NN A N RSS SN N NS à SRKKER NN NN NS à N S Lù Ÿ \ N NS x ANRT IS NS Z'LNS > PRO SCIENT3S— 7 2274 5 KL POPULIQUE A ES ANNEE BTE R W:Gibson-lavt lu)! .| 2%. Ke HSE &ÿ, ANNALES EUROPÉENNES. C3 Me AN: l'UE J.-M. EBERHART, Iupmmeur Du Corè@e DE FRANCE, RUE DU FOIN SAINT-JACQUES, N° Là x é ANNE NT + à | EUROPÉENNES DE PHYSIQUE VÉGÉTALE D'ÉCONOMIE PUBLIQUE, RÉDIGÉES PAR UNE SOCIÉTÉ D'AUTEURS CONNUS PAR DES OUVRAGES DE PHYSIQUE, D'HISTOIRE NATURELLE ET D'ÉCONOMIE PUBLIQUE. TOME TROISIÈME. ee. 2 A PARIS, M. RAUCH, Ingénieur en retraite, Directeur des Annales, ir place Royale , N° 20; J.-M. EBERHART,, Imprim.-Lib., rue du Foin S.-Jacques, Nex2, RAS 1829, "A Ale hi . M7 ce nr AL URTORE “ D ÉUTE uQ TOMATE à MOVIE A CE ANNALES EUROPÉENNES DE PHYSIQUE VÉGÉTALE ET D’ÉCONOMIE PUBLIQUE, RÉDIGÉES Par une Société d’Auteurs connus par des ouvrages de PHysiQue, HISTOIRE NATURELLE et d'ÉCONOMIE PUBLIQUE. Lizs ANNALES EUROPÉENNES ayant pour but visible la recherche de tout ce qui peut augmenter successivement la prospérité so- ciale, à un point inconnu de nos jours, comme à embellir notre habitation terrestre ; et de- vant, de notre côté , présenter tous les moyens de conviction , qui peuvent conduire à l’exé- cution d'un plan de bonheur aussi facile à réaliser que digne d’intéresser la généralité des hommes , nous commençons cette livraison par le jugement que le Moniteur a publié le 8 Juin 1822, sur l’esprit et la nature de cet ouvrage. Beaucoup de journaux estimables en ont parlé dans le même sens autant que le permettait l’étendue de leurs feuilles. L’exa- men ayant pu se faire ici sur une échelle plus (e ANNALES grande, nous aimons à offrir au lecteur cette analyse , comme une véritable introduction à tout ce qui doit suivre. Extrait du Moniteur sur les ANNALES EUROPÉENNES. « En annonçant la premiere livraison de ces ANNALES, dans notre feuille du 23 août 1825, nous avons déjà fait pressentir que dans cet ouvrage éminemment national, on peut dire en même temps européen, on examine sur l'échelle la plus étendue, avec toutes les pro- ductions utiles des eaux, de la terre et du globe, les divers phénomènes qui se passent dans la nature , et qu'il devient instant de reconnaître dans l'intérêt de la société. Des observations que confirment des preuves multipliées s'accordent généralement à dé- montrer que par les travaux des hommes, pen- dant le cours des siècles, l’ordre des clima- tures et des saisons a subi progressivement une altérafion sensible dans une partie de l'Europe, notamment en France; que les orages et les ouragans y sont devenus plus fréquents, plus désastreux ; que les neiges et l'abondance des sources si nécessaires à la fertilité de la terre, diminuent visiblement ; que les fleuves, les ri- EUROPÉENNES. 7 vières et les ruisseaux ne sont plus autant pois- sonneux qu'ils l’étaient autrefois; que beaucoup d'espèces de poissons alimentaires de nos mers ne sy montrent plus dans leur ancienne abon- dance ; que, la végétation ayant perdu partie de ses principes, beaucoup de productions précieuses , telles que l'olivier, loranger, la vigne , le chätaignier et le mürier , souffrent par l’interversion du régime des météores, et l’homme dans son existence physique et mo- rale, par ce concours de circonstances calami- teuses et imprévues. Un tel état de choses à dü solliciter vivement l'attention des physiciens, et les porter à en rechercher avec soin la cause efficiente. Ellé était trop générale, trop uniforme et trop con- stante dans ses effets, pour qu’on püt la ren- contrer dans des accidents purement locaux; il fallait remonter à des aperçus plus vastes, plus élevés. C’est ce qu'ont tenté les auteurs de l'ouvrage que nous annonçons. Interpellant le témoignage de toutes les régions du globe, celui de tous les éléments de la nature, ils nous paraissent avoir parfaitement atteint ce grand but, en déroulant une série de faits et d'exemples de la plus grande évidence. Mais le but encore bien plus grand et plus satisfaisant surtout , c’est qu’en dévoilant la 8 ANNALES cause de ce malaise qui règne dans le système entier de Ja nature , et qui procède unique- ment de la main de l’homme, on indique dans ces ANNALES les moyens simples et faciles à employer pour rétablir successivement, non- seulement un régime plus heureux dans le cours des météores et dans la salubrité géné- rale de l'air, mais aussi à multiplier à l'infini les richesses naturelles des eaux et de la terre; enfin, toutes les productions susceptibles d’être utiles y sont signalées dans les vues les plus patriotiques. Le Gouvernement touché des vues vastes d'utilité publique qui règnent dans cet ou- vrage, en a fait, dans sa sollicitude, le sujet de &inq questions majeures, adressées à MM. les Préfets, Les solutions provoquées dans les prin- cipes les plus élevés, arrivent, et sont aussitôt envoyées à l'examen de l’Académie royale des sciences. Comme elles sont du plus haut in- térêt et variées suivant les sites et les climats quelles concernent, elles seront également dis- cutées dans ces Anwazes dans le sens de l’inté- rêt public. Jamais sujet plus grand, plus européen n’a été offert à l'attention des hommes d’État et du philosophe observateur. C’est une cause immense portée au tribunal de la société en- EUROPÉENNES. 9 tière ; elle tend à embrasser tous les règnes de la nature. C’est au Gouvernement Français qu'appartiendra l'honneur d’avoir pris cette importante initiative. Nous aimons à penser qu’un ouvrage écrit dans un but d'utilité européenne aussi mani- feste que ces Annares, ne peut qu'obtenir le suffrage du public. Ajoutons que le style est d’une précision et d’une clarté qui en rendent l'intelligence facile à toutes les classes de lec- teurs , et que cette production littéraire n’est pas moins remarquable par le caractère moral qui y règne. » L'état des connaissances humaines démontre que l'esprit de l’homme est capable des concep- tions les plus vastes tant qu'il s'attache à ce qui est vrai, positif et utile surtout ; mais malheureusement trop souvent l'illusion nous porte à vouloir pénétrer ou à voir ce qui est impénétrable , ou loin de nous ; et tandis que les scènes les plus attachantes de la nature se passent sous nos yeux, que nous dédaignons d’en étudier les motifs qui intéressent immé- diatement tout notre bonheur, nous ordon- nons aux navigateurs d'aller calculer au milieu des glaces polaires la puissance magnétique 10 ANNALES incalculable , et dont toute solution quel- conque ne pourrait encore que nourrir de vaines théories (1). Sans chercher dans la nuit des siècles ce que nous appelons les grandes catastrophes qui paraissent avoir agité notre globe, et dont nous ne saurons Jamais pénétrer les causes premières, il serait plus sage de laisser là les landes stériles et trompeuses des hypothèses, pour attacher notre contemplation àce que tous les peuples de la terre ont vu exister et à ce que nous voyons exister encore. C’est en contem- plant la majestueuse immensité de la nature, c’est en parcourant ce vaste champ de mer- veilles infinies , liées entre elles par les plus admirables harmonies, que l’homme pourra lire dans ce grand livre de son bonheur moral, combien sa destinée pouvait être heureuse , aussi long-temps qu'il a respecté tout ce qui lui avait été donné. C'est dans légarement de lesprit, qu'on écrit depuis des siècles, que la terre est sujette à des révolutions dans sa constitution physique, sans que rien n’en atteste jusqu'à présent les causes efficientes. Heureusement que tout'en (1) Voyez la 4° Livraison des Annazes, Tome 1°”, page 302. EUROPÉENNES. II voulant jeter un voile sur la puissance créa- trice, on ne peut nous dérober la vue de son brillant diadème , qui scintille avec une rayon- nante majesté sur la voùte céleste, dans ces millions de soleils qui gravitent dans la route éternelle qui leur est tracée. Là, depuis quatre mille ans, que les astronomes observent cet univers de mondes innombrables , rien n’a encore changé. Si nous considérons la terre, nous voyons les montagnes et les mers, telles qu’elles ont de toute nécessité dû exister dès leur origine (x) ; les fécondités se perpétuer dans le règne animal comme dans le règne végétal , partout où l'homme ne les à pas contrariées. Les bases de l'édifice, les principes de production existent comme à la première heure de la création ; seulement la nature a souffert dans la pompe de son majestueux ensemble , et c’est unique- ment de nos œuvres que procèdent les muti- lations qu’elles a subies. Il est d’une vérité éternelle que rien n'a été créé en vain ; que tout ce qui s’est trouvé pro- duit a dû être nécessaire, indispensable pour l'ordre et la marche régulière des éléments, co-ordonnés à la conservation de toutes les (1) Voyez la 7° Livraison, Tome II, page 254. 12 ANNALES existences , Comme aussi On n'a vu aucune race s'éteindre, ni aucun être nouveau éclore depuis la première vie du monde : tout a donc été accompli et lié avec les siècles d’une ma- nière à jamais invariable dans le premier jet de la création. Tout cela est dans l’ordre éter- nel de l’infaillible puissance suprême (1). C'est en nous pénétrant des vues de cette souveraine sagesse, qui préside à la conserva- tion de tout ce qui a recu d’elle l'existence ; c'est en appréciant cette variété immense de biens répandus sur toutes les zones de la terre, pour combler les besoins et les désirs de l’homme ; c’est en étudiant la marche et la na- ture des éléments qui concourent à toutes les productions , que nous pourrons arriver à cet heureux état de choses qui a existé, que nous avons altéré , et qui peut encore, par la volonté du Gouvernement, consacrer pour jamais l'ai- sance générale et le plus véritable bonheur social. (1) Nous aurons, dans les Livraisons suivantes, le courage de combattre avec franchise les opinions qui contrastent avec celle que nous énonçons ici, et qui est fondée sur tou tce qu’il y a de saint et de sacré dans la morale humaine : aucune réputation, aucune célébrité, ue pourra nous faire reculer dans cette cause de la toute- puissance divine. EUROPÉENNES. 13 L’astronomie , la navigation, Part de la guerre ou celui de détruire; les arts et métiers, les beaux-arts et tout ce que nous appelons du beau nom de sciences, sont arrivés à-peu- près à leur apogée. Il ne manque à ce vaste cadre des connaissances humaines que la science modeste et simplement bienfaisante , qui a pour but de rendre les hommes autant heureux qu'ils peuvent le devenir, et qu'ils étaient destinés à l'être. Cette science de la vie, sans contredit la première de toutes, parce qu'elle embrasse toutes les choses utiles à la société, est enfin prête à recevoir le haut intérêt qu’elle mérite. Les feuillets déjà épars, hélas! se trouvent heureusement encore répandus dans le grand livre de la nature. Elle consiste à comparer, 1°, l'ancienne régularité des saisons, des tem- pératures et des climatures , avec l'état irrégu- lier de celles que nous éprouvons aujourd’hui, et de qui dépendent cependant toutes les pro- ductions; 2°, à examiner de quelles causes physiques peuvent dériver ces inclémences si fàcheuses, et quels moyens seraient à employer paur arriver successivement à un meilleur état des choses; 3°, d'ou procède la diminution progressive des sources, par conséquent l'af- faiblissement des ruisseaux et des fleuves, 14 ANNALES ainsi que la dépopulation de nos eaux en pois- sons ; 4°, le déclimatement sensible dela France, et la souffrance qui en résulte dans ses plus précieux végétaux ; le silence des échos; la di- minution des hôtes des bois; celle des habi- tants des airs; les vides multipliés sur la terre et qui n'en devrait montrer nulle part; enfin ce malaise général que nous remarquons dans toute la nature, et qui nuit à toutes les exi- stences. Voilà des travaux dignes de sourire à tous les Français éclairés et amis de leur patrie; puissent-ils inspirer tous les cœurs et prépa- rer dans une heureuse exaltation nationale, ce grand dénouement que sollicitent de con- cert toutes les voix de la nature... Nous avons, dans les huit premières livraisons de ces An- NALES, essayé de soulever le voile quilaisse entrevoir la haute destinée réservée à notre fortunée terre natale : nous allons voir que le ministère de l'Intérieur, qui peut devenir la source féconde de tous les biens, a com- mencé à consacrer par les cinq questions sui- vantes les plus douces espérances d’un avenir digne de réjouir la nation entière. EUROPÉENNES, 15 Circulaire de son Excellence le Ministre de l'Intérieur, adressée à AIM. les Préfets et aux Sociétés savantes dy Royaume. « Messieurs, depuis quelques années, nous Sommes témoins de refroidissements sensibles dans l'atmosphère de variations subites dans les Saisons, et d'ouragans ou d’inondations extraordinaires auxquels la France semble de- venir de plus en plus sujette. « On l’attribue en partie aux déboisements des Montagnes , aux défrichements des forêts, au défaut d’abri qu'éprouvent nos Campagnes, et à l'absence des obstacles naturels qui s’op- Posaient jadis aux vents et aux nuages du Nord et de l'Ouest. « Les mêmes causes produiraient les mêmes effets dans toute l'Europe, et ces phénomènes seraient dignes de fixer partout l'attention. Ces maux ne seraient PaS Sans remède, et il serait important que, particulièrement en France, On prit des mesures Pour écarter les inconvé- nients, les malheurs dont le principe aurait été reconnu. € Dans l’état actuel des observations UE est peut-être difficile d’asseoir un Jugement; et c'est pour fixer mon Opinion , pour voir en- 16 ANNALES suite quelles dispositions ordonner, que je viens vous demander des notes sur les divers points qui suivent : « 1°. Quelles forêts existaient dans votre département il y a trente ans? Dans quelle zone et à quelle élévation étaient-elles placées ? Quelles étaient leur étendue et l’espèce d'arbres dont elles étaient formées ? « 2°, Quels étaient les propriétaires ? « 3°. Quelles sont celles qui existent encore et celles qui ont été abattues ? « 4°. Quelle influence a-t-on remarqué que la différence d’abri exerçät sur le système mé- téorologique du département ? Les rivières ont-elles eu des eaux plus où moins abon- dantes ? Les inondations, les pluies, ont-elles été plus ou moins fréquentes ? Y a-t-il eu plus souvent de la neige ou de la grêle, et, dans les pays de montagnes, s’est-on apercu que les glaces descendissent à de plus basses régions, repoussant et refoulant la végétation vers les plaines et les vallées (1) ? « 5°. Les vents ont-ils été plus violents; plus malfaisants, plus variables ;et a-t-on remarqué oo (1) Fait constaté dans les Alpes, voyez là r'* Livrai- son de ces ANNALES, page 25. EUROPÉENNES. 17 que ceux du Sud ou du Nord exercassent tout- à-coup, et par de soudains changements, de plus grands ravages que dans le siècle dernier, et lorsque la France enfin était mieux boisée ? « À ces questions J'en pourrais ajouter d’autres; mais vous verrez vous-mêmes, et sans avoir besoin de plus d’indications, à dé- velopper toutes les idées de cet ordre, dont vous croiriez utile de me faire part. « Je réunirai tous les documents que j'aurai reçus , je les communiquerai à l’Académie des sciences , et mon avis se formera sur ceux que vous et elle auront d’abord émis en les mo- tivant. « Ona beaucoup fait, et avec raison, pour l'encouragement des prairies artificielles. Mais les forêts n’ont pas moins d'importance, et quand les recherches auxquelles je vous prie de vous livrer n'auraient de résultat que celui d'arrêter vos regards sur ce genre de culture et de richesse, ma lettre aurait encore rempli son objet. » « Recevez, Messieurs, l’assurance de ma considération distinguée, « Le Ministre Secrétaire-d'État de l’In- térieur , etc. , etc. » III. 18 ANNALES On voit dans ce premier Jet de ia pensée du Ministère, déjà d’une grande, d’une immense importance , un commencement d'examen des choses qui intéressent éminemment tous les cantons de la France. Les solutions arrivées des départements et le jugement qui doit in- tervenir de la part de l’Académie royale des sciences, vont ouvrir cette carrière neuve et vaste, destinée à sonder les lois et les plans de la nature, à faire ressortir des faits étonnants, et à réaliser par suite un état de prospérité ter- ritoriale , inconnu jusqu’à cette heureuse époque. Cette circulaire ministérielle, d’un si heu- rcux augure, ne laisse qu’un regret, celui de ne pas avoir étendu les questions sur l'échelle d’un siècle au moins , au lieu du petit laps de temps de trente ans, qui, vu la marche lente éc imperceptible de la nature, ne laisse guères remarquer les effets avec l'évidence qu'on dé- sire acquérir ; au lieu qu’en faisant les obser- vations sur l’espace des siècles , on peut saisir mieux avec les causes les variantes arrivées -dans la marche des météores. On s’apercevra dans les réponses des dépar- tements, dont nous en insérons d’abord cinq dens cette livraison, de deux choses bien vi- sibles : d’une part, en répondant sur des ques- EUROPÉENNES. | 19 tions qui n’embrassent qu’un cercle de trente ans , les solutions n’ont pu, en général, obte- nir un caractère assez positif pour conduire aux lumières que réclame une cause aussi grande ; de l’autre, la prévention en faveur d'anciennes idées recues, ou la crainte de dire des choses basardées sur une science, en quelque sorte encore au berceau, ont exercé une influence fort naturelle qui a dû nuire à l'effet d'observa- tions très-intéressantes ; mais il n’est pas moins vrai qu'on trouve, comme on Pourra s’en con- vaincre, dans l’ensemble de ces réponses, des solutions fondamentales, qui ne demandent plus qu’une suite de développements bien diri- gés pour reconnaître et asseoir les bases élémen- taires de l'édifice qu'il s'agit d'élever , et que le temps finira par consacrer pour le bonheur invariable de la société. L'ordre de date n’étant Pour rien dans les réponses qui vont suivre, nous les avons choi- sies au hasard, ainsi que nous le ferons successi- vement pour les 86 départements : comme elles sont relatives à un vaste plan de bien public, nous y joindrons le tribut de nos observations, sous le titre de REMARQUES » Pour en faire res. sortir, autant qu'il peut dépendre de nous, la haute importance du sujet. 4 20 ANNALES RÉPONSES DES DÉPARTEMENTS A LA CIRCULAIRE MINISTÉRIELLE PRÉCITÉF, Département de la Mayenne. « Il n’y a point eu dans le département de la Mayenne de forêt défrichée depuis trente ans, ni même bien antérieurement. Toutes les forêts qui y existent servent à alimenter les grandes usines, et les propriétaires sont inté- ressés à leur conservation. « Néanmoins le déboisement a été considé- rable dans le département depuis 1789; mais, à l'exception de quelques chätaigneraies de deux à trois arpents au plus, il n’a été abattu que des arbres épars sur les haies, qui don- naient au département l'aspect d'une vaste forêt. « Cette différence d’abri qui, même aujour- d’'hui n’est pas encore très-sensible à l'œil, ne parait pas avoir influé sur le système météoro- logique. On n’a remarqué aucune variation dans le volume des eaux des rivières ; les inon- dations et les pluies n’ont été ni plus ni moins fréquentes La neige seulement paraît deve- nir plus rare. EUROPÉENNES. 21 « La grêle, à deux époques principales, de- puis 1789, a fait des ravages extraordinaires par l'étendue de la superficie qu’elle a frappée: c’est en 1793 et 1819; mais la tradition con- serve la mémoire de désastres semblables dans des temps antérieurs. Au surplus, 1l est à re- marquer qu'il y a six communes en ce départe- ment, qui sont constamment frappées par ce fléau , quand il se manifeste. Ce sont les com- munes de Chätillan et Saint-Georges-Butta- vent, placées sur le plateau d’une côte assez élevée, à deux lieues Sud-Ouest de la ville de Mayenne, sur la lisière de la forêt du même nom ; et les communes de Champeon , Aron, Marcillé et Grazay , placées au pied d’une chaîne de monticules, nommés les buttes de Buleux et d'Hardanges, au Sud-Ouest desdites buttes et à une lieue et demie, deux lieues Nord- Est de la ville de Mayenne. Il est encore à re- marquer, qu'il est rare que ces six communes ne soient pas frappées en même temps, et qu’alors même les trois à quatre lieues qui les séparent n’en ressentent point ou du moins n’en ressentent que très-peu les effets, Les vents d'Ouest et Nord-Ouest sont les vents dominants dans le département, princi- palement d'octobre en mai; on a remarqué que, depuis quelques années , les vents d'Est 22 ANNALES et de Nord-Est les remplacent plus fréquem- ment. Au surplus, depuis l'ouragan du mois de mai 1808, qui eut des effets terribles sur quatre communes à une et deux lieues sud de Mayenne, les vents n’ont pas causé de dom- mages considérables. On éprouvait même au- trefois des coups de vents très-violents dans le commencement d'octobre , qui ne se sont pas fait ressentir depuis long-temps. » REMARQUES. Nous commençons par remarquer que, quoi- que les observations physico-météorologiques soient 1ci l’objet capital des recherches provo- quées , parce qu'elles doivent porter par leur ensemble un jour bienfaisant sur les grandes créations à effectuer, il est dans l’ordre des choses qu'on traite ici de considérer l'aspect riant ou contristant que peut recevoir un pays, par la richesse ou la fuite d’une belle végéta- tion. Nos sensations se composent de toutcæ‘qui nous entoure; elles reçoivent une teinte de tristesse, de douce mélancolie ou de plaisir, suivant que nous sommes affectés par les ob- jets qui nous frappent. Un sol décoré, un paysage gracieux , est en harmonie avec les EUROPÉENNES. 23 puissances invisibles de la nature, donne une langue à tout ce qui respire, en produisant en même temps sur notre esprit la double im- pression du beau et de l’utile. Nous avons établi, dans les huit premièr:s livraisons de ces ANNALES, tout ce que récla- ment de grandeurs et de biens nouveaux, nos montagnes, nos cours d’eau, enfin toute la terre de France. L’heureuse époque semble s'approcher, où il sera donné aux départe- ments assez de puissance pour suivre et con- sommer ce vaste plan d'invariable prospérité. Il pent être enfin permis de former, dans l'intérêt public, le vœu raisonnable de voir les grandes usines obligées de s’alimenter avec du charbon de terre : c’est un trésor enfoui, qu'il serait aussi utile de rechercher que les plus pré- cieux métaux, pour conserver nos richesses vivantes, qui ont pour la société une bien autre importance. | T1 serait heureux de voir considérer une fois les arbres dans l’état qu'ils nous sont apparus. Par leur force et leur stature, ils correspon- dent avec les météores ; dans leur volume et leur étendue, ils offraient leurs berceaux et leurs abris aux races innombrables qui les habitaient; par leur maturité, des fruits variés 2/ ANNALES pour les nourrir dans l'abondance. N'ayant dans cet état rien à souffrir du bétail, ils pré- sentent encore leurs nutritifs pâturages à tous les animaux domestiques qui rendent les mé- nages riches et prospères. En bouleversant les plans de la nature, nous avons fait tomber sur une terre tremblante, et effrayée de nos destructions, les arbres sécu- laires et nourriciers, pour nous réduire à des bois en coupes réglées, dont la triste adoles- cence, régulièrement sacrifiée, nous prive de tous les avantages que nous offraient les premiers. Les bois taillis sont autant loin des véri- tables forêts, que l'enfance l’est de la virilité. Ainsi, en présentant par département la sur- face des bois, on est loin, bien loin de rendre la nature des choses. Par les nombreux exemples cités dans cet ouvrage, il est démontré que les arbres aspi- rent les fluides répandus dans l'atmosphère, à des distances qui sont en raison de leur nombre et de leur force , comme leurs racines pompent du sein de la terre les sucs qui con- viennent le mieux à leur nature. Ainsi, chaque fois qu'on abat des arbres, on affaiblit l’har- monie qui existe entre les météores et la terre. Ces effets peuvent, pris isolément, nous pa- EUROPÉENNES. 25 raitre imperceptibles; mais ils n'appartiennent pas moins au principe général des attractions réciproques, qui constitue la grande.physique du globe. : On remarque constamment et partout, que les grandes masses de bois attirent et abaissent les nuées orageuses, forcées de filer le long de ces puissantes chaines. D'une part, ces grands végétaux se saturent de la matière électrique , qu'ils diminuent dans les nuées; de l’autre, ils leur font distiller les eaux bienfaisantes sur la terre. D’après ce principe, les pluies sont ré- gulières ou rares, suivant la situation ou le placement des forêts. Les neiges , aussi néces- saires que les pluies , dérivant des mêmes lois, doivent éprouver les mêmes variantes. Nous avons déjà dit, page 136 du 1° volume de ces Anwazes, que la grêle semble devoir le plus souvent sa formation à la trop grande ab- sence des forèts; parce que les nuages orageux n'étant plus maintenus à une distance conve- nable de la terre, par de grandes masses de bois , les vapeurs sélèvent dans les régions glaciales , qui congèlent les eaux vaporisées et les font tomber par masses de glaçons, au lieu de pluies fécondantes. Cette opinion fondée sur l'attraction réci- proque qui s'exerce sans cesse entre la terre et l'atmosphère, mérite une attention d'autant 26 . ANNALES plus sérieuse, que ce terrible phénomène, qui se combine dans le haut des airs, ravage et anéantit trop souvent des récoltes préparées par les plus laborieux travaux, et dont les effets étaient, avant l'excès détendue donné à nos cultures, beaucoup moins désastreux. Il est possible aussi que certains sols, qui recèlent des fluides attractifs , se trouvant, par un déboisement , plus directement en contact avec les météores, attirent dans cette situation plus souvent celui de la grêle. Nous verrons sans cesse par la masse des so- lutions arrivées des départements, que plus nous nous sommes écartés des plans de la na- ture, dont l’ensemble, la sagesse et les pré- voyances sont calculés sur la durée des siècles, plus nous aurons à souffrir de l'effet du trouble que nous y avons porté. Département de la Marne. « 1°. Les forêts qui existaient , 1l y à rente ans , dans le département de la Marne, et qui y subsistent encore, sont placées dans la zone du Nord (suivant la division adoptée par la géographie de Mentelle ); leur étendue peut être évaluée à 68,819 hectares , et leur essence se compose en général de chêne, hètre et charme, tremble , aulne et saule. EUROPÉENNES. 27 « 2°. L'Etat, les corporations religieuses, les hôpitaux, les communes et les particuliers sont propriétaires. « 3°. Les forêts ont été conservées avec beau- coup de soin dans le département de la Marne; les coupes qui ont eu lieu à’ont été opérées que d’après un système d'aménagement régu- lier : tout ce qui existait sous ce rapport existe encore aujourd’hui; des particuliers ont même planté, depuis quelques années, une assez grande étendue de terrain, jusqu'alors stérile, en pin Sylvestre qui se développe avec succès. « 4°. Des cultivateurs ont observé que, de- puis trente ans ( notamment dans l'arrondisse- ment de Reims), les chaleurs étaient retar- dées et leur durée moindre, Ils attribuent cette cause physique au défrichement d’une portion des forêts des Ardennes ; du Luxembourg , etc., etc, Ces remarques, toutes relatives au deuxième paragraphe de la circulaire de Son Exc., justifieraient pleinement les conjectures qui ont pu être formées jusqu’à ce jour sur les variations atmosphériques que nous y subis- sons depuis nombre d’années. « On n’a pas remarqué, dureste,queles pluies fussent plus abondantes que dans les temps antérieurs : les crues d’eau dans ces contrées 28 ANNALES proviennent presque toujours des déborde- ments de la Marne, qui, peu encaissée , ne peut resserrer dans son lit toutes les eaux plu- viales qu'elle reçoit : quant aux autres phéno- mènes météorologiques , ils ne sont ni plus fréquents , ni plus désastreux qu’autrefois. « bo. Les vastes plaines qui composent le département de la Marne et les contrées adja- centes, ne présentant aucun obstacle aux vents, ils y règnent sans contrainte; mais hors les équinoxes , périodes où ils exercent toute leur furie, on n’a point remarqué de ces variations subites et violentes qui précèdent ordinaire- ment de grands ravages : il est toutefois con- stant que les saisons ne portent plus, comme jadis, ce caractère fixe qui les différenciait ; c'est au moins l’opinion générale, et le mo- ment actuel ne peut que justifier cette as- sertion. » REMARQUES. Voici ce que disait en 1804, sur ce départe- ment, M. le baron de Jessaint , préfet. « À l'Est et à l'Ouest, se trouve un terrain immense, dénué d'arbres et d’abris.... Là, se trouvent des plaines de deux ou trois milliers d'hectares, plates et unies, sans qu’un seul arbre découpe la voûte du ciel.….; là, l'esprit de des- EUROPÉENNES. 29 truction a plané sur ce malheureux pays... on a arraché les avenues , les buissons et les tertres.. Il existait , il y a dix ans, environ cinq où six cents hectares de bouquets de bois, ré- pandus cà et là : plus des deux tiers sont essar- tés et labourés.... La charrue s’y est changée en instrument destructeur. » On trouvera au chapitre de la plantation des terres, de cette même livraison, ce que nous avons personnellement éprouvé de tristesse en parcourant ce pays, d'un côté si riche par ses vins précieux, etde l'autre, si vague, si nu au milieu de ses terres éblouissantes de leur blan- cheur , qu’on a par ces raisons appelé la Cham- pagne Pouilleuse. Cependant le sol, en appa- rence le plus stérile, peut se couvrir de pro- ductions utiles qui conviennent à sa nature. Les landes sablonneuses de Bordeaux, les dunes de Dunkerque recoivent l'aspect de riants pay- sages, aussitôt que l’homme commande à la terre, même aux sables mouvants de produire. Il n’y à d’infertile que l'indifférence de l’homme aux prodiges de la nature. La superficie du département de la Marne étant de 820,273 hectares, et celles de ses forêts de 68,819 hectares , il résulte que les bois, pris à tout âge, en occupent le douzième, . tandis que, pour le bien du pays, ils devraient 30 ANNALES occuper au moins le sixième de cette surface. Si l’on avait sous les yeux le tableau des Aautes- futaies , seules véritables forêts, qui existaient il y a un et deux siècles seulement, on serait frappé de douleur de tout ce que ce pays a per- du de richesses réelles. Le paragraphe 4 contient une observation majeure très-fondée. Nous avons souvent eu occasion de remarquer que les cultivateurs, sans cesse répandus dans les champs , habitués $ à juger des différentes influences des tempéra- tures , avaient le don de pénétrer généralement bien la marche toute simple de la nature. Ce que l’on dit ici de l'effet qui résulte pour les pays voisins , par les déboisements effectués dans la chaîne des Æ/rdennes , et que nous avons depuis vingt ans constamment signalé dans différents ouvrages, est un mal senti dans beaucoup de départements ; mais, comme :l n'existe point de mal sans remède, lorsqu'on veut remonter à sa véritable cause, 1l semble que Îles contrées qui en souffrent ont ouvert elles-mêmes un cours trop facile à ces influences funestes, en détruisant de leur côté les bar- rières qui pouvaient les modifier, et qu’il est toujours en notre pouvoir de rétablir ; mais il fant pour cela l'aide et la force administra- tive. EUROPÉENNES. | 31 D'après la cause climatologique que nous traitons depuis de si longues années, et la marche ouverte par le Ministère, il ne nous reste plus le moindre doute que nous ne par- venions, e2 moins de temps qu’on ne pense , aux règles fixes de climater un pays à volonté: cela veut dire, à la science facile, mise à la portée de tout le monde, de rétablir dans cha- cun de nos départements les plus vivifiantes harmonies, en y répandant à grands flots les dons immenses que la nature tient en réserve dans les vastes réservoirs de la vie. Quant à ce qui est dit ici, sur les pluies et les inondations , nous en avons présenté des observations fort naturelles, page 42 de notre 1° volume. Dans le paragraphe V, on établit que c'est une opinion générale, que les sai- sons ne portent plus, comme jadis, ce carac- tère fixe qui les distinguait. Cette opinion étant la même dans les départements du Midi comme dans ceux du Nord, il résulte qu'il existe dans tous les éléments un trouble, une marche intempestive, qui s'exerce aux dépens de tout le système animal et végétal , par con- séquent au détriment de tout ce qui doit vivre et prospérer. Cette cause de la plus grande importance sociale, qui touche à tous les inté- rêts, mérite qu’on sonde et qu'on cherche à 32 ANNALES cicatriser toutes les plaies faites à la nature, et c'est à quoi ces ANNALES seront constam- ment et spécialement consacrées. Département de l’ Ardèche. Arrondissement de Tournon. Il résulte du rapport envoyé par le sous-préfet qu’il n’exis- tait aucune forêt dans cet arrondissement avant la révolution ; que quelque-unes des mon- tagnes qu'on y rencontre présentent des bou- quets de bois par-ci par-là ; mais qu'il en était presque entièrement couvert, quand les Ro- mains s'introduisirent dans les Gaules. La des- truction de ces forêts date donc des siècles les plus reculés (1). L'auteur du rapport reconnaît l'influence favorable des abris, et exprime à ce sujet le désir de multiplier les plantations sur les crêtes des montagnes, en adoptant en même temps des mesures capables de ralentir l’ardeur des défrichements. Le volume des eaux des petites rivières de cet arrondissement n’a (1) La destruction des forêts a commencé, comme dans toutes les Gaules , à une époque fort reculée ; elle n’a été ni subite, ni totale, mais successive jusqu’à nos temps : enfin les cing sixièmes des anciennes forêts » W’existent plus en France. ( Note du Rédacteur. ) EUROPÉENNES. 33 éprouvé , selon lui, que les variations ordi- naires*Les inondations et les pluies n’ont pas été plus fréquentes depuis trente ans; il en a été de même pour la neige et la grêle; les glaces reparaissent avec plus ou moins d’inten- sité tous les hivers, depuis le fond du bassin du Rhône jusqu'aux sommets les plus élevés ; mais au mois de mai elles ont ordinairement disparu partout. Il faut observer que les vents du Sud et du Nord sont fréquemment très- impétueux, mais qu'ils ne le sont pas plus aujourd’hui qu'ils ne l’étaient autrefois. On éprouve dans cet arrondissement, comme dans toute la France, des refroidissements subits et très-sensibles dans l'atmosphère, pendant la saison des chaleurs, qui nuisent singulière- ment aux diverses cullures et surtout aux yi- gnobles. " Arrondissement de Privas. Cet arrondisse- ment ne contient aucune forêt qui mérite d’être citée, si ce n’est un bois taillis à Baix, de peu détendue, situé sur l’escarpement de la montagne, qu'on exploite par coupes ré- glées. La seconde chaine de montagnes du . département de l'Ardèche, appelée le Coiron, forme la plus grande partie de cet arrondisse- ment. [eo TITI, 34 ANNALES Cette seconde chaine, en se détachant dela première, se dirige par Mérilhac, Gourdon, Freyssenet, et va se perdre dans le Rhône, entre Meysse et Rochemaure. Sa direction principale est Nord-Ouest et Sud-Est. Elle est entièrement dépouillée de forêts, et est de sa nature volcanique. En observant les change- ments qui sont arrivés depuis plus de trente ans sur cette zone glaciale, où les vents du Nord et du Midi soufflent avec tant de vio- lence, on ne peut s'empêcher de convenir que sa fertilité va toujours en diminuant. Horriblement sillonnée, crevassée par les eaux pluviales qui s’'épanchent sur ses flancs anfractueux, le peu de terre végétale qu’elle contient encore se trouve à chaque instant emportée par les ouragans, et entrainée par les torrents énormes auxquels elle donne naissan- ce; d'autant plus destructeurs qu'ils forment dans les vallons des attérissements et des amas de pierres qui changent le cours des ruisseaux et renversent, non seulement des maisons, mais font disparaitre des prairies, des champs bien cultivés et même-des chemins. Ces funestes effets, malheureusement trop fréquents dans l'arrondissement de Privas , proviennent vrai- semblablement du déboisement total des som- mets et des revers de la montagne de Coiron. EUROPÉENNES. 35 Tout porteà croire que ce déboisement remonte à une époque antérieure à la conquête des Gaules ; cependant on peut affirmer que l’ar- rachement successif, depuis cinquante ans ou plus, de chênes épars çà et là sur le Coiron, a beaucoup aggravé le mal, au point que de jour en jour les pâturages de cette montagne dimi- nuent sensiblement , et que bientôt ceux qui l’habitent ne pourront plus y trouver de quoi se chauffer. Cette diminution des pâturages, occasion- née par la destruction des arbres, est très-nui- sible sur le plateau des montagnes et sur leur penchant. En effet, comment les prairies pour- raient-elles conserver leur verdoyante frai- cheur , sans le concours si salutaire des rosées et des filtrations fécondanttes d’eau pure, véri- table principe nutritif de la végétation, que la force attractive des arbres tient continuel- ment en réserve pour les émailler et les faire croître ? Ce défaut d'humidité dans l’atmosphère du Coiron étend bien plus loin ses ravages : outre que la force végétative du terrain en souffre, il s'ensuit aussi que les bestiaux sont moins abondants faute de nourriture, que de temps à autre on voit diminuer et même {arir tout-à- & = 36 ANNALES fait certaines fontaines qui avaient toujours coulé. k Les fâcheux résultats dont nous venons de parler, joints à une température très-froide pendant l'hiver et au défaut d’abri, et à une chaleur excessive pendant l'été, où l’action brülante du soleil et la réverbération très-forte des rochers basaltiques ne se trouvant tempé- rées par aucune évaporation rafraichissante , dégoütent les naturels riches du pays d'un séjour si àpre, si tempétueux, où les climats sont toujours extrêmes , et les empêchent de se livrer aux plantations, qui seules pourraient . les garantir de tant de maux. Cette montagne où l’on cultive le seigle (sans compensation de la perte des arbres), autrefois si giboyeuese , et peuplée d'animaux de toute espèce, même de bêtes fauves, perdant de plus en plus la faculté de nourrir ses habitants, soit du côté de la chasse {seul attrait après le magnifique spectacle des forêts qui pourraiten- core enchanter le pays à leurs yeux), soit sous le rapport de l’agriculture, du commerce des bestiaux et du produit des vacheries, risque de devenir un désert, parce que les défriches ne laissent après elles qu'un véritable caput mortuum sans chaleur et sans vie, incapable, EUROPÉENNES. 37 par conséquent, d'entretenir une végétation suffisante. Les observations endiométriques, faites de- puis plus de trente ans, prouvent qu'il tombe à-peu-près la même quantité d’eau tous les ans; mais on remarque, à mesure que les défriche- ments se multiplient sur les pitons des mon- tages, que les torrents grossissent davantage dans les bassins, et que par suite la moindre pluie occasionne des dégâts très-considérables. De plus , comme les eaux ne sont nullement retenues par aucune végétation plantureuse, et qu'il n’y a point de filtration sous les terres, il arrive que les ruisseaux sont presque tou- jours à sec, surtout pendant la belle saison. Ce manque d’eau nuit infiniment à l'agricul- ture et au commerce, attendu que les nom- breuses fabriques en soie qui environnent le Coiron du côté de Privas et de Chcmérac ; sont quelquefois trois mois en été sans pou- voir tourner. Il est très-probable que les variations brus- ques , les refroidissements très-fréquents que nous observons dans l’atmosphère ambiante de la montagne en question, sont dus en partie à son affreuse nudité provenant des déboise- ments. Sans doute ces inconstances, ces irré- gularités subites des vents qui soufflent du 38 ANNALES Septentrion et du Midi, ne vienuent pas seu- lement de l’influence isolée de cette localité dé- pouiilée de bois de haute futaie; mais cette clause, en se combinant avec le dérangement général des mouvements harmoniques du globe térrestre, produit par la destruction presque totale des forêts dans toute l’Europe et le Nouveau-Monde, aide à rendre raison des nouveaux phénomènes météorologiques que les bons observateurs remarquent depuis plu- sieurs années indépendamment de toute pé- riode lunaire. Les effets qui résultent de ces intempéries sont d'autant plus malfaisants, que l’extrava- sation de l'air dans les vallées se fait avec une extréme rapidité ; étant accélérée, pour ainsi dire, avec la force du siphon. Un semblable courant d'air dépourvu de ca- lorique , attirant avec lui les frimas dans les bas-fonds , même à l’époque des vents alisés, amène très-souvent des gelées tardives qui dé- truisent l'espoir des agriculteurs , soit en por- tant un dommage irréparable à la feuille des müriers , soit aux autres récoltes, sans compter l'influence délétère qu’une seule constitution atmosphérique exerce sur la santé de ceux qui en ressentent les effets. Ces gelées du printemps sont d'autant plus EUROPÉENNES. 39 préjudiciables dans l'Ardèche, que les vallées sont en général complantées de müriers (sans le produit du mürier , seule ressource des ha- bitants de l'Ardèche, il est prouvé que les im- positions ne pourraient être acquittées), de châtaigniers et même d’oliviers dans la partie la plus méridionale. On ne s'est point encore aperçu qu'elles soient devenues nuisibles à la culture du mü- rier et du châtaignier; mais on ne peut en dire autant à l'égard de l'olivier, puisque cet arbre précieux fait mine d'abandonner certaines con- trées de ce département, tant sa végétation devient chaque jour plus faible, plus languis- sante, à cause du dégarnissement des forêts et du manque d’abri et de chaleur qui en ré- sulte. Il tombe à-peu-près la même quantité de neige tous les ans; mais nous voyons quelque- fois dans les basses régions plusieurs hivers sans qu'il en tombe. On ne voit jamais pareille chose sur les montagnes ; elles en conservent ordinairement jusqu’à la fin de mai. Le froid descendit et se soutint en 18o1 à 12 et 13 degrés, thermomètre de Réaumur, pen- dant 22 jours, et la plus haute température s’éleva jusqu'au 26° degré. La température moyenne des étés est de 20 à 23 degrés. f {10 ANNALES La grêle a été très-fréquente et très-meur- trière en 1820. Elle vint extraordinairement du Sud-Est, tandis que sa route ordinaire est celle du Sud-Ouest. Arrondissement de l’ Argentière. Cet arron- dissement renferme les forêts les plus consi- dérables et les montagnes les plus élevées du : à département de l’Ardèche. Lee CP Tout porte à croire, en remontant aux 1 ae. . et 18° siècles, que ces forêts avaient une éten- due bien plus considérable. Les vestiges qu'on trouve encore sur les montagnes où elles sont situées , et les concessions immenses que fai- saient dans ces temps reculés les maisons reli- gieuses aux communes et aux particuliers, fortifient cette conjecture. Les défrichements, le droit des usages et la dépaissance des bestiaux, détruisent continuel- lement les arbres de ces forêts on les rendent rabougris. Ces forêts consistéhit en taillis de chênes verts et de chênes blancs. On ne peut s'empêcher de convenir que le déboisement d’une portion assez considérable pa “ de ces forêts n'ait en effet apporté des change- ments dans le système météorologique de la partie de l'arrondissement où ces forêts sont situées. Ces portions de forêts, se trouvant EUROPÉENNES. 4x ainsi dépouillées de ce que l’on peut appeler la chevelure qui entretenait l'humidité dans cette contrée , partie des sources qu’on ÿ aper- cevait se sont taries, et les eaux qu’elles eus- sent conservées pour les distribuer ensuite avec une précieuse économie dans les temps de sècheresse, se précipitent à la fois en tor- rents dévastateurs qui entrainent les terres et dégradent les chemins. En faisant abstraction des hivers de 1709, 1721, 17968, 1789, 1795 et 1819, on peut avancer que le défaut d'abri, occasionné par les déboisements, influe sur l'in- tensité du froid des mois de décembre, janvier, février et mars, et contribue surtout à la pro- duction des variations si funestes et si fré- quentes de tem pérature que nous observons au commencement du printemps de chaque an- née , lesquelles amènent presque toujours des gelées tardives , ainsi que je l’ai déjà dit, qui em- portent les récoltes précieuses de ces vallées. Les inondations, dans un pays coupé dans tous les sens, sont en général augmentées par les déboisements des plateaux et surtout des revers des montagnes où l’eau se répand en nappe, faute d’être absorbée et retenue par une épaisse végétation. La commission ne peut s'empêcher d’après les observations ci-dessus rapportées, quoi- 42 ANNALES qu’elle n'en ait pas la preuve certaine, d’attri- buer au déboisement des foréts presque géné- ral dans le département, dans toute la Fiance, dans le Nord et le Nouveau-Monde, les chan- gements de température que nous avons re- arqués dans chaque arrondissement. Elle reconnait : 1°. Que le système météorologique du dé- partement de l'Ardèche a subi de grandes va- riations depuis le siècle dernier et à l’époque où la France était mieux boisée; à 29, Que l’irrégularité déplorable des saisons et l’inconstance qu’on observe relativement au peu de froid de certains hivers et au refroidis- sement subit de certains étés, dérivent de la même cause : 3°. Que la cherté excessive du bois de chauf- fage, arrivée au point d’influer sur le prix du pain à cause des frais de cuisson, est une suite inévitable de la destruction toujours croissante des forêts ; 4°. Que les rumbs de vents venant du Midi, mais plus particulièrement du Septentrion, àr- rivent soudainement et se précipitent dans les plaines , n’étant retenus par rien, avec une telle violence qu’ils renversent et détruisent souvent dans leurs fureurs tous les objets qu'ils ren- contrent ; EUROPÉENNES. 435 Que les inondations, sans être précisé- ment plus fréquentes, attirent néanmoins dans les vallons une masse plus considérable d’eau quand elles arrivent, et tous les maux qui doivent en résulter infailliblement ; G°. Que les petites rivières n’étant point ali- mentées par les filtrations qui se feraient sous une végétation plantureuse, tout le long des coteaux demeure sans eau la plupart du temps, surtout pendant la belle saison, ce qui porte un rl notable à l’agriculture ; . Que le défaut d’abri, et même de calo- A dans l’atmosphère , menace l'olivier dans le département de l'Ardèche d'un anéantisse- ment total ; 8°. Que la disparition de plusieurs fontaines, de quelques espèces d’animaux sur les mon- tagnes, et la diminution du poisson dans les rivières , doivent être également attribuées au dégarnissement des bois et au manque de pä- Te o. Qu'il est à craindre , si l’on ne se hâte a se DeUDIbE les emplacements des forêts détruites, que les gelées, et les glaces, s’avan- çant de plus en plus dans les bas-fonds, finis- sent par atteindre les mériers et les cnätai- gniers, comme elles ont déjà atteint l'oli- vier. 44 ANNALES Enfin , la commission profondément péné- trée des grands inconvénients de tous les genres attachés à la destruction des forêts, ne balance pas un instant à émettre une opinion peut- être inconnue jusqu’à ce jour, qu’elle rattache à la même cause, savoir : la plus grande fré- quence d’une maladie en quelque sorte nou- velle, puisque Hippocrate en fait à peine men- tion dans ses ouvrages , et que Prosper Alpin, célèbre médecin et historien, dit qu’elle était inconnue en Egypte ; de la phthisie pulmonaire aiguë. Cette maladie, qui se développe avec une extrême violence dans certaines vallées du Coiron, notamment dans celle de Saint-Vincent, est visiblement le produit chez les tempéra- ments délicats de l’action mordicante du vent du Nord, de sa durée, de sa sécheresse pro- longées , de sa compression et de son refroidis- sement, provenant des vides qui se sont opérés dans l'atmosphère par suite des déboisements et des courants plus rapides des deux principes oxigène et azote qui la composent. : Si l’on fait attention que cette affreuse mala- die exerce de préférence ses ravages dans le Midi de la France, sur toute l'étendue des plages et dans les goulets des montagnes où le vent du Nord s’engouffre , où il est refoulé, où ses variations sont extrêmes et sa rapidité in- EUROPÉENNES. 45 calculable, on verra que cette assertion acquiert une grande vraisemblance. Puisse donc le Gouvernement donner bien- tôt à la France un bon code rural qui encou- rage efficacement les plantations depuis le cèdre jusqu’à l’Aysope, afin de rendre à la nature végétale son antique et brillant dia- déme , du renversement duquel sont sortis des maux étrangers à la boîte de Pandore ; de rendre, dis-je, à la terre son plus bel et plus utile ornement ; aux montagnes leurs gras pà- turages , leur gibier et leurs chantres aimables; aux marais leur salubrité ; à nos vallons fleuris la douce haleine des zéphirs ; aux rivières leurs naïades et leurs poissons; à l'air sa douceur balsamique et son agréable suavité; aux saisons leur immuable irréguralité ; aux vents leurs qualités bienfaisantes ; au commerce son in- dustrie ; à l’agriculture ses richesses , et à tous les hommes, enfin, ce complément de félicité humaine, mens sana in corpore sano , qu’on ne peut trouver qu’au sein de la vie pastorale. REMARQUES. Le rapport sur la situation physique du dé- partement de l’Ardèche, fait avec un mérite remarquable, parce qu'on a scrupuleusement consulté les lieux, les faits, les résultats et les 7” 4 | 46 ANNALES 2 causes patentes de la dégénération d'un sol, jadis riche dans ses productions naturelles présente le tableau réel, triste, affligeant du” pays, et ne diffère des norte voisins que par des nuances plus ou moins sensibles dans la souffrance d’une nature dégradée par l'homme, pour qui elle avait tout fait, en le comblant de ses dons, et en le remplissant de ce charme que font éprouver la somptuosité des bois, la fraicheur des eaux, les joies des habitants de la terre et des airs, enfin la douce abondance qui se montrait partout comme la véritable source du bonheur. Avec l'esprit observateur qui a présidé à ce rapport, on s’est attaché à la vérité des faits visibles aux yeux de tout le monde. On y compare l’ancienne fertilité du pays, lorsque toutes les consonnances étaient encore en har- monie, avec son état actuel, qui ne montre plus que ruine et stérilité. En remontant au principe des choses, on reconnait avec raison, que les bois ont une mission à remplir dans les grands plans de la nature; que, correspon- dant avec toutes les existences, leur destruc- tion donne lieu à la diminution des pâturages ; à celle des animaux, des poissons et des oi- seaux ; au tarissement des sources ; à la fonte trop accélérée des neiges ; aux inondations su- É ds EUROPÉENNES. 47 bites et ravageuses , enfin, à l’altération de la climature et > celle de la salubrité de l’air. Département de la Dordogne. Les renseignements qui ont été recueillis sur cet objet, fondés la plupart sur des conjec- tures, et quelquefois contrariés les uns par les autres, ont amené cependant à ce résultat , que les changements opérés depuis le dernier siècle sur le sol et les forêts du département n'ont pu avoir qu'une influence presque nulle sur les phénomènes dont on recherche les causes. Le département de la Dordogne, quoi- que généralement boisé, offrait peu de forêts proprement dites; elles étaient d’une médiocre étendue, peuplées de chênes ou de châtai- gniers, qu'on exploitait à l’âge de 20 ou 30 ans, et sont maintenant des taillis en coupes réglées, comme la plupart des bois de ce pays. Aucune sommité ou colline n’est assez élevée pour exercer sur l'atmosphère l'influence des montagnes un peu marquanies; les glaces ne s’y âccumulent pas. Les neiges sont rares; mais les gréles fréquentes causent chaque an- née des ravages considérables. Les pluies, quelquefois fortes et de longue durée, n’ont cependant pas donné lieu à des débordements 43 ANNALES auparavant inconnus ; et le volume d’eau des rivières ou ruisseaux n'a pas présenté de chan- gement notable. Les orages les plus malfaisants y viennent du Sud ou du Sud-Ouest. En géné- ral, les variations qu'a éprouvées la tempéra- ture de ce pays, où l’on a remarqué, comme dans le reste de la France ou de l'Europe, que les étés sont moins chauds et les hivers moins froids, paraissent devoir être attribuées moins aux déboisements particuliers qui y ont eu lieu qu'a des causes générales , telles, par exemple , que le défrichement d’un grand nombre de forêts dans le Nord, et notamment dans l’Allemagne. Les travaux de l’Académie des sciences à ce sujet ne pourront qu’offrir un grand intérêt, soit qu'ils conduisent à un ré- sultat utile ou purement scientifique. Sans prétendre influer sur l’atmosphère , M. le Pré- fet fait tous ses efforts pour encourager dans son département la culture des arbres verts, et surtout des pins de Riga et de Corse, dont une quantité de collines nues et incultes pour- raient être utilement couvertes , et qui dédom- mageraient bien amplement du peu de soins qu'ils coûteraient. Ces arbres verts, qui pour- raient garmir le front et le sommet des mon- ticules et des collines dont ce pays est couvert, auraient le très-grand avantage de diviser les EUROPÉENNES. Pluies et de les empécher de former des ravin qui couvrent de débris les t vallées, et font souvent pe fruit des sueurs de trente travail. 49 es, erres végétales des rdre en un jour Je ans de vie et de REMARQUES. Dans cette réponse, qui n’a Pas été, comme on voit, l'objet de recherches étendues, on re- marque cependant trois observations essen- üelles : on y reconnoit, r°, que les grêles fré- Juentes causent chaque année des ravages con- sidérables ; 20, que les étés sont moins chauds et les hivers MOINS froids ; Mais qu'on attribue ces effets moins aux déboisements partiels qu’à des causes générales, telles, Par exemple, que le défrichement d’un grand nombre de forêts dans le Nord, et notamment en Allemagne ; 3°, qu’en garnissant en arbres verts le front et le sommet des monticules et des collines , dont le département est couvert » On obtiendrait le très - grand avantage de diviser les pluies , etc., etc. Nous allons essayer de donner suite à ces trois observations, Parce qu'elles se lient aux principes climatologiques que nous défendons, et que nous cherchons À répandre depuis tant d'années pour rendre au sol Francais les IT, 4 56 ANNALES doux et précieux climats dont la nature l’avoit doué. 10, Nous savons que la grêle est connue de- puis que le monde existe, parce qu'elle est un des produits naturels de la combinaison et du jeu des météores ; mais nous savons aussi que, depuis que nous avons diminué les relations harmoniques qui existaient entre la terre et les nuages, la grêle arrive avec les sinistres attributions d'un fléau , incomparablement plus souvent qu'autrefois : elle arrive avec la puissance de détruire, sur une multitude de points différents , les espérances que de labo- rieuses cultures avoient préparées. On dirait qu'une prévoyance supérieure à la nôtre tend, par ces désastres progressivement répétés , à nous avertir sans cesse, que nous avons eu tort d'intervertir l’ordre naturel établi pour le bien-être général de tout ce qui appar- tient aux deux règnes vivants : car, si le règne végétal présente des organisations différentes de celles que nous voyons dans le règne animal, nous ne désespérons pas de parvenir, dans le cours de cet ouvrage, à démontrer que les vé- gétaux sont doués d’une sorte d'intelligence tacite, secrète, trop peu sensible aux yeux de tout le monde, quoique parmi tous les végé- taux qui croissent sur le même sol, chacun EUROPÉENNES. | o1 sait aussi bien que l’abeille qui trouve lé miel et la cire dans les fleurs, puiser du fond de la terre, et attirer avec force du sein de l'air les sucs différents qui lui conviennent, pour offrir, les uns, leurs fruits sous des formes , des cou: leurs et des saveurs différentes ; les autres, leurs sucs et leurs parfums variés, suivant leur nature particulière et les usages auxquels ils sont destinés. Il est certain que la nature bien appréciée ferait sur nous une impression aussi heureuse que pénétrante , si nous voulions voir dans ses harmonieux mystères toutes les intelligences qu’elle a répandues dans son vaste empire | Nous pensons qu'il est physiquement plus que probable, que si les boisements étaient plus multipliés qu'ils ne le sont aujourd’hui, on pourrait espérer deux résultats contre le fléau qui ravage annuellement beaucoup de cantons de la France : d’une part, les nuées électriques seraient plus souvent maintenues dans une zone inférieure à celle de la congella- tion, et alors la grêle deviendrait plus rare; de l'autre, si par l'élancement des nuées dans les régions glaciales, ou par. la combinaison su- bite des principes qui concourent aux mé- téores électriques, il en résultait de la grêle, de plus fortes masses de bois les attireraient A 4. 52 ANNALES avec plus de puissance sur elles pour le salut des champs cultivés. Le plus sage serait sûrement de chercher à prévenir des malheurs qui se répètent aussi périodiquement. Si l'on faisait dans chaque dé- partement le recensement des pertes que la grèle peut y avoir causées pendant dix ans seu- lement, la somme serait probablement plus grande que celle qu’aurait pu exiger des boi- sements raisonnés , qui sont non-seulement les para-gréles naturels, mais qui offrent encore constamment dans tout ce qui les constitue le premier élément de la richesse sociale. 20. On reconnait dans cette réponse que les étés sont moins chauds et les hivers moins froids ; mais on attribue ces effets moins aux déboisements particuliers de la France, qu'à des causes générales, telles que le défrichement d’un grand nombre de forêts dans le Nord, et notamment en {llemagne. Nous avons dit, page 103 du I volume, que les déboisements effectués en Europe s'élevaient à environ neuf cents millions d’ar- pents ; ce vide immense, produit dans ce que la nature avait si sagement disposé avec ses admirables concordances, a dû successivement heurter le cours des vents alizés et donner lieu à des courants nouveaux venant dans toutes EUROPÉENNES. 53 les directions, et qui, apportant subitement et avec un certain désordre, le froid et le chaud, ont dü naturellement donner naissance à cette extrême variabilité moderne. que nous remarquons dans les températures, et qui menace avec la santé de l’homme, d’altérer les plus heureux climats. Il y a grande erreur d'attribuer trop spécià- lement la cause principale de ces funestes effets au défrichement des forêts de l'Allemagne, incomparablement mieux conservées qu'en France, comparativement à leur surface res- pective ; les vides faits dans toute l'Europe concourent bien certainement à l’altération gé- nérale des climatures; mais le mal dont nous souffrons est local, et son principe est sous nos yeux : car la France riche d’une surface de 134 millions d’arpents, a éprouvé par la succession des temps, un déboisement d’envi- ron cent dix millions d’arpents : vide désas- treux, auquel tous les départements ont eu leur part, comme ils ont tous à en déplorer les tristes effets : chacun est donc intéressé à recréer les climatures qui lui sont échap- pées. 30. On établit également , avec beaucoup de raison, qu'en.garnissant en pin Laricio de 54 ANNALES l'ile de Corse (1) Ze front et le sommet des monticules et des collines dont le département est couvert, on obtiendrait le très-grand avan- tage de diviser les pluies et de répartir les eaux du ciel d’une manière utile et nécessaire à la fertilité de la terre. Cette opinion de physique kydro-végétale est fondée sur les attractions réciproques qui existent entre le règne végétal et les puissances de l'air, qui tendent sans cesse à se mettre en harmonie : garnir le front et le sommet des monticules d'arbres nouveaux, ce serait faire renaitre un heureux équilibre entre les élé- ments producteurs. Ces beaux rideaux de ver- dure douneraient non-seulement une physio- nomie plus fraiche, plus animée au pays, en rappelant aussi les peuplades ailées, aujour- d'hui éparses et fugitives ; mais ils ranime- raient encore la nature des cliniatures, déjà fort altérées. (1) Depuis vingt ans que nous faisons ressortir les précieux avantages qu'offre le Laricio , le plus bel arbre résineux après le cèdre du Liban, on s’empresse d’en décorer les landes de Bordeaux et nombre de départe- ments montagneux. EUROPÉENNES. | 55 Département du Haut-Rhin GR Le département du Haut-Rhin a été de tout temps, et était encore il y a trente ans, très- boisé. Généralement parlant, toute la chaine des Vosges qui lui sert de limites à l'Ouest était couverte de forêts ; la plaine en renfer- mait aussi une grande étendue ; partout 'on voyait les forêts succédant aux champs , aux prés ou aux vignes d’un finage , et s'élever ainsi du point le plus bas jusqu’à quatorze cents mètres au-dessus du niveau de la mer. Les plus hautes montagnes étaient couron- nées de-futaies de sapin ; plus bas, cette es- sence se mélait à celle du hêtre, du chêne, de l'érable et du frène; et dans la plaine, ces derniers se réunissaient aux diverses autres espèces de bois fenillets. L’on peut estimer à 170,000 hectares la contenance des forêts qui existaient il y a trente ans sur la surface du département. La noblesse et le clergé pos- sédaient les trois cinquièmes du sol forestier, le reste appartenait aux communes et aux (r) Les pertes faites cette année, par l'effet de lin- tempérie des saisons , ont été évaluées à douze millions , pour le seul département du Bas-Rhin , qui est contigu à cêlui du Haut-Rhin. | L 56 ANNALES établissements publics. Une tres-petite partie était entre les mains des simples Particuliers ; mais il est à remarquer qu’à cette époque le sol forestier avait déjà beaucoup perdu de son ancienne étendue. En plusieurs endroits la crête des Vosges se trouvait déja dégarnie, et depuis près d’un demi-siècle, les corporations religieuses et les seigneurs n'avaient cherché qu’à diminuer la masse des forêts, pour aug- menter la culture et les pâturages ; partout on établissait des usines, telles que forges, verreries, etc. L'on attirait la population dans les montagnes par les coneessions emphytéo-= tiques qui n’ont cessé qu'au commencement de la révolution , et par les droits d'usage que l’on accordait aux nouveaux habitants. 1] existe encore aujourd’hui des hommes qui se rappèlent avoir vu abattre et dessoucher par corvées des forêts entières, et il est telle con- trée des Vosges où l'habitant ne devait sortir de sa demeure que la hache à la main, et n'y rentrer qu'après avoir abattu un certain nom- bre d'arbres. Il ne parait donc pas que lors de l'émission de l'ordonnance de 1660 (sur les forêts ), l'A sace ait eu, comme la France, à gémir du mauvais état de ses forêts ; bien au contraire cette province ayant été ravagée et dépeuplée . EUROPÉENNES. 7 quelque temps auparavant, par l'effet de l’in- vasion des Suédois, les forêts avaient dù $'é- tendre en envahissant des lieux jadis occupés par les hommes, et beaucoup d’entre elles res- térent sans doute long-temps, sans qu’un seul arbre y füt abattu autrement que par vétusté ou par les vents. Malgré toutes les circon- stances qui ont concouru dans ce pays à la dé- vastation des forêts, il en existe encore une grande quantité, tant dans la plaine que dans la montagne; mais malheureusement c’est sur les hauteurs que la destruction a été la plus forte. Presque sur toute la longueur du dépar- tement , la crête des Vosges est aujourd’hui dégarnie : ces antiques forêts de sapins qui abritaient les coteaux et la plaine ont disparu , et lon ne voit à leur place qu’un gazon brülé par le soleil et desséché par les vents, ou même qu'un roc absolument nu. Ce n’est pas cepen- dant que les hauteurs aient été, plus que lereste, livrées aux défrichements et aux exploitations immodérées ; il est au contraire probableque la pioche et la hache n’y ont exercé leurs ravages qu'après que les lieux moins élevés n’ont plus suffi aux besoins bien on mal calculés ; mais ces alteintes ont eu des suites que des siècles ne peuvent effacer ; ailleurs, la fertilité du sol ou sa situation favorable ont réparé en quelque 58 ANNALES sorte le mal, tandis que sur le sommet des montagnes la nature est demeurée impuis- sante. Cette partie une fois dégarnie a perdu l'humidité si nécessaire à la végétation, et lors même qu’un arbre viendrait à y naître main- tenant, 1l serait bientôt déraciné par les vents ou entrainé par les neiges. La plaine et les montagnes de moyenne hauteur sont donc aujourd’hui les lieux où lon rencontre les forêts encore existantes ; l'étendue totale de celles-ci peut-être évaluée à 133,800 hectares. Il est bôn de dire un mot de la position et de la conformation du département du Haut- Rhin, Cette partie de l’ancienne province d’Al- sace, située à lorient du royaume , entre les 47° et 48° parallèles nord et les 4° et >° de longitude orientale de Paris, a la forme d’un quadrilatère oblong dont les côtés longs se rapprochent à mesure qu’ils avancent vers la base septentrionale ; sa longueur est de dix- huit lieues, sa largeur supérieure de quinze, et celle inférieure ou septentrionale de six. Au levant , le département est bordé sur toute sa longueur par le Rhin ; au midi, il touche aux montagnes du ci-devant pays de Porentruy ou du Bas-Jura, à celles moins élevées du dépar- tement du Doubs et aux coteaux de la Haute-_ Saône, lesquels servent à joindre ces premières EUROPÉENNES. 5g montagnes à la cliaine des Vosges, frontiere du Haut-Rhin du côté du couchant. Au nord, il avoisine le Bas-Rhin , mais sans en être sé- paré par des limites naturelles de l'espèce de celles dont il vient d’être parlé, de telle sorte que le département du Bas-Rhin semble être pour ainsi dire la continuation du Haut-Rhin. Toute la partie supérieure du département, à partir de Æuninquen et en ürant en forme d’équerre contre Massevaux , présente l’as- pect de montagnes et de collines diminuant proportionnellement de hauteur, à mesure qu’elles approchent de cette diagonale; elle est entrecoupée par une grande quantité de petits vallons servant de lits aux rivières et aux in- nombrables ruisseaux qui descendent, soit du Jura, soit des Vosges, pour se rendre dans l'Océan ou dans la Méditerranée: car il est à remarquer que cette même diagonale est à- peu-près le sommet commun des deux grands bassins du Rhin et du Rhône. L'autre partie du département est une vaste plaine qui s'étend des Vosges au Rhin, et qui est arrosée d'un bout à l’autre par la rivière d'IIlL, coulant pa- rallèlement au Rhin et aux Vosges. Toutefois cetteæhaine de montagnes occupant une base assez large , renferme dans cette partie des vallées considérables , très-peuplées et assez Go ANNALES fertiles. La première partie, naturellement plus froide que la seconde, est la plus boisée, et celle qui contient le plus d’eau ; ses produits sont les fourrages et les grains de toute espèce. Les derniers coteaux seulement, c’est-à-dire, ceux qui touchent à la plaine, sont recouverts de quelques vignes. La seconde partie est essen- uüellement agricole ; les forêts y ont fait place aux champs , aux prés et aux vignes , qui s'élèvent sur quelques points jusqu’au tiers de la hauteur des Vosges ; elle est plus tempérée et plus fertile que la première. Quoique naturellement abrité par sa posi- tion , et possédant encore beaucoup de forêts, île département du Haut-Rhin se ressent ce- pendant des changements que l’on remarque dans la température depuis un demi-siècle. Au dire des vieillards, la marche des saisons, et les saisons elles-mêmes étaient plus con- stantes autrefois qu'aujourd'hui. L'hiver com- mencçait ordinairement au mois de novembre, produisait beaucoup de neige et se suivait ri- goureusement ; mais aussi, dès le milieu de février, il faisait place au printemps, et à cette époque le cultivateur reprenait ses travaux sans craindre d’être obligé de les suspendre au mois de mai. L'été était constamment beau, les rosées de la nuit étaient très-abondantes ; EUROPÉENNES. « Gr seulement , vers le mois d'août , quelques pluies venaient ranimer le gazon et préparer les terres pour les semailles d'automne. Cette dernière saison , plus précoce, finissait aussi plus tôt. Quant aux eaux courantes, leur vo- lume était plus uniformément le méme , et les inondations moins fréquentes. Les vents se faisaient moins sentir, et leur rigueur était en quelque sorte périodique. j Aujourd'hui la température varie presque dans chaque saison. L'hiver , le plus souvent humide, offre quelquefois des jours si chauds, que la neige fond sur les montagnes de moyenne hauteur ; vers la mi-février, la tempé- rature devient ordinairement tellement douce, que la végétation commence; mais des froids subits, accompagnés de neige et de vents, ramènent bientôt l’hiver, et attristent de nou- veau les campagnes jusque bien avant dans le mois de mai. Le printemps est ainsi zu, et on parvient à l'été sans être encore exempt de ces variations funestes dans la température, car bien des fois, au mois de juin ,un temps sombre et froid, succédant à des pluies abondantes, re- tarde tous lestravaux par l'interruption de la vé- gétation, et détruit même l'espérance du vigne- ron, en faisant couler la vigne, qui déjà n'aura échappé qu'avec peine aux gelées du prin- 62, ANNALES temps. L'on voit aussi les eaux augmenter tout- a-coup de volume et diminuer de même; un orage suffit pour faire déborder une rivière, qui la veille encore était à sec ,et dont le lit présente le même aspect quelques jours après. Les vents du Nord et du Sud, les plus communs dans cette contrée, se succèdent quelquefois subite- ment, soufflent avec une grande violence, et occasionnent des ouragans désastreux. La grèle est fréquente ; cependant il est assez difficile de savoir si ce fléau occasionne plus de ravages maintenant qu'autrefois. Comme il est ordi- nairement local, et qu'une commune grélée une année ne l'est, quelquefois , de nouveau que plusieurs années après , les observations faites à ce sujet ne sont pas assez générales pour pouvoir émettre une opinion certaine. Malgré ces divers changements très-sensibles survenus dans l’atmosphère, l’on ne remarque cependant pas qu'ils aient contraint d’aban- donner tel genre de culture pour faire place à tel autre. La vigne croît encore partout où elle était cultivée autrefois ; mais on est générale- ment d'accord sur un point , c'est que les terres, quelle que soit leur nature, ne pro- duisent plus aussi abondamment , bien que le système de culture ait éprouvé de grandes améhorations. EUROPÉENNES. 63 Ces changements, il ne faut pas en douter, sont dus, sinon en totalité, du moins en grande partie, aux déboisements et défriche- ments des forêts, surtout de celles des hautes montagnes. Aujourd’hui que la crête de celles- ci est dégarnie, les vents ne rencontrent plus d'obstacles , et parvighnent avec toute leur vio- lence dans la plaine et les vallées ; il semble qu'ils y acquièrentmême encore de la force en suivant les nombreux courants d’eau et les si- nuosités des petits vallons. Comme c’est âu printemps que ces vents sont les plus fréquents ils refroidissent l'atmosphère, occasionnent souvent de la pluie ou de la neige, et font re- naître l’hiver aux approches de l'été. A cet état de choses succède ordinairement un temps tout-à-fait calme; la chaleur s'établit avec force, les rayons du soleil, réfléchis par les montagnes arides , sont dardés dans la plaine, et c’est en vain que l’on espère la pluie, naguère si abondante; les neiges d'hiver qui, faute d’abri, n'ont pu se conserver sur les mon- tagnes, ont disparu , les sources se sont dessé- chées faute d'aliments, la nuit est devenue aussi brülante que le jour, et si par hasard quel- ques nuages paraissent sur l'horzion, ils sont bientôt repoussés par les vapeurs ardentes des montagnes. On ne peut nier que ces résultats 64 ANNALES ne soient dus au déboisement des foréts ; dans l'hypothèse contraire, les vents seraient con- traints de s'arrêter assez de temps pour perdre une partie de leur force dans l’entrelacement des branches, et parvenus dans la plaine, ils n'y produiraient pas des effets aussi subits et aussi pernicieux. D'un autre côté, la neige tombée pendant l'hiver serait garantie contre l'action trop forte de la chaleur et des grandes pluies , le soleil les fondrait peu-à-peu, pour maintenir le volume des eaux, et il en résulte: rait des vapeurs qui, après avoir servi d’ali- ment aux forêts elles-mêmes, se résoudraient en pluies bienfaisantes sur la plaine. À ces observations que l’on peut appliquer à tous les pays où les hautes montagnes ont été déboisées, il faut en ajouter une plus spé- ciale au département du Haut-Rhin; c’est que lors de la fonte des neiges (c'est-à-dire au mois de juin), le Rhin ayant augmenté considéra- blement le volume des eaux , et celles-ci s'étant même répandues sur les rives -du fleuve , le so- leil pompe beaucoup d'humidité qui se conver- Ut ensuite en nuages. Ces derniers, altirés un moment par les forêts qui garnissent encore la région moyenne des montagnes, ne peuvent parvenir jusqu’au sommet, ils retournent vers la plaine et s’y résolvent en nombreux orages EUROPÉENNES. 65 souvent accompagnés de grèle. Cette époque de l’année est toujours celle qui décide du sort des récoltes, et le danger ne cesse souvent qu'après plusieurs semaines d'angoisses , sui- vant que la crue des eaux et la chaleur ont plus ou moins d'intensité. L'on a dit que le déboisement des mon- tagnes occasionnait d’une part des inonda- tions par la fonte irop prématurée des neiges et le prompt écoulement des eaux pluviales ;. et d'autre part que c'était à cette même cause qu'il fallait attribuer , à d’autres époques, le dessèchement du sol, parce qu'en dépouil- lant le sommet des montagnes , on avait tari ces réservoirs précieux dont les eaux fertili- saient autrefois la plaine; il reste à ajouter que les défrichements ont porté ce mal à son comble. En effet la couche de terre déjà peu épaisse qui recouvre les rochers (et toutes les montagnes , celles élevées surtout ; en sont composées), cette couche , dis-je, étant re- muée, na pu résister aux pluies , elle s'est détachée des rochers en entrainant souvent une partie de ces derniers avec elle; ces ébou- lements ont comblé le lit des rivières et des ruisseaux, et préparé par-là des inondations à la moindre crue d’eau. Il est méme ‘arrivé que le torrent n'ayant plus assez de rapidité III, 5 66 ANNALES pour emmener avec lui les décombres, ceux-ci se sont amoncelés sur un même point, et les eaux ont été contraintes de s'ouvrir un autre passage. Cet état de choses qui empire chaque jour, parce que l'on ne cesse de cultiver sur le pen- chant des montagnes , se fait principalement remarquer dans la partie moyenne de la ri- vière d'Z/J. Les pierrailles charriées jusque là s'y arrêtent et y forment des espèces de bar- rages ; les eaux sont déversées sur les campa- gnes voisines , les terres végétales enlevées, et dans plusieurs endroits de vastes terreins, autrefois cultivés, sont aujourd’hui transfor- més en immenses gravières : C'est ainsi que, pour faire conquérir quelques mauvais ter- reins à la culture, on lui en fait perdre d’ex- cellents. Cet exemple donne lieu à une réflexion simple, mais effrayante : c’est de savoir ce que deviendrait la partie basse du département , si de semblables défrichements s’exécutaient en Suisse, sur les montagnes qui bordent le Rhin. Il n’y a point de doute que, dans ce cas, son cours actuel ne s’obstruât bientôt par les dé- bris des rochers et des terres que ses eaux en- traineraient ; en effet, le département est placé au débouché des Alpes , et le fleuve, dès qu'il EUROBRÉENNES. 67 y est arrivé, perd sa rapidité. Cette belle con- trée serait alors submergée , et peut-être de- viendrait-elle un vaste lac comme dans les temps reculés, alors qu'au dire des géologues le cours du Rhin était barré au-dessous de . Mayence. D’après ce qui a été dit de la conformation du département du Haut-Rhin , il est facile de juger du degré d'influence que les déboise- ments et défrichements exercent sur chacune de ses parties haute et basse. La partie supé- rieure renfermant beaucoup d’eaux courantes et stagnantes , et formant la liaison naturelle entre les Vosges , le Bas-Jura et la Forêt Noire, il y règne plus d'humidité que dans la partie inférieure ; les sécheresses y sont par consé- quent moins longues et moins malfaisantes, d'autant que , presque partout , les sources jaillissent à la superficie du sol, et rafraichis- sent assez la terre pour la défendre contre l’ar- deur du soleil. Cette humidité naturelle fa- vorise aussi singulièrement la croissance du bois, et elle est cause que les forêts mal ex- ploitées s’y rétablissent facilement et plus promptement que dans les montagnes de la partie basse. L'on y voit, à des hauteurs très- élevées, des forêts de sapins exploitées à blanc étoc il y à vingt ou trente ans, renaître au 5. 68 ANNALES milieu des genets et des bouleaux qui avaient recouvert le sol après l'exploitation. ‘Les terres défrichées elles-mêmes se repeuplent naturel- lement en bois aussitôt que leur épuisement les a fait abandonner. La partie inférieure est la plus maltraitée. Le sol des montagnes qui la longe est plus aride et plus léger à cause de l'absence de l'humidité dont jouissent les montagnes de la partie haute ; aussi n'est-ce qu'avec beaucoup de peine qu’elles se repeu- plent là où des exploitations imprudentes ont eu lieu. Par la même raison les défrichements y ont été plus funestes ; la terre y étant d’une nature plus sablonneuse, elle a bien moins pu résister à la force des grandes pluies ou des fontes de neiges. Si ces changements sont düs aux causes dont on vient de parler, ces causes en ont elles- mêmes une autre incontestable; c’est l’augmen- tation prodigieuse de la population depuis cinquante ans. L'on ne prétend cependant pas en inférer que cette augmentation soit un mal réel, mais elle impose du moins l'obligation de profiter de toutes les ressources pour assurer l’existence de cette population et pour préser- ver les forêts existantes de la dévastation. Il est aussi vrai de dire que les inconvé- nients provenus de cet état de choses sont en EUROPÉENNES. 69 partiè irréparables; mais c'est un motif de plus d'empêcher le mal d'aller toujours en croissant. Les moyens propres à atteindre ce but sont sans doute nombreux , toutefois les suivants paraissent devoir plus particulière- ment fixer l'attention : 1°, la création, sinon d’un code rural complet et applicable à tout le royaume, du moins des lois qui restreignent la faculté de cultiver toute espèce de sol et en toutes espèces de productions, et celle d’user ou plutôt d’abuser de sa propriété ; des lois qui établissent une meilleure police sur les cours d’eau quelle que soit leur importance, atten- du que c’est de leur réunion que les rivières et les fleuves se composent; des lois enfin qui pres- crivent des mesures capables de défendre les propriétés des hommes contre l'imprévoyance ou l’imprudence de leurs voisins; 2°, l’'amélio- ration du système forestier, car il ne faut pas se dissimuler que cette partie importante de l'économie publique ne soit très-négligée en France. Chez nous, l’art du forestier est nul; ce dernier est un simple agent des finances, et les forêts ne sont considérées que sous le rapport du produit; tandis que des considéra- tions si importantes viennent se rattacher à leur conservation. Bien des forêts exésteraient encoreaujourd’hui, malgré les circonstances et 70 ANNALES les évènements politiques qui ont eu lieu ; si la science forestière eùt été mieux cultivée. L’Al- lemagne nous a donné sur ce point l'exemple, en établissant des écoles forestières (1) ; c'est en effet le seul moyen de former des agents instruits et capables de diriger leurs subordon- nés ; l’on trouve en France des écoles d’appli- cation pour toutes les hautes sciences; la science forestière seule est oubliée; 3°, le troi- sième moyen consiste dans le maintien de l'intégralité du sol forestier actuel et dans son augmentation, en repeuplant les parties dé- boisées qui en sont susceptibles. Pour y par- venir , il est essentiel d’ordonner l’abornement général des forêts, soit de l'Etat, soit des Communes, parce que, tant que cette opéra- tion importante ne sera pas faite, les usurpa- (1) HE y a vingt ans que le Directeur de ces ANNALES, a proposé à l'Administration des Forêts un plan d’Ecole spéciale , pour former , à l'instar de la célèbre Ecole des Ponts et Chaussées, des sujets instruits dans l’importante science forestière. Si ce plan avait reçu son exécution, l'Administration des Forêts formerait aujourd’hui un corps distingué , et la France serait deux fois plus riche qu’elle ne l’est en bois. Nous reviendrons dans la pro- chaine livraison sur cet important sujet, et nous aurons à dire, dans le sens de l'intérêt sy , des choses bien rémar tétbes. EUROPÉENNES, 71 tions continueront, et les repiquements, sur- tout aux rives des forêts, ne pourront pas réussir ; or, l’on sait que ce sont ordinairement les rives qui ont le plus besoin d'être repeu- plées, parce que ce sont aussi celles qui sont les plus exposées aux atteintes du bétail et des éléments. Un avantage non moins grand résulterait de cette mesure, savoir : L'aménagement des fo- rêts. Dans ce département , presque aucune forêt, de la montagne surtout, n’est soumise à un aménagement régulier, parce qu'on ne connaît pas la contenance exacte. Il en résulte que les coupes sont assises au hasard, et que telle commune recoit aujourd'hui un affouage considérable qui, dans vingt ou trente ans ou plutôt même, sera privée de toute délivrance. L'on nesaurait, en parlant de la nécessité de créer des lois rurales, s'empêcher de faire re- marquer combien est illusoire dans les pays de montagnes la loi du 9 floréal an XI, qui a défendu tout défrichement pendant vingt-cinq ans. Le propriétaire a su, sinon défricher , du moins réduire en pâturages les forêts des bois résineux ; il lui a suffi pour cela de faire des exploitations à blanc étoc, car le système du jardinage est le seul, aujourd’hui surtout, qui convienne pour l'exploitation de cette espèce 7e ANNALES de bois. Il ne suffit donc pas de défendre les défrichements , il faut encore subordonner la jouissance des propriétaires à de certaines règles , et par-dessus tout lui poser des bornes. C’est principalement aujourd’hui, que l’État vend une partie de ses forêts, et que la con- sommation est devenue si grande, dans ce pays L surtout où il existe tant de manufactures, que le besoin de semblables dispositions se fait sentir. Comte DE PUYMAIGRE. ” REMARQUES. On peut appliquer à la description fort im- portante, qu'on vient delire sur l’état physique du département du Haut-Rhin, ce’ que nous avons déjà dit au sujet de celui de l’Ardéche, situé sous une autre zone, et qui, séparé du premier par une distance de cent lieues , pré- sente les mêmes phénomènes d’altération dans les sources primitives des biens terrestres. La tâche que nous nous sommes imposée dans ces Annarrs, d'exposer avec vérité tout ce que des hommes éclairés peuvent avoir . publié ou publier d'utile à leur pays ; nous fait un devoir de retracer ici ce que ‘’admi- nistration supérieure du Haut-Rhin avait déjà dit en 1798 au Ministere : Lÿ EUROPÉENNES. 73 « Les forêts abattues , tant dans les plaines que sur les montagnes, ont changé le climat, ont ouvert des passages aux vents, qui font périr les fleurs des arbres et des vignes ; chan- gent les pluies en lavanches , les montagnes en rochers stériles , les plaines, en champs brélants , et l'influence qu’elles ont sur la santé de l'homme n'est peut-être pas moins grande. » La direction Sud-Nord-Est de la chaine montagneuse qui sépare le département du Haut-Rhin , de celui des Vosges, présente ici une intersection de climature fort remar- quable , telle d’ailleurs qu’elle doit se mon- trer avec ses variantes, partout où il y a des chaines de montagnes d’un ordre un peu élevé. Le revers de cette chaîne qui fait face au Haut-Rhin, exposé au levant et, en grande partie , au midi, produit des vins, qui se gar- dent un siècle , et voit prospérer le figuier , l’amandier , le châtaignier et le mürier, tandis que le revers opposé faisant face au départe- ment des Vosges , exposé au couchant, est en- tièrement privé des ces précieuses productions ; de sorte que le plateau, peu large de ces mon- — " tagnes, sépare une différence de climature de : plusieurs degrés de latitude. Il résulte de la, que partout où les bois, 7 / ANNALES qui servaient de paravents, ont été ouverts sur le plateau ou la sommité de ces monta- gnes ; il a dû s'ouvrir des courants d’air froid, de nature à nuire à l’ancienne température du Haut-Rhin. ji Nous avons cru devoir ajouter cette obser- vation , à la description faite de ce départe- ment, par M, le comte de Puymaigre, avec le mérite d’un profond examen des causes et des résultats physiques qui altèrent l’ancienne prospérité de cette belle et riche contrée, me- nacée d'aller toujours en déclinant , si l’on ne s'attache promptement à arrêter le principe du mal. CONCLUSIONS sur tout ce que contiennent d'observations remarquables les cing ré- ponses départementales. Il résulte de tout ce qui vient d’être dit par cinq départements , et que quatre-vingts autres viendront appuyer avec une imposante vérité de faits, 1°, que les antiques forêts qui abri- taient, qui protégeaient les coteaux, les vallons et les plaines, sont en grande partie effacées sur la terre de France; 2°, que le volume des eaux courantes étaient naguëre plus uniformé- EUROPÉENNES. h6 ment le même , et les inondations moins fré- quentes, surtout moins ravageuses ; 3°, que du beau printemps devenu trop fugitif, on par- vient subitement à l'été sans être affranchi des pres variations de la température; #4, que le même sol ne produit plus aussi abondamment qu'autrefois, bien que le système de culture ait éprouvé de grandes améliorations ; b°, que les montagnes chauves et arides ne possèdent pas , dans leur nudité, le charme d'attirer les humides météores; d'ou il résulte que les pluies sont plus rares et moins disséminées ; 6°, que la fonte des neiges est trop accélérée par le défaut d’abris, et que les vivifiantes fontaines s'éteignent dans les tristes ruines des beaux bois qui protégeaient nos guérets; 7°, que la gréle étend sa puissance meurtrière sur nos riches campagnes dont elle flétrit et diminue les produits. Rappelons nous que cette ma- gnifique contrée de Chanaan , qui était la terre de promission et dans son origine un pays de délices , est devenu, par la destruction de ses riches bois de palmiers , le pays le plus stérile et le plus triste de la terre. Renoncons donc à notre inertie, pour ne point laisser encourir à la France une pareille destinée. On doit des grâces sincères au Ministere, qui a ouvert l’heureuse carrière de ce vaste examen 76 ANNALES de la situation physique de la France. En dé- crivant avec vérité les biens immenses , les res- sources inappréciables qui se sont effacées sur notre fortuné sol, nous arriverons au besoin à la conviction générale de sentir, qu'il est urgent de s’occuper à les recréer , et de donner à la patrie cet imposant aspect de beauté et de solide prospérité, que la féconde nature est toute prête à réaliser au premier signal de notre volonté. Nous aurons toujours à appuyer sur une vérité capitale,’ qu'on a trop constamment perdue de vue ou négligée : c'est que du règne végétal, dépendent privativement toutes les existences animales. Cette loi fondamentale de la nature régit souverainement tout le règne animal terestre , aussi bien que celui des eaux, comme nous avons déjà eu occasion de le démontrer dans la description des pêches de la Méditerranée, des mers du Nord et de celles de nos fleuves. Si l’on daigne considérer qu'une seule fa- mille d'arbres est une sphère de vie pour de de nombreuses tribus, qui y trouvent succes- sivement leur berceau, leur pâture , leur abri, et que de pareilles sphères multipliées par la diversité infinie des végétaux, présentent, dans leur ensemble , une immense série d'êtres, de- EUROPÉENNES. 97 puis le cerf, l'orgueil des foréts, jusqu’à l’a- beille industrieuse, depuis le bruyant coq de bruyère, qui fête l'aube matinale, jusqu’au chantre mélodieux des bocages, qui rend élo- quent jusqu'au silence de la nuit; depuis la buse menàçante jusqu’à la colombe timide. etc., etc., on peut concevoir qu'à mesure qu’un bois est abattu , il se fait un vide dans la vie et dans l’harmonie de la nature, et que plus on détruit de bois, plus on retrécit le cercle de tant d’existences destinées à animer la terre, les airs et les eaux de ce charme indéfinissable, qui devait remplir et délecter l’homme, dans la réunion de ce concert de voix, de produc- tions, de parures et de grandeurs de tous les genres '.., 78 ANNALES = Sur la nécessité d’abriter les campagnes culti- vées, et sur les moyens de leur rendre tous les principes de fécondité dont elles sont suseep- tibles , par des plantations raisunnées. Le sage Caton, l'oracle des vertus utiles, di- sait, dans son livre de la vie rustique : Quand il s’agit de bâtir, il faut long-temps délibérer, et souvent ne point bâtir; mais, quand il s’agit de planter, il serait absurde de délibérer ; il faut planter sans délai, Tous les sages de l'antiquité trouvaient leurs plus douces jouissances à don- ner à la nudité des campagnes l’utile vêtement d’un beau verger : c’est sous les frais ombrages qu'ils avaient créés, qu’ils savouraient les dé- lices de la vie champêtre. Dans ces temps heu- reux et simples, où le goût de la grande nature nourrissait toutes les ames, c'était commettre une action pieuse de parer d’un paysage nou- veau un coin de terre que la guerre, les outra- ges du temps, ou des accidents, avaient rendu inculte. Alors, au lieu de flétrir‘les dons du Créateur, on mettait une sorte de culte à les conserver ou à les réparer. L'amour de la pos- EUROPÉENNES. 79 térité avait tous les attraits de la vertu; et en plantant un arbre utile, on se voyait vivre et bénir pendant de longues générations. Ecoutons un moment Virgile, le peintre élo- quent des plaisirs champêtres, sur ce qu’il dit du parti qu’on peut tirer du terrain le plus agreste : « Près de la superbe ville de Tarente, dans cette contrée fertile qu’arrose le Galèse, je me souviens d'avoir vu autrefois un vieillard de Cilicie , possesseur d’une terre abandonnée, qui n'était propre ni pour le pâturage, ni pour le vignoble : cependant il avait fait, de ce ter- rain ingrat, un agréable jardin, où il semait quelques légumes bordés de lis, de verveine et de pavots: ce jardin était son royaume. En rentrant le soir dans sa maison , il couvrait sa table frugale de mets simples, produits de ses travaux. Les premières fleurs du printemps, les premiers fruits de l'automne naissaient pour lui. Lorsque les rigueurs de l’hiver fendaient les pierres et.suspendaient le cours des fleuves, il émondait déjà ses acanthes; déjà il jouissait du printemps, et se plaignait de la lenteur de l'été; ses vergers étaient ornés de pins et de til- leuls. Ses arbres donnaient en automne au- tant de fruits qu’au printemps ils avaient porté de fleurs. 11 savait transplanter et aligner des 80 ANNALES ormeaux déjà avancés, des poiriers , des pru- niers greffés sur l’épine déjà portant fruit, et des planes déjà touffus, à l'ombre desquels il régalait ses amis. » Un autre sage de l'antiquité, après avoir long-temps médité sur la nature, disait que la chute d'un arbre faisait trembler la terre... Ce mot était d’un grand sens : un hêtre, destiné à voir naïître et passer dix générations super- bes , à offrir pendant six siècles ses tributs aux habitants de la terre, avait sûrement une autre destination que celle de gémir ignomineuse- ment sous la coignée , avant qu'on ne lere- cueillit dans sa vétusté. La chute d’un chéne, d’un hétre, d’un ché- taignier, d'un noyer, ou d’un pin, devrait au- jourd’hui être considérée comme une calamité publique, et répandre le deuil dans les cam- pagnes. Si l’on plaçait à côté de leur ruine les hommes et les animaux qui en ont été ombra- gés et alimentés, les oiseaux et les insectes qui y ont trouvé, dans une longue suite de géné- rations, et leur abri et leur nourriture, ce tableau ferait assurément une profonde im- pression. Les Tartares du Daghestan , habitués à me- ner une vie nomade, et à chercher sous les berceaux de la nature toutes leurs Jouissances, EUROPÉENNES. 81t ont une coutume fort sage qui leur tient lieu de loi, et qu'ils observent religieusement : Per- sonne chez eux ne peut se marier avant d’avoir planté, en un certain endroit marqué, cent arbres fruitiers. Grâces à cette législation ré- génératrice, qui remonte aux âges les plus reculés, les montagnes, les collines, les vallées et les plaines de cette belle région de l'Asie, se trouvent souventcouvertes de forêts d'arbres fruitiers. Là, chaque chef de famille est un vé- ritable patriarche dans son petit domaine ; et, contents des riches dons du ciel, les hommes et les animaux coulent des Jours heureux sous : ces frais abris, au milieu d’une abondance inaltérable, L’Américain, lorsque la Providence lui ac- corde un fils, plante un arbre à sa naissance, Cet arbre porte le nom de l'enfant , croit avec lui, partage les honneurs de l'anniversaire, fixe les affections de la famille, et est ensuite - honoré des hommages de la postérité. Ces vé- gétaux de prédilection sont soignés par les fa- milles avec un religieux orgueil. D'âge en âge leur ombrage devient plus vénérable, et leurs fruits plus chers; l’enfant atteint.il l’adoles- cence , la puberté, ou une autre époque de la vie, la bonne mère charge de guirlandes de chèvrefeuilles, de violettes et de roses, les III. 6 : ; ANNALES jeunes rameaux du frère d'adoption , sous le feuillage duquel se célèbre la fête de la ten- dresse. Devient-il père à son tour, alors le jour de son anniversaire , assis sous le dais de ver- dure fraternelle, entouré de ses dieux lares, il bénit l'enfance. Tous les jeunes arbrisseaux qui croissent autour de leur père sont égale- ment soignés ; 1l leur est permis de tendre et d'enlacer leurs flexibles rameaux autour de son tronc moussu pour soutenir sa vieillesse !... Si les hommes avaient en général imité les des- cendants des anciens Talestris et la sensibilité du bon et sage Américain, nous n’aurions pas à déplorer la perte des plus beaux monuments de la nature, et nos campagnes auraient en- core cette suavité d’expression qui flaite si agréablement nos sens. Les anciens, beaucoup plus voisins que nous des beautés de la nature primitive, avaient leurs nymphes tutélaires des forêts, dans les dryades et les hamadryades, chargées de les habiter et de les garder, ainsi que les déités foraines, comme le dieu Pan, les faunes, les sylvains et les satyres ; ils avaient sûrement puisé cette mythologie champêtre dans ce charme intime, qui remplitle cœur de l'homme dans la solitude, de la pensée si naturelle et si douce, que des esprits conservateurs pré- EUROPÉENNES. 83 sident aux différents règnes de la nature. Ce sentiment religieux, qui anime tout-à-coup, sous les formes les plus attrayantes, tous les objets de la création, n’est pas étranger à notre religion , si imposante dans la hiérarchie des protections célestes qu’elle nous présente. Cette religion, qui défend tout ce qui est mal, comme elle commande, au nom de la puis- sance divine, toutes les œuvres du bien, pour- rait déjà seule, du haut de la chaire, exercer une grande influence sur la conservation des innombrables sources de félicité que Dieu avait répandues sur la terre, L'ancien duc de Bedfort, un des plus riches seigneurs d'Angleterre, mais en même temps un des agronomes les plus éclairés, n’a jamais été plus flatté, et ne s’est trouvé plus honoré, que lorsqu'on lui décerna la médaille d’or, pour avoir semé le premier des glands dans son pays. Nos deux grands naturalistes de Montbard , qui considéraient la nature d’une manière si imposante , et à la mémoire desquels les Fran- çais ne sauraient rendre assez d'hommages, ont aussi semé des forêts qui prospèrent au- jourd’hui ; mais, au lieu de trouver des imi- tateurs parmi leurs compatriotes , ils ont eu 6. 54 ANNALES le déséspoir de ne voir qu’une succession de destructeurs. Nos campagnes , qui avaient autrefois une grande expression , par la riche diversité des paysages qui les animaient , par les sources qui les sillonnaient, les animaux et les oiseaux qui les habitaient ou les fréquentaient , n’ont plus que l'aspect. d’une triste et calamiteuse nudité. Les brillants rideaux de verdure, que nos pères avaient encore conservés pour pro- téger et abriter les cultures, sont partout froi- dement abattus. L’œil, qui recherche avec avidité les charmes des scènes champêtres, se perd tristement dans l'horizon d’un désert, La tendre tourterelle et même le sauvage ramier, qui se plaisaient à voisiner les habitations, ne trouvent plus où se reposer entre nous et les lointaines forêts. La buse , le hibou, le milan , Vépervier et le vautour |, pouvant partout découvrir les timides oiseaux de nos champs, les éloignent de nos demeures , où ils deviennent tous les jours plus rares. Le lièvre et la perdrix , les seuls gibiers de plaine qui nous restent, voient disparaitre les genèts, l'aubépine , les genévriers , la bruyère et les, coudriers hospitaliers, qui leur offraient un refuge contre leurs nombreux ennemis et contre nos froids hivers. % % EUROPÉENNES. 5 Lorsque nos paysagistes veulent encore nous ravir par leurs tableaux champêtres , ils sont réduits tantôt à copier tristement ceux qui n'existent plus que sur la toile, tantôt à chercher de beaux originaux hors des limites de la patrie, là où les cascades sont encore vivantes, où le vieux rocher est encore paré de verdure ; où les arbres de toutes les formes, de toutes les expressions, se réfléchissent en- core avec grâce dans une onde pure et animée de leurs flatteurs attraits. En parcourant le département de la Marne (Champagne), sur la ligne de Bar, Châlons et Montmirail, on ne trouve, depuis la tui- lerie du hameau Duval jusqu'à Etoge, sur en- viron cent soixante lieues carrées, dont Chà- lons forme le centre, aucun bois qui offre un abri hospitalier au voyageur, et ses bienfaits aux ménages. J'ai parcouru ce pays lentement à pied, afin de me pénétrer de toute l'impression que cette désolante nudité est capable de produire sur l'ame, et je puis assurer n'en avoir jamais éprouvé une plus pénible. Sur un espace de .dix lieues, qui sépare le hameau Duval et Chà- lons, je n’ai trouvé d'autre habitation que le petit village de Poix; une douzaine d'oiseaux qui semblaient égarés dans ce triste désert, 86 ; ANNALES sans un seul arbre pour s’y reposer ou pour y établir leur nid : de vastes champs de serpo- lets, où les lapins et les lièvres se trouveraient sans abri; voilà tout ce que j'ai vu dans ce long espace : du reste, pas une source, pas une fontaine, pas un filet d'eau... Seulement quel- ques traces d'anciens ruisseaux, pour lesquels on avait bâti des ponts, sont encore là comme des témoins de la destruction qu’a subie la na- ture. Dans le village de Poix, où le besoin com- mande lindustrie, on voit plusieurs beaux noyers, quelques peupliers et des arbres frui- tiers, qui démontrent la possibilité de parer encore fructueusement une terre vouée par l'inertie à la stérilité. Lorsqu'on fait aux habi- tants ces Justes observations, ils vous répon- dent que la terre calcaire, qui compose leur sol , refuse la vie aux arbres, tandis qu’elle en était couverte autrefois ! Magistrats de la con- trée, vous à qui le gouvernement en asconfié le bonheur , vous dissiperez cet aveuglement, vous rajeunirez cette flétrissante caducité de la nature. Cette terre calcaire, toute froide qu’elle est, n’est point insensible : elle s'étend au-delà de Ta Ferté, et les riches plantations d'Etoge et de la vallée de Jouarre ne l’ont point trouvée ingrate; choisissez les arbres qui tracent plus EUROPÉENNES. 87 qu'ils ne pivotent, et vous jouirez de la gloire modeste de donner une nouvelle face à tout un pays que vous avez à vivifier. Le laboureur aveugle, qui s’imagine remplir les vœux de la nature en étendant ses funestes défrichements, pour substituer une seule ré- colte aux ressources abondantes et variées qui suffisaient à des êtres innombrables, ne fait au contraire que déranger l'harmonie rurale, et ne voit point que , par l'effet même de ce dé- rangement , ses chères céréales seront d'autant plus exposées aux désordres des éléments, qu'il en multipliera davantage les causes. Qu'il sache que la terre n’est fertile qu'’autant qu’elle jouit du degré de chaleur et d'humidité nécessaires , pour produire la fermentation des sels qui doivent nourrir les germes qui lui sont confiés ; que cette vivifiante fonction à été dé- léguée aux forêts et aux arbres plantés en li- sières, qui modifient les froids et les vents desséchants. Ce sont les arbres qui font ruis- seler doucement sur la terre les pluies et les rosées : si la charrue les anéantit, alors tout éprouve une révolution funeste ; des milliers d'étres disparaissent; les pluies et les rosées s’éloignent; les sources tarissent ; les ruisseaux, les étangs et les poissons diminuent; les hivers perdent leur empire; le soleil brûle la terre Æ 85 ANNALES sans la féconder, et les vents àäpres du Nord Ja dessèchent, la gercent et la frappent de sté- rilité : à ces résultats funestes, mais certains, il faut ajouter l'accroissement aussi certain du nombre et de la véhémence des orages, des grêles et des ouragans, qui s’appesantissent tous les jours plus sur les campagnes. Un funeste préjugé avait répandu dans nos. campagnes la croyance que les arbres plantés dans l’intérieur des terres, répandaient un om- brage nuisible aux récoltes : les olivettes de nos départements méridionaux, dans lesquels on récolte annuellement de beaux blés, sont une preuve du contraire; cette seule erreur prive depuis de longues années les campagnes de ces arbres fructueux, qui auraient réguliè- rement accru nos moissons et multiplié l’a-. bondance. J'ai entendu souvent faire cette objection si fatale au bonheur des campagnes, contre la plantation des arbres sur les lisières et dans l'intérieur des terres; mais par quel aveugle- ment a-t-on oublié que ces arbres, qui ne de- mandent ni les travaux des labours, ni les sacrifices des semailles, ni l'emploi ruineux, de nombreux animaux, donnent dans leurs fruits au moins dix fois le bénéfice que le mé- me espace qu'ils couvrent de leur ombre EUROPÉENNES. 89 pourrait procurer en céréales? Du reste, ils ne font tout au plus que retarder de quelques jours la maturité de ces derniers, lorsqu'ils se trouvent placés dans des directions contraires au cours du soleil, relativement à l'exposition des champs. On peut ajouter que ces mêmes arbres abritent, protègent et avancent encore la végétation; ils offrent leur ombrage aux hommes et aux animaux, des berceaux aux habitants des airs, et un refuge à ceux des plaines; ils bravent les grèles, les orages et les inondations qui détruisent les récoltes ; leurs fruits dédommagent le laboureur de ses per-. tes, et diversifient ses mets; en outre chaque : année ils enrichissent encore les riverains, dans la surabondance de leur rameaux, d’un com- bustible précieux; ce n’est point assez de ces objets d'utilité, ils impriment aussi aux cam- pagnes cette physionomie attrayante, qui exer- ce sur la moralité du peuple une influence qu'on n’a pas encore assez appréciée. Les riches champs de la Normandie, peut- être les plus féconds de la France, doivent une partie de cette grande fécondité qui se soutient depuis des siècles, à ce que chaque habitation rurale est entourée d’une petite forêt d’arbres fruitiers . qui entretiennent dans l’intérieur une température douce, uniforme, » La] 90 ANNALES et cette humidité si précieuse, si indispensable à toute végétation. Que l’on considere tous les. clos, surtout nos vergers, on verra que l'herbe y est d’un mois plus précoce que dans les praï- ries découvertes, exposées aux häles desséchants et aux vents froids ou brülants. Je possédais un verger entouré de murs, dans lequel je faisais régulièrement trois ré- coltes de foin, tandis que dans les prés voisins, où le sol et l'exposition sont les mêmes, on n’en peut obtenir que deux. Les bois offrent: également dans leur enceinte et sur leurs lizières oposées au Nord, les fleurs et les feuil- les toujours plutôt que les campagnes décou- vertes ; ce qui prouve que la température est plus chaude, la végétation plus précoce et d’une durée plus longue, partout où il se trouve des arbres et des abris. Il est facile de concevoir la prospérité, l’or- nement et la richesse qui se répandraient dans les campagnes, si l’on entourait, comme en Normandie, chaque héritage de ces verdoyan- tes ceintures d'arbres fruitiers. Il y a environ soixante-huit millions d’arpents de terres cul- tivées dans toute la France; que l’on plante seu- lement quatre arbres par arpent, et l'on aura deux cent soixante-douze millions de pieds d'arbres fruitiers, c’est-à-dire, environ qua- EUROPÉENNES. g1 rante par ménage de quatre personnes: ce se- raient les véritables forêts à fruits, les vergers des champs : les terres augmenteraient de valeur, au moyen des fruits et du bois des arbres qui y seraient plantés. Donnez la préférence aux espèces les plus utiles et les plus immédiatement nécessaires, comme les hêtres, les chènes, les noyers, les châtaigniers et les pins, cultivés et greffés sui- vant les indications que contiennent les bons ouvrages d'agriculture; alors les huiles, les beurres, les lards, tous les genres de volailles et de viandes se trouveront partout avec abon- dance. Faites choix, suivant les différentes zones de la France, de l'olivier du Nord, de celui du Midi, du chêne à glands doux de la Caroline et de la Virginie, du beau chêne panaché, de celui qui à la propriété précieuse de croître d’un tiers plus vite que le chène commun; du chène vert à cochenille, dont les Tyriens au- raient couvert la terre, s'ils l’'eussent connu, au lieu de chercher leur couleur pourpre dans le buccin au fond des mers. Le liège, comme l'expérience l'a démontré, multiplierait jus- qu'au 48° degré de latitude ; le chêne du Levant, si riche par la grosseur de ses glands dont le 92 ANNALES chêne commun porterait les greffes avectfierté : les savoureux châtaigniers, transformés en mar- rons, briguent votre suffrage, ainsi que les différents noyers, surtout celui de la saint- Jean ; le franc pin et le pinastre, si prodigues en excellents pignons, si utiles par leurs rési- nes, leur thérébentines, leurs goudrons, leur écorce, leur charbon et leurs rameaux. La véritable aisance nutritive des ménages champêtres se compose d'éléments fort simples qu'il serait, par une mesure organique , facile d'assurer à tous, comme à éloigner pour tou- Jours, toute possibilité de famine ou de souf- france alimentaire, qui fait sans cesse gémir de nombreuses familles dans les cruelles angoisses des premiers besoins. Le fond de consommation des bons ménages, heureux et modeïtes, consiste après le pain et les légumes, en laitages, beurres, fromages , lard, fuiles, fruits verts et secs; parce que toutes les autres petites aisances dérivent na- turellement de la réunion de ces biens. At- teindre ce terme d’abondance d’une manière générale et constante, semble être le véritable problème de bonheur national à résoudre : heureusement qu'avec un sol aussi docile que celui de Ja France, et l’éminente volonté du EUROPÉENNES. 93 Gouvernement, d’en fructifier tous les espaces, cette solution ne présente rien que de doux et de facile. Nous avons présenté, page 411, tome pre- mier, de quelle haute importance il serait de cultiver le Xétre , le plus riche arbre à huile de l’Europe; en donnant au commencement du tome 2, la description des différentes es- pèces de chènes , nous avons également fait sentir les grands avantages qui sont attachés à leur culture, ainsi qu’à celle des noisetiers : ce sont des trésors que nous avons beaucoup trop dédaignés , à cause de leur rusticité fores- üere. Cependant là où les pâturages, par con- séquent les beurres et les laitages, sont rares, il n’y a après l'olivier du Midi, qui ne peut prospérer que dans les latitudes chaudes, où déjà 1l décline sensiblement , que le hêtre ro- buste et le noisetier docile, pour remplacer, au profit des ménages, le produit des prairies et celui des olivettes. Il estégalement vrai que, du Midi au Nord, de l'Ouest à l'Est de la France, le lard, qui réunit à lui seul les qualités de la substance de la chair, de l’huile et du beurre, forme l’a- liment fondamental de la majeure partie de la population, et qu'il n’est abondant que là où le chêne favorise la multiplication des porcs. 94 ANNALES Le hêtre et le chêne doivent donc enfin prendre dans nos richesses naturelles, bien ap- préciées, le rang qu’ils méritent par leur uti- lité réelle et comme solides éléments de pros- périté des ménages : le chätaignier, le noyer et le gros mürier se plairont dans la même société. On conçoit que, si dans la plantation que nous proposons en arbres fruitiers dans les champs cultivés, on les ordonnait de sorte, à ce qu'il y eut pour chaque famille, spéciale- ment quatre hétres, quatre chênes, quatre châlaigriers, quatre noyers, quatre muriers indigènes et quatre pinastres, Ce serait réunir dans ces six arbres, une telle masse de comes- tibles, que l'abondance deviendrait générale et à jamais inaltérable!... Les basses-cours, à qui reviendrait la desserte de tant de principes nutritifs, se rempliraient en bétail et en vo- laille, dans une proportion qu'on n'a pas en- core connue. Cette grande mesure, d’une exécution facile, parce qu’elle aurait l’assentiment général , à raison de son utilité éminemment nationale, est digne des soins de l'Administration supé- rieure, qui peut seule la commander et la faire réaliser simultanément dans toute la France. Cette opération, si éloquemment paternelle, se- ñ EUROPÉENNES. 99 rait une époque de gloire et de bonheur, que rien ne pourrait égaler. Ces six espèces d'arbres, étonnés de se re- trouver sur la même scène après des siècles de séparation , seraient, avec les plantations de nos chemins, les éternels préservatifs de la di- sette et de la stérilité; car ce que les coteaux ne produiraient pas, dans une année de sèche- resse , les humides vallées et les plaines le rem- placeraient. Si une famille d'arbres éprouvait des températures contraires à sa fécondité, elles seraient favorables à son voisin ; ainsi il y aurait, centre l’homme et ces utiles fruitiers, un pacte de prospérité que, ni la diversité des sites , ni les vicissitudes mêmes des saisons ne pourraient jamais altérer. On croit avoir assez démontré combien le choix et la préférence de ces arbres est capital pour l'ordre rural et l'économie domestique. Il faut commencer à recréer les ressources pri- mitives ; il faut reproduire les objets de pre- miére nécessité, aujourd'hui que la destruc- tion des forêts pèse sur d'innombrables mé- nages, qui ne connaissent plus que les priva- tions et l’affreuse misère. Le spiritueux maha- lebs, les pommiers à cidre, les poiriers , les nombreuses familles de pruniers et d’amandiers s'encadreront naturellement dans l'enceinte de k 96 ANNALES è ces champètres bosquets, pour varier la scène, colorer et achever le tableau ; leurs floraisons se trouveront ainsi protégées contre les gelées du printemps par des arbres d’un ordre su- périeur. Dans cette replantation intéressante de la plus utile partie de nos forêts, qui présentera en dernière analyse un immense complément de ce combustible, dont la pénurie générale se fait sentir depuis si long-temps, et doit par la suite devenir plus pénible encore, nous de- vons penser à une autre circonstance impor- tante sur laquelle on ne doit pas se lasser d'insister; c'est l’heureuse influence que cette replantation doit exercer sur la modification des climatures, sur la précocité et la force de la végétation. F5 La nature a ses crises et ses maladies; dans le peu de points de la terre où elle est encore vierge, On la voit forte, énergique, toute puissante etradieuse de beauté : ces lieux cé- lestes sont malheureusement rares aujour- d'hui, et lorsque le voyageur les rencontre en- core dans quelque lieu lointain et isolé, il doit juger avec amertume, dans son admiration même, que l’homme ne l'y a point précédé ou qu'il y est resté dans l’état primitif de la créa- uon; mais dans nos climats souvent flétris par L EUROPÉENNES. 97 trop de cultures factices, où la nature est mu- tilée depuis une longue suite de siècles, son tempérament s’est altéré; privée d’une partie des éléments de sa force, l’ordre uniforme des saisons a dû décliner avec elle; aussi voyons- nous aujourd'hui différents points de la terre privés même du bienfait d’un nuage rafrai- chissant; tandis que d’autres sont noyés par les eaux : ici, un pays est tourmenté par les vents qui ralentissent la végétation; là, en régnent d’autres qui brülent tout : les récoltes sont donc devenues nécessairement irrégulières et incertaines. Que l’on daigne nous pardonner ces répétitions : cet ouvrage étant principale- ment destinéaux habitants des campagnes nous devons sans cesse revenir sur la démonstra- tion de certaines influences physiques dont il estimportant qu'ils soient intimement pénétrés. La plus belle végétation procède de la cha- leur, de l'humidité et du calme. Si nous avons vu en Suisse des lieux agrestes, long- temps voués à la température des neiges et des glaces, prendre, par la seule vertu d’une puissante haie de sapins, une nouvelle existence, une température douce, enfin la physionomie et l'aspect d’un riant jardin, que de biens et de fécondité ne devons-nous pas attendre d’une plantation générale des terres de la France ? IH. ë 7 98 ANNALES Mais, puisqu'elle est à créer, exécutons-la au moins avec assez de méthode pour pouvoir neutraliser l'excès dans l’empire des élé- ments. | C’est dans les directions du nord qu’il con- viendra principalement de serrer les lisières ; tous les vents qui nous viennent des régions boréales sont funestes aux campagnes : ils frap- pent de langueur, souvent de mort, tout ce qu'ils peuvent librement atteindre ; les grains en gémissent jusqu'au sein de la terre : ces vents prolongent les hivers, qu'ils rendent plus piquants ; ils ont le cruel et funeste pouvoir d'arrêter le cours de toute la nature végétale, en intervertissant sa marche bienfaisante et uniforme : c’est donc aux pins, aux sapins, destinés à les braver de leur hauteur élevée, et aux chênes robustes qui osent leur résister, qu’il convient de confier le soin important de les neutraliser ; c'est devant ces remparts , pro- tecteurs de nos guérets, que ces météores doi- vent déposer leur malfaisante puissance. L’oli- vier du Nord, le chätaignier et le noyer, moins robustes, s’élèveront plus librement, et pour- ront se partager l'orient, le midi et l'occident de nos campagnes. | Nous avons déjà dit combien la vigne, qui forme une des cultures les plus riches et les EUROPÉENNES, 99 plus généralisées de la France, aurait à gagner de la protection des abris, Smith dit, dans son Traité sur la richesse des Nations, que pourvu que la vigne offre sur quatre années une bonne année de vendange, elle formera encore la cul- ture la plus avantageuse. Mais pourquoi sous- crire à la perte de trois vendanges sur quatre, lorsqu’il peutêtre dans la puissance de l’homme de les réaliser toutes ? Est-1l bien dans l’ordre de la végétation que la vigne ne puisse être, comme les autres végétaux, contrainte à payer régulièrement ses tributs ? N’est-il pas au con- traire extraordinaire de voir le vigneron, au milieu de ses fatigants travaux, craindre tan- tôt les frimas ou la fraicheur des nuits, tan- tôt les orages , la grêle ou les gelées boréennes, sans avoir jamais songé à employer les moyens qui pourraient diminuer ses sacrifices et aug- menter ses produits ? Outre que les plantations générales qu’on propose, doivent nécessaire- ment concourir à augmenter la chaleur des températures, à établir la régularité des sai- sons, à rendre plus fixes les avantages de la vigne, mürir plus tôt et plus sûrement le rai- sin, améliorer par conséquent le vin, il serait cependant bien intéressant encore de les voir abriter contre les vents froids, par des chaines d'arbres résineux, comme nous l’avons indi- 7. 100 ANNALES qué ; ces arbres , en tempérant les rigueurs de nos hivers, réfléchiraient encore sur les vignes les rayons solaires, pour y augmenter la cha- leur. L'auteur du gracieux poème des Plantes dit, dans une note qui se trouve à la suite du chant premier : «On pourrait tirer des plan- tes un grand avantage, celui de fixer le temps le plus favorable aux différents travaux du jar- dinage et de l’agriculture ; mais il faudrait une suite d'observations qui nous manquent. On voit presque tous les ans, que les zé- phyrs et les fleurs ne s’assujétissent point & paraître à lépoque du printemps astrono- mique ; qu’ils retardent ou pressent leur re- tour par des raisons qui nous sont incon- nues, et forment à leur arrivée le véritable printemps de la nature , fort différent de celui de nos almanachs : cette différence est souvent d'un mois entier ; la maturité des grains et des fruits varie de même en au- tome. « Cependant on laboure et l’on sème à- peu-près en même temps dans toutes les an- nées , quelque dissemblable que soit leur tem- pérature.. Aussi, combien de jardiniers obli- gés de recommencer leur ouvrage! Combien de récoltes différentes de ce qu’elles auraient EUROPÉENNES. 101 été, si l’on eüt ensemencé la terre quinze jours plus tôt ou quinze jours plus tard ! On ren- drait donc un important service à l’agricul- ture et au jardinage, si, par l’observation du développement des feuilles et des fleurs, on parvenait à fixer le temps propre aux semail- les dans chaque climat, et conformément à la température de chaque année. » L'ingénieux calendrier météorologique des plantes , de Linné, qui indique l'approche, le départ ou l’absence des météores humides, est sûrement d’une recherche précieuse , inté- ressante : cette étude pourra un jour four- nir des applications utiles à notre agrono- mie; mais, dans l’état de désorganisation où se trouvent les éléments de la végétation et les météores , ces plantes si sensibles , si intelli- gentes, à qui la nature a confié pour ainsi dire le don de la prévision , pour avertir l'homme et servir de guide à ses cultures, sont partout diminuées , ou se trouvent en disson- nance avec la marche fantastique des fluides de l’atmosphère : ce ne sera que lorsque de nombreuses plantations auront adouci les cii- matures, et ramené un ordre plus uniforme dans les saisons , que leur sensibilité pourra exercer tonte leur influence, et que nous pourrons nous occuper avec succès de cette 102 ANNALES intéressante astronomie végétale , qui doit rendre aux yeux de l'homme la nature plus * éloquente. “La botanique est devenue, grâces à Linné, la science des fleurs. Nos prairies ont leurs merveilles comme les plaines de l'Asie et de l'Amérique. Voyez le lizeron se coucher avec le soleil, et s'éveiller avec l'aurore; le souci des champs s'épanouir lorsque le ciel est serein, et se mettre à l'abri de l'orage qu'il prévoit, en repliant doucement ses voiles. D’autres fleurs semblent s’animer à tous les instans de la jour- née : chaque heure à la sienne; elles s'ouvrent, elles se ferment, et c'est au doux spectale de leurs veilles et de leur sommeil, que Linné conçut l'idée ingénieuse de son horloge de Flore. Long-temps avant lui les villageois de- vinaient les heures du jour en jetant les yeux sur une prairie, et ils observaient, sans le sa- voir, l'harmonie inexplicable qui existe entre le mouvement d'une petite fleur et le mouve- ment des astres, qui mesurent le passage du temps. C'est ainsi que les paysans du Languedoc et de l'Auvergne attachent à la porte de leur chaumiere la corolle d’une espèce de carline, qui leur annonce par son sommeil les ap- proches de l'orage, et par son réveil le retour EUROPÉENNES. 103 du beau temps. Une fleur est en mème temps leur thermomètre , leur almanach et leur hor- logé; il est douteux que l'excellent livre où Saussure a traité l'hygrométrie püt mieux les éclairer sur les variations de l’atmosphere. Si l'étude de ces phénomènes est utile au simple laboureur, elle l’est bien davantage au naturaliste, qui ne peut s'empêcher d’y recon- naître le dessein secret de la Providence. L’his- toire naturelle devient alors une science d’en- chantements, où chaque prodige cache un bienfait, où chaque bienfait décèle un Dieu. Bernardin de Saint-Pierre dut les plus belles pages de son livre au développement de cette pensée. Lorsqu'un phénomène le frappait, il cherchait d’abord quel avait été le but de la na- ture. Cet excellent observateur raconte qu'un jour, comme il était assis à l'ombre d’un mimo- sa eburnea, dont il s’amusait à observer les grandes épines blanches comme l'ivoire, il vit tout-à-coup l'ombre qui lenvironnait se mettre en mouvement , et faire place à des jets de lu- mière ; il lève les yeux : toutes les feuilles ve- naient de se fermer; l’arbreentier était flétri ; un nuage passant au-dessus du jardin avait causé ce phénomène : cependant, le ciel étant rede- venu serein, les branches se ranimèrent peu- à-peu, et bientôt elles reparurent dans toute 104 ANNALES leur fraicheur. Bernardin de Saint-Pierre se ressouvint alors que le mimosa est originaire d’une partie de l’Inde où il pleut très-rare- ment ; et, ayant reconnu que ses feuilles sont si frêles et si délicates qu'elles ne pourraient recevoir, sans se briser, les ondées les plus lé- gères , il admira la prévoyance de la nature, qui leur a donné la propriété de se prêter un secours mutuel , et de se poser les unes au- dessus des autres, à-peu-près comme les tuiles de nos toits. J'ai vu ensemencer des champs de navettes, dont l’huile est si précieuse aux arts età tous les usages de la vie, jusqu’à trois fois, parce que le laboureur,, se fiant aux apparences d’une pluie prochaine, qui devait mettre en fermen- tation les graines qu'il confiait à la terre, s’est vu ravir chaque fois le fruit de ses sacrifices et de ses travaux par une bise absorbante, qui dans un instant avait annihilé ses efforts, ses calculs et ses espérances. Beaucoup de cultures sont manquées annuellement par la même cause; et combien de dépenses, de travaux et de récoltes perdues pour la société ! Si au contraire nos champs se fussent trou- 4 L4 , s. je vés parés d'arbres, comme on le propose ici, les douces rosées fussent venues quotidienne- ment humecter la terre; Les apparences de pluie EUROPÉENNES. 105 se seraient réalisés ; les orages plus fréquents et moins violents, y auraient ajouté leurs bienfaits ; le calme et l’'humide chaleur de len- ceinte auraient multiplié à l'infini les nerfs vé- gétateurs ; avec ces puissants moteurs réunis , on acquiert la certitude d’une végétation plus belle, plus énergique, et des récoltes plus pré- coces : tous avantages si précieux, qu'aucun effort ne devrait coûter pour les acquérir. Les plantations se lient encore à d’autres consonnances, surtout à celle si importante de la multiplication des habitants des airs, qu'on semble perdre de vue depuis trop long- temps. Il n'existe peut-être pas aujourd’hui la cen- tième partie des oiseaux qui vivaient dans le temps de nos forêts primitives : c'est une perte plus grande qu'on ne peut l’imaginer. On s'aperçoit aussi, tous les jours plus, que leur nombre n'est plus en harmonie avec cette multitude d'insectes et de scarabées , que la nature fait éclore au moment même que les petits oiseaux brisent leur coque, et gran- dissent avec cette nourriture de leur enfance. Comme les oiseaux qui nous restent ne suf- fisent.plus à dévorer la partie surabondante de celte pâture qui leur était destinée, ces insectes, 100 ANNALES mulupliés hors de proportion, attaquent et détruisent les fruits de la terre. On se rappelle que Frédéric-le-Grand , roi de Prusse, à qui on avait porté plainte sur les dé- gäts qu'occasionnaient es moineaux dans les campagnes, avait fait comprendre dans la ca- Pitation, tel nombre de têtes de moineaux à livrer au receveur : cette recette, exécutée avec rigueur, avait tellement diminué ces oiseaux , que les récoltes se trouvèrent plussensiblement diminués par les insectes et les scarabées, qui avaient pullulé de manière à effrayer les culti- valeurs : comme on vit alors clairement que ce que la nature avait fait était bien fait, on sempressa de prendre une mesure opposée, et Pon diminua la capitation en raison du nom- bre de moineaux vivants qu’on présenterait. Tout est enchainement dans les plans de la nature, et chaque être a reçu les gouts et jes formes qui le rendent propre à remplir sa MISSION. On est souvent surpris au milieu du silence d’une forêt, par un bruit semblable à de pe- tits coups de. marteau : la solitude du bois, qui prête un air mystérieux à ce bruit, vous donne la curiosité de voir qui semble vous ap- peler ? On croit que c'est une hamadryade , EUROPÉENNES. 107 destinée à croître et à mourir avec l'arbre, qui frappe pour sortir de sa prison : mais non , c'est le beau pivert , au plumage varié de noir, de vert et de rouge, qui, chargé pour la con- servation des arbres, de se nourrir des gros vers qui vivent entre le bois et l'écorce, perce de son bec aigu l'arbre à coups redoublés , et le délivre de son ennemi. Le fourmillier, oiseau moins gros que le pivert , destiné ” défe: ndre de l'attaque des fourmis , les plantes et les arbres qui pour- raient en Suuffrir . présente aussi ses scènes particulières. | La nature lui a donné une langue d'envi- ron trois pouces de longueur, en forme de ver de terre; aussitôt qu’il commence sa chasse, il étend sa langue à terre, reste immobile et fait le mort : les fourmis trompées par cet appât , se jettent dessus pour dépecer ce faux ver ; mais, par un mouvement rapide, la lan- gue se retire et s'étend aussitôt de nouveau, pour multiplier le nombre de ses victimes im- prudentes. Il est certain que quelques fourmilliers ap- privoisés seraient plus efficaces dans un jar- din , que toutes les drogues qu'on emploie pour détourner les fourmis, des plantes et des arbres qu'elles attaquent. 108. ANNALES ; Sans l'existence des loups, des corbeaux, et de tous les oiseaux de proie, chargés de dévorer les chairs cadavéreuses , la terre en serait infectée. Le lion, le tigre , l’hyène, la panthère et le léopard ont reçu la même mis- sion pour les latitudes torridiennes, Nous avons cité, page 423 du premier tome, le moyen bien naturel dont les nègres de Saint- Domingue se sont servi pour sauver les champs de cannes à sucre, me nace,dune entière des- truction par les mulots, les rats eties souris : les nègres se rappelant conubien Ls couleuvres débarrassent, en Afrique, le voisinage des habi- tations de beaucoup d'animaux incommodes, ils allèrent en chercher dans les mornes, pour les répandre dans les champs de cannes, qui farent aussitôt délivrés de leurs ennemis. Nous avons dit également , que les couleu- vres paraissaient avoir à remplir la même mis- sion dans nos campagnes , pour préserver nos cultures de ces animaux destructeurs ; on peut juger. par le paragraphe suivant , si cette opi- nion est conforme aux vues de la nature. On mande du Bas-Rhin, qu'outre les fléaux que les orages ont exercés celle année sur ce département, les souris , les mulots et les rats s'y sont multipliés à un tel excès, qu'on en a détruit, dans une quinzaine , plus de quinze EUROPÉENNES, 109 cent mille , dans les seuls arrondissements de Strasbourg et de Saverne. Ê Nous avons déjà parlé, dans le précédent ca- hier, du dernier ouvrage publié par M. le ba- ron Massias (1); comme cette œuvre de phy- sique morale embrasse une vaste sphère de choses corrélatives avec celles exposées dans ce journal, et qu’il nous est permis aussi, de considérer son estimable auteur comme un savant et amical collaborateur à ces ANNALES, nous nous faisons un agréable devoir d'of- frir à nos lecteurs quelques pages, puisées dans cet interessant ouvrage. En nous réservant de présenter, dans une prochaine livraison , l’idée éminemment éle- vée où M. le baron Massias trouve sans le don et la puissance de la parole de l'homme, le caractère distinctif de sa suprématie privi- légiée , qui lui a été déléguée dans la haute pensée de la création , nous commencerons par offrir quelques-unes de ces images simples et gracieuses , qui réfléchissent leur charme dans oo (1) Du Rapport de la nature à l'homme, et de l’homme à la nature. 2 vol. in-8°. Prix 10 fr., chez Firmin Didot, rue Jacob, n, 24, à Paris. 110 ANNALES l'ame de ceux qui ne sont point encore insen- sibles aux admirables scènes qui se passent sur le grand théâtre de la nature; mais laissons parler l’auteur. La nature, dit-il, ne conserve pas pour dé- truire, mais elle est obligée de détruire pour conserver. La vie est tout, la mort n’est qu'un moyen. Son ouvrage est mouvement perpé- tuel; synthèse et analyse; composition et dé- composition. La vie est toujours subsistante ; la mort, s'il en est pour la matière organique, n’est qu'instantanée , la nuance, la transition, d’une vie à une autre vie. En achevant de sg- per l'édifice des corps animés, minés par le temps, elle en réserve les matériaux pour être employés incontinent à la formation de nou- velles existences. Aucune fibre, aucun organe, aucune créa- ture ne se méprend sur la nourriture qui lui convient, et n’a besoin de s’instruire dans les moyens de se la procurer. Depuis l'hysope jusqu’au cèdre, chaque plante, chaque arbre pousse et déploie ses racines dans le sol Île plus favorable : l'églantier cherche et trouve une substance alimentaire dans les veines du rocher qui l’abrite. Le faisan, qui vient d’éclore, connaît le grain de mil et la larve des fourmis. La chenille du saule ne cherche pas le tithy- EUROPÉENNES. 111 male : après sa métamorphose, sa science à changé avec ses organes et ses appétits. Le pa- pillon, qui, dans l'espèce de noviciat où il était préparé à sa brillante destinée , découpait avec de fortes machoires la feuille du chêne ét du rosier, sait mieux que le plus habile mécani- cien se servir de la trompe qui lui a été récem- ment donnée, pour aspirer le suc des fleurs. Le ver, le polype, le caméléon savent extraire de la terre, de l’eau et de l'air, les sucs nourri- ciers qu'ils renferment. Les fourmis jaunes (1), peuple pasteur, dont les pucerons sont les troupeaux, traitent ces utiles domestiques en maitres bons et équitables, leur font à force de soins Gublier leur captivité, et ne cherchent à en obtenir que par des caresses la manne pré- cieuse qu'ils distillent. Ici l'instinct nutritif égalerait ou surpasserait l'intelligence , s’il n’é- tait lui-même intelligence sublime. On ne verra point l'éléphant déchirer les ani- maux avec ses défenses , et plonger sa trompe dans leurs entrailles sanglantes. Le lionceau n’essaya jamais quel goût pouvait avoir l'herbe tendre, et ne vint jamais à paître à côté de la ümide gazelle. nt (1) Voyez les ouvrages de M. Hubert. vr2 "ANNALES La mer, ce vaste empire de destructi reproduction, fourmille de vie et d’aliment, que discernent et trient des myriadés de con- sommateurs aussi divers par leurs formes que par leurs grandeurs et leurs appétits. Tout ce qui vit a été digéré; tout ce qui vé- gète a été animé ; tout ce qui a été animé a vé- gété. Dans cette éternelle métempsycose, la reproduction a été égale à la consommation. _ Quelle précision dans la balance qui à pesé la - part qui revient à la mitte et à la baleine, au lychen et au baobal! L'instinct nutritif destiné à conserver les espèces , proportionnant constamment la con- sommation à la reproduction , il doit arriver ce qui a lieu effectivement : 1° Que ses appétits naturels ne demandent que la quantité d'aliments nécessaires à la nu- trition, et qu'ils recherchent ceux qui con- viennent le mieux aux individus. 2° Que, par conséquent, le régimeet l’hygiène des divers peuples sont ceux qui conviennent le mieux au tempérament de ces peuples, etau climat qu’ils habitent. , Ces deux règles sont confirmées par l’obser- vation. Le besoin d’aliments croit toujours avec le mouvement de la vie, vers la plénitude d’exi- stence et la maturité de l'individu. Celui-ci y EUROPÉENNES, 113 étant une fois parvenu le besoin décroît avec les forces digestives, Plus l'être vivant est sous la Puissance de l'instinct, plus il est exact à ne prendre que ce qu'il faut pour. le réparer. Plongés de toutes parts dans la substance alimentaire, l'arbre et la plante n’en aspirent et n’en élaborent que ce qui est nécessaire à leur développement et à leur soutien. On ne voit point les zoophytes, les mollusques et les insectes Punis par des co-. liques et des nausées, d’une voracité déser- donnée. Dans l’homme même, avant que la morale lui ait ordonné la sobriété, son esto- mac lui en a donné le conseil. Bien plus, cet instinct se modifie suivant la modification accidentelle de l’organisation. Il se plie à ses caprices, non en complaisant perfide, mais en sage et sévère Moniteur. Il sait, lorsqu'il le faut, défendre des mets qu’on recherchait de préférence, et ordonner ceux qu'on rejetait avec dégoût. 11 subordonne les appétits à la santé. Les acides, les amers, le sel, le charbon et l'argile sont désirés avec Passion, et non sans motif. Le chien et Je chat s’abstiennent Momentanément de chair et broutent le #riticum repens. Il n’est pas une Saveur, une qualité d'aliments II, 8 "4 it4 ANNALES à laquelle ne correspondent un appétit ét des organes appropriés. Les organisations et les instincts sont calcu- lés sur les besoins et l'utilité des êtres vivants. Ne demandez pas pourquoi la plante est sta- tionnaire, elle qui a au-dessous, autour, au-des- sus d'elles ses sucs et ses gaz nourriciers. Di- verses familles de végétaux, amantes fidèles de leur patrie, correspondent aux diverses zones du globe, où elles trouvent une nourriture analogue à leur structure et à leurs tempéra- ments. Elles offrent au botaniste philosophe, dans ses courses lointaines, des flores atmos- phériques et thermométriques. La délimitation de séjour n'a pas été aussi exactement établie pour les animaux, parce que, ayant la faculté de se mouvoir, 1ls peuvent trouver dans un sol voisin ce que leur refuse le sol naturel. Leur structure, leurs mouvements, leurs allures sont relatifs à leur utilité. L'ensemble de ces belles lois de la nature, n'a pas fait négliger les détails. Le pistil de la mauve n’est pas moins soigné que la trompe de l'éléphant. Les parties essentielles de l’ou- vrage, ce que l'art doit toujours essayer d’imi- ter, y sont des ornements. La fleur, chef-d'œuvre privilégié de fraicheur, de grâce de forme et EUROPÉENNES. 115 de coloris, n’est que le lit nuptial et le berceau de la plante; et ses parties les plus brillantes et les plus délicates, loin d’être luxe et vaine parure, ne sont que des moyens de fructifica- tion. Celles des parties qui y contribuent le plus directement, pour prix de leurs concours à la plus utile des fins, ont été douées d'irrita- bilité, image et commencement d'animation. Seraient-elles en effet entièrement insensibles cesétamines amoureuses qui enlacent etserrènt doucement le pistil? celui-ci, plus élevé que ses nombreux époux, s'incline vers eux et sa- crifie, non sans regret, les lois de la pudeur aux lois plus impérieuses de la fécondité et de la maternité. Voyez cette campanelle pencher timidement son calice vers la terre; c’est moins pudeur que volupté. Par quelle matronea-t-elle pu être initiée dans les mystères de l’hymen, et savoir qu'elle ne pouvait être autrement fécondée ? Il a été pourvu à la reproduction des plantes dioïques, époux séparés et exilés en des lieux divers, par les milliards de se- merices que portent les mâles. Ces semences ne sont que des capsules s’ouvrant spontanément au moyen de charnières élastiques et renfer- mant la poussière ou plutôt le souffle vital dont elles remplissent au loin l'atmosphère (1). (3) La fleur mâle de la F’allisnère, est sous l’eau à la 116 ANNALES Tout ce qui est créé a besoin d'appui et ne peut se suffire à soi-même. L'unité absolue est par son essence , incommunicable, et réservée à la divinité. La loi du dualisme, dont nous venons de parler, va trouver une belle appli- cation dans la division des sexes. Dans les règnes vivants, le mäleet la femel- le, l'homme et la femme, ne sont que des moitiés d'individus, et ils n’ont leur complé- ment et leur intégrité que par la réunion de ces deux moitiés. D'abord indivises, dit Platon, mais accidentellement séparées, et qui lorsque le destin leur permet de se retrouver, se re- voient et se rejoignent avec les transports d’une impérissable amitié. Plus l'enfance des animaux est faible et dé- sarmée, plus grands et plus actifs sont les soins l'industrie et la vigilance des parents. Le nombre des petits est proportionné aux chances de leur destruction. Il en est de même pour les graines des plantes. Des milliers d'œufs , dont la moindre partie racine de la plante. Au temps de la fécondation , elle s’en détache, et va tronver sa fleur femelle, qui est à la surface de l’eau , pour s’épanouir à côté d’elle. Nous avons aussi produit cette image de l'instinct ani- mé des plantes, page 194, tome II. EUROPÉENNES. 117 doit éclore et atteindre son développement, sont déposés presque au hasard et abandon- nés aux soins de la nature par les femelles des poissons. Ce qui est perdu pour la reproduc- tion lui revient pour Îa nutrition. Peines et joies, tout est instruction. Les sensations pénibles semblent néanmoins n’a- voir été permises qu’à regret et par nécessité. Les sensations agréables ont été versées avec amour et prodigalité. Respirer, dans certaines circonstances, est volupté. Quels furent les transports de l’aveugle de Chézelden , lorsque, ayant appris à voir, ses yeux embrassèrent dis- tinctement le riche paysage d’'Epson ! Quand le sourd, guéri par le docteur Itard, reconnut la voix de ceux qui lui parlaient, son ravisse- ment fut extrême ; il ne pouvait se rassasier d'entendre parler : ses yeux venaient chercher entendre une vielle organisée, sans qu'il en fut prévenu. On le vit tout-à-coup trembler, pälir, et sur le point de tomber en syncope ; puis éprouver tous. les transports que cause un plaisir vif et inconnu. Ses joues colorées, ses yeux étincelants, son pouls rapide annon- caient une sorte de délire, d'ivresse et de bon- heur. ( Physiologie de Magendie. ) Chaque sens est un trésor de jouissances, 118 ANNALES chaque sens à sa manière de jouir et de con- naître; ses perceptions sont analogues à sa conformation, et à celle des corps avec les- quels il est en contact. S'il était des objets sans rapport quelconque avec un sens, leur exi- stence manquerait son but, qui est d’être con- nue. Si, dans le nombre de nos sens, il en était un sans objet de perception, il ne serait qu'une embarrassante superfétation : elle se- rait contraire aux vues du grand Architecte. D'où l’on peut présumer que tout ce qui existe dans notre sphère d'activité , est employé et appréciable à nos sens, et que leur nombre et leur perfection sont la mesure de l'élévation des organisations et des intelligences. Des trois règnes, deux seulement sont le domaine de la vie ; l’autre n’en est que le soutien et comme le substratum. Montrons que, dans ces deux règnes , se manifestent spécialement les agens qui les ont produits et qui les modifient sans cesse ; montrons qu’ils abondent de mouvement et qu'ils écla- tent d'intelligence ; que même les formes qui les séparent et caractérisent leurs apparences, la lumière qui les rend visibles, les couleurs qui les distinguent et les décorent , que tous ces éléments du beau physique en rapport avec le beau idéal, ne sont peut-être que des va- EUROPÉENNES. U19 riétés du mouvement distribué et gouverné par la sagesse infinie. La nature semble même avoir craint de nous montrer le règne minéral dans sa nue immo- bilité ; elle l’a couvert d’un voile ondoyant. Le pin, le figuier, le laurier introduisent leurs racines dans les fentes du roc et le couvrent de leurs verdures et de leurs ombres chan- geantes. De légères vapeurs circulent autour des pics arides et décharnés ; des nuages les recherchent et y accourent dans tous les sens ; ramassés à leurs sommets , ils en descendent en torrents, s’y dissolvent en pluies fines , ou s'étendent en épais brouillards , jouets de l'air et du caprice des vents. La lumière glisse sur la surface polie ou scintille dans les angles ra- boteux de ces masses stationnaires ; elles sem- blent se mouvoir par les illusions de l'optique dont les phénomènes se renouvellent à chaque instant ; elles bravent et attirent la foudre qui plus d’une fois les a sillonnées. L’aigle et le condor, dans leur vol puissant , tracent , au- tour de leurs pointes, de vastes cercles con- centriques qui , se rétrécissant successivement, les raménent à l'aire de leurs petits, dont les cris perçants retentissent au loin dans la vallée. Le plus riche paysage, malgré la beauté des groupes, la variété des formes et des couleurs, 120 ANNALES attristerait les regards, s’il était frappé d’uneab- solue immobilité. Il ressemblerait à un cada- vre, non encore défiguré, revêtu de ses habits de fête. Que de soins pour lui conserver la vie avec le mouvement! Le balancement des tiges, l'ondulation des rameaux , la mobilité des feuilles, la déclivité et les sinuosités mouvantes du terrein, le ruisseau qui bondit en fuyant, attirent et amusent la vue , arrachent l’ame à sa léthargie et invitent au repos en portant un doux tumulte dans les sens. L'espace nous manque, à notre grand regret, pour parler avec détail dans cette livraison d'un autre ouvrage, ayant pour titre : Tnductions morales et physiologiques , également d’un homme d’un beau savoir, Comme nous aimons à proclamer les principes, qui soutiennent l’es- sence de la dignité humaine, dans le sens mo- ral, nous exposerons au jugement de nos lec- teurs quelques-uns de ceux qui semblent régir cet ouvrage, que nous aurons aussi à combattre par fois : en attendant que nous puissions nous livrer à une analyse raisonnée sur tout ce qu'il contient de solide et de bon, voici ceux qui nous ont le plus frappés. EUROPÉENNES. 127 « L'Etre divin est réellement le seul Etre positif qui mérite cette dénomination. Cet Etre, on le reconnaît dans le mouve- ment. Partout où on l’aperçoit, on voit un maître et une cause première, Tout mouvement prend sa source en Dieu, et retourne vers lui. 1 Le mouvement procède de l’unité d’un prin- cipe agissant sur Ja matière. Le mouvement subsiste dans la nature RE chaque instant il se perd ; à chaque instant il se renouvelle : donc il procède d’une source inépuisable. Si le hasard avait été appelé à jouer un rôle dans les productions des espèces, l'union de certains animaux, dont résultent des métis 4 servirait merveilleusement bien re. agent aveugle et privé de raison... .. Vaine suppo- sition ! le désordre s’arrête au premier pas : où l’analogie cesse , les produits sont nuls : donc il y a impossibilité d'une apparition d'êtres nouveaux dans le sytême organique. La matérialité n’a reçu l'être et n’a produit de corps positifs qu’à l'époque précise où un grand moteur l’a fixée dans un espace cir- conscrit. La vie sera difficilement innocente chez celui dont le songe est constamment criminel. III &* * 122 ANNALES Par le fait, la mort n’est qu'un nouveau mode d'existence qui nous ressaisit au point précis où il nous a trouvés. Dans la seconde existen- ce, les sexes destinés à une union procréante, seront abolis ; mais.ceux destinés à l'union ai- mante seront maintenus avec un accroissement d'intimité dont notre nature actuelle ne peut offrir que l’imparfaite image. Nora. Le volume circonscrit de ces Annales nous force également de remettre au cahier suivant un article fort intéressant, d'un de nos collaborateurs (ancien directeur de l'Observa- toire de Paris), sur le système de l'univers astro- nomique : on y trouvera des choses à intéres- ser autant l'amateur que le savant. RE ——_—_—_—_ ANNONCES. * ANNALES DE FINANCES (1). Cet ouvrage périodique, le seul de son genre, peut être considéré comme une sorte de ma- (1) Get ouvrage formera un volume par année. Il en paraît un numéro le 1° et le 15 de chaque mois. ‘ On s’abonne, à Paris, au bureau des Annales de Fi- nances , rue de Berri, n° 9, au Marais. Le prix d'abonnement est de 6 francs pour trois mois, de 9 fr. pour six mois, et de 16 fr. pour un an. Le. EUROPÉENNES. 123 nuel théorique et pratique essentiellement utile à toutes les classes de la société, parce qu'il traite les finances dans leurs rapports avec le commerce, l’industrie, les établisse- ments de prévoyance, les arts et l’agriculture. Les initiés dans les sciences économiques y voyent combien de principes erronnés ont été répandus par les auteurs les plus accrédités. Nombre d’autres personnes moins versées dans ces matieres, qu'un ancien préjugé leur fait regarder comme exclusivement propres aux: hommes d’État, apprendront qu'il n’existe pas une seule profession où les connaissances fi- nancières ne soient nécessaires. A des principes généraux clairement énon- cés, sont jointes des notices lucides sur les divers établissements de quelque importance, et particulièrement sur ceux de prévoyance; comme les fontines, les caisses économiques, les assurances à vie et contre l'incendie. La législation et les décisions ministérielles sur les matières très-variées dont s'occupent les Annales de finances, y sont rapportées, et mé- me expliquées quand il en est besoin. On y trouve la solution des questions de jurispru- dence les plus importantes sur ces mêmes. matières, ainsi que l'annonce des objets que les divers établissements veulent y faire insérer. ++ 124 ANNALES EUROPÉENNES. Eu considérant les finances également dans leurs rapports avec le commerce, l’industrie, les arts et l'agriculture, les auteurs étendent et rendent d'autant plus importante la sphère de leurs attributions; sous ce dernier point de vué elles se rattachent infiniment à l'objet des An- NALES EUROPÉENNES. L'ouvrage est, en général, écrit d’un style simple, correct, mesuré, et à la portée de toutes les classes de lecteurs. Uniquement consacré aux matières exprimées par son titre, on n’y rencontre aucune discussion ou allusion poli- tique quelconque. L11709 IS Nous ne doutons pas que, tant sous ces dif: férents rapports, que sous celui de leur mérite intrinsèque, ces nouvelles Annales ne soyent accueillies avec bienveillance et intérêt de tou- tes les personnes en état de les apprécier. 4 ot s s : ANNALES EUROPEENNES DE PHYSIQUE VÉGÉTALE ET D'ÉCONOMIE PUBLIQUE, RÉDIGÉES Par une Société d’Auteurs connus par des ouvrages de PHYSIQUE, d'HISTOIRE NATURELLE et d'ÉCONOMIE PUBLIQUE. D Ç 0 ——————— | du Nos avions , en publiant les ANNALES EUROPÉENNES, un grand but national: celui d'attirer l'attention du Gouvernement ; 1°, vers l'examen de tout ce que la nature avait, dans l’origine , répandu de pompe et de richesses réelles sur la terre : temps où toutes les grandeurs des mers, des fleuves, des mon- tagnes et des solitaires vallons, existaient, se correspondaient et remplissaient de leurs cé- lestes harmonies le cœur de l’homme, seul , de toutes les créatures, capable de comprendre _ ces merveilles; dont il est le premier objet, et d’adorer la puissance éternelle qui les créa Le lui. À . Comment toutes ces magnificences ter- Le \ - 9 ‘126 ANNALFS restres, destinées à vivre avec les siècles, à combler toujours pour tous les temps les désirs et les besoins des hommes, ont été successive- ment flétries, diminuées, détruites ! comment, en attaquant partout le règne végétal, source prolifique et spéciale, de qui dépendent toutes les existences , nous avons rétréci le cercle de Ja vie, dans les mers, dans nos eaux douces, et parmi toutes les races qui habitent la + terre(1). 3°.Apres avoir démontré, dans les premières livraisons de ces ANNALES, avec quelle somp- tuosité la nature avait paré la terre ; les riches et fécoudes productions dont. elle a couvert et rempli tous les espaces; l'admirable régularité qui régnait dans le cours des saisons, parce qu'’alors toutes les puissances attractives destinées à y concourir, existaient encore ; nous avons, aprés avoir montré les pertes faites dans les deux règnes vivants, les priva- tions qui pésent déjà sur la société et les maux graves dont elle est menacée, indiqué les moyens à mettre en usage, pour nous rap- (1) Voyéz les huit premières livraisons de ces AN- à j NALES. j ‘ À) \ EUROPEENNES. 127 procher des premiers plans de la nature, et rectifier successivement ce grand édifice de notre demeure terrestre, afin d'y faire couler de nouveau ces sources d’abondance et de eori- tentement que nous avons perdues. Notre voix n’a pas retenti dans le désert; elle a été entendue , écoutée par le Ministère de l'Intérieur, à qui elle était spécialement adressée | comme le foyer directeur de tous les biens qui doivent vivifier l’heureux sol de France. . Les questions adressées à MM. les Préfets dans la circulaire ministérielle que nous avons insérée textuellement dans la précédente k- vraison , est d’une importance irappréciable. Elle a imprimé une impulsion, un mouvement d'observation sur la situation physique de tous les départements du Royaume, qui doit avoir les suites les plus heureuses. Cet acte est peut- être le plus capital qui soit jamais sorti du Ministère. Il porte à l'examen de toutes les plaies faites à la nature; il tend non seulement à arrêter les coups qu’on lui porte aveuglément depuis une longue suite de siècles ; mais à ré- parer les maux dont nous souffrons déjà, comme à prévenir ceux dont la postérité est éminemment menacée; enfin c’est un grand 9 u ; : 128 | ANNALES mouvement d’ascension imprimé, qui ne peut plus ni descendre ni s’arrêter : le triomphe de la nature et la plus grande prospérité publique en seront le glorieux résultat. Nous donnons ici la suite des réponses dé- partementales ; on distinguera celles qui ont été faites avec un examen réfléchi sur les plus hautes questions de bonheur public qui aient jamais été traitées ; nous accompagnerons de ‘nos observations celles qui, faites avec trop de.préventions scientifiques , méconnaissent encore en partie ce qui est visible aux yeux de la généralité des observateurs. Nos vues ayant pour but unique la recherche de tous les faits qui peuvent réaliser, agrandir la prospérité nationale, nous osons , d’après des motifs aussi patriotiques , compter sur l’indulgence même de ceux dont nous aurons , par devoir, à com- battre les opinions contraires aux vérités phy- siques que nous traitons dans l'intérêt public. En ne nous occüpant dans ces ANNALES que des phénomènes de la nature, et des gran- des scènes qui se passent dans le monde phy- sique, pour en recueillir les faits au profit de la société, nous avons la satisfaction de voir que tous les journaux, en général, même les plus opposés dans leurs idées politiques, se réu- EUROPÉENNES. 129 nissent tous à reconnaitre l'utilité de nos re- cherches et de nos travaux patriotiques. Nous avons inséré dans la dernière livraison le jugement lumineux qu’en a porté le Honi- teur ; nous donnons ici celui publié par un journal d’une couleur opposée, dans sa feuille du 14 octobre dernier : voici ce qu’il dit : « Depuis quelque temps, on remarque avec effroi, en Europe et surtout en France, un certain nombre de phénomènes qui, par leur gravité naturelle et leurs funestes consé- quences, sollicitent l'attention du physicien et de l'homme d’État. Il semble que la des- truction des forêts, causée soit par l'ambition des conquérants, soit par l’avidité des particu- liers , ait entrainé à sa suite un bouleversement dans l'économie générale de la nature. Partout on entend s'élever des plaintes sur l’inciémence et le peu de fixité des saisons ; sur l’altération des climatures, le tarissement ou l’appauvris- sement des sources, la fréquence des inonda- tions, l’impétuosité des ouragans , et les fléaux de la grêle; sur la diminution des poissons, des oiseaux , des animaux, et sur la multipli- cation excessive des insectes nuisibles. Ces dé- sastres, toujours croissants, parce que leur cause est elle-même toujours croissante, ont 2 136 ANNALES droit d’alarmer tous ceux dont la philanthro- pie ne se borne point au présent, mais s’étend aussi aux générations à vénir. » « On peut craindre non-seulement que l'in- dustrie nationale, arrêtée tout-à-coup dans sa marche, ne puisse plus suffire aux besoins se- condaires de la civilisation , mais que les plus graves atteintes ne soient portées aux premiers besoins de la vie, et que la France, comme on l'a dit si souvent, ne périsse faute de bois. Ces craintes, manifestées par les Sully, les Lamoigsnon et les Colbert, et reproduites par Fontenelle, Réaumur et Buffon, ne paraï- tront pas exagérées, si l’on veut jeter un mo- ment les yeux sur quelques contrées orientales que la guerre a dépouillées de leurs belles forêts. » ; « Les bords de l'Euphrate et du Tigre, autre- fois si vivants et si animés, sont aujourd’hui déserts et silencieux; ils ne sont plus ombragés par ces saules touffus auxquels les Hébreux captifs laissaient pendre leurs lyres , et ces deux fleuves, qui réfléchissaient dans leur sein les merveilles de Ninive et de Babylone, ne coulent plus qu’à travers des déserts brülants vers le golfe Persique. Les monts de la Judée n'ont plus de végétation qui les couvre; les EUROPÉENNES. 131 vents ne charrient dans son atmosphere que des nuages de sable, et son fleuve sacré, dé- garni de ses roses et de ses palmes, ne porte plus à la mer Morte qu'un filet d'eau fangeuse. La vallée de l'Egypte, semblable autrefois à un grand jardin planté d'arbres de toute espèce, offre à peine aujourd'hui sur les bords du Nil quelques bouquets de dattiers, d’orangers et de citronniers, qui ne sauraient condenser les vapeurs de son ciel d’airain, et les résoudre en pluies bienfaisantes. Que si, traversant la Mé- diterranée, nous allons chercher les rives ver- doyantes du Caystre, du Méandre et du Pac- tole, les végétaux parfumés du Tmoius, les eaux fraiches du Simois et du Scamandre, jadis alimentées par les bois de cèdre du mont Ida et les côtes voluptueuses de la mer d’Ionie, nous ne trouverons partout que des déserts et des ruines, ouvrage du despotisme qui pése sur ces contrées! Le continent de la Grece nous offrira le même spectacle de désolation ; Thebes a perdu la fontaine de Dircé , célébrée par Pindare; Sparte, les bocages de lauriers. à travers lesquels s’enfuyait l'Eurotas; Athènes, les myrtes et les lauriers qui embellissaient les cours de l'Illisus et du Céphise. » Cette destruction des forêts primitives, des- 132 ANNALES tinées par la Providence à prévenir les ano- malies des eaux et des météores, n’a pas seu- lement, produit une altération et une dégra- dation sensible sur la surface du globe ; elle a exercé et exerce encore sur la vie de ses habi- tants l'influence la plus désastreuse ; elle a enfanté une légion de maladies inconnues aux premiers àges de l’ancien monde, et que le nouveau eût peut-être éternellement ignorées sans la conquête des Espagnols : elle a surtout donné naissance à ces fléaux terribles qui dé- ciment presque annuellement Les populations orientales, envahissent le midi de l’Europe, et commencent à ravager l'Amérique , journel- lement dépouillée de sa superbe végétation par la guerre, les mines et les spéculations mer- cantiles. » « Le spectacle affligeant de ces désastres, communs aux deux hémisphères, a inspiré à quelques amis de la nature et de l'humanité l'idée des ANN ALES EUROPÉENNES. » « Dans cet ouvrage, uniquement fondé sur les croyances universelles et sur les intérêts généraux des sociétés humaines, ils ont en- trepris de démontrer aux peuples et aux gou- vernemers la nécessité absolue,non seulement de mettre un frein à la destruction des forêts, , 99 EUROPEENNES. 199 mais de les rétablir partout sur les hauteurs, où la main de Dieu les avait placées, et d'ou la main de l’homme les a fait descendre. Pour parvenir à leur but, ils ne sont point partis de vaines théories, enfantées par l'imagination ; mais, fidèles à la méthode des sciences natu- relles , ils ne marchent qu’appuyés sur des faits nombreux recueillis sur toute la surface du globe, et malheureusement incontestables. En plaidant toutefois la cause de l'Europe en- tière, et même du monde entier, ils n’oublient point qu'ils doivent surtout à leur patrie le tribut de leurs lumières et de leurs travaux ; et après avoir prouvé que son salut dépend d’une prompte régénération de la nature vé- gétale, et de toutes les harmonies qu’elle en- traine avec elle, ils proposent une foule d'a- méliorations et d'embellissements qui, réalisés sur le sol natal par des mains sages et habiles, décupleraient en peu d'années ses richesses, et feraient bénir, sur tous les points de la France , la monarchie constitutionnelle. Leur ouvrage est donc à la fois zational et euro- péen ; il est de plus essentiellement religieux en ce qu'il montre sans cesse au milieu de l'U- nivers une puissance divine qui fait luire son soleil sur le. Juif comme sur le Chrétien, sur * # CP.” 134 ANNÂLES l'Ido!latre comme sur le Mahométan. Le Gou- vernement a puisé dans ces ANNALES , la ma- tière de cinq questions majeures qu'il a adres- sées à tous les préfets et à toutes les Sociétés savantes du Royaume. Les solutions départe- mentales sont soumises, en arrivant à Paris, à l'examen de l'Académie royale des sciences, chargée d’en rendre compte, et traitées éga- lement par les auteurs de ces ANNALES, qui ont provoqué ces savantes et importantes dis- CUSSIONS ». (we) OT EUROPÉENKNES. 13 SUITE DES RÉPONSES DÉPARTEMENTALES AUX QUESTIONS POSÉES PAR LE MINISTÈRE SUR LA SITUATION PHYSIQUE DE LA FRANCE. Département du Jura. I, existait, il y a trente ans, sur la surface de ce département environ 168,000 hectares de bois, dont 83,700 dans la montagne , et 84,300 dans la plaine. Il n’en reste plus aujourd’hui qu'environ 141,370, dont 64,570 dans la par- tie élevée , et 76,800 dans la partie basse. Mais il y a 6o ans on comptait, à ce qu'on assure, 217,480 hectares ; il en a donc disparu pendant ce laps de temps 76,110 hectares. Sur les 141,370 hectares qui restent, le Gou- vernement en possède 33,559 ; les communes et les particuliers se partagent le surplus. Les forêts de la plaine sont formées d'arbres de différentes essences, dans lesquelles lechène domine; celles du premier platéau offrent, avec le chêne , le hétre et le charme , quelques sa- pins d'une médiocre qualité et d'une faible 136 ANNALES éducation. Sur le deuxième plateau, les mêmes essences se rencontrent, mais le charme y est plus rare et le sapin plus multiplié. On \ ‘voit beaucoup de buis qui autrefois venaient d'une:grosseur et d’une hauteur surprenantes. Ces bois, que l’on coupe aujourd’hui si jeunes, que la belle espèce s’en est perdue, ont ali- menté long-temps les ateliers des tourneurs de Saint-Claude, qui sont contraints d'en aller chercher au loin et hors de cet arrondissement. Sur le troisième plateau, c’est-à-dire, dans la région la plus élevée du Jura , sont situées les plus belles forêts de sapins, et la plus belle espèce qu'il soit possible de trouver. L'immense abattis de 76,110 hectares de bois que l’on suppose avoir été fait dans le court-espace de soixante ans , et qui, suivant quelques habitants, n’a pas été aussi considé- rable, doit avoir exercé une grande influence sur la tenpérature. L'on est donc porté à croire, bien que le défaut d'observations météorolo- giques à l'époque où les foréts étaient encore intactes , .ne permette pas de faire des com- paraisons exactes, que l'irrégularité dans la température qui caractérise le cZimat du Jura, la fonte brusque des neiges , la sécheresse, les débordements et le dessèchement alternatif des rivières , l'entrainement par l'effet des pluies é EUROPÉENNES. 137 d'orages, des terrains assis sur des bancs dé- clives , sont dus , en grande partie à la destruc- tion des foréts du département ou de quel- ques vastes contrées voisines. Que l’on consulte la tradition ou l’inspection des lieux, on ne peut méconnaitrela diminution progressive des eaux courantes. Les sources de certaines rivières et leur niveau actuel sont au-dessous des dépôts qu’elles ont formés jadis. L’Ain, la Bienne et la Valouze, qui arrosent des principales vallées du département, sont en beaucoup d’endroits encaissés par des atté- rissements de sable et de pierres roulées qui s'élèvent de dix, de quinze et même de vingt mètres au-dessus de leurs eaux moyennes. Les lacs ont diminué de profondeur et d’étendue ; la plupart des fourbières sont évidemment le fond d’anciens réservoirs incomplètement des- séchés. Un des effets immédiats du déboisement des montagnes est le débordement des moindres ruisseaux après quelques heures de pluie, et le dessèchement presque total de leur lit après quelques beaux jours. Dans le premier cas, la terre végétale est entrainée sans retour dans les bas-fonds ; dans le second , la vase en contact avec l'air atmosphérique y verse des miasmes dangereux. | 138 ANNALES LD Si l'on ne peut assurer que les vents aient éprouvé des changements très-sensibles, quant à leur violence et à leur variation, on a re- marqué du moins que celui du Nord est de- venu frès-malfaisant depuis quelques années. Il a fait éclater d’affreux ouragans, lancé une forte grêle, qui ont détruit les récoltes, renversé les habitations et des milliers d’ar- bres. En résumé, il semblerait nécessaire , dans l'intérêt de la salubrité publique et de lagri- culture , non-seulement de prévenir la dégra- dation ultérieure des foréts, mais encore de les rétablir sur les terrains montagneux et stériles qu'elles couvraient autrefois, et où les avoit placées une sage prévoyance que l'homme n'a pas su respecter. Ces masses de verdure préviendraient les éboulements dans les pentes rapides, elles offriraient des abris aux cul- tures, entretiendraient les sources et les ri- vières dans un état plus constant d’abondance, et détourneraient sur elles-mêmes ces nuées fou- droyantes qui dévastent si souvent les plaines et les coteaux cultivés. REMARQUES. Cette description, quoique succincte , si- gnale un grand nombre de faits majeurs qui EUROPÉENNES. 139 justifient la sollicitude du ministère. On y voit clairement que la nature est battue en ruine, qu’elle a déjà perdu et perd succesivement dans le Jura, comme dans tous les pays montagneux, ses premiers éléments d'abondance. Nous allons arriver au département du Lot, dont la des- cription , faite dans un esprit visiblement pré- venu, a besoin d'être accompagnée de nos, observations placées en regard du texte pour défendre de notre mieux l’importante cause nationale dont il s’agit. " A" 10 ANNALES Département du Lot (1). 1° QUESTION, "A L Quelles foréts existaient dans le Département 2 Quelles sont celles qui ont cté abattues : ? 10. Si le département a possédé des férète, ce doit être à des époques très-reculées; la do dition n’a pas conservé le souvenir de leur existence. Le bois de la Luzette, situé dans la com- mune de Souceyrac, était le seul espace cou- vert d'arbres & hautes futaies qui méritât le nom de forêt, encore n’avait-elle que 1,500 hectares d’étendue. Le sol qu’elle occupait est élevé d'environ 290 toises au-dessus du ni- veau de la mer. 1l touche au département du Cantal, et occupe la partie la plus orientale du département du Lot. Il y croissait principa- lement des hétres, des chénes , des peupliers- trembles , des bouleaux, des châtaigniers sau- vages et des mérisiers ; mais les deux premières essences étaient que nous avons sous les yeux, y répondent pleinement, Ce mérite nous a frappés, accoutumés que nous sommes à n'accepter les promesses des pros- Peclus que moyennant un escompte. Le choix des matières traitées dans ce Jour- nal , le talent d'observation dont les auteurs font preuve, et le charme qu'ils savent ré- pandre sur tous les sujets , rendent la lecture des Annales Européennes aussi agréable au simple amateur, qu'intéressante pour l’homme instruit. D dd AUS MANS (1) On ne retrace pas ici l'introduction qu’on cite, parce qu’elle est placée en tête du premier cahier de ces ANNALES. 258 ANNALES Honneur aux propagateurs des lumieres , jaloux de faire servir la science à la conser- vation des titres de noblesse de l’espèce hu- maine | C. MonnaRT, professeur. EUROPÉENNES. 259 SUITE DES RÉPONSES DÉPARTEMENTALES AUX QUESTIONS POSÉES PAR LE MINISTÈRE SUR LA SITUATION PHYSIQUE DE LA FRANCE. Département du Gard (1). Voici d’abord ce qui a été dit en substance sur ce département, par l'administration, en 1792, et par M. Dubois, préfet, en 1804: « Les bois deviennent de plus en plus rares, et les forêts du département n’offrent plus que de vastes garrigues (landes et bruyères ). » L'olivier était d’une grande ressource pour les propriétaires ; mais les hivers rigoureux qui se sont succédés depuis 1789, ont détruit (1) La haute importance de la cause qu’on traite 1@1 dans l'intérêt public, exigera souvent la répétition de faits essentiels , comme de tout ce qui peut avoir été dit ou observé à différentes époques sur le même sujet. On a cherché à caractériser par des notes marginales ce que ces réponses contiennent de plus remarquable. 260 ANNALES la plus grande partie de ces arbres, et le reste est sans force et sans vigueur. » L’olivier semble aujourd’hui vouloir se dérober à un climat devenu beaucoup plus rigoureux qu'autrefois. On ne recueille pas, dans ce moment, la dixième partie de l’huile que ce département produisait autrefois. » Les forêts et les plantations arrétent l’im- pétuosité des vents du nord... Les immenses forêts qui nous garantissaient autrefois sont abattues , et la perte prochaine de nos oliviers en sera la suite inévitable. » M. Dubois dit : « Je n’ai jamais conçu qu'un pays aussi chaud et aussi insalubre , dans quelques localités , füt autant dépourvu d’ar- bres. Le territoire de Nimes est dans ce cas. On n’imagine pas comment une ville, qui a pris son nom des bois qui l’entouraient, n'offre plus dans son voisinage que des gar- rigues stériles, dont l'aspect afflige le bon ci- toyen, etc., efc: » Réponses Tout indique que le département était an- LU ss ciennement très-boisé ; les plus hautes mon- par le mi- {agnes des environs d’Alais et du Vigan, en “ère. partie dépouillées d’arbres aujourd'hui, étaient couvertes de sapins , de pins, de hétres, de chätaigniers ; les vieux chênes qui se trouvent isolés dans nos champs, et ceux qui couronnent EUROPÉENNES. 261 les hauteurs voisines, ne formaient qu'une seule forét ; sur les élévations moins considé- rables étaient les bois de chènes-verts. Il y en a encore d'assez étendus. Les landes et les col- lines, qui forment une partie considérable de ce département, et ne produisent que des chènes-kermès (1), des bruyeres , des buis, des cades et quelques buissons, étaient jadis des bois impénétrables , et les noms vulgaires de quelques cantons, de vieux actes , et la tra- dition, en indiquent encore là où 1l n’en reste plus de traces. Indépendamment des causes générales de destruction , j'en puis citer de particulières à ce pays. Sur les rives du Gardon et du Ga- leizon , qui se réunissent à une lieue au-dessus d’Alais, on voit les ruines d’une douzaine de forges, dites martinets, qui ont travaillé, pendant quatre siècles , le fer de cette contrée avec le charbon de bois. Elles ne cessèrent que lorsqu'il n’y eut plus de combustibles pour les entretenir. (r) Nous avons démontré dans la 5e livraison, page 4, combien il serait utile et avantageux pour la France, de propager ce chène vert dit kermès , sur lequel on recueille la cochenille indigène , reconnue supérieure à celle qu'on tire à grands frais de l'Amérique sud. Les forêts ruinées par les forges, et celles-ci rui- nées à leur tour par la destruction des bois. 262 ANNALES Le châtai- Dans plusieurs communes de nos Cévennes. sir PROS] y avait naguères des jkousghièires considé- pérait en Suq masse de fo- rables. C’étaient originairement des foréts de ss F. châtaigniers coupés ras de terre ; il s'élevait de qu'ilestisolé leur souche une infinité de reietons , qu’on et sans abri. exploitait en coupes réglées; on choisissait les plus droits, on les élaguait, et tous les cinq ans , on les coupait pour fabriquer des cercles de tonneaux ; 1l en descendait annuellement plus de. . . . . charges dans la plaine; on en fournissait à tous les pays de vignobles. Depuis quelque temps , cette fabrication est tombée : on emploie beaucoup de cercles de fer, et les Cévennois greffent leurs jhousghièires, mais pour convertir la forêt en verger, comme le dit Olivier de Serres. On ne conserve qu’un très-petit nombre d'arbres ; et, dans quelques expositions, les gelées, auxquelles le sauvageon résistait, font périr le châtaignier franc; les vents , qui ont plus de prise sur des arbres touffus et séparés, les renversent ; la terre ameublie, soit qu’on ait arraché les souches, soit qu'on les ait laissées pourrir , est entraînée par les torrents qui sillonnent la croupe de la montagne ; il ne reste que quelques arbres, sur un terrain escarpé, là où nous avions des taillis très-fourrés. Surlere Jene parlerai point de la fabrication du an EUROPÉENNES. 263 et du charbon, indispensables à notreindustrie; joisement de la quantité de bois employée pour la char- des terrains pente et les autres arts, et pour le chauffage. Re Avec une bonne administration , en replantant les endroits qui en sont susceptibles et qui souvent sont peu propres à d’autres cultures , nous aurions dans le Gard de quoi subvenir à tous nos besoins. Presque toutes les montagnes de ce dépar- Efrets na- tement sont encore plus ou moins boisées , turels qui mais elles sont totalement dépourvues d’arbres Vs 3 5 de haute futaie, qui seuls pourraient, d’un hautes fu. côté, attirer l’humidité, et s'opposer, de l’autre, à l’irruption des ouragans et des vents septen- trionaux qui désolent ce climat. La destruction successive de ces belles et nombreuses futaies doit être attribuée en partie au défaut d’un bon système d'exploitation, à l'immense consom- mation qu'’exigeait l'établissement d’une dou- zaine de forges , dites martinets, qui ont tra- vaillé successivement , pendant quatre siècles , dans l'arrondissement d’Alais ; à celles des mines de Villefort, et principalement à l’intro- duction hâtive des troupeaux dans les jeunes taillis. On ne sait que trop combien en effet, combien la dent des bêtes à laine est funeste à l'accroissement des bois ; mais il serait presque impossible de détruire aujourd'hui cet usage 26/ ANNALES sans nuire essentiellement aux progrès de l’a- griculture, dont les troupeaux forment la prin- cipale richesse. (| di Effeu dudc. Si les pluies sont plus rares qu’autrefois dans frichement ce département, en revanche, les orages ysont des monta- : ; s nes pluscommuns, et surtout plus violents, ce qui produit annuellement une chute d’eau à pen près égale en quantité. En détruisant,. défrichements inconsidérés , les bof p ; sur la pente des montagnes ou des collines, on a accéléré lecomblément des lits des torrents dans lesquels les orages entraïinent les couches de terre végétables nouvellement mises en culture , et l’on a contribué , en même temps, à diminuer la quantité d'eau dont le séjour: aurait alimenté des sources qui, autrefois , ne tarissaient jamais, et qui sont aujourd hui à sec durant une grande partie de l’année: va Interverson De tous les vents qui soufflent dans le Gard, arrivée dans celui du zord est le plus fréquent; il paraît noie fe plus violent et plus froid que dans le siècle dernier. Le vent du midi ne présente aucune variation, si ce n’est dans sa durée , qu est moins longue qu'autrefois. Pour remédier effi- cacement aux nombreux inconvénients résul- tant de l’état actuel des choses, l’on pense quil serait nécessaire : 1°, d'interdire absolument tout défrichement quelconque dans les forêts vents. EUROPÉENNES. 265 où dans les bois de ce département, qui ap- partiènnent à l'Etat ou aux communes ; 2°, de favoriser, par tous les moyens possibles, la. replantation, la reproduction et l'aménagement des bois de haute futaie, non-seulement sur les montagnes les plus élevées, mais méme sur celles qui le sont le moins ; 3°, de recommander en Conséquence le semis de glands de chêne blanc, dont l'essence se plait encore mieux dans ce département que celle du chêne vert, qui résiste difficilement à deux révolutions de vingt années , et n'y devient presque jamais un arbre de haute futaie. On demande quelle influence la différence d’abri exerce sur le systéme météorologique du département ; si les pluies, la neige , la grêle ont été plus où moins fréquentes ; si les vents ont été plus violents, plus malfaisants que dans les siècles derniers , lorsque la France était mieux boisée. Nous n'avons point d'observations météoro- Altération logiques assez anciennes, mais tout porte Los Qué Pératures et croire que la température a changé avec lesi.. be NN causes qui, irContestablement, la modifient. ves locales. Quelques vieillards citent des sources laries ; ils ont vu des prairies dans des champs dessé- chés aujourd’hui par le soleil ;: ils assurent que, dans leur jeunesse , les hivers étaient 1. 18 266 … ANNALES moins rigoureux, les étés moins chauds; et que les changements de temps’ se faisaient moins brusquement ; le tonnerre et la gréle étaient rares , disent-ils , et les débordements des rivières si extraordinaires, que l’inonda-, tion du Gardon , en 1741, fut appelé Ze petit déluge. Heureux JL Y en a qui vont jusqu’à prétendre que les effets que récoltes étaient meilleures , et qu'on ne con- àj as naissait pas quelques maladies aujourd'hui grands ar- Assez Communes. Il est certain que nos mon- Prfe- tagnes , couronnées d'arbres , étaient des abris contre les vents du nord, brisaient , divisaient les ouragans les plus impétueux , arrêtaient les vapeurs charriées par les courants qui vien- nent de la mer; que le soleil était moins ré- fléchi par la verdure, qu'il ne l'est par nos roches granitiques , schisteuses et calcaires ; qu'entre les couches d'air échauffées par ses rayons, au-dessus des arbres, et l’ombrage frais de la couche, au-dessous de leurs ra- meaux, 1l s’établissait plusieurs courants qui entretenaient une clmature plus égale. Fonctions On connaît parfaitement les fonctions des animées et feuilles pour purifier l'air et absorber /’humi- Lg dité , et il est constant que l'air est plus sain, bres ont qu'il y a plus de fraicheur , que les sources remplies. ne tarissent pas en été dans les pays boisés et, y EUROPÉENNES. 267 que l'hiver y est plus tempéré. Il paraît éga- lement sûr, quoiqu’on ne puisse pas aussi bien le prouver, que les arbres servent de conducteurs électriques entre la terre et les nuages ; il ÿY avait peut-être plus d'équilibre entre ces deux réservoirs d'électricité, lorsque les moyens de communication étaient plus nombreux, par conséquent les Phénomènes atmosphériques étaient plus réguliers , et il devait y avoir moins souvent des orages , de la gréle, des pluies extraordinaires, et de grandes inondations. | Département de Vaucluse. Le sol forestier du département de Vaucluse se composait encore, il ya trente à quarante ans, de 77,815 hectares de bois, sur lesquels il en a été rasé ou défriché depuis, 23,362 ; il n'y reste par conséquent plus en nature de , bois que 54,453 hectares (x). Les deux forêts communales d'Orange et de Ant Château-Neuf ont été entièrement ou rasées sement d'O- range, ————— (1) On à cru devoir supprimer ici la description détaillée, très-bien faite, de tous les bois de ce départe- ment, et ne présenter au lecteur que les observations physiques fort intéressantes , qui fortifient le haut intérêt des sujets que nous traitons dans ces ANNALES. 18. 268 ANNALES ou défrichées. Il n’y reste plus que quelques kermès et quelques touffes de chênes verts qui paraissent de loin en loin, comme témoins de la dévastation qui à détruit la forêt; mais cette dévastation s'est opérée ou a commencé bien avant la révolution. Des forêts sont complantées dans la partie basse en chênes verts et chénes-blancs; dans la partie haute en sapins et hètres. La montagne de Veutoux, sur laquelle elles sont situées, s'élève jusqu’à 800 toises au-dessus du niveau de la terre. La portion en chênes. verts et chênes blancs ne s'élève que jusqu’à 300 toises environ, et celle en sapins, jusqu’à 600. La crête de la montagne est entièrement dépouillée de toute plante. L’olivier etle muürier ne peuvent y croitre à plus de 200 toises de hauteur , et le chêne vert à 300. Il est certain que dans des époques reculées, là où il se trouve encore aujourd'hui des vestiges de bois, existaient autrefois de belles forêts ; mais ces temps sont bien antérieurs à, la révolution. | Arrondis. La partie basse complantée en chênes verts ne et chénes blancs s'élève jusqu’à 300 toises au-dessus du niveau des terres ; la partie haute complantée en hêtres, jusqu’à 600 et même 700 toises. Le sommet est nu. EUROPÉENNES. 269 Les parties les plus basses de ces forêts, soit par leur situation, soit par leur élévation, se trouvent dans une région qui peut être cal- culée à quatre degrés au moins de latitude plus au nord que le restant du départe- ment (1). L'amandier y croit encore avec peine; mais le mürier et l'olivier ne pourraient 5’y éléver. La partie élevée se trouve à 600 toises au- dessus du niveau des terres, et cette élévation, aussi bien que la situation de ces forêts, les place dans une région extrêmement froide. Le chène vert ne saurait y croître, et l’on peut les calculer dans une zone à 8 degrés de latitude plus au nord que la plaine. Ces forêts sont celles de tout le département qui ont le plus souffert pendant la révolution. A Soult, la forèt de Dessend à été rasée. À Monnieux, les habitants, sous prétexte de leur droit d'usage, ont tout rasé. À Aurel, une grande partie aussi a été détruite. À Saint- Christal, quelques administrateurs sages ont préservé la forêt de la dévastation. (1) Il est physiquement certain, que l'exposition et l'élévation influencent les climatures locales : d’où découle la possibilité de les modifier, pour l’avantage des cultures et des habitations. Arrondisse- ment d’Apt. NA 270 A NNALES Les forêts sont complantées en chênes verts, chènes blancs et pins résineux. Dans leur plus grande élévation, elles sont à peine à 200 toises au-dessus du niveau des terres. Les parties les plus élevées sont en- viron de 2 degrés de latitude au nord plus froides que le restant du département. Cependant, dans les vallées, l'olivier et le muürier y Croissent encore: Elles sont complantées en chènes verts, chénes-blancs et foyards. Quoiqu’elles ne soient pas plus élevées que celles qui se trouvent sur le penchant sud de la même montagne, ce- pendant la température y est plus froide, les chênes verts y souffrent dans les hivers ri- goureux, et l'olivier et le murier ne sauraient y croître à de certaines hauteurs (1). Il paraît qu'autrefois les iles de la Durance étaient toutes complantées en peupliers, oziers, saules et vernes. Il s’y trouvait même des parties où les peupliers étaient gros et bien fournis ; mais ces bois ont presque partout é rasés, soit qu'ils appartinssent à des particuliers, soit qu'ils appartinssent aux communes, parce (x) Cet effet procède de la différence d’exposition et du trop libre courant des vents froids , dont les barrières ont été détruites sur les hauteurs voisines, EUROPÉENNES. 271 que le sol deces iles était, en général, formé de terres végétales de bonne qualité. Elles of- fraient une proie au défrichement ; elles con- tiennent environ 3177 hectares. Quant aux bois des particuliers, ce qui a beaucoup contribué à les faire disparaître, c’est l'avis du Conseil d'Etat du 19 brumaire an IX, qui, sans égards pour les principes posés par l’ordonnance de 1669, a dit que, méme en fait de bois, le droit de propriété était celui d’user et d’abuser. Les forêts ont été destinées par la nature à modérer les effets des météores, c’est ce qui est prouvé par divers ouvrages, et surtout par le mémoire du sieur Bertholon, sur l’é- lectricité des végétaux. Duhamel et D'hozier nous ont appris que la nature déploie dans la haute végétation des forces qui ont la puissance de modifier et de changer les substances élémentaires. Le déboisement des extrêmes coteaux qui longent les rivières de l’Ouvère; le rasement des bois d’'Uchaux, la disposition dés bois de Mont-Dragon, la Gardée-Puriol; la dévastation des bois de Châteauneuf; de ceux qui se trouvaient sur l’ancienne garique d'Orange , ont rendu dans cette partie les vents beaucoup plus impétueux et plus nuisibles, lorsqu'ils Météores. Vents. Effet local 272 ANNALES soufflent dans les mois de février et de mars après les gelées; ils enlèvent dans les plaines la superficie des terres et l'espoir des récoltes. Quelquefois, après ces orages, on est obligé de réensemencer les terres, parce que les jeunes plants n’ont pu résister à leur impé- tuosité. Les déboisements des extrêmes coteaux de Ja montagne du Luberon, qui longent la rivière de Durance, arrondissement d'Avignon et d’Apt, celui des îles de la Durance, ont pro- duit les mêmes effets; surtout dans les plaines de Cavaillon. Le déboisement d’une partie de Fr forêt que produit J’Aurel a ouvert un passage au vent du nord : l’introduc- tion des vents nou- veaux dans un pays. il s'introduit sans obstacle dans la vallée du Sault. Et, depuis lors, les hivers y sont plus rigoureux et se prolongent davantage : la- mandier, qui donnait autrefois un grand pro- duit dans cette vallée, ne porte plus son fruit à maturité ; à présent une année SUT quinze. En général, les vents, ne trouvant pas d’arrêts le long et aux bords des rivières, en- lèvent les sables qui se trouvent dans leur lit, les transportent dans les plaines, et les dé- posent dans les fonds, où les plantations cul- tivées les arrêtent ; rendent les terrains moins féconds et y font quelquefois des amas si con- EUROPÉENNES. 273 - sidérables, qu’ils les rendent tout-à-fait stériles et en chassent le cultivateur; la fréquence des vents et le défaut d’abri empêchent encore les effets bienfaisants de la rosée, et enlèvent ainsi aux plantes un des moyens les plus actifs de la végétation. L'équilibre du fluide électrique, la régu- larité des pluies et de la rosée, sont dus aux forêts qui couronnent les montagnes. Les vieillards assurent, disait M. Bourdon de Vatry, préfet de ce département en 1503, en parlant des défrichements des montagnes, qu'autrefois les vents du couchant apportaient souvent des pluies en été : ils soufflent à la même hauteur; ils s’entre-choquent : et, de là, naissent les ouragans. Pluies. La quantité d’eau qui tombe, d’après les re, plriés observations qui ont été faites, est à-peu-près sont plus ir- la même qu'autrefois. Cependant on a remar- qué que les pluies bienfaisantes du printemps p régulières et les orages lus multi- et de l'automne étaient moins fréquentes , Pliés: tandis que les orages se multipliaient et deve-. naient plus terribles dans les extrêmes Saisons. Cette observation surtout à été faite dans les parties où se trouvaient les forêts les plus élevées : dans l'arrondissement d'Orange, par l'effet des déboisements qui ont eu lieu sur les penchants nord du Mont Ventoux; dans 274 ANNALES l'arrondissement de Carpentras, par les déboi- sements de deux penchants du Mont-Ventoux; dans l'arrondissement d’Apt, par le défriche- ment d’une partie de la forêt de la Garde. Eflet des En 1818, dans le mois d'août, un orage ter- orages a rible fondit sur la vallée du Sault, et sur les nr communes de Villes-Méthorin et Vénasque : montueux, tous les vallons formaient autant de torrents qui entrainèrent dans la plaine les rochers et les graviers des montagnes : les prairies qui sont au fond de la vallée du Sault furent toutes ravagées, ou couvertes d’un pied de gravier. Le territoire de la commune de Villes fut en- tiérement bouleversé, des habitations em- portées et les bestiaux submergés. Le torrent de la Nesque déracina tous les arbres que se trouvérent sur son passage. Cause réelle De mémoire d'homme on n'avait vu , dans de l'effet dc- cette partie, un orage aussi affreux , et qui pire eüt produit d'aussi funestes effets. On en at- tribue la cause au rasement des forêts de Mou- . mieux ; à celui d’une partie de celles de Sault. Et sans doute, si ces forêts eussent encore existé, quand même l'orage eût été aussi fort, elles en auraient diminué les ravages, en ar- _rélant l'impétuosité des eaux, en les’divisant ; el paralysant ainsi leurs efforts. | Bieufait des Le mont Ventoux et la montagne de la EUROPÉENNES. 275 Garde étaient autrefois couverts de neige une neiges’ lors partie de l’année. Ces neiges se fondaient peu- a à-peu dans le printemps et dans l’été, et , pois. filtrant dans le sein de la montagne, fournis- 3 saient des sourccs abondantes qui venaient féconder la plaine. Le déboisement d’une partie de ces mon- Fonte au- tagnes ayant rendu les saisons plus extrêmes, A les neiges y tombent et s’y amoncèlent, en des neiges. automne et en hiver, en masses plus consi- dérables; mais elles se fondent plus rapidement et presque subitement , de sorte qu’au lieu d’alimenter les sources, elles ne forment plus, dans leur fonte rapide, que des torrents qui viennent désoler la plaine. C’est sans doute ce qui a fait tarir une partie des fontaines de Mormoiran et de Methauis, dont les habitants sont souvent obligés d'aller bien loin , dans les parties les plus basses de leur territoire , chercher une eau moins saine. On a remarqué encore que la grèle était La fré- F : 7 rs: uence de plus fréquente dans les parties déboisées , et T° 3 \ k la grêle même dans la plaine. Cette année , au mois de remplace les juillet , un orage affreux est venu fondre | dpérie Le su 1ers, la plaine d'Avignon. La gréle, qui tombait de la grosseur d’un œuf de pigeon, a détruit, dans un espace de quatre lieues carrées, les 276 ANNALES vignes , les jeunes plantations , et jusqu’au fourrage. Cet orage était poussé par le vent de sud-est. Certainement , si les montagnes qui bordent le Rhône, du côté du département du Gard, n'avaient pas été dépouillées, et qu’elles eussènt été, comme autrefois, couvertes d’ar- bres tres-élevés, les nuages seraient venus se briser contre leur abri, et la plaine aurait été préservée. Krégularité Les pluies douces étant moins fréquentes, Ps COM Jen) Honbet es ÉNOTLÉS abondantes, et les orages plus répétés et plus considérables , les rivières deviennent nécessairement moins régulières d’eau, dans leur cours , leur crue plus forte et plus facheuse. Les crues excessives de la Durance, qui ont porté la dévastation à droite et à gauche, ne doivent pas être entièrement attribuées au dé- boisement des montagnes de ce département, mais il y a beaucoup contribué, Maux «Le déboisement des bords de la riviere a pertes que évidemment occasionné son envahissement sur cause l’irré- DA 3 A gularité 4e, NOtre territoire. Celui des extrêmes coteaux de cours d’eau. [a montagne du Luberon, depuis l'extrémité du département jusqu’à Cavaillon, a occasionné le ravinage du territoire de Lauris, Lepuget, Merindol et Cavaillon. A Merindol et Cavaillon surtout , la Durance a envahi presque toute la EUROPÉENNES. 277 plaine. Les crues rendent les irrigations plus difficiles, rompent les prises qu’on y a faites pour l'irrigation des canaux d'arrosages , et souvent on a remarqué que les rivières d'O- rigues et de Louvère, qui traversent l’arron- dissement , avaient aussi des crues plus fré- quentes depuis le déboisement des montagnes riveraines ; qu’elles étaient habituellement moins fournies d'eau, ce qui occasionne une grande perte pour l’agriculture , parce que les arrosages ne sont plus aussi abondants. Les crues des rivières , étant plus rapides et plus considérables , donnent des inondations plus funestes. Les deux plus fortes qu’on ait remarquées , dans ce département, sont celles qui eurent lieu en 1755 et 1800. En 1955, les eaux s'élevèrent à une hauteur plus considé- rable ; mais on a remarqué qu’à cette époque, les digues d’Arles résistèrent, ainsi que celles de Tarascon , tandis qu’en 1800 , elles furent rompues , et, s1 cela n’était pas arrivé, les eaux se seraient élevées beaucoup plus haut, Le déboisement des montagnes, non seule- Les inon- ment rend les inondations plus fréquentes et VF ; plus considérables, mais encore bien plus destructives, nuisibles. Les eaux, en descendant des mon- SR tagnes , au lieu d’entrainer des parties de terres qu’elles mélées de feuillages et d’herbes propres à en- “#1 278 : ANNALES graisser la plaine, n'entrainent plus qu'un gravier aride et des cailloux dont elles en- combrent les terrains inondés. C’est ce dont on a fait la funeste expérience dans la vallée du Sault, dans une partie de l'arrondissement d'Orange et dans celui d’Apt. Pertes faites Deux époques ont été fatales aux oliviers cvoliviers. ans ce pays, 1789 et 1819. L'huile était autre- fois un objet d'exportation, aujourd’hui on n’en récolte pas pour la consommation. On attribue le dépérissement des oliviers, disait: M. de Vatry, aux dévastations des bois dont les hautes montagnes étaient couvertes. Véritable cause de ces protégeassent contre ces redoutables vents du ed nord qui, maintenant, arrivent sans obstacle, chargés de tous les frimas des régions bo- réales. Les parties du département qui ont le plus souffert à cet égard sont l’arrondissement de Carpentras et l’arrondissement d’Apt. Tous les bas coteaux de Luberon, dont le penchant sud était couvert d’oliviers qui ont péri; dans ce désastre, la malheureuse commune de Me- rindol a le plus souffert. En 1789, le froid dura plus long-temps; mais, en 1810, la gelée fut plus forte. Si elle eût duré autant qu'à la première époque, il n’eüt pas resté un seul On ne saurait douter, en effet, qu’ils ne les " EUROPÉENNES. 279 olivier dans tout le département, et le mürier lui-même eût beaucoup souffert. On a remarqué même que le déboisement. souffrance des montagnes amenait plus souvent des gelées du mürier. tardives qui détruisent les nouvelles pousses des müriers et nuisent à la récolte des vers à soie, l’une des plus précieuses du département. L'amandier , arbre indigène, ne porte plus, Souffrance dans les parties froides du département, qu’une nd Fan année sur quinze, ainsi que je l’ai dit pour la vallée du Sault : et en général, depuis le déboisement des montagnes, on ne peut comp- ter qu’une récolte sur cinq ans. La multiplication des chenilles et des autres Iasecte et insectes est aussi attribuée au déboisement de ‘herille nos montagnes et de nos collines. Autrefois, on n’échenillait point en Provence et dans le Comtat, et cependant les chenilles ne ravageaient point nos amandiers. À présent, malgré l’échenillage , souvent les chenilles détruisent les récoltés d'amandes de l’année, et elles mettent les amandiers dans un état si maladif qu’ils ne peuvent pousser le bouton à fruit pour l’année d’après. Plus le dépeuplement du bois augmente, et plus nos fèves, nos artichaux, nos pêches et nos arbres à pepins sont maltraités par les pucerons. “ Engrais. Moutons. 280 ANNALES Ÿ Tout lé monde sait que les insectes couvrent l'extrémité des jeunes pousses de ces arbres ; qu'ils en font recoquiller les feuilles ; que le fruit tombe; que, les boutons n'étant plus protégés par les feuilles qui se dessèchent , ou qui tombent, l'arbre ne donne pas de fruits l'année d’après. On dira que ces différents insectes se sont multipliés parce que le nombre des oiseaux diminue chaque année; mais, comme je crois pouvoir avancer que les oiseaux se réfugient dans les bois, pour éviter l'arme du chasseur, ou les filets de l’oiseleur; ils y placent leurs œufs, et les enfants de la campagne les y dénichent moins facilement. Ainsi le dépeu- plement des boïs, en causant le dépeuplement des oiseaux, occasionne nécessairement la multiplication des insectes et des chenilles. J'ai vu en 1802, dans les forêts de chènes blancs de Villes, Mormoiron et Méthanis, tous les arbres attaqués par des chenilles ; ce qui ne s’est plus reproduit depuis que les forêts’ ont été restaurées et qu’elles sont plus élevées et plus fournies. L'agriculture n'a, dans ce pays, : d’autres moyens d'engrais que ceux que lui fourtiissent les bêtes à laine. L’herbe, dans ces'contréés , est trop rase, le sol forestier, trop graveleux à dv < EUROPEENNES. 261 et caillouteux pour que les bêtes au mailler Puissent Sy nourrir; mais le climat étant en général sec et brülant, l'herbe ne croît qu'à la faveur de l’ombrage et de la fraîcheur u'entretiennent les bois sur les montagnes. Leur déboisement à donc, sous ce rapport, fait perdre beaucoup à l'agriculture, On calcule que cinq moutons Peuvent se nourrir dans un hectare de bois ; Chacun d’eux rend à son Propriétaire, Par Sa croissance, les engrais qu'il fournit, ou la laine qu'il donne, cinq francs par an. Ainsi, si nous avons perdu 23,365 hectares de bois, ce déficit enlève dans ce département un revenu de 116,810 francs. On doit ajouter que, sans le secours des engrais fournis par les bêtes à laine, il y a des côteaux et des comm unes dont on serait obligé d'abandonner les biens TUTAUX; perte qui ne saurait être calculée dans la même Proportion. Telles sont les observa- tions qu’on a pu recueillir sur les déboise_ ments de ce département et les effets qu'il a Pu produire, mr. L 19 262 ANNALES Réponse du Département des Vosges (1). Dérange- On remarque des perturbations singulières PAT T dans l’ordre des saisons : souvent, surtout en marche des l'année qui vient de s’écouler , la température saisons. de différents mois a été intercalée; le mois précédent offrant celle du mois qui suivait , et réciproquement. Enfin, on a essuyé, surtout en 1819 eten 1821, des orages extraordinaires par leur inflammation, leur durée, leur fré- quence et leur force : des ouragans analogues à ceux des pays chauds. Perte ré Si tant de blés ont été gelés pendant Fhiver den 4 de 1820 , on doit attribuer cet effet à l'absence neiges. de la neige, et non à la violence du froid qui ne s’est porté qu'à 8 degrés; partout où il était resté de la neige, les grains étaient superbes. À Bruyères, par exemple, le vent de l’ouest est beaucoup plus violent que partout ailleurs , parce qu'il arrive contre cette ville , en suivant la longue vallée de la Vologne. Do (r) Cette réponse, intéressante dans toutes Ses Par- ties , étant trop volumineuse pour être insérée ici dans son entier, on se borne à donner les passages qui répondent d'une manière directe aux questions posées par le ministère. EUROPÉENNES. 283 Les vents influent sur nos campagnes par Delin- leur vitesse et par l’abaissement toujours sen- pat sible et quelquefois très-vif qu’ils occasionnent PER ne dans la température. Cet abaissement, toutes la tempéra- choses égales d’ailleurs, suit la proportion de “*° la vitesse des vents, car 1l y a pour cause prin- cipale l'évaporation, est celle-ci et d'autant plus grande sur un point donné, que les couches d'air en contact avec ce point sont renou- velées plus promptement. Sous le rapport de la vitesse du vent, les bois situés en plaines sont à nos champs ce que les Aaïes, les murs de clôture sont à nos jardins ; ils abritent à une petite distance contre des vents faibles et modérés. Parmi- nos montagnes, celle d'Ormont se La fonte distingue par sa hauteur et sa vaste étendue : des neiges la ville de Saint-Dié est assise immédiatement del à son pied, du côté du midi. La masse im- les bois que mense de cette montagne domine presque tout + SRE : le val. Jusqu'en 1705, toute sa partie était nue ét en pâturages (Histoire de la ville et du val de Saint-Dié, par M. Gravier) ; aujourd'hui elle est partout couverte de sapins. Mainte- nant, c’est un fait assez généralement observé que, toutes choses égales d’ailleurs, c’est-à-dire à même hauteur et à même exposition, la neige se conserve plus long-temps dans les bois que 19, 28/4 | ANNALES surles lieux découverts ; elle se conserve donc plus long-temps sur Ormont à l'ombre des sapins toujours verts, que lorsque cette même surface jouissait du libre accès de l'air et du soleil; car ce sont surtout ces deux agens qui la fondent et la dissolvent. Change- Ces dérangements observés dans la marchet ment recon- actuelle des saisons ont pour cause principale nu dans les: ; : . Me LEE: l'empire presque exclusif aujourd’hui du vent du sud-ouest ; ensuite les défrichements prin- cipaux qui ont eu lieu remontent au com- mencement de nos troubles politiques, et dont les effets se sont rendus sensibles; les saisons ne paraissant dérangées que depuis 1816. Compa- C’est un fait qui n’est que trop constant que, Fu pi dans nos départemens méridionaux, la zone la Provence. deS oliviers, des figuiers, des orangers et autres arbres exotiques a changé depuis quel- ques années : voyons si l’on peut conclure de ce climat au nôtre. Il ne tombe pas de neige en Provence, il n'y a donc pas lieu à ce qu’elle se conserve outre mesure dans les bois de cette belle pro- vince, comme dans nos Vosges. L'existence de ces bois toute bienfaisante, n’y produisait donc pas, comme chez nous, des gelées tar- dives; mais seulement des abris que ne EUROPÉENNES. 28) fournissent plus aujourd’hui suffisamment, des côteaux devenus chauves par les déboise- ments incalculables que déplorent les Dralets, les Dugiers, et autres observateurs patriotes. 1l est bien rare que les pluies d'orage tom- Effet des bent paisiblement, bien trop souvent elles Re sont désastreuses. Les pentes rapides sont les jégichées. lieux les plus exposés à leurs ravages. C’est là que l'on voit les terres entraïnées avec les moissons qui les recouvraient; et les prairies ensevelies au loin sous leurs débris. Tel est le sort qui était réservé à un grand nombre de points de notre territoire. Anciennement, les montagnes des Vosges étaient presque partout couronnées de su- perbes forêts. Pendant la licence de la révolu- tion, et même déjà auparavant, on n’a pas craint d’abattre les forêts dans beaucoup de communes ; le sol très-peu profond, ameubli par cette culture imprudente, dégarni des racines et des plantes qui le protégeaient, a été bientôt entraîné par les averses impé- tueuses, et, pour deux ou trois chétives ré- coltes de seigle ou de pommes de terre, ces montagnes qui contristent aujourd'hui l'œil du voyageur lui-même, sont frappées d'une stérilité peut-être éternelle; car les vents seuls peuvent ÿ reporter des terres, Le roc resté à Observa- tions rela- tives ala grêle. 286 ANNALES nu , brisé et fracassé; tel est le spectacle hi- deux qu'offrent maintenant les deux vallées de la Moselle, dans une étendue de plus de trois lieues, depuis De jusqu'à Bussang , et depuis Vagney jusqu'à la Bresse; au lieu de ces paysages si frais et si riants, dont la simple copie est admirée dans la capitale. Le lit de plusieurs rivières s’est exhaussé ; leurs eaux, naturellement si limpides, ont été souillées par un sédiment impur que la moindre agitation élevait du fond et répandait à la ronde. Des étangs vastes et nombreux servaient jadis de récétibiile à ces eaux limo- néuses ; mais presque tous sont aujourd'hui supprimés et rendus à une culture qui a cessé depuis long-temps d’être avantageuse. à Comme les orages les plus à craindre nous viennent communément du sud-ouest, les territoires protégés dé ce côté par des mon- tagnes et de vastes forêts, sont peu exposés äux ravages de la grèle. En effet la présence du fluide électrique dans les nuages, et une très-grande abondance de’ ce fluide, estune dés conditions nécessaires à l'existence de ces cougellations. Or les arbres, surtout ceux situés sur des lieux élevés, soutirent ce fluide des nuages et lés nuages eux-mêmes ; ils diminuent donc le danger de la grêle. EUROPÉENNES. 287 Les habitants des communes ainsi protégés , aiment à entendre gronder long-temps sur les bois et sur les montagnes : que des détonnations sans nombre, que de terribles coups fou- droyants fassent tout retentir ; quils accu- mulent le fracas et les ravages sur ces lieux in- cultes et inhabités; ces secousses rétablissent l'équilibre entre les différents nuages ; entre ceux-ci et la terre : ils n’ont bientôt plus ces formes heurtées et menaçantes qui caracté- risent les nuages orageux ; fondus dans une couche uniforme , loin de donner de la grêle, tout leur effet se borne assez souvent à faire entendre quelques roulements de tonnerre de loin en loin, et à verser ces pluies tranquilles ét bienfaisanies qui surviennent ordinairement à la suite des orages. Enfin , il résulte des renseignements officiels parvenus dé quarante et une communes, dont les campagnes étaient ci-devant garnies d'un grand nombre d’arbres isolés, qu’elles ont éprouvé des gréles plus fréquentes et plus nuisibles depuis l’époque de 1790, à laquelle La grêle plus fré- quente plus étendue , depuis la di- minution des bois. tous ces arbres ont été abattus, qu'auparavant ; : c'est que les arbres isolés soutirent plus puis- sanment encore le fluide électrique que les forêts, par la même raison qu'une pointe unique décharge plutôt un conducteur qu'un Observa- tions rela- tives à Ja neige. 288 ANNALES faisceau de pointes. Aussi ces sortes d'arbres étaient-ils très - fréquemment frappés de la foudre, Point de neige nulle Part dans tout le mois de décembre 1818; même dans les montagnes des Vosges, même dans celles des Alpes. Il tomba de la neige pour la Première fois le 2x janvier 1810, et dès le 24 elle était fondue. Un demi-pied de neige le 1° janvier 1820 : elle était presque toute fondue le 5. Il survint alors un froid de 8 degrés, qui gela les blés en maints endroits ; une grande bise qui souf- fla depuis le 21 avril jusqu’à la fin du mois ; acheva de les détruire. Point de neige au premier janvier 1897, même dans les Montagnes : il en est tombé pour la premiére fois le 4 février , et elle a disparu en peu de temps par l'effet du soleil. La neige n'a commencé qu'au 6 janvier 1822; il y en avail trois pouces : elle a tenu jusqu'au 12. J1 en est tombé 3 autres pouces le 17, et déjà le 19 il n’en restait Plus que dans quelques coins ombragés et au nord. La cause principale de cette rareté de la neige paraît être Permanente du vent du midi. Anciennement , quand les vents du nord par- lageaient avec Jui l'empire des airs, et souf- flaient pendant quinze à vingt jours ; ils cou- EUROPÉENNES, 289 vraient, d’une couche épaisse de neige, des pro- vinces tout entières; ce qui refroidissait le vent du sud et l’amenait au-dessous de zéro. Il nei- geait alors par ce vent du sud ; mais aujour- d'hui qu'il règne à-peu-près exclusivement , rien ne le refroidit dans sa marche , et il paraît qu'il n'est pas assez froid de sa nature pour congeler l’eau des nuages. La neige ne tient plus, parce que la terre nest plus, comme autrefois, profondément gelée et refroidie. Les forêts favorisent l'accès des eaux plu- viales dans le sein de la terre:les branches des arbres , leurs rameaux flexibles , les feuilles innombrables qui décorent ces rameaux, di- visent , atténuent les gouttes, et retardent la vitesse de leur chute ; ces mêmes feuilles ; qui restent couvertes d’eau, la secouent ensuite au inoindre souffle, et produisent comme une seconde pluie après que la première a cessé. Tamisées ainsi , sur la surface du sol forestier , les eaux n’y subissent que peu d'évaporation à raison de l’ombrage et de la prompte saturation de l'air, qui n'est pas suffisamment renou- velée ; les arbustes, les buissons , les couches épaisses de mousses et de détritus de toutes sortes , s'opposent à leur écoulement sur la surface de la terre. Reste donc qu'elles s’in- Remarques relatives aux eaux cou- rantes. 290 ANNALES filtrent dans son sein , et cette infiltration est encore favorisée par les trous des insectes, le chevelu des racines, et plusieurs autres cir- constances qui rendent le sol perméable. De là, la pérennité des fontaines au bord des forêts , si peu que la pente du terrain favorise leur issue. \ Surles fon. Dans les montagnes , les fontaines sont peurs beaucoup plus communes et plus abondantes que dans la plaine. Fous avons remarqué que chaque grange avait la sienne ; nous ajoutons que dans un grand nombre de communes; ces granges font les deux tiers de la population. Elles y sont disséminées sur toute la croupe des monts ; implantées quelquefois jusque tout près de leurs sommets, partout ou ily a un petit coin de terre à mettre en valeur. Les plus grosses pierres sont transportées à grande peine et servent de clôture. Trois pouces de ga- zon, disposé sur le rocou sur lescaïlloux,etleau de la fontaine, dirigée avec art, forment bientôt un pré; un petit troupeau , bondissant sur ce pré ; un champ voisin, planté en pommes de terre ; tel est, avec le droit d'usage, dans les forêts , la fortune de la plupart des habitants de nos montagnes, et ils sont heureux! Leur bonheur tarirait avec leurs sources , et celles-ci avec les foréts. Ils seraient contraints EUROPÉENNES. 291 de porter ailleurs leur travail et leur industrie : sans forêts , point d'habitants. Les sources abondantes et volumineuses, Ganse de douces en hiver et si fraiches en été, qui ontla diminu- leurs réservoirs cachés à une grande profon- M deur , n’ont subi aucune altération. Parmi les autres, plusieurs de celles qui proviennent de terrains aujourd’hui déboisés, éprouvent une diminution notable et tarissent même souvent. Il y a plus; la simple présence des blés ou des jachères sur un coteau, produit une différence sensible dans les fontaines dérivées de ce coteau. Le résultat de cet état de choses n’est pas assez considérable pour influer, d’une taines, manière bien visible, sur les eaux des rivières; toutefois, on remarque une baisse évidente dans quelques petits ruisseaux. Celui qui étudie le cours des eaux dans le pe ce qui livre de la nature, dira qu'il ne s'échappe résulte des . x À pentes boi- point de torrents des forêts, même en pente |, de sees où (— rapide, ni à la fonte des neiges , ni à la suite boisées. des plus grandes pluies, lorsque ces forêts sont épaisses et bien garnies; sur les pentes déboisées et nues, l’eau ne trouvant point d'obstacles, roule comme sur un toit accéléré en vitesse et formedes torrents dont nousavons décrit plus haut les ravages. Les fontaines dela ville de Saint-Dié viennent Remarque notable sur 292 ANNALES ns, de la montagne Saint-Martin. Cette montagne taines. ayant été déboisée en 1701, les sources Gmi- nuèrent dans une proportion alarmante. On a fait replanter cette forét il y a quatorzeans, et les sources sont revenues avec les jeunes sapins. Le couvent des capucins d'Epinal jouis- sait autrefois d’une source très-abondante , venant d’un coteau voisin ; ce coteau à été dé- friché et n’est point replanté, la source a tari et n'est point revenue. Nous ne cesserons de le répéter: sans forêts, point d'habitants, surtout dans nos mon- tagnes. Plusieurs grandes contrées de l'Asie et de l'Afrique, que l'histoire nous représente comme très-fertiles et trés-peuplées autrefois, ne sont plus aujourd’hui que des déserts im- menses , où le voyageur qui les traverse doit porter jusqu’à l’eau dont il a besoin pour lui et ses bêtes de somme. Ce contraste vient de ce que ces contrées sont aujourd'hui sans végétaux. Ce sort serait un jour celui de notre belle France, si nous laissions périr nos ___ foréts\(x); Sur la vertu Nous avons parlé de la vertu attractive des HT foiétéiéue les nuages ; il y a plus, les racines A RIRE JUNUN) CRTISERNRE V7) SUN UX 4 (1) On a donné une large description sur ce sujet, dans la deuxième livraison de ces ANNALES. des arbres. EUROPÉENNES. 293 de la plupart des arbres forestiers plongent jusqu’à une grande profondeur dans la terre. Là , elles trouvent de l’humidité, même dans les sécheresses les plus grandes ; elles pompent cette humidité du sein de la terre et la versent ensuite dans l'atmosphère, Par la transpiration des feuilles ; en sorte qu'on peut regarder les arbres comme des espèces de Siphons, au moyen desquels, par une disposition admi- rable de la Providence , l'humidité passe de la terre dans l'air, et réciproquement. Dans les temps trop humides, les forêts Consérvent, pour le besoin, les trésors de la pluie dans les profonds réservoirs de ces fon- taines innombrables, qui donnent la vieà nos Campagnes , et alimentent depuis le plus petit ruisseau jusqu'aux plus grands feuves. Enfin, la Pratique des défrichements tend à hausser le prix des bois » qui est déjà béau- Coup trop cher, qui augmente de jour en jour; et à abaisser celui des céréales, qui est déjà beaucoup trop bas. La population est portée , en ce moment > Sur la haute à un très-haut point ; Songeons à nos enfants : importance = : : de régénérer il leur faut des combustibles, des bois devitos Construction; conservons donc Précieusement, améliorons les forêts qui nous restent et que nos pères nous ont transmises. C’est ce que 20/4 ANNALES l'on commence à faire dans quelqtiés com- munes,. ! + Deux cent vingt hectares, par exemple, ont été repeuplés par les soins et en présence de M. Massin, inspecteur-forestier à Epinal, dont vingt-cinq par cette dernière ville. Il serait bien à désirer, surtout dans les circonstances actuelles, que le Gouvernement encourageàt cette mesure. L'on se conformerait avec zèle aux dispositions qu'il prescrirait ; car, le prix des bois s’élevant partout dans une progres- sion très-rapide, l'intérêt particulier serait ici d'accord avec l'intérêt général. Hätons - nous surtout de repeupler les terrains en pente et les sommets élevés ; car, à chaque averse, la terre végétale et l’Aurnus en descendent. Plantons nos grandes routes , nos chemins vicinaux, nOS rivières ; NOS ruisseaux Le RA nos pâtis ; enfin, permettons aux arbres isolés de renaître dans nos campagnes , car ceux-là principalement jouissent d'une grande in- fluence météorologique, surtout quand ils sont dans des endroits élevés. (1) Depuis vingt-deux ans, nous ne cessons de publier tout ce qui concerne ces différents sujets , qui sont traités à fond dans le second tome de ces ANNALES. EUROPÉENNES. . 295 F | Résumé de ces trois intéressantes réponses départementales. - On démontre dans cette réponse : 1°, que les forêts ont été ruinées par les forges, et celles-ci ruinées à leur tour par la destruction des bois : cela prouve que, tout s'étant fait avec un excès d'aveuglement et de désordre, la prospérité du pays en a été compromise; 2°, que le châtaignier prospérait en masse de forêt, et souffre lorsqu'il est isolé et sans abri; 3°, on exprime l’urgente nécessité de reboiser les terrains incultes qui appellent la production et de nouvelles fécondités ; 4 ; de l'effet naturel qui résulte du défaut de hautes futaies , qui agissent avec plus de force sur les météores humides et conservent mieux les tem- pératures locales, en opposant leurs masses ‘flexibles et absorbantes aux vents sauvages ; 5°, de l'effet du défrichement des montagnes qui, dans leur état de boisement, entretenaient partout l'harmonie de la vie, et qui, lors des grandes pluies et de la fonte des neiges, fertili- saient, de leurs huiles et de leurs graisses ani- males et végétales , les pays situés sous leur zone, tandis que, dans leur nudité , tout le charme de la nature est détruit ; la fraicheur Gard. Vaucluse. 206 . ANNALES de l'air , l'humidité de la terre sont remplacées par d’arides et étouffantes sécheresses ; tous les vents opposés aux saisons combattent libre- ment la vie et la végétation , et les débris des montagnes , entrainés par les eaux, viennent stériliser les vallées et les plaines, que les bois avaient la mission de protéger et de féconder ; 6°, en parlant de la destruction des bienfaisants abris que la sage nature avait elle-même élevés, on signale l'altération arrivée dans les tempé- ratures et les climatures locales : altération qui pèse sur toutes les productions, plus visible- ment ici, sur l'olivier , le mürier et le chä- taignier. L'abaissement des extrêmes coteaux , par le rasement de beaucoup de bois, a donné lieu, dans ce département, à l'introduction de vents plus àpres : c'est au point que l’amandier , qui donnait autrefois un grand produit dans la vallée de Sault, ne porte plus son fruit à ma- turité. On y observe également que la régularité des pluies et de la rosée, ainsi que l'équilibre du fluide électrique, étaient dus aux forêts, surtout à celles qui couronnent les lieux élevés. Il est résulté de leur diminution graduelle, que les pluies sont devenues plusirrégulières , les orages plus multipliés et plus désastreux. EUROPÉENNES. 297 On remarque que les bois conservaient plus long-temps le séjour des neiges, destinées à comprimer la chaleur intérieure de la terre, à nourrir lentement les sources et les ruisseaux 5 mais que, partout où les bois sont trop dimi- nués , les prévoyances de la nature se détrui- sent ; la fonte des neiges devenant subite, leur bienfait se transforme, comme celui des pluies, en inondations calamiteuses. On observe aussi que, depuis que l'attraction est diminuée , de la part des grands végétaux sur les nuages, la grêle devient plus fréquente, et semble grandir en puissance malfaisante, par le désordre porté dans l’ancien cours des météores. On démontre de même que le déboi- sement des sommités et des pentes montueuses de ce pays provoquent les plus ruineuses inon. dations. C'était créer un doublefléau: d’une part, on a rendu inculte une surface spécialement protectrice, qui étaiten outre d’un produit per- manent; de l’autre, on voit les eaux rapides en- traîner les débris des montagnes et qui portent ces tristes ruines sur les plus précieuses cultures. La décadence de l'olivier, du mürier, et de l’'amandier , qui faisaient l’ornement et la prin- cipale richesse de ce beau département, est attribuée à l'excès des déboisements. Ce pays une fois privé des abris protecteurs, les vents IT, 20 : 1208 ANNALES _ froids sont arrivés y exercer leur funeste in- fluence; le climat et la température en ont été altérés et remplacés par une extrême va- riabilité atmosphérique. Au départ des bois, suivi de la diminution toute naturelle des oiseaux, a succédé un nouveau fléau, autrefois très-rare dans les contrées méridionales, c’est la multiplication progressive des chenilles et de tous les genres d'insectes, dont les amandiers souffrent par- ticulièrement : ce mal provient, d’une part, de l'absence, ou de la trop grande rareté des oiseaux , et, de l’autre; parce que les papillons, trop éloignés des bois, trouvent plus faciles de déposer leurs œufs dans les plantations voi- sines des habitations. - On remarque encore que le climat de ce pays , étant en général sec et brûlant, l'herbe ne croît qu'à la faveur de l’ombrage et de la fraîcheur qu’entretiennent les bois sur les montagnes, il est résulté pour ce département; depuis la destruction de 23,362 hectares de bois, une diminution de revenu de cent seize mille huit cent dix francs, sous le seul rapport des bêtes à laine, par la privation de ces pa- cages. 4 Vosges. Dans cette réponse, on signale les pertur-.… EUROPÉENNES. a 09. bations sensibles qu’on remarque dans l’ordre et le cours des Saisons, dont les variantes exercent leur influence fàcheuse sur tout ce qui existe dans la nature. On convient que des abris bien placés modifient ou soutiennent les températures ; qu'il yaun dérangement réel dans l’ancien ordre des vents alizés; que, la fonte des neiges étant plus lente dans les bois, les fontaines et les ruisseaux, de qui dépen- dent les premiers biens de la terre, sont mieux alimentés : on y déplore, comme dans les réponses qui précèdent, l'effet ruineux qui résulte pour la société, dans le défrichement des montagnes, dont la fonte subite des neiges et les pluies d'orage viennent alternativement arracher, entrainer les terres avec les débris de rochers et stériliser encore de ces ruines les fertiles vallons. On convient également que la grêle aug- mente dans la même proportion que les déboi- sements, parce que, l'attraction étant diminuée par la diminution des bois élevés , les nuages s'élèvent dans les régions glaciales pendant les - commotions électriques, et nous donnent, au lieu de pluies tièdes et fertilisantes, ces grêles terribles qui sont les fléaux de nos MmOISSONS. On voit que nombre de familles subsistent isolément dans les Vosges, par le droit de par- 20. 300 ANNALES cours et le bienfait d’une fontaine, qui vivifie et fertilise tout ce qui est nécessaire à ces mo- destes ménages ; aussi, on conclut avec raison, que leur bonheur tarirait avec leurs sources et celles-ci avec les foréts. Ce que l’on dit des fontaines de Saint-Dié, et de celle de l’ancien couvent des capucins d'Épinal, qui se sont éteintes avec les bois des environs et qui sont revenues à Saint-Dié avec le reboisement du même terrain, tandis que la fontaine des Capucins n’a plus reparu, parce que le sol qui l’avoisinait est resté dé- friché, se présente comme un phénomène digne d’attention, qui offre encore un de ces bare faits irrécusables, qui aident à se pénétrer de la haute mission que les bois ont à remplir dans les grands plans de la nature. : “fi 4 . L ni I] résulte déjà des onze réponses départemen- tales , insérées dans les 0°, 10° et 11° livraisons de ces ANNALES, que l’inclémence des saisons, l'altération des climatures locales; l'extrême variabilité des températures; l’'appauvrisse- ment des sources et des cours d’eau; la dimi- nution des poissons; les inondations ruineuses, de fertilisantes qu’elles étaient; l'augmenta- CONCLUSION. EUROPÉENNES. 3ot tion progressive du fléau de la grêle; la nudité de beaucoup de nos montagnes, de nos ruis- seaux et de nos fleuves; la souffrance de plu- sieurs de nos plus précieux végétaux; la ré- duction, la suite d’une multitude de races, qui existaient autour de nous, et que nous ne voyons plus que comme des objets rares; enfin, la diminution de tous les genres d’oi- seaux, et la tristesse qui a succédé aux joies des champs et des bocages , sont des faits con- statés, on peut dire historiquement, et sur lesquels nous ne cessons d'appeler, depuis vingt ans, les regards et l'attention de l’adini- nistration. | Mais dans l’érrécusable vérité de ces faits, on voit toute la nature attaquée, altérée dans ses admirables harmonies et ses sublimes pré- voyances; enfin ce grand système des richesses rurales, négligé dans le pays.le plus heureu- sement situé, par une nation éminemment éclairée; chez qui des siècles d’indifférence sur ce qui devrait l’intéresser le plus, entassent ruines sur ruines, tandis qu’un signe, une parole, pourrait couvrir d’incomparables tré- sors , cette belle France jusqu’à présent si mal appréciée, et nous mériter justement alors, le titre glorieux de nation grande, puissante, heureuse , dirigée par la véritable sagesse. 34 302 © ANNALES Un de nos plus célèbres poètes a peint le mérite et le charme des bois dans ces quatre vers : O sources de fraicheur et de fécondité, Dont le ciel en tout lieu varia la beauté, Et dans tous les climats prodigua les largesses ; Qui peindra votre grâce, et dira vos richesses ! DIALOGUE ENTRE LE TEMPS ET LE NIL. Qu’as-tu. fait de mes anciennes merveilles, de mes palais, de mes monuments? demande le Fleuve ; je les ai détruits , répond le Temps. Je les détruirai tous ; mais ce palmier fleuri, Rafraichi par ton cours , par le soleil müri, Qui s'appuie aux parvis de ces temples antiques, Il restera debout où brillaient leurs portiques ; Sa tige solitaire indiquera tes eaux Au pätre du désert, à la soif des troupeaux ; Et, couché sur le sol qu’habite son feuillage, Peut-être un conquérant bénira son ombrage. Poëme de M. pe Nonvins. EUROPÉENNES. 303 DIGRESSION Sur les productions et le premier état des heu- reux Insulaires de la mer du Sud, suivie de quelques comparaisons sur le bonheur so- cial possible à réaliser en d’autres pays, et particulièrement en France (1). OTAu1TI a été considéré, par nos plus célèbres navigateurs, comme la reine, l'ile fortunée de ces nombreuses îles si richement semées entre les deux tropiques de cette mer, la plus vaste du globe. Là, comme dans un autre Eden, sous les plus ravissants pavillons de verdure, on a retrouvé le module de la première beauté humaine. Ces peuples, nés sous le plus beau ciel , nourris des plus beaux fruits d’une terre féconde sans culture, gou- Ile George, ou Otahiti. (1) Nous n’entendons parler ici d’abord, que des îles comprises dans les groupes de la Société, des Amis et de Sandwich , et de la situation dans laquelle on a trouvé ces îles et leurs habitants, au temps de leur découverte. Dans un second article, on rendra la situation actuelle des insulaires. 304 ANNALES vernés par des rois, ou plutôt des patriarches , connaissaient peu la haine ou l'envie, parce qu'il n’y avait ni misère ni besoins. Dans ces belles et délicieuses solitudes du . monde, qui étaient restées inconnues pour nous pendant de longs siècles , tout est re- marquable , la terre , la mer, les hommes même. Combien n'est-il pas curieux d'étudier, dans leur facon de vivre, les prémices de l'homme des premiers âges, et tel qu'après être sorti des mains de la nature, il a pu , en faisant usage de son intelligence , se procurer, avec assez d'industrie, une vie commode, par quel- ques inventions dues à son adresse |! Bornés à une société peu nombreuse; privés de secours et d'exemples étrangers, sans autres moyens que ceux que leur fournit un terroir circon- scrit dans des bornes étroites, ils viventlà comme dans ce siècle heureux que les poètes ont tant célébré. Ce bonheur, cette douce innocence, s'étaient conservés sans mélange, dans ces pays vierges, dont l'existence est à peine connue, et où le grand éloignement avait, pendant long-temps, empêché les autres humains de pénétrer. Ces peuples ne semblent être confinés, au milieu de cette vaste mer, que pour offrir aux navigateurs , avec un heureux asile , la douce EUROPÉENNES. 30 et touchante image de l’antique beauté de la nature. Séparés du reste des hommes, par immense étendue des mers, ils ont dû garder plus naturellement leurs lois et leurs vertus. La vie domestique de ces insulaires n’est pas assez laborieuse pour être fatigante, et pas assez oisive pour être accusée de paresse. La nature a été si prodigue envers eux , et elle a été ainsi originairement partout, qu'ils ont rarement besoin de se livrer à beaucoup de travail : leur activité les empêéchera toujours de se livrer à la mollesse. Leurs occupations habituelles sont en si petit nombre, et de si peu de durée, qu’ils ont hien du temps pour leur récréation ; le travail, les affaires et la sinistre politique ne viennent point troubler leurs amusements, qu’ils ne quittent que lors- qu’ils en sont rassasiés. Parmi les végétaux qui leur servent d’ali- ments, le fruit à pain est le principal, et, pour s'en procurer , ils n’ont d'autre peine qu'à grimper sur un arbre. L’Otahitien , qui, dans sa vie, en plante une dizaine , ce qui exige un travail de quelques heures , remplit ses obli- gations à l'égard de ses contemporains et de sa postérité à venir, aussi parfaitement que l’ha- bitant de nos climats, moins tempérés , qui laboure pendant le froid de l'automne, mois- 306 ANNALES sonne à la chaleur de l'été, toutes les fois que reviennent les saisons, et qui, après avoir nourri sa famille, trouve moyen de laisser à ses enfants un peu d'argent , un peu de bien, qui lui ont coûté des sueurs et mille soucis marqués sur son front sillonné. Fruits et C’est sous les gracieux ombrages , sous les "2 “frais bocages d’une verdure perpétuelle, en- insulaires. tourés de cette grande mer , dont les vagues viennent briser leurs flots écumants contre les rochers de corail qui servent de remparts in- vulnérables à ces îles, que ces peuples heu- reux vivent dans une abondance et un conten- tement inaltérables. Les fruits et les végétaux forment la principale partie de leur nourriture. Excepté les cochons, les chiens et la volaille , ils n'avaient pas d’autres animaux apprivoisés, et ceux-là même n’y étaient pas en grande quantité; mais la mer, cette nourrice inépui- sable , leur offre constamment tout ce qui peut compléter les besoins et satisfaire les dé- lices de la vie. Le fructueux arbre à pain, le cocotier aërien, dont la tête élevée montre au lin ses belles et longues palmes flottantes , le riche bananïier , , le plane sucéulent et l'igname nutritive, étaient les végétaux indigènes qui formaient la base successive et continue du banquet de ces peu- EUROPÉENNES. 307 ples sobres et tempérants. Les desirs mesurés sur les dons-de la nature, se hornaient à ce que l’on possédait, et que tous pouvaient avoir constamment. Les satisfactions physiques ac- complies d’une manière générale, les priva- tions, les besoins, n'ont point trouvé de mot dans la langue sonore et harmonieuse de ces insulaires. On conçoit que ces peuples doivent jouir mieux que nous d’une santé constante ; aussi ne connaissent-ils ; en général d’autres infir- mités que celles du temps, c’est-à-dire ' celle d’une vieillesse douce et respectée. Leur force et leur activité sont , à tous égards , propor- tionnées à la vigueur de leurs muscles, et ils déploient tellement l’une et l’autre, dans leurs occupations habituelles et dans leurs amuse- ments , qu'ils sont naturellement affranchis des nombr :uses maladies qui résultent de l'in- dolence , ou d’une manière de vivre contraire à la nature. Leur contenance est gracieuse et leur dé- marche ferme; leur physionomie exprime, à un point remarquable, la douceur et l'extrême bonté de leur caractère. On dirait que toutes leurs facultés sont constamment épanouies dans un état de bonheur. L'expression de leur fran- chise, de leur gaieté et de leur confiance en est es Fruit de Parbre à pain. 308 ANNALES lheureux fruit. Ces qualités naturelles, simples et bonnes, ont été reconnues par tous les Eu- ropéens qui les ont visités , et nos navigateurs ont pu être humiliés du contraste que présente notre état social, notre existence factice et ar- tificielle, auprès de ces peuples primitifs , qui se contentaient des trésors dont la nature les a comblés , sans jamais songer à les détruire ou à les diminuer , comme nous l'avons fait dans notre civilisation beaucoup trop vantée. Le fruit à pain croit sur un arbre qui est à- peu-près de la grandeur d'un chêne moyen ; ses feuilles, d’une figure ovale, ont souvent un pied et demi de long; elles ont des sinuo- sités profondes comme celles du figuier, aux- quelles elles ressemblent par la consistance, la couleur, le suc laiteux et blanchâtre qu’elles distillent lorsqu'on les rompt. Le fruit est à-peu-près de la grosseur d'une tête d’enfant; sa surface est composée de ré- zeaux qui ne sont pas fort différents de ceux de la truffe; il est couvert d’une peau légère eta un trognon de la grosseur du manche d'un petit couteau. La chair qu'on mange se trouve entre la peau et le trognon ; elle est aussi blanche que la neige et a un peu plus de consistance que le pain frais ; on la partage en trois ou quatre EUROPÉENNES. 309 parts et on la grille avant de la manger. Son goût, quoique un peu insipide pour la bouche d’un Européen , a une douceur assez appro- chante de celle de la mie de pain de froment, mélée avec un artichaut de Jérusalem. Les bananiers, fortabondants dans ces îles, occupent un rang si supérieur parmi les plus beaux et les plus utiles végétaux qui décorent la terre, que nous croyons convenable d'en donner ici une description sommaire. Ces plantes se composent de feuilles an- nuelles, remarquables par leur grandeur, par la beauté de leur port et parles ressources variées qu’elles offrent aux habitants des pays chauds de l'Asie, de l’Afrique et de l’Amé- rique , où elles sont généralement cultivées et fournissent plusieurs variétés. Elles offrent, à l'époque de leur entier développement , l’as- pect d’une épaisse colonne pyramidale, haute d’euviron vingt pieds, couronnée par une douzaine de feuilles, longues de six à dix pieds, sur près de deux pieds de large, et surmontée d’un grand épi de fleurs , qui devient un ré- gime composé quelquefois d’une centaine de fruits sucrés ( bananes ) , gros et longs comme des concombres. Dans les deux Indes et en Afrique, ses Bananier. 310 ANNALES feuilles sont employées à couvrir les habita- tions. La tige, qui est tendre et succulente, fournit unetres-bonnenourriture aux animaux domestiques, tels que les éléphants, les bœufs, les cochons , les moutons, etc., et comme ce fourrage se conserve frais pendant long-temps, on en faitordinairement des embarcations pour nourrir ces animaux dans les voyages sur mer. On prépare , avec les graines et la tige , des fils qu'on emploie suivant leur diametre : les plus gros, pour faire des cables, des cordages, des hamacs, etc.; ceux d’une grosseur moyenne, à fabriquer des toiles pour des vêtements ; les plus fins , pour des étofies légères , qu'on. peint de diverses couleurs, et qui servent à faire des robes et à la décoration des appar- tements (1). On sèche les bananes, comme les dattes et les figues, pour les conserver; on les réduit aussi en farine, comme les pommes de terre, en les râpant dans l’eau. Dans le Mogol, on les mange cuites avec du riz. Les habitants des Maldives les font cuire avec leur poisson, ra (1) Il est probable que jamais l’industrie européenne ne pourrait , avec le secours de ses machines, tirer un parti plus profitable de pareilles matieres. EUROPÉENNES. 311 et les Ethiopiens en préparent des mets que les Européens préféreraient à la plupart des leurs. Les livres des voyageurs sont remplis de détails curieux sur ce magnifique don de la Providence. Selon les chrétiens d'Orient, c’est l'arbre du paradis terrestre qui portait le fruit défendu. Des écrivains pensent que ce fut avec ses feuilles, et non avec celles de notre figuier, que nos premiers parents firent des vêtements pour se couvrir , après leur désobéissance.. Il est encore des peuples naturels qui s’en servent pour le même usage. D'autres croient, et peut- être avec raison , que son régime était le fruit qu’apportèrent à Moïse, les hommes envoyés par lui à la découverte de la terre promise ; ces traditions , et plusieurs autres aussi remar- quables , prouvent jusqu’à quel point cette plante est justement estimée des peuples qui la possèdent. Le bananier est la premiere chose qu’on aperçoit dans toutes les cérémonies religieuses des îles de la Société, et même dans tous les _ débats publics et particuliers. Les messagers. envoyés des îles voisines à O-Too, ne man- quaient jamais d'arriver en tenant à la main un jeune bananier, qu’ils déposaient aux pieds d'O-Too , avant d'ouvrir la bouche. Il$ s’as- 312 ANNALES seyaient ensuite devant le roi et ils faisaient leur message. Le bananier paraît avoir une force d'expression d'ordre moral qui passe celle des lois écrites, Deux Indiens qui se dis- putaient un jour, s’échauffèrent tellement qu'on s'attendait à les voir se frapper ; mais l’un d'eux ayant placé un bananier devant l'autre, ils se calmèrent tout-à-coup. Cet arbre, qui semble avoir une signification sacrée aux yeux de ces peuples, est le véritable rameau d’olivier pour les habitants des îles de la So- ciété , ainsi que nous le verrons encore tout- à-l'heure. Lorsqu'un chef tue un cochon, il le par- tage presqu'également entre ses sujets, et, comme ils sont très-nombreux, la portion qui revient à chaque individu dans ces festins est nécessairement très-petite. Les Otahitiens de la classe commune se régalent plus fréquem- ment avec des chiens et de la volaille. Nos navigateurs ne vantent pas beaucoup la sa- veur de la volaille; mais ils conviennent tous qu'un chien de la mer du Sud, est presqu'aussi bon qu’un agneau d'Angleterre. Ces animaux ont probablement cet excellent gout, parce qu'ils se nourrissent uniquement de végétaux. La mer fournit à ces insulaires beaucoup depoissons de toute espèce, ils mangent crus EUROPÉENNES. 313 les petits qu'ils prennent, comme nous man- geons les huitres, et ils tirent parti de toutes les productions de la mer. Ils aiment pas- sionnément les écrevisses de mer, les cancres et les autres coquillages qu'ils trouvent en abondance sur la côte. On imagine bien que la cuisine est chez, bep eo ces peuples un art fort simple; ils n’ont que hs deux manières de faire cuire leurs aliments : aliments. l’une est de les griller, et l’autre de Jes Cuire au four, qui est un trou fait dans la terre (1). Ils apprétent ainsi fort bien les cochons et les gros poissons, qui sont, d'après l’aveu des na- vigateurs, plus succulents et plus également cuits que dans nos meilleures Cuisines, Ils cuisent aussi du fruit à pain dans des fours pareils; il s’adoucit alors et devient assez semblable à une pomme de terre bouillie. Ils apprètent ce fruit de beaucoup de facons dif- férentes ; ils ÿ mettent quelquefois du jus ou du lait de noix de Cocos et le réduisent en pâte avec un caillou; d'autrefois ils le mêlent oppose 20 NUL LOL OS (1) Cest la manière de faire de tous les peuples na- turels : c’est ainsi que les Hottentots apprétaient les pieds des jeunes éléphants à Levaillant, dans l’intérieur de lAfrique , et qu'il trouvait de. cette façon déléc- tables. II]. 21 314 ANNALES à avec des fruits mürs, du plane (1) ou des ba- nanes, ou ils en font une pâte aigrelette qu'ils appellent mahie, qui est un objet de provi- sion et de conserve: 4 Le mahie se fait comme la bière par fer- pite prépa- Û . \ HR “ és. pour mentation , et quelquefois, ainsi que dans nos suppléer au brasseries, l'opération manque sans qu'on dc 0 pe puisse en déterminer la cause; il est donc très-naturel que ce peuple ingénu joigne des idées et des cérémonies mystérieuses à ce travail. Les vieilles femmes en sont le plus souvent chargées , exceplé ceux qui Jes aident, , elles ne souffrent pas que personne touche rien de ce qu’elles employent, et elles ne per- mettent point d'entrer dans cette partie de la maison où elles apprètent ce fruit. Ilarriva un jour que M. Banks toucha par inadvertance une des feuilles qui étaient sur la pâte, la vieille femme qui présidait à ces mystères, lui dit que l'opération manquerait, et dans un transport de douleur et de désespoir, elle dé | couvrit le trou du mahie. @ M. Banks regretta le malheur qu'il avait Mahie, ou causé; mais il se consola, parce qu'il eut par là occasion d'examiner Ja manière dont les Ne EEE EE ES. (x) Le plane est une autre espèce ou variété du ba nanier. j EUROPÉENNES. 319 Otahitiens procèdent à cette grande œuvre, qu'il n'aurait peut-être pas pu connaître au- trement. Ces peuples ont l'art de tirer, par le mélange de fruits différents, des mets fort agréables, et leurs repas se font d’une manière très-simple : on sert communément les mets sur des feuilles vertes de bananiers qui servent de plats, de nappes et «e serviettes, qu'on renouvelle à volonté. Quand le roi fait son repas, äl est servi par trois ou quatre personnes; l’une chargée de découper, la seconde à diviser en bouchées les gros morceaux, et d’autres prêtes à offrir les noix de cocos et les diverses choses dont il peut avoir besoin. On ne boit aux repas que de l’eau ou du jus de cocos. Ils sont d’une extrème adresse dans tout ce qu'ils font : un cochon de trente livres est tué, cuit et servi dans une heure. Voici ce que Cook raconte d’un diner qu’un Ses Ÿ naturel lui donna : Son repas fut ‘tres-bon et ,yraires és se composait de poissons, de volailles, de porc parent le et de puddings; le roi O-too dina avec nous. Pois Dans l'après-midi, je l’accompagnai à sa maison, où je trouvai tous ses domestiques occupés à rassembler des provisions qu'on me destinait. 1 y avait entre autres choses un gros cochon, qu'ils tuèrent en ma présence; ils firent onze k | als :# 316. ANNALES portions des entrailles, et on distribua ces ortions aux serviteurs. Il y avait aussi un grand puddings que je vis faire; les cuisiniers prirent d’abord du fruit à pain, des bananes müres, du caro, des noix du palmier et du pendanus, räpés, découpés en petits mor- ceaux, ou pilés et cuits séparément; ils ex- primèrent ensuite de l’'amande de cocos (1) une quantité assez considérable de jus qu'ils jetèrent dans un baquet ou vase de bois, et après y avoir mis le fruit à pain, les bananes qui sortaient du four, il y placèrent quelques pierres chaudes , afin de faire bouillir douce- ment le tout; trois ou quatre hommes re- muèrent avec un bâton les différentes ma- tières mélées, jusqu'à ce qu’elles fussent in- corporées l’une à l'autre, et que le jus de noix de cocos füt changé en “huile : les diverses parties ne tardèrent pas à prendre de la con- sistance. Quelques-uns de ces puddings sont excellents, et on en fait peu en Angleterre d’une saveur aussi exquise. » Sagacité des On a remarqué, à l’occasion de la naviga- Otabitiens, tion des Otahitiens , leur sagacité étonnante à pour prévoir les vents. RE EEE OST CRE PERS roe 2 0 SONER (1) Nous avons donné au 5° cahier tome 2, page 67 > l’histoire complète du cocotier , avec tous les biens qu’en retirent les différents peuples qui le possèdent. EUROPÉENNES. 31 7 prévoir le temps qui arrivera, ou du moins le côté où soufflera le vent : parmi plusieurs moyens de pronostiquer ces évènements mé- téorologiques, ils disent que la voie lactée est toujours courbée latéralement, mais tantôt dans une direction et tantôt dans une autre s et que cette courbure est un effet de l’action que le vent exerce sur elle, de maniere que si la même courbure continue pendant une nuit, le vent correspondant soufflera sûrement le lendemain. Sans préjuger de l'exactitude des règles qu'ils suivent , Cook assure que quelque mé- thode qu'ils emploient pour prédire le temps, Où au moins le vent qui soufflera , ils se trom- pent beaucoup plus rarement que nous. Il ajoute que, dans les plus grands voyages, ils se dirigent sur le soleil pendant le jour, etsur les étoiles pendant la nuit, pour gouverner. Ils distinguent toutes les étoiles séparément par des noms; ils connaissent dans quelle partie du ciel elles paraîtront, à chacun des mois où elles sont visibles sur l'horizon ; ils savent aussi, avec plus de précision que ne le croira peut-être un astronome de l'Europe, le temps de l’année où elles commencent à pa- raitre ou à disparaitre. Excepté le traitement des fractures et des E Leurs con- naissances astrono- miques. Simplicité de leur mé- 318 ANNALES decine et de Juxations , le plus habile chirurgien contribue leur chirur- t : gie. res- peu à la guérison d’une blessure : le sang est , selon eux , le meilleur de tous les baumes vulnéraire, et lorsque les humeurs du corps sont pures , et que le malade est tempérant , il ne faut, pour guérir la blessure la plus const- dérable, qu’aider à la nature, en tenant la plaie propre. Ils possèdent également, comme tous les peuples naturels, beaucoup mieux que nous , la connaissance des simples qui con- viennent aux différentes guérisons. » J'avais, dit Cook, une sciatique, et la dou- leur se faisait sentir de la hanche aux pieds- J'acceptai les soins bienfaisants que me PrOPOr saient la mère d’O-Too , ses trois sœurs € huit autres femmes. Elles se rangèrent autour de moi , et elles se mirent à me presser, avec les deux mains, de la tête aux pieds, et surtout dans les parties où je souffrais ; elles me pé- trirent jusqu'à me faire craquer les os et à me fatiguer, comme si lon m'avait roué de coups Lorsque j'eus subi un quart-d’heure cette es- pèce de discipline, je fus bien aise de my soustraire. L'opération néanmoins me soulagea sur-le-champ , et je décidai à permettre qu'on la recommencât avant de me coucher ; elle eut tant de succès la seconde fois, que je passai une très-bonne nuit. Mes douze femmes me EUROPÉENNES. 319 traitèrent de nouveau le lendemain matin, avant de retourner à terre ; elles revinrent le soir , et ;e consentis de bon cœur à me laisser pétrir. Je n’éprouvais plus aucune espèce de douleur , et ma guérison étant bien achevée , elles me quittèrent. » Ce traitement me parait bien supérieur aux frictions et aux autres remèdes de ce genre, qu'ordonnent nos médecins. Il est d’un usage universel aux îles de la Société. Si quelqu'un parait languissant ou accablé, ses compa- triotes, le plus communément les femmes , le font asseoir près d’elles, et se mettent tout de suite à pratiquer ce traitement sur les parties souffrantes , et j'ai toujours vu qu'il produit d'excellents effets. » Cette opération bien simple, qui a pour ré- sultat naturel de rétablir la circulation des fluides obstrués ou arrêtés, mériterait bien d’être imitée. Peut - être encore que les in- fluences magnétiques ou électriques, que le corps souffrant reçoit des personnes qui le frottent avec force et chaleur, se combinent salutairement avec l’action. Nous aimons à croire que , quand la médecine daignera ré- pudier son trop de science, qui conduit au labyrinthe des erreurs funestes, pour devenir, par l'observation, aussi simple qu'était celle . Fabrique de leurs étofles. 320 ANNALES d'Hippocrate, que ses cures deviendront plus généralement certaines et bienfaisantes. Les occupations des femmes n’ont rien de pénible ; elles font la plupart de leurs travaux dans l’intérieur de la maison. Elles se trouvent chargées seules de la fabrication des étoffes. On en voit jusqu'à sept espèces de différens degrés de finesse et de beauté, suivant les divers usages auxquelles elles sont destinées. Parmi les plus fines , il y en a de rayées; d’autres sont à carreaux ou sur divers dessins de couleurs. La seconde de leurs manufactures, qui est aussi confiée aux femmes , est celle des nattes j dont la texture et la beauté surpassent tout ce qu'on voit ailleurs dans ce genre ; et comme on ne possède là nichanvre, nilin , ni laine, ni coton, ona l’art de tirer les matières pre- mieres des différents végétaux , particulière- ment de la partie membraneuse et coriace de la tige du bananier; et pour les nattes, du panda- aus, que l’on cultive pour cela. Les femmes em- ploient leurs moments de loisir à des ouvrages moins importants ; elles font, par exemple » une multitude de peignes, de petits paniers avec la matière première des nattes, avec la: gousse fibreuse de la noix de cocos, qu’elles tressent simplement , ou qu’elles entrelacent de grains de verre ; enfin, tout ce qui sort de EUROPÉENNES. 3a1r leurs mains a tant d'élégance et de goût, qu’un étranger ne peut s'empêcher d'admirer leur constance et leur adresse. Ce qu'il y a de tout aussi admirable, c’est Belles tein- l'art avec lequel ces insulaires savent teindre, A” ee des couleurs les plus brillantes, ces étoffes ;anne. végétales , très-difficiles à s’imprégner ; ils les teignent surtout d'une manière parfaite et in- délébile, en rouge et en jaune. Leur rouge est plus brillant et plus fin qu'aucun de ceux que nous avons en Europe ; notre véritable écar- latte est celui qui en approche davantage, mais sans l’égaler. Leur rouge est composé des sucs de deux végétaux, mélés ensemble , et qui, séparément employés , n’ont aucune tendance à cette couleur. L’un est une espèce de figuier , appelé matté , et l’autre le cordia sebestina , que les insulaires nomment étou. Ils emploient le fruit du figuier et les feuilles du cordia. Les navigateurs qui ont les premiers abordé s,mbole dans ces îles, citent, comme une chose re-de paix des marquable , que ces Indiens, ainsi que ceux "ire. qui s'étaient empressés de venir dans leurs pirogues, voir les hommes nouveaux, leur présenter tous le même symbole de paix et d'amitié qu’on sait avoir été en usage parmi les plus anciennes et les plus puissantes nations Arche d'alliance, ressemblant à celle des Israélites. 322 ANNALES de l'hémisphère septentrional, la branche verte d’un arbre, ce gage antique de l’affection hu- maine. Les navigateurs, frappés de l’expression de salutation de ce signe pacifique, disent qu'ils le reçurent avec des regards et des gestes de contentement, et voyant que chacun des Indiens en tenait une branche à sa main , ils en prirent de leur côté tous un rameau, qu'ils tinrent de la même manière, et toute confiance fut établie. Heureuse et touchante simplicité des premiers âges, qui n'existe peut-être plus en ce moment nulle part sur la terre, tant nous sommes devenus éclairés et parfaits | Une chose non moins remarquable ; et tout aussi digne de l’observateur et de ceux qui veulent pénétrer jusqu’à la première origine des peuples long-temps inconnus, et que la navigation nous signale successivement sur les différents points du globe ; voici ce qu'on trouve dans la relation de Cook, au sujet d’une arche d’afliance trouvée dans l’ile d'Huaheine, voisine d'Otahiti. « M. Banks se mit en route pour examiner de plus près un objet qui avait fort excité sa curiosité : e’était une espèce de coffre ou d’arche, dont le couvercle était cousu avec délicatesse et revêtu proprement de feuilles de palmier. Cette EUROPÉENNES. 323 arche était posée sur deux bâtons, et soutenue par deux petites consoles de bois très - bien travaillées. » Les bâtons semblaient servir à transporter l'arche d’un endroit à l’autre , à la maniere des chaises à porteurs. Il y avait , à l’un des bouts, un trou carré , et au milieu du carré un an- neau qui touchait les côtés en quatre points et laissait les angles ouverts , ce qui formait un trou rond dans un carré. La première fois que M. Banks vit ce coffre, l'ouverture de l'extrémité était bouchée avec un morceau d'étoffe , à laquelle il ne voulut pas toucher ; probablement qu’alors il renfermait quelque chose; mais il trouva , la seconde fois , que l’étoffe était enlevée, et, en examinant l’inté- rieur , il le trouva vide. » La ressemblance générale de ce coffre avec l’arche d'alliance ,| parmi les Juifs , est remar- quable ; mais ce qui est encore plus frappant, c'est lorsque nous en demandâmes le nom, on nous dit qu'il s'appelait Ærrhareeno-Eatua (la maison de Dieu). On ne put pas nous expliquer autrement sa signification et son usage. » La société Géographique, dont j'ai l'honneur Sur le prix d'être membre , ayant proposé de décerner un P'oPosé par RURE NN D a société de prix à l'ouvrage qui démontrera , avec le plus Géographie. 324 ANNALES d'évidence , l'origine des divers insulaires de la mer du Sud, on pense que les deux traits caractéristiques qu’on vient de signaler mé- ritent d’être pris en considération par les con- currents, et comme un pareil sujet exige des recherches étendues avec celles de la filiation , quelquefois trompeuse, des idiomes, lorsqu'on la considère trop isolément, nous y ajouterons encore deux faits historiques qui peuvent aider à répandre quelque jour sur cette importante question. Voici ce que l’on trouve dans les relations de Cook , au sujet des chefs régnants aux îles des Amis : « L'ordre de la succession à la couronne n'a pas été interrompu depuis assez long-temps, car nous avons eu occasion d'apprendre que les Futta-Faihes ( Poulaho est un surnom par lequel on distingue le monarque du reste de la famille royale ) sont sur le trône , en ligne directe , depuis cent trente-cinq ans au moins ( c'était en 1770 ). » Surletemps « Nous leur demandâmes, un jour, si le jAURE souvenir de l’arrivée des vaisseaux de Tasman îles de la S'était perpétué parmi eux,et nous reconnûmes mer Sd que cette histoire se transmettait , de race en race, avec une exactitude qui prouve qu'on peut compter quelquefois sur les traditions orales ; ils nous décrivirent les deux vais- EUROPÉENNES. 325 seaux, qu'ils comparaient aux nôtres; ils indi- querent le lieu du mouillage ; ils ajoutèrent que la relàche des bâtiments étrangers avait été de peu de jours, et qu’ils étaient partis pour Ænnamooka ; afin de nous instruire de l'époque de ce voyage , ils nous dirent le nom du Futta-Faihe, prince avancé en âge, qui régnait alors , et de ceux qui lui avaient suc- cédé jusqu'à Poulaho, le cinquième roi à compter de cette époque. » : Ainsi, le règne de la famille de Poulaho aurait aujourd'hui cent quatre-vingt-sept ans, et comme cette dynastie a succédé à d’autres , dont l'existence se perd dans la nuit destemps, il est naturel de croire que ces iles se sont trouvées peuplées à une époque fort reculée. S'il y a de grandes probabilités, que la ma- jeure partie de ces archipels a été peuplée par le continent ou les archipels de l'Asie, il est aussi permis de croire que l'Amérique a concouru à peupler une partie des iles nombreuses de ce vaste océan. Les anciens, riches et puissants empires du Mexique et du Pérou, qui y touchent sur une grande étendue de côtes, permettent raisonnablement cette conjecture : d’ailleurs on sait aujourd'hui que la population de l'Amérique est incom- parablement plus ancienne qu’on ne l'avait 356 ANNALÉS d'abord présumé : voici quelques documents ._ qui viennent à l'appui de cette opinion. (1). Spriles Pensilvanie. — Antiquités. « Un violent antiquités de 5 à x l'Amérique, 0rage qui éclata dernièrement près de Browus- villé, dans la partie occidentale de la Pen- silvanie, déracina un chêne énorme dont la chute laissa voir une surface en pierres d'en- viron seize pieds carrés, sur laquelle sont gravées plusieurs figures, entre autres, deux de forme humaine, représentant un bomme ét une femme, séparés d’un arbre; la dernière tient des fruits à la main. Des ours, des cerfs et des oiseaux sont sculptés sur le reste de la pierre. Ce chêne avait au moins cinq où six cents ans d'existence, ainsi ces figures ont dû être sculptées long-temps avant la découverte de l'Amérique par Colomb. » Des découvertes du même genre ont été faites dans différentes parties des Etats-Unis. Dans les pays qui avoisinent l'Ohio, on à re- marqué plusieurs collines assez semblables à . des fortifications , qui sont certainement l’ou- vrage des hommes, et qui ont dù employer une immense quantité d'ouvriers. Un voyageur _DiJ90 Ida su uoeins 1119)19 NOT CE ENRRRE (r) Nous nous proposons de traiter un jour ce sujet sous le rapport des productions et des animaux qui sont particuliers à l'Amérique. EUROPÉENNES. 327 anglais en a vu une, entre autres, dont la hau- teur était de soixante-quinze pieds, la circon- férence de sa base, de cinq cent quarante, et celle de son sommet, de cent vingt. De grands chênes, qui semblaient avoir de cinq à six cents ans, croissaient sur les flancs et sur les sommets de ces monticules. Près de l'embouchure de la rivière Mus- kingam, à cent quatre-vingt-trois milles au- dessous de Pittsbourg, il y a une ancienne {ortification qui couvre quarante acres de terre. À l’entour sont plusieurs carrés long de cent quarante à deux cents pieds , avec des remparts de dix à trente pieds de hauteur, recouverts aussi de très- vieux Chènes. De chaque côté sont trois ouvertures à égales distances; celle du milieu a environ trente pieds de large. Le tout est environné d’un re- tranchement en terre , dont la base a detrente- six ou quarante pieds, sur dix de hauteur. Selon toute apparence , ces ouvrages ont été abandonnés depuis beaucoup de siècles ; mais on ignore entièrement par qui ils ont été élevés. Les plus vieux Indiens disent qu'ils existaient avant la venue de leurs aïeux. On à aussi trouvé, à différentes reprises, en creu- sant des caves et des puits , des outils et des 328 ANNALES ustensiles qui indiquent un degré de civilisa- tion inconnu aux nations indiennes. On pourrait dire ici, comme des ruines de Ninive et de Babylone, de l’autre continent , que bien des générations les ont foulées aux pieds, sans plus les connaître, ni sans se douter même qu’elles marchaient sur la poussière d'anciens peuples , peut-être éteints, et dont il était réservé à la chute des vieux arbres de la terre d'en découvrir quelques sigries à la suite des siècles. Enfin , depuis environ cinquante-deux ans, que nous fréquentons les peuples de la mer Pacifique, des archipels dont il est question ici, nous leur avons fait successivement part de nos biens et de nos maux (1). L’Evangile, dont la connaissance a dû épurer leur morale religieuse, éteindre les sacrifices humains, et donner aux sépultures le caractère qui convient à la dignité de la nature humaine, doit être considéré comme le bien le plus réel que nous leur ayons apporté. "ON EEE () Le présent le plus funeste , C’est la communication de l’affreuse maladie qui attaque et empoisonne les sources de la vie : c’est une peste endémique que nous avons léguée à ces bons insulaires. EUROPÉENNES. 329 : v Nous les avons enrichis aussi de nos ani- maux et de nos volatils domestiques , ainsi que d'une grande quantité de légumes et de racines qu'ils ne possédaient pas. Peut-être là auraient dû se borner nos bienfaits, parce que ces dons présentaient le noble symbole de la fraternité humaine, dont ils nous ont donné d’ailleurs l'exemple en prodiguant à nos na- vigateurs tout ce qu'ils avaient de bon à nous offrir ; mais comme nous avons l'habitude de mettre, dans nos relations avec les autres peuples, plus d'intérêt que de sagesse et d'humanité ; que nous voulons » Sur tous les points de nos découvertes , établir des ateliers, des échelles de commerce, et que notre am- bition politique est de tout coloniser à notre profit, il est bien à craindre qu'en agrandis- sant, chez ces insulaires , le cercle des besoins et de l'industrie, nous leur ayons infiltré des passions qu’ils ne connaissaient point , et altéré cette sobriété, ce contentement et cette belle simplicité de mœurs » Qui étaient peut- être pour nous le dernier modèle du bonheur de l’homme primitif (1)! | OR (1) On peut dire que les Anglais possèdent la nouvelle Zélande , et règnent indirectement sur les trois archipels des îles de la Société , des Amis et de Sandwich. ° JIT, 22 330 ANNALES Dans un autrearticle, nous donnerons suite à un sujet si digne d'occuper l'attention, en essayant de démontrer qu'avec la volonté forte de l'administration ;, et l’adoption définitive d’un plan , arrêté sur un cadre vaste et ten- dant à enrichir notre sol de toutes les produc- üons naturelles qu’il sollicite, et que lui of- frent toutes les zones de la terre, il serait facile d'atteindre en France une aisance universelle , comparable à celle qui peut régner dans les pays les plus favorisés par la nature : rem- placer les larmes de la misère, les souffrances et les inquiétudes des premiers besoins , qui angoissent la vie de plusieurs millions d’indi- vidus, par une heureuse et inaltérable abon- dance de tous les genres d'aliments, est le noble but vers lequel tous les cœurs semblent s'ouvrir. & EUROPÉENNES. 331 Le Directeur des ANNALES EUROPÉENNES, au Directeur des Annales des Sciences ÉcoNo miQuEs et des FINANCES, sur l'importance de nationaliser le Sucre Européen en France (*). Mowsieur , vous avez donné, dans le XXVIe cahier et dans le suivant, de vos intéressantes Annales des Finances , une suite aussi heu- reuse que patriotique, à l’article que j'avais pu- blié, dans la huitième livraison des Æ{nnales Européennes , sur la découverte, la marche et l’entier succès de la fabrication du sucre de betteraves. La perte de Saint-Domingue , qui était, sous le rapport particulier du produit des sucres, comme le dit très-bien M. de Vaublanc, la toison d’or de nos Antilles et de la monarchie française, et les deux précieuses îles qui nous restent dans ce bel archipel, pouvant, par un (*) On s’abonne aux Annales des Finances, place des Victoires , 0° 5. Le prix de l’abonnement est de 16 francs pour un an, de 9 francs pour six mois, et de 6 francs pour trois mois. 22. 332 ANNALES évènement imprévu , être arrachées à leur mé- tropole , ou empêchées , dans un cas de guerre maritime , de lui envoyer leurs produits libre- ment , ou sans de grands désavantages, il s’en suivrait alors que nous augmenterions les forces de l'étranger, en devenant honteusement ses tributaires , pour une marchandise aujour- d’hui d’une consommation générale, immense, dont nous possédons cependant , sur notre sol natal, la matière première, dans un autre végétal que la canne, avec toute la science nécessaire pour égaler au moins cette riche production des deux Indes. Les Antilles ayant à redouter en outre la rivalité des sucres de l'Inde, que les Anglais obtiennent déjà de leurs trop vastes possessions à des prix inférieurs à ceux de l'Amérique : rivalité qui tend à écraser tôt ou tard la culture de la canne dans les Antilles, c’est un motif de plus pour exciter notre industrie età opposer , par une concurrence puissante, une barrière insurmontable à l'introduction des sucres étrangers, en perfectionnant l’économie de nos procédés. Sucresqui Rien ne nous empêche donc à créer, sur le .. sol français même, et au profit de la généralité Europe, de nos départements , une autre Saint-Do- mingue; et puisqu'il se consomme en Europe, EUROPÉENNES. 333 ainsi que je l’ai dit dans mon premier article, pour environ six cents millions de francs en sucres et en rhums : consommation qui est de nature à devoir doubler dans l’espace de vingt ans , on voit que la carrière se présente d’une manière large et vaste aux spéculations des propriétaires éclairés; mais comme rien de grand et de national ne peut s’effectuer avec un suc- cès certain et durable, sans des mesures fortes et protectrices de la part du Gouvernement, il est à desirer qu’il veuille donner , dans sa sagesse , une impulsion patriotique à électriser tous les esprits , et à transformer enfin, au profit de la France, la plus humble de nos racines en lingots, plus faciles à obtenir au- jourd’hui que ceux du Potôse. Nous possédons déjà une cochenille supé- rieure dans le kermès , et nous verrons, dans la suite de ces Annales , combien il peut de- venir aisé de naturaliser en France plusieurs des plus précieuses productions de l'Amérique et de l'Afrique. Je reviens, Monsieur, à l’objet que nous ki traitons , vous et moi, avec le desir de voir à généraliser nationaliser , dans le royaume, la plus riche °* France: branche d'industrie et de commerce qui puisse sourire aux propriétaires et aux capitalistes français; car il serait, sans aucune exagération, Le 334 ANNALES possible, avec tout ce que le temps et les circon-. stances préparent, de faire entrer notresol pour deux à trois cents millions de francs de sucres, de rhums et d’excellentes eaux-de-vie, dans la consommation générale de l'Europe. De vastes surfaces de terres incultes attendent cettesobre racine pour enrichir la main habile qui voudra la leur confier. il est bien probable que , si le Gouverne- ment , à qui appartient la sagesse des pré- voyances , et les premières impulsions à don- ner , pour multiplier les éléments de la pros- périté publique , proclamait une franchise complète de dix ans , en faveur de la confec- ton des sucres indigènes et de celle des spiri- tueux qui en dépendent ; il est bien probable , dis-je, que par une mesure aussi nationale, qui obtiendrait un assentiment universel, on verrait s'élever, en moins de deux ans, dans tous nos départements , au moins mille de ces riches établissements. Ce résultat n’a rien de problématique ; car, lorsqu'on fit un semblable appel en 1810, en n’accordant qu'un privilège de gi ans, il s'éleva , dans la même année, jusqu’à trois cent quarante-six de ces fabriques ; qui exigérent de vingt à trente millions de fonds, et cependant c'était pour une découverte nouvelle, encore EUROPÉENNES. 335 toute à créer , dont on ne faisait qu'entrevoir la possibilité de la réussite , et qui ne laissait pas de donner des inquiétudes fort naturelles ; tandis qu'aujourd'hui le noviciat est fait, le but est atteint, la certitude du succès et la marche des procédés sont connues. Il ne faut donc plus qu’un privilège large , je dirai même magnanime, pour entrainer les esprits et trans- planter le plus riche produit des Indes sur notre sol fortuné. Ces richesses, que le Gou- vernement y appellera , par le faible sacrifice de quelques droits de franchise , enrichiront l'Etat et enfanteront de leur superflu , mille autres établissements utiles projetés , qui sont dans la volonté de tout le monde, et qui n’at- tendent que des fonds pour être réalisés. En admettant d’abord l'établissement seule- ment de mille fabriques dans tout le royaume, ce qui ferait entre onze et douze par départe- ment, travaillant sur une quantité moyenne de quatre millions de livres de betteraves, 1l en résulterait un produit de cent vingt millions de sucres raffinés ; de trente millions en sucres de qualités inférieures, et pour au moins vingt millions de rhums et d’eaux-de-vie, qui, pris ensemble, peuvent s'évaluer modérément à cent quarante millions de francs ; ce qui pro- duirait, pour la moyenne de chaque départe- Richesse qui peut en résulter pour les départe- ments. 336 ANNALES ment, environ un million six cent vingt-sept mille neuf cent six francs par an, pour l’em- ploi d'environ quatorze cents hectares de terres , en ne comptant même que quinze ; AU lieu de vingt milliers de produit de racines par arpent, ce qui porterait à cinq cent quatre- vingls francs pour chaque, la matière première fabriquée. Un pareil résultat, fondé sur des faits dé- montrés par une expérience positive , irrécu- sable, donne l'échelle vraie de tout ce que cette riche branche d'industrie peut offrir de ressources et d’aisance à nos départements. Avec la grande surabondance de terres que nous possédons, ce résultat pourra être faci- lement doublé. L'Espagne , l'Italie , l’Alle- magne et tous les pays du nord, offrent de faciles débouchés à ces denrées, devenues de premiére nécessité presque autant que le pain même. Ayant fourni, dans mon premier article , tous les documents nécessaires sur le choix des racines ; sur la manière de les semer; sur l’é- poque où les travaux de fabrication doivent commencer et cesser ; enfin, sur les produits qu’on peut espérer , tant en sucres qu'en eaux-de-vie, je vais encore, pour satisfaire au vœu que m'adressent nombre d'amateurs » et EUROPÉENNES. 337 remplir aussi de mon mieux la tâche que je me suis imposée, donner une notice exacte sur les chaudières et tous les ustensiles en cuivre, ndispensables à une fabrique qui travaillerait sur quatre millions de betteraves, et offrir à a suite quelques observations sur les forces motrices à employer pour porter la plus zrande simplicité possible dans les procédés , ainsi que la plus grande économie dans la dépense. État des prix et ustensiles en cuivre indispen- sables à la fabrique. 1°. Deux chaudières à clarifier à l’eau de chaux, le suc sortant des pressoirs, contenant chacune kilog. | écessaires ONE One A hu US 200 en cuivre, Ustensiles 2°. Deux écumoirs et deux puiseurs, chacun de trois Kilogrammes , c1..5.:. 4.8. de 2%i0 le ir. 14 3°, Deux sceaux pour transporter le vesou clarifié, chacun de quatre kilogrammes.............. 8 220 (1) On indique ici deux chaudières à clarifier, parce qu’il est de la plus haute importance d’y verser le vesou aussitôt qu’il sort des pressoirs, sans quoi, la température chaude qui règne dans les bâtiments de cuites en aliérerait les principes saccharins. 338 ANNALES kilog., sesessrss 220 4°. Deux chaudières à évaporer et à déféquer au sang, de bœuf, contenant 400 litres, et pesant chacune 75 kilogrammes........ D'autre part oil. con 0 CU 5°, Deux chaudières semblables à déféquer au noir animal, pour la confection du sirop.......... 150 6°. Chaudière de cuite ou de grainage de....... 150 5 7°. Une écumoire et un puiseur , ensemble, ..... ‘3 8°. Deux rafraïchissoirs destinés à recevoir les cuites de sucre , pesant chacun 45 kilogrammes , ERSERPDIES PR RL LME 0.0.0 90 9°. Deux portoirs, de 5 kilogrammes chaque ensemblelcie. sn. RE ? ...... 10 10°, Passoirs pour préparer la terre, à terrer les … (SUCEES CLe 2 0 lois ee n0 o 1600 0 ù ous CRT SRE 7188k- Les 788 kilogrammes au prix fait de 4 fr. 5o c. chaque, font ci... 3,556fr. 110, Un alambic contenant dix hecto- litres, du poids de 325 kilogrammes à 5 fr. chaque ci........,.....,,. 1,625 Dépense totale à faire en ustensiles de cuivre, pour une fabrique qui tra- vaillerait sur quatre millions de bette- TAVES ess oosesosseccsesoscsseses D,181 fre La machine à laver les racines, la construc- tion des fourneaux , les toiles , les baquets , < EUROPÉENNES. 359 les seaux de fer-blanc, et toute la poterie né- cessaire, pouvant s'élever à deux mille huit cent dix-neuf francs , forment la première dé- pense de huit mille francs à faire, dont J'ai parlé dans le huitième cahier de ces Annales. Cette dépense, au jourd’hui invariable , ne s'é— lève plus au cinquième de celle qu'on a eu à faire dans les quatre premières années de cette grande et patriotique entreprise. Une chose de la première importance, c'est une perfection rigoureuse dans la construction des chaudières et des alambics : ces ouvrages exigent une entente particulière et une expé- rience bien acquise. M. Lacase fils ainé, qui a fourni toutes les fabriques de la Meurthe et des Vosges , possède non-seulement ces qua- lités à un degré rare, mais il a encore le mérite d’avoir inventé, de concert avec M. Matthieu de Dombasle, l’alambic peut-être le plusparfait qui existe en ce moment, et qui a été l’objet d'un brevet d'invention. Cet appareil distillatoire continue obtient le plus grand succès à la ferme expérimentale de Roville (Meurthe), dirigée par M. de Dombasle (1). (1) M. Lacaze fils aîné, chaudronnier à la ferme expé- rimentale de Roville près Bayon, par Nancy ( Meurthe), fournit avec garantie, dans toutes les parties de la France, 340 ANNALES J'ai dit, dans mon premier article, que le räpage des racines et le pressage de la pulpe laissaient encore de grands avantages à at- tendre, d’abord dans les moyens d'obtenir, par le perfectionnement des machines , com- plètement tout le suc des racines ; puis dans l'économie de la main-d'œuvre, qui peut être de beaucoup simplifiée par l'application des machines à vapeur. Une fabrication , roulant sur quatre mil- lions de betteraves, exige quatre râpes , aux- quelles on avait d’abord employé trente-deux hommes , c'est -à- dire seize qui râpaient et seize qui reposaient, pour se relever alterna- tivement , et ne laisser aucun intervalle dans le travail. Cette manœuvre dispendieuse a été remplacée , dans beaucoup de fabriques, par un manège, se composant d’un grand rouet et de lanternes appliquées aux ràpes , le tout mis en mouvement par deux chevaux. C'était déjà un premier perfectionnement; venait en- tout ce qui peut concerner ces fabriques, et aux prix établis plus haut : le transport de ces ustensiles qui est un objet de foible dépense, se paie à part. Il se charge aussi de monter une fabrique sous ce rapport, moyennant indemnité de voyage. En le prevenant sur quelle échelle on veut travailler , il saura aussitôt quelles dimensions 1l aura à donner aux différentes machines en cuivre. EUROPÉENNES. 341 suite la manœuvre des pressoirs, qui exigeait encore l'emploi de dix ou douze hommes, et celle du cylindre à claire-voie, pour le lavage des racines. On pense qu’une petite pompe à feu, d'une Machines force motrice capable de remplacer ces trois re manœuvres, serait non -seulement un grand dans les fa- objet d'économie, mais elle offrirait encore "aus. l'avantage de leur imprimer un mouvement plus régulier, et porter plus de calme dans les travaux. Elle pourrait également servir les étuves et à faire le transport , d’un étage à l'autre, de beaucoup de choses qu’on est obligé de faire par main-d'œuvre. Nous possédons heureusement aujourd’hui deux grands établissements de ce genre, à Chaillot et à Charenton , où l’on fabrique de ces machines à vapeurs de toutes les dimen- sions et d’une perfection qui ne laisse, sous ce rapport, plus rien à envier aux Anglais. Ces utiles établissements, qui font fleurir toutes les manufactures qui en font usage , font ac- compagner l'envoi de ces précieuses machines, d'ouvriers habiles , capables de les monter et de les manœuvrer partout où l’on peut le de- sirer (1). (1) Nous donnerons dans un prochain article les prix 342 ANNALES Je considère l'usage et l’action de ces ma- chines à vapeur , comme devant décider le plus entier succès de la fabrication du sucre in- digène; en employant avec promptitude cette puissance auxiliaire, nous vaincrons en peu d'années toutes les rivalités sous l'important sujet dont il est question ici. C’est une grande cause nationale; c’est une riche source de pros- périté à réaliser, qui peut donner naissance à mille autres qu'il est pressant de ne plus ajourner. : Surlks Je dois encore répéter, que jusqu’à ce que ‘ape OR soit parvenu à un râpage parfait, et tant . tout le suc que l’on trouvera dans la pulpe des molécules des racines. srainues , qui contiennent le meilleur sucre, il sera profitable, après avoir immersé d’eau chaude les marcs sortant du premier pressage, de les soumettre encore soit à la pression d’un cylindre en fonte, soit à celle de la meule, pour les réduire en pâte complète, et en extraire jusqu’au dernier suc : c'est ce que la machine à vapeur pourra encore aider à faire avec la moindre dépense possible. Ce sujet est d’un intérêt si éminemment français, qu’il inspire le dévouement le plus et la force motrice de ces machines, destinées à exercer une heureuse influence sur notre industrie nationale. EUROPÉENNES. 343 \ naturel, et entraine à toutes les observations qui peuvent le rendre lucide et concluant aux yeux de tout le monde. Comme je crains de rendre cet article trop long et qu'il reste encore des choses utiles à dire, je me réserve de le faire de mon mieux à la prochaine livraison. Agréez, etc. , etc. 344 ANNALES EEE." ".—…——"———….…—…— HYDROPHOBIE. L’ayproPnogie (horreur de l’eau), vulgai- rement appelée la rage, est une maladie ac- cidentelle si épouvantable, qu’on doit consi- dérer comme un devoir sacré, celui de ré- pandre, autant qu'il peut être possible, la connaissance des remèdes certains, qui peuvent sauver d’une mort horrible et désespérante ceux qui ont le malheur d’être mordu d’ani- maux atteints de la rage : ce devoir, nousaimons à le remplir, en donnant ici le récit du doc- teur Marochetti, qui démontre avec une mo- deste franchise le remède efficace trouvé et administré avec succés par un simple paysan de l'Ukraine. On lit dans la Gazette de santé : M. Maro- chetti, chirurgien d’un hôpital à Moscou, se trouvant dans l'Ukraine en 1813, fut prié de donner ses soins à quinze personnes qui avaient été mordues par un chien enragé. Pendant qu'il faisait les préparatifs nécessaires, une députation de plusieurs vieillards vint le prier de faire traiter ces infortunés par un EUROPÉENNES. 345 paysan qui, depuis plusieurs années, jouissait d'une grande réputation pour la guérison de l'hydrophobie. M. Marochetti y consentit à certaines conditions. Alors le paysan donna aux quatorze malades qui lui furent confiés { le quinzième, Jeune fille âgée de seize ans, fut traitée par les moyens ordinaires pour servir de contr'épreuve) une livre et demie par jour de décoction de sommités fleuries de genêt jaune, et il examinait deux fois dans la journée le dessous de la langue, endroit où devait se former, selon lui, de petits boutons conte- nant le virus de Îa rage. Ces boutons sur- vinrent en effet du troisième au neuvième jour, et furent observés par M. Marochetti. A mesure qu'ils se formaient, on les cautérisait avec une aiguille rougie au feu , après quoi le malade se gargarisait avec la décoction de genét. Le résultat de ce traitement fut, que les quatorze malades se trouvèrent guéris en six semaines, tandis que la jeune fille, traitée différemment, mourut le septième jour dans les convulsions de la rage. Trois ans après , M: Marochetti revit les quatorze malades qui tous se portaient très-bien. M. Marochetti eut une nouvelle occasion en 1818 de s'assurer par lui-même de l'efficacité de ce remède. ITA 23 346 ANNALES Vingt-six personnes mordues par un chier enragé s'adresserent à lui pour se faire guérir. Il y avait neuf hommes, onze femmes et six enfants. Il leur fit prendre de suite une dé- coction de genista et examina leur langue. Cinq hommes, toutes les femmes et trois enfants avaient déjà les boutons de la rage : ils paru- rent le troisième jour chez ceux qui avaient été fortement mordus; chez les autres, ils se manifestèrent cinq, sept, et neuf jours après la morsure. Une femme qui avait été légèrement: mordue à la jambe, n’en eut qu’au bout de vingt-un jours. Le docteur fit boire à tous également une décoction de genista pendant six semaines, et leur guérison fut complète. D’après les observations qu’il a été à même de faire, M. Marochetti croit que le poison hydrophobique passe de la blessure dans le corps, et se fixe pendant un certain temps sous la langue, à l'ouverture des conduits glan- dulaires, qui sont de chaque côté de la langue, et qu'il y forme ces petites pustules remplies d'un fluide qui n’est autre chose que le poison de la rage. Elles commencent ordinairement à paraître entre le troisième et le neuvième jour après la morsure; et si elles ne sont pas ouvertes dans les 24 heures qui suivent leur apparition , le poison rentre dans le sang, et le 4 EUROPÉENNES. 347 * malade est perdu sans ressource. C’est pour- quoi M. Marochetti, recommande expressé- ment d'examiner tous les jours, avec le plus grand soin, pendant six semaines, la bouche des personnes menacées d'hydrophobie. Elles doivent continuer à prendre pendant le même espace de temps la décoction de genista (ou la poudre de cette plante quatre fois par jour, un gräin pesant pour chaque dose.) Tant que les boutons ne paraissent point , la rage n’est pas à craindre ; mais, dès qu'ils se montrent, il est urgent de les percer avec une lancette, de les cautériser , et de faire gargariser le patient avec de la décoction préparée. Cette importante dé- couverte à été consignée dans le recueil des traités relatifs à la médecine, publiée par livrai. sons périodiques à Saint-Pétersbourg. D'après ce récit, si digne d’un haut intérêt, il serait à desirer que tous les apothicaires du royaume reçussent l’injonction de tenir, àla disposition de tous les maires, de la fleur ou de la poudre de genêt, avec une instruction courte et précise pour l’administrer. On a découvert que le nénuphar , ou nym- phéa, plante qui croît dansles étangset les eaux calmes, estégalementun excellentremèdecontre la rage. Ce serait à la médecine à déterminer si 23. 348 ANNALES l'on doit donner la préférence à la décoction de la fleur ou de la racine. Je me rappelle queM. Sage, mon premier et bien respectable professeur de chimie , en m'entretenant de l'efficacité de l'emploi de l’alkali-volatil-fluor , contre tous les genres d'asphyxies , m'a souvent parlé de lheureux effet que l'emploi de cet alkali produisait aussi contre le virus hydrophobique, en l’adminis- trant, à des distances égales , par trois à quatre gouttes dans une cuillerée d’eau. Toujours serait-il prudent de suivre, au- tant qu'il peut être possible, le conseil sage du célèbre Tissot : de se garder de tuer les animaux que l’on présume être atteints de la rage , et d'employer tous les moyens pour les atteindre et les enchaïner, afin de s'assurer si cette maladie est réelle chez eux :ce serait le moyen d'épargner bien des soucis cruels et _ des angoisses dangereuses. EUROPÉENNES. 349 MONT ARARATH. La Genèse dit au chapitre VIII, au sujet du déluge : Les eaux se retirent. Noé sort de l’arche. « Dieu s’étant souvenu de Noé, de touies les bêtes sauvages , et de tous les animaux domestiques , qui étaient avec lui dans l’arche, fit souffler un vent sur la terre, et les eaux commencérent à diminuer. » « Les sources de l’abime furent fermées , aussi bien que les cataractes du ciel, et les pluies, qui tombaient du ciel , furent arrêtées. » « Les eaux étant agitées de côté et d’autre, se retirè- rent, etcommencèérent à diminuer après cent cinquante jours. » | « Et le vingt-septième jour du septième mois, l'arche se reposa sur une montagne d'Arménie (1). » Le mont Ararath, qui donne la vie à plu- sieurs lacs et fleuves ; qui rafraichissent le centre de l'Asie, jouit, dans l'esprit de tous les peuples de l’ancien continent , d’une célé- (1)Le mont Ararath. 350 ANNALES brité religieuse, et qui, prenant son origine dans l'évènement le plus mémorable que puis- sent offrir , après la création, les annales du genre humain, on croit devoir placer ici la description faite par M. Morrier , de ce grand monument de la nature, qui présente sans cesse, aux peuples qui l'avoisinent, quelque chose de vénérable et de sacré (1). Observé Le 6 juin 1816, l'ambassadeur et sa famille en 1816 par M. Monicr, secrétaire de de bateaux avait été rompu quelque temps au- l'ambassade t I ] L ae il anglaise da paravan par a crue «es eaux, € passage € Perse. ce fleuve était la plus grande difficulté que arrivèrent aux bords de l’Araxes, dont le pont pouvait rencontrer l'ambassadeur en quittant la Perse ; cependant on y remédia au moyen d'un radeau qui fut construit par un mécani- cien anglais. Au-delà du fleuve, ils traversèrent la plaine qui sépare Abat-Abad de N akehivan, et de ce lieu le mont {rarath leur offrit un magnifique point de vue. Rien de plus beau que ses formes dit l’auteur , rien de plus extraordinaire que sa (1) La tradition du déluge, et celle que l'arche s’est arrêtée sur une haute montagne après la retraite des caux , est si universellement répandue , que les Chinois prétendent posséder le véritable mont Ararath , sur le- quel l’arche est venu se poser. EUROPÉENNES. 351 hauteur gigantesque. Comparées avec lui, les montagnes voisines ne sont,plus rien. Sa forme est parfaite dans toutes ses parties:nul traitàpre, nulle proéminence, tout est en harmonie, tout semble se combiner pour en former un des monuments les plus sublimes de la nature, Il ‘élève sur une base immense, la pente vers son sommet est douce et facile; mais, dans la partie que couvrent Îles neiges , elle est plus inégale. À côté de cet ouvrage prodigieux de la nature, s'élève de la même base une petite col- line dont la forme et les proportions sont les mêmes, et qui, dans un autre lieu, passerait pour une haute montagne. Personne, depuis le déluge (1), ne paraît en avoir atteint le sommet; d’ailleurs la pente escarpée de la cime neigeuse parait présenter un obstacle insurmontable à tous ceux qui essayeraient d'y parvenir. Nous pouvons assurer que dans les temps modernes personne ne l'a escaladée. Si Tournefort lui- même, ce voyageur intrépide, a échoué dans sa tentative, comment pourrait-on attendre davantage des timides et superstitieux habi- tants de ces contrées ? oo q (1) D’apres l'opinion commune , c'est sur le plateau de cette montagne que l'arche de Noé s'arrêta après le déluge. 359 ANNALES Pour compléter ce tableau , nous allons ras- sembler ici ce que l’auteur, dans la suite de sa relation , rapporte au sujet de cette montagne, au pied de laquelle il campa pendant plusieurs semaines, à son retour de la frontière russe. Pendant ce campement, il avait formé à plu- sieurs reprises le projet d’escalader cette mon- tagne; mais les renseignements que lui don- nérent les habitants du pays et le peu de succès qu'avait eu une entreprise semblable faite quel- que temps auparavant, par le pacha de Bayasir, lui firent abandonner sa résolution. Le pacha avait établi trois stations sur l’es- carpement de la montagne, la troisième était à la limite des neiges : il n'éprouva aucun obstacle pour traverser cette région; mais, arrivé au pied des monceaux immenses de glaces qui couvrent le sommet du cône, ilne püt s’avancer au-delà, parce que la grande raréfaction de l'air coupa la respiration de plusieurs de ses gens. Cet obstacle n'était cependant pas le plus redou- table : ils avaient à courir un danger plus réel, plus imminent, celui d’être écrasé par les glaces, dont les blocs énormes se détachaient conti- nuellement sous la main de ceux qui s'y atta- chaient en se précipitant avec fracas le long de l’escarpement. Le pacha fut donc obligé de revenir sur ses pas; il avait déjà quelque temps EUROPÉENNES. 353 auparavant offert inutilement une forte somme d'argent à celui qui atteindrait le sommet. En été, dit l’auteur, le pic de glace, qui couronne le sommet de la montagne, brille d’un éclat différent de celui de la neige, et, s’il faut en croire les vieillards des environs, cette masse congelée a pris beaucoup d’ac- croissement depuis leur jeunesse. Un des grands traits de cette montagne est un abime im- mense , qui la coupe vers le milieu de sa hau- teur, et qui se laisse apercevoir d'Erivan, ainsi que des environs. Dans le voisinage de ce précipice s'élève un monticule de terre qui parait être étrangère à la conformation natu- relle et originelle de la montagne ;. dans le fond de l’abime est une masse énorme de glace, qui, par sa grosseur, peut être com- parée à une haute maison. Elle est indubita- blement tombée d'un rocher escarpé, visible à une grande distance, et qui penche beau- coup sur l'ouverture de l’abime. Une nouvelle aggrégation de glaces se forme progressive- ment au sommet de ce rocher, et les habitants s’attendent , à chaque instant, à voir une masse, égale à la première, s’en détacher et se précipiter dans le gouffre. L'expérience leur a appris que ces chutes ont lieu tous les vingt 354 ANNALES ans, et on peut les en croire, parce que, re- gardant le mont Ærarath comme sacré, ils l’observent fréquemment et avec soin. Le bloc de glace, qui est tombé dans le précipice , s’y trouve dans une position telle qu'il ne peut recevoir les rayons du soleil que pendant deux heures par jour , ce qui fait fondre précisé- ment la quantité nécessaire pour former une nouvelle congellation pareille, quand cette masse se retrouve à l'ombre. Le ver de neige, que Strabon assure si po- sitivement habiter le Caucase , et que les Per- sans, ainsi que les Arméniens, croient gé- néralement aujourd’hui exister dans le mont Ararath , paraît être un animal entiérement fictif. Nous avons, mais en vain, offert une forte récompense à celui qui nous en appor- terait un seul. D’après le récit des Persans, ce ver serait petit, blanc et si froid qu’un seul suffirait pour rafraichir une tasse de sorbet. Au mois d'août, en approchant de l'#ra- rath , et même à une assez grande distance, le bruit des glaces qui se fondent se fait entendre pendant la partie du jour la plus chaude, c'est-à-dire depuis deux heures jusqu’à quatre. Quand on se trouve à la limite des neiges, ce bruit devient effroyable ; mais les personnes EUROPÉENNES. 355 qui ont été témoins de la chute d’un grand bloc dans le gouffre, disent que rien n’est égal à la secousse qu’elle occasionne. Lorsque le petit Ærarath est entièrement dépouillé de neige, la chaleur est à son plus haut degré; c’est alors que l’on cueille les melons. En général, les neiges de l’Ararath servent de calendrier aux paysans de la plaine d’Erivan (1). C’est sur elles qu'ils se règlent pour ensemencer, planter , ou faire des récoltes. Le sol de cette énorme masse paraït être un amas immense de pierres, accumulées sans ordre , et dépourvues de verdure ; on aperçoit cependant , çà et la, quelques plantes para- sites. Dans quelques parties du petit 4rarath, on trouve des espaces formés d’une pierre ex- trèmement légère ; dans d’autres , on remarque une espèce de vitrification; la lave y est assez commune; mais un sable profond domine souvent dans les intervalles des rochers. Les animaux féroces qui habitent les montagnes sont l'ours, un tigre de petite taille, le lynx (1). On pêche dans le lac d’'Erivan, alimenté, par PArarath, parmi un grand nombre d’espèces d’excellents poissons , des carpes qui vont jusqu’à trois pieds de lon- gueur. 356 : ‘ANNALES et le lion; peut-être le serpent y est-il le plus dangereux de tous ; quelques-uns de ces rep- tiles y parviennent à une grosseur énorme; ils sont extrémement venimeux, et assez coura- geux pour attaquer les hommes. Pendant que nous étions campés dans le voisinage du mont Ararath , le bruit se répandit que le chemin qui se dirige entre la grande et la petite mon- tagne , était défendu par un dragon qui, semblable au serpent de Régulus, empéchait les caravanes de passer ; il fut reconnu que c'était un énorme serpent. Le pied de l’4ra- rath , qui s'étend vers les bords de l’Araxes, est couvert de marécages , où se trouvent un grand nombre de sangliers. Les oiseaux y fourmillent, ainsi que sur les bords du fleuve, Les montagnes nourrissent aussi beaucoup d’aigles, et on y distingue une grande variété dans l'espèce des faucons. Tournefort ( p.247, t. 2) semble tourner en ridicule les récits des voyageurs qui ont parlé de l’existence de certains anachorètes , sur le mont Ærarath ; mais, dans l'intérieur du gouffre , on voit une caverne, formée de mains d'homme en quelque parties, dans la- quelle demeure un ermite , selon le bruit: commun. Du reste, ces lieux sauvages et dé- serts sont l'asile de tous les brigands des ë EUROPÉENNES. 35 7 contrées environnantes, et il se trouve, entre le grand et le petit Ararath, une caverne placée dans une situation si forte, qu'un chef de kourde, turbulent , qui s’y est établi, brave de cette retraite le gouverneur du pays et ses soldats. | | 358 ANNALES + LONGÉVITÉ. Centenaire EN 1800, selon le rapport de Larrey, il \ et au-delà en ayait au Caire trente - cinq individus de cent F&rP et plusieurs années (1). En Espagne , dans le dernier siècle, on vit, à Saint-Jean-de-Lugo , ville de Galice , com- munier treize vieillards, dont le plus jeune avait cent dix ans, et le plus âgé cent vingt- sept ans ; ils formaient ensemble 1 499 ans. On compte ordinairement en Angleterre un centenaire sur 3110 individus. Au commencement de ce siècle, 1l y avait en Irlande quarante-un individus de quatre- vingt - quinze jusqu'à cent quatre ans , sur une population de 47,000 ames. En Russie, parmi 801,652 morts , en 1814, il y avait 3632 (x) Nous avons dit dans les premières livraisons , en parlant des indigènes de l’Amérique, combien il était peu rare de voir, dans le Paraguay et le Tucuman, des hommes de 140, de 160 et même de 180 ans. Tout s’al- tère en Europe, jusqu’au cours heureux et paisible de la ’ vie. EUROPÉENNES. 359 individus de cent à cent trente-deux ans. En Hongrie, la famille de Jean Rovir a fourni l'exemple le plus extraordinaire de longévité : le père a vécu 172 ans, sa femme 164 ; ils étaient mariés depuis 142 ans, et Le plus jeune de leurs enfants en avait 115. 360 ANNALES DETTE ANGLAISE. UN \ Ÿ ——_— | } Ur journal anglais fait les calculs suivants sur la dette nationale de la Grande-Bretagne, qu’il porte à sept cents millions de livres ster- lings (1). Cette somme, en billets de banque d'une livre, couvrirait un espace de 4516 milles carrés (2); en guinées, on ferait une ligne de 10,521 milles 558 yards ; en schellings, elle serait de 209,959 milles 1048 yards, ou à-peu-près neuf fois la circonférence du globe ( la circonférence de la terre est de 23,038 milles ). Cette somme péserait, en or, 14,981,272 de livres ; en argent, 325,805,45r de livres ; et en cuivre , elle ferait 4,685,500 tonneaux. Pour compter cette somme , à raison de cent pièces par minute, pendant douze heures par jour, il faudrait, en guinées, 27 ans, 6 mois, 2 semaines, à jours et 6 heures ; en schellings, 578 ans, 8 mois, 2 semaines, » jours —— (1) On la suppose plus considérable encore. (2) 1504 lieues. EUROPÉENNES. 361 et 4 heures; et si c'était en monnaie de cui- vre, et qu'on eût commencé à la création du monde , il faudrait encore 1132 ans. Enfin, pour porter la totalité de la dette en cuivre, il faudrait 9575 bâtiments du port de 5oo ton- neaux chacun. Un pareil tableau à de quoi épouvanter cette fausse fierté, qui a la prétention de régir, de dominer toutes les nations , tous les gou- vernements du monde, et que cependant le moindre choc peut et doit réduire, avec le temps , à une situation plus modeste. III. 24 362 | ANNALES QC QU QUO ANNONUES. TS Annales a ds bo des Arts, des Sbitdbes e des Lettres(x). | CE n'est pas par une vaine accumulati d'éloges vagues, maïs par une simple énon- ciation ( bien plus persuasive ) d'avantages po- sitifs ,, qu'on. devrait toujours chercher dre- commander les bons ouvrages. Nous applique- Tons ce principe aux pénales Françaises , publiées par MM. Alex. Lenoir , A.-D. Lour- mand et B. Mondor. Les Annales Françaises. paraissent , sans interruption ; depuis SiX ans : c'est une chose trés-facile à vérifier, et qui prouve déjà beaucoup en leur faveur. Bornées d’abord à l'architecture et aux autres arts dé- pendants du dessin, elles ont successivement agrandi leur cadre ; et, depuis trois ans, sur- tout depuis dix huit mois, elles s'occupent iour-à-tour de tous les arts, de toutes les sciences et de toutes les parties de la littéra- , AS L ture: on peut s’en assurer en feuilletant les (1) Six feuilles in-8° par mois, en deux livraisons : prix , pour un an; 25 fr., à Paris; 28 fr., dans les départements et létranger. — On s’abonne# chez M. Mondor , directeur , rue de Vendôme, n° 12; ou à ses librairie et cabinet littéraire, boulevard du Temple, n° 45 ; chez M. 4. D. Lourmand , rédacteur principal, rue Saint-Louis, n° 26 ; et chez tous les libraires et di- recteurs des postes de l’Europe. #; = CRE EUROPÉENNES. | 365 onze volumes existants de cet important re- cueil, dont ont verra bientôt commencer le douzième; et l’on pourra juger en mêmetemps des connaissances et des talents qu’y montrent les éditeurs et leurs nombreux collaborateurs. Peut-être, effrayées de l’idée d’une vérification trop longue, plusieurs personnes desireraient- elles une indication spéciale de quelques ar- ticles ; mais cette indication exigerait demotre part un choix difficile et des exclusions pé- mibles : au lieu de nous en charger , nous renvoyons à la table des matières de chaque volume, avec laquelle chaque lecteur trouvera sans peine ce qui paraîtra le mieux lui con- venir. Oui, nous conseillons à tous les amis des arts , des sciences et des lettres, de donner quelques moments à lexamen des Annales Françaises , pour s'en former une Juste opte mon par eux-mêmes. Nous sommes persuadés qu'aucun de ceux qui auront suivi ce conseil ne regrettera .cet emploi le son temps, et qu'un grand nombre s ’empresseront dese pro- curer un tel ouvrage. Ca Le nouveau Mentor de l'adolescence (1). Cer ouvrage paraît, depuis le 1°° janvier, par Moose hebdomadaires , dont la collec- m4 (1) Le prix dela souscription d’une année est de 25 fr. pour Paris et de 15 fr. pour six mois. Adresser l'argent et les lettres, à M. Cartier-Vinchon ë rue du Bouloy, n°8. 36/4 ANNALES EUROPÉENNES, # tion doit former 1200 pages d'i impréSion ; ou six volumes in-12 par année. nr" Il embrasse la géosraphie, l'histoire } la littérature , la morale, l'histoire naturelle , les soins intérieurs d’une maison, des contes moraux et mythologiques, enfin tout ce qui peut orner et compléter une éducation solide et recommandable dans la société. Les personnes qui concourent à cet inté- ressant journal portent des noms justement respectés, autant par leur savoir que par la pureté de leurs principes , et M. Cartier- Vinchon , qui en est le directeur » ne peut qu'ajouter à la juste estime que mérite un tra- vail de cette nature. Puisqu’enfin on s'occupe ain , pour l'honneur de la France, d’une éducation mo- rale et éclairée , nous recommandons , aux “collèges et pensionnats des deux sexes le Nou- veau Mentor ; fait pour charmer et nourrir utilement l'esprit de la jeunesse. Dans plusieurs écoles et. pensionnats de la capitale , les élèves se sont volontairement cotisés pour l'abonnement au Hentor. ES DE L'IMPRIMERIE DE J.-M. EBERHART. : : ANNALES EUROPÉENNES DE PHYSIQUE VÉGÉTALE ET D'ÉCONOMIE PUBLIQUE, RÉDIGEÉES Par une Société d'Auteurs connus par des ouvrages de Paysique, d'HISTOIRE NATURELLE et d'ÉconomiE PUBLIQUE. N ous commencerons ce cahier par remplir un devoir cher, celui de remercier Messieurs nos Abonnés, pour la patience toute bien- veillante qu'ils ont daigné nous accorder dans la lenteur des envois, lenteur qui nous a fait souffrir tout ce qu'on peut imaginer d’amer et de pénible. Une position trop long-temps difficile , que la nationalité même de ces AnNaLEs n’a pu vaincre et améliorer que lentement , en a été l'unique cause. Enfin nous sommes arrivés à la situation qui nous permet d’assurer Messieurs les Abonnés, que nous serons dorénavant assez heureux de reconnaître leur indulgence par une régularité toute satisfaisante. Nous devons ajouter que des savants et des HT. 25 LI #* é 366 ANNALES é voyageurs distingués, versés dans toutes les connaissances de la nature, qui ont à cœur d'offrir à la patrie le tribut de leurs lumières et des observations faites sur toutes les parties du globe qu'ils ont visitées , vont concourir à assurer encore mieux à ces ANNALES le carac- | 28 tère national que toutes les admimistrations du royaume leur ont déjà reconnu. Les douze livraisons qui completent la pre- mière année de ces ANNALES, COmposant en- semble trois volumes , embrassent une sériesi variée de faits et de choses , puisés dans l’ servation des lois générales de la naturé, RP à directement applicables à toutes les localités du royaume, dans le sens de la _plus haute prospérité à créer, que nous croyons" devoir offrir ici la nomenclature sommaire des prin- cipaux sujets traités dans ces trois volumes de la première année. Sujets traités dans le tome premier. 1°. Introduction sur l’immensité dela na- ture, page 5. — Vues sur l'état primitif des forêts ; de leur influence sur les climatures et” les eaux vaporisées. — Sur l'influence des abris, dans leurs rapports avec les tempé- ratures et la végétation. — Vues sur la cause EUROPÉENNES. 367 . dés inondations irrégulières ; sur les tempêtes et les ouragants terrestres. — Sur l’ancienne abondance des baleines, des phoques et des … dauphins, dans la Méditerranée et dans la mer Rouge. — Sur les pèches des anciens. — . Exemples de la puissance de la musique sur des poissons marins et sur différens animaux. — Pêches du Cormoran. — Chiens de Terre- Neuve; chiens aux serpents. — Conclusions * de tout ce qui précède , page 101. 29, Tableau des déboisements dans diffé- rentes parties de l'Asie, de l’Afrique, de l’A- mérique et de l'Europe ; calamités physiques : qu’ils traînent à leur suite. — Opinion de Sully, - de Colbert,de Fontenelle, de Réaumur, de Fran- kiin et de Buffon, sur les bois. — Ancienne et nouvelle surface des forêts de la France. — Suite des pêches des ancienset du moyen âge, en poissons de mer ; pêches des Grecs. — Ex- tréme abondance en poissons dans le Bos- phore. — Anciennes et riches pêches du #Aon ; poids remarquable des thons ; importance de ces pêches. — Diminution des poissons ali- mentaires ; causes de cetie diminution. — Voyages merveilleux des grands poissons ali- mentaires , de la mer Noire et de la Médi- terranée. — Poissons amis de l’homme ; £ga- Tums , OU préparations diverses que les anciens ‘ 25. 368 ANNALES donnaient aux poissons. — Pêches des Ro: mains ; luxe de leurs viviers; moyens d’en- richir nos eaux de poissons étrangers. — Ré- sumé sur l'importance des pêches, et compa- 0" raison entre les productions des mers et les productions terrestres. — Digression sur quel- ques observations physionomiques. — Sur fintroduction des. chèvres Thibétaines en France. — Des crabes des Antilles , et de leurs voyages annuéls à la mer , page 209: 4 3. Description de la situation physique de cinquante - six départements de la France; 4 avec les preuves locales qui. constatent , d'une manière irréfragable , que l'extrême variabilité de Patmosphère , celle des tem- pératures, le cours interverti des météores ; l'altération de nos anciennes et fortunées cli- maturés , et par suite naturelle , la diminution des eaux et de la puissance végétale, procèdent principalement de la trop grande nudité ‘de nos montagnes. — Description! des anciennes pêches du harang dans les mers du nord à de sa merveilleuse abondance dans les premiers temps; des grandes ressources alimentaires que cette seule pêche offre, depuis huit siecles , à toute Ja population européentie; sur les ri- chesses ét la puissance maritime qu’elle a pre- curées à différents peuples; sur les voyages etla # EUROPÉENNES. 369 Ce diminution sensible de ces précieux poissons ; cause présumée de la diminution de ces pêches. — Notice sur lescélèbres nids de la salangane, fort recherchés par les Chinois et par tous les hommes luxurieux de l'Asie Orientale , comme un met de délices et surtout réparateur des corps épuisés. Frai de poisson dont ces nids sont composés ; moyen qu'offre cette sub- stance séminale , de transplanter les pois- sons étrangers dans les eaux européennes, page 304. 4°. Quelques vues sur les tortues de mer ; des grandes ressources qu'elles présentent aux peuples riverains des parages qu’elles fréquen- tent, et surtout aux navigateurs. —— Arbres . merveilleux des différentes contrées du globe, remarquables par leur stature , leur beauté et leur durée. — Suite et conséquence de tout ce qui précède , avec quelques vues sur la chaine des Andes , considérée comme un des grands monuments météorologiquesilu monde.—Com- paraison entre les productions naturelles qu’of- fraient spontanément nos forêts , et les pro- ductions que présentent en leur place de laborieuses cultures. - L'économie rurale, qui tient le premier rang dans la société , a perdu des ressources immenses , inapprécia- bles, dans les plantureux pâturages des forêts. — #* à à 370 ANNALES Origine des vents et dé leur influence réelle sur les climatures de la terre. — Montagnes en or , en argent, en cuivre, en fer , etc. , etc., et de leur influence mystérieuse dans l’har- monie des éléments. — Vignes , oliviers et müriers ; leur souffrance de l’inclémence mo- derne des vents sauvages. — Arbres à huile, arbres à beurre végétal, qui s'offrent à l'at- tention de la France. — Observations sur les serpents de l'Europe, sur les grands serpents terrestres et les grands serpents de mer; sur la mission qu'ils paraissent avoir à remplir dans l’ordre général de la nature. — Pêches des perles dans le golfe Persique, en Amérique ot à l'île de Ceylan , page 432. Tome deuxième. 1°. Arbres dont le port, la durée , l'éléva- tion et l’utilité générale conviennent le mieux à nos plautations montagneuses et foresticres. — Chène à cochenille, chène à liège, chêne à gland comestible. — Ordre à suivre dans les boisements des lieux incultes de la France. — Effets heureux qui résulteraient du boisement de nos montagnes. — Masses des terrains va- gues qui existent dans le royaume ; classifi- cation des bois les plus utiles dont il con- vient de l’orner, — Miel et cire qu'offrent EUROPÉENNES, 371 les bois. — Bruit harmonique des arbres : effet du tonnerre dans les bois ; forêts consi- dérées comme forteresses ; opinion de M. de Bonald à ce sujet. — Bel effet des vapeurs, comme produits d'une riche végétation. — Perspectives spéculaires et aériennes ; villes réfléchies dans le ciel ; fée Morgane, ou ré- flexion des environs de Naples dans les airs. — Création de nouvelles climatures. — Histoire complète du cocotier , avec celle de tous les biens qu'il offre à la société. — Péches et abondance des baleines sur les côtes de France dans le moyen àge. — Pêches du marsouin, le long de nos rivages, à la même époque ; an- ciennes et riches pêches d’esturgeons dans nos fleuves ; pêches semblables en saumons, dans le moyen äge ; pèches abondantes en aloses , à la même époque ; pêches de lamproies, con- sidérées comme des baromètres vivants. — Observations comparatives sur la fièvre jaune. — Anciennes pêches de l'anguille; dimension extraordinaire d'un de ces poissons. — Ré- flexions extraordinaires sur ce qui vient d’être exposé dans la cinquième livraison , page 121. 2°. Observations physiques sur les sources et les fontaines ; lettre intéressante sur les causes de l’affaiblissement d’une fontaine qui avait, pendant cinq siècles, fait marcher un 372 ANNALES moulin; sur la possibilité de conserver et d'augmenter les sources. — Sur la création des forêts militaires. — Effet des fontaines dans les bois; joies et fêtes dont elles sont l’objet. — Bienfaits de la température des eaux de source en hiver; elles conservent la vie aux poissons, et attirent les légions d'oiseaux , forcés de quitter les eaux glacées des pays du nord. — Cent mille lieues de ruisseaux né- gligés, à rendre à leur richesse et à leur fé- condité primitives ; grands produits, qu'offre Jeur plantation en arbres nautiques, en com- bustibles, en prairies aériennes et en pois- sons. — Sur les étangs et les ressources qu'ils peuvent offrir à la société. —— De la chataigne aquatique; de sa végétation merveilleuse, et des avantages de sa culture. — Trois cent mille lieues de lisières, que présentent nos prés, qui sont à décorer et à replanter en arbres utiles : effets fructueux et harmoniques qui résulteraient de ces plantations: — Les prairies considérées comme les premières routes terrestres du genre humain. — Restau- ration et repopulation de nos vingt mille lieues de fleuves et de rivières. — Arbres et forêts qu'appellent leurs rives. — Indication dés poissons qui conviennent à leurs eaux dé- peuplées. — Résumé de ce que les eaux Inté- EUROPÉENNES. | 353 rieures de la France, aménagées , pourraient produire chaque année en poissons. Tableau des forêts précoces que la plantation de nos eaux en bois nautiques peut offrir à nos be- soins urgents. — Observations générales » page 230. 3°. Revue sommaire des principaux sujets traités dans les six premières livraisons de ces Annales. — Sur l'origine du zodiaque de Denderah , arrivé à Paris. — Révolution ba- rométrique , arrivée le 24 décembre 1822 ; tempêtes, orages et températures extraordi- naires qui en ont été la suite. — Bienfait des abris , et climatures favorables qui en résul- tent. — Les mers, d'ou s'élèvent sans cesse les eaux qui rafraichissent et fertilisent la terre, considérées comme les réservoirs de la vie du monde et les sources de toutes les fécondités. — Nécessité indispensable , dès l’origine du monde, de l’existence’, de la hauteur et de la direction respective des montagnes. — De la nécessité aussi absolue de leur vêtement végétal, pour la conservation de toutes les harmonies physiques et de toutes les existences. — De l'excès des inondations , des tempêtes et des ouragans terrestres dérivés du déboisement des montagnes , page 256. Pertes des prairies forestières, — Quels sont 374 ANNALES: les véritables trésors de la nature, — Sur la destruction d’une partie des richesses de la terre. — Des prod uctions offertes par la nature, comparées à celle des cultures. — Quelle est la plus solide fortune des nations. — Immense perte faite en pacages. — Animaux les plus précieux à l'aisance des ménages. — Vaches, que la France pourrait et devrait posséder. — Le déboisement des rivages de la mer a di- minué les poissons alimentaires. — Anciennes grandes pêches dans la Méditerranée. — Grands produits des anciennes pêches du hareng. — Pêches de la morue et de leur importance. — Des produits des mers et des produits de la terre, — Ce qu'il y aurait à faire pour les eaux de la France, pour leur rendre leur pompe et leur ancienne fécondité, page 260. Assainissement , dessèchement et fructifica- tion des marais. — Description de tous les. marais connus; Marais Pontins. — Sur l'in- fluence des steppes de la Russie et les Palus- Méotides. — Moyens simples et faciles d’assai- nir les marais et de les rendre fructueux. == Les Andes ou les Cordillières ; Chimborazo , le Cotopacsi et le Pichinga, considérés comme les plus grands monuments de l'Amérique et peut-être de toute la terre. — Vengeance d'une baleine. — Les morses, ou chevaux marins. . EUROPÉENNES. 375 = Chasses aux ours , des Kamchadales, page 345. 4°. Considérations sur l'importance et la facilité de continuer la fabrication du sucre européen; grands avantages quien résulteraient pour l'Europe et la France en particulier ; détails relatifs à cette fabrication. — Plantation des grandes routes, considérées comme #10nu- ments publics ; choix à faire des arbres les plus utiles. — Cent vingt mille lieues de chemins champêtres , OU routes pastorales 4 précieux avantages qui peuvent résulter pour les cam- pagnes, de leur plantion en arbres fruitiers ; choix de ces arbres. — Notice historique sur les dimensions primitives des différentes espèces de baleines , comparées aux plus grands animaux terrestres; mers qu'elles fré- quentaient dans les siècles antérieurs; leurs mœurs, leur naturel et leur confiance; gran- deur du spectacle que ces colosses de la nature offraient à l'admiration de l’homme. Guerre acharnée qu'on leur fait ; entiere destruction dont elles sont menacées, page 480. Tome troisième. o 1”. Introduction à une circulaire mémo- -rable du Ministere de l'Intérieur, relative aux principaux sujets traités dans les Annares Euxo- 376 ANNALES PÉENNES. — OEuvre immense du Ministere, en adressant à toutes les administrations du royaume, cinq grandes questions, sur l’état physique actuel de la France, sous le rap- port des saisons, des climais, des tempéra- tures, des eaux et de toutes les productions * qui en dépendent. — Réponses départemen- tales de MM. les Préfets de la Mayenne, de la Marne, de l'Ardèche, de la Dordogne et du Haut-Rhin, embrassant, dans l'examen de la physique locale de tous les cantons. l’inclé- mence des saisons; l’altération des climatures ; le tarissement des sources: les irondations désastreuses; les /Zéaux de la grêle; la dimi- nution des poissons, des oiseaux, etc., etc. — Conséquences et conclusions que la haute importance de ces réponses fait naître, pages 5 et 74. Sur la nécessité d’abriter les campagnes cul- tivées, et sur les moyens d'y répandre des trésors, qui n’ont encore été ni essayés, ni appréciés, et qui n’attendent que le signal gé- néral pour être réalisés. — Plantation ratio” nale, et choix des arbres qui peuvent assurer une abondance universelle et inaltérable à la France, page 122. 2°. Considérations générales sur le but d'u- tilité nationale de ces Annales, et de l'heu- EUROPÉENNES. 377 reuse impulsion donnée à ce sujet, par le ministère de l'Intérieur, dans tous les dépar- tements du royaume, — Rapport fait sur la nature et le caractère de ces Annales. — Suite des réponses départementales, sur la situation physique de la France. — Département du Jura; département du Lot ; département des Basses- Alpes. — Fragment sur l'astronomie, avec quelques remarques sur les limites de cette science et la diversité des hypothèses qu’elle enfante parmi les astronomes. — Sur l'arachis, ou pistache de terre; bonté de l'huile qu’on en extrait ; facilité de la cultiver dans toute la France ; avantages précieux que sa culture présente aux ménages champêtres, «— Sur l'opinion que le mammouth a été le plus grand animal terrestre ; notions qui per- mettent de croire à son existence , sous une forme et une nature différentes de celles qu’on lui avait attribuées, page 248. 3°. Sur la possibilité de donner une direc- tion heureuse et nationale à l'esprit public, én réalisant, par une mesure générale dans tout le royaume, tout ce que ces Annales présentent de grands biens à effectuer : une allégresse universelle ; la paix publiquerendue inébranlable , et un amour sincère pour le gouvernèment, en seraient le glorieux résultat. 378 ANNALES : — Suite des réponses départementales : dé- partements du Gard , de F'aucluse et des FVosges. — Conciusion importante auxquelles elles donnent lieu. — Digression sur les pro- ductions et le premier état des heureux insu- laires de la mer du Sud, suivie de quelques comparaisons sur le bonheur social, possible à réaliser en d’autres pays , et particulièrement en France. — De la facilité de transplanter la toison-d’or de Saint-Domingue dans les champs français, et de fabriquer annuellement pour deux à trois cent millions de sucres dans tous les départements de la France ; opulence na- tionale qui en résulterait. — Remèdes efficaces contre l'hydrophobie , vulgairement appelé la rage. — Description du mont Ærarath, comme occupant une place dans le déluge et dans la Genèse. — Exemples de longevité. — Dette anglaise, page 360. 4°. Observations que font naître les sujets de bonheur public, traités dans les onze li- vraisons qui précèdent. — Grand intérêt avec lequel cet ouvrage est considéré par les conseils généraux des départements. — Suite des ré- ponses départementales ; supplément à celle de l'Ardèche ; département du Var ; départe- ment du Morbinan ; département de la Haute- Loire. — Anciennes dimensions des poissons EUROPÉENNES. 379 qui habitent ou fréquentent nos eaux douces, comparées à celles que nous leur voyons au- Jourd’hui, — Poissons électriques. — Poissons lumineux. — De la haute importance de gé- néraliser les pépinières , et sur les phénomènes qu’on remarque dans les amitiés et les inimitiés végétales. — Sur un ouvrage qui a pour objet d'ériger des greniers d’abondance dans tous nos départements , dans la vue d’anéantir pour jamais le fléau de la disette de grains ; remarques sur les silos. — Tableau des montagnes les plus élevées de l'Asie, compa- rées à celles de l'Amérique ; de la nécessité de leur influence sur l'harmonie physique du monde. Voici comment s'exprime l’estimable auteur du Nouveau Mentor de l’ Adolescence , dans sa quatorzième livraison , sur les ANNALES EUROPÉENNES : « Ce n’est point, dit-il, une gazette, un journal , un écrit passager , que nous annon- çons : c'est le livre de la nature, l'observateur du globe, l'interprète des phénomènes, des causes et des effets : en un mot, l’historien des mondes réunis , expliquant les mervéilles de la création , et rapprochant, par la dignité des principes et de la philosophie religieuse , 380 ANNALES les hommes et les gouvernements, les peu- ples et les souverains , les créatures et le Créateur. » Les ANNALES EUROPÉENNES deviendront bientôt un musée d'exposition de toute la na- ture , ou les tableaux du génie, de la concep- tion et de l’observation, étonneront l’homme lui-même, » Le siècle a beau dire qu’il est parvenu au plus haut degré de civilisation , qu’il a tout appris, tout enseigné : heureusement, le siècle est encore Jeune &t n’est point incorrigible ; al oubliera ce qu'il ne devait pas savoir , et se montrera jaloux d'étudier ce qu'il doit, ce qu'il est beau d'apprendre , c'est l’ordre 2m- muable des choses. » Revenant ainsi aux principes de, vérité éternelle , les hommes abjureront leurs erreurs passées ; les savants comprendront enfin que le grand livre de la véritable science , celui de la nature , est ouvert partout, sous léurs pas, sous leurs yeux incertains, et que, s'ils par- viennent à l'expliquer, à le traduire, ils wi- vront heureux. » Ainsi les erreurs , les sophismes , les aberrations de la philosophie moderne erou- leront devant les principes éternels qu'une EUROPÉENNES. 38r main inimitable grava partout, dans les cieux, sous les eaux, sur la terre, comme pour at- tester sa puissance suprême , etc., etc. , etc. » Les ANNALES EUROPÉENNES, présentant une vaste sphère de choses utiles et morales à l'éducation générale et particulière, on s’en est déjà occupé dans plusieurs collèges , et nous croyons devoir offrir ici la lettre que vient de nous écrire , à ce sujet, un professeur de seconde d’un des premiers collèges de Paris, parce qu’elle honore autant son auteur que la place distinguée qu'il occupe. « Je ne puis, Monsieur , vous exprimer le ravissement que m'a causé la lecture d’un ou- vrage si intéressant de style, si utile par ses vues élevées et philanthropiques, et si parfai- tement en harmonie avec mes goûts, avec les idées dont je cherche en effet à répandre quelques germes parmi mes élèves. Cet ouvrage est du plus haut interêt pour le bien-être de l'humanité; j'oserai ajouter de la plus urgente nécessité pour arrêter le mal qui menace notre belle patrie; et en rappelant les hommes au goût de la nature, aux seuls véritables biens, en même temps qu'aux sources de la seule prospérité réelle, il peut encore faire la plus heureuse diversion au marasme politique qui HT, 26 382 ANNALES consume et paralyse tous les esprits, en dis- cussions haïneuses , ou en théories stériles pour le bien de la chose publique. » « Il manquait un monument de ce genre à notre littérature , ou plutôt à notre félicité nationale. Nos rivaux ne l’avaient pas négligé, et Edimbourg Review , n'avait pas peu con- tribué sans doute aux prodigieuses améliora- tions de l’état moral et physique du peuple an- glais. Poursuivez, Monsieur, cette noble tâche, qui ne nous laissera rien à leur envier; et le succès que j'ose espérer pour vous, vous fera mettre un jour au nombre des bienfaiteurs de l'humanité. Mes vœux les plus ardents vous ac- compagneront, et je me félicite d'être citoyen d’un pays dont le Gouvernement sait provoquer et encourager dignement des entreprises aussi vastes et aussi honorables, » Agréez , eIC., (LC. EUROPÉENNES. 383 CONTINUATION DES RÉPONSES DÉPARTEMENTALES A LA CIRCULAIRE DE SON EXCELLENCE LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR. À Complément à la réponse départementale de PARDÈCHE, accompagnée de la lettre sui- vante de M. le Chevalier de Laroque, Sous- Préfet de Tournon (1). Monsieur, je recois toujours avec un vif plaisir les AnnaALEs que vous rédigez avec un talent et des connaissances si remarquables; rien n’est plus attachant que cet ouvrage ad- mirable; et je serais heureux de pouvoir me livrer, sans distraction et sans obstacle, à tout ce qu'il me donnerait le désir d’entreprendre (1) Quoique nous ayons déjà donné , page 32 de ce 3e tome, la description faite avec un mérite remarquable du département de l’Ardèche, nous croyons au besoin de présenter encore ici le supplément très-lumineux que M, le sous-préfet de Touruon a bien voulu nous adresser. 26. 384 ANNALES et d'achever, persuadé, comme je le suis, de toutes les jouissances que je procurerais à mes descendants, dans un avenir qui ne me parait pas effrayant de longueur. Il serait extrêmement avantageux de popu- lariser, en quelque sorte, la propagation de vos ANNALES; ce serait le moyen de familiariser le plus grand nombre des propriétaires avec les idées utiles et pleines de charme qu’elles renferment avec une heureuse profusion, et dont ils s’empresseraient de réaliser au moins une partie. Il serait fort à désirer, que son excellence le Ministre de l’Intérieur, qui doit être bien enclin à favoriser l'exécution de la régénération de tant de précieuses richesses à réaliser, obli- geât, par une disposition formelle, les Haires des chefs-lieux de cantons à faire , du prix de souscription aux ANNALES EUROPÉENNES, un article de dépense obligée dans leur budget : car il serait précieux et utile de faire con- naître l'importance qu'il attache à cet ou- vrage; et le recommander en même temps, non-seulement à tous les administrateurs et propriétaires du royaume, mais encore à toute l'Europe agricole, à toutes les nations civi- lisées du globe. Vous trouverez ci-joint, Monsieur, quelques EUROPÉENNES. 385 observations que j'ai le regret de ne pas avoir faites lorsque je répondis pour l’arrondisse- ment de Tournon, mon pays natal, aux cinq questions proposées par le Ministre de l’In- térieur ; je désire qu’elles puissent encore aider à porter un nouveau jour dans la grande cause nationale dont il s’agit. Agréez., etc., etc. Observations sur le département de l Ardèche. Si, pour me conformer à la lettre minis- térielle, je n’avais pas cru devoir me renfermer dans le laps de trente ans, indiqué par son excellence le Ministre de l'Intérieur, j'aurais pu présenter une multitude de preuves qui ne laissent point subsister le moindre doute sur les modifications malheureuses que le dé- boisement de nos montagnes a apportées à la température de l'arrondissement de Tournon, et sur l'influence non moins malheureuse de ces déboisements sur nos sources et géné- ralement sur tous nos courants d’eau. Il est indubitable que les saisons n'ont plus la même régularité, et depuis cinquante ans cette différence est sensible dans l’arrondisse- ment de Tournon : elle l’est bien davantage, 386 ANNALES en remontant à des époques plus reculées, comme nous le verrons tout-à l'heure. Les hivers n’y sont pas devenus plus froids : peut-être même le sont-ils moins; une chaleur quelquefois assez vive, vient nous étonner dans les mois de janvier, février et mars; mais très-fréquemment vers la fin de ce mois, comme dans le cours d'avril et de mai, des froids piquants succèdent brusquement, et par intervales alternatifs, à une température douce et prolongée qui avait vivement accé- léré la circulation de la sève, dont le cours tout-à-coup interrompu par les vents glacés du nord et du nord-ouest qui soufflent avec violence en avril et en mai, détruit annuelle- ment une partie des riches espérances que l’on avait été fondé à concevoir. Des refroidissements subits en été aggravent encore le mal. La chaleur, il est vrai, reprend bientôt le dessus , mais quelques jours après elle se tempere de nouveau, et souvent au point de devenir insuffisante pour opérer la maturité complète du raisin. Aussi s’apercoit- on que les années de qualités remarquables pour les vins sont devenues plus rares qu'autre- fois, malgré les perfectionnements apportés depuis trente à quarante ans dans l’art de fa- briquer cette boisson, EUROPÉENNES. 387 L'automne aussi, paraît avoir subi des changements, mais ils ne sont pas défavora- bles, au contraire, puisque les froids arrivent plus tard. J'en dirai autant de l'hiver, qui est rare- ment bien rigoureux, et qui, même dans la haute montagne, paraît avoir perdu de sa lon- gueur et de son intensité. Les courants d’air s'étant multipliés à l’in- fini, par suite des déboisements sur le globe, et ne rencontrant que peu d'obstacles dans leur cours, il arrive que dans la même saison ils soufflent et le froid et le chaud, selon les pays d'ou ils viennent. Telle parait être, en effet, la cause naturelle de cette extrême va- riabilité que nous éprouvons dans les tem- pératures. En beaucoup de lieux, la forme même de nos montagnes a été visiblement altérée par l'entrainement des terres et la profondeur des ravins, dont le nombre s’accroit chaque jour par suite des défrichements. La stérilité Y succède à la végétation, mais commeil est vrai que rien ne se perd dans la nature, les terres dont les eaux pluviales dépouillent les montagnes sont portées dans le Rhône par les torrents et accroissent le nombre et l'étendue des iles fluviatiles, qui se boisent ensuite avec Effets des défriche- ments. 388 ANNALES une grande facilité et en peu d'années. C'est là, sans doute, une compensation, mais com- bien elle est faible si nous la comparons à d'aussi grandes pertes! je veux dire à la des- truction des bois et des péturages qui tapis- saient nos montagnes, qui avaient une in- fluence si heureuse sur la climature; qui at- tiraient sur nos cultures ces pluies bienfai- santes qui en augmentaient la qualité et les produits, et qui, enfin, alimentaient nos sour- ces, et les empêchaient de tarir aux époques de l’année où le besoin d’eau se fait le plus vivement sentir. Ces sources se sont généralement affaiblies : quelques-unes ont entièrement disparu, et maintenant il arrive fréquemment, que nos petites rivières sont à sec, alors qu’elles seraient si nécessaires aux besoins communs de la vie, aux diverses fabriques qui ont l’eau pour mo- teur, et à la végétation des plantes qui ne peu- vent croître et réussir qu'au moyen de cet in- termède puissant. Autre observation : tel ruisseau , ou, telle pe- tite rivière qui avait autrefois un cours doux, paisible et fertilisant, est devenu un torrent ter- rible, dévastateur, des ravages duquel on ne peutse garantir, jusqu'à un certain pointencore, qu'à force de travaux d’ari dispendieux. Je ei- EUROPÉENNES. 389 teraientre autres, la rivière du Doux , qui se dé- charge dans le Rhône un peu au-dessus et au nord de la ville de Tournon; et dont le nom latin, Dulcis, ne laisse pas de doute sur le caractère qu’elle avait dans les anciens temps. Cette rivière est devenue un torrent indomp- table qui déchire, entraine tous les ans une partie de ses rives, franchit ses limites ordi- naires et sillonne le fond des vallées fertiles au milieu desquelles elle serpente, malgré tous les efforts employés pour la contenir dans son lit primitif. Mais il n’y a rien de surprenant dans ces tristes effets, quand on réfléchit que les montagnes où cette rivière furibonde prend sa source, et celles au pied desquelles elle coule jusqu’à son embouchure dans le Rhône, étaient autrefois couvertes d'arbres de haute futaie; que les pluies alors divisées à l'infini par ces grandes masses, ne tombaient que plus lentement et par goutellettes sur une terre avide de les recevoir; qu'après s’en être pénétrée , elles se distribuaient dans les fentes des rochers et allaient alimenter les sources ; tandis que les eaux tombant à plein et en grand volume sur des montagnes dépouillées de terre, ou sur des montagnes défrichées et mises en culture, se précipitent avec une telle #c0- lence , que non-seulement elles ne peuvent rien 390 ANNALES fournir à l'alimentation des sources, mais qu’en- core elles entraînent avec elles les terres ameu- blies, creusent le lit des ruisseaux, en déboi- sent les bords, multiplient, approfondissent et étendent les ravins, et détruisent enfin, dans leur cours impétueux, et les usines et les chaussées construites à grands frais dans le double objet de les faire mouvoir et de servir à l'irrigation des prairies. Revenons un moment au systéme météoro- logique : ilest certain qu’il a éprouvé de grandes altérations , et toujours par la même cause, le déboisement des montagnes, 11 n’y a du moins que celle-là de bien apparente. Plusieurs territoires aux environs de cette ville étaient, dans des temps déjà reculés, occupés par l'olivier, cet arbre précieux que l'on voit encore dans quelques jardins où de bons abris leur ont été ménagés ; maïs il serait impossible, vu notre température actuelle, in- dépendamment de ses irrégularités destruc- tructives, de le cultiver en plein champ avec la moindre espérance de succès dans cette partie du bassin du Rhône : bien plus, on le cultivait même sur les plateaux élevés d’en- viron six cents mètres au-dessus du niveau de ce fleuve, ainsi qu'il appert des titres de mille six cent trente quatre , qui rappellent pour con- EUROPÉENNES. 391 fins dés terrains situés dans la commune de Lemps qui avaient conservé la dénomination de Grande et de Petite Olivette. D'autre part, sur des pentes de montagnes dont les sommités étaient autrefois couronnées de bois de haute futaie, il existait des vigno- bles : les traces s'y voient encore. Ces vigno- bles ont absolument disparu. Des plantes al- pines, la culture du seigle, de l’orge, des pommes de terre, les ont remplacés, ou ils se sont naturellement tranformés en pâturages pour les bêtes à laine, quand les eaux plu- viales, grâces à d’anciens relais que le temps n’a pas détruits, ont mis obstacle à l’entrai- nement des terres. Ce serait bien vainement que l’on entreprendrait de rétablir la culture de la vigne sur ces mêmes pentes : cette zone déboisée n'ayant plus un calorique assez abon- dant, et les printemps y étant devenus trop irréguliers de même que les étés. Je connais de vastes étendues de ces terres pentueuses, exposées au midi, et situées dans la moyenne région de l’arrondissement de Tournon, ou plusieurs des chemins qui les traversent sont dénommés dans les anciens titres, chemins entre les vignes ; et, je le répèle, dans aucune de ces terres le raisin, si toutefois il s’en for- mait, n'arriverait maintenant à floraison; et 392 ANNALES pourtant , il fallait bien qu'il y mürit dans les anciens temps, puisqu'on y avait établi des vignobles. Département du Var. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES. Le département du Var est généralement montagneux; l'agriculteur, comme le géologue, distingue , dans son organisation , deux élé- ments constitutifs qui diffèrent essentiellement et présentent deux divisions distinctes : l’une est la bande vitrifiable , composée de quelques montagnes primitives et de débris schisteux et granitiques, groupés autour en coteaux, de formation secondaire plus ou moins élevés, Cette premiére chaîne s'étend du Var jusqu’à Toulon, sur une largeur moyenne de deux myriamètres. L'autre est la bande calcaire , d’une bien plus grande étendue, elle remonte sur le nord et se prolongeant de l’est à l’ouest. C’est dans cette partie que dominent surtout les hautes montagnes graduellement élevées ; leurs eaux coulent vers le midi après s'être coupées en différents sens. L’inégalité du sol, la variété des expositions, la hauteur des abris de ce département, offrent EUROPÉENNES. | 393 en quelque sorte plusieurs climats sous la même latitude. En effet, on trouve sur les montagnes l'uza-ursi , le chamero-do-dendron, l'alpina-humifuga , plantes qui croissent sous les latitudes les plus élevées , tandis que les côtes voient fleurir l’aloës, le myrte, le ciste j l'arbousier , et fructifier le palmier , sans que son fruit atteigne néanmoins à une complète maturité. Des changements sensibles se sont fait remarquer dans cette dernière tempéra- ture , devenue successivement plus froide et plus inégale. La cause de ces changements paraît rentrer dans l’objet des questions pro- posées. Première Question. Quelles forêts existaient dans le départe- ment , il y a trente ans ? Dans quelle zone et à quelle élévation étaient-elles placées ? Quelle était leur étendue et l'espèce d’arbres dont elles étaient formées (1) ? (1) Nous avons déjà fait remarquer au commencement de ces réponses départementales, que le laps de trente ans est insuffisant pour de pareilles observations, qui veulent être étendues sur au moins un siècle, pour offrir des résultats capables d’éclairer sur cet important sujet. 394 ANNALES Réponse, # \. sd 4 Les forêts qui existaient dans le département du Var, il y atrente ans, étaient en nature de futaie et de taillis. Elles étaient , comme au- jourd’hui, disséminées sur toutes les parties montueuses du département. Leur élévation , au-dessus du niveau de la mer, varie depuis cent mètres jusqu’à neuf cents. Leur étendue était d’environ cent quarante mille hectares. L'espèce d’arbres qui les formaient étaient , dans la zone schisteuse, le pin, le chène- liège, le chêne vert, le châtaignier ; dans la zone calcaire, le chêne vert; sur les hauteurs moyennes, le chêne blanc, le sapin et quel- ques hètres. Deuxième Question. Quels étaient les propriétaires ? Réponse. Les propriétaires étaient l'Etat , le clergé, l'ordre de Malthe, les seigneurs , les com- munes , les hospices et les particuliers. Troisième Question, Quelles sont celles qui existent encore et celles qui ont été abattues ? EUROPÉENNES 395 = 0 Réponse. . Les bois du domaine , ainsi que ceux qui y ont été réunis, existent encore à-peu-près tous, et paraissent s'améliorer sous le régime forestier. Ceux des communes sont moins conservés. Les bois des particuliers ont éprouvé et ne cessent d’éprouver des dégradations. On peut évaluer au quart de leur étendue , les forêts qui, depuis trente ans, ontété abat- tues ou incendiées ; ce qui, par suite des chan- gements survenus dans leur possession, ré- duit leur existence actuelle aux proportions suivantes : Domaine de l'Etat. . . . . . . 6,939 hectares. Communes et établissements , PUBS PARENT 2:B 6 PATULULIÉES. 4 MONTE TO TOTAL. . . 111,710 hectares. Faisant à-peu-près le sixième de toute l’é- tendue territoriale du département. Cette étendue, que l’on considère comme bois, n'offre quelquefois qu'un terrain couvert d’ar- bres épars et d'assez mauvaise venue. Les principales forêts qui ont disparu sont celles d'Aups, Vérignon et Blioge, dans l’ar- rondissement de Draguignan. 396 ANNALES Des Adrechs , Theines, Leouvière, Saint- Clinant, Cotignac, Saint-Martin , les Pallières, Mazangues, Vinon et les Blaques, dans l’ar- rondissement de Brignoles. De Cabris, Tiquet , Cheiron, Bleine, Gars, Brianzonnét-Arniral, Mujouls, Roquefort, La- colle, Villeneuve, Caquet et Saint-Laurent, dans l’arrondissemeut de Grasse. | Enfin, celles de la Cadière, Bron, Cuers, Lerevest, Six fours, et Lafeyne, dans l’arron- dissement de Toulon. Un grand nombre d’autres, qu'il serait inutile de désigner ici, ont été infiniment réduites, Les causes de cette disparution sont les coupes irrégulières, les défrichements et les incendies. Quatrième question. Quelle influence a-t-on remarqué que la dif- férence d’abris exerçât sur le système météo- rologique du département? Les rivières ont- elles eu des eaux plus où moins abondantes? Les inondations, les pluies ont-elles été moins fréquentes? y a-t-il eu plus souvent de la neige ou de la grêle, et dans les pays de montagnes s'est-on aperçu que le glaces descendissent à de plus basses régions, repoussant et refoulant la végétation vers les plaines et les vallées? 1 LA EUROPÉENNES, 397 “ Réponse. L'influence que le défaut d’abris, suite des déboisements, exerce sur le système météo- rologique parait assez sensible; les vents du nord et du nord-ouest ne se trouvent plus arrêtés ou modifiés par les forêts, les froids sont devenus plus vifs, les saisons ont perdu de leur fixité et n’ont plus cette marche uwni- forme, ce caractère distinctif qu’elles avaient lorsque ce département était mieux boisé. On n'a pas de faits comparatifs tirés d’observa- tions météorologiques, parce qu’on n'avait pas tenu des registres exacts des variations qui pouvaient former des résultats, mais on peut donner pour certain que l’oranger est plus exposé à être mutilé par le froid, et que l'olivier résiste moins qu’autrefois aux rigueurs de l'hiver. Le climat propre au premier de ces arbres est renfermé dans la belle plaine d'Hyè- res, dans quelques expositions entre cette ville et Fréjus, dans le pays circonscrit entre la mer et le Var, et une ligne passant par Vence, Grasse et Cannes. Les époques pluviales sont aujourd'hui très- variables. Les vieillards disent qu'ils avaient régulièrement des pluies abondantes dans la dernière quinzaine de septembre, ou dans III. 27 398 ANNALES la première d'octobre, qu'ils appelaient es pluies de saint Michel. La pleine lune de mars annonçait également des pluies qui se suc- cédaient de très-près, et qui se renouvelaien de même pendant la lune d'avril. On ne voit plus aujourd’hui ces pluies en quelque sorte périodiques, mais plus souvent des pluies d'orages, ou des averses, et on doit attribuer la cause de cette variation à la dégradation des forêts. Il n’y a pas de doute sur la diminution des eaux de sources; l'expérience parle, et les causes sont connues. Il est incontestable que les forèts influent sur l’abondance de ces eaux; à Carnoules la plupart des sources qui exis- taient au pied de la forêt de Bron, ont tari dès qu'elle a été détruite par l'incendie, et celles qui restent encore ne coulent plus que très- faiblement. À Solliés-Toucas, deux sources ont tari pour la même cause, et d’autres ont perdu de leur abondance. Il tombe à-peu-près la même quantité de neige ; et, lorsqu'elle est amenée dans le dépar- tement du Var par les vents du nord-est,.elle est plus abondante dans la partie orientale et y fond bientôt. Plus rarement elle tombe dans le nord-est, et couvre alors les contrées occi- dentales. Ses effets sont d’autant plus funestes EUROPÉENNES. 399 « aux arbres sur lesquels elle séjourne, que la température qui l’a précédée, a été douce et favorable à la végétation. Ces dernières années la gréle a été fréquente, et beaucoup de communes en ont souffert. Il n’y a point de glaciers dans le départe- ment, et en conséquence l'on n’a pas recon- nu que depuis trente ans la végétation ait été poussée et refoulée vers les plaines et les vallées. Cinquième question. Les vents ont-ils été plus violents, plus mal- faisants, plus variables, et a-t-on remarqué que ceux du sud ou du nord, exercçassent tout- à-coup de plus grands ravages que dans le siècle dernier et lorsque la France était mieux boisée ? Réponse. Les vents sont généralement plus forts et plus froids, ils soufflent et changent plus su- bitement, durent plus long-temps et exercent des ravages plus considérables que dans le siècle dernier, et l'on doit nécessairement at- tribuer ces changements au déboisement des forêts, car dans l’état actuel la plupart des z7ou- tagnes, se trouvant dégarnies , ne font qu’une faible digue'aux vents du nord-ouest qui, n'é- 27: 400 ANNALES tant plus retenus ni amortis par les masses flexibles des forêts, s’engouffrent dans les gor- ges, se heurtent et causent les tourbillons qui désolent les campagnes. Les principaux effets de ce vent, connu dans le pays sous le nom de Mistral, sont de rendre la température de l'air plus froide, de dessécher au printemps les gousses tendres des végétaux, et les fruits naissants ; de presser pendant l'été la maturité des blés et d’en diminuer le produit; et, sur la fin de l'hiver, de fairé périr toutes les plantes délicates, lorsque, succédant à des vents doux, il passe sur la neige; le nord-ouest est surtout extrêmement froid sur les lieux élevés ; il ap- partient à toutes les saisons. CONCLUSION. Du résumé des faits et des observations qui précèdent , on peut conclure que l'étendue des forêts serait diminuée du quart, et dans ce qui reste encore les bois sont disséminés dans les territoires qui en font partie ; Que les forêts appartenantes aux grands propriétaires ont été ou abattues ou dégradées, et que celles de l’État et des communes, sou- mises au régime forestier, tendent journelle- ment à s'améliorer ; Que la barrière que les forêts opposaient au EUROPÉENNES. Aot vent du nord-ouest, qui domine en Provence, n'étant plus assez forte, parait avoir rendu l'air plus froid et plus variable ; la mortalité des orangers et des oliviers en fournit la preuve; | Que les pluies ont été moins fréquentes, les futaies qui couronnaient les sommités des mon- tagnes #’attirant plus les nuages, et n’absor- bant plus une partie des vapeurs dont ils sont formés, mais qu’elles ont du être plus fortes, les nuages n'étant arrêtés que par les pics, ou comprimés avec violence que par le vent du nord-ouest, lorsqu'il souffle en opposition aux vents de sud-est et surtout de nord-est; par suite, les pluies d’orage ont dû succéder aux pluies régulières, d'où il suit encore que les sources ont dü diminuer et les eaux se préci- piter en torrents dans les vallons et les ri- vières; Qu'il tombe à-peu-pres la même quantité d’eau , mais qu’elle coule sur la surface du sol sans le pénétrer ; Que la quantité de neige est toujours la même, et que la gréle est plus fréquente et tombe plus souvent en gros grélons; Que les vents, et particulièrement celui du nord-ouest, sont plus violents et plus froids ; Que la régénération des foréts, considérée Ao2 ANNALES sous un rapport matériel, doit être regardée comme un objet d'intérêt public ; Et que leur amélioration serait toujours un grand bienfait , le Castellet , Ollioules et plu- sieurs autres communes de l'arrondissement de Toulon étant dans une disette générale de bois , et la plupart des communes de la mon- tagne, dans l'arrondissement de Grasse , et qui sont dans un climat très-froid , pouvant à peine trouver, dans leurs vastes territoires , le bois nécessaire à leurs besoins. A cette description , faite avec un mérite d'observation qui ne laisse plus rien au doute, sur tout ce que la nature a perdu et réclame, pour le bonheur de cette contrée jadis si belle, nous répèterons , à la suite de cette intéres- sante conclusion , ce qu'un ancien adminis- trateur de ce pays en dit sur le même sujet, parce qu'on ne saurait trop multiplier les preuves et les faits qui intéressent aussi émi- nemment la société. Voici ce qu'il disait : « Quant à la diminution des sources, elle est considérable depuis les défrichements ; il est hors de doute que la chute des forêts à fait tarir presque toutes les petites sources , et atténué considérablement les plus impor- tantes. » Lorsque les pluies tombent sur des terres EUROPÉENNES. /o3 penchantes et dépouillées de végétaux , elles se changent en torrents superficiels ; les forêts en ralentissent la vitesse, et elles se forment des réservoirs. Il n'est donc pas indifférent qu'il y en ait sur les cimes des montagnes. » L'évaporation est peu considérable où il y a des forêts: les sources doivent donc être abondantes dans les pays boisés , et elles di- minuent par les défrichements. » L'écoulement des eaux pluviales ét l’éva- poration sont dans leur plus grande force; quand les terrains en pente ne sont pas cou- verts par des foréts. » Depuis le déboisement du Var, Pair at- mosphérique est d’une constitution vive et sèche; l’humide que les foréts entretenaient en tempérait l'excès ; aujourd’hui , les défri- chements les ont fait disparaître ; et cette pro- priété, nuisible à ce pays, exerce sa destructive intensité. » | Département du Morbihan. Nota. = Ce département, placé sous une zone peu montagneuse, et sous une latitude où les variations atmosphériques se remar- quent moins vite et moins sensiblement que dans les pays du midi, ou élevés, on se bornera 404 ANNALES à présenter seulément les passages de cette ré- ponse, qui S’appliquent d’une manière directe aux effets variés de la physique locale dont il est question ici. Le département du Morbihan, situé entre le {47e et le 48° degré de latitude, dans un plan incliné vers le sud, est abrité contre les effets des vents de nord, nord-ouest, ouest- nord-ouest et sud-est par les foréts et les mon- tagnes qui lui appartiennent, et surtout par celles des départements limitrophes. La partie des côtes que baigne la mer est exposée aux coups de vents d’ouest, sud-ouest et sud-est. Les foréts de la Bretagne ( Loire- Inférieure ) , dans l’est ; celle de Pimpon ( Ille- et-Vilaine ), dans le nord-est, protègent la partie de l’est. Celle de Lanouée ( sur les con- fins nord et dans le Morbihan ; celle de Lou- deac ( Côtes-du-Nord ) ; au-dessus et plus bas, celle de Branguily ( Morbihan ), forment un boulevard pour la partie de l’est-nord-est et du nord. Enfin’, les foréts des Salles et de Quénécan ( dans ce département), protègent les rives du Blavet dans le nord-nord-ouest. Les bois de Louveau , Costréogon et Langonnet ( lisière du Morbihan k ou est-nord-ouest ) se joignent aux montagnes Noires et aux forêts de . EUROPÉENNES. 40 Quilverne et de Laz ( dans le Finistère ), pour préserver les cantons de l’ouest-nord-ouest , des vents pernicieux qui soufflent de cette partie (1). A-peu-près dans la même zone ; et au sud- ouest , se trouve la forét de Poncallek; plus, vers le sud et dans l’intérieur, celle de Camas et les suites de Lauvaux et de Scolpaux; et dans l’est de Vannes, à deux myriamètres, celle de Molac , dite d'Elven , qui se divise en plusieurs branches. Beaucoup de taillis sont parsemés dans le voisinage de ces forêts, et des bois particuliers , soit en bouquets, soit en rabines , décorent assez généralement les maisons principales. Chaque propriété, cul- tivée sous le régime du domaine congéable, (1) Nous avons déja dit que les départements étaient solidaires les uns envers les autres, sous le rapport des influences physiques , qu’on a beaucoup trop peu appré- ciées jusqu’à présent. L’exposé aussi juste que fondé qui donne lieu à cette observation, en fournit une nouvelle preuve : car il n’est pas douteux que si l’on venait à abattre un de ces bois protecteurs dans les départements voisins , les climatures du Morbihan en seraient aussitôt altérées ; et c’est cependant ainsi que la France entière a été insensiblement déclimatée, sans qu'avant nous aucune voix se soit jamais élevée pour défendre les inap- préciables prévoyances de la nature! 406 ANNALES a, en outre, ses fossés et ses champs plantés d'arbres. Des landes immenses et de vastes plaines incultes se rencontrent sur toute l'étendue du département (1). Effets des Chaque arrondissement a, pour ainsi dire , ri sa variété de sol, de site et d'exposition , qui d'un pays. influe plus ou moins sur les productions et en détermine la nature. Ainsi, pour répondre avec avantage aux questions faites par Son Excellence , est-il nécessaire d’analyser la na- ture du terroir de chaque arrondissement , avant de faire connaître les forêts qui existent ou ont existé. Les causes des diverses varia- tions de température q'ils ont éprouvées de- viendront plus sensibles. Plus de la moitié de l’arrondissement de Pontivy n'offre, particulièrement sur les points montagneux , que des /andes et des bruyères , tandis qu'il a été, il y a des années , couvert d’épaisses forêts, dont celles que l’on y voit to pe Basé MAG T à uciliysçisufe M PURES (1) De si grandes surfaces de terres incultes, qui étaient autrefois richement boisées, sollicitent une vie nouvelle et leurs anciennes productions. Tous les bois résineux y prospéraient. Les vastes landes de Bordeaux , qui se sèment el se peuplent comme par enchantement, ne laissent plus le moindre doute sur le succès d’une aussi fructueuse opération. EUROPÉENNES. 4o7 ne sont que les débris. On croit reconnaitre les vestiges de celles qui ont disparu , dans les landes , entre le Guéméné et le Faoüet, qui auraient été un prolongement ou un in- termédiaire des forêts de Langonnes et Pous- kallecq , et une continuité de celles de Salles et de Guénécan : leur essence principale était de beaux hétres. L'arrondissement de Ploërmel, moins boisé et moins montagneux que celui de Pontivy, est aussi moins généralement favorisé par une humidité moyenne, nécessaire à la produc- tion. Les /andes et les bruyères se rencontrent partout dans cet arrondissement. Les rosées, les pluies tempérées font peu d’effet sur un sol aussi aride, tandis que celles abondantes entraînent les débris des substances végétales qui auraient pu les féconder par un séjour quelconque ; aussi les parties que le travail et l’industrie ont conquises à l’agri- culture sont - elles d’une nature très - légère et ne produisent, avec avantage , que du sarrasin (1). (1) Le hètre, le chêne, le châtaignier et le noyer, «es arbres à comestibles, semés avec tous les autres arbres fruitiers, offriraient sans culture de plus riches récoltes que le sarrasin, tout en embellissant l’aspect du pays. 408 ANNALES L'arrondissement de Lorient | situé dans le sud-ouest, outre l’abri que lui procurent les forêts limitrophes et l'aliment qu’il recoit des forêts extérieures, jouit de l'avantage précieux d’être arrosé par une infinité de rivières et de ruisseaux qui se jettent à la mer dans les parties d'ouest, sud-ouest et sud. Il est moins sujet aux gelées qui nuisent aux autres arrondisse- ments. I] doit sans doute ce bienfait, dans l'in- térieur , aux pluies douces que lui procurent les vents du sud, pluies fort fréquentes au moment de la végétation, et, sur les côtes, à l'air qu'aspirent les terres , et surtout an 2ouèmon (varec), dont on se sert pour engrais. Cepen- dant il est assez fréquemment frappé, dans sa partie des côtes particulièrement, parles effets d'une brume épaisse et chaude, qui jaunit les feuilles des céréales , ou en brüle la fleur. Cette brume fait encore éclore une espèce de pu- cerons qui dévorent les fleurs et les feuilles des légumineux que l’on cultive beaucoup. Les Zandes et les plaines incultes n’y sont pas aussi communes que dans les autres arron- dissements. Il est vrai de dire que le cultivateur plus actif, plus intelligent et plus roturier, fait plus d'engrais , pratique des irrigations et établit des semis , fait des plantations , par- tielles à la vérité, mais qui cependant ne EUROPÉENNES. 40 laissent point d'être avantageuses à l’agricul- ture. L’arrondissement de Vannes , au sud , par- ticipe, pour ainsi dire, des trois autres ; mon- tagneux dans ses parties du nord-nord-ouest, il offre quelques bois, beaucoup de landes et plusieurs vallées fertilisées par des ruisseaux qui y ont leur lit. Sa partie d’est-nord-est n'est propre qu’au sarrasin, et au pommier peu délicat sur le sol, pourvu qu’il ait quelque labour. Baigné, en sa partie du sud, par la mer , cet arrondissement jouit aussi de la fertilité que son voisinage procure, et en éprouve fréquemment l'influence. Le centre, protégé par quelques foréts et bois d’une cer- taine étendue , a des plateaux d’un bon rapport, des Bas-fonds qui formént des prairies natu- relles et des côteaux dont l’industrie et letravaïl ont su tirer parti. Les montagnes, assez élevées, attirent et pompent l'humidité qui n’y pénètre pas; car les rochers qui les forment n'étant, pour la plupart, que graniteux ou schisteux , les eaux descendent dans les vallées, où elles séjour- nent , il est vrai, assez de temps, pour aider à la décomposition des parties animales et vé- gétales qu’elles y ont entrainées ; mais, n’ayant pas éprouvé les effets de la filtration , elles Apparition 10 ANNALES conservent toujours, quand ellessont produites par les nuées du nord, ou du nord-nord-cuest, leur principe frigorifique, qui, exhalé du sein de la terre dans les nuits fraiches du prin- temps , forme cette gelée blanche, qui détruit en un instant les plus belles espérances de l’agriculteur. On sait que les oiseaux de passage sont re- irrégulière gardés avec raison comme des avant-coureurs des poissons de mer. des diverses saisons, les poissons de mer sur- tout n’en seraient-1ils pas des indicateurs? Ils ont aussi leur apparition et leur départ pério- dique sur nos côtes, et depuis quelques années on ne les trouve plus aux époques accoutu- mées. L’éguillette ne vient plus à la mi-mars, elle ne vient plus qu’à la fin d'avril ; les congres ne mordent plus qu'a la fin de ce mois, tandis qu'autrefois la pêche en était finie dès les premiers jours, époque à laquelle on com- mençait celle du maquereau , qui est mainte- nant rejetée à la fin de juin. Enfin, le 24 du même mois, on péchait la sardine , et l'année dernière, on ne l’a trouvée que dans les pre- miers jours d'août ; à la Toussaint cette pêche était fermée, et elle semble aujourd’hui n'être encore que dans son commencement, le pé- cheur n'y employant que le filet dé juin. juillet, encore trop large pour le poisson , qui EUROPÉENNES. AY paraît une renaissance, tant il est petit. Enfin on aperçoit fréquemment sur nos côtes des testacées inconnus dans nos mers et qui pa- raissent appartenir à celles du nord. Cette coin- cidence avec les vents du nord et nord-nord-est, qui depuis quelques années semblent être les prédominants, n'échappera pas sans doute au savant observateur, et le conduira peut-être à la découverte désirée (x). | L'expérience, l'observation et la suite des temps , opèreront sûrement des améliorations sur ces objets divers; mais, quant à présent, l'administration ne peut que les désirer, les encourager, et l'exemption d'impôts pendant plusieurs années sur les terrains qui seraient employés en plantations et semis de pins, | | 3 (1) Je répondrai à l’idée heureuse qu’on veut bien avoir de mes observations, entièrement consacrées au bien de la patrie , que j'ai déjà fait entrevoir, sur les anciens voyages périodiques des #hons et des harengs , comme de tous les poissons qu’ils attirent ou qui les accompagnent , les causes naturelles qui paraissent avoir-interverti les époques , les routes et les habitudes des poissons voyageurs, comme de tous les animaux nomades : espérons que des observations continues et bien dirigées , finiront par nous éclairer sur ce que nous devrions depuis long-temps bien savoir dans l'intérêt de la société. + : 412 ANNALES ag contribuerait plus que toute autre mesure, à atteindre un résultat positif, et éminemment avantageux au département et à l’État. Département de la Haute-Loire. La contenance approximative des bois de toute nature et de toute essence est de 34,1 72 arpents : la superficie totale du département est de 498,728 (1) : ainsi l'étendue en bois nest guere que le quinzième de la surface totale du territoire. Sur cette quantité, l'État cn possédait environ 800, réduits à 698 par la vente de la forêt Bellecombe, qui a eu lieu en 1819. Il ne paraît pas que depuis trente ans il ÿ ait eu de grands massifs défrichés, ou rasés in- stantanément, (2) mais sans blämer le parti que (1) Dans la statitisque générale, le département de la Haute-Loire est au contraire porté à une surface de 502,854 hectares, ce qui ferait plus du double de celle énoncée plus haut en arpents, et porterait le 6°, qui serait nécessaire en nature de bois pour le bien du pays, à 83,809 hectares, ou, 167,618 arpents. (2) Pourquoi ne pas remonter à des temps antérieurs? combien ce pays intéressant n’eût-il pas offert de bellesys de grandes observations à faire sur toutes les richesses naturelles qui y existaient autrefois? Décrire ce qui avait EUROPÉENNES. 415 les propriétaires ont cherché à tirer de leurs bois, soit en les vendant pour la consomma- tion des usines, soit en l’envoyant pour les constructions sur les bords de l'Allier et de la Loire, on ne saurait se dissimuler l'atteinte grave que cette nature de propriété a éprouvée. Les usagers causent aussi des dégâts incalcula- bles ; de nombreuses clairières se sont établies ; lestaillis ont remplacé les futaies , etc., etc. . Ce n'est pas que nous révoquions préci- sément en doute les changements observés dans le plus ou le moins de fréquences de certains météores. On convient généralement que les inondations sont plus multipliées et toujours plus désastreuses, surtout sur les terrains en pente; que les rivières ont des eaux moins abondantes et un cours moins régulier ; que si des observations suivies ne peuvent constater que la neige et la grêle tombent en plus grande quantité qu’autrefois, il est de fait que les récoltes en sont frappées plus souvent, sur de plus grandes étendues et d’une manière plus meurtrière; que les sé- cheresses se reproduisent plus fréquemment, été donné par la nature, le comparer avec ce qui existe aujourd’hui , entrait pleinement dans les grandes vues du. Ministère. 11. 28 A1 ANNALES qu'elles ont plus d'intensité, et que les vents d'ouest soufflent avec plus de violence et sont de plus longue durée. L Mais attribuer les modifications survenues depuis quelques années dans les phénomènes atmosphériques de ces contrées au déboise- ment de nos montagnes, c’est leur assigner une cause bien faible et qui ne paraît nulle- ment en rapport avec les effets qu’on prétend en dériver (1). Mais qu'on admette ou qu’on rejette l'hypothèse qui attribue aux déboise- ments les refroidissements et les variations subites de l'atmosphère et des saisons, la né- cessité de pourvoir à la conservation des forêts ou à leur repeuplement aurait- elle besoin d’être démontrée par des considérations nou- velles ? | Qui doute que la consommation du com- bustible végétal en France ne soit au-dessus de toute proportion avec ses ressources sous ce rapport? Et pour ne parler ici que du dé- LE .: (1) Cependant l’hapgmonie générale et corrélative, qui règne entre tous les éléments et tous les êtres de lanature, nous dit que tout est sensible, que tout se correspond et que tout s’attire : cette attraction universelle et si mer- veilleuse devrait nous laisser moins douter, lorsqu'il s'agit de propager des vérités utiles à la société. EUROPÉENNES, 415 Parlement qui nous occupe, nous venons de Voir que la superficie apparente de bois forme à peine le quinzième de son territoire; que, si de cette contenance on déduit les clairières, les parties déboisées ou rabougries, on l'aura bientôt réduite au trentième de la surface totale du département. Si l'on observe que les communautés d’ha- bitants, avec une incurie, une insOuciance , disons plutôt avec une barbarie digne des peu- plades sauvages, abattent, arrachent et dé. frichent, pour obtenir une récolte passagère, de ces terrains; si l’on réfléchit que partout on détruit et que nulle Part on ne remplace, il ne faudra pas jeter ses regards bien avant dans l'avenir pour prévoir les désastres aussi infaillibles qwu’incalculables , dont seront af. fligées les générations futures. _ Que cette époque soit plus ou moins reculée, on y marche rapidement, si des mesures con- servatrices et générales ne sont prises, avec la fermé volonté de les faire exécuter : pour cela, il faut qu’elles émanent de l'autorité légis- lative, qu’elles soient correctives » rémunéra- toires , où répressives, selon le cas. Qu'ainsi, par exemple, chaque propriétaire d’une ferme ou d’un domaine soit obligé à semer où à planter en bois une certaine por- 26. 416 ANNALES tion de son étendue , et à conserver telle autre portion déjà en rapport, où à ne l’exploiter que sous la surveillance des agens-spéciaux; que des remises de tout ou partie de la con- tribution assise sur les propriétés de cette na- ture, d'une contenance donnée, soient aCccor- dées aux particuliers. Nous ne prétendons pas du reste rédiger ici un projet de loi, nous pensons seulement qu'il serait encore temps d'apporter des remèdes sûrs à un mal immi- nent; mais quels que soient ces remèdes, 1l nous semble que leur application ne devrait plus être ajournée, et que parmi les funestes effets des déboisements , il en est d'assez im- portants , d'assez connus sans qu'il soit néces- saire d'administrer la preuve de ceux qui peu- vent encore êlre révoqués en doute. OBSERVATIONS. On voit que, dans cette description de la Haute-Loire, qui Marque également par une noble sollicitude administrative, on ne consi- dère d’abord les bois que sous le rapport ma- tériel de leur nécessité urgente POUT tous les besoins de la vie, sans admettre encore l'in- fluence sensible qu'ils exercent SUE les eaux vaporisées ; SUT les météores, comme abrisg * EUROPÉENNES, 419 comme remparts protecteurs de nos climats, et sous le rapport des nombreuses concor- dances que nous avons déjà présentées dans cet ouvrage; mais, grâces aux hautes questions posées par le ministère , l’examen des lois immuables , qui régissent toute la nature, est commencé ; c’est peut-être l’époque la plus mémorable du siècle, parce qu’il s’agit de la science du bonheur de l’homme, mise, par sa simplicité , à la portée de tout le monde, elle deviendra la véritable science sociale, qui oc- cupera bientôt, dans l’allégresse, la nation entière , en réunissant dans les eaux et sur le sol de la France, des richesses qui ne se voyent encore réunies nulle part. C’est alors que la main de Dieu, qui avait semé avec profusion ses trésors dans les vastes champs de la création , redeviendra visible aux yeux . de tous. L18 ANNALES EE ————_——__ Anciennes dimensions des poissons , qui habitent ou fréquentent nos eaux douces, comparées à celles que nous leur voyons aujourd’hui. Nous avons déjà donné les preuves que, dans les temps antérieurs, beaucoup de pois- sons de mer étaient plus abondants , et par- venaient surtout à des dimensions que les mêmes espèces n'atteignent plus aujourd’hui. Autant est arrivé aux principaux poissons de nos eaux douces. Si l’on a vu arriver la baleine à trois cents pieds de longueur , sur une grosseur propor- üonnelle , auxquelles nos plus profonds natu- ralistes donnaient raisonnablement une exi- stence de mille ans , il est rare d’en trouver maintenant qui passent le tiers de ces dimen- sions primitives, parce que, poursuivies dans : toutes les mers, on ne leur permet plus de parcourir tout le cercle de la vie, et d’at- teindre leur ancien développement. Ce sont des grandeurs que la cupidité et l’aveugle- ment effacent tous les jours de plus en plus du majestueux tableau de la nature. EUROPÉENNES. 419 Nous avons cité , tome IT , page 119 de ces Annazes, la prise d’une anguille de dix-huit pieds de longueur et de deux pieds de circon- férence , qui 4 été considérée comme un phé- nomène de son espèce, quoique bien proba- blement , elle füt encore loin de son dernier terme de développement. Ce que nous allons exposer concernant la carpe, le brochet et l'esturgeon autorise pareille opinion. Les carpes se pêchent aujourd’hui par toute l'Europe , dans les étangs , dans les lacs, dans les rivières et dans les fleuves. Mais, quoique de tous les poissons, elles se prêtent le plus facilement à tous les changementsdesituation , les carpes éprouvent une influence marquée de la nature du climat et de celle des eaux. Elles saisissent même souvent, dans celles-ci, des différences qui nous échappent, en sorte que parfois elles sont souvent abondantes dans une partie d'un lac ou d'un fleuve, et très- rares dans une autre partie peu éloignée de la première. Noël de la Moriniere a observé que, dans la Seine, on en prend à Villequier, mais qu'il ne s’en trouve au-dessous de ce lieu que lorsqu'elles ont été entrainées par les grosses eaux. Ainsi, M. Pictet a vu que, dans le lac de Léman, elles étaient aussi communes du côté du Valais que rares à l'extrémité op- La carpe. 420 ANNALES posée. Ce sont les alluvions , les herbages , les insectes et la sécurité qui déterminent ces : poissons. En général, cest dans les eaux peu cou- rantes que les carpes se plaisent le mieux; c'est là aussi que leur chair acquiert une meilleure saveur , et que leur grosseur devient la plus considérable. Dans certains lacs d’Alle- magne, il n’est pas rare de les voir parvenir au poids de trente livres (1). A Dertz dans la Nouvelle-Marche de Brandebourg , sur les confins de la Poméranie , on en a pêché une de trente-huit livres , et près d’Angerbourg en Prusse, on en trouve qui pèsent quarante livres. Pallas dit que le Wolga en nourrit de la taille de cing pieds. Valmont de Bomare rapporte qu'on en a servi sur la table du prince de Condé, à Offenbourg , une qui pesait qua- rante - cinq livres et avait quatre pieds de longueur. Mais la plus gigantesque des carpes connues est celle que cite Bloch , et qui fut prise en 1711, à Bischofshause, près de Franckfort- (1) J'en ai vu prendre une de 36 livres dans un des vieux bras du Rhin , à Værth près Landau, et qui, en- voyée au roi de Bavière, est arrivée vivante à Munich. LAC Pod, | EUROPÉENNES: 4ar | sur-l’Oder : elle avait neuf pieds de longueur, À trois de hauteur, et pesait soixante-dix livres. À On dit que, dans le lac de Zug, en Suisse, il y en a de plus lourdes encore, et dans le Dniester , il s'en trouve de si volumineuses, que leurs arêtes peuvent servir à faire des manches de couteau. Il paraît au reste, que ces poissons vivent Longévité un temps prodigieux. En Lusace, on en ol re nourri pendant plus de deux cents ans quel- ques individus. Buffon en a vu dans les fossés de Pont-Chartrain, qui avaient cent cinquante ans ; à Fontainebleau et à Chantilly, il y en avait naguère à qui l’on donnait pres d'un siècle. Les carpes vivent habituellement de larves Leur nour- d'insectes, de vers, de petits coquillages qu’elles La Habit sucent, de graines, de racines et de jeunes pousses de plantes. Celles qui vivent dans les eaux placées sous la zône des forêts, S’engrais- sent le plus vite et offrent la meilleure chair. On leur voit fort bien dévorer les feuilles de laitue et d’autres plantes succulentes et tendres qu'on jette dans l’eau. On les voit aussi s'é- lancer hors de l’eau pour saisir les insectes qui en rasent la surface, où qui y tombent, comme les grillons, les achètes, quelques es- 499 ANNALES pêèces de bombies, celui du saule en parti- culier. Pendant l'hiver, elles s'enfoncent dans la vase et passent plusieurs mois sans manger, réunies en grand nombre les unes à côté des autres ; mais, au printemps, celles qui habi- tent les fleuves et les rivières, s’'empressent de quitter leurs asiles pour des eaux ‘plus tran- quilles, surtout des endroits couverts d'herbes et d’ombrages. Ordinairement alors, plusieurs males suivent une même femelle; et si, dans leur voyage, une barrière s'oppose à leur course, elles s'efforcent de la franchir, et s’élan- cent quelquefois jusqu’à six pieds de hauteur hors de l’eau. Extrême Leur fécondité est aussi merveilleuse que fécondité de celle de tous les poissons alimentaires ; aussi les FPE Grecs anciens les avaient-ils consacrées à Vénus. IL paraît que de la deuxième à la troisième année elles sont en état de se reproduire, et que le nombre de leurs œufs augmente avec leur âge : ainsi Bloch en a trouvé 237 mille dans une femelle d’une livre; Petit, 342 mille dans une femelle d’une livre et demie; Bloch encore, 622 mille dans une femelle de neuf livres, et Schneider, 700 mille dans une du poids de dix livres, dont les ovaires pesaient EUROPÉENNES. 1423 seuls trois livres dix onces. C'est, dans cette profusion , que la Providence , a semé tous les biens utiles par toute la terre! On ne s’est pas contenté de placer les carpes Moyen de dans des étangs et dans des viviers pour Îes pr AL avoir à sa disposition ; on a encore imaginé de PA HP ER les châtrer, tant les mâles que les femelles, plus déli- pour les engraisser et procurer à leur chair" une saveur plus délicate, ainsi qu’on le fait pour les bœufs, les moutons, les chapons et les poulardes. Dès le temps de Willugby et même celui de C. Gesner, c'était un fait . connu, que l’on pouvait ouvrir le ventre à certains poissons sans qu'ils en périssent, et même sans qu'ils en parussent long-temps in- commodés. Mais c'est à un anglais, nommé Samuel Tull, qu’on doit l’idée de mettre cette observation à profit. Il ouvrait l’ovaire des carpes, en tirait les œufs, mettant à la place un morceau de chapeau noir, et réunissait la -plaie par une suture. Il en faisait autant pour les mâles , ayant soin dans tous les cas de mé- nager l’urèthre et le rectum. Depuis cette époque on a répété souvent l'expérience. La plaie guérit en trois semaines : les carpes paraissent d'abord tristes et souf- frantes; mais à peine en périt-il quatre sur deux cents, quand l'opération est bien faite. 424 ANNALES L'époque la plus favorable pour l’exécuter,, est celle qui précède immédiatement le fraï, lors- que les ovaires sont remplis. Eaux de La qualité des carpes, varie considérable- la France, les plus re- nommées Îles rivières de France, la Seine et le Lot sont 2554 ls renommés pour la bonté de ce poisson : les carpes du Rhin sont également fort recherchées à cause de leur volume et de la délicatesse de leur chair. Dans la Saône elles sont aussi fort estimées; mais dans la Mozelle dont les eaux sont vives, elles paraissent beaucoup moins ment suivant les eaux où elles vivent : parmi bonnes. À Paris, on fait aussi assez de cas de celles de l'étang de Camières, près de Boulogne- sur-mer; mais la plus grande partie de celles qu'on y consomme, sont tirées des étangs de la Bresse, du Forez, et de la Sologne, et vien- nent par la Loire et la Seine dans les bateaux viviers (H. C.) Sur le bro- La chair du brochet est blanche , ferme, ee feuilletée, savoureuse et de facile digestion. Elle n’est jamais très-grasse, et c’est par con- séquent un aliment convenable aux conva- lescents et aux personnes qui ont l'estomac faible , surtout si elle est d'un jeune individu. Elle varie au reste beaucoup , comme dans tous les poissons, suivant l’âge, le sexe ;#le temps de l’année et surtout le fond où le EUROPÉENNES. 425 poisson a été pêché. Les brochets qui habitent les eaux limpides et poissonneuses , sont bien meilleurs que les autres. Ceux de certains lacs d'Allemagne ‘et de Suisse ont une grande réputation. Le brochet jouit néanmoins d’un autre Voracité genre de réputation que de celle que lui ont %° ‘ P‘= acquise les gastronomes. Il est connu de tout le monde comme l’un des poissons les plus voraces. « Il est, dit M. de Lacépède, le requin » des eaux douces: il y règne en tyran dé- » vastateur , comme le requin au milieu des son. » mers. Insatiable dans ses appétits, il ra- » vage , avec une promptitude effrayante , les » viviers et les étangs. Féroce sans discerne- » ment, il n'épargne pas son espèce : il dévore » ses propres petits. Goulu sans choix , il dé- » chire et avale , avec une sorte de fureur , » les restes même des cadavres. Cet animal de » sang est d’ailleurs un de ceux auxquels la » nature a accordé le plus d’années : c’est » pendant des siècles qu'il effraie, agite, » poursuit, détruit et consomme les faibles » habitants des eaux douces, qu'il infeste ; » et comme si, malgré son infatigable cruauté, » il devait avoir reçu tous les dons, il a été »doué non-seulement d'une grande force , . » d'un grand volume, d'armes nombreuses , 426 \ ANNALES » Mais encore de formes déliées , de pro- » portions agréables, de couleurs riches et » variées. » Mission du Nous observerons Cependant, à ce sujet , Brother. que tous les dons accordés au brochet sont visiblement un calcul de la Providence; car ce Poisson , très-vorace de nécessité absolue , à la même mission à remplir dans les eaux douces , que le requin dans les mers ; les animaux car- nassiers et les oiseaux de proie sur la terre : celle de nous délivrer de la vue et de linfec- tion des cadavres. Quant à ses moyens destructeurs » Onare- marqué, dans toutes les eaux libres, que malgré la présence de brochets d'une taille Monstrueuse, tous les autres poissons se sont Conservés avec la même abondance , ét dans la Proportion que la nature avait établies néces- saire. La puissance éternelle » ui à tout créé, a mis, n’en doutons Pas, aussi des limites éternelles à toute destruction de son œuvre sainte. C’est dans les rivières, les fleuves , les lacs et* les étangs qu'il se plaît à séjourner. On ne le voit qu'accidentellement dans la mer, et Rondelet nous apprend que ceux qu’on prend ainsi par hasard , à l'embouchure du Rhône, et dans les étangs salés qui bordent la mer EUROPÉENNES. 427 Méditerranée, sont désséchés et sans saveur ; mais on l’a trouvé dans presque toutes les eaux douces de l’Europe, surtout vers le nord. Il est beaucoup plus rare dans le midi. Dans beaucoup de cantons , le brochet, en raison de sa voracité , est appellé poisson- loup. 11 dévore des animaux presque aussi gros que lui ; il se nourrit , avec avidité , de grenouilles, de serpents, de rats, de jeunes canards et autres oiseaux aquatiques (x), même des chiens et des chats qu’on jette dans l’eau au moment de leur naissance, Rondelet rapporte que, dans le Rhône, un brochet saisit à belles dents la lèvre inférieure d’une mule qui buvait , et ne la lächa que lorsqu'elle s'était déjà beaucoup éloignée de l’eau. On a cependant remarqué que , malgré sa glouton- nerie , 1l sait aussi bien que le requin , qui fuit la plume , discerner les substances qui ne lui conviennent point ; On en a vu un recevoir et avaler des grenouilles qu’on lui lancçait, et laisser un crapaud qu’on lui avait jeté ensuite. On lit dans une description de Weichard Valvasor, du lac de Zirknitz, dans la Carniole, (x) Cela répond à ce que nous avons dit, page 365, tome 2, au sujet de la lettre d’un colonel polonais, 428 ANNALES si célèbre par les phénomènes de ses intermit- tences et de ses métamorphoses. annuelles j que ce lac nourrit une très-grande quantité de brochets du poids de vingt , trente et qua- rante livres, dans l’estomac desquels il est assez ordinaire de trouver des canards entiers. Jonston assure avoir vu un grand brochet, qui contenait dans son ventre un autre gros brochet , lequel avait, dans le sien, un rat d’eau. | | à On a vu assez souvent, des brochets par- venir jusqu'à la longueur de six ou neuf pieds , et au poid de quatre-vingt à cent livres : ceux de quatre à cinq pieds ne sont point rares dans les immenses lacs du nord de l’Eu- rope et dans les grandes rivières de l'Asie septentrionale, telles que le Volga. Willughby dx, en a vu en Angleterre, du poids de quarante trois livres (1), et le docteur Brand, dans sa terre près de Berlin, en a pris un de la taille de sept pieds. Bloch a examiné le sque= RE ——————_—_—pZ re (1) Nous avons vu prendre dans l’ancien étang de Bitche , ( Mozelle ), un brochet de 4o livres » Qui avait un crochet de fer en forme d’hameçon, attaché aù pa- lais : il en paraissait si peu embarrassé , que, placé avec des carpes dans un vivier découyert , il les avalait en- tières. | r EUROPÉENNES. 429 lette de la tête d’un autre individu : cette tête avait dix pouces de largeur, ce qui donne au corps-une longueur de Auit pieds. Mais, de tous les brochets vu dans les temps Taille et : modernes, le plus célèbre, et celui sur l’exis- Lt Pl tence du quel on ne peut élever aucun doute, ‘œun bro- a été pris en 1497, à Kaïserslautern. Il avait chet. près de dix-neuf pieds de longueur et pesait trois cent cinquante livres. On Fa peint dans “un tableau que l’on conserve au château de Lautern, et son squelette a pendant long- temps été conservé à Manheim. Il portait un anneau de cuivre doré avec cette inscription: je suis le poisson qui a été jeté le premier dans cet étang, par les mains de l'empereur Fré- déric IT, le 5 octobre 1262. Il avait donc alors au moins, deux cent soixante-sept ans. .# Les anciens, au reste, possédaient encore des données positives sur ce sujet; car Pline met le brochet au nombre des plus grands ‘poissons , et pense qu'il peut arriver au poids de mille livres. < : Il est certain, que rous n'avons plus que … des idées vagues sur la durée et les dimen- ‘sions primitives dont beaucoup d’arbres et de poissons se trouvaient doués, lorsque la na ture s’est montrée dans toute la pompe de ses merveilles aux yeux de l'hommé, pénétré et ii. 29 | dde 430 ANNALES élevé de toutes les grandeurs qui l'entou- raient, ..; Limitepo. La multiplication des brochets serait im- 4 mense, si le frai et les brochetons, dans la du brochet. première année: de leur vie, ne ati la proie de plusieurs espèces Fe poissons, même de,gros de leur espèce, et de la plupart des oiseaux aquatiques, pour la justerproportion des existences nécessaires. Si l’on awtrouvé jusqu'à 148 mille œufs dans une femelle de moyenne grandeur, äl est à remarquer qu'une carpe du même âgé en produit plus du donble, non-seulement parce que cette espèce ne détruit pas, mais aussi parce que sa sur- abondance sert de pâture nécessaire aux Pois- sons voraces. Plus on examine les Jois de la « nature, plus on voit que les fécondités, sont en raison de Putilité des espèces. Vu Temps du Le frai dure pendant les trois mois du priñ- frai. temps : les jeunes femelles, c’est-à-dire celleside trois ans, commencent, et les plus âgées termi- nent. Ces dernières s'appellent en Allemagne, : “brochets à grenouilles , parce qu'elles déposent leurs œufs en même temps que les grenouilles. 4 À cette époque, dit Léonard Baltner, la pêche est défendue à Strasbourg. Alors aussi, celles qui sont dans les étangs ou dans les lacs cherchent à remonter les rivières avec, les- mn "+ a ee + EUROPÉENNES. 43: quelles ils communiquent, et toutes s'appro- chent dans le mystère, des bords pour jeter leur frai sur les pierres et sur les plantes assez peu couvertes d’eau, pour n'être point sous- traites à l'influence du soleil : dans ce moment la maternité est tellement préoccupéè de sa progéniture, qu'on peut les prendre à la main. Il paraît que la propriété purgative des œufs du brochet favorise la multiplication ‘de ce poisson, et que la fiente des oiseaux qui en ont mangé, peut servir à les transplanter d'une eau dans une autre, où ils éclosent. C’est ce que les pêcheurs racontent particulie- rement du héron, C’est aussi par la même voie, que la nature a chargé les oiseaux de dissé- miner les plantes et les fruits dans des lieux qui leur étaient inconnus. Les nuits claires sont très-favorables à la pêche des brochets , parce que c'est alors qu'ils quittent le fond des eaux, pour venir cher- cher leur proie à la surface ou sur les bords. Ils mordent avec grande facilité à l’hameçon amorcé d’un petit poisson, surtout d'un goujon. En été on s’en empare principalement pen- dant les orages, qui, en éloignant d'eux leurs victimes ordinaires, les portent davantage vers les appâts; et pendant les grandes chaleurs on les peut tuer à coups de bâton, parce qu'alors 20. Transplan- tation par la voie des oi- seaux. 432 ANNALES ils viennent dormir des journées entières à la surface de l’eau. Durant l'hiver, dans le nord, on en pêche de grandes quantités sous la glace. Richespt Ln général, aussitôt qu'ils sont pris il vo- ges en ne missent les matières contenues dans leur es- les eaux detomac. Sur les bord de l’Yaïk et du Volga, la Sibérie. on les sèche, ou on les fume, après les avoir laissé tremper pendant trois jours dans la sau- mure. Sur le vaste lac de Tschany en Sibérie, on dessèche et on sale ceux qu’on prend pen- dant l'été; mais ceux que l’on pêche en hiver sont transportés tout gelés jusqu’à Tobolsk:On en envoie même à la foire dIrbit, et l’on en fait passer, par les voitures de retour, à So- lykamsk, Ékarinenbourg, et dans les contrées inférieures de la Kama. L'on peut juger par- là de l'abondance et du bas prix de ce poisson dans l'endroit où on le pêche. Dans la saison, on voit près de Kaimshoi des tas énormes de brochets gelés ; on les y vend un sou de notre monnaie les onze livres. Les pêcheurs sont, pour la plupart, des paysans, qui ont aban- donné leurs campagnes et se sont établis dans des cabanes sur les rives du Tschany (Voyages de Pallas) (x). (1) De semblables pêches, qui étaient anciennement aussi abondantes dans les belles eaux de la France, y EUROPÉENNES. 433 Dans ces contrées, et même en Allemagne, Caviar fait on fait du caviar avec leurs œufs. Dans la 2"eclesœufs marche de Brandebourg, on confit ces œufs avec des sardines et l’on en compose un mets que l’on nomme netzin et que l’on regarde comme excellent ; il parait que, moyennant le garum avec lequel on les prépare, on leur en- lève leur vertu purgative. On pratique aussi sur les brochets l’opéra- tion de la castration, dont nous avons parlé au sujet de la carpe. Cette opération réussit fort bien , et donne aux individus qui la su- bissent, une chair plus grasse et plus savou- reuse. Nota. Nous continuerons ce sujet dans le cahier prochain, par l’histoire des poissons voyageurs, qui, habitant alternativement la mer et les eaux douces , offraient de grandes ressources alimentaires à la société. sont inconnues aujourd’hui; parce que nous y avons dé- truit cette puissance végétale, de qui elles dépendaient. du brochet. 434 ANNALES SUR L’IMPORTANCE D'ÉTABLIR DES PÉPINIÈRES DANS TOUTES LES COMMUNES DU ROYAUME. Les pépinières publiques de nos villes, di- rigées par des hommes généralement éclairés, ont été jusqu'à ce jour, par suite d'un ancien usage, plutôt des écoles de luxe, dont le ré- sultat a servi à parer simplement nos grands chemins et nos promenades publiques d’un faste stérile, qu’à fertiliser et enrichir les cam- pagnes. Jamais elles n’ont offert un sujet à nos forêts , et rarement un arbre nourricier à nos champs. 11 semble que, par un aveuglement que l’on ne peut expliquer, le nécessaire et l’'utile devaient de droit être sacrifiés à ce qui n’est qu'agréable. Si cependant on réunissail en masse les sommes que les pépinières ont coûté depuis leur origine jusqu’à ce jour, et l'énorme quantité d’arbres qui en est sortie, sans offrir un seul fruit au voyageur, sans alimenter une seule famille, on ne pourrait qu’amèrement déplorer l’inutile application de ces intéressants établissements. EUROPÉENNES. 435 Si cependant, au lieu de ces arbresstériles ,1l était sorti des pépinières le même nombre d’ar- bresnourriciers, quelle heureuse masse de biens n'auraient-elies -pas répandue de toute part? Nos grandes routes présenteraient le spectacle de mille richesses variées : ces plantations au- raient été plus soignées et mieux respectées ; l'ouvrier, chargé de leur taille et de leur en- tretien n'aurait osé, malgré son avidité, les mutiler jusqu’à leur cime, pour faire ses pro- visions de chauffage. Les campagnes, recevant chaque année une riche quantité de beaux sujets, béniraient des établissements consacrés à diminuer leurs besoins. L'avantage des belles espérances et le goût des plantations utiles se seraient rapidement généralisés; enfin, la France possèderait peut-être déjà ciny cents millions d'arbres fruitiers de plus ; mais il ne nous reste que des regrets à donner à tant de pertes, et des efforts à multiplier pour les réparer. La France ne jouit encore que de la moindre partie de la prospérité agricole à laquelle elle peut atteindre ; son sol, un des plus fertiles de la terre, demande à décupler ses produits et nos richesses. La régénération de nos foréts, de nos fontaines, de nos ruisseaux , dernos rivières et de nos fleuves, réc-ame aes me- 436 | ANNALES sures promptes et extraordinaires , à l'exécu- tion desquelles les pépinières existantes, quand même elles rempliraient complètement l'esprit de leur institution, ne pourraient jamais suf- fire. Chaque commune ayant ses améliora- tions à réaliser dans ses limites, et chacune devant être chargée des plantations sur son territoire, pour exciter parmi toutes une noble émulation, et donner à ces travaux la vive impulsion qui est à désirer, 1l serait impor- tant, indispensable , d’ériger une pépinière rurale dans chaque commune du royaume. Cette vue, au premier coup-d'œil, paraîtra gigantesque : elle l’est bien réellement aussi, par tous les genres de biens qui doivent en découler. On ne peut révoquer en doute que plus il y aura de ces pépinières , et plus le prix excessif du combustible sera diminué, moins nos constructions navales seront onéreuses à l'Etat, moins les constructions particulières seront dispendieuses, et plus aussi les arts et métiers pourront se développer; que plus il y aura de moyens de subsistances, plus la main d'œuvre devra diminuer, nos manufac- tures s’agrandir et soutenir avantageusement la balance des concurrences; que plus il y aura d'abondance, plus il y aura de bonheur , de moralité, et moins aussi 1l y aura de délits” EUROPÉENNES. 437 et de besoin de punir; que plus il y aura de plantations sagement combinées, plus il y aura de santé, de population, de contentement et d’attachement à la patrie, par conséquent moins de larmes à verser, de pertes à regretter. Pour- rait-on craindre de multiplier ces sources de la première, de la plus solide prospérité d’un peuple agricole, lesquelles rendraient au cen- tuple les dépenses qu'elles exigeraient? Toutes les grandes villes de France possè- dent des écoles de /angues, de musique, de dessein, de mathématiques , d'architecture , de sculpture, de peinture , de chimie, de phy- sique, d'anatomie, de botanique et d’his- toire naturelle ; tous ces établissements, dont le but est d’orner et de perfectionner l'esprit humain, d'étendre la sphère de nos jouissances et de multiplier les principes de bonheur, honorent un gouvernement qui les entretient avec munificence ; mais les écoles où l’on en- seignerait, par théorie et par pratique, tout ce qui tient à la végétation, science qui est encore aujourdhui à ses éléments, et dont l'application peut enfanter tant de merveilles, produire tant de trésors , n'existent encore que dans le vœu des bons citoyens. Le Jardin des plantes de Paris renferme une riche variété d'arbres, réunis pour l'étude 438 ANNALES | ét l'instruction de ceux qui attachent du prix à la connaissance historique de ces grands et précieux végétaux. Cependant jy ai souvent remarqué des étrangers qui , l'ame ouverte aux plus douces émotions, avides de rencontrer l'arbre compatriote de leur pays, souffrir en parcourant la multitude des variétés de ne savoir pas à quel individu adresser les témoi- gnages de leur amitié patriotique! il serait bien intéressant cependant, qu’un des admi- nistrateurs de ce grand établissement nous donnît l'histoire de chacun des arbres qu'il renferme, c’est-à-dire le lieu de son pays natal, son âge, ses goûts, son utilité , ses pro- priétés, l'étendue et la durée qu'il peut at- teindre; cette description, tracée d'une ma- nière succincte, sur une feuille de fer-blanc attachée par une petite chaine, rendrait aus- sitôt comme présents aux yeux de l'observateur les climats divers auxquels tant d'êtres diffé- rents appartiennent. Ces notices instruiraient le voyageur, qui cherche plutôt l'objet de sa curiosité sur le théâtre de la nature, que dans les livres ; elles attacheraient le passant à une étude heureuse, et répandraient dans ce petit univers un charme et un intérêt qu'en écartent l'incertitude et le vague des idées. Alors le labyrinthe, les allées et les quincon- EUROPÉENNES. 439 ces deviendraient une école parlante, qui, en faisant germer le goût d’une étude utile, de- viendrait favorable à la culture. Si les sciences les plus abstraites sont con- tinuellement susceptibles de nouvelles décou- vertes, combien la nature, qui renferme d’in- nombrables éléments dans les vastes magasins des eaux, de la terre et de l’atmosphere, n’offre-t-elle pas à faire de combinaisons végé- tales ? Connaissons-nous toutes les affinités que peuvent avoir les plantes, avec telle ou telle substance du règne animal ou du règne minéral ? Possédons-nous les tables de l’attrac- tion variée que les arbres exercent au loin sur les différents éléments de la nature? Nous savons imparfaitement que le bouleau et le chéne attirent la foudre, que le hêtre l’écarte, que le sapin la recoit spiralement, que le cèdre la domine, que le plane aspire les corpuscules méphytiques qu'il digère. Savons-nous com- ment l’aune et le saule purifient les eaux? com- ment ce dernier produit sa manne? comment le palmier mâle féconde, à douze lieues de dis- tence, le palmier femelle, qu’il ne voit que par l'instinct de son amour? pourquoi l'ombre de tel arbre est mortelle, pourquoi l'ombre de tel autre est salutaire? Nous avons bien des notions confuses sur 44o ANNALES l'attraction des arbres; mais, comme chacun a une mission différente à remplir, lequel est chargé d’arracher la foudre da sein de la terre? lequel a le privilège de l'appeler du sein de l'atmosphère? Quel est celui qui soutire la grêle? L'un affectionne et fait croître les cres- sons, qui flattent et attirent les poissons, et l'autre les éloigne... Comment se fait-il que ,sur le même sol, l’un nous offre le sucre, l’autre la térébentine; celui-ci ses huiles ou ses parfums, celui-là ses fruits savoureux? Possédons-nous l'histoire complète de leurs amitiés et de leurs alliances? Avons-nous épuisé la science pré- cieuse et inépuisable des greffes ? Le hêtre, l'olivier du nord, peut-il devenir un olivier du midi , ou celui-ci un olivier du nord, comme le châtaignier sauvage est devenu un maronnier? Le sapin peut-il devenir un cèdre, ou celui-ci un sapin; le peuplier un platane, ou le pla- tane un peuplier ? A quels découvertes , à quels biens nous menera l’étude des arbres? Où s’ar- rêtera la science végétale? Quelles seront dans ce vaste champ d'observations et de travaux les dernières limites posées à notre intelli- gence ? L’astronomie nous a fourni les lois éter- nelles de la gravitation et de l'attraction des corps célestes; l'architecture parcourt la car-- EUROPÉENNES. 44 rière de la perfection ; la musique, la sculp- ture et la peinture ravissent nos sens ; la chi- mie, qui décompose et recompose les sub- stances , marche par les affinités aux plus grande découvertes : quand commencera la physique végétale et météorologique ; c'est-à- dire, La science de la vie, à laquelle est réser- vée une carrière z2zcommensurable , et dont les progrès peuvent à la longue changer la face de la terre ? Bientôt il sera permis de dire que les végé- taux ont leur sensibilité, leurs amitiés , leurs amours et leurs antipathies : ce sera lorsque nous aurons réuni les arbres en société , sous nos yeux, que nous pourrons étudier leurs caprices , leur parenté et leurs alliances. Plu- sieurs variétés semblent n'être déjà que le fruit d'un accouplement fortuit , produit par la vapeur organique émanée des étamines d’un arbre pour aller féconder les pistils de son voisin : le mélange des émanations séminales doit produire, parmi les arbres qui ont des rapports analogiques , des scènes, des phéno- mènes, et souvent une heureuse fructification ; peut-être que les individus difficiles au ma- riage des greffes, seraient moins insensibles à la présence des polens. Si les douces lois’ de Vamitié unissent les uns , l’inimitié semble és à ANNALES aussi en diviser d’autres : l’aversion, entre le dominateur des vallées et le figuier, est si grande que, lorsqu'on veut unir leur sang par la greffe, le platane en meurt infailliblement : est-ce par un trait mortel de l’autre, ou par le chagrin d’être réduit au rang de figuier? On diroit qu'il est des végétaux comme des hom- mes : les sociétés qu'ils fréquentent les élèvent ou les abaissent. Le baron de Tschoudy nous présente à cet égard trois exemples frappants : « Nous avions, dit-il, une sorte de potiron dont le fruit, d’une pâte excellente, était petit et de la figure d’une roupie; 1l avait la précieuse qualité de ne point se répandre en longues branches trai- nantes comme les autres espèces; il formait une touffe arrondie; nous fimes la faute de le planter près d’une planche de courges,, et tous nos potirons furent métamorphosés.! 1] n’y avait point de figure bizarre qu'ils ne représen- tassent, point de nuances de vert ou de jaune dont ils ne fussent diversement bigarrés; mais ce qu'il y avait de plus tniste, leur pâte n’é- tait plus moelleuse, et n’ayait plus. son bon goût ; la plupart de ces individus abâtardis ne contenaient plus leurs. branches, ils les dis- persaient de tous côtés : un seul pied, entre plus de cent, avait résisté à la contagion: gé- EUROPÉENNES. + M nérale, son fruit montrait encore la figure de celui dont il tirait son origine, et ses branches n'erraient point. » Fr « A ce fait, qui s’est passé sous nos yeux, joignons ceux qu'a observés Linnée dans le jardin d'Upsal, où il a vu naïitre plusieurs mé- tis, dont les pères sont connus, et ne dou- tons point que l'influence des différents mâles, sur diverses plantes femelles ou androgynes, ne produise des variétés, peut-être des races nouvelles. » « Le chionanto n'est qu’un arbrisseau; il est indigène de l'Amérique, et il a des feuilles simples; son écorce est brune, ses fleurs sont toutes androgynes et des baies succulentes leur succèdent. Le frène est un grand arbre naturel de l'Europe : ses feuilles son ailées, son écorce est verte; il porte des fleurs femelles et des fleurs “hermaphrodites, tantôt sur le même arbre, tantôt sur différents individus; ses se- mences enfin ne sont couvertes que d'une cap- sule sèche, et pourtant le chionanto, dans le- quel nos sens ne peuvent saisir la moindre ressemblance avec le frêne, se greffe avec succès et subsiste fort long-temps ‘sur cet arbre. » HT Ilya,dans les végétaux, desmulets , comme dans les animaux. Linnée, a donné, dans les 444 | ANNALES anc. acad , n° 32 , une dissertation sur ces plantes, qu'il nomme Aybrides ; il en décrit quelques unes fort singulières que le hasard a produites, mais dont l’origine ne paraît pas douteuse; il en indique plusieurs autres qu'il juge hybrides d’après les caractères qu’elles présentent , dont les unes appartiennent à une plante qu’il croit être la mère et les autres à celle qu'il croit être le père. Il y a, dans les rai- sonnements et les observations de Linnée, une sagacité étonnante; cependant son opinion n’était appuyée que sur des probabilités, Koel- reuter l’a confirmée par des expériences ri- goureuses , faites sur des digitales, des lobé- lies , et des malyacées, et continuées pendant plus de quinze ans : plusieurs de ses essais lui ont réussi; c’est-à-dire que des fleurs, aux- quelles il avait retranché les étamines, et qu'il avait fécondées avec une espèce différente, lui ont donné des graines d’où sont provenues des plantes hybrides, ressemblant plus au père par leurs feuilles, et à la mère, par leurs-fruits. Mémoires de Koelreuter, parmi ceux de VA- cadémie de Pétersbourg. On ne peut obtenir des hybrides qu'en ma- riant des espèces qui ont de l’analogie; la pro- duction de ces hybrides autorise à croirelqu'il existe aujourd’hui beaucoup de plantes : qui EUROPÉENNES. 445 n'existaient point autrefois, et qu'il peut s’en former des variétés nouvelles. ( Amour des Plantes.) Ch | Quelle étude grande, précieuse et intéressan- te, que celle qui, embrassant l’histoire de ces il: | lustresenfants delanature , Saisirait leur langue | Pour apprendre leurs goûts, leurs habitudes leurs besoins et leurs affections; qui, dévoilant leursanalogies et leurs vertus, classerait les fonc- | tions qui leur sont attribuées; qui, pénétrant leur sensibilité, comprendrait leurs fécondes adoptions ; qui, créant et variant les races, rendrait encore plus belles, plus fructueuses, celles que nous possédons! Cette science qui ennoblirait les espèces en enrichissant les hommes; qui Pourrait faire compter les in- Istants qu'on y donnerait Par autant de décou- ‘vertes utiles, sans que jamais la source en füt épuisée, a besoin de nombreux laboratoires, où la combinaison des terres et l’an tous les éléments qui concourent à la végéta- tion , améneraient les résultats les plus multi- pliés, les plus étonnants. Ces laboratoires sont les pépinières, qui ne sauraient, pour une si vaste entreprise, être trop multipliées. De leur sein, sortiraient les premières pages d’un livre, qui devra se compléter avec le temps, et à l’aide de la nature. II. 30 alyse de 446 ANNALES À La fixation des pépinières dans chacun des À moindres villages de France, ouire les avan- tages communs à ces établissements, en offre de particuliers, qu'aucune autre position ne. “saurait jamais COMPENSET ; non-seulement elle. permettra de réparer sur-le-champ les pertes accidentelles; mais l’analogie des sols, des cli- matures, indique assez que les jeunes sujets s’élèveront avec plus de succès, dans leur terrë natales que s'ils arrivaient des fonds étrangers E la facilité d’ailleurs de pouvoir effectuer les transplantations au moment où les individus, fraichement enlevés de leur berceau, peuvent être accompagnés de leur terre nourricière, et conserver ainsi le mouvement et la vie, tout en arrivant dans leur nouvelle demeure, ne saurait être trop appréciée. De combien de plantations est privée la vaste surface de la France, par l'éloignement des lieux d’où l’on pourrait tirer les sujets, par le défaut de confiance en pareil cas, par lab- sence d'une bonne police rurale, ou enfin, par l'insuffisance absolue des moyens de re- population... ! tant d'obstacles réunis faisaient n’en doutons point, perdre l'idée, Je goùt même de planter; et nos terres, ét nos eaux, et nos: montagnes, On conservé leur stérilité, leur nudité, tandis que, lorsqu'une fois les pépi- EUROPÉENNES. 447 niéres seraient partout disséminées , les distri- butions se feraient avec facilité, et sans exiger de grands sacrifices; les plantations auraient lieu aux époques fixées par les saisons, pour chaque espèce d'arbres; et c’est alors seule- ment que de nouveaux biens, de nouveaux charmes, jaillissant tous les jours du sein de la terre, le plaisir, la passion, le besoin de planter, s’empareraient de toutes les campa- gnes, et créeraient des paysages nouveaux, sources de tous les plaisirs et de toutes les prospérités. Le peuple, par lui-même, répugne aux tra- vaux qu’on veut de trop loin proposer pour améliorer son sort; il se borne à la perspective de chaque jour; il lui suffit de pouvoir vivre et acquiter fidèlement ses contributions envers V'Etat ; 1l abandonne au Gouvernement le soin de veiller au bonheur général, et de prévenir Ja misère, en recherchant les moyens d’aug- menter l’aisance de tous. S'il sent le bienfait de cette main tutélaire, il la bénit avec sincé- rité, mais sil reste oublié, il perd le doux souvenir d'une patrie qui devoit le soulager. Ce n'est donc qu'en rapprochant du peuple, les propres éléments de son bonheur, qu’on peut le flatter de les lui voir mettre à profit : et plus on les laissera éloignés de lui, par une 30, 448 ANNALES économie peu généreuse, moins il faudra espé- rer de succès. Comme, d’ailleurs, chaque institution qui a pour objet le bonheur social, doit tendre sans cesse à sa plus grande perfection, et qu'il entre dans l'esprit de ces établissements de première importance, de familiariser tous lesha- bitants de la France avec limmense chaîne des cultures variées auxquelles se prête la nature; chacun ayant sous ses yeux une école vivante qu'il pourrait toujours consulter , ainsi que les combinaisons sans cesse renaissantes que feront ses voisins; on conçoit à quel degré de perfec- tion, avec un pareil avantage de position, la science végétale doit, en dix, vingt, trente ans, se généraliser dans toutes les campagnes... C'est alors, qu'heureuses et initiées dans les secrets de la végétation, les merveilles naïtront à chaque pas pour elles, prépareront tous les jours de nouveaux plaisirs, et créeront des jouissances qui se suivront avec une inépui= sable succession. Qu'on ne seffraye point des frais qu'en- traineraient ces institutions rurales de première économie nationale; il suffirait d'une dépen- se modérée pour former, avec la rapidité de l'éclair, ces mémorables écoles. Il ne s'agit point ici d’étaler une grandeur factice , de lancer EUROPÉENNES. 449 dans les nues de ces pyramides égyptiennes, qui ont dévoré les montagnes, les forêts, les trésors et les hommes, sans offrir une goutte d’eau au voyageur extenué qui va admirer leur gigantesque stérilité; il n’est question que d’une pépinière pour chacune de nos quarante mille communes, et cette moderne création peut nous valoir plus de vrais trésors que le Potôse n’en fait coulerdans l’Europe entière. Nos pépinières, devant renfermer un grand nombre de familles d’arbres différents, auront besoin d’un certain espace de terrain, et comme 1l peut n’être que d’une qualité médiocre, afin que les plants, dans leurs migrations, puissent s’'accommoder de toutes les terres, et y prendre une constitution robuste, il ne sera pas dif- ficile de trouver, dans les parties incultes que possèdent et négligent la majeure partie des communes, des lieux qui, d’agrestes qu'ils sont aujourd'hui, deviendraient avec un peu de soin, les riches nourriciers de nos campagnes et de nos forêts. Supposons que ces facilités ne 5e trouvas- sent que difficilement, à raison de la nécessité d’une bonne exposition, et que l’on dût con- sacrer dix et même vingt millions à l'acquisi- tion et à la formation de ces précieux établis- sements, ne serait-ce pas encore le fonds le 450 ANNALES plus avantageusement placé? L'Etat paye un grand corps militaire pour la défense et la sûreté de la patrie; il élève et entretient de nombreuses forteresses; il agrandit et appro- fondit des ports pour faire fleurir le commerce extérieur ; il construit de puissantes flottes pour le soutenir ; il fait des armements pour la conquête d’un coin de terre éloigné; 1l creuse des canaux et perce des routes pour animer le commerce intérieur; ces dépenses, aux- quelles on est habitué, et dont, pour quelques- unes du moins, les avantages sont probléma- tiques, montent annuellement à des centaines de millions; il ne serait donc pas raisonnable de regretter l'emploi de quelques millions qui seraient consacrés à fonder ces grandes et pre- mières manufactures nationales qui centuple- raient les produits et les revenus de la France. Notre Gouvernement, qui veut effectuer tout le bien qu'il est en sa puissance de faire, ne peut mériter un instant l’injure du doute, sur sa généreuse disposition à réaliser ces in- téressants établissements, qui tiennent à sa gloire, à son bonheur, et qui peuvent lui mériter l'amour inaltérable de la nation. Il est des institutions qui, par leur nature, semblent contraires à la morale publique, et ne peuvent trouver grâce que par l’utile ap- EUROPÉENNES: 451 plication de leurs produits. La loterie royale, jugée indispensable pour éviter de plus grands inconvénients, et qui prélève annuellement sur l’aveugle crédulité, un certain nombre de millions, suffirait seule pour créer, doter et entretenir ces pépinières , d’où doivent sortir, je le répète, les plus solides, les plus riches éléments du bonheur social ; en recevant cetle noble et bienfaisante destination, la loterie échangerait son caractère malfaisant contre un autre, qui attesterait, sur toute Pétendue du sol français, son utilesinfluence (2). Je ne parle point ici de l'organisation de ces pépinières ; ce n'est point encore l'instant : on a répandu sur cette matiére des lumières dignes d'être recueillies avec reconnaissance : elles pourront servir de canevas à cette in- struction, qui devra être rédigée avec une sim- plicité et une précision telles, que l'homme le moins exercé dans ces cultures, possédant un sens droit et des notions ordinaires, puisse les diriger avec intelligence. Il en sera de ces établissements comme de beaucoup d’autres, dont les combinaisons ont été bien moins à la portée du commun des DOMMQUE TS Data Giles SR T7 (1) Le produit des jeux recevrait ici une application qui serait du goût de tous les gens de bien. 452 ANNALES hommes. On se rappelle l'époque oùla France était menacée de manquer de poudre à canon : un instruction simple de nos chimistes fit, de : tous les Français , d’habiles salpétriers. Ce sera aujourd’hui le tour de nos physiciens botanis- tes. Nous possédons également dans ce genre, des hommes dignes de nos hommages, à qui la nature, qu'ils honorent, réserve ses lauriers.'* »s q , Nos écoles de science végétale, placées dans des mains aussi habiles , doivent, avant vingt ans, couvrir la France de riches trésors, et produire des choses étonnantes, qu’on aurait à peine présupposées. Les professeurs du Jardin du roi, à Paris, réunissent entre eux les connaissances les plus vastes sur les différents règnes de la nature. C'est là que la science est vraie et attrayante, parce que tout y parle aux yeux et aux sens. M. A. Thouin, célèbre professeur de culture, au Muséum d'histoire naturelle de Paris, avec qui j'ai eu l’honneur de me trouver membre de l'ancienne commission temporaire des Arts et des Sciences , a daigné me gratifier de son intéressant ouvrage sur la Monographie des greffes, ou Description technique des diverses sortes de greffes employées pour la multipli- cation des végétaux. ER ÈS EUROPÉENNES. 453 Cet ouvrage, fruit précieux de plus de soixante années d'expériences, faites par un grand maître, est peut-être ce qu'il existe de plus positif sur cette importante matière. Miraturque novas frondes et non sua poma. GÉORGIQUES DE ViRGILE. Il s'étonne de porter un nouveau feuillage, et des fruits qui ne sont pas les siens. C4 Cette épigraphe , placée en tête de cet ou- vrage, est réalisée d’une manière merveilleuse, dans tous les carrés du jardin royal des plantes de Paris. 45% ANNALES POISSONS ÉLECTRIQUES. PHÉNOMÈNES QUE PRÉSENTE L’ANGUILLE, APPELÉE GFYFMNOTE, OU MIEUX GYMNONOTE. Nous trouvons encore des êtres qui nous étonnent par les qualités surprenantes dont la nature les a doués, bien probablement dans des vues supérieures que nous n’avons pas en- core su pénétrer; mais qui doivent sûrement avoir un but concordant avec ce merveilleux ensemble qu'on voit régner dans toute la création. D'après ce que nous avons déjà exposé, tome 1°, page 423, en parlant des serpents terrestres et des serpents marins, sur la mission nécessaire, que chaque espèce a à remplir dans l'ordre général de notre univers, il nous parait naturel de croire, que le gymnonote, armé de la puissance foudroyante dans les eaux douces équatoriales, comme la torpille au fond des mers, n'est pas un objet d'exception, mais qu’il appartient également à ces lois sublimes EUROPÉENNES. 455 et éternelles qui régissent avec une sagesse bien au-dessus de la nôtre, tout ce qui existe. Peut-être qu'après la description que nous allons donner de ce poisson extraordinaire, serons-nous assez heureux de justifier par des exemples une opinion aussi justement fondée (x). Le gymnonote électrique, par son corps très-alongé, tout d’une venue, cylindrique et serpentiforme, ressemble à une anguille de cinq à six pieds de longueur. Mais il habite le sein de ces fleuves immenses qui coulent vers les bords orientaux de l'Amérique méridionale, dans des régions brülées par les feux de l’at- mosphère , et sans cesse humectées par l’eau des mers et des rivières. C’est-là que la terre est prodigue de végétaux vénéneux et d'animaux nuisibles, impurs habitants des savanes noyées. Aussi, quoiqu’à Surinam, à la Guiane fran- caise et au Pérou, ce poisson porte le nom d’anguille, il se ressent de la nature du climat sous lequel il est destiné à vivre. De loin il attaque et renverse d’une commo- tion électrique , les hommes et même les che- Force élec- trique du gymnonote, (1) On empruntera ici une partie de la descrip- uon donnée du gymnonote, par MM. de Humbolt et H. Cuvier. 456 ANNALES vaux les plus vigoureux et les plus agiles:Il est d'autant plus redoutable que, doué d'organes de natation très-énergiques, il est, dans un es- pace de temps incalculable , transporté près de sa proie, ou loin de ses ennemis, et peut par là ménager l'électricité qu’il secrète, pour ainst dire, afin de répandre tout-à-coup autour de lui la mort ou la stupeur. Plus terrible que la torpille, il ne cesse d’être à craindre que quel- que temps après avoir perdu la vie. Le gymnonote électrique est tres-commun dans les petits ruisseaux et les mares que l’on trouve çà el là dans les plaines immenses et généralement arides , qui séparent la rive orientale de l'Orénoque, de la Cordillière de la côte de Venezuela. Moins ces mares sont pro- fondes, plus il est facile d’y prendre ce pois- son : car, dans les grands fleuves de l’Amé- rique, dans le Méta, l’Apure et l'Orénoque même , la force du courant, l'abondance et la profondeur des eaux empêchent les Indiens de s'en emparer. Abondance I] y en a une immense quantité dans les de ce pois” environs de la petite ville de Calabazo; et, , son, du côté de Cala- près d’Uritucu, une route jadis très-fréquen- bazo. tée, a été abandonnée à cause des poissons électriques. 11 fallait passer à gué un ruisseau dans lequel beaucoup de mulets se noyaient EUROPÉENNES. 457 annuellement, étourdis par les commotions que ces animaux leur faisaient éprouver. La qualité torporifique de cette anguille, ou , pour parler plus exactement de cé gym- nonote électrique , que Muschmbroëch et Priestley confondent avec la torpille, avait été observée à Cayenne dès 1671, par le naturaliste et astronome Richer ; mais ce n'est que long- temps après cette époque, que les physiciens et les médecins cherchèrent à en approfondir les phénomènes. Lacondamine, Pigram , Gra- vesand , Allamand , Gronout, Van-der-Lott, Bankost , Schelling, Bajou, etc., jetèrent quelque jour sur cette matière intéressante ; mais c’est surtout à M. de Humbolt, que l’on doit des détails précieux sur l'animal qui nous occupe : un voyageur observateur, aussi éclairé, pouvait seul les donner. Si l’on touche le gymnonote électrique avec une seule main, on n’éprouve point de com- motion, ou du moins on n’en ressent qu'une très-faible, tandis que la secousse.est violente si l’on applique les deux mains, à une distance assez grande l’une de l’autre sur ce même ani- mal. Touché ainsi des deux mains, le pois- son dont il s’agit, peut fournir assez de fluide électrique, pour causer aux deux bras une paralysie de plusieurs années de durée. 458 ANNALES Suivant M. de Humbolt, les commotions des gymnonotes qu'il a reçues, surpassent en force les coups électriques les plus douloureux qu'il se souvient jamais d'avoir reçus fortement d’une grande bouteille de leyde complètement chargée. Il pense donc qu'il n’y a point d’exa- gération dans le récit des Indiens, lorsqu'ils assurent que des personnes qui nagent, se noient quand un de ces animaux les attaque par la jambe ou par le bras : une décharge aussi violente, dit-il, est bien capable de pri- ver l’homme pour plusieurs minutes , de l'usage de ses membres. Pour avoir placé ses deux pieds sur un gymnonote que l’on venait de sortir de l’eau, il fut frappé d’une commo- tion effrayante, et ressentit le reste du jour une vive douleur dans les genoux et presque dans toutes les articulations du corps. Son pa Au reste, ainsi que cela a lieu pour la tor- électrique. pile, Féspue d'arc de cercle que forment les deux mains, peut être très-agrandie, sans que la force de la commotion soit diminuée. Vingt- sept personnes se tenant par la main et com- posant une chaîne dont les deux bouts corres-… pondaient à deux points de la surface du gym- nonote , ont ressenti à la fois une très-vive « secousse. Il dépend de la volonté de l’animal de donner EUROPÉENNES. 459 des commotions plus ou moins fortes; souvent même il faut qu'il soit progressivement animé. Ordinairement, les premières de ces commo- tions sont les plus faibles ; elles deviennent de plus en plus vives, à mesure que lirritation se prononce davantage ; enfin, elles sont ter- ribles, disent les observateurs, quand il est livré à une sorte de rage. Lorsqu'un gymnonote a frappé ainsi à coups Moyen de redoublés autour de lui , il semble épuisé, et il prendre ce lui faut un repos plus ou moins prolongé avant qu'il puisse faire éprouver de nouveaux chocs. On dirait qu’il emploie ce temps à charger ses organes foudroyantes d’une nouvelle quantité de fluide torporifique. En Amérique, suivant M. de Humboldt, on profite de cette circon- stance pour prendre ces poissons avec peu de risques à courir. On fait entrer de force des chevaux sauvages dans les étangs qu'ils ha- bitent; ces malheureux quadrupèdes reçoivent les premières décharges; étourdis, abattus, ils disparaissent sous l’eau, et les pécheurs s’em- parent ensuite des assaillants , soit avec des filets, soit avec le harpon ; car le combat est fini au bout d’un quart-d’heure, Les Indiens ont assuré à M. de Humboldt, | qu'en mettant les chevaux , deux jours de suite, dans une eau remplie de gymnonotes, poisson. 460 ANNALES aucun cheval n'est tué le second jour : autre preuve de la nécessité du repos chez ces pois- sons, pour l'accumulation d’une nouvelle quantité de fluide électrique. Un phénomène bien digne d'attention, et que nous présente encore le même poisson , est le suivant : on assure que des nègres, et cer- tains indigènes du pays où il se trouve (1), jouissent du privilège de le toucher sans res- sentir l'influence de son action. On ignore encore si c'est en le pressant fortement par le dos, comme l'ont dit quelques personnes, ou si c'est en interposant entre leurs mains et le corps de l'animal, quelque substance non conductrice de l'électricité, ou en employant quelqu’autre moyen d’adresse ,; qu'ils ont in- térêt à faire passer pour une faculté surna- turelle; mais on sait positivement que des femmes atteintes de fièvres nerveuses ou hec- tiques, ont pu le manier sans nul inconvénient. Henri Collins Flagh à vu une femme, affectée d'une des maladies que nous venons de citer, interrompre une chaîne préparée pour le pas- sage du courant électrique de l'animal (2). ET D ONE NE GA ER (1) On trouve également l’anguille électrique dans les eaux équatoriales de l'Afrique. (2) Cette observation pourrait donner lieu à une utile solution en physique. EUROPÉENNES, 461 Des étincelles entièrement semblables à celles que l’on doit à l'électricité dans noslabora- toires, manifestent les commotions produites par le gymnonote. Elles ont été vues pour la première fois, à Londres, par Walsh, Pringle et Magellan. On à aussi fait un grand nombre d'expériences qui prouvent l'identité de l’é- lectricité et du fluide actif du gymnonote. Quoique muni d’une arme invisible et re- doutable, le gymnonote électrique ne paraît Pas vorace. On lit dans quelques ouvrages que ce poisson à une chair délicate et savoureuse, c'est une erreur; les Européens qui en ont goûté lui trouvent au contraire quelque chose de répugnant, tant à cause de la mauvaise odeur qu’elle exhale, que par sa consistance mucilagineuse. Les colons de la Guiane Ja dé- daignent ; mais les Nègres et les Indiens, habi- tués à manger les plus gros serpents, recher- chent le gymnonote. Il existe en Amérique peu de poissons d’eau douce aussi nombreux que les gymnonotes électriques. Dans les vastes plaines ou savanes que l’on désigne sous le nom de Planos de Caracas ou de apuros, chaque lieue carrée, d'après le calcul de M. de Humboldt, con- tient au moins deux ou trois étangs qui en sont remplis. T, III. 3r ; À 462 ANNALES | | M. Van der Lott, chirurgien à Esséquibo, a dical, qu'on publié en Hollande un mémoire sur les pro- PER U priétés médicales des gymnonotes électriques. PC LE Bankroft assure qu’à Démérary on les en. pour guérir les paralytiques, et nous savons qu’en Abyssinie on se sert de la torpille dans la même intention : ce moyen ne parait pas encore être pratiqué dans les colonies es- pagnoles. , Nous donnons ici le récit fait par un des journaux de la capitale, sur la scène sérieuse à laquelle a donné lieu le gymnonote apporté à Paris, suivi d'observations adressées à ce sujet au même journal; par un ancien habi- bitant de Cayenne. « Voici un fait singulier dont nous garan- tissons l'authenticité, puisque nous le tenons de plusieurs témoins oculaires, et de la per- sonne même qui à failli être la victime de sa docte curiosité. Ce fait doit exercer la sagacité conjecturale des savants qui se font fort de ne laisser sans explication aucun phénomène de la nature. » « I n’y a pas long-temps qu'il est arrivé au Jardin du roi un poisson d'Amérique, le pre- mier qui ait été transporté en Europe. Les na- turalistes le nomment £gymnote, et aussi, an- guille électrique, parce qu'il jouit de l'étrange + EUROPÉENNES. 463 propriété de faire éprouver à ceux qui le tou- chent, des commotions tout-à-fait semblables à celles que détermine l'appareil électromoteur des physiciens. » « On dit qu'à Surinam , où l’on pèche plus particulièrement la gymnote, on fait avancer des chevaux ou des bœufs dans des lacs qu’elle habite, afin qu’elle vienne s’y attacher et épui- ser sur eux la bizarre faculté dont on ignore quel est précisément l'organe, mais qui, très- probablement , lui sert de moyen de défense contre des ennemis plus forts, et peut-être aussi de moyen d'attaque contre les poissons dont elle se nourrit. La gymnote du Jardin des plantes est de la longueur et de la grosseur d'une anguille de première force ; on en pêche fréquemment à Surinam de plus grosses. » « Déjà plusieurs savants ont répété sur ceile que nous possédons les expériences du célèbre voyageur M. de Humboldt ; tous ont éprouvé des secousses plus ou moins sensibles : un seul en a été plus violemment affecté que les autres ; c'est M. le docteur Janin de Saint- Juste, qui, l’ayant saisie et pressée des deux mains, ressentit plusieurs cornmotions d’une force extraordinaire, telles que Îa pile de Volta n'en fit jamais éprouver à personne. » « Mais une circonstance très-remarquable Effet tar- TN. ® rible de la pression du gymnonote , hors de l’eau. # ADN ANNALES et qui lui fit courir un danger réel, c’est qu'il lui devint impossible de rendre la liberté à l'animal , dont les mouvements ébranlaient toute son organisation. Une contraction invo- lontaire le lui faisait même serrer avec une force bien supérieure à celle qui lui est na- turelle , et plus il serrait, plus les secousses électriques devenaient violentes ; elles lui arra- chèrent des cris qui effrayèrent tous les assis-, tants, au nombre desquels étaient MM. Alibert, Geoffroy Saint-Hilaire, Serre et Larrey. On craignit pour sa vie, et il n’est pas douteux que si cet état se füt prolongé, il n’eùt bientôt amené la mort, On ne savait quel secours donner au docteur Janin : lächez ! lächez ! lui criait-on; mais il n'était pas maître de suivre ce conseil ; heureusement; il lui vint à l'idée de replonger l’anguille dans son baquet : à peine ses mains furent-elles mouillées, que le contact de l’eau, excellent conducteur du fluide électrique, lui rendit la liberté de se débarrasser de son ennemi. » « C'est ainsi que le docteur échappa à une mort certaine, s’estimant trop heureux d'en être quitte pour de vives douleurs dans toutes les parties du corps et particulièrement dans les épaules. Ces douleurs ont duré plusieurs jours, et ont même rendu impossible, pendant EUROPÉENNES. 465 vingt-quatre heures, tout mouvement du bras droit, lequel était douloureux au toucher, comme s'il eût été atteint d’un violent rhu- matisme. » « Nous demanderons à présent à MM. les naturalistes, si cette émission plus ou moins considérable d'électricité, faite par la gymnote sur des personnes et à des heures diverses , dé- pend de la volonté de l'animal ; et, dans le cas où ils croiraient cette action spontanée, comment ils expliquent la différence de ses effets (1). » e ———————— (1) Nous avons vu que les Nègres et les Indiens avaient le don de toucher et de manier les gymmotes, sèns en souffrir, comme ils prennent et transportent les serpents d’un endroit dans un autre, parce qu’ils les flattent au lieu de les effrayer ou de lesirriter. Ici, au contraire, le gymnote dont il s’agit, fatigué des nombreuses épreuves qu’on lui avait déjà fait subir dans un étroit baquet, a dù s’irriter au plus haut degré, lorsqu'il s’est senti saisi des deux mains et porté hors de son élément d'habitude. On a généralement remarqué que l'effet de la mor- sure ou de la piqûre même des animaux venimeux ; était en raison de l'état d’irritation dans lequel ils se trouvent. Nous croyons donc que, pour obtenir un bon effet médical du contact de l’anguille électrique, 1l sera convenable de ne pas lirriter. 466 ANNALES Fa AU RÉDACTEUR DE CET ARTICLE, Par un ancien habitant de la Guiane. Observa- _« M. J'ai lu, dans votre n° du 26 de ce mois, tions faites un article très-curieux sur l’arrivée à Paris à Cayenne. ., ; - , à d’une gymnote vivante. Je me suis trouvé à Cayenne, il y a quatorze mois, et j'y ai vu une très-grande quantité de ces poissons, que les nègres trouvent dans tous les canaux ou sa- vanes humides de la Guiane ; les Américains lui donnent le nom d’anguilles tremblantes , et les indigènes mangent sa chair sans dégoût. Les commotions électriques qu’elle produit ont été renouvelées plus de cent fois sous mes yeux, et cependant aucune n’a produit : des effets aussi terribles que ceux que vous avez rapportés. » « Mais il est un fait beaucoup plus inté- ressant pour l'humanité dont j'ai également été témoin , et qui donne à la gymnote une tout autre importance. J'ai rencontré à Cayenne une vieille mulàtresse qui, après avoir été attaquée pendant dix-huit mois d'une para- lysie qui la privait absolument de l’usage de ses Jambes , est parvenue à le recouvrer entie- rement , par le contact renouvelé des an- guilles tremblantes : les trois premières expé- PONS PTT PR CN FD EUROPÉENNES. 465 riences ne produisirent aucun soulagement , mais la quatrième fut plus heureuse ; la ma- lade sentit un léger mouvement, et successive- ment , en continuant le remède , elle fut radi- calement guérie. » « Ce résultat, constaté, pourrait engager MM. les professeurs de l'école de médecine, à faire des essais sur la gymnote qui se trouve actuellement au Jardin du Roi, et peut-être obtiendraient-ils de cette expérience un succes plus satisfaisant, que par la machine électrique qu'on emploie également, je crois, dans les paralysies désespérées. » Ces observations invitent à croire que la paralysie est souvent le résultat d’un appau- yrissement du fluide électrique où magnétique dans les parties atteintes, et que le gymno- note présente un remède heureux dans ses effluences électriques , comme aux indigènes , un aliment abondant dans sa chair (1). Quoique le double objet d'utilité de Ce Mission poisson soit bien constaté, nous pensons que probable du sa mission appartient encore à des prévoyances à supérieures de protection envers les faibles : Ant, mcclunt oysinl sut See eee (1) Il est à croire que les effluences, partant d’un corps animé, doivent avoir une autre vertu, que celles venant de la machine électrique. 168 ANNALES . placé en nombre par la nature dans ce mêmes À régions brülantes , qu'habitent le terribl > boa et le redoutable caiman, qui semblen effra et menacer les rivages de la mer et des fleuves : le gymnonote, armé de sa puissance fou- droyante, parait, dans son apparente faiblesse, chargé d’effrayer, et de menacer à son tour, ces emidables ennemis, dans le grand Het de conserver un juste équilibre dans les exis- tences. Il est certain que nous sommes encore bien loin de connaître ces lois mystérieuses de conservation, qui paraissent échapper à notre faible sagacité ; parce que nous ne voyons jamais que les effets, sans étudier les profonds motifs qui en sont le principe. Gymnonote On lit dans un voyage fait en 1760, sur les en Afrique. côtes d'Afrique : « On trouve dans les eaux douces du Sénégal un poisson que les Français nomment le érembleur , à cause de la pro- priété singulière qu’a cet animal d'exciter un tremblement très-douloureux dans les membres de ceux qui le touchent. Son effet, peu différent de la commotion électrique, se communique de même par le simple attouchement avec un bâton , de manière qu’on laisse tomber dans le moment tout ce qu’on tenait à la main. » Le corps de ce poisson est rond, sans écaille, et glissant comme celui d’une anguille ; EUROPÉENNES. 469 mais beaucoup plus épais relativement à sa longueur. Sa chair, quoique d’un assez bon | goût , n’est pas d’un usage également sain pour tout le monde.» On voit que l'Afrique possède aussi ses gymnonotes , chargés sûrement, comme ceux d'Amérique, de défendre l'entrée des fleuves aux requins , comme à combattre dans les eaux qu'ils habitent le serpent et le cro- codile, Il règne une marche si admirable dans les hautes prévoyances de la nature ; nous sommes si intéressés à ne dédaigner aucun fait qui peut nous les rendre sensibles ; il est si généra- lement reconnu que les mers sont de grands magasins d’'abondance , destinés aux habitants de la terre , dans ces innombrables variétés de poissons alimentaires qui sont poussées à des époques fixes sur tous les rivages du globe, que nous devons puiser dans les rela- tions de tous les temps, lorsqu'elles offrent des preuves à confirmer cette grande vérité, abandonnant au jugement du lecteur les ac- .cessoires qu'il peut voir différemment. Voici donc ce qu'on lit dans le Voyageur Français, sur les bancs de poissons qui apparaissaient sur les rivages du Sénégal : Abondance de ce pois- son sur les côtes du Sé- négal. 470 ANNALES .... Parmi d’autres singularités ; je ne dois pas oublier la multitude innombrable > de} pois- sons de moyenne taille, qui inonde la côte du Sénégal, comme une manne que la Provi- denceenvoie périodiquement à ses habitants.La mer en parait remplie, et lorsqu'ils sont pour- suivis par de plus gros, on les voit par bancs s'approcher du rivage et souvent y échouer. 11 y a de ces bancs qui ont plus de 5o toises détendue, et où les poissons sont si serrés, qu'ils roulent les uns sur les autres sans pou- voir nager. Aussitôt que les habitants les aper- çoivent près de terre, ils se jettent à l’eau, portant un panier d’une main et nageant de l’autre. C’est une chose très-curieuse que de les voir dans cette attitude, pénétrer au milieu de ces fourmillières, plonger simple- ment leur panier, le relever, et s’en retourner chargés de leur proie. Il y a de ces pêches où, avec un grand filet, on prend jusqu’à six mille poissons , dont les moindres égalent la grosseur d'une belle carpe (1). Les nègres en emportent chacun leur charge; les matelots en remplissent leurs chaloupes, et abandonnent le reste sur D prrde ps cri lits mic s 0 NÉE ES (x) On a pris le 2 mai de cette année 1825, à Déal en Angleterre, jusqu’à sept mille maquereaux d’un seu] coup de filet. RE EUROPÉENNES. VE la rive aux animaux et aux oiseaux de proie, qui y trouvent aussi leur desserte (1. Comme le peuple les fait sécher sur le toit des cabanes, leur vue et leur odeur attirent, près des villages, les loups, les lions et les tigres , qui rôdent sans cesse dans les environs. On a remarqué, à cette occasion, que le loup et le lion frayent ensemble, sans se redouter et sans se nuire. Ce n'est pas que la taille du loup d'Afrique, bien supérieure à celle des nôtres, en impose au roi des animaux; mais c'est probablement parce que la chair du loup ne le tente point, ou que peut-être il lui sert de piqueur dans ses chasses; au lieu qu’il tombe sur le premier animal domestique qui se trouve en son chemin. Il n’y à point de jour que ces bêtes carnas- sières n’enlèvent aux nègres un grand nombre de poissons ; et quand on leur demande pour- quoi ils ne se donnent pas la peine de les retirer pendant la nuit, ils répondent froide- ment , qu'il faut que toutes les créatures vivent, et que ce serait d’ailleurs une plus (1) On voit que, s’il n’y avait point de gros poissons chasseurs, destinés à pousser les poissons alimentaires vers les rivages, les pêches en seraient partout moins abondantes. < u 472 | ANNALES , grande peine de les renfermer tous les soirs , que d’en aller pêcher d’autres. Poisson lu- 1] est une saison dans l’année où ces pois- mineux. sons donnent lieu à des expériences remar- quables. Il faut entendre notre facteur en rendre compte lui-même de ses observations. Ma chambre, dit-il, était remplie de ba- quets pleins d'eau de mer, où j'avais conti- nuellement des poissons vivants, qui rendaient pendant la nuit une lumière semblable à celle des phosphores, Les bocaux remplis de co- quillages , les poissons même qui étaient éten- dus morts sur ma table, en donnaient aussi de leur côté. Toutes ces lumières réunies en- semble , et réfléchies sur différentes parties de mon appartement , le faisaient paraitre en- flammé. Je prenais beaucoup de plaisir à con- sidérer ce spectacle; et ce qu’il y avait de plus enchanteur , c'est que chaque poisson rendait sa forme sensible par la lumière qui en sortait. Il en était de même des coquillages et de tous les corps marins que j'avais dans ma chambre : mille positions différentes, que je pouvais leur donner, me permettaient de varier à l’infini cette brillante et lumineuse décoration; les baquets eux-mêmes semblaient des fournaises ardentes, » « La mer, courroucée, me présentait majes- ® EUROPÉENNES. 473 tueusement en grand le même phénomène magique. Ses montagnes d’eau paraissaient se métamorphoser en montagnes de feu, et of- fraient à mes regards un spectacle merveilleux, plus capable d’exciter l'admiration que la crainte. » Cette magie indéfinissable est répandue dans toute la nature. Heureux l’homme qui sait y être sensible, et écouter cette voix 5e- crète et si éloquente, qui lui dit sans cesse jusqu'au fond de l'ame , que tout est animé et coordonné dans cet univers, par l'Esprit Éternel , qui nous en a réservé la domination ; et malheur à ceux qui, le scalpel de la science à la main, s'occupent à tout analyser, à glacer, à éteindre le sentiment de la grandeur hu- maine. »- Pas 474 ANNALES : AL, * # F +. ————_—_— | TABLEAU DES MONTAGNES LES PLUS ÉLEVÉES DU NÉPAUL EN ASIE, he "We 4 "+ ET DE L'INFLUENCE MÉTÉOROLOGIQUE DES MONTAGNES, SUR L/HARMONIE PHYSIQUE DU MONDE. À * Norre globe est un de ces millions de mondes dont le Tout-Puissant a animé et dé- coré les vastes espaces de l'Univers : ce merveil- leux édifice, qui ne doit rien au hasard, mais est au contraire l’œuvre de cette volonté divi- nement souveraine, qui, y ayant réuni du méme instant , tout ce qui. devait lui donner le cachet de sa durée, a visiblement placé dans les hautes montagnes et les mers, les principes des fleuves et des météores, destinés à féconder et à régir avec l’action du soleil tout ce que doit posséder la terre. Ainsi le Gange et l’Indus sont aux montagnes élevées où ils prennent naissance, Ce que l’Orénoque et le vaste fleuve des Amazones. sont à cette chaine colossale des Andes , qui leur sert de berceau. Toute la terre est parsemée de ces magni- fiques amphitéätres, qui servent de base à ces 4 EUROPÉENNES. 475 pyramides , mélées graduellement ( de glace, de neige , de verdure, et qui, élevée majestueu- sement dans les airs, sont la source des plus admirables phénomènes qui se passent sous nos yeux. Ces grands agents de la nature ayant leur ministère à remplir dans l’ordre général des attractions réciproques, il est naturel de croire que les hauts pitons de l'Asie, de l'Eu- rope, de l’Afrique et de l'Amérique , se corres- pondent et se partagent les fonctions qui leur sont départies, pour concourir à l'harmonie physique du globe. En considérant les hautes montagnes sous cet aspect animé, on sent combien il devient alors intéressant d’en étudier l'élévation , le site et la composition avec les différents phé- nomènes qui en découlent. C'est par ce motif que nous présentons ici le tableau des vingt- sept hautes montagnes, groupées sur le vaste plateau du Thibet, qui parait être le point cul- minant de la terre. Quelques journaux ont entretenu le public de la découverte récente d’une montagne du Thibet, qui, par son élévation, éclipsait la plus haute cime des Andes du Pérou. Nous ne sommes pas plus intéressés à la prééminence du Himmaleh {le Chumularée de M. Turner), qu'à celle du Chimborazo ; et nous verrons 476 ANNALES sans regret que M. de Humboldt découvre dans son prochain voyage un autre pic, encore ignoré, qui, à son tour, fasse descendre du premier rang la montagne en question; mais en attendant , quant à l'importation de la nouvelle en France, nous en revendiquons la priorité, pour le bureau des longitudes, qui, dans son annuaire de 1814, page 129, dans celui de 1813, page 193, et peut-être même antérieurement, a déjà porté le pic le plus élevé du Thibet à 7400 mètres, tandis qu'il n’en a donné que 6530 au Chimborazo (près d'un septième de moins ). Au surplus, les ri- vaux du Chimborazo sont en grand nombre. M. le lieutenant Webb, du Bengale, vient d'envoyer en Europe le résultat de ses opéra- tions pour déterminer la hauteur de 27 des principales montagnes du Népaul : voici le tableau de leurs élévations par ordre pro- gressif. “10: de 15,733. 104. de 21,045. 19,. de 22,419. Ÿ D'après la Con- 2°. de 17,094. 11. de 21,311. 20. de 22,498 gum le me N do , ‘ Are Ga #90 ° borazo s’élèverait 3. de 19,09g. 12,. de 21,439. 210. de 22,578. De 3,417 toises on 4°. de 19,106. 130. de 21,611. 220. de 22,635. 20,502 pieds; et 5°. de 19,153. 14°. de 22,058. 230. de 22,737. )d'après M. Hum- 6°. de 9,497. 15. de 22,238. 240. de 22,240. boldt, seulement 7°. de 20,407. 16. de 22,277. 250. de 23,164. À de 3,267 Lu S, 4 "HUE: ou 19,602 pieds, * de 20,686. 17°. de 22,310. 260. de 33,263. À au-dessus du ni- 9°. de 20,923. 18°, de 22,345. 270. de 25,608 9 veau de ARE “dr il EUROPÉENNES. 477 Nous avons lieu de croire, et la nature, que nous ne devrions cesser de consulter, semble nous indiquer, que les montagnes élancées dans les régions de neiges et de glaces ont des fonctions d’un ordre différent à rem- plir que celles qui, couvertes de végétaux, semblent étendre moins loin leur influence, et être plus privativement chargées de protéger les zones locales : enfin ce sont des puissances secondaires de la nature, dont il nous reste encore à pénétrer l’action, et qu’il serait bien désirable de mieux connaître. Ce sujet est d’une importance si majeure ; il se lie si directement à tout ce qui existe comme à tout ce qui est utile, que notre intention est de lui consa- crer encore quelques articles. Espérons que si M. de Humboldt se dé- cide à aller visiter ces belles montagnes du Thibet, qu’un observateur aussi éclairé por- tera de grandes lumières sur une matière aussi intéressante pour la physique naturelle. ïii, JA 478. ANNALES HZTZITYFFFFSF--T-T-——————E————— CoNSIDÉRATIONS D'ÉCONOMIE PUBLIQUE , sur le commerce des grains, ou moyens de concilier les intérêts de l'État, des Proprié- taires et du Peuple, avec ceux du Com- merce. Par M. D. Z. (x). L'Esrinmagrxe auteur de cet ouvrage, qui, est rempli de recherches intéressantes et dignes d'être méditées , jugeant qu’un pareil sujet devait toujours être à l'ordre du jour, l’a adressé à tous les Conseils-Généraux de la présente session, dans l'espoir fondé, de provoquer l'expression d’une généralité de vœux néces- saires, pour porter à l'examen d’une matière aussi digne d’une haute considération : voici comme commence l’introduction : « Le triste souvenir de la disette de 1817, et’ la #surabondance actuelle des blés, dont le bas prix est si contraire à la prospérité de L2 l’agriculture, doivent, suivant M. Laboulinière, sous-préfet d’Etampes, auteur d’un ouvrage estimé et récemment publié, concernant cette (1) Un vol. in-8°, chez Delaunay, libraire, au Palais- Royal, n° 243, à Paris. EUROPÉENNES. A 79 partie des subsistances , réveiller nécessaire- nent l'attention publique et la sollicitude pa- ternelle de notre Souverain, sur la grande question du commerce des grains, qui a été traitée par tant d'hommes marquants du siècle dernier. » % M. Dézaubiez, hômme éclairé, et avec cela excellent citoyen, méditant depuis de longues années sur les moyens de garantir la France de tous les fléaux qu’entraine après elle la disette des grains, propose avec raison, d'éri- ger dans tous les départements du royaume, des greniers de réserve, alimentés par les an- nées d’abondance , afin de rendre aux popula. tions inquiètes l'entière certitude de ne jamais manquer de ce premier aliment, et assurer également au commerce, la seule véritable liberté {égale de cette nature : celle de pouvoir exporter sans plaintes, ni dangers, uniquement la partie surabondante de nos blés. L'auteur, pénétré de l'extrême importance du sujet : celui d'assurer le repos et la sécurité de l'Etat, dans la réserve de la première sub- stance alimentaire, dont l’interversion des saisons rend les récoltes si variables et si pré- caires, va franchement au-devant de toutes les objections et donne jusqu'aux détails très- bien faits, des dépenses à faire pour la con- 480 ANNALES struction des greniers à élever dans les 85 chefs: peux des départements, montant pour chaque à 42,949 francs; mais mettons cette dépense, qui, comme on le verra, pourrait être simpli- fiée, à 5o mille francs,elle ne s’élèverait encore par tout le Royaume qu’à 4,250,000 francs. En présentant le tableau des grands sacri- fices que le Gouvernement a été Fe de us » à chacune des époques où la France a eu à souffrir des mauvaises récoltes, on trouve que celles de 1816 à 1517 a exigé, tout compris, une dépense de 8/,817,690 francs, pour com- battre cette calamité des saisons et assurer la tranquillité publique. L'auteur ajoute : « Rien d'extraordinaire , de merveilleux , n’existe dans ce que A à proposer; peut- -être n’oc- casionnerai-je pas la plus légère sensation. Il faut de grands moyens, des coups d'éclat, des bouleversements qui surprennent, pour faire époque : tout ce qui n’est pas cela est mono- tone, et ne fait aucune impression , quel- qu ‘utile d’ailleurs et quelque sagtreu pensé que soit la chose. » Cet ouvrage, peut-être le plus complet qui existe sur la matière, se recommande à tous les hommes éclairés et à tous les adminis- trateurs, qui y trouveront de précieux docu- ments. EUROPÉENNES. A8: Chargé moi-même, par le dernier intendant du Roussillon, de faire des recherches sur la mouture économique et les moyens de pré- server les provinces, des calamités de la disette, javais produit, avec l’aide des lumières du respectable Parmentier |, un travail qui fut recommandé par le président de l’Académie royale des Sciences , et imprimé en 1791, par ordre du ministère de l'Intérieur. Dans ce petit ouvrage , je proposais éga- lement l'érection de greniers d’abondance , comme le moyen le plus certain de garantir la France de la tourmente , en quelque sorte périodique , des famines factices ou réelles. Alors les couvents supprimés, et non encore vendus, offraient gratuitement dans tout le royaume , des locaux propres à recevoir les approvisionnements ; mais, la révolution ayant tout dévoré, les vues utiles que j'avais propo- sées, n'ont malheureusement recu aucune suite. Aprés avoir recherché tout ce que les divers peuples de l’Europe et de l'Asie avaient em- ployé de moyens industrieux pour la conser- vation des grains, j'ai cité un grand nombre d'exemples , où les blés, placés à l'abri de l’humidité et de tout contact de l'air, se sont conservés des siècles ; mais cela n’a jamais pu se 5 © do t 482 ANNALES faire dans nos climats pour de grandes massés, parce qu'il faudrait pour cela des ‘construc- tions prodigieuses, tandis que le placement et la conservation des farines présentent plus de facilités. Un grenier départemental de réserve, en nature de blé, à, selon nous, de grands in- convénients : il exige, outreun local beaucoup plus vaste que la même quantité réduite en farine entonnée , une surveillance etune main- d'œuvre continuelles, pour éviter l'effet des charancons, des avaries et de la fermentation, qui occasionnent toujours des pertes , malgré une grande dépense et les soins les plus assi- dus : les farines ont encore au contraire l’avan- tage de s’affiner et de gagner en qualité par le temps. Nous croyons donc, en conservant à M. Dé- zaubier , tout le mérite de son plan général fort sagement Conçu, devoir répéter ce que nous avons déjà conseillé en 1791, de donner ‘la préférence aux farines ; parce que Ce mode à l'avantage d'économiser les dépenses, d'éviter des pertes , de simplifier les transports et les distributions par chefs- lieux de cantons : le grenier d’abondance de Paris présente sous ce rapport un beau modèle à prendre pour exemple. Li EUROPÉENNES. 483 Comme l'expérience mérite d'être consultée, nous voyons que depuis plus d'un siècle, nos blés réduits en farine , traversant l'Atlantique pour aller alimenter nos colonies, ainsi que les Américains , viennent de leur côté ali- menter l’Europe de la même substance. Beau- coup de farines nous arrivent également de la mer Noire, et cela parce que le transport de l2 même quantité en blé serait non-seulement plus difficile et plus dispendieux, mais AUSSI, plus sujet à des pertes. D'après le peu d'observations que nous avons le temps d'exposer sur cette importante matière, on peut juger que les silos, que j'ai décritsil y a trente ans, et essayés depuis dans des vues fort louables, se réduisent aujour- d'hui à un objet de simple curiosité; puisque la moindre des douze cents villes de la France ne pourrait jamais construire une citerne d'une capacité assez grande à nourrir Sa po- pulatior , seulement pendant trois mois : à quoi il faut ajouter mille inconvénients qui résultent d’un pareil système de réserve.» 1384 ANNALES EUROPÉENNES. ANNONCES. MÉMOIRES DU CAPITAINE LANDOLPHE, contenant l'Histoire de ses Voyages pendant trente-six ans, aux côtes d'Afrique et aux deux Amériques; rédigés sur son manuscrit, par J. S. Quesné. Deux volumes in-8, or- nés de trois gravures ; prix 12 francs, et 15 francs par la poste. À Paris, chez Arthus Bertrand, Libraire, rue Hautefeuille, n° 23, et chez Pillet aîné, Imprimeur-Libraire, rue Christine, n° 5. Cet ouvrage, dont nous aurons occasion de parler dans les n° suivants, sort des presses de M. Eberhart, rue du Foin Saint-Jacques, n° 12. Nous aimons à dire, que cette imprimerie, rare même dans la capitale, se distingue non seu- lement par la beauté des caractères, l’ordre, les soins et la solide instruction des hommes qui y concourent; mais on y imprime éga- lement dans toutes les langues européennes, et dans toutes les langues orientales, tant anciennes que modernes. Un pareil, établisse- ment mérite d'être signalé aux savants de tous les pays. nn, TABLE | DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE TOME TROISIÈME. 1. Introduction à une circulaire mémorable du Ministère de l'Intérieur. Page 2. Circulaire du Ministère, relative à la Climato- logte de la France, adressée à MM. les Préfets et à toutes les Sociétés savantes du Royaume. 3. Réponses départementales , embrassant dans l'examen de la physique locale de tous les cantons, l’inclémence des saisons; l’altération des climatures ; le éarissement des sources ; les 22ondations, désas- treuses ; les faux de la grêle; la diminution des poissons , des oiseaux , etc. , etc. , etc. 4. Conséquences et conclusions que la haute im- portance de ces réponses fait naître. 5. Sur la nécessité d’abriter les campagnes culti- vées, et sur les moyens de leur rendre tous les prin- cipes de fécondité dont elles sont susceptibles. 6. Plantation rationale , et choix des arbres qui peuvent assurer une abondance universelle et inalté- rable à la France. 7- Fragments de quelques ouvrages de phy- sique morale. | 8. Annonces. : . 1) 20 74 78 93 109 122 486 TABLE 9! Con Aérations glaËr ile sur le but d'utilité ie de ces Annales, ; et de l’heureuse impulsion donnée à ce sujet, par le Ministère de l'Intérieur, + dans tous les départements du royaume. Page ARE. 10: Rapport fait sur la nature et le caractère W. ‘de ces Annales. 11. Suite les réponses départementales , sur la situationph sique de la France. Département du Jura, p.135. —Département du Lot, p. 140. —Dé- pk partement des Basses-Alpes. - 12. Premier fragment sur l'astronomie, avec quelques remarques sur les limites de cette science « © la diversité des hypothèses qu’elle enfante parmi les astronomes, + 13. Sur l’arachis ou pistache de terre ; bonté de l'huile qu’on en extrait; facilité de la cultiver dans toute la France; avantages précieux que sa culture présente aux ménages champêtres. 14. Sur l'opinion que le Mammouth a été le plus grand animal terrestre; notions qui permettent de croire à son existence, sous une forme différente de f celle qu’on lui avait attribuée. 233 15. Société de la Morale chrétienne ; grand but "À À "" desoninstitution et de ses travaux. 242 16. Annonces. A 245 17. Considérations générales sur les nombreux sujets de prospérité nationale, déjà présentés dans Ces ANNALES; sur la paix et la félicité publiques, qui seraient l’heureux et à jamais l’inaltérable résultat, par leur exécution. 249 16. Suite des réponses départementales ,fsur la à î situation physique de la France. — Départemenis du Gard, de Vaucluse et des Vosges : résumé de EE à: ” : À Là Len + d LL d À Le * DES MATIÈRES. 4387 ces trois réponses et conclusions importantes aux- quelles elles donnent lieu. n 259 19. Digression sur le premier état des heureux insulaires de la mer du Sud, suivie de quelques : comparaisons sur le bonheur PE possible à réas * liser en d’autres pays , et particulièrement en France. : | 303 20. Sur les moyens de transplanter ce qu’on appelle la Toison-d’or de Saint-Domingue, ‘dans les champs français, enconfectionnant annuellement pour 2 à 300 millions de sucres indigènes ; opu- .lence qui en résulterait pour tous les Départements du Royaume. | 331 21. Remèdes efficaces contre Æ/ydrophobie ou la rage; p. 344. — Description du Mont Ararath, . comme occupant une place dans le déluge et dans la “Genèse; p. 349. — Longévité remarquée en Europe; p. 358. — Observations curieuses sur la dette an- glaise. 360 22. Annonces. 362 23. Observations que font naïtre les sujets de bonheur public, traités dans les onze livraisons pré- cédentes. + 7363 24. Suite des réponses départementales ; supplé- ment à celle de l’Ardèche ; dépt. du Far; dépt. du Morbihan ; dépt. de la Haute-Loire. 383 25. Anciennes dimensions des poissons qui ha- bitent ou fréquentent nos eaux douces, comparées à celles que nous leur voyons aujourd’hui. 418 26. De la haute importance de généraliser les pépinières , etsur les phénomènes qu’on remarque dans les amitiés et les inimitiés végétales. 434" 27. Poissons électriques ; scènes extraordinaires 4 488 TABLE DES MATIÈRES. auxquelles ils donnent lieu; vues présumées de la Providence à ce sujet. | 454 28. Grandes légions de poissons sur les côtes d'Afrique; — poissons lumineux. 47e 29. Tableau des montagnes les plus élevées de l'Asie; correspondance météorologique probable, qui existe entre les hautes montagnes de la terre, et de leur influence sur l'harmonie physique du monde. 474 30. Sur un ouvrage qui a pour objet de garantir la France du fléau de la disette des grains ; — sur les 57/05. 478 31. Annonces. 484 32. Table des matières. 485 FIN DE LA TABLE ET DU TROISIÈME VOLUME. os DE L'IMPRIMERIE DE J.-M, EBERHART. 4 Lu | Le 4 Ab rt ee FC 4 EE 01 FES srel MT LE REL LL LLELL AE LL LLRLL ELU JUL LUEUR 3 5185 00258 6665