85 ANNÉE. —IX° SÉRIE. : T.IX, N°1
ANNALES
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NEUVIÈME SÉRIE
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COMPRENANT
L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE ET LA CLASSIFICATION
DES VÉGETAUX VIVANTS ET FOSSILES
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M. PH. VAN TIEGHEM
TOME IX. — N°1
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Ce cahier a été publié en février 1909
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GÉOLOGIE, 22 volumes. . . NEA ARS ESS DAFT
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BOTANIQUE
COMPRENANT
L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE ET LA CLASSIFICATION
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M. PH. VAN TIEGHEM
TOME IX
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L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE
LES ORCHIDÉES ET LEURS CHAMPIGNONS COMMENSAUX.
Par M. Noel BERNARD
INTRODUCTION (1)
On sait depuis les recherches de Wahrlich [57] que les Orchi-
dées hébergent des champignons dans les cellules de leurs
racines. La généralité de cette règle a suffi pour qu’on recon-
naisse là un cas de « symbiose » et ce mot implique souvent la
croyance à une « association mutualistique » entre des commen-
saux capables de s’entr'aider. En fait, dans ce cas de symbiose,
comme dans la plupart des autres, on sait seulement d’une
façon positive que l’association des champignons et des plantes
adultes est intime et habituelle. IL faut partir de là, et si l'on veut
comprendre par quels moyens la symbiose subsiste ou décou-
vrir les secrets de son apparente harmonie, le plus utile est de
chercher ses origines et de retracer son histoire. Cette idée
évolutionniste a dominé mes études; elle me permettra d'établir
des rapports suggestifs entre Les faits examinés dans ce mémoire.
LES ORIGINES DE LA SYMBIOSE.
La première question qui se pose est de savoir comment la
symbiose s'établit à chaque génération ; c’est un problème
directement accessible à l'expérience.
(1) Les numéros entre | ] renvoient à l'index bibliographique. Afin de rendre
plus facile la lecture de ce mémoire, la plupart des détails relatifs aux tech-
niques expérimentales ont été réunis dans les notes d’un Appendice placé à la
fin. En dehors même du cas où l'indication expresse en est donnée, le lecteur
pourra se reporter à ces notes quand il ne trouvera dans le texte même du
mémoire que des indications générales sur les méthodes d'observation et
d'expérience ou sur la nature précise des plantes étudiées.
ANN. SC. NAT. BOT., 9% série. D ml
LC]
19
NOEL BERNARD
Les champignons des Orchidées, extraits des cellules où ils
vivent, peuvent se développer d’une façon autonome; ce sont,
comme on le verra dans le chapitre, des Rhizoctonia apparte-
nant à diverses espèces. Les graines d’Orchidées semées pure-
ment (1) sur des milieux nutritifs pauvres, comparables aux
milieux de culture naturels, sont au contraire généralement
incapables de se développer d’elles-mêmes, mais elles peuvent
germer lorsqu'on inocule les semis avec des Rhizoctones con-
venables [6]. En principe donc : la germination des Orchidées :
ne se fail pas sans le concours de champignons, la symbiose s'éta-
blit nécessairement dès le début de la vie, c'est pourquoi elle reste
ensuite la règle.
Au laboratoire, la culture des champignons est aisément
réalisable, l’inertie des graines semées purement est facile à
constater, mais leur germination par l’action des Rhizoctones
ne s'obtient pas sans difficultés. Depuis cinq ans, j'ai semé les
graines de diverses espèces d'Orchidées dans des tubes de culture
qui contenaient chacun en moyenne une centaine de graines, et
j'ai inoculé ensuite chaque série de semis avec des Rhizoctones
extraits de racines. Dans les cas les plus favorables les graines
germaient en nombre plus ou moins grand (fig. 1), mais les
insuccès n'ont pas été rares. Tout compte fait, j'ai réussi à obte-
nir quelques centaines de plantules viables, mais je reste au-
dessous de la réalité en estimant à cinquante mille le nombre
total des graines sur lesquelles mes expériences ont porté. Pour
une majorité de ces graines, l'association avec les champignons
que je mettais en leur présence a été passagère et sans effet, ou
impossible, ou rapidement nuisible aux embryons.
Les horticulteurs les plus expérimentés ont toujours considéré
de même le semis d'Orchidées comme une opération de réussite
incertaine. Ils ne voient souvent pas une graine germer sur
mille, malgré que dans leurs serres les Rhizoctones pullulent.
Dans la nature enfin les Orchidées restent rares, bien qu'elles
prodiguent leurs semences, chaque plante pouvant produire par
milliers ou par millions des graines impalpables.
(1) J'entends par « semis purs » des semis de grainés faits dans des tubes de
culture stérilisés, à l'abri de toute concurrence avec des microorganismes, par
les méthodes indiquées dans la note 11 de l’Appendice.
L ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE
En réalité, les rares Orchidées qui attei-
gnent l'état adulte ont été sélectionnées
par les champignons dans des conditions
minutieusement précises. Pour les em-
bryons même, à qui les hasards de la dis-
sémination des graines ont permis de ren-
contrer des Rhizoctones, la mort préma-
turée est la règle et la vie en symbiose
est une exception. L’harmonie des asso-
ciations d’Orchidées et de Rhizoctones
n’est pas à beaucoup près une loi univer-
selle.
Il n’est pas moins admirable que des
milliers d'espèces de plantes, sujettes aux
atteintes de champignons depuis l’origine
de leur famille, présentent encore des in-
dividus capables de résister à ces hôtes
tout en vivant avec eux dans un état d’inti-
milé extrême, et il reste à savoir comment
cet état de symbiose a pu s'établir et a évo-
lué chez les ancêtres des Orchidées ac-
tuelles. Cela ne peut qu'être un sujet de
réflexions théoriques, mais ces réflexions
sont utiles à faire et susceptibles de quel-
que précision.
La famille des Orchidées est l’une des
plus riches en espèces de tout le règne vé-
gétal ; la conformation complexe des fleurs
y offre beaucoup de variété et l’organogra-
phie florale comparée rend moins illusoire
dans ce cas que dans d’autres la tentative
de reconstituer un arbre généalogique.
Les recherches si justement estimées aux-
quelles Pfizer a consacré sa vie, peuvent
donner aujourd’hui à ce genre de spécu-
lations une précision et une sûreté rare-
ment atteintes ailleurs. On à donc un
moyen indépendant de toute considéra-
, un lacis de fins filaments, invisibles sur la figure. D'après nature,
’action d'un Rhizoctone capable de symbiose avec cette Orchidée ; les embryons
; le champignon forme, sur le milieu gélosé
‘une Cattléyée germant par 1
se développent inégalement
Fig. 1. — Semis de graines d
légèrement réduit.
4 NOEL BERNARD
tion relative à la symbiose pour apprécier le degré d’évolu-
tion des espèces actuelles.
Partant de là, j'ai cherché comment l’état de symbiose se
modifie quand on passe d'Orchidées simples et primitives à
d’autres qui atteignentun plus haut degré decomplexité. J’estime
avoir ainsi apprécié les étapes successives de l'adaptation des
Orchidées à leurs hôtes avec autant de certitude qu’on en puisse
espérer en semblable malière. On trouvera dans le chapitre II
une discussion précise des faits réunis à ce point de vue, mais
je puis faire état ici des conclusions auxquelles cette discussion
amène.
Au degré le plus inférieur, chez de rares Orchidées comme
Bletilla hyacintina, la symbiose ne s'établit pas nécessairement
dès le début de la vie, les plantules peuvent avoir un dévelop-
pement autonome plus ou moins prolongé. L'association une fois
réalisée reste d’ailleurs intermittente : chaque année des racines
se développent et s’infestent, pendant que poussent les tiges
aériennes fugaces ; puis les racines meurent, comme les tiges
mêmes, et la plante reste pendant plusieurs mois réduite à un
rhizome indemne de champignons. Dans ce cas même, l’infes-
tation des racines chez les plantes adultes est la règle et l’on peut
parler de symbiose. Mais l’état d’un Bletilla est en réalité bien
proche de celui d’une plante sujette à une maladie cryptogamique
bénigne, capable de récidiver.
Chez la plupart des Orchidées, la symbiose reste intermittente
à l’état adulte; mais, comme je l’ai dit, il est de règle au moins
qu'elle s’établisse dès la germination. On ne peut pas, dans les
conditions ordinaires de culture, obtenir des plantules un tant
soit peu développées sans le concours de champignons.
Sous sa forme la plus parfaite, dont l'étude du Neottia Nidus-
avis fournit un des meilleurs exemples, la symbiose devient
continue. Non seulement les graines ne germent pas sans le
concours d'un champignon, mais encore ce champignon ne
cesse pas de se propager dans la plante qu'ila dès l’abord envahie,
jusqu’au moment où elle meurt.
Quand on arrive à ce cas ultime d’une plante incapable de
vivre à aucun moment sans son hôte, la notion de l’individualité
perd son sens habituel. L'association du Rhizoctone et de l’Orchi-
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 5)
dée mérite plus que l'Orchidée même d’être considérée comme
un individu. Un Neottia Nidus-avis n’est pas plus comparable à
une plante autonome qu'un Lichen ne l’est à une algue.
Cependant, dans le cas même où la symbiose atteint ce haut
degré de perfection, son maintien de génération en génération
reste soumis plus que jamais à une grande incertitude. Les
graines des Orchidées adaptées à la symbiose continue sont
parmi celles dont la germination s'obtient le plus malaisément :
sans doute elles ne germent dans la nature qu’au prix de circons-
tances infiniment particulières, dont j'aurai à rappeler un
exemple remarquable dans le cours de ce mémoire en étudiant
le Neottia Nidus-avis.
Sous sa forme primitive, la symbiose est manifestement à la
frontière de la maladie; sous ses formes les plus parfaites, elle
reste un élat exceptionnellement réalisé, pour des graines
privilégiées parmi la foule de celles qui ne surmontent pas les
difficultés de la vie autonome, ou qui ne résistent pas à l'atteinte
de champignons imparfaitement préparés à la vie commune.
LA
MALADIE ET SYMBIOSE.
La question de l'adaptation des microorganismes aux êtres
supérieurs capables de les héberger touche au domaine clas-
sique des expériences pasteuriennes ; mais ces expériences ont
été faites dans des cas particuliers et, à plusieurs points de vue,
l'étude de la symbiose paraît devoir offrir un terrain de recher-
ches plus favorable.
En inoculant des bactéries charbonneuses atténuées succes-
sivement à divers animaux de moins en moins sensibles au
charbon, Pasteur, Chamberland et Roux [32] ont rendu ces bacté-
ries capables de vivre dans l'organisme d’animaux comme
les moutons qui étaient d’abord réfractaires ; mais, dès que
l'adaptation était assez complète, les inoculations de bactéries
entraînaient la mort des moutons. Quand on tente inversement
d'habituer des moutons à vivre avec les bactéries, en inocu-
lant à un même animal des cultures de plus en plus viru-
lentes, on obtient en définitive des moutons vaccinés, capables
de détruire rapidement les bactéries qu’on leur inocule. Dans
6 NOEL BERNARD
ces expériences, comme dans la plupart de celles qui servent à
fonder l'édifice entier de la pathologie, on n'arrive à saisir que
les deux conditions extrêmes de la maladie mortelle ou de
l'immunité, mais non la condition intermédiaire où les deux
organismes antagonistes arriveraient, en équilibrantleurs forces,
à tolérer la vie en commun prolongée.
Cette condition intermédiaire s’est pourtant réalisée parfois
dans la nature, et l’on ne peut guère douter qu’il y ait eu chez
les Orchidées une évolution progressive, depuis la maladie
intermittente jusqu'à la symbiose continue. Nous ne savons
pas réaliser par une expérience courte le passage d’un de ces
états à l’autre, mais il s’est fait, et il reste possible d'en recon-
naître et d'en étudier les étapes. N°y a-t-il pas là une expérience
naturelle plus suggestive que celle de nos laboratoires et ne
peut-on pas.espérer que l’étude de la symbiose, entre des orga-
nismes arrivés aux limites de la tolérance mutuelle, donnerait
des ressources nouvelles pour comprendre les lois de l’immunité
ou de la maladie?
Dans ce mémoire j'étudierai les conditions qui règlent l’équi-
libre dans la symbiose. On trouvera là mis en œuvre les mêmes
moyens d'attaque ou de défense qui s’exercent dans le cas de
maladies microbiennes.
On verra dans le chapitre II que l'aptitude des Rhizoctones
à vivre avec les Orchidées est variable ; elle se perd peu à peu
s’ ces champignons mènent la vie autonome et ils deviennent
assez rapidement incapables de faire germer les graines ; elle
s'accroît au contraire quand ils vivent avec leurs hôtes et ils
prennent le pouvoir de déterminer chez ceux-ci des réactions
de plus en plus manifestes. Cette aptitude physiologique à la
symbiose, cette activité des champignons, comme je dirai, paraît
de tous points comparable à la virulence des microorganismes
pathogènes. Elle varie, comme la virulence, d'une façon gra-
duelle et, dans des limites assez étendues, ces variations ne
se traduisent par aucun caractère morphologique nouveau des
champignons qui les présentent.
J'analyserai inversement, dans le chapitre V, les moyens
par lesquels un embryon d'Orchidée peut éviter l'invasion des
Rhizoctones, arrêter leur progression si l'infestation se réalise
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 7
ou limiter enfin la rapidité de leur marche dans le cas de la
symbiose. La résistance des membranes épidermiques à la péné-
tration, la digestion par « phagocytose » des champignons qui
envahissent les cellules, et aussi les réactions de la sève cellu-
laire, les propriétés humorales comme on dirait dans le cas de
maladies animales, fournissent à la plante des moyens de défense
dont l'intervention est certaine et dont je tenterai de montrer
l'importance relative.
Cet examen détaillé des faits contribuera à démontrer la
légitimité de la position que J'ai prise en abordant l'étude de
la symbiose avec les points de vue de la pathologie générale.
SYMBIOSE ET ÉVOLUTION.
Les faits généraux que Je viens d'indiquer impliquent deux
conséquences essentielles.
D'une part, les Orchidées, incapables de se développer sans
champignons dans les conditions naturelles de semis, sont
astreintes à la symbiose de génération en génération. Ce mode
de vie étant d’ailleurs constant, aussi bien pour les Orchidées
les plus primitives que pour les plus élevées en organisation,
on doit nécessairement y voir un trait de mœurs très ancien,
antérieur même, selon toute apparence, à l’époque reculée
où sont apparus les premiers représentants de cette grande
famille de plantes. |
D'autre part, la perte du pouvoir de faire germer les graines
chez les Rhizoctones soumis à la vie autonome tend à montrer
qu'il existe dans la nature, pour chaque espèce de ces champi-
gnons, deux séries de races distinctes. L’une de ces séries com-
prend les Rhizoctones commensaux qui sont passés sans cesse
d'une Orchidée à une autre, sans intervalles de vie autonome
assez longs pour que l’activité nécessaire à l'établissement de
chaque association nouvelle ait été perdue. L'autre série, qui
a pu se constituer et qui doit s'enrichir aux dépens de la pre-
mière, comprend les Rhizoctones saprophytes, ayant perdu
toute activité, incapables de contracter la vie commune avec des
graines. |
Si nous envisageons donc soit les Orchidées, soit les races
8 NOEL BERNARD
actives des Rhizoctones qu’elles hébergent, il apparaît que ces
deux catégories d'organismes ont dû subir la symbiose depuis
une époque très reculée. C’est dans cette condition constante de
vie qu'ont dû se différencier les espèces actuelles d'Orchidées
ou de Rhizoctones commensaux. Il Y a eu en un mot une évolu-
tion dans la symbiose, qu’on ne doit pas pouvoir étudier ou
comprendre en faisant abstraction des conditions imposées
par ce mode particulier d'existence.
La réalité d’une évolution continue des champignons dans
la symbiose est mise plus directement en évidence par le fait
que les commensaux des Orchidées les plus diverses appartien-
nent à des espèces voisines d’un même groupe naturel, ayant
entre elles des ressemblances étroites au point de vue morpho-
logique comme au point de vue physiologique. Ces espèces de
Rhizoctones commensaux étant d’ailleurs peu nombreuses, on
doit conclure que la symbiose a imposé à ces champignons une
évolution de peu d'amplitude.
Le problème est plus complexe en ce qui concerne les
Orchidées, puisque cette famille comprend plusieurs milliers
d'espèces étonnamment variées. Je montrerai dans le chapitreIl,
en étudiant diverses séries phylétiques de ces plantes, que leur
évolution à concordé avec cette adaptation de plus en plus par-
faite à la symbiose dont j'ai précédemment indiqué les étapes.
Cela rend hautement vraisemblable que les deux phénomènes
ont été intimement liés et que l’action continue des champi-
gnons à eu un rôle essentiel pour la formation des espèces
d'Orchidées. :
On comprendrait mal d’ailleurs qu'un champignon indispen-
sable au développementmême d’une plante n’aitaucuneinfluence
sur le mode de ce développement. Alors que les végétaux atteints
accidentellement par des parasites montrent communément des
déformations caractéristiques, il est invraisemblable que des
plantes infestées par des champignons à chaque génération dès
l’état embryonnaire aient continué à évoluer comme si ces
champignons n'avaient pas existé.
En fait, les Orchidées les plus hautement adaptées à la sym-
biose continue, comme les Epipogon, Corallorhiza, Neottia ou
Tæniophyllum, présentent par rapport à la plupartdes plantes un
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 9
aspect aussi étrange pour le moins que celui d’un chou atteint
de «hernie » par rapport à un chou normal, ou que celui d’un
« balai de sorcière » par rapport à une branche d’arbre indemne
de parasites.
Les déformations caractéristiques de l'appareil végétatif chez
ces Orchidées se retrouvent d’ailleurs chez des végétaux appar-
tenant aux familles les plus diverses, partout où la symbiose a
pu atteindre le même degré de perfection. La griffe coralloïde
d'un Psilotum, qui héberge des champignons pendant tout son
développement, rappelle le rhizome richement ramifié d’un
Corallorhiza ; les prothalles ou les plantules des Lycopodes ou
des Ophioglosses, communément infestés dès le début de leur
vie, sont plus exactement comparables à des plantules d'Orchi-
dées qu’à n'importe quels jeunes végétaux.
L'examen des étranges phénomènes de développement qui
succèdent chez les Orchidées à l’infestation des embryons, la
répétition de phénomènes du même ordre chez les plantes sou-
mises de même à la nécessité de la symbiose m'ont fermement
convaincu que l'association intime avec des champignons
entraine partout, suivant des lois constantes, certains types
d'évolution.
Envisagé à ce point de vue, le problème de l'adaptation
mutuelle d’un microorganisme et de ses hôtes est lié à celui de
l'origine des espèces. Dans une étude de la symbiose les expé-
riences de Pasteur doivent servir à éclairer les théories de
Lamarck et de Darwin.
LES MODES DE DÉVELOPPEMENT DES ORCHIDÉES.
Parmi les faits ayant un rapport avec la vie en symbiose,
j'étudierai spécialement l’évolution des modes de germination
chez les Orchidées. Les jeunes plantules ont dans cette famille
un aspect caractéristique : elles se réduisent à un corps de forme
générale conique, largement infesté par des champignons el
ne produisant que tardivement des feuilles ou des racines.
Treub [51] à créé le nom de protocorme pour désigner une
forme juvénile toute semblable observée chez des Lycopodes el
il est commode de se servir de ce mot.
10 NOEL BERNARD
En fait, chez les Orchidées à rhizome le protocorme est le
début de cet organe et, chez les Orchidées à bulbes, le proto-
corme tubérisé mérite d’être considéré comme le premier des
bulbes produit par la plante. Par cette précocité de l'apparition
du rhizome ou d’un bulbe, les Orchidées montrent un degré
d'évolution supérieur à celui de l'immense majorité des plantes
vivaces dont les rhizomes, bulbes ou tubercules apparaissent
tardivement, bien après que les plantules ont développé des
racines, des tiges et des feuilles d'apparence normale.
En étudiant la germination du PBletilla hyacinthina dans
diverses conditions, j'ai reconnu que la formation d’un proto-
corme est restée facultative chez cette Orchidée primitive. Il se
forme un protocorme quandles graines germent avec le concours
de Rhizoctones suffisamment actifs; mais en l'absence de
champignons les jeunes plantules dressées et grêles ne rap-
pellent en rien un tubercule ou un rhizome; le premier bulbe,
origine du rhizome tubérisé de la plante adulte, ne se forme
alors que plus tard.
Cette manière d’être actuelle du Pletilla hyacinthina suggère
avec force que les ancêtres directs des Orchidées étaient des
plantes vivaces, à germination normale, et que la formation
d’un protocorme est un caractère acquis par suite des progrès
de la vie en symbiose. L'apparition du protocorme marque
pour ainsi dire la plus récente étape de l’évolution accomplie
par l'influence des Rhizoctones, mais assurément des étapes
antérieures nous échappent, car même les Pletilla vivent déjà
avec leurs champignons dans un état de symbiose bien carac-
térisé. Il y a lieu de chercher quelles ont pu être les transfor-
malions initiales des ancêtres des Orchidées, aussi éloignés
soient-ils, quand ils ont pour la première fois hébergé des
champignons.
Sachant que l’état de symbiose dans ses progrès ultimes a
entrainé la formation de plus en plus précoce des rhizomes ou
des bulbes, le plus naturel est de penser que l'établissement de
la symbiose à son début a provoqué la première apparition de
ces organes. En mettant cette hypothèse sous une forme claire,
J'admettrais volontiers que des plantes annuelles atteintes,
d'abord accidentellement, par des champignons ont cessé de
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 11
fleurir dans leur première année et que par compensation des
bourgeons latéraux de leurs tiges ont donné naissance à des
organes pérennants, bulbes ou branches de rhizomes. La
formation de ces organes serait ensuite devenue de plus en
plus précoce en même temps que l’association avec les champi-
gnons devenait à chaque génération plus prolongée et plus
intime.
Pfitzer, quelques jours avant sa mort, a exposé ses vues sur
l'origine probable des Orchidées [87] ; il cherche leurs ancêtres
parmi des plantes semblables aux Liliacées où Amaryllidées de
notre temps. Celles-ci sont vivaces, elles germent sans former
de protocorme et sans avoir besoin du concours de champignons ;
mais elles sont communément infestées à l’état adulte (1);
elles correspondent donc bien à l’état ancestral que mon hypo-
thèse suppose. En remontant jusqu'aux Joncées, généralement
considérées comme voisines de la souche de toutes les Liluflores,
on rencontrerait des plantes comme les Luzules, annuelles,
dépourvues de champignons (2), donnant l’image précise d'un
type primitif antérieur à l'établissement de la vie en symbiose.
Mais à tout prendre, les modes de végétation des Orchidées,
et plus encore ceux des Liliacées ou Amaryllidées, ont des
équivalents exacts dans bien d’autres groupes naturels de
végétaux. Si l’on admet que la vie en symbiose à pu entraîner
l'état vivace chez quelques Monocotylédones, faudra-t-1il penser
que des champignons sont en cause partout où l’on rencontre
des bulbes, rhizomes ou tubercules ? L'hypothèse est considé-
rable, mais elle vaut d’être examinée. Je chercherai d’abord ici
à en faire une critique générale qui m'est inspirée par diverses
objections particulières. Je discuterai ensuite divers problèmes
que cette hypothèse me paraît pouvoir éclairer.
DIVERSES CONDITIONS ÉQUIVALENTES A LA SYMBIOSE.
Le développement d’une Orchidée, avee tous les faits qu'il
(1) Schlicht [46], Janse[18], Stahl [48], Gallaud [13] ont signalé de nombreux
exemples de Liliacées ou Amaryllidés hébergeant des champignons dans leurs
racines ; à ma connaissance, on n'a pas encore rencontré dans ces familles des
plantes sauvages qui vivent d’une façon autonome.
(2) Stahl [48] cite diverses espèces de Jones et de Luzules parmi les plantes
régulièrement dépourvues de champignons.
12 NOEL BERNARD
comporte — croissance où multiplication des cellules, différen-
ciation des tissus, etc., — apparaît à première vue comme une
réaction de l'embryon entraînée par la pénétration des champi-
gnons qui l'infestent. Dans le dernier chapitre de ce mémoire,
je montrerai que l'établissement d’un mode spécial de croissance
« par épaississement » a dû être la réaction initiale des
plantules chez les espèces les moins adaptées à la symbiose.
Mais ce mode de croissance même s’observe communément au
début de la formation de tubercules chez des plantes diverses
et aussi dans bien d’autres cas; il est, en somme, d’une nature
banaleaumêmetitre que d’autresphénomènes du développement.
L’infestation pardeschampignons apparaîtcomme une condition
très particulière, mais les réactions qu’elle entraîne, envisagées
en elles-mêmes, n’ont rien de spécial au cas des Orchidées.
Au reste, les phénomènes de développement provoqués par
un champignon chez les Orchidées, sont ailleurs sous la dépen-
dance de conditions bien différentes. Des réactions comparables
à celles que montre un embryon d'Orchidée pénétré par un
Rhizoctone peuvent être entraînées, pour un œuf vierge, par
la pénétration d’un spermatozoïde, par l’action de solutions
hypertoniques, de substances chimiques spécifiques, ou en
général par la foule de ces actions variées qu'on sait aujourd'hui
capables de suppléer à la fécondation. Le mode particulier de
croissance par épaississement, si caractéristique des débuts de la
germination chez beaucoup d'Orchidées, peut être lui-même,
comme je le montrerai, sous la dépendance de facteurs mul-
tiples : une simple augmentation de concentration de la sève
qui baigne les cellules, une modification de sa composition
chimique, un abaissement de température peuvent parfois
suffire à le déterminer.
I m'importait tout spécialement de savoir si, dans le cas des
Orchidées même, l’action des champignons est bien simplement
équivalente à ces actions physico-chimiques variées qui sont
efficaces dans d’autres cas soit pour provoquer le développement
de germes pris à un état de vie ralentie ou d'inertie apparente,
soit pour entraîner la croissance par épaississement. Jé n'ai
pas essayé de substituer aux champignons toutes les conditions
imaginables, mais j'ai parfaitement réussi à faire germer des
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 13
Orchidées, semées purement, par la seule action de solutions
de substances organiques plus concentrées que celles dont je
me suis servi communément pour les cultures. Il n’est pas
douteux que la germination des Orchidées pourrait être obtenue
sans champignons dans des conditions physico-chimiques
appropriées, sans doute assez diverses.
La germination par l’action de solutions concentrées est
lente, mais très régulière : les protocormes ont leur aspect
ordinaire, les plantules obtenues, quand elles sont assez déve-
loppées, peuvent vivre en serre après transplantation. Dans les
conditions de mes expériences, faites avec les techniques de
culture pasteuriennes, 1l est devenu en somme plus sûr et plus
facile de fairegermer certaines Orchidées par l’action de solutions
concentrées que d’avoir recours à l'action de Rhizoctones dont
il est souvent difficile de se procurer des races suffisamment
actives. Sans doute, bien que la recherche doive nécessiter de
longs tâtonnements, il ne serait pas impossible de fixer une
technique permettant d'obtenir en serre, dans des conditions
pratiquement applicables, des plantules d'Orchidées affranchies
de champignons et gardant d’ailleurs, au début du moins, leur
apparence habituelle.
En résumé donc, les champignons ne font rien qui leur soit
spécial; on peut substituer à la symbiose diverses conditions
aisément réalisables qui entraînent des résultats équivalents.
Pour provoquer la formation d’un protocorme, d’un rhizome
ou d’un tubercule, il peut théoriquement suffire que la tempé-
rature s’abaisse, ou encore que la teneur en substances dissoutes
de la sève d’une plante augmente par suite d’une assimilation
chlorophyllienne plus intense, d’un excès de transpiration ou
d’un peu de sécheresse. N°y a-t-1l pas autant de vraisemblance
à attribuer l’origine des plantes vivaces à quelqu'une de ces
circonstances apparemment banales qu'à la condition si parti-
culière d’une symbiose avec des champignons ?
J'ai mis de mon mieux l’objection sous la forme générale
qui me paraît la plus troublante. Pour lui donner toute sa
valeur il faut ajouter qu'on connaît des plantes vivaces capables
de garder leurs caractères quand elles vivent sans champignons,
non seulement au laboratoire, dans des conditions expérimen-
4 NOEL BERNARD
tales convenables, mais même dans la nature, à l’état sauvage
ou cultivé. Mais on connaît de même, dirai-je volontiers, de
multiples moyens pour faire développer des œufs Yierges au
laboratoire et aussi des cas de plus en plus nombreux de parthé-
nogenèse naturelle. Toutes les découvertes modernes faites à
ce sujet ont-elles enlevé sa valeur à la théorie qui voit dans la
fécondation la condition essentielle du développement des œufs ?
Assurément l'étude critique dont je viens de résumer les ten-
dances mène à des points de vue intéressants. La notion que
les plantes les mieux adaptées à la symbiose puissent s’en
affranchir pour mener dans des conditions nouvelles l'existence
autonome, est d’une grande importance pour comprendre le
rôle de la symbiose dans l’évolution des végétaux en général.
Mais la connaissance de conditions équivalentes à la symbiose
et capables de s’y substituer n’a qu'une portée restreinte pour
décider si la symbiose a eu dans la nature une importance con-
sidérable ou minime comme facteur d'évolution.
Dans le cas des Orchidées au moins, malgré la possibilité de
germination autonome, malgré l'existence rarement constatée
de plantes adultes n’hébergeant pas de champignons, il reste évi-
dent que la symbiose a été une condition normale d'existence et
une condition prépondérante de l’évolution. Pour fixer la valeur
d’une théorie de l'évolution des végétaux par la symbiose, l’essen-
tiel est de chercher si chez les plantes supérieures en général,
comme chez les Orchidées, la vie avec des champignons a été dans
là nature une règle commune, ou si elle n’est restée qu’une rare
exceplion.
IMPORTANCE DE LA SYMBIOSE DANS L'ÉVOLUTION
DES VÉGÉTAUX.
Dans l'exposé général et forcément sommaire que j'entre-
prends, il faudrait sans doute partir du cas des Lichens. On sait
que ces organismes complexes peuvent renfermer des algues
assez diverses, depuis les Protococcacées les plus simples jus-
qu'aux Chroolépidacées. On sait aussi que ces algues peuvent
abandonner l'association lichénique pour mener la vie auto-
nome. La réflexion sur ces faits pose la question de savoir si
PS PT PP ON RES
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 15
certaines espèces d'algues vertes, même parmi celles qui vivent
isolément, n’ont pas pris naissance dans la symbiose. Mais pour
que cette question vaille d’être posée, il faudrait d’abord savoir
s'il y a pour les algues une évolution continue dans la symbiose,
comme il y en a une pour les Orchidées, ou si les Lichens sont
en général constitués, à chaque génération, suivant le hasard
des rencontres entre les champignons convenables et des algues
quelconques ayant pu indifféremment vivre jusque-là isolément
ou en symbiose. Après ce que j'ai dit de la permanence des
associations entre Orchidées et Rhizoctones, on me permettra de
penser que ce problème pourrait mériter de nouvelles recher-
ches expérimentales.
Le cas des Hépatiques à thalle doit aussi être signalé ; on
sait que le gamétophyte chez beaucoup de ces plantes héberge
des champignons. La chose est depuis longtemps connue pour
le Fegatella conica ; d’après Cavers [9] les spores de cette espèce
germent en plus grand nombre et mieux avec des champignons
que sur un sol stérilisé. Il serait très intéressant de savoir s'il
y à quelque rapport entre la symbiose et la production des
« tubercules » connus non seulement chez le Fegatella conica,
mais encore chez des Fossombria, Anthoceros et autres (1).
L’attention n'a pas été attirée sur cette question, mais elle
mériterait de l'être ; une étude monographique des Hépatiques
entreprise à ce point de vue pourrait utilement servir à con-
irôler la valeur des idées que je soutiens. Pour s’en tenir aux
faits acquis, je remarquerai que si les gamétophytes des Mus-
cinées ont pu évoluer dans la symbiose et acquérir l’état vivace,
les sporophytes de ces plantes sont au contraire toujours
annuels et normalement soustraits à l'atteinte de cham-
pignons (2).
Lés faits qui concernent les plantes vasculaires sont mieux
connus et par suite plus utiles à commenter. Parmi celles de
ces plantes qui vivent actuellement, on s'accorde à considérer
comme les plus primitives soit les Lycopodiacées et Psilotacées
d’une part, soit les Ophioglossées de l’autre ; ces Cryptogames
(1) La question des Hépatiques à tubercules est traitée par Gœbel [45].
(2) A l'exception près du sporophyte de Buxbaumia aphylla dont Peklo [33] a
signalé l’infestation par des champignons.
16 NOEL BERNARD
vasculaires inférieures hébergent régulièrement des champi-
gnons et, chez toutes, la symbiose atteint un haut degré de
perfection.
J'ai été, je crois, le premier à suggérer que les spores des
Lycopodiacées ou des Ophioglossées ne pouvaient pas germer
sans le concours de champignons [3]. On manque encore sur
ce point d'expériences décisives, mais depuis l'examen que j'ai
fait du sujet en m'appuyant sur les travaux de Treub et de
Bruchmann, les observations de Lang [20], Thomas [49] et
Campbell{8]| ont apporté de nouveaux appuis à ma façon de voir.
On ne dépasse pas la portée des faits acquis en donnant comme
règle générale que les prothalles des Cryptogames vasculaires
inférieures hébergent des champignons dès le début de leur
développement, exactement comme les plantules d'Orchidées.
Dès à présent, on est en droit d'assurer que les exceptions à
celte règle ne sont pas plus fréquentes et pas plus importantes
dans un cas que dans l’autre (1).
Les prothalles des Lycopodiacées et Ophioglossées sont tubé-
risés et souvent vivaces, ils prennent à l’état adulte des formes
diverses parfois fort étranges, mais à l’état jeune ils ont la
forme « en toupie » des plantules d'Orchidées ; la localisation
et le degré d'extension des champignons sont exactement com-
parables dans les deux cas.
D’après cela, 1l est fort raisonnable de penser que la symbiose
a eu un rôle dans l’évolution du gamétophyte des plantes vas-
culaires inférieures. Les prothalles éphémères et autonomes des
Sélaginelles, des Zsoetes, des Equisetum, des Fougères sont
des formes très particulières et secondairement acquises. Selon
toute vraisemblance, le gamétophyte des plantes vasculaires
dérive par une adaptation parfaite à la symbiose du thalle vivace
el infesté de quelque forme disparue d'Hépatique ou d’Anthocé-
rotale à tubercules.
L'évolution primitive du sporophyte des plantes vasculaires
peut aussi être considérée comme ayant un rapport avec la
symbiose ; les idées que je soutiens permettent sur ce point de
(1) Je ne donne pas ici la bibliographie des travaux relativement anciens
sur ce sujet; on en trouverait l'indication et le résumé dans le Pflanzen
familien d'Engler et Prantl.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 17
préciser la « théorie du protocorme » proposée par Treub [51]
en lui donnant, je crois, une forme plus satisfaisante.
Cette théorie a élé suggérée par l'étude du développement
des plantules chez le Lycopodium cernuum, mais il serait mieux
aujourd'hui de la déduire des faits concordants observés par
Thomas {49} chez le Phylloglossum Drummondi qui peut à
bien des titres être considéré comme la plus simple des Lyco-
podiacées et de toutes les plantes vasculaires. Chez le Lycopo-
dium cernuum, non seulement les spores donnent naissance à un
prothalle infesté dès son origine, mais encore la jeune plantule
issue de l'œuf forme précocement, vers son sommet, un petit
tubercule infesté, appliqué sur le sol, le protocorme de Treub,
qui porte les premières feuilles et produit tardivement la pre-
mière racine exogène. N'y at-il pas lieu de considérer l'existence
de ce protocorme comme un caractère primitif du sporophyte
des plantes vasculaires; ces plantes n’auraient-eiles pas été des
plantes à tubercules, avant même d’être des plantes à racines?
C’est le sens de la question posée par Treub.
L'existence d’un protocorme chez les Orchidées comme chez
les Lycopodes a pu fournir un argument apparemment défavo-
rable à cette théorie. Les Orchidées sont en effet parmi les plus
évoluées des plantes vasculaires et nullement parmi les plus pri-
mitives. Il faut donc croire qu'un protocorme à pu apparaître
chez des plantes diverses, par suite de certaines conditions de
vie; ce protocorme ne caractériserait pas plutôt des plantes
anciennes que des plantes modernes et 1l ne conviendrait pas
de lui attribuer une signification phylétique particulière. C’est,
si je comprends bien, ce que pense Gœbel 151.
Je reproduis ce raisonnement, queje crois familier à plus d’un
naturaliste, mais il ne me convainc pas. Je démontrerai claire-
ment dans ce mémoire que l'apparition et l’évolution du pro-
tocorme chez les Orchidées sont des événements dus aux pro-
grès de la symbiose ; après cela, il ne pourra guère être douteux
qu'il en est de même chez les Lycopodiacées, où la vie en sym-
biose atteint aussi un remarquable degré de perfection. C'est
donc bien par suite d'une convergence, due à la condition com-
mune de la symbiose, qu'un protocorme est apparu dans les
deux cas; cela me semble incontestable ; je complète volontiers,
ANN. SC. NAT. BOT., 9e série. IX, 2
18 NOEL BERNARD
pour ma part, la théorie de Treub par cette affirmation.
Mais le fait que l'adaptation à la symbiose ait pu se répéter
à diverses reprises, avec des résultats comparables, au cours de
l'évolution des plantes, doit-il empêcher de croire que cette
adaptation ait eu de l'importance et que les résultats réguliè-
rement acquis grâce à elle soient à considérer ? Il y a en vérité
presque autant de chemin à franchir pour passer d’une Luzule
à quelqu'une des Orchidées les plus différenciées que pour
passer d’un sporogone monopodial et annuel de Muscinée à
un sporophyte à protocorme comme le PAylloglossum Drum-
mondii. On ne voit pas pourquoi des raisons du même ordre ne
pourraient pas expliquer aussi bien l’une que l’autre de ces
évolutions, dont la comparaison est largement possible.
A mon sens done, l’idée que le sporophyte annuel des Mus-
cinées s’est affranchi tout d’abord en se couchant sur le sol et
s’y fixant par un « protocorme », en devenant une plante vivace
à tubercules, n’est pas une idée insoutenable. Mais si l’on veut
l’adopter, elle implique comme une conséquence nécessaire
que l'apparition des plantes vasculaires a été la conséquence d’une
haute adaptation de certaines Muscinées à la vie en symbiose avec
des champignons (1).
Si l’on veut maintenant comprendre l'évolution du sporo-
phyte chez les plantes vasculaires en général, il faut partir de ce
fait que chez les plus simples représentants de tout ce groupe
(Phylloglossum, Lycopodes, Psilotum, Ophioglosses) on ren-
contre uniquement des modes de végétation ayant des équi-
valents exacts chez les Orchidées. L'état vivace si parfaitement
caractérisé que j'étudierai chez les Orchidées donne une image
de l’état initial du sporophyte chez les plantes vasculaires.
Je ne chercherai pas longuement ici comment l’état arbores-
cent à pu dériver de cet état vivace de plantes herbacées de
petite taille — bien que la manière dont s’établit chez les Orchi-
dées le mode de végétation des Vanda puisse donner à ce sujet
(1) L'ancienneté de la symbiose chez les plantes vasculaires est surtout
suggérée par le fait que les plus inférieures des plantes actuelles de ce groupe
sont soumises à ce mode de vie. II convient cependant de rappeler que Weiss
(58 | a observé dans les racines de certaines plantes carbonifères des champignons
apparemment semblables à ceux des Psilotum ou des Orchidées.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 19
une indication — mais il m'importe de faire quelques remar-
ques sur l’origine des plantes annuelles.
L'état annuel du sporophyte est exceptionnel chezles Crypto-
games vasculaires ; on le trouve chez quelques Fougères comme
les Anogramme, où il est manifestement secondaire. Chez les
Gymnospermes il est tout à fait inconnu. Chez les Angiospermes
enfin, l’état annuel est réalisé par des plantes appartenant à des
familles fort diverses, mais qui ne sont pas généralement parmi
les familles à caractères floraux primitifs; ici encore, il faut
considérer l’état annuel comme tardivement acquis et chercher
l'origine des Angiospermes parmi des plantes vivaces herbacées
ou arborescentes, la première alternative me paraissant plus
probable.
Quand on consulte les statistiques données par Schlicht [46],
Janse [18], Stahl [48]|, Gallaud [18] ou d’autres sur les cas de
symbiose chez les végétaux supérieurs, les meilleures règles
générales qu'on arrive à dégager sont les suivantes : la presque
totalité des plantes herbacées vivaces et le plus grand nombre
des plantes arborescenteshébergent des champignons; les plantes
annuelles au contraire sont régulièrement indemnes. Ce sont
là, je m'empresse de le dire, des règles approximalives sujettes
à des exceptions. Mais si l'on fait abstraction déjà du cas des
plantes transplantées dans des jardins botaniques ou des plantes
cultivées, ces exceptions sont relativement peu nombreuses.
Comme Je l’ai dit, on rencontre de ces cas exceptionnels même
chez les Orchidées et l’affranchissement de quelques-unes de
ces plantes ne doit pas empêcher de croire au rôle de la sym-
biose dans leur évolution naturelle. Sans doute donc, dans
l'état où sont nos connaissances, il ne faut pas mépriser les
règles approximatives de répartition des endophytes qui peu-
vent seules servir provisoirement à diriger les recherches.
En m'appuyant sur ces règles et sur ce que J'ai dit de l’évo-
lution des modes de végétation des plantes vasculaires, je pro-
poserai en définitive la conception d'ensemble suivante :
Le sporophyte des plantes vasculaires dérive d’un sporogone
monopodial et annuel, qui s’est affranchi en prenant l’étal
vivace par suite d’une haute adaptation à la symbiose avec des
champignons. L'état vivace ainsi acquis à persisté longtemps,
20 NOEL BERNARD
sous des modalités diverses, comme d’ailleurs en général la
symbiose elle-même. Cependant quelques plantes ont pu
s'affranchir des champignons et c'est parmi elles qu'il faut
chercher l’origine des plantes annuelles indemnes. Il à pu
arriver secondairement que de semblables plantes annuelles,
de nouveau attaquées par des champignons, aient répété lévo-
lution primitive et donné les types les plus parfaits et les plus
évolués de plantes vivaces; c’est de ce cas que les Orchidées
seraient un exemple.
Je n’accorde naturellement qu'une valeur suggestive à des
idées aussi largement théoriques. Mon but n’est pas d’en faire
admettre la vérité littérale, mais simplement de montrer que
la question de la symbiose peut avoir des rapports multiples
et étroits avec celle de l’évolution des plantes.
EVOLUTION ET ADAPTATION.
J'ai parlé 1ei de l’évolution par adaptation à la symbiose sans
paraître mettre en doute que l'adaptation à une condition par-
ticulière de vie puisse entraîner la transformation des espèces.
En posant ainsi le problème dans un esprit lamarckien, Je
n'ignore pas les difficultés générales qu'on rencontre si l’on
veut expliquer l’évolution des plantes par une adaptation à
leurs modes de vie. Dans le cas actuel au moins, ces difficultés
ne paraissent pas insurmontables ; je voudrais expliquer pour-
quoi, en me limitant cependant à ce que je puis faire de remar-
ques claires et sans prétention de discuter complètement une
question aussi propice à d’amples controverses.
On ne conteste pas que l’action de facteurs extérieurs à une
plante puisse la modifier; on s'accorde aussi à penser que
l'action continue de conditions particulières, renforcée au
besoin par la sélection des individus les plus sensibles à cette
action, peut permettre d'obtenir des races de plantes visible-
ment différentes de leur souche primitive. Il faut concéder,
par exemple, que les races de betteraves sucrières ont été pro-
duites grâce à des soins spéciaux de culture et aux continuels
efforts des sélectionneurs. Mais, ceci une fois admis, il reste
possible et logique de nier que les progrès accomplis grâce à
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 21
la réalisation de conditions exceptionnelles et grâce à la sélec-
tion aient quelque chose de commun avec ceux qui marquent
dans la nature le passage d'une espèce à une autre plus
évoluée.
Les espèces naturelles paraissent en effet stables, de généra-
tion en génération, en l'absence de soins spéciaux ; même si on
les abrite en quelque mesure de la lutte pour la vie et de la
sélection naturelle, par exemple en réalisant la culture isolé-
ment dans un enclos, les caractères spécifiques restent inva-
riables. Au contraire, les races dont l'amélioration est due à
des conditions artificielles de vie et à la sélection humaine ne
doivent généralement leur stabilité et leur uniformité appa-
rentes qu'au maintien des pratiques grâce auxquelleselles ont été
obtenues. Les races de betteraves sucrières de nos grandes cul-
tures sont une élite isolée parmi toutes les betteraves possibles
qu'auraient pu donner leurs ancêtres. Cette élite (1) est main-
tenue grâce à une sélection constante, grâce au soin qu'on à
de réaliser pour elle à chaque génération les conditions les
meilleures, mais les caractères qui la distinguent n’ont pas
acquis malgré cela de véritable fixité. Si l’on supprimait les
soins de sélection et de culture. on ne tarderait pas à voir cette
élite dégénérer ; ou, plus exactement, les rares individus dans sa
descendance qui mériteraient encore d'y être rangés seraient
noyés dans une foule d'individus quelconques, dont les carac-
tères moyens, seuls stables sans soins spéciaux, pourraient seuls
aussi servir à définir l'espèce.
En un mot, — et je crois reproduire ici fidèlement le sens
d’une des objections essentielles qu’on oppose fréquemment
aux théories lamarckiennes, — les races d'élite obtenues par les
soins que des expériences humaines peuvent réaliser, les races
adaptées si l’on veut à des conditions expérimentales, ne seraient
en rien comparables aux espèces dont elles n’ont pas la véri-
table stabilité. Le problème de l’origine de ces races serait
entièrement distinct du problème de l’origine des espèces natu-
relles.
(1) J'emprunte le mot élite appliqué dans ce sens à Hugo de Vries [56], qui
propose avec juste raison de distinguer de la sélection, dans son sens le plus
large, l'élection qui aboutit à l'isolement des races instables.
22 NOEL BERNARD
Je suis porté à admettre l'exactitude des raisonnements et
des faits que je viens de réunir, mais à contester la valeur
absolue de la conclusion qu'on en tire. J'entends bien qu'il y a
une certaine distinction théorique à faire entre les caractères
ayant le plus haut degré de stabilité et les caractères largement
variables que les conditions de vie ou la sélection peuvent main-
tenir. On pourra dire des premiers qu’ils tiennent surtout à la
nature des individus de l'espèce, à la nature de leurs germes,
ou plus précisément encore à la nature de leurs chromosomes ;
on leur opposera les seconds qui dépendent dans une mesure
plus large de conditions particulières auxquelles des individus
de l'espèce peuvent être momentanément adaptés. Mais peut-on
être parfaitement assuré qu'on ne fera jamais de confusion
entre les uns et les autres ? Peut-on affirmer que des carac-
tères constants dans les conditions naturelles de la vie, appa-
remment capables de servir à la définition des espèces, ne sont
pas en réalité des caractères adaptatifs persistant grâce au
maintien de conditions de vie constantes bien qu’encore incon-
nues ou trop mal définies, comme persistent les caractères
propres des betteraves sucrières grâce aux soins constants et
bien connus du cultivateur? Je voudrais montrer, pour le cas
des Orchidées, combien la confusion sur ce point est possible et
suggérer que les espèces généralement reconnues de ces plantes
n’ont peut-être pas, malgré les apparences, une stabilité d’un
autre ordre que celle des races d'élite dont j'ai parlé tout à l'heure.
Si l’on sème les graines d’un Cattleya, on constate qu’elles
donnent dès la germination un protocorme tubérisé, ayant la
forme d’un disque épais adhérent au support par sa face infé-
rieure et portant le bouquet des premières feuilles au centre
de la face opposée. C’est là pour une jeune plante une forme
des plus particulières ; elle s’observe ici avec une constance
absolue, comme le montre l'examen de semis faits dans les
serres où l’on fait germer des Cattleya par milliers. Selon toute
apparence, il y aurait donc là un caractère du plus haut degré
de stabilité, capable d'être utilisé en systématique. Je pense
cependant que c’est là un des caractères les plus nets qui tra-
duise l'adaptation à la symbiose et je considère son apparition
comme due à l’action des champignons.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 29
Les graines d’Orchidées, comme je l'ai montré, sont sélec-
tionnées par les champignons qu’elles rencontrent et la symbiose
est une condition naturelle nécessairement imposée à toutes
celles de ces graines qui parviennent à germer. Il n’est nulle-
ment exagéré de comparer l'importance qu'ont les champignons
pour les Orchidées à l'importance qu'ont les agriculteurs pour
le maintien des races d'élite qu’ils cultivent. Pour savoir quels
sont chez une espèce d'Orchidée les caractères indépendants de
la symbiose, il faudrait éviter l'intervention des champignons,
comme on peut supprimer l’action de l’agriculteur quand on
se propose de découvrir chez des races améliorées les caractères
indépendants de la culture.
Pour les Orchidées, l'expérience n’est en général pas immé-
diatement réalisable. Si l’on supprime le Rhizoctone qui fait
germer un Cattleya, sans modifier d'ailleurs aucune autre des
conditions du semis, la germination ne se fait plus. On peut bien
en vérité réaliser, comme j'ai dit, des conditions particulières
et nouvelles, équivalentes à la symbiose, dans lesquelles la
germination se produira, sans que d’ailleurs le protocorme
discoïde cesse de se former; mais l'expérience ainsi faite n'a
plus de valeur démonstrative, car la substitution d’une condition
à une autre n'équivaut pas à sa suppression.
Parmi les Orchidées que j'ai étudiées, le Bletilla hyacinthina
seulement s’est prêté à une expérience directe. Pour cette espèce
primilive, la culture comparative, sur des milieux dilués, avec
ou sans champignons, est possible et l'expérience montre
clairement que la formation d’un protocorme est sous la dépen-
dance de l’action des Rhizoctones commensaux. Pour les
Orchidées comme les Cattleya dont l’asservissement à la
symbiose est plus strict, on pourrait tenter, une fois la germi-
nation autonome réalisée par l’action d’une solution concentrée,
de poursuivre la culture de génération en génération sur des
milieux de plus en plus dilués et toujours sans champignons.
L'expérience n’est pas faite et sans doute elle serait longue ;
mais on peut au moins penser, d’après les faits acquis pour le
cas du Pletilla, qu'elle aboutirait à donner des Cattleya germant
sans former de protocorme.
Quelques-uns au moins des caractères apparemment fixes
24 NOEL BERNARD
des Orchidées, peuvent donc dépendre plutôt de la symbiose,
condition constante de vie, que de la constitution héréditaire
des chromosomes apportés par les germes. Une dégénérescence
plus ou moins complète de ces caractères serait sans doute
possible si le mode de vie des Orchidées changeait. En tout cas,
cette dégénérescence est prévenue depuis des temps lointains
par la permanence de la symbiose ; cette condition, pour avoir
été ignorée de ceux qui ont distingué la famille ou qui l'ont
divisée en genres eten espèces, ne reste pas moins essentielle.
Le problème de l’adaptation à la symbiose peut encore se
prêter à l'expérience par une voie différente de celle que je viens
de suggérer. Je montrerai dans les chapitres IT et IV de ce
mémoire que des Orchidées adaptées à vivre avecun champignon
d'un certain degré d'activité peuvent tolérer la symbiose avec
des champignons d'activité plus grande. Elles réagissent alors
en se développant avec plus d’exubérance et en présentant
parfois des modes de germination anormaux. Quelques-uns des
semis obtenus ainsi dans ces conditions exceptionnelles ont
présenté le polymorphisme que Hugo de Vries a noté dans les
semis de plantes en voie de mutation [55]. L'extrême lenteur
du développement des Orchidées, qui ne fleurissent jamais
avant plusieurs années de vie, rendrait par malheur particu-
lièrement laborieux d’apprécierle degré de fixité de ces caractères
brusquement acquis.
Quel que soit le degré d’imperfection auquel des difficultés
matérielles ont limité mes expériences, il m'a paru qu'une inter-
prétation lamarckienne des faits pouvait au mieux leur donner
une cohésion suggestive. C’est là en définitive une raison valable
pour adopter une doctrine, tant que la réflexion la plus attentive
n'a pas fourni contre elle d'argument décisif.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 25
CHAPITRE I
LES CHAMPIGNONS ENDOPHYTES DES ORCHIDÉES (1).
$ !. — Modes de végétation.
Les champignons qui vivent en symbiose avec les Orchidées
ont un mode de végétation caractéristique pendant leur vie
dans les tissus des racines ou des plantules : ils envahissent les
cellules de proche en proche en formant dans chacune, avant
de gagner la voisine, un peloton de filaments contournés,
ramifiés et enchevêtrés d’une facon fort complexe. Dans les
cellules envahies depuis longtemps les filaments pelotonnés
demeurent parfois reconnaissables; plus fréquemment le
peloton entier est digéré par la cellule hôte et se réduit à une
masse de dégénérescence amorphe. Jamais le champignon ne
forme de spores ni d'organes reproducteurs d'aucune sorte
dans les tissus de plantes en bon état.
Les jeunes pelotons extraits de cellules où ils viennent de se
former peuvent se développer en donnant du mycélium libre
quand on les sème sur un milieu nutritif approprié (fig. 2). On
peut en particulier obtenir, en toute sûreté, des cultures pures
de ce mycélium, par semis d’un seul peloton pris comme germe
initial. La méthode à employer pour cela est décrite dans la
note II de l’Appendice joint à ce mémoire. Par cette méthode
ou par d’autres, j'ai obtenu des cultures pures de champignons
hébergés par diverses Orchidées, Tous ces champignons, bien
qu'ils soient de plusieurs espèces, ont en commun, pendant
leur vie libre dans les cultures, un même mode général d'évo-
(1) Je crois inutile de reprendre ici une discussion des opinions émises sur
la nature des champignons endophytes des Orchidées; je l’ai fait ailleurs [6].
L'identité des champignons que j'ai cultivés avec le mycélium intracellulaire
des racines ne peut plus faire de doute. Je dois cependant signaler que la
Centralstelle für Pilzculturen d'Utrecht met en vente et annonce dans le Bota-
nisches Centralblatt, sous la désignation Wurzelpilz (Symbiont) von Cattleya Bei-
jerinck, un mycélium qui n’a rien de commun avec ceux que j'ai obtenus el
étudiés. Je me suis procuré ce champignon par achat; semé avec des graines
de Cattléyées, il ne les a pas fait germer et n’a contracté avec les embryons
aucune symbiose.
26 NOEL BERNARD
lution dont je m'attache d'abord à dégager les caractères
essentiels.
Les filaments nés d'un peloton
Fig. 2. — Germination en chambre humide d’un
peloton de mycélium intracellulaire extrait
d’une racine de Phalænopsis.
qui germe s’accroissent
autour de lui, se rami-
fient et forment bientôt
un voile de filaments
rayonnants qui s'étend
peu à peu sur tout le mi-
lieu de culture. La crois-
sance de chaque filament
est alors localisée dans
son article terminal qui
se cloisonne périodique-
ment et isole en arrière
de lui des articles suc-
cessifs. Des rameaux
naissent isolément sur les
filaments de premier or-
dre, chacun apparaissant
un peu en arrière de la
cloison la plus récemment formée de l’article qui le porte. La
Fig. 3. — Portion d’un voile de Rhizoctonia repens (série C), développé en culture
pure sur la paroi du tube de culture.
texture du voile se complique de bonne heure par suite d’anas-
tomoses entre les filaments de diversordres, mais tous ces fila-
ments restent d’abord semblables, de calibre constant, sensi-
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE . 97
blement rectilignes ou ne présentant du moins que des cour-
bures de grand rayon.
_ Au moment où le voile cesse de s'étendre, on voit souvent
apparaître çà et là, à quelque distance de son pourtour, des
pelotons de mycélium assez semblables à ceux qui se forment
dans les cellules des racines. Ces pelotons se produisent par
enroulement de l'extrémité de jeunes filaments en voie de
croissance (fig. 4, A); ils peuvent quelquefois devenir assez
serrés (fig. 3) ; ils donnent souvent naissance de bonne heure à
des filaments mycéliens qui rayonnent autour d'eux en gardant
un mode de croissance normal.
Dans les cultures ces pelotons sont assez rares; j'ai été
longtemps sans les remarquer ; mais, depuis que mon attention
a été attirée sur ce point, j'ai souvent regardé au microscope
les voiles formés sur le verre de tubes de culture et j'y ai toujours
observé quelques pelotons. Ilne s’agit pas là d’un fait accidentel,
mais d’une circonstance parfaitement régulière.
Autrefois J'ai cru que le pelotonnement était un mode de
végétation caractéristique de la vie dans les cellules et direc-
tement entraîné par elle. Il n’en est rien puisque des pelotons
peuvent se former sur des milieux de culture où ils n'ont à
subir aucune des contraintes que la vie intracellulaire peut leur
imposer. La propriété de former des pelotons est-elle du moins
un caractère acquis par suite de la vie intracellulaire et devenu
secondairement capable de persister dans la vie libre? Je ne le
crois pas, car, d’après ce que j'ai vu, un assez bon nombre de
Mucédinées, des Fusarium et d’autres, qui ne sont pas connues
pour mener la vie intracellulaire, sont capables tout autant que
les endophytes d’Orchidées de produire, dans les cultures pures,
des pelotons mycéliens plus ou moins développés.
En somme, cette propriété du pelotonnement est assez banale ;
les champignons qui m'occupent ici ne sont pas les seuls à la
présenter ; ils la possédaient peut-être avant de vivre avec les
Orchidées ; elle a dû, en tout cas, être très favorable pour
l’adaptation à la symbiose dont le maintien paraît lié à l’exis-
tence de ce singulier mode de végétation des champignons endo-
phytes, comme je le dirai à la fin du chapitre V.
Sur les voiles âgés, il naît des filaments moniliformes à
28 NOEL BERNARD
articles courts et renflés, riches en glycogène à l’état jeune,
comme le montre la couleur acajou qu'ils prennent dans les
solutions iodées. Ces filaments naissent et se développent dans
tous les cas de la même manière ; ils se ramifient toujours
assez abondamment. Comme on le verra plus loin, ils restent
libres chez une des espèces d’endophytes (fig. 3), tandis que
chez les autres espèces ils s’anastomosent entre eux et forment
ainsi des selérotes (fig. 4, A et fig. 5).
La formation des filaments moniliformes marque la dernière
phase de l’évolution des endophytes d’Orchidéesdansles cultures ;
malgré divers essais, je n’ai Jamais réussi à obtenir les formes
fructifères parfaites de ces champignons. Comme caractère
général, je puis encore signaler la propriété qu'ils ont de digérer
la cellulose. À de nombreuses reprises, j'ai fait des cultures
soit de champignons seuls, soit de champignons et de graines
sur des plaques de coton hydrophile imbibées de décoctions de
salep. Ces plaques de coton deviennent assez rapidement
fragiles et se dissocient aisément ; au bout de plusieurs mois,
elles peuvent même tout à fait disparaître.
$ 2. — Comparaison avec le Rhizoctonia violacea (Tul.).
Les clefs dichotomiqnes ou les diagnoses des flores de
champignons tiennent peu compte de caractères ayant trait au
mode de végétation du mycélium, tels que ceux dont je viens
de me servir pour définir en général les endophytes d'Orchidées.
Aussi serais-Je resté incertain de la place systématique à donner
à ces champignons, si je n'avais eu antérieurement l’occasion
d'étudier par moi-même un champignon bien connu qui
présente avec eux une indiscutable ressemblance.
Il s’agit du Rhizoctonia Solani de Kühn, très commun sur les
tubercules de Pommes de terre où il forme de petits sclérotes
noirâtres, irréguliers, qu'on distingue facilement des parcelles
de terre desséchées par leur résistance aux lavages. Le Sylloge
fungorum de Saccardo donne ce champignon comme identique
au Rhizoctonia violacea de Tulasne observé sur les racines de
Luzernes, de Safrans et d’autres végétaux. Cette identité est
affirmée par divers observateurs M6]; je l'admettrai ici sans
9
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE (e]
m'en porter garant, bien qu’elle me paraisse fort vraisem-
blable. Pour éviter toute incertitude, je dois dire seulement que
mes observations ont porté sur des cultures de Rhizoctonia
violacea provenant de sclérotes pris sur des pommes de terre.
J\ 3:
Fig. 4. — À, portion d’un voile de Rhizoctonia mucoroïdes (série P), à un endroit où
un sclérote commence à se former; en haut, début de formation d’un peloton en un
autre point du voile. — B, portion d'un voile de Rhizoctonia violacea à un endroit
où un sclérote commence à se former.
J'ai cultivé ce Rhizoctone dans les mêmes conditions que les
endophytes d’Orchidées. Il donne alors un voile de filaments
cylindriques, rampants, à croissance terminale, unis bientôt
par des rameaux d’anastomose. Après quelques jours, des
filaments moniliformes, riches en glycogène, apparaissent en
divers points de ce voile, s’anastomosent entre eux et forment
ainsi les sclérotes qui brunissent en vieillissant. Ces deux
périodes de végétation ont été en particulier bien distinguées
par Rolfs [44] qui en donne des figures ; elles sont exactement
comparables aux périodes correspondantes de la formation du
voile chez les endophytes d'Orchidées.
La ressemblance est surtout frappante entre le Rhizoctone de
30 NOEL BERNARD
la Pomme de terre et les endophytes de Phalænopsis ou Vanda,
comme la figure 4 le met en évidence. L'examen de cette figure,
et, mieux encore, la comparaison des préparations, ne laisse
pas en doute qu'il s'agisse bien là de deux espèces très voisines
dont la différence la plus notable est le diamètre des filaments
moniliformes, toujours beaucoup plus grand chez le Rhizoctonia
violacea que chez les endophytes d'Orchidées.
Ma conviction d’une étroite parenté entre ces espèces a été
affermie par la découverte de pelotons de mycélium dans les
cultures de Rhizoctonia violacea. Ces pelotons sont relativement
rares et cela explique qu'ils n'aient pas été remarqués ni décrits;
leur présence dans les cultures est cependant constante, tous
les voiles étudiés par moi en ont présenté quelques-uns, et cela
aussi bien pour des cultures récemment obtenues de sclérotes
que pour un mycélium gardé à mon laboratoire par réensemen-
cements successifs depuis plus de cinq ans. Ces pelotons sont
normalement assez peu fournis et deviennent rapidement mé-
connaissables par suite du flétrissement des filaments qui
les forment; ils rappellent par là exactement ceux qu’on observe
dans les cultures des endophytes de Phalænopsis ou Vanda.
Cette ressemblance étroite et certaine doit évidemment être
traduiteenréunissantles endophytes d’'Orchidéesetle Rhizoctonia
violacea dans un même groupe naturel. On n’a jusqu’à présent
rangé dans le genre Rhizoctonia que des champignons formant
des sclérotes, et une espèce au moins d'endophytes d’Orchidées
n’en donne jamais. Mais je tiens pour assuré que la similitude
complète des modes de végétation indique beaucoup plus
sûrement la parenté de ces espèces que la présence ou l'absence
de sclérotes.
Je crois donc pouvoir ranger les champignons d'Orchidées
dans le genre ARhizoctonia d’après la simple assurance de leur
proche parenté avec le ÆRhuizoctonia violacea. Celte manière de
faire aura pour le moment l'avantage de ne pas compliquer la
nomenclature existante. Une révision générale des espèces du
genre fhizoctonia permettrait seule d'aboutir à une définition
correcte du genre entier ou des subdivisions qu'il conviendrait
d'y faire. Mais c’est là un travail qu'il m'a été actuellement
impossible d'entreprendre,
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 31
$ 3. — Trois espèces de Rhizoctones d’Orchidées.
J'ai conservé depuis plusieurs années au laboratoire, par
réensemencements successifs, des cultures d’endophytes isolés
à diverses dates et provenant d’une vingtaine d'espèces d'Orchi-
dées réparties dans onze genres différents. Pour la compréhension
des expériences rapportées dans ce mémoire, il est indispensable
de distinguer chacune des séries de cultures définie par son
origine et par la date d'isolement du mycélium dont elle provient.
Afin de simplifier, je désignerai ici chaque série de culture par
une lettre particulière.
Au point de vue de la classification des endophytes les choses
sont plus simples. Ces champignons sont moins variés que les
plantes desquelles ils proviennent; j'ai pu sans ambiguïté les
répartir en trois espèces dont les caractères distinctifs sont très
nets et d’une grande constance. Je donne ici les diagnoses de
ces espèces d’après les caractères observés dans mes cultures.
Quand ces cultures sont faites sur les milieux nutritifs au salep
que j'ai constamment employés pour les semis de graines (voir
Appendice, note I) le mycélium ne forme qu'un voile mince sur
le milieu de culture et sur les parois humides des tubes. Sur des
milieux nutritifs plus riches, tels que des morceaux de carotte
stérilisés, ce voile peut devenir beaucoup plus épais et produire
des filaments aériens. Mais, quelles que soient les conditions
de culture, la distinction des trois espèces est toujours facile,
aussi bien par l'aspect macroscopique que par l'étude au micro-
scope.
1° Rhizoctonia repens (fig. 3).
Mycélium toujours rampant, formant sur les milieux nutritifs
riches un voile épais, blanc jaunâtre, qui peut devenir brun claw
tardivement. Filaments moniliformes ramifiés, groupés en petits
amas granuleux, jamais anastomosés. Pelotons formés par l'enrou-
lement de filaments mycéliens sur eux-mêmes pendant denombreuwr
lours.
Le plus grand nombre des champignons que j'ai isolés se
32 NOEL BERNARD
rattachent à cette espèce : elle est donc très répandue; dans
l'exposé de mes premières recherches [6], j'en ai donné déjà
une description.
Les séries suivantes du Rhizoctonia repens ont servi à mes
expériences :
Série L. — Mycélium isolé en Juin 1903; provenant de jeunes
plantules de Cattleya Mossie << Læla purpurata obtenues par
semis dans les serres de M. Magne, à Boulogne-sur-Seine.
Série L. — Mycélium isolé en novembre 1907; provenant
des racines d’un Lælia crispa adulte cultivé dans les serres du
Jardin des plantes de Caen.
Série S. — Mycélium isolé en septembre 1903; provenant des
grosses racines d’un Spiranthes autumnalis récolté aux environs
d'Alençon.
Série C. — Mycélium isolé en décembre 1903 ; provenant
des racines d’un Paphiopedilum insigne cultivé dans une serre
du Jardin des plantes de Caen (1).
Série C’. — Mycélium isolé en décembre 1905 ; provenant des
racines du même Paphiopedilum insigne.
Série C,. — Mycélium isolé en décembre 1905 ; provenant des
racines d’un Phragmopedilum hybride (P. Schlimi var. albi-
florum>
>
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 39
gros dans mes cultures atteignaient la grosseur d'un pois.
L’enroulement du mycélium en pelotons peut se prolonger pendant
de nombreux tours.
J'ai obtenu plusieurs séries de cultures de cette espèce à
partir des racines d’une
même plante d'Odonto-
glossum grande cultivé
dans les serres du
Jardin des plantes de
Caen :
Série O. — Mycélium
isolé de jeunes racines
en novembre 1904.
Série 0’. — Mycélium
a À ae £ Fig. 5. — Portion d'un voile de Rhizoctonia lanu-
isolé de vieilles racines ginosa (série 0), à un endroit où un sclérote
en juillet 1905. commence à se former.
Série 0", — Mycélium isolé de vieilles racines en juillet 1906.
Mes recherches ont été trop peu étendues pour que j'aie l'am-
_bition d’en déduire une idée générale précise de la répartition
naturelle des endophytes d’Orchidées. Cependant, à titre provi-
soire, je puis faire les remarques suivantes :
Les espèces d’un même genre d'Orchidées, quels que soient
leur origine et le lieu actuel de leur culture, m'ont toujours
fourni la même espèce de Rhizoctones ; il y a donc une certaine
régularité dans le choix fait par les Orchidées de leurs champi-
gnons commensaux.
Le Rhizoctonia repens habite des Orchidées fort diverses appar-
tenant à des branches nettement séparées de l'arbre généalogique
de la famille. Les Rhizoctonia mucoroïdes et lanuginosa n'ont au
contraire été rencontrés que dans de rares Orchidées qui sont
parmi les plus évoluées de la famille, comme on le verra dans le
chapitre IL.
La symbiose étant un mode de vie très ancien des Orchidées,
il est raisonnable de croire que l’évolution des champignons
endophytes s’est faite en même temps que celle des plantes
qui les hébergent. Je suis porté à croire d’après cela que le
Rhaizoctonia repens est une espèce primitive dont les Æ/izoclonin
30 NOEL BERNARD
mucoroïdes et lanuginosa seraient tardivement dérivés. Dans
ces conditions on pourrait considérer les sclérotes des deux
dernières espèces comme provenant des filaments moniliformes
isolés du Rhizoctonia repens; ceux-ci seraient peut-être à leur
tour une forme dégradée d'appareil conidien.
S 4. — Rhizoctonia et Hypochnus.
Au cours de recherches sur certaines maladies de la Pomme
de terre, Rolfs [43, 44] a eu l’occasion de compléter les connais-
sances précédemment acquises sur le cycle évolutif du Rhizoc-
tonia violacen; Güssow [16] à déjà attiré l'attention sur ces
recherches qui présentent à mon point de vue un grand intérêt.
À la base de tiges aériennes de Pomme de terre, provenant
de tubercules infestés par des sclérotes du Rhizoctonia violacea,
Rolfs a vu se développer un lacis de filaments bruns donnant
naissance à des hyphes dressés terminés par des basides à deux
ou quatre basidiospores.
L’hyménium fructifère ainsi formé est lâche et floconneux, il
représente l’une des formes les plus simples et sans doute les
plus primitives de fructification dans le groupe des Basidio-
mycètes à hyménium. Cette forme fructifère avait été observée
antérieurement par Prillieux et Delacroix qui l’ont décrite sous
le nom d'ÆHypochnus Solani [41], mais n’ont pas soupçonné
son origine. Rolfs a montré que les basidiospores de cet Æypo-
chnus reproduisent en germant la forme Rhizoctonia. L'évolu-
ion du Rhizoctone de la Pomme de terre se trouve ainsi connue
d'une manière complète et sa place systématique fixée sans
incertitude (1).
Malgré divers essais de culture dans des conditions variées,
je n’ai jamais obtenu la forme fructifère parfaite des Rhizoc-
tones d’Orchidées. Mais, comme je l'ai dit, ces champignons,
(4) Une question de synonymie reste seule en litige. Rolfs, tout en consta-
tant expressément l'identité du champignon qu'il décrit avec l'Hypochnus
Solani (Pr. et Del.) en fait, d’après l'avis de E. A. Burt, une variété du Corti-
cium vagum (B. et C.). La distinction des Hypochnus et de certains Corticium
peut aisément donner matière à des controverses que je n’ai nulle compétence
pour trancher; je conserve le nom donné par Prillieux et Delacroix qui est
actuellement admis dans les traités et dans les flores d'un usage courant.
|
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE SE
spécialement le Rhizoctonia mucoroïdes, se rapprochent du Rhi-
zoctone de la Pomme de terre d'une manière évidente. Cette
ressemblance ne porte pas uniquement sur tel ou tel détail d’or-
ganisation, mais sur le mode général même de l’évolution ; elle
paraît ainsi un indice assuré de proche parenté et non un fait
de convergence accidentelle ; elle autorise par suite à penser que
les endophytes d’Orchidées sont des formes stériles de Basidio-
mycèles appartenant au genre Hypochnus ou à des genres très
voisins. Les formes fructifères parfaites de ces champignons
pourront sans doute être trouvées un jour ou l’autre. Si j'en
juge par l’insuceès de mes recherches, elles ne doivent pas exister
communément dans les serres où l’on cultive les Orchidées exo-
tiques et l’on doit considérer comme une règle générale que les
endophytes s'y maintiennent le plus souvent sous leurs formes
stériles.
Il est intéressant de rappeler ici que dans un autre cas déjà
une forme Ahizoctona à pu être identifiée avec un Wypo-
chnus. U s’agit d’un champignon décrit par Léveillé [22] sous
le nom de ÆRhizoctonia centrifuga, qui forme sur les écorces
d'arbres des voiles aranéeux circulaires parsemés de petits sclé-
rotes bruns. Les frères Tulasne [521 ont observé et décrit sous
le nom d’'Hypochnus centrifuqus la forme fructifère de ce Rhi-
zoctone; elle apparaît sur les voiles développés à l'abri de la
lumière, qui deviennent plus denses et produisent un hyménium
blanc de filaments terminés par des basides (1).
Les filaments de ce champignon présentent des boucles
d’anastomose (Schnallenverbindungen) entre les articles con-
tigus d’un même filament. C’est une particularité bien connue
dans ce cas, la figure du traité de À. de Bary [4] qui s’y rap-
porte étant reproduite dans de nombreux ouvrages relatifs aux
champignons. J'ai observé de semblables boucles d’anastomose
sur les filaments d’un mycélium remplissant les vieilles liges
creuses du Neottia Nidus-avis et aussi les fruits souterrains de
cette espèce où des graines étaient en germination [4|.
(1) Une question de synonymie semblable à celle que soulève la classification
de l’'Hypochnus Solani pourrait se poser ici, puisque d’après l'opinion de Broom —
rapportée par les frères Tulasne — l’Hypochnus centrifugus peut être rattaché
au Corlicium arachnoideum de Berkeley.
$ NOEL BERNARD
Schacht {45} à décrit une particularité semblable pour un
mycélium observé à la surface ou même dans les cellules externes
du rhizome de l'£pipoqium Gmelini. H s’agit peut-être dans les
deux cas de formes libres d’endophytes d'Orchidées, différentes
de celles que j'ai décrites dans ce chapitre, mais appartenant
au même groupe et se rapprochant par un trait de l'Hypochnus
centrifuqus.
CHAPITRE II
LES PHÉNOMÈNES DU DÉVELOPPEMENT
CHEZ LES ORCHIDEES
Je décrirai dans ce chapitre les phénomènes normaux de la
germination chez diverses Orchidées qui ont servi à mes expé-
riences (1) et j'essairai en partant de là de retracer l’évolution
qu'ont dû subir les modes de développement dans toute la
famille.
Pour diriger sûrement cette étude, il faut tenir un grand
compte des rapports établis entre les diverses Orchidées par les
classifications naturelles fondées sur l'examen des plantes
adultes ; on doit évidemment rechercher les modes de germina-
lion les plus primitifs chez les Orchidées qui sont à tous points
de vue les plus simples et considérer comme des modes dérivés
ceux qu'on observe chez les plantes les plus complexes de Ia
famille. Il est donc utile, afin de limiter dès l’abord le domaine
des faits accessibles à ma tentative, d'acquérir une idée sur la
phylogénie des Orchidées en général ; cela est devenu possible
grâce aux documents patiemment réunis et coordonnés par
Pfitzer.
Un examen de la classification naturelle proposée par ce
35] suggère que, dans une large mesure, l’évo-
lution des Orchidées épiphytes a été indépendante de celle des
Orchidées terrestres, l'un ou l’autre des modes de vie pouvant,
à quelques exceptions près, caractériser les grandes subdivisions
de la famille.
savant spécialiste
(4) Les détails relatifs aux modes de culture ou à l’origine des graines
employées sont donnés dans les notes 1, IT et IV de l’Appendice.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 39
Les Orchidées épiphytes se rattachent presque exclusivement
à une grande série naturelle correspondant à peu près à l’en-
semble des Épidendrées et Vandées de Bentham. Cette série est
définie par l'existence d’une élamine unique, la position des
pollinies dont le sommet est tourné vers le rostellum, la cadu-
cité de l’anthère qui tombe après l'enlèvement du pollen et
l'existence d’articulations aux feuilles. Presque toutes les
Orchidées de serre appartiennent à ce grand groupe. Dans la
première partie de ce chapitre je comparerai les modes de ger-
minaltion de plusieurs d’entre elles en les énumérant à peu près
dans l’ordre adopté par Pfitzer pour leur classification. Ces
diverses Orchidées présentent à de nombreux points de vue des
degrés croissants de complexité ; leurs modes de germination
variés s’enchainent d’une façon assez graduelle pour qu'on
puisse penser qu'ils représentent des étapes de l’évolution natu-
relle.
Les Orchidées terrestres appartiennent à plusieurs séries bien
distinctes qui sont comme autant de branches séparées d’un
arbre généalogique. Ce sont d'abord les Orchidées diandres,
à deux ou trois étamines fertiles, parmi lesquelles les deux
genres d'Apostasiées occupent un rang inférieur, tandis que les
Cypripédiées atteignent le plus haut degré d'évolution. Il faut
mettre à part ensuite les Ophrydées, groupe très homogène
d'Orchidées à bulbes, dont l'étamine unique renferme des polli-
nies attachées au rostellum par leur base. On doit distinguer
enfin des séries précédentes la grande tribu assez variée des
Néottiées dont les pollinies tournent leur sommet vers le ros-
tellum, mais dont l’anthère est persistante après la chute du
pollen et dont les feuilles sont dépourvues d’articulation. Dans
la seconde partie de ce chapitre j'étudierai, autant que cela
est possible, l’évolution des modes de germination dans chacune
de ces séries naturelles.
PREMIÈRE PARTIE
L'ÉVOLUTION DES ÉPIDENDRÉES ET VANDÉES.
Dans le grand groupe d'Orchidées généralement épiphytes
dont j'entreprends l’élude, l'évolution parait avoir été plus
40 NOEL BERNARD
accentuée que dans aucun autre. La série des genres que j'exa-
minerai part de formes relativement primitives, pour aboutir à
d’autres qui présentent le plus haut degré de complexité réalisé
dans toute la famille.
Le Bletilla hyacinthina, une Orchidée d'Extrème-Orient dont
je parlerai d’abord, occupe incontestablement dans tout le
groupe un rang des plus inférieurs. On trouve réunis chez cette
espèce un ensemble de caractères communs à toutes les Orchi-
dées primitives en général, tels que l'habitat terrestre, le mode
de végétation sympodial, la préfoliation convolutive, la position
terminale des inflorescences, l’indépendance des masses polli-
niques par rapport au rostellum. Pfitzer a clairement mis en
évidence la valeur de ces caractères ancestraux ; j'aurai à noter
leur disparition progressive chez les divers genres de plus en
plus évolués que j'étudierai ensuite.
$ 1. — Bletilla hyacinthina (Reich.) (1).
MODE DE VÉGÉTATION A L'ÉTAT ADULTE
J'examinerai tout d'abord la manière dont végète le Bletilla
hyacinthina à son état adulte, surtout afin de bien fixer
le mode de symbiose auquel cette plante est soumise. A des
différences de détail ou de degré près, les remarques que
J'aurai à faire à ce sujet s’appliqueraient en général aux Orchi-
dées à végétation sympodiale produisant des rhizomes articulés
ou des bulbes. L'examen que j'ai fait autrefois [4] du cas des
Ophrydées le montrerait au mieux.
Une plante de PBletilla à l'état de repos, telle qu’on peut la
voir en décembre, est réduite à un rhizome articulé, souvent
ramifié, toujours vert et superficiel. Chaque article du rhizome
est constitué par un tubercule discoïde montrant les cicatrices
circulaires de feuilles tombées et relié à l’article suivant par
(1) Cette espèce est souvent encore désignée sous le nom de Bletia hyacin-
thina (R. Br.) et j'ai moi-même eu le tort d'adopter précédemment [6] cette
désignation fautive. La position de l’inflorescence qui est latérale chez les
Bletia est une raison suffisante pour légitimer la distinction, mais je pourrai
en donner une raison nouvelle. En effet, d'après une figure de Beer [2], le
Bletia verecunda germe en donnant un protocorme discoïde, du type cattléven,
c’est-à-dire tout autrement que le Bletilla.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 41
une courte digitation horizontale (fig. 1, PL. I) ; là où le rhizome
se ramifie, un même article est relié par deux digitations à deux
tubereules voisins. A l’époque dont je parle, ce rhizome ne
porte que des débris de racines plus ou moins désorganisées
el aucune racine vivante.
Quand on suit la marche de la végétation annuelle, à partir
de l’état queJe viens de décrire, on peut y distinguer deux séries
de phénomènes correspondant à deux périodes successives.
La première période est caractérisée par le développement
de pousses feuillues qui se dressent à l'extrémité des digitations
libres portées par les articles terminaux du rhizome (fig. 1, pl. 1).
Cette période est par excellence celle de la végétation active :
l'apparition des bourgeons floraux au dehors, qui se produit en
mars, peut être considérée comme marquant sa fin.
La poussée de Jeunes racines qui commencent à s’accroître
dans le cours de mars et d'avril précède de très peu le début
de la seconde période. Peu après cette sortie des racines, les
entre-nœuds basilaires de chaque tige aérienne commencent à
s'épaissir et un ou deux des bourgeons situés à l’aisselle des pre-
mières feuilles de ces tiges se développent en courtes pousses
horizontales. Ainsi se forme chaque article du rhizome avec
son tubercule el ses digitations; il acquerra son aspect défi-
nitif en automne, au moment oùles tiges aériennes se flétriront.
L'épisode essentiel qu'est la tubérisation des articles du rhizome
peut, mieux que tout autre, caractériser cette seconde période
de la végétation annuelle ; elle correspond aussi à l'époque de
la formation des fruits qui mürissent en octobre.
Les champignons n’infestent jamais le rhizome ; tant que la
plante y est réduite, elle est tout à fait indemne. La première
période de végétation active est donc une période d'autonomie.
La seconde période au contraire devient presque dès son début
une période de commensalisme ; les jeunes racines sont en effel
régulièrement infestées dès qu'elles atteignent une longueur de
quelques centimètres. Comme à lordinaire, les champignons
pénètrent les racines en voie de développement dans la région
située en arrière de la zone de croissance; ils végètent quelque
temps dans l'écorce formant des pelotons dans les cellules,
jusqu’au moment où ils y sont digérés. Les racines qui ont cessé
49 NOEL BERNARD
de s’accroître ne sont plus sujettes à des infestations nouvelles
et, bien avant leur désorganisation, elles ne renferment plus
que des pelotons digérés, à l'exclusion de mycélium vivant.
De ces constatations il résulte deux conséquences qui contri-
buent à faire comprendre la nature des rapports existant
entre la plante et son champignon commensal.
La plante, au cours de sa période de végétation active, diffé-
rencie ses principaux organes sans avoir à subir l’action des
champignons. Elle est soumise à cette action seulement à partir
du début de la seconde période, pendant un temps difficile à
limiter exactement mais qui ne doit pas dépasser six mois.
C'est pendant ce temps qu'elle forme son rhizome et qu'elle
mürit ses fruits.
Les champignons sont assujettis à un régime analogue.
Pendant quelques mois chaque année, ils peuvent vivre en
symbiose, entrer dans les racines, y rester quelque temps et
sans doute en sortir parfois, pour retourner au sol, avant d’être
intégralement détruits par digestion (1). Mais pendant une
longue période ensuite la plante ne leur offre plus aucune porte
d'entrée accessible et ils doivent uniquement végéter dans le
sol. Cette seconde constatation prend toute son importance si
l'on songe au fait, établi plus loin, que la vie en symbiose est
pour les champignons le moyen d'acquérir une sorte de viru-
lence, un pouvoir d'actionsur leurs hôtes, etque la vie autonome
entraîne au contraire l’atténuation de cette activité particulière.
Dans ce cas donc la plante est en définitive soustraite pendant
au moins la moitié de sa vie à toute action de ses commensaux.
Ceux-ci, d'autre part, à cause du régime même que cet état de
chose leur impose, se trouvent empèchés d'accroître d’une façon
continue leur pouvoir d'action sur leur hôte. Il s’agit là, à mon
sens, d'une forme primitive de symbiose ; l'examen des phéno-
mènes de la germination chez le Bletilla permettra mieux
encore d'apprécier son imperfection.
(1) Les conditions de l'entrée et de la sortie des champignons seront étudiées
d'une manière générale dans le chapitre IV.
US
Co
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE
LES GRAINES ET LEUR GERMINATION.
Chez les Monocotylédones en général, les graines mûres
ont un albumen et un embryon normalement différencié; il
devait en être ainsi chez les ancêtres des Orchidées. Mais
chez la plupart des représentants actuels de cette famille,
l’albumen disparaît de très bonne heure dans la jeune
graine, ou ne s'y forme pas du tout; l'embryon reste indiffé-
rencié, sans cotylédon ni radicule; souvent il porte encore
un suspenseur à sa maturité. Le tégument de la gramne est
mince, réliculé, et d'ordinaire transparent.
Fig.6.— Blelilla hyacinthina. — À, embryon avec son suspenseur ramifié, deux mois
avant la maturité de la graine. — B, coupe longitudinale dans l'embryon d’une
graine müre, montrant à la partie inférieure le reste du suspenseur flétri et à la
partie supérieure le cotylédon.
L'étude des graines de £letilla fournit une nouvelle raison
pour considérer cette plante comme une Orchidée primitive.
J'ignore s'il y a ou non début de formation d’un albumen ;
44 NOEL BERNARD
la graine müre en est dépourvue, elle ne comprend comme à
l'ordinaire qu'un embryon etun tégumentmince, maisl'embryon
atteint un état exceptionnel. Deux mois avant la maturité de la
graine il est encore indifférencié et porte à son pôle postérieur
un suspenseur ramifié (fig. 6, À) ; il est alors comparable, par
sa taille et son degré de différenciation, aux embryons mûrs
du plus grand nombre desOrchidées. Avant la maturitéle suspen-
seur se flétrit et un cotylédon commence visiblement à se déve-
lopper à la partie antérieure du corps embryonnaire (fig.6,B).
Ces embryons de Bletilla sont donc plus volumineux et mieux
organisés que ceux des Orchidées dont je m’'occuperai par la
suite. Ils montrent aussi une vitalité plus grande, car ils peu-
vent se développer sans le concours de champignons, même
sur des milieux de culture dilués, dans des conditions compa-
rables à celles de la vie normale. La symbiose, qui est pour les
Orchidées en général une condition nécessaire du premier
développement, n’est encore ici qu'une condition facultative.
C'est là un fait exceptionnel, mais d'un grand intérêt, car il
rend possible d'étudier l’action des champignons en comparant
directement le développement de plantules autonomes et de
plantules infestées.
Pendant cinq années successives, j'ai fait des semis de
Bletilla en m'efforçant de réaliser des conditions où cette com-
paraison puisse se faire d'une façon instructive. Les premières
expériences, déjàrapportées ailleurs [6], m'avaient simplement
démontré que lasymbiose est facultative. Plus tard, j'ai reconnu
que le développement peut se faire suivant différents modes.
Instruit enfin par la critique de ces essais préliminaires, lors-
que j'ai eu par ailleurs constaté l’existence de variations d’ac-
tivité chez les champignons, j'ai pu réaliser des expériences qui
précisaient les conditions d’où dépendent les divers modes du
développement. Ces expériences seront décrites et commentées
dans les chapitres IT et VI; pour le moment j'anticiperai sur
leurs résultats par mes affirmations, mon seul dessein actuel
étant de faire connaître les modes de symbiose chez le Bletilla
et les modes de développement qui leur correspondent.
Les graines semées sans champignons sur les milieux nutritifs
dilués germentlentement et donnent des plantules frêles, dont
|
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 45
l'élevage prolongé est difficile, mais qui présentent un mode très
réguliér de croissance (fig. 7, À à D). Après que l'embryon s’est
fixé au sol par quelques toulfes de poils absorbants, le cotylédon
s'accroît en une petite feuille verte et l'axe hypocotylé s'allonge
en formant une tigelle cylindrique et grêle. Les entre-nœuds de
la tige qui se développe ensuite au-dessus du cotylédon sont
en tout semblables à l'axe hypocotylé et de même les feuilles
successives ressemblent au cotylédon. L'élongation régulière de
la tige résulte surtout, comme il est normal, de l'allongement
individuel des cellules de chaque entre-nœud.
Les phénomènes du développement sont au début les mêmes
quand on inocule les semis avec un mycélium de Æhizoctonia
repens suffisamment atténué par la vie en culture pure. La chose
n'est pas surprenante car les plantules jouissent tout d’abord
dans ce cas d’une immunité remarquable : le mycélium pénètre
bien immédiatement quelques cellules du pôle embryonnaire
où le suspenseur s’attachait — c’est toujours chez les Orchidées
la première région vulnérable — mais il est rapidement digéré
par ces cellules, et ne produit ainsi qu'une infestation très res-
treinte et presque sans effet (fig. 7, E). Plus tard seulement,
après plus de deux mois de culture, linfestation peut récidiver
au moment où l'axe hypocotylé à terminé sa croissance. Le
champignon peut alors pénétrer la tigelle par la base des touffes
de poils absorbants qu'elle porte et il forme dans sa partie
moyenne une plage infestée plus ou moins étendue. Jamais cette
infestation secondaire ne s'étend jusqu’au nœud cotylédonaire,
mais plus tard les entre-nœuds supérieurs, dès qu'ils ont leur
taille définitive, peuvent être infestés tour à tour directement
et d’une façon assez irrégulière (fig. 7, G, H) (1).
Ces infestations répétées et tardives, au moins si Pactivité
du champignon n’est pas tout à fait disparue, ont pour effet
d'activer la croissance sans changer d’abord son mode. Mais en
(1) J'ai donné ailleurs [6] de plus amples détails sur les premières expériences,
faites au début de 1904, qui m'ont permis de comparer le développement des
plantules soit sans champignons, soitavec un mycélium atténué de Rhizoctonia
repens. La figure 7 résume les faits constatés dans ces expériences. Les semis
avaient été faits sur des plaques de coton imbibées d’une décoction de salep
dont la concentration était inférieure à 1. Le mycélium utilisé pour les ino-
culations était celui de la série L, âgé de huit mois au moment de son emploi.
46 NOEL BERNARD
définitive les entre-nœuds qui naissent à la partie supérieure
de la tige restent courts, les nœuds correspondants produisent
Fig. 7. — Bletilla hyacinthina. — À à D, étapes successives du développement sans
champignons, depuis l'embryon de la graine mûre jusqu'à une plantule de cinq
mois et demi. — E, coupe longitudinale dans une plantule de un mois, inoculée avec
un mycélium atténué de lthizoctonia repens; dans quelques cellules de la région
inférieure, on voit du mycélium digéré à côté du noyau. — F à H, étapes suivantes
du développement pour des plantules inoculées de même, jusqu’à l’âge de cinq
mois et demi; les régions infestées, vues par transparence, sont ombrées. L’échelle
pour 100 y se rapporte à la figure E, l'échelle pour 2 millimètres à toutes les autres
figures.
des feuilles plus larges, serréesles unes contreles autres(fig.7,H),
et il se constitue ainsi un jeune bulbe qui n’est jamais pénétré
par les champignons; les premières racines sortent de sa base
et s'infestent au contact du milieu de culture. Jusqu'à l'appari-
üon de ce bulbe le développement se fait avec les champignons
atténués comme sans champignons et, dans l’un comme dans
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 47
l’autre cas, ce premier développement ne présente pas de
caractères orchidéens accentués. L'absence de racine primaire,
Fig. 8. — Blelilla hyacinthina. — À, B, C, trois plantules obtenues avec un mycélium
actif de Rhizoclonia repens; la plantule C est âgée de quatre mois; le grossissement
indiqué par l'échelle de 2 millimètres est le même que pour les plantules de la
figure 7. — D, coupe longitudinale dans une plantule du même semis, à un grossis-
sement un peu plus fort; la région infestée par les champignons est ombrée.
qui est sans doute une conséquence directe de l'état rudimentaire
des embryons, est le seul fait important qui se retrouvera
constamment par la suite ; mais chezles jeunes plantules élancées
et grêles de Bletilla rien encore ne fait pressentir les formes
juvéniles si particulières des Orchidées à protocorme.
IL en est tout autrement quand on inocule les jeunes semis
avec du mycélium de ÆRhizoctonia repens ayant acquis un haut
48 NOEL BERNARD
degré d'activité par séjour dans des plantules d'Orchidées. Dans
ce cas le mycéllum pénètre aussi tout d'abord l'embryon par la
région où s'attachait le suspenseur, mais au lieu d’être prématu-
rément digéré, 1l s'étend largement (fig. 8, D) ; il s’'institue ainsi
dès le début de la vie libre un état de symbiose qui se pro-
longera pendant tout le cours du premier développement sans
discontinuité.
Ce nouvel état de chose parait favorable aux plantules, dont
la végétation devient plus rapide et plus vigoureuse ; il entraîne
deux conséquences importantes en ce qui concerne le mode de
leur développement.
D'une part l'axe hypocotylé, au lieu de rester grêle, se développe
en un organe de forme conique et relativement massive, couvert
sur toute sa surface de touffes de poils absorbants et envahi par
les champignons dans toute la longueur de son écorce, comme
le montre la figure 8. Cet organe, qui prend en définitive lappa-
rence d'une racine et qui sans doute en a les fonctions, est évi-
demment homologue du protocorme des Orchidées en général
et en représente à mon sens la forme primitive.
D'autre part, le premier bulbe dont on a noté tout à l'heure la
naissance tardive apparail ici précocement et présente un aspect
plus caractéristique. C'est directement au-dessus du protocorme
que les premiers entre-nœuds courts se forment et ils constituent
l'axe d’un jeune bulbe portant des feuilles à large gaine et bientôt
des racines (fig. 8, C). Ici encore le bulbe reste indemne de
champignons et, après le protocorme, ce sont seulement les
racines qui s'infestent (1).
Quel qu’ait été au début le mode du développement, le premier
bulbe une fois formé et enraciné s’isole; il doit constituer plus
tard, en s’épaississant, l’article initial du rhizome après que la
première pousse feuillue dressée, et bien entendu pas florifère, a
(4) Les plantules représentées dans la figure 8 appartenaient à un semis fait
en février 1906, sur du coton imbibé de décoction de salep à la concentration 3.
L'inoculation avait été faite avec le mycélium C' de Rhizoctonia repens, récem-
ment isolé et d'activité assez grande. La concentration relativement élevée de
la solution nutritive employée et le haut degré d'activité du champignon ont
agi simultanément pour imposer aux plantules la formation d’un protocorme,
mais on verra plus loin qu’une seule de ces conditions peut suffire pour amener
ce résultat.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 49
émergé de son centre (fig. 8, C). J'ai vu moi-même dans un semis
horticole, où les graines avaient germé sans former de proto-
corme, les bulbes se former comme dans mes semis expéri-
mentaux et s'isoler ensuite. Les deux Jeunes plantules de
Bletilla figurées par Pfitzer [35], sont réduites à leur premier
bulbe, encore grêle ou déjà épaissi.
Entre les cas extrêmes de l’infestation tardive sans formation
de protocorme et de la symbiose précoce avec protocorme bien
caractérisé, il y a des intermédiaires; un examen des figures de
la planche I peut suffire à en révéler l’existence. Il est vraisem-
blable aussi qu'on pourrait obtenir un protocorme et un bulbe
mieux caractérisés encore par l’action de champignons d'activité
exceptionnelle. Mais les faits que J'ai observés suffisent à établir
la dépendance étroite du mode de développement et du mode
d’infestation et à indiquer la direction primitive qu'a pu prendre
l’évolution des Orchidées par suite des progrès de la vie en sym-
biose avec leurs commensaux.
L'examen des documents imparfaits qu'on possède sur la
germination des Orchidées en général permet de supposer que
le cas du Pletilla hyacinthina, assurément exceptionnel, n’est
pas tout à fait unique.
Chez le Sobraliu macrantha, Treub [50} à signalé l'existence
d'un embryon à cotylédon différencié. Irmisch [47] à figuré la
coupe longitudinale d’une jeune plantule de la même espèce et
il y représente des cellules toutes semblables les unes aux autres
et à contenu transparent. Or cet admirable observateur, bien
qu'il n'ait généralement pas reconnu l'existence de champignons
dans les plantules d’Orchidées, ne manque jamais de signaler
quand il les rencontre des cellules à contenu opaque ou brunâtre
qui sont évidemment des cellules infestées; le fait qu'iln'indique
rien de semblable pour le Sobralia macrantha lend à prouver
la possibilité pour les embryons de cette Orchidée de se déve--
lopper assez notablement sans le concours de champignons.
Enfin, à en croire une figure de Beer [2}, il paraît que les jeunes
plantules de ce Sobralia peuvent prendre au début une forme
allongée. D'après Pfitzer [84], on observe des faits analogues
chez le Platyclinis glumacea : l'embryon a déjà un cotylédon
ANN. SC. NAT. BOT:., 9e série. IX, 4
50 NOEL BERNARD
différencié dans la graine mûre et il présente au début de Ia
germination une période d’élongation bien marquée.
Les Platyclinis appartiennent à une des tribus les plus infé-
rieures du grand groupe d'Orchidées qui m'occupent et ont
autant de droits que le Bletilla d'y être considérés comme des
types primitifs. On peut d'autre part considérer les genres Sobra-
lia et Bletilla comme assez proches parents (1).
Il se peut donc que, parmi les Orchidées qui m'occupent 1ci,
plusieurs types primitifs présentent des embryons mieux diffé-
renciés qu'à l'ordinaire, pouvant facultativement se développer
sans donner naissance à un protocorme infesté. On ne connaît
en tout cas rien de semblable chez les Orchidées épiphytes plus
hautement évoluées, ni chez les Orchidées terrestres que
j'étudierai à la fin de ce chapitre. Ainsi il apparaît bien que les
caractères du premier développement chez Bletilla hyacinthina
sont des vestiges, rarement conservés, d’un état ancestral.
$ 2. — Cattléyées.
Les genres Cattleya, Lælia et Brassavola de la tribu des Cat-
tlévées comprennent un assez grand nombre d'espèces commu-
nément cultivées en serre et fréquemment hybridées. C’est de
ces plantes qu'il m'a toujours été le plus facile de me procurer
des fruits ; ces fruits sont généralement de grande taille et leurs
graines très nombreuses peuvent garder plusieurs mois leur
pouvoir germinatif. Toutes ces facilités réunies m'ont amené à
me servir de graines de Cattléyées pour mes expériences, chaque
fois qu'un problème nouveau se posait par l’enchaînement de
mes recherches. On trouvera dans la note IV de l'Appendice une
énumération des diverses Cattléyées hybrides dont j'ai fait des
semis et les dénominations abrégées que j'emploierai pour les
distinguer dans la suite de ce mémoire. D’après ce que j'en ai
vu, les graines de ces Cattléyées germent à bien peu près de
mème. J'ai fait connaître déjà [6] les conditions et les modes de
(1) Le Pflanzen familien [85] répartit ces deux genres dans les tribus diffé-
rentes des Sobraliinées et des Thuniinées, mais les représentants de ces deux
tribus ont d’incontestables ressemblances que Pfitzer rappelait déjà [34] alors
qu'il classait encore les Bletilla avec les Sobralia dans la première.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 1
cette germination ; il me suffira ici d'en rappeler sommaire-
| ment les faits essentiels, dans le seul but de bien marquer la
transition naturelle entre le Pletilla hyacinthina et les Orchi-
dées que j'étudierai ensuite.
Bien que les Cattléyées soient épiphytes, leur mode de végé-
tation à l’état adulte diffère assez peu de celui du Pletilla hya-
cinthina. Ce sont aussi des plantes à rhizome sympodique dont
les branches dressées sont souvent tubérisées à leur base. Elles
perdent leurs racines tous les ans et vivent par conséquent en
| symbiose avecle Rhizoctoniarepens d’une manière intermittente.
| Comme caractère ancestral ces Orchidées ont encore conservé
| la position terminale des inflorescences. La parfaite différencia-
tion de caudicules aux pollinies, la préfoliation duplicative
sont au contraire des traits plus modernes indiquant que les.
Cattléyées ont dépassé le degré d'évolution où est resté Le Ple-
tilla. L'étude des graines et de leur germination confirme en ce
| sens les conclusions tirées de l'examen des plantes adultes.
Les graines renferment un embryon ovoïde, indifférencié,
| dont la longueur ne dépasse pas 230 , et qui porte encore à
maturité un suspenseur filiforme (fig. 9, A). Sur les milieux
| nutritifs dilués la germination de ces graines sans champignons
| est impossible. Cependant dans ces conditions l'embryon verdit,
| après plusieurs mis de culture il forme même des stomates et
| des rudiments de poils absorbants qui ne s’allongent pas, mais
| il garde une forme ovoïde et n'arrive même pas par son faible
accroissement à déchirer tout à fait le tégument de la graine.
Je conserverai le terme de « sphérules » que j'ai employé ail-
leurs pour désigner ces embryons verdis et quelque peu accrus
en l’absence de champignons {fig. 9, B).
L'infestation des sphérules par du mycélium actif de /?hizoc-
| {onia repens est immédiatement suivie d'une véritable crise de
croissance qui entraîne en définitive la transformation du corps
embryonnaire en un protocorme caractéristique.
Tout d'abord l'embryon s'accroît en longueur et s'élargit en
même temps dans sa partie antérieure ; le Jeune protocorme
prend ainsi la forme d’une toupie, exactement symétrique par
rapport à un axe, ayant le suspenseur à sa pointe, tandis que
le méristème terminal occupe le fond d’une légère dépression
52 NOEL BERNARD
diamétralement opposée (fig. 9, C). À ce premier état, la plan-
tule fixée au substratum par des touffes de poils absorbants, qui
se sont accrus aussitôt après l’infestation, n’est pas sans ana-
logie avec un protocorme de Bletilla.
Dans la suite, à partir du moment où un bourgeon terminal
Fig. 9. — Diagrammes montrant les étapes du développement d'une Cattléyée. —
À, embryon d'une graine müre, avec son suspenseur ; le tégument de la graine est
représenté par son contour apparent. — B, embryon développé en « sphérule »
après plusieurs mois de culture pure. — C, jeune protocorme provenant d’une
sphérule comparable à B, deux semaines après l’infestation. — D, plantule plus
âgée, montrant le protocorme tubérisé discoïde et le bourgeon terminal. Les
régions infestées, vues par transparence, sont ombrées.
est apparu, la croissance en longueur du protocorme s'arrête,
mais 1l continue à s’élargir transversalement et, dans les cas les
plus typiques, il arrive ainsi à prendre la forme d’un disque
épais portant le bouquet serré des premières feuilles au centre
de sa face supérieure (fig. 9, D). Cette transformation du proto-
corme en un tubercule discoïde correspond, si je ne me trompe,
à la formation du premier bulbe chez le Bletilla. Mais tandis
que chez cette Orchidée primitive l'apparition du protocorme,
la formation du premier bulbe et son épaississement marquaient
des étapes bien distinctes du développement, chez les Cattlévées,
au contraire, ces phénomènes se succèdent immédiatement et
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 99
se confondent presque, puisque c’est le protocorme lui-même qui
s'épaissit et mérite le nom de tubercule embryonnaire.
Le mode initial de la symbiose chez les Cattlévées est assez
exactement comparable à celui qu'on observe dans le second
mode de germination du PBletilla hyacinthina. Le mycélium
pénètre par le suspenseur près de son point d'attache ; linfes-
tation s'étend d’abord dans la pointe du protocorme, puis pro-
gresse continûment de proche en proche. Comme chez le Ple-
tilla la partie centrale du protocorme reste indemne, les cham-
pignons élant localisés dans quelques assises de cellules sous-
épidermiques. La zone infestée, dont la forme théorique est
toujours celle d’une cloche, est ici très élargie ; elle reste loca-
lisée à la face inférieure du tubercule embryonnaire discoïde
et ne s'étend Jamais à la face supérieure du disque, ni, à plus
forte raison, jusqu'au bourgeon terminal; les champignons
finissent par être complètement digérés dans les cellules après
que le tubercule embryonnaire a achevé sa croissance. Les pre-
| mières racines qui sortent de la base de la pousse feuillue, ou
| parfois même des flancs du protocorme, s’infestent directement
au contact du milieu de culture.
Du Pletilla hyacinthina aux Cattlévées, le chemin parcouru
peut en définitive s’apprécier par des signes assez nombreux.
Les embryons des graines ont régressé et ne présentent plus de
| différenciation morphologique, ils ont en même temps perdu la
| faculté de se développer d'une manière autonome. La symbiose
| est nécessaire et non plus facultative; en conséquence il n'y à
plus qu’un seul mode de développement possible et l'existence
| d'un protocorme estconstante. Au lieu enfin qu'il y ait formation
plus où moins tardive d’un bulbe distinct du protocorme, c'est
ce protocorme même qui se transforme précocement en tubercule
| embryonnaire. Malgré ces conditions et ces formes nouvelles
| des phénomènes initiaux du développement, le mode de végé-
| tation à l’état adulte n’a pas sensiblement varié.
Le mode de germination cattléyen peut être caractérisé
| par la formation constante d’un prolocorme à symétrie axiale,
tubérisé précocement, d’une façon plus où moins intense, au
dessous de la tige primaire unique qu’il produit. Ce mode de
germination doit être assez répandu chezles Orchidées épiphytes.
54 NOEL BERNARD
D’après les documents réunis par Pfitzer [84}, il paraît se ren-
contrer non seulement chez les Epidendrum, qui sont des Cat-
tléyées voisines de celles dont je viens de faire l'étude, mais encore
chez d’autres Épidendrées comme les Bletia ou les Masdevalin
et même chez des Vandées comme les Zygopetalum. Chez les
Vandées les plus hautement évoluées, dont j'étudierai mainte-
nant divers genres, on rencontre des types plus différenciés de
protocorme, apparemment dérivés du type cattléyen, mais par
une évolution qui s’est faite au moins dans deux directions dif-
férentes.
$ 3. — Cymbidium.
J'ai semé une seule fois des graines hybrides de C'ymbidium
el j'ai obtenu quelques plantules avec le mycélium de RAizoc-
tonia repens que j'avais trouvé vivant en commensal dans les
racines du Cymbidium Lowianum. On trouvera dans la note IV
de l'Appendice quelques détails sur ces semis ; ils ont été peu
prospères, mais au moins ils m'ont permis de connaître les pre-
miers phénomènes de la germination et c’est iei tout ce qui
importe.
Les embryons indifférenciés des graines mûres étaient presque
sphériques avec leur suspenseur partiellement flétri ; les cellules
de l'embryon contenaient toutes en abondance des granules de
réserve se colorant en jaune foncé dans les solutions iodées.
Ces embryons plus volumineux et mieux fournis de réserve
que ceux des Cattléyées ont été aussi capables d’un développe-
ment autonome plus considérable. Quelques jours après le semis
ils se gonflent et il apparaît de l’amidon dans toutes leurs cel-
lules en assez grande quantité; cet amidon disparait peu à peu
ensuite tandis que l’embryon se développe et verdit. En quel-
ques semaines, il se forme alors des sphérules comparables à
celles des Cattléyées, mais le développement peut ne pas s’ar-
rêter là. Après quatre mois de culture pure, j'ai vu un grand
nombre d’embryons arrivés à l’état que représente la figure 10
(B) ; ils avaient pris déjà la forme en toupie et montraient net-
tement la dépression de leur région méristématique terminale :
de nombreux poils absorbants s'étaient différenciés, mais,
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 29
comme chez les Cattlévées, ils ne s’allongeaient que rarement
et très peu. Je ne sais si les embryons auraient été capables de
se développer davantage sans champignons ; assurément leur
développement devenait trèslent, quand des causes accidentelles
m'ont empêché de poursuivre leur culture.
La pénétration du champignon se fait comme à l'ordinaire
par le suspenseur, elle est aussitôt suivie d’une crise générale
Fig. 10. — Cymbidium. — À, embryon à maturité, enfermé dans le tégument de la
graine qui est figuré par son contour apparent. — B, embryon après quatre mois
de culture sans champignons, même grossissement indiqué par l'échelle de 100 y;
le même embryon est figuré au-dessous, au grossissement plus faible adopté pour
toutes les figures suivantes et indiqué par l'échelle de 1 millimètre. — C, D, coupes
dans de jeunes protocormes, la région infestée est ombrée. — E, F, aspect exté-
rieur de plantules plus âgées.
de croissance dont l'allongement des poils est un des premiers
signes. L’accroissement du jeune protocorme se fait en largeur
aussi bien qu’en longueur et la forme en toupie s'exagère jus-
qu'au moment où apparaît le bourgeon terminal (fig. 10, Cet D).
En somme, ces premiers phénomènes du développement sont
exactement comparables à ceux des Catilévées.
Une tendance qui est nouvelle se manifeste seulement à
partir du moment où le bourgeonterminals’est bien différeneié.
Au lieu que ce bourgeon prenne un développement normal,
landis que le protocorme s'épaissirait au-dessous de lui, la
tubérisation gagne la base du bourgeon même dont les premières
feuilles fort réduites se trouvent écartées. Ainsi il se constitue
un protocorme en forme de poire qui ne dérive pas seulement de
l'axe hypocotylé, mais qui comprend aussi les premiers enlre-
10 NOEL BERNARD
nœuds fortement épaissis de la tige primaire (fig. 10, E). Ce
protocorme garde toujours très nettement sa symétrie primitive
par rapport à un axe et en définitive le bourgeon qui le ter-
mine prend une apparence normale (fig. 10, F). Les rares
plantules assez développées que j'ai pu obtenir ne sont pas
arrivées à produire de racines. Je n'ai pas vu l’infestation
s'étendre dansleur protocorme au-dessus de la première feuille,
mais 1l est possible que cet arrêt assez précoce de la progression
de l’endophyte, bientôt suivi de l'arrêt de développement de
mes plantules, ait été dû à un défaut d'activité du mycélium
dont je me servais. Quoi qu'il en soit, la tubérisation de la base
du bourgeon terminal marque une tendance nouvelle dans
l'évolution des Cymbidium par comparaison avec celle des
Cattlévées. Cette tendance s’exagère, comme on va le voir, dans
le cas de l'£Ewlophidium maculatum.
Il faut rappeler que les Cymbidium dépassent de beaucoup
les Cattléyées par la complexité de leurs fleurs, dont les pollinies
sont unies à la masse adhésive par un stylet détaché du gynos-
ième, par la position latérale de leurs inflorescences et sans
doute aussi par leur mode de végétation. Chez toutes les Cym-
bidiinées la végétation reste du type sympodial, mais il est bien
connu pour diverses plantes de ce groupe, comme les Cymbi-
dium, Cyperorchis où Grammatophyllum, que les pousses
aériennes peuvent s’accroître pendant plusieurs années succes-
sives el atteindre parfois une grande taille, qui est de deux
ou trois mètres dans le cas du Grammatophyllum speciostum.
Plitzer (37) voit là une tendance à la végétation monopo-
diale, réalisée sous une forme plus parfaite, chez les Sarcan-
thinées arborescentes, comme je le rappellerai bientôt. Au
moins chez le Cymbidium aloïfolium que j'ai examiné à ce point
de vue, la végétation sympodiale des tiges concorde avec des
poussées successives de racines qui meurent tous les ans, el
on n'y observe pas de racines persistantes, à croissance pro-
longée, comme c’est le cas pour les Sarcanthinées. Une étude
des phénomènes du développement qui suivent la constitution
du protocorme permettrait seule, à ce qu'il me semble, de
décider si la comparaison entre les deux cas est valable, le point
essentiel étant de savoir si le sympode chez les Cymbiduun,
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 97
s'établit de bonne heure ou tardivement ; mais le peu que j'ai
vu de la germination ne m'a pas permis d’élucider ce point.
$ 4. — Eulophidium maculatum (Pfitz.).
La germination de l'£rdophidium maculatum à été étudiée
par Prillieux et Rivière [88]. Elle débute, comme chez les
Cattléyées, par la formation d'un protocorme conique (fig. 41, A)
portant des poils absorbants sur tout son pourtour, qui s'élargit
précocément et prend la forme discoïde (fig. 11, B). Mais au
lieu d’un bourgeon unique, il se forme à la partie antérieure
,
du protocorme deux ou trois bourgeons qui peuvent se déve-
O
lopper presque simultanément (1).
Le premier développement de chacun de ces bourgeons
8
rappelle celui du bourgeon terminal chez C'ymbidium, car leurs
bases s’épaississent, mais cette phase de lubérisation va ici
1
Fig. 11. — Eulophidium maculalum.— À, coupe longitudinale dans un jeune proto-
corme, la région infestée est ombrée. — B, aspect extérieur d'un protocorme plus
âgé, montrant le développement de deux bourgeons. — C, jeune griffe coralloïde,
dérivant d'un protocorme discoïde, dont le contour apparent approximatif est
limité par un trait pointillé. D'après Prillieux et Rivière ; la figure A est simplifiée,
la figure C réunit les indications de deux des figures originales.
beaucoup plus loin et chacun des bourgeons arrive à donner
une sorte de tubercule ramifié, à feuilles rudimentaires, de
l'aspect le plus étrange. La jeune plantule, avec son prolocorme
et les tubercules qu'il porte, prend ainsi l'apparence d’une
griffe coralloïde (fig. 11, C) ; c’est seulement d’une façon tar-
dive et assez irrégulière qu'un bourgeon de cette griffe forme
une pousse feuilée normale, et que la végétation s'établit à la
manière ordinaire suivant le mode sympodial.
(1) Malgré l'opinion de Prillieux et Rivière, il ne me parail pas assuré que
ces bourgeons soient {tous adventifs et je serais porté à distinguer dans plusieurs
de leurs figures un bourgeon terminal et des bourgeons de second ordre
précocement écartés les uns des autres, comme dans le cas du Cymbidium, par
suite de la {ubérisation du protocorme.
58 NOEL BERNARD
Il y a donc ici une phase de développement juvénile plus pro-
longée encore que chezle Cymbidium étudié par mot. I paraît très
vraisemblable que cela doit correspondre à une prolongation
dans la durée et l'étendue de l'infestation primaire. Les auteurs
du mémoire que j'analyse ici ne signalent pas expressément
l'existence de champignons dans les plantules, mais, dans plu-
sieurs figures représentant en coupe de jeunes protocormes,
ils distinguent les cellules infestées par leur contenu opaque.
L'examen de ces figures révèle que le protocorme est de bonne
heure largement infesté (fig. 11, A). Pour apprécier l'extension
de l’infestation par la suite, le mémoire ne donne aucune indi-
calion utile. Il est probable que le champignon passe directe-
ment du protocorme dans les premières branches tubérisées
et que la griffe coralloïde juvénile de l'Euwlophidium est habitée
par les champignons, comme l’est le rhizome adulte des Coral-
lorhiza avec lequel elle a une incontestable ressemblance (1).
$ 5. — Odontoglossum (Planche IT).
Mes tentatives pour obtenir la germination des Odonto-
glossum sont restées infructueuses jusqu’au jour où j'ai isolé
l'espèce particulière de champignon (Rhizoctonia lanuginosa)
qui convient à ce cas. Depuis ce temps j'ai réussi des ger-
minations à deux reprises, en semant les graines dans des con-
ditions identiques à celles qui conviennent pour les Cattléyées.
Les deux sortes de graines qui m'ont servi, bien qu’elles fussent
d'origines différentes (Appendice, note IV), se ressemblaient et
ont germé de même.
Les embryons sont apparemment semblables à ceux des
Cattléyées, bien que leur suspenseur soit plus réduit, mais ils
ontdes facultés de développement autonome beaucoupmoindres.
Dans les semis aseptiques, ils verdissent et se gonflent un peu,
mais ils ne forment ni stomates ni poils et je n’y ai même noté
aucun indice de multiphication cellulaire. C’est ce qu'on voit
par les figures 1 et 2 (PL IT), où sont représentés compara-
tivement l'embryon d’une graine mûre, prise au sortir du fruit
(1) Pour le Corallorhiza innata, l’existence de champignons dans le rhizome
est expressément signalée par Irmisch [17].
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 59
et celui d'une graine semée sans champignons depuis quatre
mois. Il y a ici à peine une indication du phénomène cor-
respondant à la formation des sphérules chez les Cattlévées.
Le développement de l'embryon commence bientôt après la
pénétration du champignon par le suspenseur ; un de ses pre -
miers signes est la croissance de la plupart des cellules qui
doublent à peu près leur diamètre; quelques cellules situées
au pôle antérieur de l'embryon restent seules de petite taille,
et forment en se multipliant un méristème terminal bien
individualisé. La différenciation des poils absorbants et leur
croissance se produisent aussi dès les premiers jours. Les poils
sont groupés en louffes et chaque touffe se forme à partir d’un
petit disque de cellules épidermiques précocement divisées par
des cloisons tangentielles en cellules basilaires et cellules exté-
rieures, allongées en poils (fig, 3, p, p', PL IT). La crise de crois-
sance consécutive à l’infestation aboutit dans la suite, comme
chez les Cattléyées, à la formation d'un protocorme d'abord
conique, plus tard élargi en disque, portant un bourgeon unique
el d'apparence normale au centre de sa face supérieure.
Il y a pourtant ici une particularité nouvelle et remarquable,
c’est la dorsiventralité du protocorme, qui apparaît dès le
début du développement et s'accentue par la suite (fig. 3,7 et8,
PI. Il). L’embryon originairement couché sur le milieu de
culture développe d’abord des poils absorbants à son contact,
tandis que les premiers stomates apparaissent toujours du côté
exposé à la lumière. De plus, la croissance étant plus grande
sur la face ventrale du jeune protocorme que sur sa face dor-
sale, le méristème terminal est de bonne heure dévié de sa
position axiale (fig. 3,7, PI. ID).
La dorsiventralité qui s’indique ainsi très précocement est plus
ou moins nette suivant les plantules, mais toujours reconnais-
sable. 11 est possible qu'elle soit dans une certaine mesure facul-
tative et dépende soit du degré de virulence des champignons,
soit de l'intensité ou de la direction des rayons lumineux, mais Je
n’en ai pas de preuves. Toujours est-il que chez les Cattléyées cul-
livées de la même facon cette dorsiventralité ne se constate pas:
les protocormes portent aussi souvent des poils dressés en Pair
que des poils appliqués sur le milieu de culture et il n'y à pas non
60 NOEL BERNARD
plus d’inégalités notables dans la répartition des stomates (1).
Il s’agit donc bien [à pour les Odontoglossum d’un caractère
nouveau, qui marque une tendance d'évolution particulière,
bien distincte de celle des C'ymbidium et Eulophidium ; on la
retrouvera tout à l'heure, mieux marquée, chezles Sarcanthinées.
Bien que dans la suite du développement la dorsiventralité
primitive tende à s’effacer, les protocormes complètement déve-
loppés d’Odontoglossum gardent manifestement un plan de
symétrie qui est aussi celui de la tige feuillée primaire. On sait
que les pseudobulbes situés à la base des tiges chez les plantes
adultes sont toujours de même plus ou moins comprimés; le
protocorme leur est donc comparable par son type de symétrie
aussi bien que par sa tubérisation.
Pendant que le protocorme se développe, le champignon
endophyte s’y étend peu à peu, sans dépasser jamais la limite
marquée à chaque moment par les cellules encore en voie de
croissance. Les plages superficielles où des groupes de poils se
différencient semblent attirer le champignon; il atteint de
bonne heure les cellules situées au-dessous des poils, pénètre
souvent dansles poils eux-mêmes et de là peut sortir au dehors.
Partout ailleurs les cellules épidermiques restent indemnes et
l’'endophyte n’occupe qu'une assez grande épaisseur de tissus
sous-épidermiques. La région infestée s'étend relativement peu
du côté dorsal et elle a dans l'ensemble la symétrie du proto-
corme même (fig. 8, PL IT).
Un fait notable lorsqu'on compare les Odontoglossum aux
Cattlévées est la longue durée etla large extension de l’infestation
primaire. Comme le montre la figure 9 (PI IT), le champignon
après avoir en grande partie envahi le protocorme, finit par
atteindre la base de la tige primaire. Quand les premières
racines sortent de la base de celte tige ou des flancs du proto-
corme, les champignons qui avaient dès l’abord envahi le corps
de l'embryon y vivent encore: il n’y a donc au début de la vie
aucune période d'autonomie, puisque l'infestation des racines
se fait avant que la plantule ait complètement détruit par
(4) D'après les observations de Prillieux [40], les Miltonia, très prochement
apparentés aux Odontoglossum germent comme eux en formant un protocorme
dorsiventral au début.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 61
phagocytose les champignons hébergés dans son protocorme.
A l’état adulte, les Odontogiossum ont un mode de végétation
sympodial et des poussées successives de racines. Mais si j'en
Juge par ce que j'ai vu pour l'Odontoglossum grande, ces racines
ont une longue durée et il est possible, alors que de jeunes
racines viennent de sorür et se sont infestées, de trouver encore
dans celles de l’année précédente des pelotons de champignons
vivants qu’on peut en extraire pour les cultiver. Si ce fait est
général, 1l n°y à pas, pour les Odontoglossum, de période d’au-
tonomie complète à l’état adulte, mais seulement des périodes
où l’extension des champignons dans le corps de la plante est
plus ou moins grande et où ils peuvent exercer sur elle une
action plus où moins intense.
Quoi qu'il en soit, au moins par la large étendue de l'infesta-
lion primaire, les Odontoglossum se.montrent plus hautement
adaptés à la symbiose que les Cattléyées. Ils sont aussi à tous
points de vue plus hautement évolués; la position latérale des
inflorescences, l'existence d’un stylet sont, entre autres, des
caractères qui en témoigent.
$ 6. — L'évolution des Sarcanthinées.
Deux raisons d'ordre différent, mais qui sans doute ne sont
pas sans rapports, m'ont amené à tenter des semis de Phalæno-
psis et de Vanda. D'une part, ces Orchidées sont parmi celles
dont la reproduction par graines passe auprès des horticulteurs
pour la plus malaisée ; d'autre part, ces deux genres voisins
appartiennent au groupe des Sarcanthinées que Pfitzer consi-
dère « comme atteignant le plus haut degré d'évolution parmi
les Orchidées et représentant l’autre bout de la série dont les
Apostasiées sont le premier terme » [87]. On ne retrouve plus
en effet chez ces plantes aucun des caractères primitifs que j'ai
signalés chez le Blelilla et non seulement, comme on va le voir,
leur protocorme est hautement différencié, mais encore leur
mode de végétation à l’état adulte à subi une transformation
profonde, dont je m'’efforcerai de montrer tout l'intérêt à la
fin de ce paragraphe.
Les difficultés bien connues de la germination liennent assu-
62 NOEL BERNARD
rément pour une part au fait que les Phalænopsis et Vanda
vivent en symbiose avec une espèce particulière de champi-
gnons (/hizoctonia mucoroïdes) qu'ilest fort difficile de conserver
à un état de virulence convenable. J'ai possédé pendant quel-
que temps des cultures actives de ce champignon et elles m'ont
permis de réussir dans des conditions excellentes lagermination
d'un Phalænopsis el d'obtenir avec plus d'irrégularité et de peine
des plantules de Vanda. Les conditions de culture un peu parti-
culières où j'ai dù me placer et qui sont rapportées dans la note IV
de l'Appendice ont sans doute contribué dans une mesure plus
restreinte au succès de ces expériences.
Quant au mode de germination, il est presque identique pour
les deux genres et il me suffira de décrire en détail ce que j'ai
observé pour les graines de Phalænopsis semées dans des tubes
de culture sur du coton imbibé d’une solution nutritive.
GERMINATION D'UN Phalænopsis (Planche I).
L'embryon dans la graine mûre est ovoïde et indifférencié, il
ne porte plus de suspenseur mais seulement, à son pôle infé-
rieur, une strophiole qui en est le reste (fig. 1 et 2, PI. IT).
Dans mes semis, avant lintroduction des champignons, ces
embryons ont pu verdir et s’allonger, en quatre mois, jusqu'à
plus du triple de leur longueur primitive. Ce premier dévelop-
pement n'est pas un simple gonfiement de l'embryon par
imbibition, 1l résulte aussi en partie d’une multiplication des
cellules au sommet végétatif et s'accompagne de la production
de stomates (fig. 3, PL IT). Malgré ce début assez notable de
développement autonome, il ne s’est Jamais développé sur ces
embryons de poils d'aucune sorte et ils ont toujours conservé
une forme ovoïde et une parfaite symétrie par rapport à leur
grand axe. Je n'ai vu aucune exception à ces règles pour quel-
ques centaines d’embryons gardés quatre mois en culture pure
et qui, au bout de ce temps, commençaient à brunir etne parais-
saient pas devoir se développer davantage.
L'introduction du champignon dans des semis faits depuis
peu et où les graines ont simplement verdi, a des conséquences
remarquables : d’une part, les embryons font en quelques
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 63
jours plus de progrès qu'ils n’en faisaient sans champignon en
plusieurs mois, et d'autre part ils montrent dès l’abord des
phénomènes de développement d’une allure toute différente.
Un des premiers symptômes de la crise rapide qui suit l’in-
festation est l'apparition de poils épidermiques tout autour du
sommet végétatif (fig. 4, PL ID. Ces poils, qui manquent tout
à fait sur les plantules aseptiques, apparaissent chez les plan-
tules infestées dès la première semaine après l’inoculation des
tubes de culture. Ce sont des poils épidermiques courts, bientôt
incurvés et cloisonnés en deux cellules dont l’une forme un
pédicelle grêle et l’autre une tête renflée recourbée vers le
sommet végétatif. Cette tète globuleuse est le plus souvent
adhérente à l’épiderme par suite de la sécrétion d’une substance
adhésive.
L'apparition précoce de semblables poils glanduleux est un
premier fait remarquable de l'évolution des Phalænopsis ou
Vanda. Chez les autres Orchidées dont j'ai vu la germination
le sommet végétatif du protocorme est toujours parfaitement
lisse au début et ce sont les jeunes feuilles qui assurent un peu
plus tard sa protection. Cependant dans le bourgeon de la tige
primaire de Cattlévées j'ai vu des poils glanduleux nés à la base
des feuilles, comme il est représenté dans les figures 11 et 12
(PL. IV). Des poils multicellulaires existent aussi au centre
du bourgeon primaire d'un Cypripedium dont j'ai décrit
ailleurs la germination sans signaler ce détail |6} (fig. 14,
page 74). Mais dans l’un comme dans l’autre cas ces poils appa-
raissent seulement après que la plante a déjà produit deux ou
trois feuilles. Chez les Phalænopsis l'apparition des feuilles est
tardive et c’est par la formation très précoce de poils que la
protection dusommet végétatif se trouve assurée de bonne heure.
De suite après l’infestation ilse manifeste aussi un changement
de mode dans l’activité du sommet végétatif : la partie anté-
rieure de la plantule, qui restait effilée pendant la croissance
aseptique (fig. 3, PI. HT), s’épaissit et devient sensiblement sphé-
rique dès que la symbiose est réalisée (fig. 4 et 5, PL IT). En
même temps le protocorme s’incurve, sa partie antérieure glo-
buleuse vient s'appliquer sur le milieu de culture et il prend
dans l’ensemble la forme d’un cornichon. Dans son évolution
S
CS
Fig. 12. — Phalænopsis. — Plantule de dix-huit mois, dans le tube de culture où elle à été obtenue. A la partie inférieure de la plaque de
coton, on voit les petits sclérotes du Rhizoctonia mucoroïdes et, dans le liquide au-dessous, du mycélium, D’après nature, légèrement réduit.
NOEL BERNARD
ultérieure, non seulement il gardera un plan
de symétrie, mais encore il montrera une
dorsiventralité de plus en plus accentuée.
Un signe précoce de cette dorsiventralité
est la localisation des poils absorbants,
aisément distinguables des poils glanduleux,
qui poussent isolés ou en groupes, mais
seulementsur la face ventrale du protocorme
où ils couvriront en définitive une plage bien
limitée (fig. 9, 10 et 13, PI. II). Dès le
second mois, bien avant que les premières
feuilles n'apparaissent, il se forme une erète
sur la face dorsale convexe du protocormé,
comme le montrent les figures 8 à 13 (PI
III). À ce moment le protocorme est en-
core formé d’un tissu entièrement parenchy-
mateux et on n'y voit aucune trace de fais-
ceau procambial (fig. 5, PI. HT).
Avant de suivre l’évolution ultérieure des
plantules, il convient de dire quelques mots
sur la facon dont le champignon endophyte
envahit le protocorme. La pénétration se fait
comme dans tous les autres cas par le pôle
inférieur de l’embryon, au voisinage de la
strophiole qui marque la place du suspen-
seur. L'invasion est au début particulière-
ment rapide. Les minuscules embryons verts
et translucides que le champignon atteint
sont en quelques jours envahis complète-
ment, à l'exception de l’épiderme et du
petit groupe terminal de cellules méristéma-
tiques ; ils deviennent grisâtres et on les
croirait perdus au moment où leur vitalité
va justement commencer à se manifester
par un développement rapide. Je ne connais
aucun cas où la crise qu'entraine l’établisse-
ment de la symbiose s'accompagne de symp-
tômesplus impressionnants. À parür du mo-
13 M2 AK 1909
85° ANNÉE. — IX° SÉRIE. T. IX. N°52 ct 3.
|
ANNALES
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1909
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GÉOLOGIE, 22 volumes. . . PCR HE (A Me a RU SUR
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 65
ment où le méristème terminal à commencé à réagir, le cham-
pignon règles à marche sur celle du développement, et je puis
dire en un mot que les choses se passent alors comme chez les
Odontoglossum, à ceci près que la zone infestée à une dissymé-
trie plus accusée : elle est bientôt localisée exclusivement à la
face ventrale du protocorme (fig. 10, PE. IN).
Le bourgeon terminal ne se différencie pas avant la fin du
lroisième mois, 1l a le plan de symétrie du protocorme ;
deux premières feuilles sont réduites ; avant que la troisième
mieux développée se déploie, une première racine endogène
s’est formée sur un flanc du protocorme à sa partie antérieure.
Cette première racine se développe et s'infeste alors que le
protocorme est encore en voie de croissance el contient des
champignons vivants: elle se substitue à lui pour ainsi dire car,
d’une part, ilmeurtbientôt après qu'elle s'est développée, d'autre
part, elle à à peu près sa taille (fig. 11, PI. HIT) et elle est comme
lui verte à sa face dorsale et infestée ventralement. Les racines
suivantes naissent de la base de la tige primaire, elles sont
constituées de même; plus allongées et quelque peu aplaties
(fig. 12). Par leur grosseur considérable, leur développement
précoce et leur position elles contribuent à donner aux jeunes
plantules un aspect fort singulier (fig. 12, PI. ITT).
DIS)
LES PROTOCORMES DORSIVENTRAUX ET LEUR ORIGINE.
Le tvpe de protocorme dont je viens de décrire l’évolution
chez les Phalænopsis n’est pas particulier à ce genre. Chez un
Vanda j'ai vu le développement se faire presque exactement
de même ; les figures { et 2 de la planche IV montreront assez
la ressemblance entre les deux cas. La crête dorsale des pro-
locormes de Vanda est moins aiguë que celle des protocormes
de Phalænopsis ; la région infestée prend dès le début une
coloration orangée caractéristique.
Gœbel [44] a figuré l'aspect extérieur des Jeunes plantules du
T'æniophyllum Zollingeri el J'ai pu moi-même observer ces
plantules singulières, grâce à l'obligeance du professeur Janse
qui m'a communiqué des matériaux récoltés par lui à Java. Le
protocorme est encore essentiellement du même {ype, mais sa
ANN. SC. NAT. BOT., 9e série. IX 0
66 NOEL BERNARD
crête dorsale est beaucoup plus aiguë et sa base couverte de
poils beaucoup moins large (fig. 13, D); les jeunes protocormes
(fig. 13, A) sont tellement aplatis dans leur plan de symétrie,
qu'on peut facilement les faire tenir dans une goutte d’eau, entre
Fig. 13. — Tæniophyllum Zollingeri. — À, jeune protocorme.— B, jeune plantule dont
le protocorme p a produit un bourgeon terminal b et la première racine r. —
C, plantule plus âgée, montrant un fragment du protocorme p, dont la partie
postérieure manque et deux racines >, 7. — D, coupe transversale d'un jeune
protocorme; f, faisceau ; t, région infestée. — KE, coupe transversale d’une racine ;
f, faisceau; t, région infestée: v, voile. L'échelle de 2 millimètres indique le
grossissement des figures À, B et C: les figures D et E sont dessinées à un grossis-
sement plus fort.
une lame et une lamelle, sans les écraser. Les protocormes
s’allongent plus tard considérablement et en même temps il se
contournent, tout en gardant leur face ventrale poilue appliquée
contre le support. Gœbel à signalé les poils glanduleux pro-
tecteurs du sommet végétatif et Je les ai revus. J’ai constaté de
plus linfestation régulière des jeunes protocormes que j'ai pu
examiner. La zone infestée est, comme à l’ordinaire, localisée du
côté ventral. Contrairement à ce qui se passe chez les Phalienopsis
un petit faisceau procambial se différencie de très bonne heure
(fig. 13, D).
I y a chez le Tæniophyllum Zollingeri deux particularités
très intéressantes : l'extrême réduction des feuilles et le grand
développementdes racines ; la figure 13 met ces faits en évidence.
Gœbel à considéré comme un rudiment de cotylédon la partie
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 67
saillante antérieure de la crête dorsale, mais cette interprétation
me paraît inexacte ; ici en effet, comme chez les Phalænopsis,
la première feuille, au lieu d’être opposée à ce prétendu coty-
lédon, se développe du même côté que lui par rapport au som-
met végétatif. Comme chez les Phalænopsis et Vanda, cette
première feuille est une simple écaille, mais les suivantes ne
sont pas plus développées. Les racines au contraire prennent
un grand développement, elles sont, comme on sait, aplaties,
vertes à leur face supérieure et elles suppléent en somme les
feuilles absentes.
Un mémoire de Raciborski [42] a donné quelques détails sur
les jeunesplantules dedivers Phalænopsis, Vanda et Æridesrécol-
tées dans leurs stations naturelles. L'auteur n’a pas observé les
débuts de la germination et il ne donne que peu de figures, fort
schématiques. Sa description montre toutefois que les proto-
cormes de Phalænopsis et Vanda dans la nature sont sembla-
bles à ceux que j'ai obtenus; leur infestation précoce par un
champignon endophyte est expressément signalée, ainsi que
l'existence des poils glanduleux qui protègent le sommet végé-
tatif.
La plus intéressante des Orchidées, étudiée par Raciborski,
l_Ærides minimum, est une plante naine dont les tiges adultes
| n’atteignent pas un centimètre ; le protocorme, souvent encore
attaché à la base de ces tiges, paraît assez exactement compa-
rable à celui du T'æntophyllum Zollingeri; 1 à une longue
| période de croissance et peut en définitive atteindre jusqu'à
4 centimètres de longueur; on peut donc dire qu'il est, de la
| plante entière, la partie la plus développée. D'après Fritz
Muller {30}, une autre Orchidée naine, du genre Phymatidium,
qui vit sur les branches et parfoissur les feuilles des arbres, pré-
sente une constitution comparable et un protocorme du même
type quoique moins allongé. On voit par ces deux cas l'importance
| que peut prendre la phase juvénile consacrée au développement
| du protocorme chez les Orchidées les plus différenciées. Une
| évolution considérable à été accomplie pour arriver là, en par-
tant de cas comme celui du Bletilla où la phase juvénile peut
| n'avoir rien qui lui soit très particulier.
68 NOEL BERNARD
Il conviendrait de chercher ici l'origine de la forme si spéciale
et si différenciée de protocorme que je viens d'étudier. Mais
pour une part, cette question touche à celle de l'origine de la
tribu des Sarcanthinées, à laquelle appartiennent la plupart des
plantes citées dans ce paragraphe, et je n'ai pas les connais-
sances nécessaires pour discuter complètement cette question.
Il me paraît cependant qu'il y a deux hypothèses possibles.
On peut, d'une part, penser que le protocorme dorsiventral
des Phalænopsis dérive d’un protocorme comparable à celui
des Odontoglossum où lon rencontrait déjà une dorsi-
ventralité manifeste En vérité, dans des cas comme celui du
Tæniophyllum Zollingerr, rien ne rappelle plus l'élargissement
discoïde du protocorme, assez bien marqué chez les Odonto-
glossum ; mais déjà dans le cas des Phalænopsis et des Vanda
il y a bien un élargissement du protocorme consécutif à l’infes-
tation, et d'autre part, chez le Sarcanthus rostratus, d'après les
figures qu'en a données Beer |2}, le protocorme est manifeste-
ment tubérisé et de forme générale globuleuse ; sa dorsiventra-
lité ne peut être assurément que très peu marquée, les figures
imparfaites auxquelles je fais allusion laissent même son exis-
tence douteuse. Ilne paraît pas y avoir en général d’affinités bien
évidentes et bien étroites entre latribu des Oncidiinées à laquelle
appartiennent les Odontoglossum et celle des Sarcanthinées,
mais du moins ces affinités, autant qu'on en juge par l’organo-
graphie florale, peuvent exister dans le cas spécial du Phyma-
tidium puisque Pfizer [85] rattache provisoirement ce genre
aux Oncidunées. Il est possible que, chez certaines Oncidiinées
au moins, la dorsiventralité, à peine indiquée pour les Odonto-
glossum, sesoit exagérée jusqu’au point de donner au protocorme
les caractères extrêmes qui se voient communément chez les
Sarcanthinées.
Pfitzer [87 | est porté, d'autre part, à admettre que les Sarcan-
thinées sont un rameau très développé des Cymbidinées. Si
cela est, on pourrait voir dans le protocorme des Cymbidium,
une forme ancestrale du protocorme des Sarcanthinées. Pour
expliquer le passage de l’un à l’autre, on devrait admettre que
les premières feuilles déjà très réduites des Cymbidium ont
disparu tout à fait chez les Sarcanthinées ; il faudrait croire
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 69
alors que la dorsiventralité à pu être acquise dans plusieurs
séries phylétiques distinctes, où il y aurait eu, à ce point de
vue, une évolution parallèle.
Je n'ose pas absolument adopter l'une de ces manières de voir
à l'exclusion de l’autre ; elles ne sont d’ailleurs ni l'une ni l’autre
pleinement satisfaisantes. Quoi qu'il en soit, il parait assuré que
l'acquisition d'un protocorme dorsiventral marque chez les
Orchidées épiphytes un terme final de l’évolution.
SYMBIOSE CONTINUE ET VÉGÉTATION MONOPODIALE
Les Sarcanthinées ne diffèrent pas seulement des Orchidées
que j'ai étudiées Jusqu'ici par la singulière conformation de
| leur protocorme, mais elless’en séparent aussi par leur mode de
végétation à l'état adulte et il y à là, à mon avis, un second sym-
| _ptôme important de leur haut degré d'adaptation à la symbiose.
| Je dirai donc en quelques mots, comment ce mode de végéta-
tation définitif s'établit et ce qui le caractérise.
| Chez ces Orchidées hautement évoluées, non seulement les
[racines se forment de très bonne heure, mais de plus elles
prennent en général une importance inaccoutumée et à l’état
adulte le système radical atteint un degré de développement
Let de persistance qu’on ne constate pas chez d’autres Orchidées
|épiphytes. Ce caractère s'observe sous sa forme extrême la plus
frappante chez les Tæriophyllum où chez d’autres Sarcanthi-
nées comme les Polyrrluza, les Chiloschista, dont l'appareil
végétatif adulte est réduit à une griffe de racines portées par
lune courte tige à feuilles rudimentaires. Mais mème parexemple
chez les grands Vanda qui présentent une apparence plus
normale, la tige porte sans cesse de longues racines dont la
icroissance dure plusieurs années ; la chose est bien facile à
constater pour les racines aériennes des Vanda tricolor où suaris
lcommunément cultivés dans les serres, el elle est vraie aussi
pour les racines enfoncées dans le compost des s paniers où l'on
lcultive ces plantes. Autant que je sache, il existe ainsi chez les
Sarcanthinées en général des racinesremarquables par la longue
durée de leur développement, par leur persistance et leur vita-
lité dans toutes les saisons.
70 NOEL BERNARD
Par ce caractère, qui est essentiel à mes yeux, les Sarcan-
thinées diffèrent de la plupart des Orchidées, chez lesquelles,
comme Je l'ai dit à plusieurs reprises, il y a des poussées suc-
cessives bien distinctes de racines qui vivent en général moins
d'un an. Or, au point de vue de la symbiose, le grand dévelop-
pement et la persistance des racines entraînent de notables
conséquences.
D'une part, en effet, le tissu infesté chez les Sarcanthinées
prend une importance considérable par rapport à l'ensemble
des tissus sains de la plante. Chez un T'æniophyllum, c’est la griffe
des racines infestées qui constitue presque à elle seule le corps
du végétal, la courte tige et l'inflorescence, autant qu'on puisse
supposer, sont les seules parties du corps qui soient indemnes.
Chez les Ærides ou les Phymatidium nains, le protocorme et
les racines infestées ont de même un développement important
par rapport aux organes sains. Chez les Phalænopsis ou les
Vanda de nos serres, l'ensemble des grosses racines charnues
qui hébergent des champignons n’est pas encore hors de pro-
portion par sa masse avec l’ensemble des tiges feuillues ou
florifères qui sont indemnes. Il y a là assurément une prem ièr
constatation capable de faire supposer que ces Orchidées ont
à subir plus intensément que d’autres l’action de leurs com-
mensaux.
D'autre part, 1! résulte de la croissance prolongée et de la
persistance des racines que la plante héberge des champignons
vivants pendant tout le cours de sa vie. L'état de symbiose
devient pour elle une condition de vie continue au lieu de n’être,
comme chez les Orchidées à poussées successives de racines
fugaces, qu'une condition périodique. Il est pratiquement
facile, par exemple, de trouver en toute saison des racines
de Vanda abondamment infestées et d’en extraire des pelo-
tons de mycélium capables de développement.
Cette continuité de l'infestation témoigne assurément d’une
adaptation à la symbiose approchant de la perfection. Il faut
remarquer cependant que si la plante subit continüment
l’action de ses commensaux, ceux-ci, du moins, ne vivent
pas encore sans discontinuité dans le corps de leur hôte. Chez
les Phalænopsis où les Vanda, d’après ce que j'ai vu, les pre-
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 71
mières racines ne s'infestent pas au contact des lissus du proto-
corme quand elles en sortent, mais sont seulement envahies
par les champignons qu'elles rencontrent dans le compost et
qui y ont vécu plus ou moins longtemps librement. Chez les
Tæniophyllum mème, bien que la zone infestée du protocorme
s'étende presque jusqu’au bourgeon terminal, je n'ai pas vu
qu'il yaitcontinuité entre elle et la région infestée des premières
racines. Sans doute chez ces plantes, comme chez les Vandu,
où j'ai vérifié le fait, la tige adulte reste indemne de champi-
gnons et chacune des racines qu'elle produit doit s’'infester au
contact du substratum d’une manière indépendante. À ce point
de vue donc, malgré le progrès qu'elles présentent par rapport
aux autres Orchidées épiphytes, les Sarcanthinées réalisent une
adaptation à la symbiose continue moins parfaite que celle dont
certaines Orchidées terrestres, comme le Veottia Nidus-aris,
donneront tout à l'heure un exemple.
La continuité de l’état de symbiose s'accompagne chez les
Sarcanthinées d’un mode de végétation exceptionnel chez les
Orchidées, mais manifestement secondaire et non primitif
puisqu'on le rencontre chez les plantes les plus évoluées de la
famille. Au lieu qu'il pousse des tiges aériennes successives,
enchaînées en sympode par l'intermédiaire de portions de
rhizomes, il y a ici une lige unique à croissance indéfinie, qui
naît du premier bourgeon différencié sur le protocorme et qui
produit seulement des inflorescences latérales. La végétation
est, comme on dit, devenue « monopodiale ».
Cette végétation monopodiale, bien qu'elle soit toujours
essentiellement du même type, peut cependant présenter des
modalités diverses. Tantôt, comme chez les Phalænopsis ou les
T'æniophyllum, elle aboutit à la constitution d’une tige courte el
bulbeuse, dans d’autres cas il se forme une tige rampante,
mais chez quelques Sarcanthinées au moins la tige dressée
s'accroît assez considérablement, devient ligneuse, et la plante
prend ainsi un aspect presque arborescent. Les Vanda suavis el
tricolor, dont on voit souvent dans les serres des exemplaires
assez vigoureux, donnent une idée de ce mode de végétation,
mais il s’observe sous une forme plus typique chez de rares
espèces comme l'Angræcum eburneum où le Vandopsis lisso-
12 NOEL BERNARD
chiloides (Pfitz). D'après le Manual de Veitch [58|, cette der-
nière Orchidée peut produire des tiges ligneuses robustes de
rois à quatre mètres de haut. Dans les îles Philippines, où
elle vit à l'état spontané, on la rencontre tout près de la mer,
attachée par ses solides racines à des rochers exposés au plein
vent. Elle atteint, en somme, un état arborescent qui est com-
parable à celui de plus d’un palmier.
La substitution d’une végétation monopodiale, par dévelop-
pement continu d’un même bourgeon, à une végétation sym-
podiale par développement périodique de bourgeons successifs
est un des plus intéressants épisodes de l’histoire des Orchidées.
Dans la seconde partie de ce chapitre, je donnerai les raisons
qui me portent à croire que cet événement à été dù aux progrès
de la symbiose et s'est réalisé justement quand l'état de symbiose
continue s’est substitué à l’état de symbiose périodique.
La tendance à la végétation arborescente, que manifestent
certaines Sarcanthinées chez lesquelles ce mode de végétation
monopodial s’est institué, est un fait des plus suggestifs, dont
l'existence me porte à croire qu'on pourra un Jour découvrir
un lien entre les progrès de l’évolution en symbiose etl'apparition
des plantesarborescentes. Mais assurémentl’étude desOrchidées
ne peut fournir que des documents imparfaits pour la solution
de ce problème général, et ce que J'en déduisici n’est qu'à tre
de suggestion.
DEUXIÈME PARTIE
LES MODES DE DÉVELOPPEMENT CHEZ LES ORCHIDÉES TERRESTRES.
Les Orchidées terrestres se rattachent pour la plupart, comme
je l'ai dit au débutde ce chapitre, aux trois séries bien distinctes
des Orchidées diandres, des Ophrydées et des Néottiées. Avant
d'examiner les modes de germination dans chacune de ces
séries, il convient d'indiquer brièvement les limites que notre
ignorance actuelle impose à cette étude.
Parmi les Orchidées diandres, la germination des Apostasiées
serait des plus intéressantes à connaître, puisque ces Orchidées
passent à bon droit pour les plus voisines de la souche commune
à toute la famille. Les graines d’Apostasix Wallichn, que j'ai
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 73
trouvées dans un fruit d’une plante conservée en herbier, ont
déjà tout à fait le Lype orchidéen, mais leurs embryons attei-
gnent ou dépassent la taille de ceux du Zletilla hyacinthina, qui
est, comme j'ai dit, une taille exceptionnelle. Ces embryons
m'ont cependant paru tout à fait indifférenciés. On ne sait
malheureusement rien de leur germination. On connaît au con-
traire la germination de quelques Cypripédiées, el comme ces
plantes forment un groupe très homogène, il ny a guère à
espérer que l'étude d'un plus grand nombre de cas soit beaucoup
plus instructive.
| L'ensemble des Ophrydées est aussi assez homogène. Les
phénomènes de la germination sont fort analogues chez les
espèces où on les connaît et on peut ainsi estimer avoir une
idée suffisante de ce que doit être le premier développement
dans tout le groupe.
La série des Néottiées est beaucoup plus variée, et cela rend
| plus regrettables les lacunes de nos connaissances à leur sujet.
Les Thélémytrées et Diuridées australiennes que Pfitzer place à
la base de tout ce groupe sont sans doute les plus simpies de
| toutes les Orchidées monandres, et l’on pourraitespérer trouver
parmi elles des modes de germination plus primitifs encore
que ceux du Bletilla. D'autre part, il y aurait un intérêt tout par-
ticulier à connaître la première évolution des Néottiées lianoïaes
comme les Vanilles et les Galeola. Si je ne me trompe, notre
ignorance est complète sur l’un comme sur l'autre de ces deux
points. Les faits les plus intéressants qu'on possède sur la ger-
|mination des Néottiées sont relatifs à l’évolution de deux a pes
très spécialisés de saprophytes, l'Æpipogon aphyllus et le Neottia
LNidus-avis: mais grâce surtout aux observations d'Irmisch sur
Les Epipactis el les Zistera, on peut acquérir une idée de Pévo-
bution qui a conduit au mode remarquable de végétation réalisé
par la seconde de ces espèces.
Dans l’ensemble, ces connaissances incomplètes ont comme
intérêt essentiel de révéler un parallélisme étroitentre les modes
d'évolution des Orchidées terrestres el eeux des Orchidées
lépiphytes. C'est ce que je me propose surtout de faire remar-
quer, en essayant d'exposer un sujet sur lequel jai appoint
de quelques observations personnelles.
14 | NOEL BERNARD
S 1. — CGypripédiées.
Les Orchidées communément désignées sous le nom de
Cypripedium, réparties par Pfitzer [86] dans quatre genres, ont
un mode de végétation très uniforme : ce sont toutes des plantes
à rhizome constitué suivant le mode sympodial. Leurs graines
ont le type général de celles des Orchidées ; les embryons indif-
férenciés qu'elles renferment sont toujours notablement plus
petits que ceux des Apostasia.
J'ai semé à plusieurs reprises des graines d’hÿbrides variés
des Paphiopedilum, communément cultivés en serre, et J'ai étu-
dié ailleurs [6] les conditions et les modes de la germination
dans un cas concordant avec tous
ceux que Jai vus depuis. Les
embryons ne semblent capables
d'aucun développement auto-
nome. Avec des cultures actives
de ARhizoctonia repens, on peut
au contraire obtenirleurgermina-
lion. Le protocorme est conique,
symétrique par rapport à un
axe, largement infesté et couvert
de poils absorbants; il verdit
à sa partie supérieure après les
Fig. 14. — Paphiopedilum. — À, aspect premières semaines el produit
exlérieur d’une plantule de trois ensuite un bourgeon terminal
mois. — B, coupe longitudinale dans : ù
une plantule semblable, montrant unique (fig. 14). En un mot, il
eu de le pme née en Gt assez exactement comparable
tocorme, qui est ombrée. — C,som- au protocorme que le Bletilla
met végétatif avec un poil protecteur - Ê :
pluricellulaire. L'échelle de 1 mil /4@Cinthina peut produire quand
Re LE grossissement des ün le cultive avec des races
| suffisamment actives de Ahizoc-
toria repens. La différence essentielle est que la formation de
ce protocorme chez les Paphiopedilum est assurément constante
et non facultative.
Irmisch [17] a observé la germination du Cypripedilum C'al-
ceolus dans la nature ; elle ne diffère pas profondément de celle
1 mil LS c
=}
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 19
des Paphiopedilum. Le protocorme est dépourvu de poils et, à
cause du recourbement de sa pointe, il montre une très légère
tendance à la dissymétrie. Il est cependant souvent vertical
dans le sol et la tige primaire continue alors la direction de son
grand axe. La végétation en sympode s'établit dès la fin de la
première année, un bourgeon placé à l’aisselle d’une des feuilles
inférieures de la tige primaire commençant alors à se dévelop-
per en une seconde pousse feuillue.
$ 8. — Ophrydées.
L'origine dugroupedes Ophrydées est incertaine, mais ce sont
assurément des plantes assez hautement évoluées. On peut en
juger par la complexité bien connue des conformations florales
qui assurent chez elles la fécondation par les insectes. La végé-
tation des Ophrydées adultes est du type sympodial, avec ceci
de spécial que chaque bourgeon du sympode, avant de se déve-
lopper, produit latéralement un bulbe formé par la concrescence
de racines charnues. J'ai étudié ailleurs [4] ce type de végétation
pour montrer qu'il correspond à une symbiose périodique, les
périodes d’infestation étant celles pendant lesquelles se forment
les bulbes, et les périodes d'autonomie celles où se différencient
les pousses feuillues ou florifères.
Je n'ai pas réussi à isoler le champignon commensal des
Ophrydées, ni observé la germination de ces plantes dans des
conditions expérimentales précises. J'ai cependant semé les
graines de plusieurs Orchis, sans champignons, sur du coton
imbibé de solutions nutritives diluées et je n'ai constaté dans
cesconditions aucun développementdesembryons indifférenciés.
La germination dans les conditions naturelles a été observée par
Fabre pour Ophrys apifera AA}, par Irmisch pour l'Orchis mi-
hitaris [17], et par moi-même pour le Platanthera montana |4|.
Elle se fait dans ces trois cas grâce à une infestation précoce
des embryons par leurs champignons endophytes |4.
Par deux caractères au moins le premier développement de
ces Ophrydées se montre d'un type plus hautement évolué que
celui des Cypripédiées ; il est plutôt à mettre en parallèle avec
le développement des Cymbhidium qu'avec celui du Bletilla.
16 NOEL BERNARD
Un premier fait à noter est la tubérisation précoce du proto-
corme, qui s'élargit à sa partie antérieure de façon à prendre
une forme renflée comparable à celles qu'ont communément
Fig.15. — Germination des Ophrydées. — À, coupe dans un jeune protocorme d'Orchis
militaris ; à, région infestée. — B, jeune plantule de la même espèce; p, proto-
corme; ?, racine. — C, coupe dans la base d'une jeune plantule d’'Ophrys apifera ;
;, région infestée du protocorme; {,, premier bulbe; f', jeune racine. — D, dia-
gramme montrant là constitution d’une plantule de Plalanthera montana vers la
fin de sa deuxième année; p, position qu'occupait le protocorme disparu ; #,, pre-
mier bulbe; e, e, écailles de la tige primaire née de ce bulbe ; 4, deuxième bulbe
inséré latéralement sur le bourgeon lerminal ; à, région infestée : 7, racine. —
A et B, d'après Irmisch. — C, d'après Fabre, modifié. — D, original.
les bulbes d'Ophrydées adultes. Cette tubérisation ne va pas
jusqu'à l'acquisition d’une forme discoïde, mais elle atteint bien
le degré que J'ai constaté chez un Cymbidium. Le protocorme
tubérisé de Ophrys aranifera est parfaitement symétrique par
rapport à un axe, d’après les figures de Fabre, il est cependant
couché horizontalement dans le sol et la tige primaire qu'il
porte doit se recourber à angle droit avec l’axe du protocorme
pour se dresser verticalement (fig. 15, C). Chezl Orchis nalitaris
el à un moindre degré chez le Platanthera montana, À existe
communément un recourbement de Ja pointe du proto-
corme qui doit lui faire attribuer plutôt un plan qu'un axe de
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE vil
symétrie (fig. 15, À, B). La symétrie bilatérale est en lout cas
peu accentuée et moins nette assurément que chez les Odonto-
glossum.
Une seconde particularité intéressante du développement des
Ophrydées, dans tous les cas connus, est l'établissement tardif
du mode de végétation sympodial. A la fin de la première
année le bourgeon terminal du protocorme produit latérale-
ment un premier bulbe (fig. 15, C)et, plus tard, il s’isole avec
lui. Dans la seconde année ce bourgeon donne d'abord un court
rhizome épaissi, à feuilles rudimentaires et ensuite il produit
latéralementun second bulbe (fig. 15, D). C’est seulement dans
la troisième année que le sympode s'élablira par développement
d’un bourgeon latéral de la pousse feuillue portée par ce second
bulbe. D'une part done, 11 y a ici développement prolongé du
premier bourgeon et deux premières années de végétation mo-
nopodiale. D'autre part, la tige primaire qui se développe dans
la seconde année (fig. 15, D) est tubérisée à sa base comme
le protocorme. Cela rappelle d'assez près ce qui se produisait
chez les Cymbhidium, à la complication près qu'entraine la
substitution du premier bulbe au protocorme.
Ce développement monopodial prolongé d’un axe primaire
tubérisé correspond manifestement à un assez haut degré d’adap-
tation à la symbiose. Non seulement, en effet, le protocorme et
les racines normales insérées sur lui ou sur le rhizome hébergent
le champignon endophyte, mais encore le premier bulbe quand
il est complètement accru peut s'infester au contact du sol, eten
tout cas il en est ainsi pour le rhizome inséré sur ce bulbe (1).
(4) Ni Fabre ni Irmisch ne signalent expressément des champignons dans
es plantules, mais ils décrivent l'aspect et la répartition des cellules infestées
avec une précision qui ne laisse pas place au doute. Les protocormes sont
toujours infestés de la mème manière ; j'ai cru pouvoir compléter un dessin
de Fabre (fig. 15, C) en indiquant approximativement les limites de la région
infestée qu'il décrit d'une facon précise. Le premier tubercule n’est jamais
habité par les champignons pendant qu'il se forme; chez l'Orchis militaris,
| d'après Irmisch, il reste encore uniquement formé de parenchyme amylacé,
après son isolement, quand il commence à se développer en un rhizome qui,
| lui du moins, s'infeste. Au contraire, chez l'Ophrys apifera, d’après la description
de Fabre, le premier tubercule s'infeste comme le court rhizome qui lui fait
suite. Chez le Platanthera montana, on trouve aussi chez de jeunes plantules
le tubercule et le rhizome infestés sans discontinué, comme je l'ai figuré dans
le diagramme D de la figure 15 qui résume mes observations. Cependant il
arrive aussi que de petits tubercules, détachés de la base de plantes adultes,
18 NOEL BERNARD
La symbiose est ainsi réalisée d’une façon plus continue et
plus parfaite pendant le premier développement des Ophrydées
que dans la suite de leur vie.
$ 9. — Épipogon aphyllus.
On connait, grâce aux observations d’Irmisch [17], le très
intéressant mode de développement de l'£pipogon aphyllus. Le
protocorme de cette Orchidée a la forme d’une corne recourbée
à sa pointe ; c’est manifestement par rapport à un plan et non
Fig. 16. — Epipogon aphyllus. — À et B, jeunes protocormes. — C, jeune plantule,
montrant le développement de deux bourgeons latéraux en branches tubérisées.
— D, plantule plus avancée chez laquelle la tige primaire, f, ne s’est pas développée.
— KE, jeune rhizome coralloïde. — F, coupe transversale dans une branche du
rhizome, montrant la région infestée qui à été ombrée. D'après Frmisch.
par rapport à un axe qu'il estsymétrique. Le bourgeon terminal
de ce protocorme peut rester rudimentaire ou se développer en
un stolon grêle, mais en tout cas, des bourgeons latéraux situés
à sa base se développent précocement en branches tubéri-
sées, aplaties dans le plan de symétrie, qui se ramifient abon-
damment, de manière à former la griffe coralleïde dont l’appa-
rence remarquable est bien connue (fig. 16).
sinon de leur protocorme, produisent un rhizome infesté tout en restant
indemnes [4]. ILest donc possible que les modes d’infestation comme les
modes de végétation soient légèrement variables dans des espèces voisines ou
dans une mème espèce d'Ophrydées.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 79
Il y a là évidemment un processus de développement compa-
rable à celui dontl £rwlophidium maculatum à donné un exem-
ple. Mais tandis que chez l'£uwlophidium la griffe coralloïde née
du protocorme n’était qu'une forme juvénile à laquelle succé-
dait en définitive une forme adulte d'apparence plus ordinaire,
chez l'Epipogon au contraire le mode de développement coral-
loïde se prolonge pendant presque toute la vie. I ne se forme
jamais de racines et on voit seulement réapparaitre une con-
formation voisine de la normale dans les stolons grèles, qui
servent sans doute à marcotter la plante, ou dans les inflores-
cences.
La description d’Irmisch est assez explicite pour qu'on puisse
en conclure que la griffe coralloïde est tout entière largement
infestée comme le protocorme même, à l'exception des régions
méristématiques. Il est donc entièrement vraisemblable que
l'apparence singulière de cette Orchidée holosaprophyte, au-
tant que celle non moins étrange du Neottin Nidus-anis, est
simplement la conséquence d’une adaptation à la symbiose
continue.
$ 10. — Neottia Nidus-avis.
Après Irmisch {17}, Prillieux 39! et Drude {40}, j'ai contribué
à faire connaître le mode de développement du Meottia Nidus-
avis; une étude critique de ce sujet à été publiée dans ma
thèse de doctorat [4]. Actuellement, il m'importe surtout de
montrer l'étroite ressemblance qui existe entre le Neoftiu et les
Sarcanthinées.
Le protocorme est de forme générale conique, mais toujours
nettement recourbé à sa pointe ; il à done un plan de symé-
trie comme le protocorme des Sarcanthinées ; 11 lui ressemble
aussi par sa forme générale, à ceci près toutefois qu'il n'a pas
de poils, pas de crête dorsale, et pas de chlorophylle. En même
temps que le bourgeon terminal se différencie, 11 apparait laté-
ralement à la partie antérieure du protocorme des mamelons
qui se développent en racines (fig. 17, B). Le bourgecon
terminal se développe ensuite en un rhizome horizontal, un
peu plus épais que le protocorme, riche comme lui en amidon,
80 NOEL BERNARD
portant à ses nœuds des feuilles rudimentaires et sur chaque
entre-nœud un assez grand nombre de racines serrées les unes
contre les autres. Chez les plantes les plus vigoureuses ces
racines s’enche-
vêétrent et. elles
forment dans
l'ensemble une
griffe compacte
ayant parfois la
forme en « nid
d'oiseau » que
sugoère le nom
de l'espèce. En
définitive, 1l peut
arriver que le
bourgeon termi-
nal du rhizome
se développe en
Fig. 17. — Neoltia Nidus-avis. — À, coupe dans un jeune : ue *
protocorme, montrant la région infestée ombrée. — B, üuige florifère (fig.
apparence extérieure d’un protocorme plus développé, 17 C) ou qu’il
avec trois jeunes racines insérées latéralement à sa DEN I
partie antérieure, — C, coupe diagrammatique d'en- avorte, des bour-
semble dans une plante prête à fleurir; les régions
infestées sont ombrées.
geons situés peu
en arrière de lui
donnant alors des inflorescences latérales [4]. Très com-
munément la plante meurt après avoir fleuri et sa multipli-
cation est assurée par les bourgeons adventifs qui se forment
à la pointe de ses racines.
La végétation est donc monopodiale, soit au sens le plus strict
du terme quand l’inflorescence est terminale, soit d’une manière
exactement comparable à celle des Sarcanthinées quand les
inflorescences se développent latéralement ; elle reste d’ailleurs
fort lente : d’après mon estimation, il peut falloir jusqu'à dix
ans pour qu'une plante issue de graine arrive à sa floraison.
Si l'on songe à la lenteur et au mode de ce développement,
à la forme du protocorme, au développement précoce et abon-
dant des racines, à la réduction des feuilles, on ne pourra
manquer d’être vivement frappé par l'étroite ressemblance qu'il
y a entre un Neottia et un T'æniophyllum.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE S1
Dans un cas comme dans l’autre la symbiose est d’ailleurs
continue, mais chez le Neottia cette continuité est assurée d’une
manière plus complète encore que chez les Sarcanthinées, et
elle atteint, Je crois, le plus haut degré de perfection qu'on puisse
imaginer.
En effet, non seulement le protocorme est largement infesté
dès la germination de la graine (fig. 17, A), mais encore cette
infestation, progressant de proche en proche dans le corps de
la plante, gagne le rhizome et à partir de lui les racines succes-
sives dont la contamination commence par la base (fig. 17, C).
La zone à champignons est ainsi parfaitement continue dans
tout le corps, depuis la pointe du protocorme jusqu'à la base de
l'inflorescence ; selon toute évidence, tout le mycélium hébergé
par un MNeotthia à pour origine unique le filament qui à primiti-
vement pénétré l'embryon de sa graine.
Il y à plus, car dans ce cas remarquable la continuité de
l'infestation peut être assurée même entre une génération et
une autre. Il arrive en effet, comme je lai observé !4], que les
hampes florales n'aient pas la force de percer les couches d’'humus
qui les couvrent ; elles semblent alors n'avoir qu'une faible tur-
gescence, et, molles comme des tiges fanées, elles s’enroulent
irrégulièrement dans le sol, parfois même au-dessous des
griffes qui les produisent. Cependant la floraison, la féconda-
tion des fleurs et la maturation des fruits s’accomplissent d'une
manière normale ; des champignons, qui proviennent selon
toute apparence du rhizome de la plante, se propagent par la
cavité centrale de sa tige jusqu'aux fruits souterrains où les
graines s’infestent et germent en grand nombre au milieu d’un
lacis de filaments mycéliens. Il est exact de dire que dans ces
conditions l'association formée par le champignon et la plante
a pris plus d'autonomie que n’en ont chacun des deux com-
mensaux considérés isolément.
Pour trouver dans les cas connus un exemple de symbiose
aussi parfaite, il faudrait remonter Jusqu'à celui de Lichens
comme les Endocarpon chez lesquels les ascospores entraînent
en se disséminant des gonidies du thalle sur lequel elles se sont
produites. Mais sans doute ce ne sont pas là des exemples uni-
ques et il est vraisemblable qu'on pourrait rencontrer des adap-
ANN. SC. NAT. BOT., 9 série. IX 10
82 NOEL BERNARD
tations à la symbiose d’un type comparable soit chez les Lyco-
podes comme je l'ai suggéré [4], soit chez les Monotropa ou
d’autres plantes de lhumus.
$ 11. — Origine de la végétation monopodiale
chez les Néottiées.
Plusieurs raisons portent à croire que le type de végétation
monopodial du Neotthia Nidus-anis s’est réalisé à partir du type
sympodial ordinaire des Orchidées à rhizome.
D'une part, il arrive, assez rarement, chez le Neotfia même,
qu'après le développement d’une inflorescence terminale une
seconde inflorescence enchainée en sympode à la première se
forme l’année suivante [39,4]. Cela rappelle un peu la manière
d'être habituelle d’une espèce très voisine, le Lastera ovata où
cependant le sympode s'établit toujours et beaucoup plus
précocement.
D'autre part, Irmisch [47] à observé, dans le seul genre Epi-
pactis, chez des espèces voisines, soit la végétation sympodiale
Lypique du Listera, soit un établissement tardif du sympode
comparable à celui que montre exceptionnellement le Neottia.
Dans ce cas du moins, que Je veux rappeler, la proche parenté
des deux types de développement devient indiscutable.
Les observations d’Irmisch ont porté sur l'£Epipactis rubi-
ginosa et sur P'Epipactis nacrophylla, qu'il faut sans doute con-
sidérer comme des espèces distinctes, bien qu’on ait pu souvent
en faire de simples variétés de l'£pipactis latifolia.
La première de ces espèces végète comme le Listera ovata.
Elle a un protocorme recourbé plus fortement encore à sa
pointe que celui du Neottia, mais d’ailleurs du même type. Le
bourgeon terminal de ce protocorme produit une première
pousse feuillue stérile, à laquelle s'enchaine l’année suivante
une pousse latérale, dont la base horizontale forme le premier
article d’un rhizome sympodique qui se continuera d'année en
année, par un procédé comparable, jusqu'à l'apparition des
hampes florifères. C’est le mode de végétation ordinaire des
Orchidées à rhizome.
Il y a cependant ceci de remarquable que les racines
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 83
longues et assez grêles produites par le protocorme d’abord
et par le rhizome ensuite persistent durant plusieurs années
successives. Cela ne doit pas nécessairement signifier que
la symbiose est continue, car il se peut que linfestation des
racines se réalise seulement pour une saison, et que les cham-
pignons y soient détruits ensuite, les jeunes racines de chaque
poussée annuelle permettant seules l'entrée du champignon
pendant leur période de croissance (1). Mais, quoi qu'il en
soit, cette persistance des racines chez les Epipactis et Listera
cest un fait suggestif, rare chez les Orchidées à végétation sym-
podiale et qui peut éventuellement permettre l'établissement
d'une symbiose plus parfaite.
La description même d'Irmisch suggère que l'éventualité favo-
rable à l’apparition d'un mode plus évolué de symbiose s’est
produite pour les Æpipactis microphylla dont il à fait l'étude.
| Ceux-c1 vivaient dans l’humus et se distinguaient dès le pre-
:mier abord des autres espèces du genre par le diamètre excep-
tionnel de leurs racines charnues, où l’on voyait, même dans
les vieilles racines, non seulement des corps de dégénérescence
| témoignant d’une infestation ancienne, maisencore des pelotons
de filaments mycéliens reconnaissables. Ces caractères sont
exceptionnels pour un Æpipactis et Irmisch les signale, avec sa
| précision habituelle, dès le début de la monographie qu'il donne
de cette espèce. Ils s’accompagnent de létablissement d’une
| végétation monopodiale prolongée jusqu’à la floraison. Irmisch
n’a en effet jamais vu hors du sol des pousses feuillues stériles
de l'£pipactis microphylla, mais seulement des inflorescences,
et l'étude qu'il a faite de quelques plantes adultes a démontré
que leur rhizome, jusqu’à la base de la première hampe florale,
|résultait du développement prolongé du bourgeon de premier
ordre formé sur le protocorme.
Il y a là sans nul doute une tendance nettement accusée vers
| (1) Je n'ai pas pu acquérir en temps utile une conviction formelle sur
Ice point. D’après des observations faites avant que l'intérêt de cette question
m'apparaisse, et qu'il faudrait reprendre, l'infestation des racines chez le Listera
ovata et l’'Epipactis latifolia est irrégulière et relativement faible, les rhizomes
des plantes adultes n’hébergent pas de champignons et, par conséquent, les
racines doivent s'infester dans chaque période annuelle indépendamment les
unes des autres, au contact du sol.
84 NOEL BERNARD
le mode de végétation du Neottiu Nidus-avis. Pour la préciser
davantage il faut encore indiquer que l'Epipactis microphylla
est remarquable par la réduction relative de ses feuilles, comme
l'indique son nom, et par la faible pilosité de ses racines, à ce
que dit Irmisch.
Cette variabilité remarquable des modes de végétation dans
un même genre pourrait devenir au plus haut point instructive
pour qui s'appliquerait à observer, dans des conditions expéri-
mentales précises, les rapports du mode de développement avec
le degré d'activité des champignons endophytes. D’après ce que
j'ai vu de la variabilité des modes de germination du Bletilla
dans des conditions semblables, et sachant ce qu'on observe
encore de diversité dans les modes de végétation naturels du
Neottia |4|, il ne parait pas illégitime de penser que l’origine
de la végétation monopodiale chez les Orchidées peut devenir un
problème susceptible de solution expérimentale.
$ 12. — Symbiose, Épiphytisme, Saprophytisme.
Il résulte clairement des faits exposés dans ce chapitre que
les mêmes tendances se sont manifestées d’une manière indé-
pendante dans l’évolution des Orchidées épiphytes et dans celle
des Orchidées terrestres. L'apparition d’une phase juvénile de
développement, distincte de la phase adulte, à sans doute coïn-
cidé, dans un cas comme dans l’autre, avec le moment où les
graines sont devenues incapables de germer sans le concours des
champignons commensaux que les ancêtres des Orchidées héber-
geaient depuis longtemps ; cette phase juvénile à pris ensuite
des caractères de plus en plus spéciaux en même temps qu’elle
tendait à se prolonger davantage.
La différenciation progressive du protocorme est marquée
soit par sa tubérisalion, soit par la substitution d’une symétrie
bilatérale à la symétrie par rapport à son axe, soit par ces deux
faits ensemble.
Le développement prématuré de bourgeons en branches
épaissies de rhizome est un des moyens par lesquels la phase
juvénile a pu se prolonger. Il s'indique chez les Cymbidium
comme chez les Ophrydées, il prend chez l'£ulophidium une
:
«
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 89
forme plus parfaite, et arrive chez les Epipogon où Corallorhiza
à caractériser non plus seulement une phase juvénile, mais le
mode du développement tout entier.
La formation de plus en plus précoce de racines charnues
et persistantes caractérise une autre direction que l’évolution à
pu suivre ; elle concorde dans tous les cas avec la substitution
du mode monopodial de végétation au mode sympodial primitif.
| Une des formes les plus typiques d'appareil végétatif qui lui
| doive son origine est réalisée pour les griffes de racines issues
d’un rhizome à feuilles rudimentaires qui s'observent chez le
| Tæniophyllum Zollingeri comme chez le Neottia Nidus-avis.
| L'apparition de la stature arborescente chez quelques-unes des
Orchidées dont l’évolution s’est faite dans cette direction est
| sans doute aussi un fait remarquable.
| En étudiant dans ce chapitre les modes de symbiose corres-
| pondant à chacun des modes de développement, j'ai entendu
| suggérer que l'apparition des divers caractères dont je viens de
donner une énumération à un rapport étroit avec l'adaptation
| de plus en plus parfaite des Orchidées à la symbiose. En com-
mentant dans les prochains chapitres les résultats de mes expé-
|riences, J'aurai à préciser ma pensée à ce sujet. Mais indépen-
| damment même du recours à l'expérience, la constatation d'un
| parallélisme étroit entre l’évolution des Orchidées épiphytes et
celle des Orchidées terrestres me parait donner beaucoup de
| force à cette manière de voir.
| Les conditions de la vie terrestre sont assurément bien diffé-
rentes de celles de la vie épiphyte ; il doit falloir pour chacun
| de ces modes d'existence des aptitudes particulières, puisqu'on
| ne voit pascommunément les plantes d'une même espèce adopter
| indifféremment l'un oul’autre. Chez les Orchidées, on rencontre
des exemples d’adaptations extrêmes à ces deux modes de vie,
soit pour les plantes vivant à la couronne des forêts tropicales
exposées à une 1illumination intense ou à la dessiceation, soit
pour les espèces holosaprophytes comme le Neottia Nidus-avis
acclimatées à la vie souterraine dans l’humus des forêts.
IL pourrait certainement paraître vraisemblable, à première
|vue, d'attribuer aux conditions de ces modes de vie si spéciaux
jet si différents l'apparence si particulière des Orchidées épi-
2 ——————————
86 NOEL BERNARD
phytes ou saprophytes les plus typiques. Je ne nie pas que des
conditions diverses impliquées par ces modes de vie aient pu
avoir une action sur l’évolution des végétaux qui les acceptent:
quelques traits de leur organisation peuvent sans doute s’expli-
quer ainsi. Pour préciser par un exemple, ilest peut-être admis-
sible que la dorsiventralité du protocorme chez beaucoup de
Sarcanthinées épiphytes ait un rapport avec leurexposition à la
lumière, puisque cette dorsiventralité n'existe pas pour les pro-
tocormes simplement bilatéraux des Néottiées à évolution sou-
terraine. Mais ce sont là des faits de détail. Si un T'æniophyllum
ressemble à un Meottia non seulement par son apparence à l’état
adulte, mais encore par son mode de développement et aussi
par l’histoire des ancêtres quiont évolué jusqu'à lui, il faut cher-
cher, pour expliquer une homologie si parfaite, l’action d’une
condition d'existence qui ait été commune à ces plantes et à
leurs deux séries d’ancêtres malgré la diversité d'habitat. On ne
trouve alors, ilme semble, aucune condition commune autre que
la symbiose qui puisse suggérer une explication satisfaisante du
parallélisme des deux évolutions.
On peut aller plus loin et penser que l'aptitude à lépi-
phytisme ou au saprophytisme à pu se développer chez les
Orchidées, originairement terrestres et non saprophytes, Jus-
tement par suite de l’action sur ces plantes de leurs champignons
commensaux, la symbiose ayant entrainé à la fois l'apparition
de caractères morphologiques nouveaux et de dispositions phy-
siologiques particulières.
Sans sortir du domaine de l'observation comparée, on peut
assurément trouver des arguments sérieux à l'appui de cette
manière de voir. Le plus notable me paraît fourni par l'étude
des Cryptogames vasculaires inférieures dont l'évolution est
parallèle à celle des Orchidées aux divers points de vue que je
viens d'indiquer. L'adaptation de ces plantes à la symbiose avec
des champignons endophytes s'accompagne de modes de déve-
loppement étroitement comparables à ceux des Orchidées. La
végétation sympodiale avec bulbes successifs dont le premier
naît du protocorme se trouve chez le Phylloglossum Drum-
mondi comme chez les Ophrydées ; la végétation coralloïde se
retrouve chez les Psilotum, la végétation monopodiale avec
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 87
racines persistantes chez les Ophioglosses; l'apparition enfin de
Lycopodinées ou de Filicinées arborescentes paraît avoir plus
d’un rapport avec l’évolution qui amène au cas des Vanda. I
est d'autre part remarquable que le mode de vie saprophy-
tique ait été adopté par les Psilotum comme la végétation
épiphyte par un nombre notable d'Ophioglosses et de Lyco-
podes.
Ces homologies, qu’on à peine à croire fortuites, s'expliquent
au mieux, il me semble, par la théorie proposée dans l’introduc-
tion de ce mémoire qui voit dans la symbiose un facteur d’évo-
lution ayant une importance dominante.
CHAPITRE HI
VARIATIONS D'ACTIVITÉ DES CHAMPIGNONS
+ ENDOPHYTES
On à vu dans le chapitre 1 que des Orchidées fort diverses
peuvent héberger des champignons ayant les mêmes caractères
spécifiques ; ilpeutexister aussi entre ces champignons, différents
par leurs origines, une certaine similitude de propriétés physio-
logiques. Ainsi, il m'a été possible de faire germer des graines
de Cattléyées non seulement avec le mycélium de ARhizoctonia
repens provenant de ces plantes, mais encore avec celui que j'ai
retré de Paphiopedilum, de Spiranthes, où de Cymbidium. De
même, des graines de Cypripédiées ont pu germer avec des cul-
tures de ce mycélium ayant les origines les plus diverses. Pas
plus au point de vue physiologique qu’au point de vue morpho-
logique, 1ln°y à en général d’étroite adaptation de chaque endo-
phyte à son hôte.
L'importance de cette constatation m'est apparue dès le début
de mes recherches expérimentales ; elle n'est nullement dimi-
| nuée par les précisions que je donnerai ici; mais, tout d'abord
cette similitude d'action de champignons ayant des origines
différentes m'a porté à croire que les propriétés physiologiques
| d’une même espèce d’endophyte étaient aussi constantes et aussi
| fixes que ses caractères morphologiques [6]. Prise sous cette
| forme extrême, la conclusion était erronée, et fondée d’ailleurs
|
88 NOEL BERNARD
sur un examen trop imprécis des faits. Il est utile de dire com-
ment j'ai été amené à le reconnaitre.
La découverte du rôle essentiel qu'ont des champignons pour
la germination des Orchidées m'a paru de bonne heure pouvoir
entrainer des conséquences utiles au point de vue de la pratique
horticole. Les horticulteurs ne soupçonnaient rien de semblable:
il était raisonnable de penser qu'ils ne réalisaient pas toujours
leurs semis de facon à assurer l’infestation des graines; les
difficultés parfois considérables qu'ils rencontraient pouvaient.
provenir en grande partie de cela. Je pensai donc qu’on leur
rendrait service en leur distribuant des cultures de mycélium
obtenues au laboratoire pour infester leurs semis.
Je fis de premiers essais dans cette voie en 1903, au moment
même où Je venais de réaliser des cultures de AÆRhizoctonia
repens (séries L, S, C) qui m’avaient donné de bons résultats au
laboratoire pour la germination des Cattléyvées et des Cypri-
pedium. Quelques amateurs d'Orchidées voulurent bien sur mon
conseil mêler le mycélium que je leur envoyai, au compost où
ils semaient leurs graines ; ils obtinrent, en particulier pour les
semis de Cattléyées, des résultats nettement supérieurs à ceux
que leur donnait l'emploi des méthodes traditionnelles. La
question commença dès lors à intéresser les praticiens; elle fut
posée en 1905, au congrès international d’horticulture de Paris,
où Je me crus en droit d'exprimer mon espoir d'améliorer les
conditions d’une opération horticole qui passe à bon titre pour
assez difficile.
Cet espoir a été en partie déçu quand j'ai cherché, en 1905
et 1906, à étendre le champ de ces expériences pratiques que
plusieurs amateurs d'Orchidées s'étaient offerts à poursuivre
avec moi. J’envoyai alors à ces collaborateurs les mêmes cham-
pignons, gardés en culture pures au laboratoire, qui avaient
donné auparavant de bons résultats. La réussite fut cette fois
médiocre ou nulle, aussi bien pour les semis de Cattlévées que
pour ceux de C'ypripedium. Cependant, j'ai visité alors quelques-
unes des serres où des essais se poursuivaient et J'ai pu vérifier
le soin qu'on y mettait à suivre mes indications.
Il a donc fallu admettre que les champignons avaient perdu
avec le temps leurs propriétés physiologiques primitives et
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 89
que leur activité pour faire germer les graines ne doit pas
être un caractère permanent. Des expériences plus précises
faites au laboratoire ont montré, en effet, que cette activité est
très variable, et m'ont conduit aux études qui font l'objet de
ce chapitre.
Û
$ 1. — Activités inégales des diverses cultures
de chaque Rhizoctone.
La plupart des expériences que j'ai entreprises pour apprécier
l’activité des champignons endophytes ont été faites avec des
cultures de Rhizoctonia repens, dont j'étudiais Paction sur des
semis des Cattlévées. Il importe d'indiquer tout d’abord com-
ment ces semis se comportent et de quelle manière on doit Les
comparer.
Dans les semis faits sans champignons, les embryons verdis-
sent au bout de quelques jours, et commencent presque simul-
tanément à se développer en sphérules ; tous paraissent égale-
ment viablesetrien d’apparent ne révèle entre eux de différences
essentielles. Cependant l'introduction d’un champignon ne
provoque jamais qu'une germination plus ou moins irrégulière :
certains embryons se développent rapidement en plantules,
d’autres évoluent plus lentement ou même restent stationnaires
après d'insignifiants progrès. Ces différences s'accentuent avec
le temps et tandis que les plantules les plus vigoureuses conti-
nuent à progresser, les plus retardataires finissent par brunir
après quelques mois, sans changements notables.
Cette irrégularité de la germination est générale pour les
semis d'Orchidées, aussi bien dans la nature ou dans les serres
que dans des tubes de culture, les figures 1 (page 3) et 18
(page 102) en donnent une idée ; elle révèle chez les graines une
diversité d’aptitudes individuelles que rien ne faisait soupconner
| au premier abord. Chaque champignon sélectionne en défini-
| tive dans le semis où il se trouve un nombre plus où moins grand
d’embryons qui peuvent seuls se développer en symbiose avec
| Jui.
| Les graines n'étant pas individuellement comparables, il faut
toujours, pour étudier l'influence de champignons divers sur là
90 NOEL BERNARD
germination, comparer des semis de graines nombreuses. La
chose est heureusement facile, puisqu'un même fruit d'Orchidée
contient des milliers de semences. Pour les Cattléyées en par-
ticulier, dont les gousses sont volumineuses, j'ai généralement
préparé, avec les graines d’un même fruit, des tubes de culture
contenant chacun, pour le moins, une centaine de graines.
Quand plusieurs semis préparés ainsi sont inoculés, dans des
conditions identiques, avec le même champignon, ils se com-
portent d’une manière comparable; les statistiques données à
ce sujet pour l'expérience Ill (page 100) le montreront avec pré-
cision. Il n’en est plus de même quand l’inoculation est faite
avec des champignons appartenant aux différentes séries dont
l'énumération a été donnée dans le chapitre 1; Ia comparaison
des tubes de cultures montre alors sans ambiguïté que certains
semis réussissent mieux et d’autres moins bien ; il peut arriver,
comme cas extrêmes, soit que presque tous les embryons se
développent plus ou moins vite, soit qu'aucune graine ne germe.
J'ai considéré comme les plus actifs les champignons qui
donnent, toutes choses égales d’ailleurs, la germination la plus
rapide, le plus grand nombre de plantules ou les plantules les
mieux développées dans un temps donné. Ces trois indices con-
duisent à des appréciations concordantes (1).
Afin de donner une idée précise des différences d'activité que
peuvent présenter les champignons d'une même espèce, Je
résume ici les résultats d'une expérience comparative, faite en
inoculant des semis de Lælia avec diverses cultures de Rhzoc-
tonia repens. Ces cultures, dont j'ai rappelé l'origine, sont
énumérées par ordre d'activité décroissante. J'entends par âge
(1) En général, dans les semis les mieux réussis la mortalité est nulle, ou
faible et tardive, elle est plus grande dans les semis qui progressent moins bien
et les plantules retardataires meurent alors les premières, Mais il y a des
exceptions à ces règles. On verra en particutier, au chapitre [V, que, dans des
semis d’abord prospères, il peut y avoir à un moment donné une crise de
mortalité subite et générale. La nocivité d'un champignon pour un semis n'est
done pas invariablement liée à son activité. La mort tardive de plantules
bien-développées estcependant un fait exceptionnel. Pour toutes les expériences
au moins dont il sera question dans ce chapitre, la mortalité était faible ou
nulle dans les semis prospères et notable seulement dans ceux où la germination
se faisait très mal.
L'ÉVOLUTION DANS LA SYMBIOSE 91
d'une culture le temps écoulé depuis que le mycélium a été
isolé d'une racine pour être cultivé au laboratoire.
Pour rendre compte des différences observées, j'ai distingué
el dénombré dans chaque semis deux catégories de plantules,
suivant qu'elles montraient des feuilles plus ou moins dévelop-
pées ou qu'elles n’en montraient pas. Les semis où l’on observait
le plus grand nombre de plantules feuillues contenaient aussi,
comme à l'ordinaire, les plantules les plus avancées, qui avaient
commencé à germer les premières.
EXPÉRIENCE Î.
Semis de Lælia du 9 avril 1906.
Inoculés le 2 mai 1906.
Statistique faite le 4 septembre 1906.
ORIGINE DES CULTURES AGE PLANTULES| PLANTULES | NOMBRE
de de plantules
RÉ Sctoniairépens des cultures. | feuillues. |sans feuilles. |feuillues pour
F
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