n 3 HÉMSFEOE EHESS fainannnnn FE te ANNALES DES SCIENCES NATURELLES CINQUIÈME SÉRIE ————— ZLOOLOGIE PALÉONTOLOGIE ee" Faris, — Imprimerie de E. Manriner, rue Mignon, 2. ANNALES DES SUIENCES NATURELLES CINQUIÈME SÉRIE ZOOLOGIE PALÉONTOLOGIE COMPRENANT L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA CLASSIFICATION ET L'HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX PUBLIÉES SOUS LA DIRECTION DE M. MILNE EDWARDS PARIS VICTOR MASSON ET FILS, PLACE DE L’ÉCOLE-DE=MÉDECINE 1867 En Ex €"? * 8 LE | PCA me war ugt) : j Ê , L. | : Fr - x EX Ar bte :H190400% : al ” a 9 : A RC NES Mood OA FRE | me: menés dt EIRE A nouraneañ AU ÉSOAOMN à4 07 MDN 2e D Rene a AT: Arr ann LT Te. à ” = . Or à ; _ : ds si f , K — se ; 20 morte ù pue san AAA AMIE M ANNALES DES SCIENCES NATURELLES ZOOLOGIE ET PALÉONTOLOGIE ÉTUDES EXPÉRIMENTALES SUR LA GREFFE ANIMALE ET SUR LA RÉGÉNÉRATION DE LA RATE CHEZ LES MAMMIFÈRES ET DES MEMBRES CHEZ LES SALAMANDRES AQUATIQUES, Par M. PHILIPEAUX, Aide-naturaliste au Muséum d'histoire naturelle, Lorsque je fis, en 1856, de nombreuses expériences sur l'extirpation des capsules surrénales, de la rate et des corps thyroïdes, expériences communiquées à l’Académie des sciences, j'avais vu plusieurs fois, chez des animaux opérés depuis quel- ques mois, une nouvelle capsule surrénale ou une nouvelle rate reproduites plus du moins complétement. Ne voulant pas me détourner alors du but que j'avais en vue, je laissai de côté pour le moment ce sujet de recherches, me proposant de le reprendre plus tard. C’est ce que j'ai fait dans ces dernières années, Mes expériences ont porté d’abord sur la régénération de la rate chez les Mammifères, et plus récemment de la repro- duction des membres chez la Salamandre aquatique. En insti- tuant ces expériences sur la régénération de la rate chez les G PHILIPEAUX, Mammifères, j'ai été conduit à tenter d'obtenir une greffe de cet organe remis dans l'abdomen aussitôt après l’extirpation. Les résultats de ces diverses expériences ont été communiqués à l'Académie à des époques que j'indiquerai plus loin ; voici le résumé de ces résultats : 4° Greffe de la rate chez les Mammifères. J'avais déjà, lors de mes expériences antérieures, et dans les cas où j'enlevais complétement la rate, cherché ce que devien- drait cet organe remis en place dans la cavité abdominale, et, dans mes nouvelles expériences, j'ai remis constamment la rate dans l'abdomen, lorsque j'en avais pratiqué l'extirpation totale. Ce sont les résultats de ces expériences que j'ai communiqués à l’Académie le 3 septembre 1866. L'opération en elle-même ne demande pas une longue des- cription. La rate, une fois enlevée, était mise sur la table; je la mesurais à l’aide d’un compas, puis je la faisais rentrer dans la cavité abdominale au travers de la plaie des parois du ventre, et je fermais la plaie par un ou deux points de suture. J'ai examiné les animaux ainsi opérés à des époques plus ou moins éloignées du jour de l'opération, c'est-à-dire quatre, cinq, dix et quinze mois après l'opération, et presque toujours j'ai trouvé la rate greffée sur des points variés du péritoine, mais cependant, le plus souvent, près de l'estomac et du côté gauche. Dans un cas seulement, la rate s'était fixée du côté droit. De plus, l’adhérence a presque toujours eu lieu au niveau du hile de la rate. En examinant avec som les points d'implantation, il était facile, lorsque les pièces étaient fraîches, de voir des vaisseaux de très-petit diamètre qu'on pouvait suivre du hile de Ja rate jusqu'à une certaine distance, dans le mésentère. C’étaient évidemment les vaisseaux qui avaient servi à rétablir la circula- tion dans l'organe splénique. La rate conserve parfois sa forme normale; d’autres fois, elle se plisse un peu sur elle-même, et, dans d’autres cas, elle tend ÉTUDES EXPÉRIMENTALES SUR LA GREFFE ANIMALE. 7 à perdre sa forme allongée pour prendre une forme ramassée, triangulaire, à angles obtus. Quant à la structure, dans les cas où la greffe avait complé- tement réussi, elle avait conservé ses caractères normaux. Quelquefois la greffe échoue, et alors, lors de la nécropsie, on ne trouve plus trace de la rate, ou bien il ne reste qu’une sorte de kyste à contenu puriforme, la rate ayant subi la fonte purulente. Dans d’autres cas, il y a eu implantation; mais les communications vasculaires qui se sont produites n’ont pas pu rétablir une circulation suffisante dans l'organe. Dans ce cas, il s'atrophie sur place, et, dans les nombreux animaux que j'ai opérés, j'ai pu suivre toutes les phases de cette atrophie. La rate devient quelquefois pâle, comme exsangue, puis dimi- nue peu à peu de volume. Chez d’autres animaux, je lai trouvée au contraire très-noire et déjà revenue sur elle-même. Cette teinte noire était due à une abondante production de pigment d’origine hépatique. Enfin, dans quelques cas plus rares, la rate s’enkyste dans du tissu conjonctif et-s'atrophie en partie sous l'influence de cette espèce de tissu cicatriciel. Je reviens aux faits dans lesquels la greffe a réussi, et j'ajoute aux détails donnés plus haut, que non-seulement la rate ainsi remise en place sur de jeunes Surmulots, âgés de trente jours, a conservé ses caractères normaux comme structure et comme forme, mais encore qu'elle s’est développée au fur et à mesure que les animaux ont grandi, sans attemdre jamais toutefois les dimensions qu’elle acquiert chez les animaux non opérés. La conclusion de ces expériences, c'est que la rate, extirpée sur de jeunes Mammiferes et replacée immédiatement dans la cavité abdominale, peut s’y greffer, peut continuer à y vivre et à s'y développer. 20 Régénération de la rate chez les Mammifères. J'avais eu l'honneur de mettre sous les yeux de l’Académie, en 1861, des pièces relatives à la régénération de la rate et qui démontrait que cet organe, enlevé sur des Mammifères, peut se régénérer. 8 PHILIPEAUX. M. Peyrani, dans une communication faite, peu de temps après, à l’Académie des sciences, le 25 novembre 1861, et dans un mémoire publié le 2 décembre 1861 dans la Gazzelta medica italiana {Provincie sarde), annonça qu'il avait répété mes expé- riences sur des Cochons d'Inde, agés d’un à trois mois, et qu'il était arrivé à des résultats entièrement différents des miens. Il concluait en ces termes : « La rate, extirpée en totalité, ou même en partie, ne se régénère Jamais. » J'ai entrepris des expériences pour chercher à découvrir la cause d’une semblable différence entre les résultats que J'avais obtenus et ceux auxquels M. Peyrani avait été conduit, et le AA décembre 1865, j'ai communiqué à l’Académie le résumé de ces nouvelles recherches. Dans une première série d'expériences faites sur des Surmu- lots âgés de vingt-cinq jours et sur des Lapins âgés de deux mois, j'extirpai complétement la rate, comme je l'avais fait la première fois. Ces animaux furent examinés au bout d’un temps à peu près pareil, c’est-à-dire dix-sept mois environ après l'opé- ration. Mais cette fois, et à ma grande surprise, je ne trouvai la rate reproduite chez aucun de ces animaux. Comme j'étais absolument certain de la réalité des faits que j'avais constatés en 1861, il me sembla que l’insuccès de mes nouvelles expériences devait tenir à quelque condition particu- lière de l'opération. En y réfléchissant, je pensai que la raison de cet insuccès pouvait bien être dans le som avec lequel je m'étais appliqué, cette fois, à extirper la rate d’une façon tout à fait complète. Pour éclaircir ce doute, il fallait instituer en- core des expériences, mais en laissant en place une petite partie de l'organe. | Je fis donc de nouveau l’extirpation de la rate sur deux séries d'animaux, des Surmulots âgés de vingt-cinq jours et des La- pins âgés de deux mois; mais je laissai en place, comme je me l’étais proposé, un très-petit segment de la rate. Ce segment avait à millimètres de longueur sur les Surmulots (la rate en- tière ayant chez ces animaux, et à cet âge, 16 millimètres de longueur et 3 de largeur); il avait 5 millimètres sur les Lapins ÉTUDES EXPÉRIMENTALES SUR LA GREFFE ANIMALE. 9 (la rate entière ayant chez ces animaux, et à cet âge, 50 milli- mètres de longueur et 8 millimètres de largeur). J'ai examiné ces animaux à des époques variées, c’est-à-dire un, deux, trois, quatre, cinq, six et sept mois après l'opération, et toujours j'ai constaté une régénération plus ou moins avancée de la rate qui offrait l'apparence et la structure normales. Chez les animaux les plus anciennement opérés, la rate avait 14 mil- limètres de longueur et 7 de largeur (Surmulots), ou 20 milli- mètres de longueur et 7 de largeur (Lapins). Ce sont ces faits que j'ai eu l'honneur de mettre sous les yeux de l'Académie. D'après les faits nouveaux, dont j'ai consigné les résultats dans cette note, il me paraît certain que, dans mes premières expériences, je laissais, sans le savoir, une petite partie de la rate, car autrement je n'aurais jamais observé de régénération de cet organe. Je ne crains pas d’ailleurs d'avancer d’une façon générale que, chez les Mammifères, les organes complétement extirpés ne se reproduisent jamais. De ces faits je crois pouvoir conclure : 1° Que la rate, complétement extirpée sur les Surmulots ou les Lapins encore très-jeunes, ne se reproduit jamais (peut-être cependant, dans quelques cas d’extirpation complète, une rate surnuméraire pourrait-elle se développer et remplacer ainsi la rate enlevée) ; 2° Que la rate enlevée incomplétement sur ces mêmes ani- maux, et dans les mêmes conditions d'âge, se reproduit toujours. 3° Régénération des membres chez la Salamandre aquatique. Les expériences précédentes m'avaient conduit à voir que la rate, enlevée chez les Mammifères, ne se régénère que lorsqu'on en laisse une petite partie sur place; si la rate est enlevée com- plétement, on n’observe jamais de régénération. Ces résultats si constants m’avaient porté à penser qu'il en était sans doute de même dans tous les cas de régénération observés chez les Vertébrés à la suite de l’extirpation de telle ou telle partie du corps, et mon attention s'était portée immédia- 10 PHILIPEAUX. tement sur les faits découverts par Spallanzani sur les Sala- mandres. On sait avec quelle facilité se reproduisent les membres et la queue des Salamandres aquatiques après leur ablation. Tous les physiologistes ont répété les expériences de Spallanzani, et M. Flourens à bien des fois montré dans ses cours des Salä- mandres chez lesquelles la queue ou les quatre membres s'étaient régénérés. Il a de même plusieurs fois fait voir des exemples de régénération de la mâchoire inférieure, confirmant ainsi un autre des résultats obtenus par Spallanzani. Conduit par mes recherches sur la rate à examiner de près ces expériences, que J'avais répétées bien souvent dans le labo- ratoire de M. Flourens, je vis que, dans ces cas, on laissait tou- Jours en place une portion des membres, de la queue ou de la mâchoire inférieure, et qu’ainsi il n°y avait pas réellement une régénération complète de ces parties; en rapprochant ces résul- taits de ceux qu'on avait obtenus sur l’œil des Salamandres, organe que l'on n'avait vu se reproduire que lorsqu'on en lais- sait une petite partie en place, je pensai que la reproduction des membres n'aurait sans doute plus lieu, si on les enlevait d'une facon complète. J'ai donc institué de nombreuses expériences dans lesquelles j'ai extirpé sur des Salamandres aquatiques, non-seulement le membre antérieur, y compris l’humérus tout entier, mais encore le scapulum, c’est-à-dire la portion basilaire du membre. Toutes les fois que j'ai enlevé le membre antérieur en com- prenant dans l’ablation le scapulum, il n’y a pas eu le moindre indice de régénération. Et cependant, ainsi que le faisait Spallanzani, j'ai eu grand soin de nourrir copieusement les animaux opérés. Je possède, encore vivantes, des Salaman- dres chez lesquelles j'ai enlevé le membre antérieur entier, en y comprenant le scapulum, il y à près d'un an; aujour- d'hui la plaie est entièrement cicatrisée, et il est facile de con- stater qu'il n'y à pas même un commencement de travail de régénération. ÉTUDES EXPÉRIMENTALES SUR LA GREFFE ANIMALE. A1 Comme terme de comparaison, j'ai pris des Salamandres chez lesquelles j'ai enlevé un des membres antérieurs en rasant le corps comme le faisait Spallanzami. L'opération a été prati- quée il y à sept mois, et l’on peut voir que le membre est entiè-" rement reproduit avec toutes ses pièces osseuses (1). Ces expériences suffisent pour montrer que, chez les Sala- mandres, les parties enlevées, et en particulier les membres, ne se régénérent que lorsqu'il en reste une portion sur place, et elles parlent par conséquent dans le même sens que celles que j'ai faites sur la rate des Mammifères. Des expériences non encore complétement terminées me per- mettent de dire qu’il en est de même des nageoires des Poissons, dont Broussonuet a fait connaître la régénération. Et en un mot, c'est là sans doute un fait général, au moins chez les Vertébrés, qu'aucun organe ne peut se régénérer qu'à la condition qu'il en reste une partie sur place. (1) IL y a 102 pièces osseuses dans les quatre membres, 46 pour les membres anté- rieurs, sans y comprendre les scapalums, et 56 pour les membres postérieurs, sans Y comprendre les os coxaux. NOTE ADDITIONNELLE SUR L'APPAREIL RESPIRATOIRE DE QUELQUES OISEAUX, Par M. ALPHONSE MILNE EDWARDS, Dans une note publiée en 1864, j'ai rendu compte des obser- valions que j'avais eu l’occasion de faire sur l’état diffus des réser- voirs pneumatiques chez le Pélican, le Fou de Bassan et le Kami- chi (4). Depuis cette époque, j'ai pu étudier au même point de vue plusieurs autres Oiseaux qui avaient vécu dans la ménagerie du Muséum d'histoire naturelle, et constater ainsi que cette dis- position de l'appareil respiratoire, dont l'existence était révo- quée en doute il y a peu d'années (2), est moins rare qu’on ne pouvait le supposer. Ainsi, en disséquant un grand Marabou du Sénégal (Argala dubia), j'ai vu que l'air, soufflé dans les poumons par la trachée artère, distend d’abord de grands réservoirs situés à la base du cou du côté dorsal, et produit de la sorte le gonflement d’une espèce de sac cutané, sur lequel l'Oiseau repose son crâne lors- qu'il fait rentrer sa tête entre ses épaules. L'air se répand aussi dans les lacunes du tissu conjonctif sous- cutané de la face antérieure du thorax, et pénètre ensuite dans les espaces compris entre la peau et les muscles des aïles jusqu’à l'extrémité dela main ; enfin ce fluide se rend également dans les pattes en cheminant sous la peau, dans les petites cavités irré- gulères du tissu cellulaire jusqu’à l'extrémité de l’os du pied. C’est de la sorte, par les lacunes du tissu conjonctif sous-cutané, etnon par l'intermédiaire de sacs pneumatiques particuliers, que l'air arrive dans les cavités -dont l'os tarso-métatarsien est (1) Observations sur l’appareïl respiratoire de quelques oiseaux. { Annales des sciences naturelles, 5° série, t. III, p.136, 1865.) (2) Voyez Sappey, Recherches sur l’appareul respiratoire des oiseaux, p. 70 (1849). APPAREIL RESPIRATOIRE DE QUELQUES OISEAUX. 13 creusé, et je suis disposé à croire que chez tous les Oiseaux où les parties terminales des membres présentent dans la structure du squelette une disposition analogue, c’est-à-dire se trouvent creusées de cavités pneumatiques, l'air se répand également dans le système lacunaire du tissu conjonctif, et arrive par cette voie dans les os de l’avant-bras ou de la main, aussi bien que dans les os du pied. Ayant constaté l’existence de trous pneumatiques très-déve- loppés, non-seulement dans les os du métatarse et du métacarpe, mais aussi dans les phalanges de l'aile et de la patte chez diverses espèces de Calaos, j'ai pensé que l’appareil respiratoire de ces Oiseaux devait présenter des particularités analogues à celles que j'avais observées chez le Marabou, le Pélican, le Kamichi et le Fou; n'ayant jamais eu à ma disposition de cadavre de Calao à l’état frais, je n'avais pu vérifier anatomiquement cette prévi- sion. | J'ai donc écrit à M. R. Germain qui réside en Cochinchine, et qui s'occupe de zoologie avec ardeur, pour attirer son attention sur ce point, et le prier non-seulement de me procurer le sque- lette du grand Calao bicorne dont je n'avais pu étudier encore l’ostéologie d’une manière suffisante, mais aussi d'examiner, s’il en avait l’occasion, la disposition des réservoirs aériens de cet Oiseau. Ce zélé naturaliste a bien voulu avoir égard à ma de- mande, et, dans une lettre datée de Saigon le 31 janvier 1865, il m'a transmis les renseignements suivants : « J'avais un Cacao bicorne (Buceros bicornis) vivant ; j'en » conserve le squelette que J'aurai le plaisir de vous faire parve- » nir par le premier envoi que je ferai en France. C’est surtout » sous la peau que là pneumatose est extraordinaire chez cet » Oiseau ; son corps est absolument en liberté au milieu de la » poche représentée par les téguments qui ne sont maintenus » qu'à la tête et à la queue, ainsi que par une cloison celluleuse » sur la ligne médiane du dos et de la poitrine. Les muscles, d’un » rouge vif, sont pour la plupart séparés les uns des autres par » de l'air, et mouillés par de la sérosité. Quélques-uns de ces » organes ne Constituent pour ainsi dire que des brides aplaties, Al ALPHONSE MILNE EDWABDS, » étendues d’un os à un autre, au mieu de l’espace libre que » constitue la cavité aérienne. Le corps dépouillé de la peau » présente l’image de la plus belle préparation anatomique des » muscles et des vaisseaux qui se puisse voir. Dans les cavités » splanchniques, tous les organes sont parfaitement isolés les » uns des autres ; les vaisseaux sont jetés à travers une chambre » à air,et rien ne se prêterait mieux à la confection d’une planche » d'étude. » Ces faits sont parfaitement d'accord avec ceux que M. R. Owen a constatés chez le Buceros cavatus (Lath.) (1). Ce savant ana- tomiste a signalé, en effet, l'énorme développement des cel- lules aériennes, et 1l a vu qu'elles s’étendaient jusqu'à l’extré- mité des os de l’aile, mais il n’a pas signalé l'existence de communications entre ces réservoirs pneumatiques, le tissu cel- lulaire sous-cutané et les os du pied. A raison des mœurs de l’Albatros, j'avais d’abord pensé que la disposition de l'appareil respiratoire de cet Oiseau pourrait bien être analogue à celle que nous offre le Pélican et le Fou de Bassan ; mais comme les os du pied et la portion terminale de l'aile ne sont pas pneumatiques chez ce grand Palmipède, 1l me paraît probable que l'air ne s’indroduit pas dans le tissu cellu- laire sous-cutané des extrémités, et se trouve renfermé dans des sacs membraneux particuliers, comme chez la plupart des Oiseaux. (14) Owen, On the concave Hornbill, Buceros cavatus Lath. (Trans. of the Zool. Soc., 1836, t. I, p. 417). . SUR LA VISION DES POISSONS ET DES AMPHIBIES Par M. Félix PLATEAU, Docteur ès sciences naturelles, (Extrait par l’auteur) (1). Les yeux des animaux ont été l’objet d’un grand nombre de recherches, mais presque toutes dirigées dans un but purement anatomique. En étudiant la physiologie de la vision, on s’est pour ainsi dire borné à l'Homme, et la question cependant si intéressante de la vue des animaux n’a été qu’effleurée, encore a-t-on procédé généralement par analogie et très-rarement en s'appuyant sur l'expérience. Il est surtout deux groupes d'êtres vivants, qui, par leurs habitudes si différentes de celles de l'Homme, méritaient d'être étudiés au point de vue de la vi- sion : Je veux parler des Poissons et des Amphibies ; ce sont eux que je me suis proposé spécialement d'examiner. Afin de montrer à quel genre de recherches et d'expériences J'ai soumis l’œil de ces animaux, concevons pour un instant un œil de Poisson idéal, typique : sa cornée sera parfaitement plane, son cristallin sphérique, et les humeurs aqueuse et vitrée de même densité que l’eau, et en petite quantité. Plaçons succes- sivement cet œil dans l’eau, puis dans l'air, et examinons, pour ces deux milieux différents, quelle sera la marche des rayons traversant l'organe : dans l’eau, quelle que soit la forme de la cornée, comme l'humeur aqueuse et l'humeur vitrée ont, par hypothèse, la même densité que ce liquide, la cornée se trouvera jouer le rôle d’une plaque transparente à faces parallèles, bai- gnées par l’eau des deux côtés ; elle ne servira donc nullement à (4) Académie royale de Belgique (Mémoires couronnés et mémoires des savants étrangers, t. XXXIIT). 16 F, PLATEAU,. rendre les rayons lumineux convergents, au moins divergents, et le cristallin restera seul pour réunir en un point sur la rétine les rayons de chaque pinceau. I faudra conséquemment qu'il soit très-convexe et d’une densité relativement considérable. Cet œil, organisé pour la vision distincte dans l’eau, sera-t-il impropre à la vision distincte dans l'air? Nullement : supposons d’abord un pinceau de rayons parallèles tombant sur la face an- térieure de l'œil, ces rayons arriveront au cristallin en conser- vant leur parallélisme, puisque les deux faces de la cornée sont planes et parallèles ; et l’on voit que, dans l'air comme dans l'eau, c’est uniquement au cristallin que sera dévolue la fonction de peindre l’image au fond du globe oculaire. Supposons, en outre, que l'axe de l'œil ait une longueur appropriée à la vision des objets assez éloignés pour que les rayons qui composent chaque pinceau puissent être considérés comme parallèles. Un Poisson, muni d’un appareil visuel construit sur le plan ci-dessus, verrait aussi distinctement dans l’air que dans l’eau les objets situés à une grande distance, en imaginant, bien entendu, l’eau d’une transparence parfaite. Examinons maintenant les cas d'objets rapprochés. Bien que les Poissons aient en général les yeux fort grands, l’ouverture papillaire n'offre jamais un diamètre bien considérable ; dès lors, en admettant que l’objet regardé soit près de l'œil, à quel ques centimètres par exemple, les cônes de rayons émanés de chaque point de cet objet présenteront encore une bien petite base en comparaison de leur longueur, et les rayons qui les con- stituent ne feront que de très-petits angles avec les axes de ces mêmes cônes. Il suit de là que, même en attribuant à l'axe de notre œil typique une longueur correspondante à la vision nette d'objets distants de quelques centimètres, cette vision sera encore aussi distincte dans l'air que dans l’eau ; seulement la distance de l’objet devra être un peu plus petite dans l'air. Alors, en effet, la petite divergence des rayons, émanés d’un point de l’objet, sera nécessairement quelque peu diminuée en pénétrant dans l'humeur aqueuse, et conséquemment, après leur réfrac- tion par le cristallin, ils iront converger en un point un peu VISION DANS LES POISSONS ET LES AMPHIBIES. 17 moins éloigné de la cornée que si Pobjet était dans l’eau. Il faudra donc diminuer un peu la distance de l’objet pour donner aux rayons une divergence plus grande, et compenser ainsi la petite réfraction produite à leur entrée dans l'œil Ainsi que je le montrerai plus loin, l'œil réel des Poissons se rapproche considérablement de notre type idéal, de sorte que nous sommes en droit de conclure théoriquement que ces ani- maux peuvent voir nettement dans l'air, et que leur distance de vision distincte doit être à peu près la même dans ce milieu et dans l’eau. Si les Poissons, à part quelques espèces privilégiées, telles que l’Anguillule, le Chironectes, \ Anabas testudineus, n’ont guère besoin de joindre la faculté de voir distinctement dans l’eau à celle de voir distinctement dans l’air ; cette double faculté est évidemment indispensable aux Amphibies. On comprend sans peine que, en supposant l'œil de ces der- niers renfermé exactement comme celui des animaux vivant exclusivement dans l'air, la vision dans l’eau sera confuse. En effet, comme je l'ai déjà dit plus haut, une fois l'œil plongé dans l'eau, ni la cornée, ni l'humeur aqueuse, n’ont d'action, le cris- tallin reste seul; mais comme dans la supposition que nous ve- nons de faire sa courbure serait faible, il ne suffirait plus pour faire converger les rayons sur la rétine ; en d’autrestermes, son foyer serait de beaucoup en arrière de celle-ci. C’est, par exem-— ple, ce qui arrive, on le sait, à l'œil de l'Homme qui plonge dans l'eau. Les Amphibies auraient-ils un pouvoir d'adaptation tellement considérable, qu'il trait jusqu'à rendre leur cristallin sphérique. Ce fait est, à priori, plus que douteux. Il est au contraire fort simple d'admettre que l'œil des Amphi- bies est organisé exactement, ou à très-peu près, comme celui des êtres vivant exclusivement dans l’eau; puisque alors la dis- tance à laquelle l'animal voit distinctement sans effort de l'œil doit être pour ainsi dire la même dans l’eau et dans l'air. Montrer que l’œil des Poissons se rapproche considérablement de notre type idéal, que celui des Amphibies lui est presque complétement semblable; prouver enfin expérimentalement que 5€ série. Zooz. T. VII (Cahier n° 1.) 2 2 15 F. PLATEAU. la vision distincte se fait à des distances sensiblement égales dans l'air et dans l’eau, et avec autant de perfection dans ces deux milieux pour tous les animaux dont il s’agit, tel est l'objet de mes. recherches. J'examine donc en premier lieu quelle est chez les Poissons la forme exacte de la cornée. Je trouve, soit au simple examen, soit par la réflexion sur cette membrane d’un objet rectiligne, obscur, se détachant sur un fond lumineux, et dont l’image, lorsqu'on regarde l'œil de côté, est mcurvée par la courbure de la cornée, soit enfin par la mesure même du rayon de cette courbure sur un moule de l'œil, puis immédiatement après la mort de l'animal, que la cornée des Poissons, assez variable quant à la saillie qu'elle fait à la surface de la tête, est toujours plate ou du moins fortement aplatie au devant du cristallin, et sur une étendue égale au diamètre de cette lentille, tandis que les parties latérales peuvent être très-courbes. Quant au eristal- lin, je l'ai constamment rencontré fort voisin de la sphère, comme on le savait d’ailleurs. Enfin Cuvier et Monro ont con- staté depuis longtemps que chez les Poissons les humeurs de l'œil peuvent être assimilées à de l'eau ; en d’autres termes, je prouve, par un nombre suffisant de mesures consignées dans un des ta- bleaux de mon mémoire, que l'œil des Poissons est toujours, même chez les espèces que quelques auteurs signalaient comme exceptionnelles, construit sensiblement sur le plan du type idéal que j'ai décrit plus haut. Je soumets les yeux des Amphibies, c'est-à-dire des animaux qui doivent indifféremment faire usage de leurs organes visuels dans l’air et dans l’eau, aux mêmes investigations, et je montre que chez tous, Mammifères, Oiseaux, Reptiles, Batraciens, etc., les yeux, sauf de légères différences, affectent une structure identique avec celle de ces organes chez les Poissons, Quant aux Insectes terrestres, aquatiques ou amphibies, ils possèdent tous, d’après les travaux modernes, des yeux à cornées aplaties et à cristallins très-convexes, au moins du côté interne. Ici se termine la partie anatomique de mon travail ; vient en- suite la partie expérimentale, dans laquelle je détermine les dis- VISION DANS LES POISSONS ET LES AMPHIBIES. 49 tances de vision distincte de dix espèces de Poissons de genres différents et de quelques Batraciens dans l'air et dans l’eau. La méthode que j'ai employée est en peu de mots la suivante : supposons qu'il s'agisse d’un Poisson, le procédé étant le même pour les autres animaux ; après avoir tué rapidement l'individu en expérience, on enlève soigneusement un œil d'une orbite sans le déformer ; on le fixe sur une plaque de liége, de manière que la cornée soit verticale. On pratique ensuite au fond de l'œil une ouverture convenable, en enlevant, à l’aide de ciseaux fins, une portion de la sclérotique et de la rétine ; on enchässe alors dans cette ouverture une petite cupule de verre faiblement dé- polie, et sur laquelle doit venir se peindre l’image d’un objet extérieur, Comme sur une rétine arüficielle ; cet objet est l’extré- mité d’un fil de fer fin se projetant sur la flamme d’une lampe au pétrole. On fait nécessairement l'expérience le soir ou dans une chambre dont les volets sont clos, et l’on observe l'image du fil de fer à la partie postérieure de l'œil à l’aide d’une loupe. En faisant varier la distance du fil de fer à la cornée, on finit tou- jours par obtenir une position où l’image est nette. L'expérience, répétée un certain nombre de fois pour avoir une moyenne, est effectuée successivement dans l'air et dans l’eau : dans ce dernier cas, le fil de fer étant naturellement plongé aussi dans l’eau. Je n'ai pas besoin d'ajouter que ce liquide est contenu dans un petit baquet, dont les faces antérieure et postérieure sont for- mées de glaces minces. Les nombres que j'ai obtenus pour un même milieu et un même individu sont très-rapprochés, ce qui permet d’avoir con- fiance dans les résultats d'expériences aussi délicates ; mais de plus, comme on peut le voir par le tableau que je donne dans mou mémoire, les distances de vision distincte dans l’air et dans l’eau, sont toujours à fort peu près les mêmes. Les Poissons, ainsi que Je lai déjà dit plus haut en me basant sur la structure de l'œil, voient donc dans l'air aussi bien que dans l’eau. Dès lors, la vision des Amphibies trouve son explication natu- relle, puisque les organes visuels de ces animaux sont semblables à ceux des Poissons. Cependant, comme confirmation de la 20 F, PLATEAU. théorie, j'ai soumis aux mêmes expériences les yeux de quelques Batraciens ; ici encore une fois, les distances de vision distincte dans air et dans l’eau sont pour ainsi dire identiques. Je ferai seulement remarquer, en ternunant ce résumé, que, chez les Amphibies, la vision nette, forcément assez courte dans l’eau, à cause de la transparence imparfaite de ce milieu, doit au con- traire pouvoir s'étendre dans l'air à des distances très-variables, ce qui exige l'existence d’une faculté d’accommodation ; aussi a-t-on reconnu dans leurs yeux la présence du muscle ciliaire, principal agent de cette faculté. _\ NOTE SUR LA REPRODUCTION DES PUCERONS, Par M. Édouard CLAPARÈDE, Professeur à l'Académie de Genève. La reproduction des Pucerons, après avoir attiré l'attention de tant d'hommes distingués, a provoqué récemment de nou- velles recherches de la part de deux observateurs, M. Meczni- kow et M. Balbiani. Les résultats auxquels ces deux savants sont arrivés montrent pleinement que le sujet était loin d’être épuisé ; chacun d'eux a travaillé d’une manière indépendante. La pre- mière publication de M. Mecznikow (Untersuchungen über die Embryologie der Hemipteren. V'orlaufige Mittheilung von Mecz- nikow ; Zeitschr. für wiss. Zool., Bd. XVI, März 1866, S. 128) est de quelques mois antérieure à la première communication de M. Balbiani à l’Académie des sciences de Paris (séances des 4, 11 et 25 juin 1866). Toutefois ce dernier paraît ne pas en avoir eu connaissance, puisqu'il ne la mentionne point dans un écrit postérieur plus détaillé (Journal de l'anatomie et de la physiolo- gie, &° année, n° 5, septembre et octobre 1866). Les divergences entre ces deux observateurs sont devenues encore plus frap- pantes depuis la publication d’un mémoire fort circonstancié de M. Mecznikow (Embryologische Studien an Insecten. Die Entwicklung der viviparen Aphiden ; Zeitschr. für wiss. Zool. Bd. XVI, S. 437), mémoire accompagné de plus de 50 figures relatives à l’embryogénie des Aphides, et qui n’est que le déve- loppement de la note précitée. En examinant les publications que je viens de rappeler, il est facile de se convaincre que MM. Mecznikow et Balbiani ont tous deux étudié fort consciencieusement les objets qu’ils ont eus 2? É, CLAPARÈDE. sous les veux, et qu'ils ont vu dans la plupart des cas exacte- ment les mêmes choses. Et pourtant quelle distance entre les résultats finaux auxquels ils sont parvenus ! Un seul mot suffit à le faire comprendre. Pour M. Mecznikow les Pucerons sont agamogénétiques, pour M. Balbian: ils sont hermaphrodites. Comment choisir entre ces résultats opposés, annoncés par des observateurs en apparence également consciencieux. Le seul moyen est évidemment de reprendre le sujet ab ovo, et de sou- mettre toutes les divergences à la pierre de touche d'observations nouvelles et impartiales. C’est ce que je me suis décidé à entreprendre à l’aide d’ ine étude de l’Aphis rosæ, dont les embryons sont relativement favo- rables à ce genre de recherches. Le résultat n’a pas été douteux pour moi. La théorie de l'hermaphrodisme des Pucerons est in- soutenable. Son auteur, se basant sur certains faits observés avec soin, s’est évidemment laissé entraîner bien au delà des conclu- sions qu'ils pouvaient légitimement provoquer. La rencontre fortuite de certains phénomènes morbides à peut-être aussi con- tribué à le maintenir sur le chemin où il s'était fourvoyé. Je ne crains pas d'affirmer que quiconque aura la patience de re- prendre avec attention cette étude minutieuse devra, tout en rendant justice aux travaux de M. Balbiani, rejeter totalement les conséquences que l’auteur en a tirées. Le problème de la reproduction des Pucerons se résoudrait, selon M. Balbiani, fort simplement de la manière suivante : dès les premiers temps de la vie embryonnaire, le blastoderme donne naissance à deux masses celluleuses juxtaposées, l’une incolore, l’autre pénétrée de granulations qui lui donnent une teinte verte ou jaune verdâtre. De ces deux masses, la première de- vient un ovaire, la seconde un testicule, dans lequel se déve- loppent des zoospermes en forme d'Amibes. Ces zoospermes fécondent l'ovaire ; le testicule lui-même disparaît, et les ovules fécondés commencent leur évolution dans l’intérieur même de l'embryon renfermé dans le corps de sa mère. Partant point de génération alternante, pas plus que de parthénogenèse. Les deux masses celluleuses, auxquelles M. Balbiani fait jouer REPRODUCTION DES PUCERONS. 23 un rôle si important dans la reproduction des Pucerons, existent bien réellement, comme il est facile de S'en convaincre. M. Mecznikow les a étudiées avec un soin extrême : l’une, l'in- colore, est pour lui un blastogène, soit pseudovarium ; il lui attribue donc le même rôle physiologique que M. Balbiani. Mais l’autre, la masse verte, le testicule selon M. Balbiani, est envisagé d'une manière bien différente par M. Mecznikow ; il lui donne le nom de vitellus secondaire, parce qu'il y voit un ‘ma- gasin de substance propre à être assimilée dans le cours du tra- vail organo-génétique. Nous allons voir que cette dernière inter- prétation est de beaucoup la plus vraisemblable ; dans ce but, 1l est nécessaire de reprendre les choses dès leur origine. L'extrémité de chaque compartiment du pseudovarium est occupée par de nombreux nucléus disséminés dans un proto- plasma.Ces nucléus sont les vésicules germinatives des ovules futurs ; en effet, la plus inférieure s’isole des autres, s’entoure d'une masse de protoplasma, dans laquelle apparaissent bientôt des granules réfringents : c’est l'ovule. M. Balbiani, appliquant dans toute l'étendue de son mémoire la théorie de M. Robin sur la production des cellules par bourgeonnement, sur la périphérie d'un blastoderme, fait naître les ovules par gemmation à la sur- face d'une cellule centrale. M. Mecznikow ne mentionne et ne figure nulle part cette cellule centrale du pseudovarium. Je n'ai pas réussi mieux que lui à la découvrir. Quoi qu’il en soit, dès qu'un pseudovum arrive à maturité dans la partie inférieure du compartiment pseudovarique, son évolution commence. On ne tarde pas à voir au milieu des granules vitellins plusieurs nucléus clairs, très-semblables à ce qu'était naguère la vési- cule germinative. M. Mecznikow considère ces nucléus comme provenus de la division de cette vésicule germinative. A-t-1l parfaitement raison sur ce point? Je n’ose le déterminer (1). Ce qu'il y a de certain, c’est que ces noyaux se multiplient, se por- tent à la périphérie, où on les trouve logés dans une couche de (1) Chez certains Acariens, j’ai acquis la conviction que les nucléus du blastoderme résultent d’une division de la vésicule germinative. Je me réserve de publier plus tard ces observations. 2h É. CLAPARÈDE. protoplasma qui constitue dès lors un véritable blastoderme. Cette membrane devient en effet celluleuse par une différencia- tion du protoplasma, qui se groupe en petites masses autour de chacun des nucléus. M. Balbiani représente les choses, 1l est vrai, d'une manière bien différente. Mais ici il m'est impossible d'être de son avis. Il fait d'abord disparaître la vésicule germinative dans un vitellus homogène. Sur le fait même de la persistance de la vésicule ger- minative, il est, j'en conviens, fort difficile d'arriver à une con- viction parfaitement arrêtée, parce qu'il pourrait se faire que le premier nucléus, d’où résultent par division tous les noyaux des cellules blastodermiques, fût né lui-même spontanément au sein du vitellus, quelque temps après la disparition de la vésicule germinative. Aussi n'osé-je pas me prononcer d’une manière trop absolue sur ce point; mais, dans tous les cas, il est inexact que le vitellus soit homogène à cette époque. Il renferme, au contraire, de nombreux granules, collatéralement avec la vési- cule germinative, comme M. Mecznikow l’a fort bien représenté ; et quant à la formation des cellules blastodermiques par bour- geonnement (théorie de M. Robin) à la surface du vitellus, telle que la représente M. Balbiani, je ne saurais comment la concilier avec la multiplication incontestable des nucléus dans l’intérieur de la masse vitelline, phénomène auquel je viens de faire allusion. Le blastoderme formé entoure l'œuf, devenu piriforme sur toute sa surface, excepté au pôle inférieur, comme M. Mecznikow et M. Balbiani le décrivent tous deux. La partie du blastoderme qui avoisme ce pôle se développe en une espèce de processus cylindrique, qui ne tarde pas à se détacher par un étranglement complet, et à se séparer de l'embryon proprement dit. Ce corps, vu, soit par M. Mecznikow, soit par M. Balbiani, a été envisagé par eux d’une manière assez différente. Nous ne nous y arrête- rons pas, attendu qu'il ne Joue aucun rôle actif dans l’évolution organogénique. A partir de ce moment, l'embryon présente une forme ovale, et u’est formé que d'une couche blastodermique externe et REPRODUCTION DES PUCERONS. 25 d'une masse vitelline centrale. M. Balbiani appelle cette masse une cellule. Je regrette d'introduire ici une discussion de mots, mais il ne m'est pas possible de souscrire à cette dénomination. Sans doute, les travaux de MM. Brücke, Beale, Max Schultze, Stôckel et de tant d’autres, nous ont obligés à transformer sin- gulièrement la nature du mot cellule ; mais il y a loin de à à la confusion introduite dans le langage scientifique par M. Bal- biani, confusion sur laquelle j'aurai encore l’occasion d’insister plus loin. Pour lui, le mot de cellule paraît devoir s'appliquer en histologie à tout ce qui a une forme quelconque, tandis que pour tous les histologistes qui emploient encore ce terme, le nom de cellule ne peut s'appliquer qu'à une masse protoplasmique, qui, pendant une partie de son existence au moins, est munie d’un nucléus, avec ses caractères physiques et chimiques bien con- nus. Or la masse vitelline en question a, il est vrai, une forme ovoïde, puisqu'elle est délimitée par le blastoderme, mais ne possède aucun nucléus, et ne mérite par conséquent aucune- ment le nom de cellule. Mais passons sur ce point technique, d'autant plus que, je le répète, la description du blastoderme, telle que la donne M. Balbiani, est exacte dans ses grands traits. Par suite d’une multiplication des cellules au pôle inférieur du blastoderme, celui-ci donne naissance à une protubérance qui fait saillie dans la masse vitelline centrale. Cette protubé- rance augmente graduellement de volume, et va désormais jouer un rôle important dans l’organogenèse: mais, remarquons-le dès maintenant, à mesure que la protubérance se développe, la masse vitelline diminue par résorption; elle finira même par disparaître complétement. Une cellule de la protubérance en question ne tarde pas à se distinguer au milieu de toutes les autres par sa couleur verte, due à l'apparition dans son protoplasma d’une foule de petits granules colorés. Cette cellule se multiplie rapidement, et donne par conséquent naissance à une masse de cellules vertes, à la- quelle je laisserai ce nom de masse verte pour ne rien préjuger sur sa valeur physiologique. On voit déjà qu'il s’agit du testi- 26 É. CLAPARÈDE. cule,selon M. Balbiani (1), du vitellus secondaire, selon M. Meez- nikow. À cette même époque de la vie’ embryonnaire, on voit se détacher de la protubérance blastodermique, et se loger à côté de la masse verte, un groupe de cellules qui constituera désor- mais le hlastogène, soit pseudovarium, comme M. Mecznikow et M. Balbiani l'ont constaté tous deux. Je passe rapidement sur ces phases remarquables d’organo- genèse, parce que, à quelques détails près, elles ont été repré- sentées d'une manière assez semblable par les deux savants qui m'ont conduit à prendre la plume ; mais c’est ici qu'il convient de s’arrèter à quelques détails d’histologie, puisque M. Balbiani a élevé sur eux sa théorie séduisante mais, je le crois, radicale- ment fausse, de l’hermaphrodisme des Pucerons. Selon M. Balbiani, les cellules de l'organe en question, une fois pénétrées des fines granulations qui leur donnent la colora- üon verte, engendrent dans leur intérieur une multitude de petites cellules-filles, pâles, pourvues d’une membrane et d’un noyau qu'il envisage comme les cellules de développement des éléments spermatiques. Elles seraient, en effet, bientôt rempla- cées par d'innombrables petits corpuscules foncés, larges de 0"",001 à 0"",002, qui, sous de forts grossissements, apparai- traient « comme de très-petites Amibes »; mais, ajoute l’auteur, «leur forme ne parait pas changer sous le microscope ». « Les » cellules-mères, continue M. Balbiani, ont perdu alors leur » transparence et leur couleur verte ; ellessont devenues opaques » et brunâtres, et se désagrégent facilement, en se résolvant en » unesorte de poussière après la destruction de leur membrane » d'enveloppe. Chez plusieurs Aphides, ces corpuscules ami- » boïdes subissent un degré d'évolution de plus par leur trans- » formation en de petits bâtonnets inégaux, droits ou diverse- » ment flexueux, immobiles et incolores, longs de 0"",005 à » 0°",020. On serait facilement enclin à les prendre pour une (4) M. Balbiani fait naître à proprement parler cette masse verte, non de la protu- bérance blastodermique, mais du processus cylindrique que j'ai dit ne jouer aucun rôle actif dans le développement de l’œuf. Je ne crois pas pouvoir lui donner raison sur ce point. REPRODUCTION DES PUCERONS. 97 » production végétale parasitaire, si l'on n'avait pas sous les veux » toutes les phases successives de la transformation de ces élé- » ments.» (Balbiani, loc. cit., p. 548 et 559.) Ces observations, et l'interprétation qui les accompagne, ont une importance capitale. Elles forment la pierre de l'angle de la théorie de M. Balbiani. Si nous parcourons le mémoire, du reste si Consciencieux, si circonstancié, de M. Mecznikow, nous ne trouvons, sur ces phénomènes, pas un seul mot. C’est une phase essentielle du développement qui lui aurait entièrement échappé. Voyons ce que nous apprend à cet égard l’Aphis de la rose. Les cellules de la masse verte, dont les limites sont toujours bien distinctes, présentent chacune un nueléus circulaire, clair, large de 0"*,01 et muni d’un nucléole. Elles engendrent dans leur intérieur un grand nombre de globules sphériques, homo- gènes, entre lesquels on distingue une foule de granules extré- mement fins. Ces globules sphériques sont les prétendues cel- lules-filles de M. Balbiani. Mais tout d’abord, je pense devoir leur dénier entièrement ce nom. M. Balbiani leur attribue, il est vrai, un nucléus. Toutefois, il semble qu'à ses veux tout granule soit digne de ce nom. Examinés de toutes les manières, avec les meilleures lentilles de MM. Smith et Beck, et à l’aide des objectifs à immersion de M. Hartnack, ces globules ne m'ont rien laissé apercevoir qui, de près ou de loin, ressemblât à un noyau, dans le sens histologique de ce mot. Supposé même que, entrant dans les vues de M. Balbiani, on accorde le nom et la valeur de cellules-filles aux globules en question, on sera bien loin encore de la théorie de l'hermaphro- disme, car les métamorphoses que leur fait subir ce savant ne sauraient être considérées comme des phénomènes normaux. La masse verte ne disparaît en effet nullement et persiste avec tous ses caractères, bien longtemps après que dans l'intérieur de l'embryon une nouvelle génération d’embryons a commencé son développement: bien plus, comme M. Mecznikow l’a du reste montré, elle persiste toute la vie durant à côté du corps grais- seux. Ce premier point, savoir la persistance de la masse verte, 28 É. CLAPARÈDE. établi contradictoirement à la description de M. Balbiani, je me vois obligé de contester entièrement l'exactitude de tout ce qui a rapport à la formation des éléments spermatiques. Le récit de M. Balbiani est d’ailleurs obscur, en contradiction avec lui- même. En effet, cet observateur nous apprend que les cellules- filles sont bientôt remplacées par d'innombrables corpuscules qui apparaissent comme de très-petites Amibes ; mais leur forme, ajoute-t-il, ne paraît pas changer sous le microscope. Or, y a-t-il rien de caractéristique chez les Amibes, en outre de la motilité ? Le mode de mouvement seul distingue un corps amiboïde d’une gouttelette de substance albumimeuse. M. Balbiani, préoccupé de l'idée de rencontrer des Zoospermes chez les Pucerons, n'a-t-il pas songé que chez quelques animaux, certains vers Nématoïdes par exemple, les éléments spermatiques ont une forme qu'on à désignée sous le nom d’amiboïde? S'il en est ainsi, il à oublié que le mode de mouvement seul avait fait appliquer à ces Zoospermes une telle épithete. D'ailleurs, je le répète, la prétendue disparition de la masse verte, sur laquelle M. Balbiani insiste tellement afin de rendre probable son rôle de testicule, n’a point lieu. Les cellules vertes persistent, chacune gardant son nucléus et conservant dans son intérieur les globules sphériques, sans que ceux-ci se trans- forment en éléments amiboïdes, ni bacilliformes, C’est ce dont on peut s'assurer simultanément aux différentes générations emboîtées les unes dans les autres. Ce point essentiel peut être facilement contrôlé par chacun, et quiconque en voudra prendre la peine verra se dissiper à cet égard tout doute dans son esprit. Mais comment expliquer le récit de M. Balbiant, ear il s'agit ici, non pas seulement d’une question «interprétation, mais encore d’une question de fait. Je pense que M. Balbiant lui- même nous en fournit le moyen lorsqu'il nous dit qu'il aurait cru au premier abord avoir à faire à des organismes végétaux parasitaires. Cette première impression était sans doute une inspiration dans le sens théologique du mot. Un état morbide des individus étudiés par M. Balbiani peut seul rendre compte des différences capitales qui séparent cette partie de ses observa- REPRODUCTION DES PUCERONS. 2Q tions des phénomènes normaux. À ce propos, il n'est pas sans intérêt de remarquer qu'à Naples, tout au moins l'Aphis de la rose et surtout ses pseudovarium, sont infestés de Mucédinées parasites. Le rôle de vitellus secondaire, que M. Mecznikow attribue à la masse verte, est dans tous les cas plus vraisemblable que celui du testicule. Cet organe peut fort bien servir de magasin de sub- stance assimilable une fois le vitellus primaire résorbé. Les ana- logies de la masse verte avec un vitellus, soit pour l'apparence, soit pour la position, sont dans tous les cas si grandes que M. Huxley l'a prise pour un véritable vitellus. Une objection contre cette manière de voir pourrait être tirée de ce que l’or- gane en question existe non-seulement pendant la période embryonnaire, mais encore toute la vie durant, Toutefois, il faut bien remarquer que son importance relative diminue gra- duellement avec l’âge, et que l’objection perd par suite beau- coup de son poids. En résumé donc, la théorie de l’hermaphrodisme des Puce- rons ne me parait reposer sur aucune base solide, et l'opinion générale qui voit dans le mode de reproduction le plus habituel des Aphides un cas d’agamogénésie est seule vraie. Je n'ai du reste point la prétention de revendiquer par cette note aucun titre scientifique concernant l’embryogénie des Pucerons. Ceux qui ont repris l'étude de ces singuliers phénomènes au point où M. Huxley l'avait laissée, et qui l'ont fait progresser d’une ma- nière remarquable, sont aujourd’hui MM. Mecznikow et Bal-: biani seuls. Si j'ai pris la plume, c’est qu'il existait, entre ces deux observateurs, des divergences si considérables sur un point, il est vrai fondamental, qu'il était urgent de contrôler leurs observations. Mais je sens parfaitement que si je contribue, par ces lignes, à bannir de la science une erreur, je n’introduis cependant aucun fait nouveau. Je laisse en définitive les choses au point où M. Mecznikow les a conduites. 99 BALBIANI. REMARQUE SUR LA NOTE PRÉCÉDENTE, PAR M. BALBIANI. Bien que M. Milne Edwards ait eu l’obligeance de me com- muniquer la note qu'on vient de lire avant son insertion dans les Annales, je ne crois cependant pas devoir répondre en ce mo- ment aux objections que l'auteur cherche à élever contre mon interprétation du mode de reproduction des Pucerons vivipares, ui à quelques allégations toutes gratuites que renferme son tra- vail. Je crois que cette réponse sera mieux placée dans le mé- moire, accompagné de planches, que je me propose de publier prochainement sur la génération des Aphides. Il n’est qu'un seul point de la Note de M. Claparède que je tiens essentiellement à relever ici, c’est celui relatif à la priorité qu'il paraît revendiquer en faveur de M. Mecznikow pour tous les faits sur lesquels nos observations présentent un accord plus ou moins complet. Il est positif que M. Mecznikow a publié, trois mois avant mes- communications à l’Académie des sciences, quelques recherches sur l’embryogénie des Hémiptères qui ont paru sous forme de notice préliminaire dans le Journal de zoologie de MM. Siebold et Kôlliker. Mais dans ce travail, qui comprend en tout quatre pages du journal en question, l'auteur consacre un peu plus d’une page seulement au développement des Aphides, et il y omet la plupart des faits les plus caractéristiques de l'embryogériie de ces Insectes. Il est vrai que dans un mémoire subséquent, publié dix mois après sa précédente notice (décembre 1866), et six mois après mes diverses communications à l'Institut sur le même sujet, M. Mecznikow en donne une description plus détaillée, et rectifie quelques-unes de ses précédentes observations ; mais il est difficilement admissible que, dans l'intervalle, il n’ait pas connu mes propres recherches, publiées en juin 1866 dans les Comptes rendus de l’Académie, et cependant il n’en est fait au- cune mention dans le dernier mémoire de M. Mecznikow. M. Claparède, qui veut bien m'excuser de n'avoir pas mentionné la première publication de M. Mecznikow, eût fait acte de justice REMARQUE SUR LA NOTE DE M. CLAPARÉDE. ol en reconnaissant que ce savant avait bien moins de raisons pour ne pas citer un travail paru six mois avant le sien (À). Pour ce qui est du reproche que m'adresse M. Claparède d’avoir introduit de la confusion dans le langage histologique, je crois n'avoir en rien contribué à augmenter celle qui y règne déjà, notamment en ce qui concerne la définition, autrefois si nette et si précise, que nous possédons du mot cellule. Malgré l’acception assez arbitraire que chacun peut donner aujourd'hui à ce terme, je n'ai pas eu la hardiesse de l’étendre jusqu’à dési- gner ainsi éout ce qui a une forme quelconque, comme M. Clapa- rède m'en accuse dans sa note. Si j'ai cru devoir qualifier de cellules les éléments histologiques que J'avais sous les yeux, c’est que j'avais constaté chez ceux-ci au moins les deux parties composantes reconnues aujourd'hui comme strictement néces- saires pour caractériser une cellule, d’après les travaux récents de MM. Max Schultze, Brücke, Häckel et autres, c’est-à-dire un nucléus etune masse protoplasmatique. M. Claparède, qui ne veut y voir que des globules, ne mentionne nulle part s'il a cherché à s'éclairer par l'emploi des réactifs: je ne doute pas qu'une goutte d'acide acétique l'eût bien mieux servi que les objectifs de MM. Smith et Beck et les lentilles à immersion de M. Hartnack. Je ne puis que regretter que mes recherches n'aient pas recu la confirmation d’un observateur aussi distingué que l’est M. Cla- parède, qui a pris la peine de les contrôler. Peut-être la faute en est-elle à ce que je les ai présentées avec des détails insuffisants, et surtout à ce que j'ai omis de parler des moyens que j'ai em- ployés pour la constatation de faits pour la plupart d’une obser- vation délicate et minutieuse. Ce sont des lacunes que je m’ef- forcerai de combler dans un travail plus circonstancié sur le même sujet. (4) Quant à mon mémoire publié dans le numéro de septembre-octobre 1866 du Journal d'anatomie et de physiologie de M. Ch. Robin, et que M. Claparède men- tionne dans sa Note, il n’est que la reproduction presque liltéralé de mes diverses communications à l'Académie des sciences. ÉTUDE SUR LA FAUNE DONT LES RESTES ONT ÉTÉ ENFOUIS À PIKERMI (ArriQue). Par M. Albert GAUDRY (1). S 1. On ne rencontre aujourd'hui dans aucune contrée un rassemblement d'animaux gigantesques comparable à celui de Pikermi. L'Attique a dû subir de grands changements dans sa configu- ration, depuis l’époque où ont vécu les animaux dont les restes sont accumulés à Pikermi. Ce n’est aujourd’hui qu'un lambeau de terre montagneux, long de vingt lieues sur dix de large. Que ce lambeau ait vu briller les plus beaux génies de l'antiquité, cela ne saurait surprendre; mais les Quadrupèdes des âges géologiques ont exigé de plus vastes espaces ; ils ont trop de ressemblance avec les espèces des déserts africains pour que leur existence ait été possible en Grèce dans des conditions analogues aux conditions actuelles. Sans doute, autrefois les régions que recouvrent les flots de l’Archipel étaient des plaines sans limites qui unissaient l'Europe à l'Asie (2). Les paysages étaient animés par les Mammiféresles plus variés : ici des Rhinocéros à deux cornes et d'énormes Sangliers; là des (4) On a publié, dans les Annales (4° série, t. XV, p. 117 et p.158, 1861), les principaux résultats des fouilles paléontologiques qui ont été faites à Pikermi, en 1855-56 et 1860. L'auteur de ces recherches, après avoir donné la description des animaux qui ont composé l’ancienne faune de l’Atlique, a essayé de présenter quelques considérations sur l’ensemble de cette faune. (2) Les observations géologiques faites autour de l’Archipel appuient cette hypothèse. FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 39 Singes et des Carnassiers de la famille des Civettes, des Martes et des Chats ; les antres de marbre du Pentélique servaient d’habi- tation aux Hyènes; de même que les Couaggas et les Zèbres d'Afrique, les Hipparions couraient en troupes immenses dans les plaines. Non moius rapides qu'eux et plus élégantes encore, les Antilopes composaient également de nombreuses bandes. Chaque troupeau d'espèce différente se reconnaissait à la forme des cornes : celles du Palæoreus se tournaient en spirale, comme chez le Canna du Cap; celles des Antidorcas se courbaient ainsi que les branches d’une lyre ; elles étaient longues et arquées chez les Palæoryx ; sur d’autres Antilopes, elles étaient pareilles aux cornes des Gazelles, et sur les Tragocerus elles simulaient la dis- position propre aux Chèvres; le Palæotragus se distinguait par ses proportions grêles et sa tête étroite, dont les cornes étaient posées sur les yeux. À côté de l’Æelladotherium et d’une Girafe voisine de la Girafe actuelle, on voyait l'Édenté aux doigts cro- chus, que j'ai proposé d'appeler Ancylotherium, le Mastodonte à dents tapiroïdes, le Mastodonte à dents mamelonnées et le Dinotherium. Aucune région de la terre n’offre plus un tel spectacle. On va s'en convaincre en jetant un regard sur les faunes actuelles. En Amérique, près des forêts vierges où le règne végétal a tant de majesté, on aurait dû s'attendre à trouver l'apogée du règne ani- mal; cependant les Quadrupèdes y sont moins grands que sur l’ancien continent. Dans la Nouvelle-Hollande, ils sont encore plus petits. En Europe et dans le centre de l'Asie, resserrés entre la civilisation des pays tempérés et les glaces du Nord, ils se sont amoindris. C’est, dans l'Inde, et surtout en Afrique, que vivent aujourd'hui les plus puissants Mammifores. Les voyageurs (1) affirment que, sur plusieurs points, ils sont en nombre prodi- gieux. Ainsi Delegorgue, dans les récits de ses explorations en (1) On à supposé que l’ardente imagination de ces hommes courageux avait pu léur frire exagérer quelques traits des tableaux du monde sauvage; pourtant on doit s'ap- puyer sur leur témoignage, jusqu’au jour où l’intérieur de l'Afrique australe aura été exploré par des naturalistes spéciaux, comme l'Amérique du Sud l'a été par de Hum- boldt, Auguste de Saint-Hilaire, d'Orbigny, M. Claude Gay, etc. 9° série, ZooL.T. VIL. /Cahier n° 4.) 3 3 BJI GAUDRY. Afrique, décrit un lac où habitait une troupe de cent Hippopo- tames (1), et un espace, dont le diamètre n’avait que trois milles, où plus de siæ cents Éléphants s'étaient réunis (2). 11 rencontra une fois trois ou quatre cents Cynhyènes (3), une autre fois des bandes de quatre à cinq cents Couaggas (4). Livingstone a écrit qu’on a souvent vu passer des troupes de plus de quarante mille Euchores (5). Il a fait plusieurs peintures du monde sauvage ; voici notamment celle d’une descente de montagne (6) : « Des centaines de Zèbres et de Buffles paissent au milieu des clairières ; de nombreux Éléphants pdturent et ne paraissent mouvoir que leurs trompes. Je voudrais étre à même de photographier ce tableau, qui disparaîtra devant les armes à feu et s'effacera de la terre avant que personne l'ait contemplé. T'ous les animaux sont d'une extréme confiance... Les Éléphants, arrétés sous les arbres, s’éventent de leurs larges oreilles, comme si nous n'étions pas à deux cents mètres de l'endroit où ils se trouvent ; de grands Sangliers fauves (Potamochæœrus) nous regardent avec surprise, et leur nombre est immense. La quantité d'animaux qui couvre la plaine tient du prodige ; il me semble être à l’époque où le Megatherium paissail tranquillement au sein des forêts primitives. » Si magnifiques que soient ces tableaux, la Grèce antique en offrit de plus majestueux encore. En effet, tandis que l'Afrique entière possède une seule espèce d'Éléphant, on a vu à Pikermi deux espèces de Mastodontes qui représentent des types très-dif- férents, et le Dinotherium, le plus gigantesque de tous les Qua- drupèdes. L'Afrique n’a qu’une espèce de Girafe ; l'Attique avait une Girafe, un animal plus haut qu'aucune des Antilopes vi- vantes, et l’Helladotherium, moins élevé sur ses jambes que la Girafe, mais bien plus massif. La nature actuelle n’a pas de Ruminant comparable à l’Æelladotherium : le Chameau est beau- (1) Delegorgue, Voyage dans l'Afrique australe, de 1838:42, vol. IL, p. 443. (2) Mème ouvrage, vol: I, p. 490. (3) Même ouvrage, vol. IL, p. 395. (4) Même ouvrage; vol. Il, p. 46. (5) Livingstone, Explorations dans l’intérieur de l'Afrique australe, p. 118. Traduit de l'anglais par madame Loreau, in-8°, 1859. (6) Méme ouvrage, p. 629. FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 35 coup moins fort. Il n’y a en Afrique qu’un type de Rhinocéros, celui qui est caractérisé par des incisives rudimentaires, au lieu que Pikermi renferme à la fois des Rhinocéros du type africain, du type asiatique, et peut-être le genre voisin des Rhinocéros auquel on a donné le nom d’Acerotherium. Le Chalicotherium, que l’on croit avoir retrouvé en Grèce, n’a plus d’analogue vivant. Le crâne du Sanglier d’Erymanthe à un tiers de plus que celui du Sanglier ordinaire, et ce dernier, dit-on, surpasse le Phacochère et le Sanglier à masque de l'Afrique australe (4). L'Oryctérope, le plus grand Édenté de l’ancien continent, est un être chétif auprès de l’Ancylotherium. Enfin, un des Carnassiers de lAttique l'emporte sur le Lion, et un autre sur la Panthère. Parce qu'on n’a pas découvert des animaux aquatiques tels que les Hippopotames, les Lamantins et les Crocodiles, si abon- dants en Afrique, on n’est pas en droit de nier leur existence en Grèce, à l’époque où vivaient les Mammifères dont j'ai décrit les restes : le dépôt de Pikermi a été le résultat d’une formation essentiellement terrestre ; les limons qui renferment les osse- ments sont descendus de hauteurs où il ne pouvait y avoir des masses d’eau assez vastes pour être fréquentées par de puissants Vertébrés. . L'absence de Singes anthropomorphes ne prouve pas davan- tage que la faune de l'Europe orientale n’en comptait point ; le Gorille, selon Du Chaillu (2), habite de silencieuses forêts où l’on ne rencontre guère d'autres Quadrupèdes. « Qui sait, dit ce voyageur en parlant de la région des Mbondémos, si ce n’est pas le Gorille qui a chassé le Lion du pays où nous nous trouvons ? car ce roi des animaux, si répandu dans les autres contrées de l'Afrique, ne se montre jamais sur les domaines du Gorille. » Il y à donc eu dans l’Attique plus d'espèces de grands Mammi- fères que sur aucun point du monde actuel. Quant au nombre des individus qui représentaient chaque espèce, je n’ai aueun (1) Delegorgue, ouvr. cité, vol. I, p. 543. (2) Du Chaillu, Voyages et aventures dans l'Afrique équatoriale, édition française; p. 133. Paris; 1863. d6 GAUDRY. moyen de le fixer, mais il n’est point probable qu'il fût moindre que de nos jours. En effet, malgré la multitude des animaux observés dans plusieurs parties de l'Afrique, on n'y pourrait trouver sur un espace égal à celui où j'ai fait mes fouilles une agglomération d'individus plus considérable. Cet espace, comme je l'ai dit, avait trois cents pas de long sur soixante de large; quoique mes excavations aient été entreprises sur une vaste échelle, ce que J'ai creusé est peu de chose, comparativement à l’ensemble des limons fossilifères. C'était un spectacle étrange que celui de la profusion et de l'enchevêtrement desos qu'un coup de mine bieu réussi mettait quelquefois à découvert. Si je rap- pelle que j'ai rapporté 1900 morceaux d'Hipparions, plus de 700 de Rhinocéros, 500 de Tragocerus, ete., on comprendra que j'aie dû laisser sur place, lors de mon derrier voyage, les pièces communes dont l'exploitation retardait la découverte des objets rares, de telke sorte quele nombre des débris qui ont passé sous mes yeux est encore bien supérieur à celui des échantillons de ma collection. $ 2. Comparaison du nombre des grands Mammifères à Pikermi ct dans les principaux gisements de fossiles. Après avoir mis la faune éteinte de la Grèce en parallèle avec les faunes des tenrps modernes, je vais la comparer avec celles des âges anciens qui se font remarquer par la taille gigantesque de leurs Mammifères. La colline de Sansan, le gisement de la France le plus riche en Vertébrés fossiles, renferme autant d'espèces de Probosci- diens et de puissants Pachydermes que Pikermi; mais on n’y a trouvé ni Félidé tel que le Machairodus cultridens, ni Hellado- therium, ni Girafe ; les Ruminants qu'on en a extraits égalent à peine certaines Antilopes de l'Attique ; le curieux Édenté que M. Lartet a signalé sous le nom de Macrotherium est moins grand que l'Ancylotherium. Ncn loin de Sansan, à Simorre, les Rhinocéros, les Masto- FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 37 dontes, les Dinotherium, abondent ; on n'y voit pas de gros Ruminants. Les Mammifères des conglomérats volcaniques du Velay et de l'Auvergne sont plus forts que ceux des calcaires lacustres, mais ils n'égalent pas les espèces de Pikermi ; il n'y a parmi eux ni Dinotherium, n1 Ruminants analogues à l’Helladotherium ou à la Girafe ; les Sangliers sont faibles auprès du Sanglier d'Ery- manthe ; les Rhinocéros ne sont pas nombreux ; l'Édenté cité par M. Aymard est bien moindre que l'Aneylotherium. Toutefois les Carnassiers eurent dans le Velay un remarquable développe- ment ; on a découvert une Hyène qui surpasse toutes les espèces connues, et des Félidés très-redoutables. Je ne seras pas étonné, d'après une courte inspection faite sur les lieux, que le gite de Cucuron (Vaucluse) devint un jour pour la paléontologie une mine aussi féconde que l’Attique ; il a encore été peu exploré. La localité d'Eppelsherm, dans la Hesse-Darmstadt, est juste ment célèbre par la réunion de ses Mammifères fossiles : comme en Grèce, on y trouve le Machairodus cultridens, un Edenté, un Chalicotherium et des Dinotherium ; les Sangliers atteignent des dimensions plus considérables qu'à Pikermi ; M. Kaup a décrit un Tapir qui dépasse toutes les espèces connues ; un fémur in- dique un grand Singe, au lieu que les Singes de la Grèce furent de petite taille. Mais à Eppelsheim, l’ordre des Ruminants a une singulière Infériorité ; le principal représentant de cet ordre a la taille du Cerf commun de France ; il n’y a qu’une espèce de Mastodonte, et les Rhinocéros proprement dits se rapportent à un seul type, le type asiatique. Le savant professeur de Vienne, M. Suess a fait connaître le gisement de Baltavar, dans le comitat d'Eisenburg (Hongrie) ; peut-être y découvrira-t-on autant de puissants animaux qu'à Pikermi. Enfin, dans les terrains quaternaires d'Angleterre, d’Alle- magne et surtout de Sibérie, les os, quelquefois accumulés en prodigieuse quantité, appartiennent à des espèces moins nom- breuses que les échantillons de l’Attique. 38 GAUDRY. Ainsi, aucun gisement de l’Europe et du nord de l'Asie ne renferme plus d'espèces de fossiles gigantesques que Pikermi ; cette localité l'emporte même sur les autres par ses Rumi- nants (1). Cependant on ‘va voir que l'Inde a surpassé la Grèce (2). Les animaux des collines Séwalik, au pied de l'Himalaya, présentent la plus belle association qui se puisse imaginer ; leur multitude égale leur grandeur : « Concevez ma bonne fortune, écrivait Falconer lors de ses premières découvertes, en six heures j'ai recueilli plus de trois cents échantillons d'os fossiles (3). » Les collines Séwalik ont fourni le Sivatherium et le même Hel- ladotherium qui vécut à Pikermi; on n’en à extrait qu’une espèce de Mastodonte, et le Dinotherium manque ; en compen- sation, M. Falconer a distingué cinq espèces d’Éléphants, un grand Crocodile et le Colossochelys. C’est aussi dans les collines au sud de l'Himalaya, près de Sutley, que MM. Baker et Durand ont découvert un Singe de la taille d’un Orang-Outan. Quant aux carnivores, sauf l’Æyœænarctos, ils sont plus petits que ceux le Pikermi ; on n’a pas non plus signalé d'Édenté analogue à l’Ancylotherium. Outre les monts Séwalik, diverses parties de l'Inde ont pro- curé des débris de Vertébrés. Dans l’île de Périm (golfe de Cambay), on a rencontré un Dinotherium, une espèce ou deux de Mastodontes, un Éléphant, le Bramatherium dont la taille était la même que celle de l’Æelladotherium, une Girafe, le Colossochelys, etc. Les autres gisements ont été moins pro- ductifs. Dans l'Amérique du Nord, la région du Nebraska contient de curieuses séries de Mammifères qui ont vécu, les uns, durant la (1) A Cucuron, on a les indices de l'existence d’un grand Ruminant. (2) J'ai déjà mentionné la plupart des publications qui ont été faites sur les animaux fossiles de l'Inde On trouvera en outre l'indication de presque tous ces animaux dans un travail de MM. Falconer et Walker, intitulé: Descriptive Catalogue of the Fossil Remains of Vertebrata from the Sewalik hills, the Nerbudda, Perim Island, m-8. Calcutta, 1859. (3) Falconer, Lettre à la Société asiatique, datée de Mussooree, 3 janvier 4835 (Journ. of the Asiat, Soc. of Bengal, vol. IV, p. 57, 1835). FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 39 période miocène (1), les autres pendant la dernière époque ter- tiaire (2) : on a retiré des terres glacées qui bordent la baie d'Eschscholtz (3) et des marais salés du Kentucky, appelés Big-Bone-Lick (4), une multitude de fossiles quaternaires; des restes d'Éléphants, de Mastodontes, de Megalonyæ, de Mega- therium et de Mylodon, ont été trouvés dans plusieurs autres lieux. Pourtant on n’a pas observé sur un même point de l'Amé- rique du Nord la même variété de gros Quadrupèdes que dans l'Amérique du Sud. | Cette dernière contrée renferme des gisements d'une singu- lière richesse (5); il faut citer surtout les couches de Tarija en Bolivie, le terrain pampéen de Patagonie, celui de Buenos- Ayres et les cavernes du Brésil, Ce sont les cavernes du Brésil qui ont fourni le plus d’espèces, mais c’est à Buenos-Ayres que sont rassemblés les plus grands animaux : on y à indiqué un Mastodonte, deux Pachydermes (le Toæodon et le Macrauchenia) qui avaient à peu près la taille des Rhinocéros, un Machai- rodus qui surpassait celui de Pikermi, et des Édentés tels que le Mylodon, le Lestodon, le Scelidotherium, le Megatherium, le Glyptodon. M est difficile de comparer des faunes aussi diffé- rentes que celles de Buenos-Ayres et de la Grèce, puisque dans la première les Édentés dominent, au lieu que la seconde compte une seule espèce d’Édenté ; on peut dire seulement que les fos- siles de Buenos-Ayres sont presque aussi gigantesques que ceux de Pikermi. Si, en faisant cette remarque, on réfléchit que les Mammifères vivants de l’Amérique du Sud sont inférieurs à ceux (1) Leidy, The ancient Fauna of Nebraska, or a Description of extinct Mammalia and Chelonia from the Mauvaises Terres of Nebraska, in-4°, New-York, 1853. (2) Leidy, Notices of some Remains of extinct Mammalia recently discovered by D' Hayden in the Bad Lands of Nebraska (Proceed. of the Acad. of Nat. Soc. of Phila- delphia, vol. VIIL, p. 59 et 311, 1857). — Notice of Remaïns of extinct Vertebrata from the valley of Niobrara river (Même recueil, p. 20, 1858). (3) The Zoology of the Voyage of H. M. S. Herald, under the command of Captain Henry Kellett : Fossil Mammals, by sir John Richardson, in-4°. London, 1852. (4) Lyell, Travels in North America, with Geological Observations on the United States, Canada and Nova Scotia, in-8°, vol. Il, p. 65. London, 1846. (5) Cuvier, Lund, MM. Owen, Gervais, Nodot, ont fait d'importantes publications sur ces fossiles. h0 GAUDRY. de l’Asie et même de l'Europe, on voit que, depuis les temps géologiques, ils ont éprouvé une diminution de taille plus sen- sible que ceux-ci. Quant à la Nouvelle-Hollande, on y observé encore plus de disproportion qu'en Amérique entre la dimension des animaux actuels et celle des animaux anciens ; rien à présent n’y pour- rait donner l'idée des Didelphes proboscidiens tels que le Diprotodon et le Nolotherium, ou du Didelphe carnivore appelé T'hylacoleo. Cependant ces Quadrupèdes, qui montrent le type des Marsupiaux dans son plus beau développement, sont loin d’égaler les Monodelphes ensevelis dans les couches de la Grèce. La conséquence de ces réflexions, c’est que, dans le monde entier, les Mammifères d'aujourd'hui sont les représentants amoindris des types qui s’'épanouirent pendant les âges passés. II serait peut-être imprudent d'ajouter qu'autrefois, comme main - tenant, les Quadrupèdes eurent dans l'ancien continent des di- mensions plus considérables qu’en Amérique et en Australie ; car les Mammiferes tertiaires de ces régions sont trop peu connus pour permettre d'affirmer qu'ils n’ont pas surpassé les espèces quaternaires. $ 3. On n’a pas trouvé à Pikermi ce qu'on peut appeler la petite faune. L'harmonie de la nature veut que la faune complète d’une contrée renferme, outre les grands Quadrupèdes, des êtres de taille ou de force moindre ; à côté des Lions et des Éléphants, il y a des animaux plus petits qui vivent de leurs restes ou qui ont recu, en compensation de leur faiblesse, des facultés au moyen desquelles ils parviennent là où les puissants Mammifères n’attei- gnent pas : leur ensemble constitue ce qu'on peut appeler la petite faune. On n’en a extrait en Grèce que de rares échantil- lons ; je n’ai pas découvert les points où leurs cadavres se sont déposés, bien que j'aie suivi les couches de limon ossifere de- puis leur origine sur le mont Pentélique jusqu’à la mer. Presque tous les débris d’Oiseaux de ma collection ont dû leur préserva- FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 1 tion à ce qu'ils étaient engagés dans les cavités des os et des crânes des grosses espèces; je n'ai apercu d’autres Reptiles que des Tortues de la taille des Tortues terrestres qui existent à pré- sent dans l'Attique, et une vertèbre semblable à celle d’un Varan d'un mètre et demi Ce long. Sauf la Promephitis et une Marte plus forte que la Fouine de nos pays, on n’a pas signalé de petits Carnassiers. Un seul Rongeur a été recueilli, c’est un Porc- Épic dont la dimension surpasse celle des Pores-Épies vivants. On n’a vu aucune trace de Chauve-Souris ou d’'Insectivore. Bien que le Singe de Grèce ne soit pas d’une grande espèce, c’est encore un animal considérable, comparativement à beaucoup de Mammifères de nos campagnes. Dans les gisements tels que Simorre, Eppelsheim et les col- lines Séwalik, remarquables par l'accumulation des Quadru- pèdes gigantesques, la petite faune manque également. La rai- son en est facile à comprendre; des os lourds ne peuvent en général être rassemblés sur un étroit espace, sans qu'ils aient été entraînés par un courant d’eau, et le courant assez fort pour les transporter ne dépose guère des pièces légères, comme celles des Oiseaux, des Rongeurs, des Insectivores, au mêine endroit où il laisse tomber celles des Mastodontes. Il résulte de à que les gisements dont les débris offrent le spectacle le plus grandiose, donnent rarement une idée complète des anciennes faunes. Au contraire, dans les calcaires palustres de Ronzon, qui ne contiennent pas les dépouilles de gros animaux, sauf l'En- telodon et l'Acerotherium, on voit, à côté des restes de Mam- mifères, ceux d'Oiseaux, de Reptiles, de Poissons, d’Insectes, de Crustacés, de Mollusques, d’Infusoires, de plautes : ainsi toutes les catégories du monde organique semblent y avoir recu rendez-vous pour nous apprendre l'histoire des généra- tions des temps géologiques. On rencontre à peu près une sem- blable variété de formes à Montmartre, où nul Quadrupède, à part le Palæotherium magnum, n'excède des dimensions moyennes. Cependant il n’en est point toujours de même : à Sansan, h2 GAUDRY. M. Lartet a trouvé les couches qui renferment surtout les grands os et celles qui recélent principalement les petites pièces ; leur catalogue paraît indiquer que, pendant l’époque tertiaire, le nombre total des espèces surpassait celui des espèces actuelles(1). Combien serait longue la liste des êtres qui vécurent à Pikermi, si aux puissants Quadrupèdes on pouvait ajouter les membres qui constituaient la petite faune! SA. De l'harmonie qui régna entre les Mammifères de l’ancienne Attique. Qu'est-il résulté de la coexistence de tant de bêtes gigan- tesques qui avaient besoin d’une prodigieuse quantité d'aliments, et disposaient d'une grande force pour se défendre? Un antago- nisme vital fut-il nécessaire ? Il faut voir d’abord ce qui dut se passer pour les Herbivores (j'entends ici par Herbivores les Mammifères qui se nourrissent des produits de la végétation). De nos jours, les animaux de même espèce se livrent de rudes assauts pour leurs amours: « Les mâles sauvages, dit Livingstone (2), n'obliennent la possession des femelles qu'après avoir vaincu leurs rivaux. Il n'en est pas qui ne portent les cicatrices des blessures reçues dans le combat. » Ces luttes sont utiles, puisque ainsi ce sont les plus vigoureux sujets qui perpétuent les races ; mais, en dehors des batailles d’amour, les Herbivores ont peu de sujets de querelles : ceux d'espèces distinctes vivent en bonne intelligence. Le Rhinocéros est celui dont le caractère passe pour le plus intraitable ; pourtant Dele- (1) Pendant l’époque ‘tertiaire, les flores aussi bien que les faunes de l’Europe ont été plus riches que de nos jours. Bronn dit que Parschlug, en Styrie, a fourni à M. Unger, dans deux couches assez minces, tant de plantes, que toutes les forêts réunies de la même province en donneraient à peine un nombre égal (Bronn, Sur les lois de la distribution des corps organisés fossiles). M. Gœppert à tiré 130 espèces d’arbres et d’arbrisseaux à Schossnitz, près de Canth, en Silésie, pendant que la Silésie entière, sur 700 milles carrés, n’en a que 110 espèces (Die tertiüre Flora von Schossnitz, in Schlesien, Gorlitz, 1835, in-4°). Les travaux de M. Heer ont montré que la flore et la faune entomologique d'ŒÆningen surpassent celles des temps actuels. (2) Livingstone, ouvr. cité, p. 619. FAUNE FOSSILE DE L’ATTIQUE. 13 gorgue assure qu'un étrange instinct le porte à attaquer unique- ment l'Homme ou ses auxiliaires, Chevaux, Chiens, Bœufs, et que, sauf dans les arènes où on l’excite, jamais il ne s’est battu contre un Éléphant. « Souvent, ajoute-t-il, j'aperçus l'espèce Rhinoceros simus mélée à des groupes d’Eléphants, au milieu des- quels elle semblait jouir de droits éqaux, comme si elle eût appar- tenu à la même famille (1). » Cette harmonie qui règne entre les Herbivores d'espèces diffé- rentes paraît tenir surtout au soin que l’auteur dela nature a pris de diversifier leur mode d'alimentation, Or, s’il est permis d’attri- buer aux êtres fossiles des habitudes analogues à celles des ani- maux qu'ils rappellent par leur dentition, on doit penser que le régime des Mammifères de Pikermi était aussi varié que celui des espèces actuelles. Par exemple, les Hipparions ont des dents presque semblables à celles desZèbres, des Dauws, des Couaggas ; j'en conclus qu'ils mangeaient comme eux l'herbe des prairies. Les Palæoryæ, les Palæoreas, les Tragocerus etles Gazella brevi- cornis ont à peu près la dentition des Gazelles vivantes (2) ; il est donc probable que leurs troupes paissaient près des Hippa- rions, de même qu'aujourd'hui les Gazelles paissent à côté des Couaggas. Si l’on se souvient de mes remarques sur l’Hellado- therium, on supposera que ce gros Ruminant se nourrissait aussi d'herbages. Au contraire, la Girafe de l’Attique broutait sans doute, comme la Girafe actuelle, les feuilles tendres des arbres ; il devait en être ainsi du Palæotragus, dont les molaires ont des rapports avec celles des Girafes, et qui, à en juger par la forme de son occipital, avait un long cou: cette espèce, étant plus petite, choisissait nécessairement les arbres de moindre hauteur, Les Rhinocéros de Grèce avaient tout à fait la dentition des Rhi-- nocéros d'Afrique, qui, au dire des voyageurs (3), s’arrangent pour leur nourriture de ce que bien d’autres Herbivores rejettent, ets’attaquent surtout aux buissons coriaces, si communs dans les pays secs et brülants, Le Sanglier d'Erymanthe était voisin des (1) Delegorgue, ouvr. cité, vol. IL, p. 430. (2) Sauf la présence des colonnettes interlobaires. (3) Delegorgue, ouvr. cité, vol. II, p. 428. hi GAUDRY. Sangliers qui, de nos jours, fouissent la terre pour déterrer les tubercules. Les Mastodontes devaient cueillir les fruits des arbres. Enfin les Singes pouvaient grimper sur les branches élevées pour croquer les fruits que la trompe des Mastodontes n'avait pas atteints. Ainsi, aucun trésor du règne végétal n’était perdu, et chaque tribu trouvait sa pâture sans avoir à envier le bien des tribus voisines. En voyant rassemblés à Pikermi des Dinotherium et deux espèces de Mastodontes, on ne peut s'empêcher d’être frappé de la quantité d'aliments que ces bêtes gigantesques ont dû con- sommer. Mais il faut d'abord remarquer qu'elles ne devaient point rechercher les mêmes parties des végétaux, car leurs dents sont différentes : dans une des espèces, les molaires se rappro- chent de celles des Cochons; dans les autres espèces, elles tendent davantage vers la disposition des Tapirs. En outre, les Proboscidiens vivants ne causent pas des ravages aussi considé- rables que leur taille pourrait le faire croire. « Dans Festima- lion, dit Livingstone (1), qu’on a faite de la quantité de nourriture nécessaire pour les grands animaux, on n’a pas apporté une atten- Lion suffisante au genre d'aliments ‘qu'ils choisissent. L'Éléphant, par exemple, est un mangeur des plus délicats. .…...; il affectionne les arbres qui contiennent beaucoup de matière saccharine, de mucilage et de gomme. On le voit secouer les palmyras pour en faire tomber les semences, qu'il ramasse et qu'il mange une à une ; ou bien on le trouve à côté du masuka ou d’autres arbres fruitiers dont il cueille patiemment les fruits, et toujours un à un. Il se nourrit aussi des bulbes et des tubercules de certaines plantes qu'il délerre..….. ; il recherche la qualité plutôt que la quantité des ali- ments. » Peut-être les Proboscidiens du vieux monde étaient aussi des mangeurs délicats recherchant la qualité plus que la quantilé. Passons à l'examen des Carnassiers. «Le Lion, a écrit Dele- gorgue (2), a une incontestable utilité : depuis les sources du Tou- (4) Livingstone, ouvr. cité, p. 619, (2) Delegorgue, ouvr. cité, vol, IT, p. 176. FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. LS guéla jusqu'au tropique du Capricorne, pas un Lion n’existe, et il est cerlain que les hordes de Gnous et de Couaggas, qui n’y sont déjà que trop nombreuses, vont se multiplier dans une effrayante proporhion. Je ne demande pas dix ans, et les peuples pasteurs n'y trouveront pas une pointe d'herbe pour leurs bestiaux. » Les Gazelles cuchores forment des bandes encore pi grandes que les Couaggas; il parait qu'à l’arrière-garde il y en a toujours qui, ne pouvant se procurer de nourriture, meurent ou sont d’une maigreur extrême (1). Cela montre que, si les Carnassiers ne modéraient le développement des Herbivores, un granu nombre de ceux-ci périraient par la faim. Il faut en outre con- sidérer que, tous les êtres étant destinés à la mort, il arrive un moment où ils sont exposés aux maladies; alors, lents à courir, se trouvant sans défense, ils deviennent une facile victime pour les bêtes de carnage : une prompte mort leur épargne de longues souffrances. Les Carnassiers, qui, on le voit, jouent dans l'économie de la nature un plus beau rôle qu’on ne le supposerait au premier abord, servirent, dans les temps anciens, comme aujourd’hui, à tempérer ce que la fécondité des Herbivores avait d’excessif. Ils ne furent pas assez nombreux pour transformer la Grèce en un théâtre de luttes, de déchirements universels ; leur déve- loppement ne parait pas avoir été en proportion de celui des Herbivores. Il y avait à Pikermi deux Mustélidés, la Promephitis et la dfarte du Pentélique, chargés sans doute, ainsi que le Putois et la Fouine de nos contrées, d'attaquer les Insectivores, les Rongeurs, les Oiseaux. On compte cinq espèces de Félidés ; mais on en possède si peu de débris, qu'une seule est suffisam- ment connue pour mériter un nom spécifique. Aucune n'était plus forte que les espèces vivantes, sauf le Machaïrodus ; encore celui-ci les surpassait à peine ; ses canines, armes {erribles, étaient nécessaires pour entamer le cuir épais des Pachydermes. Je pense que les Félidés ne troublaient point la tranquillité des principaux Herbivores, tels que les Dinotherium et les Masto- (1) Mème ouvrage, vol. I, p. 27. Là L6 GAUDRY. dontes ; car Livingstone a écrit : «Les Lions ne s’approchent jamais des Éléphants, si ce n’est des jeunes, qu’ils déchirent quel- quefois (1)... Rarement le Lion attaque un animal parvenu au terme de sa croissance (2). » Les autres Carnivores trouvés à Pikermi, le Simocyon, les Hyènes et l’Zctitherium, ont dû être moins sanguinaires que les Félidés ; leurs prémolaires épaisses ou leurs grosses tubercu- leuses font supposer qu'ils se nourrissaient principalement de chairs mortes et d'os. Comment douter de leur utilité ? Grâce à ces enleveurs de cadavres, la terre a toujours gardé son man- teau exempt de souillures. «L’Hyène, a-t-on dit (3), est au Lion ce que le Vautour est à l’Aïgle, elle nettoie les restes de son festin (h). » Ainsi, il n’y avait pas concurrence vitale, tout était harmonie, et Celui qui règle aujourd’hui la distribution des êtres vivants, la réglait de même dans les âges passés. $ 5. À quelle phase du développement progressif des êtres la faune de Pikermi correspond-elle ? Comme le savant Bronn l’a remarqué (5), lorsqu’au lieu de considérer quelques avant-coureurs ou des retardataires, on con- temple l’ensemble des êtres, on reconnaît qu'il y a eu progrès (6) (4) Livingstone, ouvr. cité, p. 162. (2) Livingstone dit que la vue seule du Rhinocéros met le Lion en fuite ; au con- traire, Delegorgue prétend que le Lion attaque les Buffles et les plus grands Rhëinoceros camus ; mais il reconnaît qu'il s'adresse seulement aux jeunes Éléphants (ouvr. cité, vol. II, p. 178). (3) Delegorgue, ouvr. cité, vol. IT, p: 370. (A) C’est une chose admirable que la rapidité avec laquelle disparaissent les parties des cadavres qui pourraient vicier l'air. Il y a douze ans, comme j'allais du Caire à Suez, je rencontrai dans le désert un Dromadaire qui se mourait; après trois jours, je repassai devant son corps: les Hyènes et lesVautours n’y avaient laissé aucun lambeau de chair. (5) Bronn, Essai d'une réponse à la question de prix proposée en 1850 par l’Acade- mie des sciences (Supplém. aux Compt: rend. de l’Acad. des se., vol. IL, p. 569, 1856). (6) Tous les êtres sont également parfaits en ce sens qu'ils sont constitués également FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. L7 dans le monde organique : les végétaux ont eu leur maximum de fécondité avant les animaux, les plantes sans fleurs ont été suivies par les plantes à fleurs; les êtres inférieurs se sont multi- pliés plus tôt que les Poissons, les Poissons plus tôt que les Reptiles, les Reptiles plus tôt que les Mammifères. Ces derniers semblent eux-mêmes avoir été perfectionnés peu à peu. Les plus anciens dont on ait jusqu'à présent retrouvé les traces ont dû jouer un rôle très-humble comparativement aux Reptiles secon- daires, qui ont été leurs contemporains. Marsupiaux pour la plupart, c’est-à-dire sortis du sein de leur mère dans un état imparfait, ils ont marqué une sorte d’intermédiaire entre les Ovipares et les Vivipares : à voir ces êtres chétifs, on ne peut présager la venue des gigantesques Quadrupèdes de Pikermi. Pendant la première époque tertiaire, les Mammifères se mul- tiplient; l'Europe compte encore des Marsupiaux carnivores ; les Marsupiaux herbivores l'ont quittée. Les grands Carnassiers sont rares, ce qui ne saurait étonner, car ils ne sont pas encore nécessaires pour modérer l'extension des Herbivores. Il y a quel- ques Chauves-Souris, des Rongeurs et des genres très-proches des Ruminants actuels. Pourtant ce sont les Pachydermes qui dominent : Lophiodon, Palæotherium, Dichobune, Anoplothe- rium, êtres mixtes dont les facultés ne sont pas encore bien tranchées ; jamais de taille gigantesque, mais d’une grandeur moyenne ; à dentition généralement omnivore, au lieu de n’être que frugivore ou herbivore, ou carnivore ; plus rapides que les Édentés, moins rapides que les Gazelles ; ayant plus de dexté- rité dans les pattes que les Coureurs tels que les Chevaux, moins de dextérité que les Carnassiers et les Rongeurs, plus d’in- telligence que certains Ruminants, moins d'intelligence que les Singes. Cette faune ne saurait se confondre avec celle de Pikermi. bien pour exercer les facultés qui leur ont été données ; mais ces facultés n’ont pas la même importance, et c'est pour l'indiquer que les naturalistes emploient les mots pro- grès; perfectionnement, animaux supérieurs et inférieurs. 11 est évident que les facultés d'un Chien l’emportent sur celles d’un Mollusque, et que le minéral, être purement passif, es au-dessous des êtres actifs: 8 ; GAUDRY. . L'époque miocène, dans ses commencements (1), eut de la ressemblance avec la précédente sous le rapport paléontolo- gique ; mais, vers son milieu (2), les types prirent de nouveaux aspects en se diversifiant. On sait que M. Milne Edwards (5), comparant le corps animal avec ses organes à un atelier com- posé d'ouvriers chargés d'emplois divers, a montré que sa per- fection est proportionnée à la division du travail physiologique. On pourrait dire de même que la perfection d'une faune est proportionnée à la division des travailleurs; car 1} est évident que, là où tout concourt à rendre tel animal plus fort, tel autre plus agile, tel autre plus solide sur ses pieds, tel autre plus adroit, la réunion de ces êtres, présentant chacun une faculté très- développée, produira un merveilleux ensemble. Or, le milieu de l'époque miocène fut le témoim de la division des travailleurs : ici parurent les Singes, qui sont les êtres les plus intelligents; là les Dinotherium, les plus gigantesques des Quadrupèdes; les Chats réalisèrent le type le plus parfait de l’ordre des Carnas- siers ; les Cerfs et les Antilopes, le type le plus parfait de l'ordre des Ruminants. La faune de cette époque a tant de ressemblance avec celle de Pikermi, qu'au premier abord on pourrait penser qu'elle n’est pas d’une plus grande ancienneté ; elle comprend également le Mastodon turicensis, les genres Marte, Machairo- dus, Acerotherium, Sanglier ; le Macrotherium de Sansan cor- respond à l’Ancylotherium ; les Amphicyon sont les équivalents du Simocyon ; le Rhinoceros sansaniensis est très-voisin du Rhi- noceros Schleiermacheri de Grèce. Si même on considérait que le Leptodon de Pikermi rappelle les animaux de la première époque tertiare, et que le Dryopithecus, découvert à Saint- (4) C'est l’époque qui vit se former les couches de Ronzon, et un peu plus tard celles des calcaires lacustres de l'Allier. (2) Alors se déposèrent les calcaires de Montabuzard, les graviers de l’Orléamais qui les recouvrent, les faluns dela Touraine, ainsi que les marnes de Sansan et les couches de Simorre. (3) H. Milne Edwards, Éléments de zoologie, 1834, p. 8. — Introduction à la zoologie générale, ou Considérations sur les tendances de la nature dans la constitution du règne animal, 1851, chap. IL, p. 35. — Leçons sur la physiologie et l'anatonrie comparée de l'Homme el des Animaux, vol. [, p. 16. FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. h9 Gaudens dans un terrain analogue à celui de Sansan, se rap- proche des grands Singes de l’époque actuelle, on serait disposé à croire la faune de l’Attique plus vieille que celle du miocène moyen. Mais à ces faits on peut opposer ceux qui suivent : le genre Hyène, commun à Pikermi, n’a encore été signalé que dans le miocène supérieur ; le Mastodon Pentelici est une forme intermédiaire entre le Mastodon angustidens du miocène moyen de Sansan et le Mastodon arvernensis du pliocène d'Auvergne ; le Rhinoceros pachygnathus diffère des espèces du premier et du second étage miocène, tandis qu'il ressemble aux Rhinocéros vivants ; l'Hipparion de Grèce est plus éloigné du Palæotherium éocène que des Chevaux actuels, au lieu que l'Anchitherium de Sansan et de l'Orléanais à plus de rapports avec les Palæothe- rium qu'avec les Chevaux ; enfin les Girafes et la multitude des Antilopes trouvées dans l’Attique annoncent la proximité des temps modernes. Ainsi l’âge auquel doit être attribuée la faune de Pikermi est, je pense, un peu plus récent que la seconde époque miocène, caractérisée par l’Anchitherium de Sansan et d'Orléans. D'autre part, 1l est plus ancien que l’époque pliocène, marquée en Europe par l’apparition des Éléphants. Quel nom assigner à cette phase mtermédiaire ? Faut-il l'appeler dernière époque miocène où première époque pliocène? Si l’on veut conserver le partage du terrain tertiaire en éocène, miocène, pliocène, il se- rait bon de ne pas donner trop d’inégalité à ces trois termes : pour cetie raison, J'aimerais appliquer à l’âge de la faune de Pikermi l'expression de pliocène inférieur plutôt que celle de miocène supérieur ; cependant, comme la plupart des géologues sont habitués à ranger les couches à Hipparions dans le terrain miocène, Je suivrai provisoirement leur exemple, de crainte d'introduire quelque confusion. Les noms, après tout, ne sont que des points de repère destinés à aider nos classifications : pour les naturalistes qui admetient le changement continu des formes paléontologiques, la division en terrains ou étages n'a plus l’im- portance qu'on lui attribuait autrefois. Les faunes fossiles de Baltavar, de Cucuron, d'Eppelshem ot série, Zooc. T. VIL. Cahier n° 1. # n 50 GAUDRY. appartiennent, comme celle de Pikermi, à une période intermé- diaire entre l'époque miocène et l’époque pliocène proprement dite. À Baltavar, M. Suess a découvert dans. une couche supé- rieure à celle où se rencontrent les fossiles du niveau de Sansan les mêmes espèces que dans l’Attique : l'Hyænictis grœæca, l’'Hyœæna eximia, le Machaïrodus cultridens, le Sus erymanthius, la Gazella brevicornis, l’Helladotherium Duvernoyi, Hipparion gracile, etc. Cucuron à fourni des débris d'espèces qui sont communes en Grèce : l’Zctitherium hipparionum, la Gazella brevicornis, le Tragocerus amaltheus (variété de petite taille) et l'Hipparion prostylum, très-proche de l'Hipparion gracie; en outre, on y à indiqué une Hyène, un Sanglier et un grand Rumi- nant, animaux encore à peine connus, qui sont peut-être voisins de ceux de Pikermi. Eppelsheim offre des différences un peu plus considérables : on n’y voit ni Antilopes, ni Ruminanis gigantesques; à part le Simocyon diaphorus, le Machairodus cultridens, l'Hipparion gracile, le Rhinoceros Schleiermacheri, les espèces ne sont pas identiques. Cependant la plupart des types sont les mêmes qu'à Pikermi : Chats, grand Édenté, Dinotherium, Mastodonte, Sangliers, Chalicotherium, A cero- therium. M. Virlet vient d'annoncer à la Société géologique de France qu'il a trouvé près de Bagnères de Bigorre des fossiles du miocène supérieur. Les gisements de Concud, près de Téruel en Espagne, des monts Séwalik et d’Ava, semblent aussi se rappor- ter à cette époque. Le développement des Mammifères, après avoir continué jusqu'à la période représentée par les faunes de Pikermi, d'Eppelsheim, de Concud, de Cucuron, de Baltavar, des collines Séwalik, d'Ava, s’est arrêté en Europe, et il y a eu diminution progressive : les animaux de l’époque pliocène furent moins puissants que ceux de la dernière époque miocène; il en fut de même de ceux de l’époque quaternaire, et enfin les Quadru- pèdes actuels n’égalent pas les Quadrupèdes quaternaires. En même temps, les espèces se rapprochèrent de plus en plus de celles qui vivent maintenant: par exemple, dans nos contrées, les terrains pliocènes proprement dits renferment des restes de FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 51 Chevaux (Vialette, près du Puy) et de Bœufs (val d’Arno), genres qui n'ont pas encore été mentionnés à Pikermi (1), et avec eux on ne trouve pas l’Zctitherium, le Dinotherium, le Leptodon, l'A cerotherium, Y Helladotherium dont les débris sont accumulés dans l’Attique. M. Pomel à constaté que, sauf le Machairodus et le Mastodonte, tous les Mammifères recueillis dans les terrains tertiaires supérieurs du centre de la France appartiennent à des genres qui existent aujourd’hui (2). Les faunes quaternaires et actuelles de l'Europe se séparent encore plus que la faune pliocène de celle de Pikermi. Duver- noy avait signalé en Grèce les restes de l'Ours des cavernes, de l'Éléphant fossile, du Rhinocéros à narines cloisonnées ; Wagner, de son côté, avait cité un Castor, le Glouton primitif, le Loup primitif, un Bœuf et une Chèvre. Ces indications, qui feraient supposer un climat froid et une faune mêlée d'espèces quater- naires, étaient basées sur l'examen d'échantillons incomplets; on a reconnu qu'elles étaient erronées, lorsqu'on a découvert de meilleures pièces. $ 6. Les espèces ont une longévité d'autant moins grande, qu’elles sont d’une classe plus élevée. Les remarques du paragraphe précédent contribuent à mettre en relief un des faits les plus curieux parmi ceux que la paléon- tologie a révélés : la mobilité des caractères dans les animaux supérieurs. Alors même que l’on compare des gisements où la plupart des types sont semblables, pour peu qu'il y ait de diffé- rence d'âge, on ne trouve qu'un très-petit nombre de formes parfaitement identiques : si l’on considère attentivement toutes les parties du squelette, onen verra quelques-unes présenter des différences égales à celles qui séparent les espèces vivantes. Aussi, chaque jour, la nomenclature des fossiles se charge de (1) En Asie, ils ont apparu plus tôt. (2) Pomel, Catalogue méthodique et descriptif des Vertébrés fossiles découverts dans le bassin supérieur de la Loire, et surtout dans la vallée de l Allier, p. 175, in-8, 1853. 92 GAUDRY. désignations nouvelles. Pikermi en à fourni un exemple : le Mésopithèque, la Alustela Pentelici, l'Ictitherium Orbignyi, l'Hyæna Chæretis, le Mastodon Pentelici, le Rhinoceros pachy- gnathus, le Leptodon, la Camelopardalis atlica, V'Orasius, le Palæotragus, le Palæoryæ, etc., ne sont connus que dans l'Attique. Quant aux autres espèces, plusieurs ont été citées à Baltavar, un petit nombre à Eppelsheim et à Cucuron ; aucune n'a été observée dans d’autres gisements, sauf l’Zctitheriwm robustum, le Mastodon turicensis, le Dinotherium, l'Hipparion, l’Acerotherium et l'Helladotherium ; nulle ne se confond avec les espèces de l’époque actuelle (1), du terrain quaternaire d'Europe, du terrain miocène inférieur, et à plus forte raison du terrain éocène. De même les fossiles de Sansan et de Simorre ressemblent aux espèces des dépôts de Fa Touraine et de la Chaux-de-Fond, qui sont synchroniques avec eux; mais ils ne sont pas identiques avec les espèces des terrains quaternaire, éocène ou même miocène Inférieur. Quand M. Aymard a étudié la faune de Ronzon, il a été étonné de son aspect spécial : « La majorité des fossiles, at-il dit, constitue des types génériques jusqu’à présent élrangers à d'autres contrées (2). » I est donc vrai que les êtres supérieurs ont duré peu de -emps ; la plupart de leurs espèces furent très-éphémères (3). Dans les classes inférieures, la longévité des formes a été plus considérable. M. Darwin (4), en explorant l'Amérique du (1) Le Rinoceros pachygnathus, comme je l'ai dit, est le seul pour lequel on puisse avoir des doutes. (2) M. Aymard (Congrès scientifique de France, 22° session tenue au Puy en sept. 1855, vol. I, p. 264) prétend que, sur 31 espèces extraites à Ronzon, 24 n'ont pas été recueillies ailleurs que dans ce gisement. (3) L'Elephas meridionalis a vécu pendant l'époque pliocène et la formation du forest- bed, Sans doute, les exemples de longévité se multiplieront, à mesure que nos con- naissances deviendront moins imparfaites ; mais, dans l’état actuel de la science, ils sont peu nombreux. (4) Darwin, Geological Observations on South America, being the third part of the Geology of the Voyage of the Beagle, under the command of Captain Fitzroy, in-8, p. 104, 1846. FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 53 Sud, vit des genres éteints de Mammifères, tels que le Mega- therium, le Megalonyæ, le Toæodon, associés avec des Mollusques qui habitent presque tous les mers contiguës. Dans l'Amérique du Nord, M. Lyell observa aussi des Mammifères d'espèce per- due réunis avec des Mollusques encore existant (1). Plus tard, il fit en Europe une remarque analogue, à propos du beau gisement de Cromer, dans le Norfolk, et il s’exprima en ces termes : « La longévité d'espèces dans les Quadrupèdes à sang chaud n'est pas si grande que dans les Mollusques, les derniers ayant probablement plus de capacité pour endurer les changements de climat, les autres circonstances externes et ces révolutions du monde organique qui, dans le cours des âges, ont eu lieu à'la surface de la terre (2). » On à dans l’Attique une preuve frappante de la différence entre la longévité des espèces de Mollusques et des espèces de Mammifères ; en effet, au-dessous des limons de Pikermi qui renferment les ossements, il y a des calcaires discordants d'avec ces limons, par conséquent séparés d'eux par une dislocation géologique : or les coquilles que j'y ai recueillies ont été attri- buées par M. Deshayés à des espèces actuelles, tandis que les Vertébrés des limons se distinguent tous des espèces vivantes. D'ailleurs aujourd’hui qui pourrait douter de la persistance des mêmes formes de Mollusques durant plusieurs périodes? Com- bien en connaît-on déjà qui ont traversé les époques miocène, pliocène, quaternaire, actuelle ! D’après les travaux de MM. Carpenter, Parker et Rupert Jones, les espèces de Foraminifères, êtres placés vers les derniers degrés de l'échelle animale, auraient eu une longévité encore plus grande que les Mollusques. $ 7. La plupart des types de Pikermi ont émigré hors de l'Europe. Pour se rendre compte du mode suivant lequel les types ont (1) Lyell, Travels in North America, in-8, vol. I, p. 166, et vol. IT, p. 66, 1845. (2) Lyell, À Manual of elementary Geology, in-8, p. 155, 1855. 5 | GAUDRY, été renouvelés pendant les temps géologiques, il ne suffit pas de les considérer dans une seule partie du monde, car ils ont subi des migrations, de telle sorte qu'au moment où l’on croit suivre leurs traces, ils échappent. Ainsi, pour découvrir les animaux de la nature actuelle qui se rapprochent davantage de ceux de la Grèce antique, il faut jeter les regards non pas sur l'Europe, mais sur l'Afrique. La pré- sence de Singes, de Proboscidiens, de Girafes, de grands Chats, d'Hyènes et de Carnassiers voisins des Civettes, la ressemblance du Rhinoceros pachygnathus avec les Rhinoceros bicorne et ca- mus, la multitude des Antilopes muñies de cornes qui rappellent les Oryx, les Oreas, les Euchores et les Gazelles, donnent à la faune de Pikermi un facies africain. Ceci porte à penser que, durant l’époque tertiaire, il y eut entre l'Afrique et l'Europe une communication qui manque au- jourd'hui (4). M. Pucheran a fait observer qu’une sorte d’équa- teur zoologique coïncide avec une ligne nommée par M. Jean Reynaud équateur de contraction (2); cette ligne, qui sépare les deux Amériques, passe entre l’Europe et l'Afrique, rencontre en Asie la dépression de la mer Morte, les déserts de Syrie, de Perse et de Kobi, distingue sur l’ancien continent les Mammi- fères de la zone chaude de ceux de la zone tempérée. L'examen de la faune fossile de Grèce montre qu’il n’y avait pas autre- fois un équateur zoologique occupant la même position qu'à présent. Si Pikermi et Baltavar indiquent une union entre l'Europe orientale et l'Afrique vers la fin de l’époque miocène, on n’en doit pas conclure que, dans toute l’Europe, cette union fut également intime ; car la faune d’Eppelsheim, par ses genres et ses espèces, se rapproche assez de celle de Pikermi pour per- mettre de l’attribuer à un âge géologique très-vaisin, et cepen- (1) Duvernoy a déjà émis cette opinion (Compt.rend. de Acad. des su., vol. XXXVIHII, p- 251, séance du 6 février 4854). On sait que plusieurs faits paraissent prouver une communication entre l'Afrique et l’Europe pendant l’époque quaternaire. (2) Pucheran, Note sur l'équateur zoologique (extrait de la Revue et Magasin de zoologie, n° 7, 1855). FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 55 dant elle n’a pas de rapports avec la faune d'Afrique ; on n'y a signalé ni Rhinocéros à gros os nasaux, ni Girafe, ni Antilopes, ni Hyènes ; on y voit au contraire des Tapirs, genre inconnu à l'Afrique et répandu en Asie {1). Ce contraste mérite l'attention des géologues qui s'occupent d'établir la géographie de l’époque tertiaire. L'aspect de la faune de Pikermi ne prouve pas seulement qu'une partie de l'Europe à été en communication avec l'Afrique, il nous apprend que la température a été plus élevée que de nos jours ; en effet, quand même on voudrait prétendre que les animaux de l’Attique, étant d'espèces distinctes, ont pu supporter un chmat plus froid que leurs congénères actuels, il resterait à expliquer comment ils se sont nourris; il a fallu une grande chaleur pour activer la végétation destinée à alimenter tant d'Herbivores et d'Omnivores. Les faunes qui ont succédé à celle de Pikermi n’ont pas eu un facies aussi africain; elles se rapprochent de celles des régions septentrionales, comme si la chaleur avait diminué. Ces faits confirment l'opinion qui a été exprimée sur les mouvements de la température en Europe : on sait que, d'après les observations de MM. Forbes, Wood, Lyell, Prestwich, etc., le froid a gagné l'Angleterre durant l’époque pliocène, qu'il à sévi avec une grande rigueur durant le pleisto- cène, et qu'il a diminué un peu durant le quaternaire; les recherches de M. Gaudin sur l'falie centrale montrent aussi que la chaleur avait beaucoup baissé dans le sud de l'Europe lors des âges pliocènes, au lieu que les plantes du miocène, même le plus récent comme celui d'OEningen, attestent un climat brülant. Les faunes fossiles de l'Inde, à en juger par les gisements des collines Séwalik, de l'île de Périm, d’Ava, etc., ont quelques rapports avec celle de Pikermi; on trouve dans l'Inde l’espèce (1) Les couches d’Eppelsheim, bien qu'appartenant à la dernière période miocène ainsi que celles de Pikermi et de Baltavar, peuvent n’avoir pas été formées pendant la même phase de cette période; mais sans doute une légère différence d'âge ne suffit point pour rendre compte de ce fail que les deux faunes ont un tout autre facies géo- graphique. 56 GAUDRY. d’AÆelladotherium qui a vécu dans l'Attique, un Hipparion voisin de l’Hipparion gracile, et les genres Hyène, Chat, Machairodus, Mastodonte, Dinotherium, Rhinocéros, Chalicotherium, San- glier, Girafe. La faune actuelle de l'Asie méridionale, quoi- qu'elle ait des points de ressemblance avec celle de la Grèce, s’en éloigne plus que la faune fossile. Lorsque je compare les types quaternaires et actuels de l'Amé- rique avec ceux de Pikermi, je remarque que la Promephitis se rapproche de la Moufette, que lAncylotherium appartient à l’ordre des Édentés très-répandu dans le nouveau monde, que le genre Machairodus à eu son plus beau représentant au Brésil, que le Mastodon turicensis rappelle le Mastodonte de l'Ohio, et que le Mastodon Pentelici est voisin du WMaslodon Andium ; à côté de ces analogies, il y a des dissemblances assez grandes pour croire que, pendant l'époque quaternaire, l'Amérique était déjà presque entièrement séparée de l’ancien continent. Mais les dé- couvertes qui ont été faites depuis quelques années permettent de supposer qu'il n’en fut pas ainsi pendant les âges tertiaires. En effet, non-seulement dans les couches miocènes des Mau- vaises Terres du Nebraska, il y a, comme en Europe, des Anchi- therium, des Palæotherium, des Rhinocéros, des Mastodontes, des Machairodus, mais, dans les étages pliocènes de la vallée du Niobrara, on a signalé un Porc-Épic, deux espèces d'Hipparions, un Rhinocéros, un Mastodonte, genres qui se retrouvent à Pi- kermi. M. Heer, dans ses importants travaux sur les flores ter- tiaires d'Europe, a tiré aussi de leur comparaison avec les flores américaines la conclusion qu'autrefois le nouveau et l'ancien monde ont été intimement réunis. Ces déplacements des formes génériques ne doivent pas sur- prendre, puisque M. Lartet (1) et d’autres paléontologistes ont prouvé que les espèces ont émigré : le Castor a presque entière- ment abandonné nos contrées ; l’Aurochs s’est caché dans les forêts de la Lithuanie ; le Renne, qui parvint autrefois jusqu’au (4) Lartet, Sur les migrations anciennes des Mammifères de lépoque actuelle (Compt. rend. de l'Acad. des se, vol. XLNI, 22 février 1858). FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 57 pied des Pyrénées; le Glouton, qui est fossile à Gaylenreuth ; le Lemming signalé en Prusse; le Bœuf musqué, dont les débris se rencontrent en Angleterre, en Allemagne et dans le bassin de Paris, ne vivent maintenant que dans les régions froides. Au con- traire, l'Hippopotame, l’Ayène tachetée, l'Éléphant africain , après avoir habité l’Europe, ne quittent plus l'Afrique. Les remarques si ingénieuses de M. Pictet sur les Mollusques cré- tacés de la Suisse ont fait voir que les êtres inférieurs se sont peu à peu déplacés dans les temps géologiques (4). Les végé- taux se sont comportés de même ; on lit dans le bel ouvrage de M. de Saporta (2) sur le sud-est de la France : « 1! semble avéré que certaines plantes se montrent plus tôt sur un point que sur un autre du soltertiaire (3). » Sans doute, il ne faut pas exagérer le rôle qu'ont eu les mi- grations ; nous ne sommes plus, en géologie, au temps où l’on espérait expliquer par elles seules les particularités qu'offrent les fossiles. Cependant elles sont d’un grand intérêt, car les ani- maux et les végétaux, en se propageant vers des pays différents de ceux où 1ls étaient d’abord, y rencontrèrent des conditions nouvelles d'existence, et ces changements de milieux purent être un des moyens dont Dieu se servit pour modifier peu à peu les faunes. $ 8. Des formes intermédiaires que présentent les Mammifères fossiles. J'arrive au sujet qui à été le but constant de cet ouvrage, l'étude des formes intermédiaires. (4) Pictet, Note sur la succession des Mollusques céphalopodes pendant l'époque cré- tacée dans la région des Alpes suisses et du Jura (Arch. de la Bibl. univ. de Genève, avril 1861), et Note sur la succession des Mollusques gastéropodes (4rch. de la Bibl. univ. de Genève, septembre 1864). (2) Comte de Saporta, Étude sur la végétation du sud-est de la France à l'époque tertiaire, A"e partie, p. 9. (3) M. Gras a développé des arguments en faveur de la doctrine des déplacements dans sa Description géologique du département de Vaucluse (Note sur les rapports des faunes fossiles avec l'âge des terrains, p. 351, ,in-8, Avignon, 1862). 58 GAUDRY, Pour fonder la paléontologie, c’est-à-dire pour prouver que les êtres, aujourd'hui fossiles, ont vécu avant les espèces actuelles, et ne se confondent point avec elles, il a fallu faire ressortir leurs caractères distinctifs : ceci a été le plus beau titre de gloire de Cuvier. Pour montrer que non-seulement ils ne sont pas identiques avec les êtres vivants, mais qu'à chaque époque géologique ils ont eu un aspect particulier, on a dû encore insister sur les différences qui existent entre eux : Alcide d'Orbigny est un de ceux qui ont le plus contribué à mettre ces différences en relief. Ainsi, à l’origine, les plus grands paléontologistes furent en- traînés par la force même des choses à considérer dans la série des vieux habitants du globe les lacunes qui séparent plutôt que les traits qui unissent. Analystes d’un talent incomparable, ils ont rapidement révélé un monde de merveilles, mais de mer- veilles isolées. Cependant un plan a dominé l’histoire du développement de la vie; il y à dans la nature quelque chose de plus magnifique que la variété apparente des formes, c’est l'unité qui les relie. Grâce aux recherches paléontologiques qui se font de toute part, des êtres dont nous ne comprenions pas la place dans l’économie du monde organique, se montrent à nous comme des anneaux de chaînes qui elles-mêmes se croisent ; on trouve des passages d'ordre à ordre, de famille à famille, de genre à genre, d'espèce à espèce. Je parlerai plus loin des résultats philosophiques que la découverte des formes intermédiaires permet d’entrevoir. Ce que je veux pour le moment, c'est constater ces formes; on les a niées, on les a crues peu nombreuses, il importe de nous fixer à leur égard. Pikermi est particulièrement favorable pour leur étude, parce que les débris de cet ossuaire sont accumulés avec une telle abondance, qu'il est souvent possible de baser les com- paraisons sur la plus grande partie des pièces du squelette. Si, par exemple, on n'avait que le crâne du Singe de Grèce, on ne saurait pas que cet animal participait du Macaque en même temps que du Semnopithèque, et, si l’on ne connaissait que les cornes du Tragocerus, on ignorerait qu’il a plus de rapports FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 59 avec les Antilopes qu'avec les Chèvres. Je vais citer les espèces intermédiaires que j'ai eu l’occasion d'examiner : On n'avait pas, à l'époque où écrivait Cuvier, découvert de Singes fossiles, et par conséquent il était naturel de supposer que les Singes actuels n’ont pas de liens avec les animaux an- ciens. Depuis Cuvier, on a signalé quatorze (1) espèces fossiles ; la plupart sont mal connues, pourtant ce qu'on en possède suffit pour apprendre qu’elles ne s’éloignent guère des espèces vivantes. Le Mésopithèque de Pikermi est celle sur laquelle nous avons les données les plus complètes ; or il ne présente point de caracières nouveaux, mais seulement une association de carac- tères différente de celle qui s’observe dans les espèces modernes ; entre lui et les Singes de l'Inde, il y à un air de famille: on dirait que les Semnopithèques ont emprunté son crâne, et que les Macaques ont emprunté ses membres. Le Carnivore appelé Simocyon (Melarctos) a des canines de Chat, des prémolaires et des carnassières de Chien, tandis que la forme de ses mandibules et de sa tuberculeuse inférieure marque des tendances vers la famille des Ursidés ; avec l'Amphi- cyon , l’Hemicyon, V'Arctocyon, il est destiné à relier cette famille à celle des Canidés, qui en est bien distincte de nos jours. La Promephitis établit dans la famille des Mustélidés un chai- non entre les genres très-carnivores, comme les Martes, les Zorilles, les Putois, et les type smoins carnivores, tels que les Loutres et les Moufettes. Le gisement de Pikermi a procuré trois espèces de Viverridés (Ictitherium) : la première si voisine des Civettes actuelles, que (4) Il faut ajouter aux espèces de Singes que j'ai mentionnées un Cebus et deux espèces de Jacchus, indiqués dans les cavernes du Brésil. M. Gervais a décrit des dents recueillies aux environs de Montpellier, qu'il croit pouvoir distinguer de celles du Semnopithecus monspessulanus ; ï1 les attribue à un Macaque (2€ édition de la Zoo!. et Pal. franc.). On doit retrancher de la liste des Singes le Macacus(Eopithecus) eocænus ; M. Owen, d’après de nouveaux matériaux, pense que les pièces figurées sous ce nom appartiennent à un Suidé du genre Hyracotherium (Ann. and Magaz. of nat. Hist., série TT, vol. X, p. 240, 1862). M. Rütimeyer a trouvé dans l’éocène d’Egerkingen trois dents qui, selon lui, proviendraient d’un Quadrumane, le Cœænopithecus lemuroides (Eocæne Süugethiere aus dem Gebiet der Schweïzerischen Jura, p. 88, pl. V, fig. 87, 88, Zurich, 1862). 69 GAUDRY. M. Lartet et moi l’avions d'abord classée parmi ces Carnassiers ; la seconde qui s'éloigne davantage des Civettes pour se rappro- cher des Hyènes; la troisième qui ressemble encore plus à une petite Hyène. Réciproquement, j'ai découvert des espèces de la famille des Hyénidés qui indiquent quelque propension vers les Viverridés, l’une par ses tuberculeuses (Hyœænictis), l'autre par ses prémolaires (Lycyæna). Enfin, à côté de ces animaux mi- Civettes, mi-Hyènes, on en voit un qui est intermédiaire entre les espèces du genre Hyène ; 1l est singulièrement voisin de l’'Hyène brune (sauf cependant le moindre talon de sa carnassière supérieure) ; ses dents du haut rappellent l’Zyène rayée, et ses dents du bas, l'Hyène tachetée. La délimitation des espèces de Chats vivants embarrasse les zoologistes, car elles sont nombreuses, et plusieurs ont des carac- tères peu tranchés. En outre, on a déjà signalé à l’état fossile : dans le miocène moyen de Sansan, les Felis hyœnoides, par- dus?, media, pygmœæa; dans le miocène supérieur d'Eppelsheim, les Felis prisca, ogygia, antediluviana ; dans celui de Pikermi, quatre espèces, l’une moindre que le Lion, une égale à la Pan- thère, une plus petite que la Panthère, une un peu plus forte que notre Chat sauvage ; daps le pliocène de Montpellier, le F'elis Christoli; dans celui de Perrier, les Felis arvernensis, pardinensis, brachyrhina, issiodorensis, brevirostris ; dans le crag rouge d'Angleterre, le Felis pardoïdes ; dans le terrain quater- naire, les Felis spelœa, antiqua, engiholiensis, lyncoides, minula. Je ne mentionne que les Chats d'Europe ; on en a rencontré éga- lement en Asie et en Amérique. La plupart de ces espèces ne présentent point de particularités saillantes, elles rentrent dans les types connus, et on les a déterminées surtout d’après leur taille ou leurs proportions ; il n’y a point de raisons pour qu'on n’en trouve pas encore un grand nombre. Comment donc par- viendra-t-on à distinguer les espèces et les variétés, alors qu'aux formes vivantes, déjà difficiles à classer, il faudra joindre toutes les formes fossiles ? Le Mastodon Pentelici de Pikermi établit un lien entre les espèces du groupe Trilophodon et celles du groupe Tétralopho- FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 61 don. Lorsqu'on tent compte de toutes les découvertes faites depuis Cuvier, et surtout de celles des Anglais dans l'Inde, on est frappé des enchaînements qui apparaissent entre les diverses espèces de Proboscidiens. Ainsi, à l’époque du miocène moyen, c'est-à-dire au moment où cet ordre commence, on voit le Mastodon pyrenaïcus offrir des caractères intermédiaires entre ceux du Mastodon angustidens et ceux du Mastodon turicensis. Après le Wastodon angustidens, qui est un Trilophodon, est venu le Mastodon Pentelici (miocène supérieur), marquant la transition au Mastodon longirostris, qui est un Tétralophodon ; celui-ci à son tour est une transition au Mastodon sivalensis, qui est un Pentalophodon. Au Mastodon longirostris à succédé le Maslodon arvernensis (pliocène), qui lui ressemble extrêmement, sauf le moindre allongement de sa mâchoire inférieure. Pendant que le type à denis mamelonnées s’est modifié, le type à dents tapiroïdes à présenté des changements encore plus grands ; le Mastodon turicensis (tapiroïdes), qui est un Trilophodon, a été suivi par le Mastodon latidens du miocène supérieur, chez lequel les molaires ont une colline de plus. Ce Tétralophodon annonce le passage aux Ælephas Clifui et insignis. L'Elephas Clifüi se rapproche des Ælephas planifrons et bombifrons du miocène supérieur. Entre l'E/ephas planifrons et les Elephas meridio- nalis (1) et priscus du pliocène, il y a peu de différence; le (1) L'Elephas meridionalis présente un curieux exemple de lente modification ; car à son début, c'est-à-dire dans le crag, ses molaires ont les digilations d’émail de leurs collines assez massives et assez distinctes pour avoir pu, au dire de Falconer (Mém. du 3 juin 1855, dans les Proceed. of the Geol. Soc. pour 1866), être attribuées à un Masto- donte; quand on le suit dans le forest-bed du Norfolk, on le voit donner lieu à cette observation du révérend Gunn : «7 y a une différence marquée entre les dents trou- vées dans les lits plus anciens et celles des lits plus récents. Le caractère mastodontique des collines est diminué ; l'émail est plus fin,moins rugueux.» (4 Sketch of the Geology of Norfolk, in-8, 2€ édit., p. 18, Sheffield, 1864.) Outre ces variations, M. Gunn a bien voulu me montrer dans sa belle collection d'Irstead, près de Norwich, une molaire large comme celle de l'Elephas meridionalis avec des lames qui rappellent l'Elephas antiquus, et une autre molaire où les lames, aussi épaisses que dans aucun Elephas meridionalis, sont aussi serrées les unes contre les autres que dans l'£lephas primigenius. Réciproquement, il y a dans le musée de Norwich une molaire qui a ses lames minces comme dans l'Elephas primigenius, et cependant très-écartées les unes des autres. 62 GAUDRY. priscus, qui se prolonge jusqu’à l'époque quaternaire, a une singulière ressemblance avec l'Elephas africanus vivant. Il y a également peu d'intervalle entre l’Elephas bombifrons et V Ele- phas hysudricus du miocène supérieur, entre celui-ci et l’Ele- phas namadicus du pliocène ou l’Elephas antiquus du pleisto- cèue, de même qu'entre ce dernier et les Elephas primigenius et Columbi du quaternaire, ou l'Elephas armeniacus du quater- naire (?), si voisin de l'Elephas indicus vivant. Si les membres que j'ai attribués au Dinotherium appartien- nent à cet animal, il forme un chaînon entre des Mammifères bien distincts de nos Jours, puisque son crâne rappelle surtout les Lamantins, tandis que ses membres annoncent un Probosei- dien. Quant aux espèces que l’on à instituées dans le genre Dinotherium, malgré des variations de taille qui vont du simple au double, M. Kaup a dit qu'elles se liaient les unes aux autres, et il a proposé de les réunir (1). Les Pachydermes du genre Rhinocéros offrent aussi des passages intéressants (2). Ils comprennent trois types : celui sans grandes incisives, celui à grandes incisives, celui à narines cloisonnées. Une des espèces de Pikermi établit un intermédiaire entre les formes du premier type, puisqu'elle ressemble par son crâne au Rhinocéros bicorne, par ses membres ‘au Rhinocéros camus (sauf des différences extrèmement légères) ; une seconde espèce de Grèce a des rapports frappants avec le Rhinocéros de Sumatra, représentant du second type. Quant au troisième type, celui à narines cloisonnées, on le crut d’abord bien tran- ché ; mais on est parvenu à découvrir en Angleterre, en France et en Italie des Rhinocéros à demi-cloison sous les os du nez (Rhinoceros protichorhinus et etruscus), marquant un passage de ceux qui ont une cloison complète à ceux qui en sont dépourvus. (1) Cette remarque ne s'applique pas aux échantillons du bassin du Rhône, attendu qu'ils n’ont pas encore été décrits ; elle a une réelle importance sous la plume de M. Kaup, qui a créé le genre Dinotherium et l'a plus étudié qu'aucun paléon- tologiste. (2) Dans le volume VIII des Proceed. of the Geol. Soc. of London, p. 9, 4852, ily a un résumé d’un travail de M. Giebel qui indique la multiplicité des noms d'espèces créés pour les Rhinocéros fossiles: FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 63 Ainsi les espèces de Rhinocéros, comme les espèces de Masto- dontes, se lient entre elles. On peut ajouter que, si les Masto- dontes se rapprochent des Éléphants, les Rhinocéros se rappro- chent également de genres qui en paraissaient très-distincts, tels que l’Acerotherium, le Palæotherium, le Paloplotherium. En effet, il y a de bien faibles différences entre le Paloplotherium codiciense du calcaire grossier de Paris et le Paloplotherium annectens d'Hordwell ou de la Débruge, entre le Paloplotherium annectens et un Paloplotherium qui a été trouvé à Nice, entre celui-ci et le Palæotherium curtum de Montmartre, entre le Palæotherium curtum et les Palæotherium crassum, girundicum, magnum ; le Tütanotherium du Nebraska paraît une transition entre le Palæotherium magnum de l’éocène supérieur et les A cerotherium du miocène inférieur; ceux-ci ne sont pas très- éloignés du ÆRhinoceros aurelianensis découvert dernièrement par M. Nouel dans les sables de l’Orléanais. Avant la découverte des Hipparions, le genre Cheval était isolé dans lanature actuelle, et l’on avait créé pour lui l’ordre des Soli- pèdes, caractérisé par la présence d’un seul doigt à chaque pied. Les Hipparions, qui ont des petits doigts latéraux semblables à ceux des Anchitherium, ont permis de rattacher l’ordre des Soli- pèdes à celui des Pachydermes : les remarques de MM. Gurlt, Hensel, Joly, Lavocat, Goubeaux, etc., ont montré que les carac- tères des pieds des Hipparions réapparaissent tératologiquement sur les pieds des Chevaux. J'ai recueilli un nombre immense d’os d'Hipparions, et cela m'a fourni l’occasion de constater dans une même espèce des variétés tellement marquées, que'sans doute elles seraient considérées comme des espèces distinctes, si je ne possédais pas les intermédiaires entre les formes extrêmes. En même temps on à vu que certains Hipparions du Vaueluse, de l'Allemagne, de l'Inde, se rapprochaient assez des variétés de Pikermi pour faire supposer une communauté d’origine, et que cependant la plupait des individus se distinguaient dans le Vau- cluse par des os plus minces, dans l'Inde par une plus haute sta- ture, en Allemagne par un ensemble plus fort et par des molaires à émail plus plissé ; ceci donnerait à penser que l’auteur de la 6 GAUDRY. nature tira d’une même origine les Hipparions que Je viens de nommer, et traça sur eux quelques traits particuliers, selon qu'il les conduisit en France, en Allemagne ou dans l'Inde. M. Rütimeyer (1) a fait observer que l’on admet dans une même espèce, chez les Sangliers vivants, des variations égales à celles qui sont appelées spécifiques chez d’autres animaux. Il est impossible de rien affirmer sur les Sangliers fossiles, aitendu qu'ils ont été classés d'après des matériaux très-insuffisants ; on peut dire seulement que les espèces actuelles ont été précédées par une multitude d'animaux auxquels on a donné des noms distincts, et qui se lient tellement par la dentition, que, si leurs autres caractères présentent les mêmes passages, 1! deviendra très-difficile de discerner ce qui est espèce et ce qui est variété. Le Sanglier de l’Attique nommé Sus erymanthius est l'espèce fossile dont on possède aujourd'hui le plus d'exemplaires ; c’est un type intermédiaire. Lorsque Falconer et Cautley rencontrèrent pour la premiere fois dans l’inde une Girafe fossile, ils écrivirent ces lignes : « La découverte des Girafes fossiles ajoute un nouvel anneau à la chaîne qui s'accroît rapidement, et qui, tôt ou tard, reliera les formes éleintes el existantes emune série continue. .… La Girafe a d'abord... occupé une position isolée dans l'ordre auquel elle appartient ; elle a maintenant ses analogues fossiles. Il en est de même du Cha- meau ; il est représenté dans l'Inde à l’état fossile par le Camelus sivalensis. Le jour où les lits ossifères de l'Asie et de l'Afrique seront mieux connus, il faudra s’attendre à trouver des formes in- lermédiaires qui rempliront le large intervalle par lequel la Girafe est à présent séparée des Ruminants chargés de bois (2).» La Came- lopardalis altica découverte à Pikermi, et peut-être aussi le Palæotragus et l'Orasius, commencent à réaliser l'annonce des savants auteurs du Fauna sivalensis. (1) Rütimeyer, Ueber lebende und fossile Schweine (Verhand. der Nat. Gesselis., in Basel, vol. 1, p. 517, 1857). (2) Falconer et Cautley, On some fossil Remains of Anoplotherium and Girafe, from the Sewalik hills, in the north of India (Pruceed. of the geol. Soc. of London, vol. IV, part. 2, p. 236 , 1843). FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 65 On à vainement cherché à établir des groupes bien définis dans la grande famille des Antilopes ; ces animaux, très-diffé- rents les uns des autres, quand on compare leurs types extrêmes, se joignent si insensiblement par des intermédiaires, qu’on est réduit, soit à les réunir en un seul genre qui renferme des formes disparates, soit à les partager en groupes qui deviennent chaque jour plus nombreux. Ainsi M. Gray admet trente-sept genres d’Antilopes vivantes. Je ne parviens à faire rentrer dans ces genres à limites étroites presque aucun des fossiles de Grèce. Où placerai-je le Tragocerus, qui a des cornes de Chèvre avec une dentition et des membres d’Antilope; le Palæoreas, qui a des cornes d'Oreas avec la plupart des caractères des Gazelles ; le Palæoryæ, qui rappelle l'Oryæ par ses cornes ets'en éloigne par ses molaires ? On pourrait aussi classer la Gazelle de Pikermi dans un genre spécial, à cause de ses os du nez bien plus longs que dans les Gazelles, puisqu'on a créé le genre Saïga pour des Gazelles à os du nez très-courts. Dans la famille des Antilopes, plus que dans toute autre, ces nouveaux venus vont apporter des complications à la nomenclature. Si l’on songe que Pikermi est là première localité où l’on ait trouvé de nombreuses Antilopes fossiles, et que sans doute la découverte d’autres gisements amènera au jour la même multitude de formes intermédiaires, on doit craindre que la science ne soit au début d’un travail mextricable. Des réflexions semblables se présentent en face du groupe d'animaux auxquels on donne les noms de Dremotherium, d'Amphitragulus, de Palæomeryæ, de Micromeryx, d’Hyæmos- chus, de Dorcatherium. Is se lient ensemble, et marquent des affinités avec les Cervidés, les Tragulidés et les Suidés. Le Rumi- nant de Pikermi, que j'ai rangé provisoirement près des Dre- motherium, forme un chainon de plus (si toutefois mes rappro- chements ont été exacis), car 1l ressemble par ses molaires aux Dremotherium et aux Palæomeryx, tandis que son crâne est le même que chez l'Antilope appelée Weotragus. Pour se convaincre que les fossiles jouent, les uns par rapport aux autres, le rôle d’intermédiaires, et participent aux carac- 5° série, Zoo, T. VII. (Cahier n° 2.) 1 5 66 GAUDRY. tères d'animaux qui paraissaient autrefois très-distinets, il suffi- rait de considérer à quelles erreurs on est exposé, lorsqu'on veut baser une détermination sur une pièce isolée ; l'étude de la faune de Pikermi en a offert plusieurs exemples. Eu premier lieu, on a vu qu'il est quelquefois difficile de marquer le genre ou le sous-genre auquel ont appartenu des morceaux séparés; ainsi Wagner a décrit sous le nom de Chèvre Amalthée les cornes du Tragocerus, pendant qu’il attribuait ses dents à l’Antilope speciosa (Palæoryx) et à l’Antilope Linder- mayeri (Palæoreas) ; en même temps, il rapportait les mâchoires de cette dernière espèce à l’Antilope (Gazella) brevicornis. Tant que M. Lartet, M. Beyrich et moi n’avons étudié que le crâne du Singe de Grèce, nous l'avons rangé parmi les Semnopi- thèques ; c'était une erreur, puisque ses membres sont sem- blables à ceux des Macaques; si, au lieu du crâne, nous avions rencontré d’abord ses membres, nous aurions pu nous tromper de même en les prenant pour ceux d’un Macaque. Lorsqu'on n’a eu qu'une mandibule du Simocyon diaphorus où la tuberculeuse avait disparu, on à pensé que cet animal était un Glouton; sa mâchoire supérieure a été attribuée à un Loup. Quand j'ai trouvé, dans mes premicres fouilles, une mâchoire incomplète du Mastodon Pentelici avec les deux premières dents de lait, M. Lartet et moi avons supposé qu'elle provenait d'un Tétralo- phodon ; cependant ses troisièmes molaires de lait ont le carac- tère de celles des Trilophodons. Comme preuve de la difficulté de déterminer non plus seule- ment le genre, mais la famille d’un Mammifère dont on n’a que des restes isolés, je citerai le Machairodus que Nesti, Cuvier et Croizet placèrent dans la famille des Ursidés, tandis qu’il est le type le plus parfait de celle des Félidés. L’Ictitherium hippario- num est un Viverridé si voisin des Hyénidés que, sans la seconde tuberculeuse de sa mâchoire supérieure, on le prendrait pour un Hyénidé, et, en effet, j'ai dit que le nom d'Hyæna hippario- num à probablement été établi pour un morceau d’Ictitherium où manquait cette dent. | Enfin, comme exemple de l'embarras que parfois on éprouve FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 67 pour fixer l’ordre d’un Mammifère d’après des pièces détachées, je rappellerai l’histoire du Dinotherium : Cuvier, ayant vu ses dents, le rapprocha des Tapirs ; lorsqu'on eut découvert son crâne, Buckland, Strauss et de Blainville le rangèrent parmi les ani maux aquatiques ; maintenant que la plupart des os de ses membres sont connus, on peuse qu'il à des rapports avec les Proboscidiens. Les déterminations mexactes que je viens de citer ne peuvent être confondues avec les erreurs dues à un examen superficiel. La plupart ont été commises par les maîtres de la science pa- léontologique. Qui donc serait fondé à blâmer Cuvier d'avoir attribué les dents du Dinotherium à un Tapir gigantesque ; Buckland, Strauss, de Blainville, d’avoir jugé son crâne assez semblable à celui d’un animal aquatique; Wagner d’avoir décrit les cornes du Tragocerus sous le nom de Chèvre; Duvernoy d'avoir pris les os des membres du Rhinocéros de Grèce pour ceux du Rhinoceros tichorhinus ? Ce qu'ont fait ces habiles natu- ralistes, ils devaient le faire (1) ; ils ont rapproché avec une par- faite exactitude les échantillons fossiles des os des Mammifères qui leur ressemblaient davantage ; mais ceci n’a pu leur faire deviner de quel animal ces débris provenaient. Et pourquoi se sont-ils trompés, pourquoi chacun de nous se trompera-t-il encore ? C’est qu’une espèce se rattache à celle-ci par tel carac- tère, à celle-là par tel autre caractère ; elle a des liens avec plu- sieurs, et souvent avec celles dont nous la supposions séparée par uu profond intervalle. Tout en remarquant que les Quadrupèdes des âges géolo- giques ont emprunté des traits communs à ceux qui les ont pré- cédés, je ne veux pas nier qu'il se soit manifesté chez eux cer- tains traits qui leur sont propres : ainsi l’Hyæna eximia a une carnassière supérieure munie d'un talon plus faible que chez les espèces d'Hyènes entre lesquelles elle établit un passage ; l’'Hip- (1) Quand on n’a pas des échantillons suffisants pour caractériser un genre ou une espèce, un rapprochement provisoire, qui risque un jour d’être démontré inexact, vaut mieux que la création d'un nom nouveau; car il indique quelque chose, le nouveau nom n’apprend rien. 68 GAUDRY. pa rion aune scrle de larmier que n’ont pas les Chevaux ; les o du carpe et du tarse du Rhinoceros pachygnathus offrent des particularités (à la vérité très-peu importantes) que je n’ai pas vues chez les Rhinocéros vivants d'Afrique; le Sus erymanthius a une arcade zygomatique plus épaissie que dans lesautres espèces. Il est évident que des caractères nouveaux ont dû se développer de temps en temps ; autrement on ne s’expliquerait pascomment les faunes ont changé, au lieu de tourner toujours dans le même cercle. Ce que je veux dire, c’est que souvent, entre les espèces d'époques consécutives, les différences sont si petites et les ressemblances si grandes que, pour tracer leurs limites, il faut s'attacher à des détails minimes. Peu à peu, dans chaque ordre, se justifie ce que M. Owen a dit des Ongulés : « Comme le nombre des chaïnons augmente dans la série des Mammifères on- gulés, les marques de distinction deviennent moins saillantes et le descripleur est tenu à une plus minuheuse attention (1). » $ 9. Les fossiles qui présentent des types intermédiaires se rencontrent dans tous les gisements. On ne peut considérer Pikermi comme une localité spéciale où par hasard se trouvent rassemblés des fossiles qui constituent des types de transition. Ce qu'apprend ce gisement, les autres l'apprennent de même, car, sous une apparente diversité, les opérations de la nature ont une extrème ressemblance. Les admi- rables travaux de M. Oiven sur les Vertébrés en sont presque tous une preuve frappante (2). Si, par exemple, au lieu d’avoir pour point de départ la faune de Pikermi, on avait à considérer des Quadrupèdes quater- (1) Owen, On the Fossil Remains of Mammalia referable to the genus Palæotherium and to two genera Paloplotherium and Dichodon (Proceed. of the Geol, Soc. of London, vol. IV, p. 40, 1848). : (2) On s’en convaincra surtout en lisant les mémoires sur les pachydeïiies publiés vers l’année 1847 dans les Proceedings of the Geological Society, et l'ouvrage intitulé Palæontology où sont réunis, sous une forme concise, les résultats des recherches d’une vie toute consacrée à l’étude du monde fossile. FAUNE FOSSILE- DE L ATTIQUE. 69 naires, on découvrirait entre eux et les espèces qui les ont pré- cédés ou suivis des passages non moins évidents que ceux dont je me suis occupé : de bien faibles différences séparent l’'Ursus spelœus del’Ours féroce, le Felis antiqua de la Panthère, l Hyæna spelæa de l'Hyène tachetée, l Hyæna prisca de l'Hyène rayée, l'Arctomysprimigenia de la Marmotte, le Lepus priscus du Lapin, l'Hippopotamus major de l'Hippopotame commun en Afrique, le Sus priscus du Sanglier à masque, le Bos primigentius du Tau- reau (1), le Bos longifrons du petit Bœuf qui vit en Islande, le Bison priscus de l'Aurochs, ete. De même, si nous quittions l’an- cien contment pour étudier l'Amérique ou l'Australie, nous apercevrions des rapports entre la faune quaternaire et la faune actuelle ; on voit se continuer en Amérique les formes d'Édentés, et en Australie les formes de Marsupiaux. D'après ce qu'ont déjà appris d'habiles observateurs, il est permis de penser que le jour où les gisements de l'Auvergne et du Velay seront fouillés sur ure grande échelle, on découvrira des passages insensibles entre les êtres des époques pliocène et quaternaire. Les Cerfs de ces époques étonnent par la multi- plicité de leurs espèces ; leur étude, au point de vue des types intermédiaires, présenterait de précieux enseignements. Dans la faune miocène de Sansan, presque tous les genres nouveaux sont, comme à Pikermi, des types de transition. M. Lartet a dit du Taæodon (2) : « Sa dentition rentre, pour la partie qui est connue, dans la formule particulière au Blaireau ; mais elle accuse dans ses détails caractéristiques une tendance assez marquée vers la Loutre. » Le même savant a prétendu que les incisives et les canines de l'Amphicyon ont la forme de celles du Raton, que ses molaires rentrent dans le plan du Canis megalotis, et que le système digital rappelle l’Ours. Quant à l’'Hemicyon, « plus voisin du Chien que l’Amphi- cyon, il semble se rapprocher par quelques détails de ses dents caractéristiques de certaines espèces de la famille des Martres et en (1) Les travaux de M. Leïidy et de M. Rütimeyer sur les Bœufs montrent combien ces animaux se lient entre eux. (2) Lartet, Nofice sur la colline de Sansan, 1851. 70 GAUDRY. particulier du Glouton. » Suivant encore M. Lartet, ce qu’on sait du Pseudocyon indique des rapports avec le Chien ; cependant ses canines ont des arêtes finement dentelées, comme dans l Am- phicyon et l’Hemicyon. Les dents caractéristiques de l Hydrocyon ont quelque chose d’intermédiaire entre le Chien et la Loutre. Le Macrotherium constituait à l’origine un type distinct ; l Ancy- lotherium de Grèce a déjà diminué son isolement. Le Rhinoceros brachypus, par la brièveté des os de ses pieds, s'éloigne des autres Rhinocéros ; mais M. l'abbé Bourgeois, dans sa collection de Pont-Levoy, a des séries de pièces qui montrent les passages des formes ordinaires aux formes les plus raccourcies. Le Chalico- therium (miocène supérieur) ne diffère guère de l’Anisodon de Sansan (miocène moyen), qui lui-même paraît un dérivé du groupe Anoplotherium (éocène supérieur). Le Listriodon est un peu Sanglier, un peu Tapir. Le Chæromorus et le Palæochærus ont un air de parenté avec les Sangliers. Le Dicrocerus annonce les Cerfs. M. Lartet pense que le Pliothecus n’est qu’un Gibbon. En pénétrant plus avant dans l'histoire des temps géologiques, on continuerait à trouver des formes de transition. Les terrains éocènes en offrent un grand nombre; j'en ai indiqué plusieurs dans mes tableaux des Rhinocéridés et des Suidés ; je men- tionnerai en outre : la Palæonictis qui rappelle les Civettes; le Cynodon où les caractères des Civettes s'unissent à ceux des Chiens; le Lophiodon qui, malgré ses prémolaires différentes des arrière-molaires, est voisin du Tapir ; le Pachynolophus, par le- quel le type rhinocéridé est lié au type tapiridé ; l’'£urytherium, sorte d’Anoplotherium dont un des doigts s’est allongé ; le Xipho- don et surtout le Dichodon (1) semblables aux Ruminants, quoi- qu'ils aient les mcisives supérieures des Pachydermes ; le Dicho- bune, proche parent du Cainotherium, du Microtherium, de l'Hyægulus et de l’Acotherulum. Dans l'Inde, comme en Europe, les Mammifères tertiaires ont présenté des types intermédiaires : c’est là qu’on a rencontré (1) M. Owen, dans la note où il décrit le Dichodon, dit que le professeur Goodbsir et d'autres ont vu des rudiments d'incisives supérieures dans des Vaches et des Brebis. FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 71 l'Hippohyus, chez lequel les caractères du Cheval sont associés avec ceux du Sanglier ; l'Hyœnarctos, qui unitles Hyénidés avec les Ursidés ; et les Proboscidiens, qui montrent le passage du Mastodonte à l'Éléphant. Il en a été de même en Amérique. A en juger par les travaux de M. Leidy (1), on peut croire que le T'itanothertum était un animal intermédiaire entre le Palæotherium et V’Acerotherium, ayant aux arrière-molaires supérieures la côte de la muraille externe disposée comme daas le second, et aux arrière-molaires inférieures les croissants complets, ainsi que dans le premier. M. Leidy prétend que « l'Oreodon constitue un des anneaux nécessaires pour remplir le très-large vide qui eæiste entre les Ruminants vivants et celte forme aberrante de la même famille, l’Anoplotherium d’ Europe et d’ Asie. » I fait une pareille remarque sur l'Agriochærus. Le Poebrotherium est comme une Antilope qui serait privée de cornes, et aurait de chaque côté de ses mâchoires une prémolaire de plus ; il vient s'ajouter à ces petits genres de Ruminants dont les caractères mixtes embarrassent tant les paléontologistes (2). Les Oiseaux fossiles sont loin d’être aussi bien connus que les Mammifères; mais ce qu’on en sait déjà porte à penser qu'ils forment également avec les êtres actuels des chaînes conti- nues. « Les Oiseaux des terrains miocènes, dit M. Alphonse Milne Edwards (3), nous montrent que ces animaux ne différaient que peu de ceux de notre époque. » L'Archæopteryæ, le plus ancien Oiseau dont on possède le squelette, se rapproche des Quadru- pèdes par la disposition de sa queue: ceci permet d'espérer qu'on découvrira de curieux exemples de formes intermédiaires, au fur et à mesure que les Oiseaux secondaires seront mieux étudiés. à (4) Leiïdy, The ancient Fauna of Nebraska, in-4°. Washington, 1852. (2) Les Mammifères marins offriraient aussi de l'intérêt au point de vue des formes intermédiaires : l'Halitherium a certains caractères des Dugongs et certains caractères des Lamantins. (3) Alphonse Milne Edwards, Mémoire sur la distribution géologique des Oiseaux fossiles et description de quelques espèces nouvelles (Annales des sc. nat., Z001., Le série, t. XX, p.133, 1863). 72 GAUDRY. Pendant les: ‘époques quaternaires et tertiaires, 1l y eut des Tortues terrestres, des Émydes, des Chélydres, des Trionyx, des Chélonées, des Crocodiles, des Gavials, des Lézards, dont les espèces ressemblaient extrêmement à celles qui vivent aujour- d'hui. Sans doute, quand nous descendons dans la profondeur des époques secondaires, nous rencontrons des formes très-diffé - rentes des formes actuelles. Mais nos connaissances sont telle- ment imparfaites, qu’on ne doit pas s'étonner si l’on n’a encore observé que peu de gradations entre les genres secondaires et les genres tertiaires. D'ailleurs, lorsqu'on regarde les Reptiles fossiles comme des êtres bizarres, ce n’est point en général parce qu'ils présentent des organes spéciaux (1), mais simplement parce qu’ils réunissent des caractères répartis de nos jours sur des êtres différents. Ainsi, les gigantesques habitants des conti- nents secondaires, qui ont été appelés Dinosauriens, s’éloignent des Reptiles ordinaires par leurs côtes attachées au tronc au moyen d'une double articulation, par leur sacrum disposé de telle sorte qu'ils ne soient pas obligés de ramper, par leur mà- choire inférieure quelquefois armée de dents servant à mâcher, et susceptible d’un mouvement horizontal pour la trituration : ces mêmes caractères les rapprochent des Mamnufères. Si les Énaliosauriens se distinguent des Reptiles vivants, c'est parce qu'ils rappellent les Cétacés par leurs pattes en forme de palettes, les Oiseaux par leur long cou (Plésiosaures), les Poissons par leurs vertèbres à corps biconcave (Ichthyosaures). On ne sait où placer les Dicynodontes, attendu qu'ils ont à la fois des rapports avec les Chéloniens, les Crocodiles, les Lézards, et que même leurs canines simulent celles de certains Mammifères. Mais les fossiles les plus intéressants comme types intermédiaires sont les Ganocéphales ; on admet, en effet, que les Batraciens à bran- chies constantes établissent dans la nature actuelle quelques liens entre les Poissons et les Reptiles ; or, les Ganocéphales rendent ces liens encore plus étroits. « Zly a, dit M. Owen (2), (4) I faut pourtant convenir que les Ptérodactyliens font jusqu'à présent exception; ils ont une organisation très-particulière. (2) Owen, Palæontology, 2%e édit., p. 204. Edinburgh, 1861. FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 73 un grand groupe naturel indiquant les gradations de développe- ment qui unissent les Poissons aux Reptiles; dans ce groupe, les Poissons salamandroïdes (Lepidosteus et Polypterus) sont les plus ichthyoïdes, les vrais Labyrinthodontes sont les plus sauroïdes. Le Lépidosiren et\ Archegosaurus sont les gradations intermédiaires ; Puntient plus du Poisson, l’autre tient plus du Reptile..… L'Arche- gosaurus et le Mastodonsaurus montrent combien est artificielle la distinction entre les Reptiles et les Poissons ; ils révèlent l’unité des V'ertébrés à sang froid. » Les recherches de M. Heckel (1) sur l'ossification de la corde dorsale des Pyenodontes ont prouvé que, chez certains Poissons, la partie du corps la plus essentielle a subi des changen.ents insensibles qui coïncident avec la marche des temps géologiques, et sont anälogues aux modifications opérées dans les Poissons actuels depuis l’âge embryonnaire jusqu'à l’âge adulte. Aussi M. Heckel à dit : « Les Poissons du monde primitif ont par- couru en des milliers d’années des phases semblables à celles du développement embryonnaire des animaux qui vivent actuelle- ment. » M. Agassiz, appliquant à tout le règne animal de pareilles observations, a prétendu que les types des anciens âges repré- sentèrent les embryons des êtres actuels, de sorte que la paléon- tologie offre l’histoire de l'enfance du même monde organique dont nous contemplons aujourd’hui la virilité (2). Les Mollusques ne fourniraient pas des exemples de formes intermédiaires moins frappants que les Vertébrés, si l’on suivait les types depuis l'époque où ils ont apparu jusqu’à celle de leur disparition. 11 suffit de nommer les Ammonitidés, les Cérites, les Pleurotomes, les Bucardes, les Huîtres, les Térébratules et tant d’autres Mollusques, pour que l’idée de passages insensibles traverse notre esprit. Grâce à M. Deshayes et à plusieurs autres (1) Heckel, Ueber die Wirbelsaülen-Enden bei Ganoiden und Teleostiern (Sitzungsb. der math. natur. Classe der Kaïs. Akad, der Wissens., vol. V, p. 143, séance du 41 juillet 4850). — Ueber die Wirbelsaüle fossilen Ganoiden (Même recueil, vol. V, p. 358, séance du 7 novembre 4850). (2) Louis Agassiz, An Essay on Classification (voy, surtout section XIL, p. 64 ; XVIIL, p. 99; XXV, p. 469; XXVI, p.175; XXVIL, p. 178), in-8. London, 1859. 7h GAUDRY, naturalistes, l'analyse à été portée à une rare perfection dans la conchyliologie fossile ; aussi l’étude des transitions de forme serait plus facile pour les coquilles que pour les autres branches de l'histoire naturelle, Le jour où l’éminent auteur de la Des- criplion des animaux sans vertèbres découverts dans le bassin de Paris donnera, comme il l’a annoncé à la Société géologique, le tableau des espèces de toutes les petites couches du sol parisien, il n’est pas douteux qu'il ne nous révèle de merveilleux enchai- nements (1). Déjà M. Davidson (2), dans ses Monographies des Brachiopodes britanniques, a prouvé combien on a de peme à distinguer les espèces et les variétés. M. Eugène Deslongchamps, en étudiant les Brachiopodes de la France, est arrivé aux mêmes résultats : « Les modifications, a-t-1l dit, se traduisent par une variété si grande dans les formes extérieures, qu'il devient presque toujours fort difficile de déterminer nettement la limite des espèces ; il y a très-souvent passage insensible des unes aux autres (3). » À la première page du magnifique travail de M. Barrande sur les Céphalopodes de Bohême, je trouve ces mots : « Nous espé- rons que nos recherches sur les Céphalopodes siluriens de Bohéme feront suffisamment apprécier l'extrême difliculté que l’on ren- contre, lorsqu'on veut tenter de séparer nettement non-seulement les formes spécifiques, mais encore les types génériques dela famille des Nautilidés (4). » Je suppose que dans les Échinides il y a des transitions entre les diverses formes, car je lis dans le Synopsis de M. Desor : « Telle est la liaison de tous les groupes entre eux, qu’il n’en est aucun dont les limites ne sotent plus ou moins indécises. Bien plus, nous estimons que, chaque fois qu'il s'agit d’un groupe très-parti- culier qui ne se rattache à aucun autre, c’est un indice qu’il reste à découvrir quelque part, soit dans la création actuelle, soit dans (1) Deshayes, Bulletin de la Soc. géol. de France, 2 série, vol, XVIII, p. 370, séance du 18 février 1861. (2) Mémores de la Palwontographical Society. (3) Paléontologie française : Terrain jurassique, Brachiopodes, p. 63. (4) Barrande, Système silurien du centre de la Bohéme, 1° partie, Recherches paléontologiques, vol, IT, Céphalopodes, AT série, in-4. Prague, 4865. FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 75 les créations antérieures, un type intermédiaire qui viendra, un jour ou l'autre, combler celle lacune (1). » On peut juger de la difficulté de distinguer parmi les Échinides ce qui est espèce et ce qui est variété, lorsqu'on parcourt dans les beaux ouvrages de M. Cotteau les listes synonymiques (2). Les Coralliaires offrent-ils moins d'exemples de formes tran- sitionnelles que les Échinodermes? Je ne le pense pas ; en effet, M. de Fromentel, quoique partisan de la fixité des types, a écrit ces mots : « La nature, en créant les animaux, n’a jamais netle- ment séparé une série d’une autre; ileæiste à la fin d’un premner groupe et au commencement d'un second des affinités telles, que presque toujours les étres qui terminent et ceux qui commencent ont des caractères communs qui les rapprochent (3). » Lorsqu'on descend aux derniers degrés de l'échelle animale, la liaison des espèces est encore plus manifeste. MM. Carpenter, Parker et Rupert Jones ont dit (4) : « L'idée d’espèces considé- rées comme des assemblages d'individus séparés par des caractères définis, qui proviennent génétiquement de prototypes originaux distincts, est tout à fait inapplicable au groupe des Foraminifères ; en effet, quand même les limites de ces assemblages seraient recu- lées de manière à renfermer ce qu'autre part on appelle genre, ils seraient encore si inlimement unis par des liens gradués qu'on ne pourrait tracer entre eux des lignes de démarcation. » Enfin, si l’on aperçoit des passages entre les animaux fossiles, on doit croire que les plantes fossiles ne se lient pas moins étroi- tement. M. Heer, après avoir remarqué qu’on n’a pas encore la preuve de l'identité complète des espèces de plantes tertiaires avec celles des plantes vivantes (5), s’est exprimé ainsi : « Véan- moins dans nombre de ces espèces, l'air de parenté est si frappant, (1) Desor, Synopsis des Échinides fossiles, p. XXXVIIL, in-8. Paris, 4858. (2) Paléontologie française : Terrain crétacé, Échinides. — Études sur Les Échinides fossiles du département de l Yonne. — Cotteau et Triger, Échinides du département de la Sarthe, 1858-1862. (3) Paléontologie française : Terrain crétacé, Zoophytes, p. 139. (4) Carpenter, Parker et Rupert Jones, Introduction to the study of the Foraminifera, p. x, in-folio. London, 1862. (5) Il serait bien étrange qu'il n'y eût pas de nombreuses espèces de plantes com- munes aux temps géologiques et aux temps modernes: cela serait en désaccord avec les résultats de l’étude des animaux fossiles. + 76 GAUDRY. que l’on peut se demander s’il n'existe pas un lien génétique entre les espèces, si bien que les espèces tertiaires seraient les aïieules des espèces actuelles (1). » Les renseignements qui précèdent suffisent sans doute pour prouver que les transitions observées à Pikermi se rapportent à une loi commune à tons les êtres. &- 40. Quelle Iumière l’étude des formes intermédiaires jette-t-elle sur la question de la transformation des êtres? En signalant les transitions qui lient entre eux les animaux des diverses époques géologiques, j'ai cherché à ne pas mêler à l'exposé des faits les considérations théoriques. Pourtant ces con- sidérations je ne peux les écarter toujours ; la constatation de chaque intermédiaire entraîne forcément notre esprit vers la grande question du renouvellement des êtres. La paléontologie positive, aussi bien que la paléontologie philosophique, est inté- ressée à savoir si les espèces ont été fixes ou ont subi avec le temps de lentes transformations : le jour où la seconde supposi- tion serait acceptée, il faudrait modifier le système actuel de nomenclature, puisque persister à créer un nom particulier pour le moindre changement, ce serait dresser des catalogues d’es- pèces sans limites. La question du renouvellement des espèces se pose aujour- d’hui dans des conditions tout autres qu’il y a vingt ans. On a cru à l'origine qu'il y avait eu trois époques d’apparitions d'êtres organisés ; à mesure que la science avança, on reconnut que ces époques étaient plus nombreuses; Alcide d’Orbigny en admit vingt-sept, et maintenant nul n'oserait fixer la multitude des moments où de nouvelles formes sont arrivées sur la terre. Ceci ressort surtout du cours de paléontologie que M. d’Archiae fait au Muséum ; cet éminent naturaliste passe en revue les terrains de tous les pays connus, en résumant les travaux dont ils ont été l'objet, et donnant pour chaque formation la liste des fossiles couche par couche ; il montre ainsi que, partout où un géologue (4) Oswald Heer, Recherches sur le climat et la végétation du pays tertiaire. Traduc- tion de M. Gaudin, p. 56. Genève, 4861. FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 77 dissèque habilement la partie stratifiée de l'écorce terrestre, il la voit se décomposer en une série de petites assises, caractérisées par la venue de quelque espèce. Par conséquent, le phénomène du renouvellement des formes n’est pas un phénomène rare, exceptionnel dans l’histoire du globe, mais continu. Ce phénomène continu, comment se produisit-il ? Les espèces qui se sont succédé ont-elles eu chacune une origine indépen- dante? Ou bien sont-elles descendues les unes des autres, en subissant de lentes transformations? Je vais exposer ces deux hypothèses dans toute leur rigueur ; car, avec des termes ambi- gus, on discute sans conclure : Les partisans de l'hypothèse de la fixité des espèces doivent admettre que Dieu, pour faire apparaitre des formes nouvelles, a organisé d’une manière plus ou moins instantanée des sub- stances inertes; par exemple, pour produire les Rhinoceros pa- chygnathus qui ont existé en Grece, les Rhinoceros leptorhinus et megarhinus venus plus tard, les Rhinoceros bicornis et simus plus modernes encore, il à rassemblé des éléments morganisés : un peu d'oxygène, d'hydrogène, d'azote, de carbone, etc.; ou bien il à vivifié des germes restés à l'état latent depuis l'origine des choses ; c’est ainsi que, tantôt un jour, tantôt un autre, il a con- stitué les espèces animales. Les partisans de l'hypothèse de la filiation des espèces raison. nent comme il suit : Nous ne comprenons pas ces Mammifères qui apparaissent subitement à l'état adulte avec leur pelage, leurs yeux, leurs oreilles, tous leurs organes, prêts à se mouvoir, à se nourrir, à aimer; nous les comprenons encore moins sor- tant d'un germe, et passant la période embryonnaire hors d’une matrice. Pourquoi l’infinie sagesse aurait-elle détruit toutes les espèces qu'elle a formées (1)? Les premiers êtres qu’elle a or ga- nisés lui ont servi à faire ceux qui ont suivi; il lui a suffi de les modifier peu à peu très-légèrement, pour amener la variété des formes qui se sont déroulées pendant les âges géologiques. (4) Cela ne veut pas dire qu’on admet la transformation de toutes les espèces. Peut- être un grand nombre ont disparu sans en avoir engéndré d’autres ; ainsi le Rhinocérôs à narines cloisonnées s’est éteint, et aucune espèce actuelle ne peut être considérée comme le résultat de sa transformation, 78 GAUDRY. Eu philosophie, les explications les plus simples sont préfé- rées, et, à ce titre, l'hypothèse des transformations est assuré- ment la plus séduisante. Cependant, comme tout est également facile au Créateur du monde, on conçoit que les opinions des savants, qui se placent à un point de vue théorique, peuvent rester flottantes. C’est dans l'étude des faits qu’il faut chercher une solution : si l’on découvre entre les êtres d’époques consé- cutives des liens intimes, je croirai à leur parenté, et par consé- quent à leurs transformations ; si l’on n’aperçoit pas ces liens, je continuerai à admettre que les espèces ne sont pas descendues les unes des autres. Or, que m'apprend l'examen des restes fossiles? 1° IL y a des genres de Mammifères qui n’ont les caractères d'aucun animal plus ancien qu'eux; tels sont le Singe de Saint-Gaudens, le Dinotherium, les Mastodontes miocènes, le Macrotherium, l'Hippopotame miocène, le Sivatherium, l'Helladotherium, le Paloplotherium de Coucy, le Coryphodon, l'Hyracotherium, la Palæonictis, etc. Si l’on commence à connaître des passages entre les Solipèdes et les Pachydermes, ou entre ceux-ci et les Ruminants, on ignore quel ordre se lie à ceux des Cheiroptères, des Édentés, des Cétacés, etc. De même, dans toutes les classes du règne animal, il y a des vides considérables, et, à diverses époques, on trouve certains êtres nettement séparés de ceux qui les ont précédés, de sorte que je ne sais dire quels furent leurs ancêtres. 2° On rencontre des formes de transition qui fournissent d'assez faibles arguments en faveur de la théorie de la filiation des espèces : je veux parler de celles qui ne sont accusées que sur une partie des organes; ainsi l'Hipparion a des membres semblables à ceux de l'Anchitherium, bien que ses molaires soient très-différentes ; on ne peut donc supposer qu’il descend directement de l’Anchitherium. De mème, quand le Palæoryæ se confond par ses cornes avec l'Oryæ, mais s’en distingue par ses molaires, ou que le Palæoreas avec ses cornes d'Oreas a une tout autre forme de crâne, on ne conclura pas que l'Oryx pro- vient immédiatement du Palæoryæ, ni l'Oreas du Palæoreas. I] est seulement permis d’espérer qu’en découvrant de nouvelles FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 79 espèces, on apercevra d'insensibles dégradations qui montreront que l’Anchitherium se rattache à la même souche que l'Hippa- rion, le Palæoryx à la mème souche que l'Oryæ, le Palæoreas à la même souche que l'Oreas. Mais ces intermédiaires ne sont pas connus, et, jusqu'à ce qu’on les ait trouvés, on n’a pas le droit de proclamer une communauté d’origine. . 8° Enfin d’autres intermédiaires semblent favoriser l'idée que des êtres attribués à des espèces, des genres, des familles ou des ordres distincts, eurent les mêmes ancêtres. Lorsqu'on groupe les animaux suivant les âges géologiques où ils ont apparu, on retrouve des liens entre un grand nombre d'espèces qui autrefois paraissaient isolées. Ainsi, il reste bien des lacunes dans les cadres paléontolo- giques, et par conséquent on ne peut encore démontrer d’une manière positive que les espèces d'époques consécutives sont descendues les unes des autres. Mais les vides n’existent-ils pas dans nos connaissances plutôt que dans la série des êtres fossiles? Quelques coups de pioche donnés aux pieds des Pyrénées, des monts Himalaya et du Pentélique, dans les sablières d'Eppels- heim ou aux Mauvaises terres du Nebraska ont suffi déjà pour révéler entre des formes qui semblaient très-distinctes des liens étroits ; nous balbutions à peine les premiers mots de l’histoire du monde, et pourtant ce que nous savons indique de toute part des traits d'union. Peu à peu les découvertes conduisent à adopter la théorie de la filiation des espèces ; nous tendons vers elle, comme vers la source où nous démêlerons le pourquoi de tant de ressemblances que nous apercevons entre les figures des vieux habitants de la terre. On ne possède que les parties des animaux susceptibles de se conserver par la fossilisation, et, quand même on aura appris que les os et les dents ont présenté des transitions d’espèce à espèce, 1l restera à montrer qu’il y a eu passage aussi pour la voix, les organes mous et les parties extérieures, telles que le pelage, la forme de la queue, des oreilles, etc.; la paléontologie ne pourra donc à elle seule prouver définitivement que des espèces différentes sont descendues les unes des autres. Il faut cependant convenir que, si elle démontre les transitions ostéo- 80 GAUDRY. logiques, elle aura rendu la théorie de la filiation très-probable. En effet, le squelette est la charpente de l'édifice ; les dispositions des muscles et des ligaments varient avec lui, puisqu'ils s’y insè- rent; les mouvements du corps dépendent de sa forme; il loge les parties essentielles du système nerveux et les organes des sens ; les moindres modifications des dents et des os des pattes influent sur le régime de nourriture et sur les mœurs. Si donc le sque- lette, regardé à juste titre comme fournissant les caractères les plus importants et les plus fixes, à présenté d’insensibles varia- tions, les autres organes ont pu en subir aussi (1). Le titre de cet ouvrage ne me permet pas d'entrer dans la discussion des arguments que les sciences étrangères à la paléon- tologie fournissent pour ou contre les transformations (2). Je (4) On dit quelquefois aux paléontologistes : «Le Zèbre, le Couagga, le Dauw, l’Ane et l'Hémione sont d’espèces différentes, et pourtant ils se ressemblent tellement par les parties du squelette que, si vous les trouviez fossiles, vous supposeriez qu'ils dépendent de la même souche.» C’est là ce qu’on appelle une pétition de principe, car justement il s’agit de savoir si ces animaux ont toujours été d'espèces différentes, et si la longueur des oreilles, la forme de la queue, la robe et la voix ne sont pas des caractères qui ont varié avec le temps. Les travaux d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire et récemment ceux de M. Huxley ont mis en lumière les transitions qui existent entre les organes d'animaux vivants tres-distincts en apparence. (2) Je réponds seulement aux deux objections le plus fréquemment adressées à veux qui penchent vers la doctrine des transformations. En premier lieu, on leur dit : & Suivant de savants observateurs, les modifications que les plantes et les animaux subissent de nos jours ne sont pas permanentes; donc il n’y a pas lieu de croire que, dans les temps géologiques, il y a eu des modifications permanentes.» Il est facile de retourner ce raisonnement contre ses auteurs, en disant : «De nos jours, on ne voit pas des Mammifères apparaitre faits de toutes pièces, donc il n’y a pas lieu de croire que, dans les temps géologiques, des Mammifères ont apparu faits de toutes pièces. » Certai- nement, si l’on voulait conclure des temps présents aux temps passés, l'hypothèse des transformations serait moins improbable que celle des générations instantanées, Car transportons par la pensée au milieu des temps géologiques les groupes que M. de Quatrefages, dans son Histoire naturelle de l'Homme, a nommés races naturelles, nous aurons un extrême embarras pour les distinguer de ce qu’on appelle habituellement des espèces animales. Quant aux espèces végétales, les recherches de M. Naudin, de M. Alphonse de Candolle et d’autres botanistes éminents, montrent combien il est dif ficile de les séparer des races et des variétés. En second lieu, on remarque que le Mulet n’a pas une fécondité continue, bien que ses parents soient très-proches l’un de l’autre, et l'en assure que l’ouvrage de M. Godron sur Espèce et les races dans les étres organisés ne permet pas d'attribuer la forma- tion de nouvelles éspèces à des croisements entre des animaux dont les différences sont un peu notables, Mais je ne prétends pas que les formes intermédiaires soient le résul- FAUNE FOSSILE DE L'ATTIQUE. 81 n'essayerai pas non plus de dire quelle a été leur limite ou de scruter les procédés par lesquels elles ont été opérées. La question de savoir s’il y a eu des transformations doit être réso- lue principalement par l'examen minutieux des êtres fossiles ; celle de savoir comment elles ont eu lieu est très-distincte. Lorsque M. Darwin, dans son livre sur l'Origine des espèces, à prétendu qu'il y avait eu des transformations, 1l à répondu aux aspirations d'un grand nombre d’observateurs; mais, quand ce savant illustre a voulu expliquer de quelle manière les transfor- mations avaient été produites, de graves objections lui ont été opposées par des hommes très-exercés dans l'étude de la nature. Quel que soit le mode suivant lequelles animaux ont été renou- velés, ce qu'il y a de certain, c’est que nulle modification n’a été due au hasard. Mes recherches ont montré que, dans les temps géologiques, la Grèce ne fut pas un théâtre de luttes et de désor- dres ; tout y était disposé dans l'harmonie. Si nous reconnaissons que les êtres organisés ont été peu à peu transformés, nous les regarderons comme des substances plastiques qu'un artiste s’est plu à pétrir pendant le cours immense des âges, ici allongeant, là élargissant ou diminuant, ainsi quele statuaire, avec un morceau d'argile, produit mille formes, suivant l'impulsion de son génie. Nous n’en douterons pas, l'artiste qui pétrissait était le Créateur lui-même, car chaque transformation a porté un reflet de sa beauté infinie. tat de tels croisements. S'il en était ainsi, les règnes organiques présenteraient le spectacle d’une bigarrure universelle, et l’on ne comprendrait point comment les natu- ralistes se sont tous accordés à reconnaitre les petits groupes nommés espèces (quel que soit d’ailleurs le sens qu’ils ont attaché à ce mot). J'admets volontiers que les accou- plements entre les êtres de constitution différente sont rares, ou du moins ne sont pas habituellement féconds; ce n’est qu’à la longue et d’une façon insensible que les changements ont été opérés. 5e série, ZooL. T. VIL. (Cahier n° 2.) 2 6 NOTE SUR LE MAMMOUTH DÉCOUVERT PAR UN SAMOYÈDE DANS LA BAIE DU TOS, PRÉS DÜ GÔLFE DE L'OBI, PAR M. F. SCHMIDT. (Bibliothèque universelle de Genève, février 1867.) On lit dans les Mittheilungen de Petermann (cahier de novembre 1866) : « Il y a quelques mois nous annoncions, avec de grandes espé- rances, l'envoi du géologue Fr. Schmidt dans les plaines glacées de la Sibérie septentrionale, où 1l devait rechercher le cadavre d’un Mam- mouth découvert en 1864, et le faire transporter à Saint-Pétersbourg avec tous les soins possibles. Les détails que l’on donnait sur cette trouvaille ne permettaient pas de douter qu'il s'agissait d’un exemplaire en parfait état de conservation, et l’on était en droit de s'attendre à ce que le délé- gué de l’Académie de Saint-Pétersbourg fournirait des données impor- tantes sur l'apparition énigmatique, dans un sol éternellement gelé, de ces êtres d’un autre âge ; sur les traits essentiels qui en caractérisent le gisement ; sur leur manière de vivre et de se nourrir. Malheureusement nous n'avons qu'une déception de plus à enregistrer. Dans sa séance d’oc- tobre 1866, la Société de géographie de Saint-Pétersbourg à été informée que M. Schmidt avait bien réussi à trouver le cadavre da Mammouth, mais que les renseignements antérieurs étaient singulièrement exagérés. Au lieu d’un exemplaire complet et bien conservé, ce savant n'a eu à enlever que la peau ei quelques os à moitié décomposés; sans doute nous en saurons bientôt davantage. La nouvelle à été transmise par les membres d’une expédition scientifique qui, sous les auspices de la Société de géographie d’Irkoutsk, exploraient les bords du Ténisséi et ont ren- contré M. Schmidt à Dudensk. » D’après le journal russe de Saint-Pétersbourg (5 janvier 1867), M. Schmidt est parvenu à déterrer une grande quantité d'os, de poils et de peau du Mammouth, à la recherche duquel il avait été envoyé; mais il n’a pu découvrir les parties intérieures du corps, en sorte qüe les ques- tions relatives à la nourriture de cet animal n’ont pu être éclaircies. Le cadavre de ce Mammouth est celui d’un jeune animal, car il n’avait qu’une dent de chaque côté de la mâchoire. EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE ET SPÉCIALEMENT SUR LA TEMPÉRATURE DU SANG VEINEUX COMPARÉE A CELLE DU SANG ARTÉRIEL DANS LE COŒUR ET LES AUTRES PARTIES CENTRALES DU SYSTÈME VASCULAIRE, Par M. G. COLIN; Professeur à l’École impériale vétérinaire d’Alfort. On sait, depuis les travaux de plusieurs expérimentateurs habiles, que l& température des diverses parties du corps n’est point uniforme, soit parce que la Calorificationt n’est pas dans toutes également active, soit parcé que le refroidissement ne s’y effectue pas avec régularité. Les particularités intéressantes que l’on a signalées à cet égard donnent à penser que la répar= tition de la chaleur dans l'organisme est subordonnée à des lois imparfaitement connues. | En présence des lacunes et des incertitüdes que les physiolo= gistes ont laissées dans l'histoire de la calorification, je me suis proposé quelques études sur les points les plus importants de cette histoire, particulièrement sur les faits que l’on à invoqués à l'appui des théories éhimiques de la chaleur animale. Mes recherches ont porté d’abord sur la température du sang arté- riel et dû Sang veiñeux, tant dans les gros vaisseaux que dans les cavités du cœur, puis sur celle des voies respiratoires et des viscères abdominaux, enfin sur la température de la peau et des parties sous-jacentes. Dans ces recherches, deux choses m'ont préoccupé avant 8 G. COLIN. tout le reste, car elles ont une importance capitale, d’une part la sensibilité et l'exactitude des instruments, et de l’autre les modes d’expérimentation. Les instruments ont été construits par M. Walferdin dont l'habileté est connue de tout le monde. Ce sont des thermo- mètres à maæima à bulle d'air, et des thermomètres métasta- tiques à maæima, donnant directement au moins les vingtièmes de degré. Ces thermomètres, en raison de leurs faibles dimen- sions, peuvent être portés facilement dans la cavité des organes, même dans les petits vaisseaux; en outre, par suite de l'exi- guité de leur réservoir, ils peuvent donner leurs indications au bout d’un temps très-court. M. Walferdin lui-même a bien voulu me familiariser avec leur emploi. Les procédés d’expérimentation ont été, Je crois, très-rigou- reux. Pour faire pénétrer le thermomètre dans les cavités du cœur, j'ai évité de pratiquer des plaies vers l'entrée de la poi- trine, afin de ne pas troubler les fonctions pulmonaires et car- diaques. J'ai tout simplement ouvert la jugulaire et la carotide à la partie inférieure du cou; par les ouvertures de ces vais- seaux, j'ai porté le thermomètre dans les cavités du cœur, au moyen d’un appareil à la fois conducteur et protecteur que je mets sous les yeux de l’Académie. C’est un tube métallique de 15 centimètres de long sur 7 à 8 millimètres de diamètre, por- tant à son extrémité libre une cage elliptique à larges fenêtres; le thermomètre sy meut à l'extrémité d’une sorte de piston et vient placer sa boule dans la cage largement ouverte. Au bout de deux à trois minutes, l'instrument est retiré ; on lit l’indica- tion donnée par le globule de mercure servant de curseur: puis on le porte de nouveau, soit dans les mêmes cavités, soit dans les cavités opposées. De cette manière, on obtient successive- ment et alternativement la température des deux cœurs sans craindre de briser le thermomètre. Le même appareil a servi également pour obtenir la température des cavités nasales, de la trachée, du rectum, du vagin, de l’utérus, de la vessie, etc. Pour les viscères tels que l'estomac, le cæcum, les diverses EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE. £5 parties de l'intestin où le thermomètre ne peut être porté qu'à travers des ouvertures artificielles, je me suis servi d’un autre appareil ressemblant, quant à la forme, au précédent et con- stitué par deux tubes jouant à frottement l’un dans l’autre, tubes dont l'interne est terminé par une pointe de trocart. On l’enfonce dans les organes, comme on le ferait d’un trocart ordinaire; puis, en imprimant un léger mouvement semi- circulaire au tube interne, on masque la pointe et l’on cuvre la fenêtre qui correspond à la boule du thermomètre. Une fois qu'il s’agit de retirer ce dernier, on ferme la fenêtre par un léger mouvement circulaire du tube interne, et dès lors on ne court aucun risque de lasser l'air s'introduire dans l'organe. Dans les expériences sur les petits animaux, tels que le Chien, le Mouton, le Porc, les appareils dont 1l vient d'être question sont inutiles. Les thermomètres sont portés directement dans les cavités du cœur ou des autres viscères par la carotide, la jugu- laire, etc. Je dirai tout à l'heure comment il est possible, en modifiant la direction des tubes conducteurs, d'arrêter la boule du thermo- mètre dans la veine cave antérieure ou de la pousser dans la veine cave postérieure, de la tenir dans l'oreillette ou de la descendre dans le ventricule. Je me hâte d'arriver à l'examen des questions spéciales que j'ai pu aborder. Parmi ces questions, il en est une qui semble dominer toutes les autres, c'est celle de la température du sang dans les cavités du cœur, ou, en d’autres termes, la question de savoir quel rap- port il y a entre la température du sang à son entrée dans le poumon et à sa sortie de cet organe, car ce parallèle paraît résoudre le problème que les découvertes de la chimie moderne ont posé, savoir : le sang s’échauffe-t-1l par suite de son con- flit avec l'air dans le tissu pulmonaire? On sait que deux solutions contradictoires de ce problème ont été données: l’une, affirmative, qui se concile avec les idées de Lavoisier sur le rôle du poumon dans l'acte de l’héma- 86 G. COLIN. tose; l’autre, négative, présentée dans ces derniers temps par M. CI. Bernard, Entre elles, il y a peut-être encore quelque place pour des études nouvelles comme celles que je viens soumettre au jugement de l’Académie des sciences. Mais avant de les exposer, je dois m'arrêter sur quelques faits en dehors desquels il est impossible d'interpréter sainement les données thermométriques obtenues sur les animaux. Le corps animal sur lequel nous expérimentons produit incon- testablement de la chaleur dans toutes ses parties vivantes; néanmoins il en produit inégalement, c'est-à-dire plus dans certains tissus que dans d’autres. En outre, il en perd aussi et imégalement par le fait du rayonnement, de la conductibilité et de l’évaporation. Ces deux résultats, l’inégale production et l'inégale déperdition de calorique, sont à prendre en considéra- tion dans l'analyse des divers problèmes que comporte l'histoire de la chaleur animale. Le premier de ces résultats n’est pas contestable : le raison- nement suffirait, sans le secours de l’expérimentation, pour le faire admettre. Évidemment la calorification ne saurait acquérir la même activité dans tous les organes. Elle doit être à peu près nulle dans les parties cornées, pileuses et épidermiques ; faible dans les tendons, les ligaments et dans les tissus analogues d’une vitalité obscure et où les phénomènes chimiques sont peu prononcés, comme dans le squelette, le tissu adipeux, etc., dont la masse représente une notable fraction du poids total du corps. Au contraire, elle doit acquérir une grande activité dans les muscles, les poumons, la peau, les muqueuses, les glandes, en raison de leur vascularité et des phénomènes chimiques qui s'y accomplissent. Ainsi M. Becquerel a trouvé que la température du biceps dépasse de 1°,57 celle du tissu cellulaire qui entoure ce muscle; j'ai vu, dans plusieurs observations, la température du foie, de la rate, des reins, excéder de 2, 3, 4, 5 dixièmes de degré celles des parties plus rapprochées des parois thora- eiques ou abdominales. La grande quantité d'os, de tendons, de ligaments aux extrémités inférieures des membres, à la EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE. 87 main, au pied, contribue largement, avec d’autres causes, à rendre ces parties plus aptes à se refroidir et moins aptes à s'échauffer que les autres. Toutefois il est clair que les os, les tendons et autres tissus analogues arrivent en définitive, dans certaines conditions, à la température des parties très-vascu- laires, par suite de la conductibilité et du-rayonnement des organes plus échauffés. Il y a là un phénomène de répartition indépendant de la calorification proprement dite. D'autre part, l'inégale déperdition de la chaleur s'oppose à ce que la température soit parfaitement égale dans toutes les parties. Le corps animal, considéré en masse, se trouve, relativement au milieu ambiant, comme un corps inerte qui tend à se refroidir. Il éprouve, en effet, un refroidissement qui diminue à mesure qu'on se rapproche des régions les plus volumineuses et les plus centrales, Les extrémités, les appendices et les surfaces perdent plus que les organes profonds, et cela par deux causes qui agissent ensemble : le rayonnement et l'évaporation. À cet égard, 1l ne saurait s'élever de doute ni sur le fait, ni sur ses causes, Déjà plusieurs expérimentateurs ont noté que la température des extrémités, celle des veines sous-cutanées, de l'entrée du rectum, de l’urèthre est moins élevée que la tempé- rature du tronc, de la veine porte, des veines caves, de l’esto- mac, du bulbe de l’urèthre. Ainsi, dans les expériences de Hunter, pendant que le thermomètre donnait 38°,06 dans le rectum, il indiquait 38°,20 dans le foie et 38°,33 dans le cœur. Sur l'homme, alors qu’à l'entrée de l’urèthre, en arrière du gland, la température était de 33,33, elle parvenait à 36°,11 au niveau du bulbe. Dans celles de Carlisle, de Davy, faites sur des Chevaux ou des Agneaux que l’on venait de tuer, il en a été de même. J'ai également toujours trouvé la température des veines jugulaires, des sous-cutanées thoraciques, des saphènes, moins élevée que celle des artères carotides, fémorales, des veines caves et de la veime porte; celle de l'entrée du rectum, de l’urèthre, inférieure à celle des régions profondes de ces mêmes conduits. Les différences ont été plus ou moins mar- 88 &. COLIN. | quées, surtout suivant les différences de profondeur et l’état de la chaleur ambiante. Cette dernière circonstance doit être prise en très-sérieuse considération , car elle peut entacher d'erreur une foule de don- nées expérimentales. En comparant, par exemple, le sang de la Jugulaire à celui de la carotide, on ajoute à la comparaison du sang artériel et du sang veineux cette autre comparaison d’une zone superficielle, moins chaude avec une zone profonde plus chaude ; de plus, on met en parallèle un sang provenant des parties centrales où la température est plus élevée avec un sang dérivant des parties périphériques, où naturellement elle est plus basse. Pour établir un parallèle rigoureux, il faudrait éliminer ces deux éléments de perturbation, car il paraît impossible de démêler leur part respective et de la défalquer du résultat com- mun. Il faudrait comparer le sang de l'artère carotide interne qui se rend au cerveau avec le sang de la jugulaire interne qui en sort, ou le sang des veines pulmonaires à celui des artères de même nom, le sang de l'artère rénale à celui de la veine homologue, le sang de l'artère hépatique à celui des veines sus-hépatiques. Cela posé, arrivons au premier point de nos études, la température des deux sangs dans les cavités du cœur. Ne perdons pas de vue, en commençant, que notre parallèle va porter sur deux sangs fort différents : l’artériel, qui est homo- gène et qui sort d'un seul organe, le poumon, où la température est sensiblement uniforme, et le veineux, qui esttrès-hétérogène, qui revient en partie des extrémités, des couches superficielles, en partie des régions centrales, dont la chaleur est très-élevée. Ce dernier sang est amené au cœur en proportions inégales par trois grands courants : 1° la veine cave supérieure, 2° la veine cave inférieure, 3° la veine porte. Chaque courant a sa température propre : le premier représente le minima, le second le terme moyen, et le dernier le maæima. Mais dans l'oreillette, les sangs des deux derniers arrivent mêlés; le thermomètre n'indique plus qu'un minima à l’orifice de la veine cave supérieure, et un maxima à l'embouchure de l’inférieure. Eu opérant avant la EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE. 89 jonction des systèmes de la veine porte et de la veine cave infé- rieure, on constate nettement que les deux courants périphé- riques sont moins chauds que le courant central. On conçoit, d’après cela, qu'il importe, dans les expériences faites sur le cœur, de soustraire l'instrument à l’action propre de ces courants, d'éviter, par conséquent, que le thermomètre demeure à l’orifice de la veine cave supérieure ou s’avance à l'embouchure de la veine cave inférieure ; 1l faut le placer et le maintenir dans une situation intermédiaire, c'est-à-dire à l’ori- fice auriculo-ventriculaire ou dans la cavité même du ven- tricule. On arrive à ce résultat en enfoncçant le thermomètre à une profondeur préalablement déterminée d’après la taille du sujet, et en lui donnant une obliquité qui croise l’axe de la poi- trine et fasse incliner en bas la boule de l’instrument, quelque- fois au risque de le briser. Si l'on poussait le thermomètre hori- zontalement, il s'engagerait tout naturellement dans la veine cave inférieure, ou au moins demeurerait à son orifice ; ainsi on obtiendrait, pour le cœur droit, une température trop élevée, qui, en réalité, ne serait pas la sienne. Voici, dans cet extrait de mon travail, les tableaux où figurent les résultats de mes expériences. Ces expériences sont réparties en trois séries : la première comprend celles où la température a été prise successivement dans les deux cœurs en commencant par le droit ; la deuxième, celles dans lesquelles on a commencé par le cœur gauche; enfin la troisième comprend les expé- riences dans lesquelles on à pris alternativement la température des deux cœurs un assez grand nombre de fois et à des inter- valles rapprochés. PREMIÈRE SÉRIE. — La température est prise successivement dans les deux cœurs, en commencant par le droit, sur 29 Che- vaux de divers âges, dans des conditions variées, les uns cou- chés, les autres debout. | 90 G. COLIN. Récapitulation des expériences de la première série. 35 |’ CoEURS. É s LE 4 [ES COEURS. E a & LS à cent. | cent o cent. | cent 4,1 CG. droit...| 37,95 8 16.1 CG. droit...| 35,54 gauche, | 37,87 ‘ gauche.| 35,83 41,29 2e MC Le RACE 17. | GC. droit...| 38,18 gauche.| 38,10 1....1 45 gauche.| 38,26 |.... 8 3. | C. droit. .| 38,57 18. | CG. droit...| 37,56 gauche .| 38,57 gauche .| 37,26 DAC aroIt... | 37:52 48. | G. droit..,| 37,83 | 42 gauche.| 37,63 |....[ 11 gauche.| 37,71 5.1 C. droit...| 37,64 19. | C. droit.. | 39,58 gauche.| 37,74 |....| 10 gauche.| 59,71 |.:.,| 143 6.| C. droit...| 36,40 20. | C. droit...| 37,40 | 45 gauche.| 36,63 |....| 23 gauche. | 37,25 7. | C. droit...| 37,40 21. | GC. droit...| 38,18 gauche. | 37,40 gauche.| 38,18 8. | C. droit..,| 37,56 22, | CG. droit, .| 36,94 - gauche.| 37,71 |....1 45 gauché.| 37,33: |.. .| 39 D ARGAdroit te | 8736" 8 23. | C. droit. ..| 37,06 gauche. | 37,56 gauche.| 37,49 |.. .| 48 40, | C. droit.,,| 35,47 24. | C: droit...|. 37,34 7 gauche.| 35,47 gauche. | 37,24 44:1 G. droit... | 37,25 15 25.| G. droit...| 38,38 gauche, | 37,40 |.... gauche, | 38,38 12 1:0droit-.l.26.26:) 74 26. | GC. droit. .| 37,40 7 gauche, | 35,85 gauche.| 37,33 143. | C. droit...| 37,40 3 27100 rdrdit. "1 "93925 & gauche.| 37,27 gauche, | 37,17 14. | C. droit...| 38,52 28. | C. droit...| 36,32 gauche.l 38,65 |....| 13 gauche.| 36,44 |....1 49 15. | C. droit...| 38,18 | 16 29. | GC. droit...| 36,16 gauche .| 38,02 gauche .| 36,32 |....| 46 On voit, d'après ce premier tableau, que, des 29 animaux sur lesquels la température des deux cœurs a été prise successive- ment, 5 ont offert le même degré des deux côtés, 10 un excès dans les cavités droites et 14 un excès dans les cavités gauches. L'excès le plus considérable a été, pour le ventricule droit de hA centièmes de degré, et pour le gauche de 39 centièmes. EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE. 9A L'excès moyen a été de 12 centièmes pour le sang veineux et de 16 pour le sang artériel. En présence de ces premiers résultats, on pourrait déjà con- clure qu’il n’y a rien de constant et d'invariable dans la tempéra.- ture des deux cœurs, Mais comme l'ordre de l’expérimentation peut exercer quelque influence sur le rhythme des contractions cardiaques, et réagir par là tant sur la calonification générale que sur celle du poumon, il importe d'intervertir l’ordre des expériences, c’est-à-dire de commencer par le cœur gauche, après avoir débuté par le cœur droit. En alternant ainsi, on éta- blit des compensations qui rendent les conclusions plus rigou- reuses. Deuxième séRie, — Celle-ci comprend les expériences où la température est prise d’abord dans le cœur gauche, puis dans le cœur droit. Elle porte sur des Chevaux placés dans des condi- tions variées analogues à celles où se trouvaient les sujets de la précédente catégorie. Récapitulation des eæpériences de la deuxième série. SE IRS. À SEE REA ER s 2 SRE RE - > COEURS ‘ + : | : COEURS ; 2È ë : = A = = a = o cent. | cent. 0 cent. | cent. 30. | C. gauche.| 37,74 28. | GC. gauche.| 59,27 droit. ..| 37,79 5 droit. .| 39,19 31. | C. gauche.| 36,47 39. | C. gauche. | 37,06 |....| 51 droit...! 36,95 8 droit... .| 36,55 32, | G. gauche.| 37,44 |....{ 38 | 40. | GC. gauche.| 34,69 droit., | 37,06 droit...! 24,69 83. | C. gauche, | 34,43 |....1 5 | 41. | G. gauche.| 38,25 |....1 7 droit...| 34,38 droit...| 38,18 34. | G. gauche.| 35,39 42. | C. gauche.| 38,34 droit...| 35,39 droit....| 38,34 35. | C. gauche.| 37,32 |.,..1 15 | 43, | GC. gauche.| 37,56 8 droit...| 37,17 droit...| 37,64 36. | C. gauche.| 39,04 |....| 39 | 44. | C. gauche.| 36,78 droit. ..| 38,65 droit..,| 37,09 | 31 37. | GC. gauche! 38,18 45. | C. gauche.| 38,18 droit...| 38,18 droit...| 38,02 |....[ 16 99 G. COLIN. à droite. à gauche. TEMPÉRATURES, TEMPÉRATURES EXCÈS DE TEMPÉR. NUMÉROS desexpériences, COEURS. ë COEURS. a 0 cent. | cent o C. gauche.| 35,85 50. | C. gauche.| 39,00 droit...| 35,85 droit. :.| 39,17 | 17 C. gauche.| 37,75 51. | C. gauche.| 38,62 droit...| 37,75 droit...| 38,66 ü C. gauche.| 37,60 1 51. | GC. gauche.| 38,38 dro--11297,59:|.1.. droit...| 38,45 1 C. gauche.| 37,34 52. | GC. gauche.| 37,25 droit...| 37,38 & droit...| 37,40 | 15 Sur les 24 Solipèdes de cette deuxième série, chez lesquels la température des deux cœurs à été prise dans un ordre inverse à celui de la première, on voit qu'il y a eu : 4° sept fois égalité entre les deux côtés, 2° neuf fois excès de température dans le cœur droit, 3° et huit fois excès dans le cœur gauche. L'écart maximum pour le cœur droit a été de 31 centièmes, et pour le gauche de 51 centièmes de degré. L’excès moyen de tempéra- ture à été de 11 centièmes pour le sang veineux, et de 22 cen- tièmes pour le sang artériel. En rapprochant les chiffres donnés par les 53 Chevaux de ces deux premières séries, on voit que, dans un cinquième des cas seulement, les deux cœurs ont la même température, et que, dans les quatre cinquièmes des autres cas, il y a inégalité, mais plus souvent à l’avantage du gauche qu'à celui du droit. La prééminence qui appartient au cœur aortique est en outre plus prononcée que celle de l’autre cœur ; en effet, pour le premier, l'excès moyen de température a été de 18 centièmes de degré, et pour le second de 12. L’excès maximum pour le gauche a été de 51 centièmes et de 41 seulement sur le droit. TROISIÈME SÉRIE. — Qui comprend des expériences faites sur les animaux des espèces bovine et ovine. Ici le thermomètre n'aété descendu dans le cœur, à l’aide de son tube conducteur, que sur le Taureau et la Vache. Il a été porté directement dans cet organe, sans enveloppe, par la jugulaire et la carotide, sur les EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE. - 93 Béliers et les Brebis. Dans plusieurs expériences, on a pris deux ou trois fois la température de chaque cœur, de manière à con- stater les variations qu’elle peut éprouver à des intervalles très- rapprochés. Récapitulation de la troisième série (Ruminants). NUMÉROS desexpériences. TEMPÉRATURES, DIFFÉRENCES en faveur du d. NUMÉROS des expériences. TEMPÉRATURES. DIFFÉRENCES en faveur du dr. DIFFÉRENCES en faveur du g. COEURS, COEURS. 0 cent o cent. | cent, 53. | C. gauche.| 38,65 61. | GC. gauche.| 40,55 droit...| 38,81 | 16 droit... 40,59 nn 54. | C. droit...| 37,74 7 C gauche.| 40,59 gauche.| 37,64 droit...| 40,59 55. | C. droit...| 38,65 62. | C. droit...| 40,68 carotide.| 38,43 gauche.| 40,68 56. | C. droit...| 39,71 C. droit...| 40,73 gauche.| 40,02 |....[ 31 gauche.| 40,77 |....| 4 57. | C. gauche.| 39,95 63. | C. gauche.| 39,55 droit. .| 39,95 droit. ..| 39,55 58. | C. droit...| 40,17 | 30 C: gauche.| 39,56 gauche.| 39,87 droit-321 13992410" 0 A 59. | C. droit...| 40,40 8 64. | GC. droit...| 39,08 gauche.| 40,32 gauche.| 39,08 60. | C. droit...| 40,32 C. droit...| 39,10 gauche.| 40,32 gauche.| 39,08 2 C. droit...| 40,47 3 . gauche.| 40,44 On remarque entre ces derniers résultats et ceux qu’avaient donnés les expériences sur les Solipèdes un contraste frappant. Dans nos 16 observations qui, sauf 3, portent sur des Béliers ou des Brebis, nous constatons 6 fois l'égalité et 10 fois l'inégalité entre les deux cœurs. Dans les 10 cas d'inégalité, l'avantage appartient 8 fois au cœur droit ou au sang veineux. Cette impor- tante particularité s’expliquera par l'influence de la toison et du grand développement du système veineux abdominal. QUATRIÈME SÉRIE. — Toutes ces dernières sont faites sur les Chiens de grande taille à long pelage ou à poils ras, Le thermo- 94 - G: COLIN. mètre est descendu dans le cœur, comme chez le Bélier, sans l'intermédiaire du tube fenêtré. Les indications, étant obtenues plus rapidement, portent sur des périodes trés-rapprochées les unes des autres ; elles peuvent ainsi faire apprécier, mieux que chez les grands animaux, les changements de température brusques et de courte durée. Tableau de la quatrième série (Carnassiers). 2 =, 5 A5 4 2 2 ë 5 E z 2 E COEURS. É 5152128 COEURS. È Hole gi 2 cent. | cent. 0 cent. | cent 65. | C. gauche.| 39,87 a 46 C. droït:..| 38,34 droit...| 39,71 gauché.| 38,61 |....| 27 66. | G. droït...| 39,54 73.1 'C- drGiés2i| 88,31 gauche .| 39,63 11 gaüche.| 39,04 |....1 70 67. | C. drôits/ | 99,22 C. droït:..| 38,80 gauchè.| 39,12 gauché.| 39,04 |....| 24 68. | C. gauché.| 39,11 C. droit:..| 39,04 f droit...| 39,11 gauche.| 39,00 69. | GC. droit...| 39,43 74. | C: droïit:..| 38,57 gauche.| 39,62 19 gauche. 38,96 |....| 39 C. droit:..| 39,43 C. droit. .| 38,73 gauché.| 39,59 |....| 16 gaüché.| 38,80 |....| 7 70. C. droit... 39,71 {I y à eu hé- C. drôit::. 38,80 gauche.| 38,65 { morrhagie.) gaüche.| 38,88 |....| 8 C. droit...| 38,65 75. | C. droit...| 39,11 * gauche.| 38,65 gaüche.| 39,42 |... 31 AE Csudroit::21139,98 1 GC. droit...| 38,80 gauche.| 38,92 gauche.! 39,27 |....| 47 C. droit....| 38,90 C. droit. ..h 38:86) E°-2010br gauche.| 39,10 |....| 20 gauche .| 39,27 79. | C. droit...| 38,52 C. droit... 38,96 gauche.| 38,57 |.:::| 5 gauche.| 39,19 |.::.} 23 C. droit..:| 38,02 GC: droit...| 38,77 gauche .| 38,52 |....| 50 gauche.| 39,04 |....| 27 Les vingt-quatre observations thériiométriques doubles de cette dernière catégorie nous donnent des résultats d’uñe phy< sionomie nouvelle. Sur ce nombre, nous voyons vingt et une fois l'inégalité et trois fois seulement l'égalité de température entre les deux cœurs. Dans les vinigt et un cas d'inégalité, l'avantage : EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE. . 95 appartient dix-huit fois au cœur gauche où au sang artériel, et trois fois seulement au cœur droit ou au sang veineux. Pour le cœur gauche, l'excès s'élève de 5 à 50 centièmes de degré ; pour le droit, il n’oscille que de 1 à 4 centièmes. La prééminence thermique du sang artériel sur le sang vei- neux est donc ici tout à la fois beaucoup plus fréquente et plus étendue que chez les Solipèdes. Nous en trouverons les raisons dans l’état de la peau, du système pileux, ainsi que dans le faible volume et le mode d’action de l'appareil digestif des Carnassiers. Maintenant comparons et discutons les documents que nous a fournis l’expérimentation. Nous avons dit, en commençant ce mémoire, que le corps animal, inégalement échauffé par des foyers multiples, se refroi- dit aussi inégalement par la conductibilité, le rayonnement et l'évaporation opérée sur diverses surfaces. En d’autres termes, nous avons formulé deux propositions bien distinctes, celle de l’imégale calorification et celle de l'inégale déperdition de chaleur, propositions qui sont assez étayées sur les lois de la physique pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en donner une démonstration en règle. Aussi, sans chercher à les prouver expérimentalement, nous pouvons, pour resserrer le cercle de nos études, nous de- mander de quoi dépend l'inégalité de température des deux sangs : si elle tient seulement aux différences de température des parties que les liquides traversent, ou bien encore, et en même temps, aux différences de température des parties en contact avec le cœur. Ne pourrait-il pas se faire que le diaphragme, les parois costales, le sternum, la trachée, les poumons, eussent, à titre de corps inégalement chauds, une influence sensible sur les diffé- rentes régions du cœur, avéc lesquelles ils ont des rapports de voisinage ou de contiguité ? Comme l'expérimentation fait dé- couvrir des différences non-seulement entre l'un et l’autre ven- tricule, entre l’une et l’autre oreillette, mais encore entre une extrémité d’une oreillette et l’extrémité opposée, entre l’orifice d'un ventricule et son fond, il n’est pas impossible que les parties voisines prennent quelque part à ces différences, 96 G. COLIN. J'ai tenté pour l'éclaireissement de ces points un certain nombre d'expériences dont les résultats sont de nature à encou- rager les physiologistes à faire de nouvelles tentatives. Les miennes portent particulièrement, jusqu'à ce jour, sur l’esto- mac, la trachée et les poumons. D'abord on devine, sans le secours de l’expérimentation, que l’estomac, suivant les circonstances, doit emprunter, où doit céder au foie, au diaphragme, et par suite à une partie du cœur (la pointe ou la face postérieure, suivant les espèces), une notable quantité de calorique. Cet organe recoit en effet, chez l'Homme, des liquides dont la température tantôt plus, tantôt moins élevée que celle du corps, modifie momentanément celle des parties voisines. Ïl admet chez les Herbivores, en un instant, d'énormes quantités d'eau-parfois glacée, qui soutirent au diaphragme et à la base des poumons assez de chaleur pour déterminer des bron- chites et des affections analogues. Et ce n’est souvent qu’au bout d'un temps très-long, une demi-heure, trois quarts d'heure, que le contenu du viscère s’est mis eu équilibre avec les organes abdominaux (1). D'un autre côté et à d’autres moments, l’esto- mac, au lieu d'emprunter à son atmosphère une certaine somme de calorique, lui en communique en vertu des actions chi- miques qui s’accomplissent dans son intérieur. Les expériences prouvent qu'il ne peut en être autrement. Toutes celles que j'ai faites m'ont démontré que, en dehors des repas et des heures qui suivent l'ingestion des boissons froides, l’estomac a une tempé- rature plus élevée que le cœur. J'en cite quelques-unes : Sur un Bélier dont la température du cœur oscillait entre h0°,55 et 40°,59, celle de l'estomac était à 40°,62. Sur un autre animal de la même espèce, dont le cœur donnait 39°,55 à 39°,59, l'estomac était à 39°,76. Sur un troisième Bélier, le cœur marquant de 39°,68 à 39° ,10, l'estomac indiquait 39°,17. L'intestin lui-même peut communiquer de la chaleur au dia- phragme et aux organes voisins, car sa température intérieure, (4) J'ai déjà signalé ce fait dans le premier volume de mon Traité de physiologie. EXPÉRIENCES SUR- LA CHALEUR ANIMALE. 97 comme celle de l'estomac, est plus élevée que la température du cœur; d’ailleurs toute la masse renfermée dans l’abdomen est, au moins dans ses parties centrales, comme l’a tres-bien démontré M. Bernard (1), plus chaude que le cœur. Ainsi le thermomètre qui, sur un premier Cheval, marquait au cœur de 37°,06 à 37,44, marquait vers le centre de la cavité abdomi- nale 37°,64. Sur un second, il donnait au cœur de 34°,43 à 34°,61, et à l'abdomen 34°,73 (l'animal était à jeun depuis vingt-quatre heures). Sur un troisième : au cœur 35°,39 et à l'abdomen 35°,66. Sur un quatrième : au cœur de 36°,55 à 37°,06, et à l’abdo- men, en arrière du foie, 37°,52. Sur un cinquième : au cœur 34°,69, à l'abdomen 35°,08. L’excès au profit de l’abdomen a donc été de 20 à 58 cen- tièmes de degré sur le premier, de 12 à 30 sur le second, de 27 sur le troisième, de 46 à 97 sur le quatrième et de 39 sur le cinquième. Mais si le cœur tend à s'échauffer du côté de l'abdomen, dont la température est plus élevée que la sienne, ne tend-il pas à se refroidir dans ses points de contact avec le poumon et les parois costales? Autre question délicate qu'il importe d'examiner avec le plus grand soin. D'abord il est certain que les parois costales ou thoraciques, en raison de leur minceur et de leur situation superficielle, ont une température inférieure non-seulement à celle des organes abdominaux, mais mème à celle du cœur. J'ai pris souvent d’une manière comparative la température de la cavité abdominale et celle des veines superficielles, notamment de la sous-cutanée thoracique, et le sang de cette dernière a toujours marqué au moins un demi-degré au-dessous du sang artériel, souvent 70 à 80 centièmes de degré, quelquefois surtout en hiver 1 degré, 1 degré et demi et 2 degrés. Cette veine, énorme chez le Cheval, (1) Leçons de physiologie expérimentale (professées au Collége de France), 1854- 4855. 5e série. ZooL. T. VII, (Cahier n° 2.) 5 7 98 G. COLIN. donne la température des parois costales à leur surface exté- rieure. À l'intérieur, c’est-à-dire entre les côtes et le poumon, elles se sont encore montrées de 30, A0, 50, 60, 70 centièmes de degré, moins chaudes que le sang artériel ; d’où l’on voitque les parois thoraciques doivent tendre à refroidir le cœur et le sang dans les points (assez étendus chez les animaux) où le cœur est en contact avec elles. Quant au poumon, il faut regarder de près avant de se prononcer, car sa température dépend, dans de certaines limites, de celle de l'atmosphère. J'ai plusieurs fois expérimenté dans le but de constater la température des voies respiratoires à différentes profon- deurs, et j'ai vu que, hors les cas où l'air ambiant est très- chaud, il n’atteint un degré voisin de celui du sang que dans les bronches. Ainsi sur un Cheval vigoureux et en digestion, la température ambiante étant de +4 degrés et demi, le thermomètre a donné 23,40 dans les cavités nasales à 10 centimètres de profondeur ; 26°,8 dans ces mêmes cavités, à l'entrée du pharynx ; de 32°,40 à 34°,40 dans la trachée, vers le milieu du cou, à égale distance du larynx et de l’origine des bronches. Au niveau de tous ces points, le thermomètre oscillait dans les limites de 2 degrés; les minimum s'observaient lors des inspirations, les maximum pen- dant les expirations. Comme le thermomètre marquait 38°,40 dans le rectum (où la température est à peu près celle du cœur), nous devons conclure de ces résultats qu’au milieu de la trachée l'air est de 4 à 6 degrés moins chaud que le sang. Sur un autre Cheval, d’ailleurs assez faible, et à une tempé- rature ambiante de 9 degrés au-dessous de zéro, le thermomètre donnait 16 à 20 degrés dans la partie antérieure des cavités nasales, 20 à 24 degrés vers le milieu de ces cavités, de 20 à 26 degrés et demi à l'entrée du pharynx, de 32 à 33 degrés vers le milieu de la longueur de la tachée. À ce point, la tempéra- ture se montrait de 4 à 5 degrés au-dessous de celle du rectum prise comme terme de comparaison. A l'entrée des bronches, par conséquent vers le üers supé- rieur de la cavité thoracique, sur un troisième Cheval, le ther- EXPÉRIENCES SUR. LA: CHALEUR ANIMALE. 99 momètre ne donnait que 34°,46, alors qu'il marquait 37°,78 dans l’abdomen. Enfin dans le tissu pulmonaire, au milieu de la masse d’un poumon, le thermomètre, introduit à frottement, ne mar- quait que 36°,63, après en avoir marqué 37°,17 au cæcum et 37°,0h au cœur; différence : 42 centièmes de degré au profit du cœur. On voit donc, d’après cela, que l'air en circulation dans les voies aériennes, bien qu'il acquière une température de plusen plus élevée en s'approchant du poumon, n'arrive pas ou arrive à peine à atteindre le degré du sang artériel pulmonaire; cet ar tend, par conséquent, à refroidir le sang envoyé au poumon. Et pourtant comment se fait-il que, comme nous l'avons vu dans un si grand nombre d'expériences, ce sang soit notable- ment plus chaud à sa sortie du poumon qu'il ne l’est à son entrée dans cet organe? Je ne sais, mais ce doit être, suivant toutes les apparences, en vertu des actions chimiques qui s’y passent au moment de l'absorption de l'oxygène, ou immédiate- ment après. Il me semble qu'on est obligé d'admettre une pro- duction de chaleur dans le poumon, quelle que soit l'idée qu’on se fasse de la nature des phénomènes locaux et immédiats de la respiration. En effet, s'il ne se développait pas de chaleur dans le poumon, le sang en sortirait plus froid et toujours plus froid, pour deux raisons : 1° parce qu'il à cédé de la chaleur pour amener l'air à une température très-voisine de la sienne propre; 2° parce qu'il a donné aussi au produit de l’exhalation pulmonaire une. certaine somme de calorique employée à le transfor- mer en vapeur. Or si, malgré cette double soustraction, non- seulement le sang ne s'est pas refroidi dans un grand nombre de cas, mais s'est au contraire fort souvent échauffé de 1, 2. 3, h dixièmes de degré et même davantage, c’est que tout le calorique produit dans l'organe pulmonaire n’a pas été depensé pour échauffer l'air ou vaporiser l’eau de la transpiration, et qu'une partie en a été absorbée par le sang artériel, d’où ré- sulte l'excès de température que l’expérimentation nous a si 100 G. COLIN. souvent fait reconnaître au sang rouge dans les cavités gauches du cœur. Mais si nous songeons aux variations de température qu'é- prouve l'air inspiré, à la proportion plus ou moins forte du pro- duit de la transpiration pulmonaire, à l'inégal degré de re- froidissement du sang veineux des extrémités ou des parties superficielles, à l’inégal échauffement du sang dans les muscles, dans les organes digestifs ou autres, suivant leur état d'activité ou d’inaction, nous comprendrons que les rapports entre la température du sang artériel et celle du sang veineux, dans les cavités du cœur, puissent être extrêmement variables, et tels que les expériences nous les ont montrés. En résumé, on voit que, dans les recherches dont je donne ici le sommaire, je me suis attaché avant tout à perfectionner les procédés qui permettent de descendre les thermomètres dans les cavités du cœur, sans troubler les fonctions de cet organe, et à vérifier scrupuleusement les données de l’expérimentation sur un.grand nombre d'animaux dans les conditions les plus variées. Les principaux résultats auxquels je suis arrivé montrent que le corps animal n’a pas à beaucoup près, comme Davy l’a déjà noté, une température uniforme, car il n’y a en lui ni une égale production, ni une égale déperdition de calorique. Considéré en masse, sa température décroît du centre à la périphérie, surtout vers les extrémités où les surfaces rayonnantes deviennent très- étendues relativement au volume des parties. Les parties centrales voisines du foie et de l'estomac arrivent au degré maæimum, ainsi que M. Bernard l'a démontré. Cepen- dant la base des poumons, la partie antérieure du diaphragme, aussi rapprochées du centre que les premières, ont une tempé- rature très-sensiblement inférieure à celles des parties sous- diaphragmatiques. De ces parties, les unes sont à température constante ou subordonnée à celle du sang ; les autres, telles que e poumon, la peau, le système musculaire, l'estomac, l'intestin, en ont une essentiellement variable, modifiée sans cesse par celle EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE. 101 de l'atmosphère ou par les actions chimiques intermittentes qui se passent en elles. Les deux sangs n’ont pas le même degré de chaleur, ni dans les régions où les artères et les veines se juxtaposent, ni dans les deux cœurs; mais il est très-difficile de les comparer entre eux d’une manière rigoureuse. Presque partout, si ce n’est dans les organes profonds, le sang de l'artère est plus chaud que celui de sa veine satellite. Le sang de la carotide, par exemple, l’est de 1/2, 1, 2 degrés plus que celui de la jugulare, et ainsi à peu près de l'artère fémorale comparée à la saphère, de l'artère radiale comparée à la sous-cutanée de l’avant-bras. D'ailleurs l'unifor- mité n'existe pas même dans l’ensemble de chaque système vas- culaire pris à part. Dans l’artériel, la température va en décrois- sant très-faiblement du tronc aortique vers les divisions termi- pales ; dans le veineux, au contraire, elle s'élève très-rapidement des radicules vers les parties centrales. Toutefois, chaque grande veine a la sienne propre : la veine cave supérieure offre le minima, la veine porte le maxima, et la veine cave inférieure conserve le degré Intermédiaire. Lorsque les deux sangs arrivent au cœur, leurs températures pe gardent point entre elles des rapports constants et invariables, teis que beaucoup de physiologistes les avaient supposés. Dans un petitnombre de cas, la température est sensiblement la même de deux côtés ; d'autres fois, celle du sang veineux l'emporte ; mais le plus souvent le sang artériel est le plus chaud, comme on le croit assez généralement depuis Lavoisier, plutôt d’après les théories chimiques de la respiration que d’après les résultats d'une expérimentation exacte. Je me suis particulièrement atta- ché dans mes recherches à vérifier ce point capital en faisant descendre dans le cœur les thermomètres métastatiques à maxima construits par M. Walferdin, thermomètres qui étaient portés dans les cavités cardiaques par la carotide ou par la jugu- laire, à l’aide du petit appareil que j'ai mis sous les yeux de l’Académie. Ainsi sur plus de quatre-vingts animaux, Chevaux, Taureaux, Béliers et Chiens, qui ont servi à cent deux observations ther - 102 G. COLIN. mométriques doubles, il y a eu vingt et une fois égalité de tem- pérature entre les deux cœurs ou entre les deux sangs pris à l'entrée des ventricules, trente et une fois excès de température dans les cavités droites et cinquante fois excès dans les cavités gauches ou aortiques. Les différences entre le sang artériel et le sang veineux dans le cœur ont oscillé, terme moyen, de 4 à 2 dixièmes de degré; néanmoins elles se sont élevées, dans quelques cas, jusqu’à 6 et 7 dixièmes, suivant les espèces et l’état des animaux. Ces différences de température entre les deux sangs, et les rapports qu'elles ont entre elles, paraissent dépendre de plu- sieurs causes, dont les plus remarquables dérivent de l’état de la peau, de l’activité ou de l'inaction du système musculaire, du travail digestif, de l’abstinence, etc. Ainsi chez les animaux qui ont à la fois la peau couverte d’une épaisse toison et les viscères abdominaux très-développés, le sang veineux superficiel se con- servant chaud et le sang de la veine porte étant abondant, la température de la masse du sang veineux dans les cavités droites tend à dépasser celle du sang artériel. Au contraire, chez les animaux à peau peu couverte et à système abdominal peu déve- loppé, le sang veineux des parties superficielles plus refroidi et le sang de la veine porte moins abondant impriment à la masse du sang un abaïissement marqué. C’est aussi chez le Chien que l'excès de température du sang artériel est le plus commun et le plus prononcé, car il s'y montre huit ou neuf fois sur dix, et y atteint parfois jusqu'à 7 dixièmes de degré. D'autre part, dansles circonstances si communes où la totalité du système musculaire entre en action, la masse du sang noir ramenée au cœur tend à prendre une température prédominante ; ce qui est en rapport avec les résultats des belles expériences de M. Becquerel sur le développement de la chaleur dans les muscles en contrac- tion. C'est très-probablement à cause de ces variations dans le degré de chaleur du fluide charrié par les veines, que la relation entre la température du sang veineux et celle du sang artériel devient si changeante ; et elle devient telle, afin que s’établissent EXPÉRIENCES SUR LA CHALEUR ANIMALE. 103 les compensations nécessaires au maintien de la chaleur ani- male à un degré à peu près constant. De ce fait, remarquable entre tous, que, dans le cœur, la température du sang artériel l'emporte le plus souvent sur celle du sang veineux, il faut inévitablement tirer la conclusion que le sang s’échauffe en traversant le tissu pulmonaire. En effet, si, après avoir cédé du calorique tant pour échauffer l’air des bron- ches que pour vaporiser le produit de la transpiration, ce fluide est encore, malgré ces deux causes de refroidissement, plus chaud à sa sortie du poumon qu'ilne l'était à son entrée dans cet organe, © est que son conflit avec l'air a produit de la chaleur, conséquemment l'hématose, telle qu'elle s'effectue dans le pou- mon, doit être, ce semble, considérée comme une source locale et immédiate de la chaleur animale. MÉMOIRE SUR LES YEUX SIMPLES OU STEMMATES DES ANIMAUX ARTICULÉS, Par feu M. Félix DUJARDIN (1). Contrairement à l'opinion généralement admise aujourd'hui, la vision chez tous les animaux articulés, Arachnides, Crustacés ou Insectes, s'effectue comme chez les animaux vertébrés : c’est- à-dire que chaque œil simple ou chaque œil partiel dans un œil à réseau se compose d'un appareil optique agissant comme la lentille d’une chambre obseure, pour former sur l'extrémité d'un nerf une image renversée des objets extérieurs. Cet œil présente donc toujours un milieu plus réfringent, limité soit d’un seul côté, soit des deux côtés en même temps, par une sur- face convexe et agissant comme une lentille, pour concentrer en un foyer, situé derrière lui sur l'appareil sensitif, les rayons qui, de chaque point d’un objet extérieur, arrivent sur toute sa sur- face, et pour déterminer le croisement de tous les faisceaux concourant à former l’image. Mais des différences nombreuses s’observent dans la forme et dans la composition de l'appareil réfringent, aussi bien que dans le mode d'adaptation de cet appareil aux diverses distances des objets pour que la vision soit distincte. Ainsi nous trouvons chez plusieurs de ces animaux des lentilles solides plano-convexes, et d’autres biconvexes for- mées par la cornée seule, ou bien renforcé par une lentille plus (4) Peu de temps avant sa mort, M. F. Dujardin nous remit ce travail, avec prière de l’insérer dans les Annales, mais par suite d’un accident, son manuscrit fut égaré ; on vient de le retrouver, et par respect pour la mémoire de ce savant aussi bien que dans l'intérêt de la science, nous nous empressons de réparer autant que possible cette faute en publiant sans plus de retard ces observations. STEMMATES DES ANIMAUX ARTICULÉS. 105 petite représentant le cristallin des Vertébrés ; quelques-uns au contraire ontsimplement une cornée mince et d’égale épaisseur, mais bombée comme un verre de montre, de sorte que c'est le liquide contenu dans la chambre optique qui seul, par sa face contiguë à la cornée, réfracte suffisamment la lumière, pour produire au moyen de cette réfraction unique une image sur l'extrémité du nerf. Quant aux divers modes d'adaptation de l'œil pour la vision distincte des objets plus ou moins éloignés, ils se trouvent dans la courbure seule du milieu réfringent, si la longueur de la chambre optique est invariable ; ou bien si cette longueur est variabie, ils se trouvent deuxièmement daus la con- tractilité d'un corps vitré, que, dans ces derniers temps, on a, mal à propos, nommé un cristallin ; ou, troisièmement enfin, dans la contractilité ou l’élasticité des parois de la chambre optique, si celte cavité contient seulement un liquide comme chez les Diptères, et dans ce cas aussi le nerf optique est formé par une réunion de cordons contractiles par eux-mêmes, ou entremêlés pour ramener l’extrémité de l'appareil sensitif à une distance convenable. La plupart de ces faits seront démontrés dans une deuxième partie de mon travail, plus spécialement consacrée aux yeux à réseau ; mais, pour le moment, je ne veux parler que des yeux simples nommés aussi ocelles ou stemmates, dont la structure m'a paru devoir expliquer celle des yeux à réseau. Toutefois, c’est en m'occupant exclusivement de ces derniers depuis plusieurs années que J'ai été amené à revoir la structure des stemmates pour contrôler d'abord, et par suite pour contredire des asser- tions admises dans la science sous l'autorité d’un nom célébre parmi les physiologistes. J'ai dû, dans le cours de mes recherches, me créer de nou- veaux moyens d'observation, particulièrement quand il s’est agi de considérer les propriétés optiques de ces yeux microscopiques, et je suis parvenu à déterminer avec une approximation suffi- sante la distance focale de ces petites lentilles, dont le diamètre pour les yeux à réseau varie entre 8 et 80 millièmes de milli- mètre suivant les espèces, et s'augmente jusqu'à 3 et 5 dixièmes 106 F. DUJARDIN. - de millimètre pour les stemmates des plus grosses Arachnides. À cet effet, je rapproche ou j'éloigne l'objectif du microscope par le moyen d'une vis micrométrique à tête divisée. Je peux ainsi apprécier une différence de 5 à 8 millièmes de millimètre, et j'évalue la distance entre la surface de la petite lentille et le lieu où l’image est la plus nette, en prenant une moyenne entre cinq ou six observations. On conçoit d'ailleurs que, pour ce genre de recherches, :l faut tenir compte des milieux dans lesquels le corps réfringent est plongé soit totalement, soit par une seule de ses surfaces. Ainsi la lentille étant dans l’air aurait son foyer beaucoup trop rapproché, et si elle était totalement plongée dans un liquide réfrmgent, elle aurait au contraire son foyer trop éloigné. Pour réaliser les conditions où se trouve cette lentille dans l'œil de l’Insecte, il faut donc que sa face interne seule soit baignée par un liquide analogue à celui qui remplit les cavités interviscérales de cet animal, et que la face externe soit librement exposée à l'air ; il faut, en outre, que l’image soit formée non en avant, mais eu arrière de cette lentille. J’applique donc la len- tille, ou le corps réfringent à observer, sur une lame mince de verre par sa face interne avec une gouttelette de sérum de sang ou de solution albumineuse, et je tiens cette lame ren- versée sous l'objectif du microscope. Le miroir plan, ou le prisme réflecteur, reçoit les rayons qui lui arrivent presque pa- rallèlement de quelque objet éloigné, dont l’image vient alors se former entre la lentille et l'objectif du microscope. Pour contrôler les résultats ainsi obtenus, j'ai mesuré la dis- tance focale de gouttelettes d'huile dans l’eau, ou de petits glo- bules de flint-glass larges d'un tiers de millimètre, et fondus dans la partie non lumineuse de la flamme d’une bougie. Jai également expérimenté sur des bulles d'air contenues dans un liquide, et agissant comme des lentilles concaves formées par ce même liquide. Dans tous les cas, l'image était parfaitement nette, et la distance focale était en rapport avec le diamètre de la sphère et avec l'indice de réfraction. Quelques lentilles d’In- sectes m'ont donné des images assez nettes et à une distance aussi facile à déterminer : ce sont celles que forme, avec le STEMMATES DES ANIMAUX ARTICULÉS, 107 liquide contenu, la cornée mince des Diptères et de certains Lépidoptères, ou les lentilles plano-convexes qui. chez les Coléo- ptères, sont accompagnées par un corps vitré contractile ou pré- tendu cristallin. Mais beaucoup d’autres, et notamment celles des Hyménoptères et des Orthoptères, comme aussi celles des stemmates chez les Arachnides et les Insectes, m'ont présenté une anomalie qui m'a longtemps arrêté, et dont je n'ai eu l'explication qu'après avoir constaté, par des coupes faites en diverses directions, la véritable structure de cette lentille chez ces animaux. C’est que, au lieu d’avoir, comme une lentille sphérique, un seul foyer principal pour les rayons parallèles, ces lentilles en ont autant qu'on peut supposer de zones dans leur surface ; de telle sorte que, quelle que soit la distance d'un objet extérieur, les rayons qui en émanent rencontrent dans l'œil de l’Araignée ou dans le stemmate de l’Insecte une zone susceptible de les réfracter, de manière à donner encore une image distincte sur la rétine. On conçoit, en effet, qu'une len- tille formée de zones concentriques, dont le rayon de courbure serait de plus en plus court, en allant du centre à la circonfé- férence, aurait autant de foyers principaux qu'elle aurait de zones ; ou bien, la rétine étant supposée fixe est le lien des foyers conjugués pour autant d'objets extérieurs situés à des distances différentes correspondant à chaque zone. Comme on aurait pu craindre que les images confuses pro- duites par toutes les autres zones ne vinssent nuire à l’image nette donnée par une seule zone en particulier pour un objet situé au foyer conjugué correspondant, j'ai voulu démontrer expérimentalement qu'il n'en est pas ainsi, et que l'image donnée par chaque zone conserve une netteté suffisante, et se montre seule sans être influencée notablement par les rayons traversant les autres zones. Dans ce but, j'ai fait tailler succes- sivement dans des bassins de 96 millimètres, puis de 82, puis de 68 et 54 millimètres de rayon, une lentille plano-convexe employée comme objectif à une petite lunette. Cette lentille de 21 millimètres d'ouverture a conservé au milieu une portion circulaire de sa première courbure, large de 7 millimètres 1/2, 108 F. DUJARDIN, dont le foyer principal est à 205 millimètres environ, et autour de cette partie centrale se trouvent trois zones, dont les foyers respectifs sont à 162, 110 et 98 millimètres. Au moyen de cette lunette, on peut, en rapprochant convenablement l’oculaire, voir successivement un même objet éloigné avec quatre grossis- sements différents ; et chaque fois l’image est assez nette pour que, par exemple, on voie l'heure sur le cadran d’une horloge à la distance de 300 à 500 mètres ; d'autre part aussi, on peut, en laissant l’oculaire à la même distance de l'objectif, c’est-à-dire en amenant. toujours l’image au même point dans la lunette, à 198 millimètres par exemple, on peut voir distinctement un même objet, lire une même page d’un livre placé successivement à 21 centimètres, puis à 36, à 67 et à 280 centimètres, sans qu'une image produite par la zone correspondante soit notable- ment influencée par la lumière traversant les autres zones, tandis que l'image reste confuse ou trouble aux distances inter médiaires. I] est donc naturel de penser que, si les zones étaient de plus en plus nombreuses, la succession des images distinctes ne serait pas interrompue par les images confuses, la vision serait donc continue. Or c’est là précisément ce qui a lieu dans les stemmates des Arachnides et des Insectes; l’image formée par la lentille reste distincte à des distances variables, sans tou- tefois avoir le brillant de celle que donne une lentille à foyer unique. J'ai d’ailleurs soumis les lentilles oculaires des animaux arti- culés à diverses épreuves, comparativement avec les cristallins el les cornées des animaux vertébrés, sans obtenir aucune preuve d'une analogie qu'on aurait supposée ; ainsi, tandis que le cris- tallin des animaux vertébrés, placé sur le trajet du faisceau de lumière polarisée, donne, avec l’analyseur, une croix noire ou les apparences complémentaires, la lentille oculaire des Arti- culés, soit directement, soit en tranches longitudinales ou trans- verses, reste tout à fait sans action sur cette lumière polarisée ; elle se distingue done également ainsi des productions épider- miques, tels que les poils, les ongles et les plumes, qui dépola- risent la lumière, D'un autre côté, du nitrite acide de mercure STEMMATES DES ANIMAUX ARTICULÉS. 10 préparé par M. Millon, qui m'avait indiqué son action colorante sur les substances albuminoïdes, donne promptement une nuance pourpre très-belle au corps réfrmgent des stemmates, sans agir également sur le tégument de la plupart des Arachnides et des Insectes. Cette coloration qui n’a lieu que faiblement sur la cor- née des animaux vertébrés, et qui est au contraire très-pro- noncée pour leur cristallin, aurait pu indiquer ici un certain rapport, si la structure n’était au contraire totalement diffé- rente. Ainsi le cristallin des Vertébrés est, comme on le sait, formé de fibres aplaties ou lamelles, qui s'étendent d’un pôle à l'autre en s’engrenant latéralement entre elles; le corps réfrin- gent des stemmates se compose au contraire de lames superpo- sées très-nombreuses, qui, parallèles à la surface vers l'extérieur, sont de plus en plus épaissies au milieu vers l'intérieur, de ma- nière à produire une convexité ou une saillie souvent très-con- sidérable, droite ou oblique, c’est-à-dire comparable à une para- boloïde dont l'axe serait plus ou moins incliné. Ces lamelles parfaitement homogènes, comme le démontre et leur action sur la lumière, et leur coloration uniforme par le nitrite acide de mercure, paraissent être la continuation des lames parallèles du tégument, quoique la composition chimique doive être notable- ment différente, en raison même de la différence de coloration produite par le sel de mercure; dans ces lamelles d’ailleurs on n’aperçoit aucune trace de la structure celluleuse si manifeste dans la cornée des Vertébrés. Derrière le corps réfringent des stemmates, la chambre optique est occupée par un liquide ou par un corps vitré qui devient plus ou moins consistant après avoir séjourné dans l’al- cool, et à la surface postérieure duquel s’épanouit la rétine, comme l'a vu M. Müller. Cette rétine offre une particularité assez remarquable, c’est que chacune des fibres, ou petites colonnes dressées et contiguës comme les fibres du velours à sa surface, est entourée de pigment. M. le docteur Briants signala le premier cette structure, mais il en voulut conclure une ana- logie qui n'existe nullement avec l'appareil sensitif des Yeux à réseau. Î supposait que, dans ceux-ci et dans les stemmates, 110 F. DUJARDIN. chaque fibre nerveuse, revêtue de,son pigment, doit jouer le même rôle, quant à la perception de l’image ; mais toutefois cet auteur évitait de se prononcer explicitement sur la valeur de la théorie de M. Müller, théorie que nous discuterons en parlant des yeux à réseau. M. Briants voyait donc dans les stemmates un cristallin unique et globuleux, transmettant une image ou portion d'image à chacune des fibres divergentes ou dirigées suivant le prolongement de ses rayons ; dans les yeux à réseau, au contraire, la direction des fibres nerveuses est convergente, et suivant des rayons qui partent du ganglion pour aboutir à la cornée. | Cette théorie de la vision dans les stemmates n’était nulle- ment admissible, et M. Müller montra que l'interposition du pigment entre les fibres perpendiculaires de la rétine a lieu éga- lement chez les Céphalopodes, et par conséquent ce ne peut- être un motif pour supposer que l’image formée sur cette rétine soit perçue autrement que chez les Vertébrés. Mais la théorie adoptée par M. Müller, et la structure que, depuis 1829, ce célèbre anatomiste attribue aux stemmates, sont également erronées. Ainsi, comme le montre M. Briants, on ne peut sup- poser que le corps vitré soit convexe en avant pour produire une troisième ou quatrième réfraction des rayons lumineux ; maisil est parfaitement contigu au corps réfringent faisant les fonctions de cornée et de cristallin en même temps. D'autre part encore on ne peut admettre, comme M. Müller et M. Briants, l'existence d'un cristallin globuleux isolé derrière une cornée distincte et d’égale épaisseur dans toute son étendue ; mais c’est tout simple- ment l'épaississement central de toutes les couches superposées de cette cornée que en fait un corps lenticulaire comparable à un segment de sphère pour la partie externe, et à une parabo- loïde droit ou oblique, ou même à un solide engendré par une conchoïde pour la partie interne, ces deux parties étant réunies base à base et parfaitement continues. Nous ne nous arrêterons pas à réfuter l'opinion de M. Müller qui veut que les stemmates soient propres seulement à la vision des objets les plus rapprochés ; mais il reste maintenant à expli- STEMMATES :DES+ ANIMAUX: ARTICULÉS. 411 quer comment-un anatomiste aussi éminent que M, Müller à pu se tromper ainsi sur un fait de structure qu'il semble facile de vérifier ; et d’abord notons qu’à l’époque où son travail fut publié en 1829, le microscope était bien lom encore du degré de per- fection qu'il a atteint depuis ; mais là cause de cette erreur est si simple pour certains stemmates, qu'elle sera comprise de tout le monde; la portion interne de la cornée formant une salle oblique, si une coupe d’un stemmate, au lieu d’être faite sui- vant l'axe, est faite obliquement, et de manière à rencontrer la partie la plus saillante seulement, on aura précisément sous le microscope l'apparence d'un cristallin globuleux que recouvre, comme une cornée, le bord même de l'appareil réfringent, ou une portion du tégument contiguë au bord de l'œil. Pour d’autres stemmates dont la saillie interne n’est point in- clinée, 1l peut arriver aussi que la dessiccation des couches in- ternes produise une apparence de cristallin; c’est ce qu’on voit, par exemple, chez des Scorpions desséchés : toute la partie in- terne du corps réfringent tend alors à se détacher cireulaire- ment du bord, et, en raison de sa structure lamelleuse, elle s’isole souvent de la couche externe plus résistante, et comme une de ses faces au moins a conservé sa convexité et son poli, on pourrait la prendre pour un cristallin globuleux ; mais, d’une part, en comparant plusieurs stemmates ainsi desséchés, on en voit où la séparation des couches internes s’est faite en même temps à diverses hauteurs, de telle sorte qu'il y aurait ainsi un nombre variable de eristallins superposés; et d'autre part, en divisant avec un rasoir de tels stemmates en tranches verticales, on reconnaît immédiatement sous le microscope qu’il n’y a véri- tablement ici, comme chez les Hyménoptères, qu’une superpo- sition de lames toutes identiques, plus minces au contour, et renflées au milieu pour produire la convexité nécessaire à la réfraction. Certaines Cigales présentent après la dessiccation une particu- larité de structure qui pourrait bien faire croire aussi à la pré- sence d'un cristallin ; leur cornée est également formée de lames superposées ; mais ces lames en séchant se divisent en petits 419 F. DUJARDIN,. prismes contigus, comme un basalte microscopique, et ces petits prismes, qui se correspondent dans toute l'épaisseur du corps réfringent, semblent alors autant de fibres perpendiculaires à la surface, et forment une masse centrale qui se détache quelque- fois et reste isolée ; mais ici encore ce corps réfringent est abso- lument sans action sur la lumière polarisée. Cette structure d’ailleurs se trouve expliquée par celle du tégument général des Cigales, qui, tout en étant stratifié comme celui des Coléoptères et des Hyménoptères, est en outre formé de fibres très-fines perpendiculaires à la surface; en même temps aussi ce tégu- ment, comme s'il contenait moins de chitine, se colore en rouge par le nitrite de mercure. Chez beaucoup d'Insectes enfin, la partie interne du corps réfringent étant plus facilement détruite par la macération ou dissoute par les liquides, on pourrait croire que ce qui reste est la cornée saine, tandis que le cristal lin aurait été détruit, si l’on ne retrouvait toujours près du bord la partie externe et plus mince des lames dont la partie centrale et plus épaisse a disparu. Tels sont les faits de structure démontrant à la fois l'absence d'un cristallin distinct dans les stemmates ou yeux simples des animaux articulés, et la possibilité pour ces animaux de voir également bien les objets extérieurs diversement éloignés par le seul effet de la courbure du milieu réfringent, sans que l'appareil optique ait besoin de subir aucun changement interne pour s'adapter à ces diverses distances. MÉMOIRE SUR LE TYPE D'UNE NOUVELLE FAMILLE DE L'ORDRE DES RONGEURS, Par M. 2LPHONSE MILNE EDVWWARDS. Extrait (1). La classe des Mammifères a été étudiée avec tant de soins et elle est aujourd'hui si bien connue, que les zoologistes n’y ren- contrent que rarement des espèces nouvelles pour la science, et en général celles-ci trouvent facilement leur place dans les divi- sions génériques déjà établies. L'animal qui fait le sujet de ce mémoire me semble donc devoir intéresser les naturalistes d’une facon toute particulière, car il avait échappé jusqu'ici à leurs recherches, et il diffère tellement des types de tous les grands genres linnéens, que, pour le faire rentrer dans les classifications méthodiques actuelles, il -est nécessaire d'établir pour lui non-seulement un genre nou- veau, mais même une famille spéciale. Par son aspect général, il ressemble un peu à certaines Sarigues, et, de même que celles-ci, il est pédimane ; mais ce sont là les seules ressemblances qu'il offre avec les Marsupiaux, et par son système dentaire ainsi que par le reste de son organi- sation, on reconnait facilement qu’il appartient à l’ordre des Rongeurs. Il diffère d’ailleurs de tous les membres de ce dernier groupe par des caractères d’une importance considérable ; je dirai même que, par quelques particularités de structure, il s'éloigne de tous les autres Mammifères, et qu'on y rencontre des dispositions (4) Ce mémoire a élé lu à la Société philomathique le 2 février 1867, et un extrait en à été publié dans le journal l’Institut, n° du 6 février 1867, t, XXXV, p. 46. 5€ série. Zoo, T. VIT, (Cahier n° 2.) 8 114 ALPHONSE MILNE EDWARDS. anatomiques dont on n’avait encore d'exemples que dans la classe des Reptiles. L'histoire de cet animal montre aussi combien l'examen des formes extérieures est parfois insuffisant pour l'appréciation des affinités naturelles; c’est surtout dans l’ordre des Rongeurs que l'étude anatomique de l'organisme est indispensable quand il s'agit d'établir des divisions naturelles. Le petit Mammifère, que je propose de désigner sous le nom de Lophiomys Tmhausii, a vécu pendant près de deux ans au Jardin d'acclimatation du bois de Boulogne ; il a été examiné à plusieurs reprises par tous les naturalistes qui visitent cet établis- sement, sans qu’ils aient pu se former une opinion précise sur la place qu’il devait occuper parmi les Rongeurs, et rien dans son aspect ne pouvait faire supposer les singularités de structure que l'anatomie y a dévoilées. Je dois à l'amitié de M. Albert Geoffroy Saint-Hilaire d'avoir pu entreprendre cette étude, et je saisis avec empressement cette occasion pour le remercier publiquement des nombreux services de ce genre qu'il ne cesse de me rendre. Le Lophiomys Imhausii est de la taille d’un petit Lapin; mais son aspect est très-différent, car 1l est pourvu d'une grande queue touffue dont la longueur égale celle du tronc. Il est bas sur pattes, et les membres postérieurs ne sont relativement que peu développés, ce qui indique qu'il n’est pas organisé pour sau- ter. Le pelage est doux au toucher, la couleur en est mélangée de noir et de blanc; sur le dos, les poils sont très-longs, et se dressent de façon à constituer une crinière longitudinale qui donne au Lophiomys un aspect très-remarquable. Les poils des flancs sont également très-longs, mais retombants; 1l en résulte qu'ils sont séparés de la crinière par une espèce de sillon, dont le fond est occupé par des poils d'un aspect fort singulier. Ils sont d’un fauve grisätre, couchés sur la peau, gros, aplatis, et l'examen microscopique montre qu'ils sont d’une nature très- différente de celle des poils du reste du corps; en effet, leur structure est spongieuse, et la gaine épidermique qui les entoure constitue un véritable réseau à mailles irrégulières, au milieu TYPE D'UNE NOUVELLE FAMILLE DE L'ORDRE DES RONGEURS. 445 duquel sont disposées des fibres longitudinales. Je ne connais encore aucune espèce de Mammifères dont les poils offrent une disposition semblable, Il existe cinq doigts à toutes les pattes; mais, tandis que le pouce des antérieures est court et presque immobile, celui des pattes postérieures est très-bien développé, nettement détaché du reste du pied, et peut, en s'opposant aux autres doigts, con- stituer avec ceux-ci une véritable main préhensile dont l'animal se sert pour saisir avec force les corps sur lesquels il grimpe. Les caractères les plus importants du Lophiomys Imhausti nous sont fournis par sa charpente osseuse, et plus particulière- ment par sa tête, Ou remarque tout d’abord que la face supé- rieure de celle-ci est entièrement couverte de granulations miliaires, disposées avec une régularité et une symétrie parfaites. Aucun Mammifère n'offre une disposition analogue, et elle donne au crâne du Lophiomys un aspect très-remarquable, et qui rappelle ce qui existe chez certains Poissons. En arrière des orbites, la tête est extrêmement large, et, au premier abord, on pourrait croire que cette disposition tient au développement de la boîte crânienne ; mais il n’en est rien ; cette dernière est en réalité plus étroite que chez la plupart des Rongeurs ; mais le sinciput se prolonge latéralement en forme de voûte au-dessus des fosses temporales, et ces expansions des- cendent de façon à s'unir aux os des pommettes. Je ne connais parmi les Mammifères aucun exemple d’un pareil mode d'organisation, et l’on ne trouve quelque chose d’analogue que chez certains Reptiles, et particulièrement chez la Tortue caret. Il est des Rongeurs qui présentent sur la ligne médiane de la tête une crête sagittale plus ou moins élevée, et destinée à augmenter l'étendue de la surface d'insertion des muscles masticateurs. Très-peu développée chez le Castor, elle acquiert des proportions plus considérables chez la Marmotte et surtout chez l'Oryctère des dunes. Dans d’autres espèces, cette crête n'existe pas, mais elle est remplacée par deux lignes sail- lantes qui limitent en dessus les fosses temporales, et laissent entre elles sur la partie supérieure du crâne un espace libre 416 ALPHONSE MILNE EDWARDS, assez étroit chez le Hamster, mais très-large chez les Rats et surtout chez les Phlæomys. Mais, dans tous ces cas, les lignes pariétales sont peu proéminentes, et les fosses temporales restent toujours à découvert. Pour se rendre compte de la disposition propre au Lophiomys, il suffit d'imaginer un développement énorme de ces crêtes qui s'étendraient en forme de grandes lames horizontales, puis se courberaient légèrement en bas pour se Joindre à l'os jugal. Ces voûtes complètent en arrière le cadre orbitaire, et dans cette partie elles sont constituées de chaque côté par deux pièces parfaitement distinctes, dont l’une, qui occupe l'angle sourcilier externe, ressemble singulièrement par sa position et ses connexions à l'os frontal postérieur des Reptiles; mais l’analogie n’est qu'apparente, car cette pièce est fournie par une expansion de la portion sous-jacente du temporal. Ce sont là surtout les particularités les plus remarquables que présente la tête osseuse, mais elle offre encore un grand nombre de caractères qui, bien que moins importants, ont cepen- dant une grande valeur zoologique, et suffiraient à eux seuls pour distinguer le Lophiomys des autres représentants de la même classe. Ces caractères nous sont fournis par la disposition de la région occipitale, du canal préorbitaire, destiné à loger le faisceau interne du muscle masséter ; par la forme des os pala- tins, des caisses auditives et des maxillaires inférieurs; mais en ce moment je me bornerai à les signaler, et je m'attacherai seulement à faire ressortir ce que le Lophiomys offre de plus typique. L'examen des caractères extérieurs et de la conformation de la tête osseuse de notre Rongeur n’a pu jeter que bien peu de lumière sur ses affinités zoologiques et sur les rapports que ce curieux animal présente avec les groupes déjà connus. Le sys- tème dentaire s’éloigne beaucoup moins de ce qui se voit chez certains Rongeurs, et il permet de reconnaître que c’est avec les Murides que le Lophiomys présente le plus d’analogie. On compte à chaque mâchoire une paire d’incisives et trois paires de molaires radiculées, dont la première est composée de TYPE D'UNE NOUVELLE FAMILLE DE L'ORDRE DES RONGEURS. 417 trois collines séparées les unes des autres par des sillons pro- fonds. Ce sont seulement les Rats, les Souris, les Gerbilles, les Cté- nodactyles, les Otomys, les Phlæomys, les Campagnols et les Ondatras, qui offrent un système dentaire construit sur ce type. Mais, chez les Rats, les molaires sont beaucoup plus tubereu- leuses; chez les Gerbilles et les Phlæomys, les replis d'émail for- ment des ovales plus ou moins réguliers au lieu de losanges ; chez les Campagnols, les dents ne sont pas radiculées, et les re- plis de l'émail sont bien différents ; il en est de même pour les Ondatras dont les molaires sont pourvues de racines distinctes. Je ne connais que le genre Hamster, dans lequel les molaires offrent une disposition semblable à celle du Lophiomys ; mais bien que le plan fondamental soit le même chez ces animaux, les détails sont loin d'être semblables. L'étude du squelette du Lophiomys offre un grand nombre de faits intéressants; mais je ne puis m'y arrêter en ce moment, et je me bornerai à signaler l’état d’imperfection extrême de ses clavicules, qui sont suspendues dans les chairs à l’élat de stylets osseux, comme chez les Lièvres, tandis que chez la plupart des Rongeurs elles sont bien développées, et s'étendent en manière d'arc-boutant du sternum à l'épaule. J’ajouterai aussi que le nombre des vertèbres dorsales, et par conséquent de côtes, est plus considérable que d'ordinaire ; en effet, on compte seize de ces osselets, tandis que, dans la majorité des cas, il n’en entre que treize. On aurait pu croire que le nombre des vertèbres dor- sales s'était accru aux dépens de celles des lombes, mais il n’en est rien ; car on trouve sept de ces pièces, tandis que chez beau- coup de Rongeurs on n’en remarque que six: les Hamsters, les Surmulots, sont dans ce cas. L'appareil digestif du Lophiomys présente plusieurs particu- larités importantes ; la plus remarquable nous est fournie par l'estomac. Cet organe est très-développé surtout en longueur, et dans l'abdomen il se replie en forme d’une S double, ce qui lui donne un aspect intestiniforme. On remarque sur son bord inférieur, 118 ALPHONSE MILNE EDWARDS, vers le point de jonction de ses portions moyenne et pylorique, un grand appendice en forme de doigt de gant, qui y adhère dans toute sa longueur au moyen de brides formées par du tissu conjonctif et qui débouche dans sa cavité. Lorsqu'on ouvre l’es- tomac, on voit que la tunique muqueuse est très-fortement plissée dans la portion moyenne de ce viscère, ainsi que dans le grand cul-de-sac, et surtout dans le voisinage du cardia ; mais la disposition la plus singulière de cette membrane est due à l'existence de deux replis cristiformes festonnés sur leur bord libre, qui s’étendent parallèlement de l’orifice æsophagien jus- qu'à l’origine de la portion pylorique. Ces replis circonscrivent un sillon profond qui, par le rapprochement de leurs bords, peut se transformer en une gouttière, à l’aide de laquelle les aliments liquides peuvent couler de l’œsophage jusque dans le voisinage du pylore, sans tomber dans la cavité générale de l'estomac. Cette disposition est remarquable, et ne semble pou- voir être comparée qu'à la gouttière sous-æsophagienne des Ruminants. La surface interne de la portion pylorique de l’estomac est d’un tissu beaucoup plus serré, blanchâtre et presque lisse ; on y remarque deux orifices arrondis : le premier, situé du côté de la grande courbure, débouche dans l’appendice en forme de doigt de gant dont j'ai déjà parlé ; l’autre, placé du côté opposé, très-près du pylore, donne dans une fossette creusée dans l’épais- seur des parois de l'estomac. De nombreux cryptes glanduleux s'ouvrent dans cette excavation. L'embouchure de l’appendice cæcal pylorique est entourée d’un sphineter qui en rend les bords saillants à l'intérieur, et qui empêche les aliments de pénétrer dans cet organe accessoire. L'axe de celui-ci est occupé par une cavité cylindrique qui s'étend dans toute sa longueur et se termine en cul-de-sac ; ses parois sont épaisses, d’un brun foncé et comme veloutées. Cet aspect est dù à une multitude incalculable de pores, qui sont les orifices d'autant de tubes sécréteurs. Ceux-ci, vus au microscope, paraissent cylindriques, très-longs et fort étroits ; leur diamètre n’est que d'environ 1/30° de millimètre ; ils sont parallèles, très- TYPE D'UNE NOUVELLE FAMILLE DE L'ORDRE DES RONGEURS. 1149 serrés les uns contre les autres, et ne présentent n1 ramifications, ni renflement initial. Leurs parois offrent un aspect granuleux, qui est dû à la disposition de leur revêtement épithélique. Je ne connais aucun exemple d'un semblable mode d’organi- sation de l'estomac chez les Mammifères. Par sa forme, cet appendice rappelle un peu les cæcums pyloriques des Poissons ; mais 1l me paraît dépendre plutôt de la localisation des glandes pepsiques, qui, au lieu d’être, comme d'ordinaire, disséminées dans l'épaisseur des parois de l'estomac, seraient localisées dans un organe appendiculaire particulier. L'intestin grêle n'offre rien de remarquable, mais la disposi- tion du pancréas mérite d’être signalée. Cette glande est très- développée, et se divise en plusieurs portions plus où moins branchues, dont la principale est accolée à l'estomac, et une autre accompagne le canal cholédoque depuis le hile du foie jusqu'au duodénum. Les canaux excréteurs des diverses portions du pancréas ne se réunissent pas pour former comme d'ordinaire un ou deux troncs principaux, versant directement les produits de sécrétion dans le tube digestif ; ils vont déboucher à diverses hauteurs dans le canal cholédoque, et c’est par l'intermédiaire de celui-ci que le suc pancréatique arrive dans le duodénum. Ce dernier conduit se bifurque près de son extrémité, et s'ouvre dans l'intestin par deux orifices parfaitement distincts, quoique peu éloignés l’un de l’autre. On sait qu’en général, chez les Rongeurs, non-seule- ment le canal pancréatique est nettement séparé du canal cho- lédoque, mais débouche dans l'intestin à une distance considé- rable de l’orifice de ce dernier : ainsi, chez le Lapin, ils sont éloignés de près de 50 centimètres, et chez le Coendou de 25 environ. La structure de l'appareil génital mâle varie beaucoup dans l'ordre des Rongeurs, et présente souvent des particularités fort remarquables; mais les caractères que l’on en peut tirer n'ont qu'une valeur zoologique faible, car ils varient sou- vent plus d’une espèce à l’autre que de famille à famille, Ici j'ajouterai donc seulement que les organes mâles du Lophiomys 120 ALPHONSE MILNE EDWARDBS. ressemblent plus à ceux du Hamster qu'à ceux d'aucun autre Rongeur. On voit, par les détails zoologiques et anatomiques précédents, que le Lophiomys Imhausii s'éloigne considérablement de tous les types de Rongeurs déja connus. Si son aspect le rapproche un peu des Hystricides, il s'en distingue par tous les caractères essentiels de son organisation, tels que la nature de son pelage, la constitution de son système dentaire et la conformation de ses viscères. Les formes extérieures ne rappellent en rien celles des Murides ; cependant nous avons vu que c’est avec les Hamsters qu'il offre le plus d’analogies, et si l'on n'avait pour se guider dans la recherche des affinités zoologiques que les caractères fournis par les dents, on n'hésiterait pas à ranger le Lophiomys parmi les Rats, à côté du genreCricetus. Par la structure des par- ties fondamentales de la tête osseuse, c’est aussi à la famille des Murides que notre Rongeur ressemble le plus; car si l'on fait abstraction des voûtes temporales, on trouve dans le crâne la plupart des dispositions communes aux représentants du groupe des Rats; mais, à raison de l'existence de ses expansions crà- niennes, de l’état rudimentaire des clavicules et de la conforina- tion de sa queue touffue, ainsi que par la structure de l'estomac et de ses annexes, le Zophiomys ne peut prendre place dans ce groupe. La conformation des pattes postérieures ne permet de compa- rer cet animal à aucun Rongeur, si ce n’est peut-être au Mammi- fère que Fr. Cuvier a désigné sous le nom de Pithecheir. Ce der- nier est en effet un Pédimane comme le Lophiomys, mais il ressemble au Rat par la nudité de sa queue. Le zoologiste émi- nent que je viens de citer n'a connu le Pithecheir que par un dessin envoyé de l'Inde par Duvaucel, sans aucun renseignement descriptif ; depuis lors, personne n’a eu l'occasion de l’observer, et aujourd'hui il serait même impossible d'affirmer qu'il appar- tienne à l’ordre des Rongeurs, car nous ne connaissons ni son système dentaire, ni son bassin, et il ne serait pas impossible qu'il dût rentrer dans l’ordre des Marsupiaux. Par conséquent, le Lophiomys devra être considéré comme TYPE D'UNE NOUVELLE FAMILLE DE L'ORDRE DES RONGEURS. 121 constituant un type particulier dans l’ordre des Rongeurs, et bien que ce type ne soit encore représenté que par une seule espèce, il me paraît indispensable d’en former une famille nou-- velle. En effet, les particularités de structure que l'on y rencontre ont une valeur zoologique supérieure à celles qui ont servi de base à l'établissement des autres groupes secondaires de l’ordre des Rongeurs, soit qu'on ait appelé ceux-ci tribus, familles ou genres. Je ne puis donner aucun renseignement précis sur la patrie du Lophiomys. En effet, M. Imhaüs, receveur général des finances, en revenant de l’île de la Réunion en 1865, s'arrêta quelques heures à Aden, et là remarqua ce Rongeur entre les mains d'un nègre; il le lui acheta pour une faible somme, ce qui semble indiquer que le propriétaire de l’animal ne l'avait ni acheté lui-même, ni apporté de très-loin. Malheureuse- ment, M. Imbaüs ne put tirer de cet homme aucune indication. Ce sont ces considérations qui me font penser que le Lophio- mys provient, soit de l'Arabie méridionale, soit de la côte d'Afrique située en face d’Aden, c’est-à-dire de la Nubie ou de l’Abyssinie. Sur la découverte d'un crâne humain enfoui dans un dépôt volcanique en Californie, par M. Warrwey. Ce crâne, assure-t-on, a été trouvé à une profondeur de 153 pieds, en creusant un puits pratiqué dans la cendre volcanique durcie, appelée lave dans cette localité, près du camp des Anges, dans le comté de Cala- nines. Cinq couches de cette cendre solide y sont superposées et alternent avec des couches de gravier. Ge crâne a passé des mains des mineurs qui l'avaient trouvé, dans celles du professeur Whitney, géologue de l'État de Californie, qui a visité la localité et étudié le gisement autant que le permettait l’eau qui s’y trouvait. Il a exposé cette découverte d’une manière préliminaire devant l’Académie des sciences naturelles de Californie, et promet des détails ultérieurs dès que l’eau aura disparu du puits et permettra une étude plus approfondie de la formation. L'âge exact des couches en question n'a pas jusqu'ici été fixé avec quelque autorité ; mais le professeur Whitney est disposé à croire que l’irruption de la grande masse des matériaux volcaniques sur le versant occidental de la Sierra-Nevada a commencé à l’époque pliocène, s’est continué pendant le post-pliocène et peut-être jusqu’à des temps relativement modernes. La couche qui renfermait ce crâne paraît être plus ancienne que toutes celles où l’on a jusqu'ici trouvé des débris de Mastodonte ; c’est pourquoi il y aura grand intérêt à mettre hors de doute l’authenticité de cette découverte. (Bblioth. univ. de Genève, sc. phys., février 1867.) Sur La signification morphologique de l'os occipital et des deux vertèbres cervicales supérieures, par M. W. Kosrer (extrait). Les observations de l’auteur, publiées dans la 4° livraison des Archives néerlandaises (1866), l'ont conduit aux conclusions suivantes : « 4° Les processus obliques font défaut à la partie supérieure de l’arc de l’épistro- phée et manquent complétement à l'arc postérieur de l’atlas. — 2° Les parties articulaires au haut de l’épistrophée et au bas del’atlas doivent être regardées comme les parties latérales du corps de la vertèbre. — 3° La cavité articulaire supérieure de l’atlas et le condyle de l’occipital sont formés en partie par la portion latérale d’un corps de vertèbres, en partie par la portion voisine de l'arc. — 4° L’arc antérieur de l’atlas doit être considéré comme analogue des arcs appelés hémaux chez les Verté- brés inférieurs. — 5° L'union de la dent de l'épistrophée avec la pièce basilaire de l’occipital est, chez les Mammifères comme chez les Oiseaux et les Reptiles, due à un prolongement supérieur du corps de vertèbre. — 6° Les vertèbres s'unissent toujours par des parties de même nature. Les modifications que présente l'union entre l’atlas, la dent de l’épistro- phée et l’occipital, dans la série animale et dans l'homme, sont en rap- port avec cette loi. » OBSERVATIONS sur DES CRUSTACÉS RARES OÙ NOUVEAUX DES COTES DE FRANCE, Par M. HESSE, (Onzième article.) Mémoire concernant deux Crustacés nouveaux trouvés parmi des PBalanes sillonnées (Balanus sulcatus) et des Anatifes lisses (Anatifa lœvrs). Dans notre dernier mémoire (1), nous avons émis l’opinion que la séparation des sexes, dans la famille des Crustacés, était d’une si grande importance, que ce caractère distinctif persis- tait même dans les mdividus les plus dégradés; de sorte que si quelque exception à cette loi générale existait encore pour un très-petit nombre d'espèces, on pouvait penser que ces anoma- lies devaient plutôt être attribuées à la connaissance incomplète de ces espèces qu'à une dérogation à ce principe fondamental. A l'appui de cette manière de voir, nous avons démontré, par la découverte récente que nous avons faite du mâle des Peltogastres, que cette règle de l’unisexualité se confirmait dans un des types les plus modifiés de la série carcinologique, et que, par suite de cette constatation, l'exception, qui ne com- prenait autrefois que trois sous-familles : les Peltogastres, les Sacculinidiens et les Cirripèdes, se réduisait actuellement aux deux dernières seulement, et encore peut-on espérer, à raison des nombreux rapports de conformation qui existent entre les Sacculinidiens et les Pellogastres, que l’on découvrira tôt ou tard le mâle de cette première espèce, d’ailleurs si voisine de l'autre; de sorte que si cette prévision venait à se réaliser, il y (1) Voyez les Annales des sciences naturelles de décembre 4866, p, 324-360. 124 | MESSE. aurait, sauf ce qui concerne les Cüirripèdes, une uniformité complète dans la classe entière des Crustacés. Convaincu de l'importance qu'il y a pour la science de fixer d’une manière certaine la limite qui sépare les Crustacés des êtres dont ils se rapprochent le plus par leur conformation, nous nous sommes appliqué à étudier avec soin les animaux qui se trouvent sur les confins de cette ligne de démarcation, et, à cet effet, nous avons, autant que possible, commencé ncs investigations par leurs débuts embryonnaires, pensant que c'était le meilleur moyeu d'éviter des erreurs que les change- ments multiples de formes rendent extrèmement faciles, et qui, par ce motif, se sont produites très-fréquemment. Nous avons donc porté notre altention sur les premières évolutions des Balanes sillonnées et des Anatifes lisses, comme nous l'avons fait pour les Pellogastres et les Sacculinidiens. Le résultat de nos recherches, qui fait suite à celui de notre précédent mémoire, vient confirmer les rapports de conformation que nous avons constatés entre les Bopyriens et les Peltogastres, et les Sacculi- nidiens et les Cirripèdes, et démontrer que, dans certaines phases de leurs transformations, il existe des points de ressem- blance qui indiquent un degré plus ou moins rapproché de parenté. Nos investigations ont eu, pour le moment, le résultat de dé- couvrir deux nouveaux Crustacés, dont nous donnons ci-après la description détaillée. Nous examinerons ensuite à quel titre ils peuvent faire partie des Cirripèdes, parmi lesquels nous les avons trouvés. $ 1. Premières phases embryonnaires des Balanes sillonnées. À sa sortie de l’œuf, l'embryon de la Balane sillonnée est presque invisible à l'œil nu; il faut, pour l’apercevoir, avoir recours à la loupe (1). (4) Planche 2, fig. 4 et 2. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES. CÔTES DE FRANCE. 195 Sa carapace, qui est piriforme, est divisée en deux parties très-distinctes : le thorax et l'abdomen. La première est presque ronde, légérement échancrée au milieu du bord inférieur; l'abdomen, qui est coniforme, est très-pointu à son extrémité. Un æil unique occupe le milieu du bord frontal. En dessous, on aperçoit encore cet œil par transparence. De chaque côté du thorax sont trois paires de pattes rémi- formes, très-longues, armées, à leur extrémité, de soies flexibles et divergentes. La première paire de pattes est simple, les deux autres sont biramées et sont munies d’appendices plats et rémi- formes. Au milieu du thorax se présente l'appareil buccal, qui appa- raît sous la forme d’un tube gros et proboscide, légèrement courbé vers son extrémité inférieure, qui est terminée par un petit orifice arrondi, et précédé, un peu plus haut, à la nais- sance de ce tube, par un autre petit trou qui s'aperçoit par transparence, et qui n’est que l'entrée du conduit œsophagien ; tout le système buccal est susceptible d’nn mouvement d'érec- tibilité qui lui permet de se redresser perpendiculairement ou de se coucher horizontalement sur la face épithoracique. Le canal intestinal descend verticalement de la partie anté- rieure à l'extrémité inférieure du corps. La phase que nous venons de décrire est très-probablement suivie de celle dont nous allons parler, car nous l'avons rencon- trée en même temps chez des individus chez lesquels l’effet de l'incubation était plus avancé. Coloration. — Le corps est transparent, d’un blanc clair. On aperçoit, à travers sa carapace, les viscères, qui sont d'une cou- leur jaune plus foncée dans le milieu ; l'œil est rouge. Habitat. — Trouvé, en grande quantité, en décembre 1866, janvier et février 1867, parmi des Balanes sillonnées. & 2. Dans cette période, qui doit être la deuxième, Ja taille des 196 | MESSE. embryons est un peu plus grande, cependant il est encore diffi- cile de les apercevoir sans le secours d’une loupe. Le corps (1) forme un ovale presque parfait, suivi d’un ‘pro- longement caudal large et plat, se terminant à son extrémité par une échancrure médiane, des deux côtés de laquelle sont des appendices arrondis et garnis de huit ou dix très-longs poils. disposés en faisceau divergent, légèrement infléchi en dedans. Le bord frontal est large, plat et arrondi à son sommet; il se prolonge tout autour du corps qu'il encadre. Il est fractionné en autant de divisions que celui-ci a d’anneaux. Le thorax est hémisphérique; 1l est partagé en dix ou douze anneaux qui sont parallèles et à peu près de la même largeur. On aperçoit, en outre, aux deux tiers de sa longueur, une autre élévation ovale qui occupe le centre de la carapace, et dont le bord inférieur se termine à la déclivité de celle-ci. La carapace est bordée, des deux côtés où se trouve cette petite élévation centrale, d’un liséré en relief qui est dentelé. En outre, elle est parsemée sur toute son étendue de petites tubérosités verruqueuses. Enfin, l’appendice plat et évasé à son extrémité, qui termine le corps, est divisé transversalement en trois parties dont la première forme un demi-cerele, la deuxième deux, puis vient l’échancrure du bord terminal. Nous ne sommes pas certains d’avoir aperçu un œil médian près du bord frontal, à sa jonction avec la carapace. Le corps, vu en dessous, présente les dispositions suivantes : Les antennes supérieures sont courtes et coniques (2) ; elles sont fixées au haut, de chaque côté du bord frontal, par une base très-large laissant entre elles une très-petite séparation. Cette première articulation, qui forme le tiers de la longueur de l'antenne, est suivie de trois autres qui vont en diminuant de longueur et de largeur pour se terminer en pointe, laquelle est garnie de quelques poils. (1) PL 2, fig. 3 et 4. ‘ (2) PI 2, fig. Let 5. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 197 L'antenne inférieure est extrêmement longue. Ses premières articulations sont assez grosses et au nombre de cinq ou de six, allant en diminuant de calibre. Elles sont suivies d’un prolonge- ment beaucoup plus mince, et dont la longueur égale à peu près celle de la partie antérieure de l'antenne; puis vient une tige très-grêle et très-pointue, qui est au moins aussi longue que le prolongement qui la supporte, et dont l'extrémité atteint, lorsque les antennes sont abaissées le long du corps, la partie inférieure de celui-ci. Un peu au-dessous des antennes, sur la ligne médiane du corps, se présente l'appareil buceal (1). Il est précédé d'un appendice triangulaire en dessous duquel s'en trouve un autre ayant la forme d’un croissant dont les pointes sont dirigées en bas, et au-dessus de celles-ci sont deux petits prolongements coniques terminés par quelques poils. La bouche se compose d’un appendice large et plat, un peu rétréci à sa base, élargi latéralement et arrondi à son extrémité inférieure. L’orifice est placé au milieu, et il est accompagné latéralement par deux petites mâchoires, et en dessous d’une paire de mandibules qui complètent le système. On aperçoit encore, de chaque côté et à une certaine dis- tance de la bouche, deux petits appendices cylindriques termi- nés par des poils divergents. Les pattes thoraciques sont au nombre de cinq paires; elles sont composées de quatre articles dont les deux extrêmes sont les plus grands. Le dernier article est très-renflé et arrondi à son extrémité, et muni d’une forte griffe qui, en se rabattant, . devient préhensile. Les fausses patles branchiales sont au nombre de six; elles se composent d’un article basilaire qui est assez long et cylindrique, suivi d'un appendice plat terminé par deux fortes soies flabelli- formes (2). Le canal intestinal occupe le milieu du corps. Il descend ver- (4) PI 9, fig. 5. (2) PL. 2, fig. 8. 128 HESSE. ticalement, en ligne droite, de la bouche à l'orifice inférieur. Le cœur, ou vaisseau dorsal, est placé sur la ligne médiane, suivant la surface de la ligne tergale ; il offre son maximum de largeur dans le voisinage du pédoncule abdominal, à l'endroit où cette petite élévation, qui se trouve au centre et aux deux tiers de la carapace, existe; à partir de ce point, 1l diminue de calibre; puis il présente une dilatation ayant la forme d’un cône dont la base touche jusqu'à l'extrémité inférieure de la carapace. Nous n'avons aperçu aucun indice de circulation. Coloration. — La carapace est d’un blanc mat uniforme ; les lisérés denticulés qui bordent l'extrémité inférieure de sa partie hémisphérique, ainsi que les divisions que présente le prolonge- ment aplati de l'abdomen, sont de couleur brique; le bord frontal et le vaisseau dorsal sont d’une belle couleur jaune. Les mandibules, ainsi que l’orifice buccal, sont également de cette dernière couleur. Habitat. — Trouvé, comme les embryons précédents, le 25 décembre 1866, au milieu des Balanes sillonnées. $ 3. Description d’un Crustacé que nous avons trouvé parmi les Balanes sillonnées. Maintenant que nous avons donné la description des deux phases embryonnaires des Balanes sillonnées, nous allons décrire un des Crustacés qui font l’objet spécial de nos recherches. Nous commençons par celui qui, relativement à l’autre, nous a paru être plus jeune, ou du moins à un état de transformation moins avancé. Description du jeune (1)? Il a tout au plus un millimètre de long. Son corps, qui est fusi-- forme, a beaucoup de ressemblance dans son ensemble avec les larves des Bopyriens, Athelyne cladophore el phyllode (2). I est légèrement bombé en dessus et plus en dessous. (1) PL. 9, fig. 40. (2) Ann. des sciences nat., t. XV, p, 91, planches 8 et 9, fig, 3, et même avec le Liriope pygmæu de M, Lilljeborg. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES-CÔTES DE FRANCE. 129 Sa téte, qui est un peu plus étroite au bord frontal seulement, a la forme d’un croissant, dont les deux pointes latérales, tour- nées en bas, dépassent le premier anneau thoracique, sur lequel il est placé sans y être enchâssé. On y remarque en dessus, des deux côtés, séparés par une légère distance, deux cercles assez grands bordant une cavité destinée probablement à recevoir ultérieurement les organes de la vision. Nous avons cru les aper- cevoir placés à l'extrémité d’un tube au bout duquel ils se trou- valent; mais nous n'en sommes pas très-certains, à raison de leur coloration qui, étant la même que celle de la partie de la tête qu'ils occupent, ne tranchait pas assez pour que nous ayons pu constater d'une manière positive leur présence. Les anneaux thoraciques, au nombre de sept, tous à peu près de la même largeur, présentent latéralement des pièces épimé- riennes très-aiguës. L’extrémité de ces anneaux est en outre arrondie au bout, afin de faciliter les mouvements de contraction du corps. | Les anneaux abdominaux ont la même conformation que ceux du thorax; mais ils vont toujours en diminuant de longueur et de largeur jusqu'au dernier, qui se termine carrément, suivi d’une petite pièce triangulaire, et donne attache à quatre appendices styliformes, ayant au moins deux fois la longueur de ce dernier anneau et terminés par des poils divergents (4). En dessous on remarque les dispositions suivantes (2) : Des deux côtés du bord frontal, séparées par une légère dis- tance, on aperçoit les antennes supérieures composées de deux appendices gros et cylindriques, divisés par plusieurs anneaux circuläires, et couverts de poils rigides et divergents. Ces deux appendices sont contenus à leur base dans un article large et évasé. Les antennes inférieures (3), qui sont infiniment plus longues que celles-ci, se composent de trois articles basilaires et d’une tige beaucoup plus mince, composés de cinq articulations qui (1) PL. 2, fig. 19. (2) PI. 2, fig. 11. (3) PL. 2, fig. 12. 5° série, ZooL.T, VIL. (Cahier n° 3.) 1 9 130 HESSE. vont en diminuant de calibre de la base au sommet; on re- marque en outre,en dessous des articles basilaires, une nervure qui semble appelée à les consolider. Immédiatement au-dessous des antennes supérieures sont quatre lames plates, minces et dentelées, qui sont rabattues sur le côté de l’orifice buccal, dont elles couvrent la partie supérieure ainsi que la base des antennes inférieures (1). Ces plaques, qui sont mobiles, en ce sens qu'elles peuvent se redresser et s’écarter plus ou moins latéralement, sont d'inégale largeur ; celles des côtés sont plus étroites et pourvues de quatre dents ; celles du milieu en ont sept, dont les premières sont plus courtes que les autres. La bouche (2) est située un peu au-dessous de ces lames ; elle est cordiforme et érectile ; elle peut se relever du côté du bord frontal ou s’abattre sur le thorax. Elle se compose d’un labre supérieur oncineux (3), se recour- bant en forme de griffe, comme la mandibule supérieure d’un bec d'oiseau, et elle est accompagnée latéralement par deux petites pattes-mâchoires, dont les premières sont pointues et articulées, et les deux extérieures sont également étroites et acuminées (4) et d’une substance cornée, conséquemment beau- coup plus résistante que celle des autres mâchoires. En dessous (5), le labre inférieur est plat, large et pointu, à son extrémité, qui est en outre terminée par une petite ouver- ture ovale entourée d’un rebord saillant. Ce labre est de plus accompagné des deux côtés de deux petites lames plates, et enfin de deux appendices styliformes. On aperçoit encore, en dessous et à leur partie inférieure de cet appareil, deux petites pattes- mâchoires articulées et pontues. Un peu plus bas que labouche et de chaque côté du corps, sont sept paires de pattes thoraciques composées de cinq articles, dont (1) PL 9, fig. A1. (2) PL 2, fig. 41, 16 et 17. (3) PL 2, fig. 48. (4) PI. 2, fig. 17. (5) PL 9, fig. 18. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 131 les deux premières sont préhensiles, et terminées par un renfle- ment assez fort, armé d'un ongle crochu et dentelé (1) qui vient se rabattre sur le bord inférieur armé de pointes aiguës; les autres sont moins grosses à leur extrémité (2), et la griffe qui les termine est plus longue, plus aiguë et plus propre à la marche. Les fausses paltes branchiales sont au nombre de six (3); elles se composent d’une articulation assez forte, suivie de deux lames plates, dont la dernière est garnie à son extrémité par des poils longs et rigides en forme de faisceaux, qui, en se réunissant à l’éxtrémité de l'abdomen, forment la pointe (4). Le peu de transparence de la carapace, qui est très-épaisse et très-résistante, ne nous a permis, malgré la faible dimension de ce Crustacé, d'apercevoir que très-imparfaitement la disposition de ses viscères. Nous avons cependant cru reconnaître le trajet de l'intestin, qui se rend directement d’une extrémité à l’autre du corps (5); nous avons aussi constaté que l'estomac est relative- ment assez petit, tandis que les cæcums hépatiques sont très-longs et très-volumineux. Nous n'avons vu aucune trace de la cireu- lation. Coloration. — Le corps est blanc, luisant, comme vermissé, tacheté de ponts rouges mégalement répartis sur le corps, où 1ls sont très-rapprochés en certains endroits. On aperçoit néan- moins, à travers la carapace, la couleur des viscères, qui est jau- nâtre. Habitat. — Trouvé, à peu près durant toute l’année, mêlé à des Balanes sillonnées recueillies sur des roches du rivage de la rade de Brest. Su. Description du même Crustacé parvenu à une métamorphose plus avancée. Le Crustacé que nous allons décrire a toujours été rencontré (A) PL 2, fig. 44. (2) PL. 2, fig. 13. (3) PL 2, fig. 20, 21 et 22. (4) PL. 2, fig. 49. (5) PI. 2, fig. 10. 132 HESSE. dans les mêmes lieux et dans les mêmes conditions que celui dont nous venons de parler ; nous ne doutons donc pas que ce soit le même, parvenu à un état de transformation plus avancée. Il a environ un millimètre et demi de longueur (4) sur un milli- mètre de large. Son corps, qui est fusiforme, est légèrement bombé en dessus et plat en dessous ; ilest plus étroit auprès de la tête qu’au milieu, et se termine en pointe tronquée à son extrémité, qui donne. attache à quatre appendices styliformes, dont les deux du milieu sont les plus gros et les plus longs. La téte est de moyenne grosseur, et, comme nous l’avons dit, plus large que le premier anneau thoracique. Le bord frontal est arrondi, et l’on aperçoit latéralement deux yeux très-gros et très-saillants qui sont formés d'un iris circulaire, au milieu du- quel sort une cornée hémisphérique très-bombée. Le thorax est composé de sept anneaux à peu près de la même hauteur, mais qui changent de largeur à mesure qu'ils s’éloi- gnent ou se rapprochent des extrémités. Ils présentent tous à leur bord externe une échancrure formée par les pièces épimé- riennes, qui sont extrêmement aiguës. L'abdomen est divisé en six anneaux qui ressemblent entière- mentaux précédents, si ce n'est que diagonalement ils sont plus étroits, et que le dernier, qui l’est encore plus que les autres, se termine, comme nous l'avons dit, par une pointe tronquée. Vu en dessous, il présente les dispositions suivantes : La téle (2) est garnie près du bord frontal de deux larges plaques minces, séparées l’une de l’autre par une très-faible distance ; elles recouvrent la base des antennes supérieures et inférieures. Ces deux plaques sont arrondies au bord supérieur et infé- rieur et échancrées latéralement ; elles ont en outre les bords entiers et entourés d’un liséré en relief, Les antennes supérieures sont formées de deux appendices coniques, gros et courts, divisés par un grand nombre d’an- (1) PL 92, fig. 23. (2) PL 2, fig. 24. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 133 neaux, et couverts de poils divergents qui peuvent s’étaler en aigrette. Les antennes inférieures (1) sont infiniment plus longues ; elles sont composées de quatre articles basilaires assez gros, allant en diminuant de calibre, lesquels sont suivis d’une tige cylin- drique beaucoup plus mince, divisée en cinq ou six articles, dont le dernier est terminé par des poils très-rigides. L'appareil buceal (2) est très-saillant ; il a beaucoup de rap- port avec celui du Crustacé dont nous venons de donner la des- cription, et que nous considérons comme étant le jeune de celui-ci. Il a aussi la propriété de se redresser ou de s’abaisser dans le sens vertical. Vuen dessus, il présente un labre supérieur incurvé et pointu à son extrémité, lequel est accompagné latéralement de deux mâchoires aiguës et cornées qui se combinent avec les autres parties de la bouche : le labre inférieur, qui est large, plat, est perforé, au sommet, d’un petit trou ovale entouré d’un rebord en relief ; et des mandibules latérales, plates, également bordées d'un liséré (3), forment dans leur ensemble une sorte de siphon propre à la perforation et à la succion. Enfin, on remarque en outre, au-dessous de cet appareil, deux petites pattes articulées, styliformes, qui complètent ce système. Les pattes thoraciques sont au nombre de sept paires ; elles sont formées de cinq articles, et semblables à celles que nous avons décrites eu parlant de l'autre espèce. Les deux premières, qui sont préhensiles, sont plus courtes et plus grosses que les autres ; elles sont toutes munies d’une forte griffe crochue, qui peut se rabattre sur le dessous du dernier article. Les quatre autres paires sont plus longues et plus grèles ; elles sont également armées de griffes qui sont très-aiguës et presque droites, et pus propres à la locomotion qu'à la préhension. Les fausses pattes branchiales sont au nombre de six ; elles sont (1) PL. 2, fig. 15. (2) PL. 2, fig. 25. (3) PL. 2, fig. 26. 134 UESSE. composées de deux articles, dont le dernier est aplati et spatuli- forme, et garni à son extrémité de soies longues et rigides. Coloration. — Le corps est très-luisant et comme vernissé ; 1l est d’un beau blanc mat; deux bandes marron descendent en dessous des yeux jusqu’à l'extrémité inférieure du troisième anneau thoracique ; une large tache fusiforme, de la même cou- leur, part également du bord inférieur du cinquième anneau, et se prolonge en pointe jusqu'à l'extrémité inférieure du corps. Le dessous de celui-ci, ainsi que les pattes, est blanc. Les yeux ont l'iris noir et la cornée blanche. Habitat. — Trouyé avec le précédent, presque toute l’année, parmi les Balanes sillonnées recueillies sur le rivage de la rade de Brest, Trouvé la première fois le 25 mai 1863. 8 5. Premières phases embryonnaires des Anatifes lisses. Avant de donner la description du Crustacé dont nous allons nous occuper, nous croyons utile, comme nous l'avons fait pour celui des Balanes, de faire remonter nos observations aux pre- mières phases embryonnaires des Analifes lisses. Les œufs de ces Cirripèdes, lorsqu'ils sont encore à l’état d’incubation, sont renfermés dans la cavité du manteau, et placés de chaque côté de leur corps sous forme de lames minces, appuyées contre les parois de la coquille qui protége ces Crusta- cés. Ils ont alors une couleur bleue très-foncée (1), et la masse entière paraît granuleuse, homogène, composée de molécules arrondies, qui ont à peu près une grosseur uniforme, et sont à l’état de sarcode ; on n’aperçoit encore aucun organe distinet. Un peu plus tard, à mesure que leur développement se poursuit, cette couleur bleue se change en violet foncé, et l’on aperçoit des traces évidentes d'organisation, qui bientôt se manifestent par la présence d’appendices dont les formes se dessinent de plus en plus (2). Enfin, lorsque l'embryon est arrivé au degré de trans- (4) PL. 3, fig. 4. (2) PL 5, fig. 2et 3. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 135 formation voulu, il rompt son enveloppe et sort de la cavité qui le protégeait (1), et alors, comme on le voit dans les larves des Crustacés suceurs, il est pourvu de moyens de locomotion, qui lui donnent la possibilité de chercher le point d'attache sur lequel il doit se fixer. Le corps à cet état est piriforme. La téle est de grosseur moyenne, et parfaitement distincte du corps par un étrangle- ment en forme de cou. Le front est proéminent et arrondi, etl'on aperçoit de chaque côté deux petites grosseurs qui ont aussi la même forme. Un œil unique est placé au milieu et un peu au-dessous du front. La région thoracique est pourvue de chaque côté de trois vigoureuses pattes très-longues, et terminées par des soies rigides. Les deux premières pattes sont simples, mais les deux autres sont doubles, et présentent à leur base un appendice plat et ramiforme, bordé également de soies longues et élastiques. Vu en dessous, on aperçoit un prolongement proboscidiforme, qui prend naissance au milieu de la tête et descend jusqu'au bas du thorax (2). Cette trompe présente à son extrémité une ouverture circulaire qui est celle de la bouche ; elle est suscep- tible de subir diverses formes, à raison de contractions mus- culaires, et, vue de profil (3), elle ne présente qu'une fente latérale, qui constituerait les rudiments du labre supérieur et inférieur. L'abdomen est large et cylindrique (4), terminé par deux appendices divergents garnis à leurs extrémités par des soies rigides et assez longues. Ces appendices, en s'appuyant l’un contre l’autre, ne semblent n’en faire qu'un, et alors le corps paraît terminé en pointe (5). (4) PL. 2, fig. 4. (2) PI. 2, fig. 3, 6, 7 et 71. (3) PL 2, fig. 71. (4) PL 3, fig. 5. (5) PL. 3, fig. 4. 136 HESSE. 86. Description d’un Crustacé que nous avons trouvé parmi des Anatifes lisses. Description du jeune (1)? ILest à peine visible à l'œil nu. Son corps est fusiforme ; il est un peu plus étroit du côté de la tête qu'au milieu, et se termme en pointe. La téte (2), vue en dessus, a la forme d'un croissant, dont les pointes, tournées en bas, viennent s'appuyer sur le premier anneau thoracique, qui lui-même repose sur le suivant, et ceux-ci, qui sont au nombre de sept et ont à peu près la même largeur, pré- sentent latéralement des pièces épimériennes légèrement échan- crées et très-aiguës. On aperçoit au milieu du front et de chaque côté deux cercles formés par des rugosités, dans lesquelles la matière organique et chromulaire, destinée plus tard à former et à colorer les yeux, apparaît congestée. Les cinq premiers anneaux abdominaux sont conformés comme les précédents ; le dernier seulement, qui est plus grand que les autres, présente, au milieu et en dessus, deux petites protubé- rances arrondies et saillantes, séparées par un intervalle creux (3). Le bord inférieur donne attache à quatre appendices fusiformes, longs et pointus, qui sont sur la même ligne et de même lon- gueur, et terminés par des poils courts et divergents. Vu en dessous, ce Crustacé offre les dispositions suivantes : Un peu plus bas que le bord frontal (4), on voit de chaque côté deux larges appendices plats et lamelleux, recourbés en bas vers l'orifice buccal, ayant le bord inférieur garni d’une rangée de pointes aiguës et pectinées relativement très-fortes. Les lames intérieures sont plus larges que les extérieures. Ces premières sont garnies de six pointes et l’extérieure de quatre. Ces lames recouvrent la base des antennes, dont les supérieures, composées (1) PL 3, fig. 8. (2) PL 3, fig. 9. (3) PI. 3, fig. (4) PL. 3, fig. 10 et 11. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 137 d'un article basilaire très-large et cupuliforme, donnent attache à une tige cylindrique terminée par un appendice courtet conique, divisé en plusieurs articles rapprochés, couverts de soies longues, rigides et divergentes. L'antenne inférieure est insérée à la base de la première. Les articles basilaires, qui sont au nombre de quatre, sont d’un calibre beaucoup plus gros que celui de la tige qui les termine, et qui est divisée en six ou sept articles terminés par quelques poils roides. L'appareil buccal forme un large écusson très-saillant, ter- miné inférieurement par une sorte de tube ou de siphon, au bout duquel se trouve l’orifice de la bouche. Des deux côtés de cette ouverture sont de petites mandibules, dont nous n’avons pas pu bien déterminer la forme. Les pattes thoraciques sont au nombre de sept paires, dont la base est fixée sur une nervure formant relief qui parcourt le corps, de chaque côté, de haut en bas. Les trois premières paires sont plus courtes et plus renflées à leur extrémité que les autres (1); elles sont pourvues de griffes très-robustes et très- crochues propres à saisir les objets, et pour la forme elles res- semblent beaucoup aux paites des Bopyriens. Les quatre autres paires sont infiniment plus longues, plus grèles et plus propres à la locomotion; elles sont, comme les autres, terminées par une griffe moins forte, mais plus longue, presque droite et très-acérée (2). Les fausses pates branchiales (3) sont au nombre de cinq ou de six; elles sont composées d’un article basilaire assez fort, et d'un autre lamelleux, qui est terminé par des poils rigides qui en garnissent l'extrémité. Coloration. — Le corps est entiérement d’un ES luisant ; les deuxième, troisième et quatrième anneaux thoraciques et les quatre premiers anneaux abdominaux sont tachetés d’une (1) PL. 8, fig. 13. (2) PL 3, fig. 44 et 15. (3) PL. 3, fig. 12. 138 DESSE. couleur vermillon très-vive; deux cercles de cette couleur . ornent la tête. | Habitat. — Trouvé le 14 octobre 1862 parmi des Anatifes lisses qui couvraient la carène d’un navire venu de la mer d'Azof à Brest. & 7. Description du mème Crustacé parvenu à un état de transformation plus avancé. Ce Crustacé (1) a environ 2 millimètres de longueur sur un demi-millimètre de largeur. Son corps, qui est fusiforme, présente, à partir de la tête, qui est un peu plus large, un léger rétrécissement formant uve sorte de cou, et après s'être élargi au milieu, va toujours en diminuant jusqu’à l'extrémité inférieure, qui se termine en pointe arrondie. La téte est simplement posée sur le premier anneau thora- cique, sans y être enchâssée ; elle repose, à cet effet, dans une échancrure pratiquée à son bord supérieur. La région occipitale (2) est très-distinctement délimitée par une protubérance ovale et transversale, aux extrémités de laquelle on aperçoit les globes oculaires, qui sont très-saillants et relativement très-gros ; ils se composent d'uniris large annu- laire, au centre duquel se trouve une cornée très-bombée et en relief. Le thorax est formé de sept anneaux qui, sauf les premiers, sont à peu pres de la même largeur; ils présentent latéralement de petites échancrures qui détachent de ceux-ci des pointes épimériennes très-aigués (3). L'abdomen se compose de six anneaux qui ressemblent entiè- rement aux précédents, quant à la forme, mais qui vont tou- jours en diminuant de dimension ; le dernier seul est plus long et est dépourvu de pièces épimériennes. Son extrémité infé- (4) PL 3, fig. 47. (2) PL 8, fig. 21. (3) PL 3, fig. 23. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 139 rieure est arrondie et pourvue de six appendices longs et styli- formes, dont les deux du milieu sont les plus gros et les plus longs, et les quatre latéraux sont plus courts et plus grèles (1). En dessous il présente les dispositions suivantes : De chaque côté de la tête, près du bord frontal, au niveau de la naissance des antennes qu’elles recouvrent en partie, sont deux larges expansions plates, lamelleuses, rabattues et dirigées vers la bouche (2); elles sont garnies, à leur bord inférieur, de fortes dents aiguës et pectinées. Les lames du miheu sont plus larges que celles des côtés; les premières ont six ou sept dents; les autres n’en ont que quatre. Ces lames sont mobiles jusqu'à un certain point; elles peuvent se soulever et s’écarter de manière à ne gêner en rien le mouvement de l'organe buccal qu'elles sont évidemment destinées à protéger. Les antennes supérieures sont beaucoup plus grosses et plus courtes que les suivantes. Elles se composent d’un article bast- laire très-large et cupuliforme, duquel émergent deux petits appendices courts, coniques et divergents, composés d'articles uombreux et rapprochés, garnis de cils roides et assez longs qui s'écartent en éventail et forment une aigrette de chaque côté de la tête (3). Les antennes inférieures sont placées à la base et au-dessous de celles que nous venons de décrire (4) ; elles sont cylindriques. Les articles basilaires, qui sont au nombre de cinq, sont beau- coup plus gros que ceux qui composent la tige, laquelle est for- mée de six ou sept articles allant toujours en diminuant de di- mension, et terminée à son extrémité, qui est pointue, par quelques poils longs et rigides. Ces antennes sont assez longues pour atteindre la limite inférieure du cinquième anneau tho- racique. L'appareil buccal (5) est placé au milieu de la tête et au- (1) PL. 3, fig. 17 et 26. (2} PL. 3, fig. 18 et 49. (3) PI. 3, fig. 17. (4) PL. 3, fig. 22. (5) PL. 3, fig. 18. 410 MESSE, dessous des organes dont nous venons de parler. Il est très- saillant, a la forme d’un éeusson dont le sommet est tourné en haut vers le bord frontal. L’orifice de la bouche est placé à l'extrémité d’un tube conique qui lui-même occupe le centre de cet écusson, et se compose d’un labre supérieur, crochu et terminé en pointe, présentant latéralement deux petites mà- choires qui sont complétées inférieurement par quatre petites mandibules accolées au labre inférieur. Tout ce système est mobile dans le sens vertical, et peut se redresser et s'abattre indifféremment du côté du front ou vers l'extrémité inférieure du corps. Les deux premières paltes thoraciques sont plus grosses et plus courtes que les cinq suivantes : elles ressemblent beaucoup à celles des Bopyriens (1); elles sont formées de cinq articles, dont les basilaires sont gros et courts; le fémoral est le plus long et le plus grêle, tandis que le dernier, qui est très-fort et globuleux, est armé d’une griffe robuste et crochue destinée à la préhension, et peut à cet effet se rabattre sur le bord infé- rieur de ce dernier article. Les autres patles thoraciques (2) sont plus grêles et plus longues, et par là plus appropriées à la locomotion ; elles sont armées aussi d'une griffe, mais celle-ci est longue, acérée et presque droite. Les fausses pattes branchiales sont au nombre de cinq ou de six. Elles sont composées de trois articles dont le premier, qui est basilaire, est large et court; les deux autres sont plus longs, et le dernier se termine par une lame plate, garnie à son extré- mité de poils longs et rigides. Coloration (3). — La carapace est composée d’un test très- solide, luisant et comme vernissé. Le corps est blanc; une large tache ovale et transversale, d'un brun marron foncé, occupe le milieu de la tête et se prolonge en deux bandes verticales et parallèles de la même couleur jusqu’au bas du deuxième anneau (4) PL 3, fig. 24. (2) PI. 3, fig. 25. (3) PL 3, fig. 17. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. AU thoracique, où elles rejoignent une autre très-grande tache fusi- forme de la même couleur, qui couvre en entier le milieu du thorax et de l'abdomen. Une tache, d’un beau jaune vif, sépare les deux bandes marron qui descendent de la tête ; tout le reste du corps, ainsi que les pattes, est blanc; la prunelle est noire et la cornée est blanche. Habitat. — Trouvé avec l’autre Crustacé que nous avons dé- crit comme étant le jeune, le 14 octobre 1862, sur un navire venant de la mer d’Azof à Brest, et dont la carène était couverte d’Anatifes lisses. $ 8. Mœurs. Il est, croyons-nous, toujours très-intéressant de connaître les mœurs et les habitudes des individus que l’on décrit, et mal- heureusement ces études sont généralement très-incomplètes, à raison de la difficulté de se les procürer vivants et de les con- server dans cet état assez longtemps pour les observer. Nous eussions bien évidemment désiré, pour les Crustacés qui font l'objet de ce mémoire, apporter un plus grand nombre de faits que ceux que nous nous sommes procurés ; malheureu- sement l’occasion de les recueillir ne nous est pas fournie aussi fréquemment que nous le voudrions. Les Anatifes lisses et les autres Cirripèdes, à l'exception des Balanes, des Pousse-pieds et des Scalpels obliques, sont étrangers à notre pays, dans lequel ils ne sont apportés que fortuitement par les bâtiments qui ont séjourné dans les mers plus méridionales que les nôtres, ou par des débris de ces navires brisés par la tempête, et dont les épaves sont ensuite jetées sur nos côtes. Ce n'est donc que de loin en loin que nous pouvons en trouver, et, bien que ces occa- sions ne soient pas absolument rares, il n’est pas moins vrai qu'elles ne sont pas non plus très-communes. Cependant nous devons dire que depuis l’époque où nous avons recueilli pour la première fois les Crustacés que nous venons de décrire, nous avons eu en plusieurs circonstances la possibilité d’en avoir; mais à ce moment. notre attention n'était pas dirigée sur ce 142 || MESSE. point, et nous ne nous en serions probablement pas encore occupé, si nous ny avions été naturellement conduit par les recherches que nous venons de publier sur les genres Pelto- gastres et Sacculinidiens qui se trouvent étroitement liés à celles qu’elles semblent destinées à compléter. La difficulté que présentent les Anatifes pour les étudier et pour en suivre les diverses métamorphoses ne réside pas seule- ment dans la possibilité plus ou moins grande de se les procurer, mais peut-être plus encore de les conserver vivants. Il faut, en effet, prendre les plus grandes précautions pour les détacher des corps flottants sur lesquels ils sont fixés : car si l’on vient à briser leur base calcaire, qui est extrêmement adhérente et très-fragile ; si l’on occasionne un froissement ou une lésion à leur pédoncule, qui est extrêmement vulnérable, il est immédia - tement suivi d'un épanchement abondant de sérosités qui ne tardent pas à corrompre l’eau dans laquelle on les conserve, et, en altérant sa pureté, à occasionner leur mort ; et ces blessures, qui peut-être dans une position normale n'auraient pas autant de gravité, ne tardent pas à les faire périr (4). (4) Nous ne croyons pas trop nous écarter de notre sujet en mentionnant ici quelques observations biologiques que nous avons eu occasion de faire sur les Cirripèd:s pédon- culés en général, et sur les Anatifes lisses en particulier. C’est à l’aide d’un épatement calcaire, évidemment sécrélé par l'animal, que ces Crustacés se fixent sur les objets auxquels ils s’attachent. Le talle, qui forme quelque- fois quatre branches disposées en croix de Malte, établit autour de la base du pédon- cule une sorte de bourrelet qui la protége ; mais bien qu'il ait, quant à sa disposition, beiucoup de rapports avec les moyens employés par les Balanes pour s'attacher égale- ment aux roches, il ne forme cependant qu'une couche plus ou moins épaisse, mais ne s’élevant jamais verticalement pour créer une cupule ou un alvéole, comme cela à lieu pour ces derniers. S Cet enduit calcaire peut être enlevé très-facilement, sans être brisé, lorsqu'il est appliqué surtout sur la carène d’un navire qui n’a reçu qu'une couche de goudron, et qu’on se sert d'une lame de couteau très-mince, que lon glisse entre le bois et la sécrétion. Mais cette opération est bien plus difficile pour les Balanes fixées sur les rochers, attendu que la matière calcaire en a pris l'empreinte et en a suivi toutes les inégalités et les rugosités. Il n’y a que ce seul moyen de pouvoir se procurer ces Cirrpèdes intacts, et de les étudier et de les observer vivants : car, comme nous l'avons dit, les plaies faites au pédoncule, si elles sont un peu graves, deviennent mortelles, non-seulement à raison de la déperdition des sérosités, mais encore parce qu’elle corrompt l’eau. C’est donc à CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. \hà Les Anatifes ont, à raison de leur manière de vivre, infini- ment plus de besoins que beaucoup d’autres Crustacés qui ne sont pas soumis aux mêmes conditions d’une eau extrêmement pure, puisque le courant la renouvelle sans cesse, et que celui-ci est en outre d'autant plus fort, que le sillage du navire sur lequel ils sont fixés est plus grand. Plus cette condition existe, plus elle est avantageuse pour eux, attendu que ne pouvant aller à la recherche de leur nourriture, c’est à l’aide de ce courant qu'ils la saisissent au passage. On conçoit done que si à l'immobilité de l'eau qui les prive d'aliments vient se joindre encore son altération, ils doivent périr promptement. Les Crustacés que nous avons trouvés mêlés aux Anati[es lisses sont d’une agilité extrême : ils nagent et marchent avec une tort que l’on a pensé que l’on pouvait couper le pédoncule impunément; la blessure serait trop grave, et d'ailleurs comment l'animal, ainsi mutilé, pourrait-il, séparé d2 son point d'appui, réparer un tel désordre, et se créer immédiatement une nouvelle basé qui lui est indispensable ? Le pédicule varie considérablement de longueur et de.grosseur, nôn à raison du volume de l'animal, mais eu égard à son état de santé. Plus celui-ci est fort et vigoureux, plus le pédicule est long et turgescent. Si l’Ana- tife vient à languir, si les conditions dans lesquelles il se trouve lui sont nuisibles ou défavorables, il ne tarde pas à dépérir visiblement : son pédicule se flétrit, la peau n’est plus tendue, il se contracte; des rides nombreuses et circulaires se produisent ; il se raccourcit de plus en plus, jusqu’à ce que l'extrémité supérieure vienne toucher la base calcaire qui lui sert de point d'attache. Lé contraire se produit si l’état prospère où il se trouvait, vient à se présenter de nouveau; il ne tarde pas alors à réparer les pertes qu'il avait éprouvées, et les choses reprennent leur ancien état. Nous avons été fréquemment témoin des faits dont nous venons de parler, Lorsque les navires arrivant d’un voyage lointain ont leur carène couverte de Cir- ripèdes pédonculés, et qu'ils séjournent quelque temps dans notre port, formé par une rivière marine, l'influence de l’eau douce mêlée en une assez grande proportion à l’eau salée, et celles-ci souillées par le produit des égouts de la ville, ne tarde pas à opérer son action délétère sur ces Crustacés. On les voit alors se rapetisser peu à peu, jusqu’à ce que le pédoncule disparaisse, pour ainsi dire; il perd toute sa rigidité ; Fani- mal ne tarde pas à mourir, et alors cet appendice n’offre plus qu'une peau flasque qui pend verticalement au flanc du bâtiment. Dans les jeunes sujets, le pédoncule est aussi très-mince et très-court ; il n’est pas en proportion avec la partie antérieure du Cirripède, et ce n’est que lorsque celle-ci à déjà atteint une certaine dimension, que le pédicule commence également à se déve- lopper. Le mouvement de va-et-vient des cirres est aussi un indice très-cértain de la situa- 14h HLSSE. grande facilité ; ils se tiennent souvent immobiles dans l’eau à sa surface, tantôt dans une position horizontale, tantôt verticale. Ils marchent aussi très-rapidement, et on les voit progresser avec une grande activité sur les parois des vases où on les con- serve. Ils ont le corps extrêmement flexible, ce qui facilite, du reste, la disposition des anneaux du corps, qui non-seulement peuvent s’emboîler partiellement les uns dans les autres, mais sont en outre échancrés latéralement, de manière à favoriser tous leurs mouvements. Aussi se ploient-ils fréquemment par la moitié, en appliquant l'une contre l’autre les deux extrémités du corps ; ils peuvent même se contracter à la manière des Sphé- romes. Leur corps, plat et amineï à ses deux extrémités en forme de navettes (1), doit leur donner une extrême facilité pour pénétrer dans les cavités et dans les interstices où ils veulent entrer ; leur carapace, recouverte d’un test solide, les met à l'abri des incon- vénients d’un contact qui pourrait leur être dangereux ; enfin tion de ces Crustacés : plus il est vif et répété, plus ils sont en bon état de santé. fl arrive souvent, néanmoins, surtout quand on les conserve quelque temps, qu'ils restent inactifs, parce que l’eau étant tranquille, ils savent bien qu'aucun objet ne leur sera apporté par elle, et conséquemment que leur mouvement serait en pure perte ; mais si l’on vient à l’agiter, on voit immédiatement leurs bras s'étendre avec plus ou moins de vivacité, pour saisir ce qui peut passer à leur portée. Ainsi une eau pure ne suffit pas pour les faire vivre, il faut encore qu’elle soit agitée par un courant vecteur qui leur apporte leur nourriture. Lorsqu'ils sont près de mourir, ils s’enferment dans leurs coquilles, dont ils con- tractent les valves de manière que les bords s'appliquent l’un contre l’autre ; cette ouverture se trouve alors bermétiquement fermée. Ils le font aussi à l’époque de la mue, et ne les ouvrent que pour expulser l'enveloppe dont ils viennent de se dépouiller. Lorsqu'ils sont morts, l'effet de la contration des valves cesse ; elles s’ouvrent de nou- veau, et laissent sortir les cirres, dont on aperçoit alors les trois quarts de leur longueur en dehors. Lorsque les Cirripèdes pédonculés sont réunis en assez grand nombre et qu’ils sont hors de l’eau, ils produisent, par le frottement qu'ils exercent en entrant et en sortant, sur les valves de leur manteau, avec leurs cirres, un bruit que nous comparons à celui que l’on entend dans les magnaneries, lorqu'elles contiennent beaucoup de Vers à soie et que l'on fait silence, bruit occasionné par l’action des mâchoires de ces che- nilles. (1) PL 3, fig. 20. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 445 leurs pattes armées de griffes, qui sont également favorables à la préhension et à la locomotion, leur fournissent des moyens d'action très-puissants. L'organisation de leur bouche, celle de leurs pattes préhen- siles, démontrent facilement qu'ils pourraient au besom vivre en parasites ; ce qui semblerait l'indiquer, c’est l'habitude qu'ils ont de saisir au passage les objets en mouvement, et de s’y fixer fortement. Ainsi les avons-nous vus, lorsque nous voulions les prendre pour les placer sur le porte-objet du microscope, saisir l'extrémité de la plume dont nous nous servions à cet effet, et s’y attacher si solidement, qu’il nous était impossible ensuite, quel- que agitation et quelques secousses que nous lui donnions, de leur faire lâcher prise, de sorteque, de guerre lasse, nous étions obligés, dans la crainte de les blesser ou de les perdre, de cou- per la partie de la plume sur laquelle ils s'étaient cramponnés. Enfin, pour donner une idée de l’extrème vitalité de ces Crus- tacés, nous dirons que nous les avons conservés plus de deux mois, sans qu'ils pussent prendre aucune nourriture, et que nous les aurions probablement gardés plus longtemps encore, si nous eussions voulu prolonger nos expériences; bien plus, il nous est arrivé, après en avoir plongé un plus d'une demi-heure dans l’eau de mer fortement additionnée d’alcool, d’où nous l’avions retiré complétement immobile, et le croyant mort, de le voir, à notre grande surprise, peu de temps après, reprendre toute son activité, lorsque nous l’avons remis dans de l’eau de mer pure. Ce que nous venons de dire des Crustacés que nous avons trouvés parmi les Anatifes lisses est entièrement applicable à ceux qui vivent avec les Balanes. Is sont également très-vivaces, supportant la privation du manger très-longtemps ; ils nagent et marchent avec la plus grande aisance. Leur progression a lieu par petites saccades et à l’aide de petites glissades, sur les objets sur lesquels ils marchent. Les embryons, à la sortie de l’œuf, déploient une grande agilité ; ils ne nagent pas comme les autres jeunes Crustacés su- ceurs qui agitent fréquemment leurs pattes natatoires : ceux-ci, au contraire, nagent à grands coups, en élevant le plus pos- 5° série. ZooL. T. VIL. (Cahier n° 3.) 2 10 146 HESSE, sible leurs pattes du côté de la tête, et les ramenant ensuite, par un mouvement très-brusque, du côté de l'abdomen, qui, étant précisément terminé en pointe à son extrémité, se prête à cette manœuvre en leur laissant plus d'espace à parcourir. Les embryons parvenus à la seconde mue n’ont plus la même manière de nager ; ilsle font à petits coups et à intervalles très- rapprochés. Ils sont très-actifs, et progressent très-rapidement ; aussi sont-ils très-difficiles à saisir, ce à quoi, du reste, contribue beaucoup également leur petite taille. Nous terminerons par une observation qui pourra être utile à ceux qui voudront vérifier nos recherches. Il est essentiel, lors- qu'on désire se procurer des embryons vivants, de profiter du premier instant où l'on à recueilli les Cirripèdes sur lesquels on les cherche. Ilest en effet presque impossible que ceux-ci soient complétement intacts, et conséquemment que les sécrétions qui s’échappent de leurs blessures ne viennent pas bientôt corrompre l’eau dans laquelle ils sont placés. Dans ces conditions, ils ne tardent pas à périr, et, du reste, peu après leur capture, on ne les voit plus circuler. Ce que nous disons des embryons est également applicable aux Crustacés qui font l’objet de ce mémoire. On les aperçoit assez facilement dans les premiers moments, ou probablement ils sont encore déroutés par leur nouvelle situation ; mais dès qu'ils ont eu le temps de se reconnaître, ils se cachent probable- ment dans l’intérieur de la coquille ou parmi leurs débris. Ce qu'il ya de certain, c’est qu'on ne les aperçoit plus. & 9. Systématisation. Il ne nous reste plus, après la description détaillée que nous avons donnée des Crustacés qui font l’objet de ce mémoire, qu'à chercher leur affinité carcinologique et la place qu'il convient de leur assigner parmi les êtres nombreux qui font partie de cette importante famille. Mais avant de nous occuper de cette importante question, il CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 147 nous paraît nécessaire d'examiner si la présence de ces Crusta- cés parmi les Anatifes et les Balanes est due à une circonstance fortuite, ou si elle est déterminée par un motif suffisant pour la justifier. IL nous semble impossible d'attribuer au hasard la présence contmuelle de ces Crustacés, que nous avons rencontrés toutes les fois que nous les avons cherchés parmi les Balanes, qui sont les Cirripèdes les plus à notre portée, et que nous pouvons nous procurer plus facilement. Nous allons même plus loin : nous essayerons de prouver qu'il existe entre eux une parenté qui s'affirme par la similitude de leurs organes, malgré les modifi- cations qu'ils subissent dans le cours de leur transformation. Dans le but d'élucider cette question, nous avons, à dessein, remonté, autant que nous l'avons pu, aux premières évolutions de leur état embryonnaire ; il nous était facile de comprendre que, si nous pouvions les suivre dans toutes les phases de leurs métamorphoses, 1l n'y aurait plus d'hésitation possible. Nous n'avons pas complétement obtenu ce résultat, mais nous avons cependant recueilli un assez grand nombre de preuves pour nous faire penser que ces Crustacés appartiennent à l'espèce avec laquelle nous les avons rencontrés. Une des plus grandes difficultés que présentent ces sortes de recherches, est de comparer ensemble lesmêmes phases de trans- formations, car les changements que subissent ces Crustacés sont si complets et si inattendus, qu'on peut facilement prendre le même individu dans des phases différentes de métamorphoses pour deux individus appartenant à des espèces étrangères l’une à l’autre. A la sortie de l'œuf, l'embryon de la Balane lisse n’est pas encore assez développé pour qu'il soit facile de saisir les carac- tères de ressemblance ; mais lorsqu'ilaatteint ce que nous croyons être la deuxième métamorphose, notre tâche devient plus facile. Nous constatons d'abord que les antennes sont en même nombre dans celui-ei et le Crustacé en question : qu'elles ont aussi quelques rapports dans leur disposition : la brièveté des supérieures 2{ la longueur des inférieures ; nous trouvons éga- 148 HESSE. lement des identités, non moins frappantes, avec la conformation de la bouche, et surtout avec celle des pattes thoraciques qui, bien qu’en plus petit nombre, n’en sont pas moins conformées comme celles de nos Crustacés, c’est-à-dire renflées à leur der- nier article, ancreuses et subchéliformes, pourvues d’une forte griffe crochue qui se rabat sur la face inférieure de cette patte. Nous constatons également que les fausses pattes branchiales ont beaucoup d’analogie avec celles de notre Crustacé, et qu'enfin les bords marginaux du thorax et de l'abdomen imdiquent, par leur fractionnement, qui correspond avec les divisions de la cara- pace, qu’ils sont destinés à devenir ultérieurement des pièces épimériennes. Mais ce que nous venons de dire ne forme qu'une partie de nos preuves ; nous puisons le reste dans la comparaison que nous allons faire de nos Crustacés avec ceux des autres familles avec lesquels on pourrait leur trouver de l’analogie. Nous allons d’abord procéder par exclusion, et nous conclurons ensuite en cherchant à établir les rapprochements qui nous sembleront résulter de conformités dans l’organisation. Au premier aperçu, On pourrait, à raison de la structure par- ticulière de leur appareil buccal, de la forme de leurs pattes ancreuses, croire que ces Crustacés sont destinés à vivre fixés sur des proies vivantes, conséquemment que c’est parmi les espèces qui ont le même genre d'existence qu'il serait convenable de les classer. Si done, adoptant ce motif, nous les rapprochons des individus composés dans cette catégorie, tels que les Cymo- thoadiens ravisseurs, par exemple, nous voyons qu'ils leur res- semblent effectivement un peu par l'ensemble et l'aspect géné- ral du corps, par la présence de pièces épimériennes, ainsi que par la structure de leurs pattes thoraciques ; mais nous consta- tons immédiatement aussi que les différences qui les séparent sont encore bien plus nombreuses que les points de conformité qu'ils peuvent avoir avec eux. Ainsi ils s’en éloignent compléte- ment par la conformation des antennes, celle de la bouche, de l'abdomen, des fausses pattes branchiales, et enfin par l'absence des appendices qui leur servent de nageoires caudales. 1 ne CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 149 nous paraît done pas possible de les ranger dans cette famille. D'un autre côté, si nous les comparons aux Zsopodes sédentaires, près desquels, à raison de leur début embryonnaire, ils semblent devoir être placés, nous reconnaissons des rapprochements beaucoup plus sensibles. En effet, si nous jetons les yeux sur les individus que M. Krüyer a représentés à la planche 29, figures 1 £et Lu, de l'Atlas du Voyage en Hollande et au Groenland, sous le nom de Bopyrus abdominalis (1), nous sommes frappés de la ressemblance, pour ainsi dire complète, qui existe entre ces Crustacés et ceux qui font l’objet de nos recherches. Dans ceux qu'il a représentés, les pièces épimériennes manquent, il est vrai ; les appendices cau- daux, au lieu d’être acuminés, sont arrondis au sommet; mais la forme du corps, son ensemble, le nombre d’anneaux thora- ciques et abdominaux, celui des pattes thoraciques et des fausses pattes branchiales, ainsi que leur conformation, celle des an- tennes, sans même omettre les soies divergentes qui apparaissent des deux côtés du bord frontal, tout démontre de la manière la plus évidente que nous avons affaire à une espèce extrêmement voisine de celle que nous décrivons (2); et comme d’ailleurs les observations qui ont été faites sur ces Crustacés n’ont été prati- quées que sur des individus qui avaient macéré plus ou moins longtemps dans l'alcool, on conçoit facilement que des carac- tères aussi délicats et d’une importance assez secondaire aient pu échapper à cet habile et consciencieux observateur. (4) Malheureusement, ce magnifique atlas a été publié sans texte, de sorte que nous sommes privé des renseignements précieux qui devaient l'accompagner, et dont nous n'avons qu’une connaissance très-incomplète par les citations qu'en a faites M. Lillje- borg. (2) Voyez dans les Annales des sciences naturelles, 1864, t. IT, p. 298 et suivantes, ce que M. Lilljeborg dit de ce Crustacé, dont il parle à propos de l’article qu'il a publié sur les genres Liriope et Peltogaster. Ce naturaliste pense que ce Crustacé, dont M. Krôyer donne la figure, n’est qu'un male plus jeune de son Bopyrus abdominalis (voyez l'ouvrage de M. Krôyer, Naturhis. torick Tidskrif, 3° B. D, 1840-41, p. 291, tab. 1, fig. 21-94, tab. 44, fie. 4-3: Voyage en Scandinavie, Crusracea, pl. 29, fig. 1t et 40), qui est le même que le Phryæus Hippolytes de Rathke, dit M. Lilljeborg, chose que nous sommes dans l’im- possibilité de vérifier. 150 HESSE. Enfin, nous trouvons des rapports d'identité de conformation, qu'il est impossible de méconnaitre, avec le Crustacé décrit par M. Lilljeborg (planche 20, fig. 5, dans les Annales des sciences précitées) (1), et ceux que nous avons nous-même publiés dans le même ouvrage comme appartenant à l’ordre des Zsopodes sédentaires (2); de sorte qu'il résulterait de l’ensemble de ces observations la confirmation de l'opinion que nous avons déjà émise, qu'il y a lieu, à raison des nombreux points de con- formité qui existent dans leurs débuts embryonnaires , tout en établissant entre eux les séparations que nécesSitent les diffé- rences notables d'organisation et de mœurs lorsqu'ils ont atteint le terme de leur transformation, et qu'ils sont parvenus à l’état adulte; il y aurait lieu, disons-nous, de rapprocher les Zsopodes sédentairés des Cirripèdes. On ne saurait, en effet, quelque ressemblance qu'il y ait entre les larves à certaines phases de leurs métamorphoses, ne pas séparer les Bopyriens, dont les mâles et les femelles ne sont jamais fixés sur leur proie d’une manière immuable, et qui en ürent leur nourriture par la succion, des Cirripèdes, qui ne cherchent sur les objets sur lesquels ils se fixent qu’un point d'appui, un support, d'où ils saisissent au passage tous les objets qui peuvent servir à leur alimentation. En terminant, nous devons faire remarquer que ces Crustacés ont un air d'étrangeté tout particulier qui les fera distinguer facilement de ceux dont ils semblent le plus se rapprocher. Les cils, étalés en éventail, qui garnissent de chaque côté le bord frontal ces larges appendices plats et dentelés qui couvrent (1) Voyez dans les Annales des sciences naturelles, Â864, t. IT, p. 300, ce que dit M. Lilljeborg d’un jeune embryon : «pullus nuper exclusus in matrice », la larve de la Liriope pygmæa qu'il a figurée à la planche 20, n° 5. On verra que cette espèce se rapproche beaucoup des Crustacés que nous avons décrits nous-même comme étant les larves des 4thelques, Cladophores et Phyllodes, dont ils ont la forme générale du corps et sont comme eux munis d’appendices épimériens : « Submarginibus segmentorum » thoracicorum lateralibus appendices parvas acuminatas et retroflexas, sine dubio » epimera, vidimus. » (2) Voyez dans les Annales des sciences natwrelles, 4864, t. II, p. 91-116, notre Mémoire sur deux nouveaux genres de Crustacés de l'ordre des Isopodes sédentaires, el les planches 8, fig. 3, et 9, fig. 3. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 151 la base des antennes et de l'appareil buccal, et ressemblent aux mâchoires des Cirripèdes, sont des caractères apparents et exclusifs qui empêcheront de les confondre avec d’autres. EXPLICATION DES PLANCHES. PLANCHE 2. Crustacés trouvés parmi les Balanes sillonnées. Fig. 4 et 2. Embryon de la Balane sillonnée, très-grossi, à sa sortie de l'œuf. Fig. 3 et 4. Le même embryon daus une phase plus avancée, amplifié environ 30 fois, vu en dessus et en dessous. Dans cette dernière figure on aperçoit l'appareil pro- boscide terminé par l’ouverture buccale. Fig. 5. Tête de cet embryon, très-grossie, vue en dessous. Fig. 6. Antenne supérieure du même très-grossie. Fig. 7. Extrémité inférieure d’une patte thoracique du même, très-grossie, Fig. 8. Extrémité inférieure d'une patte branchiale du même. Fig. 9. Extrémité inférieure de l’abdomen du même, vue en dessous. Fig. 10. Jeune Crustacé trouvé parmi les Balanes sillonnées, amplifié d'environ 60 fois, vu en dessus. Fig. 11. Sa tête extrêmement grossie, vue en dessous. Fig. 12. Antenne supérieure du même très-grossie. Fig. 13 et 14. Pattes abdominales du même, très-grossies. Fig. 15. Antenne supérieure du Crustacé à une phase de transformation plus avancée, vue à sa base. Fig. 16. Appareil buccal complet, très-amplifié, du jeune, vu en dessus. Fig. 47. Le même vu en dessous, c’est-à-dire relevé du côté de la tête. On aperçoit au sommet un petit orifice ovale formant l'ouverture buccale. Fig. 18. Mandibule latérale du mème très-grossie. Sa coloration en jaune indique qu’elle est d’une substance cornée bien plus solide que les autres parties de la bouche, ï Fig. 19. Partie inférieure de l'abdomen du même très-grossie, vue en dessus. Fig. 20. La même, vue en dessous. Fig. 21. Extrémité inférieure d’une fausse patte branchiale. Fig. 22. Portion de l'abdomen vue en dessous, montrant la disposition des fausses pattes branchiales. Fig. 23. Crustacé arrivé à une transformation plus avancée, amplifié de 35 fois. Fig. 24. Tète du même très-grossie, vue en dessous. Fig. 25. Appareil buccal du même, vu en dessous. Fig. 26. Màchoire latérale très-grossie. Fig. 27. Extrémité inférieure d’une patte thoracique très-grossie, 152 MESSE, PLANCHE 3. Crustacés trouvés parmi des Anatifes lisses. Fig. 4. Œuf de l'Anatife lisse, très-grossi, avant son incubation. Fig. 2 et3. Le même, renfermant un embryon près d’éclore, vu en dessus et en des- sous. Fig. 4. Embryon, extrêmement grossi, à sa sortie de l’œuf. Fig. 5. Extrémité inférieure de l'abdomen de l'embryon, très-grossie, lorsqu'il est encore enfermé dans l’œuf. Fig. 6,7 et 71. Extrémité du rostre de l'embryon vue sous divers aspects. Fig. 8. Jeune Crustacé, amplifié 75 fois, vu en dessus, trouvé parmi les Anatifes lisses. Fig. % Tête du même très-grossie, vue en dessus. Fig. 10. La même, vue en dessous. Fig. 41. Appendice dentelé placé au-dessus de l’orifice buceal du même. Fig. 42. Partie inférieure d’une fausse patte branchiale. Fig. 13. Première patte thoracique vue de profil. Fig. 14 et 15. Extrémités des pattes thoraciques du même vues de face et de profil. Fig. 16. Partie inférieure de l'abdomen du même, très-grossie, vue en dessus. Fig. 17. Crustacé plus avancé dans sa métamorphose, amplifié de 50 fois environ, vu’ en dessus. Fig. 18. Tête du même très-grossie, vue en dessous. Fig. 49, La même, vue de profil. Fig. 20. Le même Crustacé moins grossi, vu de profil. Fig. 21. Portion occipitale du même très-grossie. Fig. 22. Base des antennes du même. Fig. 23. Pièces épimériennes du même. Fig. 24. Première patte thoracique du même. Fig. 25. Troisième patte thoracique du même vue de profil. Fig. 26. Extrémité inférieure de l’abdomen du même, très-grossie, vue en dessus. ÉTUDE SUR LE DISQUE CÉPHALIQUE DES RÉMORAS (ECHENEIS), Par M. BAUDELOT. Présentée à l’Académie des sciences le 48 mars 4867. Les Poissons du genre Echeneis ont, depuis les temps les plus reculés, frappé l'attention des observateurs par la présence du disque singulier qu’ils portent sur la tête, et à l’aide duquel ils peuvent se fixer aux corps environnants. Ce disque néanmoins n’a jamais été l’objet d’une étude suffi- samment approfondie. Quelques naturalistes, il est vrai, tels que Voigt et Stannius, ont déjà émis l'opinion que cet organe pouvait être considéré comme l’équivalent d’une nageoire dor- sale ; maiscette manièrede voir n’a pas été jusqu'ici appuyée sur une démonstration rigoureuse : la correspondance entre les pièces mtérieures du disque et les éléments d’une nageoire n’a jamais été parfaitement établie ; jamais non plus le mécanisme au moyen duquel s'opère la fixation n’a été analysé et expliqué d'une manière satisfaisante. Ces questions, pleines d'intérêt, m'ont paru mériter une nouvelle étude. Ledisque desRémoras (1) occupe la face supérieurede la tête, qu'il recouvre en entier depuis l'extrémité du museau jusqu’à une certaine distance en arrière de la région occipitale. Sa forme est celle d'un ovale très-allongé, dont les bords, un peu relevés, sont constitués par un repli de la peau, disposé de manière à for- mer tout autour de l'organe une sorte de cadre mobile. La face supérieure du disque est plane ; elle présente de chaque côté de la ligne médiane une série de petites lames transversales (4) Voy. pl. 5, fig. 4. A5 BAUDELOT. disposées à peu près parallèlement les unes aux autres, et légère- ment inclinées eh arrière, de manière à se recouvrir en partie comme les lames d’une persienne. Entre ces lames, dont le nombre varie suivant les espèces, et s'élève à dix-huit de chaque côté, existent autant d'espaces vides correspondants. A l'exception de ses bords, l’ensemble du disque est soutenu par une charpente intérieure composée d’un nombre considé- rable de petits os, dont le mode d’agencement, assez difficile à saisir au premier abord, est en réalité moins complexe qu'il ne le paraît. Cette charpente (1), en effet, soit qu’on l’examine du côté su- périeur ou du côté inférieur, se montre composée d’une suite de segments similaires échelonnés régulièrement d'avant en arrière, et rappelant assez bien dans leur ensemble l'aspect d’un animal articulé. I suffit par conséquent d'étudier l’un de ces seg- ments pour avoir une connaissance exacte du disque tout entier. Les pièces qui entrent dans la composition de chaque seg- ment sont au nombre de quatre, que je désigne ainsi : l'os interépineux, les deux rayons, l'osselet articulaire. a. Os interépineux, — L’os interépineux est une petite pièce impaire et médiane placée à la face inférieure du disque. Sa forme est celle d’une épine grêle, dont la pointe, tournée en bas, se porte obliquement en arrière, et dont la base élargie se ter- mine par une petite lame transversale articulée de chaque côté avec le rayon correspondant. b. Rayons. — Chacun des deux rayons se trouve représenté par une petite tige osseuse couchée en travers dans un plan hori- zoutal. Cette tige part de la ligne médiane, et s'étend jusqu'à la base du repli qui forme le pourtour du disque; elle est aplatie, (4) Pour étudier aisément la charpente du disque, il faut d’abord séparer celui-ci de la voûte du crâne, à laquelle il est uni par une couche épaisse de tissu musculaire. Après avoir débarrassé de ce tissu la face inférieure, il faut ensuite enlever les tégu- ments de la face supérieure. Ces derniers sont très-coriaces et fort adhérents, du moins sur les sujets conservés dans l'alcool; il est donc nécessaire d'agir avec quelque pré- caution pendant leur ablation, sans quoi on s’exposerait à enlever en même lemps quelques-unes des pièces sous-jacentes. DISQUE CÉPHALIQUE DES RÉMORAS. 155 légèrement effilée à son sommet externe, et terminée du côté interne par une base élargie en manière de petit triangle. L'angle interne de ce triangle s'articule avec l'os interépineux ; l'angle antérieur, dirigé en même temps vers le bas, se prolonge sous la forme d’une petite apophyse qui fait saillie à la face inférieure du disque, et que j'appellerai désormais apophyse radiale (de radius, rayon). Sur la face postérieure de cette apophyse se trouve une petite dépression qui donne attache à un muscle, dont nous verrons par la suite toute l'importance au point de vue des fonctions du disque. c. Osselet articulaire. — L'osselet articulaire est un os impair, symétrique, étendu en travers du disque dont 1l occupe toute la largeur. Il est situé immédiatement au devant des deux rayons, dont chacun pris isolément mesure par conséquent une lon- gueur moitié de la sienne. Son volume est supérieur à celui de toutes les autres pièces appartenant au même segment, et sa forme est aussi plus compliquée. . On peut lui distinguer une portion moyenne très-étroite, mince, légèrement tordue sur elle-même, et deux portions laté- rales élargies en manière de lames ou de palettes quadrilatères se continuant chacune avec la portion moyenne par leur bord antérieur. Le bord antérieur de ces lames, ou plaques latérales, est sinueux ; il en est de même des bords externe et interne ; le bord postérieur est à peu près droit. La face inférieure se subdivise en deux facettes orientées chacune dans un plan un peu différent. De ces deux facettes, l’antérieure, qui est plane, se trouve recouverte par le bord posté- rieur de la lame quadrilatère du segment qui précède ; la posté- rieure se montre à découvert, et offre une légère convexité à courbure antéro-postérieure. La face supérieure se subdivise également en deux portions ou facettes séparées l’une de l’autre par une crête transversale (crête articulaire) très-fortement inclinée en arrière. Du côté interne, cette crête se prolonge en une petite apophyse lamel- leuse (apophyse articulaire), au-dessous de laquelle s'engage le rayon du segment correspondant. La portion ou facette située 156 BAUDELOT. en arrière de la crête articulaire est très-légerement déprimée en forme de gouttière transversale. Telle est la composition de l’un des segments du disque. Sauf quelques différences dans la forme, dans la grandeur ou dans la direction des parties, tous les segments sont constitués absolu- ment de la même facon. Les segments de la région moyenne offrent le plus de largeur ; les autres vont en décroissant régu- lièrement vers chaque extrémité. Vers le milieu du disque, les rayons affectent une direction à peu près transversale : vers chacune des extrémités, ils prennent au contraire une direction de plus en plus oblique, leur sommet s’'inclinant en avant pour ceux de la région antérieure et en arrière pour ceux de la région postérieure. Les deux derniers rayons de la région postérieure sont même tellement inclinés en arrière, qu'ils se touchent sur la ligne médiane, et s’y soudent en formant une petite pièce impaire de forme quadrilatère. L'ensemble des rayons offre par conséquent une disposition rayonnante. Je dois noter enfin que le premier osselet articulaire se trouve soudé au premier os interépineux. En comparant les diverses pièces que nous venons d'étudier à celles qui entrent dans la composition d’une nageoire impaire, on arrive aisément à retrouver de part et d'autre les os que nous avons appelés les interépineux et les rayons. Ces pièces, en effet, ont à peu près conservé dans le disque la forme qu’elles pré- sentent normalement dans la nageoire ; la seule différence à signaler consiste en ce que les deux demi-rayons d’un même segment, au lieu de rester accolés dans un plan vertical, se sont écartés l’un de l’autre, et rabattus latéralement dans un plan horizontal. La base de ces rayons a du reste conservé les mêmes rapports avec l'os interépineux correspondant. Quant à la troisième sorte de pièce ou losselet articulaire, il semble assez difficile au premier abord de déterminer à quoi elle correspond. Les auteurs qui ont signalé les ressemblances qui existent entre le disque des Rémoras et une nageoire se taisent sur ce point. Moi-même je restai longtemps dans l'incertitude, DISQUE CÉPHALIQUE DES RÉMORAS. 157 et ce n’est qu'après une comparaison très-attentive que je par- vins à reconnaitre dans l’osselet articulaire l’homologue du petit tubercule osseux (4) qui, dans la nageoire, se trouve situé dans l’écartement de la base des rayons. On se trouve conduit à cette détermination non-seulement par simple voie d'exclusion, mais surtout par ce fait que les osselets articulaires du disque sont des pièces impaires comme les noyaux articulaires des nageoires. Il résulte de ces homologies que le disque des Rémoras doit être considéré comme l'équivalent d’une nageoire impaire, dans laquelle les moitiés de chaque rayon se seraient écartées l’une de l’autre pour se déjeter latéralement, et dans laquelle les osselets articulaires, complétement déformés, auraient subi un déve- loppement considérable. Du reste, la forme elle-même du disque vient encore à l'appui de cette interprétation : on sait que, par suite de la décroissance de leurs rayons à chaque extrémité, les nageoires dorsales offrent en général une forme qui se rapproche plus ou moins de celle d’un arc de cercle. Or, il est clair qu’en se dédoublant et en se développant en surface, un pareil arc devrait produire une figure elliptique. Cette interprétation du disque des Rémoras n’est pas non plus sans offrir quelque importance au point de vue de la classi- fication ; on comprend en effet que, dans le groupement des espèces, les Echeneis devront être rapprochés désormais de celles qui possèdent deux nageoires dorsales. $ Il nous reste maintenant à examiner par quelle sorte de méca- nisme s'opère la fixation ; mais auparavant il nous faut revenir quelques instants sur l'étude de la charpente du disque, et déter- miner avec plus de précision les rapports qu’affectent entre elles ses différentes pièces. Lorsque l’on considère la charpente du disque par sa face supérieure, on aperçoit de chaque côté de la ligne médiane la série des rayons couchés en travers. Le bord (4) Ce tubercule est très-bien développé chez les Cyprins (Carpe, Brème, etc.) ; il existe aussi dans la vraie nageoire dorsale du Rémora, mais seulement à l’état cartila- sineux, avec un très-petit point d’ossification au centre. 158 BAUDELOT. postérieur de ces derniers est libre dans toute son étendue , il sert de support à une lamelle correspondante du disque. Leur bord antérieur n’est visible qu’en partie, se trouvant masqué vers le milieu par l’apophyse articulaire, au-dessous de laquelle il glisse, et plus en dehors par la crête articulaire. Le rayon peut se mouvoir autour de ce bord antérieur comme sur une char- nière. Du côté inférieur, le disque présente sur la ligne médiane la série des os interépineux; de chaque côté de ceux-ci on aperçoit les portions rétrécies des osselets articulaires, entre lesquelles viennent faire saillie les extrémités des apophyses radiales. Plus en dehors, enfin, on voit la série des lames qua- drilatères qui se recouvrent d'avant en arrière comme les tuiles d'un toit. D'après l'inspection des parties, les rayons seuls paraissent devoir jouir d’un certain degré de mobilité. Leurs mouvements sont dus à de petits muscles dont les fibres s’insèrent, d’une part aux apophyses radiales, et de l’autre aux os interépineux des segments voisins. Ces muscles, en exerçant une traction sur les apophyses radiales, font pivoter chaque rayon sur son bord antérieur ; ils ont pour effet, par conséquent, d'incliner ou de redresser les lames du disque. | L'un de ces faisceaux musculaires est surtout bien visible : il s’insère dans la dépression que j ai signalée à la face postérieure de l’apophyse radiale ; de là il se porte en arrière vers les os interépineux des segments qui suivent; 1l a pour effet de re- dresser les lames du disque. Veut-on maintenant à l’aide de ces données savoir par quelle sorte de mécanisme s'opère la fixation ? Une simple construction géométrique permettra de s’en rendre compte aisément. Soit, en effet, deux lignes ab et cd d'égale longueur, parallèles, et plus ou moins inclinées par rapport à une troisième ligne horizontale æy qui leur sert de base (fig. 14). En faisant pivoter chacune des lignes ab et cd autour des points a et € pris comme centres, les points b et d se mouvront en décrivant deux arcs de cercle; et si les lignes ab et cd se redressent d'une égale quantité, les deux lignes ab' et cd' resteront parallèles. Joignons à présent par une i DISQUE CÉPHALIQUE DES RÉMORAS. 159 ligne les points à et d, b'et d', on obtiendra deux parallélo- grammes acbd, acb'd'. Or, il est clair que la surface du second qui à pour mesure ac multipliée par la hauteur Kh, est supé- rieure à celle du premier, qui a pour mesure la même base ac multipliée par une hauteur moindre (kh-hd). Cette explication s'applique parfaitement au mouvement des lames du disque, et démontre que, lorsque ces James se redres- sent, l’espace qu’elles interceptent tend nécessairement à s’agran- dir. Or, il est évident que si l’air ne pouvait pénétrer entre ces lames au moment où elles se relèvent, il se produirait entre elles un vide relatif, susceptible de déterminer un effet de suc- cion analogue à celui d’une ventouse. | C’est en effet ce qui a lieu lorsque le Rémora cherche à se fixer. Son disque s'applique par sa surface contre l’objet exté- rieur ; le repli cutané qui en forme le pourtour, agissant comme les bords d’une ventouse, mtercepte toute communication entre l'air extérieur et celui qui se trouve compris entre les lames : celles-ci se redressent alors, la raréfaction de l’air se produit dans leur intervalle, et l’animal reste fixé par l'effet de la pres- sion extérieure. La disposition du bord libre des lamelles semble aussi devoir contribuer à faciliter l’adhérence du disque. La peau qui recouvre ce bord se trouve soutenue par plusieurs rangées de petites épines qui, bien qu'étagées au niveau de leur point d'implantation, arrivent toutes cependant à la même hau- teur. De cette facon, le bord libre des lames se trouve trans- formé en une petite surface plane, ayant pour effet, sans doute, de rendre plus parfaite l'adaptation du disque, et d'isoler les uns des autres les différents espaces interlamellaires. C’est donc, comme on le voit, à l’aide d’une véritable succion que s'opère la fixation chez le Rémora. Seulement cette suc- cion, au lieu de s’opérer par le mécanisme déjà connu de la ven- touse, s'effectue ici par le redressement de lames parallèles. Preuve nouvelle de la variété des procédés employés par la pature pour arriver à une même fin. 160 BAUDELOT. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 5. Fig. 4. Rémora vu par la face supérieure. d, disque céphalique ; x, nageoire dorsale. Fig. 2. Squelette du disque, vu par la face supérieure. R, rayon ; O, osselet articulaire. Fig. 3. Squelette du disque vu par la face inférieure. aa, apophyses radiales. Fig. 4. Portion de l’une des lames du disque. R, rayon; E, petites épines cutanées disposées sur trois rangs. Fig. 5. Quelques-uns des segments du disque vus par la face inférieure et très- grossis. 4, osselet interépineux; RR, rayons; a, apophyse radiale; R, impression musculaire destinée au muscle redresseur du rayon; OO, osselet articulaire; 0’, apophyse articulaire. Fig. 6. Quelques-uns des segments du disque vus par la face supérieure. RR, rayon ; a, apophyse radiale dont la pointe regarde un peu en bas; O, apophyse articulaire se continuant avec la crête articulaire; O/, on voit le rayon R passer au-dessous de cette apophyse. Fig. 7. Montrant deux rayons accolés de la nageoire dorsale » ; au-dessous de ces rayons se trouve le nodule articulaire £. Fig. 8. Un des rayons du disque vu par sa face supérieure. Fig. 9. Le même, vu par la face inférieure. KK, impressions musculaires. Fig. 40. Un rayon dont le bord postérieur est encore garni de ses petites épines cuta- nées, Une portion très-grossie de ce rayon se trouve représentée dans la figure 4. Fig. 41. Un rayon interépineux isolé. Fig 42. Osselet articulaire vu par sa face supérieure. O/, apophyse articulaire ; O//, crête articulaire. Fig. 43. Osselet articulaire vu par sa face inférieure. #, portion moyenne ; p, plaque latérale en forme de lame quadrilatère ; 0’, apophyse articulaire. Fig. 44. Destinée à faire comprendre l'effet produit par le redressement des lames du disque. NOTE SUR UNE NOUVELLE ESPÈCE DU GENRE NYCTICÈBE PROVENANT DE SIAM ET DE COCHINCHINE, Par M. ALPHONSE MILNE EDWARDS. Le genre Nycticèbe ne compte aujourd'hui que deux espèces, le Nycticèbe de Java (Nycticebus Javanicus, Geoffroy) et le Nycti- cèbe paresseux (W. tardigradus, Linné). Ces deux espèces dif- fèrent d’ailleurs très-peu l’une de l’autre, et pendant longtemps elles ont été confondues. En 1846, Temminck, dans son ouvrage sur les possessions néerlandaises de l'Inde archipélagique, signala les différences qui existent entre le Nycticèbe de Java et celui de Sumatra et de Bornéo : « Le Stenops (1) Kukang ou Javanicus des catalogues métho- » diques» , dit cetauteur, «diffère constamment, par son masque » peint de plusieurs bandes blanches, du S. tardigradus de » Sumatra et de Bornéo. Ces deux races distinctes ont le même » genre de vie nocturne; ils inspirent aux habitants sændanais » de ces îles une crainte superstitieuse, qui doit son origine à » l'aspect étrange de ces animaux, et provient de l’idée qu’ils » se font de leur mystérieuse existence pendant les ténèbres. » On peut se convaincre par ce qui précède que Temminck ne voyait dans ces différences que des caractères de races; cepen- dant la plupart des auteurs leur ont donné une valeur spéci- fique. Je serais disposé à croire que l’on a exagéré l'importance de ces variations, et si l’on se laissait guider par des particularités aussi peu appréciables, on serait conduit malgré soi à multiplier (4) Le genre Séenops d’Illiger comprend les Lomis et les Nycticèbes. 5e série, Zooc. T. VIL. (Cahier n° 3.) 2 11 162 ALPHONSE MILNE EDWARDS. outre mesure le nombre des types spécifiques, ainsi qu’on peut s’en assurer en examinant la nombreuse série de Singes. noc- turnes que possède le Muséum, dont les uns sont originaires de l'Inde archipélagique, tandis que les autres viennent du Bengale et de Singapour. Ces considérations me portent à penser que le Vycticebus tar- digradus et le N. Javanicus doivent se fondre en une seule espèce. Il existe à Siam et en Cochinchine un Nycticèbe qui me paraît nettement distinct des précédents. M. Bocourt en a rapporté au Muséum deux individus pris aux environs de Bangkok ; un troisième, provenant de la même ré- glon, à été amené vivant par le père Larnaudie. L'amiral de la Grandière, gouverneur de la Cochinchine, et M. R. Germain, correspondant du Muséum à Saigon, en ont envoyé plusieurs qui ont vécu plus ou moins longtemps à la ménagerie. Tous ces Nycticèbes, pris sur des points très-éloignés les uns des autres et à des époques différentes, présentaient chez les mâles aussi bien que chez les femelles des caractères distinctifs, que je n'ai jamais retrouvés chez les Nycticèbes de l'Inde, de Java et de Sumatra. Le pelage extrêmement doux et soyeux, au lieu d’être presque uniformément marron comme chez le Nycticebus tardigradus, est d’un gris cendré très-clair, légèrement mélangé de brun doré sur le dos et le train de derrière. Sur la ligne médiane du dos, on remarque une bande brune semblable à celle qui existe chez ce dernier, mais moins foncée ; elle se prolonge en s’atténuant jusque sur l’occiput. La face et le front sont entièrement gris et n’offrent aucune trace des quatre bandes brunes qui sont si bien marquées chez l'espèce de Java. Cette particularité est l’une de celles qui caractérisent le mieux notre espèce, que je désignerai, à raison de la teinte géné- rale de son pelage, sous le nomi de Nycticebus cinereus. -Les yeux sont entourés d’un cercle de poils généralement blonds ; le nez et les lèvres sont nus et légèrement rosés chez l'animal vivant. NOUVELLE ESPÈCE DU GENRE NYCTICÈBE. 163 La taille de cette espèce est un peu supérieure à celle du N. tardigradus. Le crâne est plus gros et plus élargi en arrière. Les fosses temporales sont plus larges, et les crêtes pariétales qui les limi- tent en dessus sont fortement marquées ; elles ne se réunissent jamais sur la ligne médiane, et restent au contraire très-écar- tées; cet écartement diminue cependant avec l’âge. La por- tion interorbitaire du frontal, très-étroite chez les jeunes indivi- dus, s'élargit à mesure que l'animal vieillit. A la mâchoire supérieure, les molaires comme d'ordinaire, au nombre de six de chaque côté, sont relativement plus fortes que chez le Lori paresseux ; elles présentent d’ailleurs la même disposition géné- rale, ainsi que les canines et les incisives. La mâchoire inférieure est courte et l’apophyse coronoïde ne présente que peu de hauteur, mais elle est large à sa base ; les dents n'offrent d’ailleurs rien de particulier à noter. Il en est de même pour le reste du squelette, dont la disposition générale est semblable à celle du Lori paresseux. Je donne 1c1 les dimensions de la tête osseuse du Wycticebus cinereus comparées à celles de la même partie chez le N. tardi- gradus : N. cinereus. N. lardigradus. Longueur totale de la tète.,............... DOG TS. ee 0,059 Largeur au niveau des apophyses zygomatiques. 0,045 ........ 0,040 Longueur du bord orbitaire supérieur au bord CUCIDLUALe Cie etats etes aedies de ete ee (LATE TR TERRIER 0,035 Largeur de l’espace inter SH Passer Ti OSDOGRPRT ER 0,004 Longueur de l'ouverture postérieure des fosses nasales à la partie postérieure du crâne.... 0,037 ........ 0,034 De la' dernière molaire à l'extrémité du museau. 0,025 ........ 0,022 Longueur de la série des molaires supérieures. 0,185 .,...... 0,017 Largeur de la voûte palatine............... CROP 0,041 Longueur de la mâchoire inférieure. ........ COLE CD; QI Ecartement des condyles.................. (AE (l'AS AEEURE 0,031 Longueur de la série des molaires inférieures. 0,016 ..,..... 0,015 De la dernière molaire à l'extrémité de l'inci- SONO Re Ce re ee à das lee OUPS. 0,023 Les individus de cetie espèce qui ont été amenés vivants en France avaient les mêmes allures et les mêmes mœurs que le Lori paresseux ; ils dormaient pendant toute la journée, et ce n'était qu'à la tombée de la nuit qu’ils se mettaient en mouve- 164 ALPHONSE MILNE EDWARDS. ment ; cependant, au bout de quelque temps de captivité, on pouvait les faire sortir de leur sommeil et descendre de leur cage au milieu du jour en y mettant des Insectes. Is étaient avertis de leur présence par leur odeur bien avant de les apercevoir; ils les poursuivaient avec une grande lenteur, et ne cherchaïent à les saisir avec leurs mains que lorsqu'ils étaient auprès d'eux. Indépendamment de cette nourriture animale, qui générale- ment se composait de Grillons, ils mangeaient aussi du riz et des fruits. Le jardin de la Société zoologique de Londres a possédé il y a peu d'années des Loris qui avaient été rapportés de Canton par le docteur Coghlan ; ils provenaient, d’après les rensei- gnements qui avaient été fournis au donateur, du sud de la Chine (1). Malheureusement aucune description n’accompagne les détails de mœurs que M. Coghlan a donnés sur ces animaux, et il ne m'est pas possible de savoir s'ils se rapportaient à l'espèce que je viens de faire connaître, et peut-être avaient-ils été 1m- portés des Indes à Canton. (4) Voy. Proceed. of the Zool. Soc. of London, 1863, p. 375. RECHERCHES CHIMIQUES SUR LES OSSEMENTS TROUVÉS DANS LE LEHM D'ÉGUISHEIM Par M. A. SCHEURER-KESTNER. Extrait (1). La substance osseuse est, de toutes les parties constituantes de l'être vivant, celle qui résiste le plus aux agents naturels de décomposition. On trouve des débris d’ossements provenant d’espèces et de races éteintes qui renferment encore de l’osséme : c’est-à-dire, outre la charpente minérale de l'os, une portion de la substance animale, capable d’être transformée en gélatme, par l'éballition avec l'eau. Cette osséine donne à l’analyse chimique élémentaire les mêmes nombres que l’osséine fraîche : sa composition n’a donc pas varié. Il est difficile, au point de vue chimique, de distinguer par une définition, l'os fossile de l'os qui ne doit pas être considéré comme tel. Cette difficulté devient encore plus grande lors- qu’on reconnaît, par l’expérience, que certains ossements rela- tivement modernes et dont l’origine est connue, renferment moins de matière animale que des ossements dits fossiles. Les premières analyses faites sur lesos fossiles sont de M. Che- (4) Ces recherches, consignées dans le Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Colmar, furent entreprises à l'occasion de la découverte de divers fragments d'une tête humaine mêlés à des ossements de plusieurs animaux fossiles dans le Lehm de la vallée du Rhin faite par M. Faudel et déjà annoncée dans les Annales (1866, t. VI, p. 360). Cet auteur fait remarquer avec raison que les résultats obtenus par les analyses chi- miques de M. Scheurer-Kestner tendent à prouver non-seulement que tous ces osse- ments sont contemporains, mais aussi que le terrain qui les renfermait n'avait jamais subi l’action des agents atmosphériques et n’avait pas été remanié. 166 SCHEURER-KESTNER., vreul (1806), ce chimiste constata dans les ossements soumis à son analyse la présence du fluorure de calcium (fluate de chaux). Depuis cette époque, la présence de ce corps fut reconnue d’une manière à peu près constante dans tous les fossiles analysés et même dans les ossements frais, quoique en quantités moindres. Dans le même travail, M. Chevreul constate la présence d’une petite quantité de matière animale, par la propriété qu'avaient ces ossements de noircir à la calcination. M. Gimbernat a préparé avec des os de l’Elephas primigenius ou Mammouth (de l'Ohio) une véritable gelée comestible. M. de Bibra, en traitant des ossements de l’'Ursus spelœæus, put trans- former la matière animale en colle forte. Cependant l’osséine peut avoir complétement disparu ; c’est même ce qu'on observe généralement. Dans tous les cas, les ossements considérés comme fossiles par les géologues ne ren- ferment plus qu'une fraction de la quantité primitive; et cette fraction est variable d’un ossement à un autre, même pour ceux trouvés dans les mêmes terrains. Le grand travail de MM. Girardin et Preisser, publié en 1842, a conduit aux résultats suivants (1) : 4° Dans tous les terrains, les os, au bout d’une période de temps plus ou moins longue, éprouvent des modifications pro- fondes dans leur coustitution chimique. Leurs principes chan- gent de rapport : les uns augmentent, les autres diminuent en quantité; certains disparaissent, et quelquefois aussi de nouveaux viennent s'ajouter à ceux qui préexistaient. 2° Les os résistent d'autant plus longtemps, toutefois, qu’ils sont placés dans des terrains plus secs, et qu’ils sont soustraits plus complétement à l’action de l'air et de l'eau... Les os fos- siles des terrains secondaires sont fort souvent beaucoup moins modifiés dans leur constitution, que les ossements fossiles des terrains plus modernes. & L’altération porte principalement sur la matière organique ou le tissu cellulaire convertible en gélatine. La proportion est (1) Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XV, p. 723, 1842. SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D'ÉGUISHEIM. 167 toujours inférieure à celle qui existe dans les os récents ; mais cette proportion est elle-même variable. Parfois la matière orga- nique manque complétement. .…. h° La silice et l'alumine qu'on trouve dans beaucoup d’os fos- siles ou anciennement enfouis, et parfois en très-fortes quantités, sont, pour ainsi dire, étrangères à la constitution des os, et vien- nent manifestement du sol. Telles sont les conséquences que MM. Girardin et Preisser ont tirées de leur travail. J'omets les conelusions qui n’ont pas directement rapport au travail présent. Cependant il est deux points que ces chimistes ont admis et que les travaux ultérieurs n'ont pas entièrement confirmés. D’après MM. Girardin et Preisser, les os d'animaux fossiles renferment toujours plus de carbonate de chaux que les os humains anciennement enfouis. Cette assertion, vraie pour ce qui se passe dans certains terrains, se trouve contredite par ce qui a été observé dans d’autres. MM. Girardin et Preisser avaient cru pouvoir conclure de leurs expériences que l'existence du fluorure de calcium dans les os récents est plus que douteuse, et que la présence de ce corps dans les ossements est la preuve cer taine de leur ancienneté. Ils disaient même : « Lors donc que » l'analyse démontre dans un ossement inconnu du fluorure de » calcium en proportions notables, il y a mille à parier contre » un que c’est un os fossile d'animal antédiluvien et non un os » humain. » Il n’est plus possible aujourd’hui d'accorder à la présence du fluorure de calcium une telle importance. Les travaux récents des chimistes ont prouvé que le fluorure de calcium se trouve toujours dans les os récents. D’après M. Zaleski (1), l'os humain en renferme 0"""#,23 et l'os de Bœuf 0"""*",30. Il est du reste évident que des os enfouis dans des terrains exempts de fluorure de calcium ne peuvent pas en renfermer plus qu'ils n’en conte- naient primitivement, quelleque soit la durée de l'enfouissement. Au contraire, il semble, d’après les analyses des ossements du (4) Bulletin de la Société chimique, 14866, p.245. 168 SCREURER-KESTNER, Lehm, que dans les terrains dépourvus de fluor les os perdent peu à peu celui qu’ils en renfermaient primitivement. Enfin M. Fremy (1), dans ses Recherches chimiques sur les os, a consacré un chapitre aux ossements fossiles. Les conclusions auxquelles est arrivé ce savant confirment celles de MM. Girardin et Preisser que j'ai citées, et ajoutent de nouveaux faits à ceux qui étaient connus. D’après M. Fremy, la substance organique qui reste dans un os fossile est très-variable : des os fossiles ne retiennent plus de matières organiques ; d’autres, au contraire, en contiennent encore 8, 40 et jusqu'à 20 pour 100 ; l'analyse d’un os fossile peut faire connaître la nature du en dans le- quel il a été déposé; dans un terrain crétacé, l'os fossile est toujours incrusté de carbonate de chaux ; on trouve au contraire, en abondance, de la silice dans un os fossile qui sort d'un ter- rain riche en matières siliceuses. Enfin, M. Fremy ajoute cette conclusion importante : « Il ne me paraît pas possible, dit-il, de déterminer, même approximativement, l’âge d’un os fossile, en appréciant la quan- tité d’osséine qu'il retient, car la proportion de substance orga- nique qui reste dans l’os dépend uniquement du degré de poro- sité de la substance osseuse. » J'ajouterai à l'observation de M. Fremy que la proportion de substance organique qui reste dans l'os dépend aussi de la nature du terrain dans lequel il se trouve, ainsi que des variations d'humidité et de sécheresse qu’il a subies et peut-être encore de la température. On comprend, en effet, qu'un os enfoui à une faible profondeur et subissant à un certain point les varia- tions de température de la couche superticielle du sol, toutes autres conditions d'humidité étant égales, se décomposera plus promptement que le même os enfoui à une profondeur suffi- sante pour que les variations de température soient à peu près nulles. Enfin, dans un terrain poreux et par conséquent aéré, l’altération doit avoir lieu d’une manière plus profonde et plus prompte. (1) Annales de chimie et de physique (3), 4855, t. XLIIT, p. 89. SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D'ÉGUISHEIM. 169 Un nouveau travail sur les fossiles a été présenté à l'Académie des sciences, en 1861, par M. Delesse (1). Dans la première partie de ce mémoire, M. Delesse avait fait observer que la pro- portion des matières organiques dans les fossiles ne dépend pas seulement du temps, mais aussi des roches qui servent de gangue à ces substances, et, en un mot, « de circonstances très- complexes » . Les nouvelles expériences de M. Delesse montrent que l’aug- mentation du carbonate de chaux dans les os fossiles n’a pas toujours lieu, et que souvent l’osséine se retrouve dans les os fossiles dont on peut doser l'azote. « Cependant, dit-il, il n°y en » a presque plus dans les os qui datent du terrain tertiaire ou de » terrains plus anciens. Les os qui appartiennent à l’époque » actuelle ou même au terrain diluvien en renferment au con- » traire une quantité notable. » Après avoir montré, par quelquesexemples, que les ossements humains enfouis varient beaucoup, quant à leur teneur en azote, le savant géologue ajoute l'observation suivante qui, dans ce travail, formera la base de mon raisonnement sur la contempo- ranéité de l'Homme et du Mammouth, contemporanéité que Je chercherai à déduire de l’analyse chimique. Je ne crois pouvoir mieux faire que de reproduire les termes de M. Delesse : ; « Lorsque les os sont enfouis dans les mêmes conditions, leur » teneur en azote devient bien comparable, et alors elle est sur- » tout en relation avec leur âge. » D’après les observations de M. Lartet, l'os humain d’Auri- » gnac était associé à des espèces éteintes, notamment au Renne » et au Rhinocéros; il était donc intéressant de rechercher » l’azote dans les os de ces derniers animaux. Or J'ai obtenu » 14,8 pour le Renne et 14,5 pour le Rhinocéros d’Aurignac (2) ; » c’est-à-dire à peu près la même proportion que pour le eubi- {4) Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1861, t. LIT, p. 728 et suiv. (2) Ces nombres, transformés par le calcul, correspondent à 7,9 et 8,2 pour 100 de matière animale ayant la composition de la gélatine. 470 SCHEURER-KESTNER. - » tus humain du même gisement ; par suite, l’analyse paraît » indiquer que ces animaux sont contemporains de l'Homme. » En résumé, le dosage de l’azote dans un os fossile permet » de contrôler les données de l'archéologie et de la géologie; il » peut même fournir, dans certaines limites, des indications » sur son âge : c’est donc pour notre globe une sorte de chrono- » mètre. » La note de M. Delesse est de la plus haute importance ; en effet, en tenant compte des causes d'erreurs multiples qui peu- vent se présenter, et choisissant convenablement les échantillons sur lesquels doit porter l'analyse, on doit arriver, par comparai- son, à des résultats positifs et définitifs. Cependant, dans un sujet aussi délicat, on ne saurait prendre trop de précautions pour se mettre à l'abri de l'erreur. Ainsi, un os, avant son enfouissement, peut avoir subi, à la surface du sol, l’action de l'air et des variations atmosphériques pendant un temps plus ou moins long. Il ne faut done pas se con- tenter d'analyser un os pris au hasard. Le problème étant posé, et pour établir une comparaison valable entre un ossement humain et différents ossements du même terrain, il conviendra de choisir, comme terme de com- paraison, des os de races éteintes, et parmi ceux-ci les échan- tillons trouvés autant que possible à la même profondeur que l'ossement humain examiné. Si l'analyse démontre dans l’osse- ment humain une composition chimique rapprochée de celle des ossements fossiles, on pourra en conclure avec une grande probabilité, presque avec certitude, la contemporanéité de l'Homme et de l’animal dont proviennent les ossements fossiles. Je dis presque avec certitude, et non avec une certitude com- plète, parce qu'il suffirait que, par certaines circonstances par- ticulières, un ossement humain relativement récent eût subi l'action de l'humidité plus vivement que les autres ossements, pour que l’osséine s’y trouvât diminuée dans une plus grande proportion. Mais je pense que la comparaison peut conduire à une certi- tude complète, si l’on tient compte de la nature de la matière SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D ÉGUISHEIM. 174 azotée dans les ossements. Je veux parler de la modification de « l’osséine en une substance isomère ou polymère, sous l'influence du temps, modification que, d’après mes expériences, les osse- ments fossiles des terrains compactes présentent seuls en quantité notable. Du reste, la composition chimique des ossements fossiles a une grande importance, une importance incontestée par les géologues. N’avons-nous pas entendu, dans la discussion qui a eu lu devant l’Académie des sciences sur la mâchoire d’Abbeville trouvée par M. Boucher (de Perthes), un savant illustre, M. Élie de Beaumont, s'exprimer de la manière sui- vante : «Les Hommes et les Éléphants, dont les ossements seraient » confondus dans un dépôt diluvien, n'auraient pas été néces- » sairement contemporains, et l’état de conservation différent de » leur matière gélatineuse suffirait, suivant moi, pour avertir » qu'ils remontent à des époques très-différentes. » Or, je crois pouvoir établir que, contrairement à ce que pense M. Élie de Beaumont, on rencontre des ossements humains dont la matière gélatineuse se trouve dans un état de conservation identique avec celui qui s’observe dans les ossements des Élé- phants trouvés dans les mêmes dépôts. Quelques mois plus tard, M. Élie de Beaumont, répondant à M. Boucher (de Perthes) à propos de la même mâchoire, disait : «La dispersion de la matière animale d’un os est une sorte de » chronomètre naturel qu'on doit savoir réduire à sa juste valeur, » mais qu'on ne doit pas affecter de négliger. » Mon désir serait que la mâchoire de Moulin-Quignon fût » comparée chimiquement non-seulement aux ossements fossiles » extraits du diluvium proprement dit, mais encore aux osse- » ments humains retirés des sépultures gauloises ou gallo-ro- » maines, et à ceux qui sont conservés, en si grand nombre, » dans les catacombes de Paris. » Aïnsi l'étude chimique desossements appelés fossiles a été re- connue sinon indispensable, du moins très-utile. 17 SCHEURER-KESTNER. Avant de relater mes propres expériences, je crois qu’il con- vient de résumer les faits qui ont été mis hors de doute par les travaux antérieurs. Il résulte des analyses qui ont été faites jusqu’à ce jour que les ossements enfouis se décomposent plus ou moins prompte- ment. La marche de la décomposition varie avec la nature du ter- rains, sa Composition chimique et sa constitution physique ; elle dépend du temps et de la profondeur à laquelle a eu lieu l’en- fouissement. La décomposition se manifeste surtout par la disparition pro- gressive de l’osséine ou tissu cellulaire, et souvent par la miné- ralisation de l'os : c’est-à-dire par la fixation de nouvelles matières minérales qui viennent occuper, soitles cellules dela partie spon- gieuse de l'os, soit le vide fait par le départ de la matière ani- male. Il résulte de ces faits que la comparaison d’ossements pro- venant de terrains différents ou même seulement de couches différentes n'a pas grande valeur. Au contraire, cette com- paraison est de la plus haute importance, lorsque les osse- ments proviennent de la même couche de terrain et qu'ils ont été trouvés dans des conditions d'enfouissement analogues, comme profondeur, comme compacité du terrain, comme hu- midité. Les analyses suivantes dues à différents auteurs font ressortir les inégalités et les variations de composition qu'offrent les osse- ments enfouis. J'ai choisi à dessein, parmi ces analyses, celles qui se rapportent aux ossements dont les époques d’enfouisse- ment paraissent les plus distinctes les unes des autres, et dont la composition est la plus anormale eu égard au temps de leur sé- jour en terre. SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D'ÉGUISHEIM. 173 Matière animale sur , 400 parties d'os. Os d’un tombeau gallo-romain de Rouen (1)........... Os d’un tombeau romain à Lillebonne (1).............. 1,90 Os d’un Rhinocéros fossile (4)....................... 2,00 Os d’un tombeau celtique (1)... .....,............ -. 3,80 Plésiosaure de l'argile de Dives(4),.......... Do DORE 4,80 Tête d’Ichthyosaure (calcaire jurassique) (4).. ......... 7,07 Ours fossile de Miallet (Gard) (4)...,,.........,...... 7,17 Bœuf fossile des cavernes d’Oreston (2)....:......,.... 11,00 OUDESIONSIIEI(S) rate, ave elle ales etats ES eee no UE OT ee US 14,00 Cadavres inhumés en 1814, après la bataille de Paris (Ana- lyses de 4844 ; séjour en terre 30 ans) (3)........... 15,00 Hyène fossile (caverne de Kirkdale) (2)........... ss 20,00 Voilà donc des ossements qui, ayant séjourné en terre pen- dant trente années seulement, ont perdu autant et plus de ma- tière animale, que des ossements enfouis dans d’autres terrains, mais appartenant à des animaux de races éteintes ou disparues. Dans les tombeaux, la matière animale disparaît assez rapi- dement ; il en reste fort peu dans les ossements analysés par MM. Girardin et Preisser. Ce fait est conforme aux conclusions que j'ai tirées des travaux antérieurs. En effet, dans un tombeau, le squelette est dans une couche d'air; entouré ordinairement de dalles, il est exposé à l’action de l'air qui pénètre dans cette cavité artificielle : et pour peu que la dalle supérieure soit recou - verte d’une terre poreuse ou de gravier, de sable, d’un terrain perméable à l'eau, ce tombeau devient une espèce de réservoir dans lequel les eaux pluviales peuvent s’accumuler et séjourner. Le squelette se trouve donc dans les conditions les plus favorables à la décomposition de la matière organique : accès d’air, par suite variations de température ; alternatives d'humidité et de sécheresse ; enlèvement continuel des substances solubles dans l’eau, par l’action des eaux pluviales. Les tombeaux creusés pro- fondément sont moins exposés aux agens de décomposition ; mais c'est surtout lorsqu'ils sont établis dans des terrains com- pactes et relativement secs, que les squelettes doivent s’y con- server plus longtemps. Telle est la condition des tombeaux qui se trouvent dans le (4) Analyses de MM. Girardin et Preisser. (2) Analyses de M. Fremy. (3) Analyses de M. Lassaigne. 4174 SCHEURER-KESTNER. lehm. Cependant il est indubitable qu'un squelette déposé directement dans le lehm, et à une certaine profondeur, se con- servera mieux qu’un squelette renfermé dans un tombeau. Examen chimique du lehm. D’après les résultats fournis par l'analyse, l’auteur considère le lehm d’Éguisheim comme ayant la composition suivante : Eau hygroscopique. -......:..:...... 1,83 Eau perdue au rouge. ::.:........... 6,94 Garbonate de Chamxe 2 Mes ele 2e à 28,19 Carbonate de magnésie.............. 4,86 Oxydes ferrique et aluminique. ....... 7,00 SUCRES éret-fie taérmedice 53,74 Chlorure de calcium... . 0... 82: 0,31 Acide sulfurique... ....... SIENNE 2 traces 99,84 PORC RE. Lt. UE 16 100,00 Sous le rapport du chlorure de calcium, la composition du lehm est variable, et l’auteur pense que cette substance pour- rait bien provenir de la décomposition des os enfouis dans ce dépôt. Il ajoute que la présence d’une substance aussi soluble que l’est le chlorure de calcium indique l'imperméabilité du terrain, et que cette imperméabilité explique l’état de conser- vation exceptionnelle des os en question. Examen chimique des ossements. Dans les analyses des ossements, je m'en suis tenu au dosage des substances essentielles de l’os, négligeant le fluor qui ne s'y trouve, du reste, qu'en quantités minimes, le chlore dont la plupart des ossements étaient exempis, et la magnésie dont je n’ai fait que constater la présence ; un seul dosage de magnésie m'a permis de voir que cette substance s’y trouve en proportions normales (entre 1/4 et 1/2 pour 100). J'ai employé la méthode générale d'analyse qui est indiquée par M. Fremy à la suite de ses Recherches chimiques sur les os, et qui se trouve relatée dans la nouvelle édition du Traité de chimie de MM. Pelouze et Fremy. — Quant à l’acide carbonique, i} a été déterminé par la perte de poids qu'éprouve la poudre SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D ÉGUISHEIM. 175 d'os traitée par l'acide sulfurique en prenant les précautions usitées. Je me suis sérvi pour cet usage du tube à deux boules de M. Liebig. Pour avoir le poids exact de l’osséine, elle était recueillie sur un filtre pesé d'avance, puis desséchée, selon les prescriptions de M. Fremy, à 130 degrés. — Du poids brut ainsi obtenu, je re- tranchais celui de la silice et des matières insolubles qui accom- pagnaient l’osséine, dont la valeur était déterminée par la cal- emation et la pesée. Fragment d’un pariétal humain trouvé dans le lehm d’Equisheim. Cet os a conservé sa forme primitive. — La table externe du crâne est plus décomposée que la table interne. Traitée par l'acide chlorhydrique faible, renfermant environ 8 pour 100 d'acide anhydre, la table externe abandonne un dépôt siliceux et un peu d’osséine à l’état de filaments ; la table interne ne fournit que de l’osséine et point de silice. Quant à la partie spongieuse, elle ne renferme pas d’incrustations, mais la substance animale s’y trouve en faibles proportions. Ainsi, la table externe du crâne est plus décomposée que la table interne. Ce fait trouve une explication naturelle dans ce que la table interne est peut- être plus compacte et moins spongieuse que la table externe et que la partie interne ne subit l’action des agents de décomposi- tion que lorsque les os du crâne se sont dissociés, et par consé- quent assez longtemps après la surface externe. Le crâne forme une sphère dans laquelle peuvent s’accumuler des matériaux terreux. Il est évident, dès lors, que lorsqu'il y a un change- ment de milieu ou une variation dans l'humidité, c’est la table externe qui supporte l’action destructive, tandis que la partie interne y échappe. Il en est de même, du reste, de la plupart des ossements que j'ai eu l’occasion d'examiner. La surface extérieure est très-attaquée, et plus on pénètre dans la partie intérieure de l'os, plus on rencontre de matière animale. Aussi pe peut-on pas se borner, dans des essais comparatifs, à choisir un morceau quelconque ; il faut, autant que possible, comparer des os semblables ou, au moins, prendre un échantillon repré- 176 SCHEURER-KESTNER. sentant la moyenne de la composition actuelle de l'os. — On peut y arriver en opérant sur une portion d'os entière, et en en enle- vant un morceau avec une scie sur toute la tranche, renfermant par conséquent les proportions normales des parties externes et des parties spongieuses. Le pariétal analysé renferme des oxydes ferrique et aluminique que je n’ai pas dosés. Avant de soumettre à l'analyse les différents ossements sur lesquels ont porté mes recherches, je les ai réduits en poudre et mis successivement en contact avec l’eau, l'alcool et l’éther. L'alcool et l’éther ne se sont chargés d'aucun principe, lors- qu'il s'agissait d’ossements fossiles. L'eau, au contraire, en- traînait des traces d'une substance organique, sur laquelle je reviendrai. Mais les matières grasses ont complétement disparu. Voici le résultat de l'analyse : au pere AATOPE SPC AAMMER RIRES 6,0 Osséinerrs-nf 4 Aynuft. pe tifm cl. Érieeor de. sal SUR RL MS nr NE ae 5 3,9 Kéide phosphorique: MAMIE. IN RCA 30,0 BUT LONES : TPS PISTES SPP OMAN CE 40,4 ACTE MAT DORIQUÉ 2e eee me sie ete ee Dee 4,0 Oxydes ferrique, aluminique et magnésie. 87,0 Ainsi ces nombres ne nous conduisent pas à 100 : il manque 13 pour 100 de substance pour reconstituer toute la matière employée. Cette différence se trouve en partie reconstituée, lorsqu’au lieu de doser l’osséine par la dissolution chlorhydrique on détermine la matière animale ou organique de l'os par la calci- nation. L'os ayant été séché à 110 degrés perd à la calcination, en lui restituant l'acide carbonique chassé par la chaleur, encore 13°,2 pour 100. Cette perte ne peut provenir que d’une nouvelle quantité d’eau combinée qui ne se dégagerait qu’à une tempéra- ture élevée, ou de la présence d’une matière organique autre que l’osséine et soluble dans l'acide chlorhydrique affaibli, ou de la présence simultanée de cette eau combinée et de cette matière organique. Or, il n’est pas probable que l'os desséché renferme SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D'ÉGUISHEIM. 177 de l’eau combinée, puisque les substances minérales qui le con- stituent n'ont pas subi de grandes variations. La perte doit done être attribuée à une autre cause ; en effet, j'ai reconnu que cer- tains ossements fossiles renferment une matière animale autre que l’osséine, matière qui ne préexiste pas dans les os récents, et qui provient sans doute d’une décomposition incomplète de l’osséine. La gélatine humide, abandonnée au contact de l'air, se putréfie en dégageant des vapeurs ammoniacales; cette pu- tréfaction, ou une décomposition analogue, lente, dans laquelle intervient surtout le temps, transforme peu à peu l’osséine, qui devient partiellement soluble. Aussi, lorsqu'on traite les osse- ments par l'acide chlorhydrique, cette substance s’y dissout-elle, et c’est ainsi que, jusqu'à présent, elle a pu échapper à l’obser- vation des chimistes. Pour se convaincre de la présence de cette matière organique dans la dissolution chlorhydrique, il suffit d'évaporer une petite quantité de celle-ci sur une lame de pla-- üine et de calciner le résidu ; on ne tarde pas à voir la masse se charbonner en répandant l'odeur de la corne brûlée. H est assez difficile d'isoler cette substance, car elle se trouve dissé- minée dans une masse considérable de matières animales. Mais l'essentiel était de constater son existence autrement que par la perte de l'os à la calcination, et de montrer ainsi que je suis au- torisé à attribuer, au moins une partie de cette perte, au départ d'une matière organique différente de l’osséine. En tenant compte de cette perte, l'analyse de l’os pariétal devient : Hu U 09 » NN 6,0 » Gélatines Pie CE 3,1} perte à la calcination entre 4109 Gélatine modifiée. ..... 19,3 et la température rouge. BIAC AIR RTE 3,5 Acide phosphorique. ... 30,0 CHATS OPA 40,4 Acide carbonique. ..... 4,0 99,3 et la perte représentant l'oxyde ferrique, l’alumine et la magné- sie, n'est plus que de 0,7 pour 100. On trouve aussi, en nombres ronds : MÉTIERS UE Re ae su se à nono ee ee 83,59. Nat rE} ATEN RE Meter eee ME A LS ct SEPT: 16,41 100,00 5e série, Zovx, T, VII (Cahier n° 3.) 4 12 178 SCH£ÉURER-KESTNER.,. Il s’agit de savoir si, comme l’a conseillé M. Élie de Beaumont, on peut trouver un argument dans la comparaison chimique d'un ossement humain supposé fossile avec des ossements hu- mains retirés de sépultures anciennes. Dans le but d'étudier cette question, j'ai entrepris l'analyse d’un os pariétal moderne et de divers ossements retirés de sépul- tures anciennes de différentes époques quoique d’après les tra- vaux connus jusqu'à ce jour le résultat ne semble pas devoir être favorable. J'ai été confirmé dans cette conviction : qu'il est im- possible, par l'analyse d’un ossement, de déterminer son àge. Le pariétal moderne, soumis à mon analyse, provient de la collection du musée d'histoire naturelle de Colmar. Mais je ne puis attacher une grande importance aux résultats numériques obtenus, cet ossement ayant, sans doute, subi quelque prépara- tion. En effet, il renferme des traces de cuivre ainsi que du chlo- rure de calcium soluble. Il ne contient pas non plus la pro- portion normale d'acide carbonique, qui, d'après les travaux de M. Zaleski, est de 5,734 pour 100, tandis que je n'en ai trouvé que 1,4 pour 100 dans l’'ossement moderne. Mais M. Zaleski à démontré que dans tout tissu osseux : 4° Les proportions respectives de chaux, de magnésie, d'acide phosphorique, d'acide carbonique, sont presque les mêmes chez l'homme et chez les animaux. 2° Le rapport entre la partie animale ou organique et la par- ie minérale est constant pour une même espèce animale. Une nowelle analyse devient donc inutile, et la comparaison peut avoir lieu entreles nombres normaux donnés par M. Zaleski et ceux obtenus par l'analyse des ossements anciens. Les nombres qui ressortent de mon analyse se rapprochent, du reste, beau- coup de ceux de M. Zaleski : Pariétal moderne, Zaleski. Matière minéralet 286 4 ose ils 0 2 65,3 65.44 MAtIPÉE aANIIMAIR RE ee EÉRe ue ee 34,7 34,56 160,0 100,00 Le pariétal supposé fossile contient, comme nous avons vu, un peu de silice ; 1l n’est pas incrusté de sels calcaires. La partie externe seule, celle qui a été en contact direct avec le lehm, est SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D 'ÉGUISHEIM. 179 recouverte d’une légère couche siliceuse. La composition chi- mique primitive de l'os n’a été que fort peu modifiée. Pour pou- voir établir, sous ce rapport, une comparaison avec la composi- tion minérale des cendres d'os récents, il faut, par le calcul, faire abstraction de cette silice ainsi que de l’eau. On obtient alors les uombres suivants : Pariétal fossile. Zaleski, os récent. Acide phosphorique.... ... atst dt this 39,9 39,0 CHR arte tree share d'atatateretatatele 53,7 52,9 Acide carbonique..... ... ass ne 9,4 5,7 Ainsi, la composition minérale de cet ossement n’a pas éprouvé de modification sensible. Il en est de même des ossements provenant de sépultures faites dans le lehm ou dans des terrains de même nature. Si les pro- portions respectives des matières minérales et animales peuvent présenter de grandes variations, parce que la constitution phy- sique de la couche à une influence décisive, 1l n’en est pas de même des proportions des matières minérales qui ne peuvent varier qu'en vertu de décompositions chimiques. Pariétal provenant d'une tombe très-antique. Cette tombe se trouvait dans le lehm ; elle a été découverte au champ de Mars à Colmar, et est déposée au musée de cette ville. Elle était formée d'un assemblage de grosses dalles brutes en pierre calcaire du pays. Le squelette était assez bien con- servé, mais 1l n’était accompagné d'aucun objet qui pût en faire reconnaître l’âge. Les tombes de ce genre sont en tous cas très- anciennes, et appartiennent peut-être à l'époque gallo-romaine. Rapports des substances minérales : Acide phosphorique........ AT 38,2 CHAMP ET men ess des tte 50,8 Acide carbonique....... His dy * 4,6 Ces rapports s'éloignent peu de la normale. Les nombres sont un peu faibles, parce que cet ossement renfermait une petite quantité d'oxyde ferrique. Ils sont obtenus, comme les précédents et comme les suivants, après avoir déduit comme silice le résidu insoluble dans l'acide chlorhydrique. Cet ossement renferme en nombres ronds : 180 SCHEURER-KESTNER., Matièretminérale WEE et Cet REC TE C8 1286 Matière animale. .: ............ Sons sp ss s CU 100,00 Il a donc perdu autant de matière animale que l'os supposé fossile. Un autre fragment du même crâne n’a pas donné de trace d'incrustation siliceuse. Il renferme : Mabere /minéralens., 2. 0. Se eut st .... 85,45 Matière animale. 2. .,.. 0, ercpee rcacelre 414,55 100,00 Crâäne trouvé à Colmar, au couvent des Unterliñden, remontant à deux ou trois siècles. Ce crâne a séjourné dans un terrain entremêlé de divers dé- combres. Dans ce milieu meuble, la décomposition a dû être paturellement plus prompte. En effet, cet ossement renferme moins de substances animales que le précédent qui est cepen- dant beaucoup plus ancien : Matière minérale...... rca out ser : chili 87,79 Matière animale........... SAMOA rer 100,00 Crûnes de l'époque mérovingienne. Enfin deux crânes de l’époque franque ou mérovingienne, trouvés, l’un à Herrlisheim, et l’autre à Heidwiller (Haut-Rhin), reconnus par les objets antiques qui accompagnaient les sque- lettes et qui se trouvent au musée de Colmar, ont donné à l'analyse : Herrlisheim. Heïidwiller, Matière minérale........ sie 79,99 74,15 Matière animale. ....... Ja doi 20,04 25,85 100,00 100,00 Il est impossible de tirer aucune conclusion de ces différentes analyses, relativement à l'ancienneté des ossements analysés. La matière organique y est plus ou moins bien conservée suivant les conditions dans lesquelles ils se sont trouvés après leur enfouis- sement, et la nature du sol qui les a recus. La comparaison ne devient possible que lorsqu'on analyse des ossements provenant de la même couche de terrain. Dans ce cas, l'identité de composition devient une probabilité de contem- poranéité. SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D'ÉGUISHEIM. 181 Ossements fossiles de Cerf et de Cheval. Ces ossements ont été trouvés dans le lehm d’Éguisheim, non lon de l'endroit où a été découvert le crâne humain supposé fossile. L’os de Cerf se compose d’un morceau de crâne; il se dissout dans l'acide chlorhydrique en abandonnant un dépôt siliceux. Sa composition est représentée par : Bauer Fes SR RER MEN 2 7,1 MAÉTARANEMAIG se fe. - Sd EU CR) CHARS. 9,9 DCE a US do amies MTS TS Sedo 6,7 OUENTR de à CES RES RP EP EE e UO RE Ee l L1,4 ACITE BHOSPRORIUE.S 2 2 8 cac ee se Le 32,6 Acide carbonique. .....,...... SRI M EN EHES 4,3 99,0 ou, en réunissant les matières minérales en un seul nombre : Matière minérale... .....,......... DE PT TO CT .-.,. 89:16 Matière animale. ....., DRE et DLLD PEU 2. .. . 10,84 100,00 Rapports respectifs des parties minérales : A GIE) PROSPROFIQUER ES ee MENT SRI TRE Hi 42,7 ACTEUR RE ETES RE TER IPC PNR POI E tr etmo nu RGRICP CHRONIQUES ee +» cles ee D ne - à tue peus 1,7 Cet ossement a été exposé aux agents de destruction, plus que le suivant qui renferme plus de matière animale et moins d’in- crustation siliceuse. | L'ossement de Cheval consiste en un os long (métatarsien) ; il se dissout dans l'acide chlorhydrique en MEME un léger dépôt siliceux ; il a donné à l’analyse : Haus -.-.. dec ae RERO eee 6,8 RÉRRÉRE RR N N nas ue 3,9 CSN SQIUDIE 45 22 de SAN NM . dE SIHCOS nee de ee ee en as rire -10 de 0,3 NOTE PROSPROTIQUE AN NPA EN. AR EU El 30,9 Chaux. .... Do dde des da en dedans 44,0 Acide carbonique PEAR ETTE LEMAR LS PEL PNEU ! DATES E 4,4 96,6 traces de fer, de magnésie et'de fluor. La composition de cet ossement se rapproche beaucoup de celle du pariétal humain supposé fossile. Le rapport respectif des parties minérales, défalcation faite de l’eau et de la silice, devient : 182 SCHEURER-KESTNER. Acide phosphorique. : 122.10. 38,7 CRU CERN SRE LE EN Te 59,2 Acile CArboNUe AS EE. 5,9 L'analyse donne aussi : Matibre MANPFAÏP: 22 5 2 cac e ÉD » = we « 85,81 Matière animale it. SPAM ERA .'2.LE 14,19 100,00 M. Zaleski indique pour les rapports respectifs des parties mi- nérales d’un os de Bœuf frais : AUITE PROSPROFIQUE. 262 mes eee se ee 40,0 Chant... REC MERE etes 53,9 Acide carbonique. ........... RSR 6,2 Composition qui répond à peu près à celle ci-dessus. Ossements de Mammouth. Ce sont des fragments d’un os long, probablement un fémur, qui à été trouvé à Herrlisheim près d'Éguisheim, au contact du lehm du gravier diluvien, sur le bord d’une gravière : cette dernière circonstance explique probablement les différences de composition qu'offrent ces divers fragments d'un même os. Certains fragments contiennent autant de matière animale que les ossements précédents; d’autres, au contraire, n’en renfer- ment que fort peu. Leur état de désagrégation ne m'a pas per- mis d'opérer sur un échantillon complet, c’est-à-dire renfer- mant à la fois toute la partie externe ettoute la partie interne de los. L'analyse d’un de ces fragments a donné les nombres sui vais : DTA OUR Ie - SUSAEUE PR ONTENL » Je. A6e 6,0 Mare MMM AlPe Le birlenttienbes PRE see cn 0eE 41,4 BIREAE SEEN Utthemrntsssttiie SÉRNEr TAN. 42,4 CRM. ns csadiatesthsasss 125 M ITNIT ENST SRE 37,9 ACMéetphosphorique: :,::::::::::.....4 MN00 050 27,6 Acidélcarhoniquerutttsntttns thus inserer entre 4,5 99,8 Ces nombres correspondent à : Matière minérale. ..... REC essais e tete Eth 39,4 MANÉPÉ ANIMAIR EEE POLE EL UE, LILNRVOS RENTE 413,9 100,0 et le rapport entre les parties minérales est de : Acide phosphoBqnP».- 4, .,.:. ..={. 44 86,1 (RTE OS RE une ct NÉ RU EE 54,1 Acide carbonique. ..:,...:...,:.,. a. 20 tit 6,4 Voici les résullats d'analyses faites sur d’autres fragments : SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D'ÉGUISHEIM. 183 Partie compacte, Partie spongieuse. Matière minérale............ Me 92,79 88,23 Matieretanimales" 74. 11 AM 7,24 44,77 La partie spongieuse s’est dissoute dans l'acide chlorhydrique sans laisser de dépôt. La partie extérieure de l'os était seule in- crustée d’une couche siliceuse. Ours (Ursus spelæus) d'une caverne à ossements de Sentheim (Haut-Rhin). Quoique cet ossement (fragment d'os long) provienne d'un terrain différent du lehm (la caverne est creusée dans le calcaire jurassique jaune), j'y ai déterminé les proportions de matières minérales et animales. L'analyse imdique : Matière minérale AN I MM ES ARRET 90.22 Matière annales #0 2... 12..." den 9,78 100,00 Dans les analyses qui précèdent, la substance animale a été déterminée par la calcination. Mais à côté de ce dosage, j'ai dé- terminé, dans un grand nombre d'échantillons, la gélatine, par l'emploi de l'acide chlorhydrique affaibli. Si les analogies de compositions qui existent entre le pariétal supposé fossile et les ossements fossiles d'animaux trouvés dans la méme couche et dans les mêmes conditions que le premier, si Ces analogies permettent d'accorder une très-grande probabilité à la contemporanéité de ces ossements, l'examen de la substance animale elle-même nous fortifiera dans nos premières conclu- sions, et je pense que la probabilité pourra devenir une certi- tude. ILest possible, avec les nouvelles données, d'étendre le champ de comparaison et d'y comprendre encore les ossements de Mammouth. Les ossements de l'Ursus spelœus offrent sous ce rapport la même analogie de composition. J'ai démontré que les ossements enfouis donnent par la calci- nation, toutes précautions étant prises contre les erreurs, un nombre qui doit représenter leur teneur en matière animale. Lorsqu'on cherche à isoler l'osséine par l'emploi d’une liqueur chlorhydrique convenablement diluée, on trouve très-souvent que les ossements sont loin de produire une quantité d'osséine égale à la perte due à la calcination, 184 SCHEURER-KESTNER, Il y a même des ossements qui, tout en éprouvant une perte sensible à la calcination, tout en noircissant et en répandant l'odeur caractéristique de corne brûlée, ne fournissent pas trace d'osséme après le traitement par l'acide chlorhydrique. Et ce- pendant ces ossements ne cèdent rien ni à l'alcool, ni à l’éther : ils sont exempts de matières grasses. Ils renferment une matière organique azotée différente de l’osséine ou de la gélatine, et qui est soluble dans la liqueur chlor- hydrique. Cette matière provient sans doute d’une décomposi- tion lente de l’osséine. Est-elle moins azotée que cette dernière ? C’est ce que jusqu'à présent je n’ai pas encore pu établir. Lors- qu'on abandonne à l'air de la gélatine humide, elle ne tarde pas à se décomposer en dégageant des vapeurs ammoniacales. Cette fermentation n’a pas encore été étudiée. On ignore quels sont les corps qui se forment dans ces circonstances. L'étude de cette question pourrait jeter du jour sur la transformation de l’osséine dans les ossements enfouis. Les ossements fossiles ou supposés fossiles que j'ai analysés renfermeraient tous cette substance en quantités supérieures à l’osséine intacte transformable en gélatine qu'ils. contenaient. Cette matière est soluble dans l'acide chlorhydrique, dans lequel elle se dissout en même temps que la chaux et l'acide phospho- rique. Elle se trouve donc mélangée à une grande quantité de matières minérales dont il semble difficile de l'isoler. Elle est insoluble dans l’alcool et dans l’éther, mais des traces se dissol- vent dans l’eau pure. Une trentaine de grammes d'os de Mammouth, réduits en poudre, ont été triturés dans un mortier avec de l’eau distillée ; le magma a été jeté sur un filtre. La liqueur filtrée a laissé après évaporation environ un demi-gramme de résidu renfermant du chlorure de calcium et une substance organique répandant l'odeur de la corne brûlée par la calcination. Lorsque la matière organique à été brûlée, il reste un résidu blanc qui renferme du carbonate de chaux. La dissolution aqueuse n’est précipitée ni par le tannin, ni par les acides, ni par les sels métalliques. En général, lorsqu'on dissout un os fossile dans l'acide chlor- hydrique dilué (6 degrés Beaumé) et que cet ossement renferme SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D ÉGUISHEIM. 185 de la matière animale, il suffit de brûler une petite quantité de la dissolution filtrée sur la lame de platine, pour percevoir d’une manière bien nette l'odeur caractéristique d’une substance azotée qui se décompose ; en même temps, il se fait sur la lame un dépôt de charbon. Ce moyen bien simple suffit pour constater la présence d'une substance organique, différente de l’osséine qui est insoluble dans l'acide chlofhydrique très-étendu. Comme cette substance animale est légèrement soluble dans l'eau, elle ne peut se rencontrer que dans des ossements prove- nant de terrains compactes qui les ont isolés de l’action persis- tante des eaux. Un fragment d'os de Mammouth, provenant du lehm, ayant été déposé dans l’eau pure, au bout de quatre jours le liquide se troubla légèrement par l’azotate d'argent. Cette dissolution n’exerçait pas d’action sur le papier de tournesol. Un centimètre cube de la liqueur, évaporé dans un tube fermé par un bout, à laissé un résidu qui noircit par la calcination. Pen- dant la calcination, le produit dégagea de l’eau qui se condensa dans la partie supérieure du tube, et répandit l’odeur de la corne brûlée. Le liquide provenant de la condensation des vapeurs, dans la partie supérieure du tube, bleuit franchement le tourne- sol. Ces réactions sont caractéristiques d’une substance animale azotée. Ces faits suffisent pour démontrer la présence de l’osséine modifiée dans les ossements fossiles que j'ai analysés; et je me crois autorisé à attribuer à la présence de cette substance la perte à la calcination qui restait sans explication. Je considère done comme représentant l’osséine modifiée la différence qu'on obtient en soustrayant la gélatine de la perte totale éprouvée par la calcination de 110 degrés au rouge. Ces deux éléments, la gé- latine d’une part, extraite par l'acide chlorhydrique dilué, et l'osséine modifiée, déterminée par la calcination, constituent ce que je désigne par matière ou partie animale de los. Le tableau suivant donne les résultats des analyses faites dans ce sens. 186 SCHEURER-KESTNER. Crâne Crâne Crâne Crâne Os long + Qiea Qyse- 1 de be FE Tète Pariétal| ment ment Herrlis-| champ |Unterlin-| geidwil- de Cerf | Cheval | main _ Le heim, |ile Mars | den. ler. SopfEe fossile: | Vestes): Mens lame mouth. | mouth, 1 2 3 4 5 6 ï: | ———— | ———— | ———_ | ——— | ———— | ——— | ————_— | ———— COMPOSITION DE LA SUBSTANCE ANIMALE DES OSSEMENTS. Gélatine... | 93,5 | 73,5 | 72,9 | 72,5 [| 39,5 | 29,6 | 20,1 | 20,0 | traces. Osséine mo- difiée, ...| 6,5 | 26,5 | 27,4 | 27,5 | 60,8 | 70,4 | 79,9 | 80,0 100,00 COMPOSITION EN PARTIES MINÉRALES ET ANIMALES. Partie mi- BALFIIE TL ANTIATE STAR HUB. ARRETE 5,08 MAOPEMNIRÉNRIRe EE ne res os tn cf: 85,88 Lits iso F Renaoesate ds Méaiat nids IE 4 9,04 100,00 Gélahhe ue LEGS TR Mu RAM SRE LAON RET 44,0 (OSEINEMNIDNNP EE RÉ ec edie dore D eee SU UE TE LÉ 86,0 400,0 Dans le tableau précédent, les ossements sont groupés suivant leur teneur en gélatine rapportée à la totalité de la matière ani- male. 1 me semble inutile d’insister sur le caractère général qu'y montrent les ossements fossiles par rapport à la nature de la matière animale, lorsqu'on les compare aux ossements non fos- siles ou plutôt non contemporains du Mammouth et du Cerf. De tous les ossements humains, le pariétal supposé fossile se trouve seul dans la catégorie de ceux dont l’osséine modifiée constitue plus de la moitié de la matière animale. Après l'inspection de ce tableau et avec la condition expresse que les n* 5, 6, 7 et 8, ont été trouvés dans un terrain iden- tique, il me semble difficile de ne pas admettre que le n° 7, com- prenant le pariétal fossile, a été enfoui à la même époque que SUR LES OSSEMENTS DU LEHM D'ÉGUISHEIM. 187 les n* 5, 6et 8, et qu'il est par conséquent contemporain du Cerf et du Mammouth. Parmi les os fossiles, la tête de Cerf renferme la plus grande quantité de gélatine ; mais cet ossement a dû subir l’action des agents de destruction à un degré plus élevé que les autres osse- ments. Son incrustation siliceuse en est la preuve, et il est dès lors tout naturel que la partie la plus soluble de la substance or- ganique ait disparu en plus grande quantité. Nous voyons, en outre, et par la même raison, que c’est un des ossements qui renferme la plus petite quantité de matière animale. Si l’on tient compte de ce fait, on remarque que, dans les analyses précé- dentes, le rapport entre la gélatine et l’osséine modif ‘e est, dans les ossements contemporains du Mammouth, à peu près inverse de ce qu'il est dans les ossements provenant de sépultures an- ciennes. En résumé, nous pouvons tirer de ces recherches les conclu- sions suivantes : 4 Les ossements fossiles trouvés dans le lehm d’Éguisheim renferment généralement une notable quantité de matière or- ganique. — La conservation de la matière organique doit être attribuée principalement à l’impénétrabilité du terrain et à sa compacité, 2° La présence du chlorure de calcium, qui a été constatée dans certaines couches, est une preuve de la résistance qu'offre le terrain aux infiltrations aqueuses. 3° Les fossiles du lehm sont peu incrustés ; leur surface seule est recouverte d'une légère couche siliceuse ; la composition chimique et les proportions relatives des parties minérales ont peu varié. h° Un certain nombre de ces fossiles renferment, outre l'osséine avec ses caractères distinctifs, une autre substance ani- male provenant probablement d'une modification chimique de l’osséine. En effet, la perte qu'éprouvent ces ossements à la cal- cination dépasse souvent de plus du double celle qui devrait ré- sulter de la combustion de l’osséine. Cette substance particulière est soluble dans les liqueurs acides. 188 SCHEURER-KESTNER . 9° ILest impossible d'établir l’âge d’un ossement par l'examen de sa composition chimique ; mais la comparaison permet d’affir- mer si deux ossements, trouvés dans le même terrain, sont con- temporains ou non. L'examen de la partie animale, au point de vue de l’osséine ordinaire et de l’osséine modifiée, et la déter- mination des proportions relatives de ces deux éléments donnent à l'étude comparative une base plus large et un élément de cer- titude de plus. 6° Je ne prétends nullement que l’osséine modifiée se trouve dans tous les os fossiles ou que ceux-ci seuls en contiennent ; mais les ossements du lehm en renferment en quantités très- appréciables, et qui ne peuvent pas être négligées dans une analyse. Un os renfermant les deux substances animales dans des proportions telles que l’osséine modifiée dépasse de moitié l'osséine ordinaire, doit toujours avoir séjourné, pendant très- longtemps, dans un terrain peu accessible aux variations de température et d'humidité, car l’osséine modifiée est légère- ment soluble dans l’eau. C’est donc un caractère positif d’an- cienneté. 7° Enfin, le pariétal trouvé à Éguisheim présentant la même composition que les ossements d'animaux provenant du même terrain et ayant appartenu à des sujets de races éteintes, la con- temporanéité de l'être humain et de ces races doit être acceptée comme démontrée au point de vue chimique. “+ CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES LES ÉCHINIDES RÉGULIERS DU TERRAIN CRÉTACÉ DE FRANCE, Par M. COTTEAU. Le terrain crétacé de France nous a fourni deux cent qua- rante-cinq espèces d'Échinides réguliers. L’abondance et la belle conservation des échantillons que nous avons eus à notre dispo- sition nous ont permis de faire connaître certains types qui jus- qu'ici avaient échappé à l'observation, de préciser d’une manière plus nette les caractères de quelques genres encore mal définis, et de décrire un grand nombre d'espèces qui, ajoutées à celles que l’on connaissait déjà, forment un ensemble des plus remar- quables. Résumons rapidement quelques-uns des résultats auxquels nous sommes arrivés. Nos deux cent quarante-cinq espèces proviennent exclusive ment du terrain crétacé : aucune n'existait à l’époque juras- sique ; aucune ne se retrouve dans le terrain tertiaire. Non- seulement ces espèces sont toutes, sans exception, propres au terrain crétacé, mais la plupart se rencontrent à des horizons qu'elles ne franchissent jamais, et le nombre des espèces qui passent d’un étage dans un autre est relativement très-restreint. Ces deux cent quarante-cinq espèces sont réparties dans trente genres qui appartiennent eux-mêmes à quatre familles distinctes. Cinq genres font partie de la famille des Salénidées, quatre de la famille des Cidaridées, seize de celle des Diadématidées et cinq de celle des Échinidées. Sur ces trente genres, plusieurs sont exclusivement propres 490 COTTEAU. au terrain crétacé; d’autres sont communs, soit avec Le terrain jurassique, soit avec le terrain tertiaire, soit simultanément avec ces deux terrains. Un très-petit nombre dépassant les couches supérieures du terrain tertiaire existe à l'époque actuelle. Il n’est pas sans intérêt, au point de vue biologique, de suivre ces différents types dans leur développement, de les prendre à leur première apparition, de constater le moment où ils atteignent leur apogée, et de les voir ensuite s’éteindre plus ou moins brusquement, suivant qu'ils rencontrent, pendant un temps plus ou moins long, des conditions favorables à leur existence. Onze genres s'étaient déjà montrés à l'époque jurassique : Acrosalenia, Agassiz. Hemipedina, Wright, Cidaris, Klein. Leiosoma, Cotteau. Rhabdocidaris, Desor, Cyphosoma, Agassiz. Hemicidaris, Agassiz. Magnosia, Michelin. Acrocidaris, Agassiz. Stomechinus, Desor, Pseudodiadema , Desor. Ces genres sont loin d'offrir dans leur développement des phases identiques : les uns, tels que les Acrosalenia, les Hemici- daris, les Hemipedina, les Magnosia, les Stomechinus, caracté- risent presque exclusivement le terrain jurassique ; c’est là qu'ils ont trouvé le milieu qui leur convenait et qu'ils ont répandu à profusion leurs espèces et leurs individus ; si, plus tard, ils se montrent de nouveau à l'époque crétacée, c’est pour nous offrir quelques espèces isolées qui disparaissent la plupart dans les étages inférieurs. Les genres Cidaris et Pseudodiadema sont doués d’une force vitale plus énergique et plus persistante. Le premier est, de tous les genres d'Échinides, celui dont l'existence présente la plus longue durée ; il commence à se développer dès l’origine des terrains secondaires au sein des mers triasiques ; il multiplie ses espèces dans toute la série des terrains juras- siques, depuis le lias inférieur jusqu’au Portland ; il se montre de nouveau et avec une abondance remarquable dans tous les étages du terrain crétacé ; à l’époque tertiaire, il reparaît sous des formes nouvelles et variées, et aujourd’hui encore il compte de nombreux représentants dans toutes nos mers. Le genre ÉCHINIDES DE LA PÉRIODE CRÉTACÉE. 191 Pseudodiadema, tout en fournissant une existence moins pro- longée, présente encore une persistance digne d'être notée : il fait son apparition dans loolite inférieure, et s'éteint dans les couches moyennes du terrain tertiaire; déjà très-nombreux à l’époque jurassique, il atteint le maximum de son développe- ment au milieu du terrain crétacé, dans l'étage cénomanien où ilest représenté par seize espèces. Deux autres genres, Cyphosoma et Leiosoma, bien qu'ils prennent naissance, comme les précédents, dans le terrain Jjurassique, subissent une évolution organique bien différente : ils se montrent, il est vrai, pour la première fois à l'époque jurassique, mais ils y sont fort rares, et le maximum de leur dé- veloppement se manifeste non pas dans les couches crétacées inférieures, mais dans les étages moyens et supérieurs ; l’un d'eux, le genre C'yphosoma, persiste au delà des couches créta- cées les plus élevées, etse développe en assez grande abondance au sein des assises inférieures du terrain tertiaire, puis disparaît ensuite pour toujours. Dix-neuf genres d'Échinides ont pris successivement leur origine dans le cours de la période crétacée : Heterosalenia, Cotteau. | Echinocyphus, Cotteau. Peltastes, Agassiz. Goniopyqus, Agassiz, Goniophorus, Agassiz. Leioryphus, Cotteau. Salenia, Gray. | Codiopsis, Agassiz. Temnocidaris, Cotteau. Cottaldia, Desor, Arthocidaris, Cotteau. Pedinopsis, Cotteau. Heterodiadema, Gotteau. Micropedina, Cotteau, Glyphocyphus, Haime. Codechinus, Desor. Arthopsis, Cotteau. Psammechinus, Agassiz. Micropsis, Cotteau. Parmi ces genres, les uns, tels que les Æeterosalenia, les Heterodiadema, les Glyphocyphus, etc., se cantonnent dans l'étage qui leur est propre : ils y naissent, s’y développent et y meurent; les autres, tels que les Salenia, les Goniopygus, les Codiopsis, parcourent la série des étages, laissant dans chacun d'eux des espèces particulières et essentiellement caractéris- tiques. La plupart sont limités à la formation crétacée, et s’étei2 192 COTTEAU, gnent avec ses dernières assises. Quelques-uns cependant, mais en petit nombre, les Goniopygus, Micropsis, Psammechinus, franchissent les limites qui séparent les deux formations, et re- paraissent dans les assises inférieures du terrain tertiaire. Il y a mème cela de remarquable que, sur les treize genres qui ont fait leur apparition pendant la période jurassique, quatre franchis- sent le terrain crétacé et arrivent jusque dans les couches ter- tiaires, tandis que sur les vingt et un genres qui se développent pour la première fois à l’époque crétacée, il en est quatre seule- ment qui remontent dans le terrain tertiaire. Les genres Cidaris et Psam mechinus sont les seuls qui existent eucore à l’époque actuelle. En résumé, sur les trente genres d’Échinides réguliers que renferme le terrain crétacé de France, onze s'étaient déja mon- trés dans le terrain jurassique, quinze sont spéciaux aux terrains crétacés et n’en dépassent pas les limites, huit reparaissent dans le terrain tertiaire, deux continuent à vivre dans nos mers. Parmi les trente genres, vingt-deux avaient déjà été signalés par les auteurs ; nous en avons fait connaître onze nouveaux. La grande quantité de matériaux que nous avons eus à notre dis- position explique ce nombre qui, au premier abord, peut pa raître considérable. Plusieurs de ces types sont dignes de fixer l'attention; nous citerons en première ligne les T'emnocidaris, Oursins de grande taille, confondus jusqu'ici avec les Cidaris, mais qui sen dustinguent nettement par les impressions nom- breuses, subcirculaires, éparses, dont les plaques ambulacraires et interambulacraires sont partout marquées. Nous ignorons quelle est la valeur organique de ces impressions à peu près de même nature que celles que présentent les Goniocidaris, les Glyphocyphus, les Temnopleurus; il nous à paru d'autant plus utile d’en tenir compte pour la distinction des genres, que ce caractère n’est pas isolé, et correspond à d’autres différences dans le nombre et la disposition des granules. Nous citerons également les Orthocidaris, remarquables par leur forme renflée et subglobuleuse, par leurs ambulacres droits, leurs tubercules principaux très-petits, et augmentant de volume , ÉCHINIDES DE LA PÉRIODE CRÉTACÉE. 193 à la face inférieure, leur péristome étroit, peutagonal, dépourvu d’entailles, type anormal extrèmement rare, et dont nous ne connaissons encore que deux exemplaires. Placé sur les der- nières limites de la famille des Cidaridées, le genre Orthocida- ris apparaît et s'éteint au sein des couches néocomiennes infé- rieures. Les Heterodiadema, parfaitement caractérisés par la structure bizarre de leur appareil apicial qui se prolonge au milieu de l'aire interambulacraire impaire, et annonce une dis- position toute particulière des plaques quile composent, forment un des types les plus curieux de la grande famille des Diadéma- tidées ; la seule espèce connue, rangée successivement dans les genres Hemicidaris, Pseudodiadema et Pygaster, a été rencontrée sur de grandes étendues : sa présence a été signalée en France, aux Martigues, en Algérie, dans la province de Constantine et sur les bords du désert de Sahara, en Égypte; et plus récem- ment, M. Lartet fils l’a recueillie sur les bords de la mer Morte. Partout elle parait caractériser les couches supérieures de l'étage cénomanien. Mentionnons encore parmi les Diadématidées le genre Or- thopsis, dont les plaques ambulacraires sont droites et régu- lières, et dont le test est finement chagriné; le genre Æchi- nocyphus, jusqu'ici confondu avec les Glyphocyphus et les Cyphosoma, et qui se distingue des premiers par ses tubercules imperforés, et des seconds par les impressions qui marquent la base de ses plaques coronales. Mentionnons enfin, parmi les Échinidées qui terminent la série des Échinides réguliers, le genre Pedinopsis aux tubercules crénelés et perforés, aux pores bigéminés; et le genre Micropedina, à la forme globuleuse comme celle des Codechinus, aux pores disposés sur chaque plaque ambulacraire par triple paires plus ou moins obliques, aux tubercules perforés et non crénelées. L'étude minutieuse que nous venons de faire des Échinides du terrain crétacé de France nous confirme de plus en plus dans notre opinion sur l'indépendance et sur la fixité des espèces. Les Échinides, bien que placés sur les degrés inférieurs de l'échelle des êtres, nous fournissent dans cette questicit, qui préoccupe à 2° série, Zoo, T. VIL, (Cahier n° 4). 1 13 19% ICOTTEAU. si juste titre les esprits les plus sérieux, des arguments dont on ne saurait que contester la valeur. Le test des Qursins n’est pas, comme dans les Mollusques, une simple enveloppe. Ainsi qu'on l’a constaté depuis long- temps, c’est un véritable squelette, à la surface duquel se re- produisent, avec les détails les plus compliqués, les organes essentiels de l’animal. Les plaques ocellaires et oviducales, les pores ambulacraires, le péristome, le périprocte, toujours si variés dans leur arrangement et leur structure, ne sont autre chose que les manifestations extérieures des organes de la vue, de la génération, de la respiration, de la nutrition, de la digestion. Chez les Qursins fossiles, tous ces caractères sont le plus souvent, en raison de la nature spathique du test, admirablement conservés, et peuvent être étudiés dans leurs moindres détails. Ils reparaissaient chez les mêmes types avec une constance remarquable, et permettent d'établir des déterminations génériques ou spécifiques presque toujours ri- goureuses. Si les espèces ne sont que des modifications successives de types préexistants qui se transforment suivant les milieux où ils se développent, on ne manquera pas de rencontrer les traces de ce travail opéré par la nature ; on surprendra le secret de quel- ques-unes de ces transformations ; on retrouvera nécessairement quelques-uns de ces types intermédiaires qui ont servi de passage entre une espèce et une autre, et qui devront être d'autant plus nombreux que les types, qu'il s'agira de rattacher les uns aux autres, auront des caractères plus opposés. Rien de pareil ne s’est passé en ce qui touche les Échinides. Notre collection comprend plus de six mille échantillons re- cueillis dans les localités les plus diverses; le nombre de ceux qu'on a bien voulu nous communiquer est plus considérable encore ; chaque jour de nouvelles richesses s'ajoutent à celles que nous connaissons déjà, et nous sommes encore à constater l'existence d’un de ces types, qui, par suite de modifications graduelles, à dû servir de passage entre deux formes opposées. Pour ne pas sortir du terrain crétacé, prenons, par exemple, le ÉCHINIDES DE LA PÉRIODE CRÉTACÉE. 195 type Codiopsis qui commence avec les couches inférieures de l'étage néocomien, et se perpétue, sous des formes spécifiques variées, jusqu'à la fin de la période crétacée. La structure de son appareil apicial et de son périsitome, la nature toute particulière de ses tubercules cadues, leur arrangement anormal à la sur- face du test, constituent un ensemble de caractères qui ne per- met de le confondre avec aucun autre. Cet ensemble de carac- ières se manifeste dès la première apparition du type, sans qu'il soit possible de retrouver, parmi les autres genres de la même famille qui s'étaient développés à l'époque précédente, une espèce quelle qu'elle soir, dont il se rapproche même indirecte- ment; et lorsque plus tard, à la fin de l'époque crétacée, il dis- paraît de la série animale, il s'éteint tout entier, et les types qui le remplacent ne sauraient en aucune manière lui être rattachés. Il en est de même du genre Heterodiadema, dont l'existence est limitée à un seul étage du terrain crétacé. Quelle espèce, avant son apparition, présente en germe cet appareil apicial si peu en rapport avec l’organisation habituelle des Échinides réguliers? Il en est de même encore des Goniopygus, des Micropsis, de la plupart des types, en un mot, que nous avons étudiés. Dans cette question de la fixité ou de la mutabilité des espèces, il faut tenir un grand compte des faits qui se sont passés dans les temps géologiques ; c’est là surtout que nous devons chercher les éléments de décision. L'étude minutieuse et comparée des types qui se sont déve- loppés naturellement dans la longue série des étages, et dont nous pouvons aujourd'hui d’un seul coup d'œil embrasser la succession, nous fournira toujours des arguments plus positifs que ceux qu'on peut trouver dans les faits actuels, résultats d'une période de temps relativement très-limitée, et subordonnés le plus souvent à l'influence profondément modificative de l’homme. RAPPORT SUR UN TRAVAIL DE M. MAREY, RELATIF A LA NATURE DE LA CONTRACTION DANS LES MUSCLES DE LA VIE ANIMALE, FAIT A L'ACADÉMIE DES SCIENCES PAR M. LONGET, Au nom de la Commission chargée de décerner les prix de médecine pour le concours de 1866 (1). Jusqu'ici, on désignait sous le nom de contraction tous les mouvements produits par un muscle, aussi bien la contraction soudaine provoquée par une décharge électrique que les mouve- ments lents et gradués que la volonté commande. Le même mot s’appliquait aussi à l’action de tout muscle : ainsi on disait également la contraction du biceps et la contraction du cœur. M. Marey, appliquant la méthode graphique à l'étude des différents actes musculaires, à établi : 1° qu'il faut distinguer ici deux actes bien différents, l'un qu'il appelle la secousse muscu- laire, et l’autre qui estla contraction proprement dite; 2° que cer- tains muscles, le cœur, par exemple, ne peuvent produire que des secousses, tandis que d’autres, comme les muscles volontaires, peuvent produire, selon les cs, la secousse ou la contraction. A. L'auteur désigne sous le nom de secousse musculaire un raccourcissement brusque du muscle, suivi aussitôt d’un relâche- ment. Le type de ce mouvement est celui que provoque une décharge électrique ou bien l’excitation d’un nerf moteur. Le caractère de la secousse d'un muscle vivant est d’être toujours identique avec elle-même, d’avoir fatalement toujours la même amplitude et la même durée. Mais la secousse peut varier d’un muscle à un (4) Ce compte rendu des recherches de M. Marey est extrait du rapport général sut le concours pour les prix de médecine et de chirurgie fondés par M. de Montyon et décernés annuellement par l'Académie des sciences. L'un de ces prix a été remporté par le mémoire de M. Marey, séance du 11 mars 1867, SUR LA CONTRACTION DES MUSCLES, 197 autre ; elle diffère surtout si l’on compare les muscles volon- taires dans les différentes espèces animales. Ainsi, chez l'Oiseau, la secousse est très-brève : elle ne dure guère que trois centièmes de seconde. Elle n'est guère plus longue chez le Poisson. Chez l'Homme, la durée est de sept à huit centièmes de seconde. Elle dure quatre à cinq fois plus chez les Crustacés; enfin, chez la Tortue, la secousse relative- ment tres-longue, dare plus d’une seconde. B. Quant à la contraction musculaire, l'auteur démontre que cet acte, qui à pour type les mouvements volontaires, est un phénomène complexe. Il résulte de la fusion ou interférence d'une série de secousses très-fréquentes. C’est ainsi qu'un son, engendré par des vibrations successives, fournit néanmoins une sensation qui parait continue. L'emploi des appareils enregis- treurs permet d'analyser la contraction musculaire et d'assister à sa production. Si l'on applique à un muscle volontaire des décharges électriques égales, mais de fréquence croissante, on voit d’abord se produire dans le muscle des secousses distinctes ; plus tard, chaque secousse n'a pas le temps de s'effectuer avant que la suivante n'arrive, et alors l'interférence commence. Chaque secousse s'ajoute partiellement à la précédente, et l’on w’aperçoit plus que son sommet. Ces sommets s’accusent eux- mêmes de moins en moins et finissent par disparaître compléte- ment; la contraction est établie. Si la fréquence des excitations électriques augmente encore, il en résulte une augmentation de l'intensité de la contraction. M. Marey démontre, par ses expériences, que cette interfé- rence des secousses existe dans toute espèce de contraction, non-seulement lorsqu'on emploie l'électricité, mais aussi dans les contractions volontaires, dans celle que provoque l’action de certains agents chimiques sur les nerfs moteurs, dans celles du tétanos produit dans la strychnine, etc. Puisque l’interférence des secousses continue la contraction, il s'ensuit que, chez les divers animaux, il faudra, pour faire con- tracter les muscles, provoquer des secousses d'autant plus fré- quentes que celles-ci sont plus brèves. M. Marey a démontré, en 198 MAREY. effet, que, chez l'Oiseau, il faut plus de soixante-quinze décharges électriques par seconde pour produire la contraction, chez l'homme, il n’en faut guère que vingt-cinq ou trente. Enfin, chez la Tortue, il suffit de quatre à cinq secousses par seconde pour obtenir la contraction: Dans un but de recherches chimiques, l'auteur à imaginé un appareil qu'il appelle pince myographique, qui peut s'appliquer à toat muscle superficiel ét transmet à un enregistreur tous les mouvements qué le muscle produit. La construction de cet in- strument est basée sur ce principe, qu'un muscle qui se raccour- eit d’une certaine quantité et avec une certaine force se gonfle avec la même force et d’une quantité proportionnelle. Or, quand le gonflement du muscle est sensible à travers là peau, il est très- facile de l'enregistrer avec toutes ses nuances au moyen des appareils qui donnent les caractères du pouls, des battements du cœur et de la respiration. Il devient donc possible de compa- rer la secousse musculaire dans différentes maladies avec le même phénomène enrégistré sur l'Homme sain. Les différentes paralysies, suivant qu’elles sont de cause nerveuse ou musculaire, pourront fournir de nouveaux caractères diagnostiques au même titre que les effets de certains poisons que l’auteur à déjà étudiés. Terminons en disant que des recherches de M. Marey il résulte encore que la systole du cœur n’est point une contraction, mais une secousse aussi longue à peu près que celle d’un muscle de Tortue. La démonstration de ce fait résulte des effets d’induction produits par un cœur sur une patte galvanoscopique de Gre- nouille. Les expériences dont les résulats viennent d’être énoncés, expériences aussi remarquables par leur nombre que par leur netteté, nous ont paru avoir rendu un incontestable service à la science et devoir être utiles au diagnostic de bien des affections et, par suite, à la pratiqué médicale. OBSERVATIONS DES CRUSTACÉS RARES OU NOUVEAUX DES COTES DE FRANCE, Par M. HESSE. (Douzième article.) MÉMOIRE SUR LES NOUVEAUX GENRES OICEOBATHE, UPEROGCOS £Tr SUNARISTE, Puisque nous avons été conduit par le cours de nos recher- ches à nous occuper des Crustacés inférieurs, nous ne laisserons pas échapper l'occasion d'en faire connaître deux nouveaux, dont l’un formera un genre et l’autre une espèce; nous en déceri- rons ensuite deux autres, également inédits, qui sont aussi très- intéressants : celui surtout qui vit avec les Pagures, dont il par- tage le domicile et peut-0tre la nourriture et qui, à ce genre d'existence déjà assez singulier, joint, en outre, des particula- rités de conformation qui ne sont pas moins curieuses à étudier ; enfin, nous parlerons d'un de ces nombreux Crustacés qui vivent dans les Ascidies composées, dont nous avons déjà signalé plu- sieurs à l'attention des careimologistes. PHOXICHILE INERME. -— Phoxichilus inermis. Il ressemble beaucoup au Phoxichile épineuæ, si ce n’est qu'il est un peu plus grand. Il a environ 10 millimètres de lon- gueur. Sa téte qui, comme son corps et ses pattes, est cylindrique, est arrondie à son extrémité et est moins épatée que dans l'autre espèce, et, après un léger rétréeissement latéral, s'élargit 200 , UHESSE. de nouveau pour se rétrécir considérablement à sa base, qui est fixée sur le premier anneau thoracique. L'extrémité du rostre dépasse un peu le niveau du deuxième article des pattes de la première paire. Le thorax est formé de quatre anneaux, qui, sauf le premier, qui est le plus long, sont tous de la même dimension et de la même largeur; il y a seulement un élargissement assez prononcé à l'endroit où les pattes prennent leur origine. Le premier anneau thoracique porte, en dessus et à son ex- trémité supérieure, un tubercule médian et conique, à la base duquel sont placés quatre petits yeux lisses. L'abdomen est très-petit comparativement au thorax et beau- coup moins gros que lui. Il se compose de trois articles, égale- ment cylindriques, dont les deux premiers sont à peu près de la mème longueur et de la même largeur, mais le dernier, qui est presque aussi long, est des deux tiers moins gros. Cette der- nière partie du corps est toujours relevée en crochet, la pointe tournée du côté du dos. Les pattes, qui sont au nombre de quatre paires, sont très- grêles et trois fois aussi longues que le corps. Le sixième article est le plus allongé ; on n'aperçoit que quelques épmes à l’extré- nité de la troisième et de la quatrième articulation, mais il n’en existe pas, comme dans l’autre espèce, au milieu de celle-ci. Les pattes accessoires de la femelle sont beaucoup plus courtes et plus grêles que les autres. Elles se composent de sept articles, dont le dernier est conique, court, etse termine par une pointe arrondie. Les œufs sont groupés, en masse considérable, sous le ventre et maintenus par les pattes supplémentaires dont nous venons de parler. Coloration. — Le corps est d'une jolie couleur rose foncé, laissant apercevoir par transparence, au milieu, le tube digestif, ainsi que les prolongements tubulaires latéraux qui sont colorés en vert et forment, dans toute leur étendue, une raie axillaire très-facile à suivre. Les yeux sont rouges, divisés entre eux par une raie cruciale blanche. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 201 Habitat. — Trouvé, le 15 décembre 1851, sur la carène du navire le Quimperois, revenant d'un voyage qu'il venait d’ef- fectuer dans la Méditerranée. Nota. — Notre espèce, d’après ce qui précède, se distingue du Phoæilus spinosus par sa taille qui est plus forte; le rostre, qui est moins épaté au bout; par la conformation de l’abdo- men, qui est relativement assez grand et composé de trois ar- ticles; enfin par l'absence d’épines sur les pattes, ailleurs qu'à l'extrémité inférieure de la troisième et de la quatrième articu- lation de celles-er. Genre OICÉOBATHE. — OJCE OBATHES, Nobis (1). OICEOBATHE ARAIGNÉE. — Oiceobathes arachae, Nobis (2). Le corps n'a que 6 à 7 nullimétres de longueur. Il est presque aussi large que long et est divisé en quatre segments, par trois lignes latérales, en relief et en chevron, dont les extrémités des deux premières sont dirigées du côté de la tête, et l’autre vers l'abdomen. Une autre ligne, également en relief, part du tuber- cule oculaire et descend verticalement vers l'abdomen dont elle atteint la base. Ces trois lignes présentent, à leur point de jonc- tion, trois petits tubercules ovales placés transversalement. La léle est petite et conique; le rostre est cylindrique, obtus à son extrémité qui ne dépasse pas le niveau du troisième article des pattes thoraciques de la première paire. On aperçoit, de chaque côté, à sa base, une paire d'antennes très-grêles composées de huit articles dont un basilaire, large et court, suivi d’un très-grand, qui, à lui seul, est plus long que tous les autres ensemble, et est suivi de six autres de même grandeur, couverts de quelques poils. L'extrémité du rostre ne dépasse pas le niveau du deuxième article de ces antennes. On voit aussi, à la base de la tête et au-dessus, de chaque côté du tubercule oculifère, deux autres très-petites antennes (4) De oixéo, j'habite ; 64025, profondeur. (2) Planche 4, figures 1 et9. 202 DESSE, composées de trois articles, dont le basilaire est court, suivi d’un autre article beaucoup plus long que celui-ci, et accompagnés de deux autres petits articles, recourbés en crochet, dont le der- nier se termine en pointe arrondie, et l’avant-dérnier est muni d’une épine (1). Le tubercule oculifère (2) est à la base de la tête et à l'extré- mité antérieure du premier anneau thoracique. Il est divisé en quatre parties égales par uné ligne cruciale dans chacune des- quelles se trouve un œil. L'abdomen est horizontal et fait suite à la ligne thoracique, en relief, qui se trouve au milieu de cette partie du corps. Il n’est composé que d'un seul article, en forme de navette, et pointu à ses deux extrémités. Les pattes thoraciques (3), qui sont au nombre de quatre paires, sont grosses et fortes et n'ont, à peu près, que deux fois la longueur du corps. Elles sont composées de huit articles, dont le troisième est court, gros et arrondi; les quatré suivants. qui sont à peu près de la même longueur, sont plus ou moins hérissés de poils rudes et d’épines; enfin le dernier article est terminé par deux fortes griffes, dont l'une est un peu plus grande que l’autre. Il y a, en outre, trois fortes épines à la partie antérieure de ce dernier article. Les pattes accessoires (h) de la femelle sont beaucoup plus grêles et plus courtes que les précédentes. Elles sont formées de neuf articles, y compris le dernier, qui est armé d’une assez forte griffe recourbée. Le corps est recouvert, comme les pattes, de poils très-forts et très-hérissés; il n’en existe pas sur l'abdomen qui est égale- ment dépourvu d'épines. Coloration. — Le corps, ainsi que les pattes, sont d’une cou- leur jaune brun, assez vif, tacheté de petits points noirs. Les yeux sont d’un rouge foncé, séparés par une ligne cruciale (4) PL 4, fig. 9. (2) Fig. 4, 9, 3 et 4. (3) Fig. 5. () Fig. 3. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 9203 blanche: mais ils sont très-chatoyants et changent souvent de couleur, suivant l'incidence de la lumière, aussi paraissent-ils, tantôt rouges, tantôt verts, jaunes ou bleus. Hübitat. — Trouvé, le 21 août 1851 et le 15 septembre 1853, à uné profondeur d'environ 50 mêtres, sur des plantes marines et dés Polypiers fixés sur les canons, sauvetés par des plongeurs, du vaisseau Le Golymen qui a péri, en 1814, sur une roche placée à l'entrée de la rade de Brest. Genre UPEROGCOS — VPEROGCOS, Nobis (1). UreroGcos Tortue. — Uperogros testudo (2). il a environ à millimètres de longueur sur un demi-millimètre de large. Le bord frontal, qui est plat en dessus et arrondi en demi-cercle, forme une saillie très-grande en dehors du pre- mier anneau céphalo-thoracique, sous lequel il parait pouvoir, en se çontractant, se retirer. Un œil unique est placé au milieu du front. Le premier anneau thoracique est assez grand. Il est arrondi à son sommet, et les bords latéraux présentent, de chaque côté, une pointe également arrondie au bout, qui se rabat sur l’an- neau suivant, lequel est beaucoup moins grand, quant à la hau- teur, que celui qui le précède, mais, en revanche, est aussi un peu plus large transversalement. L'anneau suivant, c'est-à-dire le troisième, est égal au précédent, en hauteur et en largeur; il présente, latéralement, des bords saillants et il est très-échan- cré au bas. Vient ensuite un petit anneau, très-étroit, quant à la hauteur, et beaucoup aussi moins large que le précédent. Celui-ci est suivi de six anneaux abdominaux, dont le premier, encore moins large que le précédent, est très-échancré en pointe, latéralement, et est suivi d’un autre article cordiforme. Vient ensuite le prolongement abdominal, qui est cylindrique et divisé en quatre anneaux de la même grandeur, à l'exception (1) Yrépoye, gonflé. (2) Fig. 7. 204 HESSE. toutefois du dernier, qui est une fois et demie plus grand que les précédents et qui donne attache, à sa partie inférieure, à deux appendices plats et divergents, lesquels sont garnis, à leur extrémité, de quatre soies rigides dont les deux du milieu sont les plus longues. Le bord inférieur des trois avant-derniers anneaux de l'abdomen est entouré, circulairement, d’un relief très-prononcé. Le corps est donc formé de quatre anneaux thoraciques et de cinq abdominaux. En dessous du corps, on aperçoit, des deux côtés, près du bord frontal (1), une paire de petites antennes, très-minces et très-courtes, divisées en dix ou douze anneaux, tous à peu près de la même dimension. À la base de celle-ci sont placées, de chaque côté, les pre mieres pattes thoraciques qui sont assez grèles, formées de quatre articles, dont le premier et le dernier sont les plus longs, et qui sont terminés par trois griffes de moyenne grandeur (2). La bouche (3) se trouve un peu plus bas et entre ces deux pattes. Elle est conique et son ouverture est placée à l’extré- mité mférieure de ce cône. Elle est environnée et suivie de trois paires de pattes-mâchoires, très-fortes et plates, qui peuvent se superposer et sont toutes terminées par une assez forte griffe. La première palle thoracique est placée en dessous de celle-ci, à la base du premier anneau céphalothorax. Elle est birameuse. La branche interne est plate et garnie de longs poils et d’é- pines; la branche externe est également garnie d’épines et est terminée par des griffes. L’une et l’autre sont formées de quatre où cinq articles. Les trois autres pattes thoraciques ont la même conformation que la précédente. Le premier anneau abdominal porte, en outre, un appendice plat et arrondi au bout. Vu de profil (4), le corps de ce Crustacé paraît très-épais et trés-bombé; il est divisé en anneaux mal délimités et séparés entre eux par des dépressions plus ou moins profondes. Les (1) Fig. 7, 8 et 40. (2) Fig. 9. (3) Fig. 40. (4) Fig. 8. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 205 marges sont plates et transparentes, ayant un aspect gélatineux. Le premier anneau thoracique s'élève d'une hauteur considé- rable au-dessus de la tête et forme une sorte de voûte sous laquelle elle peut s’abriter, comme les Chéloniens le font dans leur carapace. | Coloration. — Le corps est d’un blanc mat transparent, au travers duquel on aperçoit les viscères qui sont colorés en vert foncé. L'intestin, qui part de l’œsophage pour se rendre à l’ou- verture anale en ligne directe, est coloré en noir. L'œil est rouge. | Habitat. — Trouvé, le 24 novembre 1864, dans un Polycli- nium incrustant, sur la Cystoseira fibrosa. Ce Crustacé est très- agile et très-vivace. Nous l'avons conservé vivant, du 20 no- vembre au 15 décembre 1864. Genre SUNARISTE. — SUNARISTES (1). SUNARISTE DU PAGURE. — Sunaristes Paguri (2).° Il à 5 milimètres de long sur 2 millimètres de large. Son corps, en forme de massue, est tres-allongé et divisé en dix anneaux, dont cinq thoraciques et cinq abdominaux. En dessus, la téte présente une expansion frontale très-plate, creusée au milieu en forme de gouge. Cet appendice est arti- culé à sa base et est mobile, de sorte qu'il peut suivre les mou- vements d'abaissement ou d’élévation des antennes. Un peu au-dessous et au milieu se trouve un æil unique. Le premier anneau céphalo-thoracique est oblong et il est, à lui seul, presque aussi long que les quatre suivants qui sont à peu près de la même grandeur, mais vont en diminuant de largeur. Le premier anneau abdominal est aussi, chez la femelle, aussi long que les quatre autres; il est séparé du thorax par un espace assez écarté et arrondi (3) qui facilite les mouvements (1) ZSuvaptorcs, commensal, (2) Fig. 41 et 12. (3) Fig. 18. 206 HESSE. du corps. Ces derniers anneaux sont, à peu près, de la même grandeur, et le dernier se termine par deux appendices plats et divergents qui sont garnis, à leur partie inférieure, de six soies rigides dont les deux du milieu sont les plus longues. Les sacs ovifères forment un ovale très-allongé et sont presque pointus des deux bouts. Ils sont attachés, par leur extrémité supérieure et par un pédicule, au bord inférieur du dernier anneau thoracique, et leur longueur égale celle de l’ahdo- men. En dessous (1), on aperçoit d'abord les antennes placées de chaque côté de l'expansion frontale. Elles sont relativement courtes et grosses, fusiformes et composées de dix articles qui vont en diminuant de longueur et de grosseur de la base au sommet. Le dessus de ces antennes est garni d'épines très- fortes, placées verticalement (2), lesquelles sont garnies d'autres petites épines latérales fixées à angle droit et pennées. L'ex- trémité des antennes est, en outre, armée de piquants très-longs et divergents. Un peu au-dessous, et à la base de ces antennes, est placée la dernière paire de pattes thoraciques. Elles sont assez fortes et composées de cinq à six articles, qui vont en diminuant de grosseur de la base au sommet, lequel est terminé par des pointes longues et acérées, mais aucune n’est recourbée en griffe. La première paire de pattes mdchoires supérieures (3) est grosse et courte. Elle se compose d'un appendice plat, divisé en trois articles arrondis et garnis de longs poils; puis vient la deuxième paire de mdchoires inférieures (4), qui est double et est composée, intérieurement, d'un appendice terminé par deux pointes cornées, mousses, tandis que la branche extérieure, qui est bi-articulée, est plate et également arrondie au bout, qui est aussi garni de soies longues et rigides. On aperçoit, en (1) Fig. 13. (2) Fig. 14 et 15. (3) Fig. 22. (4) Fig. 23. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 207 outre, latéralement, une autre petite patte-mâchoire plate et recourbée en bas dont l'extrémité arrondie est également bordée de poils rigides (1). La bouche proprement dite a beaucoup de rapport avec celle des Crustacés d'un ordre plus élevé. Elle se compose d’une md- choire supérieure, cornée et crochue, destinée à triturer les objets, et d’une mdchoire inférieure coupante et relevée du côté de l’autre. Elles sont, en outre, accompagnées de dents très- solides et très-aiguës disposées en scie (2). La première paire de pattes thoraciques (3) est placée au- dessous de l'appareil buccal et à la base du bouclier céphalo- thoracique. Elle est double, composée de deux tiges fixées sur le même pédoneule qui est large et très-fort. La branche extérieure est composée de sept articles qui sont tous garnis, sur le côté, de pointes extrêmement fortes, et, à son extrémité, elle est terminée par des soies longues et diver- gentes. La deuxième branche est un peu plus courte que l’extérieure ; elle est, comme l’autre, garnie de forts piquants, et, au lieu d'être, comme celle-ci, terminée par des poils longs et rigides; elle présente, à son extrémité, des pointes très-fortes et très- aiguës (4). Les trois autres paires de pattes thoraciques sont également conformées comme celles-ci. Le premier anneau abdominal laisse apercevoir, à sa partie supérieure, un large orifice double qui est celui des organes * seæuels (5). Immédiatement en dessous se trouvent deux appen- dices plats destinés probablement à faciliter le résultat de l’ac- couplement. En outre, on aperçoit, en examinant le corps de profil, une sorte de nervure formant relief, qui part de l’appen- dice placé au-dessous de l'ouverture des organes génitaux et se (1) Fig. 13 et 20. (2) Fig. 21. , (2) Fig. 13 et 16. (4) Fig. 17. : (5) Fig. 18. 208 HESSE. prolonge jusqu’à l'extrémité inférieure du dernier anneau abdo- minal (1). Tout ce que nous venons de dire ne concerne que la femelle, nous allons maintenant décrire le mâle (2) : Il est un peu plus petit que la femelle et son corps est aussi plus étroit ; il lui ressemble du reste entièrement, sauf les excep- tions que nous allons signaler. Les antennes (3), au lieu de se terminer par une extrémité fusiforme garnie de poils rigides, présentent une main très-forte, subchéliforme, armée d’une griffe très-puissante et recourbée, qui, en se rabattant sur la face inférieure, est destinée à saisir les objets. Celle-ci présente une petite rigole formée par les deux bords qui s'avancent parallèlement de chaque côté jusqu'à l'extrémité inférieure de cette main, où se trouve une petite cavité, dont l’orifice est arrondi, et de laquelle émerge une soie longue et pennée qui se dirige vers la griffe dont nous avons parlé. Cette griffe est de plus accompagnée, à sa base, de deux sortes de dents cornées, arrondies à leur sommet. Le premier article qui suit cette main, et sert à la fixer à l'ex- trémité de l'antenne, est très-court et très-évasé à son extré- mité supérieure ; il est disposé en cône renversé, de manière à favoriser ses mouvements dans tous les sens. Les anneaux du corps sont tous, à peu près, de la même gran- deur, même le premier de la région abdominale qui n'excède que peu celle de ceux qui le précèdent ou le suivent. La première et la dernière paire de pattes thoraciques sont les plus minces. Elles sont toutes biramées. La deuxième, qui est de beaucoup la plus grossse, est armée, à sa tige interne, d'un fort ongle pointu et corné, en forme d'épieu (4). La dermière patte thoracique est également munie, à sa branche interne, d'une double griffe crochue (5); enfin, l’appendice qui se trouve (1) Fig. 18, 19 et 12. (2) Fig. 18. (3) Fig. 18 ct 24. (a) Fig. 49 ct 25. (5) Fig. 12, CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 209 au-dessus de l’ouverture des organes génitaux, qui paraît aussi d'une substance cornée, est terminée en pointe. Coloration. — Le corps, chez la femelle, est d’un vert pâle inclinant un peu vers le jaune; cette couleur domine du côté supérieur de la tête. Une double raie, d'un beau bleu d'indigo, se rejoignant au haut du corps et descendant verticalement vers l'extrémité de l'abdomen, s'éloigne, à la hauteur des pre- miers anneaux thoraciques et du troisième avant-dernier abdo- minal au delà duquel elles se confondent en une seule. Deux autres raies ondulées, de la même couleur, s’aperçoi- vent des deux côtés de celle-ci sur la partie latérale du bouclier céphalo-thoracique; l'œil est d’un rouge vif, et les œufs sont d'un bleu d'indigo très-vif et très-foncé. La couleur du mâle diffère peu de celle de la femelle, si ce n'est que la raie bleue qui descend perpendiculairement de la tête à la partie inférieure de l'abdomen est large et pleine, et qu'elle est d’un rose violet assez éclatant. Le corps, dans l’un et l’autre sexe, est extrêmement luisant et parait comme vernissé. Habitat. — Trouvé, pour la première fois, le 16 décembre 1856 et depuis lors fréquemment et toute l’année, avec les Pa- gures dont ils habitent la coquille. B ïologie. PYCNOGONIDIENS. Nous n'avons eu occasion d'observer les mœurs des Pycno- gonidiens que très-imparfaitement, aussi n’apporterons-nous, pour le moment, que peu de faits nouveaux relativement à leurs habitudes. On ne les trouve guère qu'aux plus basses marées de ‘ syzygies, cachés sous les pierres ou parmi les plantes marines; il paraîtrait donc qu'ils vivent généralement à une assez grande profondeur, comme les Oiceobathes que nous avons recueillis sur des canons retirés à environ 50 mètres sous l’eau. Leurs mou- vements sont extrèmement lents; ils paraissent avoir infiniment de peine à remuer les longues pattes sur lesquelles ils semblent 5° série, ZooL., T. VII. (Cahicr n° 4.) 2 14 À 210 à | MESSE. montés comme sur des échasses, et, à ce propos, nous avons remarqué que les jeunes individus du Phoæilidium femoratum n’ont d’abord les pattes ambulatoires composées que de deux articles très-courts, et que le dernier est terminé par une griffe très-mince et très-crochue dont la longueur est au moins trois fois celle de ces deux premiers articles. C’est sur la pointe de ces longues griffes, qui sont du reste assez fortes pour soutenir le poids du corps, que ces jeunes Crustacés marchent. On conçoit dès lors les efforts qu'ils doivent faire pour mettre en mouve- ment des menibres dont les extrémités sont aussi éloignées du centre d'action. Il nous reste à signaler une des plus curieuses particularités que présente l’organisation de ces Crustacés : nous voulons parler de leur système visuel (1). Il se compose de quatre yeux de forme conique qui sont placés, chacun dans son compartiment, les sommets des cônes réunis au centre et les bases dirigées en dehors; de sorte que, par cette admirable combinaison, ils sont braqués, dans toutes les directions et que conséquemment rien ne peut échapper à leur action. Nous ne croyons pas que l’on trouve ailleurs une disposition aussi simple, produisant un résultat aussi complet que celui que nous mentionnons. UPEROGCOS. Nous n’avons encore pu nous procurer qu'un seul exemplaire de ce Crustacé qui, à raison de sa petite tale, est difficile à apercevoir. Il est, comme nous l'avous dit, contrairement aux habitudes des individus qui, comme lui, vivent dans l'intérieur des Ascidies composées, très-agile et nage surtout avec une très-grande facilité. Il est, en outre, très-facile à distinguer par la conformation de sa tête portée sur une sorte de cou qui peut se retirer et s’abriter sous l’arcade que forme le premier anneau thoracique, et c’est par suite de cette singulière conformation et de cette ressemblance avec les Chéloniens que nous lui avons donné le nom de Tortue. (A) Fig. 3 et 4. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 2411 SUNARISTES. Ces Crustacés, qui se font remarquer par leurs formes élé- gantes et par la richesse de leurs couleurs, sont encore très- curieux par leurs habitudes. Ils sont les compagnons intimes des Pagures, et c’est avec la plus grande peine qu'on peut les en séparer, non qu’ils soient fixés sur eux comme le sont leurs parasites, mais par leur adresse à se cacher dans l'intérieur, ou en dessous des coquilles que ceux-ci habitent. Il faut les poursuivre avec obstination, et pour pouvoir les saisir, les isoler ; car si on leur laisse le temps de se reconnaître, ils ont bientôt trouvé un endroit où ils peu- vent se cacher, et d'où ensuite il est très-difficile de les aperce- voir et de les expulser, d'autant qu'ils restent immobiles jusqu’à ce que le danger soit passé. Ils nagent avec une grande aisance, et marchent encore avec une plus grande facilité ; ils progressent sur le fond des vases où on les conserve, ou sur les coquilles des Pagures, à l’aide d’une sorte de reptation saccadée comparable à celle des Oiseaux grimpeurs lorsqu'ils escaladent les troncs d'arbres. Leurs pattes plates et biramées leur donnent les moyens de nager, tandis que les pointes et les griffes, dont sont munies les autres pattes. sont de puissants auxiliaires pour les aider à marcher, ou à se fixer sur les objets sur lesquels ils veulent s'arrêter. Il est curieux de faire remarquer que les mâles seuls sont munis de ces deux der- niers moyens de propulsion ou de fixation ; mais ce qui n'est pas moins extraordinaire, c’est la terminaison des antennes du mâle. Il serait certainement bien difficile de comprendre dans quel but l'extrémité assez faible des antennes du mâle serait munie d’une main subchéliforme aussi robuste et aussi pesante, si, comme nous, on n'avait été fréquemment témoin de l’accouplement de certains Crustacés, près desquels ceux-ci devront être placés. En effet, c'est toujours à l’aide des antennes, qui, dans ce but, recoivent une certaine modification suivant l'espèce, et avec la première paire de pattes thoraciques, que le mâle se fixe à la femelle, qui, comme cela a lieu pour plusieurs Insectes, étant Je HESSE. [e généralement plus forte que celui-ci, l'entraine avec elle, sans que pour cela il lâche prise. Nous aurons occasion plus tard, en parlant d’autres genres de Crustacés, de faire connaître ces curieuses particularités (1). Pour en revenir aux antennes des Sunaristes mâles, on voit qu’elles sont merveilleusement appropriées à l'usage auquel elles sont destinées, attendu que la puissante griffe dont elles sont armées, en se rabattant sur sa surface inférieure, qui est munie d’une rainure ou d’une coulisse dans laquelle elle peut se loger en partie, imite l’action de la lame d’un couteau que l’on ferme, et qui entre dans son manche ; de sorte que les objets saisis de cette manière peuvent difficilement s'échapper. Enfin nous devons faire remarquer que ces Crustacés sont munis de màchoires très-solides et dentelées propres à triturer des objets d’une certaine résistance. Cette conformation parti- culière de la bouche et cette singulière cohabitation avec les Pagures, qui vivent presque exclusivement de proies vivantes et de matières animales, nous porte à croire qu'à l'exemple de cer- lains Poissons qui accompagnent le Requin, le Pilote (Naucrates luctor), et que l’on dit se nourrir des débris des repas de ce vorace poisson, ceux-ci profiteraient aussi des bribes échappées à ceux que font les Pagures. Ainsi que nous l'avons déjà dit, ces Crustacés sont extrême ment vivaces, et nous les avons conservés des mois entiers sans leur donner de nourriture et sans qu'ils parussent en souffrir. On les voit très-souvent flotter à la surface de l’eau sans faire le moindre mouvement, et sur laquelle il semblerait qu’ils sont soutenus par l'enduit graisseux, ou le vernis, qui recouvre le COrpS. Les sacs ovifères sont, relativement au volume de la femelle, d’une grosseur considérable qui entrave ses mouvements ; aussi arrive-t-il souvent que, lorsque, pour s'en emparer, on les poursuit trop activement, elle s'en sépare en rompant le petit pédicule qui les fixe à leur corps. (4) M. Milne Edwards, dans son Histoire naturelle des Crustacés, t. IN, p. 423, relate des observations intéressantes faites à cet égard, par M. de Siebold, CRUSTACÉS NOUVEAUX DES CÔTES DE FRANCE. 243 Systématisation. I nous reste maintenant à nous occuper de chercher la place qu'il convient d’assigner dans la classification aux divers Crus- tacés dont nous venons de donner la description détaillée. Pour procéder par ordre, nous commencerons par notre nou- veau genre Oicéobathe, qui nous semble devoir être placé entre les Phoxichiliens et les Pycnogoniens. En effet, nos Oicéobathes, qui, comme les Crustacés placés dans ces deux genres, sont dépourvus de pattes-mâchoires, s'éloignent des premiers par la largeur du corps, qui, en outre, porte sur la raie médiane trois tubercules, non compris celui sur lequel se trouve les yeux ; par la brièveté de la tête, dont le sommet ne dépasse pas le troisième article des deux premières pattes thoraciques, et qui sont relativement beaucoup plus grosses et plus courtes; enfin par le nombre des articles des pattes supplémentaires de la femelle qui sont de dix, y compris une griffe crochue qui les termine. Ils se distinguent aussi des Pycnogoniens, dont cependant ils se rapprochent beaucoup plus par la Lête qui est plus petite et plus courte ; par les pattes thoraciques qui sont plus longues et plus grèles ; par la forme de l'abdomen qui est ovale et pointu à son extrémité ; par la longueur des pattes supplémentaires des femelles; et enfin par les antennes dont ils sont pourvus, et qui manquent chez les Pycnogonidiens. Nous ne saurions non plus le comprendre dans le genre Zetes établi par M. Kroyer (1), attendu qu'ils en diffèrent essentielle ment par la forme de la tête, la conformation des antennes, le nombre et la longueur des pattes thoraciques, celle des pattes accessoires de la femelle, les tubérosités dorsales, et enfin l’abdo- men qui, dans notre espèce, n’est formé que d’un seul article. Quant au genre Uperogcos, il est évident qu’il se rapproche beaucoup des Doropygus, avec lesquels ces Crustacés ont de (4) Atlas du voyage en Scandinavie et en Laponie, pl. 38, ZooLocie, Crustacés, fig. 1. 214 HESSE. l’analogie pour leur manière de vivre, mais ils s’en distinguent facilement : par les antennes qui, dans notre espèce, sont extrême- ment petites, et sont composées d'articles à peu près de la même orandeur, tandis que les Doropygus ont les articles basilaires de leurs antennes extrêmement longs ; par la forme de la tête qui est plate en dessus, et démunie au bord frontal d’une sorte de griffe rostrale ; par la première paire des pattes thoraciques qui sont courtes, et terminées par quatre petites griffes très- faibles ; par l'absence de pattes mâchoires pectinées ; par la terminaison de l'abdomen, dont les appendices plats et divergents, garnis seulement de soies longues et flexibles, sont impropres à la pré- hension ou à la propulsion comme dans l’autre espèce. Enfin, quant au genre Sunariste, il nous semble devoir être placé près des Monocles et du genre Herpalicus de M. Kroyer (1) dont il se distingue : par la forme des antennes; par les pre- mières paires de pattes qui sont terminées par une griffe préhen- sile ; par l'absence de pattes subchéliformes ; par les pattes tho- raciques qui sont birameuses et d’une égale longueur, sans être pourvues de griffes, à l'exception cependant de la dernière chez le mâle. Voici, du reste, de quelle manière nous caractérisons ces trois nouveaux genres : Genre OICÉOBATHE. Corps large, plat, presque rond. Téle petite, conique, obtuse au bout, ne dépassant pas le niveau du troisième article des pattes de la première paire thoracique. Antennes deux paires, dont l’une petite placée en dessus et à la base de la tête ; l’autre beaucoup plas grande, à la base et de chaque côté de celle-ei. Thorax garni en dessus, sur la ligne médiane, de trois tuber- cules faisant suite à celui qui porte les veux. Abdomen entier, ovale et horizontal. Pattes thoraciques de moyenne grosseur, et longueur égalant environ deux fois celle du corps ; le quatrième (4) Voy. l'Atlas du voyage en Scandinavie et en Laponie, pl. 43, ZooLoct£, Crusta- cés, fig. 4, 2et 3. CRUSTACÉS NOUVEAUX DES’ CÔTES DE FRANCE. 915 article de celui-ci arrondi, et plus gros que les autres. Pattes accessoires de la femelle, assez longües, composées de neuf ar- ticles, et terminées par une griffe crochue. Genre UPEROGCOS. T'éte petite, plate, plitée au bout d’une sorte de cou. Antennes simples, grèles, divisées également en dix articles. Corps tuméfié, très-bombé du côté du dos. Thorax divisé en quatre articles. Abdomen en six ; celui-ci terminé par deux appendices plats et divergents, garnis de soies longues et flexibles. Première patte petite, terminée par quatre griffes très-faibles. Bouche conique, entourée de pattes-mâchoires très -robustes, et armées de griffes. Pailes thoraciques biramées, garnies de poils et d’épines. Abdo- men cylindrique et rétractile, terminé par des appendices plats et divergents, garnis de poils longs et flexibles. Genre SUNARISTE. . Corps très-allongé, fusiforme, divisé en onze articles, dont cinq thoraciques et six abdominaux. Le bouclier céphalo-thora- cique étant à lui seul plus grand que les autres anneaux de cette première partie du corps, et le deuxième abdominal aussi plus grand que les six autres anneaux ; ce dernier terminé par deux appendices plats et divergents, garnis de: poils longs et rigides. Appendice frontal articulé, arrondi au bout et creux au milieu, en dessus. Antennes grosses, fusiformes, divisées chez la femelle en dix articles, garnies de pointespiquanteset pennées, terminées par des soies très-rigides (chez le mâle), par une main subché- liforme très-grosse, et armée d’une griffe robuste et préhensile. Première patte thoracique de moyenne grosseur, terminée par une griffe crochue ; pattes-mâchoires supérieures et inférieures robustes, et garnies de poils et d’épines ; mâchoires cornées et armées de dents aiguës. Pattes thoraciques biramées, garnies de soies et de pointes (chez le mâle) ; la branche interne de la se- conde paire cornée et pointue, et celle de la deuxième paire armée de deux griffes cornées. A6 HESSE. EXPLICATION DE LA PLANCHE 4. Fig. 4. Oicéobathe Araïgnée, vue en dessus, grossie 20 fois. Fig. 2. Tête et corps du même, très-grossis, vus en dessous, montrant les antennes, et les tubérosités oculaires et thoraciques. Fig. 3. Appareil oculaire, du même, très-grossi, vu en dessus. Fig. 4, Œil isolé du même. Fig. 5. Patte thoracique, du même, vue de profil. Fig. 6. Patte supplémentaire, de la femelle, entourée d'œufs. Fig. 7. Uperogcos Tortue amplifié 30 fois, vu en dessus. Fig. 8. Le même, vu de profil, montrant sa tête, le cou logé dans la partie antérieure du thorax. Fig. 9. Première patte thoracique, du même. Fig. 10. Tête et système buccal, du même, très-grossis, vus en dessous. Fig. 11. Sunariste du Pagure, femelle, vue en dessus, amplifiée 22 fois. Fig. 42. Le mâle, de la même espèce, vu de profil, amplifié 30 fois. Fig. 13. Bouclier céphalique de la femelle, de la même espèce, vu de profil, très- grossi. Fig. 14. Tronçon d'antenne de la même, très-grossi, montrant les spinules. Fig. 145. Une spinule, encore plus amplifiée, pour montrer Jes barbules dont elle est pennée. Fig. 16. Première patte thoracique de la même. Fig. 17. Dernière patte thoracique de la même. Fig, 18. Portion abdominale de la femelle, du mème, montrant l’orifice des organes génitaux. ] Fig. 19. Portion identique du mâle, de la même espèce. L Fig. 20. Palpes de la bouche accompagnées des dents des mâchoires. Fig. 21. Les mêmes denticulations, très-grossies, Fig. 22. Patte-mâchoire supérieure du même. Fig. 23. Patte-mächoire inférieure du même. Fig. 24. Extrémité de l'antenne du mâle, du même, très-grossie. Fig. 25. Extrémité interne d’une des branches biramées de la deuxième patte thora- cique du même. ÉTUDES SUR LES RAPPORTS ZOOLOGIQUES DU GASTORNIS PARISIENSIS Par M. ALPH. MILNE EDVW ARDS. Dans la séance du 12 mars 1855, Constant Prévost annonça à l’Académie des sciences (1) que M. Gaston Planté, prépara- teur au Conservatoire des arts et métiers, venait de trouver au bas Meudon, dans le conglomérat inférieur à l'argile plastique, un tibia provenant d’un Oiseau gigantesque et que M. Hébert proposait de l’appeler Gastornis parisiensis, pour rappeler à la fois le nom de l’auteur de la découverte et la localité où elle avait été faite. Ce dernier géologue et M. E. Lartet, qui avaient étudié cet os au point de vue anatomique, présentèrent, dans la même séance, leurs observations sur la place qu'ils pen- saient que cet Oiseau devait occuper dans les cadres zoolo- giques (2). Quelques mois après, M. Hébert découvrit le fémur de cet animal, à Meudon, dans la même couche, à 3 mètres seule- ment de distance horizontale du point où avait été trouvé le tibia (3). Ce savant observateur, après avoir comparé l'os principal de la jambe du Gaslornis à celui de divers types d’Oiseaux actuelle- ment existants, ajoute : « Quand on compare ce tibia à un tibia » de Cygne, d’Oie ou de Canard, on est frappé des ressemblances » nombreuses que l’on y trouve. Même forme générale, surtout » pour la tête inférieure, même absence de cavités aux facettes (4) Constant Prévost, Annonce de la découverte d’un Oiseau fossile de taille gigan- tesque, trouvé à la partie inférieure de l'argile plastique des terrains parisiens (Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XL, 554, 1855). (2) Hébert, Note sur le tibia du Gastornis parisiensis (Comptes rendus de l’Acadé- mie des sciences, t. XL, p. 579, 4855); Lartet, Note sur le tibia d'Oiseau fossile de Meudon (Op. cit., p. 582). (3) Hébert, Note sur le fémur du Gastornis parisiensis (Op. cit., p. 1274). 218 ALPH, MILNE EDWARDS. » malléoliennes, même aplatissement de la face antérieure dans » la partie inférieure de l'os, même position médiane de l’arcade » osseuse. | » Les différences principales consistent dans la fosse sus-tro- » chléenne, que n’ont pas les Palmipèdes lamellirostres, dans la » position plus élevée de l’arcade osseuse et de l’attache mus- » culaire externe. Ces différences ont toutefois une grande signi- » fication et la note de M. Lartet me parait les interpréter d’une » manière très-satisfaisante, » Il ya moins d’analogie avec les autres familles des Palmi- » pèdes, qu'avec les Lamellirostres, et, sans poursuivre cette » étude, je dirai seulement que le Pélican s'éloigne de notre » espèce beaucoup plus que le Cygne. » D'après ce qui précède, il me paraît évident que cette » espèce appartient à un genre bien disinet de tous les genres » CONNUS, » . M.E. Lartet, tout er signalant les analogies qui existent entre le tibia du Gastornis et celui des Palmipèdes de la famille des Anatidés, le rapporte à un autre groupe, à raison de l'existence d'une fossette creusée au milieu de la gorge intercondylienne antérieure, fossette qui se rencontre chez certains Échassiers et dans laquelle se loge, lors de la flexion du pied sur la jambe, une petite tubérosité située à l'extrémité supérieure du tarso- métatarsien. « C’est cette circonstance, ajoute M. Eartet, qui » me portait à penser que le tibia fossile, quoique présentant » d'ailleurs la physionomie générale de ce même os dans les Pal- » mipèdes lamellirostres ou Anatidés, pourrait bien avoir appar- » tepu à un Oiseau moins essentiellement nageur, et retenant » quelques-unes des habitudes propres aux Échassiers qui vivent » sur le bord des eaux peu profondes, » Valenciennes, qui s'était également occupé de l'étude de ce fossile, arrive à une conclusion différente. Pour lui, le Gastornis devait se rapprocher des Palmipèdes longipennes et en particu- lier de l’Albatros (1). CA (1) Op. cit. p. 283. SUR LE GASTORNIS. 219 M. R. Owen soumit à son tour le tibia du fossile de Meudon à un examen sérieux et, à l’aide d'un moulage de plâtre qui lui avait été remis à Paris, 1l put comparer cet os à celui de la plupart des types d'Oiseaux actuels et le faire représenter de grandeur naturelle dans le Bulletin de la Société géologique de Londres (1). Le célèbre anatomiste anglais conclut de ces comparaisons que le Gastornis paraît avoir eu des affinités assez intimes avec l'ordre des Échassiers ou Grallatores et dans cet ordre probablement avec les Rallides, mais les caractères parti- culiers que présente le tibia indiquent uu genre d'Oiseau dis- tinct de tous les genres connus jusqu’à présent. Depuis cette époque, le nombre des ossements connus du Gastornis s'est très-peu augmenté. Ainsi, aujourd'hui, la collec- tion paléontologique de l’École normale supérieure de Paris possède le tibia recueilli par M. Gaston Planté à Meudon, un autre tibia beaucoup plus incomplet et le fémur dont j'ai parlé plus haut. Je dois à l’obligeance de M. Pasteur, directeur des études, et de M. Delesse, professeur de géologie dans cet établis- sement, de pouvoir faire figurer ces pièces uniques. M. Hébert a recueilli à Passy, lors des fouilles que l’on a exé- cutées pour la pose d'un gazomètre, divers fragments de l’Oiseau dont il est ici question et qui consistent en un péroné presque complet, un fragment du même os, deux trochlées digitales mé- dianes du métatarse, et enfin un fragment d’une trochlée laté- rale. M. Hébert a bien voulu me remettre ces divers fossiles. Enfin le Muséum d'histoire naturelle possède une trochlée digitale latérale du métatarse qui semble provenir d’un Oiseau de la même espèce et qui a été recueillie à Passy par M. Verry. Ces diverses pièces me permettront d'ajouter quelques détails à ce qu on connaît déjà du Gastornis. Le tibia trouvé à Meudon par M. Gaston Planté est de tous ces ossements le plus entier et le mieux conservé. L'extrémité su- (1) R. Owen, On the affinities of the large extinct Bird (Gastornis Darisiensis, Hébert), indicated by a fossil femur and tibia discovered in the lowest eocene formation near Paris (Quarterly journal of the Geological Society of London 20 février 1856, t. XII, p. 204, pl. 111); voyez aussi Journal de l'Institut, 1856, t. XXIV, p. 283. 290 ALPH, MILNE EDWARDS, périeure en est brisée et les condyles articulaires inférieurs sont incomplets, de facon qu'il n’est pas possible de le mesurer d’une façon très-précise, mais ce qu'il en reste présente les dimensions suivantes : Longueur dub ES es RE EE CPR. de, AC te 6,043 Largeur de l'extrémité inférieure mesurée au-dessus des condyles.. 0,080 Largeur du corps de l'os, prise à sa partie moyenne............ 0,046 Largeur de la partie supérieure (écrasée)........... ......... 0,095 On peut voir, d’après ces mesures, que le tibia du Gastornis est, sinon plus long, du moins beaucoup plus robuste que celui de l’Autruche. [l'est en effet remarquable par la force et la grosseur du corps de l'os. Lorsqu'on étudie ses caractères, on est également frappé de l’aplatissement de sa face antérieure. Évidemment, le muscle extenseur commun des doigts était très-vigoureux, car sa surface d'insertion est très-étendue. Son tendon s'engageait sous un pont osseux, comme chez la plupart des Oiseaux actuels. L'extrémité articulaire inférieure est large, et, bien que les condyles soient incomplets, il est facile de voir qu'elle se déjetait notablement en dedans et une ligne droite, qui aurait continué le bord externe de los dans sa partie moyenne, serait passée dans la gorge intercondylienne. Ces caractères ne se rencon- trent pas chez les Oiseaux coureurs, tels que l’Autruche, le Nan- dou, l'Émeu et le Casoar à casque. D'ailleurs, chez toutes ces espèces, le pont sus-tendineux ne s’ossifie jamais, et reste à l’état ligamenteux pendant toute la vie de l'animal. Chez les Dinornis, qui, par les proportions de l'os de la jambe, se rapprochent sen- siblement du Gastornis, il existe bien un pont osseux au-dessus de la coulisse de l’extenseur des doigts, mais celui-ci est situé beaucoup plus près du bord interne de l'os et l'articulation n’est pas oblique. Dans l'oiseau de Meudon, ce pont occupe à peu près la ligne médiane. Il paraît évident qu'il n’existe entre ces Oiseaux que des analogies dans les proportions de la patte, mais que les caracteres essentiels sont bien différents. Si nous passons à l'examen des différentes opinions qui ont été présentées relativement aux affinités du Gastornis, nous verrons SUR LE GASTORNIS. 291 que celle de M. Hébert, malgré le mépris qu’elle a su inspirer au prince Charles Bonaparte (1), paraît jusqu’à présent la plus pro- bable, car la forme de l'extrémité articulaire mférieure rappelle beaucoup ce qui se voit chez les Palmipèdes lamellirostres, où le condyle interne est fortement déjeté en dedans, de façon que l'os présente dans sa portion tarsienne une forte courbure in- terne. Le pont sus-tendineux occupe aussi à peu près la ligne mé- diane. On a dit que, chez le Gastornis, ce dernier était relative- ment plus élevé au-dessus de l'articulation que d’ordinaire ; mais je crois que cette particularité n’est qu'accidentelle, et due à ce que la traverse osseuse est incomplète, et que sa moitié infé- rieure est brisée. Sur l’autre portion du tibia que possède l’École normale supérieure de Paris, ce pont paraît intact et est beau- coup plus large. La gorge intercondylienne est moins évasée que chez les Cygnes, les Canards et les autres Anatidés ; et d’ailleurs elle se distingue par l'existence d’une petite fossette arrondie sur laquelle M. Lartet a appelé l'attention des zoologistes, et qui avait même porté cet habile observateur à ranger l'oiseau de Meudon à côté des Échassiers. Cette fossette est très-marquée chez les Ciconides, c’est-à-dire les Cigognes, Marabous, Tan- tales, Becs-ouverts et chez les Flamants ; mais sa forme est alors très-différente de ce qui se voit chez les Gastornis, car le canal du muscle extenseur des doigts est placé très en dedans, et la fossette en question, située sur la ligne médiane, est limitée en haut par un tubercule saillant, auquel s'insère le ligament tibio- tarsien antérieur. Évidemment ce tubercule ne pouvait pas exister chez le Gastornis, car il se serait trouvé placé au-des- sous du canal tendineux qu'il aurait presque complétement obstrué. Je suis donc disposé à n’attribuer à cette fossette qu’une importance de second ordre, et je ne pense pas qu’elle indique (4) Ge sont des professeurs de la capitale, prenant le Gas{ornis pour un Palmipède, voire même pour un Longipenne ou Grand-Voïlier ; le comparant non-seulement au Cygne, mais à l’Albatros! Ch. Bonaparte, Ornithologie fossile servant d'introduction au tableau comparatif des Ineptes et des Autruches (Comptes rendus de l’Académie des ‘sciences, 1856, t. XLIIL). 229 ALPH, MILNE EDWARDS. nécessairement que l'Oiseau fossile du bassin parisien fût un Échassier. Des considérations d’un autre ordre viennent confirmer cette manière de voir; chez les Échassiers, le péroné est grêle et court ; il pe joue qu'un rôle très -accessoire dans la constitution de la charpente solide de la jambe, et il ne se prolonge que sur une faible partie de la longueur du tibia. Le péroné du Gastor- nis, sur les caractères duquel j'aurai à revenir, est robuste, et probablement se prolongeait jusqu’auprès de l'extrémité de la jambe, ainsi que l'indiquent les saillies rugueuses dont le tibia est marqué au-dessus du condyle sur le bord externe, de sorte qu'il est même possible que, dans cette partie, les deux os fussent unis par une soudure véritable. Chez les Palmipèdes lamellirostres, le péroné se prolonge notablement, et dans une famille voisine d’Oiseaux nageurs, celle des Totipalmes, il se soude souvent au tibia par son extrémité inférieure. La crète péronière du tibia est peu saillante, et ne paraît s'étendre que sur une faible longueur ; mais à cause de l’état de cette portion de l'os, il est difficile d'en étudier les caractères d’une manière rigoureuse. La coulisse osseuse dans laquelle s'engage le tendon du muscle péronier inférieur est peu indiquée, et l’on n’aperçoit à la place qu’elle occupe aucune des lignes saillantes sur lesquelles s'attache la bride ligamenteuse qui d'ordinaire la recouvre. Il y a donc lieu de penser que ce muscle était faible. Au-dessus du pont sus-tendineux de l’extenseur des doigts, on voit du côté interne une surface renflée et rude qui indique l'insertion supérieure de l’arcade ligamenteuse destinée à brider le tendon du muscle tibial antérieur ; les rugosités de l’attache inférieure se retrouvent sur le second tibia incomplet que j'ai sous les yeux ; elles sont saillantes, et indiquent, par leurs di- mensions, la force de ce pont ligamenteux ; celui-ci devait né- cessairement être en rapport avec le tendon du muscle fléchis- seur du pied. M. Hébert a fait remarquer que T faces latérales des deux condyles sont planes comme chez les Lamellirostres, et non SUR LE GASTORNIS. 293 excavées comme chez l’Autruche et les autres Oiseaux coureurs. Il est difficile de tirer de bonnes indications de cette partie qui est mal conservée dans le fossile de Meudon, et d’ailleurs, ainsi que l’a fait remarquer avec raison M. R. Owen, les Dinornis, Pezophaps, Notornis, les Spatules, les Hoccos et d'autres Galli- nacées ont ces surfaces aussi aplaties que chez les Canards. La portion inférieure de la poulie articulaire tarsienne est trop incomplète pour qu'il soit possible de voir si elle était aplatie ou déprimée latéralement comme chez la plupart des Échassiers, On ne peut également tirer aucun caractère de la forme de la gorge rotulienne, car les crêtes qui la limitent sont brisées et sa portion inférieure manque. La partie supérieure du tibia a été écrasée, et d’ailleurs les crêtes qui la garnissent d'ordinaire en avant sont brisées ; on peut seulement apercevoir l’origine de la crête externe. Je ne puis partager l'opinion de M. Owen relativement aux rapports qui existent entre le Gastornis et les Oiseaux du groupe des Rallides ; en effet, l’un des caractères saillants de lextré- mité tibiale inférieure de ces Oiseaux consiste dans la profon- deur de la coulisse destinée à loger le tendon du muscle péronier inférieur ; cette coulisse y est même souvent recouverte par une arcade osseuse. Or je viens de dire que chez le Gastor- nis, on ne remarquait rien d'analogue, et qu'au contraire le muscle péronier inférieur semblait avoir eu peu de puissance. Enfin, dans le groupe des Rallides, le condyle externe est plus épais et remonte beaucoup plus que l'interne, ce qui. n’a pas lieu chez le fossile de Meudon. Le tibia des Outardes n'offre que très-peu de ressemblance avec celui du Gastornis ; le corps de l'os est presque cylindrique etne présente pas cet aplatissement de la face antérieure qui se retrouve chez les Lamellirostres. La position du pont sus-tendi- neux, de la coulisse qu'il surmonte, et la disposition des condyles, sont aussi très-différentes. Le péroné est robuste ; mais s’il se prolonge jusqu’à l’extré- mité inférieure du tibia, ainsi qu'on peut le croire par l’exis- tence de rugosités qui existent sur le bord externe de celui-ci, 29, ALPH. MILNE EDWARDS. sa portion terminale devait être très-grêle ; la surface par la- quelle il s’unit à l’os principal de la jambe est large, mais peu prolongée. Malheureusement la tête articulaire supérieure est brisée, de manière que l’on ne peut tirer aucune indication de sa forme. La tubérosité sur laquelle s’insère le tendon du muscle biceps crural est grosse, mais beaucoup moins saillante que chez les Autruches ; elle est placée presque au niveau de la partie moyenne de la crête articulaire. La position de cette tubérosité est à peu près la même dans la famille des Lamellirostres ; chez les Totipalmes, elle est moins relevée. Le péroné des Échassiers est plus grêle, et la tubérosité bici- pitale est située plus en arrière. La forme générale de cet os rappelle ce qui se voit chez les Autruches ; il est cependant plus trapu et plus élargi dans sa portion moyenne. D'ailleurs, les caractères que l’on peut tirer de l'examen du péroné n’ont qu’une importance secondaire, et surtout lorsque cet os est incomplet, il est très-difficile de s’en servir pour déterminer la famille à laquelle appartient un Oiseau. Le fémur qui a été recueilli par M. Hébert dans le conglomé- rat de Meudon est malheureusement dans un mauvais état de conservation ; la tête et le col sont brisés, le trochanter est en partie écrasé ; enfin l'extrémité inférieure est incomplète, elle a été fortement aplatie et le condyle interne manque entière- ment, tandis que l’on aperçoit le commencement du condyle externe. Malgré l’état imparfait de cette pièce, elle peut cepen- dant fournir quelques indications utiles relativement à la forme et aux dimensions que devait avoir la patte du Gastornis. Cette pièce présente les dimensions suivantes : Longueur itotale. 5.0.4... ,400.,0.00 1.010528 Largeur du corps vers la partie moyenne. ....... 0,048 Epaisseur du corps de l’os.................... 0,048 Largeur dutrochanter............,.......... . 0,085 Ce fémur est remarquable par sa grosseur et par le déve- loppement du trochanter qui devait être extrèmement large. Le SUR LE GASTORNIS. 225 corps de l'os est presque droit, et ne présente ni courbure anté- rieure, ni torsion sur son axe. Îl ne parait pas avoir existé de fosse poplitée, et l'extrémité inférieure, autant qu'on peut en juger par ce qui est conservé, était très-large et très-épaisse. Les proportions du fémur de l’Autruche sont toutes diffé- rentes de celles du Gastornis. Le corps de l'os est beaucoup plus grêle et les extrémités plus brusquement renflées ; le condyle externe est énorme et se continue en se relevant sur la face an- térieure de l’os, ce qui donne à la partie inférieure de celui-ci une forme prismatique triangulaire. Rien de semblable n'existe chez l’oiseau de Meudon ; d’ailleurs la gorge intercondylienne est beaucoup plus évasée que celle de l’Autruche, et les condyles paraissent avoir été à peu près de même grosseur; enfin j’ajou- terai que la fosse poplitée, si apparente chez les Autruches, ne se voit pas chez le Gastornis. Cette dernière particularité permet de distinguer également le fémur fossile de celui des Nandous et des Casoars. | Dans le groupe des Échassiers, le fémur est plus grêle ; les extrémités articulaires sont moins élargies. Les Rallidés sont en outre remarquables par la courbure assez forte que présente le corps de l’os, ce qui lui donne une physionomie complétement différente de celle du fémur du Gastornis. Chez les Cigognes et les Grues, ces différences sont moins sen- sibles ; cependant le trochanter est plus arrondi et moins saillant que celui de l'espèce fossile. Chez les Cygnes, le trochanter est extrèmement développé ; le corps de l'os est robuste et les extrémités articulaires élargies ; enfin 1l n'existe pas de fosse poplitée nettement délimitée. Ces particularités lui sont communes avec le Gastornis, et, par con- séquent, les caractères fournis par l'étude du fémur s’accorde- raient avec ceux que nous venons de tirer de l'examen du tibia. Si l’on compare les dimensions de los de la jambe à celles de l'os de la cuisse, on voit que les rapports de la longueur de ces deux pièces se rapprochent beaucoup plus de ce qui existe chez les Oiseaux coureurs que chez les autres types, et que, relative- 5€ série. Zoo. T. VIL. (Cahier n° 4.) à 15 296 ALPH, MILNE EDWARDS. ment, le fémur est plus allongé chez l'Oiseau fossile de Meudon que la plupart des genres actuels. Le tableau suivant indique ces rapports : Longueur Longueur Rapport du tibia du tibia. du fémur. au fémur, Gastornis parisiensis ......,.... 0,480 0,310 100 : 64,5 Struthio camelus- 0,500 0,300 » 60,0 KRhea amefricana-.:"........0. .. 0,350 0,240 » 68,0 Casuarius galeatus..:......,4.. 0,380 0,220 » 57,0 Gens CiInenea pee ee eee 0,280 0,125 » 44,0 Gitoñid'alba ER ER AMEN 0,260 0,097 » 37,0 Ardea cinerea, .........: PT 0,210 0,092 » 43,0 KMS IUDAT UNSS Se re mme et eee 0,137 0,078 » 06,0 Porphyrio veterum.:.:4.:..4.45 0,128 0,074 » 57,0 Nümenius arcuatus.. ........... 0,115 0,062 » 53,9 Diomedea exulans...:..:,...... 0,215 0,100 » 46,0 Eprustarsentatus....... "#1. 0,114 0,060 » 50,0 Pelecanus philippinensis......... 0,142 0,103 DRTEAU Graculus carbo..........., vigaut0:102 0,056 » 54,0 Plectropterus gambensis........ 0,182 0,097 » 3,0 Bernicla leucopsis. ............ 0,105 0,060 » 57,0 Anasmoschhids lt aie tion seu0s 102 0,062 » 68,0 CVETUS DID Eee lee à ele ste opere ie 0,195 0,105 »" 08,9 J'ai pu examiner plusieurs trochlées digitales du métatarse, trouvées dans le conglomérat de Passyrr, qui évidemment pro- viennent du Gastornis; il est à regretter que ces fragments soient isolés, car, ainsi que je l'ai déjà dit, les caractères très-impor- tants de los de la patte résident principalement dans la disposi- tion relative des poulies articulaires destinées à supporter les doigts. La trochlée médiane est plus étroite et plus régulière que celle de l’Autruche; chez ce dernier oiseau, le bord interne remonte davantage que celui du côté opposé. La gorge dont elle est creusée est médiocrement élargie et assez profonde ; la lèvre externe est, de même que chez les Lamellirostres, plus renflée que l'interne. La trochlée du doigt externe est plus étroite, mais présque aussi allongée que la médiane ; en avant, elle est régulièrement arrondie, et ce n’est qu'en dessous et en arrière qu’elle se creuse d'une gorge. Ces caractères se retrouvent d’ailleurs chez la plu- part des Oiseaux. D’après la texture des os fossiles que l’on connaît du Gastor- SUR LE GASTORNIS. 997 nis, il est évident qu'’ilsétaient très-pesants. Leur tissu est serré, et ils ne paraissent pas creusés de larges cellules aériennes des- tinées à diminuer la densité de ces pièces. On en peut conclure que le poids de l'animal tout entier devait être considérable. Plusieurs auteurs ont cherché à l’évaluer approximativement ; mais les données sur lesquelles on peut s'appuyer pour baser ces calculs sont si incomplètes que le résultat peut être fort variable, suivant les Oiseaux que l’on prend comme point de compa- raison. On peut conclure de la densité des os du Gastornis que cet oiseau était incapable de s'élever dans les airs, et qu'il se tenait probablement à terre ou sur le bord des eaux, à la surface des- quelles il devait pouvoir nager, ainsi que semble l'indiquer la forme de l'extrémité tibiale inférieure. Cependant les caractères ostéologiques de l'Oiseau fossile de Meudon sont si particuliers et si différents de tout ce que nous connaissons dans la nature actuelle, qu'il est impossible de le ranger dans aucun des groupes naturels déjà établis, ni de lui assigner une place définitive dans les cadres ornithologiques ; et il est à espérer que de nouvelles découvertes d’ossements mieux conservés ou mieux caractérisés permettront un jour d'établir d’une manière positive les affinités de cet ancien habi- tant du bassin parisien. SUR LA RÉGEÉNÉRATION DES MEMBRES CHEZ L'AXOLOTL ( SIREN PISCIFORMIS), PAR M. J, M. PHILIPEAUX (1). Le 24 septembre 1866, j'ai eu l'honneur de mettre sous les yeux de l'Académie des expériences démontrant que les membres de la Sala- mandre aquatique (7riton cristatus) ne se régénèrent qu'à la condition qu'on laisse au moins sur-place la partie basilaire de ces membres (c’est- à-dire le scapulum, lorsqu'il s’agit, comme dans mes expériences, des membres antérieurs). Il m’a paru nécessaire de répéter ces expériences sur d’autres animaux de la même classe, afin de voir s’il s’agit là d’un fait constant, ainsi que tout, d’ailleurs, portait à le présumer. Grâce à l’obligeance de M. Duméril, j'ai eu à ma disposition dix Axo- lotls nés au Muséum d'histoire naturelle, dans la ménagerie des Reptiles. Le 4 octobre 1866, sur cinq de ces Axolotls, j'ai enlevé le membre anté- rieur gauche, y compris le scapulum; sur les cinq autres, le même jour, j'ai fait l’ablation du membre antérieur droit, avec des ciseaux, en rasant le corps, et j'ai, par conséquent, laissé en place non-seulement le scapulum, mais encore la tête de l'humérus. Il ya aujourd’hui plus de huit mois que l'opération a été pratiquée, et il est facile de constater qu’elle a donné les résultats que j'avais prévus. Chez les Axolotis de la première série, la cicatrisation s’est faite de la facon la plus régulière; mais il n’y a pas eu jusqu'ici le moindre indice d’un travail de régénération. Chez ceux de la seconde série, au con- traire, très-peu de temps après l'opération, la cicatrice a commencé à se soulever; il s’est formé une saillie qui s’est accrue graduellement, et j'ai pu suivre jour par jour les phénomènes de la régénération du membre. Aujourd’hui, et depuis longtemps déjà, ce membre est entièrement repro- duit, et l’on peut s'assurer qu’il a repris tous ses caractères normaux de forme et de structure. Ainsi, toutes les expériences que j'ai instituées, depuis que j'ai com- mencé à étudier la question de la reproduction des parties enlevées, me ramènent toujours à la même conclusion. Qu'il s'agisse de l’ablation de membres entiers, comme chez les Batraciens, ou de celle d'organes plus profonds, comme la rate chez les Mammifères, la régénération n’a jamais lieu que si l'opération a laissé sur place, et avec ses connexions anato- miques normales, une portion des membres ou de la rate. Cette constance des résultats déjà obtenus m’a encouragé à tenter d’autres essais, dont je communiquerai ultérieurement les résultats à l’Académie. (4) Voyez ci-dessus, p. 9, MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS URODÈLES A BRANCHIES EXTÉRIEURES DU MEXIQUE prrs AXOLOTLS, OBSERVÉES A LA MÉNAGERIE DES REPTILES DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE (1), Par M. Aug. DUMÉRIL,, Les Axolotls, dont le véritable nom, au Mexique, est 4kho- loté, sont des Batraciens urodèles rangés par tous les zoologistes dans le groupe des Pérennibranches, avec le Protée de la Carniole, le Ménobranche et la Sirène de l'Amérique du Nord. N’est-on pas en droit cependant de se demander si, confor- mément à une supposition plusieurs fois émise, mais jamais acceptée, faute de preuves, les Axolotls considérés, jusqu’à ce jour, comme Pérennibranches, ne seraient pas les larves d’es- pèces destinées à prendre rang dans le groupe de celles qui perdent leurs branchies? En 1800, Shaw (Waturalist’s Miscellany, 1800, explicat. des pl. ccexzu et ccexzur, représentant le Gyrinus Meæicanus) dit que l'animal ainsi nommé par lui est peut-être le têtard d’une grande espèce américaine. « De toutes ces marques de jeunesse (2), dit Cuvier à la fin (1) La présente notice est le résumé d’un mémoire que j'ai publié, au mois d’août 4866, dans les Nouvelles Archives du Muséum, t. IL, p. 265-2902, pl. 10, avec le titre suivant : Observations sur la reproduction, dans la ménagerie des Reptiles du Muséum d'histoire naturelle, des Axolotls, Batraciens urodèles à branchies extérieures, du Mexi- que; sur leur développement et sur leurs métamorphoses. Elle en est, en même temps, le complément, car je donne ici les résultats des observations que j'ai poursuivies depuis l'impression du mémoire cité jusqu’à ce jour (10 juillet 1867). Je laisse de côté l’étude zoologique proprement dite des Axolotls, ainsi que l’histoire de leur développe- ment, renvoyant, pour ces détails, au mémoire des Nouvelles Archives du Muséum. (2) Les marques de jeunesse auxquelles Cuvier fait allusion lui étaient fournies par 230 A. DUMÉRIL, de la description de l’Axolotl (Rech. anat. sur les Rept. douteux in Humboldt, Foy. aux rég. équinox. du nouv. contin., 1807, p. 35), et de cette ressemblance intime de toutes les par- ties avec les Salamandres et leurs larves, je conclus que l’Axolotl des Mexicains ou Siren pisciformis de Shaw n’est probablement que la larve de quelque grande Salamandre, peut-être même précisément de celle qu'a rapportée Michaux, Menopoma alle- ghaniensis vel gigantea (1). » Dans le dernier paragraphe de son mémoire (p. 45), Cuvier s'exprime plus formellement : « En dernier résultat, le présent mémoire prouverait donc que, parmi les trois Reptiles regardés encore récemment comme douteux (Sirène, Protée, Axolotl), un seulement, savoir l'Axolotl, doit être effacé du catalogue des animaux et considéré comme une larve (2). » En 1824 (Ossem. fossiles, t. V, 9° partie, p. 416), Cuvier a dit encore à l’occasion de l’Axolotl : « Plus j'ai examiné de ces animaux, et plus je me suis convaincu qu'ils sont des larves de quelque Salamandre inconnue; mais ce ne peut pas être, comme je l'avais soupçonné, la larve de celle des monts Alle- ghanys, car nous en possédons maintenant une bonne figure, et elle ressemble à son adulte beaucoup plus que ne le fait l'Axolotl. » Enfin, dans la 2° édit, du Règne animal, 1829 (t. II, p. 119, note), on lit : « Ce n'est encore qu'avec doute que je place l’Axolotl parmi les genres à branchies persistantes ; mais tant de témoins assurent qu'il ne les perd pas que je m'y vois obligé. » la double circonstance que, chez les deux individus soumis à son observation, les pièces du squelette étaient encore très-cartilagineuses, et que les organes génitaux étaient dans un état manifeste d’imperfection. Le système osseux, en effet, a très-peu de con- sistance. (1) Merrem en 1820 adoptait la même détermination (Tentamen system.Amphih., 1820, p. 187, note r); mais Cuvier a reconnu plus tard que si l’Axolotl est un animal destiné à se transformer, il n’est pas le têtard du Ménopome. (2) Les prévisions de Cuvier s'étant justifiées par les métamorphoses, accomplies sous nos yeux, je rapporte l'Axolotl, comme je l'indique plus loin avec les détails néces- saires, au genre bien connu des Ambystomes,. MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTLS. 231 Rusconi, dès 1817 (Descr. anat, org. circolaz. delle larve Sa- lam. acquat., p. 45), s'est montré partisan de la manière de voir de Cuvier, puis en 4837 (Observat. anat. sur la Sirène, p. 55, note), il a exprimé la même opinion en ces termes: «On ne peut guère se défendre de l'idée que l'Axolotl ne soit une de ces larves qui, à ce que l'on dit, conservent pendant long- temps leurs branchies. » En 1835, A. F. J. C. Mayer (Analecten für vergleich. Anat , p. 87) faisait observer que la présence du grand repli cutané de la région cervicale étendu au-dessus des ouvertures des bran- chies est un caractère qui rend vraisemblable la supposition d'un changement ultérieur. « C'est uniquement en raison de l'absence de preuves con- tradictoires positives que je laisse le Siredon où Axolotl au nombre des genres, a dit, en 4849, M. Spencer F. Baird (Revi- sion of the N. Amer. tailed Batr., in Journ. Acad. nat. sc. Phi- ladelphia, 2° série, 1849, t. T, p. 292), car par sa conformation extérieure et par sa structure interne, l’Axolotl ressemble telle ment à la larve de l’Ambystoma punctata, que je ne puis pas croire qu'il ne soit pas le têtard de quelque grande espèce du genre. » « L'Axolotl diffère, ajoute M. Baird, de tous les Pé- rennibranches connus par la persistance d’un opercule cutané libre dans toute son étendue, même sur la ligne médiane, au- dessous et en arrière de la mâchoire inférieure, ce qui est une particularité propre aux têtards. » «Bien que l'adulte, dit-il encore, n'ait pas été découvert, ce n’est pas un motif de nier son existence (1). Dans ses Familles natur. du règne anim., 1825, p. 10h et 105, Latreille établit nettement la différence qui, d’après lui, distingue l'Axolotl des autres Batraciens à branchies extérieures. I divise les Batraciens en deux ordres : Caducibranches et Pé- (4) Plus tard (voy. p.235, note 1), M. Baird n’a plus cru à la métamorphose à cause des observations faites par Ev. Home sur le développement remarquable des organes générateurs, et qu'il ne connaissait pas encore en 4849; mais on sait maintenant qu'on n'est plus en droit de tirer, de ce fait, un argument contre la possibilité d’une transformation ultérieure (voy. p. 235). 232 A. DUMÉRIL. rennibranches ; c’est au premier qu’il rapporte, dans la famille des Urodèles, le genre Axolotl à la suite des genres Salamandre et Triton. Les genres Protée et Sirène forment une famille unique dans l’ordre des Pérennibranches, celle des Ichthyoïdes. M. J. E. Gray adopte si complétement la supposition d’une métamorphose ultérieure que, en 1850 (Catalog. Amphab. Brit. Mus., part. n, Batr. gradientia, p. 49), il a éloigné les Axolotls des Batraciens pérennibranches et les a placés à la suite des Tritons sans dénomination générique, sous le titre suivant : « Animaux paraissant appartenir à ce sous-ordre (Batr. gra- dientia) et qui ont été observés seulement à l'état de larve (1).» L'opinion inverse a également ses défenseurs. Barton (B. Smith), sans indiquer les motifs sur lesquels son opinion se fondait, et sans faire allusion aux Rech. de Cuvier, a dit, en 1812 : « Je suis persuadé que les appendices branchiaux de l’Axolotl sont des organes permanents » (A Memoir concer- ning an animal of the classe of Rept. or Amphib. known by the name of Alligator and Hell-Bender |Menopoma|, p. 13). M. Tschudi n’admet pas que la disposition anatomique, sur laquelle Mayer s'appuie particulièrement pour démontrer un état d’imperfection et que je viens de rappeler plus haut, soit un argument qui puisse servir d'appui à l'hypothèse qu'il combat (Classif. der Batr., 1838, p. 68). M. Hogg (On the Classif. Amphib., in Magaz. nat. Hist., (4) En mai 1866, après avoir lu mes Observat. sur la reproduct, des Ax. et sur leurs métamorphoses (Bullet. de la Soc. d'acclimat., 1866, p. 79-89, avec fig.), M. Gray m'écrivait que, suivant lui, «ces observalions fixaient la question» dans le sens où, conune on le voit par la citation ci-dessus, il l'avait, lui-même, résolue dès 1850, avant que l’on eût été témoin de la transformation. Dans une lettre en date du 45 juin 1867, M. le professeur D. Edw. Cope (de Phi- ladelphie) me dit : J’ai la conviction que le Siredon est à l’Amblystome ce que le Méno- branche est au Spelerpss. IL est douteux, ajoute-t-il, que le Ménobranche devienne un Spelerpes aussi facilement que le Siredon est devenu un Amblystome. Dans le mémoire que renferment les Nouvelles Archives du Muséum, t. IL, p. 288 et 289. j'ai dit quelques mots des suppositions relatives à la possibilité d’une transfor- mation des Batraciens pérennibranches nommés Ménobranche, Protée et Sirène, en faisant observer qu'il serait imprudent de se prononcer sur le rang à leur assigner, après la métamorphose si imprévue des Axolotls. MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTLS, 233 new series, 1839, p.268, et 1841,t. VIE, p. 361) se fondant sur les observations de Ever. Home, pour laisser l'Axolotl parmi les Batraciens à branchies permanentes, le place à côté du Protée et du Ménobranche qui constituent, dans son arrangement mé- thodique, la famille des Protéides dont il forme, avec celle des Sirénides, la tribu des Ramibranchia dans l’ordre des Manenti- branchia. (Voy. aussi page 235, note 1.) M. Calori, dans un mémoire publié en 1851 (Sulla Anat. dell Aæolotl, in Mem. Accad. sc. dell [nstit. Bologna, t. WT), a con- staté l'existence de vaisseaux anastomotiques destinés à mettre en communication l'artère et la veme branchiales vers la base même de la branchie et permettant un mélange du sang non encore artérialisé avec celui qui revient de l'organe respiratoire et a déjà subi l'influence de l'air dissous dans l’eau. La figure 11,5, s,s, annexée à son travail (voy. p. 329 du texte) montre cette disposition anatomique très-analogue à celle qui se voit chez les têtards de Grenouilles et mieux encore chez les têtards de Tritons où la conformité de la disposition des houppes extérieures rend la ressemblance encore plus frappante. On a de bonnes représentations des branches d’anastomoses des Urodèles caducibranches dans les mémoires deRusconi donnés, l’un en 1817 (Descr. anat. degli org. circol. delle larve Salam. acquat., fig. 6, e, e, e), l'autre en 1821 (Amours des Salam. aquat., pl. v, fig. 4, 0, 0, o, p. 67) et enfin, d'après le têtard de la Salamandre terrestre (Observations anat. sur la Sirène, 1837, pl. vi, fig. 11, p. 57). On voit également les particularités ana- tomiques dont il s’agit sur le Tableau de la cireulat. dans les quatre classes d’anim. vertébr., in-fol., fig. 25, 26 et 27), publié en 1832 par M. Martin Saint-Ange. Ces trois dernières figures font bien comprendre comment, à l’époque de la métamorphose, les branchies et leurs vaisseaux afférents et efférents s’atrophient peu à peu, puis finissent par disparaître, et comment les vais- seaux anastomotiques de plus en plus développés transforment, de chaque côté, les racmes de l’aorte qui sortaient des branchies en un seul tronc chargé de conduire le sang directement du cœur à tous les organes. 23h A. DUMÉRIL, Les rameaux de jonction entre l'artère et la veine de chaque branchie ne se rencontrent pas dans le Protée (Rusconi et Confi- gliachi, Del Proteo anguino, 1819, p. 70 et 74, pl. 1, fig. 8), ni dans la Sirène (Rich, Owen, On the Struct. of the heart Peren- nibranch. Batr., in Trans. Zool. Soc., Lond., 1834, t. K p. 213- 220, pl. 31, fig. 1 et 3). Une différence si considérable entre ces derniers qu'on range, presque d'un commun accord, parmi les Urodèles arrivés à l’état parfait, et l'Axolotl, constitue un puissant argument en faveur du sentiment des zoologistes qui le considèrent comme une larve. Néanmoins, tout en reconnais- sant l'importance d’un tel fait, M, Calori (p. 345, 4°) ne le trouve pas suffisant pour qu'on puisse en conclure une transformation ultérieure. Quant à la vascularisation des poumons, elle ne prouve guère, dit-il, puisqu'elle est aussi riche dans les espèces pour lesquelles il n’y a pas lieu de contester la permanence des organes respiratoires extérieurs. Tant qu'on n'aura pas vu la métamorphose, ajoute-t-il, l'anatomie s'élèvera contre la classi- fication qui rangerait l’Axolotl parmi les Batraciens urodèles à branchies caduques. Enfin, on a voulu tirer du fait même de la reproduction des Axolotls la preuve qu'ils sont arrivés à l'état parfait. Ainsi, Cuvier, je l'ai déjà rappelé (p. 229), considérait comme une marque de jeunesse le peu de développement des organes génitaux : « Les ovaires, encore fort petits, flasques et contenant à peine des œufs visibles, sont aux mêmes places et ont les mêmes appendices graisseux que dans les Salamandres : les oviductes sont encore si frêles qu'on à peine à les aperce- voir » (Rech. sur les Rept. douteux, loc. cit., p. 35). Quand Everard Home eut étudié les organes génitaux mâles et femelles de l’Axolotl qu'il trouva dans un état de développe- ment complet (4n Account of the Organs of generation of the Mexican Proteus called by the natives Aæolotl, in Philosophie. Transact. of the roy. Soc. of London, 1824, part. 1, p. 119, pl. xxx), il déclara que l'animal était arrivé au plus haut degré possible de développement. L'opinion de l’anatomiste anglais fut adoptée par la plupart MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTLS, 935 des zoologistes (1). J. Müller, se fondant sur ce que jamais les larves, disait-il, n'offrent aucune trace des organes génitaux, se rangeait à la même manière de voir (2). Les Axolotis ne sont cependant pas les seuls Batraciens dont l'appareil générateur entre en action avant la métamorphose. Ainsi, des Tritons alpestres, que M. de Filippi a pêchés dans un étang voisin du lae Majeur, lui en ont donné la preuve (4rchi- vio per la zoologia, t. 1, p. 206-211, pl. xiv, fig. 1). Sur cin- quante individus qu'il put se procurer, deux seulement avaient déjà perdu leurs houppes branchiales, c’est-à-dire le caractère extérieur propre aux larves. Les autres, quoique conservant leurs branchies, étaient semblables à des animaux adultes, non- seulement par leur apparence générale, mais, en outre, par le gonflement des lèvres du cloaque. Les testicules et les canaux séminifères, ainsi que les ovaires et les oviductes parfaitement développés, étaient parvenus à toute leur maturité, et il semblait, dit-il, que les branchies fussent comme une sorte d’anachro- nisme. Les œufs, relativement assez gros, de couleur brune avec une tache blanchâtre, formaient deux grappes. Les sper- matozoïdes, de forme et de dimensions normales, bien que les (1) C'est ainsi que M. Baird (Reptiles, in Stansbury's Explorat. and Survey of the valley of the Great salt lake of Utah, p. 338), ayant pris connaissance du travail de Everard Home, et ayant, lui-même, trouvé des individus semblables à des Sala- mandres en amour, renonça, en 1852, à la supposition précédemment émise par lui quand il disait (voy. plus haut, p. 231) que l’Axolotl devait ètre le têtard de quelque Amblystome. M. J.Hogg (Notes on some Batrachians, in Annals and Mag. of nat. History, 1865, t. XVI, p. 122) a trouvé, dans le fait de la reproduction des Axolotls à la Ménagerie des Reptiles que j’ai communiqué à l’Académie des sciences (Comptes rendus, avril 1865, t. LX, p. 765), un motif de maintenir, dans sa classification proposée en 1839 et en 1841 (Ann. and Magaz, nat. Hist., loc. cit.), le Siredon parmi les genres de son ordre des Manentibranchia, lequel est une division de sa sous-classe des Amphibia diplopneuma, I est vrai que, dans le mois d'avril 1865, je n'avais pas encore parlé des métamorphoses : elles se sont produites seulement en septembre et en octobre de la même année. (2) A. F, J, C, Mayer (Anglect., loc. cit., p. 87) dit avoir distingué cependant chez les larves de Ja Grenouille nommée Rana paradoxa (Pseudis Merianæ) Jes testicules, les ovaires et les oviductes. Cette observation est loin d’être isolée dans la science, mais je n’insiste pas sur ce point, parce que ce n’est pas seulement la présence de ces organes, mais leur développement complet qu'il est essentiel d’avoir bien constaté, 236 A. DUMÉRIL, mouvements vibratoires n’eussent pu être éonstatés, se présen- taient sous l'apparence qui leur est propre dans le groupe des Batraciens urodèles. Toutefois, comme M. de Filippi le fait remarquer, il n'avait, en réalité, sous les yeux, que des larves, car au caractère fourni par les branchies deux autres s’ajoutaient qui ne permettaient aucun doute : 1° il y avait, dit-il, persistance, à la voûte du palais, des deux pièces osseuses provisoires hérissées des scabro- sités qui doivent, plus tard, céder la place aux dents palatines permanentes (1). Aussi, chez les larves plus avancées dans leur développement, ces pièces palatines étaient plus rapprochées et laissaient sortir, à leur bord interne, une série de véritables dents occupant la position normale; 2° la colonne vertébrale, comme celle des Axolotis, à laquelle M. de Filippi l'a comparée, (et cette analogie, je dois le faire remarquer en passant, devient un argument nouveau en faveur de l'opinion, que ces derniers sont des larves), était parcourue, dans toute sa longueur, par la corde dorsale; celle-ci se présentait sous la forme d’un cylindre non étranglé au niveau dela diaphyse des vertèbres qui avaient là moins de largeur qu’à leurs extrémités, où elles étaient évasées pour constituer les cavités articulaires. De tous ces faits, M. de Filippi conclut qu'il y a, pendant un, certain temps, une étroite analogie entre le Triton alpestre et les Batraciens pérennibranches, et que la séparation établie entre ceux-ci et les caducibranches ne doit pas être maintenue. Sans discuter cette question de classification, notons comme terme de comparaison très-utile l'observation due au professeur de Turin : elle démontre que l’Axolotl ne serait pas le ‘seul Batracien capable de se reproduire, quoique n'ayant pas encore revêtu tous les caractères de l’état adulte. En présence de si notables divergence d'opinions, il était en- core possible, jusqu'au moment où se sont produites, en 1865, les transformations dont chacun a pu être témoin à la ména- serie, de dire avec Gravenhorst : Cælerum autem lis de mutabi- (4) Voy. plus loin, p. 244 et les figures annexées. MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTLS. 237 litate Proteorum Americæ in Salamandras branchis externis carentes adhuc sub judice est {Deliciæ Mus. 3001. Vratislaviensis, fasc. 1, Chelon. et Batr., 1829, p. 90). Cependant, et pour continuer à employer les expressions de Gravenhorst, les observations qui se poursuivent depuis près de deux ans au Muséum ne fournissent-elles pas, en vue de la solu- tion du procès, smon une pièce absolument probante, du moins un très-puissant argument? N’est-on pas presque autorisé à con- clure que, malgré leur aptitude à se reproduire, les individus à longues houppes branchiales extérieures conservés depuis trois ans et demi en captivité, et desquels proviennent les animaux nés à la ménagerie, ne sont que des larves ? Voici le récit sommaire des faits qui sont venus jeter sur une question, si longtemps controversée, une lumière inatten- due (1). En janvier 1864, la ménagerie du Muséum d'histoire natu- relle reçut, en présent, du Jardin zoologique d’acclimatation du bois de Boulogne, six Axolotls du Mexique (2). Parmi ces six individus, il devint facile, vers la fin de dé- cembre 1864 et surtout au commencement de janvier 1865, d'en distinguer un qui, par le volume considérable que prenait le corps, paraissait devoir être une femelle à ovaires distendus. La supposition se trouva bientôt justifiée par le gonflement des lèvres du cloaque. Il eut lieu aussi chez les autres individus qui, offrant le signe le plus manifeste de l’arrivée de la saison des amours, mais conservant leur grosseur habituelle, se montraient ainsi avec les caractères propres aux mâles. Je dois ajouter que nul changement ne s’est produit, soit dans le développement de la crête dorsale et caudale, soit dans la couleur des animaux. (4) J'en ai donné communication, en raison de leur singularité, et parce qu'ils étaient observés pour la première fois, à l’Académie des sciences (Comptes rendus, nov. 1865, t. LXL, p. 775). (2) Dans le mémoire des Nouvelles Archives du Muséum, déjà cité, j'ai soumis (t. IT, p. 266-268) à un examen comparatif les cinq espèces décrites jusqu’à ce jour dans le genre Axolotl ou Siredon, et j'ai exprimé l'opinion que celle qui vit à la Ménagerie paraît être l'espèce nommée par M. F, Spencer Baird Siredon lichenoides et, jusqu'alors ’ inconnue au Muséum. 238 A, DUMÉRIL, Ainsi, rien de ce qui constitue la remarquable livrée d'amour des Tritons n’est venu modifier leur aspect général. Le 18 janvier 1865, une grande agitation se montre dans l'aquarium : tous ses habitants sont en mouvement ; la femelle surtout se déplace sans cesse pour échapper aux mâles. Ils s’en approchent et la touchent en passant à ses côtés ou au-dessous d'elle, et par instants ils sont placés ventre à ventre. Quelque soin que j'aie mis à observer ce qui se passait alors, je n’ai pas vu les cloaques entrer en contact et un véritable accouplement s’eflectuer. Le gardien de la ménagerie n’en a pas non plus été témoin. La fécondation s'opère donc de la même façon que chez les autres Batraciens urodèles, et les descriptions si exactes données par Rusconi, dans les Amours des Salamandres aqua- tiques, p. 30-35, s'appliquent presque exactement aux faits qui se sont produits avant et pendant la ponte (1). Les mâles abandonnent dans l’eau des mucosités assez abon- Spermatozoides d’Axolot]. dantes au milieu desquelles se trouvent de très-petits grumeaux d’une matière blanche qui, soumise à l'examen microscopique, se montre composée d'innombrables spermatozoïdes. (4) Everard Home croyait à un accouplettient chez les Axolotls; frappé de la différence de dimensions qui se remarque entre le cloaque de la femelle et celui du mâle, il a dit, mais sans parler d’après l'observation directe du fait: «Il est curieux que dans le contact momentané des deux sexes, les organes mâles paraissent entourer et envelopper ceux de la femelle, contrairement à ce qu’on observe chez les autres ani- maux.» (Account of the Orgi of genér, of thé Mexican Proteus, in Trans. Roy. Soc: 1824, p. 420.) MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTLS. 939 Ils offrent la plus frappante analogie avec ceux des autres Batraciens urodèles. On voit, en effet, le long du côté convexe des sinuosités qu'ils forment «la membrane extrêmement fine, dont le bord très-apparent et ondulé à été pris pour un filament roulé en hélice autour des zoospermes. » Je me sers des expres- sions employées par M. Pouchet (Théorie positive de l'ovulation spontanée et de la fécondat., 1847, p. 307, pl. xvmi, fig. 8), parce que les observations de M. Czermak (Ueber die Samenfaden der Salam. und der Tritonen, in Zeütschrift für wissenschaftliche Zool., von Siebold und Kôlliker, t. Il, p. 350 et suiv.), puis de M. de Siebold sur les spermatozoïdes des mêmes Batraciens (Id., p. 356 et suiv., pl. xx1) et celles que j'ai faites sur la liqueur fécondante des Axolotis sont confirmatives de l'opinion du naturaliste français (1). Le 19 au matin, la femelle prend diverses positions : elle s'accroche, soit au petit rocher placé dans le milieu de l’aqua- rium, soit aux tiges ou aux feuilles des plantes qui se trouvent dans ce bassin ou aux petits siphons métalliques destinés à établir un courant d'eau continu. Tantôt, elle s'applique, à plat ventre, sur ces Corps flottants ou fixes, tantôt elle s’y suspend par les pieds de derrière, ou bien, se plaçant de côté, elle s’en rap- proche le plus possible. Toutes ces manœuvres dans l'intervalle desquelles elle parcourt l'aquarium en divers sens, venant sou- vent à la surface, puis se laissant descendre avec lenteur vers le fond, ont pour but de lui permettre de se débarrasser de ses œufs, successivement, par petites portions, formées chacune de vingt ou trente, sur divers points de son habitation. Elle choisit ses lieux de ponte, car, de même que la femelle des Tritons, elle ne les abandonne point au hasard. Elle ne s'arrête que là où ils peuvent, à l’aide du mucus qui les entoure, contracter une adhérence qu’elle facilite en rap- prochant d’une de l’autre les paltes postérieures, afin de les retenir sur le point même où elle les dépose. Elle prend donc (1) Les mémoires des deux anatomistes allemands renferment un historique complet des recherches dont les spermatozoïdes des Batraciens urodèles ont été L'objet: 240 A. DUMÉRIL, de grandes précautions pour assurer le succès de l’œuvre qu'elle accomplit avec une ardeur extrême dont témoigne l'agitation qui pe cesse que lorsque son travail est achevé. Commencée le 49 janvier au matin, la ponte est terminée le lendemain dans la journée. À peine les œufs viennent-ils d'être pondus, que le contact de l'eau spermatisée par les mâles suffit pour les fé- conder dans un espace de temps très-court. A deux reprises, une expérience bien simple en a donné la preuve. Une petite ba- guette tenue à la main et sur laquelle la femelle vint pondre fut enlevée et déposée dans un autre vase dès qu'elle eut recu les œufs. Ceux-ci devinrent tous, à l'exception de deux, le siége d'un travail embryogénique complet (4). Le 6 mars 1865, au matin, on trouva tous les Axolotls dans une agitation semblable à celle dont on avait été déjà témom les 17 et 18 janvier. Elle n'avait rien de surprenant : l’aug- mentation progressive du volume de la femelle bien reconnais- sable à une petite perte de substance du bord inférieur de la membrane caudale laissait prévoir qu’une seconde reproduction aurait lieu. Et, en effet, tout ce qui avait été vu six semaines auparavant put être observé de nouveau : poursuites de la fe- melle par les mâles, projection, dans l’eau, de petits grumeaux spermatiques au milieu d’un liquide muqueux, manœuvres de la femelle pendant et hors le temps de l'expulsion des œufs ; rien, en un mot, de ce que j'ai consigné dans le récit de la ponte précédente ne manqua durant cette derniere. En 1866, cinq autres pontes de la même femelle ont eu leu le 4 janvier, le 19 février, le 16 avril, le 16 juin, le 30 dé- cembre ; puis une huitième et une nenvième se sont effectuées le 28 mars et le 16 juin 1867. Aucune régularité, on le voit, ne s’est manifestée rela- tivement aux intervalles des pontes. Tous les œufs, à quelques exceptions près, ont reçu l’imprégnation de la liqueur fécon- dante dont l'émission précédée, de même que l’année précé- (1) Dans plusieurs pontes, des œufs non suspendus dans l’eau, mais tombés au fond d l'aquarium, ne se sont pas développés. MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTLS. 2h41 dente, d’une grande agitation, avait commencé dès la veille (4). Les Axolotls éclos en janvier et en mars 1865 étaient arrivés, dans les premiers jours de septembre, à ne presque plus différer de leurs parents. Un de ces Axolotis, qui n'avait point été, depuis une quin- zaine de jours, l’objet d’un examen particulier, frappa l’atten-- tion par son aspect qui le rendait tout à fait distinct des autres sujets de mème âge. Il n'avait plus de houppes branchiales, ou du moins n'en conservait que des traces; les crêtes membra- neuses du dos et de la queue avaient disparu; la forme de la tête s’était un peu modifiée. Enfin, sur les membres et sur le corps, on voyait de nombreuses petites {aches irrégulières d’un blanc jaunâtre qui contrastait avec la teinte noire générale (voyez, à la page suivante, les figures qui représentent l’Axo- lotl avant et après la transformation). Le 28 septembre, un deuxième individu avait revêtu la même livrée et perdu presque complétement ses branchies, ainsi que les crêtes du dos et de la queue. Les deux animaux furent placés dans un bassin particulier pour que l'observation n'offrit pas de difficultés, et depuis ce moment on ne cessa d'exercer une surveillance active sur la population de l'aquarium habité par les animaux nés en février. Le 7 octobre, un troisième cas de transformation se présenta : un de ces Batraciens commençait à se tacheter; déjà la crête dorsale avait presque complétement disparu, mais elle n’offrait encore aucune diminution sur les bords supérieur et inférieur de la queue; les branchies avaient perdu un peu de leur lon- gueur. Placé aussitôt dans la même eau que les deux précé- dents, il y est soumis à une observation régulière. (4) Les observations sur les produits des diverses pontes se sont mutuellement com- plétées. J'en réserve le récit pour un travail spécial où je ferai connaitre les différentes phases du développement des Axolotls. Déjà, dans un Mémoire accompagné de figures, présenté à l’Académie des sciences et dont un extrait a été inséré dans les Comptes rendus, séance du 17 avril 1865, t. LX, p. 765, j'ai exposé les faits relatifs à l’embryogénie des Axolotls, qui se sont produits sous mes yeux, à partir de la segmentation du vitellus et de l’apparition de la bandelette médiane primitive jusqu'à l’entier développement. 5° série, Zouc T. VIL. (Cahier n° 4). 4 16 212 A. DUMÉRIL. A | dé Ë UE À, Axolotl non transformé, — B, Axolotl transformé. MÉTAMORPHOSES DES BATRA@IENS DITS AXOLOTLS. 243 Enfin, le 10 octobre, je pus étudier, dès son origine, le tra- vail de métamorphose dont je me trouvai avoir sous les yeux un quatrième exemple. Ce jour-là, quelques points d’un blanc jaunâtre se voyaient sur les membres, et la portion de la crête la plus rapprochée de la tête avait disparu. Le 12, je constate une réduction plus considérable de la crête, qui manque jusqu'à la région pelvienne; sous la queue, elle a diminué de hauteur, mais en dessus elle ne présente aucun changement. Les tiges branchiales n’ont rien perdu en longueur; il n’en est cependant pas ainsi pour leurs petites lamelles qui ont subi un raccourcis- sement peu prononcé. Les membres sont couverts de très-nom- breuses maculatures claires, et l’on en voit sur les faces laté- rales de la queue. L'animal, comme les trois autres dont je viens de parler, ne mange presque plus. Le 25 octobre, c’est-à-dire au bout de seize jours, la transformation était entièrement accomplie. _ D'autres Axolotls se sont successivement métamorphosés, et au commencement de 1866, onze de ces animaux avaient revêtu leur forme nouvelle. À la fin de 1866 et, dans le courant de 1867, cinq transformations ont encore eu lieu. Ainsi, jusqu'au moment actuel (10 juillet), on a été seize fois témoin des curieuses modifications que je viens de décrire, et elles semblent devoir se produire bientôt chez plusieurs individus. Quant aux parents que le Muséum possède depuis janvier 1864, ils n’ont subi d'autre modification qu’un accroissement de taille. Aux métamorphoses extérieures correspondent des modifica- tions internes tout à fait comparables à celles qu'on observe sur les Batraciens urodèles, lorsqu'ils passent de l’état de larve à l’état adulte. La rareté des sujets soumis à l'observation ne m'a pas permis de suivre, dans leur marche progressive, les changements qu'éprouve l'appareil hyobranchial. Cependant l'étude anato- mique de cet appareil, chez le deuxième de nos Axolotls trans- formés, montre sa simplification. Les trois arcs branchiaux les plus internes ont disparu; il ne reste que le plus externe ; il a perdu ses dentelures membraneuses, et, uni à la corne thyroï- 284 A. DUMÉRIL. dienne, il en constitue l’article postérieur. En dehors de cette pièce, on voit, de chaque côté, la branche antérieure de l’hyoïde. Fig. 4.— Axolotl non transformé. Fig. 2. — Axolotl transformé. Quant à la pièce médiane ou basihyal, elle s’est beaucoup déve- loppée, et là, comme dans les autres portions de l'hyoïde, l’ossi- fication est plus avancée qu’elle ne l'était avant la métamorphose. La face postérieure du corps des vertèbres est légèrement creuse, avant comme après la disparition des branchies ; mais la face antérieure l’est moins chez l'animal transformé qu'elle ne l'était auparavant. Peut-être la différence devient-elle plus ma- nifeste encore avec les progrès de l’âge, mais déjà cette modifi- cation démontre la justesse de la supposition de Cuvier (Ossem. foss., loc. cit., t. V, partie Il, p. 417) sur la possibilité de la disparition des concavités des vertèbres par l'ossification du cartilage intervertébral. nl il | Hu À \ Fig. 3. — Axolotl non transformé. Fig. 4. — Axolotl transformé, Les dents vomériennes, par suite du développement des os qui les supportent, se sont déplacées. Elles formaient, de chaque MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTLS. 245 côté, derrière l'os intermaxillaire, une petite bande un peu obliquement dirigée d'avant en arrière et de dedans en dehors. L'obliquité de l’une et l’autre bande ayant augmenté, elles se sont rencontrées sur la ligne médiane, en formant un angle très-ouvert, et elles sont disposées maintenant en une rangée presque transversale (voy. les figures ci-contre). Fig. 5. — Triton marbré Fig. 6. — Triton marbré (tétard). (adulte). Les figures 5-8 montrent qu'un changement dans la disposi- tion des dents de la voûte palatine a également lieu chez les autres Batraciens urodèles, comme Dugès l’a indiqué et repré- senté (Rech. sur la myologie et l'ostéologie des Batraciens à diffé- rents âges, p. 173, fig. 86 et 89). Nos dessins montrent la tète du Triton marbré à l’état de têtard, puis à l’état adulte, et celle de l'Euprocte de Poiret aux mêmes époques de la vie que le précédent. Chaque palatin soudé au vomer correspondant, à la suite duquel il est placé, s'est porté en dedans, en se rap- prochant de son congénère, et en même temps s’est prolongé en arrière. Durant cette période du développement, ou bien les petites scabrosités répandues sur la surface de l'os voméro- palatin se sont réduites, selon l'opinion de Dugès, en une bande longitudinale qui garnit tout le bord interne du prolongement postérieur du palatin; ou bien ces petites dents n'étaient que provisoires et sont tombées pour être remplacées par les dents palatines permanentes. La différence qui se remarque entre l’Axolotl transformé et les deux Batraciens urodèles dont les têtes sont également figu- 2h6 à A, DUMÉRIL. rées, c’est que chez ces derniers, comme dans presque tous les genres du même ordre, les dents palatines forment deux rangées léngitudinales, tandis qu’elles sont en bande transversale chez Fig. 7,— Euprocte de Poiret Fig. 8.—Euprocte de’ Poiret (têtard). (adulte). l'Axolotl transformé et chez les Amblystomes (voy. la figure 9), Tritons de l'Amérique du Nord dont les Axolotls semblent être les têtards. À la mâchoire inférieure des Axolotls, il y a, derrière la rangée marginale, de très-petites dents (figure 10, montrant Fig. 9, — Amblystome Fig. 40. — Axolotl non transformé. ponctué, la mâchoire très-fortement abaissée, et l’une de ses moitiés vue par sa face interne). Elles sont réunies, de chaque côté, en un groupe oblong prolongé en avant jusque vers la ligne médiane, et n’atteignant pas l'extrémité postérieure de l'are maxillaire. Non signalées par Cuvier, elles ont été décrites et représentées par M. Calori (Sul! anatom. dell” Axolotl, in Mem, della Accad. MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTLS. 247 se. Istit. Bologna, 1851, t. I, p. 284, pl. xxu et xxu B, betc). Après la métamorphose on ne les voit plus (4). L'atrophie des houppes branchiales, puis leur disparition, étant un des premiers signes de la métamorphose qui va se pro- duire, je me suis efforcé, par diverses tentatives, d'amener un changement dans Je mode de respiration, en obligeant les ani- maux à se servir de leurs organes pulmonaires. Quelques Axolotls ont été placés dans un aquarium dont on a graduellement abaissé le niveau d'eau. Peu à peu on est arrivé à laisser les animaux sur une couche de sable mouillé et le corps n’était plus immergé ; mais leur état de dépérissement m'a prouvé l'impossibilité d'arriver à aucun résultat si l'on continuait à procéder ainsi. Si J'avais attendu pour faire cette expérience que les bran- chies eussent déjà subi un commencement d'atrophie, j'aurais peut-être hâté la transformation. C’est ainsi que M. V. Fatio, dans sés ingénieuses recherches sur le mode de reproduction du Triton alpestre (2) (les Rept. et les Batr. de la haute Engadine, dans Arch. sc. phys. et nat.de la Bibl. univers. de G'enève, 1864, p. A8 du tirage à part), a pu laisser à sec des têtards avant la disparition complète des houppes branchiales ; mais alors j'au- rais eu de l'incertitude relativement à l'influence exercée par l’expérimentation sur la métanrorphose qui, peut-être, se serait accomplie dans les conditions ordinaires. Je dus, par conséquent, recourir à un autre moyen de conti- nuer l'expérience. On établit alors, à l'un des bouts d’un aquarium, un plan incliné formé par du sable très-humide au milieu d’un cadre de bois dont le bord antérieur était au niveau de la surface de l’eau que contenait l’autre portion de l'aquarium. Les Axolotls pou- (4) Elles manquent aussi dans les Amblystomes. 11 faudra tenir compte de cette par- cularité dans la comparaison établie plus loin entre les espèces de ce genre et les Axo- lotls transformés. (2) Le résultat de ses observations est que, probablement, par suite des conditions particulières où se trouve placé le Triton alpestre quand il vit sur les grandes hauteurs des Alpes, loin des eaux, il y a, chez cette espèce, ovoviviparité. 248 A. DUMÉRIL. vaient donc, sans difficulté, sortir à leur gré de l’eau, et se trouver encore dans de bonnes conditions d’existence. Si, à l'état de liberté, la métamorphose est précédée de certains changements dans les habitudes, ou si ces derniers accom- pagnent la transformation, on était en droit de supposer qu'ils se produiraient sous les yeux de l'observateur. Jamais cepen- dant on n’a vu les Axolotis soumis à cette sorte d’expérimenta- tion quitter l’eau pour monter sur le plan incliné. A tous les moments de la journée, ou dans la soirée, ou bien encore de grand matin et quelquefois même au milieu de la nuit, une surveillance a été exercée, et l'on n’a pas, une seule fois, vu les habitants de l'aquarium se poser sur le refuge. Une autre expérience restait à faire pour parvenir à modifier la fonction de la respiration. Elle consistait à détruire les bran- chies, afin de constater si, devenus forcément animaux à respi- ration pulmonaire, les Axolotls subiraient l’ensemble des modi- fications décrites plus haut. En conséquence, le 4 juillet 4866, je pratiquai l’ablation complète des trois tiges branchiales du côté gauche sur deux Axolotls et de celles du côté droit sur un troisième; puis du 14 au 28, je coupai, de semaine en semaine, une des tiges bran- chiales du côté opposé. A cette dernière date, les Axolotls auraient été complétement privés de leurs branchies extérieures, si, durant les vingt-quatre jours écoulés depuis le moment de la première opération, la force étonnante de régénération dont les Batraciens urodèles sont doués n'avait déterminé un commen- cement de reproduction des organes enlevés (1). Aussi, pour maintenir les Axolotls dans l’état où je voulais les placer, afin qu’il me füt possible d'apprécier les résultats de l'expérience, j'excisai successivement, tantôt d'un côté, tantôt de l’autre, les tiges branchiales nouvelles aussitôt qu’elles commençaient à (1) Des exemples curieux de cette force ont été observés à la ménagerie des Rep- tiles, et je les ai fait connaître récemment dans une note qui fait partie du tome II des Nouvelles Archives du Muséum, p. 119-128, pl. V, sous le titre suivant : Description de diverses monstruosités observées à la ménagerie des Reptiles du Muséum sur les Arolotis. MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTIS. 9249 faire une saillie suffisante pour pouvoir être emportées par le tranchant des ciseaux. C'est ainsi que, depuis le 28 juillet 1866 jusqu'au 24 mai 1867, c'est-à-dire dans une période de dix mois, je fus obligé de pratiquer l'opération chez les trois Axo- lotis portant sur mon registre d'expériences : À droite. À gauche. Eandi.s... & fois (10 août, 28 sep- 3 fois (2 et 31 août, 24 mai). tembre, 5 avril, 24 mai). Le n° 2..... 4 fois (31 aoùt, 7 dé- 5 fois (24 août, 28 septembre, 7 dé- embre, 5 avril, cembre, 5 avril, 24 mai). & mai). Le n° 3..... 3 fois (10 août, 28 sep- 2 fois (24 août, 5 avril). tembre, 5 avril). Ce tableau indique la lenteur avec laquelle le travail de reproduction s’est fait surtout pendant l'hiver, bien que la température de l’eau où les animaux vivent ne soit jamais descendue au-dessous de + 12° ou 13° centigrades, et que les animaux aient toujours été abondamment nourris. Une autre série d'expériences à été poursuivie parallèlement à la précédente. Elle a porté sur six Axolotls dont les branchies nouvelles, soit d’un côté, soit de l’autre, ont toujours été ampu - tées simultanément chez tous. Le 10 août 1866, je coupai, sur chacun, les trois tiges bran- chiales droites, et voulant exercer une action plus générale et plus prompte, j'enlevai, le 17 août, également d’un seul coup, les trois branchies du côté gauche. Comme chez les autres Axo- lotls, il ny eut, en quelque sorte, pas d’hémorrhagie, aucun accident ne survint; la cicatrisation fut prompte et la force de reproduction ne tarda pas à se manifester. Les sections sui- vantes ont été faites sur les six Axolotls à la fois: À droite, le 21 septembre, et à gauche, le 28 du même mois. Les branchies, à partir de l’époque de la seconde ablation, se sont à peine développées. et plusieurs des opérés ont commencé à prendre un nouvel aspect par suite de l'apparition de quelques taches jaunes sur les téguments. Deux de ces individus se sont 250 __ A. DUMÉRIL, de plus en plus tachetés, ont perdu leur crête, et enfin sont devenus semblables aux Axolotls précédemment transformés. Leur métamorphose étant complète en décembre et en janvier, on les a placés dans une cage contenant de la terre humide avec un bassin et destinée à devenir la demeure des Axolotls qui ont subi leurs modifications à la fin de 1866 ou en 1867. Les quatre autres Axolotls de la série dont il s’agit, et deux en particulier, présentent, comme les précédents, quelques taches, sans aucune autre trace de métamorphose; les branchies d’ail- leurs, ayant pris un peu de développement, on en pratique l’am- putation à gauche le 8 mars, et à droite, le 5 avril. Un seul de ces quatre Axolotls reste bien tacheté, mais sans autre changement marqué, si ce n’est que la régénération des branchies est presque nulle. Chez les trois autres, elles est un peu plus évidente, et le 24 mai j'en fais l'excision de chaque côté, puis, le 22 juin, de petits bourgeons s'étant développés. Le résultat des expériences qui précédent est donc le suivant : Sur six Axolotls privés de leurs branchies et chez lesquels on a eu soin de s'opposer à la restauration des parties perdues, deux de ces animaux se sont métamorphosés complétement dans l'espace de quatre à cinq mois, et un troisième, au bout de dix mois, semble devoir éprouver les mêmes changements, tandis que les trois autres, après le même laps de temps, sont dans un état qui laisse l'observateur encore incertain sur le résultat défi- mitif de l’expérimentation. Il semble même probable que, comme les trois Axolotls de la première série, ils ne se transformeront pas, et que, par conséquent, trois Axolotls seulement, sur neuf privés de leurs branchies, auront passé de l’état de larve à l'état parfait. Une semblable proportion est infiniment plus forte que celle qui se remarque parmi les individus chez lesquels aucun trouble n’a été apporté par une lésion traumatique. Je constate ces faits, mais sans vouloir cependant en tirer la conclusion que la perte des houppes branchiales est une condi- tion tres-favorable pour l'accomplissement de la métamorphose. Elle s’est produite, à la vérité, chez un individu qui avait subi MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTLS,. 251 une très-grave mutilation des deux pattes antérieures et pendant le travail de régénération des parties détruites par les morsures des Axolotls avec lesquels il vivait. De plus, je dois l’ajouter, deux ou trois Axolotls qui ont été blessés par leurs compagnons de captivité, semblent devoir, dans un temps plus ou moins rap- proché, changer complétement d'aspect. Les lésions trauma- tiques exerceraient-elles done quelque influence ? Il ne faut cependant pas, en cherchant les causes des faits dont je viens de présenter l'exposé, perdre de vue que les onze premières transformations survenues en 1865, à partir du mois de septembre et au commencement de 1866, n'avaient été pré- cédées par aucun désordre fonctionnel résultant de blessures. En décembre 1866, on a vu également, au milieu d'un aqua- rium peuplé par vingt-cinq Axolotls bien nourris et non blessés, une métamorphose se produire. J'insiste sur ces détails, parce qu il parait singulier que, sur un très-grand nombre d'animaux nés à la Ménagerie, 1l y en ait eu si peu de transformés, quand ils sont arrivés à l’âge de dix, douze ou quinze mois, c'est-à-dire à l’époque de la vie où l’on a vu, chez quelques-uns, les premiers changements se manifester. En même temps j'appelle l'attention sur le très-grand intérêt que présentent au physiologiste les mutilations dont il s'agit. Voici, en effet, des animaux qui, privés presque subitement, c’est-à-dire dans l'espace d’une semaine, de leurs organes de respiration aquatique, semblent, quelques-uns du moins (6 sur 9), v'éprouver aucun trouble et continuent à vivre comme si les houppes branchiales n'avaient point été enlevées. Ne venant pas plus souvent que les Axolotis non opérés prendre de l’air à la surface de l’eau, ils n’ont offert, dans leurs allures et dans leur genre de vie, aucune modification apparente, la respiration cuta- née remplaçant la respiration branchiale. Une résection que l’on supposerait devoir être si grave peut être plus prompte encore. Le 7 juin 1867, j'ai enlevé, chez huit Axolotls, les branchies des deux côtés, et rien de particulier n’a été observé depuis ce moment; de plus, les 22 juin et 6 juillet, j'ai pratiqué l’ablation de tous les bourgeons de formation nouvelle, 9259 A. DUMÉRIL, Je reviens maintenant aux métamorphoses dont l'étude est le principal objet du présent travail, afin de préciser, s’il y a lieu, les conclusions à tirer des faits inattendus vus à la Ménagerie. En présence du nombre restreint de transformations qui ont eu lieu, je continue, comme dans mes publications précédentes, à me tenir sur la réserve. Il me semble convenable, en effet, de ne passe montrer trop absolu dans les conséquences à déduire des observations faites jusqu'à ce jour. Je ne crois cependant pas qu’on puisse nier l'importance, au point de vue de l’histoire des Batraciens dits pérennibranches, des singuliers changements survenus, et de leur identité avec ceux qui accompagnent le passage des Batraciens urodèles de l'état de larves à l’état d'animaux parfaits. Il est, par consé- quent, bien difficile de ne pas leur assimiler les Axolotls qui, sous nos yeux, ont perdu leurs branchies en éprouvant les plus notables changements dans leur organisation interne et dans leur aspect extérieur. Pourquoi, demandera-t-on peut-être, si les phénomènes observés sont normaux et absolument réguliers, tous les indi- vidus nés à la ménagerie ne se sont-ils pas transformés? Leur genre de vie en captivité est-il défavorable à l’accomplissement de ce travail organique ; ou bien, au contraire, faut-il considé- rer les modifications qui se sont produites comme anormales et dues aux conditions mêmes de leur existence ? La dernière supposition me paraît la moins probable. Je suis porté à le conclure : 1° De ce fait qu'un certain nombre d’Axolotls arrivés sans doute au moment de la vie où le travail de développement devait s'achever, et qui commencçaient à revêtir la livrée nouvelle, mais sans diminution bien appréciable des branchies ni de la crête, ne se sont pas métamorphosés, et même ont peu à peu perdu leurs taches. 2° De l'identité parfaite des mutations très-considérables sur- venues dans les organes internes. 3° Enfin, de ce que l’organisation des animaux a reçu, par suite des changements imprimés à l'organisme, un perfectionne- MÉTAMORPHOSES DES BATRACIENS DITS AXOLOTLS. 253 ment exactement comparable à celui qui se manifeste chez tous les Batraciens caducibranches, quand ils perdent les caractères de larves et deviennent adultes. Rien ne prouve que la durée de la vie, à l'état de larve, ait des limites invariables, et l’on a des exemples de têtards qui ne se sont transformés qu'à la seconde année (1). Par conséquent, peut-on considérer comme absolument improbable, pour une époque ultérieure, la transformation, soit des six individus appor- tés du Mexique à la fin de 1863, déposés à la Ménagerie en jan- vier 1864, et qui y ont fait souche, soit des produits des généra- tions suivantes ? Quelle que soit la solution définitive des difficultés que je viens d’énoncer, seize Axolotls s'étant transformés, on est tout natu- rellement conduit à chercher la place qui doit leur être attribuée parmi les Batraciens urodèles à branchies caduques. La disposition des dents vomériennes, en bande transversale formant un angle très-ouvert, ne permet aucune hésitation. Le genre Àmblystoma Tschudi (Classificat. der Batrachier, Neufchà- tel, 1838, p. 92) (2) est, en effet, le seul dont les dents de la région palatine forment une rangée horizontale (voy. la figure 9 montrant le système dentaire de l’Amblystoma punctata), et qui n'ait point, au delà de cette bande, des dents sur une double ligne longitudinale. | Les Axolotls de la Ménagerie devraient donc être considérés comme des têtards d’Amblystome. Le Musée de Paris ne possède qu'un petit nombre d’espèces (1) C’est par un semblable retard que M. de Filippi explique l’état de développe- ment des organes de la génération chez les larves de Triton alpestre qu'il a observées. (2) « Caput magnum, convezum; parotides nullas ; linguam mediocrem ; DENTEs PALATINOS SERIE TRANSVERSA, 2umerosos; digitos liberos ; caudam teretem, oblongam. » (Tschudi, voy. Erpét. génér., de Dum. et Bibr., t. IX, p. 104.) Legenre Xiphonurus (Tsch., Classif., p. 95), qui a les dents vomériennes disposées de la même façon, ne diffère pas, en réalité, du genre Ambystoma et mieux Amblystoma. Ce nom, qui signifie à bouche ou plutôt à museau mousse, et créé par Tschudi, a rem- placé, dans son mémoire, la dénomination manuscrite bien préférable de Plagiodon (à dents transversales), rappelant le caractère générique essentiel, et qui, servant à désigner les espèces de ce genre au Musée de Paris à l’époque où le naturaliste suisse vint visiter les collections avant de publier son travail, aurait dü être conservé par lui, 254 A, DUMÉRIL, de ce genre de l'Amérique septentrionale, et les animaux de la Ménagerie ne peuvent être rapportés à aucune d'elles: mais les zoologistes des États-Unis en ont décrit une vingtaine envi- ron (1); quelques-unes seulement ont été figurées, et je ne sais à laquelle appartiennent nos sujets. Peut-être cependant est-ce à l’'Amblystome, dit Æmblystoma luridum? Hallowell, qui, le pre- mier, l'a distinguée (loc. cit., p. 853), fait observer que, parmi les quatre espèces ornées de points jaunes (comme l’est la nôtre), celle-ci a pour caractère distinctif la forme légèrement angu- laire de la bande des dents du palais. Les différences que présentent les Axolotls, et qui ont porté les zoologistes à partager en plusieurs espèces le genre Siredon, indiquerait donc seulement les particularités propres aux têtards de diverses espèces d’Amblystomes. Par conséquent, il y aurait à rayer des cadres zoologiques (2) le genre Siredon. Tel est l'état actuel de la question qui fait l'objet du présent Mémoire, où je me borne à un simple exposé des faits, en sou- mettant au lecteur les difficultés qu’ils soulèvent. Les études, depuis deux ans, se poursuivent à la Ménagerie, il faut en attendre patiemment les résultats. Peut-être les obser- vations ultérieures dissiperont-elles les incertitudes qui subsistent encore, et me permettront-elles de m'exprimer en termes plus affirmatifs sur le rang que les Axolotls doivent occuper parmi les Batraciens. (1) Hallowell, en 1858, a donné la description de seize espèces (On the caducibran- chiate Urodle Batrachians, in Journ. Acad. nat. sc., Philad., new series, t. IIL, part. IV, p. 349-355). Ce ne sont pas les seules qui aient été signalées. (2) De même que depuis les observations de M, Aug, Müller, on doit effacer, dans la classe des Poissons, le genre Ammocète créé pour les larves des Lamproies. Des change- ments analogues ont eu lieu dans plusieurs classes d'animaux invertébrés, où l’on avait considéré comme types génériques des animaux qui n'avaient que des formes transi- toires, PUBLICATIONS NOUVELLES. Monographie illustrée d'un Balcinoptère trouvé le 29 octobre 1866 sur la côte occidentale de Suède, par M. Mau, directeur du musée d'histoire naturelle de Gothembourg. Cette monographie, qui doit paraître très-prochainement et qui sera éditée par son auteur, formera un volume in-folio et sera accompagnée de nombreuses photographies, ainsi que de figures intercalées dans le texte. Elle contribuera certainement aux progrès de l'histoire, encore si incomplète, des grands Cétacés. Mais les ouvrages de ce genre ne trouvent que peu d’acquéreurs et leur publication nécessite des dépenses très-consi- dérables. ll serait donc à désirer que les amis des sciences vinssent en aide à M. Malm en lui garantissant le placement d’un certain nombre d’exem- plaires. Le prix de souscription est de 90.fr, L'acte de la déglutition; son mécanisme, par le docteur Moura. In-8 avec planches, 1867. Les recherches de l’auteur ont été faites dans le laboratoire du Collége de France au moyen du laryngoscope, et il en conclut : 1° que la langue est le seul agent qui pousse les aliments dans le pharynx; 2° que les ali- ments ne sont presque jamais comprimés ni contre ni par le voile du palais; 3° que le rôle de ce voile pendant la déglutition consiste à clore lorifice inférieur des fosses nasales, afin d'empêcher les liquides plutôt que les aliments de s’y engager ; 4° que l’isthme du gosier n’a point sur les aliments l’action exagérée qu'on lui attribue, et qu'il peut être sup- primé ou détruit sans compromettre l'acte de la déglutition; enfin que le résultat des expériences faites sur le rôle de l’épiglotte du chien n’est pas applicable à l’homme. Étude sur La forme générale du crâne chez l'Ours des cavernes, par M. E. TRUTAT, conservateur du musée d'histoire naturelle de Toulouse. In-8, 1867. Grâce au zèle de M. Filhol, professeur à la Faculté des sciences de Toulouse, des recherches très-actives ont été faites depuis quelques années dans la caverne de Lherme et dans plusieurs autres gisements fossilifères des Pyrénées. Une collection paléontologique très-considé- rable a été réunie dans un musée de nouvelle fondation à Toulouse, et M. Trutat a profité des nombreux échantillons del Ursus spelœus qui s'y trouvent pour faire une étude très-attentive des limites de variations des particularités ostéologiques de ce grand Carnassier. Il résume ses observa- tions en disant que les formes générales de l’Ours trouvé dans les cavernes varient tellement, que l’on ne peut admettre comme caractéristique que la 256 PUBLICATIONS NOUVELLES. grande saillie des bosses frontales; encore ce caractère serait-il insuffisant s’il n’était toujours allié à d’autres particularités plus essentielles fournies par le système dentaire. Dans un second mémoire, l’auteur se propose de démontrer que l'absence constante des petites prémolaires, tant au maxillaire supérieur qu'au maxillaire inférieur, est le caractère invariable de l’Ours des cavernes. Au lieu d’être particulier à l'Ursus priscus, la présence de ces petites molaires est un fait purement accidentel et anormal. Notice sur les fouilles paléontologiques de l’âge de pierre exécutées à Bru- niquel et à Saint-Antonin, par M. V. Brun, directeur du musée d’his- toire naturelle de Montauban. In-8 avec 6 planches. Montauban, 1867. M. Brun a formé une collection très-riche d'os et de produits de l’in- dustrie humaine appartenant à l’âge du Renne ou à des époques plus récentes. Age du Renne dans la grotte de la Vache, près de Tarascon (Ariége), par M. GarriGou. (Extrait du Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Toulouse, 1867.) Parmi les figures tracées sur des fragments d'os de Renne, M. Gar- rigou en signale une qui lui paraît représenter le Morse. Sur Les instruments humains et Les ossements d'animaux trouvés dans Le terrain quaternaire de Paris, par M. ALBERT Gaupry. (Extrait du Bul- letin de la Société géologique, t. XXIV, 1867.) Ces objets, trouvés par M. Martin à Grenelle et par M. Rebaux dans les sablières de Clichy, consistent principalement en instruments de silex taillé et en os de Mammouth, de Cheval, de Rhinocéros, d'Hippopotame, de Cerf, etc. ; ils semblent indiquer que tous ces animaux étaient con- temporains de l'Homme dans le bassin parisien. Mémoire sur un Reptile découvert par M. Frossard à Meuse (Saône-et- Loire), par M. Gaupry. (Extrait des Nouvelles Archives du Muséum, t. IT, 1867, avec une planche.) Le fossile décrit dans ce mémoire à été trouvé dans le schiste bitu- mineux du terrain permien ou de la partie supérieure du terrain houiller de Meuse, près d’Autun. Ilconstitue le type d'un genre auquel M. Gaudry a donné le nom d’Actinodon (à raison de la structure radiaire des dents), et il prend place dans le groupe des Ganocéphales (Owen), à côté des Labyrinthodons. NOTE SUR LES MOTIFS QUI DÉTERMINENT LES OURSINS A SE CREUSER DANS LES ROCHERS DES RÉDUITS DANS LESQUELS ILS SE LOGENT, Par M. HESSE. Il y a une trentaine d'années que nos amis et concitoyens MM. Crouan, botanistes et algologues très-érudits, appelèrent notre attention sur les singulières habitudes qu'ont les Echinus lividus de se loger dans les géodes où se trouvent des incrusta- tions calcaires produites par une plante marine placée d’abord dans les Nullipores, et plus tard décrite par les phycologues sous le nom de Lithothamnion. L'éloignement assez grand de notre résidence des lieux qu’habitent ces Échinodermes, une autre direction donnée à nos études sur l’histoire naturelle, nous firent laisser de côté la constatation de cette curieuse particularité, signalée longtemps après, d'abord par M. Cailliaud, puis par de nombreux natu- ralistes, et finalement par M. le docteur Fischer, dont nous citons avec plaisir les consciencieuses recherches (1). Cependant, malgré tout ce qui a été dit et écrit sur ce sujet, il restait encore une lacune qu'il nous paraissait utile de remplir; savoir, le motif qui détermine les Echinus lividus à se creuser, comme ils le font, un gite dans lequel ils sont si étroitement enfermés, qu'il est très-difficile de les en extraire. Nous devons d’abord commencer par établir que les préten- dues perforations attribuées à ces Échinodermes ne sont autre chose qu'une corrosion qu'ils pratiquent seulement dans la (4) Voyez son Mémoire sur les perforations de l'Echinus lividus, dans les Ann. des sciences nat. de 1864, t, I, p. 324. 5° série, ZooL. T. VII. (Cahier n° 5.) 1 17 258 HESSE. partie calcaire qui revêt les roches sur lesquelles elle est étalée, mais que la cavité ne dépasse jamais l’épaisseur de cette couche ; qu’elle s'arrête dès qu’elle a atteint le rocher qui lui sert de support (1), attendu que ces animaux n’ont aucun moyen d’ac- tion assez puissant pour percer des rochers aussi compactes et aussi durs, ni aucun motif déterminant pour aller au delà: il ne nous semble donc pas exact de dire, comme on l’a fait jusqu'à ce jour, que les Oursins perforent les rochers, ainsi que le font certains Mollusques, tandis qu'au contraire ils se bornent seule- ment à en ronger l'enveloppe calcaire pour en faire leur nour- riture. Voilà, selon nous, la seule raison déterminante qui les excite à ce singulier travail, qui à tant éveillé la curiosité des observateurs, mais dont ils n’ont pas encore, selon nous du moins, découvert le motif. Voici, du reste, les circonstances qui nous ont conduit à adopter l'opinion que nous venons d'émettre. Il y à déjà bien longtemps qu’en nous livrant à des rofhiér: ches sur d’autres branches de l’histoire naturelle, nous ffimes surpris de rencontrer fréquemment, parmi les objets que nous amenait la drague (2), des Oursins de diverses espèces, parmi lesquels se trouvaient des lividus et des miliaris qui étaient for- tement fixés par leurs ventouses pédicellées sur les valves des coquilles mortes. Nous ne tardâmes pas aussi à constater que des érosions plus ou moins profondes, correspondant à l'ouverture de leur orifice buccal, pouvaient leur être attribuées. Soupçon— nant alors que ces rongeures avaient pour but de leur procurer des matières alimentaires, nous allâmes en chercher la preuve dans l'appareil digestif, et nous y trouvàmes une quantité con- sidérable de débris de celles-ci, réduits à l’état pulvérulent, qui, sous forme de cylindres excrémentitiels, étaient renfermés dans le tube intestinal. Soumis, après dessiccation, à l’action de l'acide acétique, ces (4) C’est du reste ce qu'a constaté M. Fischer, qui dit que le fond des trous creusés par les Oursins est constamment à nu, et que quelquefois toute la surface est à nu dans la roche. (2) Ainsi qu’on le sait, la drague est une sorte de râteau garni d’un filet, qui sert à racler le fond de la mer et à se procurer les objets qui s’y trouvent. DES RÉDUITS DES OURSINS. 9259 matières produisirent immédiatement une effervescence qui décelait la présence de carbonate de chaux. Nous avons, en outre, rencontré, dans les parcs à Huitres, de nombreuses coquilles de ces bivalves, surtout celles qui étaient épaisses, profondément creusées, et dont les excavations ne s’ar- rêtaient généralement qu'à la partie nacrée qui tapisse l’inté- rieur de la coquille, soit parce que la structure, qui en est plus compacte, résistait à l’action des mâchoires de ces Échinodermes, soit qu'elle ne leur offrît plus la substance nutritive qui leur con- venait. En examinant à la loupe les rongeures dont nous venons de parler, il était facile d'apercevoir les sillons qu'avaient tracésleurs mächoires, en se rapprochant les unes des autres dans leur mou- vement concentrique, et conséquemment de constater l’action corrodante qu'elles avaient produite. Nous remarquions, en outre, lorsque nous les en détachions brusquement, que leur appareil mandibulaire avait encore la forme conique qui indi- quait clairement l'emploi auquel il venait d'être affecté ; bien plus, ces mâchoires contenaient, en outre, des parcelles de ces coquilles pulvérisées. Nous savons bien que les Oursins ne vivent pas exclusivement de ces matières calcaires; mais nous avons aussi la certitude qu'ils ne sont pas complétement phytophages, comme on le croyait jusqu'ici; nous avons notamment constaté, parmi ceux qui se trouvent en dehors des conditions dont nous nous occu- pons, conséquemment qui ont la liberté de leurs allures, qu’ils se nourrissent de substances végétales, parmi lesquelles nous avons principalement reconnu des portions de fronde de Zostère, à peine triturées, mais seulement plissées latéralement ; d’autres étaient très-grossièrement mâchées et paraissaient avoir subi les effets d’une digestion qui les avait réduites à la consistance de pulpe; et parmi ces débris de végétaux, nous reconnaissions aussi des substances plus ou moins animalisées, pour lesquelles, du reste, les autres Rayonnés ont également une grande prédi- lection (1). (1) I nous est fréquemment arrivé, en pêchant à la ligne en mer, de voir l’appât 260 HESSE. Par suite des observations qui précèdent, nous avons dû cher- cher, dans la composition des coquilles des Acéphales et dans celle de l'enveloppe des plantes calcifères, les motifs qui peuvent déterminer la préférence que leur accordent les Oursins pour en faire leur nourriture ; nous avons, en conséquence, eu recours à l'analyse, et nous en donnons ci-après le résultat, que nous devons à la complaisance de M. Constantin, pharmacien très- distingué de notre ville. Composition des écailles d'Huitres. Phosphate delchauxee er CL ct 4,26 Carbonate de CHE ET Lee re verre 98,60 MARIE ES ON TANLQUES LR ENT de ed + fete lee à see ee 0,50 Composition des Lithothamnion (1). Variété Variété rameuse, en rognons. Carbonate GeNCHEUT ME ES RL Rec: deep 79,90 75,02 Carbonate de magnésie.....:..........:...... traces traces Sable RÉ EnE LÉ Gt PU. LE ie accidentel accidentel SIDGE ICOIMDINEE Eee sie lol lors lala le plate na eleve ee 4,75 1,09 DULHÉOIAPACRAUX CRE UE ET LME LIRE. traces traces CEST ENS TS NICE NT ASS TA Te traces traces Eautde #CoMPINASON NN EN ne ee etre à à so tete ete 17,02 21,58 Sels solubles de l’eau de mer.................. traces traces Matières organiques azotées................... 1,05 1,50 D’après ce qui précède, on voit que les Lithothamnion sont infiniment plus riches en matières organiques que ne le sont les coquilles des Mollusques acéphales ; on conçoit dès lors que les Oursins doivent les choisir de préférence. Les Lithothamnion sont, comme on le sait, des Algues cal- cifères qui, ainsi que les Corallines, sont recouvertes d’une enve- loppe de carbonate de chaux. I y en a trois variétés : Le Litho- dont nous nous servions complétement envahi par des Ophiures, qui le rongeaient avec beaucoup d’avidité. Ils le saisissaient à l’aide de leurs longs bras et le couvraient de manière à le cacher entièrement, conséquemment à empêcher les poissons de le voir et de s’en approcher. C'était toujours sur des fonds spéciaux, ordinairement couverts du Lithothamnion coralloides, sur les bancs d'Huitres ruinés, que se trouvaient ces Échi - nodermes, et ils y étaient en nombre si considérable, qu'il fallait leur céder la place. Il est donc supposable que ces Rayonnés, comme les Oursins, vivent en partie de sub- stances calcaires, puisqu'on les rencontre dans les endroits où elles abondent. (1) Les Lithothamnion, à raison de leur composition calcaire, sont extrêmement recherchés par nos cultivateurs, pour être employés sur leurs terres comme amende- ment. Ilsse les procurent par la drague, et leur donnent le nom de maer/, DES RÉDUITS DES OURSINS. 261 thamnion coralloides, qui est rameux comme le Corail ; le Litho- thamnion polymorphum (Linnæus, S. Agardh), qui s'étale en couches plus ou moins épaisses sur les rochers, et dans lequel se logent nos Échinodermes ; et enfin le Lithothamnion depressum, variété cerebriformis, qui habite généralement les fonds d’une certaine profondeur et affecte la forme de tubercules ou de lobes cérébraux. C’est celui de la deuxième variété dont nous don- nons l'analyse. C’est, come l’a très-justement observé M. le docteur Fischer, dans des géodes où il reste toujours quelques centimètres d’eau, que l’on rencontre particulièrement les Oursins rongeurs. Cette condition est effectivement indispensable par les motifs que nous allons faire connaître, et c’est aussi une preuve de plus à l'ap- pui de notre opinion, et qui explique le choix qu'ils font de ces localités. Il est, en effet, à remarquer que les roches sur lesquelles se produisent ces incrustations sont généralement placées près des plages sablonneuses formées, en grande partie, par des amas considérables de coquilles pulvérisées par l’action incessante des flots. Les lames qui se brisent sur ces dunes, et qui viennent ensuite déferler sur ces roches, entraînent naturellement avec elles d'innombrables parcelles de ces coquilles, qu'elles aban- donnent, à raison de leur pesanteur, dans les cavités de ces roches, et y apportent ainsi les éléments de cette couche calcare dont certaines plantes environnent leur tissu végétal. Aussi voit-on toutes celles auxquelles ces conditions sont favo- rables affluer dans ces localités, et y rencontre-t-on en abon- dance les Algues calcifères que les phycologues ont classées dans la famille des Encroûtées, telles que : le Peyssonelia atro- purpurea, les Corallina officinalis et squamata, les Jania rubens et corniculata, enfin le Lithothamnion polymorphum. C'est dans l'épaisseur de cette dernière plante qui s'étale, amsi que nous l'avons dit, dans des géodes que présentent certaines roches, que les Echinus lividus se creusent des cellules dont la profondeur dépend conséquemment de l'épaisseur de cette couche calcaire. 262 HESSE. La végétation de ce Lithothamnion s'opère, paraîtrait-il, avec une assez grande activité et dans tous les sens à la fois. Elle gagne de proche en proche, s'étendant du centre à la périphé- rie, et elle s'accroît en même temps en hauteur, envahissant tout ce qui se trouve sur son passage, enveloppant les aspérités qu’elle peut recouvrir, et montant contre les parois des objets qui lui font obstacle (1); et alors elle s'élève au-dessus du reste de l'incrustation, et présente des rugosités qui sont plus ou moins apparentes et qui affectent aussi diverses formes. Ce sont des obstacles de cette nature, créés par la présence de ces Echinus, qui contribuent à hausser autour d'eux, en l’arrêtant, l’épais- seur de la couche calcaire qui les environne, et qui devient d'autant plus élevée, que la résistance qu'elle éprouve à s’étaler est grande et qu’elle cherche à gagner en élévation ce qu'elle perd en étendue. Les Echinus ont encore un autre intérêt à s’enfoncer et à se maintenir solidement dans cette couche calcaire, pour ne pas être entraînés par la mer. Celui, en effet, qui devient le jouet des flots est bientôt jeté à la côte, et ne tarde pas, après avoir été démuni de ses piquants, à être brisé contre les rochers. Quant à la manière dont ils se groupent et se logent dans l'épaisseur des couches calcaires dans lesquelles on les trouve réunis, nous pensons que leur position, qui paraît symétrique, est seulement due au hasard, et que la place étant prise par le premier occupant, il y creuse son alvéole comme l’Abeille con- struit le sien. Il est plus étroit à son orifice qu'au milieu, de sorte que, par cette disposition favorable, 1l peut résister faci- lement à l’action entraînante des flots, et profiter en même temps, pour sa nourriture, des nombreux débris calcaires qu'ils y apportent Incessamment. D’après ce que nous venons de dire, il est facile de comprendre que les Oursins doivent rechercher avec beaucoup de soin les (4) Nous avons rencontré, cerné de tous côtés par cette invasion, un Mytilus qui s’y trouvait fixé perpendiculairement par son byssus. Déjà il était aux trois quarts de sa hauteur enfermé dans une sorte de fourreau qui lui laissait encore à peine, et proba- blement pour peu de temps, le jeu de ses valves. DES RÉDUITS DES OURSINS. 263 localités dont nous venons de parler et qui réunissent pour eux tant de conditions désirables. Comment arrivent-ils à les ren- contrer? C’est ce que nous ne saurions dire ; nous nous bornerons seulement à constater que toutes les fois qu’elles se présentent, ils savent en profiter. Ne peut-on pas supposer qu'étant encore à l’état embryonnaire, ils puissent y être apportés par les flots? on sait, du reste, qu'à l’aide de leurs nombreux ambulacres, ils se déplacent facilement, et parcourent même en fort peu de temps un espace relativement considérable ; on n’ignore pas non plus qu'à l’aide de leurs ventouses pédiculées, ils montent avec faci- lité contre les parois verticales des rochers : mais nous ne les avons vus opérer ces mouvements que lorsqu'ils sont immergés; hors de l’eau, ils restent en place, et se contentent d’agiter en tous sens leurs épines. Les Echinus lhividus ne vivent pas toujours réunis dans le même leu et comme en famille; nous en avons rencontrés aussi qui habitent isolément de petites cavités creusées dans les anfractuosités des roches, dans lesquelles ils étaient profondé- ment enfoncés et s’arc-boutaient à l’aide de leurs épines, de ma- nière à pouvoir en être très-difficilement extraits; mais ces cavi- tés étaient, comme les autres, revêtues d'un sédiment calcaire qui leur présentait conséquemment les mêmes raisons pour les habiter. De tout ce qui précède, nous croyons pouvoir conelure que le seul motif qui détermine les £chinus lividus à se creuser des réduits dans l'enveloppe calcaire qui revêt certains rochers n’a pour objet que de leur procurer une nourriture qui leur con- vient, et de leur donner en même temps le moyen de se main- tenir dans une position dans laquelle ils n’ont pas à redouter d’être entraînés par les flots. NOTE SUR UN INSECTE ET UN GASTÉROPODE PULMONÉ DU TERRAIN HOUILLER, Par MM. P. J. VAN BENEDEN et Eug. COEMANS (!). Quels sont les animaux qui vivaient à l'époque où une végé- tation luxuriante et intertropicale s’étalait dans les bassins du terrain houiller? Il y avait des Poissons, et des animaux sans vertèbres aqua- tiques de toutes les classes; mais y avait-il des animaux articulés trachéens, pour répandre un peu de vie dans ces forêts d'Équi- sétacées, de Lycopodiacées et de Fougères? des Mollusques pul- monés pour se repaître de leurs débris? Depuis quelques années, on a signalé plusieurs espèces de Blattes, quelques Orthoptères et des Névroptères de l’époque houillère, à Wettin,en Saxe, et à Saarbrück ; et l’on se rappelle la sensation que fit, il n’y a pas longtemps, parmi les paléonto— logistes et les géologues, la découverte du Dendrerpeton acadia- num, avec un Pupa, dans le terrain houiller de la Nouvelle- Écosse. Depuis la publication de l’intéressante notice de sir C. Lyell et J. Dawson (2) sur ces deux animaux aériens primi: tifs, on s’est de plus en plus persuadé que l’on ne connaissait encore que quelques insignifiants débris de la faune houillère. Jusqu'à ce jour aucun animal pulmoné n'avait été trouvé dans les houillères de la Belgique ; il n’en est plus ainsi : l'étude de la flore fossile de cette antique formation nous a fait décou- vrir quelques restes de sa faune primordiale, et nous avons l'honneur de communiquer ici le résultat de nos observations (4) Extrait du Bulletin de l'Académie de Bruxelles, t, XXI, 1867. (2) On the Remains of a Reptile and of a land-shell discovered in the interior of an erect fossil tree in the coal measures of Nova-Scotia (Quart. Journ. Geol. Soc., vol, IX). INSECTE ET GASTÉROPODE DU TERRAIN HOUILLER. 265 sur deux animaux aériens de cette époque, un Insecte et un Mollusque pulmoné, provenant l’un et l’autre de Sare-Long- champs, dans le bassin de Mons. GENRE PALÆORBIS. Vers 1850, le professeur Germar, de Halle, découvrit sur les schistes houillers de Lübejün, en Saxe, de petites empreintes arrondies etspiriformes, mesurant environ un millimètre ou un millimètre et demi de diamètre, et posées d'ordinaire sur les feuilles ou sur les rachis des Fougères fossiles de cette formation. Incertain sur la nature animale ou végétale de ces corpus- cules, il les communiqua au professeur Gôppert, de Breslau, qui lui répondit qu'il possédait déjà des productions semblables des houillères de Westphalie et d'Osnabrück, et qu'il les considérait comme de petits Champignons fossiles de la période houillère. Germar les décrivit alors (1852), et les figura dans ses Verster- nerungen des Stcinkohlengebirges von W'ettin und Lübezjün (1), sous le nom de .Gyromyces Ammonis, Güpp. Ce nom convenait assez bien à l’objet désigné, et rappelait à la fois les tours de spire du prétendu végétal et sa frappante ressemblance avec une Ammonite microscopique. En 1855, le professeur Geinitz, de Dresde, ayant reçu la même espèce des mines de Possendorf, la comprit dans sa Flore houil- lère de Saxe (2), et la plaça à côté des Depazites Rabenhorsti et Excipuliles Neesii, comme premiers représentants de la classe des Champignons dans l'évolution du règne végétal. Quand 11 publia en 1862 son grand ouvrage sur le Dyas, il continua à ranger le Gyromyces parmi les Champignons, en indiquant pour cette espèce deux nouvelles localités d’une grande importance, la première en Irlande, et la seconde à Naumburg, dans le Wetterau. Dans cette dernière localité, le petit animal se trouvait posé sur des frondes de Cordaites Otlo- (4) Heft VIII, pp. 111-113, taf. xxxix, f. 1-9. (2) Die Versteinerungen d. Steinkohlenformation in Sachsen, p. 3, taf. xxxv, f. 1-3. 266 P. J. VAN BENEDEN ET E. COEMANS. mis (1) recueillies dans les schistes inférieurs du terrain permien, ce qui n’a rien d'étonnant, vu que plusieurs espèces végétales passent également du terrain houiller au permien. Le Gyromyces Ammonis a été également trouvé dans diffé- rentes autres localités du nord de l'Allemagne, et dernièrement encore l’un de nous l’a rapporté de Bochum, d'Eschweiler et d’Alsdorf. Il existe également en Belgique, et, quoique nous ne l’ayons pas recherché jusqu'ici d’une manière toute particulière, nous l’avons déjà rencontré plusieurs fois sur les schistes houil- lers de Mariemont, de la Louvière, de Hossu, de Jemmapes et de Péronnes. De magnifiques échantillons s’en trouvent aux cabinets de Louvain et de Liége ; ils ont été récoltés à la Louvière par M. Cornet, ingénieur des charbonnages de Sare- Longchamps. D’après ce que nous venons de dire, il est facile de se faire une idée de l’aire de dispersion de cette espèce. A l’est, on la trouve en Saxe; au nord, elle monte jusqu'au petit bassin d'Osnabrück, puis descend en Westphalie, et s'étend, au sud-ouest, jusqu’à Eschweiler et Mons; enfin, on la trouve au delà de lä Manche, en Irlande. Le Gyromyces n’a pas encore été découvert, que nous sachions, dans les houillères de France, d'Espagne, de Portugal, de Suisse, ni dans celles du midi de l'Allemagne et de la Russie; nous ignorons s'il à été trouvé en Amérique, mais il est assez probable qu'on le trouvera également dans ces divers pays, quand l'attention aura été éveillée à son sujet. Jusqu'en 1863, le Gyromyces Ammonis avait été rangé par tous les paléontologues parmi les Champignons fossiles ; ce fut le docteur Andrà, de Bonn, qui conçut le premier des doutes sur sa nature végétale. Dans son cours de paléontologie professé à l’université de cette ville, il le considérait plutôt comme un Mol- lusque microscopique, vivant probablement sur les plantes des tourbières de l’époque houillère ; et c’est sous son inspiration (4) Dyas, oder die Zechsteinformation und das Rothliegende..…. Leipzig, 1862, p. 1433, pl. xxxv, fig. 2. INSECTE ET GASTÉROPODE DU TERRAIN HOUILLER. 267 que le capitaine von Rôhl publia en 1864, dans les Verhand- lungen des naturhistorischen Vereines des Preussischen Rhein- lande und Westphalens, une courte notice sur ce sujet, dans laquelle il adopte et reproduit la manière de voir du professeur de Bonn. Pour quiconque connaît un peu les Champignons, il est impossible de reconnaître un végétal de cette classe dans les empreintes dont nous nous occupons. Leur position isolée n’in- dique nullement une plantesociale et vivant par groupes, comme le sont toujours les Mucédinées et les Mucorinées ; de plus, leur forme et leur relief, souvent fort sensibles, font bien plutôt penser à une coquille de Mollusque microscopique qu'aux filaments enroulés de quelque Hyphomycète fossile. Aucun Champignon de cette classe n'aurait d’ailleurs pu laisser de traces appré- ciables sur un schiste aussi grossier et aussi grenu que celui de notre terrain houiller. Enfin, les prétendues cloisons que l’on a observées sur les Gyromyces, et qui les faisaient rapprocher des Champignons, ne ressemblent pas aux cloisons microscopiques des végétaux de ce groupe, mais bien plus aux stries d’accrois- sement qu'où remarque sur les coquilles des Mollusques et sur les tubes calcaires des Annélides tubicoles. Il est vrai que Ger- mar, reconnaissant l'impossibilité, pour un Hyphomycète, de se conserver dans les schistes de cette époque, suppose que sa plante aura plutôt appartenu à l’ordre Pyrénomycètes; mais c’est une supposition contre toute vrai-emblance, et il n'existe pas nn seul Pyrénomycète qui ait avec le Gyromyces À mmonis la moindre ressemblance. Ce prétendu Champignon est évidemment un animal; mais cet animal, avec sa coquille enroulée, qui rappelle à la fois les Ammonites, les Planorbes et certains Annélides tubicoles, cet animal, disons-nous, à quelle classe appartient-il? On le trouve sur les plantes de l’époque houillère en aussi grande abondance et aussi irrégulièrement placé que les Spi- rorbes sur les Fucus de nos côtes ou sur la carapace des Homards ; et puisqu'à côté des individus adultes on en trouve de jeunes de tout âge, il est évident que ce n’est pas une circon- 268 P. J. VAN BENEDEN ET E. COEMANS. stance fortuite qui les a placés dans ces conditions. C'est bien un animal qui vivait naturellement sur les plantes. Celui qui a étudié sur les bords de la mer, qui à vu des Algues, des Crustacés et des Sertulaires se couvrir de Spirorhes microscopiques, ne peut s'empêcher de voir d'abord dans ces Gyromyces des Tubicoles quelconques; c'était aussi notre pre- mière pensée, et nous en étions si persuadés, que nous avions cherché à concilier l’idée de l'existence d’Annélides marins avec des plantes essentiellement terrestres ou marécageuses; et cer- tains faits observés sur les côtes de Bretagne nous avaient fourni une explication fort satisfaisante de cette singulière ano- malie. Mais voyant ensuite la manière dont les tours de spire se for- ment et se comportent, la régularité avec laquelle leur évolution s'effectue, enfin la nature et l'aspect de la gaïne calcaire, nous nous sommes mis à douter de leur nature d'Annélide, et après müre réflexion, nous avons fini par voir dans les Gyromyces des Mollusques pulmonés terrestres. Ce ne sont évidemment ni des Ammonites, ni des Goniatides, ni des Nautiles, puisque nous ne trouvons aucune apparence de cloison, et il est inutile de songer à un autre genre de Céphalo- podes. Ce n’est pas non plus un Planorbe ; les Planorbes ne sont pas enroulés ainsi et ne vivent pas dans de pareilles condi- tions (4). Nous n’en dirons pas autant des Hélices: il y en a, comme l’Helix virgata et bien d’autres, qui recouvrent parfois, pendant la sécheresse surtout, complétement des plantes ter- restres. Il est vrai, la coquille n’est jamais, que nous sachions du moins, adhérente aux feuilles, et l’animal se présente à leur sur- face dans des situations diverses. Tenant compte de ces observations, nous sommes conduits à voir dans les Gyromyces des Mollusques gastéropodes terrestres, voisins des Hélices, et vivant collés sur les feuilles ou les rachis (4) On vient de signaler, dans le port de Charleston, un Gastéropode semblable à un Planorbe (Cochliolepis parasiticus), qui vit sur le corps d'un Annélide, l’Acoites lupina.. (Stimpson, Proceed, Bost. Soc. nat. Hist., vol. VI, avril 1858.) INSECTE ET GASTÉROPODE DU TERRAIN HOUILLER. 269 des Fougères ou d’autres plantes houillères, comme les Spirorbes aujourd'hui sur des plantes ou des animaux marins. Nous sowmes même fort disposés à ne pas séparer générique- ment de notre espèce le Planorbis kungurensis (1), et nous pro- posons de désigner ce nouveau Pulmoné terrestre sous le nom de Palæorbis. Ce genre se distinguerait par une coquille enroulée, non cloi- sonnée, légèrement striée à l’extérieur, avec des tours de spire plus distincts du côté de l’adhérence à la feuille qu’à la surface libre. On compte en effet un plus grand nombre de tours de spire en dessous qu'en dessus, et cela devait être, puisque les premiers tours étant adhérents, les derniers ne peuvent plus englober les autres. Ce genre comprendrait donc : 4° LE PALÆORBIS AMMONIS. SYN.: Gyromyces Ammonis, Gœpp., Die Versteinerungen des Steinkohlengebirges. Halle, 1844, p. 3, pl. xxxIx, fig. 4-9. La coquille a deux ou trois tours de spire, dont le dernier est sensiblement plus large que les autres; la surface est irréguliè- rement striée. 20 LE PALÆORBIS KUNGURENSIS. Syx, : Planorbis kungurensis, Ldwg, Palæontographica, vol. X, p. 17, pl. ur, fig. 15. A de deux à trois tours de spire, et le dernier est comparati- vement moins large. La surface de Ta coquille semble plus régu- lièrement striée. Pour les naturalistes qui trouveraient étrange la présence de Gastéropodes pulmonés dans les terrains carbonifères, nous rap- pellerons l’exemple que nous avons cité plus haut, l'existence d’un Batracien et d’un Pupa de cette époque dans les bassins houillers de la Nouvelle-Écosse. C’est en cassant la roche qui (1) Rudolph Ludwig, Zur Palæontol, des Urals, Palæont,, Bd, X, p.17 (1861-1863). 9270 P. J. VAN BENEDEN ET E. COEMANS. contenait les débris du Dendrerpeton, qu'une petite coquille de Pupa est tombée sous les yeux de MM. sir Ch. Lyell et Dawson. Des Gastéropodes, même les plus élevés, existaient donc déjà à une époque où bien peu d'animaux aériens avaient fait leur apparition. Nous avons dit que c’est ordinairement sur des débris de végé- taux que l’on trouve posés les Palæorbis Ammonis; et, comme les Fougères prédominent largement daus la flore de la période houillère, c’est généralement sur les frondes de ces Crypto- games qu’il faut les chercher. Ainsi, en Allemagne, ont-ils été observés sur les frondes des Veuropteris ovata et Dickebergensis, du Sphenopteris acutijoha et du Cyatheites arborescens ; en Bel- gique, ils s'offrent le plus souvent sur les pinnules des Spheno- pteris obtusiloba, latifolia et trifoliata, des Alethopteris muricata et Sauveuri, et des Veuropteris cordata, acutifoha et tenuifolia. Geinitz a vu ceux d'Irlande sur l’Asterophyllites foliosus. On les rencontre cependant aussi attachés à des feuilles du Noggerathia palmæformis, qui était peut-être un Palmier, ou adhérents à des débrisde Lepidodendron, dont les diverses espèces appartenaient à la famille des Lycopodiacées. Toutes ces plantes ont pu croître dans des marais tourbeux, et les Palæorbis seront venus se fixer sur elles, soit durant la vie de ces végétaux, soit sur leurs débris, à mesure qu'ils tombaient dans les marais qui s’éten- daient à leurs pieds. Il arrive aussi, mais très-rarement, de découvrir des coquilles de Palæorbis isolées dans le schiste, sans être supportées par aucun fragment de plante. Enfin, pour en finir des Palæorbis, il ne sera pas sans intérêt d'appeler l’attention des géologues sur la signification de la pré- sence d’un nouveau Mollusque terrestre assez abondamment répandu dans diverses couches du terrain houiller, surtout aujourd'hui qu’un savant sérieux (1) vient de nouveau prétendre que le dépôt de lignites de nos houillères s’est formé de plantes marines et au milieu des vagues de l'Océan de cette époque. (4) Friedrich Mobr, Geschichte der Erde, pp. 82-94. Bonn, 1866. INSECTE ET GASTÉROPODE DU TERRAIN HOUILLER. 274 GENRE OMALIA. Le professeur Germar (1) est le premier qui ait fait connaître des restes d’Insectes provenant du terrain houiller ; ces restes avaient été pris par Rost (2) pour des feuilles de plantes. Ils appartiennent au genre Blatta, et les débris se rapportent à six espèces différentes, provenant des schistes houillers de Wettin. Curtis a découvert des Curculionides dans le minerai ferrugi- neux de la formation houillère de Coalbrock-Dale (3). A la vente de la collection de Parkinson, Mantell a acheté une fort belle aile de Névroptère trouvée dans un nodule de fer argileux, provenant probablement aussi des environs de Coal- brock-Dale. Audouin a fait voir cette aile en 1835 à la réunion des naturalistes de Bonn. Elle a été également considérée d’abord comme un débris de végétal. Audouin à cru voir dans cette aile les caractères de Cory- dalis. Elle est figurée dans Mantell (4) et Murchison (5), d’après Pictet (6). Le savant paléontologiste de Genève a reproduit cette figure pl. xz, fig. 1, de son atlas. M. Fr. Goldenberg a fait connaître plus tard une nouvelle Blatte des terrains houillers des environs de Gersweiler, et une autre encore des environs de Saarbrück (7). Il signale en outre des Termes, des Sialides (Dictyophlebia) et un Orthoptère (Grillacris). Le Dictyophlebia ressemble aux Corydales et aux Chauliodes par ses nervures longitudinales, et aux Libellules par ses nervures transversales. (4) Munster, Beiträge zur Petrefactenkunde, t. V, p. 90, pl. 13; et Germar, Die Versteinerungen des Steinkohlengeb. von Wettin und Lübejün. Halle, in-fol., 1844. (2) Rost, dans une dissertation inaugurale (De Filicum ectypis, Halæ, 1839), à pris des ailes d’Insectes de la formation houillère de Wettin pour une plante : Dictyopteris didyma. (3) Buckland, vol. II, p. 89, pl. 46. (4) Mantell, The Medaills of Creation, vol. IT, p. 554. (5) Murchison, Silurian System, t. I, p. 105. (6) Pictet, Traité de paléontologie, t. II, p. 378. (7) Sitzungsber. d. hais. Akad. der Wissensch. Wien, septembre 1852, p. 38. 972 P, J. VAN BENEDEN ET E, COEMANS. Ces Insectes proviennent de gisements analogues des environs de Lehbach, près de Saarbrück. Plus tard, M. Fr. Goldenberg a publié le résultat de ses obser- vations sur le même sujet, dans un travail spécial qu'il a accom- pagné de quatre planches (1), et il représente un Coléoptère, des Orthoptères et des Névroptères. C’est le travail le plus remarquable qui à été publié sur ce sujet. Dans la pierre lithographique de Solenhofen (2), on a trouvé également des Névroptères et des représentants des divers ordres d'Insectes; mais c'est surtout dans l’ambre que ces êtres délicats ont été conservés, ainsi que dans les dépôts d’eau douce d'Aix, d'OEningen (3) et de Radoboj (4). Carl von Heyden (5) a décrit, dans la Palæontographie de H. von Meyer, plusieurs Insectes de divers ordres, des Arachnides et des Crustacés, et, parmi les Insectes névroptères, il signale une patte qu'il rapporte avec doute à un Corydalis. Ces objets font partie de la collection de M. Krantz, de Bonn, et proviennent surtout des lignites de Rott, dans le Siebengebirge. Dans un travail spécial très-remarquable, M. Hagen (6) ajoute à la nombreuse liste des Insectes de l’époque tertiaire, et dont le nombre s'élève à cent trois espèces de divers ordres, dix espèces nouvelles. Voici, d'après M. Hagen, toute une série de travaux sur des Névroptères fossiles. Parmi ces ouvrages, nous voyons figurer le mémoire de notre ancien confrère Vanderlinden (7). (4) Die fossilen Insecten der Kohlenformation von Saarbrücken, in Palæontogra- phica de Dunker et von Meyer, 1864. (2) Germar, Acta Nat, curios., vol. XIX, pl. 1, p. 189. — Munst., Beitr. zur Petre- fact NEbENU (3) Die Insektenfauna der Tertiärgebilde von OŒEningen und von Radoboj in Kroatien (Denkschrift. d. schweit. naturf. Gesell., 1847, 1850, 1853 ; et Supplem. in Soc. des sciences nat, de Hurlem, 1862). (4) Knorr, Sammlung. der Merkw. d. Nat., 4755. — Landgreve, L. Br. J., 4843, p. 137.— Charpentier, Acta Nat. cur., vol. XX, pl. 1, p. 401. (5) Carl von Heyden, Glederthiere aus der Braunkohle des Niederrheid’s, der Wetterau und der Rohn (Palæontographica, vol X, 1861-1863, p. 63). (6) Hagen, Newropteren aus der Braunkohle von Rott im Siebengebirge (Palæonto- gr'aphica, vol. X, 1861,1863, pp. 247-269). (7) Scheuxer’s Herbarium diluvianum, 1709, tab. 5, fig. 4, 2 d'Œningen, — Museum INSECTE ET GASTÉROPODE DU TERRAIN HOUILLIER,. 9273 Depuis la formation houillère, on a successivement signalé des Névroptères dans tous les terrains: Prost, Strickland, Dade et Brodie, dans le lias; Westwood, dans le schiste jurassique ; Brodie, dans le wealden ; puis plusieurs autres dans des ter- rains plus récents. Sur vingt-cinq espèces d'Insectes fossiles que le comte de Munster possédait de Solenhofen, cinq appartiennent à la famille actuelle des Libellules. L'un de nous, M. E. Coemans, en se livrant à l'étude des plantes fossiles de l’époque houillère, à trouvé à côté d’une feuille de Sigillaria une aile d’Insecte parfaitement conservée, et dont nous pouvons heureusement reproduire tous les carac- tères. — Les nervures sont parfaitement conservées, avec une grande partie du pourtour de l'aile; sans quelques impressions produites par des corps étrangers, et que l’on pourrait confondre avec des traces de nervures, cette aile est aussi bien dessinée dans ses parties caractéristiques que si l'on avait l’Insecte vivant sous les yeux. On sait que l'aile des Insectes est dans tous les ordres une dépendance du mésothorax et du métathorax, et que sa struc- ture a lieu d’après un plan uniforme. Les nervures forment une des parties principales de sa composition, et elles font recon- naître non-seulement des dispositions propres à chaque ordre, mais un arrangement qui distingue les principales familles. Richterianum, 1743, tab. 15, lig. 2, tertiaire et de Bohème, — Schmiedel's Vorstellung ein. merkwürd, Versteinerungen. Nürnberg, 1781, tab. 19, fig. 2, Libellule (Æschna Schmiedeh). — Esper, De animalibus oviparis. Erlangæ, 1783, 4°, pp. 18-19. — Leonhard, Zeïtschr. f. Mineralogie, etc., 1826, 11, p. 231, pl. 7, fig. 3, Libellule de Solenhofen, — Vanderlinden, Mém. Acad. Brux., 1826, IV, p. 247, Æschna antiqua de Solenhofen. La description et la figure ne sont pas suffisantes — L. v. Buch, Abhandl. Berliner Akad. 1837, Æschna de Solenhofen : Erichson y a ajouté une courte des- cription, — H. v. Meyer, in Erschk und Gruber Encyclopädie, sect. 2, XVIIL, 1840, p. 537, art. Fossile Insecten aus dem lithographischen Schiefer.— Germar, Act. Acad. Leopold., 1839, XIX, 2, p. 189 : Insecten Fauna des lithograph. Schiefers, — H. A: Hagen Ueber die Neuropteren aus dem lithograph. Schiefer in Bayern (Palæon- tographica, vol. X, p. 96, 1861-1863). — Giebel, Zeitschr. f. die ges. Naturwis- sensch., 1857, vol. IX, p. 378, pl. 6, fig. 4-2, Æschna multicellulosa et Calopteryx: lithographica. — Xdem, 1860, vol. XVI, p. 427, tab. 1, fig. 4, Æschna Witter. 5° série. Zoo. T. VIL. (Cahier n° 5.) 2 18 274 P. J. VAN BENEDEN ET E. COEMANS. Nous avons à nous demander d'abord s’ily à une ou deux ailes dans la pièce dont nous donnons la description. En jugeant par le contour qui est interrompu au bord posté- rieur, on croirait d'abord qu’il y en a deux : une en apparence assez longue, et une autre relativement courte; mais en y regar- dant de près, et surtout en en étudiant avec soin les nervures à leur origine, il devient évident qu'il n’y en a qu'une seule. — 11 doit paraître étrange qu'il puisse y avoir du doute sur le nombre d'ailes qu’on a sous les yeux ; mais si l’on songe à l'extrême déli- catesse de ces organes et aux impressions des corps étrangers qui viennent se jeter en travers des nervures, on comprendra aisément qu'il puisse y avoir du doute dans certains cas. — La difficulté provient ici de ce que l'aile a été prise au milieu de feuilles et de üges, dont les impressions se confondent plus ou moins avec celles qui sont produites par les nervures. L'aile est longue de 60 millimètres, large de 25 nullimètres dans la partie la plus élargie. La base est assez étroite et le haut paraît très-faiblement pointu. Le bord externe est complet et dans un état de conservation parfaite. — Il n’en est pas de même du bord interne, qui n'est que très-incomplétement indiqué vers le milieu. C'est cette inter- ruption qui, laissant quelque doute sur la direction du bord, pourrait faire supposer qu'il y a deux ailes en partie Juxta- posées. La surface de l'aile est ainsi complète; on la voit sillonnée par les nervures, dont nous allons tâcher de faire connaître les dispositions. Il y a d’abord deux nervures principales qui s'étendent à peu près dans toute la longueur de l'aile; elles semblent à la base partir du même point : antérieure est le cubitus de Jurine, la nervure sous-costale de Lacordaire, l’autre est la nervure pre- mière intermédiaire ou la nervure médiane de Lacordaire. Une troisième nervure, beaucoup plus faiblement indiquée et moins longue, est la deuxième nervure intermédiaire, ou la sous-médiane de notre confrère. INSECTE ET GASTÉROPODE DU TERRAIN HOUILLER. 9279 Une dernière nervure, à laquelle Lacordaire donne le nom de nervure anale, est faiblement indiquée. La nervure antérieure se divise, vers le tiers de sa longueur, en {rois nervures, qui marchent à peu près parallèlement jusque vers le milieu de leur longueur ; la nervure du milieu se bifurque ensuite en deux rameaux parallèles. La nervure médiane est presque contiguë à la base de la pré- cédente, et forme au milieu de l'aile la division principale. A peu prés à la même hauteur que la précédente, cette rainure se tri- furque également, et, comme elle, se bifurque ensuite. On dirait que certaines nervures s’anastomosent avec les précédentes. La nervure sous-médiane, ou la troisième, beaucoup plus faible que les autres, part distinctement de la base et se divise pareille ment en trois branches, mais cette division a lieu assez près de son origine. Le rameau supérieur se perd, celui du milieu s'anastomose avec la branche inférieure de la nervure médiane, tandis que la troisième marche parallèlement avee les suivantes et montre deux faibles nervules sur leur trajet. Enfin, la nervule anale, ou la dernière pour la situation comme pour son importance, se divise dès sa base, et ses deux nervules marchent, égales en importance, jusqu’au bord libre de l'aile. La cellule antérieure ou brachiale est divisée par des nervules qui partent obliquement de la sous-costale et qui la divisent en cases de dimensions à peu près semblables. La nervure principale antérieure se divise d’abord en trois nervules, et la nervure médiane se bifurque ensuite à une cer- laine distance. — Il résulte de cette division de nervures, trois longues cellules, qui ont pour caractères d'être divisées en petites cases carrées, par des nervules qui passent à angle droit d'une branche à l’autre. Quelques nervules se divisent à la base ou vers le milieu et prennent la forme d’un V ou d’un Y. C'est ainsi que nous voyons l'aile rétieulée dans sa moitié antérieure, veinée seulement dans l'autre moitié. Comme notre Insecte fossile s'éloigne de tous ceux que l’on a découverts jusqu’à présent, et qu'il ne peut y avoir de doutes sur la disposition des caractères fournis par les nervures, nous pro- 276 P. J. VAN BENEDEN ET E. COEMANS. posons de former pour lui un genre nouveau, que nous nous permettons de dédier à notre cher et honoré confrère M. d’Oma- lius d'Halloy, sous le nom de: Omalia macroptera. C'est un hommage que nous nous plaisons à rendre à l’émi- nent naturaliste qui à pris, par ses travaux seuls, une si haute position dans la science. D'après Pictet, ces restes d'ailes des Insectes du terrain carbo- ifere sont trop rares pour que l’on puisse apprécier leurs rap- ports avec ceux qui existent encore aujourd'hui (4). C'est cepen- dant ce que la bonne conservation de l'aile que nous avons sous les yeux nous a permis de faire. L'animal vivant dont notre Insecte fossile se rapproche le plus est la Semblide de la boue (Æemerobius lutarius, Lin.; Rôsel. Insecten Belustigung, tome If, Znsect. aquat., el. W, pl. x). La femelle de cet Hemerobius dépose ses œufs en masses arron- dies sur des feuilles ou des corps solides dans le voisinage de l'eau. La larve vit dans l'eau. D'après Rësel, l’Insecte parfait est recherché par les Hiron- delles et d’autres Oiseaux, la larve par les Papillons. Quels sont les animaux insectivores auxquels notre animal servait de pâture? C’est ce qu'il serait difficile de dire; mais en tout cas, comme il n’y avait pas d'animaux allantéidiens encore, il est à supposer que les Insectivores étaient des Batraciens voi- sins où semblables au Dendrerpeton, dont nous avons parlé plus haut, et qui restent à découvrir 101. Comme tous ces Insectes souterrains primaires sont broyeurs, leur régime était probablement tout végétal, et ce n’est que plus tard, avec l'apparition des végétaux supérieurs et des Oiseaux, que les Hyménoptères, les Lépidoptères et les Diptères ont fait leur apparition. La nature devait être bien monotone à une époque où pas un Oiseau ne faisait entendre son chant dans la profondeur des bois, où pas un Papillon ne voltigeait dans l'air, où les rayous du soleil parvenaient à peine à percer les vapeurs de l’atmosphère. (1) Pictet, p. 302, vol. 11, Atlas, pl. xc, fig. 1-2, INSECTE ET GASTÉROPODE DU TERRAIN HOUILLER. 277 Il est assez remarquable que cet Insecte ressemble tant à ceux qui vivent encore aujourd'hui, tandis que les animaux des autres classes de cette époque différent si complétement de leurs correspondants actuels : c’est à peine si l'on reconnaît le Dendrer- pelon pour un Batracien, et le Palædaphus de la même période pour un Poisson plagiostome. On dirait que les articulés aériens avaient atteint le dernier terme de leur évolution morphologi- que, quand lesanimaux vertébrés faisaient seulement leur appa- rition. — Les Articulés aquatiques, comme les Trilobites, tout en différant de type des Crustacés actuels, ne sont cependant guère inférieurs aux Isopodes et aux Décapodes d'aujourd'hui. — Il n'ya plus eu qu'un faible progrès dans les animaux de cet embranchement. Aussi l'histoire paléontologique des Insectes est loin d'être favorable à l'hypothèse du perfectionnement géné- ral et graduel. L’aile que nous faisons connaître appartient à un Insecte tout aussi parfait que les plus élevés de la faune actuelle, et sans doute que les Omalia, au fond de leurs sombres et silen- cieuses retraites, subissaient les mêmes métamorphoses que les Semblides d'aujourd'hui accomplissent au milieu du chant des oiseaux et des rayons du soleil. — Les Trilobites nous montrent également des yeux aussi parfaits que les Crustacés de l’époque actuelle. Les Névroptèresauraient ainsi atteint, dès cette époque recu- lée et pour ainsi dire primaire, comme les Mollusques pulmonés, le plus haut degré de leur évolution. EXPLICATION DE LA PLANCHE 1. Fig. 1. Fragment de fronde de Sphenopteris latifolia, de grandeur naturelle, avec des Palæorbis en place. Fig. 2. Deux coquilles en place sur des feuilles de Sphenopteris latifolia, La. et Hutt. Fig. 3. Deux coquilles vues en creux, c'est-à-dire ne laissant que le moule sur Ia feuille. Les coquilles sont probablement tombées. Fig. 4-9. Palæorbis Ammonis de divers âges et sous divers aspects, légèrement STOS8IS 5 2TOSSIS à la loupe. On voit la coquille en relief, 10 ,. : Fig. $. Aile d'Omalin macroplera. APR LEE DE SN RS PUBLICATIONS NOUVELLES. Essai d'une classification méthodique des Trochilides, ou Oiseaux-mouches, par M. Muzsanr et MM. VerREAUXx. In-8, 1866. (Extrait du 12° volume des Mémoires de la Société des sciences naturelles de Cherbourg.) Les auteurs se sont appliqués à caractériser nettement les divers groupes qu'ils ont cru devoir établir dans cette famille naturelle, travail que les ornithologistes de nos jours négligent trop souvent. Aves, etc. : Oiseaux des possessions portugaises de l'Afrique occidentale qui se trouvent dans le musée de Lisbonne, par M. BarBoza Du Bocace. (Extrait du Journal des sciences mathématiques, physiques et naturelles de Lisbonne, 1867.) Parmi ces espèces, il en est plusieurs qui paraissent être nouvelles pour la science. Ù Étude expérimentale sur les effets physiologiques des fluorures et des com- posés métalliques en général, par M. RaBuTEAU. Thèse de la Faculté de médecine de Paris, 1867. L'auteur déduit de ses expériences que les métaux sont d'autant plus actifs que leur poids atomique est plus élevé. ; Les Campagnols du bassin du Léman, par M. Vicror Fario. Un volume in-8 avec 6 planches. Genève, 1867. Cette monographie, publiée par les soins de l'Association zoologique du Léman, sera très-utile à ceux qui s'occupent de l'étude difficile des Muridés. M. Fatio a fait des recherches approfondies sur la valeur des caractères susceptibles d’être employés pour la distinction des espèces de la tribu des Arvicoliens, et il est arrivé de la sorte à opérer des ré- formes nombreuses. Ainsi il réduit à cinq les espèces de Campagnols trouvées jusqu'ici dans cette partie de la Suisse. Annulata polychæta Spitzhbergie, Groenlandie, Islandiæ et Scandinavie, hactenùus cognita. Auctore À. 4. MALmGREN. In-8°, Helsingforsiæ, 1867. Ce travail descriptif, accompagné de nombreuses planches très-bien exécutées, paraît avoir été fait avec beaucoup de soin et sera fort utile pour l'étude des Annélides des mers du Nord. Intorno alla mimita fabrica della pelle della Rana esculenta. — Observa- tions microscopiques relatives à la structure intime de la peau de la Grenouille commune, par. M. Gianio. In-4°, Palerme, 1847. L'auteur a étudié très-attentivement et figuré les diverses parties con- stitutives de la peau de ce Batracien, le mode de distribution des fibres nerveuses, la structure des glandules, etc. RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG DANS LES ARTÈRES DU CHEVAL, AU MOYEN DU NOUVEL HÉMADROMOGRAPHE DE CHAUVEAU, Par M. L. LORTET, Docteur en médeeine et ès sciences, Depuis plusieurs années déjà, un certain nombre de physio- logistes, parmi lesquels on peut citer Ludwig, Donders et Vierordt, se sont préoccupés de l'étude de la vitesse du sang dans les vaisseaux. Mais les méthodes qu'ils ont employées laissaient souvent à désirer au point de vue d’une exactitude rigoureuse : les instruments dont ils se sont servis étaient trop compliqués, trop lourds, et par cela même exigeaient une trop grande somme de forces pour mettre en mouvement les appareils indi- cateurs. L'inertie, dans ce cas, déforme les traits graphiques, qui ne donnent plus qu'une ligne ondulée, laquelle peut à peine être considérée comme une moyenne de la vitesse du cours du sang dans l'artère mise en expérience. L'instrument employé en 1860 par MM. Chauveau, Bertolus et Laroyenne (4) est très-sensible et très-exact; on ne peut lui faire qu'un reproche, c'est que ses indications sont fugitives, souvent difficiles à saisir, à cause de leur rapidité et qu'il est presque impossible de les comparer rigoureusement aux diffé- rentes pulsations cardiaques et artérielles. C'est pour obvier à ces Inconvénients réels et sérieux que M. Chauveau a fait construire le nouvel instrument dont nous allons donner la description. Celui-ci paraît réunir toutes les conditions de sensibilité et d’exactitude désirables, tout en ayant l'immense avantage de fixer sur le papier les indications qu’il donne. (4) Journal de physiologie de l'homme et des animaux, À. TI, octobre 1860. 280 L. LORTET, CHAPITRE PREMIER. Î. — NOUVEL HÉMADROMOGRAPHE DE CHAUVEAU. L'appareil que nous avons employé dans nos recherches se compose de trois parties essentielles : 1° Un tube hémadromographique ; % Un sphygmoscope, et un appareil destiné à traduire les pulsations de l'artère ; 3° Un enregistreur, c’est-à-dire un système de cylindres mus par un mouvement d’horlogerie, et déroulant des bandes de papier sur lesquelles les plumes viennent écrire des courbes représentant la vitesse et les pulsations (1). Fig, 1. Le tubefhémadromographique (fig. 4 et fig. 3, n° 1) est un tube long d'environ 8 centimètres, de laiton rigide, mais mince, ouvert aux deuxtbouts. Dans son milieu, ce tube est percé d’une fenêtre rectangulaire qu’on ferme exactement et très-solidement au moyen d’une plaque de caoutchouc vulcanisé, collée au pour- tour avec de la gutta-percha fondue. Cette membrane de caoutchouc porte une fente à sa partie moyenne, fente par laquelle on introduit dans le tube l’extré- (13 La figure 3 donne un dessin du tiers de la grandeur naturelle de l'instrument. VITESSE DU COURS DU SANG CHEZ LE CHEVAL. 281 mité inférieure d’une plume d'aluminium extrêmement légère. Le tube porte non loin de là un branchement disposé à angle droit sur son axe, branchement fermé par un bouchon de liége, et qui peut être mis, à un moment donné, en communication avec le sphygmoscope. Cette partie de l'appareil que nous venons de décrire doit, pour donner des indications exactes, être construite avec beau- coup de soins. La membrane de caoutchouc doit être solidement fixée au tube de cuivre pour résister aux efforts de la pression sanguine, souvent considérable. La fente qu'elle porte à son milieu doit être mathématiquement perpendiculaire à son plan de surface, afin que l'aiguille ne soit point déviée d’un côté ou de l’autre. Il faut qu’elle soit souple et mince, et cependant assez résistante pour que ses deux lèvres, pressant sur la plume, fassent en quelque sorte ressort et la maintiennent perpendicu- lairement à l'axe du tube, dans quelque position que l'on mette l'appareil. La plume doit être extrêmement légère ; on la taille dans une lame d'aluminium réduite à une grande minceur par un battage prolongé sur une enclume bien polie. L'extrémité qui se trouve en contact avec le papier est recourbée en angle rentrant, ce qui lui permet de porter une gouttelette d'encre. L’extrémité intra-tubulaire qui perce la membrane de caoutchouc est laissée plus épaisse et plus lourde, pour servir de contre-poids. Enfin, ce tube hémadromographique présente un coude de laiton très- épais, qui permet de le fixer solidement, au moyen d’une vis de pression, à la caisse qui porte les cylindres et le mouvement d'horlogerie. La partie destinée à recueillir et à traduire en courbes les pul- sations artérielles se compose d’un sphygmoscope et d’un appa- reil sphygmographique. Le sphygmoscope (1) (fig. 3, n° 2) est un tube de verre d’un diamètre assez fort, long de 10 centimètres. Les deux extrémités (1) MM. Chauveau et Marey s'étaient déjà servis du splygmoscope dans leurs expé- riences sur les pulsations des différentes artères du cheval, (Voyez Marey, Physiologie médicale de la cireulation du sang, p. 196, Paris, 1863.) 289 L. LORTET, sont soudées à des viroles portant à leur centre une tubulure de cuivre de petit diamètre. Dans l’intérieur du tube de verre et à l’une des viroles est attaché solidement un doigt de gant de caout- chouc, mince et souple, mais cependant assez résistant pour ne point se dilater outre mesure sous l'influence de l'ondée sanguine. La tubulure en communication avec le doigt de gant porte un petit tube de caoutchouc terminé lui-même par un robinet qui entre à frottement dans le branchement du tube héma- dromométrique. La tubulure de la seconde virole sera mise en communication au moyen d’un long tube de caoutchoucavec l'appareil sphygmo- graphique. Celui-ci (fig. 2 et 3, n° 5) est exactement semblable à ceux (TUTO dont se sont servis MM. Chauveau et Marey dans leurs expérien- ces cardiographiques. Il se compose essentiellement d’un tam- bour de laiton de 5 centimètres de diamètre. Ce tambour est recouvert à sa face supérieure par une membrane de caoutchouc mince ettrès-légèrement tendue (si le caoutchouc est trop tendu, les tracés sont déformés). Une tubulure s'ouvre dans le tambour et, au moyen d’un tube flexible, est mise en communication avec le sphygmoscope. La membrane élastique supporte à son centre un petit disque de carton, surmonté lui-même d’une arête aiguë de bois. Sur cette arête vient s'appuyer un levier (1) muni à son extrémité d’une plume d'aluminium. Un système de vis de rappel permet (fig. 3, n°6)d’avancer la plume ou de la reculer, de l’abaiïsser ou (4) Ce levier doit aussi être de bois très-aminci. Si la plume tout entière était d'aluminium, elle serait folle et les tracés seraient déformés. VITESSE DU COURS DU SANG CHEZ LE CHEVAL. 283 de l’élever. Une fine lanière de caoutchouc viententourer le tam- bour en travers, et, appuyant sur la base du levier, le maintient 8 CA . NL Hémodromomètre enregistreur. dans la position voulue, de quelque façon que l'appareil se trouve placé. Enfin, le tambour et tous ses accessoires peuvent glisser 28 L. LORTET, le long d’une tige à laquelle ils se fixent au moyen d’une vis de pression. Lorsque l'air contenu dans le tube de verre du sphygmoscope sera comprimé par la dilatation du doigt de gant, il sera refoulé (fig. 3, n° 4) dans le tube de caoutchouc; du tube dans le tam- bour ; la membrane élastique sera soulevée, et le levier éprou- vera des mouvements d’oscillation plus ou moins étendus, qui laisserofit leur trace sur le papier déroulé par les cylindres. La partie commune aux deux autres, l’enregistreur, c’est-à- dire le mouvement d’horlogerie et les cylindres, sont contenus dans une boîte de laiton ouverte par en haut. Le mouvement (fig. 3, n° 7 et 8) d’horlogerie peut être mis en action ou arrêté au moyen d'une détente qui vient butter contre les volants de l'hélice. De plus, la machine étant en mouvement, on peut engre- ner ou désengrener les cylindres rendus par le papier solidaires l’un à l’autre, au moyen d’un glissement qu'on fait opérer au cadre qui les supporte. Sur l'axe du cylindre qui émet le papier vient appuyer un ressort, dont la pression peut à volonté être augmentée ou diminuée, et qui permet de donner toujours au papier une tension convenable. Fixée par les extrémités aux deux cylindres avec un peu de gomme, la bande de papier doit être divisée par des traits fins et bien établis en centimètres et en millimètres carrés. Ces divi- sions permettent de constater facilement quelles sont les modi- fications que peuvent subir les tracés, lorsque le courant sanguin est influencé d’une facon ou d’une autre. Le papier doit être glacé et lissé avec le plus grand soin, de sorte qu’il n'offre pour ainsi dire aucune résistance aux plumes. Les encres doivent être limpides et très-fluides ; on peut charger une des plumes d’encre bleue, la seconde d'encre rouge, afin que les lignes se distinguent mieux au premier coup d'œil. IT, — MANUEL OPÉRATOIRE, Des tubes de divers diamètres permettent de placer l'appareil sur différentes artères; cependant celle qui est la plus commode, et qui donne les plus beaux résultats, est l'artère carotide. Pour VITESSE DU COURS DU SANG CHEZ LE CHEVAL, 285 appliquer l'instrument sur cette dernière, voiei comment il faut s'y prendre : L'animal étant debout et maintenu immobile par un aide qui lui tient les naseaux avec le licol, on fait dans la gout- tière de la veine jugulaire une incision de 15 à 20 centimètres de longueur et assez profonde pour intéresser d’un seul coup et la peau et une partie du tissu cellulaire sous-cutané. En conti- nuant la dissection, on tombe directement sur l'artère, qu’on sépare sans peine des deux cordons nerveux qui l’accompagnent, le pneumogastrique uni au grand sympathique et le récurrent. L'artère est dénudée sur une assez grande étendue, et, pour rendre l’opération plus commode, on l’allonge par quelques trac- tions modérées. Un aide la saisit alors entre le pouce et l’index de chaque main et en isole ainsi une partie. On y fait une inci- sion assez longue pour permettre l'introduction du tube héma- dromographique, Ce tube est tenu de la main droite; son extrémité est introduite dans l'artère, en ayant soin d’enfoncer l'instrument jusqu'à son pédicule. Alors l’aide cesse légèrement de comprimer la partie inférieure de l'artère, afin que le sang, entrant dans l'appareil, en chasse l'air complétement. Puis, le tube étant toujours rempli de sang, on en glisse rapidement l’autre extrémité dans le bout supérieur du vaisseau. On ôte le bouchon qui ferme l’orifice du branchement, et l’on relâche la compression au bout supérieur. Le sang vient alors de nouveau refluer dans l'appareil et en expulse les petites bulles d’air qui auraient pu s'introduire pendant la manœuvre opératoire. Le branchement étant bouché de nouveau, on fixe au moyen de ligatures solides les parois de l'artère au tube hémadromogra- phique, puis on cesse entièrement la compression. La circulation se rétablit d'une manière tout à fait physiolo- gique et sans amener aucun trouble, ce dont il est facile de s’as- sur par l'exploration du pouls ou par l’auscultation cardiaque. Pour obtenir ce résultat, une condition cependant est essen- üelle, c’est que l'air n'ait pas pénétré dans l'artère, sans cela les plus graves accidents surviennent dès que la compression a cessé, Si quelques bulles d'air seulement sont entrainées par l’ondée sanguine, elles arrivent jusque dans les artères cérébrales, où 286 L. LORTET. elles produisent un effet stupéfiant très-énergique par l'anémie locale qu’elles produisent. L'animal dresse les oreilles, secoue la tête, tremble sur ses membres, se met à reculer ou tourne sur lui-même, puis s’abat avec fracas. Lors même que les accidents n’atteignent pas une pareille gravité, la circulation n'en est pas moins complétement troublée, comme on pourrait le constater facilement si l'appareil était déjà en activité. Il faut souvent un temps assez considérable pour que le calme renaisse et que la fonction reprenne sa régularité physiologique. Une autre difficulté peut se présenter : c’est une contraction subite et souvent très-considérable de la lumière du vaisseau, contraction qui s'oppose souvent à l'introduction du tube héma- dromographique. Dans ce cas-là, le parti le plus sage, au lieu de perdre son temps en efforts inutiles, est de prendre un tube d'un diamètre moindre. L'obstacle est ainsi facilement franchi. Le tube hémadromographique étant solidement fixé, on entre. à frottement dans son branchement l'extrémité du robinet atte- nantau sphygmoscope. Celui-ci, au préalable, bien purgé d'air, est rempli d’une solution concentrée de bicarbonate de soude. Cette solution est destinée à empêcher la coagulation du sang dans l’intérieur du tube et du doigt de gant. Enfin, au moyen d'une vis de pression, on fixe le système de cylindres au tube hémadromographique. La membrane de caoutchouc est traversée par la plume d'aluminium ; le robinet du sphygmoscope est ouvert, et l'on voit le doigt de gant se dila- ter sous l'effort des pulsations. L'autre extrémité est mise en communication au moyen d'un tube flexible avec le tambour sphygmographique. On charge les plumes d’encre au moyen d'un pinceau, puis, quand tout est bien en place, on pousse la détente de l’hélice. Aussitôt les cylindres se mettent en mouve- ment, le papier se déroule avec une vitesse uniforme, les plumes viennent tracer des courbes qui représentent fidèlement les impulsions qui teur sont communiquées. Touies ces opérations peuvent être rapidement exécutées; mais il faut prendre de nombreuses précautions, si l’on veut bien réussir, et toujours s'assurer que chaque pièce fonctionne bien, | VITESSE DU COURS DU SANG CHEZ LE CHEVAL. 287 que le papier est bien enroulé, les tubes bien assujettis ; qu'au- cune fuite d'air ne peut avoir lieu dans le tambour ou dans les tuyaux, Tous ceux qui ont fait de la physiologie expérimentale savent quel prix il faut attacher à ces prétendues minuties; car la moindre négligence, sous ce rapport, peut entacher d'erreur la plus belle et la mieux réussie des expériences, et faire perdre ainsi en quelques instants le fruit de toute une journée de travail. CHAPITRE 11. Î. — ANALYSE D'UN TRACÉ NORMAL DE VITESSE. Si nous exaïninons un tracé de vitesse obtenu sur la carotide droite d’un cheval de taille moyenne, et dans des conditions tout à fait normales, c’est-à-dire, le cœur battant régulièrement quarante fois par minute, il est facile de voir que chaque courbe, correspondant à un battement cardiaque, à mis une seconde et demie pour se dessiner. Pour faciliter nos recherches, nous divi- serons la seconde en dixièmes. Un tracé normal aura donc été obtenu en 15 dixièmes de seconde. La vitesse (fig. 4) débute brusquement avec une énergie con- sidérable. Elle atteint son summum d'intensité dans l’espace de 2 dixièmes de seconde. Pendant le dixième suivant, la courbe redescend rapidement. Au quatrième dixième de seconde, la 288 L. LORTET. vitesse diminue insensiblement et la courbe est moins pronon- cée. Pendant le cmquième dixième de seconde, la vitesse est encore moins considérable et la courbe moins rapide. Enfin, dans le sixième dixième, la ligne est presque horizontale, ce qui indique une certaine vitesse constante pendant un espace de temps déterminé. Pendant le septième dixième de seconde, la courbe se relève de nouveau pour former un monticule assez. sensible, qui repré- sente un dicrotisme de vitesse; c’est-à-dire que, pendant un dixième et demi de seconde environ, la vitesse augmente nota- blement, loin de diminuer graduellement. Ce dicrotisme de vitesse correspond parfaitement au dicrotisme de pulsation. Pendant les 8 dixièmes de seconde qui suivent, la courbe est toujours descendante, mais en suivant une ligne ondulée, qui prouve que la vitesse est loin d’être uniforme dans l’ar- tère pendant la période de repos du cœur. L'explication de cette ligne ondulée est facile à donner : un liquide pesant comme de l’eau ou du sang, renfermé dans un tuyau élastique, devra forcément éprouver des mouvements de va-et-vient ondu- latoires, si on lui communique, à un moment donné, une cer- taine vitesse. Ce sont ces ondées sanguines qui dessinent cette courbe ondulée, et ces monticules indiquent le dicrotisme de vitesse. 1[. — DES VARIATIONS DE FORME DES TRACÉS HÉMADROMOGRAPHIQUES, Le tracé représenté par la figure 5 à été obtenu en appli- quant l’hémadromographe sur la carotide gauche d’un gros cheval percheron en bonne santé, et dont le pouls battait, en moyenne, 40 pulsations par minute. Là, comme dans le tracé que nous venons d'étudier, nous voyons que la courbe met 2 dixièmes de seconde à atteindre son maximum. Pendant les 2 dixièmes suivants, elle redescend brusquement, mais cependant elle n’atteint pas dans cette chute le niveau de son point de départ. Dans les 2 dixièmes suivants, elle s'incline un peu moins rapidement. Lorsque les 8 dixièmes de seconde sont écoulés, à partir de son début, la RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 259 courbe se relève pour former un monticule de dicrotisme assez prononcé ; puis, pendant les 7 dixièmes de seconde qui suivent, elle s’abaisse assez régulièrement en formant encore quelques légères ondulations. Lorsque la courbe de vitesse est arrivée à son minimum, elle se relève brusquement et un nouveau tracé se dessine. Ce minimun indique non une absence de vitesse, mais une vitesse constante encore assez considérable. Il est facile de con- stater ce fait en comprimant l'artère mise en expérience au- dessus du tube hémadromométrique. Dans ce cas, la vitesse est absolument nulle, puisque la circulation est interrompue dans le vaisseau ; la plume trace alors une ligne droite (voy. la pl. VI, n*, 5, 6, et 7) qu'on peut appeler ligne du zéro (1) et qui est toujours de plusieurs millimètres, quelquefois de plusieurs centimètres (voy. la pl. VI, n° 4), au-dessous des minema de la courbe vitesse. On peut donc affirmer que dans Partère le sang n'éprouve jamais un moment de repos, mais que, au Contraire, sa vitesse moyenne est toujours assez considérable. Dans quelques cas cependant on peut observer une anomalie à cette forme de tracé, une exception à cette règle générale, et l’on voit les minima de la courbe de vitesse descendre plus bas que la ligne du zéro. On peutle constater sur le tracé n°5 : après avoir atteint son maximum, la courbe de vitesse redescend (4) La ligne du zéro, que l'on voit sur la figure 4, est le prolongement de celle du tracé qui n’est point représentée. 5° série. Zoo. T. VIL. (Cahier n° 5.)3 19 290 L. LORTET. brusquement et dépasse de plusieurs millimètres la ligne du zéro. À un moment donné, très-court il est vrai, pendant 4 ou 2 dixièmes de seconde, il peut donc, dans certains cas, se pro- duire non-seulement un arrêt à peu près complet de la vitesse, mais même un courant assez violent qui se dirige en sens in- verse du premier. En étudiant comparativement les tracés de vitesse avec ceux des pulsations, nous dirons comment on peut expliquer ce smgulier phénomène. Certains tracés de vitesse, tout en étant parfaitement normaux Fig. 7. et présentant les particularités que nous venons d'étudier, peu- vent cependant avoir une tout autre apparence. Le tracé (fig. 7), pris sur un vieux Cheval, nous en offre un exemple remar- quable. Les artères étaient ossifiées en partie, le cœur ne se contractait qu'avec peu de force. La ligne ascendante de la vitesse n’est pas ferme, elle est souvent tremblotée. Le point maximum de la courbe n’est pas élevé; la ligne descendante est légèrement ondulée. Le dicrotisme n’est pas très-sensible et la vitesse constante n'est pas considérable, puisque le point qui RÉCHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 291 mdique la vitesse minimum est très-peu élevé au-dessus de la ligne du zéro. Dès qu'un tracé paraît anormal, il faut surveiller de près les appareils, si l’on veut être sûr d’avoir toujours des résultats comparables. L'épaisseur des membranes de caoutchouc em- ployées doit être la même, leur élasticité identique. Enfin, et ceci est de la plus grande importance, l'aiguille qui entre dans le tube hémadromométrique doit être toujours enfoncée au même niveau. CHAPITRE HL. DES RELATIONS QUI EXISTENT ENTRE LA VITESSE DU COURS DU SAXG ET LA PULSATION ARTÉRIELLE, Dans le précédent paragraphe, nous avons vu quels étaient les caractères propres à la vitesse du cours du sang dans les artères. Nous allons maintenant étudier ces caractères en les comparant à ceux des pulsations de la mème artère ; ce simple rapprochement uous permettra d'expliquer facilement ce que signifient certaines parties de ces courbes qui semblent à pre- mière vue si bizarres et si Indéchiffrables. Dans les tracés carotidiens (fig. 8), nous divisonschaque courbe de pulsation et chaque courbe de vitesse par quatre points de repère représentés par des arcs de cercle que chaque plume 292 L. LORIET. aurait tracés, si l'instrument avait pu être arrêté quatre fois pendant chaque pulsation. Ces points de repère permettent d'établir un synchronisme parfait entre les divers éléments du tracé. 4° Dès que la systole ventriculaire est assez énergique pour soulever les valvules sigmoïdes, il se produit en même temps une forte pression et une vitesse considérable (fig. 8, V, 1, P, 1). Mais la vitesse atteint son maximum bien avant la pulsation, et celle-ci augmente encore considérablement, tandis que la vitesse décroît déjà rapidement à la fin de la systole. A la fin de la sys- tole, les ventricules sont presque vides et n'envoient plus que peu de sang dans l'aorte, toute leur énergie étant alors utilisée à faire contre-poids à l'énorme pression qui s’est développée subitement dans le système artériel, pression qui est encore aug- mentée par la grande élasticité des gros troncs vasculaires. La vitesse décroît donc rapidement, quoique la pulsation soit encore à son Maximum. 2° À partir du point où elle a atteint son maximum, jusqu'à la fermeture des valvules sigmoïdes (Hg. 8, V, 2, P, 2), le tracé de la pulsation descend rapidement. Celui de la vitesse continue à s’abaisser aussi, quoique un peu moins brusquement. 3° Immédiatement après la systole ventriculaire, les valvules sigmoides se ferment brusquement. Cette occlusion rapide de l'aorte produit dans la colonne sanguine un mouvement ondu- latoire qui se traduit par une rapide augmentation de pression (fig. 8, P, 3). Dans le tracé de vitesse, au contraire, on observe un phénomène inverse. La fermeture des valvules sigmoïdes arrête subitement le mouvement de la colonne sanguine. Celle- ci, refoulée en arrière par la haute tension artérielle, repousse violemment les valvules ; de là cette vitesse rétrograde (fig. 8, Ÿ, 3) qui est souvent considérable, et qui, quelquefois même, dépasse de beaucoup la ligne du zéro. h° À partir du moment où les valvules sigmoïdes sont fermées, les tracés de vitesse et de pulsation présentent de grandes ana- logies : ce sont deux fortes élévations (fig. 8, V, 4, et P, 4) dicrotes, suivies d’ondulations moins marquées qui se corres- RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 293 pondent exactement dans les deux tracés, et qui finissent par disparaître au moment où une autre pulsation a lieu. M. Marey a montré expérimentalement (1) d’où provenait ce dicrotisme qui ne manque jamais de se produire avec une intensité plus ou moins grande dans les tracés de vitesse ou de pulsation (fig. 4, + 0,1, 0, ete VE, D A}. Quand un fluide dense, contenu dans un tube élastique, recoit une impulsion énergique, si ce fluide éprouve une résistance à s'écouler à cause de l’étroitesse du tube, ou par toute autre cause, 1l y aura une série de mouvements ondulatoires, qui, au toucher, donneront la sensation du pouls dicrote. Si ces mouvements sont reproduits par des traits graphiques, ils mon- treront une série de petites élévations qui décroissent succes- sivement de hauteur etque vient arrêter brusquement une nou- velle impulsion. Les mêmes phénomènes se passent dans les artères : là, nous avons un fluide assez dense : le sang ; un sys- tème de tuyaux élastiques : les artères. Celles-ci, par leurs ra- mifications nombreuses et par leur diamètre de plus en plus petit à la périphérie, opposent une résistance assez considérable au courant centrifuge. Elles.sont brusquement fermées à leur autre extrémité par l’occlusion des valvules sigmoïdes : de là cette série de mouvements ondulatoires successivement centrifuges et centripètes qui donnent lieu à ces courbes de moins en moins élevées, et que vient arrêter une nouvelle systole ventriculaire. Cette ligne ondulée du dicrotisme indique la vitesse du cou- rant sanguin pendant l’état de relâchement du cœur. Cette vitesse n’est nulle à aucun moment d'une révolution cardiaque. Il est facile de s’en assurer en comprimant brusquement l'artère entre deux doigts, immédiatement au-dessous du tube héma- dromométrique. Le courant sanguin est alors absolument inter- rompu, la vitesse est évidemment nulle. La plume de l’héma- dromomètre trace alors sur le papier une simple ligne droite qui peut être regardée comme un zéro. Cette ligne est généralement de plusieurs millimètres plus basse que les minima de la courbe (1) Physiologie de la circulation, p. 266. 294 L, LORTET. de vitesse. Quelquefois seulement, ainsi que nous l'avons expli- qué plus haut, l’abaissement des valvules sigmoïdes donne nais- sance à un courant rétrograde qui fait baisser les minima au delà de la ligne du zéro. Pendant cette compression (1), les pulsations contmuent leur rhythme régulier : elles prennent seu- lement une amplitude beaucoup plus grande, ce qui prouve que la tension s’est élevée dans le système artériel. La pulsation et la vitesse peuvent donc être indépendantes l’une de l’autre. Les tracés représentés figure 9 montrent à peu près les mêmes particularités que nous avons déjà examinées dans la figure précédente. À peine la pulsation a-t-elle atteint son maxi- mum que déja la vitesse redescend brusquement (fig. 9, a). Pendant la décroissance de la pulsation, la ligne de vitesse con- tünue son rapide mouvement de haut en bas (fig. 9, b). La clôture des valvules sigmoïdes, représentée sur la courbe de la pulsation par une petite élévation, ne laisse aucune trace sur la ligne de la vitesse (fig. 9, c), qui continue à s'abaisser, mais un peu plus obliquement. Enfin en d, on voit que tous les mon- uicules du dicrotisme pulsation correspondent à ceux du dicro- tisme vitesse. (4) Si l’on comprime l'artère au-dessus de l'appareil, il est évident que vitesse el pulsations seront nulles. Dans ce cas, la plume du sphygmographe trace aussi un zéro, RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 295 CHAPITRE IV. Modifications ameuées dans la vitesse du cours du sang par certains actes physiologiques, I, — RESPIRATION, Jusqu'à présent, nos expériences ne nous ont pas donné des résultats aussi nets qu'il eût été désirable, montrant l'influence de la respiration pulmonaire sur la vitesse du sang dans les ar- tères. D'une manière générale, il est bien évident que plus la respiration est active, plus les mouvements respiratoires seront rapprochés, plus la quantité de sang qui passe dans une section artérielle à un moment donné sera considérable, puisque les coups de pistons cardiaques seront plus rapprochés. Plusieurs physiologistes ont déjà démontré ce fait, et Vierordt a présenté à ce sujet les résultats les plus concluants : « Lorsque, par un temps de trot, la respiration d’un Cheval s’est élevée de 8 à 28 par minute : » 1° Le temps que le sang met à parcourir une distance don- née à été notablement diminué ; cette diminution peut être re- présentée par la proportion 78 : 400. » 2° Les contractions systoliques des ventricules sont au moins de 2 1/10° plus petites. » 8° La fréquence du pouls est augmentée de 2 8/10 fois, ce qui compense et bien au delà la petitesse des contractions systo- liques (4). » D'après tout ce qu'il nous a été donné de voir, la vitesse serait notablement plus considérable pendant l'expiration que pendant l'inspiration. Quand l'air s’introduit dans les poumons, les mi- nima et les maxima forment une courbe à convexité inférieure, Le contraire à lieu pendant l'expiration. Cette influence des mouvements respiratoires se voit très-bien dans les tracés que Vierordt a reproduits dans son travail sur la vitesse du cours du sang. Comme son instrument, vu son peu de (1) Vicrordt, Sfromgeschwindigkeiten des Blutes, Francfort A. M., 1858, 296 L. LORTET, sensibilité, ne donne qu'une moyenne de la vitesse du sang, on peut facilement reconnaître, dans les ondulations générales, l’in- fluence des mouvements de la respiration. Pendant l'inspiration, on voit toujours les minima de la vitesse et des pulsations baisser (pl. VI, n° 8) (1) d'une manière notable. Ce phénomène s'explique facilement par l'élargissement du mé- diastin et du diamètre de l’aorte pectorale. Pendant l'expiration, au contraire, les minima et les maxima de la vitesse et des pul- sations s'élèvent beaucoup, à cause de la compression de l'aorte par les poumons, et de la diminution de son diamètre. Cette in- fluence ne se manifeste pas seulement dans les grosses artères voisines du cœur ; on la retrouve au loin dans les artères les plus excentriques (pl. VI, n° 9), telle que la métatarsienne. On n’a pas encore pu réussir à placer convenablement un tube héma- dromométrique dans une petite artère telle que la faciale ou la métatarsienne, et les indications obtenues n’ont pas été assez nettes pour pouvoir aujourd’hui en tirer des indications de quel- que valeur (2). Puisque, pendant l'expiration, les pulsations augmentent d'amplitude, ainsi que la tension, dans une artère éloignée telle que la métatarsienne, il est permis de penser, par analogie, que la vitesse augmente dans la même proportion. Cependant il faut être très-réservé dans ces conclusions que souvent les faits vien- ent démentir de la façon la plus absolue. IT. — MAsTICATION. La mastication a sur le cours du sang une influence extrême- ment considérable, ainsi qu'on peut s'en assurer par l’examen de plusieurs de nos tracés. Prenons comme type ceux obtenus dans les circonstances suivantes. Expérience : grand Cheval bai- (1) Ces tracés (pl. IT, n° 2, A et B) ne représentent que des traces de pulsations de la carotide et de la métatarsienne. (2) Pendant l'inspiration, les muscles dilatent la cage thoracique, les poumons sui- vent ce mouvement, et l’air est attiré dans le vide qui tend à s'établir dans leur inté- rieur, l'aorte pectorale ne peut se soustraire à cette influence et éprouve un mouve- ment d'expansion de même que le péricarde et les cavités du cœur. RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG, 297 brun, paraissant avoir une paralysie du larynx. Pour remédier à cette gène de la respiration, on lui fait la trachéotomie. Dans la carotide droite, on place le tube hémadromométrique auquel on adapte le sphygmoscope. Un appareil spécial sert à noter les secondes. Les pulsations et les secondes sont battues sur le grand appareil enregistreur de M. Chauveau, la nature sur l'héma- dromomètre enregistreur. Le pouls, avant comme après, est à 45 pulsations par minute. On laisse les papiers se dérouler, et dix pulsations, ainsi que dix monticules de vitesse, viennent s'inscrire. Elles sont régulières, normales et parfaitement phy- siologiques. Ces dix pulsations sont battues dans l’espace de dix-sept secondes. À ce moment, et sans arrêter l'appareil, on approche brusquement l’avoine de l'animal, qui se met à la manger avec avidité; à l'instant même, la forme des tracés. change d’une manière extraordinaire. Voyons ce qui s’est passé : 1° Pour la vitesse : Sur le tracé de la vitesse, à partir de la dix-septième seconde, l'amplitude des oscillations est devenue beaucoup plus considé- rable ; les sommets forment une courbe générale qui monte ra- pidement, et qui même, au bout de quelques instants, dépasse la largeur du papier. La ligne des minima, qui indique la vitesse constante du sang, s'élève aussi beaucoup et d'une manière graduelle. Cette vitesse constante devient très-considérable après quelques secondes. Le dicrotisme de vitesse qui, avant la mastication, était assez sen- sible, mais qui ne se démontrait cependant que par une légère élévation, devient de plus en plus marqué, et se traduit par une courbe de plusieurs millimètres de hauteur. Enfin, dans les dix- sept premières secondes, nous avons eu dix monticules de vitesse, tandis que dans les dix-sept secondes qui suivent le mo- ment où l'animal a commencé à manger, nous avons treize mon- ticules, ce qui fait un accroissement de près d’un tiers. 2° Pour les pulsations : Les dix premières pulsations sont parfaitement régulières et normales. Tous les moindres détails y sont marqués avec une précision extraordinaire : on aperçoit les traces de la fermeture 298 L. LORTET. des valvules sigmoïdes, le monticule du dicrotisme, puis non pas la trace de l'ouverture des valvules sigmoïdes, mais, pour ainsi dire, leur bombement dans la cavité aortique. Après un très- court instant, la tension du sang de l'aorte, qui maintient ces valvules dans cette position, est vaincue, et la PART a lieu dans toute son amplitude. A partir de la dixième pulsation l'animal mange, les maxima tombent brusquement de près de 1 centimètre au-dessous de leur moyenne, et les minima de plusieurs millimètres. Cet abaisse- ment continue pendant six pulsations encore, c’est-à-dire du- rant les six secondes suivantes ; puis subitement, à partir de la dix-septième pulsation, c’est-à-dire de la sixième depuis la mastication, maæima et minima se relèvent à une très-grande hauteur. Les dix premières pulsations ont eu lieu en dix-sept secondes ; les dix pulsations suivantes, à partir du moment où l’animal s'est mis à manger, se sont effectuées en treize secondes seule- ment. On peut donc dire que la mastication augmente considé- rablement les pulsations cardiaques en un temps donné. Enfin, les monticules du dicrotisme, de la fermeture et de l'ouverture des valvules sigmoïdes, sont bien plus prononcés qu'à l’état nor- mal, ce qui indique que, pendant que l'animal mange, les révo- lutions du cœur se font avec une énergie bien plus grande. Eu considérant d’un même coup d'œil les tracés de vitesse et de pulsations que nous venons d'examiner séparément, il est facile de voir que, dès que l'animal mange, la vitesse augmente trés-rapidement, tandis que les pulsations diminuent. Nous avons donc encore là une preuve de plus de la complète indé-' pendance de la vitesse et des pulsations. 1° D'où vient d'abord cette vitesse considérable de la colonne sanguine ? il n'est point difficile d'expliquer ce phénomène, et nous avons là une expérience qui vient corroborer celles de M. Claude Bernard sur les glandes et les muscles en action. La carotide est une artère voisine des appareils qui agissent pendant la mastication ; c’est d'elle que partent les nombreux ramus- eules qui se distribuent aux muscles masticateurs, aux glandes RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 299 qui vont sécréter la salive, au pharynx et à l'œsophage qui vont saisir le bol alimentaire. Tous ces organes étant en état d'activité physiologique, leurs capillaires se dilatent prodigieusement et fournissent une grande quantité de sang. Nous avons donc là une plus grande masse de sang employée et une grande dilata- tion des capillaires qui fournissent ce sang. De ces phénomènes résultent nécessairement une vitesse infiniment plus considérable, mais aussi un abaissement notable dans la tension de la colonne sanguine carotidienne. 2° Mais, après quelques secondes écoulées, nos tracés nous indiquent que les choses se passent autrement. La rapidité du courant sanguin devient extrême, ainsi que le montre l’éléva- tion graduelle non-seulement de la vitesse maxima, mais surtout de la vitesse constante. Les pulsations, au contraire, au lieu de continuer à s’abaisser, se relèvent peu à peu et prennent une amplitude énorme. La tension constante de la colonne caroti- dienne augmente aussi beaucoup à partir de la huitième seconde après le début de la mastication; il y a done eu une réaction sur l'organe central de la circulation. Les muscles et les glandes ont continué à demander du sang en abondance ; il Y a eu une excitation nerveuse sur le cerveau, et de là une influence sur le cœur, qui s’est mis à battre plus vite et plus fort pour pouvoir fournir une quantité de sang suffisante à cette activité physiologique nouvelle. On peut voir, fig. 10, un beau tracé normal pris surune earo- Fig. 10. tide droite. Le monticule de vitesse est extrémement élevé; il 300 L. LORTET. atteint son maximum en un et demi à 2 dixièmes de seconde (1). Puis, la courbe redescend brusquement et les valvules sigmoïdes se ferment au quatrième dixième de seconde; le dicrotisme est très-prononcé. On laisse pendant quelques instants le papier se dérouler et l’on présente l’avoine à l'animal; on obtient alors le tracé n° 10. L'amplitude des oscillations était devenue tellement forte que Fig, 1!, l'aiguille sortait du papier. 1 a fallu la retirer et l’enfoncerdbeau- coup moins profondément dans le tube hémadromométrique ; aussi les maæima paraissent-ils beaucoup moins hauts qu’ils ne l’étaient en réalité. Malgré le peu de saillie de la plume, on voit que la vitesse constante est encore plus élevée que dans la fig. 10, ce qui permet d'affirmer qu'elle était devenue énorme. Cette expé- rience est encore intéressante en ce qu’elle permet de constater très-exactement que, pendant la mastication, la durée relative des diverses phases de la vitesse dont est animé le fluide sanguin, n’est point changée. Ainsi, avant comme après la mastication, le maximum de la vitesse se produit au deuxième dixième de seconde, et la fermeture des valvules sigmoïdes, exactement au quatrième dixième. On peut encore voir (pl. VI, n° 6) un exemple frappant de l'influence de la mastication sur la vitesse. En A, tracé normal : les monticules de vitesse sont peu élevés, peu rapprochés, la vitesse constante est très-petite. En B, dès que l'animal mange, les maxima s'élèvent extraordinairement, les monticules se rap- (4) Les divisions représentant les secondes sont fautives ; au lieu d'être si inclinés à droite, les ares de cercle qu’elles forment devaient être presque verticaux. RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 301 prochent, la vitesse constante devient énorme, puisque les minima s'élèvent au-dessus de la ligne du zéro de plusieurs cen- timèêtres, tandis qu'à l’état normal cette élévation n’était que de quelques millimètres. Nous prouvons ainsi, une fois de plus, quelle admirable harmonie règne dans toutes les branches du système circulatoire dont l’organe central, par une savante compensation, sait envoyer plus où moins de sang, selon les besoins de tel ou tel appareil organique. Cette élévation de la pression et cette grande augmentation de vitesse n'a pas lieu seulement dans les artères voisines du cœur ou proches des mâchoires, mais l'influence de la mastication peut se faire sentir dans les artères tout à fait excentriques, telle que la métatarsienne. Dans notre expérience représentée planche VE, n° 1, nous avons placé un sphygmoscope sur cette dernière artère. Les pulsations y étaient très-peu sensibles et la plume traçait une ligne presque droite. Mais dès que l’animal se mit à manger l’avoine, la pression constante s’éleva à près de 5 milli- mètres et les pulsations devinrent de plus en plus marquées. Ce phénomène est assurément un des plus curieux et des plus sai- sissants qu'on puisse voir. De plus, il permet d'expliquer cer- tains faits de pathologie de la manière la plus rationnelle et la plus logique : pourquoi, par exemple, lapoplexie cérébrale et les ruptures anévrysmales ont lieu surtout pendant ou immé- diatement après les repas. Il est évident qu'à ce moment surtout la vitesse du sang et la tension considérable qu’il acquiert dans les artères forcent les parties faibles ou altérées à céder brusque- ment. Cette augmentation dans la vitesse du courant sanguin, dans la force et la fréquence des pulsations du cœur et des artères, due à la mastication, dure peu de temps une fois que l'acte phy- siologique, qui en à été le point de départ, est terminé. Après quelques minutes, on voit les plumes reprendre peu à peu leurs situations premières et les tracés présenter de nouveau des courbes tout à fait normales. 302 L, LORTET, CHAPITRE V. Modifications amenées dans la vitesse du cours du sang par certaines causes perturbatrices. I. — INFLUENCE DE LA SECTION DE LA MOELLE ÉPINIÈRE SUR LA VITESSE DU SANG DANS LES ARTÈRES ET SUR LES PULSATIONS. (tespiration artificielle.) Quand on veut étudier l'influence de la moelle épinière sur la vitesse du sang, il faut avoir som de prendre préalablement un tracé de cette vitesse sur l'animal encore debout, puis ur autre sur l'animal couché sur la table, mais encore mdemne de toute opération (pl. VE, n° 4, A); quoique par l'effet de cette posi- tion la circulation ne soit pas notablement modifiée, il est très- utile d’avoir autant que possible des tracés exactement compa- rables. Dès que la section de la moelle est opérée au niveau de l’espace aloïdo-occipital, les battements du cœur sont forts et un peu précipités ; par contre, la vitesse constante (pl. VI, n° 4, B) est presque nulle. Au moment de la systole ventriculaire, la plume est fortement déviée et vient décrire une courbe au moins deux fois plus élevée qu'a l'état normal; mais elle retombe brusquement avec un dicrotisme fable, et elle descend chaque fois presque au niveau de la ligne du zéro qu'on a obtenue en comprimant l'artère au-dessous du tube hémadromomé- trique. On voit ainsi facilement que, dès que la contraction sys- tolique est finie, la vitesse du sang est presque nulle. Dans ce cas seulement, nous avons, pour ainsi dire, une absence complète de vitesse constante. Dès que la respiration artificielle est établie, les choses se passent tout autrement. Les monticules de vitesse se rapprochent un peu les uns des autres, ce qui indique que les pulsations car- diaques sont plus nombreuses dans un temps donné. La vitesse constante qui, au moment de la section de la moelle, était pres- que nulle, devient de nouveau (pl. VI, n° 5, C) tres-considé- rable ; et si, au moyen de la compression de l’artère, on obtient de nouveau un zéro, on voit que les minima de la vitesse restent toujours à un centimètre au moins au-dessus de cette ligne du zéro. Il est à remarquer que les tracés de vitesse présentent ici RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 305 un caractère tout particulier : à l’état normal, 1ls forment un monticule arrondi au sommet, ce qui indique une certaine len- teur dans l’accroissement et dans le décroissement de la vitesse. Ici, au contraire (pl. VI, n° 5, C), nous avons vu une ligne verticale formant presque la moitié de la hauteur du monticule ; ce qui indique qu’au début la vitesse est subitement considérable. L'autre moitié du tracé, jusqu'au sommet, est une autre ligne presque droite formant, avec la première, un angle obtus très-ouvert. La vitesse est donc toujours très-marquée et son maximum dure un certain temps. Mais arrivée à son summum d’élévation, la plume redescend brusquement, suivant une ligne fortement inclinée et arrive bientôt à son minimum, d’où elle se relève pour former une courbe de dicrotisme très-sensible. Le sang conserve donc pendant un temps assez long sa vitesse maæima, ce qui est clairement démontré par le sommet incliné que présentent les monticules de vitesse, Les pulsations de Ja carotide présentent presque les mêmes caractères ; la pression est extrèmement brusque et atteint d’em- blée son maximum; aussi le tracé, à son début, forme-t-il d'abord une ligne presque verticale. De ce pont, la plume redescend assez rapidement, jusqu'au moment où la fermeture des valvules sigmoïdes donne lieu à un dicrotisme bien marqué ; puis elle baisse graduellement jusqu'à ce qu'une nouvelle systole ventriculaire vienne lui faire attendre un nouveau maximum. Quoique la circulation soit accélérée dans la carotide par la section de la moelle, les pulsations ont diminué en nombre. Avant la section, les dix premières pulsations se sont effectuées en quinze secondes ; après la section, les dix pulsations suivantes n’ont eu lieu qu’en dix-sept secondes. La figure 12 représente un tracé normal de vitesse obtenue Fig. 192. sur la carotide droite d’un vieux cheval un peu poussif, mais 20 L. LORTET, encore vigoureux. La membrane de caoutchouc qui sert de res- sort à la plume de l'hémadromomètre est assez épaisse et peu élastique, ce qui fait que les monticules s'élèvent peu. Les détails y sont néanmoins très-nettement indiqués, le dicrotisme trés-visible, la vitesse constante peu considérable. La figure 13 montre les modifications que cette vitesse a éprouvées près la section de la moelle. Le tracé est pris sur la carotide gauche du mème animal, mais la droite étant liée, ce qui a certainement modifié la forme des monticules de vitesse. Les sommets sont devenus très-arrondis, le dicrotisme peu sen- sible. Enfin, les pulsations cardiaques sont devenues évidemment plus fréquentes. Les pulsations carotidiennes (fig. 13, P) pré- sentent à peu près les mêmes caractères que celles que nous avons étudiées plus haut. La plume atteint brusquement et d’em- blée son maximum, puis redescend en formant un dicrotisme assez considérable; puis le tracé se termine par une ligne si horizontale, qu’on croit d’abord que le levier touche quelque part un arrêt. Il n’en est cependant rien; cette ligne indique, pour ainsi dire, un état d'équilibre stable dont la pulsation est très-remarquable. Il. — INFLUENCE DE LA SECTION DES PNEUMOGASTRIQUES SUR LA CIRCULATION ARTÉRIELLE. Nous donnons ici dans son entier une observation type de cette curieuse expérience (pl. VE, n° 6). On opère sur un cheval bai (4) Cette figure a été obtenue lorsque l'appareil était garni de cavutchoue un peu trop épais. L'instrument était peu sensible. RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 209 brun de taille moyenne. Le tube hémadromométrique est placé sans difficulté dans la carotide droite ; trachéotomie. Le tracé de vitesse est régulier et normal (pl. VI, n°6, A); les monticules sont espacés, arrondis au sommet; la vitesse constante est peu marquée, elle n’est que de quelques millimètres supérieure à la ligne du zéro; le dicrotisme est très-peu sensible. Dès que l'animal mange (pl. VI, n° 6, b), les monticules de vitesse deviennent énormes, comparés à ce qu'ils étaient. Les maxima atteignent une hauteur quatre fois plus grande ; la vitesse con- stante devient très-considérable. Dans le tracé normal, les mini- ma ne dépassaient que de 4 millimètre la ligne du zéro ; mainte- nant que l’animal mange, les minima dépassent cette ligne de 25 millimètres! Dès que les pneumogastriques sont coupés, les pulsations deviennent très-fréquentes, au moins dans la pro- portion de 4 : 4 (pl. VI, n° 7, C). Les monticules de vitesse croissent dans le même rapport. Les maxima prennent beaucoup plus d’ampleur ; la ligne des minima s'élève beaucoup, ce qui indiqueun accroissement considérable de vitesse constante. Cette ligne est de 15 millimètres plus élevée que le zéro; enfin, le dicrotisme, qui était presque insensible dans le tracé normal, devient subitement très-visible. : L'odeur seule de l’avoine a une influence très-sensible (pl. VI, n° 7, D). Après quelques pulsations, on fait manger l'animal (pl. VI, n° 7, E), qui reste fort tranquille et ne paraît nullement ému des opérations qu'on lui a fait subir. Aussitôt la plume se meut avec une amplitude extraordinaire, la vitesse constante augmente beaucoup; aussi la ligne des minima est-elle à une hauteur double de celle qu'elle atteignait dans le tracé précédent. A mesure que l'animal mange, les monticules se rapprochent encore et atteignent une telle hauteur, que la plume est projetée hors du papier. La figure 14 représente un tracé obtenu sur la carotide droite d'un vieux cheval dont on avait coupé les pneumogastriques. La vitesse arrive rapidement à son maximum ; làelle forme un som- met arrondi, puis elle redescend brusquement, sans aucune 5€ série. ZooL. T. VIL (Cahier n° 5.) # 20 906 L. LORVET. ondulation, jusqu'à la fermeture des valvules sigmoïdes ; le dicro- tisme est peu sensible, la vitesse constante peu considérable (4). Les monticules de vitesse sont tres-rapprochés les uns des autres, tandis que dans le tracé normal ils sont très-éloignés. LIT, — INFLUENCE DE L'INTRODLCTION DE L'AIR DANS LES ARTÉRES SUR LA CIRCULATION. (PLV 10943) En mettant en place le tube hémadromométrique, et surtout le sphygmoscope, on ne saurait prendre assez de précautions pour éviter l'introduction de l'air dans les artères. En effet, s’il en pénètre un certain nombre de bulles, l'animal tombe fou- droyé en tournant sur lui-même, et reste ainsi souvent pendant longtemps dans un état voisin de l’asphyxie. Si une très-minime quantité d'air a été entraînée par le courant sanguin, l'animal ne tombe point, mais il donne des signes d’une grande inquiétude, il secoue la tête, dresse les oreilles et souvent tremble forte- ment pendant quelques instants. Il est évident que, par l’action stupéfiante qu'il exerce sur le cerveau, l'air introduit dans l'artère trouble violemment la circulation (pl. VI, n° à). Il nous est souvent arrivé, au milieu de nos expériences, de voir nos plumes devenir pour ainsi dire folles et tracer subite- ment des courbes désordonnées. Il fallait en rechercher la cause dans la présence de quelques bulles d'air à la partie supérieure du sphygmoscope, bulles qu'un mouvement un peu brusque de l'animal faisait passer dans le courant sanguin. (4) Peu considérable dans la figure à cause du peu de sensibilité de l'instrument ; considérable, si l’on tient compte de l'épaisseur du caoutchoue employés RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 207 IV. — INFLUENCE DE LA LIGATURE D'UNE CAROTIDE SUR LA CIRCULATION DE L'AUTRE CAROTIDEe Plusieurs fois, dans le cours de nos expériences, nous avons eu l’occasion d'opérer sur des chevaux qui nous avaient déjà servi précédemment et dont l’autre carotide avait été liée. Chaque fois nos tracés de vitesse prenaient une forme des plus remarquables. La figure 15 est un tracé de vitesse pris sur la carotide gauche, l’autre étant libre. La figure 16 représente un tracé pris sur la carotide droite du même sujet, la gauche étant liée. Toutes les autres circonstances _ qui auraient pu influencer la circulation étaient au reste les mêmes. Ce qui frappe tout d’abord en comparant ces deux tra- cés, c’est de voir combien la vitesse maxima devient considérable après la ligature d’une des carotides. Cette vitesse maxima dure plus longtemps, puisque les monticules sont arrondis à leur som- 208 I. LORTEF, met. Mais ce qu'il y a de bien extraordinaire, c'est le change- ment qui s’est opéré dans la vitesse constante. Avant la ligature, Fig. 17. cette vitesse Constante n était que de quelques milhmetres (fig. 45). Après la ligature, les minima s'élèvent de près de 2 centimètres, ce qui prouve que cette vitesse était devenue énorme. Les mêmes phénomènes se reproduisent pour les tracés repré- sentés fig. 17 et 18. Le premier est un tracé de vitesse tout à fait type, obtenu sur la carotide gauche, la droite étant libre. Le Fis, 48. tracé suivant, au contraire, à été pris sur la carotide droite du même sujet après avoir fait la ligature de la gauche, toutes les autres circoustances extérieures étant du reste les mêmes. Après la ligature, on voit que les monticules se rapprochent les uns des autres. Leur extrémité supérieure se prolonge (1) en cône (4) Les divisions en dixièmes de seconde sont trop inclinées à droite. RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 309 élevé, ce qui mdique une vitesse maxima longtemps prolon gée. La trace de la fermeture des valvules sigmoïdes est fortement accusée, et le dicrotisme est très-prononcé. De plus, la vitesse constante est énorme. On peut donc dire que lorsqu'une des deux carotides est liée, le cœur, par un système de compensation, se contracte plus rapidement et plus énergiquement pour pouvoir faire passer en un temps donné, par la carotide restée libre, une quantité de sang suffisante pour les besoins de l'organisme. Les différentes révolutions cardiaques paraissent néanmoins s’accom- plir dans le même temps, ainsi qu'on peut facilement le consta- ter au moyen des lignes qui divisent les tracés en parties égales entre elles. V. — INFLUENCE D'UN RÉTRÉCISSEMENT AORTIQUE SUR LA CIRCULATION CAROTIDIENNE. Les figures 19 et 20 représentent des tracés pris dans les cir- constances suivantes : vieux cheval ayant déjà la carotide droite liée. On couche l'animal sur le côté droit: — section atloïdo- occipitale de la moelle; — respiration artificielle; — mouve- ments extrèémement énergiques. On ouvre le côté gauche de la poitrine, et le tube hémadromométrique est placé sur la carotide gauche. Cette dernière opération se fait facilement, mais l'ou- verture de la poitrine à été gènée par une hémorrhagie assez considérable. Les mouvements du cœur restent cependant de la plus parfaite régularité. On prend d’abord le tracé 19. Les mon- ticules de vitesse sont largement arrondis au sommet; la vitesse constante est peu considérable. On voit (fig. 19, P) que les pul- sations atteignent d'emblée leur maximum. Le dicrotisme est 310 L. LORTET, assez bien marqué, mais entre les pulsations la plume décrit une ligne presque horizontale. Après quelques secondes, on com- prime l’aorte à son origine et l’on prend le tracé 19, Les mon- ticules de vitesse atteignent leur maximum en suivant une ligne oblique, ce qui indique toujours une vitesse beaucoup moindre, quoique prolongée pendant un certain temps. Le dicrotisme est à peine sensible, la vitesse constante presque nulle. Les monti- cules des pulsations (fig. 20, P) présentent une analogie frap- pante avec ceux de la vitesse. Les maxima sont lentement atteints et se prolongent un certain temps. Le dicrotisme est à peine visible. Un rétrécissement aortique diminue donc notablement la vitesse maæima et la vitesse constante du cours du sang dans les artères. VI, — INFLUENCE D'UNE INSUFFISANCE AORTIQUE SUR LA CIRCULATION CAROTIDIENNEe On peut voir à la figure 41 le tracé normal de la vitesse caro- tidienne du cheval qui a servi à cette expérience. On l’abat sur une table et la moelle est sectionnée au niveau de l'articulation occipito-atloïdienne ; la respiration artificielle est établie, Le RECHERCHES SUR LA VITESSZ DU COURS DU SANG. 311 tube hémadromométrique est fixé à la carotide gauche, et une sonde destinée à la rupture des valvules sigmoïdes est introduite dans la carotide droite. On prend d'abord le tracé 21 avant,de pratiquer l'insuffisance valvulaire. Les monticules de vitesse (fig. 24, V) sont espacés, réguliers, peu élevés, aplatis au sommet, à cause de l’interrup- tion du courant dans la carotide droite. Les pulsations (fig. 1, P) atteignent d'emblée leur maximum et forment un dicrotisme décroissant assez marqué. À un moment donné, la sonde intro- duite dans la carotide droite est poussée vigoureusement après une systole ventriculaire. Elle vient heurter les valvules sig- moïdes et les déchire. Une insuffisance est établie, ainsi qu “il est facile de le constater. A l’auscultation, on entend un bruit de souffle diastolique très-caractéristique. On prend alors le tracé 22. Les monticules de vitesse (fig. 22, V) reprennent beaucoup d’ampleur ; elles atteignent rapidement leur maximum et redescendent en pente douce ; puis la vitesse devient presque nulle à un moment donné. Les pulsations (fig. 22, P) ont acquis une bien plus grande amplitude, à cause de l’abaissement de pression qui s’est opéré dans le système artériel par suite du reflux d’une partie du sang dans la cavité ventriculaire. Dans la pulsation, l'aiguille atteint d'emblée son maximum et redescend brusquement souvent très-bas ; puis un dicrotisme trèés-sensible se montre. Dans l'insuffisance valvulaire aortique, la vitesse atteint donc brusquement son maximum, puis diminue graduellement jus- 919 L. LORTET. qu'à ce qu'elle soit nulle. Ce manque de vitesse, à un moment donné, est dû au retour d’une partie du sang dans la cavité du ventricule. Nous pouvons donc conclure que: 1° Au moment de la plus grande énergie de la systole ventri- culaire, la vitesse avec laquelle le sang se meut dans la carotide a déjà atteint depuis longtemps son maximum, et même elle est déjà en décroissance. 2° La fermeture des valvules sigmoïdes n’a ordinairement aucune influence sur la vitesse; quelquefois, cependant, elle donne lieu à une vitesse rétrograde. 3° Le dicrotisme de la vitesse correspond exactement au dicro- tisme des pulsations. &° Lors même que le cœur est en repos, le sang est toujours animé d’une vitesse constante souvent considérable, 5° La vitesse est plus grande pendant l'expiration, moindre pendant l'inspiration. Cette influence des mouvements respira- toires se fait sentir dans les artères même très-éloignées du cœur. 6° La mastication augmente considérablement la vitesse du sang, l'énergie et le nombre des pulsations, même dans les artères excentriques. 7° La section de la moelle épinière à la région occipito- atloïdale imprime à la circulation une accélération extraordi- naire. La vitesse devient très-considérable, les pulsations plus fortes et plus nombreuses. 8° La section des pneumogastriques augmente beaucoup la vitesse du sang et la pression dans les artères. 9° L'introduction de l'air dans les artères trouble compléte- ment la régularité de la circulation. 10° Lorsque l’une des deux carotides est liée, la vitesse et les pulsations augmentent beaucoup dans l’autre carotide. 11° Un rétrécissement aortique diminue la vitesse du sang et. l'amplitude des pulsations dans la carotide. RECHERCHES SUR LA VITESSE DU COURS DU SANG. 313 19 L'insuffisance valvulaire aortique augmente la vitesse dans la carotide; elle atteint brusquement son maximum. Les pulsations présentent les mêmes caractères. Les expériences précédentes ne sont que des exemples mon- trant quel parti on peut tirer de l’'hémadromographe pour la physiologie et la thérapeutique. Quel beau et utile sujet d’études que celui de l’action exercée par certaines substances sur la cir- culation, action appréciée si contradictoirement par les clini- ciens les plus exercés. Bientôt, nous l'espérons, nous pourrons compléter ces recherches; en attendant, nous prendrons congé de nos lecteurs en leur répétant ces paroles de Gui de la Brosse : « Le champ est grand et ouvert à ceux qui voudront y faire serbe; il y en reste plus que l’on en a moissonné. » OBSERVATIONS ANATOMIQUES SUR QUELQUES MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR, PAR MM. Alph. MILNE EDWARDS et Alfr. GRANDIDIER. PREMIER ARTICLE. DE L'ORGANISATION DU CRYPTOPROCTA FEROX. La faune de Madagascar excite à un haut degré l'intérêt des naturalistes ; non-seulement elle est peu connue à cause des difficultés extrèmes qui s'opposent à l'exploration de l’intérieur de cette grande île, mais elle présente au point de vue z0olo- gique les caractères les plus remarquables. Les types organiques que l’on y rencontre n’ont pour la plupart aucun représentant dans les autres parties du globe, et ils mdi- quent que cette région n’est pas une dépendance de l’ancien con- tinent, mais que jadis, de mème que la Nouvelle-Zélande, elle se rattachait à une vaste étendue de terres aujourd'hui cachées sous les eaux du grand Océan. En effet, cette faune, malgré ses étroites limites géographiques, a un caractère essentiellement continental, et diffère autant de celle de l'Afrique et de l'Asie que celle de l’Australie diffère des faunes indiennes ou américaines. Madagascar possédait en propre lÆpyornis, dont les œufs et les ossements se retrouvent encore aujourd'hui dans les alluvions récentes. La famille des Singes y est remplacée par celle des Makis, dont l’un des membres, l’Aye-aye, correspond sous cer- tans rapports aux Rongeurs, qui, partout ailleurs, se font re- marquer par leur nombre. Les Antilopes, si abondantes sur la rive opposée du détroit de Mozambique, n’y existent pas, et l’ordre des Ruminants n’y compte aucune espèce autochthone, car les Bœufs que l’on y trouve ont été importés des Indes. MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR. 315 Aucun des grands Carnassiers africains ou asiatiques n’habite Madagascar, mais ils y sont représentés par un animal féroce de taille assez considérable, que les Malgaches appellent Foussa, et qui est connu des naturalistes sous le nom de Cryptoprocta feroæ. L'étude que nous venons de faire de l’organisation de cet animal montre qu’on ne peut le ranger dans l’une quelconque des familles zoologiques répandues à la surface de la terre ; ce résultat contribue aussi à mettre encore mieux en évidence le caractère spécial de la faune madécasse. Ce Carnassier était complétement inconnu, lorsqu'en 1833 le zoologiste anglais Bennett en reçut un individu sur lequel il appela l'attention des naturalistes ; mais cet exemplaire unique était tellement jeune, qu’il fut impossible de bien apprécier ses affinités zoologiques, car le système dentaire, qui est d’un si grand secours pour la classification des Mammifères, n'avait pas encore revôtu chez lui sa forme définitive, et par conséquent ne fournissait pas les caractères qu’il aurait été indispensable de connaître. Bennett crut devoir ranger cette espèce dans la fa- mille des Viverrides, à côté des Paradoxures, et tout en indiquant quelques points de ressemblance avec les Felis, il en forma le genre Cryptoprocta (1). Quelques années après, M. de Blainville obtint de la Société zoologique de Londres un dessin de la tête osseuse du jeune (1) Le nom de Cryptoprocta (de xeèr+n, crypte, glande, et mpwxros, anus) a été donné à cet animal par Bennett, à cause de l'appareil crypteux qu’il possède dans la région anale, et sur lequel l’auteur que je viens de citer donne les renseignements suivants : « Le Cryptoprocta diffère particulièrement des Paradoxures par l'existence d’une » poche entourant l'anus, poche qui ne se trouve pas dans ce dernier genre. » Chez le Parodoxure type, il existe chez la femelle, à la place de cette poche, deux » plaques nues, dont l'une, composée de petits follicules très-nombreux, entoure » l'anus, et l’autre, d'une texture glandulaire analogue, plus dénudée, et de la gran- » deur d’un écu, entoure le vagin, Chez l'animal de Madagascar, au contraire, il n’y a » d'espace nu autour d'aucun de ces deux orifices ; la peau occupant l’espace inter- » médiaire est poilue comme sur les parties adjacentes, et il existe autour de l'anus une poche médiocrement profonde et d’un demi-pouce de diamètre ; son bord pos- » térieur est plus nettement séparé de l'anus que le bord antérieur; celui-ci est uni à » l’anus par un repli de la peau dénudée de la poche formant un frein. » (Transac- tions of the Zoological Society of London, 1835, t. I, p. 137.) > 316 ALPHM, MILNE EDWARDS ET A. GRANDIDIER, individu dont nous venons de parler, et il le fit représenter dans le bel atlas de son Ostéographie. L'étude des caractères anatomiques de cette pièce l’amena à partager les idées émisss précédemment par Bennett, et il ré- suma de la manière suivante son opinion à cet égard : « Ainsi, » quoique nous ne connaissions de ce singulier animal que le se- » cond degré du système dentaire, il suffit pour assurer que ce » ne peut être un Felis, genre chez lequel le système dentaire » de jeune âge est tout différent. En portant la comparaison » avec les Canis et les Viverras, c’est évidemment avec ceux-ci, » et surtout avec les espèces de la section des Mangoustes, que » l’on peut trouver un plus grand nombre de rapports. Toute- » fois, comme le système digital, les oreilles, les moustaches, les » ongles, la queue, sont davantage comme dans les Civettes ; le » Cryptoprocta me semble donc être placé à la fin des Viverras, » passant aux Felis, malgré l’uniformité de sa coloration (1). » M. P. Gervais, après avoir examiné à son tour cette même tête osseuse, ne modifie pas la place que les Zoologistes dont nous venons de parler avaient assignée au Cryptoprocta : « Bennett, » ajoute cet auteur, tout en reconnaissant les affinités de ce » nouveau Mammifère avec les Felis, l’a placé parmi les Viver- » ridés, et cette opinion paraît fondée. Le Nandinie, qui repro- » duit quelques-unes des particularités du Cryptoprocte, nous » semble mème le rattacher d'une manière plus mtime à l'en- » semble de ces animaux (2). » L'individu décrit par Bennett, et figuré dans les Transactions de la Société zoologique de Londres, est jusqu à présent le seul que les naturalistes aient eu l’occasion d'observer. Il était donc d'un grand intérêt de se procurer l'animal adulte, et surtout d’avoir son squelette. Pendant son voyage au sud-ouest de Madagascar, l’un de nous (3) a pu combler cette lacune, car non-seulement il a rap- (1) H. M. Ducrotay de Blainville, Ostéographie des Mammifères, t. U, N. Viverras, p. 57. (2) P. Gervais, Histoire naturelle des Mammifères, 1855, p. 41. (3) M. Alfred Grandidier. MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR. 517 porté la dépouille d’un Cryptoprocta adulte, mais il à préparé également deux squelettes de cet animal, et ces nouveaux maté- riaux d'étude nous ont montré que les affinités de ce Carnassier ne sont pas celles que l'on admettait généralement jusqu'ici. . Le Cryptoprocta ferox atteint une assez grande taille, et lors— qu'il est arrivé à son complet développement, il mesure du bout du museau à l'extrémité de la queue plus d’un mètre et demi (4). Il se rencontre assez communément sur la côte ouest de Mada- gascar, depuis la rivière Mangouke jusque vers le nord. Les trois individus dont nous venons de parler ont été tués entre Mou- roundava et Manharrive, à quelques kilomètres de la côte. Le Foussa ne se montre que la nuit, et enlève souvent les Chèvres et surtout les Chevreaux ; c’est même en plaçant un de ces animaux au milieu d’un bois qu'on parvient à l’attirer et à le tuer. Il paraît que, lorsqu'il est blessé, il se jette sur les chasseurs ; aussi les Malgaches le redoutent-ils beaucoup. Par son aspect extérieur et ses allures, le Cryploprocla res- semble beaucoup à un Chat ; mais il est bien plus bas sur pattes, et il est plantigrade, bien que ses ongles soient rétractiles. L’in- dividu adulte que nous avons entre les mains diffère un peu du jeune qui a été décrit et figuré par Bennett (2); de même que (1). Le jeune Cryptoprocta observé en Angleterre ne mesurait, du museau à l’ex- trémité de la queue, que 0,34 (ou 43 pouces 1/2 anglais). (2) M. Bennett donne de cette espèce la description suivante : « Le corps est grêle, Les membres sont robustes et de longueur médiocre. Le museau est petit; les narines présentent un sinus latéral profond ; les moustaches sont nombreuses, roides, et quel- ques-unes dépassent la tête en longueur. Les yeux sont petits et placés au-dessus de l'angle de la bouche ; celle-ci n’est pas très-fendue. Les oreilles sont remarquablement grandes et arrondies; elles offrent un pli sur le bord postérieur et une ou deux sinuo- sités en dedans; enfin, elles sont poilues sur leur face externe et interne, excepté dans le méat auditif. Le cou est mince. Les pattes antérieures sont un peu plus courtes que les postérieures. La queue, qui paraît avoir été mutilée, est de la longueur du corps, atteignant, quand on la relève, le niveau des oreilles; elle est parfaitement cylindrique et uniformément poilue. La plante des pieds antérieurs est nue dans toute l'étendue du carpe ; celle des pieds postérieurs est dénudée presque jusqu’au talon, Les ongles sont rétractiles, au nombre de cinq à chaque pied. Les antérieurs, aigus, tranchants, com- primés, courbes, courts et semblables aux griffes du Chat; ceux des pattes postérieures un peu plus grands, comprimés, moins courbes et obtus. Les doigts sont unis presque jusqu'à leur extrémité. Le doigt médian de la patte antérieure est le plus long ; les mi- 318 ALPH, MILNE EDWARDS ÉT A, GRANDIDIER. chez celui-ci, les poils sont courts, serrés, d’une couleur fauve brunâtre, plus foncéesur la ligne médiane du dos ; mais le ventre présente une teinte plus uniformément rousse, qui s'étend immé- diatement en arrière du cou entre les pattes antérieures. La région anale et la face interne des cuisses sont beaucoup plus claires. Sur les flancs il n'existe aucune trace des rayures brunes qui se remarquent chez les jeunes. Enfin les oreilles sont, toutes proportions gardées, notablement plus courtes ; en dehors, elles sont presque nues; en dedans, elles portent à leur base et en avant quelques poils longs et disposés en touffes. Cette différence dans le développement des oreilles change beaucoup l'aspect de l'animal. Ainsi que nous l'avons déjà dit, on ne connaissait que la pre- mière dentition du Cryptoprocta, et les caractères qu’elle four- nissait avaient conduit les zoologistes à le ranger parmi les Viverrides ; mais le système dentaire de l’adulte démontre de la facon la plus évidente l’inexactitude de ce rapprochement. En effet, on sait que les Viverrides sont caractérisés par l’existence de deux molaires tuberculeuses situées en arrière de la carnassière supérieure, et d'une seule de ces dents en arrière de la carnas- sière inférieure. Ce mode de conformation se retrouve chez toutes les espèces de ce groupe, quelles que soient les modifica- tions organiques qu'elles présentent; on doit donc y attacher une toyens sont à peine plus courts et égaux entre eux ; l’externe et l’interne, plus courts que les précédents, sont tous deux de même longueur. Aux pattes postérieures, le troisième et le quatrième doigt sont presque égaux et un peu plus longs que le second et le cin- quième, le pouce étant beaucotip plus court. » La couleur de la totalité des faces supérieure et inférieure est d’un rouge brunätre un peu pâle, résultant d'un mélange de brun et de jaune-paille dispüsé en anneaux plus ou moins étendus sûr Chaque poil. Au-dessous et à la face intérne des membres, le teinte est plus pâle et les poils sont individuellement d’une couleur plus uniforme, » Le pélagé est court, lisse, même doux au toucher et légèrement crépu. Sur le corps et sur la queue, les poils ont de trois quarts de pouce à un pouce de long, mais ils sont moins longs sur la tête et les membres. Les moustaches sont noires à leur ofigine et moins foncées vers le bout. Les poils sont un peu pluslongs et un peu plus foncés au dehors, vers la base des oreilles, mais deviennent plus rares et plüs Courts vers l'extré- mité de celles-ti, qui; à la partie antérieure de leur surface interne; portent une touffé de poils beaucoup plus longs que les autres. » (Voyez Transactions df the Zoologicat Society; 1835, t: I, p. 437, pl. 21.) L MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR. 919 valeur bien plus grande qu’à la disposition des doigts et à la manière dont les pattes posent à terre pendant la marche, ce qui d’ailleurs varie très-sénsiblement des Civettes aux Para- doxures et aux Mangoustes. Chez le Cryptoprocta ferox, il n'existe qu’une seule tubercu- leuse ou arrière-molaire à la mâchoire supérieure ; la mâchoire inférieure en est totalement dépourvue. Ces caractères diffé- rentiels sont les plus importants, mais ce ne sont pas les seuls qui existent, ainsi que la description détaillée que nous en avons faite le démontre. Les incisives supérieures sont, comme d'ordinaire dans le groupe des Carnassiers, au nombre de six, insérées sur la même ligne (1). Les premières sont plus petites que les secondes, qui elles-mêmes sont dépassées de beaucoup par les troisièmes. Leur couronne présente un sillon transversal très-marqué, mais qui tend à s’effacer chez les vieux individus. Les incisives externes sont très-fortes, sans atteindre le développement qu'elles ac- quièrent chez les Hyènes; elles sont relativement aussi grandes que dans le genre Chat, et, de même que chez ces derniers ani- maux, elles sont profondément échancrées en dehors et en arrière pour recevoir la partie antérieure de la canine infé- rieure,. Les canines, séparées des dents précédentes par un intervalle assez considérable, sont très-solidement implantées dans le maxillairé supérieur, et, par leur volume ainsi que par leur forme et leur direction, elles ressemblent à celles des Felis plus qu’à celles des Viverrides. En effet, leur portion libre, très-grosse à sa base, est conique, arquée, et plus proclive que dans ce der- nier groupe. Leur face externe est lisse et arrondie; leur face interne est aplatie, et marquée en avant d’un sillon longitudinal. Sur les bords antérieur et postérieur, l'émail est plus épais, de manière à constituer une sorte de crète obtuse. Les molaires sont au nombre de cinq de chaque côté, et, de même que chez les Hyènes, elles sont réparties de la manière (4) Voy. pl. 8, fig. 35,4 et 6. 320 ALPH, MILNE EDWARDS ET A, GRANDIDIER, suivante : rois prémolaires, une carnassière et une arrière- molaire ou tuberculeuse. Par conséquent, ce système de denti- tion ne diffère de celui des Chats que par l'existence d’une pré- molaire de plus. Il est même à remarquer que cette différence tend à s’effacer par les progrès de l’âge ; car la première avant- molaire, située en arrière de la canine, toujours très-petite et pourvue d’une seule racine, tombe peu de temps après son appa- rition ; son alvéole s’oblitère, et chez les vieux individus on n’en trouve plus aucune trace. Sur une tête provenant d’un animal adulte, dont la dentition est complète, mais dont la croissance n'est pas entièrement terminée, cette dent existe de chaque côté (1) ; mais sur deux autres crânes appartenant à des individus notablement plus grands et plus âgés, elle a disparu (2). Sur une de ces têtes, l’un des alvéoles est encore visible, mais sur l’autre tête ils sont tous deux complétement oblitérés. La seconde prémolaire, qui pourrait, à raison de la chute de la précédente, être prise pour la première, est pourvue de deux racines ; elle est comprimée, tranchante et faiblement trilobée, de façon à ressembler beaucoup en miniature à la prémolaire suivante, caractère qui rapproche le Cryploprocta des Hyènes, et l'éloigne des Chats. Effectivement, chez ceux-ci, les deux avant- molaires uniques sont de formes très-différentes. L’antérieure est généralement uniradiculée, et rappelle par son aspect la dent caduque du Cryptoprocta. I est à remarquer que, chez quelques espèces, le nombre des molaires diminue par suite de l'absence de cette dent: ainsi chez le Felis longicaudata et le F. montana par exemple, on n'en voit aucune trace; tandis qu’au contraire, chez le F. planiceps, elle acquiert plus d'importance, et offre deux racines. La troisième avant-molaire est très-forte, plus distinctement trilobée et plus épaisse que la précédente. Le lobe antérieur est peu marqué et obtus; le médian est très-aigu, et présente sur son bord antérieur une crète d’émail dirigée en dedans; 1l est séparé du lobe postérieur par une échancrure étroite et pro- (4): Voy. pl. 8, fig. 5. (2) Voy. pl. 8, fig. 1 et 3. MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR. 321 fonde, plus marquée en dehors qu'en dedans; enfin il porte à sa base du côté interne un petit tubereule en forme de talon (1), dont 1l n'existe aucune trace dans le genre Felis, mais qui se trouve chez les Viverrides, où son développement est beaucoup plus considérable que chez l'espèce dont l'étude nous occupe ici. La carnassière est grande, extrêmement tranchante, et res- semble d’une manière frappante à celle des Chats. En effet, les trois lobes qui la composent sont séparés entre eux par des échan- crures profondes ; le troisième est au moins aussi grand que le second, mais au lieu d’être pointu, ilest terminé presque carré- ment par un bord tranchant. Enfin cette dent porte à sa partie antérieure et interne un tubercule en forme de talon qui dé- pend du lobe moyen, mais s’avance presque autant que le lobe antérieur. Chez les Hyènes, ce talon est beaucoup plus fort et plus nette- ment détaché du reste de la dent que chez le Cryptoprocta, et le lobe antérieur est notablement plus développé. L'arrière-molaire ou tuberculeuse est avec la carnassière la dent qui fournit les caractères les plus importants pour le classe- ment méthodique des animaux de proie. Les particularités que cette dent présente chez le Cryptoprocta indiquent qu’elle n’avait, dans la mastication, qu’une action faible; elle offre, en effet, un cachet tout à fait félin, et parfaitement en rapport avec les habi- tudes sanguinaires de l'animal (2). De même que chez les Chats, elle est refoulée en dedans, dirigée transversalement le long du bord postérieur de la voûte palatine, et elle forme avec la car- nassière un angle droit, de façon qu’elle se trouve complétement cachée lorsqu'on regarde la tête de côté (3). Elle est petite, très-étroite, et sa couronne, faiblement bilobée, est dirigée très- obliquement en dedans, caractère qui ne se retrouve pas chez les Hyènes. À la mâchoire inférieure (4), l'espace occupé par les inci- (4) Voy. pl. 8, fig. 4 et 3. (2) Voy. pl. 8, fig, 3. (3) Voy. pl. 8, fig. 4 et 5. (4) Voy. pl. 8, fig. 6. 5° série. Zous T, VIT, (Cahier n° G). 4 21 322 ALPH. MILNE EDWARDS ET A. GRANDIDIER. sives est extrêmement étroit; celles-ci, au nombre de six comme ehez tous les Carnassiers, présentent moins d'inéga- lité qu’à la mâchoire supérieure. Les premières sont les plus petites, et les externes ne dépassent que peu les secondes. Au lieu de s’insérer sur une seule ligne, ainsi que cela a heu chez les Viverrides, les Canides et quelques grands Chats, elles sont disposées sur deux rangs, les secondes étant placées nota- blement en arrière des autres, comme chez les Fouines, les Martes, etc. Ce défaut d'alignement existe aussi chez quelques espèces de Felis, mais dépend d’une disposition différente, car les secondes incisives, au lieu d’être situées en arrière des autres, occupent le premier rang. Les canines sont très-rapprochées l’une de l’autre à leur base, et arrivent presque à toucher les deuxièmes incisives. Leur portion alvéolaire est extrêmement robuste, mais dans le reste de leur étendue elles se rétrécissent plus que chez les Chats. Leur surface externe est arrondie et dépourvue de sillon, tandis qu'en dedans il en existe un, peu marqué et bordé, en avant, par une petite ligne saillante. Les molares sont au nombre de cinq, dont quatre prémolaires et une carnassière, Car | n'existe pas d’arrière-molaire tubercu- leuse. La première avant-molaire est rudimentaire et caduque ; elle paraît tomber de très-bonne heure, car elle n'existe que d’un seul côté sur la mâchoire du plus jeune des trois individus que nous avons sous les yeux, et du côté opposé on n’aperçoit même aucune trace de l’alvéole (41). L'avant-molaire qui vient ensuite semble d'ordinaire être la première, et possède deux racines. Elle est conformée sur le même type que les suivantes, mais elle est plus petite, et ses caractères sont moins prononcés. Toutes proportions gardées, elle est plus développée longitudinalement que les autres dents. La pénultième avant-molaire est constituée presque en entier par le lobe médian qui est très-élevé, triangulaire et tranchant. (1) Voy. pl. 8, fig. 6. MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR. 323 Le lobe antérieur n’est bien visible que du côté interne ; le lobe postérieur forme en arrière et en dedans une sorte de bordure saillante. La dernière prémolaire est très-nettement trilobée ; les lobes antérieur et postérieur sont à peu près de même forme et de même grandeur, tandis que le lobe moyen s'élève, comme d’or- dinaire, en une pointe triangulaire, de façon à donner à la dent la forme d'un trèfle assez régulier. Le lobe postérieur est beau- coup plus épais que les autres, et n’est pas bifide comme chez la plupart des Félides; sans ce dernier caractère, elle ressemble rait extrêmement à celle de ces animaux. La carnassière présente aussi un caractère tout à fait félin (1), mais se reconnait par l'existence d’un talon postérieur bien pro- noncé, quoique n’atteignant pas à beaucoup près les dimensions qu'on lui connaît chez les Hyènes. Cette dent est comprimée et divisée en deux lobes principaux à peu près égaux, et séparés par une échancerure, linéaire en dehors et très-évasée en dedans. Le deuxième lobe, un peu plus élevé et plus étroit que l’autre, ne présente aucune trace du tubercule mterne, qui, dans le genre Hyène, donne à la carnassière inférieure un aspect très- particulier. Lorsque les deux mâchoires sont rapprochées (2), on re- marque que les incisives sont opposées par leur bord préhen- sile; la troisième supérieure chevauche en dehors sur la dent qui lui correspond ; par son bord externe, elle s'applique contre la canine inférieure. Celle-ci est recue, comme d'ordinaire, dans l’échancrure qui existe entre l’incisive externe et Ja troi- sième prémolaire ; elle se prolonge en haut, de façon à dépasser notablement le bord gingival PRESTIEUs et même le plancher des fosses nasales. Les prémolaires caduques ne jouent aucun rôle dans la masti- cation ; les secondes prémolaires sont également trop courtes pour se rencontrer. La pénultième avant-molaire inférieure correspond à l'intervalle des deuxième et troisième dents ana- (4) Voy. pl. 8, fig. 4 et 6, (2) Voy. pl. 8, fig. 4. 32h ALPNH, MILNE EDWARDS EÏ A, GRANDiniri. logues de la mächoire opposée, de façon que leurs bords tran- chants glissent l'un sur l’autre comme des lames de ciseaux. La quatrième, ou dernière prémolaire inférieure , alterne très- exactement avec la dernière prémolaire et avec la carnassière d'en haut qui la cache presque entièrement. En effet, cette der- niére en recouvre la moitié postérieure, ainsi que la totalité de la carnassière inférieure; enfin son talon correspond au lobe in- terne de l’arrière-molaire tuberculeuse. En résumé, nous voyons donc que le système de dentition du Cryptoprocta ferox ne ressemble à celui d'aucune des grandes divisions déjà établies dans l'ordre des Carnassiers, mais qu'il se rapproche de celui des Felis plus que d'aucun autre. Ainsi ses molaires ont, à peu de chose près, la forme de celles des Felis; mais chez ceux-ci, le nombre des prémolaires est toujours moindre, même si l'on néglige les petites dents caduques qui manquent chez les vieux Cryptoproctes, car, chez les Chats, il n’y a jamais plus de deux avant-molaires, et dans certains cas il n'en existe qu'une. La formule dentaire du Cryptoprocta se rapproche davantage de celle qui caractérise le genre Hyène ; elle ne s’en distingue même que par l'existence de l’avant-molaire caduque inférieure, mais la forme de chacune des dents considérée isolément est très-différente. En effet, chez les Hyènes, celles-ci sont remar- quables par leur épaisseur, et, ainsi que nous l'avons déjà indi- qué, le tubercule interne de la carnassière supérieure est beau- coup plus grand, et l'arrière: molaire, au lieu d’être très-oblique, a une couronne presque horizontale et profondément bilobée. La carnassière mférieure de l’'Hyène diffère non moins de celle: du Cryptoprocta, à cause de la présence d’un lobe interne très- marqué et du grand développement du talon. Les dissemblances qui existent entre la dentition de notre grand Carnassier madécasse et celle des Viverrides sont bien plus considérables, car chez ces derniers Mammifères, les tuber- culeuses acquièrent beaucoup plus d'importance, et jouent un: rôle actif dans la mastication ; elles sont au nombre de deux à la mâchoire supérieure, et il en existe une à la mâchoire infé- MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR, 925 rieure. I est aussi à noter que les carnassières sont moins grandes, moins tranchantes et moins compriméés que celles du Cryploprocta ferox. Quant aux différences qui existent, sous le rapport du système dentaire, entre cet animal, d'une part, et les Mustélides, les Canides et les Ursidés d'autre part, elles sont si considérables, qu'il nous semble inutile d’y insister, d'autant plus qu'aucun zoologiste n’a jamais pensé à rapprocher le Cryptoprocta de ces Mammifères. Je me bornerai à rappeler que chez les Mustélides, la tuberculeuse supérieure, au lieu d’être presque rudimentaire, est énorme, et qu'il existe à la mâchoire inférieure une dent du mème genre. Les Chiens ont derrière la carnassière deux molaires tuber- culeuses à chaque mâchoire; et enfin chez les Ours, les mâche- lières, au lieu d’être tranchantes et disposées en manière de ciseaux, se rencontrent par une couronne large et mamelon- née, de façon à être broyeuses plutôt que sécatrices. La tête osseuse des Carnassiers est loin de fournir des carac- tères génériques aussi précis et aussi constants que le système dentaire, et dans la même famille naturelle on y trouve d’es- pèce à espèce des variations tellement considérables, qu'on ne doit leur attribuer qu'une valeur secondaire pour le groupe- ment méthodique de ces animaux. Néanmoins, chaque famille présente un type dominant facile à reconnaître; ainsi, dans le grand genre Felis, la tête est courte et bombée en des- sus; le museau est remarquablement ramassé et élargi. Les fosses temporales sont énormes, et l’arcade zygomalique est très-arquée. Les orbites s’'avancent beaucoup au-devant de la racine du nez, et l'espace interorbitaire est large. La boîte cränienne ne se rétrécit que très-peu à sa partie antérieure, et chevauche au-dessus des yeux. Enfin la région palatine est extrèmement large en arrière ; son bord postérieur égale son diamètre longitudinal. Ces particularités sont portées au plus haut degré chez le Chat commun et chez les Panthères, tandis qu'elles s’effacent beaucoup chez le Felis onca et chez le Felis planiceps, 326 ALPH. MILNE EDWARDS ET A, GRANDIDIER. Dans le type viverrien, la tête osseuse s’allonge de façon à ressembler beaucoup à celle des Chiens; le museau est resserré et long, comme on pourrait s’y attendre d’après le nombre plus considérable des dents de ces Carnassiers. L’orbite ne dépasse guère le bord antérieur de l'os frontal ; les fosses temporales sont médiocres, et l’arcade zygomatique est faible et peu. arquée ; l’espace interorbitaire est étroit, et la boîte crânienne, rejetée en arrière, au lieu de chevaucher sur Jes fosses orbitaires comme chez les Chats, en est séparée par un étranglement qui est sou- vent très-marqué. La voûte palatine est longue et peu élargie postérieurement. Ces caractères sont fortement prononcés chez les Paradoxures, les Civettes et les Genettes ; mais ils s’affaiblis- sent dans les genres Mangouste et Suricate, sans cependant dis- paraître. La conformation de la tête osseuse du Cryptoprocta rappelle le type félin plus que le type viverrien (1). Le museau est large et trapu ; ainsi la distance qui existe entre le bord orbitaire anté- rieur et la symphyse maxillaire égale celle comprise entre le bord externe des deux trous sous-orbitaires. Ces proportions sont à peu près les mêmes que chez le Tigre, tandis que chez les Viverrides, la longueur relative de la face est plus considérable. Le front est très-large et bombé. La boîte cränienne avance notablement au-dessus des fosses orbitaires, et sa partie anté- rieure, qui correspond aux lobes olfactifs, n’est pas étranglée comme chez les Civettes et les Paradoxures. Les fosses tempo- rales sont grandes, bien que les arcades zygomatiques ne soient pas aussi fortement arquées que celles des Chats. Les crêtes occipitale et sagittale sont très-prononcées chez les individus adultes, mais font complétement défaut sur le crâne du jeune individu examiné par Bennett et par de Blainville. Enfin j'ajou- terai que les proportions de la voûte palatine se rapprochent de celles qui existent dans le genre Felis. Les os nasaux sont courts, et beaucoup plus larges à leur base que chez les Viverrides et même que chez les Chats, Les propor- (1) Voy. pl. 8, fig. 4, 2 et 3. MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR, 327 tions du maxillaire supérieur sont intermédiaires à celles de ces deux groupes ; la hauteur de cet os, mesurée au niveau du trou sous-orbitaire, est à peu près la même que l'espace compris entre la canine et l'extrémité postérieure du bord alvéolaire. Chez les Chats, cette hauteur relative est plus considérable ; chez les Viverrides, au contraire, elle est beaucoup moindre (1). Le frontal se prolonge peu sur la région faciale, et l'échäncrure qu'il présente sur la ligne médiane pour recevoir les os nasaux est très-évasée, au lieu d’être profonde et resserrée comme dans les genres Viverra et Felis. Jen que nous l'avons déjà dit, le front est très- large ; s on diamètre, mesuré entre les bords sourciliers, est presque égal à la distance qui sépare le canthus interne de l'œil du bord anté- rieur de la canine. Dans les Paradoxures, les Civettes et les Genettes, la largeur du front ne dépasse guère les deux tiers de l’espace mesuré en dernier lieu ; mais chez les Mangoustes, elle est bien plus grande, en sorte qu’on ne peut attribuer à ce carac- tère aucune valeur dans la discussion des affinités zoologiques de ces Mammifères. Les apophyses postorbitaires sont peu déve- loppées, et le jugal est dépourvu de la branche montante qui d'ordinaire limite en arrière la cavité orbitaire, et qui, chez les Felis et quelques Viverrides, est très-élevée. Sous ce rapport, le Cryptoprocta ressemble aux Paradoxures et aux Genettes. La partie postérieure de l'arcade 2y AA est robuste, et son bord externe se continue avec la crête occipitale, de féon : à faire une forte saillie au-dessus du méat auditif. Les caisses sont très-peu renflées, et leurs parois présentent une épaisseur rela- tivement forte. La portion basilaire de l’occipital et le sphénoïde postérieur ressemblent beaucoup à ceux des Chats; mais les arrière-narines sont plus étroites et plus élevées, à çause de la hauteur plus considérable des ailes ptérygoïdiennes: La région (1) Chez la Genette commune nous trouvons que cette portion du bord alvéolaire mesure 0,032, tandis que la hauteur du maxillaire supérieurin’est que de 0,021; chez le Paradoxure type, la première de ces dimensions est de 0,037, la seconde de 0,023. ; j 928 ALPH, MILNE EDWARDS ET A. GRANDIDIER. occipitale postérieure est presque verticale, et remarquable par la profondeur des empreintes d’insertions musculaires. Le maxillaire inférieur est robuste et très-peu arqué, de facon qu’en dessous son bord est presque droit comme chez les Chats et, de même que dans ce dernier genre, la région massé- térienne est profondément excavée ; l’apophyse coronoïde ne se recourbe que peu en arrière (1). Dimensions des diverses parties de la tête. Longueur totale de la tête osseuse. ....,.,....... sole Site ci fe L.rgeur mesurée au niveau des arcades zygomatiques..........., Largeur de la voûte palatine en arrière....................... Distance du bord alvéolaire des incisives à l'ouverture postérieure des DISROSPDABTIER En ele parle ile pie spi e fe pile ciele embouts © CIS PP Longueur de l'espace occupé par les molaires,................ _ de la molaire tuberculeuse supérieure. .............. — de TAACAENREIPEe 0 -EB... I. Rs .Le.. 11.0 — de la dernière prémolaire........:....4........... — de la pénultième prémolaire.........,....,.... TS" Largeur de la canine à sa base. ............... ........,.... Longueur de la portion libre de la canine.............. .. Distance entre la canine et l’incisive externe......,..... . Largeur de l’espace occupé par les incisives. ...... SOI LE Écartement des canines à leur base........,........... HEnCR Longueur de la mâchoire inférieure.................. RE Hauteur de la branche montante..,............ Me . Hauteur du condyle.......... Etre epl rie ee Ci a bte pts L fe Largeur du condyle ASE sn crer-te Lorie roles OT SE Longueur de l’espace occupé par les anoluires l'es 2. AMEUMCRONE Longueur de la carnassière. ....... Sie de EU ref Miele 36 ce — dela derniere premolaire..L. 7.444 .2.tLue eme Lt. — de la pénultième prémolaire...............,...... — de la deuxième prémolaire. ..... DCE Etre OT — de la première prémolaire caduque. .....,.......... Largeur de la canine à sa base. ..:...........,.............. Longueur de la portion libre de la canine..................... Ecartement des canines à leur base.......................... ss... La colonne vertébrale se compose de 59 vertèbres réparties de la manière suivante (2) : Vertèbres cervicales .............. 7 — dorsales..,,..,.. nn 43 — "M0 IOMPMEES EC es oo ce 7 er MSACTÉGS EE. LÉ ct 3 = OAI SR er rec es » ses 29 (4) Voy. pl. 8, fig. 4. (2) Voy. pl. 7, MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR, 329 Les dimensions suivantes permettront d'apprécier les propor- tions des diverses parties de cette tige osseuse : Longueur de la portion cervicale... 0,130 — — dorsale..,.. 0,250 — — lombaire, ,. 0,210 — — sacrée .".... 0,060 — — caudale, ... 0,750 La première vertébre ou atlas (4) est plus élargie que chez les Viverrides; les ailes latérales, formées par les apophyses transverses, sont très-grandes ; leur angle antérieur, sans être aussi développé que chez les Chats, est cependant bien marqué, tandis que chez les Civettes, les Paradoxures, etc., le bord an- térieur se continue avec le bord externe en décrivant une courbe régulière. Dans ce dernier groupe, de même que chez le Crypto- procla, ces lames prennent naissance au bord antérieur du trou destiné au passage de l'artère vertébrale, tandis que dans le genre Felis elles se réunissent au bord postérieur de ce trou, L'apophyse odontoïde de l'axis (2) est très-longue, et par ce caractère, ainsi que par le développement considérable de l'apo- physe épineuse, elle ressemble à celle des Chats ; mais par la conformation des apophyses transverses et de la face inférieure du corps de l'os, cette vertèbre rappelle davantage son analogue chez les Civettes, les Genettes, etc. En effet, les gouttières ver- tébrales sont profondément marquées, à cause de la saillie con- sidérable de la crête médiane. Les apophyses transverses sont grèles, très-divergentes, et leur bord inférieur est cristiforme. A partir de la troisième vertèbre (3), les apophyses épineuses sont bien développées, ce qui indique la force des muscles rele- veurs du cou; au contraire, les abaiïsseurs sont relativement moins puissants que chez les Chats et les Viverrides, car, dans le premier de ces groupes, la gouttière vertébrale inférieure est fortement encaissée par les apophyses transverses qui sont très- élargies ; dans le second, indépendamment de cette dernière particularité, on remarque aussi une crête épineuse inférieure, (4) Voy.pL 9, fig. 8. (2) Voy. pl. 9, fig. 9, (3) Voy. pl. 7. 290 ALPH. MILN£ EDWARDS ET A. GRANDIDIER, en général très-saillante. Les vertèbres cervicales du Crypto- procta, de même que celles des Chats, sont dépourvues de cette crête médiane, et les apophyses transverses sont grêles. Il serait inutile de décrire avec détail les parties du squelette qui n'offrent pas de éaractères saillants, et par conséquent nous n’insisterons pas sur la conformation des vertèbres des régions suivantes. Il nous suffira de dire que les apophyses épineuses sont médiocrement développées, et que les premières sont à peine plus longues que les dernières. J'ajouterai que les vertèbres lombaires sont robustes, et surtout remarquables par les dimen- sions et l'inclinaison des apophyses transverses. Chez les Viver- rides, ces dernières sont faibles et presque horizontales, tandis que chez les Chats elles ressemblent à celles du Cryptoprocta, ce qui indique la puissance que doivent avoir les muscles des lombes. Les vertèbres caudales sont très-longues (1), en sorte que, malgré leur nombre médiocrement élevé, la queue est tres- grande. L'omoplate (2) offre beaucoup de ressemblance avec celle des Chats; la fosse sus-épineuse est vaste, et le bord supérieur ou antérieur de l'os est fortement arqué, tandis que l'inférieur est presque droit. L’épine présente à peu de distance de son extrémité humérale une apophyse large, lamelleuse, recourbée en bas et en arrière, tronquée à son extrémité, et bien détachée de l’acromion, disposition qui n’existe pas chez les Genettes, les Civettes, les Paradoxures, etc. L'humérus (3) est relativement court; l’extrénuté inférieure très-élargie est remarquable par les dimensions du trou situé au-dessus du coudyle interne, et destiné au passage de l'artère cubitale; chez les Chats et chez les Viverrides, ce pertuis est beaucoup plus resserré et plus rejeté en dehors. Nous rappelle- rons que chez l'Hyène, il n’en existe aucune trace. La fosse olécränienne n’est pas perforée comme cela se remarque chez les (4) Voy. pl. 7. (2) Voy. pl. 7. (3) Voy. pl. 7 et pl. 10, fig. 4, 2 et 3. MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR. 291 Chiens et les Hyènes ; elle est même moins profonde que celle des Viverrides. L’os du bras du Cryptoprocta se distingue d'ail leurs de celui de ces Carnassiers par le peu de développement de la crête qui surmonte le condyle externe, disposition qui existe aussi chez les Chats. L'avant-bras est très-court; le radius est robuste, presque droit, et comprimé d'avant en arrière. Son extrémité inférieure est peu élargie et ne se prolonge pas en dehors pour s’articuler avec le cubitus, ainsi que cela à lieu dans le genre Felis. Les gouttières destinées au passage des tendons des muscles extenseurs des doigts sont profondes, et l’apophyse, située du côté interne, est plus rapprochée de la surface articulaire que chez les Chats. Le cubitus est presque droit et très-peu tordu sur son axe (1) ; l'olécrâne, très-élargi en arrière, se distingue de celui des F'elis, en ce que sa surface postérieure est aplatie et n’est pas divisée en deux tubercules par un sillon vertical. Dans le genre F'iverra, on aperçoit un sillon analogue, mais moins profond. L’olécrâne se dilate en dedans, beaucoup plus que chez les Carnassiers que je viens de citer. L'extrémité inférieure ne présente rien de par- ticulier à citer. Les os du carpe ont peu de hauteur (2); le scaphoïde et le semi-lunaire sont soudés en une seule pièce, comme cela à lieu chez les autres animaux du même ordre. Cet os est beaucoup plus aplati que chez les Chats et les Viverrides; le pisiforme est plus long que chez ces derniers. . Le pouce est bien développé et porte un ongle robuste qui s'étend jusque vers le milieu de la première phalange de l'index. On sait que, dans le genre Felis, ce doigt est très-réduit ; dans le genre Fiverra, 1l offre à peu près les mêmes dimensions que celui du Cryptoprocta. Les métacarpiens sont notablement plus courts que ceux des Felis et même que ceux des Viverrides. Les phalanges ressemblent beaucoup àcelles des Chats; les pre- (4) Voy. pl. 7 et pl. 10, fig. 4. (2) Voy. pl, 7, 39°} ALPH, MILNE EDWARDS ET A, GRANDIDIER. miéres sont longues, faiblement arquées, et un peu comprimées de haut en bas; les secondes sont déprimées en dehors, afin de permettre aux phalanges unguéales de se renverser en arrière ; celles-ci sont minces, pourvues en arrière d’une sorte de ca- puchon servant à recevoir l'enveloppe cornée, et disposées comme dans le genre Felis. Si l’on compare le bassin du Cryptoprocta à celui des diverses espèces du genre Felis, on constate qu'il est moins élargi et re- lativement plus court (1). Les fosses iliaques externes sont plus profondes, tandis qu’au contraire la cavité cotyloïde est plus su- perficielle, et surtout moins encaissée. Le trou sous-pubien est extrèmement large en arrière, et la symphyse pubienne, peu prolongée, forme en dessous une ligne courbe. Le bassin des Viverrides diffère bien plus de celui des Chats que celui de notre Carnassier de Madagascar; la brièveté et la largeur de cette partie du squelette sont bien plus considérables. Les fosses ilaques externes sont plus étendues transversalement, et le trou sous-pubien affecte une forme plus circulaire. Les proportions relatives du fémur et de l'humérus sont à peu près les mêmes que chez les Chats; mais la tête de l’os de la cuisse est portée sur un col plus oblique que dans ce dernier genre (2). Le grand trochanter est plus gros et plus élevé; le petit trochanter est situé beaucoup plus près du bord interne, et il ne se relie pas au précédent par une crête saillante semblable à celle qui existe chez les Civetteset chez les Chats. L’extrémité inférieure est très-élargie, surtout en arrière, et cette largeur dépend principalement du développement des condyles, car la gouttière qui les sépare est relativement étroite. Le corps du tibia (2) est très-comprimé latéralement dans sa moitié supérieure, tandis qu'inférieurement il est presque cylin- drique. Les fossettes glénoïdales sont larges (3), légèrement tor- dues sur la diaphyse, qui présente au-dessous d’elles, sur sa face postérieure, une dépression beaucoup plus profonde que celle (1) Voy. pl. 7. (2) Voy. pl. 7 etpl. 9, fig. 7. (3) Voy. pl 7 etpl. 10, fig. 5, MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR: 335 que l’on remarque chez les Chats et les Viverrides. L’extrémité articulaire inférieure est plus oblique que chez ces derniers Car- nassiers, et la malléole interne se prolonge beaucoup plus bas. J'ajouterai que la malléole externe, constituée par le péroné, est remarquablement large et aplatie. La poulie de l’astragale répond à la forme de la surface articu- laire péronéo-übiale ; elle est par conséquent plus oblique que dans les groupes voisins (1); le bord externe en étant beaucoup plus élevé que l’interne ; le col est plus long et plus grèle que celui des Chats, et la facette qui s'articule avec le scaphoïde se trouve rejetée plus en dedans. La portion articulaire du calcanéum (2) est relativement considérable ; elle occupe environ les trois cinquièmes de la lon - gueur totale de l'os. Sa fubérosité n’est que peu déprimée en arrière pour l'insertion du tendon d'Achille, Les autres os du tarse n’offrent rien de particulier à noter, et ressemblent à leurs analogues chez les Civettes et les Para- doxures, car les métatarsiens sont au nombre de cinq (3); ils sont plus courts que ceux des Felis, mais le cinquième est très-. développé ; dans le groupe des Viverrides, ces os sont beaucoup moins robustes et plus grèles. Les phalanges sont disposées sur le mème plan que celles des pattes antérieures. Le pouce se pro- longe jusqu'à la deuxième phalange de l'index, tandis que chez les Viverrides plantigrades, tels que les Paradoxures, il atteint à peine l'extrémité de la première phalange du doigt contigu. L'os de la verge, ou os pénien, est comprimé latéralement dans sa portion moyenne, tronqué en arrière, peu renflé, et cla- viforme à son extrémité antérieure. Il présente une légère cour- bure qui se remarque vers son quart postérieur. M. de Blainville a particulièrement insisté sur les indications que peut fournir cet os pour le groupement des espèces, et il a montré que, dans chaque groupe naturel, il est construit sur un plan particulier. Les caractères de l'os pénien du Cryptoprocta ne (4) Voy. pl. 9, fig. 5. (2) Voy. pl. 9, fig. 6, et pl, 7. (3) Voy. pl. 10, fig. 6 et 7, 334 ALPH. MILNE EDWARDS ET A, GRANDIDIER. permettent de le rattacher à aucune des familles de l’ordre des Carnassiers ; ainsi, chez les Hyènes, il n’en existe aucune trace ; dans le genre Felis, il est très-réduit ou manque complétement ; celui du Lion, par exemple, ne mésure‘que 7 millimètres, tan- dis que chez le Cryptoprocta il atteint 58 millimètres. L'os pénien des Viverijdes se fait d'ordinaire remarquer par sa forme excavée, qui lui donne une certaine ressemblance avec le sabot d’une voiture. Les Genettes, les Paradoxures et les Civettes en sont dépourvus. Chez les Mustélides, il est toujours bien développé ; mais son extrémité antérieure est d'ordinaire bifide ou même perforée. Chez les Blaireaux, les Ratons, etc., l'os de la verge est très- grand et fortement courbé ; quelquefois il est percé d’un trou en avant. Dans la famille des Canides, cette tige est toujours fortement excavée en dessus et carénée en dessous, de facon à différer de ce qui existe chez le Cryptoprocta. La verge de ce dernier Carnassier (1) est très-longue, et re- marquable par le développement de sa portion préputiale, ainsi que par la saillie très-prononcée que fait en avant l'os pénien ; en effet, celui-ci dépasse de beaucoup le méat urinaire. La portion renflée du gland est suivie d’un étranglement circulaire, et ar- mée de nombreuses épines acérées, dont la pointe est dirigée en arrière comme chez les Chats. Dans l’état de repos, on y remarque aussi des plis qui, au nombre de huit ou neuf, partent du méat, et se dirigent obliquement en arrière et en haut ; ces repis doivent s’effacer et disparaître lors de la turgescence du gland. Sur la portion rétrécie qui fait suite au renflement pré- cédent, il n’y a que des plis peu marqués ; mais les épines y sont aussi nombreuses, bien qu'un peu plus courtes. L'étude que nous venons de faire de la charpente solide du Cryptoprocta ferox nous permet d'établir d’une manière précise la place que cet animal doit occuper parmi les Carnassiers. La constitution de son système dentaire le sépare nettement de tous (1) Voy.pl. 10, fig. 8. MAMMIFÈRES DE MADAGASCAR. 335 les représentants du groupe des Viverrides, ét indique un animal à habitudes plus sanguinaires ; et en effet, s'il y avait à chaque mâchoire une prémolaire de moins, son crâne ne différerait en rien de celui des Chats. Pour le classement méthodique de l’ordre des Carnassiers, les zoologistes accordent, avec raison, une grande importance au nombre et à la disposition des dents, qui offrent sous ce rapport une constance remarquable chez tous les membres d’une même famille naturelle ; cependant on doit aussi prendre en sérieuse considération la conformation de l'extrémité des membres. Le Cryptoprocta estun Carnassier complétement plantigrade, par conséquent il ne peut se rattacher aux Chats, malgré les ana- logies qu'il présente avec ces derniers au point de vue de l'appareil masticateur. Le groupe des Félides est peut-être l'un des plus naturels du règne animal, et constitue plutôt un grand genre qu'une famille ; tous ses représentants offrent entre eux la plus grande similitude, et on lui enléverait son caractère naturel, on en forcerait aussi les limites en introduisant dans son sein un animal d’une orga- nisation aussi singulière que le Cryptoprocla. Ce Carnassier remarquable devra donc former un groupe particulier beaucoup plus rapproché des Chats que de tous les autres types du même ordre, et il nous semble que pour repré- senter d’une manière exacte les rapports zoologiques qu'il pré- sente avec les Felis, il serait nécessaire de le réunir à ces ani- maux dans une même tribu, qui serait ensuite subdivisée en deux familles : l'une comprenant les Félins digitigrades, la se- conde composée des Félins plantigrades, et ne renfermant jus- qu’à présent que le seul genre Cryploprocta. Ces rapports de parenté n’indiquent d’ailleurs pas que cette espèce vienne remplir une lacune dans la série des êtres. Il ne peut être considéré comme-une forme de transition reliant entre eux des groupes qu'on aurait pu croire nettement séparés, et l'on ne peut invoquer ses caractères mixtes comine la preuve d’une forme intermédiaire ; c'est simplement une modification 336 ALPIT, MILNE EDWARDS ET À, GRANDIDIER. nouvelle dans le plan déjà si varié sur lequel ont été formés les Carnassiers, et particulièrement les Félides. Nous ferons aussi remarquer que l'existence d’un animal plantigrade, construit d’après le type général des Chats, est une uouvelle preuve du peu de valeur zoologique que l’on doit attri- buer à ce caractère, dont Cuvier s'était servi pour établir parmi les Carnivores terrestres deux divisions de premier ordre. Dimensions des diverses parties du squelette du Cryptoprocta ferox. RTE EUTIUE L'ALAS Sr eee ee Dee Sir ee nie Dove 28 0 2008 + 0,007 Hauteur de l'os, en dessus, sur la ligne médiane.....,...... 0,013 Hauteur de l'os, en dessous, sur la ligne médiane......... .. 0,008 Ecartement des apophyses articulaires supérieures. ...,. «... 0,027 Ecartement des apophyses articulaires inférieures. ......... 0,022 * Longueur de l’axis, mesuré en dessous, sur la ligne médiane. 0,032 Longueur de l’apophyse odontoïde............. SHARE 0,008 Longueur de la lame épineuse. DO DD I dois D LOT .. 0,037 Écartement des apophyses transverses à leur extr émité....... 0,028 Longueur de la portion cervicale de la colonne vertébrale.... 0,130 Longueur de la portion dorsale.......,...,...,........ 0,250 — déABOUOn TOMATE LE. n.r--h-cr e 0,240 — de la portion sacrée.n.....,.4.0,%.,.%2. Je ..... 0,060 — delagportonicandale PC rentrer. piece 0,750 — totalesdedhuménus RARE SALLE RME EE 0,125 Largeur de L'EXITÉNNLE MNIÉTIEUTC 21 eue eee sa este 0,029 ÉOnPHEUT EOLAIE ŒUACUBIEUS . :2 710 0 ose eee Molois piece ste ee cf 0,120 — de l'olécrâne., ..,.. ER LA MIRE SERVICE 0,018 — das EME ANENE 7 se deide ete AE RL DR 0,095 Largeur de l'extrémité supérieure..,,.....,,..........:.. 0,013 Largeur de l'extrémité inférieure .. ....,..:.... 2.400... 0,017 Longueur du doigt externe ou5° doigt, .....,.....,.. ..…. 0,065 EE — Host ere Her el .. 0,072 — — Sad0istesss st Mr Le RE 0,073 2e, — AS AGOIBUS A NE RAC SM EE 2 0,068 — — LéMOis (EEE RIDER RE sc 0,044 — ŒU DE EMETACENPIEN se ee ee eee res er 0c-- MU DD — du 4€ métacarpien. .,.... Qy1545 0 na uile soUs le 0,028 — du 3° métacarpien.....,.. IST. s…...se.e. 0,031 — du2emeétacorpien PAM, 66, . UE Sie: do °. 0,029 _ du 1‘ métacarpien......,....,.. Nr: CE COL EL: Longueur totale du fémur, ............,............,.. 0,148 Largeur de l'extrémité supérieure. ......., DO ion De Do ne 0,029 Largeur de l'extrémité inférieure. ..... HAE SE Es AS ati 0,028 Longueur totale du tibiac...,.,..,.....,. Hud bé ... 0,134 Largeur de l'extrémité supérieure. ....... o: nebaenneteer. 0,029 Largeur de l'extrémité inférieure, ,.,..,.., Suis een 0,021 MAMMIFERES DE MADAGASCAR: 387 Longueur totale du péroné...... Doté Mas abudhyisr: 0,124 : Largeur de l'extrémité supérieure. ...,....... bio EOUE 0,013 Largeur de l'extrémité inférieure. .” ............ NM Me. 10 0012 Longueur du: calcanéum....... CCR ne + 0,038 Longueur de la portion articulaire... ..,.. ...........,.... 0,023 Longueur de l’astragale...,....,,,... PC PER MP DU ES à 0,021 Largeur de la poulie articulaire...............,... tab 0,012 Longueur du 5° doigt.,............ te SN VE .... 0,080 — UND AOIM Es 1. 2e ciçie sich Sn NN nl) de 2h 0,085 — dura doists à... 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Extrémité du museau montrant les incisives et les canines. 93 Fig. 5. Portion de la tête osseuse d’un Cryptoprocta ferox plus jeune, chez lequel la première avant-molaire n’est pas encore tombée. (De grandeur naturelle.) Fig. 6. Mâchoire inférieure provenant du mème individu, vue en dessus et montrant, d’un côté seulement, l’avant-molaire caduque. PLANCHE 9. Fig. 4. Pied de derrière du Cryptoprocta ferox, vu en dessous pour montrer l'espace dénudé de la plante du pied. (Cette figure est réduite d’un quart, ainsi que les sui vautes.) Fig, 2, Pied de devant, vu en dessous. 5° série. Zoo. T. VIL. (Cahier n° 6.) ? 22 338 ALPH. MILNE EDWARNS ET 4. GRANDIDIER. 3. Squelette du pied de devant vu en dessus. Fig. 4. Squelette du pied de derrière*vu en dessus. 5. Astragale vu par sa face supérieure. 6. Calcanéum vu de côté. Fig. 7. Face postérieure du fémur. . Atlas ou première vertèbre vue en dessus. 8 Fig. 9. Axis ou deuxième vertèbre vue de côté. PLANCHE 140, Fig. 1. Humérus du Cryptoprocta ferox, vu par sa face antérieure. (Cette figure est réduite d’un quart, ainsi que les suivantes.) Fig. 2. Face postéricure de l'extrémité inférieure du mème os. Fig. 3. Extrémité articulaire supérieure vue en dessus. h. Cubitus vu par sa face externe. Fig. 5. Face postérieure du tibia. 6. Os pénien vu en dessus, de grandeur naturelle. Fig. 7. Le même, vu de côté. Fig. 8. Verge vue de côté, la gaine préputiale étant fendue longitudinalement pour laisser voir le gland épineux. (Réduction d’un quart.) OBSERVATIONS D'UN PHÉNOMÈNE COMPARABLE A LA MUE CHEZ LES POISSONS, Par BH. BAUBELON. Ceux qui s'occupent de l'étude des Poissons ont pu observer que chez beaucoup d’entre eux, la peau devient, à certaines époques de l'année, le siége d'une éruption parfois très-con- fluente de petits tubercules durs et blanchâtres. Cette particularité a été surtout signalée chez des espèces appartenant à la famille des Cyprins : chez la Brème commune (Cyprinus brama), le Nase (C. nasus), la Chevaine (C. dobula), le Gardon (L. rutilus), le Vengeron (L. prasinus), l’'Able rosé (L. roseus), le Rovella (L. rubella), l'Able jesse (L. jeses), etc. Elle a été observée également chez quelques Poissons du groupe des Salmones, chez ceux du genre Coregonus, par exemple (1). Dans plusieurs circonstances, ces tubercules ont été l’occa- sion de méprises assez singulières. Ainsi Lesueur, apercevant trois de ces productions sur les côtés du museau d’un Catostome, fit de ce Poisson une espèce distincte sous le nom de Catostomus tuberculatus (2). Le même auteur donna le nom de Leuciscus spinicephalus à un autre Cyprin qu'it décrivit, et dont le caractère principal, d’après lui, était d’avoir la tête hérissée de nombreux tuber- cules (3). Une erreur semblable fut commise par Ruppel. Voyant avec surprise des tubercules cornés sur la partie antérieure du museau d’un Labéon du Nil, et ignorant sans doute la généralité de cette production dans tous les Cyprinides, les Ables surtout, il pensa que la présence de ces tubercules était suffisante pour distinguer génériquement des autres Labéons le poisson qu’il observait, et (4) E. Blanchard, /es Poissons des eaux douces de la France, 1866, p. 424. (2) Cuvier et Valenciennes, Hist. nat, des Poissons, 1844, t, XVII, p. 444. (3) Loc. cit., p. 489. 310 BAUDELOT. il exprima le caractère saillant du nouveau genre par l'épithète de varicorhinus (1). Massigli, en parlant des tubercules des Brèmes, fait remarquer que, dans certaines localités, les pêcheurs prennent celles-ci pour une espèce distincte. Cette dernière opinion fut aussi celle d'Ebertz et Grossinger (2). Tous les ichthyologistes cependant ne parlagerent pas ces erreurs ; des observateurs plus attentifs reconnurent que les tu- bercules en question, loin d'avoir une existence permanente, n'ont au contraire qu'une durée passagère, limitée seulement à l’époque du frai. Cette remarque fut faite par M. Valenciennes sur le Gardon, la Chevaine, l’Able jesse. Au sujet du Vengeron, il fait observer que « ces aspérités tombent peu après la saison des amours ». — «Une singulière particularité, dit M. Blanchard, se manifeste chez les Corégones à l’époque du frai. C’est une sorte d'éruption cutanée qui détermine sur chaque écaille une saillie blanche, allongée. Tout disparait bientôt lorsqu'est passé le temps de la reproduction. » M. Valenciennes alla plus loin encore : d’après lui, ces tuber- cules cutanés ne se manifesteraient que chez le mâle. I le dit d’une manière très-positive en parlant de la Brème commune, de la Chevaine et du Gardon. Mon but n’est pas de contrôler chacune de ces différentes observations, mais de les compléter en cherchant à déterminer la nature du phénomène qu’elles se bornent à signaler. Que sont, en effet, ces tubercules? Quelle en est la structure ? Sont-ils l'expression d’un état normal ou pathologique? Telles sont les seules questions que je me propose d'envisager 101. Afin de mieux préciser, je choisirai comme exemple le Nase, poisson chez lequel le phénomène en question se manifeste avec une intensité remarquable, et sur lequel par conséquent il sera facile de vérifier les faits que je vais signaler. Ce poisson est un de ceux qui affluent avee le plus d'abon- (1) Cuvieret Valenciennes, Hist. nat. des Poissons, t. XVII, p. 491. (2) Loc. cit., p. 16. PHÉNOMÈNE COMPARABLE A LA MUE CHEZ LES POISSONS. 341 dance sur le marché de Strasbourg. A partir de la fin du mois de mars jusqu’au commencement de juin (1), presque tous les Nases que j'ai pu observer ainsi m'ont offert de nombreux tuber- cules sur la peau. En général, l’éruption offre des caractères tellement tranchés, qu'il est impossible de la méconnaître pour peu que l'attention soit dirigée de ce côté. Voici quels sont ces caractères : Sur la tête du poisson, on aperçoit un noi bre plus ou moins considérable de tubercules blanchâtres qui proéminent assez fortement au-dessus du niveau de la peau, et rendent celle-ci très-rude au toucher. La forme de ces tubercules est celle de petits cônes à base circulaire et à sommet mousse. Leurs dimen- sions sont très-variables : les plus grands atteignent, dépassent même un millimètre de diamètre ; les plus petits ne sont bien visibles qu'à la loupe, et ressemblent à de petits points blancs disséminés dans l'intervalle des plus gros tubercules. Entre ces dimensions extrêmes, il est possible néanmoins d'observer une foule de grandeurs mtermédiaires. Tantôt les tubercules sont en petit nombre et très-clair-semés ; d’autres fois, au contraire, ils sont tellement confluents, qu “is arrivent à se toucher sur ‘certains points et à former des amas irréguliers, au niveau desquels ils se confondent en partie les uns avec les autres. Le plus souvent ils paraissent répandus au hasard ; quelquefois cependant leur groupement m'a paru s’effec- tuer avec une certaine apparence de symétrie dans les deux moitiés de la tête. En général, l’éruption couvre ainsi tout le dessus de la tête, et s'étend jusque sur la lèvre supérieure; elle descend aussi sur les joues, mais en perdant beaucoup de son intensité ; elle cesse d'être visible dans la région inférieure de la tête. Au premier abord, on serait tenté de croire que l’éruption reste hornée à la tête, car les gros tubercules s'arrêtent en géné- ral brusquement à la limite postérieure de la région occipitale ; (1) Ma première observation date du 28 mars ; peut-être le phénomène commence- t-il à se maniester plus tôt; mais, avant cette époque, mon attention n'avait pas été appelée sur ce sujet. — Le 20 juin, j'ai examiné au marché un grand nombre de Nases, chez tous les tubercules avaient disparu. 342 BAUDELOT. mais avec un peu d'attention, il est aisé de reconnaître qu'il n’en est point ainsi, et que l’éruption s'étend en réalité sur toute la surface du corps. La peau qui recouvre chaque écaille présente toujours un certain nombre de tubereules de même nature que ceux de la tête. Seulement ces tubereules restent toujours beaucoup plus petits (1), et ils offrent ceci de particulier, qu’au lieu de se trou- ver disséminés au hasard à la surface de chaque écaille, ils se trouvent généralement disposés sur une seule ligne, parallèle- ment au bord postérieur, en avant duquel ils forment comme une rangée de petites perles. Ces tubereules s’aperçoivent aisé- ment avec une loupe, ainsi qu'à l'œil nu, dans toute la région dorsale, mais ils sont beaucoup moins apparents dans la région ventrale. En raison de leur volume, les tubercules de la tête étant beau- coup plus faciles à étudier, c’est sur eux principalement qu'ont été dirigées mes investigations. Voici ce que j'ai constaté : La base par laquelle ces tubercules adhèrent à la peau est presque toujours circulaire lorsque ceux-ci sont isolés; mais lorsqu'ils se rapprochent au point de se toucher, cette base pré- sente d'ordinaire un contour plus où moins irrégulier et poly- gonal. Chaque tubercule adhère assez fortement à la peau sous- jacente ; néanmoins, à l’aide d’un frottement un peu rude, on parvient à l’en détacher assez aisément ; au point où il se trou- vait implanté, on aperçoit alors un petit enfoncement, au fond duquel la peau reste parfaitement intacte. Si l'on fait une coupe soit verticale, soit horizontale de l’un de ces tubercules, on reconnaît aisément, à l’aide d’un grossisse- ment de 20 à 30 diamètres, qu'il est formé de couches super- (4) Il paraïtrait cependant que dans certains cas, quelques-uns de ces pelits tuber- cules peuvent acquérir des dimensions beaucoup plus considérables : on lit, en effet, dans l'ouvrage de Cuvier et Valenciennes (t, XVII, p. 184) : « J'ai sous les yeux une représentation d’une Chevaine pêchée dans le Lech, le 6 avril 1786,et donnée comme un poisson rare et extraordinaire, dont aucun auteur n'avait encore parlé : il avait le corps couvert de cinq rangées de tubercules saillants, arrondis comme des perles de deux lignes de diamètre et hérissés d’une petite épine. Le nombre des tubercules était plus considérable sur la tête, » PHÉNOMÈNE COMPARABLE À LA MUE CHEZ LES POISSONS. 343 posées, mais fortement adhérentes les unes aux autres. Au pre- mier abord, la matière qui constitue ces couches me parut amorphe, et je la pris pour du mueus desséché ; mais en raclant la surface de l’un de ces tubercules, et en soumettant les lamelles ainsi obtenues à un grossissement de 300 à 400 diamètres, je reconnus qu’elles étaient formées uniquement par des cellules d'épithélium aplaties et très-intimement unies entre elles. Jacquis ainsi la certitude que les tubercules en question ne sont autre chose que de petites productions épithéliales, et par conséquent une dépendance de l’épiderme. L'expérience suivante m'a permis d'établir avec précision quels sont les rapports de ces tubercules avec l'enveloppe épider- mique générale. Je pris un Nase dont la tête et le corps étaient couverts de ces tubercules cornés, et je l’immergeai pendant vingt-quatre heures environ dans de l’eau très-faiblement al- coolisée. Au bout de ce temps, il me suffit d'une faible traction pour détacher l'épiderme de toute la surface du corps. Cette membrane, formée d’une seule pièce et assez résistante, com- prenait dans son épaisseur tous les tubereules dont la peau se trouvait revèlue, ceux des écailles aussi bien que ceux de la tête. Je pus ainsi obtenir le moule extérieur du poisson avec tous les reliefs qu'il présentait à sa surface. Il me semblait avoir sous les yeux une de ces enveloppes dont les Reptiles se dépouillent au moment de la mue. Ayant porté sous le microscope un lambeau de la membrane ainsi détachée, je pus m'assurer aisément que son tissu était uniquement composé de cellules d’épithélium pavimenteux, renfermant à l'intérieur un noyau arrondi et de très-fines gra- nulations. J’acquis ainsi la certitude que cette pellicule n'était pas formée par du mucus coagulé, comme j'avais été porté à le croire tout d’abord. Après l’ablation de cette membrane exté- rieure, la surface du corps était redevenue lisse, luisante, et la peau se montrait dans un état d'intégrité parfaite. On aperce- vait seulement sur la tête, au niveau des points où se trouvaient les tubercules de l’épiderme, une légère dépression de la peau qui semblait être le résultat de la compression exercée en dehors 344 BAUDELOT, par ces petites excroissances. Mais, je le répète, la peau était parfaitement intacte, et l’on voyait, à n’en pas douter, que la séparation qui s'était effectuée était des plus naturelles. Nous pouvons donc admettre que les tubercules de la peau et l’épiderme sont un même tissu, et que les premiers ne sont autre chose qu’un épaississement partiel du second. D'autre part, comme ces tubercules n'existent que pendant une certaine époque de l’année, et comme la nature cornée de leur tissu ne permet pas d'admettre qu’ils puissent être résorbés, leur dispo- sition ne peut avoir lieu que par l'effet de leur chute, et l'on peut établir avec certitude que chez un certain nombre de Poissons il existe au moins une mue partielle. — Je dis partielle; mais lors- qu'on songe aux rapports intimes par lesquels les tubercules se trouvent unis au reste de l'épiderme, et à la facilité avec laquelle celui-ci se détache de la peau, il est plus probable que le revête- ment épidermique tout entier tombe à l’état normal, et qu'il existe chez les Poissons, aussi bien que chez les Batraciens et chez les Reptiles, une véritable mue. On sait, du reste, qu'à l’époque de la reproduction, la peau acquiert toujours chez les Poissons un surcroît d'activité, ce qui explique très-bien l’appa- rition des tubercules pendant le temps du frai. Ce qui néanmoins resterait pour caractériser le phénomène de la mue chez les Poissons, ou du moins chez un certain nombre d’entre eux, ce serait la sécrétion inégale du tissu épithélique sur les différents points de la surface du corps. Lorsqu'on voit cette sécrétion s'effectuer avec tant de symé- trie et déterminer une sorte de chapelet le long du bord posté- rieur de chaque écaille, il est permis de se demander s'il n'y a pas là quelque disposition spéciale du système capillaire qui puisse rendre compte d’un pareil fait. Ce serait là du moins un point intéressant à élucider, en vue d'une connaissance plus approfondie des fonctions de la peau. Il appartiendra donc à des recherches ultérieures de mieux préciser encore les faits sur les- quels je viens d'appeler l'attention. OBSERVATIONS SUR L'ARGYRONÈTE AQUATIQUE, Par M. Félix PLATEAU, Docteur ès sciences, Parmi les espèces si nombreuses du groupe des Aranéides tubitèles de Latreille, l'Argyronète aquatique (Argyroneta aqua- tica) (4) offre un intérêt tout spécial, tant sous le rapport de ses mœurs singulières que sous celui des modifications amenées par ces mœurs dans les fonctions physiologiques de l'animal. Étudiée en 4749 par l'abbé de Lignac (2), qui, malheureusement, bien que bon observateur, n'était pas assez naturaliste ; observée un peu plus tard en Suède par Clerck, l'Argyronète tomba depuis dans une sorte d'oubli : en effet, Geoffroy, de Geer, Latreille, Walckenaer, Hahn, MM. Lucas et Simon, dans leurs ouvrages respectifs sur les Arachnides, ne disent que quelques mots de cette espèce, ou, s'ils en décrivent les habitudes, ils renvoient tous aux mêmes sources, aux ouvrages de de Lignac et de Clerck. Un membre de l'Institut, l'un des premiers entomologistes français actuels, m'apprit que, depuis Latreille, l’Argyronète, si commune dans le nord de l’Europe centrale, avait été vaine- ment cherchée en France, et voulut bien me prier de lui en (1) Synonymie : ARAIGNÉE AQUATIQUE, de Lignac, Mémoire pour servir à commencer l’histoire des Araignées aquatiques. ARANEA AQUATICA TOTA FUSCA, Geoffroy, Histoire des Insectes des environs de Paris, t. II, p. 645. ARANEA AQUATICA, Linné, Entomologia, t. IV, p. 102. ARGYRONETA AQUATICA, Walckenaer, Tableau des Aranéides, p. 84, pl. 9, fig. 87 et 88. (2) De Lignac, prêtre de l’Oratoire, a découvert l'espèce dans les environs de la ville du Mans ; le résultat de ses observations à paru sous le titre : Mémoire pour servi à commencer l’histoire des Araignées aquatiques (Paris, 1749). Cet opuscule a été imprimé sans nom d'auteur. 346 F. PLATEAU. envoyer des individus vivants pour étudier leur organisation in- térieure, assez peu connue jusqu’à ce jour. Il restait à compléter l'histoire de l’Argyronète par l'étude du développement em- bryonnaire et par l'examen de quelques-unes des particularités de la vie de l'animal parfait; ce sont là les sujets que je me suis proposé de traiter dans le travail actuel. S 1. — Nous ne sommes plus à l’époque où l’on était obligé, comme Redi (1), de démontrer que « Araneï non nascuntur ex lerra..…..; ova, non vermes, deponunt....; non nascuntur ex putre- dine. » Grâce à des travaux deveuus célèbres, le développement embryonnaire des Arachnides est connu dans la plupart de ses détails ; aussi ne ferai-je que passer rapidement en revue les phases de celui de l’Argyronète, en appuyant seulement sur les points qui présentent un intérêt particulier. J'examinerai successivement le développement de l'œuf dans l'ovaire et après la ponte, puis l'accroissement et les mœurs des jeunes après l’éclosion. L'organisation interne de l'animal qui fait le sujet de cette note étant, ainsi que je l'ai dit plus haut, soumise actuellement à des recherches de la part d’une sommité scientifique, je n'entrerai dans des détails anatomiques qu'autant que cela me sera strictement nécessaire pour l'intelligence de mon travail. Chez l’Argyronète, il y a deux pontes par an : l’une, dont l’époque était connue, au printemps, dans les mois de mai et de juin ; l’autre, qui n'avait été que soupçonnée par de Lignac, mais que j'ai observée, à la fin de l'été, en août. Les ovaires, qui ue différent presque en rien de ceux des autres Aranéides tubi- tèles, contiennent chacun un nombre assez restreint d'œufs, de quarante à cinquante à l’époque de la reproduction, moins encore en dehors de cette époque. . Occupons-nous en premier lieu des œufs en dehors de l'époque (1) Opusculorum pars prior, sive eæperimenta cü'ca generationem Insectorum. Amstelodami, 1686, t. I, Index. L'ARGYRONÈTE AQUATIQUE. 347 de la reproduction. Ils sontalors d’une couleur très-pâle, presque blancs, et offrent, par rapport à l’oviducte, la disposition bien connue des œufs des Aranéides, les plus gros étant à la périphé- rie, les plus petits, dont le diamètre n’excède pas un huitième de millimètre, vers le centre; ils ne sont pas complétement sphé- riques, ils sont très-légèrement ovoïdes, et formés, comme ceux des autres Aranéides, d'un chorion lisse sans structure appa- rente, et d’un vitellus finement granulé sans aucune trace de couche albumineuse. On y distingue, à la superficie du vitellus, upe vésicule germinative, contraslant par sa teinte claire avec le reste de l’œuf, et contenant des noyaux ou granules jaunâtres à aspect celluleux en nombre assez variable, allant quelquefois jusqu’à dix, qui représentent par leur réunion la tache germi- native. Cette dernière disposition a déjà été signalée chez les genres Epeira, Clubiona et Salticus, par Wagner. Le corps énigmatique, obscur et arrondi, que Wittich (1), de Siebold, V. Carus et Leydig (2) ont observé dans les œufs des T'egeneria, Lycosa, Salticus et Thomisus, à côté de la vésicule germinative, manque chez l'Argyronète comme chez les Eperra, Clubiona et plusieurs autres. La vésicule germinative disparaît de très-bonne heure; on n'en voit plus de traces dans un œuf d’un tiers de millimètre, où elle a déjà fait place au sillonnement superficiel et partiel du vitellus, appelé disque proligère. L'apparition de ce deruier est accompagnée, en général, de la formation, au sein du reste du vitellus, de vésicules souvent assez considérables, analogues à des gouttelettes huileuses. Ces vésicules ont été vues également par Kôülliker (3) dans les œufs du Lycosa saccata. Le disque proligère s'accroît avec une grande rapidité, formant le blastoderme, comme chez tous les Arthropodes, il enveloppe déjà complétement le vitellus des œufs ayant atteint deux tiers de millimètre de dia- mètre. Ce blastoderme est constitué par une réunion de grandes (1) Observationes quædam de Aranearum ex ovo evolutione. Halissaxonum, 1845, p. 7. (2) Traité d'histologie comparée, traduit par Lahillone. Paris, 1866, p. 621. (3) Beiträge zur Entwickelungsgeschichte Wirbelloserthuere, dans Archiv von Müller, année 1843, p. 138. 348 F. PLATEAU, cellules à parois hyalines, sphériques quand on les isole, mais vaturellement déformées par leur juxtaposition, elles renfer- ment un grand nombre de granulations vitellines, mais, d’après toutes mes observations, elles sont complétement privées de noyau spécial jusqu'au moment de la ponte. Jusqu'à cette époque aussi, les œufs ne subissent plus d’autres métamorphoses dans l'ovaire, et ne font qu'augmenter de volume ; ils atteignent ainsi leur diamètre définitif, qui est d’un millimètre ; seulement la couleur du vitellus a passé du blanc au jaune vif, et il s’est dé- posé, entre la membrane vitelline et le chorion, une couche d’al- bumine parfaitement transparente. Le temps employé par les œufs à se développer dans l'ovaire est à peu près d’un mois. $ 2. — Quittons pour un instant le développement des œufs, et disons quelques mots de la demeure où l’Argyronète doit les déposer. Ainsi qu'on le sait depuis les observations de de Lignac, notre Aranéide se construit dans l’eau, à l’aide de la matière sécrétée par ses filières, une loge de soie close en haut, ouverte en bas, et qu'elle remplit de l’air destiné à sa respiration. Mais ce qu'on n'a pas signalé, c’est qu’elle en construit successive- ment deux très-différentes : l’une que je crois avoir observée le premier, et dont elle fait sa demeure habituelle ; l’autre, qui est celle décrite par de Lignac, destinée à contenir les œufs et plus tard les jeunes. La première, qu’elle habite, comme nous venons de le dire, en dehors de l’époque de la reproduction, est généralement pla- cée à une certaine distance au-dessous de la surface des eaux tranquilles et peu profondes où se rencontre l'espèce. Cette habi- tation est de construction très-simple : c’est une loge à peu près sphérique, quelquefois ovoïde, ne présentant vers le bas qu’une petite ouverture ; ses parois sont d’un tissu lisse et transparent ; engagée complétement dans lesamas d’Algues ou de Conferves, elle est entièrement cachée, et ne se révèle à l'observateur que lorsque le hasard lui fait mettre la main sur les plantes aqua- tiques qui la renferment. Si l’Argyronète est captive dans un vase de verre plein d’eau, on peut observer que la demeure dont 1 ARGYRONÈTE AQUATIQUE. 349 nous parlons communique avec le liquide environnant par un canal horizontal cylindrique, d’un diamètre de 7 à 8 millimètres, creusé par l’Araignée dans la masse des végétaux inférieurs qui entourent la loge (voy. fig. 1). La seconde demeure, dont je rappellerai brièvement la dispo- sition, est le nid proprement dit. Son sommet fait toujours saillie au-dessus de la surface de l’eau ; elle est formée d’une sorte de cloche et très-solidement construite ; son tissu serré, opaque, est d’un blane mat, et offre une résistance relativement très-grande quand on veut le déchirer. Cette cloche est divisée en deux chambres : la supérieure contient les œufs et a son plancher re- présenté par la face inférieure du cocon qui les renferme; l'espace situé au-dessous, ou la deuxième chambre, sert d’habi- tation temporaire à la mère, qui y passe aux aguets tout le temps nécessaire au développement des œufs après la ponte et des jeunes après l'éclosion. Cette vigilance est nécessaire à l’Argy- ronète, car elle a constamment à défendre son nid contre les attaques de la multitude d’Insectes carnassiers aquatiques na- geant dans les mêmes eaux. Présentons ici quelques remarques sur la manière dont l’Ar- gyronète s’y prend pour poser les fondations de chacune de ses demeures. Suivant les auteurs, l'Aranéide bâtirait d’abord sa cloche en entier, et la remplirait d'air ensuite. Il n'en est pas du tout ainsi. Voici en premier lieu ce que j'ai pu observer quant à l& demeure submergée, deux des Arachnides que je tenais en captivité ayant commencé par hasard leurs loges entre les plantes aquatiques et la paroi de verre du bocal. Les premières phases de la construction sont assez difficiles à observer ; j'ai pu cepen- dant conclure de l'espèce de traction que subissaient les Algues et les Conferves, que l’animal commence par fixer à ces végétaux un nombre relativement restreint de fils disposés de manière à s’entrecroiser à peu près en un même point. À cause de la té- nuité des fils et de leur immersion dans l’eau, ce réseau est d'abord invisible, mais il se révèle bientôt de la manière sui- vante. L'Argyronète va chercher à la surface une certaine quan- tité d'air qu’elle abandonne sous le réseau dont nous venons de 350 F. PLATEAU, parler ; en vertu de sa légèreté spécifique, l'air monte sous forme de bulle, et, rencontrant les fils, y adhère en les refoulant vers le haut, et leur donnant ainsi la forme d’un petit dôme. Dès ce moment, l'arrêt de la bulle d’äir, l'augmentation dans la traction que subissent les Algues, et enfin d’autres fils que l’Ar- gyronète ajoute successivement aux mailles qui entourent la bulle, ne laissent plus de doute sur l'existence du réseau, que l’on commence même à apercevoir (voy. fig. 2). L'Argyronète apporte pendant longtemps de nouvelles quan- üités d'air qu'elle fusionne avec la bulle primitive, et lorsque la masse de gaz ainsi formée a acquis un diamètre suffisamment grand (environ 1°%,5), l'animal s’en sert comme de base ou de moule, la recouvre de fils de plus en plus serrés, et donne ainsi peut à petit à sa loge la forme et la solidité définitives ; les plantes inférieures au milieu desquelles la loge se trouve établie, se mal- üpliant avec la rapidité qui leur est Mens l'enveloppent bien- tôt en entier. On pourrait se demander comment, au début de la construc- tion, lorsque les mailles du réseau sont encore grandes, le gaz ne se divise pas pour traverser le filet qui le recouvre ; mais voici à ce sujet une expérience bien simple que j'ai imaginée. Si l’on forme avec de la mousseline grossière, où conséquemment les fils sont très-espacés, un petit nouet ou sac fermé, de la capacité de 4 à 2 centimètres cubes, et nécessairement plein d'air, puis qu'on plonge ce nouet dans l’eau, en l’empêchant, par un fil fixé à un poids, de remonter à la surface, on verra l’air rester renfermé dans le nouet comme dans un vase clos de toutes parts, jusqu’à la destruction du tissu par la putréfaction : les mailles de la mousseline que j'ai employée formaient des carrés d’un millimètre de côté. Quant à la théorie du phénomène, j'en par- lerai dans la seconde partie de cette note. Je n’ai pas été assez heureux pour voir construire le nid supé- rieur ou émergeant en partie, et qui doit contenir les œufs. Il me paraît simple d'admettre que l'Argyronète s’y prend comme dans le premier cas, avec cette différence qu’elle établit ses fils peu au-dessous de la surface de l’eau, et qu’elle donne aux parois L'ARGYRONÈTE AQUATIQUE. 394 de la nouvelle demeure une épaisseur beaucoup plus grande: Quand l'air que l’animal y accumule s’y trouve en quantité suf- fisante, il fait monter le fond de la cloche à quelques millimètres au-dessus de la surface, les plantes aquatiques qui servent de points d'attache cédant plus ou moins à la traction des fils. L'Argyronète dépose, comme nous l'avons dit, ses œufs, au nombre de 80 à 90, dans la partie supérieure du nid ; ils sont entourés d'une enveloppe commune en forme de sac, blanche comme les parois du nid lui-même, et aussi solide que celle-ci ; le tissu de ce sac est lisse au dehors, et muni au dedans de fils fins s’entrecroisant entre les œufs et les maintenant en place. L'animal va se poster ensuite dans la chambre inférieure la tête en bas, près de l'ouverture ; la surveillance continuelle qu'il exerce alors sur les œufs, surveillance qui est du reste commune à beaucoup d'espèces d’Arachnides, a été observée pour la pre- mière fois chez l’Araignée aquatique par Clerck (1). Remarquons que les œufs sont constamment entourés d'air, tout le nid étant rempli de ce gaz ; leur développement est donc aérien comme la vie de l'animal parfait, lequel, bien que passant son existence dans l’eau, s’entoure d’une couche d'air perma- nente par un procédé qui fait le sujet principal de la seconde partie de ce travail. 8 3. — Les œufs, dont nous allons poursuivre maintenant les métamorphoses après la ponte, sont demeurés légèrement ovoides, mais s’éloignent encore beaucoup de la forme allongée de ceux des Oribates et des Scorpionides ; ils sont plus denses que l’eau, car ils tombent au fond de ce liquide. J'ai dit que, dans les œufs non encore pondus, les cellules du blastoderme ne présentent pas de noyau ; cet état des cellules persiste après la poute. On croit cependant voir apparaître, à l'intérieur de cha- cune d'elles, une ou plusieurs vésicules n'ayant souvent que l'apparence de taches claires; mais ces taches, signalées par (4) Cité par de Geer, Mémoire pour servir à l'histoire des Insectes, Stockholm, 1778; p. 342. 352 F, PLATEAU, Rathke (1) dans les œufs de l’Écrevisse, ne sont qu'une illusion, et résultent probablement du dédoublement du blastoderme en deux feuillets ; je me suis, du reste, assuré de l'absence de noyau dans le feuillet externe, en isolant sous le microscope les cellules qui le composent. À partir de la ponte, le développement s'effectue avec une vitesse extraordinaire, jusqu'à l'instant de l'apparition des membres de la jeune Araignée, pour se ralentir ensuite beau- coup jusqu'au moment de l’éclosion. Ainsi que chez les autres Articulés, on aperçoit bientôt à la surface du blastoderme, vers le milieu de la longueur de l'œuf, une série de cellules de grandes dimensions, contrastant par leur couleur obscure avec les cel- lules normales qui les environuent. Ces cellules sont générale- ment de forme très-allongée, et groupées d’abord comme au hasard ; elles se juxtaposent ensuite d’une manière régulière, pour constituer une bande obscure s'étendant sur une des faces de l’œuf, à peu près d'un pôle à l’autre ; leur nombre n’est jamais grand et ne dépasse guère dix. La bande qu’elles forment est le premier vestige de la lame ventrale de l'embryon, lame sur laquelle vont se développer les membres de la manière sui- vante : il apparaît à sa surface cinq lignes obscures transver- sales, d’abord peu distinctes, fort étroites et fort courtes ; ces lignes croissent rapidement, et si l'on observe de profil la por- tion de l'œuf où elles se trouvent, on voit qu’elles font saillie sur le blastoderme, mais d'une quantité relativement faible (fig. 3). Ce sont ces lignes qui donnent naissance aux pattes et aux palpes ; mais comment? Des physiologistes admettent que, chez les Arti- culés en général, ces saillies prennent la forme de véritables cylindres transversaux, dont chacun se scinderait ensuite en deux parle milieu ; chacune de ces moitiés, continuant à adhé- rer à l'embryon par son extrémité la plus éloignée de l’axe gé- néral du corps, relèverait petit à petit celui de ses bouts devenu libre, et, sous la forme d'une protubérance cylindrique, consti- (4) Voyez l’article que Rathke a écrit sur le développement de l'Écrevisse, dans le Traité de physiologie de Burdach, traduction de Jourdan (Paris, 1838, t. III, p. 106). ARGYRONÈTE AQUATIQUE. 393 _tucrait le premier rudiment d’une patte. Le travail de Herold (1) a probablement concouru pour une grande part à l’établisse- ment de cette opinion, quant à ce qui regarde les Arachnides en particulier ; il est évident, d'après son texte et ses planches, que Herold n'a vu les membres que lorsqu'ils étaient déjà formés, et D'a pas saisi l'instant de leur apparition. Rathke, qui s’est occupé un peu plus tard du développement du Scorpion, soupçonne avec raison que la naissance des pattes chez les Araignées a lieu de la même manière que chez les Scor- pionides (2). Ainsi que je m'en suis assuré par de nombreuses observations, la supposition de Rathke se justifie complétement chez l'Argyronète : loin de se façonner en cylindres, les saillies restent stationnaires, on dirait presque qu’elles s’effacent un peu. À chacune de leurs extrémités correspondantes aux bords de la lame ventrale, se montre un point obscur (fig. 44) qui s’ac- croit rapidement, prend d’abord la forme d’une excroissance hémisphérique, puis d'un tube qui, s’allongeant de plus en plus, pénètre dans la zone remplie par l’albumen, atteint presque la face interne du chorion, et, seulement alors, se recourbe vers la lame ventrale (fig. 15 et 16) ; les extrémités libres de ces appen- dices, qui sont les rudiments des pattes, finissent ainsi par se croiser deux à deux sur la ligne médiane (3). Chaque patte com- mence, comme je viens de le dire, par constituer un simple tube ; ce tube, arrondi à son extrémité et rempli de granula- (1) Untersuchungen über die Bildungsgeschichte der wirbellosen Thiere. Erster Theil, SPiNEx. Marbourg, 1824, p. 23, $ 16. (2) Voyez son article sur le développement des Aracbnides dans Burdach, op. ct., t. III, chap. IV, p. 102. (3) Les observations qui précèdent sur le développement des pattes paraitront peul- être étranges; qu'on me permetle de transcrire en leur faveur quelques lignes de la page 44 du Mémoire, déjà cité, de Guil. de Wittich, mémoire qui a pour objet des genr.s d’Arachnides terrestres, {els que les Lycosa et Tegeneria. «Sicuti vero tum pro- minentiæ aliæ quinque a lateribus annulorum exeunt, atque prima designant palporum pedumque vestigia, eminentiæ primi capitis annuli manudibulis respondent. Si vero paulo post partem pectoralem embryonis intueris, quinque columellas seu trabeculas in utroque latere vides, quæ pedum primordia significant atque æquali fere latitudine deorsum et introrsum convergunt, quæ dum superiora inferioribus longitudine valde antecedunt, sicuti Heroldius jam commemorat costarum speciem pr se feruné. » 5e série. Zoo, T. VII. (Cahier n° 6.) $ : 23 39! F. PLATEAU,. tions, est complétement privé d’articulations, Toutes ces trans- formations, y compris l'apparition de la lame ventrale, s'effec- tuenten quinze ou vingt heures. Jusqu'ici, en fait d’appendices externes, je n’ai parlé que des pattes ; les palpes subissent exactement les mêmes phases et aux mêmes époques ; quant aux chélicères, alors que les pattes ne sont encore représentées que par des points obscurs, on parvient déjà à distinguer l'extrémité céphalique de l'embryon, laquelle se décèle à l'observateur par deux petites lignes courbes et fon- cées, qui sont les premiers vestiges des chélicères ; celles-ci se dessinent et s'allongent très-vite, et, entre leurs bases, se voient bientôt deux petites masses transparentes, presque des cellules, qui sont les mâchoires, En même temps le vitellus se condense des deux côtés d'une ligne claire, s'étendant des mâchoires à l'extrémité opposée de l'embryon: cette ligne claire est le tube digestif en voie de formation. Lorsque les pièces de la bouche, les paites, etc., sont entière- ment ébauchées, le vaisseau dorsal commence à se montrer, comme chez les autres Aranéides, sous la formed’un tube faisant saillie le long de la ligne médiane dorsale de l'animal, et rempli d'une colonne liquide immobile; alors le tube digestif est en- tièrement développé et l'ouverture anale existe. La couleur de plus en plus foncée de l'embryon rend bientôt les observations difficiles, aussi n’ai-je rien vu de l'apparition du système ner- veux ; l’espace que les yeux occupent sur le front se décèle par une bande obscure. Les autres transformations ne portent plus que sur des détails ; certaines parties restent relativement sta- tionnaires, comme les pattes et les palpes qui, tout en s’allon- geant, continuent pendant longtemps encore à manquer d'arti- culations. Dès que l'Argyronète est dessinée dans sa forme générale, on voit très-facilement, là où sa surface présente des angles rentrants, que l'animal est entouré tout entier d’une membrane très-fine ; ce sont probablement les derniers vestiges de cette membrane, qui, persistant après l’éclosion, enveloppe- ront pendant quelque temps les chélicères et les mâchoires. De la ponte à l’éclosion, il se passe ordinairement de huit à dix jours. ARGYRONÈTE AQUATIQUE. 909 8 4. — Lorsque les jeunes Argyronètes sortent des œufs, loin de pouvoir déjà circuier librement, elles restent enfermées dans la chambre supérieure du nid pendant longtemps, quelquefois même pendant toute une semaine; cette réclusion forcée est basée sur des raisons sérieuses : en premier lieu, et bien qu'on ait observé le contraire chez la plupart des autres espèces, tous les membres sont encore mous et privés d’articulations, excepté à la hanche et au trochanter ; lorsque l'animal fléchit une patte, ce n'est Jamais sans rides nombreuses dans le derme, là où les articulations apparaîtront plus tard. En second lieu, comme chez tous les Aranéides de cet âge, les chélicères et les mächoires sont entourées d'une fine membrane qui s'oppose à leurs mouve- ments ; enfin, et là est la cause principale, l'animal est encore totalement dénué de poils ; je montrerai, dans la seconde partie de ce travail, que ceux-ci lui sont indispensables pour qu'il puisse s’entourer dans l’eau de la couche d'air nécessaire à se respiration ; aussi, lorsqu'on plonge dans l’eau une Argyronète immédiatement ou peu de temps après sa sortie de l'œuf, elle se mouille très-bien et meurt noyée. Chez d'aussi jeunes individus, l'abdomen est encore rempli de matière vitelline ; cette matière pénètre même dans le thorax sous la forme de deux prolongements courts. Les téguments du corps sont alors si transparents, qu'en aplatissant légèrement ce dernier entre deux lames de verre et l'observant au microscope, on y voit non-seulement tous les organes internes, mais même on y distingue parfaitement le phénomène de la circulation : le cœur fait de quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix pulsations par minute ; le sang, chassé en avant, contourne l'estomac sous la forme de deux courants, quise subdivisent ensuite, et pénètrent par branches latérales dans tous les membres; le liquide revient de ceux-ci au cœur, surtout par la face dorsale, L'irrégularité de la course des globules et l'absence de vaisseaux visibles per- mettent de supposer que les quelques troncs vasculaires que dait posséder plus tard l'animal parfait n'existent pas encore. La jeune Argyronète, à l’âge où nous l’examinons, n'offre aucune trace de crochets à l'extrémité des membres et des 296 F. PLATEAU. palpes ; les chélicères, énormes en proportion de la tête, sont renversées sous le thorax et immobiles. La coloration est assez pâle, le thorax et les pattes sont bleus, les yeux pourpres et l'abdomen jaune. Peu à peu, à mesure que l'animal croît, il prend des teintes plus obscures, et, au moment de quitter le nid, alors qu'il a 2°°,5 de longueur, il est entièrement d’un gris foncé. Pendant cet accroissement, les chélicères sont restées stationnaires; de sorte qu'elles ont enfin des proportions nor- males, et l'abdomen s’est couvert de poils; les articulations ont apparu aux membres, mais, même lorsque le nid est abandonné, les tarses et les palpes sont encore privés de crochets. Tous les individus quittent-ils en même temps la demeure maternelle ? Je ne le pense pas ; je ne puis, il est vrai, me baser à cet égard que sur une seule observation ; la voici : en ouvrant la chambre supérieure d’un nid que je croyais vide, j'y ai trouvé une seule Argyronëte d'une taille un peu plus grande que celle des jeunes sur le point de commencer leur vie active ; cette taille me fit soupconner que c'était un mâle, car, dans cette espèce, le mâle adulte est, comme on le sait, à peu près double de la femelle ; bien que les organes génitaux ne fussent pas en- core développés, la forme des palpes, plus courts et plus trapus que ceux que j'étais habitué à rencontrer, vint confirmer ma supposition. Il n'y aurait donc qu’un mâle par couvée, et il ha- biterait seul le nid longtemps après le départ des femelles ; ceci pourrait expliquer pourquoi, tandis que les femelles d'Argyro- nètes sont si communes dans les localités où l'espèce se ren- contre, les mâles y sont, au contraire, fort rares. Une fois libres, les petites Argyronètes, grâce à leur abdomen velu, s’entourent d’une couche d’air, et se construisent chacune une petite loge fort simple, composée d’une bulle d'air de 3 ou h millimètres de diamètre, retenue par un tissu invisible tant il est fin. Elles ne se tiennent pendant longtemps qu’à une faible profondeur, l'enveloppe d'air qu’elles entraînent, et qui est plus considérable, relativement à leur volume, que chez les Argyro- nètes adultes, opposant probablement trop de résistance à leur descente. Elles se réunissent souvent à plusieurs pour attaquer ARGYRONÊTE AQUATIQUE. 354 les Mouches ou autres Insectes qu’on leur donne, car cette espèce est essentiellement chasseuse ; quoi qu’on en ait dit, leurs loges ne peuvent en aucune manière servir de piége, l'air qu'elles contiennent les rendant trop visibles. L'accroissement des jeunes Argyronètes est très-lent; les cro- chets des tarses n'apparaissent que quinze jours environ après que les animaux ont quitté le nid maternel, et, un mois et demi aprés cette époque, la longueur du corps n’est encore que de à millimètres environ. Les Argyronètes nées dans mes bocaux étant mortes lors- qu’elles avaient la taille que je viens de citer, je n’ai pu m'assu- rer du temps nécessaire à l'accroissement complet. IT 8 5. — L'Argyronète possède, comme la généralité des Ara- chnides pulmonaires, deux poumons et un système trachéen bien développé ; mais ses trachées n’appartenant pas à la catégorie des branchies trachéales signalées par Dugès chez les Hydrachna, branchies susceptibles d'extraire l'air dissous dans l’eau, l’Argyronète doit respirer l'air en nature. On sait qu'à cet effet elle s’entoure partiellement d’une couche de ce gaz, et tout observateur qui a tenu cette espèce en captivité l’a vue renou- veler sa provision; mais je ne crois pas que personne, depuis de Lignac, se soit enquis de la cause qui fait adhérer si fortement l'air en couche épaisse à l'abdomen de l'animal, malgré la viva- cité des mouvements de celui-ci, et la faible densité du gaz, le- quel doit constamment tendre à monter à la surface de l'eau. Les parties du corps de l’Arachnide recouvertes d'air sont toute la surface de l'abdomen, ainsi que la face ventrale du thorax ; la face dorsale de ce dernier segment et les pattes, excepté à leur base, sont nues. L'Argyronète nage, comme on sait, sur le dos ; la tendance de l'air qui l'enveloppe à monter porte ainsi ce gaz en plus grande quantité vers les ouvertures respiratoires des poumons et des trachées placées sur la face ventrale du corps. Lorsque, pour renouveler sa provision, l’animal se rend à la 398 F. PLATEAU,. surface de l’eau et émerge verticalement son abdomen, en tout ou en partie, on est témoin des faits suivants : l'abdomen est mat et sec, et à l’entour la surface de l’eau est creusée, comme dans le cas où un corps solide, que l’eau ne mouille pas, est partielle- ment plongé ; puis, quand l'Argyronète se retire sous la surface, le creux s’approfondit, comme un entonnoir liquide plein d'air au fond duquel se trouverait l'Arachnide ; cet entonnoir s’étrangle tout à coup brusquement au-dessus des filières, et la surface de l'eau redevient plane ; mais le ventre de l'Argyronète est entouré d'une couche nouvelle d'air qui y est restée adhérente. Si, par hasard, dans cette opération, l’Araignée a émergé, soit une patte, soit une partie dorsale du thorax, l'eau se relève le long de cette partie, comme dans le cas d’un corps mouillé. On peut donc dé- duire de tout ceci que les parties du corps de l'Argyronète aux- quelles l'air adhère sont celles qui ne se laissent pas mouiller. Comment cette propriété de s'entourer d'une couche d'air est- elle obtenue ? De Lignac (1), et plus tard Latreille (2), qui l’a pour ainsi dire copié, admettent qu'une graisse ou un vernis sécrété par l’Arachnide recouvre les portions destinées à recevoir la couche d'air. Cette hypothèse a été suggérée évidemment par une par- ücularité du même genre propre aux oiseaux aquatiques. Les expériences nombreuses que j'ai faites à ce sujet montrent ce- pendant que l'opinion des auteurs ci-dessus n’est pas exacte, et qu'il faut attribuer la propriété si remarquable de l'Argyronète à une tout autre cause. Il est évident, en premier lieu, que si un vernis, une huile ou une graisse recouvrent réellement certaines parties du corps de l’Argyronète, on ne réussira jamais à mouiller ces parties, même après la mort de l'animal. Pour éclaircir ce premier pot, j'ai tué une Argyronète en lui enlevant la partieantérieure du thorax, et j'ai plongé immédiatement le reste dans l’eau. Comme chez l'animal vivant, l'abdomen s’est recouvert d’une couche d’air ; (1) 9p. cit., p. 36 et suiv. (2) Histoire générale et particulière des Crustacés et des Insectes, Paris, an X, t. I, p. 224. ARGYRONÈTE AQUATIQUE. 359 mais l'Araignée ayant été laissée dans l’eau pendant six ou huit heures, la couche de gaz à peu à peu disparu, soit en se dissol- vant dans l’eau, soit autrement ; et lorsque j'ai retiré le corps de l'animal, j'ai pu m'assurer qu'il était parfaitement mouillé, si bien que, replongé dans le liquide, il ne s'enveloppait plus d'air. - Comme on pourrait supposer que l’eau, après la disparition de l'air, avait altéré la couche graisseuse admise par de Lignac, ou même, ce qui est difficile à croire pour un temps aussi court, que l’Arachnide avait subi un commencement de décomposi- tion, j ai fait l'essai suivant : J'ai plongé une Argyronète succes- sivement dans l’éther et dans l'alcool, en la laissant quelque temps dans chacun de ces deux liquides, pour enlever toute trace de graisse ou de vernis, s'il y en avait; puis ayant fait sé- cher l'animal à l’ar libre, sur du papier à filtre, pendant une heure environ, et ayant rendu autant que possible aux poils leur position normale à l'aide d'une aiguille, j'ai constaté en plon- geant dans l’eau le corps ainsi préparé, qu'il se recouvrait d’air comme avant l’action de l’éther et de l'alcool ; seulement le gaz n'adhérait qu'aux endroits où les poils avaient été bien re- dressés. Ces deux expériences se confirment l’une l’autre, et montrent, me semble-t-1l, complétement que l'hypothèse d’un vernis ou d'une graisse est inadmissible. J'espère prouver que l’adhérence d'une couche d’air au corps de l’Argyronète s'explique très-bien en attribuant aux poils fins qui recouvrent celui-ci la cause unique du phénomène, sans qu'il soit nécessaire de supposer ces poils gras ou résineux. Avant d'aller plus loin, examinons quelle est la structure et la disposition des poils de notre Arachnide. Les poils des portions qui se recouvrent d'air offrent les particularités suivantes : les poils de l'abdomen sont d’une ténuité extrême, leur diamètre est d'environ 1/180% de millimètre, et leur longueur varieentre 4/6° et 1/3° de millimètre; ils sont garnis de barbules courtes et très-fines sur trois de leurs arètes. Ces poils sont fournis, et donnent à l'abdomen un aspect velouté; ils ne sont pas disposés d'une manière uniforme, mais sont groupés la plupart sur de 360 F, PLATEAU,. légers replis de la peau en forme de saillies; ces saillies des- sinent, sur le dos surtout, des lignes transversales visibles seule- ment à la loupe. A la face inférieure du thorax, les poils garnissent les hanches des pattes et la base des palpes ; ils sont fournis, mais privés de barbules; il en est de même de ceux qui garnissent le bord interne des cuisses postérieures. Quant aux poils des autres parties du corps, comme la tête, les chélicères, les membres dans leurs articles terminaux, ils sont rares, lisses et plus roides. On voit donc que les poils des parties où se fixe la couche d'air ont des dispositions spéciales. Maintenant quel rôle jouent- ils quand l’Arachnide est sous l’eau? Dans les conditions ordi- naires, la couche d'air réfléchit tant de lumière et présente un tel éclat, qu'il est impossible de rien voir distinctement; mais si l'on plonge l’animal vivant dans un tube de verre mince de petit diamètre (1 centimètre), plein d'eau, et qu'on observe la couche d’air de l’Arachnide avec une forte loupe, on reconnaît qu’en réalité cette enveloppe n'est pas unie dans toute son éten- due : elle est hérissée d’une multitude de petits cônes brillants, disposés assez irrégulièrement et formés par des soulèvements partiels de la couche d’air, que déterminent des poils ou des faisceaux de poils placés sur les saillies de la peau dont nous avons parlé ; ces cônes paraissent un peu arrondis à leur sommet. Un grand nombre de poils produisent donc des saillies dans la surface générale de la couche d'air, et divisent pour ainsi dire cette surface en une multitude de parties. Il y a cependant des portions où les cônes saillants font défaut sur une plus grande étendue ; tels sont l'intervalle entre l’abdomen et les hanches de la dernière paire de pattes, le sillon entre l'abdomen et la partie dorsale du thorax, enfin le dessous du thorax ; dans chacun de ces endroits, l’air forme une couche unie, convexe et limitée sur ses bords par les poils des organes voisins. Pour essayer de découvrir la cause de l’adhérence de la couche d’air, jai fait les expériences suivantes : Si l’on plonge dans l'eau, verticalement et avec lenteur, un poil quelconque, poil de Blaireau, soie de Pore, etc., à l'état ARGYRONÈTE AQUATIQUE. 361 naturel, dégraissé par l’éther, ou rendu gras à l’aide d’un peu d'huile qu’on a essuyée ensuite, il déprime d'abord légèrement le liquide à son entrée, et la dépression persiste tant qu'il des- cend ; mais si on le maintient stationnaire, il se mouille bientôt, et l’eau s'élève légèrement le long de sa surface. On peut mul- tiplier l’action du poil en employant un pinceau; dans ce cas, que le pinceau soit à l’état naturel et sec ou un peu gras, il dé- prime très-fortement le liquide, et, quand il est plongé, ren- ferme une notable quantité d'air dans son intérieur ; mais cet air s'échappe petit à petit, et le pinceau se remplit d'eau. Ces quelques expériences préalables nous montrent que les poils sont des corps parfaitement susceptibles de se mouiller, et que les graisses n’apportent guère de modification appréciable à cette propriété. Si, au lieu de plonger le pinceau dans l’eau, les poils en avant, on l’enfonce en commençant par le manche, on constate qu’il s'emplit d'air comme dans le cas précédent ; mais cet air se termine supérieurement par une surface brillante, légere- ment convexe, traversée par les extrémités des poils ; autour de chacune de ces extrémités, la surface de l'air est légèrement creusée en cône. Cependant, malgré l’adhérence que la masse d'air semble manifester ainsi pour les poils, au bout d'une mi- nute environ une portion de l'air se détache sous forme de bulle, - puis une seconde, et après une trentaine de minutes le pmceau est privé de gaz. On empêche cette ascension de l'air, due évi- demment à la poussée hydrostatique de l’eau, en entourant préalablement le pinceau d’un cylindre de papier ou de toute autre substance qui se mouille facilement; ce cylindre ne doit pas serrer les poils, et les extrémités de ceux-ci doivent dépasser un peu son orifice. Avec ces précautions, la nappe d’air persiste indéfiniment, mais autour de l'extrémité de chaque poil elle est encore façonnée en cône creux. Voici, je pense, l’explication de ces phénomènes : On sait, d'après les curieuses recherches de M. Duprez (1), que la sur- (4) Mémoire sur un cas particulier d'équilibre des liquides, 17e et 2° partie (Mém. 362 F. PLATEAU, face de contact entre l’air et un liquide présente une stabilité ou résistance à la déformation extrêmement grande, lorsque l’éten- due de cette surface est suffisamment petite ; or, dans l’expé- rience du pinceau, on a une surface ou plutôt une réunion de surfaces de ce genre; je veux parler de la surface générale de séparation entre l'air renfermé dans le pinceau et le liquide dans lequel ce dernier est immergé. Quand le pinceau n’est pas entouré de son tube de papier, l’eau s'attache aux poils exté- rieurs sur toute leur longueur, ainsi qu'aux extrémités des poils intérieurs, et la surface générale de séparation de l'air et de l'eau se trouve ainsi présenter un grand nombre de lignes et de points d’adhérence qui la subdivisent ; or, d’après le principe rappelé plus haut, elle acquiert par là une grande stabilité, et ce n'est que graduellement et avec peine que la poussée hydrosta- tique déloge la petite masse d'air. Enfin, avec l'addition du tube de papier, l'adhérence s'établit sur tout le bord supérieur de celui-e1, et en outre la poussée hydrostatique ne peut plus agir ; on comprend done qu'alors l'équilibre se maintienne indéfini- ment. Dans cette théorie, il suffit, on le voit, que la masse d'air ait une étendue assez petite, et des limites susceptibles de se mouiller ; voici à cet égard une autre expérience analogue à la précédente, mais dont les conditions se rapprochent davantage de celles de l'Argyronète : Si, sur une plaque de verre, on fixe verticalement, à l’aide de cire à cacheter, une série de poils courts rapprochés, disposés en cercle, le cercle ayant 6 à 8 mil- limètres de diamètre, puis qu’on plonge cet appareil dans l’eau, une petite masse d'air légèrement convexe remplit tout l’espace limité par la couronne poilue, et y adhère avec tant de force qu’elle résiste à des mouvements et à des secousses assez consi- dérables. Cette expérience rend raison de l’adhérence de la lame d'air au thorax de l’Argyronète, lame dont le contour est déter- de l’Acad. royale de Belgique, t. XXVI et XXVIIT). Note sur la cause qui s'oppose à l'introduction d'un liquide dans un vase à orifice étroit (Bull. de l’Acad, royale de Be gique,t. XVI, n° 6). ARGYRONÈTE AQUATIQUE. 063 miné, comme nous le savons, par les poils des hanches des pates. Si l'on emploie un corps sphérique velu, on comprend qu'un phénomène analogue devra se produire, la surface de la lame d'air étant en quelque sorte divisée par les extrémités des poils en petites surfaces partielles ; c’est aussi ce que j'ai observé : un fragment de peau de Lapin dégraissé par l’éther, et dont on a coupé les poils fort courts, puis roulé sur une petite boulette de liége, par exemple, se recouvre, lors de son immersion dans l'eau, d’une belle couche d’air ; il en est de même d’une bou- lette d’ouate et d'une boulette de velours, Dans ces dernières expériences, les corps plongés peuvent être déplacés sous l'eau avec une certaine vitesse, sans perdre leur enveloppe gazeuse, et semblent représenter assez bien un abdomen d’Argyronète dans les mêmes conditions, Quand on les examine à la loupe, on voit, comme dans le cas du pinceau, que la surface de la lame d'air, là où des poils isolés la traversent, est creusée de petits cônes rentrants; mais on remarque aussi beaucoup de petits cônes saillants comme chez l'Argyronète, et là on constate qe plusieurs poils s'entrecroisent. Ces ensembles de poils forment ainsi autant de petites cages fermées du haut, et dans lesquelles l'air est maintenu par l’adhérence que l’eau environnante con- tracte avec les poils qui les composent, C'est en petit ce que nous avons vu se produire au début de la construction de la loge de l’Argyronète, et dans l'expérience du nouet ($ 2). La grande similitude d'aspect entre les cônes saillants dont je viens de parler et ceux qu’on observe sur une échelle plus mi- pime chez l’Argyronète permet d'admettre que ces derniers sont dus à la même cause, c'est-à-dire à l'enchevêtrement de petits faisceaux de poils. La disposition barbelée des poils de notre Arachnide facilite d’ailleurs cet enchevêtrement. En résumé donc : 1° Le maintien d’une lame d'air autour de l'abdomen de l’Argyronète est dû non à une graisse ou à un vernis, mais à ce que de petits faisceaux de poils enchevêtrés, faisant saillie au-dessus de la surface générale de la couche d'air et renfermant eux-mêmes de l’air qui fait continuité avec 86! F. PLATEAU, cette couche, constituent autant de points d'adhérence qui sub- divisent en quelque sorte la surface générale de l'enveloppe, et lui donnent ainsi de la stabilité. 2° La fixation d’une lame d'air continue au-dessous du thorax à pour cause et la faible étendue de cette lame, et l’adhérence de l’eau aux poils qui en constituent les limites (1). $ 6. — Maintenant que nous avons montré à quelle disposi- tion particulière l’Argyronète doit la propriété de s’entourer d’une couche d'air permanente, il nous faut éclaircir une autre question : lorsque l’animal construit son habitation ou en renou- velle la provision gazeuse, comment s’y prend-il pour apporter de la surface de l’eau une masse d’air supplémentaire? De Lignac (2), trompé par des observations erronées, avait cru voir que l’Argyronète emplissait son appareil respiratoire de la plus grande quantité d'air possible, puis expirait cet air par l'ouverture génitale en entrant dans sa demeure. Il n’est pas be- soin, je pense, de réfuter une théorie aussi peu vraisemblable. D'après mes observations, le procédé de l’Arachnide est des plus simples, et tout à fait d'accord avec les faits exposés plus haut touchant la couche d'air générale : au moment où l’Argy- ronète va quitter la surface de l’eau, elle écarte assez fortement ses cuisses postérieures, lesquelles sont garnies de poils nom- breux, ainsi que je l’ai dit, et lorsqu'elle plonge, une masse d’air additionnelle unit, de chaque côté de l'abdomen, la couche ga- (1) La présente note était déjà livrée à l'impression lorsque j'eus connaissance d'une uotice de M. Wesmael, intitulée : Sur La respiration de quelques Insectes qui vivent sous l'eau (Bull. de l'Acad. royale de Belgique, t. 1, 1835, p.219). Le savant entomologiste indique comme origine de ses recherches les observations qu’Audouin fit sur le Blemus fulvescens (Curtis) (Observations sur un Insecte qui passe une grande partie de sa vie sous l’eau; Nouvelles Annales du Muséum, t. I, 1834, p. 117). Dans ce mémoire, qui avait échappé à mes investigations, Audouin attribue déjà aux poils dont le Blemus est revêtu la propriété que possède ce Carabique de s’envelopper sous l’eau d’une couche gazeuse, mais il ne cherche pas à expliquer comment les poils ont ce pouvoir. Bien que l'opinion émise par Audouin ôte, en un point, quelque chose à la nouveauté de mon travail, je m'estime heureux de trouver un appui dans les recherches d’un natu- raliste aussi éminent. (2) Op. cit, p. 36. ARGYRONÈTE AQUATIQUE, 365 zeuse ordinaire à la face interne des cuisses. En nageant pour re- gagner sa demeure, l'animal ne fait de mouvements qu'avec ses trois paires de membres antérieures. Quant à ce qui se passe en suite dans la loge ou dans le nid, il est impossible de s’en assurer ; mais on est en droit de supposer que l’Arachnide rapproche ses cuisses de son corps et chasse ainsi les portions de gaz dont nous avons parlé. En tout cas, lorsque l'animal ressort, ses cuisses postérieures ont une position normale, et la quantité d’air logée entre celles-ci et l'abdomen est relativement Imsignifiante. Des auteurs se sont inquiétés de la façon dont l’Argyronète adulte échange contre de l'air pur le gaz vicié de sa demeure, et oubliant que celle-ci est fixée solidement aux corps environ- nants, ont supposé que l'animal la retournait (1). Il est, je crois, beaucoup plus simple d'admettre que le renouvellement de l'air s'effectue de la manière suivante : Chaque fois que l’Argyronète quitte sa demeure, le gaz qui l'enveloppe est nécessairement de l'air vicié qu'elle a entrainé, et qui se trouve remplacé à la sur- face de l’eau par de l'air pur ; cette couche nouvelle se mélange aux gaz de l'habitation dès que l’Aranéide rentre dans celle-ci, et l’on comprend qu’un nombre suffisant de voyages aura fina- lement pour résultat de renouveler entièrement l'atmosphère intérieure, ou, tout au moins, de lui rendre de temps en temps les propriétés respirables qu’elle aurait perdues. Cette supposition paraît expliquer, en partie, pourquoi l’Ar- gyronète construit près de la surface sa seconde demeure, c’est- à-dire le nid où elle doit déposer ses œufs; en effet, si la cloche était placée plus bas, les œufs sur lesquels veille l’Arachnide risqueraient fort d'être dévorés par les Insectes aquatiques, pen dant le temps que dureraient les doubles voyages du nid à la sur- face et de la surface au uid. Quant à la première demeure, on peut admettre que l'animal l'établit profondément pour éviter qu'elle soit prise dans la glace pendant l'hiver, et, de plus, pour (4) Latreille, à l'article ArGyroxETE, Dictionnaire d'histoire naturelle, par une Société de naturalistes. Paris, 1816, t. IT, p. 525, et presque tous les auteurs qui l'ont suivi, 366 F, PLATEAU, se trouver mieux à portée de saisir au passage les Insectes et les Crustacés, surtout les Aselles, dont il fait sa nourriture. De Geer (1) assure avoir observé que, vers le commencement de décembre, l’Argyronète s’enferme dans sa loge dont elle bouche l'ouverture. Cette assertion ne s’est pas confirmée à l'égard des individus que j'ai gardés en captivité ; cela peut tenir à la température, qui ne descend pas assez bas dans l’intérieur des maisons habitées, Sans contester absolument ce que de Geer avance à ce sujet, je concevrais cependant avec difficulté com- ment l'animal pourrait rester ainsi confiné pendant l'hiver dans un air rapidement vicié, lorsque, pendant la belle saison, il ma- nifeste un si grand besoin d'air pur par ses fréquents voyages à la surface de l’eau; à moins qu’il ne subisse une sorte de som- meil hivernal. Comme d’après ce que nous avons vu, aucune graisse, aucun vernis ne recouvre le corps de l’Argyronète, si cette dernière naissait dans l’eau, elle serait mouillée de prime abord, et aurait beau émerger son abdomen hors du liquide, jamais l'air n'y adhérerait, les intervalles entre les poils étant remplis de liquide. Pour ce motif, la nature a fait naître l'animal dans un milieu plein de gaz, la poche supérieure du nid ; de cette manière, dès que les poils de la jeune Argyronète sont suffisamment déve- loppés, une couche d’air demeure autour d'elle lorsqu'elle plonge dans l'eau. 8 7. — Revenons à l'expérience du nouet de mousseline que j'ai décrite à propos de la construction du nid de l’Argyronète : la surface générale de l'air renfermé dans le nouet se trouve divisée ici encore en portions de petite étendue; chacune de ces petites surfaces partielles est limitée par le contour mouillé d’une maille, el possède, par suite, une stabilité que là poussée hydro- statique ne peut surmonter. C'est évidemment par la même raison que les mailles encore larges du réseau naissant construit par l’Argyronète retiennent la bulle d'air. (4) Op. cit, pe 344. ARGYRONÈTE AQUATIQUE. 367 On peut faire une expérience en quelque sorte inverse de la précédente, et qui m'a paru assez curieuse : On tend sur l’orifice d'un vase plein d'eau un morceau de tulle à larges mailles; on pose une plaque de verre par-dessus, puis on retourne le tout en maintenant la plaque contre le bord ; si l’on fait ensuite glisser la plaque horizontalement de manière à laisser le tulle à décou- vert, on voit l’eau rester suspendue en totalité dans le vase, tant que l’orifice de ce dernier reste bien horizontal ; pour peu qu’on lincline, le liquide s'écoule tout d'un coup. L'expérience m'a réussi même avec un vase dont l’orifice avait un diamètre de 10 centimètres. = $ 8. — Certains Insectes aquatiques, on le sait depuis long- temps, sont partiellement revêtus sous l’eau d’une couche d'air brillante analogue à celle de l’Argyronète : les Notonectes, les Hydrophiles, ont une couche de gaz àla face inférieure de l’abdo- men, et les Gyrinus entraînent souvent avec eux une petite masse d’air fixée au dernier anneau du corps. La présence con- stante de poils courts et fins aux parties du corps de ces animaux où Pair se montre, et la disposition de ces poils qui sont couchés dans un même sens, et, par suite, se touchent ou s’enchevètrent probablement en certains endroits, de manière à former de petites cages servant de points d’adhérence pour la couche ga- zeuse, permettent d'appliquer aux Insectes cités l'explication que J'ai donnée à l'égard de l’Argyronète. Il résulte, en outre, de cette explication que tous les Insectes terrestres velus doivent s'entourer d'air quand on les plonge dans l’eau ; c’est effective- ment ce que J'ai observé : des Mouches, des Bourdons, etc., sont recouverts d'air à chaque immersion. Les propriétés des surfaces poilues nous conduiront aussi à rendre plus exacte l'explication généralement admise de la pro- priété qu'ont certains hémiptères, tels que l’Hydrometra stagno- rum, le Gerris lacustris et le Gerris paludum de marcher à la surface de l’eau. En s'appuyant sur une expérience de physique qui consiste à faire flotter une aiguille à coudre après l'avoir lé- 268 F. PLATEAU. gèrement graisséc en la passant simplement entre les doigts (1), on a cru pouvoir avancer que les tarses des Insectes dont nous parlons sont enduits d’une graisse ; or, l'examen microscopique montrant que ces tarses sont garnis de poils très-fins et nom- breux., et nullement de pelotes graisseuses, le phénomène trouve son explication naturelle dans tout ce que nous avons exposé : les tarsesse recouvrant d’une couche d'air qui ne peut être délogée, c'est cette couche, et non la présence d’une graisse, qui les empêche de se mouiller. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE À. Fig. 11. Loge ou habitation inférieure d’Argyronète encore partiellement à découvert (grandeur naturelle). Fig. 12. Loge en construction engagée dans des Lemna trisulca; on distingue vague- ment les fils d'attache et l’on voit la traction qu'il font subir aux végétaux aqua- tiques (grandeur naturelle). Fig. 13, 14, 15 et 16. Développement des membres (grossissement linéaire 30). (1) Daguin, Traité de physique. Paris, 1855, t, I°', $ 232, p. 225. NOTE LA MORT DES POISSONS DE MER DANS L'EAU DOUCE, Par M. BERT, Professeur de zoologie à la Faculté des sciences de Bordeaux. La plupart des Poissons de mer, surtout de ceux qui habitent au large, meurent rapidement quand on les plonge dans l’eau douce, et, réciproquement, la plupart des Poissons d'eau douco périssent très-vite dans l’eau salée. Ceci arrive non-seulement pour les Poissons, mais pour les Mollusques, les Crustacés. Il est vrai que lorsque la transition est lentement et progressive- ment opérée, on observe de remarquables résultats de tolé- rance. C'est ce que nous présentent, par exemple, dans l'état de nature, les Saumons, Anguilles, Lamproies, etc., et divers expérimentateurs, entre autres Beudant, ont obtenu de cette tolérance des exemples encore plus curieux. Mais, dans les cas de changement subit suivi &e mort rapide, à quoi est due cette mort? A l’action directe du sel sur les bran- chies ou à la suppression de cette action? A la différence de composition des eaux entrainant des différences dans leur pou- voir osmotique, et, par suite, dans l'exécution des phénomènes respiratoires ? Le magnifique aquarium d'Arcachon, où se conservent dans le plus parfait état de santé les Poissons, même de haute mer, m'a permis de faire, pour m'éclairer sur cette ee les expériences suivantes : Première série. — Dans divers vases cylindriques sont placés en quantité égale (un litre et demi) : 1° de l’eau douce; 2° de l'eau douce ramenée au même degré aérométrique que l’eau de mer des bassins au moyen de sucre ordinaire. J'introduis, dans chacun de ces vases, un Griset (Sparus 5° série. ZooL. T. VIL. (Cahier n° 6.) 4 24 370 BERT. mendola) et un Rouget (Mullus). La moyenne des expériences me donne : Pour les Grisets : dans l’eau douce, mort après 43 minutes. ' — dans l’eau sucrée, — 62 minutes. Pour les Rougets : dans l’eau douce, mort après 14 minutes. — dans l’eau sucrée, — 55 minutes: Mais les animaux sont assez mal à l'aise dans ces vases étroits; ainsi, un des Grisets placés comme témoins dans de semblables quantités d’eau de mer, est mort en cinquante mi- nutes. Je me procure donc des vases plus vastes et à surface plus étendue. Deuvième série. — Pelits aquaria parallélipipédiques : Wnanttende MUNIE ee ete om ele ee sata he see AU le & lit, 80 Résultats moyens : Grisets : eau douce, mort après 86 minutes. — eau sucrée, — 153 minutes. Rougets : eau douce, mort après 44 minutes. _— cau sucrée, _ 68 minutes. Le résultat fourni par les Grisets est surtout intéressant, parce que des Poissons de même espèce se sont fort bien com- portés dans les aquaria semblables et remplis d'eau de mer où je les avais conservés comme témoins, tandis que les Rougets, redoutant davantage le confinement, un de leurs témoins est mort après 104 minutes, un autre après 200 minutes. On voit, d’après ces quelques expériences, que les Poissons de mer (au moins les Spares et les Rougets) vivent notablement moins longtemps dans l’eau douce que dans l’eau sucrée, de même densité que l’eau de mer. Il est donc très-vraisemblable que la différence des densités est pour beaucoup dans la mort des animaux à respiration branchiale, transportés de l’eau salée dans l’eau douce ou réciproquement. Très-probablement encore, la différence des densités agit surtout en raison de la différence des pouvoirs osmotiques avec laquelle elle est en rapport. Si mes Poissons ont succombé assez rapidement dans l’eau sucrée, cela tient sans doute principale- ment à ce que, à densité égale, l’eau de mer et l’eau douce MORT DES POISSONS DE MER DANS L'EAU DOUCE. 971 sucrée n'ont pas le même pouvoir osmotique; il faut aussi faire intervenir d'autres facteurs, tels que la solubilité, probablement différente, de l'oxygène dans l’un et l’autre liquide. Mais comment la différence de pouvoir osmotique a-t-elle pour conséquence la mort du Poisson ? Faut-il, dans le cas du Poisson de mer transporté dans l’eau douce, attribuer sa mort à l’asphyxie consécutive à l’épaississement de la membrane branchiale, où au gonflement par l'eau des franges branchiales, gonflement qui arrêterait la circulation? Les recherches que j'ai pu faire à ce sujet ne m'ont rien appris jusqu'ici ; mais J'espère beaucoup de celles que me permettra d'entreprendre, dans la campagne prochaine, l'installation due à la généreuse initiative de la Société scientifique d'Arcachon. Ce n’est là qu'une des mille questions que pourront soulever et résoudre ceux qui sau- ront profiter du laboratoire et des bassins qu’elle mettra si libé- ralement, à partir de l'été prochain, à la disposition des travail- leurs. | Je n'ai pas seulement expérimenté sur l’eau douce, ramenée, à l’aide du sucre, à la densité de l’eau de mer ; j'ai aussi essayé, sur les mêmes espèces de Poissons, l’action de l’eau glycérinée, de l'eau gommée, de l’eau chargée de carbonate de soude, dans les mêmes conditions aérométriques. Dans ces deux derniers liquides, les Poissons meurent beaucoup plus rapidement que dans l’eau douce ; l'eau glycérinée, moins dangereuse, est très- inférieure à l’eau sucrée. NOTE SUR QUELQUES POINTS DE LA PHYSIOLOGIE DE LA LAMPROIE (Petromyson marinus Linn). PAR M, BERT, À. Respiration, — L'inspiration et l'expiration se font par les trous branchiaux, que l’animal soit fixé ou non. Dans ce der- er cas, 1l ne fait que très-rarement arriver ou sortir l’eau par la bouche; mais ce mode de respiration lui est possible. 972 RBERT. Tous les mouvements respiratoires sont simultanés pour les quatorze orifices. Il y a communication régulière entre les orifices des deux côtés; un objet de petites dimensions introduit par un orifice ressort le plus souvent du côté opposé. Au repos, la ventouse étant fixée, le nombre des imspirations est d'environ 70 par minute; en excitant l'animal sans qu'il se détache, on obtient jusqu'à 400 inspirations ; animal étant détaché et s’agitant énergiquement, donne jusqu'à 120 inspira- tions. B. Tube nasal. — À chaque inspiration, le tube nasal se remplit ; il se vide à chaque expiration, lançant l'eau à 5 centi- mètres environ. On pourrait croire, au premier abord, qu'il existe une com- munication entre ce tube et l'appareil branchial, tant ses mou- vements sont dépendants des mouvements de celui-ci; mais 1l est facile de s'assurer qu'il n’en est rien, en mettant soit l'ori- fice du tube, soit ceux des branchies hors de l’eau. C. Digestion des matières grasses. — La Lamproie sur laquelle j'ai fait mes expériences était à jeun depuis huit Jours. J'injecte dans l’estomac, à l’aide d’une sonde en gomme, envi- ron 80 centimètres cubes d’oléme. Le lendemain ,après24 heures, je trouve dans tout l'intestin, à partir du foie, un grand nombre de globulins gras, très-fins (environ 0°,001 à .0°,002). Ils sont très-rares auprès de l'anus. Leur ensemble n’est pas visible à l'œil nu. Il est bon de rappeler que les Lamproies ne possèdent ni pan- créas ni appendices pyloriques. D. Circulation. — En outre des veines jugulaires, on voit déboucher en avant, dans le cœur, deux petites veines ; la plus considérable provient de l’appareilhyoïdien. Elle présente, avant d'entrer dansle cartilage péricardiaque, un renflement trabécu- laire à pulsations rhythmiques. Ni l'aorte, ni aucune des veines du corps ne m’a présenté de pulsations, pas plus les veines car- dinales que les veines sus-hépatiques. On sait que J. Müller en avait constaté dans ces dernières, chez les myxines. ” PHYSIOLOGIE DE LA LAMPROIE. 978 Le sac cartilagmeux péricardiaque ne contient aucun liquide. Les sinus sanguins situés sous les veines cardinales ne pos- sèdent pas d'épithélium. Ils sont constitués par une trame de üssu conjonctif avec fibres élastiques, revêtus d’une couche hya- line. L'animal étant immobilisé par le curare, comme il va être dit, je l’ouvre sur le flanc : les grands sinus sous-cardinaux sont flasques ; graduellement ils se remplissent de sang; ce sang vient du côté du cœur. Une ligature, placée sur la veine qui fait communiquer le système rénal avec le système hépatique (arc hépato-néphrétique de Gratiolet), montre que le sang (l’expé- rience dure environ une heure) va du rein au foie. E. Empoisonnement par le curare. — À 3 heures 21 minutes. jimjecte sous la peau de la queue 1 centigramme d’eau contenant 5 milligrammes de curare venant de chez Ménier, et que je dois à M. le docteur Sentex. A 3 heures 23 minutes, agitation. A 3 heures 25 minutes, cessation définitive de tout mouvement respiratoire. Agitation modérée jusqu'à 3 heures 45 minutes ; l'animal se fixe à plusieurs reprises, mais pendant peu de temps. À L heures, la Lamproie est clouée sur la table à expérience ; elle est très-sensible et se meut avec une certaine énergie. Jusqu'à 6 heures, il y a encore des mouvements spontanés et réflexes. Vers cette heure, le Poisson fait alternativement de chaque côté des mouvements respiratoires incomplets. À ce moment, le cœur est enlevé depuis cinq minutes environ. Le fait intéressant est la suppression presque immédiate des mouvements respiratoires, alors que les mouvements généraux ont persisté, bien qu'affaiblis. Les nerfs pneumogastriques sont donc ici les premiers atteints. Or, le contraire a été signalé d’or- dinaire chez les Poissons, et notamment chez la Torpille (Moreau) et la Raie (Ch. Robin). OBSERVATION SUR LA CONSTITUTION MORPHOLOGIQUE , DES CORPUSCULES ROUGES DU SANG, PAR M. BRUCKE (1). En traitant les corpuscules rouges du sang des Tritons par l'acide borique, je suis parvenu à reconnaître qu’ils consistent en deux parties distinctes, qui se laissent séparer l’une de l’autre et dont je nomme l’une le zooid, l'autre l’æcoid. Après avoir coupé la tête à un Triton vivant, je laisse couler le sang dans une solution qui contient une partie d'acide borique fondu dans cent parties d’eau ; les globules tombent au fond et sont examinés sous le microscope avec les lentilles à immer- sion n° 10 ou 11 de M. Hartnack. Alors on reconnait les deux parties, l'une incololore et diaphane, c'est l’œcoid; l'autre colorée avec la cou- leur des globules, c’est le zooid. Au commencement, le zooëd est complé- tement dans l’&coïd, alors il lui est implanté, mais à la fin, dans un plus ou moins grand nombre de globules, il se sépare complétement. L’æcoid n’est pas la prétendue membrane des globules, car il n’y a pas de rup- ture subite, mais un lent développement par lequel le zooid se sépare de l'œcoid. L'æcoid est une substance molle qui se prend en forme sphéroïde ou ellipsoïde durant et après l'opération de séparation : quelquefois on y trouve les vestiges d’un cratère dans lequel le z00id était dernièrement implanté. Le zooid se compose de deux parties différentes : du noyau qu’on voit dans les corpuscules vivants comme tache elliptique incolore, et d’une partie du corpuscule qui contient toute l’hémoglobuline et qui, dans l'état vivant, est répandue dans le globule entier, mais se contracte au- tour du noyau sous l’action de l'acide borique. Le z0otd forme alors une masse irrégulière plus ou moins ellipsoïde ou sphéroïde, qui a la couleur des globules du sang. Quelquefois, on voit des prolongements colorés du zooid assez nombreux, qui rendent à la périphérie de l’æ&coid, lequel a conservé alors la forme du globule presque inaltérée. IL semble donc que les trajets suivant lesquels la substance colorée du z0oid est répan- due dans le globule vivant tout entier, sont disposés d’une manière radiaire et que la forme du corpuscule vivant est la conséquence de la jonction intime du 200! avec l’œcoid ; enfin, que celui-ci change de forme durant la séparation, non par un acte vital, mais par les mêmes causes physiques, pour lesquelles toute masse très-peu résistante, et suspendue dans un liquide, tendrait à se former en sphère. Je n'ai pas réussi à me rendre compte de la constitution des globules rouges sans noyau. Sous l’action de l'acide borique, ils se changent en petites sphères, perdant leur couleur, et il ne reste qu’un petit contour circulaire comme dernier vestige de leur image microscopique. (1) Sitzungsber. d. Wien. Akad., t. LVI, 2 June 1867. (Extrait par l'auteur.) OBSERVATIONS SUR QUELQUES MAMMIFÈRES DU NORD DE LA CHINE, Par M, ALPHONSE MILNE ED\WVARDS. (Extrait.) Le père Armand David, missionnaire de la Congrégation des Lazaristes à Pékin, a recueilli en Chine, et particulièrement en Mongolie, des collections zoologiques importantes, comprenant un grand nombre d'espèces nouvelles. J'ai déjà fait connaître quelques-unes d’entre elles, et dans le travail dont je présente ici un extrait (1), je donne la description de plusieurs autres appartenant à l'ordre des Insectivores, à celui des Rongeurs et à celui des Ruminants. Le père David a pris en Mongolie une Taupe qui paraît fort rare. Par son aspect extérieur, elle se rapproche beaucoup de la Taupe d'Europe ; elle est un peu plus petite, d’une couleur grisâtre foncée, brillante et miroitante; elle répand une odeur de musc des plus prononcées. Son système dentaire est très- particuher, et ne permet pas de ranger ce petit Mammifère dans le genre T'alpa; en effet, il a pour formule : 3 Inc. gi can: =" prém. Fa, mol. 7 Il existe par conséquent une prémolaire de moins que chez la Taupe, et d’ailleurs la forme de chacune des dents considérée isolément est très-différente. Je crois donc devoir former pour cette espèce une division générique particulière, et je la désigne sous le nom de Scaptochirus moschatus. L'ordre des Rongeurs compte en Chine de rie repré- sentants, parmi lesquels je signale plusieurs petites espèces qui, par leur aspect extérieur, ressemblent assez aux Arvicoles, mais s'en distinguent par l'existence d’abajoues très-développées et par la conformation des dents molaires ; sous ces rapports, ils se rapprochent donc des Hamsters, sans cependant pouvoir prendre place dans le même genre. (1) Ce travail paraîtra prochainement dans les Nouvelles archives d'histoire natu- relle. 376 ALPHONSE MILNE EDWARDS, Pour rappeler ces analogies, je leur donne le nom de Crice- tulus. L'espèce la plus commune (Cricetulus griseus) est à peu près de la taille du Mulot; son pelage est fin, très-doux, d’un gris très-légèrement teinté de roux, et marqué d'une raie noire longitudinale sur le dos. Les Rats-Taupes de Chine sont bien distincts du Zoccor de Sibérie, qui jusqu'à présent était la seule espèce connue du genre Siphneus. Ces Rongeurs sont très-difficiles à distinguer à l'aide de leurs caractères extérieurs ; mais on arrive à les déter- miner d’une manière rapide et sûre par la considération de leur système dentaire, Les molaires qui sont à croissance continue ne changent pas de forme par les progrès de l’âge, et diffèrent beau- coup suivant les espèces. Le Siphneus Fontanieri, dont M. Fon- tanier, consul honoraire à Pékin, nous a procuré un exemplaire provenant des environs de cette ville, a été rencontré également à Si-wan par le père David. Chez ce Rat-Taupe, la région occi- pitale du crâne est fortement bombée en arrière ; les molaires supérieures sont très-allongées, surtout la dernière. Cheg le Siphneus Armandii, qui jusqu'à présent n’a été trouvé qu’en Mongolie, la région occipitale est presque verticale comme chez le Zoccor, mais on le distingue de cette dernière espèce par la petitesse de la dernière molaire supérieure, et par l’exis- tence d’un sillon vertical unique à la face interne de la pre- mière de ces dents. Un Spermophile (Spermophilus Mongolicus), très-abondant en Mongolie où on l'appelle Æoang-chou, diffère des nombreuses espèces du même genre qui habitent l’Europe et la Sibérie. Il est de petite taille ; sa queue est de longueur médiocre, rousse en dessous, et bordée de poils noirs à extrémité jaunâtre ; son pelage est doux et uniformément fauve-clair, tiqueté de noir. La Gerboise (Dipus annulatus), que le père David a rencontrée dans les collines sablonneuses de la haute Mongolie, ne peut être confondue avec aucune de celles déjà décrites. Indépen- damment des caractères fournis par le crâne et la dentition, ce Dipus se distingue par l'anneau de poils blancs qui surmonte la bande noire subterminale de la queue. ; I'existe aussi deux espèces de Gerbilles qui vivent en troupes MAMMIFÈRES DU NORD DE LA CHINE. 377 nombreuses dans les plaines stériles et pierreuses de toute la Mongolie. La plus petite (Gerbillus brevicaudatus) est, ainsi que son nom l'indique, remarquable par la brièveté de sa queue très- poilue et jaune. Le corps est d’un brun jaunâtre en dessus et blanc en dessous; ses ongles sont blancs. La seconde eSpÈCe (Gerbillus unguiculatus) diffère de la pré- cédente par sa queue plus longue, son pelage d’un brun grisâtre en dessus, d’un blanc sale en dessous; ses ongles sont noirs et plus robustes. Radde, dans son voyage en Sibérie, a décrit et figuré une espèce de Chèvre-Antilope, qu'il a rapportée à l4{ntilope crispa (Temm.), du Japon ; mais j'ai pu me convaincre, par l'examen de l'individu-type conservé au Musée de Leyde, que ce rapproche- ment était erroné. Cette espèce, appelée par les Chinois Chan- iang (Chèvre des montagnes), est parfaitement caractérisée par sa queue très-longue et descendant jusqu'aux talons, par son pelage d’un gris brunâtre et sa gorge jaune. Il est évident que le Chan-iang est bien distinct de l Antilope crispa, et je la dé- signe sous le nom de Caudata, à raison de la conformation de sa queue. M. Fontanier a rapporté de Chine plusieurs bois d’un Cerf de grande taille dont il n’a pu se procurer la dépouille, et qui, d'aprés les renseignements qui lui ont été fournis, habite la Mantchourie. Les Chinoisl’appellent Cerf-Chameau. Ces bois dif- fèrent de ceux de toutes les espèces décrites jusqu'ici et rappel- lent un peu ceux des jeunes Élans ; ils sont peu élevés et remar- quablement massifs, Le merrain, très-court, porte un andouiller basilaire antérieur, qui, chez les individus bien adultes, est pres- que aussi fort que la perche et se bifurque. Les empaumures sont très-larges, surtout dans le jeune âge. La perche se courbe brusquement en arrière, et donne naissance à un second andouil- ler dirigé presque directement en haut. Les bois que j'ai sous les yeux paraissent provenir d'un individu déjà vieux, ce qui tend à prouver que le nombre des andouillers ne doit guère être jamais plus considérable. J'ai inscrit provisoirement cette espèce, sur les catalogues du Muséum, sous le nom de Cervus Cameloides. RECHERCHES SUR QUELQUES POINTS DE LA MÉCANIQUE DU CORPS HUMAIN, PAR M. KOSTER,. Extrait. Dans un recueil publié en Hollande, mais rédigé en français afin d’en rendre la lecture facile partout où l’on cultive les sciences (1), M. Koster, professeur à l’université d’Utrecht, vient de faire paraître de nouvelles recherches sur diverses questions relatives à la mécanique animale. Dans un premier article, il s'occupe de l'influence de la pression de l'air sur l'articulation coxo-fémorale. On sait que les recherches des frères Weber tendirent à établir que cette pression est la principale cause du maintien de la tête du fémur dans la cavité cotyloïde de los iliaque, mais que M. Rose avait combattu les vues de ces physiologistes en se fondant sur des expériences directes. M. Koster a soumis la ques- tion à un examen rigoureux et il arrive aux conclusions suivantes : 1° En vertu de l'adaptation hermétique de la tête du fémur dans la cavité cotyloïde, nous pourrions, comme Weber, faire porter à cette arti- culation, sans aucune action musculaire, un poids d'environ 44 kilo- grammes. 2° Un poids égal et même supérieur est porté, sans aucune intervention de la pression atmosphérique, par la zone orbiculaire de Weber, quand la cuisse est étendue fortement. Mais, d’un autre côté, les expériences et les raisonnements de M. Rose établissent : 3° Que, pendant la vie, les membres inférieurs sont portés par la ten- sion musculaire et par l'adhésion entre les surfaces juxtaposées de la cavité cotyloide et de la tête du fémur, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l’effet de la pression atmosphérique. Dans un second article, M. Koster étudie /a rotation de la tête dans l’ar- ticulation atloido-occipitale. Dans un troisième article, l’auteur s'occupe de la détermination du mazimum de force d'un musclé vivant. Ses recherches le conduisent à (4) Archives néerlandaises des sciences exactes et naturelles, publiées par la Société hollandaise des sciences à Harlem, et rédigées par M. Baumhauer avec la collaboration de MM. C. Van Reer, P. Van der Hoeven, Bierens de Haan, Oudemans et Koster, 2° année, 4867. OBSERVATIONS SUR LES GLOMÉRIS. 379 admettre que la force musculaire absolue est d'environ 8 kilogrammes par centimètre carré de section transversale du muscle. Il montre aussi : 4° Que chez les mêmes individus, les muscles du mollet sont proba- blement plus forts que les muscles fléchisseurs de l’avant-bras, et ces derniers un peu plus forts que les fléchisseurs du pied ; 2° Qu'en exerçant spécialement un seul côté du corps, un groupe de muscles peut acquérir une énergie beaucoup plus considérable que le groupe correspondant ; 3° Qu'à la rigueur, il ne peut être question de force musculaire absolue, mais seulement du degré de force qu'un musele déterminé est capable de développer dans des circonstances données ; L° Que la méthode suivie par Henke pour les muscles du bras est la seule qui mérite confiance dans les recherches sur la force musculaire. M. Koster termine son mémoire par des observations sur le balance- ment du tronc sur le bassin et sur le rôle du muscle petit psoas. OBSERVATIONS SUR LES GLOMÉRIS, PAR M. HUMBERT. M. Aloïs Humbert a observé l’accouplement et la ponte de deux espèces de Myriapodes des environs de Genève, connues sous les noms de Glome- ris lumbata et Glomeris marmorea, qui avaient été regardées jusqu’à présent comme appartenant à une seule espèce, mais tous deux offrent des individus des deux sexes. Les appendices qui, chez les mâles, for- ment une double paire en arrière des dernières pattes, sont les organes copulateurs; la seconde paire de ces appendices, qui est en forme de pinces, retient la femelle pendant la fécondation. M. Humbert a vu que la petite masse sphéroïdale de terre qui entoure les œufs des Glomeris est l'œuvre de la femelle qui, pour la produire, se tient ordinairement sur le dos et rejette par l'anus, et à des intervalles réguliers, des matières terreuses qui viennent entourer l'œuf. Ses pattes font tourner la boulette pour qu'elle présente successivement toutes ses faces à la terre semi- fluide. La nature terreuse de cette substance fait croire que les Glomeris femelles doivent ingérer une quantité considérable de terre. (Rapport sur les travaux de la Soc. de physique et d'hist. naturelle de Genève, 1867.) OBSERVATIONS SUR UN CHÉTOPTÈRE DES COTES DE LA MANCHE, PAR M. JOURDAIN (1). (Extrait.) Dans la réunion de l’Association scientifique de France, tenue à Cher- bourg ces jours derniers, M. Jourdain a donné lecture d’un mémoire sur une espèce nouvelle du genre Chetopteris, dont il a étudié l'anatomie et la physiologie. « Cet Annélide, ajoute l’auteur, jouit d’une faculté de réintégration très-remarquable. Les mouvements un peu brusques déter- minent aisément la rupture de l'animal en arrière du premier anneau de la région moyenne, et le privent ainsi des organes importants dont l'anatomie nous apprend l'existence dans la portion du corps qui fait suite à ce premier segment. Après cet accident, on voit les segments détachés se reformer et l’Annélide se compléter par l’adjonction de nou- veaux anneaux. C’est ainsi que nous avons sous les yeux un individu dont le corps a été rompu au niveau que nous venons d'indiquer et qui est en train de régénérer les parties qu'il a perdues. Les trois anneaux vésiculeux se sont déjà reconstitués, mais ils n’ont qu'un quart de leur dimension normale, et leur tissu est encore d’une grande transparence ; l'intestin boursouflé présente une teinte verdàtre, premier indice de la couche hépatique qui y acquerra une grande épaisseur. Enfin, sept ou huit anneaux de la région postérieure ont déjà apparu. » Dans un autre spécimen, la rupture s’est produite après le troisième segment de la région moyenne. Les deux anneaux vésiculeux et quatre segments postérieurs se sont reconstitués, mais leur peu de développe- ment et la translucidité de leur tissu attestent que leur formation est toute récente. Nous n'avons jamais observé de Chétoptère dans lequel la réintégration portät sur les parties antérieures. » (1) Bulletin hebdomadaire de l'Association scientifique, n° 33. PUBLICATIONS NOUVELLES. Rapport sur les progres de l’Anthropologie, par M. DE QUATREFAGES. Un vol. in-8°, 1867, 572 pages (imprimerie Impériale). Cet ouvrage fait partie d’un recueil de rapports sur les progrès des lettres et des sciences en France, rédigés sur la demande du ministre de l'instruction publique. M. de Quatrefages y expose l’état actuel de nos connaissances sur l’histoire naturelle de l’homme et y discute plusieurs questions de zoologie générale. Un autre rapport, ayant pour objet les travaux relatifs aux sciences zoologiques, par M. Mice Epwanps, est sous presse et paraîtra dans peu de jours. Naturhistorisk Tideskrift (Annales des sciences naturelles), 3° série, Copenhague. Ce recueil, fondé en 1837 par M. Kroyer, avait cessé de paraître en 1845. M. Schiodte, professeur de zoologie à l’Université de Copenhague et directeur du département entomologique du musée de cette ville, en a entrepris la continuation ; le quatrième volume est en voie de publication, et parmi les mémoires nombreux qui y ont trouvé place, il en est plu- sieurs dont l'importance est considérable. Nous citerons en première ligne les recherches de M. Schiodte sur les métamorphoses des insectes de l’ordre des Coléoptères, travail qui a beaucoup contribué à l’avance- ment de nos connaissances relatives aux larves de ces animaux. On y trouve aussi : 1° un mémoire du même auteur sur la structure de la bouche des Crustacés suceurs; 2° une série d’articles de M. Fischer sur les Oiseaux du Danemark ; 3° plusieurs mémoires anatomiques et zoolo- giques sur des Mollusques gastéropodes, par M. Bengh; 4° des observa tions de M. Meinert sur la reproduction chez certains Ceccidomyies, sur l'anatomie des Forficulides, sur l’histoire des Thysanoures, etc. FIN DU SEPTLÈME VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS CE VOLUME. : ANIMAUX VERTÉBRÉS. Recherches sur la vitesse du cours du sang dans les artères du Cheval, au moyen du nouvel appareil hémadromographe de Chauveau, par M. LorTer. * . Expériences sur la chaleur animale, et spécialement sur la température du sang veineux comparée à celle du sang artériel dans le cœur et les autres parties centrales du système vasculaire, par M. G. COL. . . . . . Observation sur la constitution morphologique des corpuscules rouges du sang, DAME MBRUGER NE EN NU A GE NRT SCT TOUIE OR Études expérimentales sur la greffe animale et sur la régénération de la rate chez les Mammifères et des membres chez les Salamandres aquatiques, par MAMPEIRIPPEMNREN Ph SUP e ee DES Re tt IS SE ME Rapport sur un travail de M. Marey relatif à la nature de la contraction dans les Mmuscleside/lagyie ganimale” par M-ILONGET. Les 2u south LC Sur la signification morphologique de l'os occipital et des deux vertèbres cervi- clés sÜpéMeures, pat M. W. KOSïeR. . —. 2 .. 1 . © Recherches sur quelques points de la mécanique du corps humain, par M. Kosrer. Recherches chimiques sur les ossements trouvés dans le Lehm d’Eguisheim, par M. A5 SGHRURERSÉESNNER ME &re end af; armani tn de Sur la découverte d’un crâne humain enfoui dans un dépôt volcanique en Cali- TOUS Anar MN ETINESS a dress ne ec FO MR CD Mémoire sur une famille nouvelle de l’ordre des Rongeurs, par M. Alphonse DR NN NE es vas: 2 joe 0 x Le. Note sur une nouvelle espèce du genre Nycticèbe provenant de Siam et de Co- chinchine, par M. Alphonse Mixe Epwarps . « « . . . . . . Observalions anatomiques sur quelques Mammifères de Madagascar. De l'orga= uisation du Cryptoprocta ferox,par MM.Alph. Mizxe Epwarps et GRANDIDIER. Observations sur quelques Mammifères du nord de la Chine, par M. Alphonse NÉICNS MEDAD Be PSE ER, RON, OS RSR ER NS MD Étude sur la faune dont les restes ont été enfouis à Pikermi (Attique), par M6 GAGDRE. FEES, RES LIRE ONU RG SELON EAU, MS Note sur un Mammouth découvert par un Samoyède dans la baie du Toi, par M. SCHMDTS MUR IS GUAM Ft PUNTO SON. NET Note additionnelle sur l'appareil respiratoire de quelques Oiseaux, par M. Al- phonse MILAN EDWARDS 5 MN SUCER Études sur les rapports zoologiques du Gastornis parisiensis, par M. Alph. Miwe. Enwanbs. … : 24000 ONE SIN. ET à . à « = Métamorphoses des Batraciens urodèles à branchies externes du Mexique, dits Axolotls, observés à la ménagerie des Reptiles du Muséum d'histoire natu- relle, par Me Aug DUMÉRIES , 6. VOS Vi MN D NN Ce 279 83 374 375 TABLE DES MATIÈRES. 389 Sur la régénération des membres de l’Axolotl, par M. J. M, PHILIPPEAUX. . . Étude sur le disque céphalique des Rémoras, par M. BAUDELOT. . . . . * Observations d'un phénomène comparable à la mue chez les Poissons, par NT BAUDEEON MAN OI IS Mens « (cond Et Je Sur la vision des Poissons et des Amphibiens, par M. F. PLATEAU. Note sur la mort des Poissons de mer dans l’eau douce, par M. BERT. . . . Note sur quelques points de la physiologie de la Lamproie, par M. Bert. . , ‘ ANIMAUX INVERTÉBRÉS, Mémoire sur les yeux simples ou stemmates des animaux articulés, par feu MRC DUMRDINERRE MEME Os . Don ailes, de UE Note sur la reproduction des Pucerons, par M. É. CLAPARÈDE. « . . . « Remarques sur cette note, par M. BALBIANI. . 0 . . . . . . . . Observation sur l’Argyronète aquatique, par M. F. PLATEAU. . . , . . . Note sur un Insecte et un Gastéropode pulmoné du terrain houiller, par MM UVAN BENEDENNEIOOEMANSSIME AL OR, 2 AUS Observations sur des Crustacés rares ou nouveaux des côtes de France, par NAS SE Rs CN ee ec POR PURE. US HU OURO EME Observations sur un Chétoptère des côtes de la Manche, par M. JourpAIN. , Considérations générales sur les Échinides réguliers du terrain crétacé de France, UAMEAUOTTEAT: Ne ie SO Fe mise LUS A AS Notice sur les motifs qui déterminent les Oursins à se creuser dans les rochers des réduits dans lesquels ils se logent, par M. HEssé, , . . . . . . Observations sur les Gloméris, par M. HUMBERT , . . 4 , . , . , . PUR ÉENONE TONNES TAMPON ERNEST CAO ANS ENT TE Nouvelles, SCIeRORQUES. 1... ile de Mots +. à « + inst TABLE DES MATIÈRES PAR NOMS D'AUTEURS. Bazprani.— Remarques sut une note Brucke. — Observation sur la consti- de M. Claparede sur la reproduc- tution morphologique des corpus- tion des Pucerons. . . . ..« 80] cules rouges du sang. . ... . . Baupecoï. — Étude sur le "disque GLapaRÈDE. — Note sur la reproduc- céphalique des Rémoras. . . . . 453] tion des Pucerons. . . . . . . . — Observations d’un phénomène Cotimanxs, voy. VAN BENEDEN. comparable à la mue chez les _[Coux (G.): — Expériences sur la ÉIDISSORS = de Le 339] chäleur animale, et spécialement B£rr. — Note sur la mort des Pois- sur la température du sang veineux sons de mer dans l’eau douce. . 369] comparée à celle du sang artériel — Note sur quelques points de la dans le cœur et les autres parties physiologie dé la Lamproie: . . ; 371! centrales du système vasculaire; . 374 85 381 TABLE CorrEaAu. — Considérations générales sur les Echinides réguliers du ter- rain crétacé de France. . . . , . Dusarnix (F.). — Mémoire sur les yeux simples ou stemmates des animaux articulés. , . . . . . . DumériL (Aug.). — Métamorphoses des Batraciens urodèles à bran- chies extérieures du Mexique, ou Axolotls, observés à la ménagerie additionnelle sur l'appareil respi- ratoire de quelques Oiseaux. . . — Mémoire sur une nouvelle fa- mille de l’ordre des Rongeurs. . — Note sur une nouvelle espèce du genre Nycticèbe provenant de Siam et de Cochinchine. . . . . . . . — Observations sur quelques Mam- mifères du nord de Ja Chine. . . — Etudes sur les rapports zoolo- giques du Gastornis parisiensis. . — Ef À. GRANDIDIER. — Observa- tions anatomiques sur quelques Mammifères de Madagascar; de l’organisation du Cryptoprocta fe- HOT MEURUE LAON 3 JHCTEN NE, GaupryY (A.). — Etude sur la faune dont les restes ont été enfouis à PRE EEE. Ce 0 GRANDIDIER, V0Yy. Alphonse Mie Enwanps. Hesse. — Observations sur des Crus- tacés rares ou nouveaux des côtes de France. . . . . . , . — Notice sur les motifs qui déter- minent les Oursins à se creuser dans les rochers des réduits dans lesquels ils se logent. . 123 et 198 DES MATIÈRES. HumgertT. — Observations sur les GLOMÉNIS Le le de, ve plots * 489|Jourpan. — Observations sur un Chétoptère des côtes de la Manche. Kosrer. — Sur la signification mor- phologique de l'os occipital et des deux vertèbres cervicales supé- MÉNES d'os ht OS — Recherches sur quelques points de la mécanique du corps humain. 299|LONGET. — Rapport sur un travail de M. Marey relatif à la nature de la contraction dans les muscles de la-vie animale. . . ... . . . Lorrer. — Recherches sur la vitesse du cours du sang dans les artères du Cheval au moyen d’un nouvel hémadromographe de Chauveau. PnicippeAux. — Etudes expérimen- tales sur la greffe animale et sur la régénération de la rate chez les Mammifères et des membres chez les Salamandres aquatiques. . . . — Régénération des membres de l’Axolotl. . . . PLaTEAU (F.). — Sur la vision des Poissons el des Amphibiens. . . . — Observations sur l’Argyronète BUAUTUE ME AE: et le CAC SCHEURER-KESINER (A.), — Recher- ches chimiques sur les ossements trouvés dans le Lehru d'Eguisheim. Scamipr. — Note sur un Mammouth découvert par un Samoyède dans la baie du Tos. . . . VAx BENEDEN ET CoEMANxs. — Note sur un insecte et un Gastéropode pulmoné du terrain houiller. . . WurrNey. — Sur la découverte d’un crâne humain enfoui dans un dé- pôt volcanique en Californie. . . 379 380 422 378 196 279 TABLE DES PLANCHES RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME. Planche À. Fossiles de la période houillère. — Développement de l’Argyronète. — 2,3 et 4. Crustacés des côtes de France. — 5. Appareil de succion du Remora. — 6. Tracés hémadromographiques. — 7,8, 9 et 10. Organisation du Cryptoprocta ferox. Paris. — Imprimerie de E, Manrikr, rue Mignon, 2, " Zool. Tome 7 PI. nat, S Sérre. nn cl a me ls tit Lig.1—10. Fossiles de La pértode houtllere., Lig. 116. Développement de l'Argyronete À Salmon, 2mp.r Merille-Estrapade, 18. Parts. Zool. lome 7 VAE SL —_—_— NAN —— = des Cotes de ÎTance.. A. Salmon Znp.r. Veille -Estrapaide, 15, Lures . nt 4102: \\\/1 | \\ Cruslaces des PSS A rat. HS Jerte. — è v {nr des Seienc nat. 5 Série. Zool. Tome PE L fin ans T ÉSSSES Guséacés des côles de Lance. A. Salmon tp. r Fille-Æstrapade, 15. Paris. D. AT COIN EU “ Se | EN Ca grrr K 1 4 a .des Secenc.nal. S Serre . Zool. Tome 7. Pl. 4. Crustacés des (des de france . A. Salmon mp. r. Vieille -Estrapade, 15, Fares . Zool. Tome 7. /1.5. À bd $ «TT Ce Appareil de. succion die lernoruæ.. U A. Salmon Unpir. Vieulle-Fstrapade.15, ares. (2e id TC vil Vin } Ann. des Scienc nat 5° Fe « # ñ re 4 éd. id Zool. lome 7. FL.9. DNRART IS RRTTS pis nan np Becquet Paris ptoprocta ferox. Oréanisation du C mp Becquet Paris. procta ferox CN D és RE z RS O NS = FE (es = =. = A DIS Or k Pau r US me \ le ; } { l $