T méroetmtoretens san HART Li ESECHETES JHOHS mnt 4 r HHRRENT 55 Huit HAT rie ber pl tre ciSisirtd teiséstap ele ial nai atese les LERES HRHAHANENE HRAAHE HER HER È Es ANNALES SCIENCES NATURELLES. TOME XX VII. Ma po ST 1 (1 fo 6 , )ity FD ) { Poe — “02 PAR MM. AUDOUIN, an. BRONGNIART Er DUMAS; COMPRENANT LA PHYSIOLOGIE ANIMALE ET VÉGÉTALE , L ANATOMIE COMPARÉE DES DEUX REGNES ; LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE, LA MINÉBALOGIE , ET LA GÉOLOGIE. TOME VINGT-SEPTIÈME, ACCOMPAGNÉ DE PLANCHES. PARIS. CROCHARD, LIBRAIRE - ÉDITEUR , a RUE ET PLACE DE-L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE , N9 13. 1832. ve DR “a DR SSSR IMPRIMERIE DE Ve THUAU, Rue du Cloître Saint: Benoît, n. 4. ANNALES SCIENCES NATURELLES. UNS RURAL UT VAR VAR LU AUS AURAI URI UTILE LURAUTULA LU AR RALS CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES sur La Domestication des Animaux ; Ÿ Par M. Dureau x La MALLe, Membre de l’Institut. - \ Éistoire du genre Equus, Cheval, Hémionus, Ane, Zèbre, Mulet et Bardeau, Ginnus. Les faits que l’on peut recueillir dans l'antiquité sur la marche et les progrès de la domestication des animaux le plus anciennement et le plus immédiatement soumis à l'empire de l’homme, sont malheureusement trop peu nombreux. Ils n’en sont pas moins d’une grande impor- tance. On peut même affirmer que rien ne peut les sup- pléer, s’il est permis de s'exprimer ainsi, pour l’histoire de la civilisation de nos basses-cours et de nos étables. Les observations des anciens , si elles datent de l’ère de Rome ou des olympiades, et si d’ailleurs on peut se fier à leur exactitude, sont aussi précieuses pour la connais- Septembre 1852. (6) sance de l'éducation physique et morale de nos animaux domestiques que les observations astronomiques des Grecs et des Orientaux l’ont été pour fixer la chrono- logie, constater l’état du ciei à une époque reculée et le comparer avec son état actuel. Les grandes révolutions du globe, la réunion des hommes en société , l'établissement des différentes reli- gions , l'élévation et la chute des empires, tout ce qui tient enfin ou touche immédiatement à l’espèce humaine, a été soigneusement enregistré dans les traditions et les monumens historiques de tous les peuples. L'histoire de ces êtres inférieurs à l’homme, mais qu’on voit s'unir à sa destinée dès les premiers âges du monde , a été un peu négligée par leur maitre orgueilleux. Elle n’a point offert à ses regards de brusques changemens , de grandes péripéties ; elle a suivi, comme le temps et la nature, une marche lente , insensible. Enfin, après un certain nombre de siècles , on s’est avisé de jeter les yeux en arrière et de mesurer l’espace parcouru; on a vu, non sans étonnement, combien ces brutes tant dédaignées avaient contribué au développement de la civilisation , de l’agricuiture, du commerce , des richesses et du bien- être de la société. Ne serait-il pas temps de rechercher aujourd’hui quelle a été l'influence des causes extérieures sur leur organisation , et queis eflets a produit l’action directe et prolongée des facultés supérieures de l’homme sur le développement des mœurs et de l'intelligence de ces animaux, compagnons assidus de ses travaux et de ses plaisire. L'opinion généralement répandue, et qui a prévalu chez les naturalistes modernes, est qu’on chercherait en Ce vain à fixer l'origine et la patrie de nos animaux do- mestiques ; cependant tous les animaux privés existaient à l’état sauvage du temps d’Aristote. Ce grand natura- liste (x) l’atteste , et il cite comme exemple les chevaux, les bœufs, les cochons , les moutons, les chèvres et les chiens. Pline (2), après avoir parlé de l’accouplement fréquent des cochons avec les sangliers , dit aussi qu'il n'y a pas d'espèce d’animaux privés qu’on ne trouve encore dans l’état sauvage. Le rapprochement de ces deux passages est curieux en ce qu'il montre que dans les 450 ans écoulés depuis. Aristote jusqu’à Pline, la domestication des animaux privés ne s'était pas beaucoup étendue sur le globe et n'avait pas fait de progrès rapides. Varron (3) rapporte et paraît approuver l'opinion des philosophes grecs , que « Je mouton avait été le premier animal soumis à l’état de domesticité à cause de son uti- Bté et de sa douceur , car les brebis, dit-il, sont à la fois et d’un naturel très-paisible et l'animal le plus approprié aux besoins de la vie humaine, puisqu'elles ont apporté à l’homme pour sa nourriture le lait et le fromage , et pour se vètir leurs laines et leurs peaux. Il existe encore maintenant, dit toujours Varron, dans plusieurs contrées, à l’état sauvage, quelques-uns des animaux que nous avons rendus domestiques.En Phrygie et en Lycaonie on voit beaucoup de troupeaux de brebis sauvages. La chèvre sauvage existe en Samothrace, et il (1) Hist. Anim., 1. x, 12. Ed. Schneïd. (2) vrrx, 79, 1 omnibus animalibus placidum ejusdem invenitur et ferur- (3) 11, 1, 4-6, Re Rustic. (8) y en a beaucoup en Italie, dans les montagnes voisines de'Fiscellum (1) et de Tetrica. Quant au cochon, tout le monde sait qu'il est provenu du sanglier, qu’on trouve sauvage partout. Il y a encore maintenant un grand nombre de bœufs sauvages dans la Dardanie , la Mésie et la Thrace; des ànes sauvages en Phrygie et en Ly- caonie, des chevaux sauvages dans quelques parties de l'Espagne citérieure. » « Ce paragraphe de Varron est très-curieux pour l’his- toire de l’origine de nos animaux domestiques , et con- firme puissamment les témoignages d’Aristote et de Pline, car nous n'ignorons pas que le savant romain avait parcouru presque toutes les contrées où il assure que les espèces dont il parle existent à l’état sauvage. On a dernièrement vérifié l’assertion de Varron et re- connu la véritable patrie de l’âne. Ce sont les montagnes du Taurus, du bas Curdistan, celles qui séparent la Perse des Afghans. Il y ‘existe encore à l'état sauvage, et la chasse de ce solipède est un des grands plaisirs des rois persans. L'opinion des Grecs et de Varron sur l’époque de ia domestication de la brebis est différente de celle de Buffon et des naturalisies modernes, qui pensent que le chien (2) est le premier animal dont l’homme ait fait (x) Le Fiscellus: Mons, Monte della Sibilla, dans l'Abruzze. Tetrica est sur la frontière du Picenum, Haute-Marche d’Ancône. C’est le point culminant de l’'Apennin, qui, au mont Vellino, atteint deux mille trois cent quatre-vingt-treize mètres, \ (2) Les animaux de ce genre s’apprivoisent très-facilement; leur sociabilité ou leur faculté d'imitation en est-elle la cause? Azara cite un Aguarachay (Canis cinereo-argenteus) du Paraguay, qui devint aussi C9] < l'acquisition, et que c'est par son secours qu'il a pu sai- sir, dompter et réduire en esclavage les autres espèces d'animaux nécessaires aux besoins d’une population et d’une société croissantes. Cependant l'opinion des an- ciens sur l’antériorité de domestication de la brebis peut se soutenir avec avantage et paraît plus vraisemblable. Le mouton vit en grandes troupes; sa douceur, sa bè- tise, son penchant à suivre ses semblables , en faisaient une proie facile pour le sauvage des premiers âges de la création. Son utilité pour la nourriture et le vêtement étaitrévidente. Le chien sauvage vit en troupes , est carnassier , féroce, hardi, se réunit pour l'attaque et la défense; il est aussi fort et plus à craindre que le loup. Son poil, son lait, sa chair ne sont d'aucun usage. Est-il probable que l’homme sauvage ait prévu et combiné d'abord tous les avantages futurs qu’il tirerait de l'asso- ciation du chien pour réduire et dompter les autres animaux, et qu'il n’ait pas été détourné par la difficulté de le prendre et de l’apprivoiser ? IL faut convenir au moins que, dans ce cas, ce ne serait pas l’idée la plus simple et la plus naturelle qui se serait présentée la première à son esprit. | | On conçoit très bien que dans cette époque, où le globe était moins peuplé que de nos jours, et où les espèces privées se trouvaient encore sur beaucoup de points à l’état sauvage, le grand œuvre de la domestica- uon ait été lent à s’accomplir. Les animaux soumis à familier qu'un chien, mais qui mangeait tontes les poules. (T. 1, p. 298, q 5 E ! trad. franc.) (ro) celte sorte d'esclavage nécessaire à leur éducation phy- sique et intellectuelle, devaient être sans cesse détournés de l’accomplissement de leurs devoirs sociaux par le spectacle et l’exemple de leurs frères errant en liberté au milieu des déserts et des forêts. Ils étaient comme ces Indiens sauvages des États-Unis qui, dès leur bas âge ravis à leur tribu, sont élevés au sein des villes, dans la religion et la civilisation européennes ; si, au bout de 20 ou 30 ans, ils rencontrent une troupe de chasseurs de leur nation, ils abandonnent tout, vie paisible et assurée , jouissances morales et intellectuelles, et se rejettent, sans balancer, dans la vie sauvage, errante et aventureuse de leurs-pères. Les documens présentés le 19 mai 1829 au parlement anglais sur la colonie de Sierra Leone confirment mon assertion ; et ua fait remar- quable, c’est, dit le rapport, l’immense supériorité d’in- telligence qu'ont les enfans nés de nègres affranchis, dans la colonie, sur ceux des nègres encore esclaves. Cepen- dant les parens habitent la même contrée ; mais les uns ont continué leur vie sauvage et de brute, tandis que les autres ont reçu un commencement d'éducation morale et religieuse (Voyez Globe, 21 avril 1830). On voit clairement, dans ce premier âge de la civilisation, les qualités intellectuelles transmissibles par la généra- tion dans l'espèce humaine, tout comme elles le sont dans les animaux domestiques. Cependant, comme :il est universellement reconnu que chez les animaux soumis à la puissante influence de l’homme, les modifications de forme, de couleur, les qualités physiques et même les qualités morales et in- Goom? tellectuelles sont transmissibles par la génération (1), il s'ensuit que la race est éminemment perfectible. Elle doit même l'être plus que l'espèce humaine, quoique contenue dans une sphère de facultés plus bornées, « puisque, dit M. Cuvier, les qualités transmissibles par les animaux à leurs petits sont de nature à naître de circonstances fortuites , et qu'il nous est donné de modi- fier les animaux et leur descendance ou leur race dans les limites entre lesquelles nous pouvons maitriser les circonstances qui sont propres à agir sur eux. » J'ai rassemblé un grand nombre de faits de ce genre dans un ouvrage sur le perfectionnement de l’intelligence de nos animaux domestiques (2), où j'ai consigné le résultat de trente ans d'observations et d'expériences diri- gées constamment vers cet objet. Mais comme on doit toujours se défier d’une sorte de prévention en faveur de ses idées , dans l’étude de cette psychologie animale, si variée dans ses nuances , si fugitive dans ses impres- sions, si difficile enfin à observer et à soumetire à l’exac- titude de la méthode des autres sciences naturelles, je citerai un fait analogue constaté par M. Magendie, et qui me semble décisif. On sait que dans les races d’épagneuls , de braques , et dans leurs métis, la faculié d'arrêter le gibier, imposée d’abord à l’aniinal par la contrainte et les châtimens, se transmet par la génération. Le talent de rapporter était-il de mème transmissible ? On était tenté de le nier ; les chiens d'arrêt de France n’en avaient point encore offert (x) Fr. Cuvier, Essai sur la Domestlicité, p.42. (2) Voyez Ann. d'Hist. nat., 1832. Cia) aux naturalistes d'exemple bien constaté. M: Magendie apprit qu'en Angleterre, pays qui nous surpasse de beaucoup dans l’emploi des moyens de domestication , il y avait une race de chiens d'arrêt (pointers) qui rap- portait maturellement. Il s’est procuré un couple de ces braques adultes ; une jolie chienne en est provenue , qui étant restée constamment sous ses yeux et n’ayant reçu aucune instruction , a arrêté et rapporté le gibier, dès le premier jour qu’on l’a menée à la chasse, avec autant de fermeté et d'assurance que les chiens auxquels on avait appris cette manœuvre à l’aide du fouet et du collier de force. On n’a pu jusqu'ici, et il sera peut-être toujours impossible de tenter sur l'espèce humaine un perfec- tionnement semblable, en unissant pendant une longue série de générations les individus des deux sexes les plus distingués par la beauté de leurs formes , la bonté de leur tempérament et l'étendue de leurs facultés intellec- tuelles , ce qui rend nécessairement ; je le répète, l'homme moins perfectible , comme race, que les ani- maux domestiques sur lesquels il peut exercer, changer, modifier enfin de mille manières sa souveraine influence. Le fait une fois bien établi de la transmission des facultés par la génération, on sentira mieux, je l'es- père , l'importance et l’intérêt des observations qui datent de 20 à 25 siècles, et combien il doit être utile et fruc- tueux de suivre attentivement les progrès successifs de l’entendement animal des espèces privées pendant une période aussi étendue. On sait aussi que les besoius, les dangers et la néces- sité développent les diverses facultés des animaux, de (13), mème qu'elles excitent, qu’elles étendent celles de l’homme. Ce vers de Virgile : RC DT IN TANT ME Tabontomnidivincit « Improbus, et duris urgens in rebus egestus. » « Le travail opiniâtre et les besoins pressans qui éveil- lent l’industrie triomphent de tous les obstacles » ; ce vers, fort de sens, est applicable aux animaux non moins qu’à l’homme; selon Aristote (1) les passions étaient plus violentes, chez les animaux domestiques, anciennement que denos jours. La domesticité a influé sur leurs passions. M. F. Cuvier a très-bien traité cette question dans son Æssai sur la Domesticité (2). « L’herbivore ou le carnassier, placé dans la plus grande indépendance , dans l’état de nature le plus parfait, satisfera sans peine tous ses besoins physiques , et ne développera aucune de ses qualités intellectuelles , si elles ne sont pas nécessaires à son existence ou à sa conservation. Mais arrachez ces animaux à cet état d'inactivité presque complet où on peut les supposer dans des contrées fécondes, et loin de la présence de l’homme ; placez-les dans des conditions plus compliquées , variez leur situation par une foule de circonstances, multipliez leurs besoins, leurs désirs, leurs passions , augmentez même les dangers auxquels ils sont exposés, ces nouveaux rapports feront jaillir d'eux-mêmes de nouveaux penchans , de nouvelles res- sources , et produiront enfin des actes plus complexes et d’un ordre supérieur à ce qu’on aurait attendu de leur organisation dans l’état de nature. » (1) Hist. anim., vi, 18. (2) P. 5, 6, 7. (14) Il est temps de sortir des généralités et de prouver par le détail des faits, classés suivant les différentes es- pèces , quel a été, chez les anciens, l’état physique et moral des animaux domestiques. CHevar , Æquus caballus (Linné). Le cheval, dit Hérodote (x), existait à l’état sauvage sur les bords de l'Hypanis (le Dniester) ; il ajoute que ces chevaux sauvages étaient blancs. Il nous apprend aussi (2) qu’en Thrace , les Péoniens du lac Prusias don- nent aux chevaux et aux bêtes de somme du poisson en place de foin. Ces faits sont curieux. Hérodote est digne de foi. Nous savons qu'il avait voyagé dans le pays , et qu'il nous raconte ce qu'il a vu. Îl nous dit que ces che- vaux sauvages étaient blancs Asvxot, tandis que le bai brun étant devenu la couleur dominante dans les che- vaux sauvages de l'Amérique , les naturalistes en ont conclu que c'était la teinte primitive de l’espèce. Le froïd agit-il sur le poil des solipèdes et des runsinans comme sur celui des rongeurs, lièvres , lapins ,etc. Pallas dit que les chevaux libres qui habitent entre le Jaik et le Volga sont fauves , roux ou isabelles. Léon l’Afrieain et Mar- mol , qu'il y a en Afrique des chevaux sauvages, qu'ils (x) 1v, 52. (2) v, 16. Athénée, vr1, 7, parle d’un certain peuple de Thrace qui nourrissait ses bœufs de poissons. J'ai cité, à l'appui de ce fait, regardé comme une erreur des anciens, les chevaux d'Islande, que notre con- frère Dupetit-Thouars à vu nourrir uniquement de poisson de mer cru. (Ann. des Sc.'nat., 1832.) em}: sont pétits et de couleur blanche ou cendrée (Dict. des Sc. nat., t. vit, p. 456). Aristote (Hist. anim., mr, 12) dit que le froid et l'influence des eaux changent la couleur du poil des oiseaux et des animaux. L’eau du Psychus , près de Chalcis en Thrace, fait produire aux brebis blanches des agneaux noirs, lorsqu'elles s’accou- plent après en avoir bu. Aux environs d’Antandros, il y a deux rivières dont l’une donne des brebis blanches, et l’autre des brebis noires. Souvenons-nous qu’Aris- tote était de Stagyre , et qu'il cite un fait observé par lui dans son pays. Varron (11, 2, 14 ) confirme ce fait d’après son expérience : « Quandiù admissura fit, ea- « dem aqua uti opportet quod commutatio lanam facit « variam et corrumæpit uterum. » Pline (rx, 12), Elien (var, 21), Anatolius (Æippiatric., p. 59) attestent ce fait qu'il serait curieux de vérifier. L'autre passage nous montre qu’il faut modifier un peu nos idées sur cette distinction tranchée d’herbivores, de frugivores et carnivores , qui ne donne souvent que des idées fausses. L'organisation des animaux est si souple qu’elle se prête à l'usage de toute sorte de nour- riture. Élien (tr) nous a transmis, d'après Zénothémis, ce fait singulier pour la nourriture des bœufs , « que dans dans un lac de Péonie , il naît certains poissons que les bœufs mangent avec autant de plaisir que les autres bœufs mangent du foin , pourvu qu'on les leur présente vivans et palpitans. Morts, ils en ont du dégoût et ne veulent pas y toucher. » On peut soupçonner que l’o- (x) xvix, 30, Nat. Anim. (16) deur et l'élément azotés étant moins développés dans le poisson vivant que dans le poisson mort , les ruminans ont dans le premier cas moins de répugnance pour cette sorte de nourriture. Beaucoup d’auteurs dignes de foi attestent que dans les régions froides de l’Europe, situées près de la mer, on nourrit bœufs et chevaux avec du poisson. Therm. Torfæus (1) le dit pour la Norvège. Le Jaguar de l'Orénoque vit de poissons qu’il pêche avec sa patte , comme nos chats. La fouine (2) vit d'œufs, de volailles, de poisson qu’elle prend à la nage , et aussi des fruits de nos espaliers. La marte taira , dans la Co- lombie, mange des bananes, du maïs vert, outre les quadrupèdes , les reptiles, les oiseaux et les insectes. Je tiens ces faits du D'. Roulin , qui y a résidé six ans, et. qui est bon observateur ei naturaliste distingué. j'ai moi-même observé cent fois la fouine mangeant des poires, des pèches , des abricots et du raisin. Enfin, mon confrère M. Magendie a fait de nom- breuses expériences sur la nourriture des animaux, qui confirment la pantophagie de nos espèces domestiques, et c’est peut-être aussi un des résultats curieux de leur association avec l’homme et de leur domesticité. Je puis affirmer que l’Aémionus ou le Dziggta de la Mongolie était jadis domestique dans la Syrie, car Âristote (3), après avoir décrit la génération des mulets opeot, des bardeaux two et des métis naïns yiwor, pro- duits de la mule et du mulet ou du mulet avec la ju- (x) Hist. norveg., part. 1, lib. 11, 24. (2) Voyez mon Mémoire sur le CHarT, Ann. des Sc. nat., juin 1829, p. 22. (3) L. vr, 3. vi, 24, 1, 29, 4. Ed. Schneïd. ACATS ment, selon Pline, vu, 69, dit positivement : « Les mules, #uz6vot de cette partie de la Syrie située au-dessus de la Phénicie, conçoivent et engendrent. Il est vrai que cette espèce, quoique ressemblant à la mule, est néanmoins différente. » Il ajoute (1) : « La jument met un intervalle d’une portée à l’autre. L’hémionus porie sans interruption, suyey®e. » Plus loin (2) il dit : « On voit en Syrie des animaux appelés hémionus, espèce ressemblante par l'apparence mais différente du mulet, produit par l’ac- couplement de l’âne et de la jument. Ces hémionus ont plus de vitesse que les mulets. Ils produisent entre eux une race constante. Quelques animaux qui restent de cette race en Phrygie, où ils ont été amenés du temps de Pharnace , père de Pharnabaze, sont la preuve de ce fait. IL en existe encore trois de neuf qu'ils étaient au- trefois, à ce que l’on dit. » Aristote (3) a soin encore de distinguer l’hémionus du cheval , de l’âne , du mulet, du bardeau, avec les- quels il a tant de ressemblance. Je traduis en entier ce passage curieux : « Les animaux qui ont une cri- nière et qu'on appelle dogipo (c'est-à-dire le cou et le front garnis de crins) forment un genre particulier sous ce point de vue; tels sont le cheval, l’âne, le mulet, le bardeau , le cheval quarteron (4) et l’espèce (x) vx, 22. (2) vr, 30, 4. (3) L. vr, 3. | (4) J'ai cru devoir employer ce terme, qu’on applique dans les co- lonies au produit de la mulâtresse et du blanc, pour désigner le ziwos, fruit du mulet et de la jument. XXVII, 2 (18) appelée en Syrie kemionos, qui a recu ce nom à cause de sa ressemblance avec le mulet, quoiqu’elle ne soit pas du tout la mème espèce, puisqu'elle s’accouple ensemble et qu'elle se propage avec les individus de sa race. » Pline (:) dit que Théophraste rapporte que le mulet se propage en Cappadoce , mais que c’est une espèce particulière à cette contrée. Théophraste confirme le témoignage d’Aristote, et avait probablement nommé hemionos l'animal dont Pline a fait un mulet. Enfin vous trouvez , dès le temps d'Homère , la men- tion de cette espèce du genre equus, et dans la même contrée, car il cite (2) parmi les peuples de la Paphla- gonie les Hénètes , où la race des hemionos vit à l’état ‘sauvage, et le scholiaste de Didyme explique ce vers en disant : « C’est là que les hemionos ont été trouvés sau- vages, et observés la première fois. » Constantin Por- phyrogénète (Them. 7) et Eustathe (ad. Il., 11, 852) ajoutent , en s'appuyant de plusieurs passages d'Homère, que c’estdans cette partie de l’Asie-Mineure que l’kemio- nus a été soumis à la domesticité. Pallas avait déjà reconnu que les Aemionos d’Aristote ou de Syrie étaient le dziggtai, qu'il a nommé equus hemionus. Îl en a donné une bonne figure et une description détaillée (3). (x) vixx, 63. Theophrastus vulgo parere in Cappadociä tradit, sed esse id animal ibi sui generis. Strabon dit que, la Cappadoce payait aux Perses pour tribut quinze cents chevaux et deux mille hémionus. , (2) Iliad., 11, 852. (3) Comment. nov. Petropol., t. x1x , p. 394. Un extrait en a été donné dans le Journal encyclopédique, année 1776, t. 1v, part. x1x, p. 400. (19) Il est donc hors de doute que l’emionus de Paphla- gonie, de Cappadoce et de Syrie décrit sous ce nom par Homère, Aristote et Théophraste, est le dziggtai , espèce qui, pour les proportions , tient le milieu entre le che- val et l’âne , et qui vit en troupe das les déserts sa- blonneux de l'Asie. Ii est isabelle, à crinière et à ligne dorsale noires; sa queue se termine par une houpe noire. M. G. Cuvier ajoute à cette description : « C’est proba- blement le mulet sauvage des anciens (1). » J'ai cru devoir rectifier cette assertion, et rassembler les preuves qui constatent l'identité de l’hémionus avec le dziggtai, et l'existence, chez les peuples de l'antiquité, d’une espèce particulière d'animal domestique qu’on avait toujours confondu avec le mulet. Probablement cet animal aura été amené en Syrie par l'irruption de quelques hordes tartares , et il s’y sera. perpétué dans l’état domestique jusqu’au siècle d’Aris- tote. On l’aura ensuite remplacé par le cheval et le mulet, car jusqu'ici je n’ai plus retrouvé sa trace dans l’histoire. Cependant l’hémionus est encore domestique dans plu- sieurs parties de l'Asie centrale. Strabon dit que le cheval sauvage se trouvait dans l'Inde (2), dans les Alpes (3) , dans l'Hibérie et chez les Celtibériens (4), et enfin dans le Caucase, où la rigueur du froid lui donne un poil très-fourni (5). Cette obser- vation est vraie. Les chevaux de Norwège et de Laponie (x) Regn. anim., t. 1, p. 252, éd. 829. (2) P. 710, éd. Casawbon. - (3) P. 207. (4) P. 163. (5) P. 520. \ (ŒUR ont un poil crépu et laineux comme une toison de brebis. Pline dit (1) que le Nord renferme des troupeaux de chevaux sauvages , de même que l’Asié et l'Afrique, des hordes d’ânes sauvages. Strabon (2) rapporte, d’après Mégasthènes, que la plupart de nos animaux domestiques se trouvent sau- vages dans l'Inde. Élien (3) l’affirme pour l’intérieur de l'Inde. Quant au cheval à tête de cerf et à une seule corne que Ctésias (4) nomme âne sauvage , Élien, Cartazon (5) et Mégasthènes (6) monoceros, il a toujours été regardé comme un animal fabuleux. Mais Azara (7), cet excel- lent observateur, dit avoir vu au Paraguay des chevaux qui avaient des cornes , et croit que si on avait pris soin de les multiplier, nous aurions aujourd’hui une race de chevaux cornus. Il est peut-être possible qu’un accident de ce genre soit arrivé dans l'Inde , et que ce fait mal observé ait donné lieu aux Grecs de croire à l'existence de la licorne (8). (x) vaux, 16. Vid. Aldrov. de Quadrup., Mb.x1, cap. tr, p. 19. (2) P. 710. (3) xvz, 20. (4) Photii bibl., cod. 72, p. 91. (5) xvr, 20. (6) 4p., Strab,, p. 710. (7) T. x, p. 379, trad. franc. Ruppel a vu, dans le Kordofan,an quadrupède à une corne. Voyez la note de Klaproth, Universel, 23 mars 1830. La licorne est un fis- sipède, a une corne longue, droîte ; son nom, Tsopo; vit dans le désert à l’O. entre la Chine et le Thibet. Licorne fissipède, sur les Mon. Egypt. (8) Voyez M. G. Cuvier, Disc. sur les Rév. du Globe, p. 84, 85, 88, (ar) Pour en revenir à l’histoire de la domestication du cheval, on peut se figurer que ses progrès ont dû ètre assez lents tant qu’il a existé sur un grand nombre de points des chevaux à l’état sauvage; car ces animaux, qu’Azara a observés, vivant en liberté dans les plaines du Paraguay par troupes de plusieurs milliers d’indi- vidus, ont pour habitude instinctive de débaucher les chevaux domestiques. Sitôt qu’ils en apercçoivent, dit ce savant naturaliste (1), même à la distance de deux lieues , ils se forment en colonne non interrompue, et accourent au galop pour les investir. Ils lés entourent, ou bien ils passent à côté d’eux ; ils les caressent en hen- nissant doucement, et ils finissent par les emmener avec eux pour toujours, sans que les autres y montrent au- cune répugnance. Les habitans du pays les poursuivent vivement pour les éloigner de leurs haras, parce que sans cela les chevaux sauvages enlèveraient tous les autres. » On peut trouver dans le même motif une des causes qui, dans l’ancien monde, à mesure que la population s'est accrue, auront fait disparaître la race des chevaux sauvages. Selon les missionnaires, qui ont l= mieux connu la Chine, on trouve encore des chevaux sauvages dans la Tartarie occidentale et sur les terres des Kalkas. Dans le voisinage de Ha-mi ils ressemblent aux chevaux ordi- naires , vivent en grandes troupes. S'ils rencontrent des 89, qui croit que l’Antilope orix, à cornes droites, représenté de profil, a été le type original de la fabuleuse Licorne. On pourra choisit. entre ces deux suppositions la plus vraisemblable. (D T5; P- 979. (22) chevaux domestiques , ils les enveloppent, les placent au milieu d'eux, et les serrant de tous côtés, les entrai- nent dans leurs forêts du Saghatur. Grosier, Descript. de la Chine, 1v, 224, 2° éd., in-8°. Du Halde (Descript. de la Chine et Tartar. chin., t. 1v, p. 28, in-f°), décrit de même les chevaux sauvages (48° de lat. N. à Kara- Ousson), et sous le nom de mules sauvages, les hémio- pus, ou dziggtai (P. 27, extrait des Voy.en T'artarie du P. Gerbillon). | Un fait qui tendrait à faire croire que le cheval est originaire d’un pays très-tempéré, et que l'espèce sau- vage se sera réfugiée vers le nord à mesure que la popu- lation humaine et la domestication lui auront fait perdre du terrain, est que dans les pays chauds le jeune cheval n'est point sujet à la gourme; elle était inconnue en Grèce. Xénophon et les Hippiatriques n’en parlent pas. On n’en a nulle idée dans le royaume de Naples. Ce- pendant plusieurs herbivores , originaires des climats chauds , deviennent , comme le cheval, sous des zônes plus froides, sujets à de telles maladies. Dans la Calabre les chevaux en sont exempts; mais les buflles, pour qui cette température est froide, y meurent en grand nom- bre, à trois ou quatre ans, du mal appelé barbone, qui se déclare par un gonflement extraordinaire des amygdales et des parotides. Les chameaux introduits en Toscane y ont pris la même maladie, et parmi ceux des Calmouks, au dire de Pallas, ce fléau fait d’affreux ravages (Vid. Courier, p. 49-50, trad. de Xénophon, irrwñc). Un passage de Xénophon, en rappelant une habitude instinctive, caractéristique chez le cheval sauvage, et bien observée par Azara et les missionnaires de la Chine, \ (23) indique que 450 ans avant J. C. la domestication de cette espèce étaitencore assez récente et n'avait pas tout-à-fait dompté l'instinct primitif. Voici ce trait qui s'applique au cheval dressé par l’écuyer : « Il faut savoir si, étant monté, il s'éloigne volontiers des autres chevaux, ou si, passant à peu de distance, il ne s’emporte pas pour les aller joindre. » (Tepiimruns, 11, p. 4, ed. Courier.) Ün autre passage de Xénophon montre que la domes- tication était encore imparfaite : « On ne peut avec la parole rien apprendre à un cheval. » (Jbid., virr, p. 13). Nous avons trop de preuves et d'exemples du contraire pour qu’il soit nécessaire de les rappeler ici (1). (1) Sur lEquus hemionus , ou dzigttai, voyez Chevaux sauvages , près de Bouloulousk, entre le Volga et le Jaïk, sur l’Irtich, Pallas, oyage dans l'Asie septentrionale, trad. franc. t. 1, p. 323 et p. 435. Chameau à deux bosses, à Oranienbourg, 51° lat. N., Pallas, 1; 390. J. Leonis Afr., Africæ Descr., éd. Elzevir, p- 721. Pour l’Ane sau- vage, p. 702, ou Koulan, Pallas, Poy., 11, 472. Marmol, traduction par le sieur d’Ablancourt, t. 1, p. 51. Descripcion general de Africa, por el veedor Luys del Marmol Cara- vajal. En Grenada, ano de 1573. Primera parte, Cavallos salvages, fo 24, col. 2. Chevaux sauvages, sur l’Irtich, au S. d'Omsk. Pallas, Voy., IIT, 124, trad. franc. , dans la lande entre l’Obi et l’Irtich, bruns, roux, ou isabelles. Pallas , 111, 376. Chevaux sauvages et onagres, abondent aux environs de l’Aral, à l'E. de la M. Caspienne, journal d’Hogg et Thompson, rapporté par Hanway, British trade on the Caspian, sea, t. 1, p. 340. En chinois, d’après M. Abel Remusat, quim’a fourni ce document, le cheval sauvages’appelle Ye-ma, Encycl. Jap.,liv.xxxvr11, p. 10, v°, et l’âne sauvage Chan-lou, ibid., He ATOS yo. \ (24) Je dois signaler ici un fait résultant des progrès de la domestication ou plutôt de l'éducation du cheval en parlant de ses allures. Les allures naturelles sont, comme on sait, le pas, le trot et le galop. Celles qu’on lui a données par l’éducation, pour obtenir à la fois de la vitesse dans la marche et des mouvemens doux pour le cavalier, sont l’amble, l’entrepas ou pas relevé, et l’aubin. Ces qualités acquises se transmettent par la gé- nération tout comme la faculté d'arrêter chez le braque, l’épagneul et leurs métis. Le pas relevé consiste à relever, non pas à la fois comme dans l’amble , mais successivement, les deux pieds du même côté. C’est un trot serré qui marque comme le pas ordinaire quatre temps distincts. Les Ro- mains et les Grecs n'avaient pas créé cette variété de chevaux. Celle qu’ils nomment tolutarit, que les lexi- ques donnent comme synonyme d’eidpouos (1) est évi- demment celle des chevaux qui vont l’amble. Dans cette allure , dit Buffon (2) , le pied du chaval rase encore la terre de plus près que dans le pas. On dirait que cette définition est la traduction littérale du passage de Pol- lux (3). Deux passages de Varron (4) et de Pline (5) lèvent toute incertitude sur la détermination de l'espèce de ces chevaux d’allure. Le premier dit : « Ut equus , qui ad « vehendum est natus, tamen traditur magistro, ut (x) Pellux, Onom., 1, 11, 194. (2) T. vr, p. 15, éd. Lacépède. 1817, in-8°. (3) Loc. cit. (4) Apud non.; 1, x2. (5) varx, 67. (25) « equiso doceat tolutim incedere. » Le naturaliste dé- peint cette allure avec plus de précision. « fn eadem « Hispanià, Callaica gens est et Asturica : equini gene- « ris hi sunt quos thieldones (leg. toilutones) vocamus, « minori forma appellatos Asturcones gignunt, quibus « non vulgaris in cursu gradus, sed mollis alterno cru- « rum explicatu glomeratio : undè equis tolutim car- « pere incursus traditur arte. » Nonius explique ainsi le mot Æsturco : « Gradarius equus est molli gradu , « et sine succussatione nitens. » Vegece (1) nomme cette allure tolutarem ambulaturam, d’où est venu notre mot d’amble. Voilà le trot doux à deux temps, le mouvement al- ternatif des deux jambes du mème côté, l’amble enfin bien décrit. Mais on voit en mème temps, par ces pas- sages curieux, que cette allure était le fruit de l’art, traditur arte. La race n’avait pas été modifiée par une suite de générations assez longues pour que la qualité acquise devint transmissible par l’accouplement, et se changeât en qualité naturelle. C’est donc dans le laps de temps écoulé depuis Pline et Varron jusqu’à nous que l’amble, le pas relevé, ou trot à quatre temps, ‘et l’aubin, dans lequel les chevaux galopent avec les jambes de devant et trottent avec celles de derrière, allures totalement artificielles , sont devenues pour les (x) xv, 6, Pid. Forcellini. Voce tolutim. Ducange, Glossar. Voce Am- | bulatura, G. Hermann, Opuscula varie , dissertatio, Lipsiæ, 1827, De verbis quibus Græci veteres varios equi incessus designayerant, p. 65, 67, ne s'attache à expliquer que les allures du cheval de guerre, le pas, le trot, le galop, qu’il nomme à tort tolutilis gradus; tolutilis gradus est l’emble, il n'y a pas le moindre doute. (20 3 chevaux une allure naturelle qui se transmet par la gé- nération. Je dois ici relever une erreur de Buffon , qui n’a pas été réfutée par les naturalistes ; il dit (1) que les chevaux d’allure amble, aubin, ou pas relevé, sont beaucoup plus faibles, plus sujets à buter, et se ruinent plus promptement que les autres. Or, j'ai vu en Normandie, où cette variété du pas re- levé est recherchée pour les longs voyages à cheval, les chevaux de pas relevé trotter , sur le verglas , avec un cavalier très-lourd , la bride sur le col, sans glisser ni buter, et j'ai vu un cheval de cette allure , appartenant à un marchand de toile mon voisin , faire régulièrement deux fois par semaine le voyage de Mortagne à Paris (39 lieues de poste), portant deux pièces de toile pesant go livres, son maître pesant 160 livres, et revenir dans le même temps avec son cavalier après un jour de repos. Ce bidet de pas relevé a fait son service, sans interrup- tion, depuis l’âge de trois ans jusqu’à vingt ans. Je n’affirme rien pour les ambles et les aubins, que je n'ai pas observés ; mais j’assure que les poulains sortis de pères et mères doués de l’allure du pas relevé, ou même d’une mère trotteuse et d’un cheval d’allure, pren- nent ce mouvement dans l’herbage , avant de quitter la mamelle de leur mère, et qu'on n’a pas besoin de les y dresser. Il n’est peut-être pas inutile de donner ici quelques détails sur les différentes races ou variétés de chevaux (1) T. vx, p. 16. (#7) connus des anciens ; elles étaient , comme on peut faci- lement le présumer , beaucoup moins nombreuses que chez nous, où des besoins variés, l’extension du com- merce par terre et par mer, enfin le croisement des races pendant vingt siècles et plus de domestication, ont modifié, de mille manières, cette espèce si utile à l’homme, et disposée naturellement à la sociabilité. On reconnaît cependant, dans les monumens figurés qui nous restent de l'antiquité, deux races bien distinctes, la race thessalienne et la race africaine ; plus deux va- riétés intermédiaires, les races sicilienne et appulienne, formées probablement du croisement des chevaux grecs et italiens, et des chevaux d’Afrique et d'Italie. Les descriptions des auteurs s'accordent avec les statues, bas-reliefs ou médailles, du moins pour les deux races primitives. Le cheval de guerre, dit Xénophon (x), doit avoir la corne dure et haute, le paiuron oblique, les os du tibia forts, la jambe sèche , le genou flexible , le bras muscu- leux et fort, le poitrail large, l’encolure non penchée vers la terre comme le cochon, mais relevée et d’une courbure élégante comme le coq; la tête sèche, peu de ganache , les barres égales pour la sensibilité, les yeux à fleur de tête, les naseaux larges et ouverts , le haut de la tête large (2), les oreilles petites, le garot relevé, l’épine du dos rendoublée, la côte ample, ayant du relief à Ar . l'égard du ventre, le rein large et court, la croupe large (x) De re equestri, T, x. (2) Cette largeur du sommet de la tête était le trait caractéristique des chevaux nommés Bucéphales, race particulière de chevaux thes- saliens. De ce genre est la belle tête de cheval du palais Colombrano, (28) et musclée, comme les flancs et le poitrail ; les fesses, à partir de la queue, divisées par une large dépression , et enfin les bras, les jambes, les pieds et les sabots de der- rière conformés comme ces mêmes parties dans les jam- bes de devant. Voilà le portrait fidèle du cheval thessa- lien tel qu'il est représenté sur le Parthénon, dans les statues équestres , les bas-reliefs grecs, et même la co- lonne Trajane et les sculptures romaines , qui ont adopté ce type pour le cheval héroïque. C’est l'espèce décrite par Virgile dans ses Géorgiques. Voici les qualités que Varron exige pour les jumens poulinières : « Forma et magnitudine media. Clunibus « ac ventribus latis. » Pour les étalons : « Equos lege « formosos, nulla corporis parte inter se non congruente. « Oculis nigris, naribus non angustis, auribus applica- « tis(1), cervice molli, on angusta, juba crebra, fusca, « subcrispa, subtenuibus setis, implicatà in dexteriorem « partem cervicis, pectus Jatum et plenum, humeris à Naples. Le cheval de Marc-Aurèle, au Capitole, est Bucéphale. Quant aux proportions du corps, c’est un cheval napolitain entier. Il a, en tout, le caractère des belles races de la Calabre et de la Pouille. (Note de Courrier, trad. de l'Équitation , de Xénophon, p- 45, 46.) (x) Cette phrase s’explique par la description que fait Pallas (v, 90, Voy. en Russie) d’un cheval sauvage des steppes entre le Jaïk et le Volga : 7 portait les oreilles couchées en arrière , comme un cheval ordinaire qui a envie de mordre. Voilà le sens précis d’auribus applicatis, et une nouveile trace de l’état sauvage qui reste encore attachée au cheval domestique dans le dernier siècle de la république romaine. Ce carac- tère n’existe plus chez les cheyaux de notre époque, que quand ils ont peur, sentiment qui, triomphant de l'éducation, les ramène momen- tanément aux habitudes de l’état sauvage. ( 29 ) « latis, ventre modico, lumbis deorsum versum pressis, « scapulis latis, spina maxime duplici; sin minus non « extante, coda ampla subcrispa. Cruribus rectis æqua- « libus, potius figura altis, genibus rotundis, nec magnis « nec introversus spectantibus, ungulis duris ; toto cor- « pore ut habeat venas, quæ animadverti possint. Cor- « pore multo. De stirpe magni interest quà sit, quod « genera sunt multa. ltaque ad hoc nobiles a regionibus « dicuntur, in Græcia Thessalici equi, a terra Appuli, « ab Rosea Roseani. » (Varro, Re Rustica, 11, 7, 4, 546.) Pour donner une idée précise des formes du cheval thessalien , je citerai les médailles de Thessalie en géné- ral, entre autres ceile de Phalanna, qui représente un cheval court, rablé, ramassé, comme ceux desimonu- mens. Elles se trouvent abondamment au cabinet des médailles de la Bibliothèque royale, où je les ai obser- vées avec soin. On voit par la description du cheval que nous ont donnée Xénophon (1), Varron(2)et Virgile(3), et encore mieux par les monumens, que l'espèce prisée pour la guerre était fort différente des races arabes, anglaises, limousines ou normandes; le cheval barbe et napolitain est celui de nos chevaux modernes qui s’en rapproche le plus. Par exemple ils estimaient dans un étalon une cri- nière et une queue épaisse et fournie (4), tandis que nous regardons comme un signe de race d’avoir la cri- (x) Re Equestri, I. sect., 2-16. (OBS PALIER (3) Georg., xx, 72-88. (4) Varron, ibid. (30) nière mince et courte, la queue légèrement garnie de crins, et des poils très-courts au paturon. La description du cheval de race par Columelle (r) est semblable à celle de Varron. Il ajoute seulement : « Sic universum corpus « compositum, ut sit grande, sublime, erectum, ab as- « pectu quoque agile, et ex longo, quantum figura per- « mittit, rotundum. » On prétend, dit Varron (2), que ceux qui ne font rapporter leurs jumens que de deux années l’une , ob- tiennent de meilleurs poulains; j'ignore si cette remar- que, a été faite dans nos haras. Aristote (/7ist. anim.; vi, 5, 2. De generat. anim., 1v, 5, c.) dit : « Les femelles des animaux qui ne sont pas susceptibles de su- perfétation comme les lièvres, fuient le mâle quand elles sont pléines. La femme et la jument font exception, et le reçoivent mème après avoir conçu. » Cette observation, que je crois fondée , a été omise dans le Dictionnaire des Sciences naturelles. Comme elle est admise dans les cantons voisins des haras, elle méritait une réfutation ou une confirmation. On ne sevrait les poulains du lait de leur mère que lorsqu'ils avaient deux ans faits. Nous les sevrons à six mois. On devrait tenter des essais de ces deux manières de procéder. À trois ans on les exerçait, et quand ils étaient en sueur on les frottait d'huile; quard il faisait froid on allumait du feu dans les écuries (3). Nous ne donnons pas à nos chevaux ces soins recherchés. Les chevaux italiens ne mangeaient en grain que de (1) VI, 29, 2. (a) 11, var, 11, Colum., vi, 27, 13. (3) Varron, 11, vit, 19. \ (31) l'orge, comme cela se pratique encore en Espagne; ils n’en goûtaient qu'à trois ans, et se nourrissaient jusque- là de foin , d'herbe et de mélée, farrago (x). On voit le type thessalien dans un cheval court, rablé, puissant, sur les médailles d' Alexandria Troas (Bibl. royale) et sur les médailles d’Ærchelaüs, roi de Ma- cédoine. Le cheval des médailles de Capoue, en argent, approche du cheval napoliiain et thessalien. Quant à la race africaine, les médailles de Carthage et une médaille de Mauritanie (qu’on croit d’un Juba), une autre de Juba [°° (2), qui offrent la figure d’un cheval au grand galop, peuvent nous en donner une idée assez exacte. C’est un cheval fin, à tête droite et forte, bien d’accord dans ses membres , et qui approche de l'arabe. On peut les voir à la Bibliothèque royale. La race appulienne ou tarentine est figurée sur les belles monnaies de Tarente (3). C’est, je crois, un croi- sement des chevaux du pays avec la race africaine; ils sont plus allongés, plus hauts sur jambes, l’encolure plus maigre, et semblent plus propres à la course que les chevaux thessaliens. Ses formes se rapprochent à la fois de la race persane et de la race tartare. L'espèce sicilienne, comme on peut le voir sur les monnaies de (x) Varron, 11, VIT, 7, 14. (2) Catalog. de M. Mionnet, n°® 5,6,t. vi, p. 598. (3) Voyez les n°° 426, 428, 413 du Catalogue de M. Mionnet, et les originaux au Cabinet, Biblioth. roy.; un beau yase du cabinet de M, Durand, gravé dans la Raccolta di Gargiulo, pl. zxrv : le cheval est élancé, les jambes longues, les formes fines et légères d’un cheval de cource. Il semble de la race appulienne ou tarentine. à) Syracuse (1), sur les médailles de Philistis et de Gé- lon (2), parait un croisement de la race thessalienne et africaine. Elle présente du moins les formes intermé- - diaires, plus élancée que la thessalienne, moins fine que l’africaine, elle participe de toutes les deux, et diffère néanmoins sensiblement de la race appulienne on ta- rentine. Quant à la variété des chevaux roséens, qui étaient élevés dans les prés si féconds de Roséa près de Reate ou Riéti, je ne puis encore indiquer aucun monument qui la représente. Oppien (3) donne la liste la plus complète des races de chevaux distingués connues de son temps, c’est-à- dire sous Septime-Sévère. C’étaient, les races toscane , sicilienne , crétoise, mazace, achéenne, cappadocienne, mauresque, scythique, magnésienne, épéeñne, ionienne, arménienne , thrace et arabe. Excepté les races thessalienne , sicilienne, macédo- nienne et tarentine, que j'ai décrites plus haut, je n’ai pu trouver au cabinet de la Bibl. royale , où j'ai fait une recherche exacte, de monumens qui figurent les che- vaux de ces autres contrées désignés par Oppien. La race persane du temps des Achéménides est figurée sur les monumens de Persépolis (4). C’est un cheval lourd , à tête forte , encolure épaisse , à jambes courtes et grosses, ramassé dans ses formes, assez rapproché de (x) Bibl. roy., Mionnet, Cataë., n° 744. (2) Lbid., n° 105, 190. (3) Cyneget, 1, 170. (4) Voyez R. Ker Porter travels in Persia, Armenia , etc., t.1, pl. xx, XLI, XXXIX, 2 vol. in-4°: London, 1821. (33) nos anciens chevaux de carrosse, ou de nos chevaux de poste et de diligence. Ceux de Nakshi Roustam (1) représentent la même race sous la dynastie des Sassanides, ainsi que les bas- reliefs de Nakshi Rajab (2), ceux de Salmos (3), de Tackti Bostan (4). La race des chevaux égyptiens, dans les anciens mo- numens de Thèbes, offre une grande ressemblance avec le cheval thessalien , celui des frises du Parthénon, les chevaux de bronze de Venise, et enfin le type que les Romains ont adopté pour les statues équestres, dans la colonne Trajane et dans les bas-reliefs. Je citerai en preuve les monumens de Karnak (5), du Memnonium (6) de Louqg-sor (7), et l’on sait avec quelle facilité les ar- tistes égyptiens ont représenté les formes et le caractère distinctif des différentes espèces d'animaux. (x) Porter, 1, pl. xx, XXI, XXII, XXIIT. (2) Zbid., pl. xxvrr, XXVIIT. (3) PL zxxxir. (4) T. xx, pl. zx1r, LxIv. (5) Descript. de l'Égypte, par la Comm., part. anc. Atlas, vol. 111, pl. 1, fig. 5,6; pl. xz, fig. 2. Atlas de Denon, pl. cxxxx11, fig. 2. (6) Descript. de l'Égypte, atlas, vol. 11, pl. xxx1, fig. 3. (7) Atlas, vol. 1x, pl. x1v, fig. 5 et passim. (La suite au prochain numcro.) XXVIT. Gi (34) Expériences sur le Mécanisme de la Rumination ; Par M. Fzourens, Membre de l’Institut, (Lu à l'Académie des Sciences.le 28 novembre 1837.) S E. 1. Le mot rumination désigne, comme chacun sait, la faculté singulière qu'ont certains animaux , nommés ruminans à cause de cette faculté mème, de ramener à la bouche , pour les mâcher et avaler une seconde fois , les alimens qu'ils avaient déjà mâchés et avalés une première. >. L'animal ruminant déglutit une première fois l'aliment qu’il a à peine mâché; il ramène ensuite cet aliment à la bouche pour le mâcher ou broyer plus complètement; et, après l'avoir ainsi mâché ou broyé, il le déglutit une seconde et dernière fois, 3. Un pareil animal mange donc, à proprement par- ler, deux fois le même aliment; il le mäche deux fois ; il le déglutit deux fois ; et, de plus, il le vomit, ou ra- mène à la bouche, d’une manière régulière et déter- . minée , entre l’une et l’autre déglutition. 4. Or, on verra bientôt que toutes ces circonstances, qui rendent si singulière la manducation de cet animal, tiennent à la structure même de ses estomacs. L’aliment est dégluti une première fois; c’est qu'il y a des esto- macs distincts où il va, lors de cette première dégluti- tion : il est vomi, ou rejeté, et ramené à la bouche d’une ( 35 ) manière régulière et déterminée; c’est qu'il ÿ a, dans les estomacs, un organe particulier qui règle et déter- mine cette réjection : il est degluti une seconde fois; c'est qu'il y a d’autres estomacs, différens des pre- miers, où 1l va lors de cette seconde déglutition : enfin il ést soumis à une seconde mastication ; c’est que la première ne l'avait pas assez divisé pour que, vu le mode de communication des derniers estomacs avec les premiers, il püt, sans une seconde mastication, c’est-à-dire sans une division plus complète, passer des uns dans les autres. $ II. 1. On voit déja combien Îe mécanisme du phéno- mène qui nous occupe est complexe ; mais, ce qu’on ne saurait croire, c’est à quel point la détermination de ce mécanisme est rendue obscure par l’organisation com- pliquée qui le produit. 2. Les animaux ruminans ont tous quatre estomacs, et chacun de ces estomacs a une structure propre , d’où l'on peut conclure que chacun a un rôle distinet : mais quel est ce rôle? C’est ce que la disposition de ces divers estomacs , soit entre eux, soit avec l'œsophage, sembie avoir eu pour objet de cacher à l'observateur. 3. D'abord, deux de ces estomacs , le premier et le second , sont placés parallèlement l’un à l’autre, ou au niveau l’un de l’autre, et l'œsophage se rend, presque également , dans les deux. Ensuite, l’œsophage se con- tinue en une gouttière ou demi-canal ; et ce demi-canal se rend, presque également encore, dans deux esto- ( 36 ) | macs , le second et le troisième, Enfin, toutes ces par ties , l'œsophage , le demi-canal de l’œsophage, le pre- mier, le second, le troisième estomacs, toutes ces parties non-seulement communiquent entre elles, mais elles communiquent toutes par un point commun , point où se termine l’œsophage, où commence son demi-canal, et vers lequel s'ouvrent ou aboutissent les trois estomacs. 4. Or, je viens de dire que les alimens sont déglutis une première fois. Dans lequel des deux premiers esto- macs vont-ils, lors de cette première déglutition ? La disposition anatomique ne décide pas, car l’œsophage, ou le canal qui conduit les alimens , se rend à peu près également dans les deux. J'ai dit ensuite que Les alimens sont rejetés ou rame- nés à La bouche : quelles sont les parties qui détermi- nent cette réjection ? La disposition anatomique ne dé- cide pas davantage , car toutes les parties qui peuvent y concourir, ou que l’on a tour-à-tour supposées y con- courir, c’est-à-dire , l'œsophage , le demi-canal de l’œ- sophage, le premier, le second estomacs , toutes ces par- ties aboutissent au même point, au point même où le phénomène de la réjection s'opère. J'ai dit enfin que Les alimens, après avoir été ramenés à la bouche et mâchés, sont déglutis une seconde fois : dans lequel des deux seconds estomacs vont-ils, lors de cette seconde déglutition? C’est toujours la même question qui revient, et toujours la même difficulté, et la disposition anatomique est toujours muette, car le demi-canal de l’œsophage qui conduit alors, du moins en grande partie, les matières alimentaires, se rend, à peu près également, dans les deux seconds estomacs ( 37 ) (le second et le troisième), comme l’œsophage dans les deux premiers (le premier et le second). 5. La disposition anatomique laisse donc tout dans le doute, et le lieu précis où vont les alimens, lors de la première déglutition, et les parties qui déterminent leur réjection, et le lieu où ils se rendent lors de leur seconde et définitive déglutition. 6. Aussi, parmi les auteurs qui se sont occupés du mécanisme de la rumination, n’en est-il presque aucun dont l'opinion ne diffère , sur les points les plus impor- tans, de l’opinion des autres. 7. Sans parler d’Aristote et de Galien qui, suivant l'usage des anciens , n’ont approfondi aueun phénomène particulier de physiologie, pas plus celui de la rumina- tion que tout autre, et pour ne commencer qu'à Du- verneyet à Perrault, par lesquels il faut presque toujours commencer quand il s’agit de la structure ou de la mé- canique des animaux : selon Duverney et Perrault (1), les alimens non-ruminés , ou de la première dégluti- tion , ne vont que dans le premier estomac ; ils vont , au contraire, tout à la fois et dans le premier et dans le se- cond , selon Daubenton et Camper (2). Quant aux ali- mens ruminés, ou de la seconde déglutition, ils revien- nent dans le premier estomac même, selon Haller (3) ; (x) Duverney , Œuvres anatomiques, L. 11, p. 434. — Perrault, Œuvres diverses de Physique et de Mécanique, p. 430. (2) Daubenton, Mémoire sur la Rumination et sur le temperament des bêtes à laine (Mém. de l'Acad. roy. des Sc., année 1768). — Camper, OEuvres qui ont pour objet l'Hist. nat., la Physiol, et l'Anat. comp, t. XII; P- 49. (3) Haller, Elementa Physiologiæ , elc., à. vi. (38) ils vont dans le second, selon Duverney, selon Cha- bert (1), selon Toggia (2); ils passent immédiatement dans le troisième, selon Daubenton, selon Camper. Enfin, quant aux parties qui déterminent la réjection des ali- mens, c’est le premier estomac, selon Duverney ; c’est le second, selon Daubenton ; c'est le demi-canal de l’œso- phage, selon Perrault, etc. 8. La divergence la plus complète règne donc entre les auteurs, et cette divergence s'étend à toutes les par- ties du phénomène, et la raison en est simple; c’est que, dans un phénomène aussi compliqué, et d’une détermi- nation aussi difficile , c’est à peine si quelques-uns de ces auteurs ont essayé de faire quelques expériences ; presque tous s’en sont tenus aux raisonnemens et aux inductions. Aussi Bourgelat, l’un des derniers qui aïent écrit sur le mécanisme de la rumination , dit-il de tous ceux qui l’ont précédé : « Qu'ils semblent avoir été ef- « frayés à l’aspect des difficultés attachées à la décou- « verte de ce mécanisme... et que la rapidité du coup- « d'œil qu’ils ont jeté sur l’objet ferait présumer qu'il « a été pour eux inaccessible » ; et il ajoute « qu'il ne « propose lui-même ses idées que comme des doutes, ou « comme de simples conjectures (3). » Malgré quelques travaux estimables qui ont paru depuis ce célèbre vété- (1) Chabert, Des Organes de la Digestion dans les Ruminans , elc. Paris, an 1797. (2) Toggia, Sur la Rumination. — Voir aussi : Peyer, Merycologia, etc. — Brugnone, Des Animaux ruminans et de la Rumination. — Girard, Traité d'Anatomie vetérin., t. 11 (Mém. sur la Rumination) ; etc., etc. (3) Bourgelat, Élémens de l'Art vétérinaire, t. 11 (Recherches sur le Mécanisme de la Rumination). ( 39 ) rinaire , et dont je parlerai bientôt, on peut dire qu’on en est absolument encore aujourd’hui , sur tout ce qui tient au mécanisme de la rumination, à douter et à conjecturer comme lui. 9. Cependant, si l’on considère , d’une part, les mo- difications si singulières que Ja rumination introduit dans la fonction digestive, et, de l’autre, l'influence si prononcée que ce mode de digestion exerce, soit sur la santé, soit sur les maladies des animaux chez lesquels on l’observe, animaux dont plusieurs espèces, depuis long- temps devenues domestiques, constituent, comme cha- cun sait , l’une des principales richesses de notre éconc- mie rurale, on conviendra qu’il est peu de phénomènes, soit en physiologie comparée, soit en pathologie vétéri- naire , dont le mécanisme soit plus curieux et plus im- portant à connaître ; et , par cette double raison , il m'a paru qu'il méritait bien que l’on entreprit enfin de le déterminer par la voie expérimentale. 10. J'ai donc soumis à de nombreuses expériences, et les plus directes qu’il m'a été possible, car, en tout genre, l'expérience la plus directe est toujours la plus décisive, chacune des parties diverses qui concourent à la rumination, pour m’assurer du rôle particulier de cha- cune d'elles ; et ce sont ces expériences que j’ai l'honneur de communiquer à l’Académie. S I. 1. J'ai déjà dit que les animaux ruminans ont quatre cstomacs : le premier se nomme la panse ; le second, le carllette. bonnet ; le troisième, le feuillet ; et le quatrième, la { (40) . J'ai déjà dit aussi que chacun de ces estomacs se dis- tingue par une structure propre. Cette diversité de struc- ture porte surtout sur la membrane interne : recou- verte de fortes papilles dans la panse ; de petites lames disposées en mailles polygones, ou en réseau, dans le bonnet; de grandes lames longitudinales régulièrement adossées les unes aux autres dans le feuillet; et de sim- ples rides, ou replis irréguliers plus ou moins étendus, dans la caïllette. J'ai déjà dit enfin que l’œsophage de ces animaux se continue en une gouttière ou demi-canal. Ce demi-canal “traverse le bonnet, et il s'étend de l’œsophage jusqu’au feuillet. . 2. D'un autre côté, et quant au phénomène même de la rumination, j'ai déjà dit que ce phénomène, pris dans son ensemble, se compose de plusieurs phénomènes dis- üncts, savoir : la première déglutition des alimens, leur réjection, ou retour à la bouche, leur double mastica- tion, et leur seconde ou définitive déglutition. 3. Ainsi, d’une part, l'appareil de la rumination se compose de plusieurs parties ; il s’agit de savoir quel est le rôle propre de chacune de ces parties. D’autre part, le phénomène total de la rumiriation se compose de plu- sieurs phénomènes partiels ; il s'agit de savoir quel est le mécanisme particulier de chacun de ces phénomènes. En d’autres termes , et en faisant abstraction de la mas- tication, fonction d’un genre tout-à-fait distinct, qui fait partie de la rumination, mais qui ne se lie pas es- sentiellement à son mécanisme, c’est-à-dire au jeu même des estomacs : il y a une première déglutition, il s’agit de savoir quels sont les estomacs où vont les alimens, (41) lors de cette première déglutition ; il y a une réfection des alimens, il s’agit de savoir quelles sont les parties qui déterminent cette réjection ; enfin, il ya une seconde déglutition , il s’agit de savoir quels sont les estomacs où vont les alimens, lors de cette seconde déglutition. 4. La théorie du mécanisme de la rumination com- prend done trois questions : la première , quels sont les estomacs où vont les alimens lors de la prémière déglu- tition; la seconde , quelles sont les parties qui détermi- nent leur réjection ; et la troisième , quels sont les esto- macs où ils vont lors de leur seconde déglutition. Et, comme l’une et l’autre déglutition des alimens sont des phénomènes du même genre , tandis que leur réjection constitue un phénomène d’un genre tout différent, je traiterai du mécanisme des deux déglutitions à la suite l’ane de l’autre, et je ne traiterai qu'après, et à part, du mécanisme de la réjection. $ IV. Li PREMIÈRE QUESTION. Détermination des estomacs où vont Les alimens, lors de la première déglutition, ou avant la rumination. 1. Je fis manger des herbes à un mouton ( c'était de la luzerne fraiche) ete l’ouvris immédiatement après , c’est-à-dire avant la rumination. Je trouvai la plus grande partie de ces herbes, très reconnaissables à leurs feuilles presque tout entières, : 1 (42) dans la panse ; mais j'en trouvai aussi une partie notable, et qui n’était pas moins reconnaissable à ses feuilles éga- lement presque tout entières, dans le bonnet. Quant au feuillet et à la caillette, ni l'un ni l’autre n’en conte- naient 2. J'ai répété cette expérience un très grand nombre de fois, avec des herbes de toute espèce, et le résultat a été constamment le mème. Les herbes vont donc égale- ment (à la seule proportion près , beaucoup plus grande dans la panse que dans le bonnet ) dans les deux pre- miers estomacs, lors de la première déglutition ; etelles ne vont alors ni dans le feuillet ni dans la caillette. 3. Il s'agissait de voir s’il en serait de tout autre espèce d’alimens, comme des herbes. 4. Jefis manger de l’avoine à un mouton, et je l’ou- vris encore immédiatement après, c’est-à-dire toujours avant la rumination. Je trouvai la plus grande partie des grains de cette avoine, tout entiers , dans la panse; mais j’en trouvai aussi une partie notable dans le bonnet; et ils étaient tout entiers dans le bonnet, comme dans la panse. Du reste, ni le feuillet ni la caillette n’en contenaient un seul grain. 5. J'ai répété un très grand nombre de fois cette expé- rience , etavec toutes sortes de grains , de seigle, d'orge, de blé, d'avoine , etc.; toujours le résultat a été le même. Les grains, comme les herbes, vont donc dans les deux premiers estomacs , et ils ne vont que dans les deux premiers estomacs lors de la première déglutition. 6. L'espèce de l’aliment ne changeant rien à sa marche, il fallait voir si son volume n'y changerait rien aussi. ET (4) 7. de fis avaler de gros morceaux de carotte, longs à peu près d’un demi-pouce à un pouce, à trois moutons; et pour que l'animal ne les broyät pas avant de les avaler, je les lui portai jusque dans le pharynx, au moyen d’un tube de fer. Sur l’un de ces moutons , je trou vai tous les morceaux de carotte dans la panse; le bonnet n’en contenait point. Mais, sur les deux autres, je trouvai de ces morceaux de carotte dans le bonnet comme dans la panse; et, sur au- cun d'eux , je n’en trouvai ni dans le feuillet ni dans la caillette. 8. Le volume plus ou moins grossier de l’aliment ne changeant rien encore à sa marche, non plus que son espèce , il ne restait plus qu’à voir ce que ferait l’état inverse de l'aliment, ou sou volume plus ou moins di- minué ou atténué. 9. Je fis réduire une certaine quantité de carottes en une bouillie fine , au moyen de la mastication. Je fis ava- ler ensuite de cette bouillie à deux moutons, et je les ouvris immédiatement après. Sur tous les deux , je trouvai la plus grande partie de cette bouillie, soit dans la panse , soit dans le bonnet ; mais J'en lrouvai aussi, chez tous les deux, une partie notable et dans le feuillet et dans la caillette. 10. Ainsi, 1° les alimens vont également , à la seule proportion près , beaucoup plus grande dans la panse que dans le bonnet, dans les deux premiers estomacs, lors de la première déglutition ; 2° ils y vont également, quelle que soit leur espèce , quel que soit leur volume ; et 3° ils ne vont jamais alors ni dans le feuillet, ni dans la caillette, à moins qu'ils ne soient réduits en une (44) bouillie fine, et, dans ce cas même, ils n’y vont, du moins immédiatement , qu’en partie. $ V. 1. J'ajoute, comme une remarque générale et qui s’ap- plique à toutes les expériences qui précèdent , que , dans toutes ces expériences , j'ai toujours trouvé , soit dans la pañnse, soit dans le bonnet , mêlés aux alimens que l’ani- mal venait d’avaler, beaucoup d’autres alimens , plus ou moins secs et grossiers , ou atténués et fluides , et par conséquent d’une digestion comme d’une déglutition plus ou moins anciennes. 2. Il ÿ a même une proportion mverse assez constante entre ces deux espèces d’alimens, dans la panse et dans le bonnet ; c’est-à-dire que les alimens secs et grossiers sont, presque toujours, en plus grande quantité, par rapport aux alimens atténués et fluides , dans la panse, et que ceux-ci sont presque toujours , au Contraire, en _ plus grande quantité, par rapport aux autres, dans le bonnet. 3. Je reviendrai plus tard sur ces deux faits ; pour le moment , on voit que les alimens vont dans les deux pre- miers estomacs , et, sauf le cas particulier des alimens réduits en bouillie, dans les deux premiers estomacs seuls, lors de la première déglutition. 4. Je passe à la détermination des estomacs où ils vont, lors de la seconde déglutition , ou après la rumination. — SECONDE QUESTION. Détermination desestomacs où vont les alimens, lors de la seconde déglutition, ou après La rumination. 1. Jusqu'ici le point de la difficulté était simple. Il ne s'agissait que de savoir quels sont les estomacs où va l'aliment au moment où il est dégluti pour la première fois; et comme, ainsi qu'on vient de le voir, il est à - peme altéré, lors de cette première déglutition, rien n'était plus aisé que de le reconnaître , quelque fût l’es- tomac où on le trouvât, et par conséquent aussi rien n'était plus aisé que de déterminer quels sont les estomacs où il va. 2. Mais il n’en est pas, à beaucoup près, de mème pour l'aliment ruminé ou de la seconde déglutition. D'abord, cet aliment est plus ou moins ramolli, plus ou moins macéré par son séjour dans les deux premiers es- tomacs ; il est ensuite plus on moins divisé, plus ou moins broyé par la seconde mastication , etc. ; et c’est pour- tant cet aliment, ainsi aitéré, qu’il s’agit de reconnaître, qu'il s’agit de déterminer dans tous les estomacs où il peut aller. 3. Or, il est évident qu'il ne peut y avoir que deux manières d'arriver à cette reconnaissance ou détermi- nation. Ou il faut un caractère auquel on puisse recon- naître , avec certitude , l'aliment ruminé , quel que soit l'estomac où on le trouve ; ou, à défaut d’un pareil ca- (46) ractère au moyen duquel on puisse le reconnaitre une fois qu'il est parvenu dans les estomacs, 1 faut des expé- riences qui permettent de suivre cet aliment dans chaque estomac , et de le suivre dans chacun de ces estomacs, au moment où il y arrive. 4. Jusqu'ici tous les auteurs sont partis de la supposi- ion que l’aliment ruminé porte avec lui un caractère qui le distingue de tout autre espèce d’aliment; et, dès lors, les expériences les plus simples et les plus superfi- cielles leur ont paru suflisantes pour déterminer quels sont les estomacs où il va. Ë Aussi, toutes leurs expériences sont-elles du même genre. Ils se sont tous bornés à faire manger des herbes, du foin , etc., à des animaux ; à ouvrir ensuite ces ani- maux , tantôt avant, tantôt après la rumination; et à juger, par l'apparence ruminée ou non-ruminée des ali- mens trouvés dans chaque estomac, du rôle particulier de cet estomac dans la rumination. 5. Toute la certitude de leurs résulats porte donc sur l'apparence, ruminée où non-ruminée, de l’aliment, c’est-à-dire sur la distinction de l'aliment ruminé d'avec l'aliment non-ruminé, et suppose par conséquent la certitude mème de cette distincuon. Or, si l’on examine quel est le caractère sur lequel les auteurs fondent cette distinction, on voit qu'ils appellent aliment non-ruminé tout aliment grossier ou d’un certain volume, et ali- ment rumine tout aliment réduit à un certain état d'atténuation ou de division; et cette nomenclature, fondée sur un caractère aussi vague , une fois admise, rien n’est plus aisé que d'expliquer la plupart de leurs divergences. (47) Ainsi, et pour m'en tenir encore aux deux premiers estomacs, on vient de voir que la panse et le bonnet contiennent presque toujours , mêlés à des alimens secs et grossiers, des alimens plus ou moins atténués et fluides ; et l’on verra plus tard que, dans quelques cas, et selon le régime de l’animai , ils peuvent ne contenir que des alimens de l’une ou de l’autre de ces deux es- pèces, ou secs et grossiers, Où atténués et fluides ; et l’on conçoit que , selon le cas particulier observé par chaque auteur, et leur nomenclature commune une fois donnée, chacun a pu en tirer une conclusion opposée à la conclusion des autres. Par exemple, la panse contient souvent, outre les alimens secs et grossiers, des alimens réduits à un cer- tain état de débris ou de division ; Haller, qui aura plus particulièrement remarqué ces débris , en conclut que les alimens ruminés reviennent dans la panse : le bonnet ne contient quelquefois que des alimens grossiers ; Dau- benton et Camper, qui aurontrencoutré ces cas, en con- cluentque le bonnet ne contient que des alimens non-ru- minés : il ne contient quelquefois quedes alimens fluides et atténueés ; Chabert et T'oggia , qui auront rencontré ces cas, en concluent qu'il ne contient que des alimens rumines, etc. _ 6. Il faut considérer d’abord que la seule division ou atténuation de l'aliment ne prouve pas toujours sa ru- mination , parce qu'il est d’autres forces (1) qui , indé- (r) Par exemple, la force contractile de la panse, qui, comme on le verra plus loin, est surtout marquée dans les points où règnent ses replis musculeux internes. Des grains d'avoine, directement introduits dans la panse au moyen des anus artificiels, dont il va être question, (48) pendamment de la rumination proprement dite, l’atté- nuent et le divisent ; par conséquent, de cela seul que l'aliment, trouvé dans tel ou tel estomac, est plus ou moins divisé ou atténué , on ne peut pas toujours con- clure qu'il est ruminé; et par conséquent aussi, des expériences qui , de quelque façon qu’on les combine, ne peuvent jamais apprendre autre chose que ce seul fait, savoir, qu'après la mort de l'animal, on a trouvé ou non, dans tel ou tel estomac, des alimens plus ou moins divisés ou atténués, ne sauraient conduire à Ja détermination précise de la marche que suit l'aliment ruminé, où de la seconde déglutition. 7. Mais, pour Ja marche même de l’aliment non ruminé , ou de la première déglutition , on a vu que cet aliment va dans les deux premiers estomacs ; mais va-t-il immédiatement dans ces deux estomacs? ou bien, comme Daubenton et Camper le supposent, ne va-t-il dans le bonnet qu'après avoir passé par la panse ? 8. C'est là une difficulté qui en paraît à peine une; et cependant il est aisé de voir, pour peu qu’on y réflé- chisse, que des expériences du genre de celles dont il d’abord s’y gonflent, et s'y ramollissent, au point que leur pulpe inté- rieure devient fluide comme du lait; puis ils s’y dépouillent de leurs enveloppes ; et enfin ces enveloppes elles-mêmes s’y réduisent peu à peu en fragmens ou débris ; réduction où division qui a lieu sans le concours de la rumination (ou, plus exactement, de la seconde mastication, qui suit la rumination proprement dite, c’est-à-dire le retour des alimens à la bouche); car, dans toutes les expériences où j'ai voulu juger de la force contractile de la panse, j'ai toujours commencé par lier d’abord l’æsophage, pour que l'animal ne ruminat plus. Mais je re- viendrai ailleurs sur ces expériences. sat os à * till (49) s'agit, quelque multipliées qu'on les suppose, ne sau- raient résoudre cette difhiculté. Dans toutes ces expériences, en effet, ce n’est pas pendant que la déglutition s'opère , maïs seulement un certain temps après qu’elle est opérée, après par consé- quent que le passage de l'aliment d’un estomac dans l'autre a pu s’opérer aussi, après même que d’autres phénomènes ont pu succéder à ces deux-là, après la mort de l’animal enfin, qu’il est permis à l’expérimentateur de pénétrer jusqu'aux estomacs, siége où se sont passés ious ces phénomènes. 9. Ainsi donc, et soit pour les alimens de ia première déglutition , soit surtout pour les alimens de la seconde . déglutition , on voit qu’il s'agissait bien moins de répé- ter et de multiplier sans fin , à l'exemple de tant d’au- teurs, de pareilles expériences ; que d’avoir recours à une nouvelle manière d’expérimenter. 10. Or, on sait que les animaux, et l’homme lui- mème, peuvent survivre plus ou moins long-temps à ces ouvertures artificielles, soit de l’estomac, soit des intestins, qu'on nomme anus contre nature; et l’on conçoit que de pareilles ouvertures, pratiquées successi- vement à chacun des quatre estomacs des animaux ru- minans; en me permettant de pénétrer dans l’intérieur de chacun de ces estomacs, et toutes les fois que je le voudrais, et à chaque moment où il le faudrait, pou- vaient m'offrir enfin un moyen de détermination et d’ex- périmentation aussi directes que décisives. #4 . . 11. J'établis donc successivement de ces anus contre zature à chacun des quatre estomacs de différens mou- XXVII. 4 (50 ) tons ; el voici les résultats que j'ai obtenus de cette nou- velle manière d'observer et de procéder. $ VII. 1. Je commençai par établir un large anus artificiel x la panse d'un mouton; c’est-à-dire, qu'après avoir pratiqué une large ouverture aux parois de cet estomac, j'attirai les bords de cette ouverture en dehors, et les maintins fixés, par quelques points de suture, aux pa- rois mêmes de l’abdomen. Il est presque superflu d'indiquer ici l'utilité de toutes ces précautions, soit pour prévenir l’épanchement, ou le passage dans l’abdomen, des matières contenues dans la panse, soit pour ne mettre en contact avec l'air exté- rieur que la surface muqueuse de cet estomac, soit enfin pour permettre à l'expérimentateur de pénétrer dans cet estomac plus facilement et plus sûrement. Cet anus artificiel ainsi établi, j’attendis que l’animal se mit à manger; celui-ci mangea le jour même de l’o- pération ; d’autres ne mangent que deux ou trois jours après; car tous n’en sont pas également affectés d’abord, quoique plus tard, et les, premiers effets de l’opération passés , les effets généraux des anus contre nature soient pour tous à peu près les mêmes. Ainsi, presque tous ces animaux, une fois l'anus artificiel établi, et quel que soit l'estomac (1) où on l'ait établi, mangent plus souvent que dans leur état naturel, parce qu'ils perdent, par l'ouverture de leur estomac, une partie des alimens (r) Sauf la caillette, comme on le verra plus loin. (Sr) qu'ils mangent ; ils boivent aussi beaucoup plus, et par la même cause , parce qu’une partie de leur boisson se perd par l’ouverture de leur estomac; mais ils ruminent moins souvent, et ils maigrissent beaucoup, bien qu’ils ne survivent pas moins , dans cet état , jusqu’à plusieurs semaines, et mème plus d’un mois. Quoi qu'il en soit de tous ces détails, le mouton à anus artificiel à la panse s'étant mis à manger, je vis, au bout de quelques instans, une partie des alimens qu'il mangeait sortir par l'ouverture de cet estomac à mesure qu'il les mangeait ou les avalait. De plus, si j'introduisais mon doigt dans la panse par l'ouverture artificielle , je sentais , en le dirigeant vers l'œsophage , les alimens arriver dans la panse, au mo- ment mème où ils y étaient conduits par l’œsophage. 2. Les alimens passent donc immédiatement dans la panse, lors de la première déglutition. Passent-ils im- médiatement de même dans le bonnet ? 3. J'éablis un anus artificiel au bonnet d'un second mouton. Après quoi, l'animal s'étant mis à manger, je vis encore une partie des alimens qu’il mangeait sortir par l'ouverture du bonnet, à mesure qu'il les mangeait; et, de plus, mon doigt, introduit dans le bonnet par son ouverture artificielle, les y sentait arriver de même au moment où l'œsophage les y portait. 4. Les alimens passent donc immédiatement dans le bonnet, comme dans la panse , lors de la première dé- glutition. 5. J'établis, sur un troisième mouton, un double anus artificiel, Vun à la panse, l’autre au bonnet; et (52) non-seulement mon doigt, alternativement introduit dans la panse et dans le bonnet, y sentait alternative- ment arriver les alimens que l’animal mangeait , e@tà mesure qu'il les mangeait, comme dans les deux expé- riences précédentes, mais, de plus, sans que l’animal mangeàt, sans qu'il ruminät, je le voyais souvent con- tracter légèrement son abdomen ; et alors , si j’introdui- sais mon doigt dans la panse, je la sentais qui se con- tractait aussi ; et, dans ce moment même, si, laissant la panse, j'imtroduisais mon doigt dans le bonnet, j'y sen- tais arriver des alimens qui lui venaient de la panse. On sait que la panse est à gauche de l’animal, et le bonnet à droite (r). Or, si j’introduisais directement par l'ouverture artificielle une substance donnée dans la panse, ou dans le côté gauche de l'animal, je voyais, au bout d’un certain temps, cette substance, plus ou moins altérée, sortir par l’ouverture du bonnet, ou par le côté droit de l’animal. 6. Ainsi donc, non-seulement les alimens vont immé- diatement dans les deux premiers estomacs, lors de la première déglutition, mais encore ces alimens peuvent passer de l’un de ces estomacs dans l’autre , directement, ou sans le concours ni de l’une ni de l’autre déglutition. 7. J'ai successivement introduit diverses substances , 1) On sait, de plus, et l’on verra d’ailleurs plus loin, que la panse s comme partagée en plusieurs poches. Or, si l’on met la substance dont on suit la marche dans la poche la plus reculée, par exemple, c’est-à-dire dans celle qui est la plus éloignée du bonnet, on voit cette substance passer successivement de cette poche dans les autres, en avançant toujours vers le bonnet, et passer enfin de la panse dans le bonnet. (35) soit dans la panse , soit dans le bonnet , pour étudier le genre d'action que chacun de ces estomacs peut exercer sur chacune de ces substances ; et j’indiquerai ailleurs les résultats que m'ont donnés ces expériences (1). Ce dont il s’agit maintenant, c’est de savoir où vont les alimens ruminés ou de la seconde déglutition. 8. J'ai déjà dit que Îles animaux à anus artificiels ru- minent moins souvent que dans leur état naturel , mais enfin ils ruminent, et souvent même plusieurs fois par jour. Ayant donc introduit mon doigt, à diverses reprises, soit dans la panse, soit dans le bonnet , de pæreiïls ani- maux, au moment où ils ruminaient, voici ce que j'ai observé : 9: D'abord, si j'introduisais mon doigt dans la panse, j'y sentais arriver encore, mais seulement par momens ou par intervalles, une partie de l’aliment ruminé , au moment où il était dégluti, et il en était de même quant au bonnet; mais, de plus , en écartant les bords de l’ou- (x) J'ai quelquefois introduit directement, au moyen des anus arti- ficiels, soit dans la panse, soit dans le bonnet, maïs surtout dans la panse, au lieu de simples substances mortes, des animaux vivars, par exemple des grenouilles, de petits lézards gris, des escargots, des vers deïerre, etc. Tous ces animaux sont morts promptement, et leurs tissus ont été bientôt altérés par la force digestive de ces estomacs. J'avais déjà fait autrefois de pareilles expériences sur des lapins , et avec le même résultat. Des grenouilles, des lézards gris, etc., introduits directement dans l’estomac de ces lapins, y étaient morts promptement, et leurs tissus avaient été bientôt altérés. Ces expériences suffront sans doute pour détruire le préjugé vulgaire qui suppose que certains animaux, lézards, serpens, ete., introduits dans l’estomac de l’homme, peuvent y survivre plus ou moins long-temps, et y devenir la cause de plusieurs maux. (54) verture de celui-ci, je voyais une partie de l'aliment ruminé suivre le demi-canal de l’œsophage, et passer immédiatement ainsi jusque dans le feuillet (1). 10. Uue partie de l'aliment ruminé revient donc dans les deux premiers estomacs; et quant à l’autre partie, elle passe immédiatement par le demi-canal de l'œso- phage, dans le feuillet. $ VII. r. Il ne me reste plus qu’à dire un mot des boissons ou alimens liquides. 2. On a reconnu de bonne heure qu'elles passent im- médiatement jusque dans la caillette; mais Y passent- ellesen totalité, comme la plupart des auteurs le pensent ? ou bien n’y en passe-t-il qu’une partie, et l’autre partie s’arrête-t-elle dans la panse, comme le dit Camper? C'était encore aux anus artificiels à résoudre cette dificulté. 3. J'ai déjà dit que les animaux à anus artificiels boivent beaucoup plus souvent que dans leur état natu- rel. Or, quand un pareil animal se met à boire, si l'anus qu’il porte est à la panse, on voit presque aussitôt sortir une grande quantité d’eau par la panse; si l'anus est au bonnet, V'eau s'échappe de même par le bonnet; et elle s'échappe encore de même par la caillette, et tou- jours presque aussitôt dans l’un de ces cas que dans l’autre , si l'animal porte un anus à la caïllette. 4. Les boissons passent donc en partie dans les deux (r) Et du feuillet enfin dans la caillette, jusqu'où un autre anus établi me permettait de le suivre. GES (55) ‘premiers estomacs, el en partie dans les deux derniers, et elles passent immédiatement dans les uns comme dans les autres. $ IX. 1. En rapprochant tout ce qui précède , on voit, d’une part, 1° que les alimens grossiers ou d’ua certain volume ne vont jamais que dans les deux premiers esto- macs; et 2° que les alimens atténués on fluides passent seuls dans les deux derniers ; et l'explication de ces deux faits est facile : c’est que les deux derniers estomacs ne communiquent avec les premiers que par l’ouverture du feuillet, ouverture naturellement étroite, comme tous les auteurs l’ont remarqué déjà , et qui, de plus, ainsi que je l'ai constaté sur plusieurs animaux vivans, est susceptible de se contracter, de se resserrer et de s’op- poser complètement par là au passage de tout aliment grossier ou d’un certain volume. 2. On voit, d'autre part, 1° que les alimens grossiers tombent toujours directement dans les deux premiers estomacs; et 2° que les alimens atténués ou fluides peuvent seuls passer immédiatement , du moins en par- tie, dans les deux derniers ; et l'explication de ces deux faits n’est pas moins évidente encore. 7 3. En effet , si, après avoir ouvert la panse et le bon- net sur un mouton vivant, on fait avaler à ce mouton divers alimens , on voit , dans le cas où l'aliment dégluti est grossier ou d’un certain volume , cet aliment tom- ber tantôt dans la panse , et tantôt dans le bonnet; et dans le cas, au contraire, où l'aliment dégluti est fluide ou atténué, on le voit passer immédiatement, du ( 56 ) moins en partie, jusque dans le feuillet, et, par le feuillet, dans la cailleite, où une ouverture pratiquée permet aisément de le suivre encore; et si l’on examine ce qui se passe dans l’œsophage à chacune de ces déglu- titions, on voit cet œsophage, dilaié par l'aliment, s’ou- vrir toutes les fois que l’aliment est grossier, et alors cet aliment, conduit par l’œsophage même , tomber di- rectement dans la panse ou dans le bonnet; et, au con- traire , si l'aliment dégluti est atténué où fluide, on voit l’œsophage rester fermé , et alors l'aliment prendre la seule voie qui lui reste ouverte, ou celle du demi- canal (1), et ce demi-canal le conduire dans le feuillet, et, par le feuillet, dans la caillette ; et cet état d’ouver- ture ou de non-ouverture de l’œsophage est si bien la cause qui fait que les alimens atténués ou fluides pren- nent la voie du demi-canal, que, toutes les fois que ces alimens se trouvent ou trop accumulés , ou déglutis trop rapidement, ou mêlés d’une bulle d'air, l’œsophage, dilaté par eux, s'ouvre, et alors on les voit tomber dans les deux premiers estomacs, de la même manière et par la mème cause que les alimens grossiers, c'est-à-dire parce que l’œsophage les y conduit. 4. Il y a donc deux voies distinctes de déglutition : celle de l’œsophage et celle du demi-canal; et les ali- mens prennent l’une ou l’autre de ces deux voies, selon qu'ils sont, ou grossiers et d’un certain volume, ou (x) Ou, plus exactement encore, celle du sillon ou de la rigole par laquelle le demi-canal se prolonge dans l’œsophage, laquelle rigole forme, en ce coin de l’æsophage , un conduit toujours ouvert, bien que le reste de l'œsophage soit affaissé ou fermé. (57) atténués et fluides ; et, dans le premier cas, ils passent dans les deux premiers estomacs, parce qu’ils sont con- duits par l’œsophage , lequel se rend dans ces deux esto- macs ; et, dans le second cas, ils passent dans les deux derniers, parce qu’ils sont conduits par le demi-canal, lequel se rend dans ces deux derniers estomacs, comme l’œsophage dans les deux premiers. 5. L'état d'ouverture ou de non-ouverture de l’œso- phage décide donc du passage de l'aliment dans tel ou tel estomac; et c’est l'aliment lui-même qui décide de cet état, selon qu'il est assez volumineux, ou non, pour dilater, ou non, l’œsophage; car, dans Le premier cas, dilatant l’œsophage naturellement affaissé , il est conduit per cet œsophage même ; tandis que , dans le second cas, laissant l’œsophage affaissé , il n’a d'autre voie que celle du sillon ou de la rigole, toujours ouverte, par laquelle le demi-canal se continue dans l’œsophage. 6. Il ne reste plus qu’à déterminer le mécanisme selon lequel s'opère ia réjection des alimens. Cette détermina- tion fera le sujet d’un second mémoire. Lerrre adressée à M. Auvouix, sur quelques Arachnides des genres Hydrachna et Chelifer ; DE THéis. Par M. | Monsieur et ami, Rentré chez moi à la suite de notre long entretien sur les Arachnides, j'ai cherché à rassembler les souvenirs que m'ont laissés les instans où il m'était permis de me ( 58 ) livrer eu hberté, et avec toute l’ardeur d’une première passion, à l'étude de cette science agréable, qui m'a déjà valu de douces jouissances, puisque c’est elle qui a établi entre nous ces relations amicales auxquelles j'at- tache tant de prix. Permettez-moi de vous soumettre dans cette lettre quelques observations sur plusieurs in- dividus de cette classe des Arachnides qui embrasse un si grand nombre de familles et de genres, dignes à tant de titres de fixer l'attention des naturalistes. Comme toutes mes observations sur les Aranéides, qui est la famiile dont je me suis le plus occupé, ont été communiquées à M. le baron Walckenaër, qui déjà en a consigné quelques-unes dans les premières li- vraisons de sa Monographie, faisant partie de la Faune francaise, je me bornerai pour le moment à vous entre- tenir de certaines espèces d’Â/ydrachnés et de Chélifer, ou nouvelles, ou assez vaguement décrites et figurées. Vous me pardonnerez, Monsieur et ami, si, dans l’ex- posé que Je vais vous faire d'observations déjà anciennes, et rédigées d’après des notes incomplètes, je ne m'astreins pas à un ordre rigoureux de classification, et vous n'y ver- rez, je vous prie, que des souvenirs entomologiques (1). Hydrachna Pendant l’été de 1830, j’explorai avec zèle les eaux chrysis Ia Be. à) d’une très petite rivière située aux environs de Laon, (pl. 3, Hg. 1). où j'espérais rencontrer l’Argyrronète aquatique, que j'y découvris effectivement; mais, comme mes premières re- (1) Les souvenirs entomologiques de M. de Théis nous ont paru mériter, à tous égards, d’être connus des entomologistes , et c’est d’après l’agrément de l’auteur que nous nous empressons de les pu- blier. (R.) ( 59 ) cherches avaient été infructueuses, je m'en dédommageai en recueillant un nombre assez considérable d'Hydrach- nés, que je conservai long-temps dans des bocaux, dont chaque jour j'avais soin de renouveler l’eau. À l’aide de la Monographie de Müller, et du Mémoire aptérologique d’Hermann, je parvins à en déterminer avec précision plusieurs espèces ; mais, parmi celles que j'ai eues long- temps sous les yeux, il en est deux que jé n’ai vues dé- crites ni figurées dans aucun ouvrage à ma connaissance, et qui, par l’éclat et la variété de leurs couleurs, sur- passent peut-être toutes celles dont les planches de Müller offrent le brillant assemblage. Je désignerai la première de ces espèces sous le nom d'Hydrachna chrysis. Je vous en envoie le dessin et en voici la des- cription : Abdomen ovale, allongé, d'un vert doré, métallique, avec quelques enfoncemens noirâtres formant deux lignes le long du dos. Le ventre, les pattes et les palpes sont du plus beau rouge carmir, et cetie couleur s'étend en dessus sur les côtés de l'abdomen. Yeux au nombre de quatre , occupant la région supérieure de la tête et séparés des palpes par une espèce de bandeau, de cou- leur semblable au fond sur lequel ils sont placés et très difficiles à apercevoir. Ces yeux paraissent simples au premier aspect, mais au soleil , et avec une forte loupe, on reconnait qu'ils sont doubles, à la manière des laté- raux des Épéires. En dessous sont deux points brillans, qu'on serait tenté de prendre pour d’autres yeux , si leur extrême petitesse ne leur donnait plutôt l'apparence de ces stemmales qu’a découverts Müller ( Physiologie du sens de la vue) dans quelques espèces d’Arachnides. Hydrachna zunica pl. x, fig. 2). ( 60 ) Les palpes sont très courts, de trois articles, dont le dernier est plus allongé, plus grêle, et terminé en pointe. Entre la dernière paire de pattes et un peu en dessous est un organe que je suppose être l’épygine , composé de deux petites valvules ovales-allongées, et se déta- chant en rouge sur un fond obscur. La quatrième paire de pattes est la plus longue; la première est la plus courte ; Ja troisième et la quatrième paires sont ciliées intérieurement , les deux autres paraissent glabres à la vue simple , et n’ont que quelques touffes de poils aux articulations : ces articulations sont dans l’ordre de longueur de l’Æyd. extensa de Müller. Cette belle espèce, que j'ai prise, le 21 juillet 1830, dans un marais aux environs de Laon, ne nage pas très vite, et elle descend en se roulant sur elle-même jus- qu’au fond de l’eau. Lorsqu'elle nage, ses palpes sont à peine visibles. Quand on l’a tenue quelque temps hors de l’eau, on voit se contracter les petits points ou enfon- cemens qu’elle a sur le dos , et l’on pourrait supposer qu’elle respire au moyen des gonflemens et des con- tractions alternatifs de ces espèces de stigmates. La seconde espèce, dont je vous envoie la déscription ct la figure, provient aussi des environs de Laon ; elle me paraît également nouvelle, et je propose de la nom- mer {lydrachna runica. Son abdomen , qui est ovale, est d’un rouge vif , par- semé de taches et de stries noires. Le dessous est rouge également virgulé de noir. L’épygine (peut-être l'ovi- ductus ) est saillant entre la dernière paire de pattes. On y voit une fente longitudinale entourée de petits trous (61) | au nombre de six. Les pattes sont fines , rougeâtres , la première est un peu plus courte que la seconde, plus courte elle-même que la troisième. La quatrième est la plus longue. Les yeux, au nombre de deux, sont très difficiles à apercevoir. Avec un très fort grossissement , ils paraissent composés , ce qui en porterait le nombre à quatre , comme dans l'espèce précédente. Les organes de la manducation ne m'ont pas paru offrir de diffé- rences sensibles avec ceux de la Chrysis. Prise le 25 juillet 1830. Outre ces deux espèces d’Hydrachnés, j’en ai rencon- tré, dans le courant de la même année, et dans les mêmes localités, un nombre assez considérable que je parvins à rapporter aux figures de la Monographie de ” Müller ou à celles décrites par Hermann. Je citerai seu- lement les Æ/yd. extendens, undulata , abstergens, histrionica (Herm.), elliptica et latescens (Herm. ). Cette dernière m’a offert plusieurs variétés dont une m’a paru se rapporter à la seconde de celles décrites par M. de Férussac dans les Annales du Muséum. Je vais maintenant vous parler d’une famille toute Faux Scor- différente, celle des faux scorpions , qui, bien quecom- RE posée d’un très petit nombre d’espèces, n’en tient pas moins une place importante dans la classe des Arach- nides. Leurs longs bras, en forme de pince, leur dé- marche rétrograde, la manière dont ils saisissent leur proie , leur donnent avec le Scorpion une telle ressem- blance, que plusieurs naturalistes ont cru devoir les rap- porter à ce genre. Cependant l'absence de la queue, celle (62) des peignes, et, d’après ce que vous m'avez montré d’une manière si nette, la différence de leurs organes respiratoires (1), ne permettent pas de les réunir aux Scorpions. J’adopte donc, ainsi que vous le faites, la manière de voir de M. Latreille qui, en laissant les Scorpions à la fin de l’ordre des Arachnides pulmo- naires, a composé avec les Galéodes (Solpuges de Herbst) et le genre Chélifer, la première famille des Arachnides trachéennes. Vous savez que le docteur Leach a composé avec les genres Chelifer, Obisium, Scorpio et Buthus, la famille des Scorpionides , et que le second de ces genres, Obi- sium, ne formait, dans le Mémoire aptérologique d’Hermanr , qu’une subdivision du genre Chélifer, mais ce genre me semble établi sur des caractères trop bien tranchés pour ne pas être conservé. En effet, le nombredes yeux, qui n’est que de deux dans les Chélifers proprement dits, est de quatre dans les Obisies , et les organes de la manducation et de la locomotion offrent des différences sensibles. Je suivrai donc l’ordre établi par M. Leach dans son Mémoire sur les Chélifers d'Angleterre, in- (x) C’est sur une des plus petites espèces de cette famille (l'Obisium Ischnocheles) que j'ai eu occasion de constater la nature des organes respiratoires. Îls consistent évidemment, comme dans les insectes proprement dits, en une foule de petites trachées reconnaissables à leur aspect argentin. Supérieurement on voit très bien leurs nom- breuses ramifications dans l’abdomen, et, lorsqu'on retourne l’ani- mal, on reconnaît qu'elles prennent leur origine à quatre petits points stigmatiques situés à la face inférieure du ventre, non loin de son'insertion avec le thorax. Je publierai incessamment une figure au trait de cette disposition curieuse. (Aupours.) (65 ) séré dans le 3° volume de son Zoological misceilany, en commencant toutefois par les Obisies qui, dans la méthode naturelle, me paraissent devoir former la liaison de ces Scorpionides avec le genre Galéode. Je caractéri- serai ainsi le genre Ovisie, Obisium : Palpes allongés , en forme de bras , terminés par une pince didactyle. Machoires formées par la réunion des deux articles inférieurs des palpes. Mandibules allongées , droites, épaisses, dépassant sensiblement le thorax. Yeux au nombre de quatre, superposés aux deux côtés du thorax. Thorax entier, tronqué antérieurement, de forme carrée. - Abdomen allongé, tronqué ou arrondi à sa partie postérieure. | Pattes allongées , d’inégale grosseur. La première espèce est l’'Obisium ischnocheles (Obi- sie Ischnochèle). Il est long d’une ligne ; il a les bras amincis, allongés, d’un fauve jaunâtre ; le premier article (ceiui qui est inséré sur les màchoires ) très court, presque globuleux ; le second allongé et très entier, légèrement concave à sa partie interne ; le troisième triangulaire ou en cône ren- versé; le quatrième, ou l’article porte-pinces, légère- ment bombé à sa partie inférieure , et ne formant au bord extérieur qu’une ligne presque directe jusqu’à l'extrémité des doigts, qui ne sont pas recourbés comme Genre Obisie, Obi- sium (pl. 1,. fig. 3 et 4, et pl. u). Obisiurr Ischnocheles (pL r, fig. 3). (64) dans toutes les espèces de ce genre et du suivant, etn’ont que quelques poils rares plus allongés au point où se réunissent les doigts dont la dentelure est plus pronon- cée que dans lespèce suivante. Les autres articles sont presque glabres, sauf l'intermédiaire allongé , dont le bord extérieur offre quelques poils, moins longs cepen- dant que ceux du dernier article. Les mâchoires sont droites, triangulaires, surmontées par deux lobes étroits, terminés par des poils raides et allongés au milieu desquels est la bouche. Les mandi- bules fortement saillantes au-dessus de la bouche, de la lèvre et des mâchoires , offrent beaucoup d’aralogie dans leur facies avec celles des Galéodes , etelles font facile- ment reconnaître cette Arachnide au premier aspect. Le thorax est élargi , tronqué antérieurement , se ré: trécissant jusqu’au point de son insertion avec l'abdomen. Les yeux, au nombre de quatre, et disposés longitu- dinalement aux deux côtés de la tête ou plutôt du cépha- lothorax, un peu en arrière des mandibules, sont faciles à apercevoir, en raison de leur couleur claire qui se détache sur un fond chätain. L'abdomen, d’un fauve assez vif, est divisé en onze anneaux de couleur plus sombre; il est sensiblement aminci dans son milieu, s’élargit vers son extrémité postérieure et se termine en s’arrondissant brusquement. Il y a quelques poils blancs , allongés, qui naissent du dernier anneau de l'abdomen, quelquefois du 10° et même du 9°; ceux-ci s'étendent alors sur les côtés. Aux deux côtés du dos, on aperçoit une bande marginale, d’un blanc jaunâtre, qui se confond avec l'abdomen au point où il s’élargit postérieurement. Le dessous offre la (65) répétitition des bandes supérieures, il est seulement. d’une couleur plus claire. | Les pattes, très allongées, sont composées de six articles, et terminées par un crochet didactyle. Le pre- mier, triangulaire, appliqué contre la poitrine, donne naissance à un article globuieux d’où sort la cuisse, qui est sensiblement plus longue que l’article suivant. De celui-ci naît un article un peu moins allongé que suit un beaucoup plus court ; le dernier enfin est aussi long que les deux précédens réunis. Les deux paires postérieures ont les cuisses beaucoup plus renflées que les antérieu- res, et offrent quelques différences dans la grandeur re- lative des articles; elles n’ont toutes que quelques poils rares et assez courts. Voici la synonymie de cette espèce : Chelifer Ischnocheles, Herm., Mém. apterol., p- 118, pl. vr, fig. 14, et pl. v, fig. P (le bras ). — Chel. Trombidioïdes, Latr., Gener. Crust. et Ins., t.1, p. 433. — Obis. Trombidioïdes, Leach, Trans. Linn. societ., t. 11, p. 391. — Id., Encyclop. \Brit. suppl, 1. 1, p. 433, pl. xxur. — Obis. orthodactylum, id., Zoological Miscellany, vol. x, pl. exzr, fig. 2. Cetie Arachnide , malgré son extrème petitesse, est facile à distinguer, et la ténuité de ses bras , la grandeur de ses mandibules et l'élargissement de la partie anté- rieure de son thorax empêchent qu’on ne la confonde avec les espèces analogues. On la trouve, mais rarement, sous les pierres, et il faut des yeux exercés pour l’aper- cevoir. Lorsque l’on soulève une pierre et que l’on re- garde avec attention la surface qui était appuyée, mais non collée contre le sol, on aperçoit quelquefois XXVIL. 5 Obisium mus- ecrum (pl. , fig. 4). (66) cette petite Obisie dont les bras et les pattes sont repliés contre le thorax et l'abdomen, ce qui lui donne le port d’une petite Thomise. Lorsqu'on veut la saisir, elle sé lance à reculons avec une extrème vitesse , et franchit ainsi une distance considérable. J'en ai trouvé partout , et dans toutes les saisons, mais jamais abondamment. C’est surtout dans les lieux un peu humides , sous les briques, les tuiles et les débris de pots , ou les pierres plates et amoncelées, qu’on est plus certain de les ren- contrer. Je présume que cette Obisie se nourrit de ces Trombidions imperceptibles qui fourmillent dans les mêmes localités. Je nel’ai jamais trouvée sous des écorces. La couleur fauve des bras et de l’abdomen s’altère promptement dans l'alcool, et tout l’insecte y devient d'un brun jaunâtre et uniforme. La seconde espèce du genre, l'Obisium muscorum (Obisie des mousses) , est la plus grande de toutes celles que j'aie encore prises en France : la femelle a jusqu'à deux lignes de longueur ; elle est aussi la plus remar- quable par l’exacte proportion de ses formes et les couleurs vives et tranchées de son abdomen. Les palpes porte-pinces sont allongés , d’un fauve vif, couverts dans toute leur longueur de poils soyeux blancs brillans et longs. Le premier article est arrondi, con- cave et glabre à son bord inférieur ;le second est allongé, très entier, s’épaississant légèrement jusqu'au point de son insertion avec le troisième, qui est implanté sur le précédent par un pédicule allongé et ovoïde à sa partie antérieure. Le dernier est bombé, d’un fauve brillant, ayant les doigts très allongés , recourbés et d’un rouge (67) brunâtre. Les mâchoires sont triangulaires , allongées ; pointues à leur extrémité antérieure et surmontées par une languette velue. Les mandibules, proportion gar- dée, sont moins fortes que dans l’espèce précédente, et remarquables par un crochet qui termine le doigt exté- rieur, et par des appendices de couleur blanchâtre et en forme de membrane qui en garnissent le bord intérieur. Le thorax , de forme presque carrée, est d’un brun marron tirant sur le rouge, et les quatre yeux bianchà- tres, situés comme dans toutes les espèces de ce genre, s’y laissent facilement apercevoir. L’abdomen ovale allongé est d’un brun rougeàtre , quelquefois violâtre , avec onze anneaux d’un jaune de paille clair, et une bande marginale de même couleur. Au dernier anneau de l'abdomen on aperçoit un appendice blanchätre, arti- culé, qui correspond aux filières des Aranéides. La lon- gueur et la grosseur relative des pattes est la même que dans l’Ischnochèles , mais elles sont proportionnellement plus fortes, et garnies de poils droits et allongés. Toutes se terminent par un crochet didaciyle. Le dessous de l’abdomen n'offre avec sa partie supérieure aucune différence sensible. C’est l’Obisium muscorum de Leach (Zoological miscellany, tab. cxcr, fig. 3? ). J'ai trouvé fréquemment cette belle espèce dans la forèt deSt.-Gobain, département de l'Aisne , en secouant la mousse humide qui se trouve au pied des vieux chènes. Le 15 avril 1830, j'en pris une qui emportait dans ses mandibules une jeune Podure velue , et je la conservai plusieurs mois dans un tube de verre, en la nourrissant avec de petites espèces de Podures et de Trombidies. Obisium car- cinotdes (pl. nr, fig. x). Obisium Walckenaertii (pl ur, fig. 2), ( 68 ) Une troisième espèce, l'Obisium Carcinoïdes (Obisie carcmoïde), est longue d’une ligne trois quarts. La forme de ses bras, de son thorax, de ses mandibules et de ses mêâchoires est absolument la même que dans l'espèce précédente , mais elle s’en distingue , au premier aspect, par son abdomen d'un brun noirâtre uniforme, marqué seulement par des lignes transversales de couleur plus foncée ; cet abdomen , qui s’élargit dès le 2° ou 3° an- néau, est tronqué à son extrémité postérieure, moins carrément cependant que dans l'espèce suivante. L’épais- sissement des cuisses des deux dernières paires de pattes est aussi moins sensible que dans l'Ischnochèles et l'Ob. dés mousses , et elles sont en général un peu plus allon- gées. La couleur des bras porte-pinces et des mandibules paraît aussi moins foncée dans quelques individus. Je crois cette espèce la même que le Chelifer carci- noïdes dont Hérmann fils à donné la description et la figure dans sés Mémoires aptérologiques , parce qu’elle m'a semblé s’y rapporter beaucoup mieux qu'aucune des autrés de cette section dont il a également parlé; mais comme je l'ai constamment trouvée aux mêmes époques ét dans les mêmes localités, je n’oserais affirmer que les différences légères que je viens de vous indiquer ne soient de simples différences de sexe. Enfin une quatrième ét dernière espècé que je consi- dère comme nouvelle est l’Obisium Walckenaerii (Obi- sie de Walckenaër) ; elle est longue d’une ligne trois quarts, et se distingue des deux précédentes par la gros- seur démesurée de la cuisse de sa quatrième paire de pattes, qui est appliquée contre l'abdomen, et lui donne ( 69 ) un port différent de celui de toutes les autres espèces de ce genre. La ligne tirée depuis l'œil jusqu’à l'extrémité de l’abdomen est tout-à-fait droite et postérieurement, et le corps est tronqué plus carrémentque celui de l'Obisiecar- cinoïde. Je n’ai compté à l'abdomen que neuf anneaux. J'ai trouvé une seule fois cette Obisie sous la mousse, dans la forêt de St.-Gobain (Aisne), au commencement de juin 1830. J'arrive au genre Pince ou Chelifer , qui a ‘pour Genre Pince ou Chedifer (pl. ir). caractères : Feux au nombre de deux. Mandibules terminées par un stylet articulé. Thorax divisé transversalement par un sillon profond. Pattes peu allongées, de grosseur à peu près égale. J'en distingue jusqu'à présert trois espèces. La.pré- cris, can- crotdes (pl. ur, fig, 1), | mière, ou le Chelifer Cancroïdes, Pince Cancroïde, est longue d’une ligne un quart. Ses bras sont épais, allongés, d’un brun rougeàtre ou couleur d’écaille foncée ; le premier article presque glo- buleux; triangulaire et.arrondi à sa partie supérieure, n'ayant que quelques poils rares et fins; le second al- longé, très entier, en cône à sa partie inférieure, légè- rement tronqué à sa partie supérieure qui est plus claire et.comme transparente ; lé suivant est presque. aussi long , un peu plus bombé dans son milieu, et, comme le précédent, aminci au, point où se fait son insertion in- férieure; ces deux articles ont aussi un léger duvet qui n'est visible qu'au moyen d’une forte loupe. Le dernier article, en forme de pince, est épais, d’un brun foncé ; les pinces rougeâtres ont , au point de leur jonction, (787 quelques soies allongées, fines, blanches, et l’article en- üer est légèrement velu. Les mandibules , dépassant sensiblement la lèvre su- périeure, sont terminées par deux stylets courts et transparens ; la lèvre inférieure est profondément échan- crée, et les mâchoires, sur lesquelles les palpes en forme de bras sont insérés, sont larges, triangulaires, et, comme toutes les parties de la bouche, d’une couleur d’ambre jaune ou de corne transparente. Les yeux, au nombre de deux, fixés un peu au- dessous de l’insertion des palpes de chaque côté du thorax , sont blancs , arrondis, et assez faciles à aperce- voir quand l’insecte a séjourné long-temps dans l'alcool. Vus dans un certain sens, ils semblent se confondre avec un anneau de même couleur, entourant la racine du premier article des bras; un peu au-dessous de Ja lèvre supérieure, on aperçoit quelques taches irrégu- lières qui pourraient avoir de l’analogie avec les stem- mates des insectes (1). Le thorax, arrondi à sa partie supérieure, va en s'élargissant insensiblement jusqu’à sa jonction avee l'abdomen : il est, comme dans toutes les espèces de ce genre, partagé dans son milieu par un sillon transversal. L’abdomen, divisé en onze anneaux, est aplati, den- ticulé sur les côtés , et il offre dans son milieu une ligue étroite d’une'couleu} (moins foncée que le reste du corps; cette bande a de chaque côté deux rangées de points noirâtres , qu’on n’aperçoit avec une très forie loupe que (x) Voir à ce sujet le beau travail de M. Muller de Bonn, sur la physiologie du sens de la vue, dans les A{nnales des Sc. natur. (74) lorsque la Pince est plongée dans la liqueur. Le dessous de l'abdomen offre sur un fond plus clair la répétition des sillons de la surface opposée. Dans un certain jour, il paraît couvert d’un duvet brillant , moins épais cepen- dant que celui qu’on aperçoit en dessus, dans la même position. Les pattes , composées de cinq articles , sont velues, épaisses, et terminées par un crochet didactyle. La synonymie de cette espèce est assez longue, parce qu’elle a été connue très anciennement. La voici, sinon com- plète , au moins aussi exacte que possible : Pince Cancroïde, LarreizLe, Hist. nat. des Crustacés et des Insectes, t. vi, p. 141, pl. zxr, fig. 2. — Chelifer Cancroïdes , id., Gener. Crust. et Ins., 1. 1, p. 132. — Le Scorpion- Araigneée , Grorrroy, Hist. des Ins., t. 1, p. 618. — Le Faux Scorpion d'Europe, Drerer, Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, t. vn, p- 355, pl. xix, fig. 1. — Phalangium Cancroïdes, Linné , System. naturæ, édit. 13. 1. 1, pars secunda , p- 1028.— Jd., Fauna suecica , edit. secunda , n° 10968. — Scorpio Cancroïdes, Fasmiaus, Entom. system., t. nu, p. 436. — Obisie Cancroïde, Warcrenarr, Faun. paris., t. 11, p. 252, n° 1.— Friscm, Ins., t. 1, suppl., tab. zxiv. — Rorser, /nsechten belustigung, t. m. suppl., t. Lxiv. — Hook, Micrographie, t. xxin, fig. 2. — Arms, Aran., tab. xxxvi, fig. 181. — Der Bücher Scorpion, BLummensacn, Handbuch der naturges- chiste, p. 404. — Duméri , Consid. générales sur les insectes, p.237, pl. Lvr, n° 4. À tous ces auteurs on pourrait en ajouter un nombre (72) bien plus considérable , mais comme la plupart d’entre eux ont rapporté au Phalangium cancroïdes de Linné toutes les espèces de Pince ou d'Obisiequ'ils ont trouvées, cette synonymie ne serait rien moins qu’exacte. J'ai choisi seulement ceux dont les descriptions ou les figures m'ont paru désigner assez suffisamment cette espèce. La Pince Cancroïde parait habiter presque toutes les contréés du nord de l’Europe, à en juger par le nombre de naturalistes qui en ont parlé. Je l'ai prise très abon- damment dans l'hiver de 1829, par un froïd de 15 de- grés, sous l'écorce des pommiers, dans le dépariement de l'Aisne. À cette époque, les individus que j'ai rencontrés étaient aplatiset engourdis par le froid; leurs mouvemens, lorsqu'ils marchaient, étaient aussi lents que ceux de l’ai- guille d'une grande horloge. Dès les premiers beaux jours du printemps, les Pinces sortent de leurs retraites, et les poux de bois, qui se trouvent sous les mêmes écorces, leur fournissent une abondante pâture. Le 13 juin 1830, j'ai trouvé, sous des feuilles, sur la terre humide d’une allée de jardin, une Pince cancroïde femelle ; en l’exami- nant avec attention, je m'aperçus qu'elle portait ses œufs ramassés en pelotte et collés sous son abdomen. Ces œufs ne tardèrent pas à se détacher du corps de l’insecte, que j'avais mis dans un tube de verre. Ils étaient au nombre de 22, ovales, jaunâtres , transparens et agglu- ünés entre eux (pl. 1x, fig. 1, c). Cette observation con- firme celle de Kleemann , rapportée par Hermann à l’ap- pui de celle de son père ; mais quant à son autre obser- vauon sur la faculté qu’auraient les Pinces de filer, elle À ’ ? - » . ne mé paraîl aucunement fondée. Jai conservé plusieurs (75) Pinces et Obisies, que je nourrissais avec des Podures et autres petits insectes qu'elles saisissaient avec leurs pinces et en les repliant ensuite vers leur bouche avec une dextérité étonnante; mais jamais je n'ai remarqué qu’elles eussent établi aucun fil dans les tubes où je les tenais renfermées. J'ai conservé cette même femelle de Cancroïde depuis le 13 juin jusqu’à la fin d'octobre ; mais ayant mis dans son tube un Theridion assez gros , elle s’embarrassa tellement dans ses fils qu'il me fut im- possible de l’en dégager entièrement ; elle languit depuis ce moment , et ilsepourrait qu’elle eût été piquée par l'Araignée. L'individu figuré est une femelle assez foncée en cou- Jdeur.On en rencontre fréquemment dont les bandes sont mieux tranchées et laligne médiante de l'abdomen d’un jaune plus clair ; maisc’est surtout dans l’espècesuivante que ces caractères sont parfaitement prononcés. Cette espèce est le Chelifer Scorpioïdes , Pince Scor- cpyfer scor- pioïde d’'Hermann (Mém. aptérol., p. 116, pl. v, fig. HE 5 L.M. N.). Elle a de longueur une ligne un quart, et est ts de quelque peu moins grande que la précédente!, avec laquelle elle a d’ailleurs beaucoup d’analogie ; cependant elle me paraît.s’en distinguer par les caractères suivans : Les bras, beaucoup plus épais, sont à proportion moins allongés; ils sont garnis de poils courts et assez forts, jusqu’à la jonction des doigts des pinces où pren- nent également naissance quelques soies fines et allon- gées; l’article basilaire a la même forme que dans la Cancroïde, mais les deux du milieu sont sensiblement plus courts et plus profondément échancrés à leur côté (74) externe ; j'ai vu cependant des individus très jeunes où ces articles étaient très entiers et tout-à-fait glabres. Les organes de la manducation , plus difficiles à apercevoir, ne m'ont pas montré le même stylet à l'extrémité des mandibules, et les mâchoires sont tronquées plus carré- ment à leur extrémité supérieure; le corselet est de même forme et de mème couleur que dans la Cancroïde, . et les yeux , au nombre de deux , sont bien plus difficiles à apercevoir, en raison de leur couleur absolument sem- blable à celle du fond du thorax. L’abdomen , dans quelques individus, est d’un beau jaune oranger, et dans d’autres d’un brun jaunâtre. Il est divisé, dans le sens de sa largeur, par des bandes d’un rouge de brique interrompues dans leur milieu, ce qui forme sur le dos une ligne longitudinale bien prononcée ; vues avec une forte loupe, ces bandes paraïssent ocellées ; et j'ai re- marqué dans tous les individus que j'ai rencontrés que la troisième bande de l’abdomen était plus étroite que les autres ; elles sont toutes garnies de poils blancs et bril- lans qui se dirigent en bas. En dessous elles sont moins prononcées et au nombre de neuf. Un peu en arrière de la quatrième paire de pattes, on aperçoit une petite élévation dont 1l m’a été impossible de bien distinguer les diverses parties , et que je présume appartenir aux organes de la génération ( peut-être l’oviductus ). Les pattes sont d’un brun jaunâtre; les cuisses de la quatrième paire sont légèrement renflées. Comme dans l'espèce précédente, elles sont velues et terminées par un crochet’double. Des individus très jeunes offrent des différences qui les feraient regarder comme des espèces distinctes , si les \ (75) caractères essentiels n'étaient pas les mêmes. J'ai pris une Scorpioïde très jeune dont le corselet était d’un vert sale , et les bandes abdominales de la même couleur sur un fond d’un beau jaune oranger. Dans d’autres , le cor- selet et les bandes étaient d’un vert foncé, et le fond de l'abdomen d’un jaune sale. Dans les unes et les'autres, les bras étaient glabres, d’un jaune rougeûtre, avec les doigts des pinces plus foncés. Cette espèce , plus belle que la précédente , est aussi beaucoup plus rare; je ne l'ai prise que de loin en loin, sous des écorces et pendant l'hiver. Il est probable que bien qu'Hermann l'ait distingué le premier de la précé- dente , elle a été connue de plusieurs naturalistes qui ont décrit la Cancroïde, et l’ont confondue avec elle. Comme elle ne s’en distingue que très légèrement , surtout des Cancroïdes à fond plus clair, j'insiste sur ces différences qui consistent surtout dans la grosseur et la brièveté des bras , les mâchoires tronquées plus carré- ment, l'abdomen plus clair et non denticulé sur les côtés, eu enfin les yeux de la même couleur que le fond du thorax, et ne s’en détachant pas en points brillans - comme dans la première de ces espèces. La dernière espèce dont je vous transmets la figure est cxg me- le Chelifer Népoiïdes (Pince Népoïde ). se 3x Longue de trois quarts de ligne. Ses bras sont allon- gés , glabres, d’un brun rougeätre, ayant seulement quelques soies longues et rares à la jonction des doigts du dernier article, qui est moins bombé et un peu moins recourbé que dans les deux espèces précédentes. Celui qui le précède immédiatement forme un triangle allongé (7%) dont la pointe est assez saillante. L'article basilaire est épais, bombé, arrondi à sa partie supérieure et formant de mème un triargle dont la pointe se: dirige inté- rieurement. Le suivant est le plus long, glabre et très entier; les mâchoires et les mandibules n’offrent point de différence sensible d’avec celles de la Cancroïde ; ces der- nières sont de mème terminées par un onglet mobile, ayant à sa base quelques poils courts. Thorax d’un brun rougeàtre , plus foncé que les bras, s’élargissant sensi- blement jusqu’à sa jonction avec l'abdomen , divisé dans son milieu par un sillon profond, au-dessus duquel, et à la naissance du premier article des palpes, sont placés les yeux au nombre de deux, petits et très difliciles à apercevoir. ; | L’abdomen est piriforme, plus élargi à sa partie in- férieure, arrondi et tronqué à son extrémité ; il est d'une couleur de brique ou d’ocre rougeûtre , avec la ligne du milieu , les côtés et les interstices des segmens d’un jaune paille clair. En dessous et près de l'endroit où est atta- chée la quatrième paire de pattes, sont deux points dela même couleur que le restede l'abdomen qui se détachent sur un fond jaune, et qui ont sans doute rapport aux organes de la génération. Le dessous de l’abdomen offre la répétition des bandes supérieures, mais la première n'existe pas , et la seconde et la troisième sont faiblement indiquées. Les pattes sont glabres, d’un jaune d’ocre un peu plus foncé aux cuisses et aux articulations; ieur lon- gueur relative ne diffère pas de celle des espèces précé- dentes. Cette espèce, qui est le Chelifer Nepoïdes d'Hermann (Mémoire aptérol., p: 116, pl. v, fig. Q), a 677 ) | été figurée et décrite par Leach (Zoological miscel- lany), qui lui donne ce nom. La description très abrégée que donne Hermann de cette espèce ne m'y aurait fait rapporter qu'avec doute l'individu que je viens de décrire, si la ressemblance qu'il lui attribue avec une jeune punaise des lits, et cetie phrase : abdomine rotundato ovato , rufo testaceo, margine lineäque media longitudinali dorsal ven- tralique segmentorumque irtestitiis pallidis , ne m’a- vaient paru suflisantes pour la bien caractériser. J’ajou- terai que c’est la plus petite des Pinces que j'ai rencon- trées. La figure de M. Leach est très exacte. J'ai pris le Chelifer Nepoïdes le 15 avril 1830 sous les plâtras d’une vieille muraille de la Préfecture de Laon ; le 25 décembre de la même année, j'en ai trouvé trois - individus sous une planche , dans un grenier de la Pré- fecture de Limoges. Telles sont, Monsieur et ami, les observations que dans quelques heures de loisir j'ai pu faire sur ces petites Arachnides. Si vous les jugiez dignes d'intérêt, votre approbation m’encouragerait à les compléter et à pour- suivre quelques autres recherches entomologiques. Je suis, etc. Votre affertionné ami, Cu. De Taéis. EXPLICATION DES PLANCHES. PIST. Fig. 1. Hydrachne chrysis. Fig. 2. — runica. ( 78 ) Fig. 3. Obisium Ischnocheles. a. Cephalothorax muni des mandibules et supportant les quatre yeux. b. Partie antérieure en dessous montrant les mandibules et les mâchoires avec leur palpe en bras. c. Extrémité en pince du palpe maxillaire. Fig. 4. Obisium muscorum. a. Mâchoïires avec leur palpe. ? Pl/wtr Fig. 1. Obisium carcinoïdes. Fig. 2. Obisium Walckenaerii. a. Vu en dessous avec les palpes et les pattes tronqués. 6. Partie antérieure très grossie pour montrer les mandibules et les quatre yeux. | c. Une mandibule isolée, excessivement grossie, montrant l’es- pèce de peigne intérieur de sa branche externe. Plxtr. Fig. 1. Chelfer Cancroïdes femelle. a. Partie antérieure vue en dessous pour montrer les mâchoires et les mandibules qui font saillie en devant d'elles. &. Une des pattes. c. Paquet d'œufs. Fig. 2. Chelifer Scorpioides. a. Partie antérieure vue en dessus. b. Partie antérieure en dessous. Fig. 3. Chelifer Nepoides. a. Un des palpes isolé. 6. Partie antérieure et thoracique en dessous. ( 79) \ Lerrre de M. Flourens à MM. les Professeurs du Museum d'Histoire naturelle, au sujet de sa candidature à la chaire d' Anatomie humaine, vacante dans cet établissement. Messieurs , J'ai l'honneur de vous transmettre une Notice des travaux que j'avais publiés avant d’être membre de l’Académie des sciences , ainsi que les titres de ceux que j'ai publiés depuis. L'objet constant de ces travaux a été de chercher à déterminer, par l'expérience, les fonctions propres ou spéciales des diverses parties qui constituent le corps \animal. Ainsi, dans une première série de ces travaux, je me suis proposé de déterminer la fonction propre de chacune des parties distinctes dont se compose l’encéphale : question la plus importante peut-être de toute la phy- siologie , et pour la solution de laquelle le premier pas à faire, comme, au reste, dans toutes les questions prin- cipales, était d'imaginer une méthode d’expérimenter. Le caractère de cette nouvelle méthode consiste à mettre d'abord à nu l’encéphale, afin de n’intéresser ja- mais que l’une de ses parties après l’autre , et toujours l’une exclusivement de l’autre (1}. (x) Voyez mes Recherches expérimentales sur les propriétés et les fonc- lions du système nerveux, dans les animaux vertébrés. Paris, 1824. ( 8 ) Il est évident que, le but de l’expérimentateur étant de parvenir à la détermination précise de la fonction propre de chaque partie, il ne pourra obtenir cette fonction propre, dégagée de toute autre, qu'autant qu'il aura d’abord isolé, ou dégagé de toute autre , la partie même de laquelle cette fonction dépend. Or, c’est là ce qui ne pouvait être fait, du moins d’une manière sûre et constante, par aucune des mé- thodes d’expérimentation employées jusqu’à moi; et j'ose même dire que pas un expér'mentateur avant moi n'avait vu que c'était précisément là ce qu’il fallait faire. On se contentait de répéter, depuis des siècles, des expériences superficielles, confuses , incohérentes; on mulüpliait, sans fin, des résultats non moins confus et incohérens ; et personne ne voyait que, pour arriver enfin à des résultats précis et distincts , c'était la méthode expérimentale elle-même qu'il fallait d’abord changer et refaire. Et cette méthode qui met à nu toutes les parties d’un appareil pour permettre à l’expérimentateur d'atteindre séparément chacune d'elles, je ne l'ai pas appliquée seu- lement aux diverses parties de l’encéphale , je l'ai appli- quée, avec le même résultat, aux diverses parties de l'oreille, et principalement aux canaux semi-circulaires que le scalpel d'aucun expérimentateur n'avait encore atteint avant moi. Ces canaux sont enveloppés par un os, le plus dur, le plus compact de tous les os proprement dits du squelette ; il m'a fallu les dégager d’abord de cet os, comme, dans mes expériences sur le cerveau, il m'avait fallu d'abord dégager ce cerveau du crâne; et ces canaux et ce cerveau , ( 81) une fois mis à nu, j'ai pu atteindre séparément, et à volonté, et à coup sûr, chacune de leurs parties , et dé- mêler aiusi le rôle propre de chacune d’elles (r). Les principaux résultats que m'a donnés cette nou- velle méthode d’expérimenter, soit sur les diverses parties du cerveau, soit sur les diverses parties de l'oreille, se trouvant exposés dans la Notice imprimée que je joins ici, il serait superflu de les rappeler. Je me bornerai même , parmi les divers travaux que j'ai publiés depuis que je suis de l'Académie, et dont je ne donne ici que les titres, à indiquer d’une manière plus particulière : 1° celui sur les épanchemens céré- braux (2), 2° celui sur le mécanisme de la respiration des poissons (3), et 3° celui sur le mécanisme de la rumination (4), parce que, dans chacün de ces travaux, c’est toujours à de nouvelles méthodes, à des méthodes plus précises d’expérimenter , que j'ai dû les nouveaux résultats, Les résultats plus précis que j'ai obtenus. Ce sont ces mêmes méthodes d'analyse et d’investiga- tion qui me paraissent devoir éclairer d'un nouveau jour l'anatomie de l’homme, comme elles en ont éclairé la physiologie. Je prie donc Messieurs les Professeurs de me permettre . de leur soumettre ici quelques vues sur la manière dont Je conçois un Cours d'anatomie humaine , fait au Mu- séum d'histoire naturelle. (1) Voyez Mémoires de P Acad. ror. des Sciences , t. 1x. (2) Zbid., t. xx. (3) Zhid.,, t. x. 4) Zbid., t. xxx. XXVIL. 6 ( 83) Il me semble qu'un pareil cours devrait avoir pour principal objet d'expliquer l'anatomie de l'homme par celle des animaux. Prise en elle-même, l'anatomie de l’homme est sans doute fort avancée ; mais aussi, bornée à elle seule, cette anatomie w’est guère qu’une véritable énigme. Or, de mème qu'en fait d'anatomie comparée on se sert de l’homme pour éclairer la structure des animaux, on doit se servir, ce me semble, en fait d'anatomie de l'homme, des animaux pour éclairer fa structure de l’homme. | L'objet de l'anatomie comparée est de remonter, par la comparaison des diverses structures , jusqu'aux lois générales de l’organisation; l’objet d’un cours d’anato- mie humaine , tel que je le concçois, serait précisément inverse, c'est-à-dire de faire sortir, de ces lois générales mêmes , l’explication des faits particuliers de homme. Vicq-d'Azyr, dans quelques-unes de ces immortelles pages qu'il nous a laissées sur l'anatomie ; a indiqué ce caractère particulier que l’on pourrait donner à l’ana- tomie de l'homme; et ce que Vicq-d’Azyr n’a fait qu'in- diquer, ce serait à l’époque actuelle de l’exécuter. Un cours d'anatomie humaine où l’on ne verrait pas, avant tout, le côté spécial , ne serait qu’une répétition du cours d'anatomie comparée : et un cours d'anatomie humaine où l’on ne verrait pas ce côté spécial sous un point de vue donné, ne serait qu'une répétition du cours d'anatomie descriptive de la Faculté. Or, ce point de vue donné sous lequel il me ue qu'il faut considérer l’anatomie de l'homme au Muséum d'histoire naturelle , c'est, comme je viens de le dire, ( 83 ) d'y faire concourir et l’histoire naturelle et l'anatomie comparée à l'explication spéciale de l'anatomie de l'homme, et de n’y appeler l’une et l’autre qu'autant qu’elles peuvent réellement servir à cette explication. L’anatomie de l'homme, bien vue, est aussi neuve qu'immense; je voudrais donc qu’on n’y empruntàt le secours et de l'anatomie comparée et de l’histoire natu- relle que sobremént ; qu'avec choix , qu’à titre d’exem- ples , et ces exemples je les voudrais pris tantôt dans une classe, tantôt dans l’autre, afin qu'on vit bien que ces emprunts font ornement , font preuve, mais ne font pas le fond. Mais le point essentiel , le but principal vers iequel tout devrait tendre, dans un pareil cours, ce serait d'y appliquer ei l'anatomie et la physiologie de l’homme à l’histoire naturelle de son espèce. Cette histoire naturelle de l'espèce humaine ne fera des progrès réels qu’autant qu’on la fondera sur l’anato- mie et sur la physiologie de l'homme , de même que l’histoire naturelle des animaux n’a fait de tels progrès que dépuis qu’elle à été fondée sur leur anatomie et sur leur physiologie. L'histoire naturelle de l'homme mériterait bien un enseignement distinct; et cet enseignement, c’est au Muséum d'histoire naturelle qu’il doit se trouver, ne füt-ceque pour y légitimer l'institution d’un cours établi pour l'anatomie d'une seule espèce : car si, comme je le disais plus haut, l'anatomie de l'homme est très avancée , il n’en est pas de même de son histoire natu- relle ; et il est peu de mammifères peut-être dont on ne connaisse mieux les habitudes, les mœurs, les diverses (84) races, qu'on ne connaît les mœurs et les habitudes des diverses races humaines. Le cours d'anatomie humaine se placerait donc, au Muséum , entre celui des mammiféres et celui d’anato- mie comparée, et, sans empiéter ni sur l’un ni sur l’autre, il comblerait une lacune qu'ils laissent entre eux ; et ce qui ajouterait encore un nouveau trait carac- téristique à ce cours d'anatomie de l’homme , tel que je le propose, c’est que, l’homme étant si fort au-dessus des autres animaux par l’organe de son intelligence, ce cours seraît le véritable lieu où, à propos de cette intelligence et de son organe, viendraient se placer naturellement l'exposition comparée des mœurs, des instincts, des ha- bitudes des animaux, la recherche des organes de ces fonctions , et enfin l’examen raisonné du rapport des organes cérébraux aux fonctions intellectuelles, branche de l’histoire naturelle sur laquelle les travaux de Gall ont répandu un intérêt si particulier, et qui est si digne - par elle-même d’un développement suivi. Tel est le caractère propre que devrait avoir, ce me semble , le cours d'anatomie de l'homme au Muséum d'histoire naturelle. Par là, ce cours se spécialiserait , il se distinguerait de tous les autres, il ne serait la répétition d’aucun, ni dans le Muséum , ni hors du Muséum ; et peut-être con- tribuerait-il, en complétant l’enseignement de l’histoire naturelle du règne animal , à remplir un vrai besoin de l’époque , celui de fonder enfin les études philosophiques sur l'anatomie et sur la physiologie. Je prie Messieurs les Professeurs du Muséum d’his- toire naturelle de vouloir bien excuser les détails un peu ( 85 ) longs où j'ai cru nécessaire d'entrer, et d'accueillir avec bienveillance les vues que je leur soumets. J'ai l’honneur d’être avec un profond respect, de Messieurs les Professeurs du Muséum d'histoire natu- relle , le très humble et très obéissant serviteur, FLourens, Membre de l’Institut (Académie royale des Sciences). Mémoire sur Les variations générales de la Taille chez les Mammifères, et en particulier dans les races humaines (1); Par M. Isipore GEoFFroy SAiNT-HIiLAIRE. (Lu à l’Académie des Sciences, séance du 2 janvier 1832.) Variations de La Taille dans les races humaines. Parmi les animaux domestiques, les variations indi- viduelles et accidentelles de Ja taille , en d’autres termes, les anomalies, sont rares et presque toujours peu éten- dues , et au contraire les variations de race, très nom- breuses et très remarquables. L’inverse a lieu dans l’es- (x) Nous avons donné précédemment (t. xxvr, p. 82) l'extrait de la première partie de ce travail, qui nous avait été communiqué par M. le D' Roulin. L'importance de la seconde partie, qui traite spécialement de l’espèce humaine, nous engage à la publier en. entier. (R.) ( 86 ) pèce humaine. En effet, même en nous renfermant dans le cercle des faits les mieux constatés (1), nous trouvons que la hauteur des plus petits des nains est à celle des plus grands des géans, presque exactement :: 1: 4, et par conséquent, en les supposant bien proportionnés, la masse du corps des premiers est à celle des seconds, en- viron :: 1:64. La hauteur moyenne de la plus petite des races, et celle de la plus grande dont l'existence soit bien authentique, sont au contraire entre elles:: 1:11, et par conséquent la masse du corps, comparée dans lune et dans l’autre, à peu près :: 1: 3. Cette différence d’étendue que présentent les variations de la taille humaine dans les races et dans les individus, peut s'exprimer d’une manière peut-être plus frappante encore par d’autres résultats numériques. En effet, le nombre qui exprime la taille moyenne de la plus petite des races humaines, étant diminué de mot- tié, donne la taille des plus petits des nains dont l’exis- tence soit constatée. Au contraire, le nombre qui exprime la taille moyenne de la plus grande des races humaines, étant augmenté de motlié, donne presque exactement la taille des plus grands des géaus sur l’authenticité desquels il n’existe aucun doute. Ainsi, en appelant 1 la taille de la plus petite race, celle du plus petit nain sera +. En appelant 1 la taille de la plus grande race, celle du plus grand des géans sera 1 =. J'ai déduit ces rapports d’une analyse exacte d’une mul-: | (x) L'existence de nains ayant seulement un peu plus de deux pieds, et de géans ayant près de neuf pieds , est constatée par plu- sieurs témoignages authentiques. (87) titude d'observations publiées par les auteurs, soit sur les variations anomales , soit sur les variations hérédi- taires et normales de la taille chez l’homme. Je laisse ici de côté toutes les remarques qui concernent le pre- mier de ces deux gonres de modifications (1) pour porter toute mon attention sur les variations héréditaires ; en- core le nombre immense de faits de détail qui se rap- portent à cette grave question, ne me permet-il pas d'en faire le sujet spécial d’une discussion dans ce mémoire déjà très étendu, et m'oblige-1-il à résumer dans les tableaux synoptiques suivans les notions les plus dignes d’intérèt que les voyageurs nous aïent transmises sur la hauteur des peuples les plus grands et les plus petits du globe. J'ai joint aux nombres contenus dans ces tableaux (2), quelques renseignemens sur la température et la position géographique des lieux qu’ils habitent , et de la race à laquelle ils appartiennent. (x) Jen ai traité dans un autre travail, que j’ai inséré en entier dans mon Histoire générale des anomalies de l’organisation, et qui avait été lu en 1829 à la Société d'Histoire naturelle de Paris. Un extrait de ma lecture, fort étendu et remarquable par l'exactitude et la fuci-! dité de sa rédaction, a même paru vers cette époque dans une feuille quotidienne, le journal /e Temps, n° du 1° janvier 1830. (2) J'ai préféré, pour résumer tous ces faits, la forme à la fois plus claire et plus concise des tableaux synoptiques à celle d’une expo sition verbale; mais je dois présenter deux remarques préliminaires, nécessaires à l’intelligence de ces tableaux, et dont l’une est appli- cable à presque tous les nombres qui s'y trouvent indiqués : c’est qu’ils résultent de la comparaison d'observations souvent contradic- toires et toujours incomplètes, et par conséquent ne peuvent être considérés que comme exprimant la taille d’un certain nombre d’in- dividus, et non exactement la taille moyenne des races. Une autre remarque doit être faite au sujet des Patagons, si célèbres par les récits exagérés que l’on a faits souvent de leur grandeur. On ( 88 ) sait qu'un grand nombre de voyageurs, Pigafetta, Sebald de Werdt, Olivier van Noort, Harris, Frezier, et quelques autres, n’ont pas ba- lancé à les considérer comme une nation de géans, et ont porté leur taille à sept, huit, dix, douze et jusqu’à treize pieds. D’autres au con- traire, de Gennes, Commerson, Weddel, les ont réduits à une taille bien inférieure, par exemple, à celle de six pieds, cinq pieds neuf pouces, cinq pieds et demi; et il s’est trouvé quelques voyageurs, Narborough, par exemple, qui ont soutenu que les Patagons, bien loin d’être des géans, ne sont que des hommes de taille médiocre. L’expiication de ces contradictions choquantes entre des hommes qui pour la plupart parlaient d’après leurs propres observations, ne se trouve pas seulement, comme on pourrait le croire, dans cet amour du merveilleux, dans ce penchant à l’exagération, qui déparent si sou- vent les récits des voyageurs. Il est aujourd'hui à peu près démontré: que les nations du sud de la Plata sont nomades; qu’il existe parmi elles des peuples de taille moyenne, d’autres d’ane taille presque gigantesque; et que les unes et les autres, venues dans lés mêmes lieux, el observées successivement par divers navigateurs, ont donné lieu à des opinions que l’on a voulu étendre à tous les peuples de l’extrémité australe du continent américain. Cette explication, dé- duite de renseignemens recueillis par Bougainvilie et quelques autres voyageurs, et déjà indiquée en partie par le président de Brosse et par Buffon, a été exposée dans tout son jour par M. Charles Comte daxs son important Traité de la législation, et surtout par M. Lesson, dans son Histoire des races liumaines ; et c'est en me fondant sur elle que Î j'ai cru devoir indiquer, non pas la taille des Patagons en général, mais celle de plusieurs peuplades observées par les navigateurs sur les bords du détroit de Magellan. Enfin je dois aussi prévenir, au sujet du tableau qui va suivre, que j'ai eu l'avantage de pouvoir y placer, à côté des faits déjà établis dans la science, les résultats, encore inédits, d'observations faites tout ré- cemment par MM. Quoy et Gaimard, dans leur second voyage autour du monde. Je dois à l’amitié de ces habiles et infatigables naturalistes la communication de ces observations et d’un grand nombre d’autres faits relatifs à l'histoire naturelle de l’homme, qui seront publiés avec détail dans la relation scientifique de la mémorable expédition de ? Astrolabe. “00194 ‘MOIET | ‘999 ‘ME 0P ‘UILATT ‘9 “AeQ op ‘pauusoy ‘uxa)s09SNUY ‘oSN019q ET *UOSSArT 19 JoU1Er) “LU9P] "25n0194 PT “U9PI *paerarer) 39 fonê) s de la Taille S varialion ‘sanbrpui PDP SUIMAUSIISUIL SA[ aumoy quo mb SANHLAV pale irc "STEAM ‘1009 "puEqoIC I *UL9P] *‘UOSSarg }9 JOUET) *EALZY “aqpautsnog "1PIOTUNH *osn0194 *suu2r) 2p ‘UOSIULUO") eurdsepefg ‘siepnearx) TT dans les races humaines. 1 - ‘sonbipur SUALHOUFIASUI SaT auanoy quo mb SAATLAV Tableaux synoptiques des pr ‘20309104 ‘H "1U9PI } “ouvoa10quod(q ‘4 7 “UOP] “onbiqos ‘4 “euUaIUEo Ut ‘5 ‘auualse[u1}sne “tt { ‘quaaut ,"'S 2P Â1og °N “auntutuoga uorurdo f side p ANDIAINTAS TdAL Ad NOLLVNOISHC “ouoseyed ‘4 “110p] ‘UOpP] “oouarundeu ‘5 ‘utt)TA9 LUE ‘4 “ouoSeed *rf "oUTEaQUE ‘4 [71 270721 “ouoseqed ‘y uoourA:"G 2p 10 ‘JU saide p 4ndISI9Hd8 HdiL Na NOILVNOISHQ “ounardoiy}o oovy “LOPI apneqgo nod ‘duo UP] ‘a[oSuoru aovi] *optoa saxj 'd'uoy “ounordorge a0ey |'epnego su ‘dual, "U9pP] *w92pPI] ‘2[08uotu 2984 *Aproay se. ‘do y, *140P] “apuego ‘mrodum y “ouuardorgio aoey ['epnego ‘ivpduo “AUNLVUTdNAL saade p L ævu VI aq Lu NOLLVNOISAQ LVATTO *aproay nod un ‘J, “apnego soi} duo y ‘apneqo s217 ‘duo y, “apueyo nod ‘duo y pue ‘juoduor “oproay nsd un ‘J *apnego s2.9 ‘due y, opuegpo ‘odwe y "U9P] “optoay nod un ‘JF *OUILOTIQUL 20 ‘op ] ‘LOP] *ATEJEU 20E *AUTPOTIQUIE 990 D 70): *AUIEITIDIUE AU \T "OLU[UIU 29E1T ‘U9P] *auILoraUuE OU “euntutuoo uorurdo f “LVALVUTA WIL soude p M LVNITO ADVU V1 aq NOILVNOISHG ‘pus 2pn}tef 00€ *piou epnJnel 002 *paou ‘Jef oG2 U 0) | ‘PUS 2PNIUET L v0 *pAOU *JTJËT 009 Pr 0G 2 piou @pniNPT o1G ‘pus apuit La | o@ 1 ‘pus opnitë 00€ “HALIIVH NOTIAH *pns opniue] 00€ ve cY "pas PNA] 001 *pns apn}net 04 ‘pus apninn] 06} r GE ‘pus 2pnMEf 018 & OZ “pas 2pnIUET 006 or *pus apniueg o0I K @ ‘pns 2pninr] oi ‘U9PI *pns apré] 009 & Ch AYLLAVH NOIID AN | “opo1 punis 1197 40d sogqonbivwuou sojdnog — "AVAL uamnaug ee >> À « ÿ « y 9 ÿ VAS o1 ‘fi / L o1 O1 O1 It ÿ “onod ‘spord “ATIVE [y] 29 19 19 19 OO 10 LA u ()9 “onod ‘spard "LISIVE re | | UO\) sUewSOT **+-xneurnbs ‘(spauus “au bt91e 219109 97 queursroae sonhb -yerse ja suoodouno sopdnod s1041q tessrsret epO,Pp tip snodeq 2 “ausedssp,p 19 21191950, P “ooura 9P Sainsatu Ssap DDUAIA IT UT € adwuos nuoy sed quo,u spnb oo4ed ‘ounoriodns ait un suoSejeg xne ouBisse stojanbyanb quo sjoexe pupup8 ua sinoqne sop onb 1onb s af *SNPIATPUI sonbjonb no un ans juouapnes sojtey seu £oanoriodns ajjie} oun,p SUOTEAIISO sonbjonb sonbrueyqne syrey sa] uured ourgiut v Arr.) *‘SA[C PUISE cesse es Âgn010) Soavte y, *-**OIONIUE A 9P SUPNEI] **:(a81089 104 np 3104) PULIIOFE-0[[PANON PT 2P SUEITELE] ‘SHTANHS SH SNON ‘27710 49] 9P assauod p7 «vd soggonbaviuou soynog — *AVAIAVJ, ANOOAG 191 15S nossee vessesseste-cuOBe)0 *+eesosinbie SOI SOp SUEVGEF pe "ee *+#SU91}14E)0 SJo4n) ***SIPPUP[0Z-XNEIANON 4 seAtqN suose1eq *'saqreien) SAN9)2BTALA] SP SAT Sap SUEJIqUET OGC ASS "* *UOp] DRE nine ee Une STOBETE TE ‘STIdAAYA SAU SNON ( 90 ) Quoique les faits contenus dans les tableaux (1) qui précèdent, soient peu nombreux, ils suflisent pour con- duire à plusieurs conséquences intéressantes, et notam- ment à quelques rapprochemens curieux sur la distri- bution séographique des races humaines remarquables par leur taille très grande ou très petite. On sait depuis long-temps que les peuples dent la taille est la plus petite, habitent presque tous l’hémis- phère boréal dans sa partie la plus septentrionale. Le tableau ci-joint fournirait au besoin la démonstration de ce fait, d’ailleurs généralement admis ; mais il montre aussi qu'il y a quelques exceptions, dont les principales sont pour quelques hordes de Papous vivant à Waigiou, presque sous l'équateur, pour les habitans de la Terre de Feu, pour une tribu hottentote du Cap-de-Bonne- Espérance, et quelques autres peuplades de montagnards et d’insulaires. Ces exceptions, en très petit nombre, doivent être notées avec soin : néanmoins le rapport (x) Il importe de remarquer que ces tableaux indiquent la taille des hommes seulement, et non celle des femmes, à l'égard desquelles je me bornerai ici à une remarque générale, déduite de la compa- raison d’un grand nombre de faits; c’est que les femmes sont beau- coup plus petites, proportion gardée avec les hommes, dans les contrées où ceux-ci atteignent une taille très élevée. Ainsi, dans les pays où les hommes sont très grands, il y a une différence considé- rable entre la taille des deux sexes; dans ceux où les hommes sont très petits, la différence est au contraire très faible : d’où il suit que les variations de la taille des femmes sont renfermées dans des limites beaucoup plus étroites que celles de la taille des hommes. Ce rap- port est d'autant plus remarquable, que des faits d’un autre genre nous ont conduits précisément au même résultat à l'égard des va- riations individuelles ou anomalies de taille. (91) que je viens de rappeler conserve un haut degré de gé- néralité et d'intérêt. Les peuples les plus remarquables par leur grande taille peuvent donner lieu à des rapprochemens jus- qu’à présent tout-à-fait négligés et cependant très dignes d’attention. Ainsi, en général, ces peuples ha- bitent dans l’hémisphère austral, les uns vivant sur le continent dans l'Amérique méridionale, et les autres dans plusieurs des archipels qui se trouvent situés dans l'Océan austral entre l'Amérique du Sud et la Nouvelle- Hollande. Les premiers s'étendent, mais avec plusieurs interruptions, depuis la région habitée par des peuples caribes que j'ai indiquée plus haut, jusqu’au détroit de Magellan ,-et les seconds, des Marquises à la Nouvelle- Zélande. Ils forment, par conséquent, deux séries, lune continentale, l’autre insulaire, toutes deux assez irrégu- lières, mais commencant également à 8 ou 10° de lati- tude sud, et se terminant aux environs du 50° degré. Toutefois , il existe aussi dans l’hémisphère austral plusieurs peuples dont la taille, sans être extrêmement petite, est au-dessous de la moyenne, et dans l’hémis- phère boréal, au contraire, d’autres dont la siature est assez élevée. Or, en comparant la position géographique de ces peuples de petite et de grande taille avec la posi- tion des peuples dont la taille est extrêmement grande ou extrêmement petite. on arrive à un résultat très curieux et en apparence paradoxal, quoiqu'il soit facile de l’ex- pliquer en partie : c’est que des peuples de petite taille vivent presque partout près des nations les plus grandes du monde entier, et réciproquement, des peuples de grande taille près des nations les plus remarquables par (92) l'exiguité de leur stature. Par exemple, dans l’hémi- sphère austral, la Terre de Feu, séparée seulement de la Patagonie par le détroit de Magellan, et les Nouvelles Hébrides, placées à peu de distance des îles des Naviga- teurs , sont habitées par des hommes petits et mal faits. Réciproquement, dans l’hémisphère boréal , les peuples de la Suède et de la Finlande, qui confinent avec la Laponie, sont d’une taille supérieure à la moyenne. De ces faits, sans doute remarquables en eux-mêmes, deux conséquences en quelque sorte opposées peuvent ètre déduites : l’une, que l'influence du climat sur la taille des races humaines est réelle et incontestable ; l’autre, que cette influence est souvent modifiée et comme annullée par l’action de diverses causes. D'une part, en effet, il est impossible de révoquer en doute ce fait, dès long-temps admis dans la science, que le froid très vif tend à arrèter chez l’homme le déve- loppement de la taille, et qu’au contraire le froid mo- déré Jui est favorable. Nous voyons que non-seulement dans l’hémisphère boréal tous les peuples des climats les plus froids de l’Europe, de l’Asie et de l'Amérique, les Lapons , les Samoïièdes, les Esquimaux, etc. , sont d’une taille extrèmement petite, mais que de même, dans l'hémisphère austral, les peuples des contrées très froides, comme ceux de Î4a Terre de Feu, sont très petits. Nous voyons au contraire que, dans presque tous les pays que nous pouvons appeler un peu froids par rap- port au climat de la France, les peuples sont générale- ment d’une taille élevée : tels sont dans notre hémisphère les Suédois, les Finlandais, auxquels on peut ajouter les (93 ) Saxons, les habitans dé l'Ukraine, et plusieurs autres nations ou peuplades de l'Europe, de l’Asie et de l'Amé- rique septentrionales, et surtout, dans l'hémisphère austral, les Patagons. On peut retrouver de semblables rapports en compa- rant entre eux les habitans des diverses régions des hautes montagnes intertropicales , montagnes dont cha- cune représente en petit un hémisphère tout entier, etouù l’on peut aussi distinguer une zone torride, une zone tempérée et une zone glaciale. Les habitans des plateaux peu élevés sont en général grands et robustes, tandis qu’on ne trouve plus que des hommes de petite taille dans les régions voisines de ces cimes, désertes comme le pôle, et, comme lui aussi, couvertes de glaces éter- nelles. Dans les montagnes des climats tempérés, et surtout des climats froids, la taille des peuples des plateaux mème peu élevés diminue rapidement , en raison de l’abaissement plus marqué de la température. Toutefois, je dois dire que ces rapports ne sont pas entièrement constans : les Mmontagnards du Puy-de-Dôme et surtout de la Suisse sont, dans quelques cantons riches, d’une taille non-seulement moyenne, mais mème assez élevée (1). Je passe maintenant à l'exposé rapide des faits qui montrent que l'influence du climat est loin d’être la seule cause des variations de la taille dans les races humaines. Le tableau synoptique que j'ai présenté montre qu'il (x) Voyez Villermé, Mémoire sur la taille de l’homme en France, dans les Annales d'Hygiène, juillet 1829, p. 35. ( 94 ) existe dans les pays très chauds des peuples très grands et d’autres très petits; mais ce résultat péut être rendu beaucoup plus général, et l’on peut dire que, sauf les régions froides, il existe presque toujours à-la-fois , sous la même ligne isotherme, des peuples d’une grande taille, d’autres d’une petite taille , d’autres d’une stature moyenne. On trouve souvent même dans des régions très rapprochées et peu ou point différentes par leur température, quelquefois dans la même région, des races de taille très différente. Ainsi les Hottentots , voi- sins des Cafres, mais appartenant incontestablement à un autre type, sont beaucoup plus petits; et, ce qui est plus remarquable encore , on trouve réunies dans plu- sieurs îles, par exemple dans celles des Amis, de la Société , aux Sandwich; deux classes d'hommes de taille très inégale. Je transcris ici textuellement une note qu'a bien voulu me communiquer M. Gaimard : « Aux « îles Sandwich, dit notre célèbre et infatigable voya- « geur, la population est divisée en deux classes bien « distinctes, les chefs et les hommes du peuple. Les « premiers ont une nourriture plus abondante, plus « animale, ne sont jamais obligés de se livrer à des « travaux excessifs, et ont l'habitude de s’allier entre « eux : ils sont grands, forts et bien constitués. Les « seconds ne possèdent aucune terre, n’ont pas toujours « de bons alimens : ils sont généralement d’une taille « inférieure et d’une force moindre. » L’eflicacité des causes par lesquelles M. Gaimard explique l’infériorité de la taille de la classe pauvre, est inise hors de doute par les résultats de l'important tra- vail statistique que M. Villermé a publié sur la taille de ( 95 ) l’homme en France. Ce savant médecin a démontré en effet d’une manière générale ce fait déjà indiqué par Haller et plusieurs autres physiologistes, que la taille des hommes devient d’autant plus haute , toutes choses égales d’ailleurs , que le pays est plus riche et l’aisance plus générale; que les logemens, les vêtemens , et sur- tout la nourriture, sont meilleurs ; que les peines, les fatigues , les privations éprouvées dans l’enfance et dans la Jeunesse, sont moins grandes. De ces faits, M. Vil- lermé conclut que la vie misérable de la plupart des peuples montagnards doit être mise au nombre des causes qui arrêtent chez eux le développement de la taille ; conséquence fort juste, et qui doit être étendue aux peuples hyperboréens, soumis , comme les montagnards et d’une manière encore plus marquée, à la double action du froid et de la misère. Ainsi, dans les cas mêmes où l’influence du climat paraît le plus évidente, elle ne s’exerce pas seule ; ét, si l’on ne peut la contes- ter, du moins on ne peut non plus Jui attribuer tous les effets obtenus. Quant à la différence de taille qui existe entre plu- sieurs peuples de l'Afrique australe, ce fait et un grand nombre d’autres ne peuvent s'expliquer entièrement ni par l’une ni par l’autre des causes que je viens d’indi- quer, ni même par l’action simultanée de toutes deux. Ils paraissent dépendre principalement d’une différence de race, et indiquent que les conditions du type originel (je ne dis pas primitif) exercent aussi sur le développe- ment de la taille une influence dont il importe de tenir compte. On peut mème remarquer d’une manière générale ( @) que les peuples de race malaie sont ordinairement un peu plus grands, et les peuples de race mougole presque ‘constamment plus petits, que les peuples de race cauca- sique et de race américaine. La taille de la race éthio- pienne est extrèmement variable ; et il est impossible de s'exprimer d’une manière générale à son égard , parce qu'on a confondu sous ce nom plusieurs variétés très distinctes. | Enfin une preuve plus décisive encore en faveur de l'influence qu'exercent les conditions du type sur la taille des races a été donnée par M. Edwards dans l’ou- vrage , également remarquable par la nouveauté de la méthode employée et par l'importance des résultats obtenus, que cet. habile physiologiste a publié récem- ment sur les races humaines (1). On se rappelle en eftet que M. Edwards est parvenu à reconnaitre et à démon- trer que plusieurs peuples gaulois décrits par les anciens auteurs sont restés distincts jusqu’à ce jour, et ont con- servé, au moins dans un certain nombre d'individus, leur taille primitive , aussi bien que leur physionomie et leurs formes propres; fait d'autant plus remarquable , que tous ces peuples et plusieurs autres, établis dans la Gaule à diverses époques , vivent depuis plusieurs siècles en un seul corps de nation, ont pris lesmêmes mœurs, adopté le mème genre de vie, etse sont croisés un nombre presque infini de fois par voie de génération. On est donc conduit, par l’étude générale et compa- rative des variations héréditaires de la taille, à recon- {1) Des caractères physiologiques des races humaines, in-8°. Paris, 1829. (97) maitre qu'une race a une tendance très prononcée à se perpétuer avec les mêmes caractères, et que des causes d'action puissantes, énergiques, peuvent seules la faire dévier de la ligne qui lui est comme tracée à l’avance par la nature. Ces causes de déviation et cette tendance à fa reproduction constante des mêmes caractères, agissant en sens inverse, se modifient réciproquement, croisent et mêlent, pour ainsi dire, leur action ; et de là naissent des effets qui sont le résultat d’une sorte de lutte entre elles. La tendance à se perpétuer avec les mêmes caractères est d'autant plus prononcée dans une rate, que cette race est plus ancienne; proposition vraie à l'égard des animaux aussi bien que pour l’homme. Les espèces sau- vages, et l’on ne peut guère douter qu’un grand nombre de ces espèces ne soient des races dont l’origine se perd dans la nuit des temps, sont, comme on l’a vu, extré- mement constantes. Parmi les espèces domestiques, les races les plus anciennes sont également très constantes ; mais celles qui sont toutes récentes encore, se conservent difficilement, et tendent à rentrer daus l’un des types qui leur ont donné naissance; ce qui arrive presque jour- nellement sous nos yeux, principalement dans l’espèce du chien, où des croisemens de races produisent si fré- quemment des types nouveaux et peu durables. Ces remarques tendent à faire reporter à une haute antiquité la formation première des principales races humaines. Leurs caractères sont en effet parvenus à un degré de constance et de fixité qu’on ne retrouve guère que parmi les espèces sauvages, et cela, non pas seulement à une époque récente, mais bien depuis un grand nombre XXVIL. 7 “ (98 ) de siècles, En eflet , plusieurs colonies , établies presque de temps immémorial sous un climat beaucoup plus chaud ou beaucoup plus froid que celui qu’elles avaient quitté, ont conservé leurs caractères primitifs presque sans aucune altération, et sont restées de leur race, malgré l’action longue et continue d’un grand nombre de causes de variations. L'étude physiologique des races humaines peut souvent ainsi se faire l’utile auxiliaire de l’histoire, comme M. Edwards l’a si bien montré par son exemple ; et quelquefois même elle peut , lorsque l’his- toire se tait sur l’origine d’une colonie, suppléer à son silence, renouer le fil interrompu des traditions, et, lisant le passé dans le présent, rétablir la généalogie des nations. Exarien de cette question : Si la taille des hommes a diminue depuis les temps anciens. J'examinerai d’une manière succincte cette question intéressante, souvent controversée, mais dont on n’a ja- mais donné une solution aussi complète que l’état pré- sent de la science permet , cæ me semble, de le faire. C’est une opinion fort généralement répandue, que la taille de l'espèce humaine a toujours été en diminuant. Un grand nombre de personnes pensent encore que, fils dégénérés d’ancètres robustes et presque géans, les hommes les plus grands de nos jours ne sont guère que les moins petits d’entre les nains. Ces croyances ont-elles quelque fondement réel? ou ne sont-elles que de vains préjugés , nés peut-être de cette disposition d'esprit qui porte les vieillards à se faire les détracteurs du temps - présent au profit du temps passé ? ( 99 ) , Ce qu'il y a de certain, c’est que cette croyance à la diminution de la taille de l'espèce humaine est fort an- cienne : on la trouve exprimée dans les ouvrages de plu- sieurs poètes (x) ou philosophes latins; on la retrouve éga- lement , et d’une manière non moins positive, dans Ho- mère lui-même. Mais un préjugé, pour avoir été admis par. les auteurs de tous les siècles, n’en est pas moins une opinion prémalurée et sans valeur ; L'erreur est peut-être la seule chose au monde qui, en vieillissant, n’acquière pas le droit d’être respectée. Les philosophes qui ont adopté les anciennes idées sur le décroissement des races humaines, se sont fondés sur quelques faits faux ou mal compris, tels que la pré- tendue découverte de squelettes humains de taille gigan- tesque, la croyance de toute l'antiquité à une race de géans, enfin l'existence, avant les derniers cataciysmes du globe, d'animaux incontestablement plus grands que les espèces ou les genres analogues aujourd’hui vivans. Je ne reviendrai pas,sur les prétendus os de géans trouvés sur divers points du globe, On sait, depuis les beaux travaux de M. Cuvier, ce qu'il faut penser de ces découvertes si pompeusement annoncées par la fausse science, et quelquefois si habilement exploitées par le charlatanisme. Je ne nierai pas que la croyance à l’existence de géans dans les temps les plus anciens ail été répandue chez plusieurs nations de l’antiquité ; j’ajouterai même que, lors de la découverte du nouveau monde, on a retrouvé quelques traces de ces mêmes idées chez quelques peu- (x) Terra malos homines rune educat atque pusillos. (Juvérar.) ( 100 }) plès américains, chez les Péruviens, par exemple. Mais cette presque unanimité de croyance ne peut rien prou- ver, tant qu'on sera en droit d'admettre , comme le font ‘ aujourd'hui un grand nombre de philosophes, et comme il semble résulter de plusieurs genres d'indices, qu'un peuple déjà civilisé à une époque à laquelle ne remon- tent les annales d'aucune nation, a pu transmettre mé- diatement à un grand nombre d’autres peuples, avec le précieux dépôt de ses arts et de son industrie naïssante , ses sciences et sa religion, c’est-à-dire, ses opinions et ses dogmes. - Mais il y a plus : antiquité, qui croyait aux géans, croyait aussi aux pygmées, aux troglodytes, aux myrmi- dons. Or, si de la première de ses croyances on préten- dait pouvoir conclure que la taille de l’homme a diminué, ne serait-on pas tout aussi fondé à déduire de la seconde la conséquence précisément inverse, et à soutenir que les hommes des temps modernes dépassent de beaucoup la taille de leurs premiers ancêtres ? Quant à l'existence, avant les derniers cataclysmes du globe , d'animaux de très grande taille, elle ne prouve absolument rien dans la question. Ces espèces gigantes- ques, pour la plupart aquatiques, sur lesquelles on vou- lait surtout s'appuyer, bien loin d’être contemporaines de l’homme, l'ont précédé d’un long espace de temps : le globe terrestre a été bouleversé et comme renouvelé plu- sieurs fois entre l’époque de leur perte et celle qui vit naître notre espèce. En effet , la découverte de quelques débris humains fossiles, faite récemment dans plusieurs lieux, et principalement dans les cavernes à ossemens de l'Allemagne, de la France et de l'Italie, devra peut-être ET (de CS restreindre et modifier à quelques égards, mais elle ne renversera pas les idées de M. Cuvier sur l’apparition tardive de notre espèce à la surface du globe ; idées dont il n’est pas plus permis aujourd’hui de contester la vérité que la haute importance philosophique. D'ailleurs, ces os fossiles, même ceux qui semblent porter le cachet d’une plus haute antiquité, ont appartenu à des hommes de taille ordinaire et non à des géans. La haute stature que plusieurs auteurs attribuent aux anciens Grermains et aux Bourguignons est révoquée en doute par d’autres. Dans tous les cas, en adoptant l’opi- nion des premiers, on ne pourrait en conclure autre chose, si ce n’est que quelques races humaines ont un peu diminué, de mème que d’autres, par exemple les Hollandais du Cap, ont un peu augmenté; variations uniquement dues à l’action de causes toutes locales dont il est plus ou moins facile de se rendre compte, et ne pouvant donner lieu à aucune conséquence générale, lors même qu’elles resteraient entièrement inexpliquées. Aucune des preuves que l’on a pu donner comme éta- blissant ce prétendu décroissement de la taille humaine, n'a donc de valeur réelle, et ne saurait donner quelque crédit à une opinion contredite d’ailleurs par un très grand nombre de témoignages positifs. Je n’insisterai pas sur ce raisonnement de Haller (x), que des hommes de vingt ou mème de neuf pieds ne sau- raient subsister, parce qu’ils seraient hors de proportion avec le blé, les arbres, les bœufs et les chevaux, si évi- demment destinés, dit-il, à nous servir de montures. (1) Ælementa physiologie, t. vrix, p. 43. ( 102 ) Cette prétendue impossibilité ne prouve absolument rien ; car, une fois entré dans le champ des hypothèses, qui empèchera, si l’on admet l'existence d'hommes géans, de supposer aussi du bled, des arbres, des bœufs et des chevaux géans, comme l’a fait Swift dans ses ingénieuses fictions ? Heureusement la science possède une infinité de preuves beaucoup plus concluantes que ces conséquences très contestables des raisonnemens hypothétiques de Hal- ler. Divers passages où quelques auteurs grecs et romains présentent des remarques, soit sur la taille elle-même de l’homme, soit surles dimensions qu’il convientde donner aux lits ; d’autres où l’on trouve l'indication exacte des doses d’hellébore noir qu'on administrait pour purger au temps d'Hippocrate; mais surtout les observations faites par les modernes sur un grand nombre de monu- mens antiques , sur les tombeaux, les sarcophages , les momies des Égyptiens et de plusieurs autres peuples, sur des peintures, des statues, des armes, des casques, des bagues, des poteries très anciennes, ne permettent pas de douter que la taille de l’homme ne soit aujour- d’hui presque exactement ce qu'elle était, non-seu- lement au temps des Grecs et des Romains, mais même à une coque encore beaucoup plus reculée que l’on fait remonter environ à quatre mille ans. Ces preuves , déjà en grande partie exposées par Rio- lan, Haller, d'Ancora, M. Virey (1) et quelques autres (x) Voyez Riolan, Giszanrtomachia ; Haller, Loc. cit. ; d’Ancora , Sul!” istoria e la natura dei giganti, dans les Mémoires de la Société italienne, tome vr, page 371; Virey, article Géans du Dictionnaire des sciences médicales. ( 103 ) physiologistes , sont sans aucun doute très concluantes ; mais elles sont loin de résoudre la question dans toute son étendue. En effet, ces preuves sont déduites des té- moignages historiques et de l’examen des produits dura- bles d’arts compliqués, difficiles , et qui n'ont pu naître que dans une époque de civilisation déja avancée. Par leur nature même, elles ne peuvent donc rien nous ap- prendre que sur les peuples déjà civilisés , et elles nous laissent dans une ignorance complète sur la stature de l’homme vivant encore à l’état sauvage , ou faisant les premiers pas dans les voies de la civilisation. Or, l’é- poque sur laquelle se taisent l’histoire et les monumens est précisément celle dont la connaissance pourrait jeter le plus de jour sur notre sujet. En effet, en supposant que la taille humaine ait subi un changement notable, il est peu vraisemblable qu'il ait dû s’opérer lorsque les hommes, déjà réunis en corps de nation et civilisés, n'a- vaient plus qu'à s'élever par des progrès lents et insen- sibles vers un état social plus parfait. Ce changement devrait être bien plutôt rapporté au moment où, à la voix de ces premiers bienfaiteurs de l'humanité auxquels la reconnaissance publique dressa depuis des autels, les hommes quittèrent la vie sauvage et aventureuse de leurs ancêtres, apprirent par l’agriculture à faire naître du sein de la terre des alimens jusqu'alors inconnus, et, se soumettant à des mœurs toutes nouvelles, subirent la première et la plus grande des révolutions. Mais ce que la raison indique ici comme le plus probable , l’histoire ne vient pas le confirmer. Cette première époque de la vie du genre humain est presque entièrement effacée de la mémoire des hommes, de mème que chacun de nous ( 104 ) ne garde aucun souvenir des événemens de sa première enfance. | Au défaut de tout témoignage positif, recherchons donc si la science ne peut nous fournir les moyens de remonter par la pensée à cette époque où ne remonte pas l’histoire. J'ai fait voir que tous les animaux domestiques , à quelque classe qu’ils appartiennent, et quelque grandes et nombreuses que soient les variations de taille, n'ont, au total que très peu ou point augmenté ou dimi- nué; c’est-à-dire que leur taille moyenre ne diffère pas ou diffère très peu de la taille de leur type sauvage, et par conséquent de leur taille primitive. On a mème pu remarquer que le petit nombre d'espèces qui présen- tent une légère différence en moins, se trouvent toutes parmi celles que l’homme néglige habituellement et auxquelles il ne donne qu’une nourriture mauvaise ou peu abondante. Toutes celles, au contraire, que l’homme soigne et nourrit bien, n’ont rien perdu de leur taille primitive, ou même présentent une légère différence en plus. Or, si l’on se rappelle que les changemens produits chez l'homme par la civilisation sont en tout point ana- logues à ceux que la domesticité produit chez les ani- maux (ce qui est généralement connu, et ce qui, au besoin, résulterait même des faits que J'ai exposés) ; si l’on ajoute que l'homme a nécessairement eu la volonté constante, et qu'il a presque toujours eu le pouvoir, dans l’état de civilisation, de se procurer une nourriture meilleure, de se défendre mieux contre les intempéries des saisons, enfin de se placer dans des conditions plus ( 105 ) favorables que dans la vie sauvage; si l’on remarque que le fait général que je viens de rappeler au sujet des animaux domestiques a été vérifié sur un grand nombre d'espèces, les unes rapprochées de l’homme par leur organisation, d’autres beaucoup plus éloignées, et d’au- tres enfin, ainsi que Je l’ai aussi constaté, appartenant à une classe très différente, celle des oïseaux ; si de là on conclut, comme on le doit, que ce fait tient à des causes très générales et d’un ordre très élevé, et si l’on ne veut pas établir pour l’homme une exception qui serait peu vraisemblable, puisqu'elle serait unique, on sera conduit à admettre la conséquence suivante, confirmée d’ailleurs par tout ce que nous savons sur les peuples encore sau- vages ; la taille moyenne des hommes civilisés de nos jours ne diffère pas ou ne diffère que très peu, non-seu- lement de celle des hommes civilisés des temps anciens, mais mème de celle des hommes vivant encore à l’état sauvage, avant toute civilisation. Plusieurs voyageurs, et principalement Péron, ont constaté que les peuples sauvages, loin d’être plus forts que les peuples civilisés, sont ordinairement plus faibles. L'homme , en se civilisant , n’a donc rien perdu de sa force. En montrant qu’il doit aussi avoir conservé sa taille primitive, j'apporte un argument, qui n’est pas non plus sans quelque valeur, contre cette philosophie plus ingénieuse qu’exacte, qui nous montre ce qu’on a nommé l’état de nature comme un état de perfection physique, dont l’homme doit chercher à se rapprocher. Non, l’homme n’a pas déchu en se civilisani ; il n’est pas devenu faible en devenant intelligent; il n’a rien perdu de sa force réelle et de sa grandeur première en ( 106 }) les multipliant par l'adresse et l'industrie; et ce n’est pas en retournant sur ses pas qu'il avancera plus rapi- dement vers le but où ses efforts n’ont cessé de tendre, quelquefois à son insu : le développement moral, intel- lectuel et physique du genre humain. RÉSUMÉ GÉNÉRAL. Le nombre considérable des faits que j'ai dü discuter dans les deux mémoires précédens, et l'étendue que j'ai été obligé de donner à diverses parties de ces mémoires, m'ont fait penser qu’il ne serait pas inutile de présenter ici, isolés et réduits à leur plus simple expression, les résultats que J'ai cru pouvoir déduire de mes recherches. J'ai donc cherché, dans les propositions qui suivent, à donner l'expression la plus nette et en même temps là plus concise de ces résultats, renvoyant pour leur déve- loppement et leur démonstration aux deux mémoires qui précèdent. Taille des Mammifères (1). I. Toutes les fois que deux ou plusieurs espèces de mammifères se ressemblent parfaitement par leurs ca- ractères génériques, leur taille est la même ou très peu différente. II. Les familles, les genres, les espèces, qui habitent au sein des eaux ou y passent une partie de leur vie, par- viennent à une grande taille, comparativement aux autres familles, genres, espèces des mêmes groupes ; et l’accrois- sement de leurs dimensions est même d’autant plus grand, (x) Voyez t. xxvr, p. 2. (487 :) toutes choses égales d’ailleurs, que leur organisation les rend plus essentiellement aquatiques. III. Les genres ailés ou vivant sur les arbres n’attei- gnent jamais au contraire que de petites dimensions. IV. Les mammifères purement terrestres peuvent être classés dans l’ordre suivant d’après leur taille, très grande dans les premiers, moindre dans les seconds, et ainsi de suite : les herbivores, les carnivores, les frugi- vores, enfin les insectivores. V. Cette proposition peut en quelque sorte se traduire par la suivante : il existe une coordination parfaite entre le volume des animaux et le volume ou la quantité des êtres organisés dont la conformation de leurs organes digestifs les appelle à se nourrir. VI. Il existe un rapport non moins constant entre la taille des mammifères et l’étendue des lieux où ils vi- vent, les grandes espèces habitant les mers, les continens et les grandes îles; les petites, les rivières et les petites îles. VII. En général même, les mammifères des plus vastes continens surpassent leurs analogues des conti- nens moins étendus. VIII. Les mammifères de l'hémisphère boréal sur- passent les animaux analogues vivant dans l'hémisphère austral. IX. La taille des mammifères qui vivent sur les mon- tagnes est le plus souvent, mais non toujours, inférieure à celle des animaux ARAISEUES qui peuplent les plaines et les déserts. X. Dans l'hémisphère boréal, les genres et les espèces de la plupart des familles parviennent à leur maximum ( 108 ) de taille dans les contrées les plus méridionales, et des- cendent à leur minimum dans les climats les plus septen- trionaux; d’autres ont leur maximum dans les régions voisines du cercle arctique , et leur minimum dans la zone intertropicale : mais il n’en existe pas qui, ayant leurs plus grandes espèces dans les contrées tempérées ou peu chaudes , présentent une taille moindre à mesure qu'on les suit vers l’équateur ou vers le pôle. XI. Les propositions précédentes, vraies presque sans aucune exception à l’égard des mammifères, per- dent plus ou moins de leur généralité à mesure qu’on les applique à des classes placées plus bas dans l'échelle des êtres, et finissent, pour les animaux les plus éloi- gnés de l’homme, par n’être plus que des aperçus appli- cables encore à l’ensemble des cas, mais soumis à de nombreuses exceptions. XII. Il est aussi à remarquer que les variations de la taille dans une classe sont, toutes choses égales d’ailleurs, renfermées dans des limites d’autant plus précises que cette classe est plus naturelle. XIII. Enfin, lorsqu'une classe se trouve composée d'êtres dont l'accroissement se continue pendant une grande partie de la vie, et qui se reproduisent avant d'avoir achevé leur accroissement, les variations de la taille sont très considérables et renfermées seulement entre des limites mal déterminées. Animaux domestiques (1). XIV. Les propositions précédentes sont loin d’être généralement applicables aux animaux domestiques. (1) Voyez t. xxvr, p. 82. ( 109 ) XV. Dans plusieurs espèces domestiques, la taille primitive s’est conservée , Où n’a été que très légèrement modifiée. XVI. Dans d’autres espèces, il existe des races beau- coup plus grandes, d’autres beaucoup plus petites que le type primitif : mais la taille moyenne des races difière peu ou ne diffère pas de ce type ; en sorte que l'espèce, considérée dans son ensemble, n’a au total que peu ou n'a point augmenté ou diminué. XVII. Les espèces qui ont subi une légère diminu- tion, sont toutes au nombre de celles que l’homme né- glige généralement et nourrit mal. XVIII. Les variations individuelles de la taille sont renfermées dans des limites beaucoup plus étroites que les variations de race. faces humaines. XIX. Au contraire de ce qui a lieu pour les animaux domestiques, les variations de race sont, chez l’homme, renfermées dans des limites beaucoup plus étroites que les variations individuelles. XX. La taille des femmes est moins variable que celle des hommes. Ainsi elles sont beaucoup plus petites que les hommes chez les peuples de très grande taille, et la différence devient au contraire très faible chez les peuples de petite taille. XXI. Les peuples les plus remarquables par leur grande taille habitent généralement l'hémisphère austral (les peuples de très petite taille se trouvant au contraire presque tous dans l'hémisphère boréal, comme on l’a indiqué depuis long-termps). ( z1o ) XXIT. Parmi ces peuples de très grande taille, les uns vivent sur le continent de l'Amérique méridionale ; les autres, dans divers archipels de l'Océan du Sud; et l'on peut même remarquer qu'ils forment ainsi dans l'hémisphère austral deux séries, l’une continentale, l’autre insulaire, toutes deux assez irrégulières et plu- sieurs fois interrompues, mais commençant également à 8 ou ro degrés de latitude sud, et se terminant aux environs du 50° degré. XXIIT. Toutefois il existe aussi dans l’hémisphère aus- tral des peuples dont la taille est au-dessous de laimoyenne, et réciproquement, dans le boréal; des peuples dont la taille surpasse cette moyenne. Or, en comparant la posi- tion géographique de ces peuples à celle des peuples ex- trêmement grands ou extrèmement petits, on arrive à ce résultat, en apparence paradoxal, et cependant facile à expliquer en partie, que des peuples de petite taille vivent presque partout près des nations les plüs .grarides du monde entier, et réciproquenient, des peuples:de haute taille près des nations les plus remarquables par l’exiguité de leur stature. XXIV. Les variations de taillé deb races s'expliquent, mais en partie seulement, par l'influence du climat, du régie diététique et du genre de vie. | XXV. Il est au moins extrêmement finhabhe que la taille du genre humain, malgré quelques variations lo- cales, n'a pas sensiblement diminué ; et cela, non pas seulement comme l’établissent taut de genres de preuves, et comme il est universellement connu depuis les pre- miers siècles historiques, mais même depuis l’époque la plus ancienne que l’on puisse concevoir dans la vie du (rert”) genre humain, la science pouvant suppléer, pour cette question si Souvént controversée, à l'absence de tout monument, et remonter au-delà de toute époque his- torique. Onsenvarions szrle Bombyx Pityocampa de Godar! (genre Gastropacha d'Ochs); Par M. pe Vizcrers. 2 (Séance du 4 avril 1832.) Tout le monde sait que les chenilles processionnaires da pin vivent dans un nid commun qu’elles placent à l'extrémité des branches du piti sauvage, arbre dont les feuilles leur servent de nourriture, et qu’elles ont les mêmes mœurs que les chenilles processionnaires du chêne; mais peu de personnes ont été à même de les observer quand elles quittent un arbre pour aller en chercher un autre. Elles marchent sur un seul rang, à la suite les unes des autres, en se touchant si exactement par la ète et par la partie postérieure, qu’elles paraïssent au premier coup d'œil former une immense chenille de quinze à vingt pieds de longueur, plus ou moins. On les croit d'abord immobiles ; maïs, en regardant attenti- vement, on voit qu'elles ont toutes ensemble, et à des intervalles de temps égaux , un mouvement progressif et saccadé d'environ une demi ligne. À chaque saccade, toutes les têtes et les parties postérieures font, sans se séparer, un pelit mouvement à droite; alors la colonne avance. Après une petite pause, le même mouvement à gauche et une nouvelle saccade portent la colonne en avant. C’est ainsi qu’elles cheminent, traversant dans leur passage, sans se désunir, les mousses, les buissons; et, lorsqu'elles ne peuvent les franchir, tournant autour de l'obstacle qu’on place sur leur route. Une chose assez ( ta remarquable, c’est que si on touche avec la main ou avec un bâton la chenille qui est la première de la file, elle se contracte en s’agitant vivement, comme si elle crai- gnait d’être piquée par un Ichneumon ; et la dernière de la file, y en eüt-il six cents , fait au même instant, ainsi que toutes celles qui la précèdent, les mêmes mouve- mens, comme frappée de l’étincelle électrique. L'insecte parfait qui provient de cette chenille pré- sente une singularité tellement étonnante que, lorsque je m'en aperçus la première fois, je crus que c'était un Jeu de la nature; mais quelle fut ma surprise, en exa- minant plusieurs individus, de les voir tous conformés de la même manière! Le B. Pityocampe possède à la place de la trompe, entre les palpes qui sont extrème- ment courts, une pièce écailleuse, d’un brun noir, ayant cinq dentelures ou entailles profondes, et visibles à l'œil nu. Par la dissection que j'ai faite de cette partie sur des individus secs, jé n’ai pas trouvé que cette pièce laissàt une ouverture qui communiquàt à l’intérieur ; mais je le crois. IL serait curieux de connaître à quoi sert cet appareil dont le Bombyx processionnaire du chêne, qui a les mêmes habitudes, est privé. Cette espèce de scie servirait-elle à ce Lépidoptère pour entamer l'écorce des branches sur lesquelles il doit pondre ses œufs? Cette hypothèse serait probable si le mâle n’offrait pas la même conformation dans la bouche que la femelle. Celle-ci a seulement de plus que lui à l'abdomen une plaque écailleuse, noïirâtre, recouverte par des poils gris et soyeux. Des observations réitérées pourront peut-être un jour faire découvrir le but pour lequel la nature, qui ne fait rien en vain, a doué ce Lépidoptère d’une telle conformation : il me suflit pour le moment de fixer l’attention des observateurs sur ce fait assez curieux, nt) Suite des Considérations générales sur la Domes- tication des Animaux ; Par M. Dureau DE La MaAzze. L'ane, Æquus asinus, Linné. Cet animal, moins utile que le cheval, qui a recu de l’homme des soins moins assidus, et, par une con- séquence nécessaire, un moins grand développement de ses facultés physiques et intellectuelles, peut ce- pendant offrir dans son histoire ancienne et moderne quelques faits neufs et intéressans qu’il sera utile de comparer, de rapprocher entre eux pour éclaircir quel- ques points douteux, sur les progrès de sa domestication et sur le pays dont il tire son origine. La patrie de l'âne une fois bien reconnue (et nous espérons la déterminer de la manière la plus positive), nous mettra à même de fixer les contrées d’où sont sor- ties nos autres espèces d'animaux domestiques, celles du moins où ils vivaient à l’état sauvage du temps des Grecs et des Romains. Car si leurs récits relativement à la patrie de l’âne sont authentiquement confirmés par les observations des voyageurs modernes les plus dignes de foi, il s’en suit qu’on doit leur accorder confiance lors- qu’ils nous disent avoir vu vivre, sauvages, des animaux que nous ne trouvons plus à présent sur le globe que dans la domesticité. Les livres saints sont les plus anciens écrits qui nous parlent de l’onagre ou de l'âne sauvage. On le trouve xxvir. — Octobre 1832. 8 ( 114) décrit dans le livre de Job (1) « Quis dimisit onagruns « Jiberum et vincula asini silvestris solvit ! Cui assignavi « solitudinem pro domo, et pro habitaculo salsuginem. « Exploratio montium pascuum ejus, et sectatur quid- « quid vivit. Onagri in deserlo sunt », et dans vingt pas- sages des Psaumes, de l'Ecclésiaste ét des Prophètes (2). Les deux passages de Jérémie : «Onager assuetus in soli- « tudine, onagri steterunt in rupibus », désignent claire- ment un animal sauvage. Ce verset de Job (3) : « Tan- « quam pullum onagri se liberum natum putat », n’est pas moins positif. David (4) oppose l’onagre aux ani- maux domestiques. « Potabunt omnes bestiæ agri : ex- « pectabunt onagri in siti suà. » Le livre de l’Ecclésias- tique lève tous les doutes par cette phrase: « Venatio « leonis onager in eremo (5). » Enfin Daniel dit de Nabuchodonosor : « À filiis hominum ejectus est, et « cum onagris erat habitatio ejus ». C’est aussi dans V’'Assyrie, où Daniel place l’äne sauvage, que cet animal a été observé par Xénophon, témoin oculaire et historien digne de foi (6). « Après avoir traversé l’'Euphrate, dans un désert uni comme une mer, et où il ne croissait que de l’ab- synthe et des plantes odorantes, Xénophon, avec des autruches , des outardes et des antélopes dorcas , ren- contre les ânes sauvages en grand nombre. Ces ani- (x) 39, $ 6, 5, zx, 12, 24, 5. Ù (2) Psalm., 103. 11, Eccl. 13-23. Isaia, 32, 14. Jerem., 2-24, 14-6: (3) 1x, 12. (4) Psalm., 103, 11. (5)!13;23; (6) Ezped. Gyri., 1. v, $ 7, x, 2, ed. Winske. (ton) maux, dit-il, plus vites à la course que les chevaux, fuyaient quand on les poursuivait , et s'arrètaient quand ils avaient gagné du terrain. Quand le cavalier se rap- prochait , ils reprenaient la même manœuvre, et on ne pouvait les prendre que lorsque plusieurs cavaliers, pla- cés sur divers points, se succédaient pour les chasser. Leur chair approchait de celle du cerf, mais était plus tendre. Strabon (p. 539) indique la Cappadoce, comme abondant en ânes sauvages, par l’épithète d’ovaypé6oovoc. Xénophon les cite comme éiant sauvages en Arménie, où Cyrus en chassa plusieurs (Cyrop., lib. 11, p. 60, éd. Leunclav.). Il paraît que l’âne était un animal commun aux deux continens ; car Élien (1) décrit la chasse des onagres chez les Maurusiens. Son récit confirme et explique le pas- sage de Xénophon, qui, par lomission d’une circon- stance , celle du défaut d’haleine chez les onagres , pré- sentait quelque difficulté logique. « Les ânes sauvages de la Maurusie sont très vites à la course, et leur premier élan est aussi rapide que le vent ou le vol d’un oiseau ; mais ils se lassent promptement, leurs jambes les abandonnent, l’haleine leur manque; roïdis par la fatigue, ils s'arrêtent et versent de grosses larmes. Les Maures descendent alors de leurs chevaux, leur jettent une courroie autour du col, les attachent cha- cun à un de leurs chevaux, et les emmènent comme un prisonnier de guerre. » Élien ajoute : Jai dit plus haut que les chevaux et les ânes de Lybie étaient petits de taille , mais très vites à la course. Marmol dit anssi avoir vu en Sardaigne de grandes bandes d’ânes sauvages, (x) 1v, 1o, Nat. anim. ( 116 ) mais plus petits que les ânes domestiques. Arrien (De Venatione, cap. 24), et Pollux (Onomastic. , v, 84), reproduisent les mêmes faits. Le premier dé- crit la chasse de l’onagre d'Afrique en témoin oculaire. Je ferai observer, en passant, que ce fait rare de l'existence d’un solipède à l’état sauvage dans deux pays aussi éloignés que la Mauritanie , l’Assyrie et la Perse, tendrait à faire croire que l’âne y a été porté de l’Asie par les colonies mèdes, arméniennes et persanes, que mon savant confrère Saint-Martin croit, d’après l'autorité de Salluste, s’y être établies vers le temps de la guerre de Troie; peut-être aussi y aurait-il été amené par les Ty- riens et les Carthaginois lors de leur établissement en Afrique ? Je ne fais qu'indiquer cette supposition, que les faits suivans rendènt peu probable. Léon l’Africain (x) dit que les onagres qu’on trouve dans les déserts de l'Afrique ou sur leurs limites, ne le cèdent en vitesse qu'aux chevaux de Barbarie; ils sont de couleur grise; à la vue de l’homme ils se mettent à ruer et à braire, se laissent approcher de très près, et alors prennent la fuite. Ils vont par troupes boire et paître ; on les prend avec des piéges. Léon confirme , comme on le voit, le récit de Xénophon. Jusqu'ici nous n'avions qu’une indication vague de cet animal , et nous pourrions mériter le reproche que fait aux anciens M. F. Cuvier (2). « Les anciens, dit-il, parlent bien d’ânes sauvages sous le nom d'onager ; mais, suivant leur usage, ils n'en donnent pas la des- cription , et ne rapportent sur ces animaux que quelques (x) Lib. 1x, p. 752, ed. Elzevir. (a) Dict. des Sc. nat., t. vrIx, p. 470, art. CHEVAL. ( 117) circonstances particulières, peu propres à les faire con- naitre. » | Un poète grec du deuxième siècle de l’ère chrétienne va nous donner de l’onagre une description précise qu’A- ristote, Pline, Élien avaient négligée, sans doute parce que cet animal était trop connu de leur temps pour qu'il fut nécessaire de le désigner autrement que par son nom. C’est une confirmation de ce que j’ai avancé dans la préface de mes recherches sur l’histoire ancienne de nos animaux domestiques et de nos plantes usuelles (1), que nuls auteurs, nuls monumens ne sont à négliger pour fixer la synonymie, éclaircir l’origine et compléter l'histoire de ces êtres qui vivent en société avec nous depuis tant de siècles. L’onagre, dit Oppien (2), léger, vite, rapide, aux bonnes Jambes, a la corne solide et a un beau corps, large, bien proportionné. Il est de couleur argentée, a les oreilles longues, la course très rapide, une ligne noire accom- pagnée des deux côtés de marques blanches ; il vit de fourrages; la terre fertile en herbe le nourrit très bien , mais il est lui-même la pâture des grands animaux féroces. Martial (3) parle de sa beauté. Varron(4), que j'ai déjà cité, avait vu l'âne sauvage en Phrygie et en Lycaonie. Solin (5) dit : « L'Afrique a des onagres ; dans cette espèce un mâle commande à plusieurs femelles. Op- (x) Ann. des Sc. nat., 1829. (2) Cyneget., 1x, 183-190. (3) xr11, 100, Pulcher onager. (&) 11, x, 5. :: (5) Cap. 27. ( 118 ) pien (1) et Isidore (2) confirment ce fait, qui a été ob- servé chez les chevaux redevenus sauvages (3). Isidore parle des ânes sauvages de l'Afrique; Marmol (4) de ceux d'Afrique et de Sardaigne; Buflon (ne, p. 71), sans citer le témoin, dit qu’on en trouve dans les îles de l’Archipel, nommément à Cérigo. C’est dans la haute Assyrie, près de la Corduene, ou pays des Kurdes, qu'Ammien Marcellin (5), qui avait suivi Julien dans son expédition contre les Perses, ren- contre et décrit les ânes sauvages voyageant en troupes innombrables. « xvr kal. Julias, lucis exordii, fumus « vel vis quadam turbinata pulveris apparebat : ut opi- « nari daretur asinorum esse greges agrestium ; Quo- « rum multitudo in illis tractibus est innumera, ide « simul incidens, ut constipatione densà feroces leonum « frustrentur adsultus. » On voit par ce passage très curieux d’un témoin ocu- hire que l’âne vivait en grandes troupes, et à l’état sau- vage, dans le même pays que les écrivains hébreux et Xénophon lui assignent pour demeure; qu’il était, comme le dit l’Ecclésiastique (6) , la proie des ons du désert. On a récemment reconnu , dans la Mésopotamie, l'existence du lion qu’on eroyait un animal propre à l’A- frique, et qui se retrouve jusque dans l'Inde orientale. Les 700 ans écoulés depuis Xénophon jusqu’à Mar- cellin n'avaient pas diminué l’espèce sauvage , et la po- (x) Cyneget., 1x, 192. (2) Lib. x11, cap. 1, origin. (3) Dict. des Sc. nat., VIT, 458. (4) Ed. Granada, 1573, f° 25. (5) xxrv, 6, 5. (6) Loc. cit., p. 114, l’enatio Leonis onager in eremo, Ds ( 119) ! pulation de ces contrées ne s'était pas assez augmentée pour la réduire à l’état domestique. Le récit intéressant d’Ammien indique mème une de ces migrations particulières à cette espèce que Pallas (1) nous a fait connaître. « L’âne sauvage, nommé koulan, passe les saisons froides dans les parties chaudes de la Perse et de l'Inde ; et s'avance en été au nord de l'Oural , où il trouve des pâturages abondans et frais. Il vit en troupes nombreuses. Lorsque ces troupes retournent du nord au midi, elles laissent des traces d’un werste en largeur dans les landes. » Le lion est indiqué par Am- mien dans l’Asie mineure. Olivier, Ker Porter, voya- geurs modernes, disent l'y avoir rencontré. Je rapprocherai encore un autre passage d’Ammien, relativement aux habitudes de l’âne sauvage, de celui de Léon l’Africain, parce que ces deux auteurs avaient ob- servé beaucoup de ces animaux. «On a donné récemment, dit Animien Marcellin (2), le nom d’onagre à une ma- chine qui lance des pierres, parce que les ânes sauvages, asini feri, pressés par les chasseurs, lancent des pierres derrière eux en ruant avec tant de roideur, qu'ils brisent la tête et les os de ceux qui les poursuivent ». Certaine- ment le fait est exagéré; mais l’action de la ruade avait été bien observée , et Léon l’atteste en disant : « Homi- « nem videntes, magnis clamoribus ululanies recal- « citrant ». Ce fait est confirmé par M. Caïlhaud, Voy. à Méroé, 1. 11, p. 109. « Les animaux qui habitent les déserts de Barbar au-dessus de Dongolah, 18° lat. N., » sont l’onagre, le bœuf , le mouton sauvage; comme l’au- (x) T. v, p. 91, 92, Voyag. de 1773 dans les part. mérid. de la Russie ; Dict. des Sc. nat., vx17, 470. (2) xxx1r, 4, 7: ( 120 ) truche, les onagres et les bœufs sauvages, lorsqu'ils sont poursuivis , lancent avec force des pierres avec leurs pieds de derrière. Le mouton se bat, dit-on, contre l'homme. » Luitprand , évèque de Crémone, envoyé en ambas- sade vers Nicéphore Phoras , en 968, prouve que l’âne sauvage était conservé dans des parcs pour les plaisirs de la chasse des empereurs grecs ; ils avaient sans doute imité en cela les rois persans, avec lesquels ils avaient tant de relations, et qui aujourd’hui encore se plaisent à chasser l’onagre comme nos princes en Europe à chasser le cerf, « Nicéphore , dit Luitprand, me fit venir, et me de- manda : « Avez-vous des pares (1), et dans ces parcs « des onagres et d’autres bêtes? » Lui ayant assuré que nous avions des parcs peuplés de bêtes sauvages, excepté des onagres : « Je te mènerai, dit-il, dans mon parc; tu « en admireras l'étendue et les onagres, c’est-à-dire, les « anes sauvages, onagros id est, silvestres asinos, qu'il « renferme.» Des animaux qu’ils nomment des onagres, se montrent à moi, dit Luitprand, mêlés avec des che- vreuils. « Mais, je te demande, comment sont ces ona- « gres’—Comme les ânes’ domestiques de Crémone. La même couleur, la même forme , les mèmes oreilles, la même voix lorsqu'ils se mettent à braire, peu de diffé- rence pour la taille et la vitesse, également agréables aux loups (2). » (1) HepiÉoaics, Perivolia, id est brolia. Voilà l'origine du nom propre du Breuil, si commun en France. (2) Color idem, forma eadem, aurit itidem, vocales similiter, cure rudere incipiunt, magnitudo non dispar, velocitas una, dulces lupis æque. (tar) L'âne ayant été moins soigné que le cheval dans la domesticité , a conservé beaucoup plus de ressemblance avec l’espèce sauvage. On sait d’ailleurs que les Ro- mains (1), pour conserver la pureté de la race, prenaient des onagres pour étalons. Vettius, dit Cicéron, ad Altic., VI, 1, avait des onagres domptés dans son équi- page, ce qui rend vraisemblable qu’en 968 les änes de Crémone différaient peu des ânes sauvages de Phocas. On ne doit regarder que comme des assertions erro- nées les opinions de Chrysostôme , d'Olympiodore et de Polychronius (2), qui disent que l’onagre ne peut être soumis à la domesticité. Mutarriph, dans le Tal- mud (3) dit le contraire. Assaph s’exprime ainsi dans la traduction de Bochart : « Cum mansuescit et saginatur « (asinus ferus) fit ut domesticus. » Les Hébreux avaient remarqué l'ardeur des passions de l’ânesse sauvage dans l’époque de l’accouplement. Jérémie, 11, 24, y fait allusion. Aristote (4) et Pline (5) l’indiquent. Il me reste à parler de l’une des actions de cet animal qui a été mal interprêtée par les anciens qu’on a ac- cusés d'’imposture , mais qui a cependant pour base un fait bien observé. Pline (6) et Solin (7) disent : « L'Afrique a des ânes (x) Varro, 11, 6, 3. Plin., vrrx, 69, 15. (2) Vid. Bochart, Hieroz, p. 871. (3) Zn Avoda Zera, cap. x, fol. 16. Assaph in Damire. (4) Hist. anim., vx, 23. (5) vrix, 68, 7. (6) vrrr, 46. (7) Pag. 37, ed. Salmas. (:œ22:) sauvages en grand nombre. Dans cette espèce chaque mâle possède plusieurs femelles ; il craint des rivaux en amour, et pour cela surveille les ânesses quand elles sont pleines, et châtre avec ses dents les mâles qu'elles ont produit. Au contraire, les ânesses pleines cherchent à se cacher et à mettre bas sans être vues. » Oppien (1) répète le même récit qui tendrait, s’il était constaté, à accorder à l'âne une réflexion et une pré- voyance qu’on croit généralement au-dessus des facultés intellectuelles des animaux. On pourrait croire que l’âne , qui, comme le chat, est très lascif, détruit ses petits pour jouir plutôt de sa fe- melle. Les Arabes, selon Bochart (2), rapportent les mêmes circonstances des onagres, et lé donnent comme un fait extraordinaire, maïs certain. Nous serions en droit de le révoquer en doute jusqu’à ce que des naturalistes instruits et dignes de foi, aïent pu le constater, en observant les habitudes des'onagres. Mais le D. Roulin, qui est resté six ans dans la Colombie, nous à transmis (3) une observation faite sur les ânes vivant en liberté dans les vastes savannes de l’ Amérique méridionale, qui peut fournir une explication plausi- ble des récits exagérés des anciens. « Quand un âne étalon, dit-il, et un cheval entier se trouvent avec quelques jumens dans un pâturage, c’est entre eux une guerre perpétuelle. Malgré l’infériorité de forces, c’est l'âne qui revient le plus souvent à la (x) Cyneget., 111, 197. (2) Hieroz., p. 869, L. 30. (3) Recherches sur les animaux domestiques transportés de l’an- cien dans le nouveau continent (Ann. des Sc. nat., janv. 1829, p. 10). (ixag ) charge ; il ne cherche guère à se défendre contre les morsures du cheval, autrement qu’en écartant la tête et le cou, où celui-ci s'attaque d'ordinaire; il ne répond point à ses ruades par d’autres ruades ; il ne s’applique qu’à une chose, c'est de le saisir aux parties de la géné- ration, et, assez souvent, après plusieurs jours de persé- vérance, il réussit à le préndre au dépourvu, et le chà- tre d'un seul coup de dents. Dans aucune des pro- vinces que j'ai visitées, l’âne n’était revenu à l’état sauvage. » Azara a fait la même observation au Paraguay, où les chevaux redevenus sauvages sont en si grand nombre. Il n'y a jamais vu de troupeaux d’ânes sauvages. Cette circonstance me porterait à croire que l’âne sauvage d’A- frique décrit par les anciens et par Léon l’Africain n’y a point été apporté d'Asie par l'homme , mais qu'il serait peut-être un animal commun aux deux continens. Quant à la couleur de lâne sauvage, Marmol (r) dit qu'il est gris, « son de color pardillos. » Pollux (2) dit : Le gris (zik) est une couleur em- ployée dans les étoffes appelées maintenant ôvaypivor, Car les Doriens nommaient l’onagre #oc. Je ne rapporte qu'avec défiance un passage de Da- mir (3), qui dit : « Les onagres sont de couleurs diffé- rentes ; mais Les noirs ont la vice plus longue, et de plus belles formes.» C’est probablement des ânes domestiques (x) Descripcion general de Africa. En Granada ano 1573. Fol, 24, col. 2. (2) Onomast., Lib. vrr, cap. 13, seg. 56. (3) Cité par Bochart, 117, 16, 870, 30. (124) et non des ànes sauvages que l’écrivain oriental aura voulu parler. La chair de l’âne sauvage et même domestique était regardée comme un mets recherché par les gastronomes romains, qui certes nous ont surpassés dans Îles recher- ches de la gourmandise. Pline (1) dit : « Mécène établit l’usage de manger des ânons , qui de son temps étaient préférés aux onagres. Après sa mort ce mets perdit faveur, l’usage étant venu de manger des onagres de lait. Lalisionum oriente usu, suivant l’excellente correction de Saumaise (2). En effet, Pline (3) dit plus bas : « Pullis eorum, ceu præstantibus: « sapore, Africa gloriatur quos /alisiones appellant. » L’afrique se vante de ses jeunes onagres qu’elle nomme lalisions comme supérieurs pour le goût aux ânons. Avant Mécène on ne mangeait que les onagres adultes. J1 établit l’usage de manger les ânons domestiques. On renchérit sur lui en abandonnant l’ânon pour le lalision ou onagre de lait. Cet usage de chasser aux onagres et de manger leur chair comme de la venaison, existe encore aujourd’hui en Perse. M. de la Jarre, qui a été attaché à l'ambassade du général Gardanne, m’a assuré que Feth- Ali-Châh avait pris deux onagres à la chasse devant lui (1) vins, 68. (2) Les imprimés donnent cette leçon absurde : « Post eum interiit- « autoritas saporis, Asino moriente viso.» Il prouve cette correction judicieuse par deux vers de Martial, très précis : « Lum tener est onager, soläque Lalisio matre « Pascitur, hoc infans sed breve nomen habet. » (3) Cap. 69. Lin., 19. ( 125 ) près de Téhéran , et qu’il avait envoyé à l'ambassade des quartiers d’ânes , comme étant un mets recherché. Olearius , cité par Buffon (1), dit que le roi de Perse tua devant lui, à coups de flèches et de fusil, trente-deux ânes sauvages , et qu'on les envoya à Ispahan, à la cuisine de la cour, les Persans faisant un si grand état de la chair de ces ânes sauvages , qu'ils en ont fait un proverbe. Aïnsi la partie du récit de Xénophon touchant l’usage de la chair de cet animal se trouve confirmée par deux voyageurs modernes dignes de foi. La description qu'Oppien fait‘ de la couleur et des formes de l’onagre, s'accorde aussi avec le témoignage de Pietro della Valle, qui dit avoir vu un âne sauvage à Bassora, que sa figure n’était point différente de celle des ânes domestiques ; il était seulement d’une couleur plus claire (argenté, dit Oppien), et il avait, depuis la tête jusqu'a la queue , une raie de poil brun; il était aussi beaucoup plus vif et plus léger à la course que les ânes ordinaires. L'onagre vivant encore aujourd’hui sauvage dans les déserts de l’Assyrie et de la Perse, il n’est pas étonnant que Pietro della Valle en ait vu un à Bassora. Sa descrip- tion est exacte et mérite toute confiance. Quant aux ânes domestiques, les races d’Arcadie et de Reate étaient recherchées pour ia monte et pour le trait au point qu'à ma connaissance, dit Varron(ir, 1, 15), un âne s’estvendu 60,000 sesterces (12,000 fr.). Plinedit 400,000 (80,000 fr.), et qu’un attelage, pour un quadrige d’äânes (1) T. vx, p. 71, éd. cit. ( 196") de Reate (Rieti près Narni), a coûté à Rome 400,000 sesterces (80,000 fr.). Pline (virr, 69) dit qu’en Celtibé- rie des ànesses ont donné par leurs différentes portées un produit de {00,000 sesterces (80,000 fr.), et Varron (ir, 8, 4), que certains ânes de Reate ont été vendus pour étalons 300,000 et 400,000 sesterces (60,000 et 80,000 fr.). Un âne superbe est figuré sur les monu- mens de Persépolis. (Voy. Ker Porter, travels, t. 1, pl. xzur.) L’onagre a été rencontré par M. Ker Porter sur les limites de l’Irak-Adjemi, l’ancienne Médie, et de la pro- vince de Fars ou Pars,.le royaume primitif de Cyrus, dans de vastes plaines privées de toute espèce de végéta- tion, excepté de maigres saponaires qui croissaient clair- semées çà et là. Les mêmes circonstances de l’äne par- tant comme un trait, puis s’arrêtant et laissant appro- cher le chasseur , puis repartant avec la même vitesse, en ruant, en cabriolant, qui se trouvent consignées dans les récits des anciens, ont été observées et rapportées par M. Ker Porter, t. 1, p. 459. Il ajoute que cet âne n'avait pas la ligne dorsale noire et la croix noire qui existe chez les nôtres. Mais comme son dessin et sa description sem- blent avoir été faits de mémoire, et d’après une vue ra- pide , je me suis adressé à M. de la Jarre pour obtenir des renseignemens plus précis. Voici ses propres ex- pressions : « Je viens de vérifier que l’onagre a été figuré dans le premier volume des Porters Travels in Georgia, Persia, Babylonia, ete. ; Lond,, 1821, in-4°, ainsi que j'avais eu l'honneur de vous l'annoncer. La planche (127) porte le n° xr, et se trouve placée à la page 460. Elle est coloriée ; mais elle l’a été de souvenir seulement, et ce souvenir me semble avoir été tant soit peu infidèle. Aucun des individus de cette espèce que j'ai vus en Perse, à diverses époques de l’année, n'avait le poil aussi rougeâtre qu’on pourrait le croire d’après la figure citée. La couleur générale de l’animal est le gris-cen- dré, mèlé d’une teinte rousse , et se rapproche singu- lièrement de celle qu'a ordinairement en France l’âne domestique. Le ventre est d’un blanc argenté. Une raie brune, fortement prononcée , règne le loug de l’épine dorsale. Cette mème couleur se trouve dans la crinière et dans les crins de l'extrémité de la queue. Les jambes sont zébrées de brun également, Ceite dernière circon- stance et l'indication de la raie dorsale ont été omises dans le dessin de sir Robert Ker Porter. Nos ânes do- mestiques, et même les mulets, ont ordinairement les jambes rayées de bandes brunes. « Je remarque encore, Monsieur, que l’onagre m’a toujours paru plus svelte, moins lourd et plus distingué dans sa forme et ses proportions qu'il ne l’est sur la planche citée. Il à en un mot plus de race, si je puis appliquer à l’âne du désert ce qui ne se dit ordinairement que du cheval. « Sir Robert indique (pag. 459-61) que cet animal ha- bite les déserts de l’Irak-Adjemi et de l’Irak-Arabi ; et il rappelle que M. Mounstuart- Elphiustone, dans son Account of the Kingdom of Cambul , a parlé de cette même espèce comme habitant les déserts situés entre l'Inde et l'Afghanistan ou la province de Caboul. « Le texte de l'ouvrage de M. Elphiustone, dont j'ai un G 1981) exemplaire sous les yeux , porte : « ild bears abound in Persia and India, but are rare in Caubul ; arid the wild ass appears to be confined to the Dooraunee coun- try , the Gurmseer, and the sandy country south of Candahar (pag. 141). » Et plus loin (pag. 396) : « The wild animals of the Dooraunee country are wolves, hyænas, jackalls, foxes, hares, and many kinds of deer aud antelope. In the hills there are bears and leo- pards, and in the Gurmseer (on the Helmund) are many wild boars and gorekhurs or wild asses. » « Sir Robert écrit ce dernier nom goorkhur d’après M. Elphiustone , quoique le texte de celui-ci porte gore- khur; et il ajoute qu'en Perse on appelle simplement gour l’âne sauvage. Je crois qu’il se trompe à cet égard , et que j'ai toujours entendu les Persans se servir du mot gourkhar, qui se rapproche beaucoup du mot gore- Kkhur qu l’on trouve dans l'ouvrage cité de M. Elphius- tone , ou plutôt qui est le mème , à une légère différence près de prononciation. « Cet animal , aux environs de Téhéran, habite en troupe des déserts saléset s’y nourrit de plantes également salées (1). Sa chair est noire et fort bonne à manger. Il est extrêmement vite à la course , et il f«ut d’excellens chevaux pour le forcer. Cette chasse est un des plaisirs auxquels le roi de Perse actuel , Feth-Ali-Chäh, se livre avec ardeur. « Je désire beaucoup , Monsieur, que ces détails puis- sent vous être utiles, et Je regrette vivement que des (x) Ce trait caractéristique avait été saisi par Job, comme je l’ai dit plus haut. (129) occupations impérieuses me privent du plaisir d'aller vous les porter moi-même. » Je finirai ce mémoire par quelques détails sur le zèbre, tirés des anciens, et j'espère que si cette digression fournit quelques faits nouveaux ou peu connus, on me pardonnera de m'être écarté un moment de la société de nos animaux domestiques dans les limites de laquelle je m'étais renfermé. M. le baron Cuvier avait conjecturé (1) que l’hippo- tigre tué par Caracalla dans le cirque, et dont Dion Cassius ne nous a transmis que le nom (2), était le zèbre, qui ne vient cependant que des parties orien- tales et méridionales de l'Afrique. Une description exacte de cet animal par les anciens était nécessaire pour le faire reconnaître avec certitude, Nous la trouvons dans Philostorge (3), écrivain ecclésiastique du qua- trième siècle de l'ère chrétienne. Il nous dit, en traitant des régions de l’est et du sud de lAfrique : « Cette con- trée produit des onagres d’une grande taille et dont le pelage est admirablement varié par l’alternance du blanc et du noir. Ces animaux sont rayés de bandes qui s’é- tendent depuis l’épine dorsale le long des flancs jusqu’au ventre. Elles sont séparées , et forment entre elles cer- tains cercles qui présentent un entrelacement et une bigarrure tout-à-fait rares et extraordinaires. » La traduction est littérale et fidèle. (x) Révol. du Globe, p- 76, 5° éd., in-80, 1828; Conf. Gisb. Cuperi de Æleph. in rummis obviis ex. 11, cap. vit. (2) L. zxxvir, 6, ed. Reimar. (3) Lib. xxx, cap. 1. XAVIL ( 130 ) Bochart (1), qui était mauvais naturaliste, s’est trompé , comme il lui arrive quelquefois, en prenant pour un âne sauvage l’onagre-zèbre si bien décrit par Philostorge. Bruce (2) dit que le zèbre habite le Fazuclo et le Naréa, provinces du midi de l'Abyssinie. Cette dernière est placée par d’Anville à 5° de latitude nord. M. Caillaud , qui s’est avancé jusqu’au r0° degré de latitude, le long du fleuve Blanc, qu’on croit être le véritable Nil, n’a point vu de zèbres dans cette partie de l'Afrique. Il n’est pas inutile de faire remarquer que les Ro- mains n'ayant jamais fait la circumnavigation de l’A- frique, le fait seul de la présentation dans le cirque de Rome du zèbre, l’an 120 de J.-C. , et de sa description exacte par un Grec vivant à Constantinople au quatrième siècle, confirme l’opinion que j'avais émise en 1807 (3) « que les anciens entretenaient un commerce très actif avec l'intérieur de l'Afrique pour en tirer l'or, les aro- mates , l’ivoire , l’ébène et les animaux rares dont ils faisaient une si grande consommation dans leurs sacri- fices , et un si pompeux étalage dans leurs fêtes et leurs jeux publics , et qu’enfin ils avaient une connaïssance de l'intérieur de ce grand continent bien plus étendue que nous, qui n’en avons, pour ainsi dire, exploré que les côtes. » C’est encore un fait singulier, mais certain , que la (x) Hieroz, p. 869. (2) Poyag. aux sources du Nil, t. v, p: 104, trad. fr. (3) Géogr. phys. de l'intérieur de l'Afrique, p. 76, 85 et suiv. CA ) co-existence de l’âne sauvage dans deux continens daffé- rens et dans des parties aussi éloignées que la Perse et la Mauritanie ; tandis que le zèbre, animal du même genre, n’a pas dépassé les 10 degrés de latitude nord , et que le couagga, autre espèce du genre equus, ne se trouve qu'au midi de la péninsule africaine. Le zèbre produit avec l’âne et le cheval. Le mulet de zèbre et d'âne a été obtenu au Jardin du Roï , et y vivait en 1817. La zèbre a avorté à huit mois d’un mulet qu’elle avait conçu avec un cheval. Ainsi on peut croire que presque toutes les espèces de ce genre peuvent pro- duire en se mêlant. CONCLUSIONS. Je crois avoir prouvé dans le cours de ce mémoire : 1° Que tous nos animaux domestiques existaient chez les anciens à l’état sauvage; 2° Que même, dans le genre du cheval , la domesti- cation a fait des progrès faciles à apprécier pendant les 1700 ans écoulés depuis le siècle de Pline jusqu'au 19°; 3° Que l’hémionus ou dziggtai ( equus hemionus ) était connu des Grecs, et avait été domestiqué par eux dans plusieurs provinces de l'Asie; 4° Que l’allure du pas relevé a été donnée au cheval dans l’espace de temps compris entre les Romains et notre époque , et que cette faculté physique se transmet par la génération ; 5° Que les descriptions et les monumens permettent de reconnaître chez les anciens quatre races distinctes de chevaux de course , de guerre et de tañt : l’africaine , (T9 ) l'apulienne , la thessalienne et la sicilienne. Ce fait n'avait pas encore été remarqué; 6° Que l’âne sauvage ou onagre était commun à l'Asie intérieure et à l’occident de l'Afrique, et que les descriptions données par les anciens constatent l'identité ” de l’espèce avec celle qu'on vient de retrouver sauvage en Perse; 7° Enfin, que le zèbre, nommé seulement par Dion hippotigre, est décrit si exactement par Philostorge, que sur ce seul témoignage on ne peut se refuser à admettre qu’il était bien connu des anciens , et que ces peuples, au deuxième et au quatrième siècle, avaient des relations suivies avec les contrées de l'Afrique mé- ridionale, patrie de cet animal remarquable. Métis de l'âne et de la jument, du cheval et de l'änesse, mulus, mulet, 6peos, bardeau , tsvoc, hinnus, yisvos; hinnulus, Plin. Mules de mulet et de jument. _ La première mention du mulet se trouve dans les psaumes de David (1) et dans Homère (2) ; il n’en est - pas fait mention dans le Pentateuque (3). Il est donc probable que c’est dans l'intervalle compris entre le siècle de Moïse et celui de David qu'on aura permis le croisement de l’âne avec la jument et domestiqué leurs produits. D'ailleurs une loi du Lévitique (x1ix , 19) dé- (1) XXXIL, 9. (2) Il, x, 6o, 24, 716 et passim. (3) Voyez Bochart (Hieroz, 11, 20). (1233) fendait expressément ces croisemens d'espèces : « Ju- mentum tuum non admittes animalibus heteroge- neis. » Dès le dixième siècle avant J,-C., on s'en servait pour la monture (1), pour la somme (2) et pour l’atte- lage » Geuyita (3). Du temps de la guerre de Troie, on ne s’en servait encore que pour le trait, et la cavalerie étant alors in- connue ou du moins inusitée dans les combats, il æt peu étonnant qu'on ne se soit pas servi du mulet pour monture. Les écrivains hébreux postérieurs font tous mention du mulet. Ézéchiel (4) dit: « C’est de Thogarma qu'on amène dans tes marchés , Ô Tyr, les chevaux et les mu- lets. » Thogarma, selon Bochart (b), est le pays des Trocmes dans la Gallo-Grèce, et non la Scythie, comme on l’a cru généralement. Il se fonde sur ce qu'Hérodote (6), Aristote (7), Strabon (8), Antigo- nus (9) assurent qu'en Scythie, la rigueur du froid empèche d'y avoir des ânes et des mulets; mais ces té- moignages négatifs sont combattus par les assertions positives de Pindare (10), de Callimaque (11) et d’An- (1) Reg, 11, 13, 20, 18, 09; zur, 1, 33, 38, 44. (2) Paralip., 1, 12, 4o. (3) Septuaginta. Esdr., zxv1, 20. (4) xxvrx , 14. (5) 11, 19, p. 230, Hieroz. (6) 1v, 28. (7) xx, 8. (8) P. 307, ed. Casaub. (9) Mirab., cap. 13. (10) 17, Pyth,, x, 313. (x1) Del., 280. (134) toninus Liberalis (1), qui nous parlent des hécatombes d’ânes chez les Hyperboréens ; d’Apollodore et d’Ar- nobe (2) qui les mentionnent chez les Scythes : « 4b Scythis asinos immolari. » Quelque vague que soit la position des Hyperboréens, on sait pourtant que c'était uve contrée froide située au nord de la Grèce, et on voit que l’âne et le mulet, qui vivent maintenant dans la Norwège et la Suède, suppor- taient déjà un climat assez froid, dans le cinquième siècle avant J.-C. Le mulet, dit ingénieusement Démocrite, cité par Élien (3), est un produit non de la nature, mais de l'audace et de l’industrie humaine , et, pour ainsi dire, wn ménsonge et un vol commis par l’adultère. Le mulet proprement dit, produit de l’âne et de la jument, est infécond , du moins pour perpétuer sa race par des générations successives. J'ai prouvé que l’Aemio- nus de Cappadoce, qui avait cette faculié , avait été pris à tort pour le mulet, il est réellement le dziggtai de Si- bérie, equus hemionus des naturalistes modernes. Ce caractère sufht seu! pour empêcher de confondre l’Ae- mionus et le mulet. La mule, à la vérité, produit dans les climats chauds , et porte douze mois , comme la jurnent. Var- ron (4) et Columelle (5) citent Magon, agronome car thaginois, en preuve que la fécondité de la mule , re- (1) Fab., 20. (2) Lib. 1v. (3) Nat. anim., x11. (4) 11, x, 27. (Nr 105 0. (ph ) gardée en Grèce (1) et en Italie (2) comme un prodige, était un événement ordinaire en Afrique. Mais les métis sortis d’une mule ne produisent plus quand on les accouple ensemble. Ainsi cette race métive ne peut se régénérer que par les espèces primitives qui lui ont donné naissance (3). Les Romains avaient trois sortes de mulets : l’un de l'âne et de la jument, l’autre de l’ânesse et du cheval, le troisième de l’onagre et de la jument. Columelle, qui cite (4) ces trois produits , ajoute que le mulet, fils de l’onagre , reste sauvage , difficile à dompter et maigre comme son père ; que l'étalon de cette espèce est plus utile dans la seconde génération que dans la première ; « car, dit-il, quand on donne pour étalon à une jument le fils d’une ânesse et d’un onagre, le naturel s’adoucit par degrés , et le produit de cette union réunit la beauté des formes et la douceur du père au courage et à la vi- tesse de son aïeul (5). » Je citerai un fait très curieux sur l'influence du mâle dans la génération qui a été observé et constaté récem- (x) Hérodote, nr, 153. (2) Plin., vrix, 69. Varro, loc. cit. (3) Pline (vrrx, 69) a consigné ce fait : « Observatum e duobus « diversis generibus nata, tertii generis fieri et neutris parentum « esse similia : eaque ipsa, quæ sunt ita nata, non gignere, in omni « animalium genere : id circo mulas non parere. » ST ETAT RU (5) Pline, 11, 69, répète ou a copié cette assertion. On voit par un passage de Pétrone (Satyric., p. 144, trad. franc., éd. in-12 , 1756), que l’onagre était préféré à l’âne pour la production des mulets ; car, il dit de Trimalchion : « Nam mulam quidem nullam habet quæ «non ex Onagro nata sit. » ( 136 ) ment en Angleterre. Un couagga mâle fut accouplé avec une jument sortie d’un étalon arabe , mais au sixième degré. La jument proûuisit un métis presque entière- ment semblable à son père. La même jument fut ensuite unie deux fois dans l’espace de trois ans avec un cheval anglais. Elle donna encore d’abord un métis plus rap- proché du couagga, son premier mari ; et enfin, la der- nière fois , quoique le couagga en eût été tout-à-fait sé- paré depuis le premier accouplement , le produit fut si ressemblant au couagga, qu'on°ne pouvait plus l’en distinguer. Ces métis ont vécu à Londres ; on en a fait faire des portraits qui sont placés au Collége des Chi- rurgiens à Londres , avec les procès-verbaux qui attestent toutes les circonstances de cette singulière génération. On retrouve encore , dans cette observation précieuse de Columelle, un exemple de l'influence de la domes- ücation et de la transmission de certaines facultés mo- rales par la génération. Des faits de ce 5enre sont d’au- tant plus importans à recueillir chez les anciens , qu’il nous est impossible de les reproduire, et qu'on cher- cherait vainement dans l’Europe actuelle un âne sau- vage pour lunir à nos ànesses et à nos jumens. « Le produit du cheval et de l’ânesse, quoiqu'il ait tiré son nom de son père, puisqu'on l’appelie hinnus (1), res- semble beaucoup à la mère, dans toutes ses parties. » Ce fait curieux rapporté par Columelle (2) confirme les observations positives des naturalistes modernes qui éta- blissent cette anomalie singulière que, tandis que dans les (x) lwcc, en grec, signifie aussi un jeune cheval, un poulain. (2) Loc. cit. (137 ) races primitives, surtout dans les animaux domestiques, l'influence du mâle prédomine dans la génération (1), au contraire, dans les métis , la femelle influe davan- tage (2). Dans l'espèce humaine, par exemple, le mu- tre , produit du blanc et de la négresse , tient plus de la mère que du père, et il en est de même pour les autres métis humains. Un autre fait assez curieux touchant les progrès de la domestication se trouve dans Varron (3), Colu- melle (4), Pline (5), qui traitent de la production des mulets. « Il faut, disent-ils, que l’ânon destiné pour être étalon, soit soustrait à sa mère sitôt qu’elle a mis bas, et soit placé sous une jument à son insu. On la trompe très bien en la tenant dans l'obscurité, car son fruit propre lui ayant été dérobé à la faveur des téné- bres, l’âron substitué dont j'ai parlé est nourri par elle comme si elle lui avait donné la naissance. Au bout de dix jours , la jument, qui s’est habituée à son nourris- son , le laisse téter toutes les fois qu'il le désire. De cette manière l’âne choisi pour étalon apprend à aimer les jumens. Souvent même, quoiqu'il tette encore sa mère, il faut l'introduire dans la société des cavales, pour qu’il se familiarise avec elles et qu’il apprenne, dès l’âge Je plus tendre, à désirer leur approche, maïs ce n'est qu'entre trois et dix ans qu’il convient de l’employer comme producteur. » (x) Voyez Buffon, t. vr, p. 23. (2) Dict. des Sc. nat., t, vaux. (S)11T; 84 (4) vx, 37, 8. (5) vaux, 69. ( 138 ) L'auteur décrit ensuite l’accouplement , qui doit se faire dans un lieu étroit, fermé , obscur, avec une ju- ment attachée, liée, qui a déjà porté, et dont les désirs ont été d'avance irrités par un âne commun qui les éveille sans les satisfaire. Les mêmes procédés , dit Varron (1), sont nécessaires pour obtenir des bardeaux, hinnos, d'un cheval et d’une ànesse. On sait que ces mélanges d'espèces n’ont lieu qu'entre les animaux domestiques du même genre ; ou entre des animaux dont un sexe au moins est dans l’état de do- mesticité (2) : le cheval et le zèbre, le zèbre et l'âne, le mouton et la chèvre , le bison et la vache , le sanglier et la truie , le chien et la louve , dans les mammifères ; dans les oiseaux, le serin de Canarie avec les linottes, les bruants, les chardonnerets ; le faisan commun avec les faisans dorés et argentés; l’oie et le canard domes- tiques avec les diverses espèces d’oies et de canards étran- gers, s’accouplent ensemble et donnent des produits plus ou moins féconds. Les animaux sauvages d'espèces diflérentes ne s’accouplent pas entre eux (3). On voit donc que, chez les anciens , la domestication et l'espèce (x) 17, 8, 6. (2) Diet. des Sc. nat., art. Mulets de M. Desmarets. (3) Les faits rapportés par M. Rafinesque (Ann. des Sc. phys. de Bruxelles, t. vix), d’une chatte fécondée dans le Kentucky par le didelphe de Virginie, et d’un raton femelle (procion lotor) qui aurait fait des petits avec un renard rouge, à queue noire, sont encore très douteux, de même que l'existence du jumard, et peuvent être ran- gés, jusqu’à présent, au nombre des assertions souvent répétées , mais jamais constatées. x à 4 ( 139) de dépravation qui en est la conséquence n’avaient pas fait dans les mœurs de l’âne et du cheval autant de pro- grès qu'à l’époque actuelle, puisqu'on était alors forcé de tromper la nature pour en obtenir des accouplemens hétérogènes qui ont lieu maintenant ehez nous entre les diflérens sexes des ânes et des chevaux , sans qu'on ait besoin d’avoir recours au moindre artifice. On trouve avantageux , dit Columelle (Z. c.), de faire nourrir le jeune mulet par une vache. Il à insisté plus haut (1)sur l’âge , les formes et les qualités de l'âne et de la jument destinés à produire une belle race de mulets. Les ânes d’Arcadie et de Béotie étaient extrèmement recherchés pour la monte et pour le trait. Je ne dois pas oublier de citer un exemple de longé- vité remarquable dans cette espèce. Aristote a rappor- té (2) l’histoire, confirmée par plusieurs auteurs après lui (3), d'un mulet qui avait vécu à Athènes jusqu'à quatre-vingts ans, et auquel, dans sa vieillesse , on ac- corda , par un décret, l'honneur d’être nourri aux frais de l'État, en récompense des bons services qu'il avait rendus lors de la construction du Parthénon, sous l'administration de Périclès. Quant à l’infécondité du mulet, MM. Prévost et Dumas, qui ont répété avec soin les expériences de Leuwenhœck et de Bonnet, sur la liqueur spermatique des animaux, se sont assurés que le liquide contenu dans les testicules des mulets ne présente , au moins (x) v1, 36, x. Varro, 11, 8, 3. (2) Hist. anim., vx, 24. (3) Plin., vrir, 69. Elem. nat. anim., vx, 49; et Plutarque (De solertia anim., etc.), t. Xu11, p. 970. Ed. Reiïsk. Crfo) dans notre pays , aucun des animalcules dont la présence semble indispensable pour que la fécondation puisse avoir lieu. Le manque d'animaux spermatiques existe aussi chez les étalons et les hommes que l’âge met hors d’état de procréer, selon MM. Prévost et Dumas. Bonnet avait déjà consigné cette observation (1) rela- üvement au mulet. Nous sommes convaincus par le té- moignage positif des anciens , confirmé par les natura- listes modernes , que le mulet et la mule peuvent être féconds dans les pays chauds , même dans l’est et le sud de l'Espagne. Il serait utile que les habiles observateurs que j'ai cités pussent examiner la liqueur spermatique des mulets producteurs de ce pays. On en pourrait dé- duire des conclusions plus positives sur l'influence de la chaleur ou des animaux spermatiques sur la fécondation dans cette espèce. Les Grecs possédaient des mulets très vites et dispu- taient avec eux le prix de la course des chars aux jeux olympiques. Simonide (2), Pindare (3), Héraclite et Aristote en font mention, et réfutent, par l’époque seule de leur existence, l’assertion de Pausanias (4), qui conteste l’ancienneté de cet usage dans les jeux olympiques. (x) Contemplat. de la nat., part. vix, chap. 12. (a) Cité par Héraclite, Zn rhegin. politia, et par Aristote, Rhetor., III, 2. (3) OL, v et vr. (4) Eliac., 1, p. 155, lin. 39, ed. Xilandr. (141) Le BarpEau, iv0:, Gr., Hinnus, Lat. Ce métis du cheval et de l’ânesse était connu des Grecs et des Romains. Aristote (1) en fait mention sous le nom d’#»05. Varron le décrit très bien, en disant : «€ L’hinnus, produit du cheval et de l’änesse, est plus petit que le mulet, ordinairement plus roux; il a les oreilles du cheval, la crinière et la queue de l’âne (2). » Il a dit plus haut (3): Ex equé et asino fit mulus : contrà ex equo et asinä hinnus. Pline (4) et Columel- le (5) reproduisent la même définition du Berdeau, hinnus. Le premier ajoute : « Le cheval et l’ânesse pro- duisent aussi un mulet, mais d’une paresse excessive et indomptable, Tout est lent chez eux , comme chez les vieillards. » Ces métis furent ensuite nommés burdos, burrichos. Xsidore (6) le dit positivement : Burdo ex equo et asind. Végèce (7), St.-Jérôme (8) les appellent burrichos, nom que Saumaise (9), contredit à tort par Reinesius (10), dérive de rèppoue, rougeàtre, et dont l'étymologie est confirmée par la description de Varron, rubicondior quam mulus. C’est l’origine des noms fran- (}zx;:6: (2) 11, 8, 6. GENS, r. (4) var, 69. (5) vr, 37,5. (6) Origin., xx, r. (7) Mulomed., 1v, 2, 2. (8) Epist. ad Psammach., 26. (9) Ad Vopisc., Carin. (1x0) Ad Petronü, cap. 45. (142) çais de bardeau et de bourrique. Les désignations des anciens s'accordent avec le portrait que les naturalistes modernes nous donnent de ce métis (1). Le bardeau (hinnus des anciens), de la taille de l’âne et souvent moins grand, a la tête plus longue et plus mince à pro- portion, les oreilles un peu plus courtes, les jambes plus fournies , la queue moins garnie que celle du che- val. Il est toujours plus petit que le mulet, a l’encolure plus mince, l’épine plus saillante en forme de dos de carpe; la croupe plus tranchante et plus avalée. L'infériorité de forces et de services qui distingue le bardeau du mulet en ont fait négliger la production, et ilest assez rare aujourd’hui de le trouver employé aux besoins de la société avec nos animaux domestiques. Le Tirvos d’'Aristote, Parvus mulus de Pline. Je terminerai cette partie de l’histoire ancienne du genre equus par la description de ce métis du second degré que les naturalistes modernes n’ont point observé, ni mentionné, et qui ne se produit que dans les climats chauds. Cette variété me fournira en même temps l’occa- sion de fixer la synonymie encore incertaine et obscure des espèces qu’on pourrait confondre, en les trouvant désignées par le mème nom chez divers auteurs grecs et launs. Le yivvos est très bien distingué par Aristote (2), comme Je l'ai fait voir en citant son texte, du cheval, (x) Dict. des Sc. nat., t. XXXIIL, p. 292. (a) Vid., loc. cit., p. 6, supra. (143) de l’âne , de l’hémionus , du mulet enfin et du bardeau. C’est le produit du mulet et de la jument. Je vais tra- duire le passage entier du naturaliste grec (1) qui a été défiguré dans la traduction de Camus : « Le mulet, ‘psc, couvre les femelles et s’accouple quand il a jeté les premières dents à sept ans, et les fé- conde, et il en naît un ginnus lorsqu'il a monté une cavale , {rrov Oewv. Plus tard il ne les couvre plus. On a vu aussi des mules emplies par des mulets, mais sans porter leur fruit à terme. » Pline confirme ce fait de l'existence du ginnus (2) : In pluriun Græcorum est monumentis, cum equ& muli coitu natum quem vocave- rint ginnum , id est, parvum mulum. Plus loin, Aristote dit qu'on nomme aussi vor, ginni, les fils du cheval et de l’ânesse. Lorsque le fruit a soufferc dans la gestation, il les compare aux nains parmi les hommes et aux pourceaux dégénérés dans l'espèce des cochons. Enfin , il cite les mules (3), qu'on nomme en Syrie hemionoi, qui, au contraire des mules proprement dites , coïtent et engendrent sans interruption. Mais, dit-il, cette espèce , quoique ressemblant au mulet, en est réellement différente. On entrevoit déjà facilement quelle confusion ont dû jeter dans la synonymie les noms de #06 et de yuwoc, dont la prononciation ne différait que par une légère as- piration, l'écriture que par une lettre facile à confondre, (x) Hist. anim., vx, 24. (2) vrir, 69. (3) Hist. anim., vx, 24. (144) quoiqu'ils désignent deux métis particuliers, celui du cheval avec l’ânesse et celui du mulet avec la jument. Le mot hémionus, sos, demi-àne, ayant été appliqué depuis Homère, et à l’hémionus ou dziggtai, solipède sui generis , qui tient le milieu entre le cheval et l’âne, et au mulet proprement dit épi, qui est un métis produit de l’âne et de la jument, il s’en est suivi que les poètes et les grammairiens, les lexiques et les glossaires , les commentateurs et les érudits ont perpé- tuellement confondu ces espèces, appliqué à tort leurs descriptions, etenfin horriblementembrouillé la matière. Schneider (1) et Camus (2) étaient aussi tombés dans la même méprise ; mais il était facile de lever toute équi- voque, en comparant les descriptions originales des an- ciens avec les descriptions et les figures que les modernes nous ont données , et j'espère que désormais ce point d'histoire naturelle sera jugé et complètement éclairei. Je citerai encore les noms des métis : de cheval et d’ânesse , burdo ; de jument et d’ène, mulet ; de brebis et de bouc , titirus ; de chèvre et de hélier, musmo; de cochon et sanglier, tbris ; de loup et chienne, {ycisca (C. F. Schneid. ad Varr. re rust., n1, 2, 12). Car l’exis- tence de ces noms propres indique la présence et presque la vulgarité de ces métis du temps des Romaïns, tandis que les peuples modernes n’ont pas un nom particulier qui désigne le produit de la chèvre et du bélier, de la truie et du sanglier, de la chienne et du loup , espèces que nous savons positivement pouvoir s’accoupler et (x) Ad Varr., 11, 8, 1. (2) Anim. d’Arist., trad. franc., v1, 24; et not.;t. 11, p. 530. (145) produire entre elles. Il faut citer textuellement le pas- sage curieux d'Eugenius Tolitanus, Carm. xx, de Ambigenis : « Burdonem sonipes ÿenerat, commixlus aselle , « Hulus ab Arcadicis et equina matre creatur, « Titirus ex ovibus orüur hircoque parente, « Musmonem capra ververo semine gignit « Apris atque sue selosus nascilur Ibris, « At Lupus et Catula formant Coeundo Lyciscam. » Il est à regretter que les anciens ne nous aient pas laissé de descriptions précises de ces diverses hybrides dont quelques-unes ne se montrent chez nous que très rarement. Recnercnes sur les caractères zoologiques du genre Pulex, et sur la multiplicité des espèces qu’il renferme ; Par M. Anr. Ducxs. Il n’est presque aucun recueil de recherches micros- copiques dans lequel on n’ait consacré à la Puce un ou plusieurs articles ; mais préoccupé la plupart du temps de létrangeté de ses formes apparentes, on a peu fait pour les détails précis que réclame la sévérité de la z00- logie moderne. La ténuité des lames cornées qui revèêtent le corps des Puces rend leurs limites difficiles à aperce- voir ; les pièces de leur bouche sont cachées par un cha- peron singulier et par les pattes antérieures , et d’ailleurs ce n'était pas dans ces détails que gisait le merveilleux XXVII. 10 ( 146 ) après lequel couraient les Leeuwenhoek, les Réœsel , les Bonanni et tant d’autres. Ajoutez à ces causes de difficultés les incertitudes où devaient jeter les observa- tions contradictoires des micrographes, à cause de la con- fusion qu’ils ont faite d'espèces fort différentes, et vous serez peu étonné de voir des insectes aussi communs, encore mal connus et classés diversement par les no- menclateurs. Linné, en la classant parmi les Aptères , déclare que la Puce a de l’aflinité avec les Hémipières , et c’est parmi ces insectes que Fabricius l’a effectivement placée. La- marck voudrait au contraire la rapprocher des Diptères. Cuvier l’avait réunie d’abord avec les Poux et les Mites, et ce groupe, adopté par le professeur Duméril, reçut de lui le nom de Rhinaptère pour le distinguer des Aptères à mâchoires ou Gnathaptères, avec lequel Linné les avait confondus. Tout en laissant le genre Pulex près du genre Pediculus , Latreille en a fait un ordre à part sous le nom de Syphonaptères. Nul doute que les Puces ne doivent effectivement constituer un ordre particulier dans la classe des insectes ; mais où faut-il le placer d’après ses aflinités naturelles ? c’est ce qui ne saurait être déterminé que d’après une connaissance exacte de ses parties extérieures , et notamment de sa bouche. Or, jusqu'ici personne, à part Savigny (1), n’en a exactement déterminé les pièces ; lui-même l’a fait d’une manière si succincte , que j'ignore si c’est par conjecture ou d’après une observation précise, et que ses données ont été rejetées par ceux qui ont écrit après (x) Mémoire sur les animaux sans vertèbres, prem. partie, p. 27. CET ) lui (x). Les détails et les figures que nous donnerons ici, d’après l'inspection la plus nette et la plus positive dans ses résultats, nous permettront de résoudre le pro- blème avec certitude. $ I. Description du Puzex irriTANS. Nous avons distingué et observé quatre espèces de ce genre dans le pays que nous habitons, et nous donne- rons plus loin les différences qui distinguent la Puce du chien , celle de la souris et du vespertilion murin, de la Puce de l’homme qui va servir de type à uñe description générale ; nous ne dirons rien du P. penetrans , espèce bien distincte et méritant de faire genre à part, s’il est vrai qu'elle soit pourvue d’une queue fourchue , comme on la lui donne dans les figures bien imparfaites qui en ont été jusqu'ici publiées. La Puce humaine a été figurée en grand par Hooke, dont les dessins ont été copiés par Bonanni et reproduiis dans l’ancienne Encyclopédie. Cette figure est une des plus détaillées et des moins mauvaises , toute imparfaite, toute grossière qu’elle est. Les figures de Leeuwenhoek sont bien loin de donner des détails aussi reconnaissables. Dans celle que nous donnons ici, on peut distinguer nettement les trois régions qui partagent le corps de tous les insectes proprement dits, la tête, le thorax et l'abdomen. A. La tête, comprimée comme tout le corps , et de même couleur que lui, c'est-à-dire d’un brun marron, (x) Voyez; en particulier, Latreille, Cours d'Entomologie, explica- tion des dlanches, p. 23. ( 148 ) est un peu allongée et partagée en deux par une sorte de suture ou de sillon noirâtre transversalement situé ur peu en arrière des yeux. Ceux-ci sont ronds, noirs et lisses. Derrière chacun d’eux est un enfoncement peu profond , mais élargi et terminé inférieurement par une fente recouverte d'une sorte d’opercule triangulaire et immobile. Le tout rappelle assez bien l'orbite, la fosse temporale et le zygoma d’un squelette humain. Dans cette fente et sous cet opercule se trouve caché un petit corps plat qui se relève souvent avec vivacité dans la partie découverte de l’enfoncement. Ce petit corps a été apercu par divers observateurs qui n’en ont reconnu ni la forme , ni la nature, ni la manière dont il se meut, se montre et se cache (1) ; des coupes heureuses, des com- pressions ménagées ou portées jusqu'à l’écrasement, nous ont permis d’endistinguer parfaitement la structure, le mécanisme , et de lui donner son véritable nom, celui d'antenne. C’est une antenne placée, comme celle des Ricins , derrière l’œil et dans une échancrure de la tête; c’est une antenne de trois articles mobiles et dont les inflexions permettent à la totalité de se loger dans un espace plus court que ne semblerait pouvoir le faire l’antenne déployée. Le premier article est court, le deuxième long et épais , armé d’une grosse apophyse et (x) M. Latreille avait observé cet organe, et en avait soupçonné la nature, ainsi que le prouve la phrase suivante : « Oculi duo, mi- « nuti, orbiculati, laterales; pone singulum foveola ovalis, obiiqua, « occupata appendice (antennæ ?) aut lamella parva, ciliato-spinosa, « ad basin brevissime uniarticulata, alternatim et velociter atollenda « et deprimenda. » (Latreïlle, Genera Crustaceorum et Insectorum, t. IV, p. 365. 1809.) (Aupourn.) ( 149) d’un bouquet de poils; le troisième est plat, élargi en palette et divisé en lanières ou digitations de plus en plus courtes d'avant en arrière. Cette découverte devait naturellement faire rejeter la dénomination généralement donnée à deux corps articu- lés qu’on voit à la partie antérieure et inférieure de la tête. Des doutes nous avaient déjà été inspirés par la direction et la position de ces prétendues antennes qui sont pendantes et naissent au voisinage du suçoir. En examinant les choses avec attention , en les dépeçant par divers procédés , nous avons reconnu les détails sui- vans : 1° La partie antérieure de la tête forme un auvent en forme d'arcade étroite ; c’est un chaperon très avancé, très surbaissé , dont le bord libre se continue avec celui de l’opercule déjà mentionné, et circonscrit ainsi toute la bouche. 2° Les deux appendices articulés et bruns, ordinairement et improprement appelés antennes, sont insérés vers la base de deux corps écailleux , élargis en haut, rétrécis en bas ou vers leur sommet qui est libre. Ce sommet n’est pas aussi aigu qu'on le croirait d’abord, il est élargi par une expansion membraneuse très mince. La base est mobilement articulée avec la tête. Ces pièces ne se voient bien dans toute leur largeur que par devant, c’est-à-dire qu'elles sont placées presque transversale- ment, et qu'un de leurs bords protése immédiatement le suçoir. Il ne fallait pas chercher bien loin les analogies pour reconnaître , dans cette écaille, une mächoire ou maxille, et dans son appendice un palpe maxillaire composé de quatre articles dont le deuxième est le plus long ; vient ensuite pour la longueur le dernier qui oïre un léger renflement et une extrémité mousse. ( 190 ‘} 3°. Entre ces maxilles est le suçoir composé, comme, on l’a bien reconnu, d’une gaîne bivalve et articulée, et de trois soies. La détermination de ces pièces ne nous a pas non plus été bien difficile. La gaîne est composée de deux gouttières susceptibles de s’écarter complète- ment, mais ordinairement réunies par leurs bords de manière à constituer un tube coupé en biseau de chaque côté. Ces gouttières sont en partie membraneuses , minces et transparentes ; mais leur convexité est cornée, plus épaisse et formée de quatre articles. Cette compo- sition les caractérise déjà assez pour permettre de leur assigner le nom de palpes labiaux. Ce nom leur est mieux acquis encore quand on considère qu'ils s’insèrent l'un et l’autre sur une pièce basilaire, impaire et atta- chée à la tête derrière le sucoir, pièce mince et transpa- rente aussi ; c’est la lèvre ou du moins le menton. Des trois soies , deux sont latérales et engaînantes, c’est-à- dire munies d’une rainure, minces, transparentes, un peu brunâtres, mais raides, insérées entre les maxilles, plus bas , plus en avant que la soie impaire ; celle-ci, transparente, cylindrique, est peut-être tubuleuse; elle tient à la base de la lèvre ou menton par le moyen d’une pièce cornée , filiforme et brune. Les deux premières sont donc les mandibules et la dernière est la languette. Ces déterminations, justifiées par les connexions, Îes insertions surtout, vont nous servir à comparer la Puce aux autres insectes dont la conformation avoisine la sienne. 1°. Dans les Diptères, le Taon , par exemple, on trouve à la trompe deux maxilles aiguës en forme de soie, engaînantes et palpigères, puis deux mandibules CAE ) en forme de lame, engaînées par les maxilles ; une lame allongée, un labre couvre en dessus cet assemblage que garnit en dessous une languette insérée à la base d’une lèvre ou d'un menton mobile, terminé parun empâtement bilobé et qui représente assez bien deux palpes soudés. Voilà, comme chez la Puce, des mandibules engai- nées ; mais la languette ne l’est pas, et il y a chez le Taon un labre qui n'existe pas chez la Puce, à laquelle manque aussi le prolongement considérable de la lèvre, si l’on refuse de la regarder comme représentée par les palpes labiaux , réunis en gaîne bivalve chez les Pulex, soudés chez le Taon ; ce qui paraît toutefois assez ration- nel (1). Il y a donc beaucoup d’analogie, mais non res- semblance complète entre la bouche des Diptères et celle de la Puce ; mais on sait que tous les Diptères n’ont pas non plus, sous ce rapport, une conformation iden- tique à celle du Taon. Nous avons mème tout récem- ment examiné celle de l’'Hippobosque, et nous avons pu reconnaître, chez ce Diptère , une disposition plus con- forme, à quelques égards , à celle de la Puce, plus difté- rente sous quelques autres rapports (2). La différence (x) On a comparé les palpes labiaux de la Puce à la gaîne des Diptères et Hémiptères; c’est le contraire qu’il nous paraît conve- nable de faire pour arriver à des déterminations justes. (2) 1°. Au-dessus du sucoir s’avance un chaperon écailleux, fixe, allongé et bifide. 2°. Au-dessous de l’excavation qui loge ce suçoir, est une lame concave et large, mince, presque membraneuse, mo- bile, et entraînant avec elle, quand on l’arrache, toutes les pièces suivantes qu’elle supporte par sa base; c’est la pièce basilaire (Straus). 3°. Deux valves latérales, concaves en dedans, en forme de cuiller, plus épaisses à leur bord postérieur, dures, brunes, hérissées de (462) serait bien pius grande entre elle et les Hémiptères . malgré l'opinion de Linné, car nous nous sommes soies raides à leur extrémité, attachées à la pièce basilaire par des membranes, renferment le sucoir proprement dit. Ce ne sont pas, comme on l’a répété souvent, les analogues des valves articulées du bec de la puce, ce sont les maxilles sans trace de palpes. Ces palpes existent, à ce qu’il paraît, chez les Ornithomyes et la Nyctéribie, au témoignage de M. Léon Dufour ; cela complète la ressemblance, fort grande, même chez l’'Hippobosque, entre ces valves et les maxilles de la Puce. 4°. Un filet brunâtre, recourbé en bas ou en arrière, est logé entre ces deux valves, vers leur bord postérieur. Ce filet est le suçoir proprement dit; il est beaucoup plus complexe qu’on ne l’a généralement pensé. M. Latreille le croit formé de deux filets ou soïes très rapprochées. En réalité, il l’est de quatre pièces emboîtées les unes dans les autres. a. La plus centrale est une soie transparente, cylindrique, extrêmement fine et flexible; elle a toute la longueur du sucoir, et m'a paru fixée dans l'élargissement ou derrière l’élar- gissement de la suivante. d. Celle-ci l'enveloppe immédiatement en lui fournissant une gaîne légèrement brunâtre, d’une seule pièce, flexible aussi, et qui s’est courbée en spirale lorsque je l’eus extraite du canal dont je parlerai plus loin. Cette gaïne est fendue en dessus dans toute sa longueur ; sa base, élargie et concaye, s'articule sur une pièce cornée, et qui me semble supportée elle-même par la pièce ba- silaire ; la gaine est le menton avec ses deux palpes soudés plus inti- mement encore que chez le Taon , et la soie centrale est la languette. c. La soie et sa gaîne sont contenues dans un étui corné, brunätre, ouvert au bout libre par un trou, à la base par un élargissement. Cet élargissement s'articule, par ses deux angles, avec deux pièces cornées , allongées et élargies, qui s’enfoncent sous le crâne sur le côté et en dessus des pièces labiales ci-dessus décrites, et répondent évidemment à ces gros tendons cornés qui servent à l'insertion des muscles mandibulaires chez les insectes coléoptères. Nous devons donc regarder ce tuyau comme formé par la soudure des deux man- dibules. d. Enfin, le tout est encore enveloppé d’une gaine fendue dans toute sa longueur, très dilatée à sa base, mince, quoique cornée, (483 7 bien assurés, chez les Cigales, que ce sont les mandi- bules qui engaînent les maxilles et non celles-ci qui enveloppent celles-là. C’est ce qu’on voit aussi très bien dans les figures données par Savigny pour les Punaises et les Nèpes (Loc. cit., pl. 1v). 29, La bouche des Hyménoptères offre encore avec celle de la Puce, des points d'analogie très frappans et complets mème si nous supprimons ce qui concerne les mandibules , ici libres et destinées au broiement. Nous retrouvons, en effet, des maxilles palpigères engaïînant le suçoir, et celui-ci composé d’une languette née du menton plus ou moins près de sa base et engainée encore, quand elle a quelque longueur , par les palpes labiaux creusés en goutlière. Une différence qu’il faut pourtant signaler , c’est la mollesse de la languette chez les Hy- ménoptères, sa rigidité chez la Puce ; aussi appartient- elle aux insectes suceurs , et les premiers sont-ils placés parmi les broyeurs, mais sur la limite et comme entre les deux groupes. Telles sont les raisons qui , dans nos lecons de zoolo- et qui me parait être le labre, mais un labre engainant. Sa position, en dessus, son insertion moins enfoncée sous le crâne, et seulement vers la base du chaperon, l’analogie avec le labre du Taon, autorisent cette conjecture. Nous avons donc là, avec la Puce, cette ressemblance que la lan- guette est engaînée par les mandibules, et celles-ci par les maxilles en forme de valves ; les différences sont que la lèvre et ses palpes sont soudés et 5e prolonsent en gaïîne entre les mandibules même, au lieu de les envelopper, que le lahre existe, ete. Mais cette conformation n'est guère moins différente de celle dn Faon, qui a la languette et la lèvre sous les maxilles et mandibules, et non point entre ces dernières. (154 ) gie, ont motivé le classement de ces insectes dans l’ordre où nous Îles présentons ici, et que justifieront encore quelques-uns des détails subséquens. SOUS-CLASSES. ORDRES. Passant s aux Myriapodes Gnathaptères. ss ne Névroptères. les Forbicines. BROYEURS Orthoptères. ou Coléoptères. P CLASSE DENTIGÈRES. | KRhipiptères. DES Hyménoptères. {l INSECTES. à. / Syphonaptères. | Diptères. SUCEURS ie $ ‘ Lépidoptères, ou 5 s Hémiptères. Passant HAUSTELLES. : s aux Arachnides \ Rhinaptères. par les Acaridiens. B. Thorax. Comparé à l'abdomen, le thorax de la Puce est très grèle et à peine plus fort que la tête, à laquelle il fait suite. Comprimé comme elle, il est composé de trois segmens mobiles à peu près égaux et semblables, formés chacun d’un arceau corné bordé en arrière d’une lame membraneuse, libre , scarieuse et que recouvre une frange de poils peu colorés , rares et fins. À chaque segment s'attache une paire de hanches plates , élargies : les antérieures sont lisses et, comme on sait, dirigées obliquement en avant sous la tête , de sorte que les premières pattes ont l'air d’être suspendues à la bouche et cachent souvent le suçoir et les maxilles entre elles, ne laissant voir que les palpes maxillaires généralement pris pour des antennes. Les trois paires de _ pattes sont inégales en longueur et en force , les posté- rieures emportant de beaucoup sur les précédentes ; (105) l’antérieure mème m'a semblé manquer d’une pièce, le trochanter, qui se trouve aux deux autres. La cuisse, qui vient après , est fort large, plate et hérissée de poils aux antérieures, épaisse et prismatique aux postérieures; c’est elle surtout qui sert à l’énergie du saut, dans cette espèce comme dans les trois suivantes. Vient ensuite, aux trois paires, un petit article subglobuleux qui unit la cuisse à la jambe; à celle-ci succède un tarse de six articles, dont le premier et le dernier sont ici les plus longs; celui-ci est garni d’un double peigne de poils durs , dirigés vers l'extrémité libre , laquelle offre deux grands crochets mobiles et peu courbés. Mais ce qu’il importe le plus de remarquer, c’est une aile rudimen- taire au mésothorax et au métathorax. Irrégulièrement figurées par Hooke, ces parties ont été universellement méconnues , au point que cette nouvelle analogie, si propre à lier le genre Pulex aux insectes aïlés, a été déclarée nulle. La Puce est un Diptère sans aïles, a dit M. Straus (Anat. du Hann., p. 5, 9 et 10). Cela ne se- rait pas impossible, puisque les Nyctéribies en manquent tout-à-fait, que les Mélophages n’en ont que des rudi- mens. Rudimentaires aussi chez la Puce, elles sont d'autant plus difficiles à apercevoir que leur couleur et leur consistance sont les mêmes que celles des pièces écailleuses qui les environnent, que leurs bords, très amincis, glissent sur les pièces voisines en s’y appli- quant de manière à rendre, au premier abord, leur circonscription imperceptible : c’est sous des jours va- riés , et par réflexion, sur l'animal tantôt vivant, tantôt mort , à l'air libre, et mieux encore sous l'eau , qu'il faut examiner ces objets. On voit alors, 1° au - dessus de Ja (1196 } hanche postérieure , dont elle semble d’abord faire par- ue (1), et derrière celle du milieu, une petite plaque irrégulièrement ovalaire, peu ou point mobile isolément, et garnie d’une rangée de poils , elle est attachée au bas du mésothorax, à son bord postérieur ; c'est l’aile anté- rieure. 2° Derrière la hanche postérieure et le méta- thorax, on découvre bien plus aisément une grande plaque arrondie en haut, terminée en bas et en arrière par un angle mousse et libre, échancrée en bas et en avant pour faciliter le jeu de la cuisse, couverte de deux rangs de poils courts; c’est l'aile postérieure. On peut la soulever en totalité avec une épingle fine ; elle ne tient au corps que par son bord antérieur. Un coup d’œil jeté sur notre figure fera voir combien cette aile, par ses dimensions , sa forme et sa direction, ressemble à celles des insectes ailés quand ils sont à l’état de nymphe, quand leurs aïles sont par conséquent rudimentaires. Aussi pourrait-on regarder la métamorphose de la Puce comme n'étant point à son dernier complément (2). Peut- être en trouvera -t-on quelque espèce munie d'ailes véritables, et se rapprochant ainsi davantage des Hy- ménoptères ou des Diptères. Ses métamorphoses la rapprochent des uns et des autres (3) ; sa larve, observée (x) Souvent aussi on la croirait un élargissement du métathorax, dont elle recouvre l’extrémité inférieure. On la distingue mieux chez la puce du chien, dont tontes les pièces cornées sont plus épaisses et plus colorées. (2) Ses yeux, lisses comme ceux de la plupart des Larves, en sont encore une preuve; et il faut mettre au même rang la mobilité des trois segmens du thorax, si souvent soudés chez les insectes parfaits. (3) Pour le classement et les connexions des familles naturelles, on ne tient peut-être pas assez compte de l’état de Larve et de Nymphe; (#87) d’abord par Leeuwenhoek ( Ærcana naturæ , t. 1, p. 35 et 353), puis par bien d’autres , ressemble assez à celle des Tipules. La nymphe , d’après le mème observateur et quelques autres, se rapprocherait de celle des Hy- ménoptères par le relief complet de ses membres. C. Abdomen. Un dernier point qui peut encore motiver un peu la comparaison entre la Puce et les Hyménoptères, c’est l’armure de son abdomen; tout comprimé qu'ilest, il n’en est pas moins évidemment revêtu d’arceaux supérieurs et inférieurs en recouvre- ment et entrelacés par leurs extrémités, comme chez les Guëêpes. Le plus souvent c’est l'extrémité libre des supérieurs qui couvre celle des inférieurs ; le contraire peut avoir lieu sans grandes difficultés, tant ces arceaux sont larges et libres (1). Leur partie postérieure est membraneuse et des poils la recouvrent sur le dos et sous le ventre ; ils semblent partis du milieu de l’arceau et sont effectivement insérés aux limites de leur partie la plus épaisse. $ IT. Pulex canis. C’est évidemment celle qui a été examinée par Roœsel (Insectes. Muscarum atque culicum , tab. 11, 111 et 1v), celle dont il a surtout figuré la tête avec des détails re- tel insecte sans métamorphose ressemble beaucoup à la Larve d’un autre, qui en diffère beaucoup à l’état parfait : tels les Ricins com- parés aux Psoques, les Poux aux Dinnex. (1) Il résulte de cette grande largeur des arceaux, et surtout de leur portion libre, que l'abdomen peut acquérir un volume considé- rable, surtout chez les femelles, sans cesser, en aucun point, d’être recouvert par eux. ( 158 ) connaissables. Cette figure a été probablement imitée dans l’euvrage de M. Duméril (Élém. d'hist. nat.),. De là la différence qu’on peut remarquer entre le trait qu'il en donne et l’esquisse publiée par M. Latreille dans son Cours d’entomologie, cette dernière apparte- nant à l'espèce qui habite sur l’homme. C’est peut-être la même que Bosc a décrite succincte- ment sous le nom de Pulex fasciatus , et à laquelle il donne pour caractère une couleur noire et un rang de soies très noires, très courtes, très serrées sur la partie supérieure du deuxième anneau (Bull. des Sc., n° 44, p- 156). Il l’a trouvée sur la Taupe, le Rat , le Lérot. M. Macquart (Ann. des Sc. nat., avril 1831) a nommé Pulex terrestris une espèce probablement assez voisine de celle-ci, trouvée à terre dans un lieu qu’on pouvait soupçonner avoir servi d'asile à quelque carnassier vermiforme ou à quelque rongeur. Il lui a reconnu les soies ou épines de la tête, mais il attribue un peigne à tous les segmens du corselet et de l'abdomen , caractère que nous n’avons trouvé que chez la Puce de la chauve- souris ; et il dit que les hanches antérieures sont garnies de poils; elles sont lisses chez celle que nous allons décrire. Le chien, le lapin et le chat nous ont tous trois offert la même Puce bien reconnaissable et bien identique : nous avons observé aussi qu’elle s'arrête momentané- ment sur l’homme et le pique avec force , de même que celle de l’homme 5e trouve aussi passagèrement sur le chien; mais celle dont nous parlons en ce moment semble effectivement devoir préférer une fourrure dans laquelle elle puisse voyager et se fixer plus aisément à ( 159 ) l’aide des épines dont elle est garnie. Ces épines, noires, assez longues, pointues et peu courbées, constituent effectivement le caractère le plus essentiel de cette espèce. Il y en a un peigne sur le prothorax seulement; les autres segmens n’ont que des poils comme ceux de l’abdomen. D’autres épines, pointues, courbées et mo- biles, bordent le chaperon dans tout son contour. Ajoutez à cela une couleur d’un brun noir, et vous la distinguerez facilement ,’ avec une loupe ordinaire, du Pulex irritans. Chacun a pu observer que les Puces qu’on trouve parfois en si grande abondance dans les greniers abandonnés aux chats sont petites et noires. Leur tête est plus amincie en avant, leur antenne peu différente de celle de l’espèce précédente , un peu plus grosse et plus courte ; leur suçoir plus gros et plus long. Ce suçoir égale en longueur les palpes maxillaires, tandis qu’il ne dépasse guère le troisième article dans la Puce de l’homme ; aussi la piqüre de la première est-elle ordinairement un peu plus incommode. J'en ai examiné une dans l'opération mème : les trois soies da suçoir, redressées perpendiculairement à la longueur de la tête, avaient pénétré dans la peau , qui rougissait un peu au- tour de la piqüre; les palpes labiaux étaient coudés et pliés en avant, les palpes maxillaires et les mâchoires couchés en arrière aussi bien que les épines du chape- ron; tout le corps était incliné vers la tête et amarré par les six pattes étalées comme autant de grapins au pourtour de l’animal. Je ne sentis de démangeaison qu’au commencement de l’opération ; et après le départ du parasite , je ne pus voir, même avec une forte loupe . , . er . . r qui m'avait servi à observer ce que je viens de dé- ( 160 ) crire, aucune trace de la piqüre , quoiqu'il restt de La rougeur. Les maxilles ont ici un peu plus de longueur et les palpes sont insérés moins près de leur base que chez l'espèce déjà décrite. Quant au reste, il n’existe plus entre elles que des différences légères dans les formes du corps et des membres; leur force est plus grande; l'épaisseur et la dureté des enveloppes notablement plus considérable chez la Puce du chien; mais l'œil, les rudimens d'ailes, etc., sont à peu près semblables en grandeur, en forme et en situation. $ IT. Pulex musculi. Cette Puce est grêle , allongée, d’un brun très clair ou plutôt roussâtre, de la même taille, du reste, à peu près que les précédentes et que la suivante. Toutes les parties de ses tégumens paraissent fort minces et sont fort transparentes; on en ferait l'anatomie sans dissec- tion. La tête est large, courte, triangulaire dans son profil, mais tout aussi comprimée que celle des autres espèces; l'œil est petit, difficile à trouver, rond et noi- râtre; on voit de chaque côté un crochet noir, petit et court vers la partie la plus avancée de la tête; au-dessous de la fossette de l'antenne sont trois pointes mousses, noirâtres, dirigées en arrière et assez longues. L’antenne est noirâtre et présente cette particularité que le pre- mier article est long et le deuxième court; le troisième, peu large, est strié en travers et dentelé sur un de ses bords. Les palpes et toutes les parties de la bouche sont obliquement couchés en arrière ; presque aussi volumig ( 161 ) neuses que dans la Puce du chien et de même forme à peu près. Le prothorax porte, comme chez la Puce du chien, un peigne d’épines noirûtres, fortes et aiguës. Le mésothorax est double en largeur du prothorax, caractère propre à cette espèce. Les ailes rudimentaires postérieures sont moins détachées , moins considérables que chez les trois autres Puces. Les cuisses de la pre- miére paire sont garnies, comme chez l'espèce précé- dente , de poils plus gros , plus durs que chez la Puce de l’homme, rangés sur plusieurs lignes et peu serrés. Les derniers articles des tarses sont larges et courts ; leurs crochets munis chacun à leur base d’un onglet fort et crochu ; tous les articles des tarses portent en arrière une forte brosse de poils raides, et enfin, sur le havt de l'avant dernier segment abdominal, on re- marque deux épines noires et longues entourées de plus courtes , toutes redressées. $ IV. Pulex vespertilionis. J'ai trouvé celle-ci sur le vespertilio murinus. Au premier aspect, elle ressemble fort à la précédente ; comme elle , allongée , molle et pellucide, de couleur également päle. Mais, vue à la loupe, elle s’en distingue par une foule de caractères. La forme de la tête est sur- tout bien différente ; elle est allongée , étroite, courbée, concave en bas; on n’y peut découvrir aucune trace d'œil. Le bout du chaperon offre trois ou quatre épines courtes, mousses, noirâtres , dirigées en bas; mais iln’y en a point sous la fossette de l'antenne; celle-ci est presque toute semblable à celle du Pulex musculi. Les XXVII, JL ( 162 }) palpes maxillaires sont bien plus grèles ; leur premier article est le plus long, au contraire de ce que nous avons vu jusqu'ici. Les palpes labiaux, ainsi que tous les suçoirs dont ils font la gaine, surpassent les maxillaires en grosseur; toutes les parties sont inclinées presque parallèlement à la longueur de la tête. Les mâchoires sont étroites, allongées, élargies à l'extrémité libre. Tous les segmens, tant du corselet que de l'abdomen , portent en dessus un peigne d’épines noires, un peu moins grosses que chez les deux espèces précédentes, mais bien différentes des poils rares et iénus de la Puce humaine. Les tarses ont le dernier article court, mais les crochets simplement renflés à la base comme chez la Puce de l’homme ; ils ont bien moins de longueur que sur celle-ci. Les rudimens d’ailes sont distincts, mais peu considérables et peu saillans. Telles sont les espèces que nous avons observées en détail ; nul doute qu’on ne puisse en trouver un bien plus grand nombre. Nous avons signalé plus haut celles de Bose et de Macquart comme ne se raitachant que d’une manière douteuse à celles qui nous ont occupé. Leeuwenhoek a observé celles des pigeonneaux, et l’on dit aussi que les jeunes hirondelles en sont tourmentées. C’est sur des animaux aussi diflérens qu’on peut espérer de trouver des espèces fort différentes des nôtres. Il ne nous a pas été possible jusqu’à présent de nous les pro- curer ; aussi ne donnons-nous ce travail que comme un essai propre à ouvrir la marche à quelque observateur plus favorablement placé. Ce n’est aussi que provisoi- rement que nous donnerons, en forme de résumé, la caractéristique de l’ordre, du genre et de nos quatre (165 ) espèces , qu'il faudra plus tard distinguer, sans doute, de bien d’autres par des spécialités plus nombreuses. À. Classe des insectes. Animaux articulés, à trois paires de pieds, à an- tennes , etc. B. Ordre des Syphonaptères. Bouche composée d’un suçoir de trois soies (languette et mandibules) engaîné par deux gouttières articulées (palpes labiaux) et soutenu par deux écailles palpigères (maxilles ), métamorphoses à peu près complètes. C. Genre Pulex. Corps comprimé, thorax à trois segmens petits et mobiles, ailes rudimentaires, pattes propres au saut, deux yeux lisses ou nuls, point de queue. D. Espèces. I. Pulex irritans où P. hominis. Couleur marron; œil grand; antennes à deuxième article plus long, troi- sième large et digité; chaperon mutique; segmens du thorax et de l'abdomen sans peigne écailleux. IL. Pulex canis ( P. fasciatus ? Bosc; Pulex terres- tris ? Macquart). Couleur presque noire; œil grand ; antennes à deuxième article plus long, troisième large et digité; chaperon bordé d’épines noires et courbées ; un peigne d'épines noires au prothorax. II. P. musculi. Couleur fauve; œil fort petit; an- (164 ) tennes à deuxième article plus court , troisième oblong, strié et dentelé; trois épines mousses aux angles posté- rieurs du chaperon ; un peigne au prothorax; mésotho- rax double en largeur du prothorax; griffes armées chacune d’un onglet à leur base. IV. P. vespertilionis. Couleur fauve; œil nul ; an- tennes à deuxième article plus court, troisième oblong , strié et dentelé; deux ou trois petites épines mousses à la partie antérieure du chaperon; un peigne sur tous les segmens du thorax et de l'abdomen ; mächoires étroites, élargies au bout; premier article des palpes maxillaires plus long que les autres. EXPLICATION DE LA PLANCHE IV. Fig. 1. La Puce irritante, femelle très grossie, vue de profil, et présentant seulement les trois pattes du même côté. a. La tête. a. Fossette de l’antenne. b. Opercule. c. Chaperon. d. Les deux palpes maxillaires. e. Maxille d’un côté seulement; l’autre est cachée. f. Sucoir enfermé dans sa gaîne articulée. g. Les trois segmens du thorax. k. Leur bord membraneux et cilié. il. Hanche. j. Trochanter. k. Cuisse. L. Pièce intermédiaire à la cuisse et à la jambe. m. Jambe. n,n. Tarse. o. Aile antérieure ou du mésathorax. p- Aile postérieure du métathorax. ( 165 ) g: Arceaux supérieurs des segmens abdominaux. r. Leur portion amincie et couverte par une frange de poils. s. Arceaux inférieurs. t. Portion amincie. Fig. 2. Tête et prothorax de la Puce du chien. Fig. 3. — de la souris, musculi (antenne déployée). Fig. 4. — du Vespertilion murin (antenne à demi cachée). Fig. 5. Antenne tres grossie de la Puce du chien. Bi. 6. — de la Puce de l’homme. Fig. 7. Partie antérieure de la tête aplatie, écrasée, pour faire voir la composition de la bouche, chez la Puce du chien. a. Chaperon. b, b, Maxilles et palpes labiaux. c. Lèvre et palpes labiaux (gaîne bivalve et articulée). d. Langue ou languette (lancette médiane du suçoir). e, e. Mandibules (lancettes latérales ou engaïinantes). Fig. 8. Maxille détachée de la même puce. a. Insertion du palpe maxillaire. b. Expansion membraneuse. Fig. 9. Palpe labial. a. Lèvre. b. Portion articulée. c. Portion membraneuse. Fig. 10. Griffes chez la Puce de la souris. ( 166 ) Rarrort fait à l’Académie des Sciences par M. Duménic, sur un Mémoire de M. Ducros, ayant pour titre : Monographie du genre Co- lombelle. Nous avons été chargés par l'Académie, MM. Geof- froy Saint-Hilaire, Blainville et moi, de lui fairegun rapport sur un Mémoire de M. Duclos, membre de la Société d'histoire naturelle de Paris, dans lequel l’auteur s’est proposé de faire la monographie de toutes les es- pèces d’un genre de mollusques gastéropodes que feu notre confrère M. de Lamarck a établi sous le nom de Colombelle, Déjà M. Daclos a fait hommage à l’Académie de tra- vaux analogues sur les genres Porcelaine et Pourpre, mémoires sur lesquels MM. de Blainville et Latreille ont fait des rapports favorables en applaudissant au zèle et à la sagacité de l’auteur dans la recherche , le rappro- chement et la description des espèces , qu’il a toutes fait figurer avec le plus grand soin. C’est une direction toute particulière dans laquelle M. Duclos semble s'être en- gagé fort heureusement pour les progrès de la science. Livré à une sorte de spécialité de recherches, il ne se contente pas de décrire quelques espèces nouvellement découvertes qu’il est facile de rapporter à un genre déterminé ; il isole un groupe, en rapproche toutes les espèces qu’il a pu se procurer. C’est sur l'examen géné- ral de cet ensemble qu’il établit positivement les carac- tères du genre, les réforme au besoin (ce qui est quel- ( 167 ) quefois nécessaire), et après en avoir exposé l’histoire générale, il décrit et fait scrupuleusement représenter en couleur toutes les espèces d’après les individus qui doivent en faire nécessairement partie. M. de Lamarck, par exemple, avait rapproché sous le nom particulier de Colombelle un certain nombre de coquilles voisines des Mitres et des Volutes , et il les avait caractérisées par la présence d’un renflement ou proé- minence qui se remarque au côté droit ou libre de leur bouche. IL avait rapporté dix-huit espèces à ce genre; mais M. Duclos a reconnu que sept d’entre elles devaient être considérées soit comme des variétés, soit comme appartenant à d’autres genres, parce qu’elles réunissent les caractères assignés par le créateur du genre aux Mitres , aux Turbinelles et aux Pourpres. M. Duclos ne reconnaît donc que onze espèces parmi celles indiquées par M. de Lamarck; mais caractérisant mieux ce genre , yajoutant une autre note constante qui y est toujours inscrite, il y réunit maintenant vingt-six espèces nouvelles qui forment un total de trente-sept; ce caractère consiste dans la présence d’un sillon ou d’un petit canal ascendant , creusé dans la longueur de la co- lumelle, sorte d’empreinte qui dépend probablement de la structure de l'animal, et qui, suivant l’auteur, n’a été observé jusqu'ici dans aucune espèce de coquilles connues. La plupart de ces espèces sont conservées et réunies dans la collection de l’auteur. Elles y sont en grand nombre et dans le meilleur état de conservation et de fraîcheur; elles y ont été mises avec leur description sous les yeux de vos commissaires. Chaque espèce est ( 168 ) distinguée par une ou plusieurs phrases caractéristiques en langue latine. Vient ensuite la synonymie , l’indica- tion des figures précédemment publiées , la représenta- tion par un dessin en couleur, et enfin des détails sur l’histoire de chaque espèce. Quant aux figures, elles sont toutes produites par le : pinceau du célèbre dessinateur naturaliste M. Prêtre ; elles sont toutes de la plus belle exécution et véritable- ment étonnantes par le fini des détails et la perfection du travail. Nous ne devons pas omettre de dire que M. Duclos a inséré dans son Mémoire la description de l'animal qui habite la plus grande espèce rapportée jusqu'ici à ce genre. Ce mollusque provient de la Californie, sa co- quille est munie de son opercule et de son épiderme, deux circonstances qui étaient inconnues pour les autres espèces de ce genre; sa peau est tachetée de couleurs analogues à celles que porte sa coquille. Par la forme de sa trompe et de son pied , il paraîtrait avoir quelques rapports avec l'animal des Buccins, quoique les têtes de ces mollusques offrent des différences très notables. Une autre observation que nous fournit ce Mémoire , ce sont des détails curieux sur la structure de l’épiderme dont la plupart des coquilles sont recouvertes lorsqu'on les retire vivantes du sein des eaux. Cette enveloppe, que l’on méprise et que l’on détruit parce qu'elle salit et masque les teintes de la coquille , est désignée vulgai- rement sous le nom de drap marin. D'après les détails que donne M. Duclos, l'étude plus soignée de cette sorte d'écorce cornée et protectrice pourra peut-être fournir par la suite aux naturalistes de très bons caractères, ( 169 ) C’est en effet une sorte de feutre imperméable dont le mode de sécrétion et de dépôt est diflicile à concevoir, chaque espèce offrant, pour ainsi dire, une texture diverse en fabricant ainsi des tissus d’étoffes solides , à filamens longs ou courts, velus ou ras, comme une sorte de papier-tontisse , avec l'apparence d’un velours, soit écru , soit parfaitement tondu; offrant tantôt des la- melles ou plaques imbriquées , serrées ou écailleuses , égales entre elles, ou présentant des aspérités de tuber- cules réguliers disposés par lignes ondulées , sinueuses, parallèles entre elles ou obliquement croisées et quadril- lées, qui même ne correspondent pas constamment aux saillies calcaires de la coquille. Telles sont les observations contenues dans le Mé- moire que nous avons été chargés d'examiner. Nous de- manderions à l’Académie de l’adopter pour faire partie de la collection des savans étrangers, si le nombre des figures à graver et le soin que les planches exigeront pour correspondre à la beauté des dessins originaux ne devaient pas entraîner dans des frais considérables , et si nous ne présumions que l’auteur a le désir de les publier dans un travail général, dont cette partie ne pourra être détachée sans préjudice pour l’ensemble du travail. Ces conclusions sont adoptées. ( 170 ) De la Relation des Ophites, des Gypses et des Sources salées des Pyrénées, et de l'époque à laquelle remonte leur apparition ; Par M. Durrenoy, Ingénieur des Mines. Le gypse forme dans les Pyrénées de nombreux amas dont la position anomale et la liaison avec des porphires amphiboliques ont constamment attiré l'attention des géologues. M. Palassou, qui a reconnu le premier cette association alors sans exemple, a désigné ces porphires sous le nom d’ophite. Nous leur conserverons cette dénomination spéciale, parce qu’ils appartiennent à un système particulier de soulèvement, et qu'ils ont toujours été accompagnés de circonstances analogues. Les masses d’ophite forment des monticules isolés, arrondis, placés presque toujours au pied de la chaîne des Pyrénées, ou dans les vallées. Cette circonstance tient probablement à la manière dont les ophites se sont fait jour à la surface. En général , ils ne paraissent pas y être arrivés liquides ; ils n’ont point coulé , et proba- blement ils se sont élevés en masse pâteuse, et par des excavations larges , comme la plupart des roches cristal- lines plus anciennes que les basaltes. La relation entre les ophites et les terrains adjacens est presque toujours difficile à observer. Long-temps j'ai hésité sur leur âge réel; cependant j'ai annoncé, il y a déjà plusieurs années, que les ophites avaient été soulevés à une (171) époque plus récente que le dépôt des terrains de craie, parce que j'avais remarqué que les calcaires de la craie étaient fortement relevés par l’ophite. Depuis cette époque j'ai reconnu que les terrains tertiaires les plus modernes, ceux qui sont généralement désignés sous le nom de terrain de transport ancien, sont également disloqués par les ophites , et par conséquent l’âge de ces porphires est maintenant limité entre les terrains ter- tiaires les plus modernes et les terrains que l’on désigne sous le nom d’alluvions anciennes. Les nombreuses masses d’ophite que l'on observe dans toute la partie occidentale des Pyrénées nous font présumer que les porphires se trouvent partout à une petite profondeur et qu'ils forment le fond du sol. C'est au soulèvement de l’ophite que paraissent se rapporter la plus grande partie des dislocations de cette partie de la chaîne. La montagne granitique des Trois-Couronnes, qui est placée au sud-est de Bayonne et à peu de distance de St.-Jean-de-Luz, paraît elle-même avoir été soulevée par l’action de ces porphires; sa direction générale est entièrement diflérente de celle de la chaîne, tandis qu’elle ést au contraire analogue à celle que le soulèvement de l’ophite a imprimé aux terrains secondaires ; la position relative des monticules d’ophite dépendant entièrement de circonstances locales, ne peut pas nous guider pour connaître la direction suivant laquelle ce soulèvement a eu lieu, mais on peut l’apprécier par la direction des couches du terrain , quand toutefois les dislocations n’ont pas été partielles, et n’ont pas donné lieu à des espèces de cratères de soulèvement. Cette direction est à peu près E. 18 à 20 N., la mème que celle indiquée par M. Élie (172) de Beaumont comme étant la direction de la chaîne principale des Alpes, dont la formation est également plus moderne que le dépôt des terrains tertiaires et des terrains de transport ancien. Les gypses de la Catalogne sont aussi placés dans cette direction, de sorte que, malgré qu’on ne voie pas une relation immédiate entre les gypses et les ophites, on les regarde comme appartenant au même système. Enfin les dislocations des terrains tertiaires de ce pays affectent la même direction. On pourrait peut-être croire que les couches de ces terrains sont relevées par les Pyrénées ; la direction des couches est contraire à cette supposition , de plus on voit entre Venasque et, Grass l’action des Pyrénées diminuer peu à peu , de telle sorte que près de cette dernière ville les couches du terrain de craie sont horizontales; tandis qu’à l’est de Graüss, et tout- à-fait en dehors des Pyrénées , le terrain tertiaire qui se trouve dans le prolongement de la ligne des gypses de la Catalogne participe à ce nouveau système de disloca- tion, lequel est presque toujours accompagné de la présence de gypses et de sources salées. L’ophite paraît avoir fait éprouver une altération aux roches qui sont en contact avec ce porphire, ou du moins ces roches présentent dans son voisinage des caractères constans qui n'existent pas dans le reste de la même formation. Ainsi le calcaire, généralement compacte et esquilleux, est cristallin et en partie dolomitique, lors- qu'on s'approche des masses d’ophite; au contact de cette roche ce calcaire est carié. Il est alors composé de deux parties différentes : l’une dure et cristalline empate des parties tendres, terreuses et souvent friables. Ce (173) calcaire caverneux accompagne toujours les masses gyp* seuses, de sorte que, quand bien mème on ne verrait pas la relation entre le gypse et l’ophite, cette roche cariée sufhrait pour l’établir. Les marnes qui alternent avec les couches de calcaire sont ordinairement d’un gris foncé; à la proximité des gypses et de l’ophite, elies sont d’un rouge de vin et maculées de différentes nuances. Ces marnes colorées annoncent presque toujours la présence du gypse, ce- pendant on en observe quelquefois au milieu du terrain calcaire sans qu'il y ait de gypse, mais dans ce cas même, les marnes se trouvent toujours à une petite distance de l’ophite, tandis qu'il n’y a pas d'exemples de ces marnes dans la formation calcaire , lorsqu'il n'existe pas d’ophite dans la contrée. Aux environs de St.-Jean-Pied-de-Port , où l’ophite se montre au jour presqu'à chaque pas, les marnes vineuses sont extrè- mement abondantes. Tantôt elles y sont seules, tantôt accompagnées de gypse; on les a presque toujours regardées comme représentant les marnes irisées; une circonstance qui a rendu cette erreur naturelle, c’est que le grès bigarré existe aussi dans cette localité, de sorle que les marnes rougeûtres et le gypse paraissent, au premier abord , être une dépendance de ces grès. Maïs en étudiant avec soin ce pays, on reconnaît bientôt que les marnes vineuses sont associées au calcaire, lequel est beaucoup plus moderne que le grès bigarré. C’est donc seulement par hasard qu'il y a dans la même loca- lité la réunion du grès bigarré, de marnes rougetres et du gypse , et non parce qu'il existe la moindre relation entre le grès et le gypse. (174) La proximité de l’ophite, qui est toujours annoncée par des variations brusques dans la direction et l’incli- naison des couches, l’est presque toujours aussi par la présence de brèches plus où moins abondantes, dont la nature est en rapport avec le terrain que l’ophite tra- verse. Elles sont le plus ordinairement composées de fragmens de calcaire et du schiste qui l'accompagne; ces brèches se voient quelquefois au contact même de l'ophite et du terrain calcaire, comme aux environs de Bayonne, ainsi que je le décrirai plus tard ; souvent ces brèches existent sans que l’ophite soit arrivé au jour, mais les bouleversemens qui accompagnent ces porphires nous prouvent que l’ophite doit être à une petite distance de la surface. L'ophite est presque constamment accompagné de gypse ; ces deux roches n’alternent pas ensemble, mais elles jouent le même rôle par rapport aux autres ter- rains, c’est-à-dire qu’elles en dérangent les couches; de plus, dans quelques localités (à Marsoulas et Sallies, près St.-Martorry , aux salines d'Anana, près de Vitto- ria), l’ophite et le gypse se pénètrent, ainsi que j'aurai oc- casion de le dire plus bas; de sorte que l’on voit des blocs d’ophite empâtés au milieu du gypse et traversés dans tous les sens par des petits filets gypseux. On pourrait peut-être supposer que ce sont des fragmens d’ophite empâtés dans le gypse; mais quand on visite les lieux, on reconnait que c’est une pénétration des deux roches qui sont évidemment la dépendance l’une de l’autre. Peut-être qu'une cause semblable à celle qui a donné naissance aux dolomies au contact des ophitès a aussi déveveloppé des gypses. Du reste, les ophites et les ( 175 ) gypses sont mélangés de beaucoup de pyrites, et il n’y aurait peut-être rien de trop hasardé à supposer qu'au moment où les ophites se sont introduits dans les ter- rains calcaires , les pyrites aient pu se décomposer et réagir sur le calcaire. Ce serait peut - être aussi à cette double décomposition que serait dû le fer oligiste dissé- miné dans l’ophite, dans le gypse, et qui forme fré- quemment de petits nids dans les calcaires situés dans le voisinage de l'ophite. Le sel gemme se trouve fréquemment avec le gypse et l’ophite; sa présence est révélée par les nombreuses sources salées qui sourdent indifféremment de l’une et l’autre de ces deux roches; quelquefois il arrive lui- mème au jour. Dans tous les cas, il est évidemment le produit des mêmes causes. Les nombreux dépôts de gypse de la Catalogne ne sont que rarement accompagnés d’ophite. Cette cir- constance paraîtrait, au premier abord, contredire ce que nous avons annoncé de la relation qui existe entre les deux roches, el pourrait donner lieu de penser qu'elles ne sont pas intimement liées entre elles. Mais nous avons déjà annoncé que les gypses affectent la même direction que l’ophite; de plus, ces gypses sont exactement les mêmes que ceux qui accompagnent l’ophite ; ils contiennent , comme ces derniers , de nom- breux cristaux de quarz, de pyrite, de fer oligiste, d’arragonite, etc. ; ils sont associés à des sources salées, et surtout ils se comportent de la même manière relati- vement aux terrains environnans , c’est-à-dire qu'on voit qu ils en sont tout-à-fait indépendans, et qu’ils ont été produits après coup. Il ne faut pas confondre ces gypses (176) accidentels avec les gypses qui appartiennent aux ter- rains tertiaires, si abondans dans la partie basse de la Catalogne. Ces derniers sont disposés régulièrement, forment de petites couches qui alternent un grand nombre de fois avec des marnes d’eau douce, et leur position géologique est certaine ; ils correspondent exac- tement aux gypses des environs d'Aix qui appartiennent à la partie supérieure.des terrains tertiaires du bassin de Paris. L’ophite est essentiellement composé d’amphibole et de feldspath ; à l’état cristallin , il présente donc la mème composition que les grunsteins et les siénites. Cependant ses caractères extérieurs sont très différens de cette der- nière roche, ce qui tient à la plus grande abondance de l’amphibole et à la texture du feldspath, qui est grenue au lieu d’être en cristaux lamelleux ; de plus, le feld- spath est beaucoup plus disséminé dans l’ophite que dans la siénite , de sorte que l’on ne distingue bien ces deux minéraux constituans que dans les roches polies, ou dans celles usées par le frottement. Dans la cassure fraiche , l’amphibole frappe beaucoup plus que le feld- spath; il est en cristaux très lamelleux. Quelquefois T'amphibole est tellement dominant qu’on n’aperçoit pas le feldspath ; cependant je n'ai observé que très peu d'échantillons qui ne donnassent pas au chalumeau des réactions annonçant la présence de ce dernier minéral. Dans plusieurs localités l’ophite ne présente pas de lames d’amphibole bien prononcées , on n’y distingue plus le clivage sous l’angle de 124°, si habituel dans ce minéral. On n’y voit plus de feldspath , et les essais au chalumeau n’en dévoilent pas la présence. La roche est (177) alors plutôt granulaire et esquilleuse que lamelleuse. L'ophite du Puy de Puyo à Dax, celui des salines d’Anana, à peu de distance de Vittoria, présentent cette particularité. Il ressemble alors beaucoup plus au py- roxène qu'à l’amphibole; si on compare ces ophites avec la Iherzolite , qui est une roche pyroxénique , il est sou- vent impossible de les distinguer l’une de lPautre. Ce rapprochement de caractères extérieurs entre ces deux roches nous a fait naître l’idée que la lherzolite et l’ophite devaient être regardés comme des porphires de même origine et produits à la même époque. Ce rapprochement, devenu si naturel par le travail récent de M. Gustave Rose sur la réunion de l’amphibole et du pyroxène en une seule espèce, est appuyé sur d’autres considérations. Ainsi la position du calcaire (lac de Lherz, Vicdessos) autour des différens amas de lherzolite nous offre des preuves certaines que cette roche a été introduite dans les terrains postérieurement à leur dépôt. L'existence de brèches composées de fragmens de calcaire réunis par de la Therzolite, prouve qu’en s’in- troduisant dans le terrain, la Iherzolite a eté accompagnée des mêmes dislocations que l’ophite. La seule différence est dans l’âge du terrain soulevé, le terrain en contactavec les roches auxquelles on a donné seules le nom d’ophite étant beaucoup plus moderne que les calcaires à travers lesquels la lherzolite s’est fait jour. Ces derniers sont de iransition , de sorte que l’on n'a pas la preuve certaine dans ces localités que certe roche soit très récente; mais si l’on admet que quelques ophites sont de véritables roches pyroxéniques , ainsi que nous venons de le dire, cette conclusion ne souffrira plus aucun doute. Ce serait, XXVIL 12 ( 178 ) en outre, compliquer très gratuitement la constitution de la chaîne des Pyrénées que de supposer que la Iher- zolite, dont on ne connaît que deux ou trois amas encore peu considérables , ait formé une époque parti- culière de soulèvement, tandis qu'il est tout naturel de la regarder comme une variété d’ophite. La différence qui existe généralement entre ces deux roches tiendrait à une circonstance tout-à-fait locale , peut-être au mode de refroidissement. Les ophites contiennent une assez grande variété de minéraux , soit en petits filons , soit disséminés dans la masse même de la roche. Les principaux sont de l’épidote verte formant de petits filons, du fer oligiste, du quarz cristallisé, du tale, de l'asbeste, de l’arragonite, de la chaux carbonatée. Cette dernière substance forme, dans quelques circonstances très rares, des parties globu- leuses, et la roche devient amygdaloïde ; elle est alors presque identique avec certaines variolites du Drac; cette identité devient encore plus frappante par le mélange d’épidote. J'ajouterai que ces deux roches jouent le même rôle par rapport aux terrains dans lesquels on les observe, et qu’elles sont accompagnées l’une et l’autre de SYpse: Après cet aperçu général sur la nature de l’ophite et sur les principales circonstances de gisement de ces porphires, je pourrais donner la description de plusieurs localités dans lesquelles la relation des ophites et des terrains qui les avoisinent est bien évidente; mais je citerai seulement les coupes prises aux environs de Bayonne et aux salines d'Anana, parce qu’elles suffisent ( 179 ) pour démontrer que le soulèvement des ophites est pos- térieur au terrain tertiaire. Sur la côte de Bayonne , à une petite distance au sud de Biaritz, les couches du terrain de craie qui forme tout le littoral sont fortement contournées et brisées au contact d’un amas de gypse accompagné de marnes rouges et d’ophite. Ce dérangement n'est pas le seul que pré- sentent ces couches : on observe, en outre, qu’elles convergent toutes vers un point qui serait situé à une petite distance en mer, entre Biaritz et Bidart. Cette disposition annoncerait que l’ophite et le gypse que l’on voit sur la côte ne sont que les témoins d’un, amas beaucoup plus considérable. La masse gypseuse a la forme d’un coin très obtus ; épaisse seulement de 3 à 4 pieds à sa partie supérieure , elle en a environ 15 immédiatement au pied de l’escar- pement, et à quelque distance sur la grève , dans des parties qui découvrent seulement à marée basse, elle peut en avoir 30 au moins, sans y comprendre les roches altérées où fracturées dont nous parlerons plus bas. Cetie masse (fig. 1°, pl. v ) s’élève presque verticale- ment au milieu des couches crétacées ; et les coupe sous un angle très aigu; les couches qui existent sur les deux côtés opposés de l’amas de gypse ne se correspondent pas ; ce que l’on remarque très bien par la composition des couches. A droite, en regardant la côte, l’escarpe- ment estentièrement formé de marnes sableuses plus ou moins solides, contenant une grande quantité de fossiles, parmi lesquels il n'existe que peu de nummulites; à gauche, on voit seulement ces couches sableuses au haut de l’escarpement, et la partie inférieure est composée ( 180 ) de calcaire compacte contenant une grande quantité de nummulites , calcaire qui se retrouve un peu plus loin en allant du côté de Bayonne, et qui est immédiatement au-dessous des couches argilo-sableuses. Le gypse est blanc et cristallin ; il est accompagné de marnes en partie blancbätres, en partie de couleur rouge lie de vin. Ces marnes sont intercalées d’une manière tout-à-fait irrégulière au milieu du gypse; elles contien- nent elles-mêmes de petites veines de gypse fibreux, tantôt blanc , tantôt coloré en rose : celui-ci ne forme pas à beaucoup près la masse. Le gypse est accompagné d'ophite. Cette dernière roche n’est répandue qu’en très petite quantité sur la côte; elle l’est cependant assez pour constater sa pré- sence et son association avec le gypse. Du reste , il est, en général, assez habituel que l’ophite soit très peu abondant dans le gypse , il paraît former principalement la partie centrale de ces masses étrangères au terrain dont le gypse serait la partie externe. Cette position semblerait indiquer que cette dernière roche n’est qu’une conséquence de la présence de l’ophite. Dans la localité qui nous occupe dans ce moment, l’ophite forme seule- ment des rognons puissans qui sortent au milieu du gypse. Les deux roches sont si différentes qu'il ne peut y avoir de passage entre elles. Mais le gypse entoure l’ophite de tous côtés et tapisse même les petites fissures dont cette roche est traversée. Le gypse et les marnes gypseuses contiennent une grande quantité de fragmens anguleux de calcaire de la craie. Ces fragmens n’appartiennent pas aux couches marno-sableuses qui forment la côte des environs de ( 181 ) Bidart; ils proviennent de couches plus inférieures. Les unes sont d’un calcaire compacte gris sale, dans lequel il existe une grande quantité de nummulites, le mème qui est mis au jour par le relèvement qui a eu lieu au contact du gypse. Les autres fragmens sont de calcaire noir, en partie compacte, en partie cristallin. Il renferme des points blancs complètement cristallins qui parais- sent, d’après leur forme, être des miliolites dont la texture a été effacée par la cristallisation du calcaire qui les renferme. Si on cherche dans la contrée le cal- caire d’où ces fragmens ont été arrachés , on reconnaît qu’il forme des couches inférieures à celles de Bidart et de Biaritz. La plupart de ces fragmens calcaires empâtés dans le gypse sont assez petits ; cependant il y en a de fort gros : nous en avons remarqué un qui pouvait avoir environ six pieds de diamètre. Au pied de la falaise , la masse de gypse s’élargit beau- coup, ainsi que nous l’avons déjà annoncé. Outre les marnes avec lesquelles cette substance est constamment associée, on trouve à son contact avec le terrain les roches suivantes : 1° Une dolomie très caverneuse, dure, cristalline et d’un gris jaunâtre, dont les cavités sont remplies par une matière pulvérulente ; 2° Des roches verdâtres, dures, difficiles à décrire , parce qu'elles varient d’un morceau à l’autre. Elles sont probablement produites par un mélange intime de l’o- phite et des terrains que cette roche a traversés ; 3° Enfin des roches fragmentaires composées de mor- ceaux très anguleux, placés les uns à côté des autres, ( 182) presque sans pâte, mais ayant cependant de adhérence. Les fragmens qui entrent dans la composition de cette brèche singulière sont principalement de calcaire noir appartenant à la craie, le mêmié dont nous avons signalé des fragmens au milieu du gypse. Cette brèche forme les parois de la masse gypseuse. Elle est mélangée d’une manière Lout-à-fait irrégulière avec les roches verdâtres précédentes. Son épaisseur est très variable, elle est dans quelques parties de 60 à 80 pieds. Un terrain d’alluvion composé de couches assez ré- gulières de cailloux roulés, d’abord assez gros, puis de petits galets, enfin de sable blanc très fin , recouvre tout le plateau depuis les environs de Bidart. Ce terrain d’alluvion est déposé horizontalement sur les strates du calcaire même à l’endroit où le gypse vient le percer. Les nombreux fragmens qui accompagnent l’ophite et le gypse , soit sous la forme de brèche, soit disséminés dans le gypse même, nous indiquent le mode d’action qui a donné naissance à ces deux roches ; la nature de ces fragmens, qui appartiennent quelquefois aux couches du terrain de craie inférieures à celles qui forment la côte, nous prouve que celte action s’est produite après le dépôt du terrain de craie, Enfin l’horizontalité des couches de sable d’alluvion nous indique que ce soulè- vement est antérieur à ce terrain. Nous verrons bientôt dans la description que nous allons donner des salines d'Anana, qu'il est postérieur au terrain tertiaire, de sorte.que son âge géologique sera compris entre les ter- rains tertiaires les plus modernes et les terrains d’alluvion du commencement de l’époque actuelle. Les salines d'Anana sont situées à l’ouest de Vittoria ( 183 ) et à peu près à égale distance de Bilbao , Miranda et Vittoria. Ces salines, dont le produit paraît considérable, sont alimentées par une source salée très abondante et ès riche qui sort verticalement d’un puisard pratiqué au milieu de l’ophite. Elles sont placées au milieu du terrain tertiaire, mais très près d’une enceinte de calcaire compacte, noir, appartenant à l’assise inférieure des for- nations crétacées. Le terrain tertiaire est en couches fortement inclinées ; il a subi dans le défilé de Pancorbo des altérations très singulières qui paraissent en rapport avec la formation des ophites. Les salines occupent le fond d’un petit vallon qui se jette dans la vallée d'Onvécillo; la forme de ce vallon est à peu près celle d’un cône vertical renversé , ouvert suivant une de ses arêtes. Lorsqu'on monte sur une des sommités qui forment la base de ce cône, on voit parfai- tement que l’ophite et le gypse occupent tout l’intérieur de cette vaste enceinte. La circonférence de ce cercle, qui peut avoir 1200 toises de diamètre, est formée de crè- tes calcaires qui présentent des escarpemens du côté du centre et une pente encore assez raide, mais cependant al- longée vers l'extérieur. La direction des couches du cal- caire varie constamment d’une position à l’autre; cette variation n'est pas irrégulière ; elle est telle qu'aux extré- mités d’un mème diamètre les couches plongent en sens inverse et que la surface qui réunirait toutes ces lignes d'inclinaisons serait un cône tronqué ; la disposition se- rait donc exactement la même que celle qui résulterait du soulèvement d'une masse conique qui forcerait les couches à se plier autour d’elle et à se rompre au som- met. C’est un véritable cratère de soulèvement. Le cal- ( 184 ) caire qui forme les bords de ce cratère est compacte, noir, et appartient au terrain de craie. Le sol des environs d’Anana étant, ainsi que nous venons de le dire, com- posé de terrain tertiaire, il est probable que les forma- tions crétacées ont été mises au jour aux salines par le soulèvement de Pophite. Extérieurement à ce cratère de soulèvement, et un peu plus bas que l’arête culminante qui en forme les bords, on voit une seconde enceinte beaucoup plus large que la première, mais en même temps moins régulière ; elle est composée de calcaire d’eau douce et de molasse en couches également très inclinées , et qui, par la convergence de ces différentes directions, doit évidemment sa formation à la sortie de l’ophite des salines. Ce terrain tertiaire a été en outre porté à de grandes hauteurs; ainsi il existe au nord du village d’Anana deux arêtes formées de couches de mo- lasse qui s'élèvent presque jusqu’à la hauteur des mon- ticules d’ophite les plus élevés. Ces arêtes saillantes, presque verticales, courent E. 10 N. à O. 10 $. ; elles arrivent jusqu'à l’ophite et sont immédiatement au- dessus du village. Le grand redressement de ces arêtes prouve évidemment que l’ophite est non-seulement pos- térieur au terrain de craie, mais que cette roche l’est également au calcaire d’eau douce et à Ia molasse. Le contact du calcaire et de l’ophite est annoncé par la présence d’une roche caverneuse dans laquelle la partie solide qui forme comme le squelette est grenu et dolomitique. Les cavités sont remplies par une matière terreuse grisâtre, à l’état pulvérulent, qui est presqu’en- üèrement magnésienne. Nous avons déjà indiqué cette dolomie caverneuse au contact de l’ophite et du calcaire ( 185 ) sur la côte de Biaritz, et nous pouvons annoncer que dans toutes les localités où nous avons pu apercevoir ce contact , cette roche existe. Elle paraît donc être le pro- duit d’une action de l’ophite sur le calcaire, ou du moins une conséquence de leur contact. L'ophite et le gypse sont associés ensemble et se ra- mifient dans différentes directions ; seulement l’ophite forme toujours les sommités, tandis que le gypse est comme appliqué contre cette roche. Cette disposition est facile à observer sur le côté droit du ravin près du magasin à sel. Cette maison est bâtie sur une protubé- rance d’ophite qui est entourée de tous côtés par du gypse en masses différemment colorées, mais toujours sacca- roïde. L’ophite est en outre pénétré de petites veines de gypse qui remplissent les fentes et les cavités. Le gypse et l’ophite sont entremèlés de marnes; la première de ces deux roches contient, en outre, une grande quantité de fragmens anguleux de calcaire com- pacte noir; les fentes de ces calcaires sont tapissées de gypse comme l’ophite ; la plupart sont saccaroïdes; quelques-uns contiennent de petits points que l’on re- connait, malgré leur état cristallin, pour appartenir à des milliclites. Ouire les fragmens empâtés dans le gypse et dans les imarnes , l’éruption ophitique a donné naissance à une grande quantité de brèches calcaires ; elles sont aggluti- nées par un ciment d’un gris très foncé, que l’on pourrait comparer aux matières argilleuses qui accompagnent les basaltes et que l’on désigne sous le nom de wake; elles sont sans doute le produit terreux de l'ophite. ? Q , , C2 L'ophite d’Anana présente presque toutes les variétés ( 186 ) de cette roche. Dans quelques parties, elle est entière- ment homogène à l'œil ; on n’y distingue plus de lames d'amphibole; sa cassure est esquilleuse comme dans la lherzolite, avec laquelle elle a alors beaucoup d’analogie. . Dans la plus grande partie de la masse cet ophite est un véritable grunstein dans lequel on aperçoit distinctement les lames de l’amphibole et des parties blanches grenues qui sont très probablement du feldspath. Enfin nous avons recueilli quelques fragmens dans lesquels l’ophite présente une pâte compacte avec des noyaux calcaires , de sorte que c’est un véritable amygdaloïde. L’ophite est associé , en outre, avec des roches verdâtres un peu ter- reuses , à cassure compacte présentant des vacuoles. Ce sont des espèces de tufs üphitiques ; dans quelques cas, les roches paraissent le prodait du mélange de l’ophite et des argiles qui existent dans Îles terrains inférieurs traversés par l’ophite. Nous avons recueilli des échantil- lons provenant évidemment du mélange du tufet du grès tertiaire. Les grains quarzeux du grès sont encore très visibles. Cette dernière circonstance est importante à constater, parce qu'elle prouve, concurremment avec les dislocations que le terrain tertiaire a éprouvées, que le soulèvement de l’ophite est postérieur à ce terrain. Daos les deux exemples que nous venons de parcou- rir, la position de l’ophite et des terrains avec lesquels on le voit en contact nous a montré constamment cette roche comme produite à une époque postérieure au dépôt des terrains tertiaires , maïs l'existence dans la vallée de l’Essera de masses d’ophite disséminées dans les couches régulières des terrains de craie, semblent, au premier abord , détruire en partie les preuves du peu d’ancien- ( 187 ) neté de cette roche amphibolique. On observe cette circonstance singulière un peu avantd’arriver à Campo; la stratification des couches, très régulière depuis les environs de Castégon , éprouve des variations brusques lorsqu'on arrive à Campo. Leur direction s'éloigne de la direction générale de la chaîne, de sorte que les couches paraissent converger vers un point placé entre la vallée de l'Essera et celle de la Cinca, de la même manière que s’il y avait un centre de soulèvement vers ce point; outre ces dérangemens dans la direction des couches, leur inclinaison varie dans des distances très petites, de manière que les couches sont pliées sous des angles très aigus (fig. 3, pl. v ). Ces couches ainsi frac- turées sont composées d’une alternance réitérée de cal- caire compacte gris et de brèche calcaire , dont les frag- mens anguleux sont de même nature que le calcaire qui empâte les fragmens et forme les couches contiguës. Outre cette singularité remarquable d’être composée de fragmens et d’une pâte identiques, cette brèche con- tient des blocs , tantôt arrondis, tantôt anguleux, plus ou moins considérables d’ophite. Dans certaines couches, les blocs d’ophite sont très abondans , de telle sorte que la roche ressemble à un poudingue composé de galets d’ophite reliés par un ciment calcaire. On ne rencontre dans ces couches fragmentaires aucuns galets étrangers au terrain de craie. Le peu d'ancienneté de l’ophite que nous ayons démontré, par plusieurs exemples, l’absence de galets de terrains anciens , l'existence de fragmens anguleux de calcaire qui constituent en partie les couches de brèches, sont autant de preuves que ces couches ne sont pas des roches arénacées produites par les causes ( 188 ) ordinaires. La seule manière d'expliquer la présence de l’ophite au milieu de couches régulières du terrain de craie de la vallée de l’Essera , est de supposer que cette roche y a été injectée à un état assez liquide pour pou- voir s'introduire dans la masse même des couches, et qu'elle s’est ensuite concentrée en nodules à la manière des agates (1). La brèche calcaire aura été formée sur place par le froissement des couches l’une contre l’autre par suite du mouvement que tout le terrain a éprouvé lors du soulèvement de l’ophite. (1) On suppose que la matière siliceuse des agates est contempo- raine au porphyre; elle s’est séparée de la même manière qu’il arrive fréquemment dans les produits de fourneaux ou de verreries, dans lesquels la pâte contient des cristaux de nature différente, quoique ce mélange ait été homogène. EXPLICATION DE LA PLANCHE V. Fig. 1. Disposition du gypse, de l’ophite et du terrain de craie, sur la côte de Biaritz, près Bayonne. Fig. 2. Relèvement du terrain tertiaire et de la craie à la proximité du gypse et de l’ophite à Mont-Peroux, près Dax. Fig. 3. Disposition des couches de calcaire compact, de brèche calcaire et de brèche avec modules d’ophite, près de Campo, vallée de l’'Essera. ( 189 ) Mémoire sur les Observations communiquées par M. le baron Cuvier à l Académie des Sciences (séance du 2 janvier 1832), au sujet des Ster- nums des Oiseaux, et sur leur immédiate appli- cation à la théorie des Analogues (1); Par M. Georrroy SainT-HiLairE. L'auteur de cet écrit commence par rappeler que l'anatomie comparée a trois périodes de développe- ment : d’abord on accumule les faits particuliers; puis on les rapproche pour en faire ressortir des lois, qui embrassent la généralité des êtres, sauf quelques excep- tions , que la science explique tôt ou tard, dans la troi- sième période de son développement. Or, le dernier mémoire de M. Cuvier, relatif aux pro- grès de l’ossification du sternum dans les oiseaux, sem- blait devoir appartenir exclusivement à ce premier état de la science ; mais l’auteur a procédé, par insinuation, contre le principe de l'unité de composition organique et contre celui de l’épigénèse. M. Serres a déjà fait une réponse verbale aux attaques de cette dernière espèce (2); (x) Nous ne donnons ici de ce Mémoire déposé à l’Académie des Sciences, le 9 janvier 1852, qu’un extrait tel qu’il a paru dans le n° 40 du Lycée. (2) Le Zycée, en rendant compte de la séance du 2 janvier, dans son n° 37 , a donné cette réplique dans toute son étendue; nous nous en tiendrons au précis suivant : « M. Serres regrette la nécessité où il est de combattre les assertions de M. Cuvier, dont l'autorité est si grande parmi les savans : il ne peut apercevoir dans les observations qui viennent d’être communiquées , tout importantes qu'elles sont en elles-mêmes, rien de significatif, sous le rapport des théories op- ( 190 ) M. Geoffroy Saint-Hilaire ne s’occupera ici qu’à repous- ser celles qui ont été dirigées contre l’unité de compo- sition. Et d’abord il n’a point prétendu que le sternum füt identique dans tous les oiseaux, comme M. Cuvier le dit; mais il s’est occupé d’analogie, non de similitude. Ensuite M. Cuvier a posé ces questions : « Les formes définitives que prend le sternum seraïent-elles le résultat du développement et de la coalescence des pièces qui le composent? Les pièces comptées sont-elles partout au mème nombre et dans la même situation? » = « Et pourquoi cela n’en serait-il pas ainsi ? répond M. Geof- posées de l’épigénésie et de la préexistence des germes. Les observa- tions de M. Cuvier, qu’on vient d’entendre, ont éte faites postérieu- rement à l’épigénèse, c’est-a-dire après le rapprochement des diverses parties de l’animal, formées de droite et de gauche et durant la pé- riode du développement par intus-susception. Personne r’ignore au- jourd’hui que la formation de l'embryon n'ait ces deux périodes distinctes. Jamais on n’a dit que l’ossification se fit avant l’épigénèse ; et le mode de formation dés os, par le dépôt des sels calcaires dans les mailles du tissu primitif cartilagineux, est une des connaissances les plus anciennement acquises et sur laquelle on n’a jamais varié, Mais ce que je nie, ajoute M. Serres, c'est la formation de trous sur la ligne médiane, autrement que par le rapprochement de deux pièces symétriques qui laissent entre elles ces intervalles. La théorie de la préexistence des germes etait sans doute dune grande simpli- cité, mais au fait ce n’était qu’une manière de déguiser notre igno- rance. La théorie de l’épigénésie, au contraire, admise aujourd’hui par la plupart des observateurs , nous a fait faire un pas de plus dans la connaissance des phénomènes de la vie; elle a montré d’abord que les germes ne préexistaiént point, mais se formaient sur différens points, par parties détachées ; lesquelles se réunissaient ensuite d’une certaine manière, et se développaient en subissant de nom- breuses transformätions , etc., etc. » (191) froy Saint-Hilaire. Pour moi c’est un fait nécessaire, ei je le tiens à priori pour un fait avéré. » Sommes-nous donc si peu avancés dans l'étude de l’organisation, pour douter qu’un organe qui se correspond dans les divers animaux, y forme un mème système de parties coordon- nées ? Ainsi, quand les lois de l'attraction universelle furent démontrées pour le cas de six corps planétaires, les astronomes devaient-ils remettre ces lois en question à l’occasion d’une septième planète nouvellement con- nue ? Non certainement ; ce doute ne pouvait entrer dans leur esprit: ils appliquèrent tout d’abord les lois newto- niennes à cette nouvelle planète, puis à une huitième, puis à une neuvième, puis à une dixième, puis à une onzième, et toujours avec le même succès; et ils sont bien résolus d’en agir ainsi indéfiniment. Et quand , d’un côté, on voit tous les phénomènes du monde inorganique enchaînés par des lois, dont la géné- ralité s'étend de jour en jour ; et que, d’un autre côté, tant d’analogies et de ressemblances dans le monde or- ganique frappent les esprits les plus superficiels ; toutes les fois qu’il s’agit d'établir une comparaison entre des organes correspondans, on est invinciblement porté à les considérer comme formés sur le même plan. Une dispo- sition d'esprit contraire est tout-à-fait exceptionuelle, et ne peuttenir qu’à une préoccupation systématique. Ainsi, quand on a reconnu, dans le sternum d’un grand nombre d'oiseaux, cinq pièces principales et quatre pièces rudimentaires, si l’une ou plusieurs de ces pièces semblent manquer chez quelques espèces, ce fait ne doit raisonnablement être atiribué qu’à quelque changement notable dans la forme et les dimensions de ces parties ; ( 192 ) eten cherchant bien, c’est-à-dire, en se plaçant dans les circonstances favorables pour bien voir, on finit tou- jours par retrouver le complément du système. Quand donc M. Cuvier constatait, par ses propres observations sur l’ossification du sternum des poulets, la présence des cinq pièces principales, anciennement reconnues par M. Geoffroy Saint-Hilaire (1), et qu’il n’en rencontrait plus que deux chez le canard, il était à croire qu'il y avait méprise dans cette dernière observation; mais ici nous laisserons parler M. Geoffroy Saint-Hilaire. « L’ossification commence plus tard chez celui-là (le canard) que chez celui-ci (le poulet); mais elle récu- père bientôt le temps d’abord perdu; les cinq pièces se rejoignent plus rapidement, de manière à procurer en se soudant , au jeune canard, un sternum consolidé ou fait alors d’une seule pièce, à la mème époque à peu près que cela a lieu pour le jeune poulet: c’est le mo- ment où le jeune oiseau est élevé par ses parens, et où il va chercher à se suflire à lui-même par l'emploi de ses organes bien consolidés. « Poursaisir, comme à la volée, des événemens de sou- dure ou des effets de consolidation qui se passent aussi rapidement que dans le canard, il fallait l'entraînement d’une forte préoccupation de l'esprit, et c'est ce qu’à tort ou avec raison procurent les théories; malheureuse- ment, si elles reposent sur de fausses données; et tou- jours utilement, si on a le bonheur qu’elles soient (x) Dans ses Lecons d’Anatomie comparée, tome 1, page 207, M. Cu- vier considérait le sternum des oiseaux comme formé d’une seule pièce. Aujourd’hui qu’il admet la complexité de cet organe, la ques- tion se trouve réduite au nombre des points d’ossification. ( 195) effectivement la déduction certaine de faits nombreux et bien observés. « Je n’ai encore:traité que d’un point important qui différencie les deux grandes familles, celle des oiseaux d’eau et celle des gallinacées : les cinq pièces sternales sont immédiatement produites à la naissance de ceux-ci, etelles ne grandissent et ne s’approchent,que.bien len- tement ensuile, quand chez ceux-là, les oiseaux d’eau, elles n’apparaissent que fort tard, mais pour s’en .dé- dommager bientôt après par un, très rapide accrois- sement, « Il est un autre point non moins important qui, dif- férencie pareillement ces deux grandes familles , et dont je dois les faits aux récentes et laborieuses recherches de mon honorable collègue, c’est le rapport, à quelques égards inverse, du volume des. pièces respectives. Ainsi, je vais être obligé, d’après la connaissance de ces faits, qui m’étaient inconnus il ya 14 ans, de modifier l’une des circonstances de mes. corollaires , que j'avais trop étendue. ; SPA € On a vu plus haut (1) que j'ai fait dépendre le ca- (x) Les observations de M. Cuvier démontrent bien que l’ossifica- tion du sternum, de même que toutes les transformations et tous les développemens organiques, procèdent de la circonférence au centre, d’après la loi de M. Serres. Voici comment M. Geoffroy Saint-Hilaire ayait résumé,ses observations sur Je sternum des oiseaux : « Le sternum des oiseaux se trouve d’abord essentiellement cons- titué par cinq pièces ; l’entosternal, les deux Ayosternaux et les deux hyposternaux. De plus, il prend quelquefois, mais comme accessoire rudimentaire, en ayant un épisternal à deux têtes, et en arrière un ou deux siphisternaux, Ainsi , c’est moins le nombre de ces matériaux que leur grandeur respective, qui devient le grand caractère du sternum XXVII. 13 ( 194) ractère classique du sternum des oiseaux de la grandeur excessive de l’entosternal. Cependant cette proposition n’a de généralité que restreinte à Ja famille des gallina- cées. Les choses sont différemment chez les oiseaux d’eau. L’entosternal du canard n'est composé que du brechet, et non pas, comme chez le poulet , à la fois du brechet et d'un pied évasé sous la forme d’un cuilleron, ‘dont la concavité regarde les organes intérieurs. Le ca- nard de 42 jours de M. Cuvier m’a mis sur la voie de ce document, et son autre canard de 6o jours m’a fourni le complément de l'observation. « M. Cuvier a donné la première de ces observations comme il lui appartenait de le faire avec sa préoccupa- tion, c'est-à-dire sans y attacher d'importance. Ainsi, il a dit que chez le canard de 42 jours il se montrait encore, mais seulement dans de certains individus, quelques portions détachées de matière calcaire à la base de la quille. Effectivement, c'est peut-être fort peu de chose, dans les doctrines anciennes , que cette trainée d’élémens osseux formant le commencement du brechet, mais en philosophie, les volumes, de première donnée dans l'individu, ne comptent pour rien. Il suffit des oïseaux : l’entosternal arrive chez eux au plus haut degré de développement. La petitesse de l’épisternal et des xiphisterraux pour- rait être imputée à cette pièce gigantesque, comme détournant à son profit le fluide nourricier, puisqu'elle est d’autant plus grande que ceux-ci sont plus petits. Étendue de l’épisternal au ziphisternal, elle prive les hyosternaux et les hyposternaux de leur position sur la ligne médiane, en les renvoyant en quelque sorte sur les ailes. Enfin, son accroissement extraordinaire amène cet autre résultat digne de re- marque, c’est que chez les oiseaux les pièces sternales sont rangées trois de front. » (Phil. anat., t. 1, p. 135 et 136.) (195) qu’une chose soit, pour que, grande ou petite , elle soit nécessairement appréciable. Or, ce que j'ai aperçu sur le _ canard de 49 jours, c’est que le brechet arrive à l'ossifi- catioh en commençant à sa racine vers sa moitié posté- rieure, comme cé que j'ai vu aussi sur le canard de 60 jours, c’est qu'il est déjà réuni aux os ses voisins, quand il est encore écarté vers sa moitié antérieure. La restriction , seulement dans de certains individus, plus haut rapportée, nesignifie autre chose, si ce n’est qu'il ÿ à beaucoup de variations dans le plus ou le moins de précocité de ces apparitions osseuses chez les individus d'une mème espèce. « Mes observations , d’après les pièces déposées sur le bureau de l’Académie , m'ont révélé les cas différentiels du sternum des canards. Comme on devait bien s’y at- teudre , ils ne dépassent en aucune façon cette latitude que Ja nature s'est réservée pour varier de mille manières sa composition primitive, mais toujours sans l’altérer dans sa base. Aïnsi les changemens portent là, comme de coutume, sur la grandeur des pièces réspectives, leur union plus où moins précoce et leur configuration. « Ce sont les hyposternaux (1) qui les premiers com- mencent à devenir osseux sur leurs flancs extérieurs. Cés pièces gagnent de la circonférence sur la ligne médiane, de manière à ce que ensemble elles recouvrent toute la cavité pectorale; les choses étant ainsi, on a dù croire qu'il n’y avait que ces déux pièces ; mais d’une part, les angles externes et supérieurs de l’appareil sont le sujet d'une ossification particulière , et fournissent là des élé- (1) M. Cuvier les a pris pour des hyosternaux. (Wôte du Rédact.) ( 196 ) mens atrophiés , que le principe des connexions fait re- connaître pour les hyosternaux ; et, d’autre part, le bre- chet s’ossifie seul en procédant dans son, développement d’arrière en devant. Les deux hyposternaux qui forment les grands os de l’appareil se joignent à leurs bords in- ternes, en sorte que c’est sur leur suture extérieure , et dans la gorge ou rainure qu’ils laissent ainsi sur la ligne médiane , que repose par son bord interne , et qu'est en- castré le brechet, c’est-à-dire l’entosternal. Il en est de cet - arrangement comme de l'insertion du vomer dans la rai- nure que déterminent les lames palatines des maxillaires à leur jonction dans la fosse nasale. L’entosternal du poulet reproduit, au contraire, la disposition du vomer observée chez le Crocodilus sclerops : la lame verticale du brechet fournit un socle qui s'étend à droite et à gau- che. Cette comparaison se suit exactement, sauf que le rapport des deux lames composantes offre une situation inverse dans les deux organes ; ainsi la lame verticale est dirigée du côté intérieur à l’égard du vomer, chez le cro- codile à lunettes, et elle est au contraire dirigée à l’exté- rieur dans la pièce entosternale du poulet. « En définitive, voici la modification qu'apporte à mes corollaires transcrits plus haut , le nouvel ordre des pièces sternales du canard , que je ne connaissais pas il ya14 ans: L’Eenrosrernaz forme la plus grande partie de la carène sternale chez les gallinacées; les nyoster- NAUX et les HYPOSTERNAUX en sont des annexes frappées d'un arrét de développement dans un degré entre le minimum et le medium de l'action; 2° Les deux myro- STERNAUX constituent, par leur réunion sur la ligne mé- diane, la presque totalité du plastron pectoral chez les (197) oiseaux d'eau ; l'ENTOSTERNAL y est réduit à une lame verticale posée sur la suture des deux grandes pièces, et Les ayosternAUXx y sont encore plus atteints par une atrophie, les réduisant à la condition du minimum du développement. { « Durant mon séjour en Égypte, j'ai écrit et imprimé sur l’aile de l’autruche (Décade égyptienne, t. 1, p. 46}, et les anomalies de son sternum m’étaient par consé- quent connues depuis plus de 32 ans. Ces anomalies consistent dans l’entière disparition du brechet et dans l’absence de toute échancrure à la région postérieure ; et de plus, à l'égard du jeune âge, dans l’existence de deux pièces seulement, séparées vers la ligne médiane. Ce dernier fait m’a long-temps occupé, à titre d’une exception dont j'aurais un jour à rendre compte ; mais, en attendant que j'eusse obtenu à son sujet les rensei- gnemens qui m'étaient nécessaires , je l'avais communi- qué à M. Serres, aux théories duquel il allait et va tou- jours à merveille : aussi M. Serres l’a-t-il compris et fait figurer dans son ouvrage des Lois de l’ostéogénie. Un document de plus nous est aujourd’hui communiqué par M. Cuvier : il a joint à ses sternums celui d'une. autruche arrivée au terme de son éclosion. Le sternum de cet oïseau naissant est constitué par un cartilage dans sa plus grande étendue, et par deux plaques osseuses aux angles externes et supérieurs de l'appareil, c’est-à-dire, en se déterminant d’après les indications du principe des connexions, par deux hyosternaux déjà développés, l'un à droite et l’autre à gauche. La connaissance de quelques âges intermédiaires nous manque et nous laisse dans l'incertitude sur ces deux questions, 1° si la trans- ( 198 ) formation du surplus du cartilage en substance osseuse a lieu quelques jours après par l’extension des hyoster- naux, prolongée jusqu’à la ligne médiane, ou bien par la production des hyposternaux ; et 2° si les deux grands os latéraux se joignant versle centre, dans une autruche de deux à trois mois , se soudent par continuation et di- rectement , et alors l’entosternal n’est plus que dans nos souvenirs de théorie et n'apporte à motre esprit que l'idée d’un os atrophié et réduit à rien; ou bien une suite de points osseux serait-elle versée dans la gorge ou rainure des deux grands os prêts àse conjoindre ? et alors il serait pourvu à leur union par l'existence d’un filet osseux à part, c’est-à-dire par un entosternal rudimen- taire. « Que ce soit l'hyosternal qui s'étende jusqu’à son congénère et qui devienne la pièce hypertrophiée et do- minatrice , imposant à l’hyposternal la condition d’un os atrophié etrudimentaire, cette circonstance établirait une condition nouvelle pour le rapport des volumes res- pectifs des élémens de l’appareil sternal. Si ce n’est le fait de l’autruche, il se pourra bien que ce soit celui d'une autre famille ; et alors, et conséquemment, que de nouvelles questions soulevées par les recherches dont un précis a été , il y a huit jours , communiqué à l’Aca- démie par M. Cuvier ! « M. Cuvier a traité spécialement cette question : Si les épisternaux et les xiphisternaux sont des pièces réelles et distinctes ; etil a fini par dire que, deses observations il résulte clairement que Les épisternaux et les xiphi- sternaux sont, non pas des noyaux osseux distincts, mais des restes non encore ossifiés du cartilage primitif. ( 199 ) J'ai entendu et je suis surpris d’avoir lu dans les ex- traits imprimés de son mémoire ces mots: 707 encore ossifiés. Il fallait, pour nous transmettre toute la vérité sur ce point, dire: très tardivement ossifiés. Je déclare formellement que la portion épisternale s’ossifie tout-à- fait dans le poulet, dans le canard, et je puis ajouter chez tous les oiseaux. Il ya mieux, c'est que le contraire de la proposition de notre savant confrère devient, ex- traordinairement quant aux oiseaux, l’objet d’une nou- velle condition dans les relations de volume des parties constituantes de l'appareil sternal. On trouve cet arran- gement chez les pigeons , famille difficile à classer dans la série ornithologique : aussi ce caractère jusqu'ici inconnu fournira-t-il une donnée principale aux autres considérations qui ont fixé l'attention des zoologistes sur les pigeons. Et, en effet, le phosphate de chaux est porté chez eux, d’abord et surtout en grande abondance, sur la partie avancée du sternum à sa région épisternale. Les os coracoïdes qui aboutissent et s’implantent sur les annexes latérales du sternum sont un obstacle à ce que l’épisternal, nourri extraordinairement, s’étende sur'ses flancs ; il n’ÿ avait de ressource, par conséquent, pour que tant d'élémens de phosphate de chaux parvinssent à samonceler auprès des os coracoïdes, qu’en se disposant dans le sens vertical, c'est-à-dire au-dessus et au-dessous de ces os. Or cela est réalisé au moyen d’une très grosse tubérosité du côté interne et d’une longue et forte queue vers le côté extérieur : celle-ci commence la quille ou la partie entosternale qui s'étend en dehors sous la forme d’un brechet. « Je n'avais point compris, dans mon premier travail sur le sternum des oiseaux, à la date de 1807, les pièces (! 200: ) accessoires qui forment a tête et la queue de l'appareil sternal. Ce n’est qu'après avoir étudié cet appareil chez les tortues, les reptiles ornithoïdes de M. de Blainville, et avoir appris que le sternum parvenu à son maximum de développement est composé de neuf pièces, que j’ai pu être fixé d’une manière plus particulière sur les pièces complémentaires, mais ordinairement rudimen- taires, et par conséquent accessoires du sternum orni- thologique. « M. Cuvier, pour les rejeter comme des existences individuelles, équivoque sur les mots épiphyse et apo- physe. L’anatomie descriptive pour l’homme, qui avait créé le plus possible dé-distinctions , quelques-unes pu- rement nominales , avait introduit en effet ces termes en y attachant cette idée : Les épiphyses sont au-devant des os, les apophyses en proviennent ; mais en remontant de plus en plus vers l'âge des fœtus et des embryons, on trouve que les apophyses existent également à part au- devant des os; et c'est ce qu’on a su, notamment de l'apophyse coracoïde chez l’homme ; qui dans le fœtus humain est un petit os isolé, et qui dans les oiseaux, de- vient la pièce fondamentale de leur épaule. Aussi, ily a long-temps. que l'anatomie comparative à fait justice de ces distinctions qui ne reposent que sur des conside- rations de volume ou de précocité de soudure; toutes considérations formant ’attribut des cas de diversité, et qu’il faut par conséquent exclure des discussions élevées sur l'essence et l’analogie des organes. « Enfin , quant aux xiphisternaux, je n’aï rien à ajou- ter, à retrancher, ni à modifier, à l'égard de ce que j'en. ai dit dans ma Philosophie anatomique. » (a) Sur l'influence des rayons colorés sur la ger- mination des Plantes. (Extrait d'une Lettre adressée à l'académie des Sciences ; séance du 16 juillet 1832.) Par M. Cuanzes Morren, Professeur à l’Université de Gand. Dans un mémoire que l’auteur a lu il y a bientôt deux ans à l’Académie, il avait démontré que, de toutes les couleurs élémentaires, celles qui favorisent le plus la manifestation et le développement des êtres organisés des deux règnes, dans les circonstances voulues , sont le rouge et le jaune, et que cette propriété existe, à peu de chose près, au même degré chez l’un comme chez l’autre. Ces expériences et d’autres ne s'étaient vérifiées alors que dans le phénomène de la manifestation des êtres organisés les plus simples, dans des masses aqueuses, sou- mises à l’influence des agens du monde ambiant. M. Mor- ren a examiné si les mêmes résultats auraient lieu en faisant agir séparément des rayons colorés sur de la terre dans laquelle on aurait mis des graines germer. Les ex- périences ont commencé le r7 mars de cette année, il prito pots remplis d’une terre séchée depuis quatre mois, et de même nature pour chacun d’entre eux. Dans chaque pot il sema vingt graines de cresson (Zepidium. sativum). Ces semences étaient recouvertesensuite d'une couche de terre de 3 millimètres d'épaisseur. Il arrosait chaque pot de la même quantité d’eau de jour à autre. Il recouvrit ces pots chacun d’un vase de fer-blanc, ( 202 ) noirci au-dedans et au-dehors , haut de 22 centimètres, cylindrique , d’un décimètre dé diamètre , fermé à la partie supérieure par une plaque de fer-blanc oblique et inclinée de 450. Chacune de ces plaques était percée à son milieu d’un trou circulaire devant lequel était une vitre circulaire de 4 centimètres de diamètre et variant de couleur pour chaque vase. Ces verres étaient de ceux qui décorent les anciens vitraux d'église, et tous de la plus belle teinte; ils avaient les couleurs suivantes : violet, bleu, vert-pré, veri-glauque, jaune clair, jaune (gomme gutte), orange, rouge, pourpre; il plaçait à côté de ces vases un vase noir comme eux, mais ayant une vitre blanche. Aucun rayon ne passait par les sou- dures , et on ent soin d’enfoncer chaque vase à un pouce et demi dans la terre. Ces appareils furent placés sur une tablette élevée à la moitié de la hauteur d’une croisée bien éclairée. Le quatrième jour de l'expérience, les radicules avaient poussé sous tous les vases ; elles avaient d’un à cinq millimètres de longueur. Le sixième jour on remar- quait que la végétation était beaucoup plus avancée sous les vases qu’à l’air libre et que sous l'influence de la lu- mière composée. Sous les jaunes , et surtout sous le jaune clair, les radicules étaient à peine plus développées que le quatrième jour. Il y avait sous les rayons verts des poils radicaux à leur partie supérieure, un peu jaunie. Les petites plumules étaient jaunes. Sous les rayons verts les plumules étaient plus développées ; les radicules et les poils y étaient d’ailleurs comme sous les rayons jaunes. Les rayons oranges, rouges, pourpres, bleus et violets, correspondaient à des radicules d’un centimètre. ( 203 ) jaunes au collet, des poils radicaux d’un millimètre, des plumules souvent recourbées, bien formées. Le septième jour, par une belle journée, les plumules s'étaient déve- loppées sur tous les vases ; elles étaient bien jaunes. Sous la lumière blanche, elles verdissaient sensiblement; à l’air libre, elles se montraient vertes. Le huitième jour, les tigelles avaient d’un à un demi-centimètre de lon- gueur ; sous les rayons jaunes , elles étaient moins lon- gues , partout blanches , les plumules jaunes, les feuilles de même et recourbées, les poils radicaux de deux mil- limètres. Sous la lumière blanche, les tigelles avaient à peine trois millimètres de longueur: elles verdissaient comme les feuilles elles-mêmes, dont la viridité était déjà des plus prononcées. Le neuvième jour, il y avait identité de caractères pour toutes les plantes sous les vases : des tigelles de 3 centimètres, des feuilles de 4 millimètres, très recourbées, jaunes partout. A l'air, des tigelles d'à peine un centimètre, des feuilles très vertes. Au quinzième jour de l'expérience, on remarquait enfin une étrange différence pour les plantes développées sous les rayons jaunes; leurs feuilles étaient devenues vertes, quoique plus pâles que celles des plantes venues à l'air libre. Sous les rayons oranges , il se présentait aussi une légère viridité. Sous tous les autres rayons, les plantes étaient évidemment souffrantes , jaunes. De ces recherches, l’auteur conclut, 1° que, de même que l'obscurité favorise les premières périodes de la ger- mination , de même les couleurs du spectre, agissant iso- lément, ont aussi une influence spéciale qui seconde cette opération; mais que, parmi ces couleurs, celles dont le pouvoir éclairant (à l'exception du vert) est le plus ( 204 ) grand , sont aussi celles qui favorisent le moins l’acte qui fait développer les organes rudimentaires de la graine ; 2° que sous les rayons colorés du plus grand pouvoir éclairant, les radicules se développent le moins, et avec plus de lenteur; qu’au contraire les plumes y croissent mieux et plus vite; que sous les rayons colorés d’un pouvoir éclairant faible, les radicules et les plumules prennent un développement semblable à celui qu’elles atteindraient dans l'obscurité, que, par conséquent, l’étiolement des végétaux sous les rayons du prisme est en raison inverse de leur propriété éclairante;3° que sous tous les rayons colorés, de même que dans l’obseurité, les poils radicaux se développent sur la partie aérienne de la radicule, indice certain de l’étiolement, occasionné par chacune de ces circonstances ; que l’allongement des organes se fait sous les rayons colorés, comme dans l'obscurité, et que les diverses parties y croïssent beau- coup plus vite que sous l’influence de la lumière blanche; 4° que la couleur verte des végétaux se développe beau- coup plus vite sous l'influence de la lumière composée que sous quelque rayon que ce soit de la lumière décom- posée ; que sous tous ces rayons , les parties destinées à devenir vertes sur le végétal sont jaunes d’abord, puis passent insensiblement au vert très pâle, puis à la teinte verte plus foncée sous ceux de ces rayons qui jouissent de la propriété particulière de laisser opérer ces chan- gemens ; 5° que ces rayons sont, d’une part le jaune et de l’autre l’orange; que le premier possède le degré maximum de cette propriété, et le second le degré minimum , les autres rayons ne verdissant pas du tout ; et que le rayon jaune verdit d'autant plus qu'il est moins ( 205 ) intense ; mais qu'il lui faut beaucoup plus de temps pour produire la viridité qu’il n’en faut à la lumière blanche, etque jamaisilne peut la produireau mème degré qu’elle; 6° il est peut-être permis de dire que cette propriété vi- ridifiante des rayons au spectre provient de leur pouvoir éclairant, et se trouve coordonnée intimement à celui-ci; mais alors il faut reconnaître que le rayon vert lui-même ne verdit pas , quoiqu'il partage avec le jaune à peu près le naximum du pouvoir éclairant. L'auteur se demande, en terminant sa lettre, si c'est bien uniquement par sa clarté que la lumière agit dans la coloration progressive des végétaux, dont tous les élémens organiques, de blancs qu'ils sont à leur formation, se couvrent ensuite de teintes si vives et si variées (1). Nore sur une épidémie de Poissons, communiquée à M. le docteur Rayer ; Par M. Crémenr DEsormes, Professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, Membre de la Société Philomatique, etc. Une épidémie a régné sur les ‘poissons , depuis la fin de 1831 jusqu'au commencement d'avril 1332, dans les (x) Les résultats qu’annonce M. Morren peuvent dépendre non- seulement de la différence du pouvoir éclairant les divers rayons du spectre solaire, mais aussi de la quantité plus ou moins grande de lumière blanche que les verres colorés laissent passer; dans des ex- périences que j'avais tentées en 1830 sur l'influence des divers rayons colorés sur la respiration des plantes au moyen d’appareils presque identiques avec ceux que M. Morren a employés, j'avais cru remar- quer aussi que Îles rayons jaunes se rapprochaient plus qu'aucun autre ( 206 ) étangs du domaine du Marais, ceux de Marcoussis, les pièces d’un domaine de Baville et de Fontenay-les-Bries, dans une infinité de petites pièces d’eau des maisons particulières, et dans les petites rivières des vallées de Dourdan et d’Arpajon. Cette épidémie n’a frappé que les carpes ; les autres espèces de poissons n’en ont pas été atteintes. Dans le courant du mois de janvier 1832, on s’apercut à Baville que le poisson qui peuplait la grande pièce d’eau du parc mourait. Dans les premiers jours la mortalité ne s’étendait qu’à quelques-uns (environ une douzaine par jour), et pendant le reste du mois de janvier ce nombre n'augmenta presque pas; mais en février il s’accrut et s’éleva progressivement de 20 à 50; il continua ainsi pendant le même mois; la mortalité ne commença à décroître qu’en mars, et ne finit graduellement que dans les premiers jours d'avril. On avait remarqué , dès le commencement de la ma- ladie, que le poisson, ordinairement très vif, et qui fuyait au moindre bruit, s'assemblait en grand nombre sur les bords de la pièce d’eau, formait des groupes com- pacts, la tête piquée dans la vase, et restait comme en- gourdi; on le prenait facilement à la main. Lorsqu'il était hors de l’eau, il semblait reprendre plus de mouve- ment, mais bientôt après il retombait dans le même état d'inertie. par leur action de la lumière blanche , mais je vis bientôt que cela dépendait de ce que tous les verres jaünes laissaient passér une très grande quantité de lumière blanche, tandis que les verrés verts et bleus n’en laissant passer que très peu, et les verrés rouges n’en lais- sant pas traverser du tout, l'intensité de la lumière était extrêmement différente dans ces diverses expériences. (A». B.) ( 207 ) Marche de la maladie. 1"© Période. Les poissons montaient à la surface de l’eau comme dans les jours d'orage, ils étaient couverts d’une matière blanchâtre et limoneuse, principalement sur le dos. 2° Période. Is perdaïent de leur vivacité et paraissaient chercher du soulagement en remontant vers les embou- chures par lesquelles arrivent les eaux qui alimentent les étangs. 3° Période. Enfin ils se réunissaient par groupes à peu de distance des rives , la tête inclinée sur la vase, res- taient immobiles , tombaïent ensuite sur le côté, et gar- daient cette position plusieurs jours avant de périr. On en a ouvert : il a été remarqué que les branchies, le foie et les intestins étaient dans leur état naturel; mais toute la colonne vertébrale, et notamment la nuque, étaient inondés de sang ; les yeux de presque tous étaient pourris, même avant de mourir, ou rentrés dans leur orbite. Les ouïes étaient extrêmement rouges, même plusieurs jours après la mort. On à omis de s’assurer de l’état du cerveau. Une partie des écailles se détachaient avañit la perte de la vie. Le ventre était marqué de taches sanguinolentes à l'extérieur, et dans l’intérieur on re- marquait un épanchement de sang sur les intestins : la décomposition arrivait promptement. Une expérience a été tentée par M***, régisseur du domaine du Marais , où la mortalité a été beaucoup plus considérable qu’à Baville ; il avait remarqué une fort belle carpe atteinte du mal , il la prit et lui fit une légère inci- sion à la queue pour opérer une émission de sang. Cet essai réussit à lui rendre sa vivacité première, qu’elle ( 208 ) conserva seulement pendant quelques jours, et elle re- vint dans le même état de maladie ; il lui fit une seconde - saignée qui eut le même résultat que la première ;'enfin il renouvela son expéfience jusqu’à quatre fois sur le même poisson, qui finit cependant par succomber cemme les autres. La mortalité du poisson, au Marais, a suivi les mêmes périodes de croissance et de décroissance qu’à Baville , et s'est terminée aussi dans le même temps. Non-seulement cette maladie sur les poissons a régné à Baville et au Marais, mais encore dans les étangs de la terre d’An- gervilliers et ceux de Marcoussis ; elle avait mème cessé dans tous ces étangs qu’elle continuait encore dans les petites rivières des vallées de Dourdan et d’Arpajon, où elle s'était aussi fait remarquer, mais à un degré infini- ment moindre que dans les pièces d’eau , ce qui est pro- bablement dû à la petite quantité de poissons que ces rivières contienvent,. (Extrait de la Gazette médicale, 29 mai 1832.) Sur le développement de l'OEuÿ humain ; Par M. Brrscuer. (Extrait d’un Rapport fait à l’Académie des Sciences, par M. Du- méril, dans la Séance du 16 juillet 1832.) Le travail de M. Breschet est intitulé : Études ana- iomiques, physiologiques et pathologiques de l'œuf dans l'espèce humaine et dans quelques-unes des prin- cipales familles des animaux vertébrés, pour servir de ( 209 ) matériaux à l'histoire générale de l'embryon et du fœtus , ainsi qu'à celle des monstruosités ou déviations organiques. À ce travail est joint un atlas de six planches in-folio, lithographiées et enluminées , représentant, d’après nature et d’après des dessins tout-à-fait origi- naux, les recherches et les faits anatomiques qui sont la base de cet ouvrage. Le fœtus ou l'embryon de l’homme, comme celui des autres animaux vertébrés , se développe, comme on le sait, dans des membranes qui représentent une sorte de coque ou d'œuf. Sans s’occuper des phénomènes qui s’opèrent dans l’acte de la génération, M. Breschet a cru devoir commencer ses recherches par l’étude de l’œuf fécondé, Dans ce premier mémoire , qui est une intro- duction à un travail fort étendu, l’auteur s’est unique- ment livré à l’examen des parties contenantes et acces- soires, telles que les membranes et les humeurs dont l'existence est temporaire, et dont la durée est limitée par celle de la vie du fœtus, c’est-à-dire par l’espace de temps pendant lequel l’animal est contenu et se déve- loppe dans l’intérieur des organes destinés à le recevoir et à le nourrir. Le mémoire de M. Breschet est divisé en deux parties : la première est un résumé historique de tout ce que la science possède sur la matière ; la seconde comprend les recherches propres à l’auteur sur les enveloppes de l’œuf humain. Cette seconde partie, qui est pleine de faits et d’aperçus nouveaux, renferme le développement des propositions suivantes : 1° Il se forme, au moment de la fécondation dans l'intérieur de l'utérus, une fausse membrane analogue à XXVIL. 14 ( 210 ) celle qui se sécrète dans un grand nombre d’inflam- mations : c'est une poche membraneuse ( membrane caduque primitive) ; 2° Cette poche est fermée de toutes parts ; 3° Elle contient un liquide que M. Breschet nomme hydropérione ; 4° À l’arrivée de l’ovule, cette poche l'enveloppe de tous côtés, et forme ce qu'on nomme la membrane caduque réfléchie ; 5° Ces deux membranes existent entre l’utérus et le placenta, comme sur le reste de la surface de l'œuf; 6° L’hydropérione est alors contenu entre les deux membranes caduques ; 7° Le liquide cesse d’exister lorsque les deux mem- branes sont en contact, et quand le placenta commence à paraître ; 8° Le périone sert à la nutrition de l'embryon pen- dant les premières phases de la vie utérine ; 9° Cette nutrition peut être comparée au mécanisme de l’endosmose et de l’exosmose, ainsi désigné par M. Dutrochet; 10° On trouve une disposition analogue sur l'œuf de tous les mammifères ; 119 Les membranes caduques se forment partout où se développe l'œuf, lorsque Îa grossesse est extra- utérine ; 12° Ces membranes ainsi que l’hydropérione consti- tuent un petit appareil de nutrition de l’œuf, pendant les premières périodes de la vie utérine ; 13° Cet appareil, dans l’homme et les mammiféeres , peut être comparé à l'organe que les physiologistes ont appelé nidamentum. { au La plupart de ces assertions confirment les observa- tions faites sur la formation de la membrane caduque, et sur la manière dont elle se comporte à l'égard de l’o- vu:2. Elles reposent sur l'examen de plus de Go œufs humains, dont les pièces fraiches et conservées ont servi à la confection des beaux dessins qui accompagnent le travail de M. Breschet. Les commissaires de l Acadé- mie regardent ce premier mémoire de M. Breschet sur l'œuf de l’homme et des animaux comme un travail re- marquable par une grande érudition , des détails anatomi- ques entièrement neufs , et des vues de physiologie géné- rale de la plus haute importance pour les sciences. Querques considérations sur le Nidamentum de M. Bunvoacu, ou enveloppe extérieure ajoutée à lOEuf. (Extrait du Mémoire précédent de M. Breschet, sur l'OEuf humain (x). M. Burdach entend par ridamentum l'enveloppe extérieure que la mère ajoute à l'œuf, déjà revêtu d’une (:) M: Breschet fait précéder ces considérations par la remarque suivante: Après avoir exposé les idées de Burdach sur la membrane caduque , je dois faire connaître ce que ce physiologiste entend par nidamentum , auquel il compare cette membrane caduque. Il parle d’abord des diverses formes de l’acte d’enszmencement ; puis il indique les lieux généraux, tels que l’eau et la terre, les corps organisés vivans ou morts, ou les lieux spéciaux, tels que des cavités, des fosses, des 572 ) membrane testacée , et quelquefois même d’une coquille, pour opérer ou favoriser son incubation. Les formations qui rentrent dans cette catégorie se di- visent en nids (cavités ouvertes, parmi lesquelles il faut ranger les cellules et les alvéoles ), en masse nidiforme (substance enveloppante , homogène , comme le frai) et membranes du nid (membranes vésiculaires et poches à œufs ); elles sont très variées, mais elles peuvent cepen- dant être comprises dans le même ordre. Ainsi les siliques , les baies, les drupes , les noix, les polakènes semblent, au premier aspect , être des formations tout- à-fait hétérogènes ; et pourtant elles réalisent toutes l’idée de fruit. Les alvéoles des Abeilles, les tuyaux à œufs des Teignes, les poches à œufs des Hydrophiles , les masses nidiformes des papillons, diffèrent entièrement dans leur substance , leur conformation et leur mode de création , quoiqu'’ils soient tous des nids d'insectes. Et ne sait-on pas qu'entre le nid d’un pingoin et celui d’une mésange de Lithuanie , la différence est des plus grandes? C’est précisément cette immense variété de formes que Bur- dach et ses savans collaborateurs reconnaissent comme ouvertures, des cellules, des nids, des enveloppes fermées, consistant en masses gélatiniformes ou endurcies, et se concrétant en manière de membranes, de tuyaux, de poches, etc., dans lesquels l’œuf est dé: posé à la sortie des organes générateurs femelles. Il range aussi dans cette catégorie l’embryotrophe secondaire, surtout dans les gre- nouilles , ou l’albumen ne se durcit et ne forme une membrane testa- cée que lorsque plusieurs œufs se touchent les uns aux autres. Ces divers lieux de dépôt, considérés d’une manière générale, ont reçu le nom de nidamentum. Burdach comprend aussi sous ce nom le péri- carpe des végétaux et les enveloppes des œufs dont l’incubation s’o- père dans l’oviductus ou dans l'utérus. ( 213 ) caractéristique. Dans la nature organique en général, on voit la plus grande variété dans tout ce qui est extérieur, et par conséquent moins essentiel, tandis que l’intérieur est partout plus uniforme. Il doit y avoir, d’après cette raison générale, une variété extrème dans le nidamentum, tandis qu'il y a une grande concordance dans la forma- tion de tous les œufs et de tous les embryons. Un autre trait caractéristique, c'est que la membrane du nid ren- ferme souvent plusieurs œufs. — L’œuf, dans sa for- mation vésiculaire, représente un tout fini, rigoureuse ment séparé de ce qui l’environne ; il indique déjà dans le germe l'individualité et l'indépendance orga- nique. D'après cette proposition , chaque individu , quel que soit le nombre d’embryons produits simultanément, naît dans son œuf propre, ou dans l’intérieur de sa mem- brane testacée particulière. Il est , à la vérité , quelques exceptions ; ainsi, dans les genres Ÿ’iscum et Mangifera, il y a souvent, maïs non constamment, plusieurs em- bryons dans une même graine, qui restent séparés, même lors de la germination. Des jumeaux , dans l’espèce hu- maine, ont quelquefois un chorion et même un amnios communs ; mais cette disposition est tout aussi anormale que la présence de deux jaunes dans une coquille. Lors donc que plusieurs œufs à l’état normal sont entourés d'une membrane commune, nous pouvons la considérer comme la membrane du nid. Cependant il ne résulte pas de là que chaque rzidamentum contienne plusieurs œufs, comme on le voit, par exemple, pour les péricarpes. Le nidamentum n'entre pas, à proprement parler, dans l’organisation de l'œuf; il est la dernière produc- (Card ) tion que Ja mère fournisse à l’œuf pour son incubation. Il faut distinguer plusieurs degrés relativement à l’inti- mité de son rapport avec l'organisme maternel, Premiè- remex; tout le corps de la mère peutiservir d’enveloppe aux œufs; ainsi, dans les Æphis, la mère elle-même, quand elle meurt en automne, après la ponte des œufs, devient 'un véritable nidamentum : car elle reste fixée sur ses œufs, et son abdomen desséché forme un teste solide qui protège les œufs. Le distoma duplicatum meurt, tandis que le germe de reproduction se développe dans sonabdomen , qui ne lui seri plus que d’enveloppe protectrice , que rompt plus tard le nouvel être lors- qu'il est parvenu à terme, c’est-à-dire à un degré de développement convenable. Dans les Folvoces et dans quelques vers vésiculaires , la mère qui couve les œufs dans son corps, n’est guère autre chose qu’une poche proligère vivante. L'identité entre la mère et Le nida- mentum est au maximum dans le Bucephalus polymor- phus , découvert par Baer. Cet animal a des organes gé- nérateurs filiformes, dans lesquels il se développe des germes sous l'apparence de granules ; en se séparant du corps de la mère, ses organes se transforment en de simples poches proligères, c’est-à-dire en un ridamentum dans lequel les germes deviennent de jeunes animaux. Quel- quefois aussi ces parties se développent par génération équivoque dans l’abdomen d’une Moule; il ne se forme alors qu’un organe générateur femelle qui fait en même temps fonction de nidamentum ; ou , en d’autres termes, la mère est ici identique à l'organe générateur, comme celui-ci l’est avec la poche proligére. — Dans quelques Algues, ainsi que dans des Vibrions, des Polypes, des Mé- ( 325 ) duses et des Salpa, l'organe générateur lui-même est de la mème manière expulsé du corps de la mère, et se montre comme une poche proligère, ou comme une membrane du nid, dans laquelle se développent les germes. Dans quelques Annélides et Mollusques, il semble que le nidamentum est formé par une partie du corps maternel qui se détache. Ainsi la poche ovifère de l’Hirudo vulgaris est formée, d’après Johnson, de la peau de la mère qui s’est séparée, et celle du Zimnæus stagnalis est, suivant Stiebel , la membrane interne de l’oviductus détachée. La poche ovigère des Entomostracés est formée par l'extrémité de l’oviductus, poussée au dehors et distendue en vésicule, mais qui reste unie au corps de la mère; elle se déchire et disparaît après l’in- cubation. Dans les insectes, cette série graduelle se ter- mine par une disposition découverte par J. Müller ; ici la membrane interne de l'ovaire se déplace avec les œufs, mais elle n’est pas expulsée avec eux ; les organes de la génération n’entrent plus ici dans la composition du ni- damentum ; et celui-ci est formé en partie par un pro- duit sécrétoire, en partie fabriqué par des actes distinc- fs. Il sort, en effet, du vaisseau dorsal des insectes , des canaux fins et filiformes qui pénètrent dans les com- mencemens de l'ovaire, jusqu'alors considérés comme borgues ; et s'étendent comme membrane interne de ses tubes , jusqu’à leur ouverture dans l’oviductus, où ils s’ouvrent librement. Dans cet endroit, chaque canal se reploie en dehors par son extrémité libre , et forme un anneau qui reçoit des rameaux des irachées de l'ovaire. Lorsque l'œuf le plus voisin est entièrement déve- loppé, la partie du canal qui le renferme meurt, se ( 216 ) décompose, et est emportée par l’œuf qui sort, sous la forme d’un précipité pultacé, tandis que la partie suivante du canal de l'ovaire s'avance avec un œuf non mur, et prend la place de la première , jusqu’à ce qu'une autre lui succède, et ainsi de suite, jusqu’à l’entier dévelop- pement de tous les œufs. Dans plusieurs animaux ver- tébrés , le zidamentum se forme, non d’une partie des organes générateurs, mais d’une partie de la peau. Dans quelques poissons, la peau de l'abdomen se dilate et sert de poche aux œufs ; dans le Pipa, la peau du dos se transforme en cellules destinées à servir à l'incubation des œufs. À un degré plus élevé de l'échelle animale, le nidamentum n’est plus organe, mais un produit sé- crétoire de la mère. L'organisme , maintenant son indé- pendance, fournit, pour former l'enveloppe de l’œuf, une partie non organisée et encore liquide. Cet acte est seulement en rapport éloïgné et en consensus avec l'acte de la génération proprement dit, ou la formation pri- mitive de l'œuf ; il se rapporte seulement à l'incubation. La matière du ridamentum est fournie par des mem- branes muqueuses qui sont éloignées de l'ovaire. Ce sont des organes accessoires dans les Entozoaires, les Annélides , les Mollusques et les Insectes; c’est l’ovi- ductus chez les Batraciens et les Poissons, et la matrice elle-même dans les Mammifères. On voit distinctement sur ces derniers , que le ridamentum n'appartient pas essentiellement à l'œuf, mais qu’il est le produit de la mère en incubation, puisque la r2embrane du nid se forme avant que l'œuf, soit arrivé à l'utérus, et qu’elle se forme aussi lors même que l'œuf ne parvient pas dans la cavité de cet organe. — Le nidamentum est (217) enfin formé par les actes commandés par l'instinct, alors il ne diffère pas essentiellement de celui qui résulte d’unacte organique. Le Monoculus et l’Araignée(Wolfss- pinne) ont l’un et l’autre une poche à œufs ; maïs, dans le premier, cette poche fait partie intégrante de l’ani- mal, tandis que dans la seconde, c’est un üussu pro- duit par l’antmal. On voit les deux formes exister dans la même classe, par exemple, dans les Insectes. Ainsi l’oviductus de la Teigne forme naturellement une poche à œufs, tandis que l'Hydrophile fabrique laborieusement ce sac. Mais l’animal, agissant par instinct , confectionne son rzidamentum avec des matières absolument étran- gères , qu'il élabore plus ou moins, comme le font en général les oiseaux et la plupart des insectes, ou bien il le travaille avec le produit d’une sécréüon particu- lière, comme l’Abeille, l'Hydrophile, les Araignées et l’Hirondelle de Java. — Lorsque certains oiseaux s’ar- rachent des plumes pour en construire leur nid, cela rappelle encore la formation primitive du nidamentum , formé des parties du corps maternel. Le nidamentum opère l’incubation en prêtant protec- tion et en fournissant une nourriture aux germes. Bien- tôt il sert lui-même d’aliment, comme dans les Ba- traciens; tantôt il renferme une substance nutritive, comme , par exemple, la poche à œufs des Sangsues ; tantôt enfin il opère la nutrition par les parties elles- mêmes du corps de la mère : telle est la membrane du nid des Mammifères. Le nidamentum peut être un moyen protecteur, soit en collant les œufs à un corps solide, par exemple le frai des Mollusques, soit en pré- servant du froid et de l'humidité la masse nidiforme en- ( 218 ) durcie des insectes, soit enfin en retenant et conservant la chaleur nécessaire à l’incubation, comme le fait le nid des ciseaux. La durée du nidamentum est très variable : la mem- brane du nid des Mammifères est seulement pour les premiers temps de l’incubation , de même que cela existe pour une partie du péricarpe des végétaux , tandis que la masse nidiforme des Batraciens sert encore, pen- dant quelque temps , de domicile ou de réceptacle aux larves écloses, et beaucoup d'insectes restent dans leur nid, quoiqu’ils soient larves ou nymphes. Les poches proligères des Infusoires, des Polypes, des Entozoaires et des Mollusques acéphales offrent parfois de la ressemblance avec le péricarpe des végé- taux, et avec le zidamentum des animaux d’une orga- nisation plus complexe. Ainsi le sac proligère du Cam- panularia dichotoma a dix loges , ou renferme autant de capsules transparentes qui lui sont unies par des fila- mens, et dont chacune contient trois germes plongés dans une substance visqueuse. Dans les Planaria, il est formé d’un test corné externe et d’une membrane in- terne pulpeuse blanche ; elle renferme de quatre à huit embryons libres (Baer ). Dans les Sangsues, l’oviductus contient.de six à quinze germes entourés d’une mucosité de consistance gélatineuse qui , par la coagulation de sa couche externe, est transformée en un tube membraneux blanchâtre et translucide, renfermant un liquide géla- tiniforme contenant des germes. Lorsque l’incubation a lieu sur des plantes aquatiques , l'humeur qui recouvre la face externe persiste dans un état de mucosité vis- queuse; lorsqu’au contraire l’incubation s'opère dans la (219 ) terre, l'humeur se convertit en une enveloppe rétiforme, composée de filamens cornés (Rayer). Chez les Mollus- ques ovipares ; surtout ceux qui vivent dans l’eau , une masse d'œufs est revêtue, à l'extrémité de l’oviductus , d’une humeur albuminiforme , sécrétée par les organes accessoires ; cette humeur reste fluide ou se condense, Chez les Volutes, par exemple, elle se transforme en une substance membraneuse consistante, dès qu’elle est en contact avec l’eau de la mer (Home). Le nombre des œufs contenus danses espèces de nidamentum varie beaucoup. Ainsi, Pfeiffer trouva dans le frai de la 'alvata eristata de quatre à huit œufs, de dix à seize dans celui du J'alvata obtusa, de douze à dix-huit dans celui du Physafontinalis, de trente à quarante dans le Planorbis corneus, de cinquante à soixante dans le Zimnœus stag- nalis, mille dans l’Unio pictorum ei V'Unio littoralis. D'après Montfort (Histoire des Mollusques) , le nida- mentum du Calmar contient quelquefois quatre-vingt mille œufs. Dans les masses de ce genre, les œufs sont ou disséminés, comme dans le frai cylindroïde du Zim- nœus stagnalis, où disposés en lignes spirales comme dans |’ Æelix janthina , ou enfin ils sont situés-dans des cellules isolées. Dans ce dernier cas, les cellules sont, en outre , entourées par la masse commune , ainsi que le présentel’'Octopode,;la Foluteet le Murex canaliculatus. Quelquefois il y a dix à douze œufs dans une cellule tubuleuse, et une trentaine de ces cellules constituent un ridamenñtum qui s'attache à la surface extérieure du corps delamère (Walch, dans le Vaturforscher, vol. vr, p. 11). Les cellules isolées peuvent être libres , comme on le voit dans les Seiches, ou être unies entre elles en ( 220 ) manière de grappe, comme on le remarque dans la Paludina impura. Dans beaucoup d'insectes, l’humeur particulière, sécrétée par les organes accessoires, forme un enduit qui se durcit à l’air, soit pour chaque œuf en particulier, et ils acquièrent alors une forme spéciale, tels sont , par exemple, ceux de l’emerobius perla, qui prennent la forme d’un champignon ; soit pour plusieurs œufs à la fois, qui sont alors comme placés dans un nid. Dans ce dernier cas, l'humeur dont nous parlons se transforme en une masse dense, semblable à du mastic, enveloppant immédiatement les œufs et les fixant à un corps solide; c’est ce qu’on voit sur plusieurs Lépidop- tères, par exemple le Papillon, qui dispose son nida- mentum autour d’un rameau d’arbre, et protége ainsi les œufs contre l'humidité et le froid de l'hiver; elle devient un nidamentum tubuleux , comme dans plu- sieurs Orthoptères ; par exemple, dans le Blatta orien- talis, où il se forme déjà dans l’oviductus un tube , que des cloisons partagent en huit cellules, dans chacune desquelles il y a deux œufs. Le 7idamentum du Grillon est un réservoir en forme de gousse, contenant environ douze œufs, et qui, lorsque ces œufs sont mürs, s'ouvre au moyen d’une suture, comme le fait un péricarpe. Plusieurs Coléoptères aquatiques se tissent des tubes en- tièrement semblables, qu'ils attachent à la partie infé- rieure de leur abdomen, ou qu'ils laissent nager sur l'eau. Ainsi, la femelle de l'Aydrophilus piceus s'attache à une feuille qui flotte sur l’eau, et, avec l'humeur vis- queuse qui sort de sa filière anale, elle dépose des fils sur la face inférieure de la feuille, jusqu’à ce qu'ils forment une bourse hémisphérique, correspondante à Vas j la partie postérieure du corps de l'animal, Elle tapisse ensuite l’intérieur de cette bourse d’une humeur vis- queuse, y pond ses œufs , recouvre le tout d’une hu- meur limpide qui durcit aussitôt, et laisse nager son nid, à la confection duquel elle a employé trois humeurs différentes, savoir : une première, le tissu extérieur, imperméable à l’eau ; une seconde, un enduit blanc par lequel l’œuf est fixé à sa place ; enfin, une troisième pour le tissu soyeux , sec et poreux à l'extrémité du nid, et par lequel il peut pénétrer de l'air ({nn. du Muséum d'hist. nat., vol. xiv, p. 441). La poche ovigère des Entomostracés contient de dix à quarante œufs; par exemple, dans le Monoculus quadricornis, elle est pro- duite par l’activité organique, de mème que celle des Araïignées l’est par l’instinct de l’animal. Les œufs des poissons se revêtent dans l’oviductus d’une substance albumineuse qui les enveloppe comme frai, et qui, pour quelques-uns, en se coagulant à sa surface en manière de membrane, représente une sorte de nid. Ainsi les œufs de la Perche d’eau douce sont contenus dans un tube membraneux, rétiforme, de deux pouces d’épais- seur et d’une aune à une aunce et demie de longueur. Les œufs de beaucoup de poissons se collent à des corps solides au moyen de l'humeur visqueuse qui les revèt et qui a la propriété de s’endurcir. L'oviductus des grenouilles sécrète une matière albu- mineuse, qui enveloppe les œufs individuellement, puis les réunit en une masse commune. Si, à l'époque de la ponte des œufs , on met l’oviductus de ces animaux dans de l’eau à 120° F. (48 à 49° centigrades), il se trans- forme , suivant E. Home , en une gelée dans laquelle il ( 222 ) n’y a plus de trace de membrane. — Chez les animaux où l’incubation s’opère dans l’oviductus, il y a aussi une membrane du nid; par exemple, dans la Paludina vivi- para, où elle semble s'attacher par des filamens à la paroi de l’oviductus ; dans le Squalus maximus, où elle contient une gelée qui renferme des œufs; dans la Sala- mandre terrestre , où elle est délicate , d’une consistance gélatineuse, et fournit également une enveloppe à tous les œufs pondus. Osservarions sur le Sang, extraites d'une Lettre adressée à M. Durowc, secrétaire-perpétuel de l'Académie des Sciences ; Par M. Muzzer, Professeur de Physiologie et d’Anatomie comparée à Bonn (r). Al ss... Je Saisis Cette Occasion pour communiquer à l'Académie une observation sur le sang, qui me sembie mériter quelque attention. J'ai trouvé des moyens pour démontrer que ce ne sont pas les globules qui con- tiennent la partie coagulable du sang ou la fibrine, mais qu’au contraire la fibrine est dissoute dans le serum. (x) C’est à cause du retard que le numéro d'Octobre a éprouvé, que nous publions dans ce cahier la lettre de M. Muller, qui a été communiquée à l’Académie des Sciences le 10 décembre. (:293 ) Pour le démontrer , il faut employer un sang dont les globules soient assez grands pour ne pas passer à tra- vers les pores du filtre : tel est celui de la grenouille. Si on fait couler le sang d’une grenouille amputée à la cuisse, sur un filtre de papier blanc mouillé, et qu’on le mêle aussitôt avec une quantité égale d’eau, ou, ce qui vaut mieux, d’eau sucrée , il passe dans le verre de montré placé sous le filtre un liquide clair dans lequel il se forme bientôt un coagulum de fibrine ; ce coagulum est d’abord aussi clair que de l’eau, de sorte qu’on ne le voit qu’en l’enlevant avec une pince. Mais il se condense bientôt et devient blanc. On conçoit bien que dans le peu de temps qui s’écoule avant la coagula- tion, il ne peut passer à travers le filtre qu'une très pe- tite partie de fibrine dissoute, et que la plus grande partie de la fibrine se coagule déjà sur le filtre même. Si on emploie l’eau sucrée au lieu d’eau pure, pour faciliter le passage à travers le filtre, les globules res- tent sur le filtre sans changer de nature et ne se dissol- vent pas. Il suit de cette observation que l'explication de la coagulation du sang par l’aggrégation des globules ou des noyaux des globules , n’est pas fondée. Ces observations ne sont peut-être pas tout-àa-fait indignes de l’attention de l’Académie et de la vôtre; mais on doit remarquer qu'on ne peut pas les faire, avec le sang de grenouille, en hiver, parce que leur sang ne se coagule pas entièrement pendant cette saison, et qu'on ne peut pas se servir de grenouilles prises depuis quelque temps, parce qu'il n’y a que le sang des grenouilles fraîches qui se coagule en sortant du corps ; mais pendant le printemps, l'été et l’automne, (224) toutes les grenouilles fraîches, sans exception , produisent le phénomène décrit. Les globules du sang, d’ailleurs, sont composés,comme on le sait, d’un noyau décoloré et d’une écorce rouge; cette dernière se dissout peu à peu dans l’eau (mais non dans l’eau salée ou sucrée) et l’eau pure change aussitôt la forme elleptique des globules du sang des grenouilles en forme ronde. Après la dissolution de l'écorce rouge par l’eau, les noyaux restent insolubles dans l’eau , mais solubles dans l’eau alcaline. Tous ces faits s’observent très bien au microscope; c’est une sorte de chimie mi- croscopique. Pour séparer-immédiatement les noyaux de l'écorce rouge, le mieux est de mêler une goutte d'acide acé- tiqueavec une goutte de sang de grenouille ou d’un autre animal, en l’observant au microscope. Aussitôt l'écorce rouge ou la cruorine se dissout dans lacide acétique, tandis que les noyaux elliptiques restent et peuvent être observés dans leur forme propre, qui est elliptique dans les animaux dont les globules entiers sont ellip- tiques (1). (x) Cette lettre a été renvoyée à l'examen d’une commission com- posée de MM. Magendie, Flourens et Dumas. = (225 ) CoxsipérarTions sur Les irrégularités de La Corolle dans les Dicotylédones ; Par Azcrrer Moqeuin-Tanponw, Doet. Scienc. et Doct. Méd. INTRODUCTION. Les botanistes sont convenus d’appeler corolle un verticille (1) de feuilles modifiées , situé , dans les fleurs dicotylédones, immédiatement au-dessus du verticille calicinal. Les feuilles de la corolle alternent presque toujours avec les feuilles du calice; elles se font remarquer par la grandeur de leur développement, par la délicatesse de leur tissu, par la variété des couleurs qui les nuan- cent, et par la suavité des odeurs qu’elles exhalent. Ces folioles ont recu le nom de pétales (2) ; leur ensemble est considéré, par les hommes étrangers à la science, comme la partie la plus essentielle de la fleur , et par les botanistes comme une enveloppe protectrice des or- ganes sexuels. Dans beaucoup de plantes, les pétales sont égaux en surface, en forme, en couleur, distincts jusqu’à leur base et placés dans une position à peu près hori- sontale ; tel est le cas des Roses , des Crucifères et des Cistes. D’autres fois ces sortes de feuilles présentent (1) On sait qu'un verticille est une spirale contractée. (2) Petalum est floris folium Columna. Linn., Phil. Bot., 1792, p. 57. xxvi. — Novembre. “1 ( 226 ) les adhérences les plus inégales, les développemens les plus bizarres , de manière qu’il devient alors très diffi- cile de les distinguer les unes des autres, et de recon- naître par conséquent leur nombre et leur conforma- tion; c’est ce qui arrive dans les Polygala , les Co- ronilles , les Phlomis. Ces deux états des pétales ont fait admettre deux grandes divisions dans les corolles; on a nommé corolles régulières celles qui sont compo- sées de pétales uniformes , et corolles irrégulières celles qui résultent de Y’ensemble des pétales inégaux. Les corolles régulières et irrégulières se rencontrent à la fois dans certaines familles naturelles; l'une ou l’autre disposition peut constituer l’état naturel ou l’état acci- dentel ; et, pour ce qui regarde la corolle, sa forme or- dinaire détermine, dans chaque famille, le type parti- culier de celle-ci ; par exemple, la structure tubuleuse, avec deux lèvres ouvertes ou fermées, établit le type particulier des Labiées ou des Scrophularinées (1). Mais, comme jes corolles irrégulières semblent ètre des dé- générescences des corolles symétriques (2) , on peut ad- (7) Omni familiæ plantarum subest typus quidam nunc regularis, rune irregularis. Roeper, De florib. et afin. Balsamin., p. 24. (2) Quand nous disons que les corolles asymétriques sont des alté- rations des corolles régulières, et quand nous nous servirons, dans ce Mémoire, des mots déviation , déformation, dégénérescence ; etc., on ne doit prendre ces paroles que comme un langage figuré, par lequel nous cherchons à exprimer des différences organiques. Une corolle de campanule peut aussi-bien être regardée comme un verticille de Lobelia modifié, que celui-ci comme une corolle de campanule dé- formée. Mais, ainsi que le fait très bien observer M. Mirbel, nous choisissons pour objet de comparaison les types réguliers de préfé- rence aux autres, parceque ce sont ceux dont nous conservons le plus ( 227 ) mettre , pour chaque groupe naturel, un type général ou primitif, qui ne difière pas de celui du groupe quand les corolles de celui-ci sont régulières, mais qui, dans un sens métaphysique, lui est en quelque sorte anté- rieur ou préexistant quand les fleurs sont déformées ; ainsi, le type particulier se confond dans les Crucifères avec le type général, tandis qu'il s’en éloigne dans les corolles des Labiées et des Scrophularinées. Quelquefois les pétales de ces derniers groupes se montrent égaux en surface, en forme , en couleur, en direction ; il en résulte un ordre accidentel (1) qu'on appelle Pélorie ( Peloria) (2), et cette Pélorie doit être regardée comme un retour vers le type primitif (3). Nous devons faire observer cependant, que toutes les corolles qui appartiennent au type originaire ne sont pas toujours absolument semblables. Ainsi, pour pren- facilement le souvenir, et qui s'accordent le mieux avec les idées mesurées et méthodiques que nous portons dans l’exécution de nos propres ouvrages. Ainsi les irrégularités constantes n’ont rien de défectueux en elles-mêmes. (1) Le phénomène inverse arrive quelquefois. Des corolles défor- mées se développent accidentellement dans une famille où le verti- cille est régulier habituellement; mais ces exemples sont beaucoup plus rares que ceux des corelles irrégulières qui deviennent symé- triques. Multd frequentius occurit reditus ad symmetriam abnormis, quam aberrationes abnormes ab eadem symmetria. Roeper, doc. cit., p. 25. (2) Une fleur péloriée est une fleur régularisée. Cassini, Opuse. phyt., vol. 11, p.331.— Linné et Adanson considéraient les Pélories comme des plantes hybrides ou comme des transformations d’une espèce dans une autre (4mæn. acad., vol. 1, p. 55.—Fam. plant., vol. 1, p. ex.). (3) Typus Labiatarum et Scrophularinearum irregularis est, et reditus ad regularitatem in hisce familiis abnormes sunt (peloriæ). Roeper, loc. cit. p- 24. [288 } dre encore des exemples dans les Labiées et les Scro- phularinées, les pétales d’un Zinaria pélorié présentent tous un éperon vers leur partie inférieure, tandis qu'il n’en existe aucun dans les pétales symétriques du Zeu- crium carmpanulatum. Il est très uule pour l'étude de la classification et pour la science des rapports de connaître d’une manière positive l’état normal de la corolle; et, pour y parvenir, il est indispensable de bien apprécier les phénomènes qui, en rendant ce verticille irrégulier, ont dénaturé sa physionomie etchangéses relations. C’est pourquoi,nous commencerons ce Mémoire par jeter un coup-d’œil ra- pide sur les genres de déviation admis jusqu’à ce jour parmi les fleurs irrégulières. Nous examinerons ensuite les phénomènes qui éloignent les corolles de l’ordre pri- mitif et les causes principales de ces phénomènes. Enfin, nous terminerons par l'analyse des principaux degrés d’anomalie qui caractérisent habituellement les corolles déformées des Dicotylédones. Toutes les fois qu'il sera question, dans ce Mémoire , d'état normal, de plan symétrique, d’ordre régulier, il faudra toujours regarder ces expressions comme syno- nymes de type général ou primitif. Des divers genres d'irrégularité admis par les auteurs. Les botanistes ont cherché de bonne heure à réunir sous plusieurs chefs les divers modes d’irrégularité de la corolie. Nous allons rappeler en peu de mots les prin- cipales modifications qu'ils ont admises. ( 229 ) Les corolles irrégulières ont été groupées selon que leurs pétales étaient unis latéralement , et selon qu'ils étaient libres ; de là les noms de corolles monopc- tales irrégulières et de corolles polypétales irrégu- lières. La corolle monopétale irrégulière s’allonge ordinaire- ment en une sorte de tube (tubus) terminé par des parties plus ou moins libres et plus ou moins horizon- tales (Zimbe). Le plus souvent le sommet est divisé en deux lobes, l’un inférieur l’autre supérieur, nommés lèvres (labia) , à cause de la ressemblance du verticille avec une gueule d'animal. On appelle cette modification bilabiée et quelquefois ringente, lorsqu'elle imite jus- qu'à un certain point une gueule à mâchoires écartées ; tel est le cas du Romarin et de la Sauge. L'ouverture qui se trouve entre les lèvres prend alors le nom de gorge (faux). Quand les deux mâchoires se gonflent et se rapprochent vers leur base, la corolle est dite per- sonée, parce que l’on à comparé sa forme à celle d'un masque ou d’un museau ; tel est le cas de la Linaire et du Mufilier. Le renflement interne de la gorge qui ferme Touverture a reçu le nom de palais (palatum), et la lèvre supérieure , quand elle est comprimée , a pris ce- lui de casque ( galea). Quelquefois 1l n’existe qu’une seule lèvre, comme on le voit dans les Acanthes ; la corolle est dite alors unila- biée. On donne aussi ce nom, maïs improprement, aux tubes fendus d’un seul côté , dont les pétales réunis sont déjetés de l’autre, comme cela arrive à l'enveloppe florale d’un grand nombre de fleurs synanthérées et da ( 260 ) certaines Lobélies. Dans les premières corolles , cette modification s'appelle Zigulée (1). Quand la forme bizarre de la fleur ne peut être rap- portée ni à la figure bilabiée ni à la forme unilabiée ou ligulée , la corolle est dite anomale; tel est le cas de la Digitale. La corolle polypétale irrégulière imite quelquefois , dans sa figure , un papillon dont les aîles sont ouvertes. Cette grossière ressemblance lui a fait donner le nom de papillonacée. Dans cette forme on reconnait cinq pé- tales inégaux et variables , mais aflectant toujours une même disposition respective, ce qui les a fait désigner chacun par une dénomination particulière. Ainsi, on appelle étendard ou pavillon (vexillum), le pétale supérieur ou le plus grand ; ailes (alæ) les deux pétales latéraux ; carène (carina) les deux inférieurs, égaux entre eux , rapprochés , presque toujours soudés das la plus grande partie de leur bord inférieur, et composant, par leur ensemble , une sorte de nacelle comprimée et (x) Nous avons reconnu cette disposition dans un arbrisseau d’A-+ frique décrit par M. Delile sous le nom d’Acanthus polystachius (Cent. plant. Afrig., p.72, pl. x, f. 2). Sa corolle parait, au premier abord, unilabiée comme celle des Acanthes ordinaires; mais la lèvre supé-, rieure n’a point avorté; elle s’est divisée en deux parties ou pétales, et chaque pétale renversé en dehors adhère avec la lèvre inférieure; au lieu d’un bord tronqué, on observe sur le tube une petite fente. Cette espèce, qui diffère plus par sa corolle d’un Acanthe, qu'un 4juga ne diffère par la sienne d’un Teucrium, devrait peut-être constituer un houveau genre. Je proposerai d'appeler ce genre Cheilopsis (xernog» lèvre, od1,, apparence). C483x 7) redressée. Telles sont les fleurs des Trèfles, du Cytise et du Genet. Enfin, la corolle polypétale irrégulière est dite ano- male, lorsque ses pétales inégaux et dissembiables , n'offrent pas la structure et les dispositions respectives que nous venons de signaler , comme on en trouve des exemples dans les fleurs de la Capucine, de l'Aconit, de la Violette. Des phénomènes qui éloignent Les corolles du type régulier. Examinons maintenant ce qui se passe dans les co- roiles qui s’écartent du type général, et qui deviennent soit habituellement , soit accidentellement, labiées , personnées , papillonacées et anomales. Comme tous les organes de la plante, les pétales sont susceptibles d’éprouver des diminutions ou des augmen- tations dans leur développement ; ils peuvent ne pas at- teindre ou dépasser les limites normales réclamées par l'ordre symétrique. De là, deux classes de phénomènes que nous allons étudier séparément : des phénomènes par défaut et des phénomènes par excès (1). Les premiers sont ceux dont nous nous occuperons d’abord. Les feuilles des végétaux ont en général une tendance (x) La dégradation du type primitif a lieu par surabondance ou par défaut... Un organe peut prendre un accroissement excessif ou bien naiître plus petit qu'il n’a coutume d’être; le nombre des pièces peut augmenter ou dimimuer. (Mirb., Théor. élém., vol. 1, p. 222.) (282 ) à se séparer les unes des autres et quelquefois même à se découper. À mesure que la plante se rapproche du moment de sa reproduction , elle épuise peu à peu l’é- nergie qui lui est propre; elle s’affaiblit, elle use sa vie (x), ses efforts pour la division deviennent moins sensibles, et fort souvent les feuilles qui naissent au sommet de l’axe demeurent entières quand les autres sont découpées (plusieurs Ansérines) ou soudées quand elles sont distinctes (plusieurs Chèvre-Feuilles). Mais les feuilles les plus hautes, développées les dernières , ne diffèrent des autres que parce qu’elles ont éprouvé des arrêts dans leur évolution; et cela est tellement vrai, que si, par une circonstance quelconque , la plante, au lieu de mettre un terme à sa végétation et de fleurir, continuait à se développer, les feuilles entières et sou- dées , dont nous parlons , se sépareraient et se découpe- raient comme les feuilles moins hautes. La séparation des organes étant due , d’après tout ceci, à un dévelop- pement plus étendu , peut donc être en quelque sorte considérée comme postérieure à leur réunion. Et comme, d’un autre côté, les enveloppes florales re sont autre chose que des verticilles de feuilles supérieures plus ou moins modifiées , il est plus exact de voir, dans une co- rolle polypétale, une corolle monopétale désoudée, que de regarder l’enveloppe monopétale comme un verticille polypétale à folioles réunies. Ainsi, il serait peut-être plus convenable et plus conforme au developpement na- turel des organes, d'adopter le mot de désoudure , pro- (z) Voyez Goethe, Ess. Métamorph. PL, trad. Gingius. (233 ) posé par M. Turpin (1), et de changer les expressions de soudure et d'adhérence , consacrées par les natura- listes , puisque elles semblent indiquer que les pétales , primitivement distincts , se sont greflés les uns aux au- tres, comme deux fœtus dans le sein de leur mère, ou deux rameaux dans une haie; tandis que c'est, au con- traire, un défaut de séparation qui a eu lieu. Quoi qu'il en soit , il n’en est pas moins certain que, dans plusieurs familles naturelles, les pétales au lieu de s’étaler dis- tincts les uns des autres , restent unis d’une manière très intime (2). Souvent ce phénomène est cemplet, c’est-à-dire qu'il a lieu sur toute l'étendue ou presque toute l'étendue des organes , comme dans les Liserons, les Éricinées et la plupart des corolles appelées monopétales. D'autres fois il se manifeste seulement dans une partie des folioles, comme cela arrive dans les Véroniques , où l’espace dés- uni est très grand ; et si la séparation se montre le plus or- dinairement à la partie supérieure , quelquefois pourtant on l’observe inférieurement , comme dans la Vigne. On sait que plusieurs espèces de Phyteuma ont leurs pétales adhérens à la base et au sommet, tandis que leur partie moyenne devient libre. Enfin, dans le Rhodora Cana- densis , le Campanula medium , et le Phlox amærz , il est facile de trouver tous les degrés de division pos- sibles, soit dans les fleurs d’un même individu, soit dans les pétales d'une mème fleur (3). (x) Zconog. véget., p. 18, note. (2) Quand nous nous servirons des mots soudure , adhérence , c’est toujours comme synonymes de défaut de séparation. (3) DC, Organog., vol. 1, p. 455. ( 234 ) Les diverses plantes, dont nous venons d'indiquer les adhérences ; nous ont fait voir leur défaut de séparation égal dans-tous les pétales à la fois; mais il est plusieurs espèces chez lesquelles ce défaut se manifeste d’une ma- nière fort inégale, ou mème uniquement dans une partie de la corolle. Ainsi, quatre pétales demeurent adhérens ou sont peu divisés dans certains Lonicera , quatre autres sont unis deux à deux dans le Füissilia, trois paraïssent soudés dans les Lobélies, et deux seulement dans les Gratiola. Enfin, le phénomène qui nous occupe, au lieu de se montrer dans un même rang d'organes, peut s’effectuer avec le verticille supérieur ou le verticille inférieur. C’est ainsi que, dans les Polygalées , les pétales se con- fondent à leur base avec le tube staminal, et que, dans les Tropæolum, ils restent plus ou moins soudés avec les feuilles du calice. Il existe un mode singulier d’aberration que nous rapprocherons du phénomène précédent , quoiqu'il soit souvent produit par une véritable grefle. Nous voulons , parler de la soudure des corolles appartenant à plusieurs fleurs (1). M. De Candolle en a observé un exemple ac- cidentel dans le Vinca minor (2), M. FElmiger un autre sur une Digitale (3), et nous-même un troisième sur une fleur d’Abricotier. Cette adhérence paraît habituelle dans le Zycopersicum esculentum, le Solanum melon- (x) DC., Théor. élém., éd. 2, p. 143 et 144. (2) Organog., vol. 11, pl. xzvrr. (3) His. nat. Digit., p. 16, plz, fig. c. ( 385 ) gena (1),-et un Gleditséhia dont nous avons perdu lé nom. Chez les fleurs qui s’aggrègent les unes aux autres, comme dans les animaux qui se greffent par monstruo- sité, l’adhérence a toujours lieu entre des organes ana- logues. Les pétales s’unissent avec les pétales, les éta- mines avec les étamines , les carpelles avec les carpelles. La plupart des observations ayant été faites sur des en- sembles d'organes réguliers, on n’a peut-être pas fait attention que, dans un verticille quelconque, les diffé- rentes parties sont soumises à cette mème loi d’aggréga- tion. C’est ce qu’il est aisé de reconnaître sur les co- rolles à pétales inégaux ou dissemblables ; ainsi, dans les deux fleurs soudées de Digitale, figurées par Elniger, les petites folioles se sont greffées entre elles et les deux grands pétales ont adhéré l’un avec l’autre en dehors de l'axe de la plante (2). Lorsqu'un obstacle quelconque, appréciable pour nous ou non appréciable, s'oppose au développement de la corolle ou d’une partie de la corolle, les pétales _cessent de prendre leur nourriture, ét non-seulement leur tendance à la séparation s’évanouit, mais encore leur étendue, leur forme et leur couleur peuvent se trouver plus ou moins altérées. Ce dernier phénomène a été désigné par le nom d’avortement (3). Quand l’évo- (1) Dunal, Monog. solan., p. 90, tab. 111, E. (2) Hist. nat. Digit., loc. cit. — M. Delile nous a montré deux fleurs de Justicia dont les pétales des lèvres extérieures s'étaient intimement soudés entre eux. (3) Voyez la Théor. élém. et l'Organog. de M. De Candolle. ( 236 ) lution s’est arrêtée de bonne heure , avant mème que l'organe pût être soumis à notre observation , la dispa- rition du pétale est devenue complète. Aïnsi , par exem- ple , un certain Frène produit des corolles formées de quatre pétales arrondis ou ligulés; sur d’autres pieds de la même espèce ce verticille est nul; on observe même sa présence et son absence chez le même individu. Tous les pétales manquent aussi dans certains genres appar- tenant à des familles où le développement de ces or- ganes a été mis au rang des caractères distinctifs; tels sont les Alchémilles dans les Rosacées, les Mollugo dans les Caryophyllées, et les Chrysosplenium parmi les Saxifrages. Mais , dans plusieurs autres plantes, le phénomène n’est pas si complet : il reste dans la fleur une partie de la corolle. Ainsi , quatre pétales ont dis- paru dans l’Æmorpha fruticosa , trois dans le 7ropæo- lum pentaphyllum, deux dans le Tamarinier, un seul dans les Sapindacées. Quand l'obstacle au développement n’est arrivé qu’au moment où le pétale avait déjà opéré une partie plus ou moins appréciable de son évolution , l'organe devient alors susceptible d’affecter les dimensions les plus va- riables et les conformations les plus bizarres ; quelque- fois même il est réduit à un rudiment pétaloïde ou à un corps glanduliforme. Passons actuellement aux phénomènes par excès. Les cas où la division des organes dépasse les limites ordinaires, c’est-à-dire ceux dans lesquels il naît deux ou plusieurs pétales là où il ne devrait en exister qu'un seul, d’après les lois de la symétrie générale, ont été ; p \l 8 , ( 237 ) appelés indistinctement dédoublement, multiplication d'organes ou chorise (1). Il est facile de sentir que cer- tains pétales , avec une ou plusieurs incisions ou échan- crures au sommet ( par exemple, un Æ/sine, un Dian- thus) , peuvent , dans certaines circonstances , augmen- ter leurs divisions, ou se doubler ou se tripler. C’est ainsi que nous avons vu sur les fleurs marginales d’une ombelle très développée de Caucalis grandiflora, tous les pétales extérieurs et marginaux, qui sont dans l’état ordinaire profondément bifides , représentés par deux lobes ou pétales distincts jusqu’à leur base. Nous avons encore observé une chorise en deux parties, à la lèvre inférieure d’une Lobélie exotique, dans laquelle les folioles ou lanières ne présentent pas habituellement de découpure. Enfin , il n’est pas rare de trouver des Pri- mevères doubles avec des faisceaux de pétales naïssant là où il ne devrait se développer qu’une seule foliole (2), multiplications organiques qu'il ne faut pas confondre toutefois avec les transformations pétaloïdes des organes placés immédiatement au-dessus ou au-dessous. Tous les faits que nous venons de rapporter sont pu- rement accidentels. Les exemples de corolles dans les- quelles il existe habituellement plusieurs pétales ou plu- sieurs parties de pétales dans une seule place sont très- 1 (x) DC. Cons. gén. Fl. doubl., Mém. Soc. Arc, 1815, vol. rx, p. 307. — Ibid., Théor. élém., éd. 2, p. 504. — Ibid., Organog., 1827, vol. 1, p- 506 et 510. — Dun., Ess. Vaccin, p. 19. — Id., Consid. gén. Fleur., 1829, p. 32, note. — Alf. Moq., Hém. Dédoubl., 1826. (2) DC., Mém. FL. doubl., p. 397. — Id., Organog., vol. 1, p. 505 et 506. ( 238 ) rares (1); ce qui nous parait bien digne de remarque, puisque ce phénomène , ainsi que nous l’avons prouvé ailleurs, est au contraire assez fréquent parmi les éta- mines (2). Le pétale augmente quelquefois son volume sans se diviser; il en résulte un développement excessif. Cette anomalie , confondue par quelques auteurs , avec l’avor- tement, est le contraire de celui-ci ; de la même ma- nière que le dédoublement est l'opposé de l’adhérence. On la remarque aux pétales extérieurs des Jberis et de plusieurs Ombellifères, aux corolles marginales des Ra- diées et de quelques 7’iburnum , et dans plusieurs autres végétaux , où sa présence est bien souvent le résultat de la culture. Les phénomènes par excès ou par défaut, que nous venons d'examiner d’une manière séparée, peuvent se montrer dans une corolle, plusieurs à la fois ou tous si- multanément. Ce dernier cas est peut-être le plus com- mun , lorsque la déviation parait un peu considérable. Mais souvent ces phénomènes appartiennent à une seule classe; ils consistent tous, par exemple , dans des arrêts ou défauts de développement et de séparation (3), comme dans les Acanthes , où l’on trouve à Ja fois avortement de deux pétales et adhérence des trois autres. Souvent aussi, et ce cas est peut-être encore plus fréquent, par une sorte de compensation ou de balancement orga- (1) Voyez l’Erythroxylum deciduum Aug. St.-Hil., dans la zxzx° li- vraison des Plantes usuelles des Brésiliens. (2) Mém. sur les Dédoublemens ou Multiplications. (3) DC., Théor. élém., éd. 2, p. 243 (Des adhérences et des avorte- mens combinés ou simultanés). ( 239 ) nique , l'existence d’un phénomène par défaut se com- bine avec l'existence d'un phénomène par excès (1). Le balancement peut avoir lieu sur le même vertiaille, comme dans certaines Globulaires , où deux pétales sont courts et même nuls, tandis qu’on voit les autres assez développés. Une compensation peut aussi s’éta- blir entre les verticilles supérieurs et inférieurs ; ainsi, la corolle du Fiburnum opulus prend un grand ac- eroissement quand les organes sexuels s’évanouis- sent (2), et ce verticille demeure au contraire extrè- meinent peut dans le genre Mimosa, où l'on observe un dédoublement d’étamines prodigieux. Nous avons fait remarquer, avec M. Auguste de Saint-Hilaire, que, dans les Polygalées, les grandes folioles du calice étaient placées auprès des deux petits pétales, ou de leur place quand ils ont disparu, et que, d'un autre côté, le pétale le plus grand était situé entre les divisions les plus petites du calice (3). L’illustre Goethe, entrainé sans doute un peu trop loin par le désir de généraliser, avait déjà proclamé dans son ouvrage sur les métamor- phoses végétales , que les organes foliacés ou appendicu- laires , en revêtant diverses formes, se dilataient et se contractaient alternativement. Ce phénomène ne paraît (x) DC., Théor. élém., éd. 2, p. 166.— Id., Organog., vol. 1, p. 516. — Cassini, Wém. sur la corolle des Synantherées et Mém. sur l'influence des Étam. Perianth. — Turpin, Zconog. végét., p. 13. 1 (2) MM. De Candolle et Cassini ont fait voir que le grand dévelop- pement des corolles dans les fleurs marginales d’une Calathide de Corymbifere était dû à l'avortement des étamines. Nous devons ajou- ter, avec ces deux célèbres botanistes , que dans plusieurs gas où l’on observe la simultanéité des deux ordres de phénomènes, on ne peut pas juger lequel des deux est cause de l’autre. (3) Prem. Mém. sur la famille des Polyg. (extr. des Mém. mus.), p. 46. (240 ) pas assez constant dans la nature pour qu'on puisse éta- blir, d’une manière générale, qu’il existe dans les verti- cilles floraux alteruance de développement, comme il y existe alternance d'insertion (1). Il est encore une autre circonstance qui peut dé- terminer l'irrégularité accidentelle de la corolle, c’est quand ce verticille adopte la structure et remplit les fonctions d’un autre verticille. Cette métamorphose, sur laquelle le célèbre écrivain cité plus haut a le premier appelé l'attention des botanistes, a été nommée par lui métamorphose descendante lorsque des organes pren- nent la forme et joueni le rôle des organes placés immé- diatement au-dessous, et métamorphose ascendante quand la transformation inverse s'effectue (2). L'un et l’autre changemens, étudiés plus tard par M. De Can- dolle, sous un point de vue peu différent, et désignés par lui sous le nom de dégénérescence (3), marchent toujours avec un développement, soit par excès, soit par défaut, et sont par conséquent le résultat de ce mème développement. Considérée sous le rapport de ces trans- formations, la corolle peut donc s’écarter du plan nor- mal de deux manières différentes ; tantôt les pétales se métamorphosent en étamines , et tanlôt ces mêmes or- ganes se modifient en folioles calicinales. Ainsi, le cé- lèbre De Candolle a découvert des fleurs de Haricot vul- gaire qui présentaient les ailes et quelquefois même leur carène transformées en étamines (4). La seconde méta- (a) Ess. métamorph. Plant., chap. 6,9 et 18. (2) Mém. cité. (3) Théor. élém., éd. 2, p. 105. (4) Mém. Légumin., p. 44. — M. De Candolle signale, dans son Organog. (vol. 1, p. 497, pl. xzrt, fig. 3), d’après M. Jacquin, une ( 241) morphose a été observée par Marchant (1) et Dupetit- Thouars (2), dans les fleurs du Dictamnus albus, par MM. Dumas (3) et Roeper (4), dans le Campanula ra- punculoïdes ;et par MM. Delile (5) et Dunal (6), dans plusieurs F’erbascum des environs de Montpellier. Gi- libert a constaté le même phénomène sur des corolles de Phyteuma spicata (7), Bridel sur celles de l'£rysimum officinale (8), et M. Cassini sur celles du Scabiosa co: lumbaria (9). D variété décandre et apétale de Capsella Bursa-pastoris devenue perma- nente ; il croit que les pétales ont été changés en étamines, Comme dans la figure qu’il en donne toutes lés étamines sont placées sur une même ligne, ne pourrait-on pas voir, dans cette fleur, une multiplication en trois de chaque étamine solitaire, phénomène qui se lie avec l'avortement de la corolle? On sait que toutes les Cruci- fères ont habituellement deux étamines géminées ou dédoublées, et deux étamines solitaires ou normales. Ces dernières, dans certaines circonstances, ne pourraient-elles pas se dédoubler? Voyez aussi mon Mém. sur les Dédoubl., p. 15, et ma Note sur les Étamines du Clypeola crclodontea ; Bullet. de la Soc. d’Agricul. de l'Hérault. (1) Mém. Acad. des Se. Paris, 1693, p. 23. (2) Cité par M. De Candolle, Organog.;,wol.1, p.543, note. (3) Échantillon communiqué à M. De Candolle en 1819. DC., loc. cit. (4) Mém. Inflor., dans Sering., Mélang., vol. 11, p. 99. Voyez auss: Pollini, F1. de Vérone, vol.1, p. 272. — DC. fils, Monog. Camp., p. 33. (5) Observation communiquée. (6) Consid. ors. Fleur, 1829; p. 25 et 26. (7) Démonstr. Bot., t. XXXII1. (8) Journ. génér., 17971, n° 4. Muscol., vol. 1, p.54. (9) Bullet. Scienc., mai 1821, p. 78.— Opusc. phyt., vol'rt, p' 540. M. De Candolle a trouvé des exemples de cette’transformation dans les fleurs de l’Hesperis matronalis, du Renuncilus philonotis ;'et de V’Ane- mone nemorosa (Organog.. vol. 1; p.543), M Seéringe dans telles du Tri- XXVIL. 16 ( 242) Pour qu’il y ait production d’irrégularité dans une corolle , il est nécessaire que tous les phénomènes par excès ou par défaut aient influé sur elle d’une manière incomplète ou inégale. On conçoit aisément qu’un ver- ticille, dont chaque pétale ne se développerait, par exem- ple, qu’à moitié , ou se diviserait en deux , en trois, en quatre pétales, conserverait toujours une figure symé- trique. Cependant on ne pourrait pas ranger une pareille corolle parmi celles qui n’ont pas dévié de leur type pri- mitif. Il existe donc deux sortes de symétries , l’une qui suit toujours le plan normal, l’autre qui se rencontre quelquefois dans ses déviations. Au nombre des corolles qui appartiennent au dernier genre de symétrie, viennent se placer les verticilles ré- guliers , dans lesquels toutes les folioles sont restées uni- formément soudées en tube , en cloche ou en soucoupe. Aussi, dans certaines occasions, l’espèce d’assemblage qui les caractérise , se découpe , se fend; l’adhérence dis- paraît, et la régularité primordiale est rétablie. M. Duby a découvert un exemple de ce retour au plan normal, dans le Campanula medium (1), et M. Philippe Mer- cier un autre dans le PAlox amæna (2); nous en avons observé un troisième dans une espèce de tabac. Les demi-fleurons ou ligules des composées ne doivent leur irrégularité apparente qu’à la division unique de la corolle du côté intérieur, et au renversement des pétales folium repens, du Veltaria alliacea et du Diplotaxis tenuifolia (Bull. Bot., janv. 1830), et nous même dans celles de l'Echinophora maritima, du Diplotazis mwralis, et de l’Amygdalus communis. (x) DC., Organog., vol. 11, p. 280, pl. xurx, fig. 1, . (2) Loe. cit, p. 281, pl. xerr, fig. 5, d. (243 ) en dehors. Il est tellement vrai que cette modification s'éloigne peu de la disposition monopétale, régulière , que les corolles ligulées de certaines espèces peuvent de- venir par accident symétriquement flosculeuses , et que le changement inverse arrive quelquefois dans d’autres fleurs. Ainsi, M. De Candolle a fait connaître une variété deTagetes erecta, dans laquelle les demi-fleurons étaient transformés en fleurons tubuleux , plus grands que ceux du disque (1), et parmi les figures de fleurs anomales de Rhodora Canadensis , publiées par ce célèbre botaniste, nous en avons distingué une dans laquelle une fente unique s'étant effectuée sur un côté , et les pétales s'étant déjetés en dehors, la corolle simulait parfaitement un demi-fleuron de composée (2). Il résulte de tout ce qui vient d’être exposé sur les excès ou les défauts d'évolution de l'enveloppe interne de la fleur, que toute corolle irrégulière doit offrir des ADHÉRENCES Ou des DÉDOUBLEMENS , des AVORTEMENS ou des AUGMENTATIONS , et que ces phénomènes doivent avoir lieu sur un ou plusieurs de leurs pétales , mais jamais sur tous. Causes des phénomènes qui éloignent les corolles du type régulier. Ainsi que le fait très bien observer M. De Candolle, les causes des phénomènes que nous venons de signaler (x) Organog., vol. +, p. 455. (2) Loc. ait., vol. 1t,p: 281, pl. xrr, fig. 2, c.— « La transformation des fleurs régulières en fleurs irrégulières est fréquente dans les Synanthères radiées. Par l'effet de la culture, les petites corolles du ( 244 ) peuvent être de deux sortes ; les unes tiennent à des in fluences étrangères à la plante, et les autres à des cir- constances inhérentes à son organisation (1); celles-ci agissent d’une manière continue, celles-là d’une manière accidentelle. Parmi les premières causes , il faut ranger la piqüre des insectes , les mutilations de la culture, la pression irrégulière des corps étrangers, l’action inégale de la chaleur et de la lumière , l'augmentation ou la diminu- on des fluides nutritifs... Dans les secondes, on doit placer la pression des fleurs contre les autres fleurs (2) ou contre l’axe (3), la gène produite par les rameaux ou par les feuilles, la position plus ou moins élevée sur la tige (4), la longueur du pé- doncule (5) ou son absence , le développement trop pré- coce ou trop tardif de la corolle ou d’une portion de la corolle (6), l'accroissement plus ou moins rapide des disque se prolongent latéralement en languettes semblables à celles des corolles qui forment les rayons. » (Mirb., Ælem. physiol., vol. 1, P: 221, note.) (r) Organog., vol. 1, p. 515. (2) DG., Théor. élém., éd. 2, p. 165. — Id., Organog.. vol. 1, p. 516. (3) Cassini, Mém. infl. avort.étam. Périanth., Journ.phys., vol. 11, p. 335, et Opuse. phyt., vol. 11, p. 327. — DC., Organog., loc. cit. (4) Dans la plupart des plantes à inflorescence indéterminée, les fleurs sont irrégulières; elles sont au contraire presque toujours sy- métriques dans celles à inflorescence définie. DC., Théor. élem., 164. — Roeper, De florib. et affin., Balsamin, p.25.— Dutrochet, Lettre à l'Institut, séance du 6 juin 1831. (5) Quum fortè in Linaris, Labiatis, Corydalibusque Peloriæ.oocurunt semper aut terminales sunt in inflorescentià aut majoribus, saltem.ärsidunt pedunculis. Roep., loc. cit. (6) Voyez plus bas l’article Féronique. | ( 245 ) organes situés au-dessus ou au-dessous (1), l'insertion relative de chaque verticille floral (2), l'obliquité de la corolle (3), peut-être même la forme primitive des tissus élémentaires (4)... Nousnous sommes bornés à indiquer succinctement les principales causes qui forcent les corolles à ne pas at- teindre ou à franchir leurs limites normales. Cette partie de la science , quoiqu’elle ait été le but des recherches de plusieurs savaris recommandables , laisse encore bien des questions à éclaircir et des hypothèses à détruire. Peut- être essayerons-nous de la traiter dans un second Mé- moire , si nous parvenons à recueillir assez de faits pour apporter quelque lumière dans un sujet aussi obscur. Des divers genres de déviation du type régulier. C’est une chose bien étonnante que l’assujétissement à certaines règles conservé par la nature au milieu de ses écarts les plus apparens , de ses variations les plus bizarres. Des formes symétriques sont cachées dans ce que nous croyons irrégulier, et des lois très simples président à ce que nous appelons désordre. Pour mettre un peu de méthode et de clarté dans l’examen des diffé- rens modes de déviation qui changent la figure des co- rolles , nous commencerons par nous occuper des ver- (x) Cassini, Mém. cité. — Voyez ce que nous avons dit plus haut sur le balancement des organes. (2) Ad. Brongniart, Mém. Insert. relat. de chaque vet. flor. et sur son infl. sur la régul. et l'irrégul. (3) Ad. de Jussieu, Mèm. Malpighi. (4) Turpin, {conogr. végét., p. 18, note. (245 ) ticilles ou le type primitif demande cinq pétales. Nous traiterons ensuite , dans un article séparé , des corolles où Je plan normal en exige tantôt deux, tantôt quatre et lantôt six. Des Corolles pentapétales. Premier mode d’irrégularité. La corolle des Linaires est composée d’un tube oblong, irrégulier, bossu, terminé par un limbe divisé en deux lèvres inégales. La première de ces lèvres, supérieure ou interne, est bifide; ses cô- tés sont réfléchis et ses lobes obtus ; la seconde, infé- rieure ou externe, est trifide ou trilobée, obtuse et assez grande. Les rélations des lobes de la corolle avec les feuilles du calice annoncent que les lèvres sont formées, l'interne par la réunion de deux pétales et l’externe par l’assemblage des trois autres. Le pétale median de la dernière lèvre se prolonge inférieurement en un cornet plus ou moins long et subulé ( Vectarium longum, L.). Quand les Linaria se symétrisent et qu’elles forment ces variétés si généralement connues sous le nom de Pé- lories (1), on observe dans la nouvelle fleur cinq pé- tales réguliers , entièrement semblables au lobe médian de Ja lèvre inférieure. Ce dernier pétale est donc le seul qui soit normal dans la corolle habituelle ; les autres s’é- (x) Voyez Amæn. acad., vol. x, p. 55. — Leers Flor. Herb., n° 492. — Scholl. barb., n° 507. — Knip. cent. 9, n° 9, R. — Hopk, For. anom., pl. var, fig. 1, 2, 3. — Ratzebourg, Obs. ad Peloriam indolem defin., 1824. — Turpin, Zconog., pl. xx, fig. x0. — M. Cassini a observé le Linaria spuria pélorié ; Haller avait trouvé le Linaria elatine, et Adanson une autre espèce péloriée. ( 247) loignent plus ou moins du type primitif ; il existe par conséquent , dans les Linaires, un pétale symétrique et quatre pétales anormaux. Une organisation peu différente se fait remarquer dans les Anthirrhinum ; le lobe moyen de la lèvre inférieure, au lieu d’avoir à sa base un long cornet, donne nais- sance seulement à un renflement obtus ( Vectarium obtusum , L.). Le pétale qui produit ce renflement dans le Müflier est l’analogue de celui qui porte l’éperon dans la Linaire; aussi, quand les Ænihirrhinum se pélorient , tous les pétales prennent la forme du pétale médian ex- térieur (1). M. Elmiger a fait connaître une monstruosité de Di- gitale orientale , dont la corolle , parfaitement régulière, démontre que le seul pétale normal de la fleur habi- tuelle est également le pétale inférieur (2). Nous n'avons pas besoin de rapporter d’autres exemples pour établir que la plupart des Scrophularinées , avec des fleurs non symétriques , ne présentent , dans leurs corolles , qu’un seul pétale régulier. La famille dont nous venons d’étudier l’enveloppe protectrice nous conduit naturellement à l’examen du verticille floral des Labiées. Nous avons encore dans ce groupe une corolle en tube avec des pétales séparés au (x) Les corolles monopétales irrégulières qui se symétrisent con servent le plus souvent leurs pétales réunis. Comme tous les bota- nistes, nous considérons ces Pélories comme le type primitif, quoique le défaut de séparation des folioles annonce que la fleur n’est pas com- plètement dans la disposition originaire. (2) Hist. nat. Digit., p.16, pl. 1, fig. 6. (248 ) sommet en deux lèvres , l’une supérieure ; bidentée où bifide ; l’autre inférieure , à trois divisions ou trilobéc. La première de ces lèvres, étroite, plus ou moins oblen- gué,, presque toujours dréssée, aplatie dans un petit nombre d'espèces, concave dans la plupart, est formée de-deux pétales qui sont restés soudés dans presque toute leuf longueur. À la lèvre inférieure, on voit deux lobes ou pétales latéraux , étroits ou rabougris, ordinai- rement de forme bizarre , placés de chaque côté d’un iroisième pétale généralement assez développé, arrondi, oblong, horizontal , plane ou concave, presque toujours entier et échancré. Dans certaines Labiées (.4juga, Téucrium), la lèvre supérieure est nulle ou presque nulle, tandis que dans quelque espèce que ce soit, les divi- sions inférieures ne manquent jamais. Quand les corolles deviennent à peu près régulières (celles du Thym vul- gaire, par exemple ), c’est ordinairement à la lèvre d'en bas que commence le retour au type primitif; les lobes supérieurs demeurent déformés. Enfin, parmi les pé- tales habituels de la lèvre inférieure, les latéraux sont variables et irréguliers dans leur figure , tandis que l’in- termédiaire est plus constant et symétrique dans, la sienne. Ajoutons que les pétales des espèces où paraît le plan normal, comme cela arrive par accident dans les Galeopsis , et fréquemment dans le Teucrium campa- nulatum.(1), prennent la forme, les nuances, la gran- (x) M. Mirbel a observé une modification particulière du C/eonia lusitanica. Sà corolle avait la forme d’un entonnoir avec un limbe à six folioles ; ses étamines étaient au nombre de six, et alternaient avec les lobes de la corolle (Élém. phys.vég.,vol. x, p.22 r). Cette plante, quoique ( 249 ) deur du pétale moyen de la lèvre inférieure. Ce dernier est donc le seul dans presque toute la famille qui ne se soit pas éloigné de l’ordre symétrique (1). Notre raison- nement est confirmé par tous les points de ressemblance qui unissent la-corolle des Labiées avec celle des Scro- phularinées , verticille dans lequel nous venons de re- connaître, comme seul pétale régulier, le pétale analo- gue à celui dont nous parlons. Un botaniste célèbre, qui joigüait la profondeur à l’exactitude, nous a devancé dans un Mémoire très curieux sur les aberrations des Périanthes , et ses idées ajoutent un degré de certitude de plus à notre conclusion. M. Cassini, comparant la figure ordinaire des Labiées avec la forme du Z'eucrium campanulatum , en a déduit cette considération , que le * lobe moyen de la lèvre inférieure est probablement la seule partie de la corolle qui ait conservé, sans aucune altération , ses caractères primitifs (2). La famille des Acanthes comprend le genre Thun- bergia , dont la fleur est pourvue d’une corolle à cinq pétales réguliers, quoiqu'ils ne soient pas entièrement divisés jusqu’à leur base. Dans les Justicia , le limbe est séparé en deux lèvres ringentes à peu près comme dans régulière, avait dépassé le nombre des organes exigé par le type pri- mitif. Devait-elle cette augmentation à un dédoublement ou à l’ad- hérence de deux fleurs ?..….. (x) M. Mirbel a conclu de la figure du Teucrium campanulatum , que letype régulier d’une corolle labiée est une corolle à cinq lobes égaux (Mém. Lab. Ann. Mus., 1810 ,t. xv, p- 232). (2) De l'infl. de l'Avort. Étam. sur les Périanth. (Opusc. phyt., t. 11, p- 330). L'auteur ajoute: « Fapplique le même système à la famille des Personnées. ( 250 ) les Labiées et les Scrophularinées ; le lobe moyen de la lèvre inférieure est celui qui se rapproche le plus par sa figure des pétales symétriques du genre régulier T’hun- bergia. Il est donc permis de conclure que ce pétale est encore le seul de la corolle qui soit resté Ens le type primitif. Nous serions arrivés au même résultat , si nous avions fait attention que la lèvre supérieure est compo- sée de deux pétales courbés et déformés, tellement éloi- gnés de l’ordre symétrique que, dans certaines espèces , leur limbe finit par disparaître tout-à-fait (les Acanthes); que, dans la lèvre inférieure, les lobes latéraux sont souvent les moins développés, et que le lobe médian est le seul caractérisé par une forme symétrique. Si nous comparions les pétales des Zathræa , des Oro- banches, des Vitex et de plusieurs autres Verbenacées, soit avec ceux des familles que nous venons d'examiner, soit avec ceux des corolles régulières , accidentelles ou constantes , des espèces ou des genres qui sont les plus voisins, nous arriverions au mème résultat. Il en serait absolument de même des enveloppes florales de la plu- part des plantes de la tribu des Lobélies et de la jolie famille des Goodenoviées. Nous laisserons de côté les corolles à pétales adhérens, pour jeter un coup-d’œil sur les corolles à pétales dé- soudés (C. polypétales ). Mais avant de commencer l'étude de ces dernières, portons nos regards sur les Po- lygalées, dont les pétales, faciles à distinguer les uns des autres , sont néanmoins unis par l'intermédiaire du tube staminal. La plupart des Polygalées n’ont que trois pétales. L'un d'eux , qui a reçu le nom de carène (carina), est situé ( 251 ) à la partie inférieure ; il paraît ordinairement fort grand, presque toujours onguiculé, très-concave, tantôt uni- Jobé nu ou muni d’une crête à son sommet, tantôt sans crête et trilobé. Les pétales supérieurs, que Linné dé- signait collectivement sous le nom d’étendard (vexil- lum diphyllum), quoïqu’ils soient toujours distincts , naissent rapprochés l’un de l’autre, inéquilatéraux , or- dinairement plus courts que la carène, quand elle est pourvue d’une.crète, égaux à elle ou à peine plus grands quand elle en est privée (1). Le nombre cinq, que nous trouvons dans le calice de presque toutes les Polygalées , nous révèle le type numé- rique des parties qui doivent composer la corolle dans l’ordre primitif; ilmanque deux pétales dans ces fleurs(2), et les rélations de ceux qui existent avec les folioles du verticille inférieur nous indiquent la place des pétales avortés. L'observation vient confirmer ce qui nous est annoncé par le raisonnement ; aux places désignées , on découvre , dans certains Polygala (P. cordifolia et oppositifolia), deux renflemens très petits, ongui- formes , obtus , qui font saillie à la base du tube stami- nal. On doit considérer ces espèces de gibbosités comme les deux pétales latéraux qui sont le complément du verticille. C’est M. Roeper qui, le premier, a signalé Jeur existence (3), car ils avaient échappé à nos recher- ches, quand nous avons publié, M. Auguste de Saint- (x) Voyez notre Prem. Mém. sur la famille des Polygalees, p.12 et 13. (2) Mém. cité, p. 44. (3) Enum. Euphorb., p- 54, note. — Ibid, De florib. et affin. Balsamin., p- 43 et 44, note. — Voyez aussi le Second Mém. sur la famille des Poly- galées (Mém. du Mus., vol. ). ( 252 ) Hilaire et moi, notre premier Mémoire sur l'organisa- tion de la famille. Ces petits renflemens, qu'il est pres- que impossible d’apercevoir dans la fleur sèche, se montrent libres et pétaloïdes dans les Securidaca, les Monnina , et les Comesperma , dont la corolle est vé- ritablement pentapétale. Enfin, M. R. Brown assure qu’il possède un genre de Polygalée inédit, voisin des Securidaca , qui se rapproche encore plus de la régula- rité primordiale (1); car il porte cinq pétales de même grandeur, soudés ensemble vers leur base par l’inter- médiaire du tube staminal. Rudimentaires dans la plupart des Polygalées penta- pétales et nuls dans le plus grand nombre des espèces , les deux pétales latéraux ne sont pas certainement con- formes au type symétrique. On ne doit pas non plus ad- mettre comme tels les deux supérieurs’, dont la forme et la grandeur se modifient de tant de manières diffé- rentes ; mais la carène, qui présente toujours un grand développement et une figure symétrique; la carène, dont la figure et la direction rappellent les pétales de certaines fleurs à corolles régulières , la carène , disons- nous, doit être regardée comme le pétale normal de la famille. Ainsi, les Polygalées , comme les autres plantes dont nous avons déjà parlé, sont pourvues d’un seul pétale symétrique, et celui-ci se trouve habituellement accompagné de deux pétales anormaux. L'illustre Goethe, qui s'occupe, dans son chapitre des Nectaires , des pétales irréguliers les plus voisins de l’or- ganisation des étamines, en d’autres termes, de ceux qui (1) Flinders’s, Voyage to Terra Austr. ( 253) diffèrent le plus de la forme primitive , regarde la carène des Polygalées, qu’il suppose dipétale, c’est-à-dire sem- blable à celle des Papillonacées, comme très voisine de l’état staminal, à cause de la double crête frangée qui la couronne dans le plus grand nombre des espèces (1). Nous avons prouvé, M. Auguste de Saint-Hilaire et moi, que les languettes oblongues, triangulaires ou filiformes dont il s’agit, devaient leur origine à une portion de la partie supérieure du pétale repliée en arrière, soudée par le dos, et dont les bords sont déchirés, frangés ou dédoublés (2). Des Polygalées nous arrivons à l'enveloppe florale intérieure des Papillonacées. La carène du premier groupe nous rappelle naturellement la carène du second ; mais Robert Brown a fait connaître, avec la sagacité qui le distingue, les différences qui se trouvent entre ces deux portions de la corolle, dans l’un et l’autre grou- pe (3). M. Auguste de Saint-Hilaire et moi, nous avons essayé d'étendre les considérations profondes de ce bota- niste célèbre , après les avoir confirmées par des obser- vations nouvelles (4). Nous allons redire , en peu de mots , les caractères qui sont propres à la corolle des Pa- pillonacées. Si l'alternance du calice et de la corolle nous apprend que , dans les Polygalées, la carène représente un seul (1) Ess. métamorph., chap. var, p.47. (2) Prem. Mém. Polyg., p.14 et suiv. (3) Hinders's, Voyage to Terra Austr., t. 11, p. 542: (4) Voyez notre Second Mém. sur la famille des Polygalees, ( 254 ) pétale , le mème rapprochement nous indique, dans les Légumineuses, que la carène est composée de deux pé- tales réunis. Aucun botaniste n’ignore que sur la corolle du plus grand nombre des Papillonacées , la division des pétales se manifeste à la base de la carène (carina bi- ceps, L.), et que, dans plusieurs genres ( Cercis, Ulex , Psoralea), les deux folioles se désoudent tout- à-fait (Carina dipetala, L.). Goethe avait aussi reconnu, de son côté, que les pétales de la carène étaient les plus déformés , ou les plus éloignés du développement de l’é- tendard (x). Nous avons établi, dans notre second Mé- moire sur les Polygalées , que ces pétales , en effet, dé- viaient beaucoup du type primitif; que les ailes s’en écartaient un peu moins, et que l’étendard seul était dans l’ordre symétrique (2). Aux preuves que nous avons données , nous ajouterons que, dans les genres pourvus d’une corolle régulière ou presque régulière ( Hæma- toxylon, Adenanthera, Cassia), les folioles ressem- blent plus ou moins à l’étendard, et que cette dernière pièce ne manque jamais dans la corolle, quand celle-ci (1) Ess. métamorph., chap. vrrx, p. 46. (3) Ce pétale peut être partagé en deux parties égales par une ligne qui se dirigerait de sa base à son sommet, ce qui ne pourrait être fait sur aucune des autres folioles. Les pièces de la carène d’un côté, et les deux ailes de l’autre, sont disposées de manière à se regarder entre elles par leur bord échancré ou par leur bord arrondi, de ma- nière qu’en réunissant par la pensée, à chaque paire de pétales, le nombre de folioles de même forme nécessaire pour compléter une corolle symétrique, il serait impossible, quel que fût l'arrangement qu’on adoptât, de composer un verticiile régulier. — ( 255) est privée, par avortement, d’une partie de ses pétales. (Heterostemon (1), Tamarindus (2), Swartzia (3).) Nous ne connaissons pas le fait anormal d’une corolle de Cytise des Alpes, monstrueuse, d'après lequel un sa- vant ingénieux a cherché à établir que la fleur papillo- nacée est originairement une fleur régulière avec huit pétales disposés sur deux rangées aliernes ; que trois de ces pétales avortent constamment , et que les autres con- stituent les deux pièces de la carène, le pavillon et les deux ailes (4). Les observations que nous venons de rap- porter, et la conclusion que nous en avons déduite, s'opposent fortement à l'admission d’une pareille fleur primordiale. D'ailleurs il est presque inutile de faire re- marquer que l’assemblage d’un calice à cinq sépales et d’une corolle à huit pétales sur deux rangs, ne peut pas être symétrique. Jetons un coup-d’œil sur la petite famille des Vochy- siées, dont la connaissance est si récente et la structure si curieuse (5). Ce nouveau groupe est caractérisé par un calice à cinq folioles inégales. Parmi les trois genres qui le forment , l’un d’eux, Salvertia, produit une co- rolle à cinq pétales à peine irréguliers; les deux inté- rieurs sont un peu moins développés que les trois autres ; dans un second genre , Vochysia, les deux pétales su- (x) Desf., Mém. Mus., vol. 1v, p. 245 , pl. xrr. (2) Juss., Gen. plant., p. 347. — Deux petites soies déliées, situées au-dessous du corps des filamens, semblent remplacer la carène. (3) DC, Mém. Légumin., p. 42. (4) Lettre de M. Dutrochet à l'Ac. des Sc., séance du 6 juin 183r. (5) Mém. sur la famille des Vochysiées, par Aug. de Saint-Hilaire (Meèm. Mus., vol. v1, p. 253). ( 256 ) périeurs ont disparu et les deux latéraux sont devenus rudimentaires. Enfin, ces derniers avortent comme ceux de la partie supérieure, dans le genre Qualea, où la corolle est réduite au seul pétale inférieur. Les genres V'ochysia et Qualea peuvent donc être regardés comme pourvus d’une corolle avec un seul pétale symétrique. Nous venons de reconnaître l’existence d’un seul pé- i tale régulier dans les fleurs non symétriques des Scro- phularinées , des Labiées , des Acanthes et de plusieurs autres familles naturelles. Chez tous ces groupes, le pé- tale normal paraît au bord inférieur ou extérieur de la corolle , ou, si l’on veut, du côté opposé à l’axe de la plante. Les Papillonacées font seules exception à cette règle générale (1), car dans les fleurs qu'elles nous offrent, le pétale dont il s’agit est placé en sens con- traire, c’est-à-dire tourné du côté de ce mème axe. Cette espèce d’anomalie ne tient pas à une configuration par- ticulière ; car la disposition respective des parties s’est conservée exactement la même, ainsi que nous allons chercher à le prouver dans un instant, mais elle vient de ce que le verticille est situé en sens inverse , comme s’il avait fait un demi-tour sur son support. Aussi la co- rolle , au lieu d’alterner avec la tige, c’est-à-dire d’avoir deux pétales supérieurs et un inférieur, comme cela se (1) D'après l’observation du célèbre R. Brown, il en est de même des Lobéliées. La fissure de leur corolle , au lieu de regarder l'axe de la plante, comme dans les Goodenoviées, se trouve placée du côté extérieur ou en bas; par conséquent le pétale régulier est en dedans, mais cette disposition se fait remarquer seslement avant l'état parfait. Chez un grand nombre d'espèces les fleurs se renversent après l’esti- vation, de manière qu’elles rentrent dans la règle générale.” _—— (207. ) voit dans la plupart des fleurs pentapétales (1), présente un seul pétale en haut et deux en bas, ou si l’on veut, ce verticille est opposé à l’axe de la plante (2). Cepen- dant cette inversion n'est pas aussi constante et n’établit pas une différence aussi tranchée qu'on pourrait l’ima- giner, puisqu'il existe dans la nature plusieurs Légumi- neuses irrégulières portant des fleurs à corclles retour- nées ( Papilionacei resupinati, L. ). Telles sont le 7ri- folium resupinatum (3), Y Arachis, le Clitoria, dont ’étendard est à la place occupée par le pétale régulier des autres groupes naturels (4). Les exceptions que nous venons de signaler dans une famille à corolle renversée , doivent être considérées comme des retours vers la disposition normale; car si VArachis et le Clitoria sont résupinés, par rapport aux Papillonacées habituelles, de leur côté, ces dernières sont aussi résupinées par rapport à la règle générale (5). Chez les autres familles , au contraire, les inversions seraient de vraies anomalies. On a décrit les Æyptis (6), les Lavandula , les Plectranthus et les Ocymum, comme pourvus de corolles disposées en sens inverse. Si l’on avait porté plus d’attention , dans ces genres , à l'examen 1 (x) Rob. Brown, Obs. on the struct. et aff. remark., 1826, p. 31. — Roep., De florib. ct affin. Balsamin., p. 14. + (2) Ibid , Find. Austr., 4, p. 54 — Ibid., loc. cit. — Roëép., loc. cit. (3) Les botanistes n’ont pas hésité à laisser cette plante parmi les Trifolium . (4) Voyez le Sec. Mém. sur les Polygalées, qui m'est commun avec M. A. de St.-Hilaire. (5) Voyez le même Mémoire. (6) Le nom générique, tiré du grec par Jaequin, veut dire ren- perse (tæTios, inversus). XXVII. (258) du périanthe, on aurait vu que cette manière d’envi- sager l'enveloppe interne de la fleur était loin d’être fondée sur une observation exacte , et que l’irrégularité des verticilles, prétendus résupinés , différait très peu dans le fond de la déformation des autres Labiées. À une époque où Fétude philosophique des organes n'était pas encore fort avancée, un botaniste très ha- bile considérant que les Labiées ont généralement la lèvre supérieure entière ou bifide et l’inférieure tri- fide, s’est eflorcé de prouver que la corolle des genres que nous venons de mentionner, caractérisée , selon lui, par deux lobes en haut et trois en bas, n'avait pas de résupination (1). Ce raisonnement, appuyé seulement sur la structure des Æyptis, n’a point été admis par M. Brown, parce que la division inférieure des corolles paraît aussi souven: bifide que la supérieure. Une meil- leure preuve de la non-résupination du verticille peut être tirée, selon je célèbre botaniste qui vient d’être nommé , de ce que, dans les Labiées à fleur inverse, la lèvre d'en haut sert toujours d’enveloppe protectrice pendant l’estivation, comme cela à lieu dans les autres Labiées (2). Si le renversement était réel , la partie ex- térieure ou enveloppante de la corolle serait tournée en sens contraire ; on sait que les fleurs des Papillonacées , quand elles se résupinent, présentent leur foliole pro- tectrice, l’étendard, dans une situation inverse de la situation habituelle. La plupart des auteurs ayant négligé ïes relations des (x) Poiteau , Monog. Hypt. (Ann. Mus., vol. vx, p. 460). (2) Prodr. Flor. Nov.-Holl., p. oo. — —- ( 259 ) étamines , par rapport aux divisions de la corolle, ont pu être induits en erreur par la direction des filets. MM. Mirbel (x) et Brown (2) ont constaté que les points d’origine des filets étaient placés entre les quatre sinus inférieurs, c’est-à-dire dans les interlabiaux, et dans les sinus latéraux du lobe impairou médian. Selon M. Brown, cette disposition est la même dans les Æ/ypuis, les Lavan- dula, \es Plectranthus et les Ocymum ; mais au lieu de se diriger vers le haut de la corolle, les filets de ces Labiées s’inclinent vers la lèvre inférieure , et c’est là, sans doute , une des causes qui ont conduit les botanistes à regarder les fleurs de ces plantes comme des fleurs ré- supinées (3). Ce raisonnement paraît très vrai pour les Hyptis, les Lavandula, ei les Ocymum , mais la dispo- sition des étamines , dans les P/ectranthus , nous a offert une légère diflérence. Nous avons observé que les deux interlabiales avaient avorté, et que les inférieures , par une sorte de compensation, s'étaient dédoublées cha- cune en deux (4). : Une autre considération qui a pu faire admettre la résupination de la corolle , c’est que la physionomie par- ticulière à ce verticille , dans les plantes que nous ve- nons de signaler, s'éloigne plus ou moins de la figure habituelle. Nous ne voulons point parler de l’enveloppe (x) Mém. Lab. (Ann. Mus., 1810, vol. xv, p. 231 et 233). (2) Prodr. Fior. Nov.-Holl., loc. cit. (3) Linné ajoute au caractère générique de l'Ocymum : Petali lahium superius deorshm spectat, inferius vero surstm , dictitante flexurä staminum (Gen. plant, p. 300). (4) Nous n’avons pu analyser que le Plectranthus fruticosus et le PL incanus. ( 260 }) florale des /ÆZyptis, qui est la même ou à peu près la même que celle des autres Labiées, mais des corolles des Lavandes, des Plectranthus et des Ocymum. Dans le premier genre , on trouve à la lèvre inférieure trois lobes ou pétales à peu près égaux entre eux (1). Comme celui du milieu est arrondi et moins développé que dans les autres genres , et que , d’un autre côté, les deux pétales supérieurs se séparent au sommet, et sont plus grands que de coutume (2), on a pris l’ensemble de ces derniers pour le lobe impair et symétrique, et l’on a cru la corolle renversée. Dans les Plectranthus et les Ocymum on voit, à la lèvre d’en bas, une carène, et à celle d'en haut trois divisions , dont la moyerne est assez grande et plus ou moins bifide ; au premier abord , l'enveloppe florale sem- ble réellement résupinée. Nous allons fixer quelques instans notre atiention sur cette forme singulière. On a constaté, dans toutes les corolies des Labiées, la présence de cinq nervures qui aboutissent chacune au milieu des cinq lobes ou pétales ; nous avons suivi ces nervures sur les corolles des Ocymum et des Plectranthus, et nous avons reconnu, comme M. Brown (3), que le lobe supé- (1) Laciniis omnibus subrotundis sub æqualibus (Linr., Gen. plant., p: 300). (2) En générai, dans les corolles labiées, la lèvre supérieure profite dans son développement de la disposition de l’étamine placée de son côté; c’est ce qui fait que, fort souvent, cette partie de la corolle acquiert, dans sa grandeur, plus des deux cinquièmes de l'étendue du limbe. Dans l’Antherrinum majus, les deux pétales supérieurs sout les plus développés, et le pétale normal paraït le plus petit. Cette diffé: rence de grandeur est encore plus sensible chez le Lathræa clandestina (3) Ælinders’s Voyage to Terra Austr. —— —_—— \ ( 261 ) rieur moyen en avait deux, et qu’il en existait une seule x dans chacun des deux autres lobes. Cette disposition, qui est la même dans toute la famille, démontre évidemment que le renversement de la corolle est illusoire. Si au lieu de considérer les corolles des Plectranthus etdes Ocymum comme des verticilles à quatre lobes, et de chercher sur chacun de ces lobes en particulier la trace des nervures, nous regardons, avec les phytographes, les corolles de ces plantes comme des verticilles bilabiés, et que nous exa- minions ladistribution decés mèmes nervures, par rapport à chaque lèvre, nous compterons quatre nervures à la su- périeure , et une seulement à la lèvre inférieure. Voici d’où la différence nous semble provenir. Tous Îles bota- nistes savent que dans la famille dont nous nous occu- pons , les cinq pétales unis entre eux se séparent au som- met par une forte division , en deux groupes inégaux , dont le supérieur, bifide ou bilobé, est composé de deux pétales, et dont l’inférieur embrasse les trois autres. Or, dans les Plectranthus et les Ocymum, V'écartement , au lieu de s'effectuer entre les deux pétales supérieurs et les deux latéraux, se forme entre ces deux derniers et le pétale inférieur ou symétrique; la lèvre supérieure, devenue tétrapétale, fait voir quatre nervures au lieu d'en montrer deux, et l’inférieure , réduite à un pétale, n'en conserve qu'une seule au lieu d'en avoir trois. Comme les deux lobes latéraux sont refculés vers la par- te interne de la fleur (1), que les deux pétales d'en (x) Dans les Plectranthus ce refoulement pourrait dépendre en partie de la présence de deux étamines dans une place occupée habituelle- ment par une seule. ( 262 ) haut, divisés vers le sommet, imitent assez bien Île pétale régulier de la famille , ordinairement muni d’une échan- crure, et que le grand développement du lobe impair et sa concavité profonde le font ressembler à une lèvre supérieure à pétales peu distincts, la corolle à dû pa- raître tout-à-fait résupinée. Ce qui peut avoir aidé à com- pléter cette illusion, c’est que le bouton des Labiées , oblong , cylindrique, obtus et plus ou moins courbé en dehors, se présente, chez les genres dont nous parlons, déformé en sens contraire, c’est-à-dire arqué vers l’axe de la planie ; ce qui résulte sans doute du développement prodigieux du lobe symétriqne. Ce pétale doit encore à cette dernière circonstance de n'être protégé qu’en par- tie dans la préfleuraison, puisque chez les espèces qui nous occupent, les deux lobes latéraux, qui sont enfer- més dans le bouton des autres Labiées, concourent, avec les pétales supérieurs, à la formation de l'enveloppe. Les Violettes, au premier abord, paraissent offrir une exceptioncomme les Papillonacées ; mais , chez elles, la position inverse de la fleur n’est guère plus réelle que la prétendue résupination des Ocymum et des Hyptis. Suivant les traces de Linné (1) et de Jussieu (2), plu- sieurs botanistes ont décrit les Violettes comme pourvues de fleurs à cinq pétales, parmi lesquels il s’en trouve un désigné par le nom de Zlabelle ( labellum) , qui est épe- ronné et placé à la partie supérieure. Les corolles de ces plantes affectent quelquefois accidentellement la régula- rité primordiale (3), et ces retours à l’ordre symétrique (x) Gen. Plant., p. 457. (2) Gen. Plant., p."29b. (3) Un exemple de J'iola hirta pélorié observé par M. Colladon. ( 263 ) annoncent qu'on doit considérer comme normal le pé- tale producteur de l’éperon. Il n’y a donc qu’un seul pé- tale régulier dans la fleur habituelle; et si le rapport de cette fleur avec la tige était tel que certains botanistes l’ont décrit, la foliole symétrique devrait se rencontrer au bord intérieur ; cependant il n’en est point ainsi. Lors- qu'on examine une fleur de Viola odorata dans le bou- ton , on aperçoit, au coutraire, que l’éperon regarde le côté opposé à l’axe végétal. Cette relation se conserve à peu près la même dans la fleur épanouie. Pourquoi donc certains auteurs ont-ils décrit cette dernière en sens inverse? Voici les causes qui nous paraissent avoir égaré l'observation : Toutes les fois que les pédoneules d’une plante se courbent, la fleur se montre plus ou moins penchée (flos nutans). Les phytographes font faire, par la pen- sée ou matériellement, un demi-tour à la fleur inclinée , et celle-ci se trouve alors dans sa véritable position. Mais, dans la Violette , en même temps que le sommet du pé- doncule se dirige vers la partie inférieure, la corolle s'incline de dehors en dedans sur le calice, c’est-à-dire en sens contraire du support, de telle sorte que l’efet de la première courbure étant er partie détruit par l’ef- fer de la seconde, la fleur conserve, à peu de chose près , la mème situation qui la caractérisait dans le jeune âge. Les premiers phytographes , n’ayant fait attention sans doute qu’à la courbure du support, ontdécrit la fleur après lui avoir fait faire un demi-tour, et comine celle-ci Martin est rapporté dans l’Organograplhie végétale de M. De Candolle, pl. xzv. ( 264 ) était dans sa situation normale, cette conversion a du tourner sa face du côté intérieur ; position bizarre’, tout- à-fait insolite, qui seule aurait dû suflire pour engager les botanistes à rechercher la vérité (1). Dans les Pinguicula la mème déviation de la corolle a donné naissance à la même erreur de description (2), quoique chez eux le sommet du pédoncule ne se courbe pas toujours d’une manière prononcée ; mais le calice est tellement oblique de dedans en dehors pendant la fleu- raison, que l’inclinaison interne de la corolle n’empèche pas la fleur de paraître très penchée. Ainsi, les Pingui- cula ei les Viclariées doivent être décrites l’éperon tourné en bas ou en dehors, ainsi que l’ont fait, dans leurs Mémoires ou dans leurs Monographies, plusieurs des botanistes de notre âge (3), par conséquent ces plantes ne sauraient présenter une exception à la règle générale. La conséquence naturelle de tous les faits que nous venons de rapporter, c’est qu'il existe parmi les Dico- tylédones un grand nombre de corolles pourvues d'un seul pétale symétrique, et que ce pétale paraït pres- que toujours tourné du côté extérieur à l'axe végétal , (1) Les autres genres irréguliers de la famille qui sont munis d’un éperon, comine les Voisettia Kunth., les Schweigeria Spreng., et l4n- chietea Aug. St.-Hilaire, ou qui en sont privés comme les Zonidium, portent toujours le pétale symétrique du côté inférieur. (Voyez le Tabl, Monog. des Viol. du Brésil, par À. de St.-Hilaire (Plantes les plus remarq. du Brésil, p. 2b2).) (2) Linn., Gen. Plant., p. 13, et Juss., Gen. Plant., p. 98. (3) Par exemple, pour les Violariées, M. de Gingens dans son tra= ail sur cette famille et dans le Prodrôme du Règne vérétal, M. A. de St.-Hilaire dans son Tableau monosraphique, et M. Duby dans le Éo- tanicum gallicum. xt (265) qu'il est rarement placé vers le méme axe , maïs qu'il ne s’apercoit jamais sur les côtés. Les corolles bizarres de ce premier degré d’ir régula- rité offrent toutes, dans leur physionomie, des points nombreux de ressemblance, qui semblent témoigner que le végétal a subi, dans leur production , l'influence de certaines causes uniformes. Une corolle de Polygalée ne diffère pas beaucoup d’une corolle de Papillonacée. On voit, dans l’une et dans l’autre (1), un pétale régulier : c’est ordinairement le plus grand et le seul horizontal ou à peu près Bori- zontal; à cause de sa figure on le nomme étendard dans les Légumineuses, et carène dans les Polygalées. Les deux pétales soudés ou simplement rapprochés de la pre- mière famille ( carina dipetala vel diceps ) représentent les deux pétales supérieurs ds la seconde (vexillum diphyllum). M. de Saint-Hilaire et moi avons mon- tré que, dans un des genres de cette dernière (Monni- na), ces pétales se réunissaient en une sorte de nacelle redressée, tout-à-fait analogue à la carène désoudée des Cercis où des Psoralea (2). Enfin, les petits pétales ca- chés par les grandes folioles du calice, ,impropremenit appelées ailes, rappellent fort bien, par leur situation, leur direction, peut-être mème par leur forme, les pé- tales libres et dressés des Papillonacées (les ailes des / (1) Dans cette comparaison, nous ne tenons aucun*compte des dis- positions inverses des corolles , puisque nous avons déjà montré que des exceptions habituelles rétablissaient parfaitement l'identité des relations. On peut supposer que nous faisons un parallèle entre les “enveloppes florales d’un Cütoria et d’un Securidaca. (2) Prem. Mém. sur la famille des Polygelées, p. 13. ( 266 ) auteurs (1)). Des botanistes célèbres avaient indiqué de- puis long-temps des ressemblances entre les corolles des Polygalées et des Légumineuses à fleur irrégulière ; | M. R. Brown apprit à reconnaître l’inexactitude de leurs ! rapprochemens. Il est sans doute remarquable qu’on | puisse découvrir encore une grande analogie entre ces | verticilles, en comparant entre eux les pétales regardés comme les plus dissemblables, c’est-à-dire en essayant tout le contraire de ce qui a été fait par les auteurs (2): 4 Voyons maintenant si la déformation organique dont | nous nous OCCUpons ne se rencontre pas parmi les fleurs | monopétales. Les Labiées, comme les Papillonacées , produisent un pétale très grand comparé avec les autres , obtus , souvent échancré, parfaitement symétrique, ho- rizonial, presque toujours orné vers sa base de taches ou de traits vivement colorés ; ce pétale est ordinairement un peu concave ; il tient le milieu , par conséquent, en- tre le pétale symétrique des Papillonacées, qui se montre plus ou moins aplati ou déprimé, et celui des Polyga- lées, qui rappelle assez bien la figure d’un casque ou d’un bateau. Sur le bord de ce pétale on remarque deux lobes grèles , sinueux , égaux , qui peuvent être compa- (1) Le genre singulier Trigonia, qu’il convient peut-être de laisser parmi les Hypocratées , est muni d’une corolle irrégulière dont la figure parait tenir le milieu entre celle des Polygalées et celle des Papillonacées. (2) Selon M, de Gingens les pétales qui avoisinent le Labellum dans les Violettes devraient être désignés par le nom d’ailes. Il voudrait aussi qu’on appelât étendard les deux folioles situées à la partie supé- rieure. Ce nom conviendrait mieux au labelle ou pétale symétrique, qui est la seule foliole analogue à l’étendard ou vexillum des Papil- lonacées. ( 267 ) rés aux ailes des Papillonacées (1) ; enfin, du côté op- posé, se développent deux autres pétales réunis , dressés , concaves , disposés , dans beaucoup de genres ( Salvia , Phlomis), comme une vraie carène de Lathyrus ou de Pisum. I] n’y a donc de différence entre les corolles des deux familles , que la séparation entière des pétales dans la première, et leur réunion plus ou moins complète dans la seconde; ce qui fait que la déviation labiée est réellement plus éloignée du type primitif que la défor- mation papilionacée. Nous ajouterons cependant que, dans plusieurs Trèfles, les pétales adhèrent ensemble par leur hase , et que l'union des pièces de la carène dans la plupart des Légumineuses à corolle irrégulière, peut bien être regardée comme, une trace de monopétalie, s’il est permis de s'exprimer ainsi, puisque si les autres folioles naïssaient sans division, comme les deux infé- rieures, alors la fleur serait monopéiale. Nous rappelle- rons en passant un fait assez curieux, c'est que, dans les Labiées, les deux pétales les plus asymétriques enve- loppent les autres pendant l’estivation, tandis que le contraire arrive dans les Papillonacées, chez lesquelles l’étendard ou pétale régulier embrasse à lui seul les autres parties du périanthe inférieur; mais comme les corolles de ces deux groupes sont habituellement dispo- sées en sens inverse , il résulte de cette différence que l'enveloppe protectrice est toujours (>) tournée du côté de l'axe végétal. (x) M. Rob. Brown et d’autres leuf ont donné ce nom dans les Goodenoviées. (2) Nous ne parlons pas des Citoria, du Trifohum rempinatum , et autres Légumineuses vraiment résupinées. ( 268 }) Les Acanthées, les ZLathræa, les Orobanches, les Lentibulariées, les Vitex , nous offrent à peu près le même écart de symétrie. Il en est de même de la plu- part des Scrophularinées dont les plus irrégulières se distinguent seulement par le rapprochement de la base des deux lèvres et par leur tube, qui, au lieu de s’ouvrir par une gorge, est fermé par un palais (1). Enfin, les corolles d’une grande partie des Lobélies et des Goode- noviées, sont aussi de vraies bilabiées, malgré la désou- ” dure qui partage très souvent leur lèvre intérieure. De tous ces rapprochemens , il résulte que la forme labiée des auteurs est faite sur le même plan organique que la forme papillonacée , et que ce genre d’aberration du type primitif se trouve être non-seulement le plus fré- quert parmi les enveloppes florales caractérisées par un seul pétale symétrique , mais encore un des plus répan- dus dans le règne végétal, puisque ces derniers verti- cilles sont les plus nombreux parmi les fleurs irrégu- lières pourvues de cing pétales (2). Maintenant, si l’on veut analyser cette première mo- dification de la corolle, on verra qu’elle est générale- ment formée , d’abord , ainsi que nous venons de le dé- montrer, par un pétale symétrique ; secondement par deux pétales rapprochés de celui-ci, qui ont éprouvé un (1) Une Labiée, l’Origanum culcaratum , présente, comme les Linaria, un petit éperon à la lèvre inférieure, (Tournefort, Æ.; p- 240, fig.) (2) Dans une corolle de Rhodora canadensis, devenue accidentelle- ment irrégulière, par la séparation des pétales en deux groupes in égaux, ce verticille a pris le forme labiée (DC., Organogr., pl. xexr, fig. 2, d). —_ ( 269 ) léger arrêt ou défaut dans leur évolution; troisième- ment, par deux autres pétales encore plus dégénérés , qui ont subi à la fois des arrêts dans leur développe- ment et dans leur séparation. Ainsi, la déformation de- vient d'autant plus considérable que les pétales sont in- sérés plus loin du pétale extérieur ou symétrique. Quand J'irrégularité augmente, c’est-à-dire lorsque le verticille ne développe pas une ou plusieurs de ses parties, l’ap- parition des avortemens suit l’ordre de la dégénéres- cence ; les pétales les plus anorinaux disparaissent les premiers ; ainsi , parmi les fleurs monopétales , l’Æcan- thus et V Ajuga sont privés de la carène, et cette partie est absente dans la corolle de ? Æeterostemon et du Ta- marindus, parmi les fleurs polypétales (1). D'un autre côté, dans l’Æmorpha et le Swartzia (2), il y a avor- tement de la carène et des deux ailes; il ne reste plus que l’étendard (3); enfin, cet ordre de disparition des (x) Dans les Polygalées, ce sont les pétales latéraux qui ne se de- veloppent pas, wais ici l'avortement est lié avec l'augmentation habituelle des folioles internes du calice. Chez les Xrameria, où l’on me voit rien de semblable sur le verticille extérieur, la corolle est composée de trois pétales inférieurs assez grands, et de deux pé- tales supérieurs rudimentaires. - (2) Le Siwartzia lonpifolia est sans carène, et le Swartzia tomentosa est sans carène et sans ailes. (3) « Dans les Légumineuses, quand il ne reste qu’un pétale, c'est le supérieur, celui qui représente l’étendard. Lorsqu'il en reste trois, ce sont les trois supérieurs (DC., Mém. Légumin., p. 42). » — M. Aug. de St.-Hilaire a découvert au Brésil une Polygalée dont la corolle est réduite à un pétale (Mém. Fochys. in Mém. Mus., vol. v1, p. 253). Cette espèce s’est égarée dans la nombreuse collection de plantes Brasi- liennes apportée par ce célèbre botaniste, et n’a point été décrite ( 270 ) pétales se retrouve encore dans les plantes chez les- quelles la forme labiée ou papillonacée ne se rencontre plus. Ainsi, dans la jolie famille des Vochysiées, les folioles supérieures, plus petites que les autres chez le Salvertia , ont avorté dans le F’ochysia, où la corolle est réduite à crois parties, et les deux pétales rudimen- taires de celui-ci disparaissent à leur tour dans le genre Qualea , où la corolle est devenue unipétale. Comme la foliole régulière est placée habituellement du côté extérieur à l’axe , les pétales déformés ou avortés regardent nécessairement le centre de la plante , ce qui confirme pleinement cette loi générale, émise par M. Fur- pin dans son Iconographie, que le vice organique qui nuit à la symétrie des formes végétales se manifeste toujours de l’iniérieur à l'extérieur, ou, si l’on veut, que ce sont les parties les plus rapprochées de l'axe qu: sont atteintes de préférence à celles situées plus ex- terieurement (1). Second mode d’irrégularité. Dans une monstruosité de Digitale , découverte par M. De Candolle , et publiée par M. Elmiger (2), on observe un pétale régulier de plus que dans Pétat habituel. Ce pétale a pris naissance à côté de celui qui fait saillie dans les corolles ordi- naires. Il serait naturel de penser que cet exemple acci- dertel pourrait se rencontrer dans d’autres plantes dont il constituerait la structure habituelle. Cependant cela dans le Flora Brasiliæ meridionalis. Nous ne serions pas étonnés, si le rétale unique conservé par cette espèce était la foliole régulière de la famille, c’est-à-dire la carène. (1) Turpin, Zconog., p. 116. ù (2) Hist. nat. Digit., p. 16, pl. 1, fig. d. (27) n'arrive pas ainsi, car les corolles, avec deux seuls pétales réguliers, sont peu nombreuses dans les familles natu- relles , et ces pétales ne sont point situés dans les fleurs comme dans cette monstruosité de Digitale. Citons quel- ques exemples. Parmi les fleurs de nos jardins , les Pelargonium se font remarquer par la richesse et la variété de leurs co- rolles ; cependant , les vives nuances dont ces dernières sont peintes paraissent seulement sur deux pétales , et il y aurait déjà chez elles défaut de symétrie dans la dis- tribution de leurs couleurs, quand même il n’existerait pas irrégularité dans leur développement et dans leurs formes. Mais on observe chez ces fleurs trois pétales égaux , étroits , unicolores , et deux pétales plus larges, plus longs, colorés ordinairement de teintes plus bril- lantes, ornés de lignes plus nombreuses , foncées, et quelquefois élégamment ramifiées ; ces derniers pétales sont placés à la partie intérieure , c’est-à-dire la plus voi- sine de l’axe de l’inflorescence. Si on examine les pre- miers sur un grand nombre de corolles, on découvrira qu'ils ne sont pas constans dans leur figure , que dans certaines espèces, ils se réduisent à des lanières fili- formes , et que, dans d’autres, ils disparaissent tout-à- fait (1). Les pétales supérieurs, moins variables, ne sont pas sujets à avorter; ils ressemblent plus ou moins, par leur figure et leurs couleurs, aux folioles symé- triques des Géraines à verticille régulier. Par conséquent (x) Par exemple, dans le P. myrhidifolium Ait., le P. tetragonum W., et le P. caucalifolium Jacq., il manque le plus inférieur. Dans le P. dipetalum, l'inférieur et les deux latéraux ont disparu. s ( 272 ) ces deux derniers pétales sont les seuls qui aient persé- véré dans le type primitif. Rapprochée des Pelargonium , la Capucine nous fait voir dans sa corolle une organisation peu différente. Ses deux pétales supérieurs sont aussi les seuls réguliers ; les autres, petits, onguiculés, munis de cils, incomplète- ment organisés, avortent en entier dans le 7ropæolum pentaphyllum (1). M. Auguste de Saint-Hilaire a établi tout récemment, que la corolle des Résédacées est com- posée de cinq pétales dans l’ordre primitif, et que, mal- gré les déformations habituelles éprouvées par ce verti- cille, on y voit constamment deux pétales réguliers su- périeurs (2). \ Les Pelargonium, les Tropæolum et les Réséda- -cées, nous offrent donc une exception aux règles géné- rales énoncées dans le paragraphe précédent, qui sem- ‘blent exiger que les pétales symétriques soient placés au bord extérieur de la corolle, et que les déformations soient plus sensibles du côié de l’axe végétal ; maïs cette exception est différente de celle des Papillonacées par rapport aux familles qui présentent le premier degré de dégénérescence. Dans les Papillonacées , la déviation des pétales conserve sa nature, mais la corolle a changé ses relations; ici, la situation du verticille est restée la mème, mais la déformation est différente. Pour que les pétales réguliers fussent placés en dehors de l'axe de l’inflores- cence , il faudrait que dans les deux familles que nous (r) Aug. de St.-Hilaire, Plant. us. Bras., pl. xer. (2) Examen de la fleur des Résédacées, mém. lu à Acad. des Se. le 5 septembre 183r:. Le sommaire de la première partie a paru dans le Zullet. des Sc. nat., septembre 1831, p. 271. ( 273) venons de signaler, ou dans d’autres familles à corolles analogues , il existàt des fleurs résupinées , c’est-à-dire des corolles dont un pétale regardät l'axe végétal, comme dans les Papillonacées ; et c’est, en effet, ce qui arrive chez plusieurs plantes, par exemple, dans les Malpi- ghiées où quelquefois le pétale impair qui est placé su- périeurement et les deux pétales latéraux étant moins dé- veloppés que les deux autres, la fleur fait voir ses deux pétales réguliers à la partie extérieure. Nous montrerons, en nous occupant des verticilles à trois pétales symétri- ques , pourquoi la forme accidentelle de la Digitale mon- strueuse , dont il a été question plus haut, ne peut pas se rencontrer habituellement parmi les fleurs des Dico- tylédones. C’est ici le lieu de dire quelques mots de la petite tribu des Véroniques, dont la corolle paraît s'éloigner de la déformation habituelle du verticille floral des Scro- phularinées. On remarque généralement, chez les Wero- nica, quatre divisions inégales, dont la supérieure est plus grande et l'inférieure plus petite. Le calice se com- pose de quatre folioles alternant avec les pétales; mais, dans certaines circonstances, il se développe une cin- quième foliole (1) opposée au grand pétale, de la même manière que le sépale supérieur est opposé à la lèvre in- térieure chez les Labiées ou les Scrophularinées, et qui semble indiquer, comme dans ces dernières fleurs, qu'il existe devant lui une réunion de deux pétales. Cette probabilité acquiert plus d'importance , si l’on fait at- tention à l’échancrure qui se montre quelquefois au (x) Calyx, 4-partitus, rard, 5-partitus. (Juss. Gen. Plant., p. 99). XXVIL. 18 ( 274 ) sommet de la grande division. Enfin, dans certaines espèces , la désoudure devient de plus en plus profonde, et quelquefois les corolles finissent par se montrer en- tièrement distinctes , ainsi que nous en avons trouvé un exemple remarquable dans une des nombreuses variétés de Véroniques cultivées dans le Jardin royal de Mont- pellier (x). Nous ferons observer que la disposition des nervures suflirait seule pour établir que le grand lobe est dipé- tale. En effet, on aperçoit dans la corolle que les trois divisions inférieures sont constamment muniesd’une ner- vure médiane-qui se prolonge , dans beaucoup d’espèces, jusqu'au sommet du limbe ; mais il n’en est pas de même du grand lobe , lequel présente , dans certaines Véroni- ques, à sa partie moyenne, ur espace plus ou moins large non veiné. Cet espace indique évidemment l’en- droit de la soudure. M. Duvau, qui a fait une étude spéciale de l’organisation des Véroniques, et qui a pu- blié sur leur sujet des observations infiniment pré- cieuses, n’a point voulu admettre la soudure ou la non division de deux pétales, parce que, dit-il, les nervures ne se prolongent pas toujours jusqu'à l'extrémité du limbe, et que, d’une autre part, la régularité serait dé- truite (2). Nous rappellerons d’abord que ce n’est point à l'endroit d’une nervure, mais dans l'intervalle de deux, que la réunion a lieu ; car la présence d’une (1) Dans les genres très voisins Disandra et Sibthorpia la corolle est pentapétale. On a même proposé de réunir ces plantes avec les Vé- roniques pour en former un groupe séparé (Féronicées). (2) Considerat. sur le genre Veronica (Ann. des Sc. nat., vol. vanx, p. 173 et 174.) 1‘ ( 275 ) nervure ou d’une ligne n’est pas indispensable pour in- diquer que deux pétales sont soudés. Ainsi, la division supérieure d’une Gratiole ou la carène d’un Cytise , qui sont évidemment formées de deux pétales, n’ont point de nervure à la limite de chacun. En second lieu, l'endroit de l’adhérence se trouvant, dans les Véro- niques, sur la partie moyenne du grand lobe, celui-ci est nécessairement formé de deux parties égales. A la vérité, sur ce lobe on ne voit pas un nombre de ner- vures double de celui qui traverse chacune des autres divisions ; mais cette absence de nervures n'est-elle pas la suite nécessaire du léger arrèt de développement que doivent éprouver presque toujours les folioles réunies ? La moité d’un lobe supérieur de Gratiole ou la moitié d’une carène de Cytise ne sont-elles pas habituellement plus étroites qu'un des pétales, quel qu’il soit, du même verticille ? M. Duvau a constaté, dans les nervures des Véroni- ques (1), une dispositon particulière qui paraît prouver jusqu’à l'évidence que le grand lobe dont nous nous oc- cupons est composé de deux pétales ; il a reconnu que les raies ou veines dont il vient d’être parlé , sont pro- duites par plusieurs nervures simples qu'on découvre sur l'espèce de tube rudimentaire qui caractérise la co- rolle. Dans presque toutes les Véroniques à épis laté- raux, et dans une partie de celles à fleurs solitaires , les veines de chacune des divisions inférieures naissent 1 . . . . toutes d'une nervure unique ; mais lesramifications du À (1) Mém. cité, p. 170. ( 276 ) lobe supérieur sont fournies par deux nervures princi- pales. Si l’on se rappelle maintenant que la plus inférieure des divisions est ordinairement la plus petite ; on sera conduit à cette couclusion : Que l’irrégularité de la fleur des Véroniques dépend d’un défaut dans le développe- ment du pétale tourné en sens contraire de la tige; et d’un défaut dans le développement et dans Ja séparation des deux pétales qui alternent avec elle. Il n’y a donc de normaux dans la corolle que les deux lobes ou pétales placés sur les côtés. Quoiqu'il soit bien difficile d’appré- cier toutes les causes qui empêchent un ensemble d’or- ganes d'arriver à son type primitif, il nous semble que dans cette circonstance , l’arrangement de la préfleurai- son peut avoir eu de l'influence sur l'inégalité de la co- rolle, M. Auguste Duvau a très bien vu que, dans l’estiva- tion des Véroniques (1), la disposition dominante est celle-ci : La division supérieure enveloppe les étamines et le style; elle est recouverte par la division inférieure, qui l’est à son tour par les deux divisions latérales pla- cées indistinctement l’une sur l’autre. On voit, dans cette estivation , que les pétales déformés naissent tous enveloppés et comprimés , et que ceux d’entre eux qui paraissent les plus éloignés du type symétrique , sont les plus intérieurs et par conséquent les plus gènés dans leur évolution (2). (r) Mém. cité, p. 169. (2) Le lobe supérieur de la corolle étant considéré comme dipe- tale, les étamines des Véroniques se trouvent exactement placées comme celles des Labiées diandres. ( 277 ) Dans une grande partie des Véroniques à fleur soli- taire , et dans presque toutes celles à épis terminaux, le lobe supérieur est muni d’une seule veine médiane, comme les autresdivisions. M. Duvau n’a remarqué, sur la portion du tube à laquelle il correspond, qu’une ner- vure primitive ; ce lobe est donc unipétale et non pas formé de deux pétales réunis comme dans les autres Véroniques. Ainsi, la petite tribu dont il s’agit est com- posée de plantes caractérisées , les unes par une corolle à cinq pétales, et les autres par une corolle à quatre. Dans ces dernières espèces, les proportions des lobes n'étant plus les mêmes, la préfleuraison devait offrir quel- ques légères diflérences ; mais il ne semble pas qu’on puisse déduire de ce fait, avec M. Duvau , que le carac- ère de la préfleuraison, qui joue un assez grand rôle dans d’autres genres ou tribus, a ici peu de valeur (x). L’estivation nous a parue constante dans les corolles ana- logues ; elle n’a varié que lorsque l’organisation n’a plus été la même. Chez les Légumineuses, la corolle d’un Lotus n'étant pas faite comme celle d’une Casse, la pré- fleuraison est différente , et cependant ce caractère a tou- jours de l'importance; mais il cesserait d’en présenter si deux Légumineuses, dont les corolles sont semblables (deux Lotus), changeaient dans le bouton la disposition de leurs pétales. Concluons de tous les faits qui viennent d’être rap- portés , que les corolles déformées , dépourvues de deux pétales symétriques, produisent ces pétales habituelle- ment au bord supérieur, quelquefois à la partie infé- rieure, et rarement sur les côtés. (x) Mém. cité, p. 169. ( ( 278 ) Troisième mode d'irrégularite. Toutes les fois qu’une corolle à pétales alternes avec la tige commence à de- venir irrégulière , à la suite, par exemple, d’une pres- sion contre l'axe végétal , le côté supérieur ou interne, gèné dans son évolution, se développé moins que le côté inférieur, les deux pétales qui le composent ne sont plus exactement semblables aux autres divisions , et la corolie est déformée. C’est ce qui nous est offert par les Vochysiées dans les Salvertia , et par les Solanées dans les Jusquiames. Comme deux pétales seulement, dans ces plantes, ont éprouvé des modifications, il doit rester chez elles trois pétales symétriques. D'un autre côté, quand une corolle déformée , avec un seul pétale régulier, revient au type primitif, elle peut donner naissance à une organisation peu différente ; par exemple, dans la structure labiée que nous avons analysé plus haut, le premier eflort de symétrisation commence toujours par les pétales latéraux de la lèvre inférieure ;'or, ces pétales se trouvent dans une situa- tion et dans des circonstances telles , qu’il n’y a aucune raison pour que l’un d'eux devienne régulier plutôt que l’autre. Le rétablissement de l’ordre s’opère à la fois sur chacun ; ils s’accroissent, ils se développent d’une ma- nière uniforme , ils prennent la figure et la grandeur du pétale médian, et toute la lèvre inférieure se montre régulière; ainsi, un verticille, muni d’un seul pétale normal, ne s'arrête pas, en se pélorisant, à deux pétales symétriques; il saute brusquement à trois. C’est Ja cause pour laquelle la fleur monstrueuse de Digitale, pu- bliée par Elminger, est une organisation fort rare dans l’état anormal et peut-être impossible dans l’état habi- tuel. Nous avons démontré ailleurs que lorsque les pé- ( 279 ) tales d’une corolle irrégulière avortaient complètement, l'ordre de leur disparition était absolument le même que celui de leur irrégularité , c’est-à-dire que les plus éloignés du plan de symétrie offraient ce phénomène les premiers. On voit ici qu'une loi inverse se fait re- marquer dans les corolles qui symétrisent leurs pétales ; les moins éloignés de l’ordre primitif, qui touchent or- dinairement le pétale régulier, sont ceux qui les premiers deviennent symétriques. Des exemples de ce retour, mais naturel ou organique, vers le plan normal , peuvent ètre observés sur les co- rolles du Zycopus, du Satureia parmi les Labiées, du Gratiola, de l'Erinus dans les Scrophularinées, et du ARuellia dans les Acanthes. Plusieurs Lobélies et plusieurs Goodenoviées, des Verbeénacées et des Bi- gnones, viennent encore se ranger dans ce troisième mode d’irrégularité. Il en est de même de beaucoup d’autres végétaux à fleurs polypétales. C’est aussi par les pétales latéraux que commence à s'établir la symé- trie dans les Papillonacées, comme on le voit sur les corolles de l’ÆHeterostemon et du Tamarindus, qui sont privées de leur carène , mais dont les ailes ressem- blent tout-à-fait au pavillon. Enfin, le verticille floral de plusieurs Casses serait organisé comme le périanthe interne d’une Rose (1), si les folioles de la carène n’a- vaient pas conservé une partie de leur déformation. Mais les Casses, l’Æeterostemon et le Tamarindus appartiennent à un groupe naturel dont la fleur est ren- (1) Voyez, par exemple, les C. geminiflora et spectabilis, dans Col- ladon, Hist. nat. des Cass., tab. 11 et vus. ( 280 ) versée ; les trois pétales réguliers de leur corolle sont donc insérés du côté de l’axe végétal et non pas en dehors de ce même axe. La corolle pentapétale irrégulière, avec trois pétales symétriques , peut aussi former l’organisation habituelle d’une section de végétaux et même d'une famille tout entière. Ainsi, nous remarquons , dans la tribu des Globulaires , que les deux pétales supérieurs sont petits, étroits et moins divisés que les inférieurs, que ces fo- lioles deviennent rudimentaires dans quelques espèces , et qu’elles peuvent même avorter dans plusieurs autres , comme cela se voit accidentellement dans le GZobula- ria nudicaulis , et constamment dans le Globularia sa- licina (1). Les Synanthérées dites Labiatiflores nous offrent en- core un exemple du troisième mode d’irrégularité ; on y trouve des enveloppls florales qui se rapprochent de la structure que nous avons tenté de caractériser. M. Henry Cassini, dont les observations exactes et nombreuses ont si puissamment contribué aux progrès de leur étude , a démontré (2) que cette tribu , mal circonscrite, pré- sentait deux sortes de modifications à la coroHe. Tantôt, comme dans les Mutisiées et les Nassauviées , le verti- cille est séparé en deux lèvres, l’une inférieure à trois dents ou lobes, l’autre supérieure, plus ou moins divi- sée en deux lanières roulées ou tortillées comme des vrilles (corolle labiée. Cass.) ; tantôt, comme dans plu- sieurs espèces appartenant à d’autres groupes, le tube (x) Cambessède, Monog. globul., p. 9 et 15. (2) Opusc. phyt., t. 1, p. 127. ( 281 ) est simplement partagé en deux lèvres , l’une supérieure bifide et l’autre! inférieure et trilobée (corolle biligu- lée, Cass.). La première modification représente gros- sièrement , par sa fente intérieure, la corolle des Goode- noviées ; la seconde rappelle , par ses lèvres inégales , la corolle des Labiées (1); mais, comme dans l’une et l’autre modification du verticille des Labiatiflores , les trois pétales de la lèvre extérieure sont restés unis dans une grande partie de leur longueur, il s’en suit que ces corolles doivent paraître plus éloignées de l’ordre pri- mitif que celles des Labiées et des Goodenoviées. Si nous résumons ici les conséquences immédiates renfermées dans cet article, nous verrons que les co- rolles asyméiriques avec trois pétales réguliers , sont as- sez nombreuses dans le règne végétal ; que ces pétales se développent presque toujours du côté opposé à l’axe de l’inflorescence; enfin, que cette espèce de déviation n’est qu’une nuance plus harmonique , une modification moins anomale de la forme labiée , ce qui confirme cette conclusion déjà déduite , que ce dernier écart de symé- trie est la déformation la plus commune parmi les fleurs des Dicotylédones. Quatrième mode d’irrégularité. Nous venons de dé- montrer que certaines corolles irrégulières avaient, les (x) I y a des Synanthérées chez lesquelles un seul pétale se sépare des quatre autres qui restent plus ou moins unis; c’est aussi ce qui a lieu dans la corolle de plusieurs ZLonicera. La structure des demi- fleurons est tout-à-fait analogue au verticille unilabié de certaines Lobélies. Ainsi la corolle se déforme dans les Synanthérées comme dans les autres Dicotylédones. Les phénomènes sont les mêmes, mais ils se passent sur une échelle plus petite. ( 282 ) unes un seul pétale normal , d’autres deux..et d’autres trois ; nous allons rechercher maintenant sl en existe où l’on en trouve quatre. : Le genre Melianthus se fait remarquer par un calice inégal composé de cinq sépales , divisés dans presque toute leur longueur. Cinq pétales libres à leur sommet et à leur base, présentent leurs points d'insertion al- ternes avec les feuilles du calice , par conséquent la co- rolle est dans son type numérique ; mais si l’on compare entre eux les pétales qui la constituent, on verra qu'il en est quatre de parfaitement égaux, et que le cin- quième , placé à la partie supérieure ou interne , est plus petit (x). Ce que nous observons dans le Melianthus se voit aussi dans plusieurs Walpighiées. Le pétaled’en hautest habituellement un peu moins développé que.les quatre autres. Ce-léger défaut de développement peut devenir beau- coup plus considérable et l’organe avorter complète- ment; c’est ainsi que dans la plupart des Sapindacées , il manque le cinquième pétale demandé par la présence des cinq pièces du calice. On découvre, vers le côté su- périeur de la corolle, un espace vide qui marque très distinctement la place que doit occuper cette cinquième foliole dans l’ordre symétrique (2). Il y a donc parmi les fleurs des Dicotylédones des co- rolles irrégulières avec quatre pétales symétriques, et (1) Voyez le Mélianthus major, dans À. de Juss., Autac. (Mém. Mus., vol. x11, p. 384 et suiv., et pl. xxvrxr, n° 48.1 (2) Cambessède, Mém. fam. Sapindacces. — Voyez aussi ies planches du Flora Lrasiliæ meridionalis. ( 283 ) ceux-ci sont encore placés du côté extérieur de l’axe de la plante. | Nous avons prouvé que plus haut la déformation la- biée, dans son premier effortvers l’ordre symétrique, ne pouvait s’arrêter à deux pétales réguliers; nous démontre- rions de la mème manière, qu’une corolleà trois pétales symétriques doit arriver aussi brusquement à cinq qu'une corolle avec un seul arrive à trois , puisqu'il est difficile de comprendre que la moitié d’une lèvre supérieure de Labiée, une demi:carèné, puisse affecter le type pri- mitif pendant que l’autre moitié persévère dans sa dé- viation. Voilà pourquoi, sans doute, toutes les fleurs où nous avons trouvé quatre pétales symétriques , nous ont offert leur verticille disposé sur la tige de manière à la regarder par un pétale. Si la corolle conservait la position qui se voit dans le plus grand nombre des familles, c’est-à-dire si ses fo- lioles alternaient avec l’axe végétal, ce verticille ne pour- rait avoir quatre pétales réguliers qu’en les offrant du côté intérieur. C’est ce qui doit arriver aux corolles des Pelargonium, des Tropæolum et des Résédacées (1), dans leur premier effort de symétrisation , c’est-à-dire quand leurs ailes ou leurs pétales latéraux sont retournés à l’ordre primitif. Il est presque superflu d'indiquer que si l’on compare les divers modes d’irrégularité déjà décrits, on s’aper- cevra bientôt que les déviations organiques les plus sen- sibles sont celles des corolles avec uu seul pétale symé- (x) Voyez ce que nous avons dit plus haut sur les corolles de ces plantes. ( 284 ) tique, et que la déformation devient de plus en plus légère à mesure que les pétales réguliers se montrent plus nombreux. C’est ce qui fait que dans la modifica- tion dont il s’agit, les corolles s’éloignent si peu de leur plan de symétrie, qu’elles méritent à peine le nom d’ir- régulières. La comparaison de toutes ces déviations or- ganiques fait voir encore que , si les corolles à trois pé- tales réguliers n'étaient pas beaucoup. plus répandues que celles où l’on n’en voit que deux, la fréquence de chaque mode de dégénérescence se trouverait en raison directe de l'intensité de la déviation. Des Corolles dipétales, tétrapétales et hexapétales. Nous n’avons examiné jusqu’à présent que les corolles pourvues de cinq pétales , qui sont les plus nombreuses dans les Dicotylédones. Nous allons dire quelques mots des verticilles à type numérique différent. La plupart des corolles de Dicotylédones, qui ont un seul pétale comme l’Ærmorpha, deux comme le 7ro- pæolum pentaphyllum , trois comme le Tamarindus ou quatre comme le Cardiospermum , sont devenues uni- di-tri ou tétrapétales par l'avortement des autres folioles. L'organisation du calice, la structure des plantes voi- sines , quelquefois mème le rétablissement accidentel de la symétrie dans une ou plusieurs fleurs , annoncent que ces corolles sont de vraies pentapétales. Ainsi, nous ne reviendrons plus sur ces diverses fleurs ; mais il n’en est pas de même de plusieurs autres corolles qui font partie de groupes où ce verticille est primitivement à deux ( 285 ) \ pétales comme dans les Fumariées (1), à quatre pétales comme dans les Crucifères, ou à six comme dans les Sa- licariées. C’est des fleurs anomales de ces dernières plantes que nous allons parler. On trouve généralement dans les Fumariées un calice à deux folioles latérales, petites et caduques ; immédia- tement au-dessus est placée une corolle composée de quatre pétales sur deux rangs. Parmi ceux-ci, deux sont extérieurs et inégaux, dont l’un, éperonné , regarde l'axe de la plante; les deux autres, internes et sem- blables , coupent les premiers à angles droits. Nous nous occuperons seulement des deux pétales extérieurs qui constituent la vraie corolle ; les autres , comme l'annonce leur opposition avec les folioles du calice, appartiennent à une sorte de corolle supplémentaire , à un troisième verticille, dont l’étude nous entraînerait trop loin du su- jet de ce Mémoire. Dans le genre Diclytra, les deux pétales extérieurs sont uniformément développés et conformés ; ils ont chacun un éperon, d’où il résulte que chez les Fuma- riées à corolle irrégulière il n’y a qu’un seul pétale sy- métrique, et que ce pétale est tourné vers l’axe végétal. Mais cette relation n’est plus la même, si l’on examine la fleur de ces plantes pendant l’estivation. Les deux folioles du calice, placées sur les côtés dans la fleur épa- nouie, se trouvent, dans le bouton, l’une en haut et l'autre en bas ; les deux pétales sont alors latéraux par rapport à la tige, et non pas supérieur et inférieur. (x) Je laisse de côté les deux pétales qui constituent un autre verticille. ( 286 ) D’après cette organisation, la corolle nous présenté une irrégularité bien insolite , puisque c’est un pétale latéral qu’il faut regarder comme pétale symétrique , et que son antagoniste , placé dans une même püsition, par rapport à la tige, au lieu de se développer jusqu’à l’état normal, s’est arrêté dans son évolution. C’est sans doute cette différence dans l’accroissement des deux pétales, ce dé- faut d'équilibre, qui fait changer les relations de la fleur avec l’axe végétal. Il serait intéressant de voir si dans le Diclytra, où les deux pétales ont produit chacun un éperon , la corolle a conservé dans l’épanouissement la position qu'elle a dans sa jeunesse. Toutes les fois que des fleurs plus ou moins nom- breuses et plus ou moins serrées sont disposées soit en tête ou en ombelle, soit en grappe ou en épi, leur par- tie intérieure ou supérieure, c’est-à-dire celle qui se rapproche le plus de l’axe végétal , peut ètre gènée dans son développement par la pression inégale et progres- sive qui a lieu du côté intérieur, Les Composées et les Ombellifères nous ont fourni de nombreux exemples de cette circonstance qui déforme également les fleurs à type quaternaire. C’est ainsi que nous observons sur une in- florescence d’Jberis que les corolles des fleurs latérales ont éprouvé un défaut dans le développement des divi- sions intérieures, et que par suite de cette anomalie le type symétrique se trouve modifié. À la vérité, dans les fleurs les plus marginales, on voit en même temps un accroissement , avec excès, du bord extérieur; mais ce dernier phénomème se lie par balancement organique avec le défaut de développement dont nous'parlons , et quelquefois même avec l'avortement des organes sexuels. Re — ( 287 ) + L'irrégularité n’est pas la même dans le ZLopezia ; ce genre où Cavanille avait cru trouver une corolle à cinq pétales et Ventenat une corolle à trois, a été décrit par M. de Jussieu père, avec ce tact qui lui dévoile si souvent les relations les plus cachées (r). Le célèbre auteur des familles naturelles a prouvé que le Lopezia était pourvu d’un calice à quatre folioles, d’une corolle à quatre pé- tales et de deux étamines, dont une inférieure , fé- conde , et dont l’autre supérieure , dilatée , pétaloïde et stérile , avait été signalée comme un pétale par Cava- nille et Ventenat. Parmi les pièces de la corolle deux sont inférieures, coudées, déjetées en dehors et mu- nies d’un onglet. Ventenat les regardait comme deux étamines avortées. Les supérieures sont oblongues, par- faitement symétriques, et s’éloignent bien moins que les deux autres de la forme des pétales de la plupart des Onagraires. On peut donc considérer ces folioles comme n'ayant pas dévié du type primitif. Ainsi, le verticille du Lopezia est irrégulier, en sens inverse de celui des Iberis ; dans l’un , les pétales symétriques sont en haut ou en dedans; dans l’autre, ils sont en bas ou en dehors. Le nombre des fleurs irrégulières à six pétales est en- core plus borné que celui des corolles anomales , com- posées de quatre ; le seul exemple un peu tranché que nous puissions citer est celui du Cuphæa. On sait que dans ces plantes la corolle est formée par six pétales al- ternes avec l'axe, dont les supérieurs, au nombre de (x) Observ. sur la famille des Onagraires (Ann. Mus., vol. x11, p. 313, ét pl. xxx, fig. 4). ( 288 ) deux , sont ovales, lancéolés et plus ou moins sem- blables aux pétales des autres Salicaires ; tandis que les inférieurs , très courts, à peine visibles, annoncent un arrêt dans leur évolution, en d’autres termes, un commencement d’avortement : les deux pétales supé- rieurs sont donc les seuls qui appartiennent à l’ordre régulier. / Ainsi, quoiqu'il soit bien dificile de déduire quel- ques règles générales sur l’organisation des corolles ir- régulières à quatre ou six pétales, à cause du petit nombre de Dicotylédones qui en sont pourvues , néan- moins il semble résulter de tout ce qui précède, que ces verticilles ont habituellement deux pétales symétri- ques, et que ces pétales sont placés tantôt en haut, tan- tôt en bas dans les corolles à folioles alternes avec l'axe, et sur les deux côtés dans les corolles à folioles op- posées. CONCLUSIONS. Nous avons examiné dans ce Mémoire les principales modifications de la corolle appelée irrégulière ; nous avons montré que les divers états qu’elle présente ne sont pas le produit d’un accident ou d’un hasard , mais de certaines lois invariables et fécondes ; que des rap- ports, des ressemblances unissaient entre elles toutes les déviations même les plus bizarres et les plus insolites, etque les causes uniformes, constantes et peu nombreuses de ces déformations, semblaient annoncer que la nature est aussi simple dans ses lois d’irrégularité que dans ses lois de symétrie. Enfin, nous avons constaté, dans tous les modes de corolle irrégulière , un ou plusieurs pé- ES ( 289 ) tales symétriques , espèces de signaux placés comme à dessein dans le dédale obscur des déviations organiques, afin de nous servir comme de guides pour retrouver la symétrie. Nous terminerons en résumant en peu de mots les principales conclusions de ce Mémoire. 1° Les corolles irrégulières sont des corolles régulières déformées. 2° Les déformations des corolles sont produites par des excès ou des défauts de séparation (dédoublement et adhérence) ou de développement (augmentation et avortement). 3° Dans toute corolle éloignée du plan normal les phénomènes par excès ou par défaut exercent leur in- fluence isolément ou simultanément ; ils peuvent avoir lieu sur uu ou plusieurs pétales ou sur tous. 4° Quand les phénomènes ont agi sur tous les pétales et d'une manière uniforme, la corolle conserve une forme régulière et s'éloigne cependant de son type pri- mitif. Il y a donc deux sortes de régularités : l’une qui appartient au plan normal ou au type , et l’autre à une déviation uniformément répétée. 5° Les causes des phénomènes qui déforment les co- rolles peuvent être de deux sortes : les unes tiennent à des influences étrangères à la plante , et les autres à des circonstances inhérentes à son organisation. Les pre- mières agissent d’une manière accidentelle et les se- condes d’une manière continue. 6° Dans toute corolle irrégulière, on. voit toujours un ou plusieurs pétales qui ont persisté dans le type originaire. 7° On trouve des corolles anormales avec un pétale XXVII, 19 ( 290 ) régulier, d’autres avec deux, d’autres avec trois et d’aatres avec quatre. Les premières et les troisièmes sont les modifications les plus nombreuses. 8° Les corolles sont d'autant moins irrégulières que le nombre de leurs pétales symétriques est plus consi- dérable , et vice versä la corolle la plus irrégulière est celle qui présente le plus de pétales anomaux. 9° Dans une corolle pentapétale irrégulière , quand il n’existé qu'un pétale symétrique , il naît presque tou- jours du côté opposé à l'axe végétal ; quand if s’en trouve deux, on les voit le plus souvent du côté de ce mème axe, quelquefois en dehors et rarement sur les côtés de la corolle; quand il s’en développe trois ou quatre, ils sont habituellement au bord extérieur. 10° Dans les corolles irrégulières hexapétales et té- irapétales, Îles folioles symétriques sont ordinairement au nombre de deux ; elles naissent sur la fleur, tantôt en haut, tantôt en bas , tantôt sur les côtés. 11° Dans le seul exemple de corolle irrégulière dipé- tale que nous connaissions , le pétale régulier est latéral par rapport à l'axe de la plante. 192 Le pétale symétrique paraît ordinairement le plus grand ; il est plus on moins arrondi, et plus où moins horizontal, plane ou concave, souvent échancré à son sommet, quelquefois plissé dans son milieu, d’autres fois éperonné à sa base, vivement coloré et marqué vers son tiers inférieur de lignes, de taches où de points plus foncés ou plus brillans. Une ligne qui s’étendrait de sa base à son sommet, passant par le milieu , pour- rait le diviser en deux parties égales. ( 291) Exrériences sur le Mécanisme de la Rumination (second Mémoire) ; | Par M. Frourens, Membre de l’Institut. (Lues à l'Académie des Sciences le 5 décembre 183r.) SI. 1. J'ai fait voir, dans un précédent Mémoire, d’a- bord; quant à la route que suivent les alimens , soît lors de la première, soit lors de la seconde &églutition, elest-à-dire, soit avant, soit après la rumination, 1° que les alimens 707-ruminés, ou de la première déglutition, vont immédiatement et uniquement dans les deux pre- miers estomacs ; et 2° que les alimens ruminés, où de la seconde déglutition , passent seuls immédiatement, du moins en partie, dans les deux derniers; et j'ai fait voir ensuite , quant au mécanisme qui détermine cette route diverse des alimens, selon qu'ils sont r'urminés OÙ non-ruminés , 1° qu'il y a deux voies distinctes de dé- glutition , l'une, celle de l’œsophage , qui conduit aux deux premiers estomacs, et l’autre , celle du demi-canal, qui conduit aux deux derniers ; 2° que les alimens non- ruminés prennent toujours la première de ces deux voies, comme les alimens ruminés prennent toujours, du moins en partie, la seconde: et 3° que les alimens non-ruminés, où, plus généralement, tous les alimens (292 ) grossiers, où d’un certain volume, prennent la pre- mière voie, parce que, dilatant à cause de leur volume l’ouveriure inférieure de l’œsophage, ils sont directe- ment portés par cet œsophage même jusque dans les estomacs où il se rend, c’est-à-dire dans les deux pre- miers , tandis que les alimens ruminés , ou, plus géné- ralement , tous les alimens atténués ou fluides, prennent la seconde voie, parce que, laissant l’ouverture infé- rieure de l’œsophage fermée, ils n’ont d'autre voie ou- verte que celle du demi-canal, lequel les porte directe- ment, à son tour, jusque dans les estomacs où il se rend, c'est-à-dire dans les deux derniers. 2. Ainsi, les alimens vont ou dans les deux premiers estomacs, ou dans les deux derniers, selon qu’ils pren- nent ou la voie de l’œsophage, ou celle du demi-canal; et ils prennent l’une ou l’autre de ces deux voies, selon qu’ils sont ruminés où non-ruminés, Où, plus généralement, selon qu’ils sont atténués ou grossiers, où, en un mot, selon qu’ils sont assez volumineux, ou non, pour ame- ner, ou non, l'ouverture du bout inférieur de l’œsophage. 3. Il ne reste plus qu’à faire connaître le méca- nisme selon lequel s'opère la réjection des alimens , ré- jection intermédiaire , comme on a déjà vu , entre lune et l’autre deglutitions. 4. Or, on verra bientôt que cette réjection n’est pas un simple vomissement , analogue à celui des animaux ordinaires; car non-seulement les alimens sont rejetés , mais, de plus, ils sont rejetés par portions réglées et détachées ; et l’on verra de même que les animaux ru- minans n'ont pas seulement les organes communs du vomissement, où pareils à ceux des animaux ordinaires, ( 293) mais qu'ils ont, de plus, des organes particuliers de vomissement , ou dont les animaux ordinaires manquent. 5. La question est donc de savoir, 1° quels sont ces divers organes , soit généraux , soit particuliers, du vo- missement des animaux ruminans; et 2° quel est le mode selon lequel chacun de ces organes agit. 6. Je commence par les organes généraux , ou pareils à ceux du vomissement des animanx ordinaires. $ II. 1. Tous les auteurs ont reconnu, et il suffsaii, en effet, du plus léger examen pour le reconnaître, que ces organes sont de deux ordres , ou médiats, tels que les muscles de labdomen et le diaphragme , ou immédiats, tels que les estomacs. Mais quels estomacs ? C’est ici que renaissent les difficultés, et, avec elles , les divergences entre les auteurs. 2. Ainsi, selon Duverney, c’est la panse « qui est le « principal organe de la rumination; » c'est, au con- traire , le bonnet , selon Daubenton ; et, parmi ceux qui sont venus après ces deux célèbres anatomistes, les uns, comme Camper, admettent l'opinion de Daubenton; et les autres, comme Bourgelat, Chabert, Toggia, la combattent pour revenir à celle de Duverney. 3. Mais, quant à cette première dificulté , les expé- riences de mon précédent mémoire l’ont déjà levée. 4. Ona vu, en effet, par ces expériences , 1° que les alimens non-ruminés , c'est-à-dire destinés à être rejetés, ou ramenés à la bouche, ne vont que dans les deux premiers estomacs, et »° qu'ils vont dans l’un de ces ( 294 ) estomacs comme dans l’autre. Les deux premiers esto- macs concourent donc seuls , du moins comme organes généraux et immédiats , à la rumination ; ex ils ÿ con- courent l’un comme l’autre , quoique chacun d’une manière distincte, ainsi qu'on le verra plus loin. 5. Mais ces deux estomacs déterminent-ils la réjec- tion , ou le retour à la bouche, de l'aliment, par leur seule force propre? ou bien ont-ils besoin , pour opérer cette réjection, du concours d'une force extérieure et auxiliaire ? $ II. 1. Si l’on met les quatre estomacs à nu ; sur un mou- ton vivant, on est étonné du peu de ressort et d'énergie contractile de leur tissu. J’ai successivement soumis à des irritations de tout genre , à des piqüres , à des inci- sions ; à des brülures , les paroïs de chacun de ces quatre estomacs, mis à nu, sur différens moutons ; et je n'ai jamais déterminé par. là, ou que des contractions par- tielles des fibres immédiatement irritées, ou qu'un mouvement vermiculaire général assez faible. 2, Au contraire, quand ces estomacs ; et, en parti- culier, le bonnet et la panse, les seuls dont il sagit pour le moment, sont dans leur position naturelle, c’est-à-dire sous l’action combinée des muscles abdomi- naux et du diaphragme, leur mouvement contragtile est très prononcé; et l’on peut bien juger de cé mouve- ment, au moyen des anus artificiels, dont j'ai parlé dans mon précédent mémoire. 3. Si l’on introduit , en effet , le doigt, au moyen d'un pareil anus, soit dans la panse , soit dans le bonnet, on ( 295 ) . sent ces deux estomacs qui se contragtent,, el sé con- tractent surtout avec force, pendant les eflorts du vo- missement , ou de la réjection. 4. On sait que la panse est comme partagée en plu- sieurs poches par des replis intérieurs, plus où moins saillans, auxquels répondent les sillons extérieurs de l'organe. Or, le doigt, introduit dans la panse, sent l'en- semble de ses parois et surtout les replis, où faisceaux musculeux , qui partagent sa cavité en plusieurs poches, se contracter ayec force, et ces replis, former comme,au- tant de nœuds dé contraction; et, d’un autre côté, si, après avoir enlevé les enveloppes superficielles de la ré- gion moyenne de l'abdomen , on ne laisse subsister que l’aponéyrose transparente qui recouvre ,en ce point, le péritoine et la panse, on voit tout l’extérieur de cet estomac se contracter, se dilater, s'agiter presque perpé- tuellement d’un grand mouvement vermiculaire. 5. Le mouvement contractile des estomacs est donc beaucoup plus marqué, quand ils sont dans leur position naturelle que quand ils sont mis à ny; naisce mouve- ment contractile suflit-il, à lui seul, pour opérer le vomissement , où la rejection des alimens ? 6. J'ai déjà dit que tous les auteurs ont reconnu de concours , dans la rumination, de l’action extérieure et auxiliaire des muscles abdominaux et du diaphragme, il fallait donc voir si, cette action supprimée , la -rumi- nation continuerait encore. Ç IV! 1. Je coupai les deux nerfs diaphragmatiques , sur un mouton. ( 296 ) "L'animal fut aussitôt atteint d’un grand essoufllement ; et, le thorax se soulevant à peine , la respiration parais- sait ne plus se faire qu’au moyen de la contraction pro- fonde des muscles abdominaux. Peu à peu cet essoufilement disparut ou diminua ; l'animal mangea; et je le vis ruminer dès le lendemain de l’opération ; mais il ruminait avec peine, avec effort ; et cet effort portait surtout sur les muscles de l’abdomen , qui souvent étaient obligés de se contracter jusqu’à deux ou trois reprises de suite pour amener enfin la réjection effective de l'aliment. 2. La section des nerfs diaphragmatiques rend donc la rumination plus pénible, sans l'abolir ; mais aussi la section des nerfs diaphragmatiques n’abolit pas non plus, comme on sait, le mouvement du diaphragme ; elle le rend seulement plus faible. 3. Je coupai, sur un second mouton , la moelle épi- nière, par une section transversale, au niveau de la dernière vertèbre costale. ; Sur-le-champ, tout le train postérieur de l’animal fut frappé de paralysie ; et, les muscles de l'abdomen ne se contractant plus que faiblement, la respiration ne sem- blait plus se faire que par le thorax, au contraire de l’animal précédent où, comme on a vu, elle ne semblait plus se faire que par les flancs. Malgré la paralysie de son train postérieur, l’animal n’en continua pas moins à manger et à ruminer souvent, durani plusieurs jours qu'il survécut à l'opération. 4. Sur un troisième mouton, je coupai tr'ansversale- ment la moelle épinière au niveau de la sixième vertèbre costale. (299 ) L'animal survécut plusieurs jours à l'opération; il mangea inême beaucoup et souvent; mais il ne rumina plus ; et, quelques efforts qu’il fit encore pour ruminer, on voyait ses muscles abdominaux, lâches et distendus, rester sans action propre , et presque sans mouvement. 5. Je coupai, sur deux moutons , les deux nerfs de la huitième paire (pneumo-gastriques ); et ces deux ani- maux non-seulement ne ruminèrent plus, mais même ils ne mangèrent , ni ne burent plus, durant quatre ou cinq jours qu’ils survécurent à l'opération. 6. Aïnsi, 1° Ja section des nerfs diaphragmatiques qui affaiblit le mouvement du diaphragme, affaiblit la rumination ; 2° Ja section de la moelle épinière qui abolit l’action des muscles abdominaux, abolit la rumi- nation ; et 3° la section des nerfs de la huitième paire n'empêche pas seulement l’animal de ruminer, mais elle l'empêche mème de boire et de manger; et l’on pouvait prévoir tous ces résultats, soit des expériences de M. Magendie touchant l’action des muscles abdominaux et du diaphragme sur le vomissement des animaux ordi- paires , soit de celles de M. de Blainville touchant l’ac- tion des nerfs de la huitième paire sur la digestion. SN: 1. Mais je me hâte d’arriver à la partie du phéno- mène qui constitue le vomissement propre des animaux ruminans, et aux organes particuliers par lesquels ce vomissement s'opère. 2. Il ya, dans tout phénomène donné, une circons- tance qui en forme le trait principal et caractéristique ; ( 298 ) et tant qu'on n'est point parvenu jusqu'au ressort pro- fond et caché qui détermine cette circonstance, on n’a point résolu le nœud de la difliculté. 3. Dans le vomissement propre des animaux rumi- nans, la circonstance qui forme le trait principal et caractéristique consiste évidemment en ce que ce vomis- sement n'est pas une réjection confuse , où en masse, des matières vomies , comme le vomissement des ani- maux ordinaires, mais une réjection de ces mêmes matières par portions réglées et détachées. 4. Daubenton a, le premier, bien vu que, dans cette division des matières vomies par portions réglées et détachées , consiste le véritable trait caractéristique du vomissement des animaux ruminans. « Lorsque l’ani- « mal veut ruminer, dit-il, il faut qu'une portion de « la masse des alimens soit détachée, arrondie et hu- « mectée par quelque agent particulier, avant d'entrer « dans l'œsophage pour revenir à la bouche; » et ül ajoute : « Le viscère que l’on appelle bonnet est l'agent « qui fait toutes ves fonctions... c’est lui qui détache « une portion de ja masse des aïimens, qui l’arrondit « en forme de pelote, et lhumecte en la compri- « mant (1). » 5. Ainsi, selon Daubenton, il faut d'abord qu’une portion d’alimens soit détachée de la masse commune; il faut ensuite que cette portion recoive une forme détermi- née ; et, soit pour détacher cette portion, soit pour lui (1) Daubenton, Mémoire sur la rumination et sur le tempérament des bêtes à laine (Mém. de l’Acad. roy. des Sc.; ann. 1768). | ( 299 ) donner cette forme, il faut un agent particuliers et, selon lui, cet agent particulier est le bonnet. 6. Telle est, en peu de mots, la théorie de Dauben- ton; théorie, comme je l'ai déjà dit, tour à tour admise par Camper, quoique d’aue manière infiniment vague, car Camper se borne à dire : « Il me parait vraisemblable « que, lorsqu'une portion des alimens doit être portée « vers la bouche, c’est par le moyen du bonnet qui se « comprime (1); » et formellement combattue, au con- traire , par Chabert et par Bourgelat; car Chabert ter- mine son travail par dire « qu'il a fait sentir le peu de « fondement de ceux qui ont prétendu que le bonnet « était destiné à calibrer, mouler en quelque sorte les « pelotes destinées à être portées dans la bouche (2); » et Bourgelat termine le sien par ces conclusions : « 1° Le « bonnet ne détache point de la masse des alimens la « portion dont l'ascension dans la bouche est prochaine ; « 2° il n’est, en aucune manière, chargé de la mouler « et de la calibrer; elle prend la forme que lui donne « naturellement l’œsophage dès qu’elle y ést introdui- « te, étc. (3). » 7. Pour prononcer entre des assertions aussi opposées, c'était donc encore à de nouvelles expériences , et sur- tout à des expériences plus décisives que celles auxquelles on s'était jusqu'ici borné, qu'il fallait avoir recours. (x) Camper, OEuvres qui ont pour objet l'Hist. nat., la Physiol., et l'Anat. comp; tir. - (2) Chabert, Des organes de la digestion dans les ruminans , 1797. (3) Bourgelat, Élémens de d'art vétérinaire, +. 1x (Recherches sur le mécanisme de la rumination), ( 300 }) 8. Or, on verra bientôt, par ces nouvelles expériencés, 1° que le bonnet ne joue pas le rôle que lui attribue Daubenton; 2° que néanmoins il se forme, comme Daubenton le dit, des pelotes arrondies et détachées ; et 3 qu’il y a un organe particulier et tout autre que le bonnet qui forme et arrondit ces pelotes. $ VI. 1. Je commencçai par retrancher une partie du bon- net, Sur un mouton ; et, pour diminuer, autant que pos- sible , le jeu contractile de la partie restante, je fixai, par quelques points de suture, les bords de cette partie aux parois de l'abdomen. Il était évident que le bonnet, ainsi réduit à un de ses côtés, et ce côté même étant fixé par ses bords aux pa- rois de l’abdomen , cet estomac ne pouvait plus se con- tracter ex rond, où en moule arrondi, pour former et arrondir les pelotes. Si donc, d’une part , il devait se former des pelotes pour que l’animal ruminät; et si, de l’autre, c'était le bonnet qui formait ces pelotes, deux assertions sur les- quelles repose la théorie de Daubenton, il est évident que, conséquemment à cette théorie , l'animal ne devait plus ruminer. Mais il rumina , et rumina souvent. Le bonnet ne joue donc pas le rôle que lui attribue Daubenton (1); et, (x) Il en à un qui est beaucoup plus en rapport avec la structure si singulière de ses parois internes. On à vu que ces parpis sont tapis- E14 2e que ( 307 ) supposé qu'il se forme des pelotes, ce n'est pas le bon- net qui les forme. 2. Je dis supposé qu’il se forme des pelotes : en effet, Daubenton est le seul qui parle de ces pelotes comme d’une chose qu'il ait vue, et encore n’en a-t-il vu qu'une; et Bourgelat en nie formellement l'existence. « La por- « tion qui remonte n’a , dit-il , d'autre forme que celle « que lui donne l’œsophage. » 3. Le premier point était donc de chercher un moyen qui permit d'arriver jusqu'à ces pelotes; car Daubenton ne devait celle qu’il avait vue qu’au hasard, à un cas pathologique ; et l’on sait que , dans les cas ordinaires, sées de petites lames saillantes, disposées en mailles polygones ou en réseau. Or, quand le bonret se contracte, toutes ces lames étant rap- prochées, et, par suite, les espaoes, qu’elles interceptent, de super- ficiels étant devenus profonds, les diverses mailles forment autant de cellules creuses, ou de petits tuyaux : par là, tout l’intérieur du bonnet se trouve comme transformé en une sorte d'éponge; et c'est dans les vides de cette éponge que passent ou se réfugient, si je puis ainsi dire, les liquides, au moment de la contraction du 4on- net. En effet, le bonnet contient ordinairement beaucoup de liquides; et cependant ces liquides ne reviennent pas, du moins en masse, à la bouche avec les solides. L'usage particulier de la structure intérieure du bonnet, laquelle avait si fort frappé Daubenton, et au moyen de laquelle cet estomac se transforme temporairement, comme je viens de le dire, durant sa contraction, en une sorte «le réservoir de liquides, est donc de lui per- mettre de repousser les solides qu’il contient et qui doivent revenir à la bouche, tout en conservant plus'ou moins les liquides qu'il con- tient aussi, et qui n’y doivent pas revenir. Mais c’est encore là un point sur lequel je reviendrai ailleurs. } ( 302 ) on ne trouve rien de pareil dans les estomacs des ani- maux TUMINANS. 1. J'ouvris l’œsophage par une incision longitudinale, et vers le tiers supérieur de sen trajet le long de la région cervicale, sur un mouton, J'avais espéré que, l'animal se mettant à ruminer, les pelotes qui remonteraient des estomacs , arrivées à l’ou- verture de l’œsophage, tomberaient par cette ouverture, à mesure qu'elles remonterajent, et qu’ainsi je pourrais parvenir enfin à m'en procurer. Mais cet animal ne rumina point. IL perdait presque continuellement, par le bout supé- rieur de l’incision de l’œsophage, une quantité prodi- gieuse de salive. à 11 cherchait souvent à manger, et surtout à boire ; mais tout ce qu'il mangeait ou buvait tombait aussitôt par le bout supérieur de l’incision de l’œsophage. Après l'avoir conservé durant trois ou quatre jours dans cet état , Je l'ouvris. La panse ne contenait aucun liquide d'aucune espèce ; toutes les matières v étaient sèches et comme moulées, en autant de masses compactes et distinctes qu'il ya de poches séparées dans l’intérieur de cet estomac; et vers l'endroit où cet estomac répond à l’ouverture de l’œso- phage , était une pelote parfaitement ronde et d’un pouce à peu près de diamètre, comme celle que Daubenton a vue. Cette pelote était appliquée, d’un côté, contre l’ouver- ne. ( 303 ) ture fermée de l’œsophage; elle était appliquée; de l’autre, contre la masse d'herbes contenues dans la poche anté- rieure de la panse; et, par le reste de son étendue, elle était engagée entre les deax bords du demi-canal. Quant au bonnet, il ne contenait aucune matière, ni solide , ni liquide. é 2. J'ouvris l’œsophage par une incision longitudinale, pareille à celle de l’animal précédent, sur un second mouton. Ce mouton ne rumina pas non plus ; et il perdit de même une quantité prodigiense de salive par le bout supérieur de l’incision de son œsophage. Après l’avoir conservé deux jours dans cet état, je l'ouvris. Les matières contenues dans la panse étaïent déjà sèches, maïs moins que sur l’animal précédent ; elles étaient aussi divisées en masses compactes, et distinctes, par les replis intérieurs de l'organe, et le bonnet était encore absolument vide. Quant au demi-canal, je n’y trouvai pas , cette fois, ,de pelote complètement formée, mais une pelote qui commençait à se former, et qui n’en montrait que mieux le mécanisme de sa formation. Cette pelote, à demi-formée, répondait d’un côté à l'ouverture fermée de l’œsophage, de l’autre à l’ouver- ture fermée du feutllet; et, par le reste de son étendue, elle était engagée entre les bords du demi-canal ; et il était évident que ces deux ouvertures, fermées et rap- prochées , d’une part, et le demi-canal, de l’autre , côns- tituaient , par leur réunion , l'appareil même qui la formait. ( 304 ) 3. J'ouvris l’œsophage, sur un troisième mouton , de la mème manière que sur les deux précédens. Cet animal rumina , ce que n'avaient fait aucun des deux autres; il rumina même quelques heures après l'opération; et je vis alors les pelotes qui remontaient le long du cou, tomber par l'ouverture de l’œsophage, dès qu'elles arrivaient à cette ouverture. Ces pelotes, humides et molles , n'avaient pas une forme aussi exactement ronde que la pelote ferme et sèche que j'avais trouvée sur le premier mouton; la pression de l’œsophage les avait un peu allonugées en cylindre, mais il n’en était pas moins aisé de juger que leur forme primitive avait été ronde. Dès le lendemain de l'opération, l'animal ne rumina plus ; et il continua à ne plus ruminer durant trois ou quatre jours que je le conservai encore. Après ce temps, je l’ouvris. La panse ne contenait que des matières sèches et moulées en masses distinctes ; le bonnet était complètement vide ; et, quant au demi- canal, il contenait encore une pelote sèche et ronde appliquée de même contre l'ouverture de l’œsophage, et parfaitement semblable, en un mot, à celle du premier mouton. 4. Ainsi, 1° il se forme des pelotes dans lé vomis- sement des animaux ruminans ; 2° ces pelotes sont ar- rondies ; et 3° c’est le demi-canal, ou plutôt l'appareil dont le demi-canal fait partie , et qui se compose et de ce demi-canal et des deux ouvertures fermées du feuillet et de l’œsophage, qui les forme. 5. Maintenant, pour se faire une idée du mécanisme selon lequel cet appareil agit , il faut considérer, 1° que ( 305 ) le demi-canal s'étend de l'ouverture de l’œsophage à celle du feuillet ; 2° que , quand il se contracte , il rap- proche l’une de l’autre ces deux ouvertures; 3° que, de ces deux ouvertures, l’une, celle de l’œsophage, est habituellement fermée , et que l’autre, celle du feuillet, naturellement étroite, peut se resserrer el se fermer aussi par sa contraction propre; et 4° que, quand les deux premiers estomacs , pressés par les muscles abdo- minaux et le diaphragme , se contractent, ils poussent tout à la fois les matières qu’ils contiennent et contre ces deux ouvertures opposées l’une à l’autre, et contre le demi-canal qui est opposé à ces estomacs. 6. Ainsi les deux premiers estomacs , en se contrac- tant, poussent les alimens qu’ils contiennent entre les bords du demi-canal; et ce demi-canal, se contractant à son tour, rapproche les deux ouvertures du feuillet ct de l’œsophage ; et ces deux ouvertures, fermées à ce mo- ment de leur action (1) et rapprochées, saisissent une portion des alimens, la détachent et en forment une pelote. 7. Or, d’une part, cette pelote est détachée; mais elle n’a pu ètre saisie par ces deux ouvertures jointes, sans se détacher de la masse des alimens : d’autre part, cette pelote est ronde ; mais cette forme ronde est préci- sément celle de l'appareil qui la produit, quand cet appa- reil est en action, c’est-à-dire quand le demi-canal, se contractant , rapproche l’une de l’autre les deux ouver- (x) Celle de l'œsophage, parce que, à ce moment d'action, le dia- phragme est contracté, et qu’elle ne s’ouvre que quand il se relàche; et celle du feuillet, parce que, à ce moment d'action, et le feuillet, et son ouverture , et les autres estomacs, tout se contracte. XXxVIAÏ. 20 ( 306 ) inres : enfin, cette pelote a un pouce à peu près de diamètre ; et un pouce de longueur est aussi à peu près l'étendue du demi-canal, quand il se contracte. 8. Mais la détermination du mécanisme selon lequel se forment les pelotes n’est pas le seul fait qui résulie de ces dernières expériences. On sait depuis long-temps, par M. Cuvier (1), que l’appareil salivaire n’est nulle part aussi développé dans la classe des mammifères que dans les animaux ruminans. Or, les expériences qu’on vient de voir montrent quel rôle important joue, dans la digestion de ces animaux et jusque dans leur rumina- tion , leur fluide salivaire si copieux; car, dès que ce fluide ne parvient plus dans leurs estomacs , les matières contenues dans ces estomacs deviennent sèches , dures, compactes ; ces estomacs eux-mêmes sont bientôt privés de tout liquide ; et une pelote a beau se former, comme elle ne peut plus remonter l’œsophage desséché , elle reste appliquée contre l’ouverture de cet œsophage; et ceci explique d’abord pourquoi on trouve une pelote dans ces cas, et ensuite pourquoi , dans les cas ordi- naires, on n'en trouve pas, parce qu'’alors les pelotes passent dans l’œsophage, et de l'œsophage dans la bouche, à mesure qu’elles se forment. $ VIII. 1. En résumant tout ce qui précède , on voit 1° que le trait caractéristique du vomissement des animaux ruminans consiste en ce que les matières vomies ou ra- (1) Cuwier, Leçons d’Anatomie comparée, t. x11. ( 307 } menées à la bouche, y sont ramenées par portions réglées et détachées ; 2° que la division de ces matières par por- tions réglées et détachées s'opère par un appareil donné ; et 3° que cet appareil donné n'est pas moins particulier à ces animaux que le phénomène même qu’il détermine. 2. L'effet de la rumination est donc de ramener à la bouche, et d'y ramener successivement par portions réglées , les alimens grossiers ou trop peu divisés de la première déglutition; et, cet effet posé, rien n’est plus aisé que d’expliquer le but de lu rumination, ou, en d’autres termes , le rôle que ce phénomène joue parmi les autres phénomènes de la digestion. $ IX. 1. L'objet de la digestion, considérée sous un point de vue général , est évidemment la transformation ou conversion de la matière alimentaire en fluide nour- ricier; et l’objet, en particulier, de la digestion stoma- cale, la seule dont il s’agit ici, est la conversion de la matière alimentaire en chyme , ou ce qu’on peut appe- ler, d’un seul mot, la chymification. 2. Or, on sait, depuis les expériences de Réaumur et de Spallanzani, que cette chymification, ou transforma- tion de l'aliment en chyme , ne se fait qu'au moyen et par le contact du fluide gastrique, c’est-à-dire, du fluide sécrété par les estomacs. 3. On conçoit done que la digestion stomacale sera d'autant plus complète que l'aliment sera mis plus com- plètement en rapportavec le fluide gastrique; et qu’elle serait la plus complète possible si toutes les molécules, ( 308 ) par exemple, de l'aliment, pouvaient être mises en rap- port ou en contact avec toutes les molécules du fluide gastrique. 4. Or, pour approcker le plus près possible de cette digestion qui serait la plus complète possible , c’est-à- dire où le plus grand nombre possible de molécules de l'aliment serait mis en contact avec le plus grand nombre possible de molécules du fluide gastrique , V'organisa- tion des animaux offre deux moyens, l’un, l'étendue la plus grande de l'appareil, et l’autre, la division la plus grande de l'aliment ; etil est aisé de voir que ces deux moyens se trouventréunis et combinésdansles animaux rumin ans. 5. D'abord il n’est point d'animaux dont les estomacs soient aussi compliqués, aussi étendus ; et ensuite il n’en est point où , grâce à la rumination ou double mandu- cation, la division de la matière alimentaire soit portée plus loin. 6. On a vu, en effet, d’une part , que les estomacsde ces animaux sont au nombre de quatre ; que la panse, ou le plus grand de tous, se partage comme en quatre autres par des replis intérieurs ; que le feuillet a de grandes lames longitudinales , lesquelles vont à plus de trente dans le mouton, de quatre-vingt dans le bœuf, etc.; et l’on a vu, de l'autre, que les alimens sont mâchés une première fois; déglutis une première fois; qu'ils font alors un certain séjour dans les deux premiers estomacs ; qu'ils s’y ramollissent, qu'ils s’y macèrent ; qu'ainsi ma- cérés et ramollis , ils sont ramenés à la bouche ; qu’ils y sont soumis à une seconde mastication; qu'ils sont déelutis une seconde fois; et qu’alors ils sont comme 5 ; cu" ( 309 ) disséminés dans les trois premiers estomacs, d’où ils arrivent enfin dans le dernier de tousou la caillette, où, après tant de préparations et de modifications, se fait leur conversion définitive en chyme. 7. D'une part donc, la multiplication des surfaces de l'appareil , et de l’autre, la division des parties de l’ali- ment, sont portées le plus loin possible ; et la combinai- son de ces deux moyens explique pourquoi aucun autre genre d'animaux, même parmi les animaux herbivores, n'offre une fonction digestive aussiénergique etaussi puis- sante que l’est celle des animaux ruminans. 8. Le but, ou plutôt l'effet de la rumination, ou double manducation , est donc de faire que, dans des animaux où l'appareil de la digestion est si développé, la division de l'aliment réponde au développement même de l'ap- pareil. Rapport fait à l’Académie des Sciences, par M. Duméni, sur trois Mémoires d'Anatomie, relatifs à l'organe de l'ouie dans les Poissons Par M. le D' Brescuer. (Séance du 8 octobre 1832.) En 1830, M. Cuvier et moi, avons fait à l Académie un rapport sur un premier mémoire de M. le docteur Breschet, relatif à l'organe de l'audition dans les ani- maux de la classe des poissons, et sur quelques particu- ( 310 ) larités observées à ce sujet dans la Zamproié , l'Estur- geon , l'Alôse ; le Maquereau et le Congre. C’est la suite de ée travail que l’auteur à présentée à l’Académie dans trois autres mémoires, dont MM. Magendie, Serres et moi avons été chargés de faire l’examen , pour le- quel il nous a soumis, à l'appui de ses descriptions, des pièces anatomiques et un atlas de dix-huit planches coloriées ; qui en donnent des idées très nettes. Dans l’état actuel de nos connaissances physiologiques, le meilleur moyen de faire concevoir la structure, le jeu et la destination des organes chez les animaux, c'ést l’é- tude préliminaire des causes où des agens qui peuvent produire sureux des effets appréciables. C’est ainsique dés idées exactes, acquises sur les phénomènèes du mouvement et des forces motrices sur les lois de l’équilibreet du repos, sur la théorie des leviers, deviennent indispensables pour concevoir le mécanisme des os dans la charpente du sque- lette , et l’action produite par les muscles lorsqu'ils se contractent. Dans les propres œuvres de l’industrie hu- maine, l’effet d’une machine qui n’est pas en action et dont on ne peut étudier le mouvement dans chacune des pièces qui la composent, est bien plus difficile à sai- sir que dans celle que l’on voit fonctionner. Dans la dis- position de nos appareils chimiques n’a-t-on pas prévu d’avance tous les produits de forme et de nature diverses que l'ou pourrait obtenir, en traitant des matières dans lesquelles on en suppose les élemens, afin de les sépa- rer, de les combiner et de les récueillir? Ces réflexions s'appliquent complètement à l'étude de l'organe de l’ouïe dans les animaux. En effet, chez les mammifères, les oiseaux et lés reptiles, au moins chez ( 311 ) le plus grand nombre, ou chez ceux qui respirent l'air constamment , une petite portion de fluide gazeux pé- nètre dans la cavité de l'oreille , et l’on conçoit que ce gaz, que cet air ébranlé, doit y éprouver identique- ment, et comme en miniature , des oscillations que ré- pètent et reproduisent directement dans l’organe, tous les phénomènes des vibrations communiquées à l'at- mosphère par les corps en mouvement. Maïs chez les ‘poissons , il n’y a plus d’air dans la cavité qui corres- pond à l'oreille; cependant, on y retrouve quelques analogies de structure et de forme dans des parties cor- respondantes; mais qui toutes, ici, renferment non plus de gaz, maïs des humeurs , des liquides dont les mouvemens sont certainement semblables à ceux que l’eau , dans laquelle ils sont plongés, leur transmet par la moindre agitation. De mème que l’homme s’est complu à décorer la divi- nité de ses propres formes, lorsqu'il a voulu se la repré- senter, de même il à supposé que tous les autres animaux avaient été créés à son image et construits sur son mo- dèle : voilà pourquoi, dans toutes les parties de ces ani- maux, dans tous leurs organes, on a cherché à retrouver cétte exacte ressemblance. Cependant il est facile de concevoir d’avancé, pour l'organe de l’ouïe en parti- culier, quelles modifications ont dû faire éprouver, dans l'instrument répétiteur, les mouveméens qui se passent au-dehors, la nature du milieu ou du fluide qui donne l’idée du bruit, les causes qui le produisent, sa force, la direction dans laquelle il arrive, ete., etc. ; voilà le cas où se trouvent les poissons. Cette anomalie mê- me offre aux physiologistes une des circonstances les (312 ) plus importantes à étudier, car les variations des pat- ties peuvent servir à dissiper l'obscurité qui eouvre en- core le véritable usage de certaines dispositions dans les parties de l'oreille qui ne se retrouvent pas constam- ment, quoique ces animaux ne soient pas privés de la faculté de percevoir les sons, ou d’avoir la conscience des mouvemens qui se produisent autour d'eux. D'après ces données, on conçoit tout l'intérêt que doit offrir aux physiologistes l’étude d’un organe dont le but est bien connu, mais dont la fonction s'exécute dans un autre milieu et par d’autres moyens intermé- diaires qui ont nécessité des appareils analogues, mais avec des dispositions toutes différentes. Les mémoires de M. Breschet, dont nous allons vous présenter l’ana- lyse, sont destinés à éclairer cette question; et, quoi- qu’ils n’en donnent point la solution, ils offrent cepen- dant beaucoup de faits qui, peut-être un Jour, servi- ront à expliquer les anomalies mèmes que devaient né- cessairement présenter, dans la structure de leur oreille, les animaux qui sont appelés à vivre constamment et uniquement dans l’eau. L’organe de l’ouie, quoique très compliqué dans les animaux de la classe des mammifères, et peut-être un peu moins dans la classe des oiseaux, se réduit cepen- dant à peu près aux mêmes élémens, ou du moins cet organe offre une grande analogie d'organisation dans la plupart des espèces. Il.n’en est plus de même quand on J’examine dans les reptiles et surtout dans la nom- breuse classe des poissons. Chez les animaux de cette dernière classe en parti- culier, on rencontre cing modifications principales qu'on (5x6 ) pourrait rapporter à cinq types ou modèles originaux auxquels ces variétés pourraient être rapportées. Les po:ssons de l’ordre des Chondroptérygiens of- frent les deux premiers exemples; savoir : dans les Cyclostomes, comme dans la Lamproie , une simple po- che, contenant au milieu d’un liquide une concrétion pierreuse , sans divisions en canaux ou tubes semi-circu- laires. Les Chimères, les Raïes, ont de plus à cette po- che des ouvertures, dont les unes sont fermées par une cloison membraneuse et dont les autres sont béantes et communiquent en dehors de la tête du poisson. Les Squales, les Lumies , les Mormyres, les Lépi- dolèpres, peuvent être considérés, par la structure de leur oreille, comme formant un troisième type. Cet organe offre ici de simples ouvertures ou fenè- tres vestibulaires fermées par des expansions mem- braneuses ou par des rudimens de la chaîne osseuse qu’on retrouve dans les animaux des classes supé- rieures. C'est ainsi que dans quelques Sturioniens, il existe deux poches lapidifères et des tubes membraneux courbés en demi-cercle. Le caractère essentiel de cette disposition consiste dans l'existence de cavités closes par des membranes qui établissent des communications médiates entre l'extérieur et le labyrinthe. Le quatrième type est Le plus simple et le plus général : il réunit, presque exclusivement, les poissons osseux. Deux poches vestibulaires , trois tubes sémi-circulaires , sans pertuis ou communications quelconques avec l’ex- térieur. Enfin une dernière section comprendrait tous les poissons dont le labyrinthe membraneux communique (314) plus ou moins librement ou directement avéc la ves- sie aérienne , comme on le voit dans les Cyprins, Clu- pes, Spares , Cobites, Myriopristis, Silures, etc., etc. Après cette introduction, l’auteur indique les ré- sultats qu'il à obtenus de l'étude anatomique de l’o- reille des poissons chez lesquels cet organe ne paraît avoir aucune communication avec la vessie natatoire. Ceux chez lesquels il a spécialement dirigé ses re- cherches sont : plusieurs Squales, un grand nombre de Raïes diverses , la Chimère antarctique , le Brochet, le Grondin, le Turbot, le Saumon, le Bar, la Bau- droie ou Raie pécheresse, V Anguille, le Ptéroïs. Avant de procéder à la description particulière des détails anatomiques qu’il a fait représenter sur des planches coloriées , l’auteur indique la disposition et la nomenclature des parties dont il aura à parler. Dans ce but, il a fait précéder son travail d’une figure très grossie du labyrinthe membraneux de la Grande Bau- droie , dont toutes les parties sont nommées et indi- quées par des lettres, de manière à ce que dans les au- tres figures, elles puissent seules servir pour les faire reconnaître au premier aperçu. M. Breschet commence, en effet, ses descriptions monographiques par l'oreille de cette même Baudroie. Nous ne reproduirons pas cette anatomie , même en abrégé, parce qu’elle exigerait de nous trop de détails, et que d’ailleurs, ils ne pourraient être saisis qu'à l’aide des figures. L'auteur insiste surtout sur l’exis- tence de deux renflemens particuliers que présente l'ensemble des canaux auriculaires internes ou le la- byrinthe de ce poisson ; l’un en avant, qui est un LES ) appendice du sinus médian et qu'il nomme utricule; l'autre ést situé en arrière : c’est aussi un appendice du sac, et il le nomme cysticule. L'anatomie détaillée et figurée des diverses oreilles de poissons est exposée dans l’ordre suivant : le Saumon, le Turbot, l'Anguille, le Bar, le Grondin, la Gran- de Roussette , le Ptéroïs ou Scorpène volante. Dans son troisième mémoire, M. Breschet fait con- naître l’organe auditif des Raïes et des Chimères; dans là Raie bouclée , il ne communique pas avec l’intérieur du crâne, comme chez les poissons osseux, il en est séparé par une cloison épaisse et cartilagineuse, ce qui semble rapprocher les Raiïes des animaux des classes supérieures. La Chimère antarctique, que M. Breschet a, le premier , étudiée sous ce rapport, offre, dans la structure de son oreille, la plus grande analogie avec celle des Raïes ; cependant cet organe communique avec la cavité du crâne qui reçoit le cerveau, à peu près comme dans les Esturgeons. : 4 Dans le quatrième mémoire, l’auteur décrit l’or- gane auditif du Brochet. Ce poisson parait offrir , dans cette partie de sa structure, la même disposition que tous ceux que l’on nomme osseux , excepté par la pré- sence d’un petit appendice qu’on a regardé comme le rudiment d’un limaçon ou canal cochléen, mais que M. Breschet croit être plutôt le vestige du canal qui, chez quelques poissons, sert à faire communiquer la cavité du labyrinthe membraneux avec leur vessie aérienne. La figure destinée à cette partie du mémoire en donne une représentation très exacte. L'auteur paraît ( 316) mettre beaucoup d'importance à faire connaître cette ’ structure , qu'il a décrite dans ses moindres détails. Rendant justice aux recherches délicates, laborieuses et érudites de l’auteur, et d’après les considérations générales que nous avons exposées au commencement de ce rapport, nous le terminons par les mêmes con- clusions que l’un de nous et M. Cuvier avait pro= posées après l'examen du premier mémoire dont il ren- dait compte : « Nous pensons que l’Académie doit « accueillir favorablement l’ensemble de ce travail, et = « en ordonner l'impression dans les Mémoires des sa- « vans étrangers , si l'auteur ne le fait pas paraître au- « paravant par quelque autre voie. » Signé à la minute : Sennes,etDumériz, rapporteur. L'Académie adopte les conclusions de ce rapport. Exrrarr des Recherches sur les Crustacés du genre Pranize de Leackh ; Par J.-0. Wesrwoon. Les travaux qui ont été entrepris jusqu'ici sur les animaux qui feront le sujet de ce Mémoire, ont pu suflire pour exciter la curiosité des naturalistes, mais ils sont loin de l’avoir satisfaite. J'espère done que l'essai sui- vant sur les Pranizes, genre imparfaitement connu jus- qu'à présent, et qui par sa structure particulière ne (317) semble lié à aucune des formes essentielles des autres crustacés , sera accueilli avec intérêt. Afin d'introduire plus de clarté dans ce Mémoire, j'établirai d'abord quel est l’état actuel de la science en ce qui concerne les Pranizes ; je décrirai ensuite les ca- ractères de ce genre, et je rechercherai ses affinités et sa place naturelle. I. Notes historiques sur le genre Pranize. Dans un estimable ouvrage qui contient de nom- breuses figures d'animaux microscopiques nouveaux et remarquables , publié à Nuremberg en 17975, par Mar- ünus Slabber, sous Îe titre de Physicalische belusti- gungen oder microscopische wahrnehmungen in und auslændischer wasser und landthierchen , se trouve décrit et figuré (pl: 1x, fig. 1 et 2, p. 37) un animal sous le nom de Oniscus marinus. Sa couleur est d’un vert clair, et la grande portion ovale de son thorax est jaune et teinte en avant de rouge et en arrière de vert. J'ai donné une copié de cette figure dans ma planche (tab. vr, fig. 1 et 2). Sa place générique semble avoir éibarrassé Slabber, qui reproduit les caractères des Oniscus pour montrer combien il s'éloigne de ce crus- tacé. Cette figure paraît être généralement correcte, si ce n’est sur quelques points, tels que les articles des an- tennes , la forme en apparence tri-articulée de la partie antérieure du thorax, le sixième segment si extraordi- paire de l’abdomen, et enfin l'absence d’une pièce cen- trale à l'appareil caudal. Cette figure se rapproche tellement de celle donnée par Montagu dans le 11° vo- ( 318) lume des Transactions linnéennes , et qui représente un crustacé qu'il nomme Oniscus cœruleatus (pl. 1v, fig. 2, pag. 26), qu'il est évident que ces deux animaux sont congénères. J'ai aussi copié cette figure (pl. vr, fig. 3). Montagu le décrit ainsi : Corps subcylindrique, d’un bleu vif, sans articulations. Z'éte conique et poin- tue. Zhorax (comme il l'appelle) composé en appa- rence de deux articulations renflées, d’une couleur pâle, ainsi que la tête ; quatre antennes sétacées , la paire in- térieure la plus longue, ayant chacune trois articula- tions distinctes; deux grands yeux noirs et réticulés; dix pattes, dont deux paires sont fixées au thorax , et les autres à la grande portion ovale qu'il appelle l'abdomen. La portion postérieure articulée qu’il nomme la queue, aplatie, composée de cinq anneaux bien distincts et fournie de cinq nageoires eaudales, celles du milieu plus grandes et coniques, celles des côtés ovales et gar- nies de longues soies. Cette partie est à peu près de la même couleur que la tête et que les deux segmens an- térieurs du thorax, c’est-à-dire d’un brun pâle. Le dessous du corps est également convexe et de la mème couleur que le dessus ; il ne paraît pas sous le micros- cope avoir aucune division. Cette enveloppe coriace est subpellucide, et on aperçoit dans quelques endroits les intestins à travers. Ce crustacé nage en avant, quoi- que sa queue paraisse être le principal instrument de ses mouvemens progressifs ; par cette raison, elle est toujours étendue comme celle d’un poisson, et elle produit son eflet au moyen d’un mouvement de vibra- tion. Sa longueur n’est que d’un huitième de pouce, Il est rare. Deux de ces animaux ont été pris adhérant au ; . ( 319 ) corps d'un Cottus scorpio. Montagu ajoute qu’il en a été trouvé aussi un autre individu semblable en tout à celui-ci, si ce n’est par sa couleur; mais on ne sau- rait déterminer s'il constitue une espèce distincte ou s’il n’est qu’une différence de sexe. Son corps était blanc, et sa tête, son thorax et sa queue, tachetés de jaune. Dans les figures précédentes on distingue bien la grande portion ovale qui constitue le thorax , mais la structure de la bouche et celle des appendices subabdo- minaux ne sont pas visibles. Ces figures ont été copiées toutes deux dans l'Encyclopédie méthodique (à), et c’est dans l’explication qu’en a donné M. Latreille qu’il a été question pour la première fois du genre Pra- nize. Ce genre a été établi par M. Leach, mais c’est proba- blement dans quelque travail inédit ; car il n’en est nul- lement mention dans aucun de ses ouvrages publiés. M. Latreille, dans le Règne animal de M. Cuvier, et M. Desmarest dans ses Considérations générales sur les crustacés, l'adoptent, mais n’ajoutent rien sur son histoire, et il règne encore beaucoup d'incertitude sur la place que les Pranizes et quelques autres petits crus- tacés voisins de ceux-ci, doivent occuper dans nos méthodes naturelles. (x) Les figures de Slabber sont reproduites pl. cocxxix, fig. 24 et 25, et celles de Montagu, pl. ccexxxvt, fig. 28. Dans l'explication de ces planches, les premières sont désignées comme étant « l'Onis- cus marinus de Slabber, crustacé du genre Praniza du D' Leach », tandis que l’Oniscus cœruleatus de Montagu est désigné, mais à tort, comme « l’Oniscus thoracicus, Montagu (genre Cœlino, Leach), » 5 ( 320 }) Dans la première édition du Règne animal, les Iones, les Apseudes, les Pranizes, font partie de Ja deuxième section des Isopodes nommés Phytibranches. Dans les familles naturelles ces derniers crustacés prennent place dans la troisième famille des Amphi- podes, les Décempèdes , et la quatrième famille, les Hé- téropodes, précède immédiatement l’ordre des Isopodes|; au contraire, l’ordre des Læmodipodes se trouve avant celui des Amphipodes. Dans la deuxième édition du fiègne animal, vol. 1v, page 123, les Pranizes sont placées également à la fin des Amphipodes ; mais on a mis l'ordre des Læmodi- podes entre eux et les Isopodes. Les ones en sont séparés , et forment une sous-division à la tète des Am- phipodes. A l'égard de la différence de place qu'on remarque entre Ja 1° et la 2° édition du Règne animal, et qui porte le genre Pranize et quelques autres dans les Am- phipodes , M. Latreille (1) dit : « Mais outre que nous avons aperçu dans quelques-uns de ces crustacés des palpes mandibulaires, la forme des appendices sous- caudaux nous a paru les rapprocher beaucoup plus des Amphipodes que des Isopodes. Au surplus, ainsi que nous l’observons plus bas, ces animaux , dont nous n’a- vons vu qu'un petit nombre, n'ont pas encore été bien étudiés. » Il ajoute plus loin (2) : « Quelques-uns des sous-genre que je viens de citer sollicitent un nouvel exanien. » 1) Règne animal, 2° édit., t. 1V, p. 123, note. 5’ ; ; ; (2) Pag. 125. ur) M. H. Milne Edwards, au contraire, ne réunit pas le genre Pranize aux Amphipodes, mais il dit : « Quant aux Jones, aux Ancées et aux Pranizes, que quelques auteurs regardent comme étant des Amphipodes, nous nous sorames assurés qu'ils n'ont pas les caractères pro- pres à cet ordre, et qu'ils rentrent dans la division des Isopodes. » (nn. des Sc. nat., t. xx, p. 397.) Aussi M. Latreille, dans son Cours d’'Entomologie, les a-t-il de nouveau classés parmi les Isopodes. Il en forme le groupe des Ænomaux qui constitue la pre- mière des deux sections des Isopodes, et comprend trois familles sous les noms d’Hétéropodes, de Décempèdes et d'Épicarides. Ce groupe vient immédiatement après les Amphipodes parasites du genre //yperina. Le docteur Otto a dernièrement publié, daus le xrv° volume des Nova Acta physico med. Acad. Cæs. Leop. nat. curiosum , sous le nom de Praniza branchialis, la description et la figure d'une autre espèce de ce genre trouvée fixée aux branchies d’un Blennius phy cis ; il n’a toutefois rien ajouté aux connaissances que nous avions déjà de la structure particulière des organes essentiels de ce crustacé. IL. Caractères du genre Pranize. On aura vu , d’après les observations précédentes, que beaucoup des points essentiels de l’organisation de ce genre sont encore inconnus. J'éprouvai donc un grand plaisir, lorsqu’en examinant quelques petits crustacés parasites (Caliges, ete.) contenus dans un flacon d'es- prit de vin qui m'avait été envoyé de Shetland par XXVII. 21 ( 322 ) M. J. W. Hope, je découvris un petit animal conforme par sa structure à la description de Montagu (voyez ma planche, fig. 4, 5). Le même flacon contenait également deux autres individus tout-à-fait semblables à celui-ci, si ce n’est par la structure de la partie postérieure du thorax (fig. 6), et je ne puis rendre compte de cette va- riation de structure qu'en supposant que ceux-ci étaient des mâles et le premier une femelle. Ces trois individus étaient d’une texture molle et à peine cornée, si ce n’est la partie postérieure du thorax de celui que je regarde comme une femelle, qui était beaucoup plus solide et ressemblait à de la cire durcie couverte d’une membrane mince. La tête était pointue en avant et légèrement convexe; les quatre antennes étaient insérées très près l’une de l’autre (1), la paire interne avait à peu près deux fois la longueur de la paire externe : ses deux articles basilaires courts et forts, les deux suivans beaucoup plus longs et plus minces, et le reste de l'antenne composé d’une soie fine articulée. Les antennes externes étaient composées de plusieurs ar- ‘icles graduellement plus grêles jusqu’à leur extrémité. Je regrette de n'avoir pu m’assurer de la structure intérieure de toutes les parties de la bouche, d’autant plus qu’étant convaincu que les deux paires de pattes antérieures des véritables Isopodes sont transformées en mâchoires auxillaires, je pense que la bouche doit être fournie d’un aussi grand nombre d'organes que celle des (1) Je ne puis pas affirmer complètement si les deux antennes de chaque côté ne naissent pas d’un grand article basilaire commun (voy. fig. 8). C 345 ) Décapodes, qui n’ont également que dix pattes. Cepen- dant j'en ai vu assez pour pouvoir établir une com- paraison avec la structure qui est propre aux groupes voisins. La bouche est fermée en dessous par une paire de palpes ou mâchoires, longs et forts; chacun est composé de six articles et inséré l’un près de l’autre (fig. 12 et 16). Les deux articles basilaires sont courts, le troisième beaucoup plus long, dilaté et ovale, le quatrième un peu plus court, le cinquième encore davantage et plus grêle; enfin le dernier a la forme d’une griffe allongée aiguë et recourbée. Immédiatement au-devant de ces organes s'élève une autre paire de palpes à six articles plus minces et plus courts (représentant la première paire de pattes des Amphipodes) ; le troisième article de ces palpes est long et grèle, le quatrième très court, et le cinquième un peu plus long (fig. 13 et 15). La tête est légèrement échancrée en avant (fig. 10), et dans leur position naturelle le reste des mächoires s'étend un peu au-devant d'elle, et forme plusieurs saillies qui se montrent en avant du front (üg. 9) entre les antennes. En enlevant ces parties, je u’ai pu découvrir distincte- ment qu’une paire d'organes longs et grèles, ayant un article basilaire très long et un article terminal court et très mince (fig. 10, n° 14*, et fig. 14). J'ai reconnu en outre une paire de petites lamelles étroites dentelées en scie et aplaties, placées sur le bord extérieur, et ayant un article basilaire large (fig. 10, n° 11*, et fig. 11). Enfin j'ai cru apercevoir quelques autres organes très grêles, mais je n’ai pu les examiner d’une manière satisfaisante. Les côtés de la tête sont fournis d’un grand nombre (324) de petits tubercules, mais je n’ai pas découvert d’yeux distincts (fig. 7). Le cou est très court et plus étroit que la tête. Dans tous les individus, les deux segmens thoraciques antérieurs sont plus larges que la tète et un peu dépri- més. De chaque côté ils donnent naissance en dessous à une paire de pattes. Dans les figures de Slabber et de Montagu, et dans l'individu que j'ai examiné (fig. 4 et 5), et que je pense être une femelle, le reste du thorax n’est formé que d’une seule masse ovale et con- vexe, couverte d’une membrane, et d’une couleur plus foncée que le reste du corps ; il en naît inférieurement trois paires de pattes de chaque côté. Dans mes deux au- tres individus (fig. 6 et 2) cette portion du thorax est oblongue, quadrilatère, un peu déprimée , légèrement cornée comme le reste du corps, et divisée distinctement en trois segmens, dont le premier est un peu plus large que les deux autres. Chacun de ces trois segmens est pourvu d’une paire de pattes. Ces pattes, lorsqu'elles ne sont pas étendues , sont rephiées et serrées le long des côtés du corps. De même que les mâchoires, elles sont grèles, simples, et formées de six articles dont le dernier a la forme d’un ongle al- : longé et recourbé. Les pattes de l'individu que je pense être une femelle sont, ainsi que les antennes, plus grêles et plus courtes que dans les deux autres individus. On doit observer qu'il n’y avait ni vésicules ni plaques à la base de ces pattes. L’abdomen est à peu près de moitié aussi long que le ihorax , et composé de cinq anneaux transversaux dé- (325 ) primés, de largeur égale et plus étroits que le thorax. Les deux paires de plaques caudales et latérales (fig. 25) représentent le sixième anneau, de même que dans les Macroures ; enfin le septième anneau est remplacé par une plaque allongée conique et aplatie. Cet ensemble, formé par ces deux derniers anneaux, constitue un ap- pareil caudal natatoire composé de cinq parties, comme dans les Chevrettes. Mais ce que je désirais surtout examiner c'était les organes subabdominaux et respira- toires. Je vis qu'ils consistaient en lamelles aplaties, dé- licates, subovales et profondément ciliées, placées à la base des cinq anneaux de l’abdomen ; chacun en possé- dant deux de chaque côté. Ces organes sont tous de mème grandeur, si ce n’est ceux du cinquième anneau qui sont un peu plus larges que les autres. Ils sont beaucoup plus petits que le segment duquel ils dé- pendent , et se replient sous l’abdomen; par conséquent ces appendices sont libres et ne s'appliquent pas les uns sur les autres comme dans les Isopodes. Cependant, la lamelle intérieure de chaque paire, dans l’état de repos, est presque cachée par la lamelle extérieure. On n’observe pas d’autre différence de sexe que celle que j'ai mentionnée, ce qui est à regretter; car les ca- ractères sexuels des crustacés appartenant à des ordres inférieurs, ne sont que très imparfaitement connus. Ne peut-on pas envisager la strycture extraordinaire de la partie postérieure du thorax de la femelle comme ana- logue aux quatre grandes écailles ovifères attachées à la base de la troisième et de la quatrième paire de pattes du Cyamus femelle, et que Savigny croit être des bran- ? I gny ( 326 ) chies ? ou bien ne peut-on pas penser que cette structure se rapproche du Squilla ventricosa, figuré par Muller, Zool. dan., 1. rvr, ou du Caprella linearis, figuré par Shaw, Vaturalists miscel., t. cxxvi1? Ou bien encore ne doit-on pas la regarder comme une modification des lamelles attachées en dessous du thorax chez quelques Isopodes , et destinées à retenir les œufs ou les petits ? Mes trois individus varient en grandeur, ainsi que l'indiquent les petites lignes placées sur ma planche. Celui que je regarde comme Ja femelle était intermé- diaire pour la taille entre les deux. Sauf la partie ovale du thorax de la femelle, qui était d’un brun rougeàtre foncé, ils étaient tous trois d’une couleur blanche brunâtre avec une rangée de taches brunes assez grandes de chaque côté des cinq segmens abdominaux, et diverses taches plus petites éparses sur le dernier anneau. Je propose de nommer aïnsi ces diverses espèces : Espèce 1°. — Praniza Macurara, Westw. Obscurè subalbida, abdomine fulvo maculato, ocu- lis concoloribus. Espèce 2°. — PrAnizA MARINA, Slabber. Obscurè virescens, lobo thoracico læte flavescentt, crucigero, anticè rubro, posticèque viridi tincto, abdo- mine lineis duo dorsalibus obscuris. Espèce 3°. — PranizA cÆRuLEATA , Montagu. Pallidé subfuscescens, lobo thoracico cœæruleo ni- £ 1 tenti, oculis nigris. ( 327 ) Espèce 4°. — PranizA monracui, Westw. On. cæruleatus var. ? Mont. supr. cit. Alba, capite thorace abdomineque flavo maculatis, oculis nigris. Espèce 5°. — PRANIZA BRANCHIALIS, Otto. P , Obscurè subalbida , lobo thoracico in medio disci anticè cæruleo, postice pallidè subviridi tincto, mar- gine pallido, abdomine linea dorsali obscura. Quant aux habitudes de ces espèces , il résulte des observations de Montagu et d'Otto, ainsi que de la cir- constance qui m'a fait les trouver parmi un grand nom- bre de crustacés parasites, qu’il est également parasite sur diverses espèces de poissons (1). IT. Situation et affinités du genre Pranize. Tous les Crustacéologues s'accordent à classer ce genre parmi les Malacostracés. Il est également reconnu qu’on ne peut le réunir aux Décapodes ni aux Stomapodes. Il semble donc se rapporter au groupe que le docteur Leach a appelé Ædriopthalma, lequel renferme les ordres Lœæ- modipodes, Amphipodes et Isopodes. Nous ne nous occu- (x) M. Edwards et moi avons rencontré, mais rarement, des Pra- nizes sur nos côtes de la Manche, et parmi différens petits crustacés que nous nous procurions à marée basse. Elles étaient libres, et nous les voyions marcher sur les fucus à l’aide de leurs pattes. Elles se servaient de leurs appendices abdominaux pour nager. Les pièces de leur bouche étaient sans cesse en mouvement, à peu près comme cela se remarque dans les crustacés Décapodes. (Aupourx.) (328 ) perons pas du premier de ces ordres, maïs nous signale- rons les principaux points de l’organisation des Pranizes qui les rapprochent de ces deux derniers ordres. En ob- servant les caractères des Amphipodes, nous n’en trou- vons aucun important qui se rapporte à la structure de ce genre; ainsi M. Latreille a rangé parmi les caractères primaires de l'ordre des Amphipodes la présence de mandibules palpigères, mais ce caractère se trouve éga- lement dans plusieurs Iscpodes; il est vrai que les appendices subabdominaux sont tous visibles dans les Pranizes, et ne sont pas cachés par une large plaque ba- silaire, quoiqu’ils soient minces et presque plats. D’un autre côté leur corps aplati, leurs pattes thoraciques simples dépourvues d’écailles à leur base, leurs machoires un peu allongées, leur abdomen étroit, l’appareil caudal, et surtout les branchies en forme de plaques, nous prou- vent que M. Milne Edwards ne s’est pas trompé en classant les Pranizes parmi les Isopodes. Toutefois, s’il en est ainsi, les caractères nombreux et frappans par lesquels les Prauizes diffèrent des Isopodes proprement dits, devraient rendre nécessaire d'étendre beaucoup les caractères de cet ordre. Par exemple, l'existence de pattes au nombre de cinq paires seulement, et les mo- difications dans la structure des parties de la bouche, telles que l’addition de deux paires d'organes de plus que chez les Amphipodes et les Isopodes, l'existence de cinq segmens thoraciques seulement , et la réunion avec la tête des deux segmens qui manquent ; enfin l’allonge- ment de l'abdomen et son influence sur l'appareil bran- chial, qui, au lieu d’être caché par les plaques basilaires, est complètement visible, sont autant de caractères da ( 329 ) première importance qui les éloignent des Isopodes. 11 nous paraîtrait donc plus rationnel de considérer le genre en question comme se liant avec plusieurs autres, et formant avec eux un groupe distinct entre les deux ordres dont nous venons de parler. Les particularités que présente l'appareil branchial indiquent, dans les organes respiratoires de ces crustacés, une modification qu'on n'avait pas jusqu'ici observée. D'après les observations qui précèdent, on voit que j'ai été guidé par les considérations importantes de M.Milne Edwards, qui, dans son savant Mémoire sur les Stomapodes, les Schizopodes, etc., n’a pas regardé le nombre des organes locomoteurs comme un caractère d'une première importance , mais qui dit que « c’est dans l’organisation de l'appareil respiratoire qu'il faut chercher les premières bases de la division. » (L'auteur, M. Westwood, recherche ensuite quels sont les genres qui ont le plus d’analogie avec les Pranizes, et passe en revue les Gnathies de M. Leach, ou Ancées de M. Risso, les Ptérygocères de M. Latreille, les À pseudesde M. Leach, les Rhoës et les Thanaïs de M. Edwards; enfin, les Ergines de M. Risso. Il discute la valeur des caractères assigués à chacun de ces groupes, et ajoute quelques observations nouvelles sur les Ancées (1). Enfin il pro- (1) Nous pouvons noter en addition, et comme correction aux caractères de ce genre, les particularités suivantes observées sur les échantillons du docteur Leach, et que possède le Muséum britan- nique. Les grands appendices cornés placés en avant de la tête, et qu'on a regardés comme des mandibules, ne semblent pas articulés à leur base, ni être un caractère distinctif des sexes, comme le dit M. Desmarest (Cons. gén. crust., p. 282), puisque tous les individus que ( 330 ) pose de séparer le Thanaïs Dulongii, Edw., du Zha- naïs Costæ du mème auteur, et d’en former un genre nouveau sous le nom d’Ænisocheirus. D'après cet examen comparatif, M. Westwood paraît être porté à croire, comme on l’a vu précédemment, que ces crustacés éta- blissent le passage entre les Amphipodes et les Isopodes, et doivent former une petite division intermédiaire entre eux. Il pense, par conséquent, que les Læœmodipodes ne peuvent rester à la place que la plupart des naturalistes leur assignent entre ces deux ordres, car cela romprait, dit-il, la série naturelle qui est déjà assez bien établie, et qui sera probablement complétée par les découvertes ultérieures. Il termine son Mémoire par le postscriptum suivant) : P. S. Depuis que les observations précédentes ont été écrites, mon ami le docteur Johnston a publié dans le Magazine of natural history, n° 28, vol. v, p. 520, j'ai vu les possèdent. Les cinq se;mens thoraciques sont parfaitement distincts, les inférieurs sont un peu plus grands. L’abdomen (que Montagu dit être reçu dans une espèce de canal sous le thorax) est beaucoup plus étroit que le thorax, et lorsqu’on le regarde en dessous on aperçoit distinctement tous ses segmens auxquels sont fixées vingt grandes lamelles branchiales, basilaires, comme chez les Isopodes Cet abdomen est composé de cinq segmens, et fourni à son extrémité d’un appareil natatoire formé de cinq pièces comme chez les Pra- nizes. Cette différence apparente dans la structure des animaux décrits par Risso et Montagu, et qui a tant embarrassé M. Desmarest, vient probablement de l’inexactitude avec laquelle ces auteurs ont fait leurs descriptions, et de la manière dont les appendices cau- daux natatoires étaient plus ou moins ouverts dans leurs échantil- lons. Le dessous de la tête paraît presque couvert par une grande plaque triangulaire bilobée à sa base, pointue vers le devant, et on y aperçoit quelques petits palpes articulés. ( 331 ) la description d’une espèce de Pranize, sous le nom de Pr. fuscata. Elle a été trouvée sur la côte de Berwickshire. Sa longueur est de deux lignes, elle est allongée et subcylin- drique ; la tête, les deux segmens thoraciques antérieurs, l'abdomen et les pattes sont incolores, les yeux sont noirs, et le grand segment thoracique d’un brun rougei- tre. M. Johnston observe que les Pranizes marchent lentement au fond de la mer, mais qu’elles nagent très vite, et qu’elles avancent au moyen des mouvemens ra- pides de leurs organes subabdominaux. Il dit que ces appendices sont foliacés, ciliés, et paraissent être des organes à la fois locomoteurs et respiratoires. Le grand segment thoracique est, dans quelques individus, uni et poli, mais dans d’autres, parmi lesquels il a choisi celui qu'il figure et que j'ai copié (fig. 26), il existe en avant deux bosses ovales qui ressemblent beau- coup à l’Elytre d’un Meloë, et qui sont toutes piquetées. Les mêmes parties sont visibles sur la surface ventrale des deux variétés, mais elles sont beaucoup plus petites dans les individus dont le dos est uni. C’est peut-être, ajoute l’auteur, une distinction sexuelle. Il confirme par là ce que j'ai déjà dit sur les caractères sexuels des Pranizes. EXPLICATION DE LA PLANCHE Vi. Fig. 1. Oniscus marinus de Slabber, grossi. Fig. 2. — grandeur naturelle. Fig. 3. Oniscus cæruleatus de Montagu, grossi. Fig. 4. Praniza maculata, West., femelle, grossie. Fig. 5. +. vue de profil. Fig. 6. — mâle, vue en dessus. Fig. 7. Tubercules oculaires de la même. ( 332 ) Fig. 8. Anteñhnes, Fig. 9. Parties intérieures de la bouche, dans leur position nx- turelle. Fig. 10. Téte vue en avant avec les parties internes de la bou- che ouvertes. N° 11*. Mâchoires dentelées ? Fig. 11. Mâchoires dentelées plus grossies. Fig. 12 et 16. Paire extérieure ou 3° paire des pattes mäâchoires: Fig. 13 et 15. Deuxième paire des pattes-mâchoires. Fig. 14 et fig. 10, n° 14. Mandibules allongées ? Fig. 17-21. Les cinq pattes d’un côté. Fig. 22. Dessous du mâle. Fig. 23. Dessous de l'abdomen. Fig. 24. Une des lamelles respiratoires, ciliée. Fig. 25. Appareil caudal natatoire étendu. Fig. 26. Praniza fuscata du docteur Johnston, grossie. Exrrair d’un Rapport fait à l'Académie des Sciences par M. Giraro, sur un Mémoire relatif à des dépôts d'Huïtres dans le dépar- tement de la Charente-Inférieure ; Par M. Cnaupruc DE CROZANNES. M. Girard a fait à l'Institut, dans sa séance du 10 décembre, en son nom et aux noms de MM. de Prony et Geoffroy Saint-Hilaire, le rapport suivant sur un Mé- moire de M. Chaudruc de Crozannes, relatif à des dépôts d'huitres non fossiles existant dans le Gépartement de la Charente-Inférieure, à quelque distance de la mer et au-dessus de son niveau. 1635 ) On découvrit, il y a quelques années , dans la ville de Saintes (Mediolanum Santonum des anciens géogra- phes), les restes de quelques constructions romaines, dans lesquels le pavage intérieur du rez-de-chaussée re- posait sur deux couches superposées , l’une de charbons et de cendres ,.et l’autre, la supérieure, de plusieurs lits -d’huîtres rangées les unes à côté des autres, et qui sem- blaient contenir encore le mollusque qu'elles avaient renfermé d’abord, quoiqu’en effet leur intérieur ne fût rempli que d'une sorte de terreau. Pour toute personne familiarisée avec les constructions romaines, il était évident que cette couche d’huitres remplaçait la couche de cailloutage ou de tessons , dési- gnés sous le nom de 7uderatio, qu’on employait pour préserver de l'humidité du sol le pavé des rez-de-chaus- sée. Mais pourquoi avait-on fait usage de ces huîtres entières, au lieu d'employer de simples écailles ? C'était là une question moins facile à résoudre. Devait-on croire que ces huiîtres non fossiles se trouvaient aux environs de Mediolanum, ou bien qu’on avait été les chercher sur la côte de l'Océan la plus voisine ? Nous avons dit que l’intérieur était rempli de vase desséchée, et il est évident qu’elles étaient déjà en cet avant d’être employées dans la construction. Or, l’exis- tence de dépôts d’huîtres non fossiles ayant été reconnue par M. Girard et par plusieurs membres de l’Institut d'Égypte , dans une vallée qui se rend à la mer Rouge, à une distance de près de quinze lieues de cette mer et à une élévation notable au-dessus de ces eaux, les commis- saires, à qui l’observation de M. Chaudrue de Crozan- nes avait été soumise, pensèrent qu'il pourrait bien (334 ) exister, dans les environs de Saintes, des aimas sembla- bles, qui auraient été pour les anciens habitans comme des carrières d’où ils auraient tiré des matériaux pour la ruderatio de leurs constructions. M. Chaudruc fut prié de faire des recherches tendant à vérifier la justesse de cette conjecture. Ces recherches, que des circon- stances l'ont obligé de différer pendant long-temps , lui ontenfin, quand il lui a été permis de s’y livrer, fourni la confirmation qu’on en attendait. M. Goubaud, président du tribunal civil de Maren- nes, lui fit savoir qu’on retrouvait sur les côtes de la Saintonge, et à quelque distance de la mer, des rochers entiers formés d'huîtres. M. Goubaud du reste ne don- nait aucun renseignement précis sur la position des amas , ni sur l’état dans lequel s’y trouvaient les co- quilles. Depuis , M. Chaudruc a reconnu lui-même, près de Soubise , sur les bords et près de l'embouchure de la Charente , d’abondans dépôts dans lesquels les huîtres sont encore entières, les deux valves étant attachées l’une à l’autre par leur ligament, qui cependant a perdu beau- coup de sa tenacité; l’écaille en est aussi plus friable que dans l’état frais. L'auteur du Mémoire pense que Ber- nard Palissy a connu ces dépôts, et qu'il en fait mention dans ses ouvrages. Le père Arsène, oratorien, parle aussi, dans son Histoire de La Rochelle, de troisitertres formés d’huîtres bien conservées, qui se trouvent à un quart de lieue de l'abbaye de St.-Michel en l’'Herm, près Marans, et de quel- ques autres buttes semblablement composées qui existent près de Luçon, à trois lieues environ de la mer. M. Chau- druc a retrouvé ces derniers dépôts, mais les huîtres ne ( 335 ) lui ont pas offert le même degré de conservation que celles des constructions de Saintes, et le ligament qui attachait les deux valves est dans les huîtres de Luçon ou détruit entièrement ou privé de presque toute consis- tance. Le Mémoire est terminé par l'indication de bivalves fossiles dont il existe des bancs aux environs de Saintes, mais on n’en retrouve point les analogues vivans, tandis que les huîtres de Mediolanum,; comme l’a reconnu M. Brongniart, appartiennent à cette variété que l’on pèche aujourd’hui le long de nos côtes occidentales. Les faits indiqués par le père Arsène, par M. Chau- druc, et surtout par M. Fleuriau de Bellevue dans ses observations géologiques sur les côtes de la Charente- Inférieure et de la Vendée , offrent, disent les comimis- saires, une trace du dernier séjour de la mer sur nos continens , et 1l en est de même des faits observés en Égypte , dans la vallée de l'Égarement. Si pour ces der- niers le sol d’alluvion dans lequel sont les coquilles of- fre encore sa salure originelle, c’est que depuis la retraite des eaux, il n’a point été lavé par les pluies, qui sont ex- trèmement rares en Égypte. Cette salure a dû contribuer à la conservation du ligament ; ce qui explique la diffé- rence que présentent , sous ce rapport, les huîtres des dépôts de l'Égypte et de ceux de la Saintonge. Si, conformément au témoignage de M. Chaudruc, les huîtres employées dans les constructions de Medio- lanum offrent, dans leur ligament, une consistance et une élasticité que n’ont point celles des dépôts de Sou- bise et de Saint-Michel, c’est que celles-ci, depuis l’épo- que où elles ont cessé d’être submergées , ont été lavées par les pluies et exposées sans interruption aux alterna- (336) üves dé la chaleur et du froid, de la sécheresse et de l'humidité , tandis que celles-là , enterrées sous le sol, depuis quatorze ou quinze siècles , sont à l’abri des va- riations atmosphériques qui en auraientaltéré la consis- tance. Or, ajoutent les commissaires , qui pourrait af- firmer qu’un intervalle de quatorze à quinze cents ans n’est pas une portion notable de l'intervalle de temps qui nous sépare de l’époque à laquelle cessa la dernière submersion de nos continens par les eaux de nos mers actuelles ? L'Académie, sur la proposition de ses commissaires , approuve les recherches de M. Chaudruc et l’engage à les continuer. Sur une observation de M. Blainville on ajoute que l’auteur du Mémoire sera prié de faire savoir si ces hui- tres des dépôts qu’il a observés sont en place, ou du moins si elles présentent, comme pendant la vie des mollusques, la valve plate en dessus. ( 337 ) Classification des Axnérnes , et Description de celles qui habitent les côtes de la France ; Par MM. Aupourn et Mizne Enwanns. ( Présentées à l’Académie des Sciences, le 19 juillet 1829 (x).) Le groupe naturel des AnnéLines comprend tous les Gonsidérations animaux sans vertèbres dont le corps est mou et divisé EL o en anneaux, le système nerveux central distinct, et se présentant sous la forme d’un cordon ganglionnaire lon- gitudinal, le système circulatoire complet et les organes de locomotion formés tantôt par des appendices charnus garnis de soies , tantôt par des soies seulement, et d’au- tres fois par une cavité préhensile située à chaque ex- trémité du corps, maïs jamais par des membres arti- culés, comme cela se voit chez les Crustacés, les Arach- nides et les Insectes. C’est à M. Cuvier qu'est dù l’établissement de cette grande division du règne animal. Avant lui Pallas, Mul- ler et Othon Fabricius avaient déjà fait des observations d’un grand intérêt sur les animaux qui la composent, et l’on trouve dans les écrits de l’auteur du Miscellanea zoologica les idées les plus heureuses sur les rapports naturels qu'ils ont entre eux; toutefois ces travaux n’eurent d'abord aucune influence sur les classifica- (r) Voyez le rapport de M. Cuvier, inséré dans les Annales des Sciences naturelles , L. xxx, p. 317. xxvI1. — Décembre 1832. 22 (338) tions , et l’on continua pendant long-temps à suivre les erremens de Linné, qui réunissait, sous le nom de V'ermes, les Mollusques, les Zoophytes et les Anné- lides , et qui disposait ces dernières dans trois sections différentes de cette grande classe, en confondant les uns avec les Vers intestinaux, les autres avec les Mollusques sans coquille, et plusieurs avec les T'estacés. En effet, le but qu’on se proposait alors dans les sys- tèmes de classification était seulement de fournir des moyens faciles pour arriver à la distinction des espèces, et bien qu'on cherchàt ordinairement à réunir dans les mêmes divisions des êtres semblables, on ne s’inquié- tail pas de rencontrer, au milieu de certains groupés ainsi formés , des animaux qui différaient entre eux sous les rapports les plus importans. Nous ne devons donc pas nous étonner de voir, dans la méthode linnéenne, les Annélides dispersées de la manière dont il vient d’être dit, et réunies souvent à des animaux dont la structure est entièrement différente. Vers la fin du‘siècle dernier , il s'opéra à l'égard de ces animaux une grande réforme. On comprit combien il y aurait d'avantage à prendre l'anatomie et la physio- logie pour base de leur distribution méthodique, et à faire en sorte que leur classification offrit le tableau des modifications variées que la nature a introduite dans leur structure interne aussi bien que dans leurs formes extérieures. Ce fut M. Cuvier qui contribua le plus à donner à la science zoologique cette direction nouvelle. Dans son Tableau élémentaire de l'Histoire naturelle des ani- maux , publié en l’an vr (1997-1708), il posa les pre- ( 339 ) mières bases d’une distribution naturelle des animaux sans vertèbres, et il rassembla, dans une division en tête de la classe des Vers, les espèces qui plus tard ont formé celle des Annélides. Mais fes différences qui existent dans la structure in- térieure des Annélides et des Vers intestinaux étaient encore trop nombreuses et trop importantes pour que cette première classification ne subit pas de nouveaux changemens à mesure que la science ferait des progrès. Aussi, quelques années après la publication de l'ouvrage dont nous venons de parler, M. Cuvier, ayant fait con- naître le mode de circulation commun à toutes les An- nélides, sépara-t-il définitivement ces animaux des Vers intestinaux pour en former, sous la dénomination de Vers à sang rouge, une classe distincte à laquelle M. Lamarck donna ensuite le nom d’AÆnnélides qui à prévalu généralement, et qui est aujourd’hui employé par la plupart des zoologistes (1). (x) Cette classe du règne animal est adoptée par la plupart des zoologistes, notamment par MM. Savigny , Latreille, Duméril et Leach ; mais M. de Blainville a cru devoir en changer la circonscrip- tion et le nom; il réunit sous la dénomination d’Entomozoaires tous les Animaux articulés de M. Cuvier, les Vers intestinaux et quelques autres Zoophytes, et établit dans cette grande division huit classes, dont l’une (celle des Chétopodes ) ne renferme que les Annélides sé- tifères, et dont l’autre (celle des Apodes) comprend les Vers intes- tinaux, les Sangsues, etc. Les traits les plus importans de l’orga- nisation des Sangsues lient ces animaux d’une manière si étroite aux autres Annélides, que nous ne pouvons adopter cette séparation tranchée, quoique nous reconnaissions pleinement l’espèce de dégra- dation qui semble établir un passage entre la classe des Annélides et divers Zoophytes, tels que les Planaires et certains Vers intestinaux. ( 340 ) De tous les animaux articulés, les Annélides sont ceux que les naturalistes ont le moins étudié; on n’en connaît encore qu’un très petit nombre d’espèces, et les descrip- tions qu’on en trouve dans la plupart des ouvrages sont loin d'offrir la précision et les développemens que nécessite l’é- tat actuel de la science. En effet, 1l n’est aucune classe d’a- nimaux dont l’organisation extérieure soit plus nécessaire à connaître dans tous ses détails; et, sans cette étude première, on ne parviendrait jamais à les distribuer en séries naturelles, ni mème à les distinguer entre eux. Plusieurs ont un facies si semblable, qu’au premier abord on se croirait fondé à n’en faire qu’un seul genre et qu’une seule espèce, et cette ressemblance n’est dé- truite par aucun caractère accessoire bien apparent ; car, généralement, leur peau mince et transparente offre les teintes vives et nuancées de la nacre, et si parfois on observe à l’état de vie des couleurs propres qui pour- raïent servir à la distinction des espèces, ces couleurs sont toujours si fugaces qu'elles disparaissent aussitôt que l'animal a été plongé dans l'esprit de vin. D’autres Annélides, très différentes de celles-ci, se ressemblent entre elles par leur simplicité ; leur corps nu et privé de pieds, ou n’en ayant que des rudimens presque im- perceptibles , ne présente plus qu'une série nombreuse de segmens; et ces espèces, en quelque sorte incomplètes, n’en sont peut-être que plus difliciles à bien connaître et à distinguer ; elles exigent également une connaissance approfondie de l’organisation extérieure. Mais cette con- naissance n’est pas aussi facile à acquérir qu'on pourrait le supposer : outre que les Annélides ont, en général, une assez petite taille, elles sont pourvues de plusieurs organes (341) dont le volume est beaucoup moindre, tels que la tête , lesmächoires, les antennes, les branchies, les pieds ,etc., et qu'il faut cependant analyser afin de trouver des mo- difications propres à caractériser les genres et à séparer les espèces. Ce sont ces difhicultés inhérentes au sujet qui, pen- dant long-temps, ont opposé le plus d’obstacle au progrès de nos connaissances sur cette classe d'animaux. Plusieurs anatomisies avaient fait connaître quelques particularités de leur organisation intérieure; M. Cuvier en avait dé- voilé les principaux traits; mais très peu s’étaient livrés à une étude attentive de leurs organes extérieurs. Déjà nous avons parlé de Pallas, d'Othon Fabricius, de Fré- déric Muller; ils sont presque les seuls qu’on puisse citer avec éloge, jusqu’à l’époque où M. Savigny est venu avec un rare talent approfondir ce sujet. Le sys- tème général des Annélides que ce savant a présenté à l'Institut en 1817, et qui depuis a été imprimé dans la Description de l'Égypte, contient le résultat de ses importans travaux. Cet ouvrage a dù ètre notre point de départ dans l’étude que nous avons faite des Anné- lides des côtes de la France, et s’il nous était permis de citer notre témoignage en faveur de cet habile obser- vateur, nous dirions que toutes les fois que nous avons eu sous les yeux les espèces qu'il avait examinées , nous avons trouvé leurs caractères si bien décrits, que nous n'avons rien eu de plus à en dire. Mais le soin que nous avons mis à la recherche de ces animaux dans les parages que nous avons visités, nous en a fait rencontrer de nouveaux , tellement remarquables par les particu- larités de leur organisation extérieure, que nous nous (34) sommes vus plus d’une fois contraints de créer pour eux de nouvelles coupes. Cette circonstance nous a na- turellement entraîné à revoir en entier le système de M. Savigny, et nous avons été favorisés on ne peut mieux dans ce travail général par l’obligeance qu’a eue M. Cu- vier de mettre à notre disposition, ainsi qu’il l’avait déjà fait pour M. Savigny, un grand nombre d’Annélides rapportées par divers voyageurs, ou que plusieurs na- turalistes ont envoyées dans ces dernières années au Mu- séum d'histoire naturelle (x). | L'examen de ces Annélides, et particulièrement l’é- tude des espèces que nous-mêmes avons récoltées sur les côtes de l'Océan et de la Manche, nous a fourni le moyen de vérifier tous les faits d'organisation extérieure consi- gnés en termes exacts, mais laconiques, dans le système de M. Savigny ; nous avons même cru en découvrir plu- sieurs qui ne s'étaient offerts ni à lui, ni à aucun obser- vateur, et qui cependant méritaient de fixer l'attention. L'analyse des caractères tirés de la structure extérieure de ces animaux, leur classification naturelle et la des- cription des espèces qui habitent notre littoral, formeront donc le sujet principal du travail que nous publions au- jourd’hui; dans une autre occasion nous nous occuperons de leur organisation intérieure et de l'étude physiolo- gique de leurs fonctions. (x) Nous citerons principalement parmi les voyageurs MM. Quoy, Gaimard, Gaudichaud, Lesson, Reynaud, et parmi les naturalistes qui habitent les bords de la mer ou qui y ont fait un séjour plus ou moins long, MM. Dorbigny et Laurillard. Ce dernier nous a com-— muniqué plusieurs espèces intéressantes de la Méditerranée. (343) I. De l'Organisation extérieure des Annélides. Les Annélides ont toujours une forme allongée , or- dinairement vermiculaire, et quelquefois plus ou moins ovalaire; les Lombries ou Vers de terre, les Sigalions (pl. vin, fig. 1), les Néréides (pi. xur, fig. 1), les Cir- ratules (pl. xv, fig. 1), etc., offrent la première de ces dispositions , et on peut citer comme exemple de la se- conde les Polynoés (pl. vu, fig. 10, 113 — pl. 1x, fig. 12), et surtout les Aphrodites (pl. vu, fig.r,2). Leur longueur est souvent très considérable ; nous en avons trouvé sur nos côtes qui dépassaient deux pieds , et dont la grosseur cependant n’'excédait pas celle d’un tuyau de plume (certaines Phyllodocés et Eunices ); mais dans les mers équatoriales, on en rencontre qui sont bien plus grandes encore ; ainsi, il existe, dans les collections de notre Muséum, des Eünices gigantesques qui ont jusqu’à cinq pieds de long sur treize lignes de diamètre. Leur corps se compose, comme nous l’avons déjà dit, d’anneaux , non pas calcaires ou même cornés, comme chez la plupart des Crustacés et des Insectes, mais mem- braneux et séparés seulement par un pli transversal plus mince , tel qu'on en voit dans certaines larves et che- nilles ; il est même quelquefois très diflicile de les dis- tinguer les uns des autres. Le nombre de ces anneaux est en général très considérable et en quelque sorte pro- portionnel.à la longueur du corps, car l'allongement total de l'animal dépend bien plus de l’augmentation dans le nombre des segmens que du développement de chacun d’eux en particulier. I] existe, à cet égard, des Forme générale du corps. Extremité céphalique ettête. ( 344) différences très grandes ; ainsi on ne compte quelquefois que de 20 à 30 anneaux , comme dans certains Polynoés et la Branchiobdelle de l'Écrevisse, tandis que dans la Phyl- lodocé lamelleuse de nos côtes, nous en avons trouvé plus de cinq cents ; et il est à noter que ces diflérences ne se rencontrent pas seulement d’un genre à un autre , mais encore d'espèce à espèce et même d’individu à individu. Ces dernières variations ne semblent pas avoir lieu dans les Annélides dont le corps ne se compose que d’un petit nombre de segmens, comme les Aphrodites et la plupart des Polynoés; mais elles sont très fréquentes dans les espèces vermiformes et allongées des genres Phyllodocé, Néréide, etc., et y deviennent quelquefois très consi- dérables; car nous avons vu des Phyllodocés bien évi- demment d’une même espèce, ayant , les unes, plus de 5oo anneaux, et les autres seulement 300. Ces différences dépendent-elles de l’âge ou des circonstances dans les- quelles ces animaux auraient vécu ? c’est ce que jusqu’à présent nous n’avons pu décider. L’extrémité antérieure du corps est dans certains cas élargie en forme de ventouse (Sangsues); mais, en géné- ral, elle est rétrécie et plus ou moins conique. Chez quelques Annélides, elle ne se distingue en rien de la portion du trone qui y fait suite (pl. xv, fig. 2 et 6) (1), chez d’autres, au contraire , elle en diffère plus ou moins et constitue ce que l’on nomme la rère de ces animaux (pl. vir, fig. 3; — pl. 1x, fig. 13; — pl. xt, (x) Les Vers de terre, ou Lombrics, offrent un exemple bien tran- ché de cette absence de tûte. ( 345 ) fig. 2, 8, etc.). Elle est alors séparée du reste du corps par un pli transversal. La tête porte, en général , à sa face supérieure, une ou deux paires de points oculiformes circulaires et re- connaissables à leur couleur foncée (pl. vir, fig. 9 ; — pl. 1x, fig. 13; — pl. ximr, fig. 2, 8, etc.). Chez la plupart de ces animaux elle supporte aussi un certain nombre d’appendices membraneux, le plus sou- vent filiformes, qu'on nomme antennes (1). On compte rarement plus de cinq de ces espèces de tentacules cépha- liques; quelquefois on n’en trouve qu’un seul, et, d'autre fois, tous disparaissent complètement. Ils sont tubulaires et peuvent rentrer plus ou moins entièrement en eux- mèmes, à la manière des tentacules des Limaçons ; aussi échappent-ils quelquefois à une investigation superfi- cielle. De chaque côté de la tête, on remarque aussi, chez un grand nombre d’Arnélides, divers appendices qui ont quelque analogie avec les antennes, et que l’on nomme, d'après M, Savigny, les cirres tentaculaires (pl. vu, fig. 3, c, d; — pl. 1x, fig. 13, d;— pl. xt, fig. 2 et 8, d, etc. ); mais les cirres ne sont pas particuliers à la partie antérieure du corps, ils se retrouvent sur les autres an- neaux , et nous aurons l’occasion d'en parler plus loin. (1) Voyez pl. vir, fig. 3, 4, antennes externes ; l’antenne médiane en partie rentrée se voit au-dessus du prolongement &, entre les tu- bercules oculifères, — pl. 1x, fig. 13, a, b, c, cinq antennes, dont la médiane « est rentrée en partie. — PI. xurr, fig. 8, c, c, antennes externes entre lesquelles on voit la tête terminée en avant par deux très petites antennes internes de forme conique. Yeux. Antennes, Cirres tentaculaires. Bouche. ( 346 ) Chez les Annélides qui n’ont pas de tète distincte (les Tubicoles par exemple), la bouche est ordinairement ter- minale; mais lorsqu'il existe une tête, l’ouverture buc- cale est située à sa face inférieure ; quelquefois alors les lèvres sont peu saillantes et à peine protractiles (pl. xv, fig. 3, b); mais, en général, la bouche laisse sortir une trompe charnue susceptible de rentrer dans l’intérieur du corps et de se dérouler à volonté (pl. xin, fig. 2, a, fig. 3, fig. 8, a;—pl.xiv, fig. 1,etc.). Lorsqu'elle est ainsi déve- loppée, elle peut devancer de beaucoup la tête, et quelques auteurs, regardant cette disposition comme constante, ont pensé que la trompe formait réellement la partie antérieure du corps ; mais, pendant la vie, cet organe est habituelle- ment rentré, et ne se déroule que lorsque les besoins de l'animal l’exigent ; d’ailleurs il paraît ètre évidemment l’analogue de la trompe de certains Mollusques gastéro- podes, que les anatomistes s'accordent à regarder simple- ment comme une portion du tube digestif. Quoi qu’il en soit, lorsque la bouche est pourvue d’une trompe, elle est souvent armée d’appendices cornés ayant aussi beau- coup de rapports avec les organes masticateurs qui gar- nissent l’œsophage de plusieurs Mollusques , ce sont les mächoires (pl. xr et xur, fig. 11, et pl. xnu, fig. 2 et 8. b,b,etc.). Au contraire, quand la bouche est termi- nale, il n’en existe jamais, si ce n’est toutefois chez les Annélides, tels que les Sangsues , dont l’extrémité anté- rieure est convertie en une cavité préhensile. Le nombre et la forme de ces màchoires varient beaucoup, comme nous le verrons dans la description des genres et des espèces, et comme on peut s’en faire une idée en jetant les yeux sur nos planches. Quelquefois la trompe est, ANA ON7 } en outre, plus ou moins hérissée de petites pointes ou granulations cornées (pl. xnr, fig. 2, 3, 8 et 9); enfin son orifice est souvent entouré d’appendices membra- neux et tentaculaires qui, tantôt sont très courts (pl. x, fig. 7, b) et tantôt très grands, comme chez les Anné- lides acéphales dépourvues de trompe et à bouche ter- minale ; car, suivant nous , les barbilions, qui sont si développés dans les Térébelles et quelques genres voi- sins, représentent les petits tentacules buccaux dont il vient d’être question. Chez quelques Annélides , les anneaux dont se com- pose le corps ne présentent aucune trace d’appendices (les Sangsues proprement dites); chez d’autres on y ob- serve seulement quelques soies (les Lombrics terrestres, etc.). Enfin, il en est plusieurs, et c’est le plus grand nombre, qui ont à chaque segment des p1EDs suppor- tant des prolongemens mous auxquels on a donné les noms de cirres , de branchies et d’élytres. Les prens (pl. vrr, fig. 4,5; — pl. 1x, fig. 3,4,14, 15; — pl. x, fig. 4, etc., etc.) sont en général composés de deux parties qui portent le nom de rames, et qui sont placées l’une au-dessus de l’autre. Tantôt ces rames, très écartées entre elles, sont faciles à distinguer en rame dorsale ou supérieure (pl. vir, fig. 5, a; — pl. x, fig. 4, a;— pl. xux, fig. 6, a, etc.) et en rame ventrale ou inférieure (pl. vu, fig. 5, b; — pl. x, fig. 4, b; — pl. xur, fig. 6, b, etc. ); tantôt elles sont , au contraire, intimement unies (pl. xiv, fig. 7, 8, 13), ou bien les deux sont remplacées par une seule (pl. xx, fig. 3, 4, 7). Appendices du corps. Pieds, (348) Chaque rame est pourvue à sa partie externe d’un faisceau de soies, supporté en général par un tubercule charnu (pl. vri, fig. 4, a, b;—pl. 1x, fig. 4, 14 et 15, a, b: — pl. xur, fig. 5 et 6, a’, b', etc.). Ces soies présentent des différences très grandes et très importantes dont nous traiterons spécialement plus loin ; pour le moment, il nous suflira de dire que, chez un grand nombre d’An- nélides, elles sont saillantes, plus ou moins spiniformes et, en général, rétractiles ; que chez d’autres , au con- traire, elles sont renfermées dans l'épaisseur de la peau, à la surface de laquelle elles font peu saillie, et ont la forme de petites lames armées de dents crochues près de leur sommet. Les soies de la première espèce sont appelées soies subulées, celles de la seconde soies à crochets. Les soies subulées sont distinguées en soies propre- ment dites ( festucæ) et en acicules. Les soies propre- ment dites sont toujours groupées en faisceaux ou dis- posées par rangées, leur forme est très variable. Les acicules s’en distinguent parce qu'ils sont plus gros, droits, coniques, d’une couleur plus foncée ; il en existe seulement un ou deux à chaque pied, et ils sont renfer- més dans une gaîne particulière (pl. 1x, fig. 3, 14 et 15; — pl. xur, fig. 4, 5 , 6, etc.) (1). Les soies à crochets (uncinuli) ne se rencontrent ja- mais sur les deux rames d’un mème pied; elles n'existent (x) Dans les figures que nous citons les acicules sont rentrés, comme cela a lieu habituellement, et se voient par transparence ; leur extré- mité aboutit au milieu des faisceaux de soies proprement dites. On voit deux de ces acicules isolés dans la pl. vrrr, fig. 9, et dans la pl. x1x,, fig. 6. ( 349 ) que chez les Ænnélides tubicoles, et leur présence coïn- cide toujours avec l'absence d’une tête distincte (1). Elles sont constamment disposées sur un ou deux rangs, et oc- cupent le bord d’un feuillet ou d’un mamelon transversal. Leur disposition en anneaux plus ou moins ovalaires a rappelé à certaines personnes les stigmates des insectes, et on a été jusqu’à les prendre pour de véritables ouver- tures respiratoires. Îl eût été beaucoup plus exact, sui- vant nous, de les comparer aux couronnes de crochets qui garnissent les fausses pattes mamelonnées des Che- nilles, et qui leur servent à ramper ou à s’accrocher. Chez la plupart des Annélides , les pieds ont essen- tiellement la même structure dans toute la longueur du corps , mais lorsque ces organes sont garnis de soies à crochets , il arrive souvent que celles-ci existent seule- ment dans une petite étendue du corps, et que les pieds des autres anneaux sont armés de soies proprement dites. Les ciRREs ont, souvent, la forme de longs tenta- cules cylindriques et subulés (pl. vui, fig. 5; — pl. 1x, fig. 3, 4, 14, ©, dÿ — pl. xrn, fig. 4, 5, 6, c, d, etc.) ; mais quelquefois ils affectent celle de lames foliacées ou de langueties membraneuses. En général, ils sont ré- tractiles et ont dans quelques cas une apparence anne- lée. Lorsque les cirres des premiers anneaux du corps acquièrent un développement beaucoup plus considé- rable que ceux des segmens suivans, et que les tuber- cules sétifères correspondans deviennent rudimentaires ou nuls , on leur donne, ainsi que nous l'avons dit, le (x) Nous en donnerons des figures dans les planches qui suivront. Cirres, Branchies, ( 350 ) nom de cirres tentaculaires (pl. vrr, fig. 3, c, d; — pl. 1x, fig. 13, d; — pl. xunx, fig. 2, d, etc.). La der- nière paire de pieds présente souvent des modifications analogues , et ne consiste qu’en des cirres filiformes et terminaux que l’on nomme styles (pl.xrur, fig. 1 et 7, c). Les cirres proprement dits sont ordinairement au nombre de quatre par anneau (deux à droite et deux à gauche), près de la base de chaque rame, On les distingue alors en cirre supérieur et en cirre inférieur (x). Quelquefois on en voit aussi qui naissent du ‘sommet de la rame dorsale, et il est des Annélides où l’on en compte jusqu’à sept paires pour un seul anneau ; mais alors ils représentent tous les autres appendices mem- braneux. Enfin, dans les espèces dont les pieds sont pourvus de soies à crochets ou remplacés seulement par un petit nombre de soies proprement dites, sans tuber- cule saillant , les cirres manquent presque toujours. Les srANGHIES sont des organes qui ont quelquefois : une structure tellement caractéristique qu’on ne peut avoir de doute sur les fonctions qu'elles sont destinées à remplir. Elles se montrent alors sous la forme d’arbus- cules (2), de houpes ou de panaches ; mais d’autres fois ils ne consistent qu’en des filamens plus ou moins pec- tinés (pl. x1, fig. 3, 7, d) ou même simples (pl. xv, fig. 1, a, et 2, d), souvent elles forment des languettes ou bien (x) Dans les figures que nous avons citées précédemment, c est le cirre supérieur et d le cirre inférieur. (2) Voyez les Annales des Sciences naturelles, t. xx, pl. 11, fig. 6,4, et fig. 8, d, etc. Voyez aussi les figures relatives à la famille des Amphinomiens et l’explication générale des planches. P } 1007 ) des tubercules membraneux plus ou moins minces etdéliés (pl. x, fig. 4, 5%6%;e, f, g), et alors il n’y a aucun caractère Crganique qui puisse les faire distinguer des t cirres. Leur nombre et leur position sont également très variables. Chez les Annélides tubicoles , elles sont, en général, peu nombreuses, et n’occupent que l'extrémité antérieure du corps; mais quelquefois aussi elles s’insè- rent à la partie moyenne de sa face dorsale. Chez les Annélides dont les pieds sont pourvus seulement de soies subulées et formés de plusieurs appendices membra- neux (les Annélides errantes), les branchies ne sont, au contraire, jamais réunies en avant du corps ; elles man- quent presque toujours sur les anneaux situés près de la tête et de l’anus , et se trouvent réparties régulièrement de chaque côté du corps, soit sur le dos (pl. xv, fig. r, 2, 5,6, c, etc.), soit sur les pieds (pl. xr, fig. 6, etc.). Les éLyrres sont des espèces d’écailles membraneuses qui recouvrent le dos , et qui nous paraissent remplacer la paire supérieure des appendices branchiaux plutôt que la paire supérieure des cirres. Leur texture est pres- que toujours molle, et leurs bords sont quelquefois garnis de franges dont la structure délicate et membra- neuse vient fortement à l'appui de notre manière de voir relativement à leurs fonctions (pl. vin, fig. 4, g,et pl. 1x, fig. 3,e, et fig. 5, frange grossie). En général, elles n'existent que sur des pieds privés de cirres et alternent avec ces appendices ; mais il n’en est pas toujours ainsi; car le Sigalion nous a offert un exemple de l’existence simultanée de ces deux organes sur un même pied (pl. 1x, Elytres. Ventouses. Anus4 (652 ) fig. 3, c, le cire, et e, l'élytre frangée sur son bord externe). On ne saurait donc soutenir que les élytres représentent le eirre supérieure. Quoi qu’il en soit, elles ne se rencontrent que chez un très petit nombre de genres. Les Annélides présentent quelquefois à l'extrémité postérieure de leur corps une cavité préhensile analogue à celle qui entoure la bouche des Sangsues ; cette dispo- sition est propre aux espèces dont le corps est dépourvu de soies, tandis que chez celles qui ont des soies portées ou non sur des pédoncules charnus, il n’existe de ventouse ni à l’extrémité antérieure, ni à l’extrémité postérieure du corps. Toutefois nous ferons remarquer que les Cly- mènes , quoique pourvues de pieds , ont le corps ter- miné postérieurement par une sorte de disque creux, membraneux, et au centre duquel se trouve l'anus; mais cette cavité, quoique évidemment dilatable, ne peut sans doute pas faire le jeu d’une ventouse. Enfin, dans ces dernières Annélides, l'anus occupe l'axe du corps de l’animal; mais, dans la plupart des cas, il n’est pas tout-à-fait terminal, et se voit à la face dorsale. ; L’esquisse rapide que nous venons de présenter des modifications principales qu’on rencontre dans la forme et dans la structure extérieure des Annélides nous paraît suffisante pour que l’on puisse maintenant nous suivre dans l'exposition que nous allons faire des caractères qui distinguent les familles et les genres. Cette analyse nous a paru d'autant plus utile à donner ici, que nous ne con- (353) maissons pas d'ouvrage dans lequel on l'ait entreprise d'une manière convenable, c’est-à-dire en l’accompa- gnant de renvois à des figures exactes, qui permettent d'en saisir tous les détails. | IT. De la Classification des Annélides. La classe des Annélides renferme plusieurs types d'organisation qui autorisent leur division en un certain nombre de groupes bien distinets; tous lesnaturalistes sont d'accord sur ce point, mais ces groupes ont été établis sur des bases différentes, etona varié sur leurs limites respeeti- ves. Ainsi M. Cuvier range ces animaux, d'après les modi- fications de leur appareil respiratoire , en trois ordres : les Tusrcores , les Dorsisrancues et les Asranerres (1). M. Savigny, au contraire , néglige complètement la con- sidération des organes de la respiration, et fonde son système sur la présence ou l'absence des soies , sur la structure de ces parties et sur l'existence ou le défaut d'une tête distincte, des antennes, des yeux, de la trompe, des mâchoires et des ventouses. Il établit ainsi quatre ordres : les Néréinées , les Serrures, les Lom- (x) M. Latreille a adopté, dans ses Familles naturelles du règne ani- mal, les bases de cette classification, mais il a établit un ordre de plus, sous le nom de Mzsosrancues. Les Abranches de M. Cuvier correspondent à peu près à son ordre des EnreroBrancues, les Dorsibranches, à son ordre des Norossancues, et les Tubicoles à son ordre des CÉrHaLoBRaNcHEs. XXViI. 23 Bases des classifications déjà admises, Objections contre les classifications récédemment adoptées. ( 354 ) sricines et les Hiruninées. Enfin M. de Blainville ex- clut, comme nous l'avons déjà dit , de cette classe qu'il ne nomme plus Annélides, mais Chétopodes, tout le groupe des Sangsues, et, ainsi réduite, il la divise en trois ordres , d’après « la dissemblanceévidente, subévi- « dente, ou bien la ressemblance à peu près complète des « anneaux du corps (1); » il emploie aussi, mais comme caractères de seconde importance, l'existence ou l’ab- sence de soïes à crochets. Il nomme le premier de ses ordres Hérérocricrens, le second Paramocrtreiens et le troisième Homocricrens. Nous aurions classé les Annélides de nos côtes d’après l’une ou l’autre de ces méthodes, si nous n’eussions pas été arrètés par de graves diflicultés, qui proviennent surtout de ce qu’en découvrant des espèces nouvelles nous avons rencontré plusieurs modifications dans l'or- ganisation qui ne s'étaient pas encore offertes, et qui, à raison de leur importance, nécessitaient quelques chan- gemens dans les méthodes déjà proposées. Nul doute que la classe des Annélides ne renferme quatre types d’organi- sation bien marqués , et qui peuvent être représentés par | les Aphrodites , les Sabelles, les Lombrics et les Sang- sues ; mais les passages de l’un à l’autre de ces types se font graduellement , et c’est daus les limites à assigner à ces groupes , aussi bien que dans le choix des caractères propres à les faire distinguer, que réside le principal em- barras. Ainsi M. Cuvier avaittrouvé, dans la disposition des organes respiratoires, des bases suflisantes pour la (x) Dict. des Sc. nat., article Vers, t. LVII, p. 421. (355) distribution naturelle du petit nombre d’Annélides qui étaient connues à l’époque où il a publié sa méthode ; mais depuis lors le catalogue de ces animaux s’est enri- chi d'un grand nombre d’espèces nouvelles, dont plu- sieurs ne peuvent être classées d’après ces seuls caractères sans violer les analogies les plus évidentes. En effet, ja présence ou l'absence des appendices qu'on nomme Branchies ne coïncide pas d’une manière constante avec les traits caractéristiques des divers types d'organisation propres à ces animaux, et nous pouvons citer plus d'un exemple de ces deux modifications de structure dans des espèces qui, identiques sous tous Îles autres rapports, appartiennent indubitablement à une même famille et quelquefois au mème genre (1). La méthode de M. Savigny et celle de M. de Blain- ville nous ont présenté des difficultés semblables (2). (x) Par exemple dans la Glycère unicorne, Sav., et dans la Gly- cère de Meckel , no. , il existe des branchies très développées, tandis que dans la Glycère de Roux, r04., on ne voit aucune trace de ces organes. Les Syllis, les Phy;lodocés, etc., ne présentent pas de bran- chies, bien qu'elles aient la plus grande analogie avec les Néréides qui en sont pourvues, etc. (2) L'existence d’une tête distincte portant des yeux et des antennes est regardée par M. Savigny comme caractéristique de son premier ordre. Cependant, chez deux espèces nouvelles d'Aricie que nous ferons connaître il n’y a aucune trace de ces appendices , tandis que M. Savigny a constaté leur existence dans une troisième, l’Aricie sertulée. Dans les Cirratules, les Ophélies, etc., la tête n’est guère plus distincte que chez les Lombrics; les pieds sont à peine saillans, les soies ne sont pas notablement rétractiles; iln’y a point de tronive tha : nue proprement dite, et cependant toutes ces Annélides ont les r poris les plus évidens avec les Néréides, etc. Chssification basée sur la considération du système des appendices mous , etc. ( 356 ) Et c’est afin de mettre la classification des Annélides en harmonie avec les nouvelles connaissances que nous avons acquises sur ces animaux, qu'il nous a paru néces- saire d’avoir recours à d’autres combinaisons. Nous avons déjà vu que les divisions établies sur la présence ou l’absence des Branchies éloignaient souvent les espèces les plus voisines; mais si, au lieu de s’en tenir à ces organes , on prenait en considération l’ensem- ble du système formé par les divers appendices membra- neux dont le corps de ces animaux est garni, on arrive- rait à des coupes plus naturelles , et qui nous paraïssent répondre aux besoins actuels de la science. On nous objectera peut-être qu’en agissant aïnsi on s’écarterait du principe de la subordination des carac- ières , principe si philosophique et si bien développé par le célèbre Cuvier ; car, dira-t-on , de quelle importance peuvent être dans l'économie, des Tentacules, des Cirres ou des Élytres comparés à des Branchies? Mais, si l’on ne s’arrète pas aux dénominations reçues et si l’on exa- mine les parties ainsi désignées, la difficulté disparaîtra ; car on verra que ces distinctions sont fondées souvent sur des différences de formes oude position plutôt que sur des différences bien avérées dans les usages de cesappendices. En effet, lorsqueles Branchies sontarrivées à un dévelop- pementextrème,commece la a lieudans la famille des Am- phinomiens et chez les Térébelles , il ne peut y avoir de doute sur leur destination spéciale, et il est impossible de les confondre avec les Cirres ou Tentacules ; mais bien souvent il n’en est pas de mème. Ainsi, dans les Néréides, les tubercules charnus qui garnissent l’extré- ( 357 ) mité des pieds, et que l’on s'accorde à appeler des Bran- chies, ne présentent aucune particularité de structure caractéristique qui puisse permettre d'assurer positive- ment que ce sont des organes spéciaux de respiration ; ils ne diffèrent pas notablement des Cirres (1). Au contraire, dans les Phyllodocés, où il n’existe pas de Branchies re- connaissables , mais bien des Cirres lamelleux et folia- cés, ces derniers organes présentent un appareil vascu- lire très développé et servent évidemment à la respi- ration; d’autres fois, et notamment chez les Cirratules, on voit en même temps des appendices qui par analogie doivent être considérés , les uns comme des Branchies proprement dites , et les autres comme des Cirres, et dont cependant la structure et les fonctions sont exacte- ment les mêmes, les uns et les autres étant des organes respiratoires. Les Élytres sont quelquefois dans le même cas que les Cirres. Au reste , il nous paraît évident que toutes les fois que Ja localisation de la respiration n’est pas complète, et que les Branchies ne présentent pas un haut degré de développement et de complication dans leur structure, cette fonction peut s’exécuter indifférem- ment dans les divers appendices membraneux dont le corps des Annélides est garni, ces parties pouvant se suppléer mutuellement. On peut donc, sans inconvé- nient, réunir tous ces organes dans une même catégorie, (x) Lorsqu'on examine sur des individus vivans le mode de distribu- tion des vaisseaux sanguins des Néréides, on voit même que le réseau vasculaire destiné à mettre le liquide nourricier en contact avec l'air, est bien plus abondant vers la base des pieds que sur les tuber- cules appelés Branchies. { 358 } leur accorder la même importance , et en tirer collecti- vement des caractères de première valeur pour la classi- fication des Annélides. Cependant , si l’on s’en tenait à ces seules considéra- tons, il arriverait encore que des espèces très semblables se trouveraient séparées, et que d’autres espèces fort différentes seraient réunies dans un même ordre (t). Pour que la classification des Annélides soit la représen- tation fidèle des principaux modes de structure qui se rencontrent parmi ces animaux , il faut encore, et peut- être avant tout , tenir compte de l’absence ou de Ja pré- sence des ventouses terminales dont les Hirudinées ou Annélides suceuses sont toutes pourvues. Du reste, on arrive au même résultat en divisant ces animaux , comme l’a fait M. Savigny, d’après la présence ou l’absence de soies. Il est également nécessaire d’avoir égard à la po- sition des principaux appendices membraneux , à la si- tuation de la bouche, à l'existence ou a Fabsence d’une trompe et d’une tête, et à la structure des soies. Mais les caractères que l’on en déduira ne peuvent être présentés d’une manière aussi absolue qu’on l’a fait jusqu'ici. Pour établir dans la classe des Annélides les divisions primaires que l’on est convenu de désigner sous le nom d’orpres, nous n’employerons donc pas seulement les (x) Ainsi les Branchellions présentent sur plusieurs anneaux du \ corps des appendicés membraneux très développés, ce qui les. éloïgnerait des Sangsues, auxquelles ils ressemblent cependant sous tous les autres rapports. Les Lombrics, etc., ont comme les Sangsues le corps complètement dépourvu d’appendices analogues, bien que du reste ils en diffèrent extrêmement sous d’autres rapports. ( 359 ) caractères qui servent de base aux méthodes de MM. Cu- vier, Savigny et Blainville, mais nous ferons encore usage de ceux tirés de la présence ou de, l'absence des autres organes que nous appellerons d’une manière générale les appendices mous du corps (1), quelles que soient, du reste, les formes qu'ils affectent. Les groupes que nous obtiendrons ainsi seront, à peu de chose près, les mêmes que ceux déjà établis, par MM. Cuvier et Savigny , mais leurs limites seront éten- dues de manière à nous permettre d’y ranger les espèces nouvelles dont nous aurons à parler. C'est en nous conformant à ce principe que nous diviserons les Annélides en quatre ordres : les ANnéLr- DES ERRANTES, les ANNÉLIDES T'uBICOLES OUSÉDENTAIRES, les Annézipes Terricozess et les ANNÉLIDES SUcEUSEs. Les ANNÉLIDES ERRANTES ont une structure très cCom- pliquée et ne sont jamais complètement sédentaires; à quelques exceptions près, elles sont essentiellement orga- nisées pour la marche ou pour la nage, etont pour caractè- res principaux d'avoir des appendices mous très dévelop- pés et fixés à presque tous lesanneaux du corps, des pieds tous semblables entre eux, ordinairement saillans et armés seulement de soies proprement dites; quelquefois cependant , mais très rarement, garnis aussi de soies à crochets; point de ventouses terminales. La tête, en général distincte, porte, dans la plupart des cas, des (x) Par opposition aux soies qui en sont les appendices durs , et dont nous tirerons aussi quelques caractères. Division des Annélices cu quatre ordres. ( 360 ) antennes ct des yeux ; enfin la bouche est ordinairement pourvue d'une trompe protractile et souvent armée de mâchoires. Ce groupe correspond à peu près à l’ordre des Dorsibranches de M. Cuvier et à celui des Néréi- dées de M. Savigny. Les animaux qu’il comprend sont rangés par M. de Blainville dans ses deux ordres des Annélides Æomocriciens et Paramocriciens. Le second ordre , ou celui des T'usicozes, que l’on pourrait appeler aussi les Annézines SépenrTAines, ne renferme que des espèces dont la vie de relation est bien plus bornée. Elles sont essentiellement sédentaires, c’est- à-dire qu'elles vivent presque toujours/ dans l’intérieur de tubes solides que d’après leur organisation elles sont condamnées à ne point quitter, Toujours on voit des ap- pendices mous sur un certain nombre de leurs anneaux, et dans la plupart des cas c’est seulement à l'extrémité antérieure du corps que ces organes sont fixés. Les pieds sont bien distincts, mais peu ou point saillans ; ils sont presque toujours armés de soiïes à crochets aussi bien que de soïes proprement dites , et affectent souvent des formes diverses dans différentes parties du corps. Enfin la bou- che est terminale , et il n’y a jamais de tête, d'antennes, d’yeux, de irompe ou de mâchoires. Ce sont les Z'ubi- coles de M. Cuvier (les Dentales exceptés)(r), la pre- mière famille de l’ordre des Serpulées (les Æmphitrites) de M. Savigny, et les Hétérocriciens de M. de Blainville, plus les Siphostomes , qu’il range parmi ses Homocri- ciens. (x) Nous adoptons pour les Dentales l'opinion des auteurs quiles x considèrent comme des Mollusques. x MORE (361) Le troisième ordre, auquel nous donnerons le nom de TerricoLes, comprend des Annélides qui vivent toujours soit dans des tubes solides, soit dans la vaseouenfouis dans la terre. La dégradation de tous les organes destinés à la vie de relation est portée chez elles presqu’à son plus haut degré. En général, ces animaux sont dépourvus de pieds et ont seulement quelques soïes pour s’aider dans leurs mouvemens; leur corps ne porte ni appendice mou , ni tête distincte ; il n’y a point d’yeux, d'antennes , de trompe ou de mâchoires ; enfin la bouche est pres- que terminale et livre quelquefois passage à un appen- dice labial. Dans la classification de M. Cuvier, ce groupe est réuni aux Sangsues dans l’ordre des Abran- ches. M, Savigny place une partie des Terricoles parmi les Serpulées, et forme avec les autres son ordre des Lombricines ; M. de Blainville les disperse dans les deux ordres des Paramocriciens et des Æomocriciens. Enfin les Suceuses , qui formentle quatrièmeordre, dif- èrent de toutes les autres Annélides par L'existence d’une Ca vité préhensile en forme de ventouse à chaque extrémité du corps, ainsi que par l'absence de pieds etmème desoies. En général, elles sont dépourvues d’appendices mous, et elles n’ont jamaïs une tête distincte, mais on leur voit presque toujours des points oculaires et des mâchoires; elles mènent une vie errante, se nourrissent aux dé- pens de divers animaux vivans, et sont, pour ainsi dire, parasites. M. Cuvier les avait déjà rassemblés dans la se- conde division de son ordre des Æbranches , ei M. Savi- gny les désignait sous le nom d’Airudinées. Déjà nous ayons dit que dans la méthode de M, de Blainville elles ( 362 ) étaient exclues de la classe des Annélides et rejetées parmi les Pers intestinaux. Le tableau suivant résume d’une manière plus compa- rative et avec plus de concision les principaux caractères qui sont propres à chacun de ces ordres. ANNÉLIDES. Animaux sans vertèbres dont le corps est mou , divisé en anneaux, dé- pourvu de membres articulés et garni de soies ou muni de deux cavités préhensiles. Un système nerveux central, longitu- dinal, ganglionnaire et symétrique; un système circulatoire distinct et conte- nant ordinairement du sang rouge; un canal digestif s'ouvrant aux deux extré- mités du corps. Un appareil générateur dioïque. A 24 Distribution ds ANNELIDES + en quatre Ordres. Corps toujours garni d’ap- — (250 300œ— pendices mous. Pieds bien distincts. Corps garni de soies sail- lantes. Point de cavité préhensile en forme de ventouse. Des appendices mous distribués (un seul genre excepté) (1) sur presque toute la longueur du corps et point rassemblés sur l'extrémité céphalique. Des cirres existant presquetoujours; en général deux pour chaque pied. Pieds d'une seule sorte; en général très sail- lans et armés de soies proprement dites ; rare- ment de soies à crochets et qui alors existent à tous les pieds (2). Téte en général bien distincte et pourvue d'yeux, d'antennes, et d’une trompe rétractile; souvent des mdchoires. Des appendicesmous rassemblés en général sur l'extrémité céphalique seulement. Cirres des pieds presque toujours nuls (3) et jamais au nombre de deux sur le même pied. Pieds presque toujours dissemblables entre eux , de deux sortes, et armés de soies à cro- chets; quelquefois nuls et remplacés par des soies simples (4). Point de téte distincte; point d’yeur, de trompe protractile ou mächoires. Corps toujours complètement dépourvu d’appendices mous. En général point de pieds distincts mais seulement quelques soies propre- ment dites. Point de téte distincte, de trompe protractile, de mâchoire, d'yeux ou d’'an- tennes. Corps dépourvu de soies de toute espèce et complètement apode. Une cavité préhensile en forme de ventouse à chaque extrémité du corps. Point de téte distincte mais en général deux yeux et des mâchoires. (1) Genre Pdripate. (2) Arénicole. G) Les Hermelles excepté. (4) Chez les Siphostomes, (Page 36.) ORDRES. ANNÉLIDES ERRANTES. ANNÉLIDES TUBICOLES OU SÉDENTAIRES. ANNÉLIDES TERRICOLES. ANNÉLIDES SUGEUSES. ANNÉLIDES. Animaux sans vertèbres dont le corps est mou, divisé en anneaux, dé- pourvu de membres articulés et garni de soies ou muni de deux cavités préhensiles. Un système nerveux central, longitu- dinal, ganglionnaire et symétrique ; un système circulatoire distinct et conte- nant ordinairement du sang rouge; un canal digestif s'ouvrant aux deux extré- mités du corps. Un appareil générateur dioïque. Distribution di Corps garni de soies sa lantes. Point de cavité préhens en forme de ventouse. Corps dépourvu de soies | Une cavité préhensile en Point de téte distincte ma (1) G — ——-- (363) ORDRE PREMIER. LES ANNÉNIDES ERRANTES. Le groupe naturel des Annélides errantes, quiconsti- tuent le premier ordre de cette classe, renferme les espè- ces dont l’organisation est la plus compliquée. Comme leur nom l'indique, ces animaux n’ont pas un genre de vie sédentaire; aussi sont-ils pourvus d’un appareil Jocomoteur très développé, qui leur permet de marcher ou plutôt de ramper avec assez de vitesse, ou bien de nager avec agilité. Quelques-uns d’entre eux, certains Amphinomes, par exemple, paraissent être essentielle- ment pélagiens, et n’ont été rencontrés encore qu'à de grandes distances en mer, mais la plupart habitent les côtes et se réfugient sous les pierres ou parmi les Zoo- phytes et les plantes marines. Enfin, il en est un petit nombre qui se cachent dans le sable (les Nephtys, les Arénicoles, etc.) ou qui se logent dans des tubes plus ou moins solides (les Acoètes, la Polynoé scolopendrine et divers Euniciens), mais ces fourreaux ne leur sont pas indispensables, ils les abandonnent sans inconvénient et peuvent presque toujours aller au loin chercher leur nourriture. La plupart sont pourvues de certains orga- nes des sens assez développés, et la nature les a douées d'armes défensives dont nous allons exposer plus loin les particularités curieuses. Toutes habitent exclusive- ment la mer ou les eaux saumätres et ne sont jamais parasites. Souvent on les voit se tenir patiemment en Mœurs. Structure extérieure, Tête, etc. ( 364 ) embuscade afin de saisir au passage les petites Annélides, L! les Mollusques et les autres animaux aux dépens desquels elles vivent; mais elles n’ont aucun instinct bien remarquable. Plusieurs d’entre elles peuvent perdre une grande partie de leur corps, sans que la mort s’en suive nécessairement ; cependant si on les coupe en plusieurs morceaux, ceux-ci ne paraissent pas pouvoir continuer de vivre, et ne sont pas susceptibles de repro- duire les parties manquantes, de manière à donner nais- sance à autant d'animaux parfaits qu’il y a de fragmens, ainsi que cela arrive chez la plupart des Annélides Ter- ricoles , lorsque la division est convenablement opérée. En général, les Annélides errantes ont une forme svelte, allongée et plus ou moins linéaire; mais quel- quefois, au contraire, elles sont aplaties et ovalaires. Presque toujours leur corps se termine antérieurement par une téte bien distincte et pourvue à quelques ex- ceptions près d’yeux, et surtout d'antennes, dispo- sitions qui ne se rencontrent dans aucun autre ordre de cette classe. Au-dessous de la tête, et dans le point de jonction de ce renflement avec le premier anneau du corps, se voit la bouche, qui se prolonge quelque- fois plus loin en arrière et qui est alors entourée par les pieds. La trompe, qui en sort à volonté, est composée d’un ou deux anneaux charnus. Son extrémité est pres- que toujours armée de méächoires, et dans plusieurs cas elle est entourée de petits barbillons tentacu- laires. De chaque côté du corps il existe toujours une série de pieds, ayant la forme de tubercules charnus plus ou ( 365 ) moins saillans. Ces organes peuvent ne présenter qu’une seule rame, ou bien en offrir deux et alors on les divise en rames dorsale et ventrale. Leur sommet est toujours armé d’un ou de plusieurs faisceaux de soies proprément dites, grèles et allongées , qui dépassent de beaucoup la surfacedes téçgumens,mais quisont en général susceptibles de rentrer plus ou moins complètement dans l’intérieur du corps à la volonté de l'animal, et qui, dans ce but, sont entourées de fibres musculaires destinées à les mouvoir. Ces soiïes sont en général roïdes, plus ou moins subu- lées , et de forme très variable; presque toujours elles sont accompagnées d’acicules. On rencontre aussi chez les Annélides de cet ordre , mais très rarement , de ces petites lames courtes et dentées qu'on nomme des soies à crochets; alors tous les pieds en présentent à leur rame inférieure, tandis que chez les T'ubicoles , cette unifor- mité de structure ne se voit presque jamais, et ne coïn- cide dans aucun cas avec l'existence de cirres. Les appendices mous des Annélides errantes sont en général nombreux et très développés. Ceux dont l’exis- tence est la plus constante sout les cirres; on ne connaît qu'un très petit nombre d’Annélides placées sur la li- mite de l’ordre des Errantes (les Arénicoles, les Ché- toptères et les Péripates) qui en soient dépourvues, tandis que parmi les T'ubicoles, les Hermelles seules en présentent. Ces appendices affectent communément la forme de filamens tubuleux plus ou moins rétractiles, mais dans certaines espèces ils constituent des lames minces ayant l'aspect de folioles membraneuses. Enfin, à quelques Cirres. Branchics. Elytres. Anus. ( 366 ) exceptions près, on trouve toujours deux cirres pour chaque pied. Les appendices qui ont reçu le nom de branchies manquent souvent, et d’autres fois elles ne se pré- sentent que sous la forme de tubercules ou de lan- guettes charnues fixées soit au sommet, soit près de la base des pieds; maïs quelquefois aussi ces organes ac- quièrent un développement considérable et constituent des arbuscules, des houppes ou des espèces de panaches membraneux. Enfin, dans plusieurs espèces le dos est recouvert par des appendices mous, squammiformes, les élytres, qui sont propres à cet ordre. En général les appendices mous sont répartis à peu près également dans toute la longueur du corps. Dans quelques espèces, on voit les cirres supérieurs , les ély- tres ou les tubercules branchiaux paraître et disparaître alternativement d’anneau en anneau, mais dans la plu- part des cas ces organes se succèdent sans interruption. Il est assez commun de rencontrer le premier segment du corps pourvu seulement de cirres tentaculaires , et ne porter ni tubercules sétifères , ni branchies propre- ment dites. Aux deux extrémités du corps , ces derniers organes sont toujours nuls ou moins développés que vers sa partie moyenne, et jamais ils n’occupent exclusi- vement les premiers anneaux qui suivent la tête. Le dernier segment porte l'anus, qui est en général dirigé en haut, et les appendices de cet anneau ont com- munément la forme de cirres ; on les nomme cirres sty- laires. — ( 367 ) T'els sont les traits les plus remarquables de l'organi- sation extérieure des Annélides, que nous rassemblons dans notre premier ordre; mais pour compléter ce que nous en avons à dire, nous croyons devoir placer ici des détails circonstanciés sur la nature et les usages des soies dont les pieds de ces animaux sont, avons-nou5 dit, abondamment pourvus. Observations sur les poils des Annélides errantes, considérés comme moyens de défense (1). On a dit en termes généraux, et avec quelque raison, que chaque animal avait ses ennemis, et que par une prévoyance bien admirable, la nature avait donné à chacun des armes propres à sa défense, ou du moins, qu’il leur était échu en partage certaines ruses capables souvent de les soustraire au danger. Considérée sous ce point de vue, l’histoire des animaux est riche en traits curieux, plus surprenans les uns que les autres. Cer- taines classes industrieuses et actives, telles que les Arai- gnées et les Insectes, en offrent de si variés, qu'il faudrait encore bien des volumes pour en compléter le récit. Persuadés que les Annélides, qui habitent au sein des eaux et qui sans cesse sont en présence d’une foule d’ennemis redoutables, devaient offrir aussi sous ce rap- (x) Ces observations ont été communiquées à l’Académie des Sciences le 19 juillet 1829, et M Cuvier en a rendu compte dans la séance du 15 novembre 1830. Voyez Annales des Sciences naturelles, t. XXI, p. 320. ( 368 ) port des particularités qui leur étaient propres, nous nous sommes attachés, dans notre séjour aux îles Chau- sey et sur la côte de Granville, à découvrir quel moyen elles avaient d'échapper aux dangers qui de toute part les menacent. Il nous a été facile de reconnaître que, pour plusieurs d’entre elles, le seul moyen de défense dont elles pus- sent se servir consistait dans la faculté qu’elles ont de construire au fond de l’eau des espèces de loges, de tubes, ou de galeries droites ou contournées, de formes diverses, ou bien dans le choix qu’elles font d’une habitation analogue précédemment abandonnée par quelque autre animal. Ce genre de vie sédentaire, qui caractérise surtout les Annélides Tubicoles, indique, avec un caractère timide, la privation d'armes propres à l'attaque ou à la défense; et en eflet, arrachez ces animaux à leur retraite, ils ne chercheront point à fuir; ils se borneront à s’enrouler sur eux-mêmes etcontracteront autant que possible toutes les parties de leur corps. Ce que nous leur avons vu faire de plus hardi dans ces circonstances , consistait à épa- nouir les tentacules buccaux, dont plusieurs d’entre elles sont pourvues, et à s’en servir pour se trainer au fond du vase dans lequel nous les conservions et où nous avions placé des grains de sable, qu’elles réussissaient quelquefois à joindre et à aglutiner autour d’elles. Nous ferons connaître ailleurs les moyens de construction que ces espèces sédentaires mettent en usage, el nous nous bornerons à traiter ici des Annélides errantes qui, par leur genre de vie, sont exposées à de plus fréquentes at- taques. Cd ( 369 ) Et d’abord les observations que nous avons eu occa- sion de faire nous ont montré qu’au moment du danger certaines espèces se contentaient d’enrouler leur corps, tandis que d’autres s’agitaient dans tous les sens et don- uaient à leurs extrémités des mouvemeus semblables à ceux qu'on imprimerait à la lanière d’un fouet, en agilant son manche avec force. Les espèces qui se contractaient avaient un corps court, ovalaire et couvert de longues soies; au con- traire celles qui se mouvaient avec agilité, avaient cette partie allongée, généralement nue; et les poils qu’on y distinguait étaient courts et ne dépassaient que peu le sommet des pieds. Dans tous les cas, ces poils, quelle que soit leur disposition, semblaient être des ornemens que la nature avait accordés à ces animaux, et il faut avouer qu’elle les en avait richement dotés, car ces filets soyeux brillent des couleurs métalliques les plus vives. L'or, l’azur, le pourpre, le vert, se nuancent à leur sur- face de mille manières, et ces couleurs, souvent irisées, se trouvent dans une harmonie parfaite avec les reflets cha- toyans et successifs des anneaux de leur corps. L’aile du Papillon n'a pas reçu une plus brillante parure que ces Vers cachés au fond des eaux, et enfoncés quelque- fois dans un limon noir et boueux. Ces longs poils, ces brillantes aigrettes et tout ce luxe d’ornemens a cependant un but plus utile qu’on pourrait le croire au premier abord. Ce sont les armes de l'animal , les seuls moyens de défense que la vature lui ait donné. Au premier abord, on conçoit aisément qu'ils peu- veni garantir leur corps toujours plus ou moins mou, et RE 2 4 Acicules, ( 370 ) servir en quelque sorte de pelage; c’est ce qu’on voit chez les grands animaux, et ce que l’on rencontre aussi fré- quemment dans les Chenilles ; mais ce n’est pas là le rôle le plus important qu'ils sont appelés ici à remplir. M. Savigny, auquel l’histoire naturelle des animaux sans vertèbres, et particulièrement celle des Annélides, est redevable de si importantes découvertes, a observé que la plupart de ces poils étaient susceptibles de ren- trer dans le corps et d’en sortir à volonté. A cet effet ils sont pourvus de muscles particuliers et de gaînes qui leur sont propres ; mais M. Savigny ne paraît pas avoir étu- dié ces appareils sous le point de vue qui nous occupe, et il n’en a donné aucune figure suflisamment grossie. Pour remplir cette lacune, nous les avons observés avec tout le soin dont nous étions capables , et dans un grand nombre d'espèces. Ces poils sont du genre de ceux que M. Savigny a nommés Soies, et qu'il a distingués en Soies proprement dites (festucæ) et en Acicules (aciculi). Ils existent à chaque pied, tant à la rame supérieure qu’à l’inférieure. Les acicules (pl. vur, fig. 9; pl. xx, fig. 6), ont une nature différente de celle des Soies proprement dites. M. Savigny les a brièvement fait connaître en les défi- nissant : « Des soies plus grosses que les autres, droites , coniques , très aiguës, de couleur brune, noire, ou diffé- rente de celle des autres soies auxquelles ils sont associés, manquant quelquefois et n’existant jamais qu'en très petit nombre, c’est-à-dire qu'on en trouve rarement plus d’une à chaque rame.» Nous les avons reconnus à ces caractères précis dans le plus grand nombre des Annélides (371) errantes, que nous avons soumises à nos recherches (1), et nous avons cru observer que ces poils, généralement courts et susceptibles de sortir du sommetdu pied, étaient employés par l'animal à donner, s’il nous est permis de nous exprimer ainsi, le coup de boutoir aux ennemis contre lesquels il les dirige. En effet, les acicules, bien qu'ils soient encore assez fins pour que la loupe devienne quelquefois nécessaire pour les voir, ne sont pas très acérés à leur sommet, comparativement aux poils déliés auxquels on les irouve associés; ils sont roïdes, très ré- sistans, et se briseraient plutôt que de plier. Les poils proprement dits (festucæ) méritent sous plusieurs rapports de fixer l’attention. Leurs formes va- riées sont importantes à connaître pour la classification, et leurs usages sont assez remarquables pour piquer vi- vement la curiosité. M. Savigny a parlé quelquefois très sommairement de leurs formes, en tête des caractères qu’il a assignés aux ordres etaux familles, mais dans ses ouvrages il ne dit jamais rien de leurs usages, et il ne donne aucune figure propre à montrer leur orga- nisation. Le même silence s’observe chez les auteurs qui, à notre connaissance, ont traité avant ou après lui des Annélides. L'étude comparalive que nous avons faite de ces or- (x) Les acicules sont composés de deux parties (pl. vrr, fig. 0), le corps proprement dit a, et ia base ou la cupule b. Cette dernière, lorsqu'on retire forcément l’acicule du tubercule charnu dans l’in- térieur duquel il est contenu, se détache, et reste adhérente au trousseau de fibres musculaires qui s’y implante, Poils propre- ment dits. (372) ganes nous a dévoilé leur singulière structure, et nous a bientôt appris le but que la nature s'était proposé en variant de tant de manières leurs formes élégantes : les uns ont une structure fort simple , tandis que chez d’au- tres elle paraît assez compliquée. Cette différence dans la composition nous a permis d’en former deux groupes, sous les noms de Poils simples et de Poils composés. Poils simples. Les POoILS SIMPLES ne sont formés que d’une seule pièce, et si quelquefois ils se composent de plusieurs articles, ceux-ci sont d’une même nature et ajoutés à la suite les uns des autres, comme les articles des antennes filiformes ou sétiformes, propres à certains insectes. Leur forme varie beaucoup; les uns sont terminés en pointe plus ou moins aiguë, quelquefois tranchante, denticulée ou fourchue ; les autres présentent une extré- mité obtuse, arrondie et même élargie; et ces diverses modifications permettent de leur imposer des dénomi- nations différentes (pl. vir, fig. 6 et fig. 13 — 19; — pl. vus, fig. 6; — pl. 1x, fig. 7, 9, 179, 18, 19; — pl. x, fig. 6,12, 13, 143 — pl. xv, fig. 11, 12, Toi letc.. etc). Soies ou Pois Le nom de soies convient quelquefois parfaitement D Ah poils simples qui garnissent les pieds de plusieurs Annélides , tant à cause de leur extrème finesse, qu’en raison de leur couleur d’un jaune métallique à reflets chatoyans: tels sont les poils très flexibles et bien con- nus de certaines Aphrodites (pl. virr, fig. 5, d). Chez les animaux de ce genre, et seulement dans quelques espèces, l’Aphrodite hérissée, par exemple, ces longues soies se rencontrant et s’entrelaçant intimement, for- ( 373) ment une sorte de feutrage (a) au-dessus des élytres (2) et des branchies (c), qui alors sont cachées dans une cavité propre, ouverte à la partie antérieure , pour le passage de l’eau qui vient sans cesse les baïgner. Aïnsi enlacés pour constituer une sorte de voûte, ces poils n’ont évidemment d’autre usage que de protéger le corps et de le garantir, comme le ferait un vêtement. Leur rôle est tout à-fait passif , et l'animal ne pent les rentrer dans son corps ou les diriger vers le danger pour sa dé- fense. Lors même que ces longs poils ne sont pas ainsi en- trelacés et qu’ils sont libres, comme celz se voit dans d’autres Annélides errantes, ils ne peuvent, à cause de leur longueur et de leur finesse, se cacher dans le corps ou être dirigés avec succès vers un point quel- conque. Au reste, si on les examine à la loupe, ils paraissent simples, sans aucune des armures que nous trouverons ailleurs, et leur longueur jointe à leur finesse les rend tellement flexibles que le moindre mouvement de l’eau suffit pour les plier et les balancer dans tous les sens. Ces poils, ou plutôt ces soies peuvent être désignées sous le nom de flexibles ; elles sont remarquables par une excessive minceur, jointe à une grande longueur. On observe aussi dans les Aphrodites et dans plusieurs autres genres certaines soies lisses dans tout leur contour, et amincies vers la pointe; mais elles sont moins nom- breuses, moins flexibles, moins longues que les pré- cédentes ; quelquefois même roides et très courtes. Alors elles peuvent rentrer chacune, en tont ou en partie, Soies raides. Poils en massue. Poils en spatule. Poils fourchus. Poils canneles. (: 374 ) dans la gaîne qui leur est propre, et comme leur extré- mité est acérée, elles agissent, quand l’Annélide les fait sortir, comme autant de lardoirs sur le corps des animaux mous qui l’inquiètent ou lui portent ombrage. On peut leur appliquer l’épithète de raides et de ri- gides (pl. vi, fig. , e). Chez d’autres Annélides, les poils simples affectent Ja forme de petites massues (poils en massue, pl. xrx, fig. 15 }; c’est ce qu’on peut voir dans deux espèces nouvelles de Lombrinère de la côte de Granville que nous avons nommées Lombrinère de Dorbigny et Lombrinère de Laireille. Aïlleurs ils sont comprimés, et ressemblent assez bien à une spatule qui serait légèrement courbée sur elle-même (poils «en spatule, pl. x, fig: 4, e). Les Palmyres en offrent un exemple remarquable. Dans plusieurs cas, les poils simples ont une orga- nisation un peu plus compliquée. Ainsi, la rame dorsale de certaines Néréides , et surtout la rame ven- trale de l’Aphrodite hispide, sont pourvues de soies ter minées en une sorte de fourche à deux branches inéga- les, unies ou denticulées sur leurs bords (poils fourchus, pl. var, fig. 6; — pl. x, fig. Get 13, etc, etc.): D'autres espèces présentent des poils ayant dans leur longueur, surtout vers l'extrémité, un sillon dont les bords sont garnis de denticules, dans une étendue plus ou moins grande. Ces poils, qu’on retrouve dans les Polynoés, rappellent quelquefois par leur forme une sonde can- nelée (poils cannelés, pl. vir, fig. 18) , et souvent, comme dans la Polynoé écailleuse et la Polynoé lisse, — 0 Re re ( 375) ils figurent, par la disposition de leur pointe élargie à sa base et acérée , une petite lancette ( poils en lancette, pl. vir, fig. 13, 143; — pl. 1x, fig. 18), dont les bords relevés et denticulés laisseraient dans leur intervalle une gouttière. Dans une espèce du même genre, la Polynoé scolopendrine, la pointe de la lancette est bifur- quée (pl. vur, fig. 17). Voici donc les Annélides déjà pourvues de stylets, de piques et de plusieurs autres armes pour leur défense, et elles en sont abondamment fournies, car on en trouve plusieurs faisceaux ou plusieurs rangées à chaque pied , et dans certaines espèces : ces pieds sont au nombre de plus de mille (r). Ayant une fois reconnu les moyens de défense que la nature a accordés à ces espèces d'animaux, et qu'elle a placés dans leurs poils , nous avons tâché de compléter cette étude en examinant ces organes chez un grand nombre d'Annélides. Nous espérions rencontrer, dans ces recherches microscopiques, des modifications cu- rieuses de structure qui nous dédommageraient du temps qu'il faudrait nécessairement y consacrer. Effec- tivement, cette observation attentive, long-temps sui- vie, nous a dévoilé des faits que nous croyons de quel- que importance. Les formes variées des poils simples nous ont parfai- tement expliqué l'utilité dont ils sont pour l’animal qui en est pourvu. Ceux que nos observations nous ont de- puis fait connaître ont une structure plus compliquée, mais qui rend encore mieux compte de leurs usages. (5) 500 environ de chaque côté, comme dans certaines Phyllodocés Poils en lancette. Poils composés. Poils sn arète. Poils en serpe, ( 376 ) Nous les avons distingués des premiers en leur donnant le nom de porrs composés: ces espèces de poils, ordiuai- rement raides et quelquefois flexibles, sont toujours formés de deux parties, et c’est là leur caractère distinc- dif. (PL 1x, fig. s03 — pl. x11, fig. 8, 123 — pl. x, fig. 6 bis, 12 et 13, etc. ). Les deux portions qui les forment sont assez souvent réunies par une véritable articulation de l’espèce que l’on nomme articulation en gynglime. La partie du poil qui tient au corps, et que dorénavant nous nommerons la tige (pl. xn, fig. 8a), est la portion dans laquelle est creusée l'articulation , et qui reçoit l’autre partie ; celle-ci, toujours terminale, souvent allongée et fili- forme, peut porter le nom d'appendice. La minceur du poil et surtout celle de son appendice le font quelquefois ressembler à une fine arète de poisson, et nous les nommerons alors poils en aréte. Ordinairement leur appendice est acéré, et ses bords sont tantôt simples comme cela se voit aux pieds de l’Eunicede Harasse (pl. xr, fig. 8), de la Néréide de Beaucoudray (pl. xur, fig. 6 bis), de la Glycère (pl. x1v, fig. 6, 11), d’autres fois denticulés, comme on le remarque dans le Sigalion Mathilde (pl. 1x, fig. 10), dans la Néréide pulsatoire (pl. xurr, fig. 13). L'appendice acéré et les denticules de cetie variété de poils ont les mèmes usages que ceux dont nous avons déjà parlé : seulement leur flexibilité les rend moins re- doutables, ôté s poils, et ordinairement à Jar - À côté de ces poils, et ord ement à Ja rame ven tale, on en rencontre d’autres dont l’organisation n'est pas plus compliquée, mais dont la structure est assez ( 377 ) différente. Le nom de poils en serpe leurconviendraitas- sez bien, car leur tige supporte une partie terminale qui au lieu de s’allonger en arête est restée excessive- ment courte, etressemble pour la forme à un hachoïrou à une serpe. Le tranchant de cette sorte de lame est sou- vent simple comme dans les Néréides que nous avons dédiées à M. Duméril et à M. Beaucoudray (pl. xurr, fig. 12); et dans quelques cas, par exemple dans cer- taines Lysidices, il présente une ou plusieurs dents, mais ces dents sont ordinairement embrassées par une lame mince qui les dépasse à peine (pl. x1r, fig. 8). On ne saurait méconnaître les usages de ces lamelles, ordinairement tranchantes , et toujours mobiles sur la tige qui les supporte; elles sont, malgré leur petitesse extrème, des armes défensives très puissantes, et il nous paraît probable, par l’inspection d’un grand nombre de poils qui les avaient perdues, que lorsqu'elles ont pé- nétré dans un corps, elles se désarticulent d'avec la tige et restent plongées dans la blessure. C’est ce qui devient évident pour d’autres poils dont nous allons faire connaître la singulière structure. Leur usage nous a élé d'autant plus facile à comprendre que nous avons retrouvé dans ces petites armures les mo- dèles exacts des diverses formes que l’homme a su don- ner, avec calcul, à ses armes de guerre , pour les rendre plus redoutables et pour assurer leurs coups; il n’en possède certainement pas de «-ieux adaptées à ce but que celles dont sont pourvues certaines Annélices. En effet, nous avons reconnu dans plusieurs espèces, et souvent à côté des poils simples, d’autres poils qui sont une modification des poils er arétes et des poils en Poils en harpon. ( 378 ) serpe, et pour lesquels nous ne saurions trouver de nom plus convenable que ceux de harpon, de baïonnette ei de flèche. Les poils en harpon se voient dans les Nephtys et dans quelques autres genres voisins. Ils offrent cela de remarquable que le Harpon ne se montre pas toujours tout formé, et qu’il paraît quelque- fois ne se produire que lorsque le besoin l'exige. Qu'on se figure un poil très aigu à sa pointe et pré- sentant en travers une ligne de soudure très oblique, qui indique la réunion de l'appareil terminal avec la tige , et l’on aura déjà une idée exacte de ce qui existe. Cette articulation vient-elle à se disjoindre, le harpon se trouve aussitôt formé par la pièce terminale qui, ne se séparant pas dans toute l'étendue de sa soudure, mais seulement vers la partie supérieure du biseau, produit une sorte d’arête ou d'entaille qui devient le crochet posté- rieur et aigu du harpon. Un coup d’œil jeté sur nos dessins rendra plus clairement encore cette singulière disposition (1). L'usage de cette nouvelle arme est suffisamment indi- qué par la disposition qu’elle présente. Il est clair que si ce poil pénètre assez profondément dans un corps quelconque pour que le harpon $’y engage en entier, il ne pourra, à cause de son arête postérieure, en sortir. Mais cette circonstance tournerait au détriment de l’Annélide, si l'animal qui l’inquiète, et dont elle veut se débarrasser, se trouvait ainsi atteint et retenu; aussi arrive-t-il alors que le harpon se détache toujours du (x) Voy. la figure des poils des Nephtys, etc. ( 379 ) poil. Nous avons vu plusieurs individus qui, s'étant trouvés dans le cas de faire usage pour leur défense de ces instrumens, les avaient presque tous perdus. Les poils privés ainsi d’une partie qui leur était si essen- tielle, nous offrent un fait bien curieux; ils sont encore des armes redoutables à cause de l’obliquité de leur bord qui , terminant le poil à l'endroit où il s’unissait au har- pon, présentent une sorte de biseau dont l’extrémité est taillée en pointe aiguë. D’autres poils ont une structure plus compliquée que les poils en harpon : nous les avons nommés poils en baïonnette (1), parce qu'ils sont armés d’une espèce de pique qui s'articule à l'extrémité et sur le côté de la tige, et qui représente assez bien, par la place qu’elle occupe, une Baïonnette mise au bout du fusil. Mais ces instrumens servent en même temps de fourreau , et si l’on devait désirer encore des armes plus dangereuses que celles qu’on possède, elle fournirait le modèle d’une espèce nouvelle et des plus redoutables. Indépendamment de ce que cette sorte de Hallebarde est très acérée à son extrémité, et qu’elle offre plusieurs tranchans, elle est garnie postérieurement d'une forte pointe qui lui donne le même avantage que le harpon, en sorte qu'ayant pénétré dans une plaie, elle ne peut en sortir, et qu’elle se détache aussitôt du poil sur le côté duquel elle est articulée par une tige très grêle, | Mais ce n’est pas encore là le point le plus curieux de cette armure. singulière. Nous venons de dire que la (1) Voy. les figures des poils des Phyllodocés. Poils en baïonnette. ( 380 ) baïonnette servait en même temps de fourreau. En effet , quand on parvient à l’écarter de la tige, on fait sortir de son intérieur un stylet corné qui est la véritable ter- minaison du poil. Ainsi ce poil, qui paraissait obtus et mème renflé en bouton à l'endroit où commencait la baïonnetie , est terminé réellement par un stylet; ce stylet est engaîné et protégé par la baïonnette, celle-ci sert en même temps de harpon , et lorsqu’elle est pera due dans la défense, l’animal présente encore une pointe aiguë au bout de son poil. L’Aphrodite hispide, qui déjà nous a offert à sa rame inférieure des poils simplement fourchus, en mon- ue d’une tout autre forme à sa rame supérieure et d’une composition toute différente. Ce ne sont point des espèces de harpons, de hallebardes, de baïonnettes ou de stylets, mais bien de véritables Flèches (pl. var, fig. 7). On en prendra une idée exacte en se représentant une Flèche, ou plutôt une longue pique aiguë et bardée d’une mauière très élégante sur deux côtés et près de la pointe. Seulement on ne devra pas perdre de vue que les armes que nous prenons pour point de comparaison ont de grandes dimensions , tandis que celles que nous voulons faire connaître sont telloment petites qu’il faut une loupe ou un microscope pour en apercevoir les déteils ; par conséquent ces détails sent des chefs-d'œuvre de fi- nesse, et ces armes, des armes achevées, à côté des- quelles nos instrumens les plus délicats et nos ouvrages les plussoignésnesontencore quede grossières ébauches. L’Aphrodite hispide présente à chaque pied un grand ( 381 ) nombre de ces poils , et comme ils sont raides et serrés, ils représentent souvent, quand on les examine au mi- croscope, des espèces de faisceaux d'armes , au milieu desquels l’animal qui les hérisse paraît être à labri comme derrière un rempart (pl. vit, fig. 1,2et 4). N'ayant d’abord rencontré qu'un petit nombre de ces poils en flèche, élégamment bardés, nous crûmes qu'ils étaient rares, et nous pensâmes qu’à cause des pointes qui garnissaient l'extrémité de la flèche, ils ne pouvaient rentrer dans l’intérieur du corps de l'animal ; mais une découverte à laquelle nous étions loin de nous attendre, vint détruire notre conjecture. L'énumération rapide que nous venons de faire des principales formes des poils considérés comme organes de défense, a pu donner unc connaissance assez exacte des moyens nombreux que possèdent les Annélides pour résister aux attaques qui sont dirigées contre elles ; ce- pendant, l’idée qu’on a pu en prendre resterait incom- plète si nous n’ajoutions à nos descriptions celle d’une autre espèce de poils assez différens de ceux dont il a été parlé, et qui offrent une structure encore plus singulière. Nous avions vu habituellement et en très grand nom- bre à côté des poils en flèche , d’autres poils simples et terminés en boutons (pl. vu, fig. 8). Voulant étudier la texture de ces petits boutons , nous parvinmes à en ou- vrir un dans sa longueur, et nous ne fûmes pas peu sur- pris de voir dans son intérieur une flèche bardée, et en tout semblable à celle qui terminait les poils que nous avions déjà rencontrés ( pl. vir, fig. 8). Cette observa- tion plusieurs fois répétée nous apprit que les poils en flèche étaient pourvus chacun d’une gaine , et que cette », ( 382 ) gaine existait seulement à l'extrémité, c'est-à-dire dans le seul point où elle pouvait être utile pour garantir les épines déliées qui arment les flèches. Maïs indépendam- ment de ce que chaque flèche porte ainsi avec elle son car- quois, on peut dire que chacune des pointes de la flèche est pourvue de son fourreau. En effet, en séparant les deux espèces de valves en cuiller qui, par leur réunion et leur soudure, forment le tubercule ou le bouton, nous avons reconnu que leur intérieur n’était pas simplement creux, mais qu'il présentait de chaque côté des espèces de petits goussets étagés en crémaillères (pl. vrr, fig. 8, b). Leur nombre est toujours égal à celui des épines qui bardent la flèche (a), et celles-ci se trouvent logées dans leur intérieur. Ainsi, la flèche de cette espèce d’Aphro- dite est revêtue de son fourreau, et ce fourreau ressem- ble à un véritable carquois, dans lequel est logé chacune des épines qui sont sur les côtés du dard. Nos dessins représentent cette structure singulière, mais ce qu'ils ne sauraient rendre, c’est le jeu admirable et très simple de ces diverses parties. Et d’abord, on conçoit maintenant que le poil en flè- che, bien qu’il soit bardé , et que les épines soient diri- gées du côté du corps, peut facilement , comme les poils les plus lisses, rentrer dans son intérieur, puisque toute cette partie est enveloppée par un étui protecteur. Il n’est pas plus difficile de comprendre comment le dard, bien qu’il paraisse entouré de toute part, peut sortir de la gaîne, et agir comme arme défensive. Nous avons été témoin du jeu de ces parties, et le mécanisme en est bien simple. Nous avons dit que la gaîne était formée de deux pièces (383) ou valves appliquées l’une contre l’autre par leur bord. Nous ajouterons que son sommet est percé d’une petite fente, par laquelle on voit poindre quelquefois l’extré- mité de la flèche; ce fourreau est flexible, très élas- tique, et ses bords qui, dans l'état naturel et de repos, sont appliqués l’un contre l’autre , sont susceptibles de se disjoindre. Or, s’il arrive qu'un corps étranger et mou se présente à la pointe de la flèche, celle-ci, si le corps pèse sur elle, ou si l’Annélide pousse son poil, pénètre dans son intérieur, en sortant par la fente dont il a été parlé; aussitôt la gaine flexible s’abaisse derrière lui, en écartant ses branches qui se ployent chacune dans leur milieu, puis, en vertu deleur élasticité, elles revien- nent sur elles - mêmes et dans l’état où elles étaient d’abord, à moins, comme cela a lieu quelquefois, que la flèche ne se brise, et que le poil ne se rompe au-des- sous d'elle. D’autres détails relatifs à la structure variée des poils des Annélides, que nous avons cru devoir passer sous silence, prendront leur place dans la description des genres et des espèces; mais nous avons pensé qu’on trou- verait quelque intérêt à en voir plusieurs réunis ici, parce qu'ils établissent, sans qu'on puisse le révoquer en doute , que les poils de ces animaux, que l’on se bor- nait à regarder comme de simples ornemens, ou, avec plus de raison , comme des organes de locomotion , sont aussi des armes défensives d’une composition toute particèlière, et qu’on ne saurait mieux comparer qu'aux aiguillons des Abeilles, aux piquans de plusieurs poissons, et aux poils raides et mobiles de certains mammifères. Se divisent en huit familles. (384) Division des Annélides errantes en familles naturelles. En comparant entre-elles les Ænnélides errantes , on voit dans l’ensemble de leur organisation huit modifica- tions principales; aussi les divisons-nous en autant de familles qu’il y a de types bien tranchés. Dans la plupart de ces animaux, et ce sont les plus parfaits en organisation, il existe une téte distincte, munie presque toujours d'yeux et d'antennes; chaque anneau du corps supporte des pieds, d’une structure or- dinairement très compliquée et pourvus d’un ou de deux paires de cirres. Tels sont les Aphrodisiens , les Amphinomiens , les Euniciens et les Néréidiens. Dans d’autres (les Péripatiens ), la téte conserve encore un dé- veloppement remarquable, et présente de longues an- tennes , mais les pieds se simplifient, ne portent même plus de cirres; sous ce dernier rapport, ils sont moins parfaits et se rapprochent des Annélides terricoles. Il en est plusieurs chez lesquelles les pieds offrent au con- traire des appendices membraneux très développés, tandis que la téte devient moins distincte, et ne présente plus d’appendices, ou du moins n’en a que des vestiges. Cela se voit dans les Ariciens, qui établissent un passage évidententreles Ænnélides errantes et les terricoles. En- fin, on eu connaît aussi dont la téte ne se distingue plus du corps, n'offre point d'antennes, et dont les pieds, quoi- que pourvus d’appendices membraneux très développés, ne présentent pas de cirres; parmi ces derniers, les uns ont les pieds armés seulement des soies proprement dites (les Chétoptériens), et les autres (les Arénicoliens) ( 385 ) portent sur chaque pied des soies à crochets, comme les Tubicoles ; du reste ils avoisinent aussi sous d’autres rapports l’ordre des Terricoles. D'autres modifications de structure nous ont servi aussi de base pour la division des A{nnélides errantes en familles naturelles. La disposition variée des bran- chies et de l'appareil buccal nous a surtout donné des caractères non moins utiles que ceux fournis par l’exa- men des pieds et de la téte. Maïs dans tous les cas, nous avons cherché à réunir dans le même groupe les êtres qui ont entre eux les analogies les plus nombreu- ses et les plus intimes , et cela nous a souvent obligé de nous attacher à l’ensemble de l’organisation, et non à un seul organe , quelle que soit en général son impor- tance. Dans le tableau suivant on trouvera le résumé des ca- ractères propres à chacune de ces familles. Mais lorsque nous ferons l’histoire particulière de ces deux groupes, nous en traiterons avec plus de détail, et nous expose- rons en même temps les motifs qui nous ont guidés dans l'établissement de nos divisions. XX VIT. 25 à ‘ 4 : Cab Ja 1 der LUS ' s BARYOES RON tr ‘ ANNE ATOM ; 32A ns ne J purée LY tie. CRAN a MEL { pi) ASE : ts Line t A N T E S ® en Famulles (Page 386.) "AMILLES. | (tels que les élytres, ou. les cirres supérieurs ; corps. Dos en général recouvert d’élytres ; bralRODISIENS. lires. dites très développées, affectant la forme dar, ÿ la base des pieds. Téte distincte. Trompe dépou HINOMIENS. Trompe armée de sept à neuf d'une espèce de lèvre sternale “BICIENS tantôt très développées, affectant | ; au-dessus du cirre dorsal. Pieds F es, tantôt 8 , insérées t ou con- jous forme tes. En gé- ÉIDIENS. Trompe dépourvue de mdchoir esque tou À ou n’en ayant qu'une ou deux pe res. Branchies nulles ou sous ] forme de lobes, ou de languetti très simples, insérées en général a sommet des pieds. IENS. | ue d’antennes et de méchoires ; pieds dépourvus, ATIENS. | ni mâchoires; pieds pourvus d’appendices mÉOPTÉRIENS de cirres. Des branchies affectant la forme d’ar ICOLIENS. ORDRE DES ANNÉLIDES ERRANTES. Corps presque toujours garni d’appen- dices mous dans toute sa longueur. Des pieds ordinairement bien distincts et portant des cirres; des soies proprement dites et en général point de soies à cro- chets (mais lorsqu'elles existent, point de cirres et des pieds similaires dans toute la longueur du corps). En géné- ral une fée distincte ainsi que des yeux, des antennes, une trompe protractile et des mächoires. Jamaïs de cavités pré- bensiles en forme de ventouses. 2 Distribution méthodique des AN NEL IDES ERRANTES e en Fanulles naturelles. Anneaux du corps dissemblables; certains appendices mous (tels que les élytres, ou les cirres supérieurs), paraissant et disparaissant alternati- yement de segment en segment, dans une certaine étendue du corps. Dos en général recouvert d'élytres ; branchies rudimentaires. Téte bien distincte. Trompe ordinairement armée de quatre machoires réunies par paires, Pieds plus ou moins saillans , armés seulement de soies proprement dites; des cirres bien distincts (en gé- néral une fée bien distincte, des antennes, des yeur, une longue trompe et des mdchoires ). Anneaux du corps similaires ou du moins n'étant jamais alternati- vement pourvus et dépourvus de certains appendices mous; jamais d'élrtres. Pieds saillans et armés senlement de soies proprement dites ; point de cirres distincts Branches proprement dites très développées, affectant la forme d’arbuscules, de houppes ou de panaches, etfixées sur le dos ou à la base des pieds. Téfe distincte. Trompe dépourvue de méchoires; point d'acicules. Branchies, tantôt nulles, tantôt sous la forme de filamens , insérées sur un seul rang droit ou con- tourné en spirale, tantôt sous forme de lobules ou de languettes. En gé- néral des mdchoires et presque tou jours des acicules. Trompe armée de sept à neuf méchoires cornées articulées entre elles et d'une espèce de lèvre sternale également cornée. Branches tantôt nulles tantôt très développées, affectant la forme de filamens pectinés et insérées au-dessus du cirre dorsal. Pieds pourvus d’acicules. Trompe dépourvue de maächoires ou n’en ayant qu'une ou deux pai- res. Branchies nulles ou forme de lobes, ou de languettes très simples, insérées en général au sommet des pieds. sous la, Tète bien distincte et portant presque toujours des antennes et des yeux. Trompe très grosse, dépassant de beaucoup la tête et ordiuaire- ment armée de mdcloires. Presque toujours des cirres tentaculaires ; des acicules. Téte rudimentaire et peu dis- tincte; antennes nulles ou n'existant qu'à l'état de vestiges. Trompe très courte, ne dépassant pas la tête et jamais armée de mächoires. Point de cirvres tentaculaires. Téte distincte et pourvue d'antennes et de méchoires ; pieds dépourvus d'appendices membraneux. Téte nulle; ni antennes, ni méchoires; pieds pourvus d’appendices membraneux très développés. Pieds à peine saillans et armés tous de soies à crochets aussi bien que de soies proprement dites. Point de cirres. Des branchies affectant la forme d'arbuscules, insérées sur le dos. Point de téte, d'antennes, d'yeux ou de méchoires. (Page 386.) FAMILLES. APHRODISIENS AMPHINOMIENS. EUNICIENS. NÉRÉIDIENS. PERIPATIENS. CHÉTOPTÉRIENS. ARÉNICOLIENS. | | ce | | | ( 387 ) (PREMIÈRE FAMILLE. APHRODISIENS (1). Parmi les Annélides pourvues d’une tête distincte, il eu est un certam nombre dont le corps est en général aplati et ovalaire, d’autres qui l’ont grêle, cylindrique, et presque filiforme. Les premières constituent le genre Aphrodite de Linné; les secondes ses Meréides. Mais ces deux groupes renfermaient des animaux irop dissem- blables entre eux pour qu’on ait pu les conserver tels que ce grand naturaliste les avait établis » et quant aux Æphrodites , on doit à Bruguières d’en avoir commencé la réforme en les partageant en deux genres : les Æphro- dites proprement dites et les Æmphinomes (2). Cette modification était d'accord avec les principes de la clas- sification naturelle, aussi fut-elle adoptée par MM. Cu- vier (3) et Lamarck (4). Plus tard M. Savigny a érigé en famille le groupe des Æphrodites ainsi circonscrit (5), et (x) La plupart des auteurs ont désigné cette famille sous le nom d'Aphrodités ; mais il ressemble tellement à celui d’Aphrodite, qui est consacré comme nom de genre, que nous avons cru devoir le mo- difier en celui d’Aphrodisiens. (2) Encyclopédie méthodique (Dictionnaire des Vers). (3) Tubleau élémentaire de PHist. nat. des Animaux, p. 626 , et Règne animal, x°e édit., t. 11, p. 525, et a° édit., t. 111, p. 198. (4) Système des Animaux sans vertèbres, p. 323. (5) Système des Annélides (édition in-fol.), dans la Description de l'Égypte, et imprimé séparément, p. 15. \ Historique, Caractères zoologiques. Elytres, ( 388 ) son exemple a été suivi par MM. Lamarck (1), La- treille (2) et de Blainville (3). Les Aphrodisiens présentent tous les caractères pro- pres à l’ordre dont ils font partie, c’est-à-dire que leur téte est distincte du corps , qu'ils ont des yeux, des an- tennes , une trompe charnue et rétractile, enfin que les pieds saïillans dont chaque anneau du corps est pourvu, ne présentent jamais de soies à crochets , mais sont ar- més d’acicules , de soies proprement dites plus ou moins rétractiles et d’appendices mous fort développés. La forme de ces animaux est en général très différente de celle de la plupart des autres Annélides, car leur corps est presque toujours court, élargi, aplati et plus ou moins ovalaire ; cependant on en connaît qui l'ont grêle, allongé et à peu près cylindrique comme les Néréides. Mais une des choses les plus remarquables dans la structure externe de la plupart des Aphrodi- siens, et qui appartient en propre à ces animaux, c’est l'existence d’un certain nombre de grandes écailles mem- braneuses formant deux séries longitudinales et recou- vrant la face dorsale du corps. Ces organes, que M. Sa- vigny désigne sous le nom d’élytres, sont fixés à la base de la rame supérieure des pieds à l’aide d’un pédoncule, et sont formés de deux lames cutanées ou épidermiques appliquées l’une contre l’autre, et susceptibles de s’écar- ter de manière à laisser entre elles un vide qui communi- (x) Histoire des Animaux sans vertèbres , t. vw, p. 304. (2) Familles naturelles du Règne animal, p. 230. (3) Article 7’ers du Dictionn. des Sciences natur., &. HYIT, p. 454. ( 389 ) que avec l'intérieur du corps et qui, à certaines époques de l’année, paraît se remplir d'œufs. Le nombre des ély- tres diffère beaucoup, et leur forme n’est pas toujours la même ; mais ce qui ne varie point, c'est l’existence d’un certain nombre de pieds constamment privés de ces ap- pendices lamelleux et alternant avec ceux qui en sont pourvus. Les élytres manquent presque constammentaux pieds de la première, de la troisième, de la sixième paï- res, et parmi les pieds suivans , à ceux qui correspondent aux nombres pairs dans une étendue plus ou moins con- sidérable du corps. En général , les pieds portant des élytres cessent d’alierner ainsi avec ceux qui en sont dépourvus, après le vingt-troisième , le vingt-cinquième ou le vingt-septième segment du corps; et, à partir de ce point , tantôt les élytres existent à tous les pieds (1), tantôt elles manquent complètement (2), et d’autres fois elles paraissent et disparaissent alternativement, mais dans un ordre différent de celui dont nous venons de parler, par exemple, elles ne se montrent que de trois anneaux en trois anneaux (3). Enfin, il est des cas où la même alternance binaire des pieds à élytres et des pieds non squammifères se remarque dans toute la longueur du corps (4) , ainsi que l’absence complète de ces appen- dices (5). Chez quelques Annélides de la familledes Néréidiens on (1) Dans notre genre Sigalion, pl. vint, fig. x et 4. (2) Dans la Polynoë écailleuse, etc., pl. vu, fig. xr. (3) Dans les Aphrodites, pl. vi, fig. 1, 2, 4, 5. (4) Dans notre genre Acoète, pl. x, fig. 7, 10 et x1, et peut-être. dans le Phyllodocé mazillaire de Ranzani. (5) Dans le genre Palmyre de M. Savigny, pl. x, fig- 1,4. Branchies. ( 390 ) remarque bien aussi de chaque côté du corps une série de grandes lames foliacées qui, par leur aspect, ressemblent beaucoup aux élytres des Aphrodisiens (1); mais, comme nous le verrons plus tard, ce soni des organes diffé- rens, et les pieds qui se suivent se ressemblent tous, c'est-à-dire qu’on ne voit jamais ces espèces d’écailles membraneuses paraître et disparaître alternativement. Lesautres Annélides ne présentent non plus rien de sem- blable , et l'existence de pieds garnis d’élytres qui alter- nent régulièrementavec d’autres pieds dépourvus de ces appendices est , sans contredit, un des caractères les plus importans des Aphrodisiens. D'après la structure des élytres , il paraît bien pro- bable que ces appendices membraneux servent à la res- piration, et cependant on leur trouve souvent associés des organes auxquels on a donné le nom de branchies. Celles-ci sont cachées au-dessous des élytres , et ont la forme de petites crêtes ou demamelons cutanés (2). Elles occupent la partie supérieure de la base des pieds et sont toujours placées en dedans et au-dessus du cirre de la rame dorsale. Quelquefois ces petits appendices sont à peine visibles, et presque toujours ils disparaissent là où il existe des élytres, c'est-à-dire aux pieds du second, du quatrième , du cinquième , du septième, du neuvième segment , et ainsi de suite. Cette alternance binaire des pieds qui portent des tubercules branchiaux ou qui en sont déponrvns se remarque même dans les espèces qui (1) Genre Phyllodocé de Savigny. (a) Voy. pl. vrrr, fig. 7 c. — (391) manquent complètement d’élytres (1); mais elle n'est pas aussi constante qu’on le croyait jusqu'ici ; ear dans les Aphrodisiens, dont nous avons formé le genre Æcoète, il existe des tubercules semblables à tous les pieds ; seu- lement leur nombre est moins grand sur les segmens qui portent en même temps des élytres (2). Dans les groupes naturels voisins des Aphrodisiens on trouve des espèces qui ne présentent point de bran- chies visibles; mais lorsque ces organes existent , leur forme ou leur position est essentiellement différente de ce que nous venons de voir. Ainsi, dans la famille des Néréidiens , elles affectent la forme de languettes char- nues (3) placées à l'extrémité du pied entre le cirre su- périeur (c) et l’inférieur (d), tandis que chez les Euni- ciens et les Amphinomiens, elles ont à peu près la même position que chez les Aphrodisiens; mais elles ont la forme de filets plus ou moins pectinés, de houppes, d’arbuscules ou de feuilles pinnatifides (4). Dans le plus grand nombre des Aphrodisiens, la pré- sence des élytres coïncide avec l’absence des cirres su- périeurs , C'est-à-dire qu'on ne trouve ceux-ci qu'aux pieds portant des branchies et point d’élytres. Mais ce caractère, de mème que les précédens , subit des excep- tons, car dans notre genre Sigalion, nous avons constaté la présence d’un cirre supérieur à tous les segmens du corps pourvus ou non d’élytres, et ce fait n’est pas sans (1) C'est ce qui a lieu dans les Palmyres, pl- x. (2) PL. x, fig. 10, pied sans élytres, et 1, pied à élytres. G) Voy. pl. xnr1, fig. 4,5,6 e, fie (4) Voy. pl. xr, fig. 3 et 7, d. Girres. Pieds. + ( 302 intérêt pour ceux qui chercheraïent à retrouver dans les cirres les analogues des élytres, chez les Annélides dont le dos n'est pas recouvert par ces lamelles foliacées. En effet, si ces dernières occupaient la même place que les cirres supérieurs, et ne se rencontraient précisément que sur les pieds dépourvus de ces filamens tentaculaires, on pourrait être porté à croire que les élytres et les cirres ne sont quedeux modifications d’un même organe ; M. de Blainville semble même regarder la chose comme cer- taine; mais aujourd'hui que nous avons constaté l’exis- tence simultanée de ces deux espèces d’appendices sur un même pied (1), cette opinion ne nous paraît plus admissible. Quoi qu’il en soit, les pieds des Aphrodisiens sont divisés en deux rames (2), en général très disunctes, munies chacune d’un acicule, de soies proprement dites et de cirres dont la forme varie suivant les espèces (3). Nous venons de parler des cirres supérieurs, les infe- rieurs existent à tous les pieds et ne présentent rien de (1) Voy. pl. vx, fg. 4, et pl. 1x, fig. 3, e, élytre, et c, cirre dorsal. (2) M. de Blainville (article Fers du Dict. dés Sc. nat., p. 454) in- dique l’existence de pieds à une seule rame comme étant un des caractères de cette famille ; mais c’est évidemment par inadvertance : car, en parlant plus loin du genre Aphrodite (p. 466), il dit que les pieds sont profondément divisés en deux rames; et en cela il est d'accord avec tous ceux qui ont observé ces animaux. (3) PI. vrr, Gg. 5, et pl. 1x, fig. 3, 4, 14 et 15, a, rame supé- rieure ; b, rame inférieure. Dans chacune d’elles on voit par transpa- rence l’acicule. | ( 393 ) remarquable , si ce n’est au premier segment, où ils sont très grands et constituent avec les supérieurs les cirres tentaculaires , espèces de filamens antenniformes placés de chaque côté de la tête (1). - Les véritables antennes , faciles à confondre par leur aspect avec les cirres tentaculaires, s’en distinguent essen- tiellement par leur insertion , qui a lieu d’une manière plus directe à la tête. On en compte généralement cinq : une impaire ou médiane, deux mitoyennes et deux ex- ternes (2). Les yeux ont l’aspect de points noirs, ordinairement au nombre de quatre et situés par paires en avant l’une de l’autre (3). tt: Enfin la trompe est armée de quatre mâchoires réunies par paires (4), deux en haut et deux en bas opposées les unes aux autres par leur tranchant, et cette disposition est une des plus caractéristiques de leur organisation ; car chez les Euniciens, on ne compte jamais moins de sept màchoires ; chez Îes Amphinomiens il n’y en a point. Il n’en existe pas non plus dans beaucoup de Néréidiens , ou quand elles se montrent dans cette famille(5), on n’en (1) PL vrr, fig. 3, c, d; et pl. 1x, fig. 13, d. (2) PL vix, fig. 3; a, la médiane en partie rentrée; b, les ex- ternes. PI. 1x, fig. 13; a, la médiane en partie rentrée; b, les mitoyennes; c, les externes. (3) PI. vrr, fig. 3 et 9. — PI. 1x, fig. 13. È (4) PL 1x, fig. 6 et 16; a, tubercule par lequel la mâchoire s’ar- ticule avec sa congénère. (3) Das les genres Nephtys et Néréide, pl. xxx, fig. à et 3. Antennes, Yeux. Trompe, Resumé des caractères. ( 394 ) trouve ordinairement que deux; cependant un petit nombre d'espèces en présentent quatre, de même que les Aphrodisiens ; mais alors elles sont divisées par pai- res parfaitement distinctes et éloignées entre elles (1). En résumé , nous voyons que la structure extérieure des Aphrodisiens diffère beaucoup de celle des autres Annélides du même ordre, et qu’ils forment un groupe parfaitement naturel. Toutefois, les caractères qu'ils présentent sont loin d’être aussi constans et aussi précis qu'on l'avait pensé jusqu'ici , l’étude d’espèces nouvelles nous ayant fait connaître des combinaisons d’organisa- tion qui jusqu ici ne s'étaient pas encore offertes et qui nous ont obligé de les modifier sur plusieurs points. Voici les traits naturels qui, dans l’état actuel de l& science , nous paraissent les plus propres à les caracté- riser : Tère bien distincte et portant des antennes. Tromrr en général armée de quatre MAcnoires reunies par paires. Pieps très développés, dissemblables et alter- nant dans une étendue plus ou moins grande du corps , les uns sans ÊLYTRES mais pourvus d'un cirrE supérieur, et accompagnés en général de srANcH1ES; les autres ayant ordinairement des ÉLYTRES , mais point de CIRRE SUPÉRIEUR 72 de BRANCHIE (2). BrAncmEs, lors- qu'elles existent, peu développées , situées à la par ie (x) Dans certaines espèces de Glycères, pl. xrv, fig. 1, à. (2) Ces derniers pieds peuvent présenter aussi la structure suivante : 19 des élytres, et en même temps des cirres supérieurs où bien des branchies ; 2° m1 élytres, ni cirres supérieurs. ( 395 ) supérieure de la rame dorsale au-dessus du cirre et en forme de crêtes ou de tubercules. Les modifications que nous venons de signaler dans la structure extérieure des Aphrodisiens servent de base aux coupes secondaires à établir dans cette famille et nécessitent sa division en plusieurs genres. On remar- que d’abord que les uns (et ce sont les Palmyres ) ne présentent aucune trace d’élytres , tandis que chez tous les autres Aphrodisiens ces organes existent à un état de développement plus ou moins considérable ; mais leur disposition n'est pas toujours la même : tantôt elles ne Classification Aphrodisiens. se rencontrent point sur les pieds qui portent soit des branchies, soit des cirres supérieurs, et d’autres fois elles existent simultanément avec l’un ou l’autre de ces organes. | Les Aphrodisiens à élytres alternant avec des cirres et des branchies, étaient les seuls connus des naturalistes du temps de Binné, et ils constituent le genre Æphro- dita de cet auteur, adopté par M. Cuvier dans la pre- mière édition de son règne animal. Mais pour donner aux caractères distinctifs leur juste valeur et la préci- sion désirable , il convenait de porter plus loin la divi- sion de ce groupe et d’en former deux genres distincts. C'est effectivement la marche qui a été suivie par M. Sa- vigny, et qu'ont adoptée la plupart des zoologistes. Dans la méthode de ce savant , les Aphrodites de Linné ,se distinguent en /alithées (qui, pour la plupart des auteurs, sont les Æphrodites proprement dites)et en Po- lynoës. M. Savigny fit connaître en même temps les Pal- myres , de sorte que le groupe naturel des Aphrodites, 1396 ) qu'il érigea en famille, se composa dès lors de trois genres : les Palmyres, les {alithées et les Poly- n06s. Plus tard, M. de Blainville apporta quelques chan- gemens dans la classification de ces Annélides, qu'il divisa en Æphrodites proprement dites, Æermiones, ÆEumolpes , Phyllodocés et Palmyres. Ses genres Aphro- dite et Hermione correspondent aux Æalithées de M. Sa- . vigny. Les Polynoëés de ce dernier auteur prennent ici le nom d’Eumolpes emprunté à Ocken; le genre Pal- myre est conservé dans son intégrité; quant au genre Phyllodocé , c'est un groupe nouveau établi par M. Ran- zani et fondé antérieurement par Regnieri sous le nom de Polyodonte. Nos recherches ayant fait connaître d’autres types d'organisation, il est devenu nécessaire d’augmen- ter le nombre des genres dont se compose la famille des Aphrodisiens. Dans notre méthode, nous n’avons eu rien à changer aux divisions établies par M. Savigny pour la classification des espèces dépourvues d’élytres , ou pour celles dont les élytres alternent avec des bran- chies et des cirres supérieurs ; mais nous avons dû créer deux genres nouveaux, l’un (le genre Æcoëte), pour y placer les Aphrodisiens, dont les élytres existent simul- tanément avec des branchies, mais alternent encore avec les cirres supérieurs; l’autre (le genre Sigalion ) pour recevoir des espèces dont les élytres existent sur des pieds, pourvués en outre de cirres supérieurs. Pour nous, la famille des Aphrodisiens se compose donc de trois groupes principaux : 1° les Aphrodisiens, à élytres, alternant avec des cirres supérieurs et des ( 397 ) branchies, et r'existant pas simultanément avec ces or- ganes; 2° Les Aphrodisiens à élytres, existant simultaneé- ment, soit avec des cirres supérieurs, soit avec des bran- chies; 3° les Aparovtsrens sans élytres. Le premier deces groupes ( les ÂAPHRODISIENS ORDINAIRES ) correspond, comme onle voit, au genre Aphrodite de Linné, et se sub- divise en trois genres: les //alithées de M. Savigny, aux- quelles nous avons cru devoir restituer leur nom primitif d'Aphrodites, les Polynoës du même auteur, et les Po- lrodontes. Le deuxième groupe, remarquable par la forme allongée du corps, aussi bien que par le mode de distribu- tion des appendices mous, et que nous appellerons, pour cette raison, les APHRODISIENS VERMIFORMES, COM- prend nos Sigalions et nos Æcoètes; enfin, le troisième groupe, celui des ApxrobisiENs Nus, ne renferme qu’un seul genre , celui des Palmyres de M. Savigny. Quant à la distinction de ces six genres, elle est facile à saisir au moyen des caractères énümérés dans le tableau ci-joint : APHRODISIENS. Anneaux du corps dissem- blables; certains appendices mous, paraissant et disparais— santalternativement d’anneaux en anneaux, dans une étendue plus ou moins considérable du corps. En général desé/ytres. Branchies proprement ditesnul- les ou rudimentaires. Trompe ordinairement armée de quatre mächoires réunies par! paires et agissant verticalement, Distribution des APR RO DI S IEN & o en Genres. Les élytres et les cirres supé- rieurs, n’existant jamais Con- les mêmes jointement sur pieds. * Des élytres recouvrant le dos en partie ou en totalité. Mächoires rudimentaires et cartilagineuses ou nulles. Treize paires d'élytres alternant avec les cirres supérieurs et suivies de quelques é/ytres surnuméraires qui paraissent et disparaissent dans un ordre différent. Trois antennes. Mächoires grandes et cor- nées. \ Douze paires d’élytres alternant avec les cirres supérieurs et suivies ordinairement par un certain nombre d’é/ytres supplémen- taires, qui paraissent et disparaissent dans un autre ordre. Qua- tre ou cinq antennes. Élytres alternant régulière- ment avec les cires dans toute la longueur du corps et au nombre de plus de vingt paires. Branchies nulles? Deux an- tennes. Des à tous les pieds. Cinq an- tennes. tubercules branchiauz Les élytres et les cirres dorsaux fixés sur les mêmes pieds. Les élytres paraissant et disparaissant alternativement jusqu’au vingt-septième anneau et se succédant ensuite sans interruption jusqu’à l'extrémité postérieure du corps. Point d'élytres. Les cirres dorsaux paraissant et disparaissant jusqu’au vingt-cinquième segment et se succédant ensuite sans interruption. Mdchoires sémi-carti- lagineuses. Cinq antennes. (Page 398.) GENRES. | APHRODITE. POLYNOË. | POLYODONTE? ACOÈTE. SIGALION. PALMYBE. APHRODISIENS. Anneaux du corps disseme blables; certains appendices mous, paraissant et disparais— santalternativement d’anneaux en anneaux, dans une étendue plus ou moins considérable du corps. En général desélytres. Branchies proprement dites nul- les ou rudimentaires. Trompe ordinairement armée de quatre mâchoires réunies par’ paires et agissant verticalement. Distributi Tic | joi pi Des élytres recouvrant le dos en partie ou en totalité. L vi Point d’elytres. Les cirres dorsau) lagineuses. Cinq antennes. ( 399 ) PREMIÈRE TRIBU. APHRODISIENS ORDIN AIRES Pourvus d’élytres, et ne permettant sur les pieds qui portent ces organes ni Cirres supérieurs nL branchies. GENRE I. APHRODITE, Æphrodita (1). (PI. vix, g. 1-9, et pl. vrrr, fig: 7, 8, 0.) Les Aphrodites propres ou alithées de M. Savigny (2) ont le corps plus large et plus déprimé que la plupart des autres animaux de la même famille. Le nombre des an- neaux qui entrentdans sa composition est peu considéra- ble (33 à 39). La téte, cachée plus ou moins complète- ment par les élytres (3)ou par les soies, porte deux yeuxen quelque sorte pédonculés (4), etseulement trois antennes (x) Aphrodita, Linné, Syst. nat., éd. 13, t.x1, pars vi, Vermes, p. 3107. —Cuvier, Règne animal, à° éd., t. 111, p. 206. — Halithea, Savigny, Syst. des Annélides , dans la Description de l'Égypte, éd. in-fol., p. 18. —Lamarck, Hist. des Animaux sans vertèbres, t. v, p. 306. —Aphrodita et Hermione, Blainville, Dict. des Sc. nat., article Vers, p. 455 et 457. (2) M: Savigny avait été entraîné à changer le nom d’Aphrodite en celui d’Halthée, parce qu'il avait désigné la famille entière sous le nom d’Aphrodites. Celui d’Aphrodisiens, que nous employons, permet de restituer au genre son véritable nom, ce qui évite toute équivoque. (3) PL. vix, fig. 2. (4) Fig. 3 et 9. Strueture extérieure, ( 400 ) _dont la médiane petite et subulée (1) et les externes très grandes (2) ; les antennes mitoyennes sont nulles. L’ori- | fice de la trompe est entouré d’un cercle de petits tenta- cules et en général armé de méchoires minces et cartilagi- | veuses. Les pieds sont divisés en deux rames bien distinc- | tes (3)et garnies en géneralau moins de trois faisceaux de | soies dont deux appartenant à la rame dorsale et letroi- . sièmefixé sur la rame ventrale. Les soies dela ramedorsale sont quelquefois très compliquées; celles de la rame ven- | trale simples ou fourchues. Les pieds de la première paire | sont petits et pourvus de longs cirrestentaculiformes (4), et ceux de la dernière ne diffèrent pas notablement des autres. Les cirres sont subulés, les inférieurs petits et coniques , les supérieurs longs et filiformes (5) ; les ély- tres (6)sont très grandeset recouvertes plus ou moins com- plètement parles soies des rames dorsales; leur nombre est de quinze paires, et celles de la treizième paire sont toujours fixées aux pieds du vingt-cinquième segment ; celles qui les précèdent alternent d’anneau en anneau avec les cirres supérieurs , tandis que les suivantes , que l'on appelle élytres surnuméraires , ne se montrent que de trois anneaux en trois anneaux. Les branchies (7)con- sistent en des tubercules quelquefois peu distincts , sou- vent frangés sur leurs bords, disposés par rangées (1) PL. vrx, Fig. 3, a. (2) Fig. 3, 8. (3) Fig. 4 et 5, a, rame supérieure, à, rame inférieure. (4) Fig. 3, c, d. (b) Fig. 4 et 5, c, cirre supérieur; d, cirre inférieur. (6) Fig. 2 et fig. 3, z, et fig. 4, e. (7) PL. vus, fig. 7, « ( 401 ) transversales , et de même que Je cirre dorsal, elles cessent de paraître et de disparaître alternativement à chaque segment après la vingt-cinquième paire de pieds. Quelquefois elles ne diffèrent que peu des tubercules ovalaires qui donnent insertion aux élytres. M. Savigny a établi dans ce genre deux tribus fondées principalement sur la disposition des soies qui garnissent les pieds, et plus tard M. de Blainville a cru devoir con- verürcestribus endeux genres distincts : celui des Æphro- dites et celui des Hermiones, mais nous pensonsque cette distinction ne repose pas sur des caractères assez impor- tans et nous conservons au genre Æphrodite les limites que la plupart des auteurs lui ont assignées. On peut le caractériser de la manière suivante : Treize paires d'ÉLvrres sur le dos firées à des riens qui ne portent ni BRANCHIES 721 CIRRES SUPÉRIEURS, el qui alternent régulièrement (1) depuis l'extrémité an- térieure du corps jusqu'au vingt-cinquième segment avec d'autres pieds n'ayant pas d’élytres, mais pourvus d'un cire porsaL et de BRANCHES. Quelques paires d'ÉLYTRES SUPPLÉMENTAIRES fixées sur les anneaux suivans, mais paraissant et disparaissant dans un ordre différent. Trois anxennes. Macnoires petites et cartilagineuses ou à peu près nulles. (x) Excepté au quatrième et cinquième segment, qui ont tous deux des élytres; de sorte que la treizième paire de ces appendices cor- respond toujours au vingt-cinquième anneau du corps. XX VII. 26 Division Résumé des caractères, Corps. ( 402 ) PREMIÈRE SECTION (1). Espèces dont les ÉLYTREsS sont recouvertes et cachées parune voûte épaisse, feutrée ayant l'aspect d’étoupe et formée par des soxss flexibles. La RAME supérieure de tous les pieds pourvue de trois ordres de sorss. 1. APHRODITE HÉRISSÉE, ÆAphrodita aculeata (1). (Pl: vrrx, fig. 7.) L’Aphrodite hérissée est, de toutes les Annélides que l’on connaît , celle dont les couleurs sont les plus bril- Jantes. Sa forme est ovalaire et sa longueur est de quatre ou (x) Cette division correspond à la tribu des Halithées simples de M. Savigny, et au genre Aphrodite de M. de Blainville. (2) Synonymies principales : Physalus, Swammerdam, Biblia naturæ, tab. x, fig. 8 (figure médiocre).— Histrix marina, Redi, Opuscula, t.x1x, tab. xxxv (F. mauvaise, mais offrant quelques détails anatomiques). — Eurica marina , Seba, t. 3, tab. 1v, fig. 7-8, vol. 1 , tab. xc, fig. 1-3. — Aphrodita aculeata, Baster, Opuse. subs., p. 2, lib. 1x, tab. vr, fig. 1-4 (mauvaise).— Pallas, Miscel. zool., tab. vri, fig. 1-13 (F. assez bonnes ; des détails anatomiques : reproduites dans l'Encyclopédie méthodique , article Vers, pl. zxr, fig. 6-14). — Pennant, British zoology, vol. xv, tab. xxr1r, fig. 25 (F.très mauvaise). — Herbst, Vers, t. 1, tab. xx (F.mauvaise).—Cuvier, Dict. des Sc. nat., t. 11,p. 282, et Règne animal, 2° édit., t. 111, p. 206. — Halithea aculeata, Savigny, Syst. des Annélides, P: 19. — Aph. aculeata, de Blainville, Dict. des Sc. nat., article Vers, pl. 1x, "fig. 1 (F.assez bonne). La fig. 2, qui estdonnée comme l’Her- mione hyspide, est évidemment encore une Aphrodite hérissée, plus petite. + "Tréviranus, Zeitschrift für Physiologie, t. xxx, cah. 2 p- 157, et, par extrait, dans le Bulletin des Sc. nat. de M. de Férussac, t. XXI, p. 165. ———_—@—_— EE —— — ( 403 ) cinq pouces. Lorsqu'on l’examine en dessous, on voit que son corps est blanchätre , plat, divisé en 39 seg- mens et terminé postérieurement en pointe ; en dessus on aperçoit seulement le feutrage soyeux qui recouvre toute la face dorsale de l’animal et une bordure flottante d’un beau vert nuancé des couleurs métalliques les plus vives , et formée par des faisceaux de soies très longues, flexibles , soyeuses (pl. vin, fig. 7 d), entre lesquelles apparaissent en dessus un grand nombre d’autres soies raides , pointues , spiniformes et dorées (e). La téte de cet animal est petite et dépourvue de m&- choires ; les antennes sont subulées, et la médiane est beaucoup plus petite que les externes. Les élytres (a), comme nous l’avons déjà dit, sont cachées sous une voûte épaisse ( b), ainsi que les bran- chies (c), ce qui ne soustrait pas celles-ci à l’action de l’eau ambiante, car la cavité qui les renferme communique au dehors par une ouverture située au-dessus de la tête. Le nombre des élytres est de trente; les treize premières paires appartiennent aux vingt-cinq premiers segmens du corps et se succèdent de deux en deux anneaux; la quatorzième paire est fixée aux vingt-huitièmes pattes, et la quinzième aux pieds de la trente-unième paire, en sorte que l'alternance des segm ns qui en sont pourvus ou qui en manquent après avoir été binaire devient ter- naire. Leur forme est presque orbiculaire : au milieu du corps elles sont très grandes , mais près de la tête et de l'anus, elles deviennent assez petites ; enfin, elles sont très minces et leur surface est lisse. Tête. Appendices. Soies Habitation, Aphrodite soy euse ( 404) La rame supérieure de tous les pieds est garnie en dessus de longues soies fines , flexibles et brillantes , qui constituent l’espèce de frange marginale (d) dont il a déjà été question et d’un second faisceau de soies encore plus fines qui ressemblent à de la filasse, et se réunissent pour former au-dessus du das une épaisse voüte feu- trée (a). En dessus, ces mèmes rames sont armées d’un grand nombre de soïes raides (e) , très grosses, pointues, non bardées à l’extrémité et d’une couleur brune dorée qui forment des rangées transversales, se dirigent en arrière et passent à travers l'espèce de tissu feutré dont nous venons de parler. Sur les pieds qui ne por- tent pas d'élytres, on trouve encore en dedans de ces longues épines un autre faisceau de soies filiformes qui concourent à la formation de la voûte dorsale. Les soies des rames inférieures sont raides , subulées , pointues, dirigées au dehors et de la même couleur que celles de la rame supérieure, mais moins grosses; on en compte environ quinze pour chaque pied. Enfin, les acicules sont d’un jaune doré, et celui de la rame ventrale est beaucoup plus gros que celui de la rame supérieure. Cette espèce habite toutes nos côtes et a reçu dans quelques localités les noms de Taupe de mer, de Souris de mer. Nous l'avons trouvée en assez grande abondance en draguant dans la baie de Cancale. Elle habite princi- palement sur les fonds abrités et sur les bancs d'huitres. Ce n’est qu’accidentellement que nous l'avons rencon- trée à marée basse sur la plage. M. Savigny a donné le nom d'HazirméE sOYEusE HR —- ( 405 ) (Aphrodita sericea (1)) à une espèce très voisine de la précédente, mais qui est plus petite des deux tiers, et qui en diffère aussi par la couleur des soies de la rame supérieure. Celles qui forment une frange autour du corps sont blondes et celles qui sont spiniformes ont une belle couleur verte. On ignore la patrie de cette Aphro- dite, mais il est probable qu’elle provient de nos mers. L’individu décrit par M. Savigny se voit dans la collec- tion du Muséum. M. Risso a aussi mentionné, sous le nom de Har1raéE DORÉE , //alithea aurata (2), une espèce nouvelle qui habite la Méditerranée et qui paraît s’éloigner des précé- dentes par le nombre des segmens du corps et par la nature de l'enveloppe qui recouvre les élytres. Mais cette Annélide n’est encore qu'imparfaitement connue, et, d’après la petitesse de sa taille et le nombre dé ses an- neaux, on pourrait supposer qu'elle n’est qu'un jeune de V’ Aphrodite hérissée. (x) Savigny. Syst. des Annélides , p. 19. (2)« Æ. aurata, H. dorée, Risso. H. corpore avato-oblongo, pedunculis pennicellatis 32, fasciculis setaceis, elongatis, auratis, in serie una ad cor- poris latera dispositis. Cette espèce présente un corps ovale oblong, assez large, varié de gris, composé de 32 segmens pourvus de lames orbiculaires, imbriquées, cachées par une peau mince; antennes blanches ; rames dorsales formant autour du corps une large bande de très longues soies, d’un jaune doré très brillant ; une seconde rangée de rames ventrales, disposées en pinceaux de soies courtes, plus fortes, jaunâtres, est placée sur d'assez longs pédoncules, au nombre de 32 de chaque côté; le ventre est jaune. Longueur 0,024; largeur 0,012 ; séjour sous les cailloux ; app. printemps, automne.» (Risso, Hist. nat. de l’Europe méridionale , t. 1v, p. 413.) Apbrodue dorée. Aphrodite ispide. ( 406 ) DEUXIÈME SECTION (1). $ B. Espèces dont les eLyTREs sont à découvert et dont la RAME supérieure estgarnie de soirs de deux ordres sur les pieds à élytres et d'un seul ordre sur ceux qui sont dépourvus de ces appendices. 2. APHRODITE HISPIDE, Aphrodita hysirix (2). » AP 2Y (PI. var, fig. 1-9.) Cette espèce d’{phrodite, qui n'avait encore été trou- vée que dans la Méditerranée , habite aussi la Manche et l'Océan. Nous l’avons pèchée assez fréquemment sur les bancs d'huîtres de la baïe de Cancale et nous l’avons aussi rencontréeaux îles Chausey, près d’un écueil appelé les Huguerans , recouvert de plantes marines, et sur un terrain vaseux que la mer abandonne seulement lors des plus fortes marées. Elle n’a que deux ou trois pouces de long, et sa forme est plus régulièrement ovalaire que (x) Tribu des Halithées. hermiones de M. Savigny, loc. cit., p. 20. — Genre Hermione , de Blainville, Dict. des Sc. nat. art. vers., p. 457. (2) Halithea hystrix, Savigny, loc. cit. p. 20.— Hermione histrix, de Blainville, loc. cit, p. 457, pl. 1x, fig. 2. (Cette figure ne peut donner qu’une idée très fausse de l’animal qu’elle est destinée à représenter. En effet, du côté gauche du corps, les élytres sont recouvertes d’une membrane, et, du côté opposé, on a enlevé cette même membrane exactement comme dans la figure de l’Aphrodite hérissée; or, dans l’espèce en question, il n’y a point de trace de membrane semblable, et les élytres sont complètement à découvert, ce qui prouve évidemment que l'individu qu'a fait figurer M. de Blainville était une Aphrodite de la section précédente, et non l'Aphrodite hispide.) ( 407 ) celle de l’Æphrodite hérissée. Les élytres qui recouvrent toute la face dorsale du corps ne sont pas renfermées sous une voûte feutrée, et on ne voit pas sur les côtes du corps cette bordure soyeuse si belle qui fait l’ornement de l'espèce précédente. La téte (fig. 3) est petite et son extrémité antérieure se prolonge au-dessous de l'antenne moyenne (a) de manière à former une espèce de lèvre supérieure. Les yeux sont portés sur de petits pédoncules. Au premier abord on pourrait croire qu'il n’y en a que deux (fig. 3), mais si l’on exa- mine la partie latérale aussi bien que la face su- périeure de ces tubercules, on voit que chacun est pourvu de deux petits points oculaires situés à peu près sur la même ligne transversale (fig. 9). L’antenne impaire est habituellement en partie rentrée et naît entre les pédoncules oculaires (fig. 3 a). Les externes (b) sont très grandes, mais souvent l’une d'elles est beaucoup moins développée que l’autre. Les mächoires sont très petites et cachées dans la membrane qui tapisse la trompe. Les élytres sont en même nombre et insérées sur les mêmes segmens que dans l’espèce précédente; elles sont à découvert, lisses, souples, semi-transparentes sur les bords, et d’une couleur tantôtgrise jaunâtre, tantôt brune tirant un peu sur le lilas; enfin celles de la premère et de la quinzième paires sont presque rudimentaires. Les pieds sont divisés en deux rames bien distinctes (fig. 4 et 5) dont l’inférieure (b) est grande, conique, d’une couleur jaune brunätre et comme chagrinée. La rame supérieure (a) est beaucoup moins saïllante que Tète. Elytres. Pieds. (408 ) l'inférieure, maïs elle est plus grosse que dans l’Æphro- dite hérissée. On observe, sur les pieds à élytres, deux faisceaux de soies raides ; l’un , épanoui en éventail et appliqué surles élytres, est fixéimmédiatement en dehors de l'insertion de ces appendices lamelleux ; les soies qui le forment sont subulées sans dentelures, un peu cour- bées, et dirigées en dedans et en arrière ; leur couleur est brune claire , avec des reflets dorés. Le second faisceau est inséré plus en dehors sur un pédoncule tuberculeux (fig. 4 a), et se dirige horizontalement en arrière et en dehors. Les soïes qui entrent dans sa composition sont très longues, très fortes, et terminées par une pointe lancéolée dont les bords sont garnis de dents recourbées vers la base (fig. 7). Ce sont de véritables flèches bar- dées ayant quelquefois leur extrémité à nu ; maïs sou- vent aussi cachée dans une gaîne (1) formée de deux pièces cornées (b) susceptibles de s’abaisser en s’écartant et de revenir ensuite sur elles-mêmes , ainsi que nous l’a- vons décrit précédemment. L'usage de ces deux espèces de valves est aisé à saisir : elles protégent les pointes de la flè- che et permettent à l’Aphrodite de la faire rentrer dansson corps , sans que les tégumens qu’elles traversent se trou- vent déchirés. Mais lorsque ces armes sont enfoncées pro- fondément dans un corps étranger, la gaîne ne pénétrant pas avec elles et se repliant derrière, il en résulte que les dents sont mises à nu , et qu’à cause de leur direction, elles ne peuvent être retirées qu'avec beaucoup de diffi- culié; alors, dans beaucoup de cas, la flèche se brise, mais (x) Voyez pl. vrxr, fig. 8. Ces deux volves de la gaîne appliquées exa ctement l’une contre l’autre et cachant sa flèche dans leur inté- rieur. Dans la 8, pl. 7, la gaîne est ouverte. ( 409 ) l’animal en est pourvu d’un si grand nombre , que ces pertes sont peu sensibles, et qu’il lui en reste toujours assez pour se défendre. La rame supérieure des pieds dépourvus d’élytres (fig. 5 a) est conique et porte à son sommet un long cirre subulé (c) et un seul faisceau de soies, disposées en éventail et dirigées en dehors ; ces soies sont beau- coup moins grosses et moins raides que celles des autres pieds, et leur forme est également différente; car, au lieu d’être bardées, elles sont rétrécies en une pointe aiguë , et l'extrémité libre est comme annelée, mais ne présente aucune trace de dents latérales. Leur cou- leur est jaune clair. Les soies qui garnissent les rames inférieures ont la même structure sur tous les pieds (fig. 6); elles sont peu nombreuses, très grosses, ren- flées près du bout, et armées de deux pointes, dont l’une est terminale, et l’autre, beaucoup plus petite, se voit à la base de la première ; elles représentent une sorte de fourche à deux branches inégales. Les acicules sont pe- tits et d’un jaune doré (1). Les cirres inférieurs (pl. vu, fig. 4 et 5 d )sont très courts, si ce n'est aux pieds de la première paire, où ils ont, ainsi que les supérieurs, la forme de grands tentacules dirigés en avant de chaque côté de la tête (Gg.3 c, d). (x) Dans la fig. 5 de la pl. vu, les acicules sont vus dans leur position naturelle et par transparence à travers les tégumens ; dans la fig. 1x de la pl. vur, l’acicule a est isolé et on remarque-en ? une sorte de petite cupule qui existe à sa base et se détache assez facilement. Varietes de l’Aphrodite hispide. ( 410 ) Variétés de l’Aphrodia hystrix. La collection du Muséum possède plusieurs Æphro- dites de la Méditerranée, qui appartiennent évidemment à cette espèce , maïs qui en diffèrent par la forme géné- rale de leur corps , beaucoup plus allongé , par un rétré- cissement plus prononcé de son extrémité postérieure, et surtout par la iongueur des pieds qui avoisinent cette partie. Un de ces individus a été envoyé de Naples par M. Otto, sous le nom bizarre d’Aphrodita hoptakero. On peut les considérer comme des variétés de l'Æphro- dite hispide. GENRE Il. POLYNOÉ , Polynoë (1). : (PI. var, fig. 10-19, et pl. 1x, fig. 11-10.) Les Polynoës ne différent pas des Æphrodites , sous le rapport des points les plus importans de leur organi- (x) Aphrodita, Pallas, Miscel. zool., p. 92. — Linné, Syst. nat., edit. à3, Vermes , p. 3107.— Cuvier, Règne animal, 2° édit. t. mt, p. 206. —— Eumolpe, Oken, Syst. gén. d’hist. nat. Zool.,t. 1, p. 374. — Po- lynoë, Savigny, Syst. des Ann. de la description de l'Égypte, p. 20. La- marck, Hist. : des‘ animaux sans-vert., t. 5, p. 308. — Lepidonote, Leach , Suppl. to the Encyclop. britanica , vol. 1, partie 2, art. Annu- losa. — Eumolpe, Blainville, Dict. des Sc. nat., art. Vers., p. 457. Nous avons adopté le nom de Polynoë plutôt que celui d'Eumolpe, parce que ce dernier est employé depuis long-temps en zoologie, pour désigner un genre d'insectes Coléoptères. Il est encore à remarquer que M. Risso vient de proposer le nom d’Eumolphe, très peu distinct du précédent, pour un genre” nouveau d’Aprodisiens différent suivant lui des Polynoës. Voyez son Hist. nat. de l'Europe méridionale, t.1v, p. 415. (411) sation, mais on peut les en distinguer facilement par le nombre de leurs antennes, par l’armature de leur bou- che, et par la partie du corps où les élytres cessent d’al- terner avec les cirres. La forme de leur corps ‘et le nombre des anneaux qui le constituent varie beaucoup; certaines espèces sont peu allongées et ovalaires , tandis que d’autres sont presque linéaires et tiès longues, ce qui les fait ressembler aux genres suivans. Plusieurs sont complètement recou- vertes par de grandes élytres squammeuses , tandis que chez beaucoup d’autres ces appendices sont plus où moins rudimentaires et laissent à découvert la presque totalité du dos. La téte des Polynoëés est grande, et sa face supérieure présente en général quatre éminences mamillaires por- tant chacune une tache oculiforme (pl. 1x, fig. 13 ).-Les antennes sont quelquefois seulement au nombre de quatre, mais dans la plupart des espèces on en compte cinq; les externes sont ordinairement très grandes (c), souvent un peu renflées près du bout, et terminées par une pointe filiforme; les mitoyennes sont très petites et la médiane quelquefois nulle, quelquefois rentrée (a), est en général subulée. La bouche est, comme dans les Æphrodites, pourvue ? . . . d’une trompe dont l’orifice est garni de petits tentacules coniques. Les mdchoires sont grandes, cornées et recour- bées vers la pointe (pl. vn, fig. 12 et pl. 1x, fig. 16). Les élytres ne sont jamais ni recouvertes, ni mainte- Corps. Tête. Bouche. Elytres, Branchies. Pieds. (412) nues par les soies des pieds; leur nombre varie beau- coup , mais toujours il y en a douze paires qui alternent régulièrement avec les cirres supérieurs, sur les vingt- trois premiers segmens, et lorsqu'il existe un plus grand nombre d’élytres, les dernières paraissent et disparaissent dans un ordre différent (de trois anneaux en trois an- neaux). Ainsi les Polynoés se distinguent encore des Aphrodites par ce caractère, puisque chez ceiles-ci on compte treize paires d’élytres se succédant de deux an- neaux en deux anneaux. Ces appendices, en général foliacés , sont quelquefois vésiculeux ; leur surface ex- terne est souvent hérissée d’une multitude de petits tu- bercules miliaires, et leur bord externe garni de peites franges membraneuses (pl. vu, fig. 11). Les branchies, qui sont simples et peu distinctes n'existent que sur les pieds dépourvus d’élytres; elles paraissent et disparaissent alternativement à chaque seg- ment, jusqu’au vingt-troisième et ensuite existent sur tous les anneaux ou bien ne manquent que de trois an- en trois anneaux. Les pieds sont composés de deux rames, mais la su- périeure est petite et presque confondue avec l’inférieure qui est très developpée (pl. 1x, fig. 14 et 15). Les cirres supérieurs , aux pieds où ils existent, sont toujours très longs (c), les inférieurs sont courts et coniques (d d). Les soies de la rame supérieure sont courtes et presque toujours plus fines que celles de l’inférieure , tantôt elles sont subulées et sans dentelures au bout; d’autres fois elles ressemblent à celles de la rame inférieure, et pré- (413 ) sentent près de l'extrémité une petite dilatation dont les bords sont denticulés (1). Dans aucun cas elles ne sont fourchues à la manière des poils de la rame inférieure des AÆphrodites. Les acicules ne présentent rien de re- marquable. Les pieds de la première paire ne portent pas de soies., et se terminent par deux longs cirres tentacu- laïres qui s’avancent de chaque côté de la tête et ressem- blent aux antennes (pl. 1x, fig. 13 d). Enfin, les appendices du dernier anneau ne sont for- més que par les cirres supérieurs, et constituent en gé= néral des styles terminaux. D'après les détails que nous venons de rapporter, on voit que l'organisation des Polynoés est très analogue à celle des Aphrodites , mais que cependant on peut leur trouver les différences suivantes : \ Des #rvrres, au nombre de douze paires ou plus (14, 15, 16, etc.), fixées sur des pieds ne portant ni CIRRES SUPERIEURS , 21 BRANCHIES , et alternant réguliè- rement depuis l'extrémité antérieure du corps jusqu'au vingt-troisième segment avec d'autres pieds n'ayant pas d'élytres, mais pOuTVuUS d'un ciRRE SUPERIEUR et de BRANCHES. Les ELYTRES SUPPLEMENTAIRES (lorsqu'il en existe ) paraissant et disparaissant dans un ordre di ffe- rent. ANTENNES au nombre de cinq ou de quatre; MA- CHOIRES grandes et cornées. Les Polynoés se trouvent fréquemment sur les bancs d’huîtres ou sous des pierres à des profondeurs assez 1) Voyez pl. vri, fig. 13-19 et pl. 1x, fig. 17, 18, divers poils de Po- Yez P 5 P £ P lynoës. Resume des caractères, (414) considérables. Quelques espèces se construisent , avec une sorte de mucus et des fragmens de coquilles, des foureaux et s’y trouvent ordinairement cachées: mais lorsqu'on les en retire elles savent marcher et nager très bien. Nous avons observé que plusieurs étaient phospño- rescentes. Comme ce genre renferme un nombre considérable d'espèces , nous avons cru utile de présenter ici, sous la forme de tableau synoptique, lindication des carac- ières les plus remarquables de toutes celles qui nous ont paru suffisamment bien établies pour prendre place dans le catalogue de ces Annélides. GENRE POLYNOË. / pées,elytres apla- (415 ) | Antennes meé- | | dianes et mitoyen-. nes très dévelop- PP, SQUAMATA. ties coriaces et Douze |grannullées. paires « d’élytres: Antennes mé- dianes et mi- Élytres toyennes Tudi-? p, IWPATIENS. grandes mentaires, A) se tres molles et Tecoûe lisses! on Quatorze paires d’Élytres. } P. LEVIS. les unes les Soies delarame autres À ‘dorsale beau- | et | coup moins dé. | As | veloppées que! ?- CIRRATA. la celles de la Espèces | totalité 4 rame ventrale. ] dont ou la Quinze É les majeure À paires « Soies dela rame \ antennes | partie ÉE d'élytres. dorsale beau- sont du dos. coup plus gros- au ses, plus lon | à sprosrssrar4. ombre gues et plus Te nombreuses que cinq. celles delarame véntrale. } | Seize paires d'élytres. P. FLOCOS4. « Vingt paires d’élytres. P. FOLIOS4. Élytres Jais- tres ; corps composé de sant à décou-| quatrevingt-deux seg- vert une gran- HORS de partie du Dix-huit paires d'élytres.} P. LONGISSIMA. dos ,:en géné- ral peu déve-/ Trente-huit paires d’e- P. MINUTA ? loppées et ne |/ytres? | ï se recouvrant L Fe à pas toutes les] … Cinquante-siz a P. LONGA. unes les au-| d'é/ytres? ee Soixante paires d’ély-| p. pL 4INPILEU ? J P. SCOLOPENDRINA. Quinze paires 5 tres. Espèces dontles antennes sont aunombre de qua- En aie P, MURICATA. tre seulement, l’antenne médiane n’existant pas. } Polinoë écailleuse. Corpse Tête. (46) $ À. Espèces dont les ANTENNES sont au nombre de cinq et dont les ELYTREs ( grandes et se recouvrant les unes les autres } cachent La totalité ou la majeure partie du dos. 1. Pozynoé écaizreuse, Polynoe squamata (1). (PL. viz, fig. 10-16.) L'espèce de lolynoé qui a été observé par le plus grand nombre de naturalistes, et qui se rencontre le plus communément sur nos côtes, est celle à laquelle on a donné le nom d’écailleuse à cause de la forme des élytres, squammeuses et imbriquées, qui recouvrent entièrement la face supérieure de son corps. La longueur de cette petite Annélide varie de dix à dix-huit lignes (fig. 10). Son corps oblong et également obtus aux deux bouts , est divisé en vingt-sept anneaux. La téte est petite et garnie de cinq antennes dont la mé- diane (a) est encore plus grande que les externes (b) et renflées comme elles vers l'extrémité. Les mitoyennes sont au contraire grêles et courtes. Les mächoires (2) Aphrodita squamata, Baster, Opuscula subsceciva, vol.{2, lib. 2, p.62, Tab. 6,fig. V-A - C (figures très médiocres).—Pallas, Miscel. zool., p- 91, tab. vu fig. 14 (figures passables ). — Pennant, British Zoology , vol. 4, tab. xx, fig. 26 ( figures très mauvaises ). — Cuvier, Dict. des sciences nat., tom. 11, 283.— Polynoe squamata. — Savigny, Syst. p- 22. — Eumolpe squamata. Blainville, Dict. des Sc. nat., art., Vers., planches 1x, fig. 2. (Dans cette figure’, on a représenté les Elytres sans frange marginale et l'extrémité postérieure du corps, à découvert, ce qui n’est pas exacte.) ) / | (417) (fig. 12) sont terminées en pointe recourbée en dedans et leur extrémité libre n'offre point de dentelures ; enfin l'orifice de la trompe est couronné de dix-huit petits ten- tacules. Les élytres sont toujours au nombre de douze paires ; par conséquent les dernières sont fixées sur le vingt- troisième anneau , et il n’y en a point de supplémen- taires ; elles sont croisées sur le dos et recouvrent com- plètement le corps de l'animal, mais ne cachent pas les pieds dont les soïes nombreuses constituent de chaque côté une sorte de bordure épineuse. La forme de ces élytres est ovalaire; leur grandeur ne diminue pas vers l'extrémité postérieure du corps ; leur surface externe est légèrement convexe, coriace, grisâtre et hérissée d’une multitude de petits tubercules miiliaires, de couleur brune ; enfin, la partie externe et postérieure de leur contour est frangée, et le pédoncule qui naît de leur face inférieure les fixe d’une manière solide sur Je dos de l’animal. Les longs cirres supérieurs (fig. 11 ,d,d),quel’on re- marque sur les pieds dépourvus d’élytres, ont la même forme que les antennes externes. Les cirres inférieurs sont très courts, grêles et pointus. La rame supérieure des pieds est petite et garnie de deux ordres de soies rangées sur deux plans : les unes (fig. 15), longues, flexibles, fines, subulées /et d’une couleur jaune brun, se détachent facilement et sont ordi- nairement garnies de matières étrangères qui se trou- vent accrochées à une multitude de dentélures très fines, XXVIL, 27 Elytres, Cirres. Pieds. Habitation. Varietes de la Polynoé écailleuse Polynoë poncture. ( 418 ) constituant les bords d'autant de petits anneaux imbri- qués. Les autres (fig. 13 et 14) sont grosses, courtes et élargies vers le milieu, recourbées près de leur extrémité, cannelées sur l’une de leur face et dentelées surles bords. La rame inférieure a la forme d’un gros mamelon, dont le sommet est hérissé par un assez grand nombre de soies (fig. 16), d'une couleur jaune foncée, qui diffèrent des précédens par leur mode de terminaison, et par une grosseur et une longueur beaucoup plus con- sidérable. L’acicule de la rame inférieure est beaucoup plus gros que celui de la supérieure ; leur couleur est ferrugineuse. Les pieds de la première paire sont dirigés en avant, et les deux cirres qui les terminent chacun, sont longs et semblables à des tentacules (c, fig. 11). Enfin les pieds de la dernière paire ne consistent plus qu'en deux grands stylets, semblables aux antennes et aux CIrres. Nous avons trouvé assez fréquemment la Polynoë écailleuse sur les côtes de la Manche et .de l'Océan. Nous l’avons aussi reçue des environs de Montpellier ; enfin nous avons constaté l'identité de cette espèce indi- gène avec d'autres individus envoyés du Cap-Nord au Muséum d'Histoire naturelle, par M. Noël. Ainsi elle paraît être commune à toutes les mers de l’Europe. 1, ’ . Dans la Polynoé ponctuée (Aphrodite punctata) de Muller (1) il y a également douze paires d’élytres fran- gées sur les bords et.comme chagrinées ; mais ces ap- (1)Geldüpfelte' Aphrodite, Muller, Naturgeschichte einiger wurm-arten , p- 270, tab. xur. (Ces figures assez bonnes ont été reproduites dans l’£r- (419 ) pendices ne se croisent pas sur la lignée médiane, ei lais- sent ainsi une partie du dos à découvert, tandis que le contraire a lieu chez tous les individus de la Polynoë écailleuse que nous avons pu nous procurer. Sur tout le reste la Polynoé ponctuée ne paraît différer en rien de l’écailleuse, et si la disposition dont nous venons de parler n’était réellement qu'accidertelle, elle devrait lui être réunie. Ce qui ajoute encore quelque poids à cette opinion , c'est que Muller et Othon Fabricius ne parlent pas de la Polynoé écailleuse , bien qu’elle existe dans . les mers du Nord, et que le premier dé ces zoologistes a indiqué l’Æphrodita squamata de Linné comme syno- nyme de sa punctata. Nous sommes portés à croire que l’Æphrodita cla- vigera de M. Freminville n’est également autre chose qu'une Polynoé écailleuse ; la figure qu’il en a donné vient à l’appui de cette opinion qui est basée principa- lement sur le nombre et la texture des élytres (1). cyclopédie méthod. Vers, pl. zu, fig. 21,26 ).— Aphurodita punctata, Cuvier, Dict. Sc. nat.,t.1r, p. 284. — Polynoë punctata, Savigny, loc. cit.,\p. 26 (note). — Eumolpe punctata, Blainville, loc. cit., p. 458. Rien n’est plus embrouillé que l’histoire de cette Polynoë. La figure que Muller en,a donné dans la Zoologie dunoise, 1. 11xx, tab. xcwi, fig. 1-4, sous le nom d’Aphrodita puñctata, ne ressemble pas à celle qu’on trouve sous la même dénomination dans son Histoire naturelle des vers, et ne s'accorde pas avec la description qu'il en donne dans l’un et l’autre de ces onvrages; en effet, on lui compte quinze paires d’élytres dont la surface paraît être lisse, an lieu de douze qui devraient être hérissées de petits tubercules. Dans l'ouvrage sur les Vers, le même auteur dit que cette espèce pourrait bien différer de la scabra d'Othon Fabricius on de l'imbricata de Linné ;et dans sa Zoologia Danica, il cite positivement en synonymie la squamatà de Pallas et de Baster, (1) Aphrodite clavigera, Frém., note sur une espèce d’Aphrodite (Wou- Polynoe clavigère. Polynoë ecussonnee. ( 420 ) Enfin nous croyons devoirrapporter encore à la Polynoé écailleuse, la Polynoë écussonnée, de M. Risso. Les ca- | ET ENTRE su RE ractèresqu'illuiassignene peuvent l’en fairedistinguer(r). Il nous pareît donc probable que c’est la même Anné- lide, dont on aura fait au moins trois espèces différentes. veau Bulletin des Sciences, par la Société Philomatique, t. in, p.253, 1813, pi. 1v, fig. 7). M. Freminville a observé que cette Annélide est très phosphorescente pendant la nuit, et que la lumière qu’elle répand provient de la partie inférieure de son corps. Voici la description qu’il en donne: « Corps allongé, oblong; dos couvert de vingt-quatre écailles, vingt « quatre pieds, des appendices latéraux de chaque côté, portant chacun un « paquet de soiïes raïdes ; cinq soïes à la bouche , desquelles celle du mi- « lieu et les deux latérales sont terminées en massues. Une soie portant un « bouton arrondi en forme de tête de clou, placée latéralement entre cha- « que paire de pieds. La longueur totale de cette espèce que M. de Fré- « minville a rapporté des côtes de l'ile de Gorée est un peu plus de deux « centimètres. Sa couleur en dessus est d’un vert olivâtre avec une barre « longitudinale, brune sur le milieu du dos. Les écailles sont très finement « pointiliées de brun et ont tout leur bord externe de couleur brune. Le « dessous est de couleur nacrée avec une bande longitudinale rase qui in- « dique le canal intestinal (loc. cit.). » (x) Voici la description que M. Risso en a donné dans son Histoire na- turelle de l'Europe méridionale, t.1v, p. 414. « P. scutellata. — P. écus- sonnée. — P. corpore lineari, rubro fusco, nigro punctulato ; lamellis duo- ‘decim , scabris; dorso sub-nudo, fasciculis setaceis æqualibus, minimis, auratis ornato. — Son corps est allongé , linéaire, d’un rouge brun, tacheté de noir, recouvert de douze paires de lamelles ovalaires , an peu bombes, hérissées de pointes qui ne couvrent pas le milieu de la ligne dorsale; la tête est presque aplatie, la trompe médiocre, couronnée de longs tentacules rouges; les antennes mitoyennes sont courtes; les faisceaux supérieurs à soies courtes, d'un jaune doré brillant; les faisceaux inférieurs composés de soies raides , situées sur d'assez longs pédoncules , au nombre de trente paires ; l'abdomen est jaanätre, long. 0,060, larg. 0,006. Séj. sous les cail- loux. App. printemps , automne. Elle diffère comme l’on voit de l’Aphro- dita cirrhosa figurée par Moutagu dans les Transactions de la Société Lin- néenne de Londres. » RS SR | (421) >. Porynog uisse, Polynoë levis (1). (PI. 1x, fig. 21-19.) Cette espèce, nouvelle ou mal décrite, habite les îles Chausey; mais elle paraît y être rare, car nous n’en avons trouvé qu’un seul individu. Son corps, plus étroit et plus allongé que chez la Polynoé écailleuse, est complètement recouvert non plus par douze, mais par quatorze paires d’élytres membraneuses dont la sur- face est parfaitement lisse, et dont les bords ne présen- tent aucune trace de franges (pl. 1x, fig. 15, c). La forme de ces appendices est ovalaire , leur grandeur augmente successivement d'avant en arrière. Les dernières sont sui- vies de sept paires de pieds non squamifères (fig. 14 ). La structure des soies diffère peu de ce que nous avons vu dans l'espèce précédente ; elles sont toutes dentées aux deux rames, et presque lancéolées à l’extrémité (fig. 17-19); celles de la rame supérieure sont plus courtes , plus grosses et dentelées dans une étendue plus considérable que celles de la rame inférieure. L’antenne impaire (fig. 13 a) est beaucoup plus petite que les externes (c), maïs plus longue que les mitoyennes (b); les maächoires (fig. 16) sont plus grandes que chez la Polynoë écailleuse; leur bord libre présente près de sa base quelques dentelures. Les cirres tentaculaires (fig. 13 d) de la première paire de pieds égalent en lon- gueur les antennes externes. Enfin les tentacules sty- laires formés par la trente-sixième et dernière paire (1) Aud. et Edw. Polynoë lisse, Corys. Elytres. Soies, Antennes, etc, Cirres, Polynoë massue, Corps. Elytres, (422) de pieds sont courts, grèles et difliciles à apercevoir. Sous les autres rapports, cette espèce ne diffère pas es- sentiellement de la précédente. Sa longueur est d'environ un pouce ( fig. 11). L’Aphrodita clava de Montagu paraît se rapprocher de notre Polynoë lisse; mais Ja description que ce zoolo- giste en a donnée est si vague et si incomplète, qu'il est impossible de s’en former une idée précise (1). 3. Pocvynot crrreuse, Polynoë cirrata (2). Nous croyons devoir rapporter à l’Aphrodita cirrala d'Othon Fabricius une espèce de Polynoë que nous avons trouvé en assez grand nombre à Granville, à Noir- moutier, et sur les côtes de la Bretagne. Sa longueur est d'environ un pouce , et tout son corps est caché sous les élytres, dont le nombre est de quinze de chaque côté. Les douze premières paires sont fixées dans l’ordre ac- coutumé aux vingt-trois premiers segmens , et les trois paires supplémentaires correspondent aux pattes de Îa vingt-sixième, vingt-neuvième etirente-deuxième paires; (1) Aphrodita clava, Montagu, Transactions of the Linnean Society, vol.1x, p.108, tab. vu, fig. 5 (d’après la description, il y aurait 12 ou 15 paires d'élytres , maïs d’après la figure , il ÿ aurait treize élytres d’un côté et qua- torze de l’autre. (2) Aphrodita cirrata, Othon Fabricius , Fauna Groenlandica, p. 308, n° 290, fig. 4—D (fig. passable , reproduite dans l'Encyclopédie , pLavi- fig. 30-53). — Polynoë cirrata, Savigny, loc. cit, p. 26, note n° 4.— Eu- molpe cirrhata Blaïinv. , loc. cit., p. 459.— Othon Fabricins cite en syno- nymie de cette cspèce l'Aphrodite aplatie (flache aphrodite) de Muller, Wäürm, tab. xrv; mais dans cette figure on voit dix-sept ou dix-huit paires d'élytres , au lieu de quinze, et dans le texte, le nombre de ces appendices n’est pas mentionné. Cette syaonymie est par conséquent inexacte. ( 423 ) ces lamelles se touchent sur le milieu du dos, et ne di- minuent pas notablement de grandeur vers l’anus ; en général elles sont écailleuses, mais quelquefois elles res- semblent à des vésicules (1); enfin leur surface est hé- rissée de petits tubercules granuleux, d’une couleur jaune brun , et leur bord est légèrement frangé. L’orifice de la trompe est couronné de dix-huit tenta- ‘te. cules et armé de mâchoires pointues, sans dentelures sur les bords. L’antenne médiane est de grandeur mé- diocre, les mitoyennes et les externes ne présentent rien de remarquable. Les pieds, au nombre de quarante- Pieds. et-une paires, sont courts et hérissés de grosses soies peu | saillantes , d’une couleur brune; celles de la rame su- périeure sont très courtes, obtuses, plus grosses au milieu qu'aux deux extrémités, et sans dentelures nota- bles ; celles de la rame ventrale sont beaucoup plus minces, très grêles à leur base, un peu élargies et cour- bées vers la pointe, qui présente sur le côté, comme dans l'espèce précédente, deux rangées de dents, et paraît creusée en forme de gouttière. Parmi les espèces du même genre décrites par les au- teurs , il en est plusieurs qui présentent , de mème que celle-ci, quinze paires d’élytres. La Polynoétrès soyeuse, la P. rude, et la scolopendrine sont dans ce cas ; la der- nière n'appartient pas à celte division, et la première semble devoir constituer une espèce distincte dont il sera question bientôt. Quant à la Polynoë rude décrite par polynoé rude. (1) Cette disposition que nous avons remarqué que chez des indi- vidus conservés dans l'alcool dépend peut-être de l’action de celiquide. Polynoc houppeuse. Corps. Elytres. ( 424 ) Othon Fabricius (1), elle ne paraît différer que très peu de l'espèce dont nous faisons ici l’histoire ; il est seulement à remarquer qu'on lui compte trente-six segmens au lieu de quarante. Elle se rapproche de l’{phrodita cirrhosa de Pallas (2) par le nombre présumé d’élytres, et par la ma- nière dont ces appeñdices restent éloignés les uns des aütres sur la ligne médiane du dos. 4. Pozynoé aourreuse , Polynoë floccosa (3). Nous n'avons pas eu l’occasion d’examiner par nous- mêmes cette espèce décrite par M. Savigny, et malheu- reusement on n’en a pas encore donné de figure. Elle habite nos côtes occidentales. Du reste on peut la distin- guer, au premier coup d'œil, par le nombre de ses ély- tres, qui est de seize de chaque côté du corps. Nous sommes donc réduits à donner ici la description qu’en a fait M. Savigny : « Corps long de neuf à dix lignes, oblong-linéaire , retréci en pointe vers l’anus, formé de quarante segmens, dont le dernier porte les filets, et muni de seize paires d’élytres caduques; les vingt-six, vingt-neuf, trente-deux et trente-cinquième segmens portant les quatre paires surnuméraires, qui laissent, par conséquent, toujours (1) Aphrodita scabra, Othon Fabricius, Fauna Groen., n® 9292. — Polynoë scabra , Savigny, loc. cit., note 5 de la page 26. (2) Aphrodita cirrhosa Pallas , Miscel. zool., tab. vrr, fig. 3-6 (rep. dans l'Encyclopédie, pl. rx, fig. 17-20).— Polynoë cirrosa, Savigny, loc. cil., p- 26, note 3.4— Eumolpe cirrhata, Blainville, loc. cit., p. 459. (3) Polynoë floccosa, Sav., Syst. des Ann., p. 23.— Eumolpe houppeuse, Blainv., Dic. des Sc. nat. , article Vers, p. 459. a (425) deux segmens et deux paires de pieds entre elles. 7rompe de grandeur moyenne. Mächoires dentelées. Antennes mitoyennes et extérieures, comme dans la Polynoë squamata ; antenne impaire était rentrée. Je ne puis décrire les élytres, qui étaiént tombées et que je n’ai pas vues. Faisceaux supérieurs à soïes flexibles, cylindri- ques, tomenteuses, formant de petites houppes d’un gris tacheté de brun. Faisceaux inférieurs à soies plus longues, raides, hérissées et légèrement coudées au- dessous de leur pointe, d’un jaune ferrugineux. Æcicules jaunes. Couleur du corps, gris de lin tirant au violet, avec des reflets légers. » 5. PoLyNOÉ FEUILLÉE, Polynoë foliosa (1). Cette espèce offre plusieurs caractères distinctifs. On lui compte dix-huit paires d’élytres très minces et caduques, se croisant imparfaitement sur le dos; les six paires surnuméraires se succèdent de trois segmens en trois segmens , les autres présentent la dis- position ordinaire; leur surface est lisse, molle et de couleur gris violacé. Les cirres supérieurs sont grands et un peu renflés vers la pointe. La rame dorsale ne con- (1) Aphrodita imbricata, Linn. , Syst. nat., edit. Gmelin, t. 1, p. 3108. — Polynoë foliosa, Savigny, Syst. des Annélides, p. 233.—Risso, Hist. nat. de l'Europe mérid., t. 1v, p.414. (Nous citons cette dernière synonymie avec réserve , quoique l’auteur la donne sans aucun doute; mais sa description, outre qu’elle est très succincte, présente plusieurs différences avec celle de M. Savigny.) — Eumolpe imbricata, Blainv., Dict. des Sc. nat, , article Vers, p. 459. Tête. Soies. Polynoé feuillée. Pieds, Acicules. Tête. Habitation. Polynoé très soyeuse. ( 426 ) siste qu'en ‘un petit tubercule charnu, placé derrière l'insertion du cirre, et porte un faisceau de soies peu nombreuses, filiformes, subulées, d’une finesse extrême. La rame ventrale est au contraire très grande, et se termine par deux lobules membraneux , entre lesquels se trouve un faisceau de soies raides , assez grosses, très nombreuses, disposées en éventail et d’une couleur blond doré ; elles sont longues, légèrement dilatées près de l'extrémité , simplement striées par de petites entail- les , et garnies d’une dent immédiatement au-dessous de la pointe terminale, à peu près comme ceux que nous avons figurés chez la P. scolopendrine. Les acicules sont longs, pointus et jaunâtres. Le nombre des segmens du corps est de quarante-deux. La téte est déprimée. Les antennes sont renflées vers le bout, comme dans la P. écailleuse. Les extérieures dépassent un peu la médiane. Enfin la trompe, ainsi que l’a constaté M. Savigny , est couronnée de trente tentacules et armée de mächoires non dentelées. L’individu que nous avons examiné était long de quinze lignes, et provenait des côtes de la Vendée. 6. Pozynoé Très soyEUSsE, Polynoë setosissima (1). Cette Annélide se rapproche de la P. cirreuse par le nombre et le mode d’insertion des élytres; mais nous ignorons si elle doit prendre place dans la même divi- (x) Polynoë setosissima, Savigny, Hist. des Annélides, p. 25. Eu-- molpe très soyeuse, Blainv., loc. cit., p. 459. ( 427 ) sion ou être rangée avec les espèces dont les ély- tres laissent à découvert la majeure partie du dos; car le seul individu connu et qui existe dans la collec- tion du Muséum a perdu tous ces appendices. Ce qui distingue principalement cette espèce , c’est le dévelop- pement excessif des soies, d’un blond doré, quitriple la largeur du corps; celles de la rame supérieure (pl. vx, fig. 18), sont réunies en un bouquet touffu, et dirigées en dehors et en haut; elles sont très grosses, droites, obtuses , finement annelées et creusées d’une cannelure; les soies de la rame inférieure sont beaucoup plus grèles, plus longues , dentelées sur les bords, dans une grande étendue, et terminées en une pointe très aiguë. Le corps est aplati, rétréci en arrière et composé de quarante segmens. La téte est renflée de chaque côté. Les anten- nes médiane et mitoyennes sont petites ; les externes au contraire sont très grandes. La trompe est large, cy- lindrique et couronnée de vingt petits tentacules, entre lesquels on aperçoit des méchoires très analogues pour leur forme à celles de la Polynoë écailleuse. Le cirre inférieur, le seul que nous ayons pu observer, est assez grêle , et n'offre rien de remarquable. Les branchies se présentent sous forme de petits tubercules insérés sur la même ligne que les mamelons portant les élytres. M. Cu- vier nous a appris que l'individu qui a été communiqué à M. Savigny et à nous-même, avait été tronvé au Havre. Les autres espèces de Polynoë, dont les élytres sont grandes et imbriquées, sont exotiques, et par consé- quent ne doivent pas nous occuper ici d’une manière spéciale. Nous dirons cependant que lune des plus re- Soies, Tête. Cirre. Branchies. Polynoës exotiques. Polynoë vésiculeuse. Polynoë scolopendrine. Corps. Elytres. ( 428 ) marquables, la Polynoé vésiculeuse (1) de M. Savigny, présente des antennes presque rudimentaires et douze paires d’élytres vésiculeuses. Cette espèce habite la mer Rouge. $ B. Espèces dont les ANTENNES sont au nombres de cinq et dont Les ÉLYTRES ne. d } (en général peu développées, et ne se recouvrant pas toutes les unes Les autres), lais- sent à découvert la plus grande partie du dos (2). 7: Pozxnof scocorenprine, Polynoë scolopendrina (3). La Polynoéë scolopendrine a été découverte par M. Dorbigny père aux environs de la Rochelle. Nous l'avons observée nous-mème sur les côtes de la Manche, et avant nous elle avait été étudiée avec soin par M. Sa- vigny. D’après ce savant, le corps de cette espèce a en- viron une vingtaine de lignes, mais plusieurs individus que nous avons examinés étaient plus grands du double. Sa forme générale est linéaire, et on lui compte quatre- vingt-deux segmens. Sur la partie antérieure du dos, on voit quinze paires d’'élytres membraneuses, lisses et or- biculaires. Ces appendices se recouvrent un peu mutuel- (2) Polynoë impatiens, Sav., Syst., p. #4, et pl. 1u1, fig. 2 (figure très belle). Cette figure a été reproduite par M. de Blainville ( Dict. des Sc. nat., atlas des Vers, pl. x, fig. 1 ), sous le nom d'Eumolpe impatiens. (2) Les espèces de Polynoé qui rentrent dans cette sabdivision semblent établir un passage entre les Aphrodisiens et les Néréidiens; car en même temps que leurs ély/res deviennent quelquefois rudimentaires , leur corps s’allonge et prend une forme lineaire. (3) Polynoë scolopendrina, Sav., Syst. des Annélides, p. 25. ( 429 ) lement vers l'extrémité céphalique ; maïs en arrière ils laissent à découvert tout le milieu du dos; leur mode d’in- sertion ne présente rien de remarquable, et ceux de la dernière paire occupent le trente-deuxième anneau du corps. À partir de ce point, le dos est complètement nu, et cela ne dépend pas de la chute des élytres qui auraient pu le recouvrir, car tous les pieds sans exception, de- puis la trente-unième paire jusqu’à la quatre-vingt- unième, portent à la base de leur rame dorsale un long cirre filiforme, appendice qu’on ne voit chez aucune Po- lDrnoë, sur les pieds garnis d’élytres. Les pieds sont très saillans , les soies de la rame dorsale sont beaucoup plus courtes , plus fines et moins nombreuses que celles de la ventrale ; elles sontun peu courbées aux deux extrémités etdenticulées dans leur moitié externe (pl. vir, fig. 19); les soies de la rame ventrale sont droites , très longues, un peu élargies tout près de l'extrémité, et terminées par deux dents, au-dessous desquelles est un bord obli- que dentelé (fig. 17). Les pieds de la dernière paire sont transformés en filets stylaires très courts. Les tubercules branchiaux sont assez saillans , et vers les deux tiers postérieurs du corps, le dos s’élève presqu’en carène sur la ligne médiane. Quant à la couleur de cette espèce, voici la description que nous en trouvons dans notre journal d'observations, et qui a été faite d'après le vivant : La teinte générale du corps vu en dessus est brunätre; le milieu du dos est occupé par une bande jaune qui pré- sente sur chaque anneau un point brun. Vers la base des pieds existent quelques stries d’un jaune-rouge et une Pieds. Couleur. Mœurs. Polynoé de Blainville, ( 430 ) petite tache jaunâtre correspondant au tubercule bran- chial, qui est assez saillant et élevé. Les cirres dorsaux sont bruns. Les élytres d’un blanc sale, mêlé de brunsur le bord postérieur. Les pieds sont jaunâtres. La tête a une teinte rose. Les yeux sont noirs et la face inférieure du corps est d’un jaune-rosé avec une ligne médiane rouge. L'esprit de vin altère la plupart de ces couleurs. Les mœurs de cetie Polynoé sont remarquables ; elle vit sous les pierres, dans les lieux abrités, etest en outre logée dans des tubes assez solides , formés par du sable et des fragmens de coquille agglutinés; nous l’avons trouvée assez abondamment aux environs de Saint-Malo , à la pointe de Cancavale, dans la Rance; elle vivait en société avec des 7'érébelles. Il nous paraît indubitable que l’Annélide figurée par M. de Blainville sous le nom d’Æumolpe scolopendrine, et qu'il n’a pas décrite, est une espèce distincte de la précédente, à laquelle il la rapporte (1). En eflet, on lui voit des élytres jusqu’à l'extrémité anale du corps, tandis qu’un des caractères les plus remarquables de la P. scolopendrine est d’avoir toute la partie postérieure du dos complètement dépourvue d’élytres, et garnie de cirres supérieurs sur tous les segmens. Dans cette figure le nombre des élytres est de soixante, ce qui est exacte- ment le double de ce qui existe dans l’espèce dont nous venons de parler. Toutes ces élytres sont rudimentaires, au lieu d’être grandes et en recouvrement. Enfin l’az- tenne moyenne est plus longue que les externes, tandis (1) Blainville, Dict. des Sc. nat., article Vers, p. 459, et pl. x, fig. 2. (43) que chez la P. scolopendrine elle est beaucoup plus courte, Si la figure que nous citons est exacte, et tout porte à le croire, cette espèce devra donc être regardée comme nouvelle et recevoir un nom distinct. Nous proposerons de la dédier à M. de Blainville. Nous igno- rons la patrie de la P. Bluinvillii, et nous n’avons pas eu l’occasion d'observer l'individu qui a été figuré. 8. Pozvnoë rrÈs LONGUE , Polÿnoë longissima (1). M. de Blainville a donné ce nom à une espèce nou- velle qui habite , dit-il, les côtes de Gênes, et qui d’après la figure qu'il en donne porte dix-huit paires de petites élytres rudimentaires qui finissent au quarante-unième anneau. Les suivans, au nombre de dix-huit dans la fi- gure qui, étant tronquée par le bas, ne représente pas l'animal en entier, sont complètement nus. Le corps est allongé et filiforme. Malheureusement cette espèce, cu- rieuse et bien distincte, n’est pas encore décrite. Il est propable qu’on doit ranger dans cette section l’Aphrodita longa d'Othon Fabricius (2) qui porte cin- quante-six paires d'élytres et qui habite les côtes du Groënland. Le même auteur (3) décrit sous lenom d’Æ/phrodita mi- (1) Eumolpe longissima, Blainville, loc. cit., p. 459, atlas, pl. x, fig. 3. (2) Fauna groenlandica, p. 3:13 , ou l'Aphrodite scolopendre de Cuvier, Dict. des Sc. nat., tom. 11, p. 285. (3) Loc. cit, p. 314. Polynoë très longue. Polynoé longue. Polynoé petite. Polynoë éPineuse. S (432) ; nutaune autre espèce de Polynoë caractérisée par l’exis- tence de trente-huit paires d’élytres ; mais les détails qu’il donne à ce sujet ne sont pas assez circonstanciés pour que nous puissions assigner à cette Annélide une place précise. $ C. Espèces dont les ANTENNES ne sont qu’au nombre de quatre. Cette division, à laquelle M. Savigny donne le nom d'Trnionz , contient une seule espèce qui est exotique, la Polynoë épineuse de M. Savigny (1). Elle se rappro- che des Æphrodites par la forme ovalaire de son corps, qui est complètement caché, ainsi que les pieds, sous treize paires de grandes élytres réticulées. Elle a été rap- portée de l'Ile-de-France. GENRE II]. POLYODONTE, Polyodontes (2). L’Annélide que M. Ranzani a décrit sous le nom de Phyllodoce Maxillosa, et que M. Renieri a pris pour (1) Polynoë muricata , Sav., Syst. des Ann., p. 22, pl. six, fig. 1. (Fi- gare très belle qui a été reproduite par M. de Blainville dans le Dict. des Sc. nat., Vers, atlas, pl. xt, fig. 1, sous le nom d'Eumolpe muricata.) (2) Phyllodoce, Ranzani, Memorio di Storia/naturale, deva prima ; Bo- 19802, 1820, p. 1, et pl. 1. fig. 2-9.— Polyodontes, Renieri (voy. Blainville» art. Vers, du Dict. des Sc. nat., t. vi, p. 461). — Eumolpe, Oken, (433 ) typede son genre Poloydonte, a beaucoup d’analogie avec les Acoètes, dont nous aurons bientôt à parler, et, lors- qu’il sera mieux connu , il ne faudra peut-être pas l'en distinguer. Mais le défaut de renseignemens suflisans sur ce sujet nous a empêché d’opérer cette réunion. : D'après les descriptions et les figures que nous pos- sédons du Polyodonte, on voit que ces Annélides ont le corps ovalaire et formé au moins de quarante-six seg- mens ( l’extrémité postérieure paraît manquer-). La véte est petite, garnie de deux yeux pédonculés et de deux antennes assez longues. La trompe est très grosse, coû- ronnée de tentacules et armée de grandes mächoires commedans le genre {coëte. Les élytres ne se recouvrent pas les unes les autres, et laissent à découvert la ma- jeure partie du dos; elles existent sur les pieds de la se- conde, de la quatrième, de la cinquième, de la sep- tième paire et ainsi de suite, de deux anneaux en deux anneaux, jusqu'à l'extrémité du corps. Les pieds intermé- diaires portent un petit cirre rudimentaire, mais ne pa- raissent pas garnis de tubercules branchiaux. Enfin toùs les pieds sont divisés en deux rames séuféres, dont l’in- férieure porte un cirre plus long que le supérieur. Le genre Polyodonte est, nous le répétons, très voisin des Æcoètes, mais il paraît s’en distinguer par l'absence des antennes mitoyennes et médianes et par le manque (d’après la citation de M. de Blainville, ibid.). — Phyllodocé, Blainville , loc. cit., p. 461. Le nom de Phyllodocé ayant été employé depuis l’année 1817 par MM. Savigny et Lamarck (trois ans avant la publication du Mé- moire de M. Ranzani), pour désigner un genre de la famille des Néréidiens, nous n’avons pas cru devoir le conserver ici, et nous lui avons substitué celui proposé par M. Renieri de Padoue, XXVII. 28 (434) de tubercules branchiaux. [serait cependant possible que ces parties aient échappé à l'observation de M. Ran- zani, et alors ces deux genres n’en feraient réellement qu’un seul. Quoi qu’il en soit, dans l’état actuel de la science nous croyons qu'on doit admettre cette division et caractériser les Polyodontes de la manière suivante : Résumé Des rrEps portant des ÉLYTRES $G75$ CIRRE SUPÉRIEUR, des caractères, 4 ]ternant dans toute la longueur du corps avec d’au- tres pieds ay ant des CIRRES SUPÉRIEURS €Ë point d'élytres. MACHOIRES grandes el cornées, ANTENNES au nombre de deux seulement , sRAKGaIES nulles. Le Polyodonte maxillé, qui est la seule espèce con- nue, paraît habiter la mer Adriatique , et avoir environ cinq pouces de long (1). - (1) Phyllodoce maxillosa, Ranzani, loc. cit. , pl. 1, fig. 2-9 (reproduite dans l’atlas du Dict. des Se. nat., Vers, pl. xi1). — Eumolpe maxime, Oken ( Zsis). — Polyodontes, Renieri. — Phyllodoce mazxillosa, Blainv., loc. cit. , p. 461: (485 3) DEUXIÈME TRIBU. APHRODISIENS VERMIFORMES Pourvus d’élytres fixées sur des pieds qui portent aussi un cirre supérieur Ou des branchies bien distinctes. GENRE IV. ACOÈTE, Acoëtes (1). ( PI. x, fig. 7-14.) Presque tous les Aphrodisiens observés jusqu'ici mé- nent une vie complètement errante, et fort peu se logent dans l’intérieur d’un tube solide. L’espèce d’après la- quelle nous avons établi ce nouveau genre offre des mœurs toutes différentes, car elle habite un fourreau très long, flexible, coriace, ayant l'aspect et la consistance du cuir. Son corps (pl: x, fig. 7) est très allongé et formé d’un grand nombre de segmens (2). Sa téte (fig. 8) est petite, pourvue d’yeux presque pédonculés, et de cinq àn- tennes (a, b, c);sa trompe (fig. 7, a) est très grande, couronnée d’un cercle de tentacules (b) et armée de quatre mdchoires fortes et cornées, semblables à celles des Polynoëés. Les élytres (fig. 7, dei r1, e) sont grandes, membraneuses et en forme de disque la- (1) Acoëtes , Aud. et Edw. — Adopté par Cuyier, Règne animal, 2° édit., tom. ut, p. 207. (2) On n’en présente ici que la partie antérieure , de grandeur naturelle. Corps. Tête. Élytres. ( 456 ) melleux ; leur nombre est très considérable, et elles se & succèdent régulièrement de deux anneaux en deux an- neaux sur toute la longueur du dos. La première paire est fixée sur les seconds pieds, la seconde et la troisième paire sur les quatrième et cinquième pieds, et les sui- vantes sur tous les segmens correspondant aux nombres impaires. Quant aux pieds dépourvus d’élytres (fig. 9 Pieds, et 10 ), ils portent un cire supérieur (c) qui manque constamment aux pieds à élytres; mais les uns et les autres présentent en dessus de la base de la rame supérieure un certain nombre de tubercules bran- chiaux (f), et sont divisés en deux rames (a, b) peu distinctes, garnies chacune d’un acicule et d’un faisceau Sois. de soies. Les soies supérieures (fig. 12) sont flexibles et bipinnées, c’est-à-dire garnies de chaque côté de petits poils insérés à peu près comme les barbes d’une plume sur sa tige. Les inférieures (fig. 1 3) sont raides, avec une seule dent au-dessous de la pointe ; celle-ci est fournie à sa base de quelques petits poils. D'après ces détails, on voit que notre genre Æcoëte P , S diffère beaucoup de tous les autres Aphrodisiens dont P Ï nous avons déjà parlé, si ce n’est des Polyodontes, et | qu'il peut être caractérisé en peu de mots de la manière suivante : Résumé Des riens pourvus d'ELYTRES, mais n'ayant pas de des caractères. Cire supérieurs, au nombre de cinquante paires ou plus, alternant régulièrement avec des pieds sans ély- tres, mais garnis d'un CIRRESUPERIEUR. Cinq ANTENNES ; quatre macnoires grandes et cornées. Des BRANGMES tuberculeuses sur tous Les segmens du corps. (437) Jusqu'ici on n’a’ pas trouvé d’Acoète sur les côtes de France; la seule espèce connue a été envoyée de la Mar- tinique par M. Plée et fait partie de la collection du Muséum. Bien que cette espèce soit exotique , nous croyons de- voir en donner une description détaillée, parce qu’elle sert de type à un genre nouveau et très remarquable. L’Acoète de Plée (1)(Acoëtes Pleei), esttrès grande, car l'individu que nous avons examiné, bien qu'il füt mutilé à son extrémité postérieure, avait encore environ six pouces de longueur; sa largeur est de huit lignes. La téte (pl. x, fig. 8) est aplatie; on observe qua- tre yeux; ceux de la paire antérieure sont grands et saillans, les postérieurs sont au contraire très petits. L’antenne impaire (a) est un peu plus longue que les mitoyennes (b) et subulée comme elles ; les ex- ternes (c) sont très grosses et annelées. Les mächoires sont grandes, dentelées sur les côtés et entourées d’un cercle de tentacules (fig. 7, b) interrompu de chaque côté; ces petits appendices sont au nombre de trente, quinze en haut et autanten bas; ils sont tous à peu près égaux entre eux, si ce n’est celui qui occupe le milieu de la rangée supérieure, qui est plus grand et conique. Les pieds de la première paire sont dirigés en avant de chaque côté de la tête, et se terminent par deux cirres tentaculaires (fig. 8, d, d) à peu près de la longueur de l'antenne impaire ; leur base est garnie de quelques soies qui se dirigent en dedans , et recouvrent l'insertion des antennes externes. Les élytres (fig. 7, d, et 15, e) sont (1) Aud, et Edw. Acoète de Plée, (438) grandes et ovalaires; elles se recouvrent les unes les autres , mais dans un sens inverse de celuides Æphro- dites et des Polynoés, c’est-à-dire que le bord pos- térieur de chaque élytre est recouvert par le bord antérieur de la suivante. L’extrémité postérieure de l'individu que nous avons étudié étant mutilée, nous n'avons pu constater lexistence de ces appendices au-delà du cent-neuvième segment. Cependant l'examen de quelques débris de l’animal nous a convaincus qu'ils se continuaient plus loin. Chacune des rames des pieds des premières paires consiste en un simple tubercule sétifère ; mais plus loin de la tête, les pieds sont com- primés, et la rame inférieure vient se placer sur le même plan que la supérieure (fg.9, a, b). Les cirres inférieurs sont très grands à la première paire de pieds et courts à ceux qui suivent; enfin les tubercules bran- chiaux (f) sont plus nombreux et plus grands sur les pieds dépourvus d’élytres que sur ceux qui en portent. Le tube qui renfermait cette Annélide paraît être uni- quement le produit de quelque sécrétion, car on n’y voit ni fragmens de coquilles ni autres détritus de corps ma- rins. Son extrémité antérieure est la plus large et sa longueur est d'environ trôis pieds. GENRE V. SIGALION, Sigalion (1). (PL vor, fig. 1-6 et pl. 1x, fig. 1-10.) Nous avons établi ce nouveau genre d’après deux es- pèces très remarquabies dont l’organisation générale est (1) Aud. et Edw. — Adopté par Cuvier, Règne animal, 2° édit. ,t. 11, P: 207. ( 439 ) la mème que celle de la plupart des Aphrodisiens , ais qui se distinguent de toutes les Annélides connues par l'existence simultanée de cirres supérieurs et d’élytres sur un même pied. Le corps des Sigalions ( pl. vrrx et 1x, fig. 1 ), est très allongé, déprimé, presque linéaire, et formé d’un grand nombre de segmens. La disposition de l’extrémité céphalique est très singulière ; car la téte, au lieu d’être complètement terminale, est dépassée antérieurement par les pieds de la première paire qui sont logés au-dessous d’elle et plus ou moins rapprochés sur la ligne médiane (pl. vrui, fig. 2 et 3, et pl. 1x, fig. 2). L’antenne impaire (pl. vux, fig. 2, a) n'existe pas toujours, et les mitoyen- nes, lorsqu'elles se montrent, sont réduites à l’état rudi- menfaireetreposentsur le pédoncule des pieds, dontnous venons de parler, Les antennes externes (b) sont au con- traire très grandes et placées en dehors ou au-dessous de ces mêmes pieds, dont les deux cirres terminaux (c) sont dirigés en avant et pourraient au premier abord être pris pour des antennes. Nous n'avons pas vu d’yeux ; ce qui dépend peut-être de l’action de Falcoof sur l'animal, que nous n’avons étudié qu'après son im- mersion dans cette liqueur. La bouche est tout-à-fait inférieure (pl. vu, fig. 3) et donne passage à une grosse trompe, exactement semblable à celle des Polynoës. Les mächoires (pl. 1x, fig. 6) ont aussi la mème disposition que dans ce dernier genre. Les pieds sont grands et divisés profondément en deux rames ( pl. var, fig. 4er pl. 1x, fig. 3 et 4). À la parue Corps. Tête, Pieds, ( 440 ) supérieure de la base de chacun de ces membres il existe une éminence arrondie qui donne insertion à un cérre (c), et qui, sur les pieds à élytres, porte aussi ces derniers ap- pendices (pl. vur, fig. 4, et pl. 1x, fig. 3, e), ce qui prouve, comme nous l'avons déjà dit précédemment, que les élytres ne sont pas des cirres simplement modifiés dans leur forme , mais bien des organes distincts. A l’ex- trémité antérieure du corps, elles paraissent et disparais- sent alternativement d’anneau en anneau ; mais après la vingt-sixièmepaire de pieds, il en existe à chaque segment, excepté tout au plus aux deux derniers ; aussi leur nom- bre est-il très considérable. La forme de ces appendices est discoïde et ovalaire ; ils se recouvrent les uns les au- tres , et la partie externe de leur contour est garnie de petites franges membraneuses, quelquefois pinnatifides (pl. var, fig. 4, g et pl. 1x, fig. 3 et 5). La rame supé- rieure (a)porte un seul faisceau de soies et l’inférieure tan- tôt un, tantôt deux. Le cirre inférieur (d) est facile à aper- cevoir, il est inséré assez loin de l'extrémité du pied.ÆEnfir les appendices du dernier anneau forwent, au moins dans une espèce, deux tentacules stylaires très grands. Quant aux branchies , on n’en voit aucune trace à la base des pieds; mais elles paraissent remplacées par les franges dont le bord externe des élytres est garni. L'organisation de l'appareil masticateur des Sigalions et la disposition de leurs élytres ne permettent pas d’éloi- gner ces animaux du genre Polynoé; mais la formede leur tête et de leur corps semble conduire aux modifications de structure que l’on rencontre dans les Annélides des famiiles suivantes. Du reste, la particularité qu’elles pré- sentent dans l'adjonction des cirres supérieurs avec les (441) Elgtres établit une séparation bien tranchée entre ce genre et tous les autres Aphrodisiens. Nous lui assigne- rons les caractères suivans : Résumé des GIRRE SUPERIEUR, @lternant avec des pieds sans élytres caractères. Des r1Eps pourvus en méme temps d'érvrres et d'un jusqu'au vingt-septième anneau, et se succédant ensuite sans interruption jusqu à l'extrémité postérieure du corps, qui est vermiforme et très long. 1. SIGALION DE MATHILDE , Sigalion Mathildæ (+). (PL: 1x, fig. 1-10.) C’est aux îles Chausey que nous avons trouvé cetie … Sisalien AC . Le A £ de Mathilde, Annélide, qui a environ cinq pouces de long et trois ou quatrelignes de largeur. Son corps diminue graduellement ._ de grosseur d'avant en arrière, se termine presqu’ en | pointe, et se compose de cent quatre- -vingt sesmens. La téte est comme tronquée en avant, et porteà son T° extrémité deux petites antennes mitoyennes, rudimen- taires , à peine perceptibles. On n’y aperçoit pas d’an- tenne impaire; les antennes externes qui s’insèrent à Ja partie inférieure et latérale de la tête, sont au con- iraire très longues (pl. 1x, fig. 2, b). Les mächoires sont grandes , très recourbées vers la pointe et sans dente- lures sur leur bord libre (fig. 6). Les tentacules qui entourent l'extrémité de la trompe sont tous petits et arrondis ; on en compte environ trente. (1) Aud. et Edwr. Pieds, Soies, ( 442 ) Les pieds de la première paire sont dirigés en avant et se voient au-dessous du front et au-dessus de la trompe, lorsqu'elle est saïllante. Leur pédoncule est garni de deux faisceaux de soies assez nombreuses et de deux cirres (fig. 2, c,c), dont l'interne est plus long que l’exierne. Le cirre inférieur des pieds de la seconde paire est aussi très développé et constitue une espèce de tentacule (d). Les élytres, qui sont au nombre de cent soixante-quatre paires, se croisent sur le milieu. du dos et sont frangées sur une portion de leur bord (fig. 3 et 5), La rame supérieure des pieds (fig. 3 et 4, a), est surmontée par une espèce de mamelon sur les par- ties duquel sont implantées un grand nombre de soies raides, subulées, très acérées, dentelées sur le bord , un peu courbées en haut et dirigées en dehors, La rame inférieure (b) est plus grosse que la supé- rieure, et se termine par deux mamelons ; celui d'en haut est situé derrière un faisceau de soiïes raides, di- rigées en dehors eten haut; l’inférieur livre passage par son sommet à un second faisceau de soies flexibles et tomenteuses, qui se portent en bas. Les soies du faisceau supérieur sont de deux espèces, les unes, assez courtes, sont droites, un peu élargies vers le bout, et terminées par une pointe aplatie, dont les deux bords sont dentelés | (fig. 7), les autresplus grosses et plus longues sont ren- flées au milieu, un peu coudées et paraissent formées de deux : pièces (fig. 10); la première est élargie vers le bout, et terminée par une pointe taillée en biseau , sux laquelle s'applique la seconde portion qui est efllée, et dentelée sur les bords. Les soies du faisceau inférieur sont très fines, filiformes et annelées de loin en loin (443 ) (fig. 9). Les acicules ne présentent rien de remarquable, et se voient distinctement aux deux rames et à travers les tégumens (fig. 3et 4, a et b). 2. SiGALION D'HERMINIE , Sigalion Herminiæ. (PL vrix, fig. 1-6.) Nous devons à M. Cuvier la communication de cette espèce, bien distincte de la précédente, et qui lui a été envoyée par M. Dorbigny père. Elle est un peu plus longue et plus large que la pre- peu p sue q mière. On lui compte cent soixante paires d’élytres qui sont étroites et laissent à découvert la majeure partie du dos. Ce caractère suflirait pour la distinguer du Siga- lion mathildæ ; maïs on peut encore en ajouter plusieurs ; P ] P autres : La téte (pl. vuix , fig. 2)est petite, ovalaire, et terminée par une longue antenne impaire (a) ; iln'existe 1 L1 . . pas d'antennes mitoyennes visibles. Les antennes ex- ternes (b)sont longues, comme dans l'espèce précédente. Les pieds de la première paire sont dirigés en avant ; ils portent à leur bord supérieur ur petit cirre et se ter- minent par deux tubercules pourvus chacun d’un cirre assez long (ce); leur tubercule supérieur est garni aussi d’un faisceau de soies, et sur la face antérieure de ces pieds , il existe un feuillet vertical et membraneux. Les pieds de la seconde paire portent une élytre et un cirre ën- férieur très long (d). Aux autres pieds, le cirre inférieur est court (fig. 4 , d). Quant à la forme générale de ces pieds, elle diffère sensiblement de ce que nous avons vu dans le Sigalion de Mathilde. La rame inférieure (b) est grosse, arrondie, et armée d’un seul faisceau de soies com- Acicules, Sigalion d’'Herminie. Tête. Pieds Nereis stellifera, (444) posées (fig. 5), raides , d’une forme particulière, et de la nature de celle que nous avons nommée poils en serpe. La rame supérieure (a) est lamelleuse et garnie d’une série de poils longs, flexibles et touffus qui, vus au mi- croscope, montrent de chaque côté une rangée d'espèces &’entailles ou de dents profondes dirigées vers la pointe (fig. 6). Le cirre supérieur (c) s’insère à la base de l’élytre et à la partie correspondante des pieds dépourvus de ces appendices. Enfin, sur le bord des élytres, on remarque un grand nombre de franges simples et même quelques petites crêtes membraneuses (2). Cette espèce habite les côtes de la Rochelle et vit pro- bablement dans le sable , car la surface de son corps en est tout incrusté. Nous sommes portés à croire que le Vereis stellifera de Müller, dont M. Savigny a fait le genre douteux Le- pidia et que M. de Blainville a placé parmi les Phyllo-, docés, devra être rapproché de nos Sigalions ; car le corps vermiforme de cette Annélide est entièrement re- couvert d’élytres membraneuses orbiculaires et cadu- ques qui se croisent sur le dos. Il est vrai que Müller ne parle que de deux mäâchoires , mais il est bien possi- ble que chacune d’elles soit formée par la réunion de deux de ces organes, et l’on sait qu’à moins de les déta- cher, elles sont ordinairement difliciles à voir. Du reste, l'incertitude où nous sommes restés à ce sujet explique pourquoi nous n’avons pas adopté le genre Lepidia de M. Savigny (1) et pourquoi nous n’y avons pas rapporté nos Sigalions. (1) Mereis stellifera, Muller, Zoo! Danica,t.u, tab. vxrx, fig. 1-5 ——— ( 445 ) TROISIÈME TRIBU. APHRODISIENS NUS Dont le corps est dépourvu d’élytres. GENRE VI. PALMYRE, Palmyre (1). (PL x, fig 1-6.) Le genre Palmyre de M. Savigny s'éloigne de tous les autres Aphrodisiens par l’absence d’élytres ; du reste il se rapproche beaucoup des Aphrodites de la tribu des Hermiones ou de notre deuxième section. Le corps de ces animaux (pl. x, fig.1 ) est déprimé et composé d’un petit nombre d’anneaux ; la £éte (fig. 3) porte deux yeux et cinq antennes dont les mitoyennes sont très petites (2), l’impaire (a) est assez développée et les (assez bonne; reproduite dans l'Encyclopédie, Vers, pl. fig. 16-18, et dans le Dict. des Sc.nat., sous le nom Néréiphyle stellifère, Blainville, Atlas pl. xvin, fig. 2).— Nephtleys stellifera, Cuvier, Règne animal, 1"° édit. (additions) t. 1v, p. 173.—Lepidia , Savigny, loc. cit., note de la p. 45. (C’est un genre dont le caractere est fort incertain, et qui a quelque ressem- blanceextérieure,dit M. Savigny, avec les Aphrodites; néanmoins ille place parmi les Néréidiens.) — Néréiphyle stellifère, Blainville, loc. cit., p.467. (1) Savigny, Syst., p. 16. — Blainville, Dict. des Sc. nat. (Pers), P- 462. (2) M. Savigny dit qu’elles sont très petites et coniques. Quelque soin que nous ayons mis dans leur recherche, il nous a été impossible de les apercevoir. Et cependant l'individu que nous avons observé avait été étudié par M. Savigny. C’est par ce motif que nous ne les avons pas repre- (l Resume iles caractères. Palmyre aurifère, (446) externes (b) sont grandes; la trompe est dépourvue de tentacules et les méchoires sont sémi-cartilagi- neuses. Les pieds (fig. 4 ) sont divisés en deux rames dis- üncties ; la rame dorsale (a) est garnie de deux faisceaux de soies disposés en éventail et semblables sur tous les segmens (fig. 4, e et fig. 2, a); la rame ventrale (fig. 4,b) n’en a qu'un seul; lescirres (fig. 4, c, d'et fig. 5) sont grè- les, cylindriques et composés de deux parties , l’une ba- silaire presque claviforme et l’autre courte, filiforme et un peu renflée au bout. Enfin les branchies sont peu vi- sibles et cessent de paraître et de disparaître alternative- ment d’anneau en anneau après le vingt-cinquième. On peut reconnaître ce genre aux caractères suivans : Point d'éxvrres; des r1EDs dépourvus de c1RRES suPE- RIEURsalternantrégulièrement avec d'autres pieds ayant des arres, jusqu'au vingt-cinquième segment, et se suc- cédant ensuite dans un ordre différent. \ La seule espèce connue est la Palmyre aurifère qui habite l'Ile-de-France ; elle est remarquable par le bril- lant métallique des soies aplaties qui garnissent la rame supérieure; ces appendices sont très gros, obtus et ! élargis vers le bout , presque en forme de spatule, un | peu courbés et disposés de manière à former des deux | côtés de chaque anneau une palme voütée qui recouvre la | suivante (fig. 2, a). sentées dans la figare que nous donnons de la tête de la Palmyre aurifère. | Peut-être ces antennes avaient-elles été enlevées dans l'examen qu'en avait fait précédemment M. Savigny. ( 447 ) M. Risso a établi sous le nom d’Æumolphe(Eumolphe), un nouveau genre d'Aphrodisiensdes côtes de la Méditer- ranée, dont les caractères, s’ils avaientété bien observés, seraient des plus remarquables. D’après lui les antennes extérieures seraient bifides, disposition dontnous necon- naissons pas encore d'exemple ( peut-être sont-ce les deux cirres tentaculaires des pieds de la première paire qu'il aura pris pour des antennes); il ajoute encore que sa téle est arrondie en pointe (1). (:) Genre Eumolphe, Eumolphe, Risso. Car. gener. : « Corps ovale, aplati; rÊrE arrondie en pointe ; ANTENNES incomplètes , intgales, les ex- térieures bifides; quatre Yeux ; MAGHOIRES cornées ; des ÉGAILLES sur les côtés du dos. » E. fragilis, E. fragile. « E. corpore ovato-elongato, roseo-albo ; fascia dorsi longitudinali, cærulea. » « Son corps est ovale allongé, d’un rose clair, traversé au milieu du dos d'une bande longitudinale dan blanc azuré, recouvert sur les côtés d’écailles minces, jaunätres , placées en recouvrement ; sa tète est arrondie en pointe; les tentacules intérieurs allongés, jaunätres , les extérieurs bifides annelés de jaone ; les yeux noirs; la bouche ornée d’un rebord charnu, noirûtre, avec deux filets de chaque côté ; les bords latéraux munis de quarante paires de lames branchiales ciliées; sa vivacité est extrême ; se brise avec une grande facilité. Long., 0,036 ; larg., 0,009. Séj., sous les pierres ; app., février, » (Risso, Hist. nat. de l’Europe méridionale, tom. 1v, p. 415.) (La suite au prochain numéro.) Genre Eumolphe de M. Risso. (448 ) Rarponr fait à l'Académie des Sciences, sur un Mémoire de M. H. Gauzrer ne CLausry sur les Calcaires nitrifiables des environs de Paris. L'Académie nous a chargés, MM. Brongniart, Bro- chant et moi, d'examiner un Mémoire de M. Gaultier de Claubry, relauf à la nitrification naturelle qui s'opère dans des couches de craie depuis long-temps exploitées pour la fabrication du salpètre ; nous venons lui rendre compte de cet examen. Ce n’est pas la première fois que l’Académie se trouve appelée à donner son avis sur des travaux de cette ma- ture ; elle a provoqué, vers la fin du siècle dernier, des recherches surl’importante question de la formation des nitrates naturels, et elle a consacré un volume des Savans étrangers à la publication des travaux qui furent envoyés au concours. Dans ces derniers temps, M. Longchamp a émis des opinions sur cette matière, qui ont fait l’objet d’un Rap- port fort approfondi fait à l’Académie par M. Beudant. Malgré ces travaux et beaucoup de Mémoires publiés par divers chimistes, les opinions sont encore partagées sur le fond de la question. Tout le monde admet que la formation des nitrates exige le concours de bases fortes ou de leurs carbonates, et ce sont ordinairement la potasse, la chaux et la magnésie qui interviennent dans ce phénomène, et qui se nitrifient. On admet aussi que la présence d’une cer- taine quantité d'humidité, celle de l'air, et qu’une tem- ( 449 ) pérature atmosphérique de quinze à vingt-cinq degrés, sont des circonstances essentielles au succès de la nitri- fication. Mais si tous les chimistes sont d’accord sur ces points, il en est un sur lequel leur opinion est divisée. Les uns admettent que le concours des matières animales est in- dispensable, les autres pensent qu’il peut être utile, mais qu’il n’est pas nécessaire. Parmi les chimistes qui admettent la nécessité des ma- tières animales, les uns croient que l’azote de ces matières intervient en fournissant le radical de l’acide nitrique ; d’autres expliquent leur rôle en admettant que la ma- tière animale fournit de l’ammoniaque , base puissante qui s'ajoute aux bases contenues dans le terrain nitri- fiable et qui favorise ainsi la formation de l'acide ni- . trique. Aïnsi, pour certains chimistes , la matière nitrifiable est une matière poreuse , humide , renfermant des bases énergiques et capable de condenser les élémens de l'air, au point de déterminer à la longue la combinaison de l’oxigène et de l'azote, d’où résultent l’acide nitrique et les nitrates. Pour d’autres, les bases renfermées dans le terrain nitrier seraient ordinairement insuflisantes, et le con- cours de l’ammoniaque résultant de la décomposition des matières animales serait nécessaire à une nitrification active. D’autres, enfin, voient dans les matières animales le produit azoté indispensable. L’azote de ces matières se convertit en acide nitrique, peu à peu, aux dépens de l’oxigène de l'air. XXVII, 29 M ( 450 ) Ces dissidences d'opinion sont faciles à comprendre, quand il s’agit d’un phénomène lent, capricieux, diffi- cile à produire en petit, et conséquemment difficile à étudier dans des expériences de laboratoire, les seules qui permettent ces opérations précises sur lesquelles toute théorie doit s'appuyer. Le Mémoire de M. Gaultier de Claubry est divisé en deux parties. Dans la seconde , qui n’est pas encore soumise au ju- gement de l’Académie, mais dont il annonce les résul- tats, il doit décrire les expériences directes, dont il donne dès à présent le résumé. De ces expériences directes, il conclut : * 1° Que la craie pure peut se nitrater ; 2° Que c’est par l’ammoniaque qu’elles produisent que les matières animales concourent à la nitrification. Ces expériences seraient décisives, mais nous n’en connaissons pas les détails, et nous n'avons pas à les juger. Si nous les énonçons ici, c’est pour expliquer com- ment une étude des nitrières de la Roche-Guyon , qui a conduit des chimistes célèbres à admettre la nécessité des matières animales, a pu conduire l’auteur à nier cette nécessité. C’est que les phénomènes présentés par ces nitrières sont équivoques, et que chacun les inter- prète dans le sens de ses opinions préconçues. Voyons, en effet, quels sont les phénomènes que nous présentent les nitrières de la Roche-Guyon. Les parties nitrifiables se composent d’une craie très poreuse, dont les couches coupées à pic, par le travail ( 457 ) de l'exploitation , se trouvent exposées à l’action directe des rayons solaires. Ces terrains crayeux sont placés dans le voisinage de la Seine, qui coule au pied des collines où on les rencontre. On gratte la surface des couches deux fois l’an ; on enlève quelques millimètres d'épaisseur, et le produit de l'exploitation est soumis au traitement qui se pratique dans les villes sur les platras salpètrés. Le résidu que laïssent les lavages est pétri et façonné en forme de moellons ; on en fait des murailles que l’on abandonne aux influences atmosphériques ; la nitrifica- cation s’y opère de nouveau. Cet exposé des faits semble montrer d’abord que l’ac- tion de la lumière directe du soleil n’est pas toujours nuisible à la nitrification. En Suède, on admet que les nitrières artificielles ne réussissent qu’à la faveur d’une obscurité parfaite ; mais nous allons voir que la question reste encore indécise. Votre rapporteur, qui a examiné les lieux avec atten- tion, pense également qu’il résulte de ces faits que la craie nitrifiable ne renferme pas assez de matière ani- male, pour qu’on puisse attribuer à celle-ci la formation presque indéfinie des nitrates qui peuvent y prendre naissance. Maïs dans l’ensemble des faits observés, on ne voit rien qui prouve d’une manière absolue que c’est bien la craie qui se nitrifie seule et sans le concours des terrains voisins. Avant de décider que c’est la craie seule qui agit sur l’air, il faudrait isoler cette craie et la mettre à l'abri de l'humidité, qu’elle pompe sans cesse et qu’elle emprunte aux couches voisines du sol. (452) Cette immense surface évaporante permet de conce- voir que l’eau dont le sol voisin est pénétré et qui ren- ferme en dissolution des produits organiques vient sans cesse imprégner la craie et y déposer les résidus orga- niques nécessaires à la formation du nitre. La craie serait alors une sorte d’éponge se desséchant à la surface , et reprenant, par la capillarité , l'humidité aux couches voisines, ce qui, de proche en proche, ferait arriver de loin les matières animales déposées dans le sol. De là, l'explication naturelle de faits embarrassans au premier abord pour les partisans de la doctrine qui attribue le rôle essentiel aux matières animales. Ainsi, dans ces nitrières, on voit des cavités creusées par les exploitans , et servant de cave, d'écurie ou de pigeon- nier , cesser de produire du nitre. Maïs ces cavités sont peu favorables à l’évaporation , et souvent aussi ont des parois d’un calcaire trop dense; ce n’est plus de la craie. En étudiant ces localités, il faut se rappeler ce quise passe aux bords de la mer, dans les sables salés de l’A- vranchin, par exemple. Ces sables imprégnés d’eau salée sont exposés à l’ardeur du soleil, qui détermine une évaporation rapide à leur surface ; l’eau salée des couches intérieures remonte à mesure, et bientôt la capillarité a porté à la surface une quantité de sel telle, que la couche superficielle devient assez riche pour être exploitée. Ce phénomène bien simple peut expliquer le rôle de ces craies poreuses de la Roche-Guyon , et remet dans le doute la question qu’elles paraissent trancher. Quoi qu’il en soit de l'opinion que l’on puisse se for- (453 ) mer sur ces matières, l'Académie accueillera le Mémoire de M. Gaultier de Claubry. Ce Mémoire contient des faits exacts ét des essais chimiques qui pourront servir à établir un jour la théorie de la nitrification. Nous avons l'honneur de proposer à l’Académie de donner son approbation au Mémoire de M. Gaultier de Claubry, et d'engager l’auteur à continuer ses recher- ches sur la nitrification. .: 3. Dumas, rapporteur. Osservarions sur les müles de quelques espèces d'insectes du genre Perle, qui sont privés d'ailes ou les ont très courtes ; Par M. H. Lucas. (Extrait d’une Lettre adressée de Verdun à M. Julia de Fontenelle.) «..... Pendant les mois de mars et d'avril 1829 , et depuis , jai souvent trouvé contre des murs, dans des lieux aquatiques, une petite Perle, longue de 005 mill., noire, à ailes grises veinées de noir; le male, qui est un peu moins long, est aussi noirâtre, mais ses ailes sont remplacées par quatre moignons très courts ; il porte sur l'extrémité de l'abdomen un petit crochet corné, recourbé en ayant, et un peu plus haut, sur le segment précédent , un petit tubercule également corné et pointu (454 ) de facon que lorsqu'il relève l'extrémité de son abdo- men, le bout du crochet, venant poser sur le tuber- cule , forme une espèce d’anneau. Dans l’accouplement, le mâle recourbe son abdomen en S, de manière que son extrémité supérieure se trouve sous l'extrémité infé- rieure de celui de la femelle , en passant indifféremment à droite ou à gauche entre les ailes de celle-ci. Dans eette position , son crochet vient s’insérer sous l’avant-dernier segment de l'abdomen de la femelle, lequel se trouve alors pincé entre le crochet et le tubercule. L’insecte le retient dans cette position en se tirant en avant sur la femelle avec ses pattes antérieures. L’accouplement paraît durer long-temps. Les mâles sont vifs, et cou- rent avec agilité le long des murs , où ils recherchent leurs femelles. « Le mâle de la Perla bicaudata a aussi les ailes fort courtes , mais son abdomen ne présente ni le crochet ni le tubercule dont je viens de parler. » (45 ) Osservarions sur l'introduction des Buflles en France, au douzième siècle ; Par M. Perir-Ranez, Membre de l’Institut. (Extrait d’une Notice littéraire.) Dans le tome xvir de l’/Zistoire littéraire de la France, page 363, que l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de l’Institut de France a depuis peu pu- blié , les naturalistes ne liront pas sans intérêt les détails que M. Petit-Radel donne sur l’époque à laquelle les Buflles ont été introduits en France, à l’abbaye de Clair- vaux, par un frère convers qui se nommait Laurent. Ce religieux avait été adressé par l’abbé de Clairvaux à Roger, roi de Naples et de Sicile, pour solliciter les moyens de rebätir l’église de Clairvaux; mais à peine arrivé à Rome, il yapprend la mort du roi Roger. Il con- tinue néanmoins sa route, et obtient audience du roi Guillaume [*, qui lui donne une somme considérable, en or, pour la reconstruction de son église. De retour à Rome , il est comblé de présens par les cardinaux et les princes romains. Or, parmi toutes ces libéralités, Con- rad, historien de l'Exordium magnum, cite surtout le don de dix Buflles; à cette particularité l’auteur de l’article de l'Æistoire littéraire croit reconnaître un des ancêtres du duc Caëtani, son ancien hôte à Rome ; car, antérieurement à Bomiface VITE, cette an- 456 ) cienne famille était propriétaire de la plus grande partie des marais Pontins, qu’on sait être l'habitation conti- nuelle des Buflles. Ici l'historien Conrad fait remarquer combien il est étonnant que des animaux naturellement sémi-féroces , et dont on n'avait aucune idée dans la partie de notre occident située en-deçà des Alpes, aient pu arriver à leur destination sains et saufs, sous la conduite d’un seul vieillard , assisté de deux garçons de service (puerulis). Non-seulement ces dix Buflles arrivèrent jusqu’à Clair- vaux, mais ils sy multiplièrent au point que leur race s'était propagée dans les régions voisines, du vivant mème de l’historien Conrad, et à dater de l'an 1154, époque à laquelle Guillaume [I monta sur le trône de Naples. On ne prétendra pas, sans doute , que sous Île nom de Bubalus, Conrad n’ait pas voulu parler du Buflle des marais Pontins, mais seulement de l’Orus; car l'Orus était connu en-decà des Alpes dès le temps du roi Gontrand, puisqu'il était acclimaté dans les Vosges et dans les Ardennes dès le temps du poète Fortunat, comme Cuvier l’a fait remarquer dans ses Recherches sur les Ossemens fossiles, chap. 112, p. 117. Mais ce célèbre naturaliste n'ayant rien dit de l’intro- duction des Bufiles en France au douzième siècle, M. Pe- tit-Radel s’est vu obligé d'appuyer la certitude du fait par les réflexions suivantes. Dans sa description de l’Orus des Germains, César confirme l'interprétation que nous donnons au mot Bubalus ; car l'Orus, dit-il, ne s’apprivoise et ne s’as- sujétit point à l’homme, lors même qu’on s’est emparé ( 457 ) de lui dès son enfance. Sed assuescere ad homines et mansuefieri , ne parvuli quidem excepti, possunt. Or, cette férocité indomptable ne convient pas aux Bubali dont il est parlé dans l'£xordium magnum, puisqu'ils se sont laissé conduire en troupeau depuis Rome jusqu'à Clairvaux, où ils se sont propagés et assujétis aux mè- mes travaux que dans les marais Pontins. Et d’ailleurs Conrad , qui avait gouverné l’abbaye d’Everbach pen- dant treize ans , avait dû bien connaître la différence de l'Orus, qui habitait les Vosges et les Ardennes, régions assez voisines d'Everbach, qui était située, comme le dit l'historien , sur les bords du Rhin, à deux milles de Mayence. Ne voit-on pas d’ailleurs, en lisant Ville- Hardouin, page 490, sect. 252, Rerum gallicarum scriptores, tom. xvtir, qu'en l’an 1207, les Français ayant distingué très bien les Buflles d'avec les Bœufs, ils pouvaient bien avoir fait cette distinction cinquante ans avant cette époque dans leur propre pays ? « L’em- pereres Henri se logea devant la ville (Andrinople), et li correor corurent parmi la terre, et gaaignerent bues et vaches et bufles à grand plenté et autres betes. » Il paraît donc bien constaté qu’au milieu du douzième siècle les Bufiles s'étaient propagés dans les terres de l’abbaye de Clairvaux. Mais par quelles raisons a-t-on cessé d'en faire usage? C’est aux économistes qu'il ap- partient de décider cette question, et d'examiner s’il serait utile ou non de renouveler l'épreuve qu’en avaient faite ces moines du douzième siècle qui nous ont donné de si grandes leçons de culture, et qui nous ont conservé, parmi les lambeaux de notre histoire , même des faits géologiques. En voici un exemple tiré È ( 458 ) de la chronique du monastère d’Andres , sous Ja rubri- que de lan 1223 ( d’Acheri spicilegium, tom. 1x, pag. 647). On y lit le fait suivant : Romæ terra san- guinea more pluviæ a summo super terram miraculose decidens videntibus et audientibus stupori habetur. M. Petit-Radel compte revenir dans quelque moment de loisir sur les parallèles historiques que fournit ce fait naturel dont il a observé les preuves subsistantes aux environs de Rome, particulièrement à Frascati et à Grotta-Ferrata ; il les a consignées dans un Mémoire qu'il a lu à l’Institut le 18 avril 1801; mais, entraîné dans la poursuite de recherches d’une nature toute dif- férente, il a négligé de mettre au jour les vues de géo- logie historique que ce Mémoire présentait. YIN DU VINGT-SEPTIÈME VOLUME. TABLE PLANCHES RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME. PI. r. Hydrachnés et Obisies. 2. Obisies. 3. Pinces. 4. Organisation de la Puce. 5. Ophites des Pyrénées. PI. 6. Pranizes. 7. Aphrodites et Polynoés. 8. Sigalion et Aphrodite. 9. Sigalion et Polynoé. PI. ro. Palmyre et Acoëte. PI. xr. Eunices. PI. re. Lysidices. PI. 13. Néréides. PI. 14. Glycères. PI. 15. Cirratule et Aricie. FIN DE LA TABLE DES PLANCHES, TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME. nf —— ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE ANIMALES , ZOOLOGIE. Pages Considérations générales sur la domestication des animaux; par M. Dureau de La Malle, membre de l’Institut. 5 Expériences sur le mécanisme de la rumination; par M. Flou- rens, membre de l’Institut. 34 Lettre adressée à M. Audouin, sur quelques Arachnides des genres Hydrachna et Chelifer; par M. de Théis. 57 Lettre de M. Fourens à MM. les professeurs du Muséum d’His- toire naturelle, au sujet de sa candidature à la chaire d’Anatomie humaine, vacante dans cet établissement. 79 Mémoire sur les variations générales de la Taille chez les Mammifères, et en particulier dans les races humaines; par M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. 85 Observations sur le Bombyx Pityocampa de Godart (genre Gastropacha d’Ochs); par M. de Villiers. 111 Suite des Considérations générales sur la domestication des animaux; par M. Dureau de La Malle , membre de l'Institut. 113 Recherches sur les caractères zoologiques du genre Puce (Pulex}, et sur la multiplicité des espèces qu’il renferme ; par M. Ant. Dugès: 145 Rapport fait à l'Académie des Sciences par M. Dumeril, sur un Mémoire de M. Duclos, ayant pour titre : Zconographie du genre Colombelle. 166 (461) Mémoire sur les Observations communiquées par M. le baron Cuvier à l'Académie des Sciences (séance du 2 janvier 1832), au sujet des Sternums des Oiseaux, et sur leur im- médiate application à la théorie des Analogues; par M. Geoffroy Saint-Hilaire. Note sur une épidémie de Poissons, communiquée à M. le docteur Rayer; par M. Clément Désormes, professeur au Con- servatoire des Arts et Métiers, membre de la Société Philoma- tique, etc. Rapport de M. Duméril sur le développement de l'OEuf hu- main par M. Breschet. Quelques considérations sur le Nidamentum de M. Burdach, ou enveloppe extérieure ajoutée à l’'OEuf (extrait d’un Mémoire de M. Breschet, sur l'OEuf). Observatious sur le Sang, extraites d'une Lettre adressée à M. Dulong, secrétaire-perpétuel de l’Académie des Sciences; par M. Muller, professeur de physiologie et d'anatomie comparée à Bonn. Expériences sur le mécanisme de la Rumination (second Mé- moire); par M. Flourens, membre de l’Institut. Rapport fait à l'Académie des Sciences, par M. Duméril, sur trois Mémoires d’Anatomie relatifs à l'organe de l’ouïe dans les Poissons, par M. le docteur Breschet. Extrait des recherches sur les Crustacés du genre Pranize de Leach ; par J. Westwood. l Classification des Annélides, et Description des espèces qui habitent les côtes de la France; par MM. Audouin et Milne Edwards. Observations sur les mâles de quelques espèces du genre Perle, qui sont privés d’ailes ou les ont très courtes, par M. H. Lucas. Observations sur l'introduction des Buffles en France, au douzième siècle; par M. Petit-Radel, membre de l'Institut. Pages, 189 20) 208 2117 222 297 309 316 ( 462 ) BOTANIQUE ET PHYSIOLOGIE VÉGÉTALES. Sur l'influence des rayons colorés sur la germination des Plantes (Extrait d’une Lettre adressée à l’Académie des Sciences); par M. Charles Morren, professeur à l'Université de Gand. Considérations sur les irrégularités de la Corolle dans les Dicotylédones ; par Alfred Moquin- Tandon, doct. scienc. et doct. méd. MINÉRALOGIE ET GÉOLOGIE. De la Relation des Ophites, des Gypses et des Sources salées des Pyrénées, et l’époque à laquelle remonte leur appari- tion; par M. Dufrenoy, ingénieur des mines. Extrait d’un Rapport fait à l’Académie des Sciences par M. Girard, sur un Mémoire relatif à des dépôts d'Huîtres dans le département de la Charente-Inférieure ; par M. Chau- druc de Crozannes. | Rapport sur un Mémoire de M. 4. Gauliier de Claubry, sur les Calcaires nitrifiables des environs de Paris; par M. J. Dumas. FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES, Pages. 201 225 170 333 448 AVIS IMPORTANT AU RELIEUR. Supprimez les feuilles 12 et 13 du mois d'Octobre renfermant VÉxtrait d'un Mémoire sur les progrès de l'ossification dans le Sternum des Oiseaux, par M. Cuvier (ce Mémoire est un double emploi; il a été déjà publié dans le mois de mars), et remplacez-les par les feuilles 12 et 13 jointes au mois de Décembre, et qui contiennent un Mémoire de M. Geoffroy Saint-Hilaire, ayant pour titre : Mé- moire sur les Observations communiquées par M. le baron Cuvier, etc. g' dl fit T és UE : SATA PSS Lfpr 19 fi RCE À) UHR 138 St ANNE 1 ù® é à Pt ne : à s DE LOL TE LE DE ET CIC AU TITRE & ot Al dan lf tré An. des Jeienc. nat. Ton. 27 PL. 1 Fig1. @: OT M i PDiméalirene z el 2 [ydrachnes . JetZ Vbisres. | Ann. des Jaenc. nat. Tom. 27 Ch, Theë Del. Vbisier. f1 PDumerul Direrit Ann. des Science. nat. lon. 27 Ch Theis Del. PL29, PDuménil Direxit * ' *. L “y À : À 4 . , < F tu] lex { 1 i 1h , PL 5: Ann. des Juenc. nat. Ton. 27. B. Gypre avec. fragmens de calcaire’, C. Masse dophite. À. Couches de calcaire rompues par Le soulévement de l'ophite et du gypse’. du terrain de craie, sur la côte de Brarite prés Bayonne’. Dispostun dv gypse. de L'ophate et ÆL SUR j CL WS CZ AE CS C, AI] Fe EST es S 1 SSD TA] à CNE" à LA pre et ophute des Pyrenees . y : -sonihiy s2p epryde 72 2rdh) “onydep rpnpou Pa 2nPmer PQ ‘D -povduss 220200 9p IT A apvdues om) Y ES 2p 27e odury ep sesd'emdep SAJTTpP Ou 2774 24/2914 ep F2 PADI0I TYI844 ep Lepr0du02 2.110279 2P #7/2n02 #2p uopsodrg Le #rprier op pue saone CLS LS LOGÉDB RE TROIE) PRET GEE EE loapur y] avg red anosg quo “apydo] pr es dhf RP ARURTO A D} D 210.19 0] Op 42 220818 UDLIS NP FEU cr = ET SIPPUONUEY POYONED 0 AUNETI EE A q Ty < Sÿ0p 2p Sup *(K v&: crydep 227 "0 , u/ our erdñ9 * à 2 ee < es en Ê auuoRDg Fed ALT 2p 2702 Fe | svd smdues Srrropes op sryome) “V7 LPDII OP AODLL PP 72 eprydo 7 2p tes dh np LOIS odn UE RER EUS ; > z L7a Le og qu Oum Sp up Ann des Science. nat. Tom. 27. PL. 6. AE g.11. P72 9: lig.12. | Fi) , ; EUX \e #\ Va : 7.13, “ll É- + ki À | So K / Fig.25. “ "3 Franxres . ; (7 JUIN . © SOOUAO, SOSHDAIP 9P SfI04 Gr Zi "OT | 2SNY][IPOY MON AE AE ZE CHE dl (LG 104 9 AU 5" At 7 ? 2P 4 N A oprdsn ALIGOUHAY ‘971 SU | | | | ER (‘er ot] ‘L& 107 ‘qu 27777 SP 72 PERL ET 3 LT POP sooukjoy sosaoap op prog 61-21-84 osnoqpeoo ON LIOd 9-01 54 - oprdsty LIGOUNAV 6-1 Sy J 4 \ { Ÿ j | } ; > 4 [4 ; : \( ae - A PA - | ae AR SU gr 8 © A Gt} EN 2 Zz au07 ou um SP LUF REA 2PANU oprdsry ALIAOMHAV.I %P sprod 6 1 eat D SSL (| L IQ Où Il IdV  Sy STUEUULLS F] 4P N OTIVOIS 9°1 Si} ‘gl L (LE au0y pru 2777702772 PVO}, 2 27: nat. Tom. Ann des Stenc. = Lie à dl # A NN RSS * MN NS ? 2? SNS ST SL Fig. 7 SI Ce DS DR Ÿ gg: Il SN TTL qi Le il = -6 SIGALION d'Herminie Fig. = APHRODITE herissée Fig hispide : M et 9 poils de l'APHRODITI Fig. 8 = seul ui del 1 M. 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