarcosome est d’une teinte plus foncée que dans l'espèce précédente ; il est presque noirâtre quand il est sec. Les lambeaux mis dans l’eau ont produit une mucosité vis- queuse comme dans l'exemple précédent. Les Nématocystes sont groupés en paquets, et leurs fils ne se dessinent point par des stries dans la capsule, le tout comme dans l'espèce qui vient d’étreétüdié e. Il ne m'a pas été possible de pouvoir reconnaître positivement la position des replis mésentéroïdes ; je le regrette vivement en raison même de la disposition si particulière qui a été signalée dans l’Antipathes bipinnata, et surtout parce que les Polypes étaient en plei e reproduction. On à dû remarquer qu'il n’a pas été question dans les études précédentes de cette fonction ; je présente ici avec toute réserve les quelques faits que j'ai observés sur l'A. lariæ laissé hors de l’eau pendant quelque temps et ramolli plus tard. Les Polypes déchirés sous la loupe ont présenté dans leur inté- rieur des lames, dont 1l ne m'a pas été possible d’étudier la dis- position avec toute la précision désirable, mais qui paraissaient couvertes de très-nombreux corpuscules ovoïdes. Sans oser affirmer la nature du contenu de ces capsules, leur 5€ série. Zoor, T, IV, (Cahier n° 4.) 4 ñ 90 H, LACAZE-DUTBIERS. ressemblance avec celles des mâles de la Gerardia m'a fait sup- poser qu’elles étaient des testicules. Leur grandeur et les cor- puseules internes qu'ils renfermaient avant le développement complet des spermatozoïdes, tout était semblable. Il m'a semblé aussi que ces capsules étaient saillantes à la sur- face des lamelles qui les portaient; mais encore une fois, pour établir ces faits positivement, je n’oserais le faire, n'ayant observé que des individus qui n'étaient pas absolument intacis. Les Polypes sont bien plus volumineux que dans VA. subpin- nata; mais du reste, comme dans celui-ci, ils sont placés sur le côté supérieur des barbules. Le port du polypier et par conséquent du zoanthodème est caractéristique de celte espèce. Le tronc est ordinairement simple, rarement une ou deux fois bifurqué. J'en ai recueilli un en mer dans le golfe de Propriano en Corse, qui avait 1°,50 de hauteur; il présentait deux bifurcations. Dans les galeries du Muséum, il existe un échantillon qui à bien près de 2 mètres et qui est indivis, on peut done considérer le polypier de cette, espèce comme étant formé d’un tronc simple, non ramifié, et tout au plus bifurqué une ou deux fois ; sans branches, rameaux ou ramuscules secondaires. Les barbules sont presque perpendiculaires à l'axe central, et si l’on regarde celui-ci directement, par la base ou le sommet, on voit qu'elles forment en rayonnant autour de lui six séries longitudinales. Je dois faire remarquer ici que, d’après le sens attribué précé- demment aux mots barbules, ramuscules, etc., il pourrait se pré- senter dans l'exemple quelques difficultés, mais elles ne seraient qu'apparentes. En effet, la barbule, avec son caractère, est bien toujours la même ; elle est grêle, indivise et sans ramification ; mais il n’est pas nécessaire pour qu'elle mérite ce nom qu'elle soit portée sur un ramuscule; point, elle peut, et l'on en à ici un exemple, être directement attachée à un tronc. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 51 Les barbules naissent directement sur l'axe principal. C’est là un Caractère de l’Antipathes lariæ. La longueur de chacune d’elles est à peu près constante, sauf vers l'extrémité des tiges où elles sont plus courtes, étant dans ce point en voie d’accroissement ; elles ont à peu près de 8 à 10 centimètres. Puisque les naturalistes voulaient, pour désigner les espèces, prendre des noms tirés des comparaisons avec les êtres du règne végétal, il eût été ici bien plus naturel de comparer l'espèce qui nous occupe maintenant à un Equisetum; la ressemblance avec ces plantes cryptogames est des plus frappantes. Ainsi l'Equisetum palustre dont la tige s'élève droite et ordinairement sans ramifications, ressemble tout à fait, quant au port, à l’Anti- pathes larix, à part, toutefois, les dispositions des pinnules qui, dans l’Equisetum, sont verticillées, c’est-à-dire naissent à une même hauteur, tandis que dans l’Antipathes elles sont spirales et alternes, et nées de loin en loin. Les épines sont infiniment plus éloignées que dans l'espèce précédente ; il suffit de comparer les figures 18 et 23 de la plan- che 4, pour être tout de suite frappé de la différence qui existe entre ces deux espèces. Du reste, pour aller d’une épine à une autre placée immédia- tement sur la même ligne, on décrit des tours de spire en passant par les épines intermédiaires tout comme dans l'Antipathes sub- pinnata. C'est surtout dans cette espèce qu'il est possible de bien voir les barbules enfermées dans les tissus cornés de la tige, car elles sont recouvertes à leur base à mesure que l'accroissement du diamètre du tronc s'effectue, aussi est-il facile dans une coupe verticale de les suivre de la circonférence jusqu'au centre. Le canal médian de la tige, plus large vers le sommet que vers la base, paraît être dû, comme il a été dit, à la résorption du tissu délicat primitif qui, en se déposant à l’extrémité, allonge l’axe; mais vers la base du tronc il se rétrécit, probablement 52 HN, LACAZE-DUTHIERS. par la compression qu’exercent les couches déposées successive- ment autour de lui. Il en est encore ici comme dans les arbres où l’on voit le canal médullaire, fort considérable dans les bran- ches, disparaître pour ainsi dire vers la base du tronc, tellement il est là comprimé par les couches ligneuses successivement déposées. RÉSUMÉ. M. Dana, dans son magnifique ouvrage sur les Zoophytes d'Amérique, a décrit la forme extérieure des animaux de deux espèces d’Antipathes, et, avant lui, Ellis et Solander avaient donné la figure de l'animal de lAntipathes spiralis. Mais aucun de ces auteurs n'avait fait connaître la structure de ces êtres restés jusqu'à nos jours tout à fait inconnus. Bien moins favorisé que pour la Gerardia, pendant trois cam pagnes en Algérie, malgré toutes mes recommandations, je n'ai pu avoir que quelques échantillons de vrais Antipathes en bon état. Mais il m'a été cependant possible de les étudier vivants et d'en faire une anatomie qui montre les différences capitales qui existent entre eux et la Gerardia, et qui par conséquent légitime en la confirmant la séparation de ce dernier genre. Deux espèces seules, l’Antipathes subpinnata et l'Antipa- thes lariæ, ont été étudiées avec leurs tissus mous. L'époque à laquelle la première a été apportée par les corailleurs n'était point celle de la reproduction, aussi n’ai-je rien à dire de cette fonction ; quant à la seconde, elle était évidemment au moment de se reproduire; ses glandes étaient turgides, mais l’état assez mauvais où elle me fut remise, ne m'a pu permettre de donner des indications suffisamment précises. Si je devais cependant formuler une opinion, je dirais que les sexes semblent être séparés. Les Antipathes sont de tous les coralliaires bien certainement MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 5h] les plus difficiles à étudier ; cela peut expliquer le peu de notions précises que la science possède encore sur eux. Ils vivent à de très-grandes profondeurs, et ne sont rapportés que par les corailleurs qui seuls pêchent sur les rochers. Leurs animaux sont formés d'un tissu tellement délicat, que la plus courte exposition à l’air suffit pour les dessécher et les faire pour ainsi dire disparaître, et comme ce n'est qu'à grand peine qu’on obtient des pêcheurs de les soigner de façon à les faire vivre jusqu'à la rentréeau port, le naturaliste éprouve de grandes difficultés pour faire sur eux des études sérieuses. Dans les deux espèces que j'ai observées vivantes, les animaux sont régulièrement disposés en lignes sur un seul côté, le côté supérieur des barbules ou dernières ramifications des polypiers ; sur les troncs leur position n’a plus la même régularité. Chaque animal a bien, ainsi que les auteurs Ellis et Dana l'avaient vu, six tentacules disposés en rosette ; ces tentacules ne m'ont jamais paru s'allonger beaucoup, et le plus souvent ils représentent six gros tubercules. Je me garde toutefois d’en conclure que dans la mer les choses soient ainsi, car on observe trop souvent que les Polypes, hors des conditions favorables à leur existence, modifient profondément leur forme par leur contractilité. Jamais je’n’ai vu le corps des Polypes s’allonger en tube au-desssus du polypier, il forme simplement un gros mamelon. Les Polypes de l’Antipathes subpinnata mesurent au plus dans leur grande étendue un millimètre. Ils sont plus grands dans l’Antipathes larix. Si je juge par l'examen de la collection du Muséum de Paris, il doit exister, relativement à la grandeur des Polypes, de grandes différences entre les espèces. Ainsi, par exemple, les échan- tillons de l'A. scoparia du Muséum portent des animaux dessé- chés fort beaux et bien plus grands que ceux des espèces dont il est ici question. Quand les tentacules sont contractés, les animaux forment des mamelons à la surface desquels on ne les distingue plus. Souvent 5 H. LACAZE-DUTHIERS. au milieu d'eux, la partie du péristome, qu'ils entourent et limi- tent, s’allonge en une masse saillante que Dana, Ellis et Solander ont déjà figurée. La cavité générale du corps offre, dans l'A. subpinnata, une disposition générale qu'il était facile de prévoir, mais qui, cependant, présente une particularité fort intéressante et tout à fait inattendue; en regardant de face et par transparence le Polype on voit, rayonnant autour de la bouche, six lignes qui correspondent évidemment aux cloisons que l'on rencontrent habituellement tout autour de la cavité générale du corps. Mais tandis que quatre de ces lignes sont très-délicates et disparaissent non loin de la bouche au milieu des tissus, deux, beaucoup plus volumineuses et opposées l’une à l’autre, portent seuls des cor- dons pelotonnés. Ces deux lignes correspondant aux lames, ou replis bordés par le bourrelet intestiniforme, sont ordinairement placées dans la direction de la longueur des ramuscules du polypier. Cette disposition est fort remarquable. Dans le développement des Actinies, on voit que la formation des loges périphériques marche dans un certain ordre. D'abord, il s’en développe deux qui conservent toujours l'avance qu'elles ont sur les autres, et qui, par cette raison, sont toujours plus marquées, et correspon- dent au milieu de la longueur de la bouche. Ici ces deux pre- mières cloisons semblent atteindre seules un entier développe- ment et prendre une prédominance complète. Les autres, sont à peine développées et laissent ainsi en évidence la première disposition embryonnaire. Un œsophage bien formé, quoique court, s'attache à ces deux replis les plus developpés ainsi qu'aux autres qui sont rudimen- taires. : Relativement à la grandeur des Polypes, le bourrelet margi- nal du repli est très-gros, mais pas très-long, 1l semble mesurer toute ou presque toute l'étendue de son bord libre quand l'ani- mal est contracté. Les tissus, qui forment les parois du corps, sont d'une délica- MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 99 tesse extrême ; les cellules qui les composent, sont les unes trans- parenteset volumineuses, sans noyaux bien apparents, et gonflées de liquide ; les autres remplies de grosses granulations. Celles-c1, en éclatant répandent leur contenu qui, en se mêlant à l’eau, donne naissance à un mucilage visqueux et filant. On ne distin- gue pas ici, ainsi que dans la Gerardia, deux couches cellulaires différentes dans les parois du corps des Polypes ; mais, à la sur- face externe comme à la surface interne, on reconnaît un mou- vement très-vif dû à un épithélium vibratile bien développé. Les nématocystes sont ovoides, volumineux, beaucoup plus gros dans les replis intestiniformes que dans les téguments; dans les cordons pelotonnés, ils sont très-régulièment disposés à côté les uns des autres, tournant leur grosse extrémité vers la surface. Le fil qu'ils renferment n'est pas long. On ne distingue pas s'il est disposé en spirale. Suivant l'axe de la capsule, on voit une ligne plus obscure et sombre qui doit tenir à la disposition du filament. Les nématocystes sont groupés dans les téguments par paquets, qu'il est facile de reconnaître dans les animaux contractés et même desséchés dans les collections. Par exemple, le tissu des- séché de l'A. scoparia paraît, à un faible grossissement, cha- griné ; si on le ramollit à l’aide d’une immersion dans une lessive de potasse ou de soude on reconnaît que chaque élévation est due à un paquet des nématocystes. Dans l'A. larix les replis ont paru remplis de corpuscules, qui, par leur transparence et leur teinte, rappelaient les capsules testr- culaires de la Gerardia ; s'il n’était téméraire de conclure d’après les observations faites sur un échantillon dans un état qui n’était pas parfait, on pourrait dire que les sexes sont séparés et portés non-seulement par des Polypes différents, mais encore par des zoanthodèmes distincts. Le Polypier des Antipathes vrais offre une particularité fort remarquable, il est hérissé de spinules que tous les auteurs ont indiquées, mais qu'ilne faut pas considérer comme des rameaux 56 H. LACAZE-DUTBRIERS. avortés ; les spinules se développent et restent spinules. Il suffit, pour s’en convaincre, d'observer les barbules encore couvertes d'animaux, surtout dans l'A. subpinnata et l'A. larixæ, qui ne présentent jamais de branches secondaires. Les spinules sont à ce point nombreuses, que sous le corps d’un seul Polype on en peut compter une centaine. Je n’entends pas dire, cependant, que l'accroissement exagéré d’une spinule ne puisse devenir le point de départ d’une barbule ; ce que je veux dire ici, c’est que nécessairement chaque spinule n'est pas le point de départ, l’origine d’une barbule, d’une ramuscule et finalement d’une branche. L'étude de leur disposition offre des données fort utiles pour la distinction des espèces, ainsi que je le montrerai dans la révi- sion générale du groupe des Antipathaires. Le tissu mou du sarcosome est tout à fait analogue à celui des parois du corps des Polypes ; il entoure de toute part le polypier qui semble être contenu-dans une sorte de gaîne ; mais quand il se contracte, les spinules le traversent comme cela a lieu pour les spicules calcaires chez quelques Gorgones. Le développement du polypier a lieu par le dépôt de couches qui se superposent sur les tiges, et qui, aux extrémités, s'emboi- tent comme des doigts de gants, mais toujours le milieu du poly- pier paraît creusé d’un canal qui, en réalité, n'existe pas à l’ori- gine. Cette apparence est due, sur les échantillons frais, à la densité moindre de la substance surajoutée aux extrémités, ce qui la fait paraître transparente, et sur les échantillons desséchés au retrait de ce tissu qui forme une cavité vide. CHAPITRE IV. RAPPORTS ET DIFFÉRENCES DES ANTIPATHES VRAIS ET DE LA GÉRARDIE. Il n'est pas sans intérêt d'opposer maintenant les caractères de la Gerardia et des Antipathes vrais; afin de montrer la néces- sité de séparer ces êtres, qu'une étude trop superficielle avait fait à tort confondre. MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 57 Le polypier offre surtout des caractères qui ne permettent aucune confusion entre les deux. Dans la Gerardia Lamarckii, à aucune époque on ne trouve d’épines sur les parties dures. Les extrémités des rameaux dans le Leiopathes glaberrima portent, au contraire, des épines, rares il est vrai, mais très-appréciables. La partie lisse de ce dernier est brillante, parfaitement glabre et inerme, comme si elle avait été polie. Dans la Gerardia, les surfaces sont très-finement chagrinées et chacune des petites élévations est déprimée à son centre et comme ombiliquées. Ces caractères différencient suffi- samment la Gérardie de Lamarck et les Léiopathes glabres. Les polypiers des vrais Antipathes (si l'on en juge au moins par les échantillons conservés dans les collections et sur les- quels il ne peut rester d'incertitude en tant qu’Antipathes) sont toujours échinulés, chargés d’épines, et leurs branches ou leurs troncs, fort variables, portent constamment des barbules qui, grèles et de longueurs diverses, sont couvertes d’épines; on ne voit rien de semblable dans la Gerardia. Le parasitisme est réel dans cette dernière, on ne le retrouve pas dans les espèces connues d’Antipathes. Aussi les polypiers de la première n'ont-ils aucune forme particulière, ils ont dès le commencement la forme du polypier d'emprunt qui leur sert de soutien ; les seconds ont un port et des formes caractéristiques, dès le premier moment de leur existence. La cause de cette différence tient spécialement à ce que le sar- cosome de la Gerardia s'étend rapidement sur tous les corps, et reste, relativement, assez longtemps avant de sécréter un poly- pier, tandis que le sarcosome des autres Antipathes s'élève de lui-même en produisant très-vite son polypier. Il n’a donc pas besoin d'un soutien d'emprunt. Les animaux n’offrent pas moins de différences. Six espèces, dans les Antipathes vrais, ont présenté constam- ment des Polypes à six tentacules. Il est très-probable que toutes les espèces, dont les polypiers sont semblables, ne doivent pas en 58 H. LACAZE-DUTHIERS,. avoir davantage. La Gerardia en a vingt-quatre. Les deux nom- bres sont, il est vrai, multiples l’un de l’autre ; et cela prouve la ressemblance et l’analogie; mais, ils sont assez éloignés pour légitimer la séparation, non-seulement comme espèce, mais très- probablement aussi comme famille. Je n'ose émettre ici que des prévisions, sans pouvoir sûrement généraliser, vu le petit nom- bre de faits connus. Des différences, non moins capitales, se présentent si l’on com- pare l’organisation interne de la Gerardia avec celle des vrais Antipathes. Il ÿ a autant de cloisons mésentéroïdes que de tenta- cules. Dans la première, dans l’Antipathes subpinnata, il ÿ à bien. six cloisons, mais deux seulement atteignent leur entier déve- loppement, en acquérant un cordon pelotonné. Ces caractères légitiment certainement assez la séparation de ces espèces, mais on peut se demander s'ils ne doivent les éloi- gner beaucoup pluset les faire placer dans des groupes distincts. La matière cassante, brillante du polypier, indépendamment de tout analyse chimique qui pourrait bien donner des caracte- res distinctifs, est à peu près la même dans les deux cas ; pour tous les naturalistes, le polypier de la Gerardia est un polypier d'Antipathaire. Les tissus mous n’offrent pas moins de ressem- blance dans les deux cas, les cellules à granulations produisent des mucosités filantes, offrant la plus grande analogie; quand on à fait l'anatomie des Coralliaires, on reconnaît bien vite que l’on à affaire à un Zoanthaire à polypier calcaire, à un Antipathaire, où à un Alcyonaire; on ne s'y trompe pas. Le groupement des nématocystes me semble encore présenter une analogie très-grande dans les deux cas. Mus je le répète, dans l'étude de ce groupe, n'ayant encore que deux espèces à opposer l’une à l'autre, il serait prématuré de vouloir d'avance dire ce qui peut exister chez celles dont nous n'avons que les charpentes dures et dépouillées de leur partie animale. © Le groupe Antipathaire me parait être plus étendu qu'on ne MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 59 le pense généralement, il doit présenter des types très-différents. Je crois même qu'il doit exister d'autres espèces ayant tous les caractères de la Gerardia, mais qui ne produisent point de polypiers. Absolument comme dans les Alcyonaires, on trouve des espèces ayant des polypiers calcaires, d’autres les ayant cor- nés, enfin d’autres, n'en ayant pas du tout comme, par exemple, la Bebryce mollis. L'étude des animaux vivants est encore trop en retard pour que, sans imprudence, il soit possible de présenter un apercu général des faits que je viens de faire pressentir, mais pour la démonstration desquels je possède déjà de nombreux documents. On s’en est tenu beaucoup trop aux dépouilles desséchées et entassées telles quelles dans les musées par les voyageurs; on doit aujourd'hui entrer largement, pour les Zoophytes comme pour les autres animaux, dans la voie de la méthode naturelle, et rapprocher à la fois les caractères fournis par les parties fugaces, qui disparaissent facilement, et les parties dures qui per- sistent; de l’ensemble de ces caractères résulteront les données sérieuses et positives permettant les classements rigoureux. des êtres. La, seulement, est la vraie méthode. Là est la science du progrès, celle qui fait pour l'avenir, celle qui établit des choses durables, et non des ouvrages encombrants que les études appro- fondies détruisent tôt ou tard, mais qu'elles sont toujours obli- gées de prendre la peine de détruire; travail inutile, au fond, et que la légèreté de ses auteurs a cependant rendu nécessaire. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE À. Antipathes subpinnata (Polypes). Fig. 1. Extrémité d'une tigelle portant exclusivement des batbules disposées dans plusieurs plaus. Cette portion de zoanthodème a vécu quelques jours dans mes aquarium, et c’est sur ses polypes que les observations ont été faites. Le sarcosome détruit en quelques points sur le gros tronc, et l'extrémité des barbules, se contracte ét permet aux animaux qui restent, par une sorte de cica- trisation' contractile, de continuer à vivre, 60 H. LACAZE-DUTHIERS. Je dois remarquer que cette figure ne représente pas précisément la forme, ni la disposition la plus habituelle de cette espèce; c’est une tige qui portait beaucoup de barbules et qui, étant bien vivante, avait servi à mon dessin. Voilà pourquoi elle a été dessinée ici, son sommet était cassé. Fig. 2. Une portion de la même, grossie, pour montrer les polypes (p, p'), placés à d’assez grandes distances sur le sarcosome de l’axe principal. On peut comparer la distance qui les sépare dans ce point à celle qui existe sur les barbules, celle-ci est infiniment moins considérable. Sur les barbules, les polypes sont pour aiusi dire en contact les uns avec les autres. Fig. 3. Une barbule plus grossie et vue de face. Je l'ai choisie à dessin pour montrer des polypes bien distincts. Chaque animal est ici éloigné en apparence, mais les cavi- tés du corps viennent au contact; ce n’est que le péristome qui se détache aussi nettement de celui des autres animaux voisins. a, le mamelon portant la bouche; b, la bouche; c, les tentacules. Fig. 4. Le même, vu par derrière, c’est-à-dire par le côté de ja barbule B. Toutes ces figures ont été calquées à la chambre claire, dans des conditions tou- jours semblables et comparables; fig. 2, grossie dix à quinze fois; fig. 3et 4, grossie vingt-deux fois. PLANCHE 2. Antipathes subpinnata (organisation des Polypes). Fig. 5. Un polype vu de profil, au microscope, grossi soixante fois. L’instrument est disposé de telle sorte que l’on observe le plan représenté par les deux lames (7) développées et qui portent les cordons pelotonnés (4). Cette figure est intéressante à bien des égards; elle présente : B la barbule qui porte les polypes et montre que cette partie du polypier semble être enveloppée dans un tube que forme le sarcosome (#). On voit la bouche en (b) à laquelle sont amenées les particules par les cils vibra- tiles de la surface du corps. Des flèches indiquent le départ des courants sur le centre de chaque polype au-dessus de la limite (2). L’œsophage (e) correspond à la ligne médiane et présente une étendue bien peu considérable. Les tentacules correspondraient à l’espace (f/). Fig. 6. C’est le même polypier que dans la figure précédente, vu au même grossisse- ment mais en dessous par le côté de la barbule opposé à celui de la bouche. On voit toujours au milieu des tissus la barbule B, et par transparence on distingue vaguement des lignes (7,7) correspondant aux cloisons intestiniformes rudimen- taires. Fig. 7. Le même Polype vu de face, du côté de la bouche ; une partie seulement de la surface du péristome est représentée : la bouche (6) a son grand diamètre dirigé lransversalement ou perpendiculairement à la direction générale des deux replis in- testiniformes (1, m). Les quatre autres lamelles ne portent point de cordons peloton- nés et se voient en (7,7, n,n). MÉMOIRE SUR LES ANTIPATHAIRES. 61 Fig. 8. Une des épines de la barbule faisant saillie au dehors des tissus quand ceux-ci se sont contractés. Grossissement beaucoup plus considérable, à peu près trois cents fois. PLANCHE 8. Antipathes subpinnata (histologie). Fig. 9. Un repli intestiniforme détaché, vu à un faible grossissement ; À, cordon pelo- tonné ; g, lame. Fig. 40. Le même, vu à un grossissement considérable. La nature cellulaire de la { lame (g) est manifeste ; surle bord du cordon pelotonné (k), on voit les gros némato- cystes qui sont placés à côté les uns des autres. Fig. 11. Portion des parois du corps d’un polype, montrant de face (c) un paquet de nématocystes ; c/, d’autres paquets un peu inclinés. (Fort grossissement.) Fig. 12. Nématocystes isolés, grossis 500 fois. d, les grosses capsules à fil intérieur du cordon pelotonné ; e, nématocystes des parois du corps avec les fils peu étendus sortis des cellules : /, un paquet isolé de ces éléments et vu de côté. Fig. 13. Cellules de la lamelle du repli intestiniforme ; les unes (a) sont remplies de granulations, les autres (b) semblent vides et transparentes. Fig. 14. Cellules un peu plus petites que les précédentes, vues au même grossissement et prises sur les parois du corps, Fig. 15. Ces mêmes cellules rompues, et leurs granulations se résolvant en une matière mucilagimeuse. Fig. 16. Les parois du corps vues du point où existent les tentacules; la disposition générale des paquets de nématocystes, au milieu du tissu cellulaire qui les constitue, semble caractéristique des Antipathes. Fig. 17. Cellules transparentes dont le contenu lui-même se résout en une sorte de matière glaireuse. PLANCHE 4. Antipathes subpinnata et À. larix (polypier). Fig. 18. Une barbule d’Antipathes subpinnata. Extrémité intacte et non cassée: les épines qui la couvrent sont disposées avec ordre. Grossissement faible, trente-sept fois. Fig. 19. Extrémité de la même barbule, fortement grossie, trois cents fois, montrant l'origine des épines (/, g), et les couches en forme de calottes qui s’ajoutent les unes aux autres pour augmenter sa largeur (A, h/). Grossissement, quatre cents fois. Fig. 20. Portion d’une barbule tout près de son insertion, sur le ramuscule qui la porte. Vu au même grossissement que la figure 19. Les épines ne sont pas encore cylindriques, elles sont plates. Fig. 24. Portion de la surface du polypier, hérissée d’épines relativement beaucoup 62 NH, LACAZE-DUTBIERS. plus longues que sur les ramuscules et les barbules ; elles sont cylindriques et quel- ques-unes sont bifurquées. Mème grossissement que la figure 18. Fig. 22. Une épine vue à un fort grossissement, pour montrer les couches de tissu emboîtées les unes sur les autres. Fig. 25. Extrémité d’une barbule dans l'Antipathes lurix, vue au même grossissement que la figure 18, pour montrer quelle différence considérable existe entre ces deux espèces relativement aux épines qu'elles portent. Fig. 24. Sommet de cette mème barbule, vu au même grossissement que dans la figure 49. Le mode d’accroissement dans les deux cas est le même, mais la disposi- tion générale est tout autre. Fig. 25. Portion grossie d’une barbule à sa base, on reconnaît que la couche de tissu interne est moins dense, et qu’elle semble correspondre à un espace canaliculaire. Fig. 26. Corpuscules particuliers tout à fait analogues à ceux que l’on rencontre quel- quefois sur le sarcosome de la Gerardia, ils n'appartiennent pas aux animaux des Antipathes. (a, b, c), à divers états de développement. Grossissement, cinq cents fois. Fig. 27. Les mêmes, vus à un faible grossissement et semés à la surface du sarcosome. RECHERCHES LA DURÉE DE LA VIE DES POISSONS HORS DE L'EAU, Par M. G. POLUTA, Professeur à l’École vétérinaire de Kharkoff (Russie méridionale). La durée de la vie des divers genres de poissons hors de l’eau est très-différente suivant les espèces. Ainsi, nous voyons l'Esturgeon vivre hors de l’eau plusieurs heures et le Brochet un peu moins, tandis que le Hareng (Clupeu pontica Eichw.) périt, dans cette circonstance, au bout d’une minute, Cependant, cela ne provient pas d’une structure différente des organes respiratoires, car si l’on décapite l'Esturgeon de manière à lui enlever les branchies avec la tête, l’animal vit encore assez longtemps hors de l’eau ; le Brochet, dans les mêmes circonstances, vit un peu moins et le Hareng meurt dans la minute de l'opération. Il est vrai que la vie qui persiste ainsi n’est que celle des animaux décapités en général, mais ce n’en est pas moins la vie, et plus le poisson décapité vit long- temps, comparativement à un autre poisson également décapité, plus le premier, s’il n’était pas décapité, pourrait vivre hors de l'eau, compara- tivement à un autre animal de même classe qui serait également intact. POLUTA. — SUR LA RÉSISTANCE VITALE DES POISSONS. 68 La longévité dépend principalement de la ténacité de la vie dans la fibre animale. Cette ténacité est en relation inverse de la quantité de l'oxygène nécessaire à l'entretien de la vie dans l'organisme, ainsi que cela résulte de l'expérience suivante. Quand on met un Esturgeon dans un vase rempli d’eau de rivière, il vit emprisonné longtemps; le Brochet, dans un vase de grandeur propor- tionnelle, vit moins de temps que le premier ; le Hareng dans l’eau non renouyelée continuellement meurt très-promptement, Cette expérience démontre que le Hareng exige plus d'oxygène pour le même poids du corps que le Brochet et plus encore que l'Esturgeon. Moins la fibre animale exige d'oxygène pour soutenir sa vie, plus elle vit sans respiration et vice versé. Les tissus du corps de l’Esturgeon exigent moins d'oxygène pour vivre que les tissus du Brochet, et à cause de cela l'Esturgeon vit sans respiration plus que le Brochet; enfin, comme le corps du Hareng pour le même poids exige beaucoup d'oxygène, il meurt, pour cette raison, aussitôt qu'il cesse de respirer. Quoique la durée de la vie des poissons hors de l’eau ne dépende pas d'une structure différente des organes respiratoires, cependant, celle-ci a une certaine influence secondaire sur la longévité de ces animaux dans l'atmosphère. En général, on peut dire que les poissons placés à l'air meu- rent, soit par l'arrêt de la circulation branchiale, soit par défaut d’oxy- gène dans le sang, ou bien par l’une et l’autre cause réunies. . Les circonstances qui sont susceptibles de prolonger la vie des poissons hors de l’eau sont : a, La forme cylindrique du corps du poisson; b. La présence de l’eau dans les chambres branchiales ; c. L'absence d’écailles sur la peau. #) Et voici ce qui la diminue : a, La forme du corps comprimée latéralement ; b. L'agrégation des branchies et de leurs feuillets en une masse; c. L'existence d’écailles sur la peau. aa. Les poissons cylindriques se couchent sur la terre tranquillement et vivent plus longtemps que les poissons aplatis latéralement, car les premiers étant couchés sur le ventre distendent leurs branchies, et quoi- qu'il n’y ait pas d'expansion complète des feuillets branchiaux, cepen- dant l'oxydation du sang s'effectue et ce liquide traverse les branchies, quoique tout cela se fasse incomplétement et avec difficulté. Les poissons dont le corps est comprimé latéralement se couchent sur le côté, et ne peuvent distendre leurs branchies que du côté opposé, encore très-incomplétement et pour peu de temps. C’est à cause de cet abaisse- ment des feuillets branchiaux, et de cette agrégation des branchies en une masse, que la circulation et l'oxydation du sang s'arrêtent sitôt, et 64 POLUTA. que l'animal éprouve tout d’un coup une insupportable anxiété et : meurt bientôt. C’est à cause de cette anxiété que l’animal, aplati latéra- lement, reste moins tranquille que les poissons cylindriques ou aplatis en dessus. bb. Quelques poissons, dont l'organisme n’exige pas beaucoup d’oxy- gène, ont les chambres branchiales conformées de façon à pouvoir conte- nir assez d’eau pour que les feuillets des branchies soient toujours flot- tants, lorsque l’animal reste hors de l’eau. Ces poissons vivent longtemps dans l'atmosphère : quelques heures et plus. Alors, chez eux la circulation branchiale est libre, quoique l'oxydation du sang soit nulle, car l’eau ne se renouvelle pas. Ils meurent par défaut complet d'oxygène dans le sang et périssent lentement, car le peu d'oxygène qu'ils ont dans le sang peut encore suffire à entretenir la vie agonisante pendant quelques instants. Le Trigon pastina L. est dans ce cas. cc. Enfin, la ténacité de la vie des poissons hors de l’eau se trouve en relation avec la ténacité avec laquelle les écailles sont implantées dans la peau. Les écailles du Hareng sont très-caduques et la résistance vitale de ce poisson est très-faible. La ténacité de la vie du ZLeuciscus blicca L. est plus grande que celle du Hareng, ses écailles adhèrent au corps avec plus de force que chez ce dernier. Les écailles de Brochet adhèrent au corps avec beaucoup plus de force que chez les précédents, et ce poisson vit beaucoup plus de temps qu'eux. Enfin, chez les Esturgeons, les Rhombus, et les Zrigon, elles sont implantées avec le plus de force et ce sont ces poissons qui vivent le plus longtemps hors de l’eau. De toutes ces observations on peut conclure que la longévité des pois- sons hors de l’eau, se trouve en rapport inverse de la quantité d'oxygène nécessaire pour le même poids du corps, mais en relation directe avec l’adhérence des écailles. Quand les observations faites dans cette direction seront plus nom- breuses, on en pourra déduire la loi physiologique générale pour les autres animaux. Ainsi nous voyons que la ténacité de la vie des Lézards, des Tortues et des Serpents est très-grande, et se trouve en relation inverse avec la quan- tité d'oxygène nécessaire pour soutenir la vie et en relation directe avec la force d'implantation des écailles. Je tâcherai de faire des recherches analogues sur les Mammifères et les Oiseaux, et je chercherai s’il. y a quelque liaison entre la ténacité de leur vie et : 4° La quantité de l'oxygène nécessaire pour la soutenir ; 2e La force d'implantation de leurs parties cornées; 3° La quantité de leurs parties cornées. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS, Par le Ir Léon VAILEAN. PREMIÈRE PARTIE. — ETUDES ANATOMIQUES. INTRODUCTION. La famille des Tridacnidés peut être regardée sans aucun doute comme lune des plus naturelles de la classe des Mol- lusques acéphalés, et si sa place dans la série de ces êtres aussi bien que ses rapports donnent lieu à des interprétations diverses, on ne peut disconvenir cependant que toutes les espèces, en petit nombre jusqu'ici, qu'elle renferme, présentant un facies des plus faciles à saisir, ne permettent pas de méconnaitre les étroi- tes analogies qui les réunissent les unes aux autres. C'est dans ce groupe que se trouvent les Mollusques acéphalés susceptibles d’attemdre de beaucoup la plus grande taille ; parmi les genres perdus, les mocérames, qui eux aussi peuvent acqué- rir un volume considérable, sont loin, cependant, d'arriver aux dimensions colossales de la Tridacne gigantesque en particulier. On serait porté à penser. en raison de cette particularité frap- pant les yeux les moins exercés, que ces êtres ont dû fixer de tout temps l'attention des observateurs et cependant les auteurs antérieurs au xvr' siècle ne paraissent pas en faire mention. 1] est vrai que les contrées où habitent ces énormes échantillons étaient peu fréquentées par les Européens aux époques reculées, et le document, qui renfermait sans doute la description des pro- duits des mers orientales, nous manque à peu près compléte- ment, je veux parler du journal de voyage de Néarque, amiral 5e série, ZooL. T. IV. (Cahier n° 2.) 1 5 _66 L. VAILLANT. d'Alexandre le Grand, ouvrage qui malheureusement ne nous est connu que par les extraits incomplets d’Arrien. Dans ce qui nous a été conservé du récit de cette intéressante navigation, nous voyons (1) qu'à plusieurs reprises les Grecs embarqués furent obligés, faute de vivres suffisants, de se nour- rir de Mollusques testacés, mais les noms cités de Moules (Mdas Oukacorovs), d'Huîtres et d’une autre espèce sans doute égale- ment bivalves (£wAñva), sont trop vagues pour permettre une détermination même approchée, Cependant un passage bien connu de Pline l'Ancien et qu'on trouvera plus bas montre évidemment que les soldats d'Alexandre avaient rencontré aux Indes des Acéphalés conchyfères dont la grande taille les avait frappés. Aristote ne paraît pas faire mention des Mollusques qui nous occupent, à peine pourrait-on supposer qu'il en eût eu connais- sance par un passage où il dit (2) : que les Testacés sont tous d’une grandeur excessive (üxés:)0n) dans la mer Érythrée, et si j'en crois quelques renseignements qui m'ont été donnés en Égypte, on trouverait en descendant sur la mer Rouge et parti- culièrement aux îles et au détroit de Jubal des Tridacnes d’une grande taille, bien que toutes celles que j'ai vues ou recueillies fussent de dimensions médiocres. Pline, auquel a été emprunté le nom de Tridacna(3), ne l'ap- (1) Voyage de Néarque des bouches de l'Indus jusqu'à l'Euphrate, ou Journal de l'expédition de la flotte d'Alexandre, rédigé sur le journal original de Néarque con- servé par Arrien, à l'aide des éclaircissements puisés dans les écrits et relations des auteurs, géographes ou voyageurs tant anciens que modernes ; traduit de l'anglais dé William Vincent par J. Billecoq. Paris, an VIIL, p. 198 et 208. (2) Histoire des animaux, ib. VIII, cap. xxvi. (Voy. trad. de Camus. Paris, 1783, t. [, p. 523.) (3) Je dois faire remarquer qu'il existe en français une certaine confusion sur le genre du mot Tridacne les uns le faisant masculin, d’autres féminin. Ainsi M. de Blainville, dans un passage, le fait d’un genre qu'il change dans un autre (voy. Manuel de malacologie et de conchyliologie, p. 152 et 544). Bruguières, en empruntant à Pline le mot Tridacna, en a fait un nominatif féminin singulier ; cependant dans le texte latin le mot est un accusatif neutre pluriel : il semblerait donc plus naturel de faire de Tri- dacné un nom masculin ; mais, comme il y aurait évidemment plus d’'inconvénients que d'avantages à modifier un barbarisme que l'usage a consacré, il est préférable, je crois, de faire ce mot féminin dans l’une et l’autre langue. : RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 67 plique cependant pas aux Coquilles ainsi désignées aujourd'hui, mais à des Huîtres ordinaires de grandes dimensions, ce terme ayant été inventé, dit-1l, chez un certain Romain par un esclave chargé sans doute d'annoncer les différents plats dans un festin. C'est au moins ce qu'on peut conclure du passage suivant : «In » Indico mari Alexandri rerum auctores pedalia (Ostrea) in- » veniri prodidere. Nec non inter nos Nepotis cujusdam nomen- » clator tridacna appellavit tanta amplitudinis intelligi cupiens » ut ter mordenda essent (4). » I est probable que, dans la pre- mière phrase, Pline fait allusion au voyage de Néarque qui lui était connu sans aucun doute, puisqu'il en donne différents extraits. Comme les Grecs appliquaient indifféremment le nom d'Huître (‘Oczpecy) à tous les Testacés bivalves à têt rugueux, il est possible qu'il soit question des véritables Tridacnes. Au milieu du xvi siècle, on commence à avoir des détails plus circonstanciés sur ces animaux, les rapports devenus plus fré- quents avec l'Orient depuis les croisades et les grandes nAVIgA- tions effectuées par les Portugais, font arriver en Europe des spécimens remarquables de la Tridacne gigantesque ; c’est vers cette époque sans doute que François I” reçut de la république de Venise les deux valves qui ornent encore actuellement l’église Saint-Sulpice. En 1555 Pierre Belon du Mans, l'un des plus illustres vOya- geurs naturalistes français, donne sur ces coquilles le premier document exact, il est même possible, malgré la brièveté de sa description, mais en tenant compte du lieu où il observa, de conclure, avec grande probabilité, qu'il s’agit ici de l'espèce désignée sous le nom de Tridacna elongata. Voici ce passage curieux où il parle de ce qu'il appelle l'Œstre de la mer Rouge (2) : « Estant un jour au Tor, village situé au rivage de » la mer Rouge, vers le costé d'Arabie, nous vismes des mon- » ceaux de coquilles de certaines OEstres. Les Caloyères jaco- » bites de là les nous nommèrent Aganon : car ils en mangent (1) Historiæ naturalis, lib. XXXII, cap. xx. :(2) La nature et diversité dés Poissons avec leurs pouriraicts représentez au plus près du naturel, Paris, 1560, p, 419 68 L. VAILLANT. » à jours maigres. Lors, il nous vint souvenance que les anciens » l'avoient nommée Tridacna, car il n’y à homme qui les scaiche » manger à un seul morceau; elles sont grandes oulire mesure » etont sept tresses à chaque coquille qui est quatre fois plus » grande que ne sont les nostres. Les coquilles sont seulement » fermées d’un nerf fort comme nos vulgaires. Aussi y a sept » coches ès environs se répondant aux sept tresses des coquilles. » L'une des coquilles est si grande qu'il y pourroit autant de » liqueur qu'un homme en boiroit à un traict. Cette OEstre est » aussi fréquente au sine arabique de la mer Rouge comme les » nostres sont en nos rivages et est quasi du mesme goust. » On doit seulement remarquer que Belon fait erreur en pensant que ce sont ces coquilles que les anciens désignaient sous le nom de Tridacna, on a vu plus baut, d’après la citation de Pline, ce qu'il faut penser à ce sujet. Quant au nom d’Aganon qui paraît bien d’origine grecque, je ne l'ai trouvé nulle autre part. Rondelet n’a guère fait que commenter le passage que je viens de citer (4). Il avait cependant, à ce qu’on peut croire, des échantillons de ces coquilles sous les yeux, car sa description des squames est plus détaillée que celle de Belon; le premier, il donne une représentation, assez grossière il est vrai, des valves et impose à ce Mollusque un nom spécial en l'appelant Concha imbricata, dénomination empruntée, dit-il, à Pline, mas cet auteur en parlant des coquilles ondulées et squameuses (2), ne paraît pas faire allusion à une espèce spéciale, au moins dans le passage auquel je renvoie (3). Rondelet montre fort bien que le mot Tridaena n'est pas employé par les Latins pour désigner la coquille dont il s'occupe, mais il interprète mal le passage de Belon, quand il fait dire à cet auteur que ce sont les cénobites arabes qui désignent cette coquille sous le nom de Tridacne. (1) Libri de Piscibus marinis in quibus veræ Piscium effigies expressæ sunt. Lyon, 1554, lib. IX, cap. xxx. (2) Loc. cit., lib. IX, cap. Li. (3) Rondelet renvoie au lib. IX, cap. 33 de Pline ; dans toutes les éditions que j'ai pu consulter et entre autres dans celle de Leipsick, ce chapitre est relatif aux Pois- sons et il n’y est pas question de Mollusques. l RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 69 Conrad Gesner (1), en 1600, n'a fait absolument que repro- duire la figure et un abrégé de la description de Rondelet qu’il cite au reste en grande partie textuellement ; seulement, il paraît résulter d'un passage (2), peu clair il est vrai, qu'il lui prête une erreur analogue à celle que celui-ci com- mettait à l'égard de Belon, en disant du premier, qu’il regarde cette coquille comme identique avec celle que Pline désigne sous le nom de Tridacne, tandis que Rondelet dit expressément le contraire. Un peu plus tard, nous trouvons ces coquilles mentionnées par Ulysse Aldrovande (3). Comme Gesner, il se borne à citer, d'après Rondelet, le passage de Belon, seul naturaliste au reste auquel on pût avoir recours, car, jusque dans ces derniers temps, ce voyageur français fut le seul qui eût vu par lui-même l'animal vivant et 1] faut arriver aux travaux de MM. Quoy et Gaimard pour avoir de nouveau quelques notions sur ces Mol- lusques dont la coquille seule était connue. Le naturaliste italien, après avoir reproduit encore la figure de Rondelet, en donne une autre d'après un échantillon qui, dit-1l, lui avait été rapporté de la mer Rouge; bien que ce dessin soit déjà beaucoup plus parfait et donne une idée fort bonne de l'apparence extérieure des Tri- dacnes, 1l serait cependant difficile de dire exactement à quelle espèce on doit rapporter cet individu. À partir de cette époque, les naturalistes, pendant assez long- : temps, n’ajoutérent rien de nouveau à cé qui était connu. Cependant Lister (4), en 1687, donna de différentes espèces d'excellentes représentations dans la partie de son ouvrage (1) Nomenclator aquatilium animantium. Zurich, 1600, p. 234. (2) « Hæc Rondelctius tanquam Plinius Tridacna india ostrea esse dixerit, quod non » dixit; sed ita de Tridacnis tanquam de altero generc, quod in Italia reperiatur locu- » tus est quoniam inter nos inquit. » (3) Ulyssis Aldrovandi philosophi et medici Bononiensis, de reliquis animatibus exanquibus; Libri quator, post mortem ejus editi; nempe de Mollibus, Crustaceis, Testaceis et Zoophytis. Bononiæ {ypis, 1642, p. 445. (4) Martini Lister, Historiæ sive synopsis melhodicæ Conchyliorum quorum omnium picturæ ad vivum delineatæ exhibentur, lib. HIT, sect. 5, cap. x, fig. 187, 188, 189, 190 et 191, 70 L. VAILLANT. De Pectunculis striatis imbricatis. Quelques-unes sont facile- ment reconnaissables, ainsi les figures 187 et 188, Pectunculus major variegatus, se rapportent à la Tridacna Hippopus, la figure190, Pectunculus admodum tenuiler imbricatus, est évidem- ment la Tridacna crocea ; ilest plus difficile dans les formes moins tranchées que représentent les figures 189 et 191, de savoir quelles espèces on a voulu figurer, la première pourrait être la T. squamosa, mais les raies intercostales ne sont pas marquées, oubli peu probable puisqu'elles sont très-nettes dans cette espèce et que les figures de cet ouvrage se font remarquer par leur exactitude , la figure 191 représente sans doute la Tridacna gigas réduite. Linné (1) ne reconnut, dans son Systema naturæ, que deux espèces, il les plaça dans son genre Chame; j'aurai l'occasion, dans la suite de ce travail de revenir en détail sur ces idées, et je ne crois pas devoir m'y appesantir ici. La même raison m'en- gage également à ne faire que signaler maintenant les noms de Chemnitz (2). de Lamarck (3), de Cuvier (4), de Deshayes (5), de de Blainville (6), de Quoy et Gaimard (7), de Woodward (8), de Reeves (9), qui ont tous plus ou moins contribué à la con- naissance soit des espèces, soit des détails anatomiques et zoolo- giques qui se rapportent à cette intéressante famille, mais les travaux de ces différents auteurs sont si intimement liés à ce que j'aurai à exposer, que les citations trouveront mieux leur place dans le cours de ce mémoire. (4) Systema naturæ, édit. Gmelin, Lyon, 1789, t. I, p. 5299. (2) Neues systematisches Conchyliencabinet. Nuremberg, 1784, t. VIL, pl. 49, 50, 204. (3) Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, 2° édit., par MM. G. P. Deshayes et H. Milne Edwards. Paris, 1836-1845, t. VII, p. 5. (4) Leçon d'anatomie comparée, pass. (5) Encyclopédie méthodique, Vers MoLLuSQUES, t. III, p. 1044. (6) Manuel de malacologie et de conchyliologie. Paris, 1825, p. 543. (7) Voyage de l’Astrolabe, ZoovoGie. Paris, 1835, t. IT, p. 483. (8) Description of the Animals of certain Genera of Bivalve Shells (the Annals and Magazine of Natural History, 2° sér., 1855, t. XV, p. 100). (9) Conchologia iconica. Monogr. of gen. Tridacna and Hippopus. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS, 71 Les Tridacnes sont des Mollusques acéphalés qui, suivant toute probabilité, sont fort sédentaires, le poids de l'animal est sans doute un obstacle à sa mobilité attendu qu'à tout âgé il paraît très-disproportionné à la force musculaire de son pied. On a cru pendant assez longtemps qu'ils vivaient suspendus aux rochers par leur byssus, mais, suivant le récit de différents voya- geurs (A) et d'après ce que j'ai pu observer par moi-même, rien ne paraît moins probable, et, dans tous les cas, le fait n’est pas exact pour la Tridacna elongata. Cetie espèce, très-commune dans la baie de Suez, vit enfoncée dans le sable de facon à ne laisser apparaître que l'ouverture dentée de son limbe, la lunule est tournée par conséquent en bas et au moyen du pied et du byssus que l'animal fait passer par l'ouverture dont la coquille est munie en cet endroit, 1l agglutine le sable et les pierres, parfois se fixe aux roches sous-jacentes et se trouve en quelque sorte ancré en un point où sans doute il fait un séjour pro- longé. Isne paraissent pas cependant rester toujours absolument à la même place, car les plongeurs savent fort bien que ces animaux sont en général d'autant plus volumineux qu'on va les chercher à une plus grande profondeur, ce qui porterait à penser que, au fur età mesure qu'ils augmentent de volume, ces êtres gagnent des points où la tranquillité des eaux étant plus grande ils sont moins exposés à l’action des vagues. D'après le récit des voyageurs, les énormes-échantillons qu'on rapporte assez fréquemment en Europe se trouvent d'ordinaire à plus de cent pieds de profondeur ; d’autres, au contraire, comme la Tridacna hippopus (2), restent souvent à sec sur les récifs à la marée basse. Certains individus, au lieu de s’enfoncer dans le sable, se fixent sur des madrépores quai finissent par les enye- lopper ; c'est ce qui a lieu pour la Tridacne safranée (3); on comprend que ce genre de vie pour une coquille qui ne paraît pas perforer d’une manière active gène singulièrement dans certains cas son développement et peut causer ces variations de (1) Quoy et Gaimard, Voyage de l'Astrolabe, Zoo1., t. IF, p. 484. (2) Id., bid., p. 494. (3) Id., ibid., p. 489, 72 L. VAILLANT. formes souvent frappantes que présente parfois une même espèce. L'écartement des valves, lorsque l'animal enfoncé dans le sable se trouve au repos, est considérable ; sur un individu de 12 centimètres 1/2 de long, que j'ai observé avec soin sous ce rapport, la distance mesurée du sommet d’une dent au fond de l'échancrure correspondante était de 0",025, ce qui donne une ouverture notable si on se rappelle que les Mollusques acéphalés pour la plupart n'ouvrent que très-faiblement leur coquille ; dans l'Huître par exemple, l'écartement est à peine de quelques mil- limètres, il en est de même pour la Moule, les Anodontes, les Cardites, etc., et c'est une supposition toute gratuite que de penser, comme d’'Orbigny (1), que l’une des valves d’un Acé- phalé quel qu'il soit pourra faire avec l’autre un angle de A5 degrés lors de l'ouverture, cela n'a lieu que chez les Mollus- ques morts et après la dessiecation du ligament. Cet écartement des valves est si constant chez les Tridacnes que dans quelques cas l'animal paraît pouvoir perdre la faculté de fermer sa coquille ; je possède une Tridacna elongata, chez laquelle, par suite de sécrétions pathologiques, les dents et les parties voisines de la charnière ont pris un développement tel qu’elles s'opposent complétement au rapprochement des bords du limbe; le temps nécessaire à la sécrétion de ces parties indique assez que l'ani- mal n’a pas succombé trop rapidement aux suites de cette situa- tion anormale. Cela, on doit le remarquer, se comprend mieux pour la Tridacne que pour toute autre coquille, puisqu'on voit chez un grand nombre d'individus le même fait se reproduire, bien qu'à un moindre degré, par suite de l’occlusion toujours plus où moins incomplète des valves dont les dents et les échan- crures souvent irrégulières sont loin, dans le plus grand nom- bre des cas, de permettre un rapprochement exact. Par la large ouverture ainsi produite, l'animal fait sortir les bords richement colorés de son manteau, au point de cacher sous ceux-ci toute la partie de la coquille qui n’est point enfoncée 4) Paléontologre française : Terrains crélacés, pl, 548, fig. 10. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 73 sous le niveau du sol ; c’est là ce qu'on aperçoit de l’animal lors- qu’on l’examine sur les fonds qu'il habite. Tous ceux qui ont pu voir les Tridacnes à l'état de nature ont toujours été vivement frappés par le merveilleux spectacle qu’elles présentent, et c’est en réalité un des effets les plus surprenants qu'on puisse imagi- ner. Lorsque la tranquillité de la surface des eaux et l'intensité de la lumière permettent d'observer les fünds, ce que la trans- parence de la mer rend souvent possible de faire aisément jusqu'à plus de 4 ou 5 mètres, il est difficile de se figurer la richesse des couleurs que présentent ces animaux et leur éclat dont les pierres précieuses peuvent seules donner l'idée. Ces animaux sont désignés à Suez par les Arabes sous le nom d'Arbi-nem-bous ; on les pêche en plongeant. Ces Mollusques sont assez estimés comme aliments; leur goût, surtout pour les parties musculaires, rappelle beaucoup celui des gros Crus- tacés comestibles tels que le Homard, mais la chair est plus tendre au moins pour ce qui est du gros muscle adduc- teur, qui passe à Juste titre pour la partie la plus délicate, les bords du manteau sont au contraire coriaces. On se sert aussi de la coquille pour fabriquer de la chaux, et dans les ateliers de la compagnie péninsulaire j'ai pu voir des amas très-considérables de valves destinées à cet usage; toutefois, d’après ce qui m'a été dit, l'emploi de ces matériaux laisserait à désirer et l’on ne se servirait plus de ces coquilles qu’en les mélangeant avec des pierres à chaux ordinaires. Une autre remarque qui pourrait peut-être avoir un côté pra- tique est la propriété que possède la Tridacne allongée, et pro- bablement les autres espèces, de temter l'alcool d’une couleur rouge violet fort belle ; après avoir laissé longtemps l'animal séjourner dans le liquide conservateur et l'avoir changé deux ou trois fois, cette propriété s'affaiblit, enfin il ne donne plus qu’une teinte verte; on peut remarquer celle-ci sur plusieurs des indi- vidus rapportés par MM. Quoy et Gaimard dans les collections du Muséum. Pourrait-on extraire de ces animaux une matière colorante usuelle comme on la fait d'autres Mollusques, c’est ce que des recherches ultérieures pourraient seules faire savoir, 74 L. VAILLANT. mais dans ce cas, grâce à son volume, l'animal se prêterait mieux qu'aucun autre à une exploitation régulière. L'histoire de la famille des Tridacnidés que je présente iei se divise en deux parties. Dans la première, je m'occuperai de ces animaux au point de vue anatomique, en profitant de ce que différents zoologistes ont publié à ce sujet, et des observations qu'il m'a été possible de faire, soit pendant mon séjour à Suez sur la Tridacna elongata, soit sur les différents échantillons con- servés dans les galeries du Muséum, lesquels m'ont été commu- niqués avec une obligeance dont je me plais à témoigner ici toute ma gratitude. Dans la seconde, je chercherai à jeter un coup d’æil sur la compréhension zoologique de cette famille, en discutant la valeur des genres et des espèces admises jusqu'ici par les auteurs. CHAPITRE PREMIER. Description générale. — Manteau, structure de la coquille. Avant d'aborder l'étude anatomique des Tridacnes, il est indispensable de s'entendre sur la position à donner à l'animal. Je crois devoir entrer dans quelques détails à ce sujet, parce que, dans le cas particulier des êtres qui nous occupent, la forme est assez anormale pour avoir trompé les couchyhologistes, qui parfois les ont orientés même contrairement aux systèmes qu'ils adoptaient. On décrit, comme l'on sait, les Mollusques acéphalés dans trois positions principales, en négligeant la méthode de Linné et de Lamarck généralement abandonnée aujourd’hui. Les uns, avec M. Deshayes, placent l'animal, les palpes labiales et le ganglion œæsophagien dirigés en haut, les siphons et le ganglion branchial par conséquent dirigés eu bas, ce qui paraît très-rationnel au point de vue anatomique. D’autres, comme d'Orbigny (4), le (1) Paléontologie française : Terrains crétacés, t. HI, p. 3, 1843. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 75 disposent en sens inverse, s'appuyant sur ce fait que dans la nature c’est la position qu'occupe fréquemment l'animal à l'état de repos. Il faut dire que pour la Tridacne, si l'on voulait pren- dre la position qu’elle occupe à l’état vivant, il faudrait disposer la coquille les crochets et la lunule où se trouve l’échancrure pour le pied directement en bas, car c’est ainsi qu'elle se tient enfoncée dans le sable, comme je l'ai dit plus haut; cela ne serait en rapport avec aucun des deux systèmes précédents, mais plutôt avec celui de Linné. Une troisième méthode, qui est celle de de Blainville (4),consiste à supposer l’animal marchant devant l'observateur les crochets en haut, l'ouverture du limbe en sens inverse, cette position est celle des Mollusques gastéropodes et de tous les animaux dont la progression se fait en rampant, le pied se trouve alors en bas ; mais il faut remarquer que pour les Tri- dacnes en les plaçant les crochets à la partie supérieure le pied se trouve en avant et en haut ; cette position n’est pas du reste aussi anormale qu'on pourrait le croire au premier abord, puis- que dans les Avicules, les Marteaux et un grand nombre d'autres Mollusques acéphalés monomyaires byssifères, il en est ainsi. Toutefois si, au point de vue de l'orientation des animaux, cette situation parait, sans contredit, la plus convenable, au point de vue des représentations anatomiques, elle peut présenter quel- ques inconvénients. Comme on pourra mieux en juger plus tard les Tridacnes heurtent plus ou moins chacune de ces méthodes, et c’est sans doute cette difficulté qui a fait hésiter les auteurs. M. Deshayes, dans son atlas du Règne animal de Cuvier (2), où les figures sont disposées d’après sa méthode, place l’échancrure des valves qu'il considère naturellement comme étant la lunule en haut; c’est aussi la position adoptée par M. Pictet (3) qui, cependant, se rattache à des idées tout à fait opposées puisqu'il suit la méthode de d’Orbigny. Le premier auteur a été sans doute dirigé par les considérations tirées de la coquille, mais, comme on le verra, (4) Manuel de malacologie et de conchyliologie. Paris, 1825, p. 275. (2) Règne animal de Cuvier, grande édition, MoLosQuEs, atlas, pl. 96 et 97. (3) Traité de paléontologie, atlas, pl. LXXXEL, fig, 412. 76 L. VAILLANT. il dispose le Mollusque par rapport au systeme nerveux contrai- rement à ses principes ; le second a peut-être eu égard à la position de l'animal, car il place le Mollusque, le siphon bran- chial en haut ; or, c'est le courant établi par cette ouverture qui, au point de vue physiologique, doit donner l'orientation réelle des Mollusques acéphalés. En effet, sit nous examinons un de ces êtres dont la position soit facile à reconnaître, comme par exem- ple une Pholade, une Mactre, une Vénus, ete., il semble que ce qui détermine, en quelque sorte, l'axe normal du Mollusque, c’est la direction des siphons et surtout du courant afférent que l’on doit placer, suivant M. Deshayes, de telle sorte qu'il se dirige de bas en haut; suivant d'Orbigny, de haut en bas; c’est d’au- tant mieux l’axe réel, que la position de l’animal étant donnée par le dernier vestige de la tête, c'est-à-dire la bouche ; le cou- rant qui amène la nourriture à cette dernière doit en donner la direction. Chez les Tridacnes, comme on va le voir plus loin, l’ouverture afférente correspond à peu près à l'extrémité située du côté de la lunule en disposant le courant de facon qu'il se dirigeàt de bas en haut, celle-ci devrait done être placée à la partie inférieure et le Higament à la partie supérieure. La méthode de de Blainville est, je crois, préférable au point de vue descriptif, parce que tout en admettant qu'elle ne soit pas réellement l'expression de la situation normale des Mollusques acéphalés, elle paraît avoir l'avantage de mettre ces êtres dans une position qui les rend plus facilement comparables aux ani- maux des groupes voisins. D'ailleurs les auteurs que je citais plus haut me semblent abandonner leurs principes lorsqu'il s’agit de coquilles telles que les Huîtres, les Peignes, les Vul- selles, etc. (1), qu'on à toujours coutume de figurer et de décrire la charnière directement en haut, ne serait-il pas plus simple dès lors d'admettre cette convention pour toutes les espèces. Ainsi donc je supposerai dans la description la coquille placée la charnière en haut et le ligament en arrière, c’est ainsi qu'est (4) Voy. Règne animal de Cuvier, grande édition, MorLusques, atlas, pl. 72, 75, 82; Pictet, loc. cit,, pl. LXXXIIT à LXXXV. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 71 disposée la figure d'ensemble qui représente l'animal entier (4). Quant aux figures anatomiques il est souvent préférable d'adop- ter une autre position qui réponde à l'axe physiologique de l'être, c'est-à-dire, comme je l’ai exposé plus haut, de manière que l'ouverture afférente soit dirigée en bas suivant la méthode de M. Deshayes ; l'animal dans sa coquille est alors disposé de telle sorte que la charnière se trouve placée en haut et en avant (2), bien entendu, cette position ne change en rien la termmologie d'orientation, le haut de l'animal répond toujours aux crochets, le côté antérieur à la lunule ; d’ailleurs, cette facon différente de représenter l'animal, suivant qu'il s’agit d’une figure de zoolo- sie où d’une représentation anatomique, est usitée dans presque toutes les recherches du même genre; lorsqu'il s’agit d'orienter un reptile, un poisson, uu insecte, etc., les faces supérieure et inférieure, les côtés antérieur et postérieur ne font de doute pour personne, mais si l'on veut en donner une représentation anato- mique, figurer le tube digestif, le système nerveux, on place généralement l'animal dans une position arbitraire, la portion céphalique en haut, la partie postérieure en bas; la manière dont j'ai disposé les figures me paraît répondre à cette con- vention. Cette manière de faire présente sans doute des imperfections, ainsi dans certaines figures anatomiques, le côté postérieur se trouvera dirigé en haut, le côté antérieur en bas; une position inverse serait certainement plus logique, mais la disposition de l'animal dans sa coquille, le retournement singulier qu'il a subi, font que quelle que soit la méthode à laquelle on se rattache, elle offre des inconvénients plus ou moins graves, celle que j'ai adoptée me paraît, en somme, la moins défectueuse. Je laissera de côté, pour le moment, l'étude descriptive de la coquille, elle trouvera mieux sa place dans la seconde partie puisque c'est sur elle que repose presque exclusivement la dis- tinction des espèces, et avant de passer à l'étude détaillée des (A) PL 8, fig. 4. (2) PI, 9, fig. 4 75 L. VAILLANT. systèmes organiques, je décrirai le manteau en indiquant la manière dont l'animal y est placé; cependant, lorsqu'il sera question de la structure histologique de cette enveloppe, je par- lerai au même point de vue de la coquille qui n’en est qu'une dépendance. Le manteau des Tridacnes, comme celui des autres Mollusques acéphalés, reproduit assez exactement la forme de l'enveloppe dure extérieure à laquelle il adhère ou est contigu sur la plus grande partie de son étendue. Il est construit sur le type de celui des Mollusques dont Cuvier avait fait sa grande famille des Camacées, et présente par conséquent trois ouvertures une antérieure et supérieure pour le pied, ouverture pédieuse (1), une tout à fait antérieure et située à peu près juste au-dessous dé l'axe antéro-postérieur de la coquille c'est l'ouverture bran- chiale où afférente (2); la troisième inférieure répondant au milieu de l'ouverture des valves, c'est l'ouverture anale ou effé- rente (3). En tenant compte de la structure et de l'aspect on peut lui distmguer deux parties : la première en rapport avec la con- cavité des valves y est appliqué à l'état normal, si bien qu'on pourrait regarder la coquille comme représentant en quelque sorte l’épiderme endurei de cette partie de la peau ; l’autre au contraire, répondant à l’ouverture'du limbe, est en rapport avec l'extérieur. La première partie est située en dedans de la ligne d'insertion du muscle palléal (4), aussi la désignerai-je parfois sous le nom de portion intramusculaire ; l'autre en dehors, on peut l'appeler portion externe. | Par un examen même superficiel, on voit que ces deux por- tions different notablement. La partie intra-musculaire est lisse, mince, transparente, jaunâtre ou blanchâtre comme le sont en général les parties placées en dehors de l'influence de la lumière. L'autre au contraire est épaisse, ornée de tubercules (1) P1-8, fig. 1% OP. (PIB fe 12 0. (3) PI. 8, fig. 4 : OA. (4) PL. 8, fig, À : mp. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 79 et parée de ces brillantes couleurs qui, comme je l'ai dit en com- mençant, ont si vivement frappé tous les naturalistes lorsqu'ils ont eu l’occasion d'examiner ces animaux à l’état de vie. Au point de vue de la structure, chacune de ces portions montre encore dés différences en rapport avec ses fonctions comme té- güument. La partie externe est revêtue d'une couche épaisse d'épiderme, siége de la coloration, couche protectrice qui était inutile pour la portion en rapport avec la coquille ; je reviendrai plus bas en détail sur ces faits, en parlant de la strücture histo- logique du manteau. Toutefois ces différences ne sont pas aussi absolues qu'on pourrait le croire d'après cette description, attendu qu'il existe entre le muscle palléal et la partie du manteau qui répond réellement à l'ouverture des valves une portion -qui fait le pas- sage de l’une à l’autre. Celle-ci, sans adhérer à la coquille, est cependant protégée par elle et en rapport avec la partie qui avoisine le limbe. Iei la coloration existe bien, mais elle est cependant beaucoup moins marquée, et au lieu de riches cou- leurs c’est une teinte sombre de plus en plus affaiblie à mesure qu'on se rapproche du muscle palléal, c’est-à dire qu'on exa- ine des portions qui se trouvent en rapport plus intime avec la coquille. Sur cette partie intermédiaire, l’épiderme n’en existe pas moins comme sur la partie externe proprement dite, mais sans atteindre la même épaisseur. La portion intramusculare (1) transparente est formée d’un tissu surtout composé de cellules; on y distingue, cependant, un certain nombre d'éléments qui ressemblent beaucoup à des fibres laminenses groupées en faisceaux formant une sorte de réseau incomplet à mailles irrégulières. Chacun de ces fais- ceaux (2) est épais de 0"",0087, et parait constitué par deux fibres placées côte à côte. L’intervalle des mailles est comblé par un üssu formé des cellules dont je viens de parler, ce sont des éléments arrondis (3), simplement tangents par leurs circonfé- (4) PI 49, fig. 2. (2) PL 12, fig. 2 : d. (3) PI, 42, fig. 2: 6, 4. 80 E, VAILLANT, rences et dont les interstices sont remplis par une matière amor- phe finement granuleuse. Ces cellules mesurent 0"",014 à 0"",012, et sont pourvues d'un novau transparent de 0"",005 à 0"",006. On trouve en outre des corpuscules jaunâtres (1), plusréfrngents mesurant 0"",008 et montrant dans quelques cas un noyau moitié plus petit de 0"",004, ils paraissent d'autant plus nombreux que la partie est plus colorée. Au milieu du tissu ainsi constitué se voient une grande quantité de vaisseaux (2), la plupart ont 0"",082 environ, 1l y en à d’un tiers plus petits, ce sont les plus fins; ils se réunissent en des troncs beaucoup plus gros, bien visibles à l'œil nu, puisqu'ils peuvent atteindre 4 mil- limètre. Ceux d’un diamètre moyen (3), que leur transparence et celle des tissus voisins rend faciles à observer à un grossisse- ment suffisant, paraissent tapissés d'un épithélium très-analogue à celui qui forme le tissu propre du manteau, mais à cellules un peu plus petites, et présentant cette différence frappante qu'elles se compriment mutuellement de manière à devenir polyédriques. Quelque soin que j'aie mis à examiner ces vaisseaux, il m'a été impossible d'y découvrir une paroi propre autre que ces cellules, qui au reste leur donnent un contour très-net; on est donc porté à admettre qu'ils sont comme creusés dans le tissu palléal et y forment des sinus plutôt que des vaisseaux proprement dits. Au point de vue de la contractilité, ce tissu comparé à presque tous les autres du même animal est mal partagé, je n’a pu y reconnaître de fibres musculaires distinctes, et sa contractilité aux excitants mécaniques paraît nulle. Outre ces différents élé- ments la face interne de la portion intra-musculaire du man- teau est pourvue d’un épithélium à cils vibratiles que j'ai ren- contré sur la plus grande partie de son étendue, ce qui paraît en rapport avec les fonctions de cette partie pour la respiration. Ou trouve assez fréquemment dans l'épaisseur de cette mem- brane des concrétions calcaires qui ne sont autre chose que les perles de la Tridacne, elles sont mates comme l’intérieur de la (A) PL 42, fig.2:0,c. (2) PL 12, fig. 2 : a, w. 2 (3) PL 12, fig. 2 : a. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 81 coquille, la plupart du temps petites ne dépassant pas 1 ou 2 mil- limètres de diamètre, cependant j'en ai trouvé qui atteignaient 6 à 8 millimètres et du poids de 0%,4 bien que les animaux, que J'ai eu l’occasion d'examiner, fussent comparativement de très- petite taille. MM. Quoy et Gaimard (1) disent en avoir vu d’assez grosses, mais sans en donner les dimensions exactes; 1ls ajoutent que dans certains pays, aux Indes, aux Moluques, aux îles Ma- riannes, ces productions sont regardées comme fournies par les plantes et se trouvent dans les noix de Coco. Sauf le cas anor- mal où ces concrétions se rencontrent, les éléments du man- teau traités par l'acide acétique ou l'acide chlorhydrique palis- sent sans donner lieu à aucune effervescence. C’est à cette portion du manteau que se rapporte l'organe qui sécrète la charnière et que je désignerai sous le nom d’organe sécréteur cardinal (2). C’est une masse claire, transparente, d'apparence gélatiniforme, qui représente le moule en creux des différentes parties de la charnière ; elle offre surtout un prolon- gement (3) qu'on remarque tout d'abord et qui se dirige en avant pour se placer dans la fossette de la valve droite en dessus de la dent cardinale. La structure de cette partie ne diffère que peu de celle du reste du manteau , mais les vaisseaux artériels y sout très-nombreux, on peut les remplir avec une grande facilité dans les préparations du système vasculaire et l'organe prend complétement la couleur de la matière injectée. Les plus fins de ces vaisseaux ont 0"",011 à 0"%,042 , ils sont sinueux, paraissent légèrement moniliformes, au moins après l'injection, les anasto- moses sont fréquentes, les mailles du réseau allongées, mais d’une largeur si faible que souvent il y a contiguïté Immédiate. Bien que ces vaisseaux soient en connexion directe avec le sys- tème artériel, la paroi propre n’est pas possible à reconnaitre. La portion du manteau située en dehors de l'insertion palléale se divise elle-même en deux parties, l’une qui continue la por- tion intramusculaire et qui, je lai dit plus haut, s'applique (4) Loc. cit., p. 485. (2) PL. 8, fig. l:osc. (3) PI. 8, fig.1:e. 5€ série. ZooL. T. IV. (Cahier n° 2 ) À À 6 82 L. VAILLANT. contre la face interne de la coquille voisine du limbe, je la dési- gnerai sous le nom de portion marginale, c’est elle qui fait le passage entre la partie intramusculaire et la seconde portion tout à fait extérieure; celle-ci, qu'on peut appeler portion externe proprement dite, remplit toute l'ouverture dentelée des valves, fait même saillie au dehors à l'état de repos, et présente les trois ouvertures. La portion marginale est presque incolore dans le voisinage du muscle palléal ; plus elle se rapproche de la partie externe, plus elle prend une teinte brun sépia, elle finit même tout à fait sur le bord Libre par présenter des taches d’un vert-émeraude brillant (4). Vers le milieu de sa largeur, cette partie présente sur toute son étendue un double repli blanchâtre (2), transpa- rent, légèrement festonné, dont l'usage ne m'est pas exactement connu mais qu'on peut supposer, vu sa ressemblance avec la portion intramusculaire, comme en rapport avec la sécrétion de la coquille ; c’est là une vue tout à fait hypothétique qui deman- derait confirmation. Cette disposition est sans doute celle à la- quelle MM. Quoy et Gaimard (3) font allusion lorsqu'ils disent : « On remarque de chaque côté du manteau et dans toute sa lon » gueur, à l'endroit où il laisse la coquille, un repli mince qui » semble quelquefois passer à l'état calcaire. » Ce dernier fait semblerait confirmer l'hypothèse émise plus haut, cependant je n'ai jamais été à même d'en constater de nouveau la réalité. Ce repli, suivant les mêmes auteurs, n'existerait pas chez l'Hippope, ce que j'ai pu également vérifier. La portion externe proprement dite du manteau occupe toute la circonférence de l'animal, sauf au point où existe l'organe sécréteur cardinal, c'est-à-dire là où le Mollusque est en rapport avec la charnière. Elle présente en avant et en haut l'ouverture pédieuse (4), répondant à l'échancrure de la lunule ; tout à fait à (DEL, He 1710) (2) PL 8, fig. 1: a. (3) Loc. cit., p. 483. (4) PL 8, fig. 4 : or. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 83 la partie antérieure, l'ouverture du courant afférent (1) ou ou- verture branchiale ; en bas, l'ouverture du courant efférent ou ouverture anale (2) située à peu près exactement au milieu de la longueur de l'animal. Cette partie extérieure du manteau n’est pas tendue horizontalement entre l'ouverture des valves, mais se creuse en gouttière, il en résulte que ses portions latérale s'élèvent de chaque côté de la partie médiane rentrée à l'inté- rieur, c'est pourquoi en regardant l'animal de côté on ne peut voir les ouvertures branchiale et anale. La couleur de cette par- tie dans la Tridacne allongée est d’un vert émeraude très-riche marqué de taches brunes, sur ce fond se détachent de fines lignes d'un jaune d’or brillant disposées suivant la longueur, si ce n'est au pourtour des ouvertures branchiale et anale qu’elles entourent circularement. Les parties latérales saillantes, lorsque l'animal est tout à fait tranquille, débordent largement le limbe des valves qu'elles recouvrent en partie, de telle sorte, comme on l'a dit très-justement, que l’animal semble être trop gros pour sa coquille ; c'est à cette disposition, par suite de laquelle les bords des deux valves sont habituellement écartés, qu'on doit rapporter sans doute le défaut d'harmonie qui existe entre eux, d'où résulte toujours une occlusion très-incomplète, ce qui a frappé tous les observateurs, le fait n'étant pas habituel parmi les Mollusques acéphalés. Sur le pourtour de ce bord saillant la couleur verte forme un liséré continu relevé par une série de taches noires très-régulièrement disposées ; dans le voisinage, mais plus en dedans, se trouvent en outre de gros tubercules saillants (3), marqués aussi d’un point noir; ils sont plus nom - breux près de l'ouverture branchiale et représentent les tenta- cules oculiformes. L'ouverture pédieuse a exactement la forme de l'ouverture de la lunule, en face de laquelle elle est placée, mais l'épaisseur du bord palléal en cet endroit diminue beaucoup les dimensions de . cette dernière, de telle sorte qu'à l'état de repos il n’y a place que (1) PL 8, fig. 1 : o8. (2) PI. 8, fig. 4, et pl. 41, fig. 2 : oA. (3)PL. 8, fig. 4 : fo. Sl L. VAILEANT. pour le passage du byssus. Le pourtour est orné d’un grand nom- bre de tentacules (4) blancs, hyalins, présentant à leur extrémité libre une tache vert d'eau qui se marie très-agréablement avec la teinte opaline de l'organe. Ces tentacules longs de 4 à 5 mil- imètres, larges à la base de 2 à 3, sont disposés sur plusieurs rangs, trois ou quatre, et plus nombreux et plus longs à la par- tie postérieure de l'ouverture près des crochets. Leur usage est sans doute de servir au toucher, c’est ce qu'il est permis de supposer en voyant qu'ils sont en rapport avec les objets sur les- quels l’animal repose ; il est certain qu'ils sont excessivement sensibles à toute excitation, ce dont il est aisé de s’assurer, leur position les rendant facilement accessibles à l’expérimentateur. La face interne de l'ouverture pédieuse (2) est jaunâtre, bosselée, ce qui lui donne l'aspect glandulaire, mais l'examen histolo- gique ne m'a pas paru confirmer cette vue et elle ne semble pas différer d'une manière notable sous le rapport de la structure du reste du manteau. Les fibres musculaires réunies en fais- ceaux y sont très-nombreuses; elles paraissent surtout avoir pour : objet de faire mouvoir les tentacules. L'ouverture branchiale (3) est la plus compliquée et la plus grande des deux perforations par lesquelles s'établit le courant auiritif. Examinée lorsque l'animal, parfaitement tranquille, la laisse largement ouverte, sa forme est celle d'un ovale allongé de haut en bas, et non circulaire; elle ne fait presque pas saillie à l'extérieur , son bord, qui supporte de nombreux tentacules, est à peine relevé. Ses dimensions sur un animal de 46 centi- mètres de long étaient de 5 centimètres sur À centimètre envi- ron. Le pourtour en est orné sur toute son étendue de nombreux tentacules (4) simples ou branchus et, dans ce cas, tantôt en croix, tantôt en feuille de trèfle, tantôt en Y; les tentacules simples sont les plus courts, et alternent généralement avec les autres d’une façon assez régulière ; les plus allongés mesurent à (1) PL 8, fig. 4 : tp. (2) PI. 8, fig. 1 : f. (3) PL 8 et pl. 11, fig. 2 : 08. (4) PI. 9, fig. 3. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 89 peu près de 3 à 5 millimètres. Lorsque l'animal est au repos, ces organes sont dressés obliquement, de manière que ceux d'un des bords viennent au contact de ceux du bord opposé, bien entendu dans le sens du petit axe de l’ovale, les tentacules situés aux extrémités du grand diamètre n'ayant pas des dimensions suffi santes pour se rejoindre; il en résulte que l'ouverture est de beaucoup diminuée, ou mieux fermée incomplétement comme par un grillage; cependant elle doit parfois devenir plus libre pour admettre des fragments de végétaux assez considérables qu'on retrouve dans l'estomac. Ces tentacules sont d'un brun verdâtre, fort élégamment marqués de lignes d’un jaune bril- lant, comme celles qui ornent le reste du manteau, lignes qui se subdivisent dans les tentacules branchus en envoyant un rameau dans chaque prolongement. Leur sensibilité au contact est extrème. L'ouverture anale (4) est beaucoup plus simple et plus petite ; son diamètre sur l’animal de 16 centimètres que je citais plus haut n’était que de 10 millimètres. Elle se présente sous la forme d’une perforation cireulaire à bords simples et minces placée au sommet d’un petit dôme saillant, mais pas assez pour s'élever jusqu'au niveau des parties latérales du manteau débordant la coquille, ce qui empêche, comme je l'ai déjà fait remarquer, de la voir en regardant l'animal par le côté. La structure de la portion externe du manteau diffère notable- ment de celle de la portion intramuseulaire. Ici, c’est une mem- brane épaisse, résistante et non mince et délicate ; tandis que la première ne nous présentait pas distinctement d'éléments con- tractiles, ici le tissu musculaire en forme la base ; c’est aussi dans cette partie que se trouvent les gros troncs artériels, comme on le verra en parlant du système vasculaire (2). On peut distinguer au manteau dans cette portion une couche moyenne et deux couches épithéliales, l’une externe, l'autre interne, cette der- pière répondant aux cavités dans lesquelles circule l’eau néces- (4) PL 14, fig. 2 : 01. (2) PI. 12, fig. 1. 86 L. VAILLANT. saire à la nutrition. La couche épithéliale externe, à laquelle appartiennent les couleurs brillantes, est de beaucoup la plus épaisse ; elle rentre dans la variété d’épithélium dit pavimen- teux et se compose de nombreuses rangées de cellules élémen- taires. J'ai cru distinguer sur des coupes perpendiculaires à la surface externe faites sur le bord réfléchi en dehors à la hau- teur de l'ouverture branchiale des amas de cellules en forme de culs-de-sac en continuité avec la couche épithéliale externe, mais pénétrant dans la partie moyenne, et qui simulaient fort bien de véritables acini glandulaires ; mais cette observation que je n’ai faite qu’une fois demanderait à être confirmée. L'épi- thélium interne est moins épais, et également de la variété pavi- menteuse; 1l est coloré en brun violet dans la partie qui limite la chambre anale. Quant à la couche moyenne c’est un feutrage de fibres musculaires lisses ou de la vie organique et de tissu lamineux renfermant ça et là des vaisseaux. La direction des fibres musculaires ne paraît pas déterminable sur le plus grand nombre des points, dans le voisinage des ouvertures elles sont disposées cireulairement en sphincters, mais partout ailleurs s’entrecroisent dans tous les sens et se prêtent par suite à tous les mouvements que veut effectuer l'animal ; cependant près du muscle palléal on voit des faisceaux plus distincts et qui se dirigent de ce muscle au bord libre réfléchi du manteau ; ces faisceaux servent à rentrer ce bord à l’intérieur de la coquille, lorsqu'un danger quelconque menaçant l'animal il veut s'abriter dans ses valves. L'insertion du muscle palléal (1), qui reste distinctement marquée sur la coquille, ne doit même être regardée que comme produite par l’ensemble des points d'attache de ces muscles rayonnants. Comme on le voit, le manteau forme un véritable sac à trois ouvertures où se trouvent logés les viscères proprement dits; mais Ceux-ci n'occupent guère que la moitié de cette cavité, le reste étant laissé libre pour le courant d’eau nutritif. C’est dans la partie postérieure de la coquille située sous la charnière, c'est- (1) P1, 8, fig, 1 : my. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 87 à-dire entre le muscle adducteur des valves (1) et l'angle posté- rieur (2), que se trouve la portion principale du corps. Elle se compose tout à fait en arrière d'un organe ovoïde verdâtre ou jaunâtre, suivant que l'ovaire n'est pas ou est développé, for- mant à lui seul près de la moitié de la masse viscérale ; je le désignerai sous le nom de masse gastro-génitale (3), parce qu'il renferme en même temps le tube digestif avee son annexe prin- cipale, le foie et l'ovaire, sans doute aussi les testicules sur les individus qui se prêteraient à cette observation. La masse gastro- génitale présente à sa partie supérieure et antérieure, un peu en arrière des crochets, la bouche (4) et ses palpes (5), et à sa par- tie inférieure et antérieure une ouverture qui donne passage à l'intestin au moment où celui-ci pénètre dans le péricarde. L'ensemble des organes qui composent cette masse est entouré, comme on le verra plus tard, d’une enveloppe fibreuse qui en fait un tout parfaitement limité. En avant et en bas se trouve le corps de Bojanus (6) situé en arrière des gros muscles ; sous la masse gastro-gémitale et ces corps est le péricarde (7) renfer- mant le cœur (5) et la continuation de l'intestin, dont l’ouver- ture terminale (9) aboutit sous le grand muscle adducteur en face de l'ouverture efférente, puis tout à fait en bas et en avant viennent les muscles rétracteurs du pied (10) et ce dernier organe (41) qui remonte en haut pour sortir par l'ouverture pédieuse , enfin le grand muscle adducteur des valves (42). Les organes respiratoires consistent en deux paires de branchies (43) (4) Voy. pl. 8, 9 et 11, fig. 2 : mA. (2) Voy. pl. 8, 9et 11: pr. (3) Voy. pl. 8, 9 et 11, fig. 1 : Mc. (NBI 9 fie. { : bo. (5) PL 8, fig. 4; pl. 9, fig. 4 : pe, pl. (6) PL. 8, fig. 4 ; pl. 9, fig. 4 : ce. (7) PL. 8, fig. 4 : pc. (CS) PEER OI Ce (9) PI AA RERNN (HIO)N PI. 8 60% np 9 6 1; pl 14; fie. Let 22m. (11) PL 9, fig. 4 : f. (42): PI 8, fig. 4; ple 9, fig. 1 ; pl. 14, fig. 4 et 2 : MA, (13) PL 8, fig, 1; pl. 14, fig. 4 : Bn, 88 L. VAILLANT. remarquables par leur forme en bourrelet ; elles sont fixées en arrière sur la masse gastro-génitale, l’interne de chaque paire arrive seule entre les palpes labiales ; elles se dirigent ensuite horizontalement en avant, leur partie libre, dans la position descriptive adoptée, étant placée en haut, et arrivent ainsi, en contournant un peu le grand musele adducteur, en face de l’ou- verture afférente, Dans ce trajet elles sont jointes aux parties sous-Jacentes par deux replis minces (1) qui circonscrivent une cavité dans laquelle débouchent les ovaires, et qu'on peut appe- ler chambre incubatrice commune (2) pour la distinguer des chambres incubatrices proprement dites comprises dans les feuillets branchiaux mêmes. En outre les deux paires de bran- chies sont réunies l’une à l'autre par une cloison horizontale épaisse (3), qui se prolonge en arrière en se confondant avec les téguments du pied et en avant pour se souder au manteau au- dessous de l'ouverture afférente, je l’appellerai cloison inter- branchiale; postérieurement elle est percée en son milieu d’une ouverture (4). L'ensemble de ces parties adhère au manteau, d’abord par un raphé médian correspondant à l'organe qu'on a vu désigné sous le nom d'organe sécréteur cardinal, ce raphé est donc situé sur une ligne qui répond exactement à la charnière et au ligament. Sur les côtés, depuis l'extrémité postérieure de cette première ligne d’adhérence jusqu'aux gros muscles, le corps est réuni au manteau par deux prolongements, un de chaque côté, qui sui- vent le muscle palléal sur les bords latéraux du péricarde ; au niveau des muscles, ceux-ci par eux-mêmes fixent le corps à la coquille et au manteau. Enfin il existe encore un point d’adhé- rence sur la masse gastro-génitale (5), au niveau de l'extrémité des branchies, la réunion est formée presque exclusivement par le tronc principal des vaisseaux du manteau et en rapport (1) PL. 8, fig. 4 : cpl 1168. 4-Vbrete, (2) MLD En LISTE Ar 2 (3) PL 9, fig. 4 : 25 pl. 44, Gg. (4) PL 9, fig. 4 : 2; pl. 414, fig. (B)4PINS, fr. 1 :19, = bd > © RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 59 avec les fonctions respiratoires de la face interne de cette enve- loppe. En résumé, pour comprendre ces rapports compliqués et peu clairs par suite de la position anormale de cet être et de l'espèce de retournement qu’il a subi, on peut se figurer que dans la cavité du manteau tous les organes, moins les branchies et la cloison interbranchiale, c’est-à-dire la masse gastro-génitale, le corps de Bojanus, le péricarde, les gros muscles et le pied, se réunissent à la partie postérieure et médiane et, par suite des adhérences avec le manteau que j'ai énumérées, divisent sa cavité de manière à ne laisser libre qu'un canal ayant la forme d’un U horizontalement couché, dont l’une des branches est supérieure au muscle adducteur, au muscle rétracteur du pied, au corps de Bojanus, l’autre inférieure à ces mêmes organes. Mais la branche supérieure est à son tour subdivisée par les organes respiratoires en deux canaux superposés, la cloison qui constitue cette séparation est formée par la cloison mterbran- chiale (1), les branchies et les feuillets qui rattachent celles-ci aux muscles, aux corps de Bojanus, à la masse gastro-génitale, en formant les chambres incubatrices communes. La branche supérieure de l'U étant ainsi partagée, on trouve en somme trois canaux superposés, dans lesquels cireule le courant d’eau nutritif et dont voici les limites et les rapports. Le premier canal, qui peut recevoir le nom de chambre bran- chiale ou chambre aquifère supérieure (2), est limité en haut et sur les parties latérales par le manteau, en bas par la cloison interbranchiale, les branchies et le feuillet externe des chambres ineubatrices communes, en arrière il renferme le pied et aboutit à la bouche. Ce canal communique avec l'extérieur par l’ouver- ture afférente et l'ouverture pédieuse ; cette dernière, il faut le remarquer, étant, à l'état de vie, complétement remplie par le pied etle byssus, il est en communication avec le canal suivant par les perforations dont sont criblées les lamelles branchiales (4) PL 9, fig. 4 : k. (2) PI. 9, fig. 4 : k; pl. 41, fig. 1: 7 90 L. VAILLANT, pour le passage de l'eau et en outre par la perforation de la cloison interbranchiale (1). Celle-ci est située à peu de distance en avant du pied ; elle est infundibuliforme, au moins après la mort, et, chose assez singulière à ce qu'il semble au point de vue de la direction du courant, sa petite ouverture un peu dente - lée est dirigée vers la chambre branchiale. 11 est probable que pendant la vie et à l’état de repos cette ouverture peut acquérir d'assez grandes dimensions dans certaines circonstances, mais il ne m'a pas paru possible d'arriver à en prendre une idée exacte ; après la mort et évidemment à l'état de contraction, elle mesure à peine 3 millimètres sur des Tridacnes de 16 à 18 centimètres de long. On peut d’ailleurs présumer que cette perforation n’est destinée qu’à servir accidentellement pour livrer passage à quel- que corps étranger introduit par mégarde : à l'état normal le courant d’eau doit filtrer au travers des organes respiratoires. Le canal suivant, que j'appellerai chambre post-branchiale où chambre aquifère moyenne (2), est limité en haut et sur les côtés par la paroi inférieure de la chambre branchiale, en bas par la masse gastro-génitale, le corps de Bojanus et les gros muscles, en avant il n'a pas de paroi et communique librement avee le canal suivant. La chambre post-branchiale n’est pas simple mais subdivisée en trois parties, latéralement on trouve les chambres incubatrices communes (3) qui laissent au centre une troisième cavité limitée par la face inférieure‘de la cloison interbranchiale en haut, et latéralement par les deux feuillets internes de ces mêmes chambres incubatrices. Les premières cavités commu- niquent avec la chambre branchiale au travers des branchies externes, la dernière par la perforation de la cloison interbran- chiale et les branchies internes, toutes trois en avant sont large- ment ouvertes. Quant au troisième canal qui est la chambre anale ou chambre aquifère inférieure (k), sa composition est plus simple ; limité (W)API 49 fie 4-2 pl Ath MR CAPI Ou ie AS LINE ATEEREE (B)MPL MA Ge A EU (ODA LITE Ki Pgt T DA RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. AI en haut par les grands muscles et le péricarde, en bas etsur les côtés par le manteau, il communique librement en avant (1) avec les cavités de la chambre post-branchiale et en arrière et en bas débouche à l'extérieur par l'ouverture efférente du man- teau. La succession de ces trois canaux force en définitive le cou- rant à suivre un trajet qu'on peut comparer à une S retournée. En effet, l'eau en entrant par l'ouverture afférente se dirige directement d'avant en arrière et remplit la chambre branchiale puis passe soit au travers des branchies externes dans les chambres incubatrices communes, soit par les branchies in- ternes et la perforation de la cloison interbranchiale dans la subdivision médiane de la chambre post-branchiale. Le li- quide alors doit revenir sur ses pas, c’est-à-dire d'arrière en avant, pour contourner le grand muscle adducteur, arriver enfin dans la chambre anale et, marchant de nouveau d'avant en arrière, aboutir enfin à l'ouverture afférente. Ce trajet est beaucoup plus compliqué qu’il ne l’est d'ordinaire dans les autres Mollusques acéphalés où l'animal n’a pas subi de déviation ; généralement en effet l'eau passe directement de la chambre branchiale dans la chambre anale qui sont parallèles l’une à l’autre, en sorte que le trajet effectué est comparable à un U couché. | La membrane de séparation formée par la cloison interbran- Chiale, dont je n'ai pas indiqué la structure pour ne pas inter - rompre cette description si compliquée, est de nature musculaire et conjonctive , elle contient en outre un très-grand nombre de vaisseaux très-fins et superficiels, et doit pour sa part concou- rir à la respiration ; sa couleur est d’un blanc assez pur sur les deux faces, celles-ci présentent des rides transverses. La chambre anale est la seule pour laquelle l'apparence des parois mérite d'être signalée, attendu que la portion qui revêt le muscle et le péricarde ressemble à la partie interne du man- teau située vis-à-vis et est pourvue d’un épithélium pavi- (4) PL 9, fig, 4: 2; pl, 41, fig. 2 : 9. 92 L. VAILLANT. menteux coloré en brun rougeâtre présentant une épaisseur notable. C'est dans la chambre branchiale que se trouve toujours, au moins sur les nombreux individus que j'ai pu exaininer, cela n'a jamais fait défaut, un petit crabe pseudo-parasite, l'Ostracotheres Tridacnæ, Ruppel, qui se tient en général cramponné sur les organes respiratoires. Cette particularité qu'on a rencontrée chez un grand nombre de Mollusques acéphalés et qu'Aristote avait mentionnée en particulier chezla Pinne (1), mérite d’être notée à cause de sa fréquence. D'après ce que j'ai observé, les matières alimentaires qu’on trouve dans l'estomac de la Tridacne allongée appartiennent au règne végétal ; ne serait-il pas permis de croire que ce crabe carnassier, sans doute comme la grande majorité des animaux du même groupe (2) servirait à l'animal avec lequel il habite et qui sans doute ne fait pas grand choix de ses aliments pour arrêter au passage les particules animales et l'en débarras- ser. Dans cette hypothèse, si une supposition aussi problématique mérite ce nom, l'Ostracotheres Tridacnæ non-seulement ne serait pas parasite dans le vrai sens du mot, mais, au contraire, payerait en quelque sorte par ses services l'hospitalité dont il use. Dans certains gros échantillons de Tridacne j'ai trouvé deux de ces crabes ; ils quittent l'animal aussitôt après sa mort. En examinant à un point de vue général la disposition réci- proque du corps et du manteau; on est frappé des différences singulières que l’on rencontre ici et qui ont été signalées par tous les observateurs. De Blainville (3) dit que l'animal des Tri- dacnes ne diffère de celui des Cames que par un singulier retour- nement dans sa coquille. Il ajoute que cela pourrait être dû à (4) «Elles (les Pinnes) ont dans leur coquille l'animal appelé le gardien de la Pinne » (riwcobkay2) ; c'est ou une petite squille ou un petit cancre qu'elles ne peuvent perdre » sans périr bientôt elles-mêmes... Il nait dans quelques Testacés des cancres*blanes et » fort petits; le plus grand nombre se trouve dans les espèces de moules dont la » coquille est renflée ; après vient la Pinne, son cancre se nomme le Pinnothère.» Aristote, Histoire des animaux, lib. V. cap. xv, trad. de Camus, t. I, p. 278. — Voy. aussi Pline l'Ancien, Hist. nat., lib. IX, cap. LxvI. (2) Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés (Suites à Buffon, t. I, p. 60). (3) Loc. cit., p. 544. © RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 93 la suspension, mais, comme on l’a vu, l'animal ne paraît jamais être suspendu et d’ailleurs pour les Peignes, les Avicules, qui souvent vivent dans cette position, il ne paraît exister rien de semblable. Sans s'arrêter à des explications plus ou moins hypo- thétiques, on doit remarquer que les ouvertures du manteau offrent une situation tout à fait anormale en ce qu'elles sont toutes reportées en avant. Les orifices anal et branchial, au lieu d'être contigus, sont très-distants, et même le premier est plus rapproché de l'ouverture pédieuse; ce changement de position a en outre déplacé les rapports anatomiques ordinaires, et l'ouver- ture branchiale est supérieure, au moins dans la situation con- ventionnelle adoptée ; dans la position normale à l'état de vie, les rapports physiologiques habituels sont rétablis. Par suite de ce refoulement des ouvertures afférente et efférente à la partie antérieure, le tube digestif, qui par la bouche correspond au premier, par l'anus au second, a dû se recourber en U et les deux orifices sont dirigés tous deux en avant, en sorte que sa forme générale le rapproche absolument du type qu'il doit avoir chez les Mollusques (1), tandis que chez un certain nombre d’acé- phalés il aurait une tendance à prendre une direction telle que les deux ouvertures fussent situées aux extrémités opposées du corps, comme cela a lieu dans les animaux supérieurs. On peut encore noter comme particularité spéciale à ces animaux, la position du muscle adducteur presque au milieu de la longueur dans un point très-rapproché du limbe, enfin le cœur qui en accompagnant la terminaison du tube digestif est venu se placer en face de l'ouverture des valves au lieu de répondre à la char- nière. Je ne fais que signaler en passant ces anomalies sur les- quelles j'aurai à revenir, en traitant séparément de chacun des appareils. La coquille des Mollusques acéphalés se rapporte à l'enveloppe extérieure de l'animal et doit être étudiée avec le manteau dont (4) Milne Edwards, Lecons sur la physiologie et l'anatomie comparée de l'homme et des animaux, t. V,p. 4144, 94 L. VAILLANT, au point de vue physiologique elle ne constitue qu'une dépen- dance; J'ai dit pour quelles raisons je négligeais ici les détails de forme, pour ne la considérer qu'au point de vue histologique. On reconnait en général dans les enveloppes solides des Acé- phalés conchyfères deux parties : l’une interne, l’autre externe, bien nettes dans les Avicules, les Moules et le plus grand nombre des Monomyaires, l’une est nacrée, tandis que l’autre, de teinte généralement sombre, est plus ou moins fibreuse ; on ne trouve plus guère que la première dans les Bucardes et la plupart des Dimyaires. Les Tridacnes, sous ce rapport, se rapprochent de ces derniers, la substance interne, qui n’a pas il est vrai l'aspect nacré, forme toute la coquille la partie externe se trouvant réduite à une mince pellicule verdâtre peu distincte. Ce tissu est remarquablement compact, sa composition chi- mique ne parait pas cependant s’écarter notablement de celle des autres coquilles, si l’on se reporte aux analyses qui en ont été faites par différents chimistes et dont MM. Pelouze et Fremy ont donné une exposition très-complète (1). La quantité de matière organique qu'elle contient est de 2,25 à 2,26 pour 100, et la proportion de carbonate de chaux de 93 pour 100 environ, en admettant que tout l'acide carbonique soit combiné avec cette base. Lorsqu'on fait dissoudre des portions de coquille dans les acides il reste à peine quelques traces de matière orga- nique. La densité est de 2,75, poids spécifique supérieur à celui de la plupart des marbres et qui est précisément celui des perles fines. Il serait curieux, je crois, à un point de vue général de mettre les analyses de coquilles et leur densité en rapport avec leur structure anatomique, ilne paraît pas douteux qu'il ne sortit de cette recherche d’intéressants résultats. Cette coquille est assez fragile et se brise avec une grande facilité, surtout lors- qu'elle n’est pas en grosses masses ; cette friabilité se remarque dans les squames qui ornent les côtes du test dans un grand nombre d'espèces et l’on sait combien par cette raison il est rare d’avoir des échantillons d’une intégrité parfaite. La cassure est (4) Traité de chimie générale, 2€ édit., 4857, t. VII, p. 290. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 95 saccharoïde et le tissu très-homogène, ce qui permet d'obtenir sur cette substance un fort beau poli aussi brillant et aussi fin que celui de l'ivoire, aussi le mot de séructure éburnée ne peut-il trouver une application plus juste. L'apparence feuil- letée est beaucoup moins nette sur les coupes que ne semble- raient le faire croire ces squames, lesquelles ne paraissent être autre chose que le bord relevé des stries d'accroissement. Quant à la structure intime, elle est parfaitement en rapport avec ce que l’on peut découvrir à l'œil nu et par un examen superficiel. M. William Carpenter (1), dont les travaux sur ce point d'histologie sont si connus, n’a dit que peu de choses sur la famille qui nous occupe. Suivant lui 1l n°y à pas de structure organique distincte ni dans les Tridacnes, ni dans l'Hippope ; à peine peut-on saisir çà et la quelques traces obseures de l'origine cellulaire, etl'homogénéitéln'est interrompue sur quelques points que par ce qu'il désigne sous le nom de structure ridée (corruga- ted structure) dont la couche interne de la Lima squamosa est le type (2); 1l n'a pas représenté de coupe de ces coquilles. Il est vrai qu’en parlant des Camacées cet auteur donne les motifs qui le portent à supposer avec raison que cette structure ridée est due à de véritables cellules prismatiques très-allongées (3). On éprouve en effet une certaine difficulté à se rendre compte de l'arrangement des éléments ; cependant 11 n'en existe pas moins nettement une structure bien visible. Sur des coupes menées surtout transversalement on voit qu'au milieu d'un tissu homogène sont des sortes de traînées parallèles (4) plus ou moins irrégulièrement anastomosées les unes avec les autres, larges, de 0"",004 au maximum et que leur aspect plus foncé ou plus clair suivant la position de l'objectif, lorsque l'on regarde par transparence, fait facilement distinguer du reste du tissu, (4) On the microscopie structure of Shells (Reports of tñe British Association, 1€ par- tie, 1844, p. 1-24 ; 2€ partie, 1847, p. 93-134). (2) Loc. cit., 25 partie, p. 400. (3) Loc. cit., 22 partie, pl. 4, fig. 13. (4) PI. 10, fig. 8 : 4. 96 L. VAILLANT. M. Carpenter (1) a figuré pour la Came une disposition tout à fait analogue à celle que je représente ici. Ces bandes sont com- posées d’une multitude de petites stries en chevrons placées les unes au-dessus des autres, mais qui parfois sont excessivement difficiles à distinguer. Dans certains points, surtout vers la face interne et dans les parties saillantes de la charnière, la substance se partage en sorte de prismes dans lesquels on aperçoit les les stries en chevron. Au milieu de ce tissu compact existent de ces sortes de canaux (2) caractérisant ce que M. Carpenter appelle la structure tubulaire (tubular structure). Ces tubes ne sont pas très-nombreux, dans les préparations que J'ai pu exami- ner ; leur diamètre est de 0"",003 à 0"*,004, ils sont comme d'ordinaire égaux entre eux et, bien qu'ils s’anastomosent fré- quemment, les branches et les troncs sont tous de même diamètre. Il serait cependant possible, à en juger par certaines coupes, qu'il existât des tubes beaucoup plus considérables de près de 0"",5; Meckel (3) avance que chez les Mollusques on peut démontrer que la coquille recoit des vaisseaux d’autres régions du corps, cela paraît probable et la vitalité de ces parties est peut-être. plus active qu’on ne paraïit l'admettre ordinaire- ment; cependant je n'ai pu voir clairement chez les Tridacnes ces connexions vasculaires. L'usage de ces sortes de vaisseaux n’est pas connu jusqu'ici, mais il est très-admissible qu'ils servent au transport des liquides destinés à la nutrition de cette enveloppe. En traitant par les acides de minces coupes sous le. champ du microscope la substance animale est si rare, qu'iln’en reste d'ordinaire que de très-petits fragments peu distincts ; en opérant sur une plus grande quantité de matière on obtient des lambeaux plus visibles, mais qui ne paraissent pas présenter de structure appréciable. Quant aux concrétions perlièresque l’on rencontre dans l’épais- seur du manteau, leur structure est celle de la coquille, seu- (4) Loc. cit., 2€ partie, pl. 4, fig. 13. (2) PI 40, fig, 8: à. (3) Traité général d'anatomie comparée, rad. de MM. Riester et Alph. Sanson, 1898, t. II, p. 466. Lt RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS, 97 lement la matière paraît encore moins nettement organisée, les cellules y sont peu visibles, on y distingue cependant les fibres en chevrons ; parfois la masse se divise aussi en prismes, mais il n'existe pas de vaisseaux de la substance tubulaire. Au point de vue de la structure, la coquille des Tridacnes paraît en somme se rapprocher beaucoup de celle des Cames avec lesquelles Linné les confondait et d’une façon plus géné- rale de la coquille des Dimyaires. CHAPITRE IL. Organes du mouvement. — Byssus. Les Tridacnes ne différent pas notablement des autres Mol- lusques acéphalés monomyaires pourvus d’un pied quant à leurs organes du mouvement et leur système locomoteur comme celui du plus grand nombre des animaux de cet ordre est d’une grande simplicité. I comprend le muscle destiné à rapprocher les valves ou grand muscle adducteur, les muscles rétracteurs et protracteurs du pied qui ont pour usage de mouvoir cet organe : on doit rattacher à l'étude de celui-ci le byssus qui n’en est qu'une dépendance, enfin le ligament, dont l'action amène l'ouverture des valves, fait également partie des organes de la locomotion. Je ne fais que rappeler ici les muscles du manteau qui ont été précédemment décrits. Le grand muscle adducteur (4) est très-développé comme l'exigeait la taille de l'animal et le poids de sa coquille, sa position dans celle-ci est remarquable et tout à fait spéciale à cette famille, il se trouve un peu au-dessous de la ligne moyenne vers le milieu de la coquille et très-près du limbe. Ses dimensions doivent être parfois énormes à en juger par l'impression muscu- laire laissée sur les grands exemplaires qu'on rencontre dans nos collections, car elle peut mesurer un diamètre de 413 à 45 centi- (1) PL 8, fig. 4; pl. 9, fig’ 1 ; pl. 41, lis. { et 2 2x4. ä° série. Zooz, T. IV. (Cahier n° 2.) 3 1 98 L. VAILLANT, mètres. Sur une Tridacne allongée de taille moyenne pour la baie de Suez, longue de 24 cent. 1/2, dont la coquille attei- gnait le poids de 1265 grammes, le grand muscle adducteur était long de 6 centimètres et pesait 39,50, son volume était d'environ 37 centimètres cubes ; cet individu a servi à quelques expériences, dont je parlerai plus bas, relatives à la force de ces ANIMAUX. Ce muscle est composé de fibres allongées, granuleuses, dont la structure élémentaire n’est pas très-nette et qui se présentent sous l'apparence de filaments de 0°",0058 à 0°",0145 occupant toute la longueur du muscle ; l'acide acétique ne permet d'y constater la présence d'aucun noyau. Ces fibres sont accolées les unes aux autres et réunies en faisceaux, variant pour la gros- seur de 0"",5 à 0,6 et plus, que la pression qu'ils exercent les uns sur les autres rend polyédriques ; ils sont séparés par une sorte de tissu lamineux dans lequel se trouvent des vaisseaux artériels bien distincts. L'usage de ce muscle comme opérant le rapprochement des valves n’a besoin que d’être indiqué, seulement on doit remarquer que sa position près du limbe, position sur laquelle j'ai appelé l'attention, accroît beaucoup sa puissance en l'éloignant de la charnière c’est-à-dire du point d'appui et augmentant par suite la longueur du levier sur lequel il doit agir pour vaincre l'élasti- cité du ligament. Les muscles moteurs du pied sont au nombre de quatre : deux rétracteurs et deux protracteurs situés par couple à droite et à gauche de l'animal. Les premiers (4) sont de beaucoup les plus considérables, contigus au grand muscle adducteur et placés en arrière de lui, ils atteignent pour les dimensions au moins la moitié de ce dernier, au reste l'impression qu'ils laissent sur les coquilles en donne une idée très-juste. A partir de leur inser- tion à chaque valve ils se dirigent en haut et en dedans de manière à marcher à la rencontre l’un de l’autre pour s’accoler (A) PI 8, fig. 4;pl. 9, fig. 4; pl. 40, fig. 2; pl. 11, fig. 4 et 2 : mr. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 99 et se réunir d’une manière intime (1) par un mélange de leurs fibres et pénétrer ainsi dans le pied dont ils constituent la masse principale. Ils forment donc un muscle unique en haut, mais présentant deux origines; dans la bifurcation se trouve logé le corps de Bojanus qui se prolonge en arrière et se trouve en contact intime avec ces deux sortes de racines sur toute leur partie postérieure. Les protracteurs sont beaucoup plus petits, 1ls s'insèrent à la coquille dans la région cardinale au-dessous de la dent prinei- pale ou de la fossette qui y correspond sur une surface rugueuse située en dehors de l'impression palléale et très-facile à recon- paître, de là les fibres se dirigent en avant en divergeant, les unes se rendent sur la face postérieure du pied tournée vers la bouche, le plus grand nombre continuant directement leur trajet passent de chaque côté de l'organe pour se rendre à sa partie postérieure où elles paraissent se souder pour chaque muscle avec les fibres du côté opposé. La différence, dans le volume de ces deux paires de muscles, est en rapport avec leurs fonctions très-distinctes. L'animal pourvu d'un pied peu développé au point de vue de la motihté propre de cet organe et vivant fixé aux rochers ou aux pierres, avait surtout besoin d'un organe puissant pour agir sur son point d'attache et mouvoir ainsi sa coquille ; c’est à cet usage qu'est destiné le rétracteur, tandis que le protracteur semble ne plus servir qu’à quelques mouvements locaux du pied. Celui-ci considéré dans son ensemble est gros et court (2), sa forme est celle d’un cylindre creusé d’une cavité cratéri- forme (3), simple en haut, présentant deux enfoncements laté- raux à la partie inférieure, enfoncements qui par leur direction correspondent aux axes des deux racines du muscle rétracteur. Il est formé en majeure partie par les fibres musculaires prove- nant des différents muscles dont je viens de parler et revêtu d'une enveloppe cutanée quant à la cavité dont il est creusé ; elle (4):P1 40, fig: 2: (2) PL. 9, fig, 1:f. (3) PL. 40, fig. 2. 100 L. VAILLANT. est occupée par le byssus et l'on y rencontre les parües destinées à la production de cet organe sur lequel j'aurai à revenir dans un instant, c'est aussi dans l'épaisseur du pied que se trouve, en presque totalité, cet organe singulier dit stylet hyalin (4) dépen- dant des organes digestifs. La couche cutanée qui revêt le pied ne présente rien de bien remarquable. Elle est blanchâtre sauf à la partie antérieure et inférieure où existe une coloration d'un brun violet; sur une partie des côtés et surtout en avant elle est couverte de papil- les (2) assez volumineuses, mesurant 0"",4 à la base et longnes de 0"",7 dont l’usage ne paraît pas facile à déterminer; la pré- sence de ces sortes de villosités donne à cette portion de la sur- face du pied un aspect velouté facile à saisir à l'œil nu. Les fibres musculaires affectent dans l'organe deux directions principales. Les unes qui sont la prolongation des fibres extérieu- res des rétracteurs postérieurs se dirigent de la base du pied au pourtour de l'ouverture supérieure, elles sont plus longues en avant et en arrière, ce qui fait que cet orifice présente dans les points correspondants de sa circonférence deux mamelons ; l'an- térieur (3) est le plus développé, il contient également des fibres ascendantes provenant des protracteurs. Mais la plus grande partie des éléments qui composent ces derniers vont directement d’arrière en avant pour venir contourner le pied à sa partie anté- rieure en formant de véritables anses. Les fibres se trouvant ainsi ordonnées suivant deux directions à peu près perpendieu- laires entre elles sont entremêlées d’une façon inextricable ; cependant on peut distinguer des fibres en anse dirigées presque horizontalement et formant une couche superficielle principale au-dessous de laquelle es fibres ascendantes provenant des par- ties extérieures du rétracteur forment une seconde couche éga- lement assez distincte. L'usage de ces muscles pour mouvoir le pied dans toutes les (1) PI 40, fisz.2 :e, (2) PL. 9, fig. 1 : 9. (3) PI1.9, fig. 4 : 0. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 101 directions se comprend facilement; on verra plus bas que les fibres des parties centrales du muscle rétracteur adhérant aux fibres du byssus sont destinées plus spécialement à permettre à l’animal de se mouvoir par l'intermédiaire de ce dernier sur le corps où il est fixé. Enfin on doit admettre que ce rétracteur postérieur peut aider pour une certaine part à l'action du grand addueteur des valves ; les muscles de chaque côté entrecroisant leurs fibres à une petite distance du point d'attache, on comprend qu'ils puissent, en unissant leur action, concourir à rapprocher les deux parties de la coquille. C'est ce qu'on reconnaît facile- ment en coupant l'adducteur à l'une de ses attaches, on voit alors que les valves ne s'écartent que faiblement ; si l’on détache ensuite le rétracteur postérieur l’écartement total a lieu. Cette dernière action du muscle rétracteur du pied me paraît conduire à une interprétation nouvelle de la division en deux parties du muscle adducteur des valves chez les Monomyaires et en particulier dans l'Huître commune. On sait que chez ces Acé- phalés la masse musculaire qui rapproche les valves présente deux portions très-faciles à distinguer à la vue et aussi à séparer anatomiquement ; l'une, est d'un blanc mat un peu nacré ; l’au- tre, plus transparente comme gélatineuse, chacune paraît avoir une sorte de tunique propre qui l’isole parfaitement de sa voi- sine. Ces observations faites avec beaucoup de soin par Poli (4), particulièrement sur le Spondyle pied-d’âne (Spondylus gædro- pus Lamk) et l'Huitre commune (Ostrea edulis Linn.) (2), avaient porté quelques conchyliologistes à voir là une fusion des deux muscles des Dimvaires rapprochés au contact l'un de l’autre. Cette opinion est rejetée par M. Deshayes, qui donne d’excel- lentes raisons tirées surtout de la position de l'intestin par rap- port à ces organes moteurs des valves, mais sans proposer une autre explication (3). Si l’on examine la position de ces deux (1) Testacea utriusque Siciliæ corumque historia et anatome. Parme, 1791, t. I p. 107, pl. XXII, fig. 2 et 3, DE ; p. 174, pl. XXIX;:fig. 2! et-3,:GH: (2) M. Deshayes, qui reproduit l’une des figures Poli (Aflas du règne animal de Cuvier, grande édition, Morzusques, pl. 70, fig. 2), en fait l'Osfrea cochlear Lamk ; au reste, dans l’Ostrea edulis de nos marchés, la disposition est absolument la même. (3) Traité élémentaire de conchyliologie, À. X, p. 287. 102 L. VAILLANT. portions du muscle adducteur, si on les compare à ce qu'on peut observer dans des Acéphalés qui, comme la Moule ordmaire, font le passage des Monomyaires aux Dimyaires et qu'on rap- proche de ces faits ce que je viens d'exposer pour la Tridacne, on est forcément conduit à admettre que dans l'Huître la portion supérieure du muscle adducteur des valves doit être rapprochée du muscle rétracteur du pied, en sorte que ce dernier, réduit à un état très-rudimentaire et modifié dans ses fonctions, se ren- contrerait jusque chez ces Mollusques si dégradés sous le rap- port des organes de la locomotion. Dans le Spondyle pied-d'âne en se reportant aux figures, à la description et aux modèles de Poli, car je n'ai pu disséquer cet animal par moi-même, on voit que ce pied singulier en forme de champignon, qui paraît spé- eial à ce groupe, doit être placé sur la première portion du muscle adducteur, mais sans adhérer à ce qu'il semble avec lui ; ceci, dans l'hypothèse que je présente, pourrait paraître étrange, mais on peut voir dans ce même travail que les protracteurs du pied étant bien développés (1) les rétracteurs ne sont figurés nulle part, d’où l’on peut conclure qu'ilsn’existent pas , l’habileté de l'anatomiste dont j'invoque ici l'autorité ne peut laisser de doute à cet égard; ces observations confirment donc notre manière de voir. Dans la série des Mollusques acéphalés, sous le rapport de l'organe moteur désigné sous le nom de pied, on observerait par conséquent la dégradation suivante. Dans la grande majorité des cas il serait formé par les fibres provenant de deux paires de muscles, les rétracteurs et les protracteurs (ex. : Mytilus edu- lis, Tridacna elongata), la disjonction des éléments ayant lieu le rétracteur viendrait se joindre à l’adducteur des valves, les pro- tracteurs subsistant encore formeraient seuls le pied (ex. : Spon- dylus gædropus), enfin ce dernier disparaissant complétement en apparence ne serait plus représenté que par le rétracteur uni comme dans le cas précédent à l’adducteur des valves (ex. : Ostrea edulis). (4) Loc. cit, pl. XXIL, fig. 7, 9. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 103 L'adhérence de tous ces muscles à leur point d'attache chez la Tridacne allongée est très-considérable pendant la vie, mais elle devient si faible après la mort que l'animal se détache spon- tanément de sa coquille au bout de quelques heures. Outre les muscles dépendants du rétracteur et du protracteur du pied on voit partir du pourtour de l'anneau œsophagien et de la cloison fibreuse qui sépare la masse gastro-génitale du corps de Bojanus et du péricarde. des faisceaux musculaires qui rayonnent en différents sens sur la masse viscérale, mais ils sont mélangés à un grand nombre de trousseaux fibreux dont il est fort difficile de les distinguer. Le byssus de la Tridacne allongée, laquelle a fait l'objet spé- cial de ces recherches, facile à étudier par suite de son volume, présente des particularités importantes qui ne paraissent pas avoir été parfaitement interprétées jusqu'ici et il en résulte des notons assez différentes de ce qu'on a généralement admis tant sur là manière dont se forme cet organe que sur les parties qui le constituent. Le byssus, dans la famille qui nous occupe, a été signalé depuis longtemps; je me suis expliqué sur l'usage qu'en fait l'animal pour se fixer dans le sable contrairement à l'opinion de quelques observateurs qui ont prétendu qu'il servait à suspendre aux rochers cette lourde coquille. Il a été étudié et figuré par divers anatomistes mais le travail le plus complet sur ce sujet est certainement la description que Müller (L), en a donnée dans ses études générales sur le byssus des acéphalés ; c’est sur la Tridacna crocea que portent ces observations. Cette même espece a été décrite succinctement par M. Woodward (2), mais la façon dont le byssus est représenté dans la figure donnée par (4) « Ueber die Byssus der Acephalen nebst einige Bemerkungen zur Anatomie der » Tichogonia Chemnitzii Rossm. (Mytilus polymorphus Pallas). » Wigman’s Archiv für Naturgeschichte, 1837, p. 1-16, pl. I et II. (2) Descriptions of the animals of certain Genera of Bivalve Shells (Annals and Magazine of natural History, 2° sér., t. XV, 1855, p. 400; voy. aussi Manual of the Mollusca, 1851-56, p. 469, fig. 265). 104 L. VAILLANT. cet auteur, me parait fort mauvaise et differe trop de ce que Müller a observé et de mes propres recherches, pour qu'on puisse la regarder comme parfaitement exacte. Le byssus y est figuré comme une sorte de cylindre plein qui rappellerait l'or gane analogue chez les Arches ; on peut voir dans le travail de l'auteur allemand que j'ai cité et par ce qui sera exposé plus loin ce qu'il faut penser de cette idée. MM. Quoy et Gaimard (1), ont représenté également le byssus de la Tridacna mutica dans les planches du F’oyage de l'Astrolabe, cette figure est sans doute moins défectueuse que celle de M. Woodward, cependant, elle est encore loin de donner une idée suffisante de cet organe. La description de Müller dans son remarquable travail est beau- coup meilleure et, sauf quelques détails qui ont échappé à son observation faute sans doute d’avoir pu convenablement étu- dier l'individu qu'il avait à sa disposition, je n'aurai qu'à confir- mer sur beaucoup de points ce qu'il a avancé. Le byssus de la Tridacne se compose de deux parties distinctes : l’une centrale formée de ce que Müller appelle le tronc (2); l'autre à laquelle on peut donner le nom de chevelu (3) et qui se compose de filaments d'une part unis au tronc, adhérant d'autre part aux corps sur lesquels l'animal se fixe. C’est done à tort que de Blainville (4) admet qu'il est comparable à celui des Arches et que les Tridacnes peuvent «se fixer aux corps solides » par une sorte d'agglutination de leur pied et non fibre à fibre » . Il s’insère par son tronc au fond de la cavité cratériforme creu- sée dans le pied et dont or a parlé plus haut. La disposition de sa base ou racine s’'accommode à celle de ces parties, c’est-à-dire qu’elle se partage en deux branches (5), ce qui donne à la por- tion centrale du byssus la forme d’un Y renversé, dont les deux divisions pénétreraient dans les deux enfoncements latéraux (1) Voyage de FAstrolabe, Zoorocre, pl. 80, fig, 3. — Voy. aussi : Règne animal de Cuvier, grande édition, Mor£usques, atlas pl, 96, fig. 3. (2) PI. 8, fig, 1 : #b5; pl. 40, fig. 1 :.4. (3) PL. 8, fig. 4 : cb; pl. 10, fie, 4 (4) Loc. cit., p. 152. (5) PIMO Ne Aer aur, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 105 du fond de la cavité, lesquels sont creusés dans le centre de cha- cun des rétracteurs postérieurs. Ces deux enfoncements (1), aussi bien que l'élévation en dos d'âne qui les sépare, présentent à leur tour des dépressions ou cryptes d’abord assez grandes, puis subdivisées de plus en plus, de manière à présenter en dernière analyse de petits culs-de-sac où pénètrent des prolongements du byssus, qui envoie une petite ramification dans chacun d'eux; il y à là un emboîtement réciproque qui assure l’adhérence des deux organes l’un avec l'autre. Sur un individu frais il est facile de constater cette disposition au moyen de coupes fines longitu- dinales, c’est-à-dire faites suivant l'axe du tronc et intéressant à la fois le byssus et la portion musculaire ; sur une préparation ainsi obtenue, on peut reconnaître aisément l’emboîtement dont je viens de parler surtout après avoir traité cette coupe soit par l'acide acétique qui pâlt les fibres musculaires sans altérer les éléments du byssus, soit par l'alcool concentré qui désunit un peu ces derniers et fonce en les coagulant les éléments con- tractiles, réactions qui, on le comprend, facilitent beaucoup l’observation. Lorsque les animaux sont depuis un certain temps dans l'alcool, le byssus se détache d'ordinaire avec une grande facilité. Ces racines ultimes de l'organe, qui pénètrent dans les derniers culs-de-sac, sont épaisses de 0"",052, elles se réunissent en faisceaux plus gros correspondant à des cryptes de plus grandes dimensions, ces faisceaux à leur tour s'unissent les uns aux autres et enfin une coupe transversale menée vers le milieu de la longueur du tronc montre deux portions principales latérales subdivisées par des cloisons qui y dessinent une sorte de réseau fort élégant, ces deux portions correspondent à la division de la base en deux grandes branches primaires et les subdivisions aux racines d'ordre plus inférieur; cette disposition est fort bien décrite et figurée par Müller (2). Le tronc ainsi constitué a la forme d’un doigt effilé ou d’un cône obtus à son sommet, il est recourbé en arrière présentant par suite une convexité en avant. (4) PI. 40, fig. 2: c. (2) Loc: cit,, pl. 1, fig. 3. 106 L. VAILLANT. Sa couleur est blanche, sauf à la partie supérieure où il prend une teinte opaline violette; au reste suivant Müller toutes les parties de l’organe peuvent présenter cette coloration sous cer- taines imcidences de lumière (1). La portion du byssus que j'ai désignée sous le nom de che- velu offre une disposition tout à fait différente, il faut se la figu- rer, et cela se voit fort bien sur les fibres les plus jeunes qui sont les plus inférieures ainsi que je le dirai plus bas, comme consti- tuée par des filaments isolés (2) appliqués par leur partie mé- diane sur la portion antérieure convexe du tronc et dont les extrémités sont ramenées en arrière et réunies (3) ; il en résulte que l’ensemble forme une boucle qui embrasse la partie centrale du byssus; le plein est intimement joint au tronc, les deux extré- mités réunies adhèrent aux corps sur lesquels l'animal est fixé. Cette disposition, qui est démontrée et par un examen attentif et par l'étude de l'organe sécréteur de ce chevelu, n'avait pas été parfaitement interprétée par Müller, faute sans doute d’avoir pu disséquer le pied de l'individu qu'il examinait pour se rendre compte de la disposition réelle de toutes les parties, peut-être aussi par suite des idées régnant alors sur la sécrétion de certains produits. Il est en effet essentiel pour bien comprendre ce chevelu de pouvoir examiner en détail la cavité qui contient le byssus. Si, après avoir enlevé celui-ci, on fend le pied d’une Tridacne sur sa partie antérieure suivant la ligne médiane, on voit sur la face interne de la parot postérieure deux sillons parallèles limités cha- cun par deux lèvres épaisses (4). Ces sillons se réunissent en haut de cette dernière paroi en formant un petit épatement qui corres- pond à la face interne du mamelon postérieur (5), de là ils descen- dent parallèlement l'un à l’autre et arrivés un peu au-dessus du point où la cavité cratériforme se continue dans les deux enfonce- (4) Loc. cit., p. 20. (2) PI. 40, fig. 4: c. (3) PL 40, fig. 4 : d. (4) PI. 10, fig. 2 : d, d'fig. 3:aa. (5) PI. 40, fig. 2 * G. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 107 ments latéraux les deux sillons se séparent en se dirigeant l’un à droite, l'autre à gauche (1) contournent la cavité en restant tou- jours à peu près à la même hauteur et vont se réunir sur la paroi antérieure de telle sorte que, en partant d'un point quelconque de ce sillon, on peut le parcourir en entier sans sortir de la gout- tière qui le forme et faire ainsi tout le tour de la cavité du pied. Cette disposition représente absolument celle des fibres du che- velu dont ces sillons doivent être considérés comme l'appareil sécréteur. Müller avait fort bien vu le gros sillon longitudinal, mais il n'avait pas observé la réunion à la face antérieure, car 1l le décrit comme «s’élargissant au fur et à mesure qu'il des- » cend dans la cavité du byssus pour renfermer en son milieu la » saillle en forme de V (qui sépare les deux enfoncements » latéraux) et descendre des deux côtés dans les deux enfonce- » ments principaux de la cavité» (2). Si l’on fait une coupe de la partie postérieure du pied perpen- diculairement à la direction longitudinale des sillons on voit qu'ils sont limités chacun par deux lèvres rapprochées dont l’extérieure est la plus élevée (3). Au fond de chacune des gout- tières étroites ainsi formées débouchent les conduits excréteurs de glandes en grappe facilement reconnaissables (4) et dont la couleur, blanche opaque dans les préparations fraiches tranche nettement sur la teinte jaunâtre des autres tissus. Chacun des acini de ces glandes mesure 0°*,208 de long sur 0"*,089 dans sa portion la plus large ; ils sont formés de culs-de-sac de 0"",042 sur 0°”, 062 qui contiennent d'ordinaire chacun quatre noyaux transparents de taille régulièrement différente, deux d’entre eux (5) mesurant 0"",015, les autres (6) ayant des dimensions moitié moindre, ces noyaux ne paraissent passe trouver renfermés dans des cellules nettement distinctes et constituent avec des (1) PL 10, fig. 2 : d’, dr. (2) Loc. cit., p. 48. (3) PL 10, fig. 3 (4) PI. 40, fig. 2 (5) PI. 10, fig. 5 : a. (6) PL 40, fig. 5 108 L. VAILLANT, granulations moléculaires les seuls éléments anatomiques appré- ciables. Bien que ces culs-de-sac soient parfaitement hmités et facilement isolables je n’ai pu reconnaitre leur paroi propre. Ces glandes sont évidemment en rapport avec la sécrétion du byssus, et c’est à leur ensemble que doit s'appliquer le nom de glande byssogène (glandula byssipara) employé par Müller. Quand on examine le byssus encore adhérent après avoir fendu le pied comme dans la préparation que je viens d'indiquer pour découvrir la gouttière byssogène dans tout son parcours, on reconnaît que les fibres du chevelu n'existent sur le tronc qu'à une certaine hauteur, qui correspond précisément à l'an- neau inférieur de cette gouttière. Il paraît impossible par consé- quent de ne pas admettre que celle-ci ne soit l'organe actif de production de ces fibres. On peut donc se figurer que le byssus se sécrète de la manière suivante. Les cryptes du fond des cavités donnent naissance à des filaments, dont la production a lieu sans doute au moyen d’un blastème épanché au fond des derniers culs-de-sac, ce que l'on peut comparer jusqu'à un certain point à la sécrétion des poils chez les animaux supérieurs. Ces filaments s'élèvent et, réunis par une matière gommeuse spéciale, forment le tronc, arrivés à la hauteur de la gouttière byssogène (nom impropre, puisqu'elle ne sécrète qu'une partie du byssus) celle-c1 dépose un filament de chevelu qui entoure et cercle pour ainsi dire la portion centrale ; comme cette dernière continue de s'élever les filaments se déposent les uns au-dessous des autres et finissent par donner à cette partie l'aspect qu'on lui trouve chez les adultes et qui à été figurée par Müller (4). Avec l'âge le byssus grossit par l'adjonction autour du trone primitif de filaments du chevelu qui le recouvrent de nouvelles fibres, lesquelles sont entourées à leur tour et ainsi de suite, de là vient que, sur l'organe complé- tement développé, un grand nombre des fibres du chevelu paraissent sortir de l'intérieur du tronc, il est même possible que certains filaments de celui-ci se mélangentau chevelu en se diri- (4) Loc. cit, pl. 4, fig. 1. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. ‘109 geant vers l'extérieur, mais ce n'est pas le cas habituel. Il serait à désirer, pour donner la démonstration directe de ce mode d'accroissement, d'observer le byssus sur des animaux à diffé- rents états de développement ou sur des individus auxquels on aurait pu arracher cet organe en tout ou en partie. L'auteur allemand, dont j'ai cité souvent le travail, n'ayant pas reconnu la disposition de la gouttière byssogène regardait le chevelu comme formé dans sa partie basilaire par le fond de la cavité du byssus et par conséquent comme en représentant la forme, ce qui l'avait conduit à admettre que ces filaments se continuaient par leur circonférence avec une gaine entourant d’abord toute la base du tronc, puis se partageant en autant de gaines secondaires qu'il y avait de subdivisions jusqu'aux plus ténues, comparables par conséquent, suivant son expression, à un gant revêtant la main, l'extrémité des dernières ramifications aurait cependant été percée pour laisser passer les fibres du tronc. Ces gaînes générales, aussi nombreuses que les filaments du chevelu, seraient emboîtées les unes dans les autres comme des gobelets empilés ou des tasses dont le filament détaché figu- rerait le manche (4). Müller s'appuie, pour établir ce fait, sur ce qu'en cherchant à arracher un de ces filaments on enlève avec lui une sorte de mince membrane qui parait descendre sur la racine du tronc. Mais ce n'est là qu'une fausse apparence produite par l'adhérence établie entre toutes les parties du byssus par une substance agglutinante d'apparence gommeuse ; il est facile de s’en convaincre en examinant un de ces organes qu’on a laissé séjourner pendant quelque temps dans l'alcool absolu : ce réactif dissout quelque peu cette matière et permet de dissocier les par- ties avec un peu plus de facilité bien que d’une manière incom- plète, ce qu'on doit surtout attribuer au feutrage qui existe entre les différents éléments. Cette idée de Müller rappelle, comme on le voit, certaines théories anciennes sur la sécrétion des poils. Au point de vue histologique les parties constituantes du trone et du chevelu ne paraissent pas différer sensiblement. Ces élé- 1) Loc.cit., p.416. 110 1. VAILLANT, ments se présentent sous l’aspect de fibres hyalines très-fines, me- surant 0°",0029 et qui se réunissent en faisceaux de 0"*,052, qu'on pourrait appeler faisceaux primitifs, ce sont eux qui sortent des derniers culs-de-sac des cryptes; ces faisceaux primitifs con- servent la même dimension sur toute leur longueur. Malgré cette similitude d'aspect, les éléments du tronc et du chevelu ne se comportent pas absolument de même sous l’action des réactifs, ce que l’on pourrait peut-être attribuer à la différence de pro- portion dans la substance gommeuse dont j'ai parlé comme unissant les éléments, substance qui est beaucoup plus abon- dante dans le tronc. L’acide sulfurique concentré dissout au bout de douze heures environ les fibres du chevelu et n’attaque pas très-sensiblement le tronc dont la couleur devient simplement brune ; toutefois après l’action de ce réactif les fibres primitives deviennent indistinctes et l’on ne reconnait plus que des fais- ceaux de 0"*,017. L’ammoniaque n’altère pas le chevelu, mais gonfle considérablement la substance du tronc qui apparaît alors comme finement striée. Outre ces éléments, il faut encore signa- ler dans les derniers culs-de-sac des cryptes producteurs du tronc une couche épithéliale qui sépare les fibres musculaires des fibres propres du byssus, elle n’est sans doute pas étrangère à la sécrétion de celles-ci. Il résulte de ces considérations que le byssus doit être regardé, ainsi que le pensent les auteurs modernes, comme produit par une sécrétion toute spéciale et non comme dépendant des fibres musculaires dont l'extrémité subirait avec le temps une modifi- cation particulière, ainsi que l'avaient admis certains anatomistes à l'exemple de de Blainville (1). Les rapports du muscle avec cet organe seraient plutôt comparables à ceux qui existent entre les fibres musculaires et les fibres tendineuses, le byssus serait le tendon de la portion centrale du rétracteur postérieur ; sa struc- ture histologique est d’ailleurs assez en rapport avec cette manière de voir. Dans la Tridacne hippope le byssus doit sans doute être cons- 4) G. Cuvier, Lecons d'anatomie comparée, 2° édit., 1846. t. VIII, p. 668, (1) > Les RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. qui truit sur le même type. J'ai pu examiner les échantillons de cet animal qui ont été rapportés par MM. Quoy et Gaimard, les bys- sus n’existaient plus ou du moins étaient enlevés, ce qui s'expli- que facilement par le séjour prolongé de ces individus dans l’aicool, mais la cavité du pied et la disposition des gouttières byssogènes rappellent absolument ce qu’on voit dans la Tridacne allongée. Cette structure du byssus et sa division en deux parties, tronc et chevelu, affectant les rapports que je viens de décrire, se ren- contrent certainement, comme l'a déjà dit Müller, chez un certain nombre d’acéphalés, c'est ce qui paraît résulter de l’exa- men de différents Mollusques entre autres de l'étude de la Moule comestible, les glandes byssogenes de cet animal sont inême remarquablement développées, mais la petitesse des organes rend difficile à reconnaitre la disposition des sillons. Le ligament doit évidement être compris dans les appareils du mouvement puisque €'est lui qui est spécialement chargé d'ou- vrir la coquille, son action est assez considérable et l'animal, comme on le verra plus bas, reste rarement fermé pendant un certain temps, quelque soit cependant la force de son muscle adäucteur. Cet organe est situé en arrière des crochets dans une nymphe creusée en gouttière qui suit le bord du corselet et va en s élargissant postérieurement. Chez les Tridacnes, il ne diffère pas de celui d’un grand nombre d’autres Mollusques acéphalés, mais l'étude de cette partie ne me semble pas avoir été généra- lement faite d'une manière aussi complète qu'on pourrait le désirer et il me paraît utile, pour mieux éclairer le point spécial qui nous occupe, de reprendre la question d’une façon générale, tant au point de vue de la nature histologique qu'au point de vue de l’action physiologique. La plupart des auteurs se sont contentés pour ainsi dire de signaler en passant la nature du ligament et, quant à son mode d'action, si tous sont d'accord sur ce fait que le ligament agit comme antagoniste du muscle adducteur et d’une facon en quelque sorte passive, en raison de son élasticité, la ma- 112 L,. VAILLANT, nière dont celle-ci est mise en jeu a été très-diversement inter- prétée. G. Cuvier (1) n'est pas très-exphicite à cet égard et, sans faire aucune distinction dans la position du ligament, se contente de dire que l'ouverture des valves à lieu par l'effet du ligament élastique qui fait l'office de muscle. Mais comme dans l’action musculaire on voit toujours des fibres qui agissent en rappro- Chant leurs deux points d'attache, l'expression de cet anatomiste tendrait à faire croire que, suivant lui, le ligament tiraillé pen- dant la fermeture des valves agit par rétraction, en un mot que c'est une élasticité de traction qui est mise en jeu. Meckel (2) dit que l'on trouve «au-dessus de la charnière, à » l'extérieur de la cavité de la coquille, un ligament très- » élastique composé en partie de substance fibreuse, en partie de » de subslance musculaire; cette production étendue d’une valve » à l'autre agit par son élasticité en sens contraire de l'action » contractile des muscles qui rapprochent les valves». L'auteur ne fait évidemment allusion qu'aux ligaments externes, mais ses expressions et la présence du tissu musculaire qu’il admet dans le ligament montrent assez qu'il le considère comme agissant par traction. Dans son Manuel de malacologie et de conchyliologie, de Blainville (3) est beaucoup plus complet, et l'on ne peut avoir aucun doute sur sa manière de comprendre l’action du ligament. Il distingue très-nettement la position externe ou interne de cette partie et admet en outre un ligament épidermique ; la substance élastique est formée de fibres qu'il compare à celles des véri- tables byssus et «qui passent d’une valve à l’autre, absolument » comme les fibres contractiles des muscles adducteurs » . Enfin, il ajoute, en parlant de l’action physiologique qui amène l’ou- verture des valves (4), celle-ci «est produite par la disposition » du ligament de la charnière dont les fibres perpendiculaires à L (41) Lecons d'anatomie comparée, 2° édit, &. IL, p. 23, 1837. (2) Meckel, /oc. cit., t. II, p. 170, (3) Loc. cit., p. 415. (4) Loc. cit., p. p. 151. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 113 » chaque valve sont tiraillées ou comprimées, suivant leur posi- » tion, en dehors ou en dedans du point d'appui, lorsque l’on » cherche à faire toucher les deux valves». Il admet donc deux manières d'agir du ligament : ou par élasticité de traction, ou par élasticité de pression. M. Valenciennes se rangeait à l'opinion de de Blainville, en ce qui touche l’élasticité de traction, puisque dans sa description de la Panopée australe (1), il dit que le ligament «est tout à fait » externe, convexe en dessus, concave du côté de l'animal, très- » fort, et doit ouvrir les valves par la force rétractile de ses fibres » élastiques » . M. Deshayes (2) n'admet plus que l’élasticité de pression. Il divise les ligaments en intérnes et externes ; les premiers ne seraient composés que d’une seule substance formée de fibres parallèles et perpendiculaires (sans doute à la surface des valves). Le ligament externe comprendrait deux substances: l’une, inté- rieure, semblable à celle dont on vient de parler; l’autre, exté- rieure, mince, solide, composée de fibres transverses, s'étendant d'une valve à l’autre. Le ligament interne ouvre les valves en réagissant contre la pression que celles-ci exercent sur lui; le ligament externe a «absolument la même action ». Cependant, en parlant des Arches, des Pétoncles et des Cucullées, cet auteur ajoute que «la surface supérieure des crochets, dans ces genres, » offre une surface plus ou moins large, aplatie, triangulaire, » quelquefois sillonnée, sur laquelle un ligament mince, sem- » blable à une toile élastique, est fortement attaché ». Cette dernière expression de Loile élastique pourrait à tort porter à pen- ser qu'un pareil ligament ne peut guère agir que par traction, ce qui n'est cependant pas dans l’idée de l’auteur. Dans leur Traité élémentaire d'anatomie comparée, MM. Stan- nus et Siebold (3)adoptent la manière de von: de de Blainville, et (1) Description de l'animal de la Panopée australe, et recherches sur les autres espèces vivantes ou fossiles de ce genre (Archives du Muséum d'histoire naturelle, 1839, t. I, p.5). (2) Traité élémentaire de conchyliologie, 1839-1857, t. I, p. 321. (3) Nouveau Manuel d'anatomie comparée, trad. par MM. A. Spring et Th. Lacor- daire, 14850, t. I, p. 243. 9€ série. ZooL. T. IV, (Cahier n° 2.) 4 8 14f L, VAILLANT. regardent le ligament comme agissant par élasticité de pression s'il est interne, par élasticité de traction s’il est externe; ils donnent des exemples qui ne laissent aucun doute sur leur ma- nière de voir. Cette opinion est aussi celle de M. Moquin- Tandon (4). M. Woodward (2), dans son excellent Manuel de conchyliologe, paraît adopter l'opinion de M. Deshayes, mais aussi admettre que le ligament externe, ou ligament proprement dit, composé d’une substance épidermique, est tiraillé (stretched) lors de l’occlusion des valves ; la partie qu’il appelle cartilage, composée de fibres élastiques placées perpendieulairement aux surfaces qui la con- tiennent, à au contraire son action mise en jeu par la pression. Pour ce dernier cas l’auteur ne cite que des coquilles comme les Myes, les Nucules, les Amphidesmes, pour lesquelles il ne saurait y avoir de doute ; tandis que les Arches, les Pétoncles, les Ano- dontes sont cités lorsqu'il s’agit de la partie externe du ligament : ce qui peut faire croire qu’il reconnaît à la partie épidermique une certaine élasticité. En résumé, on voit, par la lecture de ces différents auteurs, que les uns regardent nettement le ligament comme agissant de deux facons où après compression, ou après traction; que les autres, en admettant seulement le premier mode, n'ont peut- être pas assez précisé la manière dont l’élasticité est mise en jeu dans les cas douteux où le ligament tout à fat extérieur ne paraît pas pouvoir être comprimé entre les valves, Des études que j'ai pu faire il me paraît résulter, en adoptant la dernière opinion, que chez tous les Mollusques acéphalés, chez les- quels le ligament sert à l'ouverture des valves, c’est par l'élasti- cité de pression qu’il entre en jeu, qu'il soit interne, externe ou marginal. C'est ce qui ressortira, je l'espère, de l'examen des faits que je vais exposer, ef, comme on le verra, les différents types étudiés me paraissent répondre aux principales disposi- tions connues de cet organe. (4) Histoire naturelle des Mollusques terrestres et fluviatiles de France, 1855, t. 1, p. 299. (2) Loc. cit,, p. 247, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 145 Avant tout, il est important d'examiner le ligament au point de vue histologique, ce qui, dans un certain nombre de cas, peut permettre de reconnaitre avec plus de facilité quelques disposi- tions anormales. Dans la Tridacne, où le ligament est externe, on y distingue aisément deux parties contigués et emboitées l’une dans l’autre : l’extérieure, à laquelle on peut donner assez justement le nom de portion épidermique (1); l'intérieure, que, d’après sa structure ou ses fonctions, j'appellerai portion fibreuse ou élastique (2). Ces deux parties sont aisées à reconnaître égale- ment chez le Mytilus edulis, le Cardium edule ; elles sont écartées l'une de l’autre, et par suite encore plus faciles à étudier chez les Amphidesmes, les Myes : ce sont là des faits bien connus. Ces deux parties ne sont pas moins distinctes par leur structure qu'au point de vue physiologique. La portion épidermique a généralement une couleur plus ou moins foncée, brune ou noirâtre ; elle est résistante etse déchire très-difficilement par la traction; son élasticité est sinon nulle, au moins excessivement faible, ce dont on peut s'assurer sur la Moule ordinaire, où il est facile d’en obtenir des fragments assez considérables; enfin, traitée par les acides concentrés, comme l'acide chlorhydrique, elle ne fait pas d’effervescence notable et ne paraît pas sensiblement altérée; un séjourprolongé pendant vingt- quatre ou quarante-huit heures dans une dissolution concentrée de potasse caustique la rend simplement plus friable. Examinée à un grossissement suffisant, on peut y reconnaître une substance homogène qui, dans quelques-uns des exemples que j'ai cités, présente deux couches nettement distinctes : tel est le Cardium edule, où cette portion externe du ligament montre deux couches, l’extérieure, colorée, l’intérne, d’un jaune très-päle. La portion que j'appelle fibreuse est en effet composée de fibres (3) dont la direction générale se distingue à l’œil nu ; elles sont parallèles entre elles et à la surface des nymphes dans tousles Mollusques que j'ai pu examiner : c’est elle que M. Woodward (4) PL 40, fig. 6: a (2) PL 40, fig. 6 : à. (3) PL 40, fig. 7. 116 L. VAILLANT. désigne sous le nom de cartilage. Elle est d'ordinaire plus abon- dante que la portion épidermique, blanche où moins souvent brun verdûtre, nacrée, friable, etse déchirant avec la plus grande facilité lorsqu'on la tiraille, très-élastique, si on la comprime; et sous ce rapport on pourrait à Juste titre l'appeler la portion active du ligament. Traitée par l’acide chlorhydrique, elle fait une très- vive effervescence et sa transparence augmente d’une manière notable; plongée pendant un certain temps dans une dissolution concentrée de potasse caustique, sa friabilité devient plus grande par suite de la dissociation de ses éléments, qui sont alors très- faciles à isoler. Examinée au microscope, outre la structure fibreuse qu'on lui reconnaît, surtout sur les coupes longitudinales ou transversales, on voit qu'elle est formée de couches concen- triques nettement distinctes et assez nombreuses. Il est parfois possible de saisir une certaine différence entre les couches internes et les couches les plus extérieures ; les premières, qui sont sans doute les plus jeunes, sont plus colorées. Enfin, on doit remarquer que souvent la portion fibreuse du ligament dans la partie la plus voisine des crochets a subi une sorte de destruction par suite de laquelle les fibres sontnaturellement dissociées : cela se voit fort bien sur l’Huitre ordinaire. La structure fibreuse de cette partie fait que, sous certaines incidences, elle décompose la lumière en produisant des teintes nacrées ou opalines assez agréables pour que l’on ait pu s’en servir dans la confection de certains bijoux. Chemnitz (1) rapporte que c’est de la Tridacne qu'on retire le lapis pavonius; c'est aussi l'opinion de Davila, d’après le passage suivant qu'il cite : «On taille d’une partie de > son nerf les prétendues pierres jouant l’opale, nommées vul- > gairement pierres à queue de Paon. » (Davila, C'at., t. 1, n° 853, p- 567.) Mais il y a peut-être confusion, et c’est habituellement à certaines espèces du genre Pinna qu’on a emprunté ces produits: c'est ce que l’on peut voir dans les collections du Muséum, sur une bague dont le chaton est fait avec un fragment du ligament d’une de ces dernières. (4) Neues systematisches Conchyliencabinet, t. VII (1784), p. 420. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 117 Outre ces deux substances, il en existe une troisième moins généralement répandue que les deux premières, et que l’on ren- contre chez les Peignes et les Spondyles en particulier. Elle se rapproche évidemment, par sa structure et ses propriétés, de la substance fibreuse, et présente comme celle-ci des couches con- centriques et une apparence fibrillaire, bien que mois nette ; cependant on peut l'en distinguer par sa friabilité et son élasti- cité encore plus grandes, caractères auxquels se joint celui de ne pas faire effervescence par l'acide chlorhydrique ; la potasse également ne la décompose pas en fibrilles, et, au lieu d’avoir l'aspect blanc nacré de la substance fibreuse proprement dite, sa couleur est brune : il est vrai qu'au moins chez le Pecten maxi- mus, après l'action de l'acide chlorhydrique, la portion fibreuse effervescente prend cette même teinte. Cette troisième substance ne doit, je pense, être regardée que comme une modification de la substance élastique proprement dite, modification assez notable toutefois pour mériter une attention spéciale; je la dési- gnerai sous le nom de substance élastique non effervescente : c'est en effet un de ses caractères les plus saillants. Quels que soient les Mollusques que j'aie pu examiner, je n'ai Jamais trouvé que ces substances élémentaires, mais qui se com- bnent de diverses façons. Sous ce point de vue, les Acéphalés se rangent sous plusieurs chefs. Un certain nombre ne présentent pas trace de ligament, comme les Arrosoirs, les Gastrochènes, les Tarets. D’autres n’ont qu'une des substances, soit la portion épi- dermique seule, c’est ce qui a lieu dans la Pholas candida, soit la substance élastique seule avec sa modification dont on a parlé en dernier lieu, c’est ce que l’on voit chez les Spondyles. Mais, dans le plus grand nombre des cas, la substance épidermique et la substance fibreuse se rencontrent simultanément, et parfois, mais plus rarement, la substance élastique non effervescente s’y jont. Le rapport physiologique de ces parties est constant, c’est-à- dire que la portion épidermique établit entre les deux valves un lien inextensible en dedans duquel se trouve la portion fibreuse qui est comprimée au moment de la fermeture de la coquille. 118 L. VAILLANT. Examinons sur différents exemples la manière dont cette action est mise en jeu. Dans le Pecten maæimus, qui possède un ligament interne type, on rencontre toutes les substances énumérées. La substance épi- dermique existe le long de tout le bord supérieur de la coquille, sauf tout à fait au sommet des crochets ; elle réunit suivant une ligne droite les deux valves et s'oppose absolument à leur écar- tement. La substance fibreuse est rudimentaire et forme deux espèces de coussinets triangulaires en contact Immédiat avec cha- cune des valves ; elle doit peu servir à l’ouverture de la coquille. La substance élastique non effervescente est au contraire très- développée, et constitue à elle seule en quelque sorte toute la partie active du ligament. Elle forme une masse que l’on peut comparer à une pyramide quadrangulaire comprise entre les deux coussinets de substance fibreuse effervescente ; le sommhet de la pyramide correspond au milieu de la ligne de jonction des valves et apparaît sous les crochets, là où manque la substance épider- mique. Cette partie étant excessivement élastique, l'ouverture des valves est assez considérable et surtout a lieu très-brusquement, ce qui est en rapport avec un des modes de locomotion parlicu- lier à ces Mollusques. La manière d'agir de ce ligament est des plus simples à saisir, aussi a-t-elle été parfaitement décrite par plusieurs auteurs. Les deux valves se mouvant autour de la ligne supérieure formée par les oreilles où se trouve la substance épi- dermique, et la portion élastique étant en dedans de cette ligne, cette dernière est comprimée quand le muscle adducteur rap- proche ces valves, et réagit aussitôt que l’action de celui-ci cesse. On voit que chez cet animal nous avons une partie élastique médiane et deux points d'union latéraux inextensibles ; c’est là une première disposition que nous retrouverons chez un bon nombre de Mollusques. | Un second type assez différent nous est fourni par la Tri- dacne (1), la Bucarde comestible, l'Anodonte, et en général tous les Acéphalés chez lesquels le ligament est externe. La (4) PI.40, fig. 6. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 119 portion épidermique est d'ordinaire composée des deux variétés que J'ai signalées en parlant de la substance épidermique en général ; c'est ce qui a lieu en particulier pour le Cardium edule que je choisis de préférence comme type, attendu qu’il est facile de s'en procurer sur nos côtes. Sur une coupe transversale menée perpendiculairement à la direction générale du liga- ment, on trouve d'abord une enveloppe grisâtre, opaque par la lumière transmise, puis placée concentriquement en dedans de celle-ci une couche plus épaisse, d’une teinte plus claire, transparente lorsqu'on la regarde au microscope su une coupe médiocrement fine : c’est à l'intérieur de ces deux couches dé- pendant de la partie épidermique inextensible, que se trouve la substance fibreuse formant une troisième couche beaucoup plus épaisse que les précédentes, et qui est comme toujours la portion active du ligament. Si l’on examine la manière dont ces différentes parties sont disposées par rapport à la coquille, on voit, ce qui a étédécrit depuis longtemps, que les couches épidermiques vont s’imsérer au fond d’un sillon situé à la partie la plus extérieure des nymphes, et que la portion fibreuse vient s'appuyer contre une partie de la coquille, qui n'est autre chose que la nymphe proprement dite, présentant en haut et en dedans deux faces aplaties réunies à angle droit. De ces faces, la supérieure est celle où s’insère la portion fibreuse active ; quant aux faces internes, celle d’un côté, en s'appliquant contre la partie homologue de la valve opposée, ferme en bas la cavité où se trouve la portion fibreuse, ce qui empêche celle-ci de péné- ter dans l'intérieur des valves lors de l’occlusion. En effet, par suite de cette disposition plus facile à voir qu'à décrire, mais qui est très-aisée à reconnaitre sur la coquille prise comme type, la partie élastique du ligament est enfermée dans une sorte de tube allongé formé d’un côté par la portion épidermique, d’un autre par les faces supérieures aplaties des nymphes. Cette dis- position une fois comprise, il est facile d’expliquer la façon d'agir du ligament. Lors du rapprochement des valves, la partie élas- tique est comprimée entre la tunique épidermique et les nymphes ; lorsque l’action musculaire cesse, elle réagit contre ces 120 L. VAILLANT. dernières qui seules sont mobiles, et c’est donc évidemment par élasticité de pression que le ligament produit son effet dans ce cas, etnon par élasticité de traction. Si l’on examine le ligament sur le sec, la substance fibreuse, en se desséchant, perd beaucoup de son volume et s'applique contre la couche épidermique, qui ne change pas ; il existe alors un vide entre elle et les nymphes, ce qui pourrait tromper sur la disposition réelle du ligament, et faire supposer que l'ouverture des valves aurait lieu au moyen d'un ligament qui réagirait après flexion, cet organe ayant alors la forme cintrée d’une sorte de voûte; mais l'examen de pièces fraiches ne permet pas, je crois, de doute à cet égard. Cette remarque s'applique du reste à l'étude de tous les ligaments, et il est d’une très-grande importance de ne pas se contenter de les examiner sur des individus desséchés. La dispo- sition du ligament dans ce cas, comparée à ce que nous avons vu dans le Peigne, offre des différences importantes qui en font un second type où la substance fibreuse élastique est non pas en relation sur ses deux côtés avec la substance épidermique, mais enveloppée par elle ; il en résulte que cette dernière a pour usage non-seulement de s'opposer à l’écartement des valves, mais encore de servir à comprimer réellement la partie active. Les ligaments de tous les Mollusques acéphalés, quelles que soient les modifications qu'ils semblent présenter, me paraissent toujours pouvoir se rapporter à l’un ou à l’autre de ces types; il est bien entendu qu'il n’est ici question que de ceux chez les- quels le ligament opère l’écartement des valves. En effet, chez les Pholades, dont j'ai déjà dit un mot plus haut, leligament, dans la Pholas candida au moins, ne sert plus absolument qu’à réunir les deux portions de la coquille ; aussi est-1l réduit exclusivement à sa partie épidermique, reconnaissable à tous ses caractères habituels. H se présente sous la forme d’une languette dont une moitié est libre, dont l’autre moitié est insérée dans un sillon étroit et profond dirigé obliquement d'avant en arrière et de dehors en dedans ; situé à la partie postérieure de la callosité de la valve droite, ce sillon peut être considéré comme l’analogue de celui dans lequel s’insère la portion épidermique du ligament RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 121 dans la Tridacne et la Bucarde, Sur la valve gauche, la callosité présente en arrière une apophyse très-exactement de la dimen- sion de la partie libre du ligament et dirigée également d'avant en arrière et de dehors en dedans, sur laquelle s'applique celui- ci; il est à peine adhérent, et l’on peut aisément, après la mort de l'animal, séparer les deux valves sans rompre le liga- ment n1 fracturer l'apophyse, ces deux parties étant par consé- quent très-faiblement unies. Cet organe rudimentaire manque au reste dans un grand nombre d'animaux de la famille des Phola- didés, et paraît n’exister chez aucun des représentants de celle des Tubicoles ; mais dans toutes les autres familles des Acéphalés conchifères on le rencontre normalement développé. Chez le Spondyle (1) le ligament se rapporte au type du Pecten Jacobeus, mais la portion active est réduite à une seule substance, la substance élastique non effervescente ; la substance épider- mique manque complétement, et l'écartement des valves, lors de la fermeture, est prévenu par les dents robustes de chacune des moitiés de la coquille, qui forment une charnière en sorte de double gond si solide, que chez bon nombre d'espèces, comme on le sait, 1l est difficile d’en opérer la séparation sans rupture. Cette modification curieuse n'empêche pas cependant que le Spondyle, sous le rapport de l'appareil qui ouvre sa coquille, ne soit absolument comparable aux Peignes; mais, quant à la composition du ligament, on voit que c’est une sim- plification exactement opposée à celle des Pholades ; celles-ci n'ont plus que la portion épidermique, les Spondyles en sont réduits à la substance active. Dans l’Huître commune (Ostrea edulis, Lin.), c’est encore au type du Pecten que se rapporte le ligament, mais avec quelques modifications accessoires. Si l'on examine cet organe de face, lorsque les deux valves sont disjointes, on voit qu’il se compose d'une portion médiane et de deux portions latérales ; l’ensemble de ces trois parties forme un triangle assez régulier dont le som- met correspond au crochet; la base, tournée vers l’intérieur de la (4) L'espèce que j’ai pu étudier est le Sp. aculeatus, Chemnitr. 122 L. VAILLANT, coquille, n’est pas une ligne droite, mais présente en son milieu une saillie arrondie qui correspond précisément à la portion mé- diane. Celle-ci est de couleur brun jaunâtre ou verdâtre. Sur des coupes minces, il est facile de s'assurer qu’elle présente des couches concentriquement disposées par rapport à la saillie arrondie qu'elle fait sur la base du triangle ; sous l’action de la potasse, cette partie se décompose en fibrilles, et l'acide chlorhy- driqué y détermine une vive effervescence : à ces caractères, il est aisé de reconnaître qu'on a sous les yeux la substance fibreuse. Il n’est pas plus difficile de voir que les deux parties latérales sont composées de substance épidermique; leur couleur est beaucoup plus foncée et paraît noire à première vue, bien qu'elle soit plutôt verte; cette dernière couleur, sur les coupes observées par transparence, prend même sur quelques points une singulière vivacité. Ces substances sont bien dis- tinctes et présentent tous leurs caractères à la partie inférieure du ligament; mais au point opposé, vers les crochets, elles sont comme décomposées, surtout en ce qui concerne la substance fibreuse dont les éléments sont désunis; on peut en conclure que la seule portion réellement utile du ligament est la partie infé- rieure la plus récemment formée. Quant au mode d'action, une #ois cette disposition connue, il est facile à saisir. Les valves sont réunies de façon à ne pouvoir se séparer au moyen de la sub- stance épidermique qui forme deux points d'attache latéraux autour desquels à lieu le mouvement; ia substance fibreuse qui fait saillie à la base du triangle cité a haut, en dessous de ces points fixes, présente donc en cet endroit une portion élastique moins développée, il est vrai, mais absolument comparable, au point de vue physiologique, à là partie centrale du ligament des Peignes, et qui réagit de la même façon contre la compression exercée sur elle. Dans les genres Avicula, Malleus, Vulsella, la disposition est la même. Le ligament des Crénatules et des Pernes ne diffère pas de celui des Huïîtres; seulement, au lieu d'être simple, il est mul- tiple, mais chacun des ligaments partiels ne fait que répéter le type fondamental; c’est-à-dire qu'il y a entre les fossettes des RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 193 lamelles de tissu épidermique unissant les deux portions de la coquille; les fossetteselles-mêmes, remplies de substance fibreuse, descendent dans la coquille au delà de ces points d'union ; les parties anciennes du ligament devenues inutiles se décomposent également. Ces dispositions conduisent à celle que l'on rencontre chez les Pétoneles, comme le Pectunculus pilosus de nos côtes, animaux chez lesquels l’action du ligament en tant qu'agissant par élasti- cité de pression, paraît au premier abord beaucoup plus embar- rassante à expliquer et qu'il est surtout difficile de saisir, lors- qu'on n'a à sa disposition que des individus desséchés depuis longtemps. Le ligament comprend d’abord une partie placée sur l’area, là où se trouvent les sillons en chevrons caractéristiques : c’est la partie élastique fibreuse; on remarque seulement que vers les crochets elle est brunâtre, tandis que tout à fait contre la charnière elle est d’une teinte jaunâtre beaucoup plus trans- parente; la portion brune est la partie ancienne devenue inactive et hors d'usage, comme cela a lieu chez l'Huitre, seule- ment elle n’est pas aussi complétement décomposée ; la seconde est la partie réellement élastique et agissante. Quant à la sub- stance épidermique, elle se trouve sur les deux bords extérieurs etsupérieurs de l’area; mais se détruisant avec l’âge, elle n'existe en réalité qu'aux deux points qui sont les plus rapprochés de la charnière, c'est-à-dire aux deux extrémités d’une ligne droite placée en arrière des dents ; elle est si peu développée, qu'il faut une certaine attention pour la découvrir, surtout lorsque l'area est très-étendue. Dans le Pectunculus pilosus, où l'area est petite, la substance épidermique existé encore sur une partie assez notable de ses bords extérieurs. Si l’on examine l’area dans son ensemble sur l'exemple que j'ai pu étudier, et du reste cela se retrouve sur tous les autres Pétoncles dès que l'attention est fixée sur ce point, on voit qu’elle a la forme d’un triangle plus ou moins surbaissé, dont le sommet correspond au crochet et dont la base, fait important à noter, n’est point une ligne droite, mais une ligne convexe vers l'intérieur de la coquille. Si l’on suppose menée une ligne passant par les deux angles inférieurs du 124 L. VAILLANT. triangle, elle laisse donc un segment en bas, c'est là que se trouve la substance fibreuse active du ligament :le triangle supérieur, qui comprend le reste de l’area, est recouvert par la substance fibreuse brune qui a cessé d’être utile ; enfin les deux angles sont occupés par la substance épidermique qui empêche l’écartement de la charnière. Chez les Pétoncles on retrouve donc dans l'organe chargé d'effectuer l'ouverture des valves la disposition décrite chez les Peignes et les Huîtres ; la réunion étant opérée sur deux points opposés autour desquels s'effectue le mouvement, c'est en dedans de cette ligne et entre ces deux points qu'est la substance active comprimée lors de la fermeture de la coquille. Dans cette famille des Arcacés je n'ai pu examiner à l’état frais d'animaux du genre Arche, mais la disposition doit être absolu- ment la même; quant aux Limopsis, pour ce qui est du liga- ment, 1ls se rapprochent encore plus des Peignes, ou mieux des Huïtres, que ne le sont les Pétoncles, et ils font le véritable passage entre ces deux variétés de ligaments, qui ne diffèrent en somme que par un caractère de bien peu d'importance, l'abondance relative de la substance épidermique, très-développée chez les uns, fort peu chez les autres. Je ne ferai que citer pour mémoire les Amphidesmes, les Pan- dores, chez lesquels le ligament est souvent désigné d’une manière spéciale comme double, bien qu'il ne diffère que légè- rement comme disposition de celui des autres Mollusques; seule- ment ici la substance inextensible et la substance élastique sont nettement séparées, et c’est sur ces animaux surtout que l’on peut étudier avec facilité et sans crainte d'erreur la nature histo- logique et les réactions de ces deux parties. Dans la Moule ordinaire (Mytilus edulis, Linné), la disposition se rapproche davantage de ce qu'on voit chez les Cardium, mais le ligament n’est pas tout à fait externe et mérite le nom de liga- ment marginal. La tunique extérieure, ou partie épidermique, se compose aussi de deux portions: l’une, externe, brune; l’autre, intérieure, beaucoup plus pâle ; la substance élastique est com- posée de fibres bien distinctes, surtout après l’action de la disso- lution de potasse caustique ; la partie qui est en contact avec la RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 195 couche épidermique est moins colorée que la plus intérieure, mais n'en diffère pas au point de vue histologique. La portion élastique a pour section un trapèze dont le côté le plus grand est tourné vers l'intérieur des valves ; elle est supportée par deux sortes de coussinets formés de substance calcaire, mais qui se distinguent nettement du reste de la coquille par leur coloration d’un blanc mat et des perforations assez régulièrement disposées destinées peut-être à recevoir des prolongements du manteau, mais je n’ai pu m'assurer de la réalité de ce fait. Cette disposition, d’une part se rapproche de celle du Cardium edule, puisque les deux substances épidermiques et fibreuses sont placées dans le même rapport que chez celui-ci, c'est-à-dire l’une au-dessus de l’autre ; mais d'autre part il y a dans la manière dont la substance élas- tique entre en jeu une certaine similitude avec ce que l'on voit dans le ligament des Peignes, car la compression est entièrement effectuée par les valves et la substance épidermique n’y est pour rlen. Chez lesMollusques, très-nombreux, où leligament est externe, comme dans la Tridacna elongata et le Cardium edule, la simi- litude de disposition et d'action est si grande, qu'ils n’offrent que des différences d’un ordre tout à fait secondaire, sur les- quelles je crois inutile d’insister. En résumé, on voit que, conformément à l'opinion de M. Deshayes et de M. Woodward, le ligament, chez tous les Acé- phalés conchifères, a son élasticité mise en jeu par compression. Les valves sont réunies à articulation mobile par la portion inex- tensible du ligament, rarement par une disposition spéciale de la charnière (Spondylus). La portion élastique est toujours située, pour sa partie active au moins, en dedans de la ligne d’articula- tion, et si l'on a pu croire parfois qu'il était en dehors, c’est qu’on a regardé comme faisant encore partie du ligament des portions dont l'âge a détruit les propriétés. Quant à la façon dont la substance inextensible réunit les valves par rapport à la substance élastique, on peut admettre deux dispositions principales : tantôt la portion active étant centrale, celle-là est placée de chaque côté d'elle (Pecten, Ostrea, Malleus, Crenatula, Pectunculus) ; tantôt 196 L. VAILLANT. la substance inextensible forme une sorte de revêtement protec- teur à la surface de la portion élastique, en sorte que toutes deux sont placées plus ou moins exactement en position concentrique l’une par rapport à l'autre (Cardium, Tridacna, Unio, Mytilus, Amphidesma).Dans le premier cas, la portion inextensible n’agit pas directement pour comprimer la portion élastique (ligament interne) ; il en est de même parfois dans le second cas (ligament marginal), mais le plus souvent, au contraire, elle sert efficace- ment à opérer cette action (ligament externe). Si l’on étudiait avec soin la composition du ligament et la disposition de ses dif- férentes parties, on pourrait, je crois, en tirer de très-utiles indications pour la classification des Mollusques acéphalés, tandis qu’on ne s’ést le plus souvent servi des caractères qu’il donne que d'une façon accessoire; puisqu'on a accordé une si grande importance à la disposition des organes qui opèrent la fermeture des valves, il semblerait naturel de faire entrer en considération presque sur le pied d'égalité celle de l'organe qui leur est anta- goniste. La conformation particulière de l’ouverture des valves chez la Tridacne allongée m'a donné l'idée de chercher à faire quelques expériences pour essayer de déterminer la force de ces animaux, qui, suivant le récit de quelques voyageurs, passe pour très- considérable. M. Darwin (4) assure qu'un homme qui engagerait sa main dans un de ces grands individus des mers chaudes, ne serait pas capable de la retirer tant que vivrait l'animal : c’est un fait vulgairement connu des plongeurs, et ceux que j’employais à Suez pour me procurer ces Mollusques eurent grand soin, la première fois qu'ils m'en remontèrent, de m'indiquer qu’il ne fallait pas toucher l’animal du côté de l'ouverture de la coquille. Les matelots vont jusqu’à prétendre que de gros Bénitiers sont capables de couper les câbles d’une ancre; mais ce fait paraît bien douteux, non peut-être à cause du manque de force, mais par suite (4) Journal of Researches into the Natural History and Geology of the Countries visi- ted during the Voyage of H. M.S. Beagle round the World, 2 édit., 1845, p. 460, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 127 de la fragilité de la coquille, qui se briserait sans doute plutôt que d'amener la section d’un corps un peu résistant. Les dentelures du limbe ne s’emboîtant pas exactement dans l'espèce que j'avais à ma disposition, il est toujours facile, même lorsque l'animal a fermé sa coquille, d'introduire des crochets au moyen desquels je pouvais suspendre celui-ci par l’une de ses valves ; accrochant alors à l’autre un vase, je versais dans ce der- nier de l’eau avec une mesure graduée en centimètres cubes jus- qu'à ce que l'animal cédât; je le replaçais alors dans l’eau de mer pour le laisser reposer, puis je recommencais l'expérience en partant du poids sous lequel il avait cédé, et qu’il supportait généralement avec facilité; j ajoutais de nouveau de l'eau jusqu'à ce qu'il cédàt encore une fois, et en continuant ainsi de suite, on arrive enfin à ce qu'on peut regarder comme la limite de force. Lorsque je supposais être assez près de ce point, quand l'animal commençait à céder, je l'excitais fortement en le piquant ou le pinçant, ét d'ordinaire il soulevait de nouveau le vase et l’eau qu'il contenait ; l'effort qu'il était obligé de faire en cet instant, évalué par le poids mis en mouvement, est ce que j'ai regardé comme sa force active, les chiffres que je donne plus bas y sont relatifs. Ces expériences, je le ferai remarquer, ne doivent être regardées que comme très-imparfaites; une installation convenable pour desrecherches de cette sorte étant difficile à improviser dans un voyage, malgré les ressources dont j'ai pu d’ailleurs disposer, grâce à l'obligeance des personnes qui m'entouraient. Cepen- dant comme c’est la première fois, à ma connaissance, que des expériences de ce genre ont été tentées sur des Mollusques, je crois utile d'en consigner ici les principaux résultats, Pour avoir le poids total soulevé effectivement par l'animal, j ai ajouté au poids de l’eau mise dans Je vase suspendu Je poids de celui-ci avec les appareils de suspension ; il faut y joindre le poids d’une des valves et la résistance du ligament que l'animal a également à vaincre. Pour évaluer celle-ci, je détachais le Mol- lusque de sa coquille, ce qui peut se faire avec une grande faci- lité, grâce encore àla fermeture incomplète, sans aliérer en rien 'e ligament; posant alors une des valves sur un plan résistant, je 198 L. VAILLANT. plaçais sur l’autre le vase dans lequel je versais de l’eau au moyen de la mesure graduée : le nombre de centimètres cubes versés, joint au poids du vase et d’une des valves, me donne ce que j'appelle la résistance du ligament. C’est l’ensemble de tous ces éléments que le Mollusque a dû vaincre par sa force active. L'expérience ainsi conduite sur une Tridacne de taille moyenne mesurant 0°,215 de long m'a donné le résultat suivant : 2000 centimètres cubes d’eau versée.. 2000 gram. Poids soulevé...... EN POIds duRvase fe. A SÉREENT LATE 700 Poids d’une des valves............. 632 250 centimètres cubes d’eau versée... 250 Résistance du ligament. { Poids du vase.....,..,.., DRE °... 700 Poids d’une des valves..,..,...., 11032 Total..........:..,... 4914 gram. Le muscle adducteur de cette Tridacne, comme je l'ai dit plus haut, long de 6 centimètres, pesait 39%,50, et son volume était d'environ 37 centimètres cubes. Ce poids de 4“*,914 est proba- blement au-dessous de la réalité, car l'animal pêché la veille était dans un tonneau d’eau de mer depuis douze heures, ce qui avait pu l’affaiblir ; en outre, je ne suis arrivé à ce résultat qu'après six expériences, et, bien que laissant un repos de quinze à vingt- cinq minutes entre chacune d'elles, l'animal devait être plus ou moins fatigué. Une seconde Tridacne de 25 centimètres de long, dont les deux valves pesaient 2720 grammes, souleva très-aisément dans une première expérience 2500 grammes d’eau ; la résistance du liga- ment était vaincue en versant 600 grammes d’eau dans le vase placé sur la valve. En répétant le calcul dont j'ai donné un exemple plus haut, on voit que cet animal déployait à ce moment une force de 7%1,220. Mais il est évident que si la capacité du récipient que j'employais m'eût permis d'approcher de sa force limite, ce poids eût été considérablement augmenté. Le muscle adducteur, agent principal de cette action, devant avoir une force proportionnelle au poids des valves, puisqu'il est spécialement destiné à les mouvoir, il serait permis de chercher à déduire de ces faits la force déployée à un moment donné par RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS,. 129 ces gigantesquesBénitiers que l'on rencontre dans nos collections. En se servant des chiffres de la première expérience, qui est, de toutes celles que j'ai exécutées, la plus complète, on voit qu’un animal dont la coquille pèserait 250 kilogrammes, et il y en a de connues qui dépassent ce poids (ainsi un des échantillons de la collection du Muséum atteint 261 kilogrammes), pourrait, à un moment donné, déployer une force de plus de 900 kilogrammes. La position du muscle, perpendiculairement placé au levier qu’il doit mouvoir, explique en partie cette force prodigieuse. Toutefois, la résistance est de peu de durée. Ainsi dans la pre- mière expérience que j'ai citée, lorsque le Mollusque avait fléchi sous un poids de 1259 et 1500 grammes d’eau, représentant une force totale déployée équivalente à 4%t,164 et 4,414, et qu'en l’excitant, on le lui faisait soulever de nouveau, l'animal résistait rarement plus de huit à dix secondes et souvent beaucoup moins; arrivé à sa limite, c’est à peine s’il pouvait supporter les4“!,94% plus de deux ou trois secondes. CHAPITRE III. Système nerveux. Le système nerveux de la Tridacne allongée se compose de trois appareils ganglionnaires réunis par des connectifs, comme chez les autres Mollusques acéphalés, où toutes les particularités, quand on se borne à l'examen des portions centrales, se réduisent à la fusion plus ou moins intime des ganglions; mais ici la pré- sence d’un pied bien développé rend entre ceux-ci la distinction facile. La seule remarque importante est que, par suite du re- tournement de l'animal dans sa coquille, la position des ganglions est sngulièrement modifiée. On trouve d'abord le ganglion branchial (1). Le nom d’hypo- branchial, qui, en indiquant simplement la position anatomique, ne ferait rien préjuger de ses fonctions, serait peut-être préfé- (4) PL 9, fig. 4: glb. 5° série. Zoo1. T. IV. (Cahier n° 3.)1 9 1390 L. VAILLANT. rable. Il est situé à la face supérieure et antérieure du grand muscle adducteur des valves, position exactement mverse à celle qu'il occupe chez les autres Lamellibranches. Il existe en outre deux ganglions buccaux ou labiauæ (1), appelés aussi ganglions cérébroïdes ; enfin, un ganglion pédieux (2). Le ganglion branchial est de beaucoup le plus volumineux : sur un individu de 27 centimètres 1l mesurait 3"",8 de côté. Sa forme est quadrilatère (3), avec un étranglement transversal vers sa partie moyenne, sans vestige de sillon antéro-postérieur indi- quant le lieu de réunion des deux masses latérales habituelles de la fusion desquelles il résulte sans doute. La particularité la plus curieuse est que cet organe, à sa partie antérieure ét inférieure (postérieure et supérieure desautres Mollusques), en rapport avec le muscle, présente deux sillons limitant autant de replis qui rap- pellent, jusqu'à un certain point, l'apparence des circonvolutions du cervelet des animaux supérieurs. Je n’entends naturellement faire ici aucun rapprochement de fonction; car, bien que ces replis dépendent de la substance même du ganglion et non du pévrilème, cependant ils doivent sans doute être attribués à un entrecroisement de fibres plutôt qu'à un amas de cellules compa- rable à la véritable substance cérébrale. Toutefois cette compli- cation, le volume de ce ganglion, la fusion intime en une seule masse indiquant une tendance à la centralisation, porteraient à penser que cette partie du système nerveux peut bien être iei la plus importante au point de vue physiologique, et sans appliquer absolument à ces êtres destermes empruntés à l'anatomie des ani- maux supérieurs, termes dont l'inconvénient est d'entraîner sou- vent à des comparaisons qui nesontrien moins que fondées, chez ce Mollusque acéphalé c’est le ganglion inférieur au tube digestif qui paraitrait devoir porter le nom de cerveau, contrairement à ce quia lieu chez les autres invertébrés supérieurs: cette opinion au reste n’est pas nouvelle. Ce ganglion fournit, comme on le (4) PL. 9, fig. 4 : g/. (2) PI. 9, fig. 4 : g#. (3) PL. 9, fig. 2 De] RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 131 verra, des nerfs à certains organes des sens, aux organes oculi- formes et aux tentacules de l'ouverture branchiale. Les ganglions buccaux (1) sont situés de chaque côté des com- missures de la bouche, au fond du sillon formé par les palpes labiaux ; il est assez difficile de les découvrir, parcé qu'ils sont en quelque sorte noyés dans un tissu fibro-musculaire qui en- toure la première portion du tube digestif. Leur forme est à peu près triangulaire, et leur longueur d’un millimètre au plus chez les plus gros individus que j'aie pu examiner. Si l’on comparait le volume de ce ganglion aux filets qui en émanent, on croirait n'avoir affaire ici qu’à de simples renflements produits par l’en- trecroisement des nerfs, tant il est peu développé ; mais l’analogie y montre des centres réels. Cette infériorité du ganglion supé- rieur au tube digestif est du reste assez générale parmi les Acéphalés lamellibranches, et même chez le Taret, où les centres nerveux buccaux se centralisent en un seul corps, ils n’attei- gnent guère qu'un volume moitié de celui du ganglion bran- chial (2). Quant au ganglion pédieux (3), il est formé, comme le gan- glion branchial, d’une seule masse quadrilatère mesurant envi- ron 1°*,5 à 2 millimètres de côté; il est situé au-dessous des couches musculaires formées par le protracteur et le rétracteur du pied, dans l’angle que fait cet organe là où les fibres du pro- tracteur d'horizontales deviennent verticales. 11 se trouve à l'in- iérieur de la gaine fibreuse de la masse gastro-génitale, et, lors- que les organes femelles sont fort développés, on ne le découvre qu'avec difficulté au milieu des œufs qui remplissent la base du piéd. Ce ganglion doit, Suivant toute probabilité, fournir des nerfs au sens de l’ouie, mais il ne m'a pas été possible de con- Stater là présence de ces organes. Ces différents centres sont réunis par des commissures ét émettent les principaux nerfs. (4) PL 9, fig. 4 : 942. (2) De Quatrefages, Mémoire sur le genre Taret (Ann. des se. nat, 3° série, t. XI, p. 63), pl. 4, fig. 3, Z et y. (3) PI. 9, fig. 4 : gp. 132 L. VAILLANT. \ La grande commissure antéro-postérieure (1), qui réunit le ganglion branchial au ganglion buccal, est la plus considérable. Appliquée successivement sur la partie supérieure du grand muscle adducteur, sur le muscle rétracteur du pied, sur l’or- gane de Bojanus, elle croise, en quittant celui-ci, l'orifice de l’oviducte, rapport important qui, comme l’a signalé M. Lacaze- Duthiers (2), se retrouve jusqu'ici chez tous les Mollusques acé- phalés ; puis elle s'engage dans la masse gastro-génitale, pour gagner le ganglion antérieur. Dans la première portion de son trajet, ce connectif placé sur la partie inférieure de la chambre incubatrice commune est juxtaposé à une sorte de trousseau qui parait de nature fibreuse ; dans l'épaisseur de la masse gastro- génitale on trouve une espèce de ligament (3) également fibreux, simple en son milieu, divisé en filaments à ses deux extrémités, et qui suit très-exactement le trajet du connectif en se plaçant au-dessous de lui, c’est-à-dire en suivant sa convexité; cette espèce de corde inextensible s’insère par ses deux extrémités, d’une part dans le voisinage de l’orifice d'entrée du filet ner- veux, d'autre part au voisinage du ganglion buccal. L'usage physiologique de cette partie paraît assez facile à saisir : elle est vraisemblablement destinée à prévenir le tiraillement du connec- tif, ce qui ne manquerait pas d’avoir lieu lors du développement de l'ovaire et de sa distension par les œufs. La commissure qui réunit les deux ganglions buccaux, ou connectif sus-buccal (k), est moins volumineuse ; elle passe au- dessus de l’orifice antérieur du canal digestif, en suivant la partie supérieure d’un anneau fibro-musculaire qui entoure celui-ci ; elle est renfermée dans une sorte de gaine formée dans l’épais- seur de cet anneau. Les connectifs qui joignent le ganglion buccal au ganglion pédieux (5) sont logés au-dessous des masses musculaires for- (4) PL 9, fig. 1 :1; fig. 3: 2. (2) Mémoire sur l'organe de Bojanus des Acéphalés lamellibranches (Ann. des sc. nat., 4° série, t. IV, p. 280). (3) PL. 9, fig. 1 : 7. (4) PL. 9, fig. # : 2. (5) PI. 9, fig. 1 : 5. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 133 mées par le protracteur du pied, et par conséquent dans la masse gastro-génitale. Toutes ces parties, ganglions et connectifs, peuvent être regardées comme la portion centrale du système nerveux ; les nerfs que j'ai observés comme s'en détachant émanent tous des ganglions, à l’exception d’un seul, qui part de la grande com- missure antéro-postérieure. C’est le ganglion postérieur, comme son volume pouvait le faire prévoir, qui fournit les troncs les plus nombreux et les plus considérables. De‘chacun des angles antérieurs part en dedans du connectif antéro-postérieur un nerf volumineux (1) qui remonte dans l'épaisseur de la paroi interne de la chambre incubatrice commune de chaque côté, pour se rendre aux branchies: c’est le nerf branchial; arrivé au raphé d'attache de l'appareil respira- toire, il se divise en deux branches, une antérieure, l’autre postérieure. En dehors du connectif, et partant encore de l'angle antérieur, est un petit nerf (2) destiné au grand muscle adducteur, dans lequel il se perd. Mais les plus grosses branches sont celles qui, destinées au manteau, partent de la partie posté- rieure; de chaque côté elles paraissent émaner d’un tronc com- mun (3), nerf palléal, qui se divise immédiatement en trois branches. La première (4), qui se dirige transversalement, suit le bord antérieur du muscle adducteur, et se rend à l'ouverture afférente, en se logeant dans le prolongement de la cloison inter- branchiale qui réunit cette dernière au manteau , c’est la moins considérable. La seconde (5), qui suit un trajet analogue, se rend un peu plus en arrière et se divise en plusieurs branches volu- mineuses ; elle est destinée aux parties qui entourent l'ouverture efférente. Enfin, le troisième nerf palléal du ganglion bran- chial (6), le plus important par sa longueur et son volume, con- (1) PLIS AE ee (2)VPI NO RENE S (3): PL..9, fe MeMOnfes 2: 1. (4) PL 9, fig. 2:5; pl. 11, fig. 2: à. (5), PL 9, fig. 2: 65pl 44, fig. 2 : 6. (6) PI. 9, fig. 2 ; 7; pl: 44, fig, 2 : y. 134 L. VAILLANT. tourne le gros muscle adducteur et se dirige directement en arrière ; il donne des branches à toute la portion inférieure et postérieure du manteau : on peut l'appeler grand nerf postérieur. On doit supposer que ces branches sont celles qui fournissent aux ouvertures afférentes et efférentes, et aux organes visuels et trac- tiles de toute la partie externe proprement dite du manteau. Le ganglion labial (1), outre les trois connectifs qu'il reçoit ou envoie, ne donne distinctement que deux branches. La plus con- sidérable (2), dont le volume égale celui du connectif bucco- branchial, se dirige d’arrière en avant dans l'épaisseur de l'an- neau qui circonscrit l'ouverture pédieuse ; il est grandement probable, bien que je ne l’aie pas suivie jusque-là, que cette branche va s’anastomoser avec l’une des branches palléales émanées du ganglion branchial. Le second nerf (à), très-grèle, est destiné aux palpes labiaux du côté correspondant. Quant au ganglion pédieux (4), deux branches qu'il fournit au pied, ou nerfs pédieux (5), sont faciles à reconnaître, vu leur volume. Elles partent à l’opposite des connectifs bucco-pédieux, c'est-à-dire des deux angles antérieurs, et se dirigent de chaque côté de l'organe auquel elles sont destinées. J'ai pu en outre, dans un cas, isoler à la face antérieure de ce ganglion, mais d’un côté seulement, un filet dirigé en haut; je n'ai pu en voir que l'origine et 11 m'a été impossible de suivre son trajet. Serait-ce le nerf auditif? Cela est probable, mais l’analogie seule me conduit à l’admettre. Outre ces nerfs partant des ganglions, j'ai reconnu sur le tra- jet du connectif antéro-postérieur un mince filet (6) qui s’en détache au moment où il traverse la cloison fibreuse enveloppe de la masse gastro-génitale. [lne m'a pas été possible de suivre très- loin ce filament, qui appartient à ce système nerveux viscéral (1) "P1.99; fig. 46: "977: (2) PL 9, fig. 4 : 6. (3)"P1:9, fig-1 :7. (4) PI. 9, fig. 1 : gp. (5) PI. 9, fig. 1 : 8. (6) PI. 9, fig. 4 : 9. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 139 signalé par Keber, mais étudié surtout d'une manière complète par M. Blanchard. Au bout d’un trajet d'environ 15 millimètres, ce filet se perd au milieu des culs-de-sac ovariens ; au point où il se sépare du connectif, il n'existe pas apparence de renflement ganglionnaire, ce qui a lieu chez un certain nombre de Mol- lusques, tels que l'Huître, par exemple (1). Organes des sens. — 1] n’est pas douteux que les Tridacnes ne possèdent les organes des sens aussi développés que ceux de la plupart des Acéphalés ; mais pour un certain nombre d’entre eux la constatation en est assez difficile, et plusieurs m'ont com- plétement échappé. Les tentacules oculiformes se présentent sous l'apparence de mamelons situés sur la partie extérieure du manteau (2), dans l'intervalle de l'ouverture des valves. Ils sont particulièrement nombreux au voisinage de l’orifice afférent, où l’on peut en compter Jusqu'à une trentaine, et se rapprochent du bord externe de la portion vivement colorée du manteau ; de sorte qu’à l'état de repos, ils sont tout à fait à l'extérieur cette partie, s'étalant, comme je l'ai dit, en dehors de la coquille. I en existe quelques autres dans le voisinage de l'ouverture anale et en arrière d'elle, mais ils sont plus espacés et moins nombreux. Malgré le volume de ces organes, qui, sur de gros individus, n'ont pas moins de 2 à 3 millimètres de diamètre à leur base, je n'ai pu, à cause de l’épaisseur et de l'opacité des tissus, qui rendent les dissections très-pénibles, y reconnaitre d’une manière nette les parties qu'on à signalées dans quelques autres Mollusques, et particulièrement ne les Peignes. Il y a vers le sommet du tubercule une tache obscure pigmentaire qui peut être regardée comme une choroïde; enfin, en examinant l'appendice par le côté, on voit sur des préparations heu- reuses une calotte bombée, transparente, qu'on peut assimiler à une cornée. L'usage physiologique de ces organes n’est pas non (1) Blanchard, Observations sur le système nerveux des Mollusques acéphales testa- cés ow lamellibranches (Ann. des se. nat., 3° sér., 4845, t. ILE, p. 337, pl. 12). (2) PI. 8, fig. 4 : fa 136 L. VAILLANT, plus facile à déterminer expérimentalement, attendu qu'il n’est pas possible, vu leur nombre et leur dissémination, de songer à les enlever, comme on peut le faire sur quelques autres Mol- lusques, pour reconnaitre la manière dont se comporterait l’ani- mal après cette mutilation (4) : c'est donc par analogie seulement qu'on est porté à regarder ces tentacules comme représentant des yeux. Les Tridacnes paraissent cependant reconnaître la présence des objets, et d’une façon plus distincte que la majo- rité des autres Acéphalés. Ainsi, lorsqu'on s'approche des bassins dans lesquels on les renferme, lorsque surtout, après avoir couvert ceux-ci pour les mettre dans l'ombre, on les découvre, très-ordinairement les animaux se contractent avec vivacité ; et cependant, lorsque l'animal est développé et exposé à la lumière, de forts ébranlements imprimés à l'eau et au vase qui les contient ne paraissent les troubler en rien; les mouvements signalés dans le premier cas ne paraissent done guère pouvoir être rap- portés qu'à la sensation visuelle. Je n'ai pu constater la présence des organes de l’ouie, mal- gré d'attentives recherches, cependant il est plus que pro- bable qu'ils existent; mais leur petitesse sans doute, la diffi- culté de les découvrir au milieu du tissu musculaire compacte du pied, dans lequel ils doivent être plongés, sont des obstacles qui m'ont empêché d'arriver à rien de satisfaisant sur ce point. Je ne parle point des sens du goût et de l’odorat, dont Jus- qu'ici au moins la constatation n'a pas pu être faite chez les Acéphalés. Quant au toucher, il est assez développé. Outre les sensations tactiles perçues sur toutes les parties du corps, et particulière- ment sur le manteau, certains organes paraissent plus spéciale- ment destinés à cette fonction : ce sont les tentacules qui entou- rent les ouvertures pédieuse et branchiale et le pied. Je me suis assez longuement étendu sur la forme, le volume, la position des différents appendices en décrivant le manteau et ses ouvertures, (4) Organes de la vue chez les Pholades (Société philomathique de Paris, Comptes rendus des séances, 1862, p. 146). RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 137 je me bornerai à rappeler que leur sensibilité est extrême, sur- tout en ce qui concerne les tentacules de l'ouverture afférente. Quant à leurs usages spéciaux, les premiers servent sans doute à l'animal pour reconnaître les objets qui l’environnent au milieu du sable dans lequel il vit plongé ; pour les seconds, leur fonc- tion relativement aux objets apportés par le courant nutritif est des plus évidentes : ils sont comme des gardiens destinés à re- connaître le volume et la nature des corps qui se présentent à cette ouverture, qu'ils ferment à la manière d’un grillage, et à ne permettre l'entrée qu'à ceux qu'ils reconnaissent utiles. Bien que je n'aie jamais pu observer le pied agissant comme organe du toucher, cependant d’après ce qui se passe dans la majorité des Mollusques acéphalés, surtout de ceux qui sécrètent un byssus, on doit admettre qu’il a également cet usage ; la portion supérieure et postérieure présente un mamelon (1) au moyen duquel l'animal peut palper et reconnaître les objets sur lesquels il veut fixer ses filaments d'attache. Faudrait-il rapprocher des organes des sens. et en particulier des organes du toucher, les papilles que j’ai signalées à la partie inférieure du pied (2) et contre lesquelles doit venir frapper le courant afférent? C’est ce qu’il serait impossible de dire, bien qu'il soit difficile de leur attribuer un autre usage. CHAPITRE IV. Système digestif. Le système digestif de la Tridacne n’est guère remarquable que par la présence d’une tige cristalline, ce qui passe pour exceptionnel chez les Monomyaires, et n’avait été cité jusqu'ici, pour ces derniers, que dans les Anomies (3). (4) PL 9, fig 4: 0; pl. 40, fig. 2 : a. (2) PI. 9, fig. 4 : g. (3) Lacaze-Duthiers, Mémoire sur l’organisation de l’Anomie (Ann, des sc. nat., 4° série, t, II, p. 43), 138 L. VAILLANT. Les palpes labiaux (1) ne sont pas tels que les auteurs Font dit généralement, faute sans doute d’avoir à leur disposition des individus dans un état de conservation convenable, De Blain- ville les déerit comme « extrêmement grèles et presque fili- formes (2) ». Cette opinion est aussi celle de M. Woodward : «Palpi very stender, pointed (3) ». Ce dernier les représente ainsi sur la figure qu'il a donnée de la Tridacna crocea. C’est en effet ce qu'on trouve dans certaines circonstances, et surtout chez les individus conservés dans l'alcool et contractés ; mais à l'état de vie, en observant les animaux auxquels on a enlevé une valve et mis à découvert les organes, en retirant en partie la portion intra-musçulaire du manteau, puis qu'on a laissés ainsi reposer pendant dix à douze heures dans une quantité d’eau suffisante, on voit que d'ordinaire ils sont élargis et obtus. Les palpes supérieurs et inférieurs des deux côtés se réunissent les pre- miers en dessus, les seconds en dessous de la bouche (4), par deux commissures étroites qui constituent deux sortes de lèvres. Ces palpes, comme d'ordinaire, sont lisses extérieurement (3), c’est-à-dire sur les surfaces qui ne sont pas en contact, finement striés au contraire sur les surfaces appliquées l'une sur l'autre (6). L'usage de ces parties est sans doute de favoriser l’arrivée à l'ori- fice buccal des particules alimentaires charriées par les cou- rants branchiaux : on verra que la branchie interne vient se ter- miner dans l’intervalle qui les sépare; elles peuvent même aider à ces courants, leur surface étant pourvue de cils vibratiles; mais en outre Je ne serais pas éloigné de croire qu’elles servent, aussi bien que les lèvres, à la préhension et à l'introduction forcée des aliments. Cette hypothèse n’a rien d’inadmissible, car la contrac- tilité de ces appendices est assez évidente, bien que la sensi- bilité au contact ne paraisse pas y être très-développée. Cela tient en grande partie sans doute à l’état dans lequel on doit (4) PL. 8, fig. 4 : pe. (2) Loc. cit., p. 544. ! (3) Loc. cit., p. 290. (4) PI. 9, fig. 4 : bo. (5) PL. 8, fig. 4 : pe. (6) PL. 8, fig. 4 : p/!. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 139 mettre l'animal pourexaminer ces organes suivant la préparation que j'indiquais plus haut; car, en exigeant une mutilation, et par suite une perte de sang notable, elle affaibht l'iritabilité. En second lieu, d'après le volume des aliments que j'ai rencontrés fréquemment dans l'estomac, il me parait difficile de croire qu'un organe quelconque ne vienne pas aider à leur introduction dans la bouche, dont le diamètre, autant qu'on en peut juger, ne serait pas suffisant pour les admettre d'emblée : or, les palpes labiaux et les lèvres sont les seuls organes qui puissent jouer ce rôle. L'ouverture buccale située au fond de la gouttière formée par les commissures labiales est arrondie ; son diamètre est peu con- sidérable, et chez les plus gros individus que j'aie rencontrés, c'est-à-dire atteignant 27 à 30 centimètres, n’'admettait que diffi- cilement un stylet d'au plus 2 à à millimètres de diamètre. Elle est entourée d’un anneau fibro-musculaire très-développé, dans la partie supérieure duquel, comme on l'a vu, passe le connectif des ganglions buccaux, et se continue dans un œæsophage très- court qui se confond insensiblement avec l'estomac. Cet œsophage a une couleur blanchâtre; 1l est strié longitudinalement. Au pont de vue histologique, ses parois ne paraissent présenter aucune trace d’organe sécréteur quelconque, et sont formées d’une couche superficielle épithéliale dont les cellules, difficiles à dis- tinguer, sont arrondies ; au-dessous existe une couche de fibres- cellules musculaires (1) très-nettes, pourvues de noyaux. Le corps de la cellule est transparent, hyalin ; sa longueur est de 0"",073, sa largeur de 0"",010 ; quant au noyau, finement granuleux, il mesure 0*”,017 sur 0"",003. En partant de la bouche, le tube digestif remonte directement en arrière et se dilate pour constituer l'estomac ; il est situé alors exactement au-dessous de l'organe sécréteur cardinal. Arrivé à l'extrémité postérieure de la masse gastro-génitale, il se recourbe en formant une première anse, et revient parallèlement à sa direc- tion primitive. Cette seconde portion rétrécie peut être considérée (1) PL. 42, fig. 6 140 L. VAILLANT. comme la première partie de l'intestin, et se prolonge dans sa direction récurrente, jusqu'à dépasser l’orifice buccal. Le tube alimentaire forme là une seconde anse plus large que la pre- mière, attendu qu’elle est constituée par une petite portion rec- tiigne de l'intestin dirigée transversalement ; enfin celui-ci remonte encore une fois au milieu de la masse gastro-génitale et vient percer la cloison qui sépare celle-ci du péricarde. L’in- testin forme alors une troisième courbure, et s'engage dans le ventricule du cœur, puis dans le bulbe artériel, pour devenir libre dans l'angle formé par les deux grosses artères qui en partent, et après un trajet de 1 à 2 centimètres, aboutir à l’anus (1), en face de l'ouverture efférente du courant nutritif. De son origine à sa terminaison, le tube digestif décrit donc quatre circonvolutions et se recourbe trois fois. C’est dans la première courbure et à la partie concave de celle-ci qu’aboutit la tige cristalline. La première portion qu’on doit considérer comme l'estomac est de beaucoup la plus large ; elle est anfractueuse, creusée dans l'épaisseur du foie, dont elle est séparée par une muqueuse propre blanchâtre ; la bile est versée comme d'ordinaire direc- tement dans l’intérieur des anfractuosités. Quand on a enlevé avec soin ce liquide sur une portion de la muqueuse, le papier de tournesol y indique une réaction très-franchement acide. Cette membrane paraît formée d’un épithélium nucléaire, et cà et là se voient des portions obscures qui rappellent assez bien des acini glandulaires en culs-de-sac simples ou ramifiés; mais il m'a été absolument impossibe de les isoler, et par conséquent de les étudier convenablement. J'ai fréquemment trouvé dans l’es- tomac des débris de végétaux, et particulièrement des fragments de feuilles de Fucus qui n’avaient pas moins de 6 à 8 millimètres de côté ; c'est ce qui me porte à croire qu’un organe préhenseur doit aider à l'introduction des aliments. La tige cristalline, ou stylet hyalin, dont la description paraît devoir être jointe à celle de l'estomac, est excessivement allongée. (4) PL 44, fig, 2: /. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. LRU Le tube qui la renferme part, comme Je l'ai dit, de la première courbure intestinale, se dirige de là d’arrière en avant parallèle- ment à la première portion de l'intestin, à laquelle il est accolé ‘comme le sont les deux canons d’un fusil double ; plus loin il s’en sépare et gagne le pied, à la partie gauche duquel il se place dans l'épaisseur des couches musculaires (1), le contourne à sa partie antérieure et remonte sur le côté droit jusqu’à peu près à la moitié de la largeur, en sorte qu'il entoure l'organe au moins dans les trois quarts de sa circonférence. Ce tube présente un repli sallant qui part de l'estomac et se prolonge dans toute la cavité ; ce repli est situé d’abord à la partie inférieure, puis dans le pied se place sur la paroï interne : en ce point, les éléments de cette paroi sont des cellules transparentes, polyédriques, à noyaux distincts, qui offrent une remarquable analogie d'aspect avec le tissu cartilagineux. Quant à la structure de la tige cristalline elle- même, je n'ai rien pu y découvrir de distinct, et elle parait com- plétement homogène, ainsi que M. de Quatrefages l’a constaté chez le Taret (2). La longueur de cet organe, sur plusieurs Tri- dacnes sur lesquelles je l'ai examiné, était au moins de 6 à 8 centimètres ; chez les grands individus elle devient plus consi - dérable, ce qui avait frappé MM. Quoy et Gaimard : ces auteurs l'ont figuré (3). Dans la portion de l’intestim voisine de l'estomac, c’est-à-dire dans la première partie de la seconde circonvolution du tube digestif, on observe encore des cryptes biliaires de telle sorte qu'elle peut être regardée physiologiquement comme réunie à celui-ci. Au reste, c'est une remarque générale que les limites entre ces différentes portions de l'appareil digestif de la Tridacne sont très-peu nettes ; la division que j'ai adoptée est sous ce rap- port tout à fait arbitraire et n’a d'autre but que de faciliter la description. Dans la suite de son parcours, l'intestin a une surface lisse et ne présente rien de bien remarquable à noter. Pendant (4) PL. 10, fig. 2 : e. (2) Loc. cit., p. 40. (3) Loc, cit., pl. 79, fig. 5. 112 L. VAILLANT, son trajet au travers du cœur, certains faisceaux musculaires (1) de ce viscère affectent avec lui des rapports spéciaux sur lés- quels je reviendrai en décrivant les organes de la circulation, et qui paraissent destinés à prévenir l’occlusion du canal intestinal lors du mouvement de systole. La seule glande annexe du tube digestif qué j'aie pu recon- naître est le foie. IL est volumineux, et chez de petits individus où l'ovaire était peu développé il remplissait toute la cavité de la tunique d’enveloppe de ce que j'ai appelé la masse gastro-géni- tale (2). Il entoure cotiplétement les trois premières circonvolu- tions du tube digestif, mais ne paraît verser le produit de sa sécrétion que dans l'estomac et une petite partie dé l'intestin, comme où l’a vu plus haut. Sa structure est très-nettement celle des gländes en grappe et facile à reconnaître. Les éléments hépa- tiques (3) sont des noyaux sphériques de 0"",006 à 0"",009, pourvus d’un nucléole très-brillant : je n'ai jamais pu voir ces noyaux dans des cellules. Il existe en outre une grande quantité de corpustules (4) jaunâtres, opaques, irrégulièrement arrondis, mesurant 0"",006, qui ressemblent beaucoup aux corpuscules piginentaires. Ces éléments, se réunissant en petites masses allon- sées, forment des culs-de-sac très-faciles à isoler (5); en effet, ceux-ci ne paraissent pas même réunis par du tissu conjonctif, en sorte qu'il suffit d'enlever un fragment de l'organe, et de l'étaler avec quelque précaution dans l’eau, pour pouvoir reconnaître très-facilement la disposition des parties. Ces culs- de-sac, larges de 0"",135, longs de 0"",264 én moyenne, se réunissent au nombre de huit à douze sur un canal comfnun à peu près dé même diamètre qu'eux. Les culs-de-sac glandu- laires ont leur fond ordinairement simple, rarement ils montrent üne certaine tendance à se bilober (6); ils sont formés exclusive- (API MI Be re (2) PL. 8, fig. 4 : mc. (3) PI. 12, fig. 8 : a. (4) PI. 42, fig. 8 : 6. (5) PI. 42, figg7. (6) PI. 42, fig. 8 : a. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 143 ment des éléments nucléaires que j'ai signalés plus haut, réunis par une substance amorphe : je n'ai pu reconnaître l'existence d'une membrane propre autour de ces parties. Les acini formés par la réunion des culs-de-sac sont assez volu- mineux et me mesurent pas moins de 1 à 2 millimètres de long : les canaux qui en émañent se réunissent en conduits plus gros, etainsi de suite, pour arriver probablement à des tubes prinei- paux qui déboucheraient dans les cryptes de l'estomac; mais la mollesse des tissus empêche de suivre les conduits jusqu’à leur embouchure. CHAPITRE V. Système cireulatoire. La circulation chez les Tridacnes ne diffère guère de ce qu’elle est pour le reste des Mollusques acéphalés. Le sang se meut dans un système de conduits artériels très-régulièrement limités ; passe dans des sinus, d'où il revient au cœur, soit par les bran- chies, soit par le manteau. Le fluide nourricier, pour une partie de cette enveloppe, doit en effet être considéré comme retournant directement à l’organé circulatoire central ; mais dans tous les cas le sang qui entre dans les oreillettes a toujours traversé un appareil d'hématose. Lorsque après avoir retiré une Tridaene de l’eau et l'avoir laissée égoutter aussi complétement que possible, on la détache de ses valves, en recueillant avec soin tout le liquide qui en découle, on en rassemble proportionnellement à son volume une quantité très-considérable. Ainsi, sur un animal dont le poids, abstraction faite de la coquille, pouvait être évalué à 1500 ou 1600 grammes, la quantité recueillie a été de 250 centimètres cubes. Ce liquide, qui contient sans doute encore une proportion notable d’eau, mais qu’on peut cependant regarder comme composé pour la plus grande partie par le sang de ce Mollusque, est à demi opaque, opalin, d’une odeur fade rappelant celle de l'animal ; assez fluide ; ne se prend en aucune facon par le repos, Al L. VAILLANT, comme le sang des animaux supérieurs ou des grands Articulés, et renferme en grande abondance des corpuscules sanguins. Ceux-ci (1), qui donnent au liquide sa teinte et son aspect lai- teux, sont sphériques, transparents, très-peu granuleux, si on les examine peu de temps après leur sortie des vaisseaux, pour- vus d’un ou deux nucléoles brillants. Leurs dimensions sont assez variables et oscillent entre C*",006 et 0"*,011 : cette irrégula- rité est, on le sait, assez habituelle chez les animaux infé- rieurs (2). Outre ces globules, on trouve encore, mais en petit nombre, des nucléoles libres ; c’est peut-être un accident dû à la dissolution de quelques-uns des organites complets. L'organe central de la circulation (3) occupe dans le Bénitier une position toute spéciale qui mérite d'être remarquée. Dans le plus grand nombre des Mollusques analogues, le cœur se trouve répondre à la partie qui avoisine la charnière (4) en arrière de celle-ci, c'est-à-dire au corselet : c’est ce qui a lieu chez les Acé- phalés à coquilles allongées dans le sens de cette charnière, comme les Solens, les Pholades, les Anodontes, la Pinne ma- rine (5): dans les coquilles allongées perpendiculairement à cette direction, comme les Huïtres (6), les Vulselles, le cœur répond encore à ce point, bien que s’abaissant beaucoup et se rapprochant du centre de la coquille. Dans les Tridacnes, la position est toute différente et unique, je crois, jusqu'ici, ce qu’on doit attribuer au retournement singulier de l'animal : le cœur, en effet, répond à l'ouverture des valves, à la partie posté- rieure du limbe, en face de la première et de la seconde dent de la valve droite, et à l'intervalle qui les sépare. Il est renfermé dans un péricarde (7) appliqué en bas sur la peau épaisse qui (4) PI. 12, fig. 3. (2) Milne Edwards, Leçons sur la physiologie et l'anatomie comparée de l'homme et des animaux, t. 1, p. 97. (3) PI. 114, fig. 2 : a, b, c. (4) Milne Edwards, loc. cit., t. III, p. 106. (5) Milne Edwards, Observations sur la circulation chez les Mollusques (Ann. des se. nat., 3° série, t. VIII, pl. 4). (6) Cuvier, Règne animal (grande édition), Morzusques, pl. 70, fig. 4, /. (7) PL 8, fig. 4 : pe; pl. 11, fig. 2 : d. RÉCHÉRCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 145 revet la chambre aquilère inférieure, en haut ce nest qu'une mince membrane qui s'appuie sur le foie, les corps de Bojanus et remplit l'espace qui sépare ces différents organes. En ouvrant ce péricarde on y trouve une partie des deux oreillettes, le ven- tricule et ce qu'on peut appeler le bulbe artériel. Ces deux der- nières parties qui nous occuperont d'abord sont placées sur la ligne médiane ; les oreillettes, comme d'ordinaire, sont latérales. Le ventricule (1) est à peu près sphérique, le diamètre ver- tical étant un peu supérieur aux deux aulres ; ce plus grand diamètre à l’état de diastole peut être évalué à 18 ou 20 mili- mètres sur un individu de taille moyenne, c’est-à-dire de 15 à 20 centimètres; le diamètre transverse n’est que de 12 à 15 millimètres. Les parois de couleur jaune clair sont minces, à demi transparentes ; on peut y apercevoir à travers la couche externe translucide quelques-uns des faisceaux charnus, ce qui donne à la surface un aspect aréolaire. En examinant l’intérieur de ce ventricule (2), on voit en effet que les fibres musculaires se réunissent de façon à former des faisceaux qui rappellent abso- lument les colonnes charnues du cœur des animaux supérieurs ; cest une disposition signalée déjà chez un grand nombre de Mollusques, qu'on trouve sur les modèles en cire de Poli de la collection du Muséum, et que M. Deshayesa parfaitement figurée sous le nom de piliers fibreux dans la Mactra stultorum, la Tri- gonella piperata (3). La plupart de ces colonnes, au moins les plus apparentes, sont libres sur leur contour et se fixent par leurs extrémités aux parois comme les colonnes du second ordre chez les Mammifères; elles se bifurquent, se trifurquent, etc., fré- quemment. Une disposition physiologique très-curieuse, et qui se voit avec une grande facilité dans l'animal qui fait l’objet de ce mémoire, est celle qu’affectent certains faisceaux charnus par rapport à l'intestin au point où celui-ci pénètre dans la cavité cardiaque. Ici en effet, comme chez les autres Acéphalés, le tube (4) PL 41, fig, 2:04. (2) PI. 44, fig. 3. (3) Histoire naturelle des Mollusques de l'Algérie, pl. XXVIKE, fig, 2, et pl. LV{, fig. 2. oc série. ZooL. T. IV, (Cahier n° 3.) 2° {0 116 L. VAILLANT. digestif traverse complétement l’organe central de la circula- tion (4). Il pénètre par la partie supérieure et postérieure des ventricules au milieu des fibres contractiles, et l’on comprend que dans le jeu des organes il devrait se trouver comprimé à chaque mouvement de systole ; mais plusieurs des colonnes dont J'ai parlé envoient sur la paroi intestinale à son point d'entrée des faisceaux (2) qui s’y insèrent plus ou moins perpendiculaire ment. Le but de cette disposition paraît facilement explicable : au moment où le cœur se contracte, les faisceaux participent à l’action générale ; mais comme ils se dirigent des parois du cœur à celles de l'intestin, leur effet doit être d'attirer ces dernières en dehors de manière à dilater le tube digestif ; 1l s'ensuit que même pendant la systole du cœur le passage des matières n’est jamais empêché. Les faisceaux musculaires qui avoisinent l'orifice auri- culo-ventriculaire ont aussi une disposition spéciale et forment une sorte de boutonnière en sphincter qui peut aider à l'ocelu- sion de la valvule destinée à empéeher le retour du sang dans les oreïllettes. Le bulbe artériel (3) placé en avant du ventricule est piri- forme ou plus exactement en pyramide quadrangulaire à angles arrondis. Sa base, tournée en arrière, est creusée en coupe, de facon à s'accommoder à la forme sphérique du ventricule qu'elle reçoit. La couleur des parois est d’un jaune brun, par suite beaucoup plus accentuée que celle de la portion du cœur étudiée précédemment ; à la base, la couleur est jaune paille, ce qui est dû à une sorte de tissu glandulaire logé dans la paroi et sur lequel j'aurai tout à l'heure à revenir. L'épaisseur de la paroi du bulbe est infiniment plus considérable que celle du ventri- cule ; lorsqu'on l’ouvre (4), on voit qu'il présente également des colonnes charnues, mais adhérentes sur toute une de leurs faces comme les colonnes charnues du cœur dites de troisième ordre chez les animaux supérieurs, et si épaisses, si courtes, que les (H)PPI AA RE 0 07 (CPLM HE SET (8) PL 144; fig. 2: c, (4) PL 41, fig. 3: c. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS, 147 intervalles qui les séparent ne figurent plus que des espèces de perforations dans la paroi. La communication entre le ventricule et le bulbe n’a lieu que sur un point, l'intestin étant réuni à l'orifice ventriculo-bulbaire par une mince membrane qui en bas, où les cavités communiquent, s'enfonce vers le bulbe, et produit ainsi une véritable valvule comparable à une valvule semi-lunaire. Lesoreillettes (1) ontau contraire des parois très-minces, blan- châtres et transparentes. Leur forme est peu régulière, et elles se moulent sur les organes qui les avoisinent, c’est-à-dire sur la masse gastro-génitale et les organes de Bojanus. Dans la portion qui se trouve proche du ventricule, elles sont placées dans l’inté- rieur même du péricarde ; en dehors, elles sont presque à nu sous la mince membrane cutanée qui s'étend entre les branchies et le bord supérieur du manteau. Ouvertes, elles présentent des co- lonnes charnues un peu moins fortes et moins nombreuses que celles du ventricule, mais en rappelant tout à fait la disposition. La manière dont l'oreillette communique avec le ventricule et dont le cours du sang est assuré est des plus simples. La partie qui se trouve en rapport avec l'organe d’impulsion central prend la forme d'un entonnoir (2) dont l'ouverture rétrécie serait en boutonnière allongée d'avant en arrière ; cette extrémité, formée d'un tissu mince, transparent, pénètre dans le ventricule et y flotte librement sur une longueur de 2 à 3 millimètres au moins; on comprend sans peine qu'une pareille disposition empêche par- faitement le reflux du sang du ventricule dans les oreillettes par le rapprochement forcé des deux lèvres de la boutonnière sous la moindre pression venant du ventricule. La disposition de cer- taimes colonnes charnues ventriculaires dont je parlais tout à l'heure favorise peut-être également ce résultat en fermant activement cette ouverture. Toutes ces parties sont formées d'éléments musculaires de la vie organique ou fibres-cellules. Dans le ventricule (3), elles sont (A), PI. 44, feu 4 Gaua à, (2) PI, 41, fig. 3 : g. (3) PL 1, fig. 4. 148 L. VAILLANT. petites relativement aux dimensions ordinaires de ces éléments: leur longueur est de 0,084, leur largeur de 0"",008 à 0°" ,009; on y découvre un noyau de 0"",010 sur 0“",007, très-apparent même sans l’action de réactifs et pourvu de plusieurs nucléoles brillants; le tissu de la cellule est fortement granuleux. Les fibres musculaires du bulbe ne différent de celles-ci que par une transparence beaucoup plus grande, tandis que celles des oreil- lettes sont sous ce rapport intermédiaires aux deux autres. L'acide acétique pàlit tout le tissu, cellules et noyaux, sans altérer les nucléoles. Dans le bulbe artériel on trouve encore d’autres éléments tres- singuliers et sur la nature desquels il me paraît difficile de se prononcer, ils donnent à la base élargie de cet organe une apparence glandulaire, surtout à la partie postérieure et infé- rieure. À un fort grossissement on voit que ce sont des élé- ments (1) arrondis, réfringents, et cela d'autant plus qu'ils sont plus petits, rappelant par suite absolument l'aspect de corpus- cules graisseux ; ils sont très-variables dans leurs dimensions : les plus grands atteignent jusqu'à 0"*,0204, tandis que les plus petits ont à peine 0**,0014 (2); le plus grand nombre mesurent de 0"",008 à 0"",009; ceux qui ont le plus petit diamètre, sur les préparations obtenues par dilacération du tissu, sont agités d'un mouvement brownien très-vif. Outre ces granulations réfringentes, on trouve des corpuscules (3) rougeàtres, trrégu- liers, mais le plus souvent arrondis, de 0"",0101 de diamètre, et qui rappellent des corpuscules semblables qu'on retrouve dans un grand nombre de tissus de l'animal où ils paraissent jouer le rôle de pigment. Les corps réfringents, qui semblent ici avoir l'importance la plus grande, sont réunis en groupes irrégu- liers (4), formant des espèces d'acini dans lesquels toutefois il est absolument impossible de constater l'existence de canaux excré- teurs. Ces acini, longs d'environ 0"°,UA3 sur 0°”,029, sont (4) PL 12, fig.5 : a. (2) PL 42, fig. 5 : &. (3 PI. 12, fig. 5: c. (4) Pi. 41, fig. A: #. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 149 composés d'ordinaire de corpuscules de dimension moyenne, les ceux plus volumineux sont très-rares. Ces éléments ne paraissent pas s’allérer par l'ébullition dans l'eau ou dans l’éther ; l'acide acétique est sans action sur eux; la glycérine en diminue beau- coup la réfringence et, les rendant plus pâles, permet d'étudier leur disposition avec plus de facilité. Malgré la structure musculaire très-évidente de toutes ces parties, les oreillettes et le ventricule seuls paraissent agir pour la circulation ; le bulbe artériel, chaque fois que j'ai eu l’occasion de l’examiner, ne m'a jamais paru contractile. Les mouvements se succèdent alternativement entre les oreillettes et le ventri- cule avec une grande régularité et beaucoup de lenteur. On peut au reste les observer très-facilement, vu la position particulière de l’organe et cette habitude spéciale qui fait que la coquille a une grande tendance à s’entre-bâiller ; en laissant quelques instants l'animal au repos, on voit les valves s’écarter au bout de peu de temps: il suffit alors d’interposer entre elles un coin d’une substance telle que du liége ou du bois tendre, qui empêche la fermeture des valves en n'étant pas assez dure pour qu’elles se brisent sur lui ; en fendant alors le manteau de l'ouverture effé- rente à l’angle postérieur de la coquille, on n’a plus qu’à inciser le péricarde pour avoir l'organe sous les yeux. Je n’ai pu mal- heureusement reconnaître avec exactitude quel était le nombre de pulsations dans un temps donné, mais il doit être peu élevé, car le cœur bat lentement. De l'organe central de la cireulation, c’est-à-dire du ventri- cule, naissent deux troncs principaux : l’un postérieur ou supé- rieur, l’autre antérieur ou inférieur dont le bulbe aortique peut être regardé comme l'origine. Si, en effet, au point de vue de l'aspect et de la structure histologique ce dernier se rapproche des organes centraux avec lesquels je l'ai décrit, sous le rapport des fonctions il doit être rattaché aux vaisseaux ; il ne paraît en effet agir comme organe actif d'impulsion que dans des cas exceptionnels. Chez la Tridacne les artères antérieures qui cor- respondent aux postérieures des autres acéphalés lamellibran- 150 L. VAILLANT. ches sont de beaucoup les plus considérables, ce qui n’est pas habituel dans ce groupe (1). L'artère principale supérieure (2) se détache de la partie posté- rieure et supérieure du cœur, s'enfonce immédiatement dans la masse gastro-génitale pour s'accoler aux organes digestifs et venir reparaître à la surface au point où de cette masse s'élève l'organe sécréteur cardinal (3); celte artère suit alors la ligne d'adhérence de ce dernier pour arriver à l’orifice buccal. Dans ce trajet elle donne des branches considérables à l'ovaire (à) et au foie, quelques rameaux grèles à l’organe sécréteur de la char- ère (5); elle passe ensuite à gauche dela bouche au-dessous de l'anneau fibro-musculaire pharyngien et des lèvres pour arriver au pied, dont elle suit la courbure, en fournissant des rameaux très-nombreux à cet organe (6). Chemin faisant, elle donne les artères tentaculaires (7) au moment où elle passe sous l'anneau pharyngien. La branche pédieuse est ici réellement la véritable terminaison de l'artère principale supérieure, et l’on s’expli- quera aisément cette importance ên songeant à l'apport de sang considérable que doit exiger la sécrétion du byssus. L’artère principale antérieure ou inférieure (8) offre une dispo- sition très-particulière, elle serait excessivement courte et même presque nulle si l’on n’y comprenait le bulbe artériel, dont l'extré- mité donne naissance immédiatement à trois branches : l’urie, impaire, qui peut prendre le nom d'artère récurrente péricar- dique (9) ; les deux autres divergentes, qui sont les artères pal- léales antérieures (10). (4) Milne Edwards, Leçons sur la physiologie et l'anatomie comparée, t. li, p. 414. (2) PI: 11, fig. 4 : 2. Mile cdi (3) PL 41, fig. 1: osc, (4) PL 41, fig. 4 : 4. (5) PI. 41, fig. 4.:,3. (6)-P1. 11, fig. 4 : 6. (7) PL 44, fig. 4 : 5. (8) PI. 41, fig. 2: 0, (O) PL AT ENS; ie, 20/6 fr, 8e, (40) P1. 14/2; 4. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 151 L'artère récurrente péricardique se détache sur la ligne médiane juste auprès de la terminaison du bulbe artériel ; elle remonte directement en arrière dans l'épaisseur du péricarde ou plutôt dans la paroi supérieure de la chambre aquifère efférente, paroi qui double le péricarde en bas, enfin gagne l'extrémité postérieure de l'animal, c’est-à-dire le point qui correspond à la partie la plus reculée du ligament. Elle se divise alors en trois branches : l’une d'elles, antérieure, se distribue dans l'organe sécréteur cardinal (1) en y formant un très-riche réseau qui se remplit avec tant de facilité, comme je l'ai déjà dit, que l'organe prend entièrement la couleur de l'injection; les deux autres branches (2) se dirigent à droite et à gauche pour se placer dans le bord réfléchi du manteau et revenir en avant, on peut les appeler artères cireum-palléales. postéro-inférieures ; elles vien- nent s’anastomoser à plein canal avec des branches des artères palléales antérieures. Dans leur trajet ces branches donnent un grand nombre de ramifications qui se distribuent principalement dans le bord du manteau. Les artères palléales antérieures (3) partent en divergeant du sommet du bulbe artériel qui constitue, comme je l'ai dit, l’ar- ière principale mférieure; elles se prolongent au-dessous du muscle rétracteur postérieur du pied et du grand muscle adduc- teur des valves ; arrivées à la partie antérieure de celui-ci, elles gagnent le bord du manteau et se divisent chacune en deux branches. L'une de celles-ci, artère circum-palléale antéro-infé- rieure (h), revient en arrière pour aller s'anastomoser par inosculation avec les artères circum-palléales postéro-inférieures dérivées de l'artère récurrente péricardique dont j'ai parlé plus haut; de cette façon se trouve complété le circuit des artères circum-palléales inférieures. L'autre branche (5) se dirige en avant, remonte en haut pour venir entourer l'ouverture (4) PI. 44, fig. 4 : 40. (2RPIS LS EEE 0) 13 (3) PI. 44, fig. 2 : 4. (4) PI. 11, fig. 2 : 4. L (OMPI 4114 GA, 91: 5 152 L. VAILLANT, pédieuse et s’'aboucher directement avec l'artère correspondante du côté opposé; ces deux artères forment de cette facon un autre circuit et on peut les appeler artères circum-palléales supérieures. Les artères circum-palléales inférieures et supérieures étant réunies à leur origine, puisqu'elles ne sont que les bifureations des artères palléales antérieures (1), 1l s'ensuit qu’elles consti- tuent dans leur ensemble un circuit complet qui parcourt tout le bord libre réfléchi du manteau. Dans ce trajet les vaisseaux donnent un très-grand nombre de branches à l'enveloppe cuta- née, surtout autour de l'ouverture pédieuse (2). Avant leur ter- minaison les artères palléales antérieures donnent aux muscles sous lesquels elles passent des branches assez considérables (3). Un peu au-dessous du pont de séparation de ces artères d'avec le bulbe artériel, l’une d'elles, il m'a paru que c’était le plus ordinairement celle de gauche, donne un tronc impair (4 qui se dirige directement en avant, fournit d’abord quelques ramuseules au rectum (5), puis, arrivé à la partie antérieure du grand muscle adducteur, le contourne pour venir se placer à sa partie supérieure, où 1l se partage en quatre branches, deux qui remontent postérieurement vers la région pédieuse (6) en diver- geant, deux qui suivent les replis internes des chambres incuba- trices communes et se distribuent à ces replis ainsi qu'à la cloi- son interbranchiale (7). Cette artère pourrait s'appeler artère azygos antérieure. En résumé, on peut remarquer d’une manière générale que chez la Tridacne les deux artères qui émanent du cœur parais- sent se distinguer dans leur distribution par rapport aux organes auxquels elles se rendent. L'artère principale supérieure se distribue spécialement aux viscères et au pied ; l'artère prin- (1) PL 41, fig. 2 : 4, 4, 9. (2)PL A1 82107 (3) PL 414; fig. 2: 6. (OMP1:21-05.22 205 Ge 4 ae (O)PEMA, fie: 208. (6) PL. 44, fig. 4 : 42. 7) PI. 44, fig. 1: 48. = RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS, 153 cipale antérieure par ses trois branches apporte surtout le fluide nourricier au manteau. Cette distinction n'est cependant pas absolue, puisque cette dernière fournit également une branche viscérale, l'artère azygos antérieure. Ainsi répandu dans toutes les parties du corps par les artères, le sang passe de celles-ci dans des sinus plus ou moins bien limités selon les organes et qui jouent le rôle de veines. Pour le manteau ces espaces forment un réseau difficile à injecter, mais assez net ; on a vu la structure de ces sinus en traitant de l’exa- men histologique du manteau et je n’y reviendrai pas ici, je me bornerai à rappeler qu’ils paraissent censtitués par de simples lacunes revêtues intérieurement d’un tissu épithélial. A la partie postérieure et supérieure de la partie intramusculaire du man- teau ces sinus se réunissent en des troncs principaux qui débou- chent par un vaisseau unique (1) dans l'extrémité de l'artère pulmonaire d’où le sang revient directement au cœur. Le sang qui arrive dans la masse gastro-génitale est repris également par des espaces assez nettement limités (2) pour représenter des vaisseaux, mais n'offrant pas non plus de paroi bien distincte autre que lestissus environnants, il passe de là dans les corps de Bojanus. Une partie des sinus de ces derniers or- ganes (3) forment à leur surface un réseau très-riche et qu’on injecte avec la plus grande facilité par le pied de l'animal. C'est dans les sinus périmusculaires que se rassemble, en définitive, le sang ramené de ces différentes parties. Ils sont au nombre de deux : l’un situé en arrière du muscle rétracteur du pied (4); l’autre, entre celui-ci et le muscle adducteur des valves (5); ils communiquent largement l’un avec l’autre en dessous du muscle rétracteur (6). C’est à ia partie la plus reculée de ces sinus que débouchent les veines du corps de Bojanus. (4) PI. 44, fig. 4 : 16. (2) PI. 44, fig. 4 : 47. (3) PI. 41, fig. 4 : 48; fig. 9 : 9. (4) PI. 14, fig. 4 : 49; fig. 2 : 40 (5) PL 41, fig. 4 : 20 ; fig. 2 : 14. (6) PI. 414, fig. 2 : 42, 154 L. VAILLANT, Arrivé dans ces réservoirs, le sang passe dans l'artère bran- chiale (À), qui se dégage entre les deux muscles sous forme d’un gros tronc se divisant en éventail pour distribuer le sang dans toute la longueur des branchies. Chaque rameau en se subdivi- sant finit par envoyer dans chaque feuillet respiratoire un vais- seau médian d’où partent à angle droit une grande quantité de branches paralèlles, comme dans certaines feuilles, celles des Bananiers par exemple, les nervures secondaires se détachent de la nervure principale. Le sang est ramené au cœur par un tronc commun aux deux branchies de chaque côté et situé au-dessous d'elles (2). Cette veine branchiale recoit également les ramus- cules veineux de la cloison interbranchiale (3), laquelle n’envoie pas le sang dans les branchies, et avec le manteau forme par conséquent un second organe respiratoire auxiliaire. À peu près à la réunion du quart postérieur aux trois quarts antérieurs de la veine branchiale se détache le tronc, qui ramène le sang à l'oreillette (4), il passe entre la masse gastro-génitale et l'organe de Bojanus. Cette situation de la veme branchiale pourrait con- duire à une fausse interprétation, en faisant croire que le sang des deux organes qui l’avoisinent se rend directement dans ce vais- seau sans passer par les branchies. En effet, si lmjection est faite trop précipitamment, elle pénètre à la fois dans toutes les par- ties, remplit les branchies, les sinus des organes de Bojanus, ceux de la masse gastro-génitale, et ces derniers vaisseaux paraissent déboucher dans l'oreillette colorée également par l'injection, tandis qu'en réalité ils passent au-dessous. Pour réussir il importe, après avoir ouvert le ventricule pour empé- cher l'injection des artères, de pousser d’abord la matière colo- rée, avec précaution, par le tronc de la veme branchiale pour remplir celle-ci et les ventricules ; une seconde matière étant alors injectée par le pied, remplit les sinus de la masse gastro- génitale, ceux des corps de Bojanus, les réservoirs périmuseu- (4) PL 44, fig. (2) PI. 414, fig. (3) PL. 41, fig. (4) PI, 44, fig. > Là > fn 2 19 RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 155 laires, et si l'opération réussit, on peut avoir le mélange des injec- tions dans l'artère branchiale. En injectant directement par le pied, les liquides pénètrent si facilement que, si l'on n’a pas la précaution d'ouvrir le ventricule, le réseau des artères mème peut se remplir. La structure des vaisseaux mérite d’être examinée avec soin. Le volume des artères palléales antérieures, dont le diamètre n'a pas moins de 1°°,5 à 2 millimètres même sur une Tridacne de taille moyenne, permet d'en étudier facilement la composition élémentaire. Sur une coupe transversale (1), préparation qui paraît la plus favorable à cet examen, on voit que la paroi vas- culaire est constituée en procédant de dedans en dehors de deux couches; la première (2), très-mince, est formée par un épithé- lium pavimenteux ; la seconde (3), qui ne mesure pas moins de 0"*,180 à 0"",195, est constituée par un tissu lamineux, nacré, très-serré, et qui se distingue nettement par son aspect des tissus ambiants. Ces deux couches sont encore aisées à reconnaître sur des coupes du bord réfléchi du manteau , la tunique lamineuse devient seulement un peu moins épaisse. La couche épithéliale interne est facile à observer si l'on à la précaution de traiter là préparation par l'acide acétique, qui fait pâlir fortement les élé- ments de la couche externe sans altérer l’épithélium. Dans les veines, la structure est très-différente et beaucoup plus simple. Pour celles du manteau, en négligeant les petits ramuscules dont la composition histologique nous est déjà connue, sur les gros troncs, qui sont faciles à distinguer même si l’on n'a pas injecté l'animal, on peut obtenir des coupes dans différents sens, qui prouvent nettement que ce sont de simples cavités creuséés dans le tissu même de l'organe, cavités présentant sans doute une paroi épithéliale propre, mais très-difficile à réconnaitfe; il eñ est de même pour les vaisseaux branchiaux. Quant aux sinus périmusculaires, il est assez difficile de se faire une idée de leur structure. (DuPE 12 pd; (2) PI. 12, fig. 4 : a. (3) PI. 42, fig. 4 : 6, 156 LE. VAILLANT. En somme, on voit que chez la Tridacne la marche du fluide nourricier doit être très-régulière. Le sang artériel lancé par le ventricule est envoyé à toutes les parties du corps, il revient de là à l'oreillette, soit en passant par les sinus périmusculaires et de là dans les branchies, c’est ce qui a lieu pour le sang du pied, du foie, des corps de Bojanus, de la partie inférieure du man- teau, ou directement dans la veine branchiale, ce qui arrive pour le sang de la portion supérieure du manteau et pour le sang de la membrane interbranchiale. Dans l’un et l’autre cas le sang doit être considéré, au point de vue physiologique, comme ayant tra- versé un organe d’hématose avant de revenir au cœur. CHAPITRE VI. Organes respiratoires, Les branchies des Mollusques acéphalés lamellibranches sont construites, on le sait, sur deux types principaux. Tantôt, comme dans les Spondyles, les Moules, les Pernes, elles sont pectinées, c’est-à-dire que les appendices respiratoires sous forme de filaments sont appendus chacun par une extrémité à une tige commune, comme les dents d’un peigne, et libres sur tout le reste de leur étendue, aussi les voit-on flotter librement dans l’eau, au moins après la mort. D’autres fois elles sont réellement comparables à des lamelles, ce qui provient de la soudure plus intime des filaments par des trabécules dirigés dans le sens lon- gitudinal de l'organe ; ces différences, comme l’a fait remarquer M. Milne Edwards, sont du reste plus apparentes que réelles (1). Les Tridacnes, en se rapprochant de ce dernier type, présentent au premier abord des particularités assez frappantes en appa- rence, qui pourraient les faire regarder comme constituant une variété distincte, mais cela peut s'expliquer très-naturellement par ces soudures qui paraissent s'effectuer avec une si grande (4) Loc, ct., t. IT, p. 28, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 157 facilité, comme l’a montré M. Lacaze-Duthiers dans ses études sur le développement de ces parties (1). A première vue, les branchies de la Tridacne allongée ne peuvent mieux être comparées qu'à des sortes de bourrelets cylindriques au nombre de quatre, placés par paire de chaque côté du corps de l'animal (2). C’est ce qu'on peut voir sur les figures de MM. Quoy et Gaimard pour lHippope (3), et de M. Woodward pour la Tridacne safranée (4). Les paires de chaque côté se rapprochent et se soudent tout en restant dis- tinctes à la partie antérieure en avant du grand muscle adduc- teur des valves lorsqu'elles se recourbent autour de lui. Du côté opposé, c'est-à-dire vers la bouche, les branchies s’'amincissent et se disjoignent, l'externe se perd en quelque sorte sur la masse gastro-génitale (5) vers le point de jonction que j'ai signalé entre le manteau, et celle-ci, là où, comme on l’a vu, le sang ramené par les vaisseaux du manteau vient tomber dans la veine bran- chiale (6) ; la branchie interne aboutit entre les palpes labiales. Chacun de ces bourrelets, quand on l’examine avec attention, se décompose en une multitude de lamelles ayant la forme d’une demi-ellipse ; les plus grandes mesurent sur les Tridacnes de 20 à 25 centimètres 10 à 12 millimètres de hauteur sur 6 à 7 milli= mètres de large, le sommet étant généralement un peu échancré ; elles sont à leur maximum de développement au centre de la branchie et décroissent vers les extrémités, surtout vers l’extré- mité postérieure, où elles finissent par être tout à fait rudimen- taires. Ces lamelles sont placées les unes derrière les autres , leurs faces élargies étant en contact; sur la ligne médiane chacune d'elle est soudée avec les deux voisines et l’ensemble de ces sou- dures forme un raphé, une sorte de cloison, qui s'étend sur toute la longueur de l'organe respiratoire. On pourrait donc encore se (4) Voy. Ann. des se, nat, 4° série, & V, p. 5. (2) PI. 8, fig. 1:Bk, (3) Loc. cit., pl. 80, fig. 6, 4, 4, 4. (4) Loc. cit., p. 469, fig. 265, g. (5) PI, 16, fig. 1 : à. ‘6) PI. 44, fig. 4 : 16. 158 E, VAILLANT. figurer chacune de ces branchies comme formée d’une lame médiane placée verticalement d'avant en arrière, à laquelle seraient appendus des prolongements latéraux situés vis-à-vis les uns des autres, chacun d'eux représentant une demi-lamelle. Quand on examine une de ces lamelles en particulier, on voit qu’elle est constituée par deux feuillets distincts réunis sur leurs bords, de telle sorte que dans son intérieur existe une cavité sub- divisée en deux poches latérales par le raphé médian, poches qui s'ouvrent librement dans le canal incubateur commun pour la branchie externe et dans la partie moyenne de la chambre postbranchiale pour la branchie interne ; les premières au moins doivent être regardées sans nul doute comme des poches incuba- trices proprement dites, analogues à celles qu'on rencontre chez un si grand nombre de Mollusques acéphalés lamellibranches dans les organes respiratoires. Si l'on cherche à voir la structure du feuillet élémentaire qui en dernière analyse constitue la branchie, on y retrouve la dispo- sition des feuillets branchiaux des acéphalés chez lesquels la soudure est la plus intime, c'est-à-dire où la lamelle se présente sous la forme d’un erible à petites ouvertures, les trabécules transversaux qui réunissent les filets élémentaires primitifs étant nombreux et égaux en diamètre à ceux-ci. En somme, comme on le voit, nous avons ici une véritable branchie de Mollusque acéphale lamellibranche construite sur le type de celles des Ano- dontes, des Bucardes, etc. ; le feuillet direct et le feuillet réfléchi, suivant les dénominations adoptées (1), paraissent tous deux également soudés au corps de l'animal; de plus, ces mêmes feuillets ont pris, suivant leur longueur, un développement très- considérable, et ont dû pour se loger se replier en zigzag sur eux-mêmes ; chacun de ces plis représente la moitié d’une des lamelles élémentaires dont la réunion constitue la branchie. Une disposition et un aspect toutà fait analogue se retrouvent d’ailleurs dans certains autres animaux voisins, seulement le développe- ment et la régularité y étant moindres, cela ne frappe peut-être (4) Voy: Lataze-Duthiers, oc, cit., p. 12. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 159 pas autant au premier abord. C'est ce qu'on peut voir en particu- lier dans les branches des Cardium, où, suivant M. Deshayes (1), «la surface est profondément découpée par des sillons qui » séparent deux ou trois lamelles branchiales formant entre elles » un petit groupe séparé du voisin par le sillon dont on vient de » parler». Cette disposition à été parfaitement représentée chez le Cardium edule et le Cardium hians dans l’histoire naturelle des Mollusques de l'Algérie (2); seulement, dans les animaux qui nous oceupent, c'est entre chaque lamelle qu'existe un sillon profond. Quant aux connexions de ces branchies avec les autresorganes, je me bornerai à rappeler qu’elles sont unies entre elles par la cloison interbranchiale et aux organes sous-jacents par deux replis limitant la chambre meubatrice commune. Ces détails ont été suffisamment indiqués au commencement de ce mémoire pour que je eroie inutile d'y revenir ici plus longuement. Dans la deseription faite plus haut du système vasculaire on a vu comment se distribuent les vaisseaux; le tronc médian dont jai parlé se trouve dans le raphé qui réunit les deux feuillets de chaque lamelle, et c'est de là que partent à angle droit les branches qui se répandent dans ces deux mêmes feuillets, L'in- jection est très-facile dans tous ces vaisseaux, aussi ne. peut-on guère savoir si l’on remplit les troncs artériels ou veineux et comment le sang circule dans le feuillet respiratoire. Pour les autres espèces de la famille des ‘Tridacnidés on peut, d'apres les figures données par différents auteurs, admettre que la structure des branchies est la même. Chez la Tridacne hippope, que j'ai pu examiner, la seule différence à noter est que la forme générale de chaque organe, au lieu d'être arrondie, est anguleuse, en sorte qu'au lieu d’avoir l'apparence d’un bourre- let la branchie dans son ensemble donne plutôt l'idée d’un prisme à quatre pans fixé par une de ses faces. Le raphé qui unit les lamelles paraît aussi un peu plus nettement accusé, d’où (1) Traité élémentaire de conchyhiologie, t. 11, p. 4: (2) Voy. pl. XCVI, fig. 4, 3, 4; pl. XCIX, fig. 4. 160 L. VAILLANT, résulte une échancrure plus forte au sommet de celles-ci. Bien entendu que dans toutes ces particularités, en somme peu impor- tantes, 1l faut tenir compte de ce fait que cet individu était plongé dans l’alcool depuis fort longtemps. Le courant d'eau rutritif qui sert à la respiration s'établit, comme on l'a vu dans la description du manteau, de l'ouverture branchiale à l'ouverture anale ; les rapports anatomiques ordi- naires sont changés, le premier de ces orifices étant supérieur dans la position où je décris l’animal, mais à l’état de vie les rapports physiologiques sont rétablis, c’est un fait que j'ai déjà signalé plus haut. Je me bornerai à faire remarquer que, outre le courant régulier normal qui renouvelle l’eau dans les chambres aquifères, les Tridacnes,au moins celles maintenues danslesaqua- riums, se contractent assez fréquemment d’une façon brusque pour expulser l'eau qu’elles contiennent, et un petit individu de 12 à 15 centimètres, recouvert de 3 centimètres d’eau, rejetait le liquide avec assez de force pour qu'on pt entendre l'agitation produite dans cet effort et voir un cône de liquide de 3 ou 4 cen- timètres s'élever à la surface. Il m à paru intéressant de chercher à déterminer, autant que cela m'était possible, la température propre de ces Mollusques comparée à celle des fonds qu'il habite. Ces recherches sont simples à effectuer en ce qui concerne l'animal; il est tou- jours facile en effet, par la lunule et l'ouverture pédieuse, d’in- troduire un thermometre que l’on peut faire parvenir très-avant dans la chambre branchiale et qui donne, avec autant d’exacti- tude qu’on peut le désirer, la température réelle de l’animal. Je n'ai pu obtenir aussi aisément la température du fond, à cause des difficultés presque insurmontables qu'on éprouve, à donner aux embarcations une stabilité suffisante pour que les instruments puissent fonctionner sans se déranger. Je me suis servi pour ces dernières recherches d'un thermomètre à maxima de Doulcet et d’un autre thermomètre à minima à marteau ; ces deux instru- ments, entubés pourêtre autantque possible à l'abri des pressions, étaient descendus au moyen d'une sonde ordinaire à relever les RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 161 fonds et laissés au moins un quart d'heure dans cette position pour s’équilibrer parfaitement avec le milieu ambiant. Pour la température de l’anunal j'ai employé un petit thermometre ordi- naire d’une grande sensibilité, destiné à des observations psy- chrométriques (1). En ce qui concerne la température des fonds qu’habitent les Tridacnes dans deux expériences faites sur le bas-fond d'Euzoug Katah-el-Kébir, et qui m'ont paru les plus concluantes etles mieux faites, l’une le 22 mars 1864, à deux heures, et l’autre le 4 avril, à midi, les thermomètres ont marqué : dans le prenmer cas, 18 degrés, et dans le second, 17 degrés. Il en résulte que la tem- pérature moyenne de ce fond dans cette saison peut être approxi- mativement considérée comme étant de 17°,5 ; la hauteur d'eau au point où ont été faites ces observations n’est à marée basse que de 2 mètres à 2°,50. Quant aux Tridacnes, voici les diffé- rentes températures que j'ai obtenues, elles ont toujours été prises au moment même où le plongeur rapportait l'animal : 0 Animal de 25 à 27 centimètres de long. ... ......... 20,6 rs decide, BE Te eee ere c'es Lie PR + 19,8 CESR ETTECE. Idate IEEE A D 20,2 Animal de 45 à 18 centimètres de long............... 20,0 AA ECOLES: OP: AIMER. AIR, HN AUDENSE 20,8 LG RARES RE CAEN TIRER AMANOR USE TE EE aus td e207 1 Moyenne. 211801, 26111 20,3 Le résultat de ces dernières expériences me parait assez concluant, vu la petite différence qu’on peut remarquer entre les chiffres extrêmes, laquelle n’est que de 1 degré. On serait amené ainsi à conclure que la température de la Tridacne allongée est supérieure d'environ 2°,8 à celle du milieu, non pas précisément qu'elle habite, mais qui lui est voisin. En effet, l'animal vivant enfoncé dans le sable et les thermomètres descendus avec la sonde se trouvant au moins à 20 centimètres au-dessus du fond, il est bien possible que la température du sol soit un peu autre (4) Tous ces instruments sortaient des ateliers de M. Baudin, dont l’habileté dans la construction de ces appareils est bien connue. 56 série. Zoor. T. IV. (Cahier n° 3.) 3 11 162 L. VAILLANT. que celle de la couche d’eau immédiatement supérieure. La diffé- rence doit cependant être très-faible où même nulle, d'autant plus que la Tridacne, étant continuellement baignée parun cou- rant emprunté à cette même couche, doit être avec elle dans une relation constante qui tend à rétablir l'équilibre de température s’il n'existait pas. Ce chiffre de 2,8 indiquant la chaleur propre de ces Mol- lusques serait un peu supérieur à ceux qu'on a généralement trouvés dans des expériences analogues (1) ; au reste, ces résul- tats ne doivent être regardés que comme approximatifs , la mé- thode d’invesuigation dont j'ai pu me servir ne permettant pas d'arriver à une exactitude aussi grande qu'on pourrait le dé- sirer.. CHAPITRE VII. Sécrétions. Comme organe de sécrétion proprement dite il ne reste plus à mentionner que les corps de Bojanus (2), généralement consi- dérés aujourd'hui comme analogues des reins (3). Ils se composent de deux glandes creuses, arrondies, intime- ment unies l’une à l’autre de manière à ne former qu’une seule masse, et dont les cavités communiquent largement entre elles. Le volume de ces organes dans leur ensemble étant naturelle- ment proportionnel à la taille de l'animal, ést assez considérable ; sur un individu de 45 à 48 centimètres les dimensions ne sont pas inférieures à 5 centimètres de large sur 2 centimètres de hauteur et autant de largeur aux extrémités, la portion centrale étant rétrécie, ce qui donne grossièrement aux deux corps sou- dés la forme d’un sablier. Ils sont situés comme d'ordinaire entre les muscles adducteur des valves et rétracteurs du pied d’une part, et la masse gastro-génitale d'autre part, au-des- (4) Voy. Milne Edwards, /oc. cit.,t. VIII, p. 15, note 4. (2) PL 8, fig. 4; pl. 11 ; fig. 4 et 2 : ce. (3) Milne Edward, /oc, cit., t. VII, p. 382. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 163 sous des branchies et en dessus du péricarde. La portion moyenne, rétrécie surtout par une échancrure antérieure, loge dans une gouttière verticale ainsi formée les muscles rétracteurs du pied après leur réunion. La couleur de ces organes est d'un violet sombre trés-riche. Quant à la cavité, elle est simple, anfractueuse, présentant des sortes de colonnes qui rappellent celles des parois du cœur, comme on le voit, sur un grand nom- bre de mollusques (4); je n’ai pas trouvé de communication avec le péricarde. Cette disposition rapprocherait la T'ridacna elongata sous ce rapport du Pecten Jacobæus, du Spondylus gæde- ropus (2); on peut remarquer que tous ces acéphalés appartien- nent à la grande division des monomyaires. L'orifice excréteur (3) de chacun des corps de Bojanus débou- che dans le canal incubateur commun contre la cloison qui limite la masse gastro-génitale, il est situé immédiatement en avant de celui des organes génitaux, mais en est parfaitement distinct. C’est une fente peu visible, mais qu’on trouve facile- ment en exerçant une légère pression sur l'organe pour faire sortir quelque peu de la matière liquide brune qu'il contient. En avant de cette fente se trouvent un certain nombre de très- petits pertuis (4), quinze à vingt environ, colorés en brun éga- lement, mais par lesquels la pression ne fait pas visiblement sortir le liquide sécrété, ce qui tient peut-être à leur petitesse ; cependant leur situation et leur aspect me portent à les consi- dérer comme des orifices supplémentaires de ces glandes. Le corps de Bojanus est très-riche en vaisseaux, dont quel- ques-uns sont visibles sans aucune préparation (5); ilss’injectent avee une grande facilité quand on pousse une matière quelconque par le pied ou toute autre partie du corps. Cet organe reçoit spé- cialement le sang de la masse gastro-génitale dans un système (4) Lacaze-Duthiers, Mémoire sur l'organe de Bojanus des Acéphalés lamellibranches (Ann. des se. nat., h° série, t, IV, voyez spécialement pl. 4, fig. 6). ) 8) PI. 9, fig. 4 2: 4. )PP1 9, nes 1/5ret ) 164 L. VAILLANT. de sinus formant un véritable système porte dont les trones effé- rents se rendent dans les grands sinus périmusculaires d’où le sang est ramené aux branchies ; c'est une disposition tout à fait comparable à celle qu’on a observée dans les autres mollusques acéphalés étudiés jusqu'ici; aucun de ces canaux vasculaires n’établit de communication directe entre le cœur et les vais- seaux du corps de Bojanus. La structure des sinus dans lesquels se trouve le fluide sanguin paraît des plus simples; je n’ai pas été plus heureux que M. Lacaze-Duthiers (1), pour y constater la présence de la mince couche amorphe qui peut-être en tapisse la cavité; il faut dire que la mollesse et la facile désagré- gation des tissus rendent les préparations difficiles à obtenir. Quant à l'existence de toute autre tunique propre, 1l ne paraît pas possible d’en admettre l'existence. Ce sont donc de véri- tables lacunes creusées dans l'épaisseur même du parenchyme. Les éléments glandulaires sont des noyaux (2) de 0"",009 à 0°*,019, brun jaunâtre, réfractant assez fortement la lumiere, tantôt libres, d'autrefois contenus dans de grandes cellules transparentes (3) de 0"",016 à 0"",090. Dans un assez grand nombre de cas, la grande cellule m'a paru en renfermer une plus petite (4), plus ou moins exactement de la grosseur du noyau brun qui semblait en sortir; ces éléments sont tout à fait comparables à ceux qu'on a déjà décrits et figurés (9). Ïl existe en outre un épithélium à cils vibratiles sur la surface interne. Quant au produit sécrété, il se montre au papier de tournesol comme très-légèrement acide. Le volume considérable de la glande permettrait, si l’on se trouvait dans des circonstances favorables, d'en faire l'analyse assez facilement; dans des fragments desséchés que j'ai rapportés, mon excellent collègue , M. Hardy m'a annoncé n’avoir pu trouver aucune trace d’urée ; (4) Loc. cit., p. 299. (2)*P142; fig. 01: (3) PL 12, fig. 9 : a. (4) PI. 12, fig. 9: d. {5) Lacaze-Duthiers, loc. cit. pl. 4 et 5. __ RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 165 l'acide urique n'y est également pas appréciable, d'après ce que m'a dit M. V. de Luynes, qui à ma demande à bien voulu en faire l'analyse. Ces résultats concordent avec ceux obtenus par M. Carl Voit (1). CHAPITRE VII. Reproduction. L'importance qu'on accorde aujourd'hui à juste titre aux études embryogéniques me fait d'autant plus regretter de n'avoir pu rassembler sur ce sujet quelques notions un peu satisfaisantes; mais de pareilles recherches exigent des condi- tions de temps qu’il ne m'a pas été possible de réaliser, aussi ce que j'aurai à dire des organes de la reproduction chez les Tri- dacnes est-il très-imparfait. Sur les nombreux individus (plus de quarante) que j'ai pu disséquer, je n'ai jamais rencontré de mâles; tous au contraire étaient munis d’ovaires; cela pourrait porter à penser que les glandes spermatogènes se développent dans une autre saison, ce qu’il est permis de présumer, et conduirait peut-être à regarder ces animaux comme probablement hermaphrodites; mais une pareille conclusion ne peut être admise sans des observations nouvelles. Après les recherches des anatomistes modernes et surtout les travaux de M. Lacaze-Duthiers sur ce sujet (2), on doit être fort réservé sur cette question de la réunion ou de la séparation des sexes dans un mème individu chez les Acéphalés, puisque des animaux très-voisins appartenant à un même genre paraissent présenter, sans qu'il soit possible d’en saisir le motif, l’une ou l’autre combinaison. Le Pecten varius, les Cardium rusticum et C. edule, par exemple, étant unisexués, tandis que les Pecten Jacobœus, P. maximus, P. glaber, le Cardium ser- ratum, sont hermaphrodites (3); certaines espèces, comme les (4) Zeitschrift. f. wissen, Zoologie, t. X, 1860. (2) Recherches sur les organes génitaux des Acéphales lamellibranches (4x1. des sc. nat., 4e sér., t. IL, p. 155). (3) Lacaze-Duthiers, loc. cit., p. 474, 208 et 214. 166 L. VAILLANT, Anodontes, peut-être par suite de conditions de localité, peu- vent même rentrer indifféremment dans l’une ou l’autre caté- gorie (1). Les ovaires chez les Tridacnes ont la structure de glandes en grappe, comme cela est habituel ; on peut très-aisément consta- ter ce fait, si l’on examine surtout de petits individus de 40 à 12 centimètres de long, où ces parties n’ont encore en général qu'un développement médiocre. Îls sont symétriquement placés de chaque côté de la masse gastro-génitale dont ils font partie. Les acini vus sans préparation sont assez volumineux, mais, mème sur les petits échantillons, je n’ai jamais pu les isoler con- venablement, par suite de la mollesse des tissus, pour pouvoir les examirer en détail. I$ se réunissent sur des canaux communs qui finissent par se réduire en quatre ou cinq gros troncs, abou- üssant eux-mêmes Sur un canal unique assez long, qu'on peut considérer comme le véritable oviducte (2). Ces canaux princi- paux sont faciles à injecter par l’orifice sexuel efférent. Ce der- nier (3), qui aboutit dans le canal incubateur commun, est large et n’atteint pas moins de 4 millimètre à 1°",5 ; il est situé sur la limite qui sépare lé corps de Bojanus de la masse hépato-ova- rique et en dedans du connectif qui réunit le ganglion branchial au ganglion buccal, rapport sur lequel j'ai déjà appelé l’atten- tion en parlant du système nerveux. Les œufs sont volumineux, leur diamètre est de 0"",187, avec une paroi à doublé contour de 0°°,026. Tantôt ils soni remplis de granulätions finés (4), tantôt de granules plus gros, réfrin- gents (5); ils peüvent contenir une véritable tache gérmina- tive (6), de 0"*,010 à 0"*,045; mais cellé-ci m'a paru manquer au moins dans la moitié des cas. On trouve fréquemment dé ces (1) Lacaze-Duthiers, Observations sur l'hermapluoditisme des Anodontes (Ann. des se. nat., 4° sér., t. IV, p. 384), (2) PL 9, fig. 4 : 8. (3) PI. 9, fig. 4 °c. (4) PI. 9, fig. 5 et 7. (5) PL. 9, fig. 4 et 6. (6) PI. 9, fig. 6 et 7. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 167 œufs portant les traces de cet ombilic (1), dont M. Lacaze- Duthiers a expliqué l’origine dans les travaux que je citais plus haut (2). Il est grandement probable, d’après la situation de l'orifice ovarique et la structure des branchies, que les œufs subissent dans ces organes une incubation analogue à celle qu'on à observée dans un grand nombre d’autres mollusques; je n'ai cependant pas été assez heureux pour pouvoir m'en assurer d’une manière certaine. Les œufs, d’ailleurs, ne peuvent arriver que difficilement dans les poches de la branchie externe, qui ne paraissent pas communiquer directement avec le canal incu- bateur commun. EXPLICATION DES PLANCHES. PLANCHE 6 (I). Fig. 4. Tridacna elongata. On a enlevé la valve gauche et une grande partie de la por- tion intramusculaire du manteau pour laisser voir la disposition des principaux organes; l'animal est seulement un peu plus retiré dans l’intérieur de sa coquille qu'il ne l’est à l’état normal, surtout antérieurement, où un feston a été reporté en arrière pour laisser voir plus facilement la position de l'orifice afférent, — Trois quarts de grandeur naturelle. s, côté supérieur. — 1, côté inférieur. — 4, côté antérieur. — P, côté postérieur. op, ouverture pédieuse; elle est plus relächée qu'elle ne l’est à l'élat normal, ordi- nairemeñt elle se resserre autour du pied. oB, ouverture branchiale ou afférente dont on distingue les tentacules; la direction du it . 0 # “ courant est indiquée par une flèche. 04, ouverture anale ou efférente ; celle-ci, qui n’est pas visible lorsqu'on regarde l'animal de côté comme le montre cette figure, est indiquée par une flèche. m6, masse gastro-génitale. — c8, corps de Bojanus. -— mr, muscle rétracteur du pied. — A, grand muscle addueteur des valves. — Br, branchies. Ces mêmes lettres désignent les mêmes parties dans toutes les autres figures d’en- semble. (4) PL. 9, fig. 6. : (2) Loc, cit,, p. 189. 168 L, VAILLANT, tb, portion centrale ou tronc du byssus. — cb, chevelu du byssus, au moyen duquel l'animal se fixe aux corps environnants. — {p, tentacules de l'ouverture pédieuse. — {o, tentacules oculiformes placés sur la portion externe proprement dite du manteau.— pl, palpe labiale externe. — p//, palpe labiale interne.-— pe, péricarde. — ose, organe secréteur cardinal. — »”1p, muscle palléal. a, vepli festonné double (a! et «//) de la portion marginale du manteau. — b, ter- minaison de la branchie externe sur la masse gastro-génitale en dehors des palpes labiales.—c, paroi externe de la chambre incubatrice commune ou ligament extérieur qui réuuit les branchies aux organes sous-jacents. — 4, taches vert-émeraude de la portion marginale du manteau. — e, prolongement de l'organe sécréteur cardinal, qui se place dans la fossette de la valve droite au-dessus de la dent principale. — f, bosse- lures qu'on remarque sur la face interne de l'ouverture pédieuse. — g, point où la portion intramusculaire du manteau adhère à la masse gastro-génitale. — A, vais- seaux du corps de Bojanus. PLANCHE 9 (Il). Fig. 1. Disposition générale du système nerveux de la Tridacna elongata. — Trois quarts de grandeur naturelle. S,I, A, P, OP, MG, CB, MR, MA, BR, {0, cb, tp, pl, pl, comme dans la figure 4 de la planche 8. bo, orifice buccal. a, repli festonné de la portion marginale du manteau. — b, oviducte. — €, son ori- fice efférent dans le canal incubateur commun. — 4, orifice efférent principal du corps de Bojanus. — e, orifices efférents accessoires (?) du mème organe. — /, pied. —- q, papilles tactiles (?) de la partie antérieure du pied. — k, cloison interbranchiale ; la moitié gauche de cette cloison et la paire de branchies correspondantes ont été enlevées dans cette préparation. — ?, orifice percé au milieu de cette cloison et qui fait communiquer les chambres aquifères supérieure et moyenne, le bord en est un peu dentelé. — k, chambre aquifère supérieure ou branchiale. — /, chambre aquifère moyenne ou post-branchiale ; elle communique en // avec la chambre aquifère infé- rieure ou anale. — » et m', section du bord de l'ouverture pédieuse ; l’un des lam- beaux, #2, est rejeté en baut et en arrière. — 7, tendon satellite du connectif antéro- postérieur pendant son trajet dans la masse gastro-génitale. — 0, papille tactile (?) de l'extrémité postérieure et supérieure du pied. # gtb, ganglion branchial. — g//, ganglionlabial ou buccal. — g/p, ganglion pédieux. — 1, connectif antéro-postérieur. — 2, connectif sus-buccal. — 3, connectif bucco- pédieux. — 4, nerf branchial. — 5, nerf du grand muscle adducteur. — 6, nerf de l'ouverture pédieuse.— 7, nerfdes palpes labiales. — 8, nerf pédieux. — 9, nerfwis- céral émanant du conneclif antéro-postérieur. — 10, origine des nerfs palléaux. Fig. 2. Ganglion branchial vu par sa face inférieure qui répond au grand muscle adducteur; on remarque en son milieu un étranglement transversal et sur sa partie postérieure deux replis simulant deux circonvolutions. —- Gross. 5 diam. RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 169 1, nerf branchial. — 2, connectif autéro-postérieur. — 3, nerf musculaire. — 4, nerf palléal qui se divise immédiatement en trois branches. — 5, nerf de l'ouverture afférente. — 6, nerf de l'ouverture efférente. — 7, grand nerf postérieur. Fig. 3. Tentacules de l'ouverture afférente. Cette figure montre leurs principales formes et la disposition qu'ils affectent les uns par rapport aux autres, un tentacule simplé alternant en général avec un tentacule branchu. — Gross. 4 diam. Fig. 4, 5, 6, 7. Œufs pris dans l'ovaire et montrant les différentes modifications qu'ils peuvent présenter dans cet organe, étant remplis soit de grosses granulations, fig, 4 et 6, soit de fines granulations, fig. 5 et 7; sans vésicule germinative, fig. 4 et5, ou en présentant une, fig. 6 et 7. La fig. 6 montre la trace de l’ombilic indiquant le point où l'œuf adhérait à la paroi ovarique. — Gross. 430 diam. PLANCHE 10 (III). Fig. 1. Byssus de la Tridacna elongata arraché de la cavité cratériforme du pied pour montrer la disposition réciproque du tronc et des fibres du chevelu. a, tronc divisé à sa base en deux racines a! et a/. — b, chevelu. — c, faisceau de fibres du chevelu isolé, pour montrer comment il forme une anse autour du tronc et comment les extrémités se réunissent en un seul filament, 4, Fig. 2. Pied isolé et ouvert par sa partie antérieure pour montrer la disposition de la gouttière et des cryptes byssogènes dans la cavité cratériforme dont cet organe est creusé. mr, muscles rétracteurs du pied. a, papille tactile (?) de l'extrémité postérieure et supérieure du pied. — b, paroi fendue et écartée de la cavité cratériforme.—c, cryptes creusées dans les enfoncements Jatéraux situés dans l'axe de chacun des deux muscles rétracteurs et sur la saillie qui sépare ces enfoncements ; c’est de là que nait le tronc du byssus.— 4, gouttières bysso- gènes qui produisent les fibres du chevelu; ce sont deux sillons accolés sur la paroi postérieure de la cavité cratériforme qui en bas, d/, se disjoignent pour contourner cette cavité et se réunir en arrière. — e, section du canal dans lequel se trouve la tige cristalline. Fig. 3. Coupe des gouttières byssogènes perpendiculairement à leur largeur dans la portion située sur la face postérieure de la cavité cratériforme. — Gross. 40 diam. a, Sillons accolés. — b, glandes byssogènes, — ec, ec, lèvres externes des sillons. — d, d, leurs lèvres internes. Fig. 4. Acini des glandes byssogènes, montrant la manière dont les éléments se réu- nissent sur les canaux excréteurs. — Gross. 75 diam. Fig. 5. Derniers culs-de-sac des glandes byssogènes ; un seul d’entre eux a été figuré avec les éléments qu'ils contiennent, pour ne pas compliquer la fig. — Gross. 300 diam. a, gros noyaux. — , petits noyaux. — c, éléments mis en liberté par suite de la rupture de quelques culs-de-sac. Fig. 6. Coupe de la charnière et du ligament. vp, valve droite. — ve, valve gauche. — a, portion épidermique du ligament, — b/ portion fibreuse. Fig. 7. Éléments de la substance fibreuse du ligament. — Gross. 300 diam. 170 : L. VAILLANT. Fig. 8. Coupe de la coquille. — Gross. 170 diam. a; traïnées formées des petites stries en chevron (la nettetéfde ces stries est exagérée dans cette figure). — d, substance tubulaire. PLANCHE 11 (IV). Fig. 1. Système vasculaire de la Tridacne allongée. L'animal est représenté vu par le côté gauche ; la presque totalité de la portion intramusculaire du manteau a été enlevée aussi bien que la moitié antérieure des branchies du même côté et la partie dela cloison interbranchiale correspondante ; l'anneau que forme l'ouverture pédieuse a été fendu et l’un des lambeaux rejeté en arrière. — Trois cinquièmes de grandeur naturelle, S, 1; À, P, OP, MG, CB, MR, MA, BR, {0, cb, tp, pl, pl, osc, comme dans la figure 4, de la planche 8. a, repli festonné de la portion marginale du manteau. — 6, repli suspenseur des branchies qui limite en dehors la chambre incubatrice commune. — c, repli suspen- seur des branchies qui limite en dedans la chambre incubatrice commune. — et d', sections de l’anneau que forme l'ouverture pédieuse. — e, pied. — #, papilles tac- iles (?) de la partie antérieure du pied. — g, cloison interbranchiale coupée par le milieu. — À, orifice percé au milieu de cette cloison. — 4, chambre aquifère supérieure ou branchiale, — x, chambre aquifère moyenne ou post-branchiale. — /, chambre incubatrice commune qui constitue la portion latérale de la chambre aquifère moyenne. — M, lieu de communication entre les chambres aquifères post-branchiale et anale. 4, portion extra-péricardique du ventricule du côté gauche. — 2, artère principale supérieure au point où elle sort de la masse gastro-génitale. — 3, rameaux qu’elle four- nit à l'organe sécréteur cardinal. — 4, artères de la masse gastro-génitale, — 5, artère tentaculaire. — 6, artère pédieuse. — 7, artère circum-palléale supérieure donnant de nombreux rameaux, 7/, à l'ouverture pédieuse. — 8, extrémité de l'artère récurrente péricardique. — 9, artère circum-palléa e postéro-inférieure. — 10, artère principale de l'organe sécréteur cardinal. — 41, artère azygos antérieure. — 12, ses deux rameaux directs. — 13, rameaux branchiaux. — 14, artères du muscle adduc- teur des valves. — 15, artères du muscle rétracteur du pied. — 16, tronc commun des veines palléales, ramenant directement dans la veine branchiale le sang hématosé du manteau. — 17, sinus de la masse gastro-génitale, — 18, sinus du corps de Bojanus. — 19, sinus périmusculaire postérieur. — 20, sinus périmusculaire antérieur. — 21, artère branchiale émanant de ce dernier. — 22, veine branchiale. — 23, veines de la cloison interbranchiale. — 24, tronc de la veine branchiale qui ramène le sang au ventricule. Fig. 2. Tridacne allongée, vue par le côté inférieur et sortie de sa coquille; le manteau est fendu dans toute cette partie depuis l’orifice afférent jusqu’à l'extrémité posté- rieure ; le péricarde a été également incisé pour permettre d'apercevoir les centres circulatoires. \ A, P, CB, MR, MA, comme dans la figure 4 de la planche 1, RECHERCHES SUR LA FAMILLE DES TRIDACNIDÉS. 171 o8, ouverture branchiale fenduc en arrière et écartée ; par suite de celte préparation on passe directement de la chambre aquifère supérieure au lieu de communication des chambres aquifères moyenne et inférieure, ce qui n’a pas lieu à l’état normal. oA, ouverture anale ; elle est partagée en deux moitiés latérales rejetées à droite et à gauche. gr, branchies dont on n’aperçoit que les extrémités au travers de l'ouverture afférente. a, ventricule du cœur. — b, oreillette du côté droit. — D’, oreillette du côté gauche. — c, bulbe artériel. — 4, péricarde incisé et rejeté sur les côtés. — e, rec- tum. — /, anus. — g, membrane prolongeant la cloison interbranchiale et qui sépare les chambres aquifères supérieure et moyenne ; au point indiqué a lieu, derrière le grand muscle adducteur, la communication entre la chambre aquifère moyenne et la chambre aquifère inférieure, — À, tentacules de l'ouverture afférente, — 1, chambre aquifère inférieure ou anale; la paroi supérieure que l'on voit sur cette figure est recouverte à l'état normal d’une membrane cutanée épaisse, enlevée ici pour mettre à nu les vaisseaux et les nerfs sous-jacents. 1, artères palléales antérieures. — 2, artère récurrente péricardique dont on n’aper- çoit que la section par suite de l'enlèvement de la paroi du péricarde; on voit plus loin, 27, la continuation de cette artère.— 3, branches circum-palléales postéro-inférieures. — 4, branches circum-palléales antéro-inférieures. La réunion des artères 3 et 4, qui s’anastomosent à plein canal, constitue le circuit des artères circum-palléales inférieures. — 5, origine des artères circum-palléales supérieures. — 6, artères musculaires. — 7, artère azygos antérieure. — 8, artère du rectum. — 9, sinus des corps de Bojanus. — 10, sinus périmusculaire postérieur. — 41, sinus périmusculaire antérieur. — 42, communication entre ces deux sinus. a, nerf de l'ouverture afférénté. — 6, nerf de l'ouverture efférente. — +, grand nerf postérieur. Fig. 3. Cœur isolé et ouvert pour montrer les cavités du ventricule et du bulbe arté- riel et la disposition de l'intestin dans celles-ci, a, ventricule dans lequel on voit les piliers musculaires. — b, oreillette du côté droit. — b! oreillette du côté gauche. — c, bulbe artériel montrant les fentes étroites qui séparent les gros piliers musculaires de sa surface interne. — d, origine des artères principales inférieures. — e, origine de l'artère récurrente péricardique. — f, pilier musculaire qui vient s’insérer sur la paroi de l'intestin au moment où il pénètre dans le cœur et qui paraît destiné à prévenir sa compression lors de la systole ven- iriculaire. — g, orifice auriculo-veutriculaire montrant la manière dont l'oreillette s'enfonce dans le ventricule en formant ainsi une véritable valvule, un stylet À est passé au travers de cet orifice. — #, l'intestin traversant les cavités du ventricule et du bulbe artériel. Fig. 4. Fibres musculaires du ventricule du cœur. — Gross. 300 diam. a, l'une d’elles isolée. 172 L. VAILLANT, PLANCHE 12 (V). Fig. 4. Coupe d’une portion du bord réfléchi du manteau comprenant une des grosses artères circum-palléales pour montrer la structure de celles-ci. — Gross, 20 diam. a, couche épithéliale revêtant l’intérieur de l'artère. — à, couche propre nacrée d'apparence fibreuse. — c, tissu ambiant appartenant au manteau. — 4, couche mus- culaire dans le manteau. Fig. 2. Structure du manteau dans sa portion intramusculaire. — Gross. 300 diam. a, vaisseau du manteau dont la paroi est formée de cellules épithéliales irrégulière- ment polyédriques par compression réciproque. — D, cellules épithéliales sphériques du manteau simplement tangentes au milieu d’une matière amorphe finement granu- leuse,— c, granules colorés en jaune brun, réfringents, rares dans les parties transpa- rentes du manteau, abondants dans les parties colorées et qui paraissent jouer le rôle de pigment. — d, fibres de tissu lamineux. Fig. 3. Globules sanguins à l’état frais aussitôt après leur sortie des vaisseaux. — Gross. 620 diam. Fig. 4. Paroï du bulbe artériel montrant les éléments musculaires au milieu desquels se trouvent, «, les amas jaunâtres glandulaires (?). Gross. 170 diam. Fig. 5. Éléments des amas jaunâtres glandulaires (?) du bulbe artériel, — Gross. 300 diam. a, éléments réfringents de grandes dimensions. — à, éléments réfringents de petites dimensions agités du mouvement brownien. — c, corpuscules pigmentaires. Fig. 6. Fibres musculaires de l’œsophage. — Gross. 300 diam. Fig. 7. Acini hépatiques montrant la disposition des culs-de-sac glandulaires ; on en voit en a un qui paraît légèrement bilobé. — Gross. 20 diam. Fig. 8. Éléments hépatiques. — Gross. 453 diam. a, cellules hépatiques proprement dites. — b. corpuscules jaunâtres peu transpa- rents, analogues aux granules pigmentaires, Fig. 9. Éléments du corps de Bojanus. — Gross. 300 diam. a, cellule complète ; on en voit en a/ une qui paraît renfermer une cellule plus petite d’où sortirait le noyau. — b, noyaux libres. DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT, OU DE L'IDENTITÉ SPÉCIFIQUE DÜ MUS RATTUS ET DU MUS ALEXANDRINUS, Par M. Arth. DE L’ISLE,. : Nimium ne erede colon. (L.) Une grande confusion règne dans la science au sujet de l'espèce. Immutabilité des espèces, variabilité limitée, varia- bilité par les milieux ambiants, par la sélection naturelle, autant de doctrines qui comptent leurs partisans. Cette division des esprits ne rend-elle pas visible l'obscurité qui enveloppe encore cette grande question, et ne proclame-t-elle pas, pour la résou- dre, l'insuffisance des faits acquis jusqu’à ce jour ? Malgré une accumulation de matériaux vraiment prodigieuse, de nouvelles études sont plus que jamais devenues nécessaires. Sur certains points de ce vaste ensemble, le besoin d'observations se fait plus particulièrement sentir. Dans un problème intimement lié, celui des générations spontanées, Spallanzani, ilest vrai, a trouvé des émules dignes de lui; mais dans celui non moins voisin de l’hy- bridation, Kolrœuter et Gärtner ont-ils été remplacés? Où sont, dans l’observation patiente des mœurs, nos Huber, nos Roësel, nos Réaumur ? De ce côté, on peut le dire, la science a plus gagné en superficie qu’en profondeur. Le manque d'unité dans les doctrines a produit la subdivision à l'infini de l'espèce, qui menace de faire tomber la science dans le chaos. Des voix éloquentes et autorisées signalent chaque jour, comme un danger sérieux pour les sciences naturelles, «cette manie d’émietter les anciens types spécifiques, qui, jamais à aucune autre époque, n'a été poussée aussi loin que A7 A. DE L'ISLE. de nos jours (4) » Et l'un de nos plus habiles botanistes, M. Decaisne, va jusqu'à dire que le mal est déjà sérieux, la confusion déjà grande, et que les véritables espèces sont main- tenant noyées dans la multitude des mauvaises. Ïl en était presque de même, il y a quelques années, en z0olo- gie, et les races, les formes locales, les simples variétés de cou- leur pullulaient parmi les bonnes espèces, dans les monographies aussi bien que dans les trailés généraux. C’est ainsi, pour ne point sortir de l’histoire des Mammiieres, que le Crossopus fodiens, le Soreæ vulgaris, le Mus minutus, l'Arvicola amphi- bius, avaient donné lieu à la création d’une foule d'espèces nominales ; on en était même arrivé au triste résultat d'avoir plus de vingt-sept noms à choisir pour désigner la Musaraigne d’eau (2). Quelques naturalistes, MM. Brehm et Crespon, par exemple, avaient multiplié les types à plaisir et même, en quelques genres, publié à peu près autant d'espèces qu'ils avaient d'individus entre les mains (3). D'habiles zoologistes ont mis un soin jaloux à débarrasser la nomenclature de ces superfétations. Les Vathusius, et surtout les Selys de Longchamps et les Blasius sont parvenus à délivrer presque entièrement la faune d'Europe de ses fausses espèces. Il est facile de se rendre compte de l'importance de tels tra- vaux, en songeant à quelles conséquences déplorables peut être amené le théoricien qui, raisonnant d’après des faits faux, discute la question de l'espèce d’après les types imaginaires de Brehm, de Crespon et d’autres observateurs de ce genre, tels qu'il en existe cependant dans toutes les branches de la science. de viens glaner sur les pas de ces hommes aussi habiles que consciencieux , et attaquer une des rares espèces fausses qui leur soient échappées. Le Rat, Mus rattus, tel qu'il est connu dans la science depuis (4) A. Gubler. (2) M. de Selys en compte dix-huit seulement dans ses Études de m.m.; mais c'est qu’il en séparait alors le S. ciliatus et ses sous-variétés, (3). Dans le genre Vespertilio par exemple. DE L EXISTENCE D UNE RACE NÉGRE CHEZ LE RAT. 175 le xvi° siècle, d’Agricola et de Gesner à Geoffroy et à Cuvier, n'est pas une véritable espèce, mais une simple race climatique. La souche d’où il provient est le Rat d'Alexandrie, Mus Alexan- drinus, publié au commencement de ce siècle dans le grand ouvrage sur l'Égypte. La découverte du M. Alexandrinus, que je fis il y a quelques années en Bretagne, fut pour moi come une révélation. Je ne pouvais hésiter devant l'évidence des faits; mais mon opinion ressemblait si bien à un paradoxe, que je désespérai de la faire admettre, en l’appuyant de preuves qui eussent pleinement suffi en toute autre circonstance. Cependant, grâce à la présence de cette forme dans l'Ouest et malgré sa rareté, j'ai pu amasser, peu à peu, un grand nombre de faits lumineux et démonstratifs. Pour désarmer la con- tradiction, avant même qu’elle se produise, j'ai cru devoir épuiser tous les arguments usités en pareil cas, pour démontrer l'inanité des fausses espèces. De plus, j'ai pratiqué le croisement de ces deux formes et de la série de leurs produits pendant plusieurs générations, et, d’un autre côté, provoqué le retour de la race dérivée au type primitif de l'espèce par des unions légitimes. Ces expériences, dont le succès à dépassé mon attente, je les ai prolongées pendant deux ans et demi, pendant lesquelles je n'ai pas obtenu moins de vingt-six portées et de cent vingt- neuf petits. De là ce lourd échafaudage de preuves, inutile en tout autre cas, mais qui est de nécessité rigoureuse devant l’unanimité de la science et la prescription des siècles qui semblent décider contre moi, en même temps qu’il m'offre l’occasion de mettre dans tout leur jour quelques corollaires de ce fait important. $ 1. Structure difiérente dans chaque espèce du genre Rat ; identité de forme du M. rattus et du M, Alexandrinus. Une structure organique propre est le fondement nécessaire de l'espèce. Une espèce repose toujours sur des différences de 176 A. DE L'ISLE, {ormes et ne peut, c'est un principe bien établi dans la science, se baser sur de simples différences de coloration, quelque impor- tantes qu'elles soient. Entre Mammifères d'un même genre, la divergence peut por- ter sur la taille, le poids, la forme générale; sur le dévelop- pement des organes des sens, sur l'allongement ou la briéveté de la queue et des membres; sur la solidité ou la légéreté des os, sur la structure de chacun d'eux, etc., etc. En un mot, elle peut s'étendre à l’organisation tout entière. Prenons, pour exemple, les congénères européens du M. Alexandrinus : à ne comparer que les espèces les plus voisines, ils diffèrent tous entre eux d’une façon remarquable. Les caracteres différentiels qu’ils présentent sont précis, variés, et trop nombreux pour être placés ici. Nous en donnons le tableau détaillé à la fin de ce mémoire (4). . On chercherait vainement entre le M. Alexandrinus et le M. raitus, je ne dis pas de telles différences, mais les nuances les plus légères. La taille, le volume et les proportions sont les mêmes. C’est la même physionomie, la même forme générale. Chez l’Aleæan- drinus, le crâne (2) est également soulevé dans la région parié- tale. Les vibrisses, les yeux, les oreilles, la queue, offrent ce grand développement caractéristique du Mus raitus. Le palais présente les mêmes plis, les plantes les mêmes cals. Et ce qui est plus convaincant encore, et ne pèse pas légèrement en faveur de ma thèse, la duplication fréquente des dernières pectorales, fait curieux sur lequel nous appelons, plus loin (3), l'attention des physiologistes, est commune aux deux espèces, et le Rai d'Alexandrie présente, dans le nombre de ces organes, les mêmes variations que le Rat. Les pariétaux dans leur rapport avec les temporaux, la forme de l'interpariétal, du sphénoïde antérieur, de la première ster- (4) Appendice, art. premier. (2) Mes comparaisons des différentes espèces de Mus reposent sur 23 squelettes entiers, 34 têtes osseuses et 40 préparations anatomiques de la colonne vertébrale. (3) Appendice, art. premier. DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 177 tébre, etc., etc.; enfin, tout le détail anatomique de ces deux espèces est exactement le même, est absolument identique. Preuve manifeste, pour tout esprit réfléchi, de leur identité spécifique. Comment la science contemporaine a-t-elle pu méconnaître un fait si important par les conséquences qui en résultent ? Il'est facile de s’en rendre compte, en se plaçant au point de vue des différents observateurs. I n’est pas venu un seul instant à la pensée des uns et des autres que ces deux types si distincts de couleur et d'habitat pussent être autre chose que des espèces bien caractérisées. Nul n à réfléchi que cette diversité radicale de coloration était due précisément à la diversité complète du climat. Cette opinion bien arrêtée, et leur conviction une fois faite, ils ont pris tout naturellement des traits individuels un peu sail- lants pour des caractères spécifiques. Pour les savants de l'expédition d'Égypte, Geoffroy Saint- Hilaire et Audouin, qui découvrirent les premiers la forme mère du Rat, à laquelle ils donnèrent dans le grand ouvrage sur l'Égypte, le nom de Mus aleæandrinus, l'éloignement des gale- ries duMuséum et l’absence d'objets de comparaison expliquent suffisamment leur assertion gratuite, que « le Rat d'Alexandrie s'éloigne essentiellement du Rat ordinaire par l'étendue de la queue». Les Rats d'Alexandrie que j'ai pu observer en nombre assez considérable, de même que l’exemplaire type qui a servi à la description de Geoffroy, ne m'ont présenté, avec le Rat ordi- naire, nulle différence dans la longueur de cet organe. M. P. Savi, qui, le premier, signala cette forme en Europe, sous le nom de M. tectorum (ce qui fit croire à l'invasion d’un nouveau Rat, alors que ce n’était qu’une fausse espèce de plus qui envahissait la science), prétend « qu'il est très-différent du M. Rattus pour les proportions et la forme des poils » (1). Pour ce qui est des proportions comparées des deux espèces, je ren- voie au tableau détaillé qu’en a donné le professeur Blasius dans (4) Nuovo Giornale de’ letterati, 1825, p. 73. 5° série, ZooL. T. IV. (Cahier n° 5.) 4 12 178 A. DE L'ISLE. sa Faune des vertébrés d'Allemagne. On y verra qu'elles sont aussi identiques que peuvent l'être des mesures prises sur deux individus différents d’une même espèce. Pour les poils, il existe un malentendu regrettable. Nul observateur, en effet, ne s’est encore aperçu que le Rat ordmaire et celui d'Alexandrie présentaient trois sortes de poils bien caractérisés : les longs poils, les poils plats et la lame. — Les longs poils, qui ont plus de deux fois la longueur des poils plats, sont minces, cylindriques, filiformes et capilliformes ; ils dépassent de beaucoup les autres poils et donnent au pelage son aspect hérissé. — Les poils plats, plus rigides et plus grossiers, sont courts, larges, aplatis, légèrement fusiformes et creusés d’une rainure en dessus. — Enfin la laine, à peine plus courte que les poils plats, souple, flexueuse, d’égale gros- seur, est singulièrement plus fine et plus abondante que les deux précédentes sortes de poils. On n’a pas distingué jusqu'à présent les poils des deux pre- mières sortes, si différents cependant. De là la confusion où est tombé l’éminent professeur de Pise, et avec lui le prince Charles Bonaparte, à l'exemple d’Audouin, de Desmarest et d’autres zoologistes. Le premier ne discernant dans une espèce que les longs poils, et les opposant à tort aux poils plats de l’autre espèce; ces der- niers confondant les longs poils avec les poils plats, et Free les seconds pour les premiers. Pour les différences qu'énumère M. Pictet, entre le Rat noir et le jeune aleæandrinus, qu’il décrit sous le nom de Mus leuco- gaster, elles sont dues uniquement à l’âge. Les jeunes Rats, comme son M. leucogaster, ont le poil beaucoup plus doux et plus soyeux que les adultes, le front plus bombé, le museau plus court, la queue sensiblement moins longue, les apophyses moins saillantes et les impressions musculaires moins marquées. de note un seul désaccord : « La queue du M. leucogaster, dit M. Pictet, est formée de 36 vertèbres, tandis que celle du Rat (d’après deux exemplaires seulement) n’en a que 30 (1).» Sur (1)? Mém, de la Soc de phys. et d'hist. nat. de Genève, 1841, p. 153. DE L’EXISTENCE D'UNE’ RACE NËGRE CHEZ LE RAT, 179 mes nombreuses préparations anatomiques, je trouve pour le Rat noir comme pour le Rat d'Alexandrie, de 87 à 38 coccy- giennes. Enfin, les caractères différentiels sur lesquels s'appuient le comte Keyserling et le professeur J. H. Blasius, dans leurs Ver- tébrés d'Europe, pour séparer nos deux prétendues espèces, ne valent pas mieux que les précédents. D'après ces messieurs, le dernier tube d’émail de la troi- sième molaire d'en bas ne serait pas moitié aussi large que le précédent chez le Rattus, et ferait en largeur plus de la moitié de celui-ci chez l’aleæandrinus. Chaque moitié du bord anté- rieur de l’interpariétal serait, dans son milieu, arquée et con- vexe chez le premier, échancrée et concave chez le second. Mais ce sont là de simples traits individuels, que l’on rencontre aussi fréquemment dans une race que dans l’autre, et qu’un même crâne peut quelquefois montrer réunis. On serend plus difficilement compte dessuivants, que M. Bla- sius reproduit dans sa Faune d'Allemagne. « Les plis du palais, granulés de tubercules calleux et pointus chez l’Alexandrin, seraient lisses chez le Rat. Le palais, sans sillon longitudinal chez celui-ci, serait chez celui-là traversé dans sa longueur par une rainure profonde. » Les Rats très-nombreux dont J'ai fait l’autopsie (4) avaient tous, comme les Rats d’A- lexandrie, le palais hérissé de granulations saillantes et régu- hères ; et ces derniers, que je n'ai point examinés en nombre moindre, avaient le palais sans sillon longitudinal, les plis inter- molaires étant, comme ceux du Rat, ininterrompus et simplement en chevron dans leur milieu. il n’est pas possible d’insinuer que le docte professeur, qui base généralement ses deseriptions sur de nombreux exem- plaires, ait précisément décrit ici quelque individu frappé d’hé- mitérie, d'un arrêt de développement par exemple. D'un autre côté, je me suis assuré qu’un séjour prolongé dans l'alcool détrui- sait les granulations du palais et les plis mêmes qui les portent ; (4) D’après plus de douze exemplaires de l'une et de l’autre espèce. 180 A. DE L'ISLE on est donc fondé à croire que les diagnostics signalés par le célèbre Allemand sont dus à quelques déformations de ce genre. ç 2. Mœurs variées des espèces du genre Rat ; identité de mœurs du M, Rattus et du M. alexandrinus. En corrélation avec cette diversité de forme et de structure dont nous venons de parler, les espèces d’un même genre pré- sentent toujours des différences dans les facultés mentales et dans les phénomènes physiologiques. Si, procédant comme nous l'avons déjà fait, et négligeant le M. alexandrinus, nous comparons l’une à l’autre les espèces les plus voisines du genre Rat, c’est-à-dire le M. minutus à l'agrarius, le M. musculus au sylvaticus, le M. Rattus au decu- manus, nous ne sommes pas moins frappés combien elles diffè- rent entre elles à ce nouveau point de vue. L'habitat du Rat nain, M. minutus, est bien plus vaste et déborde presque de tous côtés celui de l'espèce voisine. On le rencontre sur tous les points occupés par celle-ci, et de plus en France, en Angleterre, en Suède, en Finlande et das la Sibérie orientale. Aïdé de sa petite taille et de sa queue plus mobile, le Rat nain dépasse, en habileté pour grimper, les autres espèces, et le Rat agraire, qui ne vient, même pour ce genre d'exercice, que sen- siblement après le M. sylvaticus. « Il grimpe aux plus légers rameaux des buissons, à de si minces Graminées, qu'elles s’incli- nent avec lui vers la terre, y courant aussi librement que sur un tronc d'arbre rugueux (1). » | Seul entre tous ses congéneres, le Rat nain suspend son nid à une certaine élévation au-dessus du sol; d’où Hermann l'avait nommé M. pendulinus. Il en varie les matériaux suivant la nature des récoltes qu'il habite au moment de la gestation. Dans les tourbières, les marais, 1l le fait des panicules soyeuses du (1) Blasius, Faune d'Allemagne. DE L'EXISTENCE D'UNÉ RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 181 Roseau, ou de ses feuilles qu’il sait fendre en longs filaments ; dans les prairies, les moissons, d'herbes hachées, entrelacées, dont il dispose les plus fines et les plus menues à l'intérieur. C'est au contraire dans quelque renflement de son boyau souterrain, sur un simple amas d'herbe sèche, que le Rat agraire fait ses petits. Le M. minutus manifeste un goût plus vif pour la chair. I est plus courageux que son rival. Si l'on enferme ensemble, dit M. Blasius, des M. minutus et agrarius, les premiers, malgré leur énorme infériorité de taille et de volume, se jettent sur les seconds et les dévorent. Nous avons pendant plus d’une année conservé une famille de ce joli petit rongeur; et il s’est reproduit deux fois sous nos yeux. en captivité. Bien qu’il ait les glandes de Tyson dévelop- pées, son odeur est faible. Celle du M. agrarius est très-pro- noncée. Si nous envisageons maintenant les M. musculus et sylvahi- eus, la Souris domestique et le Mulot, nous trouvons des diffé- rences non moins importantes. Tandis que l'habitat du Mulot est restreint à l'Europe et à la Sibérie occidentale, la Souris, elle, est cosmopolite. Il n’est pas d’endroit où elle n’ait pénétré. Elle a suivi les Européens dans les cinq parties du monde, et se trouve maintenant répandue sur toute la terre habitée, en Sibérie comme sous l'Équateur. Elle infestait l'Europe dans l'antiquité, elle est cependant d'origine étrangère. Une certaine variation du pelage, dont il sera traité plus loin, et le fait qu’on ne rencontre point ses os dans les terrains de la période quaternaire, si riches en débris de petits quadrupèdes, confirment l'opinion qu'ont émise quelques philologues, que cet animal, déjà parasite à une époque très- reculée, à suivi le mouvement des peuples aryens, et que leurs plus anciennes migrations l’ont transplanté d'Asie en nos contrées. Le Mulot est indigène, comme l’attestent ses mœurs séden- taires et la rencontre fréquente de ses ossements fossiles dans le sol diluvien des cavernes. Il vit librement loin de l'Homme, dans 189 | A, DE L'ISLE, les champs et les bois, où il habite une cavité assez spacieuse, qu'il se creuse le plus souvent dans le talus des fossés. La Souris est éminemment parasite (1), En dépit de nos efforts, elle s'étend dans nos demeures, de la cave au grenier, de la cui- sine à l'office, et se fait des galeries derrière les boiseries et dans les vieux murs. Aiïdé de ses longs membres postérieurs, qui le rapprochent des Gerbilles, le Mulot, pour sauter et courir, n’a point de rival, et l'emporte aisément sur la Souris et les autres espèces. La femelle ne fait annuellement que deux ou trois portées de quatre à six petits. La Souris est bien autrement féconde, et cela est en rapport avec le nombre presque double de ses mamelles (2). Elle produit en toute saison, souvent même au cœur de l'hiver ; elle met bas, quatre ou cinq fois l'an, de quatre à dix petits. Son cri est sin gulièrement plus clair et plus soutenu que celui de Fautre espèce. On sait l'odeur fétide et pénétrante qu'elle répand. I n'en est pas et il ne peut en être ainsi du Mulot, qui n’a pas de glandes de Tyson ou qui n’en présente que des rudiments (3). Même diversité, même contraste entre les M. decumanus et Rattus, le Surmulot et le Rat. Ils sont, ilest vrai, devenus l’un et l’autre parasites, l’un et l’autre cosmopolites, mais non simulta- (1) Cet instinct, qui existe simultanément chez différentes espè-2s du genre, ne s'est développé que graduellement. Ces espèces ont commencé par dévaster les champs cultivés. De là à suivre les récoltes dans les granges êt les dépendances des habitations rurales, et à y demeurer quelquefois pendant l'hiver ou la saison des pluies, il n'y avait qu'un pas à faire. Beaucoup d'espèces en sont demeurées là, sans devenir parasites, Tels sont en Europe le M. sylvaticus, les M. minutus etagrarius. D’autres enfin, moins timides, et sentant vaguement les bénéfices de la cohabitation avec l'Homme, ont trans” formé en un séjour permanent les quelques mois dé la mauvaise saison qu'elles pas- saient accidentellement en nos demeures. Et comme de telles conditions d'existence se rencontraient presque partout, elles sont devenues à peu près cosmopolites. (2) N'est-ce point un fait digne de remarque que nos trois parasites, le Surmulot, le Rat et la Souris, tous les trois d'origine asiatique, tous les trois cosmopolites, soient également tous les trois pourvus d’un plus grand nombre de mamelles, et que seuls de leur genre, ils produisent en toute saison. (3) S'il est privé de ces organes qui, par l'odeur qu'ils exhalent, concourent si puis- samment à la réunion des sexes, il y supplée par l'excellence de l'ouie et de la vue; qu'ila plus développées que les autres espèces, DE L EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 183 nément. Ce curieux instinct qui porte ces animaux à vivre dans un étroit rapport avec l'Homme ne s'est révélé et développé chez le Surmulot qu'au siècle dernier, lors de son introduction en Europe. Le parasitisme du Rat est beaucoup plus ancien et remonte au moyen âge. Comme la Souris, le Rat était déjà cosmopolite que le Surmulot était encore confiné dans les limites étroites de sa patrie originaire. Le Rat, dont le centre de création est demeuré jusqu’à ce jour inconnu, mais qui, comme nous le verrons plus loin, est indi- gène des déserts brûlants de l’Asie, ne s’écarte jamais, dans nos climats, des habitations. Originaire d’un climat plus tempéré (les terres Caspiennes) (1), ayant aussi depuis moins longtemps mo- difié ses anciennes habitudes, le Surmulot y revient encore volon- tiers, C'est ainsi que souvent 1l se creuse en terre des garennes, à de grandes distances des lieux habités, au bord d’une douve de marais ou de quelque bras de rivière. Cette espèce, qui a, comme nous le verrons plus loin, les pieds demi-palmés, nage et plonge fort bien, et ses habitudes sont en partie aquatiques. Il hante les endroits frais, les parties basses des maisons, les tanneries, les boucheries, les caves, les maga- sins; mais c'est sur le bord des eaux, des étangs, des égouts de ville et des canaux qu'il s’établit de préférence, d’où lui est venu, parm éprise,ce nom de Rat d’eau, sous lequel en bien des pays il est mieux connu que sous son véritable nom. Le Rat n'a pas vestige de membrane natatoire, et de plus c'est un animal frileux. Au lieu de rechercher les eaux, il les évite, et ne nage que lorsqu'il y est forcé. Il habite les lieux chauds et secs, les toits, les greniers; « perce le bois et se loge dans l'épaisseur des planchers, ou à la naissance des poutres, et se niche en hiver auprès des cheminées ou dans le foin » (2). Singulièrement plus fort et plus hardi, le Surmulot est son rival déclaré. Sa voracité bien plus grande n’admet point de (1) Les Caspiens, qu'il affamait en dévorant leurs fruits et leurs récoltes, dressaient et lançaient contre lui des faucons, comme nous faisons aujourd’hui des ratiers. (Amyn- tas, dans Élien.) (2) Bufou, 184 A, DE L’'ISLE, concurrent. Il le tue pour s’en repaître, et pour prendre sa part de nourriture et de voirie. Presque partout, en Europe, il a expulsé les Rats des grandes villes et les a refoulés dans la cam- pagne, où en bien des lieux il les a suivis et presque compléte- ment exterminés. On ne trouve plus l'espèce vaincue que dans les fermes, les châteaux, les villages. Si elle ne disparait pas complétement de nos contrées, elle n’en sera redevable qu'à sa légèreté et à la lourdeur de son rival. La vigueur et l'audace de celui-ci sont extrèmes : 1l perce des murs très-épais. Dans les entrepôts de commerce, 1l descelle les lourds pavés de granit, les soulève et creuse son terrier dans le sable qui leur sert de lit. On a des exemples qu'il ait dévoré une Dinde sur ses œufs, entamé les flancs d'un Porc à l’engrais, et cruellement rongé les mains et la figure à de jeunes enfants. Enfin, ils n’exhalent pas la même odeur, et celle du Rat est plus fétide et plus prononcée. Si l’on compare maintenant le #f. alexandrinus au M. Rat- lus, on trouve exactement les mêmes mœurs et les mèmes parti- cularités physiologiques. Comme lui, il a pour ennemi implacable le Surmulot. Comme lui, il recherche les parties élevées des maisons, ce qui lui a fait donner, en Toscane, le nom de Topo tettajolo, Rat des toits. Non- seulement l'habitat est le même, mais ce qui est bien digne de remarque, c’est qu’en Bretagne, où l'aleæandrinus esi peu com- mun, on ne le rencontre que dans les trous du M. Rattus, jamais ailleurs. Dans l'opinion reçue jusqu’à ce jour, que ces deux types sont spécifiquement distincts, cela est inexplicable. Ce qui ne l’est pas moins, C’est que ces deux prétendues espèces vivent entre elles en bonne intelligence, tandis que les autres Rats n ont pas d’en- nemis plus dangereux que leurs propres congénères. C'est chez l’Alexandrin la même légèreté d’allure, ce sont les mêmes mouvements prestes et vifs. C’est la même timidité, c'est pour l’eau et le froid la même aversion. La femelle, comme celle du Rat noir, porte vingt-trois ou vingt-quatre jours ; elle fait comme elle, chaque année, trois ou DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÊGRE CHEZ LE RAT. 185 quatre portées de trois à dix petits. Ceux-ci, comme les jeunes Rats, ouvrent les Yeux à quatorze jours, tettent pendant vingt- cinq, et sont dés trois mois aptes à se reproduire. Le cri d'appel du mâle, celui de la femelle, et ces accents bizarres, moitié cri, moitié sifflement, dans lesquels les Rats exhalent leurs plaintes ou leur colère, sont communs aux deux espèces. Enfin, 1l n’est pas jusqu'à cette odeur fétide, si caractéristique du W. Rattus, que l’on ne rencontre également chez l’alexan- drinus. Ainsi, nous constatons, d’un côté, que les espèces européennes nous offrent toutes entre elles, dans les facultés mentales et les phénomènes de la vie, aussi bien que dans la structure anato- mique, une diversité constante et profonde; de l’autre, qu’une espèce universellement admise, le M. aleæandrinus, fait excep- tion à cette loi de divergence ou de parallélisme, et présente sous ce rapport, au contraire, avec une autre espèce du genre, une identité absolue et complète. Pour soutenir que le Rat d'Alexandrie diffère spécifiquement du Rat noir, il faut admettre qu'il est régi par des lois à part, étrangères à ses congénères et aux autres animaux. On est donc invinciblement ramené à mon opinion de l’unité spécifique de ces deux formes et de leur dualité comme races. $ 3. Système de coloration des deux races; passages gradués de l’une à l’autre. Laquelle doit être considérée comme type ? Le moyen le plus usité des faunistes et des botanistes, pour réduire à l'unité deux formes douteuses, c’est de montrer qu’elles sont étroitement unies l’une à l’autre par des liens intermé- diaires. Or, nous pouvons établir entre nos deux prétendues espèces une série graduée de passages, qui ne laissent subsister en l'esprit aucun doute sur leur identité. Nous venons de démontrer qu'il n'existait entre elles aucune différence anatomique, et comme corollaire, aucune différence 186 A. DE L’ISLE. physiologique et psychologique. Nous prouvons par là même, que l’une d’elles n’a point de base, puisqu'elle ne repose abso- lument que sur la couleur; dernier et fragile appui qu’il nous sera maintenant aisé de renverser. Il est vrai que leur mode de coloration est en opposition si par- faite, est si radicalement dissemblable, qu'il expliquerait à lui seul la confusion étrange qui égare depuis si longtemps les z00- logistes. En effet, tandis que le Rat d'Alexandrie est d’un blanc pur en dessous, avec les flancs cendré très-pâle et le dos gris brun jaunâtre, le Rat est d’un noir lustré en dessus, passant graduel- lement en dessous au gris noirâtre ardoisé (4). De telles différences ne sont dues cependant, pour les faces supérieures, qu'au changement de couleur de la pointe, de la partie extérieure de la laine, il est vrai beaucoup plus abondante que les autres poils, et qui, jaune pâle dans le type, est devenue d’un noir intense chez la race dérivée. Tout le reste, en effet, si l'on en excepte les flancs, et sauf une différence d'intensité à peine appréciable, est de la même couleur dans les deux races : les longs poils noirâtres à leur base et d’un noir intense dans leur moitié terminale; les poils plats blancs à leur base, dans les deux premiers tiers de leur longueur et noirs à la pointe; et enfin la base de la laine gris noirâtre. La différence est plus marquée en dessous, puisqu'elle s'étend à tout le pelage, et au fond de la laine et des poils aussi bien qu'à leur extrémité. Blancs de la racine à la pointe chez le M. alexandrinus, les poils des faces inférieures sont devenus gris foncé à la base et noirâtres à la pointe chez le M. Rattus. Une série de passages gradués unit, comme par les anneaux d’une chaîne, ces deux types si tranchés. On trouve des passages par excès et par dégradation, par fusion et par juxtaposition de couleur, et par l’un et l’autre de ces modes combinés. C’est ainsi qu'il existe des Rats d'Alexandrie, dont les faces supérieures sont - (4) De plus, les vibrisses inférieures, au lieu d’étre blanches, sont noirâtres; les oreilles et la queue, brunnoirâtre foncé, au lieu d’être brunâtre pâle; le canal excré- toire des glandes de Tyson, noirâtre et non blanc jaunâtre; et la peau de l'abdomen, cendré foncé et non blanche. DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 187 beaucoup moins blondes, beaucoup plus rembrunies que dans le type; des Rats ordinaires dont la couleur est singulièrement passée et dégradée, et quine sont plus que gris cendré en dessus. Mais, ces premiers passages peuvent encore se classer dans l'une ou l’autre race; il en est d’autres, si parfaitement intermé- diaires, qu'ils rendent toute détermination impossible. On ren- contre, en effet, des Rats gris brunâtre, d'autres gris roussâtre en dessus, de nuances aussi claires que le type alexandrin, mais saps laine jaune; en dessous, cendré blanchâtre, bien plus pèle que le Rat noir et sans la nuance ardoisée de celui-ci; variétés qui offrent précisément la teinie que l'on obtiendrait en mêlant sur une palette, d'un côté les couleurs des faces supé- rieures des deux races, et de l’autre celles des faces inférieures. Les suivants sont plus remarquables encore. Ils constituent deux variétés rares et inédites, et présentent la plus curieuse transition d'une espèce à l’autre, par la juxtaposition des cou- leurs. La première, que j'ai rencontrée le plus rarement, est noire en dessus, comme le M. Rattus, et blanche en dessous, comme le M. alexandrinus. La seconde, dont j'ai pu examiner seize spécimens, les uns pris à l'état libre, les autres nés en captivité, est gris Jaunâtre en dessus, comme le M. alexandrinus, et gris noirâtre foncé en dessous, comme le M. Rattus. Un fait qui me semblebien curieux, c’est qu’il y atoujours chez cette variété, que j'appellerai semi-aleæandrine, corrélation entre la couleur du dessous du corps et celle du dessus des pieds. En effet, les pieds ne sont pas blancs, un peu salis de gris au centre, comme chez le Rat d'Alexandrie, mais gris noir foncé, comme chez le Rat noir. Il me serait maintenant très-aisé de relier entre elles ces variétés intermédiaires par des sous-variétés. Pour ne point me perdre dans les détails, je me bornerai à rapprocher ainsi les deux précédentes, de l'une des races dont elles tiennent le juste milieu. La première, la variété noire à ventre blanc, passe au M. Rat- tus, comme je lai observé plusieurs fois, par des intermédiaires à ventre blanehâtre et à flancs cendré très-päle. 188 A. DE L'ISLE. J'ai reçu de Trégon (Côtes-du-Nord) un spécimen vivant qui établit un passage très-remarquable et d’un nouveau genre. C’est le chaînon qui rattache la variété semi-alexandrine au M. Rattus. Ses flancs sont cendrés, ses faces inférieures cendré blanchâtre ; il est presque noir en dessus, et comme rapiécé de morceaux gris brun jaunâtre à laine jaune. De sorte que, chez cette très- curieuse variété, les couleurs caractéristiques se trouvent Juxta- posées sur le dos, mêlées et fusionnées sur le ventre et les flancs. Ainsi, des passages variés existent entre le Rat noir et le Rat d'Alexandrie, et comme ils sont parfaitement intermédiaires, qu'ils mettent l'observateur, non pas dans le doute et la per- plexité seulement, mais dans l'impossibilité de les ranger dans l’une ou l'autre de ces espèces prétendues, ils tranchent le pro- blème de leur identité de la façon la plus complète. D'autres considérations tirées du pelage me fournissent de nouveaux arguments décisifs en faveur de ma thèse, que le Rat noir n’est point un type d'espèce, mais une race dérivée du Rat d'Alexandrie. La totalité des espèces d’un sous-genre, d'un genre, et même d’un groupe d’un ordre plus élevé, offre fréquemment, dans la coloration, des traits communs de ressemblance. Chez toutes nos espèces de Rats, le jaune ou la couleur de rouille entre comme élément dans les teintes variées des faces supérieures. C’est, en dessus, la nuance propre dela partie ter- minale de la laine. De plus, chez toutes également, les faces imfé- rieures sont d'un blanc plus ou moins pur. J'ai été frappé de ce fait, que le Rat d'Alexandrie présentait très-exactement ces traits généraux, alors qu'ils faisaient défaut chez le Rat noir. J'en ai conclu que le Rat d'Alexandrie était la race mère, et le Rat noir la race dérivée. Un autre fait qui ne m'a pas semblé moins démonstratif ni moins concluant, c’est que, parmi les déviations de couleur des différentes sortes de Mus, on en rencontre d’analogues au M. Rattus, qui, comme lui, ne reproduisent pas le type géné- rique dans leur mode de coloration, et qui sont dans leurs espe- ces propres ce que celui-ci est dans la sienne, une variété nègre. DE L'EXISTENCE D UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 189 Ainsi, on rencontre chez le Surmulot, le Mulot et la Souris, des variétés noires ou noirâtres en dessus, sans mélange de jaune, et à ventre gris noirâtre foncé. C’est même sur une telle déviation du Surmulot que M. W. Thompson a fondé le M. hibernicus. Qui peut ne pas voir dans le Rat et dans les types dont je parle, des variétés parallèles ; avec cette différence que le Rat constitue une variété permanente, une race climatique fixe, tandis que les déviations analogues des autres espèces ne sont que des variétés isolées, individuelles et transitoires. A la lumière de ces faits, je n’ai pas tardé à reconnaître que la Souris, M. musculus, telle qu’elle pullule autour de nous dans les différentes contrées de l'Europe centrale, n’est point un type d'espèce, mais une variété permanente, climatique et para- sitique. Le type original s'en distingue, en cela qu'il reproduit plus fidèlement les caractères généraux dont nous avons parlé. Son pelage est bicolore, plus clair, plus mélé de jaune en dessus que chez la race dérivée, avec le dessous du corps et les pieds blancs et la queue bicolore, blanche en dessous. C'est le Mus incertus de Savi. Il habite l'Italie et vraisembla- blement d'autres contrées du midi de l’Europe, et si mon idée à priori est juste, doit constituer une race fixe quelque part en Asie, en son centre de création. Qui ne reconnaitrait dans la variété semi-alexandrine, telle que nous l'avons ci-dessus décrite, et dans la Souris de l'Europe moyenne (1), à pelage presque unicolore, gris noirâtre nuancé de Jjaunâtre en dessus, passant graduellement au gris foncé en dessous, à queue unicolore et à pieds gris foncé, deux variétés parallèles, avec cette différence que la variété semi-alexandrine est fugace et purement individuelle, alors que la Souris de l’Europe moyenne est une race fixée depuis des siècles et qui couvre un vaste habitat ? (1) Parasite comme le Rat et la Souris, et comme eux d’origine asiatique, le Sur- mulot, qui ne s’est introduit en France que vers le milieu du siècle dernier, offre déjà des traces très-reconnaissables d’altération dans les couleurs. C’est ainsi que l’on ren- contre fréquemment des individus dont le dessous du corps n'est plus blanchâtre, mais cendré, clair-semé de poils noirâtres, et dont la queue n'est pas bicolore, blanche en dessous, comme dans le type de l'espèce, mais gris noirâtre unicolore. 190 A. DE L'ISLE. Je dirai un mot des variétés albines. Hors le Mus agrarius, on les a signalées chez toutes les espèces de l’Europe centrale. On rencontre quelquefois sur nos marchés celles de la Souris et du Surmulot, cette dernière presque réduite à l’état domestique. Cetti a trouvé en Sardaigne la variété albime du M. aleæan- drinus, et l'on connaît celle du M. Rattus, depuis Conrad Gesner. Dans quel plaisant embarras ne se trouverait pas le naturaliste qui, sans en connaître la provenance, voudrait déterminer un tel albinos, et le classer dans l’une ou l’autre espèce ? N'est-ce point le cas de répéter l’axiome de Linné que nous avons mis en tête de cette étude, « Vimium ne crede colori», ne vous fiez pas trop en la couleur? $ 4. Fécondité parfaite des hybrides de ces prétendues espèces. Lorsque des hybrides sont produits par l'union contre nature de deux espèces distinctes, leur système reproducteur est frappé de stérilité. Les mâles surtout ont les organes de la généra- tion plus ou moins impuissants. Aussi ne peut-on citer aucun exemple authentique d’un animal hybride parfaitement fécond. Les variétés et les races, au contraire, quelque différentes qu’elles soient, croisent entre elles avec la plus grande facilité, et c'est un fait démontré par une longue chservation, que de tels croisements augmentent la fécondité des produits (2). Dans le courant de l'année 1862, je résolus de soumettre à ces règles les deux espèces en litige. Le Rat d'Alexandrie est peu commun en Bretagne. Pendant plusieurs mois, à la Haye, à quelques lieues de Nantes, je tendis et fis tendre des piéges de différents côtés; sauf une petite (4) Bien qu'elle soit fort ébranlée en théorie, on s'appuie sur cette règle tous les jours dans la pratique. J'en veux citer un exemple. « Les produits métis du Pigeon domestique et de la Columba livia sonbparfaitement féconds, nous dit M. Darwin (De l’origine des espèces, p. 49). Nous pouvons donc conclure avec sécurité que toutes nos races domestiques descendent de la Col/umba livia. » DE L'EXISTENCE D UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. A9 Alexandrine, beaucoup trop jeune pour produire, je ne reçus et je ne pris moi-même que des M. Rattus; une femelle entre autres, qui, une semaine après sa capture, mit bas six petits qui offrirent à dix jours la nuance caractéristique de leur mère. Enfin, le 1° décembre, une autre Ratte d'Alexandrie, adulte cette fois, se prit dans mes engins, et je pus commencer mes expériences. ‘ J'avais un Rat noir dans la force de l’âge et de belles propor- tions, mais encore farouche, et qui, au début de sa captivité, avait successivement déchiré trois femelles que j'avais voulu lui donner pour compagnes. Un treillis de fil de fer garnissait le devant comme le dessus de mes cages. Je rapprochaï celles-ci, pour habituer ces animaux l’un à l’autre, de façon qu’ils pussent se voir à l'aise au travers des mailles. J’étais peu soucieux de perdre un sujet que j'avais eu quelque peine à me procurer. Je les réunis cependant, le surlendemain, bien résolu d intervenir au premier coup de dent. Le Rat accueillit très-bien cette femelle d'espèce prétendue différente ; de ses pattes lui épluchant le poil, la léchant sur le cou et la tête, et passant doucement son museau contre le sien ; caresses que celle-ci lui rendit avec usure. Quarante jours après, cette bonne entente produisait ses fruits. Le 2 janvier 4863, j’entendis dans mon laboratoire, comme une légère altercation dans la cage des Rats. J'allai voir, et les vis en mouvement; j'avançai la main dans la cage, mais la femelle m'accueillit en sifflant plus fort qu’elle ne le faisait d'habitude en ses plus mauvais moments. Au même instant, j'aperçus trois petits nouveau-nés (1). L’Alexandrine se tenait entre eux et le mâle, contre lequel elle semblait les défendre. J'enlevai celui-ci sans perdre de temps. Je ne m'étais point aperçu de l’état de gestation de la mère, qui, prise âgée déjà et d’un naturel indocile, menaçait de mor- dre au moindre geste et ne voulait pas se laisser toucher. (1) Voyez à l’Appendice, art, 2 et 3, la note sur le développement et la dentition des jeunes Rats. 192 A, DE L'ISLE, Les trois petits montraient nettement, à dix jours, qu'ils appar- tenaient à la race paternelle. Ils en présentaient les couleurs caractéristiques, avec plus d'intensité même que chez l'adulte, comme cela a toujours lieu chez les jeunes Rats, et sans le moindre trait de la race de leur mère l’Alexandrine. Cependant la jeune Ratte d'Alexandrie prise au commen- cement de novembre, et un jeune Rat noir du même âge, que je lui avais donné pour compagnon de captivité, grandissaient tous deux rapidement. Ils charmaient leurs loisirs par des tours d'adresse. Dans les cages vastes et bien aérées où Je les élevais, j'avais fait disposer à mi-hauteur de longues traverses de bois qui leur servaient de gymnase. Le Rat noir faisait à satiété le saut périlleux à l'envers; tandis que sa compagne, en courant, tour- nait en spirale autour de ces barres, tantôt par un mouvement continu dans le même sens, tantôt par un mouvement alterne. Avant trois mois les Rats sont adultes; aussi vis-Je bientôt ceux-ci se rechercher. La Ratte, comme la femelle du Cochon d'Inde, provoque le mâle par une série de petits cris continus, qu'elle émet tout le temps de la recherche. Plus légère que lui, elle échappe long- temps à sa poursuite, montant, descendant et fuyant de tous côtés ; quelquefois acculée, elle se retourne, se redresse sur ses pattes de derrière, et lui fait face, le repoussant de la tête et des mains; puis elle se dérobe de nouveau. Lasse d'aller enfin, elle est saisie, jette de petits cris et se démène comme pour fuir ses embrassements. L'accouplement ne dure qu'un instant, pour se renouveler bientôt, toujours précédé du même manége. Je Pai ainsi vu réitéré quatre et cinq fois en quelques minutes. Ces assiduités ne furent pas sans résultat, et le 23 février au soir, l'Alexandrine n° 2 mit bas, comme me l'apprirent les cris des petits. Svelte et chétive, sa grossesse était très-apparente, et depuis dix jours je l'avais à dessein séparée du mâle. Des coupons de laine que je lui dispensai largement pour préserver sa progéni- ture des rigueurs de l'hiver, elle se fit un nid, comme elles font toutes en pareil cas. Elle s’y tenait tout le jour, immobile sur ses DE L'EXISTENCE D UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 193 petits, et n’en bougeait un peu qu'au milieu de là nuit, pour aller prendre sa nourriture. A dix jours de là, quand j'ouvris ce nid solidement rembourré, je fus bien surpris, en examinant les cinq petits qu'il contenait, de n’en pas trouver un seul qui fût pareil à sa mère. Is appar- tenaient tous les cinq, comme les précédents, à la race pater- nelle, c’est-à-dire qu’ils avaient identiquement, comme les jeunes M. Rattus, le ventre gris noirâtre et le dos d’un noir profond et velouté, presque aussi intense que celui de la Taupe ou du Soreæ fodiens. Surpris de voir le type nègre non-seulement prédominer dans la génération, mais se reproduire uniquement, je poursuivis ces expériences. À ce moment, mes premiers métis À leæandrino-Rattus étaient sevrés depuis longtemps. Je les séparai d'avec leur mère, l’A- lexandrine n° 4, que je réunis à son mâle, le Rat noir n° 1. Ils se reconnurent parfaitement et s’accueillirent comme de vieilles conpaissances. Rien ne vint troubler leur bon accord. Je les séparai de nouveau à la fin d'avril ; la femelle était mamifeste- ment grosse. Quelques jours après, le 2 mai, j'entendis dans mon labora- toire de petits cris bien significatifs. J’allai voir aussitôt, et J’aper- eus, à demi dissimulée derrière ses étoffes, l’Alexandrine qui, des pieds et des dents, s’'accouchait de ses petits. Dans mon impatience, à cinq jours, je voulus les examiner, bien qu'à cet àge le pelage soit évidemment trop rudimentaire pour qu’on puisse juger de leur futur mode de coloration. C'était uve belle portée de huit petits. Leur dos ne laissait voir encore que de rares villosités. Sept l'avaient ardoisé foncé, et le huitième rose chair, exactement de la couleur du ventre. Je m'attendais à voir celui-ci reproduire la livrée maternelle ; il n’en fut rien. Tous les huit, à quelques jours de là, avaient invariablement revêtu les couleurs typiques du Rat noir. Le hui- tième était simplement un retardataire, commeil y en a quelque- fois chez les animaux multipares. Ses frères ouvrirent les veux trois jours plus tôt, et dans la taille et les proportions conser- 5e séric. Zoo. T. IV. (Cohier n° 4.)1 13 19% A. DE L'ISLE. vérent sur lui un avantage marqué, tout le temps de leur croissance. Cependant leurs petits sevrés, j'avais le 20 mars, sans perdre de temps, réuni le jeune couple n° 2. Le mâle était très- empressé auprès de sa femelle, et ses recherches furent suivies d’une nouvelle portée. Elle accoucha, le 14 mai suivant, de six petits qui, comme les précédents, à dix jours, offrirent tous le mode de coloration des jeunes M. Rattus. Ainsi, le croisement de deux Rats noirs et de deux Rattes d'Alexandrie nous à donné, en quatre portées différentes, vingt-deux petits, tous de la race paternelle et sans le moindre trait de la race de leur mère, tous Rats noirs et pas un Rat d'Alexandrie, et pas un seul même simplement intermédiaire au Rat noir et au Rat d'Alexandrie. Tel ne fut pas, au rapport de MM. Prévost et Dumas, le résul- tat longuement poursuivi des expériences de M. Colladon (de Genève) sur des animaux bien voisins, la Souris blanche et la Souris grise. Quelle qu'eût été la combinaison adoptée, que le mâle fût gris, qu'il fût blanc; dans une même portée les carac- tères de la mère dominaient chez une partie des produits, ceux du père chez les autres : les uns étant entièrement blancs, les autres entièrement gris. Nous rechercherons plus loin les causes de ce fait curieux de ressemblance unilatérale, s'étendant non pas seulement à quelques individus, comme cela est fréquent chez les métis (nous venons d'en citer un exemple), mais à des portées tout entières, à plusieurs générations successives. J'étais curieux de connaître le résultat de l'union opposée, du croisement du Rat d'Alexandrie et de la Ratte noire. Le cours de mes expériences ne me permit pas de l’effectuer avant la fin de l’année 186/. À cette époque, j'avais trois Rats d'Alexandrie de race pure, qui, dans des expériences dont ilsera traité plus loin, avaient été unis à des femelles de leur propre espèce : l’Alexandrine n° 4, un fils de l’Alexandrin n° 4, et un fils de l’Alexandrin de Roche- ford. DE L'EXISTENCE D UNE-RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 195 Je fis prendre trois Rattes noires sauvages : une adulte, que j'appellerai la Ratte n° 1, et deux jeunes qui n'avaient point encore produit, les Rattes n° 2 et n° 3. Je les unis aux trois males, mettant, comme dans les précédentes expériences, chaque couple à part dans une cage distincte. La Ratte noire n° 2, prise au commencement de septembre, et croisée avec le fils Alexandrin n° 4, mit bas la première, à la fin de novembre, six petits, deux noirs et quatre Alexandrins. Elle eut du mème male, le 4° avril 1865, huit petits, deux Alexandrins et six noirs. La Ratte noire n° 1, croisée avec le fils de l’Alexandrin de Ro- cheford, eut à la mi-décembre cinq petits, trois noirs et deux Alexandrins. Croisée de nouveau, mais cette fois avec un autre mâle, l'Alexandrin n° 4, elle mit bas, dans les premiers jours de février, sept petits, quaire Alexandrins et trois noirs. Enfin, la Ratte noire n° 3, unie au fils Alexandrin n°1 , mit bas à la fin de janvier six petits, trois noirs et trois Alexandrins. A la fin de mars, elle eut du même mâle sept petits, deux noirs, quatre Alexandrins, et de plus un intermédiaire semi-Alexan- drin. Ce qui fait, sur 39 petits en six portées: 19 Rats noirs, 19 Alexandrins et un semi-Alexandrin. Ainsi le croisement du Rat d'Alexandrie et de la Ratte noire est bien différent de celui du Rat noir et de la Ratte d’Alexan- drie. Le premier ne donnait que des Rats noirs ; le second donne en partie égale des Rats noirs et des Rats d'Alexandrie. Nous pensons qu'il faut attribuer cette différence singulière des portées de métis Alexandrino-Rattus et Ratto- Alexandrinus, d'un côté à l'union et de l’autre à l’antagonisme de deux in- fluences particulières agissant dans la génération : celle du père sur la mère, et celle de la race acelimatée sur la race exotique. Dans le premiér croisement, tous les produits, sans exception, sont de la race paternelle. Si la prépondérance du père sur la mère était la seule cause de ce fait, il est évident que dans le croisement renversé, tous les petits devraient être également de la race paternelle, c’est-à-dire, Rats d'Alexandrie, comme les premiers avaient tous été Rats noirs. Or, 11 n'en est rién. 196 A. DE L'ISLE, D'un autre côté, si la prépondérance de la race noire sur la race d'Alexandrie était l'unique cause de ce fait, tous les petits seraient noirs dans le second croisement comme dans le premier. Ce qui n'est pas. Si l’on admet, au contraire, l'égalité d'action de ces deux in- fluences maîtresses, on comprend très-bien comment, concer- tées et unies dans le premier croisement, elles ont annihilé la part d'action plus faible de la mere, jointe à la part d'action plus faible de la race exotique; et pourquoi divisées et en antago- nisme dans le second, elles se sont exactement contre-balancées. Qui oserait prétendre que les divers produits de ce croisement réciproque soient des hybrides, et doivent le jour à de véritables espèces? Qui ne voit, au contraire, que ce sont des métis, et que leurs auteurs ne doivent, par conséquent, être considérés que comme des variétés permanentes! En effet, les hybrides, c’est-à-dire les produits de deux espè- ces distinctes, tiennent à la fois de leur père et de leur mère, à peu près autant de l’un que de l’autre. Tandis que les métis, c'est-à-dire les produits de deux races ou de deux variétés, sont loin, généralement, de tenir le milieu entre leurs parents ; et se rapprochent toujours beaucoup plus de l'un que de l’autre. Non-seulement les produits de notre croisement réciproque se comportent comme de véritables métis, mais on ne peut les assi- miler entièrement qu'aux métis des simples variétés de couleur. C'est-à-dire, aux plus authentiques de tous les métis, à ceux de tous qui se laissent le plus facilement distinguer des hybrides. Espérant mettre cette vérité dans toutson Jour, j'élevai quatre produits de deux portées différentes du croisement Alexandrino- Rattus (quatre mélis noirs, par conséquent), que je divisai en deux couples, quand ils furent adultes. Le premier couple se composait du frère et de la sœur; le second de la sœur des précédents et d'un métis d’une autre portée. La métisse du premier couple mit bas, le 24 juillet 1863, quatre petits. On s’en apercut trop tard pour les sauver du mâle. Ils étaient déjà froids, et avaient tous les quatre la croupe umifor- DE L'EXISTENCE D UNE: RACE. NÈGRE CHEZ LE RAT. 497 imément rongée. La métisse eut hâte de réparer cette perte, et vingt-trois jours après elle me donnait une seconde portée de cinq petits, dont quatre Rats noirs et un Alexandrin. Elle eut, toujours du même mâle, à la fin de novembre, une troisième portée de six petits, dont cinq noirs et un Alexandrin. Cependant le second couple métis produisait de son côté. Il eut, au commencement de septembre, une première portée de quatre petits, dont trois noirs, et un intermédiaire au Rat noir et au Rat d'Alexandrie, de ce curieux passage que nous avons décrit sous le nom de variété semi-alexandrine. A la- fin de novembre, la femelle fit une seconde fois des petits, qu'elle dé- truisit elle-même après les avoir allaités quelques jours, excitée par la présence du mâle dans la même pièce. Le 22 janvier 1864, le même couple eut une troisième portée de trois petits, deux noirs et un Alexandrin. Ainsi, sur dix-huit produits de métis noirs obtenus en quatre portées différentes, quatorze étaient Rats noirs, trois Alexan- drins et un semi-Alexandrin. Plus des trois quarts étaient Rats noirs, comme leurs auteurs ; mais fait bien intéressant d'hérédité en retour, la race de l’aïeule maternelle réapparaissait une fois dans chaque portée, soit inté- gralement, soit Incomplétement. Je choisis deux couples de cette seconde génération de métis, que je séparai quand ils furent en état de produire. Le premier couple que je composai de la fille métisse semi-Alexandrine et de son cousin le fils métis Alexandrin, eut, au commencement de juin 1864, une première portée de cinq petits, dont quatre Alexandrims comme le père, et un semi-Alexandrin comme la mère; et, au commencement d'août, une seconde portée de sept petits, dont trois Alexandrins comme le père, et quatre semi- Alexandrins comme la mère. J'avais formé le second couple d’une fille métisse Alexandrine et d’un fils métis noir. Celle-ci. flairant un autre mâle, avait pris le sien en aversion; elle lui avait arraché les moustaches jusqu’au dernier brin, et le cri- blait journellement de morsures. Ne pouvant produire dans ces conditions, Je lui donnai son frère le fils métis Alexandrin. Elle 198 A. DE L'ISLE. mit bas bientôt après, à la mi-juillet, quatre petits, tous Rats d'Alexandrie comme le père et la mére. J'opérai sur cette troisième génération comme sur les précé- dentes, unissant entre eux ces petits-fils de métis, et faisant encore de la sélection artificielle, c’est-à-dire couplant d’une part un Alexandrin avec une Alexandrine, et de l’autre un semi- Alexandrin avec une semi-Alexandrine. Le premier couple me donna, à la fin de décembre 1864, une première portée de deux petits, Alexandrins comme leurs auteurs, et à la fin de février une seconde de quatre petits, dont, bizarrerie! un Alexandrin et trois semi-Alexandrins. Les produits du second couple, quatre à la première portée et six à la seconde, furent tous, comme leurs facteurs, semi-Alexandrins. Ainsi, en une couple d'années (1863-64), j'avais obtenu quatre générations successives (1) de ces prétendus hybrides, sans ex- tinetion comme sans diminution de fécondité; bien queles unions eussent presque toujours eu lieu entre parents, et à un âge peu avancé, où les portées sont généralement moins nombreuses. Est-ce là ce que l’on observe chez les hybrides? On sait, d’un autre côté, que l'hybridation ne peut donner naissance à des types permanents, à des espèces intermédiaires. Or, comme nous l'avons vu dans l'exposé de la dernière génération, rien ne nous a été plus facile que de rendre permanente la variété semi- Alexandrine, aussitôt qu’elle s’est produite, et de former et de fixer ainsi un intermédiaire au M. Rattus et au M. alexan- drinus. Avant de clore ce chapitre, nous croyons devoir insister sur la facilité avec laquelle le croisement réciproque s'est opéré. Que le mâle fût Rat d'Alexandrie et la femelle Ratte noire, ou que le mâle fût Rat noir et la femelle Ratte d'Alexandrie, ces deux ‘espèces ont toujours montré l’une pour l'autre la plus vive ardeur. Nous avons observé qu'il en est tout autrement de l'union de (1) Un couple des derniers produits vient de me donner tout récemment (septem- bre 4865) une cinquième génération de ces faux hybrides. DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 199 deux véritables espèces? C'est ainsi que nous avons effectué le croisement réciproque du Mulot et de la Souris, faisant cohabiter un mâle d'une espèce et une femelle de l’autre, et réciproque- ment. Ces animaux ont vécu de longs mois ensemble sans produire. Au commencement de 1863, je m'étais procuré un Jeune Surmulot à peine sevré ; je l'apprivoisai, et le mis ensuite auprès d'une petite Ratte du même âge : adultes, ils se fussent entre- dévorés; jeunes, ils s'accueillirent sans se battre, mais avec froideur. La petite Ratte avait peur de son compagnon, se tenait à l'écart et cherchait à se cacher. En peu de jours néanmoins, ils se firent l’un à l’autre, et bientôt devinrent amis. Le matin, je les trouvais toujours endormis auprès l’un de l'autre, la petite Ratte enroulant fraternellement sa queue autour du cou du Surmulot. Leur amitié survécut à la puberté. Je ne les vis pas s’accou- pler, mais 1l me sembla cependant que le Surmulot recher- chait sa femelle. Je les conservai ainsi une année, mais leur union demeura stérile. | Un incident, le transport de ces animaux, mit fin à cette curieuse expérience. Le mouvement de la voiture irrita le Sur- mulot et réveilla ses instincts féroces ; en arrivant, je m'aperçus qu'il avait tué sa femelle et l’avait à demi dévorée. $ 5. Nouvelles preuves de leur unité par divers faits de réversion au type. Le Rat d'Alexandrie est peu commun en Bretagne, non qu'il y soit d'importation récente, car on ne le trouve que dans le fond des campagnes, jamais dans les ports; mais parce que c'est un rejet atavique, une réapparition de la forme mère au sein de la race dérivée, un dernier effort de l’hérédité vaincue contre l'adaptation victorieuse. Sans le considérer comme une race cli- matique à la dernière limite de sa station, on peut cependant admettre que là douceur du climat marin dont nous jouissons 200 A. DE L'ISLE, dans l'Ouest à pu faciliter ce retour au type, et le rendre plus fréquent parmi nous que dans l’intérieur (1). Dans les campagnes de la Loire-Inférieure, contre vingt ou vingt-cinq Rats noirs, on ne trouve en moyenne qu'un Rat d'Alexandrie. Mais puisque celui-ci n’est qu'un simple rejet, l’union inter se de Rats noirs doit donc, sur un même nombre de petits, c’est-à-dire en quatre ou cinq portées, reproduire ce rejet une fois en moyenne. D'un autre côté, les Rats d'Alexandrie, épars et clur-semés dans la foule des Rats noirs, ne doivent presque jamais s'unir entre eux. Il en résulte que l’union inter se de Rats d’Alexan- drie doit fréquemment reproduire le Rat noir. Et quelle preuve sans réplique, quelle démonstration irrévocable de leur unité ne serait-ce pas, si, sous nos yeux, en captivité, l'une de ces espèces allait reproduire l’autre ! Quand j'eus terminé, à la fin de mai 1863, mes expériences sur le croisement du Rat noir et de là Ratte d'Alexandrie, je résolus de soumettre à l'autorité des faits ces calculs à priori. Je me décidai pour l'union inter se du Rat d'Alexandrie, d'après la considération que le milieu ambiant pesait sur cette race pour la transformer, tandis qu’il favorisait la production de l’autre race. Je fus plus heureux cette année, et je parvins à me procurer en peu de temps un nombre suffisant de Rats d'Alexandrie des deux sexes. Des deux femelles qui m'avaient servi dans mes précédentes expériences il ne m'en restait plus qu'une, l'Alexandrine n°1, qui avait produit deux portées de métis Alexandrino-Rattus. Je lui donnai successivement trois mâles en six mois, sans obtenir de résultat. Quand je la pris, elle avait déjà mis bas ; et depuis quinze mois que je la conservais en captivité, elle avait passé l’âge d'être mère et donnait des marques de sémilité. (4) On a rencontré le M, alexandrinus sur quelques points de l'habitat du Rat noir, à Stuttgard, d’après M. Blasius, et dans l'Amérique du No:d, d'après Ruppell. DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 201 La vie des Rats est, en effet, fort courte. La durée de la portée n’est, comme nous l'avons vu, que de vingt-trois jours. Pubères avant trois mois, en quatre mois ils atteignent le terme de leur croissance, et leur existence n'excède pas une couple d'années. Deux autres couples de mes Rats d'Alexandrie demeuraient également stériles. Jeunes et forts, ce n'était évidemment pas la même raison qui mettait obstacle à leur fécondité. J'élevais, à ce moment, un trop grand nombre de ces animaux, poursuivant plusieurs expériences à la fois. Leurs cages étaient placées dans le même appartement, plusieurs dans la même pièce, très-éloignées les unes des autres, 1lest vrai, et tournées de façon que les différents couples ne pussent se voir. Mais, au sortir de leur sommeil diurnal, lorsqu'ils s’agitaient le soir, quittant leur lit de frise, pour manger, courir et se faire l'amour, je ne pouvais les empêcher de s'entendre, et qui pis est de percevoir l’émanation de leurs glandes de Tyson, qui avertis- sait les femelles de la présence des autres mâles, et révélait à ceux-ci l'existence d’autres femelles. La tendance à l'élection sexuelle se réveillait en eux. En couplant à mon gré ces animaux, dans le but de ces expé- riences, Je supprimais la lutte qui a lieu à l’état libre entre les mâles pour la possession des femelles. Je faisais également bon marché de cette force qui pousse telle femelle vers tel mâle; instinct subtil que nous traitons de caprice, parce que sa finalité nous échappe, mais qui n’agit pas moins directement dans l’in- térêt de l'espèce. De là tel mâle paraissait mdifférent pour telle femelle. Telle femelle ne pouvait souffrir les assiduités de tel mâle, entrait en rébellion ouverte contre lui, repoussait ses avances en sifflant et en lui arrachant l’une après l’autre toutes ses vibrisses. Un dernier couple me donna de plus heureux résultats. Je l'avais composé de deux jeunes à peine sevrés, que j'avais pris au commencement de juin. Dans les premiers jours de septembre, je m'apereus de l’état de gestation de la femelle. Le 10, elle mit bas. Ce couple n'avait pas encore quatre mois, et la durée de la portée étant de vingt-trois jours, on voit par là clairement que 202 A. DE L'ISLE. les Rats sont dès trois mois aptes à la reproduction ; mais ils sont quelquefois plus précoces, et j'en ai vu se rechercher dès deux mois et demi. A treize jours de là, j'examinai les petits: il y en avait six, et tous les six étaient Rats d'Alexandrie, comme le père et la mère. A cet âge, les petits Alexandrins sont en dessus gris jaune olivâtre. Ils ont le ventre blanc un peu carné, parce que le poil, encore peu fourni, laisse entrevoir la peau; la queue et les oreilles gris bleuâtre; le dessus des pattes gris enfumé, avec les doigts blancs. | = A vingt-cinq jours, ils diffèrent principalement des adultes en ce que les faces supérieures sont plus ternes et plus rembrunies; la partie terminale de la laine est d’un jaune pâle et non d’un jaune vif et décidé, comme chez l'adulte. La couleur cendrée pâle des flancs et des côtés de la tête chez les vieux est ici remplacée par un gris très-foncé, qui tranche bien davantage avec le blanc pur des parties inférieures. Tous les six étaient Rats d'Alexandrie; ce n’était pas là le résultat cherché. Je poursuivis ces expériences. À la mi-octobre, je séparai la femelle de ses petits, et l’unis à un très-beau Rat d'Alexandrie, au poil luisant, aux couleurs vives, que je venais de recevoir du château de Rocheford (Loire- Inférieure). Je pensais qu’en substituant ainsi un second mâle au premier, j'aurais plus de chances d'obtenir de la variété dans les futurs produits. Ce changement de mâle retarda un peu la femelle, qui ne mit bas qu'à la fin de décembre. Fexaminai les petits douze jours après leur naissance. Il y en avait trois, trois Rats d'Alexandrie comme leurs auteurs. Ainsi les produits de ces deux portées, issus de deux pères différents, furent tous, sans exception, Rats d'Alexandrie comme leurs pères et leur mère. Sachant que l’atavisme agit plutôt sur une génération que sur une autre, j'élevai une partie de ces petits, une femelle et deux mâles. Quand ils furent adultes, au commencement de jan- vier 1864, je donnai la femelle, que j'appellerai la fille Alexan- drine, à l’Alexandrin de Rocheford, et l’un des mâles ses frères, DE L EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 203 le fils Alexandrin n° 4, à une jeune femelle qui n’avait point encore produit, l'Alexandrine n° 4. La fille Alexandrine mit bas la première, à la fin d'avril. Ce n'est qu'à dix jours que le pelage est assez développé pour qu’on puisse aisément juger de la race des petits. Je les examinai à cet âge, ils étaient au nombre de sept, dont quatre Rats d’Alexan- drie comme le père et la mere; les trois autres, fait bien digne d'intérêt, appartenaient à cette curieuse transition d’une espèce à l’autre que nous avons appelée variété semi-alexandrine. Ainsi, J'avais marié entre eux des Rats d'Alexandrie de race pure, et ils me donnaient des petits parfaitement intermédiaires au Rat noir et au Rat d'Alexandrie. Ce fait n’était-il pas bien probant en faveur de mon opinion. Je me tins dès lors pour assuré du succès. Le second couple fut lent à suivre l'exemple du premier. Enfin, le $ juin de la même année, l’Alexandrine n° 4 que j'avais depuis deux jours isolée de son mâle, le fils Alexandrin n° 4, mit bas pour la première fois. À onze jours, j'enlevai la mére ; le nid ne renfermait que deux petits, deux mâles, l’un Rat noir, et l'autre Rat d’ Alexandrie. Preuve convaincante de l'identité spécifique de ces deux types, puisque ce petit Rat noir que J'avais sous les yeux était le fruit d’une Ratte d'Alexandrie prise à l'état libre, et d’un Rat d'Alexandrie fils d'un couple de Rats d'Alexandrie pris égale- ment à l’état libre. On ne peut pas même invoquer à l'encontre de ce résultat. comme fin de non-recevoir, les faits si rares d’ailleurs d’hérédité d'influence, et par exemple celui du fameux hybride de lord Marton. Car tous les facteurs connus de cette génération, la mere, la grand'mère et le grand-père paternel, qui sortaient à peine du nid et pouvaient avoir seulement de quinze à vingt-cinq jours quand ils furent pris, sévèrement reclus en des cages solides (en partie garnies de zinc, en partie d’un fort treillis de métal), dont l’effraction était impossible, ne contractérent alliance dans leur prison qu'avec des individus de leur propre race. 20/ A. DE L'ISLE. L’Alexandrine n° 4 me donna, à la fin de juillet, une seconde portée. Pour varier les résultats, je l'avais unie, au commence- ment du même mois, à un autre mâle, le fils de l'Alexandrin de Rocheford, adulte depuis longtemps déja. Cette fois ses petits, au nombre de sept, furent tous, comme leurs auteurs, Rats d'A- lexandrie. Ce qui montre une fois de plus, ce qu'on savait déjà. que l’atavisme n’agit pas chez tous les individus avec la même puissance. Ce mâle était le demi-frère du précédent, né de la même mère et d’un père différent. Cependant, ses petits sevrés, j'avais uni, le 3 juin, la fille Alexandrine, non plus cette fois à l’Alexandrin de Rocheford, mais à son frère, le fils Alexandrin n° 4. Dix-sept jours après, elle était manifestement pleine, et je la séparai de son mâle. Elle accoucha dans la nuit du 25, c'est-à-dire après vingt-trois jours d'habitation avec le mâle, ce qui donne ce même laps pour durée maximum de la gestation. À dix jours, j'inspectai la progéniture. C'était ane belle portée de neuf petits, sept Alexandrins et deux Rats noirs. Aïnsi la fille Alexandrine, mariée au bel Alexandrin de Roche- ford, a produit des Alexandrins et des semi-Alexandrins ; mariée à son propre frère, elle donne des Alexandrins et des Rats noirs. Il semble, d'après ces faits, que l’atavisme ait plus de force chez le mâle que chez la femelle, puisque l’atavisme du mâle a suffi pour reproduire la race noire, tandis que l’atavisme chez la femelle n’a pu donner lieu qu'au passage d’une {race à l’autre. J'aurais pu à la rigueur me reposer pleinement sur ce double succès, je procédai cependant à une dernière expérience. A la fin de juillet, j'unis pour la seconde fois la fille Alexandrime à son frère le fils Alexandrin. Quinze jours après, je l'en séparai, dans un état de grossesse très-apparent; et, comme la première fois, la durée maximum de la portée fut de vingt-trois-jours. Je ne vis jamais femelle plus épaisse, et j'en augurai naturellement bien du nombre des petits. La première portée de cette femelle avait été de sept petits, la seconde de neuf ; celle-ci était de dix petits, huit femelles et deux mâles. DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 205 J'avais réussi pour la troisième fois. De l'union de deux Rats d'Alexandrie, j’obtenais des Rats noirs. De ces dix petits, six étaient Rats d'Alexandrie et quatre Rats noirs. Quelle clarté ajouter à ces faits? Arrêtons-nous sur cette preuve d’une rigueur vraiment mathématique, dernière et véri- table clef du problème. e G S 6. Conclusion. Nous avons prouvé par tous les arguments d'usage, qu'il est rare de trouver ainsi réunis dans une même démonstration, que le M. Rattus n’était qu'une race dérivée du M. alexandrinus. Il en résulte que le centre de création du MW. aleæandrinus est en même temps celui du Rat, et que la patrie si mutilement cherchée de celui-ci est l'Arabie. Nos deux espèces se peuvent justement comparer à ces fleuves de la légende africame, l'un dont on ne connaissait pas les bouches, l’autre dont on ne pou- vait découvrir la source, et qui n'étaient qu'un même tout, que le prolongement l’un de l’autre. Dans l'opinion reçue jusqu’à ce jour de la différence spécifique de ces deux types, n’était-il pas étrange en eflet, et vraiment inexplicable, que le M. alexandrinus, après avoir franchi la Méditerranée, s’arrêtât tout à coup brusquement devant les rizières de la Lombardie? que le M. Rattus, animal frileux, qui déserte, transporté à une certaine élévation dans les montagnes, ne pût supporter la douceur du climat de Naples et de la Tos- cane? Quoi de plus simple cependant, à notre point de vue, que cette délimitation géographique ! N'est-ce pas là un des phéno- mènes que présentent le plus fréquemment les races clima- tiques ? Confiné entre les mers qui ceignent la péninsule arabique (Anistote, Hib. VIF, c. 28), le Rat a d’abord vécu librement dans le désert. Belon, dans son Voyage du Caire au mont Sinaï, nous dépeint sa première existence. On ne peut supposer qu'il fût déjà parasite au vu‘ siècle, le 266 A. DE L'ISLE. torrent de l'invasion arabe l'eût porté jusqu'en Europe. I ne le devint, suivant toute vraisemblance, que trois ou quatre cents ans après, et dut commencer par se répandre en Palestine, en Égypte et dans tout le nord de l'Afrique. Du Levant il passa sur la côte septentrionale de la Méditerranée. C'est une loi de l’histoire des langues humaines, que les noms d'animaux domestiques ou parasites s’introduisent chez les peuples qui les reçoivent du dehors avec leur forme étran- gère (1). Le Rat n'ayant pas suivi la migration d'un peuple, mais s'étant de lui-même furtivement glissé en nos contrées, on ne doit pas s'attendre à le voir porter sur le continent européen le même nom qu'en son lieu d'origine. Tout en fléchissant devant ce cas exceptionnel, le principe de M. Pictet trouve 1c1 néanmoins son application. En effet, le Rat a conservé, dans presque toutes les langues de l'Europe occi- dentale, le nom qui lui a été donné sur le point du littoral d’où il pénétra en premier heu dans l'intérieur. Quand l'animal immigrant aborda à Marseille ou à Aigues- Mortes, le mot Rata (du latin rapere) servait, en provençal, à désigner la Souris. On modifia légèrement ce nom, et on le lui appliqua. À mesure que l'animal se répandit dans les contrées voisines, et gagna de proche en proche tout le continent, ce mot passa dans les autres langues, dans les dialectes ibériques, le catalan, l'espagnol et le portugais; dans les langues basque et bretonne ; dans la langue d’oil ; daus le hollandais, l'allemand, l'anglais, le danois, le suédois, etc.; subissant de légères varia- tions, en rapport avec le génie de chacune de ces langues (Ra, Rato, Raton, Ratte, Ratze, Rat, Rolta, etc.). Si l’on envisage, au contraire, les divers idiomes du littoral méditerranéen, on trouve une grande variété d'appellation. Ainsi en grec moderne (et l'empire grec, pour son commerce et sa proximité, dut être un des premiers envahi), il s'appelle rovrexog, marin, mot qui peint bien sa venue par mer. Les Vénitiens, qui (1) Pictet, Aryens primitifs. DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 207 le recurent des Grecs, suivant toute apparence, modifiérent ce mot en celui de Pantegana, qui a le même sens. À Gênes, on lui donna le nom de Topo (de Talpa); à Rome, celui de Sorco (de Sorex), etc.; enfin, en Provence, le nom de Rat, comme nous l'avons dit plus haut. D'après ces noms variés du littoral, nous avons quelques raisons de eroire que ce parasite, à la faveur du commerce maritime et des transports des croisades, s’est glissé en Europe par plusieurs points à la fois. Le Surmulot fit irruption par l'est et par l’ouest, par terre et par mer, par Londres et par Astrakhan. De mème le Rat dut se confier presque simultanément aux nefs grecques, vénitiennes, génoises, et prendre terre en différents ports. On na pas établi Jusqu'à présent d'une façon rigoureuse l’époque de son introduction en nos contrées. Les uns prétendent qu'elle n’est pas très-ancienne. «Les auteurs qui en ontparlé clairement, disent-ils, ne remontent pasau delà du xvr' siècle. Or, il est peu vraisemblable que si cet animal eût vécu autrefois en Europe, on n’en eût fait aucune mention , lorsqu'on parlait de la Souris, du Mulot, du Loir, bien moins remarquables et bien moins incommodes que lui (4). » D'autres savants pensent qu'il faut placer au moyen àge l'époque de son introduction en Europe; opinion que nous partageons nous-même. Ils se fondent, pour le prouver, sur le texte suivant d’Albertus Magnus (De animalibus, lib. XXIE, p. 608) : «Est autem magnum quod nos Ratum vocamus, el estin arboribus habitans, fuscum nigris in facie maculis. » Mais l'animal que le célèbre allemand décrit ainsi sous le nom de Ratus n’est évidemment point le Rat; l'habitation dans les arbres, les taches noires de la face ne lui conviennent aucunement, et ne peuvent s'appliquer qu'au Lérot, Myoœus quercinus. Si excellente qu’elle puisse être d’ailleurs, cette Opinion ne repose donc sur rien, ou ne repose que sur une vague tradition. Essayons de lui donner un fondement plus solide. Nous pouvons induire du texte ci-dessus que le Rat, vers le (4) Fréd, Cuvicr, Histoire naturelle des Mamimiferes: 208 A. DE L’ISLE, milieu du x siècle, n’était pas connu dans le nord de l'Alle- magne, du moins aux environs de Cologne, où Albertus composa ce traité. Mais il existait déjà en d’autres contrées de l'Europe. Saint-Vincent de Beauvais en parle en plusieurs endroits de sa vaste encyclopédie du Speculum majus, qu’il composa dansla pre- mière moitié du xr° siècle. Et bien que ces passages divers soient peu décisifs (1), le soin constant que prend l’auteur de rappro- cher les mots Rattus et Sorex, le Rat et la Souris, au titre et dans le texte, nous incline à penser que son espèce terrestre (2) n’est pas le Lérot, mais bien le véritable Rat. Il en est encore fait mention dans un ouvrage plus ancien, des premières années du x‘ siècle, dont l’auteur est demeuré inconnu : le Liber de naturis rerum. Mais laissons là ces vieux traités et les faibles indices qu'ils nous offrent. Les poésies des trouvères nous fournissent des preuves nom- breuses et décisives de l'ancienneté du Rat en nos contrées. Dans les célèbres poêmes du Renart : dans Renart le Contrefait, au commencement du xiv°siècle ; dans Renart le nouvel, de la fin du xun°; mais surtout dans le plus ancien de tous, le célèbre Roman du Renart, du commencement du xm° siècle, le Rat entre fré- quemment en scène. Dans cette fine satire des mœurs de nos pères, chaque animal a, comme on le sait, son nom propre qui le peint souvent d’un trait : comme Espinarz, le Hérisson ; Couart, le Lièvre ; Chante- cler, le Coq. Celui du Rat n’est pas moins significatif : il s'appelle dom Pelez, et la Souris dame Chenue. «.….. Pelés liras En vint à Court criant hélas, Il et Kenue li soris De lor fil Ke lor ot ocis..….… » (Renart le nouvel, vers 3070.) (4) Spec. naturale, 1.T, p. 4458 ; 4b., p. 14610 ; et Spec. doctrinale, t. W, p. 4441. (2) Car il est aussi question d’une espèce de Rat aquatique, l'A. amphibius évidem- ment, que Ray, il y a deux siècles, appelait Raftus aqualicus, et qui, vulgairement, porte encore de nos jours le nom de Rat d'eüne DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 209 Et dans l'Ancien Renart, v. 9060 : «Et dame Gente la Marmote, Corte la taupe et Danz Pelez Li Raz qui bien fu apelez.» Le poëte ici fait évidemment allusion à la queue râpée et dénu- dée de ces animaux. C’est dans le même sens que ces différents trouvéres écrivent Raz où Ras, modifiant ainsi le radical primi- tif (Rat) emprunté, comme nous l'avons vu plus haut, à la langue d'oc et lui prêtant une étymologie qu’il n’a pas. Ce sont bien les mœurs du Rat domestique que nous dépeignent les divers auteurs des branches du Renart. C’est ainsi qu'ils font, comme cela doit être, un rapprochement constant du Rat ei de la Souris : « Pelés li ras se sist à destre, Il et Kenue la soris, Andoi se sunt ensaule assis.» (Renart le nouvel, vers 150.) Ils nous font un naïf tableau de ses mœurs parasites, et nousle montrent hantant et pillant les maisons de concert avec la Souris. Dans l’ancien roman, v. 14427, Renart dit au Rat, sa victime : «Et vos, sir Pelez li Raz, Je vos fis jà chaoir ès laz Qant vos alastes mengier l'orge, Bien vos estraintrent cele gorge.» Dans une autre branche du même (v. 13745), Renart, qui a faim à desmesure, se met en quête de gibier : « L'ostel à un Provoire sot En sa meson not nule entrée Fors un buiot (évier) qant est fremée, Et tant ï a soriz et raz Bien en puet en pestre cent chaz (4).» (1) Voyez également dans l’ancien roman du Renart transerit par Méon sur les manuscrits originaux du x siècle : v. 10520, 10983, 11300, 11641, 11795, 11860, 14076, 14170, ete, cte...; et le « blasme des fames », Jongl. et trouv. du wine siècle d'A. Jubinal. 9° série. ZooL. T. 1V. (Cahier n° 4.) 2 44 20 A, DE L'ISLE. Comme on peut le voir par ce dernier vers, rien n'est oublié dans cette peinture, pas même la haine intéressée du Chat. Celui- ci nous est souvent peint aux aguets : » li chaz Tybert chaoir ès laz » Quant il cuidait mengier les raz. » (Ancien Renart, vers 10795.) Ainsi, le Rat existait déjà en France dans les premières années du x‘ siècle. On ne trouve rien sur son compte à une époque plus reculée. I s'était donc introduit depuis peu en Europe. Ce qui tendrait à le faire croire c’est que, d'après Albertus, on ne le connaissait point encore en Allemagne au milieu du xrm° siècle, ni même à une époque plus reculée en Angleterre, si l’on s’en rapporte au fameux traité De propriela- libus rerum de Barth. Glanvil. Quand le Rat, vers la fin du xu° siècle, pénétra dans le centre et le nord de la France, il présentait en dessus la teinte blonde arénacée des sables du désert, sa première patrie. Trois siècles après, les naturalistes de la renaissance, plus précis et plus abondants que les savants du moyen âge, nous le dépeignent exactement revêtu de sa nouvelle livrée et tel que nous le connais- sons aujourd'hui. Gesner, dans la description qu'il en donne, dans son Traité des Quadrupèdes vivipares, composé dans la première moitié du xvr' siècle, décrit ainsi son mode de colora- tion : «Mus major domesticus quem vulgo Rattum vocant, » colore subniger, qui ventrem versus dilutior est.» Et la peinture qu'il en donné, daïs lés rares exemplaires coloriés de la première édition (t. 1, p. 829), est d’un noir de fumée très-mtense. Antérieurement à Gesner, Georgius Agricola, dans son livre De Animantibus sublerraneis, composé à Joachimsthal, nous le peint sous les mêmes couleurs: «us major mole corporis » mustelæ minimæ : pilis est subnigris : cauda procera, etc. » Ainsi, nous pouvons constater que la race nègre du Rat s'est formée dans un laps de trois siècles. Mais la vie de ces animaux est si courte, et leurs générations si pressées, qu'il est même dou- teux qu'un tel changement ait absorbé un temps aussi cousidé- DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHiZ LE RAT. 31 rable. Eneffet, un de ces rongeurs peut, dans une mêmé année, naître et voir naître les enfants de ses petits-enfants, naître et devenir père, grand-père et aïeul. 900 générations directes peuvent se succéder en trois siècles, alors qu'il ne peut y en avoir que 109 chez le Taureau, 171 chez le Chevreuil et 420 dans l'espèce du Loup. Parti de là zone juxtatropicale de l’ancien continent, le Rat en abordant en Europe dans la zone tempérée chaude, où région des oliviers, Turquie, Grèce, Italie méridionale, Espagné, n'eut pas à subir l'influence de changements très-marqués dans le cli- mat et conserva sa livrée première (qu'il y garde encore de nos jours); mais continuant sa migration, il pénétra dans la zone tempérée propre, France, Allemagne, Angleterre, ete. Là, sous la pression de conditions d'existence très-différentes de celles de son centre de création, il se mit à varier. En Europe, les espèces de Mus et d'Arvicola, dont l'habitat est ÿres-vaste, sont plus clairés, ont la laine de couleur plus vive, au sud qu'au nord, en été qu'en hiver, dans la plaine que sur les hauteurs des montagnes, et sont plus ternes et plus rembrunies dans les conditions opposées. Quel est l'agent de telles variations ? La lumière et la chaleur sans aucun doute. Elles seules, en effet, sont plus intenses, au sud qu'au nord, en été qu’en hiver, dans un pays découvert que dans les gorges des montagnes. Divers observateurs ont reconnu qu’elles exercent la plus grande influence sur les changements de couleur : « Ainsi Forbes assure que les mêmes espèces de Mollusques varient à la limite méridionale de leur station, ou lorsqu'elles s'étendent dans des eaux peu profondes, et prennent des couleurs plus brillantes que celles de la même espèce qui vivent plus au nord, ou à de plus grandes profondeurs. Ce sont aussi des Oiseaux de la même espèce qui, d'après M. Gould, varient selon la transpe- rence de l'atmosphère, et revêtent un plumage plus éclatant sous le ciel pur des régions chaudes et sèches que sous un ciel nébu- eux (1). » (1) Darwin, Origin of Species, e. V, ps 198. 212 A. DE L'ISLK, Ce sont nos nuits plus froides, plus brumeuses et plus sombres que celles de l'Italie et de l'Égypte, qui sont la cause prédispo- sante de la formation de la race nègre du Rat. Ce sont elles qui ont ébranlé le type premier de l'espèce, et qui l'ont ébranlé dans le sens de l’obseurcissement du pelage. Mais doit-on voir en elles l’unique cause de ce changement, et prétendre que le mé- lanisme du Rat n’est que l'exagération de ce qui a lieu chez ses congénères répandus sur un vaste habitat? Un effet se rapporte rarement à une cause unique, et la con- sidération que les espèces parasites du même genre sont plus portées à varier (1) que les espèces libres nous incline à faire la part d'action du parasitisme, et à croire que l'abondance et la variété des aliments qui en dépendent ont joué un rôle impor- tant dans cette transformation. Ce changement a-t-1l été utile au Rat noir? Cela est probable, puisqu'il nous offre le spectacle si rare d’une variété plus nom- breuse et plus répandue que la souche dont elle est issue. Mais comment, de quelle maniere? On se rend très-bien compte du genre de service que peut rendre à tant d’ani- maux du pôle, la blancheur de leur robe ou de leur plu- mage qui, en leur permettant de garder plus intacte leur cha- leur interne, les protége contre les rigueurs et l'intensité du froid ; à la Taupe son mélanisme normal, qui lui fait mieux res- sentir l’action des chaudes effluves de sa demeure souterraine. Cette même particularité ne peut avoir pour le Rat de sembla- bles avantages. Autrefois sa teinte arénacée, le confondant avec le sable des steppes, le protégeait contre certains dangers. Aujourd'hui, son nouveau masque ne le dérobe ni à l’œil de la Chouette, ni à celui du Carnassier domestique son ennemi héréditaire. Il nous sem- ble qu'il ne peut tirer de sa couleur aucune utilité directe. Mais rien n'empêche qu'elle ne soit le signe extérieur d’une disposi- tion imterne, l'expression d'un tempérament, et ne se trouve en corrélation avec quelque privilége physiologique qui lui per- (4) Voy. Système de coloration des deux races, 8 38, p. 185. DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 213 mette de braver le froid impunément ei de s’avancer plus au Nord. £t maintenant, qu'est devenue la race nègre (L) du Rat sous toutes les latitudes où l’a portée pendant trois siècles le com- merce européen? Nous savons qu'on observe cet animal para- site sous le froid climat des Feroë vers le nord, et des Falkland vers le sud, comme sous la zone torride ; en un mot, sur toute la terre habitée, à l'exception des régions élevées du nord. Ce que nous savons moins, ce sont les changements qu'une telle variété de climat à pu produire dans sa couleur. On sait, par les natura- listes américains, que dans le nord des États-Unis, où le Rat se trouve maintenant plus abondamment qu’en Europe, la race nègre s’est maintenue. Mais on ne nous a pas dit encore ce qu'elle est devenue sous l'équateur; ni si, sous un ciel chaud et see, comme celui de sa première patrie, retournée à la vie sauvage, elle a dépouillé sa robe d'emprunt pour reprendre sa premiére livrée. C'est aux naturalistes voyageurs de nous apprendre ce que cet animal, omnivore, parasite et cosmopolite, et par conséquent soumis à des adaptations si diverses, est devenu dans ses plus an- ciennes stations, et si, après avoir donné naissance à une race nègre, il a produit de nouvelles races. APPENDICE. ART. ‘4. Les divers Mus qui habitent l'Europe, si l’on en excepte celui dont nous attaquons la validité, présentent entre eux au point de vue de la forme de remarquable différences. Passons ce s quelques types en revüe, ne mettant en parallèle que des espèces appartenant au même groupe et à la même section. — Le Rat nain, Mus minutus, est, comme l'indique son nom, d'une très-petite taille. C’est la plus petite espèce d'Europe. L (4) D’après les règles de synonymie adoptées, il nous semble que le Rat noir doi prendre le nom de Mus alexandrinus var. Rattus, et le Rat d'Alexandrie conserver le . sien propre, en sa qualité de {ype de l'espèce. 214 A. DE L'ISLE. Mus agrarius est d'un volume presque triple. Pallas à trouvé qu'il pesait de trois à quatre gros, alors que le poids du Rat nain excédait rarement un gros et denu. La tête et principalement le museau du Rat nain sont plus velus et plus hérissés que chez l'autre espèce, les moustaches plus faibles, les oreilles plus petites et à demi cachées dans le poil. Le crâne est moins allongé, moins renflé dans la région des veux. Les bords latéraux de l'interpariétal sont arrondis et divergent d'arrière en avant, tandis qu'ils s'écartent l'un de l'autre d'avant en arrière chez le AL. agrarius. Le Rat nain a la queue de la longueur du corps, composée d'environ 130 anneaux écailleux, et de 30 à 31 vertèbres cocey - giennes. Le M. agrarius à la queue à peine plus longue que la moitié du corps, avec un nombre moindre de vertèbres, et seu- lement environ 110 anneaux écailleux. — Le Mulot est d'un cinquième plus grand que la Souris. Sa iète, proportionnellement beaucoup plus grosse, est renflée dans la région oculaire, et son profil supérieur à partir des os nasaux est très-convexe. Chez la Souris, la tête s'aiguise gra- duellement à partir de l'oreille et le profil du crâne est presque droit. La différence dans le rapport des yeux est considérable ; très- grauds et très-proéminents chez le Mulot, ils sont au moins trois fois plus gros que ceux de la Souris. Mis en regard, ces derniers paraissent petits et peu ressorts. Les oreilles du Mulot sont éga- lement d'un tiers plus grandes. Le huitième pli du palais, ou cinquième pli intermolaire, part de chaque côté, de la seconde molaire chez la Souris, de la troi- sième chez le Mulot ; le nombre des plis étant le même dans l’une et l’autre espèce, il en résulte que de la seconde molaire il ne part chez ce dernier qu'un seul pli au lieu de deux, et que le pli postérieur est rejeté plus en arrière. Le Mulot est remarquable entre tous ses congénères par l'é- tendue du membre postérieur. Séparé du tronc et mesuré de la tête du fémur à l'extrémité du médium, il est d’un quart, plus court chez la Souris; ou, si Fan veut, des deux membres appli- DE L'EXISTENCE D’UNE RAGE NÈGRE CHEZ LE RAT. 25 qués l’un sur l’autre, celui du Mulot dépasse l'autre de toute la longueur du fémur, ce qui nous explique la différence marquée qui existe entre ces deux types dans la locomotion. Le Mulot a six mamelles : deux paires ventrales et une paire pectorale. La Souris en a dix, dont deux paires ventrales comme l’autre espèce, et trois paires pectorales. Les cals plantaires du Mulot anguleux en avant, larges en arrière, sont grands à l'exception du cinquième plus de deux fois moindre. Ceux de la Souris sont petits, arrondis, le cin- quième égal aux autres. La queue du Mulot mince, déliée, anguleuse, diminue insen- siblement de la racine à la pointe. Ses anneaux écailleux, moitié plus larges que chez la Souris, sont au nombre seulement d’en- viron 150. La queue de la Souris à peu près d’égale longueur, est moitié plus grosse et a les angles plus arrondis; épaisse, égale dans près de la moitié de sa longueur, elle diminue rapi- dement ensuite et est très-pointue à l’extrémité. Ses anneaux, beaucoup plus nombreux, parce qu’ils sont plus étroits et plus serrés, sont au nombre d'environ 180. La Souris à les glandes de Tyson très-grandes et si larges que l’une recouvre l’autre en partie. L'on ne trouve pas toujours ces organes chez le Mulot ; lorsqu'ils existent, ils sont rudimen- taires (quatre fois moindres que chez l’autre espèce), et écartés l'un de l’autre de toute la largeur de la verge. Treize dorsales, treize paires de côtes et six sternèbres, six lom- baires et quatre sacrées, composent, chez toutes nos espèces, le nombre normal des pièces du trone. Pour la Souris, comme pour les autres Rats, ce nombre est fixe et invariable. Il n’en est pas de même chez le Mulot, où le nombre de ces pièces varie d'un imdividu à l’autre d’une façon très-remarquable. On ren- contre fréquemment des Mulots qui présentent quatorze paires de côtes et quatorze vertébres dorsales au lieu de treize, et par corrélation sept sternèbres au lieu de six. De même le nombre des lombaires varie de cinq à sept, et celui des sacrées, normale- ment de quatre, peut être réduit à trois. Dans mes nombreuses dissections, la Souris et les autres 9316 A. DE L'ISLE, espèces ne m'ont pas offert un seul exemple de variations ana- logues (1). L'allongement et la gracilité caractérisent les os longs du Mulot, la force et la brièveté, ceux de la Souris; de même, les os plats de cette dernière ont, en général, moins de surface et sont plus épais. Le crâne très-mince, très-large et très-bombé chez le Mulot, est chez la Souris soutenu d'os plus résistants ; en même temps qu'il est petit, déprimé en dessus, et qu'il présente des vestiges de crêtes latérales. Une arcade zygomatique plus étendue d’avant en arrière, plus surbaissée et plus écartée du fond de l'orbite; et, par-dessus tout, extrêmement grêle et fragile, est caractéristique du Mulot. Tandis que la Souris, sensiblement plus petite, a la même partie, qui est moins étendue dans tous les sens, remarquablement robuste et puissante (au moins trois fois plus épaisse). Les os des membres et principalement des postérieurs, minces et longs chez le Mulot, sont courts et robustes chez la Souris. Les trous Imcisifs du Mulot se terminent en avant de la double rangée de molaires; ceux de la Souris s’avancent notablement entre les deux rangs. Les os nasaux sont en dehors plus proéminents chez le Mulot, et s’'avancent d’une facon sensible au delà des incisives; en arrière, ils s'arrêtent en decà des apophyses lacrymales, tandis que, chez la Souris, ils dépassent de beaucoup ces mêmes apophyses. Chez la même le bord antérieur du pariétal est très-concave et s’allonge, en avant et en côté, en une longue pointe aiguë. I est droit ou presque droit chez le Mulot, et terminé latéralement par un angle court et émoussé. L'interpariétal du même présente à peu près la forme d’un losange; ses bords antérieurs et postérieurs écartés dans leur milieu, convergent rapidement l’un vers l’autre, et forment de chaque côté un angle très-aigu. Chez la Souris, le bord anté- (1) D’après vingt-trois squelettes entiers et plus de dix préparations de la colonne vertébrale, DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 27 rieur et le bord postérieur du même os, si l'on ne tient compte de la pointe médiane du premier, sont parallèles et coupés pres- que carrément par des bords latéraux. — D'un tiers plus grand que le Rat, le Surmulot atteint sou- vent une taille double et triple. Il n’a pas la tête, comme celui- ci, large et bombée, mais étroite et déprimée, à boîte crânienne plus allongée et à museau plus court. Ses yeux sont plus petits et moins proénninents; ses oreilles, plus épaisses et plus velues, sont beaucoup plus courtes, à peine du tiers de la longueur de la tête ; ramenées en avant elles n’atteignent pas les veux. Celles du Rat, minces et presque nues, sont au moins de la moitié de la longueur de la tête, ramenées en avant elles couvrent en entier les yeux. Les vibrisses sont aussi notablement moins longues chez le Surmulot; malgré sa brièveté, elles ne dépassent pas l'oreille ; elles la dépassent d’un demi-pouce chez le Rat. Le huitième pli du palais, ou cmquième pli intermolaire, tou- che le bord postérieur de la dernière molaire chez le Rat; il en est largement écarté chez le Surmulot et est renflé à ses extré- mités. Les cals plantaires du pied postérieur sont sensiblement plus faibles chez le Surmulot, et présentent une disposition un peu différente. Le Rat a les doigts entièrement divisés. Ils sont demi-palmés chez le Surmulot. Une membrane mince et blanche les réunit jusqu'à la naissance des secondes phalanges, et en borde quel- ques-uns jusqu'à celle des troisièmes. Le Surmulot a douze mamelles en six paires; dont trois paires pectorales et trois paires ventrales (une paire ventrale de plus que la Souris). Chez le Surmulot, comme chez les autres espèces, le nombre des mamelles est invariable et fixe. Il varie d’une femelle à l’autre chez le Rat. Celui-ci présente toujours six mamelles ventrales, en trois paires, comme le Sur- mulot, et la variation porte presque constamment sur les ma- melles pectorales. Le nombre normal de ces mamelles, celui que l’on rencontre le plus fréquemment, est de quatre en deux paires; souvent aussi il existe, à droite ou à gauche, une ma- melle supplémentaire, ce qui porte leur nombre à cinq; enfin, 218 A. DE L'ISLE. mais plus rarement, la paire est complète, il y a six mamelles pectorales en trois paires, comme chez le Surmulot. Le parasitisme du Rat explique très-bien ce fait curieux, que Daubenton avait déjà signalé et que j'ai vérifié sur un nombre considérable de femelles (1). Les naturalistes du xvi° siècle avaient été trop loin en désignant le Rat et la Souris sous les noms de Mus domesticus major, Mus domesticus minor ; mais s'il ne faut pas exagérer les rapports de la domesticité et du parasi- tisme, il ne faut pas davantage fermer les yeux sur les points de contact bien évidents qui existent entre eux. A l’état libre, les Mammifères ne développent point de ma- melles surnuméraires ; c’est, au contraire, un phénomène fré- quent en domesticité, où l'influence d’une bonne nourriture augmente la fécondité qui réagit à son tour sur le nombre de ces organes. Soustrait aux coups des intempéries et des disettes semi-périodiques qui déciment ceux de ses congénères qui n'ont pas recherché la cohabitation avec l'homme, à portée d'une nour- riture variée, abondante, permanente, qu'il n'a plus la peine d'aller recueillir au loin, le Rat a vu croître sa fécondité et avec elle le nombre de ses mamelles. Comment cela s'est-il fait? Par la duplication de la dernière paire pectorale. La mamelle ou les deux mamelles supplémen- taires sont les analogues des secondes pectorales du Surmulot ; mais au lieu d’être, comme chez la Surmulotte, placées à égale distance des premières et des troisièmes pectorales dans des aréoles propres, elles sont séparées des premières par un inter- valle considérable et naissent dans les mêmes aréoles que les troi- sièmes, et si près de celles-ci qu'elles semblent se confondre avec elles. La queue du Surmulot est plus courte que le reste du corps et compte de 200 à 210 anneaux écailleux. Celle du Rat, plus lon- gue que le corps et la tête, excède d’un tiers celle du Surmulot, et a de 250 à 260 anneaux écailleux. Le nombre des vertèbres caudales varie de 29 à 34 chez le Surmulot. Le Rat en a 37 et quelquefois 38, c'est-à-dire (le (1) Sur près de cinquante femelles. DE L'EXISTENCE D’UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 219 nombre des sacrées comme celui des autres vertèbres du tronc étant le même dans les deux espèces), 6 à 9 de plus que le Surmulot. | Le squelette du Surmulot est plus fortement charpenté que celui du Rat. La plupart de ses pièces offrent aux museles de plus larges points d'attache, L'apophyse supérieure de l’axis dégagée en arrière et médiocrement développée chez le Rat, forme chez le Surmulot une énorme lame osseuse plus que triple, qui surplombe et recouvre presque en entier la vertèbre suivante. Les apophyses transverses des vertèbres lombaires, proportion- nellement aussi longues chez le Rat, sont beaucoup plus étroites. La première pièce du sternum est sans crête chez le Rat, et dans ses deux derniers tiers de largeur et d'épaisseur égales: tandis que chez le Surmulot elle s’amincit en dessous en une crête très-élevée, au point d'être dans la même partie plus de deux fois plus haute que large. Les os qui entrent dans la structure des membres et du bassin sont aussi allongés que leurs analogues chez le Rat, mais plus gros, ayec des arêtes plus saillantes, et des apophyses muscu- laires mieux prononcées. L'iliaque et le péroné portent, à la face interne, des crêtes spéciales qui n'existent point chez le Rat. Le tibia, triangulaire dans les deux espèces, est creusé en large gouttière sur deux de ses faces chez le Surmulot, et a ses trois angles aiguisés en hautes arêtes tranchantes. Il est simplement aplati sur les mêmes faces chez le Rat, et a ses angles arrondis. Les pariétaux du Rat, très-larges et trés-hbombés entre leurs crêtes latérales, vu de profil, forment au-dessus d’elle une bosse proéminente. Ceux du Surmulot, plats, étroits, ne font pas saillie au-dessus de leurs crêtes latérales, qui sont beaucoup plus rap- prochées l’une de l’autre que chez la précédente espèce. Chez le Rat le temporal et le pariétal s'avancent également en avant, et leurs bords antérieurs sont sur une même ligne et se touchent à leur point de contact. Chez le Surmulot le temporal dépasse de beaucoup la suture frontale du pariétal, et forme en avant de celle-ci un angle sortant très-prononcé. Le sphénoïde antérieur chez le Rat, presque immédiatement 290 A. DE L’ISLE. en avant de sa partie articulaire, s’étrangle et devient filiforme dans la moitié de sa longueur, au point d’être quatre à cinq fois plus mince que la portion libre du sphénoïde postérieur qui le suit et à laquelle il est soudé. Chez le Surmulot la seconde moitié du sphénoïde antérieur égale en largeur la portion libre du sphé- noïde postérieur qui lui correspond, et avec laquelle elle s'articule. C'est que cet os est, comme le postérieur, dans sa partie libre, pourvu de crètes latérales, tandis qu’il en est privé chez le Rat. AE AD ET: Je reproduis ici, sur le développement et la dentition des jeunes Rats, quelques observations que j'ai cru devoir, pour leur longueur, retrancher du récit de mes expériences. Le premier jour les petits sont entièrement nus, à l'exception des moustaches visibles à la loupe. Le dos et le ventre sont éga- lement rouge de chair (plus pâles et plus livides à l'instant de l'accouchement). La queue ne fait que le tiers du corps; les oreilles sont rudimentaires. À cinq jours ils ont doublé de volume. Ils n’ont encore, et seu- lement sur les faces supérieures, qu’un très-faible duvet nais- sant. Le dos a bleui des yeux à l’origine de la queue, et le dessus des pattes. Les vibrisses ramenées en arrière ne dépas- sent pas l'œil. La queue est presque de la moitié du corps; les oreilles de la longueur de la fente palpébrale. A dix jours un changement marqué s’est opéré, un pelage ras comme du velours, serré, abondant, d'où se détachent déjà très- visibles les longs poils, garnit tout le dessus du corps. Les faces supérieures sont d'un noir profond, presque aussi intense que celui de la Taupe ou du Sorexæ fodiens. Les faces inférieures, cendré noirâtre ou violacé, sont presque nues, et n'offrent encore qu'un rare duvet. La queue, garnie de petits poils rigides, est sensiblement plus courte que le corps sans la tête. Ses anneaux écailleux bien marqués dans ses deux premiers tiers, sont con- fus encore dans le dernier. Les vibrisses, couchées en arrière, n'atteignent pas l'oreille. Celle-ci, plus allongée qu'à cinq jours mais moins large encore que la main, est épaisse, aplatie, et rejetée en arrière. DE L'EXISTENCE D'UNE RACE NÈGRE CHEZ LE RAT. 221 k février 1863; les Ratons ont quinze jours. Leurs yeux, qui hier encore n'étaient pas ouverts, le sont aujourd'hui; mais le jour les fatiguent, ils elignotent et les tiennent demi-fermés. Hs sont en dessus, d’un noir profond et chatoyant, qui passe au gris foncé, sur les faces inférieures. Celles-e1, à peu près nues il y à cinq jours, sont maintenant bien garnies de poils. Ces jeunes animaux sont encore un peu lourds; mais s'ils ne courent pas, ils marchent déjà assez vite. 9 février 1863; les Ratons ont vingt jours. Ils ne courent que trop bien maintenant. Voulant les examiner à loisir, J'en avais mis deux sur le tapis de ma table; mais ils sont partis si preste- ment, qu'ils étaient de l’autre côté de la chambre, avant que j'eusse fait un mouvement pour les retenir, et ce n’est pas sans peine que j'ai pu les réintégrer dans leur cage. Les jeunes Rats, ce n'est pas la première fois que j'en fais la remarque, sont plus légers et plus vifs que les adultes. Ils sont bien dégrossis main- tenant, leur tête n’est plus épaisse et informe comme dans les premiers jours. Les oreilles, encore lourdes et massives il y à cinq Jours, se sont assez brusquement amincies et développées. Hier elles étaient toutes plissées et chiffonnées, comme l'aile encore humide d'un papillon au sortir de la chrysalide. Seul le développement de la queue, comme celui de la taille, est loin d'être complet. Après vingt jours les progrès de la croissance jusqu'à l'âge adulte sont plus lents et offrent peu d'intérêt. Voici quelle serait, d'après nos observations, l’évolution des dents chez les jeunes Rats. Les incisives, qui à dix Jours étaient encore cachées sous la gencive, à treize l'ont percée faiblement aux deux màchoires. Elles sont blanches et décolorées. A dix-huit jours toutes les molaires sont encore cachées sous la gencive; et cependant aux deux mâchoires, mais surtout à celle d'en bas, les deux premieres paires s’accusent déjà nette- ment sous leur enveloppe. La presque totalité des aliments se compose, comme on peut bien le croire, du lait de la mère ; on distingue cependant très- 929 A. DE L'ISLE, bien un faible amas coloré qui contraste avec la blancheur du lait éoagulé, et doit être un commencement d'aliments rongés par le petit. A vingt et un jours, aux deux mâchoires la première paire de molaires à percé la gencive. Quatre dents sont ainsi compléte- ment soïties. J'ouvré l'estomac : les trois quarts des aliments d’un bläné de crème sont évidemment du lait Coagulé, le der- nier quart vert et brun se compose d’autres aliments concassés. Ainsi, grâce à ses quatre molaires à nu, le petit à cet âge se nourrit dé deux manières, et du lait dé sa mère, et de ce qu'il trouve au dehors et peut déjà manger. Ses incisives ont jauni extérieurement. A vingt-quatre jours, les deux premières paires de molaires sott aux déüx mâchoires entièrement dégagées de la gencive. Huit molairés sont ainsi à nu et peuvent remplir leur office. Les trois quarts des aliments que rénferiie l'estomac se composent d’avoiné ét de patates, le reste de lait. On peut donc dire que les jeunes Rats sorit, aux trois quarts sevrés, à vingt-quatre jours. À vingt-sépt jours, les petits sont sevrés, l'estomac ne contient plus de lait. Nous avons succéssivément fait l’autopsie de jeunes Rats de 35, 35, 36 et 39 jours; c’est à 40 jours seulement, que la troisième paire de molaires a percé la gencive aux deux mâchoi- res, et que les douze molaires sont à nu. Sans vouloir comparer ces dents du fond de là bouche, si lentes à paräître, aux dents de sagesse, nous ferons remarquer qu'entre l’évolution des huit premières molaires, qui à lieu rapidément du vingt et uñ au vingt-quatrième jour, et celles-ci, à quarante, il s'écoule un laps de seize jours. À cinquante jours, la iétnbrane de l'hymen est intacte chez les femelles. Les mâles qui à quarante ont les testicules logés assez haut dans la cavité de l’abdoïnen, lés ont à cinquante à demi ressortis et tombés dans le scrotum. OBSERVATIONS SUR DES CRUSTACÉS RARES OÙ NOUVEAUX DES COTES DE FRANCE, Par M. HESSE. APPENDICE A NOTRÉ TROISIÈME ARTICLE (1). Les découvertes ultérieures que nous avons faites, depuis la publication de nos observations sur les Crustacés qui vivent dans les ascidies composées, nous ont permis de les compléter par les renseignements suivants : BOTRYLLOPHILE VERT, Nobis. Habitat. — Nous l'avons rencontré dans un Botrylle ressem- blant beaucoup au Constellatus, mais d’une couleur infiniment plus pâle et d’un jaune clair sur laquelle sé dessinent, én forme de rosace, dés palmes brunes, ayant, au Miliéu, une tache blanche ponctuée de noir et entourée d'une bande d’un rouille vif. Ce Botiylle est remarquable en ce qu’au lieu de se fixer, comme sa congénère, sur les frondes des Fucus vesiculosus et serratus, il s'étale à la manière des Lichens sur les rochers sur lesquels il forme une couche mince et vernissée qu'il est très-difficile de détacher ; il faut, pour y réussir, employer la lame d’un couteau et agir avec beaucoup de précaution, C’est entre les deux mem- branes, qui renferment ces ascidies, que l’on trouve ce petit Crustacé. Ses mouvements sont, comme dans les autres éspèces, excessivement lents et se réduisent à des contractions, ou à des extensions du corps, qui doivent naturellement favoriser sa pro= (4) Voyez le tome [, de 1864, 5° série, juin 1864, 224 HESSE. gression lorsqu'il trouve un point d'appui, mais qui restent sans effet lorsqu'il a été extrait de son étroite demeure. Les œufs, qui, comme dans l’autre espèce, sont renfermés dans une enveloppe commune, exactement sphérique, sont placés, ainsi que nous l'avons dit, au-dessus des deux appendices styliformes, destinés à les protéger, qui se trouvent sur le dos, à l'extrémité inférieure du thorax. Ils sont excessivement caducs et se détachent facilement de l'endroit où ils ne sont du reste fixés que par un étroit pédoncule ; aussi est-il rare de les trou- ver à leur place. Lorsqu'ils sont enlevés de l'endroit qu'ils occupent, on aper- coit immédiatement au-dessous de l’appendice dorsal styliforme, dont nous avons parlé, l'ouverture très-large de l'oviducte, laquelle est bordée d’un relief circulaire que entoure l’orifice. Dans cette espèce la couleur des œufs est d’un bleu noir ardoisé, foncé; on aperçoit, autour de la masse qu'ils forment, un limbe blanc et transparent qui provient de l’épaisseur de la capsule qui sert à les contenir; on remarque également, au- dessous de la base de l'abdomen, immédiatement après la der- nière paire de pattes thoraciques, une expansion membraneuse transparente, arrondie, relevée au bout dont l'extrémité est dirigée du côté de la tête et est divisée, transversalement, en deux parties à peu près égales. Cette expansion est probable- ment destinée à protéger les œufs en avant, comme ils le sont en arrière par les appendices styliformes dont nous avons parlé. BoTRYLLOPHILE PALE. — Botryllophilus pallidus, Nobis. Cette espèce est un peu plus grande que la précédente ; elle ressemble beaucoup, pour la forme et l'aspect général, à celles que nous avons déjà décrites. Vue de profil, sa téte, qui est petite et pointue, forme le som- met du corps qui va toujours en s’élargissant jusqu'à la base du thorax. L'abdomen est très-robuste et il est terminé par deux appen- dices armés de trois fortes griffes en crochet. ERUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 225 Les antennes et la première patte-mâchoire sont grèles, la première patte thoracique est plus petite que les autres, elle est à peu de chose près simple, arrondie, rétractile et armée d'une forte griffe ; on remarque seulement à la base de cette patte une petite expansion courte et arrondie, armée d’épnes diver- gentes, très-pointues et assez longues. La deuxième patte est à peu près conformée comme la première, quant à la partie externe, qui est cylindrique, et munie d’uneforte griffe, la por- tion interne est rémiforme et arrondie au bout; elle est armée de très-fortes pointes divergentes. Les autres pattes thoraciques sont plus fortes et doubles. L’extérieure est armée de piquants, qui sont au nombre de trois ou de quatre; et l’antérieure est plate, large et arrondie au bout qui est garni de huit forts piquants divergents, dont le deuxième est penné seulement du côté interne. L'appendice styliforme, qui se trouve à la base de l'abdomen, est plus large que dans les autres espèces ; il se rétréeit subite- ment, aux trois quarts de sa longueur, pour se terminer en une pointe forte et aiguë, qui est dépourvue de poils, à sa base, comme dans les autres espèces. Le mâle, le jeune et les œufs nous sont Imconnus. Coloration. — Le corps est d’un blanc mat, teinté de bleu ardoisé très-pàle, au milieu; le tube intestinal est brun ferrugi- neux ; l'œil est rouge. Habitat. — Trouvé dans un Botrylle, de couleur vermillon, étalé sur la fronde du Fucus serratus. APPENDICE A NOTRE CINQUIÈME ARTICLE. PLEUROCRYPTE DE LA GALATÉE SQUAMEUSE, Nobis. Depuis la publication de notre article, concernant le parasite qui vit sur la Galalée squameuse (1), nous sommes parvenu à (4) Voy. les Annales des sciences naturelles, t. XLIL, 5° série, avril 4865, p. 226. 5e série. Zooc. T. IV. (Cahier n° 4.) 8 15 296 HESSE. nous procurer un exemplaire de ce Crustacé en meilleur état que celui qui nous a servi pour notre premier travail ; nous avons donc eu la possibilité de vérifier de nouveau nos observations, de redresser quelques erreurs que nous avons commises ; enfin, d'ajouter des détails complémentaires à ceux que nous avons déjà donnés. Voici le résultat de ces nouvelles recherches : C'est à tort que nous avons placé la bouche de ce Crustacé du côté de la partie plate du thorax, que nous avons considérée comme étant sa surface ventrale, tandis que c’est le contraire. Dans cette espèce, comme dans les Cymothoadiens, auxquels nous l’avons comparée, avec raison, pour la disposition de ses lames incubatoires, la bouche est également tournée du côté du ventre, c’est-à-dire de l’enceinte ovifère, de sorte que toutes les raisons qui avaient pu nous faire croire à une exception sont annulées par le résultat du nouvel examen qu'il nous a été per- inis de faire. La tête, vue du côté du dos, offre la forme d’un écusson dont le bord supérieur est arrondi, et la partie inférieure est terminée par une pointe mousse ; en dessus de ee bord supérieur se trouve une membrane, mince, plissée, qui le contourne parallèlement et . laisse apercevoir, lorsqu'elle s’abaisse, l'extrémité supérieure des antennes de la première paire. Vue en dessous, c’est-à-dire du côté du ventre, la téte montre d’abord cette membrane plissée du bord supérieur, dont nous venons de parler; un peu plus bas et au milieu, on aperçoit l'appareil buccal entièrement couvert par les pattes-mâchoires qui sont larges, membraneuses, foliacées et operculiformes. La première paire de ces pattes-mâchoires, qui recouvre les autres, est triangulaire; la pointe supérieure est arrondie à son extrémité, et le bord intérieur l’est également, et il est placé de façon à pouvoir recouvrir, en partie, celui qui se trouve à côté de lui; tandis que le bord externe présente, au contraire, une large échancrure dans laquelle vient se loger la première paire de pattes thoraciques. On remarque, en outre, que ses pattes-mâchoires sont munies CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 297 d'un article basilaire, transversal, étroit et arrondi, semblable à celui qu'on voit dans les fausses pattes abdominales des Cymo- thoadiens, etqui sert, comme pour celles-ci, de charnière propre à favoriser leur mouvement. La deuxième paire de pattes-mâchoires, qui est recouverte par celle que nous venous de décrire, est, comme la précédente, extrêmement mince et foliacée; elle est falciforme, et divisée en deux parties, dont la supérieure est aiguë et bordée mtérieure- ment de poils ou de papilles ; et l'inférieure est large et arrondie à sa base. Ces deux pattes sont beaucoup plus longues et plus étroites que les premières, elles atteignent même le bord frontal et le dépassent de leur sommet lorsqu'elles se redressent. C'est sous ces deux parres de pattes-mâchoires que se trouve la téte qui présente d’abord, placées horizontalement, deux paires d'antennes, dont les premières, qui sont plus petites que les secondes, mais conformées de la même manière, sont cylindri- ques, ayant trois articles dont le basilaire est le plus grand et le plus gros. Un peu plus bas, et sur la ligne médiane, on aperçoit le système buccal qui à la forme d’un cône très-aigu, présentant deux mdchoires plates, caniculées, denticulées au bout, qui est noir et d'une substance plus dure que le reste. Ces mâchoires, qui ont la forme d'une pince courbe, dont là pointe est dirigée en avant, semblent pouvoir produire, en s'appliquant lune contre l’autre, une sorte de siphon, propre à l'aspiration dont on voit l'orifice ouvert à son extrémité. Nous ayons également aperçu, à la base de ce cône et latéralement, d’autres appendices auxillaires dont nous n'avons pas pu déterminer suffisamment la conformation, Enfin, nous avons constaté que les deux paires de paites-mâchoires membraneuses et opereculiformes étaient sans cesse agitées d’un mouvement régulier d’abaissement et de sou- lèvement qui a la plus grande analogie avec celui des fausses pattes abdominales des Cymothoadiens. Le bord inférieur de la première paire de pattes-mâchoires membraneuses que nous venons de décrire, est suivi d'un bour- relet transversal étroit, qui précède les premières squames for- mant l'enceinte incubaloire. 223 HESSE. Nous avons également constaté que les branchies, quoique disposées par paires, ont un pédoncule isolé et conséquemment ne sont pas conjugées. Elles forment latéralement deux rangées de six chacuues, dont celles de la surface supérieure sont plus petites, larges à la base, terminées en pointe aiguë et dirigées verticalement vers l'extrémité inférieure du corps, tandis que celles de la surface inférieure, qui sont plus grandes, forment presque le losange et se maintiennent dans une position hori- zontale. Le aouvel exemplaire, que nous avons trouvé de ce Crustacé, avait une forme bien plus allongée que celui qui à servi à notre première description ; l’abdomen, surtout, se distinguait du tho- rax par un rétrécissement très-apparent, et par sa forme presque cylindrique. Nous avons pu le conserver vivant plus d'un mois. saus lui donner de nourriture ; 1] faisait des efforts pour changer de place, et s’aidait de l'extrémité de son abdomen qu'il ployait ct redressait alternativement dans ce but, comme un ressort qui se détend. Le mâle restait constamment fixé sur l'abdomen de la femelle, se contentant seulement de se placer tantôt en dessus, tantôt en dessous, mais ne Ss’écartant que très-peu de cette partie du corps. Nous avons examiné de nouveau la bouche de celui-c1, et nous avons constaté qu’elle ressemblait à celle de la femelle, et qu'elle présente aussi ces deux mandibules caniculées dont nous avons parlé; qu'il existe latéralement une autre paire de pattes qui paraît terminée par une petite pince; enfin, que l’espace laissé entre les deux branches des mâchoires caniculées, est rempli par un labre inférieur en forme de fer de lance terminé par une pointe tres-aiguê. La première patle thoracique diffère des autres, en ce qu'elle est comprimée latéralement, au lieu d’être arrondie et globu- leuse comme les autres. La griffe qui la termine est aussi plus forte et moins crochue que les autres. Les œufs et les embryons ne nous ont fourni aucune nouvelle observation. Nons n'avons rien à ajouter à ce que nous venons de dire, si CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE, 229 ce n'est que nous confirmons tout ce que nous avons fait connai- tre précédemment en ce qui n’est pas contraire aux rectifications que nous avons signalées. Sixième article. Les observations, dont nous consignons ci-après le résultat, sont destinées à faire suite à celles que nous avons déjà publiées dans un précédent article (4), qui avait pour objet la description de nouveaux Crustacés, qui, comme ceux dont nous allons nous occuper, vivent dans l'intérieur des ascidies composées. Nous avions d’abord eu l'intention de compléter, avec les espe- ces assez nombreuses que nous avons découvertes dans les asci- dies simples, et qui ne figurent pas dans le savant mémoire de M. Thorell, celles publiées par ce naturaliste; mais nous avons pensé qu'il valait mieux terminer de suite, sauf à y revenir plus tard, la description que nous avons commencée des espèces que l’on rencontre dans les ascidies composées ; nous croyons, d'ail- leurs, qu’elles présenteront plus d'intérêt, attendu qu'il y a de grandes probabilités pour que, à raison de leur extrème petitesse et de la difficulté qu'il y a de les découvrir. elles aient échappé aux investigations des carcinologistes. $ 1. — Espèces dont l'extrémité du corps est terminée par des pointes aiguës. D) 1° GENRE. — ADRANESIUS (2). ADRANESIUS ROUGE. — Adranesius ruber, Nobis. Ce Crustacé qui a beaucoup d’analogie, quant à la forme générale du corps, avec notre Plantipode rouge, près duquel il devra ètre placé, en diffère cependant par plusieurs caractères que nous allons faire ressortir. (4) Voyez les Annales des sciences, 5e série, t. III, p. 220. (2) De 4d'oavnç, inerte, 236 RÉ 1 a environ 2 millimètres de longueur, sur un démi-milli- mètre de largeur; son corps est cylindrique, et, sauf les deux extrémités, qui sont un peu atténuées, il est d’une grosseur égale dans toute son étendue ; sa téte, vue en dessus, est triangulaire, le sommet qui forme le front est plat, arrondi et présente des deux côtés les antennes qui sont grosses, courtes, coniques, com- posées de trois articles terminés par des poils rigides; celles-ci, ainsi que le bord frontal sont reliées ensemble et obéissent aux mêmes mouvements de contraction et d'extension. L'œil est placé au milieu et en dessus de la tête sur une légère protubérance arrondie. Le thorax est divisé en quatre articles, de même dunension, profondément échancrés latéralement, pour faciliter, sans doute, les mouvements. Le dernier anneau thoracique présente, à sa partie moyenne et inférieure, une sorte d'expansion plate, mince, qui, en s'éloignant du corps, constitue un prolongement dorsal en forme d’auvent qui sert, en abritant les orifices des oviductes, à protéger les sacs ovifères. L'abdomen est à peu près de la longueur du thorax, onn'y aper- coil aucune division transversale annulaire ; son extrémité qui est arrondie est terminée par deux pointes aiguës d’une sub- stance transparente qui paraît très-dure. En dessous, la tête présente à la base et de chaque côté du bord frontal, d'abord les antennes dont nous avons parlé; et, en dessous, la première paire des pattes-mdchoires, laquelle est assez “forte, large, plate, composée de deux articles d’égale longueur . dont le dernier est términé par une griffe crochue. On aperçoit aussi, à la base de cette patte et en dedans, un appendice oblong, en forme de callosité (4). La deuxième patte-mâchoire est également composée de deux articles dont le dernier présente un prolongement long et cÿlin- drique, tronqué au bout, ét environné, à sa base, d’un petit pro- longement arrondi et de trois griffes aiguës (2). (4) Planche 6, fig. 1 P. (2) Planche 6, fig. 2 D. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 231 La troisième patte-mâchoire est formée de deux articles basi- laires, très-larges, dont lé deuxième surtout, lorsqu'il esten place, recouvre en partie orifice buccal et forme une sorte de labre inférieur : cette patte est, en outre, terminée par une petite tige arrondie, composée de deux articles dont le dernier porte quel- ques poils (4). La bouche est cylindrique et rétractile; son orifice est circu- laire et garni de petites mâchoires cornées, le labre supérieur est triangulaire ; on aperçoit aussi, des deux côtés, et près de la base, deux autres paires de très-petites pattes-mâchoires dont la forme ne nous est pas bien connue. Les pattes thoraciques, vues de profil, paraissent triangulaires ; elles sont simples, trés-fortes et musculeuses, composées de deux articles dont le dernier est terminé par une petite griffe crochue mais à pointe mousse. Ces pattes sont rétractiles et la peau qui environne l’article basilaire est assez distendue pour que, au besoin, le premier article puisse sy invagmer (2). Les tubes ovifères partent parallèlement, de chaque côté, du premier anneau thoracique pour descendre presque à l'extré— mité de l'abdomen et se relever ensuite pour attemdre l'orifice des oviductes, qui sont placés, comme nous l’avons dit, à la base et en dessus de l'abdomen, près du bord inférieur du dernier anneau thoracique, dont le bord extérieur en s'avançant les protége. Le tube digestif se rend verticalement et directement de l'ori-. fice buceal à celui de l'anus, qui est placé à l'extrémité du corps. Le mâle, le jeune et les œufs, nous sont inconnus. Coloration. —Le corps est rougeàtre, la tête est moins colorée que le reste du corps, elle est blanche ou rose, les tubes ovifères sont couleur pourpre et l'œil est vermillon. Habitat. — Elle habite dans l'intérieur du Polyclinium constel- latum, elle est irès-vivace, mais ses mouvements sont extrème- ment lents. Elle se meut sur elle-même, plus que les autres (4) Planche 6, fig. 3 D. (2) Planche 6, fig. 4 D. 232 BESSE. espèces, et c’est peut-être pour cette raison que l'on remarque que les bords inférieurs et latéraux de ses anneaux présentent de grands vides qui facilitent ces contractions ; le corps est aussi plus flasque que dans ses congénères, et nous l'avons vu recour- ber en arrière la partie antérieure du corps, de manière à la mettre en contact, du côté de la surface dorsale, avec l'extrémité inférieure. 2° GENRE. — MYCHOPHILE (1). MYCHOPHILE ROSE (2). — Mychophilus roseus, Nobis. Il a beaucoup de ressemblance avec le précédent, si ce n’est que ses extrémités sont plus petites que son corps et plus renflées au milieu, conséquemment qu'il est fusiforme, et qu'il nepré- sente aucune division apparente constituant des anneaux. Il à un millimètre environ de longueur, sur un demi-milli- mètre de largeur : sa téle est conformée comme celle de l'espèce précédente; elle est triangulaire, pourvue d'un bord frontal, mince et arrondi; les antennes sont également semblables à celles de l'espèce précitée ; l'œil est placé au milieu et en dessus de la tête. Le corps parait tuméfié; le thorax n'est pas séparé d’une manière apparente de l'abdomen, mais cette dernière partie est traversée horizontalement par de nombreux plis, qui, vus de profil, forment, du côté du ventre, des dentelures arrondies (3) qui sont renfermées dans une double enveloppe hyaline dont le corps est recouvert, et qui se fait surtout remarquer à la surface ventrale de l'abdomen, formant un limbe transparent semblable à celui qu'on aperçoit chez les Lernéopodiens. L'extrémité de l'abdomen ne présente pas ces vides, que l'on ne voit qu'un peu plus haut, et qui sont, sans doute, dus à la contractibilité du corps et à l'habitude que ces Crustacés ont, à raison du peu d'espace qu'ils ont pour se mouvoir, de se retourner sur eux- (1) De puyce, lieu secret ; gicç, ami. (2) Planche 1, fig. 4. (3) Planche 4, fig. 8. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 233 mêmes: elle est terminée, comme dans l’autre espèce, par deux pointes, transparentes et aiguës d’unesubstance cornée qui paraît très-solide ; elles sont portées sur un pédoncule assez mince et cylindrique qui a la faculté de se retirer dans le reste du Corps, où qui disparaît par suite de sa tuméfaction, lorsque ce Crustacé, étant extrait de son réduit, ne se trouve plus dans les mêmes conditions ; l'extrémité de l'abdomen devient alors conique, sans aucun rétrécissement, et ses deux pointes sont placées au bout (4). Vue en dessous, la téte (2) présente, au bord frontal, un écus- son en relief qui sert, des deux côtés, de base aux antennes ; une nervure part de l’extrémité inférieure de cet écusson, pour aller rejoindre verticalement le tube buccal qui présente à son orifice une lèvre supérieure triangulaire et de chaque côté des mandibules. Cet organe est en outre entouré latéralement de trois paires de paltes-mâchoires (3) dont la première est plate, assez forte et terminée par une griffe; la deuxième par une pointe mousse et un petit appendice arrondi; enfin, la troisième est forte et glo- buleuse : son dernier article, qui se relève du côté de la bouche, présente une pointe mousse et un petit appendice arrondi ; enfin, la troisième est forte et globuleuse : son dernier article, qui se relève du côté de la bouche, présente une pointe courte et arrondie. On aperçoit en dessous de ces dernières pattes, dans l’espace qu'elles laissent libre entre elles, un labre inférieur, lequel est échancré, au milieu, et, au-dessous de celui-ci, une sorte d’écus- son conique dirigé dans le sens opposé de celui qui est attaché au bord frontal, destiné à renforcer ce labre inférieur ; enfin. tout ce système est circonscrit par un bord en relief qui lui sert d'encadrement (4). (4) Planche 6, fig. (2) Planche 6, fig. (3) Planche 6, fig. (4) Planche 6, fig. a a © œ 231 HESSE. La premiere paire de pattes thoraciques (4) est placée immé- diatement à la base de la tête; elle est suivie de trois autres qui sont exactement semblables, et qui sont espacées à une égale distance l’une de l’autre, du côté de la surface inférieure de la région thoracique. Ces pattes, vues de profil, paraissent, comme dans l’autre espèce, triangulaires; elles sont simples, fortes, musculeuses, terminées par une griffe, courte, robuste, à pointe mousse, laquelle se trouve sur le bord d’une petite cavité; combinajson qui peut, peut-être, en leur permettant de se rapprocher, de devenir préhensile, ou qui, dans tous les cas, leur fournit un double pomt d'appui (2). Ces pattes, à raison de leur nature musculeuse, sont égale- ment extensibles et contractiles, elles peuvent, suivant la néces- sité, rentrer dans l’intérieur, ou sortir de leur base et se loger dans l'épaisseur du corps qui paraît doué d’une certame: com- pressibilité. Il est extrêmement difficile, à raison de la petitesse de ces Crustacés, de leur épaisseur relative et de la forme cylindrique de leur corps, de les maintenir dans une position stable sur le porte-objet du microscope; le moindre mouvement les fait rouler d’un côté ou de l’autre, et la cambrure de leur corps devient surtout un obstacle pour les fixer sur le dos ou sur le ventre; aussi est-ce à grand peine que l’on peut étudier leur :onformation. Lé tube digestif et les tubes ovifères sont disposés également de la même manière que dans l’auire espèce ; ces derniers vont éga- lement rejoindre l'ouverture des oviducies qui sont placés sur le dos à peu près à la hauteur de la dernière patte thora- cique, à la base de l'abdomen; ces orifices ne sont pas protégés, comme dans l'espèce précédente, par l’extenseur du bord infé- rieur du dernier anneau thoracique ; elles sont très-courtes et se (4) Planche 6, fig. 4. (2) Planche 6, fig. 7. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 235 bornent à un bourrelet saillant et labriforme, qui, vu de profil, ne présente qu'une petite échancrure (4). Le mâle, le jeune, les œufs, nous sont inconnus. Coloration. — Le corps est d’un rose vineux, clair, la tête est presque blanche, l'œil et les tubes ovifères sont pourpres. Habitat. — Nous avons trouvé plusieurs individus de ce Crus- tacé dans une espèce d’Ascidie composée qui se fixe, par couche de 6 à 7 millimètres détendue sur L millimètre d'épaisseur, sur la fronde de la Zostère marine (Zostera marina) qui était flétrie et qui, au lieu d’avoir la belle couleur verte qui la caractérise, lorsqu'elle est vivante, était d’un rouge brun (2). Celle de l’asci- die est d’un brun rouge vermillon très-vif, avec des points jaunes très-petits à ses orifices. Ces Crustacés sont très-vivaces, mais, comme nous l'avons dit, extrèmement lents dans leurs mouvements ; ils se tiennent d’ha- bitude très-cambrés en arrière, sans doute pour évoluer plus facilement en se reployant sur eux-mêmes. On remarque, en outre, que les fortes griffes, dont sont armées les premières pattes et les pointes aiguës qui terminent l'abdomen, sont de puissants auxiliaires de propulsion. MYCHOPHILE PACHYGASTRE. — Mychophilus pachygaster, Nobis. Cette espèce est si voisine de celle que nous venons de décrire, que nous n'avons constaté aucune différence dans la disposition etla conformation de ses organes, elle est seulenient beaucoup plus petite, n'ayant qu'un millimètre, environ, de longueur; la partie antérieure de son corps est courte et étroite, tandis que la région abdominale est, au contraire, très-développée et se termine brusquement en pointe ; aussi ces différences ne nous eussent pas paru assez importantes pour la faire distinguer de l’autre espèce, si son habitat n’eût pas été différent. Nous savons bien que, quelquefois, les mêmes parasites vivent sur différents animaux et sur diverses plantes, mais ces exceptions se présentent (4) Planche 6, fig. 2, 3 et 4. (2) Planche 6, fig. 4, 2356 HESSE. très-rarement, et, généralement, chaque être organisé a son parasite. Ces considérations nous ont engagé à en faire une espèce. Le mâle, les jeunes et les œufs nous sont inconnus. La coloration est la même que celle de l’autre Crustacé. Habilat. — Trouvé dans une Ascidie composée, fixée sur une tige morte de Zostère, sur laquelle elle formait un enduit mince et gélatineux de couleur grise. Extraites de leur commune enve- loppe, le manteau de ces ascidies était de couleur grisâtre, tacheté de petits points blancs. 3° GENRE. — NARCODE (1). NARCODE MACROSTOME (2). — Narcodes macrostoma, Nobis. Ce Crustacé à près de 3 millimètres de long sur un demi de large ; son corps qui est cylindrique estun peu plus gros du côté de la tête, à partir de laquelle il va en diminuant jusqu'à son extré- mité qui est terminée par deux appendices longs et pointus. Sa téle, qui est relativement assez petite (3), présente, près du bord frontal, des antennes cylindriques, très-courtes, tronquées au bout. Près d'elles se trouve la première patte-màchoire, laquelle est longue, composée de trois articles à peu près de même grandeur, terminés par deux petites griffes aiguës ; au- dessous de celle-ci se trouve la deuxième patte-mâchoire, qui est courte et large, armée également d'une griffe plus robuste; enfin, la troisième paire de pattes se compose de trois articles cylindriques et globuleux, très-forts, qui remontent vers l’orifice buccal et se terminent par une petite griffe fixée à l'extrémité du dernier article qui paraît revêtu d’une matière cornée brune et très-dure (4). (1) De vagzxo ns, engourdi. (2) Planche 6, fig. 4 A. (3) Planche 6, fig. 4 A. (4) Planche 6. fig. 3 A. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 237 La bouche est cylindrique et l’orifice est également entouré de cette matière cornée. En dessous de la tête, et entre elle et la première paire de pattes thoraciques, se trouve un appendice plat dont l'extrémité est arrondie et relevée au bout, dont nous ignorons l'usage (1). Les pattes thoraciques (2) sont simples et composées de quatre articles dont le basilaire est large et plat et fortement attaché au corps. Les autres sont cylindriques, à peu près de même gran- deur, et le dernier est inerme et se termine par une pointe mousse. Les anneaux du thorax sont parfaitement distincts, et ceux de l'abdomen, composés de trois ou quatre divisions, le sont égale- ment. Nous n'avons pas apercu l'ouverture des tubes ovifères, ni rien qui pût nous fixer sur le sexe de ce Crustacé. Coloration. — Son corps est d’un jaune vif, l'œil est rouge. Habitat. — ‘Trouvé dans une Ascidie composée qui était fixée sur une des valves d’un Pecten maæimus, où elle formait une couche mince et luisante, d’un jaune terne, ponctuée de petites taches noires. $ 2. — Espèces dont l'extrémité du corps est terminée par un prolongement plat, épaté, à pointes réunies mais divergentes. h° GENRE. — CRYPTOPODE (3). CRYPTOPODE JAUNE (4). — Cryptopodus flavus, Nobis. Ce Crustacé a, à peu près, 2? millimètres de longueur sur un demi-millimètre de largeur. Son corps est hémisphérique, plus étroit au sommet qu'à la base, et divisé, savoir : le horaæ en quatre anneaux et l'abdomen également en quatre. Le quatrième anneau du thorax est, à peu près, du double plus long que le premier ; il est aussi plus large et est terminé par deux prolon- (1) Planche 6, fig. 4 A. (2) Planche 6, fig. 4 A. (3) De xpünro, je cache; moûs, mods, pied. (a) 4) Planche 6, fig. 2 A. 236 MESSE. gements latéraux, minces, transparents et divergents, arrondis au bout, et destinés à protéger l’orifice des conduits ovifères, ainsi que les sacsqui contiennent les œufs. L'abdomen va en diminuant, de la base à son extrémité infé- rieure, qui est bifurquée et terminée par des pointes arrondies, divergentes et lisérées, dépourvues de poils ou de pointes (4). La téle est de la même grosseur que le corps, elle est petite, très-contractile et très-mobile, ayant le bord frontal légèrement échancré au milieu, donnant attache à des lames plates, en forme d'accolade, qui servent de base et recouvrent les antennes, les- quelles sont courtes, cylindriques, composées de trois ou quatre articles de longueur inégale et dépourvues de poils ou, de piquants. Un œil médian est placé sur la tête, près du bord frontal. Vue en dessous (2), on aperçoit d’abord les antennes, dont nous venons de parler, qui sortent d'une petite cavité latérale formée, à leur base, par les lames qui accompagnent le bord frontal: La première paire de paites-mâchoires (3) est longue et grièle, lormée de trois articles, dont le dernier est terminé par une ou plusieurs griffes qui sont rétractiles et peuvent se loger dans une petite cavité. La deuxième paire de pattes-mächoires est large à sa base, elle est comprimée latéralement et est terminée par une griffe assez forte ; la troisième patte a la même conformation. En dessous des appendices frontaux et au milieu de la tête, se montre le tube buccal, qui a une forme ovale et est terminé, à son extrémité inférieure, par un orifice rond, rétractile, en forme de suçoir, et pourvu, latéralement, de petites mächoires. Les pattes thoraciques ont la même conformation ; elles sont doubles, composées, pour la partie externe, d’un appendice cylindrique, terminé par une forte griffe, et pour celle qui est interne, d’une tige plus longue, plus étroite, également pourvue d'une griffe terminale; ces deux pattes peuvent, en outre, se (4) Planche 7, fig. 2 E, 2 G, 2 H, (2) Planche 7, fig. 2:B'et 2 C. (3) Planche 7, fig. 2 D: CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 239 contracter et rentrer dans une petite cavité qui se trouve à leur base. Entre les lames latérales, qui sont de chaque côté de l'abdo- men et cette partie du corps, sont les ouvertures des oviductes (4). Les œufs, qui sont assez gros, sont renfermés dans un sac cylin- drique, ovale, fixé à ces ouvertures par leur base ; la longueur de ces poches ovifères égale presque quelquefois celle du corps. Le mâle et l'embryon ne nous sont pas connus. Le jeune a la tête très-grosse, son corps est cylindrique et va en diminuant vers l'extrémité inférieure ; il se rapproche beaucoup, pour la orme, de l'adulte; la première paire de pattes-mâchoires est longue et cylindrique , les autres sont conformées comme chez celui-ci. Les pattes thoraciques sont doubles et formées de deux tiges arrondies dont les extrémités ne présentent mi griffes, ni poils. L’œil est gros et diffus. Coloration. — Le corps de l'adulte est d’un beau jaune d'or, l’œil et une raie médiane (l'intestin) sont d’un rouge vif, les œufs d’un jaune pâle. Le jeune a le corps tout blanc. Le tube intestinal est jaune, tacheté de points rouges, l'œil est aussi de cette couleur. : Habitat. — Nous l'avons trouvé dans une Ascidie composée, d'un blanc jaunâtre, tacheté de petits points orangés, formant une couche mince et gélatineuse étendue sur des Fueus et des coquilles (2). Ce Crustacé est extrêmement imdolent, ses mouvements sont très-lents et se bornent à contourner latéralement son corps, sans changer presque de position nous avons remarqué aussi qu'il se servait de l'extrémité inférieure de l'abdomen en le fléchissant et l'étendant pour se pousser en avant (3). CRYPTOPODE VERT (4), — Cryplopodus viridis, Nobis. Ce Crustacé estsi voisin du précédent que nous ne croyons pas (4) Planche 7, fig. 2 G. (2) Planche 7, fig. 21. (3) Planche 7, fig. 2H. (4) Planche 7, fig. 3 A. 240 UHESSE. devoir en faire un genre différent. Il a un peu plus de 4 milli- mètre de long ; son corps est cylindrique et à peu près d’une grosseur uniforme dans toute son étendue, bien qu’il aille cepen- dant un peu en s’élargissant vers l'extrémité inférieure du tho- l'ax. Sa tête est petite, plus étroite du haut que du bas ; le bord frontal est carré, 1l donne attache, de chaque côté, à deux expan- sions minces, arrondies au bout, et creuséesau milieu, en forme d'accolade, qui servent de base, et au besoin de retraite, à deux antennes courtes et cylindriques composées de trois articles. Il a un œil en dessus et au milieu de la tête ; 1l paraît eylin- drique et creux au centre. Les anneaux thoraciques sont peu indiqués, si ce n'est par certains rétrécissements latéraux du corps; ils sont tous, à l'exception du dernier qui est deux fois plus grand que le pre- mier, d’une longueur égale ; celui-ci peut en outre, à raison de la largeur de son bord inférieur, en s'écartant du corps, former une sorte de capsule qui sert à protéger les œufs en se combi- nant avec les expansions de l'abdomen. L'abdomen (1) est conforme, large à sa base, et terminé, à sa partie inférieure, par une pointe arrondie portant deux expan- sions plates, bifurquées, sans poils, ni épines. On voit également, à la base de cette partie du corps, deux larges expansions mem- braneuses plates, transparentes, s’avançant horizontalement , qui sont destinées à protéger les orifices de l’oviducte et les sacs oviferes. Vu en dessous, la téte (2) présente latéralement les antennes dont nous avons parlé, logées sous les lames frontales, et un peu en dessous les premières paires de paltes-mâchoires qui sont longues, cylindriques, terminées à leur extrémité par une sorte de petite cavité bordée d’un limbe corné dont la forme peut se modifier, et dans laquelle peut se retirer la griffe qui la termine, et, en appuyant sur ce bord, saisir les objets (3). (4) Planche 7, fig. 3 E. (2) Planche 7, fig. 3Bet 3 C. (3) Planche 7, fig. 3 Get3 F. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 24 La deuxième paire de pattes-mächoires est très-forte ; elle a une base large et carrée, contractile, laquelle est suivie d’un article cylindrique contourné en crochet, et terminé par une forte griffe qui peut, en se contractant, se loger dans un petit godet, formé par l'élargissement de la peau, et placé à la base de cette griffe. La troisième pare de pattes-mâchoires est conformée de la même manière. Les palles thoraciques (1) sont simples; elles sont fixées à chaque anneau de cette partie du corps, et se ressemblent toutes; elles se composent d’un premier article cylindrique assez fort, suivi d'un autre plus long et moins gros, lequel est terminé par une griffe crochue. Ces pattes présentent à la base une petite cavité ovale, environnée d’un bord saillant qui en consolide l’ensemble, et dans laquelle elles peuvent, en se contractant, se loger (2). Le tube intestinal est gros, et se rend directement de l’orifice buccal à l'anal ; les œufs, avant la ponte, sont placés parallèle- ment de chaque côté. Le mâle, l'embryon et le jeune de ce Crustacé nous sont in- connus. Coloration. — Son corps est d’un vert pâle, l'œil est rouge, les tubes ovifères sont noirs et l’intestinal jaune. Les appendices frontaux thoraciques et abdominaux sont blancs et transpa- rents. Habitat. — Nous avons trouvé ce Crustacé dans une Ascidie composée (3), bursiforme, plate, gélatineuse, d’une couleur verte, présentant, à la loupe, des points jaunes et noirs qui, vus au microscope, sont formés par les Ascidies renfermées dans l’en- veloppe commune. Ses mouvements sont très-lents, et comme il a le corps relativement très-épais, il est très-difficile de bien apercevoir la conformation de ses organes ; l’Ascidie dans la- quelle nous l'avons découvert était fixée sur les valves du Pecten (4) Planche 7, fig. 3 D. (2) Planche 7, fig. 3B et 3 D. (3) Planche 7, fig. 3 H. 5° série. ZooL. T. IV. (Cahier n° 4.) 4 16 242 HESSE. 5° GENRE. — BIOCRYPTE (1). BIOCRYPTE ROSE (2). — Biocryptus roseus, Nobis. Ce Crustacé n’a pas plus d’un millimètre à un millimètre et demi de longueur sur un demi-millimètre de largeur. Son corps est cylindrique, d’une largeur à peu près égale dans toute son étendue ; il paraît tuméfié, de manière à laisser nulles ou très- incertaines les divisions des anneaux thoraciques et la séparation de cette partie du corps avec l'abdomen. La téte est relativement très-grosse ; elle est un peu plus étroite au sommet qu'à la base, qui est arrondie. Elle est pourvue d'un œil médian. On aperçoit latéralement et au-dessous du bord inférieur du dernier anneau thoracique deux éxpansions plates, creuses en dedans, bombées en dehors, dont l'extrémité attemt presque celle de l'abdomen, destinées à protéger les orifices des conduits ovifères, et à garantir en même temps les sacs qui contiennent les œufs. Ceux-ci sont relativement assez gros et entassés dans une enveloppe collective, où nous en avons compté de huit à dix de chaque côté. L'abdomen ne présente aucune division transversale ; il est peu développé, et va en diminuant de la base au sommet qui est tronqué, se relève du côté du dos, et se termine par deux lames, ovales et plates, dépourvues de poils ou de piquants (3). La téle (4), vue en dessous, présente de chaque côté du bord frontal une paire de petites antennes très-courtes, cylindriques, tronquées au bout, et formées de trois à quatre articles ; plus bas apparaît la première paire de paltes-mâchoïres qui est très-plate, très-large, spatuliforme, et terminée par plusieurs poils ou petites pointes aiguës ; en dessous de celle-ci se trouve la deuxième (4) De Bros, vie; xpumréc, caché. (2) Planche 6, fig. 1 B. (3) Planche 6, fig. 8et 9B. (4) Planche 6, fig. 2 B et 4 B. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 243 paire (1) qui est assez forte, et terminée par une griffe crochne ; enfin la troisième patte-mâchoire est plus grosse que les autres ; elle est globuleuse, et terminée par une petite griffe courte et arrondie au bout. Ù La bouche est cylindrique ; l'ouverture en est large et arron- die ; elle est entourée d’un bord corné qui en consolide l’orifice. Les pattes thoraciques (2) sont doubles ; elles sont au nombre de quatre paires, disposées de chaque côté du corps, à.égale distance l’une de l’autre. La patte externe est triangulaire, large et charnue, terminée par une petite griffe robuste et à pointe mousse. La patte interne est longue, cylindrique, terminée par trois pointes longues et aiguës. L'embryon (3) ressemble à tous ceux des Crustacés parasites ; sa forme est ovale, et il est pourvu de chaque côté de trois paires de pattes natatoires, dont les deux dernières sont biramées ; l'extrémité de l'abdomen est tronquée. Le jeune () a le corps allongé et d’une largeur égale dans toute son étendue. La téte est de la même dimension, et arrondie au bord frontal. Les antennes sont courtes et composées de trois articles. Il à un œil qui est médian. Les anneaux thoraciques, au nombre de quatre, sont bien distincts et d’égale grandeur. L'abdomen est un peu plus grand qu’un de ces anneaux ; il est arrondi au bout inférieur, et terminé par deux lames plates, ovales, comme dans l’adulte ; il est également muni, comme lui, de deux expansions membraneuses ovitectrices. Les pattes thoraciques sont doubles. Le mâle nous est inconnu. Coloration. — La femelle est d’un rose vineux assez foncé : l'œil est rouge; les œufs sont d’un rouge ponceau très-vif lors- qu'ils sont franchement pondus; ils deviennent plus pâles à mesure que l'incubation avance. (4) Planche 6, fig. 5 B. (2) Planche 6, fig. 3B. (3) Planche 6, fig. 7, B. (3) Planche 6, fig. 6 B. 2lh UESSE. L'embryon est blanc avec l'œil rouge, et une bande de la même couleur au milieu de l'abdomen est jaune. Le jeune est d’une couleur rose ou jaune. Habitat. — 1 vit renfermé dans l'intérieur d’une Ascidie sociale qui se fixe sur la fronde de la Zostère marine, Zostera marina vivante (1), et sur laquelle elle forme uue couche mince et mucilagineuse d'un jaune vif, ponctué de tres-petites taches rouges. Il pénètre dans la tunique même de cette Ascidie, dans laquelle, à raison de son extrème petitesse, il est extrèmement difficile de l’apercevoir et de l'extraire ; ce n’est que la couleur rouge très-vive des œufs, qui tranche sur le jaune de l'Ascidie, qui le signale à l'attention. Ce Crustacé est, comme tous ceux qui vivent dans lesmè mes conditions, extrêmement apathique; les mouvements sont très- lents ; il a habituellement le corps courbé en arrière. Cette espèce surtout et les suivantes ont beaucoup d’analogie avec celle décrite par M. Van Beneden sous le nom d’Zntercola fulgens (Extrait des Bulletins de l’Académie de Belgique, 2° série, t. IX, n° 2) ; aussi avons-nous hésité à la séparer de celle publiée par notre savant collaborateur. Nous trouvons cependant des différences assez notables dans la forme pour penser que ce n’est pas la même espèce ; l'habitat n’est pas non plus le même. BIOCRYPTE JAUNE (2). — Biocryptus flavus, Nobis. Ce Crustacé a environ un millimètre de longueur sur un demi- millimètre de large ; son corps est gros, trapu, à peu près de la même dimension dans toute son étendue. Sa tête est de moyenne grosseur ; elle est un peu plus étroite à son sommet qu’à sa base ; elle est pourvue d’un œil médian. La division des anneaux du thorax est faiblement indiquée; ils sont d’une égale grandeur ; leur bord inférieur est libre, et s'écarte de manière à permettre à l'inférieur de s'Imbriquer (4) Planche 6, fig. 40 B. (2) Planche 6, fig. 1 C. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 245 dans le supérieur, et de cette facon à faciliter le raccourcisse- ment du corps dans le sens de la longueur. Cette disposition se manifeste surtout à l'égard de la première division de l'abdo- men, dont le bord inférieur, en s’évasant considérablement, forme une vaste capsule qui fait le tour du corps (1), destinée à loger la base des sacs ovifères, et à les protéger contre les frotte- ments extérieurs. Ceux-ci sont gros et courts, relevés en croissant du côté de la tôte, mais ayant leur extrémité divergente, et tournée en dehors lorsqu'on les voit de face. La partie inférieure de l'abdomen va en diminuant de dimen - sion en allant vers l'extrémité qui est tronquée au bout, et est terminée par deux petites lames ovales, plates, sans poils, ni piquants. En dessous (2), la tête ne présente pas d'antennes, ou du moins elles sont si petites, qu'elles ont échappé à nos investigations. La première paire de pattes-mâchotres (3) est très-longue, bi- articulée, large et plate à son extrémité, laquelle est arrondie, et terminée par des poils ; la deuxième est assez forte, et terminée par deux pointes mousses; enfin la troisième, qui est la plus forte et qui est grosse et globuleuse, est terminée par un article qui remonte vers l'orifice buccal, lequel est pourvu d’une petite griffe courte et à extrémité arrondie. L'orifice buccal (h) est placé à l'extrémité d’un tube probosci- diforme, gros et rétractile, large, à sa partie supérieure, un peu étranglé au milieu, et s'élargissant à son extrémité inférieure, laquelle est pourvue de mandibules cornées, qui sont complétées latéralement par d’autres qui sont plates et denticulées (5). Les paites thoraciques (6) sont doubles et toutes conformées de la même mamière. Les extérieures sont larges, plates, terminées (4) Planche 6, fig. 2 C. (2) Planche 6, fig. 5 C. (3) Planche 6, fig. 4 C. (4) Planche 6, fig. 4 et5 C. (5) Planche 6, fig. 6 C. (6) Planche 6, fig. 8et9 C 96 HESSE. par un ongle court à pointe obtuse. Les externes sont plus longues que les premières ; elles sont cylindriques, et terminées par trois petites griffes courtes, mais très-aiguës. La dernière de ces pattes est en outre hérissée de pointes aiguës. Le jeune est gros et court ; il a la même forme que la femelle adulte; seulement il est dépourvu de la capsule ovitectrice de celle-ci, et son abdomen est plus pointu et moins volumineux. L'œil est aussi proportionnellement beaucoup plus gros. Les œufs sont relativement extrêmement gros, et les tubes ovifères n’en contiennent chacun que cinq ou six. Ils sont ren- fermés, outre leur enveloppe particulière, dans un sac commun. L'embryon (1) ressemble à celui des Crustacés parasites ; 1l'est pourvu de trois paires de pattes dont les deux dernières sont biramées. Le mâle (?) ou peut-être le jeune (2) a la forme d’un monocle. Son bouclier céphalique est large et arrondi, et suivi de quatre anneaux thoraciques d’une égale hauteur, mais allant en dimi- nuant de largeur en s'avançant vers l'extrémité inférieure. L'abdomen ne présente que deux articles dont le dernier est conique, et est terminé par deux petits appendices plats et lamel- leux, pointus et échancrés intérieurement. L'œil est double ; il est placé, comme d'habitude, au milieu et non loin du bord frontal. Coloration. — La femelle varie, suivant le degré d’incubation des œufs, du rose au jaune pâle, lorsque les œufs n’ont pas été pondus, et se trouvent sur deux lignes parallèles de chaque côté du tube intestinal ; leur couleur rouge, très-vive, influe sur celle de ce Crustacé, mais il est jaune dans le cas contraire. L'œil et les œufs sont d’une belle couleur pourpre. Ilen est de même de l'embryon ; le jeune, ou le mâle, est jaune pâle ; l'œil est rouge, ainsi que la ligne médiane qui parcourt verticalement le corps de haut en bas. Habitat. — Ce Crustacé vit dans l’intérieur d’une Ascidie (4) Planche 6, fig. 7 C. (2) Planche 6, fig, 3 C. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 247 composée que l’on trouve fixée sur la fronde du Cystoseira fibrosa (1) qu’elle enveloppe, comme le font les œufs du Bombyæ neustria où annularis, qui forment des anneaux autour des branches des arbres fruitiers. C’est dans ces Ascidies sociales, qui sont d’une couleur blanche, veinée d’un bleu noirâtre, à enve- loppe vernissée, cartilagineuse et très-résistante, qu'on les trouve blottis dans une si petite cavité, qu'ils sont obligés de se con- tracter ou de se replier sur eux-mêmes pour pouvoir s’y loger ; l'enveloppe supérieure est beaucoup plus dure que l'inférieure , aussi est-ce de ce côté qu'il faut chercher ces Crustacés, et pour détacher cette Ascidie de la fronde, il faut inciser verticalement l'anneau qu'elle a formée autour de ce Fucus. 6° GENRE. — HYPNODE (2). HYPNODE JAUNE (3). — Hypnodes flavus, Nobis. Ce Crustacé a un millimètre de long sur un demi-millimèêtre de large. Son corps est à peu près de la même grosseur dans toute son étendue ; l'extrémité supérieure de la tête et l'inférieure de l'abdomen sont seules un peu plus étroites que le reste. Les anneaux du thorax sont disposés de manière à pouvoir favoriser la contraction du corps en s’imbriquant les uns dans les autres. L'abdomen est formé de trois anneaux qui vont en diminuant de circonférence, en s’avançant vers l'extrémité inférieure, la- quelle est tronquée au bout, et présente deux appendices ovales et plats, sans poils ni pointes (4). Le bord inférieur du premier anneau abdominal est élargi, de manière à former une sorte de capsule qui sert à recevoir la base des tubes ovifères. Ceux-ci sont presque du diamètre du corps et de sa longueur; ils sont courbes en dedans en forme d’accolade, et ne contiennent chacun que cinq à six œufs qui (4) Planche 6, fig. 40 C. (2) De ürvwodnç, endormi. (3) Planche 7, fig. 4. (4) Planche 7, fig. 8. 218 HESSE. PA sont très-gros, et renfermés dans une enveloppe particulière et commune. Vue en dessous, la téte (1) présente de chaque côté de son bord frontal, lequel est arrondi et entouré d’un liséré en relief, une paire d'antennes (2) plates, creuses, arrondies au bout. La première paire de pattes-mâchotres (3) est assez forte : elle est composée de deux articles, et terminée par trois ou quatre griffes pointues. La deuxième en a trois, et la troisième, qui est un peu plus forte que les précédentes, est bifurquée, mais terminée par des bouts arrondis. L'orifice buccal (h) est placé à l'extrémité d’un tube probosci- diforme qui occupe le centre de la tête, et qui est entouré à son ouverture d’un bord corné, de chaque côté duquel on aperçoit de petites mandibules et deux appendices plats et arrondis ter- minés par des poils. Tout le bouclier céphalique est environné d’un bord en relief qui en circonscrit la limite, et est échancré inférieurement en accolade. Les pattes thoraciques (5) sont au nombre de quatre, doubles et semblables. La patte extérieure est triangulaire, plus étroite que dans les autres espèces, et terminée par une petite griffe à pointe mousse. La partie interne est plus longue et plus grêle ; elle est armée de deux grandes pointes aiguës en forme de fourche. Le tube intestinal est gros; il occupe le centre du corps ; les œufs sont placés de chaque côté sur deux lignes parallèles, jus- qu’à leur expulsion dans les tubes ovifères. Le mâle nous est inconnu, ou du moins nous nous abstenons de le décrire, attendu que nous craignons de le confondre avec la femelle non adulte. L’embryon ressemble, comme ceux des autres espèces dont nous venons de parler, aux jeunes Caligiens. Le jeune, ou peut-être le mâle, a à peu près le tiers de la lon- (4) Planche 7, fig. 2, (2) Planche 7, fig. 4. (3) Planche 7, fig. 5. (4) Planche 7, fig. 2 et 3. (5) Planche 7, fig. 6 et 7. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 219 gueur de la femelle. Le bouclier céphalique est large et arrondi au bord frontal ; son corps va en diminuant graduellement jus- qu'à son extrémité inférieure, laquelle se termine par une pointe arrondie. Les anneaux du thorax sont bien délimités, mais nous n'avons pu examiner suffisamment la conformation des divers organes. La tête est blanche avec un œil rouge médian, et le corps est d'un jaune d’or très-vif. Coloration. — Varie du jaune d’or foncé au rouge pourpre vif. Les œufs, ainsi que l’œil, sont de cette dernière couleur. Habitat. — Ce Crustacé vit dans une Ascidie composée, qui, comme la précédente, s'attache à la fronde du Cystoseira fibrosa (1), sur laquelle il forme de petites nodosités blanches ressemblant à celles produites par la sécrétion des Cercopes, si ce n'est que celles-ci, au lieu d’être spumeuses, sont au contraire très-coriaces, et qu'il faut les inciser pour les enlever de la tige sur laquelle elles sont fixées. Extrait de son enveloppe commune, l’Ascidie qui contient ce Crustacé est extrêmement petite, et c’est avec peine qu’on l’aper- çoit dans la partie inférieure de la tunique qui l'enveloppe, d’où il est aussi difficile de l’extraire que de la découvrir (2). 8 3. — Espèces dont l'extrémité du corps est terminée par des lames plates convergentes. 7° GENRE. — LYGÉPHILE (3). LYGÉPRILE VIOLET (4). — Lygephile violaceus, Nobis, Il a tout au plus 1 millimètre de long ; sa tête est cordiforme, et présente un æ! médian; elle est séparée du corps par un étranglement assez prononcé en forme de cône. Le thorax est divisé en quatre anneaux, tous d’égale gran- (4) Planche 6, fig. 9. (2) Planche 7, fig. 40. (3) De 20yn, ténèbre ; io, ami. (4) Planche 7, fig. 1 A. 250 HESSE. deur, arrondis aux bords externes. L'abdomen, qui va en dimi- nuant de la base au sommet, est court, gros et cylindrique ; 1, parait formé de quatre à cinq anneaux contractiles, terminés par deux expansions arrondies, échancrées au milieu, se tou- chant à leur extrémité, et disposés comme ceux que l’on voit chez les Caligiens (1). Le thorax (2) présente à sa base, et latéralement, deux expan- sions larges, minces, bombées en dessus, creuses en dessous, destinées à protéger les sacs ovifères. En dessous, la tête (3) offre de chaque côté du bord frontal, qui estarrondi, une paire d'antennes cylindriques allant en dimi- nuant de la base au sommet, divisées en trois articles, dont le pre- mier, à la base, est strié de raies transversales. Celui du milieu, le plus long, et le dernier en forme d'olive, ne présente ni piquants, ni poils (4). La première patle-mâchoire (5) est biarticulée ; elle est longue, plate, arrondie au bout, et terminée par plusieurs piquants ou griffes. La deuxième paire de pattes ressemble à la première. La troisième est bifurquée, en forme de pince, mais les bouts sont arrondis et la partie supérieure est plus courte que l’infé- rieure ; elle est formée de trois articles dont l'inférieur porte, à la base, une forte épine. La première patte-mächoire qui est large et operculiforme se rabat sur la deuxième et, en se réunis- sant à la troisième, cachent, lorsqu'elles sont en repos, cette deuxième patte ainsi que l'extrémité du tube buccal. Celui-ci (6) ressemble beaucoup, pour la forme, à ceux des caligiens. Au-dessous du front et à la base des antennes, on voit une protubérance en forme d’écusson, au haut de laquelle on aperçoit, par transparence, l’œil placé sur la surface de la tête, et (4) Planche 7, fig. 4 D. (2) Planche 7, fig. 4 D. (3) Planche 7, fig. 4 D. (4) Planche 7, fig. 4 C. (5) Planche 7, fig. 4 E. (6) Planche 7, fig, 4C. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 251 à l'extrémité inférieure de cet écusson, des mandibules internes, destinées à compléter l’action des premières mâchoires. Ces man- dibules internes sont douées d’une grande activité et on les voit s'écarter et se rapprocher incessamment l’une de l’autre. L'orifice buccal est entouré d’un bord corné des deux côtés desquels sont des mandibules ayant un mouvement également très-actif. Toute la face inférieure du bouclier céphalique est environnée d’un bord saillant, formant relief, présentant, à la base, une échancrure dont la pointe est dirigée en haut. Les pattes thoraciques, au nombre de quatre paires, sont doubles et exactement conformées de la même manière (1). Celle qui est externe est courte et terminée par deux appendices arrondis pourvus chacun de deux fortes griffes. La patte interne se trouve attachée à celle-ci près de son extrémité inférieure ; elle est composée d’une lame plate, ovale, portant au bout deux longues pointes très-aiguës courbées en dedans, en forme de fourche. Le tube intestinal est très-large et se rend directement, de l’orifice buccal à l’anal; on aperçoit de chaque côté, sur deux lignes parallèles, les œufs qui ne sont pas encore assez développés pour être chassés du corps dans les sacs ovifères. Les œufs, les embryons, le mâle, nous sont imconnus. Coloration. — Tout le corps est d’un rose vineux, l'œil est rouge, le tube intestinal est jaune et les œufs contenus dans le corps sont d’une couleur rouille tirant sur le rouge. Habitat. — Trouvé dans une Ascidie composée fixée sur les valves d’un Pecten opercularis (2), laquelle est corticale, épaisse, membraneuse, d’une couleur brune, très-foncée, couverte d’as- pérités rondes et comme pustuleuses. Ce Crustacé, qui est extrè- mement petit, est très-lent dans ses mouvements; mais il est très-vivace; on voit, très-facilement, dans l'acte de la mastication opéré par les mandibules qui sont placées à l’orifice de la bouche, les deux pattes-mâchoires de la troisième paire, qui sont à la (4) Planche 2, fig. 1 F. (2) Planche 8, fig. 4 G, FE 54 HESSE. base de la tête, et qui se rapprochent entre elles, pour faciliter et concourir à celte opération. BIOLOGIE. D’après ce que nous venons de dire, on voit que les Crustacés, dont nous avons donné la description, ayant tous la même ma- nière de vivre, doivent, conséquemment, avoir aussi, Comme du reste cela existe effectivement, une grande analogie dans leur conformation et dans celle de leurs organes. Encore plus étroite- ment renfermés, dans leur demeure, que ne le sont les espèces qui habitent les Ascidies simples, les Crustacés qui vivent dans les Ascidies sociales sont parfois si comprimés entre les parois de la cavité branchiale de leur hôte, que cette enveloppe semble, en quelque sorte, moulée sur leur corps (1) et les enserrer, comme s'ils étaient renfermés dans un kyste; aussi seraient-ils condamnés à une immobilité presque complète, si les tissus entre lesquels ils doivent circuler n'étaient abondamment lubrifiés par une sécrétion mucilagineuse qu'exsudent ces Tuniciers, et si l’extrême élasticité de la carapace et l’évasement considé- rable du bord inférieur des anneaux, qui divisent le corps de ces Crustacés ne leur donnaient la facilité de se courber sur eux- mêmes, et de tourner comme sur un axe; et enfin, si les efforts qu’ils ont le moyen de faire, à l’aide des épines et des griffes dont leurs pattes sont pourvues, ne leur procuraient des moyens efficaces de propulsion, en leur permettant de vaincre les obstacles qui s’opposaent à leur circulation. M. Thorell, dont nous avons déjà mentionné, avec l'éloge qu’il mérite, le remarquable travail, paraît croire que ces Crus- tacés, qui habitent les Ascidies, se contentent d'y chercher un refuge sans vivre aux dépens de celles-ci (1). Nous n'osons pas nous prononcer d’une manière catégorique à cet égard, nous remarquerons toutefois que la conformation de leur bouche, qui (1) Planche 8, fig. 10. (2) Animalia aut intra saccum respiratiouis Ascidiarum simplicium, aut inter lamel- las ejus hospitantia, non vere parasitantia. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÜTES DE FRANCE. 29% est cylindrique, les rapproche considérablement de celle des Crustacés suceurs et qu'il s'en trouve même, parmi ceux qui vivent dans ces conditions, qui appartiennent évidemment à l'ordre des Siphonostomiens (1); nous savons aussi que par suite du courant artificiel qui se produit par l'introduction et l'expulsion alternative de l'eau qui entre et sort par les deux ori- fices des Ascidies certains Crustacés ravisseurs profitent de cette circonstance pour saisir leur proie au passage ; de sorte que dans ce milieu qui peut être également favorable à des individus d’une conformation mixte, il n’y a rien d’impossible à ce qu'ils puissent bénéficier des avantages que présente cette double situation ; on peut en outre remarquer également que si leurs pattes-mâchoires et leurs mandibules paraissent propres à la trituration des objets masticables, la conformation tubiforme de leur bouche semble se prêter aussi à l'absorption des substances liquides, par la succion. SYSTÉMATISATION. En attendant qu’on puisse leur assigner, dans la classification générale des Crustacés, la place qui leur sera définitivement attribuée, nous avons cru, pour ceux dont nous nous occupons, devoir faire ressortir, dans le tableau synoptique que nous don- nons ci-après, les différents caractères sur lesquels nous nous sommes appuyé pour établir les divisions que nous avons adoptées. Nous remarquons d'abord que les uns ont les pattes thora- ciques simples et que les autres les ont doubles ; cette observation nous à conduit à faire ces deux séparations principales; nous voyons ensuite que dans ceux qui ont les pattes thoraciques simples il y en a qui les ont plates et onguiculées, et d’autres qui les ont inermes el cylindriques; dans ceux-ci les uns ont les antennes courtes el arrondies, les autres les ont longues el plates ; enfin, les appendices ovitecteurs sont chez les uns d’une seule pièce, landis qu’ils sont cupuliforme et nuls chez les autres. (4) Notamment les Notodelphys, les Lichomologques, les Ergusiles et les Dyspontins. 954 HESSE. Dans les Crustacés qui ont les pattes thoraciques doubles, les uns ont les antennes nulles ; les autres les ont larges et plates et ceux-ci cylindriques; les individus qui n’ont pas d'antennes ont les appendices ovitecteurs d’une seule pièce dorsale et cupuliforme; tandis que chez ceux qui ont des antennes larges et plates et ceux qui les ont longues et cylindriques, ces appendices sont plats, doubles et latéraux. Enfin, on peut ajouter à ces caractères distinctifs ceux qui résultent de la terminaison de leurs corps et que nous définis- sons COMME sui : Extrémité de l'abdomen terminé par : GENRES. . ADRANESIUS- « MYGHOPHILE. . NARCODE. 4 A. Des pointes aiguës.......... + SASANE PSS DO A too 13 3 &. Biocrvrie. 6] 6 7 / B. Des lames plates. .........,., Hidden. Ÿ tes PT PERS . . HyPp\opE. ). LYGÉPHILF. . CRYPTOPODE. convergentes. ... C. Un prolongement plat, épalé, à pointes réunies mais divergentes. Tableau synoptique des espèces décrites dans ce mémoire. GENRES, l | onguiculéeset plates. / d’une seule pièce cupu- Antennes courteset} liforme et dorsale. ... ADRANESIUS. arrondies. Append. ce MYcuoPHLE. simplesé ovlcteurs. "er CRC OS NARCORE, platesetlongues, Appen- Pattes inermes et cylindri-| dices ovitecteurs bilo- ( ques. Antennes... } bés, platset latéraux... CRYPTOPODE. nulles. Appendices ovi- tecteurs entiers, dor- saux et cupuliformes. BIiOCRYPTE. doubles.Antennes longues et cylindriques. Appendices ( HYPNQDE. ovitecteurs doubles, plats et latéraux. | LYGÉPHILE. Voici maintenant la caractérisation de nos genres : 1 GENRE. — ADRANESIUS. Tête petite, triangulaire, pourvue de petites antennes courtes et tronquées. — OEil médian. — Corps cylindrique, atténué à ses deux extrémités. — Anneaux thoraciques distincts, au nombré de quatre, évasés à leur base, et pouvant s'inyaginer. — Abdomen, d’une longueur presque égale à celle du corps et terminé par deux pointes aiguës. — Bouche cylindrique. — CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 9255 Pattes thoraciques simples, à demi rétractiles, pourvues d'un ongle court. | 2° GENRE. — MYCHOPHILE. Tête petite, triangulaire, pourvue de deux petites antennes courtes et tronquées. — OEil médian. — Corps cylindrique comme tuméfié, atténué à ses extrémités, ne laissant apercevoir aucune division thoracique ou autre. — Abdomen beaucoup plus long que le reste du corps, et terminé par deux petites pointes aiguës. — Bouche cylindrique. — Pattes thoraciques, simples et plates, pourvues d’un petit ongle à pointe mousse. 3° GENRE. — NARCODE. Tête, assez grosse, pourvue de deux petites antennes courtes et tronquées. — OEil médian. — Corps allongé, cylindrique, plus large du haut que du bas, qui finit en pointe. — Anneaux thoraciques très-distincts. — Abdomen, relativement petit, conique, terminé par de longues pointes aiguës. — Bouche cylindrique entourée de mâchoires robustes pourvues de renforts cornés. — Pattes thoraciques, longues, grèles, cylindriques, arrondies au bout, et inermes. h° GENRE. — CRYPTOPODE. Tête petite, triangulaire, pourvue d’une paire d'antennes plates ou rondes, assez grandes, accompagnées à leurs bases d’un pro- longement plat. — Oil médian. — Corps long et cylindrique d’une égale largeur. — Anneaux thoraciques au nombre de quatre, distincts, le dernier le double plus grand que les autres, et pourvu latéralement d’une expansion plate à sommet arrondi. — Abdomen étroit, conique et cylindrique, divisé, ou non, en quatre anneaux, dont le dernier est épaté et bifurqué. — Bouche cylindrique. — Pattes thoraciques simples, les trois dernières rétractiles, pouvant se loger à la base dans une sorte de cupule. — Tubes ovifères, pédonculés, piriformes, quelquefois aussi long que le corps. 256 HESSE. 5° GENRE. — BIOCRYPTE. Tête grosse, arrondie. — Antennes nulles ou rudimentaires. — OEil médian. — Corps gros, court et cylindrique, d’une dimension égale dans toute sa longueur.— Divisions thoraciques incertaines, bord inférieur du dernier anneau se prolongeant pour former une cupule destinée à protéger la base des tubes ovifères. — Abdomen de la même largeur que le corps se termi- nant brusquement, muni de deux petites lames ovales, plates, inermes. — Bouche cylindrique, entourée de fortes pattes- mächoires; la première, longue, largeet plate, spatuliforme, — Pattes thoraciques doubles ; l’externe large, triangulaire, ter- minée par une petite griffe ; l’interne cylindrique, longue, héris- sée ou non de pointes. — Tubes ovifères, presque aussi gros que le corps, courts et arqués. — OEufs très-gros. 6° GENRE. — HYPNODE, Tète grosse, triangulaire, pourvue d’une paire d'antennes larges et plates, assez grandes. — OEil médian. — Corps cylin- drique gros et court, divisé en anneaux distincts d’égale lon- gueur, pouvant s’invaginer.— Abdomen plus étroit que celui-ci, conique, arrondi au bout, pourvu de chaque côté d’appendices plats et larges, destinés à protéger les tubes avifères, et terminés par deux petites lames plates, ovales, sans piquants ni poils. — Bouche cylindrique. — Pattes thoraciques doubles : l'externe plate, pourvue d’une griffe ; l’interne plus longue, plate, aussi munie de deux longues griffes fourchues. Tubes ovifères aussi gros et presque aussi longs que le corps ; œufs gros et peu nom- breux. 7e GENRE. — LYGÉPHILE. Tête triangulaire, grosse ; bord frontal saillant, arrondi, ser- vant de base à une paire d'antennes longues, cylindriques, divi- sées en plusieurs anneaux, — OEil médian. — Corpslong, hémi- sphérique, partagé en anneaux peu distincts ; le dernier pourvu CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 257 de deux lames latérales, plates, divergentes, destinées à protéger les œufs. — Abdomen court, cylindrique, divisé en plusieurs anneaux, et terminé par une extrémité arrondie, bifurquée, échancrée au milieu. — Bouche cylindrique. — Pattes thora- ciques doubles : l'extérieure large, plate, triangulaire, munie d’une griffe; l'intérieure, plus longue, plate, armée de deux longues griffes fourchues. EXPLICATION DES PLANCHES. PLANCHE 6. Fig. 4. Mychophile rose, vu de profil, amplifié d'environ 400 fois. Fig. 2 et 3. Pattes thoraciques, très-grossies, vues de profil. Fig. 4. Pattes thoraciques, vues de face et en dessous. 5. Antenne et pattes-mâchoires, très-grossies, vues de profil. Fig. 6. Tète vue de face, en dessous. Fig. 7. Portion de zostère, sur laquelle est représentée, à peu près de grandeur natu- relle, l'Ascidie composée habitée par ce Crustacé. Fig. 8. Extrémité inféricure, très-grossie, de l'abdomen, vue de profil. Fig. 4 A. Narcode macrostome, vu de profil, amplifié d'environ 80 fois. Fig. 2 A, Antenneset pattes-màchoires, très-grossies, vues de profil. Fig. 3 A. Les mêmes organes, mais modifiés, vus de profil. Fig. 4 À. Patte thoracique du même, très-grossie, vue de profil. Fig. 5 A. Portion d’une Ascidie composée, qu'habite ce Crustacé. Fig. 1 B. Biocrypte rose, vu de profil, amplifié d'environ 80 fois. Fig. 2 B. Tête, très-grossie, du même, vue de profil. Fig. 3 B. Patte thoracique du même, très-grossie, vue de profil. Fig. 4 B. Première patte-mâchoire, très-grossie, vue de face. Fig. 5 B. Deuxième patte-mächoire, vue de profil. Fig. 6 B. Jeune de la même espèce, vu en dessus. Fig. 7 B. Œuf, très-grossi, contenant l'embryon. Fig. 8 B. Portion inférieure, très-grossie, de l'abdomen, vue en dessous. Fig. 9 B. Le même, vu de profil. Fig. 10 B. Portion de Zostère, de grandeur naturelle, sur laquelle est fixée l’Ascidie composée dans laquelle vit ce Crustacé. Fig. 4 GC. Biocrypte jaune, vu de profil, amplifié environ 70 fois. Fig. 2 C. Le même, très-grossi, vu en dessous. Fig. 3 C. Embryon ou mäle, très-amplifié. Fig. 4 C. Tête de l'adulte, très-grossie, vue de profil. Fig. 5 C. Tête de l'adulte, vue de face en dessous. Fig, 6 C. Mandibules du ième, très-grossic:, 2€ série, ZooL. T. IV, ‘Cahier n° 5.) 1 17 258 HESSE. — CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. Fig. 7 C. Œuf, très-grossi. Fig. 8 et 9 C. Pattes thoraciques, vues de profil. Fig. 10 GC. Fragment du Cystosetra fibrosa sur lequel on voit fixée l’Ascidie composée dans laquelle vit ce Crustacé. | Fig. 1, 2, 3 el 4 D, Paltes-màchoires et thoraciques de l'Adranesius rouge. PLANCHE 7. Fig. 4. Hypnode jaune, vu en dessus, amplifié 50 fois, environ. Fig. 2. Tête du mème, très-grossie, vue en dessous. Fig. 3. Tube buccal, du même, amplifié. Fig. 4. Antenne, du même, vue de profil. Fig. 5. Pattes-mächoires, du même. Fig. Get7. Pattes thoraciques, du même. Fig. 8. Partie inférieure du thorax et de l'abdomen, très-grossie, du même, vue en dessous. Fig. 9. Portion d'un Cystoseira fibrosa, sur lequel on a figuré l’Ascidie composée où vit ce Crustacé. Fig. 10. Ascidie composée, très-grossie, retirée de son enveloppe collective montrant la position qu'occupe ce Crustacé lorsqu'il y est renfermé. 4 À. Lygéphile violet, vu en dessus, amplifié d'environ 80 fois. 4 B. Tête du même, très-grossie, vue en dessous. Fig. 4 C. Tube buccal surmonté des antennes. Fig. 4 D. Partie inférieure de l'abdomen, très-amplifice. Fig. 4 E. Pattes-mächoires, du même. Fig. 4 F. Patte abdominale, du même. Fig. 4 G. Ascidie composée, dans laquelle vit ee Crustacé. Fig. 2 A. Cryplopode jaune, amplifié de 70 fois, vu en dessus. Fig. 2 B. Tète du même, très-grossie, vue en dessous. Fig. 2 C. La même, vue de profil. Fig. 2 D. Pattes thoraciques, très-grossies. Fig. 2 E,F et G. Partie inférieure de l'abdomen, présentant des modifications dans leur conformation, Fig, 2 H. La mème, vue de profil. Fig. 2 I. Ascidie composée dans laquelle vit ce Crusfacé. Fig. 3 A. Cryptopode vert, amplifié 80 fois, vu en dessus. Fig. 3 B. Tête du même, {rèsgrossie, vue en dessous, le tube buccal est relevé et rabattu sur le bord frontal, la première paire de pattes-màchoires est masquée par la deuxième, Fig. 3 C. La même, vue de profil. Fig. 3 D. Patte thoracique, vue de profil, Fig. 3 E. Partic inférieure de l'abdomen, vue en dessus. Fig. 3 F cet G. Première patte thoracique, vue de face, en dessus. Fig. 3 H. Ascidie composée dans laquelle vit ce parasite. OBSERVATIONS SUR LA REPRODUCTION PARTHÉNOGÉNÉSIQUE CHEZ QUELQUES LARVES D'INSECTES DIPTÈRES, Par MM. N. WAGNER, MEAINERT, PAGENSTECHER et GAMENE (1). M. Wagner, professeur de zoologie à Casan, communiqua à M. Siebold, dans l'hiver de 1861-1862, un mémoire trés- remarquable sur la reproduction de certaines larves d’Insectes. Il les avait trouvées aux environs de cette ville, en août 1861, sous l'écorce d’un orme mort; elles étaient immobiles, et en les examinant il vit qu'elles étaient remplies d'autres larves qui leur ressemblaient complétement. I pensa d’abord qu'il s'agissait d'un cas de parasitisme ; mais, après un examen attentif, il croit y voir une nouvelle espèce de métamorphose où , pour mieux dire, une reproduction de larves par des Insectes, qui eux-mêmes étaient des larves. Voilà les raisons dont il argua : 1° ILest- impossible de supposer qu'un animal et son parasite soient de la même espèce ou d'espèces extrêmement rapprochées. 2° Les parasites déposent en même temps tous leurs œufs dans les larves d'Insectes qu'ils infestent, de sorte que tous les œufs éclosentsimultanément; mais dans le cas en question, M. Wagner (1) Beitrag zur Lehre von der Fortpflanzung der Insectenlarven, von N. Wagner (Zeitschr. für wissensch. Zoologie, t. XUI p. 513). — Meinert, Weitere Eriäuterungen über die von Prof. Wagner beschriebene {nsectentarve, weiche sich durch Sprossen- büldung vermehrt (Zeitschrift zur wissensch. Zool., 1864, p. 394).— Die ungeschlecht- diche Vermehrung der Fliegentarven, von Prof. H. Alex. Pagenstecher in Heidelberg, (Zeitschr. für wissensch. Zool., 4864, t. XIV, p. 400). — Ganine, Nouv. obserw. sur la reproduction des larces des Insectes diptères (Bulletin de P Académie de Saint- Peiersbourg, 1865). 260 N. WAGNER, MÉINERT, PAGENSTECHER ET GANINE. a pu observer en mème temps tous les différents degrés de déve- loppement des jeunes larves. 3° Le parasitisme est un phénomène plus ou moins fortuit, tandis qu'à une certaine époque de leur existence toutes les larves en question renfermaient des jeunes. h° La grosseur d'un œuf est constante, tandis que celle des corps, qu'on pourrait prendre pour des œufs dans le cas dont il s’agit, varie. Ces corps grossissent, en effet, à mesure que la larve logée dans leur intérieur grandit. 5° La tunique externe de ces prétendus œufs sert comme membrane protectrice à la larve et comme cocon à la chrysalide, avant que le jeune devenu libre soit sorti du corps de la larve mère. 6°M. Wagner a pusuivre le développement de ces êtres, depuis leur apparition sous la forme d’un petit corpuscule dans le corps graisseux, jusqu'à l'état de larve parfaitement développée, bien qu'il n'ait pu voir tous ces états sur un même individu. 7° Enfin, les larves produites dans le corps de la larve mère reproduisent à leur tour des larves semblables à elles-mêmes. Ce mémoire, dont le fond est si remarquable, renferme aussi des détails sur l'organisation de ces larves avec des figures nom- breuses qui étaient précieux, parce que l'Insecie parfait n'ayant pas été alors observé, il était très-difficile, sinon impossible, de déterminer l'espèce, à l'histoire de laquelle ces faits se rappor- teraient. M. Wagner termine son mémoire par les conclusions suivantes: 1° Que les corps] graisseux peuvent avoir, outre leurs fonc- tions générales, une fonction spéciale ; 2° Qu'il puisse s'y produire des germes qui, en se développant et en passant sous diverses formes transitoires, peuvent fonc- tionner comme des œufs proprement dits ; 3° Que toute cette production de larves est une condition tran- sitoire de la parthénogenèse vraie ; h° Que des cas de cette espèce sont des exemples les plus simples de la génération alternante chez les Insectes ; celle qui à lieu chez les Aphides est un peu plus compliquée. REPRODUCTION PAR DES LARVES. 261 Après avoir remis son mémoire à M. Siebold, M. Wagner poursuivit ses recherches sur la production et sur les métamor- phoses de ces larves, et il publia les résultats de ces observations dans le Bulletin de l’université de Casun. En voici le résumé ré- digé par l’auteur : «Au mois de mai 1862, toutes les larves atteignirent le terme de leur étrange reproduction (ou plutôt de la propagation alter- nante), et se métamorphosèrent en chrysalides ; celles-ci avaient les dimensions de 1"",5 à 2"”,3 en longueur. Elles étaient sans cocons, et d'une couleur rouge orangée vive, surtout dans la parte abdominale. Ce qu’elles offraient de plus remarquable, c'étaient deux longues soies ou poils qui se trouvaient à la tête. Ces soies ne se métamorphosaient pas en antennes chez l’Insecte parfait, et leur usage n’est pas connu. Les différences sexuelles sont reconnaissables chez les Chrysalides; le corps des mâles est plus court que chez les femelles; ses derniers segments sont rétrécis et renflés. Au contraire, chez les Chrysalides femelles, la partie abdominale est plus longue, effilée et pointue. À travers les téguments minces et transparents du corps de ces Chrysalides âgées de deux jours, on aperçoit déjà très-bien les formes de l'Insecte complet, et sous les couvertures du dernier segment on peut remarquer les appendices sexuels, dont l’or- ganisation fort remarquable constitue la principale différence caractéristique des sexes. | Dans trois ou quatre jours, toutes les Chrysalides qui étaient à la disposition de l’auteur se sont métamorphosées en Diptères. qui ressemblaient un peu à des Cécidomyiens, mais qui en même temps possédaient des caractères génériques distinctifs. M. Wag- ner donne la description détaillée de cette Mouche (1), tant de la femelle que du mâle, et il insiste surtout sur la signification et l'usage des différentes parties de l'organisme de cet Insecte. Nous ne reproduirons iei que les résultats les plus remarquables de cette partie du travail. La partie abdominale du corps est plus grande chez la femelle que chez le mâle, disposition qui est commandée par le déve- (4) Voy. pl. 44, fig. 20. 252 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSIECNER LT GANINE, lappement des œufs chez la première, car ceux-ci nécessitent beaucoup d'espace. Mais la différence dans la grandeur des ailes ne correspond pas à celle des abdomens ; les ailes des mâles sont presque aussi grands que celles des femelles. Cette différence fait que le vol du mâle est beaucoup plus léger et plus puissant que celui de la femelle, et me fait supposer qu'ici comme chez beaucoup d’autres Diptères, le mâle poursuit la femelle et la fé- conde en voltigeant. En examinant les ailes de très-près, on voit qu’elles ne sont pas riches en nervures. Ici, comme chez d’autres Insectes de petite taille, deux nervures suffisent pour soutenir la mince et petite membrane ailée. Les poils courts et roides, mais légers, qui sont épars sur cette membrane, servent proba- blement à y donner plus de solidité. Pour accroître l'étendue des ailes sans en augmenter notablement le poids, leurs bords sont munis de longs cils. Surle bord antérieur, ces cils sont beaucoup plus courts qu'ailleurs, et sont inclinés pour ne pas empêcher les mouvements progressifs pendant le vol. En général, la forme des ailes, large et arrondie sur l'angle extérieur, n’est pas très-favo- rable à la légèreté du vol; mais ce défaut est réparé à certains égards par le grand développement des haltères, surtout chez les femelles où ces organes doivent supporter pendant le vol l'abdomen plus large et plus lourd que chez les mâles. Les pieds de la Mouche, grêles et assez longs, mais forts et sveltes, sont appropriés à une marche rapide et légère. M. Wag- ner donne beaucoup de détails sur l’organisation et l'usage des articulations de ces pieds ; mais parmi ces détails nous ne cite- rons que ce qui est relatif à la conformation des derniers articles, gar ce sont ces particularités qui fournissent les caractères géné- riques des Diptéres cécidomyens. Les tarses sont composés de cinq articles, mais la Mouche ne s'appuie en marchant que sur les trois derniers. Le premier article, plus long que les autres, constitue une sorte du prolon- gement de la hanche ; le bout de celle-ci ne s'appuie pas contre la terre, et pour cette raison elle est privée de ces fortes épines qui se trouvent chez la plupart des Insectes, et qui donnent à leur démarche plus de fermeté. Chez la Mouche en question, ces REPRODUCTION PAR DES LARVES, 263 épines se trouvent à la fin de chaque article des tarses. Le dér- mer de ces articles (pl. 7, fig. 24 et 22) est si petit, qu’il sémble n'être qu'un supplément du précédent ; il est armé d’une paire de crochets assez pointus, à la base desquels ëst placé uné petite pulville ronde , et couverte inférieurement de poils courts et épais. C’est certainement par le jeu de cette pulville qüé la Mouche marche très-rapidement sur les vitres. Il est aussi à noter que tous les articles des pieds sont couverts de poils roides et disposés en rangées irrégulières, ce qui leur donne probable- ment plus de solidité. En examinant chez les deux sexes la forme et l’organisation des derniers segments du corps, on remafque que ces segments sont allongés et effilés chez les femelles, et y remplacent la tarière dés autres Diptères. La présence d’une véritable tarièré ne s’ac- commoderait pas avec la grande dimension des œufs qui exigent un vaste espace dans la cavité abdominale. Le bout de l’abdo- men de la femelle paraît devoir être introduit pendant la copula- tion dans l'ouverture sexuelle du mâle. Cette opinion est fondée sur là comparaison du mode de fécondation chez les autres Diptères, et sur la présence des petits crochets dont là pointe est tournée en dehors, qui couvrent les derniérs articles de l’abdo- men, et qui rappellent par leur forme ceux qui garnissent les articles de la tarière de plusieurs Muscides. Enfin une grande largeur de l'ouverture sexuelle des mâles et le développement énorme de ses forceps vientaussi à l'appui de cette hypothèse. Si nous considérons la grande quantité des œufs qui ont pondus par les différentes Muscidés, nous comprendrons bien les précautions que la nature prend ici pour ässurer la conserva tion de l'espèce. Chacun de ses œufs est énorménient développé (atteignant 4 millimètre de longueur), de sorte que toute la cavité abdominale d’üne femelle est remplie par citiq de ces cofps tout au plus. La cause de l'étrange faculté que possèdent ces larves de dé- velopper une longue série de générations successives est atiri- buée par M. Wagner à la grande dimension de l'œuf primitif, c'est-à-dire de l'œuf produit par la Mouche mère. Cet œuf, beau- 26/4 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSTECHER ET GANINE. coup plus grand que les pseudo-ova qui proviennent des larves, contient une grande quantité de vitellus, c’est-à-dire de la ma- üère nutritive, aux dépens de laquelle se développent énormé- ment les corps adipeux des larves, et ces corps servent à leur tour comme nourriture pour des générations ultérieures. Mais quelle est la cause qui détermine la grande dimension de l'œuf primitif? Pour résoudre cette question, M. Wagner s’est livré à des recherches sur l'organisation des autres larves des Cécido- myiens, quil avait rencontrées dans les troncs des arbres avec les larves qui font l’objet de ce mémoire. Quelques-unes de ces larves ne différaient que très-peu de ces dernières ; mais chez toutes 1l existait une différence remarquable dans la structure du dernier segment du corps : l'ouverture anale était placée sous le dernier segment, tandis que chez la larve reproductrice cette ouverture est placée à l'extrémité d’un tube particulier qui ter- mine le segment, et qui peut être poussé en dehors ou retiré au dedans. Si nous considérons quel rôle ce tube remplit pen- dant les métamorphoses de l’Insecte, nous verrons que, chez les Chrysalides, elle se transforme en un segment complet, au dedans duquel sont placés les appendices sexuels (fig. 23 et 24). La présence de ce segment supplémentaire détermine le grand déve- loppement des organes sexuels extérieurs, qui, à son tour, mène au développement excessif des organes reproductifs intérieurs, et surtout des sacs ovifères (ou ovaires), ce qui permet aux œufs d'atteindre de grandes dimensions. En examinant les œufs, on remarquait la coquille, tout à fait lisse, et sans aucune trace des cellules épidermiques qui - garnissent la surface des œufs des autres Diptères ; à l’un de leur pôle, on apercevait le micropyle en forme de petit entonnoir évasé. » M. Wagner termine son mémoire parles considérations géné- rales sur les divers modes de reproduction des animaux, particu- lièrement des Entomozoaires, et il a été conduit à penser que le mode de reproduction agame, dont il a constaté l'existence chez les Diptères, doit être rangé près de la propagation alternante des Vers intestinaux (Cestodes et Trématodes). Mais cette opi- REPRODUCTION PAR DES LARVES. 265 nion était basée sur la non-existence des organes spéciaux de la reproduction chez ces larves reproductrices, et, ainsi que nous le verrons bientôt, ces parties ne manquent pas. $ 2. M. Wagner donne une description très-détaillée de l’Insecte, qu'il vit éclore des Chrysalides provenant des larves reproduc- trices ; mais il ne peut déterminer cet Insecte ni génériquement, ni spécifiquement, et ce ne fut que postérieurement à la publi- cation de son travail dans le Zeitschrift der wissenschafiliche Zoologie, que l'attention fui appelée sur les observations qui avaient été faites par M. le docteur Meinert (de Copenhague). Ces observations ont été publiées dans le Naturhistorisk T'idsskrift, puis reproduites par M. Siebold dans le Zeitschrift der wis- senschaftliche Zoologie (1864). M. Meinert a trouvé nos larves propageantes près de Fredericksdal, sous l'écorce d’une bûche. Il a observé leur propagation alternante, et il l'a poursuivie jusqu'à leur transformation en Chrysalides, desquelles il a obtenu (ainsi que M. Wagner) un Insecte diptère. D'après M. Meinert, cet Insecte doit constituer un nouveau genre, et il le désigne sous le nom de Miastor melraloas. Voici la diagnose de ce nouveau type générique donnée par M. Meinert : MIASTOR, nov. gen. (Fam. Cecidomyiæ.) Palpi biarticulati, brevissimi. Tarsi L-articulati. Antenne moniliformes, 11-articulatæ. Ale tricostatæ, costa media non apicem atlingente, extrema integra. MIASTOR METRALOAS. Ochroceus, ocupite vittis tribus mesonoti, metanoto extremo segmento mediali, marginibus segmentorum extremorum apice- que abdominis nigrescentibus. 266 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSTECMER ET GANINE, Mas : Antennæ corpore quadruplo breviores. Genitalia parva. (Long. 1m,20-1m,75.) Femina : Antennæ corpore quintuplo breviores. Ovipositor brevis. (Long. 2 millim.) Larva habitat sub cortice Fagi, gregatim. 8 3. M. le professeur Pagenstecher (de Heidelberg) a publié récem- ment sur le même sujet des recherches qui portent sur des larves d’une autre espèce d’Insecite, mais qui ont permis à ce savant de confirmer l'exactitude générale du fait annoncé par M. Wagner, tout en réfutant les idées de cet auteur touchant certains détails, tels que la production des germes dans les corps graisseux. Ce mémoire nous à paru devoir intéresser également les lecteurs des Annales, et nous en reproduirons ici la plus grande partie. M. Pagenstecher, après avoir cité les observations de M. Wag- ner dont il vient d'être question, ajoute : «Elles ont dû avoir fait sensation parmi les zoologistes, mais certainement elles ont rencontré beaucoup d’incrédulés. Ce fut done avec un éton- nement grand et agréable, que, dans les premiers jours de juin 1864, par suite d'une circonstance accidentelle, j'ai observé pour la première fois ces faits extraordinaires. J'espérai d'abord résoudre toutes les questions qui se présentaient naturellement à mon esprit; mais on verra bientôt que le manque de maté- riaux m'a empêché de le faire; cependant il me semble que les observations que j'ai pu mener à bien sont assez importantes pour être communiquées au public. Disons une fois pour toutes que cette reproduction des larves de Dipières a eu lieu à une distance de 350 lieues géographiques du point où on l'avait observée pour la première fois, et, de plus, que le Dipière chez laquelle elle se montrait était bien certainement d’une autre espèce. Je crois aussi pouvoir rectifier dans quelques points les faits expo- sés si consciencieusement et si clairement par mon prédécesseur. Je vais raconter d'abord les circonstances par suite desquelles je suis devenu fémoin de cette reproduction par des larves, afin REPRODUCTION PAR DES LARVES, 267 que d'autres naturalistes puissent profiter de circonstances ana- logues, et pour qu'on puisse comprendre comment mes recher- ches ont dû rester incomplètes, faute de matériaux suffisants. Une certaine quantité de résidus de betterave en mauvais état, provenant de la fabrique de sucre de MM. Schultze, Buhlers et compagnie de Calbe, avait été soumise à l'examen de M. Fachs, professeur de médecine vétérinaire dans notre établissement, et cette mesure avait été prise parce que les résidus én question avaient exercé une influence évidemment pernicieuse sur des bêtes à cornes, pour la nourriture desquelles on en avait fait usage. Des Anguillules , qu'on avait apereues dans ces matières et ailleurs, avaient déjà fait soupeonner la mauvaise nature de ces gâteaux, et l'on désignait ces animalcules sous le nom de Trichines de la betterave. M. Fuchs me pria d'examiner ces matières sous le rapport zoologique. Je reviendrai peut-être dans une autre occasion sur les Anguillules qui se trouvaient dans ces résidus en grande abondance, accompagnées de Podures, de Tyroglyphes, de Gamases, de larves de Coléoptères, de Myria- podes et des larves de Sciara, pallipes (4) en nombre immense. En ce moment, il me suffit de remarquer que les Anguillules ressemblaent à celles qui existent dans l'humus, et qui ont été décrites dernièrement par M. le professeur Claus (2), et telles qu'on les observe dans leurs migrations chez les Vers dé terre et chez les Limaces. Je voulais constater les différences qui existent entre l’Anguillula brevispina, CL., qui est ovipare et l'An- quillula mucronaia, Grübe, qui est vivipare ; et pour cela je cher- chais au milieu de la masse, en partie pâteuse, en partie fibreuse (4) Parmi un grand nombre de larves de Diplères à quatorze segments, à tête brune noirâtre, se propageant par une génération non sexuelle ct ressemblant à plusieurs égards à ceile d’une petite Sciara, mais bien plus grande, on a pu élever une Sciara se rapprochant beaucoup de la Sciara pallipes, sinon identique avec elle. Le tronc de la quatrième nervure des ailes manque la plupart du temps ; antennes noires ; segments abdominaux d’un noir d'encre quand l'abdomen est rétracté, brunâtre quand le ventre est distendu et que la membrane intersegmentaire devient visible, Les hanches et les cuisses brunûtres ; les tibias et les farses noirâtres ; les éperons rouges; les balanciers fantôt d'un brun clair, tantôt päles ; la tète ct la poitrine noires. (2) Zeitschrifbfäür wissenschaftliche Zoologie, À. XL, p. 354. 265 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSTECHER ET GANINE, et feuilletée, les espèces de poches privées de vie, mais remplies d’une couvée mûre qui éclôt quand ces petits embryons ont fini de dévorer les organes mous de leur mère vivipare, ce que j'avais déjà vu dans d’autres occasions, et que j'observais de nouveau dans cette circonstance. Les sacs que je cherchais dans ce but étaient cependant bien plus gros et notablement plus épais que ceux que J'avais vus précédemment, et je les soumis immédiate- ment à l'examen microscopique. Je les reconnus aussitôt pour des larves de Diptère remplies de jeunes semblables à celles que M. N. Wagner a décrites dans son mémoire. Puis en comparant attentivement la larve ainsi trouvée avec la description intéres- sante qu'en à donnée ce zoologiste, j'ai confirmée celle-ci en ce qui est essentiel, c’est-à-dire la reproduction par parthénoge- nèse ; mais J'ai constaté de plus un fait important, par ceia seul que l'espèce chez laquelle ces phénomènes se présentaient n'étaient pas la même que celle observée par M. Wagner. Malheureusement les animaux qui avaient habité ces résidus de betterave en étaient sortis pour la plupart, à l'exception de quelques larves de Coléoptères, et les larves de Diptères ne s'y trouvaient qu'en petit nombre. En examinant ces matières de la manière la plus minutieuse, pendant des journées entières, je n'ai réussi qu'à en trouver une douzaine. Je conservai quel- ques-unes de ces larves entières comme préparations micros- copiques ; d’autres furent sacrifiées pour des recherches anato- miques, et celles qui restèrent furent mises à part pour en observer les transformations ultérieures. Pour cela, je soumis à l'ébullition une petite portion des rési- dus de betterave, afin d'y détruire tout ce qui avait de la vie, et ne pas être distrait de mon but par des phénomènes étrangers à ce que je voulais examiner. Je déposai ensuite les larves dans la substance ainsi préparée, et je couvris le tout avec un verre pour y entretenir constamment l'humidité convenable. Plus tard, à cause du peu de succès de cette tentative, j'ai ajouté un peu de sucre et de résidus de betterave qui n'avaient pas été bouillis, et j'ai réussi de la sorte à conserver en vie quelques-uns de ces animaux depuis le commencement de juin jusque vers le REPRODUCTION PAR DES LARVES. 269 milieu de juillet; mais, soit que les conditions de nourriture ne fussent pas propices, soit que ces larves fussent trop dérangées par des observations et des recherches microscopiques inces- santes, ces animaux allèrent de plus en plus mal, et ce ne fut que par arüfice que J'ai pu dégager les Jeunes des enveloppes maternelles ; j'ai acquis alors la certitude que ces nouvelles larves renfermaient également des embryons dans leur inté- rieur; mais la perte par décrépitude était plus grande que le gain par multüplication ; mes larves dépérissaient et disparais- saient de jour en jour ; enfin J'abandonnaï l'expérience, quand je ne pus plus tirer parti de ces animaux pour des recherches anatomiques fines. Pendant ce temps on écrivait à Calbe pour avoir d’autres résidus de betterave. On nous en envoya une quantité considé- rable de trois qualités : la première était de bonne nature, propre à la nourriture des bestiaux ; une autre était tout à fait gâtée ; la troisième, en moindre quantité, ne l'était qu'à moitié. La première sorte ne renfermait alors aucun animal, et ne fut que plus tard peuplée de larves de Sciara et des Tyroglyphes qui, comme on se le rappelle, accompagnèrent nos larves dans le premier échantillon ; nos larves elles-mêmes ne parurent point. Dans la deuxième sorte, celle qui était entièrement gâtée, il y avait une espèce de putréfaction commençante, et l’ammoniaque dégagée avait détruit à peu près toute trace de vie dans les êtres qui habitaient antérieurement ces matières. On y trouva, en effet, des nids nombreux de Podures. Ce ne fut qu’à la surface, dans les points accessibles à l'air, qu’on rencontrait encore un petit nombre de Nématodes en vie. La portion désignée ci-dessus, comme étant à moitié gâtée, avait l'aspect des gâteaux de betterave que nous avions reçus précédemment, et renfermaient des animaux nombreux, entre autres des larves de Muscidæ et en particulier de belles larves d'Anthomyia de diverses espèces, qui n’existaient pas dans le premier échantillon, non plus que les Tyroglyphes et les Sciara qui y avaient accompagné notre larve. Un autre envoi, d’une 270 N. WAGNER, MEINERTS, PAGENSTECHER ET GANINE. quantité plus grande de cette sorie de résidus de betterave, a été examiné inutilement pour la larve en question. Je tournai alors mon attention sur la fabrique de sucre voisine de Waghäusel. Cette fabrique travaille par la voie sèche ; on fait un extrait de betteraves desséchées foriement et mélangées de chaux. Après expression, on ajoute aux résidus de l’eau et cer- tains produits sucrés de l'usine qu’on appelle Dawmalz, puis on les verse dans des fosses. Ces gâteaux renferment des produits de la fermentation alcoolique quileur donne une odeur d’éthyle, et ne contiennent, comme le chimiste de la fabrique, avait déjà présumé, aucun animal vivant. Cependant, après que l'odeur est dissipée, la vie animale peut s’y développer où y être intro- duite. 1 fut donc impossible pour nous d'augmenter les maté- riaux de nos études, malgré des recherches soigneuses faites sur des quantités relativement considérables de ces matières, et je me vis obligé de remettre à une autre occasion ce que je ne pouvais faire en ce moment. En particulier, je n'ai pu suivre ces animaux jusqu'à l'état parfait, et très-probablement il y aura là à noter des faits d’un grand intérêt. - Cependant, dès que nous savons que ces larves intéressantes peuvent se trouver dans les gâteaux de betterave qu’on se pro- cure si facilement, et peut-être dans des betteraves mêmes plus où moins mal conservées dans des fosses pour la nourriture de bestiaux, il est probable que des observateurs (ainsi que moi- même peut-être). se mettront en mesure de s’en procurer, afin de résoudre complétement les questions qui se présentent. S 4, Je vais maintenant, dit M. Pagenstecher, décrire cette larve sur laquelle portent mes observations ; elle se présente sous la forme d'un très-petit Ver d’un blanc pur, un peu roide, enchâssé dans les résidus de betterave à moitié pourris; le plus souvent, chaque larve est logée dans une cavité qui lui est propre ; mais d'autres fois il y en a plusieurs ensemble dans de petits amas de celte maüère ; olles n'existent que dans les lieux où la masse de REPRODUCTION PAR DES LARVES, 274 betteraves est brune et molle, ou bien un peu feuilletée; jamais là où cette substance est gluante, ferme, sèche ou friable. Dans le plus grand nombre de larves, le corps est plus ou moins fusi- forme ou en forme de bateau, par suite d’un renflement plus ou moins considérable des segments moyens, produit par le développement des petits ; mais chez les larves très-jeunes, la forme générale est plus cylindrique, surtout quand les segments antérieurs les plus grèles sont rétractés. Un individu avait 2 millimétres et demi de longueur sur 0°",42 de large; un autre avait un peu moins, mais le plus grand nombre étaient notablement moins grands. Le plus petit, trouvé libre, n'avait que 1°",8 de longueur sur 0%",295 dans sa plus grande largeur ; les autres avaient entre 1°",5 à 4%%,9 de long, et dans leur plus grande largeur de 0"",93 à 0"%,33, Les embryons arrivés à maturité et retirés de l'œuf avaient 0"",82 de longueur sur 0"*,4 de largeur. Des embryons qui avaient quitté les enveloppes de l'œuf, et qui se trouvaient libres et actifs dans l'intérieur de la peau de la mère, avaient 1 millimètre de long sur 0"",1 à 0°",13 de large. La hauteur chez des individus adultes était à peu près la même que la largeur ; dans les pre- miers temps, elle est un peu plus petite. Toutes ces mesures ont été prises, du reste, sous le compres- seur, en exerçant une pression modérée. Cette larve atteint en général à peine la moitié des dimensions de celle de M. Wag- ner, de sorte que son volume ne serait que le huitième de celui de cette dernière, et la masse des individus les plus âgés corres- pondrait à celle des larves nouvellement écloses dans l'espèce de M. Wagner. Cette petitesse des larves fait qu'elles sont très- difficiles à trouver et à disséquer, et elle nous donne, en outre, la certitude qu'il s’agit ici d’une espèce particulière. Avant de parler des modifications que leslarves adultes éprou- vent, décrivons d'une manière spéciale un de ces animaux dans le jeune âge. Le corps est composé de quatorze segments manifestes dont le premier est très-petit, pointu et arrondi sur les côtés, et un peu déprimé de haut en bas; il est bordé d’une teinte jaune de corne 272 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSIECHER ET GANINE, ou brune, et ses diverses parties sont cornées de la même manière. Sur ce segment, tout auprès du bord latéral et près de son extrémité postérieure, sont placées sur une apophyse courte les antennes à deux articles. Ces appendices sont courts ; leur pre- mier article forme un anneau coupé obliquement ; le second est ovoïde, excavé en cuiller sur son côté interne (pl. 13, fig. 4). Par la rétraction du premier article, l'antenne est dirigée en arrière, et en même temps cachée. Par l’action inverse, l'antenne est dirigée en avant et en dehors. Le premier segment porte encore la bouche et des organes difficiles à distinguer, et qui ne peuvent être rapportés que d’une manière peu sûre aux dénomi- nations habituelles. On reconnaît, en faisant agir le compresseur, qu'une espèce de large labre recouvre la bouche en dessus; en dessous, cet orifice est fermé par une lèvre inférieure petite, et se terminant en un cône pointu. La bouche est limitée latéralement par une mâchoire en forme de valvule. Ce dernier organe semble presque toujours rudimentaire (pl. 13, fig. 2, 3 et 3°). Les segments suivants, depuis le deuxième jusqu'au cmquième inclusivement, augmentent manifestement de volume en s’éloi- gnant de la tête, et sont toujours plus larges en arrière qu'en avant. Dans certaines positions de la tête, on apercçoit sur la face inférieure du corps, entre le premier et le deuxième segment, une espèce de demi-segment inférieur (lg. 7), qui cependant peut être regardé comme un simple repli et non pas comme un anneau distinet. Les segments, depuis le sixième jusqu’au on- zième inclusivement, ne sont pas très-différents relativement à leur volume ; cependant le huitième est le plus gros. Ces diffé- rences de volume sont minimes, et méritent à peine d'être remarquées chez la jeune larve cylindrique (fig. 7); mais elles augmentent dans les larves adultes portant des jeunes ; alors le milieu du corps devient très-notablement plus volumineux (fig. 1 et 5). Les segments diminuent progressivement de volume depuis le douzième jusqu'au quatorzième, mais plus en largeur qu'en longueur, de sorte que le dernier segment parait plus REPRODUCTION PAR DES LARYES. 219 étendu que les autres ; cela se voit encore mieux quand l'animal marche, que chez les mdividus en repos représentés dans les dessins. La membrane chitinique des segments est tout à fait incolore, si ce n'est lorsque, dans un âge avancé, elle se laisse imprégner par la temte jaunâtre sale des matières environnantes ; J'excepte cependant la coloration d'un jaune brunâtre, que j'ai déjà notée comme existant dans le premier segment. La face ventrale de cette larve est garnie depuis le cmquième jusqu'au treizième segment Imclusivement, par places, d’épines très-fines, qui sont situées toujours au bord antérieur de chaque segment. La disposition de ces épmes paraît être un bon carac- tère pour classer les larves de ce groupe. Dans d’autres espéces, elles garnissent exclusivement le bord postérieur des segments : ailleurs toute la face ventrale en est couverte; ailleurs encore elles règnent partout sur la face dorsale comme sur la face ventrale. Ces piquants existent sur une espèce de bourrelet transversal qui, dans le sens longitudinal, mesure d'un quart à un tiers du segment, et n’atteint pas ses bords latéraux. Ce bourrelet est plus large vers le milieu, ayant une forme ovalaire dirigée transver- salement, et chez des individus forts il exécute des mouvements très-vifs pendant la locomotion de la larve (fig. 7) ; au cinquième segment les épines ne sont disposées que sur sept lignes trans- versales, mais dans les segments moyens 1l y en à vingt rangées. Le nombre de ces lignes diminue également en arrière ; 1l peut y avoir cent épines dans chaque ligne transversale des plus lon- gues, la plaque entière portant environ quinze cents épines. La plus grande largeur de la plaque spinifère est utilisée, soit pour loger de nouvelles rangées d’épines, soit pour augmenter l’inter- valle entre les lignes, soit enfin pour favoriser l'accroissement en longueur de ces épines ou piquants. L'alignement des épines est beaucoup plus net, et elles sont plus espacées dans les seg- ments les plus volumineux. Sur le treizième anneau elles sont peu perceptibles, et paraissent remplacées par un système de lignes transversales saillantes, dont on peut encore apercevoir 5e série, ZooL. T. IV. (Cahier n° 5.) 2 18 274 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSTECHER ET GANINE. des traces au bord antérieur du quatorzième segment. Les épines sont des éminences très-petites, allongées et très-pointues. Quand on considère leur disposition et leur direction longitudi- nale, on voit qu'elles sont un peu arquées en avant, et qu'elles divergent un peu en rayonnant, de sorte que, par antagonisme, les bourrelets qui les portent peuvent se contracter de l'avant et des côtés vers l'arrière et le milieu. Outre la considération de la taille de la larve, c’est la disposition de ces épines sur la partie antérieure des segments, et seulement à leur face ventrale, qui nous donne la certitude que notre larve est d’une autre espèce que celle de M. Wagner. Ajoutez encore que, chez notre larve, il n’y a point de mouvements rétrogrades ; mouvements qui, du reste, ne seraient d'aucune utilité, vu la nature de l'habitat de l'animal. Enfin il n°y a point la moindre trace du grand crochet cornu, que M. Wagner a trouvé parfois sur le troisième segment de sa larve. Le premier segment du corps peut être fortement rétracté, et alors le second et le troisième segment sont considérablement ’accoureis par la rentrée de leurs bords antérieurs. Îlexiste au dos un ocelle double très-mobile sous la membrane chitinique ; quand l'animal étend les deux segments antérieurs de son corps, on voit manifestement que ce double ocelle appar- tient au troisième segment, et quand la tôte est rétractée 1l est repoussé en arrière du milieu du quatrième segment. Il est formé de deux amas de pigment composé de molécules fines d'un rouge noirâtre. Ces ocelles ont une forme semi-lunaire assez marquée, s’adossant par leur convexité, et offrant chacun en dehors un cristallin globuleux, souvent difficile à distinguer (fig. 1, 006). | Quand le corps n'est pas distendu par des jeunes, tous les seg- ments, à l'exception des trois premiers et des deux derniers, sont un peu rétrécis au milieu (fig. 1). Cette forme correspond à la disposition des muscles longitudinaux de ces segments moyens. Eu effet, outre les bandes musculaires longitudinales qui tra- versent le segment eu entier, il en existe encore d’autres moins nombreuses qui se fixent à son milieu (fig. 5). Outre ces REPRODUCTION PAR DES LARVES, 275 muscles longitudinaux (Hg. 6, ml), il y a des muscles annu- lures très-manifestes (fig. 6, mt). Le canal intestinal se termine sur la face ventrale de la partie postérieure du quatorzième segment, sous la forme d’une fente longitudinale limitée par deux valvules latérales (fig. 6, va). Cette ouverture anale est susceptible de s’allonger en dehors sous la forme d’un tube court (fig. 5), etalors l'animal semble avoirun quinzième segment. Les jeunes larves marchent en avant avec assez de vivacité quand on fait sortir leurs crochets ; elles se rétractent, elles s'allongent, elles se courbent, soulèvent l'extrémité antérieure. et la portent à droite et à gauche en tâtonpant ; enfin elles pénètrent assez rapidement la substance molle des betteraves : cependant leurs mouvements sont moins vifs que ceux de la plupart des larves de Diptères. Certainement ces animaux sont très-disposés à rester couchés dans un lieu sûr, et à prendre “leur nourriture dans leur voisinage immédiat. Es La bouche aboutit à un œsophage (fig. 4 et fig. 7, &) qui tra- verse l'espace situé entre le grand ganglion sus-æsophagien et le ganglion sous-æsophagien, et, en revenant sur ses pas, décrit un angle, de façon à former une anse qu'on peut souvent voir se rétracter et se dilater comme par un mouvement de pompe. Cet œsophage n’est pas aussi long que M. Wagner l’a trouvé chez sa larve, mais il est comparativement plus épais. IL existe deux poches d’une grosseur remarquable au point d'union de l’œsophage avec l'estomac ; M. Wagner les regarde comme étant des appendices cæcaux ; mais puisque leur sécré- tion se mêle à la nourriture avant que la digestion commence, je crois qu'elles devraient être considérées comme des glandes salivaires (fig. 7, sa). M. Wagner désigne, à la vérité, comme glandes salivaires une paire d'autres organes qui se terminent en avant dans la bouche (fig. 4, /). Les organes qui Correspon- dent à ces parties sont extrêmement développés chez la larve de la Sciara pallipes, au point que leurs circonvolutions se voient dans presque tout le corps, et ils sont revêtus, à l'intérieur, de cellules très-volumineuses; ils paraissent servir à sécréter de la 276 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSTECHER ET GANINE. soie, car ces larves filent un cocon fable et irrégulier. Chez la Musca erythrocephala adulte, ces glandes salivaires débouchen par un conduit commun, à l'angle de la trompe. Mais les poches postérieures répondent à l'estomac suçeur qui, par l’atrophie de la poche d'un des côtés, est devenu presque impaire. La pre- miére paire des glandes salivaires correspondante manque chez notre larve, où au moins elle est atrophiée à un très-haut point. L’estomacest représenté par un large sac d'une teinte jaunâtre quand la nourriture avait été bonne. Les vaisseaux de Malpighi (fig. 1 et6, ma) débouchent dans le canal intestinal au rétrécis- sement graduel qui indique le point de réunion de l'estomac au rectum. y en à deux de chaque côté, mais ils se réunissent pour former un tronc commun peu avant leur entrée dans l'in- testin, Ces vaisseaux sont longs et grèles ; leurs replis traversent l’espace qui se trouve dans le voismage de l'estomac; ils sont le plus souvent d'un jaune verdtre, et sont remplis de molécules fines; mais parfois dans un espace assez bien limité, situé au tiers postérieur de l'estomac, leur contenu est d'un rouge orangé ; d'autres fois ces matières sont, par place, claires comme de l'eau. Le rectuin est susceptible d'être distendu, et peut avoir l'aspect d'une vessie ou d'un espace vide. M. Wagner parle d'un tube indépendant qui parcourrait tout le trajet du canal intestinal prenant la place de la mem- brane muqueuse, et il le désigne dans ses figures comme le tube interne du canal intestinal. Cette espèce de tube existe aussi chez notre larve, et il est irès-visible dans les points nombreux où l'intestin décrit des anses anguleuses, à cause de la fermeté de son contenu. Îl est formé par une couche hyaline entierement sans structure, probablement une sécrétion sohdi- fiée produite peut-être par les glandes salivaires sus-mention- nées; mais il ne doit pas être considéré comme une membrane véritablement organisée. Cette couche enveloppe les portions de nourriture allongées en forme de bâton et fasciculées, mais elle u’adhère point aux parois. 1 existe chez d'autres larves d'Ensectes des enveloppes hva- lines pareilles autour des matières nutritives, mais elles sont REPRODUCTION PAR DES LARVES, 277 d'une consistance moins ferme et moins solide, et elles parais- sent comme une sorte de mucus vitreux de peu de consistance, entourant d'une couche pale et mince les exeréments molécu- laires. Elles ne peuvent être considérées comme une partie inté- grante de l'organisation du canal intestinal, et elles disparaissent quand sa nourriture manque. Le système nerveux ressemble beaucoup à celui de la larve décrite par M. Wagner. I existe deux ganglions sus-æsopha- giens (fig. 1 et7, €) ovalaires, ou plutôt, à cause de leur convexité extérieure plus forte et leur plus grande largeur en arrière, piriformes. Ils se réunissent sur la ligne médiane dorsale, et ils sont mis en communication au moyen de courtes commissures. D'autres commissures un peu plus longues les unissent aux ganglions sous-æsophagiens situés un peu plus en avant (fig. 7, ga). Ces centres nerveux principaux sont placés dans le qua- trième et le cinquième segment du corps. Il y à, tant à la face dorsale qu'à la face ventrale de ces gan- glions principaux, des communications nerveuses avec d’autres ganglions allongées, et dans lesquelles la racine la plus large se voit en arrièreet la plus grêle en avant. Cette disposition rappelle la sortie des nerfs des lobes olfactifs au devant de grands hémi- sphères cérébraux (fig. 7, ga). Les nerfs destinés à l'extrémité antérieure du corps naissent, pour la plupart, des ganglions céré- broïdes antérieurs ; les nerfs de l'œil et d’une portion de la face supérieure de la tête sont fournis par le ganglion sus-æsophagien. Un petit amas padiculier de cellules ganglionnaires très- volumineuses se trouve posé sur ce dernier ganglion, où il est retenu par un anneau trachéen produit par des anastomoses particulières, doubles et transversales ; un peu en arriére il existe encore une cellule ganglionnaire unique, remarquable par sa grosseur (fig. 19). La paire des ganglions du cinquième segment (fig 7, g°) se trouve trés-rapprochée du ganglion sous-æsophagien ; celle du sixième segment vient aprés un petit intervalle : ensuite il ya constamment une paire de ganglions dans chacun des segments suivants, bien que la position en soit variable (4%, ete.). Les 278 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSTECHER ET GANINE, commissures longitudinales sont manifestement doubles, les ganglions d’une paire étant cependant fortement rapprochés en forme de massue, plus larges et plus arrondis en avant, et se fondant plus graduellement dans les commissures en arrière. Le système trachéen est formé de deux troncs longitudinaux assez fins situés sur les côtés du corps, un peu au-dessus du milieu de sa hauteur, et qui s'ouvrent au dehors d’une manière très- évidente en arrière par des stigmates simples, situés au milieu du bord latéral du pénultième segment (fig. 1 et 6, s). Bien que ces troncs donnent des ramifications remarquables dans le quatrième segment, et se rapprochent du milieu du bord latéral de ce seg- ment, il est loin d’être certain qu'il y existe des stigmates. Les enveloppes vides et privées de vie des vieilles larves, après que les jeunes les ont quittés, montrent les trachées d’une manière plus manifeste que pendant la vie, et font voir que les segments moyens possèdent des branches transversales très-courtes qui débouchent au dehors par des stigmates punctiformes. Il est à re- marquer aussi qu'il existe beaucoup d’anastomoses transversales depuis le quatrième jusqu'au huitième segment, au moins une fois de plus que dans tous les autres anneaux. Enfin les trachées qui parcourent le bord postérieur d’un segment communiquent avec celles du bord antérieur du segment suivant. Outre l'anastomose transversale remarquable que nous avons indiquée sur le ganglion sus-æsophagien, branche de communication qui constitue évidemment la portion antérieure du système res- piratoire, on voit en arrière une anastomose du système trachéen très-analogue, mais ressemblant à la pièce qui réunit les deux branches d'un traineau dans le treizième et le quatorzième seg- ment (fig. 6, t). La poche cardiaque, facile à reconnaitre à ses pulsations, dont on peut compter quatre-vingts par minute, s'étend depuis le treizième segment jusqu'au sixième, el règne le long du dos. Ses parois sont en général très-délicates, mais de place en place, à des distances assez considérables, elles sont gonflées par le dépôt de cellules sur les deux côtés du vaisseau. Ces cellules sont entourées d'un petit nombre de molécules fines. Des ponts vascu- REPRODUCTION PAR DES LARVES. 279 laires sont étendus transversalement sur ces points, et l'on voit deux de ces valvules placées vis-à-vis l’un de l’autre, tout au- près de l'extrémité postérieure du cœur (fig. 13). On doit se garder de prendre les mouvements rhythmiques de l'œsophage, dans sa partie située.en arrière de la masse cérébroïde, pour des mouvements du bord antérieur du cœur qu'on supposerait Ôtre coudé. La poche cardiaque est notablement plus délicate. Les corps graisseux ont été, de notre part, le sujet d'un examen sérieux, à cause de l'importance que M. Wagner attribuait à leurs fonctions ; peut-être s'est-il laissé tromper un peu à cet égard. I'ya d'abord un petit corps graisseux médian (fig. 1 et 7) placé immédiatement en arrière du cerveau ; il forme un petit sac qui, parfois, est plein au point d’être gonflé : mais j'ai vu son contenu réduit à moins de douze globules de graisse de diverses dimensions. L'enveloppe est une membrane transparente comme du verre, fixant surtout le sac à l'enveloppe du ganglion sus- œsophagien. Ainsi ce corps graisseux médian suit les mouve- ments de la masse cérébroïde pendant les changements de forme du corps, et étant fixé en arrière, bien que lâchement, il est susceptible d'extension et de relâchement. Le degré de plénitude de ce sac dépend du développement de la larve et de sa nutri- tion ; certainement 1l n’est pour rien dans la formation des jeunes. D'après ses rapports, je serais plutôt disposé à croire que ses fonctions sont liéés à celles du cerveau. I se peut qu'il agisse d’une manière analogue au grand amas de graisse situé dans la cavité du crâne des Poissons, c'est-à-dire qu'il protége mécaniquement le cerveau ; ou bien peut-être n'est-ce qu'un dépôt de matières nutritives servant à alimenter particulièrement le cerveau, à raison du voisinage. Il y à encore deux corps graisseux volumineux en forme de boudin placés sur les côtés du corps (fig. 1 et 7, a) et s’éten- dant du petit sac graisseux dont il vient d’être question jusque dans le dernier ou lavant-dernier segment du corps. I existe dans l'intérieur de ceux-ci, comme dans le précédent, des goutte- lettes de graisse de diverses grosseurs, retenues ensemble par 280 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSTECNER EE GANINE, une enveloppe délicate et hyaline; cette membrane, en s'enfon- cant profondément par place dans l'intérieur des corps grais- seux, donne à ces derniers un aspect articulé, leur fait prendre la forme de boudins allongés, les dispose en grappes, en lobes ou en mamelons. Avec les œufs, ce sont les corps graisseux qui donnent à ces animaux leur aspect blanchätre dominant lors- qu'ils sont vus par lumière mceidente. | Sans aucun doute, ajoute M. Pagenstecher, le point difficile de toute cette question est de savoir comment, dans une larve faite de la sorte, les jeunes sont produits ; malheureusement il a fallu que je me contente, en attendant mieux, de ce qui est pro- bable, au lieu d'en avoir la certitude, et cela est d'autant plus regrettable qu'il résulte du défaut de matériaux. Cependant je ne puis adopter la manière de voir de M. Wagner, c'est-à-dire que les jeunes se forment dans les corps graisseux. Il me semble plutôt que les germes des jeunes sont formés d’une manière in- dépendante de ces corps, et que ce n est que quand les nouvelles larves sont plus âgées, qu'elles se les assimilent d’une manière assez irrégulière, mais indirectement comme d'autres matières nutritives. Les produits de la génération, développés dans nos larves de Diptéres, ont le caractère d'œufs, d'abord tres-petits, mas prennent, pendant le développement de l'embryon, le type ordi- naire, et une grosseur assez considérable. Après avoir suivi ces œufs dans toutes leurs modifications, depuis leur apparition jusqu'à ce qu'ils offrent des caractères nets et bien reconnaissables, on peut dire que les ovules les plus Jeunes sont des globules de 0"",05 de diamètre. De Ià, on peut disposer une série ascendante, dont l'embryon le plus élevé, contenu encore dans ses enveloppes d'œufs, peut avoir plus de 4 millimètre ; une autre série comprendrait les développements ultérieurs : les jeunes débarrassés des enveloppes de l'œuf; des jeunes débar- rassés des enveloppes de la mère; enfin des jeunes larves chez lesquelles une nouvelle génération se développe. L'augmentation de volume colossale que l'œuf éprouve pen- dant son développement ne se fait jamais par croissance directe REPRODUCTION PAR DES LARVES. 281 au moyen d'une portion des corps graisseux, mais par la voie de nutrition, par le passage à travers les membranes des matières nutritives communes adjacentes. Dans la croissance ultérieure, je n'ai pas vu non plus intervenir directement les corps graisseux. Les changements que M. Wagner à vu s'opérer dans ces corps semblent n'être autre chose que la consommation qui se fait gé- néralement à une époque plus éloignée de ces corps graisseux , laquelle est accompagnée de modifications caractéristiques. J'ai trouvé les germes distincts les plus jeunes dans la partie postérieure du corps, et ils s'avançaient de plus en plus à mesure qu'ils augmentaient de volume ; ils étaient alors cou- chés irrégulièrement entre les divers viscères. Ils sont formés d'une couche périphérique de globules petits et clairs, dans les- quels on ne voyait manifestement ni enveloppe, ni noyau ; il y a des vacuoles vésiculaires dans ia masse homogène, et plusieurs granules graisseux angulaires (fig. 9). Il n'y avait aucun tissu pour unir ces jeunes œufs aux corps graisseux. Dans certains cas, on apercevait bien quel- ques amas hyalins irréguliers entourés d’une membrane, un produit secondaire foncé, à molécules fines, analogues à ce qu’on observe dans les œufs entre leurs éléments globuleux ; mais cette analogie n’est qu'apparente, et il n’y a jamais aucune connexion entre les œufs les plus petits etles corps graisseux. Je n’ai jamais vu cette apparence groupée et tachetée des corps graisseux, que M. Wagner à représentée, excepté dans le cas où les œufs existaient depuis longtemps, et étaient devenus volumineux : on voit alors cette disposition en rosette de perles dans plus d’une centaine d'amas ; on voit aussi parfois, après la déchirure des enveloppes des corps graisseux, la réunion irrégulière des ma- ières grasses de ces corps en gouttes que M. Wagner a représen - tée dans sa figure 21 ; j'ai vu aussi de grands amas de globules graisseux clairs, que M. Wagner désigne comme des parties embryonnaires, se développant d'une manière toute particulière en connexion avec. les corps graisseux; mais depuis le moment où j'ai vu les jeunes œufs véritables, je ne puis considérer ces globules comme des œufs. 282 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSIECHER ET GANINE, Je n'ai pu constater avec certitude le lieu où les jeunes œufs se forment. Il y a cependant trois endroits qui me sont suspects, à cause de l'existence de cellules remarquables; d’abord un groupe de cellules entourant le rectum, un peu au-dessous du lieu où les vaisseaux de Malpighi débouchent dans l'intestin (fig. 6, x). Mais ces cellules sont entourées de molécules fine- ment granuléuses, et semblent avoir des fonctions permanentes plutôt que d’être en train de naître ou se propager. Il y a un dé- veloppement très-grand de cellules sur là membrane interseg- mentaire entre le dernier et l'avant-dernier segment. Quand animal est vu à plat sur l’une ou l’autre face, ces cellules forment une grappe plongeant dans la cavité du corps (fig. 6, y). Enfin ilexiste dans la couche celluleuse interne de la peau même du dernier segment (fig. 6, 3) un amas de cellules d’une grosseur et d’une transparence remarquables, qui, en se détachant, pourraient peut-être devenir le germe des ovules. Mais tout cela a besoin d’être contrôlé par un examen ultérieur. Les jeunes œufs se trouvent libres dans la cavité du corps en plus grand nombre que les embryons qui pouvaient en naïître ne viennent à maturité. Ainsi j'ai trouvé quinze œufs, d'un dia- mètre variant entre 0"",05 à U"",38, chez une larve de 1"",7 de long, tandis que le plus grand nombre de jeunes observés plus tard dans son corps n'était que de sept, avec un petit nombre d'œufs dont on pourrait encore attendre le développement. Mais le nombre habituel d'embryons qu’on trouve dans le corps d’une larve est de quatre à cinq. Ainsi il y a une partie des œufs qui périssent ne pouvant pas arriver à leur développement complet. L’accroissement des œufs libres se fait surtout dans un certain sens; ils deviennent d’abord d'un ovale court, puis d’un ovale très-prolongé, ayant à peu près la forme d'œufs des Mouches de la viande, mais étant un peu plus convexes sur une des faces que sur les autres. Les œufs parvenus à une certaine grosseur montrent une seg- mentation, dans laquelle je ne pus découvrir que quatre globules clairs, couverts par place à leur surface de molécules fines, qui, en s’amassant, leur constituent une sorte de petite couronne, la REPRODUCTION PAR DES LARVES. 283 couche périphérique des cellules étant disparue (fig. 10 et 40). Ces molécules fines me paraissent être les premiers produits éli- minés de la masse de l'œuf provenant de la surface des globules, comme plus tard se feront les sécrétions sur les surfaces libres extérieures, où bien dans des organes disposés exprès à cet effet. La résolution ultérieure du vitellus et la formation de ses cellules ne se font pas d’une manière régulière. Tandis que le germe en entier se contracte, et une membrane de l'œuf sans structure peut être distinguée , une couche embryonnaire, cel- luleuse, ventrale, se sépare de la masse vitelline renfermant des gouttelettes de graisse nombreuses et grandes (fig. 5 et 6). L'accroissement constant se fait sentir également dans la couche embryonnaire et dans la masse vitelline. Je ne sais pas si l’on doit donner de l'importance à deux corps fortement réfringents que j'ai vus à plusieurs reprises à cette époque, placés symétrique- ment près du bord antérieur de l'embryon, et qui ont l'air d'yeux (fig. 5). En croissant, la couche embryonnaire entoure de plus en plus le vitellus de nutrition, surtout en avant, avec son bonnet cépha- lique foncé, par lequel la masse vitelline est repoussée plus en arrière. J'ai vu pour la première fois un commencement de segmen- tation quand l'œuf avait atteint la longueur de 0"",95, c’est- à-dire le quart de sa longueur totale ; c'était par l'apparition de bourrelets transversaux au ventre, plus manifestes vers le milieu qu'en avant ou en arrière (fig. 1h), puis des gouttières s’établis- sent entre ces bourrelets. Peu à peu l’organisation se perfectionne; on voit les corps graisseux et la chaîne ganglionnaire se former ; les yeux, l'æso- phage et les autres parties du canal intestinal deviennent mani- festes ; les épines se dessinent sur les bourrelets abdominaux. Si, dès cette époque, on détache l'embryon de ses enveloppes d'œuf, il commence à ramper ; l'œuf à alors 4 millimètre de long et même plus. Chez les embryons ainsi prématurément dépouillés de leurs membranes, on voit encore la masse vitelline placée vers la partie inférieure du dos, et l’on serait tenté de croire qu’une por- 284 N. WAGNER, MEINERY, PAGENSTECHER ET GANINE. tion de ce vitellus passe directement dans les corps graisseux, de sorte que s’il en était ainsi, la production d'œufs par les restes du vitellus et leur développement seraient en harmonie, car il est certain que plus tard les restes du vitellus et les corps grais- seux fournissent à la croissance d'œufs placés entre eux. Il est parfaitement certain que l'embryon subit une mue pen- dant son séjour dans l'œuf (fig. 16) ; la peau détachée semble privée d'antennes et d’une ouverture buccale. Je n'ose pas dire que cela a lieu constamment. Il existe encore ce qui paraît être uné autre peau, mais qui n'en est pas, située entre les mem- branes de l'œuf et l'embryon ; c'est une couche de molécules fines disposées souvent dans des champs très-réguliers; on doit les regarder, ce me semble, comme des excrétions de la peau de l'embryon qui se détache de plus en plus des membranes de l'œuf. Tandis que le développement de l'embryon avance de plus en plus dans l'intérieur de l'œuf, la larve mère devient de plus en plus grosse et pleine, et se meut moins ; mais les fonctions v persistent toujours. Tantôt les corps graisseux latéraux restent simples, tantôt ils se divisent en plusieurs masses qui ont la forme de boudins. C’est alors que les jeunes percent les membranes de l'œuf etse meuvent d’abord d'une manière lente, s'étendant et se contractant librement dans le corps de leur mère (fig. 8). D'abord la mère continue de vivre, mais alors, où un peu plus tôt, il se passe quelque chose de très-analogue à ce qui a lieu chez le jeune dans l'œuf ; il s'opère une mue, mais en sens inverse ; il se fait une peau incomplète sous une peau complète. Cela est plus visible à l'extrémité antérieure et à l'extrémité postérieure du corps où la peau se retire de la membrane chitinique délicate, et une nouvelle peau se forme (fig. 1). Cette nouvelle enveloppe n'est pas complète partout ; ainsi elle manque sur le dernier ar- ücle des antennes ; l'antenne est généralement plus grossière , plus arrondie , comme ce qu'on voit chez les nymphes. Parfois on trouve l’ancienne enveloppe déchirée, et la nouvelle libre et exposée. Le plus souvent cependant les deux enveloppes restent ensemble, l'ancienne emboîtant la nouvelle, seulement l’extré- REPRODUCTION PAR DES LARVES. 285 mité antérieure de la première reste vide sur l'extrémité cépha- lique nouvelle. La larve reste encore mobile pendant ces chan- gements; on y remarque en particulier un mouvement de va-et-vient d'avant en arrière, comme si elle voulût favoriser la séparation entre l'ancienne et la nouvelle peau. Ici finit l'acte de la reproduction chez notre larve, la vie de l'individu se terminant au commencement d’une espèce d'état de nymphe de Diptère. Les enveloppes chitiniques externes, pénétrées peu à peu par les liquides qui les entourent, étaient devenues d'un jaune sale non-seulement en avant, mais en arrière ; les mouvements et l’ingestion d'aliments chez la larve mère cessent ; celle-ci n’est plus qu'une double poche qui retient les embryons, et dont le contenu est dévoré par eux avec une voracité toujours croissante. La vie propre de la mère s'éteint ; son organisation va être détruite : les corps graisseux, la chaîne ganglionnaire, l'estomac, disparaissent, et il ne reste plus dans l'intérieur du corps que quelques anses de trachées balancées çà et là par les embryons inquiets. J'ai percé de tels sacs soit en avant, soit en arrière, et les jeunes ont cherché vivement à en sortir quand l'ouverture était assez grande pour le permettre : mais } ai trouvé aussi dans les résidus de betterave un de ces sacs perforé spontanément et vide. Une seule fois je n'ai trouvé qu'un embryon dans un de ces sacs ; dans ce Cas, on aurait pu croire plutôt à une mue qu'à une reproduction, mais les caractères du sac ne le permettaient pas. Les seules mues que ces animaux éprouvent paraissent être celles qu'ils subissent dans l'œuf et celles de la nymphe ; du reste, le peu d'augmentation du volume du corps parait per- mettre qu'il en soit ainsi. Comme il y a des différences considérables dans l’époque et dans le degré de la consommation des corps graisseux, la des- truction complète de l'organisme de la mère varie. Jai trouvé une larve mére de 1°",9 de long complétement dévorée jus- qu'aux trachées par ses jeunes longs de À millimètre : tandis que chez une autre, longue de 2°",5, la chaîne ganglionnaire et tous les viscères existaient encore reconnaissables, et la rétrac- 286 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSTEONER ET GANINE. tion de la nymphe dans la peau de la larve ne venait que de commencer. Un coup d'œil rétrospecteur rapide, jeté sur la reproduction par les larves de Diptère, donne les résultats suivants : Dans un point du corps non encore déterminé se détachent des cellules qui, restant libres dans la cavité du corps, prennent le caractère d'œufs véritables, et se développent d’une manière tout à fait normale, et produisent chacun un embryon sans qu'ils aient été fécondés, et sans que le Diptère mère ait passé de l’état de larve à l’état d'Insecte parfait. A l’époque où les em- bryons deviennent mûrs, la larve, mère, sous la protection de son ancienne enveloppe, se transforme en nymphe complète (en repos). La croissance des œufs et des embryons se fait aux dépens du sang de la mère d’abord, plus tard aux dépens des aliments amassés préalablement dans les corps graisseux ; les embryons devenus libres vivent enfin directement aux dépens des organes dépérissants de la mère. La génération ainsi pro- duite se reproduit de la même manière. La reproduction non sexuelle se fait ici comme chez les Aphides, c'est-à-dire à l’état de larve, où l'organe, qui, dans la vie des Insectes à l'état parfait, accompagne et sert le plus la vie sexuelle dioïque, manque. Je ne doute pas qu'un examen atten- tif de l'organe producteur des germes ne démontre une ana- logie parfaite entre ces Insectes. | La différence de la génération sexuelle et les conditions de son existence temporaire n'ont pas été observées dans notre espèce. 8 5. Le 2 mars de cette année, un article de M. Ganine, prépara- teur à l’université de Karkow, intitulé VNouvelles observations sur la reproduction des larves des Insectes diptères, à été lu à l'Aca- démie de Saint-Pétershourg (1). L'auteur nous apprend que pen- dant l’hiver passé on a trouvé à Karkow des larves propageantes (4) Nous devons l'extrait de ce mémoire à M; N. Wagner. REPRODUCTION. PAR: DES LARVES. 287 sous les planches vermoulues d’une maison, dans les débris de différents corps, par exemple des semences de Tournesol, de Melon d'eau, de Noisettes, de débris de bois vermoulu, de papiers cartonnés, etc. Ces larves ne différent que très-peu de celles trouvées par MM. Wagner et Pagenstecher, et par leur taille elles occupaient le milieu entre les larves décrites par ces deux savants. Nous n'empruntons du travail de M. Ganine que la description des organes reproducteurs des larves et du développement des pseudo-ova, qui ont été étudiés par cet auteur mieux que par ses prédécesseurs. M. Ganine a vérifié l'exactitude de lopi- nion de M. Pagenstecher concernant la présence des organes particuliers destinés à produire les ovules ; il à trouvé que ces corpuseules ne s'engendrent pas simplement dans les corps adi- peux, mais proviennent de petits sacs auxquels il donne le nom d'ovaires. Ces organes, au nombre de deux, sont placés symétri- quement dans le onzième segment du corps de la jeune larve, et logés dans une petite excavation creusée dans la partie latérale et interne des corps adipeux (fig. 26). Chacun de ces ovaires re- présente un petit sac aux parois minces et transparentes de forme oyalare, ayant chez les jeunes larves environ 1"",5 de longueur sur 0"",8 de largeur. Ils sont remplis par un liquide limpide, contenant quelques granules ou même deux ou trois petites cellules. Chez les jeunes larves, ces organes sont bien apparents à travers les téguments minces du corps, et ils sont intimement liés aux corps adipeux. À mesure que la larve s’ac- croit, les ovaires grandissent, prennent plus de longueur, ei se détachent plus ou moins des parties voisines, auxquelles ils ne sont liés dans ce moment que par deux filaments (ligaments) très-fins (fig. 27). En même temps qu'ils gagnent en gran- deur, des changements s’opèrent dans leur intérieur, et les pseudo-ova se développent. Le premier dépôt de ces corpuscules se manifeste par la multiplication de granules contenus dans le liquide. Quelques-uns de ces corpuseules en se groupant et s’en- tourant d'une enveloppe mince se transforment en véritables cellules, dont les contours ne sont d'abord bien visibles que dans 288 N. WAGNER, MEINERT, PAGENSTECNHER ET GANINE. la partie latérale de l'ovaire où ils figurent des demi-cercles Toutes ces jeunes cellules s'agrandissent peu à peu, et parmi les granules à double contour dont elles sont remplies, on aper- coit une cellule plus grande qui représente 1ci la vésicule ger- minative avec son noyau. Plus tard, cette vésicule vient se confoudre avec les autres granules qui augmentent aussi en grandeur, et elle échappe à l'observation. Pendant la période suivante du développement, chacun des jeunes pseudo-ova se couvre'd’une couche très-épaisse et forte- ment réfringente. Dans chaque ovaire, le développement des pseudo-ova ne marche pas avec la même rapidité, et les produits les plus mûrs sont réunis au bord postérieur de ce sac. Il s'ensuit que le détachement de ces corpuscules de l'ovaire re s'effectue que peu à peu, selon le degré de maturité de ces corps. Après ce détachement et même au dedans de l'ovaire, on commence à distinguer dans chaque pseudo-ovum le premier dépôt du vitellus, qui se montre toujours à l’un des pôles sous la forme de granules opaques d’une petitesse extrème, répandus parmi les granules ou plutôt parmi les cellules primitives (fig. 31). Peu de temps après, les gouttelettes graisseuses avec les contours bien marqués viennent s'ajouter à ces granules, et pendant que tous ces changements s’opèrent dans l’intérieur des pseudo-ova, ceux-ci s'allongent de plus en plus, et prennent une forme ellipsoïdale . Le développement ultérieur d’un pseudo-ovum s'opère con- stamment hors de l'ovaire, et consiste tout simplement en la multiplication des éléments du vitellus, qui remplissent peu à peu tout l'intérieur de ce corps, et cachent aux veux de lobser- vateur ce qui se passe dans les granules ou vésicules primitives. Les pseudo-ova détachés de l'ovaire, et tombés librement dans la cavité abdominale, viennent s’'agglomérer dans les segments postérieurs, et, en grandissant, 1ls montent peu à peu au milieu des viscères, vers la tête de la larve mère. De cette manière, les plus müûrs de ces corpuscules gagnent toujours la partie anté- rieure du corps de la mère, et c’est là que se trouvent constam- ment les larves les plus avancées. En atteignant le terme de REPRODUCTION PAR DES LARVES. 289 leur développement, ces larves s'échappent par cette partie antérieure du corps de la mère, en déchirant d’abord les coques de leurs œufs, puis les parois du corps de l'individu pro- créateur. Le premier changement qui s'opère dans un pseudo-ovum complétement développé consiste dans la formation d’une couche blastodermique sur la surface du vitellus et d’une couche épaisse et gélatineuse, aux dépens de laquelle se développe une rangée de cellules très-petites, oblongues-ovalaires, qui dispa- raissent bientôt après leur formation. Avant l'apparition de ces cellules, le pseudo-ovum commence à changer de forme, et devient voûté du côté ventral. Pendant la période suivante, une masse claire finement granulée, qui donne naissance à l'embryon, se constitue à la surface du vitellus, et bientôt s’agglomère sur le côté convexe du pseudo-ovum; l'embryon se développe d’une partie de cette masse, et peu de temps après on y distingue des sillons transversaux très-profonds, qui constituent les pre- miers vestiges de segments de la future larve. À mesure que le développement avance, le vitellus diminue en quantité; il se place sur le côté dorsal de l'embryon, où il se transforme immédiatement en corps adipeux. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 13. Les lettres suivantes indiquent les mêmes parties dans toutes les figures où elles se trouvent, a. Les masses graisseuses latérales. am. Le petit corps graisseux, moyen, attaché au cerveau. ant. Les antennes étendues ou rétractées, et dans ce dernier cas cachées sous le bord du second anneau du corps. c. Le ganglion sus-æsophagien ou cerveau. ga. Les masses nerveuses placées au devant de l'anneau œsophagien, vues par la face dorsale et la face ventrale. g! et gk. Les quatre premiers ganglions de la chaine ventrale, à compter du gan- glion sous-æsophagien. ma. Les vaisseaux de Malpighi. 5° série. ZooL. T. IV, (Cahier n° 5.) 3 19 290 N. WAGNER, MEINERTF, PAGENSTECHER ET GANINE. ml. Les faisceaux des museles longitudinaux, mn. Les muscles longitudinaux les plus postérieurs qui se fixent à l'extrémité prota- clilé de l'intestin pour la rétracter. mt. Le système des muscles transversaux. o. Les œufs. oc. Les yeux. oe. L'æœsophage. s. Les stigmates du pénultième segment du corps. sa. Les glandes salivaires. t. Les trachées. une. La garniture de crochets, située au bord antérieur des segments. v. L'estomac. va. La fente longitudinale de l’anus avec ses valvules, L'amas de cellules situées à l'extrémité postérieure du canal intestinal. y. Les groupes de cellules placées dans les replis de la membrane inter-segmentaire ; z. Les grandes cellules placées à la face interne de la peau (cellules destinées à deve- nir le germe des œufs ?). Fig. 1. Une jeune larve avec sa tête rétractée, Grossie 80 fois. Fig. 2. Extrémité céphalique d’une larve plus grande. Grossie 160 fois. Fig. 3. Extrémité céphalique d’une très-grande larve renfermant des jeunes et devenue immobile, Fig, 34. La même, vue sous le compresseur ; le menton et les mâchoires sont devenus visibles, Grossissement de ces deux figures, 460 diamètres, Fig. 4. Une anteune grossie 300 fois. 5 Fig. 5. Une larve avec des œufs assez volumineux, dans lesquels on peut déjà aperce- voir les bourrelets des embryons. Grossie 80 fois. Fig. 6. L'extrémité postérieure d’une larve portant des œufs de diverses grosseurs, sous un grossissement de 460 diamètres. Fig. 7. L'extrémité antérieure d’une larve portant des œufs ; on y voit la disposition des ganglions antérieurs, de l'œsophage et des glandes salivaires. Fig. 8. Une très-grande larve, vue sous un grossissement de 180 diamètres, L’extré- mité antérieure et l'extrémité postérieure de l'animal sont rétractées et séparées de l'enveloppe chitinique extérieure, de sorte qu'on voit la tête de la nymphe sous la peau de la tête de la larve. Cinq jeunes débarrassés des enveloppes d'œuf se meuvent librement dans l'intérieur du corps de Icur mère. Fig. 9, 10, 14, 12, 13, 14. Divers stades de développement de l'œuf jusqu'à l'appa- rition des bourrelets, sous un grossissement de 460 diamètres. Fig. 45. L'extrémité postérieure d'un œuf plus avancé. On voit sous la membrane de l'œuf et détachée d'elle une couche de molécules, disposée comme un épithélium, formant une espèce de double enveloppe de l'embryon. Grossie 168 fois. Fig. 47. L'extrémité antérieure d’un œuf encore plus avancé, L'embryon se retirant de son enveloppe chitinique antérieure, commence à éprouver une véritable mue dans l'intérieur de l'œuf. Grossissement 160 diamètres, REPRODUCTION PAR DES LARVES. 291 Fig. 17. Un embryon retiré des enveloppes de l'œuf et grossi 100 fois. Le dos s'élève soulevé par le viteilus restant, vi; on peut distinguer les yeux, l'armature d’épines, l'œsophage, les corps graisseux latéraux et les vaisseaux de Malpighi. 7, les restes de la masse vitelline. Fig. 18. L'extrémité postérieure du cœur fortement grossie. Fig. 19. Les grandes cellules ganglionnaires posées sur la masse cérébroïde et placées en arrière en dessous des anses trachéennes. Grossissement de 200 diamètres. PLANCHE 14 A. Fig. 20. Miastor metralous femelle, grossi 20 fois. Fig. 21. Extrémité de la patte, vue de côté. Fig. 22. La méme, vue eu dessus. Fig. 23. Extrémité postérieure du corps d'une femelle vue de profil : #, l'ouverture uro-génitale ; h, prolongement conique qui termine le dernier segment ; c,c, les appendices palpiformes. Fig. 24. Forceps d’un mâle vu en dessus : 4, le septième segment de l'abdomen ; b, le huitième segment ; c, tergum du neuvième anneau ; d, les angles inférieurs de ce segment courbés en haut et soudés au premier article du forceps (e); f, les branches du forceps; 9, les crochets terminaux de ces branches; 4, les plaques uro-génitales, Fig. 26. Le pôle supérieur d’un œuf : 4, la membrane externe ; a/, la membrane in- terne ; b, le micropyle; c, le vitellus. Fig. 26. La partie postérieure du corps d'une jeune larve : 0, l'ovaire; 2, portion des corps adipeux. Fig. 27. Ovaire d'une larve de 4 millimètre de long et0“%,17 de large : a, filament ; b, les cellules. Fig. 28. Ovaire dans l'intérieur duquel on aperçoit des traces des futurs pseudo ovules, Fig. 29. Ovaire avec sept jeunes ovules, Fig. 30. Une portion de l'ovaire dans laquelle s’est déjà détachée presque la moitié des ovules, Fig. 31. Un ovule sorti de l'ovaire, et dans lequel s'opère le dépôt du vitellus. Fig. 32. Unovule presque rempli par le vitellus. Le nombre des cellules claires est réduit, et on ne les aperçoit que dans la partie claire. Les figures 4 à 19 sont tirées du mémoire de M. Pagenstecher; les figures 20 à 26 appartiennent au deuxième mémoire de M. Wagner; enfin les figures 27 à 32 sont tirées du travail de M. Ganine, NOTE SUR LES PLUMES DES D/NORNIS RUBUSTUS, Par M. DAELLAS. Extrait. On sait, par les recherches de M. Owen et de plusieurs autres natura- listes, qu'à une époque plus ou moins reculée il existait à la Nouvelle- Zélande des Oiseaux de grande taille qui, aujourd’hui, paraissent être complétement détruits et qui ont reçu le nom de Dinornis. Mais on ignore l’époque de leur disparition, et tout ce qui peut nous éclairer à ce sujet présente beaucoup d'intérêt. Nous croyons donc devoir signaler ici les faits suivants : M. Dallas, conservateur du Musée d'histoire naturelle de York, nous apprend que la Société philosophique de cette ville vient d'acquérir un exemplaire du Dinornis robustus dans un état de conservation si parfait qu'on y voyait encore des portions du système musculaire et de la peau, mais aussi des plumes. La portion des téguments qui portait ces appen- dices recouvrait la région pelvienne au-dessus de la base de la queue. Lesplumes sont toutes très-incomplètes, mais on voit que par leur struc- ture elles ressemblent beaucoup à celles des Casoars; elles ne sont pas conformées comme chez les Autruches, mais offrent à côté de la tige principale une tige accessoire; les barbes sont longues et consistent en filaments grèles, soyeux et aplatis ; elles portent des barbules très-déli- cates qui paraissent être dépourvues de barbicules. La tige accessoire est notablement plus petite que la tige principale; mais elle est assez déve- loppée pour jouer un rôle important dans la constitution de l'enveloppe tégumentaire. D'après l’état de conservation de ce cadavre, on aurait pu croire, au premier abord, que la mort de l'animal ne datait que de peu d'années; mais M. Dallas fait remarquer que certaines parties du squelette étaient si profondément altérées, que cela suppose l'exposition à l'air libre pendant un temps fort considérable. (Anra/s and Mag. of Natural History, juil- let 4865, t. XVI, p. 66, avec figures dans le texte.) SUR UN GENRE NOUVEAU D'ASCIDIEN, | LE CHEVREULIUS CALLENSIS, Lac.-Duth., Par le docteur HE. LACAZE-ID1 M'AIERS, I Le groupe des Ascirexs est à la fois très-remarquable et fort curieux ; il mérite à tous égards une étude particulière, car il se distingue par de nombreux traits du reste des Mollusques. La variété de forme, de rapports, de structure, et la composi- tion chimique toute spéciale qu'offrent les animaux qui le com- posent, présentent un intérêt qui ne saurait être mis en doute. Déjà de nombreuses études ont fait connaitre bien des types di- vers dans cet ensemble d'organismes tantôt simples {et isolés, tan- tôt au contraire composés et agrégés. Il suffirait de rappeler les travaux de Savigny, de Cuvier, de MM. Milne Edwards, Huxley, Allman, Kôlliker, Agassiz, van Beneden, Eschricht, Gegen- baur, etc., pour faire sentir toute l'importance des recherches qui ont déjà eu lieu ; et cependant les découvertes qui restent à faire sont encore nombreuses. IL est probable que dans les profondeurs des mers inexplorées existent des formes du type Ascinie, qui se rapprochent des formes des autres Mollusques quant à l'extérieur, tout en restant au fond essentiellement caractérisées par les particularités d’or- ganisation qui toutes sont propres et communes au groupe. J'ai été assez heureux pour rencontrer des circonstances qui, ayant favorisé mes recherches, m'ont permis de trouver sur les fonds coralligènes un de ces exemples qui, par la forme exté- rieure, rappelle un autre groupe de Mollusques, et qui, par la disposition de ses organes, ue peut être rapporté qu'au type ASCIDIEN. Son étude est des plus instructives ; elle montre combien la nature emploie quelquefois des procédés simples quand il s’agit 29/4 H. LACAZE-DUTHIERS. avec peu de faire un être différent en apparence de ses sem- blables, tout en le laissant identique au fond ; elle nous prouve aussi combien la connaissance des détails anatomiques ou orga- nologiques est indispensable pour le zoologiste, car, sans eux, un examen superficiel ferait classer l'être dont il vient d'être ques- tion dans une tout autre division que celle à laquelle il appar- tient, et dans laquelle on est obligé de le ranger quand on a appris à le connaître anatomiquement. IT Qu'il soit permis d’abord d'exposer sommairement le plan d'organisation d'une Ascidie. On peut se représenter un de ces animaux, ainsi que l'in- dique l'étymologie du nom, comme formé par un sac muni de deux orifices rapprochés servant à établir des communica- tions avec l'extérieur, et entouré par une enveloppe générale plus ou moins coriace ou résistante qui constitue une véritable tunique. Les organes formant le corps affectent une position particulière, et sont disposés suivant une certaine symétrie dont il ne sera question que secondairement, et seulement pour les besoins de ia démonstration. L’enveloppe externe ou la tunique, que l’on a auss! nommée le test, est presque à elle seule caractéristique du groupe, si bien que Lamarck avait appelé Toniciers tous les animaux qui la présentaient. Le sac interne se décompose en deux sacs secondaires (1) ; l’un, placé immédiatement sous la tunique, représente à peu près entièrement les véritables parois du corps ; il recouvre le second qui, très-vapproché de lui, est d’une bien plus grande délicatesse ; celui-ci, percé d'innombrables pertuis, représente un véritable crible ou trélis perméable, qui permet à l’eau de le traverser. (4) I n'est ici question que des dispositions les plus générales, et je laisse de côté les distinctions d'anatomie fine et minutieuse qui ont conduit quelques auteurs à admettre plusieurs membranes là où un examen superficiel n’en fait voir que deux. SUR UN GENRE NOUVEAU D ASCIDIEN. 295 Ainsi des trois sacs concentriques enfermés les uns dans les autres : l’un, externe, dur et coriace, est protecteur; l'autre, interne, semblable à un tissu maillé, est destiné à tamiser les liquides; un troisième, intermédiaire, plus résistant que le der nier, mais moins que le premier, représente réellement les parois du corps. Le sac le plus interne est la branchie ; il a deux orifices, l’un supérieur, l’autre inférieur ; le premier est destiné à l'entrée de l’eau, le second n’est autre que la bouche. L'eau apporte les particules qui servent à l'alimentation, et qui, entraînées par les courants vibratiles, vont tomber dans la bouche béante au fond du sac; puis elle traverse les mailles déli- cates et innombrables des parois de la cavité en hématosant le sang qui circule dans les vaisseaux capillaires que celles-ci ren- ferment. Elle tombe alors dans la cavité du second sac représen- tant la véritable enveloppe du corps et n'en peut sortir que par un nouvel orifice latéral qui manque à la branchie, pour qu'elle soit forcée de traverser cet organe. La cavité de ce second sac est comme un cloaque où s'ouvrent à la fois les organes de la reproduction et l'extrémité anale du tube digestif. La tunique offre de même deux orifices, au pourtour desquels viennents’attacher leslèvres des orifices des sacs qu’elle renferme. Dans sa forme extérieure la plus générale, une Ascidie simple présente plus ou moins d'analogie avec un corps piriforme ; sa base est le plus souvent adhérente; son sommet est occupé par l'orifice branchial ; l’orifice latéral du cloaque est tantôt rejeté sur le côté, ou tantôt rapproché du premier. Il est facile de reconnaitre une Ascidie à ces deux orifices, et quand on à vu un de ces animaux, quand on à une connaissance bien positive de leur organisation, on ne peut guère s'y tromper : les deux orifices sont des points de repère toujours fidèles dans les indications qu'ils fournissent. Le corps même de l'animal, constitué par l'ensemble des viscères, est placé vers la base du sac branchial auquel il est accolé ; il est recouvert par le second tégument, et adhère dans .un point fort limité à la tunique externe. 296 HW, LACAZE-DUFSHIERS. L'æsophage qui fait suite à la bouche est toujours court ; l'estomac, assez vaste, a ses parois souvent confondues avec le tissu sécréteur de la bile, le foie; l'intestin, plus ou moins con- tourné, laisse entre ses circonvolutions des espaces où se logent le cœur et les glandes génitales. Si j'ajoute que, dans l'épaisseur du sac qui limite le corps entre l’orifice anal ou latéral et l’orifice buccal ou terminal du sommet, on trouve un seul et unique ganglion nerveux, quel- quefois bilobé, d’où naissent des filets nerveux, dontles dernières ramifications se perdent dans les téguments, on aura une’idée à peu près complète du plan général des Ascidiens. L'organisation de ces animaux est donc à la fois assez simple et assez différente de celles des autres types de Mollusques ; elle est facile à caractériser, et on ne peut la méconnaître ou la con- fondre avec celles des animaux qui, même au premier abord, paraîtraient devoir être comparées aux Ascidies. Il serait sans doute intéressant de rappeler quelques autres détails relatifs à la division du groupe, mais ils n'auraient qu'une importance secondaire, puisqu'il ne peut être question ici de classification méthodique quand il s’agit d’un groupe signalé pour la première fois, et qui n'est encore représenté que par un genre et une espèce. Toutefois il faut mdiquer comme servant à la classification les festons disposés autour des deux orifices. Par leur variété de forme et de grandeur , ils ont servi à Savigny dans la détermination des espèces et des genres. Ils fournissent d’ailleurs par leur présence des caractéres précieux pour la distinction rapide des Ascidies. Ces festons, de grandeur et en nombre variables, sont accom- pagnés le plus souvent de points colorés, trop souvent et trop faci- lementappelés oculiformes par les zoologistes. Ces points n’offrent rien de spécial, du moins qui soit encore bien connu quant à leur organisation. [ls sont placés tantôt un peu en dedans de l’ouver- ture, tantôt dans les échancrures qui séparent ces festons. Toutes ces conditions peuvent fournir de très-utiles renseignements. La tunique offre des variétés, quant à sa consistance, à sa, ’ | SUR UN GENRE NOUVEAU D'ASCIDIEN. 297 couleur, à son épaisseur, à ses propriétés spéciales qui, toutes. sont mises à profit par les naturalistes pour les déterminations: tantôt elle est coriace et d’une couleur éclatante ; tantôt elle est comme membraneuse et terne; tantôt elle ressemble à une épaisse gelée transparente; mais toujours elle a été décrite comme n’offrant aucune différence quant à sa forme générale, toujours elle a été Jusqu'ici observée avec deux orifices, percés, l'un, à l’une des extrémités, l’autre sur les côtés du corps plus ou moins régulièrement ovoïde que représente l’Ascidie. La position respective des orifices est constamment semblable, mais leur distance varie beaucoup. Il faut aussi remarquer que presque toutes les espèces, sauf quelques exceptions, se fixent en soudant leur tunique sur les rochers ou sur les corps sous-marins; et il peut se faire encore que tout l'extérieur de cette tunique vivante sécrète une humeur agglutinative qui fasse adhérer à sa surface les débris des corps étrangers placés dans le voismage. Les deux orifices existant toujours sans exception comme deux pavillons, comme deux étendards font reconnaitre les Ascidies qu'on ne distinguerait souvent pas sous la couverture qu'elles se sont faite avec des débris de coquilles ou de plantes marines de toutes sortes. De ce court tableau très-résumé de l’organisation d’une Ascidie, il ressort que le type de ces animaux est parfaitement reconnaissable, et qu'il n’est pas possible de le confondre en quoi que ce soit avec celui des autres Mollusques. III Il était nécessaire de rappeler les dispositions générales qui précèdent, parce que dans l'animal dont il va être question on rencontre certaines analogiesavecles ACÉPHALES LAMELLIBRANCHES, qui sont cependant très-distincts des Ascines. Il sera main- tenant plus facile de faire sentir les différences ou les analogies en comparant le nouvel être soit aux uns, soit aux autres. Le test des Lamellibranches, du moins des animaux apparte- 298 H. LACAZE-DUTIIERS, è nant à ce groupe tel qu'il est limité aujourd’hui, est presque toujours bivalve. Si l’on rencontre des espèces ayant plus de deux pièces fondamentales dans leur coquille, c’est qu’il y a eu addition de parties nouvelles et supplémentaires, souvent de parties modifiées et comme morcelées, qui peuvent toujours se rapporter aux parties importantes et fondamentales. Dans toutes les Ascidies connues, on ne trouve, au contraire, rien qui rappelle, même de très-loin, l'organisation d’un groupe quelconque de cette grande division des Mollusques. 11 va sans'dire qu'ici 1l n’est question que de ces dispositions organiques secon- daires qui déterminent les coupes également secondaires du groupe général : car, au point de l’ensemble, les Ascidies ont les caractères de l'embranchement, et sont à nos yeux de véri- tables Mollusques. Leur tunique, uniforme à peu près dans toute son étendue, est contractile ; quand on la touche, elle revient fortement sur elle-même. Or, le} type que le présent mémoire a pour but de faire con- naître offre ceci de remarquable, que la tunique est presque entièrement cartilagineuse, sauf dans une partie de son étendue, où elle présente soit une épaisseur insignifiante, soit une inter- ruption complète, ce qui entraine une forme tout à fait spéciale et caractéristique; or cette forme est à ce point différente de celle qu’on est habitué à rencontrer dans les Ascidiens, que les | naturalistes, auxquels j'ai montré le portrait du nouvel animal, ont d'abord supposé qu'il devait y avoir eu erreur de ma part, et que probablement on devait le rapporter à un groupe très- défini des MoLLUSQUES ACÉPHALÉS BIVALVES, c’est-à-dire aux Lamellibranches. L'étude de l’organisation ne peut laisser le plus léger doute : l’animal dont il est ici question est bien certainement une Ascidie, mais une Ascidie d'une forme particulière; et comme les naturalistes ne paraissent pas l'avoir encore connu, il est nécessaire de le désigner par un nom particulier et d’en faire un genre nouveau. SUR UN GENRE NOUVEAU D ASCIDIEN. 299 Je le dédie à M. Chevreul, directeur du Muséum, dont les travaux sans nombre touchent à toutesles branchesdes sciences. Je serais heureux que cette dédicace püt être considérée par le savant illustre auquel elle s'adresse comme le témoignage de l'admiration que m'ont causée son amour pour la science et ses labeurs si patiemment, si philosophiquement conduits ; puisse- t-elle être aussi regardée comme une marque de la vive et pro- fonde reconnaissance que je ressens pour l'accueil sympathique et bienveillant que j'ai reçu du savant doyen et directeur du Muséum. Je nommerai donc le genre dont la description va suivre CHEVREULIUS, et comme l'espèce est encore unique et n'a été rencontrée que dans les eaux de la Calle, je lui donnerai le nom spécifique de CAZLENSIS, Il n'est pas douteux que cet animal ne se trouve dans bien d'autres localités de la Méditerranée. Mais, n'ayant pas eu l’oc- casion de draguer ailleurs que dans les eaux dont la Calle est le centre, je ne puis assigner que cette localité comme étant habitée par cette espece. | à 4 Le genre Caevreurius diffère totalement des autres genres des Tunicrers et plus particulièrement des Ascpres; un opercule qui ferme comme un clapet l'extrémité supérieure de sa tunique lui donne un caractère tout spécial. On pourrait par un mot le caractériser. Il forme au milieu du groupe des Ascrtexs un type particu-- lier : il est une Ascidie bivalve. Reste à savoir comment la disposition que rappelle ce mot peut être réalisée; s’il y a ici quelque analogie entre ce que va nous présenter ce type et les Acéphales, c'est ce que nous allons étudier. Avant de faire la description du Chevreulius, il est important 300 H. LACAZE-DUTHIERS, de signaler ce fait que jamais, à la base des individus observés ou sur leurs côtés, on n’a trouvé de bourgeons ou de stolons qui, ainsi que cela se voit chez les Clavelines, multiplient les ani. maux et en forment des colonies en les groupant, ce qui leur a valu le nom, dans ce cas, d’Ascipies socrALES ou composées, donné par Savigny et Milne Edwards. Le Chevreulius est une Ascidie simple, etsi sa tunique, vers sa base, envoie des prolongements, ce n’est que pour les insinuer dans les fissures des rochers et prendre plus d’adhérence en pénétrant au milieu des inégalités qui les portent. La forme générale du Chevreulius peut être représentée par une portion de cylindre, le plus souvent aplatie ou concave sur l’un de ses côtés, sur celui qui s’adosse contre le rocher qui le porte. Dans les dessins qui accompagnent cette description, on trouvera une figure (1) qui montre un individu adossé à une Thécidie. Les mouvements de la valve (2) supérieure du Brachiopode se sont opposés à la soudure de la paroi du cylindre qui semble un peu excavé de ce côté. Des deux valves, l’une, plus irrégulière, est adhérente aux corps sous-marins ; l’autre est à peu près perpendiculaire à l'axe même du cylindre que représente l'enveloppe tout entière et se détache en mode de valve ou clapet, puis fait un angle droit avec Sa première position (3) en se relevant. La tunique est lisse, d’une couleur un peu jaune, qui varie beaucoup avec les différents individus et qui, cependant, rappelle un peu la corne blond jaunâtre ; quelquefois un glacis de teinte chaude terre de Sienne s'ajoute dans les plis formés dans les angles qu'ont soulevés les corps sur lesquels l'animal s’est fixé, L’épaisseur du test est uniforme dans toute son étendue, mais elle n’est pas considérable. Sa consistance rappelle celle d’un car- (4) Ann. des sc. nat., Zoo1., 5° série, t. IV, pl. 5, fig. 3 (x). (2) Voy. ibid. (t). (3) Voy. tbid., fig. 2, 3, 4. (yyy) Valve qui se redresse comme le couvercle d’une tabatière. SUR UN GENRE NOUVEAU D'ASCIDIEN. 301 tilage lamellaire; aussi, relativement à ce qu’on observe dans la plupart des Ascides, il ya ici une notable différence. Quand on prend, entre des pinces ou les doigts, une tunique de Chevreu- lius, on éprouve, relativement aux proportions et à la forme de l'objet, une résistance assez grande ; sous la pression l'enveloppe résiste et repousse le doigt par son élasticité. On à vu que l’un des caractères des Ascidies, le plus essen- tiel peut-être, est la présence de deux orifices garnis de festons ou découpures avec points oculiformes. Lorsque le Chevreulius est fermé (1), on ne voit rien qui puisse faire soupçonner ce caractère ; mais dès qu’il entre-bâille et soulève sa valve supérieure, on aperçoit (2) au milieu d’un üssu blanc deux orifices qu’au premier abord on pourrait ne pas reconnaître pour ceux d'une Ascidie. Mais bientôt, quand la valve qui se soulève est devenue tout à fait perpendiculaire (3) à sa première position et que l'animal s’épanouit, il est facile de voir que chaque orifice présente les caractères de ceux que l’on rencontre d'une manière si constante chez tous les Asciniens. Toutefois, il ne faut pas se le dissimuler, ces orifices pour- raient, à la rigueur, ne pas être suffisants pour caractériser seuls l'animal, puisque, dans quelques Lamellibranches, on voit les lobes du manteau à ce point soudés, qu'il existe à peine un orifice en avant pour laisser passer le pied; quelquefois même la sou- dure est complète, et il n’y a plus alors que deux tubes offrant en apparence une grande analogie avec ceux des Ascintens ; puisque l'un porte l’eau dans la cavité respiratoire, et que l’autre conduit le résidu du fluide respiratoire à l'extérieur quand il a traversé la branchie. C'est même là la première observation qui m’a été faite quand j'ai montré mes dessins sans les accompagner de figures anato- miques assez nombreuses. (4) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo, 5° série, t. IV, pl. 5, fig. 4. (2) Voy. tbid., fig. 2 et 4. (a) Orifice supérieur, (0) orifice latéral. (3) Voy. ibid, fig. 2. 302 H. LACAZE-DUTMIERS. Il me paraît cependant certain que lorsque l’on a vu et suffi- samment étudié les Ascidies, la prennère impression que l'on éprouve en observant le Chevreulius bien ouvert est celle que produirait un Ascmrex. Rien, dans la disposition, la forme des tubes, ne peut faire croire à l'existence d’un Lamellibranche ordinaire, dont le manteau serait soudé. La nature de la mem- brane, la position des orifices, rien ne ressemble à ce que pré- sentent les Lamellibranches normaux. Que dire de la transparence des tissus, de la direction entre- croisée des paquets de fibres musculaires qui n’ont aucune symé- trie, par rapport à un plan médian, de l'apparence d’un grillage qui a fait donner le nom de thorax à une partie du corps, en raison même d’une certame ressemblance entre les bandes trans- versales de la cavité respiratoire et les côtes des animaux supé- rieurs ; tout, jusqu’à une tache blanche (4) qu'on peut observer par transparence entre les deux orifices, conduit à une diagnose certaine quand déjà l’ou a connaissance du plan de l’Ascidie. Cette tache blanche que, vaguement, on voit au travers des parois molles du corps, est le seul centre nerveux de ces ani- maux ; elle seule permettrait presque de dire à coup sûr : voilà une Ascidie. Mais, en pénétrant plus profondément dans l'organisme, il ne reste pas le plus léger doute sur la nature de cet être. Si l’on enlève, par exemple, une portion de la tunique (2), vers la partie inférieure adhérente aux corps sous-marins en avant, c'est-à-dire à l'opposé de la charnière, on tombe sur une mem- brane mince qui cache le sac interne criblé de petits orifices, et en dégageant celui-ci, on reconnaît tout de suite la grande poche branchiale. On trouve donc ici la succession, indiquée plus haut, de trois tuniques concentriques et emboîtées les unes dans les autres. (4) Ann. des sc. nal:, Zo6£,, 5€ série, t. IV, pl 5, fig. 2 (n,n). (2) Voy: thid., fig. 4, Tunique (x), partie inférieure adhérente. SUR UN GENRE NOUVEAU D ASCIDIEN. 303 Cette poche descend plus bas de ce côté du corps de l'animal que du côté de la charnière ; elleest terminée, en haut, par un ré- trécissement, une sorte de pédicule quilui donne la forme d’une poire un peu obliquement courbée, et qui s'attache à l'orifice supérieur, à celui qui est placé à la gauche de l’observateur, en face de qui l'Ascipren est placé quand 1l présente son côté opposé à la charnière (4). C'est, par conséquent, l’orifice qui correspond à celui qui ter- mine en haut l’ovoïde plus ou moins allongé que représente le corps de toutes les Ascidies que l’on retrouve 1er. En bas, on voit sur la face qu'on peut appeler antérieure, pour orienter la description, une masse glandulaire (2) de laquelle semble se dégager l'intestin (3). Celi-ci est comme soudé, appliqué à lasurface du sac, et s'ouvre dans une cavité (4) qui, elle, est sous la seconde enveloppe, et qui s'ouvre à l’orifice latéral, à celui que l'observateur a à sa droite en regardant le Chevreulius dans la position indiquée (5). Il suffirait de cette description pour caractériser suffisamment un Ascidien. Mais continuons. Si l’on enlève l'animal de son test, et si on le considère par la face qu'on peut appeler postérieure, c’est-à-dire par celle qui correspond à la charnière, on ne voit plus directement la poche branchiale, parce que l'on a sous les veux une partie de la seconde enveloppe plus épaisse et traversée en sens divers par des paquets de fibres musculaires qui masquent la cavité placée au-dessous d'elle, et où s'ouvrent à la fois le .canal excréteur de la reproduction et l’extrémité postérieure du rectum (6). (1) Voy. Ann. des se. nat., Zoon., 5€ série, t. IV, pl.5, fig: 4. B, Branchie; (a) son otifice d'entrée, (p) cavité péribranchiale où viennent s'ouvrir l'intestin (1) et les ov- ganes reproducteurs: (2) Voy. tbid. (g), (3) Voy. thid. (1). (4) Voy. ibid. (p). (5) Voy. ihid., fig. 2 et fig, A (X). (6) Voy. ibid, (p). 204 H, LACAZE-DUTVIERS. Si l’on fend cette enveloppe, on arrive sur les parois de la branchie, et l’on rencontre bientôt le tube digestif auquel s’accole le canal excréteur de la glande génitale. La cavité qui entoure la b'anchie ne peut pas communiquer avec l'extérieur par l'orifice supérieur ; elle s'ouvre, d’ailleurs, au dehors par l'orifice latéral, de sorte que l’eau qui a pénétré par l'orifice supérieur et traversé le grillage branchial doit tomber dans son intérieur, et en sortir par son orifice propre, entraînant avec elle les fèces et les produits de la reproduction. Il est impossible de ne pas reconnaître ici tous les caractères d’une Ascidie. Sur le bas du corps, dans la position où est l’animal quand on l’a ainsi dépouillé, du côté de la charnière, la masse viscérale se montre bien plus étendue que sur la face antérieure. Le tube digestif (1) descend sur les côtés de la poche et se perd au milieu des acini glandulaires; dans la courbe qu’il décrit et au-dessus de lui (2)se place l'estomac, dont les parois, alternati- vement plus épaisses et plus minces, paraissent striées longitudi- nalement; cette apparence est due à l’état glandulaire de ses parois et aux plis ou bourrelets longitudinaux que forme la muqueuse qui les tapisse. Du côté gauche de l’observateur est placé un tube court, c’est l’œsophage, qui s'ouvre dans le fond de la cavité branchiale par une bouche (3) sans lèvres, véritable infundibulum béant qui reçoit toutes les particules alimentaires que lui apportentles cou- rants respiratoires, Courants déterminés par les cils vibratiles de la surface de la cage ou cavité branchiale. Au milieu de cette masse glandulaire se trouve aussi le cœur, organe si singulier et si simple qui, ainsi que l'a montré M. Milne Edwards, se contracte tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. (4) Voy. Ann. des sc. nat., ZooL., 5° série, t. IV, pl. 5, fig. 5. (2). (2) Voy. bid. (e). (3) Voy. #bid. (b). SUR UN GENRE NOUVEAU D'ASCIDIEN. 305 La branchie des Ascidiexs présente une disposition toute spé- ciale, toute particulière. Elle est constituée par des tubes de deux ordres : les uns, longitudinaux, sont parallèles (1) à l’axe médian de la- poche qu'ils forment; les autres, d’un diamètre un peu moindre (2), unissent les premiers assez régulièrement et trans- versalement, en faisant avec eux des angles droits. Quand on re- garde cette sorte de treillage, à un faible grossissement, on s’aper- çoit très-aisément qu'il n’y a point de membrane fermant chacun de ces petits orifices. Cela devait être, puisque la respiration ne s’accomplit que par le passage de l’eau au travers des mailles. Mais, suivant les genres, on voit des plis longitudinaux ou des papilles qui s’avancent dans la cavité de la branchie, et augmen- tent, cela est facile à comprendre, l'étendue de la surface respirante. Savigny a mème tiré des caractères spécifiques et géné- riques de la présence et de la forme de ces appendices, papilles, lamelles, ou plis, qu’on voit dans l'intérieur de cet organe de la respiration. lci, en face des séries de tubes transversaux, qui unissent ceux, plus gros, se dirigeant de l’orifice extérieur vers la bouche, on remarque qu’ils naissent (3) de petites lamelles minces, à bords ondulés, plus ou moins étendues, qui, si elles ne se présentent pas quelquefois en face de chacune des séries de tubes, sont cependant régulièrement disposées vers le milieu de la hauteur de la branchie. Je ne voudrais pas assigner une importance trop grande à l'existence de ces lamelles, car le genre qui nous occupe est encore unique, ainsi que l'espèce ; et pour apprécier la valeur d’un carac- tère, il est nécessaire de l'avoir comparé dans plusieurs espèces ou plusieurs genres. Mais je devais signaler leur présence. La forme et la disposition des orifices méritent aussi une description spéciale. (1) Voy. Ann. des sc. nat., Zoo, 5° série, t. IV, pl. 5, fig. 6 (q). (2) Voy. tbid., (r). (3) Voy. 1bid., (s). 3° série, ZooL, T, IV. {Cahier n° 5.) # 20 906 H. LACAZE DULHBERS, L'orifice supérieur présente sept festons bien marqués, et entre chacun d'eux existe un point d'un joli rouge carmin (1). L'ouverture latérale ne présente que six festons et deux points oculiformes (2). Ces renseignements doivent être consignés 101, car ils fourui- ront, sans aucun doute, quand on trouvera d’autres espèces, des caractères propres à les faire distinguer. Y Il nous reste maintenant une question importante à examiner. Comment le Chevreulius ferme-t-1l et ouvre-t-1l sa tunique cartilagineuse ? Par quel mécanisme hâille-t-11? Y a-t1l dans le mécanisme de ses mouvements quelque analogie avec ce qui s’observe chez les Acéphales lamellibranches ? On sait que, dans ces derniers animaux, les deux valves de la coquille sont absolument séparées et distinctes l’une de l'autre ; qu'elles sont unies par une partie membraneuse qui maintient dans un rapport constant l’engrenage des denis de la charnière, et que, entre ces dents et la partie de la coquille leur ré- pondant, existe un tissu éminemment élastique, dont la posi- tion, la forme, l'étendue sont extrêmement variables. En outre, un ou plusieurs muscles traversant le corps des animaux de part en part, et s’insérant perpendiculairement à la surface des valves, rapprochent par leur contraction les deux moitiés de la coquille. Quant à l’écartement ou bâillement, son mécanisme est des plus simples. Voici comment il s'accomplit : Le tissu élastique est comprimé entre les deux parties de la coquille, quand lesmuscles agissent, absolument comme le serait une pièce de caoutchouc placée entre le battant et le cadre d’une porte que l’on chercherait à fermer. Les efforts pourraient, en comprimant le caoutchouc, l'emporter un moment et permettre de fermer la porte; mais dès que l’action directe cesserait, le (4) Ann, des sc. nat., Zoo, 5° série, t. LV, pl. 5, fig. 2, 4, 5 (aaa). (2) Voy. thid., (000). SUR UN GENRE: NOUVEAU D ASGIDIEN. 907 corps élastique, reprenant son volume prinutif, chasserait, par son élasticité, la porte, qui n'éta'! maintenue que par une forcé active et puissante, On peut donc dire que, dans les Acéphales lamellibranches, le bällement est entièrement passif et aban- donné à l’action d’une pelote élastique, et que l'occlusion est essentiellement active et produite par des muscles. En est-il de mème pour le Chevreulius ? D'abord il ne semble pas y avoir une charnière proprement dite, et par conséquent discontinuité entre le couvercle, ou valve supérieure, et la partie inférieure. La prenuère se continue directement avec la partie qui forme le pourtour de la seconde. Dans sa position normale, cette lamelle valvaire doit se relever et se placer perpendiculairement à la section du cylindre que représente le corps pris dans son ensemble, et cela par l'action de son tissu, qui est, comme 1l a été dit, très-élastique. Ainsi donc, ici, l'opercule est soulevé par l’action directe de son élasticité propre : l'animal bille passivement, dès que l'activité musculaire cesse; mais, pour que l’occlusion ait lieu, il faut que des organes actifs, c’est-à-dire des muscles, tirent la valve comme chez les autres Lamellibranches, On trouve, en effet, de chaque côté de la commissure qui unit les deux moitiés du test, un muscle fort et formé de faisceaux de fibres qui, quoique courtes, sont bien propres à agir et à forcer le,clapet à s'abaisser et à vaincre la résistance de son élasticité. Si l'on voulait comparer, au pomt de vue du nombre des puissances, le Chevreulius aux ACÉPHALES LAMBLLIBRANCHES, ON pourrait dire, comme pour la Moule, par exemple, qui a deux muscles, qu'il est un Dimyaires, par opposition à l’Huître et au Pecien, qui n'en ont qu'un, et sont dits Monomyaires, Sur les animaux conservés dans l'alcool, ces faisceaux muscu- laires deviennent durs et nacrés; chaque paquet de fibres est distinct de son voisin. Mais il suflit de considérer les animaux par la face posté- rieure, pour voir combien il v a de différence entre le tvpe qu 906 HW. LACAZE-DUTHIERS. nous occupe ici, et un Lamellibranche dinyaire. Dans ce dernier, l’un des muscles est en arrière de la bouche, et l’autre en avant de l'anus. Voilà des rapports constants, et lorsqu'il n°y à qu’un seul agent moteur, on le trouve placé dans la concavité de la courbe décrite par le tube digestif, comme, par exemple, dans les Pecten, les Ostrea. Ici rien de semblable : les deux orifices de la tunique qui répondent aux orifices de l'appareil digestif, mais d’une manière éloignée, n’ont aucun rapport avec les muscles; ils sont l'un et l'autre placés en dedans d'eux. Nous avons maintenant à indiquer quelle différence existe entre la tunique du Chevreulius et celle des autres Asciprens. Voici la question qu'il serait utile de résoudre : La tunique est-elle interrompue suivant une ligne que repré- senteraient les deux bords libres des deux valves (1); et lorsqu'il ya bâillement, est-ce la seconde enveloppe générale du corps, la véritable, qui se trouve ainsi mise à nu sur une grande éten- due. En un mot, la tunique externe serait-elle incomplète dans un certain point, et se réunirait-elle ici à l'enveloppe de l’ani- mal par le pourtour d’une grande fente, au lieu de se refermer jusqu'à la hauteur de chacun des orifices, comme il n’est pas dou- teux que cela existe chez les Ascidies ordinaires ? On pourrait certainement répondre affirmativement à cette question, et trouver des raisons en faveur de l'opinion qu’elle contient. Mais, cependant, si la tunique et l'enveloppe placées au-dessous l’une de l’autre sont distinctes d’une manière absolue, on devrait trouver deux lamelles dans la partie qui vient d’être indiquée : or, c'est chose difficile à dire ; il faudrait que, dans tout l’espace représenté par les membranes minces et blanches au milieu desquelles on voit les deux orifices, le test ou la tunique coriace fût excessivement mince et accolée à la seconde mem- brane, celle qui forme le second sac. (4) Voyez, Ann. sciences nat, LZoor., 5° série, t. IV, pl. 5, fig. 4 et 3, la ligne qui semble séparer la valve supérieure du reste du test. SUR UN GENRE NOUVEAU D ASCIDIEN. 309 Cette maniere d'interpréter les choses permettrait peut-être de mieux et plus facilement comprendre les dispositions que l’on vient d'étudier. On ne peut oublier, en effet, que ce serait une bien grande exception au plan général des Ascidies, que de voir cette tunique cartilagineuse, interrompue sur une aussi grande étendue que celle que mesure l’écartement des deux valves. Aussi, peut-être, est-il préférable, bien que les démonstrations ne soient pas suffi- santes, d'admettre provisoirement, lorsque l'animal se retire et contracte ses muscles, que c’est la partie amincie du test coriace qui cède, ploie et permet le recouvrement des parties les unes par les autres. Toutefois les dissections étant difficiles, les objets petits et délicats, je désire faire toutes mes réserves. Car, pour lever tous les doutes, il eût fallu un bien plus grand nombre d'individus que je n'en ai eu à ma disposition ; il en eût fallu de plus grande taille, comme on en rencontrera certainement en cherchant avec soin. VI En résumé, d'après les faits qui précèdent, il n’est pas pos- sible de pouvoir se refuser à admettre que, parmi les Asciprexs, il n'existe deux types très-caractérisés. L'un, qui correspond à toutes les Ascires connues, et chez lequel l'enveloppe coriace n’offre aucune particularité permet- tant de le rapprocher des Mollusques bivalves. L'autre, qui n'est encore représenté que par un genre et une espece, le CHEVREULIUS CALLENSIS, et qui deviendra, sans aucun doute, le chef de file d’une nouvelle série d’Asciprens à test bivalve. On trouvera ici une preuve nouvelle, s'il était nécessaire d'en donner, de cette inépuisable variété de moyens aussi simples qu'efticaces employés par la nature pour produire des organismes en apparence différents, quoique cependant identiques, et qui. 310 H. LRCAZE-DUTAIERS. par leur forme, semblent désigner des êtres tout à fait distincts et éloignés. | Ici quelques fibres musculaires sont surajoutées aux deux côtés d’une partie amincie; celle-ci cède sous l’action de leur raccourcissement, et une moitié de l'enveloppe devient mobile sur l'autre, elle se rabat se ferme, comme une valve : voilà, sans doute, un opereule fait à bien peu de frais et qui n'en est pas moins d’une efficacité parfaite. Ne voit-on pas, par exemple, une pince se produire par le simple allongement de l'un des ar- ticles de la patte d’une Écrevisse ? Pour cela, il suffit que l’avant- dernière division, en s’allongeant dans un point, devienne oppo- sable à l’autre ; il n’y a point là création d’un organe nouveau, à proprement parler, il y a seulement modification légère d’une partie qui cependant conduit à une fonction nouvelle. On remarquera encore combien les notions d'anatomie sont venues ici donner de force et de précision à la fixation de la nature de cet animal. Il eût été peut-être possible, en ne considérant que l’exté- rieur, de soutenir qu'on avait affaire à un Acéphale bivalve lamellibranche dont la coquille serait restée cartilagineuse, ne se serait point imprégnée de sucs et de dépôts calcaires, et dont le manteau, entièrement soudé par ses bords, ne présenterait plus que deux orifices. Mais en face des faits les plus généraux qu’une étude poussée seulement jusqu'au point nécessaire pour avoir une démonstration, il semble difficile de pouvoir rester un instant dans le doute ; tout prétexte même d’indécision disparaît par la connaissance des organes. C'est un fait aujourd'hui acquis à la science des animaux. Il n'est plus possible d'étudier et de trouver les rapports des êtres sans les secours de l'anatomie et de la physiologie. Bien peu d'années cependant nous séparent encore de l'époque où l’on voyait, en France, sourire presque de pitié les anato- mistes et les zoologistes de profession, quand on leur parlait de faire les classifications à l'aide de données organographiques et embryogéniques. SUR UN GENRE NOUVEAU D'ASCIDIE\. o11 Les temps sont bien changés, et le ridicule que l'on voulait rejeter sur la nouvelle méthode anatomo-physiologique retombe aujourd'hui entièrement sur les détracteurs d'autrefois. Les pro- grès sont tels, que de nos jours les jeunes naturalistes formés à cette nouvelle école s'étonnent qu'on ait jamais pu douter de la nécessité des données anatomiques et physiologiques pour arri- ver à une détermination précise des classes etmème des espèces. Je n'ai jamais oublié les critiques qu'un anatomiste éminent faisait devant moi à ce sujet, il y a maintenant plus d’une quin- zaine d'années. Nous avions travaillé dans le même laboratoire, etn'avions pas tardé à nous trouver en désaccord sur plusieurs points de vue, non-seulement de la méthode d'observation, mais encore de la philosophie naturelle. «Comment admettre qu'un organe transitoire de sa nature, » comme l'allantoïde, puisse être pris pour servir à la classifi- » cation et à caractériser un groupe ? J'ai peine à comprendre » qu'un z0ologiste ait songé à faire figurer cet organe embryon- » naire, d'une existence éphémère, dans une classification qui a » pour but de représenter la position relative des êtres dans leur » état parfait. » l'einie Cette critique prouvait simplement que le savant anatomiste ne se doutait pas de la portée de ses paroles, et qu'il ne voyait qu'un seul côté de la zoologie, celui-là même qui ne représente plus la science moderne, et qui consiste dans l'étude pure et simple du caractère extérieur; il soutenait, peut-être sans s'en douter, une opinion qui déjà avait conduit, par son exagération, un auteur bien célèbre à de graves mécomptes. Cuvier à dit : « Pour que chaque être puisse toujours se » reconnaître dans le catalogue, il faut qu'il porte son caractère » avec lui ; on ne peut donc prendre les caractères dans des pro- » priétés ou des habitudes dont l'exercice soit momentané, » mais ils doivent être tirés de la conformation (1). » Si l’on suit dans la classification, de point en point, la marche qu'indique le grand paturaliste, on tombe dans des erreurs sem- DA LA (4) Règne animal, KTRopucrioN, t. 1, p. 9. 312 NH, LACAZE-DUTHIERS. blables à celles que l'on rencontre dans le Règne animal, et qui nous étonnent. Au point de vue où se plaçait Cuvier à l’époque où il écrivait, il avait raison; mais aujourd'hui les choses ont changé, et ces principes ne peuvent et ne doivent point être suivis absolument sans une interprétation plus large qui permette les progrès. Ce n'est point ici le lieu de tracer la marche de l'esprit humain occupé à l'étude de l’histoire naturelle; mais, puisque cela vient d’être indiqué, je ne puis m'empêcher de montrer, en dehors des considérations philosophiques qui occupent ordinaire- ment presque exclusivement ceux qui jugent leurs prédécesseurs, le côté réellement pratique qui a déterminé et causé les erreurs. Linné avait trouvé les sciences naturelles dans un désordre et une confusion extrème; son premier soin fut de faire de l’ordre là où tout était mélange et mcohérence ; il répondait à ce besoin qui se fait partout sentir quand on rassemble des objets, des matériaux, de quelque nature qu’ils puissent être : mettre de l'ordre pour se reconnaître facilement, tel est le premier soin qu’en toutes choses l’homme prend, Mais bientôt ces premières classifications, ces rapprochements provisoires ne suffisent plus. Il faut des rapports naturels autres que ceux qu’un seul caractère peut fournir. Après les classifica- tions artificielles de Linné, Cuvier chercha à rapprocher les animaux d’après des caractères mieux connus, plus profondé- ment et sérieusement appréciés; mais, malgré la grandeur et la précision de son génie, il fut encore de son époque : il fut de cette époque où l’on faisait le Règne animal après le Systema naturæ, et, s'arrêtant à l'anatomie qui lui avait fourni dans ses monographies de si précieux renseignements, il tomba dans l'erreur pour n'avoir pas ajouté un élément de plus à sa mé- thode, la physiologie. Aussi cette maxime qu'il s'était posée : Il faut « que chaque » être porte son caractère avec lui», exagérée pour certaines classes du règne animal, le conduisit-elle à négliger l’'embryo- génie, et à placer le même animal, pris à deux périodes de son existence, dans deux classes différentes. SUR UN GENRE NOUVEAU D ASCIDIEN. 313 Cuvier, fidèle à la méthode qui lui avait fait faire ses grandes découvertes, s'arrêta dans la voie qu’il avait ouverte, comme il arrive si souvent aux grands génies, qui, après d'immenses résultats, semblent attendre et laissent leurs œuvres inachevées. Il lui manqua la connaissance d’une notion nouvelle, celle de l'individu, telle qu'elle découle des découvertes modernes. À l’époque que l'on peut appeler du RÈGNE AnIMAL, tant l'influence de cet immortel ouvrage fut grande, cette notion était représentée par une abstraction de tous les caractères d'un être parfait : aujourd'hui cela est insuffisant, il faut quelque chose de plus étendu. L'abstraction doit comprendre les carac- tères qui n'appartiennent même qu'à un moment donné de la vie au jeune animal plus ou moins larvé. Avec cette notion nouvelle, les rapports des animaux seront appréciés à leur juste valeur, et les progrès de la zoologie seront réels. Le ridicule que l’on voulait faire tomber sur la nouvelle méthode zoologique rejaillira sur ceux-là mêmes qui en mécon- naissent et la valeur et l'importance. VII Reste une dernière observation. Des naturalistes anglais, parmi lesquels MM. Hancock et Huxley, dont les remarquables travaux donnent un grand poids à leur opinion, ont pensé que les Bracuioropes et les POLYZOAIRES, ou BryozoaiRes, avaient entre eux de grands traits de ressem - blance. Les Asciies, ne pouvant être séparées des animaux du dernier groupe, se trouvent, par conséquent, avoir des rapports avec ceux du premier. M. Hancock, déjà, avait insisté sur le rapprochement des Taniciers et des Brachiopodes, dans plus d’une de ces publica- tions ; mais il développe surtout cette idée dans son grand et beau mémoire Sur l’organisation des Brachiopodes (1). Dans ses Lecons d'anatomie comparée, comme dans ses mé- (4) On the Organization of the Brachiopoda, April 24, 4857 (Philosophical Transac- tions, 1858, p. 791). -314 H, LACAZE-DUIMILRS, moires antérieurs, M. Huxley revient sur cette opinion, et il assure que plus ilapprofondit la structure des Brachiopodes, plus il reconnait la haute portée de cette vue de M. Hancock, que les vraies affinités de ces animaux sont avec les Polyzoaires, et que les bras des Brachiopodes peuvent se comparer à ceux des Polyzoaires lophophores (4). Dans son dernier ouvrage, le savant professeur de l'École des mines de Londres s'exprime ainsi : «Les Ascidiens, les Brachio- » podes et les Polyzoaïres montrent de nombreux caractères » communs (2). » Mon intention n’est point aujourd'hui d'apprécier cette opi- nion, elle mérite par son importance et par sa nouveauté d’être discutée et de faire l’objet d’un examen tout spécial; il suffit d'ailleurs de considérer quelle est la haute position scientifique de ses auteurs pour comprendre toute la valeur que lui donne cette position. Je veux seulement faire remarquer que si l'on ne prenait que la forme extérieure, la disposition des muscles, celle des valves par rapport aux orifices du corps, le Chevreulius pourrait fournir une preuve à l'appui de l'opinion de M. Hancock et de M. Huxley, qu'admet aussi M. Allman. Mais, pour légitimer et démontrer dans une classification une proposition telle que celle-ci : L'Ascidie est voisine de la T'éré- bratule, il faut des preuves d’un autre ordre; et bien qu'il fût séduisant pour moi de rencontrer un animal faisant le passage des Ascidies aux Brachiopodes, je me garderais bien d'affirmer de telles analogies sans avoir à l'appui apporté les lumières d’une discussion de toutes les conditions organiques qui permettraient de soutenir une pareille assertion. Il n'était pas possible, toutefois, de passer sous silence le rap- prochement qui s’est présenté à l'esprit des auteurs anglais. Si (1) Voy.Huxley, Proceedings of Royal Soc. of London, 15 June 1854; id., Ann, and Magazine of Nat. Hist., 2° série, 1854, vol. XIV, p. 285, et Contributions to the Anatomy of the Brachiopoda. (2) Voy. Huxley, Lectures on the Elements of Comparative” Anatomy, p. 80 « The Ascidians, Brachiopoda and Polyzoa exhibit many features in common, » ss. SUR UN GENRE NOUVEAU D'ASCIDIEN. 315 les longs bras frangés des Térébratules ont pu leur faire trouver quelque analogie avec les tentacules, qu'ils appellent le lopho- phore, chez les Polyzoaires d’eau douce (1), et faire rapprocher les Bryozoaires des Brachiopodes, la présence de deux valves fermées par des muscles, disposées à peu près comme dans les T'érébratulides, permettrait tout aussi bien de rapprocher l’Asci- die et la Térébratule. Dans l'un et l’autre cas, les rapprochements seraient basés sur des dispositions apparentes extérieures ; pour les apprécier à leur juste valeur, il faut des études détaillées, permettant là recherche des analogies d’une manière plus approfondie. C'est ce que je ne propose de faire, lorsque j'aurai publié par monographies, ainsi que j'espère pouvoir le faire bientôt, comme je l'ai déjà commencé, une étude détaillée des ee: ii et des Ascidies vivants de la Méditerranée. : EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE D. Fig, 1. Chevreulius Callensis, grossi dix fois, fixé sur un rocher et fermé, On aperçoit une ligne (f) qui correspond à la partie par où se redresse la valve supérieure (y). Fig. 2. Le même que dans la figure À, mais la valve (y) est redressée. -— (a) orifice supérieur avec ses festons et ses points oculiformes rouges, correspondant à l’orifice de la branchie; (0) orifice latéral; (2) petite masse blanche vue par transparence : c’est le ganglion nerveux. Fig. 3. Un échantillon (x) qui était plus grand que les autres en hauteur, et qui ne s'était point soudé par la partie postérieure du côté de la charnière. Une Thécidie (f) qui, placée dos à dos avec lui, relevait sa valve ‘supérieure contre son côté posté- rieur, avait été la cause de cet allongement. — Grandi près de trois fois. Fig. 4. Chevreulius dont une portion de la tunique est enlevée en avant, c’est-à-dire à l'opposé de la charnière. — (a) orifice supérieur conduisant dans la branchie B ; (0) orifice latéral meltant le sac (p) en communication avec l'extérieur ; (+) intestin ; (g) masse glandulaire ; (7) ganglion nerveux; (722) muscles qui ferment les valves ; (æ) valve inférieure adhérente; (y) valve inférieure mobile, (4) Voy. Allman's, Fresh water Polyzon (Collection de la Société de Ray\, 1856, p. 8. 31 6 HW. LACAZE-DUTBIERS. Fig. 5. Le même que dans la figure 4, mais débarrassé de la tunique externe, et vu par le côté postérieur, c’est-à-dire celui qui répond à la charnière. — (a) orifice supérieur; (0) orifice latéral; (k) fibres musculaires de la cavité péribranchiale ; (b) bouche ; (e) estomac ; (i) intestin ; (g) masse glandulaire ; (nm) muscle adducteur de la valve. Il est une remarque que je dois faire. La figure des muscles est inexacte à certains égards. Le dessin donné ici a été fait d'après un Chevreulius enlevé de son enveloppe et conservé dans l'alcool. Les fibres musculaires avaient été condensées en un gros paquet. Mais dans les autres exemplaires, conservés sans avoir été séparés de leur test, les paquets, assez bien constitués du côté de la valve adhérente ou inférieure, venaient s'épanouir en éventail irrégulier, pour s’insérer sur la valve supérieure mobile. Fig. 6. Une portion de la membrane branchiale formant le sac le plus interne. — (g) les conduits verticaux ; (r) les canaux anatomiques transverses; (s) lamelles sail- lantes dans la cavité et placées presque toujours en face des canaux transverses. Fig. 7. Le ganglion nerveux isolé. Les cordons qui en partent ne paraissent pas en nombre et en volume symétriquement semblables des deux côtés. RECHERCHES SUR LE SYSTÈME CIRCULATOIRE ET LES ORGANES DE LA RESPIRATION CHEZ LE PORCELLION ÉLARGI (Porcellio dilatatus, Brndt.) Par M. Nicolas WAGNER, Professeur de zoologie à l’université de Kazan. Jusqu'en ces derniers temps, le système circulatoire des Iso- podes était considéré comme à l’état débauche. Ce n’est que tout récemment qu'un naturaliste russe, M. Kowalewsky, a dé- montré, à l'aide d’injections, l’éxistence d’un système artériel bien développé chez l'Zdotea (1). En étudiant l’organisation du Porcellion élargi, en 1862, je me suis aussi convaincu de l'existence, chez cet Isopode, d’un système de circulation assez complet. Si nous remontons jusqu'au travail de M. Brandt sur l’orga- nisation du Cloporte (Oniscus murarius), publié en 1863, nous verrons que cet éminent zootomiste avait déjà indiqué les vestiges des artères provenant du cœur (2). Malheureuse- ment, dans ce temps-là, on ne soupeonnait pas encore la pos- sibilité d’injecter le système circulatoire des animaux inférieurs de petite taille, fait si habilement démontré pour la première fois, en 1848, par M. Émile Blanchard. C’est en employant la méthode des injections, indiquée par cet illustre zootomiste, que J'ai] découvert chez le Porcellion élargi l'existence de vais- seaux artériels presque capillaires. J'ai employé, pour ces injec- tions, la poudre impalpable de carmin broyée avec un mélange (4) Le travail de M. Kowalewsky etait publie en 1864, dans un des bulletins russes, que malheureusement je n'ai pas sous la main. (2) Brandt und Ratseburg, Medicinische Zoologie, 1833, t, XV, ps 75, 318 N. WAGNER, de glycérine et de l'eau. En choisissant pour mes recherches les individus de grande taille, et en les injectant par le cœur, je suis parvenu à obtenir de belles préparations, tantôt de la partie an- térieure, tantôt de la partie postérieure du système circulatoire. Le cœur du Porcellio dilatatus (pl. 14 B, fig. 1, 1) représente, comme chez beaucoup d’autres Isopodes, Amphipodes et Lémo- dipodes, une sorte de vaisseau dorsal situé immédiatement sous les téguments, c’est-à-dire sous les arceaux supérieurs du thorax et de l'abdomen. On peut très-bien apercevoir sa position au travers des téguments, parce que la ligne qu'il occupe est mar- quée par un riche dépôt de pigment brun dans la couche sous- épidermique. Les parois du çœur sont très-épaisses et formées de fibres musculaires transversales et longitudinales. Sur son trajet, cet organe présente six renflements ou chambres, correspondant au nombre des segments qu’il parcourt; mais ces chambres ne s’aper- coivent pas toujours avec la même netteté. Trois d'entre elles sont percées par les ouvertures semi-lunaires munies de valves. Si nous Comparons la forme du cœur, et en général le plan du système circulatoire d’un Porcellio, avec celui de quelque Crustacé décapode, nous ne trouvons presque aucune ressem- blance, ce qui est en rapport direct avec la différence qui existe daps toute l'organisation de ces deux types. En examinant la portion céphalique du Porcellio, nous voyons qu'à l'intérieur elle renferme un estomac broyeur tout à fait semblable à celui des Crustacés décapodes, chez lesquels cet organe est éloigné de la partie antérieure du corps et placé au milieu du céphalothorax, D'après cette comparaison, il est clair que les segments thora- ciques d'un Porcellio ne correspondent qu’à la partie postérieure du céphalothorax des Décapodes, Chez les Isopodes, cette partie a prisun développement énorme, et ce développement démesuré à déterminé aussi un grand développement de la partie du système circulatoire qui est logée dans le thorax. En effet, ici nous trou- vons d’abord la grande portion du cœur qui s'étend en longueur jusqu au quatrième segment, où il commence à s’amincir et se transformer en aorte, APPAREIL CIRCUBATOIRET DÉS PORCELLIENS. 319 Puis, dans cette cavité thoracique, nous rencontrons les plus grandes des artères, lesquelles distribuent leur sang principale- ment dans les muscles des pieds. Enfin, ici, nous trouvons un grand développement de capillaires qui s'étendent sur les sacs hépatiques. Si nous poursulvons notre comparaison plus lom, nous ver- rons que la partie abdominale des Isopodes ne correspond pas à la partie caudale des Décapodes, mais à cette partie latérale de leur céphalothorax où sont placées les branchies. Envisagé de cette manière, le corps d'un Porcellio peut être considéré comme représentant le céphalothorax d'un Décapode, chez lequel cette partie est divisée en trois sections : 1° la partie céphalique, contenant le ganglion cervical, l'estomac broyeur et portant les organes des sens et les parties de la bouche ; 2° la partie thoracique, contenant la grande portion du système circu- latoire, les sacs hépatiques, l'intestin, et servant principalement à loger les petits ; enfin, 3° la partie abdominale, destinée prin- cipalement à la resprration. Le cœur du Porcellio dilatatus, comme nous l'avons vu, s’a- mincit dans le troisième segment du thorax, et se transforme en une aorte qui est placée sur l'intestin, dans un sillon longitu- dinal (fig. 4, 2). Cette artère parcourt, en se ramifiant, les trois premiers segments du thorax et en se dirigeant directement vers la tète. En entrant dans la cavité céphalique, elle envoie de chaque côté une petite branche vers l'estomac (fig. 1, 3); puis, se diri- geant toujours en avant vers le sommet de la tête, elle donne une paire d’arteres assez fortes, quise ramifient dans le ganglion cer- vical (Gg. 1,4). En atteignant le bord antérieur dela tête, l'aorte se bifurque et embrasse par deux artèrés l'œsophage. Ces artères se prolongent au-dessous de cet organe jusqu’au bas de la tête, et là elles se réunissent pour former une anse (fig. 1, 5; fig. 2, 4, 2), laquelle fournit plusieurs paires de vaisseaux qui distri- buent le sang dans les organes adjacents, savoir : dans les an- tennes, les yeux, les parties de la bouche, et enfin dans le gan- glion sous-æsophagien (fig. 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9). De la partie postérieure et la plus profonde de cette anse, nait une petite 920 N. WAGNER. artère impaire qui sort de la tête pour se ramifier dans le tho- rax, sur les appendices hépatiques (fig. 2, 10, 11). Peut-être cette anse envoie-t-elle aussi une branche au cordon nerveux, mais jamais l'injection ne me l'avait démontré. La petite artère impaire qui sort de l'anse céphalique se divise, en rentrant dans le thorax, en quatre branches qui parcourent toute la longueur de la partie interne des sacs hépatiques (fig. 2, 11). Ces quatre artères hépatiques donnent, sur chaque rétrécissement des sacs, une branche qui embrasse ce rétrécis- sement en y formant un anneau. Ces vaisseaux annuliformes donnent naissance à un rameau capillaire qui se rend dans les parois des sacs. De la première chambre, ou chambre antérieure du cœur, sort uve paire de grandes artères qui se dirigent d'abord oblique- ment en dehors, puis en avant, et se terminent dans le premier segment du thorax par des ramifications qui se distribuent aux couches musculaires (fig. 1, 7). Ces grandes artères latérales envoient, dans chacun des quatre premiers segments du thorax, des branches pour les quatre premières paires de pattes (fig. 1, 8’, 7",2", 8"). La où naît la dernière de ces branches, allant à la quatrième paire de pattes, chaque artère envoie du côté inté- rieur aux organes génitaux un vaisseau assez fort (fig. 1, 10). Chez les femelles, cette artère génitale, en atteignant l'ovaire, se bifurque, et chacune de ces bibranches suit le bord extérieur de l'ovaire. D'abord je ne pouvais pas trouver de vaisseaux capillaires dans la couche sous-épidermique ; mais, d’après quelques injec- tions plus heureuses, je suppose que cette couche reçoit son sang des ramifications terminales de deux graudes artères latérales. Dans chacun des trois derniers segments du thorax, le cœur envoie une paire de fortes artères vers les trois dernières paires de pattes (fig. 4, 8’, 8”, 8"). De la portion postérieure du cœur, logée dans les segments abdominaux, sortent deux paires depetitesartères (fig. 1,9,9")qui se ramifient dans les muscles ct dans des glandes toutes partr- APPAREIL CIRCULATOIRE DES PORCELLIENS. 221 cuhières. semblables à celle que Zenker a trouvée chez l’Aselle d’eau douce (1). Du bout postérieur du cœur naissent deux artères qui em- brassent le rectum, et au-dessous de cet organe s’avancent parallèlement jusqu’à la base de la première paire des branchies, où elles se réunissent et forment une anse (fig. 4, bb). Cesartères branchiales sont réunies près de la base de chaque paire de branchies par une anastomose (fig. 4, cecc). Près de ces anasto- moses, les artères sont intimement liées au système lacunaire des branchies. Les organes respiratoires des Porcellions ont été décrits déja par Savigny (2), puis par Duvernoy et Lereboullet (3). Chez le Porcell'o dilalatus, comme chez les autres espèces du même genre, ces organes sont disposés en quatre séries, desquelles les deux extérieures servent comme opercules pour les deux inté- rieures. Ces dernières représentent des sacs membraneux et apla- üis, disposés au nombre de six paires sur la partie inférieure des segments abdominaux. Les organes extérieurs constituent des plaques cornées de forme triangulaire. Ces opercules branchiaux servent non-seulement comme organes défenseurs destinés à protéger les sacs membraneux des branchies, mais ils retiennent aussi autour de ces sacs l'humidité indispensable pour la respi- ration, et constituent de cette manière une sorte de chambre res- piratoire. Outre cette fonction, ils en ont une autre plus impor- tante, car 1ls servent, aussi bien que les branchies, à la respira- tion du sang. Pour mieux montrer cette fonction, indiquée déjà par Lereboullet, nous donnerons ici la description détaillée d’un de ces feuillets provenant de la première paire, qui est plus déve- loppée que les autres. Chacun de ces feuillets (fig. 5) représente la forme d'un triangle aux coins arrondis, ou mieux la lame d’une hache, dont le tranchant serait tourné en dedans et le manche serait soudé au corps de l'animal. Cette partie, plus (1) Zenker,"Ueber Asellus aquaticus (Archiv. für Naturgeschichte, 1854, p. 103). Par cette glande est remplie presque toute la cavité de l'abdomen. (2) Savigny, Expédition scientifique en Égypte. .… (3) Duvernoy et Lereboullet, Ann. des se. nat., 1841, t. XV, p. 117. 5° série. Zoo. T. IV. {Cahier n° G.) Î 21 522 N. WAGNER. étroite et plus épaisse, a une communication directe avec la cavité du corps d’une part, et avec la branchie adjacente de l’autre. En examinant cet opercule branchial de plus près, on voit qu'il représente une sorte de sac aux parois minces, mais très- solides, cornées ou mieux chitineuses. Ces parois sont formées, comme tous les téguments du corps, de deux couches: une épi- dermique, chitineuse, et l’autre contenant des cellules de forme ovalaire. La première de ces couches présente sur la surface une sorte d'écailles dont les bords libres sont garnis de poils roides et courts (fig. 6, ab). La partie la plus solide de l'opercule est son angle antérieur, et surtout son bord antérieur. Sur ce bord, les deux lames ou feuillets du sac sont soudés par des espèces de chevrons cornés disposés en une série assez régu- lière (fig. 5, d). Un peu au-dessous de cette soudure, on re- marque un riche dépôt de cellules sous-épidermiques et des gouttelettes graisseuses (fig. 5, 6). Ces gouttelettes s'apercoivent aussi près de tous les bords de l’opercule, mais en moindre quantité. Nous verrons bientôt quelle cause agit ici sur le mode de distribution de ce dépôt de la graisse. Par le bord antérieur, l’opereule se presse fortement contre les parois des segments abdominaux, et c’est par cette raison que ce bord est plus solide que les bords intérieurs et posté- rieurs. Ceux-ci, au contraire, sont tenus constamment à quel- que distance des parties adjacentes, et laissent ainsi à Vair une entrée libre dans la chambre respiratoire. Pour défendre cette entrée des particules flottant dans l'air, ces bords sont garnis d'une double série de poils. Les uns, plus extérieurs, sont longs, en forme d’épines, et placés à une grande distance entre eux. Les autres, beaucoup plus petits et courts, plus serrés, sont disposés directement sur le bord de l’opercule. Au dedans de la partie basilaire de l’opercule se trouve un organe tout particulier, décrit déjà par Duvernoy et Lere- boullet (1). C'est une sorte de sac en forme de grappe; on peut dire (4) Toutes les glandes, en se réunissant peu à peu dans les troncs assez forts, vont au dedans des deux appendices styloïdes par lesquels se termine le corps de l'animal. Les bords iaternes de ces appendices sont criblés par des trous disposés en trois ou APPARENL, CIRCULATOIRE DES PORCELLIENS. 923 une sorte de trachée divisée en mille branches, qui se ramifient à leur tour et se terminent par des ramuscules bifurqués et obtus (fig. 5, b). Vu par transparence, ce sac est de couleur brun foncé, mais, éclairé en dessus, il est de couleur blanc argenté. Son ouverture est dirigée en arrière et située dans une excavalion couverte par une membrane cornée (fig. 5, a). Les parois du sac, bien minces, sont cornées et couvertes par de nombreux plis (fig. 7). En prenant en considération la position de cet organe, sa structure el son rapport avec le courant du sang, on ne peut pas, je pense, se tromper sur sa véritable fonction, qui est de servir à l'acte de la respiration. En effet, cet organe est placé dans la partie basilaire de l’opercule, dans lequel nous voyons, pendant la vie de l'animal, une circulation constante du saug. C'est à l'entrée même au sang dans cet opercule que se trouvent l'organe dont je viens de parler etles courants du sang entrant et sortant de l’opercule à travers les nombreuses rami- fications de ce sac. De l’autre côté, nous voyons que l'issue de ce sac est dirigée en dehors et n’est couverte que par une membrane mince, qui peut présenter toujours un passage libre pour l'air. Dans cet orifice, dans les ramifications du sac et dans la constitution de ses parois, nous voyons une ressemblance tres-grande avec les organes respiratoires des Arachnides et des Insectes. C’est, en réalité, une sorte de sac pulmonaire ou trachéen qui sert comme un organe supplémentaire aux branchies de l'animal (1). En considérant la direction du courant du sang dans l'oper- cule, nous voyons que, en passant au travers des ramifications de l'organe respiratoire, ce courant se dirige obliquement en bas vers l'angle postérieur de l’opercule; puis, en décrivant une quatre rangées. C'est dans ces ouvertures que viennent déboucher les bouts des conduits de toutes les glandes. La matière sécrétée par eux est incolore et très-visqueuse, Servent-elles, ces glandes, tout simplement comme des organes défensifs, ou ont-elles une autre fonction inconnue ? (4) Au sujet de la conformation de ces organes aérifères et de leurs fonctions, on peut consulter les publications suivantes : Atlas du Règne animal de Cuvier, CrusrA- cés, par M. Milne Edwards, pl. 71, fig. il, qu; Leçons sur la physiologie et l'anatomie comparée, par le même, t. Il, p. 141. Fr (Note de l'éditeur.) 22° N. WAGNER. courbe, il monte, en suivant le bord intérieur, et n'atteiguant pas l'angle antérieur, s'incline en demi-cercle de nouveau vers la base de l’opereule. Ainsi, le sang, en circulaut, décrit une anse, et son courantle plus fort passe à quelque distance des bords de l'opercule. Tout près de ces bords, etau milieu de l’opercule, le sang ne coule que très-lentement; c'est ce qui permet qu'à ses dépens il se dépose ici des matières graisseuses qui, en forme de petites goutteleites, s'apercoivent tout le long des bords de l’opercule. Ces gouttelettes sont plus abondantes dans l'angle antérieur, où la circulation du sang a moins de force que dans tous les autres endroits. Au moyen d'injections, on peut très-facilement se faire une idée de la route du sang qui traverse les organes respiratoires. En entrant dans la cavité des segments abdominaux, ce liquide se rassemble en deux grands courants latéraux qui vont jusqu’au dernier segment. Il semble que ces courants ne sont pas imelus dans des vaisseaux, mais font leurs voies librement parmi les tissus adjacents. De chacun de ces courants sortent des branches qui se dirigent vers les opercules branchiaux. Ce n’est qu'après avoir fait un coude en dedans de ces organes, que le sang va se porter dans les branchies. On voit, par conséquent, que ce sont les opercules ou feuillets branchiaux que le sang rencontre les premiers sur son trajet pour aller respirer, et qu'après y avoir recu une certaine quantité d'oxygène, ce liquide va ensuite achever la respiration dans les sacs branchiaux. En examinant les branchies avec soin, on peut remarquer que ces sacs sont remplis d’un tissu spongieux. Ce tissu représente des mailles s’entrecroisant dans tous les sens, et laissant entre ces mailles des passages libres pour le sang (fig. 3). Parmi ces nom- breux passages, on peut bien apercevoir trois voies plus larges présentant une sorte de conduit à parois minces et soudées avec les mailles du tissu spongieux. Un de ces conduits va en ligne droite près de la base de chaque branchie, les deux autres déeri- vent deux courbes parallèles au milieu du champ de la branchie (fig. h, ddd). Tous ces conduits ou sinus vont déboucher dans les artères branchiales que nous avons mentionnées plus haut. APPAREIL CIRCULATOIRE DES PORCELLIENS, 3925 Par ces artères, le sang se porte des branchies dans le cœur, et là se confond avec la portion du sang qui a circulé librement dans la cavité du corps, et qui, sans passer à travers les branchies, entre directement dans cet organe par des ouvertures latérales. Ce sang, néanmoins, éprouve aussi un certain degré d'oxyda- tion par la respiration cutanée, ainsi qu'on peut le supposer d'après le grand développement des conduits aériens dont les couches épidermiques de l'animal sont percées. Si nous jetons à présent un coup d'œil général sur la distri- bution des artères dans les diverses parties du corps, nous ver- rons que la partie la plus richement fournie de sang artériel est la tête, et surtout le ganglion cervical. D'après ce fait, ne pouvons-nous pas conclure que ce ganglion est la partie qui con- somme le plus d'oxygène du sang, c'est-à-dire la partie plus active, et qui présente, par conséquent, un échange de matière plus énergique. En comparant la distribution des artères ou des trachées dans les divers types des Articulés, nous voyons que la richesse de cette distribution correspond à un certain degré au développement des instincts. Ainsi, les instincts plus compliqués s’observent chez les Arachnides et les Insectes, c’est- à-dire chez les Articulés dont le ganglion sus-æsophagien, bien développé, est richement pourvu, soit d’artères, soit de trachées. Les Porcellions, quoique appartenant au type des Crustacés, ne présentent pas, sous ce rapport, une exception. En observant les mœurs du Porcellio dilatatus, je me suis con- vaincu que cet animal, en apparence lent et peu développé intellectuellement, montre, dans quelques cas, une sorte de ruse et d'intelligence : c'est ce qu'on peut surtout remarquer chez les femelles pendant leur gestation. Après la tête, les parties le plus richement fournies d’artères sont les cæcums hépatiques. Ces organes jouent un rôle très- important dans la digestion. Cette importance est déjà démon- trée par le grand développement de ces organes qui, au nombre de quatre, remplissent la plus grande partie de la cavité thoraco- abdominale. D'après leurs fonctions, ils offrent quelque ana- logie avec les appendices hépatiques des Arachnides. Chez le r 326 N. WAGNER. Porcellion, comme chez ces animaux, la nourriture pénètre dans les cæcums hépatiques, pour y être soumise au procédé chimique de la digestion. On est conduit à cette dernière sup- position par la structure glanduleuse de ces cæcums, ou, pour mieux dire, la présence, dans leurs parois, de cellules parti- culières, sécrétant un liquide de couleur brun foncé. I est bien probable que ce liquide ne peut être sécrété autrement que d’un sang riche en oxygène, et de là nécessité de ce vaisseau capillaire qui se trouve dans les-paroïs de ces organes. Enfin, les organes recevant le sang directement du cœur, tantôt par les grandes artères, tantôt par les petites, sont : les parties de la bouche, les antennes, les pieds, c’est-à-dire tous les membres qui sont destinés à produire des mouvements plus ou moins énergiques ; puis les ovaires, comme étant des organes qui ont besoin de beaucoup de sang pour développer les œufs ; enfin, la partie postérieure ou abdominale du cœur donne, comme nous avons vu, les petites artères destinées aux muscles et aux glandes. Aïnsi, tous les organes de nature glandulaire, puis les organes des sens, les muscles des différents membres, enfin le ganglion principal du cordon nerveux, voilà les organes dans lesquels le sang artériel est distribué principalement. Quant à la disposition générale, ou, pour mieux dire, au plan de la distribution des artères, il est évident qu’elle dépend prin- cipalement du plan général de la disposition des organes et de la forme du corps. J'ai indiqué déjà plus haut le rapport du développement du thorax avec la portion du système circula- toire logée dans la cavité thoracique. En recherchant les causes qui peuvent déterminer ce développement démesuré du thorax, on peut, je pense, supposer qu'elles résident d’abord dans la position des organes reproducteurs, et principalement de l’espace servant à l'incubation des petits; puis, dans le rapport de ces organes avec les organes de la respiration. Pour mieux faire comprendre cette supposition, il faut se rappeler ces rapports chez les autres types de Crustacés. Par exemple, chez la plupart des Décapodes, les branchies, bien développées, sont logées dans l’intérieur du céphalothorax, APPAREIL CIRCULATOIRE DES PORCELETENS. 327 tandis que l'espace oùse fait l’incubation est transporté en arrière, sous la partie caudale du corps. Chez les Isopodes, nous voyons que ce sont, au contraire, les branchies qui occupent la région postérieure, tandis que l’espace pour la couvaison des petits est avancé et est situé dans le thorax. Les Amphipodes présentent, sous ce rapport, un cas intermédiaire : chez eux, les branchies et les œufs pondus par les femelles sont réunis dans la même région, de sorte que les premiers sont bien gênés et n’atteignent jamais un fort développement. C’est ce qu’on peut voir encore mieux chez les Læmodipodes. En jetant un regard sur la figure 4, on voit que le cœur occupe la moitié postérieure du corps, et qu’il est rapproché ainsi de la chambre respiratoire. Ce voisinage des branchies est évidemment nécessaire pour bien utiliser la force que doit déve- lopper le cœur pendant la diastole pour tirer le sang des organes respiratoires. En même temps, nous voyons que la disposition des artères, dans la partie antérieure du système circulatoire placée dans le thorax, est très-différente de ce qui existe dans la partie posté- rieure du corps. Tandis que dans celle-ci le cœur envoie tout simplement les trois paires des artères pédieuses tout à fait homologues, dans celle-là nous voyons déjà une sorte de diffé- renciation : en effet, outre une longue aorte, cette partie reçoit deux grandes artères latérales, distribuant leur sang principale- ment parmi les pattes des quatre premières paires. Si nous nous souvenons de tous les changements auxquels sont soumises ces paires de pattes chez les divers types de Crustacés, nous pouvons bien voir iei, chez les Isopodes, le commencement de ces méta- morphoses qui ne se manifestent encore que dans le système circulatoire. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 14 B. Fig. 4. Porcellio dilatatus grossi et ouvert par le côté dorsal. — a, le ganglion cer- vical ; b, l'estomac broyeur; €, l'intestin; d, cæcums hépatiques; ee, les ovaires; f, les glandes; gg, les glandes abdominales, 228 N. WAGNER. 4, le cœur ; 9, l'aorte; 3, l'artère de l'estomac; 4, l'artère cervicale ; 5, bifur- cation de l'aorte; G, artère de l'antenne droite; 77/, les artères latérales ; 8/8/! 8/1, les artères pédieuses ; 9 9’, les artères vont aux glandes et aux muscles abdominaux ; 10, artère sexuelle. Fig. 2. La tête du Porcellio dilatatus grossic et ouverte.— a, l’œsophage ct l'estomac broyeur soulevés; bbbb, le commencement des appendices hépatiques ; ce, les yeux ; dd, les appendices hépatiques découpés. 4, le commencement de l’anse formée par la bifurcation de l’aorte ; 2, l'anse aor- tique; 3, artères des antennes; 4, artères oculaires; 5,6, 7, 8, 9, les artères qui se rendent aux parties de la bouche; 10, petite artère impaire; 11, les artères hépatiques. Fig. 3. Les organes de la respiration.— aua, les opercules branchiaux de la deuxième et de la troisième paire; bb, les branchies; cc, les opercules branchiaux de la qua- trième et de la cinquième paire découpées, Fig. 4. Dessin schématique de la cireulation du sang dans les organes respiratoires. — a, le bout postérieur du cœur ; bb, les artères branchiales ; dddd, la circulation du sang dans les branchies ; cec, les anastomoses entre les artères branchiales ; eeee, la circulation du sang dans les opercules branchiaux. - Fig. 5. L’opercule branchial de la première paire (grossissement, 200).— a, l'issue du sac respiratoire; D, ses ramifications; 4, les chevrons avec lesquels sont soudées les deux feuilles de l’opercule; €, le dépôt des cellules sous-épidermiques et des - gouttelettes de la graisse. Les flèches montrent la direction du courant des globules du sang. Fig. .6. Une partie de l'opercule grossie 300 fois. — «a, écailles épidermiques ; b, cel- lules de la couche sous-épidermique. Fig. 7. Les bouts des ramifications du sac respiratoire (grossissement, 300 fois). £ D L Fig. 8. Branchie grossie 200 fois. — «, le commencement du conduit à travers les mailles de tissu spongieux où l’on apercoit la circulation des globules du sang. COMMENT LES JANTHINES FONT LEUR FLOTTEUR, Par le docteur H. LACAZE-DUTHIERS, Tous les malacologistes ont décrit et fait connaître la mousse légère, blanchâtre et transparente, qui couvre la surface infé- rieure du pièd de la Janthine, et au-dessous de laquelle flotte ce charmant Gastéropode. Mais ils n’ont pas indiqué comment cet animal sécrète et forme cette écume qui lui sert non-seulement à flotter à la surface des mers, mais encore à attacher les cap- sules où il enferme ses œufs. La Janthine abonde dans la Méditerranée, mais elle est péla- gique ou de pleine mer, et ne vient au rivage que lorsque les vents l'y poussent. Ces conditions expliquent les quelques diffi- cultés que les naturalistes ont eues pour l’étudier. En 1862, de fortes bourrasques venues du nord-ouest avaient jeté, sur les plages sablonneuses de la baie de Bouliff, près de la Calle, une grande quantité de mousses deJanthines, et je trouvai parmi elles un bon nombre d'individus encore vivants. Je fus curieux de les observer, et je pus, en les plaçant dans des aqua- riums et en leur donnant une eau pure et fraîche, les voir res- taurer leur flotteur que la bourrasque et les chocs sur la côte avaient endommagé. | Cherchant comment les auteurs décrivaient le mécanisme de la formation de ce ludion, il me parut que la manière dont s’y prend la Janthine pour créer ct restaurer ce radeau ou bouée sous laquelle elle vit, n'avait pas été entièrement reconnue. J'ai pensé qu'il n’était pas sans intérêt de relater ici le résultat de mes observations, en les opposant aux opinions qui se trouvaient déjà dans la science. 330 EH, LAC:ZE-DUFHIERS, Il Fabius Colonna, le premier, avait indiqué l'existence de l'or- gane propre aux Janthines sous le nom de spuma cartilaginea. Cuvier constata que cet organe n'avait aucune connexion anato- mique avec le corps. « Il est attaché, dit-il, à la partie posté- » rieure du pied, à peu près au-dessous de l'endroit où se trouve » l’opercule desautres genres. Je penserais même assez volontiers » que c’est un vestige d'opereule qui éprouve, dans sa forme et » dans son tissu, des changements pareils à ceux que la Nature » nous fait observer dans tant d’autres de ses productions (1). » Nous reviendrons sur la dernière idée, qui ne me parait pas entièrement juste. Cuvier, évidemment, n'avait pas observé l'animal vivant. Son travail avait été fait sur des individus con- servés dans l’esprit-de-vin. «L'organe n'a point de communication directe avec l'inté- » rieur du corps, c’est un simple appendice des téguments. Et il » ne paraît pas que l'animal puisse à son gré le vider ou le rem- » plir d'air ; il peut seulement le comprimer en le faisant ren- » trer dans la coquille, ou l’abandonner à son élasticité naturelle, » en le laissant sortir (2). » J'ai pu voir des animaux épanouis et contractés, fortement contractés même, comme ceux que la mer avait roulés sur la grève, et il n'est pas possible d'admettre que la mousse rentre entièrement dans la coquille ; elle y suit la Janthine qui se retire, mais elle n’y est point introduite comme une partie de l’or- ganisme. Toutes les opinions s’expliqueront aisément quand nous aurons montré quelle est l’origine réelle de ce ludion curieux. On verra combien l’op.nion de Bosc (3), déjà critiquée avec juste raison par Cuvier (4), était erronée, quand il disait que C4 (1) Voy. Cuvier, Mémoires pour servir à l'histoire et à l'anatomie des Mellusques (Mémoire sur la Janthine et la Phasianelle, p. 4). (2) Voy. ibid, (3) Voy. Bose., Coquilles, t. IV, p. 74. (4) Voy. Cuvier, loc. cit., p. 5. COMMENT LES JANDHINES ‘FONT LEUR FLOTTEUR. 9) l'animal absorbe l'air de ses vésicules el qu'il les enfle à volonté. Du reste, Cuvier ajoute « cette assertion de Bosc n'est » qu’une supposition, et non un fait constaté par des expériences » directes. » La présence même de l'organe n'avait pas paru chose abso- lument nécessaire au célèbre naturaliste, qui dit formellement : « Tous les individus n’ont pas cet organe : j'en ai trois qui n'en » montrent aucun vestige. » Bory Saint-Vincent avait, dans ses voyages, observé, sans aucun doute, la Janthine vivante ; aussi il dit: «Je ne me suis » point aperçu que l'animal eût la faculté de le vider ou de le » remplir à volonté et avec promptitude (4). » Le même observa- teurajoute qu'ila vu des Janthines «dans lesquelles l'organe avait » été écrasé ou emporté aux trois quarts, sans qu'elles parussent » avoir souffert. » Et Cuvier, qui cite cette opinion, observe que « sa nature est en effet telle, que les Janthines qu'on en » priverait de force n'éprouveraient probablement d'autre gène » que celle qui résulterait de la difficulté de se rendre à la sur- » face de l'eau. » Tout cela est en rapport avec la nature anatomique, c’est-à- dire avec l'indépendance du tissu et du ludion, mais non avec son origine et sa nature. Aussi, quand Cuvier ajoute : « Mais, j'ai lieu de croire qu'il y en à aussi qui en sont privées naturel- lement », il fait une supposition, et son opinion exprime le doute quand il cherche à en donner l'explication. Ainsi, 1l invoque l’âge et la saison pour expliquer son absence : « J'ai lieu de » croire qu'il y en à aussi qui en sont privées naturellement, soit » qu'il ne se développe qu'à un certam âge ou dans une certaine » saison ; et mon molif est que je n'ai pu apercevoir aucune cica- » trice, aucun reste de cette partie dans les individus qui en » manquent et que je possède. » Toutes les fois qu'une opinion n’est pas basée sur des faits positifs, elle embarrasse jusqu'à son auteur qui cherche lui-même (4) Voy. Bory Saint-Vincent, Voyages, t. 1, p. 241. 332 M. LACAZE-DUTHIERS, à en donner l'explication, et à trouver des raisons qui fassent oublier les côtés faibles par où elle peut être attaquée. Le docteur Coates a confirmé les vues de Cuvier (1), et montré qu'il n’y avait aucune relation anatomique entre le corps et le flotteur. Il a trouvé aussi que celui-ci était entièrement sécrété par le pied, et que lorsqu'une portion est enlevée, le dommage est rapidement réparé. Le dernier auteur qui se soit occupé du flotteur de la Jan- thine est M. Adams (2); son travail n'est pas ancien, il date seulement de trois ans. Il renferme des faits nombreux qui sont parfaitement exacts, et qui prouvent que l'auteur a observé l'animal vivant. « Le flotteur est attaché, dit-il, à la surface supérieure de » l'extrémité caudale du pied, où ce qui paraît être des follicules » mucipares lui donne une apparence striée (3). » Quand l'animal est affaibli ou mort, le flotteur se détache » promptement, car il n'existe pas de connexion organique entre » lui et le pied. » Cette opinion fort exacte revient toujours, et tous les obser- vateurs qui ont vu de près les choses arrivent à la même con- clusion que Cuvier. Quant à l'origine du flotteur, M. Adams est moins positif: « Les » vésicules sont formées probablement (probably) de la même » manière que l'écume mousseuse de la petite larve verte d’un » Homoptère que l’on voit sur les arbrisseaux dans le printemps, » et qui dans le Hampshire est habituellement appelée crachat de (4) Voy. Journal ofthe Academy of Natural Sciences of Philadelphia, vol. IV. (2) Voy. Adams, On the Animal and float of Janthina, p. 417 (Ann. and Mag. of Nat. History, ser. 3, vol. X, 1862). (3) Voy. tbid., loc. cit., p. 419. « The float isattached to the under surface of the » caudal end of the foot, where what appears to be the muciparous follicles gives it à » striated appearance..….…. » ace When the animal is weakly on dead, the float readily becomes detached, for » there is no organic connexion between it and the foot... » COMMENT LES JANTHINES FONT LEUR FLOTTEUR. 393 » Coucou (Cuckco-spit). Lorsqu'une portion est séparée, le flot- » teur est agrandi vers l'extrémité du pied de l'animal, et il n’est » point reproduit dans la partie coupée (1). » Il faut s'entendre : on verra qu'il peut être réparé dans le point qui a été détruit, mais que cela dépend tout à fait de la place qu'occupe ce point. ati. Avec des ciseaux affilés et pointus, j'ai fait des inci- » sions dans le flotteur, et reconnu que l'air s'échappe ; que les » animaux descendaient graduellement et restaient hors d'état » de pourvoir à leur besoin, au fond des vases. Pendant tout le » reste de la vie des animaux, les flotteurs n'étaient pas régé- » nérés ou refaits (2). » J'appelle l'attention, d'une manière toute particulière, sur ce passage, qui indique un fait très-exact, et que j'invoquerai en faveur de l'opinion qui va être soutenue. Enfin, M. Adams remarque que les parties crépitantes conti- nuent à flotter jusqu'à ce que l'air qu'elles renferment s'échappe peu à peu et qu'elles s’affaissent; qu'enfin, les flotteurs broyés dans un mortier se réduisent promptement en mucosité. Telles sont les observations qui ont été faites sur le flotteur de la Janthine. III Voici maintenant les faits que j'ai constatés, et d’où je tire les conséquences qu'on va trouver daps cet article. D'abord, je fus frappé de voir que toutes les Janthines (4) Voy. Adams, loc. cit., p. 419. «...…. The vesicles are probably formed in the same manner as the frothy spume of the little green Homopterous larva which is seen > = on bushes in the spring, and which, in Hampshire, usually gocs by the name of Cuckoo-spit”’. When a portion is cut off, the float is enlarged at the end next the foot of the animal, and is not regenerated at the excised part. » > C2 (2) Voy. bid., loc, cit., p. 419: « With à pair of sharp-pointed scissors 1 made inci- sions into the floats, and allowed the air to escape, when the animals gradually des- C2 2 cended, and remained helpless at the bottom of the vessel; the floats were not rege- nerated er rencwed during the period {he animals remained alive... » ë BJ HW. LACAZE-DUTHIERS. dépourvues absolument de bulles aériennes restaient au fond de l’eau, bien qu'elles fussent parfaitement vivantes ; que quelques- unes des plus vivaces rampaient, quoique difficilement, avec leur pied contre les parois des vases, arrivaient jusqu'à la surface, à se renversaient en arrière, mais le plus souvent sans pouvoir parvenir à reconstruire leur flotteur ; enfin retombaient lourde- ment au fond de l’eau. Je ne les ai jamais vues nager, comme on voit tant de Mol- lusques le faire, en dilatant et contractant alternativement leur pied. Peut-être, en pleine mer, les choses se passent-elles autre- ment, je ne saurais le dire ; mais tout semble indiquer que la coquille et l'animal ont un poids qui ne leur permet pas de flot- ter sans un ludion, et il faut ajouter que les Janthines restées au fond de l’eau y meurent assez rapidement. On a vu que M. Adams dit : «Que lorsqu'on a crevé leur » flotteur, les animaux restent au fond des vases, hors d'état de » pourvoir à leurs besoins (4). » Les efforts que faisaient les animaux, soit pour revenir à la surface, soit probablement pour reconstruire leur flotteur sans y réussir, me donnèrent l'idée de les placer dans des conditions différentes qui me paraissaient devoir être celles qu'ils cher- chaient. J'avais d'abord essayé de me rendre un compte exact de la consitution de la mousse, et j'avais, comme les auteurs précé- dents, reconnu bien vite qu'aucune relation organique n'existait entre elle et le corps ; qu'elle était simplement fixée et adhé- rente au pied, et que, par conséquent, l'air qu’elle renfermait, ne pouvant être le produit d’une sécrétion, devait avoir été empri- sonné, enfermé mécaniquement dans les vésicules. Ce qu'il fallait donc chercher, c'était le moyen ou le mécanisme par lequel l'animal avait pu introduire la bulle dans chaque vésicule. Le flotteur est assez régulièrement formé: les cellules qui le (4) Voy. Adams, Loc. cit., p. 419 : « And remained helpless at the bottom of the » wessel. » COMMENT LES JANTHINES FONT LEUR FLOTTEUR. 980 coniposent sont polyédriques, par suite de la compression réei- proque qu'elles exercent les unes sur les autres ; mais elles sont toujours parfaitement sphériques dans celle de leur partie qui reste libre. Cela se voit, par exemple, très-bien sur toutes les vésicules du pourtour de lorgane, sur le dessus, ou bien et surtout sur les cellules qui viennent d’être faites. Du reste, dans la disposition de ces vésicules, il y a un ordre très-marqué ; elles forment des lignes presque droites, allant d'une extrémité à l’autre de la masse, dont la plus grande éten- due en longueur est dirigée d’avant en arriére. En observant attentivement l'extrémité antérieure, c’est-à- dire celle qui est la plus voisine de la tête, on peut compter exactement le nombre et reconnaitre d’une manière positive le volume, la forme et les rapports de-ces cellules ou vésicules ter- iminales. On peut alors suivre et juger ce qui arrive quand l’ani- mal travaille à restaurer ou à augmenter son flotteur. Le pied est bien distinctement partagé en deux parties diffé- reutes : l'une, postérieure, la plus grande, est plane, c’est elle qui donne insertion au flotteur; l’autre, antérieure, est arrondie en avant, creusée en dessous d'un canal qui change de forme à chaque instant, par suite du reploiement de ses bords en dessous (1). | C'est la partie mobile antérieure qui construit le flotteur. Voici comment. On la voit d'abord s’allonger en avant, puis se redresser et se porter en haut, aller à gauche ou à droite, et embrasser dans sa concavité, en se moulant sur elle, l'extrémité antérieure du (4) I faut attribuer un sens net et précis aux mots dessus ct dessous, afin de s’en- tendre dans les descriptions. La Janthine qui nage appendue sous son flotieur, est renversée comme une Limnée qui nage en rasant la surface de l’eau avec la face inférieure de son pied. Donc, lorsque l’on dit la face inférieure du pied, on entend parler du pied qui serait dans la position naturelle, et quand, dans la phrase précédente, il est dit « le pied est en dessous creusé d’un canal» , cela se rapporte à la position de L'animal supposé redressé, rampant sur le pied. Car si l’on prenait la position sous le flotteur d’une maniere absolue, ce serait la face supérieure qu'il faudrait dire, On n'oubliera donc pas que le sens des mots dessus et dessous se rapporte non à l'animal renversé, mais à l'animal supposé dans la position normale des Gastéropodes, 296 MH. LACAZE-DUTHIEUS. flotteur. Dans ses mouvements d'élongation, cette partie du pied prend souvent la forme d’une petite massue, surtout quand elle s'élève au-dessus de l'eau (4). La position du pied sur l'extrémité antérieure du floiteur a été signalée par M. Adams. Mais ce qu'il importe surtout de bien suivre, c’est la succession des mouvements ou manœuvres de la partie antérieure du pied, quand elle sort de l’eau et se rapproche du flotteur. On voit d'abord le pied s’allonger pour sortir de l'eau dans une direction presque opposée à celle du flotteur; puis l'animal le porte en haut et le rend saillant au-dessus du liquide. À ce moment, l'organe présente vers son extrémité comme un godet; il se creuse en canal, en rapprochant en dessous ses deux bords et recroquevillant un peu sa partie anté- rieure (2). Tous ces mouvements se suivent sans interruption, ainsi qu'on le pense bien; mais on peut cependant, sans difficulté, en obser- ver la succession. Lorsque le pied est sorti de l'eau, l'animal le rapporte en arrière (3), en lui faisant décrire un are de cercle qui l'éloigne de la tête et le rapproche du flotteur. Mais, en même temps, il le recourbe de telle sorte que la gouttière et le godet, qui étaient tournés vers le ciel, deviennent inférieurs. Alors cette extrémité du pied enferme sous elle une certaine quantité d'air, comme un verre ou une cloche renversée que l’on plongerait sous l'eau ; ou bien encore comme ces Araignées et ces Insectes aquatiques qui, remontant à la surface de l’eau, descendent en emportant sous leur abdomen une bulle d’air pour la placer dans leur nid au milieu des plantes aquatiques. Dans cette position, le pied s'approche de plus en plus du som- met du flotteur, et c’est alors qu'on le voit s’étaler et glisser dou- (4) Voy. Ann. des se. nat., Zoo, 5° série, pl. 15, fig. 1, 2, 3 (p,p,p). (2) Voy. ibid, fig. 2 (p). L'organe vient de sortir de l’eau et va décrire la courbe qui le rapportera en arrière. (3) Voy. ibid. fig. 2 (p). Dans cette figure, une bulle d'air (b) a été dessinée peut- être trep merquee, mais elle est destinée à bien montrer ce qui se passe. COMMENT LES JANTHINES FONT LEUR FLOTTEUR. 397 cement en tous sens, comme s'il en engluait la surface en ram- pant sur elle (4). Quand cette manœuvre, que M. Adams à vue sans, je crois, en apprécier le but, à duré un certain temps, le pied se retire tout doucement sous l’eau, pour y rester, si son travail s'arrête, ou pour se reporter en avant et recommencer, comme il à été t, si son travail continue. Lorsqu'on a compté le nombre des vésicules de l'extrémité du ludion, et bien observé leur disposition avant les manœuvres qui viennent d'être indiquées, on voit, quand elles ont cessé, qu'une cellule de plus a été accolée en avant de celles que l’on avait bien constaté être les dernières du côté de la bouche. Ce premier fait prouve incontestablement que l’aceroisse- ment du ludion se fait en longueur et du côté de son extré- mité antérieure. Il prouve aussi que c’est bien le pied qui manœuvre de manière à venir ajouter les vésicules nouvelles vers cette extrémité ; le mécanisme de‘laccroissement est du reste celui-ci. Sans aucun doute, le pied, recroquevillé d’abord en godet, quand il s’est appliqué sur le ludion, avait, entre lui et celui-ci, une certaine épaisseur d'air; en sécrétant une couche de mucus, il a dû, en s'étalant ensuite, souder cette couche visqueuse au reste du flotteur et tenir ainsi la bulle d'air emprisonnée. On peut se faire une idée de ce qui se passe ici quand on remarque une Limace ou un Limaçon de nos jardins ramper sur un corps couvert de poussière : souvent on trouve, sous la trainée de mucus abandonnée sur son chemin par l'animal, une bulle d'air qui est emprisonnée entre la surface du corps qui n’a pas été mouillée et la lamelle sécrétée par le pied. Ici c’est quelque chose, mécaniquement parlant, de tout à fait semblable qui se produit, mais cela s'accomplit à dessein et dans un but parti- culier. La mucosité est évidemment insoluble dans l’eau, et en se desséchant dans la partie émergée, elle prend une certaine (4) Voy. Ann. des se. nat., ZooL., 5° série, t. IV, pl. 15, fig. 3 (p). 5° série, ZooL. T. 1V. (Cahier n° 6.) 2 29 290 MH. LACAZE-DUTHIERS. consistance qui à pu faire penser qu'elle était cartilagineuse. Si l'on admet le mécanisme de la formation du ludion tel qu'il vient d'être décrit, et il me semble difficile de ne pas le considérer comme étant vrai, puisqu'à chaque nouveau mou- vement du pied on compte une nouvelle bulle ajoutée, on s'expli- que les dissidences des auteurs, leurs opinions et la plupart des faits qu'ils rapportent, Ainsi, on comprend comment il se fait qu'une fois au fond de l'eau, l'animal est incapable de faire un ludion nouveau. Très- probablement, les Janthines dépourvues de leur flotteur sont destinées à mourir, à moins qu'elles ne soient rapportées à la surface par une cause quelconque que je ne chercherai même pas à supposer. M. Adams a donc parfaitement raison de dire que, lorsque «avec des ciseaux affilés et pointus, il a fait des imcisions dans » le flotteur, et reconnu que l'air s'échappe , les animaux » descendaient graduellement, et restaient hors d'état de pour- » voir à leur besoin au fond des valves »; et d'ajouter que, «pendant tout le reste de la vie des animaux, les flotteurs » n'étaient pas régénérés ou refaits ». Cette observation vient à l’appui de celle qui aété faite plus haut. Si le flotteur est le produit d’une action toute mécanique de l'animal, on comprend la justesse des vues de Cuvier, qui a sou- tenu que « l'organe particulier des Janthines n’a aucune con- » nexion directe avec l'intérieur du corps »; et, surtout, qu'il ait eu raison de dire qu «il ne paraît pas que l'animal puisse, » à son gré, le vider et le remplir d'air ». Pour vérifier l'opinion qui vient d’être développée, il fallait que l’expérience, variée de bien des façons, apportât sa confir- mation. Ayant pris une Janthine sur un petit crochet de fer, et l'ayant soutenue, non pas hors de l’eau, mais à peu près à la hauteur, sous le niveau qu’elle occupe quand elle flotte librement sus - pendue à son flotteur, j'ai remarqué que lorsque les premiers mouvements qui précèdent cette mise en position ont cessé, COMMENT LES JANTHINES FONT LEUR FLOTTEUR. 999 que l'animal se croit hors de danger, 1l sort peu à peu de sa coquille, étend son pied, et commence les manœuvres qui ont été décrites plus haut. J'ai eu la satisfaction de voir confirmer en tout point l'opi- nion que je m'étais formée, en observant les animaux dans ces conditions normales, car j'ai pu assister, avec de la patience, à l'origine et à la formation d’un flotteur. J'ai vu que, à mesure que les bulles s’ajoutaient les unes aux autres, l'animal devenait spécifiquement plus léger, qu'il s'enfonçait moins dans l'eau. Et, dans ces conditions, j'ai constaté que la Janthine, qui ne pouvait atteindre la surface, faisait de vains efforts et mouvements pour former des bulles, sans pouvoir parvenir à y réussir ; et quand, dans ces circonstances, je relevais bien légèrement la coquille à l’aide d’un petit crochet, dès que le pied sortait de l'eau, l'air était emprisonné, une bulle ajoutée au ludion, et l'animal com- mençait à remonter : or, tout cela n'eût Fe eu lieu sans l’aide que je lui donnais. J'ai eu bien des individus dont les fleurs, détruits en partie par la tempête, étaient insuffisants pour ramener le corps de la Janthine assez près de la surface, et laissaient périr, flottant entre deux eaux, les animaux, tout comme ceux qui tombaient au fond des vases, privés entièrement de vésicules aériennes. Le docteur Coates, cité par MM. Forbes etHanley, et dont il a déja été question, suppose que les petites Janthines, en sortant des coques pendues sous le ludion où elles ont passé leur pre- mière période embryonnaire, viennent sur le dos du flotteur, et s'essayent là à faire l'appareil qui leur permet plus tard de se passer de leur mère. Cette supposition, d'après ce que l’on vient de voir, me paraît parfaitement légitime, en tant que supposition. Toutefois, l'observation directe n'ayant point confirmé la chose, il ne faut pas oublier que les Gastéropodes à l'état d'em- bryon, ont des organes locomoteurs qui leur permettent de se déplacer, de venir jusqu'à la surface de l'eau, car ils sont fort actifs. Il se peut donc aussi, qu’au moment où les organes de la locomotion portent les jeunes Janthines à la surface de 340 H, LACAZE-DUTUIERS. l’eau, celles-ci commencent à former avec leur pied quelques petites bulles qui leur servent de premiers flotteurs. Ainsi que tous les auteurs l'ont dit, les mousses des Janthines sont délicates ; elles doivent être altérées par les attaques des nom- breux et voraces habitants de la mer, et, par conséquent, elles doivent aussi être incessamment réparées. On sent, en effet, qu'une sécrétion constante, ou eût été en retard pour les besoins de l'économie, ou en avance, et eût produit une flot- laison trop grande et gènante pour l'animal. 11 fallait donc que la restauration du ludion fût entièrement soumise à la volonté de l'animal, à son appréciation, si je puis dire; et c’est ce qui a lieu, il n'utilise la mucosité de son pied que lorsqu'il sent son flotteur insuffisant. Tout comme l’Araignée n’emploice la soie que lui fournissent ses filières que lorsque des dégâts sont venus rendre la toile impropre à prendre la proie qui lui est nécessaire. Enfin, est-il besoin de dire maintenant qu'une sécrétion gazeuse est inadmissible, et que rien ne saurait en légitimer l'existence. D’après tout ce qui précède, on serait presque en droit de me demander si j'ai vu dans mes aquariums des Janthines entière- ment dépouillées de leurs flotteurs en reconstruire de nouveaux. — Je répondrai que les animaux n'ont pas vécu assez long- temps pour cela; qu'il en est d'eux comme de l’Araignée dont j'ai parlé il y a un instant : qu'on détruise sa toile, elle la recon- struit, mais aux dépens de son corps, et sil'on continue sans lui laisser prendre de proie, si son organisation ne se fournit pas à elle-même ce qui est nécessaire pour réparer les pertes qu'elle fait en sécrétant de la soie, on la verra mourir d’inanition. De mème ici, les Janthines sont des animaux de haute mer ; elles trouvent dans ces régions des aliments qui leur sont propres, et qu'elles ne trouvaient pas, sans doute, dans mes aquariums : aussi elles ont vécu bien peu de temps, épuisées par leurs efforts et le manque de nourriture. COMMENT LES JANTHINES FONT LEUR FLOTTEUR. SA En terminant, je ferai remarquer que l'opinion pleine de réserve et de doute de Cuvier ne saurait être soutenue. La mousse de la Janthine ne peut en rien repréænter un opercule, ou son analogue même très-éloigné. Bien qu’en mainte occasion j'aie fait remarquer que les obser- vations d'histoire naturelle n'avaient et ne pouvaient avoir de valeur réelle que lorsqu'elles étaient faites sur la nature même, je ne me lasserai point de répéter la même remarque. Les obser- vations des animaux, dans les conditions biologiques qui leur sont propres, sont celles qui conduisent aux connaissances pré- cises de la zoologie ; en dehors de ces observations, il peut y avoir des vues plus ou moins ingénieuses, des aperçus en apparence nouveaux et séduisants, mais 1l manque la chose vraie, impor- tante, c'est-à-dire celle qui esl seule utile. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 145. Dans les trois figures 4, 2 et 3, (7) répond au ludion ou flotteur ; (c) à la coquille ; (p) au pied ; (f) à la trompe placée tout près de la tête de l'animal, dont on voit les tentacules. Fig. 1. L'animal a fait sortir son pied de l’eau, l’a creusé en gouttière en le diri- geant en avant à l'opposé du ludion. Dans celte position, il se prépare à la formation de la bulle. . Fig. 2. Montre le pied déjà recroquevillé en haut ct ayant sous son 2odet terminal enfer- mé une bulle d'air, qui, dans le dessin (à), est beaucoup trop accusée, et qi natu- rellement ne paraît pasaussi bien formée; elle est même cachée sous les bords reployés de l'organe. C'est cette bulle qui va être apportée au-dessus du ludion et lui être soudée, comme l'air est apporté dans l’eau par un verre renversé ou une cloche à plongeur. Fig. 3. L'animal est vu de face et non de profil, dans le moment où il aplatit son pied à la surface du ludion et soude la bulle d’air qu’on a vue figure 2. Si le travail continuait, le pied (p) rentrerait dans l’eau, s’étendrait au-dessus de la trompe en s’allongeant, et puis, se redressant, reprendrait la position de la figure 4. MÉMOIRE SUR LES PHÉNOMÈNES ET LA DIRECTION DE LA DÉCHARGE PAR L'APPAREIL ÉLECTRIQUE DES RAIES, Par M. Ch. ROBIN. (Lu à l'Académie des sciences, dans la séance du 7 août 4865.) Le sens dans lequel ont eu lieu les déviations de l'aiguille galvanométrique, selon que le rhéophore « ou le rhéophore b était placé en bas de l'appareil électrique, m'a montré que sur les Raies, comme sur le Gymnote et le Malaptérure (Ranzi, 1855), le courant est constamment dirigé de l'extrémité céphalique vers l'extrémité caudale. La direction du courant prouve que la lame appliquée sur la partie antérieure de l'organe lui enlève l'électri- cité positive, et la lame en contact avec l'extrémilé terminale lui eulève l'électricité négative. Ce fait est analogue à celui que MM. Becquerel et Breschet ont observé les premiers en 1835 sur les Torpilles, Faraday sur le Gymnote, et Ranzi sur le Malapté- rure. La décharge s’est manifestée toujours d’une manière d’au- tant plus intense par l'énergie de la contraction des Grenouilles et de la déviation de l'aiguille, que les extrémités des rhéophores comprenaient dans le cireuit qu’elles fermaient une portion plus grande des organes, ou, en d’autres termes, qu'elles étaient par- courues par l'électricité provenant d’une portion plus étendue de l'appareil. La déviation jusqu'au 90° degré de mon galvanomètre réduit à 4500 tours ne se montrait dans les décharges ordinaires que lorsque les rhéophores étaient éloignés de plus de 12 centimè- tres. Ces faits suffisent pour prouver que la déviation n’était pas due à des courants chimiques. En appliquant les lames de platine à une distance de 10 à 12 centimètres, en haut de l'appareil d’abord, puis de plus en plus bas à chaque nouvelle décharge, on trouve le courant dirigé de l'extrémité antérieure de l'appareil vers son extré- mité postérieure. Le point où était le pôle négatif, lorsqu'on MÉMOIRE SUR L'APPAREIL ÉLECTRIQUE DES RAIES. 343 commence l'expérience par la partie antérieure, devient celui où est le pôle positif lorsqu'on reporte plus bas les deux rhéo- phores en même temps, pour recueillir l'électricité d’une nou- velle décharge. Ainsi, chez les Raies comme chez le Gymnote (d’après les observations de Faraday), on trouve qu'un même point peut être tantôt positif, tantôt négatif, suivant que l’autre point touché en même temps est tantôt près de la tête, tantôt plus près du haut de la queue. Des phénomènes ordinairement observés lors de chaque décharge électrique en particulier. — On peut obtenir en général trois décharges ou successions de décharges avec chaque Raie (rare- ment quatre) dans l’espace de quinze à vingt minutes; après quoi l’asphyxie commence. Les décharges données par une même Raie ne sont pas toutes semblables, en ce sens qu’elles consistent tantôt en une seule et énergique décharge proprement dite, tantôt en une série de petites décharges se répétant quarante à cinquante fois de suite, au nombre de deux ou trois environ par seconde. Les Grenouilles galvanoscopiques décèlent chaque petite décharge par autant de petites contractions des muscles de la jambe et de petites flexions de celle-ci sur la cuisse. Elles n’ont lieu qu’autant qu’elles tou- chent la peau de la queue au niveau du point où les organes électriques, cessant d’être entourés de muscles, deviennent sous- cutanés. C'est sans doute pour n'avoir pas pris en considéra- tion ces dispositions anatomiques dont l’exacte connaissance est indispensable dans ces expériences, que Müller, Matteucci et R. Wagner n'ont obtenu que des résultats négatifs sur les Raies, dans des tentatives dont ils n’ont fait, du reste, que mentionner l'insuccès, sans les décrire. L'expérience m'a montré aussi que toutes les particularités offertes par les décharges sont reflétées par les contractions des pattes de Grenouille dont le nerf forme un arc touchant, au lieu de l'appareil même, un fil métallique planté dans un organe électrique, aussi nettement que lorsqu'elles sont contiguës à la peau qui couvre immédiatement ce dernier. J'ai pu observer les décharges de l'appareil électrique des Raies dans l’eau comme sur une table; seulement, la difficulté 8h CH. RORIN. de maintenir assez longtemps la queue immobile dans un baquet où l'animal cherche à nager fait que l'emploi des Grenouilles rhéoscopiques est à peu près impossible. En outre, le contact de l’eau de mer et du mucus fait cesser le courant propre des mus- cles et des nerfs de la patte de Grenouille en quelques minutes ; il leur fait perdre ainsi leurs propriétés galvanoscopiques, et oblige de les renouveler à peu près à chaque décharge ou série de décharges. Influence de quelques circonstances spéciales sur la décharge de l'appareil électrique des Raies. — Huit ou dix minutes après la mort, l'introduction d’une aiguille dans les faisceaux antérieurs de la moelle épinière mise à nu, au niveau de la partie anté- rieure de l'appareil électrique, a causé une décharge, manifestée par la contraction des Grenouilles rhéoscopiques et par une déviation de l'aiguille allant jusqu’à 90 degrés. Ces mêmes phé- nomènes se sont manifestés une demi-heure après la mort d’une Raie dans une expérience qui a consisté à galvaniser une aiguille métallique enfoncée de haut en bas dans la moelle épinière tho- racique, sur une longueur de quelques centimètres. Ayant coupé la queue d’une grosse Raïe bouclée vivante, j'ai excité les faisceaux antérieurs de la moelle à l’aide d’une aiguille, cinq minutes environ après la séparation du membre. Celui-ci était maintenu pour éviter les contractions convulsives des mus- cles coccygiens que suscite la stimulation de la moelle épinière. Or, cette dernière a déterminé, en même temps que des contrac- tions musculaires, une décharge électrique, manifestée par une déviation de l'aiguille du galvanomètre jusqu'à 90 degrés. Particularités offertes par la décharge de l'appareil électrique, divisé en segments, et par le courant qui lui est propre. — Dans une autre série d'expériences faites en utilisant les 3000 tours du galvanomètre, les extrémités des rhéophores ont été directement appliquées sur le tissu de segments plus ou moins longs de l’un ou des deux organes électriques coupés nettement aux deux bouts; segments laissés adhérents à l'animal, par leur face interne, qui est celle dans laquelle pénètrent les vaisseaux et les nerfs. Dans ces expériences, je me suis assuré que les Raies ne don- MÉMOIRE SUR L'APPAREIL ÉLECTRIQUE DES RAIES, 349 nent aucun signe de sensibilité lorsqu'on vient à toucher, piquer, couper ou déchirer le tissu de leurs organes électriques. En ppliquant simultanément les deux lames de platine sur les deux bouts de l'appareil, sans toucher les muscles voisins, j'ai tou- jours vu l'aiguille galvanométrique dévier très-lentement de 7 à 10 degrés dans une direction indiquant que ce courant. va, comme celui de la décharge, de son extrémité antérieure à son extrémité postérieure; ou, en d’autres termes, le courant à tou- jours pénétré par le rhéophore contigu à la section postérieure de l'organe, et l'aiguille s’arrêtait à 7, 8, 9 ou 10 degrés, en oscillant parfois là de 2 à 3 degrés tant que la Raie ne donnait pas de décharges ; mais, aussitôt que celle-ci était produite, soit spontanément, soit après le contact des yeux ou des évents, l’ai- guille partait brusquement pour aller dans le même sens vers 90 degrés; elle atteignait ce nombre en frappant contre le butoir, lorsque la longueur des segments de l’organe était de 42 à 16 centimètres ou au-dessus. La comparaison de ces phénomènes offerts par l’appareil élec- trique avec les phénomènes des courants musculaires des Raies porte à faire croire qu'il existe dans les organes électriques de ces poissons un courant propre continu. Il se dirige de la partie antérieure vers la partie postérieure de l'appareil, et il semble que chaque décharge est due à ce-que, sous l'influence de Ja volonté, il subit une exacerbation par augmentation de la quan- tité d'électricité mise en liberté, ce qui précisément caractérise la décharge. Les essais qui précèdent montrent, comme ceux dont il a été question plus haut, que l'intensité de chaque décharge est proportionnelle à la masse du tissu de l'organe électrique comprise dans le circuit. J'ai observé, de plus, que l’éthérisation suspend l'influence qu'ont les centres nerveux sur la production des décharges élec- triques, sans influer sur les propriétés électrogéniques de l'ap- pareil. La strychnine détermine la production convulsive et invo- lontaire de décharges électriques aussitôt que débutent les con- tractions involontaires et convulsives des muscles, fait analogue à ceux que M. Matteucei a constatés sur les Torpilles. Quant au curare, il paralyse l'influence du système nerveux 346 CH. ROBIN. sur l'appareil, sans qu’il soit possible de voir si la diminution de l'énergie des décharges obtenues en excitant la moelle tient à la perte des propriétés des nerfs allant à l'organe électrique, ou à l'extinction de l’action de celui-ci. L'ensemble des observations dont je viens de résumer les prin- cipaux résultats prouve donc que l'appareil électrique des Raies remplit une fonction de même ordre que celle qui est dévolue aux organes de structure analogue existant chez les Torpilles, les Gymnotes, les Malaptérures, etc. Les différences ne portent que sur l'intensité des manifestations électriques, intensité qui, étant proportionnelle à la masse des organes sur toutes les espè- ces, est, sur les Raies, ce que faisait pressentir le moindre volume comparatif de l'appareil. Mais, à part cette différence nécessaire que, dès 1846, j'avais annoncé devoir exister, la fonction de cet appareil n'offre rien de faux ni de rudimentaire, contrairement aux hypothèses émises depuis par quelques naturalistes. Les faits contenus dans ce tra- vail sont en rapport, au contraire, avec cette particularité, déter- minée dès cette époque également, que la structure intime de ces organes offre la plus grande analogie qu’on puisse voir avec celle des organes électromoteurs des autres Poissons électriques. Rien de mieux caractérisé, en effet, que l'élément sui generis qui compose leurs disques; rien de plus régulier que la configuration de ceux-ci et que leur juxtaposition en piles par l'intermédiaire de cloisons riches en vaisseaux et en nerfs; rien de plus constant que la distribution des nerfs à l'exclusion des vaisseaux (ainsi que je l'ai fait connaître le premier en 1846) sur la face du disque qui est tournée vers le pôle positif de l'appareil, tandis que les vaisseaux, à l'exclusion des nerfs, se jettent sur la face opposée par laquelle s'échappe le courant lors de chaque décharge ; rien, enfin, de plus net que le mode de terminaison des nombreux tubes nerveux régulateurs des actes de l'appareil qui aboutissent à chacun de ses disques. DESCRIPTION DU GITE DES LIMES, Par le docteur H. LACAZE-DUTHIERS, Parmi les Mollusques acéphales lamellibranches qui habitent le port de Mahon, la Lima hians est à la fois un des plus com- muns et des plus intéressants par ses mœurs, Dans une publication précédente J'ai donné desrenseignements sur les points du port de la capitale de Minorque qui offrent le plus de ressources au naturaliste (1); sans revenir sur ces détails de zoologie locale, je dirai que dans l’un des points de cette cu- rieuse localité, dans une petite anfractuosité de la Cala Figuera, où le fond me permettait de me mettre à l’eau jusqu’à la cein- ture et de chercher sous les pierres, J'ai rencontré fréquemment l'espèce dont je vais déerire les mœurs. C’est en cherchant des Oscabrions, qui se trouvent le plus ordinairement sous les pierres, que jai rencontré la Lime dans son gite. : Il faut, pour bien observer tous les êtres dont on a besoin, étu- dier d’abord leur stationnement, et bientôt on arrive à connaître une foule de particularités qui échappent aux zoologistes de cabinet et de collections. J'ai partout remarqué que lorsque des pierres accumulées en tas ne sont pas recouvertes et unies par de la vase, elles laissent entre elles des anfractuosités très-propres à servir de refuge aux animaux ; que ceux-ci les recherchent, et sont d’autant plus beaux, plus développés, qu'on les rencontre sous les DRE Le plus profondes. Un jour, en levant une de ces pierres les plus voisines du fond, (1) Voy. Lacaze-Duthiers, Un été d'observations en Corse et à Minorque; Mémoire sur la Bonellie. r 318 H, LACAZE-DUTHIERS, je rapportai une petite Lime bâillante, et je m’expliquai comment les femmes du marché n'en procuraient elles-mêmes sans avoir recours aux pêcheurs, aux mariscadores, nom que l’on donne à Mahon aux chercheurs de mariscos, ou coquillages. Mais, en soulevant les pierres, je vis tomber des débris d’Algues, de petits fragments de rocher, qui semblaient agglu- tinés, Je me rappelai avoir vu sur ‘des valves de Pecten, sur d'autres corps sous-marins, une toute petite Lime enfermée très- exactement dans une sorte de poche de nature filamenteuse, et je me demandai si la Lima hians, plus grande, ne se ferait point aussi une retraite en soudant et agglutinant tout ce qui l'entourait. Je cherchai attentivement, et je rencontrai bientôt des gîtes très-bien construits, renfermant l'animal mème qui les avait formés. La figure (1) qui accompagne cette note donnera une idée très-exacte de la position de la Lime et de la structure de son habitation. On y voit fixés par de nombreux filaments, semblables à des brins de filasse, des coquilles du Trochus cinerarius, de Lima hians elle-même, des Algues, des débris de bois, des graviers à gros grains; le tout forme une sorte de masse plus ou moins sphéroïdale, laissant un orifice très-variable, qui quelquefois est à peine visible, par où la Lime pourrait peut-être sortir, quoi- qu'il me paraisse peu probable qu’elle abandonne son habitation quand elle l’a formée. Ordinairement, c’est au-dessous d’une pierre plate que sont agglutinés les éléments divers qui composent le gîte. Mais, cependant, il est des exemples qui montrent que la masse des corps liés entre eux est absolument indépendante de toute adhérence à de gros corps étrangers. On sait combien les Limes sont agiles, avec quelle vitesse, en (1) Voy. Ann. des sciences nat., Zoo, 52 série, t, IV, pl. 15, fig. 4. DESCRIPTION DU GITE DES LIMES. 349 contractant brusquement leur muscle, elles chassent l'eau entre leurs valves et s’élancent comme de véritables traits. On ne se rend pas compte de la réunion de ces deux conditions, grande vitesse et habitation sinon cellulaire, du moins assez petite pour permettre tout au plus à l'animal de tourner dans la cage qu'il s'est filée lui-même. On sait aussi que l'animal dont il est ici question est remar- quable par les innombrables filaments tentaculaires qui bordent le limbe de son manteau : rien n’est curieux comme de voir, lorsqu'on le laisse bien tranquille dans l’eau, s’échapper tous les filaments tentaculaires au travers de l’orifice ou de la porte d'entrée du gîte. La coquille disparait, et l’on ne voit plus qu'une forêt de filaments rouges qui s’agitent comme des Vers dans tous les sens. Ils doivent sans doute servir à l’accaparement des petites proies, ou diriger les courants d’eau qui apportent à la bouche l'alimentation moléculaire. Comment ce gite est-il fait ? Moins heureux en cela que pour la Janthine, je n’ai pas vu la Lime faire son habitation, mais je crois qu'il est possible de con- clure, d’après ce qui s'observe pour d’autres animaux, ce qui doit être ici. Lorsqu'on place une Moule comestible dans de l’eau bien fraîche, c’est-à-dire dans de bonnes conditions, si l'on a préparé l'expérience dans un vase transparent, on peut voir que du fond du vase la Moule remonte jusqu'à la surface de l’eau et sans difficulté, lentement il est vrai, mais aussi sans aucune peine. Si l’on place de même, dans de bonnes conditions, une Cyclade cornée, on voit qu'elle monte aussi sur les parois du vase, en rampant à l’aide de son pied employé comme une ventouse. Ce qui s’observe pour la Cyclas n’est pas du tout ce qui a lieu dans le cas de la Moule. RES Chacun sait, et il suffit, pour s’en convaincre de voir, sur les 290 H, LACAZE-DUTHIERS. marchés les paquets que forment les Moules au moyen d’une filasse particulière qui les uuit toutes; chacun sait, dis-je, que le corps de l'animal porte une petite cavité au fond de laquelle est sécrétée une matière qui s’allonge en filaments et qui constitue ce que l'on nomme le byssus. Or, quand la Moule veut se fixer, elle produit un de ces fila- ments, qui, arrivant au contact du corps, s’épate et se soude à l'aide d’un petit disque qui se forme à son extrémité. Cette obser- vation se fait avec grande facilité dans les vases transparents, Si la place ne convient pas à la Moule, on la voit, chose fort curieuse, se rapprocher autant qu'elle le peut, par ses contrac- tions, du point d'attache; alors elle envoie quelques filaments nouveaux de byssus dans la direction qu’elle veut prendre, et, quand ceux-ci sont bien adhérents, elle passe son pied successi- vement entre les premiers fixés, et par un mouvement brusque elle les rompt les uns après les autres, et ne se trouve plus suspendue que par les derniers formés. Ceux-ci, à leur tour, ont le même sort, et sont cassés quand les nouveaux produits ont rapproché encore davantage la Moule du point qu’elle désire atteindre de la surface de l’eau, si, par exemple, c’est vers le niveau supérieur du liquide qu'elle se dirige. C'est là un genre de locomotion fort curieux, et qui peut servir à expliquer la formation du gîte des Limes. Ces animaux produisent aussi des byssus, mais d’une nature un peu différente; les fils sont plus soyeux, moins gros et en même temps assez résislants. Supposons que la Lime, après avoir agglutiné son fil de bys- sus à un débris d’Algue, à une pierre, à une coquille morte, se sépare de ce fil par une action brusque et analogue à celle que l’on vient de voir accomplir par la Moule comestible. 11 est évident que l’on aura une série de pièces reliées entre elles, qui pourront être à leur tour attachées à d’autres rapprochées et uuies de la même manière. Quand la Lime a ainsi lié des pièces qui forment un en- semble capable de la protéger, elle fixe de même, à l'intérieur DESCRIPTION DU GITE DES LIMES, 304. de la cavité qu’elle s’est ainsi ménagée, des filaments qui tapis- sent, pour ainsi dire, d’une couche plus douce ou moins rugueuse la chambre qu’elle habitera désormais. J'ai déposé dans les collections du Muséum le gite de la Lima hians, qui a servi de modèle au dessin placé à la suite de cette note. Il donne une idée très-exacte de ce qui est dans la nature. J'avais rapporté de Mahon plusieurs échantillons analogues à celui-ci ; mais ils s’altèrent avec une rapidité extrême, et cela explique probablement pourquoi les musées n’en renferment pas. Ï faut d’ailleurs chercher soi-même pour arriver à les rencon- trer; car une drague, par exemple, ne pourrait guère fournir que des débris, et je doute même que les secousses des objets qu’elle rapporterait dans son sac ne détruisissent pas les gites. Ceux qui ont pour paroi une large et plate pierre n’ont surtout pas pu résister au voyage ; c'était d’ailleurs à grand’peine que je pouvais les rapporter de la mer dans mon laboratoire sans les détruire. La Lime, en effet, agglutine tout ce qu'elle rencontre et qui se trouve près d'elle; aussi souvent unit-elle à des débris délicats d'Algue marine des fragments de pierre assez gros; de sorte qu'au moindre déplacement, le poids de ceux-ci les fait se déta- cher et déchirer toute la trame, qui en somme est assez délicate, et sans aucun doute moins résistante que les masses filamen- teuses composant les paquets de Moules. La description qui précède, ainsi que le dessin qui l'accom- pagne, n’a pour but que de faire connaître avec quelque détail cette particularité de mœurs d’une espèce plus grande que celle qui se fixe sur la tunique des Ascidies, sur les valves des Pecten, ou autres Mollusques de grands fonds. Du reste, le fait était bien connu d’une manière générale; il suffit, pour s’en con- vaincre, de parcourir les ouvrages de malacologie. Ainsi MM. Forbes et Sylvanus Hanley (1) disent positivement : «This species can spin for itself a campact nest of byssal threads (4) Forbes et Hanley, History of British Mollusca and their Shells, t, II, p. 271, 392 H, LACAZE-DUTHIERS. » entangling small stones, shells and fragments of Nullipore ; in » the midst of it lies the Lima, resting on a smooth Inner coating » of fibres. As this animal is much more frequently taken free » than found thus imbedded, and as it is a very active creature, » swimming {brough the water with great rapidity, it is most » likely that this nest-making habit is connected with some pecu- » liarity in its economy at some particular period of its exis- » tence. » Mais ils avouent n'avoir jamais vu le gite : «We have never seen any but full-grown specimens contai- » ped in these curious nests. » C’est ce qui m'a engagé à donner la description et le dessin de ce gîte, qui n'avait jamais, je crois, été figuré d'une manière aussi complète. La planche 15, tome IV des Annales des sciences naturelles, Zoo, 5° série, 1865, fig. 4, représente un gite de grandeur naturelle, qui n'avait que de faibles adhérences avec les pierres voisines, et qui appartenait à un individu de médiocre taille. On a déjà vu que l’on rencontrait les Limes assez has sous les pierres amoncelées au fond de lagunes peu profondes du port de Mahon ; mais sans doute, à de plus grandes profon- deur, il est probable qu'il s'en trouve aussi dont les gîtes sont très-bien et peut-être autrement faits; seulement les dragues ne pourraient évidemment les rapporter intacts, et Je doute qu'il fût possible de ramener du fond, par ce procédé, des Limes encore cnfermées dans leur habitation. LA PLANCHE 19. La figure 4 représente, de grandeur naturelle, un gîte de Lima hians, tel qu'il était au moment de la sortie de l’eau. NOTE RELATIVE À UNE LAME D'IVOIRE FOSSILE TROUVÉE DANS UN GISEMENT OSSIFÈRE DU PÉRIGORD, LETTRE ADRESSÉE A M. MILNE EDWARDS, Par ME. LARMEN. Puisque vous jugez utile de donner publicité à cette pièce paléontologique qui vous a été montrée, et sur laquelle on retrouve les contours et d’autres détails linéaires d’une forme animale rapportable à un Éléphant, je vous fais passer, avant mon départ, un moulage de ce morceau, exécuté par M. Stahl, l’habile artiste attaché au Muséum d'histoire naturelle. L'ori- ginal restera d’ailleurs, après ma rentrée à Paris, à la disposition des persounes qui souhaiteront en faire un examen plus direct. Voici l’histoire de cette pièce dont la découverte remonte à plus de quinze mois. En mai 1864, M. de Verneuil et notre défunt ami le docteur Falconer m'ayant témoigné le désir de visiter les cavernes et autres localités de la Dordogne que j'avais explorées en commun avec mon bien regretté collaborateur, feu M. H. Christy, je les accompagnai dans cette excursion. On con- tinuait alors les fouilles au gisement de la Madelaine, qui avait déjà fourni un certain nombre de ces figures d'animaux gravées sur os ou sur bois de Renne, et dont quelques-unes ont été mises, l’année dernière, sous les yeux de l’Académie. Au moment de notre arrivée, les ouvriers avaient nouvellement mis à découvert cinq fragments éclatés d’une lame d'ivoire un peu épaisse, qui avait dû être anciennement détachée d’une assez grosse défense d'Éléphant. Après avoir rejoint ces morceaux par les points de repère que fournissaient les anfractuosités des cassures, je mon- trai au docteur Falconer de nombreuses lignes ou traits de gra- vure peu profonde, dent l'ensemble ainsi rapproché paraissait accuser des formes animales. L’œil exercé du célèbre paléonto- logiste, qui a le mieux étudié les Proboscidiens, y reconnut 5° série. Zooc. T. IV. (Cahier n° 6.) 3 25 354 LARŸTET. aussitôt une tête d'Éléphant. Il y signala ensuite d’autres parties du corps, et particulièrement, dans la région du cou, un faisceau de lignes descendantes qui rappelait la crinière de longs poils caractéristique du Mammouth où Éléphant des temps glaciai- res (1). On sait que cette particularité spécifique, expliquant l'habitat sub-arctique d’un animal de ee genre, avait pu être véri- fiée, en 1799, par M. Adams, de l’Académie de Saint-Péters- bourg, sur les restes d’un cadavre de ee même Éléphant (Ælephas primigenius) encore engagé, chair et os, dans la glace, près de l'embouchure de la Léna. On peut voir dans la galerie de Géolo- gie du Muséum une touffe des longs poils de ce Mammouth. Ne voulant pas, suivant la règle que nous nous étions impo- sée, publier cette découverte avant qu’elle se trouvât confirmée par un duplicata d'observations analogues, je m'étais contenté de montrer le morceau à quelques personnes des plus compé- tentes, Je citerai parmi elles MM. de Quatrefages, Desnoyers, de Longpérier, qui l'ont, comme vous, examiné avee l'attention la plus scrupuleuse, ainsi que M. A. W. Franks, directeur de la Société des antiquaires de Londres, lequel a bien voulu se char- ger de suivre sur le moulage et de noireir au erayon les traits de gravure les plus arrêtés et les plus caractéristiques des formes que l'on y distingue (pl. 46). C’est done, en réalité, l'opinion de ces savants éminents, celle de M, Falconer, et la vôtre aussi, mon- sieur, qui se produira devant l’Académie, autant que la mienne propre. Au reste, ce nouveau fait n’ajoutera rien aux convictions déja acquises sur la coexistence de l’homme avec l'Éléphant fossile (Elephas primigentus) et les autres grands Herbivores ou Carnas- siers que les géologues considèrent comme ayant véeu dans les premières phases dela période quaternaire. Cette vérité d'évidence rétrospective se déduit aujourd'hui d’un si grand nombre d’ob- servations concordantes et de faits matériels d’une signification tellement manifeste, que les esprits les moins préparés à l’admet- (4) Sür le moulage, il ya dans les lignes qui descendent du sommet de la tête une lacune ou interruptiün correspondant à une cassure transversale rebouchée pat du wmastie, dans l'original. NOTE SUR UNE LAME D'IVOIRE FOSSILE. 399 tre ne tardent pas à l’accepter dans toute sa réalité, dès qu'ils veulent bien prendre le-peine de voir, et, après cela, de juger en conscience. Permettez-moi, monsieur, de profiter de cette occasion pour vous prier de signaler à l'Académie deux découvertes d'un inté- rêt plus actuel pour mes études sur la distribution géographique des Mammifères quaternaires. C’est d’abord l’observation d'une Marmotte d'espèce nouvelle ou tout au moins différente de celle des Alpes, et dont les restes ont été recueillis dans une caverne de la Dordogne anciennement habitée par l'homme. L'autre fait, plus important, consiste dans la rencontre faite, aussi dans le Périgord, sur une autre station humaine de très- haute ancienneté, d’un certain nombre d’ossements d'Ovibos moschatus où Bœuf musqué, montrant un état de fragmentation analogue à celui des autres os d’animaux dont se nourrissaient nos indigènes primitifs. Ces ossements d'Ovibos musqué se sont trouvés là associés à des restes de grand Ours, de grand Chat des cavernes (Felis spelæa), de Renne, d’Aurochs, de Cheval, etc., et au milieu de débris d’mdustrie humaine, témoignant ainsi de la persistance d'un climat glaciaire au moment où l’homme s'était déjà établi dans cette région de notre Europe aujourd'hui si tempérée. On sait, en effet, que l'Ovibos musqué, présente- ment relégué dans l'Amérique arctique, ne vient jamais en deçà du 60° degré ; c’est donc 15 degrés de latitude plus au sud qu'il s'est avancé chez nous, dans les premiers temps de la période quaternaire. Il est digne de remarque que M. Alphonse Mine Edwards arrive à des conclusions analogues par l'étude qu'il a faite des Oiseaux fossiles de nos cavernes et autres stations humaines du Périgord (4). Pacte 16. Fieure de la lame d'ivoire fossile, de grandeur naturelle, d'äprèes lé modèle en plâtre Le) 2 , mentionné ci-dessus. (4) Société philomatique; séance tlu 8 juillet, dans Prstitut, numéro du 3 août 4865. NOTE SUR LA REPRODUCTION BOIS DE RENNE D'UNE TÊTE (PRÉSUMÉE) DE MAMMOUTH ET SUR QUELQUES MORCEAUX D'IVOIRE TRAVAILLÉ PROVENANT PLUS PARTICULIÈREMENT DES STATIONS DU PÉRIGORD, Par M. de VIBRAYE. (Présenté à l'Académie des sciences dans la séance du 4 septembre 4865.) Dans la séance du 18 mai 1863, M. Eug. Robert demandait à l’Académie des sciences comment on pourrait concilier l'absence de livoire travaillé, dans les gisements celtiques, avec la con- temporanéité de l'Homme et de l’Éléphant dans les Gaules. «Tant qu'on n'aura pas rencontré l’ivoire travaillé dans les » stations ou gisements celtiques (1), ainsi que dans les hypo- » gées les plus anciennes de cette époque, nous estimons qu'il y » aurait une grande présomption à dire que l'Homme, sous nos » latitudes, a été contemporain des grandes espèces perdues de » Pachydermes. » La réponse de ma part eût été facile, puisqu'en 1860, après quatre ans de fouilles où j'avais constamment rencontré l’Élé- phant, je recueillais pour la première fois, dans les grottes d'Arcy-sur-Cure, une sorte de marque de chasse en ivoire, d'un travail assez achevé. Toutefois, je ne crus pas devoir appeler tout d'abord l'attention sur un fait isolé, dans l'espoir que de nou- velles découvertes viendraient hientôt le confirmer. Deux années se passèrent, et les recherches entreprises en 1568, 1864 et 1865, dans les stations du Périgord, me procu- 1 (1) Je dois attirer l'attention sur le peu de précision de cette dénomination confon- dant l’homme des cavernes contemporain du Renne sur notre sol, à une époque dont —eS traditions historiques ne font aucune mention, avec les races que l’histoire a qua- jifiées de celtiques auxquelles on attribue l'érection des menhirs, dolmens, etc. REPRODUCTION D'UNE TÊTE DE MAMMOUTH. 3957 rèrent d'assez nombreux débris de défenses, dont quatorze présentaient les indices incontestables d’un travail humain, L'année 1863 m'avait notamment fourni cette statuette de femme à laquelle on n'a consacré qu'une trop fugitive attention. Ces fragments gisaient pêle-mêle au milieu d'innombrables débris de Renne, de Cheval, ainsi que de restes plus rares d'Aurochs, de Chamois, de Bouquetin, de Castor. Qu'ai-je besoin de répéter que les silex ouvrés s’y rencontraient par milliers ? Les bois de Renne, sciés, incisés, sculptés ou gravés, apparaissaient à chaque instant dans ces fouilles. Il y avait donc évidente association, et j'étais, ce me semble, en droit d’en conclure la contemporanéité d'animaux ainsi réunis (d’après le propresentiment de M. Eug. Robert). Toutefois j'hésitais encore, et j'avais peine à l’'admettre d’une manière absolue, sur la foi de quelques morceaux d'ivoire, malgré l'évidence du travail, quand un heureux hasard me fit découvrir, au mois de mai de cette année, dans un des foyers de l’Augerie basse, la représen- tation d’un animal qui me sembla ne pouvoir être qu'un Élé- phant. Des appréciateurs compétents et non prévenus en ont jugé de même. C'était done, une fois le fait acquis, une démon- stration suffisante de la contemporanéité de l'Homme et du grand Proboscidien. Avant de passer à l'examen plus approfondi de ce fait, qu'il me soit permis de Jeter un coup d'œil rapide sur les foyers où j'ai rencontré ces débris et de rappeler les conditions dans les- quelles ils se présentent. Les foyers de l’Augerie, situés sur la rive droite de la Vézère, commune de Tayac (Dordogne), occupent une longueur d’en- viron 850 mètres. Ils peuvent se diviser en deux stations prin- cipales : celle de l’Augerie basse et celle de l'Augerie haute. Je ne m'occuperai pas ici de cette dernière, dont l’industrie semble un peu différente, bien que se rattachant indubitablement par sa faune à la même époque. Le foyer de l'Augerie basse se développe sur une longueur de h00 mètres, et domine le niveau moyen de la Vézère d'environ 10 mètres. Sur quelques points, ce foyer se montre horizontal ; 258 DE VIBRAYE. sur d'autres, il se contourne, s'incline, jusqu’à devenir vertical, et s'infiltre pour ainsi dire sous les rochers crétacés, qui durent dans l’origine lui servir de base. Ces contournements ne sau- raient s'expliquer autrement que par l’action des eaux. Cette action des eaux devient au surplus évidente par l'examen de la gangue terreuse qui empâte les débris, et dont les éléments micacés ne penvent s'expliquer autrement que par le passage de la Vézère à des niveaux supérieurs en des temps d’inonda- tions considérables. Les eaux de la rivière ont dû même séjour- ner longtemps sur les foyers, comme le témoigne l’accumula- tion, sur plusieurs points, de nombreux ossements de Batraciens, encore engagés dans une sorte de limon noirûtre. Il est également probable qu'à une époque antérieure, les stations de l’Augerie furent complétement recouvertes par l’allu- vion de la Vézère. Si de nos jours quelques foyers se manifestent à la surface du sol, on doit attribuer cette dénudation à l’mter- vention de l'Homme, qui, voulant utiliser ces abris, dut com- mencer par enlever la terre et les pierres jusqu'au niveau nécessaire à l'appropriation de sa demeure. Sur d’autres points, au contraire, on ne saurait atteindre le foyer sans enlever une couche variant de 0",50 à 3 mètres, composée principalement de débris de roches crétacées, et souvent mélangée de galets roulés, analogues à ceux qu'on trouve encore aujourd’hui dans la Vézère. C’est au-dessus de cette couche que s’est rencontrée l’accumulation de restes de Batraciens signalée plus haut. Telles sont en résumé les conditions du gisement des boïs de Renne incisés et sculptés du Périgord, aussi bien que celles des fragments d'ivoire ouvragé qui les accompagnaient. L'ivoire travaillé des foyers est toujours blanc intérieurement ; sa croûte seule à pris une teinte brune. Il est en général très- fragile par suite d’un long séjour dans un sol humide, quoique moins friable que celui des défenses qu’on retrouve aujourd’hui dans les atterrissements des rivières. Tout porte à croire qu’au moment où il fut utilisé par les aborigènes il devait être fort dur. La marque de chasse mentionnée plus haut présente une de ses faces luisante et polie presque à l’égal de l'ivoire frais. Un autre REPRODUCTION D'UNÉ TÊTE DE MAMMOUTH. 359 morcéau long de 0",24 est pourvu de profondesentailles ; il offre de vives arêtes tellement nettes et des angles tellement aigus, que l’ouvrier n'aurait pu les obtenir d'une substance ayant subi la première atteinte d’une décomposition. Deux autres morceaux enfin ont été destinés à servir de flèche et de poinçon. Les fragments de défense d'Éléphant ne sont pas les seuls débris de ce Proboscidien recueillis dans les stations qui nous occupent le plus exclusivement en ce moment, celles du Péri- gord ; les lames de molaires s’y rencontrent assez communément, J'en possède notamment un fragment assez considérable pour en étudier les caractères et le rapporter à l'£lephas primigentus. Les grands os sont plus rares, on lés rencontre cependant ; car sans parler du foyer d’Arcy-sur-Cure, où les fragments des os longs de Mammouth sont assez communs, fragments qui pourraient à la rigueur être émpruntés à la couché sous-jacente par un remaniement postérieur, M. Lartet (1) citeune portion de bassin trouvée par lui dans une des stations de l'Augerie basse. J'ai rencontré sur le même point deux fragments d'os longs qué leurs diménsions et leur épaisseur ne permettent de rapporter qu'à un Éléphant de grande taille. On s'explique du reste la rareté des os longs des grands Pachydermes dans les stations de cet âge, par la difficulté du transport. Il me semble au surplus à peu près démontré que les aborigènes n’apportaient pas entiers dans leurs demeures les animaux qu'ils avaient abattus, comme le témoigne l'absence presque complète de certains os, tels que les fémurs et les parties supérieures des canons de Renne, les os longs d’Aurochs ou de Cheval. J'ärrive à la description du morceau travaillé qui fait plus spé- cialement le sujet de cette communication. L'artiste qui l’exécuta sur un bois de Renne semble avoir pris à tâche de reproduire les moindres particularités physiologiques de l'animal qu'il avait l'intention de représenter. La tête seule a été conservée. Le corps, exécuté sans doute sur le prolongement du bois de Renne, a été perdu, par suite d'une fracture ancienne. Ce fragment (4) E. Lartet et H. Christy, Cavernes du Périgord, p. 26, 366 DE VIBRAYE. présente à l’une de ses extrémités une perforation circulaire, analogue à celle de beaucoup d’autres bois sur lesquels, à cette époque, on représentait des animaux tels que le Renne, le Cha- mois, l’Aurochs, le Cheval, etc. Ce qui m'a frappé tout d'abord dans cette tête, c'est la grande élévation presque verticale du crâne. On sait que cette particu- larité caractérise tout spécialement l'Éléphant, puisqu'elle ne se trouve chez aucun autre animal. La protubérance due à la saillie des deux os et du nez est, ce me semble, clairement indiquée. La face antérieure du crâne, située au-dessus de ces deux os, est légèrement concave etrappelle cette même partie chez l'Éléphant des Indes. L’œil, placé dans la posiuor. normale, est indiqué, non-seulement par la proéminence résultant du grand dévelop- pement du tubercule lacrymal, mais aussi par un petit trait oblique très-net, qui donne assez l’idée d’un œil fermé. L'oreille en saillie se trouve assez rapprochée de l'œil, Elle est pendante, oblongue et relativement fort étroite. Elle diffère donc nota- blement de celle des deux espèces d'Éléphant qui nous sont connues, non-seulement par sa forme, mais encore par sa position. Le maxillaire inférieur (visible seulement du côté gauche, par suite de la détérioration du morceau) présente la même direc- tion que chez les Éléphants actuels, c’est-à-dire qu'il forme avec le crâne un angle très-ouvert. Les défenses sont indiquées par une entaille sur chacun des côtés. La trompe, assez étroite, est très-nettement accusée : sa longueur égale environ une fois et demie celle de la tête. Si l’on voulait tenter un rapprochement entre cette figure et l’une des espèces actuellement existantes, je dirais que l'Éléphant des cavernes offre plus de caractères communs avec l'Éléphant d'Asie qu'avec l'espèce d'Afrique. La conformation générale de la tête, la dépression du front, le peu de largeur des oreilles, sont autant de particularités qui la rapprochent de l'Éléphant des Indes. Quant au Mammouth, dont 1l serait sans doute plus rationnel de voir ici la représentation, le peu que nous connais- sons de ses caractères extérieurs ne permet de tenter qu'une bien REPRODUCTION D UNE TÈTE DE MAMMOUTH. 361 timide comparaison. Je dirai toutefois, d’après Cuvier (1), que le crâne était fort élevé, les tubercules lacrymaux très-dévelop- pés ; j'ajouterai même, si l’on peut s'en rappporter aux figures qu'il en donne (2), que le trou auditif paraît situé moins en arrière du crâne, et que, par suite, les oreilles doivent être plus rapprochées de l'œil que chez les espèces actuellement vivantes. En présence de la représentation d’une tête où tous les carac- ières essentiels se montrent si nettement rendus, pourrait-on m'objecter que cette figure a été faite d’après les souvenirs, les traditions ou les récits? Eût-1l été réellement possible de repro- . duire aussi fidèlement les traits d’un animal, à moins de les avoir sous les yeux ? Et d’ailleurs, en ce qui concerne les animaux, les traditions ne se complaisent-elles pas à leur attribuer des caractères plus ou moins chimériques, souvent inconciliables entre eux? Les artistes de l’Augerie ne faisaient point de caricatures et peu de fantaisie. Si les ébauches de l’art à son début nous semblent grossières, la vérité des formes générales s’y montre du moins scrupuleusement respectée. Je citerai notamment-une plaque de schiste sur laquelle on à reproduit au trait un combat de Renne. Le vainqueur y est représenté dans une attitude dont la vérité doit surprendre. Il en est de même d’une tête de Renne sculptée, provenant aussi de l’un des foyers de l’Augerie. En présence de tels faits, ilme semblait inadmissible de sup- poser qu'en créant une tête fantastique, un aborigène avait pré- cisément reproduit celle de l’Éléphant dont nous avons retrouvé constamment à côté les dépouilles, dans les mêmes conditions d'enfouissement, et que l'aveugle hasard l'avait assez bien guidé pour lui faire attribuer à son ébauche tous les caractères essen- tiels à ce Proboscidien, dont il ignorait l'existence. Je fais appel en terminant à l’importante et toute récente com- munication de M. Lartet, parce qu'il me semble que les deux découvertes, en se corroborant réciproquement, sont de nature à (1) Cuvier, Ossements fossiles , t, I. p. 203 et 236. (2) Cuvier, Ossements fossiles, pl. VIIL fig. 4, et pl. XVII. fig. 4. 362 DE VIBRAYE., lever définivement tous les doutes relatifs à là contemporanéité de l'Homme et du Mammouth, Mais, d'autre part, elles font entrer la question dans un nouvel ordre d'idées en prolongeant l'existence de l'Éléphant de Sibérie jusqu'à l'époque du diluvium supérieur, qu'on était à peu près convenu d'appeler jusqu'à ce jour le diluvium rouge, caractérisé par l’abondance du Renne. Ainsi tombera cette barrière qu’on prétendait élever entre les deux phases d’une même époque, Je l'avais laissé pressentir dans une précédente Note que j'eus l'honneur de soumettre à l’Aca- démie dans la séance du 24 février 1864. Je mets sous les yeux de l'Académie le moulage en plâtre de l'objet qui fait plus particulièrement le sujet de cette communi- cation, J'ai cru devoir y joindre la reproduction photographique de quelques spécimens d'ivoire travaillé, jomts à quelques des- sins choisis parmi les plus intéressants de ma collection. SUR LES DIVERS MODES DE FORMATION DES DÉPOTS OSSIFÈRES DANS LES CAVERNES A PROPOS D'OSSEMENTS DÉCOUVERTS DANS LE ROCHER DE LIVES, PRÈS DE NAMUR, Par M. 4. SPRING, Membre de l'Académie, professeur à l'Université de Liège, ete, Deux questions se présentent chaque fois qu'on découvre un nouveau dépôt d'ossements : on désire connaître d’abord l'époque à laquelle il remonte, puis l’occasion et le mode de sa formation. Il y a des dépôts de tous les âges : depuis la faune des grands Éléphants et des Rhinocéros jusqu’après l'extinction, dans nos contrées, des grands Bœufs sauvages, de l’Aurochs (Bison euro- pœus) et de l'Urochs (Bos primigenius). Pour diviser les temps pré-historiques, on a eu recours d’abord au Renne qui manque dans les dépôts les plus anciens (4), qui se rencontre ensuite en grande abondance dans des cavernes où es Mammouths, les Rhinocéros, les Hyènes, les Lions et les grands Ours sont rares ou absents, et s’est retiré au nord de la Scandinavie avant l'introduction des races domestiques et long- temps avant la connaissance des métaux. On n’en trouve pas de traces dans les habitations lacustres de la Suisse ; il manque aussi en Belgique dans les dépôts postérieurs aux hommes de Chauvaux. (1) M. P. Gervais (P. Gervais et Rrenckmann, La Caverne de Bize (voy. Ann. des se, nat., 5€ série, {. III, p. 80) émet la conjecture que le Rennhe ait été amené dans la province méridionale par les Finnois et exterminé ensuite après le refoulement de cette race par les Celtes et les Germains. S'il est vrai cependant que les hommes de Chauvaux représentent la race finnoise, ainsi que nous avons cherché à l’établir (Bulle tins de l’Académie, 1"° série, t. XX, n°$ 41 et 12), le Renne a dù exister longtemps avant l’arrivée de ce peuple. o 96 A. SPRING. Dans la lecture que j'ai eu l’honneur de faire à l'Académie, au mois de décembre dernier (1), j'ai essayé de fixer les âges sur une autre base, en considérant à la fois les espèces animales conservées, les-caractères crâniologiques et industriels des races humaines et les accidents géographiques du terrain. D’autres classifications seront proposées, sans doute, par la suite, et la chronologie pourra être établie avec plus de précision, surtout pour les temps qui touchent à l’histoire. L'analyse des caractères anatomiques des races domestiques, poursuivie avec autorité par le professeur Rütimeyer, de Bâle, y sera d'un grand secours; car les peuples, dans leurs migrations, ne pouvaient se séparer des animaux qui les nourrissaient, qui les aidaient à la chasse et qui égayaient leur existence. Dans les cavernes et les fissures de nos rochers, la détermina- tion de l’âge des dépôts est rendue difficile surtout par deux cir- constances. D'abord, il est très-rare queles âges suivants n'aient pas ajouté successivement leurs vestiges aux restes des âges anté- rieurs, soit que de nouveaux établissements se soient formés dans les mêmes cavernes, soit que des animaux et des restes d'hommes aient été introduits accidentellement dans ces lieux. En second lieu, il est manifeste que les dépôts y ont été remués et boulever- sés par les eaux qui, à différentes époques, ont fait irruption dans les cavernes et y ont déposé le limon qui recouvre les os. De là ce mélange bizarre d'os détachés et brisés, de cailloux, d'instruments de silex, de poteries et jusqu’à des objets de métal, où l’on trouve à côté de dents d’Ours ou de Rhinocéros ou de vertèbres de Mammouth les débris de Chauve-Souris, de Putois, de Loups, de Renards, de Lièvres et de Lapins. Les dépôts les plus récents seulement sont à l’état d'intégrité et de contemporanéité parfaites. Quant à la manière dont les os sont venus dans les cavernes anciennes, c'est-à-dire dans celles à Ursus spelœus, {les observa- teurs se partagent en deux camps. | (1) Les hommes d'Engis et les hommes de Chauvaux, BurLeriws, 22 série, €. XVIII, n° 12. ï DÉPÔTS OSSIFÈRES DANS LES CAVERNES. 365 Les uns pensent, avec Rosenmüller, G. Cuvier et Buckland, que ces cavernes ont été les repaires de bêtes féroces, et que les os d'animaux herbivores qu’on y trouve, en même temps que ceux des Carnassiers, seraient des os croqués par ces derniers. Schmerling (1) combattit cette opinion et se rangea à l’avis de Leibnitz, Erper et Goldfuss, d’après lesquels les os y auraient été introduits par les eaux, ‘en même temps que le gravier et le limon qui les recouvrent. Dans toutes les grottes explorées par Schmerling, ainsi que dans celles où j'ai pénétré à mon tour, les ossements étaient ramassés sur un point, qui se trouvait soit auprès de l'ouverture, soit dans des anfractuosités latérales ; il n’y en avait jamais au fond dela caverne. Puis, si l’on examine attentivement les os de la collection Schmerling, on voit qu’un grand nombre d’entre eux ont éprouvé un frottement assez violent, une détrilion, comme dit Schmerling, ayant duré un certain temps. En pré- sence de ces faits, personne ne sera disposé, je pense, à nier que les eaux aient pénétré dans les excavations, qu'elles y aient apporté du limon ou fouillé et soulevé celui qui s’y trouvait déjà, qu'elles aient opéré le mélange des os et que c’est en se retirant qu'elles ont formé les dépôts. Et néanmoins l'opinion de Rosenmüller et de Cuvier ne doit pas être rejetée entièrement, car la plupart, et, dans certaines grottes, la généralité des os de Rummants et beaucoup d'os de Carnassiers portent les traces évidentes qu'ils ont passé sous les dents des grandes bêtes féroces. Déjà à l'époque où Steenstrup a visité les dépôts ossifères de Nice, d'Antibes, de Cette, et ceux de l’île de Sardaigne, il a cru, pour rendre compte de la manière dont les os y étaient arrivés, devoir exclure toute catastrophe extraordinaire, et notamment le charriage diluvial. Selon l'opinion qu'il a exprimée alors, les ani- maux dont les restes se trouvent dans les cavernes y sont arrivés successivement, dans la suite des temps, soit qu'ils y soient tom- bés par accident, soit qu'ils s’y soient réfugiés ; etleurs os ont été (4) Recherches sur les ossements fossiles. Licge, 1833, p. 22. 366 A. SPRING. rongés, accidentellement et successivement aussi, par des ani- maux rapaces qui étaient à la recherche de leur nourriture. Ce n’est qu'exceptionnellement que les os y auraient été apportés et déposés par les animaux rapaces; et plus rare encore serait le cas où un ruisseau y aurait entrainé et déposé des os isolés (1). L'illustre naturaliste danois s’est attaché, depuis lors, à démon- trer expérimentalement le fait de la brisure des os par de grands animaux carnassiers; et, de plus, avec l'esprit d'ingé- nieuse recherche qui lui est propre, il s’est demandé s'il n'était pas possible de reconnaître, à l'inspection de chaque os brisé ou rougé, l'espèce d'animal rapace qui l'aurait eu sous la dent: si c'était un Ours, un Tigre ou une Hyène. En effet, chaque espèce a son coup de dent propre; chaeune a des préférences pour certains os ou portions d'os, dictées par le goût ou imposées par le mécanisme particulier de la mastiça- tion; chacune, enfin, a sa propre manière d'attaquer sa proie. M. Steenstrup a donc jeté à des Ours, à des Tigres, à des Hyènes vivants des os’et des quartiers de Bœuf ou d’autres animaux her- bivores ; il a décrit et dessiné ensuite l’état dans lequel chaque os restait après que l’animal rapace avait assouvi sa faim. Il a pu même formuler ainsi une espèce de diagramme qui, d'une ma- nière générale, nous permettra dorénavant, à l'inspection des os de la victime, de reconnaître l'espèce de Carnassier qui s’en est uourri, alors même que ce dernier n'aurait pas laissé dans la caverne des restes de son propre corps (2).C'estde cette mamière, (1) A la réunion extraordinaire que la Société géologique de France a tenue à Liége, le 30 août 1863 (Bulletin, 2° série, t. XX, p. 778), M. Albert Gaudry, après une visite à la caverne d'Engihoul, signala la rarelé, comparativement aux cavernes de l’Ariége, des os d'Ours, tandis que les autres carnassiers et les espèces herbivores y seraient plus abondants que dans ces dernières. Il formula ensuite la remarque qu’en général les Pachy- dermes et les Ruminants seraient rares dans les cavernes à Ours, mais fréquents dans les cavernes à Tigres et Hyènes. « C’est peut-être, ajouta-t-il, parce que les Ours, ani- maux omnivores, ne transportent pas des os dans leurs tannières, comme les carnivores, qui vivent spécialement de chair. » Pour ne pas laisser s’accréditer une erreur de fait, je dois déclarer que les os d’Ours n'ont nullement été rares à Engihoul lors de Ia découverte de la grotte; s’il n’y en à plus beaucoup aujourd’hui, c'est parce qu'ils em en ont été enlevés. J'ai pris, pour ma part, dans cette grotte, cinq têtes, et j'en ai vu d’autres dans la collection qui existait autrefois au château d'Engihoul. (2) Et Blik Natur-0og Oldforskningens Forstudier til Bervarelsen af Sporgsmaalet om DÉPÜTS OSSIFÈRES DANS LES CAVERNES. 367 pour le rappeler seulement en passant, que le professeur Heer a reconnu, dans les forêts souterraines des falaises du Norfolk, l'existence de l'Écureuil, à la forme dont les cônes de Sapin avaient été entamés et effeuillés. Avant de publier les résultats de ses nouvelles expériences, M, Sieenstrup a de nouveau visité les différentes collections de l'Europe où l’on conserve des os de Mammiféres et d'Oiseaux extraits des cavernes. Dans cette tournée, il s’est arrêté aussi à Liège, les 9 et 10 septembre 1862, où j'ai eu l'honneur de lui montrer la collection de Schmerling, ainsi que les brèches osseuses extraites de la grotte de Chauvaux. Les os recueillis par Schmerling ont confirmé, d’une manière brillante, et je dirai presque sans exception, la loi formulée par l'éminent naturaliste danois, qui ma montré, pièce par pièce, les brisures et les rognures faites, les unes par des Ours, les autres par des Hyènes. Pour ce qui concerne les os de Chauvaux, il a reconnu avec moi que leurs brisures étaient faites par l'homme, dans l'intention d'en extraire la moelle. C'est done un point décidé : les animaux et les hommes d'En- gis, dont Schmerling a recueilli les restes, ont paru dans les cavernes, non pas à une époque circonscrite ni par une catas- trophe unique; ils ÿ sont arrivés dans des temps différents, suc- cessivement, les uns volontairement, les autres accidentellement ; les animaux rapaces les y ont recherchés, en ont dévoré les chairs, brisé et rongé les os, en les mêlant entre eux selon l'op- portunité et au hasard. Ces abris une fois connus d'eux, ils n’au- ront pas manqué d'y porter aussi et d'y déposer la réserve de leur nourriture, et quand le danger les menaçait ou quand des tourmentes atmosphériques éclataient, ils y auront cherché un refuge plus durable; plusieurs y auront succombé, épuisés par la faim et la maladie, écrasés par la chute de rochers ou vaincus dans des combats désespérés. Plus tard, des ruisseaux ou les eaux du ciel, formant torrents, auront lavé les cavernes, remué Mennerkerlaegtens tidligste Optraeden à Europa. Forste Afrint. Af doh, Japetus Sm. Stecnstrup. Copenhague, 4863, 42 pages in-4° et 4 planche, 368 A. SPRING. et brisé les os, en les entraînant vers les issues ; ils auront mêlé ensemble les os des victimes et ceux de leurs ennemis, les restes des aliments et ceux des mangeurs, et, en se retirant à la fin, ces courants d'eau auront déposé le tout dans les anfractuosités et contre les digues naturelles, en les couvrant de limon et en les entremêlant de cailloux. Alors a commencé le travail silen- cieux, séculaire, de la formation de couches stalagmitiques qui recouvrent la plupart de ces dépôts et qui en ont assuré la con- servation Jusqu'à n0S Jours. Je serai bref pour ce qui regarde les dépôts particuliers à l’ex- tinction de l'Ours des cavernes. On voudra bien me permettre de rappeler, d'abord, que la manière dont j'avais mterprété, en 1853, le gisement de Chau- vaux, a exercé de l'influence sur la plupart des explications ten- tées depuis à l’occasion des nombreuses découvertes faites tant au nord qu'au midi de l'Europe. J'y avais vu les déchets de cuisine, les restes d’un festin, d’un festin de cannibales. J'avais été conduit à cette conclusion, qui a paru étrange à quelques-uns, d'abord, en considérant le choix des ossements entassés pêle-mêle ; puis, en découvrant au milieu de ces ossements des traces de feu: des cendres, du charbon végétal, de l'argile calcinée, et des os évidemment rôtis et car- bonisés sur certains points; en troisième lieu, en constatant la manière dont 1ls étaient cassés, rongés et fendus; enfin, en consultant ce que les voyageurs rapportent des habitudes des cannibales qui, sur des côtes lointaines, se livrent, de nos jours encore, à d’exécrables instincts. M. Steenstrup a conclu d’Ours à Ours; j'avais conclu d'Homme à Homme, et cela avec d'autant plus de confiance qu'il existe de nombreux témoignages établis- sant que cette partie de l'Europe avait été habitée par des Anthropophages jusque fort avant dans les temps historiques. Lorsque plus tard les Danois découvrirent les célèbres amas de déchets de cuisine où les coquilles d'Huîtres, de Mytilus edulis, de Cardium edule, de Littorina littorea et d’autres Mollusques pré- dominaient, ils purent constater que la race des Kjokkenmoed- dingers n’était pas anthropophage, mais que les os de Bœuf, de DÉPÔTS OSSIFÈRES DANS LES CAVERNES, 369 Cerf, de Sanglier, de Cygne, de Coq de bruyère, elc., s'y trou- vaient dans des conditions semblables à ceux de Chauvaux. Un genre de dépôt, entièrement différent, à été signalé en premier lieu à Aurignac (Haute-Garonne), en 1852. Ce fut un caveau funéraire de date très-ancienne, contenant dix-sept sque- lettes humains des deux sexes et de tout âge, en même temps que des couteaux, des flèches et des poinçons de silex, et des cornes de Renne et de Chevreuil ouvrées. Cette sépulture, si bien connue maintenant de tous ceux qui ont suivi les recherches relatives aux vestiges de l'Homme pré-historique, est remar- quable non-seulement parce qu’elle constitue la plus ancienne trace de la croyance en l’immortalité de l'âme, en une vie future, puisqu'on y avait donné des armes à ceux «qui partaient pour la terre des esprits»; elle est remarquable aussi parce qu'elle est nettement interposée, pour ainsi dire, entre deux âges, ou du moins entre deux dépôts d'un autre genre. En effet, d'après la description qu'en à donnée M. Ed. Lar- tet (1), le fond de la grotte contenait, entre autres, des os d’Ours des cavernes, de Mammouths, de Rhinocéros, d’Aurochs, de Rennes, de Lions des cavernes et d'Hyènes, tandis que le caveau funéraire était fermé extérieurement par une plaque de pierre. En deçà de la plaque, il existait un autre dépôt que M. Lartet considéra comme formé par les restes d’un festin de funérailles : il était constitué par des os d'animaux comestibles; les os à moelle étaient brisés et portaient les traces de l’action du feu; il n’y avait pas parmi eux d'ossements humains. Enfin, il y a des dépôts purement accidentels, dont je fais men- tion parce que, très-modernes pour la plupart, ils donueut cepeudant fréquemment lieu à des erreurs et créent de nouvelles difficultés. Des hommes et des animaux ont péri dans les cavernes en y cherchant un refuge ou en les explorant par curiosité ; d’autres ont pu y être entraînés dans un but criminel ; des brigands, des faux monnayeurs et des proscrits ont pu les habiter avec des (1) Annales des sciences naturelles, 4° série, Zooc., t. XV, p. 177. 5° série. Zooc. T. IV. (Cahier n° 6.) 4 12 = 370 A, SPRING. animaux qui leur servaient de nourriture ; enfin des hommes et des animaux y ont pu tomber accidentellement à travers des cre- vasses supérieures. Qu'on me permette de rapporter à cet égard un exemple dont je dois la connaissance à l’un de nos savants confrères ici présents. Il existe dans les environs de Comblain-au-Pont, sur l'Ourte, au sommet d'un plateau, une ouverture constituant le regard d’une caverne très-profonde, dans laquelle jusqu'à présent personne n’a pénétré. Les habitants du pays racontent qu’un jour, dans un temps assez récent, un pâtre y avait vu tomber d’abord un de ses Mou- tons, etensuite, — ils descendaient apparemment des moutons de Panurge, — successivement tout son troupeau ; le pâtre et son chien auraient pu y tomber à leur tour. Eh bien, quand on ouvrira un jour cette caverne par les côtés, on y trouvera sans doute les os de ces Moutons accompagnés d'os de Renards, de Marires, de Putois, de Lièvres et peut-être de Loups, réunis en brèches à l’aide de la stalagmite ou couverts par le limon que les eaux pluviales y auront amassé. Que serait-ce encore, si, par hasard, ces Moutons étaient tombés sur un ancien dépôt d’osse- ments d’Ours des cavernes, de Lions, d’Hyènes, de Rhinocéros et de Mammouths? Ou si plus tard, ou même antérieurement à leur chute, un homme idiot, offrant une grande dépression crânienne et des mâchoires très-saillantes, ou un voyageur attardé et égaré dans l'obscurité eussent fait la même descente? Ajoutons que sou- vent ces regards supérieurs des cavernes sont fermés par la suite, à l’aide des terres retenues par les racines des arbres ou par le glissement des rochers. J'arrive à l’objet qui m'a fourni l’occasion de cette notice. Au mois d'avril dernier, je cheminai au pied du rocher de Samson, en compaguie de M. le docteur Ronvaux, médecin à Thon-Samson, ancien prorecteur à l’université de Liége et auteur d’un travail sur l’anasarque, couronné par la Société des sciences médicales et naturelles de Bruxelles. Nous parlâmes de la décou- verte faite, au sommet de ce rocher magnifique, d’un camp de la période franque, qui a fait la fortune de l’Institut archéolo- gique de Namur. M. Ronvaux m'apprit que les ouvriers des car- DÉPÔTS OSSIFÈRES DANS LES CAVERNES. 371 rières des environs découvraient fréquemment, dans les fissures des rochers que nous voyions, des ossements humains ; qu’il avait pu vérifier par lui-même l'exactitude de cette détermination, et que tous les ossements qu’on lui avait montrés avaient appartenu à des enfants ou tout au plus à des adolescents. J'engageai instamment mon jeune confrère à faire de ces trouvailles l'objet de recherches régulières, et à bien tenir note de toutes les circon- stances qui les concernent. Le 45 juillet dernier, je reçus un premier envoi, provenant de rochers situés dans la commune de Lives, sur la rive droite de la Meuse, à une lieue en aval de Namur. Il était accompagné des renseignements suivants : «Les rochers qui renfermaient ces ossements ne présentent pas de véritables cavernes, mais bien des fentes ou crevasses. Ceux du n° 4 ont été mis à découvert par un éclat de mine. Une des parois de l’anfractuosité qui les contenait ayant été enlevée, il a été impossible d'en déterminer exactement ni la forme ni l'étendue. En tout cas, la cavité ne devait pas être bien vaste, — un mètre cube tout au plus. L'ouvrier qui l’a découverte a assuré à M. Ronvaux que la fente qui en formait l'ouverture extérieure n'avait pas un pied de large. Le terreau ossifère était recouvert d’une couche incomplète de stalagmite, épaisse de 4 à 2 centi- mètres seulement. » L'examen des os, qui m'ont été envoyés sans triage et mêlés encore au terreau noir qui les recouvrait, m'a donné les résultats suivants : Homme. — Fragment de mâchoire d’un enfant de trois ans. Màchoire brisée et plusieurs dents détachées ; une vertèbre cervi- cale; un rocher de temporal ; un radius brisé; un quatrième mé- tacarpien, plusieurs phalanges de doigts ; des métatarsiens et un Calcanéum de sujets âgés de neuf à seize ans. Un calcanéum d’adulte, C’est absolument le seul os d’adulte qui s'y trouvait. Bœuf.— L'épiphyse supérieure du tibia d’un Veau. Il n’y avait pas d'autres restes de l'espèce bovine, et encore cette épiphyse con- trastait-elle avec tous les autres os par son aspect blanc verdâtre et par sa surface lisse, non rongée par les eaux pluviales, 372 A. SPRING. Mouton ou Chevre. — Quelques vertèbres et un métacarpien. Chevreuil. — Deux vertèbres et un canon. Porc ou Sanglier. — Deux humérus et le cubitus d’un jeune animal. Lièvre ou Lapin. — Des omoplates, des humérus, cubitus, fémurs et quel- ques vertèbres. Cog domestique ou Faisan. — Plusieurs humérus, fémurs, tibias et radius non brisés. Le terreau renfermait, en outre, une masse d'os brisés de petits Mammifères et d'Oiseaux, dont la détermination m'a paru impos- sible. Enfin, il contenait des fragments assez volumineux d'une espèce de guano parsemé de fragments linéaires d’os broyés. «Une autre fente, distante de la première d’un kilomètre environ et située dans les mêmes conditions qu'elle, c’est-à-dire près du sommet du rocher, à 40 mètres au moins au-dessus du mveau de la Meuse, avait fourni encore un plus grand nombre d'ossements humains. Seulement, cette anfractuosité, qui est encore intacte, présente des dimensions encore plus restreintes que la précédente. Son ouverture est d'environ un pied de large sur trois de haut, et elle va constamment en se rétrécissant vers l'intérieur. Le bras, plongé dans cette crevasse, amena au dehors un mélange d'os libre presque de toute autre substance. » Voici mes déterminations : Hommes jeunes, de l'âge de sept à dix-huit ans. — Une vertèbre sacrée, deux astragales, plusieurs mächoires brisées, deux temporaux, quelques vertèbres dorsales et des fragments de côtes. Hommes adultes jeunes. — La moitié gauche d’un frontal, une portion de pariétal et plusieurs fragments d’os plats du crâne, assez épais. Il se peut que toutes ces pièces appartinssent à un même crâne. Aucun caractère de race n’a pu être constaté. Cerf. — Une vertèbre dorsale. Mouton ou Chèvre. — Des os de membres et un os de bassin. Cochon. — Divers os de membres. Un grand nombre de petits os de Mammifères et d'Oiseaux dont je n’ai pu reconnaître les espèces. Il y avait, en outre, plusicurs de ces petits Æc/ir qui ne man- quent peut-être jamais dans nos dépôts ossifères. On voit que ces deux dépôts sont très-récents et qu'ils ne res- DÉPÔTS OSSIFÈRES DANS LES CAVERNES. 373 semblent à aucun genre de stations dont on s’est occupé jusqu'à ce jour. Aussi M. Ronvaux, dont il faut louer le coup d’œil, at-il cru devoir formuler une conjecture qui fera sensation, je pense, et ajoutera une nouvelle face au prisme dont on projette la lumière sur l’archéo-paléontologie. « Les faibles dimensions de cette crevasse, dit-il dans la lettre qui accompagnait l'envoi, la seule qu’il m'ait été permis de me- surer, ne permettent pas de supposer qu'elle ait jamais pu servi de retraite à un être humain ni même à un quadrupède carnas- sier. On ne peut guère admettre qu’elle ait jamais été autre chose qu'un nid d'Oiseaux de proie. Comment dès lors y expliquer la présence d'ossements humains? Une seule hypothèse me semble admissible : c'est que ces os proviendraient d'individus noyés, dont les Oiseaux rapaces auraient dépecé les cadavres en putré- faction, et dont ils auraient porté les fragments dans ces crevasses pour servir de pâture à eux-mêmes ou à leurs petits. La Meuse forme précisément en cet endroit des îles considérables où les cadavres devaient nécessairement venir échouer. L'hypothèse que ces os auraient été transportés là par des Oiseaux de proie explique l’absence, dans ces dépôts, d'os de grands quadrupèdes, trop lourds et trop volumineux pour leurs forces. Ce qui pourrait confirmer l’idée que les ossements humains proviennent de cadavres de noyés, c’est la considération que ces dépôs se ren- contrent sur les bords des rivières exclusivement, qui ont dû rece- voir les produits de tant de guerres et de crimes, aux époques de barbarie qui nous ont précédés. » On pourra contester peut-être l’un ou l’autre détail de cette hypothèse ; mais, dans son ensemble, elle m'a paru lumineusé et digne d’être recommandée aux observateurs qui travaillent à la solution des énigmes que les âges passés ont inscrites dans les crevasses de nos rochers. RECHERCHES SUR L'OEIL DE QUELQUES CÉPHALOPODES Par M. le professeur Victor HENSEN (1). (Extrait, ) (2) L'œil des Céphalopodes, bien qu’il ait fait l’objet de recherches multipliées et scrupuleuses, est loin d’être suffisamment connu. Cela est si vrai, qu’il n’est guère facile d’établir ses homologies avec l'œil des Vertébrés. Les limites de l'œil proprement dit chez les Céphalopodes peuvent, en effet, comme le remarque M. Hen- sen, être comprises de deux manières bien différentes. Un gan- glion nerveux d'un volume considérable est enveloppé par une partie des membranes de l'œil. Le considère-t-on comme faisant partie de l’œil, on ne peut ramener celui-ci au type des Vertébrés que par l'hypothèse suivante. Il faut supposer que dans l'œil du Vertébré le nerf optique se renfle en un gros ganglion immédia- tement derrière la choroïde. Par suite, la sclérotique, entraînant avec elle la cornée, se dilate et finit par se détacher entièrement de la choroïde pour s'appliquer contre la paroi de l'orbite et se souder à elle. Le bulbe, limité par la choroïde et l'iris, se trouve donc suspendu dans un espace qu'on pourrait comparer à la chambre antérieure de l'œil, très-développée en arrière, tout autour du bulbe. Toutefois cette comparaison ne saurait être poussée à l’extrème sans se heurter à des contradictions insur- montables. C’est ainsi que les muscles moteurs du bulbe, au lieu d'être placés à l'extérieur de la sclérotique, sont fixés, d’une part à l'intérieur de la sclérotique, et d'autre part à la choroïde. La choroïde est en outre de structure fort complexe, dure et peu vasculaire, et mérite par conséquent peu son nom. Mais si nous comparons le bulbe seu! des Céphalopodes à l'œil du Vertébré, nous rencontrons des difficultés tout aussi graves. (1) Ueber das Auge einige Cephalopoden (Zeitschr. für wiss. Zoologie, XV, 1865, p. 455-242), avec 40 planches. (2) Bibliothèque universelle et Revue suisse, n° 93, septembre 1865. SUR L’OEIL DES CÉPHALOPODES. 379 La cornée fait alors défaut, et pourtant il existe en avant du cris- tallin une membrane diaphane quien remplit les fonctions, et qui en présente, jusqu'à un certain point, la structure. En outre, la choroïde manque ; car si l’on voulait paralléliser avec elle les tu- niques argentées, à cause de leur nature vasculaire, on verrait se dresser un obstacle morphologique insurmontable, à savoir, l'exis- tence d’une membrane cartilagineuse (sclérotique?) entre cette prétendue choroïde et la rétine. On le voit, toutes ces difficultés anatomiques, en dépit d’ana- logies incontestables, ont le droit de stimuler l’ardeur des natura- listes, et le superbe travail de M. Hensen est digne d'attirer l'at- tention. Il n’a point réussi, il est vrai, à montrer que l’une de ces deux manières d'envisager l'œil des Céphalopodes soit beaucoup plus légitime que l’autre. Mais peut-être ne sont-elles légitimes ni l’une ni l’autre, et ne réussira-t-on jamaisà établir d'homologies complètes entre les yeux des Mollusques et les yeux des Vertébrés. Les uns et les autres, en tant qu'organes servant à la perception d'images, doivent être nécessairement des chambres obscures, et cette circonstance entraîne forcément une certaine communauté d'organisation entre eux, sans qu'ils soient construits sur un plan identique. Mais étouffons pour le moment ce doute, afin de rendre compte impartialement des recherches et des vues de M. Hensen. La capsule de l'œil, que nous avons comparée plus haut à une sclérotique dilatée et soudée à l'orbite, offre en réalité une struc- ture plus complexe. A partir du bord orbital, elle se divise en deux lamelles, dont l'interne s’attache à l'équateur du bulbe pour aller recouvrir toute la surface antérieure de celui-ci, tandis que l'externe seule forme la capsule proprement dite. La première peut donc être appelée lame viscérale, la seconde lame pariétale. La lame pariétale est formée simplement d’une membrane mus- culaire revêtue en dedans d’un épithélium pavimenteux; en de- hors elle touche au tissu connectif sous-cutané. La partie de cette lame opposée au cristallin devient transparente et remplit les fonc- tions de cornée. Sur le pourtour de cette place transparente, la peau s'élève à une ou plusieurs places en manière de replis pal- pébraux. On sait qu'il existe sous ces paupières, au moins chez 376 V. HENSEN. beaucoup de Céphalopodesacétabulifères, une ouverture donnant à l’eau dé mer accès dans la capsule. Depuis Cuvier, la plupart des auteurs ont complétement dénié aux Céphalopodes toute espèce de cornée. Pour eux, l’épithélium qui tapisse l’intérieur de la capsule est la conjonctive. M. Hensen combat cette opinion. Il trouve en effet à la place transparente une structure rappelant celle de la cornée des Vertébrés. D'ailleurs, remarque-t-il, si la conjonctive pénétrait dans l'intérieur de la capsule, elle devrait revêtir non-seulement la face antérieure de l'iris, mais encore tout l’espace comparable à la chambre postérieure de l'œil des Vertébrés, en particulier la face antérieure du cristallin. Or, jamais conjonctive n’offrit de disposition semblable. La lame viscérale de la capsule est formée de la tunique ar- gentée externe et d'une membrane musculaire, développée sur tout en arrière. La première de ces membranes, examinée per tous les observateurs depuis Swammerdam, doit son éclat, selon M. Hensen, à une multitude de petites plaques homogènes, inco- lores et irrégulièrement courbées. Soit la minceur de ces plaques, soit leur mode de courbure et de superposition, président à la réflexion métallique de la lumière. Heinrich Müller considérait ces plaques comme des cellules modifiées; mais cette opinion ne paraît pas suffisamment fondée. Les membranes du bulbe sont la tunique argentée interne, tout à fait semblable à l'externe, la membrane cartilagineuse, et enfin la rétine. L'iris même a sa couche de cartilage comme le reste du bulbe, cependant ce cartilage est distinet. C’est un anneau résis- tant servant de point d'attache aux fibres musculaires de l'iris. I existe aussi à l'équateur du bulbe un anneau cartilagimeux dis- tinct de la capsule cartilagineuse du fond de l’œil. La structure de ce cartilage équatorial est fort remarquable. Les grandes cel- lules non étoilées qui le composent sont cimentées les unes aux autres par une substance intercellulaire peu abondante, suscep- tible de se dissoudre dans une solution aqueuse de 32 p. 100 de potasse caustique. Un fort grossissement permet alors de recon- naître que la paroi de ces cellules est criblée d’une multitude de petits pores. C'est le premier exemple de cellules poreuses dans SUR I’OEIL DES CÉPHALOPODES. 371 les cartilages, similitude peu désirée de quelques-uns peut-être entre la cellule animale et la cellule végétale. La capsule cartila- gineuse du fond de l’œil offre une structure différente. Elle pré- sente un tissu identique avec celui du cartilage de l'orbite. Cette capsule est percée, comme on sait, d’un grand nombre d'ouver- tures pour le passage des branches nerveuses naissant du gan- glion optique. Les rapports de l'enveloppe cartilagineuse et des muscles sont fort curieux chez les Céphalopodes, et ne permettent point les mouvements si connus de l'œil des Vertébrés. La position du bulbe, relativement au ganglion, est telle que ce bulbe ne peut guère se mouvoir. En outre, le cristallin est solidement lié au cartilage équatorial à l’aide d’un corps ciliaire. Le principal muscle de l'œil s'attache à la partie antérieure de ce cartilage annulaire et fait dévier par sa contraction l'axe optique en avant. Or, précisément à la place correspondante, la tunique cartilagi- neuse du bulbe s'amincit beaucoup, ou disparaît même complé- tement, de sorte que si la tension intra-oculaire n’est pas très- forte, le cristallin seul, avec le cartilage équatorial, se déplace vers l'avant de l'animal, tandis que la tunique cartilagineuse se plisse et que la masse du bulbe reste immobile. Le cristallin se dé- placerait donc horizontalement devant la rétine. À l'appui de cette théorie si inattendue, M. Hensen relève l'existence d’une tache jaune de la rétine, non pas centrale, mais latérale, de telle sorte que les rayons ne peuvent tomber sur elle qu'à la con- dition d’un déplacement du cristallin vers l’avant de l’animal. Quelque ingénieuse que soit cette théorie, elle ne pourra trouver de crédit que si elle est confirmée par des observations sur le jeu des muscles de l'œil chez les Céphalopodes vivants. Espérons qu’elle provoquera ces observations. Chacun sait que le cristallin des Céphalopodes est composé de deux moitiés distinctes, placées l’une derrière l’autre comme deux lentilles combinées : daus le sillon qui les sépare sur tout le pour- tour vient s’insérer le corps ciliaire. Cette disposition si singulière a provoqué de nombreuses recherches. M. Hensen confirme en particulier les résultats obtenus par Huschke et par Heinrich Müller, tout en les étendant. 378 V. HENSEN. Le corps ciliaire est formé de deux moitiés, comme le cristallin lui-même. Chacune d'elles se compose d’une membrane de tissu connectif formant le ligament proprement dit du cristallin, et pénétrant par conséquent jusqu’au fond du sillon qui sépare les deux moitiés du cristallin. La membrane est recouverte d’une couche de cellules, morphologiquement comparables à des cel- lules épithéliales, mais bien différentes d’un épithélium dans leur apparence. La plupart sont en effet piriformes, reposant sur la membrane par leur extrémité large. L'autre extrémité se pro- longe en un processus fibrillaire fort long, qui donne, au pre- mier abord, au corps ciliaire une apparence fibreuse. Toutes ces fibres tendent vers la surface, qu'un petit nombre seulement finis- sent par atteimdre. Là leur extrémité s'élargit en une palette aplatie, et toutes ces petites palettes juxtaposées forment une espèce de pseudo-épithélium. La surface se trouve donc très- efficacement protégée par un épithélium, bien que n’en possé- dant, à proprement parler, aucun. Les autres fibres, c’est-à-dire celles qui n’atteignent pas la surface du corps ciliaire, se prolon- gent jusqu'au cristallin. Celles de la partie antérieure du corps ciliaire passent au cristallin antérieur, celles de la partie posté- rieure au cristallin postérieur. Le cristallin dans son entier est formé uniquement par le prolongement de ces fibres qui se réu- nissent pour former de larges lames homogènes. C’est là une disposition et une structure bien différentes de ce qu’on observe chez les Vertébrés. Aussi M. Hensen voudrait-il échanger chez les Céphalopodes le nom de corps ciliaire contre celui de corps épithélial. Passons enfin à la partie essentielle de l'œil, la rétine. On sait que dans cette membrane nerveuse les élémentsse succèdent dans un ordre inverse de celui que présentent tous les Vertébrés. Le pigment et la couche de bâtonnets forment la surface interne de la rétine, tandis que les fibres nerveuses en forment la couche ex- terne. Aussi l'œil des Céphalopodes est-il dépourvu de papille du nerf optique. La couche de bâtonnets étant fortement imprégnée de pigment, on l’a considérée autrefois comme une simple mem- brane pigmentaire. Il devenait par suite impossible de comprendre comment la lumière pouvait agir sur les éléments nerveux au SUR L'OEIL DES CÉPHALOPODES. 379 travers de cet écran. Treviranus fut le premier à reconnaître que des bâtonnets nerveux étaient dissimulés entre les granules du pigment. À proprement parler, leur observation est simplement rendue difficile par le pigment, mais ils ne sont pas noyés dans la matière colorante, puisque, d’après M. Hensen, le pigment serait contenu dans leur intérieur (4). Il est impossible, sans le secours de figures, d'analyser d’une manière suffisante la struc- ture extraordinairement complexe de cette rétine étudiée avec tant de soin par M. Hensen. Nous relèverons seulement ici un détail auquel l’auteur accorde une grande importance théorique. M. Hensen pense avoir pu s'assurer que chaque bâtonnet est relié au moins à deux fibres nerveuses différentes. Ce serait là, selon lui, un premier pas dans la connaissance du mécanisme anatomique de la perception des couleurs. Il accepte, en effet, l'hypothèse de Young, patronnée récemment par M. Helmholtz, d'après laquelle il existerait chez l'œil humain normal au moins trois sortes de terminaisons nerveuses pour la perception des couleurs, et dans l'œil des daltoniens, privés de la perception du rouge, au moins deux. Il n'y a rien d’'invraisemblable à admettre au moins ce dernier cas pour les Céphalopodes. Or, supposé que les rayons verts produisent dans un bâtonnet des modifica- tions autres que les rayons violets, par exemple, il se pourra que l’une des fibres nerveuses unies à ce bâtonnet conduise ces modifications plus énergiquement que l’autre, et inversement. Voilà donc une condition anatomique de différences dans la per- ception des couleurs toute trouvée. Il est clair malheureusement que cette ingénieuse hypothèse est condamnée à rester toujours à l'état d'hypothèse. Bien que notre analyse soit trop brève pour tenir compte de quelques différences observées par M. Hensen entre les divers Céphalopodes dibranches observés par lui, nous devons signaler (1) A l'intérieur du moins des bâtonnets, dans le sens donné jusqu'ici à ce mot. Toutefois ces organes, qui n’ont point la forme de cylindre, mais celle de bandelettes aplaties, ont eux-mêmes, d’après M. Hensen, une structure complexe. Ils seraient for- més chacun par deux bandelettes comprenant entre elles une couche de pigment. Le pigment serait donc bien compris entre les derniers éléments nerveux, et la rétine des Céphalopodes rappellerait celle des yeux composés des Crustacés, 380 V. MENSEN. la forme extraordinaire de l'organe de la vue chez les Céphalo: podes tétrabranches, c’est-à-dire les Nautiles. MM. Owen, Valen- ciennes et van der Hoeven ont tous signalé ou observé l’absence de milieux réfringents dans les yeux de ces Mollusques. M. Hen- sen, qui à pu, comme ces savants, étudier les yeux de Nautiles conservés dans l'alcool, arrive à la même conclusion. L'œæil, moins gros, il est vrai, que celui des Dibranches, mais plus gros que celui des Gastéropodes, est une chambre obscure vraisem- blablement remplie d’eau de mer pendant la vie. Les enveloppes de l’œil sont plus simples que chez les Dibranches, car il n'existe qu'une capsule de tissu connectif recouverte d’épithélium à l’ex- térieur, sans trace de tunique, ni cartilagineuse, ni argentée. Le ganglion optique fait également défaut. A la surface externe du bulbe, on voit courir un sillon recouvert d’un épithélium vibra- tile depuis le bord pupillaire jusqu'à une certaine distance où il se termine à une petite ouverture. Ce petit sillon serait destiné, selon M. Hensen, à amener continuellement un courant d’eau sur la pupille et àla maintenir nette. Le pédoncule de l’œil renferme aussi un canal cilié. Tout cela est trop exceptionnel et trop ex- traordinaire pour qu'il ne soit pas nécessaire, avant de prononcer en dernière instance, d'attendre l’occasion d'étudier des individus nombreux et en bon état. Une observation remarquable faite par M. Hensen sur l'œil des Nautiles, savoir, le passage d’un épithé- lium normal à la couche de bâtonnets de la rétine, demanderait à être confirmée sur d’autres animaux. M. Hensen termine son beau travail par une étude comparée des yeux des autres classes de Mollusques, y compris les yeux dis- tribués en grand nombre sur le bord du manteau de certains La- mellibranches. Ici surtout il est évident qu’on ne saurait établir d'homologies spéciales entre les différents yeux en question. La seule explication fournie jusqu'ici des homologies est la parenté généalogique des espèces ; en d’autres termes, la dérivation des espèces les unes des autres, par voie de sélection naturelle, par exemple. Or, il est bien difficile d'admettre que les yeux du Pecten et ceux du Céphalopode soient le résultat de la modification d’un même organe primordial. Il nous semble que les ressemblances s'expliquent plus ici par l'identité des fonctions que par la com- SUR L'OEIL DES CÉPHALOPODES. 381 munauté d'origine, et quant aux différences, elles sont toutes vaturelles dans cette manière de voir. Mais c’est là un point dont M. Hensen n’a pas abordé la discussion. Quoi qu'il en soit, il est bien frappant que tous les Molluüsques, à l'exception des Pecten, présentent, relativement aux Vertébrés, ce même renversement dans l’ordre des éléments de la rétine déjà signalé pour les Céphalopodes. Ce renversement se retrouve du reste chez d’autres Vertébrés. Les bâtonnets étant, selon toute vraisemblance, les orgaues percepteurs, la disposition ordinaire chez les Invertébrés est en quelque sorte, comme le remarque M. Hensen, supérieure à la disposition qu'affecte la rétine des Vertébrés. En effet, chez ces derniers, les rayons lumineux doi- vent traverser les différentes couches de la rétine, insensibles à la lumière, pour atteindre les éléments percepteurs. De là la pro- jection d’ombres et des phénomènes de fluorescence, de là aussi l'existence d'une tache aveugle. En revanche, les yeux des Ver- tébrés offrent de meilleures conditions pour la nutrition des bà- tonnets, grâce à l'application de ceux-ci contre le tissu vasculaire de la choroïde. Les Pecten, qui offrent, comme les Vertébrés, les bâtonnets en arrière, ne jouissent pas de cet avantage, par suite de l'absence d’une choroïde vasculaire. 1 est vrai que, d'autre part, leurs yeux sont dépourvus de tache aveugle (1). (4) Les veux des Pecten reçoivent chacun deux nerfs optiques, mais dont aucun ne perce le fond de l'œil. L'un d'eux, comme M. Hensen s’en est assuré, se divise en une multitude de branches qui embrassent le globe de l'œil comme des méridiens, et le percent en une foule de points à l'équateur. L'autre nerf contourne également l'œil jus- qu'à l'équateur, sans se diviser, et perce l'enveloppe de l'œil eu un point. C’est ainsi que l'existence d'une tache aveugle au fond de l'œil se trouve évitée. Une conformation aussi exceptionnelle nous parait parler toujours davantage contre toute homologie réelle entre les yeux des Acéphales et ceux des Vertébrés. NOUVELLES SCIENTIFIQUES. LETTRE DE M. AGASSIZ RELATIVE A LA FAUNE ICHTHYOLOGIQUE DE L'AMAZONE, DATÉE D'EGA, DU 22 SEPTEMBRE 1865. Mon cher ami et très-honoré confrère, Me voici depuis bientôt deux mois dans le bassin de l’Amazone, vous concevez naturellement que c’est à la classe des Poissons que je consacre la meilleure partie de mon temps, et ma récolte excède toutes mes prévisions. Vous en jugerez par quelques données. En atteignant Manaos, à la jonction du rio Negro et de l’Amazone, j'avais déjà recueilli plus de trois cents espèces de Poissons, dont la moitié au moins ont été peintes sur le vivant, c’est-à-dire d’après le poisson nageant dans un grand vase de verre devant mon dessinateur. Je suis souvent peiné de voir avec quelle légèreté on a publié des planches coloriées de ces ani- maux. Ainsi je n'ai pas seulement triplé le nombre des espèces connues, mais je compte les genres nouveaux par douzaines, et j'ai six ou sept familles nouvelles pour l’Amazone, les Pristides, les Zygonides, les Gymno- dontes, les Sciénoïdes, les Callichthydes, les Cyprinodontes et les Aspré- dinides; une famille voisine des Gobioïdes, que je désigne sous le nom d’Amurides, et une autre intermédiaireentre les Squamipennes (Cetodon) et les Rougets (Mullus), que j'ai inscrite sous le nom de Tolhides dans mes notes, sont entièrement nouvelles pour l'ichthyologie. Jai de plus caractérisé comme familles plusieurs groupes qui n'avaient été qu'en- trevus jusqu'ici, faute de matériaux suffisants. C'est surtout parmi les petites espèces que je trouve le plus de nouveautés. J'ai des Characins de 5 à 6 centimètres et au-dessous, ornés des teintes les plus élégantes ; des Cyprinodontes se rapprochant un peu de ceux de Cuba et des Etats-Unis ; des Scombrésoces voisins du Zelone de la Méditerranée; un nombre considérable de Carapoïdes ; des Raïies de genres différents de ceux de l'Océan, et qui par conséquent ne sont pas des espèces qui remontent le fleuve ; une foule de Goniodontes et de Chromides de genres et d'espèces inédits. Mais ce que j'apprécie surtout, c’est la facilité que j'ai pour étudier les changements que tous ces Poissons subissent avec l’âge, et les différences qui existent entre eux, suivant les sexes, et qui sont souvent très-considérables. C’est ainsi que j'ai observé une espèce de Geophagus, que j'ai décrite sous le nom de G. Pedroinus, dont le mâle porte sur le front une bosse très- saillante, qui manque entièrement à la femelle et aux jeunes. Ce même Poisson a un mode de reproduction des plus extraordinaires. Les œufs passent, je ne sais trop comment, dans la bouche, dont ils tapissent le fond, entre les appendices internes des arcs branchiaux, et surtout dans une poche formée par les pharyngiens supérieurs, qu’ils remplissent com- plétement. Là ils éclosent, et les petits, libérés de leur coque, se dévelop- pent jusqu’à ce qu’ils soient en état de fournir à leur existence. de ne sais pas encore combien de temps cela va durer; mais j'ai déjà rencontré des exemplaires dont les jeunes n'avaient plus de sac vitellin, héber- geant encore leur progéniture. Comme je passerai encore un mois à ICHTHYOLOGIE DE L’AMAZONE. 383 Ega, j'espère pouvoir compléter cette observation. L'examen de la struc- ture d'un grand nombre de Chromides m'a fait entrevoir des affinités entre ces Poissons et diverses autres familles dont on ne s’est jamais avisé de les rapprocher. Et d’abord, je me suis convaineu que les Chromides, répartis autrefois parmi les Labroïdes et les Sciénoïdes, constituent bien réellement un groupe naturel, reconnu à peu près en même temps, et d'une manière indépendante, par Heckel et J. Müller. Mais il y a plus : les genres Zhoplosus, Pomotis, Centrarchus, et quelques autres genres voi- sins, rangés parmi les Percoïdes par tous les ichthyologistes, me parais- sent, d'ici et sans moyen de comparaison directe, tellement voisins des Chromides, que je ne vois pas comment on pourra les en séparer, surtout maintenant que je sais que les pharyngiens inférieurs ne sont pas tou- jours soudés chez les Chromides. Et puis, l’'embryologie et les métamor- phoses des Chromides, que je viens d'étudier, m'ont convaincu que les «Poissons à branchies labyrinthiques », séparés de tous les autres Pois- sons par Cuvier comme une famille entièrement isolée, à raison de la structure étrange de ses organes respiratoires, se rattachent de très-près aux Chromides. Ce groupe devient ainsi, par ses affinités variées, l’un des plus intéressants de la classe des Poissons, et le bassin de l’Ama- zone parait être la vraie patrie de cette famille. Je ne veux pas vous fatiguer de mes recherches ichthyologiques ; per- mettez-moi seulement d'ajouter que les Poissons ne sont point uniformé- ment répandus dans ce grand bassin. Déjà j'ai acquis la certitude qu'il faut y distinguer plusieurs faunes rs La très-nettement carac- térisées. C’est ainsi que les espèces qui habitent la rivière du Para, des bords de la mer jusque vers l'embouchure du Tocantins, diffèrent de celles que l’on rencontre dans le réseau d’anastomoses qui unissent la rivière du Para à l'Amazone propre. Les espèces de l'Amazone au-dessous du Chingon diffèrent de celles que l’on rencontre plus haut; celles du cours inférieur du Chingon diffèrent de celles du cours inférieur du Topayos. Celles des nombreux igarapés et lacs de Maubés diffèrent également de celles du cours principal du grand fleuve et de ses principaux affluents. Il reste maintenant à étudier les changements qui peuvent survenir dans cette distribution, dans le cours de l’année, suivant la hauteur des eaux et peut-être aussi suivant l’époque à laquelle les différentes espèces pon- dent leurs œufs. Jusqu’à présent je n’ai rencontré qu’un petit nombre d'espèces qui aient une aire de distribution très-étendue. C’est ainsi que le Sudis gigas se trouve à peu près partout. C’est le Poisson le plus im- portant du fleuve; celui qui, comme aliment, remplace le bétail pour les populations riveraines. Un autre problème à résoudre, c’est de savoir jusqu'à quel point les grands affluents de l'Amazone répètent ce phéno- mène de la distribution locale des Poissons. Je vais chercher à le résoudre en remontant le rio Negro et le rio Madeira, et comme je reviendrai à Manaos, je pourrai comparer mes premières observations dans cette localité avec celles faites pendant une autre saison de l’année, FIN DU QUATRIÈME. VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS CE VOLUME. ANIMAUX VERTÉBRÉS. De l'existence d’une race nègre chez le Rat, ou de l'identité spécifique du Mus Rattus et du Mus Alexandrinus , par Arth. DE MP ISPE ME UE Diag des da 175 Note relative à une lame d'ivoire fossile trouvée dans un gisement ossifère du Périgord, par M. LARTET. . . 353 Note sur la reproduction en bois de Renne. d'une tête (présumée) de Mammouth, etc., provenant des stations du Périgord, par M. DE ViBRAYE. . 356 Note sur les plumes du Dinornis robustus, par M. DALLAS. Li & 1292 Recherches sur la durée de la vie des Poissons hors de l’eau, par M. POLUTA. 1 1162 Mémoire sur les phénomènes et la direction de la décharge par l FPE eil élec- trique des Raies, par M. Cu. RoBix. . . : 349 ss _. divers modes de formation des dépôts ossifères dans les” cavernes, par . A. SPRING. +. RE OR ne DE si sur la faune ichthyologique de l’Armazone,. a M. AGASSIZ. . .. . :, 382 ANIMAUX INVERTÉBRÉS. Observations sur la reproduction parthénogénésique chez quelques larves d’In- sectes diptères, par MM. N. WaAGxEr, MEINERT, PAGENSTECHER €t GANINE. . 259 Recherches sur le système circulatoire et les organes de la respiration chez le Porcellion élargi, par M. N. WAGNER. . . 317 Observations sur des Cruslacés rares ou nouveaux ‘des côtes de France, par M. HESSE. . . Sn Or 223 Recherches sur l’œil de quelques ‘Céphalopodes, par \. Vues Henéer. D NE Recherches sur la famille des Tridacnidés, par M. Léon VAILLANT. . . . . 65 Deuxième mémoire sur les Antipathaires, par M. H. Lacaze-DuTniens. . , 6) Sur un nouveau genre d’'Ascidien, par M. H. Lacaze-DurHiErns. . . . . . 293 Comment les Janthines font leur flotteur, par M. LACAzE-DUTHIERS. . . . . 329 Description du gîte des Limes, par M. LacAze-DUTHIERS. 4 , . . . . . 547 SES D ee TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS. AGassiz. — Sur la faune ichthyolo- et du Mus Alexandrinus . . . . . 173 gique de l’Amazone.. . . 382|Porura (C.). — Rech. sur la durée Dazras. — Note sur les plumes aë de la vie des Poissons hors de l’eau. 62 Dinornis robustus . . .. . . .. 292|RoBix. — Sur les phénomènes et la HENSsEN (V.),— Recherches sur l'œil direction de la décharge par l’ap- de quelques Céphalopodes . . . . 374| pareil électrique des Raies. . . . . 342 Hesse. — Observations sur des Crus- SPRixé. — Sur les divers modes de _tacés rares ou nouveaux des côtes formation des dépôts aurifères dans de France. . . . . Tee re 223| les cavernes. . . . . . . 363 Lacaze-Duraiers (H.). — Sur un nou- Vaizcanr.—Recherches sur la famille veau genre d'Ascidien . . . . . . 293| des Tridacnidés . . . . . . . . . 65 — Deuxième mémoire sur les Anti- DE Vigraye. — Note sur la reproduc- pathaires (Antipathes vrais). . . . 5| tion en bois de Renne d’une tête — Comment les Janthines font leur (présumée) de Mammoutb, etc., flotteur . . . . . . . . . . . . . 329! provenantdes stations du Périgord. 356 — Description du gite des Limes. . 347] Wacxer (N.). — Sur le système cir- LarTET. — Note relative à une lame culatoire et les organes de la respi- d'ivoire fossile trouvée dans un gi- ration chez le Porcellion élargi. . 317 sement ossifère. . , . . . . . . 353| Wacxer (N.), MEINERT, PAGENSTECHER DE L'ISLE (Arth.). — De l'existence et GANINE.— Observations sur la re- d’une race nègre chez le Rat, ou de production parthénogénésique chez l'identité spécifique du Mus Rattus quelques larves d’Insectes diptères. 299 TABLE DES PLANCHES CONTENUES DANS CE VOLUME. Planches 1, 2, 3, 4. MES STE — 5, Chevreulius Callensis. — 6 et 7. Crustacés qui vivent dans Îles Ascidies composées. — 8, 9, 11, 49. Anatomie de la Tridacna elongata. — 13. Multiplication des larves d'un Diptère. — T'ES akipheation des larves de Diptères; B, circulation chez le Porcellion. — 45. Flotteur des Janthines ; gite des Limes. — 16. Lame d'ivoire fossile trouvée dans ux gisement ossifére du Périgord. a —— Paris. — Imprimerie de E. Manrixer, rue Mignon, 2. + A Na (OR Jai 0 Has Ann des Liane, mat, S'Jéria. Antpithes Subpinnata. Organisation des Fotypes . À mn ge Mon Lada Pose Ann der Lrémesmet, #' Vie. Zool Time, 3 Antpathes Subpinnate. Histologie : LL ing Pie Lérapadest Phrs 0 dacès gui vivent dan lex Ascidies comporées wvy PDDU0PD DUIPPIAIL (| mr pu pe 47 Ann da Soins mat SJ. | Zoo. Time $ F9 Aiy 4.2 45 (3 IL Aratomés de la Trédtacna élongats . Lun 4 À atmnr ge 4 PEnée Korg où Pres Ann char bre, nat, 5 éré. Aout. Time $, Pl pa We Anatomie de Le Drilarre 2077770777") A Br sage Pad Léropate v£ Porrs ue dede Trutacrn clongalit. kumt ratdarrrt IV. #r Zeb Tiacé bn Horr : Ann des Neivne nat #'Sérir Zont, Fine Y 1134 Mulesp lation des larmes d'un Diptire. de À Salman. + Mone Æaoragade »5 Perse > : Zool. Time 4, PL: 14 ER RE je Na tÉe sn) ( É: S A Muliplsation des tarvms de Deptères. WCreutation choux Le lbrorélion. og À Lama. vus Pole A rage. 5, à Paré ein | - - _ __— Ann. der Liens. nat. 5 Serie Zonl. Tome 4. PL 18 DO 511005 FR ERUeE SALE ES Elotteur des Janthanes — Ctle der Limes [. T4. PIE Z001 Parrs. / Becquet a un gisement ossifere du Périgord. Lame d'ivoire fossile trouvee dns ement ossifere du Perisord fl A em — 4. CERTES TE PT Fo!