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UN1VI RSITY OF TORONTO PRESS

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ANTOINE DE BOURBON

ET

JEANNE D'ALBRET

IMPRIMERIE DAUPELEY-GOUVERNEUR, A NOGENT-LE-ROTROU.

ANTOINE DE BOURBON

ET

JEANNE D'ALBRET

SDITE DE

LE MARIAGE DE JEANNE D'ALBRET

P A R

LE BARON ALPHONSE DE RUBLE TOME QUATRIÈME

PARIS

ADOLPHE LABITTE

LIBRAIRE DE LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE 4, RUE DE LILLE, 4

1886

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ANTOINE DE BOURBON

ET

JEANNE DALBRET

CHAPITRE SEIZIÈME.

Séparation du roi et de la reine de Navarre.

La reine mère passe au parti réformé. Elle modifie, au profit de ses nouvelles tendances , V éducation de ses enfants.

Assemblée de Saint-Germain (3 janvier 1o()2). Êdit de janvier (17 janvier). Opposition du parlement. 17 se résigne à V enregistrement de Védit (5 mars).

Colloque de Saint-Germain au sujet du culte des images (27 janvier-^ février) .

Le roi de Navarre passe au parti catholique. Reprise des négociations avec le roi d'Espagne au sujet de la Sardaigne. Philippe II demande le renvoi des chefs du parti réformé. Projet d'envoyer le prince de Condé en Guyenne. Philippe II exige Vexil des Cliastillons. Le duc d'Albe offre la Tunisie au roi de Navarre (1 8 janvier). Rivalité de la reine mère iv 1

2 ANTOINE DE BOURBON

et du roi de Navarre. Retraite du connétable (2G janvier). Antoine demande à la reine le renvoi des Chastillons (12 février). Retraite volontaire de Coligny (22 février). Renvoi du maréchal Saint- André.

Retour d'Antonio d'Almeida à Madrid (5 mars). Les chefs du parti catholique recommandent le roi de Navarre à Chantonay.

Querelles de Jeanne d'Albret et du roi de Navarre au sujet de la religion. État de santé de la princesse. L 'ambassadeur dEspagne demande l'expulsion de Jeanne dAlbret. Jeanne quitte la cour (fin mars). Henri de Réarn reste auprès de son père; sa résistance au catholicisme. Jeanne dAlbret à Vendôme. Pillage de la collégiale de Vendôme et des tombeaux de la maison de Rourbon-Vendôme (mai). La reine de Navarre se retire en Réarn.

La tentative d'enlèvement du duc d'Orléans par le duc de Nemours, au mois d'octobre 1 561 , avait affaibli les liens qui retenaient la reine mère dans le parti catholique *. La retraite des Guises hors de la cour l'ai- dait à se désintéresser de leur parti*. L'alliance du roi de Navarre avec les catholiques porta le dernier coup à sa politique d'équilibre. Celui qu'elle avait essayé d'opposer aux triumvirs s'associait lui-même aux triumvirs et laissait la dynastie des Valois sans défense devant les tracasseries du connétable, les

l. Bèze, Eut. aras., 1841, t. [, p. i20 el 121. :. Lettre de Chantonay A Philippe Œ, du .,v: octobre (Orig. espagnol; Arch. mit., K. 1494, a* 105).

ET JEANNE DALBRET. 3

perfidies du maréchal de Saint-André et les exigences insondables du duc de Guise. Le danger, aggravé par l'ambition des Bourbons, de rester seule avec ses enfants mineurs parut imminent à la reine. Cette situation fut étudiée dans le plus grand secret par ses conseillers intimes, Jean de Monluc, évêque de Valence, le chancelier, la dame de Crussol. Après de nombreuses hésitations, que Monluc eut l'adresse de dissiper, la reine résolut de suivre le mouvement, qui, depuis l'ouverture du colloque de Poissy, entraînait la cour et le royaume vers le triomphe du parti réformé, et, dit Davila, « de se liguer avec l'amiral et le prince « de Condé, de fomenter leurs entreprises, pour se « faire un bouclier de leurs forces, et de rajuster et « contrebalancer de ceste sorte la puissance des deux « factions1. »

Ce changement ne se fit pas en un jour. A mesure que le roi de Navarre penchait davantage dans le sens de la politique espagnole, la reine se rapprochait des réformés. Le premier acte de Catherine fut une enquête sur les forces de ses nouveaux défenseurs. Informée que les églises calvinistes étaient organisées en vue d'une résistance armée, elle demanda à Coligny l'état de ses soldats. La demande parut suspecte à la plupart des religionnaires, mais Coligny sentit qu'elle cachait une avance. Il produisit une liste de 21,150 églises, plus ou moins nombreuses, plus ou moins bien assises, mais toutes capables d'offrir des soldats au roi2.

1. Davila, Hist. des guerres civiles, in-fol. , t. I, p. 96. Mémoires de Tavannes, coll. PetitoL, p. 324. Davila mérite du crédit pour l'histoire de la politique de la reine mère.

2. Les éditeurs de la Biographie protestante des frères Haag onl

4 ANTOINE DE BOURBON

A l'aide de cette liste, Catherine fit courir secrètement d'église en église, sans se compromettre, une sorte d'appel, le royaume de France était représenté comme menacé d'une invasion espagnole ou catho- lique1. Le prince de Coudé et Coligny, au nom de leur parti, lui promirent une armée de cinquante mille hommes , moyennant une alliance cimentée par des pactes formels et par des gages réciproques2.

Il est impossible d'évaluer, môme approximative- ment, les forces du nouveau culte. Les ambassadeurs vénitiens, les seuls qui présentent des vues d'ensemble, se contentent d'affirmer que toutes les villes étaient troublées par les réformés3, mais ces accusations n'établissent pas le nombre des séditieux. Le nonce du pape, Prosper de Sainte-Croix, estime que les reli- gionnaires étaient dans la proportion de trois ou quatre pour cent catholiques4. Dans le gouvernement du maréchal de Saint-André, en Lyonnais, on comptait à peine, dit Chantonay, cinquante hérétiques sur une population de 4,000 bourgeois ou chefs de maisons5. Les réformés ou calvinistes (on commençait alors à leur donner ce nom1') étaient donc peu nombreux,

essayé de refaire cette liste (t. X, p. 52). Leur travail, quoique très incomplet, fournil de précieuses indications.

1. Bèze, llisi. ecclês., 1841, t. i, p. 120. L'appel de la ivine est imprimé par de Bèze. Dupleix, Hist. de France, t. III. p. (>17.

2. Mémoires de Tavannes, dans la coll. Petitot, p. ;U7.

3. Relations des amb. /■<////., par Tmuaseo, t. I, p. 111 et èl7, t. II, p. 17, de la Coll. des doc. inédits.

4. Lettres de Sainte-Croix, dans les Archives curieuses de Gimbei el Danjmi, i. VI, p. 38.

5. Lettre de Ghantonaj à I Mu lippe 11, du 5 janvier (Orig. espa- gnol . Arch. nai ., k. 1 i'.)7, h" 3).

il. Mémoires de Gauffreteau, t. I, p. 97.

ET JEANNE D ALBRET. 5

mais ils se recrutaient dans les masses militantes, parmi les hommes avides de nouveauté, de bruit et de sédi- tion.

Le premier gage que Catherine donna à ses alliés fut de modifier l'éducation de ses enfants. Le roi avait pour gouverneur Philibert de Marcilly, sei- gneur de Cypierre, gentilhomme catholique, étran- ger aux partis. Il était difficile de le renvoyer sans cause; le hasard en fournit l'occasion. Un jour la reine donna au roi une traduction des psaumes, popu- larisée par de Bèze à la cour, en lui recommandant de cacher le volume à son gouverneur. A la première visite de Cypierre, Charles IX lui montra avec orgueil le cadeau de la reine. Cypierre le fit aussitôt dispa- raître et dit au roi qu'un homme ne devait pas obéir aux femmes, conseil qui tlattait l'orgueil de l'enfant royal. Cypierre eut l'imprudence de révéler le fait au connétable, qui blâma publiquement la reine1. Cathe- rine saisit ce prétexte pour disgracier Cypierre. La dame de Roye, belle-mère du prince de Condé, et la dame de Crussol, qui pratiquaient la réforme, furent chargées, d'assister au lever et au coucher du roi « et de luy faire la leçon2. » Cypierre fut remplacé par le prince de la Roche- sur -Yon. Le nouveau gouverneur tenait par sa naissance à la maison de Bourbon et par ses opinions religieuses au parti catho- lique le plus modéré. Mais son âge et ses infirmités (il avait la goutte) le rendaient incapable d'accom-

1. Lettre de Tornabuoni, du 6 janvier (Négoc. delà France avec la Toscane, t. III, p. 471).

2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa- gnol; Arch. mit., lv. 1497, 8).

6 ANTOINE DE BOURBON

pagncr un enfant de douze ans à la chasse, à cheval, aux armes, à la paume4. Cypierre au contraire avait su entrer dans les bonnes grâces de son jeune maître en prenant part à tous ses jeux. Quand il quitta la cour, le roi montra plus de chagrin qu'on n'aurait pu l'at- tendre de son âge.

Le vendredi soir, dit Shakerley (le jour ce gouverneur a élé nommé), le roi n'a presque pas mangé. La reine apprenant cela a été pour le consoler, à quoi il n'a rien répondu, mais il a demandé pourquoi M. Sipiere n'était plus son gouverneur, et qu'il n'en voulait pas d'autre, à quoi la reine n'a rien répondu. Le matin suivant, le nouveau gouverneur, après avoir salué le roi, lui demanda de venir jouer dans la grande salle, comme il est accoutumé de le faire, à quoi il a répondu qu'il ne voulait pas jouer ; el il est allé à la messe 2.

Le duc d'Orléans, que le parti catholique avait rêvé de prendre pour chef, fut confié aux prêcheurs de la reine de Navarre. Élevé, ainsi que son plus jeune frère, « à prier Dieu en langue vulgaire3, » il embrassa la réforme avec une passion inattendue. Languet écrit qu'en pleine cour il demanda un jour à sa mère de ne pas lui donner « d'autres ecclésiastiques » que des Luthériens1. De tous les enfants de Catherine, Mar- guerite seule conserva sa gouvernante catholique. Les querelles de religion N qui mettaient en feu le royaume, pénétraient ainsi dans les chambres des

1. Lettre de Ghantonayà Philippe 11, 'lu 30janvie] 1562 I espagnol ; A.rch. aat., K. 1 197, u" 7).

2. Lettre de Shakerley, agenl anglais à la cour, à l'ambassa- deur Throckmorton (nov. 1561) (Calendars, 1564, p. 384).

3. Tocsin contre lis massacreurs, 1579, in-8°, p. 15.

i. Lettres de Languet, citées dans Hubert Languet, par M. Che- vreuil, p. 50.

ET JEANNE d'aLBRET. 7

fils de France. Marguerite raconte dans ses Mémoires l'obstination enfantine de son frère, le duc d'Orléans, à la convertir à la religion nouvelle.

Mon frère d'Anjou, depuis roy de France, de qui l'enfance n'avoit peu esviler l'impression de la malheureuse hugueno- terie, qui sans cesse me crioit de changer de religion, jettoit souvent mes heures dans le feu, et au lieu me donnoit des psalmes et prières huguenotes, me contraignant les porter; je luy respondis, à telles menaces, fondante en larmes, comme l'aage de sept à huit ans, j'estois lors, y est assez tendre, qu'il me fist fouetter et qu'il me fist tuer s'il vouloit ; que je souffrirois tout ce que l'on me sçauroit faire, plustost que de me damner ' .

Les nouvelles tendances de la reine ne restèrent pas longtemps inaperçues. Chantonay prit l'éveil avant même que l'évolution fut un fait accompli. Dans ses nombreuses conférences avec Catherine, il essaya en vain de lui démontrer que le triomphe de la réforme serait le triomphe de la maison d'Albret. La régente restait incrédule ; elle croyait encore au dévouement du roi de Navarre et attachait du prix aux égards d'éti- quette que Gondé et Coligny lui prodiguaient en retour de sa tolérance2. Chantonay crut faire reculer la reine en agitant encore une fois le fantôme de l'intervention espagnole. Il conseilla à son maître de prendre une attitude plus impérieuse. Philippe II envoya le comte de Horn3 à Saint -Germain et proposa à la reine

1. Mémoires de Marguerite de Valois, édit. Lalanne, dans la Biblio- thèque elzévirienne, p. 6 et 7. Ce fait est confirmé par un mémoire rétrospectif d'Ala va (Arch. nat., K. 1527, 67).

2. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 10 septembre (l h espagnol : Arch. nat., K. 1 194, n<> 100).

3. Lettre de Throckmorton, du 14 novembre [Calendars, 1561,

8 ANTOINE DE BOURBON

une armée, des capitaines, de l'argent pour exter- miner les hérétiques, propositions qu'il aurait été fort embarrassé de tenir. Le 28 novembre, il adressa à la reine des conseils qui ressemblent à des menaces1. Chaque sommation avait la vertu d'effrayer Catherine, mais n'effrayait qu'elle. « Les avis de Votre Majesté, « écrit Chantonay, causent de prime abord quelque « appréhension, qui dure ordinairement deux ou trois « heures, jusqu'à l'arrivée des consolateurs, qui apla- « nissent les choses; et celles-ci continuent leur train « ordinaire 2. » Les consolateurs étaient les politiques avisés qui connaissaient la pénurie de la monarchie espagnole. Dès le 23 octobre, par une lettre fermement motivée, le roi et la reine déclinent les propositions de secours du roi d'Espagne3. La môme déclaration est signifiée à Chantonay à Saint-Germain1. Le 26 décembre, le roi, informé que les chefs du parti catholique multi- pliaient auprès du roi d'Espagne les demandes d'inter- vention et de secours et que Philippe 11 leur prêtait une oreille favorable , écrit sèchement à son ambassadeur : « 11 fault que le roy catholique, mon bon frère, considère « que chacun veult estre maistre en sa maison et se « faict servir à sa guyse ; et n'appartient pas au sub- « ject, quand son maistre luy commande chose rai-

p. 396). Le comte de Horn passa à Saint-Germain Le 30 octobre (Lettre de Chantonay à Philippe II, du 31 octobre; Orig. espa- gnol, Aivh. N. h., k. 1 194, h0 106).

1. Copie du temps; f. IV., vol. 16103, f. 106.

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 24 octobre (Orig. espa- gnol ; K. 1495, ii" 86).

3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 240, cote, et 241.

4. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 28 aovembre (Orig. espagnol . A.rch. nal ., K. I 194, w" 114).

ET JEANNE DALBRET. 9

« somiable, de s'en plaindre ou recourir ailleurs pour « se desvoyer de l'obéissance qui luy doibt1. »

Jusqu'à la fin de décembre, l'alliance de la reine avec les réformés ne se manifesta que par des actes de tolérance. A cette date, l'accord du roi de Navarre avec le roi d'Espagne et avec le triumvirat, sa rentrée dans les rangs du parti catholique inspirent à Catherine une politique plus active.

Le colloque de Poissy avait échoué par la violence et l'éclat des querelles de ses membres, mais la plupart des conseillers de la reine et la reine elle-même, malgré les leçons de l'expérience, croyaient à la pos- sibilité de réconcilier les deux cultes. Le chancelier de l'Hospital était l'àme de ces tentatives d'accom- modement. Il persuada à la reine qu'une assemblée religieuse, domineraient les gens de robe, tien- drait plus de compte des difficultés politiques qu'un concile de théologiens de l'un ou de l'autre culte, enflammés de passions implacables. Le projet de renou- veler la conférence de Poissy, admis par la reine, fut discuté au conseil et souleva mainte opposition. Un jour, à propos d'une question accessoire, le conné- table et le chancelier se prirent de querelle. Montmo- rency, piqué de ne pouvoir faire prédominer son opi- nion, vantait l'expérience qu'il avait acquise sous le règne de quatre rois. L'Hospital répondit « qu'il n'es- « toit plus temps de gouverner en criant garde ! « garde ! » appels habituels du connétable, « mais « qu'il falloit gouverner par la raison. » Le cardinal de Tournon lui coupa la parole en disant « que on

I. Lettres de Catherine <l< Médicis, t. T, p. 266, note.

10 ANTOINE DE BOURBON

« devait chastier cette canaille. » A ce mot le prince de Condé se leva furieux, comme s'il eût été désigné personnellement. Il dit « qu'il ne savait pas que la « noblesse de France pût être aussi cruellement outra- « gée, grande comme elle était ; qu'il était de ceux « que l'on insultait et que on verrait qu'il le prendrait « mal. » Condé avait le verbe haut et ferme ; chez lui l'acte suivait de près la parole. Ses menaces inspi- rèrent plus de modération aux catholiques du conseil du roi1.

Malgré l'opposition du triumvirat, la reine mère commanda à tous les parlements de désigner deux conseillers par cour et de les envoyer à Saint-Germain dans les premiers jours de janvier2. Le chancelier convoqua des ministres, Théodore de Bèze et Mario- rat, et quelques docteurs catholiques. La reine aurait désiré être assistée du cardinal de Ferrare, dont l'es- prit souple et conciliant se prêtait à toutes les tran- sactions, mais il déclina à l'avance toute invitation, « de « peur, dit-il, qu'il m'arrivât de rechef d'être mis en « butte à la censure d'autrui, comme il advint en ce « prêche malencontreux qui fit tant de bruit, » allu- sion au sermon protestant que Jeanne d'Albret lui avait fait entendre pendant le colloque de Poissy 3.

La première réunion eut lieu le 3 janvier dans une salle du château de Saint-Germain , en présence du roi, de la reine, du roi et de la reine de Navarre et

1. Loi i iv de Tornabuoni, du :i janvier [Négoc. de la France avec

la Toscan, , I. III. p. 170).

-.'. Fragmenl de la grande histoire du président Montagne (f. IV.. vol. 15494, T. 001).

'<. Négoc. du card. d< Ferrare, p. S.

ET JEANNE d'aLBRET. 11

des princes. Les assistants étaient au nombre de vingt ou vingt-deux, sans compter les membres du conseil. Les cardinaux, qui n'avaient pas été appelés comme dignitaires ecclésiastiques, se présentèrent comme conseillers du roi pour faire nombre contre les enne- mis de la foi catholique. Le chancelier ouvrit la séance par un discours sur les troubles du royaume. Il dit aux députés que le roi les avait réunis « non pour « délibérer laquelle des deux religions était la meil- « leure, mais si les assemblées devaient être permises « ou non1. » Il soumit aux délibérations de l'assem- blée une modification de l'édit de juillet dans le sens de la liberté des prêches, mais en obligeant les réfor- més à rendre les églises. Ces propositions furent com- battues par les docteurs catholiques2.

La discussion s'ouvrit dès la seconde séance, le mercredi 7 janvier. Onze conseillers opinèrent, cinq pour le maintien des stipulations les plus sévères de l'édit de juillet, trois en faveur de la tolérance ; trois autres « avec tant de froideur qu'on ne comprit pas « bien ce qu'ils voulaient conclure. » A la fin de la séance, le prévôt des marchands, suivi de deux cents bourgeois de la ville de Paris, demanda à être entendu. 11 parla du désaccord religieux qui troublait les familles et supplia l'assemblée d'y porter remède. Le lende- main, 8 janvier, sept conseillers motivèrent leur vote

1. Fragment de la grande histoire du président Montagne (f. f'r., vol. 15494, t'. 201). Le discours de l'Hospital a été analysé par Pasquier (Lettres dans les OEuvrcs complètes, t. II, col. 91 et suiv.) ot imprimé ou du moins analysé par de Thou (1740, t. 111. |t. 118) et dans uni' pièce <\<>a Mémoires de Gondé, i. 11. p. 606.

'. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 5 janvier r><',;' (Orig. espagnol; Arch. nat., K. I 197, a

12 ANTOINE DE BOURBON

dans des sens tellement différents que le nonce hésite à les classer dans l'un ou dans l'autre parti. Pendant la délibération, les docteurs de Sorbonne se présen- tèrent à la porte et l'un d'eux, choisi comme orateur, se plaignit que les officiers du roi avaient laissé sans punition le sacrilège d'un fanatique, qui avait foulé aux pieds la sainte hostie. Le 14, sept autres conseillers exprimèrent leur avis1 . Les jours suivants, le connétable, le maréchal Saint- André et les chevaliers de l'ordre, présents à la cour, furent appelés à se prononcer. La délibération, élaguée des points accessoires, se concen- trait sur deux questions. La première, celle de la liberté des prêches, fut tranchée en faveur de la tolé- rance après un discours d'Arnaud du Ferrier-, à la majorité de 24 voix3. La seconde, celle de l'autorisa- tion de bâtir des temples dans les villes, donna lieu à un débat passionné. Le cardinal de Chastillon fit une déclaration que le nonce trouva irréprochable. L'évêque de Valence débita un discours inspiré à la fois par le désir de plaire aux réformés et par l'am- bition de garder sa mitre. Le chancelier se prononça en faveur des libertés calvinistes, mais avec une modé- ration respectueuse pour les dogmes catholiques4. En général les gens de robe longue « tenaient » pour la

1. Lettre du nonce Prosper de Sainte -Croix, du 15 janvier (Cimber el Danjou; Arch. cur. pour servir à Vhist. de France, t. VI, p. 20).

2. Ce discours esl reproduil dans l'histoire du présidenl Mon- tagne (f. fr., vol. L5494, f. 203).

3. Lettre de Pasquier dans les Œuvres complètes, t. II, col. 91, 92 e1 suivantes.

i. Lettre de Ghantona^ à Philippe El, du 23 janvier 1562 (Orig. espagnol Arch. nat., K. 1 197, 6).

ET JEANNE D'ALBRET. 13

religion nouvelle et les membres du conseil pour l'an- cienne. Malgré cet appoint, écrit Chantonay, « nous « estions en bien grande apparence de perdre par la « pluralité des voix et les adversaires eussent eu des « temples, avec permission de vivre comme en un « intérim, » quand le roi de Navarre et la reine mère assurèrent la majorité au parti catholique '. Antoine parla de manière à contenter son nouvel allié d'Espagne. L'assemblée attendait avec curiosité les conclusions de la régente. Catherine opina la dernière et « de telle façon qu'on dit n'avoir jamais entendu « aucun orateur qui se soit exprimé avec plus d'éner- « gie et de succès2. » Sans doute elle n'osa pas avouer ses nouvelles tendances, se réservant de les faire pré- dominer dans ses actes. A peine la délibération était-elle achevée qu'une violente querelle s'éleva entre le con- nétable d'une part, Condé et l'amiral de l'autre. Mont- morency dit aigrement à son neveu Goligny « que le « plus grand péché dont il se sentait coupable était « de lui avoir fait du bien jusqu'alors 3. »

Le parti catholique avait eu le crédit de faire repous- ser l'autorisation d'élever des temples, mais la tolé-

1. Lettre de Chantonay, du 22 janvier, dans les Mémoires d" Condé, t. II, p. 20.

2. Lettre du card. de Ferrare [Négoc. du card. de Ferrare, p. 13, 14 et 15). Le cardinal est tellement satisfait du roi de Navarre qu'il invite le pape à lui écrire une lettre de félicitations. Lettres de Prosper de Sainte-Croix (Arch. cur. de Gimber el Danjou, t.. VI, p. 29). Lettre de Tornabuoni [Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 471).

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 janvier (Orig. espagnol; Arch. nat., K. li'.iT, 6). Lettre de, Sainte-Croix {Arch. curieuses, t. VI, \>. 29). Lettre du card. de Ferrare {Négoc. du card. de Ferrare, p. 12).

14 ANTOINE DE BOURBON

rance n'en triomphait pas moins. Le 17 janvier, la reine promulgua l'édit quelle tenait en réserve comme le gage de son alliance avec les Réformés. Les lois pénales, édictées depuis le commencement du règne de François 1er contre les progrès de la religion nouvelle, étaient suspendues. La liberté des prêches et des céré- monies du culte était reconnue, mais seulement de jour et hors des villes. Les religionnaires devaient resti- tuer les temples usurpés aux catholiques et n'avaient pas le droit d'en élever de nouveaux; mais aucune clause ne les empêchait de se réunir dans les maisons particulières. Les ministres ne devaient compléter l'organisation de leurs églises qu'avec l'autorisation du roi et ne prêcher que « la pure parole de Dieu, » dis- positions trop vagues pour être gênantes ' . C'étaient les principes de la législation que la France, après un demi-siècle de guerre et de crimes, devait accepter avec reconnaissance de la main du plus grand de ses rois.

L'édit du 1 7 janvier fut salué par les applaudisse- ments unanimes du parti réformé. Cinq jours après, de Bèze en envoya l'analyse à Genève avec des anno- tations triomphantes2. Les ministres recommandèrent aux fidèles de se contenter des libertés qui leur

1. Gel édil a cela de particulier qu'il a'esl pas formulé en articles comme les autres édits du roi. Il a été très souvent imprimé el se trouve aotammenl dans les Mémoires de Gondé, i. lll, p. s.

2. Cette pièce esl imprimée dans les Mémoires d t. III, p. 93. La minute autographe de de Bèze, qui contiiMit, quelques différences de rédaction, a été retrouvée aux archives de Genève par M. Dardier et publiée dans la Revue historique, i. MX. 1 1 . 147.

ET JEANNE D ALBRET. 15

étaient octroyées et d'obéir aux restrictions de l'édit4. Les meneurs travaillèrent à en tirer parti. Reconnus par le pouvoir royal, investis de l'autorisation de se produire au grand jour, les Huguenots se sentaient le droit et la force de développer leur action. Les prêches pullulèrent. Tout moine défroqué, tout clerc chassé de l'église se crut appelé à réformer l'église. « Les ministres prêchèrent plus hardiment, qui çà « qui là, les uns par les champs, les autres en des jar- « dins et à découvert, partout l'affection ou la pas- ce sion les guidoit et ils pouvoient trouver du cou- ce vert, comme es vieilles sales et masures, etjusques « aux granges ; d'autant qu'il leur estoit défendu de « bâtir temples et prendre aucunes choses d'esglises2.» Aucune question ne paraissait étrangère à leur compé- tence. A Orléans, le consistoire discuta la question de la monarchie élective ou héréditaire. Ce débat, que le parti était disposé à transporter sur le terrain des faits, déplut beaucoup à la reine3.

Au premier bruit de l'assemblée de Saint-Germain, le 7 janvier, Ghantonay s'était plaint à la reine de la « proposition que y avoit faite M. le chancelier, tendant

1. Cette circulaire est reproduite par la Popelmièrc (Hist. de France, in-fol., 1581, t. I, f. 281 v), et par de Bèze {Hist. ecclcs., 1841, t. I, p. 428).

2. Mémoires de Castelnau, liv. III, chap. v.

3. Lettre de Sainte-Croix (Arch. curieuses, t. VI, p. 25). Ce principe, dont on a voulu faire honneur au parti réformé, est renouvelé du droit romain. Au xvic siècle, Languet et Bodin le reprireut. Languet surtout est précis : « Dicimus jam populum reges constituere, régna tradere, electionem suo suffi-agio coni- probare, etc. » {Vindiciae contra tyrannos. Amsterdam, 1660, in-12, p. lOi.) L'ouvrage, dans cette édition, est attribué à de Bèze.

Ni ANTOINE DE BOURBON

« à mettre dans le royaume une forme d'intérim et « laisser vivre tout le monde à sa discrétion. » Cathe- rine reçut d'autant plus mal la plainte qu'elle la sentait fondée. Elle demanda à l'ambassadeur sur un ton hautain comment il avait connu le discours du chance- lier. Chantonay répondit que « c'était le bruit des « pages. » Elle répliqua que les pages ne connaissaient pas les secrets d'état, et, prenant l'offensive à son tour, elle reprocha à l'ambassadeur l'espionnage qu'il sou- doyait à la cour. Elle ajouta, d'une voix tremblante de colère, « qu'elle voyoit qu'il estoit bien adverty, non « pas véritablement, mais bien curieusement, et que, « si elle cognoissoit ces advertisseurs , qui calum- et nient ainsy toutes ses actions, elle leur feroit sentir « combien ilz s'oublient de parler aussi peu révérem- « ment et véritablement d'elle. » A l'issue de l'audience, elle écrivit au roi d'Espagne que Chantonay cherchait à brouiller les deux rois1. Catherine ignorait que l'ambassadeur agissait d'après les ordres de son maître et que ses menées secrètes étaient encouragées par Philippe II : « Si la réunion n'est pas dissoute, écrit le « roi d'Espagne, quand vous recevrez cette lettre, « vous me ferez plaisir en essayant par tous les moyens « possibles d'empescher qu'on ne prenne une résolu- ce tion aussi préjudiciable que celle dont il est ques- « tion 2. »

Aussitôt après la clôture de l'assemblée, le roi de Navarre envoya son favori, François d'Escars,

1. La minute de la dépêche à l'Aubespine es! imprimée dans les .1/1 moires de Condé, 1. Et, p. 601 .

2. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 18 janvier Arch.

nui., k. 1496, 11" 34).

ET JEANNE DALBRET. 17

à Chantonay. L'Espagnol se méfiait de l'ordonnance avant de la connaître * ; il s'y opposa bien davan- tage quand elle fut publiée. Assisté du nonce, Pros- per de Sainte-Croix, il vint à la cour et protesta auprès de la reine. Les deux ambassadeurs s'accor- daient à dire que les concessions faites à la Réforme étaient claires et de grande portée, tandis que les clauses restrictives étaient ambiguës ou inutiles. La défense de bâtir des temples était en contradiction de fait avec la liberté des prêches. Troublée par ces reproches, Catherine eut la faiblesse de rejeter la res- ponsabilité sur le chancelier de l'Hospital, et répondit que l'édit pourrait être amélioré par de nouvelles déclarations du roi2. La plus importante réforme à y apporter, disait Chantonay, serait de l'annuler, et, en attendant, de n'accorder de charges publiques qu'aux catholiques3. En sortant de l'audience de la reine, il rencontra par hasard le cardinal de Ferrare et lui pré- dit qu'il serait bientôt obligé de fermer sa chapelle, « car on pourrait oublier le respect à un légat4. » La complicité du roi de Navarre dans l'édit de jan- vier jetait une ombre défavorable sur sa conversion récente. Mais il fut reconnu qu'il avait agi de bonne foi,

\. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 janvier (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 14'JT, 6). On s étonne que, six jours après signature de l'édit, Chantonay n'en connût pas encore la teneur.

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 7).

3. Résumé de lettres de Chantonay de la lin de janvier (Arch. nat., K. 1496, 48).

4. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 3).

IV

18 ANTOINE DE BOURBON

sans peser la valeur des coups qu'ii laissait porter à l'omnipotence catholique. Aussi Chantonay engagea son maître à ménager le lieutenant général et à lui épar- gner ses doléances « alin de ne pas le décourager dans « le bon chemin qu'il pense suivre1. » Philippe 11 goûta le conseil et se contenta de protester auprès de Sébastien de l'Aubespine « contre le grand préjudice « de la religion2. »

La consternation du parti catholique égala la joie triomphante des réformés. Le pape reçut des dépêches qui représentaient la religion comme sacrifiée et le royaume de France à la veille de sa ruine3. Cependant les catholiques n'avaient rien perdu ; l'édit de janvier sanctionnait seulement par une disposition législative l'état de choses antérieur. Le cardinal de Ferrare, le plus indépendant des observateurs postés à la cour de France, écrivit au pape que ceux qui considéraient « la « maladie du royaume comme une maladie incurable « se trompaient de beaucoup4. »

Il était d'usage, lorsque le roi rendait un édit, de le présenter d'abord au parlement de Paris, qui avait le devoir de l'étudier et le privilège d'adresser des remontrances. L'édit, modifié, s'il y avait lieu, d'un commun accord , était enregistré et transmis aux cours de province. C'est ainsi qu'il devenait exécu-

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier (Orig. espa- gnol ; Arch. n;it.. K. I i'.lT, n" 7).

•j. Lettre de Philippe II à, Chantonay, du 9 février (Arch. aat., k. 1496, n- 49).

3. Lettres de Prosper 'le Sainte-Croix [Arch. au'iiiises de Gimber el Danjou, t. VI, p. 16). Il proteste contre U> décourage- nii'iii général.

i. Négociations du card. deFerrare, p 24. Lettredu ?? janvier.

ET JEANNE d'aLBRET. 19

toire dans toutes les sénéchaussées. Le chancelier suivit une autre voie. Informé que le parlement de Paris refusait de « savourer » l'édit de janvier1, il le communiqua à la fois à toutes les cours de France2. L'ordonnance fut acceptée dans chaque ressort judi- ciaire. Seul, le parlement de Dijon le repoussa obsti- nément par l'influence de Tavannes 3.

Restait le parlement de Paris, le plus influent et le plus éclairé de tous les parlements. Le 20 janvier, la reine fit présenter le nouvel édit à l'enregistrement par le maréchal François de Montmorency4. Les conseillers se montrèrent d'abord blessés de n'avoir pas été con- sultés pendant les délibérations de l'assemblée de Saint- Germain ; ils désignèrent, pour examiner l'ordonnance, une commission animée de passions hostiles. Le premier président Le Maistre, à peine remonté sur son siège, le procureur général Bourdin, et quelques vieux magis- trats, « accoustumés de brusler ou rôtir ceulx de la reli- « gion, » enflammaient leurs collègues de leur esprit d'intolérance. Ils étaient appuyés par l'université de

1. De Serres, Le véritable inventaire de l'histoire de France, 1648, t. I, p. 689.

2. Ces détails sur la promulgation des lois sont précisas par Ghantonay (Lettre à Philippe II, du 23 février 1562; Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 11).

3. Extrait des registres du parlement, dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 84. Pasquier dit par erreur que ce fut le par- lement de Provence qui refusa de publier l'édit (Lettres dans les OEuvres complètes, t. H, col. 91 et suiv.). Sur le refus du par- lement de Bourgogne de publier l'édit de janvier, voyez, deux lettres du chancelier de l'Hospital, du 16 et du 19 juin (Bouchier, Commentaire sur la coutume de Bourgogne, t. I, f. 14).

4. Extrait des registres du parlement de Paris, publié dans les Mémoires de Condé, I. III, p. 23.

20 ANTOINE DE BOURBON

Paris et le clergé, par le prévôt des marchands, Merle, et le bourgeois Marcel , orfèvre opulent et favori de la reine1. Le mot d'ordre de la résistance était : Non possumus née debemus2. L'état de la ville justifiait l'opposition de la cour suprême. La multitude des prêches calvinistes accroissait chaque jour l'agitation et donnait un prétexte à la violence des prédicateurs catholiques. En vain la reine et les lieutenants du roi avaient renouvelé les ordonnances qui défendaient aux deux partis de s'injurier ; la passion des orateurs était plus forte que la prudence3.

Le 23 janvier, le roi et la reine adressèrent au par- lement une première injonction4 et lui envoyèrent. le roi de Navarre. Antoine se présenta en solliciteur et reçut du premier président de vagues promesses d'obéissance5. Mais trois jours après, le parlement, informé que le libraire Charles Langelier, sur l'ordre du maréchal de Montmorency, devait publier le texte de l'édit de janvier, fit saisir et détruire les douze cents

1. La Popelinière, in-fol., t. I, p. 282. De Bèze, 1841, t. 1, p. 431. Les deux historiens se copienl textuellement. Pendant que le parlemenl délibérait, dit du Boulay, le 24 janvier, l'uni- versité île Paris, représentée par le recteur, et le clergé, repré- senté par le chancelier de l'église Notre-Dame, apportèrent au parlemenl leur opposition à l'enregistrement de l'édit (Hist. unir. Paris., t. VI, p. 548 et 549).

2. Journal de Bruslard, dans les Mémoires de Gondé, t. I, p. 69 et sui\.

3. Mémoires de Castelnau, liv. III, chap. \i.

4. Lettres de Catherine de Médicis, t. 1, p. 272. La lettre du roi est publiée d'après les registres du parlement, dans les Mémoires de Gondé, t. M, p. 26.

5. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. Y, p. 81. M aoii < s di ("lut, . t . III, p. 21.

ET JEANNE D'ALBRET. 21

exemplaires imprimés. Langelier, vertement répri- mandé, fut menacé de perdre son privilège1.

L'opposition du parlement tenait l'exécution de l'édit en suspens. Déjà le bruit se répandait que la nouvelle ordonnance ne recevrait aucune suite, comme les mesures coercitives des règnes précédents2. Les chefs du parti réformé, d'autant plus irrités qu'ils avaient conçu de plus grandes espérances, adressèrent au roi une requête, pour demander, comme une faveur, ce qui leur avait été concédé par l'édit de janvier3. On fit courir une prétendue remontrance de la reine au pape, sur le nombre des calvinistes et la justice de leur cause4. La régente accabla le parlement de sommations. Le 27 janvier, elle lui envoya Jean de Saint-Marcel, s. d'Avanson, membre du conseil, avec l'ordre de ne faire aucune réserve sans l'autorisation du roi. Le 29, nouvelle lettre. Le 30 janvier, la cour demande au roi le temps de délibérer. Le 1er, le 1 1 , le 1 2 février, le roi et la reine répondent à cette requête par des reproches. Le même jour, le parlement adresse au roi des remontrances sur le fond de l'édit5. Les magistrats étaient enflammés d'une telle ardeur de résistance que plusieurs déclarèrent, dit Sainte-

1. Extrait des registres du parlement, publié dans les Mémoires de Coudé, t. III, p. 21 et suivantes.

2. Lettre de Throckmorton, du 28 janvier (Calcndars , 1561, p. 507).

3. Cette requête, sans date, ;i été conservée par la Popelinière il. I, f. 282 v°). Cf. Mémoires de Condé, t. II, p. 575.

4. Cette pièce se trouve en copie dans La coll. Moreau, vil. Tin, f. 33.

5. Extrait des registres du parlement, publié dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 34 et suivantes.

22 ANTOINE DE BOURBON

Croix, que le roi « pourrait bien les priver de la vie, « mais non pas les faire consentir à une pareille « lâcheté1 . » Ils étaient soutenus par les gens de l'hôtel de ville. Dans les premiers jours de février, le prévôt de Paris, porteur d'un acte de protestation du corps des notables2, vint demander à la reine l'ajournement de la publication de l'édit, au moins à Paris, pour épargner à la ville les horreurs de la guerre civile. Bafoué par les seigneurs protestants, qui occupaient déjà en maîtres les salles du château, il ne put même obtenir une audience de la reine3.

Le 1 4 février, le roi formula un avis sur l'inter- prétation à donner au mot officiel' dans les clauses de l'édit. Le même jour, il adressa de nouvelles injonc- tions au parlement. Le lendemain, la cour hasarda encore une remontrance par l'entremise des présidents de Thou et Viole. La reine les écouta sèchement et répondit que la volonté du roi n'était pas de recon- naître les deux cultes au môme titre, mais seulement de soumettre les religionnaires à la justice4. Les magis- trats délégués rapportèrent de Saint-Germain des lettres du roi, de la reine mère, du roi de .Navarre et du chancelier, encore plus impératives que les précé- dentes5. La faiblesse, tant de fois reconnue, de la reine

1. Lettre de Sainte-Crois (Arch. curieuses, i. VI, p. 35).

2. Ce manifeste esl imprimé dans le Bulletin de la Soci l'histoire 'lu Protestantisme français, i. W 11. p.

3. Le ii re de Ghantonaj à Philippe II, <lu 3 février (Orig. espa- gnol ; Aivh. nai., K. 1497, 8).

4. Négociations du card. de Ferrare, p. 85.

5. Extrail des registres du parlement, publié dans les Mémoires de Condr, i. 111. p. 15, 60 el suivantes. Lettres de Catlierine de V: dicis, û. ;'7-i el ;>75.

ET JEANNE D'ALBRET. 23

et du roi de Navarre laissait les ambassadeurs indécis sur l'issue du débat. « La politique, écrit Throck- « morton, est si variable en France, que, lorsque cette « lettre arrivera, il y aura peut-être quelque chan- « gement1. »

Le 1 9 février, sur le conseil du chancelier, Cathe- rine de Médicis, accompagnée de la dame de Grussol, du roi et de la reine de Navarre, se rendit à l'impro- viste au parlement. L'Hospital refusa de suivre la régente à Paris, s'excusant, dit Chantonay, sur la pau- vreté de sa maison. En vain le grand écuyer mit à sa disposition les chevaux, les mules, les litières et les coches du roi ; le chancelier se dit malade et s'enferma en son logis. « J'aurais voulu le voir, dit l'ambassa- de deur d'Espagne, s'expliquer publiquement au sujet « de l'édit. » Informé du voyage, Chantonay envoya prier le roi de Navarre de traverser secrètement les efforts de la reine et de laisser toute liberté à la cour suprême. Antoine, flatté, répondit « qu'il y travaille- « rait. » Catherine prit la poste et entra à cheval dans la cour du palais de justice. Peu s'en fallut, dit Claude Haton, qu'elle ne pénétrât en cet équipage jusques dans la chambre dorée. Elle « commença « à plaider et crier comme femmes font quand elles « sont courroucées, injuriant et menaçant lesd. s. « du parlement au possible. » La cour laissa couler avec patience le flot des emportements de la reine. Catherine « persévéra en ses menaces. » Un des magistrats lui répondit : « Madame, vous et voz « enfans, vous repentirez les premiers ; c'est le moyen

1. Calendars, 1561, p. 524. Lettre du 16 février 1562.

24 ANTOINE DE BOURBON

« de vous et eux faire perdre la couronne et royaume « de France, si aultre que vous ne s'en mesle4. » Le 19 au soir, la régente convoqua au Louvre les prési- dents de chambre et quelques conseillers2. Le premier président Le Maistre, menacé d'un nouvel exil, avait promis sa neutralité et se tenait enfermé chez lui sous prétexte qu'il avait « vuydé une pierre assez grosse. » Le président Saint-André se disait atteint « d'une « iluxion de sang par le nez3. » Catherine en personne engagea une négociation avec les magistrats les plus hostiles, tandis que le roi de Navarre, obéissant aux suggestions de l'ambassadeur d'Espagne , s'était volontairement éloigné. Elle leur dit « qu'elle avoit « tant prié etfaict prier Dieu, et n'avoict peu trouver « autre moyen que celuy contenu en l'ordonnance, que « la cour n'avoit voullu vérifier. » Les conseillers pré- sents, intimidés par le prestige de l'autorité royale, n'osaient se prononcer. Elle les interrogea sur les causes des troubles, sur les moyens de pacifier le royaume, et leur demanda, puisqu'ils repoussaient l'édit de janvier, de lui indiquer un autre « remède. » Tous lui conseillèrent de chasser les ministres. Cathe- rine leur répondit avec humeur « qu'ils y pensassent « un peu mieux. »

Le lendemain, %0 février, la reine mère et le roi de Navarre firent célébrer une messeà la sainte chapelle en

I. Mémoires de Claudt Eaton, t. I, p. 1ST.

.'. Lettre de Chantonaj ;'i Philippe 11, du 23 février 1562 (Orig. espagnol; A.rch. nat.; K. 1497, II). Cette démarche est plus sommairemenl racontée dans les lettres de Sainte-Croix (Archives curieuses, i. VI, p. 37).

:!. Extraits des registres du parlement, publiés dans les Mémoires de Condé, t. 111. p. T:i.

ET JEANNE D'ALBRET. 25

grande pompe. La foule, attirée par la curiosité, sui- vait le cortège et l'accompagnait de ses acclamations. Après la messe, Antoine se rendit à la séance du par- lement avec le maréchal Saint-André. Malgré ses promesses, dit Chantonay, il parla en faveur de l'édit de janvier pour obéir à la reine. Au sortir du palais, le prince se fît conduire à la cathédrale Notre-Dame ; il y rencontra plusieurs notables, les accueillit avec sa grâce ordinaire et les enchanta par ses déclarations catholiques1 . La régente était rentrée au Louvre et don- nait audience à Coligny et à d'Andelot quand le prince revint de l'église. Les courtisans remarquèrent qu'elle leur parlait avec une bienveillance affectée, en signe de faveur, tandis que Antoine les traitait en ennemis. Les deux Ghastillons venaient inviter la reine aux prêches de la porte Saint-Antoine, une cérémonie solennelle avait été habilement préparée. La veille et le matin, dit Chantonay, les chefs du parti réformé avaient convo- qué tous leurs coreligionnaires et enrôlé à prix d'or une foule d'indifférents. Ils avaient promis un réal à chaque assistant et dépensé 800 à 1 ,000 ducats. Le chanoine Bruslard ajoute qu'ils avaient convié « toute « sorte de gens à aller à la presche, revêtus de leurs « beaux habillemens, avec cornettes, afin de donner « entendre à la royne que, en leur assemblée, ce sont « tous gens de respect et de réputation. » Le célèbre du Moulin et l'avocat Ruzé assistaient au prêche2. La démonstration manqua son but ; Catherine dédaigna le spectacle. La régente et la reine de Navarre, déguisées

I . Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 7). ?. Journal de Bruslard, dans les Mémoires deCondé, t. I, p. 7;'.

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en bourgeoises, coiffées d'un simple chaperon, visi- tèrent les boutiques du palais et celle du pont Saint- Michel. Elles parcoururent ainsi une partie de la ville, interrogeant les marchands et demandant des nouvelles de la cour. Elles recueillirent, dit un chroniqueur ano- nyme, « beaucoup de propos contre les grands, même « contre la royne de Navarre présente1. » Seuls de la cour, le cardinal de Chastillon, l'évêque de Valence et la dame de Grussol étaient allés au prêche. Le soir, lorsque les courtisans se trouvèrent réunis dans la chambre de la reine, Antoine reprocha à l'évêque de Valence son équipée du jour. Monluc répondit qu'il avait été attiré par la curiosité et demanda au prince « quelle idée il avait de lui. Vendôme lui répondit « qu'il était un grand hérétique. Valence se récria et « dit que c'était lui faire insulte. Vendôme lui riposta « que son intention n'avait pas été telle, mais qu'il lui « disait la vérité2. »

La reine, en demandant conseil au parlement, l'avait engagé, avant de lui répondre, « d'y penser un peu « mieux. » Le %% février, aussitôt après son retour à

1. Journal de 1562, dans la. Revue rétrospective, t. Y, p. Si. G'esl p. ir erreur que ce chroniqueur, trompé par le bruit commun, dit que la reine alla voir passer les Huguenots.

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 février 1562 (Orig. espagnol; A.rch. nui., K. 1497, 11). Les sentiments reli- gieux de Jean de Monluc, évêque de Valence, variaient souvent. On a vu que, pendant le colloque de l'oissy, il ..mueuait le plus souvent la politique >\<>< ministres. Quelque temps auparavant, dans son diocèse, il faisait montre d'orthod ixie. Garle, évêque de Riez, écrit à la reine, le 11 juin 1561 : » Je ne trouvay M. de o Vallon ce à Vallenrc, car il eslovi allé l'aire sa visite, niais à ce « que je peus entendre démons, de la Mothe el d'autres, il y faict « bien son debvoyr. » (F. fr., vol. 3186, t. 148.)

ET JEANNE d'aLBRET. 27

Saint-Germain , elle lui dépêcha le conseiller d'état d'Avanson1, et, le 23, la cour entra en délibération. Après une discussion approfondie, la cour arrêta de proposer au roi le renouvellement de l'édit de juillet, la plus sévère mesure de l'année précédente, l'expulsion des ministres ou leur renvoi au concile de Trente et la prédominance du culte catholique en attendant la déci- sion œcuménique2. Ce programme fut mal reçu au con- seil privé. La reine montra plus d'humeur qu'elle n'en laissait voir dans les déceptions politiques et décida que le prince de la Roche-sur- Yon se rendrait au parlement avec la charge de forcer l'opposition des magistrats3. Le prince se présenta le 3 mars et prononça une sorte de harangue sur le thème Salus populi suprema lcxA. Le lendemain, à l'ouverture de l'audience, le président Saint-André raconta avec terreur que près de dix mille personnes étaient venues lui demander en son logis l'enregistrement de l'édit, qu'il avait été averti par le maréchal de Montmorency que « cinq ou six mille « hommes viennent en diligence en ceste ville, et qu'il « falloit craindre une sédition et un sac, et que lors il « seroit trop tard pour se repentir. » Les magistrats, effrayés par ce récit, réclamaient les conseils du pre-

1. Extrait des registres du parlement, publié dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 75.

2. Journal deBruslard, «huis les Mémoires de Condé, t. I, p. 72. La délibération du parlement est conservée en copie dans le vol. 4017, pièce 1. Autre copie dans la coll. Brienne, vol. 205, f. 243.

3. Lettre de jussion du 1er mars {Mémoires de Condé, t. III, p. 19). Néfjoc. du card. de Ferrare, p. 101.

i. Extrail des registres du parlement, dans les Mémoires d* Condé, t. III, p. 82.

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mier président Le Maistre. Il « se mourait en son logis « d'une suffocation qui l'avoit assailly ceste nuit » et prenait de la rhubarbe. L'audience du matin fut levée au milieu d'une vive agitation. Pendant la séance du soir, les portes de la salle furent assiégées par une bande d'écoliers, la plupart armés, qui demandaient à grands cris la publication de l'édit. Le maréchal de Montmorency dissipa l'émeute ; mais les capitaines déclarèrent qu'ils seraient bientôt débordés si le par- lement résistait aux exigences de la foule. Enfin, le 5 mars, la cour suprême, intimidée par les menaces du dehors et par la présence des gens d'armes du maréchal, se résigna à accepter l'édit1. Le soir même, le président de Thou en donna avis à la reine2. Le 6, le parlement rendit son arrêt d'enregistrement « sans « approbation toutefois de la nouvelle religion, le tout « par manière de provision3. » L'édit fut publié à son de trompe le lendemain. Déjà les réformés s'étaient mis en mesure de lui obéir. Ils avaient fermé les prêches de l'intérieur de la ville et n'avaient conservé que celui de Popincourt4.

Tandis que le parlement de Paris luttait pied à pied contre l'édit de janvier, Catherine de Médicis, encou-

1. Extrait des registres du parlement (Mémoires de Condé, t. III, p. 82 et suivantes).

2. Lettre à la reine, du 5 mars, autographe, vendue le 26 mai 1877 par M. Gabriel Charavay.

3. Mi-moires de Condé, t. III, p. 20. Malgré l'arrêl d'enregis- trement, le parlement trouva le moyen de retarder l'exécution. L'édil ne fui vérifié que I'1 26 mars suivant. L'arrêt de vérifica- tion est reproduit dans les Mémoires du clergé de Gentil, t. VI, p. 512.

4. Journal de l'an 1562, dans la Revue rétrospective, t. V. p. 83.

ET JEANNE D'ALBRET. 29

ragée par le succès de l'assemblée de Saint-Germain, réunissait une nouvelle conférence. Elle convoqua « trois manières de gens, assavoir : des prêtres « insignes et renommez de la Sorbonne, quelques « autres personnages indifférens et assez bien affectez « à la pureté et formation de la doctrine (c'est-à- « dire des membres du conseil privé choisis par elle), « et les ministres des esglises réformées ' . » Elle leur soumit certaines dispositions du culte catholique, sur lesquelles les théologiens de l'un et de l'autre parti paraissaient moins éloignés d'une transaction2, « pour « aviser, dit-elle, aux causes pour lesquelles ceux de « la nouvelle opinion se tiennent séparés de nous et « regarder s'il y aura moyen de les réunir et ramener « à nostre esglise3. » Le premier point concernait le culte des images. La reine se flattait qu'un premier accord sur une question secondaire serait le prélude d'un rapprochement général. L'évêque de Valence s'agitait en faveur du nouveau colloque. Il s'excuse, le 23 janvier, auprès du duc de Wurtemberg, de ne pas avoir examiné un formulaire luthérien : « Nous « sommes icy tellement pressés de prendre quelque

1. Lettre du roi de Navarre au comte Palatin, du 7 février 1561 (1562) (Mémoires de Condé, t. ni, p. 98).

2. Voici le programme de ce nouveau colloque, qui est passé complètement inaperçu, d'après l'ambassadeur d'Espagne : « De imaginibus ; de baptisma et ejus furma ; de cœna; de sacrificio missae ; de invocatione sanctorum ; de vocatione ; de doctrina ; de communione sub utraque specie ; de precibus in idiomate vulgari ; de imaginibus ex altaribus, seu locis eminentioribus, tollendis. » (Lettre de Ghantonav, du 3 février ; Mémoires de Condé, t. II, p. 22.)

3. Lettre de Catberine, du 16 février [Mémoires de Castelnau, 17:11 , t. I, p. 735).

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« résolution qu'il ne nous reste aucune partie de loisir « pour l'employer en autres affaires4. » L'ambassadeur d'Espagne se donnait autant de mouvement pour entraver l'assemblée que l'évêque de Valence pour la faire réussir. Il demanda une audience au roi de Navarre, et, avec mille précautions, le pria de ne pas renouveler le concile national de Poissy. Antoine lui répondit que le nouveau colloque était « un amuse- « ment pour les hérétiques, qui n'aurait aucun résul- « tat et qu'avant deux ou trois jours il se dissoudrait « et qu'il n'y aurait plus ni colloque ni ministre2. » Ghantonay adressa aussi des remontrances à la reine et lui remit de nouvelles lettres de Philippe II, pleines de reproches et de conseils impérieux. Catherine se piqua d'amour-propre et répondit à l'ambassadeur qu'elle ne voulait pas être traitée « comme une petite « fille :î. »

La conférence s'ouvrit le 27 janvier, au château de Saint-Germain, dans une salle dite salle de Madame, en présence du roi, de la reine mère, du duc d'Orléans, de la reine de Navarre et du légat4. Le père Laynez,

1. Bulletin de la Soc. de l'hist. du Protest, français, t. XXIV, p. 117.

2. Loi ire de Ghantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa- gnol ; Arcli. mit., K. 1497, 8).

3. Résumé de chancellerie de lettres de Chantonay (lia janvier 1562) (Arch. nat., K. ti%, 48).

i. Récit du temps [coll. Moreau, vol. 740, 1'. 15] Ce récit, très détaillé, esl sans nom d'auteur, mais ou peut l'attribuera un des docteurs catholiques qui prenaienl pari à la conférence, peut- rliv à Despence. Il t'-numère tous les assistants de la séance d'ouverture. A ce récit, il faut en ajouter un autre, égalemenl très Important, et du temps, mais plus exclusivement théologique, conservé dans la coll. Dupuy, vol. 309, f. 25.

ET JEANNE d'ALBRET. 31

général des jésuites, retenu à Paris par l'organisation du collège de Clermont1, aidé de quelques Sorbon- nistes, Despence, Salignac, Bouteiller et Pecherel, devait soutenir la discussion au nom du parti catho- lique. Le roi leur faisait donner un écu par jour pour leur entretien. Théodore de Bèze, Marlorat, Perrocel et Barbaste, ministre gascon, prêcheur de la reine de Navarre, défendaient les innovations du culte réformé-. Le chancelier parla le premier et demanda aux doc- teurs de Sorbonne de formuler par écrit leur thèse sur le culte des images, afin de la soumettre au concile de Trente 3. De Bèze attaqua le symbole de la croix, parce que l'église, disait-il, n'en avait fait aucun usage dans les premiers siècles, jusqu'au règne de Constantin. Laynez lui répondit. « Secutus est jesuita, ille his- « trio, écrit amèrement de Bèze à Calvin, qui in con- « ventu quoque Possiacensi intervenerat , nec minus « se lepidum praestitit quam antea4. » L'évêque de Valence prétendit les accorder et prononça un discours dont les conclusions se rapprochaient de celles de de Bèze 3.

1. Le P. Laynez n'est pas nommé dans le récit de la collection Moreau, non plus que dans celui de la collection Dupuy, cités dans la note précédente, mais il est expressément désigné dans la correspondance de de Bèze. Voyez plus bus.

2. Récit du temps (coll. Moreau, vol. 740, f. -56).

3. Journal de 1562, contenu dans la Revue rétrospective, t. V. p. 82. Le discours du chancelier est presque entièrement repro- duit dans le récit de la coll. Moreau, vol. 740, 1'. '16.

4. Lettre de de Bèze, du 1er l'év. (Bauin, Theodor Beza, Preuves, p. 161). Le discours de de Bèze est analysé avec détails dans les récits de la coll. Moreau et de la coll. Dupuy.

5. Lettre de Sainte-Croix, du 5 février {Archives curieuses, t. VI. p. H

32 ANTOINE DE BOURBON

La reine et le cardinal de Ferrare assistaient généra- lement aux séances, mais le prélat ne prenait aucune part aux délibérations1. Le roi de Navarre, fidèle à ses nouveaux engagements, proposait, à chaque ques- tion douteuse, d'en référer au concile de Trente. Le cardinal de Tournon, d'abord très assidu à la con- férence, cessa bientôt de s'y rendre2. Après plusieurs jours de discussion, les évoques de Valence et de Séez, appuyés secrètement par la reine, présentèrent un formulaire qui supprimait presque complètement le culte des saints3. Catherine aurait désiré l'imposer aux deux partis. Malade, blessée au genou à la suite d'une chute, elle quitta son lit pour conférer en personne avec le cardinal de Ferrare; mais elle ne put le tirer de sa réserve4. Les docteurs catholiques, sur les obser- vations de Nicolas Maillard, repoussèrent la transac- tion 5. La reine renvoya les députés le 6 février6. Gel échec mit fin aux tentatives d'accommodement. On a « consommé 12 ou 15 jours, écrit-elle à l'évêque de « bennes, en disputes sur une simple chose, qui est « l'usage des images. Il n'en est résulté que une dureté

1. Cependant, à l'ouverture de la conférence, il prononça quelques paroles dans le sens de l'entente commune (Récit du tcin|is; coll. Moreau, vol. 740, 1'. 46).

2. Lettres de de Bèze et de Sainte-Croix, citées dans les notes précédentes.

3. Ce formulaire est reproduit textuellement nu analysé par de Thou (Ilist. unir., 1740, t. III, p. 125). Le récit de la coll. Dupuy donne quelques détails sur l'intervention de l'évêque de Valence (coll. Dupuy, vol. 309, f. 25).

i. .Xnjor. du cavil. de Ferrare, p. 61. Lettre du 6 février.

5. Le discours ou les conclusions de Maillard ont été imprimés ci sont ajoutés au récil de la collection Dupuy (vol. 309, f. 25). Quant au récil de la coll. Moreau, il est incomplet ou inachevé.

6. Négociations du card. de Ferrare, p. 59 e1 60.

ET JEANNE d'ALRRET. 33

« et obstination des uns et des autres, qui ont plutôt « combattu pour ne se laisser vaincre, que disputé et « conféré pour ne se soumettre à la vérité et à la « raison l. » Huit jours après la dissolution de l'assem- blée, le 1 4 février, les ministres protestants publièrent un Advis touchant les images, qui fixait leur doctrine fort près des propositions de la reine. Ils proscrivaient les croix, les madones, les statues des saints, les emblèmes multiples, qui depuis le moyen âge entrete- naient la dévotion des fidèles, comme entachés d'ido- lâtrie2.

Pendant que la partialité de la reine en faveur des réformés préparait le triomphe du culte nouveau, le roi de Navarre rétablissait l'égalité de la balance en pen- chant de plus en plus vers le parti catholique. « Ainsi, « par un changement soudain et qu'on n'aurait jamais « cru auparavant, le roy de Navarre passa du costé des « catholiques et la roine Catherine prit ou fit semblant « de prendre le party des Huguenots3. » Le retour de Jacques d'Auzance et les vagues promesses qu'il apportait de la part du roi d'Espagne avaient déter- miné la conversion religieuse et politique du lieutenant général. Jamais revirement n'avait été plus rapide et plus complet4. « C'est une chose extraordinaire à « voir, écrit Chantonay, que le changement qui « s'opère tous les jours chez Vendôme, grâce aux

1. Lettre de Catherine à l'évêque de Rennes, du 16 février 1561 (1562) {Mémoires de Castelnau, t. I, p. 735).

2. Cette pièce est publie*1 dans les Mémoires de Gondé, t. III. p. 101.

3. Davila, in-fol., t. I, p. 98. Tavannes s'exprime presque dans les mêmes tenues (M n >, coll. Petitot, p. 324

4. Ncgoc. du card. de Ferrare, p. i.

iv ;;

34 ANTOINE DE BOURBON

« exhortations de ses nouveaux amis ' . » Il ne voulait d'autres conseillers que le cardinal de Tournon et le connétable2. Le duc de Guise, ce rival maudit, tant de fois anathématisé dans les conseils de la maison de Bourbon, était absent de la cour; Antoine attendait son retour, disait-il, pour s'allier au parti lorrain3. Au conseil du roi, il adoptait avec empressement les mesures dirigées contre ses anciens partisans et don- nait la préférence aux plus sévères i. Le 27 décembre, à Paris, les séditieux avaient pillé l'église Saint-Médard. Le procès menaçait de traîner en longueur. Le prince voulut aller lui-môme au Parlement afin de presser la condamnation 5.

Le premier effet de la conversion du roi de Navarre fut d'éloigner ses anciens partisans. Déjà les tergiver- sations de ce prince en matière religieuse avaient ébranlé son influence sur le parti réformé. La mission de François d'Escars à Rome, en août 1 561 , avait « faict « rougir, pleurer et gémir et quasi crever de despit « tous bons zélateurs de la gloire de Dieu6. » Depuis que le prince avait perdu la confiance des réformés, le

1. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 5 janvier I5G2 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, d

-.'. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 janvier (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., K. I i97, n" 6).

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 3).

i. Galcndars, 1561, p. 502. Lettre du 24 janvier.

5. Extrail des registres du parlement, publié dans les Mémoires de Condc, t. III, p. 21. La visite du prince au parlemenl est du 22 janvier.

6. Lettre de Calvin au roi de Navarre [Lettres de Calvin, t. II, p. 444). Voyez aussi la lettre anonyme adressée à la reine de Navarre, dont nous avons publié une partie (t. 111, p. 134) (Arch. des Basses-Pyrénées, E. 58 i).

ET JEANNE d'aLBRET.

pouvoir réel tendait à passer à Coligny et l'autorité nominale au prince de Gondé1. D'ailleurs, le dévoue- ment de l'amiral appelait une comparaison qui n'était pas favorable au roi de Navarre. Rempli de désintéres- sement pour lui-même, Coligny consacrait toutes ses forces au triomphe de la Réforme. Antoine au con- traire n'avait jamais usé, qu'au profit de ses intérêts personnels, du pouvoir royal déposé entre ses mains ni de la suprématie que les Huguenots lui recon- naissaient2. Après le retour de Jacques d'Auzance à Saint-Germain, au milieu de ses premiers transports de nouveau converti, le roi de Navarre s'efforçait encore de dissimuler sa défection et de retenir dans les rangs de son parti les seigneurs qui pouvaient le servir. Le 7 janvier 1562, il proteste auprès du comte Palatin, Frédéric III de Ravière, l'un des champions du Luthéranisme en Allemagne, « de « la continue intencion et dévotion que vous et « moy avons à ce que les choses qui peuvent « avancer le cours de l'évangile et l'union de la reli-

« gion soient favorisées » Il combat la méfiance

que ses anciens alliés pourront garder de son incons-

1. Lettres de Throckmorton, du 14 nov. et du 20 décembre (Calendars, 1561, p. 396).

2. Voyez, outre les documents publiés ou analysés dans Lettres d'Ant. de Bourbon et de Jeh. d'Albret, par M. If marquis de Rochambeau, les lettres d'Antoine à Bordillon, du i octobre, el à la vidame d'Amiens, du 7 décembre (f. fr., vol. 15542, I'. 47, el 3188, f. 16). Ces lettres, qui sont inédites, figureront aux Pièces justificatives de ce volume. Voyez aussi une déclaration du mi qui concède au roi de Navarre la jouissance des baronnies de Ghasteauneuf, Senonchiv, Uiampron, Brezolles, etc., confirmée par une autre déclaration du 12 févrierl561 (1562) (Copie; Arch. nat., P. 2312, f. 147).

36 ANTOINE DE BOURBON

tance : « Vous priant, monsieur mon cousin, estre « tellement persuadé de mon intention, quelque chose « que les envieux publient au contraire, que je ne « aye autre but que de joindre et accommoder, s'il est « possible, l'establissement et consentement delà vraie « religion avec la concorde publique et la tranquillité « de Testât de ce royaume i . »

Les chefs du parti réformé connaissaient le peu de fermeté du roi de Navarre, mais ils savaient que sa qualité de premier prince du sang éblouissait la masse du peuple. Coligny entreprit de le ramener. Instruit que François d'Escars était l'agent principal de sa désertion, il révéla secrètement au prince que d'Escars, pendant son ambassade à Rome, avait tenté de le trahir au profit du roi d'Espagne. Antoine ne fut pas aussi crédule qu'à l'ordinaire ; il demanda une preuve ou un témoignage et apprit de Coligny lui-môme qu'il tenait ce récit de l'évèque d'Auxerre. Blessé d'être pris pour dupe, il fit une sorte d'enquête ; il réunit à l'im- proviste Coligny, l'évèque d'Auxerre, d'Escars, les interrogea séparément et en présence les uns des autres. Goligny fut convaincu de calomnie et se retira confus2. D'autres efforts furent tentés par l'intermé- diaire de; la reine d'Angleterre, que le roi de Navarre avait toujours écoutée comme sa protectrice. Paul île Foix, un parent de la maison d'Albret, conseiller au parlement de Paris, représentait la France à Londres3.

1. Lettre du 7 janvier 1561 (1562) (La Popelinière, t. I, f. 278. Mémoires de Gondé, t. III. p. 98).

I. Lettre 'If Chantona} à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig. espagnol ; Arch. aat., K. 1 i'.»7, 3).

3. Il fut remplacé par le comte de Garmain vers le commen- cement de février 1562 [Calendars, 1561, p. 518)

ET JEANNE D'ALBRET. 37

Throckmorton conseilla à la reine Elisabeth de dire à l'ambassadeur « qu'elle se demandait avec éton- « nement ce que signifiait le changement du roi de « Navarre pour la religion1. »

Le parti huguenot, qui s'était flatté de vaincre sous la conduite d'un tel chef, déçu dans ses espé- rances les plus constantes, accablait le déserteur d'anathèmes. « Miser ille, écrit Théodore de Bèze à « Calvin, jam prorsus est perditus et omnia secum « perdere constituit. Uxorem amandat ; Posidonium-, « cui omnia débet, vix instituerisustinet. Àccersuntur « Lotharingi, denique extrema omnia in nos compa- ct rantur ; ita placet Domino gaudium nostrum tempe- « rare3. » Quelques jours après, de Bèze le stigmatise d'un surnom infamant, du surnom de Julien, en sou- venir de Julien l'Apostat : « Ille quem minimum « oportuit, de quo si deinceps scripsero, Julianum « vocabo4. »

Les catholiques au contraire se réjouissaient de la recrue d'un prince dont le nom seul valait une armée5, mais ils ne se défendaient pas d'un reste de méfiance. Chantonay, bien qu'il le tint captif, tremblait de le laisser échapper. Il pria le maréchal Saint-André de le pousser à des engagements qui le lieraient pour

1. Lettre de Throckmorton, du 16 février [Calendars, 1561, p. 528).

2. Posidonius est Coligny.

3. Baum, Theodor Beza, Preuves, p. 163.

4. Baum, Theodor Beza, Preuves, p. 166. Lettre de de Bèze à Calvin, du 26 février. De Bèze lui donne le même surnom dans ses lettres du 22 h du 28 mars (ibid., p. 171 et 176).

5. Calendars, 1561, p. 537. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier (Orig. espagnol; Arch. mit.. K. 1497, n

38 ANTOINE DE BOURBON

toujours au parli catholique, ou au moins de lui conseiller une démonstration solennelle qui le com- promettrait définitivement avec les Huguenots1. La méfiance dura longtemps, surtout chez les ministres du roi d'Espagne. Le duc d'Albuquerque, qui avait souvent reproché au prince la faveur qu'il prêtait à Charles de Coucy, s. de Burie, lieutenant du roi en Guyenne, l'accuse de vouloir déplacer ce capi- taine, vieux et incapable de conduire une campagne, et en tire pour conséquence que le prince prépare l'invasion de l'Espagne2. Au commencement d'avril, après avoir signalé les armements du roi de Navarre contre le prince de Gondé, Chantonay ajoute « qu'il « sera bon d'être sur ses gardes, au sujet des frontières « de Navarre, contre le piège que ces armements « pourraient cacher3. » Trois mois après, à la fin de juin, en pleine guerre civile, un espion espagnol écrit à Juan Govarin, domestique du confesseur du roi d'Es- pagne, que le roi de Navarre est à la tête d'une armée de quarante mille hommes, que ces troupes vont s'embarquer dans les ports de l'ouest et débarqueront à l'improviste à Bilbao, à Saint-Sébastien et à Fonla- rabie. Chantonay transmet gravement cette nouvelle à la chancellerie espagnole4. Jamais politique ne

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig. espagnol; A.rch. aat., K. li'JT, îr 3).

2. Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe ii, du 10 Février (Copie; A.rch. de la secret. d'Étal d'Espagne, leg. 358, f. 52). Autre du même au même, eu date du Ier mars (Copie, ibid.).

3. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 2 et du i avril 1562 >rig. espagnol . \n-h. nat, K. 1 197, a0 18

i. Lettre non signée ni datée (vers le 22 juin 1562), écrite de Paris (Copie espagnole; Arch. nat., K. 1569, l).

ET JEANNE D ALBRET. 39

s'égara sur plus de chimères à force d'être soupçon- neuse. Les agents de Philippe II savaient que le meilleur moyen de plaire à leur maître était de pousser la méfiance au delà de toute limite *.

La métamorphose religieuse du roi de Navarre ouvrait de nouveaux horizons à la politique espagnole. Cepen- dant Philippe II accueillit la nouvelle avec une sorte de doute ; il craignait qu'un changement si subit ne cachât un piège. La première lettre de félicitations venue de Madrid est signée du duc d'Albe ; le favori complimente Ghantonay du triomphe de sa politique et le prince de sa conversion ; mais à chaque trait revient le correctif s'il le fait de vrai2. Lorsque le roi d'Espagne apprit que le lieutenant général avait renvoyé ses anciens favoris, qu'il avait installé auprès de lui, en conseil permanent, les chefs du parti catholique, le connétable, le cardinal deTournon, le maréchal de Saint-André et l'évêque d'Auxerre, il daigna déclarer « qu'il était « satisfait et que Vendôme suivait le meilleur chemin « pour mériter sa bonne grâce3. » Dès ce jour, les encouragements ne manquèrent pas au prince. Le 1er février, Chantonay dîna chez lui en compagnie de Saint-André et le « loua de continuer ses bonnes « œuvres4. » Le 11, l'ambassadeur accepta un nou-

1. Malgré le zèle du duc d'Albuquerque, le bruit courail en Navarre que Philippe II n'était pas satisfait de sa vigilance et que le duc de Feria allait être nommé vice-roi de la Navarre (Calen- dars, lettres du 9 et du 28 février, 1561-1562, p. 519 et 539).

2. Lettre du duc d'Albe à Ghantonay, du 23 janvier 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1496, 31).

3. Lettre de Philippe II à Chantonav (Arch. nat., K. 1496, 34).

'i. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 3 février (Orig. gnol; Arch. nat., K. 1Î97. 8).

40 ANTOINE DE BOURBON

veau festin chez le lieutenant général, et, au sortir de table, écrivit à son maître que « Vendôme avait donné « des preuves de son désir de vivre et de mourir dans « la vraie religion1. » A cette date, Philippe II est sorti de sa première incertitude. Il charge son ambassadeur « d'exhorter toujours Vendôme à suivre le chemin « qu'il a pris. » Il ne demande qu'à faire de son ancien adversaire l'ouvrier principal de sa politique. « C'est « lui, dit-il, qui doit nous contenter2. » Philippe II redoutait, s'il laissait périr la cause catholique en France, de fortifier les réformés de Flandre de toutes les forces perdues par la religion orthodoxe. Tel est, dit Sébastien de l'Aubespine, le secret de ses ménage- ments pour le roi de Navarre3. Le roi d'Espagne avait d'autant plus besoin d'un allié que la reine mère s'écartait davantage de la politique espagnole. Depuis son union avec les religionnaires, elle fermait les yeux sur la violation des édits. Le mot d'ordre du roi à ses officiers était d'inviter les « gens de la nouvelle « religion à s'accomoder dextrement pour leurs prêches « de quelque lieu hors les villes, comme ils font à

« Paris afin qu'il semble que ce soit plus une con-

« nivence qu'une permission4. »

La satisfaction de Philippe II n'allait pas jusqu'à

1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 février (Orig. espa- gnol ; Arch. liai.., k. 1497, n" 9).

2. « Es fi que nos ha. de <lar contentamiento » (Lettre de Philippe 11 à Ghantonay, du 9 Février 1562; Orig. espagnol; Arch. aat., K. 1496, i9).

3. Lettre de l'Aubespine à la reine, du 25 février 1562 (Copie du temps; f. IV., vol. 1610*3, f. 171). M. Gachard a analysé cette Lettre dans la Bibliothèque nationale à Paris, t. II, p. 136.

i. Lettre du roi à Grussol, du 8 janvier 1561 (1562); f. IV., vol. 3186, f. 16, minute originale

ET JEANNE D'ALBRET. 11

lui faire oublier les subterfuges que, depuis l'avène- ment de Charles-Quint , la cour d'Espagne opposait aux revendications du roi de Navarre. Aussitôt que d'Auzance fut revenu à la cour, au commencement de janvier, Antoine voulut renvoyer Antonio d'Almeida à Madrid. D'Almeida reçut une instruction, le prince multipliait les assurances de son dévouement et priait Philippe II de lui en payer le prix1. Catherine y ajouta une lettre de recommandation2. Il n'était encore ques- tion que de l'abandon de la Sardaigne. Ce que valait cette île, un historien protestant l'exprime en un trait, « un rien entre deux plats3. » Les chefs du parti catho- lique ne la prisaient pas davantage. Le nonce écrit, le 1 o janvier, que Philippe II ne serait pas « fort éloigné » d'accorder la Sardaigne, à la condition de garder les places fortes4, et plus tard que le roi de Navarre obtiendra la Sardaigne, « parce qu'elle ne rend pas « beaucoup au roi catholique5. » Galland prétend que le duc d'Albe, au nom de son maître, présenta le duché de Milan 6 et Prosper de Sainte-Croix que Phi- lippe II accorderait peut-être la Franche-Comté. Mais ces bruits ne reposent sur aucun document officiel. Antoine de Bourbon avait cessé de réclamer la resti- tution du royaume patrimonial de la maison d'Albret,

1. Orig. sans date (fin décembre 1561) (f. t'r., vol. 15877, f. 13). Le bruit de cette négociation était venu jusqu'en Navarre (Lettre du duc d'Alluiquerque àErazzo; copie; Arch. de la secret. d'État d'Espagne, leg. 358, ï. 52).

;'. Lettres de Catherine de Mcdicis, t. I, p. 262.

3. Histoire des quatre rois, in-8°, 1595, p. 67.

4. Archives curieuses, t. VI, p. 25.

5. Lettre de Sainte -Croix, du 28 février (Archives curieuses, t. VI, p. 44).

6. Galland, Mémoires sur la Navarre, p. Kl.!, in-fol., lr0 partie

42 ANTOINE DE BOURBON

la partie de la Navarre qui s'étend au delà des Pyrénées. Chantonay lui avait démontré qu'elle importait trop à la sûreté de la monarchie espagnole pour que Philippe osât s'en dessaisir. D'après le Laboureur, il y renonçait d'autant plus facilement qu'il n'avait sur la Navarre d'autres droits que ceux de Jeanne d'Albret1. Ce changement donnerait à penser qu'il n'était pas éloigné de répudier sa femme.

Non seulement Philippe II ne se décidait pas à des concessions nouvelles, mais il attendait que Antoine eût donné des gages plus positifs que de simples enga- gements. Sébastien de PAubespine écrit au lieutenant général : « Le roy catholique persiste jusques à pré- « sent à vous faire le premier déclarer et monstrer « quelques œuvres2. » La condition était bien imaginée, car, le roi d'Espagne étant seul juge de la valeur des « œuvres » du roi de Navarre, il gardait l'avantage d'être à la fois juge et partie. Le président de l'Isle obsédait le pape au nom du roi de Navarre. Pie IV répondit que Philippe II n'accorderait rien « jusqu'à « ce qu'il ait meilleure opinion du gouvernement du « royaume3. » Antoine envoya Lansac à Rome; il n'obtint que de vagues assurances1. Le pape, mieux informé qu'au temps de la mission de don Pedro d'Al-

1. Mémoires de Castelnau, I. I, p. 745.

2. Lettre de l'Aubespine au roi do. Navarre, du 3 janvier 1562 (Orig.; Arch. des Basses-Pyrénées, E. 585). Il y a une copie de cette lettre dans le l'omis français (vol. 16103, f. 132 v°)> Précis de chancellerie, sans date ir.ni.ii> ou minute; Arch. nat., k. L496, 31).

3. Lettre du président de l'Isle au roi, du 4 janvier 1561 (1562); Copie du temps, I'. IV., vol. 3955, f. 'il v.

i. Calendars, 1561 . p. 533 <'i 555.

ET JEANNE D'ALBRET. 43

bret, s'obstinait à traiter, malgré les avertissements du cardinal de Ferrare , les démarches du prince « de « dérisoires et suspectes1. » Ces incertitudes trou- blaient la confiance du roi de Navarre ; quelquefois il cédait au découragement et se prenait à craindre que le roi d'Espagne « l'amusât2. » Mais la moindre pro- messe ranimait ses espérances.

Cependant l'ambassadeur d'Espagne sentait que les offres de Philippe II ne compensaient pas le sacrifice qu'il imposait au roi de Navarre. Il lui avait demandé de changer de religion et de parti ; Antoine avait obéi ; et Philippe II ne lui concédait aucune compensation précise en retour de ses exigences. Chantonay craignait que le lieutenant général ne se lassât d'être dupe. N'osant exposer toute sa pensée à son maître, il tâchait de convertir les ministres en faisant l'éloge du prince. « Le s. de Vendosme, écrit-il au chancelier des Pays- « Bas, monstre de se vouloir ranger de tout en « faveur des catholiques, dont les adversaires sont « en merveilleusement grand peine. Si le roy (d'Es- « pagne) luy vouloit donner quelque espoir, nous « l'aurions gaigné en tout, qui seroit ung grand bien « pour toute la Chrétienté. Toutesfois je m'en rapporte « aux plus sages et ne m'y advanceray plus avant que « l'on m'enverra commission3. » Le 30 janvier, il donne encore une bonne note au roi de Navarre4. Le

1. Lettre de Vurgas à Granvelle, <lu "22 février (Papiers d'État de Granvelle, t. VI, p. 516).

2. Lettre de Sainte-Croix, du 5 janvier (Arch. curieuses, t. VI, p. 15).

3. Lettre de Chantonay, dans les Mrmoires de Gondé, i . Il, p. 20. i. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 30 janvier (Orig. espa- gnol ; Arch. nal., K. 1497, a

44 ANTOINE DE BOURBON

3 février, il confie au chancelier ce qu'il n'osait dire au roi d'Espagne : « Vendôme continue à montrer « beaucoup de bons signes que son intention soit de « demeurer catholique : mais, pour l'entretenir en ce « bon chemin, il faudrait que le roy lui donnât un petit « peu plus d'espoir de traiter avec luy1. »

Ces conseils revinrent de Bruxelles à Madrid avec plus d'autorité en passant par la bouche de la duchesse de Parme et décidèrent Philippe II à un sacrifice en faveur de son nouvel allié2.

Le \ 8 janvier 1 562, le duc d'Albe adresse au roi de Navarre de nouvelles propositions. Le gouvernement espagnol s'était avisé que la présence d'un prince fran- çais au milieu de la Méditerranée mettrait en péril ses possessions italiennes. D'ailleurs la Sardaigne était inaliénable, comme propre de la couronne d'Aragon3. En conséquence Philippe II offrait la Tunisie en place de la Sardaigne. Il exigeait que ce don fut reçu à titre de libéralité et que le nouveau roi de Tunis s'engageât à rester tributaire de l'Espagne ; enfin il imposait l'expulsion immédiate des chefs de la Réforme et sur- tout du prince de Gondé, du cardinal de Chastillon et de Coligny. Sur ces bases, le duc d'Albe invitait le prince à envoyer un nouveau plénipotentiaire en

1 . Lettre de Ghantonay, dans les Mémoires de Condê, t. II, p. 21. Dans une lettre écrite le mémo jour à Philippe II, Ghantonay est beaucoup moins précis (Orig. espagnol, K. 1 497, 8). Il revient, non moins faiblement, sur la même pensée le 11 février (( ) r- i lt espagnol : ibid., 9).

2. Ghantonay avail déjà employé cette tactique (t. III, p. :iO."»i.

3. Lettre de l'Aubespine à la reine, du 31 janvier (Copie; f. IV., vol. 1 6103, f. 156 v°). Lettre du dur d'Albe à Chantonay, du 5 février (Orig. espagnol; Arch. oat., K. 1496, 40).

ET JEANNE d'aLBRET. 45

Espagne1. Antonio d'Almeida, alors à Madrid, fut chargé d'apporter la proposition à la cour de France2, niais elle fut dissimulée à l'Aubespine, peut-être dans la crainte qu'il ne la prit pas au sérieux3. Le duc d'Albe confia deux lettres à d'Almeida; l'une pour Chantonay, qui énumère les avantages du traité ; l'autre pour le roi de Navarre, simple lettre de créance et d'amitié \ Antonio d'Almeida arriva à Saint-Germain le 6 février à midi, et entra immédiatement en conférence avec le roi de Navarre. Après avoir passé une partie de la journée avec lui, il se rendit auprès de l'ambassadeur d'Espagne. Le lendemain, Chantonay accourut au châ- teau. Sa première parole fut de recommander au prince de tenir la négociation secrète, même vis-à-vis de la régente et de la reine de Navarre, qui se seraient hâtées, dit l'ambassadeur, de la révéler au cardinal de Chastillon et à Goligny. Il le priait de n'en parler qu'au cardinal de Tournon, au maréchal de Saint- André et à d'Escars. Antoine promit de garder le silence et engagea la discussion sur le fonds. Les nou- velles propositions du roi d'Espagne lui causaient plus de surprise que de mécontentement. La Tunisie, habitée par des peuplades barbares, habituées à vivre

1. Lettre du duc d'Albe à Chantonay, du 18 janvier 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1496, 35).

2. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 18 janvier (Arch. nat., K. 1496, 34).

3. Lettre de Philippe II, citée \Au< haut. Lettre de l'Aubes- pine, du 20 janvier (Copie, f. fr., vol. 16103, f. 139). —Autre du même à la reine, du 27 janvier (ibid., f. 1 i~). Autre du même au roi de Navarre, de même date (ibid., f. 153).

4. Lettre du duc d'Albe à Chantonay, du 23 janvier (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1496, 31). Lettre du même au roi de Navarre, de même date (Minute en français; ibid., 36).

46 ANTOINE DE BOURBON

de pillage, sans commerce, sans villes, sans port, ne làisait pas partie du royaume d'Espagne. Charles- Quint, dans le cours de son règne, avait vainement essayé d'y fonder un établissement durable. Difficile à conquérir, elle était plus difficile à conserver et impos- sible à gouverner suivant les mœurs des états chré- tiens. Chantonay combattit ces critiques. Le don de la Tunisie lui paraissait tellement avantageux qu'il ne doutait pas de l'acceptation du prince. Antoine, feignant de se laisser convaincre, demanda la Sardaigne jusqu'au jour prochain de la conquête de la Tunisie. Sa présence, dit-il, était nécessaire à la cour pour le triomphe de leurs idées communes, et il pourrait régner en Sardaigne sans quitter le continent. En attendant le rétablissement de la paix religieuse, Phi- lippe II parachèverait la conquête de la Tunisie et l'échange des deux royaumes s'opérerait sans fraude. La réponse mettait l'ambassadeur dans l'embarras. Il s'en tira en louant la générosité de son maître. Antoine aurait pu lui observer que son maître ne s'appauvrissait pas en donnant ce qu'il ne possédait pas. Les deux parties se réservèrent le temps de la réflexion et se séparèrent avec force démonstrations d'amitié1.

Deux jours après, le roi de Navarre réunit en con- férence l'ambassadeur d'Espagne, le cardinal de Tour- non, le maréchal Saint-André et d'Escars. Chantonay tit ressortir les richesses et les ressources de la Tunisie. Les conseillers du lieutenant général V écoutaient avec attention. Le cardinal avait entendu parler de Tunis du

l. Lettre de Ghanl may à Philippe II, du II février \b&2 (Orig. espagnol; Arch. uni., K. 1 i'.iT, u 9). Résumé de chancellerie, sans date (ibid., K. 1 196).

ET JEANNE DALBRET. 47

vivant de François Ier. Le maréchal n'avait que de vagues notions géographiques et demanda si la Tunisie était une île. Tous les trois confondaient le littoral de l'Afrique avec les grandes Indes. Après uneassez longue délibération, le roi de Navarre conclut : il acceptait en principe le don de la Tunisie, mais il se réservait de solliciter du roi d'Espagne le don de la Sardaigne en attendant la con- quête de la Tunisie. Cette décision déchargeait la res- ponsabilité de l'ambassadeur et lui permettait de traîner la négociation en longueur. Chantonay se soumit donc aux désirs du prince, mais il réclama le secret avec instance, sous prétexte que l'amiral, s'il était informé, trouverait les moyens d'entraver la conquête future. On convint de dire à la cour que Philippe II avait promis la Sardaigne au roi de Navarre, « à moins qu'il « lui donnât autre chose4. »

Malgré le secret juré par les conseillers du roi de Navarre, la reine mère avait deviné l'ouverture de propositions nouvelles sans pouvoir en pénétrer l'objet. Depuis quelque temps elle était jalouse du crédit du lieutenant général à Madrid et s'en cachait si peu qu'il s'en avisa. Elle avait demandé au roi d'Espagne une entrevue pour le mois de mai. Antoine avait voulu la retarder afin de se concerter sur tous les points avec son allié2, et l'avait emporté. Ce premier échec la tenait en éveil. Le mystère dont le prince et Chantonay entou- raient leurs conférences depuis le retour de d'Almeida,

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 lévrier 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 9).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 février (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1497, 11). Presque toutes les lettres de cette période traitent plus ou moins de cette entrevue. La lettre du 23 février est celle qui contient le plus de détails.

48 ANTOINE DE BOURBON

le silence gardé vis-à-vis d'elle et vis-à-vis de Sébas- tien de l'Aubespine à Madrid lui faisaient craindre un refroidissement de Philippe II1. Elle pensa que les deux rois « machinaient » de la dépouiller du titre de régente et elle envoya à Madrid un messager, le (ils de son maître d'hôtel, avec une instruction que l'Aubespine communiqua au duc d'Albe2. Elle se plaignit elle-même à Chantonay des intrigues du roi de Navarre et lui signifia que, si le prince poursuivait un traité à son insu, elle « ferait tout son possible « pour y mettre obstacle3. » Antoine fut blessé des soupçons de la reine. L'ambassadeur espagnol, confi- dent des deux parties, eut l'adresse de pacifier le dif- férend en témoignant à la reine du dévouement du roi de Navarre et au roi de Navarre de la confiance de la reine4.

Philippe II, si jaloux de cacher ses offres, était fort

l. Lettre de Chantonay àPhilippe IL, du 1 i février lOrig. espa- gnol; Arch. nai., K. 1497, 10). Lettres de l'Aubespine au roi, au roi île Navarre, du 16 lévrier, à la reine, du 20 février (Copie du temps, l'. tr., vol. 16103, 1'. 161, 168 et 170). A cette dernière date, l'Aubespine ne connaissait pas encore l'offre delà Tunisie, car il écrit à. la reine que Philippe II ne s'esl pas encore

expliqué sur le dédommage ni qu'il réserve au roi deNavarre.

Le mystère donl Philippe II entourait ses propositions vis-à- vis de la reine est aussi constaté par le cardinal de Sainte-Croix (Lettre du 22 février; Archives curieuses, t. VI, |>. 42).

;'. Lettre du duc d'Albe à Chantonay, du ■> février (Orig. espa- gnol; Arch. nai., K. 1496, 40). Le messager c'est pas nommé dans la lettre.

3. Lettre de Chantonay à Philippe il. du 28 février (Orig. espa- gnol ; Arch. aat., K. li'.iT, w 13).

4. Lettre de Chantonay à Philippe II, du :! février (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, a" 8). Lettre du même au même, du Os l'e\ rier (< hig. espagnol ; ibid., 13).

ET JEANNE D'ALBRET. 49

empressé de présenter ses exigences. Dans toutes ses lettres, de la fin de décembre et du commencement de janvier, il énumère les services qu'il attend du roi de Navarre, l'épuration de la cour, qui était une des con- ditions du marché, l'exil des ministres et des princes huguenots, la disgrâce de personnages qui, à différents titres, traversaient la politique espagnole, du chance- lier et de l'évêque de Valence, hostiles au concile de Trente1, de la dame de Grussol, favorite de la reine, accusée d'avoir préparé l'accord de sa maîtresse avec le parti réformé2, et surtout des trois Chastillons, promoteurs de négociations en Allemagne que Phi- lippe II redoutait pour les Flandres 3. Il exprima même officiellement ses désirs à l' Aubespine 4 . La charge don- née au prince était plus difficile qu'on ne le supposait à Madrid, car le crédit de Condé et des Chastillons était lié au pouvoir même de la reine mère.

Le roi de Navarre était d'autant plus disposé à ren- voyer son frère qu'il le redoutait davantage. Catherine

1. Lettre de Chantonay, du 23 janvier, à Philippe II (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 6). Résumé de chancellerie (Ibid., K. 1496, 48). Autre du 3 février à Philippe II (Orig. espagnol ; ibid., 8).

2. Lettre de Chantonay, du 23 janvier, à Philippe II (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1497, 6). Autre du 3 février (Ibid., il" 8). —Autre du 11 février (Ibid., 9).

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier 15G2 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 7). Autre du 11 février (Orig. espagnol; ibid., 9). Autre du 14 février (Orig. espa- gnol; ibid., 10). Résumé de chancellerie, sans date (Ibid., K. 1496).

i. Lettre de l'Aubespine à la reine mère, du 20 février (Copie du temps; f. fr., vol. 16103, f. 170). Voyez aussi toutes les lettres de Chantonay, des mois de janvier et de février, que nous avons citées.

iv 4

50 ANTOINE DE BOURBON

avait laissé prendre aux chefs de la Réforme une part prépondérante dans le gouvernement. Chacun d'eux usait de son crédit suivant ses aptitudes. Le prince de Coudé, plus propre à compromettre qu'à servir ses coreligionnaires, l'employait à troubler lapaix publique. Le lendemain de la sédition de saint Médard, il s'était rendu à Paris et avait pris ouvertement parti pour les agresseurs de l'église. Il n'obtint rien de la reine ni du parlement, mais il ne se fit faute d'encourager les séditieux. Le roi de Navarre lui adressa justement le reproche « de ne pratiquer la nouvelle religion qu'en « fomentant des troubles et des soulèvements dans le « royaume1. » Le danger de laisser à la cour, dans un moment de crise, ce chef de parti aventureux fit goûter à la reine l'idée de l'éloigner sous un prétexte honorable. La Cuyenne et le Languedoc étaient, de toutes les provinces du royaume, celles que les sédi- tieux déchiraient avec le plus d'acharnement. La reine conlia au prince de Gondé la mission de visiter la Guyenne en pacificateur, et, pour ne pas donner à cette charge une importance exceptionnelle, elle envoya le seigneur de Crussol avec des pouvoirs analogues en Languedoc et en Provence2. Philippe II aurait préféré y employer le roi de Navarre en per- sonne , mais la reine ne voulut pas se séparer du

1. Lettre de Chantona^ à Philippe II, du 5 janvier 156-2 (Orig. espagnol ; Ajrch. nat., K. 1 197, a" 3).

2. L'instruction donnée à Grussol est conservée en minute dans le vol. 15875 du f. IV., f. 434. En même temps le roi écrivit à Joyeuse (Ibid., f. 153), pour lui commander d'aider Crussol dans son œuvre. - Autre lettre au même (Ibid., f. 263). Lettre de Chantona} à Philippe H, du 25 février (Orig. espagnol; A.rch. uni., K. 1497, u" 12).

ET JEANNE D'ALBRET. 51

lieutenant général et Antoine lui-même refusa de quitter la cour1.

L'instruction remise à Condé porte que le prince devait visiter les villes, procéder au désarmement du peuple, restituer aux ecclésiastiques les églises et les bénéfices usurpés par les réformés, remettre en charge les officiers chassés par les séditieux, punir les auteurs des pillages et leur mettre « tant de prévosts, de « mareschaux au cul qu'on en puisse despescher le « pays. » Deux points attirent particulièrement l'at- tention du conseil : le premier concerne « les mille « escripts scandalleux et diffamatoires qu'on faitimpri- « mer sans permission du roy. » Le prince était chargé « d'advertir ceux de la relligion, afin que de leur part « ils travaillent d'empescher cela parmy eux, et, s'il « se peult trouver quelques ungs, tant des autheurs a que des imprimeurs, il ne sauroit faire chose plus « agréable au roy que de les faire bien chastier. » Le second point révélait l'incurable faiblesse qui paralysait les plus sages déterminations : aux réformés qui se plaindraient de « n'avoir point de lieu pour prier « Dieu, » le prince de Condé « fera doulcement entendre « que, s'ilz trouvent de s'accomoder hors les villes de « quelque place, pourvu que ce ne soit esglise ou « temple, » il donnera ordre aux officiers du roi « d'y cligner les yeux. » Ce paragraphe, qui con- tient en abrégé toute la politique de la reine mère, ne sortit pas de premier jet du cerveau des secrétaires d'état; les innombrables ratures de la minute prouvent combien il a été travaillé. La mission de Condé s'éten-

1. Lettre de Philippe II à Ghantonay, du 18 janvier (Arch. nat., K. 1496, 34).

52 ANTOINE DE BOURBON

dait sur une partie de la France, Orléans, Blois, Bor- deaux, Grenade, Fumel , Gahors et autres villes1. Consulté d'avance, le prince avait accepté la mission ; il avait présenté au conseil un mémoire que les secré- taires d'état avaient seulement développé2.

L'instruction du roi au seigneur de Grussol fait res- sortir l'importance de la charge du prince. Après avoir parlé des soulèvements qui ensanglantaient les villes de Provence et de Languedoc, de la fuite de l'évêque de Nîmes, le roi ajoute : « Au demeurant je vous advise « que j'ay envoyé mon cousin le prince de Condé en « Guyenne, pour les adviz que j'ay euz de tant de « désordres qui s'y commectent, qu'il est nécessaire d'y « employer quelque grande personne pour y remédier. « Et pour ce, s'il a besoing de vos forces, vous l'en « secourrez et l'advertirez de tout ce que vous enten- « drez, faisant au demeurant tout ce qu'il vous ordon- « nera pour le bien de mon service, soit pour le venir « trouver, s'il vous mande, soit s'il veult aller par « vous serez 3 . »

La nouvelle de la prochaine arrivée de Condé en Guyenne ne satisfit pas Philippe II. Il redoutait la pré- sence du prince à la cour, mais il ne redoutait pas

1. Minute originale datée du mois de décembre (f. fr., vol. 15875, f. 'il 1). Copie de la même pièce nu autre minute (Ibid., !'. 85). Peu d'historiens, même parmi les contemporains, ont coiiuu le projel mort-né d'envoyer Condé en Guyenne. La Popelinière est un des soûls qui en fassent mention (in-fol., t. I, f. 283 v i.

2. Cette pièce esl conservée en minute ou copie avec correc- tion dans le vol. 15875 du tonds français, !'. 109.

3. Minute charg le ratures on date du 8 janvier 1561 (1562)

(f. fr., vol. 3186, I'. 16). Catherine écrivil aussi dans le même sens à Crussol [Lettres i>< Gatherine, t. 1, p. "263).

ET JEANNE d'aLBRET. 53

moins de le voir chevaucher sur les frontières d'Es- pagne à la tète d'une armée, bien que Sébastien de l'Aubespine lui assurât que, pour un soldat huguenot, les compagnies du prince compteraient dix catho- liques1. Le duc d'Albuquerque feignit de croire que Antoine de Bourbon envoyait son frère à la conquête de la Navarre. En ce moment, Biaise de Monluc assem- blait à grand bruit des gens de pied pour punir les meurtriers du baron de Fumel. Le duc d'Albuquerque écrivit à Philippe qu'une armée d'invasion se formait sur la frontière2. Le roi d'Espagne prit l'alarme au sérieux, et, le 18 janvier, le duc d'Albe somma le roi de Navarre de retenir le prince de Gondé en Picardie. L'injonction dissimulait assez bien les appréhensions des Espagnols, car elle avait pour but d'écarter à la fois un prince entreprenant et courageux des fron- tières de la Guyenne et des conseils de la reine mère. A la fin de sa lettre, le duc d'Albe signifie que son maître ne poursuivra les négociations avec le roi de Navarre, alors en pleine activité, qu'au prix de la retraite de Gondé en Picardie3.

Antoine, qui avait été le premier à approuver la mission de Condé en Guyenne, fut aussi le premier à proposer à la reine de se déjuger. Catherine hésitait

1. Lettre de Philippe II à Ghantonay, du 18 janvier (Arch. nat., K. 1496, 34). Ghantonay n'avait pas attendu la lettre de Philippe II et avait protesté auprès de la reine le 7 janvier (Lettre de la reine à l'Auhespine, du 8 janvier, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 601).

2. Lettre, du duc d'Albuquerque à Philippe II, du 24 janvier 1562 (Copie; Arch. de la secret, d'état d'Espagne, leg. 358, f. 52).

3. Lettre du duc d'Albe à Chantonay,du 18 janvier 1562 (Arch. nat., K. 1496, 35).

54 ANTOINE DE BOURBON

par crainte de blesser le prince. Celui-ci s'emportait contre les tergiversations de son frère dont il ne connaissait pas les secrets mobiles. Son dépit donna naissance à un bruit recueilli par les espions de la reine d'Angleterre : qu'il allait rassembler des troupes en Guyenne pour tenter un coup de main sur Avignon1. La rivalité de la reine et du roi de Navarre était près d'éclater à l'occasion de Condé, quand le prince tomba malade d'une fièvre tierce, suivant les uns2, « d'un apos- « thume dans un endroit très dangereux, » suivant les autres3, et si gravement que sa vie fut en danger. Son voyage en Guyenne fut contremandé et il s'éloigna de la cour pendant plusieurs semaines. Une fois seulement, pendant la durée de sa maladie, il se fit transporter en litière à Saint-Germain pour encourager ses coreligïon-

1. Calendars, 1561, p. 504. C'est dans ce desseiD que La reine lui aurait subordonné le sire de Grussol. Les projets de campagne de Condé en Provence sont invraisemblables. Cependant il est Certain qu'on avait parlé de lui donner la ville d'Avignon ou le Gomtat-Venaissin. Sainte-Croix raconte que l'ambassadeur d'Espagne lui a dit qu'il était probable que Philippe II désinté- resserait li' roi de Navarre et qu'il était du devoir du pape d'offrir le Gomtat-Venaissin ou la ville d'Avignon à Condé. Cette propo- sition n'eut aucune suite. (Lettre de Sainte-Croix, du 22 février; Archives curieuses, t. VI, p. 39.) Bordenave [Histoire de Foix et de Navarre, p. U3 el 114), historiographe de la maison d'Albret, présente autremenl les projets du prince de Condé sur Avignon. D'après cci historien, le parti huguenol avail conseillé au roi de Navarre de mettre la main sur le Gomtat-Venaissin par l'inter- médiaire <!c son frère, et, nanti de ^' gage, d'obliger le roi d'Es- pagne à lui rendre la Navarre nu à lui donner la Sardaigne.

2. Lettre il'' Sainte-Croix, du 5 ch. curieuses, t. VI, p. 36).

.:. Lettre de Tbrockmorton, 'lu lôfévriei [Calendars, 1561-1562, p. 524). -Quelques jours après, dit Throckmorton, l'aposthume » se creva ci le prince guérit.

ET JEANNE D'ALBRET. 55

naires l. Son état « taisait tellement pitié, » même aux chefs du parti catholique, que l'ambassadeur espagnol renonça pour le moment à requérir l'exil du prince en Picardie2. Le sire de Grussol remplit seul sa mission de pacification en Languedoc, en Provence et en Dau- phiné3. La Guyenne fut laissée aux propres forces de ses officiers. A défaut du prince de Gondé, la reine mère y accrédita Biaise de Monluc et plus tard le duc de Montpensier.

Restaient les trois Ghastillons, les vrais adversaires de Philippe II. Tandis que le prince de Condé se dépen- sait en fanfaronnades, les trois Chastillons, sans se perdre en démonstrations futiles, travaillaient au triomphe de la Réforme avec une fermeté calme. L'ambassadeur anglais traitait avec Goligny presque de puissance à puissance k , et Calvin lui écrivait d'humbles lettres comme au seul homme dont il subît la supériorité5. Habilement guidé par l'amiral, le parti huguenot marquait chaque jour par un progrès. Les lieutenances, les charges de province, les capitai- neries des places fortes et des villes ouvertes tombaient peu à peu entre ses mains. Le maréchal de Brissac était malade, le maréchal de Thermes très âgé ; des intrigues se nouaient pour choisir leurs successeurs parmi les hommes de la religion. Montmorency cumulait deux fonctions, celles de connétable et de gouverneur du

1. Calendars, 1561, p. 524. Lettre deThrockmorton, du 16 février.

2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 février 1562 H >rig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, ii" 9).

3. Histoire du Languedoc, t. V, p. 216 et suiv.

•i. Lettre du 29 avril au sujet du concile national (Calendars, 1561, p. 82). 5. Lettres de Calvin, t. 11, p. 397.

56 ANTOINE DE BOURBON

Languedoc ; Condé cherchait à l'en dépouiller. Coli- gny, comme amiral, disposait du commandement des côtes de l'Océan ; il briguait celui des côtes de la Méditerranée et celui des galères qui appartenait au grand prieur de Lorraine1. Les trois Chastillons, dit Chantonay, étaient l'àme du parti réformé ; les chasser de la cour eût été pour le parti catholique la moitié de la victoire. Le difficile était de les atteindre. La reine les soutenait comme ses meilleurs conseillers2, et le roi de Navarre, par suite d'une longue confrater- nité dans leur lutte commune contre les Guises, par le souvenir de tant de services rendus dans les mauvais jours du règne de François II, semblait uni aux Chas- tillons par des liens indissolubles. Mais Philippe II n'entendait pas laisser un simulacre de liberté au roi de Navarre. Antoine était son homme-lige et ne paraissait à l'ombrageux souverain que propre à le servir. Il s'en prit d'abord à Coligny. Quant au cardinal de Chastillon, homme de conseil, non d'action, quant à d'Àndelot, homme de guerre, non de conseil, il semblait les dédai- gner encore.

Philippe II avait déjà prétendu exiger de la reine l'expulsion de Coligny et sa retraite à Chastillon sous prétexte que, en qualité d'amiral, il favorisait les déprédations des corsaires huguenots, afin de se venger des mauvais traitements qu'il avait subis de la part des Espagnols pendant son emprisonnement à Gand.

I. Lettre de Chantonay, du 13 novembre, à Philippe II (Orig. espagnol; Arch. nat., k. 1494, 108). Lettre de Throckmor- ton, du I ï novembre (Calendars, I56t, p. 396).

ï. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig. es] agnol , A.rch. nat., K. 1 i'.iT,

ET JEANNE D'ALBRET. 57

Cette étrange prétention fut signifiée officiellement à l'Aubespine à Madrid. Portée au conseil de la reine, elle y fut discutée comme une affaire d'état. Chacun s'étonnait de voir un souverain étranger prendre à partie le simple sujet du roi de France i . L'étonne- ment fut bien plus grand quand le roi de Navarre appuya la demande d'expulsion. Coligny protesta, le 5 janvier, auprès de l'Aubespine, contre les imputations de Philippe II : « L'on me feroit grand tort par delà de <r m'estimer homme de vengeance et qui se voulust « ressentir des choses qui m'ont esté faictes durant le « temps de la guerre, car je n'eus oncques telles pen- « sées. » Catherine confirma les protestations de Coli- gny « pour l'amitié, écrit-elle, que je porte aud. s. « admirai et la cognoissance que j'ay du contraire2. » On attendit la réponse. La négociation se traitait comme s'il se fût agi de la confirmation de la paix de Càteau- Cambrésis. Pendant que les dépêches volaient d'une cour à l'autre, Chantonay poursuivait son œuvre à Saint-Germain. Chaque audience de la reine était l'oc- casion d'un nouveau réquisitoire contre Coligny et son frère le cardinal'. Catherine, surprise de l'acharne- ment de Philippe II, pria la duchesse de Savoie de s'interposer ; Chantonay écrivit au duc de Savoie dans le sens opposé1. Pour décider le roi de Navarre à se

1. Lettre de Throckmorton, du 6 mars (Calendars, 1561-1562, p. 545).

2. Documents cités dans la Vie de Coligny, t. II, p. H à 15, par M. le comte Delaborde.

3 Lettres du 5 et du 8 janvier, à Philippe II (Orig. espagnol; \i' li. nat.. K. 1 197, ir,s 3 ol i).

4. Lettre de Chantonay à Philippe JŒ, du II février (Orig. espa- gnol; Arch. mu., K. 1 197, 9).

58 ANTOINE DE BOURBON

mettre en mouvement à sa suite, il lui fit dire d'abord par d'Escars, puis par d'Almeida, que « s'il vouloit « resjouir Sa Majesté Catholique il n'avoit qu'à faire « tout son possible pour chasser de la cour l'amiral et « ses frères 1 . »

Tandis que le roi d'Espagne assiégeait les Chastillons dans leur crédit comme dans une place forte, la reine mère leur accordait de nouvelles faveurs. Elle fit entrer d'Andelot au conseil privé du roi2, sans prendre l'avis du roi de Navarre3. Antoine, n'osant pas protester ouvertement contre un acte qu'il aurait approuvé en d'autres temps, pria Philippe II d'être l'interprète de leur déplaisir commun auprès de la reine4. Bientôt le bruit se répandit que le grand écuyer Boisy et plusieurs autres officiers de la maison du roi, connus comme, catholiques, allaient être remplacés par des seigneurs au choix de Monluc de Valence, que l'amiral serait attaché à la personne de la reine en qualité de lieute- nant général de la régente. Cette dignité, de création nouvelle, aurait fait glisser peu à peu toutes les affaires entre ses mains. Antoine, à cette nouvelle, montra un chagrin puéril, que Chantonay lui-même raconte avec ironie; il accusa la reine d'ingratitude, fit le mécontent, confia son découragement à tous les courtisans, feignit de tomber malade et pendant plusieurs jours ne sortit

1. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 23 janvier (Orig. espagnol; Arch. tiat., K. 1497, 6). Autre .la 30 janvier à Philippe II (Orig. espagnol ; ibid., 7).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, «lu 5 janvier (Orig. espa- gnol ; Aicli. nai., k. 1 i'.iT, n" 3).

3. I î < s 1 1 1 1 1 r> de lettres de Chantonay (Arch. aat., K. 1496, 48).

4. Il.i.l.

ET JEANNE u'ALBRET. T.! l

pas de son logis1. Son dépit fut habilement entretenu par l'ambassadeur d'Espagne. Antoine était combattu dans l'intérieur de sa maison par Jeanne d'Albret; Chantonay lui prouva par une foule de remarques que la maison de Chastillon était le foyer de résistance de la reine de Navarre. Il irrita son amour-propre par des railleries. La jalousie du prince s'aigrit de cette découverte2. La faveur de la reine pour les Chastil- lons et l'inimitié du roi de Navarre pour ces favoris de la reine devinrent peu à peu, par suite de la pression du roi d'Espagne, l'occasion de la lutte entre la régente et le lieutenant général. Déjà leur double revirement les condamnait à se combattre. Les événements de chaque jour amenaient des incidents qui envenimaient leur rivalité latente. Antoine travaillait à se faire un parti parmi les membres du conseil, les chevaliers de l'ordre, parmi les courtisans jusqu'alors attachés à la reine, le connétable, les cardinaux de Bourbon et de Tournon, les maréchaux de Brissac et de Thermes. Il s'était réconcilié avec le maréchal de Saint-André, le seigneur le plus en crédit auprès de l'ambassade espagnole3. Il imposait à la reine ses nouveaux conseillers et cîiassait les anciens4. Les Rohan, les Crussol, l'évêque de Valence, qu'il avait autrefois comblés de faveurs,

1. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 30 janvier 1562

. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 7). Autres lettres de Chantonay (Mémoires de Condé, t. II, p. 22).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 février 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat.. K. 1497, 9).

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 3).

4. Lettre de Chantonay à Philippe IL du 23 janvier (Orig gnol; Arch. nat., K. 1497, 6).

60 ANTOINE DE BOURBON

furent éloignés1. A Paris, ses partisans, dirigés par François d'Escars ou par Pévêque d'Auxerre, circon- venaient les membres du parlement. Plus d'un cour- tisan, de ceux qui avaient contribué à l'élévation de Catherine, plus d'un prélat, sous prétexte de religion, se montraient assidus auprès du prince. En vain Catherine s'efforçait de reconstituer son parti. Elle songea, dit Chantonay, à rappeler le duc de Guise. Mais le danger de ces revirements désespérés la ramenait chaque jour à l'alliance des réformés2. Incertaine de l'avenir et prévoyant vaguement le triomphe du premier des Bourbons, elle tenta de diminuer au moins la durée de sa servitude. Elle fît décider par le conseil que le roi serait majeur à l'âge de quatorze ans, malgré l'opposition du roi de Navarre, qui voulait prolonger sa minorité jusqu'à sa vingtième année3. Le parti catholique accepta cette décision sans protester, parce que la prépondérance du lieutenant général pouvait, avant l'échéance, modifier la compo- sition du conseil du roi et faire ajourner la déclaration de majorité4.

1. Lettre de Chantonay à. Philippe II, du 11 février (Orig. espa- gnol ; Arrh. nat., K. 1 497, n" 9).

.'. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., K. 1497, 8). Autres du 14 et du23février (il)id., nos 10 et 11). Lettre de Throckmorton, du 16 février (Galen- dars, 1561, p. 524). Les bruits de la rivalité d'Antoine et de Catherine coururenl jusqu'en Navarre (Lettre du duc d'Albu- querqueà Philippe El, du 1" mars, et de Pampelune; copie; Arch. de la secret, d'étal d'Espagne, leg. 358, fol 52 .

3. Lettre de Chantonay à Philippe H, du 23 février (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., k. 1497, n" 11). Résumé de chancellerie sans date (ibid., K . I 196, 0 18 -

i. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 22 mars 1562 (Orig. espagnol , Arch. nal ., K. 1 197, 17).

ET JEANNE D'ALBRET. 61

Le seigneur le plus empressé à soutenir le roi de Navarre dans sa lutte contre la reine était le conné- table. Montmorency se laissait emporter par son ani- mosité contre les Chastillons. Il leur reprochait de se séparer de lui en religion et en politique et de s'allier à ses ennemis. Condé briguait le gouvernement du Languedoc, qui appartenait au connétable ; La Roche- sur-Yon était en procès avec lui ; les Chastillons avaient pris parti pour les deux princes au conseil : deux griefs inexcusables aux yeux de l'avide conné- table1. Il n'était pas moins jaloux de leur faveur. Plusieurs fois il avait blâmé la confiance que la reine réservait à Coligny dans les affaires graves, les mis- sions confidentielles du cardinal de Chastillon auprès des seigneurs de la cour, les conseils secrets qu'elle tenait avec les trois frères. Le hasard fit éclater son dépit. Un jour qu'il était en tiers dans le cabinet de Catherine avec le lieutenant général, celui-ci se plai- gnit que la reine ouvrait certaines dépêches et y répon- dait sans lui en faire part et sans communiquer ses réponses à d'autres conseillers qu'aux Chastillons. Catherine nia ; Antoine insista et fut appuyé en termes très vifs par le connétable. Son intervention blessa la reine. Elle lui reprocha de l'avoir toujours combattue depuis l'avènement de François II. Montmorency répli- qua sur le même ton « qu'il voyait bien que le seul « désir de la reine était qu'il partit de la cour. » Elle lui répondit très sèchement « qu'il pouvait s'en « aller s'il en avait envie. » Il sortit à l'instant, et, le lendemain, 26 janvier, de bonne heure, il monta

1. Lettre du 5 janvier à Philippe II (Arch. uat., K. 1497, n" 3).

62 ANTOINE DE BOURBON

à cheval sans prendre congé du roi et se retira à Chantilly1.

La retraite du connétable fit grand bruit. Sa clien- tèle était si nombreuse et si puissante, ses quatre fils si bien placés qu'il avait l'état d'un prince du sang. Depuis qu'il était l'allié du roi de Navarre, il avait pris du crédit sur lui2. Chantonay accourut à Saint- Germain et conseilla au lieutenant général de pro- tester auprès de la reine, à la fois contre le renvoi du plus ancien officier de la couronne et contre la faveur des Chaslillons1. Sur le premier point, Antoine déclina la mission. La reine, dit-il, avait d'anciens griefs qui s'étaient fait jour dans un accès de colère ; il fallait lui donner le temps de se calmer. Sur le second point, il promit de saisir une occasion favorable. Mais l'imminence de la guerre civile ne permettait plus d'attendre. Chantonay rappela au prince que les dons de Philippe II étaient subordonnés à la retraite des Chastillons l. Antoine était sur le point d'écrire au duc d'Albe au sujet de la Tunisie. Chantonay lui promit que la bonne nouvelle de leur départ, ajoutée au mes- sage, ménagerait un accueil plus favorable au mes- sager5. Ainsi pressé par l'ambassadeur, le prince

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier i< >riu-. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, q°7). Autredu 3 février [M

de Gondé, i. H,p. 21).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., K. 1 197, 7).

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 j an a - espa- gnol , Arch. u;il ., I\. 1 197, n " 7).

i. Lettre du dur d'Albe à Chantonay, du I8janvier (< >rig. espa* gnol ; An h. nat., k. 1 196, 35).

5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 IV-vrier ir>r>-2 (Orig. espagnol ; Arch. na1 ., K. 1 197, d 9).

ET JEANNE D'ALBRET. 63

s'engagea à faire partir les Ghastillons dans dix jours1 . Le 12 février, à l'issue du conseil, le roi de Navarre prit la reine à part et lui demanda impérieusement le renvoi du chancelier et des Chastillons. Il ne motivait pas sa demande en ce qui concernait le chancelier, mais les Chastillons, disait-il, étaient indispensables dans leurs provinces pour faire exécuter l'édit de janvier. Catherine s'attendait à l'attaque ; elle répondit que, si les réformés étaient exclus du conseil, il était équitable d'éloigner également les chefs catholiques ; et elle nomma le connétable, le duc de Guise et le maréchal de Saint-André, le triumvirat tout entier. Les deux premiers étaient absents, mais ils pouvaient revenir. Antoine répliqua que le duc de Guise, le connétable et Saint-André étaient nécessaires au conseil; la reine, que les Chastillons et le chancelier ne l'étaient pas moins ; ils se séparèrent sans conclure. Catherine pressentait que le lieutenant général était l'écho de l'ambassade espagnole. Le soir même de cette conférence, elle envoya un courrier à Madrid, afin de protester contre les exigences de Chantonay2. Quelques jours après, irrité peut-être de cette dénon- ciation, l'ambassadeur vint en personne au secours du roi de Navarre. Il demanda à la reine l'expulsion des trois Chastillons, du prince et de la princesse de Condé, de la dame de Roye, de Jean de Monluc, évêque de Valence, et de Jean de Saint-Romain, archevêque

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du :! février (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 8). Autre du 11 février i1 >rig. espagnol; ibid., 9).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 14 février (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 10). Résumé de chancellerie (ibid.,K. 1496).

64 ANTOINE DE BOURBON

d'Àix. La reine parut étonnée de voir « son fils bien- ce aimé, » Philippe II, lui imposer la proscription de quelques-uns de ses conseillers. Chantonay, s' exaltant à froid, signifia qu'il fallait opter entre les Ghastillons et le roi d'Espagne et qu'il avait reçu l'ordre de quitter la cour si les Ghastillons y restaient. Son langage impé- rieux offensa la reine ; elle lui commanda de se retirer. La scène fut si vive que le bruit courut, parmi les ambassadeurs étrangers, que Chantonay ne pourrait conserver son poste à la cour de France et qu'il serait remplacé par son frère, le s. de Ghampagny4.

Cependant les efforts réunis du roi de Navarre et de l'Espagnol avaient ébranlé la fermeté de la reine. « Avec « des princes qui ont peur d'ombres, dit judicieusement « Throckmorton, le roi d'Espagne osera beaucoup entre- « prendre2. » Informée de la ligue qui se nouait chaque jour entre les triumvirs et les catholiques, sous les auspices du lieutenant général, tremblante pour « son « autorité qui lui était aussi chère qu'aucune religion, » elle se décida à quelques concessions apparentes, afin d'arrêter les défections qui grossissaient le parti du roi de Navarre3. Elle fit signer au roi une ordonnance qui prohibait le transport, en Espagne et en Portugal, des livres signalés par l'autorité ecclésiastique comme suspects d'hérésie4. Le remplacement de Cypierre par

1. Lettres de Throckmorton du 16 février et du 6 mars (Calen- dars, 1561-1562, p. 524 el 545).

2. Ibi.l.

3. Lettre de Throckmorton, du 16 février [Galendars, 1561, p. 524). Lettre de Chantonay à Philippe II du 11 février (Orig. espagnol ; A.rch. aat., K. 1 197, n" 10).

4. Ordonnance du roi datée du 10 février 1561 (1562) (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 249).

ET JEANNE D'ALBRET. 65

le prince de la Roche-sur-Yon, en qualité de gouverneur de Charles IX , était deven u une affaire entre les deux rois . Philippe II avait demandé à la reine que le roi « enten- « dit seulement des prédications catholiques, » et avait déclaré à Antoine de Bourbon qu'il le rendait respon- sable de l'éducation religieuse de Charles IX1. Cathe- rine sacrifia la Roche-sur-Yon et rappela Cypierre2. Elle renvoya de la maison de ses enfants les maîtres qui pratiquaient la réforme3. Elle défendit les prêches à la cour et ne permit qu'à un docteur du tiers parti, Me Bouteiller, de conserver sa chaire4. Elle commanda à ses filles d'honneur de pratiquer le catholicisme sous peine de disgrâce5. Le 4 février, elle assista à une grand'messe , communia et suivit une proces- sion. Elle ratifia les expulsions de ministres que le roi de Navarre avait ordonnées dans sa propre maison malgré la volonté de Jeanne d'Albret6. Enfin elle se résigna à écarter momentanément l'amiral du conseil et à le laisser partir de son plein gré, s'il avait la générosité de se sacrifier.

L'amiral fut bientôt informé de la faiblesse de sa

1. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 18 janvier 1562 (Arch. nat., K. 1496, rr 34).

2. Lettre du 16 février (Calendars, 1561, p. 524).

3. Lettre de Sainte-Croix, du 5 février (Archives curieuses, t. VI, p. 35).

4. Lettre de Sainte -Croix, du 28 février (Archives curieuses, t. VI, p. 44). Négoc. du card. de Ferrare, p. 93. Sur Bouteil- ler, voyez un résumé des lettres de Chantonay (Arch. nat., K. 1496, 48). Lettres de Chantonay à Philippe II du 3 février, (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 8).

5. Lettre de Chantonay, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 'M .

6. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 février 1561 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, ti° 9).

iv 5

66 ANTOINE DE BOURBON

protectrice, et, reconnaissant que sa présence était une cause de gène, même pour son parti, il annonça publiquement que les prochaines couches de sa femme lui imposaient un voyage à Chastillon ' . Le 22 février, Coligny et d'Andelot prirent congé de la reine ; le cardinal de Chastillon se retira quelques jours plus tard2. Le jour de leur départ, Catherine paraissait honteuse et afiligée ; elle dit à l'amiral « qu'elle le cognoissoit tant iidèle serviteur et tant « affectionné envers sa majesté que, si le besoing l'y « rappeloit, il ne seroit paresseux à employer tous « ses moyens à la garantir d'une conspiration des « Guises3. » En quittant l'audience de la reine, l'amiral dit au roi de Navarre « qu'il se retirait satisfait de « lui-même devant Dieu et devant sa conscience, mais « que, devant les hommes, il avait été plus outragé « qu'aucun gentilhomme de France, qu'on n'avait eu « aucun motif pour lui faire cet affront, car il avait « toujours été le fidèle serviteur du roi et de M. de « Vendôme lui-même. » Ces paroles laissèrent le

1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa- gnol ; An-îi. mit.. K. 1497, n" 8).

2. Lettre de Sainte-Croix, du 22 février [Arch. curieuses, t. VI, p. 39). Journal de Bruslard {Mémoires île Co/idi, t. I, p. 71). Lettre du card. de Ferrare, du 24 février (Négoc. du card. dt Fer- rare, p. 90). Lettre de de Bèze à Calvin, du 26 février (Baum, Thcodor Bcza, Preuves, p. 166).

3. Ces paroles sonl rapportées dans une déclaration postérieure du prince de Condé [Mémoires dt Gondé, i. 111. p. 587). Torna- buoni raconte, dans une lettre du 24 mars, une entrevue de la reine avec Coligny, qui modifierait notablement le récit de son départ (Négoc. <i< la I /' cane, t. 111. p. 172). Mais un exi attentif de cette lettre nous a convaincu qu'elle appar- tient à l'année 1 r»< > 1 e1 non à 1 562.

ET JEANNE D'ALBRET. 67

prince sans réponse. Coligny ajouta la prédiction sui- vante, que tous les politiques avisés redisaient au roi de Navarre : « ... que avant trois mois il (Vendôme) « reconnaîtrait les tromperies du gouvernement espa- ce gnol et pourrait juger lequel de ses conseillers lui « avait donné de meilleurs avis, lui, Coligny, ou ceux « à qui le prince s'était livré. » Antoine ne sentit pas la leçon ; il raconta cette scène à Chantonay et se réjouit avec lui d'être débarrassé d'un rival l. Après l'avoir salué, Coligny et d'Andelot montèrent à cheval et quittèrent le palais de Saint- Germain. Ils rencontrèrent à la porte l'ambassadeur d'Espagne. Chantonay constata avec plaisir qu'ils avaient <r bien « petite suyte, car celle qu'ils avoient autrefoys estoit « pour respect de leur crédit avec led. s. de Ven- « dosme2. » Quelques jours avant de se retirer devant les menaces de l'étranger, l'amiral avait exécuté une grande entreprise, qui aurait pu, si le roi l'avait sou- tenue, déplacer au profit de la France la puissance coloniale de l'Espagne. Le 18 février, Jean Ribaut avait mis à la voile pour la Floride. L'expédition avait été préparée avec tant de mystère qu'à l'heure même Jean Ribaut voguait à la conquête d'un monde nouveau, le gouvernement espagnol en était encore aux enquêtes sur ses desseins3.

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 février (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., K. 1497, 13).

2. Lettre de Chantonay, du 23 février {Mémoires deCondc, t. II, p. 25). Il raconte au>si le départ de Coligny dans sa lettre du 28 février à Philippe II (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1 i97, n" 18).

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 février (Orig. espa- gnol; Arch nat., K. 1497, 9). Cette expédition esl justement célèbre. M. Gaffarel l'a racontée d'après les documents nouveaux

68 ANTOINE DE BOURBON

Le cardinal de Chastillon resta quelques jours à la cour après la retraite de Coligny. Plus modéré dans la forme, mais aussi passionné que ses frères, il se déguisait, disait-on, pour assister aux sermons de Théodore de Bèze 1 . Le roi de Navarre attendait son départ pour expédier Antonio d'Almeida en Espagne2, et le pressait de suivre ses frères avec une insistance que la reine combattait secrètement. Un jour, le % mars, au milieu d'une foule de courtisans, Antoine dit tout haut que les troubles religieux s'étaient accrus de la faiblesse des pouvoirs publics, et « qu'une bonne « inquisition, » à l'exemple de l'Espagne, aurait sauvé le royaume. Le cardinal de Chastillon, qui avait contri- bué à l'échec du saint -office pendant le règne de

dans VHistoire de la Floride française, in-8", 1875. L'ambassadeur espagnol avait été mis en éveil par les préparatifs des naviga- teurs, mais il ivstaii incertain sur l'objet de l'expédition. Le 15 décembre 1561, il écril au roi d'Espagne : « La reine mère, « Vendôme, Grussol, l'amiral et le prince de Gondé ont arrêté « deux ou trois navires français, chargés déjà de marchandises, « pour naviguer vers le Brésil, et ils mit promis aux marchands ci de leur payer ce qu'ils on1 dépensé pour les préparer. La reine, o Vendôme el les autres veulent envoyé!- ces navires avec des « troupes, afin de découvrir la cote, plages et positions qui se « trouvent entre le cap et. ia Floride, parce qu'en l'année \ \ \ I \ , « Vincent Tirou et G-randgean Bucier apportèrent île là, dans un x navire, appelé Delphino, vingt-neuf livres d'or. On pense qu'ils « veulenl aller à la rivière du Canada et à Xalaqua,où toucha le « capitaine Etoberval. de crois cependanl que pour le moment ils « n'onl aucun projet arrête. Le chef de cette entreprise est le «capitaine Fiquinville. La reine et ces autres seigneurs pré- « tendent se partager entre eux ce qu'on découvrirait. Il paraît o que les navires m' partiront que vers la lin de janvier. 0 (Orig. espagnol; A.rch. nat., I\. 1495, n* 97.)

1. Lettre de Sainte-Croix, du 13 mars 1562 (Gimber el Danjou, t. VI, p. 17).

2. Négociations du card, </< Ferrare, p. 90, lettre du 24 février.

ET JEANNE d'aLBRET. 69

Henri II1, répondit qu'un partisan de l'inquisition ne saurait être bon Français. Antoine repartit vivement que les intérêts de la France le touchaient plus que personne. Odet de Chastillon garda le silence. Le prince, encouragé par la réserve du cardinal, « se « mit à le traiter de rechef en termes pleins de mépris « et encore plus piquants2. » Cette scène, que chaque seigneur pouvait commenter au gré de ses passions, fit sentir au cardinal que l'heure de la retraite avait sonné pour lui. Il partit peu de jours après sans éclat et se rendit à Paris3. Avant de rejoindre ses frères à Chastillon, il envoya demander au connétable la liberté de prendre congé de lui. Le vieux Montmorency lui fit répondre « qu'il ne le verrait point jusqu'à ce qu'il « ait changé de sentiment 4. »

La nouvelle de l'exil des trois Chastillons ne désarma pas la colère du roi d'Espagne. Dans une audience, qu'il donna peu de jours après à Sébastien de l'Au- bespine, il s'exprima sur leur compte « avec une ani- « mosité extraordinaire, » et chargea l'ambassadeur de France d'écrire à la reine mère qu'il espérait qu'elle ne les rappellerait jamais5.

Le départ de Coligny rendit la reine inébranlable sur le renvoi des triumvirs. Le connétable boudait la

1. Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, t. I, p. 231.

2. Négociations du card. de Ferrare, p. 102.

3. Il était parti à la date du 9 mars (Lettre de Tbrockmnrt<in de cette date; Calendars, 1561-1562, |>. 552).

4. Lettre de Sainte-Croix, du 13 mars (Cimber et Danjou, t. VI, p. 47). Lettres de Tornabuoni [Négoc. entre la France et la Tos- cane, t. III, p. 172 et 475).

5. Lettre de Sébastien de l'Aubespine à la reine, du 25 mars 1562 (Copie du temps; f. IV., vol. 16103, fol. 201 v |.

70 ANTOINE DE BOURBON

cour à Chantilly, le duc de Guise en Lorraine. Seul, le maréchal de Saint-André assistait régulièrement aux séances du conseil. Catherine lui avait retiré sa faveur à cause de sa partialité pour le roi de Navarre4. Elle le fit venir de Paris et lui commanda de regagner sans délai son gouvernement du Lyonnais. Le roi de Navarre était absent et apprit cette nouvelle par un courtisan indiscret. Elle le toucha d'autant plus que Saint-André était son intermédiaire habituel auprès de Chantonay 2. Le soir même il accourut à Saint-Germain, la menace à la bouche, et reprocha à la reine « son éloignement « pour les gens de bien. » Catherine lui répondit que le renvoi des gouverneurs de province avait été demandé par lui-même plusieurs mois auparavant3. Antoine critiqua en termes amers la politique de la reine, qui reléguait en province des capitaines comme Saint-André et le duc de Guise4. Il parlait sur un ton si menaçant que tous les seigneurs présents restèrent interdits. Seul, le prince de Condé approuvait les expulsions ordonnées par la reine, mais en réservant les droits des princes du sang. Antoine se retourna contre son frère et fit l'éloge du duc de Guise, du maréchal de Saint-André, du cardinal de Tournon. « Lorsque je serai accompagné par ces hommes

1. Lettre du card. de Ferrare,du3 mars (Négociations <Ut rm-ii. de Ferrare, p. 104).

2. Lettre de Chantonay A Philippe 11. 'lu 5 janvier (Orig. espa- gnol ; Ai-ch. mil., k. ! 197, 3).

;î. Cette résolution lui arrêtée .tu conseil vers le milieu d'oc- tobre (Lettre de Suriano du 19 octobre; Dépêches vénit., iil/.a 4 bis, T. 96 v).

\. Celle appréciation lui avail été suggérée par L'ambassadeur d'Espagne il, eu ce de Chantonay ;'i Philippe II. du ".'S février; I >rig. espagnol . Arch. aat., K. 1 197, 13).

ET JEANNE DALBRET. 71

« honorables, dit-il à la reine et à Gondé, d'une voix « tremblante de colère, vous n'aurez même pas avec « vous des personnes qui vaudront les domes- « tiques de leurs domestiques. » La reine se contenta de hausser les épaules. Comme il était tard, Antoine se retira et commanda à son frère de l'accompagner « pour montrer à la reine que ce prince le suivait, lui, « plutôt qu'elle. » Condé eut la faiblesse d'obéir. Antoine appela un des gens du maréchal Saint-André et l'envoya dire à son maître et au maréchal de Brissac qu'il voulait « vivre et mourir » dans leur compagnie. Il sortit en déclarant aux courtisans, qui assistaient à cette explosion de dépit, « qu'il avait toujours été « chrétien, malgré les stimulations et les importunités « de quelques courtisans intéressés à faire penser le « contraire1. »

La reine ne se laissa pas intimider par la colère du roi de Navarre, et, pour rétablir la balance dans les délibérations du conseil, elle s'occupa de renvoyer de la cour les adversaires les plus compromis du parti huguenot. Les catholiques n'avaient rien perdu tant que le cardinal de Tournon demeurait à la cour. Confident de Chantonay et du nonce, supérieur à tous les courti- sans par le souvenir de sa grandeur passée, le car- dinal, malgré son âge, dirigeait le roi de Navarre. Catherine lui donna sèchement l'ordre de quitter la cour en même temps que le cardinal de Chastillon2. Il obéit sans se plaindre. Depuis le colloque de Poissy

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 25 février 1 r, i > [< i : espagnol; Arch. nat., K. 1497, 12). Résumé de chancellerie (Ibid., K. 1496, 48).

2. Négoc. du card. de Ferrare, p. 106; lettre du 3 mars.

72 ANTOINE DE BOURBON

« il ne portoit onc santé, ains prioit Dieu qu'il luy « pleust l'oster de ce inonde, affin qu'il ne vist la « profanation du sanctuaire par les mains des héré- « tiques 1 . » D'après le cardinal de Ferrare, au contraire, il éprouva un violent dépit, qu'il sut dissimuler à ses ennemis. Trop malade pour se faire transporter hors de Saint-Germain, il s'enferma dans son logis et ne reparut plus au conseil'. Il mourut moins de deux mois après sa disgrâce, « chargé d'ans et plein d'ennuis, « voyant la religion ainsi ébranlée au royaume il « l'avoit vue fleurir par sus toutes les provinces de la « Chrétienté3. » La reine partagea ses bénéfices entre le légat, le cardinal de Bourbon, le duc d'Àngoulème, tils naturel de Henri 11, et un des neveux du cardinal de Tournon 4.

Depuis le commencement de février, Antonio d'Al- meida, prêt à revenir à Madrid, attendait que la cour fût « nettoyée des ennemis du roi d'Espagne '. » Aus- sitôt après le départ des Ghastillons, le roi de Navarre lui commanda de se mettre en route. Le prince lui adressa la lettre suivante qui devait lui servir d'intro- duction auprès de la cour de Madrid :

Seigneur d'Almeida, ayant entendu ce que vous m'avez apporté

1. Belleforest, t. II, fol. 1628 v°.

2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 20 mars 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1 197, ii° 16).

'. Yégoc. du card. de Ferrure, p. 106. Belleforest, t. II, i. 1628 v*. Ce passage a été littéralemenl copié par Piguerre, llisi. il, nostr ' temps, f. 105.

i. Lettre de Sainte-Croix, du 28 avril (Àrch. curieuses, t. VI, p. 95).

5. Lettres de Sainte-Croix, du 22 février (Cimber el Danjou, t. VI, p. 10). Négoc. du card. de Ferrure, p. 90 el 97.

ET JEANNE d'âLBRET. 73

de la part du roy catholique et congnu par et le raport que vous m'avez fait la bonne volunté qu'il me porte et l'envie qu'il a de faire pour moy, je vous ay voulu renvoyer vers Sa Majesté pour luy faire entendre l'obligation que je luy en ay et le désir en quoy je suis de la mériter par chose qui luy soit agréable. Et î'asseurerez que, quant au contentement qu'il a de mes actions au faict de la religion, j'espère avec l'aide de Dieu y persévérer, de façon qu'il ny trouvera aulcun changement, mais plustot augmentation de jour à aultre. Et, quant au faict de ma récompense, par le mémoire que je vous donne et responce que vous m'avez aporté, se verra mon intention, en laquelle il ne se trouvera jamais faillie, comme je masseure que Sa Majesté catholique ne deffaudra de son côté à la promesse qu'il m'a fait par son mémoire. Escript et signé de ma main 1 .

A cette lettre soumise, à peine digne d'un vassal, Antoine ajouta une instruction détaillée, il renou- velait officiellement ses protestations précédentes. Il jure à Philippe II de le servir avec dévouement et ne veut toucher une récompense que quand il l'aura méritée ; il demande l'appui du duc d'Albe et du prince d'Eboli et leur promet sa reconnaissance sur le ton du plus humble sujet du roi catholique2.

Antonio d'Almeida, nanti de ces instructions et de chaudes recommandations de la reine mère pour Sébastien de l'Aubespine3, partit de la cour pour

1. Minute autographe du roi de Navarre, sans date (Arch. des Basses-Pyrénées, E. 585).

2. Minute sans date; f. IV., vol. 15877, f. 13.

3. Nous n'avons pas l'instruction du roi de Navarre. La lettre de la reine est imprimée dans Lettres de Catherine, 1. 1, p. 280. L'Aubespine à cette date ne croyait pas que le roi de Navarre obtint jamais un dédommagement (Lettre du 05 février 1562 adressée à la reine; copie du temps ; f. IV., vol. 16103, f. 174).

74 ANTOINE DE BOURBON

Madrid vers le 5 mars. Sa mission était appuyée par Chantonay et par les chefs catholiques. Chantonay écrit à Philippe II : « Quant à l'obéissance que Ven- « dôme professe envers Votre Majesté, il cherche à me « convaincre qu'elle est sans restriction et que celui « qui dit le contraire à Votre Majesté ne fait que le « tromper1. » Un peu plus tard, dans une nouvelle lettre, l'ambassadeur présente le triomphe de l'an- cienne religion comme lié au succès de la négociation et se permet presque d'accuser son maître de manquer d'équité vis-à-vis du roi de Navarre2. Les chefs du parti catholique à la cour, n'osant pas s'adresser direc- tement à Philippe II de crainte d'indisposer la reine, recommandèrent collectivement le prince à l'ambassa- deur. Le 1 8 mars, Melchior de Lottes, seigneur de Montpesat, lieutenant de la compagnie du duc de Guise, apporta à Chantonay une lettre signée du duc et du cardinal de Guise, du connétable, du duc d'Au- male et des maréchaux de Saint-André, de Brissac et de Thermes.

Monsieur l'ambassadeur, nous retrouvant tous ensemble en cette ville, nous n'avons esté d'advis d'en partir sans vous faire ce mot de lettre par M. de .Mmilpezal, que nous avons prié d'aller devers vous pour vous faire entendre que, pour la conservation de noire saincte et ancienne religion catholique, nous recepvons tous les jours tant de bien et de faveur du roy de Navarre, qu'à vous en parler franchement cl ,i l,i \ériié, nous ne saurions désirer de luy de meilleurs ny plus louables offices que ceulx qu'il làil en toutes les occasions qui se présentent, ayanl à colla

I Lettre de Chantonay à Philippe II, du Os février 1562 (Orig. espagnol . Arch. aal ., k. 1 197, a! 13).

2. Lettre de Chantonay à Philippe 11. du 20 mars (Orig. espa- gnol . Arch. mit., K. 1 197, 16).

ET JEANNE D'ALBRET. 75

tellement levé le masque qu'il ne fault plus craindre ni doubter qu'il puisse estre diverty du bon et vray chemin, en quoy il est. Et pour estre asseurez du plaisir que vous recepvrez d'un si grantbien, non seulement pour ce roiaume, mais aussi pour toute la Chrétienté, nous n'avons voullu faillir vous en donner advis et par même moyen vous supplier, Monsieur l'ambassadeur, le vouloir faire entendre au Roy, votre maistre, affm que Sa Majesté congnoisse le bon zèle dud. s. roy de Navarre, et combien il s'est rendu digne d'un bon et favorable traictement de Sa Majesté, qui mettra, s'il luy plaist, en considération le bien qui dépand du contanlement qui recepvra d'elle et de la continuation de ses bons offices. Vous faisant tous ensemble affectionnée requeste d'y tenir la main et de voulloir de nostre part très humblement supplier Sa Majesté que, par sa libéralité et bonté, il luy plaise donner occasion à ce prince de continuer et augmenter la bonne voullonté en quoy il est1.

Chantonay reçut la recommandation avec honneur et dit à Montpezat que les seigneurs de la cour « trou- ai veraient toujours son maître disposé à favoriser les « bons Catholiques, » qu'il était satisfait de la poli- tique de M. de Vendôme et qu'il espérait « qu'en « continuant ces bonnes œuvres et d'après le témoi- « gnage de telles personnes, le roi d'Espagne répon- « drait en peu de temps, de façon à satisfaire led. « Vendôme2. » Le lendemain, il écrivit aux chefs catholiques :

Messeigneurs, j'ay receu les lettres qu'il vous a pieu m'es- cripre, du 18 de ce mois, et me les a apportées M. de Montpezat.

1. Copia de la carta scripta a M. de Chantonay de parte do los senores duque de Guisa, card. de Guisa, condestable , duque d'0mala,mar. de Saint-André, Brissac, de Thermos (Arch. nal., K. 1496, 49).

2. Lettre de Chantonay à, Philippe II, du 20 mars 1562 (Orig. espagnol; Arch. mit., K. 1497, n" 16).

70 ANTOINE HE BOURBON

Je receoy plus de faveur que je ne sçauroys mériter de la sou- venance qu'il vous plaict avoir de moj et de la qualité du per- sonnage a qui vous .nez donne la commission.

Je voy les choses encheminées a ce que de long temps j'ay désire, qu'il y eut une bonne et seure intelligence entre les principaux princes et seigneurs de ce royaulme pour la conser- vation île la religion, bien et repos de la France, desestats sins et généralement de toute la Chrétienté. Et, congno - le pied duquel le roy de Navarre chemine à la fin que dessus, j'en loue Dieu, espérant qu'il luy donrra la uràcede continuer de bien en mieux. Et ne fauldray de mon coustel d'en donner advertissement au Roy. mon maistre, et faire l'office que je doibs pour le bien des affaires dud. s. r<>\ de Navarre; les œuvres duquel et le tesmoignage de vous. Messeigneurs, seront en telle considération vers Sa Majesté catholique que j'espère, avec fayde de Dieu, que led. s. roy de Navarre aura en brief occa- sion de raisonnable contentement ; et sera cogneu de vous et de tout le monde le désir du Roy, mon maistre. estre conforme à vos bonnes et sainctes intencionsde conserver l'honneur et ser- vice de Dieu, la grandeur du Roy très chrestien et procurer le s et la tranquillité de ce royaulme. lespescheray dans deux jours pour Fspaigne. suyvant ce que vous me commandez, pour asseurer toujours de la bonne intencion du roy de Navarre, selon que i'ay fait toutes les fois qu'il est venu quelque chose à ma eongnoissance, que m'a semble estre pour l'avancement de ses affaires et correspondant à la tin que dessus, tant désirée par tous les gens de bien.

A tant. Messeigneurs , je présentera) mes très humbles recommandations a vus bonnes grâces, suppliant le créateur vous donner en santé et prospérité très longue el 1res heu- reuse vie f

Ces flatteries gonflaient d'orgueil et d'espérance le cœur du roi de Navarre. Mais les éloges et les encou-

!u temps, datée du 19 mars. E ; lit ce titre en

chitTresA avec la traduction Es es la respuesta de mus. de Chan- tone a lus senores que le scrivieron de Paris >> (Arch. nat., K.

ET JEANNE d'aLBRET. 77

ragements des Catholiques ne le dédommageaient pas du blâme et des réprimandes qu'il recevait dans l'inté- rieur de son logis. Chaque jour il essuyait de violentes querelles de la part de Jeanne d'Albret. Profondément irritée contre la désertion de celui qu'elle avait voulu élever sur deux trônes, pénétrée d'une conviction qu'aucune considération cl" intérêt humain ne pouvait fléchir, elle portait dans ses reproches une passion ardente qui tranche avec le scepticisme intéressé de- là cour des Valois. Son opiniâtreté est expliquée par ce jugement de Le Laboureur :

S'il est vrai que le roy de Navarre, son mary. l'ait attirée à la nouvelle opinion sous prétexte de la réforme des mœurs, il faut confesser qu'il ne prit pas le moyen de la regagner à la véri- table religion de la vouloir contraindre, de se dégoûter d'elle, d'entendre en même temps les propositions d'un autre mariage, de prendre une maîtresse à la cour et de donner sujet aux Huguenots de mal parler d'une vie qui déplaisait encore davan- rtage à une femme généreuse, qui ne pouvoit être que du parti qui la plaignoit le plus et duquel en apparence elle recevoit plus de consolation ' .

Ce jugement est impartial et bien fondé; la passion de Jeanne d'Albret tenait à la fois du fanatisme du sectaire et de la jalousie de la femme outragée. La reine de Navarre n'était pas seulement l'âme du parti huguenot; elle en personnifiait la morale austère. Le roi de Navarre au contraire, « oubliant toute chose, « n'avait plus en tète que la Sardaigne et les femmes, « entre lesquelles une certaine tille de la roine com- « mença a avoir fort bonne part-. »

1. Mémoires de Castelaau, t. I. p. 857, in-fol., 1731.

2. Bèze, Hist. ecclés., 1841, t. I. p. 132. De Bèze désigne pro-

78 ANTOINE DE BOURBON

Convaincu que l'utilité de plaire à Philippe II primait toute prudence, le roi de Navarre, aussitôt après le colloque de Poissy, avait tenté de ramener sa femme de force aux pieds des autels catholiques. Il préparait dès lors une conversion éclatante et se posait en arbitre de la religion à la cour. Le premier gage à donner à l'ambassadeur d'Espagne était de lui prouver qu'il était le maître dans sa maison. Il voulut conduire sa femme à la messe, mais il se heurta à une fermeté supérieure à la sienne. Elle lui signifia qu'on la tuerait plutôt que de la conduire à l'église et le prince n'osa pas insister1. Théodore de Bèze, le prêcheur favori de la reine de Navarre, retrace en termes émus la constance de sa néophyte :

La Roy ne de Navarre cependant, comme princesse très sage et vertueuse, taschoit de réduire (son mari), supportant tout ce qu'elle pouvoit et luy remonstrant ce qu'il devoità Dieu et aux siens. Mais ce fut en vain, tant il estoit ensorcelé. Quoy voyant, elle n'avoit recours qu'aux larmes et aux prières, faisant pitié à tout le monde, fors au s. dit Roy. La Ruyne mère, en ces entre- faites, taschoit de luy persuader de s'accommoder au Roy son mary ; à quoy finalement elle fit ceste réponse que plus tost que d'aller jamais à la messe, si elle avoit son royaume et son fils à la main, elle les jetterait tous deux au fond de la mer, pour ne luy estre un empeschement, ce qui fut cause qu'on la laissa en paix de ce costé'-.

bablement, dans ce passage, Louise du Rouet. Cependant les correspondances ne parlent d'elle, comme la maîtresse du roi de Navarre, qu'au mois de mai. Voyez les chapitres suivants.

1. Lettres de Chant onay dos 18, -.M, -20 novembre et 3 décembre, Philippe 11 (Orig. espagnol; Aivh. nat., K. 1 i'.i'i, nos 109, 110, 1?0 et. 115).

■2. Bèze, Hist. ecclés., 1882, t. 1, p. 372. Ce passage a été cité par M. B ie1 [Lettres <l> Calvin, t. II. p. 158

ET JEANNE d'aLBRET. 79

Obligé de renoncer à mener sa femme librement à l'église, Antoine voulut l'empêcher de faire prêcher chez elle et même d'assister au prêche1. Ce fut l'occa- sion de luttes dont il ne sortait pas toujours victorieux. Faible de raisonnement, sans élévation de caractère, toujours prêt à se contredire, il était battu par la logique inflexible d'une femme sans reproche, qui l'attaquait par ses propres maximes et par ses exemples passés2. Le maréchal de Saint-André, souvent témoin de ces querelles, les racontait à l'ambassadeur d'Es- pagne3 et Chantonay n'épargnait aucun encouragement pour entretenir le zèle du roi de Navarre4. Enfin, cédant à la violence, Jeanne fut « contrainte de se « désister des prêches qui se souloient faire en « son quartier à Saint-Germain5. » Elle se soumit, pourvu que son mari ne la forçât pas d'aller à la « messe. » Cette négociation fut conduite par d'Escars au gré de l'ambassadeur d'Espagne0. Mais la paix ne rentra pas dans le logis du roi de Navarre. Chantonay écrit que, lorsque le prince eut chassé les ministres de sa maison, Jeanne d'Albret prit l'habitude d'assister aux prêches du prince de Condé. Après

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 janvier 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1497, 7). Le môme au même, du 3 février (Ibid., 8).

2. Lettre de Chantonay, du 14 février (Mémoires de Castelnau, t. I, p. 747).

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1502 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, n"3).

4. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 8).

5. Mémoires de Condé, t. II, p. 22.

G. Lettre de Chantonay ;'i Philippe U, du 11 février 15G2(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 9).

80 ANTOINE DE BOURBON

une assez longue tolérance, Antoine, un jour, s'avisa de le lui défendre. Jeanne résista et refusa d'obéir. Le jour du prêche, elle donna des ordres aux servi- teurs qui devaient l'accompagner. La discussion entre les deux époux devint si bruyante que tous les habi- tants du château en furent informés. Enfin Jeanne contremanda ses équipages1. Quand le roi de Navarre conduisait sa femme à Paris, il occupait l'hôtel de son confident, Philippe de Lenoncourt, évoque d'Auxerre, et la retenait presque de force au logis. Quelquefois elle échappait et courait au prêche de Popincourt avec le prince de Gondé, mais le plus souvent la pri- sonnière était obligée de céder à la violence2.

Les documents originaux reviennent si souvent sur l'état de santé de la princesse qu'il faut peut-être chercher une corrélation entre ses souffrances phy- siques et l'àpreté maladive qu'elle apportait à la lutte religieuse. Le 21 novembre, Antoine confie à l'ambas- sadeur d'Espagne que sa femme est si malade qu'il craint de lui faire violence pour la mener à la messe. Chantonay justifie cette prudence : « La dame de « Vendôme est vraiment malade, écrit-il, et les méde- « cins assurent qu'elle ne se rétablira pas3. » A la fin de novembre, le cardinal de Bourbon commande au secrétaire Victor Brodeau, s. de la Chassetière, de se rendre auprès d'elle « pour la tenir tousjours, dit-il, « et monsieur mon nepveu en la bonne grâce du roi

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 14 février 1562 (Orig. espagnol . Arch. aat., K. 1 197, d 10).

2. Journal de l'année 1562, dans la Revue rétrospective, t. V, p. s',.

3. Lettre de Chantonay à Philippe II. 'lu 21 novembre 1561 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494, 110).

ET JEANNE D'ALBRET. 81

« et aussy que par votre moyen je pourray tousjours « avoir de ses nouvelles ' . » Ces derniers mots semblent contenir une mission de garde-malade. Au commence- ment de janvier, un affidé de l'ambassadeur d'Angle- terre écrit à Throckmorton que la reine de Navarre est malade et en danger2. Une lettre de la princesse à Marguerite de Bourbon, duchesse de Nevers, sa belle- sœur, contient des indications qui confirment les renseignements des témoins.

Ma sœur, je suis bien aise de avoir sceu les premières nou- velles de vostre lettre. Quant aux dernières, nous en deviserons s'il vous plest venir demain disner avecques moy. Je prens ce matin de la casse et demain de la thérébantine pour cestc fas- cheuse doulleur de rains et fais mon compte aller coucher à Jully3 jeudy pour y mener ma fille et ma cousine. Et, sy le roy vient icy, je reviendray avecques lui ; s'il ne bouge de delà il est, je prendray congié de luy pour m'en aller trouver le roy mon mary, car je crains qu'il soit ou malade ou marry contre moy ou sy amoureux qu'il ne luy convient de moy, car il y a trois sepmaines et plus que je n'ay eu de ses nouvelles ni de pas ung de ses gens. Sy vous savés que le roy devient après ces festes, je vous prie de me le mander. Priant Dieu, ma sœur; vous donner aultant de contentement que vous en désire.

Vostre bien bonne sœur et parfaicte amie, Jehanne.

Je n'ay encore eu de nouvelles de monsieur le cardinal vers lequel j'ay envoyé. J'en atans demain, vous priant ne faillir à me venir voir ; je vous attenclray à disner4.

1. Lhermitte Soulier, Noblesse de Touraine, in-fol., 1669, p. 121.

2. Calendars, 1561, p. 483.

3. Juilly, abbaye de chanoines, appartenait à Nicolas Dangu, évêque de Monde, ci passa plus tard aux Oratoriens. Le cœur do Henri d'Albret, père de Jeanne, y fut déposé en 1">67 et y est encore conservé (Note publiée dans le Pohjbiblion d'août 1883, p. 180).

4. Autographe sans date (f. fr., vol. 4711, I'. 2).

iv 6

82 ANTOINE DE BOURBON

Plusieurs historiens racontent que le cardinal de Ferrare proposa au roi de Navarre de répudier Jeanne d'Albret, avec dispense du pape, comme « manifeste- « ment entachée d'hérésie, » et de demander aux Guises la main de Marie Stuart. Antoine, dit-on, repoussa la proposition non par amour pour sa femme, mais au souvenir de ses petits enfants. Ce récit ne repose que sur des bruits répandus à la cour, mais il est présenté par trois historiens bien informés et de trois partis différents, par Davila, l'annaliste du parti catholique, favori de la reine mère, par Bordcnave, serviteur et historiographe de la maison d'Albret, et par Brantôme, courtisan bavard mais sagace, et chroniqueur sans parti pris ' .

Quelle que fût la défaveur de la reine de Navarre auprès de son mari, les chefs du parti catholique redoutaient la sourde inimitié de la princesse. Cette âme ardente, capable de tous les dévouements, était aussi susceptible de ressentiments implacables. Dans la crainte d'un retour de fortune, l'ambassadeur d'Es- pagne demanda le renvoi de la princesse en Béarn. Son appréhension de l'avenir se déguisa d'abord sous le voile de la sollicitude. Il écrit à Philippe II, le %\ no- vembre, qu'il espère que « Madame de Vendôme par- oi tira avant peu à cause des douleurs qu'elle éprouve « pour aller à certains bains2. » La volonté de la politique espagnole s'accordait avec les passions liber-

1. Davila, Ln-fol., i. I. y. 94. Bordenave, Hist. il'' Béarn, p. I lu. Brantôme, i. VII, p. 120. Il est à remarquer que ces trois historiens, publiés longtemps après ces événements, n'oni pu se copier mutuellement.

2. Lettre de Ghantonaj à Philippe II. du 21 Qovembre 1561 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 110).

ET JEANNE D'ALBRET. 83

tines du roi de Navarre. Le prince eut bientôt pris son parti, et, au commencement de janvier, après l'arrivée de d'Almeida, comme complément de sa transforma- tion politique, il proposa à Chantonay l'expulsion de Jeanne d'Àlbret. L'ambassadeur l'encouragea vive- ment, mais la reine, la clame de Crussol et tout l'en- tourage de Catherine intercédèrent si bien en faveur de la reine de Navarre que Antoine lui permit de pro- longer son séjour à Saint-Germain1. Trois jours après, les reproches de Chantonay le ramenèrent à sa pre- mière résolution et il parut déterminé, aussi ferme- ment qu'il pouvait l'être2. Les prochains, états du Béarn ouvraient un prétexte pour décider la princesse à quitter la cour de son plein gré. Les instances des courtisans procurèrent un nouveau répit à Jeanne d'Albret3. Ils avaient beau jeu à représenter au prince que d'Auzance n'apportait de Madrid que des pro- messes et qu'il était imprudent d'obéir aux sommations du roi d'Espagne avant, d'en toucher le prix. Tiraillé par ses conseillers , anciens et nouveaux , par les huguenots et par les catholiques, il ne se pronon- çait ni pour le départ, ni pour le séjour de la reine de Navarre. Enfin il ajourna sa décision jusqu'au printemps, « soit pour la rigueur de la saison d'hiver, « soit pour l'indisposition de sa personne (de la « princesse) 4. » Il expédia, avec la signature de la reine de Navarre, à Louis d'Albret, évêque de

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du ô janvier (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 3).

2. Négoc. du card. de Ferrure, p. 11.

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 janvier (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., k. 1497, n" i).

4. Négoc. du card. de Ferrare, \>. 11.

84 ANTOINE DE BOURBON

Lescar, et, à Arnauld de Saint-Geniez, seigneur d'An- danx, les pouvoirs nécessaires pour présider les états de l'année 1562 1.

Jeanne d'Albret était soutenue par le prince de Gondé et par les hommes de la religion. Pendant la durée de son séjour à la cour, Coligny avait été son principal appui. Point de conseil et d'encouragement qu'elle ne reçût de lui2. L'ambassadeur d'Espagne ne dissimulait pas qu'un des motifs de l'acharnement de son maître contre l'amiral était le désir d'atteindre Jeanne d'Albret, dont il était le chevalier. « Les Ghastillons chassés, dit-il « dans une lettre à Philippe II, il ne sera pas difficile de « faire partir madame de Vendôme3. » Les frères de Coligny n'étaient pas moins serviteurs de la reine de Navarre et ne perdaient aucune occasion de lui prouver leur dévouement. Chantonay raconte qu'un jour le légat et le roi de Navarre étaient en conférence dans un coin du cabinet de la reine; ils encourageaient le prince à résister à sa femme. Pendant qu'ils le haran- guaient tour à tour, le cardinal de Ghastillon et l'amiral s'approchèrent pas a pas. Le légat, s'apercevant qu'ils prêtaient l'oreille, éleva la voix et se livra à de violents anathèmes contre les colloques, les huguenots et les prêches des princes. Les Ghastillons recueillaient chaque parole sans mot dire. Enfin le légat acheva son dis- cours en disant que, « s'il élevait la voix, c'était pour

1. Pouvoir daté du 20 janvier 1561 (1562), signé du roi et delà reine de Navarre, contresigné par Brodeau (Copie du temps ; coll.

Dupiiy, \ol. I.".,i, f. 73).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II. du II février 1562 (Orig. espagnol ; Arch. aat., K. 1 197, 9).

3. "ibid.

ET JEANNE D'ALBRET. 85

« éviter de la peine à ceux qui cherchaient à écouter1. » Les chefs du parti huguenot, témoins du courage de la reine de Navarre, parlent d'elle avec admiration. Throckmorton la recommande à la reine Elisabeth comme la plus noble incarnation de la Réforme2. Théo- dore de Bèze écrit à Calvin : « Uxorem (Navarreni) « autem tibi affirmo duplo fortiorem esse quam « unquam antea3. » Calvin s'efforce de la consoler, et, pour ménager cette àme fîère, feint d'attribuer la « trahison » du roi de Navarre à de perfides conseils :

Le roi, vostre mari, a déjà esté longtemps assiégé de deux cornes du diable, d'Escars et l'évêque d'Auxerre. Non seule- ment il s'en est laissé abattre, mais luy-mème s'arme contre Dieu et les siens. Je parle comme d'une chose notoire : je sais, Madame, que les premiers arts se dressent contre vous. Mais quand il y auroit cent fois plus de difficultés, la vertu d'en haut, quand nous y aurons notre refuge, sera victorieuse. Seu- lement, Madame, ne vous lassez point de tenir bon4.

La faveur que la reine mère prêtait aux hugue- nots s'était étendue à Jeanne d'Albret. Les deux reines, marchant dans la même voie, semblaient unies dans la même politique. Lorsque la régente donnait une audience solennelle, elle recevait dans sa chambre, entourée de ses enfants. La reine de Navarre s'asseyait auprès du roi et presque sur le même rang, ce qui intimidait les ambassadeurs catholiques, sou- vent porteurs de plaintes contre les Réformés. Plu-

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 3 février 1562 (< Irig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 8).

2. Calendars, 1561, p. 518.

3. Lettre de de Bè/.e, du 26 février (Baum, Theodor Ikza, Preuves, p. 166).

i. Lettres de Calvin, t. II, p. 160.

86 ANTOINE DE BOURBON

sieurs fois, Ghantonay essaya de parler à voix basse à la reine ; mais les sièges étaient si rapprochés que la précaution était inutile. Un jour, pendant qu'il chucho- tait avec elle, le cardinal de Ghastillon et d'Andelot s'approchèrent de la reine de Navarre et tous trois se mirent en conférence secrète. Ce fut un grand scandale et chaque courtisan sentit la leçon indirecte qui était donnée à l'ambassadeur1.

Le renvoi d'une princesse étrangère, malade, sans amis à la cour, sans armée dans son royaume, devenait l'affaire capitale de la chancellerie espagnole. Le cardi- nal de Ferrare aidait ses alliés du parti catholique. Il obtint de la reine mère et du roi de Navarre la promesse que pendant l'absence de Jeanne d'Albret « il ne se « parleroit plus de prêches à la cour2. » A la fin de jan- vier, le duc d'Albe écrivit à Ghantonay que son maître approuvait l'éloignement de la reine de Navarre3, et Chanto'nay communiqua au lieutenant général, par l'in- termédiaire de d'Escars, cette précieuse approbation4. A la suite de cette lettre, le 1er février, Antoine promit à l'ambassadeur d'Espagne, en présence du cardinal de Bourbon et du maréchal de Saint-André, de faire partir la reine de Navarre le 8 ou le 9 de ce mois5. Elle était à Saint-Germain. Le prince, décidé à brus- quer des procédés dont il était honteux, lui signifia par

1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 février (Orig. espa- gnol; Arch. liai., I\. 1 197, ii' 9).

2. Négoc. ducard. de Ferrare, p. 11.

3. Lettre du 23 janvier (Arch. nat., K. 1 196, 31).

i. Lettre de Ghantonay à Philippe U, du 30 janvier (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., K. 1 197, n ;

.".. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 3 février (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 8).

ET JEANNE I)'aLBRET. 87

lettre l'ordre de se rendre à Vendôme1. Cependant la princesse était encore à la cour le 1 6 février, mais elle préparait son « voyage » et ses amis considéraient les derniers délais comme des délais de grâce2. Throck- morton révèle à la reine d'Angleterre la cause de ces retards ; Catherine pressentait que la guerre civile était proche et craignait d'éloigner les chefs du parti réformé, surtout le prince de Condé et la reine de Navarre, au moment de la prochaine arrivée du duc de Guise3. Le 1 0 mars, Jeanne d'Albret écrit à la seigneurie de Genève une lettre de recommandation en faveur du s. de Saint-Germier. Cette lettre renferme des allusions à la retraite de la princesse.

Messieurs et bons amys, le s. de Saint-Germier s'en retour- nant de delà les affaires de sa maison l'appellent, apprès ung si long séjour qu'il a faict près de ma personne, me faisant service, je ne l'ay voulu laisser partir sans par luy me ramen- tevoir à vos bonnes grâces et vous prier affectueusement que, lors qu'il aura donné ordre à son petit mesnage, vous luy per- mectezme venir me trouver incontinent; le vous recommandant et ses dictes affaires, que vous prandrez, s'il vous plaist, en vostre protection, comme de très bon cueur j'auray tousjours les vostres et ce qui me sera présenté de vostre part; le tenant pour si saige et vertueux personnaige que je m'asseure que vous serez bien ayse de le favoriser et tenir aussy cher que l'ung de vos confrères et bons citadins, dont il est de ce nombre. Me recommandant, Messieurs et bons amys, ci vos bonnes

1. Détails rétrospectifs contenus dans la lettre de Chantonay du 25 mars, adressée à Philippe II (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, n" 17).

2. Lettre de Throckmorton, du 1G février [Galendars, 1561-1562, p. 524).

3. Calendars, 1561-1562, p. 545. Partie de cette lettre a été tra- duite et publiée par M. le comte Delaborde [Coligny, t. II, p. 570).

88 ANTOINE DE BOURBON

grâces; pryant nostre bon Dieu vous donner les siennes très sainctes.

A Paris, ce xme jour de mars \ 564 .

Vostre bonne amie et aliée, Jehanne. Machault*.

Un incident accrut encore l'inimitié personnelle que l'ambassadeur d'Espagne portait à Jeanne d'Al- bret. Au commencement de mars, Cliantonay eut un fils et demanda à Charles IX de servir de par- rain au nouveau-né. Le roi y consentit à l'insti- gation du roi de Navarre. La cour devait quitter Saint-Germain le jeudi, 5 mars; la reine ajourna le départ au lendemain, à cause de la cérémonie2. Le jeudi, dans l'église de Poissy, l'enfant fut tenu sur les fonts baptismaux par le roi de France, le roi de Navarre et la princesse Marguerite, sœur du roi. Antoine n'avait pu décider Jeanne d'Albret à assister au baptême ; elle refusa même d'y laisser conduire son fils. Cliantonay fut dédommagé de cette offense par un présent d'argenterie de la valeur de deux mille cou- ronnes donné par le roi3. Mais son dépit se fit jour dans une scène violente. Il courut chez la reine et prétendit lui imposer l'expulsion immédiate de Jeanne d'Albret.

1. Original; Arch. de Genève, extrait des portefeuilles histo- riques, dossier 1713. Reçue au conseil le 30 mars 1561 (1562). On lit sur la suscription : « A Messieurs bons amys les syndiques ei conseil de Genève, uoz voisins et alliez. » Nous croyons que le s. de Saint-Germier n'est autre que Théo- dore de l'.è/.e.

2. Négoc. du card. de Ferrare, p. 103. Lettre du 3 mars L562.

3. Lettres de Throckmorton, du 6 el du 11 mars [Calendars, 1561-1562, p. 549 el

ET JEANNE D'ALBRET. 89

Comme la reine se révoltait contre ses exigences, il éleva par degrés le ton de ses instances jusqu'aux menaces qui lui avaient si bien servi pour obtenir l'exil des Ghastillons. A la fin de l'audience, il signifia à la régente qu'il avait ordre de quitter la cour de France si la reine de Navarre y prolongeait son séjour1.

Le 6 mars, Jeanne d'Albret suivit la cour à Monceaux, puis à Fontainebleau, laissant à Paris, à la tête de ses ennemis, le roi de Navarre qu'elle ne devait jamais revoir. La guerre civile débutait sur tous les points du royaume par des massacres, et les Réformés prenaient les armes. Chantonay, convaincu qu'il n'aurait jamais raison de la reine mère tant qu'elle serait soutenue par la reine de Navarre, pressait Antoine de Bourbon d'exiler sans délai sa femme à Vendôme. « Il est vrai, « écrit-il à Philippe II, que, si la cour se rend à Blois, « Mme de Vendôme n'en sera éloignée que de treize ou « quatorze lieues, mais il suffit qu'elle ne soit pas pré- « sente à la cour pour qu'avec le temps les affaires « religieuses marchent mieux. » Le prince suivit le conseil sans prendre le temps d'aller à la cour. De Paris, il adressa à Jeanne d'Albret une injonction qui ne comportait pas de remise2. Il était alors tout-puis- sant par ses nouvelles alliances et montrait à son ancien parti les plus menaçantes dispositions. Le prince de Condé venait de quitter Paris et réunissait à JVleaux l'armée des religionnaires. Jeanne d'Albret

1. Lettre de Throckmorton, du 6 mars (Calondars, 1561-1562, p. 545). D'après l'ambassadeur d'Angleterre, Chantonay aurait même renouvelé plusieurs fois la même déclaration.

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 25 mars 1562 (Orig. espagnol; Arch. nal., K. 1 i(J7, 17).

90 ANTOINE DE BOURBON

s'enfuit secrètement de Fontainebleau, en petit équi- page, dans les derniers jours de mars, et se réfugia auprès de son beau-frère, à Meaux, sans autre com- pagnie que celle de Théodore de Bèze1.

Antoine avait pris des mesures encore plus pénibles pour la reine de Navarre. Elle ne put obtenir la conso- lation d'emmener son fils. Depuis que le départ de la princesse était arrêté, Antoine avait fait venir l'enfant à Paris, auprès de lui2. Ghantonay avait donné ce conseil par crainte de l'autorité nominale que ce prince de huit ans pouvait prendre sur le parti réformé3. Jeanne entourait son éducation de soins maternels. Elle avait choisi un gouverneur, la Gaulcherie, et faisait élever son fils dans le culte de la réforme. La Gaulcherie était un calviniste sans passion4, d'autant plus désintéressé qu'il avait souffert de la fureur de ses coreligionnaires. Sa maison avait été pillée par les séditieux, sa femme et sa famille odieusement traitées. « Ce qu'on a fait à ce gouverneur est bien mérité, dit « Chantonay, car c'est un hérétique forcené5. » Le roi de Navarre le chassa de sa maison et donna à son fils un gouverneur catholique, Jean de Losses, ancien

1. Lettre tlt> do Bèze à Calvin, du 28 mars (fiaum, Thcodor lleza, Preuves, p. 176). I ^^ départ de la reine de Navarre n'est men- tionné que I»1 s avril par le cardinal de Ferrare (Négoc. du card. de Ferrare, p. 136), et le même jour par Ghantonay (Lettre orig. à Philippe li, du 8 avril; Arch. mil., K. li'.i?, 21).

2. Négoc. du card. de Ferrare, y. 136.

;'.. Lettre de Ghantonay Philippe II, du S avril (Orig. espa- gnol; Arch. nat.,K. 1497, 21).

i. La Gaulcherie avail exercé une mission pacifique auprès de l'Église réformée do Loudun [Lettres de Calvin, i. 11, p. 'iU8).

5. Lettre do Ghantonay .'i Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig. espagnol , Arch. nat., W. 1 197, 3).

ET JEANNE D ALBRET. 91

lieutenant du roi à Marianbourg, plus tard capitaine des gardes et lieutenant en Guyenne1. Depuis la défec- tion du roi de Navarre, Jeanne d'Albret s'était efforcée de prémunir le jeune prince contre les faiblesses de son père et de demeurer fidèle au Calvinisme2. Péné- tré des conseils de sa mère, l'enfant montrait une fermeté au-dessus de son âge. Après une longue lutte, Antoine n'avait encore rien obtenu3. A la fin de février, il en est encore à promettre à l'ambassadeur d'Espagne qu'il aura raison de l'obstination de son fils4. Philippe II encourageait les efforts du roi de Navarre et avait recommandé à Chantonay de veiller à la conver- sion du jeune prince5.

Avant de quitter la cour, Jeanne d'Albret ne demanda qu'une seule faveur au roi de Navarre, celle d'em- brasser son fils. Elle lui adressa, dit le cardinal de Ferrare, « une longue et sévère remontrance pour luy « persuader de n'aller jamais à la messe, en quelque « façon que ce fust; jusques à luy dire enfin que, s'il « ne luy obéissoit en cela, il pouvoit s'asseurer qu'elle

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 février 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 11). Résumé de chancellerie sans date (ibid., K. 1496, 48). Le choix de Jean de Lusses était un bon choix. On sait que le prince de Béarn était capi- taine d'une compagnie d'ordonnance. Sur le paiement de ses gages à cette date, voyez la lettre du roi de Navarre, du 8 mars [Lettres d'Ant. de Bourbon et de Jeanne d'Albret, p. 250).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 janvier 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 3).

3. Lettre de Throckmorton du 16 février (Calendars, 1561-1562, p. 524).

i. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 février (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 11).

5. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 30 mars 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1496, 52).

92 ANTOINE DE BOURBON

« le déshériteroit, ne voulant pas qu'on la tînt à l'ad- « venir pour sa mère1. » Les regrets maternels de la reine de Navarre et l'énergie de sa résolution frap- pèrent les courtisans et les ambassadeurs étrangers. Cette scène n'émut pas moins l'enfant. « Je ferai mon « possible pour qu'il aille à la messe, » dit Ghantonay sur un ton de doute2.

Dès ce jour commença entre le père et le fils une lutte inégale. Privé des exemples et des encourage- ments de sa mère, Henri de Béarn n'en obéissait pas moins à ses derniers conseils. En vain le gouverneur du jeune prince, les enfants de son âge et les frères du roi le pressaient de se soumettre. Châtiments et récompenses glissaient sur cette âme héroïque3. A la date du 19 mai, près de deux mois après le départ de Jeanne d'Àlbret, Chantonay constate amèrement que le roi de Navarre n'a rien obtenu et que son fils refuse encore d'aller à la messe. Antoine avait trouvé un singulier détour pour tirer parti de la résistance de son fils. Il affirma sérieusement à l'ambassadeur que l'enfant se convertirait quand le roi d'Espagne aurait desintéressé la maison d'Albret et que la reine de Navarre acceptait cette condition. Chantonay transmit cette clause à son maître avec l'ironie qu'elle méritait. Cependant les courtisans s'étonnaient de la résistance du jeune Henri de Béarn. Sa constance, comparée

1. Nègoc. du card. de Ferrure, p. 136.

2. Lettre de Ghantonaj à Philippe II, du 8 avril (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 14'.)7, -Jli.

;'.. Bordenave, historiographe de la maison d'Albret, raconte « qu'il le falut foeter pour le fere aler à La messe; el y ayant esté « mené une fois par force, tomba malade. » [Hist. de Béarn et de Navarre, p. 115.)

ET JEANNE d'aLBRET. 93

à la mobilité ordinaire des enfants de son âge, fai- sait présager une âme d'une fermeté peu commune. Ghantonay lui-même se défend mal d'un sentiment d'admiration : « Tout ceci, écrit-il à Philippe II, reste « dans le même état. D'après le dire des gens, le « jeune homme est encore très enfant, bien qu'il « soit vif, intelligent et fort joli, et montre être ferme « dans l'opinion de sa mère jusqu'à ce que son père « la lui fasse quitter par son autorité1. » L'enfant royal lutta encore pendant deux mois, mais, au com- mencement de juin, le bruit des armes, le sanglant spectacle de la guerre civile, peut-être un sentiment naturel de répulsion contre la révolte du prince de Gondé , impressionnèrent défavorablement pour la cause protestante la droiture de son âme. Le lundi 1er juin, le jeune prince se laissa conduire à la messe par son père, jura entre ses mains de garder la foi orthodoxe et de mourir pour elle et reçut l'accolade de chevalier de l'ordre de Saint-Michel, en compagnie de quelques autres seigneurs catholiques2.

Deux mois auparavant, le 29 mars, le jour même le prince de Gondé s'était mis en campagne, Jeanne d'Albret était sortie de Meaux et avait pris la route de Vendôme en fugitive3, abandonnée même par Théo- dore deBèze qui suivit le prince de Gondé à Orléans4.

1. « ... muchacho es muy nino, aunque vivo, agudo y muy bonito... » (Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 19 mai 1562 ; Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 33.)

2. Lettre de Ghantonay, du 3 juin 1562, à Philippe II (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1498).

3. La lettre de Théodore de Bèze, du 13 mai, que nous citons plus loin, constate que la reine de Navarre n'était pas accompagnée {Mémoires de Condé, t. II, p. 359).

4. Baum, Thcodor Dcza, Preuves, p. 177.

94 ANTOINE DE BOURBON

Le roi de Navarre lui avait enlevé, en le rappelant à la cour* le secrétaire Victor Brodeau, s. de la Chassetière, dont elle aimait les services. Arrivée à Vendôme4, elle s'adonna avec passion à la propagande calviniste. Les habitants ne s'y montraient pas favorables2. Entraînées par le mouvement général qui poussait la France à la guerre civile, des bandes de partisans huguenots s'organisèrent autour de la princesse. Le pillage des églises catholiques fut leur premier exploit. Dans les premiers jours de mai3, la chapelle du château de Vendôme, les tombeaux de la maison de Bourbon4,

t. Jeanne arriva à Vendôme dans le courant d'avril, mais nous ignorons la date exacte. Elle y était le 3 mai (Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jehanne d'Albrct, p. 251).

2. Le bruit se répandit à Paris que les catholiques de Vendôme avaient été pilles, massacrés en masse ou mis en fuite. « Lesdits « Huguenot/., dit un rapport anonyme qui paraît un extrait de « lettre missive, ont l'ait à Vendôme toutes les meschancetez « dont il/, se sont peu adviser, et, pour ce que la pluspart des a femmes el enffantz s'en estoient enfouyz au bois et se cachoient « parmy les bledz, lesdietz Iluguenotz avoient de grands dogues « d'Angleterre, lesquelz ilz laissoient et faisoient courir par tout « pour descouvrir ceulx qui se pensoient sauver ; et ont esté « dévorez beaucoup d'hommes, enffantz et femmes. » Ce récil n'est confirmé par aucun témoignage. Le dossier de la reine de Navarre est assez, chargé sans y joindre i\r> contes invraisem- blables. L'historien doit seulement les reproduire afin de prouver à quel degré de passion les esprits étaient montés. Du reste, le narrateur a'esl poinl révolté par le procédé. Il ajoute qu'en retour « ne fault qu'on parle icy de la huguenoterie pour la favo- « riser, à peine de la vie el d'estre sacagé sur le champ, o (Copie du temps; sans date ni signature ; f. IV., vol. 20153, f. 95.)

3. La preuve que ces profanations eurent lien dans les com- mencements de mai résulte «le la lettre de (le Bèzedu 13 mai que nous citons plus loin.

i. Quelque temps auparavant, le cardinal de Bourbon, dans une lettre du 24 novembre, avait vainemenl prescrit des mesures pour

ET JEANNE D'ALBRET. 95

les statues et les autels de la collégiale de Vendôme, aux yeux mêmes de Jeanne d'Albret, tombèrent sous les coups de ces sectaires1. La collégiale contenait une relique vénérée depuis le XIe siècle, une des larmes que le Christ avait versées sur le tombeau de Lazare2; heureusement, le cardinal de Bourbon, au pre- mier bruit des troubles, l'avait envoyée à l'abbaye de Chelles , près de Paris3 , puis à l'abbaye de Saint-Germain- des-Prés4. Les autres reliques furent profanées par la soldatesque huguenote. D'après une tradition, Jeanne d'Albret les fit ramasser dans un linge et ordonna à un Suisse de son escorte de les jeter dans le Loir. En des- cendant l'avenue du château, le soldat rencontra un bourgeois de la ville, nommé Dupont, lieutenant par- ticulier du bailliage, et les vendit pour quelques deniers. Dupont les cacha en son logis et les rendit après la guerre au chapitre de Saint-Georges5.

La preuve que Jeanne d'Albret se sentit troublée dans son équité naturelle par ces odieuses profana-

conserver les archives et les monuments de sa maison (Lhermitte Soulier, Noblesse de Touraine, p. 121).

1. Lettre de Ghantonay, du 23 mai 1562 (Mémoires de Condé, t. II, p. 42).

2. Sur cette relique voyez le Voyage à la sainte Larme de Ven- dôme, par le marquis de Rochambeau, in-8*, 1874. Tout ce qui intéresse l'histoire de ce pieux monument de la foi du moyen âge y est savamment présenté.

3. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 169 et 172.

4. Cette relique, apportée le 28 juin à Saint-Germain-des-Prés, dont le cardinal de Bourbon était abbé depuis la mort du cardinal de Tournon, y resta jusqu'au 26 juillet (Félibien, Histoire de Paris, t. II, p. 1082).

5. Rochambeau, Galerie des hommes illustres du Vendômois, Antoine de Bourbon et Jchanne d'Albret, p. 83.

96 ANTOINE DE BOURBON

lions, c'est qu'elle consulta Théodore de Bèze ; elle reçut de son ancien prêcheur de sévères reproches : « Je ne puis dire autre chose de cet abatis d'images « sinon ce que j'en ay toujours senty et presché ; c'est « à sçavoir que ceste manière de faire ne me plaist « aucunement, d'autant qu'elle me semble n'avoir

« aucun fondement en la parole de Dieu Mais ce

« brisement de sépultures est entièrement inexcusable, « et vous puis asseurer, Madame, que M. le prince1 « est du tout délibéré non seulement d'en faire inqui- et sition jusques au bout, mais aussi punition telle que « les autres y puissent prendre exemple ; et de ma « part je m'en rends solliciteur, espérant que nous « verrons Peffect de ma diligence2. »

Cependant le prince de Condé réclamait à ses core- ligionnaires de l'argent et des armes. Le 19 mai, Jeanne d'Àlbret arracha de force au chapitre ou se fît livrer par les chanoines les vases sacrés, les reliquaires, les chandeliers, les croix, tous les trésors de la collé- giale. Deux prêtres, André Chevalier et Lucas Tessier, en dressèrent l'inventaire et tirent estimer par deux orfèvres les métaux précieux3. La reine de Navarre en donna quittance le 27 mai et fit fondre l'or et l'argent. Le creuset rendit seize marcs d'or et cent vingt-neuf d'ar-

1. Le prince de Coudé, alors chef de l'année huguenote à < Orléans.

2. Lettre de de Bèze, du 13 mai L562. Cette Lettre a été impri- mée plusieurs t'ois d'après une copie contenue dans la coll. Dupuy et toujours sous la date erronée de 1561 [Mt moires de Condé, t. II, p. 359. - Mayer, Galerie philosophique, t. 111, p. 226. Lettres d'Antoine de Bourbon il de Jehanne d'Albret, p. J33).

3. Cet inventaire, longtemps perdu, a été retrouvé par M. l'ahhé Métais et publié dans le Bulletin de la Société archéologique, scien- tifique et littéraire du Vendômois, 1882.

ET JEANNE d'ALBRET. 97

gent, estimés trente mille livres1. Après avoir pris l'argent, la reine de Navarre confisqua les armes. Le 20 mai, deux officiers municipaux, Duvau et Lacaze, intimèrent aux échevins l'ordre de conduire au château les pièces d'artillerie et les arquebuses. Le 25, la reine de Navarre en « donna quittance2. » Il est probable que la somme et les armes furent livrées à l'armée protes- tante d'Orléans et que Jeanne d'Albret ne garda pas un écu pour ses besoins personnels, car, vers le même temps, elle se plaint de sa pénurie à la reine mère. C'est la seule considération qui puisse atténuer des actes de fanatisme, d'autant plus odieux que la prin- cesse responsable avait l'esprit plus élevé.

Les nouvelles du pillage de la collégiale de Vendôme arrivèrent à la cour le 21 mai. Le roi de Navarre fut profondément irrité de la dévastation des tombeaux de sa maison3. Il résolut de se venger sur Jeanne d'Albret et consulta l'ambassadeur d'Espagne. Son plan était de faire mettre sous le séquestre, en vertu d'un arrêt du conseil du roi, le royaume de Béarn comme biens de mineur et de s'en réserver l'administration. Quant à Jeanne d'Albret, il ne lui laissait que la vie. La princesse dépossédée serait emprisonnée dans une forteresse et entretenue aux frais de sa propre succession. Chantonay ne fait pas

1. Bull, de la Soc. arch. du Vendôrnois, 1882.

2. Rochambeau, loc. cit., p. 82. Abbé Métais, mémoire cité plus haut. Il y a un peu de doute sur les dates de ces actes.

3. Journal de Bruslard, dans le t. I des Mémoires de Condé, p. 86. Lettre de Chantonay, du 23 mai (ibid., t. II, p. 42). Lettre de Chantonay à Philippe II (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1497, 36).

rv 7

98 ANTOINE DE BOURBON

connaître sa réponse, mais sans cloute elle ne fut pas défavorable ; il écrit au roi d'Espagne : « Ce serait « un grand exemple pour les grands du royaume, et, « en voyant cette manière de procéder, beaucoup se « corrigeraient1. »

Théodore de Bèze avait conseillé à Jeanne d'Albret de se retirer en Béarn2. Les projets menaçants du roi de Navarre commandaient une fuite rapide 3. Avant de se livrer aux hasards des grands chemins, à travers une partie du royaume ensanglantée par la guerre civile, Jeanne demanda à la reine mère les subsides nécessaires à son voyage.

A la royne, ma souveraine Dame.

Madame, l'envie que j'ay de vous aller faire très humble révé- rence me rand importune [envers] vous pour m'en donner le moyen. Et pour ce, Madame, que je ne trouve point de faveur au Roy, mon mary, il fault que je vous supplie très humble- ment de luy dire de puissance de maistresse et luy commander, comme ce porteur en porte des mémoires, sur lesquelz, Madame, je vous supplie très humblement me faire donner cinquante mille francs, qui sera peu pour Sa Majesté et beaucoup pour moy. Vous asseurant, Madame, que n'ayant eu les cent mille qu'il vous avoit pieu me faire donner, cela m'a esté retarde- mant de plus de cinquante qu'ilz m'eussent vallu au temps de ma nécessité. Vous suppliant très humblement, Madame, vou- loir voir ce porteur sur ce fait; car, sans cela, je suis attendue chez moy, qui m'est un regret incroyable de n'estre près de

1. Lettre de (Ihanlonav, du G juin, à Philippe II (Orig. espa- gnol ; Airli. ual., K. 1 i98, 6).

2. Lettre du 13 mai déjà citée [Mémoires de Condc, t. II, p. 359).

3. Bordenave parle des projets du roi de Navarre contre Jeanne d'Albret, ce qui prouve qu'ils n'étaienl pas ignorés dans la mai- sou de la princesse [Hist. de Foix et de Navarre, p. 110).

ET JEANNE d'ALBRET. 99

vous pour vous faire service très humble. Et sur ce, je prierez le Seigneur, Madame, vous donner ce que je désire. Vostre très humble et très obéissante sœur et subjecte,

Jehavne1.

Il est peu probable que, au milieu des graves événe- ments du mois de juin 1562, Catherine ait eu le pou- voir de gratifier la reine de Navarre d'une somme de cinquante mille francs. Cependant le temps pressait. Jeanne d'Albret quitta Vendôme vers la fin de juin et traversa à grandes journées la vallée de la Loire, le Poitou et la Saintonge. Biaise de Monluc, lieutenant du roi de Navarre en Guyenne, avait reçu l'ordre de l'ar- rêter au passage. Heureusement pour la princesse, l'ordre arriva trop tard. Armand de Gontaut, seigneur d'Andaux, avait armé une compagnie de cinq à six cents arquebusiers à cheval béarnais et attendait sa souveraine sur les bords de la Garonne. Lorsque Monluc se mit en campagne, la princesse avait trouvé un refuge au château de Caumont, seigneurie de la mai- son de la Force, depuis le %% juillet2. Elle y tomba malade et y séjourna quelques semaines sous la garde de deux capitaines de la troupe de d'Andaux3. Les mouvements militaires de Biaise de Monluc la chassèrent bientôt de sa retraite. Elle reprit sa route, évitant les villes closes et les lieutenants du roi, passa à Bor-

1 . Autographe tirée de la collection des autographes de Saint- Pétersbourg (vol. LIII, f. 68). Nous publions cette copie telle que nous l'avons reçue.

2. Bordenave* p. 111. Olhagaray, p. 530. Rochambeau, Galerie des hommes illustres du Vendômois, Antoine de Bourbon etJehanne d'Albret, p. 82 et suiv. Voyez surtout la note suivante.

3. Bordenave, Ilist. de Béarn et Navarre, p. 411. Note de M. Raymond.

100 ANTOINE DE BOURBON

deaux1 et arriva à Pau au prix de mille dangers2. Elle se trouvait en sûreté au milieu de ses braves Béar- nais3, dont le dévouement traditionnel avait tant de fois défié les forces ennemies. La Navarre jouissait d'une paix profonde, que troublait à peine l'écho loin- tain des combats de la Guyenne. Malheureusement, Jeanne d'Albret apportait à ses sujets un cœur altéré de vengeance contre le parti catholique et une passion religieuse qui devait la pousser aux derniers excès4.

1. Calendars, 1562, p. 252.

2. Quatre comptes de dépense, principalement applicables à la campagne de d'Andaux au-devant de la reine de Navarre; un de 1085, un de 137, un de 00 et un de 48 livres (tome IV des Esta- blissements de Béarn; Arch. des Basses-Pyrénées, G. 682, f. 88).

3. Le premier acte officiel de la reine de Navarre, daté de Pau, est du 19 aoûl 1562 [Etablissements de Béarn, t. VI; Arch. des Basses-Pyrénées, G. 684, f. 117 v°).

4. On trouve dans le Report of the royal commission, t. II, p. 82, l'analyse .d'une lettre d'Antoine de Bourbon à Jeanne d'Albret, écrite « au moment de son départ, » qui nous parait un docu- ment apocryphe.

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME.

Massacre de Vassy (1er mars). Prise d'Orléans (2 avril).

Négociations du duc de Guise en Allemagne. Entre- vue de Saverne (15 février 156*2). Massacre de Vassy (Ier mars). Conférences de Nanteuil entre Guise, le connétable et Saint- André (12 mars). Nouvelles de la cour. Entrée du duc de Guise à Paris (16 mars). Lettres de la reine à Coudé (16 au 26 mars). La cour est conduite à Fontai- nebleau par le roi de Navarre (18 mars). Le roi de Navarre vient à Paris (21 mars). Procession du dimanche des Rameaux (22 mars).

Condé sort de Paris et se rend à Meaux (23 mars). Enlèvement du roi par le triumvirat (26-31 mars). Le connétable arrive à Paris (4 avril) . Condé se met en campagne (29 mars). Condé sous les murs de Paris (31 mars). Prise d'Orléans (2 avril).

Lorsque le duc de Guise quitta la cour, au mois d'octobre 1561, le lendemain de la tentative d'en- lèvement du duc d'Orléans, il n'obéissait pas, comme le connétable, à un dépit de jalousie puérile contre l'amiral de Coligny. François de Lorraine avait

102 ANTOINE DE BOURBON

de grands desseins. Il se disposait à faire aux réfor- més une guerre sans quartier, et, avant d'entamer la lutte, il cherchait des alliés. Toutes les forces espa- gnoles lui étaient acquises. Restait l'Allemagne, pays immense, sans culture, peuplé de princes pauvres et mendiants, de soldats grossiers et courageux, toujours prêts à s'enrôler sous la cornette du capitaine le plus riche. Pendant l'été de 1 5G1 , il avait entamé les pour- parlers par des protestations d'amitié. A la fin du col- loque de Poissy, le 11) octobre, avant de quitter Saint- Germain, il écrivit au duc de Wurtemberg et au comte Palatin deux lettres, dans lesquelles il se montrait favorable à la confession d'Augsbourg1. Dès ce jour s'ouvrit, entre François de Lorraine et Christophe de Wurtemberg, une sorte de rapprochement. Le 1o no- vembre, Rascalon, secrétaire du duc de Guise, écrit au prince allemand que son maître se dirige vers la frontière lorraine dans l'espoir de l'y rencontrer. Le %% novembre, le duc de Wurtemberg répond au duc de Guise et lui donne rendez-vous à son choix dans les terres du comte de Bitch, à Ingueiler ou à Saverne. Il tient à son nouvel allié le langage d'un ministre.

M'a esté une grande joye d'avoir entendu par voz lettres qu'en matière de iby ne désirez aullre chose plus que vostre conscience soiL bien instruite par la parole de Dieu Espé- rant que vous trouverez que ce n'a esté que pour l'extresme nécessité de aostre salut éternel (pie moy et les autres estais du saint Empire et ailleurs nous sommes séparés des anciennes coustumes de la religion Si est ce que nous savons bien que

1. Ces deuxlettres ont été publiées dans le Bulletin delà Société de l'histoire du Protestantisme français, i. XXIV, p. 77 et 7'J.

ET JEANNE d'âLBRET. 103

la claire et manifeste vérité de la parole de Dieu doibt estre pré- férée à toutes anciennes coustumes et usances, quelque lon- gueur du temps que l'on y vueille alléguer1.

Le duc de Wurtemberg hésitait à s'engager dans une négociation sans l'assentiment du roi de Navarre. Il lui fit part, le 15 décembre 1561, de sa future entrevue avec le duc de Guise2 et de son projet d'arracher François de Lorraine à l'influence du cardi- nal, « préférant, dit-il, l'honneur et la gloire de Dieu « à toutes choses mondaines, mettant aussy peinne à « trouver et faire une bonne concorde et union entre « les estats pour la paix et tranquilité de tout le « royaume de France, considérant les maux, troubles « et confusions qui par telles discordes legierement « s'en peuvent ensuivre3. » Telle était la simplicité de ses desseins. Le duc de Guise, beaucoup plus habile, ne livrait pas les siens.

Le 30 décembre, François de Lorraine écrit au duc de Wurtemberg en néophyte qui cherche la vérité reli- gieuse et accepte le rendez-vous. L'entrevue souffrit quelques retards4. Enfin les deux princes se rencon- trèrent le dimanche, 15 février, à Saverne. Le duc de Guise arriva le premier avec ses frères, les cardinaux de Lorraine et de Guise, le grand prieur, et son fils, le

1. Les lettres de Rascalon et du duc de Wurtemberg sont publiées dans le Bulletin de la Société de l'histoire du Protestan- tisme français, t. XXIV, p. 82 et 113.

2. Il lui envoya l'original de la lettre du duc de Guise, du 19 octobre, car cette pièce se trouve actuellement aux Archives des Basses-Pyrénées, E. 584.

3. Lettre originale (Arch. des Basses-Pyrénées, E. 584).

4. Lettre du duc de Guise au duc de Wurtemberg, du 30 dé- cembre; lettre du duc de Wurtemberg au duc de Guise du 10 jan-

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prince de Joinville. Il était accompagné d'un cortège de cinq cents chevaux. Le duc de Wurtemberg arriva le même soir suivi de son fils, des docteurs Brentius et Andréas Faber et de deux cents chevaux. Il occupa le château de Saverne, qui appartenait à l'évêque de Strasbourg, tandis que le duc de Guise et ses somp- tueux équipages s'entassaient dans une maison, dite de la chancellerie, près de la cathédrale. Érasme de Limbourg, évêque de Strasbourg, faisait les honneurs de la conférence. Chaque jour les Allemands et les Français dînaient chez lui, mais le soir les Guises sou- paient seuls en leurs logis. Gomme on était en carême, l'évêque imposa la règle de l'abstinence à ses hôtes. Seuls, les valets allemands reçurent de la « chair vive. » Les pages et les serviteurs du duc de Guise, pendant toute la durée de la conférence, se nourrirent de « viandes de caresme1. »

Le lendemain, 16 février, à sept heures, le duc de Guise fit une visite solennelle au duc Christophe et l'invita à un sermon du cardinal de Lorraine. Dans la journée, les deux princes curent une première confé- rence. François de Lorraine se montra conciliant sur

vier; lettre du duc de Guise nu duc de Wurtemberg, du 14 février 1562 [Bulletin de lu Société de l'histoire du Protestantisme français, i. XXIV, \k 115, U6 el 119).

1. Rapport d'un s. Fournery, espion du baron de Polweiler, sur l'entrevue de Saverne (Orig. ; Arch. nat., K. 1496, 39). Le baron de Polweiler, que nous avons déjà vu mêlé aux plus secrètes négociations du roi d'Espagne, avail été chargé de sur- veiller l'en ire vi io de Saverne. Il envoya Fournerj à Saverne, se fit adresserun rapporl el l'expédia au eard. de Ciran\elle Lettre de Polweiler au card. de Granvelle, du 18 février 1562; Orig.; Arch. uiit.. K. 1496, 13). M. de Houille a connu le rapport île Four- aery el en cite quelques mots [Histoin des Guises, t. II, p. 168).

ET JEANNE d'aLBRET. 105

les doctrines, mais sévère pour les docteurs du calvi- nisme. Habile à flatter les manies théologiques de son interlocuteur, il lui demanda des consultations, feignit de se laisser convaincre, critiqua les arguties de la secte calviniste et posa les bases d'une alliance poli- tique entre les partis luthérien et catholique. Le len- demain matin, le duc de Wurtemberg assista de nou- veau au sermon du cardinal de Lorraine. A midi, le duc de Guise l'avertit officiellement que dans la journée le cardinal aurait l'honneur de le visiter. Christophe de Wurtemberg, déjà séduit par la déférence des sei- gneurs français, se hâta de le prévenir et se rendit au logis du prélat avec le docteur Brentius, un de ses prêcheurs. Charles de Lorraine l'attendait au milieu de ses frères et lui donna la place d'honneur. Un colloque s'ouvrit entre le prélat et Brentius. Le cardinal dirigeait habilement le débat et ne le laissait pas dévier des vérités communes aux deux cultes. Le duc de Wur- temberg était charmé d'entendre l'orateur le plus auto- risé du parti catholique s'accorder avec son docteur favori. Il prenait acte des concessions du cardinal sur le culte des saints, sur les processions et sur le con- cile de Trente. Les Lorrains se montrèrent si accom- modants qu'ils jurèrent, « sur leur foy de prince et sur « le salut de leur àme, de ne persécuter ni ouverte- « ment ni en secret les partisans de la nouvelle doc- « trine. »

Le mercredi 18 février, le duc de Guise et le cardi- nal de Lorraine proposèrent au duc de Wurtemberg la présidence « d'une conférence amicale » entre les docteurs luthériens d'Allemagne et les catholiques de France. Le cardinal se faisait fort de prouver que les

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deux cultes n'étaient séparés que par des formes exté- rieures et que ie calvinisme était l'ennemi commun. Le plan répondait aux rêves du prince ; mais le col- loque allemand importait peu aux Guises. La conclu- sion des débats se dégageait en évidence sans avoir même été formulée. Puisque le luthérianisme et le catholicisme étaient si près de s'entendre, les luthé- riens devaient secourir les catholiques contre les calvi- nistes. L'entrevue finit sur ces projets de conciliation. A Saverne comme à Poissy, le cardinal de Lorraine l'avait emporté sur ses adversaires 4 en utilisant habi- lement leurs divisions. Jamais l'esprit pesant d'un prince allemand n'avait été joué avec plus de dexté- rité par le génie d'un homme d'état français. Le duc de Wurtemberg et les Guises se séparèrent le soir même2. Le premier rendit compte au roi de Navarre, qu'il regardait encore comme son coreligionnaire, du dévouement des Lorrains au service du roi et de la

1. Le cardinal de Lorraine, probablement pour démontrer au baron de Polweiler qu'il n'étail pas dupe de. ses espions, lui écri- vit lui-même, le 18 février, le jour de la clôture de la conférence. 8a lettre contient un compte-rendu qui, malgré sa réserve, mérite de u'être pas néglige (Copie du temps; Arch. nat. , K. 1496, 43). Cette lettre, de même que le rapport de Fournery, fut communiquée par Polweiler au cardinal de G-ranvelle el par Granvelle à Philippe II.

2. Récil de l'entrevue de Saverne par le duc de Wurtemberg [Bulletin de la Soàétéde l'histoire du Protestantisme français, t. IV, p. is'i el suiv.). Ce document capital avail été | blié en 1771 par Sattler [Geschichl von Wurtemberg unter den Herzxgen, t. IV. p. 215). Compte-rendu de Fouraery au baroD de Polweiler (Arch. nai., K. 1496, a' 39). Noos avons tiré de ces deux récits originaux unis les détails ci-dessus. Mais Le fonds était connu depuis longtemps. Voyez, pour ne citer que les anciens, Théodore de Bèze, t. 1, p. 434, el Dupleix, t. 111. p. 650.

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tolérance du cardinal4. Il rapportait à Stuttgard, avec une grande admiration pour ses nouveaux alliés2, une confiance qui résista quelque temps aux enseignements de la guerre civile.

Les projets d'entrevue du duc de Guise avec les autres princes allemands échouèrent. Le landgrave de Hesse et Wolfgand de Veldens, duc de Deux-Ponts, moins naïfs que le duc de Wurtemberg, ne cédèrent pas aux avances des Lorrains3.

Au sortir de Saverne, le duc de Guise et ses frères prirent la route de Joinville. A Blamont en Lorraine, le duc reçut deux lettres de la reine mère et du roi de Navarre qui l'appelaient au conseil et qui l'informaient de graves désordres survenus dans son gouvernement du Dauphiné. Il répondit quelques jours après, le 221 février, de Charmes-sur-Moselle, et promit d'arri- ver à la cour en passant par Joinville, Reims et Nan- teuil4. A mesure qu'il se rapprochait de la France, il recevait des messages plus alarmants de la cour. Tous les partis voulaient s'attacher un puissant prince, aussi grand homme de guerre qu'habile politique. Les chefs catholiques surtout l'appelaient à leur secours pour le triomphe de la religion5. Throckmorton raconte que

1. Lettre du 27 février (Bulletin de la Société de l'histoire du Pro- testantisme français, t. XXIV, p. 121).

2. Surtout pour l'éloquence du card. de Lorraine (Ibid.).

3. Sattler, loc. cit., note de la page 100. Lettre de Rascalon, du 8 novembre 1561; lettre du duc de Guise du 10 février 1562 (Bul- letin de la Société de l'histoire du Protestantisme français, i . XXIV, p. 81 et 120).

4. Lettre citée par le marquis de Bouilli' [Histoire des Guises, t. H, p. 170).

5. Lettre de Pasquier dans les Œuvres complètes (t. II, col. 95,

108 ANTOINE DE BOURBON

pendant le voyage du duc de Guise, Claude de Lorraine, duc d'Aumale, arriva par hasard à Saint-Germain. Aussitôt il fut entouré et les chefs catholiques le sup- plièrent de presser la marche de son frère1.

Le duc de Guise s'avançait à petites journées. A la fin de février, il était à Joinville auprès de sa mère, Antoinette de Bourbon. Le dernier jour du mois il coucha à Dammartin-le-Franc. De là, il envoya à Biaise de Pardaillan de la Mothe-Gondrin, son lieutenant en Dauphiné, l'ordre de faire un exemple du ministre de Romans « comme autheur des séditions ou tumultes » de la ville, en le faisant « tout soudain pendre et « estrangler2. » Le duc était déjà loin des déclarations conciliantes de Saverne. Le 1er mars, il devait s'arrê- ter à Vassy et y rallier une partie de sa compagnie d'ordonnance. La ville de Vassy, aux confins du Bar- rois, dépendante du douaire de Marie Stuart, était administrée par le duc de Guise. Les réformés y avaient* organisé une église et s'y réunissaient légalement, aux termes de l'édit de janvier, dans une grange. La nouvelle église était évangéliséc depuis l'année précé- dente par un ministre inconsidéré dans son langage,

lettre 14). La Popelinière , in-fol., t. I, f. 283 v°; DavHa, in-fol., t. [, p. 100; Mathieu, t. I. p. 255.

1. Lettre de Throckmorton, du 16 février (Calendars, 1561-1562, p. 524).

2. Cette Lettre a été publiée par de Bèze [Hist. ccclcs., 1882, i. II, p. 402). D'après de Thou,qui admel l'authenticité du docu- ment, elle fui surprise par des partisans huguenots et causa la mort de la Mothe-C.oiulrin (voyez le chap. suivant). On pourrait

soupçi er qu'elle a été fabriquée pour excuser les meurtriers de

ce capitaine, si elle a'étail rappelée dans une autre lettre du duc de Guise, citée par M. le marquis de Bouille (Hist. des Guises, t. II, p. 171 , donl l'original appartenail à M. Champolion.

ET JEANNE d'aLBRET. 109

nommé Léonard Morel. Plusieurs fois l'audacieux pré- dicant avait insulté du haut de sa chaire la vieille duchesse de Guise, en l'appelant mère des tyrans. Ces injures rapportées, envenimées par des serviteurs trop zélés, troublaient le repos d'Antoinette de Bourbon. A la fin de décembre, elle avait essayé de dissoudre la nouvelle église et envoyé à Vassy Jérôme de Burges, évêque de Chàlons. L'évêque avait été injurié et chassé de la ville. Premier grief de la maison de Lorraine.

Le dimanche matin, 1 er mars, le duc de Guise arrive à Vassy. Il amenait avec lui sa femme, Anne d'Est, grosse de plusieurs mois, son frère, le cardinal Louis de Guise, dont la poltronnerie était célèbre, son fils aîné, un autre de ses jeunes enfants, ses pages et les femmes de la duchesse. Un cortège ainsi composé témoignait d'intentions pacifiques. Il était accompagné, il est vrai, de sa compagnie d'hommes d'armes, mais un prince de son rang ne voyageait pas au xvie siècle sans un grand équipage de guerre1. Malheureusement ses gens, animés de passions ardentes, rapportaient de Joinville le désir de venger la duchesse des injures de Léonard Morel.

Le duc se rend à la messe ; il apprend du prieur de Vassy que dans ce moment les réformés vont célébrer leur office ; il entend même la cloche d'appel du prêche. L'occasion d'adresser une réprimande à l'impertinent ministre lui paraît opportune et il députe

1. Sur le train ordinaire du duc de Guise, voyez les comptes de ce seigneur pour l'année 1562 (Copie ; f. fr., vol. 22437, f. 65 . ceux de la duchesse de Guise pour la même année [ibid., f. 69), et enfin les comptes généraux de Guillaume de Champagne, trésorier ordinaire de la maison de Guise, pour les années 1562 et 1563 (Orig.; f. fr., vol. 22433).

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au temple un de ses gentilshommes, Jacques de la Brosse, et deux pages allemands. Comment les trois messagers s'acquittèrent-ils de la mission ? C'est un des points obscurs de cette sanglante histoire. D'après les annalistes protestants, ils heurtent violemment aux portes, se poussent dans l'enceinte avec insolence et interrompent le service religieux. D'après les catho- liques, ils sont accueillis à leur entrée au prêche par des injures et chassés sans avoir pu formuler leur mes- sage. Aux injures ils ripostent par des menaces. Refou- lés par le grand nombre des fidèles, ils mettent l'épée à la main. Les pages et les valets qui les suivaient, et qu'attirait une curiosité certainement malveillante, volent à leur secours. D'après les uns, Jacques de la Brosse, debout sur le seuil, est renversé au pied de la porte ; d'après les autres, retenu prisonnier. On dit à son père, lieutenant de la compagnie, qu'il a été tué. Déjà un combat s'engage et les cris des combat- tants arrivent au duc de Guise. François de Lorraine accourt à l'instant et trouve ses gens en proie à une irritation violente. La porte du temple était barri- cadée et les réformés se défendaient avec des pierres accumulées sur un échaffant au-dessus du porche.

Le duc de Guise s'approche sans armes et tache de parler aux assiégés. Le tumulte couvre sa voix. Les projectiles pleuvent autour de lui. Le seigneur de la Brosse, le père, est atteint. Un caillou frappe le duc lui-même au bras ; un autre; à la joue gauche et couvre son visage de sang. A cette vue, les hommes d'armes, malgré ses efforts pour les retenir, se précipitent en avant. Les portes volent en éclats et les coups de feu retentissent dans la salle du prêche. Hommes, femmes

ET JEANNE D'ALBRET. 111

et enfants tombent indistinctement sous les arquebu- sades ; l'arme blanche achève les victimes. Les religionnaires fuient de toutes parts, les uns par les fenêtres, les autres par la toiture ; des pistoliers, pos- tés au dehors du temple, abattent les fuyards ou les poursuivent jusque dans leurs logis en présence du duc de Guise et de ses lieutenants.

Au bruit des arquebusades, la duchesse de Guise sor- tit de sa litière et envoya un messager à son mari pour demander la grâce des femmes enceintes. Le duc arrêta le massacre et rallia ses gens. Toute sa fureur tomba alors sur le ministre, Léonard Morel, qui était resté entre les mains des soldats. Blessé de plusieurs coups de feu ou de dague, le malheureux fut traîné devant le duc de Guise. « Viens çà, lui dit le duc, es-tu le « ministre d'icy? Qui te fait si hardi de séduire ce « peuple? Monsieur, répondit le ministre, je ne suis « point séditieux, mais j'ay prêché l'évangile de Jésus- « Christ. » Cette réponse irrita le duc : « Mort-Dieu, « dit-il, l'évangile prêche-t-il sédition ? Tu es cause de « la mort de toutes ces gens. Tu seras pendu tout « maintenant. Çà, prévôt, qu'on dresse une potence « pour pendre ce bougre. » 11 se ravisa cependant et envoya le ministre, sanglant et mutilé, aux prisons de Saint-Dizier 1 .

Le premier mouvement passé, le duc, honteux peut- être de la férocité de ses gens, et, suivant les chroni- queurs protestants, blâmé par le cardinal de Guise, réfléchit aux conséquences de la cruelle exécution com-

1. Pour les sources historiques de notre récit du massacre de Vassy, nous renvoyons le lecteur à une note que nous avons rejetée à la Un du volume.

112 ANTOINE DE BOURBON

mise sous ses yeux. Il s'en prit au gouverneur de la ville, Claude Tondeur, lui reprocha d'avoir autorisé les prêches de Vassy, le qualifia de traître et l'emmena prisonnier. Avant de monter à cheval, il prescrivit une enquête et écrivit à la reine mère et au roi de Navarre. Le soir même il s'éloigna de ce sanglant théâtre et alla coucher à Éclaron. Inquiet de l'impres- sion que le massacre causerait à la cour, il passa deux jours dans l'incertitude et l'inaction. Le récit du car- nage de Yassy, aggravé par la rumeur publique, volait de bouche en bouche, accueilli avec joie par les uns, avec rage ou terreur par les autres l . François de Lor- raine apprit que les gens de Vitry-le-François avaient fermé leurs portes et l'attendaient les armes à la main. Cette nouvelle lui fit modifier son itinéraire. Il refusa d'entrer à Châlons-sur-Marne de peur de sur- prise et campa dans un village, hors la ville, comme en pays ennemi. En passant près de la Fère, ses cour- riers rencontrèrent une troupe armée. Le duc rangea sa compagnie en ordre de bataille et manœuvra pour éviter une rencontre2. Ce serait mal juger ce grand homme de guerre que d'attribuer ces précautions à la crainte. Le duc de Guise aimait à braver ses ennemis. Mais le sentiment de la responsabilité que les événe- ments faisaient peser sur lui glaçait son audace natu- relle. Chaque jour il expédiait un courrier à Saint-Ger- main et attendait les réponses aux courriers précédents. Il arriva ainsi, vers le 12 mars, à petites étapes, au

1. Lettre de Throckmorton du 1 i mars [Galendars, 1562, p. 553).

2. Discours prononcé par le duc de Guise au parlement, publié d'après les registres du parlement, dans l'Histoire de France de Pierre Mathieu, t. I, p. 257 et 258.

ET JEANNE d'aLBRET. 113

château de Xanteuil et y reçut le lendemain ses col- lègues du triumvirat, le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André * .

Le duc de Guise recueillit de ces deux seigneurs les plus graves informations. Le roi était aux portes de Paris, mais le prince de Condé y commandait en maître. Chargé par la reine de faire publier et exécuter l'édit de janvier, le prince avait usurpé l'autorité du lieute- nant du roi. Dans l'intérieur de la ville, la méfiance était générale ; la guerre civile s'annonçait par des rixes. Certains corps de métier étaient « bandés » contre les autres. Les habitants s'armaient en troupes contre leurs voisins. Au faubourg Saint-Marceau, les catholiques, plus nombreux, menaçaient de mettre le feu au prêche de la maison du patriarche 2. Des quartiers entiers étaient occupés par des bandes errantes de calvinistes aux ordres du prince, « bel- « listres, dit Bruslard, se disans sans son aveu gen- « tilshommes, » parmi lesquels se distinguaient cependant deux chevaliers de l'ordre, François de Genlis et Guy Chabot de Jarnac3. Les officiers du roi s'étaient retirés à la cour ; les gens de justice avaient pris la fuite ; les bourgeois paisibles se cachaient au fond de leurs maisons. La populace était agitée par une de ces rumeurs superstitieuses, qui saisissent les foules comme un pressentiment aux approches des grandes commotions. Pendant plus de quinze jours, dit gravement Belleforest, on avait vu du côté de Meu- don « une armée en l'air, qui paroissoit tous les soirs,

t. Lettre de Sainte-Croix (Arch. curieuses, t. VI, p. 47).

2. Lettre de Sainte-Croix {Arch. curieuses, t. VI, p. 48).

3. Journal do Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 47G.

rv 8

114 ANTOINE DE BOURBON

« à grands escadrons de cavalerie et d'infanterie, com- <r battans pesle-mesle ensemble1. »

Les chefs du parti réformé avaient reconnu dès le premier jour le parti qu'ils pouvaient tirer du « forfait » de leurs ennemis. « Sans le massacre de Vassy, dit « un chroniqueur protestant, le prince et l'amiral « eussent esté contraints de tout quitter ou même de « sortir du royaume, attendu qu'ils n'avoient paravant « pensé ni à défensive ni à chose qui approchast, moins « encore à offensive. L'édit de janvier et les promesses « de la reine leur tenoient les mains2. » L'irritation des calvinistes était habilement entretenue par les meneurs. L'église de Paris demanda aux églises de province des prières pour les martyrs3. Théodore de Bèze se rendit à Gaen et fit imprimer secrètement un libelle qui racontait, en les aggravant, les scènes de carnage de Vassy4. Il écrivit à lord Gecil une lettre suppliante et lui demanda l'appui de la reine d'Angle- terre en faveur des victimes survivantes5. Toutes ces lettres étaient écrites sur un ton ardent de récrimi- nation, malheureusement justifié, qui sonnait l'appel

I. Belleforest, Les grandes Annales, l"i79, t. II, f. 1627. Ge pas- sage ;i été textuellemenl reproduil par Piguerre [Hisinire fran- çaise de noslre temps, 1581, f. iOl).

.'. Histoire des quatre rois, 1595, I'. 69 v°.

3. Lettre à l'église d'Angers, du I" mars (Histoire de Bretagne, i. III, Prouves, ml. l;ia-ji. - Leiiro à. l'église de Nantes, du 13 mars [Ibid., col. 1303).

4. Ge libelle, le premieren date, e si imprimé dans les Mémoires de Gondè (t. HI,p. 111), dans les Archives curieuses (t. IV, p. 105) ei enfin dans les Mémoires de Guise (p. 171). Voir la note sur lo massacre de Vassy, placée à la fin du volume.

5. Lettre du la mars (Bulletin de la Société de l'histoire du Pro- testantisme français, t. VIII, p. 510).

ET JEANNE d'ALBRET. 115

aux armes. Théodore de Bèze, accompagné de Ger- vais Barbier de Francourt et d'autres huguenots notables, demanda audience à la reine. Catherine le reçut en présence du roi de Navarre, de Prévost de Sansac et de la Chapelle-des-Ursins. De Bèze lui porta ses plaintes, et, dans le cours de la harangue, qua- lifia le duc de Guise de « meurtrier du genre « humain. » A ces mots le roi de Navarre prit vive- ment la défense « de son bon frère de Guise » et dit que « qui le toucherait du bout du doigt, le toucherait « à luy à tout le corps. » Le cardinal de Ferrare arriva pendant l'audience et prétendit excuser les excès de Vassy par les crimes de Saint-Médard. La discussion s'aigrit. De Bèze parlait avec « autant d'animosité que « s'il eût eu la dague dans le sein. » La reine lui répon- dit que les huguenots avaient été les provocateurs, le roi de Navarre « qu'il méritoit d'estre pendu. » « Sire, repartit de Bèze, c'est à l'église de Dieu, au « nom de laquelle je parle, d'endurer les coups et non « pas d'en donner. Mais aussi vous plaira-il vous sou- « venir que c'est une enclume qui a usé beaucoup de « marteaux1. »

Ces nouvelles, rapportées au duc de Guise par ses collègues du triumvirat, s'aggravaient de celles de la cour. Catherine de Médicis, effrayée de l'état de Paris depuis le jour de sa conférence avec le parlement, avait quitté Saint-Germain le 7 mars et s'était retirée

1. Négociations du card. de Ferrare, p. 112. Lettre de Sainte- Croix (Arch. curieuses, t. VI, p. 51). Histoire ecclésiastique de de Bèze, t. I, p. 490 (édit. de Toulouse, 1881). La Popelinière, 1. 1, f. 286 y* (De Bèze et La Popelinière se copienl textuelle- ment). — P. Mathieu, t. I, p. 254. Scipion Dupleix, t. III, p. 652.

116 ANTOINE DE BOURBON

à Monceaux-en-Brie avec le roi, son fils, le roi de Navarre et le cardinal de Ferrare1. Sa politique favo- rite était toujours « d'accommoder les voiles de son « vaisseau suivant le vent et de jouer plusieurs per- « sonnages sur le théâtre2. » C'est ainsi qu'elle avait rappelé les trois Chastillons auprès d'elle et rendu à Coligny tout son crédit'. Informée des conférences que le chancelier tenait habituellement avec le prince de Condé et le cardinal de Chastillon, elle le chassa de la cour4; quelques jours après, elle lui permit de reprendre sa place au conseil 5. Le 6 mars, Throckmor- ton écrit qu'elle favorise « les papistes, » mais que l'amiral répond d'elle; le 9 et le 14, il constate qu'elle penche vers le parti réformé0. Nulle part on n'aper- çoit, dans le gouvernement, cette ligne droite et ferme qui, à défaut de convictions, aurait guider la reine. L'approche du duc de Guise la troublait profondément. Pas un de ses conseillers qui ne sentit que l'arrivée des Lorrains allait précipiter la crise7. Le duc de Guise, écrit Théodore de Bèze, est attendu à la cour, « unde « conjicio nondum fînitam tragœdiam8. » Un seigneur

1. Lettre <lo Sainte-Croix [Archives curieuses, i. VI, p. 41)). Lettre de Throckmorton du (.i mars (Galendars, 1562, p. 551).

Nëgoc. du card. de Ferrare, p. in:!.

■J. Mol de M;illii<Mi (t. I, p. 2.7.1).

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 16 mars (Orig. espa- gnol; Arch. nai., K. 1 197, a0 I i).

'i. Lettresde Sainte-Croix [Archives curieuses, t VI, p. .M. 52

ri 54).

.7 Mémoires de Smibise, publias par M. Bonnet, in-8°, p. 51 et suivantes.

6. Galendars. 1.7V?, p. .74."), .75?, .753.

7. Lettre du 0 mars [Galendars, 1562, p. 545). s. Baum, Theodor /•'•;</, Preuves, p. 169.

ET JEANNE D'ALBRET. 117

de grande naissance, appartenant au parti réformé, Jean Larchevêque, seigneur de Soubise, avait obtenu depuis quelque temps un grand crédit. Chaque jour, à l'aide du chancelier, il conférait avec la reine et la sollicitait de se mettre à la tête du parti réformé. Catherine hésitait. A l'approche du duc de Guise, Soubise prit congé d'elle et lui demanda congé pour Philippe Strozzi, qu'il voulait emmener au secours du prince de Condé. La reine refusa, parce que, dit- elle, « il ne luv seroit pas possible de persuader à ceux « de Guise qu'elle ne feust de la partie, quand même il « n'en seroit rien1. » Tandis que le connétable et le maréchal Saint-André exposaient l'état de la cour au duc de Guise, arriva de Monceaux à Nanteuil une lettre de la reine, qui révélait le secret de ses appréhensions. Catherine commandait à François de Lorraine « de « venir droit en cour sans armes, attendu que tout « estoit en paix2. »

Le dimanche I 5 mars, le duc de Guise coucha à Nantouillet. Le 16, à trois heures de l'après-midi, il entra à Paris, accompagné du connétable, du maréchal de Saint-André, du duc d'Aumale, d'une foule de sei- gneurs et d'une troupe armée que l'ambassadeur d'An- gleterre évalue à trois mille hommes3. Son fils, le prince de Joinville, était entouré des fils du connétable

1. Mémoires de Soubise, p. 51 et suiv.

2. La Popelinière, t. II, f. 283. Mémoin s de Castelnau, in- fol., t. I, p. 83. De Thou, 1740, t. III, p. 132. Cette lettre n'a pas été retrouvée.

3. Lettre publiée dans le Bulletin de laSocièté du Protestantisme français, t. XUI, p. 15. Lettre de Throckmorton, du 20 mais (Calendars, 1562, p. 558). Cette lettre est, de tous les documents, celle les événements sont racontés avec le plus de détails.

118 ANTOINE DE BOURBON

comme un seigneur d'un rang plus élevé. Le cortège prit la rue Saint-Denis, bien que la rue Saint-Martin fût plus directe, sans doute parce que la première, réservée aux entrées du roi, était « plus belle et peu- « pléc de riches marchands1. » Une foule immense l'attendait à la porte. Quand le duc eut franchi la herse, les cris de vive Guise sortirent de toutes les bouches. A mesure qu'il descendait la rue Saint-Denis, l'alllucnce du peuple devenait plus nombreuse. Dans la rue, aux fenêtres, sur des échafaudages élevés à la hâte, se pressait une foule enthousiaste qui fêtait par des accla- mations l'arrivée du « défenseur de la foi. » Le duc, vêtu de satin blanc, suivant sa coutume, saluait de la main avec grâce. Jamais roi de France n'avait fait une entrée plus superbe. François de Lorraine allait entrer à l'hôtel de Guise2 quand une troupe armée parut à l'extrémité du pont Saint-Michel. C'était l'escorte du prince de Gondé qui, au sortir du prêche, ren- trait à son hôtel de la rue de Grenelle-Saint-IIonoré 3 avec 800 cavaliers, suivant les uns, 400 arque- busiers , suivant les autres , au milieu desquels chevauchait Théodore de Bèze, armé et cuirassé de

I. l)ii|il(M\, i. 111, p. 1)53. Lettre de Throckmorton , du 20 mars.

•J. Claude Haton di1 que le duc do Guise alla droit à son hôtel près la rue du Temple (Mnnaifrs, i. I, p. -JUS). L'hôtel de Guise ('Mail situé rue du Chaume, sonl maintenant les Archives nationales. On eu voit encore la porte rue des Ai. . s.

3. La Popolinière it. I. !'. ;'S7i dit que le prince de Condé demeurail rue de G-renelle. H indique certainement la rue de Grenelle-Saint-Honoré, Louis Guillart, évêque de Chartres, devenu huguenot, possédait un hôtel que les Bourbons protes- tants, uotammenl Jeanne d'Albret, ont quelquefois habité (Étal de répartition d'un emprunt Forcé eu 1571 ; f. fr., vol. L1692).

ET JEANNE DALBRET. 119

pied en cap1. Un combat paraissait imminent, mais les deux rivaux arrêtèrent leurs partisans. Les troupes se croisèrent en silence et les princes se saluèrent froidement du pommeau de leur épée2.

Le prévôt des marchands, Guillaume de Marie, atten- dait François de Lorraine à l'hôtel de Guise. Il le haran- gua et lui offrit au nom de la ville une garde de vingt mille hommes et un prêt d'argent de deux millions d'or pour rétablir la paix religieuse, même au prix des armes. Le duc répondit modestement que la reine mère et le roi de Navarre sauraient rétablir l'ordre, et que, en sa qualité de sujet du roi, il mettait son honneur à leur obéir. Ces paroles furent accueillies par de nouveaux applaudissements3. A peine des- cendu de cheval, il envoya le capitaine René d'An- glure, seigneur de Givry, enseigne de sa compagnie, au prince de Gondé, pour témoigner de ses inten- tions pacifiques et lui dire « qu'il n'estoit accompagné « que pour se garder. » De son côté, le connétable chargea son fils de porter la même déclaration au prince. Pendant la nuit, par crainte d'un retour offen- sif des huguenots, François de Lorraine concentra secrètement ses gens dans les rues voisines; de son

1. Lettre de Chantonay, du 25 mars (Mémoires de Gondé, t. II, p. 27).

2. Lettre de Sainte-Croix {Archives curieuses, t. VI, p. 55). Lettre publiée dans le Bulletin de la Société de l'histoire du Proies- tantisme français, I. XIII, p. 15. Lettre de Throckmorton, du 20 mars. Tous les historiens du lemps racontent de la même façon L'entrée tin duc de Guise. La Popelinière (t. 1, f. 287) est peut-être celui qui donne le plus de détails.

3. Journal de 1562 (Revue rétrospective, t. V, p. 85). Lettre de Sainte-Croix (Archives curieuses, i. VI, p. 55). Voyez sur- toui l,i lettre de Throckmorton, du 20 mars.

120 ANTOINE DE BOURBON

côté, le prince de Condé convoqua le ban et l'arrière- ban de ses partisans. Des compagnies entières se massèrent par groupes autour de leurs chefs. Au lever du jour, toute la rive droite de la Seine était occupée par deux armées ennemies qui ne rêvaient « que de piller et de saccager la ville1. »

Dès ce moment l'hôtel de Guise devint le centre du gouvernement. La reine mère, informée à Monceaux de l'entrée des Lorrains, envoya chercher en poste, après avis du roi de Navarre, le cardinal de Bourbon. Le cardinal avait voulu rentrer dans son diocèse pour y faire ses pàques et chevauchait déjà sur la route de Rouen. Il rebroussa chemin et reçut, à son retour à Paris, des lettres de la reine, qui le chargeait du gou- vernement de la ville avec des pouvoirs illimités. Le coup était habile. Charles de Bourbon, prélat borné, mais inoffensif, bon catholique, ne pouvait donner de l'ombrage au duc de Guise, son coreligionnaire, ni au prince de Condé, son frère. II s'installa au Louvre le 17 mars et s'entoura des maréchaux de Brissac et de Thermes, des conseillers d'Avanson et de Selve2. Le duc de Guise renouvela ses protesta- tions de fidélité au roi. Le soir, le cardinal appela au conseil les présidents du parlement. La ville ne

1. La Popelinière, in-fol., i. I, f. 287. Lettre publiée dans le Bulletin </< la Socù I de l'histoire du Protestantisme français, t. XIII, p. 15. Discours du connétable au parletnenl repro luil d'après les registres de la c< ur, pur P. Mathieu, t. [, p. 257. Lettre de Throckmorton, du 20 mars.— Lettres de Catherine à Condé, du 16 au 26 mars [Lettres de Gallierine, i. I. p. 281 el suiv.).

2. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 75. Journal de l'année 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 85 ''i 86. Lettrede Throckmorton, du 20 mars.

ET JEANNE D ALBRET. 121

pouvait être occupée à la fois par deux princes enne- mis, que l'ardeur de leurs partisans poussait à la guerre civile. On décida que le prince de Gondé et le duc de Guise seraient invités à s'éloigner de Paris, l'un par la route de Meaux, l'autre par celle de Chartres4. Tor- nabuoni assure même que le cardinal avait reçu la mission d'offrir à son frère une pension de trente mille livres, à la condition qu'il se retirerait en Picardie2. Condé promit de battre en retraite deux heures après le départ du triumvirat ; les triumvirs, de sortir de la ville à la même heure que le prince. Mais le prévôt des marchands et les officiers municipaux assaillirent de tant d'instances le duc de Guise que la proposition ne fut pas appuyée. Les deux princes continuèrent à se fortifier dans leur logis et leurs armées à se retran- cher dans leurs quartiers3.

Le même jour, 1 7 mars, les triumvirs, le cardinal de Guise, le duc d'Aumale, les maréchaux de Saint- André, de Brissac et de Thermes écrivirent une lettre collective au roi pour s'excuser de ne pas aller à Mon- ceaux.

Sire, nous pensions aujourd'hui partir de cesle ville pour aller baiser les mains de Vostre Majesté sans les raisons que nous escripvons bien amplement à la Royne, avecq ce qui nous semble estre nécessaire pour le repos et la tranquilité de ccste ville et pour le bien de vostre service qui nous (effacé par l'hu- midité)... Nous supplions très humblement Vostre Majesté de croire que nous n'avons rien devant les veux que l'honneur de Dieu, la conservation de vostre couronne et de l'autorité de la

t. Belleforest, t. II, p. 1628. Voyez aussi les notes suivantes.

2. Négociations entre la France cl la Toscane, t. lit, p. 474.

3. Discours du connétable au parlement, dans I'. Mathieu, t. I, p. 257.

122 ANTOINE DE BOURBON

I!d> ne. Et pour ce, Sire, que, par les lettres de Sa Majesté, nous luy faisons ample discours de toutes choses, nous finerons ceste lettre après avoir supplié le Créateur, Sire, donner à Voslre Majesté perfète santé et très longue vie.

De Paris, ce 17e jour de mars.

Françoys de Lorraine, Loys, cardinal de Guyse, Montmo- rency, Claude de Lorraine, Sainct-André, Brissac, Paule de Termes'.

Cette lettre, l'injonction impérative des vainqueurs se dissimule sous l'obséquiosité des termes, était accom- pagnée d'un mémoire à la reine. Les triumvirs y fai- saient un effrayant tableau de l'agitation de Paris, énu- méraient les violences commises par les aventuriers qui, pendant la domination du prince de Condé, avaient terrorisé la ville, et convoquaient le roi de Navarre au secours des bourgeois paisibles 2. Le maréchal de Cossé- Brissac fut chargé de porter la double déclaration à Monceaux.

Le maréchal trouva la reine en proie à de nouvelles perplexités. Catherine n'espérait plus rien du roi de Navarre et redoutait tout des empiétements du parti catholique. Condé, les Chastillons, l'évêque de Valence, du Mortier et le chancelier l'engageaient à veiller à sa sûreté personnelle et à échapper au duc de Guise3. Coligny lui conseillait de fuir jusqu'à Blois le foyer catholique de Paris el de se rapprocher des provinces de l'ouest, dominait la réforme4. Le projet souriait

]. Original; f. fr., vol. 6609, F. 19.

.'. Original; f. fr., vol. 6611, f. 20.

3. Lettre de Ghantonay à Philippe II. du 16 mars (Orig. espa- gnol ; Aivh. ual., K. 1 197, ir 1 i .

i. Lettre de Sainte-Croix, du 15 mars (Arch. curieuses, \. VI, p. :,.; m :>i). Cettre <l<i Ghantonay, 'lu 25 mars, à Philippe il i< >rig. espagnol : Arch. aat., K. 1 197, 17).

ET JEANNE d'aLBRET. i"-^.".

à la reine. Débarrassée du roi de Navarre, prisonnier du triumvirat, du cardinal deTournon, des maréchaux de Brissac et de Thermes, que leur âge retenait à Paris, protégée par son éloignement, elle visait, dit Chantonay, à renouer à distance les trames italiennes, dont elle expérimentait la faiblesse à Monceaux, à séparer les ambitieux en convoquant les plus dange- reux à la cour, à annuler les autres en leur donnant des missions 1 .

Le sentiment du danger que les meneurs du parti catholique pouvaient faire courir au pouvoir éphémère qu'elle exerçait encore lui fit oublier les règles de la prudence. Elle avait déjà invité le prince de Condé à sortir de Paris et à donner l'exemple du désarmement aux seigneurs catholiques. Dans une seconde dépêche, elle le pria d'avoir « seulement souvenance de conser- « ver les enfants et la mère et le royaume. » Elle lui adressa deux autres lettres de teneur confuse, que le prince interpréta ou feignit d'interpréter comme une capitulation de la royauté entre ses mains2. Cette démarche accomplie dans l'effarement de la première heure, Catherine résolut de se réfugier, en compagnie du roi, dans une ville forte. Le prince de la Roche-sur- Yon, gouverneur de Charles IX, seigneur indépendant et serviteur dévoué de la régente, était lieutenant du roi à Orléans; elle se remit entre ses mains. Elle était

1. Lettre de Chantonay, du 16 mars, à Philippe II (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., K. 1497, 14).

2. Ces quatre lettres prirent plus tard une grande importance par l'usage (pue le prince de Condé en tira. Voyez le chapitre suivant. Elles ont été souvenl imprimées. Le comte de Laferrière les a réimprimées dans lo tome premier des Lettres de Catherine de Médicis (p. 281 et suiv.) avec les notes.

124 ANTOINE DE BOURBON

prête à partir lorsque le maréchal de Brissac arriva à Monceaux1.

La présence du maréchal, l'empressement du roi de Navarre à souscrire aux propositions secrètes qu'il apportait de la part du triumvirat, enlevèrent toute liberté à la reine. Goligny fut exilé à Ghastillon avec ses frères, le voyage d'Orléans ajourné, et, le lende- main, le roi et la reine traînés presque en prisonniers par le roi de Navarre à Fontainebleau2. Telles étaient les instructions du duc de Guise. Le connétable et le maréchal Saint-André y avaient déjà envoyé leur maison3.

Cependant le roi de Navarre se sentait éclipsé par le duc de Guise. Trahir ses amis, déserter son parti, donner l'exemple de toutes les palinodies religieuses, et n'obtenir, en retour de tant de sacrifices, que le second rang dans l'armée catholique, c'était un échec pour un premier prince du sang. Le maréchal de Saint- André devina les souffrances de son orgueil et s'en- tremit pour rétablir l'harmonie entre les Bourbons et les Lorrains4. II suffit de quelques honneurs d'apparat. Le

1. Lettre de Throckmorton , du 20 mars [Calendars, ir>r>2, p. 558).

2. Lettre de Sainte-Grois [Arch. curieuses, t. VI, p. 50). Lettre de Ghantonay, du ;'0 mars, à Philippe II (Orig. espagnol ; Arch. nai., K. 1497, 16). La reine arriva à Fontainebleau le jour même de son dépari de Monceaux, le 18 mars {Lettres de Catherine de Médicis, t. [, p. 284). De Thou dit que la reine vint à McIiiii avant de se rendre à Fontainebleau (t. III, 1740, p. 134). C'est une des rares erreurs de ce grand historien.

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 16 mars 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1 197, a' 1 1).

4. Lettre orig. de Ghantonaj à Philippe Œ, du s avril 1562 (Arch. liai., K. 1497, 21).

ET JEANNE DALBRET. 125

%\ mars, après avoir conduit le roi à Fontainebleau, Antoine courut à Paris1. Le duc de Guise avec trois de ses frères, le maréchal de Saint-André, une foule d'autres seigneurs l'attendaient à la porte. Le prince de Gondé ne sortit pas de ses retranchements, soit qu'il se tint sur ses gardes, soit qu'il craignît de mettre ses partisans en comparaison du brillant cortège du duc de Guise. Il se fit excuser, sur un prétexte d'in- disposition, par un simple gentilhomme2. Antoine reçut à peine le messager et refusa d'entendre ses explications. Mais il accueillit avec empressement les hommages de François de Lorraine. Le soir, il assista à un grand festin chez le connétable, dont les trium- virs lui firent les honneurs3. Il accepta l'hospitalité à l'hôtel de Montmorency, rue Vieille-du-Temple. Le duc de Guise était établi dans son propre logis de l'ancienne rue du Chaume. Réunis par le voi- sinage, les trois seigneurs, pendant le séjour du roi de Navarre, prenaient leurs repas en commun et con- féraient ensemble à l'abri des espions de la reine4. De grandes résolutions furent prises dans ces réunions et le prince se mit au service de ses alliés pour les exécuter.

Le lendemain, dimanche des Rameaux, suivant

1. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. Tti. Journal de l'année 1562, dans la Revue rétrospective, t. Y, p. 87.

2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 25 mars (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1197, 17).

3. Négociations du card. de Ferrure, p. 118. Cette lettre porte l'étiquette du 16 mars, mais nous parait mal datée. Elle ne peut être que du 18. Lettre de Sainte-Croix [Arch. curieuses, t. VI, p. 59).

4. Lettre do Chantonay, du 25 mars (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 17).

12f) ANTOINE DE BOURBON

l'usage, les paroisses de Paris, rassemblées à l'église Sainte-Geneviève, devaient aller en procession à la grand'messe de la cathédrale. Princes et ambassadeurs, seigneurs et gens de robe avaient été convoqués la veille au soir par le roi de Navarre à l'hôtel du connétable et se rendirent en corps à l'église Sainte-Geneviève. Antoine prit la première place derrière le dais. Le connétable, malade de la goutte, chevauchait en avant, monté sur sa mule. Il disait à la foule : « Mes amis, « reniiez grâces à Dieu de ce qu'il vous a délivrés de « plusieurs maux en vous envoyant le roi de Navarre. « Vous voyez la bonne union qu'il y a entre luy et « M. de Guise pour vous maintenir en paix, en ser- « vaut Dieu et procurant le bien de la religion, avec « tout ce qui peut contribuer à l'honneur et à l'éléva- « tion de nostre Roy1. » La foule se pressait sur les pas des princes, mais les acclamations étaient réservées au duc de Guise et ne s'adressaient au chef de la maison de Bourbon que pour applaudir à la concorde du prince et des Lorrains. « La joie était grande parmi le peuple, « dit Chantonay avec son emphase espagnole. Tous éle- « vaient les mains au ciel et un grand nombre pleu- « rait de joie2. » Les calvinistes préparaient, pour le dimanche des Rameaux, une cérémonie solennelle et avaient convié leurs (idèles de Rouen à Orléans. Us vou- laient, dit Chantonay, « y commectre leurs abomina-

1. Lettre de Sainte-Croix, du 22 mars (Arch. curi uses, t. VI, p. 59).

2. Lettre do, Ghantonav à Philippe 11, du 25 mars (Orig. gnol; Ai'di. nat., K. I497, n" 17). - La popularité du roi de Navarre avail fail des progrès depuis que l'on connaissait à Paris son accord avec les Guises (Lettre de Chantonaj à Philippe II, du 16 mars ; Orig. espagnol; Aivli. nat., I\ 1497, li .

ET JEANNE d'ALBRET. 127

« tions en public1. » Les dispositions menaçantes du roi de Navarre et des triumvirs tirent échouer la manifestation. Les religionnaires se réunirent en deux groupes, dans un jardin particulier avec Théodore de Bèze, dans un coin obscur des fossés de la ville avec le ministre Rivière2. Tandis qu'ils célébraient la cène presque secrètement, les catholiques, à l'ombre de l'autorité du lieutenant général, comptaient leurs forces. La procession fut le triomphe du parti des Guises. Une foule immense s'était rassemblée sur le parvis de Notre-Dame. Les étudiants, les gens du pauvre peuple brandissaient des rameaux verts en guise de ralliement ; les femmes les portaient au cha- peron. Les passants dépourvus de ce signe étaient supposés huguenots, bafoués et chassés par la popu- lace. La procession fut plusieurs fois troublée par de sanglantes rixes. Après la messe, le connétable réunit à sa table les ambassadeurs étrangers et les principaux seigneurs catholiques. Tous les honneurs furent pour le roi de Navarre. Assis sur une « chaire » à la pre- mière place, il parla avec enthousiasme des splendeurs de la fête du jour et prit les assistants à témoin de son dévouement au catholicisme3.

4. « ... hacer las abominaciones publicamente... » (Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 25 mars; Arch. nat., K. 1407, 17.)

Lettre Je Throckmorton, du '20 mars {Calendars, 15G2, p. 558).

2. Journal de 1 56*2 dans la Revue rétrospective, t. V, p. ST.

3. Sur cette procession qui fut un véritable événement, voyez la lettre de. Ghantonay, du 25 mars, que nous avons déjà citée.

Lettre de Ghantonay, du 24 mars {Mémoires de Condé, t. II, p. 27). Lettre de Sainte-Croix [Arch. curieuses, t. VI, p. 59).

Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 77. Journal de. l'année 1563 dans la Revue rétrospective, t. \, p. <s7.

128 ANTOINE DE BOURBON

Le même jour, il adressa au parlement une déclara- tion solennelle : « Ma venue par deçà estoit bien « nécessaire pour le désordre que j'y ay trouvé tel « que sy on n'y eust pourveu de bonne heure, toutes « choses tumboyent en bien grand danger. » 11 ajou- tait ces paroles qui scellaient son accord avec les trium- virs : « Nous sommes en voye de les restablir en bon « état 1 . »

Cependant les hésitations de Catherine troublaient les chefs catholiques2. Après le repas offert par le con- nétable, Antoine prit le nonce en particulier et lui demanda de visiter la reine à Fontainebleau, afin de la rassurer « comme de son propre mouvement » sur les intentions du duc de Guise, de lui dire que le duc avait sauvé Paris du pillage et de l'inviter à ne pas s'éloigner, « parce que son absence ruinerait tout. » Le cardinal de Sainte-Croix trouva la reine inquiète et disposée à chercher un refuge sous les murs d'Or- léans3. Il rapporta ses impressions au triumvirat. Les triumvirs envoyèrent alors à Fontainebleau Charles de la Rochefoucauld, comte de Randan, aussi bon catho- lique, dit Chantonay, que son frère aîné était hérétique, puis le cardinal de Guise, puis enfin Charles de Cossé- Gonnor, frère du maréchal de Brissac, pour la con- vaincre « qu'ils ne traiteraient rien à son préjudice, « si ce n'est pour la conservation de la religion et

Lettre de Tornabuoni, du 25 mars [Négoc. entre la France et la Toscan'-, l. III. p. 17 l).

1. Original .lui,' du 22 mars; f. IV.. vol. 3241, f. 2.

2. Lettre delà reine ;'i Boisy [Lettres de Gatherine, t. I, p. 284).

3. Lettres de Sainte-Croix [Archives curieuses, t. AT, p. 61

ri 63).

ET JEANNE D'ALBRET. 129

« l'obéissance à l'autorité royale1. » Randan, le car- dinal et Gonnor trouvèrent la reine prête à leur échap- per. Elle leur répondit que la santé de son fils lui interdisait tout déplacement, que sa présence était inutile à Paris et qu'elle n'avait aucun conseil à don- ner aux habiles défenseurs du roi2. Les incertitudes de la reine n'étaient pas un secret, mais cette affecta- tion de modestie politique fit craindre une surprise. La personne du roi pouvait donner une si grande autorité morale à ses défenseurs que les deux partis, catholiques et huguenots, résolurent de prévenir sa fuite3.

Le lendemain de la procession des Rameaux, le prince de Condé, malgré les conseils de ses lieutenants, rassembla secrètement la tleur de sa compagnie, et, escorté d'une troupe de mille hommes bien équipés, sortit de Paris à l'improviste. Son départ, que nul n'avait prévu, frappa la ville et les triumvirs d'éton- nement. Il avait dit si haut « qu'il ne bougeroit jamais « de Paris que le duc de Guise n'en fust parti4. » Il passa à la Ferté-sous-Jouarre, visita sa femme malade, et campa à Meaux, en attendant le reste de ses par- tisans. Sa retraite fut généralement blâmée. Les ministres s'étaient vainement efforcés de le retenir. Pasquier et de Bèze le comparent à Pompée, qui eut l'imprudence de laisser Rome à César5; cette com-

1. Lettre de Ghantonay, du 25 mars, à Philippe II (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 17).

2. Lettre de Throckmorton, du 31 mars (Calcndars , 1562, p. 571).

3. Davila, t. I, p. 104.

4. Journal de l'année 1562 {Revue rétrospective, t. V, p. 88).

5. Lettre de Pasquier dans les OEuvres complètes, t. II, col. 96.

rv 9

130 ANTOINE DE BOURBON

paraison a fait le tour des historiens protestants. Fran- çois de la Noue, meilleur juge dans les questions de guerre que de Bèze et Pasquier, reconnaît que la grande disproportion des forces du duc de Guise et du parti réformé condamnait le prince de Gondé à s'éloigner : « Son armée, dit-il, consistoit en trois cens gentils « hommes et autant de soldats expérimentés aux armes, « plus en quatre cens escholiers et quelques bourgeois « volontaires, sans expérience. Et qu'estoit que cela « contre un peuple comme infini, si non une petite « mousche contre un grand éléphant. Je cuide que, si « les novices des couvents et les chambrières des prêtres « seulement se fussent présentées à l'impourveu avec « des bastons de cotterets à mains, que cela leur eust « faict tenir bride * . » Le prince avait demandé dix mille écus à ses partisans pour tenir tête au duc de Guise dans Paris. Il n'avait obtenu que 1 ,600 écus, « car « ceux qui avoient moyen d'en fournir ne vouloient « ouir parler de la guerre tant qu'ils seroient mainte- « nus en l'exercice de leur religion 2. » Arrivé à Meaux, il perdit plusieurs jours à attendre Coligny, d'Andelot, Soubise et les principaux seigneurs de son parti. Puis, au lieu « d'aller droit à Fontainebleau sans marchan- de der, » il écrivit à la reine et lui demanda ses ordres3. Pendant que Gondé ralliait péniblement ses coreli- gionnaires à .Meaux, le parti catholique, bien dirigé, obéissait à cette maxime de Tavannes : « La prise du

Lettre de de Bèze à Calvin, du 28 mars (Baum, Theodor Beza, Preuves, p. 176).

1. Mémoires de La Noue, éd. Petitot,t. XXXIV, p. 128.

2. La Popelinière, i. I, L 287. -- Pierre Mathieu, t. I, p. 255.

3. La Popelinière, t. I, I'. 287 v°.

ET JEANNE D'ALBRET. 131

« roy ou de Paris est la moitié de la victoire en guerre « civile. L'on fait parler l'un comme l'on veut et « l'exemple de l'autre est suivy de grande partie des « villes du royaume ! . » Le roi de Navarre commença par prendre un fort point d'appui à Paris. Il leva 1,500 hommes et les divisa en quinze compagnies; il donna au maréchal de Thermes une compagnie de 40 cavaliers et partagea la ville en quatre quartiers, sous la surveillance de quatre chevaliers de l'ordre et du cardinal de Bourbon 2. Restait à obtenir de gré ou de force la participation de la reine. Le 26 mars, il partit à franc étrier pour Fontainebleau avec le conné- table, en grand équipage de guerre, suivi d'une troupe de mille cavaliers. Ils couchèrent à Gorbeil et arrivèrent le lendemain à la cour. Le roi et surtout la reine mère, étonnés de ce déploiement de force, « leur firent une « étrange mine3. » Les deux seigneurs entrèrent en explications. Après avoir rappelé les incidents des derniers jours, ils signifièrent à la reine que l'état du royaume leur imposait des mesures de défense et que

1. Mémoires de Tavanncs, coll. Petitot, t. XXIV, p. 329. Cette même pensée est reproduite dans les lettres de Pasquier (OEavres complètes, t. II, col. 96).

2. Avis remis au roi de Navarre en date du 24 mar- 1561 (1502) par les principaux seigneurs du parti catholique, les cardinaux de Bourbon et de Guise, les ducs de Guise et d'Aumale, le con- nétable, les maréchaux de Saint- André et de Brissac, Chavigny, Candale, Bonnivet, d'Avançon, de la Brosse, Nemours, Randan, Odot de Selve, Montpezat, Sansac, d'Escars et Givrv (Orig.; Arch. des Basses-Pyrénées, E. 584). Lettre de Sainte-Croix [Archives curieuses, t. VI, p. G4|. Cette levée, dit Sainte-Croix, lit fuir Théod. de Bèze.

3. Lettre de Throckmorton, du 31 mars (Calendars, 1562, p. 571).

Journal de l'année 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 88.

Lettre de Sainte-Croix [Archives curieuses, t. VI, p. 64).

132 ANTOINE DE BOURBON

la cour devait les suivre à Paris. La reine essaya de ses subterfuges ordinaires, mais le prince et le connétable insistèrent impérieusement, firent montre de leurs forces, et Catherine se remit entre leurs mains. Cepen- dant elle exigea un délai. Dans la soirée, elle eut de secrètes conférences avec le lieutenant général et lui parla si habilement de ses négociations au sujet de la Navarre, du triomphe qu'il ménageait au duc de Guise en se mettant à la remorque du triumvirat, qu'il fut ébranlé. Chantonay et le nonce expliquent autrement les nouvelles hésitations du prince ; ils disent qu'il était satisfait de voir le parti huguenot prospérer sous les ordres de son frère, parce qu'il se flattait de le diriger sous son nom, et que, à aucun prix, il ne vou- lait l'accabler avant d'avoir reçu les réponses défini- tives du roi d'Espagne ' .

L'indécision du prince paralysait le connétable, vieux courtisan, qui craignait de se compromettre. Le duc de Guise en fut informé. Il accourut aussitôt à Fontainebleau, laissant Paris au cardinal de Bourbon, aux maréchaux de Thermes et de Brissac. Son arrivée rendit le courage à Montmorency et le zèle au roi de Navarre. Antoine signifia durement à la reine qu'il allait conduire immédiatement le roi à Melun « pour « la sûreté d'iceluy et qu'elle suivit puis après si elle « vouloit. » Le connétable donna l'ordre de préparer les équipages. Comme les serviteurs hésitaient, il s'em-

1. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 20 mars (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 16). Lettre de Sainte-Croix, dans les Archives curieuses, t. VI, p. 68. Lettre il<> Chantonay à. Philippe II, du 25 mars lOrii:. espagnol ; Aivli. nat., K. 1497, 17).

ET JEANNE D'ALBRET. 133

porta et « menaça de coups de bâton ceux qui ne a. vouloient destendre le lit du roy par crainte de la « royne. » Forcée d'obéir, Catherine écrivit au prince de Gondé de ne pas perdre courage1. Antoine de Bayancourt, s. de Boucha vannes, lieutenant de la com- pagnie du prince de Gondé, venait d'arriver à la cour avec un message de son maître et se tenait caché loin des yeux du duc de Guise. Catherine le fit appeler secrètement et lui confia sa lettre. François de Lor- raine le rencontra par hasard à la porte et le chassa avec tant de violence que Bouchavannes prit la fuite au risque de la vie2. Maître du roi, le duc de Guise lui fit signer une déclaration qui proscrivait les prêches établis dans les villes du royaume depuis l'édit de janvier3.

La cour se mit en route le 31 mars, jour de Pâques, le roi et la reine en litière, les seigneurs de l'escorte à cheval, armés en guerre comme en pays ennemi. Des cavaliers, lancés dans toutes les directions par le duc de Guise, exploraient la forêt de Fontainebleau et les

1. C'est une des quatre lettres que nous avons signalées plus haut, p. 123, note 2.

2. Lettre de Ghantonay, du 20 mars, à Philippe II (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., K. 1497, 1G). Lettre du même au môme, du 2 avril (Orig. espagnol; ibid., K. 1498, 18). Lettre d'un ambassadeur florentin dans les Mémoires de Gondé, t. II, p. 29. Lettre de Chantonay, du 4 avril (Résumé <le chancellerie en espagnol; Arch. nat., K. 1496, 54). Lettre de Sainte-Croix {Arch. curieuses, t. VI, p. 67). Mémoires de Tavanncs, colL. Petitot, t. XXIV, p. 328. Hist. ecclés. de de Bèze, t. I, p. 492, éd. di> 1881. La Popelinière, t. I, p. 288. Lettre de Throck- morton du 31 mars [Calendars, 1561, p. 571). Davila, 1. 1, p. 104 à 107. Dupleix, t. III, p. 655.

3. Copie ; coll. Moreau, vol. 740, f. 99. Cette déclaration manque au savant recueil des Mémoires de Gondé.

134 ANTOINE DE BOURBON

campagnes voisines. Le roi, témoin depuis la veille de scènes menaçantes, se croyait prisonnier et versait d'abondantes larmes. La reine ne prononçait pas une parole. Le duc de Guise ne s'en « mettoit nullement en « peine et disoit tout haut qu'un bien qui venoit « d'amour ou de force ne laissoit pas d'estre toujours « un bien. » Cependant les chefs catholiques se mon- traient soumis et respectueux. A Melun, par une ruse inattendue, Catherine faillit recouvrer sa liberté. Le duc de Cuise avait fait préparer des logements dans la ville, mais la reine voulut coucher au château, forte- resse du moyen âge, inhabitée et réservée depuis longtemps à la garde des prisonniers. Il fallut obéir.

Le capitaine du château, Tristan de Rostaing, ouvrit les portes et ne laissa entrer que le roi, la reine et leurs serviteurs personnels. Le duc de Guise se crut trahi. Déjà les soldats menaçaient les gardes de la forteresse et faisaient mine d'entamer un siège, quand le prévôt des marchands, venu de Paris à la rencontre du roi, demanda une audience à la reine. Il lui certifia que, « si elle ne ramenoit le roy à Paris, il y avoit dan- « ger qu'il y arrivât quelque horrible sédition. » Cette menace détermina la reine à faire ouvrir les portes du château aux chefs catholiques, « tellement qu'eux, « voyans ils estoyent, se raccommodèrent avec « elle 1 . »

Ces négociations durèrent quatre jours, quatre jours

{.Mémoires de Tavannes, édit. Petitot, t. XXXV, p. MS. Davila, t. I, p. 107 et 108. La Popelinière, i. I, !'. -288. De Bèze, Hist. ccclés., 1881, t. I. p. 192. Lettre de Sainte-Croix dans les Arch. curieuses, i. VI, p. TH. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 90. Mémoires de Castelnau, ('dit. in- fol., (. 1, p. 85.

ET JEANNE D'ALBRET. 135

précieux, qui faillirent faire perdre au duc de Guise le bénéfice de son hardi coup de main. Pendant ce délai, Catherine écrivit plusieurs lettres comme pour éloigner l'idée qu'elle était prisonnière : « Les choses « sont plus troublées en ce royaume, mande-t-elle à « d'Humières, gouverneur de Picardie, qu'elles ne « furent jamais1. » Le roi de Navarre lui commanda aussi de l'informer « s'il y aura chose qui se meuve ou « remue, soyt du costé de vos voisins ou d'ailleurs, à « quoy vous aurez l'œil ouvert pendant toutes ces « folyes2. »

Le 4 avril, le connétable arriva à Paris à huit heures du matin, sous le prétexte de préparer l'entrée du roi. Sans descendre de cheval, il se rendit au prêche de Jérusalem, entre les portes Saint-Marcel et Saint- Jacques, et fit abattre la chaire et les bancs des fidèles. Dans la journée, il détruisit également le prêche de Popincourt, près de la porte Saint- Antoine. Un ministre, Jean Malo3, et l'avocat Ruzé, qui se faisait appeler le chancelier des huguenots, furent jetés en prison. La populace, encouragée par l'exemple du connétable, se rua sur la maison du prêche de Popincourt, traina les restes du mobilier devant l'hôtel de ville et y mit le feu au chant des cantiques. Les passants qui refusaient d'applaudir à l'exécution étaient pris pour hérétiques et frappés ; plusieurs furent égorgés. Cette expédition,

1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 288. Autre lettre à Senarpont, Ibicl., p. 289.

2. Original, daté du i avril (f. fr., vol. 3187, f. 10).

3. On le recherchait surtout, dit La Popeliniùrc, parce qu'il avait, été vicaire à Saint-André-des-Arcs (t. I, f. 289). Trois jours auparavant, un bourgeois qui lui ressemblait avail été lui' par la populace (Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 90i.

136 ANTOINE DE BOURBON

peu glorieuse pour un capitaine qui avait fait la guerre aux Espagnols pendant un demi-siècle, excita les rail- leries des écrivains réformés et mérita au connétable le surnom de capitaine brûle-bancs1.

Le 5 avril, le roi et la reine quittèrent enfin Melun et se rendirent au château de Vincennes. Le 6, le roi fit son entrée à Paris sans apparat. Le prévôt des marchands et les échevins l'attendaient à la porte Saint-Lazare, vêtus « de leurs bons habits seulement « sans autre solemnité ne triomphe, réservant les « autres solemnités accoustumées à autre meilleur « temps2. » Le connétable et le cardinal de Bourbon ouvraient le cortège. Le roi, accompagné de peu de courtisans et d'une simple garde, était à cheval. La reine, entourée de ses deux autres fils, puis le roi de Navarre suivaient le roi. L'empressement du peuple et les applaudissements qui accueillirent la famille royale prouvèrent à la reine les sentiments catholiques de la ville. Le roi descendit la rue Saint-Denis, prit la rue de la Ferronnerie et alla droit au Louvre3. Le

1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 8 avril (Orig. espa- gnol; Arch. nal., K. 1497, 20). Lettre de Tliroekmorton, du 10 avril (Calendars. 15112, p. 595). Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 91. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 80. Lettre de Sainte-Croix dans les Arch. curieuses, I. VI, p. 73. Lettre de Pasquier (Œuvres com- plètes, t. II, col. 96). Belleforest, t. 11. i. L628. La Popeli- nière, t. I, f. 289.

2. Registres originaux de. la ville de Paris cités par M. Robi- quet, Hist. mun. tir Paris, p. 542.

3. Lettre de Ghantonav à Philippe IL du s avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. L497, n" 20). Robiquet, Hist. mun. de Paris, p. 542, d'après les registres du conseil de ville. Voyez aussi les documents eiies dans les deux unies précédentes.

ET JEANNE d'âLBRET. 137

même soir, Chantonay demanda une audience au roi de Navarre et le félicita du triomphe remporté par le parti catholique, comme de son œuvre personnelle. Il me répondit, écrit Chantonay à Philippe II, « que « cela n'étoit rien à côté de ce qu'il espéroit encore « faire pour le service de Dieu ; et, afin que Votre « Majesté pût le juger à fond, quoiqu'il eût fait plus « que Votre Majesté lui avoit demandé, qu'il avoit a appelé à la cour des hommes vertueux et en avoit « chassé les méchants; qu'il avoit accrédité les pre- « miers de telle façon que chacun pût les comparer « avec les autres, qui, s'il plaît à Dieu, seront punis. « Il me parla, en outre, de ses affaires propres, en « me suppliant de ne pas le faire trop attendre... Je « le contentai tant que je pus en le flattant toujours « et en lui promettant que Votre Majesté ne l'oublie- « roit pas1. »

Les chefs de la réforme étant campés à Meaux, les triumvirs à Paris, commence une comédie politique qui ne fait honneur à aucun des deux partis. Tandis que huguenots et catholiques se préparent ouvertement à la guerre, chacun d'eux proteste de ses intentions pacifiques. Le roi de Navarre se fortifie dans Paris et le prince de Gondé convoque le ban et l'arrière- ban de l'armée calviniste. Le triumvirat s'empare de la personne du roi et le prince arme ses partisans sous les murs de Meaux. Goligny était à Chastillon avec François de Hangest de Genlis, Antoine de Bou- card, François de Briquemaut, et d'autres qui le pres- saient de se mettre en campagne. Mais il se refusait à

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril (Orig. espa- gnol; Arch. mit., K. 1497, n" 20).

138 ANTOINE DE BOURBON

donner le signal de la guerre. De graves scrupules agitaient sa conscience. D'Aubigné a tracé un éloquent tableau des incertitudes de cette àme élevée, trop ardente pour se soumettre, trop clairvoyante pour s'aveugler sur les dangers et les crimes de l'avenir4. L'amiral hésitait encore quand son frère, François d'Andelot, échappé de Paris en même temps que le prince de Condé, le rejoignit à Ghastillon. Bientôt les deux frères reçurent l'appel aux armes du prince. Aussitôt, sans mesurer le danger, ils partirent pour Meaux ; ils y arrivèrent le 27 mars avec une troupe de soldats qu'ils avaient ralliée en route2. Quelques jours auparavant, le roi de Navarre, informé de la réunion des capitaines à Chastillon, s'était plaint à la reine des armements des huguenots, et la reine, peut- être pour gagner du temps, avait interrogé l'amiral. Le jour même de son arrivée à Meaux, Goligny répon- dit aux accusations du lieutenant général : « Je ne « scay d'où le roy de Navarre a eu advertissement que « je faisois levée de gens, mais je vous respons sur « mon honneur, Madame, que je n'y ai pas seulement « pensé ; bien ay-je adverty quelques ungs de mes « voisins et amys et prié de me faire compagnie « pour venir trouver mons. le prince; que si d'ad- « venture il s'en est veu dans ma compagnie d'armés, « il me semble qu'il ne doit estre trouvé non plus « est range que de ceulx qui vont trouver M. de « Guize avec armes descouvertes et dont je puis par-

1. D'Aubigné, Hisl. unir., Hi-Jt», i. I, col. 185.

2. Lettre de de Bèze à Calvin, du 28 mars (Baum, Thcodor B^ .'-', Preuves, p. 176).

ET JEANNE D'ALBRET. 139

« 1er comme les ayant veus * . » Nier ses intentions belliqueuses à l'heure même il entrait en campagne, est une fourberie indigne du caractère de Coligny. De mensonge en mensonge, les deux partis en étaient arrivés, les uns à donner le signal de la guerre civile, les autres à être prêts à la soutenir.

Le 29 mars, jour de Pâques, Gondé divisa sa cava- lerie en deux corps. Le premier, sous le commande- ment de François d'Andelot, se porta sur Orléans à marches forcées. Le second se mit en campagne avec le prince et prit la route de Paris. Les dames, qui avaient suivi le prince à Meaux, cherchèrent un refuge hors du théâtre de la guerre. Jeanne d'Albret partit pour Vendôme. Léonor de Roye, princesse de Gondé, alors dans un état de grossesse avancé, se dirigea sur Muret en Picardie avec ses femmes, son fils aîné et une petite escorte. En passant à Vau- dray, elle rencontra une procession catholique que les gens de son cortège refusèrent de saluer. Aussitôt les villageois, excités par le prêtre qui portait le saint sacrement, assaillirent la princesse. Elle fut menacée, insultée et son coche criblé de coups de pierre. Elle échappa cependant et se retira à Gandelu, à quelques lieues de là. Mais elle avait été si troublée par cette attaque qu'elle y accoucha le lendemain avant terme de deux jumeaux, dont un seul survécut2. Ce fut le

1. Cette lettre est publiée d'après l'original, par M. le comte Delaborde (Gaspard de Coligny, t. II, p. 48), et réimprimée par M. le comte de Lafcrrière {Lettres de Catherine de Mcdicis, t. I, p. 285, note).

2. La Popelinière, t. I, f. 289. Celui de ces enfants qui survé- cut se lit catholique et devint plus tard le cardinal de Bourbon. M. le comte Delaborde a établi son récit d'après un document

140 ANTOINE DE BOURBON

premier malheur de la guerre civile ; il tomba sur une maison dont le chef devait payer de sa vie la coupable prise d'armes du 29 mars.

Pendant sa marche sur Paris1, le prince de Condé rencontra en route un de ses espions et apprit que le triumvirat s'était emparé du roi. A cette nouvelle, il « s'arrêta tout court dessus son cheval. » Bientôt arriva l'amiral. « Le prince, après un souspir qui lui « eschappa : c'en est fait, dit-il, nous sommes plongés « si avant dans l'eau qu'il faut boire ou se noyer2. » Le soir il campa à Saint-Cloud et se présenta le lende- main à la porte Saint-Honoré, suivi de l'amiral, de d'Andelot, des ducs de Bouillon et de Nevers, de 500 cavaliers et de 1,000 hommes de pied. La ville, avertie de sa présence, était préparée à un siège. Le maréchal de Thermes parut sur les murs en parlemen- taire. Le prince demandait à entrer. Le maréchal lui répondit qu'il serait reçu avec honneur, lui douzième, mais que sa suite serait repoussée par la force. Un messager du cardinal de Bourbon, Christophe d'Alegre, vint prier le prince de respecter la ville. Condé pro- mit de ne pas attaquer s'il n'était attaqué lui-même dans la position qu'il avait prise au pont de Saint-Cloud. Les pourparlers cachaient une surprise. Un capitaine hardi, le s. de Bussy, accompagné de 600 chevaux, avail tourné rapidement la ville par Yaugirard. Aidé

du temps (Éléonore de Roye, p. 115. Gaspard </, Uoligny, t. II, p. 62).

1. Ghantonay raconte que le prince, mal informé des moyens de défense des triumvirs, croyait encore pouvoir prendre Paris (Lettre à Philippe II, «lu 2 el du i avril 1562; Orig. espagnol; Arch. oat., K. 1 197, n- L8).

2. Davila, 1. 1, p. 108.

ET JEANNE D'ALBRET. 141

de quelques-uns de ses coreligionnaires du quartier, il essaya de forcer la porte Saint-Jacques. Aux pre- mières arquebusades, les murs se couvrirent de sol- dats. Bussy fut obligé de battre en retraite au galop et rejoignit son maître à Saint-Cloud 1 .

Le soir, les chefs huguenots tinrent conseil. Pendant la nuit, ils reçurent un renfort de 300 argoulets. Le lendemain matin, Gondé invita ses compagnons d'armes à le suivre à Orléans. L'armée traversa la Seine en bon ordre et marcha sur Palaiseau, Longjumeau et Mont- Ihéry d'un pas assez lent pour permettre aux troupes retardataires de rallier le corps principal. A Étampes, elle reçut un nouveau renfort de 200 cavaliers. Le prince campa à Augerville le soir de la première étape. Deux heures avant le jour, arriva en poste Artus de Gossé-Gonnor, frère du maréchal de Brissac, accom- pagné du secrétaire d'état Robertet de Fresne, porteur de deux lettres du roi et de la reine. La lettre du roi enjoignait au prince de déposer les armes et de se rendre à la cour avec sa suite ordinaire. Condé pro- mit de se soumettre quand le duc de Guise, son ennemi personnel, aurait licencié ses troupes. Gonnor répon- dit que François de Lorraine suivait les ordres du roi. Gondé riposta qu'il n'ignorait pas que les Lorrains avaient emprisonné le roi dans son château de Fontai- nebleau. Ainsi se révélait dès le premier jour la poli- tique du prince; il ne faisait la guerre, disait-il, que

1. Lettre de Throckmorton , du 1er avril (Calcndars , 1562, p. 577). Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 78. Lettre de Sainte-Croix dans les Arch. curieuses, t. VI, p. 69. La Popelinière, 1. 1, f. 288. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 30.

142 ANTOINE DE BOURBON

pour délivrer le roi des mains du duc de Guise. Tan- disque la conférence se prolongeait, Jean Larchevèque de Soubise s'avisa que Gonnor n'avait d'autre mission que celle de « l'amuser pendant une partie de la mati- « née » et le pressa de hâter sa marche. Soubise avait deviné la vérité. Jean d'Estrées, grand maître de l'ar- tillerie, se portait sur Orléans à marches forcées, afin de défendre la ville. Le prince perdit trois heures à répondre à la reine et se remit en route. A Artenay, il fut avisé que d'Andelot combattait aux portes d'Or- léans. Moitié par persuasion, moitié par violence, le frère de Goligny gagnait peu à peu du terrain dans la ville. Mais l'infériorité de ses forces vis-à-vis d'une population nombreuse et très divisée mettait sa com- pagnie en danger. A cette nouvelle, dit d'Aubigné, « les plus avancés se mettent à toute bride et tout le « reste les suit sans ordre, tellement que plusieurs, « allant le chemin de Paris, voyoient chapeau et « manteau par terre qu'on ne daignoit amasser, les « prenoient ou pour fols venant de Saint-Mathurin, ou « pour gens qui jouoient à l'abbé Mogouverne jusqu'à « ce que, trouvant une si grosse troupe, on jugea que, « bien qu'il y eust beaucoup de fols en France, ils ne « pouvoient tant ensemble s'unir à un dessein1. »

{. D'Aubigné, t. I, col. 188. Lettre de Sainte-Croix dans les Arch. curieuses, t.. VI, p. 69. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 78. La Popolinière, t. I, f. 288. Mémoires de Soubise, édit. Bonnet, p. 55. Il est à remarquer que Mergey el La Noue racontenl la marche de Condé sur Orléans de la même fanon et. presque avec les mêmes termes [Mémoires de Mergey, édit. Petitot, t. KXXTV, p. 16. Mémoires de La Noue, ibid., p. 132. Journal de L"i62 dans la Revue rétrospective, t. Y, p. 90. Lettre de Throckmorton, du 10 avril (Calcndars, 1562, p. 595).

ET JEANNE D'ALBRET. 143

Cette précipitation réussit à l'armée huguenote. « Un « bon ordre, dit encore d'Aubigné, n'eust pas valu ce « désordre. »

Les réformés étaient en minorité à Orléans, mais assez nombreux pour exercer publiquement leur culte. A la nouvelle du massacre de Vassy, ils avaient pris les armes. Le lieutenant du roi, Innocent Tripier, sei- gneur de Monterud, disciplina les séditieux en les employant à la garde de la ville. Mais, quelques jours plus tard, il ouvrit les portes à une partie de la com- pagnie de Philibert de Marcilly de Cypierre, en garni- son dans le voisinage. Le 1er avril, l'édit de janvier fut publié à Orléans. Les ministres, appelés à prêter serment, montrèrent au lieutenant du roi des disposi- tions douteuses. Il appela alors d'autres gens de pied campés à Beaugency. Monterud se flattait de conserver la ville. La veille au soir, d'Andelot était arrivé en poste de Cercottes avec un seul serviteur. Ses cava- liers le suivaient à de longs intervalles et se grou- paient sans bruit à quelque distance des murs. Pendant la nuit et à la première heure du jour, entrèrent pêle- mêle des soldats des deux partis, des gens de pied de Beaugency et des cavaliers de d'Andelot. Les hugue- nots, recueillis par des guides avertis à l'avance, se cachaient aux environs de la porte Saint-Jean ; les catholiques se rendaient auprès du lieutenant du roi. Le matin du % avril, les corps de garde calvinistes, qui avaient passé la nuit aux portes, furent relevés, sur l'ordre de Monterud, par des compagnies catho- liques. Une rixe s'élève entre les soldats. Monterud accourt, ferme la porte et prend les clefs. D'Andelot arrive bientôt, suivi de trois cents cavaliers cachés

144 ANTOINE DE BOURBON

aux abords de la porte Saint-Jean. Monterud et les siens, chassés et mis en fuite, se retirent dans l'in- térieur de la ville. D'Andelot s'empare de la porte, la fait ouvrir à coups de marteau, donne passage aux soldats qui l'avaient suivi depuis Cercottes et se bar- ricade dans les maisons du voisinage1.

Le prince de Condé, averti par des messages de d'Andelot qui se renouvelaient d'heure en heure, arriva à une lieue d'Orléans dans la matinée du % avril. D'Andelot avait peu à peu gagné toute la ville. A onze heures du matin, le prince franchit les portes en compagnie de l'amiral et descendit de cheval sur la place de l'Étape, devant un logis connu sous le nom de la Grand'Maison. Monterud lui présenta ses hommages et lui demanda la permission de se retirer. Condé lui répondit qu'il était venu à Orléans pour le service du roi et s'efforça vainement de le retenir. Les gens de justice, les officiers de la ville vinrent le saluer et lui demander sa protection. Au moment le prince allait se mettre à table, Jean d'Estrées entra dans la ville. Il était trop tard. Condé commandait en maître au nom des huguenots dans la ville même il avait été condamné à mort au nom du parti catho- lique seize mois auparavant. D'Estrées s'en retourna le même jour à la cour avec des lettres du prince à l'adresse de la reine2.

1. La Popelinière, t. I. f. 288 v. Davila, t. I, p. 109. D'Aubigné, t. I, col. 188.

2. La Popelinière, t. II, f. 288 v°. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 7'.'.

CHAPITRE DIX-HUITIÈME.

Avril et mai 1562.

Effet de la prise d'Orléans à la cour. Dispositions de la reine et du roi de Navarre.

Armements des huguenots. Condé et Coligny à Orléans. Le comte de La Rochefoucault. Acte de confédération du 11 avril 1562.

Négociations de la reine et du triumvirat avec le prince de Condé. Exigences du parti réformé. Catherine propose une entrevue au prince de Condé. Premier manifeste du prince (8 avril). La reine embrasse le parti catholique. Second mani- feste du prince (25 avril). Requête du triumvirat au roi (4 mai). La cour à Monceaux. Réponse de Condé à la requête du triumvirat (19 mai). Pillage des églises a" Orléans .

Armements des catholiques. Prépondérance du roi de Navarre à la cour. Négociation de d'Almeida en Espagne. Philippe II promet le royaume de Tunis au roi de Navarre et lui accorde la Sardaigne en attendant la conquête de la Tunisie.

La nouvelle de « l'entreprise » des huguenots sur Orléans saisit la cour à Melun, pendant le voyage de iv 10

146 ANTOINE DE BOURBON

Fontainebleau à Paris, et tomba sur le triumvirat comme un coup de foudre. Jean d'Estrées, le grand maître de l'artillerie, avait cependant été envoyé à Orléans pour organiser la défense de la ville4. Com- ment un capitaine diligent, voyageant en poste, s'était-il laissé devancer par une armée entière? On savait qu'il pratiquait la réforme, et les accusations de trahison sortaient de toutes les bouches 2.

La reine mère dissimulait ses espérances. Traitée en prisonnière par les triumvirs, offensée par l'enlè- vement du roi, elle voyait sans regret l'autorité échapper, avec les villes du royaume, au roi de Navarre, qui se posait en maître, au duc de Guise, déjà trop grand pour ne pas être à craindre, au con- nétable, protecteur brutal et impérieux, au maréchal Saint-André, soldat sans conscience et sans dévoue- ment. Entourée d'une petite cour de familiers plus ou moins hostiles au parti catholique, Jean de Moulue, évèque de Valence, le chancelier de l'Hospital, la dame de Grussol, la dame de Thermes, elle hési- tait à se livrer au parti réformé. En attendant les événements, elle se flattait de conserver le pouvoir suprême et même la direction du parti catholique, quand elle surprit les menées du triumvirat pour la dépouiller de la régence nominale qu'elle exerçait encore. Un gentilhomme lorrain, le s. du Parck, majordome de la duchesse de Lorraine, avait été

1. Lettres deGhantonay à Philippe II, du ? et du i avril ir>(ï2 (Orig. espagnol ; Airh. nat., K. 1497, a0 18). Autre du mémo au même, du i avril (Résumé de chancellerie; Arch. nat., K. 1496, a1 54).

2. Lettre de Ghantonay à Philippe 11. du 28 avril (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., K. 1 197, 26).

ET JEANNE DALBRET. 147

chargé d'intéresser Philippe II à une révolution de palais en faveur du roi de Navarre. La mission de du Parck coïncidait avec un changement d'attitude du lieutenant général vis-à-vis de la reine. Depuis le retour d'Almeida, Antoine avait renoncé à son ancienne défé- rence. Catherine chargea Sébastien de l'Aubespine de sonder le roi d'Espagne ; Philippe II s'efforça de dissi- per les soupçons de la reine, mais démentit faiblement cette intrigue1. Les craintes de la reine s'accrurent à la nouvelle que le duc d'Albe protégeait le s. du Parck et l'avait recommandé à Chantonay 2. Dans cette grave circonstance, Catherine eut recours à la duchesse de Savoie, Marguerite de France, la sœur de Henri II, la princesse de l'ancienne cour qui lui inspirait le plus de confiance. Elle lui écrivit, dit Tavannes, « qu'elle soupçonnoit le roy de Navarre de vouloir « osier la couronne à ses enfants, » et qu'elle avait résolu de favoriser les réformés contre le triumvirat. « Et prioit mad. de Savoie d'aider lesd. huguenots de « Lyon, Dauphiné et Provence, et qu'elle persuadast « son mary d'empescher les Suisses et levées d'Italie « des catholiques. » Cette lettre compromettante fut confiée à un joueur de luth, un de ces agents obscurs que Catherine aimait à employer. Les lieutenants du roi, mis en garde par les nouvelles de la cour, redou- blaient alors de surveillance. En traversant Chalon- sur-Saône, le joueur de luth fut arrêté, conduit à Tavannes et fouillé. Les lettres furent ouvertes et

1. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 30 mars 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat.. K. 1 1%, n

2. Lettre du duc d'Albe à Chantonay, du 21 mars 1 .")•/.' i< ni-, espagnol; Arch. nat., k. 1496, 51).

148 ANTOINE DE BOURBON

lues. A la vue de la signature de la reine, ïavannes lui rendit la liberté, mais il voulut « s'esclaircir davan- « tage » auprès de la reine. Il en reçut « maigre res- te ponce. » Cette imprudence l'empêcha, dit-il, d'être maréchal de France dix ans plus tôt « par l'offence « qu'en reçut la royne1. » La démarche de Catherine n'obtint pas le succès qu'elle espérait. Le duc de Savoie lui répondit qu'il la soutiendrait de toutes ses forces, jusqu'à lui sacrifier « sa propre vie; » mais il lui conseilla de chasser les dames de Roye et de Crussol, le chancelier et l'évêque de Valence, qui déshonoraient la cour2. Ainsi, Catherine était blâ- mée par ses plus fidèles amis. D'après Brantôme, elle aurait été menacée d'un autre danger. Un jour, en écoutant à une ouverture creusée dans le plan- cher de la chambre du roi de Navarre, elle entendit le maréchal de Saint-André opiner qu'il fallait mettre la reine mère dans un sac et la jeter à l'eau. Seul, le duc de Guise s'opposa à cette exécution sommaire3. De ces anecdotes racontées par ïavannes et par Bran- tôme, il se dégage un fait, c'est que le parti catho- lique se préparait à agir sans la reine, malgré sa volonté et peut-être contre elle. Tel est le jugement de Chantonay : « Les seigneurs catholiques, dit-il, « montrent avoir peu de crainte et pensent être les « plus forts. Je crois que, si la reine voulait être d'un

1. Mémoires de Tavannes, édit. Petitot, t. KXIV, p. 341. Si ce récil a'étail pas rapporté par un historien de la valeur de Tavannes, qous aous permettrions de le révoquer en doute.

2. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 67.

3. Brantôme, t. VII, p. 356, édit. de la SociéU <l< l'Histoire dt France.

ET JEANNE d'âLBRET. 149

« autre côté (ce que Dieu ne permettra pas), ils ne le « souffriraient pas1. »

Le roi de Navarre « se pavanait » au milieu de ses nouveaux alliés. Aveuglé par les promesses de Phi- lippe II, il restait insensible aux « pasquils » injurieux des réformés2. Le duc de Guise ne rêvait que ven- geance. Throckmorton le dépeint comme un soldat fanatique, d'autant plus dangereux qu'il ne savait « comment se faire absoudre de son exploit de

« Vassy Il devient chaque jour plus forcené, de

« sorte que la reine mère, le roi de Navarre et le « connétable ont peur et n'osent lui déplaire en rien, « car tout ici dépend de son commandement3. »

Le jour même de son arrivée à Orléans, le prince de Gondé organisa un conseil des principaux seigneurs qui avaient suivi sa fortune. Bientôt une foule de cavaliers, qui n'avaient pu suivre la « course folle » de la noblesse, se joignirent à l'armée huguenote. Le o avril, trois jours à peine après la prise d'Orléans, Théodore de Bèze écrit à Calvin que l'armée compte déjà deux mille cavaliers. Elle n'avait pas encore de gens de pied, mais elle en attendait de tous les points du royaume1. Le mouvement fut accéléré par les appels aux armes. Des émissaires furent envoyés aux églises, aux capitaines, aux seigneurs du parti réformé. Aux églises, le prince demandait

1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 2 et du 4 avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, a' 18).

•?. Théodore do Bèze écrit à Calvin le 28 mars : « La perfidie « de Julien a dépassé tous les exemples des anciens. » (Baum, Theodor Beza, Preuves, p. 176.)

3. Lettre de Throckmorton. du 24 avril [Calendars, 1562, p. 619).

4. Baum, Theodor Beza, Preuves, \>. 177.

150 ANTOINE DE BOURBON

« hommes aguerris et armez. Pour le moins, disait-il « dans sa lettre, mettez-vous en devoir de subvenir « d'argent pour en soudoyer1. » Aux seigneurs et aux capitaines, le prince adressait des convocations personnelles. Nul ne fut pris au dépourvu, comme l'ont écrit les annalistes protestants2. La plupart des réformés, depuis le massacre de Vassy, se préparaient à la guerre et s'étaient mis en campagne sans attendre le signal.

Aucuns ont pensé, dil la Noue, qu'on avoil prémédité ceci de longtemps, ou qu'il estoit avenu par la diligense des chefs : mais je puis affirmer que non, pour avoir esté présent et curieux d'en rechercher les causes. Il est certain que la plus- part de la noblesse, ayant entendu l'exécution de Vassy, pous- sée d'une bonne volonté, et partie de crainte, se délibéra de venir près Paris, imaginant, comme à l'aventure, que leurs protecteurs pourroyent avoir besoin d'elle. Et enceste manière partoycnt des provinces ceux qui estoyent les plus renommez, avec dix, vingt ou trente de leurs amis, portans armes cou- vertes et logeans par les hostelleries, ou par les champs en bien payant, jusques à ce qu'ils rencontrèrent le corps et l'oc- casion tout ensemble. Plusieurs d'entre m'ont assuré que rien ne les fit mouvoir que cela : et mesmes j'ay ouï confesser plu- sieurs fois à messieurs les princes et admirai, que sans ce bénéfice ils eussent esté en hazard de prendre un mauvais parti 3.

A Paris, et dans le voisinage, des agents soudoyés embauchaient des volontaires. Les premiers, dit le nonce, furent levés à Longjumeau4. La Popelinière

1. Lettre datée du 7 avril 1562 (La Popelinière, t. [, f. 299 v°. Mémoires de Gondé, t. 111, p. 221). .'. Nbtammenl de Bèze (Ilist. ccclisiasliqur, issi, i. I, p. 491).

3. Mémoires de La Noue, édit. Petitot, t. \\\I\ ', p. 122.

4. Lettre de Sainte-Croix, du 11 avril (Archives curieuses, t. VI, p. 77).

ET JEANNE D'ALBRET. 151

reconnaît que l'armée réformée se recruta, dans le premier moment, parmi les aventuriers sans aveu qui traînaient dans les hôtelleries de la ville. Il nomme les capitaines Coupé, Pâté, la Madeleine, le rebut des compagnies de gens de pied, et autres, dit-il, « qui « avoient toujours vécu fort scandaleusement et en « vrais enfants de la Mate1. » D'autres agents, dit Belleforest, s'efforçaient de débaucher les soldats catholiques dans les carrefours de Paris. L'un se nommait Chrétien et était d'Auxerre, « cruel, sangui- « naire et grand meurtrier de prêtres. » Un autre, de la compagnie de Noailhan, connu sous le sobriquet de capitaine Gascon, était de Toulouse. Ils subornèrent la compagnie de Forcez, chef de la garde de Charles IX, et l'amenèrent au prince de Condé2. Les armements étaient complétés en secret et dissimulés aux officiers de la ville, tous dévoués au duc de Guise. Malheur aux agents huguenots pris sur le fait. Un bourgeois, nommé Baza, cordonnier au service du roi de Navarre, dénonça plusieurs raccoleurs aux affidés du trium- virat et les fit passer par les armes3. Il n'en était pas de même hors de Paris ; le désordre général , la difficulté d'organiser l'armée royale laissaient le champ libre aux recruteurs huguenots. « Je sais, écrit « Chantonay à Philippe II, que tous les jours il leur « arrive des cavaliers et des fantassins, soit de ce « côté, soit de la Guyenne. Beaucoup passent à quatre

1. La Popelinière, t. I, f. 303. Les enfants de la Math1, dit Brantôme, étaient « les plus fins et meilleurs couppeurs de « bource et tireurs de laine. » Charles IX en fit venir un jour quelques-uns à la cour (Brantôme, t. V, p. 279).

2. Belleforest, t. II, f. 1630.

3. La Popelinière, t. I, f. 303.

152 ANTOINE DE BOURBON

« lieues de Paris, sur la grande route d'Orléans, de « quatre en quatre, de six, de huit et même de « vingt à la fois, sans cacher leurs armes. Et, si on « leur demande ils vont, ils répondent qu'ils vont « à Orléans avec autant de hardiesse que s'ils disaient « qu'ils se rendent au service de leur roi1. »

Dans les provinces éloignées, les principaux sei- gneurs du parti, aidés par les ministres, le comte de la Rochofoucault, beau-frère du prince de Gondé, le vicomte de Rohan, le comte de Gramont, les seigneurs d'Esternay et de Genlis, levaient des soldats. Au moment de l'entrée du duc de Guise à Paris, François de la Rochefoucault était à Verteil en Poitou. Il dépêcha son lieutenant, Jean de Mergey, à la reine et lui demanda ses ordres. La reine était sous le coup de l'irritation que lui causaient les menaces du trium- virat. Elle lui répondit, assure Mergey, « qu'il ne fist « point de difficulté de se joindre avec M. le prince, « et que ce qui estoit bon à prendre estoit bon à gar- ce der. » Cette réponse étonna si fort la Rochefoucault qu'il renvoya son lieutenant au prince de Coudé. Mergey arriva à Paris le 29 mars, au moment le prince venait de se mettre en campagne, et sut falsi- fier la signature du cardinal de Bourbon pour obtenir des chevaux de poste. Il rejoignit Coudé à Claye, près de Meaux, prit ses ordres et repartit pour Verteil. François de la Rochefoucault n'était pas un ambitieux vulgaire. Comme Coligny, il entrevoyait l'abîme dans lequel pouvait sombrer la monarchie et il devait

1. Lettre de Ghantona^ à Philippe II, du 11 avril (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1 197, 22).

ET JEANNE D'ALBRET. 153

perdre la vie. Mergey raconte en termes saisissants les hésitations de ce seigneur :

Estant arrivé à Verteil, je trouve M. le comte en la salle, avec compagnie de dames, lequel me voyant entrer fut comme tout transi, et se levant me fit signe que je le suivisse, ce que je fis. Il entra en la gallerie qui regarde sur la rivière, ferma la porte par derrière, je luy rendis compte de tout mon voyage; lequel, ayant entendu le tout, s'appuya sur l'une des fenestres qui regardoient sur la rivière, il demeura un gros quart d'heure sans dire un seul mot, puis, se tournant vers moy, me demanda ce qu'il debvoit faire, auquel je fis response que je n'avois pas l'esprit capable ny l'expérience suffisante pour le conseiller en affaire de telle importance, et qu'il falloit qu'il prist conseil de luy mesme. Lequel me répliqua qu'il estoit bien résolu de ce qu'il debvoit faire, mais qu'il vouloit que je luy en dise mon advis ; alors je luy dis, puisqu'il me le commandoit, que mon advis estoit qu'il debvoit faire ce que la royne et M. le prince luy mandoient, puisque il y alloil du ser- vice de Leurs Majestés et de leur liberté. Il me dist alors que telle estoit aussi sa volonté et résolution ; et quant et quant retourna en la salle trouver la compagnie avec un visage riant ' .

Le parti catholique avait espéré que le comte de la Rochefoucault, ancien lieutenant de la compagnie du duc de Guise, refuserait de prendre les armes contre son ancien capitaine, et que le vicomte de Rohan, cousin germain de Jeanne d'Albret, n'oserait désobéir au roi de Navarre 2. Mais, moins de huit jours après la prise d'Orléans, la cour apprit que ces deux seigneurs s'avançaient, l'un du Poitou, l'autre de la Bretagne, chacun à la tête d'un corps de troupes que les lieute-

1. Mémoires de Mergey, coll. Petitot, t. XXXIV, p. 'iT.

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., K. 1497, 21).

154 ANTOINE DE BOURBON

nants du roi ne pouvaient arrêter1. Le 20 avril, le comte de la Rochefoucault arriva sous les murs d'Or- léans avec trois ou quatre cents gentilshommes mon- tés et armés2. Quelque temps après, l'armée hugue- note reçut à Orléans un renfort de gens de pied de 4,000 Gascons, que le comte de Gramont avait levés en Béarn et en Gascogne, malgré les efforts du roi de Navarre3, et de 1 ,200 soldats du Languedoc, comman- dés par divers capitaines, entre autres par Peyraud et Gondorcet4.

La plupart des seigneurs, qui avaient marché d'ac- cord avec le prince de Condé, prirent parti pour la cause de la réforme, plutôt par hostilité contre les Guises que par passion religieuse. Plusieurs cependant refusèrent de faire la guerre au roi. De ce nombre, Ghantonay cite le duc de Longueville, bien qu'il fût huguenot et éloigné des Lorrains par un ressentiment implacable, et le duc de Nevers, qui, le 29 mars, avait osé suivre Condé à Meaux5.

Le prince de Condé et Coligny recevaient ces troupes qui « avolaient » de tous côtés au secours d'Orléans ; ils les divisaient en compagnies, leur dis- tribuaient des armes et s'efforçaient de les discipliner. Il fallait donner un nom et un signe de ralliement

1. Lettre de Throckmorton, du 10 et du 24 avril {Calendars, 1562, p. 595 et 619).

2. Mémoires de Mergey, coll. Petitot, t. XXXIV, p 47. La Popelinière, I. 1, f. 303.

3. Lettre de Ghantonay à Philippe II. du 11 el «lu -28 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. aat., K. L497, qos 30 el 36).

'k D'Aubigné, 1626, t. I, col. 197.

5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril (Orig. espa- gnol; Arch. uat., K. 1497, 21).

ET JEANNE d'aLBRET. 155

à une armée en désordre, composée en partie de déserteurs. Les chefs adoptèrent comme un honneur la qualification de huguenot, jusqu'à ce jour consi- dérée comme une injure, et prirent les couleurs de la maison de Condé, la casaque et l'enseigne blanches1, qui devaient devenir, sous le commandement du Béarnais, les couleurs de la monarchie des Bour- bons.

Les munitions arrivaient aussi rapidement que les soldats. Jean de Paz, seigneur de Feuquières, fut envoyé à Tours et s'empara, malgré les protestations des gens de la ville, d'une quantité considérable de poudre, de balles d'arquebuse, de boulets de canon et de quelques pièces d'artillerie. Il les chargea sur un bateau ; mais la Loire était défendue à Amboise par un pont fortifié. Il prit les devants, et seul, en parle- mentaire, il visita Jean Babou de la Bourdaisière, qui occupait le château avec les plus jeunes enfants de la reine. Il fit si bien « le bon apôtre » que la Bourdai- sière accorda l'autorisation demandée. Son arrivée à Orléans fut saluée par des acclamations. Déjà le prince de Condé avait dépouillé les églises de leurs cloches et établi une fonderie de canons, requis toutes les armes de la ville, transformé le couvent des Gordeliers en arsenal, et organisé un hôtel des monnaies sous la direction d'Abel Foulon, savant et poète, ancien valet de chambre de Henri II2.

Pour lier ses compagnons d'armes, le prince de Condé leur fit signer, le 1 1 avril, un acte d'associa-

1. Mémoires de Castelnau, t. I, p. 89, in-fol.

2. La Popelinière, t. I, t'. 305 v°. D'Aubigné, 1626, t. I, col. 189.

156 ANTOINE DE BOURBON

tion en quatre articles, dans lequel les confédérés juraient « d'employer corps et bien et jusques à la « dernière goutte de leur sang... à la délivrance du « Roy et de la Royne, la conservation des édits et « ordonnances faictes par eux et finalement la juste « punition et correction des contempteurs d'icelles l. » On sait quelles passions ambitieuses se dissimulaient sous ce verbiage. Les rebelles reconnaissaient pour chef le prince de Condé et devaient rester unis jusqu'à la majorité du roi : « c'est assavoir jusques « à ce que Sa Majesté, estant en aage, ait pris en per- ce sonne le gouvernement de son royaume2, » terme vague qui laissait le champ libre aux interprétations de l'avenir.

La rapidité de l'organisation de l'armée huguenote étonna les ambassadeurs étrangers. Chantonay en tira mauvais augure pour l'avenir. Heureusement, dit-il, les catholiques sont beaucoup plus nombreux3. Moins aveuglé par ses haines, l'ambassadeur aurait reconnu dans cet ordre méthodique l'influence d'un capitaine

t. Cet acte, rempli de protestations contre la prétendue déten- lidii du roi, lit, donner aux réformés, d'après La Popelmière, le nom de protestants, qu'ils onl gardé depuis (La Popelinière, t. I. p. 302 v).

2. Cette pièce fui imprimée en 1562 in-4°e1 in-12avec lasigna- ture seule du princo de Condé. Elle a été reproduite dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 258. L'original que M. le comte Delaborde a vu aux archives de Berne contient, outre la signa- ture de Condé, celles de Jean de Rohan, de La Rochefoucault, de Goligny, du prince de Porcian, de d'Andelot, de Piennes, de Soubize, d'Yvoy, de Morviliers, de Genlis, de Gany, etc. (Goli- gny, i. II, p. 69, aote 2).

3. Lettre de Chantonay à Philippe 11. du II avril 1562 (Orig. espagnol; A.rch. uat., K. 1497, n" 22).

ET JEANNE D ALBRET. 157

supérieur au prince de Condé, l'influence de Coligny. Poussé par une passion ardente, qu'il cachait sous un front de marbre, l'amiral, soit au conseil, soit dans les rangs de l'armée, s'imposait de lui-même par son courage, son dévouement et sa sagesse. « Omnia « geruntur, écrit Languet, consilio admiralli, hominis, « ut mihi videtur, sapientissimi et moderatissimi1. » En même temps qu'il réunissait une armée, le prince de Condé adressait aux princes étrangers des demandes de secours ou des mémoires justificatifs. Ses espérances se tournèrent d'abord du côté de l'Al- lemagne, d'où la cause de la réforme avait reçu tant d'encouragements. Le massacre de Vassy, le soulève- ment des huguenots de France y avaient eu un grand retentissement. Avant la prise d'Orléans, le prince de Condé et Coligny avaient envoyé à l'électeur palatin et au duc de Wurtemberg un gentilhomme, Louis de Bar, chargé de demander du secours2. Le 9 avril, Coligny invoque de nouveau l'appui du duc Auguste de Saxe3. Le 1 0, le prince de Condé supplie les princes de la ligue luthérienne de refuser leur aide aux chefs du parti catholique, qu'il représente comme les ennemis du roi4. Dans une lettre confiée au même messager, il accuse le triumvirat de s'être « violentement emparé de la

1. Lettre citée par M. le comte Delaborde {Coligny, t. II, p. 74). Etienne Pasquier porte le même témoignage (Lettre du 6 avril dans les OEuvres complètes, t. II, col. 98).

2. Lettre de Frédéric III au duc Christophe, du 25 mais, citée par le comte Delaborde (Gaspard de Coligny, t. II, p. 37, notes 1 et 2).

3. Ebeling, Geschichte Franckrcichs unter Karl IX, p. 1.

4. L'instruction est publiée dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 271.

158 ANTOINE DE BOURBON

« personne de nostre roy et de la royne sa mère « pour plus facillement par après exécutter sur les « pauvres fidèles leurs furieux desseins et poursuyvre « le piteux commencement de la tragédye de Vassy l. » Le 20, il renouvelle ses actes d'accusation contre les Guises2. Les princes allemands reçurent froidement ces déclarations. Ils n'étaient disposés à intervenir en France qu'au prix de subsides bien payés. Encore ne montraient-ils de préférence, entre les partis qui déchiraient le royaume, qu'au parti le plus riche et le plus généreux. Pour toute faveur à ses coreligion- naires, l'électeur palatin recommanda au roi l'exécu- tion des édits qui assuraient la liberté de conscience3, et au prince de Gondé de « ne laisser en arrière une si « belle occasion de procurer le bien et profit, non « seulement de la France, mais aussi de toute la chré- « tienté4. » Le 20, il s'avança jusqu'à assurer le prince que personne ne désirait autant que lui « l'ad- « vancement de l'évangile en France, et, dit-il, la pro- « tection et assurance de vostre personne avec la paix « et tranquillité des églises réformées en France5. » Mais aucune troupe de soldats, aucun subside d'argent, aucun secours d:armes n'accompagna ces protestations.

1. Cette lettre es! publiée par La Popelinière, t. I, f. 301.

2. Coi h' lettre, en latin, esl publiée dans 1rs Mémoires de i i. III, p. 309.

3. Lettre du 11 avril citée par le comte Delaborde (Goligny, i. Il, p. 38, note .

i. Lettre 'lu 1'.' avril publiée dans les Mémoires de Gondé, t. III, p. 272. Voyez ;i ussi la lettre de Frcdt'rie d<> Haviôro au prince de Condc, du 11 avril [Lettres de, Frédéric le Pieux, 1868, Munich, i. [,p. 280).

5. Mémoires de Gondé, t. 111. p. 308.

ET JEANNE d'aLBRET. 159

Il en fut de même des cantons suisses, malgré l'ap- pui de Calvin1.

La reine d'Angleterre se montra favorable à la prise d'armes du 1 er avril. Elle feint de regretter les troubles du royaume, écrit l'ambassadeur de France, Paul de Foix, à la reine, mais, au fond du cœur, elle s'en réjouit; elle désire ardemment le succès des réformés, afin d'écraser par le contre-coup le parti de Marie Stuart2. Le 31 mars, Elisabeth démasque sa poli- tique ; elle commande à Throckmorton d'encourager à la constance la reine mère, qu'elle traitait encore en alliée des huguenots, la reine de Navarre, Condé et Coligny, parce qu'elle avait l'intention de les soutenir3.

Le prince de Condé s'adressa même aux puissances catholiques et prétendit leur prouver qu'en prenant les armes contre le roi, il faisait acte de fidèle sujet. Le 11 avril, il dépêcha au duc de Savoie Charles de Thé- ligny, jeune capitaine de la plus grande espérance,

1. Lettre du prince de Condé aux cantons suisses, du 12 avril (Mémoires de Condé, t. III, p. 210). Lettre de Calvin citée par le comte Delaborde {Coligny, t. II, p. 37, note 2).

2. Lettre de Paul de Foix à la reine, du 29 mars 156-2 (Copie du temps; f. f'r., vol. 6612, f. 34). Cette lettre est très importante et fait connaître des faits nouveaux. L'ambassadeur écrit que le n,i de Suède est à Londres et que la reine d'Angleterre l'.iii toul ce qu'elle peut pour le retenir, dans la crainte qu'il n'aille visi- ter Marie Stuart. En conséquence, il conseille à la cour de France de favoriser le mariage de ce prince avec la reine d'Ecosse, afin de fortifier l'ennemie naturelle de la reine d'An- gleterre.

3. Calendars, 1562, p. 590. Cette lettre a été traduite et publiée par le duc d'Aumale (Hist. des Condé, t. I, p. 351) et par le comte Delaborde (Gaspard de Coligny, t. II, p. 36).

160 ANTOINE DE BOURBON

plus tard gendre de l'amiral1. Le 20, il envoya à l'em- pereur Ferdinand2, et vers le même temps au roi d'Espagne3, deux longs mémoires sur les actes de violence des catholiques, depuis la tentative d'enlè- vement du duc d'Orléans par le duc de Nemours, au mois d'octobre précédent, jusqu'à « l'arrestation » du roi à Fontainebleau par les triumvirs. Ces mani- festes, surtout le dernier, contiennent nombre de ces affirmations effrontées que les chefs de partis ont toujours à leur service quand ils parlent, non pour convaincre les étrangers, mais pour entretenir les passions de leurs sectaires.

L'ardeur des huguenots laissait peu d'espérance aux amis de la paix. Théodore de Bèze jugeait très bien les dispositions de son parti lorsqu'il écrivait, le 6 avril, à Calvin : « Pneter bellum nihil audeo spe- « rare4. » Cependant les courtisans ne prenaient pas encore la guerre civile au tragique. La plupart, à qui la légèreté de Condé était connue, espéraient que le roi de Navarre saurait ramener le prince. Le trium- virat n'annonçait de sévérités que pour Goligny 5, le véritable chef des réformés. Le connétable, dit Chantonay, était surtout ardent contre ses neveux0.

1. Instruction de Condé à Théligny (f. IV., vol. 10190, f. 151 v", copie du temps)'.

2. Cette pièce esl publiée dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 305.

3. Copie du temps, sans date (Arch. nat., k. 1500, 27).

4. Baum, Thcodor Deza, Preuves, p. 177.

5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 24 avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., k. 1497, a* 25).

6. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du S avril 1562 (Orig. espagnol ; A.rch. uni., K. 1497, 21).

ET JEANNE d'aLBRET. 161

On parlait de traduire Coligny et d'Andelot à la barre du parlement, de les dégrader, l'un de la charge d'amiral, l'autre de celle de colonel général de l'in- fanterie, et de les priver de leurs biens. Le titre d'amiral serait donné à Jacques de Savoie, duc de Nemours, pour prix de son mariage avec Françoise de Rohan, et celui de colonel général au marquis d'El- beuf, frère du duc de Guise 1 . Ainsi les deux chefs du parti catholique auraient bénéficié de la dépouille de la maison de Ghastillon, le roi de Navarre en faisant épouser au duc de Nemours sa cousine germaine par alliance, le duc de Guise en élevant le seul de ses frères qui ne fût pas encore gorgé d'honneurs.

Avant d'en arriver aux armes, le triumvirat consentit à essayer des moyens de conciliation. Malheureusement les huguenots étaient encouragés par la prise d'Orléans. Gharles de Gossé, s. de Gonnor, celui môme qui avait été chargé de retarder le prince à Augerville, fut envoyé à Orléans avec des lettres du roi, qui enjoi- gnaient à Condé de déposer les armes. Le prince répondit qu'il viendrait à la cour si le roi de Navarre lui donnait son tils en otage. Il se posait ainsi en bel- ligérant et prétendait traiter d'égal à égal avec les sei- gneurs qui parlaient au nom du roi. Les triumvirs chargèrent Jean Pot, seigneur de Rhodes, maître des cérémonies de l'ordre Saint-Michel, de citer à la barre du conseil l'amiral, d'Andelot, de Piennes, Soubise et Genlis, chevaliers de l'ordre et complices de Condé, comme prévenus de félonie. La citation ne portait pas le nom du prince, que le roi de Navarre se flattait de

1. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, I. VI, \>. 72. v iv 11

162 ANTOINE DE BOURBON

ramener par d'autres mesures. L'intimidation ne réus- sit pas. Gondé écrivit au nom de ses compagnons d'armes qu'il n'avait pris les armes « que pour mettre « le roy en liberté et la royne mère, qui, comme pri- « sonniers, estoient détenus par ceux qui gouver- « noient4. »

La réponse du prince fut apportée par un gentil- homme flamand, vers quatre heures du soir. Aussi- tôt la reine appela le roi de Navarre. Dès qu'il fut entré, elle le pria avec instance de ne pas lui refuser ce qu'elle allait lui demander. Le prince répondit qu'il ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour le service du roi et pour elle, mais qu'il ne fallait pas exiger davantage. Catherine lui confia que, malgré l'avis de ses conseillers, elle désirait entrer elle-même en conférence avec le prince de Gondé. Antoine approuva le projet et promit à la reine de l'escorter avec une troupe de vingt cavaliers2. Il invoqua alors le témoignage du messager de Gondé : « Madame, « dit-il à la reine, vous ne parlez pas comme une pri- « sonnière, car vous allez bon vous semble, quoique « cela puisse avoir des dangers plus tard. » Et se tour- nant vers le gentilhomme huguenot : « Vous rappor- « terez au prince de Gondé et à ses amis ce que vient « de dire la reine et vous serez témoin qu'elle n'est « pas prisonnière, non plus que le roi, comme on le

1. Lettre de Ghantona} à Philippe II, du 1 avril 1562 (Résumé de chancellerie ; Arch. nat., K. 1496, 54). Journal de Brus- lard dans li'- Mémoires dt Gondé, t. I, p. 79.

2. Ghantonaj constate que les catholiques trouvaient cette entrevue indigne de la majesté royale, mais lui-même ne la désapprouve pas (Lettre du 12 avril dans les Mémoires de Gondé, i. Il, p. 33).

ET JEANNE D'ALBRET. 163

« dit chez vous1. » L'entrevue se termina sur ces paroles, et la reine, sans révéler ses desseins, envoya chercher l'évêque de Valence2.

Après l'audience du gentilhomme flamand, les triumvirs se réunirent en conseil, avec le maréchal de Brissac, le nonce et l'ambassadeur d'Espagne. On agita les moyens de frapper un grand coup. Le chancelier émit un avis en faveur de la paix. A ce mot, le conné- table l'interrompit et lui dit que les questions de guerre ne regardaient que les capitaines. L'Hospital riposta que, « malgré que ceux de sa robe ne se con- « nussent à manier les armes, ils ne laissoient toute- ce fois à connoître quand et pourquoy il en falloit « user3. » Il sortit et ne fut plus admis aux conseils secrets. A la place du chancelier, le triumvirat appela Claude Gouffîer de Boisy, grand écuyer, le comte de Villars, beau-frère du connétable, d'Escars et l'évêque d'Auxerre. On décida de renvoyer une seconde fois Gonnor à Orléans avec les deux frères Robertet. Leur mission était de demander au prince le dernier mot de ses exigences. Gonnor partit le lendemain, 7 avril. Le parti huguenot avait eu le temps de pré- parer sa réponse. Condé promit de se soumettre à la condition que le duc de Guise, le connétable et le maréchal de Saint-André, qui avaient donné l'exemple des armements, déposeraient les armes et se retire- raient de la cour. A ce prix, le roi et la reine ayant repris leur liberté, il rendrait Orléans et viendrait à la

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 0 avril (Orig. espa- gnol; Arcli. Liât,, K. 1497, 21).

2. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 33.

3. Lettre de l'asquier dans ir- OEucres complètes, t. II, col. 97.

104 ANTOINE DE BOURBON

cour avec son train ordinaire1. Voici l'ultimatum du prince :

L'intention de M. le prince de Coudé et la responce qu'il fait sur ce que le roy et la royne lui ont mandé par M. de Gonnort est que, pour faire perdre au peuple l'opinion qu'il a conçue de la captivité de Sa Majesté et la royne sa mère, fault que ceulx qui sont venuz armés devers eulx et qu'il a ci-devant nommés s'en voysent en premier lieu en leurs maisons et gouvernementz.

Que le roy deppule commissaires pour faire départir les forces d'une part et d'aultre, et lesquels ayent charge de ne partir des deux costés jusqu'à ce qu'ilz ayent veu tous leurs seigneurs, et mesmes mond. s. le prince et mond. s. de Guise, réi lui Iz à leur train ordinaire.

Cependant et affin que l'on ne présume que led. s. prince veuille riens attenter, il offre de bailler entre les mains de la royne ses enfans pour en faire ce que bon luy semblera, et que, estant ceste obéissance rendue par led. seigneur, il est prest à venir trouver Leurs Majestés et faire ce qu'il leur plaira luy commander quant il sera mandé.

Demande que par mesmes moyen Mons. de Guyse Jaysse entre les mains de la royne ses enfants durant ce temps-là, tout ainsy que luy, et après qu'il revienne à la court quand il plaira à la royne luy mander.

Requiert aussi que l'édit de janvier soyt entretenu et que ceste restrinction pour la ville de Paris, faubourgs et banlieue d'icelle, soyt ostée2.

1. Lettres de Chantonayà Philippe H, du G el du 11 avril 1562 (Orig. espagnol; Aiv.h. aat., K. 1497, aos 21 et 22). Négoc. du card. de Ferrare, p. 128 et 152. Lettre de Throckmorton, du 17 avril (Calendars, 1562, p. 603). Journal do 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 92, 93 el 95. Journal do Bruslard dans les Mémoires de Gondé, t. 1. \>. T'.i. La Popelinière, t. 1, I'. 289 V.

2. Copie du temps, sans date m signature (!'. fr., vol. 6617, l'. V.i). Nous croyons que cette pièce doil être datée du 11 avril, car elle lut accompagnée d'une lettre de cette date de Gondé à la. reine (Copie; coll. Brienne, voi. 205, !'.

ET JEANNE d'ALBRET. 165

Catherine, au risque de contrecarrer la mission de Gonnor, avait donné suite à son projet de négociation personnelle. La proposition d'entrevue fut apportée au prince de Gondé par Jean de Mon lue, évêque de Valence, prélat habile et insinuant, de religion dou- teuse, « un digne ministre, dit Chantonay, pour une « telle entreprise, » que les réformés pouvaient regar- der comme un défenseur au conseil. Le roi de Navarre laissait à son frère le soin de déterminer le lieu de la conférence et lui proposait de s'y rendre, chacun avec une escorte de vingt cavaliers seulement. Monluc partit de Paris le 6 avril avec un des Gondi et deux secré- taires de commandement. Il vit le prince de Condé, l'amiral, les principaux seigneurs, protesta de la bonne volonté de la reine en leur faveur et fît goûter au prince le projet d'une entrevue avec elle. Il avait reçu l'ordre de rapporter une réponse immédiate, mais il jugea que sa négociation ne pouvait se parfaire en un jour. Pour prolonger sa mission à Orléans, il feignit de tomber malade. Les uns disaient qu'il était mort, d'autres qu'il avait embrassé la réforme. 11 revint enfin le \% avril à Paris, courut au Louvre, et, sans vouloir répondre aux questions des courtisans, s'enferma avec la reine dans le jardin du château. Les triumvirs considéraient l'évêque comme un agent de la reine plutôt chargé de trahir le parti catholique que de le servir. Dépité de ne pas être appelé, Antoine s'avisa, par manière de passe-temps, de faire « sonner les « cornets à bouquin à une fenêtre qui répondait sur « le jardin... La royne montra ne prendre grand « plaisir à la musique 1 . »

\. Lettre de Throckmorton, du 10 avril (Calendars, 1 562, p. 595) .

166 ANTOINE DE BOURBON

Les deux partis en étaient de leurs négociations, quand le prince de Condé rompit les pourparlers par un coup d'éclat. Le 8 avril, il lance un manifeste solen- nel « pour monstrer les raisons qui l'ont contraint « d'entreprendre la défense de l'autorité du roy, du « gouvernement de la royne et du repos de ce « royaume1. » Après avoir rappelé l'édit de janvier, le massacre de Vassy, l'entrée menaçante du duc de Guise à Paris, l'emprisonnement du roi à Fontaine- bleau, à Melun, à Paris, le prince proteste « que la « seule considération de ce qu'il doit à Dieu, avec le « devoir qu'il a particulièrement à la couronne de « France, sous le gouvernement de la royne, et tina- « lement l'affection qu'il porte à ce royaume, le con- « traignent à chercher tous moyens licites selon Dieu « et les hommes, et selon le rang et degré qu'il tient « en ce royaume, pour remettre en liberté la personne « du roy, la royne et Messieurs ses enfants. » Il demande à la reine de se retirer « en telle ville de ce royaume « qu'il luy plaira, pour de ce lieu commander par le <i moindre de sa maison à toutes les deux parties de se « désarmer. » Et si la reine veut rester à Paris, il la supplie de chasser de la cour le duc de Guise et ses frères, le connétable et le maréchal de Saint-André, et

Lettres de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 76, 78 el 83. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, i. Y. p. 96. Lettre de Throckmorton, du 17 avril {Calendars, 1562, p. 603). Lettre de Ghantonay, du 8 avril 1562, à Phi- lippe Il (Orig. espagnol; 4r'ch. aat., K. 1497, a" 21).

I. Tel est le titre de l'édition originale, 1562, in-8*. Cette pièce importante a été réimprimée dans toutes les éditions des Mi moires de Courir. Dans l'édition de Secousse, elle se trouve au t. III, p. 222.

ET JEANNE D'ALBRET. 167

promet à ces conditions « de se retirer volontiers et « faire désarmer toute sa compaignie qui est avec luy1 . » Le parti huguenot donna la plus grande publicité à cette déclaration. Elle fut imprimée, adressée aux sou- verains étrangers2, répandue à profusion dans toutes les villes du royaume 3. Nul huissier ne fut assez hardi pour la signifier officiellement au parlement de Paris. Mais le 1 3 avril, à l'ouverture de l'audience du matin, un huissier, du nom de David, remit un pli cacheté au président Christophe de Thou. L'enveloppe portait en suscription : « A Messeigneurs de la cour du parle- « ment de Paris, pour les très expresses affaires du « roy, de la part de Messieurs du parlement de Tou- « louse. » Le paquet contenait une lettre d'envoi, datée du 1 1 , et le manifeste du prince4, dont le texte, depuis la veille, volait de bouche en bouche. On appela David. L'huissier, sommé de révéler l'origine du message, répondit sous la foi du serment « qu'un homme inconnu « l'avoit baillé à sa servante, lorsque, estant prête à « s'aller coucher, elle ferma l'huis. Et ne l'avoit veu « ni parlé à luy5. » Sur cette déposition invraisem-

1. Cette pièce est datée du 8 avril; mais elle est signalée dans une lettre de Throckmorton, du 7. Peut-être était-elle connue la veille de sa publication. Peut-être y a-t-il erreur de date dans les Cakndars, 1562, p. 587.

2. Lettre du prince de Condé aux gens île Genève, du 11 avril (Duc d'Aumale, Histoire des Condé, 1. 1, p. 345). Lettre du

au duc de Savoie, du 12 avril (Delaborde, Goligny, t. II, p. 84).

3. Mémoires de Condé, t. III, p. 301.

4. Elle était accompagnée d'une lettre au parlement de Paris, qui est conservée dans la coll. Brienne, vol. 205, f. 375.

5. Registres du parlemenl de Paris reproduits par Mathieu {Hist. de France, t. I, p. 256), et dans les Mémoires-journaux du duc de Guise, p. 488, e1 dans les Mémoiresde Condé, t. 111, p. 273.

168 ANTOINE DE BOURBON

blable, l'huissier David fut emprisonné 4 . La déclaration de Gondé fut acceptée comme émanant d'un prince du sang et communiquée au roi. Peu après le parlement répondit au prince2.

Le même jour, à l'ouverture de la séance du soir, le duc de Guise, le connétable et son fils se présen- tèrent au parlement. François de Lorraine refusa d'user de son droit de préséance. Montmorency remer- cia le duc « de vouloir honorer son vieil âge » et remit à la cour une protestation du roi , datée du (S avril, contre « la calomnie » de sa captivité3. Puis il s'efforça de réfuter le récit mensonger des événe- ments, qui faisait le fond du manifeste du prince. Il assura que le duc de Guise n'avait fait que se dé- fendre à Vassy, qu'aucun des seigneurs n'avait pris les armes et que le roi et la reine jouissaient de toute leur liberté. Le duc de Guise prit la parole après lui, remercia le connétable de son témoignage et l'approuva en tous points. Le président de Saint-André leur donna acte et la cour, après avoir entendu les avocats géné- raux, enregistra les lettres du roi4.

1. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, i. VI, ji. su. Extrail des registres du parlemenl de Paris dans les Mémoires de Gondé, i. III, p. 279. Il lui relâché le lendemain sur parole (Ihiil., p. 280).

1. La réponse du parlement, datée du 21 avril, est dans les Mémoires de Gondé, (. III, p. ;!ll ; dans La Popelinière, t. I, f. 303, et ailleurs.

3. (les lettres sonl conservées dans La coll. Brienne, vol. 205, l'. :!7T. Le roi écrivit aux souverains dans le même sens (voyez sa lettre au die' de Wurtemberg dans le- Mémoires <l Gondé, i. III. p. 281).

i. Registresdu parlementde Paris dans les Mémoires-journaux

</// dur tir liuisr. p. 489.

ET JEANNE d'aLBRET. 169

Le manifeste du prince de Condé offensa la reine. Ce ton hautain, cette violence dans les termes, mise au service d'une rébellion ouverte, ces appels aux armes sonnés dans les villes du royaume et auprès des gouvernements étrangers, révélaient les desseins ambitieux d'un prince qui visait au pouvoir plutôt que la passion sincère d'un confesseur prêt à combattre pour sa foi. Cependant Catherine hésitait encore, quand un incident imprévu rompit les liens qui la rattachaient encore au parti huguenot.

En même temps qu'il lançait son manifeste, Condé écrivit à du Mortier, un de ses partisans secrets au conseil, et lui communiqua les lettres que la reine avait écrites dans les jours d'angoisse qui avaient précédé la surprise d'Orléans. Ces lettres ne conte- naient aucune mission précise, sauf « d'avoir sou- « venance de conserver les enffans et la mère et « le royaume, comme celluy à qui touche, » et plus loin « de l'aider à conserver ce royaume et le service « du roy. » Ces phrases vagues n'excédaient pas la portée des recommandations que la reine adressait journellement à ses officiers. Mais le prince de Condé prétendait en tirer la preuve que la reine avait voulu se remettre entre ses mains, qu'elle en avait été empê- chée par la marche audacieuse du triumvirat sur Fontainebleau et qu'elle lui avait conseillé la prise d'armes du 29 mars1.

1. Le parti huguenot, nanti de la possession de documents aussi importants à ses yeux, envoya au mois de novembre Jacques Spifame, évêque défroqué de Nevers, à la diète de Francfort pour justifier la, guerre civile. Spifame prononça, le A novembre, en présence de l'empereur, une harangue qui a été publiée à pari el réimprimée successiveme.nl dans le Sommaire-

170 ANTOINE DE BOURBON

La dépêche de Condé à du Mortier fut interceptée par les batteurs d'estrade du parti catholique et livrée au triumvirat. On apprit en même temps que le prince, s'exagérant la valeur de l'arme que la reine avait lais- sée tomber entre ses mains dans un jour d'égarement, voulait communie] uer ces lettres à tous les souverains étrangers pour justifier sa rébellion. A la nouvelle que ses prétendues promesses étaient divulguées, le pre- mier mouvement de la reine fut de nier l'authenticité de ses lettres. Elle « se troubla beaucoup, écrit Chan- ce tonay, et dit que les ennemis du roi étaient si per- « vers que, pour sauver leur responsabilité, ils avaient « falsifié sa signature1. » Son second mouvement fut de maudire l'indiscrétion du prince. Qu'espérer d'un chef de parti qui abusait des épanchements de sa sou- veraine, et qui, sans être acculé aux dernières néces- sités, livrait, à ceux que la veille encore il appelait leurs ennemis communs, les secrets confidentiels de son alliée ? « La reine, dit Sainte-Croix, s'est mise telle- ce ment en colère de l'affront qu'on lui fait en la « calomniant de cette sorte, qu'elle a dit publiquement « que ces gens-là sont des fous et des atrabilaires et

recueil des choses mémorables advenues depuis 1560 jusqu'à présent, in-8", 1564, p. 137, dans les Mémoires de Gastelnau, t. II, p. 28, el dans 1rs Mémoiresde Condé, t. IV, p. 56. Catherine de Médicis, informée de la mission de Spilame, \ ivpoïKlit par une apologie solennelle de sa propre conduite, datée du 5 décembre el adres- sée à la duchesse douairière, Christine de Lorraine, pièce impri- mée dans les Mémoires de Castelnau, t. Il, p. 13, et ilaus les Lettres de Catherine de Médicis, t. 1. p. 141. La réponse de la duchesse de Lorraine à la reine mère est imprimée à la suite de ce document (ibid., p. 143, aote).

1. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 11 avril 1562 (Orig. espagnol»; A.rch. oat., k. 1497, 22).

ET JEANNE d'aLBRET. 171

« qu'elle les traitera comme tels1 . » Le maréchal Saint- André comprit que le prince de Condé avait perdu plus de crédit en un jour dans l'esprit de Catherine qu'il n'en avait gagné depuis le commencement des troubles. Il engagea l'ambassadeur d'Espagne à la voir, à lui conseiller, au nom de Philippe II, de se séparer d'amis qui la trahissaient2. Chantonay avait déjà prié son maître d'adresser un ambassadeur extraordinaire à la reine3. En attendant l'arrivée du messager, il s'acquitta lui-même de la mission. Il trouva la reine dans l'incertitude, mais fermement décidée à user de tous les moyens pour éviter l'effusion du sang. Comme l'ambassadeur lui recommandait la rigueur, elle invo- qua l'exemple de Charles-Quint, qui avait apaisé sans prendre les armes le soulèvement de Gand en 1539. Chantonay lui riposta aigrement que ses souvenirs per- sonnels ne lui rappelaient que les nombreux supplices ordonnés par le grand empereur4. Mais les leçons de Chantonay étaient inutiles. Catherine, encore plus mécontente de ses anciens alliés que satisfaite des encouragements de l'Espagnol, s'était déjà résignée à la tutelle du triumvirat. Elle envoya chercher Anne d'Esté, duchesse de Guise, et lui confia que jusqu'à ce jour elle s'était méfiée de l'alliance des chefs du parti catholique avec le roi de Navarre, mais que les der-

1. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 89.

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 avril (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 22).

'■>. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril 1562 (Arch. nat., K. 1497, .r 21). 4. Lettre de Chantonay à Philippe IL du 13 avril 1562 (Orig. -nol; Arch. nat., K. 1497, 'ISj.

172 ANTOINE DE BOURBON

niers événements lui avaient ouvert les yeux, et que, moyennant l'assurance que sa dignité de régente serait sauvegardée, elle embrasserait résolument leur cause. La duchesse de Guise porta ces ouvertures à son mari. Aussitôt le roi de Navarre, suivi des triumvirs, accourut dans le cabinet de la reine et protesta de ses bonnes intentions. Catherine les accueillit avec empressement et leur tendit la main. Cependant elle leur demanda de s'associer à une dernière tentative de conciliation, sur la base de l'édit de janvier4, jurant que, si la nouvelle mission échouait, elle abandonne- rait le parti huguenot à sa destinée de rebelle2. Le même jour, elle adressa à Sébastien de l'Aubespine une profession catholique qui dut combler les vœux du roi d'Espagne 3, et au cardinal de Chastillon une lettre de reproche 4 ; elle y énumère ses ordres paci- fiques et reproche à Condé d'avoir répondu à chaque ordre par de nouveaux armements5. Le lendemain, \% avril, jour de Quasimodo, comme pour accentuer l'union catholique de la cour de France, la reine et tous les princes assistèrent à une messe solennelle à l'église Notre-Dame r'.

1. Lettre de Throckmorton , du 17 avril (Calendars, 1562, p. 603). L'avant-veille, le II avril, la reine avail fait signer au roi une confirmation de l'édit de janvier [Mémoires de Condô, t. III, p. 256).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 avril i()rig. espa- gnol; Areh. nai.. K. 1497, n- 22).

3. Lettres de Catherine de Médias, t. I. p. 293.

4. Le cardinal de Chastillon étail le négociateur en titre du parti huguenot. Voir sa lettre à la reine, du 7 avril (Delaborde, Goligny, i. Il, p. 571).

5. Lettres de Catherine de Médicis, t. 1. p. 290.

6. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V. p. 96.

ET JEANNE DALBRET. 173

Artus de Cossé, seigneur de Gonnor, repartit pour Orléans le 13 avril, en compagnie de Jean de Beau- lieu, seigneur de Losse, et du secrétaire d'état, Ro- hertet, s. d'Alluye '. Dans l'intervalle un massacre épouvantable avait ensanglanté la ville de Sens. La populace catholique s'était ruée sur les habitants qui passaient pour hérétiques, avait égorgé les uns et précipité les autres dans l'Yonne2. Presque en même temps on apprit que les réformés de Tours avaient été victimes d'un guet-apens aussi sanglant que celui de Vassy, mais qui avait tourné à leur triomphe. A Sens, à Auxerre, à Cahors, à Aurillac, à Carcassonne, à Avignon, dans beaucoup d'autres villes, d'après d'Aubigné, trois mille personnes avaient été « poignardées, lapidées, précipitées, étranglées, assom- « mées, brûlées, éteintes de faim, enterrées vives, « noyées et étouffées3. » Le « coup de Vassy » sem- blait un signal donné aux fanatiques de toutes les pro- vinces pour anéantir les religionnaires4. Gonnor trouva les huguenots d'Orléans en proie à l'exaltation la plus vive. Ils accusaient du massacre de Sens le cardinal de Lorraine comme archevêque de Sens, bien que ce titre appartint au cardinal de Guise, et rapprochaient ces

1. Lettre de Ghantonay, du 13 avril, à Philippe II (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 23). Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 96.

2. Mémoires de Claude Haton, 1. 1, p. 189 et suivantes. Cet histo- rien est celui qui donne le plus de détails sur ces événements. Voyez aussi un article de M. Maury sur {Histoire des guerres du calvinisme dans l'Auxerrois, par M. Ghalle, dans le Journal des Savants de 1870.

3. D'Aubigné, 1626, t. I, col. 183 et 18i.

4. Lettre de Throckmorton, du 14 mars [Calendars, 1562, p. 553).

174 ANTOINE DE BOURBON

meurtres du forfait de Vassy1. Condé avait demandé justice à la reine mère 2 et n'avait pas obtenu de réponse. La passion de la vengeance enflammait tous les esprits. Coligny se fit l'écho du sentiment des réformés en écrivant à la reine : « Madame, on « voit de telles cruautés s'exercer en plusieurs endroits « de ce royaume et fraîchement à Sens que l'on ne « peut attendre que une totale ruine de tous ceux qui « font profession de la religion réformée, avec les « langages qui se tiennent ordinairement que l'on « n'attend autre chose que de nous voir désarmés, « pour puis après nous couper à tous la gorge3. » Les sages, les modérés n'auraient pu, sans être accu- sés de trahison, prêter l'oreille à des négociations. Condé formulait des exigences inacceptables, le désar- mement du parti catholique, le renvoi des Guises et du connétable, des indemnités pour le passé, des garanties pour l'avenir4. Le roi de Navarre avait chargé de Losse de remettre une lettre à son frère, dans laquelle il lui reprochait d'être « tombé dans la boue. » Condé lui répondit en se faisant honneur de sa conduite et en

1. Mémoires de Castelnau, in-fol., t. I, p. 89. Gastelnau nomme le cardinal de Lorraine comme archevêque de Sens, mais il se trompe. Le siège de Sens appartenait au cardinal de Guise, qui avait été témoin du massacre de Vassy.

2. Lettre île Gondé, du 19 avril [Mémoires de Condé, t. III, p. 300). Le duc d'Aumale, en réimprimanl cette lettre, y a ajouté, d'après l'original autographe, un post-scriptum ires important (Duc d'Aumale, Histoire des Condé, t. [, p. 347).

::. Lettre de l'amiral de Goligny à la reine, sans date (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 498).

i. Lettre de Sa iute-( Jroix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 88. Lettre de Throckmorton, du 17 avril [Calendars, 1562, p. 603). Négoc. du card. dt Ferrari , p. 152

ET JEANNE d'aLBRET. 175

glorifiant sa prise d'armes4. Gonnor revint à Paris le 14 avril sans avoir pu remplir sa mission2.

Quelques jours après, le 19 avril, Catherine réunit le roi de Navarre, le duc de Guise, le connétable, les maréchaux de Saint-André et de Brissac, « et leur dit « qu'en considérant les intérêts du royaume et les « menées des ennemis du roi, elle voyait clairement la « gravité des événements et les mauvais conseils qui « lui avaient été donnés par ceux auxquels elle s'était « fiée. En conséquence, elle les priait de mettre de « côté toute animosité et de chercher un remède effi- « cace, leur promettant de suivre leurs conseils. Elle « dit que jusqu'à ce jour elle n'avait pu se résoudre à « suivre une autre voie que celle de la douceur, mais « que, à cette heure, voyant la hardiesse des ennemis, « elle voulait mettre cette affaire aux mains des capi- « taines. Elle promit de leur laisser tous les pouvoirs « du roi, de leur remettre l'argent nécessaire, d'agir « elle-même de son côté. Et elle ajouta qu'elle avait « l'espoir que c'était pour le service de Dieu et le bien « du royaume3. » Elle pria le nonce de recommander à Philippe II la demande de secours du roi très chrétien4. Son langage se modifia ; elle « parla avec plus de « hauteur et de fierté. » Son crédit s'accrut ; le roi

1. La lettre de Gondé est imprimée par le duc d'Aumale (Hist. des Condé, t. I, p. 347).

2. Lettre du cardinal de Ghastillon à la reine, du 15 avril (Delaborde, Coligny, t. II, p. 573). Cette lettre fut répandue à la cour. On en trouve des copies dans plusieurs recueils manuscrits du temps.

3. Lettre de Cliantonay à Philippe II, du 24 avril 1562 (Orig. espagnol; Arcli. nat., k. 1497, 25).

\. Ibid.

176 ANTOINE DE BOURBON

signifia aux courtisans « que, si quelqu'un n'avoit pas « autant de respect pour sa mère qu'il luy en estoit dû, « il ne l'oublieroit jamais et qu'il lui en feroit paroitre « son ressentiment quand il seroit dans un âge plus « avancé. » Ces reproches étaient la revanche des scènes de Fontainebleau. Aussi, dit Sainte-Croix, les triumvirs parlaient à la reine avec déférence. Un jour, au conseil, sur un mot déplaisant du maréchal de Saint-André, Catherine « luy fit une si grande rebuf- « fade qu'il faillit verser des larmes1. » Les Guises informèrent Philippe II du changement de la reine ; ses hésitations précédentes, disaient-ils, étaient inspi- rées par le « regret de différer l'exécution de ce « qu'elle a toujours plus que nulle autre chose dési- « rée. » Le roi de Navarre ajouta son témoignage : « J'ay bien voullu vous témoigner pour vérité le « contenu en ceste lettre comme celluy qui a la prin- « cipale connoissance et des effets et de l'intention « d'icculx2. »

La prise des villes de Tours, de Blois, du Mans et d'Angers (30 mars au 5 avril) avait allumé les espé- rances des huguenots; la prise de Rouen (16 avril) mit le comble à leur enthousiasme3. La prise de Lyon (30 avril) accabla, dit Throckmorton, la fermeté des catholiques4. Le duc de Guise lui-môme était près de céder au découragement. Le roi de Navarre avait

1. Lettre de Sainte -Croix, du 'J'.t avril, dans les Archives curieuses, t. VI, p. 94.

2. Lettre du 2i avril 1562, publiée par le comte Delaborde (Coligny, t. II, p. 85).

3. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 97.

i. Sur la prise de Lyon voyez une série de pièces dans Les Mémoires île Condé, i. III, p. 339.

ET JEANNE d'aLBRET. 177

« l'esprit fort perplexe1; » il tomba malade « d'une « grosse fièvre » qui dura plusieurs jours2. Seule, Catherine garda toute son énergie. Elle renforça le conseil du roi de huit chevaliers de l'ordre, afin de balancer l'autorité des conseillers du tiers parti, suspects au parti catholique. Les nouveaux élus étaient le maréchal François de Montmorency, secrètement dévoué à la réforme, mais dont le connétable pouvait répondre, le comte de Villars, le grand écuyer de Boisy, Louis de Lansac, Jacques de la Brosse, lieutenant du duc de Guise, Charles de la Rochefoucault-Randan et le comte de Carces3. La reine mère interdit à Renée de France , duchesse de Ferrare , l'exercice de la réforme à Montargis, sous peine d'être renfermée dans un couvent 4, et fit crier à Paris la défense de procéder aux cérémonies calvinistes qui avaient été tolérées jusqu'alors. « Ceux qui autrefois, dit Sainte-Croix, « n'entraient jamais dans les églises s'y tiennent « maintenant avec de belles apparences de dévotion 5. » Aux dispositions militaires du roi de Navarre Cathe- rine ajouta des mesures équitables, qui pouvaient séduire les hommes modérés. Le roi publia la liste des

1. Lettre du 47 avril (Galendars, 1562, p. 603).

2. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 89.

3. Lettre de Throkmorton, du 24 avril [Galendars, 1562, p. 619).

4. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. \ 1 -, p. 74. M. Jarry a raconté, avec les pièces à l'appui, parmi les- quelles se trouve une curieuse enquête datée de 1608, le pillage des '-lises de Montargis, qui eut lieu le 9 mai 1562, el les excès de tout genre commis par les huguenots dans cette ville si m- les yeux et avec la complicité de Renée de France, duchesse de Ferrare (Renée de France à Montargis, Orléans, 1868).

5. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 86 et 93.

iv 12

178 ANTOINE DE BOURBON

villes serait toléré l'exercice de la religion nouvelle, afin de délimiter les prescriptions de l'édit de janvier1. Le parlement de Paris entama une information sur les massacres de Sens2. Le roi commit la grand'chambre du parlement pour connaître « des excès faits à Vassy « le 1er mars3. »

Les triumvirs ripostèrent à l'accusation de tenir le roi en captivité par une calomnie non moins invrai- semblable. Le roi de Navarre feignit de croire que son frère était prisonnier des huguenots et qu'ils le retenaient de force à Orléans4. Le 1(.) avril, fut crié dans les rues de Paris à son de trompe « que les « armes que l'on tenoit estoient pour recouvrer M. le « prince de Condé, qui estoit détenu par les hugue- « nots5. » Le « pauvre peuple » accepta le prétexte avec autant de confiance que la plèbe de la réforme croyait à l'emprisonnement du roi. Pasquier constate que les uns faisaient la guerre pour délivrer le roi, les autres le prince de Condé. « C'est bien, à la vérité, <r troc pour troc, » dit-il0.

Le 2!3 avril, le parti catholique reçut un aide impor- tant. Le cardinal de Lorraine, qui s'était éloigné de la cour à la suite du colloque de Poissy, entra à Paris.

1. Mémoires de Condé, t. IV, p. 333.

2. Mémoires de Condé, i. III, p. 315.

3. Mémoires de Condé, t. III, p. 31»"» el 354.

4. Lettres de ChailtOIiay, du 1;' avril, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 33. Lettre <ln même à Philippe II, du 13 avril 1562 (Orig. espagnol; A.rch. nat., K. I i'.'T, 23). Lettre de Throck- morton, du 24 avril (Calendars, 1562, p. 619).

5. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, i. Y, p. 99.

Lettre de Sainto-Croix dans les Archives curieuse*;, t. VI, p. 91.

6. Lettre de Pasquier dans les OEuvi complètes, t. II, cul. 100.

ET JEANNE d'aLBRET. 179

Le roi de Navarre avait envoyé son fils au-devant de lui. Le cardinal de Bourbon et le cardinal de Guise, accompagnés d'une troupe de seigneurs de 2,000 che- vaux, s'étaient joints au cortège. La reine le reçut avec un empressement affecté, afin de lui faire oublier ses précédentes hésitations. Charles de Lorraine fut logé au Louvre auprès du roi. Catherine le pria d'enseigner la religion chrétienne à ses enfants. Avec l'éducation qu'ils ont reçue, dit malignement Chantonay, « ils ne « peuvent avoir l'intelligence bien développée, » sur- tout le duc d'Orléans1. Le lendemain et les jours sui- vants, le cardinal de Lorraine prêcha à Notre-Dame, puis à Saint-Germain-l'Auxerrois. Chaque jour le zélé prélat montait en chaire, « chose toute nouvelle pour « moi, » observe Pasquier. Il était suivi « d'une « incrédule affluence d'auditeurs » et les encourageait à « plustot mourir et se laisser épuiser jusqu'à la « dernière goutte du sang que de permettre, contre « l'honneur de Dieu et de son église, qu'autre religion « eut cours en France que celle que nos ancestres « a voient si estroitement et religieusement observée2. » Pendant les armements, les négociations se ravi- vaient en secret. Le 20 avril, le prince de Condé envoya dire à la reine 3 par son secrétaire « que, ayant « appris que ni le roi ni elle n'estoient prisonniers, il

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 avril 1502 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 26). Journal de 156-2 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 99. Lettre de Sainte-Croix iJans les Archives curieuses, t. VI, p. 95. Cette pièce parait inexacte- ment datée par l'éditeur.

2. Lettre de Pasquier dans les OEuvr es complètes, t. II, col. 100. :'. Journal de 1502 dans la Revue rétrosp., t. V, p. 99. Lettre

de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 95.

180 ANTOINE DE BOURBON

« désiroit recevoir ses ordres de sa propre bouche1. » Le cardinal de Chastillon recommandait l'entrevue du prince et de la reine2. L'ambassadeur d'Espagne encou- rageait le roi de Navarre à y prendre part. Antoine chargea le secrétaire de Condé de proposer à son maître une conférence à Étampes. Les chefs catho- liques voulaient détacher Condé de son parti et infliger à ses complices un châtiment éclatant3. Catherine aurait voulu comprendre l'amiral et d'Andelot dans « l'appoinctement , » mais le lieutenant général s'y refusa, parce que, disait-il, ils étaient les vrais inspi- rateurs de la rébellion de son frère4. Le 24 avril, Jean de Morvillier, évoque d'Orléans, et Claude de l'Au- bespine, secrétaire d'état, furent députés à Orléans avec les réponses de la reine mère et du roi de Navarre 5 .

Les pourparlers paraissaient en bonne voie, quand le prince de Condé lança, le %b avril, un nouveau manifeste plus offensif que le premier. Sans rien abandonner de ses précédentes exigences, il y pré- sente l'apologie de son parti ; il accuse les triumvirs et les chefs du parti catholique des troubles actuels ; il s'attribue le soin de la défense des édits royaux

1. Lettre »lc Ghantonay, du 24 avril 1562, à Philippe II (Orig. espagnol ; Arch. nat., k. 1497, 25).

2. Lettre du card. de Chastillon à la reine, du 20 avril (Dela- borde, Goligny, t. Il, p. 573).

3. Lettre de Ghantonay, du 24 avril, citée plus haut.

i. Lettre de Ghantonay, du 2 mai, dans les Mémoires de Condé, i. 11, |». 35.

5. Journal de 1562 dans la Bévue rétrospective, t. V, p. 100. Lettre de Ghantonay à Philippe 11, du 28 avril 1562 (Arch. nat., K. 1497, ii 26). Nègoc. du card. de Ferrure, p. 179.

ET JEANNE d'aLBRET. 181

et somme les bons sujets du roi, les cours souveraines, les officiers de justice de « luy prester aide, faveur « et assistance en une cause si juste et si sainte. » Ce factum laisse tomber en oubli la fable de la captivité du roi, mais il reproduit les accusations contre le parti catholique, avec lesquelles les seigneurs hugue- nots entretenaient les passions de l'armée1. Le prince adressa son nouveau manifeste aux parlements de Paris2, de Rouen3 et d'Aix4. La cour de Paris com- muniqua la pièce au roi et chargea l'huissier Acarie de signifier sa réponse au prince. L'huissier remplit sa mission au prix de dangers qu'il relate dans son pro- cès-verbal5.

Cette nouvelle bravade aigrit encore les esprits. Jean de Morvillier et Claude de l'Aubespine revinrent à Paris le % mai 6 et eurent une conférence avec la reine dans le jardin du Louvre. La reine avait imaginé de réconcilier le prince de Condé et le duc de Guise sur la base d'un mariage à contracter entre le fils aîné du prince et la fille du duc. Les futurs époux n'étant encore que des enfants, Condé avait répondu avec mépris « que « c'estoit paroles perdues". » Cependant, Catherine

1. Mémoires de Condé, t. III, p. 319.

2. Mémoires de Condé, t. III, p. 333.

3. Gopio, du temps, f. fr., vol. 4053, f. 6.

4. Lettre du prince de Condé au parlement d'Aix, du 1er mai 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 10190, f. 170).

5. Mémoires de Condé, t. III, p. 334 et 335.

i.. Ils apportaient à la reine une lettre du prince datée du 24 avril, et au roi une lettre du 29 avril 1562 (Coll. Brienne, vol. 203, f. 399, et vol. 205, f. 119). Ces deux lettres sont pleines de protestations pacifiques.

7. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 83. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. lui.

182 ANTOINE DE BOURBON

cherchait, à défaut de l'évêque de Valence, suspect aux triumvirs, un négociateur plus souple que des secré- taires d'état ou des capitaines, tous plus ou moins com- promis dans leurs partis respectifs. Elle jeta les yeux sur Madeleine de Roye, belle-mère du prince, dame d'un grand caractère et considérée parmi les rebelles comme « une mère de l'église. » La dame de Roye refusa la mission. Catherine choisit alors un personnage sans notoriété politique, l'abbé de Saint-Jean de Laon, familier du cardinal de Lorraine, et l'expédia à Orléans avant même le retour de Jean de Morvillier1. Il revint à Paris le 3 mai et n'apporta à la reine de la part du prince que de vagues protestations pacifiques2. Rien n'était modifié dans la situation des belligé- rants, mais les conseils de Jean de Morvillier et de Claude de l'Aubespine portaient des fruits. La dame de Roye et le cardinal de Chastillon s'employaient activement en faveur de la paix. Le bruit courut que le cardinal de Bourbon et le prince de la Roche - sur - Yon étaient partis secrètement pour Orléans3. La reine répondit au prince de Condé sur un ton de conciliation4. Le môme jour, le roi publia une déclaration favorable à l'exécution de l'édit de janvier5. Les dispositions du prince lui-même présa-

1. La Popelinière, t. I, !'. 305 v°.

2. Mémoires de Condé, i. 111, p. 3S7 . Lu lettre du prince est accompagnée d'un mémoire qui se trouve dans le même recueil, p. 384, 'M dans La Popelinière, i. [, f. 306.

3. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 101.

i. La lettre, datée du i mai, est imprimée dans les Mémoires tir Condé, i. III, p. W'.ï. Le roiécrivil aussi au prince. Sa lettre esl dans La Popelinière, t. 1, f. 307 v°.

5. Le frère de Laval, Hist. des troubles, t. I. f. 153 v°.

ET JEANNE D'ALBRET. 183

geaientune détente. Il adressa à la reine un mémoire raisonné, qui s'élevait au-dessus des entraînements de ses partisans1. Pour la seconde fois la paix semblait probable, quand les bas sectaires du parti huguenot engagèrent la lutte en province par un crime odieux, qui imposa silence aux négociateurs. Le duc de Guise, comme gouverneur du Dauphiné, avait pour lieute- nant Biaise de Pardaillan, seigneur de la Mothe-Gon- drin, capitaine gascon, qui s'était illustré dans les guerres d'Italie. A la nouvelle de la prise d'Orléans, la Mothe-Gondrin leva deux enseignes de gens de pied et se mit en campagne, serré de près par François de Beaumont, baron des Adrets. Le roi de Navarre comp- tait faire, de l'armée de la Mothe-Gondrin, le pivot de ses opérations militaires dans l'Est2. Le 25 avril, la Mothe-Gondrin s'était rendu à Valence pour veiller aux élections consulaires de la ville. Il y fut reçu avec méfiance. Quelques jours auparavant, dit de Thou, des coureurs huguenots avaient intercepté des lettres du duc de Guise, qui contenaient des ordres sangui- naires3. Le bruit courut que la Mothe-Gondrin venait les mettre à exécution. Le 26, les réformés prirent les armes et engagèrent la lutte dans l'intérieur de la ville. La compagnie de la Mothe-Gondrin fut bientôt débordée .

1. Ce mémoire, daté du 2 mai, avant que l'on connût à la cour les événements du 27 avril, est imprimé par La Popelinière (t. I, p. 306) et dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 384.

2. Lettre du roi de Navarre au s. de la Mothe-Gondrin, du 28 avril; Copie du temps; Arch. de Lyon, AA. 2i, 125. Voyez aussi la lettre de la reine de même date [Lettres de Cathe- rine de Médicis, t. [, p. 299).

3. Cette lettre, écrite au lendemain du massacre de Vassy, esl publiée par de Bèze (1881, t. II, y. 402).

184 ANTOINE DE BOURBON

Dans la nuit du 26 au 27 avril, le baron des Adrets parut sous les murs à la tête d'une armée de 8,000 hommes, s'empara d'une des portes, livra bataille aux troupes catholiques et les mit en déroute. La Mothe-Gondrin battit en retraite dans son logis et y fut bientôt forcé. D'après les uns, il capitula sur la parole du baron des Adrets ; d'après les autres, il fut pris les armes à la main. Un gentilhomme, nommé Jean de Vise deMont- joux, se précipita sur lui le poignard à la main et le frappa dans l'aîne au défout de la cuirasse. Le cadavre du lieutenant du roi, traîné dans les rues aux accla- mations de la plus vile multitude, fut pendu aux fenêtres de la maison de Gaspard de Saillans, la victime avait perdu la vie1. La Mothe-Gondrin avait longtemps servi en Italie et dans le Nord sous les ordres du connétable et du maréchal de Saint-André ; il était le compagnon d'armes de presque tous les capi- taines de l'armée catholique. Sa mort était une menace personnelle à l'adresse de tous les gens de guerre fidèles au roi. La nouvelle arriva à la cour le 3 mai2. Le lendemain, 4 mai, le triumvirat lança, en réponse au manifeste du prince de Condé, une requête reten- tissante, qui demandait au roi, sur un ton impérieux, « de n'approuver, ne souffrir en son royaume aucune « diversité de religion3. » Dans une seconde déclara-

1. De Thou, i. III, p. 218 h suiv. Histoire ecclésiastique, i. Il, p. iO'i. Mémoires de Condé, t. III. p. 444. —Le baron des Adrets écrivil à la reine, pour se disculper du meurtre, une lettre qui lui imprimée en 1562 e1 qui se retrouve dans les Mémoiresde

Cm,!,, I. III, p. 348.

I. Lettre du roi de Navarre à Laurenl de Maugiron, «lu i mai (Copie du temps; Arch. de Lyon, A.A. 24, n* lv*6). .:. i lette pièce importante a été plusieurs fois imprimée, notam-

ET JEANNE D'ALBRET. 185

tion du même jour, les triumvirs offraient de se reti- rer à la condition que le prince de Condé mettrait bas les armes4. Les deux pièces furent immédiatement publiées, lues en chaire, placardées dans les carrefours de Paris aux applaudissements de la multitude, adres- sées à toutes les villes, aux officiers du roi et aux sou- verains étrangers.

Cette démonstration rompit les pourparlers. L'abbé de Saint-Jean revint le 5 mai à Orléans et ne put dissi- muler l'ardeur vindicative des triumvirs. Goligny écrivit, le 6 mai, à son oncle le connétable, avec lequel il était en hostilité depuis longtemps. Après lui avoir reproché de se laisser traîner à la remorque de ses ennemis et de travailler à la ruine de sa propre maison : « Toute la compaignie qui est icy, dit-il, n'est pas déli- ai bérée de se laisser prendre au piège, et tout ainsy « que l'on ne veult point donner la loy à ceulx de « l'église romaine, aussy ne veult l'on point recevoir « la loy d'eulx2. » Le prince de Condé répondit au roi de Navarre que la requête du triumvirat l'avait « tellement diverty de ma première délibéra- it tion, dit-il, qu'il ne m'a esté possible me résouldre « à faire responce à ce que leurs Majestés et vous

ment par La Popelinière (t. I, t'. 306) et dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 388. L'original, signé de François de Lorraine, de Montmorency et de Saint-André, est conservé dans le f. fr., vol. 6611, f. 2?/

1 . dette seconde requête est imprimée dans les Mémoires de Condé, 1. III. p. 392. L'original, signé des triumvirs, est conservé

le f. fr., vol. 6609, f. 52.

2. La lettre de Goligny ;i été publiée par Le Laboureur dans les Mémoires de Castelnau (t. I, p. 7.">7i et dans les Mémoires de Condé (t. III, p. '1 il 1. L'original est conservé dans les Ve de Gol- bert, vol. 21, pièce 11!.

180 ANTOINE DE BOURBON

« m'avez mandé 4 . » L'abbé de Saint-Jean porta cette lettre, le 9 mai, à Paris et repartit le lendemain2 avec un billet de la reine, qui informait Gondé que le roi ne permettrait pas au triumvirat de quitter la cour3. L'amiral signifia au nom de son parti que la prétention des triumvirs de supprimer le protestantisme en France équivalait à une déclaration de guerre à mort*. L'évèque de Valence, qui se tenait de sa personne à Orléans, afin de faire mouvoir les intrigues dont il avait le secret, écrivit à la reine que les chefs huguenots étaient devenus intraitables, que « tout le mal procé- « doit d'un double de requête qu'on disoit avoir été « présentée par MM. de Guise, connétable et maréchal « de Saint-André, » et demanda à la reine de mettre fin à sa mission5. L'abbé de Saint-Jean revint le 12 à Paris et rapporta à la cour de nouvelles récriminations contre le triumvirat, qui rajeunissaient l'ancienne fable de la captivité du roi6.

Cette calomnie, popularisée par le parti huguenot, faisait le tour du royaume. La délivrance du roi était le mot d'ordre des rebelles. Le bruit s'était répandu que les triumvirs avaient séparé le roi de sa mère et l'avaient enfermé dans une chambre, il

1. Original, daté du S mai 1562; i". fr., vol. 6607, f. 20.

2. Journal de 1502 dans la Revue rétrospective, i. V, p. 103.

3. La lettre «le la reine, datée du 9, est dans Lettres de Cathe- rine de Màlicis, l. I, p. oO'.l.

i. Cette lettre esl publiée par le e.nnue Delabonle, Goligny, t. Il, i». 102.

f,. Original, daté du 11 mai 1562; f. fr., vol. 0007, f. 23.

0. Journal de 1.">02 dans la Revue rétrospective, [. V, p. 104. Lettre du prince de Gondé à la reine, du H mai 1562. Cette lettre appartenait à. M. Ratherj el figure sur le catalogue de vente de ses autographes sous le u" 778.

ET JEANNE D'ALBRET. 187

pleurait sans cesse, « disant qu'il voulait être sous la « tutelle de sa mère et non d'aucune autre personne1 . » On conseilla à Catherine de conduire le roi hors de Paris, afin de prouver à tous, amis et ennemis, que la famille royale n'était pas retenue sous les verrous du triumvirat2. Le 12 mai, la cour se rendit à Meudon et prit part à une fête offerte par le cardinal de Lor- raine3. Le 13, la reine partit pour Monceaux-en-Brie avec les cardinaux de Bourbon et de Ferrare, le prince de la Roche-sur-Yon, tous les Lorrains, le connétable, le maréchal de Saint-André et le chancelier4. Mon- ceaux était une habitation de plaisance, que la reine aimait à cause de ses jardins. Les princes et les sei- gneurs s'y établirent difficilement, les uns dans le châ- teau, les autres dans des maisons particulières. Mais la crainte de laisser la reine à ses anciennes inspira- tions rendait les triumvirs peu exigeants sur le choix du logis5. Le roi de Navarre, le connétable et les Guises furent bientôt rappelés à Paris par les soins de leurs armements6. Le 18, le roi de Navarre, informé par le secrétaire Bourdin que la reine était malade « d'un flux « de ventre qui lui donne un mauvais goust à la bou-

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 6 avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 21).

2. Lettre de Chantonay, du 19 et du 28 mai, à Philippe II, (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, nos 33 et 36). Lettre du même dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 41. Négoc. du card. de Ferrare, p. 198.

3. Journal de 1562 dans la lierue rétrospective, t. V, p. !04.

4. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 104. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 99.

5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 19 mai L562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. '1497, 33).

I). Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. Y, p. 106.

188 ANTOINE DE BOURBON

« che1, » revint en poste à Monceaux2. La reine était déjà rétablie et avait écrit au connétable que « les enfans « et la mère faisaient très bonne chère3. » Le 20 mai, le prince repartit pour Paris, régnait une agitation dangereuse. L'absence du roi et de la reine mère était une cause de terreur pour la ville*. Catherine s'ex- cusa au parlement d'avoir emmené le roi à Monceaux, « parce qu'il estoit nécessaire de luy faire changer d'air « pour le bien de sa santé et afin aussy de donner à « connoître à chacun, dit-elle, que nous ne sommes « point prisonniers comme aucuns l'ont voulu dire5. » La reine espérait que les huguenots diminueraient leurs exigences en apprenant qu'elle n'était plus sous la pression du duc de Guise. Elle se flattait d'exercer de Faction sur le prince de Gondé et le prince lui- même n'épargnait ni égards ni serments pour entre- tenir cette illusion. Quelques jours auparavant, elle l'avait prié de sauver du pillage les haras de Meung-sur-Loire, le roi, depuis le règne de Henri II, entretenait une écurie de chevaux de prix. Condé lui répondit le 11 mai : « Tant s'en fault, Madame, « que , non - seulement en cella mais en moindre « chose, je voulsisse souffrir qu'il fust en rien entre- « prins, il n'y aura personne en ma trouppe qui

t. Lettre de Bourdin au roi de Navarre, du 17 mai 1562 (Orig., f. fr., vol. 15876, f. 63).

2. Lettre de Ghantonay, du 19 mai, dans les Mém ' 'es de Condé, t. 11, i». il.

3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 317.

'i. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, i. V, p. 106. Anvt du 21 mai [Mémoires de Gondé} t. 111. p. i49 el 150). Lettre de Ghantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 43.

5. Lettres de Catherine de Médicis, t. 1, p. 321.

ET JEANNE d'aLBRET. 189

« contreviegne à voz commandements1. » Convaincue de son influence, la reine reprit les négociations en son nom personnel. Villars et Vieilleville, deux capi- taines du plus haut rang, furent députés à Orléans avec des propositions nouvelles2 : les triumvirs quitteraient la cour sans attendre le licenciement de l'armée hugue- note; les forces du roi resteraient entre les mains du roi de Navarre, qui ne pouvait être suspect aux com- pagnons d'armes du prince de Condé3. L'armée pro- testante accueillit les deux ambassadeurs par des railleries. Le s. de la Mothe, capitaine des aven- turiers, écrit à un de ses coreligionnaires : « Hier « sont arrivés le comte de Villars et de Vieilleville « pour une paix fourrée, c'est que les s. du « triumvirat partiront de la cour, mais les forces « demeureront entre les mains du roi de Navarre. Par « ainsi, nos forces dissipées, nos ennemis reviendront « incontinent et puis grand chère de nos têtes. Mais, « Dieu merci, ils ont affaire à des entendeurs4. » Condé répondit officiellement qu'il ne déposerait les armes que si les églises jouissaient de toute liberté5, et les

1. F. fr., vol. GG07, f. 21. Malgré ces protestations, le prince de Condé s'empara du haras de Meung et y prit vingt-deux étalons qui servirent à monter ses capitaines (Brantôme, t. IX, p. 348).

2. Lettre de la reine au parlement, du 21 mai Mcmoùrs de Condé, t. III, p. U'.'i. Lettre de la même au roi de Navarre {Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 314).

3. L'instruction confiée à Villars et à Vieilleville a échappé aux recherches de Secousse. Elle est conservée dans la coll. Brienne, vol. 205, f. 459.

4. Lettre du capitaine La Mothe, du 21 mai (Copie du temps; 1. fr., vol. 10190, f. 173).

5. Lettre de Condé à la reine, du ?"2 mai 1562 (Copie du temps;

190 ANTOINE DE BOURBON

deux négociateurs s'en retournèrent le 26 mai à Paris avec cet ultimatum1. Les seigneurs, réunis à Orléans sous le commandement du prince, confirmèrent par un acte collectif la déclaration de leur chef2. Le cardinal de Chastillon écrivit à la reine qu'il n'avait pu tempérer leurs exigences3. Chaque parti offrait de poser les armes, mais nul ne se souciait de donner l'exemple dans la crainte d'être accablé par l'ennemi. Peut-être étaient-ils également fondés dans leurs soupçons. Tout se préparait à la guerre, dit de Bèze, mais « on ne laissoit de plaider par escrit, fust « qu'une partie taschat d'endormir l'autre, fust que « quelques-uns taschassent à la vérité de pacifier ces « troubles par quelque bon et doux moyen4. »

Pendant que la reine était à Monceaux, le prince de Gondé avait répondu le 1 9 mai à la requête du triumvirat. Son manifeste, plus développé que les pré- cédents, n'est pas seulement un réquisitoire contre les actes du parti catholique ; il anathématise la direction donnée à l'éducation du roi, l'usurpation des triumvirs, la bassesse des Guises devant le nonce et l'ambassadeur d'Espagne, leurs violences à Paris, la trahison dont ils s'étaient rendus coupables au profit de Philippe II vis-

coll. Brienne, vol. ".'05, f. 494). Cette lettre est une répétition des précédentes. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 86. Lettre de Tornabuoni (Ncgoc. île la France avec la Toscane, t. III, p. 'iTTL

1. Journal de I.M1;' dans la Revue rétrospective, t. V, p. 108.

2. La réponse de la noblesse est dans les Mémoires de Gondé, i m, p. ï;,s.

3. heure datée du 22 mai (Delaborde, Coïigny, t. II, p. 574).

4. Histoire ecclésiastique, loc. cit.

ET JEANNE d'aLBRET. 191

à-vis du roi de Navarre1. Ce factum ne paraît rédigé ni par de Bèze ni par les secrétaires ordinaires du prince de Gondé. On pressent un rédacteur plus habi- tué aux secrets de la haute politique et mieux informé de la mystérieuse ambition de la maison de Guise. Le cardinal de Ferrare dit que le manifeste fut attribué à l'évêque de Valence 2, et cette attribution a d'autant plus de fondement que l'évêque était en ce moment même à Orléans3. Le prince adressa sa déclaration au parlement de Paris, qui refusa de la recevoir et la renvoya au roi. Il l'adressa aussi à la reine en la suppliant « de la faire « attentivement lire devant elle4. »

La réponse du prince de Condé à la requête du triumvirat fut reçue comme une déclaration de guerre. « Il ne fut plus question, dit de Bèze, de débattre par « écrit, mais fut résolu de sortir de Paris et de faire la « guerre5. » L'ardeur belliqueuse des religionnaires, entretenue par les nouvelles qui arrivaient coup sur coup à Orléans, poussait Condé à prendre une revanche éclatante des massacres de Vassy et de Sens. Son pre- mier exploit fut de piller les églises d'Orléans. Les

1. Cette pièce est imprimée dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 395.

2. Lettre du 20 mai; Négoc. du card. de Ferrare, p. 197.

3. L'évêque de Valence était encore à Orléans le 21 mai (Lettres de ce personnage aux consuls de Valence et à l'abbé de Malloc ; Copies du temps; f. fr., vol. 10190, f. 163).

4. Lettre de Condé au Parlement [Mémoires de Condé, t. III, p. 417). Arrêt du Parlement (Ibid., p. 446). L'arrêt du Parle- ment porte la date du 14 mai par erreur. Autre arrêt du Par- lement du 26 mai (Ibid., p. 418). Procès-verbal de Jean du Tillet (Ibid., p. 446). Lettre de Condé à la reine (Ibid., p. 416).

5. Histoire ecclésiastique, 1840, t. II, p. 46.

192 ANTOINE DE BOURBON

restes de saint Agnan, premier évêque de la ville au Ve siècle, les reliques des églises, le cœur de Fran- çois II, enseveli dans le chœur de la cathédrale Sainte- Croix, furent brûlés et jetés au vent ; les châsses des saints , les vases précieux , les ornements d'or et d'argent fondus au profit de l'armée. Les églises des environs n'échappèrent pas aux fanatiques. L'oratoire de Notre-Dame de Cléry, célèbre par la dévotion de Louis XI, la chapelle sépulcrale des seigneurs de Longueville , descendants du grand Dunois, furent saccagés de fond en comble ; le mau- solée de Louis XI détruit, les tombeaux violés, les monuments brûlés ' . Théodore de Bèze raconte ces crimes en termes pleins d'indulgence. « Le 21 avril, « quelques églises se trouvèrent avoir esté ouvertes la « nuit et quelques images abbattues, et de en avant « il n'y eust ordre de pouvoir empescher qu'en moins « de rien il ne s'en fit une merveilleuse exécution, « combien que le prince, avec l'admirai et autres de « leur suite, accourans au grand temple Sainte-Croix, « y donnassent coups de baston et d'espée2. »

Le pillage d'Orléans fut un signal pour les hugue- nots de France. Dans les villes du royaume, partout

1. Sur le pillage des églises d'Orléans voyez l'ouvrage de Claude de Sainctes, Discours sur le saccagement des églises catho- liques, l."ili;\ peut iu-S°, réimprimé en partie dans les Archives curieuses, i. IV, p. 359. C'est, un livre très passionné, mais auquel le nom de l'auteur donne du crédit. Voyez aussi le récil de ['Histoire françoise de noslrc temps, attribuée à Piguerre, in-fol., 1581, t. 1, f. 106. Voyez au>si les Mémoires de Claude Haton, i. 1, p. 250. En racontanl ces pillages, Tornabuoni ne peut, dissimuler son horreur (Lettre du 6 juillet 1562; Nègoc. de lu France avec la Toscane, t. III, p. i88).

;!. Histoire ecclésiastique, 1881, I t, p. 506.

ET JEANNE d'aLBRET. 193

ils se sentaient les plus forts, à Caen, au Mans, à Rouen, ils se ruaient sur les églises et sur les monastères, sur les autels et sur les tombeaux avec une rage qui excuse les représailles de leurs ennemis. La plupart des historiens huguenots justifient ces actes de barbarie ou les passent sous silence. Cependant les chefs en rougis- saient1. Calvin accuse ses propres ministres de com- plicité2. « Encore n'étoit-ce pas assez si on eust couru « les champs pour lever butin et pillage des vaches et

« autre bestial Insolence dont ceux qui se vantent

« d'estre ministres de la parole de Dieu n'ont point eu « honte de se mêler. Maintenant ces vieilles plaies « nous ont été rafraîchies quand nous avons ouï que « les rapines que l'on avoit tirées de Saint-Jean ont « été exposées en vente au dernier offrant et despé- « chées pour 1 1 % écus, mesme qu'on a promis aux « soudarts de leur en distribuer à chacun sa por- « tion3. » Ni prince, ni seigneur, ni capitaine, ni ministre n'avait le courage de s'opposer aux vio- lences des bas sectaires du parti. Le 23 mai, Condé et Coligny commandent au baron des Adrets de tempérer par humanité les rigueurs de la guerre civile4. Deux jours après, le %'ô mai, le prince de

1 . Voir la lettre de de Bèze àla reiae de Navarre, du 1? mai 1562 [Mémoires de Condé, t. II, p. 359). Cette lettre est datée de 1561, mais ne peut être que de 1562.

2. La ville d'Orléans était le refuge de tous les ministres fugi- tifs. Le 25 avril eut lieu le troisième synode national sous la pré- sidence de Antoine de Ghandieu (Haag, La France prolestante, t. X, p. 58).

3. Lettres de Calvin, ledit. Bonnet, t. II, p. 467.

4. Ces deux lettres sont publiées par le comte Delaborde [Coli- gny, t. II, p. 112 et 113).

IV 13

194 ANTOINE DE BOURBON

Gondé donne officiellement commission à La Roche- foucault, Gcnlis et autres capitaines de saisir les lingots d'or et d'argent qui provenaient des châsses de Saint- Martin de Tours et des autres églises de la ville1. Quatre jours après, un des lieutenants de Gondé, usur- pateur du gouvernement de Ghinon, le s. de Graon, s'empare au même titre du trésor de l'église2. La profanation des tabernacles devient le mot d'ordre des capitaines huguenots. Les vases sacrés étaient saisis et les reliques jetées à la voirie. « Quant aux reliques, « écrit le capitaine La Mothe, nous en avons fait de « beaux écus au soleil. Je crois qu'il y aura plus de « quatre ou de cinq cens mille francs3. »

Les évèques, les prêtres, les moines, qui refusaient d'abjurer, tombaient sous les coups des factieux quand ils n'avaient pu trouver leur salut dans la fuite. A Orléans, dit de Bèze, le lendemain de l'arrivée de l'armée huguenote, malgré les promesses du prince de ne pas troubler leurs offices, la plupart des prêtres sortirent de la ville4. Les autres furent victimes de leur confiance. Claude llaton raconte avec d'horribles détails le supplice du curé de Saint-Paterne. Le

1. Commission du prince do Gondé, du 25 mai (Gervaise, Vie de saint Mari in, 1699, p. 415). Voyez surtout le Procès-verbal du pillage de Saint-Martin, in-8°, 181)3, publié pur M. Grandmai- son. De Bèze énumère une partie de ces reliques (Hist. ccclés., 1881, t. II, p. 129).

2. Ordre du s. de Graon daté du 29 mai [Mémoires de Gondé,

i. m, p. 47i).

;!. Lettre du cap. La Motte au s. Holbrac (Copie du temps; f. fr., vol. 10190, l. 173).— Une lettre évalue à plus de 300,000 écus li' butin ramassé dans les églises (Lettre anonyme sans date; copie du temps; I'. fr., vol. 20153, t. 95).

•'i. Histoire ecclésiastique, 1881, t. 1, p. 506.

ET JEANNE d'aLBRET. 195

malheureux était resté caehé dans la ville et y célébrait secrètement la messe. Arrêté et livré aux soldats, il fut pendu comme séditieux en présence du prince de Condé et de Goligny1. Plusieurs autres prêtres furent « tués par pandaison, coups de hallebardes, laissés « mourir de faim, sciés et fendus avec des cordes, « brûlés à petits feux2. »

Les prélats du plus haut rang n'échappaient que par le nombre de leurs gardes au supplice des pauvres prêtres. Le roi de Navarre avait mandé à la cour le cardinal Georges d'Armagnac3. Le cardinal n'osa se mettre en route qu'après avoir réuni une nombreuse compagnie. A chaque ville, presque à chaque étape, capitaines, gens d'armes et de pied s'ajoutaient à sa suite. Lorsqu'il approcha de Paris, son cortège ressemblait à une armée. Partout il trou- vait les villages sous les armes. « Arrivant à Villeneuve- ce Saint-Georges, fut sonné le tocsin, pensant que son « train fut une troupe de huguenots, ce qui lui fut fait « en plusieurs villages. Et estoit contraint d'envoyer « un homme au-devant pour dire et déclarer qui il

\. Goligny, sur un ton dégagé, écrit à d'Andelot le 3 août : « Le curé de Saint-Paterne a esté trouvé caché dans ceste ville, « faisant des pratiquer, quia esté pendu eu la place du Martroy. » (Kervyn de Lettenhove, Documents inédits relatifs à l'histoire du XVI6 siècle, p. 9, in-8°, 1883.)

2. Mémoires dr Claude Haton, t. I, p. 250 et suiv. Claude de Sainctes, Discours sur le saccagement des églises catholiques dans les Archives curieuses, t. IV, p. 359. Théâtre des cruautés des hérétiques dans le même recueil, t. VI, p. 299. Ces récits con- tiennent des détails invraisemblables, mais sont dignes de créance pour le fond.

3. Le cardinal d'Armagnac était à Villefranche de Rouergue avec Burie et Monluc (Commentaires de Monluc, t. 11, p. 381).

196 ANTOINE DE BOURBON

« estoit. Mais pourtant il ne pouvoit faire que les « villages ne s'assemblassent pour voir et connoître « qui il estoit ' . »

L'évêque de Poitiers, Charles d'Escars, un des favo- ris du roi de Navarre, courut plus de dangers. Il fut arrêté par la compagnie du s. de Mouy, conduit à Orléans et jeté en prison. « J'oubliois à vous mander, « écrit Antoine à la reine, que ceulx d'Orléans ont prins « l'évesque de Poitiers, frère de M. d'Escars, comme il « me venoit trouver, qui est une terrible façon de faire. « Je vous supplie très humblement, Madame, leur en « vouloir escripre, comme je fais, de ma part, à ce « qu'ils ayent à le laisser aller2... » On agitait, dans le parti huguenot, de supplicier cet évêque inoffensif ou au moins de le retenir jusqu'à la paix, quand on observa que les enfants du prince de Condé étaient sans défense en Picardie. « Quant aux ecclésiastiques, « écrit La Mothe, on ne peut faire ce que mandés seu- « lement pour un inconvénient merveilleux, qui est « que les enfans de Monseigneur, excepté l'aisné, sont « tous à Muret, et que l'on les peut prendre et mal- « traiter. Sans cela, M. de Mouy, qui avoit pris l'évêque « de Poictiers, frère d'Escars, ne l'eust laissé aller3. »

La nouvelle des armements du prince de Condé arrivait chaque jour à la cour, amplifiée par la crainte générale et par les amis du prince. Il ne res- tait au parti catholique qu'à opposer les armes aux armes. Dans les rangs des jeunes courtisans, la guerre

1. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 107. V. Minute originale de mai 1562 (F. fr., vol. 15876, f. 60). 3. Lettre du s. La Motte, capitaine d'aventuriers, au s. Hol- brac, du 21 mai 1562 (Copie du temps; t. IV., vol. 10190, f. 173).

ET JEANNE d'aLBRET. 197

civile prenait chaque jour plus de faveur. « On ne parle « plus que de guerre, écrit Etienne Pasquier le 6 avril, « chacun fourbit son harnois. Le chancelier s'en con- « triste. Tous les autres y prennent plaisir. Dulce bel- ce lum inexpertis1. »

Le génie d'organisation du duc de Guise était aussi bien à la hauteur de sa tâche que celui de Coligny. Dès les premiers jours du règne de Charles IX, il avait prévu que l'épouvantable drame, noué par les « muguets » de la cour en chantant les psaumes de Alarot, aboutirait à une conflagration générale. Les réformés étaient mieux préparés, mais les catholiques étaient plus nombreux2. Le % avril, par ordre du roi, au premier bruit de la marche de Condé sur Orléans, la ville de Chartres fut avertie de se tenir en défense3. Le 11, le roi de Navarre et les triumvirs visitèrent les abords de Paris et firent élever des tranchées sur le chemin d'Orléans4. Le duc de Guise réunit une nombreuse artillerie. Vingt pièces arrivèrent de Compiègne 5. Il leva aux environs de la ville « force terraillons » pour les traîner6. Le %%, le roi, suivi de la cour, soupa à l'arsenal, visita ses canons et les fit tirer. « M. de Ronsard et

1. Lettres d'Etienne Pasquier dans les OEuvrcs complètes, t. II, col. 96, lettre XV.

2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 22).

3. Merlet, Lettres des rois de France, p. 50. Cette lettre est mar- quée comme étant du 11, mais (die ne peut être que du 2 avril, car elle est datée de Melun.

4. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 95.

5. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 28 avril 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1497, 26).

6. Journal de 1562 dans la Ikv ue rétrospective, t. V, p. 99.

198 ANTOINE DE BOURBON

« moy, dit un chroniqueur anonyme, pensasmes y « perdre les oreilles1. » Le connétable porta à 300 hommes les quinze compagnies de gens de pied chargés de la garde de Paris et les organisa pour entrer en campagne2. Le 27 avril, il présida, au Pré-aux- Clercs, sur les bords de la Seine, une montre de douze enseignes de gens de pied. La foule se pressait sur les pas des chefs catholiques et les accompagnait de ses acclamations. Pendant la durée de la montre, le peuple curieux fut témoin d'un spectacle qui dut refroidir son enthousiasme. La Seine charriait des cadavres ; « et estoient ceux que les papistes avoient « tués et jetés dans la rivière à Sens en Bourgogne3. » Le trésor du roi était vide, malgré les emprunts volontaires et forcés que les officiers de finances men- diaient à toutes les portes. Le cardinal de Ferrare cite un exemple curieux de cette détresse, il eut l'impru- dence de dire à la cour qu'il désirait envoyer une somme de deux mille écus à Fabricio Serbelloni, neveu du pape, à Avignon. Aussitôt la reine et le duc de Guise le supplièrent de confier cette somme au s. de Suse, que le triumvirat envoyait en Dauphiné. En vain le cardinal, prévoyant que l'argent n'arriverait pas à son adresse, résista aux instances. Il fut obligé de l'émettre la moitié de cette somme et signa une lettre

\ . Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 99. Malgré nos recherches, nous n'avons pu percer l'anonyme de ce chroniqueur. La phrase citée ci-dessus es1 la se:1" qui puisse aidera découvrir sa personnalité. G'étail probablement un des hommes de letl res qui suivaienl la cour.

2. Lettre de Chantônay à Philippe II, du s avril 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nal ., K. I i'.»7, 21 1.

3. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 100.

ET JEANNE DALBRET. 199

de change pour l'autre moitié1. Le connétable, chargé de demander au nonce un don de deux cent mille écus, fit valoir que la cour romaine était aussi inté- ressée que le roi d'Espagne au triomphe des catho- liques. Le cardinal de Sain te -Croix reçut froidement la requête. Mais le connétable et la reine pressèrent tellement le nonce qu'il promit, au nom du pape, « tout le secours qu'il luy seroit possible2. » En attendant, Pie IV adressa à la reine mère, au conné- table et au duc de Guise plusieurs lettres d'encou- ragement3. Plus tard, il envoya par lettre de change 100 mille écus en pur don et prêta les 1 00 mille autres, à la condition que le roi rétablirait la religion catholique, punirait les hérétiques et chasserait le chancelier de la cour. Cette dernière clause déplut à la reine. Elle écrivit au pape que, « s'il « aimait véritablement le roi, il ne devait pas impo- « ser de telles exigences. » Cependant, elle accepta les 200 mille écus4. Le duc de Savoie, poussé par sa femme, Marguerite de France, et par le désir de plaire à la reine, promit 10,000 Italiens qu'il se réservait d'employer en Provence au mieux de ses intérêts5.

1. Nègoc. du card. de Ferrare, p. 128 et 201.

2. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 86. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 100. Querelle entre le roi de Navarre et le connétable au sujet de cet emprunt [Négoc. du card. de Ferrare, p. 223). Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condè, t. I, p. 84.

3. Annal. Rainaldi, t. XXI, ann. 1562, nos 142, 143 et 156.

4. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 30 juin 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1198, 6). Lettre anonyme ans date (lin juin) (f. fr., vol. 20153, f. 95).

5. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective , t. V, p. 100. Négoc. du card. de Ferrare, p. 14!). Le duc de Savoie fut assez

200 ANTOINE DE BOURBON

Le duc de Guise n'avait pas attendu l'échec des négociations pour rechercher des alliances. A la fin de mars, au commencement d'avril, il avait demandé au duc de Wurtemberg l'exécution des promesses scel- lées à Saverne. Mais le prince allemand était fort refroidi depuis la catastrophe de Vassy. Il écrivit au duc de Guise de permettre aux pauvres fidèles et chrétiens « le prêche et ouïe de la parole de Dieu, et « de ne souffrir qu'ils soient doresnavant, comme « jusques à présent, mis en proie et pillage d'un cha- « cun1. » Le duc lui répond, le 10 avril, de ne pas « ] (rendre offence » des nouvelles de Vassy : « Vous « jugerez, s'il vous plest, et tous princes vertueux et « bien nez, que d'offendre il est blâmé et permis de se « défendre, mesmement uzant de toutes les pas- « siences que l'on peut2. » Le 15 avril, le duc de Wurtemberg adresse à la reine et au roi de Navarre de longs sermons en style biblique, les éloges des « pauvres chrestiens confesseurs de la foy » se mêlent à des anathèmes contre « l'abominable idolà- « trie papistique3. » La correspondance se prolonge sur le même ton pendant plus d'une année. Le duc

habile pour obtenir dos lettres patentes par lesquelles le roi l'autorisait à prendre les villes de Lyon, Valence el autres sur le Rhône, afin de les enlever aux rebelles (Orig. sur parchemin sans date; A.utog. de Saint-Pétersbourg, vol. 34, ;', !'. Î0).

1. Mémoires-journauâ du duc de Guise, p. 193. Lettre de Mundt, du 7 avril (Calend/ns, \~>\Y1, p. 591).

2. Bulletin de la Sociétt de l'histoire du Protestantisme français, i. XXIV, p. 501.

3. Bulletin de la Société de l'histoire du Protestantisme français, t. \\IY, p. 304 el 507. Voyez aussi la lettre de Frédéric de Bavière, du 11 avril [Lettres de Frédéric le Pieux, 1868, Munich, t. I,p. 277).

ET JEANNE D'ALBRET. 201

de Guise se plaint des « obstinations de quelques- « uns qui, à la poursuite de leur dessein, se sont tou- « jours voulu servir de manteau de religion, combien « qu'ils en soient totalement si esloignés qu'il ne « se connoit en eux chose qui en approche1. » Le roi de Navarre jure au prince allemand, le 20 mai, sans plus de profit, qu'il n'est pas moins dévoué que lui « à la conservation de la religion. » Le duc de Wurtemberg répond par des apologies de la réforme ; il compare les séditieux aux martyrs des premiers siècles et refuse de concéder que les auteurs de la surprise d'Orléans soient coupables de rébel- lion2.

Il était dans la destinée des deux partis d'avoir des chefs réels autres que leurs chefs nominaux. Les catholiques et les huguenots avaient mis à leur tète, les uns le roi de Navarre, les autres le prince de Gondé, et ils obéissaient en réalité au duc de Guise et à l'amiral Coligny. Etienne Pasquier, témoin sceptique, mais clairvoyant, constate que le roi de Navarre est par son sang le premier des catholiques. « Toutefois, « dit-il, monsieur de Guise a la plus grande part au « gâteau3. » Un jour, les échevins de Paris vinrent demander du secours au lieutenant général. « En par- « lant à luy, ils ne se pouvoient tenir d'adresser leurs « propos à M. de Guise, qui estoit joignant le roi de « Navarre. Quoy voyant, M. de Guise leur disoit modes-

1. Lettre du duc de Guise au duc de Wurtemberg, du 22 mai 1 562 [Mémoires-journaux de Guise, publiés par M. Ghampollion dans la collection Michaud et Puujouku, p. 491).

2. Mémoires de Gondé, t. III, p. 372, 284, 286, 148, 151, 452.

3. Lettre du 6 avril dans les OEuvres complètes, I . II, col. 97 el 98.

202 ANTOINE DE BOURBON

« tement que ce estoit au roy de Navarre et non à luy « que se falloit adresser. Sur quoy le roy de Navarre « répondit à tous qu'eux d'eux n'estoient qu'un, et qui « parloit à l'un parloit bien à l'autre1. »

Le duc de Guise, par un calcul habile, s'effaçait devant le roi de Navarre et lui laissait les privilèges honorillques du commandement, comme la signature des ordres envoyés aux gouverneurs de province et les correspondances diplomatiques. Ainsi, le 4 et le 15 avril, le prince recommande au seigneur d'IIu- mières, gouverneur de Péronne2, de faire bonne garde et d'aider les armées royales. Le 21 juin, il adresse au cardinal de Lorraine l'ordre de procéder au paiement des Suisses3. Le 26 juin, les 6, 8 et 25 juillet et le 4 août, il adresse à Joyeuse, au duc d'Estampes, au comte de Lude des instructions, et aux habitants de la Rochelle des reproches4. Dans les provinces déjà ensanglantées par la guerre civile, Antoine dirigeait les lieutenants du roi5. Le 8 avril, il réclame à l'ambassadeur de France à Berne une levée de Suisses et les convoque, avec l'autorisation de Marguerite de Parme, à Dijon par le chemin de la Franche-Comté ,;. Le même jour, il signe une conven-

1. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, i>. 93.

2. Orig., f. fr., vol. 3187, f. 10 et 11.

3. Orig., f. fr., vol. 3219, f. 125.

4. Orig. ou minutes; f. fr., vol. 15876, f. 161, 205, 355, 216 et 327. Toutes ces lettres figureront, en analyse ou en texte, aux pièces justificatives.

5. Voyez le chapitre suivant. On y trouvera un assez grand nombre de lettres du roi de Navarre que nous ne mentionnons pas ici.

6. Lettres du roi de Navarre aux s. Goignetel Pasquier, ambas- sadeurs en Suisse, des s. 26 el 30 avril 1562 (F. fr., vol. 17981,

ET JEANNE D'ALBRET. 203

tion avec le comte Christophe de Roggendorf, capitaine allemand, qui avait fidèlement servi le roi Henri II, pour la levée de 1 ,300 pistoliers à cheval et de quatre cornettes de gens de pied, chacune de 300 hommes1. Comme Chantonay s'inquiétait de la possibilité d'en- gager des soldats catholiques dans un pays protestant, le roi de Navarre lui répondit qu'on les trouverait parmi les vassaux des évêques. « En définitive, dit-il, « les Allemands se battent pour qui les paye2. » Son zèle et sa diligence sont signalés, dès le 8 avril, dans les lettres de Chantonay. Le roi de Navarre, dit l'ambas- sadeur espagnol, « concentre les forces du parti du roi et « tous les hommes armés dont les catholiques peuvent « disposer. Il a aussi enjoint à tous ceux qui ont suivi « le prince de Condé de quitter les places fortes qu'ils « occupaient et y a envoyé d'autres capitaines, en leur « fournissant les moyens de se procurer des chevaux « et des armes3. »

Philippe II était l'allié naturel des catholiques. L'adage célèbre A France huguenote Flandre libre ne lui permet- tait pas de marchander ses secours. Le roi d'Espagne en était d'autant plus pénétré que, dès la fin de février, son ambassadeur lui signalait les ramifications du parti huguenot dans les Pays-Bas : « On dit et on assure que

i'. 70, 70 et 72 v°. Copies du temps). Lettre du roi aux mêmes (Ibid., f. 69). Lettres de la reine mère aux mêmes, des 8, 26 et 30 avril (Lettres de Catherine de Mcdicis, t. I, p. 289, 297, 299 et 300).

1. Cm le pièce est conservée aux archives des Basses-Pyré- nées, I, 585.

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril 1562 (Orig. espagnol; K. 1197, u" 80).

3. Lettre de Chantonay, du 8 avril 1562, à Philippe II (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1497, 20).

204 ANTOINE DE BOURBON

« l'amiral a de nombreuses intelligences dans les Pays- « Bas, et, quoique ce soit les hérétiques qui le publient, « ils en sont très fiers. Madame la duchesse de Parme « est avertie, et je pense qu'elle surveillera ces menées, « afin d'y porter remède4. » Le jour même de l'entrée du duc de Guise à Paris, Chantonay conseille à son maître un « pronunciamento » contre la politique de tolérance de la reine2. Philippe II usa d'un nouveau mode d'action. Depuis longtemps, Catherine deman- dait une entrevue à son gendre3. Philippe II ne repous- sait pas la proposition, mais l'ajournait indéfiniment. Le 30 mars, il écrivit enfin à Chantonay qu'à la fin de l'été ou au commencement de l'hiver, il lui serait pos- sible de se rapprocher des frontières de France ; mais il exigeait que cette entrevue auguste ne fût souillée de la présence d'aucun mécréant. « La reine, écrit-il, « ne pourra amener aucune personne de religion dou- « teuse, car je ne veux rien avoir de commun avec « elles, ni les voir, ni les entendre. Je veux au con- te traire les fuir, comme si c'était des diables; car « elles sont en réalité ses ministres4. »

Les déclarations de Philippe II ne laissaient aucun doute sur son empressement à secourir le roi de France. Malheureusement, un point noir assombrissait

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 février 1562 (Orig. espagnol; Arch. aat., I\. L497, 13).

'2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 16 mars 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 14).

3. La question était en instance depuis longtemps. La reine y réuni à la lin de février i Lettre de Chantonay, du 22 février 1562, dans les Mémoires de Condé, t. Il, p. 26).

i. Lettre de Philippe II à Chantonay, datée du monastère de Guitando (Orig. espagnol; Arch. aat., K. 1496, 52).

ET JEANNE D'ALBRET. 205

l'entente cordiale des deux cours. Vers le mois de décembre, au temps la reine cherchait un point d'appui en dehors du parti catholique, Nicolas d'An- gennes, seigneur de Rambouillet, avait été envoyé en Allemagne. Cette démarche, rapprochée des relations fréquentes du roi de Navarre avec le duc de Wurtem- berg, fit craindre à Philippe II que la négociation de l'ambassadeur français ne menaçât les Flandres. Il se plaignit à Sébastien de l'Aubespine, et l'Aubespine, avant de répondre, demanda des instructions au prince1. Antoine, terrifié par la crainte de perdre la faveur de Philippe II, écrivit à la reine d'Espagne qu'il était « trop homme de bien pour faire office maveze « et user d'acte indigne envers celuy dont je cherche, « dit-il, la bonne grâce, et de qui j'espère tant d'hon- « neur et tant de bien2. » Catherine répondit en toute hâte que Rambouillet n'avait reçu d'autre mission que celle de saluer les princes allemands3. Elle envoya Rambouillet en Espagne, afin de lui donner les moyens de se disculper lui-même*. La mission réussit, écrit l'Aubespine, et Philippe II, satisfait de la déférence de la reine, ne garda plus aucun soupçon de la politique du roi de Navarre en Allemagne5.

1. Lettre de l'Aubespine au roi de Navarre, du 3 avril 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 16103, f. 213).

2. Lettre du roi de Navarre à la reine d'Espagne, du 22 avril {Négociations sous François II, p. 886).

3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 301, 614 et 615. Ncgoc. du card. de Fer rare, p. 156.

4. Dépêches vénit., filza 4, f. 354, lettre de Barbaro, du 22 avril 1562.

"'. Mémoire de l'Aubespine au roi, de mai 1562 [Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 614, note).

206 ANTOINE DE BOURBON

A mesure que la guerre civile devenait plus immi- nente, l'importance du roi de Navarre grandissait à la cour. Chantonay constate avec douleur, le % avril, que le lieutenant général est le chef du parti catholique dont le duc de Guise n'est que le premier soldat1, qu'il se montre d'autant plus pressant que les hugue- nots paraissent plus redoutables, d'autant plus exi- geant que les catholiques ont plus besoin de lui2. Aigri par une longue attente, Antoine avait des accès d'humeur qui faisaient tout craindre aux triumvirs. Il avait perdu une partie de sa confiance et se méfiait d'être dupe. Un jour, il avoua ses doutes au cardinal de Lorraine3. Il écrit à Sébastien de l'Aubespine dans les premiers jours de mai : « Ayant singulier désir de « scavoir par j'en dois passer, je vous prie, tant « que je puis regarder, d'emploier tous les moiens « pour y voir clair4. » A la cour, il ne manquait pas de conseillers disposés à lui remontrer que le roi d'Espagne « lui tenait le bec dans l'eau. » Le prince de Gondé se lamentait des tromperies dont son frère était victime, et Coligny en haussait les épaules. La reine mère, jalouse des éloges que Philippe II lui pro- diguait, observait discrètement que le roi d'Espagne

\. Lettre de Chantonay à Philippe II, «lu 0 avril (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1497, 18). Ncgoc. du card. de Ferrarc, p. 152.

2. Il revienl sur ce sujet le 17 juin, lorsque les opérations mili- taires étaient presque engagées (Lettre de Chantonay à. Phi- lippe II, du 17 juin 1562; Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1498, 5).

3. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 28 avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1 197, 26).

i. Lettre du roi de Navarre à Sébastien de l'Aubespine, du ii mai 1562 (Orig.; I'. IV., vol. 6606, l'. 3).

ET JEANNE I)'ALBRET. 207

pourrait être un allié solide, mais non pas empressé1. La France entière était aux pieds du lieutenant géné- ral2. La reine d'Angleterre, les souverains allemands briguaient sa faveur. Chantonay assure que le sultan, séduit par sa renommée, lui offrit un royaume du côté de la Grèce. Antoine eut la sagesse de le refuser, parce que, dit-il, le premier prince du sang de France ne pouvait devenir le vassal d'un infidèle3. Enorgueilli du crédit que les événements accumulaient autour de son nom, il se montrait à la cour en maître absolu. Marguerite de Bourbon, sa sœur, était veuve du duc de Nevers depuis le 13 février. Il voulait la donner au marquis de Mantoue, et le duc de Guise à son frère, le grand prieur de France. Antoine objecta qu'il avait fait venir le marquis à la cour pour épouser la duchesse ; François de Lorraine, qu'il avait fait défroquer son frère4. « Et moi, pour votre respect , riposta le prince, « j'ai abandonné le mien. » La querelle s'échauffa. Les

1. Lettres de Chantonay à Philippe II, du 18 et du 28 avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, nos 24 et 2G).

2. Vers cette époque, un s. Léonard de Montrauson, considé- rant le roi de Navarre comme un réformateur universel et tout- puissant, lui adressa une sorte de mémoire contenant tout un système de gouvernement. L'auteur conseille la confiscation de toutes les espèces monnayées au profit du roi, qui resterait chargé des dettes de ses sujets et pourrait procéder à une meil- leure répartition de la fortune mobilière du royaume. Cette idée a été reprise de nos jours par des rêveurs aussi fous que Mon- trauson. Le mémoire est intitulé : La Fontaine d'or et d'argent, et est conservé en original dans le f. fr., vol. 692.

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, n" 26).

4. Le cardinal de Ferrare s'était employé pour autoriser le grand prieur à quitter l'habit de chevalier de Rhodes {Néijoc. du card. de Ferrare, p. 159).

208 ANTOINE DE BOURBON

deux seigneurs en vinrent aux menaces. Le prince, étonné qu'on osât lui résister, se mit dans une telle fureur qu'il en tomba malade. Le cardinal de Lorraine eut de la peine à les réconcilier1.

Antonio d'Almeida, le messager ordinaire du roi de Navarre, était parti le 5 mars pour Madrid, chargé des recommandations du roi et de la reine, et des requêtes du prince. Il trouva la cour d'Espagne peu disposée à l'écouter. Sébastien de l'Aubespine écrit, le 9 mars, pendant que le négociateur cheminait encore, qile le roi, le duc d'Albe, le prince d'Eboli, sommés par lui de se prononcer, refusent d'accorder la Sardaigne au roi de Navarre, malgré les déclarations de Chantonay, et qu'il regarde les promesses du roi catholique comme un leurre2. Quelques jours après, il renouvelle ses instances auprès du roi catholique et n'obtient que des réponses évasives3. Le 30 mars, Philippe II approuve formellement la politique de « Vendôme, » mais il ne précise pas la récompense qu'il lui réserve4. Dans les premiers jours d'avril, d'Almeida arriva à Madrid, et le roi d'Espagne sortit du monastère de Guitando, il s'était retiré en cellule pendant le temps pascal5. L'ambassadeur de France se rendit à l'au-

1. Loi lie île Chantonay citée plus haut.

2. L'Aubespine écrivit ce jour-là trois lettres à la reine et une au roi de Navarre. Ces quatre lettres sont conservées en copie .lu temps dans le f. fr., vol. 16103, !'. 181, 187, 189 et 191.

3. Lettres du 25 mars 1562 à la reine (Copie du temps; f. fr., vol. 16103, F. 198 et 201). Lettre du même au roi «le Navarre, de même date (Ihid., f. 204).

\. Lettre de Philippe 11 à Chantonay, du 30 mars, datée du monastère de Guitando (Orig., Arch. uat., K. 1496, 52). 5. Lettre du roi de Navarre à l'Aubespine, du 10 avril 1562

ET JEANNE D'ALBRET. 209

dience du roi le 15 avril. Philippe II l'accueillit froi- dement et ne voulut même pas admettre en sa présence Antonio d'Almeida, malgré les pressantes sollicitations de la reine d'Espagne1. Cependant, il laissait dire autour de lui qu'il concéderait au prince la ville d'Avignon et ses dépendances et qu'il indemnise- rait le pape dans le royaume de Naples, nouvelle invrai- semblable que l'Aubespine communiqua avec ses doutes au roi de Navarre2. Le crédule prince la prit cepen- dant comme une communication officielle et consulta Chantonay. Le comté d'Avignon, disait-il, était une possession précaire ; d'ailleurs, il méritait un royaume et n'accepterait rien de moins. Chantonay calma cet excès d'orgueil en conseillant au prince d'attendre les rapports de d'Almeida3. Tandis que Antoine faisait sonner si haut sa dignité de roi, la chancellerie espa- gnole cherchait un biais pour permettre à Philippe II de répondre, sans lui donner ce titre, à une décla- ration des triumvirs apostillée par le lieutenant général4. Après avoir bien réfléchi, Chantonay conseilla à son maitre d'adresser une lettre collec-

(Orig., f. fr., vol. 6606, f. 2). Lettre de la reine au même, du 11 avril (Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 295).

1. Lettres de Sébastien de l'Aubespine à la reine et au roi de Navarre, du 15 avril 1562 (Copies du temps; f. fr., vol. 16103, f. 217 et 223 v).

2. Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, du 23 avril 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 16103, f. 229 v°).

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 5 mai 1562 (Orig. espagnol; Arcli. nut., K. 1497, 28). Autre du 18 avril (Ibid., K. 1498, n- 24).

'i. Lettre, collective des triumvirs, du 21 avril 1562 (Orig., Arch. nat., K. 1497, n" 61). Cette pièce est imprimée dans le Musée des Archives.

vi 14

240 ANTOINE DE BOURBON

tive au duc de Guise, au connétable et au maréchal de Saint-André, et d'ajouter de sa propre main en forme de post-seriptum : « Mon cousin, j'ai été « satisfait de savoir, après l'avoir appris par votre « propre lettre, à laquelle je réponds, le soin que vous « vous donnez pour faire face aux affaires de ce « royaume. J'en suis véritablement satisfait, et je « saurai faire ce qui est juste. » Ravi de son inven- tion, Ghantonay ajoute : « De cette façon, il sera con- « tent sans qu'il y ait eu besoin de l'appeler roi ni « monsieur de Vendôme ' . »

Ces vaincs déclarations ne pouvaient abuser le roi de Navarre. Qu'arriverait-il de la religion catho- lique, si le lieutenant général, mettant à exécution les menaces qu'il avait tant de fois formulées, passait avec ses partisans dans les rangs du parti réformé? Vers le 15 avril, Chantonay eut une confé- rence avec le maréchal Saint-André et parcourut avec lui la carte des possessions espagnoles. La Sardaigne ne pouvait être sacrifiée contre la volonté des Gortès; la Flandre était trop riche ; le Milanais, le royaume de Naples ne pouvaient être démembrés. Ghantonay pro- posait la régence de Tunis et suggérait d'employer à cette conquête l'activité des capitaines, qui, depuis la paix de Gâteau- Cambrésis, s'étaient jetés dans les rangs de l'armée rebelle. Ils conclurent d'attendre le retour de d'Almeida. Le maréchal était inquiet du succès de la mission. « Je vois, écrit Ghantonay, qu'il « est en défiance, disant que, si cette planche du salut

1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du L2\ avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nul., lv. 1497, n" 25).

ET JEANNE D'ALBRET. 211

« vient à manquer, son parti et lui sont perdus1. » Les premières lettres de d'Almeida arrivèrent à la cour vers le milieu de mai. Elles racontaient au prince qu'il avait été bien reçu à la cour d'Espagne, qu'il était entré en conférence avec le duc d'Albe et avec le prince d'Eboli, que les ministres du roi lui avaient paru bien disposés, mais que l'accident survenu à l'infant Don Carlos imposait un ajournement2. Le dimanche 19 avril, au château d'Alcala, l'infant avait fait une chute au pied d'un escalier obscur, en allant retrou- ver dans un jardin une jeune fille qu'il aimait. Atteint d'une lésion au crâne et peut-être au cerveau , Don Carlos fut pris d'une fièvre ardente et tomba dans le délire. On le trépana, on lui arracha la peau du crâne; il fut soigné, suivant l'empirisme du xvie siècle, avec tant de barbarie, que son état s'aggrava3. Cepen- dant, la chancellerie espagnole affectait une confiance immuable. Le 15 mai, Philippe II commanda à ses secrétaires d'écrire à Chantonay que l'état de l'infant s'améliorait et qu'il allait répondre à la mission d'An- tonio d'Almeida4. Mais le bruit de sa mort courut à Paris5 et inspira au roi de Navarre un de ses desseins

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 18 avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1198, 24).

2. Original autographe daté de Madrid, du 5 mai 1502 (Arch. des Basses-PyréniMV, E. 585).

:!. Les documents abondent sur ce funeste événement. Nous citerons seulement une lettre de l'Aubespine, du 11 mai, 5 la reine (Copie du temps; f. fr., vol. 16103, f. 242), et surtout le savant ouvrage de M. Gachard, Don Carlos et Philippe II, in-8°, 1865, p. 65 et suiv.

i. Notes do chancellerie, du 15 mai 1562 (Arch. nat., K. 1496,

M' 7 II.

5. Journal de 1502 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 106.

212 ANTOINE DE BOURBON

les plus chimériques. Il conseilla à la reine mère de négocier le mariage du roi Charles IX avec Juana d'Autriche, sœur de Philippe II1. Charles IX n'avait pas encore douze ans, et la princesse Juana, veuve du roi de Portugal , en comptait plus de trente. II est vrai que, en cas de mort de Don Carlos, elle devenait héritière du trône d'Espagne. Catherine adopta avec empressement ce mariage et ordonna à Sébastien de l'Aubcspine de demander la main de la princesse2. Quanta Marguerite de Valois, que Cathe- rine avait successivement promise à Henri de Béarn et à Don Carlos, elle fut promise une seconde fois au fils du roi de Navarre3. En même temps, la reine accueillait avec faveur pour sa fille la candidature du prince Sébastien de Portugal l. Le rétablissement de l'infant ne mit pas à néant ces négociations matrimo- niales. Môme après sa guérison, la reine, pour flatter Philippe II, feignait de désirer également le mariage de Charles IX avec la princesse de Portugal, et celui de sa fille avec Don Carlos5.

Ce fut au milieu de ses soucis de père de famille que le roi d'Espagne reçut la demande officielle de

4. Lettre du roi de Navarre à la reine (Lettres d'Antoine de Bour- bon et de Jeanne d'Albret, p. 253).

2. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 349.

3. Négoc. du card. de Ferrure, p. 203.

4. Lettre de Barbaroà la république de Venise, du 22 avril 1502 (Dép. vénit., filza 4, f. 354). Cette négociation, dil Barbaro, était conduite à l'insu du roi de Navarre. Mais il la soupçonnail sans doute, car nous le voyons souvent en têteà tête avec les ambas- sadeurs portugais. Voyez notamment le Journal de 1562 dans la Bévue rétrospective, i. V, p. 94 el 95, et ailleurs.

5. Lettre, de Ghantonay à Philippe IL du 30 juin 1562 (Orig. espagnol ; A.rch. nat., K. 1498, G).

ET JEANNE D'ALBRET. 213

secours de la part du roi de France. Malgré le mécon- tentement du roi de Navarre, et ses menaces déguisées sous forme de réclamations1, l'alliance de Philippe II était assurée. Le 23 avril, il commande à la reine sa femme et à Sébastien de l'Aubespine de faire savoir à la cour de France qu'il offre au parti catho- lique les troupes et les trésors de ses royaumes2. Le 1 5 mai, il trace de sa propre main le plan d'une lettre à écrire à Chantonay : « Sa Majesté a la volonté de « secourir le roi de France contre les rebelles héré- « tiques. Qu'on avise s'il faudra de l'infanterie et com- « bien d'hommes, et dans quel délai ; car, quoiqu'on « soit prêt, il faudra en avoir l'avis pour la dépêcher. « Que cela soit écrit avec empressement3. » Cet « empressement » même inquiétait la reine ; elle crai- gnait l'intervention de Philippe II comme celle d'un ami dangereux4. Seuls à la cour, les triumvirs imploraient sans arrière-pensée l'appui du roi catholique. Les Guises passaient déjà pour avoir des accords particu- liers avec lui5. Ils demandèrent à la duchesse de Parme le libre passage des Suisses à travers la Franche-

1. La correspondance de Chantonay prouve que l'on redoutait toujours à Madrid une invasion béarnaise. Voir la lettre du 4 avril à Philippe II (Résumé de chancellerie ; Arch. nat., K. 1 i96, n- 54).

2. Lettre de Sébastien de l'Aubespine à la reine, du 23 avril (f. fr., vol. 16103, f. 227, copie du temps).

3. Décision du roi sur ce qui doit être écrit à son ambassadeur en France (Minute avec ratures et corrections autographes, datée d'Alcala et du 15 mai ; Arch. nat., K. 1496, 74).

4. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 330, Lettre du 13 juin adressée ;'i S.'luslieu de l'Aubespine.

5. Lettre de Granvelle à Philippe II, du li juin (Papiers d'état, t. VI, p. 569).

214 ANTOINE DE BOURBON

Comté1 et la facilité de lever en Flandre une troupe de 1 ,500 cavaliers en cas de besoin2. Toutes ces auto- risations furent accordées, et Philippe II, malgré le délabrement de ses finances, s'occupa de masser aux pieds des Pyrénées une armée d'invasion. L'am- bassadeur d'Angleterre pressentait l'intervention et conseillait à sa maîtresse de créer des embarras au roi d'Espagne pour l'entraver3.

Le 4 mai, la requête du triumvirat au roi dissipe les dernières hésitations de la reine. Le 8 mai, Charles IX écrit à Philippe II :

Monsieur mon frère, aiant entendu par la despèche de Tévesque de Limoges, mon ambassadeur, l'honneste offre qu'il vous plaisL me faire en ce besoing que j'en ay, je n'ay voulu faillir vous en remercier par la présente et vous asseurer que n'ay chose en ma puissance que je n'emploie pour la conservation de vous et voz estats, quand vous trouveriez en pareille néces- sité. Et, encore que j'espère que Dieu me fera la grâce d'en venir à bout sans incommoder nul de ceux qui me monstrent bonne voullenté en mon endroit, si est-ce que, pour avoir l'as- seurance que j'ay en vous, et vous vouloir monstrer par offert comme je m'y fie, je vous supplie commander que, ce que j'ay prie à vostre ambassadeur vous demander pour mon secours, bientost le puisse avoir, ainsi que mon ambassadeur vous fera aussi entendre. Et vous pouvez en recompense promettre tout ce que ha et aura jamais de puissance et en son pouvoir pour vostre service

Vostre bon frère,

Charles4.

1. Lettre de Chantonay à Philippe II. du 8 avril 1562 (Orig. espagnol ; Air.li. nal ., K. I 197, a" 20).

.'. Lettre de Chantonaj à Philippe II. du II avril 1562 (Orig. espagnol ; Airh. nat., K. 1 197, 22).

3. Lettre de Throckmorton à lord Gecil, du 17 avril 1562 (Duc 'I A 1 1 1 1 1 ;i le. Histoire des Condé, i . I, p. 354).

i. Autographe, s;m> date, mais de même date que la lettre 'lu

ET JEANNE d'aLBRET. 215

Le roi demandait à « sou bon frère 1 0,000 hommes « de pied et 3,000 chevaux ; c'est assavoir 3,000 Espa- ce gnolsqui viendront par le costé de la Guyenne,

« 3,000 Italiens qui viendront du costé du Piémont,

« la solde de 4,000 lansquenets, 2,000 chevaux

« des Pays-Bas et 1 ,000 reistres1 . » La même demande fut présentée à Ghantonay à Paris par la reine mère et par le roi de Navarre2.

La réponse de Philippe II fut aussi favorable que la cour de France pouvait l'espérer. Dans les derniers jours de mai, la reine fut informée que le roi d'Espagne accordait le secours de 10,000 hommes de pied et de 3,000 cavaliers3. Philippe II écrivit au maréchal de Bourdillon, gouverneur du Piémont, qui devait être chargé du commandement des compagnies italiennes *. Le 8 juin, il ordonna au comte d'Aremberg de se pré- parer à entrer en France à la tête de 2,000 hommes d'armes5. Ce fut la dernière négociation à Madrid de

roi ù FAubespine que nous citons dans la note suivante. Au dos, on lit : Recibida en Alcala a 20 de mayo (Arch. nat., K. 1496, 68). Lettre de Catherine à Philippe II {Lettres clc Catherine de Médicis, t. I, p. 303).

1. Partie de cette lettre a été publiée par le comte Delaborde (Coligny, t. II, p. 107).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 7 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 29). Autre lettre du même dans les Mémoires de Gondé, t. II, p. 41.

3. Mémoire de Saint-Suplice au roi, sans date (Ve de Golbert, vol. 480, f. 5). La date de l'arrivée de ce mémoire est donnée par une ment ion du journa I de 1 562 (Revue rétrospective, t. V, p. 109).

4. Cette pièce est publiée en espagnol dans les Annales de Bellcforest, t. II, f. 1629 v°, et traduite dans Y Histoire de France de Piguerre, p. 409.

5. Lettre de Philippe II à la duchesse de Parme (Corresp. île Philippe II, t. II, p. 218)

216 ANTOINE DE BOURBON

Sébastien de l'Aubespine. Le 3 avril, la reine mère lui avait écrit qu'elle le remplaçait, suivant ses vœux, par Jean Ébrard de Saint-Suplice ' , chevalier de l'ordre, conseiller du roi, plus tard capitaine de cinquante hommes d'armes. Saint-Suplice arriva le 15 mai près de Madrid2, pendant que le roi d'Espagne était à Alcala, et obtint sa première audience le 27 mai 3.

Peu de jours après, le roi de Navarre reçut la réponse de Philippe II à la mission d'Antonio d'AI- meida. Le 7 juin, le roi d'Espagne commanda à Chan- tonay de dire au prince qu'il s'engageait à lui accorder le royaume de Tunis aussitôt qu'il l'aurait conquis, et, en attendant, la Sardaigne. Il exigeait seulement le secret le plus absolu vis-à-vis de la cour de France4. Tel était le mystère de la négociation que, le 11 juin, lorsque Sébastien de l'Aubespine prit congé de la cour d'Espagne, le roi lui dit que, la veille, il avait dépêché au roi de Navarre un courrier sans s'expliquer sur la nature de ses propositions. Saint-Suplice et l'Aubespine ne purent obtenir d'éclaircissements. Seulement, le duc d'Albe parut surpris de l'insis- tance du prince à revendiquer la Sardaigne5. Le

1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 288.

■?. Lettre de Saint-Suplice à la reine, du 2i mai I562(0rig.,f. fr., vol. 15870, ('. 78). Saint-Supliee (d'après sa signature, et non Saint-Sulpiee) fut ambassadeur à Madrid jusqu'au 20 octobre 1565.

3. Lettre de Saint-Suplice à la reine, du Ier juin 1562 (Copie-; f. IV., vol. 3161, f. 4).

4. Mémoire adressé à Gbantonay, daté d'Aranjuez et du 7 juin 1562 (Copie de chancellerie ; Arcb. uat., K. l'i'.Hi, u" 85).

Lettre d'envoi à Chantonay de même date (Ibid., 86, orig. signé de Philippe II). Mémoire de chancellerie, daté du 1.; pin, 1562 (Ibid., 90). 5 Lettre de Saint-Suplice à la reine, du 12 juin 1562 (Copie;

ET JEANNE D'ALBRET. 217

16 juin, le duc d'Albe et le prince d'Eholi remirent à Antonio d'Almeida un mémoire signé de leur main : « Sa Majesté veut offrir au prince de nouveau le « royaume de Tunis avec toutes les prérogatives que « l'on énoncera dans l'acte de possession, afin qu'il « puisse avoir le titre de roi et être un des principaux « souverains de la chrétienté. Pendant que l'on se « préparera à faire la conquête du royaume de Tunis, « afin de le lui remettre, Sa Majesté veut le mettre en « possession du royaume de Sardaigne, mais avec des « sûretés, afin que de cette île on ne puisse causer de « préjudice aux États de Sa Majesté catholique. » Les délais de la donation n'étaient pas stipulés. « S'il veut « envoyer un ambassadeur pour traiter des particu- le larités, il peut le faire quand il voudra ; s'il préfère « attendre que Sa Majesté se rapproche des frontières, « ce qui sera bientôt, l'un et l'autre parti sont à son « choix. » Le roi d'Espagne avait tant de fois promis de dédommager le chef de la maison d'Albret après l'anéantissement de la réforme, que cette date pouvait être considérée comme implicitement contenue dans sa donation. Cependant, l'acte confié à Antonio d'Almeida ne contenait pas d'engagement, et, sur ce point comme sur celui des garanties à récla- mer, le donateur restait juge et partie ; cette réserve équivalait à un ajournement indéfini. Le secret gardé vis-à-vis de l'ambassadeur de France pouvait aussi inspirer des soupçons. Les ministres de Philippe II cachaient la concession du roi et disaient que d'Al- meida avait charge de remettre à Ghantonay ou à un

f. IV., vol. 3161, f. 13). Cette lettre a été analysée par M. Gachard (la Bibliothèque nationale à Paris, t. II, p. 143).

218 ANTOINE DE BOURBON

ambassadeur extraordinaire le soin de parachever la négociation1. Les derniers mots du mémoire du duc d'Albe contiennent une ironie amère : « D'après cela, « il (Vendôme) pourra comprendre que l'on ne cherche « pas à gagner du temps, mais que l'on veut aller droit « au but avec franchise et loyauté2. »

Le roi d'Espagne ne put se résigner à compléter sa concession en rendant hommage à la dignité royale de son allié. Plutôt que de lui donner le titre de roi, il aima mieux écrire à d'Almeida :

Antoine d'Almeida, vous direz à mon cousin le plaisir que j'ai eu d'entendre, par voire rapport et par le mémoire qu'il vous donna de sa main, les services qu'il rend à la religion, et son intention de continuer suivant mon désir; ce que j'estime grandement. Ainsi, j'espère qu'il poursuivra en avant, comme il le dit, de sorte que In lionne volonté que j'ai pour lui s'aug- mentera ; et je ferai promptement ce qui lui est promis dans l'écrit qui vous a été donné à part. De même, je le prie de hâter les affaires qu'il a entre les mains, parce que il ne peut m obli- ger davantage en rien sur tout ce qui le regarde3.

1. Malgré le secret, le 26 juin, I»1 légat, informé de la négocia- tion, écrit .m cardinal Borromée que le roi d'Espagne donne au roi de Navarre l'île île Sardaigne en attendant un autre royaume « qui vaille colle isle. » Mais il ne sait lequel (Négoc. du card. de Ferrare, p. 256).

2. Original espagnol, daté du 16 juin; Arch. des Basses-Pyré- nées, E. 585. On conserve une copie de cette pièce aux Archives nationales, k. 1-496, 89. Du reste, elle est presque la copie textuelle du mémoire adressé à Ghantonay sous la date du 7 juin. Voyez plus haut.

3. Autographe espagnol su us date ; Arch. des Basses-Pyrénées, E. 585. -Hue copiede cette pièce est conservée aux Arch. aat., K. 1496, ir 89.

CHAPITRE DIX-NEUVIÈME.

Avril, mai, juin 1562.

Commencement de la guerre civile. Dauphiné. Le baron des Adrets. Prise de Lyon (1 er mai 1 562) . Le s. de Maugiron. Provence. Les s. de Tende et de Sommerive. Bourgogne. Gaspard de Saulx-Tavannes.

État de V armée royale. Mesures de défense prises à Paris. Suite des négociations de la reine et du roi de Navarre avec le prince de Condé. Entrevue de Toury (9 juin).

Reprise des négociations (13 juin). Trêve de six jours. Conférence du roi de Navarre et du prince de Condé à Beaugency [%\ et %% juin). Manifeste des huguenots (24 juin) . Entrevue de la reine et des seigneurs réformés à Saint-Simon (29 juin). Rupture définitive des négociations.

Avant qu'aucun des capitaines du triumvirat ou du prince de Condé eût tiré l'épée sous les murs d'Or- léans, la guerre civile avait commencé en Dauphiné. Le 27 avril, à Valence, le lieutenant du duc de Guise, Biaise de Pardaillan, seigneur de la Mothc-Gondrin,

220 ANTOINE DE BOURBON

avait été assassiné par les gens du baron des Adrets et presque sous ses yeux. La nouvelle surprit la reine au milieu de ses négociations pacifiques. Le roi de Navarre envoya en toute hâte Laurent de Maugiron en Dauphiné avec la charge de « donner si bon ordre de « réduire et remettre toutes les choses que vous ver- ce rez mal aller audit gouvernement par le moyen de « voz amyz et voysins, et du crédict que vous avez « par delà, que l'on aura grande occasion de s'en « contenter et se reposer cy-après sur vous1. »

La prise de Valence et l'assassinat de la Mothe- Gondrin obligeaient le baron des Adrets à vaincre ou à mourir. Le 28 avril, il marche sur Lyon. Le maréchal de Saint-André, gouverneur du Lyonnais, avait pour lieutenant François d'Agout, comte de Saulx, seigneur huguenot2, mais fidèle au roi. Le 30 avril, au milieu de la nuit, les réformés lyonnais, conduits par les affidés du baron des Adrets, se saisissent des prin- cipaux postes. L'hôtel de ville, le couvent des Corde- liers, les portes et les murailles tombent presque sans défense entre leurs mains. Les capitaines catho- liques sont arrêtés dans leur lit; les prêtres, les chanoines de Saint-Jean, les principaux catholiques jetés hors des murs sans violence. Au matin, les chefs complètent la surprise de la ville en plaçant des canons sur les places, aux carrefours des rues, par- tout où un combat pouvait s'engager. Ces mesures

1. Lettre du 3 mai 156? (Copie du temps; Archives de Lyon, \ \ M, il» 126).

2. Il fut tué à la bataille de Saint-Denis (Brantôme, t. V,p. 16). De Thou dit qu'il ne prit aucune pari à la guerre ; c'esl une drs rares erreurs de ce grand historien

ET JEANNE D'ALBRET. 221

prises, ils se rendirent au logis du comte de Saulx et lui signifièrent qu'ils avaient agi par ordre du prince de Condé. Ils lui proposèrent même de conserver sa charge; de Saulx refusa, et, quelques jours après, se retira en Provence4.

Le baron des Adrets entra le lendemain avec ses troupes et prit le commandement au nom du prince de Condé. Le prince lui adressa les plus chaudes féli- citations. Le 18 mai, il lui recommande surtout de se garder des surprises. N'ajoutez aucune foi, lui dit-il, « à pas une des choses qui vous seront écrites, dites « ou mandées, non pas mesme quand vous en aurez « vu une lettre signée en mon nom, dont ils (les « catholiques) se vouldroient aider en la contrefai-

« sant » Ne vous effrayez « pour les menaces,

« confiscations, proscriptions, bannissemens et autres

« telles choses Les armes nous feront raison de

« cela2. » La ville de Lyon n'était pas seulement la seconde ville du royaume, elle était la plus riche. Les marchands y avaient créé des maisons de banque avec lesquelles, depuis le règne de François Ier, le roi était en compte courant. Condé n'a garde de négliger ces ressources. En même temps qu'il écrit au baron des Adrets, il demande à un s. Aubrèche, marchand ou

1 . Sur la prise de Lyon, voyez deux récits du temps réimprimés dans les Archives curieuses, t. IV, p. 195 et 215. Le second, à Gabriel de Saconay, est surtout complet et détaillé. Autre pièce du temps dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 339. Voyez aussi le récit de de Bèze (Histoire ecclésiastique, t. II, p. SOI , édit. de 1881).

2. Copie du temps; f. fr., vol. 10190, f. 164. Autre lettre du prince de Condé au baron des Adrets, du 21 mai 1562 (Copie du temps, ibid., f. 165).

222 ANTOINE DE BOURBON

banquier de la ville, un emprunt de 100,000 écus. Aubrèche était protestant, et Condé fait appel à ses sentiments religieux1. Le prince avait d'autres moyens de remplir ses coffres. Il ordonne au baron des Adrets de saisir les châsses, les reliquaires d'or et d'argent de Lyon et des villes voisines, de les transformer en lingots, de les faire monnayer ou de les vendre au plus offrant2.

Victorieux presque sans avoir tiré l'épée, le baron des Adrets édicta de sévères règlements en faveur des habitants inoffensifs et des églises catholiques. Mais la violence des sectaires de son parti rendit ces mesures impuissantes. Les églises, les monastères, les maisons catholiques furent saccagés, les couvents de filles livrés aux soldats. Condé adressa des reproches au baron des Adrets, le 20 mai : « Que personne ne soit travaillé sans « grande occasion, et que chacun vive en repos et tran- « quillité, autant que faire se pourra, sans mesmement « gêner nv forcer les consciences, comme de nostre « part nous ne voudrions point qu'on forçast les nostrcs, « laissant à ceulx qui ne sont de la religion réformée, « et principalement aux marchands et banquiers, « quelques lieux et temples pour l'exercice de la leur,

« sans leur donner aucun empeschement » Cette

lettre, s'étalent de nobles sentiments d'humanité,

1. Lettre du 18 mai 1562 (Copie du temps; f. IV.. vol. 10190, f. 165 v*). M. Kervyn de Lettenhove a publié dans Documents inédits relatifs à l'histoire du XVIe siècle, p. '.'. une lettre de Goli- j_ti i y à d'Andelot, du •'> août, sur les emprunts du parti huguenot à Lyon.

2. Lettre du is mai 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 10190, f. 164). —Lettre de Spifame aux huguenots de Lyon,du "2 1 mai 1562, datée d'Orléans (Copie du temps; ibid., f. 173).

ET JEANNE D'ALBRET. 223

fut lue par ordre à l'assemblée générale de la maison de ville. Coligny écrivit le même jour, dans le même esprit, au baron des Adrets1. Malheureusement, ces belles déclarations étaient démenties par les faits. Le lendemain du jour Gondé et Coligny avaient recom- mandé aux huguenots de Lyon le respect de leurs adversaires, ils laissaient les soldats de l'armée se ruer sur les églises de la ville d'Orléans.

A la nouvelle de la surprise de Lyon, la reine essaya de traiter avec des Adrets. Le baron n'était pas de ceux que l'on jugeait à la cour incapables d'accepter des conditions avantageuses. Il pouvait se vendre, et Catherine ne demandait qu'à l'acheter. Elle chargea un capitaine, nommé Murât, d'entrer en pourparlers avec lui. La négociation fut découverte par le prince de Gondé, qui se hâta d'en prévenir le conquérant de Lyon : « On vous envoie ou on vous enverra « bientôt Murât, que vous connaissez, avec charge « expresse et sous belle promesse de faire ou plutôt « feindre un appointement avec vous pour les choses « advenues par delà. Et ne fault doubter que pour « parvenir à cela on ne vous fasse les plus belles pro- « messes du monde, et mesme de vous faire entendre « que telle est mon intention2. » La reine commanda à Jean de Monluc, évêque de Valence, de se rendre à Lyon et en Dauphiné. L'évêque passait pour réformé. Peu empressé d'essuyer le feu de diocésains emportés,

1. Lettre de Gondé au baron des Adrets, du 20 mai 1562 (Copie du temps ; f. fr., vol. 10190, f. 157). Lettre de Goligny au même, de même date (Copie du temps; ibid., f. 158).

2. Lettre du 18 mai 15112 (Copie du temps; f. fr., vol. 10190, 1'. 164).

224 ANTOINE DE BOURBON

qui assassinaient les lieutenants du roi, il jugea pru- dent de rester à Orléans et se contenta d'expédier à Valence un messager1. Le roi de Navarre envoya à Laurent de Maugiron le comte de Suze, avec une lettre et un mémoire détaillé sur la conduite à tenir vis-à-vis des rebelles2. Maugiron s'était déjà mis en campagne. Le 20 mai, le roi de Navarre compléta les instructions qu'il lui avait précédemment adressées.

Monsieur de Maugiron, j'ay veu ce que vous avez escript au roy, mon seigneur, et à moy, du xne de ce moys, par ce por- teur, que j'ay bien voullu vous renvoyer présentement avec cesle responce à vostre dicte dépesche, pour vous dire que vous avez fort bien faict de vous mectre dans la ville de Quirieu pour estre de quelque force et seureté, et d'avoir receu les gen- tilz hommes du pays qui se sont venus offrir à vous pour vous faire service, lesquelz vous regarderez d'entretenir et d'en reti- rer d'autres, le plus que vous pourrez, affin que, avec eulx et les gens de guerre que nous doibt envoyer Mons. de Savoye, comme vous aurez veu par la dépesche que vous a portée le s. de Suze, et autres moyens qui vous sont baillez par ladicte dépesche, joint aussi le secours que vous pouvez avoir de vingt cinq enseignes de Provence soubz la charge du comte de Som- merive, après qu'il aura donné ordre aux troubles de Provence et comtat de Venysse, suivant ce qui luy est présentement escript, vous regardez à vous faire le plus fort pour faire rendre l'obéissance au roy, mon seigneur, etnccloyerce pays de toutes ces rébellyons et insolences qui se y usent, pour après vous en venir à Lyon en faire de mesmes, secourant aussy par vous ledit s. de Sommerive s'il en a besoing. Et à cest effect vous vous aiderez des xxv"' livres que Messieurs les légat et duc de Guise doibvent faire fournir. Et, si cella ne peult vous soulïiiv,

1. Le messager apportail deux lettres qui sont conservées on copies du temps dans le vol. 10190 du I'. fr., f. 163 et 163 v°.

2. Lettre du l"2 mai L562 (Copie du temps; Archives de Lyon, A A. 24, f. 127).

ET JEANNE DALBRET. 225

11 fauldra que vous regardez de prendre pour y employer ce que vous pourrez tirer des deniers des décimes et des trésors des églises, selon l'instance que vous en pourrez faire aux gens d'église de delà. Et m'asseurant que, pour le singulier zelle et affection que vous portez au service au Roy, mon seigneur, vous n'oublierez aucune chose de tout ce qui y sera requis de faire en cest endroit, je me remectray du surplus sur la dicte dépesche du s. de Suze et prieray Dieu qu'il vous ayt, Monsieur de Maugiron, en sa saincte et digne garde. Escript à (la localité manque), le xxe jour de may 4 562.

Vostre meilleur amy,

Antoine1.

Le roi de Navarre, informé que Maugiron ne pou- vait tenir la campagne, lui ordonna, le 9 juin, de munir d'artillerie, de munitions et de vivres le château Dau- phin, place imprenable, mais en mauvais état, qu'il importait de ne pas laissera l'ennemi2. Bientôt Mau- giron apprit que le baron des Adrets était parti pour la Provence. Il quitta la Savoie, il levait des troupes, et se rapprocha de Grenoble. Il préparait un coup de main quand il reçut une députation du parlement du Dauphiné et des consuls, qui le sup- pliait de ne pas entrer dans la ville3. Maugiron répondit qu'il ne pouvait transiger avec le devoir de

1. Copie du temps; Archives de Lyon, AA. 24, f. 128.

2. Lettre du 9 juin 1562 (Copie du temps; Arch. de Lyon, AA. 24, f. 129). Comparez la lettre de la reine mère à Mau- giron (Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 327).

3. De Thou, d'après de Bèze (Hist. ecclés., 1881, t. II, p. 411), a écrit que cette démarche était simulée et avait pour objet réel de s'entendre avec Maugiron sur les conditions de la livraison de la ville (De Thou, t. III, 1740, p. 229). De Thou et de Bèze se trompent, ainsi que le prouve la lettre du roi de Navarre que nous citons plus loin, lettre dans laquelle le prince blâme éner- giqucment la démarche des gens de Grenoble.

iv 15

226 ANTOINE DE BOURBON

restaurer l'autorité royale partout la fortune des armes lui donnait la victoire, mais que les habitants, catholiques ou réformés, seraient garantis de tout dam par la discipline de ses troupes. Le roi de Navarre blâma sévèrement la requête des députés. Il écrivit à Tavannes de marcher au secours de Maugiron et de l'aider « à nectoyer le pays de cette vermine de « rebelles. » Dans la crainte d'une rivalité entre les deux capitaines, il stipula que Maugiron laisserait à Tavannes le commandement général1. Le 14 juin, l'armée catholique, forte de 200 cavaliers et de 1 ,200 hommes de pied, entra dans Grenoble en grande pompe, tabourins sonnants. Aussitôt les soldats se débandent et courent au pillage avec plus d'ardeur qu'à l'ennemi. En vain Maugiron s'efforce de les rap- peler ; en vain il fait élever à la hâte, dans les lieux les plus apparents, des potences destinées aux pillards. Il dut laisser ses gens assouvir leur avidité, et ne put les rassembler que le lendemain. Le baron des Adrets, rappelé par les plaintes de ses coreligionnaires, reve- nait en Dauphiné avec une armée victorieuse. A son approche, Maugiron décampa secrètement et se retira en Savoie. Il n'en sortit que pour rejoindre Tavannes en Bourgogne, laissant le Dauphiné aux mains du plus féroce chef de partisans dont l'histoire du xvie siècle ait gardé le souvenir.

La fortune, pendant toute la campagne, resta fidèle au baron des Adrets. Tournon, Grenoble et Vienne lui ouvrirent leurs portes. Bientôt toutes les villes du Dau-

1. Copie du temps, datée du 12 juin 1562 (Arch. de Lyon, AA. 2i, f. 130). Conférez la lettre de la reine à Maugiron de même date (Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 329).

ET JEANNE d'ALRRET. 227

phiné, excepté Embrun et Briançon, tombèrent entre ses mains. Partout, le chef de la réforme portait le fer et la flamme, pillait et quelquefois démolissait les églises, massacrait les prêtres, dépouillait les catholiques de leurs biens, écrasait d'emprunts et d'impôts les villes mêmes qui se donnaient librement à lui, faisait pendre, noyer, arquebuser, égorger les garnisons qui osaient lui résister. Les historiens du temps racontent de ce capitaine des traits de barbarie qui semblent inspirés par une ivresse sauvage. A Montbrison1, il fit passer tous les habitants au fil de l'épée. Fatigué de tuer, il obligea les derniers défenseurs de la ville à se préci- piter du haut d'une tour élevée. Un soldat hésitait et s'y prit à deux fois. Le baron lui cria qu'il lui faisait perdre le temps : « Monseigneur, répondit-il, je vous « le donne en dix. » Ce bon mot lui fit obtenir sa grâce2. C'est le seul acte de générosité qu'on lui attribue. Les violences du baron des Adrets lui ont mérité un renom de bourreau qui s'est prolongé d'âge en âge et qui se perpétue encore dans les souvenirs du Dauphiné par des contes et des chansons populaires3. La réforme, triomphante en Dauphiné et à Lyon, était battue en Provence et en Bourgogne. La Pro- vence avait pour gouverneur Claude de Savoie, comte de Tende, et pour lieutenant Honoré de Savoie, comte

1. La marche du baron des Adrets sur la ville de Montbrison donna au roi de Navarre l'idée d'envoyer le maréchal de Saint- André en Lyonnais contre lui. Le projet ne fut pas exécuté (Lettre du roi de Navarre à la reine, du 22 juillet 1562 ; Orig., f. fr., vol. 15876, f. 301).

2. De Thou, 1740, t. III, p. 232.

3. Voyez la Réforme en Dauphiné, par Long, in-8", 1850.

228 ANTOINE DE BOURBON

de Sommerive, fils du comte de Tende. Le comte de Tende était un capitaine âgé, d'opinions indécises, dési- reux avant tout d'éviter la guerre civile. Le roi de Navarre le félicita de ses efforts pour arrêter les sédi- tions locales l . Le comte de Sommerive avait embrassé le parti des Guises. Il accusait son père de tiédeur et presque de trahison. Animé d'une ardente jalousie contre un frère d'un autre lit, auquel il se disait sacrifié, il s'était rangé, dès les premiers troubles, parmi les ennemis de son père2. Aussitôt après la prise d'Orléans, sans attendre les ordres de la cour, il entra en campagne et se mit à traquer les protestants de ville en ville. Le comte de Tende leva de son côté des troupes, s'allia aux huguenots et courut sus à son fils. Ainsi, la guerre civile naquit en Provence d'une inimitié de famille, et, au rebours de ce qui s'était passé ailleurs, débuta par le soulèvement des catholiques. Le père et le fils se faisaient personnellement la guerre, armaient des troupes, pillaient successivement les villes opposantes, tous deux au nom du roi. Cette lutte attira l'attention du roi de Navarre. Mais, à mesure que le comte de Tende inclinait du côté des huguenots, et Sommerive dans le sens des catholiques, le parti de la tolérance perdait de son crédit à la cour. Vers le milieu du mois de mai, la reine appela le comte de Tende à la cour et lui commanda de laisser le gouvernement de la Provence à son fils3. Le comte de Tende sentit que

4. Minute originale, d'avril 1561 (1562); coll. Dupuy, vol. 588, f. 83.

2. Le comte de Laferrière a réuni [Lettres de Catherine de Médi- cis, i. I, p. 304, note) plusieurs citations de documents originaux sur la rivalité du comte de Tende el du comte de Sommerive.

3. Lettres de Catherine de Médicis, t. 1, p. 304.

ET JEANNE d'aLBRET. 229

cet ordre équivalait à une disgrâce. Il licencia ses troupes et se retira en Savoie. Le roi de Navarre adressa à Sommerive, comme au vrai lieutenant du roi, l'ordre d'achever la pacification du pays en chassant les séditieux, de les poursuivre en Dauphiné, de s'entendre avec les sires de Maugiron et de Suze, et de réunir en toute diligence ses troupes victo- rieuses à celles qui luttaient péniblement contre le baron des Adrets1. Mais le comte n'avait point de hâte de compromettre ses victoires en attaquant un adversaire aussi redoutable. Il mit le siège devant Sisteron, ville forte de Provence, que défendaient Mouvans et Monbrun avec toutes les forces du parti huguenot. Le roi de Navarre, qui ne se souciait de Sisteron, lui commanda, le % août, de se « joindre « avec les trouppes qui viennent de Savoie et d'Ita- « lie pour, estans tous ensemble, faire ung bon et « gaillard effect pour le service du roi, » du côté de Lyon2. Sommerive continua le siège de Sisteron, la clef du gouvernement de Provence. Après un long siège, poursuivi avec des alternatives diverses, les habitants capitulèrent, les soldats et une partie de la population s'enfuirent et Sommerive entra dans la place en vainqueur3.

La Bourgogne4 était administrée par Gaspard de

1. Minute originale, datée de mai 1562 (F. fr., vol. 15876, f. 61).

2. Lettre du roi de Navarre, du 2 août 1562, au comte de Som- merive (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 351).

3. Lettre de Sommerive au roi de Navarre, du 17 sep- tembre 1562 (Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 76). Cette lettre contient des détails nouveaux sur les péripéties du siège de Sisteron.

i. Sur l'histoire de la guerre civile en Bourgogne, sujet que nous ne pouvons traiter avec développement, voyez Les Mémoires

230 ANTOINE DE BOURBON

Saulx Tavannes, catholique ardent et sans pitié1. Tavannes avait obtenu du parlement de Dijon l'ajour- nement de l'édit de janvier et maintenait les hugue- nots en paix sous sa main de fer2. La prise de Lyon donna le branle aux rebelles de la province. Si le mou- vement l'eût emporté en Bourgogne, l'armée royale aurait été prise à revers sous les murs d'Orléans, et les reîtres auraient marché sans obstacle sur Paris. Le roi de Navarre écrivit à Tavannes « que promp- « tement et à bon essient, dit-il, vous mectiez la main « à empescher que ce feu qui chemyne de vostre cousté « ne passe oultre3. » Tavannes n'avait ni troupes ni argent, et la cour était trop embarrassée pour lui venir en aide. Le roi de Navarre, le 31 mai, lui envoya, au lieu de troupes et d'argent, l'autorisation d'en lever autour de lui.

Mons. de Tavannes, par le gentilhomme qui vous fut der- nièrement renvoyé de Paris, je vous fais entendre que vous vous pourriez servir de quatre enseignes des gens de pied qui

de Gaspard de Tavannes, coll. Petitot, t. XXV, p. 338 et suiv. Mémoires de Guillaume de Tavannes, ibid., t. XXXV, p. 243 ot suiv. Pingaud, Les Saulx Tavannes, in-8°, 1876, p. 33 et suiv. Pingaud, Correspondance des Saulx Tavannes, in-8\ 1877, p. 83 et suiv. Ghalle, Le calvinisme et la Ligue dans l'Yonne, t. I, p. 15 et suiv. Abord, La réforme et la Ligue, à Autun, t. I, seul paru, p. 183 cl suiv. MM. Pingaud, Ghalle et Abord ont cité beaucoup de documents originaux conservés dans les archives locales. L'illustre Orbandalc, par Bertaut et Gusset, t. I, in tine.

1. Le î août, le pape Pie IV adressa à Tavannes une bulle il le remerciail d'avoir conservé la religion en Bourgogne (Annal. Raynaldi, i. XXI, ann. 1562, 169).

2. Sur la rébellion de Dijon, voyez la lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 mai 1562 (Orig. espagnol; A.rch. nat., K. 1497, a' 30).

3. Original, daté du 10 mai 1562 (F. fr., vol. 4632, f. 143).

ET JEANNE D'ALBRET. 231

avoienl esté levez pour Lyon avecques les autres quatre que vous aviez, et, pour le paiement d'icelles, vous ayder des argen- teryes des églises , sur quoy le Roy vous a faict scavoir son intention. Et depuis est arrivé le général1, présent porteur, duquel nous avons sceu ce qu'est advenu à Châlons, où, s'il y eut eu moyen de donner ordre, je m'asseure que vous n'y eus- siez riens obmis, comme vous ne ferez, s'il est possible de réduire ledit lieu en plus de dévotion et obéissance au Roy qu'il n'est; et aussi de maintenir les autres villes et le pays en repos et tranquillité. Atendant que le temps nous donne plus de com- modité, comme je m'asseure avec la grâce de Dieu que nous aurons, qui est tout ce que je puis escrire pour le présent, remettant le surplus à la lettre du Roy et de la Royne. Priant Dieu, Mons. de Tavannes, vous donner ce que plus vous désirez. Du boys de Vincennes, le dern. jour de may 4 362. Yostre bien bon et ancien amy,

Antoine2.

Tavannes avait déjà ramassé toutes les compagnies de sa province, frappé les maisons des huguenots d'emprunts forcés, fondu l'argent des églises et livré sa propre vaisselle. Il prit l'offensive avec une petite armée de 600 cavaliers et de 1 ,200 arquebusiers, s'empara de Chalon-sur-Saône et mit le siège devant Màcon. La prise de la ville semblait assurée quand, le 4 juillet, le soir d'un combat, Tavannes reçut une lettre, le roi de Navarre lui rendait compte de ses dernières négociations avec le prince de Gondé : « Nous « sommes en si bons termes de pacification qu'il fault « surseoir toute hostilité, ainsy que la royne vous « escript3... » A cette nouvelle, Tavannes, qui s'était

1. Le général, officier de linances.

2. Orig.; f. i'r., vol. 4G3?, f. 144.

3. Original, daté de Talcy, du 30 juin 1562 (F. fr., vol. 4632, f. 145).

232 ANTOINE DE BOURBON

déjà compromis par de glorieux faits d'armes, craignit une disgrâce pour excès de zèle. Sans attendre la con- firmation des ordres du prince, il leva le siège et se retira à Chalon-sur-Saône. Il reçut peu après une seconde lettre du roi de Navarre, datée du même jour, qui lui apprenait la rupture de la conférence de Talcy : « Vous regarderez aussy à faire de vostre « cousté ce que vous pourrez pour recouvrer Mascon « et satisfaire à la charge et au pouvoir que le Roy « vous a commis pour recouvrer l'obéissance elle « est perdue ' . » Aussitôt Tavannes envoya à ses capitaines l'ordre de reprendre la campagne; mais, de sa personne, il resta sur la défensive. Le roi de Navarre, dans une nouvelle lettre, lui commanda de marcher au secours du Dauphiné, Maugiron et Suze étaient battus à chaque rencontre par les bandes du baron des Adrets2.

Le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, en prenant les armes, n'obéissaient pas à un mot d'ordre. Dans le parti huguenot, la guerre civile était livrée à l'initia- tive de chaque capitaine. Point de direction centrale, pas d'action commune ; chaque chef de bande se ruait sur les églises ou sur les villes de son voisinage et s'y établissait en maître après les avoir pillées, comme au temps de l'invasion des barbares. L'armée d'Orléans, sous la direction de Goligny, prétendait à plus de dis- cipline. L'amiral s'efforçait de l'aguerrir, de l'organi- ser, de lui donner des armes, des chevaux, des vivres,

t. Original, daté de Talcy, du 30 juin L562 (F. IV., vol. 4632, r. 146).

2. Lettre du roi de Navarre à Maugiron, du 12 juin 1562 (Copie du temps; Arch. de Lyon ; AA. 24, f. I 10).

ET JEANNE D'ALBRET. 233

de constituer des réserves et des alliances. Les pil- lages n'étaient qu'un prélude, une satisfaction donnée aux basses passions de la plèbe de son armée. L'appât du gain lui servait à recruter des troupes, et la com- plicité du pillage à les retenir sous le drapeau de la réforme. Malgré ces attraits, dit Chantonay, les bandes huguenotes se complétaient difficilement et la plupart des hommes d'armes, sans emploi depuis la paix de Cateau-Cambrésis, hésitaient à regagner le camp d'Or- léans1. Coligny sentait son infériorité. Bien appuyé sous les murs d'Orléans, il restait sur la défensive et attendait l'attaque de l'ennemi.

L'armée royale était mieux organisée en vue d'une longue campagne. Le duc d'Aumale réunissait en Normandie des troupes qui s'élevaient à 6,000 hommes de pied, 800 arquebusiers à cheval et 150 hommes d'armes. Dans les environs de Paris, divers capitaines avaient levé 28 compagnies de gens de pied, de 300 hommes chacune, et 1 ,000 hommes d'armes com- mandés par des chevaliers de l'ordre. Nevers, Mou- lins étaient le centre d'une armée de réserve qui comp- tait : l'une 3,500 chevaux, l'autre 1,500". Le plan de campagne du duc de Guise était de faire descendre ces troupes du Bourbonnais à la Loire, tandis que l'armée rassemblée à Paris se rapprocherait d'Étampes. Ainsi, les rebelles auraient été pris entre deux feux sous les murs d'Orléans3.

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 18 avril 1502 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1197, 24).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 30).

3. Lettre de Chantonay À Philippe II, du 5 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 28).

234 ANTOINE DE BOURBON

Le roi de Navarre commandait en chef. Enflammé par l'approche des combats, il avait retrouvé les vertus de sa jeunesse. Il recevait les capitaines, passait en revue les compagnies et les animait de son propre courage1. La nouvelle du pillage de Vendôme, que Jeanne d'Albret avait laissé consommer sous ses yeux, sinon encouragé de son approbation2, arriva à la cour le 21 mai3 comme pour passionner son ardeur belli- queuse. Il se plaignit amèrement à l'ambassadeur d'Espagne des attentats de sa femme contre les plus respectables reliques de sa maison. Il l'accusait de sacrilège au nom de leurs jeunes enfants. Il jura de ne pas laisser un seul hérétique en France, quand la guerre civile devrait lui coûter la vie. Chantonay l'ap- prouva et lui conseilla de rompre pour toujours avec une épouse qui se mettait à la tête de ses ennemis4. L'ambassadeur nous révèle un fait, qui fut peut-être un des motifs secrets de la fureur iconoclaste de la reine de Navarre. Catherine de Médicis, toujours en garde contre les empiétements du triumvirat, se ser- vait de toutes ses ruses pour dominer le lieutenant général. « Encore use-t-elle d'autres moyens, dit Chan- « tonay, qu'est d'emboucher une demoiselle, dicte « Rouhet, de laquelle led. s. de Vendosme est bien « fort amoureux, prétendant par trouver moyen de

1. Lettre de Chantonay à. Philippe II, du 7 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. mit., K. 1497, 29). Toutes les correspon- dances sont unanimes sur ce point.

2. Voir ci-dessus, p. 94.

;i. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Gondé, t.. I, p. 86 el 87.

4. Lettre de Chantonay ;'i Philippe H, du 28 mai et du 3 juin 1562 (Orig. espagnols; Arch. u.u., I\. I i')7, n" 36, el 1498, 5).

ET JEANNE d'âLBRET. 235

« scavoir son secret et le séparer d'avec les catho- « liques [ . » Louise de la Beraudière, connue à la cour sous le nom de la belle Rouet, fille de Louis de la Beraudière, seigneur de Sourches et de Rouet, et de Louise de la Guiche, était une des plus « fringantes » demoiselles d'honneur de la reine mère. La mention de Chantonay fixe la date d'une intrigue galante qui devait durer jusqu'à la fin de la vie du roi de Navarre.

Le connétable devait être lieutenant du roi de Navarre, et le duc de Guise chef de l'avant-garde2. Le maréchal Paule de Thermes, seigneur gascon, avait été destiné au commandement de l'arrière-garde ; il mourut, le 6 mai, au moment d'entrer en campagne3. Le maréchal de Brissac n'était guère valide. Le duc de Montpensier était retenu en Poitou 4. Le prince de la Roche-sur-Yon , prince indépendant et scep- tique, avait refusé de s'engager dans une guerre dont l'issue lui paraissait douteuse. Un jour, écrit le capi- taine La Motte, la Roche-sur-Yon fut « visité en une « petite maladie par le roy de Navarre, et, interrogé

i. Lettre de Chantonay, du 23 mai, dans les Mémoires de Gondé, t. II, p. 13.

2. Lettre de Tornabuoni, du 30 mai 15G2 (Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 478).

3. Il mourut le 6 mai, « estant plus riche d'honneur, vertus, « vaillance et bonne renommée que des biens de ce monde, mou- « rant moins advancé en richesses que lorsque simple cheval « léger il vint au service du roi. » Il fut enterré aux Célestins de Paris (Belleforest, t. II, p. 1629). Ce récit est textuellement copié par Piguerre, Hist. de nostre temps, p. 409.

4. Lettre du roi de Navarre à la reine, du 16 mai 1562 (Orig.; appartient à M. Lacaille, ancien magistrat). Nous publierons cette lettre aux Pièces justificatives.

236 ANTOINE DE BOURBON

« en riant s'il avoit faict venir ses armes et chevaux, « il dit en colère qu'il n'en feroit venir un seul et qu'on « ne s'y attendît pas4. » La charge de l'arrière-garde échut alors au maréchal Saint-André, vieux capitaine que François de Lorraine voulait faire assister par le duc de Nemours2. Jacques de Savoie, depuis la tenta- tive d'enlèvement du duc d'Orléans, s'était retiré en Italie3. Le roi de Navarre était mal disposé pour lui. Nemours l'avait offensé en disant au duc d'Orléans que les Bourbons aspiraient au trône, même au prix de la vie du roi et de ses frères. La nécessité obligea le lieutenant général à faire taire ses rancunes. Avant de reparaître à la cour, Nemours se fit précéder d'une humble rétractation4. Antoine accepta ses excuses et promit de lui pardonner5. Mais la reine mère ne con- sentit au retour de ce seigneur qu'à la condition qu'il n'aurait point de charge auprès d'elle0. Saint-André fut alors envoyé à Poitiers ; le connétable prit le com-

1. Lettre du cap. La Motte au s. Holbrac, en date du 21 mai 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 10190, I'. 173).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 8 avril 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 21). Lettre de Catherine à la duchesse de Savoie, mai 1562 {Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 303).

3. Il n'était pas encore rentré à la cour à la date du 22 mai (Lettre de Robertet, du 22 mai, au duc de Nemours; Autog., 1'. IV., vol. 3200, f. 133), ni à. la date du 3 juin (Lettre du conné- table à Nemours, du 3 juin; Orig., i'. fr., vol. 3180, f. 69). Ces deux lettres sonl datées de la cour.

4. Autographe, daté du 22 juin 1562; Arch. des Basses-Pyré- nées, E. 585.

5. Copie datée de Blois ci de juillel 15(12; Arch. dos 1>u>si\~- Pyrénées, I-".. 585.

6. Lettre de Ghanlonay à Philippe 11, du 9 juin 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1498, n" 2).

ET JEANNE D'ALBRET. 237

mandement de l'arrière-garde et le roi de Navarre resta seul à la tête de l'armée1.

La liste des capitaines de l'armée royale, destinés à combattre directement sous les ordres du roi de Navarre, a été conservée dans une pièce de compta- bilité2. Le prince s'était fait attribuer des « gages » dont le chiffre élevé prouve qu'il estimait haut ses services. Il touchait 2,500 livres par mois comme lieutenant général du royaume. Les s. d'Ossun et de la Brosse, maréchaux de camp, Charles de la Rochefoucault de Randan, colonel général de l'infanterie, 300 livres ; les capitaines Sarlabous et Richelieu, maîtres de camp des bandes françaises, 200 livres3.

Avant de se mettre en campagne, le roi de Navarre mit la cour et Paris à l'abri d'un coup de main. Le roi et la reine s'étaient rendus à Monceaux le 1 3 mai l ; il leur apporta, le %1 mai, de la part du triumvirat5, le con-

1. Lettre non signée de la fin de juin 1562 (F. fr., vol. 20153, f. 95).

2. Voici cette liste : l'enseigne colonelle (celle de Charles de la Rochefoucault de Randan, colonel de gens de pied) ; les cap. Sar- labous et Richelieu, mestres de camp; les cap. Forcés, Villeneuve, Boys, Mirepeys, -Marin, Larivière, Brye (au lieu de Boisjourdan), Hunoset, Noailhan, Nançay, Achaulx, Buno, Sylvestre, Lucinet, Serrion, Savigny, Jacques Volf, Gosseins, Montorgueil, Rance, Anglure, Lago, Saint-Estève, Lagrange ; ces trois derniers fai- saient partie des vieilles compagnies de Calais (Liste datée de juin 1562; Copie du temps; f. fr., vol. 15876, f. 130).

3. Estats et appointements des lieutenant général en l'armée et au camp et autres officiers, pour les mois de juin, juillet et août 1562 (Copie ; Vc de Colbert, vol. 84, t. 275).

4. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 19 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 33). Journal do 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 104.

5. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. Y, p. 108.

238 ANTOINE DE BOURBON

scil impérieux de revenir à Paris et d'y rester sous la surveillance du prince de la Roche-sur-Yon i . Les nécessités de la guerre ne laissaient pas à la reine le choix de sa résidence. Elle quitta Monceaux dans les derniers jours du mois et s'établit le 30 mai au château de Vincennes, au grand regret du peuple, qui aurait désiré garder le roi à Paris2. Le trium- virat prit des mesures pour la sûreté du roi comme pour le retenir prisonnier3. L'attitude de la reine justifiait ces craintes. Catherine, malgré son zèle apparent en faveur des catholiques, était aussi incer- taine que le premier jour. Les conférences avec le chancelier se multipliaient. Quand elle ne pouvait le voir, elle lui envoyait la dame de Valpergue, « gentil « femme hérétique, » que lui avait donnée la maré- chale de Thermes. Ghantonay raconte qu'une dame de la cour, venue d'Espagne, la dame d'Aguilar, com- munia un jour dans une église de Paris. Les assistants la complimentèrent « de ne pas être hérétique comme « sa maîtresse4. » Le roi était circonvenu par les amis de Condé. On lui disait que le prince « était les deux « bras de son corps, » formule extravagante qui frap-

1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 5 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 28).

2. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 104. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 28 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 3(1). Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 110.

3. Ordre pour La garde du mi tant de jour que de nuit, pièce sans date, mais qui se rapporte au mois de mai 1562 (Négoc. sous François IL p. 869, dans les Documents inédits).

\. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11 mai 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1497, 30).

ET JEANNE D'ALBRET. 239

pait le jeune roi1. Charles IX garda ses sentiments de méfiance. Lorsque les troupes allemandes arrivèrent au camp, le comte Rhingrave alla saluer le roi. Le jeune monarque « n'en fît pas grand cas, » et dit tout haut à la reine : « Je ne scay pourquoy l'on faict venir tant « de gens estrangiers; je n'en ay point de besoing. Je « scay bien que c'est contre M. le prince de Gondé; « mais, s'il estoit défaict et ceulx de sa compagnie, je « crois bien que l'on feroit de vous une petite cham- « beriere et de moy ung petit valet2. »

La ville de Paris appartenait en majorité au parti catholique le plus ardent. Le duc de Guise y régnait en maître; le roi de Navarre, depuis sa conversion, partageait la faveur populaire des Lorrains3. Antoine était attentif à flatteries passions religieuses du peuple. Le 17 mai, jour de la Pentecôte, il assista en grand apparat à la messe et aux vêpres de la cathédrale et entendit un sermon du cardinal de Lorraine4. Le jour de la Fête-Dieu, le 28 mai, au retour de Mon- ceaux, malgré les dispositions protestantes des habi- tants de Meaux, il fit célébrer avec éclat la procession du saint sacrement dans les rues de Meaux et y con- duisit la reine5. La ville de Paris avait obtenu du roi

1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 17 juin 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1498, 5).

2. Lettre de Goligny à. d'Andelot, du 3 août 1562 (Kervyn de Lettenhove, Documents relatifs à l'histoire du XVIe siècle, 1883, j>. '.li.

3. Lettre do Ghantonay à Philippe II, du 26 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 36).

4. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 19 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K 1497, 33).

5. Lettre de Chantonay à Philippe II, de juin 1562 (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1498, 5).

240 ANTOINE DE BOURBON

l'autorisation de s'armer l. Le 1 1 mai, les « citoyens et « manans » éliront un capitaine et un lieutenant par quartier et tirent dresser le rôle de tous les habitants en état de porter les armes2. Le 16, le roi de Navarre approuva l'élection , commanda aux capitaines de choisir les enseignes, caporaux et sergents de bande qui devaient servir sous leurs ordres, fît acheter des armes par les bourgeois, ordonna des revues par quar- tier et confia la défense de la ville à chaque compagnie à tour de rôle. Le jour, les portes restaient ouvertes ; la nuit, elles étaient fermées et gardées comme en temps de siège. Des chaînes étaient tendues en travers des rues, des lanternes ou des torches posées sur le seuil de chaque maison3. Cette organisation militaire est clai- rement exposée dans une lettre du roi de Navarre au prévôt des marchands, du 16 mai4. La ville entière se soumit aux charges, et le parlement lui-même, malgré ses privilèges, consentit à participer aux frais de défense5. Le roi de Navarre confia le gouvernement de la ville et le commandement des troupes au maré- chal de Brissac6.

•1. Ordonnance du roi, du 2 et du 8 mai 1562 (La Popelinière, t. I, f. 310 v°. Félibien, Hist. de Paris, t. IV, p. 801; t. Y, p. 291. Mémoires de Condé, t. III, p. 419).

2. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 104.

3. Lettre de Ghantona} à Philippe II, du 28 mai 15G2 (Orig. espagnol ; A.rch. nat., K. 1 497, 36).

i. Lettre du roi de Navarre au prévôt des marchands, du 16 mai 1562 (Arch. nat., 11. 1784). Autre copie do cette pièce (F. IV., vol. 10191, f. 206). Ces mesures furenl complétées par une ordonnance du roi, du 17 mai (Félibien, Histoire de Paris, t. III, p. G66).

5. Arrêl du 22 mai 1562 [Mémoires de Condé, t. [II, p. 454).

6. Négoc. du card. de Ferrare, p. 200. Les pouvoirs du mare-

ET JEANNE d'aLBRET. 241

L'ardeur des habitants réclamait des mesures plus complètes. Il existait, dans les écoles et dans certains corps de métier, une minorité de réformés « pour « remuer mesnage. » Le 20 mai, sur les remontrances de Nicolas Luillier, lieutenant civil de Paris, le roi de Navarre fit crier à son de trompe une de ces ordon- nances qui ramènent le XVIe siècle aux temps de la

barbarie : « que tous ceulx de lad. nouvelle reli-

« gion, estans de présent demeurans et résidans dans « lad. ville de Paris, ayent, dans le jour de jeudi pro- « chain venant, pour tout terme et délay, à s'en reti- « rer et sortir hors d'icelle ville. » L'édit de pros- cription, publié le mardi, ne laissait que deux jours aux religionnaires pour s'expatrier. Le lendemain, une nouvelle ordonnance aggrava la première en accordant aux capitaines dizainiers, assistés des prin- cipaux bourgeois, le droit de désigner « ceux qui sont « notoirement diffamez et déclarez l . » C'était donner aux inimitiés locales la facilité de satisfaire leurs plus basses passions. L'ordonnance fut exécutée avec une sévérité implacable. La plupart des familles chas- sées de la ville se retirèrent dans la forêt de Vincennes, « soit pour trouver une meilleure retraite, soit pour « obtenir quelque adoucissement2. » Elles périrent

chai de Brissac furent ratifiés par le roi par une ordonnance du 31 mai 1562 (Félibien, Histoire de Paris, t. III, p. 668).

1. Ces deux ordonnance-; furent imprimées en 1562. Elles ont été reproduites par La Popelinière, in-fol., t. I, f. 310 v°, par Félibien, Histoire de Paris, t. III, p. 667, et dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 462. Le parlement en ordonna l'exécution pur un arrêl du 29 mai (Mémoires de Condé, t. III, p. 168 .

2. Lettre de (Ihantonay à Philippe II, du 17 juin 1562 (Orig. espagnol; Arcli. nat., K. 1498, 51).

iv 16

242 ANTOINE DE BOURBON

de faim et de misère ou devinrent la proie des bandes armées qui sillonnaient la campagne. Celles qui res- tèrent dans Paris furent pillées, dépouillées et jetées en prison1.

A la fin de mai, l'armée catholique commençait à être redoutable2. Mais les deux partis hésitaient à donner le signal des combats. Chaque seigneur pres- sentait que le sang versé appellerait de terribles ven- geances, et que, de représaille en représaille, la guerre civile, embrassant le royaume entier, serait le tom- beau de tous les capitaines. « Après qu'on eut tiré « plusieurs coups de plume d'une part et d'autre, dit « Mathieu, on déguaisna les espées ; la guerre fut « déclarée. Le Roy de Navarre fut le général de l'ar- « mée du Roy, et la fit marcher vers Montléry pour « aller droit à Orléans; les vens de la tempeste civile « furent laschés; il ne fut plus possible de les retenir; « il n'y a que Dieu qui les commande. Armes de çà, « armes de là, troubles, confusions, calamitez par « tout3. »

Le roi de Navarre fit acheminer l'artillerie, le 23 mai, par la rue Saint-Jacques. La foule se pressait

1. La Popelinière, I . I, I". 310 v°. De Bèze, Hist. ccclés., 1581, t. II, p. 75. Le cardinal de Sainte-Croix: avoue ces excès (Archives curieuses, i. VI, p. 104). Lettre anonyme sans date, écrite par un catholique (F. fr., vol. 20153, f. 95).

2. Ghantonay constate qu'elle était la première prête à entrer en campagne (Lettre du 28 mai 1562 à Philippe II; Orig. espa- gnol : Arch. nai., K. 1497, 36).

3. Mathieu, Hist. de France, i. I. p. 260. Dans un autre pas- sage Mathieu écrit a\ec n îm'ins de verve: « La guerre civile,

plus ruineuse en un estât que le l'eu en une maison, la peste en une ville, la lièvre au corps humain, fut déclarée et commencée avec des cruautés et des violences estranges. » [Ibid., p. 259.)

ET JEANNE d'aLBRET. 243

sur le passage des troupes. « Ce jour-là, dit un chro- « i liqueur anonyme, esmut fort les gens de bien de voir faire un tel effort contre les siens propres1. » Les canons furent postés sur la route d'Orléans, dans des retranchements élevés en 1 544, lorsque Charles- Quint était campé à Saint-Dizier2. Le 1er juin, le roi de Navarre et l'armée se mirent en campagne. Le prince marchait à l'avant-garde avec le duc de Guise, le connétable au centre et Saint-André à l'arrière- garde. L'armée se composait de vingt-deux compa- gnies de gens d'armes, de 600 chevaux-légers et de trente-cinq compagnies de gens de pied. Elle franchit la première étape et campa le soir à Lonjumeau3.

Pendant que l'armée royale stationnait à Lonjumeau, la reine arriva à l'improviste pour négocier encore une fois avec le prince de Condé4. Sans doute la dame de Crussol, qui était à Orléans avec le cardinal de Chastillon, lui avait fait part des hésitations du parti réformé5. L'armée suspendit sa marche, et la reine, accompagnée du roi de Navarre, se rendit à

1. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. A*, p. 107.

2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 28 niai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 36).

3. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 110. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 87. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 100.

4. Dans les derniers jours de mai, Catherine avait envoyé un messager à Condé. Il lui répondit, le 28, une lettre peu conci- liante qui est conservée en copie dans la coll. Brienne, vol. 205, f. 500. Malgré cette lettre, la reine tenta encore une fois lu voie des négociations.

5. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 105. Journal de Bruslard dans \o> Mémoires de Condé. t. I, p. 87. Journal de 1592 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 112.

244 ANTOINE DE BOURBON

Étampes1. Elle fit demander au prince de Gondé une entrevue, en son nom et au nom du roi de Navarre, dans un lieu de son choix ; et, sans attendre la réponse, elle s'avança, le o juin, jusqu'à Toury. Là, elle apprit que la conférence avait paru dangereuse et que le prince n'avait pas obtenu de son conseil l'autorisation de sortir de la ville2. Catherine recula jusqu'à Étampes et renvoya à Orléans Jean de Monluc, évêque de Valence, avec la mission de faire des efforts désespérés en faveur de la paix, jusqu'à représenter au prince que le parti catholique disposait de forces irrésistibles. Pressé par la reine, Coudé accepta enfin une entrevue avec son frère, à la condition que la reine y assisterait3. Les deux partis convinrent de n'amener que 100 cavaliers et de se rencontrer le mardi, 9 juin, dans les plaines de la Beauce, entre Auger ville et Toury4. Catherine et Antoine appor- taient à la négociation des dispositions bien différentes. La reine voulait « manibus et pedibus5 » empêcher la guerre civile, et se montrait si conciliante vis-à-vis des

1. Lettres de Catherine de Médias, t. [, p. 327.

2. De Bèze, Ilist. ecclés., 1881, t. II, p. 528. Lettre de Tor- nabuoni, du 13 juin (Négoc. de la France avec la Toscane, l. III, p. 481). Lettre du card. de Ferrare [Négoc. du card. de Ferrare, p. 233). Discours du card. de Lorraine au pari, de Paris {Me moires de Gondé, t. III, p. 489). Presque tous les écrivains ont confondu le voyage que la reine lit le 5 juin à Toury avec celui qu'elle fil le 9 au même endroit. Voyez plus loin.

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 6 juin 15G2 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1 i98, 5).

4. Lettres de sauvegarde données par le roi de Navarre au prince de Gondé, datées d'Ktanipes, du S juin 1302 (Minute ou copie, du temps; 1". IV., vol. 6618, f. 103).

5. Mol de Tornabuoni (Lettre du 13 juin; Négoc. entre la France

i I lu l'usaiiie, 1 . 111,1'. "'^l)-

ET JEANNE d'ALBRET. 245

huguenots que le parti catholique l'accusait, « estant « en soupçon de leur foiblesse, de leur procurer le « temps d'attendre leurs estrangers1. » Le roi de Navarre, au contraire, s'était engagé à repousser les propositions de paix qui laisseraient aux hérétiques la liberté de leur culte2.

Le 9 juin au matin, le roi de Navarre se mit à la tête d'une escorte, composée de chevaliers de l'ordre, de gens d'armes de sa compagnie et de celles des triumvirs, tous armés de pied en cap, vêtus de velours cramoisi et montés avec luxe. La reine le rejoignit aux portes d'Étampes en litière. Le cortège franchit six lieues et fit halte, dit La Noue, dans une plaine « raze comme la mer. » Condé se fit attendre près d'une heure et demie. Enfin ses coureurs vinrent reconnaître l'escorte du roi de Navarre. Le prince arriva, monté sur un étalon des haras royaux de Meung- sur- Loire, suivi de Piennes, de Genlis, de Gramont et d'une brillante troupe de cavaliers, vêtus de casaques blanches et armés de lances ornées de banderoles de même couleur. Le roi de Navarre le rejoignit au galop avec François de Montmorency, Lansac et d'Escars. Ils s'abordèrent froidement et entrèrent en conférence. La reine, dit Ghantonay, craignant également ou une dispute ou un accommo- dement entre les deux frères, accourut aussitôt de toute la vitesse de ses porteurs. A son arrivée, le prince de Condé la salua sans descendre de cheval et s'excusa de rester en selle sur ce que les membres de

1. Mémoires de Tavannes, coll. Petitot, t. XXIV, p. 333.

2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 6 juin 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1498, 5).

246 ANTOINE DE BOURBON

son conseil l'avaient ainsi ordonné, de crainte de sur- prise. Cette précaution étonna les assistants, mais ne souleva aucune observation de la reine. Alors le prince de Condé commença la lecture d'une longue harangue sur la religion et l'obéissance due au roi. Catherine l'arrêta au bout d'une heure et le pria « d'arriver au « but et de couper au plus court. » 11 interrompit sa lecture et dit « qu'il venait pour écouter ce que la « reine avait à lui commander. » Elle lui proposa d'autoriser le culte réformé, d'accorder une amnistie générale à tous les rebelles, sauf aux officiers du roi ; en retour, elle demandait au prince de déposer les armes, de restituer les villes et les églises usurpées. Elle se réservait de garder les compagnies royales sous les armes jusqu'après l'exécution de ces conditions. Le prince répondit que la paix ne serait possible qu'après le départ des triumvirs et demanda la retraite des chefs catholiques, l'exécution de l'édit de janvier et le licen- ciement simultané des deux armées. Catherine répon- dit avec à-propos que les deux parties belligérantes n'étaient pas égales, puisque l'une était représentée par le roi et l'autre par des révoltés, dont le premier devoir était de se soumettre. Le prince, interdit par cette observation, déclara qu'il ne pouvait prolonger les pourparlers sans l'assentiment de ses conseillers, « qu'il leur avoit donné sa foy et n'y pouvoit contre- ce venir. » Et il avoua à la reine que les affaires du parti huguenot étaient conduites par un double conseil, l'un de vingt, l'autre de cent membres et les résolu- tions soumises « à la tourbe, » c'est-à-dire à l'assem- blée du peuple. « C'est donc vous, riposta la reine, qui « estes prisonnier el sans liberté, non inoy.» Cependant

ET JEANNE DALBRET. 247

lu conférence continua. Gomme le prince témoignait d'une grande confiance dans ses troupes, la reine lui dit sur un ton de menace : « Puisque vous vous fiez à « vos forces, nous aussy nous vous montrerons les « nôtres. »

Les deux cortèges, commandés l'un par le maréchal Henri de Montmorency-Damville, l'autre par le comte de la Rochefoucauld, restaient à huit cents pas l'un de l'autre, hors de la portée de la voix des deux interlo- cuteurs. Pendant cette longue attente, les seigneurs des deux partis se mesuraient des yeux et reconnais- saient, dit La Noue, « l'un son frère, l'autre son oncle, « son cousin, son amy ou ses anciens compagnons » dans les rangs ennemis. Plusieurs demandèrent l'autorisation « de s'accoster. » Bientôt, de l'un à l'autre, les cavaliers des compagnies rouges et des compagnies blanches rompirent leurs rangs et se mêlèrent fraternellement. Les catholiques représen- taient à leurs frères huguenots que la guerre civile serait cause de leur perte, les huguenots qu'elle était leur seule chance de salut. Tous regrettaient la néces- sité de s'entr'égorger pour une divergence d'inter- prétation de texte. « Bref, dit La Noue, chacun s'inci- « tait à la paix et à persuader les grands d'y entendre. « Aucuns qui, un peu à l'escart, considéroient ces « choses plus profondément, déploroicnt le discord « public, source des maux futurs ; et, quand ils reve- « noient encore à penser en eux-mesmes que toutes « les caresses qu'on s'entrefaisoit seroient converties « en meurtres sanglans, si les supérieurs donnoient un « petit signe de combattre, et que, les visières estaus a abattues et la prompte fureur ayant bandé les yeux,

248 ANTOINE DE BOURBON

« le frère quasy ne pardonnerait à son frère, les « larmes leur sortoient des yeux1. »

L'entrevue avait déjà duré une heure et demie et la reine et le prince de Condé ne s'étaient communiqué que ces propositions banales qui revenaient, depuis la prise d'Orléans, dans les instructions des ambassadeurs des deux partis. 11 pleuvait à torrents avec un vent violent « comme au cœur d'un hiver bien froid. » La reine demanda à se mettre à l'abri dans une chau- mière délabrée, appelée le château Gaillard, qui s'éle- vait à quelques pas du chemin. Le prince répondit que les instructions de ses conseillers lui interdisaient de quitter la campagne découverte. Cette nouvelle preuve de méfiance déplut d'autant plus à la reine que les coureurs de son escorte avaient dépisté un corps de 800 cavaliers ou arquebusiers, cachés par le prince de Condé dans un pli de terrain. Avant de se retirer, la reine demanda à prendre jour pour une nouvelle con- férence. Le prince répondit qu'il ne pouvait s'engager sans en référer à son conseil et promit d'aviser la reine. Il se réserva seulement le droit d'amener avec lui Coligny, d'Andelot et La Rochefoucauld ; la reine, celui de se faire assister du duc de Guise, du conné- table, du maréchal de Saint-André ou du cardinal de Lorraine. Les deux partis se séparèrent, la reine et le roi de Navarre pour revenir à Étampes, le prince de Condé à Orléans. Catherine escomptait le résultat d'une entrevue à laquelle assisteraient les hommes

I. .)/. La Noue, liv. I, chap. ni. La plupart des his-

toriens protestants ont copié le récit de La Noue, notamment d'Aubigné, qui en a reproduit la substance avec une^rande élo- quence [Hist. unir., i.l, col. 195 .

ET JEANNE D'ALBRET. 249

du triumvirat, mais les Guises lui signifièrent qu'à aucun prix ils ne prendraient part à des négocia- tions avec des rebelles, parjures au serment de fidélité au roi.

Le lendemain et le surlendemain, 10 et 11 juin, la reine attendit vainement à Étampes le rendez-vous du prince de Gondé. Le 1 2, elle apprit de Jean de Monluc, évêque de Valence, que les réformés n'accepteraient un accord pacifique que sur les bases posées par leur chef. Irritée de ce message, elle promit aux chefs du parti catholique de fermer l'oreille aux propositions des huguenots et commanda ses équipages pour retourner à Vincennes. Le même jour arriva à Étampes le seigneur d'Yvoi, frère de Genlis , avec une lettre du prince de Coudé, qui confirmait les réponses de l'évêque de Valence1. La reine renvoya à Orléans Flo- rimond Robertet, s. d'Alluye, un des quatre secré- taires d'état2. Le 1 3 juin, elle se mit en route à petites journées, dans l'espoir qu'elle serait rappelée à Étampes. Elle rencontra le roi, qui était venu à la ren- contre de sa mère sur la route d'Orléans, et arriva à Vincennes le 13 juin avec toute la cour3.

1. Cette lettre est imprimée dans les Mémoires de Gondé, t. III, p. 481.

2. L'instruction qui lui fut confiée est publiée dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 483. Elle reproduit les mêmes propositions.

Le secrétaire d'étal n'esl pas nommé, mais son nom se retrouve dans une lettre de Gondé, du 1G juin, que nous citons plus loin.

3. Sur l'entrevue de Toury, voyez surtout une lettre de Ghan- tonay à Philippe II, des 13 el ! i juin 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1498, 3), et un discours du cardinal de Lorraine au parlement [Mémoires de Condc,i. III, p. 489). Lettre de la reine à l'évêque de Rennes (Lettres de Catherine de Médias, t. 1. p

Voyez aussi une lettre de Tornabuoni, des 13 et 1 i juin [Négoc.

250 ANTOINE DE BOURBON

Aussitôt après le départ de la reine, l'armée royale se remit en mouvement. Le o juin, elle avait atteint Montlery1 et s'était arrêtée aux environs d'Étampes pendant la conférence de Toury. Le 13 juin, elle campe entre Augerville et Mereville, dans le voisinage des lieux ou, trois jours auparavant, catholiques et réformés avaient échangé de si touchantes accolades. Le roi de Navarre écrit à la reine que l'armée montre de bonnes dispositions, que les chefs sont « enclins à « s'accomoder à quelques honnestes conditions, » mais qu'ils demandent à combattre si les rebelles « ne veulent venir à la raison2. » Le lendemain, l'armée arrive près de Pithiviers, à une journée de marche d'Orléans. L'approche de l'ennemi mit le trouble dans les conseils du parti huguenot. Les uns voulaient descendre en rase campagne et combattre, les autres attendre le siège3. Ce fut le parti le plus prudent qui l'emporta. Les réformés étaient dans une position avantageuse. Ils dominaient le cours de la Loire et ne pouvaient être pris à revers que si le roi de Navarre passait le fleuve. Malgré le danger de compromettre sa ligne de retraite, le lieutenant général avait arrêté de se porter en avant, de descendre la

de la France arec la Toscane, t. III, p. iSI el 484). Journal de 1562 dans La Revue rétrospective, t. V, p. 114. Mémoires de La Noue, liv. I, chap. m. Do Bèze, Hist. ecclés., 1882, t. I, p. 529. Lettre de Throckmorton dans Le XVIe siècle et les Valois, par M. de Laferrière, p. 69.

1. Journal de 1562 dans La Revue rétrospective, I V, p. 142.

2. Original, daté du 13 juin, du camp de Mereville (F. fr., vol. 6606, f. 5).

3. La Popelinière mel dans La bouche de Golignj el de Genli6 deux discours à la façon de Tite-Live sur L'opportunité d'une bataille (1581, t. I. F. 317 el suiv.).

ET JEANNE D'ALBRET. 251

Loire, de s'emparer du pont de Baugency et de bloquer Orléans sur l'une et sur l'autre rive1.

Le 13 juin, pendant que l'armée royale s'ébranlait, le prince de Condé avait écrit à la reine et au roi de Navarre deux lettres qui révélaient certains regrets de l'échec de la conférence de Toury2. Les lettres furent apportées au camp au point du jour par François du Fou, seigneur du Vigean, oncle de made- moiselle du Rouet, « l'amie de Vendôme, » et par Florimond Robertet d'Àlluye, secrétaire d'état. Les deux messagers représentèrent au roi de Navarre que sa marche en avant ouvrait la guerre civile et consom- mait la ruine de son frère au profit des Guises et du roi d'Espagne, les plus mortels ennemis de la maison de Bourbon. Ils ravivèrent son ancienne rivalité et l'atten- drirent tellement, dit Chantonay, dans ses sentiments fraternels, que le prince versa des larmes et résolut de renouer les négociations. Le connétable et le duc de Guise, aussitôt informés, accoururent dans la chambre du roi de Navarre, mais ils ne purent modifier ses desseins. En vain lui prouvaient-ils qu'il pouvait termi- ner la guerre en un jour sans tirer l'épée. Le seigneur du Vigean lui persuada que l'honneur de la campagne res- terait au duc de Guise et les profits de la victoire au roi d'Espagne. Robertet et du Vigean arrivèrent jus- qu'à Paris et prirent un rendez-vous secret avec la reine dans le bois de Vincennes. Malgré les précautions

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 17 juin 1562 (Orig. espagnol : A.rch. oat., K. 1 198, 4).

.'. Ces deux lettres sonl publiées dans les Mémoires dt Condé, t. 111, p. \x\ el 186. Les originaux sonl conservés, l'un dans le f. fr., vol. 15876, f. 125, l'autre parmi les autographes de Saint- Pétersbourg, vol. 39, f. 3.

252 ANTOINE DE BOURBON

prises, le mystère fut découvert par l'ambassadeur d'Espagne. Chantonay adressa des représentations à la reine et ne fut pas écouté. Après deux jours de confé- rence, le roi de Navarre renvoya les deux messagers à son frère en lui proposant une trêve de six jours et une nouvelle entrevue sous les murs de Baugency4.

La nouvelle des pourparlers fut accueillie dans l'armée catholique avec des sentiments divers. La plupart des capitaines regrettaient d'avoir pris les armes et menaçaient de quitter le camp pour défendre leurs maisons2. L'ambassadeur d'Espagne envoya offi- ciellement au roi une lettre de remontrance3. Seuls, les cardinaux de Ferrare et de Sainte-Croix, le premier par souplesse et le second par ambition4, « disaient amen, « écrit Chantonay, à tout ce que proposait la reine5. » Catherine, depuis le retour d'Étampes, « se sentait « assez mal d'une cheute de cheval qui luy avait fait fort « grand mal à la main, à la hanche et au bras6. » La

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 17 juin 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1498, 4).

2. Lettre de Chantonay, du 17 juin (Orig. espagnol ; Arch. nat., k. 1498, 5).

3. Original, daté de Paris, du 18 juin (F. fr., vol. 15876, f. 144).

i. Prosper de Sainte-Croix, que nous appelons toujours le car- dinal de Sainte-Croix, parce qu'il a'esl connu que sous ce titre, n'était pas encore cardinal; mais il comptait le devenir, dit Chantonay, par l'influence de la reine (Lettre de Chantonay à Philippe II, du 17 juin 1562; Orig. espagnol ; Arch. nat.,K. 1498, n" '.).

5. Lettre de Chantonay citée dans la note précédente. Ils furent désapprouvés par les cardinaux delà cour romaine (Lettre du présidenl de l'Isle au roi, du 1 i juillet 1562 ; Copie du temps ; T. IV., vol. 3955, f. 103).

6. Lettre de Marguerite de France, duchesse de Savoie, à Bor- dillon, du 28 juin 1 562 [Revue des sociétés savantes, nov. 1872, p. 458).

ET JEANNE D'ALBRET. 253

veille elle avait été saignée et purgée1. Malgré ses maux, au reçu de la lettre du roi de Navarre, elle partit en litière2. Elle emmenait avec elle quelques dames, au milieu desquelles, dit Chantonay, « trônait « avec honneur l'amie de Vendôme, afin de s'en servir « dans cette entreprise comme d'un principal instru- « ment pour obtenir de lui tout ce qu'elle pourrait a désirer. » Un seigneur catholique observa tout bas à la cour que la reine se moquait du roi de Navarre. Le propos fut répété ; Catherine protesta vivement de sa déférence pour le prince et dit que la paix ne pou- vait lui être « imputée » à elle-même, mais bien au lieutenant général, « qui seul avait les armes à la main3. »

Le prince de Coudé accepta les propositions de son frère, la trêve de six jours et l'entrevue à Bau- gency. 11 rappela un faible corps de garde huguenot qui défendait le pont de la Loire et proposa au roi de Navarre de neutraliser la ville4. La reine s'avançait à grandes journées. Le 1 9 juin, elle arriva à Artenay5 et

1. Lettre de Vieilleville à Tévèque de Rennes dans les Mémoires de Castelnau, t. I, p. 813. Journal de 1562 dans la Revue rétros- pective, t. V, p. 168. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 89. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 47.

2. Suivant un témoin, elle était partie le 17 juin, à petites jour- nées, à la première nouvelle des négociations du roi de Navarre avec Condé (Lettre anonyme sans date (juin 1562) ; Copie du temps; f. fr., vol. 20153, f. 95).

3. Lettre de Chantonay à. Philippe II, du 17 juin 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1498, 4).

4. Lettre de Condé au roi de Navarre, datée du 16 juin et d'Or- léans (Orig.; Arch. dos Basses-PyréniT-, K. 585).

5. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 335.

254 ANTOINE DE BOURBON

s'y rencontra, comme par hasard, avec la princesse de Gondé, la dame de Grussol et le cardinal de Ghastillon1. Après une assez longue conférence, que la reine voulut tenir aussi secrète que possible, la princesse de Condé retourna à Orléans, mais la dame de Grussol resta auprès de la reine. Le 22, Catherine, sans doute pour éloigner des témoins importuns, envoie sa maison et ses secrétaires à Etampes et se rend en personne à l'abbaye de Saint-Simon2, près d'Orléans, auprès du roi de Navarre. Pour garder les dehors de l'impartialité, elle refuse de se confier à l'une ou à l'autre armée3 ; elle s'éloigne du théâtre de la guerre et s'établit à Talcy, petit village du Blésois, près de Marchenoir4. Pendant que la reine se rapprochait d'Orléans, le prince de Gondé, jugeant qu'il était d'une bonne poli- tique de faire étalage de ses armes, s'était mis aux champs, le 19 juin, avec trente enseignes de gens de pied et 2,000 cavaliers5. Il établit son camp à deux lieues d'Orléans, sur les bords de la Loire, en face de l'armée catholique. La Loire seule séparait les avant- postes. La reine avait posé à Artenay, dans sonentre-

1. Lettre de Ghantonay, du 30 juin 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1498, 6). Lettre de Tornabuoni, du 24 juin {Négoc. entre la France et la Toscane, t. UT, p. i84). Lettre de Throck- morton [Calendars, 1562, p. 102).

2. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 338 et 339. Les étapeB de la reine sont exposées clairement dans un rapport adressé à Tlimckmortiin el publié par le comte de Laferrière (Le XVIe siècle et les Valois, p. Tin.

:!. Lettre de Tornabuoni, du 24 juin 1562 (Négoc. de la France avecla Toscane, t. III, p. 184). Négoc. du card. de Ferrure, p. 251.

i. Lettre du roi de Navarre au cardinal de Lorraine, datée de Saint-Simon et du 21 juin 1562 (Orig., I IV., vol. 3219, F. 125).

5. De Bèze, Hist. ecclés., 1881, t. 1, p. 536.

ET JEANNE d'âLBRET. 255

vue avec la princesse de Condé, les préliminaires d'un accommodement formé de concessions mutuelles. Le roi de Navarre, campé à Baugency, eut deux conférences avec son frère, le 21 l et le 22 juin, et, moitié par persuasion, moitié par crainte réciproque, les deux princes arrêtèrent la convention suivante : les trium- virs quitteraient la cour et se retireraient en leurs maisons ; les protestants restitueraient les villes con- quises ; le prince de Condé se livrerait à la reine comme otage de la fidélité de son parti ; le roi de Navarre resterait seul à la tête de l'armée royale pour procéder au désarmement général.

Les deux frères étaient près de s'accorder quand surgit un incident qui prouve combien le roi de Navarre était l'esclave de ses intérêts personnels. Au moment de consigner par écrit les résolutions prises, arrivèrent le secrétaire de Chantonay et un courrier du cardinal de Bourbon. Les réponses de Philippe II et les dépêches de d'Almeida2, arrêtées pendant trois jours à Orléans3, avaient été remises à la cour4. Le cardinal de Bourbon les avait ouvertes et se hâtait d'informer son frère que le roi d'Espagne, faisant droit aux légitimes revendications de l'héritier de la maison

1. Antoine écrivit ce jour-là au cardinal de Lorraine : « Ladictn dame (la reine) aussy vous escript comme il va de nostre négo- ciation de paix, à quoy je ne scaurois adjouster aucune chose. » (Orig.; f. fr., vol. 3219, f. 125.) La lettre de la reine est perdue.

2. Voyez la tin du chapitre précédent.

3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 juin 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1498, 6).

4. L'arrivée du courrier d'Espagne est signalée sous La date du 20 juin 1562 dans le journal de 1562 \livvw' rrtruspectivc, l. Y, p. 170).

256 ANTOINE DE BOURBON

d'Albret, lui accordait provisoirement la Sardaigne, en attendant la conquête de la Tunisie. A la lecture de cette dépêche, Antoine fut tellement « transporté de « l'allégresse qu'il en ressentit qu'il ne put s'empêcher « d'en faire démonstration par des paroles et par des « signes. » La convention pacifique, péniblement écha- fàudée les jours précédents, fut sacrifiée. De tous les intérêts à défendre, il ne connaissait plus que les siens, avec l'utilité de complaire au roi catholique. Le prince de Gondé s'était retiré avec ses conseillers pour libeller le traité de paix. Antoine appela son favori, d'Escars, et lui commanda, lorsque les secrétaires apporteraient l'acte, de le déchirer sous leurs yeux et de dire que les conditions étaient trop déshonorantes pour que le prince osât les recommander au roi. Cet éclat inat- tendu ramena le prince de Gondé auprès de son frère. 11 avait appris dans l'intervalle qu'un messager du cardinal de Bourbon était arrivé à Baugency et il attri- buait aux nouvelles d'Espagne l'évolution subite du lieutenant général. Antoine le reçut froidement, refusa de s'expliquer et le congédia sans un mot de concilia- tion1. Gondé paraissait affligé. Avant de remonter à cheval, il s'approcha de son frère et demanda à lui baiser la main avant de mourir ~.

Rentré au camp, le prince de Gondé tint conseil. 11 fallait reprendre Baugency, queles catholiques tenaient

1. Cette scène singulière a'esl racontée que par un des ambas- sadeurs vénitiens (Déchiffrement daté du 23 juin 1562; Dépêches vénit., filza S bis, f. 38). Tornabuoni fait quelques allusions à. ces négociations préliminaires [Négoc. entre la France et la Tos- cane, t. III, p. ï84).

2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 30 juin 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1 198, 6).

ET JEANNE D'ALBRET. 257

à titre de restitution. Le prince envoya un gentilhomme, nommé Àrchimont, pour « semondre » le roi de Navarre de rendre la ville. Le connétable reçut le messager et lui demanda s'il était français, s'il ne savait pas qu'il y avait un lieutenant général pour commander en place du roi et un connétable pour com- mander en place du lieutenant général, « que Bau- « gency estoit au Roy et [qu'ilj s'esmerveilloit qu'un « françois feust si hardy et mal conseillé que de pourter « parolles de distraire et oster à son prince une de « ses villes. » Puis il loua Archimont de ses anciens services, lui promit de « l'eslever si hault qu'il seroit « veu de tout le camp. » Par fanfaronnade, il proposa de rendre aux gens d'Orléans Baugency, à la condition qu'ils y mettraient 2,000 de leurs meilleurs arquebu- siers, « s'asseurant bien de crocheter la ville par « d'autres clefs, monstrant l'artillerie1. »

Pendant que le prince de Gondé et son conseil regrettaient la perte de Baugency, arriva au camp un nouveau messager de la reine, Joachim de Monluc, s. deLioux, frère de Févêque de Valence. Catherine avait appris l'étrange refus du roi de Navarre et reprenait personnellement les pourparlers. Le lendemain, 24 juin, Condé expédia à la reine mère2 et au roi de Navarre

1. Relation anonyme de l'entrevue de Baugency envoyée à Paris par un capitaine, en date du 26 juin 1562 (Copie du temps ; F. fi\, vol. 20153, f. 39).

2. Il semble même que Condé ait eu avec la reine, dans la matinée du 24, une première conférence il aurait pris les engagements les plus formels. Voyez le journal de 1562 dans ht Revue rétrospective, t. V, p. 175. Le témoignage de cet annaliste est d'autant plus précieux qu'il prétend tenir son récit de la bouche de Joachim de Monluc, s. de Liuux.

iv 17

258 ANTOINE DE BODRBON

François de Bricquemault avec deux lettres de créance1 et un manifeste, signé des principaux seigneurs réfor- més. Ce manifeste passe sous silence, comme non avenu, avec le mépris qu'il mérite, l'insolent désaveu du roi de Navarre. Dès ce moment, Antoine perd la direction des négociations.

Avant que passer plus avant, que Messieurs de Guise, con- nestable, el mareschal de Sainct-André se retirent en leurs maisons, et, à l'heure mesme de leur retraite, nous supplions très humblement Monseigneur le prince de Condé de s'aller consigner et constituer entre les mains de la Royne et du Roy de Navarre pour plcige et garand de nostre foy ; promettant à leurs Majestés en uostre nom que nous y obéirons promplement à tout ce qui nous sera commandé de leur part pour le service du Roy, le salut de ce royaume, la conservation de nos biens et vies, le tout à la gloire de Dieu et liberté de nos consciences.

Faict à Vaussouldun, ce 24e juin 4 502.

Signé ChasLillon, Andelot, La Rochefoucauld, Genlis, Piennes, Soubize, de Grandmont, Mouy, Bricquemault, Tenneguy du Rouchet, Le Vigen, de Bellcville, Saincte-Foy, de La Roche- foucault, de Belleville2.

La reine accueillit favorablement le manifeste du %\- juin et l'envoya au parlement de Paris3 avec une lettre d'actions de grâces à Dieu4. Elle écrivit au roi

t. La loi ire de Gondé au roi de Navarre est publiée par le comte Delaborde (Goligny, t. IL p. 119). La lettre du même à h reine esl dans le t fr., vol. 6607, f. Aï.

2. Cet acte a été plusieurs fuis publié, notamment par de Bèze (1SS1, !.. 1, p. TiMii) ci d'apirs l'original parle comte Delaborde (Goligny, t. II, p. 118).

3. Celle pièce fui enregistrée dans les registres secrets delà cour (Coll. du Parlement, vol. 554, f. 326).

4. Lettre de Catherine au parlement, du 25 juin (Lettres </< Gatherinede Médicis, 1. 1, p. 340). (Mémoires de Gondé, t. III, p. 507.)

ET JEANNE d'aLBRET. 259

et le pria de faire chanter un Te Deum à l'église de Notre-Dame1. Elle rassembla son conseil et lui commu- niqua l'espérance que le royaume échapperait aux hor- reurs de la guerre civile. Nul ne doutait de la paix. Il ne restait plus qu'à libeller les conventions verbales. Catherine expédia dans les provinces rebelles des offi- ciers chargés de l'aire exécuter le nouveau traité et de recevoir, au nom du roi, les villes restituées par les huguenots. Joachim deMonluc, s. de Lioux, qui venait d'Orléans, fut envoyé en Guyenne, Saluées en Pro- vence2, Senneterre en Lyonnais3, Glervaux en Lan- guedoc, ce dernier avec une lettre du roi de Navarre4. La reine informa le cardinal de Ferrare de la bonne nouvelle 5 et convoqua le roi à Baugency pour donner plus d'autorité au traité de paix du lendemain6. Le roi partit de Vincennes le 25 juin et coucha le premier jour à Gorbeil7.

Trois jours après que le manifeste fut arrivé à Baugency, le 27 juin, les triumvirs se retirèrent de la cour. Le roi de Navarre, qui obéissait à la reine avec

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 30 juin (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1498, 6).

2. Les instructions confiées à Monluc de Lioux et à Saluées sont conservées dans le f. fr., vol. 15876, f. 164 et 165.

3. M. de la Ferrière a publié en entier (Lettres de Catherine, t. I, p. 340, note) l'instruction qui fut donnée à M. de Senneterre.

4. Lettre du roi de Navarre, du 26 juin, datée de Baugency (Minute; f. fr., vol. 15870, f. 161). Voyez aussi la lettre de la reine à Joyeuse [Lettres de Catherine de Médias, t. I, p. 34 2).

5. Négoc. du card. de Ferrare, p. 257.

6. Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 384.

7. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 171. Avant de partir, il envoya la bonne nouvelle au card. de Ferrare (Négoc. du card. de Ferrare, p. 284).

260 ANTOINE DE BOURBON

autant de docilité que s'il ne se fût jamais mêlé de la •négociation, peut-être avec l'arrière-pensée de la faire échouer, salua leur retraite, dit de Bèze, par une belle harangue, à la tête de l'armée. Catherine leur délivra, comme un titre de noblesse, une déclaration par laquelle elle reconnaissait que leur absence était volontaire et ne pouvait porter dommage à leur honneur de fidèles serviteurs du roi l . L'annonce de leur départ arriva à Orléans le %l juin, à minuit, au moment la trêve finissait. Restait au prince de Condé à imiter ce désin- téressement et à se constituer prisonnier à la cour « comme pleige et garant » de la bonne foi des siens. Il y paraissait résigné. Le lendemain matin, il écrivit aux fidèles de l'église de Lyon : « Les troubles qui ont « duré jusques à cette heure sont sur le point d'estre « pacifiez, et, pour cest effect, me suys achemyné pour « aller trouver la royne, le roy mon frère, pour adviser « des articles et conditions de la paix2. »

Cette lettre écrite, le prince de Condé monta à cheval et se rendit à Talcy;i en petit équipage. Catherine et le

1. Ge1 acte es! publié dans 1rs Mémoires de Co?idc,t. III, p. 512, et dans les Mémoires-Journaux du duc de Guise, p. 495. L'ori- ginal esl conservé dans le f. IV., vol. 3194, f. 5. Le cardinal de Ferrare donne quelques détails sur le départ des triumvirs [Nêgoc. du card. de Ferrare, p. 285).

2. Lettre du prince de Condé à l'église de Lyon, rapportée par le comte Delaborde [Goligny, t. II, p. 120).

3. D'Aubigné raconte u\w singulière aventure qui se sérail passée pendant le séjour de la reine à Talcy : ■■ J'ay appris du s. de Talsy, dit-il, que le roy de Navarre et la royne mère, estans à la fenestre dans une ebambre assez basse, escoutoyent deux goujats, qui, eu faisanl rôtir une oye dans une broche de buis, chantoyenl des vilenies contre la royne. L'un disoit que le cardinal l'avoil engrossée d'un petit gorret, l'autre disoit d'un

ET JEANNE D'ALBRET. 261

prince avaient arrêté dans leur première conférence un point capital, le renvoi des triumvirs, mais il restait des questions graves à traiter : la prédominance du culte catholique, l'exercice de la réforme, etc. Antoine, « changé du tout au tout » depuis qu'il avait reçu des nouvelles d'Espagne, formula de sévères exigences, que la reine n'osa modérer. Condé, accueilli avec égards, mais se sentant prisonnier, prétendit ne pou- voir traiter sans l'assentiment de ses compagnons d'armes4 et obtint de la reine l'ajournement de la con- férence au lendemain et l'autorisation d'appeler les seigneurs de son conseil. Le lendemain, 29 juin, l'amiral, d'Andelot, La Rochefoucauld, le prince de Porcian, Rohan, Genlis, Gramont, Soubise, après s'être longtemps retardés, arrivèrent à Baugency, conduits par Condé. Outre un nombreux cortège de gens d'armes, ils avaient amené, à peu de distance, de l'aveu de de Bèze, un corps d'armée capable de les défendre2.

petit mulet ; et puis ils maugréoyent de la chienne ; tant elle leur faisoit de maux. Le roy de Navarre prenoit congé de la roine pour les aller faire pendre, mais elle, après avoir dit par la fenestre : Hé, que vous a-t-elle l'ait? Elle est cause que vous rôtissez l'oye. Se tourne vers le roi de Navarre en riant et lui dit : Mon cousin, il ne faut pas que nos colères descendent là, ce n'est pas nostre gibier. Soit dit sur ce qu'elle n'avoit rien de bas. » (Hist. univ., t. I, col. 198, 1626.)

1. L'auteur anonyme du Journal de 1562 prétend tenir de la bouche de Joachim de Monluc, s. de Lioux, que le prince de Condé s'engagea absolument et sans réserve à accepter les pro- positions de la reine (Revue rétrospective, t. V, p. 176).

2. Le journal de 1562 donne d'amples détails sur les troupes amenées par les huguenots (Revue rétrospective, t. V, p. 177). Calvin, dans une communication au conseil de Genève, du '.(juil- let, raconte que les chefs huguenots n'envoyèrent de troupes que pour délivrer le prince de Condè (Roget, Hist. dupeuple deGenève,

262 ANTOINE DE BOURBON

La reine les attendait dans une grange délabrée, un bâton à la main en guise de béquille, à cause de sa blessure. Le roi de Navarre ne parut pas à la confé- rence, soit que sa conversion de fraîche date ne lui permît pas de se rencontrer en face d'hérétiques endurcis, comme dit Chantonay, soit qu'il craignît des reproches au sujet de ses contradictions précédentes l. Catherine accueillit les chefs réformés « bénigne- « ment » et s'efforça de les flatter en les traitant de sauveurs du roi. Ces précautions oratoires étaient le prélude de communications importantes. La reine leur signifia que l'édit de janvier devait être sacri- fié à la paix publique, que le culte de la religion réformée ne pouvait être toléré en public, mais que chaque seigneur garderait le droit de l'exercer à l'intérieur de sa maison. La déclaration surprit les députés. Coligny répondit au nom de tous que la « parole de Dieu » ne pouvait être cachée aux fidèles. Les autres seigneurs approuvèrent l'amiral, et, malgré les instances de la reine, refusèrent d'accepter la sup- pression de l'édit de janvier. Catherine se mit « fort « en cholère et parla deux grandes heures » sans les fléchir. Elle réclamait au prince de Condé et à ses compagnons l'exécution des promesses qu'ils avaient souscrites le 24 juin. Ne pouvant rien obtenir

t. VI, p. 234). Tous les historiens de son parti conviennent que Condé n'était prisonnier que comme otage et sur parole. Voyez la note suivante.

1. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du 30 juin lOrig. espa- gnol ; An-ii. aat., 1\. 1498, n" ni. Autre lettre du même dans le Mémoires de Condé, t. II. p. 48. De Bèze, Hist. ecclés., 1881, t. I, p. «r)37. Journal de 1562 dans la Revue -rétrospective, t. V, p. 17 1 el suiv.

ET JEANNE d'aLBRET. 263

du prince, « elle se leva et frappa plusieurs fois par terre « de son baston, disant : Ha ! mon cousin, vous m'affb- « lez, vous me ruinez. » Condé garda le silence, mais le sire de Soubise répondit pour lui : « Comment, a Madame, est-ce cela que vous nous disiez maintenant, « que vous estes si libre, et que nous avons tort de « dire que vous soiez captive? Si vous avez toute puis- « sance, comme vous dites, qui est-ce qui vous peut « affoler1. »

La suite de l'entretien démontra aux parties qu'elles ne pouvaient s'entendre qu'à la condition de ne pas approfondir leurs divergences. L'incident a été l'objet de deux récits contradictoires, l'un émané de la reine, l'autre du parti huguenot. D'après les lettres de Cathe- rine, les réformés, après qu'elle eut avoué l'impossi- bilité de maintenir l'édit de janvier, déclarèrent sans hésiter qu'ils ne pouvaient habiter la France et deman- dèrent l'autorisation de sortir du royaume avec leurs familles et tout ce qu'ils pourraient réaliser de leurs biens2. La reine combattit cette résolution; les sei- gneurs multiplièrent leurs instances dans l'espoir que la crainte de perdre la fleur de la noblesse du royaume déciderait la reine à céder. Il en arriva tout autrement. Après une longue lutte, la reine consentit brusque-

1. Mémoires de Soubise, 1879, p. 58.

2. D'après de Thou, qui a été suivi sur ce point par presque tous les historiens, ce parti avait été imaginé par Moniuc, évêque de Valence, et approuvé secrètement par la reine, qui se serait débarrassée ainsi des ambitieux des deux partis. Moulue, pétulant les jours précédents, aurait réussi à convertir les seigneurs pro- testants à l'idée de cette retraite (De Thou, 1740, t. III. p. 166). Ce plan est tellement machiavélique qu'il a l'air d'une combi- naison faite après coup.

264 ANTOINE DE BOURBON

ment à leur retraite. Aussitôt, changeant d'attitude et de langage, les seigneurs huguenots remontèrent à che- val et invitèrent Gondé à les suivre, sous prétexte que le triumvirat devait le faire assassiner pendant la nuit1. La reine s'efforça vainement de le retenir. Elle avait à peine vingt chevaux et les réformés plus de huit cents. Les rebelles menaçaient d'emmener leur chef contre son gré et de conduire la reine en prison, « que peut-être ne fust esté grande perte pour ce « royaume, » dit Ghantonay. Le prince feignit de céder à la violence et revint à Orléans2.

1. Ncgoc. du card. de Ferrare, p. 288.

2. Lettre de Catherine au duc de Montpensier, juin 1562 (du 30 probablement plutôt que du 25 de ce même mois) (Lettres de Catherine de Médias, t. I, p. 341). Autre au s. d'Estampes, juil- let (Ibid., p. 345). Autre à l'évêque de Renues, du il juillet [Ibid., p. 350). Autre au parlement de Paris, du 11 juillet (Ibid., p. 351). Procès-verbal de la séance du parlement, du 3 juillet (Mémoires de Condé, t. III, p. 513). Instruction donnée au s. d'Oysel, du 13 juillet (Ibid., p. 533). Le récit de la reine esl surtout clairement présenté dans une instruction de la reine à Brissac publiée en note dans le tome I des Lettres de Catherine de Médicis, p. 351. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 30 juin 1562 (Orig. espagnol; A.rch. uat., K. 1498, 6). Autre lettre du même, probablement adressée à la duchesse de Parme, du 11 juillel 1562 (Mémoiresde Gondé, t. II, p. 48). Cette lettre est presque la reproduction de celle que le même ambassadeur avait adressée le 30 juin à Philippe 11. Toutes les deux présentent, des divers incidents de la conférence de Baugency, un récit obscur ei confus. Le cardinal de Ferrare confirme le récit de la reine (Négoc. du card. de Ferrare, p. 253 el 285). D'après une lettre du cardinal de Ferrare, la proposition des seigneurs huguenots de quitter la France, si la reine ne leur accordait pas l'exécution de l'édil de janvier, aurail précédé la conférence du 29 juin. Les dates des lettres de ce1 ouvrage nous paraissenl sujettes à cau- tion. — Le journal de 1562, bien qu'écril dans un sens peu catho- lique, présente aussi la même versioD (Revm rétrospective, t. Y, p. 174).

ET JEANNE d'ALBRET. 265

D'après les récits de source protestante, Coudé et les siens auraient été victimes d'une sorte de surprise. La conférence se traînait sans conclusion quand le prince de Condé eut l'imprudence de dire que, si sa présence et celle des chefs de la réforme était un obstacle à la paix, il offrait à la reine de quitter le royaume avec ses compagnons d'armes et de chercher un asile à l'étranger *. Il n'avait pas achevé de parler que la reine le prit au mot, « disant que c'estoit le vray moyen pour « remédier aux maux qu'on craignoit. » Et elle ajouta en forme de commentaire : « Mais seullement jusques « à la majorité du roi, que je feray déclarer majeur à « quatorze ans. » Le prince de Condé, Coligny malgré sa présence d'esprit2, restèrent sans parole, pendant que la reine, avec une abondance inépuisable, dévelop- pait les avantages de la retraite momentanée des chefs réformés. L'heure avancée lui permit de lever la séance et de renvoyer les seigneurs sans leur donner le temps de proposer un correctif. « Le prince, dit La Noue, se « retira en son camp, riant, mais entre les dents, « avec les principaux de sa noblesse, qui avaient « entendu les discours. Les uns se grattoyent la teste, « qui ne leur démangeoit pas, les autres la branloient.

1. Condé parlait au nom de tous ceux qui avaient signé ie manifeste du 24 juin (Instruction de la reine à Brissac dans Lettres de Catherine de Médicîs, t. I, p. 351, note). Sic, autres pièces [Mémoires de Condé, t. III, p. 514 et 533). De Thou semble avoir adopté le récit huguenot, peut-être parce qu'il avait Y Histoire ecclésiastique de de Bèze et les Mémoires de La Noue sous les yeux {Hist. univ., 17 iO, t. III, p. 165).

2. Le comte Delaborde observe [Coligny, t. II, p. 121) que l'amiral n'avait peut-être pas toute sa liberté d'espril en ce moment. La peste régnait à Orléans et le fils de Coligny était atteint. L'enfant mourut le 14 juillet.

266 ANTOINE DE BOURBON

« Celui-cy estoit pensif, et les jeunes gens se moc- « quoient les uns des autres, s'attribuant chacun un « mestier, à quoy ils seroient contraints de vacquer « pour avoir moyen de vivre en pays estrange1. »

La reine croyait encore à la bonne foi du prince de Condé, et, malgré l'hésitation qui régnait dans les con- seils des huguenots, à sa proposition de quitter la France. Le soir môme de la conférence, elle envoya à Orléans Nicolas d'Angennes, seigneur de Rambouillet, afin de demander au prince, le lendemain, à son lever, l'heure de son départ et lui offrir dix mille écus2. Convaincue que la paix était certaine, elle écrivit à Gaspard de Saulx-Tavannes : « Geulx de Mascon « méritent bien un bon chastiment, mais, puisqu'il a « pieu à Dieu nous donner un bon commencement de « paix et que nous en sommes en termes de veoir « bientôt le repos mis en ce royaulme tel que je désire, « je vous prie, M. de Tavannes, surceoir et superced- « der en toutes choses la poursuitte et exécution de « vostre entreprise3. » Le roi de Navarre confirma les ordres de la reine. Tavannes avait reçu l'ordre d'ache- miner vers le camp du roi quelques compagnies de Suisses catholiques. Antoine lui recommanda de les

1. Mémoires de La Noue, chap. iv. Do Bèze, Hist. ecclés., 1881, t. I, p. 537. L'ambassadeur espagnol lui-même ne supposait pas que le prince de Cornlr pûï faillir à sa promesse et supputait le danger de voir Coligny se fortifier à Lyon (Lettre du 2 juillet dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 48). Mémoires de Caslelnau, 1731, i. I, p. 97 ei 1)8.

.'. Procès-verbal de la séance du parlement, du 3 juillet [Mémoires de Condé, t. III, p. 514). De Hèzo, Hist. ecclés., 1881, t. [, p. 538.

3. Lettre <lu 30 juin [Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 343).

ET JEANNE d'aLBRET. 207

retenir aux environs de Chàlons jusqu'à la signature du traité de paix4.

Pendant que la reine mère et le roi de Navarre pre- naient ces dispositions, le conseil des réformés s'était assemblé au logis du prince de Gondé, à Orléans. La séance s'ouvrit avec une solennité particulière. L'ami- ral parla le premier et observa qu'une décision aussi grave que celle de l'émigration du chef de la réforme ne pouvait être arrêtée que de l'assentiment de tous les fidèles. Il fit décider que les colonels et les capi- taines parcourraient les campements et interrogeraient les moindres soldats. Tous répondirent que « la terre « de France les avoit engendrez et qu'elle leur serviroit « de sépulture. » L'unanimité des soldats dictait la résolution des chefs. L'amiral, en rendant hommage à la bonne foi de la reine, insinua que l'exil du prince pro- fiterait aux triumvirs; d'Andelot, que le prince et son parti devaient affronter les dangers et courir les chances de la guerre2. Le s. de Boucard, vieux capitaine des armées d'Italie, « qui avoit du feu et du plomb à la « teste, » clôtura la discussion en ces termes : « Mon- « sieur, dit-il, qui quitte la partie la perd3... Il me « fascheroit fort de me voir, en pais estrange, me « promener avec un cure-dents en la bouche et que « cependant quelque petit affeté, mien voisin, fist le « maistre dans ma maison et s'engraissât du revenu. « Qui voudra s'en aller s'en aille. Quant à moy, je

1. Original, daté de Talcv et du 30 juin 1562 (F. IV.. vol. 1G32, f. 145).

2. Son discours est reproduit par La Noue (Mémoires, chap. tv).

3. D'Aubigué attribue ce mot à Bricquemaut (Uisl. unir., t. I, col. 197).

208 ANTOINE DE BOURBON

« mourray en ma patrie pour la défense des autels et « des foyers1. »

Au milieu de la délibération, Florimond Robertet, s. de Fresne, secrétaire des commandements, arriva de la part de la reine. Il vit plusieurs seigneurs et « connut au langage qu'il y avoit du changement. » 1! obtint une audience de Condé et apprit de sa bouche « qu'il n'estoit encore résolu, d'autant que plusieurs « murmuroyent. » Aussitôt il repartit pour Talcy et avertit la reine « qu'il falloit autre chose que du papier « pour le mettre dehors. » Dans l'intervalle, on sut à Orléans que les triumvirs s'étaient arrêtés à Chà- teaudun. Des coureurs interceptèrent une lettre, pleine de menaces pour les rebelles, que le duc de Guise écrivait le 23 juin au cardinal de Lorraine, au moment la signature de la paix paraissait certaine : « ... La « religion réformée, en nous conduisant et tenant bon, « comme nous ferons jusques au bout, s'en va aval « l'eau, et les amiraux mal, ce qui est possible. Toutes « nos forces entièrement demeurent, les leurs rom- « pues, les villes rendues, sans parler d'édicts et de « prêches et administration de sacrements à leur « mode2. » Les chefs huguenots, en quête de subter-

1. Mémoires de La Noue, chap. iv. Do Bèze, Ilist. ecclês., 1881, t. I, p. 538. D'autre part, Soubise constate dans ses Mémoires (p. 57) que les chefs ne voulaienl pas la paix.

■2. Cette lettre m été imprimée 'huis le Sommaire recueil des choses mémorables advenues depuis l'un 1560, publié en 1564, p. 360, dans la première édition des Mémoires de Condé (1565, t. II. p. 375, réimprimée dans l'édition in- i . i. III. p. 509), dans la Légende du card. de Lorraine} p. 18 el 19, dans VHist. ecclés. de de Bèze (1882, t. I, p. 538), ei enfin <hm> les Mémoires-journaux du due de Guise, p. 194 (édit. Michaud el Poujoulat). Elle arriva si à propos pour le pu ii i huguenol que beaucoup d'historiens ont jugé qu'elle pou-

ET JEANNE u'ALBRET. 2l!«)

fuges, saisirent avec empressementles deux prétextes1 . L'arrêt des triumvirs à Ghàteaudun leur permit dédire que le départ de leurs ennemis n'était qu'une « fausse « sortie; » la lettre du duc de Guise, que les chefs catho- liques se préparaient à violer la convention de Bau- gency avant même de la signer.

Peu d'heures après le retour de Robertet à Talcy, Nicolas d'Angennes, de Rambouillet, rapporta d'Or- léans que le prince de Coudé ne pouvait se résigner à la retraite et que ses compagnons d'armes repous- saient les autres conditions de la paix"2. Il annonça que les réformés étaient en marche et que l'armée royale pouvait être attaquée d'un moment à l'autre. La reine protesta vivement contre ce manque de foi et prit immédiatement des mesures de défense. Elle écrivit à Gaspard de Saulx-Tavannes une seconde lettre, avec l'ordre « de faire avancer les Suisses à marches forcées vers le camp du roi3. » Le roi de Navarre lui recommanda de ne « perdre une seule heure de temps,

vait être supposée. Quant à nous, malgré de nombreuses auto- rités, nous croyons à son authenticité pour les raisons suivantes :

M. de la Ferrière l'a trouvée parmi les papiers du Record Oiïice, elle est présentée comme un document indiscutable.

Elle est recueillie et publiée dans les Mémoires-journaux du duc de Guise, p. 494, avec cette étiquette : « Extrait d'une lettre « du duc de Guyse, escrite de sa main, à monsieur le cardinal de « Lorraine. » On sait que cette compilation, pour tout ce qui regarde le duc de Guise, doit être considérée comme semi-offi- cielle.

1. De Bèze raconte que le parti huguenot saisit aussi un mémoire adressé au roi de Navarre et il analyse six articles de ce mémoire (Hist. ecclés., t. I, p. 538, 1881). De Bèze est le seul historien qui parle de ce mémoire.

2. Négoc. du card. de Ferrare, p. 291.

3. Lettres de Catherine de Médicis, t. 1, p. 344.

210 ANTOINE DE BOURBON

« car je vois bien, écrit-il, que ceulx à qui nous avons « affaire ont autres intentions que celles qu'ils ont « voulu faire croyre jusques icy1. » La reine mère expédia au roi à Fontainebleau un messager en poste, qui l'empêcha de venir à Baugency, et le roi repartit le lendemain matin pour Melun2. Le même jour, elle se retira à Ghàteaudun, puis à Melun et à Vincennes. Les triumvirs reparurent au camp du roi de Navarre et le conseil de guerre prit des mesures pour engager les hostilités3.

1. Original daté de Talcy, du 30 juin 1562 (F. fr., vol. 4632, f. 146).

2. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 90.

3. De Bèze, Hist. ecclés., 1881, t. I, p. 539. Mémoires de La Noue, chap. iv. D'Aubigné s'est beaucoup inspiré du récit de La Noue.

CHAPITRE VINGTIÈME.

(Ier juillet-sept. 1562.)

Le prince de Condé prend et pille la ville deBaugency.

Le roi de Navarre s'empare de Blois (4 juillet).

Antonio d'Almeida est arrêté sous les murs de Tours. Le roi de Navarre entre à Tours (1 1 juillet) .

Forces de Vannée royale commandée par Antoine de Bourbon. Le roi, la reine et la cour arrivent au camp de Blois (1 1 août) . Siège de Bourges (1 8 août) .

Prise de la ville (1er septembre).

Suite des négociations du roi de Navarre avec le roi d'Espagne. Entrevue du prince et d'Antonio d'Al- meida. Henri de Béarn. Procuration de Jeanne d'Albret à son mari pour négocier de l'échange de la Navarre (25 août).

Le plan de campagne que le prince de Condé et les seigneurs de son conseil avaient arrêté, depuis que la ville de Paris et la personne du roi leur avaient échappé, était de s'emparer du cours de la Loire afin de se ravitailler dans les provinces de l'ouest, en Poi- tou, et jusques en Guyenne. Fortement appuyés sous les murs d'Orléans et leurs réserves garanties, les

272 ANTOINE DE BOURBON

huguenots pouvaient faire tête à l'armée royale venue de Paris, donner la main aux Allemands et même aux Anglais qu'ils attendaient sur les côtes de la Nor- mandie1. Ce plan, conçu depuis les premiers jours de la prise d'Orléans, éternisait la guerre et laissait aux rebelles les chances de l'imprévu.

Le soir même du 30 juin, le prince de Gondé, dési- reux de racheter ses tergiversations par une action d'éclat, tint conseil. Le roi de Navarre était seul campé à Baugency et la noblesse catholique, confiante dans le succès des négociations des jours précédents, avait morcelé ses cantonnements dans les villages de la Beauce. Le connétable, le maréchal Saint-André, le duc de Guise n'étaient pas encore de retour. Les huguenots avaient le temps de surprendre les catho- liques et d'engager, peut-être de terminer la guerre civile par un coup de main heureux. Le lendemain 1e' juillet, à six heures du soir, le prince leva le camp de la Ferté-de-Seau 2 et mit ses troupes en campagne dans l'ordre suivant : Coligny, à l'avant-garde avec 800 gens d'armes, devait fondre sur la cavalerie ennemie; d'Andelot commandait ^,000 arquebusiers, et le prince de Gondé le reste de l'armée. Tous les soldats avaient reçu l'ordre de cacher leur cuirasse sous une chemise blanche. Cette manœuvre, fort en faveur dans la stratégie du xvie siècle, portait le nom de camisade3. Le prince fut mal conduit par ses

1. Lettre «le Ghantonay, du i avril 1562, à Philippe II (Orig. espagnol ; Arch. aat., K. 1 197, 18).

•J. Le mi de Navarre appelle ainsi ce village dans son rapport à la reine (Minute ; f. fr., vol. 15876, ï. 237).

3. D'après le. père Daniel, les camisades avaienl été inventées

ET JEANNE D'ALBRET. 273

guides, ou trompé par l'obscurité, et, après avoir marché toute la nuit, l'armée huguenote se retrouva au point du jour à une lieue du camp qu'elle venait de quitter, et à deux lieues de l'armée catholique1.

Le roi de Navarre s'attendait à l'attaque2. Informé par le s. de Rambouillet des projets des ennemis, il avait renforcé les gardes et averti les gens d'armes de se masser au premier coup de canon derrière l'artille- rie. Par son ordre, le s. des Bories, lieutenant de la compagnie du prince de Navarre, s'était porté avec vingt salades sur le front de l'armée et se maintenait en communication avec les chevau-légers du maréchal Damville3.

Pendant que les réformés prenaient un peu de repos, les coureurs du capitaine des Bories dépis- tèrent l'armée huguenote. Ils reculèrent en toute hâte et Damville, aussitôt prévenu, fît tirer le canon d'alarme. Les détachements catholiques se rassem-

par le marquis de Pescaire pendant les guerres d'Italie (Voyez les Commentaires de Biaise de Monluc, édit. publiée par la Société de l'Histoire de France, t. II, p. 216, 413 et 414).

4. Histoire ecclésiastique de Bèze, t. I, p. 540, édit. de 1882. La Popelinière, 1. 1, f. 325. Ces deux historiens se copient presque textuellement. De Thou, 1740, t. III, p. 168. Voyez surtout les Mémoires de La Noue, chap. v, et le compte-rendu du roi de Navarre à la reine, en date du 11 juillet (Minute ; f. fr., vol. 15876, f. 237).

2. Depuis l'échec de la conférence de Beaugency, le roi de Navarre avait pris des mesures de défense. Le 1er juillet, à Paris, fut crié l'ordre aux gens d'armes de rejoindre Le camp sous peine de la hart (Journal de 1562, dans la Revue rétrosp., t. V, p. 173. Journal de Bruslard dans les Mémoires deCondé, t. I, p. 90).

3. Compte-rendu du roi de Navarre à la reiuc, du 11 juillet 1562 (Minute; f. fr., vol. 15876, f. 237).

iv 18

274 ANTOINE DE BOURBON

blèrent autour de la cornette du roi de Navarre et chaque capitaine prit le poste de combat qui lui avait été assigné. Les deux armées passèrent une partie de la matinée du 2 juillet en présence sans oser entamer l'action. Vers onze heures du matin, le prince de Condé traversa la Loire et conduisit ses troupes à Lorges, près de Marchenoir, et à Gravant. Le roi de Navarre perdit l'occasion d'attaquer l'ennemi au gué de la rivière. Il fit quelques prisonniers, vêtus de che- mises blanches, qui révélèrent que la camisade était renvoyée au lendemain1. La plus admirable disci- pline régnait alors dans les rangs des protestants. La maraude était inconnue et le prêche semblait le seul délassement des gens d'armes. Pas un soldat « ne pilloit ni ne battoit ses hôtes. » Les capi- taines employaient leurs gages à « payer honneste- « ment » les dépenses de leur compagnie. « On ne « voyoit point fuir personnes des villages, ny n'oyoit- « on ne cris ne plaintes2. » Un capitaine, Gabriel de Boulainvilliers, baron de Gourtenay, ayant violé la fille d'un paysan, fut arrêté sur l'ordre de l'amiral et faillit payer son crime de la vie3.

Les avertissements des prisonniers tinrent l'armée catholique sous les armes. Le roi de Navarre prit posi- tion sur les hauteurs pour utiliser son artillerie, multi-

1. Compte-rendu du roi de Navarre à la reine, du U juillet 1562 (Minute; f. fr., vol. 15876, f. 237).

2. Mémoires de La Noue, ehap. vi.

3. Bèze, 1882, p. 540. Courtena} se sauva quelques jours après. En 1569, le 20 juillet, dit Bruslard, il eut la tête tranchée en place de Grève (Mémoires de Condé, t. I, p. 205). L'auteur de l'Histoire, dite des Quatre rois, appelle ce personnage baron de Dammartin (1595, f. 72). Il était fils du comte de Dammartin.

ET JEANNE D'ALBRET. 275

plia les vedettes, et ne permit aux cavaliers de se rafraîchir, eux et. leurs chevaux, que « la bride en a main. » Le connétable, le duc de Guise et le maré- chal Saint-André parcoururent la plaine la bataille pouvait s'engager d'heure en heure. Le soir, le lieutenant général fît camper son armée sur place. A gauche, détendu par un vaste étang, était le comte de Villars avec plusieurs compagnies de gens de pied. A droite, le connétable et son fils, le maré- chal de Montmorency, puis le duc de Guise, le maré- chal de Saint-André, directement sous ses ordres. Le roi de Navarre occupait à l'extrême droite, avec 1 ,200 arquebusiers, un château fort et un village qui, en cas de revers, auraient pu servir de défense. L'ar- tillerie était postée en avant sur deux collines, défen- due par les gens de pied de l'avant-garde, et pointée de manière à croiser ses feux. Quand la nuit tomba, le lieutenant général fit allumer des fagots, incendier un moulin à vent et les maisons du voisinage afin d'éclairer les approches des batteries. Tout étant ordonné pour repousser une surprise, le roi de Navarre et les capitaines prirent un peu de repos sous les armes. Les troupes, entraînées par l'exemple de leurs chefs, attendaient et désiraient la bataille1.

A huit heures du matin, Antoine fit faire une recon- naissance par Henri de Montmorency-Damville2. Les deux avant-gardes s'approchèrent à cent pas l'une de l'autre. Des soldats se glissaient hors des rangs,

1. Compte-rendu du roi de Navarre à la reine mère, du 11 juil- let (Minute; f. fr., vol. 1587G, f. 237).

2. Lettre du roi de Navarre à la reine mère, minute datée de juillet (f. fr., vol. 15876, f. 233).

276 ANTOINE DE BOURBON

tiraient des arquebusades et osaient même échan- ger des coups de lance avec les vedettes ennemies 1 . Les réformés ne sortirent pas de leurs retranche- ments. Dans la soirée, un terrible orage obligea les deux armées à battre en retraite. Il plut telle- ment, dit La Noue, que sur 4,000 arquebusiers qui suivaient le prince de Condé, il n'y en avait pas dix qui eussent pu faire usage de leur poudre2. Les deux chefs essayèrent de tourner leurs positions réci- proques et y réussirent d'autant plus facilement qu'ils avaient tous deux la même stratégie. Antoine, acculé à la Loire, se dégagea, et Condé reconquit le passage de la rivière. Les protestants, sans poursuivre les catho- liques, marchèrent surBeaugency que le roi de Navarre venait de quitter. La ville avait été munie de troupes et la tête du pont fortifiée3. Condé battit les murs en brèche et lança à l'assaut les compagnies provençales et gasconnes, commandées par Jean de Hangest, s. d'Yvoi. La ville fut prise après un court combat, pillée avec acharnement, et la garnison passée au lil de l'épée. Protestants et catholiques furent également victimes de la fureur des soldats. Ainsi s'évanouit, dès le premier coup de canon, la sévère discipline dont, la veille encore, l'armée huguenote était si glorieuse. « Nostre infanterie, dit La Noue, perdit son pucelage « et de ceste conjonction illégitime s'ensuivit la pro- « création de mademoiselle la Picorée, qui depuis est

1. Compte-rendu du roi de Navarre à La reine, du 11 juillet (Minute; F. IV., vol. 15876, f. 237).

2. Mémoires de La Noue, chap. v.

3. Le journal do 15G2 donne quelques détails (Revue rêtrospec- tive, t. V, p. 174).

ET JEANNE DALBRET. 277

« si bien accrue en dignité qu'on l'appelle Madame, et, « si la guerre continue encore, je ne doute point qu'elle « devienne princesse1. » Les lieutenants du prince de Condé avaient commencé la guerre par un assassinat, celui de la Mothe-Gondrin 2 ; Condé lui-même entamait les hostilités par des actes de piilage.

Le conseil de guerre de l'armée catholique, obéissant aux inspirations du duc de Guise, avait résolu de sépa- rer le prince de Condé de la base de ses opérations en l'isolant des provinces de l'ouest3. Pendant que le prince amusait ses troupes à la prise de Beaugency, le roi de Navarre descendit la Loire avec toutes ses forces. Le 1 9 juin, il avait commandé au duc de Mont- pensier d'entrer à Tours et de s'y établir avec ses troupes. Montpensier était à Champigny, s'efforçant de tenir tête aux séditieux de l'Anjou. A la réception de la lettre du prince, il rassembla quelques gentilshommes, passa à Saumur, à Chinon, tenta en vain de réduire Angers et de secourir le Mans, oùl'évêque, Jacques d'An- gennes de Rambouillet, avait levé une compagnie à ses frais, et battit en retraite jusqu'à Champigny4. Malgré ses échecs, il gardait ses positions et la troupe de

1. Mémoires de La Noue, chap. vi.

2. Le 27 avril 1562.

3. Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 488. Compte- rendu du roi de Navarre à la reine, du M juillet (Minute; f. fr., vol. 15876, f. 237).

4. Mémoire du duc de Montpensier, daté d'Angers, du 23 juin 1562 (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 128). Lettre du duc de Mont- pensier, du 26 juin [Mémoires de Condé, t. Ht, p. 509, réimpri- mée dans les Mémoires-journaux du duc de Guise, p. 494). Bèze, Histoire ecclésiastique, 1882, t. II, p. 127 et suiv. Goustureau, dans la Vie du duc de Montpensier, in-4°, 1642, donne peu de détails sur cette campagne.

278 ANTOINE DE BOURBON

gentilshommes qu'il avait réunis allait devenir le noyau d'une armée.

Le samedi, 4 juillet, au lever du jour, le connétable1 marcha droit sur Blois avec les compagnies de gens de pied du centre et une batterie de six canons. Le duc de Guise et le maréchal Saint-André restèrent à l'arrière -garde par crainte d'un retour offensif du prince de Condé. La ville de Blois était défendue par une garnison protestante qui fit « mine de se défendre. » Aux premières arquebusades, le capitaine Cosseins fut gravement blessé avec une vingtaine de soldats catho- liques. Aussitôt, le roi de Navarre fit pointer sur le bord du fossé l'artillerie du connétable. « En deux « volées, dit Gastelnau, le canon fit brèche au portail « et dedans la courtine. » Les habitants demandèrent à parlementer, et la garnison huguenote prit la fuite. Michel de Gastelnau et Florimond Robertet, s. d'AUuye, négocièrent la capitulation. Le roi de Navarre, le duc de Guise, le maréchal Saint-André entrèrent en hâte, mais les soldats étaient si animés que la ville ne put être sauvée du pillage. Les protestants, qui étaient restés sur la foi du traité, furent égorgés. Les maisons, môme catholiques, furent forcées, les femmes violées, les habitants riches rançonnés, les pauvres maltraités avec des raffinements de barbarie2. De Bèze prête un

\. Le siège <io Blois fut l'œuvre du connétable (Lettre de Diane de France à la connétable de Montmorency; Orig., f. fr., vol. 3194, f. 120).

2. Lettre du roi de Navarre \ la reine, du 5 juillet 1562 (Minute; f. IV., vol. 15876, f. 202. Autre minute de lamème lettre, ibid., f. 233). Mémoires de Castclnau, liv. III, <-lia|>. n. Compte- rendu du roi de Navarre à la reine, du 11 juillet (Minute, f. fr., vol. 15876, f. 237). Négoc. du card. de Ferrure, p. 310.

ET JEANNE D'ALBRET. 279

mot féroce au duc de Guise. Comme on se plaignait devant lui des massacres deBlois, il répondit « qu'aussy « bien y avoit-il trop de peuple au royaume et qu'il « en feroit tant mourir que tous vivres seroient à bon « marché1. » Cette bravade n'est rien moins que prouvée, mais elle s'accorde avec les mœurs militaires du temps. C'est peut-être ce qui a donné lieu à de Thou de raconter que le duc de Guise donna aux soldats la liberté du pillage2. Le roi de Navarre, dans sa correspondance avec la reine, avoue une partie de ces excès : « Moy et tous ces seigneurs avons telle- ce ment travaillé que n'eusmes jamais repos ni cesse « d'aller d'une rue à l'aultre, et, s'il se peult dire, de « maison en maison, que nous n'ayons mis les soldats « hors. Cela n'a peu estre sans qu'il y en ayt eu qui « ayent patis , tant des bons que des maulvais3. » Bientôt il en prit facilement son parti. Il écrivit quel- ques jours après à la reine : « Encores qu'il se soit fait « quelque désordre en ceste ville au grand regret « dud. s. roy de Navarre et des aultres seigneurs, qui « tous y ont pris une peine extresme pour l'empes- « cher, si est-ce que ce petit exemple a grandement « servy, comme il s'est veu par l'expérience4. » Le prince de Condé, oubliant ce qui s'était passé à Beau- gency sous ses yeux, adressa ses protestations au lieu-

1. De Bèze, Histoire ecclésiastique, 1882, t. II, p. 126.

2. De Thou, 1740, t. ni, p. 169.

3. Lettre du roi de Navarre à la reine, du 5 juillet 1562 (Minute ; i'. fr., vol. 15876, f. 202). Il représente la même idée dans le mémoire de la note suivante.

4. Mémoire du roi de Navarre à la reine mère, minute datée de juillet (F. fr., vol. 15876, f. 235). Voyez aussi la lettre de la reine, du 11 juillet [Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 354).

280 ANTOINE DE BOURBON

tenant général et le menaça de représailles contre les catholiques d'Orléans ' .

Le lendemain de la prise de Blois, 5 juillet, le roi de Navarre envoya aux habitants de Tours un héraut chargé « de les admonester de rendre au roy l'obéis- « sance qu'ils luy doibvent, » sous peine de se voir infliger un « pas moindre traitement que ceux de « Blois2. »

La ville de Tours appartenait à la réforme depuis le mois d'avril. Les protestants s'en étaient emparés par un coup de main audacieux, en pleine paix, peu de jours après la prise d'Orléans. Le prince de Condé avait envoyé à Tours successivement comme gouver- neur Gilbert Filhet, s. de la Curée, et François Bou- chard d'Aubeterre, seigneur de Saint-Martin-de-la- Coudrc, gens de guerre sanguinaires , vrais hommes de parti, qui avaient mis au service de leurs coreli- gionnaires les plus fanatiques le pouvoir d'un jour dont ils étaient investis. Deshainespassionnées divisaient cette malheureuse ville, et, lorsque les hérauts de l'armée catholique parurent en vue des murs, la moitié de la ville était animée contre l'autre moitié de senti- ments de vengeance implacables.

Un accident aggrava la situation de la ville. Quelque attention que portât le roi de Navarre aux affaires de France, ses yeux étaient surtout fixés vers les nou- velles d'Espagne, vers les générosités plus ou moins gratuites de Philippe II. Antonio d'Almeida, le pléni- potentiaire personnel du prince, était à Madrid depuis le commencement de mars. Le roi catholique avait

1. Lettre du 23 juillel [Mémoires de Condé, t. HT, p. 5G1).

2. Minute datée du 5 juillel 1562 (F. lï., vol. 15876, t*. 197).

ET JEANNE d'âLBRET. 281

promis la Sardaigne en attendant la livraison du royaume de Tunis, mais tant de réticences entravaient la donation que le prince restait dans l'incertitude. Chantonay s'efforçait d'entretenir sa bonne volonté et de l'encourager1. Antoine n'était pas avare de pro- testations et de promesses, mais il se lassait d'attendre. Aussi la duchesse de Parme conseillait-elle un sacri- fice au roi d'Espagne en lui représentant que le roi de Navarre tenait en suspens, au bout de son épée, la destinée de la religion catholique en France2. Le pape s'employait aussi en faveur du prince. Il envoya à Madrid un ambassadeur, « personnage suffisant et « apte à manyer grandes affaires, » et pressa l'em- pereur, tous les souverains catholiques d'unir leurs instances aux siennes. Enfin il chargea l'abbé de Saint- Salut de porter au roi de Navarre , à la cour de France, un bref favorable aux revendications de la maison d'Albret3. Grâce à ces prières, au moment la guerre civile éclata, d'Almeida obtint un supplé- ment de bonnes paroles et informa son maître à la fois du succès probable de la négociation et de son propre retour4.

La guerre civile de l'Ouest et de la Guyenne avait intercepté les communications entre les cours de

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 9 juin 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1498, 2).

2. Gachard, Correspondance de la duchesse de Parme avec Phi- lippe II, t. II, p. 240.

3. Lettre du cardinal d'Armagnac au roi de Navarre, datée de Vincennes et du 13 juillet 1562 (Orig.; i'. IV., vol. 6626, f. 34). Lettre du card. de Forrare, du 19 juillet (Ncgoc. du card. de Fer- rare, p. 331).

4. Lettre du roi de Navarre à la reine mère, du 16 mai 1562 (Orig.; f. f'r., vol. 6606, f. 10).

282 ANTOINE DE BOURBON

France et d'Espagne. Pas un courrier qui ne fût saisi, fouillé à chaque étape, quelquefois soumis à la ques- tion et interrogé sur la roue. Au mois de mai, au moment la mission d'Almeida touchait à la con- clusion, plusieurs lettres du roi de Navarre et de son messager furent arrêtées par les coureurs huguenots, portées à Orléans, déchiffrées par des secrétaires du prince et divulguées1. Au plus fort des difficultés, le 20 juin, Antonio d'Almeida quitta Madrid, porteur de communications si graves qu'il n'avait pas osé les écrire. Sans doute il était chargé, en outre des affaires du roi de Navarre, d'annoncer à la reine la prochaine entrée des troupes espagnoles en Guyenne. Arrivé à Montrichard, en Touraine, il fut conduit à Tours et emprisonné. Antoine venait de prendre la ville de Blois quand il reçut cette nouvelle. Il écrivit aussitôt aux gens de Tours :

Messieurs, j'ay entendu qu'il y a quelques jours que ung gentilhomme espagnol, nommé le s. d'Almeyda, qui est à moy et vient d'Espagne pour mes affaires, fust arresté à Montrichard et mené à Tours avecques sa dépesche, il est encore de pré- sent, chose que j'ay trouvée bien estrange, d'aultant que, n'ayant charge que de mes affaires, il semble que cela ayt esté seulement pour me faire desplaisir; qui est la cause que je vous ay dépesche ce trompette pour vous demander et pour vous commander me l'envoyer. Quant à luy, vous pouvant asscurer que, s'il a mal et s'il pert rien de sa dépesche et faictes diffi- culté, ne l'envoyez présentement avec icellc, les uns de vostre ville, tant au général que au particulier, et les autres, m'en respondrez, et vous traiteray comme les plus grands ennemys que je saurois avoyr. Et vous ne doubtez point que je n'aye

I. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 19 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nai., K. li'.)7, 33).

ET JEANNE D'ALBRET. 283

moyen de le pouvoyr faire bien promptement. Par quoy, vous touchant cela de si près qu'il faict, vous y pensiez. Et croy que vous serez si saiges et bien advisés que, pour si peu de chose, vous ne voulez ruiner. Et vous ferez tant que de me satisfaire en cela, vous serez les premiers que vous en trouverez bien, d'autant que vous me donnerez occasion à vous gratifier et bien traiter ' .

Le roi de Navarre écrivit en même temps au prince de Gondé pour le supplier de faire délivrer son mes- sager et ses dépêches2, et à la reine pour se plaindre de ce contre-temps3. Les échevins de Tours, terrifiés, se hâtèrent de relâcher Antonio d'Almeida et de répondre au lieutenant général que le s. d'Almeida n'avait point « esté prins ni retenu par nostre com- « mandement ne à nostre sceu, » qu'il avait été renvoyé à Sébastien de l'Aubespine avec toutes ses dépêches. « Quant à celles, Sire, qui ont esté ouvertes, elles « avoient esté gectées dedans un retrait par led. « s. d'Almeida, qui par après feurent apportées aud. « s. de Saint-Martin toutes ouvertes, comme elles vous « ont esté présentées, dont led. s. de Saint-Martin a « démontré estre fasché, veu ce qu'il n'estoit question « que de vos affaires et service4. »

Au moment de la sommation du roi de Navarre, Tours n'était défendue que par cinq compagnies de soldats, dont trois de gens de pied. La ville, déchirée

1. Minute datée de Blois et du mois de juillet 1562 (vers le 6 ou le 7) (F. fr., vol. 15876, f. 263).

2. Lettre du roi de Navarre au prince de Condé, du 5 juillet 1562 (Minute orig.; f. fr., vol. 15876, f. 201).

3. Lettre du roi de Navarre à la reine mère, du 5 juillet 156".' (Minute orig.; f. fr., vol. 15876, f. 203).

4. Original; f. fr., vol. 15876, f. 218.

284 ANTOINE DE BOURBON

par les dissensions intestines , ne pouvait songer à la résistance. Les officiers municipaux répondirent, le 8 juillet, par un acte de soumission complète et supplièrent le roi de Navarre de prendre leur cité en pitié1. Le lieutenant général avait mis en cam- pagne le seigneur de Beauvais-Nangis, avec une com- pagnie de gens de pied , et le capitaine Richelieu , mestre de camp des bandes françaises2, redouté pour sa cruauté sur les bords de la Loire3. En route, pour entretenir leurs dispositions sanguinaires, les conquérants de Blois pillèrent le village de Mer et égorgèrent la plupart des habitants4. A leur approche, les compagnies protestantes de Tours s'enfuirent dans la direction de Chàtellerault, mal armées, mal com- mandées, dans l'espoir de trouver un refuge sous les murs de Poitiers. Le roi de Navarre, pour changer leur retraite en déroute, avait commandé à Jean de Daillon, comte du Lude, gouverneur du Poitou, de ramasser toutes les troupes disponibles autour de lui et de faire bonne garde en avant de Poitiers5; il avait envoyé le comte de Villars et une forte compagnie de gens

1. Orig., daté du 8 juillet (F. IV., vol. 15876, f. 218).— Mémoire du roi de Navarre à la reine mère (Minute sans date. f. fr., vol. 15876, f. 235).

2. Etat do solde de l'armée de juin à septembre 1562 (Ve de Colbert, vol. 24, pièce 105; ibid., vol. 8'., I 275).

3. Mémoire du roi de Navarre à la reine (Minute sans date ; f. fr., vol. 15876, f. 235). Mémoires de Castelnau, t. I, p. 98.

4. De Bèze, 1882, t. II, p. 127. De Thou, t. III, p. 169.

5. Lettre du roi deNavarreau comte du Lude, du 8 juillet 1562 (Minute orig.; I'. IV., vol. 15876, f. 216). M. Ratbery possédai! une lettre du duc de Cuise au même seigneur, contenant les mêmes ordres. Cette lettre, datée du 11 juillet, ligure sur le cata- logue de sa vente sous le numéro 168.

ET JEANNE d'àLBRET. 285

d'armes à marches forcées sur Chàtellerault, avec la mission de couper la grande armée protestante d'Or- léans des provinces de l'ouest et de la Guyenne1. Vil- lars, malgré sa diligence, arriva trop tard. Le 13 juil- let, à la Haye, il apprit que la cavalerie de Tours était passée la veille, en désordre, comme une armée qui se sent poursuivie. Le lendemain, les jours suivants, de nouvelles bandes huguenotes parurent sur la grande route. Villars les chargea et les mit en fuite. Les soldats qui venaient en queue, avertis par le désastre de leurs compagnons d'armes , tentèrent de reculer jusqu'à Tours. Pris entre deux feux, ils furent défaits, et tombèrent victimes de la vengeance des manants de la Touraine, qu'ils avaient tyrannisés pendant trois mois2.

La ville de Tours resta aux mains du capitaine Antoine du Plessis de Richelieu, ancien moine, alors capitaine de gens de pied , un des plus cruels chefs d'aventuriers que la guerre civile ait produits. Il se plaisait à traîner de force les habitants à la messe, fai- sait rebaptiser les enfants et infligeait aux femmes des traitements la lubricité du « frocard défroqué » s'alliait au fanatisme du sectaire. Les réformés, cou- pables du pillage du trésor de Saint-Martin, payèrent cruellement cet acte de vandalisme. Jean Bourgeaud, président du présidial, s'était racheté des mains du capitaine Charles de Chabot de Clairvaux, lieutenant du capitaine Le Roy de Chavigny, qui représentait à

1. Mémoire du roi de Navarre à la reine mère (Minute sans date; f. fr., vol. 15876, f. 235).

2. Lettre de Villars au roi de Navarre, datée de Ghastellerault et du li juillet (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 251).

286 ANTOINE DE BOURBON

Tours le duc de Montpensier, gouverneur de la pro- vince, et s'était enfui de la ville sous un déguisement. Reconnu dans la campagne par les pillards de l'armée catholique, il fut assommé et pendu à un saule sur les bords de la rivière, la tête en bas. Comme il tardait à rendre le dernier soupir, les bourreaux l'éven- trèrent à coups de dague en disant « qu'il avoit avalé « ses escus1. » Le capitaine Richelieu, bien qu'il ne fût pas l'auteur de tous les crimes commis à l'ombre de son nom, s'attira autant d'ennemis que les chefs hugue- nots. Quelques semaines plus tard, au siège de Bourges, il fut défié par le capitaine Saint-Martin, peut-être celui même qu'il avait mis en fuite au moment de la prise de Tours2 : « A moy, à moy, capitaine Richelieu, lui « cria Saint-Martin. D'autres fois nous sommes-nous « connus; il faut icy encore renouveler la cognois- « sance, non comme amys, mais comme ennemys. » Là-dessus, dit Brantôme, il lui donna « un grand coup « d'espieu dans la cuisse3. »

1. De Bèze, Hist. ecclés., 1882, t. II, p. 135. Sic, de Thou, 1740, t. III, p. 175. De Bèze et de Thou font un martyr de ce vieillard, mais M. Grandmaison prouve qu'il avait été l'un des promoteurs du pillage de L'abbaye Saint-Martin (Procès-verbal du pillage... 1863).

2. Il y a un peu d'obscurité sur ce point. L'annotateur de la nouvelle édition de Y Histoire ecclésiastique dit que le capitaine Saint-Martin qui commandait à Tours (Hait François Bouchard d'Aubeterre, seigneur de Saint-Martin de la Gouldre (1882, t. II, p. 128). Et de Thou dit que Le capitaine Saint-Martin, qui défia Richelieu, se nommai! Saint-Martin Brichanteau :17ih, t. III, p. 198). D'après le passage de Brantôme, cité plus bas, il semble que ce fut l'ancien gouverneur de Tours qui défia Richelieu. Belleforest dit qu'il était de Saint-Martin-en-Bigorre, et « prêtre renié» (In-fol., f. 1632 v°). Piguerre copie Belleforest (p. 419).

.:. Brantôme, t. V, p. 419. De Thou raconte que ce fui

ET JEANNE d'aLBRET. 287

Le roi de Navarre n'avait pas suivi ses troupes à Tours. Chef d'une des plus fortes armées que la monarchie des Valois ait mises sur pied, il s'occupait à discipliner ses soldats, à monter sa cavalerie, à orga- niser son artillerie, à transformer en un corps de bataille les masses un peu désordonnées que l'amour de la guerre et l'espoir du pillage avaient réunies sous son commandement. Le duc de Guise et le connétable l'aidaient, le premier de son coup d'œil militaire et de la confiance qu'il inspirait aux gens de guerre , le second de son expérience et de sa rigueur discipli- naire. Avant d'entamer une campagne laborieuse, il était prudent de réserver à l'armée royale une base d'opération assez ferme pour subir l'épreuve d'un revers. La ville de Paris , par ses dispositions et par son importance, offrait ces avantages. Mais la Brie et la Beauce étaient la proie des rebelles1. Les réformés s'étaient rendus, par un coup de main auda- cieux, les maîtres de Meaux2. Le roi de Navarre y envoya le sire d'Armentières avec une compagnie de 200 chevau-légers et bloqua les séditieux dans l'inté- rieur de la ville3.

Richelieu qui défia Saint-Martin et que Saint-Martin, vainqueur, emporta le casque de son adversaire (t. III, 1740, p. 198).

1. On conserve dans le f. fr., vol. 15876, f. 162, une curieuse lettre d'un capitaine, Gilles des Ursins, au roi de Navarre, qui donne une idée du désordre général. Ce capitaine est à la recherche de sa compagnie de gens de pied à Étampes, à Corbeil, etc. Il la trouve enfin dans les environs de Meaux (Lettre datée du 3 juillet).

2. Voyez une lettre du prévôt des marchands et des échevins de Paris au roi de Navarre, sur les excès des gens de Meaux, datée du 30 juin 1562 (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 175).

3. Pièces publiées dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 519, 520 et 522.

288 ANTOINE DE BOURBON

Le roi de Navarre, d'après Claude Haton, comman- dait à près de 30,000 hommes, divisés en plusieurs corps et conduits par les meilleurs capitaines des armées de Henri II1. Le duc de Guise, le connétable, le maréchal Saint-André, revenus de Chàteaudun, le duc de Montpensier se contentaient du rôle de lieute- nants et lui obéissaient comme au roi lui-même. Un mémoire officiel du prince à la reine énumère les forces présentes ou attendues au camp de l'armée royale : 30 enseignes de gens de pied français, quinze enseignes de Suisses, 900 hommes d'armes, 600 che- vau-légers ou arquebusiers à cheval, 1 ,200 pistoliers allemands conduits par le comte de Roggendorf, et enfin 4,000 lansquenets, 1 ,000 pistoliers et 2,000 cava- liers flamands promis par le roi d'Espagne. L'artillerie, préparée par le s. d'Estrées, se composait de vingt- deux pièces, dont dix-huit amenées d'Amiens, sans compter celles qui appartenaient à la ville de Paris2.

En Allemagne, les négociations avaient été appuyées par des subventions. Le rhingrave avait promis 6,000 lansquenets. Après la conférence de Talcy, Antoine le pressa de lui en envoyer seulement 3,000. « Estant promptement secouru de ce petit nombre, « cela nous fera beaucoup plus de bien et service que « plus grand nombre à l'attendre longuement3. » Malgré ces instances, le 19 juillet, le roi de Navarre se plaint à la reine que les soldats du rhingrave n'ont

1. Mémoires de Claude Haton, t. I, p. 282.

2. Mémoire du roi de Navarre à la reine, sans date (du 1"2 au 15 juillet 1562) (Copie du temps; 1'. fr., vol. ir,S77, f. 84).

3. Lettre du mi de Navarre, du 22 juin (Kervyu de Lettenhove, Coll. d'autog. de M. de Stassart, p. 18).

ET JEANNE d'ALBRET. 289

pas dépassé la frontière1. Les autres troupes alle- mandes ne montraient pas plus de diligence. Le 7 juillet, le roi de Navarre envoya au comte de Rog- gendorf et aux reîtres sous ses ordres un capitaine, le s. de Renouart, chargé de presser leur marche et de les amener sur le théâtre de la guerre2. Les reîtres arrivèrent à la fin du mois, mais, au dire du prince de Condé, le plus grand nombre changea de parti et se mit au service de la réforme3.

En Suisse, l'envoi de troupes mercenaires avait été accordé par la diète helvétique4. Les compagnies, retardées par Tavannes en Bourgogne pendant les négociations de Beaugency, entrèrent en France au commencement de juillet. Le 25, elles entrèrent en Beauce sous le commandement du colonel Frœlich et furent ralliées, le 28, par le duc de Guise et le marquis d'Elbeuf, à la tête de quatre compagnies de gens d'armes et de chevau-légers. L'armée suisse était alors campée à Bonneval, non loin de Chartres. Antoine Haffner de Soleure, qui faisait partie du régiment de Frœlich, raconte que cinq bourgeois de Bonneval furent pendus par ordre du duc de Guise pour avoir essayé d'empoisonner leurs hôtes. Le supplice de ces malheureux fut probablement une de ces injustices

1. Lettre du roi de Navarre à la reine, Blois, 19 juillet 1562 (Minute; f. fr., vol. 15876, f. 292).

2. Instruction du roi de Navarre au s. de Renouart, du 7 juil- let 1562 (Minute; f. fr., vol. 15876, f. 214).

3. Lettre du prince de Condé au duc de Deux-Ponts, du 31 juil- let 1562 (Mémoires de Condé, t. III, p. 574).

4. Lettres du roi de Navarre aux ambassadeurs Goignet et Pas- quier, du 8, du 22 et du 30 avril (Copie ; f. fr., vol. 17981, f. 137, 138 et 142).

IV 19

290 ANTOINE DE BOURBON

par lesquelles les capitaines français s'efforçaient d'ob- tenir un peu de popularité dans les rangs des étran- gers. Le 7 août, Frœlich arriva à Blois et y fut reçu avec honneur. Le 13 août, les Suisses furent divisés en deux corps. Le premier, composé de huit enseignes, suivit le roi au siège de Bourges. Le second, de six enseignes, se rendit à Beaugency, et reçut la mission, sous les ordres du marquis d'Elbeuf, de bloquer les troupes du prince de Gondé à Orléans1.

Après l'échec de la conférence de Beaugency, le roi était venu au-devant de la reine mère à Melun. Le 8 juillet, il était revenu avec sa mère à Vincennes2. De cette forteresse, assez proche de Paris pour rassurer le parti catholique, assez éloignée pour laisser à la reine la liberté de ses mouvements, Catherine conduisait encore des négociations avec le prince de Gondé par l'inter- médiaire d'un marchand italien nommé Calcina3. Elle envoya même à Orléans d'Angennes de Rambouillet avec des propositions d'amnistie, que le prince de Gondé repoussa avec ses récriminations ordinaires1. Au milieu de ces pourparlers arriva à la cour une lettre de Philippe II qui conseillait de presser l'action. Le roi d'Espagne blâmait les négociations et annonçait l'entrée immédiate d'une armée espagnole en Guyenne5.

1. Zurlauben, Ilist. milit. des Suisses, t. IV, p. 287 et suiv., d'après les mémoires manuscrits d'Antoine Haffner de Soleure.

2. Lettres de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 178.

3. Le cardinal de Ferrare est le seul qui parle de ces négocia- tions [Nègoc. du card. de Ferrare, p. 313, 318 et 326). De Thou, t. ni, p. 191.

4. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 361.

5. Lettre de Philippe Ll à Ghantonay, du 9 juillet 1562 (Orip. c-l'ainiol; Arch. nat., K. 1496, loi).

ET JEANNE D'ALBRET. 291

Cette lettre était un ordre pour le roi de Navarre. Philippe II avait parlé ; toute hésitation était interdite. Le triumvirat désirait faire venir le roi au camp1, pour qu'il ne fût plus permis aux rebelles de séparer la cause royale du parti catholique et d'appeler l'armée royale l'armée des Guises ou du roi de Navarre2. A peine Antoine voulut-il attendre, avant de donner le signal des hostilités, l'arrivée du roi. Il envoya précipitamment, le 25 juillet, le connétable à Vincennes pour prendre le commandement du cortège royal. Deux jours après, il s'y rendit lui-même. Charles IX alla à sa rencontre, à Charentonneau , le 28 juillet, et consentit à le suivre le lendemain au Louvre3. Catherine résistait. Après deux jours de lutte, Antoine l'emporta, et, le 31 juillet, la cour entière partit pour Chartres 4. Les triumvirs tinrent conseil en sa présence. On décida le partage de l'armée en plusieurs corps. Le duc de Nemours, qui reparaissait au service du roi pour la première fois, reçut l'ordre de marcher sur Bourges 5 et le maréchal Saint-André d'attaquer Poitiers. Ainsi se trouvait complété le plan stratégique du duc de Guise : séparer les défenseurs d'Orléans des réserves que les protestants de la Guyenne, animés par Jeanne d'Albret, accumulaient dans les provinces de l'ouest.

1. Mémoires de La Noue, chap. vu.

2. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 185.

3. Lettres de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 187.

4. Lettre de Ghantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 52. Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 493.

5. Le duc de Nemours était arrivé à la cour depuis le 4 juillet (Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V. p. 173. Calendars, 1572, p. 174).

292 ANTOINE DE BOURBON

Le lendemain, le roi et la reine revinrent à Vincennes. La guerre civile allait entrer dans la phase des opéra- tions décisives. Le 1er août, Catherine rassembla le conseil de la ville, assistée de l'ambassadeur d'Espagne, et demanda au prévôt des marchands un prêt de 300,000 écus1. L'énormité de la somme fit hésiter les officiers municipaux. Le cardinal de Lorraine usa de son habileté persuasive et fit décider que le conseil profiterait de l'entraînement des habitants pour ouvrir une souscription 2. Les registres, clans tous les quartiers, furent bientôt couverts de signatures. Guil- laume de Marie, prévôt de Paris, s'inscrivit le pre- mier et donna une partie de son argenterie. Les bour- geois, les conseillers au parlement, les marchands, les officiers du roi s'engagèrent à la suite du prévôt avec une émulation stimulée peut-être par la terreur des violences de la populace. Parmi les donateurs figure Diane de Poitiers pour un don d'argenterie de la valeur de 1 ,%%% livres3.

Le lendemain de la visite de la reine à l'hôtel de ville, Charles IX et le roi de Navarre partirent de Vin- cennes4, soupèrent aux Tuileries et couchèrent à Bou- logne, au château de Madrid5. Le 4 août, la cour se

1. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 93. Lettres de Chantonay, Ibid., t. II, p. 52 et 53. La ville de Paris avait déjà accordé au roi une subvention de 400,000 francs (Lettre anonyme sans date (juin 1562), copie du temps; f. fr. vol. 20153, f. 95).

2. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 53.

3. Le registre original est conservé dans la collection Moreau, vol. 1060.

4. Lettre du roi de Navarre au comte de Sommcrivo, du 2 août (Minute ou copie du temps; f. fr., vol. 15876, f. 351).

5. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 188.

ET JEANNE D'ALBRET. 293

mit en route pour Blois1, à petites journées, suivie d'un gros cortège en cas de surprises. La reine lança une déclaration officielle « sur le grand debvoir auquel « elle s'estoit mise pour mettre fin aux troubles2. » Le conseil décida que les officiers du roi rebelles seraient déclarés déchus de leurs charges. Le plus illustre, Gaspard de Coligny, fut remplacé dans la dignité d'amiral par Henri de Montmorency-Damville, second fils du connétable, mais l'exécution de cet arrêt fut renvoyée à la paix3. La cour arriva à Blois le 11 août4. Les régiments suisses étaient déjà sous les murs de Blois. Ils donnèrent à la cour la représenta- tion d'un combat simulé et furent passés en revue par le roi lui-même5.

Le conseil de guerre de l'armée catholique avait décidé à Chartres de commencer la guerre par le siège de Bourges. La ville avait été prise au mois de mai par Gabriel de Lorges, comte de Mongommery G. Les

1. Lettre du roi de Navarre au duc d'Estampes, du 4 août (Minute orig.; f. fr., vol. 15875, f. 355).

2. Déclaration de la reine au concile de Trente, envoyée par Lansac, le 6 août 1562 (Copie du temps, collection Dupuy, vol. 322, f. 118. Autre copie, coll. Brienne, vol. 206, f. 47). Il est probable que cette déclaration fut également adressa' à toutes les puissances catholiques. Pièce inédite.

3. Lettre de remercîment de Damville à la reine, datée de Blois et du 9 août 1562 (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 384).

4. Journal de Bruslard dans les Mémoires de G onde, t. I, p. 94. Zurlauben, Hist. militaire des Suisses, t. IV, p. 287 et suiv., d'après les mémoires manuscrits d'Antoine Haffner de Soleure.

."). Zurlauben, Histoire militaire des Suisses, t. IV, p. 290 et suiv., d'après les mémoires manuscrits d'Antoine Haffner de Soleure.

6. Les débuts de la réforme à Bourges et le siège de la ville ont été très bien racontés dans Y Histoire du Berry, de M. Raynal, t. IV, p. 17 et suiv.

294 ANTOINE DE BOURBON

églises, les couvents avaient été dépouillés de toutes leurs richesses1, les prêtres et les moines expulsés, les chapelles fermées avec un ordre méthodique sous le commandement du lieutenant de Condé. Dès les pre- miers jours de juillet, le parti huguenot, devinant, d'après la marche de l'armée royale, le plan de cam- pagne du duc de Guise, avait résolu de fortifier la ville. Jean de Hangest, seigneur d'Yvoi, gentilhomme du Berry, fut envoyé à Bourges avec 4,000 hommes de pied et une forte artillerie. Il pilla les églises, les couvents qui avaient échappé aux dévastations régu- lières de Mongommery2. Les maisons religieuses du voisinage de Bourges furent ensuite la proie de ce capitaine. A Saint-Sulpice se trouvait une abbaye célèbre que d'Yvoi avait autrefois demandée au roi. Il en prit le titre, s'empara des objets précieux de la cha- pelle et les fît porter en son château d'Yvoi3. Les rail- leries ne lui manquèrent pas. Vis-à-vis de ses compa- gnons d'armes, surpris de voir un capitaine de leur parti se parer de la mitre et de la crosse, d'Yvoi arguait de sa qualité d'abbé de Saint-Sulpice4. Vers les pre- miers jours d'août, il tenta contre la ville d'Issoudun une expédition qui ne fut pas plus glorieuse. La ville était défendue, en vertu d'une commission du roi de

1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 11 mai 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 30).

i. Mémoires de Claude Halon, t. I, p. 277. Voyez aussi les historiens locaux cites par M. Raynal (Ilist. du Berry, t. IV, p. 61 et suiv.).

3. Yvoi-le-Marron, dans l'Orléanais.

4. Le duc de Montpensier lui donne plaisamment le titre d'abbé (Lettre de Montpensier au roi de Navarre, du 7 août 156;!: cuil. de Saint-Pétersbourg, vol. 104, f. 10, copies île la Bibl. nat.).

ET JEANNE d'ALBRET. 295

Navarre1, par Charles de Barbançois, seigneur de Sar- zay, capitaine dur et implacable, aussi terrible pour les huguenots que d'Yvoi pour les prêtres. D'Yvoi arriva sous les murs d'Issoudun le 5 août, au point du jour. 11 posta son artillerie et battit les murs de la ville. L'as- saut était ordonné pour le lendemain, quand le chef huguenot apprit que Jacques de la Brosse, lieutenant du duc de Guise, s'avançait à marches forcées au secours des assiégés 2. A cette nouvelle, il leva le siège et se retira précipitamment à Bourges. En route, les soldats , mal payés et honteux de la lâcheté de leur capitaine, se mutinèrent. D'Yvoi réussit à apaiser la sédition en répandant le bruit qu'il avait admis les assiégés à composition moyennant le paiement d'une somme de 16,000 écus. La révolte recommença après le retour de l'armée à Bourges. Les gens de pied, pre- nant au sérieux les mensonges de leur chef, récla- mèrent l'arriéré de leur solde et refusèrent de faire le service de la place. D'Yvoi voulut les apaiser et fut chassé des campements. Il se réfugia dans la grosse tour de la ville, tandis que les soldats, de plus en plus exaltés, élisaient un de leurs capitaines, le s. de Hau- mont, qui s'était signalé par sa bravoure. Haumont refusa de prendre la charge de son chef et parla si bien aux gens de pied qu'il les ramena aux remparts.

1. Lettre de Sarzay au roi de Navarre, du 22 juillet 1562 (Orig. ; f. fr., vol. 15876, f. 297). Ce recueil contient plusieurs lettres de ce capitaine relatives aux événements du Berry.

2. La Brosse allait à Romorantin et avait ordre d'y attendre, le gros de l'armée royale en ménageant ses troupes (Lettre des ducs de Montpensier et de Montmorency au roi de Navarre, du 7 août 1502; Orig., coll. des autog. de Saint-Pétersbourg, vol. 104, f. 10; Copies de la Bibl. nat.).

29G ANTOINE DE BOURBON

D'Yvoi sortit de la tour et reprit son commandement1.

La ville de Vierzon fut seule assez heureuse pour résister aux pillages de ce chef de bande. Défendue par le capitaine Innocent Tripied, seigneur de Monte- rud, et par des gentilshommes du pays, les s. de Sar- zay et de la Loe, elle avait reçu, à l'ouverture de la guerre, une compagnie d'arquebusiers commandée par le capitaine Breuil. Dans le milieu de juillet, un sei- gneur huguenot, le s. de la Beuvrière, tenta inutilement plusieurs coups de main contre Vierzon. La ville devint le boulevard du parti catholique en Berry et le mois de juillet se passa tout entier en escarmouches entre les catholiques de Vierzon et les compagnies protes- tantes de Mehun-sur-Yèvre et de Bourges2.

L'armée de Blois était pleine d'ardeur pour le siège de Bourges. À la noble ambition de servir le roi se mêlait un sentiment de mépris pour d'Yvoi. Trois jours avant l'arrivée du roi au camp, les ducs de Mont- pensier et de Montmorency écrivent au roi de Navarre : « Sire, avec vostre venue par deçà et la diligence « qu'il vous plaira faire d'aller veoir Mons. le jeune « abbé d'Yvoi à Bourges, nous assurons presque que « Dieu nous fera la grâce de remettre ceulx dud. « Orléans bientôt à l'obéyssance du Boy3. »

1. Lettre de Monterai! au due de Montmorency, datée de Vier- zon, du 9 août 1562 (Orig.; f. IV., vol. 15876, f. 385).

2. Lettre do Sarzay au mi de Navarre (Orig. daté ^c Vierzon et du 22 juillet 1562 ; I'. Ir.. vol. 15876, l 297). Lettre des gens de Vierzon au roi, mémo date (Ihid., !'. 307). L'iiic de La Loe .m roi, même date (Ibid. , f. 306).

3. Lettre des ducs do Montpensier el de Montmorency au roi de Navarre, datée de Blois el du 7 aoûl (Orig.; coll. des autop. de Saint-Pétersbourg, vol. 104, I'. 10; Copies de la Bibl. nat.).

ET JEANNE D'ALBRET. 297

Le connétable partit de Blois le 1 1 août , avec le gros de l'armée ; son fils, François de Montmorency, le lendemain avec la cour1. La compagnie du duc de Guise, commandée par le capitaine Jacques de la Brosse, parut la première, le 14 août, sous les murs de Bourges2. Le 15, un trompette, au nom du roi, somma les échevins d'ouvrir les portes. Les éche- vins répondirent qu'ils avaient abdiqué leurs pou- voirs entre les mains du s. d'Yvoi pour se protéger, eux et les habitants, contre les entreprises des gen- tilshommes du voisinage ; et d'Yvoi, qu'il tenait le commandement des mains du prince de Condé et qu'il le gardait pour rendre la ville au roi à l'issue de sa captivité. Ces protestations étaient le langage ordinaire des séditieux de 1 562. L'avant-garde de l'armée assié- geante prit position , le 1 8 août , du côté du pont d'Auron. Le maréchal de Saint- André se présenta le lendemain avec de bonnes troupes, bien armées et bien commandées, enorgueillies de leurs victoires en Poitou.

Le roi, la reine mère et le roi de Navarre arrivèrent le 18 août à Mehun3. Antoine s'était fait donner une

1. Lettre de Diane de France à la connétable de Montmorency, datée de Blois et du il août (Orig.; f. fr., vol. 3194, f. 120).

2. Journal de Jehan Glaumeau, 1868, p. 129. Glaumeau était un prêtre de Bourges, qui, au commencement de la réforme, avait embrassé le calvinisme et s'était marié. Il a laissé un journal qui commence au règne de François Ier et finit en 1562. Le manus- crit, signalé par M. Baynal dans son Histoire du Derry, a été analysé par M. Bourquelot dans le tome XXII des Mémoires des Antiquaires de France, 1855, 3e série, t. U, p. 191. Il ;i été publié intégralement, en 1868, par le président Hiver.

3. Lettre du roi, du 19 août, datée de Mehun-sur-Yèvrc, por- tant ordre à certains évoques de se rendre au concile de Trente

298 ANTOINE DE BOURBON

garde personnelle de %h Suisses pour toute la durée de la guerre1. Le 19, la cour coucha au village de Pleinpied et le lendemain au château de Lazenay, près de Bourges. Les approches de la maison royale étaient défendues par deux compagnies de reîtres campées dans les carrières de Lazenay ou près de l'église, et par une compagnie de ggns d'armes2. Catherine pré- voyait que les remparts de Bourges ne l'arrêteraient pas longtemps. Le 1 7, elle avait écrit au s. de Lansac : « Gomme je n'y espère grande difficulté, nous tour- « nerons vers Orléans pour faire le semblable de ceux « qui y sont3. » Le roi, qui ne rêvait que gloire et bataille, prenait part au siège avec l'entrain d'un soldat et ne se fâchait, dit Brantôme, que lorsque son gouverneur l'éloignait des points menacés par l'artillerie ennemie 4. L'armée catholique comptait 1G,000 hommes de pied et 3,000 cavaliers5. La garnison était plus faible en nombre, mais presque aussi forte en artillerie, et pouvait s'accroitre parmi les habitants, que d'Yvoi opprimait de levées et de corvées sans relâche. Elle comptait, dit Brantôme, des

(Copie du temps; Arch. nat., K. 1498, 26). Lettre du roi à Jean de Monluc, évèque de Valence (Copie; f. fr., vol. 3193, f. 15). Le roi était accompagné de ses deux plus jeunes frères (Journal de Gilles Chauvet à la suite du Journal de Glaumeau, p. 151).

1. Etat de solde de l'armée de juin à septembre 1562 (Copie du temps; Vc de Golbert, vol. 24, pièce 105).

2. Journal de Jehan Glaumeau, 1808, p. 133.

3. Mémoires de Gastclnau, 1731, t. I, p. 861.

4. Brantôme, t. V, p. 250.

5. Jehan Glaumeau évalue l'armée royale à 80,000 ou 100,000 hommes, sans compter l'artillerie (Journal, p. 119), mais ces chiffres contiennent une exagération évidente.

ET JEANNE d'aLBRET. 299

capitaines de grand renom, les deux frères Saint- Remy, Brion, du Poyet, d'Arambure1. Aussitôt après son arrivée au camp, Catherine s'efforça d'augmenter ses gros bataillons. Les gens de pied, que le roi d'Es- pagne envoyait au secours du roi de France, étaient entrés en France par Fontarabie, le 20 juillet, et com- battaient sous le commandement de Biaise de Monluc et de Charles de Coucy, s. de Burie 2. La reine mère ordonna au duc de Montpensier d'amener au camp de Bourges les deux tiers des Espagnols et des compa- gnies de Biaise de Monluc 3. Le lendemain, elle expédia à don Diego de Carvajal, capitaine de l'armée espa- gnole, une « recharge » dans le même sens4. Deux jours après, témoin de la résistance que les assiégés opposaient à l'armée royale, Catherine donna com- mission à Malicorne de conduire à marches forcées au camp de Bourges, non plus la plus grande partie, mais la totalité des Espagnols5. Cet ordre allait être exécuté quand le parlement de Bordeaux supplia le roi de laisser Burie et 3,000 Espagnols en Guyenne6. La ville de Bourges offrait au xvie siècle l'aspect d'un

1. Brantôme, t. V, p. 419.

2. Lettre de Philippe II à Burie, du 14 juillet (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1496, 103).

3. Minute originale datée de Mehun-sur-Yèvre et d'août 1562 (F. fr.; vol. 15876, f. 379).

4. Lettre du roi à don Diego de Carvajal, datée du camp de Bourges (Minute originale d'août 1562; f. fr., vol. 15877, f. 186). Lettre de la reine au même (Lettres de Catherine, t. I, p. 384).

5. Instruction du roi au s. de Malicorne, s. 1., août 1562 (Minute orig.; f. fr., vol. 15876, f. 396).

6. Lettre du parlement de Bordeaux au roi, du 26 août 1562 (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 470). La reine fit droit à la requête du parlement de Bordeaux.

300 ANTOINE DE BOURBON

carré long, bordé sur deux côtés par les sinuosités d'une rivière divisée en plusieurs ruisseaux. Ces cours d'eau ne servirent pas à la défense, car ils étaient couverts de ponts que d'Yvoi oublia de rompre. Les abords avaient été reconnus par les lieutenants du duc de Guise. De larges tranchées couvertes, à l'épreuve du canon , furent creusées à distance et défendues par des ouvrages de terre garnis de meurtrières1. L'artillerie fut pointée dans un pré, de l'autre côté de la rivière, en face d'une maison désignée sur les anciens pians sous le nom de maison de Pestiférés2. A peine était-elle en position que les canons de la grosse tour, dirigés par le fils du capitaine Saint-Mar- tin, le luthérien3, la démontèrent. Le même jour, il y eut une rencontre dans un faubourg appelé le Beu- gnon, et un autre combat près de la contrescarpe du côté de l'archevêché, les assiégés obtinrent l'avan- tage. Pendant la nuit du 18 au 19, malgré le feu des assiégés, l'artillerie royale se rapprocha de la ville et s'établit contre le château Saint-Ursin. Ces mouve- ments coûtèrent la vie au capitaine Roch de la Chas-

1. Lettre de François de Montmorency à sa mère, en date du 19 août (Autog.; I'. fr., vol. 20500, f. 15. Cette lettre est, par erreur, datée du 19 juin, mais elle ne peut être que du 19 août, puisqu'elle est écrite d'Yvoi et qu'elle raconte les débuts du siège de Bourges).

2. André Thevet a publié on une planche in-folio, à Paris, chez Mathurin Brouille, en 1562, un plan en perspective de la ville de Bourges et du camp des assiégeants. On trouve un exemplaire de ce plan dans le f. IV., vol. 10193, I'. 188 bis.

3. D'après de Bèze (t. II, p. 83, 1882), il y avait deux capi- taines Sainl-Mai'lin à Bourges. L'un était connu sous le sobri- quel de Saint-Martin le luthérien, l'autre de Saint-Martin le huguenot.

ET JEANNE D'ALBRET. 301

teigneraye, s. de Toufou, et au s. de la Roche-Posay A ; Charles de la Rochefoucault-Randan reçut une arque- busade à la tête.

L'investissement fut complété le 20 août par l'ar- rivée de nouvelles troupes 2 et par un renfort d'artil- lerie de dix pièces. Les assiégés, profitant du peu d'ordre de l'armée royale, firent une « saillie furieuse » sur les compagnies de gens de pied qui servaient l'ar- tillerie. C'est là, d'après Théodore de Bèze, que fut blessé le capitaine Antoine de Richelieu, le sangui- naire héros de la prise de Tours. Les soldats, démo- ralisés par la chute de ce chef, se rejetèrent sur les gens d'armes, campés en arrière du feu de la ville. Les assiégés restèrent un moment maîtres des bastions de l'artillerie ; ils auraient pu ramener les pièces dans la ville, s'ils avaient eu des chevaux prêts, ou les enclouer ; mais ils furent à l'instant assaillis des deux côtés de la rivière par le duc de Guise et le roi de Navarre. Craignant d'être tournés, ils battirent préci- pitamment en retraite vers le pont de l'Yèvre sans laisser de prisonniers 3.

La batterie commença le lendemain, vendredi, 21 août, à cinq heures du matin, et dura jusqu'à la nuit, « d'une façon si horrible que non seulement ceulx « qui estoient dans la ville trembloient, mais aussi

1. Lettre de Ghantonay dans les Mémoires deCondé, t. II, p. 62. La Roche-Posay était parti le 17 août (Lettre de la Roche- Posay à son père, en date du 17 août; Hist. généal. de la maison de Chasteignet, p. 285).

2. Lettre du card. de Lorraine à Artus de Gossé, s. de Gonnor, datée de Mehun et du 20 août 1562 [Mémoires-journaux de Fran- çois de Lorraine, p. 495, dans la coll. Michaud et Poujoulat).

3. De Bèze, 1882, t. II, p. 83.

302 ANTOINE DE BOURBON

« toute la ville et bastiments d'icelle estoient tous « ébranlez, car incessamment laschoient tous ensemble « douze, quinze et vingt canons1. » Le premier jour, la ville reçut plus de 600 boulets, suivant Jehan Glau- meau, et plus de 700, suivant de Bèze. Cette terrible canonnade produisit peu d'effet. Le 22, elle recom- mença, mais avec moins de violence. On tira 300 coups de canon sans plus de résultat que le premier jour. Le soir, à la faveur de l'obscurité de la nuit, le roi de Navarre fit commencer une mine du côté de la porte de Bourbonnoux. Pendant que les pionniers déblayaient le terrain, les soldats eurent l'imprudence de mettre le feu aux buissons autour d'eux. La lueur de l'incendie décou- vrit les travailleurs. Aussitôt l'artillerie de la ville fut tournée dans cette direction. « N'oubliez pas les frères « mineurs ! » criaient les soldats protestants du haut des remparts, pendant l'intervalle des détonations2.

Le lendemain 23 et les jours suivants, le bombarde- ment fut réduit à 30 ou 40 coups par jour. Pendant la nuit, les capitaines catholiques essayèrent de recon- naître la brèche. Les murs, bâtis en pierres molles, subissaient sans se rompre le choc des boulets. Les rares ébranlements, produits par les projectiles, étaient immédiatement étayés à l'intérieur et les trous bou- chés avec de la terre. On reconnut que la brèche était « moins accessible et plus dangereuse, pour le « hasard de beaucoup d'hommes, qu'elle n'estoit du « premier et second jour3. »

1. Journal de Jehan Glaumeau, 1868, p. 430.

2. Do Bèze, 1882, t. II, p. Si.

3. Lettre de Moreau, officier de linancos, attaché à l'armée catholique, au s. de Gronnor (Orig.; daté du 28 août 1 502 ; f. fr.,

ET JEANNE D'ALBRET. 303

Le roi de Navarre, craignant d'épuiser les munitions de l'armée et de rester sans défense devant un ennemi meilleur ménager de ses réserves, envoya les compa- gnies de Nicolas de Vaudemont, de Cypierre, d'Artus de Gossé-Gonnor et du marquis d'Elbeuf au-devant d'un convoi de trente-six charrettes, chargées de poudre, de canons et de boulets, que la ville de Paris expédiait au camp du roi1. Pendant que les com- pagnies royales cheminaient à sa rencontre, l'amiral de Coligny, averti par ses espions, s'était embusqué sur son passage. Il surprit le convoi, embourbé dans les terres cultivées de la Beauce, non loin de Ghà- teaudun, dispersa l'escorte et fit sauter, au moyen de traînées de poudre, les trente-six charrettes et les canons de la ville de Paris2. En même temps, sous les murs de Bourges, le 26 août, les arquebusiers du capitaine Haumont firent « une saillie furieuse » et rembarrèrent les troupes royales. Le capitaine Linières et de Meun-Sarlabous, mestre de camp des bandes françaises 3, furent blessés gravement ; une

vol. 3216, f. 65). Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. H, p. 62. Journal de Jehan Glaumeau, p. 131. L'au- teur évalue à 1,560 et plus le nombre de coups de canon que reçut la ville. Lettres de Catherine de Médicis , t. I, p. 388 et 389.

1. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 191 et 192. Arrêt du parlement, du 28 août, qui prescrit des prières publiques pour l'heureux succès du siège (Mémoires de Condé, t. IH, p. 634).

2. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 71 et 73. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 193. La Popelinière, in-fol., t. I, f. 338.

3. État de solde de l'armée de juin à septembre (Ve de Colbert, vol. 24, pièce 105).

304 ANTOINE DE BOURBON

douzaine de soldats furent tués et beaucoup de blessés « demourarent sur le champ 1 . »

Ce double revers refroidit l'enthousiasme de l'armée royale. « Le courage de nos dits François pour coin- ce battre, écrit le trésorier Moreau , diminue et deffault « de jour à aultre, au veu et au sceu de tout le « monde 2. » La pauvreté du trésor obligeait le roi de Navarre à suspendre la paye des soldats et à renvoyer les montres après la prise de la ville. Encore escomp- tait-il à l'avance le succès de l'armée royale et la con- tribution de guerre qu'il imposerait aux vaincus. Les lansquenets se plaignirent si vivement que la reine mère, craignant de les voir se débander ou passer à l'ennemi, les fit payer d'urgence3. Les princes, les capitaines de l'armée ne donnaient pas l'exemple du désintéressement. Le bâtard d'Angoulême, Henri de Valois, fils de Henri II, exigea la pension du quartier de juillet, bien que le roi lui eût donné une abbaye. Le roi de Navarre réclamait « son plat » pour quatre mois, à raison de mille écus par mois, soit quatre mille écus4. La reine le désintéressa en lui octroyant toutes les confiscations de biens qui seraient prononcées contre les rebelles dans les terres de France 5.

1. Lettre do Moreau, officier de finances, au s. de Gonnor, du 28 août 1562 (Orig.; f. fr., vol. 3216, f. 65).

2. Lettre de Moreau à Gonnor, du 28 août 1562 (Orig.; f. fr., vol. 3216, f. 65).

3. Lettre de Moreau à Gonnor, du 28 août (Orig.; f. fr., vol. 3216, f. 65).

4. Lettre de Moreau au s. de Gonnor, du 26 août 1562 (Orig.; f. fr., vol. 3216, f. 63).

5. Original sur parchemin, signé seulement de Claude de l'Au- bespine, daté du 25 août 1562 (Arch. des Hassos-Pyivnées,E. 585).

ET JEANNE d'aLBRET. 305

Incapable de prendre la ville de haute lutte, le roi de Navarre tenta la voie des accommodements. Jacques de Savoie, duc de Nemours, fut envoyé en parlementaire aux portes et chargé de représenter aux assiégés que le roi « aymoit mieux leur pardonner « que les avoir de force1. » La première conférence faillit être fatale au prince italien. Gomme il se répan- dait en promesses et engageait son honneur à obtenir aux défenseurs de la ville des conditions favorables, un seigneur huguenot, qui avait fait partie de la con- juration d'Amboise, l'apostropha d'un ton menaçant : « Garderez-vous votre parole plus fidèlement que vous « ne l'avez gardée au sire de Castelnau ? » Gastelnau avait rendu son épée à Nemours sur sa foi et avait été supplicié le lendemain. Quand Nemours voulut répondre, un grand tumulte s'éleva dans les rangs des réformés, et le favori des Guises eut de la peine à regagner le camp royal2. Le lendemain, le connétable, le rhingrave, le secrétaire d'état Claude de l'Aubes- pine prirent la direction des pourparlers. Le rhingrave vint à la porte d'Auron et conféra plusieurs fois sans témoins avec le s. d'Yvoi. Rien ne transpirait de la négociation. Le lieutenant de Condé ne consultait aucun de ses capitaines; il se disait obligé à garderie secret, mais il affirmait que les clauses étaient hono- rables et que le siège serait bientôt levé. Pendant les conférences, un trompette vint demander deux faveurs à d'Yvoi : la première, d'interroger l'archevêque,

1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 389. Lettre du 2 septembre à Saint-Sulpice. Lettre de Ghantouay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 70. Lettre du roi de Navarre ;'i de Lude {Lettres d'Ant. de Bourbon et de Jeh. d'Albret, p. 270).

2. De Bèze, 1882, t. II, p. 84.

IV 20

306 ANTOINE DE BOURBON

Jacques Leroy, qui n'avait pas quitté son siège épis- copal, sur les traitements qu'il avait subis à Bourges depuis le commencement du siège ; la seconde, de faire connaître aux soldats huguenots que le roi était sous les murs de la ville. L'archevêque répondit qu'il n'était pas maltraité, mais qu'on avait détruit son logis, pris son argenterie et qu'on lui avait emprunté 200 écus. La seconde mission du trompette était plus déli- cate, mais d'Yvoi, par fanfaronnade, y donna son assentiment. Le trompette monta sur la muraille, et, profitant d'un moment de calme, demanda aux assié- geants au nom de qui ils combattaient : « Pour le « roi, » crièrent les soldats d'une voix unanime ; et tout le camp cria : « Vive le roi ! » avec tant de force que la ville entière put l'entendre. Cet empressement donna à réfléchir aux gens de guerre huguenots, que le prince de Condé entretenait dans l'idée que le roi était prisonnier du triumvirat1.

Catherine savait que d'Yvoi était plus courtisan que capitaine et voulut avoir une entrevue avec lui. D'Yvoi se fit autoriser à prêter l'oreille aux propositions, mais s'engagea à ne prendre aucune résolution sans l'avis des autres capitaines. Il vint au château de Lazenay2, conféra en secret avec la reine mère, avec le roi de Navarre, avec le connétable et se laissa séduire ou acheter. Il accepta un projet de capitulation qui remettait la ville au roi, moyennant quelques garan- ties. Avant de signer, il se réserva de consulter le prince de Condé et lui envoya le capitaine La Che-

1. De Bèze, 1882, t. II, p. 84.

2. Ghantonay écril qu'il vinl le jour de Notre-Dame (lel5aoùt), mais il se trompe de date (Mémoires de Condé, t. II, p. 62).

ET JEANNE D'ALBRET. 307

noche. Le messager partit en hâte avec un sauf- conduit de la reine. Il devait revenir le surlendemain ; on l'attendit en vain ; le duc de Nemours l'avait fait arrêter en route. Pendant ces deux jours, d'Yvoi s'ef- força de décourager ses compagnons d'armes, en leur représentant d'une part leur défaite prochaine, d'autre part les sauvegardes promises. Le troisième jour, sans attendre plus longtemps le retour de La Che- noche, d'Yvoi signa l'acte de capitulation et le remit, le 1er septembre, au connétable de Montmorency1.

L'exécution du traité souleva une vive opposition dans les rangs des défenseurs de la ville. Le capitaine Saint-Martin, le luthérien, demandait à occuper la grosse tour en gage des garanties stipulées. D'Yvoi lui répon- dit qu'il ne pouvait traiter avec le roi comme avec l'ennemi. Il sortit avec sa compagnie et remit la garde des portes au prince de la Roche-sur- Yon 2 qui l'attendait sur le bord du fossé. Puis il fit crier dans les rues, au bruit du tambour, l'ordre aux soldats de sortir avec armes et bagages et de se retirer en leurs maisons. Le prince de la Roche-sur-Yon entra aussi- tôt et prit le commandement. Déjà une collision avait éclaté au pied des murs. Un capitaine de l'armée

1. L'acte de capitulation est imprimé dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 634, et a été reproduit par M. Raynal, Histoire du Derry, t. IV, p. 61, d'après de Bèze, 1882, t. II, p. 85. —Une copie de cet acte, actuellement conservée aux Arch. nat. (K. 1498, 30), fut envoyée au roi d'Espagne. Philippe II la reçut avec mépris, et dit à Saint-Suplice que plusieurs clauses ne lui semblaient point convenables, de sujet à roi (Lettre de Saint-Suplice au roi, du 8 octobre 1562; Copie du temps, f. fr., vol. 3161, f. 41 v°).

2. Le prince de la Roche-sur-Yon était officiellement le gou- verneur de la province.

308 ANTOINE DE BOURBON

royale voulait entrer par la brèche, bien qu'elle ne fût praticable qu'à l'aide de longues échelles, et le s. de Ilaumont, le plus énergique des mécontents, se dis- posait à le combattre. Dans la journée, l'armée pro- testante sortit en bon ordre, avec les honneurs de la guerre, les arquebusiers à l'avant-garde, les piquiers et les hallebardiers au centre et la cavalerie sur les ailes. Elle traversa les troupes royales et fut conduite au village de Grosses, à quatre lieues de Bourges, par six cornettes de cavalerie. De Crosses, les uns mar- chèrent vers Orléans sous le commandement des capi- taines Haumont, Saint-Martin le luthérien, La Magde- laine, Pâté et Coupé, que la reine n'avait pu ou voulu acheter. D'autres se retirèrent isolément et furent mis en déroute par un parti catholique que Jean du Tillet, greffier du parlement de Paris, entretenait en sa mai- son de la Bussière, près de Chastillon-sur-Loire. D'autres capitaines, La Porte, Saint-Remy, Brion, Saint-Martin le huguenot , prirent du service dans la compagnie du duc de Guise : « Je ne me suis tant « mis icy, dit Brion au duc de Guise, pour la reli- « gion que pour un mécontentement que j'eus après « la guerre, m'en voyant si mal récompensé. Et MM. le « prince et admirai m'ayant les premiers recherché, « je les ay servis fidèlement, comme je serviray le « roy, ainsy que j'ay faict au roy son père 4. »

D'Yvoi ne recueillit que des reproches à Orléans. Gondé refusa de le recevoir et lui fit dire qu'à défaut du pardon des hommes il n'avait plus à espérer qu'en la miséricorde de Dieu. Les capitaines de l'armée pro-

I. Brantôme, t. V, p. 120. Brion tut tué au siège de Rouen (Ibid.). De Ur/v, Iss-j, t. 11, p. 86.

ET JEANNE D'ALBRET. 309

testante et le s. de Genlis lui-même, son frère aîné, voulaient le citer à la barre du conseil et lui deman- der compte de la faiblesse de la défense de Bourges. L'amiral craignit d'ouvrir la porte aux soupçons outra- geants, aux récriminations, à la désunion de l'armée. Méprisé des soldats, accusé de lâcheté par les moindres capitaines, d'Yvoi quitta le parti réformé et se réfugia au camp du roi. Il n'y fut pas mieux reçu1. Le duc de Guise soudoyait des traîtres ; il ne les aimait pas. D'Yvoi chercha un refuge dans la retraite. En 1572, il reparut à la cour et accepta le commandement d'un corps de volontaires que Goligny envoyait au secours des révoltés des Pays-Bas. Les opérations militaires furent si mal combinées, si mollement conduites qu'il en tomba victime. Fait prisonnier par Frédéric de Tolède dans une marche au secours de Mons, il fut égorgé secrètement par les ordres du duc d'Albe2.

Après la sortie des troupes huguenotes, à quatre heures du soir, le roi fit son entrée à Bourges, en grand équipage, avec sa maison et une nombreuse escorte. Le maire, les échevins, les conseillers de la ville, les habitants notables vinrent au-devant de lui et lui remirent les clefs des portes. Le roi et la reine mère occupèrent la maison de Jacques Cœur, le célèbre argentier de Charles VII, qui appartenait au secrétaire d'état Claude de l'Aubespine3. Aussitôt le prince de la Roche-sur-Yon fit crier à son de trompe que nul,

1 . Lettres de Chantonav dans les Mémoires de Condé, t. Il, p. 78 et 82.

2. Mémoires de Michel de la Huguerye, publiés pour la Société de l'Histoire de France, t. I, p. 111 à 127.

3. Journal de Jehan Glaumeau, p. 432.

310 ANTOINE DE BOURBON

sous peine de la hart, ne molestât les religionnaires dans leurs personnes ou dans leurs biens. Le lende- main, il destitua les officiers municipaux, les remplaça par des catholiques et envoya à l'hôtel de ville l'ordre d'acquitter une contribution de guerre de 50,000 écus. La somme fut réduite à 20,000 sur les instances des échevins et payée au moyen d'une taxe prélevée sur les habitants réformés l. Les prêches furent interdits, les ministres expulsés, les églises restituées au culte catholique2. Le roi leur fit rendre les châsses, les orne- ments, les meubles qui purent être retrouvés. D'Yvoi avait pris à la sainte chapelle de Bourges un calice orné de pierres précieuses qui passait pour un chef- d'œuvre d'orfèvrerie ; il fut obligé de le laisser à la reine mère, qui oublia ou refusa de le restituer. Plu- sieurs capitaines catholiques s'attribuèrent aussi une part du butin, les uns sur les biens des huguenots, les autres sur les dépouilles des catholiques. C'est le malheur des faibles en temps de guerre d'être pillés successivement par leurs ennemis et par leurs défen- seurs.

Le roi partit le dimanche, 6 septembre, laissant à Bourges Philibert de Marcilly, s. de Gypierre, comme gouverneur, et Innocent Tripied, s. de Monterud, comme lieutenant3. Le triomphe de l'armée royale n'avait été marqué par aucune violence, mais l'admi- nistration de Monterud fut plus dure. Il prit des mesures

1. Le rôle de cette taxe est imprimé à la si"''1 du Journal de Jehan Glaumeau, p. 161.

2. Plus tard, le mi confirma les faveurs accordées aux églises de Bourges {Immunités de l'église de Bourges, y. \~).

3. Journal de Jehan Glaumeau, \>. 134. Après lo départ du roi, les réformés furent maltraités par Monterud, d'après cet annaliste.

ET JEANNE D ALBRET. 311

de contrainte pour faire rentrer la taxe imposée par le prince de la Roche-sur-Yon ; il restaura les murailles et les portes aux frais des vaincus ; il expulsa de la ville les séditieux et les suspects. Monterud se souve- nait de l'affront que lui avait infligé la ville d'Orléans et voyait des conspirateurs chez tous les réformés * .

Pendant que le roi de Navarre, uni à la reine mère, s'illustrait dans l'art, sinon de prendre les villes fortes du parti huguenot, au moins de les acheter, l'alliance de ce prince avec le roi d'Espagne et la négociation pour la « récompense » de la Navarre avaient avancé d'un pas. Antonio d'Almeida, relâché par les habitants de Tours aux premières menaces du roi de Navarre, se rendit auprès de son maître à Blois. Antoine l'écouta, lut ses dépêches, l'interrogea avec anxiété. Ses lettres, qui avaient failli causer la ruine de la ville de Tours, ne contenaient rien de plus que les précédentes. Le roi d'Espagne promettait de donner à son allié l'île de Sardaigne, en attendant le royaume de Tunis ; mais de fixer la date de la livraison de l'île promise, de délimiter les clauses du marché, il n'en était pas plus question dans les dernières dépêches de d'Almeida que dans les premières.

Cependant il était d'une bonne politique de montrer une grande allégresse. Le prince écrivit à l'ambassa- deur d'Espagne une lettre de remerciement et le sup- plia de « parachever son œuvre » en obtenant du roi catholique des déclarations plus précises2. Le cardi-

1. Lettre de Monterud au prince de la Roche-sur-Yon, datée de Bourges et du 23 septembre 1562 (Orig.; f. i'r., vol. 15877, f. 107).

2. Lettre du roi de Navarre à Ghantonay, du 12 juillet 1562 i Minute orig.; f. fr., vol. 15876, f. 264).

312 ANTOINE DE BOURBON

nal de Ferrare témoigna à la fois à son gouvernement de la satisfaction du prince et de l'utilité pour le parti catholique de le contenter pleinement ' . Antoine écri- vit de sa propre main à Philippe II, ainsi qu'à la reine d'Espagne, pour les remercier. Le message devait être confié à des ambassadeurs d'un autre rang que d'Almeida. Le prince choisit OdetdeSelve2, négociateur de renom, et François d'Escars, son favori, promu, en faveur des circonstances, à la dignité de lieutenant du roi en Guyenne3. Il commanda à Claude de l'Aubes- pine de rédiger une instruction « propre à séduire la « cour d'Espagne4, » et pria la reine mère de joindre ses instances aux siennes5. Catherine était encore à Vincennes. Avant de prendre la route de Madrid, François d'Escars partit pour Paris le 16 juillet, fut reçu par la reine et eut plusieurs conférences avec l'ambassadeur d'Espagne en présence du cardinal de Lorraine. Tous deux pressaient Chantonay de déter- miner son maitre. Celui-ci objectait l'importance de la donation. « On a bien vu, disait-il, donner des baron- « nies, comtés et duchés, mais de royaulmes l'on n'en « veist de longtemps donner0. » Dans un de ces entre-

1. Nègoc. du card. de Ferrare, p. 312. Lettre du 18 juillet.

2. Lettre du roi de Navarre à M. de Selve (Minute datée de juillet 1562; f. fr., vol. 15876, f. 260).

3. Commission du roi en faveur de François d'Escars, datée de Vincennes et du 16 juillet 1562 (Orig. sur parchemin; Arch. des Basses-Pyrénées, E. 585).

i. Lettre du mi de Navarre à Claude de l'Aubespine, datée du 12 juillet 1562 (Minute originale; f. fr., vol. 15876 f. 261).

5. Lettre du mi de Navarre à la reine, du 16 juillet 1562 (Minute originale; f. IV., vol. 15876, f. 262). —Lettres de Sainte- Croix dans les Archives curù ses, t. \ I, p. 181.

6. Lettre de François d'Escars au mi île Navarre, datée de Vincennes et du 21 juillet (Orig., f. IV., vol. 15S76, f. 295).

ET JEANNE D'ALBRET. 313

tiens, d'Escars exhiba une lettre de Philippe 11, qui recommandait à la reine et au roi de Navarre de pour- suivre vigoureusement les rebelles et d'avoir confiance en sa générosité j ; et il donna lecture d'un mémoire du roi de Navarre, sorte d'apologie détaillée, dans lequel le prince rappelait les grands services qu'il avait déjà rendus au parti catholique, l'exil et la destitution des dignitaires huguenots de tout rang, princes, capi- taines et officiers de justice, l'expulsion des ministres, la fermeture des prêches, la proscription par arrêt du parlement des sectateurs de la réforme, l'envoi des prélats français au concile de Trente ; « pour l'exécu- « tion de quoy, ajoute le lieutenant général en forme « de conclusion, lesd. d'Escars et de Selve demande- d. ront la délivrance de la Sardaigne aux conditions « portées par le brevet, avec les sûretés réciproques « d'une part et d'aultre ; laquelle s'affectuant , led. « seigneur roy de Navarre en demourera perpétuelle- ce ment obligé à Sa Majesté catholique. Et si, sur cela, « il se mectoit en avant quelques difficultez, lesquelles « ils ne peussent résouldre, ne fauldront d'envoyer « courrier exprès devers led. s. roy de Navarre pour « entendre son intention2. »

Dans le cours de ces conférences, de graves ques- tions furent soulevées par les conseillers d'Antoine au sujet des gages qu'il promettait « à son bienfai-

1. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 9 juillet 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1496, 101).

2. Minute originale datée d'août 1562 (Coll. des autog. de. Saint- Pétersbourg, vol. 21, f. 138). Autre minute ou copie dans le môme fonds (Correspondance de Charles IX, t. II, p. 100). Ces manuscrits sont conservés à la Bibliothèque nationale de Paris.

314 ANTOINE DE BOURBON

« teur. » La première se rapportait aux villes fortes de la Sardaigne, que le roi d'Espagne voulait con- server en sa possession. Bien qu'il eût proposé autre- fois lui-même cette clause étrange, son ambition croissant avec le péril du parti catholique, Antoine la repoussait au nom de la maxime Donner et retenir ne vaut, « d'aultant que ce seroit luy bailler la possession « d'un lieu le baillant auroit plus d'autorité que « l'acceptant. » La seconde exigence de Philippe II, que le prince lui-même avait également fait naître par ses concessions imprudentes, regardait le jeune Henri de Béarn, que la chancellerie espagnole réclamait comme otage1.

Henri de Béarn, depuis le départ de Jeanne d'Al- bret, était élevé à la cour de France avec les frères du roi2. Il avait alors un peu moins de neuf ans. Au commencement de la guerre, le roi de Navarre l'avait confié aux soins de la duchesse de Ferrare à Montar- gis. Le projet de l'envoyer en Espagne ne pouvait être admis ; on se souvenait à la cour de France des durs traitements que les fils de François Ier y avaient essuyés pendant leur captivité. Antoine répondit à cette exigence en observant que le jeune prince était aux mains du roi de France, son suze- rain. Suivant la coutume féodale, l'autorité royale primait jusqu'à l'autorité paternelle. C'est au nom de

1. Instruction secrète du roi do Navarre d'Escars, datée de Romorantin et d'août (vers le 17) (Minute originale; coll. des autog. de Saint-Pétersbourg, vol. 21, t'. liô; Copie de la Biblio- thèque nationale).

2. Lettre du cardinal d'Armagnac au roi de Navarre, datée de Vincennes et du 13 juillet 156? (Orig.; f. fr., vol. 6626, f. 34).

ET JEANNE D'ALBRET. 315

ce principe que François Ier avait marié de force Jeanne d'Albret avec le duc de Glèves et qu'Antoine de Bourbon inséra la clause suivante dans l'instruc- tion confiée à d'Escars : « S'ilz luy parloient de avoir « son fils, il remettra cela à en advertir le roy de « Navarre, d'aultant qu'il n'en a aucune charge et « que, estant led. s. prince entre les mains du roy et « de la royne, il n'y a nulle puissance et ne le voudroit « faire sans leur congé *'. » Les circonstances prêtèrent bientôt de nouveaux arguments au roi de Navarre. Le jeune prince tomba malade. Une forte rougeole se déclara et mit ses jours en péril. Le siège de Bourges venait de se terminer. La reine et le lieutenant géné- ral se rendirent à Montargis2. Le bruit se répandit que l'enfant avait la petite vérole. Chantonay raconte que, lorsqu Antoine quitta Montargis, son fils, bien qu'il fût très malade, demanda avec instance à son père de le suivre au camp3, et loue la noble ardeur de ce cœur généreux. On fit prendre à Henri de Béarn de la rhubarbe, des « bouillons de bonnes herbes, » mainte autre purgation qui ne l'empêchèrent pas de guérir4. Après le départ de la cour, un parti huguenot s'approcha de Montargis par une pointe rapide et faillit enlever le jeune prince, peut-être avec la connivence

1. Instruction secrète du roi de Navarre à d'Escars, datée de Romurantin et d'août (vers le 17) (Minute orig.; coll. des autog. de Saint-Pétersbourg, vol. 21, f. 145).

2. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 617.

3. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condr, t. II, p. 86.

4. Rapport d'un médecin au roi de Navarre (la signature a été enlevée), daté de Montargis et de septembre 1562 (Autog.; f. fr., vol. 15877, f. 98). Voyez ce document aux Pièces justifi- catives.

316 ANTOINE DE BOURBON

de la duchesse de Ferrare1. Jeanne d'Albret aurait applaudi à ce coup de main, qui lui aurait rendu son fils bien-aimé.

Restait une troisième réclamation de la cour d'Es- pagne. Antoine de Bourbon n'avait par lui-même aucun droit à la « récompense » de la Navarre. Il traitait au nom de Jeanne d'Albret. La chancellerie du roi catholique, formaliste jusqu'au moindre détail, lui demanda une procuration de sa femme. Elle ne s'était avisée de cette procédure qu'au mois de juin 1562, après plusieurs années de négociation, lorsque la séparation des deux époux était devenue irrémé- diable, dans l'espérance que Jeanne d'Albret refu- serait ses pleins pouvoirs. Aussitôt après le retour de d'Almeida, au mois de juillet, le lieutenant général s'était mis en mesure d'obéir à cette nouvelle exi- gence. Il envoya à Pau la minute d'un acte, au bas duquel il exigeait que Jeanne d'Albret apposât sa signature. Sur ce point s'engagea une négociation dont nous ne connaissons l'existence que par Bordenave. Menaces au nom du parti catholique, prières au nom de l'avenir de leurs enfants, le roi de Navarre n'épar- gna rien. C'était le temps l'armée catholique portait le fer et la flamme à Blois, à Tours, à Poitiers, Biaise de Monluc écrasait les huguenots en Guyenne, les compagnies espagnoles passaient une à une la frontière d'Espagne. Jeanne d'Albret, convaincue que cet étalage militaire était dirigé contre elle, signa la procuration. Elle chargeait son mari « de, pour et au « nom de lad. dame constituante, traiter et accorder

■1. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 86.

ET JEANNE D'ALBRET. 317

« de tous et chacuns les différends qui, jusques à ceste

« heure, ont esté meus avec très hault (Phi-

« lippe II) passer traités, conventions, etc.1. »

Mais, dit Bordenave, « pour conserver le droit à ses « enfans, si Dieu leur donnait un temps plus paisible « et plus favorable, et auquel la justice eut plus de « crédit que la force, elle fit, par devant le juge du « séneschal de Béarn, un acte de révocation de ceste « procure, comme faite par force et crainte, ne l'ayant « osée refusera son mari2. » La procuration de Jeanne d'Albret ne fut pas envoyée à Madrid. Elle resta entre les mains du roi de Navarre, pour être produite au moment le plus opportun3.

Ces difficultés pouvaient entraver l'affaire prin- cipale. Avant de faire partir François d'Escars, le roi de Navarre jugea prudent d'expédier encore une fois à Madrid Antonio d'Almeida4. D'Almeida, rompu par

i. Original sur parchemin avec sceau, daté de Pau et du 25 août 1562 (Arch. du département des Basses-Pyrénées, E. 585). Nous croyons que cette pièce fut dressée à la cour de France et envoyée à Jeanne d'Albret toute prête à être signée : parce que l'écriture du corps de la pièce ressemble à celle des expédi- tions de la cour de France et non à celles de la cour de Pau ; parce que l'encre du corps de la pièce et l'encre de la signa- ture Jehanne ne sont pas de la même nuance. Lettre de Ghan- tonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 83.

2. Bordenave, Histoire de Béarn et de Navarre, p. 113.

3. Voilà pourquoi elle est actuellement conservée aux archives des Basses-Pyrénées.

4. Lettre du roi de Navarre à d'Almeida, datée d'août 1562 (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 403). La minute de l'instruction donnée à d'Escars seul est conservée dans la coll. des autographes de Saint-Pétersbourg, vol. 21, f. 141. Cette pièce existe en copie, sous les mêmes indications, à la Bibliothèque nationale de Paris. Elle est identique cumme texte avec celle que nous avons signa-

318 ANTOINE DE BOURBON

une longue pratique aux ruses dilatoires du roi catho- lique, avait pour mission de sonder la cour d'Espagne. Le lieutenant général commanda à Jean d'Ebrard, baron de Saint-Suplice, ambassadeur de France à Madrid, successeur de Sébastien de l'Aubcspine, de l'appuyer auprès du roi d'Espagne1 et écrivit au duc d'Albe, au prince d'Eboli, des lettres obséquieuses, dans lesquelles il implorait leur faveur2.

Antonio d'Almeida arriva à Madrid leâ septembre. Le lendemain, Saint-Suplice le recommanda au prince d'Eboli3. Philippe II était au bois de Ségovie et lui donna audience. Il écouta les requêtes du prince avec autant d'attention que s'il les eût entendues pour la première t'ois, mais il se retrancha sur la nécessité d'obtenir des gages et ne donna au messager que de bonnes paroles. Ses ministres, tour à tour interrogés avec instance, ne sortirent pas de leur réserve4. La prochaine arrivée de François d'Escars à Madrid ouvrait une nouvelle échappatoire à la chancellerie espagnole, et

lée dans la note 2 do la page 313, sauf qu'il n'y est pas parlé de de Selve.

1. Minute originale, datée de Saint-Léger et d'août (F. fr., vol. 15876, f. 402). Dans une lettre, du 12 août, Saint-Suplice écrit au roi de Navarre que d'Escars sera le bienvenu a Madrid (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 407). Autre lettre du même au même, du 15 août (Orig.; ibid., f. 430).

2. Minute datée de Saint-Léger et du 6 août (F. fr., vol. 15876, f. 427). -Autre minute absolument différente, datée de Saint- Léger et du 7 août (Ibid., f. 404). Lettre originale au duc d'Albe, datée de Blois et du 7 aoûl (Arch. nat., K. 1496, 109).

3. Lettre de Saint-Suplice au roi de Navarre, du 3 septembre (Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 22 .

4. Lettre d'Antonio d'Almeida au roi de Navarre, datée de Madrid et du 7 septembre 1562 (Autog. en espagnol; Arch. des Basses-Pyrénées, E. 585).

ET JEANNE D'ALBRET. 319

elle en usait avec empressement. Ce prétexte décida le roi de Navarre à presser le départ de son plénipoten- tiaire. Le 12 septembre, Catherine commanda à Saint- Suplice d'appuyer la mission de d'Escars l . Le duc et la duchesse de Savoie envoyèrent au roi d'Espagne un ambassadeur extraordinaire2. D'Escars se mit en route à petites journées, laissant à d'Almeida le soin de pré- parer les conditions du traité. Le %3 octobre, il écrit à la reine, de sa maison d'Escars, en Limousin, que l'état de sa santé ne lui a pas permis de hâter son voyage, mais qu'il va partir dans quelques jours3.

Pendant qu'il s'attardait sur les chemins de l'Es- pagne, Antonio d'Almeida renouvelait ses instances auprès des ministres de Philippe II. Dans une de ses nombreuses suppliques, il prie le duc d'Albe et le prince d'Eboli de formuler les exigences de leur maître et de les rendre acceptables. A bout de raisonnements, l'infortuné messager faisait valoir la fatigue de ses voyages : « Ainsi, dit-il, j'aurai terminé mes nom- « breuses allées et venues dont je suis presque estro- « pié i. » Argument qui toucha peu la chancellerie espagnole. Le duc d'Albe et Ruy Gomez de Silva répon- dirent, le %\ octobre, que l'ambassadeur du roi de Navarre, le s. d'Escars, serait accueilli avec honneur, mais qu'il serait utile, avant de l'envoyer, de s'accorder sur les gages que le roi de Navarre était en mesure

1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 399.

2. Lettre de Robertet au roi de Navarre, datée de Fossano et du 18 septembre (Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 80).

3. Lettre de François d'Escars à la reine, du 23 octobre (Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 271).

4. Mémoire de d'Almeida à la cour d'Espagne, sans date (Autog. espagnol; Arch. nat., K. 1496, 121).

320 ANTOINE DE BOURBON

d'offrir au roi d'Espagne1. Philippe II commanda en môme temps à Ghantonay de discuter la question des garanties avant le départ de d'Escars2. Le principe de la revendication admis, la négociation pouvait se pro- longer indéfiniment, puisque le roi d'Espagne était à la fois juge et partie. Sans doute il espérait par des pro- messes entretenir la confiance du roi de Navarre jus- qu'au jour du triomphe de la cause catholique en France. C'est ainsi qu'il écrivit, le 25 octobre, à la reine mère : « Vous me recommandez les affaires de M. de « Vendôme, les bons services qu'il rend en tout ce qui « se présente pour le service du Roy, mon frère, ainsi « que pour la religion. J'en suis si satisfait que j'en « serai toujours reconnaissant, ainsi que du généreux « appui qu'il donne à Votre Majesté3. » Le duc d'Albe et le prince d'Eboli écrivirent aussi au roi de Navarre et l'assurèrent de leur bonne volonté4.

Le roi de Navarre était destiné à mourir sans voir la fin de la négociation à laquelle il avait tout sacrifié.

1. Avis du prince d'Eboli et du duc, d'Albe sur la réponse à fairo à d'AImeida, daté de Madrid et du 21 octobre 1562 (Orig. espa- gnol ; Arch. nat., K. 1496, 120).

2. Lettre de Philippe II à Ghantonay, du 26 octobre 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1496, 123).

3. Lettre de Philippe II à la reine, du 25 octobre 1562, de Madrid (Orig. espagnol; Arch. nat., k. 1496, 122).

4. Minute originale en espagnol, datée du 27 octobre 1562 (Arch. nat., K. 1496, 36).

CHAPITRE VINGT ET UNIÈME.

Mort du roi de Navarre.

Négociations du parti réformé et du parti catholique en Suisse, en Allemagne et en Angleterre. Mission de Sydney en France. Traité de Hamptoncourt (20 sept. 1562).

La ville de Rouen tombe aux mains des réformés (1 5 au 1 6 avril 1 562) . Préliminaires du siège de Rouen.

L 'armée royale sous les murs de Rouen (27 sep- tembre). — Gabriel de Lorges, comte de Mongon- mery. Prise du fort Sainte-Catherine (6 octobre).

Blessure du roi de Navarre (1 6 octobre). Prise de Rouen par V armée royale (26 octobre). Mort du roi de Navarre (17 novembre).

Après le pillage de Beaugency, le prince de Condé rentra à Orléans, aussi mécontent de son armée que l'armée pouvait l'être de son chef. Beaucoup de gentilshommes, dans le parti réformé, craignaient d'avoir compromis leur honneur pour une cause peu iv 21

ANTOINE DE BOURBON

justifiée. Les uns « alléguoient qu'en leur absence « leurs maisons estaient assaillies ; les autres cou- ce vroient leur lâcheté de quelques scrupules sur- ce venus en leur conscience. » D'autres demandoient « congé ou le prenoient d'eux-mêmes1. » Les der- niers furent qualifiés du surnom infamant de Guillebe- douins2. Les désertions, le manque d'argent démora- lisaient l'armée. Coudé tint un conseil de guerre. 11 avait encore 3,000 cavaliers et 6,000 hommes d'in- fanterie. Plusieurs capitaines proposèrent de gagner Lyon et de se rallier au baron des Adrets, dont les exploits en Dauphiné exaltaient l'esprit du soldat; d'autres, de se retirer en Guyenne auprès de la reine de Navarre ; d'autres enfin , de se rendre à Rouen et de se fortifier en Normandie3. Le conseil de guerre de l'armée huguenote prit un quatrième parti. En attendant l'arrivée des renforts d'Allemagne et de Suisse, il se décida à rester sur la défensive4 et envoya les principaux capitaines en province : Soubiseà Lyon, La Rochefoucault en Saintonge, Duras en Guyenne, Genlis à Bourges, Bricquemaut en Normandie, pour raccoler des soldats et demander du secours5.

Depuis la prise d'Orléans, le prince négociait en Suisse, en Allemagne et en Angleterre. En Suisse, il

1. Do Bèze, Hist. ecclés., t. I. p. 541, édit. de 1882. La Pope- linière, t. 1, F. 325 v°. Les deux auteurs se copient.

2. La Popelinière, f. 326. Guillebedouin vient peut-être du mot Guille, qui veut dire tromperie.

::. Lettre de Throckmorton , du 1;' juillet; Calcndars, 1562, p. 153.

i. Lettres du cap. La Motte au prince de Gondé et à l'amiral de Coligny (Copie du temps; f. Fr., vol. 10190, t. 154 v°).

."). Mémoires <i> Lu Noue, édit. Petitot, p. 154.

ET JEANNE d'aLBRET. 323

accrédita d'abord le s. de Laumont1, et plus tard Théodore de Bèze, qui partit avec empressement, satisfait d'échapper aux dangers de la guerre civile2. En Allemagne, Condé avait donné à l'illustre Fran- çois Hotman 3 la mission de traverser les menées du roi de Navarre4. Un grand seigneur allemand, le burgrave Christophe, baron de Dhona, aidait Hotman de son crédit, soit pour secourir « les pauvres églizes « affligées, » soit pour empêcher l'arrivée en France de « gens loués à prix d'argent pour estre bourreaux « des chrétiens5. » En vain le roi de Navarre avait envoyé en Allemagne un plénipotentiaire, le s. d'Oisel, chargé de dons et de promesses6, et la reine avait sup-

1. Lettres du prince de Condé aux cantons de Zurich, de Berne, de Bàle et de Schaffouse, du 20 mai (Copie du temps; f. fr., vol. 10190, f. 166). Autre du 21 mai (ibid., f. 159). Lettre du cap. La Motte au prince de Condé, du 29 juin (ibid., f. 154 v"). Lettres de Coligny, de d'Andelot, de Condé, du 12 des calendes de juin (Copies en latin ; ibid., f. 167 et suiv.j. Négoc. de la France, avec la Toscane, t. III, p. 492.

2. Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 492.

3. Lettre d'Hotman, du 17 mai, au landgrave de Hesse (Copie du temps en latin; f. fr., vol. 10190, f. 177).

4. Lettre d'Hotman au landgrave de Hesse (Copie du temps; f. fr., vol. 10190, f. 161 v»).

5. Lettre de Coligny et de d'Andelot au landgrave de Hesse, du 19 mai (Copie du temps ; f. fr., vol. 10190, f. 161). —Autre lettre de d'Andelot à Vezines, du 21 mai (ibid., f. 172). Lettre du baron de Dhona à Condé, du 17 juin (Copie du temps en latin; f. fr., vol. 10190, f. 171 v°). Lettre de Condé au duc de Deux- Ponts, du 14 juin (Copie du temps en latin; ibid., f. 169). Lettre il" Coligny et de d'Andelot au landgrave de Hesse, du 14 des calendes de juin (Copie du temps; ibid., f. 172 v°). Lettre de Coligny au comte Everard de Erbach, de même date (Copie du temps; ibid., f. 177 v").

6. Instruction du roi au s. d'Oysel, en date du 13 juillet (Coll.

324 ANTOINE DE BOURBON

plié l'empereur d'interdire aux grands feudataires l'al- liance des rebelles de France1. Ces démarches furent inutiles. Les princes de la confession d'Augsbourg, le duc de Wurtemberg-, le comte palatin, le marquis de Bade repoussèrent les dons du roi de France2 et armèrent des troupes au secours des rebelles3. Hotman fit signer au prince de Condé une profession de foi, qui rapprochait les calvinistes de France des luthériens d'Allemagne4, et obtint, à l'aide de cette capitulation religieuse, une aide de quatre régiments de gens de pied et de G, 000 cavaliers que les chefs huguenots s'engagèrent à solder pendant toute la durée de la guerre5. Enfin, la reine de Navarre, la plus sûre alliée du parti réformé et la seule qui apportât à la guerre civile du désin- téressement, avait promis à l'armée d'Orléans un renfort de 4,000 hommes de pied béarnais payés

Brienne, vol. 206, f. 25). Partie de cette pièce a été imprimée dans les Mémoires de Coude, t. III, p. 533. Voyez aussi ibid., p. 542.

1. Lettres de Catherine de Médicis, t. [, p. 363 et 117.

2. Lettres du duc de Guise, du 5 juillet, aux princes allemands (Mémoires de Condé, t. 111, p. 526, 528 et 562).

:i. Voyez nombre de pièces dans les Mémoires de Condé, t. III, ]>. 431, 443, 444, 165, 197, 501. Voyez surtoul la lettre duduc de Wurtemberg en réponse à la mission de d'Oysel, du 12 août (ibid., t. III, p. 598). Réponse du roi (ibid., p. 609).

4. Mémoires de Condé, t. III, p. 524. La l'ope.linière, t. I, p. 326.

5. Lettre de Bassompierre au mi de Navarre, du 12 juin 1562 (Orig.; 1'. IV., vol. 6018, f. 104). D'après Bassompierre, les princes allemands s'engageaieni à l'aire de nouvelles levées si le roi d'Es- pagne prenait part à la guerre. On trouve dans le Bulletin de la Soc. de l'hist. du Prot. français, t. XVI, p. 1 10, une des capitula- tions que le prince de (lundi' signa avec les Allemands, datée du is août 1562. Lettre de Gondé au landgrave de Hesse, du 26 ami! (Mémoires de Gondé, t. III, p. 630

ET JEANNE D'ALBRET. 325

d'avance1. L'ensemble formait une troupe d'autant plus redoutable pour le parti catholique que l'armée royale s'usait en sièges et en marches.

Restait l'Angleterre et la reine Elisabeth, que les passions anti-romaines décoraient déjà du surnom de papesse des huguenots. Dix jours à peine après la prise d'Orléans, Coligny avait fait sonder les disposi- tions de cette princesse par le s. de Sechelles2, gentil- homme « d'une grande maison de Picardie, qui a « souffert persécution pour son zèle pour la religion, « et dont la reine de Navarre, le prince de Gondé, « l'amiral et d'autres, qui favorisent la religion, font « grand cas3. » L'un des plus hardis capitaines de Condé, Jean de Ferrières, vidame de Chartres, s'em- pare du Havre. Le 17 avril, Throckmorton conseille à la reine Elisabeth de demander au parti huguenot, en retour de l'appui de l'Angleterre, les villes de Calais, de Dieppe et du Havre, « les trois places ensemble, si « on peut, ou au moins une des trois, n'importe « laquelle. » Les réformés, dit-il, sont « des gens « vrais et fidèles, » tandis que les papistes sont « des « gens doubles et rusés. » Il espère que, pressés par leurs ennemis, ils prendront eux-mêmes l'initiative

1. Lettre de Tornabuoni, du 17 juillet [Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 492). Lettre du card. de Ferrare, du 18 juil- let [Négoc. du card. de Ferrare, p. 317). Lettre de Killegrew à lordCecil, du 10 août [Calendars, 1562, p. 234). Killegrew dit que ce secours devait être couduit par François de la Rochefoucault, beau-frère de Condé.

2. La lettre de Coligny, datée du 11 avril, est dans Coligny, t. Il, p. 78, par le comte Delaborde.

3. Calendars, 1562, p. 61'». Letl re de recommandation de Throck- morton à la reine, du l'i avril, en faveur de Sechelles.

326 ANTOINE DE BOURBON

de ces propositions, et compte sur la crainte de l'in- tervention espagnole pour les acculer à la nécessité de trahir le roi 1 .

A la fin d'avril, Catherine de Médicis adressa un ambassadeur extraordinaire à la reine d'Angleterre, le comte Roussy2. Elisabeth prit pour prétexte la nécessité de répondre à cette mission et expédia en France un des seigneurs de son conseil, sir Henry Sidney. Sous des dehors de pure cérémonie, Sidney dissimulait la charge de demander les ports de la Nor- mandie3. Il arriva à Paris le 8 mai et fut mal accueilli à la porte Saint-Marceau. Traité en ennemi par les bourgeois armés, il avait été déjà arrêté et menacé, quand l'ambassadeur de Portugal, passant par hasard, lui prêta sa recommandation et l'introduisit avec lui4. Sidney proposa au roi de Navarre la médiation de la reine Elisabeth, mais le secret de son intrigue était connu ; le prince ne lui parla que de son retour en Angleterre « par ailleurs que le Havre, non par « méfiance, mais par crainte que, en ce tumulte, il luy « arrivât quelque inconvénient à luy ou aux siens5. » Sidney voulut remplir sa mission à Orléans et demanda au roi de Navarre un passeport pour un de ses affi-

1. Cette lettre esl publiée et traduite dans V Histoire des Condé du duc d'Aumalo, t. I, p. 354.

2. Galendars, 1562, p. 617. Lettre de Throckmorton, du 21 avril.

3. Ghantonay croyail que Sidney était arrivé en Franco pour proposer à La reine mère de s'allier avec la reine d'Angleterre contre le parti catholiiiui! i l.fti iv orig. en espaui'"1 de (Ihautona^ à Philippe II, du 11 mai 1562; Arch. nat., K. 1497, 30).

i. Lettre de Throckmorton du 8 mai, publiée dans l'Histoire des Condé du tUu- d'Aumale, t. [, p. 358.

5. Lettre du roi de Navarre à la reine, minute datée de mai (f. IV., vol. 15876, f. 18

ET JEANNE DALBRET. 327

dés1. Antoine le lui refusa nettement. « Je ne suis pas « d'advis, écrivit-il à la reine, que vous luy permet- « tiez d'y envoyer, afin de n'accoustumer les ambas- « sadeurs à se mesler de noz affaires plus que de « raison, et aussi que je crains etay grandement sus- ce pecte sa négociation pour cent mille raisons que « pouvez bien penser2. »

Sidney quitta la France le \ 8 mai , mais la négo- ciation n'en chemina pas moins. Jean de Ferrières, Beauvais de la Nocle, les seigneurs rebelles de la Normandie servaient d'intermédiaires entre la reine d'Angleterre et le parti huguenot. L'agent anglais, Nicolas Throckmorton, dépositaire des désirs cachés d'Elisabeth, ne cherchait dans les troubles religieux de la France que l'occasion de recouvrer Calais. Son plan de campagne était de faire entrer les Anglais au Havre. « Les Français, disait-il, rendront Calais pour avoir le « Havre3. » En vain la reine Catherine s'efforça de traverser les intrigues des ambassadeurs anglais en accréditant le maréchal de Vieilleville à Londres 4. Les députés de Condé, Jean de Ferrières, vidame de Chartres, et le s. de la Haye, appelés à Greenwich, posèrent les bases de l'alliance. Le 20 septembre, à

1. Sidney avait reçu de la reine d'Angleterre une lettre de créance pour le prince de Condé. Cette lettre est publiée par le duc d'Aumale [Hist. des Condé, t. II, p. 372).

2. Lettre du roi de Navarre à la reine (Minute orig. de mai 1562; f. fr., vol. 15876, f. 60).

3. Fragment de lettre de Throckmorton cité par le comte de la Ferrière dans la Normandie à l'étranger, p. 9.

4. La mission de Vieilleville, que nous ne faisons que mention- ner, est racontée avec détails dans les Mémoires de Garloix, l. VIII, en. xxxi, et dans le XVIe siècle et les Valois, p. ?.'!, par le comte de la Ferrière d'après des documents nouveaux.

328 ANTOINE DE BOURBON

Hamptoncourt, fut signé le traité par lequel Elisabeth promettait aux huguenots 100,000 couronnes d'or payables en Allemagne après la remise du Havre1. Quinze jours après, le 5 octobre, un corps de 3,000 Anglais débarqua au Havre et prit officielle- ment possession de la ville2. Le roi de Navarre pro- testa auprès du prince de Gondé contre cet acte de trahison. Condé, dit La Popelinière, répondit « que « ce n'estoit pas luy qui avoit convié les estrangers « d'entrer en France, mais ses ennemis ; y ayans intro- « duit depuis trois mois en çà Suisses, Allemans, Ita- « liens et Espagnols à leur solde3; » comme si un gouvernement régulier, qui demande du secours à ses alliés, peut être comparé à des rebelles qui démem- brent le royaume au profit de l'étranger. Malgré les sophismes de Gondé, les réformés sentaient qu'ils imitaient le connétable de Bourbon. L'un d'eux, Beauvoir de la Nocle, eut la naïveté d'adresser à la reine mère un mémoire de justification. « Notre but, « dit-il, ne tend qu'à deux points : le premier à la « gloire de Dieu, le second à la délivrance et sûreté « de la minorité du roi4. » L'amiral seul, dit un apologiste, repoussait la responsabilité de cet acte5. La trahison du Havre exaspéra la cour et le parti

1. Ce traitr, plusieurs fois imprimé, se trouve notamment dans les Mémoires de Gondé, t. III, p. 689, et dans les Mémoires de Nevcrs, t, I, p. 131.

2. Détails sur cet événement dans la Normandie à Vétranger, par M. de la Ferrière, p. 8.

3. La Popelinière, t. I, f. 330.

4. La Ferrière, Le XVIe siècle et les Valois, p. TU.

."). Discours du voyagt fait à l'avis par M. l'admirai au mois de janvier dernier, 1565, p. 8. Pamphlet contre le cardinal de Lor- raine inspiré par l'amiral Goligny.

ET JEANNE D'ALBRET. 329

catholique. Le peuple, surtout à Paris, poursuivait de ses huées l'ambassadeur d'Angleterre '. Throck- morton, inquiet de ces dispositions, alla trouver la reine et demanda à se retirer à Londres, alléguant qu'il ne pouvait « voir les grandes cruautés du peuple « de Paris. » Catherine lui répondit sèchement que, puisqu'il sollicitait son congé, elle allait rappeler l'ambassadeur de France à Londres2. Throckmorton craignit peut-être les reproches de son gouvernement et se réfugia seulement à Orléans3.

Les pourparlers des huguenots avec la reine d'An- gleterre avaient été conduits avec tant de mystère que la cour de France en ignorait l'objet. Le 6 juin, Paul de Foix, ambassadeur de Charles IX à Londres, écrit à la reine qu'il doute des secours promis par Elisabeth aux rebelles d'Orléans4. A la fin de juillet, Antoine conseille à la régente de faire « patte douce » à l'intervention anglaise et ne parait pas soupçonner l'importance des gages qu'on lui offre5. Le 26 août, Paul de Foix signale à la reine l'arrivée à Greenwich et à Londres des principaux députés huguenots, mais il ne pense pas que l'Angleterre exige une place de la

1. Lettre de Throckmorton, du 23 juillet, publiée par le duc d'Aumale (Hist. des Condé, t. I, p. 376).

2. Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 188.

3. En même temps, la reine Elisabeth lança doux proclama- tions, qui ne se ressemblent pas; l'une est publiée (huis les Mémoires de Condé, t. III, p. 693, l'autre dans le XVIe siècle et les Valois, par le comte de la Ferrière, p. 76.

4. Lettre originale de Paul de Foix, du 6 juin 1562 (f. IV., vol. 6612, f. 54).

5. Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jchanne d'Âlbret, p. 257. Dans nue autre lettre (p. '268), il conseille à Philippe II coruiitis ménagements pour la reine Elisabeth.

330 ANTOINE DE BOURBON

Normandie pour prix de son secours1. Le lendemain, Chantonay, dont la perspicacité est cependant aigui- sée par la haine, écrit au roi de Navarre qu'il faut se méfier de la reine Elisabeth, « combien que je tiens, « dit-il, qu'elle crye plus haut qu'elle n'a envie de « mordre2. » La chancellerie espagnole n'était guère mieux informée. Le 1er septembre, l'ambassadeur de France à Madrid reçoit de la bouche même de Phi- lippe II la singulière assurance que la reine Elisabeth, « sans se désister de son entreprise en France, paraît « s'cstre fort refroidie3. »

Ce ne fut qu'au commencement de septembre, après la prise de Bourges, presque à la veille du traité de Hamptoncourt, que la nouvelle de la prochaine livrai- son du Havre arriva à la cour de France. Aussitôt, le roi de Navarre tint un conseil de guerre. Antoine vou- lait continuer la campagne par le siège d'Orléans, mais la majorité décida que l'invasion anglaise obli- geait le roi à marcher sur Rouen 4 pour empêcher la Normandie de tomber en entier aux mains des enne- mis5. Le 1 1 septembre, l'armée royale quitta ses cam- pements de Bourges. Le 12, le roi de Navarre est à Gien ; il écrit à Guy Chabot de Jarnac en Poitou et lui envoie « de bonnes et gaillardes forces pour se faire

1. Orig.; f. Ir., vol. 6612, f. 137.

2. Lettre du 27 août 1562, datée <lo Chartres (Copie du temps; Arch. mit., K. 1498, 28).

3. Orig., daté de Madrid; f. IV., vol. 15877, f. 5

4. Rouen, Orléans, Lyon et Bourges étaient les quatre princi- pales places du parti tiuguenol (Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 106).

5. .1/, moires <(< Claude Haton, i. I, \>. 285. Mémoires de La Noue,

cil. VII.

ET JEANNE D'AI.BRET. 331

« passage1. » Le 15, le roi, la reine et la cour passent à Ghàteaudun , le 1 G à Montargis , le 1 7 à Chàteau- Landon, le 19 à Étampes2, pendant que l'armée, à marches forcées, traverse la Beauce. La reine était décidée à « employer le vert et le sec pour avoir rai- « son » des Anglais3. Mécontente du roi d'Espagne, qui n'avait pas fourni les soldats et les subventions promis au roi de France4, elle envoya, sans s'arrêter aux soupçons de Chantonay, Rambouillet en Alle- magne5; elle signa un marché avec un colonel alle- mand, Frédéric de Reiffenberg, qui s'engageait à lever 4,000 « vrais lansquenets, » et ie reçut à prêter ser- ment le %% septembre « sur sa part en paradis et en « foy d'homme de bien0. » Pleine d'ardeur contre les Anglais, Catherine caressait encore l'espérance de ramener le prince de Gondé, et parlait seulement « de « lui laver bien la teste7. » Le roi de Navarre, au contraire, se montrait intraitable vis-à-vis de ses anciens partisans8. Le roi partit avec l'armée, le

1. Lettre du 12 septembre, publiée dans le catalogue d'auto- graphes de la coll. Morrisson, p. 29.

2. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 400 et suiv.

3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 40i.

4. Lettre de Saint-Suplice à la reine, du 1er septembre 1562, datée de Madrid (Orig., f. fr., vol. 15877, f. 5). Cette lettre four- nit de curieux détails sur la pénurie du roi d'Espagne.

5. En annonçant cette nouvelle, Chantonay dit : « Ses allées me sont plus suspectes que d'homme qui traicte en ce costel » (Lettre du 24 septembre dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 89).

G. L'acte du serment, daté du 22 septembre, esl conservé en original aux archives des Basses-Pyrénées, E. 584.

7. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 91.

8. Lettre de Chantonay, «lu \! septembre, dans les Mémoires dt Condé, t. II, p. 81.

332 ANTOINE DE BOURBON

%\ septembre, d'Étampes pour Dourdan * . Catherine s'attarda en route, aux environs de Dreux, pour rendre visite à Diane de Poitiers au château d'Anet, voyage inattendu, qui cachait sans doute une négo- ciation mystérieuse 2 .

La ville de Rouen était tombée au pouvoir du parti huguenot à la suite d'une émeute locale, pendant la nuit du 15 au 16 avril. Le lieutenant du roi, Villebon d'Estouteville, forcé par les rebelles dans l'intérieur du château, avait été expulsé, le parlement réduit au silence et le calvinisme impatronisé dans les églises3. Le roi de Navarre, informé par un conseiller de par- lement, le prieur de Baudribosc, envoya à Rouen le duc de Bouillon, seigneur du tiers-parti, réputé favorable à la réforme. Le duc fit de vains efforts pour rétablir l'autorité du roi4. Dépourvu de troupes, impuissant à désarmer les rebelles, chaque jour insulté par les factieux, plus maîtres que lui de la ville, il quitta Rouen et se réfugia à Argentan pour réunir des soldats. Peu de jours après son départ, le dimanche, 3 mai, à la suite d'un prêche, toutes les églises de Rouen furent envahies et pillées, les taber-

1. Lettre de Sainte-Croix dans les Archives curieuses, t. VI, p. 193.

2. Lettre de Chantonay, du 12 septembre 1562, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 81. Autre, ibid., p. 89.

3. Relation des troubles excités par les calvinistes dans la ville de Rouen de 15157 à 1582 (dit le ms. Pelhestre), publiée, en 1837, par M. Pottier. Ce manuscrit, auquel l'éditeur a ajouté plusieurs pièces intéressantes, contient d'amples détails sur les débuts de la réforme à Rouen.

i. La réponse officielle des habitants de Rouen aux communi- cations du duc de Bouillon est imprimée dans les Mémoires de Gondé, i. 111, p. 302. G'esl un réquisitoire contre le parti cm ludique.

ET JEANNE d'aLBRET. 333

nacles violés, les autels et les statues renversés, les chaires et les stalles brûlées1. Le duc de Bouillon revint aussitôt à Rouen, mais il essuya tant de menaces qu'il s'enfuit de la ville pour n'y plus revenir. 11 fut suivi par les membres du parlement2; ceux-ci, après avoir salué le roi à Monceaux, se réunirent à Louviers et y constituèrent une sorte de cour de justice jusqu'au rétablissement de la paix3. La ville resta au pouvoir des huguenots et fut soumise au despotisme le plus dur. Un conseil, composé des plus audacieux parmi les rebelles, dirigé d'abord par le s. de Morvillier4, puis par Gabriel de Lorges, comte de Mongonmery, lieutenant du prince de Condé, exerçait tous les pou- voirs. Les trésors des églises, qui avaient pu échapper au pillage du 3 mai, furent la première proie de ce

LA la suite du manuscrit cité dans l'avant-dernière note, se trouve un Inventaire des ornemens pille: et volez aux esglises de Nostre Dame, Saint Ouen et autres en l'année 1562 à Rouen (Ve de Golbert, vol. 270). Suivent trois autres pièces sur le même sujet.

2. Les lettres du parlement de Rouen au roi pendant cette période portaient, d'après un chroniqueur, cette souscription sin- gulière : « de par ceux qui souloient tenir et ne tiennent plus

vostre cour de parlement de Rouen » (Journal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 104).

3. La déclaration du roi qui transfère le parlement de Rouen à Louviers est du 22 juillet [Mémoires de Condé, t. III, p. 557). Le 26 août, ils rendirent un arrêt barbare qui mettait les ministres hors la loi. Voir sur cet arrêt YHist. du pari, de Normandie, par M. Floquet, t. II, p. 528. Commission du duc d'Aumale pour la séance de la commission du parlement envoyée à Louviers, du 27 août (Copie; coll. Brienne, vol. 206, f. 73).

4. Louis de Lannoy, seigneur de Morvillier, gouverneur de Boulogne-sur-Mer. Il a laissé un mémoire apologétique de sa con- duite, qui est imprimé dans les Mémoires de Condé, t. V, p. 246.

334 ANTOINE DE BOURBON

capitaine1. Bientôt il assaillit les villes voisines. Vire succomba en juillet2. Pontorson fut pris, rançonné et pillé au mois d'août3. Mongonmery étendait sur tous ses voisins sa main de fer, nouait des rapports avec l'Angleterre, avant même la signature du traité d'Hamp- toncourt4, remplaçait les officiers du roi fugitifs5 et sommait toutes les villes de la Normandie de se mettre sous la protection de Rouen0. Prévoyant que l'armée royale allait fondre sur lui, il s'efforçait de discipliner les bandes que le goût du pillage avait réunies sous son commandement. Le 19 août, il rendit une ordonnance sévère qui expulsait des rangs les vagabonds et gens sans aveu, proscrivait les désordres, les duels, les désertions, les vols, les actes d'indiscipline, sous peine de la hart, et fixait les gages des capitaines et des sol- dats7. En septembre, il reçut un secours commandé

1. L'inventaire du trésor do Saint-Oueu est imprimé dans la Normandie chrétienne, p. 604, par Favin.

2. Quittance dos reliques des églises do Vire remises à Mon- gonmery, datée du 29 juillet (Orig. signé de Mongonmery; f. fr., vol. 3190, f. 14).

3. Lettre des habitants de Pontorson au duc d'Aumale, datée du 12 août 1562 (Orig.; f. fr., vol. 3190, f. 18).

4. Enquête et interrogatoire de Habland Mauser, serviteur de Mongonmery, touchant les faits de son maître (Copie du temps; f. fr., vol. 6618, f. 147 et 149).

5. Ordonnance de Mongonmery datéedu 20 septembre [Mémoires de Condé, t. III, p. 088).

r>. ( ordonnance de Mongonmery datée du 23 septembre (Mémoires de Condé, t, III, p. 706).

7. Un exemplaire do cette ordonnance imprimée, datée de Saint- ci <hi 11) août 1562, fui envoyé à Philippe IL et se retrouve actuellement aux Archives nationales, K. 1496, 112. Voici le tableau <\r> gages de chaque grade : a < lapitaines de gens d'armes, 100 livres tournois par mois; cornettes, 50; maréchal des logis, 50 ; chaque homme à cheval, 16; chacun fourrier, lf>: le trom-

ET JEANNE D'ALBRET. 335

par le s. de Bricquemaut. Quelques jours après, Coli- gny adressa trois lettres aux capitaines de Rouen, l'une à Mongonmery, du 22 septembre, l'autre aux capitaines, du 24, la troisième à Bricquemaut, du 25 du mois. Ces trois lettres annonçaient l'attaque de l'armée royale et donnaient des nouvelles du secours que d'Andelot amenait d'Allemagne. Elles étaient écrites, de la main même de Coligny, sur une toile blanche taillée en forme de pourpoint. Le messager, envoyé d'Orléans à Rouen à travers un pays sillonné par des corps de partisans, portait sur lui ces ordres cousus dans la doublure de son pourpoint [ .

Le roi de Navarre préparait le siège de Rouen depuis le commencement de la guerre2. Après l'échec de la mission du duc de Bouillon, le duc d'Aumale avait reçu l'ordre de se rendre en Normandie avec des troupes et de resserrer la ville3. Pendant que le duc se dirigeait à petites journées vers Darnetal4, la reine

pette, 12 ; capitaines de gens d'armes, 100; chacun lieutenant, 50; chaque enseigne, 30; chacun sergent, 20; chacun capporal, 18; chacun tabourin et fifre, 12; chacun fourrier, 12; chacun corce- let, 10 ; chaque arquebusier morionné, 10 ; les autres sans morion, 8; la pique sèche, 7. »

1. Ces trois lettres, tirées des Archives nationales («F. 969), sont actuellement conservées au Musée des Archives (n° 606). Elles ont été plusieurs fois publiées : par le citoyen Camus , dans Notices des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. VII, 2e pa rtie, p. 217 ; dans le Musée des Archives, 666 ; par le comte Délai torde dans Gaspard de Coligny, t. II, p. 153.

2. Lettres de Catherine de Médias, t. I, p. 323, 327, etc.

3. Lettres de Chantunay à Philippe II. du 1 1 et du 28 mai 1562 (Orig. espagnol, Arch. nat., K. 1497, nos 30 et 36). La com- mission du duc dAumale, datée du 5 mai, est imprimée dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 436.

4. Le duc d'Aumale partit de Paris pour Rouen le 9 mai, avec

336 ANTOINE DE BOURBON

mère et le roi de Navarre envoyèrent à Rouen Henri Clutin, s. d'Oysel, pour « semondre » les rebelles et leur offrir le pardon du roi, à la condition qu'ils dépose- raient les armes et restitueraient les biens des églises1. Au commencement de juillet, Antoine prit des mesures plus énergiques. Le 7, il commanda au duc d'Aumale de réunir toutes les troupes disponibles dans les gar- nisons de la Normandie, et de circonvenir la ville en attendant les renforts de l'armée royale2. Le duc de Bouillon, suspect à la cour par ses tendances, suspect au parti réformé par sa fidélité au roi, s'était plaint de la défaveur qui avait suivi son échec de Rouen3 ; Antoine lui envoya une commission pour lever trois compagnies de chevau- légers et d'arquebusiers à cheval1. Sébastien de Luxembourg, vicomte de Mar- tigues, et le s. de Matignon, qui étaient en Bretagne, reçurent aussi l'ordre de se rendre en Normandie5.

400 hommes d'armes et 2,000 hommes de pied pour Rouen (Jour- nal de 1562 dans la Revue rétrospective, t. V, p. 104). Au com- mencement de juin, il envoya chercher de l'artillerie à Vincennes (Ibicl, p. 113 et 114).

1. L'instruction du roi à d'Oysel, datée du 29 mai 1562, est conservée en copie dans la coll. Brienne, vol. 205, f. 506. Le 18, la reine avait adressé une première injonction aux gens de Rouen [Lettres de Catherine de Médias, t. I, p. 317).

2. Minute datée du 7 juillet etdu camp de Blois (f. i'r., vol. 15876, f. 217).

3. Deux instructions du duc de Bouillon au capitaine Berthe- ville envoyé au roi de Navarre, datées du 14 juillet 1562 (Orig.; f. IV., vol. 15876, f. 245 el 247). La seconde de ces instructions a été imprimée par le comte de la Ferrière dans la Normandie à l'étranger, p. 5, note.

i. Lettres d'Antoine de Bourbon et tic Jehanne d'Albret, p. 260. Instructions d'Antoine à Bertheville (Ibid., p. 261).

5. Lettres du roi du 18 août 1562 (Preuves de ['Histoire di Bre- tagne de doin Moine, t. 111, col. 1318

ET JEANNE d'ALBRET. 337

L'armée royale arriva par détachements le 27 sep- tembre sous les murs de Rouen. Le roi de Navarre, lieutenant général du roi, commandait en chef; il était accompagné de Charles de la Rochefoucauld, seigneur de Randan, colonel général de l'infanterie, du s. d'Ossun, maréchal de camp, de Richelieu et de Sarlabous, mestres de camp1. Le duc de Guise et le connétable étaient soumis aux ordres du prince. Le 28, le duc de Guise établit son camp à Tourvillc, et, le 29, à Darnetal, aux portes de Rouen2. Le même jour, les pionniers entamèrent la tranchée du côté de la porte Saint-Hilaire, et les 45 pièces d'artillerie furent braquées contre le fort Sainte-Catherine3. Avant de commencer le feu, le roi de Navarre fit sommer par un trompette la ville de se rendre, aux conditions que Bourges avait acceptées. Le trompette fut expulsé sans avoir pu remplir sa mission4. La valeur et l'énergie de Mongonmery présageaient une défense acharnée. Rouen, la première ville du Nord, était la clef de l'alliance anglaise, et le prince de Condé y avait réuni la fleur de son armée.

Le 29 septembre, après une courte batterie, l'ar-

1. Le roi de Navarre touchait 2,500 livres par mois; Randan, 300 livres ; d'Ossun, 300 livres ; Richelieu et Sarlahous, 200 livres (États de l'armée devant Rouen pour le mois de septembre ; Copie du temps; Ve de Golbert, vol. 24, pièce 105).

2. Mémoires-journaux de Guise, dans la coll. Michaud et Pou- joulat, p. 496. On a imprimé Rouville au lieu de Tourville.

3. André Thevet a publié à Paris, chez Mathurin Breuille, sans date, en une planche in-folio, un plan en perspective du camp des assiégeants et de la ville de Rouen. On en conserve un exemplaire dans le f. IV., vol. 10193, f. 223 bis.

4. Lettre de Ghantonay dans les Mémoires de Coudé, t. II, p. 92.

iv 22

338 ANTOINE DE BOURBON

mée royale se lança à l'assaut du fort Sainte-Catherine et fut repoussée; le lendemain, elle attaqua la porte Saint -Hilaire. Le 1er octobre, les soldats du fort Sainte-Catherine, sous le commandement de Mon- gonmery, firent une sortie à l'improviste et péné- trèrent jusqu'au milieu du camp royal. Il y eut un moment de trouble dans l'armée catholique, que les huguenots auraient pu changer en déroute s'ils avaient été plus nombreux1. Charles de la Rochefou- cauld-Randan, colonel général de l'infanterie, se jeta au-devant des ennemis avec quelques gens de pied. Son héroïque résistance donna aux autres capitaines le temps de rallier l'armée. Mongonmery battit en retraite devant des forces supérieures. Randan, blessé à mort, languit quelques jours et mourut2.

Les succès de Mongonmery enflammaient d'ardeur les défenseurs de Rouen. Deux capitaines, Rouvray et Valfenières, arrivèrent de Dieppe avec une troupe de 50 cavaliers, forcèrent le blocus et pénétrèrent dans la ville. Quelques jours après, une galère, armée de douze gros canons et pourvue de munitions, remonta la Seine à l'aide de la marée, et, malgré un feu terrible, franchit les retranchements. Plusieurs compagnies anglaises, détachées du Havre, rejoi- gnirent la garnison à la faveur de sorties heureuses. La dame de Mongonmery entra à Rouen avec ses

1. Lettre anonyme publiée dans les Mémoires de Condé, t. IV, p. 39.

2. La date de sa mort est un peu incertaine. Le Père Anselme dit le 4 novembre. Il est certain qu'il n'était pas mort à la date du 21 octobre (Lettre de Uobertet à Nemours, de cette date; autog., f. IV., vol. 3200, f. 135).

ET JEANNE D'ALBRET. 339

enfants. Mongonmery avait établi une discipline implacable et veillait jour et nuit sur les murs. Les femmes étaient employées à la préparation des muni- tions, les catholiques aux transports déterre, les bour- geois à la garde des murs, les hommes capables de porter les armes aux sorties. L'armée royale n'était pas moins bien conduite. Les soldats marchaient à la tranchée avec un entrain de vieilles troupes, et les princes payaient de leur personne comme de simples capitaines.

Le 6 octobre, après une batterie furieuse, le roi de Navarre lance les bandes de gens de pied sur les glacis du fort Sainte-Catherine , à l'heure les compagnies de la ville, fatiguées par des sorties presque journalières, prenaient habituellement leur repos. Les murs de la forteresse se couvrent de sol- dats. Les troupes protestantes, appelées à la res- cousse par les cris des combattants, accourent aux portes du fort. Mais les catholiques, supérieurs par le nombre et l'armement, étaient déjà victorieux. Le capitaine Louis, commandant du fort, est tué1. Les huguenots sont chassés avec de grandes pertes et se retirent sur un mamelon fortifié, à peu de dis- tance du premier. Assaillis par l'armée royale qui les suivait pas à pas, ils sont débusqués de leurs retranchements et refoulés dans l'intérieur de la ville avec les compagnies de bourgeois venus à leur secours. Quelques capitaines, entraînés par l'ardeur de la lutte, entrent pêle-mêle avec les assiégés.

1. Relation des troubles excités par les calvinistes (Mss. Polhestre), publiée par André Pottier, in-8°, 1837.

340 ANTOINE DE BOURBON

Malheureusement, ils ne peuvent être soutenus et succombent les armes à la main après des prodiges de valeur l .

La reine mère informa le parlement de Paris2, et le roi de Navarre l'ambassadeur d'Espagne, de la vic- toire de l'armée catholique sur les ennemis communs. « L'on est entré d'assault, mais ce a esté si furieuse- « ment que l'on n'a jamais veu combatre mieux, dont, « pour la grande conséquence qu'elle porte à ceste « entreprise, je n'ay voulu faillir à vous advertir3. » La prise du mont Sainte-Catherine permettait à l'ar- mée royale de diriger des feux plongeants sur la ville. Deux batteries furent établies sur les ruines du fort, l'une dans la direction de la porte Martinville, l'autre de la porte Saint-Hilaire. La première, battue jour et nuit de front par les nouveaux ouvrages d'artillerie, de côté par les anciens, fut bientôt ébranlée. Déjà, la largeur de la brèche conviait l'armée à l'assaut. Le 8, le roi de Navarre ordonna l'attaque pour le len- demain. Pendant la nuit, les piliers de la porte furent relevés et les bastions couronnés d'armes nouvelles. Quelques jours après, une vieille tour, dite la tour du Colombier, garnie de meurtrières, qui servait de poste principal aux arquebusiers huguenots, fut tellement

1. La prise du fort Sainte-Catberine, la clef de la ville de Rouen, est racontée dans une lettre du roi à du Mortier de l'Isle, du 24 octobre (Cnpie du temps; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°), et dans une lettre de Robertet à Nemours (Lettres de Catherine de Médi- cis, t. I, p. 414, note). Le parlement de Paris ordonna des actions de places (Arrêt du 7 octobre; Mémoires de Condé, t. IV, p. 41).

2. Mémoires de Condé, t. IV, p. 41.

3. Lettre du roi de Navarre à Cbantonay, du G octobre 1562 (Copie; Arcb. nat., K. 1500, 9).

ET JEANNE D'ALBRET. 341

battue par l'artillerie catholique, qu'elle s'écroula en partie. Au lever du jour, elle était rétablie à l'aide de gros madriers garnis de terre, et elle rouvrit son feu contre les assiégeants.

Le 9 octobre, la reine mère fut informée par Beauvoir la Nocle, l'un des promoteurs du traité de Hamptoncourt, de l'arrivée de 4,000 Anglais au Havre et de 4,000 à Dieppe, « pour la gloire de Dieu « et la délivrance de la minorité du roi1. » Cette nouvelle, destinée à effrayer le conseil du roi, fut heureusement corrigée le même jour par la lettre d'un capitaine de Harfleur, qui apprenait à la reine que l'armée anglaise comptait à peine en tout 400 hommes. Mais le voisinage de la rose rouge suffisait à maintenir l'ardeur des assiégés2. Une com- pagnie anglaise de 500 hommes, commandée par le capitaine Grey, rompit le blocus et entra dans Rouen. Le même jour, plusieurs navires chargés de vivres et de munitions s'efforcèrent de briser les bar- rières que l'armée royale avait accumulées sur la Seine ; l'un d'eux échoua et tomba aux mains des catholiques; les autres reculèrent, et, profitant du courant, disparurent le long de la rivière.

Le 1 3 octobre, le roi de Navarre ordonna un assaut général. A dix heures du matin, l'armée se précipita sur la brèche que défendaient les Anglais. Après un long combat, les assaillants furent repoussés. Ils revinrent en bon ordre avec de nouvelles troupes,

1. Cette lettre, datéo du Havre et du 7 octobre, est conservée en original dans le f. t'r., vol. 15877, f. 17.").

2. Lettre datée d'Harfleur et du 8 octobre (Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 189).

342 ANTOINE DE BOURBON

pendant que l'artillerie nettoyait la crête des murs. D'autres compagnies se portèrent sur les autres points de la ville. Tous leurs efforts furent inutiles. Le len- demain, au lever du jour, le roi envoya en parlemen- taire l'abbé de Vély à Rouen. L'abbé fut reçu à l'hô- tel de ville et pressa le conseil de capituler. Le conseil ajourna sa réponse au soir même. Pendant les pour- parlers, le roi de Navarre tenta une nouvelle surprise. Les troupes montèrent à l'assaut avec autant d'ardeur que la veille. Mongonmery s'attendait peut-être à l'attaque ; il avait fait cacher ses troupes et démasqua brusquement ses lignes de défense au premier feu. L'armée royale fut repoussée et rentra dans ses can- tonnements après avoir perdu plus de G00 hommes l. De Thou et d'Aubigné, d'après de Bèze et La Popeli- nière, racontent un curieux incident de ce combat. Un gentilhomme huguenot, appelé François de Civile, reçut une balle dans le cou et tomba au pied d'un des bastions. Le soir, les fossoyeurs de l'armée le trouvèrent sans connaissance, le dépouillèrent et l'enterrèrent. Cepen- dant le valet de Civile cherchait partout son maître. Il apprit qu'il avait été tué et obtint de Mongonmery l'autorisation de retirer le corps de la fosse commune pour le rapporter à sa famille. On déterra les cadavres, <jui, pour la plupart, avaient été frappés au visage et étaient défigurés par leurs blessures. Le valet ne put reconnaître celui qu'il cherchait et les remit dans la tombe. L'un d'eux avait été couché le bras en l'air. Le valet se disposait à le recouvrir de terre quand il

1. Ce combat est raconté avec détails dans une lettre de Marc- A u util te Barbaro, du 18 octobre (Dépêches vénit., filza ibis, 1*. 150).

ET JEANNE d'aLBRET. 343

vit scintiller au clair de lune une bague ornée de dia- mants que son maitre portait habituellement. Aussitôt il releva le corps, et, lui trouvant un reste de cha- leur, il l'apporta au monastère de Sainte-Claire, Mongonmery avait établi l'hospice des blessés. Les chirurgiens de l'armée l'examinèrent et déclarèrent qu'il était mort. Chassé du couvent, le valet le déposa alors dans l'hôtellerie il était logé et le pansa soi- gneusement. L'infortuné Civile ne donnait aucun signe de vie. Enfin, le soir du quatrième jour, il ouvrit les yeux et put prendre un peu de nourriture. Dès lors, son rétablissement était assuré. Le jour de la prise de Rouen, au milieu du sac de la ville, des soldats catho- liques reconnurent à l'hôtellerie le capitaine huguenot, le criblèrent de nouvelles blessures et le jetèrent par la fenêtre. La fortune le secourut encore une fois. Il tomba sur un tas de fumier et ne se fit aucun mal. Pendant trois jours, il ne reçut aucun soin. Enfin, un capitaine normand, nommé du Croisset, son parent, voulant lui donner une sépulture hono- rable, le fit porter dans un château du voisinage l'on reconnut qu'il vivait encore. Il fut pansé et gué- rit. Il était plein de vie, dit de Thon, quarante ans après le siège de Rouen, et avait continué son service dans les armées du prince de Condé4.

Cependant, le siège se poursuivait avec des alterna- tives diverses. Les princes, les hauts seigneurs de l'armée donnaient l'exemple et s'exposaient au feu comme de simples capitaines. « Il est à craindre qu'il « n'en advienne quelque désastre, » écrit Chantonay

1. De Thou, 1740, t. El, p. 330. D'Aubigné, 1626, 1. 1, col. 221.

344 ANTOINE DE BOURBON

en signalant la bravoure du duc de Guise1. Le roi de Navarre était un des plus hardis et se mettait en avant à la moindre escarmouche. Il avait voulu reconnaître en personne les approches du fort Sainte-Catherine2. Le 1 6 octobre, pendant un combat violent, il ne quitta pas les avant-postes et passa une partie de la journée dans une tranchée menacée par les feux convergents de l'ennemi. Il y fit servir son repas et consentit à peine à s'abriter derrière un mur. Un de *ses pages, qui lui versait à boire, fut atteint par un projectile à ses pieds. Un capitaine, presque à côté de lui, fut frappé à mort « estando asi mismo meando3. » Le prince, entraîné par le feu du combat, se riait, dit Chantonay, de toute précaution. Il eut l'imprudence de s'écarter un moment du talus et de se découvrir au lieu même le capitaine avait été tué, et pour le même objet. Aussitôt, il reçut à l'épaule gauche, de haut en bas, une arquebusade qui le renversa en arrière4.

Presque en même temps, le duc de Guise fut frappé au bras d'un coup de pierre lancée par un fauconneau5.

1. Lettre du 2 octobre (Mémoires de Condé, t. II, p. 92).

2. Lettre du roi à du Mortier de l'Isle, du 24 octobre (Copie du temps; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°).

3. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 97. Autre du même, beaucoup plus détaillée, adressée à Philippe II, le 19 octobre 1562 (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1496, 119).

4. Smith écrit à lord Cecil que la même arquebusade blessa le roi de Navarre au genou et qu'il reçut, en outre, un coup de pique dans le flanc (Calendars, 1562, p. 375). Aucun autre contem- porain ne parle de ces deux blessures.

5. Lettre citée par le comte de la Perrière (Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 420, note). Lettre de Smith (Calendars, 1562, p. 375).

ET JEANNE t/ALBRET. 345

Il s'approcha cependant du prince, le releva et aida à le placer sur une civière. Le blessé fut conduit dans le logis du Rhingrave. La reine mère, le prince de la Roche-sur- Yon, le connétable accoururent au chevet de son lit. Les chirurgiens sondèrent longuement sa plaie sans réussir à trouver la balle. La blessure paraissant grave, on transporta le prince dans une maison éloignée du champ de bataille, à Darnetal, château appartenant au maréchal de Vieilleville, assez loin de Rouen pour être à l'abri d'un retour offensif des troupes huguenotes. Pendant la route, le prince souffrit cruellement et les porteurs furent plusieurs fois obligés d'interrompre leur marche. Un soupçon, que personne n'avouait à haute voix, troublait les assis- tants. On doutait, d'après la direction de l'arquebu- sade, qu'elle eût été tirée de la ville. Le lieutenant général aurait donc été lâchement assassiné par un de ses compagnons d'armes { . Peu de jours auparavant, le duc de Guise avait fait arrêter un gentilhomme du Maine, qui avait avoué l'intention de l'assassiner. Le duc voulut l'interroger lui-même « pour sçavoir s'il « avoit reçeu quelque desplaisir de luy. 11 respondit « que non. Sur quoy le duc de Guise lui dit : Qui t'a « donc porté à attenter sur ma vie? C'est le seul zèle « que j'ay pour ma religion, respondit l'assassin, « d'autant que j'ay creu que vostre mort lui serviroit « d'un grand avancement. Si ta religion, repartit le « duc de Guise, t'apprend à assassiner ceux qui ne

1. Pièce du temps ajoutée aux Mémoires du duc de Nevers, t. II, p. 576. Lettre de Ghalloner à lord Gecil {Oalendavs, 1562, p. i82). Cet agent accuse le duc de Guise d'avoir voulu se débar- rasser de sou rival. P. Mathieu, dans son Hist. de France, dit que

346 ANTOINE DE BOURBON

« t'ont jamais offensé, la mienne m'apprend à par- ce donner à mes ennemys; c'est pourquoy va-t'en en « toute liberté, afin que tu ayes le loisir d'apprendre « désormais une meilleure leçon1. »

Pendant que les capitaines livraient de glorieux combats, la reine mère s'efforçait d'arrêter l'œuvre sanglante de la guerre. Elle envoya des sauf- con- duits à certains habitants de Rouen choisis parmi les notables. Trois personnages d'autorité, Jean Dubosc d'Émandreville, président à la cour des aides, Michel de Roquemare, vieux capitaine des armées d'Italie, Jean Ferry de Durescu, vinrent au camp de l'armée royale. La reine les harangua elle-même et leur promit la liberté de conscience et une amnistie générale2. Ces négociations portèrent leurs fruits et les modérés accueillirent un projet de capitulation qui laissait sortir les soldats avec les honneurs de la guerre. La ville devait payer une somme de 80,000 livres pour se racheter du pillage, et le roi, par des lettres de sauvegarde, garantissait les habitants de toute recherche

cette opinion était généralement adoptée dans l'entourage de Henri IV et que Henri IV lui-même la partageait. L'accusation ne présente aucun fondement.

1. La Fortune de la cour, 1642, p. 317. Le marquis de Bouille reproduit ce récit d'après l'histoire manuscrite des Guises par Oudin (Hist. des Guises, t. II, p. 213). Ces derniers mots rap- [ii'lleut les beaux vers de Voltaire :

Des Dieux que nous servons, connais la différence; Le tien t'a commandé le meurtre et la vengeance, Et le mien, quand ton bras vient de m'assassiner, M'ordonne de te plaindre et de te pardonner.

2. Lettre de Marc-Antoine Barbaro, du 21 octobre (Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 152).

ET JEANNE d'ALBRET. 347

ultérieure1. Le conseil de la ville, réuni solennelle- ment dans l'église des Gélestins, refusa, à l'unanimité, toutes les propositions de la reine. Le parti huguenot tenait la ville en telle sujétion que les catholiques n'osèrent prendre part aux délibérations. Les gens de guerre, disposés par état à pousser la lutte aux der- nières extrémités, les séditieux compromis dans les troubles précédents, les ministres protestants, qui ne pouvaient espérer de salut que dans la victoire, for- maient la majorité du conseil et imposaient silence aux dissidents. Les assiégés, tout en protestant de leur fidélité au roi, jurèrent de s'ensevelir sous les ruines de leur cité plutôt que de se soumettre à la faction des Guises, qui disposait, au profit de ses passions ambitieuses, de l'autorité royale2.

Le 17 octobre, un héraut d'armes somma encore une fois la ville de se rendre. Le !20, le connétable, qui avait pris le commandement à la suite de la bles- sure du roi de Navarre, ordonna un assaut général. Les troupes s'élancèrent avec ensemble, mais la brèche, trop étroite, empêcha les assaillants de se développer. Ils furent refoulés ; cependant ils gardèrent les posi- tions conquises au pied des remparts. Les assiégés furent aussi décimés que l'armée royale ; ils perdirent 800 hommes3. Le lendemain, les coureurs du conné-

1. Lettre de Marc- Antoine Barbaro, du 9 (probablement 29) oc- tobre (Dépêches vénit., blza 4 bis, f. 149).

2. Outre tous les documents sur le siège de Rouen que nous citons plus loin, voyez la lettre de Ghantunay du 8 octobre (Mémoires de Condé, t. II, p. 93) et deux pièces contenues dans le même recueil (t. IV, p. 45 et 46).

3. Lettre du roi à du Mortier de l'Isle, ambassadeur à Rome, du 24 octobre 1562 (Copie du temps ; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°).

348 ANTOINE DE BOURBON

table surprirent une lettre de Mongonmery aux gens du Havre, dans laquelle il avouait une partie de sa détresse et demandait avec instance des soldats capables de servir l'artillerie. La lettre lue, le porteur fut relâché et s'acquitta de son message. Montmo- rency-Damville avait été placé en observation sur la route1. Il surprit, dans le bois de Pavilly, une com- pagnie de 400 arquebusiers envoyée de Dieppe, fit 300 prisonniers, prit cinq pièces d'artillerie et de nombreuses munitions. Les soldats, sortis de Rouen au-devant de ce renfort, furent reçus les armes à la main2. Ils auraient été mis en déroute sans une pluie battante qui favorisa leur fuite. Depuis le commence- ment d'octobre, un détachement catholique, conduit par le capitaine Lacaille, prévôt de Normandie, avait réussi à détourner le ruisseau de Martin ville, qui ser- vait de moteur aux moulins3. Pendant deux jours, les meules furent arrêtées et la farine manqua aux habi- tants. La menacede la disette fîtnaître l'idée d'unaccom- modement. Les huguenots demandèrent au roi de faire

1. Lettre de Marc- Antoine Barbaro, du 21 octobre (Dépêches vénit., lilza 4 bis, f. 152). Le frère aîné de Henri de Montmorency avait aussi été mis en observation du côté de Caudebec, pour empocher les secours venus de Dieppe ou du Havre (Lettre du 22 octobre, de Caudebec, adressée par François de Montmorency à sa mère; Orig.; f. fr., vol. 20500, f. 13).

2. Lettre du roi à du Mortier de l'Isle, du 24 octobre 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°).

3. Lettre de Henri de Mont murène y- I)a uni Ile .•■.., w de Navarre, du 5 octobre (Coll. des autog. de Saint-Pétersbourg, vol. 104, f. 12; copies de la Bibl. aat.). Cette lettre contienl beaucoup d'autres détails sur l'entrée des secours anglais à. Rouen. Voyez aussi la lettre d'Estouteville au roi de Navarre, de même date (Orig.; I'. fr., vol. 15877, f. 165).

ET JEANNE d'aLBRET. 349

venir le prince de Condé avec un sauf-conduit et pro- mirent de traiter avec lui de la possession de la ville. Repoussés par le conseil de guerre à l'instigation du duc de Guise, les assiégés firent un effort « à la « désespérade. » Le barrage du ruisseau de Martin- ville fut rompu. La tour du Colombier, qui avait reçu plus de 2,000 coups de canon, fut revêtue d'ouvrages de terre et recommença son feu. De nouveaux com- bats occupèrent quatre jours entiers avec des alter- natives diverses.

Cependant, la chute de la ville était assurée et les assiégés sentaient eux-mêmes qu'ils ne combattaient plus que pour vendre chèrement leur vie. Le blocus, entretenu par une armée formidable, les empêchait de se ravitailler en hommes et en munitions ; les moulins furent coupés de nouveau ; la disette, mal- gré les dures réquisitions de Mongonmery, com- mença à faire des victimes ; les murs étaient presque démolis, les bastions de la ville désemparés, les mines conduites jusqu'au pied des portes. Mais la reine mère hésitait à donner le signal de l'assaut1. On lui avait représenté, et elle savait mieux que personne, « que ceste ville-là ne se peult prendre ni saccaiger « que les marchands de Paris n'y aient une bien lourde « perte et que le moyen de secourir le roy ne se « diminue d'autant2. » Rouen eût été emporté depuis longtemps, écrit le cardinal de Bourbon, « sans la

1 . Lettre de Chantonay, du \ 7 octobre, dans les Mémoires de Condé, t. H, p. 98. Lettre de la reine au card. de Lorraine (Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 430).

2. Lettre du secrétaire Bourdin au s. de Gonnor, du 22 octobre (Orig.; f. fr., vol. 3219, f. 102).

350 ANTOINE DE BOURBON

« crainte de la reine du sac et pillage de la ville, « qui seroit un dommage sans profit1. » Cette modé- ration fait honneur à l'esprit politique de la reine, mais n'était pas approuvée par tous ses officiers. « Cette canaille de Rouen, dit un des secrétaires « d'état, qui n'est point signalé par son ardeur belli- « queuse, nous a longuement abusés, et le désir qu'on « a de le sauver nous a fait perdre bien du temps 2. » Enfin, le 24 octobre, la résolution suprême fut prise au conseil. Le dimanche 25, à l'heure du prêche, l'ar- mée royale engagea à la porte Saint-Hilaire un com- bat violent et mit le feu à trois mines, mais sans beaucoup de succès. Cependant, la brèche présentait de l'importance.

Le lundi, 26 octobre, au point du jour, le duc de Guise fait mettre le feu aux mines. Vers midi, un grand morceau de mur, près de la porte Saint-Hilaire, s'écroule. Aussitôt, toutes les batteries, disposées sur les crêtes du fort Sainte-Catherine et dans les tran- chées voisines, sont pointées à la fois sur la brèche. Un feu terrible, nourri d'arquebusades, empêche les assiégés de s'y maintenir. Le duc de Guise et les gen- tilshommes s'élancent les premiers à l'assaut. Ils sont repoussés. Une compagnie de gens d'armes vole à leur secours et ne réussit pas à entamer les lignes. Cependant un gentilhomme catholique du Béarn, le s. de Sainte-Colombe, capitaine de gens de pied, enfonce une bande anglaise à l'aile droite et plante

1. Lettre du carcl. de Bourbon au s. d'Humières, du 26 octobre (Orig.; f. fr., vol. 3187, f. 32).

2. Lettre du secrétaire Robertet à Nemours, du 21 octobre (Autog.; f. fr., vol. 3200, f. 135).

ET JEANNE D'ALBRET. 351

sur la brèche l'étendard de sa compagnie. Au premier feu, il reçoit à la tête une blessure, dont il mourut quelques jours après, et ses gens reculent en désordre au delà du fossé. Le colonel de gens de pied, Gas- pard de la Chastre de Nancay, successeur de Randan, les ramène en avant. Dangereusement blessé à la cuisse, Nancay est emporté loin du champ de bataille, mais ses soldats gagnent du terrain. Pendant deux heures, la garnison, principalement les gens d'armes, luttent pied à pied. Enfin, les Allemands, conduits par le rhingrave, franchissent la brèche. A l'arrivée de ces troupes fraîches , les assiégés fléchissent ; le duc de Guise fait une nouvelle charge à l'entrée des rues qui s'ouvrent sur la porte Saint-Hilaire, et les huguenots prennent la fuite, laissant sur le champ de bataille plus de 600 morts ou blessés. Avant de les poursuivre, le duc recommande à ses gens de ne pas se débander et de marcher en colonne serrée jusqu'au centre de la ville1. Le reste des troupes royales se précipite comme un torrent par la porte Saint-Hilaire et court au pillage avec autant d'ardeur qu'à l'assaut2.

1. Mémoires de La Noue, coll. Petitot, p. 161. Catherine, dans ses lettres, reconnaît que la prise de Rouen est due au duc de Guise (Lettres, t. I, p. 430).

2. Les documents originaux sur le siège de Rouen sont assez abondants. Outre de Bèze et de Thou, qui présentent un récit très détaillé, nous citerons :

1" La Relation des troubles excités par les calvinistes dans la ville de Rouen, de 1537 à 1582 (dite le manuscrit Pelhestre), publiée en 1837 par M. André Pottier. Cette pièce donne plus de détails sur les débuts de la réforme à Rouen que sur le siège.

Récit communiqué au Parlement de Paris {Mémoires de Condé, t. IV, p. 50).

Lettre du roi à du Mortier de l'Isle, ambass. à Rome, du

352 ANTOINE DE BOURBON

La ville de Rouen était une des plus riches du royaume. Elle concentrait tout le commerce de la France avec les pays du Nord, surtout avec l'Angle- terre, et était habitée par une opulente bourgeoisie. Toute cette population fut la proie des bandes royales. Les huguenots furent les premières victimes des vain- queurs, mais bientôt les catholiques subirent le même sort. Catholiques et huguenots, sujets fidèles et rebelles au roi, tous passaient pour ennemis aux yeux d'une soldatesque ivre de carnage et de sang1. Mongon- mery, après avoir fait des prodiges de valeur, fut presque le seul capitaine de marque assez heureux pour s'échapper. Il monta sur une galère, préparée depuis le matin, avec quelques soldats anglais, et s'enfuit si rapidement, pendant que les vainqueurs s'acharnaient à piller la ville, qu'il franchit, à la faveur de la nuit, malgré les efforts de François de Montmo-

24 octobre 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°). Cette lettre est presque de même teneur qu'une lettre de Charles IX à Saint-Suplice, imprimée par M. de la Ferrière dans la Normandie à iétranqer, p. 23.

Nouvelles envoyées de France par Smith, en date du 26 oc- tobre (Forbes, t. II, p. 165. Calendars, 1562, p. 414). C'est un récit détaillé de la prise de Rouen.

Lettre de Marc-Antoine Barbaro, du 29 octobre 1562, à la république de Venise (Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 154). Récit détaillé de la prise de la ville.

1. Le pillage de Rouen est, raconté dans deux lettres de Moreau, officier de finances, à Artus de Cossé-Gonnor; la première, la plus intéressant*1, datée du 30 octobre, est publiée en partie dans Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 430, note ; la seconde, datée du 5 novembre, est conservée en original dans le f. fr., vol. 3216, f. 82. Chantonay prétend que le pillage de Rouen « se passa doulcement » (Mémoires de Comte, t. II, p. 203), mais il est en désaccord avec les autres ambassadeurs (voyez la note précé- dctiUM et avec tous les historiens.

ET JEANNE d'aLBRET. 353

rency, l'estacade de Caudebec et se retira au Havre1. Le roi entra le lendemain vers dix heures du matin 2, mais sa présence n'arrêta pas le désordre. Les princi- paux habitants se retirèrent au vieux palais, et, après un semblant de résistance, se rendirent au capi- taine Saint-Estève. Les ministres furent jetés en pri- son, les bourgeois retenus en otage. La nuit suivante, pendant que leurs gardes pillaient l'hôtel, la plupart des prisonniers s'enfuirent. Ils sortirent même de la ville au milieu de la confusion générale. Le 28, sous prétexte de rechercher les fugitifs, les soldats inves- tirent et pillèrent les maisons qui leur avaient échappé la veille. Ils prirent le président d'Émandreville et le ministre Augustin Marlorat, malgré le paiement d'une forte rançon, et les conduisirent au conné- table, qui les fit traîner, le 29 octobre, dans les cachots du palais. Le parlement revint de Lou- viers et inaugura l'ère des supplices. D'Émandre- ville, Marlorat et deux conseillers de la ville furent condamnés à mort le premier jour, et les uns décapi- tés, les autres pendus3. Le roi fit crier un pardon général à tous les séditieux qui déposeraient les armes et qui l'aideraient à chasser les Anglais4. En récom- pense du zèle des capitaines de l'armée royale, Cathe-

1. La fuite de Mongonmery est racontée avec détails dans la lettre de Marc- Antoine Barbaro, du 29 octobre (Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 154).

2. Nouvelles envoyées d'Évreux par l'agent Smith à la reine Elisabeth (Forbes, t. II, p. 165. Calendars, 1562, p. 414). Lettre de Ghantonay, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 101.

3. Lettre de Ghantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 102.

4. Voyez les documents que nous avons cités dans la note 2 de la page 351. Les lettres du roi, datées du 27 octobre, sont imprimées dans les Mémoires de Condé, t. IV, p. 53.

iv 23

354 ANTOINE DE BOURBON

rine voulut gratifier les blessés1 d'un don de 200 écus pour les uns, de 1 00 pour les autres, de 50 pour les lieutenants et de 30 pour les enseignes, malgré les repré- sentations des officiers de finance, « que la générosité « de la reine grèveroit le trésor du roi de 4,800 écus, « et que les capitaines ont si bien profité de ceste « ville qu'il semble qu'ils s'en passeroient bien2. »

Aussitôt après la prise de Rouen, le roi de Navarre voulut, en sa qualité de lieutenant du roi, faire une entrée triomphale dans la ville. L'infortuné prince ne pouvait quitter son lit de douleur. On abattit l'une des murailles de sa chambre et les Suisses portèrent le lit, sur lequel trônait le blessé, jusqu'à la brèche. Les compagnies de gens d'armes l'y attendaient. Antoine passa la brèche, fit le tour de la ville et res- sortit avec pompe au bruit du tambour, entouré de soldats. Puis il rentra par la même voie et se fit por- ter dans une maison qui lui avait été assignée à côté du logis du roi.

L'état du roi de Navarre, depuis le jour de l'arque- busade, n'avait point subi de variation, mais n'ins- pirait aucune inquiétude. Cependant les médecins n'avaient pu retrouver la balle. Le 16 octobre, Tor- nabuoni annonce au grand-duc de Toscane la blessure du prince, sans se prononcer sur sa gravité3. Le 17,

1. Voici les noms des capitaines de gens de pied biessés : Tou- rier, Perez, Sarlabous, Lagrange, Cosse.ms, Gouart, Saint-Esteve, Brion, Romolles, Sainte-Colombe, Noailhan, Lago, Levy, Saint- Martin, Massé, Prunel, Cornai (Pièce du temps; f. fr., vol. 15877, f. 347).

2. Lettre de Moreau, ofHcicr de finances, à Artus de Cossé- Gunnor, du 5 novembre 1562 (Orig.; f. fr., vol. 3216, f. 82).

3. Nùgoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 496.

ET JEANNE d'aLBRET. 355

l'ambassadeur vénitien, dans une dépêche en chiffres, formule quelques appréhensions : « Je ne sais pas « encore la nature du mal, car on tient la chose « secrète1. » Le 18, il écrit que « il n'y a pas encore « de signe qui fasse connaître si le coup est mortel2. » Les agents anglais prédisaient le résultat qu'ils dési- raient le plus, la mort du roi de Navarre, mais leur éloignement du champ de bataille diminue le crédit de leur témoignage3. Ghantonay, à la première nouvelle de l'événement, se transporta au camp afin de juger de la condition du prince par ses propres yeux. Ren- tré à Paris le 19 octobre, il adressa à Philippe II un rapport circonstancié. « J'ai vu M. de Vendôme et je « lui ai parlé. D'après ce que m'ont dit le prince de « la Roche-sur-Yon et les chirurgiens, la blessure « n'est pas mortelle, parce qu'elle est haute et proche « du nœud de l'épaule, et parce qu'elle n'atteint pas «t le creux du corps, bien qu'elle se dirige de haut en « bas. Ledit Vendôme avait un bon parler et était « de bonne mine, malgré un peu de fièvre; mais il est « sujet à la fièvre au moindre mal. La balle n'est pas « encore sortie, mais la blessure rend déjà du pus, ce « qui est bon signe4. »

La fin d'octobre n'amena aucun changement dans l'état du roi de Navarre. Les correspondances origi- nales permettent d'établir un bulletin presque journa- lier. Le 21 octobre, Florimond Robertet informe le

1. Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 47 v°.

2. Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 150.

3. Lettre de Thomas Keniys à lord Gecil, du 20 octobre, datée de Dieppe (Forbes, t. LE, p. 127).

4. Lettre orig. en espagnol de Chantonay à Philippe II, du 19 oct. 1562; Arch. nat., K. 1496, 119.

356 ANTOINE DE BOURBON

duc de Nemours, ennemi du lieutenant général, d'un ton dégagé, que le prince a eu « une bonne arquebu- « sade en lieu fort douloureux1. » Le même jour, Marc- Antoine Barbaro, ambassadeur de Venise, pense « que le roi de Navarre n'est pas bien et qu'il n'est « pas hors de danger2. » Bourdin, autre secrétaire d'état, dit : « Le roi de Navarre a eu ceste nuit, qui « estoit la septième, de l'inquiétude (c'est-à-dire de « l'agitation), mais si n'est-ce pas que les médecins et « chirurgiens voyent rien de mauvais qui les fasse « doubter de sa garison3. » Le nonce visita le prince le %% et constata avec plaisir « qu'il se portoit « mieux1. » La cour était troublée par ces nouvelles, que les seigneurs interprétaient au gré de leurs espé- rances5. Les deux partis se donnaient rendez- vous au chevet du blessé et étudiaient sur son visage les chances de vie qui lui restaient. En général, les réformés, dominés par leur haine, annonçaient sa mort prochaine ; les catholiques, au contraire, croyaient à son rétablis- sement. Le roi, dans sa correspondance officielle, dit que la blessure n'offre aucun danger, et que « son « oncle, le roi de Navarre, avec l'ayde de Dieu, n'en « auroit que le mal0. » Gatherine s'efforçait de pro-

1. Lettre autographe; f. fr., vol."3200, f. 135.

2. Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 152.

3. Lettre du secrétaire Bourdin au s. de Gonnor, du 22 octobre (Orig.; f. fr., vol. 3219, f. 102).

4. Lettre de Sainte-Croix, du 22 octobre, dans les Archives curieuses, t. VI, p. 1! 4.

5. Telle est l'appréciation de Jeanne de Gontaut, dame de Nouilles (Lettre à l'évêque de Dax, du 22 octobre; Copie du temps; f. IV., vol. 6910, f. 206).

6. Lettre du roi ;*i du Mortier de l'Isle, du 24 octobre 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 17988, f. 40 v°). M. de la Ferrière a publié

ET JEANNE D'ALBRET. 357

pager le même optimisme '. Ces appréciations, habilement répandues, firent courir le bruit que le roi de Navarre était entièrement rétabli et que les chirurgiens avaient retiré la balle 2. Les alternatives qui accompagnent toute blessure amenaient, chaque jour, tantôt une amélioration, tantôt une rechute. Cependant, il paraît certain qu'à la fin d'octobre le prince éprouvait un grand soulagement. Son frère, le cardinal de Bourbon, l'atteste, le 26 octobre : « La « convalescence et amendement du roy, mon frère, « dit-il, dont je loue Dieu, me causera mon retour « plus joyeux3. » Chantonay et Tornabuoni certi- fient ces heureuses nouvelles, mais rapportent que la balle n'a pu être extraite4. Le parti réformé nour- rissait d'autres espérances. Throckmorton, réfugié à Orléans, est l'écho des bruits qui couraient autour de lui : « La balle n'a pu être retrouvée, dit-il, et « reste dans le corps du blessé, de sorte que la bles- « sure n'a pu être sondée ni bien pansée. C'est pour- ce quoi il ne peut pas vivre, bien qu'il puisse languir « encore quelque temps5. »

dans la Normandie à l'étranger, p. 23, une lettre de Charles IX à Saint-Suplice, de la même date et presque de la même teneur.

1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 424.

2. Lettre de la dame de Noailles à l'évêque de Dax, datée de Bordeaux et du 26 octobre (Autog.; f. fr., vol. 6910, f. 207).

3. Lettre orig. au s. d'Humières (F. fr., vol. 3187, f. 32).

4. Lettre de Chantonay, du 28 octobre, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 99. Lettre du même à Philippe II, du 1er no- vembre (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1500, 11). Lettre de Tornabuoni, du 1er nov. (Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 498). Ces trois lettres sont écrites de Rouen.

5. Lettre de Throckmorton à la reine d'Angleterre, du 30 oc- tobre (Calendars, 1562, p. 404).

358 ANTOINE DE BOURBON

Informée que le roi de Navarre avait été blessé, Jeanne d'Albret voulut courir à Rouen. Mais comment serait-elle reçue? Quelle était la gravité de la bles- sure? Elle envoya un gentilhomme en poste chargé d'offrir ses services et de demander une lettre de sau- vegarde. Le messager arriva au camp le 26 octobre, parla au prince et reçut de sa bouche même l'ordre d'inviter la reine de Navarre à se rendre au chevet du lit de son mari. Mal accueilli par les seigneurs catho- liques, qui le soupçonnaient d'espionnage, il repartit aussitôt après l'audience à franc étrier et ne s'arrêta qu'à Évreux pour prendre un peu de repos1. Dans l'intervalle, Jeanne d'Albret reçut de Bordeaux des dépêches rassurantes : « Madame, sachant la peine en « quoi vous êtes de scavoir des nouvelles de ce que « plus vous aimez, j'ay pensé vous faire ce mot pour « vous asseurer, Madame, que je viens maintenant « d'avoir certain advertissement par un gentilhomme « portugais, qui partit, vendredi dernier, de Paris, « ayant charge expresse d'asseurer le roy de Porto- ce gai soy-mesme, de la part de l'ambassadeur, corn- et ment le roy de Navarre a la balle hors de son « espaule, du mercredi précédent, et qu'il est sans « fièvre et sans danger2. » Ces bonnes nouvelles « de « ce qu'elle plus aimait » ne pouvaient suffire à la reine de Navarre. Vers le commencement de novembre, elle achevait ses préparatifs de voyage et attendait un sauf-conduit pour se mettre en route, confiant sa des-

1. Rapports datés du 26 et du 31 octobre dans Forbes, t. II, p. 165, el dans les Calendars, 1562, p. îi:'> el 114.

2. Lettre de Noailles, du 28 octobre, publiée dans la Revue his- torique, avril 1874, p. 170.

ET JEANNE DALBRET. 359

tinée au hasard des événements 1 . D'après une lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II, elle se méfiait d'un piège que la faiblesse de son mari, vis-à-vis des chefs du parti catholique, rendait vraisemblable. Dans cette hypothèse, prévoyant un acte de violence, elle ouvrit une sorte de négociation avec Philippe II, comme avec le plus puissant et le plus généreux de ses ennemis2.

Le roi de Navarre consacrait aux négociations espa- gnoles l'activité qui lui restait. Parmi les prétextes qui aidaient Philippe II à « amuser » le roi de Navarre, se trouvait la vente de la terre d'Enghien en Hainault. Depuis le commencement de la rivalité de François Ier et de Charles-Quint, les revenus de cette terre étaient saisis, à chaque reprise des hostilités, par le fisc espagnol. Aussi, la maison de Bourbon-Vendôme cher- chait à se défaire de ces biens, et, par la même raison, le roi d'Espagne entravait la vente. A la fin de 1562, Antoine était en marché avec le comte d'Egmont ; le comte avait obtenu toutes les autorisations néces- saires et la vente paraissait assurée3. La « récom- « pense » de la Navarre était un plus grave souci.

1 . Lettre de la dame de Noailles à l'évêque de Dax, de Bordeaux, et du 5 novembre (Autog.; f. fr., vol. 6910, f. 208).

2. Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II, du 1er décembre 1562 (Orig. espagnol; Arch. de la secret. d'État d'Espagne; leg. 358, f. 52). Cette pièce est antérieure à l'arrivée de la nou- velle de la mort du roi de Navarre. On trouvera dans le volume suivant d'assez nombreux détails sur ces négociations de Jeanne d'Albret.

3. Lettre de Catherine, du 29 octobre (Lettres de, Catherine de Médicis, t. 1, p. 426). Lettre do. la duchesse de Parme, du 13 novembre [Correspondance de Marguerite d'Autriche avec Plu- lippe II, t. II, p. 395).

360 ANTOINE DE BOURBON

Antonio d'Almeida avait précédé Odet de Selve et François d'Escars à Madrid. Vers le milieu d'octobre, Antoine reçut de d'Almeida l'avis qu'il avait « peu de « satisfaction à recevoir de Sa Majesté catholique1. » A cette nouvelle il s'emporta contre les Espagnols. Déjà le parti catholique redoutait les effets de son dépit, quand le prince se laissa persuader que cet avis n'avait rien de définitif. Il fit partir pour Madrid Odet de Selve avec ses instructions et des pou- voirs illimités. De Selve devait rejoindre François d'Escars en Guyenne et franchir la frontière avec lui. Homme de robe, ancien ambassadeur à Venise, il voyageait en litière à petites étapes avec deux mes- sagers de la reine, redoutant les « grandes corvées, » mauvaises conditions pour franchir sans encombre le théâtre de la guerre. Il fut pris par un corps de partisans, conduit à Orléans, emprisonné et sa correspondance déchiffrée 2. Les découvertes des réformés dans ses papiers donnèrent une issue tra- gique à sa mission. Outre les affaires personnelles du roi de Navarre, dont les huguenots ne se sou- ciaient nullement, de Selve était chargé de remer- cier Philippe II du secours envoyé en France et de lui demander des renforts. Plusieurs compagnies espagnoles avaient déjà franchi la frontière et arrê- taient le ravitaillement de la grande armée protes- tante dans le Midi. Les rebelles d'Orléans, se sen- tant bloqués au nord et au sud entre deux feux ,

1. Lettre de Sainte-Croix, du 2? octobre, dans les Archives curieuses, t. VI, p. 1 1 i.

2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 10 octobre (Orig. espagnol , Arch. oat., K. 1496, 119).

ET JEANNE D'ALBRET. 361

s'en prirent à l'ambassadeur. Ce fut leur premier grief contre Odet de Selve. Peu de jours après, on apprit à Orléans le supplice des séditieux de Rouen. Ces nouvelles accrurent tellement l'irritation des soldats que Condé n'osa pas résister à leur fureur sanguinaire. Il réussit à sauver la vie d'Odet de Selve, à la requête de Claude de Selve, capitaine hugue- not, son frère, mais il abandonna à la tourbe de son parti Jean-Baptiste Sapin, conseiller au parlement de Paris, beau-frère du premier président Le Maistre, et Jean de Troyes, abbé de Gastines, qui avaient été arrêtés avec Odet de Selve. Les malheureux furent condamnés et mis à mort le % novembre1. Antoine se laissa consoler par une visite de l'ambassadeur d'Es- pagne, chargé de le féliciter de sa guérison prochaine. L'alliance des deux rois d'Espagne et de Navarre était entretenue par des protestations réciproques, malgré quelques mésintelligences passagères. Ainsi Phi- lippe II n'avait encore pu se résigner à donner à son allié le titre de roi, et Antoine à accepter les lettres qui ne portaient pas ce titre, de sorte que les deux souverains ne s'écrivaient jamais directement et ne correspondaient ensemble que par l'intermédiaire de Chantonay2.

Catherine se préparait à lancer l'armée royale contre le Havre et les Anglais, quand elle apprit l'entrée en

1. Lettre de Chantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 105. Journal de Bruslard (Ibid., p. 100). L'arrêt du prince de Condé, daté du 2 novembre, est imprimé par La Popelinière, 1581, t. I, lre partie, f. 337 v°, et par Le Maire, Hist. d'Orléans, 2e partie, p. 336.

2. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 10 novembre 1562 (Résumé de chancellerie ; Arch. nat., K. 1496, 126).

362 ANTOINE DE BOURBON

campagne de Condé. Après la prise de Rouen, le prince de Condé, bien conseillé par l'amiral Coligny, avait payé d'audace. Il avait rassemblé ses troupes et marché sur Paris. Le 1 1 novembre, il se renforça à Pithiviers d'un corps de cavalerie allemande, que d'Andelot amenait de Strasbourg. L'armée protes- tante était forte de 6,000 cavaliers, gens d'armes ou chevau-légers, et de 8,000 gens de pied. L'armée catho- lique comptait le double de soldats, mais les sièges de Bourges et de Rouen, les marches et les combats avaient désorganisé les compagnies. Catherine, obli- gée de couvrir la première ville du royaume, résolut de remonter la Seine et d'arrêter les rebelles. Le roi de Navarre voulut la suivre. Les médecins lui repré- sentèrent que la campagne pouvait compromettre sa convalescence. Antoine, sentant que son absence équi- valait à une démission, rappela ses devoirs de chef de l'armée. On fréta pour lui un vaste bateau, armé de canons comme une galère, qui coûta au roi 400 écus, et le prince blessé fut transporté à bord dans sa litière1.

Le roi, la reine mère et toute la cour devaient s'em- barquer le 1 % novembre avec lui et remonter la Seine jusqu'à Paris2. Marc-Antonio Barbaro, ambassadeur vénitien, écrit, le 6 novembre, que le lieutenant géné- ral est agité par une forte fièvre, et que sa blessure

1. Lettre de Moreau, oilicier de finances, à Artus de Cossé- Gonnor (Orig.; f. IV., vol. 3216, f. 82).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 9 novembre 1562 (Orig. espagnol; Areli. nat., K. 1500, 15). Ils partirent un peu plus tôt, puisque, le 10, Catherine était à Saint-Germain [Lettres de Gath. de Mfdicis, t. 1. p. i32)

ET JEANNE D'ALBRET. 363

se résout en un dépôt purulent qui nécessite un cau- tère1. Chantonay dit le même jour que l'état du prince ne lui permet pas encore le voyage, et que la cour attendra un peu d'amélioration2. Le 7 novembre, la blessure s'aggrava subitement, probablement à la suite de quelques imprudences3. Le 8, l'ambassadeur véni- tien adressa à la république sérénissime un rapport détaillé :

Prince sérénissime, Sa Majesté le roi très chrétien se dispo- sait, comme je l'ai écrit dans mes dernières lettres du 6, à aller avec toute la cour de Rouen à Saint-Germain ; mais il paraît que ce départ a été différé à cause du mal survenu au roi de Navarre, auquel, comme on me l'écrit par les lettres du 5 de la cour, on aurait découvert trois apostèmes venus de la blessure, lesquels lui ont donné une fièvre continue, qui met sa vie en danger, parce que un de ces apostèmes est du côté droit. Ce dont cependant on ne faisait pas grand cas; mais les deux autres sont venus dans la partie de devant ; l'un, qui est sous l'épaule, ce qui est très dangereux, parce que c'est un endroit plein de nerfs et de muscles; l'autre, un peu plus bas. Et aussi, outre la fièvre continue, il lui est survenu, ce qui est pis, des frissons qui l'ont tourmenté pendant une heure. Ce signe est considéré comme très mauvais dans les blessures. Il ne dort pas. Il est très agité, et un jour, qui fut le 5, s'efforçant de cracher, il s'ouvrit sa blessure, de laquelle est sortie une once et demie de sang, ce qui le retarda beaucoup, Sa Majesté étant de com- plexion très débile et délicate. Et pour ceci et pour d'autres causes encore, il paraît qu'on ne peut espérer rien de bon de lui. Voici ce que j'ai vu écrit par un médecin instruit de son mal, ce qui est aussi conforme à ce que je tiens d'autres lettres venues de la cour-5.

1. Lettre du 6 novembre 1562 (Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 156).

2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 6 novembre 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1500, 14).

3. Lettres de Catherine de Médias, t. I, p. 433.

4. Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 259.

364 ANTOINE DE BOURBON

Le 9, l'ambassadeur vénitien écrit que la reine mère a laissé échapper le secret de ses perplexités, et « quelle tient le roi de Navarre pour mort1. » Trois jours après, le mal avait fait des progrès effrayants ; le bras et la poitrine du prince étaient pris par une inflammation violente. « Le roi de Navarre n'était pas « mort ce matin, écrit Smith à lord Gecil, le 121 no- ce vembre, mais il ne peut pas vivre vingt-quatre « heures2. » Malgré son état désespéré, Antoine vou- lut s'embarquer à Darnetal, le 15 novembre, et rejoindre la reine. Le prince de la Roche-sur- Yon, chargé de l'accompagner à Paris, écrivit à Catherine : « A ce matin, le roy de Navarre a si bien pris en opi- « nion qui guérisset si changet d'air et antret en basteo « qui l'a fallu, malgré tout le monde, le luy amener. « Il ne c'est point plus mal trouvé par les chemins. « Il dit qu'il se trouve mieulx. Mais je n'y voy amèn- es dément. Il a du courage, que je crins bien luy nuye. « Tout est en la main de Dieu, que je luy supplie « estandre sur ce posvre prince. Il avoit ordonné que « Malicorne vous fust envoyé pour vous en advertir. « S'il y a chose nouvelle, vous l'entandrés incontinent « par luy ou aultre3. »

Pendant que le roi de Navarre luttait avec les affres de la mort, d'actives intrigues se nouaient à la cour autour de sa charge de lieutenant général. Cha- cun regardait la reine mère comme incapable de con- duire seule les affaires du roi, et chaque prince s'at- tribuait la mission de la suppléer. Dès le 12 novembre,

1. Dépêches vénit., Qlza i bis, f. V.l

2. Calendars, 1562, p. 453.

3. Original avec post-scriptum autographe ; f. fr., vol. GG06, f. 40.

ET JEANNE D'ALBRET. 365

Marc-Antoine Barbaro écrit que le conseil du roi est disposé à investir le fils d'Antoine de Bourbon, Henri de Béarn, de la dignité et des pouvoirs de son père1. A ce parti on reconnaît les passions ambitieuses des grands. Un roi de douze ans, une femme régente, un lieutenant général de moins de neuf ans, en temps de guerre civile, ne pouvaient fermer le champ aux mouvements des factieux. D'autres prônaient la can- didature de Louis de Bourbon, duc de Montpensier, prince faible et sans ambition, voué jusqu'alors aux rôles secondaires; d'autres, celle du prince de Gondé2, peut-être pour faire leur cour à la reine mère3, qui n'avait jamais cessé de regretter l'alliance des chefs du parti huguenot. Sa révolte ne paraissait pas un obstacle, puisqu'il n'avait pas été déclaré officiellement rebelle4. Condé ne repoussait pas un changement de front et négociait secrètement avec la reine. Elle lui envoya Artus de Cossé-Gonnor5, frère du maréchal de Brissac, mais elle n'osa s'avancer davantage, tant l'heure de la paix lui paraissait encore éloignée. Loin de se montrer exigeant, Gondé avait diminué ses prétentions. Il se contentait de l'exécu-

1. Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 49 v°.

2. Lettre de Marc -Antoine Barbaro, du 17 octobre 1562 (Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 47 V).

3. Lettre de Sainte-Croix, du 23 novembre (Arch. cur., t. VI, p. 115). Lettre de Marc-Antoine Barbaro, du 25 novembre (Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 1G4).

4. Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 49 v.

5. Voyez les deux lettres de Catherine au s. de Gonnor, du 7 et du 10 novembre (Lettres de Catherine de Médicis, 1. 1, p. 43? et 433). Ces lettres, écrites à mots cou verts,. sont expliquées par la lettre de Coligny à Gonnor, publiée clans les Mémoires de Condé, t. IV, p. 55.

366 ANTOINE DE BOURBON

tion de l'édit de janvier et s'engageait à désarmer ses compagnons d'armes. Cette solution plaisait à Catherine. N'osant prendre seule une détermination qui pouvait lui coûter le pouvoir, elle consulta le duc de Guise , comme chef du parti catholique ; le duc lui répondit qu'on ne pouvait avoir aucune confiance dans les promesses de Condé1. La pro- motion du prince était vue avec faveur par les chefs de son parti. La reine d'Angleterre considérait la nomi- nation comme assurée ; elle conseilla à Condé de ne pas sacrifier les intérêts de la réforme à la nouvelle dignité dont il allait être investi, recommandation qui ne paraissait pas inutile vis-à-vis d'un prince aussi peu ferme dans ses croyances2.

Le parti catholique, qui n'osait encore introniser le duc de Guise, préconisait le cardinal de Bour- bon3. Charles de Bourbon, archevêque de Rouen, frère cadet du roi de Navarre, était un prélat zélé, mais incapable, un chef nominal comme les ambi- tieux pouvaient le souhaiter. Le pape 4 et le roi d'Espagne s'intéressaient à sa cause. Dans la nuit du 24 au 25 novembre, un courrier de Chantonay, arrivé en poste, apporta à Madrid la nouvelle « du détail ie-

1. Lettre de Marc-Antoine Barbara, du 25 novembre (Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 164). Lettre de Chantonay, du 3 décembre (Mémoires de Condé, t. II, p. III).

2. Duc d'Aumale, Histoire des Condé, t. I, p. 388, Pièces justi- ficatives.

3. Lettre de Marc-Antoine Barbara, du 12 novembre (Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 49 v°).

4. Pie IV adressa même, le 10 décembre 1562, une bulle au cardinal de Bourbon pour L'exhorter à exercer avec fermeté ses nouvelles fonctions de lieutenant général auprès de Charles IX [Annal. Hainaldi, t. XXI, 1562, 173).

ET JEANNE D'ALBRET. 367

« ment et extrémité du roy de Navarre, et que les « médecins et cyrurgiens estoient hors de toute espè- ce rance de sa santé par les indices qu'ilz en avoyent « heu le sixiesme et dixiesme de ce mois l. » Aussitôt, avant de connaître la destinée du blessé, Philippe II écrivit à la reine en faveur du cardinal de Bourbon, comme du seul prince digne de le remplacer2. Il envoya le duc d'Albe à l'ambassadeur de France, Jean d'Ébrard de Saint-Suplice3. Il ordonna le même jour à Ghantonay d'aider le cardinal de son influence et d'écarter à tout prix le prince de Condé des conseils de la reine. Sa lettre témoigne de ses incertitudes. A la fin de sa dépêche, Philippe II enjoint à son ambassadeur de tenir ses instructions secrètes si le roi de Navarre vit encore4. Quatre jours après, le 29 novembre, Philippe II envoie à la cour de France un ambassadeur extraordinaire, François de Alava, chargé de peser sur la reine. Outre une instruction5, dont le ton pressant rappelle l'ultimatum d'un ennemi plutôt que les conseils d'un allié, Alava était porteur de lettres impératives à l'adresse de Catherine de Médicis, de Charles IX, du cardinal de Bourbon, du duc de

1. Lettre de Saint-Suplice à la reine, du 25 novembre (Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 386). M. Gachard a analysé cette lettre d'après une copie contenue dans le vol. 3161, f. 74, du f. fr. [La Biblioth. nat. à Paris, t. II, p. 146).

2. Lettre de Philippe II à la reine, du 25 novembre (Minute ; Arch. nat., K. 1496, 127).

3. Lettre de Saint-Suplice à la reine, du 25 novembre (Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 386).

4. Lettre de Philippe II à Chantonay, du 25 novembre 1562 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1496, 128).

5. Instruction de Philippe II à Alava, du 29 novembre (Arch. nat., K. 1496, 132).

368 ANTOINE DE BOURBON

Guise, du prince de la Roche-sur- Yon, du connétable1 et de Ghantonay2.

Au milieu de ces menaces déguisées et des sombres alternatives que la mort du roi de Navarre sem- blait lui réserver, la reine mère éloignait l'heure de prendre une décision. Peut-être attendait-elle l'ins- piration des événements ou les coups imprévus que ménage la fortune de la guerre. Son inquiétude perçait dans ses moindres actes. Le langage de la reine change d'heure en heure, écrit l'ambassadeur vénitien, ainsi que ses résolutions. « Hier matin, Sa « Majesté est allée à Madrid, et elle est venue dîner à « Paris. Puis elle décida d'aller au pont de Gharenton, « et enfin, très tard, elle changea d'avis et se rendit « au bois de Vincennes. » Ces déplacements cachaient sans doute une de ces négociations mystérieuses Catherine se plaisait à l'insu du triumvirat. De tous les partis à prendre, depuis que le choix du prince de Condé avait été repoussé, celui qu'elle caressait avec le plus de préférence, c'était de ne donner aucun suc- cesseur au roi de Navarre et de garder en main le pouvoir tout entier. Pendant plusieurs jours , elle attendit, sans oser la saisir, l'occasion de s'en ouvrir au duc de Guise. Les nécessités de la guerre la rendaient tributaire de cet habile capitaine; aussi lui montrait- elle autant de confiance dans les affaires militaires que de réserve dans les difficultés du gouvernement. Elle le consulta enfin. L'aveu lit craindrr au duc une

1. Lettres de Philippe II, du 29 (Minutes; Arch. nat., K. 1496, no 129).

2. Lettre de Philippe II à Ghantonay, du 29 novembre (Minute ; Arch. nat., K. 1496, 130).

ET JEANNE D'ALBRET. 369

nouvelle retraite de la cour, un second voyage à Fontainebleau, peut-être la fuite du roi à Orléans. Sur- le-champ il prit sa résolution. Le 15, Catherine avait conduit encore une fois le roi à Madrid. Le 16, sans user de violence apparente, le duc de Guise et le connétable allèrent chercher le roi et la reine et les ramenèrent à Paris. Plus d'un courtisan crut à l'enlè- vement du roi. Blessée par ces mesures de défiance, Catherine était près de s'abandonner aux plus graves extravagances ; elle agita de se retirer en Flandres avec le roi et de se confier au roi d'Espagne. Le duc de Guise laissa échapper ce secret et un courtisan le révéla à l'ambassadeur vénitien1.

Le roi de Navarre, pendant les derniers jours de sa demeure à Darnetal, avait appelé auprès de lui la belle Louise du Rouet de la Beraudière, demoiselle d'honneur de la reine, sa maitresse depuis plusieurs mois. Sa blessure s'aggrava par suite d'imprudences dont les ambassadeurs étrangers parlent à mots cou- verts. Il en accusa l'air de Rouen et pressa son départ pour Saint-Maur. Un jour, Catherine vint le visiter à Darnetal et lui conseilla de demander à ses serviteurs quelques lectures pieuses. Il lui répondit que tous ses serviteurs appartenaient à la réforme2. Le parti catho- lique envoya alors au chevet de son lit Vincent Lauro, ancien serviteur du cardinal de Tournon, autrefois attaché à sa maison au temps du colloque de Poissy.

1. Lettres de Marc-Antoine Barbare», du 16 et du 18 novembre (Dépêches vénit., tilza 4 bis, f. 50 et 161).

2. Cette visite ne put avoir lieu qu'à Rouen, comme le dit de Bèze [Hist. ecclés., t. II, p. 173), et non après l'embarquement du prince, comme le dit la pièce publiée dans les Mémoires de Condé, t. IV, p. 117.

IV 24

370 ANTOINE DE BOURBON

Lauro exhorta si bien le prince qu'il le décida à se confesser, le 9 novembre, à l'official de Rouen et à recevoir la communion ' . A la suite de cette démons- tration, sur les conseils de Nicolas Dangu, évêque de Mende, il fit son testament et promit quelques legs aux gentilshommes catholiques et des chevaux au duc de Guise2.

Enfin il s'embarqua le 15 novembre avec Raphaël de Taillevis de la Mesière, médecin huguenot, qui le servait depuis plus de vingt ans. Jean de Losses, gou- verneur du prince de Béarn, vint le visiter. Son état ne laissait plus d'espérance. Le 16, Marc-Antoine Bar- baro écrit : « Le roi de Navarre laborat in extremis; « et, à ce qu'on dit, il n'y a plus de remède à son « mal3. » La nuit qui suivit son départ, Antoine appela son médecin et lui demanda une lecture des saints évangiles. « Je veux, dit le prince, envoyer « Raphaël à Genève pour être ministre. » Dans le cours de la lecture, il rencontra un passage de Saint Paul, qui recommande aux femmes l'obéissance à leurs maris. Ces mots rappelèrent au prince l'abandon de sa femme : « Raphaël, vous voyez comme Dieu veut que « les femmes obéissent à leurs maris. » « Il est vrai, « répondit Raphaël, mais l'Écriture dit aussi : Maris,

1. Ce t'ait, est raconté par de Bèze [Hist. ecclês., 1882, t. II, p. 173), par de Thou (1740, t. 111, p. 336), et certifié par Borde- nave [Hist. de lira ni, p. 114).

2. Pièce publiée dans les Mémoires de Condé, t. IV, p. 116. Cette pièce, qui est imprimée d'après une copie contenue dans la coll. Dupuy, a été connue de île Bèze, qui en reproduit presque tex- tuellement les parties principales. Mlle esl t^néralernent attri- buée à Raphaël de Taillevis, s. de la Mézière, médecin du roi de Navarre (Brantôme, t. IV, p. il9)

'. Dépêches vénit., filza 4 bis, ï. 161.

ET JEANNE d'aLBRET. 371

« aimez vos femmes. » Le médecin profita de ce moment pour adresser des représentations à son maître : « Ah ! Raphaël, je vois bien que je suis mort. « Il y a vingt-sept ans que vous me servez et mainte- « nant vous voyez les jours déplorables de ma vie1. » Après cet aveu, il protesta que, si Dieu lui faisait grâce de la vie, il ferait prêcher l'évangile dans tout le royaume suivant le formulaire de la confession d'Augsbourg. Le 16 au soir, il éprouva un peu d'amé- lioration. Le lendemain, il dit qu'il voulait vivre et « mourir en l'opinion d'Auguste-. » L'infortuné prince touchait à ses derniers moments. Le bateau s'arrêta en face des Andelys. Le cardinal de Bourbon et le prince de la Roche-sur-Yon, pour donner le change sur ses derniers sentiments, introduisirent au chevet de son lit un jacobin défroqué, qui avait repris l'habit depuis la prise de Rouen. Le jacobin lui reprocha ses variations, son inconstance religieuse en termes qui eurent l'approbation du cardinal de Bourbon. Antoine ne répondit rien et le jacobin continua à « l'admones- « ter fort chrestiennement et sans cafarder. » Raphaël de Taille vis recommença sa lecture. Antoine tomba en syncope. Au moment de rendre le dernier soupir, il sortit de sa léthargie, appela un valet italien qu'il aimait, le prit par la barbe et lui dit : « Servez bien « mon fils et qu'il serve bien le roy. » Ce furent ses dernières paroles. Il expira à neuf heures du soir3.

1. Pièce publiée dans les Mémoires de Condô, t. IV, p. 117.

2. Voyez plus loin.

3. Lettre de Chantonay, du 18 novembre, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 109. Les derniers moments du roi de Navarre sont racontés dans le récit attribué à Raphaël (\o Taillevis.

372 ANTOINE DE BOURBON

Antoine de Bourbon était d'une taille élancée. Son élégance personnelle, la noblesse de son maintien, la recherche de ses vêtements, le luxe de ses équipages l'avaient distingué à la cour de Henri II. Ses por- traits, d'accord avec la réputation qu'il a laissée, donnent plutôt l'idée d'un courtisan raffiné que d'un prince doué d'assez fortes qualités pour jouer un rôle politique. Le grand soin qu'il avait de sa personne lui avait fait prendre des habitudes qui accusent peu d'élé- vation d'esprit. Même dans l'âge mûr, soit à la cour, soit à la guerre, il portait des bagues et des boucles d'oreille à la façon des femmes galantes ' . Cette mode étrange fut suivie sous Henri III par les mignons de la cour. Sci- pion Dupleix, historien gascon, fait connaître une manie encore plus singulière de ce prince : « J'ay appris « de ses serviteurs domestiques qu'il avoit une seule « mauvaise habitude, laquelle sembloit procéder de « quelque influence de Mercure. C'est qu'il ne pouvoit « s'empescher de desrober quelque petite chose par- te tout il alloit; de sorte que les siens visitoient le « soir les pochettes de ses chausses, après qu'il estoit « couché, et prenoient ce qu'ils y trouvoient : lui- « même, le plus souvent, leur commandant de ce faire « et leur nommant ceux à qui ces chosetes apparte- « noient, afin de les leur rendre2. »

C'était surtout en matière religieuse que le roi de Navarre montrait une légèreté coupable. Tantôt fer- vent calviniste, tantôt catholique, tantôt luthérien, il changeait de culte aussi facilement que de politique, ou plutôt il subordonnait les pius graves devoirs de

\. Relation* des ambassadeurs vénitiens, t. I, i>. 553; t. II, p. 45. '2. Dupleix, Hist. de France, in-fol., 1637, t. III, p. 645.

ET JEANNE DALBRET. 373

la religion aux futiles exigences de la politique. Il montra à ses anciens coreligionnaires, quand il les eut abandonnés, une dureté implacable. Le duc de Guise était « cent fois plus miséricordieux1. » Sa mort fut l'image de sa vie ; il se confessa, communia, fit une profession de foi luthérienne et prêta l'oreille avec plaisir aux exhortations de son médecin, mi-recettes médicales, mi-conseils luthériens. Marc-Antoine Bar- baro, le témoin le plus autorisé des derniers moments du prince, atteste qu'il mourut dans les sentiments de la confession d'Augsbourg : « Je veux vous « écrire quelques particularités sur la mort du roi de « Navarre, parce qu'on en a parlé de différentes « manières, suivant la disposition et l'esprit particu- « lier de chacun. Cependant, par ce que j'ay pu com- te prendre, l'opinion générale est qu'il est mort dans « la confession augustine et que, quelques jours avant « sa mort, il auroit laissé entendre et auroit fait la pro- « testation qu'il mouroit dans cette confession. Et il « auroit ajouté ces autres paroles : que, si Dieu l'avoit « laissé vivre, il auroit voulu se réconcilier avec son « frère et chercher à ramener tout son royaume à cette « confession. On veut que, nonobstant ceci, ce roi ait « communié pendant sa maladie, parce que la confes- « sion augustine n'exclut pas la communion ; mais « elle nie, comme le sait Votre Sérénité, la transmu- « tation de la substance2. »

Quelques jours après, le même ambassadeur confir- mait ses premiers renseignements : « Je me suis assuré

1. Brantôme, t. IV, p. 236.

2. Lettre du 25 novembre 1562, (Dépèches vénit., filza A bis, f. 164).

374 ANTOINE DE BOURBON

« de ce que j'avois déjà écrit à Votre Excellence, que « j'avois entendu que le roi de Navarre est mort dans « la confession augustine et que véritablement il a dit « de sa propre bouche qu'il mouroit dans cette con- « fession 1 . »

Antoine relevait son caractère sur les champs de bataille. Bienveillant pour ses inférieurs, affable vis-à- vis de ses égaux, prêt à payer de sa personne au pre- mier rang, il avait la vertu d'entraîner les gens de guerre, qu'il légua à son fils. Son exemple ne laissait aucun soldat indifférent. Bon capitaine plutôt qu'habile chef d'armée, il ne le cédait, au jour du danger, ni au duc de Guise, ni au maréchal de Brissac, ni à Biaise de M on lue, pour conduire les hommes au feu, et montrait devant l'ennemi une bravoure naturelle, qui est deve- nue le patrimoine de sa race2.

Ses mœurs ne paraissent pas avoir été plus cou- pables que celles de la plupart des princes de son temps. Après sa mort, Louise de la Béraudière de l'Isle-Bouet, dont il avait été le « serviteur » pendant la dernière année de sa vie et qui lui avait donné un fils3, épousa Louis de Madaillan, seigneur de Lesparre,

1. « Io mi son cerliiicato rti quelle, che gia scrissi a V. E. haver sentito de] re < l i Navarra che fusse morto con la confessione Augustana, havendo veramente cosi esso detto di bocca sua che con taie confessione moriva. » (Lettre du li décembre 1562; Dépêches vénit., filza i bis, f. -106.)

2. Relations des ambassadeurs vénitiens, t. 1, p. 44. Mémoires de Claude Ilatou, t. I, p. 291.

:>. Ce lils, Charles de Bourbon, donl la date de la naissance esl incertaine, fui élevé «lans les principes de la réforme et fait pri- sonnier à. la bataille de Jarnac (Mémoires de Gastelnau, liv. VII, ch. iv). Plus lard, il devint évêque de Clominges [Lettres d' A /il. de Bourbon et de Jehanne d'Albret, p. 302 el 350), prieur de Saint-

ET JEANNE I) ALBRET. 375

baron d'Estissac, gouverneur de la Rochelle et du pays d'Aunis, célèbre dans les provinces de l'Ouest par sa haine pour la réforme. Elle eut deux filles, dont l'une épousa en 1 587 François de la Rochefoucault et porta dans cette illustre maison le nom de la seigneurie d'Estissac. Devenue veuve en 1 565 , la belle Rouet reparut à la cour et y reprit sa vie galante. Brantôme parle d'elle en termes qui laissent supposer plus d'un mystère1. En 1580, elle reçut en don du roi l'évèché de Quimper, dans la Cornouaille, et épousa Robert de Gombaut, seigneur d'Arcy-sur-Aube, l'un des courti- sans de Henri III et le chef du conseil de ses mignons2. Ce don du roi et le mariage qui en avait été le prix excitèrent la verve des railleurs3. Gombaut, « avec sa « gravité naturelle4, » resta impassible devant les satires. En 1583, il devint chevalier du Saint-Esprit et premier maître d'hôtel du roi ; sa femme, dame d'atour de la reine Louise de Lorraine. Ils furent chas- sés de la cour le 3 septembre 15885.

Orens à Auch, évèque de Lectoure, archevêque de Rouen, abbé de Marmoutiers, etc. Il mourut en 1610. Nous reviendrons sur le compte de ce personnage.

1. Brantôme, t. X, p. 428 et suiv.

2. Mémoires de Marguerite de Valois, édit. elzév., p. 141.

3. Rasse des Nœuds a recueilli le sixain suivant (f. fr., vol. 22665, f. 55), qui a depuis été publié par M. Lalanne (Brantôme, t. X, p. 405) :

Pour espouser Rouet, avoir un évesché,

N'est-ce pas à Gombault sacrilège pesché,

Dont le peuple en murmure et l'esglise en souspire.

Mais quand de Cornouaille on vient dire le nom,

Digne du mariage on estime le don

Et, au lieu d'en plorer, chacun n'en fait que rire.

4. Mot de Marguerite (Mémoires, édit. elzév., p. 142).

5. Mémoires de Cheverny, coll. Petitot, p. 11 i et note.

376 ANTOINE DE BOURBON

La politique d'Antoine de Bourbon, son ambition aveugle méritent de graves reproches. Jamais il ne sut reconnaître que l'Espagne ne pouvait ni ne vou- lait rien faire pour lui et il sacrifia tout à la dédai- gneuse alliance de Philippe II. Sa crédulité était un objet de risée pour ses propres serviteurs. Presque à sa dernière heure, il entretenait son médecin des fertiles vallées de la Sardaigne, de la richesse des habitants, des bois d'orangers qui couvraient les montagnes l. Le lendemain même de sa mort, Antonio d'Almeida arriva à la cour2, porteur de mauvaises nou- velles. « Le Portugais est revenu d'Espagne, écrit le « nonce, et je crois, suivant ce que j'ai vu des résolu- « tions qu'il en apporte, que ça a été un grand bonheur « qu'il ait trouvé le roi de Navarre mort, parce que, « n'y ayant point de conclusion, mais, au contraire, « l'ambassadeur de France qui réside en ce pays-là « ayant écrit qu'il ne pouvait pas l'obtenir, je me « figure que ce refus aurait causé quelque grand chan- « gement, puisqu'il y avait déjà beaucoup de dispo- « sition pour cela3. »

Au commencement de novembre, Antoine de Bour- bon avait envoyé François d'Escars à Madrid4. D'Escars se retarda en Guyenne et reçut à Bordeaux la nouvelle de la mort de son maître5. Catherine se hâta de clore la

1. Mémoires de Condé, t. IV, p. 116.

2. Lettre autographe de François d'Escars an roi d'Espagne, du 1er janvier 1503 (Arch. nat., K. 1500, 31).

3. Lettre de Sainte-Croix, dans les Archives curieuses, t. VI, 1». 115.

4. Lettre de Ghantonay, dans les Mémoires de Condé, t. II, p. 104.

5. Lettre de d'Escars à la reine, du 3 décembre 1562 (Orig.; f. fr., vol. 15877, f. 433).

ET JEANNE D'ALBRET. 377

comédie des négociations espagnoles. Elle commanda à d'Escars de rester à Bordeaux et prétexta que le roi de Navarre lui-même, avant de rendre le dernier soupir, avait ordonné l'ajournement de l'ambassade1. Ainsi se terminèrent les négociations que Henri d'Albret et Antoine de Bourbon avaient engagées après la dépos- session de 1512 et poursuivies malgré les événements, quelquefois même au prix de leur honneur de princes français. D'Escars seul en tira quelques avantages. Il reçut d'importantes charges en Guyenne, et, en com- pensation de ses dépenses, un don du roi provenant de la vente d'un office de maître des requêtes2. D'Al- meida fut moins heureux. Il n'obtint même pas la con- firmation des pensions que le roi de Navarre lui avait payées pendant sa vie et fut réduit à accepter, pour mériter ses gages, de nouvelles missions en Espagne3. La mort du roi de Navarre apporta peu de change- ment aux affaires de l'État. Irrésolu, chimérique, prompt à subordonner à de mesquines considérations les impérieux devoirs de sa dignité de lieutenant géné- ral, il n'exerçait en dehors des champs de bataille qu'un pouvoir secondaire ; la reine mère avait appris à le maîtriser sans le heurter de front4. Elle ne le regretta guère et n'avait aucun motif de le regretter. Ne lui avait-il pas disputé la régence et imposé les conseils de Philippe II? Elle feignit une grande douleur5; mais, dit

1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 436.

2. Acte du 18 décembre 1562 (Copie du temps; f. fr., vol. 15877, f. 423.

3. Lettre de d'Escars à Philippe II, du 1er janvier (Autog.; Arch. bat., K. 1500, ir 31).

4. Mémoires de Tavannes, coll. Petitot, p. 376.

5. Mémoires de Claude Haton, t. I, p. 291.

378 ANTOINE DE BOURBON

Le Laboureur1, « c'estoit assez, pour ne lui donner que « de fausses larmes, que ce roy luy en eût tiré de véri- « tables quand il la ramena de Fontainebleau à Paris2. » Le roi, par une circulaire pompeuse, informa tous ses officiers que « il avoit plu à Dieu appeler à sa part son « oncle le roy de Navarre, » et commanda à tout capi- taine, lieutenant ou gouverneur, de n'obéir qu'à lui- même ou à sa mère3. La cour de France prit le deuil, un deuil d'étiquette, qui n'ajoutait rien aux faibles regrets que le lieutenant général laissait après lui4. Pie IV et le cardinal Borromée adressèrent leurs con- doléances à la reine de France5. La mort du prince fut communiquée officiellement au duc d'Albuquerque par un des secrétaires de Jeanne d'Albret. Voici la lettre du duc au roi d'Espagne : « J'ai reçu ce matin la « visite d'un secrétaire de madame de Vendôme, « nommé Colon, envoyé par elle pour faire part à « Votre Majesté, par mon intermédiaire, de la mort de « son mari et de son vif désir de servir Votre Majesté « et de posséder votre amitié. Il est reparti cette après- « midi en grande hâte, parce que, d'après ce que je « crois, sa maîtresse a beaucoup plus de crainte qu'il « ne dit et que nulle part elle ne se sent en sûreté6. »

1. Mémoires de Castelnau, 1731, t. I, p. 845.

2. Voyez ci-dessus.

3. Lettre de Charles IX au s. de Mailly, du 18 nov. 1562 (Orig.; f. fr., vol. 20434, f. 50).

4. Etienne Pasquier constate dans ses lettres combien le prince (Hait peu regretté (Lettres dans les OEuvres complètes, in-fol., t. II, col. 101 et 102).

5. Ces deux lettres, datées du 7 décembre, sont imprimées, l'une dans les Annal. Raynaldi, t. XXI, ann. 1502, n" 171 ; l'autre dans Gallia purpurala de Frizon, p. 616.

il. Lettre du i\wr d'Albuquerque à Philippe 11, du 9 novembre

ET JEANNE D'ALBRET. 379

Le roi et la reine d'Espagne prirent le deuil pour quatre jours4. Les recueils du temps contiennent six lettres de condoléance adressées à la reine de Navarre par le prince et la princesse de Condé, le comte et la comtesse de la Rochelbucault, le prince de Melphe et Adam Fumée2. Calvin à son tour écrivit à Jeanne d'Albret le 2!0 janvier suivant3.

Les historiens du temps sont unanimes dans leurs jugements sur le caractère du roi de Navarre. Us rappellent sa légèreté incurable, l'aveuglement de sa politique, son inconstance « plus par foiblesse de cer- « velle que de cœur * ; » tous lui pardonnent ses défauts en faveur des qualités de son fils. « C'est perdre temps, « dit Mathieu, que de chercher autre témoignage de « ce qu'il estoit à la France que son propre sang5. » Ce jugement sera sans doute le dernier jugement de l'histoire : « Quand en son temps, dit Brantôme, il « n'auroit fait autres belles choses que d'avoir faict « et procréé nostre grand roy d'aujourd'hui, Henri IV, « à qui la France doit tout son bonheur, il a fait beau- ce coup et est digne de très grandes et incomparables « louanges6. »

1562 (Orig. espagnol; Arch. de la secrétairerie d'État d'Espagne, Navarre, fllza 358, f. 52).

1. Lettre de Saint-Suplice à la reine mère, du 17 décembre 1562 (f. fr.; vol. 3161, f. 76 V).

2. Ces lettres, datées des 21, 22, 25, 26 et 27 novembre, sont imprimées dans les Mémoires de Condé, t. IV, p. 123.

3. Lettres françaises de Calvin, t. II, p. 188.

4. D'Aubigné, Hist. univ., 1626, t. I, col. 221.

5. P. Mathieu, Hist. de France, in-fol., t. I, p. 203.

6. Brantôme, t. IV, p. 372.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

I.

Lettre de Chantonay, ambassadeur d'Espagne, à Philippe II, Poissy, 8 janvier 4 562. Bonnes intentions du duc de Ven- dôme pour le parti catholique. Il parait satisfait de la réponse apportée de Madrid par le seigneur d'Auzance. Ses conseil- lers les plus habituels sont François d'Escars et Philippe de Lenoncourt, évêque d Auxerre. La reine mère est encore troublée de la tentative d'enlèvement du duc d'Orléans par le duc de Nemours. Elle a près d'elle pour conseillers l'amiral de Coligny et le cardinal de Chastillon. Chantonay estime que la culpabilité du duc de Nemours n'est pas aussi démontrée qu'on veut le faire croire et que, d'ailleurs, l'affaire n'est pas aussi grave qu'on le dit. Le duc de Vendôme y attache cepen- dant une grande importance. Il a promis à l'ambassadeur d'Espagne qu'il chasserait bientôt sa femme de la cour. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 4497, 4.)

Lettre de Philippe II à Chantonay, Madrid, iS janvier \ ->ii2. Le seigneur d'Auzance est parti de Madrid. Le roi d'Es- pagne désapprouve les voyages que fait le prince de Condé avec une escorte armée. Il félicite le duc de Vendôme du choix de ses nouveaux conseillers. Il approuve l'opposition de Chan-

382 ANTOINE DE BOURBON

tonay à rassemblée de Saint-Germain. Il regrette l'éducation anti-catholique que la reine fait donner au roi ainsi qu'au duc d'Anjou et conseille à Ghan tonay de protester auprès du duc de Vendôme. Le roi regrette que le seigneur de Cypierre ait été renvoyé d'auprès le roi de France. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1496, n°34.)

Lettre du duc d'Albeà Chantonay, Madrid, \ 8 janvier 4562. Même sujet que la lettre du roi d'Espagne précédemment analysée. Le duc d'Albe insiste en outre sur l'impossibilité de donner au duc de Vendôme File de Sardaigne et sur les avan- tages du don de la Tunisie. En qualité de roi de Tunis, Ven- dôme sera tributaire du roi d'Espagne. Philippe II agit à titre de libéralité et non pas de compensation. La générosité du roi d'Espagne est soumise à une condition résolutoire, celle de la protection que le duc de Vendôme s'est engagé à donner au parti catholique. Sur ces bases le duc de Vendôme peut envoyer un plénipotentiaire à Madrid. (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1496, 35.)

Précis des points sur lesquels Sébastien de PAubespine, évoque de Limoges, ambassadeur de France à Madrid, a demandé qu'il lui soit répondu par la chancellerie espagnole, sans date [vers le \ 8 janvier \ 562) . Pièce relative aux négociations du roi de Navarre en Espagne et compte-rendu des efforts poursuivis par l'ambassadeur de France, en faveur du prince, auprès de Philippe II. (Résumé de chancellerie en espagnol; Arch. nat., K. U96, n0 34.)

Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid, 20 janvier 1564 (1562). Récit d'une audience donnée par le roi d'Espagne à l'ambassadeur de France. Philippe II feint d'ignorer l'objet des revendications du prince, mais il se montre très généreux en paroles el très abondant en promesses. (Copie du temps; f. fr., vol. 16103, f. 139.)

Pouvoir expédié par le roi et par la reine de Navarre à Louis d'Albret, évèque de Lcscar, et à Arnaud de Saint-Geniez, sei- gneur d'Audos, pour commander en Béarn. (Copie du temps; coll. Dupuy, vol. 153, f. 73.)

ET JEANNE d'aLBRET. 383

Lettre du duc d'Albe au duc de Vendôme, adressée « à mon- sieur le roy, prince de Béarn, » Madrid, 23 janvier 4 564 (4 562).

Lettre de salutation et réponse à une lettre précédente; pro- testation nouvelle d'amitié. (Minute en français accompagnée d'une copie en espagnol; Arch. nat., K. -1496, 36.)

Lettre du duc d'Albe à Chantonay, Madrid, 23 janvier 4 562.

Satisfaction du roi d'Espagne de la négociation suivie avec le duc de Vendôme et approbation de la nouvelle politique de ce prince, ainsi que de l'expulsion de la cour de Jeanne cTAlbret. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 4496, 34).

Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 23 janvier 4 562.

Récit détaillé de l'assemblée de Saint-Germain. Elle a duré jusqu'au 48 du mois. Analyse du discours de l'évéque de Valence. Habile modération du chancelier. Le duc de Vendôme a parlé en faveur des catholiques. Résolutions prises par rassemblée de Saint-Germain. Concile de Trente.

Le duc de Vendôme a envoyé à l'ambassadeur d'Espagne François d'Escars, pour lui faire part de ses bonnes intentions.

De l'édit prochain ; Chantonay doute de son orthodoxie. D'Escars assure que la reine et que le duc de Vendôme ont donné toute leur confiance au cardinal deTournon et au conné- table de Montmorency. L'amiral de Coligny et le cardinal de Châtillon ne sont plus en crédit. Vendôme promet de les chasser de la cour. Il faudra aussi chasser la dame de Crus- sol. Le connétable est en hostilité déclarée avec ses neveux de Chastillon et regrette de les avoir protégés jusque-là. Le cardinal de Ferrare, légat, a pu obtenir ses lettres. Touchant ie mariage projeté entre le duc d'Orléans et la fdle de Vendôme ; elle aura en dot les biens que Vendôme possède dans les Pays-Bas. Vendôme est à la veille d'écrire au roi d'Es- pagne. (Orig. espagnol-, Arch. nat., K. 4 497, 6.)

Lettre de Sébastien de PAubespine au roi de Navarre, Madrid, 27 janvier 4 564 (4 562). Mauvaises dispositions du roi d'Es- pagne et de ses ministres parce qu'ils s'imaginent que les agents du roi de Navarre ont voulu exciter contre eux les sujets de Catalogne. (Copie du temps-, f. fr., vol. 46403, f. 453.)

384 ANTOINE DE BOURBON

Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 30 janvier 1562.

Jugement de Ghantonay sur l'édil de janvier. La reine est surprise de l'opposition que l'ambassadeur d'Espagne fait à cet acte. Le chancelier est plus coupable qu'aucun autre conseil- ler de la reine de la promulgation de l'édit. Vendôme annonce de bonnes intentions. Ghantonay conseille à son maître de ne pas écrire à Vendôme qu'il désapprouve cet édit pour ne pas le décourager. Vendôme, bon catholique, va chaque jour à la messe. Sa déclaration au Parlement dans le sens catholique. Il ne veut pas que sa femme aille au prêche. Il presse le Parlement d'enregistrer l'édit. Retour sur le tumulte de Saint-Médard. Conversation de l'ambassa- deur avec François d'Escars au sujet de la part de Vendôme dans Ledit de janvier. Demande d'explications au sujet du voyage de Rambouillet en Allemagne. Conseils d'écarter de la cour les Chastillon et Jeanne d'Albret. Popularité de Ven- dôme dans les rangs du parti catholique. Curieuse altercation de la reine avec Vendôme au sujet des correspondances que la reine lui dissimule. Altercation de la reine avec le connétable, à la suite de laquelle, le 2(5 de ce mois, le connétable s'est retiré à Chantilly. L'état de santé du prince de La Roche-sur- Yon ne lui permet pas d'entrer dans la chambre du roi. Charges qu'ambitionne l'évèque de Valence. Aveuglement de la reine pour l'amiral. Il est question de l'investir de la charge de lieutenant général de la reine comme Vendôme est lieutenant général du roi. Vendôme, mécontent de la reine, se dit malade et ne sort pas de sa chambre. Il jure qu'il n'est pas coupable du départ du connétable. Services qu'il rend à la religion.

L'ambassadeur est décidé à lui conseiller de reprocher à la reine l'appui qu'elle prête aux Chastillon et à l'évèque de Valence. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1-597, 7.)

Lettre de L'Aubespinc à la reine, Madrid, .'îl janvier 1562.

Le roi d'Espagne ne consentira jamais à donner la Sardaigne au roi de Navarre, parce qu'elle sert de liaison entre la Sicile, Naples et l'Espagne, et parce qu'elle appartient à la couronne d'Aragon, qui n'en permettra jamais l'aliénation. (Copie du temps; f. fr., vol. 16103, f. 156.)

ET JEANNE d'aLBRET. 385

Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 3 février 4562.

Récit d'une entrevue de l'ambassadeur d'Espagne avec le duc de Vendôme. Chantonay lui a conseillé de compléter sa con- version et de renvoyer sa femme. Il Fa félicité de lui avoir défendu les prêches. Requête du prévôt des marchands contre l'édit de janvier. Vendôme fera partir sa femme le 8 ou le 9 de ce mois. Le cardinal de, Bourbon et le maréchal de Saint- André assistaient à l'entretien. Détails rétrospectifs sur le départ du connétable. Le nouveau colloque ne sera qu'un amusement. Prochain départ des Chastillon. L'amiral est résigné à se retirer volontairement. Renvoi de Mme de Crussol et de l'évèque de Valence. Méfiance à garder de la politique de la reine mère. Satisfaction de Vendôme des lettres écrites par Sébastien de l'Aubespine. On dit la reine jalouse de l'alliance de Vendôme avec le roi d'Espagne. Effort de l'ambassadeur pour prévenir les mau- vais effets de cette jalousie. Chantonay félicite la reine mère d'avoir interdit les prêches. Conférence entre Vendôme, le légat et l'ambassadeur d'Espagne pour empêcher les prêches de la reine de Navarre; la conversation est écoutée et rapportée par les Chastillon. Catherine et ses dames d'honneur. Nécessité de satisfaire le duc de Vendôme quant à ses revendi- cations, sans quoi la religion catholique est perdue en France. (Orig. espagnol; Arch. nat., R. 1497, 8.)

Lettre du duc d'Albe à Chantonay, Madrid, 5 février 4562.

Touchant l'entrevue projetée entre Philippe II et la reine mère. Prétentions du roi de Navarre sur l'île de Sardaigne.

Le duc proteste que Philippe II n'a jamais poursuivi la dépossession de la reine mère au profit du roi de Navarre. (Orig.; Arch. nat., K. 1496, 40.)

Ordonnance de Charles IX portant défense à ses sujets de faire passer en Espagne et en Portugal aucuns livres suspects d'hérésie. (Copie; Saint-Germain, \ 0 février \ 564 (1562). Coll. Brienne, vol. 205, f. 249.)

Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, M février 1562.

Lettre très développée dans laquelle l'ambassadeur espagnol

iy 25

386 ANTOINE DE BOURBON

raconte dans le plus grand détail la négociation dont il a été chargé par Philippe II, pour faire accepter au roi de Navarre la Tunisie en place de la Sardaigne. Le duc de Vendôme revient au catholicisme avec décision. Expulsion des Chas- tillon de la cour. (Orig.; Arch. nat., K. -1497, 9.)

Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 44 février 4302. Le duc de Vendôme a exigé le départ des Ghastillon. Mécontentement de la reine. Elle exige que Saint-André, le connétable et les Guise partent pour leur gouvernement. Dénonciation de la reine contre l'ambassadeur d'Espagne. Chantonay a observé à Vendôme qu'il était inutile d'envoyer Almeida k Madrid avant le départ des Ghastillon. Violents démêlés du roi de Navarre avec Jeanne d'Albret. La conduite de la reine mécontente tous les catholiques et les jette dans le parti de Vendôme. Jalousie qu'elle ressent de la popularité de Vendôme. (Orig.; Arch. nat., K. -1497, -10.)

II.

Lettredu cardinal de Lorraineau baron de Polweiler, Saveme, 18 février 4562. Compte-rendu abrégé de Tcntrevue de Saverne. Nouvelles de France. Contributions de l'évêché de Metz. (Copie du temps; Arch. nat., K. 4496, 43.)

Lettre du baron de Polweiler au cardinal Granvelle, Saverne, 22 février 1562. Envoi de la pièce suivante. (Copie du temps; Arch. nat., K. 1496, 43.)

Rapport du sieur Fournery, agent du baron de Polweiler, sur l'entrevue de Saverne, s. I. n. d. Rapport très circonstancié que nous avons utilisé dans la première partie du chapitre xvi. Ce rapport l'ut communiqué par Granvelle à Philippe II d'après une traduction espagnole qui est jointe à la copie française. (Copie du temps-, Arch. nat., K. 4496, 39.)

III.

Lettre de Sébastien de l'Aubcspine au roi de Navarre, Madrid, 16 février 1564 (4562). Le mécontentemenl que le roid'Es-

ET JEANNE DALBRET. 387

pagne éprouvait de la politique de la cour de France commence à se calmer. La chancellerie espagnole attend le retour de d'Almeida. Bonnes dispositions du roi catholique. On se plaint ici que les Espagnols qui traversent la Guienne et le Lan- guedoc sont trop souvent molestés. (Copie du temps ; f. fr., vol. 46403, f. 468 v°.)

Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 23 février 1562.

La reine, accompagnée de Vendôme, de Jeanne d'Albret et de la dame de Grussol, est allée à Paris pour faire enregistrer Tédit de janvier. Pourquoi le chancelier a refusé de l'accom- pagner. — Démonstrations catholiques de la reine et du duc de Vendôme. Visite des Chastillon à la reine. Promenade de la reine avec Jeanne d'Albret à travers la ville. Le 24 , la cour est retournée à Saint-Germain. Le cardinal de Chastillon, l'évêque de Valence et la dame de Crussol sont allés au prêche.

Audience de la reine du 22 février. Négociation tou- chant l'entrevue que la reine propose au roi d'Espagne. La reine voudrait que l'entrevue eût lieu au mois de mai. Vendôme voudrait retarder l'époque. Jalousie de la reine contre Vendôme. Utilité de le contenter. Vendôme a promis de conduire, malgré sa femme, leur fils à la messe. Il lui a donné un gouverneur catholique, le seigneur de Losses. (Orig. espagnol; Arch. nal., K. 4497, 4 4.)

Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 25 février 4562.

Vendôme est allé se plaindre à la reine qu'elle ait convoqué le maréchal Saint-André à la cour pour lui signifier l'ordre de rentrer dans son gouvernement, qu'ainsi elle entrave ses négo- ciations avec le roi d'Espagne en chassant, contre l'avis de ce prince, les catholiques de la cour. La reine répond que la règle de faire partir les gouverneurs est générale. Vive et im- pertinente réplique de Vendôme. Récriminations réciproques.

En se retirant, Vendôme emmène son frère et envoie, un messager au maréchal Saint- André. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 4497, 4 2.)

Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 28 février 4562.

Touchant la retraite des Chastillon. Vendôme proteste de son dévouement pour le roi d'Espagne. Récit d'une confé-

388 ANTOINE DE BOURBON

rence de l'ambassadeur avec la reine. La reine ne veut pas permettre à Vendôme de traiter avec le roi d'Espagne à son insu.

Récit des adieux de Coligny à Vendôme et de sa retraite de la cour. Chantonay félicite Vendôme du départ de Coligny.

Relations secrètes de Coligny avec les mécontents des Pays- Bas. Touchant la prochaine entrevue des deux cours de France et d'Espagne. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 4497, 43.)

Lettres de Sébastien de l'Aubespine à la reine et au roi de Navarre, Madrid, 9 mars 4564 (4562). Il s'est plaint aux ministres de Philippe II de leur réponse évasive au roi de Navarre. Le duc d'Albe et le prince d'Eboli lui ont dit qu'il ne saurait être question de donner la Sardaigne au roi de Navarre, malgré toutes les promesses que Chantonay a pu faire à Paris. L'Aubespine regarde comme un leurre la promesse de Philippe 11 de dédommager le roi de Navarre. (Copie du temps; f. fr., vol. 40103, f. 484, 487, 489 et 494.)

Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II, Pampelune, 4er mars 4 502. Bruit du désaccord de la reine mère et du duc de Vendôme. Projet belliqueux de ce prince et ses préparatifs de guerre. (Copies; Arch. de la secrétairerie d'État d'Espagne: Navarre, leg. 358, f. 52.)

IV.

Lkttre du Roi de Navarre au (Parlement?).

Paris, 22 mars 1561 (1562).

Explication de son arrivée à Paris.

Messieurs, pay receu les lettres que m'avez e scriptes et vous remercie des nouvelles que m'avez mandées. Quant est des nostres, vous en entendrez bien amplement du s. de Gonnord présent porteur. Toutcsfoys je vous diray que ma venue par deçà estoyt bien nécessaire pour le désordre que j'y ay trouvé, tel que si on n'y eust pourveu de bonne heure toutes choses

ET JEANNE D'ALBRET. 389

tumboyent en bien grand danger. Nous sommes en voye de les restablir en bon estât, ainsy que le s. de Gonnord pourra tes- moigner. Sur lequel me remectant je ne vous en feray la pré- sente plus longue, à laquelle je meltray fin, en priant Dieu, Messieurs, vous avoir en sa sainte garde.

Escript à Paris, ce xxn mars \ 56 i .

Vostre bien bon amy,

Antoine.

Messieurs je vous bayse les mains. Mons. de Gonnord me (coupée par le relieur) tant que je ne vous en diray aultre chose.

(Orig.; f. fr., vol. 3241, f. 2.)

Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid, 25 mars 1 56-i (-1562). Il serait utile de signifier officielle- ment à l'ambassadeur d'Espagne le sujet des revendications du roi de Navarre. L'Aubespine laisse entrevoir qu'il a peur que le prince ne puisse rien obtenir. Il recommande d'autant plus l'observation des formes régulières, comme pour mettre le droit de son côté. (Copie du temps-, f. fr., vol. 4 6103, f. 204.)

Lettre de Philippe II à Ghantonay, Monastère de Guitando, 30 mars 4 562. Touchant les relations secrètes que la reine soupçonne entre Philippe II et le roi de Navarre. Le roi d'Espagne commande à Chantonay de dissiper les soupçons de la reine. Prochaine entrevue des deux cours. Philippe II ne veut y voir que des gens d'opinion orthodoxe. Satisfac- tion que lui fait éprouver la conversion de Vendôme. Il veut que le prince de Béarn soit élevé dans la religion catholique. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 4490, 52.)

Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid, 3 avril 4 562. Envoi d'un messager spécial pour connaître la vérité au sujet des affaires d'Allemagne, dont la chancellerie espagnole rend le roi de Navarre responsable. (Copie du temps-, f. fr., vol. 4 (H 03, f. 213.)

Lettre de Ghantonay à Philippe II, Paris, 4 avril 4 502. Le duc de Vrendôme, le duc de Guise et le connétable se sont

390 ANTOINE DE BOURBON

rendus à Fontainebleau pour ramener le roi. Gondé demande que le duc de Guise dépose les armes et se retire de la cour ; à ce prix il rendra la ville d'Orléans. Vendôme et Guise avaient ordonné au sieur d'Estrées de s'emparer d'Orléans. La reine a fait appeler le duc de Nemours. 11 faut prévoir que les armements cachent un coup de main sur la frontière de Navarre. (Résumé de chancellerie en espagnol; Arch. nat., K. -1496, n°54.)

Mémoire du prince de Condé au roi d'Espagne pour justifier sa prise d'armes; il prétend qu'il agit d'après les instructions de la reine et pour délivrer le roi de sa captivité. (Copie du temps -, longue pièce de vingt-deux pages, sans date (avril \ 502) ; Arch. nat., K. -1500, 27; le prince envoya des mémoires analogues à tous les souverains.)

VI.

Lettre du roi de Navarre au comte de Tende, avril 156-1 [\ 562) .

Renvoi à la lettre que le roi et la reine lui ont écrite ce même jour. Ordre d'entretenir la paix autant qu'il sera possible.

Anathèmes contre les séditieux qui troublent le repos public. (Minute; coll. Dupuy, vol. 588, f. 83.)

Lettre du roi de Navarre au sieur de Humières, gouverneur de Péronnc, Melun, 4 avril -1562. Confirmation des ordres du roi. Demande de nouvelles fréquentes. Recomman- dation de veiller à la paix publique. (Orig.; f. fr., vol. 3-187,

f. -10.)

Lettre du roi de Navarre au sieur Coignet, ambassadeur de Suisse, Paris, 8 avril 1502. Touchant une levée de merce- naires suisses, autorisée au profit du roi par la ligue helvétique.

Recommandation de presser l'envoi du secours. (Copie du temps; f. fr., vol. -17981, f. 70.)

VII.

Lettre du prince de Condé à la reine mère, \\ avril I5f>2. Longue protestation d'obéissance et envoi d'un mémoire justi- ficatif. (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 373.)

ET JEANNE D'ALBRET. 391

Instruction du prince de Condé au s. de Téligny envoyé au duc de Savoie, Orléans, 4 4 avril 4562. Mémoire justificatif destiné à excuser la prise d'Orléans et le soulèvement des hugue- nots. (Copie du temps; f. fr., vol. 40490, f. 4 54 v°.)

Lettre de Goligny à la reine mère, s. I. n. d. (après le 4 2 avril 4 362). L'amiral se plaint à la reine du massacre de Sens. Il accuse les catholiques de ne demander le désarme- ment des réformés que pour les massacrer impunément. Longues protestations pacifiques. (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 498.)

Lettre de L'Àuhespine au roi de Navarre, Madrid, 4 5 avril 4 562. L'ambassadeur informe le prince et la reine qu'il a présenté la demande du roi de Navarre au roi catholique, avec insistance, et qu'il attend sa réponse. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 64 03, f. 223 vo.)

VIII.

Lettre dd roi de Navarre a Sébastien de l'Aubbspine, ambassadeur a madrid.

Paris, 10 avril 156?.

Négociations avec le roi d'Espagne. Nouvelles de France.

Monsieur de Limoges, par ce porteur j'ay receu voz lettres et ne scaurois assez vous dire combien je suis tenu à vous du soing que vous tenez en mon affaire, auquel l'arrivée d'Almede par delà vous pourra faire veoir plus clair. Et toutesfois, pour la congnoissance que je scay que vous avez des humeurs et façons des hommes du pais, n'en veulx-je riens ou peu espérer que ce que le temps ou les effecls m'en feront congnoistre. Quant aux affaires de deçà, vous scaurez par les lettres de la royne et de ce porteur comme ilz vont ; qui est beaucoup pis que je ne vouldrois, non sans mon très grand regret. Mais j'espère que Dieu donnera la grâce aux bons serviteurs du roy d'assister si utillement la bonne intention de la royne que sa Majesté sera obéy et sa couronne maintenue en la dignité et

392 ANTOINE DE BOURBON

grandeur accoustumée, dont je ne vous diray riens davantage. Seullement vous prieray ne vous lasser de vous emploier en mond. affaire selon le bon commancement que vous y avez donné, à ce que, avant nostre partementde là, j'en puisse veoir la fin. Priant Dieu, monsieur de Limoges, vous avoir en sa garde.

Escript à Paris, ce xe jour d'avril 4 502.

Vostre bien bon amy,

Antoine.

(Original; f. fr., vol. 6606, f. 2.)

IX.

Lettre du rol de Navarre au s. d'Humières, gouverneur de péronne.

Paris, 15 avril 1562.

Morl du cap. de Bavas. Ordre d'en faire justice. Recommandation de faire bonne garde.

Mons. de Humières, j'ay esté bien marry d'entendre la mort du feu cappitaine baron de Bavas, et, puisque la chose est ainsi advenue, vous ne scauriez pas mieulx faire que de sercher tous les moyens qu'il sera possible de faire prendre ceulx qui l'ont tué et principalement le varlet qui a tiré le coup de pistolet pour estre acte qui mérite une bien roide punition.

J'ay veu ce que me mandez de vos voisins. Toutesfoys, pourcc que, estans les troubles en ce royaume telz que l'on les voyt, il est bien nécessaire d'avoir l'oeil plus ouvert que jamais sur leurs actions. Je vous prie mectre peine d'en estre ordinai- rement et véritablement adverty et vous donner plus de soing de vostre place que vous ne feistes jamais, suivant ce que le roy, mon seigneur, vous en a escript par deux de ses dépesches. Et je voys prier Dieu, Mons. de Humières, qu'il vous ayt en sa sainle garde.

Escript à Paris, le xve jour d'avril I'i<;2.

Vostre bon amy,

Antoine.

Orig.; f. fr., vol. 3187, f. 11.)

ET JEANNE D'ALBRET. 393

X.

Lettre de Marc Antoine Barbaro, ambassadeur de Venise, à la république de Venise, Paris, 22 avril 1562. Envoi de Nicolas d'Angennes de Rambouillet en Espagne pour dissiper les inquiétudes du roi calbolique au sujet des négociations de la cour de France et spécialement du roi de Navarre en Alle- magne. — Pourparlers du mariage de Marguerite de Valois avec le roi de Portugal conduits à l'insu du roi de Navarre. (Copie en italien; Bibl. nat.; Dépêches vénit., filza 4, f. 354.)

Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid, 23 avril \ 562. Inquiétude de la cour d'Espagne sur les nou- velles de France. Satisfaction du roi de l'assistance prêtée par le roi de Navarre à la cause catholique. Le bruit court à Madrid que Philippe II serait décidé à donner au prince Avi- gnon et ses dépendances et à indemniser le pape en Italie. Le plus difficile est de le décider au principe de l'indemnité. (Copie du temps; f. fr., vol. -16103, f. 229 v°.)

Lettre du prince de Condé à la reine mère, Orléans, 24 avril 4562. Suite de protestations pacifiques, mêlées d'anathémes contre les Guises, sans conclusion. (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 399.)

XL

Lettre du roi de Navarre a MM. Coignet et Pasquier,

AMBASSADEURS EN SUISSE.

Paris, 26 avril 1562. Envoi du secours obtenu de la ligue helvétique.

Messieurs, je vous fais ce petit mot de lettre en toute dili- gence pour vous advertir que Madame de Parme, régente es Pays-Bas pour le roy catholique des Espaignes, nous a accordé que les Suysses que vous avez charge de lever pour le service du roy, mon seigneur, passent par la Franche-Comté, ce que vous ferez entendre aux cappitaines avec lesquelz vous accorde-

394 ANTOINE DE BOURBON

rez desd. levées, affin qu'ilz preignent se chemin-là et asseignenl à leurs soldats le lieu de leur monstre première à Dijon; qui sera de beaucoup acoursir leur chcmyn. Aussy regarderez-vous de leur donner le moingtz de jours que vous pourrez pour se rendre aud. Dijon, leur faisant user de la plus grande diligence qu'il vous sera possible, de sorte que nous les puissions avoir par deçà au plus lost que faire se pourra. Pryant Dieu, Mes- sieurs, qu'il vous ayt en sa sainte garde.

Escript à Paris, le xxvie jour d'avril 4 51)2.

Vostre bon amy,

Antoine.

(Copie du temps; f. fr., vol. 17981, f. 70 v\)

XII.

Lettre du roi de Navarre à Biaise de Pardaillan, s. de la Mothe Gondrin, lieutenant général en Dauphiné, Paris, 28 avril 4 562. Ordre de rassembler deux enseignes parmi les soldats de la religion catholique. Félicitations d'avoir fait échouer rentre- prise des huguenots sur la ville de Valence. (Copie du temps; Arch. mun. de Lyon-, AA. 24, 425.)

Lettre du roi de Navarre à MM. Coignet et Pasquier, ambas- sadeurs en Suisse, Paris, 30 avril 4562. Le roi de Navarre et la reine mère n'ont pas oublié la provision d'argent nécessaire pour la levée des Suisses. Ordre de presser la marche de cette troupe. L'argent sera à Dijon aussitôt que les soldats. (Copie du temps; f. fr., vol. 47981, f. 72 v°.)

Lettre du roi de Navarre au comte de Sommerive, Paris, mai 45(i2. Félicitations du bon ordre que le comte de Som- merive a établi en Provence. Le prince espère que les sédi- tieux auront vidé le pays. S'ils se sont retirés en Dauphiné, ordre d'y marcher diligemment afin de se joindre aux s. de Maugiron et de Suse. Recommandations de s'entendre avec eux et d'user de la plus grande diligence. (Minute; f. fr., vol. 45876, f. 64.)

Lettre du roi de Navarre au s. de Maugiron, lieutenant géné- ral en Dauphiné, Paris, 3 mai 1562. Regret de la mort du

ET JEANNE D'ALBRET. 395

seigneur de la Mothe Gondrin. Le prince félicite Maugiron d'avoir été désigné pour le remplacer. Recommandations d'user de zèle. (Orig.; Arch. mun. de Lyon, AA. 24, 12r>.)

XIII.

Lettre d'Antonio d'Almeida au roi de Navarre, Madrid, 5 mai 4 562. Compte-rendu détaillé de sa mission à Madrid.

Bonne réception du roi d'Espagne. Conférence avec le duc d'Albe et le prince d'Eboli. Leur lenteur à se décider. On fait courir le bruit que le roi de Navarre a des intelligences avec le prince de Condé. Nouvelles de l'infant don Carlos. Sa maladie est une nouvelle cause de retard. Plaintes et récri- minations contre François d'Escars et Sébastien de l'Aubespine.

Prières instantes deux fois répétées de brûler la présente lettre. (Autographe espagnol-, Arch. des Basses - Pyrénées, E. 585.)

Lettre du prince de Condé au roi de Navarre, Orléans, 8 mai 1562. Le prince a reçu la lettre du roi de Navarre portée par l'abbé Jehan de Laon. Comme il allait y répondre, il a vu la requête du triumvirat, « laquelle m'a tellement diverty « de ma première délibération qu'il m'a esté impossible me « résouldre à faire response à ce que leurs majestés et vous « m'avez mandé par luy. » [Orig. 5 f. fr., vol. 6607, f. 20.)

XIV.

Lettre du roi de Navarre a Se'bastien de l'Aubespine, ambassadeur a madrid.

Paris, 9 mai 1562. Ordre d'employer tous moyens pour obtenir une réponse du roi d'Espagne.

Monsieur de Limoges, encores que j'aye assez congneu et veu par les depesches ordinaires que vous faites et mesme par les lettres que vous m'escripvez et à vostre frère, le soing et atlèction que vous emploiez en ce qui touche mon affaire parti- culier, et soys asseuré que, continuant ceste bonne volunté.

396 ANTOINE DE BOURBON

vous ne vous lasserez, tant que vous serez là, d'y faire tout ce qu'il sera possible pour en avoir la bonne fin que j'en désire et actendz, de laquelle je ne veulx ne puis désespérer; si esse que envoyant ce courrier par delà pour l'occasion que vous verrez, et ayant singulier désir de scavoir par j'en dois passer, je vous prie tant que je puis regarder d'emploier tous moiens pour y veoir clair et en faire sortir ce qui s'en peult attendre. Vous cognoissez les humeurs de ceulx qui y peuvent, scavez le devoir que j'ay faict, et, si la raison et ma juste poursuite et longue patience méritent quelque chose; qui me donne asseurance, pour l'affection que vous avez à mon contentement et à ma satisfaction, que vous ferez tout ce que vous pourrez pour achever ce que vous avez bien commancé, et que, par Almeida, que je vous prie faire retourner le plus tost qu'il sera possible, j'en puisse avoir une fînalle résolution, que je vouldrois bien eslre avant vostre partement; scachant que peu de gens m'y peuvent faire plus de service. Priant Dieu, mons. de Limoges, vous donner ce que désirez. De Paris, le ix de may \ 5(52.

Vostre un et bon amy,

Antoine.

(Orig.; f. fi\, vol. G606, f. 3.)

XV.

Lettre du roi de Navarre au s. de Tavannes, lieutenant géné- ral en Bourgogne, Paris, 4 0 mai -1 562. Recommandations de s'opposer au projet des séditieux et témoignage de confiance dans le zèle du destinataire. (Orig.; f. fr., vol. 4632, f. 443.)

Lettre du roi de Navarre à la reine, Paris, mai 1562. Conseil de guerre tenu sur les événements. Demande à la reine de son avis. Conseil de refuser a l'agent de l'ambassa- deur d'Angleterre le passeport qu'il demande, attendu la suspi- cion qui pèse sur sa mission. Les rebelles d'Orléans ont fait prisonnier l'évêque de Poitiers, frère du s. d'Escars. (Minute; f. fr., vol. 4 5876, f. 60.)

Lettre de Sébastien de FAubespine à la reine. Madrid, il mai 1562. Hec.il détaillé de l'accident survenu à l'infant

ET JEANNE D'ALBRET. 397

don Carlos. Cet événement a fait suspendre la décision du roi catholique relativement au roi de Navarre. Contentement de Philippe II de la conversion de ce prince. (Copie du temps ; f. fr., vol. 4 6403, f. 242.)

Lettre du prince de Condé à la reine, Orléans, 4 4 mai 1562.

Le prince promet à la reine sur sa demande de garantir de toute rapine le haras de Meung-sur-Loire, qui appartenait au roi. (Orig.; f. fr., vol. 6607, f. 24.)

Lettre de Ghantonay à Philippe II, Paris, 4 4 mai 4 562. Arrivée prochaine des lansquenets levés pour le compte du roi.

Armements du duc d'Aumale en Normandie. Nouvelles de Gascogne. Forces des rehelles. Troupes royales ras- semblées à Nevers et à Moulins. Récit de la mission de lord Sidney auprès de la reine. Troisième mariage proposé par le duc de Guise à la duchesse de Nevers malgré l'avis du duc de Vendôme. Violent démêlé du duc de Vendôme et du duc de Guise. Tergiversations politique et religieuse de la reine mère. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1497, 30.)

Lettre du roi de Navarre au s. de Maugiron, lieutenant géné- ral en Dauphiné, Paris, 42 mai 4 562. Lettre de créance en faveur du s. de Suse, porteur d'une instruction du roi. (Orig.; Arch. munie, de Lyon, AA. 24, 427.)

Instruction de Philippe II sur ce qui doit être écrit à Ghanto- nay et au comte de Luna, Alcala, 4 5 mai 4 562. Amélioration de l'état de l'infant d'Espagne. Le roi est près de répondre aux communications du duc de Vendôme. En réponse à la mission du s. de Rambouillet, le roi d'Espagne promet de secourir le roi de France contre les réformés. (Minute de chan- cellerie en espagnol-, Arch. nat., K. 4496, 74.)

Lettre du roi de Navarre à la reine, Paris, 4 6 mai 4 562. Récit de la visite que Sidney a faite au roi de Navarre en com- pagnie de l'ambassadeur d'Angleterre. Le lieutenant général lui a conseillé de se retirer en Angleterre sans passer par le Havre. Sidney se résigne à prendre un autre chemin avec son train. (Minute; f. fr., vol. 45876, f. 58.)

398 ANTOINE DE BOURBON

Seconde lettre du roi de Navarre à la reine, Paris, 46 mai 1502. Arrivée d'un messager du duc de Montpensier. Lettre de créance en faveur du messager, qui se rend auprès de la reine. Moyennant un petit sacrifice d'argent, le duc de Montpensier restera maître des villes de son gouvernement. (Orig.; Coll. d'autographes de M. Lacaille.)

Lettre du roi de Navarre au prévôt des marchands et aux échevins de la ville de Paris, Paris, 46 mai 4562. Mesures à prendre pour constituer dans la ville une milice municipale. (Copie; Reg. de l'ancien bureau de ville de Paris; Arch. nat., H. 4784.)

XVI.

Lettre du roi de Navarre a la reine.

Paris, 16 mai 1562.

Nouvelle d'Espagne. Arrestation des dépêches de Madrid. Arrivée du comte de Roussillon. Envoi d'un pouvoir à signer au profit de la ville de Paris.

Madame, ceste après disner ce courrier m'est venu trouver qui m'a fait entendre comme à Bloys, Moigneville avoit ouvert tous ces paquetz, hormys ceulx qui s'addressoyent au roy et à vous. Et de faict j'en ay veu quelques ungz et entre aultres l'ung addressant à mons. de L'Auhespineet son frère, dans les- quelz j'ay veu par une lettre sans suscription qui y estoit comme il continue toujours en sa première opinion touchant mon faict. D'Almeida m'en escript assez amplement, duquel je ne vous envoie la despeche parce qu'est en espagnol, mais je vous en diray la substance, qui est qu'il avoit tant faict qu'il s'attendoit à estre despeche dans ung jour ou deux lorsque ce courrier est party, et esperoit que sa despeche seroit bonne. J'attendray ce qu'il ploira à Dieu m'en envoyer. Cependant je vous diray que ce seigneur de Moigneville est bien privé et qu'il me semble, plus l'on va en avant, et plus il vous donne occasion de ne vous contenter de ses départements.

Au demeurant, Madame, le comte Roussillon est arrivé comme je vous faisois ceste lettre, par lequel j'ay entendu

ET JEANNE DALBRET. 399

comme vous estes devenu bon cappitayne, dont je loue Dieu. J'ay veu aussi ce que vous m'avez envoyé par luy, qui vous est venu de Metz et de Ghampaigne, à quoy nous regarderons de prendre une bonne résolution pour vous en donner incontinent advis. Cependant je vous envoyé une chose que ceulx de la ville m'ont baillée pour une commission, qu'ilz demandent affïn de pouvoir icy assembler une forme de militie et faire des chefs et des cappitaines entre eulx. Il fault que le roy donne par une patente ce pouvoir aux premiers des marchands et eschevins, affin qu'ils ordonnent les cappitaines entre eux. Vous suppliant très humblement, Madame, vouloir commander que les lettres leur en soient expédiées et me les envoyer pour les leur bailler. Qui est tout ce que je vous diray pour asteure. Priant Dieu, Madame, après m'estre très humblement recommandé à vostre bonne grâce, qu'il vous donne longue et heureuse vie.

De Paris, ce xvie jour de may 4562.

Vostre très humble et très obéissant frère et subject,

Antoine.

(Orig.; f. fr., vol. 660G, f. 10. - Minute; f. fr., vol. 15876, f. 59.)

XVII.

Lettre de François Hotmann au landgrave Philippe de Hesse, Orléans, M mai J562. Récit des préparatifs du prince de Condé pour soutenir la guerre. (Copie latine; f. fr., vol. 10190,

f. m.)

Lettre du secrétaire d'État Bourdin au roi de Navarre, Mon- ceaux, M mai -1362. Récit détaillé d'une indisposition de la reine. (Orig.; f. fr., vol. 4 5876, f. 03.)

Lettre du prince de Condé à maître Aubrech, marchand de Lyon, Orléans, \ s mai I 562. Prière de lui prêter \ 00,000 écus. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 0190, f. 163 v°.)

Lettre du prince de Condé au baron des Adrets, Orléans, In mai 13112. Ordre de se garder des surprises. Recom- mandations de se méfier des propositions du capitaine Murât. Ordre de saisir toutes les châsses et reliquaires d'or et d'ar- gent des églises de Lyon, de les transformer en lingots et de les

400 ANTOINE DE BOURBON

offrir en gage pour un emprunt de -100,000 écus. Ordre de saisir également les reliquaires des églises des villes voisines. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 0490, f. J64.)

Lettre de Coligny et de d'Andelot au landgrave de Hesse, Orléans, 4 9 mai 4:302. Lettre de créance en faveur du bur- grave baron Christophe de Dhona. Prière d'empêcher par tous les moyens la levée des troupes que la reine et le roi de Navarre veulent réunir en Allemagne. (Copie du temps; f. fr., vol. 40490, f. 4 04.)

Lettre de François Hotmann au landgrave de Hesse, Orléans, 4 9 mai 4 562. Prière d'empêcher l'arrivée des troupes que mènent d'Allemagne les comtes Rockendorf, Reffemberg et le Rhingrave. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 04 90, f. 464.)

Lettre du prince de Condé au s. de Laumont, Orléans, 20 mai 4 562. Négociations en faveur du parti huguenot auprès des cantons de Zurich, Rerne, Bâleet Schaffouse. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 0490, f. 4 66. Suit un mémoire sur le même sujet et plusieurs lettres du prince de Condé relatives aux négociations du parti huguenot en Allemagne et en Suisse, f. 4 67, 4 68, 4 69, 472 et 4 77.)

Lettre du prince de Condé au baron des Adrets, Orléans, 20 mai 4562. Félicitations de la prise de Lyon. Ordre d'user de persuasion et d'éviter la violence. Profession de tolérance dont le prince veut que le baron des Adrets donne connaissance aux gens de Lyon. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 0490, f. 457.)

Lettre de Coligny au baron des Adrets, Orléans, 20 waH562.

Môme sujet que la lettre précédente. (Copie du temps; f. fr., vol. 104 90, f. 4 58.)

Lettre de François d'Andelot et de Vezine à François Hot- mann à Strasbourg, Orléans, 20 mai 1562. Félicitations de ses démarches auprès des princes protestants. Ordre de les continuer. Lettre de créance en faveur du baron de Dhona.

Fmvoide lévriers. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 0490, f. 172.)

Lettre du prince de Condé au canton de Schaffouse, Orléans,

ET JEANNE DALBRET. 401

21 mai I5r>2. Le prince a écrit par Georges de Nicher et par le s. de Laumont touchant l'état des affaires de France. L'honneur du canton de Schaffouse est engagé à ne pas servir parmi « les bourreaux de la noblesse de France et même de « tous les chrétiens. » Les ennemis se sont emparés de la personne du roi, de sa mère et de son sceau. « Toutefois « nous espérons que voslre prudence pourra juger de quel poids « doivent être envers vous lettres par force ou crainte tirées de « gens captifs ou emprisonnés. Et si d'aventure le bruit du « stratagème dont ils ont usé est parvenu jusques à vous, ayant « envoyé le roy et sa mère en un village appelé Monceau, pour « persuader aux simples que leurs Majestés estoient délivrées « de captivité, toutefois je n'estime pas que ceux qui vous auront « parlé de ceste liberté vous aient fait entendre l'assiette du lieu « auquel sont à présent leurs Majestés, lequel est enclos de deux « grands et larges fleuves, et ayant contre nous l'armée de Paris, « semble avoir esté par eux ingénieusement choisi et excogité « pour une plus honnête et un petit peu plus plaisante prison, « comme qui auroit changé à la Reine ses manesles de fer à « d'autres d'or ou d'argent. Attendu même qu'il est tout notoire « que, peu de jours avant son partement de Paris pour aller au « dit lieu, elle fut bien près d'être estranglée ou estouffée en « son lit. » Le prince jure de sa véracité. (Copie du temps ; f. fr., vol. -10190, f. 159.)

Lettre de Goligny et de d'Andelot au canton de Zurich, Orléans.

20 mai -1362. Même sujet que la lettre précédente. (Copie du temps-, f. fr., vol. toi 90, f. 160.

Lettre de Spifame, évêque réformé de Xevers, à l'église cal- viniste de Lyon, Orléans, 21 mai 4 502. Prière de fournir les sommes que demande le prince de Condé. Les fidèles de Montpellier espèrent que leurs coreligionnaires de Lyon paie- ront leurs cotisations. Les fidèles de Mâcon et de Châlons se disposent à envoyer à Orléans les sommes nécessaires. (Copie du temps; f. fr., vol. tOt'.tO, f. 173.)

Lettre du prince de Condé au baron des Adrets, Orléans,

21 mai 4562. Recommandation de mettre toute diligence à conserver la ville de Lyon et de ne pas se laisser tromper,

iv 26

402 ANTOINE DE BODRBON

quelque soient les fallacieuses lettres que lui présenteront les ennemis. (Copie du temps; f. fr., vol. -10490, f. 1 65.)

Lettre du capitaine La Mothe à maître Holbrac, Orléans, 2\ mai 4502. Arrivée à Orléans du comte de Villars et du s. de Vieilleville. Leurs efforts pour tromper le parti hugue- not. — La plupart des capitaines de l'armée catholique sont secrètement dévoués au parti réformé. Il est malheureuse- ment nécessairede ménager les ecclésiastiques prisonniers, parce que tous les enfants du prince de Condé, excepté l'aîné, sont à Muret aux mains des catholiques. Toutes les reliques ont été saisies et les lingots précieux monnayés. (Copie du temps ; f. fr., vol. 1 0190, f. 173. Ce manuscrit, d'où nous avons tiré plusieurs pièces, a appartenu au grand historien de Thou.)

Lettre du prince de Condé à la reine, Orléans, 22 mai \~M\1.

Réponse à la mission baillée à Vieilleville et à Villars. Protestation de dévouement. Condé justifie sa prise d'armes en soutenant que le roi et la reine ont perdu leur liberté. Anathème contre le duc de Guise et contre le connétable. (Copie-, coll. Brienne, vol. 208, f. 494.)

XVIII.

Lettre de Cbantonay à Philippe II, Paris. 28 mai 1562. Troubles de Toulouse. Le duc d'Aumale en Normandie. Le prince de Condé est sorti d'Orléans el s'est mis en campagne, mais il est rentré peu de jours après. Les armements des catholiques ne sont pas aussi avancés que ceux des réformes.

Le prince de Coude attend a Orléans le seigneur de Gra- monl avec un corps de gens de pied gascons. Pillage de la chapelle sépulcrale de Vendôme; mécontentement du duc de Vendôme. Lettre delà reine au Parlement pour expliquer sa retraite à Monceaux. Mesures de police prises par le lieute- nant général à Paris. (Orig. espagnol; Arch. nal., K. 1497, n" 30.)

Lettre du prince de Condé à la reine mère, 28 mai 1502. Réponse du prince au dernier message de la reine. Le prince regrette que le roi et la reine ne soient point en liberté el n'a

ET JEANNE D'ALBRET. 403

pris les armes que pour les lirer de la servitude. Récrimina- lions contre les triumvirs qui sont venus en armes à la cour. (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 500.)

Instruction donnée par le roi au s. Henri Glutin, seigneur d'Oysel, envoyé à Rouen, 29 mai -1562. Le roi déclare qu'il a chargé le duc d'Aumale de réduire la ville de Rouen. D'Oysel devra se transporter à Rouen et assembler à l'hôtel de ville les conseillers et échevins pour leur commander de garder les édits et de déposer les armes. « Et au demeurant prendra « serment et promesse d'eux de n'avoir aucune intelligence, « alliance, ligue, confédération et association avec aucunes per- ce sonnes, de quelque qualité qu'elles soient, et de n'obéir et reco- « gnoistre autre que le rov leur souverain. Et s'ils en avoient « aucune, qu'ils y renoncent et s'en départent sur pevne,où ils « feront le contraire, d'estre punis comme criminels de lèse « majesté. » (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 500.)

XIX.

Instruction du roi au maréchal François de Montmorency, envoyé au camp du prince de Condé, 5. /. n. d. {juin 15r»2). Le maréchal est chargé de représenter aux seigneurs hugue- nots qu'en prenant les armes ils méritent d'être déclarés rebelles. (Minute; f. fr.; vol. \W1, f. 62.)

Lettre de Paul de Foix, ambassadeur en Angleterre, à la reine. Londres, 6 juin 1562. L'ambassadeur a entendu rapporter que la reine d'Angleterre donnerait du secours aux rebelles d'Orléans, mais, bien qu'il ait mis tous ses espions en cam- pagne, il n'a pu avoir la preuve de ce fait. (Orig. ; f. fr., vol. 6612, f. 54.)

Lettre de sauvegarde donnée par le roi de Navarre à son frère, le prince de Condé, et à sa suite jusqu'au nombre de cent hommes, pour le venir trouver, lui et la reine mère, au lieu de Bivmenville près Touri, afin de conférer ensemble sur la paci- fication des troubles, Étai/ipes. s juin 1562. (Minute ou copie du temps; f. fr., vol. 6648, f. 103.)

404 ANTOINE DE BOURBON

XX.

Lettre de Philippe TI à Chanlonay, Aranjuez, 7 juin 4 502.

Envoi de la réponse du roi catholique à la mission de d'Al- meida (voyez la pièce suivante). Satisfaction de Philippe II de la nouvelle politique du duc de Vendôme. Nécessité de cacher à la cour de France le fond de la réponse que rapporte d'Almeida. Le roi n'a rien communiqué à Sébastien de l'Au- bespine. (Minute ou copie en espagnol; Arch. nat., K. 1491», 80.)

Résumé de chancellerie de la réponse que le roi d'Espagne a ordonné de faire à d'Almeida, Aranjuez, 7 juin 1502. Phi- lippe II trouve de grandes difficultés à donner au duc de Ven- dôme L'île de Sardaigne, qui d'ailleurs lui serait peu profitable.

Il lui offre le royaume de Tunis et promet de prendre part à sa conquête. Nécessité de cacher le secret de la négociation.

En attendant la conquête de Tunis, il lui donnera la jouis- sance delà Sardaigne. (Copie en espagnol -, Arch. nat., K. 1490, 85.)

XXI.

Lettre du roi de Navarre au s. deMaugiron, lieutenant géné- ral en Dauphiné, Ètampes, 9 juin 1502. Ordre de faire con- duire au château Dauphin quelques pièces d'artillerie, une com- pagnie de cinquante hommes, des armes, des vivres et des munitions. (Orig. ; Arch. municip. de Lyon, AA. 23. f. 129.)

Lettre du roi de .Navarre au même, E lampes, \2juin 1302. Éloge de sa conduite. Désapprobation de la démarche du député du parlement, de la chambre des comptes et des conseils de Grenoble. Ordre de joindre ses forces à celles de Tavannes afin de « nettoyer le pays de ceste vermine de rebelles. » (Orig. ; Arch. municip. de Lyon, A A. 24, n" 130.)

Lettre de Bassompierre au roi de Navarre, Strasbourg, 12 juin 1502. Le prince de Coudé a dépêché François Hot- mail aux princes d'Allemagne pour obtenir du secours. Ils

ET JEANNE d'aLBRET. 405

ont répondu qu'ils lui enverraient quatre régiments de gens de pied et six mille cavaliers. Si le roi d'Espagne envoie des troupes en France, ils s'engagent à augmenter le secours. Ces troupes marcheront sous le commandement du duc de Deux-Ponts. (Orig.; f. fr., vol. 661 s, f. 104.)

Lettre de Jean d'Ébrard de Saint-Suplice, ambassadeur à Madrid, à la reine, Madrid, \-2juin 1562. La veille, Sébas- tien de l'Aubespine a obtenu son audience de congé. Le roi catholique lui a déclaré qu'il venait d'expédier au roi de Navarre un courrier porteur de ses propositions, mais il a gardé le silence sur la nature du dédommagement qu'il offre au prince. Les deux ambassadeurs n'ont pu en apprendre davantage. (Copie du temps; f. fr.. vol. 3161, f. 13. Saint-Suplice était arrivé à Madrid le 21 mai 1502; lettre de Saint-Suplice à la reine; orig., f. fr., vol. 45X76, f. 78.)

Résumé de chancellerie des propositions à faire, au nom de Philippe II, au roi de Navarre, 13 juin \'M\2. Même sujet que la pièce du 7 juin analysée plus haut. (Minute ou copie: Ârch. nat., K. 1496, 90.)

XXII.

Lettre dd boi de Navarre a la reine.

Camp de Mereville, 13 juin 1562.

Marche de l'armée. Nouvelles d'Orléans. Bonnes dispositions des

troupes.

Madame, nostre armée a ce jourd'huy marché jusques en ce lieu, j'ay, avecques ces seigneurs, advisé à toutes choses nécessaires pour la conservation d'icelle. Demain nous en irons à Jan ville et par pouvez-vous juger comme nous ne perdons point temps pour nous approcher de ceulx d'Orléans, ausquels j1ay pour certain entendu que les loi-ces qu'ilz espéroyenl de Provence sont arrivées : de quoj je vous puis dire, Madame, que je ne suys trop marry, car au moins ayant maintenant tout ce qu'ilz actendoient, s'ilz ne veulent venir a la raison et obéir aux

406 ANTOINE DE BOURBON

commandemens de Votre Majesté, il ne se pourra plus différer de mettre une fin à tout cecy, s'ilz ont la volunté semblable à leurs paroles et aussi bonne que ont tous nos gens. Vous advi- sant au reste, Madame, que je suys icy avec des seigneurs bien saiges et que je treuve beaucoup plus enclins à s'accommoder à quelques bonnestes conditions que je Les ay encor point veus, pour le désir qu'ils ont de veoir ce royaume en repos. Je vous laisse à penser dessus le demeurant. Et, après m'estre très humblement recommandé à vostre bonne grâce, je prie le créa- teur que vous doint, Madame, en parfaite santé très bonne et longue vie.

Du camp de Mereville, ce xiue jour de juing 4'Hi2.

Vostre très humble et très obéissant frère et subject,

Antoine. (Orig.; f. fr., vol. 6G0G, f. 3.)

XXIII.

Lettre du prince de Gondéau roi de Navarre, Orléans, i 6 juin 1562. Protestations pacifiques. Le prince consent à neu- traliser la ville de Beaugencj el accepte la trêve de six jours.

Il envoie à son frère le s. du Vigean et Robertet d'AUuye. (Orig.; Arch. des Basses-Pyrénées, E. :>s:>.)

Lettre du baron Christophe de Dhona au prince de Condé, Strasbourg, M juin 1562. Compte-rendu de sa mission en Allemagne et de ses démarches pour empêcher l'envoi du secours destiné aux catholiques. (Copie du temps en latin; f. fr., vol. 4 (M 90, f. ni v°.)

Lettre de Chantonay à Philippe 11, Paris, M juin 4562. Entrevue de la reine avec les députés d'Orléans dans le bois de Vincennes. Trêve conclue malgré l'avis des catholiques. Nécessité de ménager le duc de Vendôme qui es) l'arbitre de la situation. Le prince de l'.eani n'esi pas encore allé à la messe.

On circonvient le roi en faveur du prince de Coude. Suite de l'affaire de Saint-Médard. Les réformés, chassés de la ville de Paris, séjournent dans le bois île Vincennes. (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 1498, n -

ET JEANNE d'aLBRET. 407

Lettre de Chantonay au roi de France, Paris, 4 s juin 1562. Remontrances adressées par l'ambassadeur au roi au sujet de la trêve consentie en faveur des réformés. (Orig.; f. fr., vol. 45876, f. 4 44.)

XXIV.

Lettre du roi de Navarre au card. de Lorraine, Saint-Simon, 24 juin 4562. Nécessité de payer les Suisses et les lansque- nets. — Négociation de la paix avec les réformés. (Orig.; f. fr., vol. 3249, f. 4 23.)

Instruction du duc de Montpensier au s. Desplatz, envoyé au roi de Navarre, au duc de Guise etau connétable, Angers, 23 juin 4 502. Compte-rendu détaillé de la campagne du duc de Mont- pensier en Anjou. Demande de secours. Sacrifice de l'évéque du Mans en faveur de la cause royale. (Orig.; f. fr., vol. 4 5876, f. 428.)

Lettre du roi de Navarre au s. de Joyeuse, lieutenant géné- ral en Languedoc, Beauyenaj, 2<o juin 4562. Annonce de la paix. Ordre de prendre possession des villes rebelles au nom du roi, de renvoyer les soldats étrangers et de faire exécuter les édils. Le prince de Gondé envoie un gentilhomme de sa mai- son à cet effet. (Minute-, f. fr., vol. 45876, f. 464.)

XXV.

Lettre du capitaine La Motheau prince de Gondé, Strasbourg, li'.i juin 1 562. Il lui conseille, s'il se sent le plus faible, d'évi- ter le combat et de s'enfermer dans une ville forte en attendant que les Allemands viennent le secourir. Avis pour obtenir l'appui des gens de Strasbourg et des Suisses. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 0190, f. 454 v°.)

Lettre du capitaine La Motbe à l'amiral de Coligny, Stras- bourg, 2'» juin 15(12. Même sujet que la lettre précédente. (Copie du temps; f. IV.. vol. 104 90. f. 4 55.)

408 ANTOINE DE BOURBON

Lettre de Ghantonay à Philippe II, Paris, 30 juin 1562. Efforts de l'ambassadeur pour entretenir le duc de Vendôme dans la bonne voie. Les lettres du roi d'Espagne ont été rete- nues trois jours à Orléans. Récit détaillé de la conférence de Saint-Simon. La dame de Roye, la dame de Crussol et le cardinal de Ghastillon sont venus voir la reine. —Affaires de Lyon. Le pape a donné 200,000 écus au roi de France. Nécessité pour la reine de retourner à Paris. Inimitié du par- lement et du chancelier. Touchant la majorité du roi. Le roi catholique pourra aider le duc de Vendôme à sévir contre sa femme. Mariage projeté entre Charles IX et Dona Juana, d'une part, et entre Don Carlos et Marguerite de Valois, d'autre part. Négociation entre la reine Elisabeth d'Angleterre et Marie Stuart. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. -U98, 0.)

XXVI.

Lettre du roi de Navarre à Tavannes, lieutenant général en Bourgogne, Talcy, 30 juin 1502. « Nous sommes en si bons « termes de pacification qu'il faut surseoir toute hostilité, ainsy « que la royne vous escript, et aussi tenir les Suisses à Ghâlons « ou es environs, attendant que vous ayez autres nouvelles de « nous, les faisant vivre à la moindre foule de peuple que faire « se pourra. » (Orig.; f. fr., vol. 4632, f. H5. Cf. avec la lettre de la reine de même date; Lettres, de Catherine de Médi- as, t. I, p. 343.)

Deuxième lettre du roi de Navarre au même, Talcy, 30 juin 1502. « Nous pensions n'avoir que faire des Suisses, mais il « est hesoing qu'ils marchent pour les raisons que la royne vous « escript, vous pryant les faire partir et acheminer le plus lost « qu'il sera possible et qu'ils ne perdent une seule heure de « temps; car, je voj bien que ceux a qui nous avons affaire ont « autres intentions que celles qu'ils ont voulu faire croyre « jusques icy, dont il me déplaisl infiniment. » (Orig.; f. fr., vol. 4632, f. l-ir.. Cf. avec la lettre de la reine; Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 344.)

ET JEANNE D'ALBRET. 409

XXVII. Lettre dd roi de Navarre au ddc de Nemours. Mois, juillet 1562. Le prince accepte les excuses du duc de Nemours.

Mon cousin, j'ay receu la letre que vous m'avez escripte, par laquelle vous me mandez qu'ayant esté adverly par aucuns de vos amys que l'on m'avoit faict entendre qu'estant dernièrement à Saint-Germain en Laye, vous dictes que j'avoys délibéré de faire tuer le Roy et messieurs ses frères, vous n'avez voulu fail- lir de me faire ce mot de letre, escripte et signée de vostremain, pour me dire qu'avec le respect que vous debvez et que vous avez tousjours déclaré voulloir avoir à la personne et qualité de Monsieur, comme fils et frère de ceulz que vous avez tenu et tenez pour bons Roys et souverains seigneurs, vous voulez bien m'asseurer que vous n'avez jamais eu et n'aurez oppinion aultre de moy, sinon celle que l'on doibt avoir d'un Roy vertueulx et prince d'honneur. Et metant la main sur vostre estomac vous m'asseurez avec vérité que ceulx qui auront dit ou vouldront dire que j'aye voulu tuer le Roy et messieurs ses frères, vous les tenez et tiendrez meschans ; me priant vous recevoir pour bon parent et croire que ne vouldriez avoir tenu langaige de moy aultre qu'on doibt tenir d'un prince fort homme de bien. Estant bien asseuré que je ne l'endurerois de personne, de quelque qualité qu'il puisse estre; ce qui est bien certain, et estois bien résolu de ne laisser en double chose qui peust en riens toucher mon honneur. Parquoy, ayant veu ce que vous me déclarez par ce qui est contenu en vostre d. lettre, je m'en contente et seray bien aise de continuer à vous estre bon parent et amy, et le vous faire congnoistre quand l'occasion s'y pré- sentera. Cependant, en attendant que je vous voye, je me recom- manderay à vostre bonne grâce et prieray Dieu qu'il vous doint bonne et longue vye. A Bloys, ce... jour de juillet 15<»2.

(Copie ou minute; Arcli. dos Basses-Pyrénées, E. 585. Autre; copie ou minute; I. t'r., vol. 1587G, f. 211. La lettre à laquelle répond le roi de Xavarre est conservée en original aux Archives des liasses- Pyrénées, E. 585.)

410 ANTOINE DE BOURBON

XXVIIÏ.

Circulaire du roi de Navarre aux officiers des villes pour les dissuader de prendre part à la guerre et de porter secours aux révoltés, Camp de Blois, juillet 4562. Sentiments pacifiques de la reine et des seigneurs du Conseil. Amnistie offerte aux séditieux d'Orléans. Le roi ne peut autoriser ses sujets à prendre les armes et se voit obligé de leur faire la guerre pour les désarmer et leur imposer la reconnaissance de son autorité. (Minute; f. fr., vol. J5876, f. 199.)

Lettre du roi de Navarre à la reine, "J juillet 4562. Le prince a ouvert un courrier envoyé d'iïspagne par Saint-Suplice pour chercher des nouvelles de ses propres affaires. Almeida est revenu de Madrid et a été arrêté à Tours pendant quatre jours par les soldats de Condé. Il proleste auprès de son frère contre cette arrestation. (Minute; f. fr., vol. 15876, f. 203.)

Instruction du roi de Navarre au héraull envoyé à Tours, Blois, 5 juillet 1562. Sommation aux gens de Tours de capi- tuler devant l'armée royale. (Minute: f. fr.. vol. 15876, f. 497.)

XXIX.

Lettre du roi de Navarre w prince de Condé.

Blois, 5 juillet 1562.

Prière do rendre la liberlt'- au s. d'Almeida.

Mon frère, je viens d'estre adverty par une dépesche venant d'Espagne que d'Almeida partit le 20 du passe, qui est temps assez suffisant pour estre icy s'il ne lu.\ estoil survenu quelque inconvénient comme je crains. Qui me faicl vous escripre la présente pour vous ramentevoir la promesse ipie vous m'avez faicte de me l'envoyer s'il tumboit en lieu vous eussiez puis- sance, à ce que, si vous aviez nouvelles qu'il soyl arresté, vous faisez tant pour moj que de donner ordre bien expresse qu'il me soil envoyé, d'aultant que vous pourez bien penser combien il

ET JEANNE DALBRET. 411

m'importe de scavoir sa dépesche. Ne voulant croire et ne me le pouvant persuader qu'il vous puisse entrer au cueur de me vouloir faire ung si extresme desplaisir, dont il ne vous pourroit revenir aultre fruict qu'en rumpant tout le droit d'amytié, me faire congnoistre en peu de chose qu'il ne me faull jamais actendre de vous amylié ny courloysie, mais penser, à mon grand regret, que je ne doibs espérer de vous que tous les des- plaisirs du monde. Et pour ceste cause, mon frère, s'il vous est demeuré aucune scintille de Pamytié que vous m'avez portée, faictes-le moy paroistre à ce coup en me le renvoyant, s'il est avecques vous, ou donnant ordre, s'il a esté arresté ailleurs, qu'il soit mis en liberté avec sa dépesche, et m'en mander des nouvelles par ce trumpette que j'anvoye expressément devers vous. Priant Dieu, mon frère, après m'estre recommandé à vostre bonne grâce, qu'il vous doint bonne et longue vie.

De Blois, ce 5e jour de juillet 1562.

(Minute orig.; f. fr., vol. 15876, f. 201.)

XXX.

Lettre du roi de Navarre a la reine.

Biais, (5) juillet 1 562.

Récit de la prise de Blois.

Madame, je vous ay ce matin escript par Ligneroles comme je m'en venoys en ceste ville, après avoir veu que ceulx d'Or- léans avoyent perdu l'envye de nous combattre. Mons. le conné- table est par icy d'avant le jour et est icy arrivé avec six canons et la bataille. Et nous sommes demeurez, Mess, de Guise, maré- chal de Saint-André cl moy, à l'avant-garde pour donner moyen à toutes nos trouppes de s'achemyner. Et ne sommes peu arriver assez à temps que nous n'ayons trouve l'opiniâtreté d'une cen- tayne de paillards qui estoyent icy, avoyr esté telle qu'ils avoyent à l'abord tire une infinité de mousquetades et harquebu/ades, de l'une desquelles le eappitaine Gosseins a esté tellement blesse qu'il y a peu d'espérance de vie, et une vingtaine d'autres sol- dats que tués que blessés. Mais eeste fureur ne leur a guères

412 ANTOINE DE BOURBON

duré, cTaultant que, ayant ouy une voilée d'artillerie, 'il s'en sont tous fouys delà le pont, ayans donné ordre de sauver tout ce qu'ils avoyent de bon dès que nostre armée s'approcha d'icy. Si jamais il se feil chose en quoy l'on eusl peine et difficulté, ce a esté à conserver ceste pauvre ville d'estre saccagée, tant les soldats y estoyent animés. Et vous asseure, Madame, que moy et tous ces seigneurs y ont tellement travaillé que nous n'avons jamais reposé ni cessé d'aller d'une rue à l'aultre, et, s'il se peult dire, de maison en maison, que nous n'ayons mis les soldats hors. Gela n'a peu estre sans qu'il y en ayt eu qui ayent paty, tant des bons que des maulvays. Tant y a que je puys dire qu'oncques ville ne se veit avoir enduré l'extrémité qu'a fait ceste-cy et en estre réchappée à si bon marché. Nous y séjournerons tous demain et de en hors prendrons telle résolution que nous verrons estre plus à propos pour le bien et service du roy et de vous, dont nous vous advertirons d'heure à aultre. Et je prieray Dieu, Madame, après m'estre très hum- blement recommandé à vostre bonne grâce, qu'il vous doint très longue et très heureuse vie.

De Blois, ce... jour de juillet 1562.

(Minute ; f. fr., vol. 15876, fol. 202 et 233.)

XXXI.

Lettre do roi de Navarre ad duc d'Étantes.

Blois, (6) juillet 1562.

Rupture des conférences et commencement des hostilités.

Mon cousin, la royne vous escrit si amplement que je ne scauroys que y ajouster, si n'esl vous asseurer qu'il n'a pas tenu à elle que nous ne soyons appoinctez, mais Dieu n'a pas voullu. Aussy y a il eu tant d'opiniastreté, de la part de ceux d'Orléans, que je ne scay si jamais ils auronl ce qu'il leur a esté offert. Et de ma part j'ay ung extrême respect de ce que je voy et Dieu me sera lesmoing, s'il fault que nous venions aux mains, que ce sera contre ma volunté. Car j'eusse esté bien ayse qu'ils eussent esté si raisonnables que nous en fenssions venus là, mais.

ET JEANNE d'aLBRET. 413

puisque Dieu le veult et la nécessité nous y contraincl, vous vous pouvez asseurer qu'il me coustera la vye ou je feray bien obéyr le roy ; et dans peu de jours vous aurez des nouvelles. Cependant je prieray Dieu, mon cousin, vous avoir en sa sainte et digne garde.

De Blois, ce... jour de juillet 1562.

(Minute ; f. fr., vol. 15876, f. 205.)

XXXII.

Instruction du roi de Navarre au capitaine Renouart, envoyé vers le comte de Roggendorf et les capitaines des reistres, 'juillet 1562. Ordre de presser la marche des Allemands et de les amener au camp du roi. (Minute; f. fr., vol. 13876, f. 214.)

Lettre du roi de Navarre au duc d'Aumale, Camp de Blois, 7 juillet 1362. Le prince regrette de ne pouvoir donner du secours au duc d'Aumale. Il lui en enverra quand les Alle- mands seront arrivés. Ordre de resserrer la ville de Rouen, et, si elle est prise, d'empêcher le pillage. (Minute; f. fr., vol. 13876, f. 217.)

Lettre du roi de Navarre au comte du Lude, Camp de Blois, H juillet 1362. Envoi du comte de Villars avec une bonne troupe de gendarmerie en Poitou. Ordre d'assembler la noblesse pour marcher contre les séditieux. (Minute; f. fr., vol. 13876, f. 216.)

Lettre du roi de Navarre à la reine, 10 juillet 1362. Envoi à la reine du mémoire suivant. (Minute; f. fr. , vol. 15876, f. 234.)

Mémoire adressé à la reine mère par le roi de Navarre, s. I. n. d. Rappel de la prise de Blois. Les gens de Tours font leur soumission. Le prince y envoie le s. de Beauvais. Le comte de Villars se rend en Touraine et en Poitou. Le prince a donné au comte du Lude l'ordre de ramasser des troupes. Ce mémoire, sauf les points ci-dessus, parait être une première rédaction de la pièce suivante. [.Minute; f. fr., vol. 15876, f. 235.]

414 ANTOINE DE BOURBON

XXXIII.

Rapport du roi de Navarre a la reine.

Blois, M juillet 1562.

Récit des opérations militaires depuis la rupture des conférences de Baugency jusqu'à la prise de Blois.

Estant la royne partie de Tallesy avec l'ennuy et déplaisir que chacun peult penser pour le peu de satisfaction qu'elle remportait de tant de peine et de travail, qu'elle avoit prinse pour la pacification de ces troubles et la tranquilité de ce royaume, et jugeant ceulx d'Orléans qu'elle ne pouvoit avoir qu'un juste mesconlentemcnt de leurs déportemens en son endroit, tant pour avoir maulgré elle amené mons. le prince de Condé du lieu près Baugency elle s'estoit tant devisé d'aller parler à mons. l'amyral que de ce que, contre ce qu'ilz luy avoient offert et promis de se retirer, ils avoient, avec leur armée, marché en ça, ilz prirent une résolution, comme il se peult veoir par le chemin qu'ilz tenoient et ce que l'on apprinl de leurs nouvelles, de tenter s'il y auroit moicn de donner une camisade au roy de Navarre et à son armée, et, pour le déses- poir où ilz se voyoicnt, hazarder la fortune. Et de faict, esti- mans que messrs les ducz de Guy se et de Montmorency, con- nestable, et Saint-André, maréchal de France, ne fussent encore retournez en l'armée avec une bonne trouppe de cavallerye qu'ilz avoyent mené avecques eulx, et que le reste de noslre gendarmerye fust pour la commodité du couvert logé si loing les ungs des autres, que, arrivant sur le poinct du jour, ilz auroienl bon moien de les (ailler en pièces avant qu'ilz eussent loisir de se recongnoistre u\ assembler leurs forces; en ceste délibération, le mercredy premier dece présenl moyi de juillet, sur les six heures du soir, partirent de la Ferlé du Seau, qui estoit à quatre bonnes lieue-, en bataille serrez, tant les gens de pied qia- de cheval, ayant, la cavallerye des casaques blanches el l'infanterye, chacun une chemise blanche, pour arriver juste- ment une heure ou deux avant le jour en nostre camp exécuter

ET JEANNE d'aLBRET. ll-">

leur entreprinse. Mais la fortune voulut que, s'estant perduz par les chemins à cause qu'il n'y avoit poinct de lune, ilz ne peurent arriver à la poincte du jour qu'à une bonne lieue et demye de nostre camp.

Cependant, le roy de Navarre, dès qu'il entendit par le sr de Ramboillet que la royne avoit envoyé devers eulx, qu'ilz mar- choient vers son camp, craignant ce qui advint, avoit donné ordre de renforcer les gardes et advertir toute la gendarmerye au premier signal, qui estoit d'un coup de canon, de monter à cheval et se rendre à l'artillerye. Et, non content de cela, avoit envoyé le sr de Des Borye, lieutenant de monsr le prince de Navarre, avec vingt sallades, la nuict mesmes du mercredy, pour sçavoir de leurs nouvelles, de façon qu'aiant advis, tant par luy qu'aultres, que messrs les ducz de Guyse et connestable avoient envoyé pour cest effect, qu'ilz marchoient, et principal- lement par mons1' Danville, qui avoyt eu rapport par ceulx qu'il avoyt envoyez, qu'ilz marchoient avec délibérations de le combatre, comme il s'estoit encores entendu par quelques pri- sonniers, de bon matin monta à cheval avecques sa cornette pour se rendre en sa place de bataille. Gomme au mesme ins- tant firent les dicts srs ducz de Guyse, connestable et maréchal de Saint-André, qui de leur costé donnoient ordre de fere mectre tout le monde en bataille au lieu et place qu'ilz avoient advisé entre eulx. En sorte qu'arrivant à Tartillerye et passant par les régimens de gendarmerye et batailluns de gens de pied, il trouva toutes choses si bien ordonnées et une telle délibération de combatre parmy toutes les trouppes, qu'il n'en pouvoit espérer, marchans plus avant ceulx d'Orléans, comme il esti- moit, qu'une victoire certaine, si Dieu, par sa puissance, ne la luy vouloit ostcr des mains. Monsr Damville aussi, qui estoit logé plus avant avec sa cavalJerye legiere, estoit à cheval, auquel il avoit esté commandé de les garder le plus qu'il pour- rait, de riens recongnoistre de nostre bataille, mais les entrete- nir jusques ad ce qu'il feust forcé se retirer au lieu qu'il luy avoit esté ordonné pour combatre.

Toutes choses ainsi ordonnées, le jeudy matin, 4 Ie du dict mois, sur les unze heures, l'on les veit loger en ung villaige, nommé Grevant, n'estant qu'a une bonne lieue et demye de

-110 ANTOINE DE BOURBON

nostrc camp. Et sceul l'on par quelques soldats, qui furent prins avec des chemises blanches, que leur entreprinse avoit esté de donner une camisade ad nostre armée, mais que, ne l'ayant peu exécuter, ilz se réservoient au lendemain, qu'ilz n'auroient guères de chemyn.

(le qu'ayant veu le roy de Navarre, il commanda à la gen- darmerye de s'aller reffreschir et reposer en leur logis, ayant premièrement doublé la garde et ordonné qu'ilz ne bougeassent de leur quartier avec la bride en main pour se rendre, inconti- nent qu'il leur seroit commandé, en leur place de bataille. Le semblable feit-il aux gens de pied avec commandement exprès ad ung chacun de se trouver, comme la nuict fauldroit, en sa place. D'aultant que l'on avoit eu certain advertissement qu'ilz avoicnt résolu de nous combatre la nuict; tant pour ce qu'ilz estimoient de trouver nos forces es quartiers que pour éviter la fureur de nostre artillerye, et qui estoit la principale occasion donner moyen à ceulx qui seroicnt de leur parly en nostre armée de passer à eulx. Et le dict sr roy, avec les dicts srs de Guyse, connestable et maréchal de Saint-André, s'en allèrent recongnoistre tous les lieux et advenues par ilz pourraient venir à eulx, affin de regarder de pourveoir à toutes choses et gaigner tout l'advanlaige pour le combat et leur aporter tout le désadvantaige qui se pouvoit, comme pour leur grande expé- rience et saige conduicte ilz le sçavent très bien ordonner.

Et pour le mieulx entendre, il estbesoing de sçavoir la situa- tion du lieu nostre armée, gendarmerie à pied, estoil en bataille : qui est tel qu'à la main gauche esloit Monsr le conte du Villars avec ung régiment et le bataillon de nos gens de pied de la bataille; auprès d1eulx, à la main droite, estoit Monsieur le connestable avec son régiment; à son costé, Monsr le maré- chal de Montmorency, qui venoit Qnir au bataillon des gens de pied de l'avant garde; et, à leur main droite, Mous'' de Guyse avec son régiment, Monsr le maréchal de Saint-André avec le sien après. Puis le roi de Navarre, avec sa cornette et son régi- ment, qui estoit encores sur le costé de la main droite pour prandre tel party qu'il adviseroyt plus à propos. L'artilleryede la bataille estoil devant leurs gens de pied sur ung petit mont, et celle de l'avant garde sur ung autre, devant les gens de pied

ET JEANNE D'ALBRET. 417

de l'avant garde, qui estaient si à propos que Tune bande don- noit par la teste de ceulx qui fussent venuz, et l'autre par le flanc, et se flanquoient l'une l'aullre. Et davantaige au liane des gens de pied de la bataille, du costé gauebe, il y avoit ung grand estaingqui la flanquoit, et du costé droict du roy de Navarre, tirant vers Baugency, troys cens pas plus avant, sur le liane, de la main droicte, il y avoit ung chasteau et un villaige, ie dict sr roy et ses seigneurs avoient faict mectre jusques à douze cens harquebusiers et quelques mousquetz. Ayans mis quatre cens harequebuziers dans le chasteau et le reste dans le vil- laige, et des hayes qu'ils avoient tellement faict accommoder, comme, pour leur grande expérience, ils le sçavent très bien fere, qu'il est aussi à croyre qu'ilz en eussent peu tirer beau- coup de faveur à eulx marcher, plus beaucoup de dommaige. Et, d'aultant que ilz se voulloient prévalloir de l'obscurité de la nuict pour oster le moien à nostre artillerye de les endommai- ger, l'on avoit ordonné de fere, sur toutes les advenues, de grands tas de fagots; il avoit esté commandé à des soldaz, incontinent que les chevaulx légiers auroient l'alarme, et que l'on sçauroit qu "ilz aprocheroient, de mectre le feu; comme il avoit esté semblablement commandé fere à ung moulin à vent et à des maisons du villaige voisin de ; affin que, de tous ces feux, il s'en fist une lueur si grande que l'on les peust veoir venir comme en plain jour.

Estant le tout ainsi bien ordonné et chacun adverty de ce qu'il avoit à fere, le roy de Navarre et tous ses seigneurs ne faillirent poinct, à l'heure qui avoit esté dicte, de se trouver en leur place de bataille, en laquelle ilz demeurèrent avec la plus grand résolution qu'il est possible et le plus grand plaisir du monde de bien combattre toute la nuict jusques au jour du ven- dredy matin; que, n'aiant nulle alarme, ilz mandèrent à Monsr Damville qu'il feist donner quelques sallades jusques à leur corps de gardes pour aprendre de leurs nouvelles. Les- quelz, ayant raporté qu'ilz ne bougeoient, sur les huict heures, ilz commandèrent à tout le monde se retirer pour s'aller repo- ser et reffreschir, avec charge expresse de tenir leur cas si près qu'à la première alarme ilz feussent à cheval.

Et, comme tout le monde fut retiré, le roy de Navarre avec iv 27

418 ANTOINE DE BOURBON

ces seigneurs donnèrent jusques au logis de Monsr Damville pour ordonner les gardes qui estoyent si près que nos vedettes n'estoient que à cent pas de celles de leur camp. Et, comme ilz eussent craincte que l'on l'attaquast et eussent l'alarme bien chaude, il parust deux esquadrons de cavallerie à leur corps de garde, qui attaquèrent escarmouche assez froidde, de noz soldatz leur alloient donner coups de lance, d'harquebuses et d'espée. Et se veist certainement qu'ilz n'avoyent poinct envye de s'avancer ny rien allumer d'aullre, d'aultant que leurs chefs à coups d'espées les venoient retirer.

Et, sur l'aprèsdinée, comme ceste petite apparence de fureur qui les avoit faict marcher et précipiter si avant se feut passée, et que la raison commença à leur fere congnoistre par expé- rience qu'elle ne leur pouvoit apporter qu'une ruyne prompte et manifeste, ilz prirent party beaucoup plus advantaigeux pour eulx et moings dommaigeable, qui fut de se retirer à deux vil- lages nommés Atzelle, et l'aultre tirant vers Baugency, si serrez qu'un seul homme ne se desbandoit.

Ce que voiant le roy de Navarre avec Messieurs de Guyse, connestable et maréchal de Saint-André, encores qu'il eussent beaucoup désiré, puisque les choses en estoient si avant, les terminer par une bataille, et qu'il eussent, pour cest effect et les y attirer, faict party si beau que, en aiant si grande envye comme ilz en faisoient le semblant, ilz ne le dévoient reffuser, le devoir du lieu qui tient ne luy eust delTendu et ce combat ne portast la conséquence de Testât du royaume, il se contenta de leur avoir monstre qu'il estoit prest de les recevoir tous et quantes fois qu'ilz en auraient envye. Et se résolut, le sab- medie mie de ce moys, de s'en venir gaigner Bloys, d'aultant que ce faisant il leur gaignoit le derrière, et avoir moien de reti- rer à sa dévotion la plus part des villes voysines qui se sont séparées; et se mectoit en une belle assiette et commodde, soit pour les travailler, soit pour actendre les forces estrangieres, qui luy viennent, soit pour prendre tel autre party qu'il verra plus utille et advantaigeux pour le service du roy et heureux progrez de ceste armée.

Pour lequel elîcct, Monsieur le connestable partit à la poincle du jour, avec la bataille et six canons, et s'en vint devant la

ET JEANNE D'ALBRET. 419

dicte ville de Bloys, une quantité de soldatz firent conte- nance de ne voulloir rendre l'obéissance qu'on leur demandoil, mais, à coups de mousquet? et d'harcquebuzes, blessèrent le cappitaine Cossains et tuèrent que blessèrent une vingtaine d'autres soldatz. Qui n'empescha poinct qu'au même instant, sans trenchées et gabions, il mit l'artilerye sur le bort du fossé avecques une telle diligence qu'après une voilée ou deulx ceulx de dedans s'enfuirent, laissant la ville qu'ilz avoient à demy sacaigée en hazarlde l'estre du tout comme ilyavoit apparence qu'elle devoit estre, aiant enduré le canon, et comme à la vérité elle l'eust esté sans le grand soing et extrême dilligence que, tant le dict sr roy que les dicts srs ducz de Guyse, connestable et maréchal de Saint-André et autres seigneurs à qui ilz com- mandement prindrent. N'aiant tout le jour, jusques au soir, bougé de cheval de rue en rue et de maison en maison pour empescher les soldatz et les fere retirer. Qui ne peust estre sans quelque désordre, quelque diligence dont ilz eussent usé pour l'empescher; dont il s'ensuivit des saccagemens de plusieurs maisons que ceulx mesme de la ville qui avoyent esté aupara- vant maltraitez par les maistres d'icelle, monstroyent aux sol- datz et les convioient à les piller.

Et, comme le dict sr roy et tous ces seigneurs estoyent bien empeschés à Bloys, ceux d'Orléans prindrent l'occasion à pro- pos pour forcer Baugency, il avoyt esté laissé quelques sol- datz avec ordre, s'ilz se voyoient pressez, de se retirer de l'aultre costéen Beauce, mais soit ou la volonté de combatre ou la faulte de se résouldre leur feist perdre le temps qu'ilz pou- voient avoir pour se retirer, de façon qu'ilz se trouvèrent sur- prins. 11 en fut tué quelques uns, et d'aultres beaucoup qui se saulverent; mais ce ne fust sans perdre des lances par la marche, assez bon nombre.

(Minute; f. fr., vol. 15876, f. 237.)

XXXIV.

Lettre du roi de Navarre à Chantonay, Blois, \2 juillet 1">62. Le prince a reçu les communications de d'Almeida et en remercie l'ambassadeur d'Espagne. Il se dispose à envoyer

420 ANTOINE DE BOURBON

un plénipotentiaire à Madrid. (Minute-, f. IV., vol. iS876,

f. 204.)

Lettre du roi de Navarre à Claude de PAubespine, secrétaire d'état, Blois, \ 2 juillet \ 302. Le prince va expédier François d'Escars en Espagne et lui commande de prendre les instruc- tions de la reine. Il prie L'Aubespine de rédiger la dépèche. (Minute; f. fr., vol. 15871;, f. 2<H.)

Lettre du roi de Navarre à Odet de Selve, Blois, \2 juil- let 1502. Le prince envoie François d'Escars en Espagne et commande à de Selve de se préparer à l'accompagner. (Minute; f. fr., vol. 13870, f. 200.)

Lettre du cardinal d'Armagnac au roi de Navarre, Vincennes, 13 juillet 1502. Le cardinal informe le roi de Navarre que l'abbé de Saint-Salut a apporté de Rome le bref par lequel le pape recommande au roi d'Espagne la revendication et les inté- rêts du prince. Sa Sainteté, en outre, a envoyé au roi catho- lique un ambassadeur spécial. Nouvelles de la cour, du roi, de la reine et du prince de Béarn. (Orig.; f. fr., vol. 6020, f. 34.)

Instructions du duc de Bouillon au capitaine Bertheville, Argentan, U juillet 1502. Réclamations personnelles. État de la basse Normandie et notamment de Caen, Yalognes, Argentan, Cherbourg et Granville. Demande de secours. (Orig.; f. fr., vol. 13870, f. 2 Tl et 2Ï7.)

Lettre du comte de Villars au roi de Navarre, Châtellerault, \h juillet 1562. 11 a appris à La Haye que les rebelles de Tours s'étaient enfuis a Poitiers el regrette de n'avoir pu les surprendre. Il a envoyé une sommation aux rebelles de Poi- tiers. (Orig.; f. fr., vol. I5S70. I'. 251.)

Lettre du roi de Navarre a la reine, Blois, 10 juillet 1562.

Envoi de François d'Escars a la cour, afin de prendre les ordres de la reine. Espoir que, moyennant une nouvelle déclaration du roi, les ^ens d'Orléans déposeront les armes. (.Minute; f. fr., vol. 15876, f. 202.)

Lettre du roi de Navarre a la reine. Blois, 19 juillet 1562.

Il a envoyé le capitaine Rcnouarl aux Allemands pour près-

ET JEANNE d'ALBRET. 421

ser leur marche. Nouvelles de Bretagne et de Poitiers. Touchant les dépenses de la guerre. (Minute; f. fr., vol. 15876, f. 292.)

Lettre de François d'Escars au roi de Navarre, Vincennes,

21 juillet I.j('»2. 11 a conféré avec l'ambassadeur d'Espagne en présence du cardinal de Lorraine. Arrivée de quinze enseignes de Suisses à Lyon. Odet de Selve s'est résolu à faire le voyage de Madrid. L'artillerie ne sera prête que dans un mois. (Orig.; f. fr., vol. 13876, f. 295.)

Lettre du roi de Navarre à la reine, Blois, 22 juillet 1502.

Il a appris que le baron des Adrets était parti de Lyon avec dix-huit enseignes de gens de pied. 200 chevaux et six pièces d'artillerie pour aller en Auvergne, et qu'il s'était emparé de Montbrison. Il invite la reine à commander au Rhingrave d'envoyer dix enseignes contre le baron des Adrets. Il retient au camp les autres dix enseignes et la cavalerie allemande. (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 304.)

XXXV.

Lettre des gens de Vierzonau roi, 22 juillet 1562. Ils ont reçu une sommation de la part du s. d'Yvoy, soi-disant colonel de l'infanterie française. Les ennemis se sont retirés à Meung et y ont commis toute sorte de cruautés. Ils pré- parent le siège de Vierzon. Demande de secours. (Orig.- f. fr., vol. 15876, f. 307.)

Lettre du capitaine La Loe au roi, Vierzon, 22 juillet 4562.

Vains efforts pour reprendre Meung. Récit d'un combat sous les murs de la ville. (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 306.)

Lettre du capitaine Sarzay au roi de Navarre, Vierzon,

22 juillet 4562. Le capitaine Brueit avec 70 arquebusiers est entré à Vierzon. Coup de main manqué -m- Meung. (Orig.^ f. fr., vol. 45876, f. 297.)

Ordredu prince de Gondé à François de Bricquemault, attendu que la ville d'Orléans \;i être assiégée, de rassembler dans les villages de la Beauce un certain nombre de pionniers, Orléans,

422 ANTOINE DE BOURBON

22 juillet 1562. (Copie du temps; f. fr., vol. 4 0490, f. 4t>2. A la suite de cet ordre, on trouve une commission confirmative du prince de Gondé en date du 24 juillet.)

Lettre du roi de Navarre aux gens de la Rochelle, Mois, 25 juillet 4562. Sommation de déposer les armes. (Minute; f. fr., vol. 4 5876, f. 327.)

Quittance des châsses et reliquaires des églises de Vire, remise à Gabriel de Lorges, seigneur de Mongonmery, en vertu d'un ordre du prince de Gondé, Vire, 29 juillet 4 562. (Orig.; 1". fr., vol. 34 90, f. 44.)

Lettre du comte de Suse au roi de Navarre, Avignon, 4er août 4 5('»2. Les rebelles se sont fortifiés au pont de Sorgue avec neuf enseignes et cinq pièces d'artillerie. Suse s'est jeté dans Avignon pour défendre la ville. (Orig.; f. fr.. vol. 45876, f. 348.)

XXXVI.

Les remèdes nécessaires qui semblent ao roi de Navarre et adx seigneurs qui sont avec luy soubz le bon i'laisik de la

ROYNE.

[Juin 1562.)

Envoyer Mous, de Montpensier ea Guyenne avec vingt enseignes de Françoys, trois mille Espaignolz, la gendarmerie, qui est a présent and. pays et sa compaignye. Et s'il a besoing d'artillerie, il en prendra au chasteau Trompette et autres places il y en aura. Et, parlant d'icy led. s. de Montpensier, il sera accompaigné des s. d'Aussun et de Vanguyon et aussi du s. de Sansac, jusques ;i ce qu'il ayt trouvé les s. de Moulue, de Teride cl autres seigneurs de Guyenne.

{ïïcpome de lu reine) La royne Irouvc 1res bon cest advis. Et est présentement envoyé le povoir pour Mons. de Montpen- sier et lettres aux sieurs qui l'accompaigneront. El dadvantaige a esté advisé d'y envoyer Mons. de Gandalle et de Biron.

Envoyer à Lyon Mons. le mareschal de Saint-André avec

ET JEANNE D'ALBRET. ÏSA

trois mille lansquenets du Ringrave et ses deux cens pistolliers, les troys mil Italiens du roy d'Espaigne et les troys mil Italiens de Mons. de Savoie. Et pourra led. s. mareschal lever jusques à vingt enseignes de Françoys. Et quant aux gens de cheval, il aura sa compaignie et celles du comte de Tende, prince de Sal- lerne, des sieurs de Tavannes, de la Fayette et de Suze et les arquebuziers à cheval du chevalier d'Apchon et les deux cens chevaux de Mons. de Savoye.

(Rép. de la reine.) On ne scauroit mieulx faire que de bail- ler cesle charge à Mons. le mareschal, mais le roy de Navarre considérera le retardement qui est aux Allemans, que Ton actendoit du roy catholicque, et peu d'apparence d'en avoir, pour sur ce prendre résolution, ainsi que luy a esté escrit par le s. de Saint-Bonnet.

Led. s. mareschal prandra en Bourgongne l'artillerye, pouldres et munitions qui luy seront nécessaires et sera besoing que Mons. d'Estrées luy envoyé quelques bons commissaires et canonniers.

Pour la Normandye.

Mons. d'Àumalle sera accompaigné de quinze enseignes de Françoys, troys mille lansquenets du Ringrave et la cavallerie qu'il a à présent avec luy.

(Rép. de la reine.) Semble que les lansquenets ne peuvent aller pour les raisons susdictes.

Pour les forces du roy de Navarre.

Trente enseignes de Françoys.

Quinze enseignes de Suisses.

Les quatre mil lansquenets du roy d'Espaigne.

{Rép. de la reine.) Lesd. lansquenets et pistolliers n'est pas chose seure. El encores ne scayt-on si aura tous les chevaulx fiamans.

Neuf cens hommes d'armes.

(îhevaulx légiers et harquebuziers à cheval, six cens.

Les douze cens pistolliers du comte de Roquandolf.

424 ANTOINE DE BOURBON

Les mille pistolliers du roy d'Espaigne.

Les deux mille chevaulx flamans.

Et sera le bon plaisir de la royne commander au maislre de l'artillerie de faire en loule dilligence préparer quarante canons, dix mille boullets et deux cens milliers de pouldre; ce qu'il pourra prandre en la Picardye au lieu plus proche de Paris. Et (jue le tout soit prest dans la lin de ce moys de juillet ou le xme du prochain pour le plus tard.

(Rép. de la reine.) Le s. d'Estrées ne peult fournir que dix huit canons d'Amyens et quatre de Paris, qui sont vingt deux, pour lesquelz avancer luy a esté baillé argent, et aussi pour faire venir de Maizieres six milles bouletz et de Ghaslons et Troyes les poudres qui y sont. Encores veoyd-on qu'il courra beaucoup de temps avant qu'ilz puissent cstre par delà, pour le grand nombre de chevaulx qu'il y fault, qu'il est impossible lever, estans quasi toutes les élections occuppées. Et en celles qui ne le sont point, ont esté prins ceulx qui servent aux vivres et à l'artillerye. Et seroit besoing que le roy de Navarre feist faire par delà ung département des lieux lesd. chevaulx se pourraient trouver pour conduire le tout de Paris; car il sera pourveu à les amener icy.

Led. s. d'Escars n'oubliera dire a la royne ce qu'il a entendu touchant les deniers que ceulx d'Orléans ont despendu et ce que à peu près ilz peuvent avoir encores en leurs mains.

Est besoing d'user de toute dilligence pour les deniers que le pappe doyt fournir, et que M. le cardinal s'efforce, en ce qu'il pourra, de faire que l'église fera encores ung bon et prompt secours, actendu que en beaucoup de lieux on a levé l'empes- chement qui estoit en la joyssance de leurs terres et biens.

[Rép. de la reine.) On a dépesché le protonotaire de Manne devers h' pape pour avancer son secours d'argent, ung autre à Venise pour en recouvrer, s'il est possible, deux cens mille escuz et autanl du duc de Florence. Et, pour le regard du clergé de ce royaume, on ne perd temps ne expédition pour en avoir d'eux.

Qu'il plaise à la royne faire diligemment dépescher en Aile-

ET JEANNE D'ALBRET. 425

magne, Suysse et Angleterre pour rompre et empescher les brigues et menées que s'efforcent d'y faire ceulx dud. Orléans. [Rép. de la reine.) Il y a esté satisfait.

Qu'il plaise aussi à Sa Majesté d'escrire par homme exprès au Ringrave pour luy faire entendre que led. s. mareschal de Saint- André est ordonné pour aller du cousté de Lyon, et que sad. Majesté désireroit que led. s. comte prit le chemin de Bourgogne avecq la moitié de ses bandes et les deux cens reystres qui sont soubzsa charge, et quïlenvoyastàMons. d'Au- malle en Normandye les autres troys mille lansquenets soubz la conduicte du s. de Bassompierre ou de tel autre personnage qu'il advisera, et qu'il plaise à sad. Majesté envoyer deux gen- Lilzhommes pour conduire l'une des troupes en Bourgongne et l'autre en Normandye.

[Rép. de la reine.) Remis après que l'on aura eu response de la dépesche que a portée Saint-Bonnet.

(Copie du temps, s. I. a. d. Au dos : Responce au mémoire apporté par le s. d'Escars. F. fr., vol. 15877, f. 84.)

XXXVII.

Lettre du roi de Navarre au comte de Sommerive, Vincennes, 2 août 1 562. Ordre de joindre ses forces à celles qui arrivent de Savoie et d'Italie, et de s'entendre avec Bourdillon et Tavannes pour réduire les rebelles. (Minute; f. fr., vol. 45876, f. 354 .)

Lettre du roi de Navarre au parlement de Paris, Vincennes. 4 août 1562. Ordre de recevoir Me Jacques de Mouthiers à l'office de bailli de Mantes et Meulan. (Minute; coll. du pari., vol. 555, f. 394.)

Lettre du roi de Navarre au duc d'Élampes, Vincennes, 4 août 4562. Ordre de faire bonne garde contre les entre- prises possibles des Anglais. Paiement des Suisses. Ordre de réprimer la sédition de Nantes. Le prince est venu cher- cher le roi à Vincennes pour le conduire a Blois. (Minute; f. fr., vol. 45876, f. 355.1

426 ANTOINE DE BOURBON

Déclaration de la reine envoyée au s. de Lansac pour être remise au concile de Trente, 6 août 4 562. Récit des négo- ciations conduites par la reine avec le parti réformé pour éviter la guerre civile. Démonstration catholique. (Copie du temps; coll. Dupuy, vol. 322, f. Ils. Autre copie; coll. Brienne, vol. 200, f. 47.)

Lettre du roi de Navarre à Saint-Suplice, ambassadeur à Madrid, Saint-Léger, 6 août 1502. Lettre de recommanda- tion de d'Almeida que le roi de Navarre renvoie en Espagne. (Minute; f. fr. , vol. 45876, f. 402. Le même jour, le roi de Navarre écrivit à plusieurs ministres du roi d'Espagne dans le même objet. Minute-, f. fr., vol. 15876, f. 427.)

Lettre du roi de Navarre au duc d'Albe, Blois, 7 août 4";r.2. Remerciements des concessions du roi catholique. Recom- mandations de d'Almeida que le prince renvoie en Espagne. (Orig.; Arch. nat., K. 1490.)

XXXVIII.

Lettre du ducdeMontpensieret de François de Montmorency au roi de Navarre, Blois, 7 août 1502. Explosion de muni- tions à Orléans. Désir de l'armée de marcher au siège de Bourges. Arrivée de La Brosse. (Orig.-, coll. des autographes de Saint-Pétersbourg, vol. 404; f. 10; copies delà Bibl. nat.)

Lettre d'Innocent Tripied, seigneur de Monterud, au conné- table, Vierzon, 9 août -1502. Récits de combats livrés sous les murs de Bourges entre les premiers détachements catho- liques et les soldats du s. d'Yvoy. (Orig.-, f. fr., vol. 45870,

f. 385.)

Lettre de Henri de Montmorency-Damville à la reine, Blois, 9 août 4502. Remerciements de la charge d'amiral. (Orig.; f. fr., vol. 15876, t. 3S4.)

Lettre du maréchal Saint-André au roi de Navarre, Poitiers, 1 1 août 4 502. Les gens de la Rochelle font amende hono- rable. — Envoi de lettres de Jarnac. (Orig.; f. fr., vol. 15876, f. 392.)

ET JEANNE d'âLBRET. 427

Lettre de Saint-Suplice au roi de Navarre, Madrid, 12 août 4 562. Réponses évasives du roi d'Espagne. Bonnes dis- positions de ce prince. (Orig.; f. fr., vol. 15870, f. 407.)

Lettre des habitants de Pontorson au duc d'Aumale, Pontor- son, 12 août i 5(>2. Plaintes contre les excès des réformés; récit détaillé. (Orig.; f. fr., vol. 3490, f. -18.)

Lettre de Saint-Suplice au roi de Navarre, Madrid, 15 août -1562. Bonnes dispositions du roi d'Espagne relativement au secours promis au roi de France. Lettre de créance en faveur du s. de Lamothe. (Orig.; f. fr., vol. 1^876, f. 430.)

XXXIX.

Lettre du roi de Navarre à Antonio d'Almeida, août 4 502.

Ordre de repartir pour l'Espagne. (Minute; f. fr., vol. 4 5870, f. 403.)

Instruction secrète du roi de Navarre à François d'Escars, envoyé en Espagne, Romorantin, 17 août 1562. Première rédaction d'une pièce relative aux négociations du roi de Navarre (voyez le document suivant). (Minute-, coll. des auto- graphes de Saint-Pétersbourg, vol. 21, f. 145; copies de la Bibl. nat.)

Instruction du roi de Navarre à François d'Escars allant en Espagne, touchant la récompense du royaume de Navarre, août 1502. Déclaration par laquelle le roi de Navarre accepte, de la main de Philippe II, a titre de générosité, le royaume de Sardaigne en attendant la conquête de la Tunisie.

Pièce très développée qu'il est inutile d'analyser, puisque la mission de François d'Escars n'eut pas lieu. (Minute; coll. des autographes de Saint-Pétersbourg, vol. 21, f. 138. Autre copie, f. 141. Autre copie; correspondance de (maries IX conservée à la bibl. de Saint-Pétersbourg, t. II, pièce 00 ; copies de la Bibl. nat.)

XL.

Circulaire du roi aux prélats du royaume envoyés au concile de Trente, Meun-sur-Yevre , 10 août 1502. Ordre de se

428 ANTOINE DE BOURBON

rendre au concile de Trente et de se trouver le 25 octobre à Turin. Le concile durera probablement six mois. Le roi garde les frais à sa charge et autorise le prélat destinataire à prélever 4,800 livres sur les décimes de son diocèse. (Copie du temps; Arch. nat., K. 4498, 26.)

Instruction du roi au card. de Lorraine envoyé au concile de Trente, s. t. n. d. (49 août 4562). (Pièce originale signée : Charles, Catherine, Alexandre (duc d'Anjou), Antoine (roi de Navarre), Charles de Bourbon (prince de la Roche-sur- Yon), François de Lorraine (duc de Guise), Montmorency, de Lospi- tal, Saint- André, H. de Montmorency (Damville); f. fr., vol. 4 042(5.)

Ordre du roi à Jean de Monluc, évèque de Valence, d'aller au concile de Trente avec le cardinal de Lorraine, Meun-sur-Yevre, 49 août 4 362. (Copie; f. fr., vol. 34 93, f. 4 5.)

Lettres par lesquelles le roi ordonne que le cardinal deChas- tillon continue à jouir de ses biens, Camp de Laz-enay près Bourges, 22 août 4562. (Copie; coll. Brienne, vol. 205, f. 397.)

Don du roi au roi de Navarre de toutes les confiscations qui seront prononcées contre les rebelles dans les provinces dudit roi et de la reine de Navarre, Camp de Bourges, 25 août 4 562. (Orig. sur parchemin; arch. des Basses-Pyrénées, E. 585, pièce signée seulement de L'Aubespine.)

XLI. Procuration de Jeanne d'Albret a Antoine m Mourbon podr

NÉGOCIER LA COMPENSATION I)D ROYAUME DE NAVARRE.

Pau, 25 août 1562.

Fut présente très haulle, très excellente, très puissante et 1res maignanime princesse, Jehanne, par la grâce de Dieu, royne de Navarre, dame souveraine de Béarn et de la terre de Domezan, duchesse de Vandosmoi>. de Granmont, d'Albret et Monblanc et Pcnefiel, marquise de Lymoges, contessc de Foix, d'Armaignac, Bigorre, Périgord, Rodez el Marie, viscontesse de

ET JEANNE D'ALBRET. 429

Marsan, Tursan, Gavardan, Nebouzan, Lannes, Villemur et Tartas, laquelle recongnoit et confesse avoir faict et cons- titue son procureur spécial très hault, très excellent, très puissant et très maignanime prince, Anlhoyne, par la mesme grâce roy, seigneur, duc, marquis et conte desd. lieux, son très honoré seigneur et espoul, auquel seul et pour le tout lad. dame constituante a donné et par ces présentes donne plaine puissance et mandement spécial, avec faculté de substituer ung ou plusieurs procureurs ayant pareil pouvoir que led. seigneur roy, son mary, de, pour et au nom de lad. dame constituante, traicter et accorder de tous et chacuns les différends, qui jusques à ceste heure ont esté meus avec très hault, très excel- lent, très maignanime et très puissant prince, Philipes, par la grâce de Dieu roy d'Espaigne catholic, pour raison des droicts à elle appartenans sur les villes, places et pais de son royaulme de Navarre à présent détenus et possédés en sond. royaulme deçà les ports par led. s. roy d'Espaigne, et de, sur lesd. différends et accords, en faire passer tous traités et contracts en toute telle forme et seureté que led. sieur roy, son procureur ou ses subs- titués, adviseront estre faisable par raison et soubz les condi' tions plus profictables et commodes pour lad. constituante et ses hoirs, sans toutes fois préjudiciel* et y comprendre les tiltres, droicts et biens par lad. dame constituante à présent posseddés, et aussi, pour la parfection desd. accords, au nom de lad. dame constituante, recevoir et accepter les royaulmes, pais, villes et places qui seront baillées pour la paciffication desd. différends et d'icelles en prandre ou faire prandre la possession réelle, actuelle et corporelle, qui en sera baillée, promettant, soubs l'obligation de tous et chascuns ses biens présens et advenir, ratiffier, agréer et approuver tout ce qu'en la forme susd. par led. sieur roy. son mary, et procureur ou aultres par luy substitués, aura esté faict et passé au nom et proffict de lad. dame constituante et de ses hoirs. El aultrement, sur tout ce que dessus, faire conclure accords et contracts corne lad. cons- tituante feroit et faire pourroit, si présente en sa personne y estoit, combien que la chose requist mandement plus spécial. En tesmoing de quoy lad. dame a signé ces présentes de -a main et faict sceller du scel de ses armes en la présence de

430 ANTOINE DE BOURBON

moy, notaire à Pau, soubzsigné, à la requeste de lad. dame, qui ay receu et passé la présente procuration en présence de Girault de Sallignac, seigneur de Rochefort, gentilhomme de la chambre du roy et escuyer d'escuyrie de lad. dame, et Richard de Gontault de Sainct Genyès, tesmoings à ce requis, et par moi, Jehan de Miramont, notaire susdict, appelles. Faict et passé à Pau, au chasteau de lad. dame, lexxvejour d'aoust, l'an de grâce mil cinq cens soixante deux.

Jehanne. Et plus bas : J. de Miramont. (Orig.; arch. des Basses-Pyrénées, E. 585; parchemin avec sceau.)

XLII.

Lettre de Paul de Foix, ambassadeur à Londres, à la reine, Londres, 20 août ^ 562. Négociations préliminaires du traité de Hamptoncourt. (Orig.-, f. fr., vol. G(H2, f. 137.)

Lettre de Moreau, officier de finances, au s. de Gonnor, Camp de Bourges, 2(J août 1562. Le roi de Navarre réclame son plat avec insistance à raison de 1,000 écus par mois. La ville de Bourges succombera à la fin de la semaine. (Orig.; f. fr., vol. 32i6, f. 03.)

Lettre de Ghantonay à Philippe II, Chartres, 27 août 4562.

Lettre tout en chiffres, excepté un paragraphe dans lequel l'ambassadeur raconte une victoire du duc de Nemours. (Orig. espagnol; Arch. nat. , K. H9S, 27.)

Lettre de Ghantonay au roi de Navarre, Chartres, 27 août 1562. Avertissement de l'accord qui se prépare entre la reine d'Angleterre et les rebelles. (Gopie du temps; Arch. nat., K. 1498, 28.)

Lettre de Ghantonay à Philippe H, Chartres, 28 août 1562.

Lettre tout en chiffres, sauf deux paragraphes, dans lesquels l'amliassadeur parle des bonnes relations de Vendôme et de L'arrestation d'un courrier du prince de Gondé par le duc de Xcniours. (Orig. espagnol-, K. I Vis. n" 20.)

ET JEANNE d'aLBRET. 431

XLIII.

Lettre de Moreau au s. de Gonnor.

Camp de Bourges, 28 août 1562.

Nouvelles du siège de Bourges.

Monseigneur, encores que j'aye bien peu de subject pour vous escrire, d'aultant que je sçay bien que ne mancquez poincl de nouvelles asseurées, si est-ce que, s'ofîrant l'occasion de ce porteur, je m'enhardiray de vous dire ce petit mot, qui est de nostre batterye, qui jusques à cejourd'huy a continué assez lentement jusques à avoir faict bresche à demy raisonnable. Mais ceulx de la ville remparent de si grande force et dilligence qu'il n'y a soldat françoys qui ne la tienne moins accessible et plus dangereuse pour le hazard de beaucoup d'hommes qu'elle n'estoit du premier et second jour. On continue tousjours à la sappc dont on espère quelque chose; mais on tient pour vray que lesditz de la ville se retranchent et donnent si bon remède à nostre sappe, dont ilz sont fort bien advertis, à ce qu'ilz en ont dict tout hault, qu'ilz donneront, avant que de les pouvoir avoir, beaucoup d'affaires, et au hazard de perdre la pluspart de noz bons hommes, sans ceulx qui sont desjà mortz et blessez, comme du jour de devant hier, le cappitaine Lynières, et en sa mauvaise jambe, que je croy luy fauldra coupper-, le cappitaine Sarlaboz ung coup d'harquebuzade en la fesse ; oultre x ou xu des nostres, tant reistres que Françoys. qui demourarent hier sur le champ, sans beaucoup de blessez à l'escarmoulche d'une saillye que firent ceulx de la ville avec bien nc harquebuziers d'eslite, et vous asseure que noz soldatz françoys en parlent de telle façon que leur commun dire est qu'ilz ont affaire à de bons soldatz. Et croiez de vray que le courage de nosditz Fran- çoys pour combattre diminue et deffault de jour à autre, au veu et sceu de tout le monde. Dieu vueille que tout succède à bien, et que le roy en puisse avoir la raison ! J'espère demain m'enquérir au plus prez de tout ce qui se sera passé depuis ce jourd'huy, pour vous en faire certain par le premier que je trouvera) à propos, sans me hazarder par la poste, il se pert

432 ANTOINE DE BOURBON

forces pacquectz. Il ne s'est encores faict monstre pour se mois d'aoust que des lansquenetz; chacun se remect après la prise de la ville. Monseigneur, espérant demain vous escrire plus au long et de nouvelles plus fresches, je présenteray mes très humbles recommandations à vostre lionne grâce, et prieray le Créateur de vous donner, Monseigneur, la sienne en bonne santé et longue vie. Du camp devant Bourges, ce xxvuie aoust -1562.

Moreau.

(Orig.; f. fr., vol. 3216, f. 65.)

XLIV.

Ordre du roi de Navarre au maréchal de Bourdillon, lui com- mandant de remettre au duc de Savoie, en vertu du traité de Cateau-Cambrésis, les quatre places fortes du Piémont, Camp devant Bourges. 31 août 4 562. Pièce rapportée dans le pro- cès-verbal de la remise de ces places. (Copie du temps; f. fr.. vol. 311)5, f. 2.)

Lettre de Chantonay à Philippe IT, s. I. n. d. [septembre \ 562).

Prise de Bourges. Pillages de d'Yvoy. Le roi de Navarre lui a refusé l'autorisation d'emporter le produit de ses rapines.

Les rebelles pillent les villes et les églises dont ils peuvent se rendre maîtres. Incertitude de la marche de l'armée royale.

Il est probable qu'elle ira assiéger Orléans. Coups de main préparés par les Anglais en Normandie, avec la complicité des rebelles. Nécessité pour Philippe II de presser l'envoi des troupes espagnoles. Le duc de Nemours ira à Lyon avec les compagnies italiennes. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. J498, n" 23.)

Lettre du roi de Navarre au pape, Étampes, septembre <562.

Remerciements du prince pour la lettre qu'il a reçue de Sa Sainteté. Protestation de dévouement. (Copie du temps ; f. fr., vol. I5S77, f. 95.)

Lettre de Saint-Suplice à Antoine de Noailles, Madrid, Ier sep- tembre I5<>2. Le roi d'Espagne ne pourra envoyer tout le secours qu'il avait promis. (Copie du temps; f. fr., vol. 69-M, f. 373.1

ET JEANNE D'ALBRET. 433

Lettre de Saint-Suplice à la reine mère, Madrid, 4er sep- tembre 4 562. Négociations à la cour d'Espagne au sujet des troupes demandées par la reine. Quant à la cavalerie, Phi- lippe II, s'attendant à être attaqué dans les Flandres, est obligé de réduire ses propositions. (Orig.; f. fr.. vol. 45877, f. 5.)

Lettre de d'Almeida à la reine. Madrid, 2 septembre 4562. Il a remis au roi catholique les instructions dont il était porteur. Dans huit jours, il espère recevoir une réponse favorable. Bonnes dispositions de Philippe II et de tous ses ministres pour le roi, la reine et le roi de Navarre. (Autographe espagnol; f. fr., vol. 4 3877, f. M.)

XLV.

Lettre du roi de Navarre à Maugiron, lieutenant général en Dauphiné, Camp de Bourges. 4 septembre 4562. Ordre de se rendre en toute diligence, avec Robertet d'Alluye, en Piémont, afin de prendre la conduite des dix enseignes de gens de pied, des trois compagnies de gendarmerie et des deux cornettes de chevau-légers du maréchal de Bourdillon. (Orig.; Arch. munie, de Lyon, AA. 24, f. 434.)

Lettre d'Antonio d'Almeida au roi de Navarre. Madrid, 7 sep- tembre 4 362. Récit de sa mission a Madrid. Sa conférence avec le prince d'Eboli. Bonnes dispositions du roi d'Espagne. Il attaquera les rebelles de France par l'Italie. (Autographe espagnol; Arch. des Basses-Pyrénées, E. 385.)

Lettre du comte de Sommerive au roi de Navarre, Camp d'Avignon, 1 7 septembre 4 362. Récit détaillé de la campagne. (Orig.; f. fr., vol. 45877, f. 76.

Lettre de Robertet, secrétaire d'État, au roi de Navarre. Fos- san, 4 8 septembre 4 362. Le duc et la duchesse de Savoie, pour aider le prince dans ses revendications, envoient le sieur de Morette en Espagne. (Orig.-. f. IV.. vol. 4 3877, f. 80.) rv 28

434 ANTOINE DE BOURBON

XLVI.

Nouvelles de la santé de Henri de Navarre. Montargis, sept. 4562.

Sire, hier et avant hier, monseigneur le Prince, vostre filz, s'est hien porté, grâces à Dieu, que n'est lui demourée se non une petite chaleur, laquelle j'espère que s'en ira du tout avecques l'infusion de reubarbe qu'il a prins aujourd'hui à matin, sans nulle difficulté; je la lui ai ballée très volentier, pour l'otter de tous dengiers, et mesmement voyant que Monsr Chapelin est de la mesme opinion, selon que m'a mandé par sa lettre. Mondict seigneur vostre fils ceste nuict a reposé fort doucement, de sorte qu'il commence desjà s'aprocher à sa pre- mière costume naturele en toutes choses.

La medicine jusques à cest'heure de midi a opéré deux foys, ayant faict sortir par le bas une grande quantité d'humeurs fort corrumpues-, lesquelles, se fussent demourés dedens le corps, pouvoient assez aiséement engendrer une novelle et dangereuse fièvre.

Après ceste medicine, on le faira prendre, par quelques jours, trois heures devant disner, de petites tabletes avecques un boul- lon des bonnes herbes, lesqueles sont fort propres pour confor- ter l'estomac et le foye et pour ayder sortir par Turine et par sueur quelque petite rcliquie d'humeurs que pouroit demourer aprez la pourgation-, et, à petit à petit, on l'acostumera en son ordinaire façon de vivre. Espérant, Sire, quavecques l'ayde de Dieu, je n'oblierè rien de cela que vous a pieu me comander par la lettre qu'il vous pleut m'escrire pour confirmer et con- server la santé dudict seigneur ; et vous remercie, Sire, de la bonne opinion que [vous avez] de moy, laquele je m'esforcerè, Dieu avdanf, de vous donner toujours [occasion] de ne l'avoir jamais pire. Me recommandant en loulc humilité a vostre grâce, je prie le Créateur, Sire, vous donner très longue et heureuse vie.

De Montargis, le... septembre \~M\1.

Vostre plus que très humble et très excellent serviteur. (Autographe, signature enlevée; f. fr., vol. 15877, f. 98.)

ET JEANNE d'aI.BRET. 435

XLYII.

État des appointements du lieutenant général de l'armée devant Rouen et des capitaines et autres officiers, pour le mois de septembre 4 302. (Copie du temps-, Ve de Colbert, vol. 24, pièce 105.)

Lettre du roi à Paul de Foix, ambassadeur en Angleterre, octobre 4 362. Le roi n'a donné aucune occasion à la reine d'An- gleterre de porter secours aux rebelles. Ordre de lui faire des remontrances ainsi qu'aux seigneurs de son conseil. (Copie; coll. Brienne, vol. 200, f. 109.)

Lettre de Henri de Montmorency Damville au roi de Navarre, Yvetot, 5 octobre ^ 562. .Mesures prises pour empêcher la descente des Anglais. Le prévôt de Normandie a coupé à Darnetal le ruisseau qui faisait moudre les moulins de Rouen. La disette se fait sentir dans la ville. Les Anglais sont descendus à Dieppe. Ils commencent à paraître au Havre. Demande d'argent pour les compagnies de gens de pied. (Orig.; coll. des autographes de Saint-Pétersbourg, vol. 104, f. 4 2. Copies de la Bibl. nat.)

Lettre du capitaine Estouteville au roi de Navarre; même date et même sujet que la lettre précédente. (Orig.; f. fr. , vol. 45877, f. 465.)

Lettre de H. de Montmorency Damville au roi de Navarre, Yvetot, 6 octobre 4 362. Les Anglais sont descendus au Havre au nombre de deux ou trois mille. Nécessité de fortifier les autres villes. (Orig.; coll. des autographes de Saint-Pétersbourg, vol. 404, f. 44. Copies de la Bibl. nat.)

Lettre de Beauvoir La Nocle à la reine, le Havre, 7 octobre 4 362. Les Anglais sont descendus à Dieppe et au Havre. Justification de l'intervention anglaise au nom de la gloire de Dieu et de l'intérêt du roi. Récriminations ardentes contre les chefs du parti catholique. Offre à la reine des services du prince de Condé. (Orig.; f. fr., vol. 4 5877, f. 175.)

436 ANTOINE DE BOURBON

XLVIII.

Letlre de Marc Antoine Rarbaro, ambassadeur vénitien, à la république de Venise, Paris, M octobre 4 5(i2. Blessure reçue par le roi de Navarre. Sa mort aurait pour conséquence de porter le prince de Gondé au pouvoir. (Copie ital.; Dépêches vénit., filza4 bis, f. 47 v°.)

Lettre du même, Paris, 4 8 octobre 4 5G2. Nouvelles du roi de Navarre. Récit de l'assaut du -1 r> octobre. (Copie ital.; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 4 30.)

Lettre de Chantonay à Philippe II, Paris, 4 9 octobre 4562.

Visite de l'ambassadeur au duc de Vendôme. Sa blessure n'est pas mortelle. Courage des chefs de l'armée. Le royaume de France est en entier déchiré par la guerre civile.

Politique de la reine d'Angleterre en Normandie. Le duc de Vendôme dépêche Odet de Selvc à Madrid. (Orig. espagnol -, Arch. nat., K. 4496, 4 49.)

Résumé de chancellerie de la réponse que Antonio d'Almcida doit porter au roi de Navarre de la part du roi d'Espagne, sur le conseil du duc d'Albe et du prince d'Eboli, Madrid, 21 oc- tobre 4 502. Puisque le roi de Navarre veut envoyer Fran- çois d'Escars à Madrid, il sera reçu suivant sa dignité, mais il serait bon, avant d'entrer en conférence avec lui, de s'entendre sur les assurances que le roi de Navarre est à même de donner au roi d'Espagne. (Orig. espagnol, signé du duc d'Albe et du prince d'Eboli; Arch. nat., K. (496, 120.)

Réponse de d'Almeida à la pièce précédente, Madrid. Il demande à la chancellerie espagnole de s'expliquer clairement avec le roi de Navarre et de préciser les engagements que le roi catholique exige de lui. Nouvelles de France; le royaume est en proie à la guerre civile. (Autographe espagnol; Arch. nat., K. 4496, 4 21.)

XLIX.

Lettre de Marc Antoine Barbaro, ambassadeur vénitien, à la république de Venise, Paris, 21 octobre 4 302. Nouvelles du

ET JEANNE D'ALBRET. l.*>7

siège de Rouen. Récit des négociations que la reine conduit avec les rebelles. (Copie ital.; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 452.) Lettre du secrétaire d'État Bourdin au s. de Gonnor, Camp de Rouen, 22 octobre 4362. Siège de Rouen. Bravoure des assiégeants et des assiégés. Nouvelles du roi de Navarre. (Orig.; f. fr., vol. 324 9, f. 4 02.)

Lettre de Philippe II à Catherine de Médicis, Madrid, 23 oc- tobre 4 362. Encouragements à réprimer avec vigueur la rébellion. Quant aux affaires du duc de Vendôme, le roi d'Espagne s'en réfère à sa réponse à d'Almeida. Il aura tou- jours égard aux recommandations de la reine. (Copie en espa- gnol; Arch. nat., K. 4496, 122.)

Lettre de Marc Antoine Barbaro à la république de Venise, Paris, après le 26 octobre 1562. Siège de Rouen. Depuis la prise du fort Sainte-Catherine, les réformés ont demandé à parlementer. Fuite de Mongonmery. L'armée royale va marcher sur Dieppe. Le maréchal Saint-André et le duc de Nemours sont envoyés avec des forces au-devant de François d'Andelot, qui revient d'Allemagne avec des troupes. (Copie ital.; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 149.)

Lettre du cardinal de Bourbon au s. d'Humières, Camp de Rouen. 26 octobre 4 362. Convalescence du roi de Navarre.

L'assaut eût été donné à la ville de Rouen depuis quelques jours, sans la crainte de la reine de livrer la ville au pillage. (Orig.; f. fr., vol. 34 87, f. 32.

Lettre de Philippe II à Chantonay, Madrid, 2r> octobre 4 3(12.

Ordre de régler les garanties que Vendôme réclame, afin que, lorsque d'Escars arrivera à Madrid, ces points préliminaires soient tranchés. Touchant la lettre que la reine mère a écrite à Philippe II, au sujet des troubles de France. Le roi d'Es- pagne approuve l'envoi de d'Escars, mais l'arrivée de cet ambas- sadeur déplait vivement à Saint-Suplice. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 4496, n°423.)

Lettre du duc d'Albe ou du prince d'Eboli au roi de Navarre, Madrid, 27 octobre 4 562. Réponse à la lettre du prince du 7 août. Protestation de dévouement. (Minute en espagnol; Arch. nat., K. 4496, 36.)

iv 28*

438 ANTOINE DE BOURBON

Lettre de Marc Antoine Barbaro à la république de Venise, Paris, 29 octobre -1362. Récit détaillé de la prise de Rouen.

Pillage de la ville. (Copie ilal.; Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 154.)

Lettre de Moreau, officier de finances, au sr de Gonnor, Rouen, 30 octobre 4562. Détails sur le pillage de la ville de Rouen. (Orig.; f. fr., vol. 324 6, f. 80.)

Lettre de Chantonay à Philippe II, Rouen, -1er novembre 4562.

Convalescence du duc de Vendôme. Le reste de la lettre est en chiffres. (Orig. espagnol ; Arch. nat,, K. 4 500, 44.)

Lettre de Moreau au sr de Gonnor, Rouen, 5 novembre 4 562.

Il a fait la dépêche d'un don du roi au bâtard d'Angou- lême. Le roi a fait crier un pardon général qui ne réserve que neuf ou dix rebelles. Il partira de Rouen pour Paris. On espère y mener le roi de Navarre en bateau. La reine fait donner une somme d'argent à tous les capitaines blessés. Prière d'user de son influence pour restreindre telles générosités qui vont épuiser le trésor. (Orig.; f. fr. , vol. 3216, f. 82.)

LI.

Lettre de Marc Antoine Barbaro à la république de Venise, Paris, 6 novembre 4 5<;2. État du roi de Navarre. (Copie ital.; Dépêches vénit., filza h, f. 156.)

Lettre de Chantonay à Philippe II, Rouen, 6 novembre 4 562.

Le roi et la reine ne partiront de Rouen que lorsque le duc de Vendôme sera en convalescence. Tout le reste est chiffré. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1500, M.)

Lettre de Chantonay a Philippe II, Rouen, 9 novembre 1562.

La blessure du duc de Vendôme fait craindre pour sa vie.

La reine a dit à l'ambassadeur (pie le 12 ou le 4 3 elle par- tira pour Paris. On a l'intention d'amener Vendôme en bateau.

Victoire remportée près de Valence par le duc de Nemours

ET JEANNE d'aLBRET. 439

sur le baron des Adrets. (Orig. espagnol; Arch. nal., K. 1300. 11° J5.)

Lettre de Marc Antoine Barbaro à la république de Venise, Paris, 9 novembre -1562. La duchesse de Guise a dit savoir de la reine qu'elle tenait le roi de Navarre pour mort. (Copie ital.; Dépêches vénit., fiiza 4 bis, f. 49 v°.)

Lettre de Philippe II à Chantonay, Madrid, 10 novembre 4 5<î2. Ordre de visiter le duc de Vendôme et de lui exprimer de sa part la satisfaction qu'il éprouve de sa convalescence. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. U96, -126.)

Lettre de Marc Antoine Barbaro à la république de Venise, Paris, 12 novembre -1562. Le bruit court que, si le roi de Navarre vient à mourir, la lieutenance générale écherra au prince de Béarn. Chance que le prince de Condé peut avoir d'obtenir cette charge. (Copie; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 49 v°.)

Lettre du même, Paris, 4 6 novembre 4 362. État désespéré du roi de Navarre. S'il vient à mourir, il ne sera pas rem- placé comme lieutenant général. (Ibid.5 ibid., f. 160.)

Lettre du même, Paris, 48 novembre 1362. Incertitude générale et perplexité de la reine. (Ibid.; ibid., f. 30 v°.)

Lettre du roi au s. de Mailly, Vincennes, 48 novembre -1362. Nouvelles de la mort du roi de Navarre. Défense à tout capitaine ou officier de ne prendre les ordres que du roi ou de la reine mère. (Orig.; f. fr., vol. 20434, f. 30.)

LU.

Lettre de Philippe II à la reine, Madrid, 23 novembre 4562.

Le roi a appris que l'état du roi de Navarre a empiré. En conséquence, en cas de mort de ce prince, il recommande le cardinal de Bourbon pour la dignité de lieutenant général. (Minute en espagnol; Arch. nat., K. 4496, 127.)

Lettre de Saint-Supliceàlareine, Madrid. 23 novembre 4 362.

Le duc d'Albe l'a informé de l'état désespéré du roi de

440 ANTOINE DE BOURBON ET JEANNE d'aLBRET.

Navarre. Philippe II recommande le cardinal de Bourbon comme lieutenant général. Saint-Suplice a répondu que ce choix dépendait des états généraux. (Orig.; f. fr.; vol. J.5877, f. 386.)

Lettre de Philippe II à Chantonay, Madrid, 23 novembre -1562.

Conséquence désastreuse de la mort possible du duc de Yen- dôme. Le roi commande à Chantonay de faire tous ses efforts pour que la charge de licutenaiil général tombe aux mains du cardinal de Bourbon. (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1496, 128.)

Instruction de Philippe II à Francès de Alava, ambassadeur extraordinaire en France, Madrid, 29 novembre -1362. Ordre de féliciter la reine de la prise de Rouen. Ordre d'empêcher par tous les moyens que le prince de Condé succède à son frère et de faire triompher la candidature du cardinal de Bourbon.

Toutes les lettres du roi confiées à Alava ne devront être remises à leur adresse que si Vendôme est mort. (Orig. espa- gnol; Arch. nat., K. 4496, 432.)

Lettre de Philippe II à Catherine de Médicis, Madrid, 29 no- vembre 4 562. Philippe II présente ses doléances à la reine et lui recommande le cardinal de Bourbon. (Copie espagnole ; Arch. nat., K. 4436, n°430.)

Lettres de Philippe II au roi, au cardinal de Bourbon, au duc de Guise, au prince de la Roche-sur- Yon, au connétable, Madrid, 29 novembre 1562. Même sujet que la lettre précédente. (Copie en espagnol ; Arch. nat., K. 1496, 429.)

TABLE.

CHAPITRE SEIZIÈME. Séparation du roi et de la reine de Navarre. Page 1.

La reine mère passe au parti réformé. Elle modifie, au profit

de ses nouvelles tendances, l'éducation de ses enfants. Assemblée de Saint-Germain (3 janvier 1562). Édit de janvier

(17 janvier). Opposition du parlement. Il se résigne à

l'enregistrement de l'édit (5 mars). Colloque de Saint-Germain au sujet du culte des images (27 jan-

vier-6 février). Le roi de Navarre passe au parti catholique. Reprise des

négociations avec le roi d'Espagne au sujet de la Sardaigne.

Philippe II demande le renvoi des chefs du parti réformé.

Projet d'envoyer le prince de Condé en Guyenne. Phi- lippe II exige l'exil des Chastillons. Le duc d'Albe offre la Tunisie au roi de Navarre (18 janvier). Rivalité de la reine mère et du roi de Navarre. Retraite du connétable (26 jan- vier). — Antoine demande à la reine le renvoi des Chastillons (12 février). Retraite volontaire de Coligny (22 février). Renvoi du maréchal Saint- André.

Retour d'Antonio d'Almeida à Madrid (5 mars). Les chefs du parti catholique recommandent le roi de Navarre à Chan- tonay.

Querelles de Jeanne d'Albret et du roi de Navarre au sujet do la religion. État de santé de la princesse. L'ambassadeur d'Espagne demande l'expulsion de Jeanne d'Albret. Jeanne quitte la cour (fin mars). Henri de Béarn reste auprès de

442 TABLE.

son père ; sa résistance au catholicisme. Jeanne d'Albret à Vendôme. Pillage de la collégiale de Vendôme et des tom- beaux de la maison de Bourbon-Vendôme (mai). La reine de Navarre se retire en Béarn.

CHAPITRE DIX-SEPTIEME.

Massacre de Vassy (1er mars). Prise d'Orléans (2 avril). Page 101.

Négociations du duc de Guise en Allemagne. Entrevue de Saverne (15 février 1562). Massacre de Vassy (1er mars). Conférences de Nanteuil entre Guise, le connétable et Saint- André (12 mars). Nouvelles de la cour. Entrée du duc de Guise à Paris (16 mars). Lettres de la reine à Condé (16 au 26 mars). La cour est conduite à Fontainebleau par le roi de Navarre (18 mars). Le roi de Navarre vient à Paris (21 mars). Procession du dimanche des Rameaux (22 mars).

Condé sort de Paris et se rend à Meaux (23 mars). Enlève- ment du roi par le triumvirat (26-31 mars). Le connétable arrive à Paris (4 avril). Condé se met en campagne (29 mars). Condé sous les murs de Paris (31 mars). Prise d'Orléans (2 avril).

CHAPITRE DIX - HUITIÈME.

Avril et mai 1562. Page 145.

Effet de la prise d'Orléans à la cour. Dispositions de la reine et du roi de Navarre.

Armements des huguenots. Condé et Coligny à Orléans. Le comte de La Rochefoucault. Acte de confédération du 11 avril 1562.

Négociations de la reine et du triumvirat avec le prince de Condé. Exigences du parti réformé. Catherine propose une entrevue au prince de Condé Premier manifeste du prince (8 avril). La reine embrasse le parti catholique. Second manifeste du prince (25 avril). Requête du trium- virat au roi (4 mai). La cour à Monceaux. Réponse de Condé à la requête du triumvirat (19 mai). Pillage des églises d'Orléans.

TABLE. 443

Armements des catholiques. Prépondérance du roi de Navarre à la cour. Négociation de d'Almeida en Espagne. Phi- lippe II promet le royaume de Tunis au roi de Navarre et lui accorde la Sardaigne en attendant la conquête de la Tunisie.

CHAPITRE DIX-NEUVIEME.

Avril, mai, juin 1562. Page 219.

Commencement de la guerre civile. Dauphiné. Le baron des Adrets. Prise de Lyon (1er mai 1562). Le s. de Mau- giron. Provence. Les s. de Tende et de Sommerive. Bourgogne. Gaspard de Saulx-Tavannes.

État de l'armée royale. Mesures de défense prises à Paris. Suite des négociations de la reine et du roi de Navarre avec le prince de Condé. Entrevue de Toury (9 juin).

Reprise des négociations (13 juin). Trêve de six jours. Conférence du roi de Navarre et du prince de Condé à Beau- gency (21 et 22 juin). Manifeste des huguenots (24 juin). Entrevue de la reine et des seigneurs réformés à Saint-Simon (29 juin). Rupture définitive des négociations.

CHAPITRE VINGTIÈME.

1er juillet-septembre 1562. Page 271.

Le prince de Condé prend et pille la ville de Beaugency. Le roi de Navarre s'empare de Blois (4 juillet). Antonio d'Al- meida est arrêté sous les murs de Tours. Le roi de Navarre entre à Tours (11 juillet).

Forces de l'armée royale commandée par Antoine de Bourbon.

Le roi, la reine et la cour arrivent au camp de Blois (11 août). Siège de Bourges (18 août). Prise de la ville (1er septembre).

Suite des négociations du roi de Navarre avec le roi d'Espagne.

Entrevue du prince et d'Antonio d'Almeida. Henri de Béarn. Procuration de Jeanne d'Albret à son mari pour négocier de l'échange de la Navarre (25 août).

444 TABLE.

CHAPITRE VINGT ET UNIÈME. Mort du roi de Navarre. Page 321.

Négociations du parti réformé et du parti catholique en Suisse, en Allemagne et en Angleterre. Mission de Sydney en France. Traité de Hamptoncourt (20 sept. 1562).

La ville de Rouen tombe aux mains des réformés (15 au 16 avril 1562;. Préliminaires du siège de Rouen. L'armée royale sous les murs de Rouen (27 septembre). Gabriel de Lorges, comte de Mongonmery. Prise du fort Sainte -Catherine (6 octobre). Rlessure du roi de Navarre (16 octobre). Prise de Rouen par l'armée royale (26 octobre). Mort du roi de Navarre (17 novembre).

Pièces justificatives P. 381

FIN

V ANTOINE DE BOURDON ET JEANNE DALDRET.

Nogent-Ie-Rotrou, imprimerie Daui>eley-Gouverneur.

OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

Commentaires et Lettres de Blaise de Monluc , maréchal de Fkvnce, 1 964-4 872.', 5 voJ. in-8. édition publiée pour la Société de l'Histoire de France. Épuisée.

Mémoires inédits de Michel de la Huguerye, 4 877-4 880, 3 vol. in-8, publiés pour la Société de l'Histoire de France.

Histoire universelle du sieur d'Apbigné, édition critique publiée pour la Société de l'Histoire de France, tome I, 1880.

Notice des principaux Livres manuscrits et imprimés qui ont fait partie de l'Exposition de l'art ancien au Trocadéro, 1879, in-8, Techener.

François de Montmorency, gouverneer de Paris et lieutenant pu roi dansl'Isle de France (4530-4579), extrait du tome VI des Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile- de-France.

Le Mariage de Jeanne d'Albret, -1877, in-8, Labitte.

Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, suite de Le Mariage de Jeanne d'Albret, tomes I, II et III, in-8, Labitte.

Le duc de Nemours et mademoiselle de Rouan (4534 74592). Paris, 4883, petit in-8, tiré à 170 exemplaires.

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UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY

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112 Antoine de Bourbon et

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