cs AD Re de En À ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES. Sabine TRE à r. de PUONRE © ORNE ur F ÿ à ee À = . £ & 13 1 ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES. CHOIX DE RAPPORTS ET INSTRUCTIONS PUBLIÉ SOUS LES AUSPICES DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. # TOME PREMIER. DEUXIÈME SERIE. ame. dl . PARIS. IMPRIMERIE IMPÉRIALE. M DCCCG LXIV. AVERTISSEMENT. En 1849, le Ministère de l'instruction publique en- treprit de publier, sous le titre d’Archives des Missions scientifiques et littéraires, un recueil destiné à reproduire intégralement ou à faire connaître, soit par des extraits, soit par des résumés, les rapports adressés au Ministre par les personnes chargées de recherches, en France ou à l'étranger, sur des questions de science et d’érudition, et par les membres de l'École française d'Athènes sur le résultat de leurs explorations et de leurs travaux en Grèce. Les actes ministériels relatifs au service des missions et voyages officiels devaient également y trou- ver place. | Cette publication, dont le premier volume parut en 1890, et qui forme aujourd'hui six volumes in-8°, fut poursuivie régulièrement et sans interruption jusqu'en 1836. À cette époque-elle fut supprimée et se fondit avec la Revue des Sociétés savantes, où furent alors insérés les documents précédemment réservés aux Archives. Plusieurs de ces documents ont été imprimés et tirés à part, et peuvent servir de complément à la première sé- rie du recueil. : Res nn Lorsque le service des Missions scientifiques et litté- raires fut iransféré, en vertu du décret du à décembre 1860, du Ministère de l'instruction publique au Minis- tère d'État, la Revue des Sociètés savantes dut naturelle- ment cesser de publier les documents concernant les Missions. Aujourd'hui que le décret du 23 juin 1863 a fait rentrer ce service dans les attributions du Ministère de l'instruction publique , le Ministre, appréciant l’atilité de la publication commencée par ses prédécesseurs, a décidé qu’elle serait reprise et formerait une nouvelle série, qui se composerait chaque année, comme la pre- mière série, d'un volume in-8°. À ARRÊTÉ. Le LA Le MiniSTRE SECRÉTAIRE D ÉTAT AU DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION Li PUBLIQUE ARRÊTE : - pe ARTICLE PREMIER. Il sera publié, par les soins du Ministère de l'Instruction publique, À une nouvelle série des Archives des Missions scientifiques et littéraires. ART. 2.» Ce recueil formera chaque année un volume in-8°. Il sera imprimé à l'Imprimerie impériale et Uüiré à mille exemplaires. 4: | : ANT. 9. Les frais résultant de ladite publication seront imputés sur le cha- Ah pitre porté au budget pour le service des Missions scientifiques et litté- raires. | ÿ ART. 4. 4 Le Chef de la division des Sciences et Lettres est chargé de l'exécu- pe | tion du présent arrêté. L . ‘“ L . à Fait à Paris, le 14 février 1864. # V. DURUY. | k pets ' d a +. ER T- , SONDE Tor: 0 — : D L 3 | À SN PR a => \ JAN Z . N = == aù — NS NÙ N \ 2 LL \ 7 21 Q \ = D 7) _ ï 4 RQ 7) NN: — —__—} — — 41) | NN Ÿ tb Z IE ES UE = \| < 2 7 >> NUULA ( RE = \ VE = ALES EN WZ ) —_— & = VW \NRKR AT /) È= À BRE NN (l NS = À) D =: = — IPEE—= ; EG È D ES 11d SOSVEL FER TN") MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE. — © ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. MÉMOIRE SUR L’ILE DE THASOS, PAR M. G. PERROT, «| | : | 1 : | MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE D'ATHÈNES AVANT-PROPOS. Ce fut à l'automne de 1856 que je passai un mois dans l’île de Thasos. Ce temps, je l’employai à parcourir en détail l'ile tout entière, et à visiter, l’un après l'autre, tous ses villages et tous les sites antiques que m'indiquèrent les habitants, ou que me firent découvrir les caprices et les hasards de mes courses dans la forêt. De retour à Athènes, j'employai toute une année à la rédaction de ce mémoire, dont la commission de l’Académie des inscrip- tions et belles-lettres rendit compte par l'organe de son savant rapporteur, M. Guigniaut, dans sa séance du 12 novembre 1858. J'étais alors le premier voyageur qui eût exploré complétement l'intérieur de l'île, et notamment qui eût étudié et décrit les an- tiquités que renferme toute sa partie méridionale; M. de Prokesch- Osten, internonce d'Autriche à Constantinople, à qui nous de- vions les renseignements les plus curieux et les plus circonstanciés que possédât encore la science sur les antiquités de Thasos, n'a- vail guère vu que les ruines de l’ancienne capitale, et n'avait MISS. SCIENT. 1 ce aires passé dans l’île que quelques journées !. Mon travail, que l’Aca- démie daigna accueillir favorablement, avait donc alors au moins le mérite de la nouveauté. Malheureusement des circonstances indépendantes de ma volonté ont retardé jusqu'à ce jour la publication de ce travail, tandis qu'un voyageur allemand, M. Conze, qui visita les îles de la mer de Thrace en 1858, deux ans après moi, a pu donner au public, dès l'année 1860, le récit de son voyage et la description de ces îles ?. La question proposée par l’Académie aux recherches des membres de l'École française d'Athènes (voir Rapports de M. Guigniaut, 1855 et 1856) avait, dit-il luimême, contribué à attirer son attention sur ces îles peu connues. M. Conze a passé à Thasos à peu près le même temps que moi; il a parcouru file avec le même soin; il en a examiné, comme moi, chaque village, chaque vallée, chaque canton, et, plus heureux, 1l a le premier raconté et décrit ce que j'avais été le premier à voir. Pourtant, malgré ce désavantage, j'ai tenu à profiter des bien- veillantes dispositions de S. Exc. le Ministre de l'instruction pu- blique, et à mettre enfin au jour ce travail attardé. C’est, d’abord, que les ouvrages écrits en allemand n'ont en France que de bien rares lecteurs, et qu’ainsi le sujet a gardé, au moins pour le pu- blic français, presque toute sa nouveauté. De plus, je ne suis pas toujours de l'avis de M. Conze; je viens de lire, en le comparant au mien page par page, son sérieux et savant travail, et si J'ai plus d’une fois rectifié ou complété mes assertions d'après ses remar- ques, dans d’autres endroits j'ai cru devoir ne pas me ranger à son opinion et dire pourquoi. Enfin je n'ai pas traité mon sujet tout à fait de la même manière que mon prédécesseur; ayant dé- taché Thasos des autres îles de {a mer de Thrace, n'ayant visité et étudié que Thasos, j'ai pu, dans cet essai, donner à l’histoire une bien plus grande place que ne l’a fait le voyageur allemand; j'ai pu faire voir, par un exemple de plus, dans l’histoire d'une des moins célèbres entre les républiques grecques, combien, du vin au mm siècle avant notre ère, la vie, dans toute l'étendue du ! Prokesch-Osten, Denhwürdigkeiten aus dem Orient, t. IT, p. Gar et seqgq. Dissertazioni della pontifica Academia romana di archeoloqia (Roma), t. VI, p. 179 et seqq. ? Reise auf den Inseln des Trakischen Meeres, von A. Conze, in-4°. Hanovre, 1860. Et monde hellénique, fut à la fois intense et dispersée ; quelle puis- sance organique, quelle activité intérieure et quelle force d’ex- pansion possédait chacune de ces cités que l'essor du génie grec avait répandues, du fond du Pont-Euxin aux Colonnes d’Hercule, sur tous les rivages de la Méditerranée. Ç'a été là le rôle propre à la Grèce et sa haute originalité : elle a créé la cité. Avant l'Italie du moyen âge et de la Renaissance, elle a montré, par les œuvres qu’elle a léguées aux âges modernes, ce que le régime municipal est apte à produire chez une race heureusement douée, qui se di- vise et se partage sans cesser d'affirmer son unité, qui se sent une seule nation sans vouloir former un seul État. Sur ce théâtre res- treint de la cité, politique, artiste ou poëte, écrivain ou orateur, l'homme, toujours en vue et en action, ne cessait de déployer une énergie passionnée, et ce qui ajoutait encore à l’ardeur de l’universel effort, c'était la vive émulation de ces villes, à la fois rivales et sœurs, dont aucune ne se résignait volontairement à ne point être tout ce qu'étaient les autres, à leur laisser prendre sur elle-même une supériorité quelconque, à les laisser conquérir une - gloire dont elle n’eût pas sa part. Rome, la Rome maîtresse du monde, transformée par ses pro- pres victoires, < avaient fait éclater le moule trop étroit de la cité, a présenté à l'avenir un autre idéal, celui des grands États centralisés, régis, au moyen d'une active et forte PERRET par une volonté unique. Dans ce système d'organisation, que la Grèce n’avait jamais voulu se laisser imposer, ni par Athènes, ni par Sparle, ni par Thèbes, et que la Macédoine même ne put lui faire accepter un moment qu'après l'avoir frappée au cœur, il y a une capitale et des provinces; faible aux extrémités, la vie n’est puissante qu’au centre : c'est de là que tout part et là que tout re- vient. On obtient sans doute ainsi une bien plus grande accumu- lation de richesses, un bien autre déploiement d'action adminis- trative et de force militaire; on occupe plus d’espace sur la carte; mais tient-on plus de place dans la véritable histoire, dans le ta- bleau des idées morales de l'humanité et des grands caractères qui les ont traduites en actions immortelles, dans les annales de la pensée et des œuvres d'art, qui l’expriment par de vivants sym- boles? La plante humaine, comme dit Alfieri, ne naït-lle pas plus vigoureuse dans Îles petits États que dans les grands? N'y trouve-t-elle pas plus de sucs nourriciers, plus d’air et de soleil? LL, CG N'y donne-t-elle pas des fruits plus abondants à la fois et plus dé- licats, d’une plus franche et plus originale saveur? Ces graves questions, nous ne prétendons ici ni les traiter ni les résoudre; il nous suffit d’avoir indiqué en passant comment elles se posent d'elles-mêmes à propos de tout effort sérieux pour étudier de près et suivre dans tous ses détails l’histoire d’une cité quelconque, même la moins connue, prise comme au hasard dans la vaste étendue du monde hellénique. Voici, par exemple, cette île de Thasos, que j'ai tâché de tirer un peu de l'injuste ou- bli où elle était tombée. Ce que nous en apprennent les anciens, ceux du moins qui sont arrivés jusqu'à nous, est bien peu de chose, et se réduit à quelques maigres indications, à quelques mots épars qu'il faut recueillir à grand'peine chez des ennemis ou des indifférents, qui ne la mentionnent que pour mémoire; la cité ne nous a pas laissé d’historiens de ses pénibles débuts, de ses jours de prospérité et d'éclat, de ses vaillantes luttes, d'abord contre les barbares Thraces qu’elle refoule, puis contre Athènes, devant qui elle ne s'incline qu'après une opiniàtre et noble résis- tance. De sa vie intérieure, de sa constitution, des luttes de ses partis, nous ne savons rien ou presque rien; des temples, des palais, des tours de marbre bianc qui brillaient sur ses rivages et au sommet de ses collines, il n’en reste plus assez pour que nous puissions juger du style de ces édifices et en apprécier la beauté. Comparons pourtant Thasos, telle qu'on peut se la figurer au len- demain des guerres médiques, non pas à ce quelle est aujour- d’hui après tant de siècles de malheurs et sous la main d'un gou- vernement comme la Porte-Ottomane, à ce qu'elle serait dans le cas même où elle dépendrait de l’un des empires les mieux policés de l'Europe, comme l'ile d'Elbe, de l'Italie; comme Ré ou Oléron, de la France; comme Jersey ou Wight, de Angleterre. Au vi° et au v° siècle, Thasos, dont le territoire n’a pas une vingtaine de lieues de tour, est une brave et opulente cité, qui tient sa place dans le monde grec, qui porte, les armes à la main, l’hellénisme dans la Thrace, qui ea couvre la côte de comptoirs, qui arrache aux flancs de ses montagnes, d’où elle chasse les barbares, cet or que le commerce dispersera sur les plus lointains rivages de la Médi- terranée et jusque sur les bords du Danube; elle excite, par sa richesse, par ses prouesses guerrières, par l'importance de sa ma- rine, les alarmes du grand roi, et, bientôt après, elle oppose toute LA PR ee une flotte aux flottes de la maîtresse des mers; elle lutte presque à armes égales contre Athènes, l’Athènes de Cimon et de Périclès, et elle ne succombe pas sans gloire; enfin, au moment même où la fortune la trahissait et où elle tombait au rang d’État tributaire, elle possédait une école de peinture qui donnait à la Grèce Poly- gnote, son premier grand peintre. Excitées par l'espérance de jouer un rôle honorable sur une scène animée et brillante, en- flammées d’un patriotisme qu'encouragea longtemps le succès et que vinrent ensuite aviver encore, en l’affligeant et l'irritant, les désastres publics, les âmes des hommes qui vécurent de cette vie durent se tendre plus fortement pour l'action, s'imposer de plus durs sacrifices, nourrir de plus hautes ambitions que ne le feraient vraisemblablement, dans les conditions où ils sont placés, les ha- bitants d'Oléron ou de Jersey. Ile anglaise ou française, Thasos reverrait sans doute ses ports s’emplir de navires et de bruits joyeux; des routes, plus commodes et plus larges que celles d’au- trefois, s'ouvrir dans ses forêts et courir au flanc de ses montagnes; les villages se multiplier dans les clairières et descendre au bord de la mer: mais aurait-elle des édifices et un art à elle, une ma- rine nationale, une vie politique active et passionnée? Les âmes y auraient-elles la même énergie, les caractères le même ressort qu’autrefois ? Le monde moderne, surtout depuis la fin du siècle dernier, a réfléchi sur le passé de l'humanité; il a voulu faire de l’histoire autre chose qu’un exercice de beau langage, qu’une matière à dé- veloppements oratoires et une distraction pour les oisifs; il a cherché à dégager des choses les leçons qu'elles contiennent, et à déterminer le caractère et les résultats naturels de chacun des ré- gimes principaux qu'ont adoptés, en divers temps et en divers lieux, les sociétés humaines. Or l’histoire nous atteste que les na- tions européennes, depuis la fin du moyen âge, tendent à former de grands Etats plus ou moins centralisés autour d'une puissante capitale et sous linfluence d’une administration commune; nous avons vu, de nos jours mêmes, se continuer ce mouvement, qui n’a pas encore dit son dernier mot, et qui n'est pas arrivé partout à son terme. Tout en constatant cette tendance, bien des esprits en aperçoivent le danger, et se préoccupent, en théorie du moins, des moyens d'en atténuer les inconvénients, et de concilier l'unité nationale et la vie locale, les intérêts de la capitale et ceux de la Da as province. Ÿ parviendra-t-on? C'est ce qu'il serait dillicile de dire dès à présent; mais il y a pour tous les peuples de l’Europe chré- tienne, pour la France surtout, plus particulièrement portée par ses instincts et par ses traditions vers limitation de l'empire ro- main, un intérêt et un profit tout spécial à étudier, aussi bien chez les cités les moins connues que dans les annales mietix com- prises de la glorieuse Athènes, l’histoire de la race qui s’est le plus obstinément refusée à toute centralisation, qui a poussé le plus loin l'amour du régime municipal, et qui a tiré de cette forme de gouvernement les fruits les plus admirables. Juin 1863. CHAPITRE PREMIER. POSITION ; ASPECT, CLIMAT DE THASOS, NATURE DU SOL. L’ile de Thasos porte encore parmi les Grecs son ancien nom, qui devient Tasso dans la bouche des Italiens, Taschous dans celle des Turcs. Elle est située à environ neuf lieues à l’est de la côte de Chalcidique, à douze lieues au nord-ouest de Lemnos, à onze lieues vers l’ouest de Samothrace, et à trois ou quatre lieues seu- lement de la côte de Thrace, entre les embouchures du Strymon et du Nestus. Le détroit qui la sépare du continent n’a même, là où il est le plus resserré, entre la pointe de Kalamouti, formée par les alluvions du Nestus, et le continent, qu'environ 8,000 mètres de largeur. Dans ce canal, qu'un banc de sable rend assez dange- reux aux gros bâtiments quand le mauvais temps les empêche de gouverner, se trouve un ilot désert nommé Thasopoulo, ou la Pette-Thasos; une source thermale y jaillit sur la plage pour se perdre aussitôt dans la mer. L'ile est de forme à peu près ronde. Sa largeur, d’orient en occident, est de sept lieues, et son circuit de dix-huit à dix- neuf lieues. Toute montagneuse, elle a peu de plaines; çà et là quelques terrains formés par les eaux à l'embouchure de ses vallées, et, sur la côte nord, entre Volgaro et Kakyrachi, une lande fertile, mais étroite, partout serrée entre la mer et des pentes plus ou inoins abruptes. L'île ne manque d’ailleurs pas MON dE de collines, dont Îles larges versants sont très-propres à la culture de la vigne, de l'olivier et des arbres fruitiers, et peuvent même, en certains endroits, recevoir des céréales. L'eau y est fort abon- dante; partout l'on y rencontre des eaux courantes, même en élé. L'hiver, d’ailleurs, y est plus froid, les chaleurs moins fortes, ia pluic plus fréquente qu’en face, à Cavala, sur la côte de Thrace!. Le système des montagnes de l’île est assez confus, et très-diffi- cile à établir sur une carte. Le seul trait remarquable et qui frappe iout d’abord, c'est une chaîne principale, très-étroite au sommet et souvent taillée en lame de rasoir, qui traverse l’ile à peu près de l’est à l'ouest, en jetant vers le sud et le nord d’épais contre- forts et des vallées sinueuses. Les points les plus élevés de cette longue crête, qui serre toujours de près la côte nord, sont le Saint- Élie (960 mètres) et l’Ipsario (1030 mètres); rien n’est beau comme leur cime aiguë et dénudée, dominant de vastes forêts, comme leurs flancs sillonnés de profonds ravins, creusés dans le marbre par les eaux. Tout le pays au sud de cette chaîne, environ les deux tiers de l'ile, est formé de hauteurs qui se mélent et courent en tout sens, et ne dépassent guère cinq ou six cents mètres. Des roches primitives se mêlent partout, dans l'ile de Thasos, aux roches de formation postérieure. Ainsi, sur toutes les pentes des hautes montagnes de la chaîne centrale, le Saint-Élie et l'Ip- sario, le mica-schiste et le gneiss apparaissent sans cesse par larges bancs au milieu du marbre et des calcaires compactes qui forment comme la charpente même de l'ile ?. C’est ce qui donne à ces sommets, sans cesse lavés et polis par les pluies, un éclat ex- traordinaire; quand le soleil les frappe, les paillettes du mica et les gros cristaux du marbre blanc de Thasos rivalisent de splen- deur et d’éclairs; de là, chez le versificateur Avienus, ce trait d’une exactitude pittoresque, qui rend bien l'effet de Thasos, aper- çue de la mer, quand on vient de doubler la pointe de lAthos : 1 C'est ainsi que la constitution atmosphérique de Thasos est déjà décrite dans la collection des Œuvres d'Hippocrate, au premier et au troisième livre des Epi- démies. (Voyez Œuvres complètes d'Hippocrate, trad. Littré, tome IF, page 498 ; tome IIT, p. 45 etsuiv.) 2 C’est le même marbre qui fait aussi le corps du mont Athos. $ Descriptio orbis terre : «.,. juxta Vulcania Lemnos Erigitur, Cererique Thasos dilecta profundo Proserit albenti se vertice, ....... » di pr « À côté se dresse Lemnos, l'ile de Vulcain, et Thasos, chère à Cérès, élève au-dessus des flots sa cime blanchissante. » Le quartz, dont on trouve dans toute l'ile des fragments, ne s'y rencontre pas, que je sache, en grandes masses; mais tout l’ouest de l’île, qui a un aspect à part, est formé d’un poudin- gue où le quartz, très-divisé, joue le principal rôle, et qui con- tient, en certains endroits, des serpentines assez grossières. Les traces de fer ne sont pas rares dans iout ce terrain, et ce mé- tal mêime se trouve en assez grande abondance, sous forme de pyrite ou sulfure de fer, sur le rivage, entre Pothos et Hagios- lannis. Près de Kakirachi, parmi des collines argileuses, où ap- paraissent çà et là quelques filons de mica-schiste, se rencontre une vallée toute remplie de scories qui contiennent encore de 6 à 10 o/o de fer. Ces débris indiquent, sans aucun doute, l’em- placement d'une ancienne exploitation minière qui paraît, aux traces qu'elle a laissées, avoir eu assez d’étendue et d'importance. Ce sont 1à, selon toute probabilité, «les grands morceaux de scories » dont parle Pierre Belon, soit qu'il les ait vus lui-même pendant les trois jours qu'il a passés dans cette île, soit qu'il n’en ait eu connaissance que par oui-dire. En tout cas, c'est bien dans celte partie de l'ile que P. Belon a dù aborder en allant de Lemnos au mont Athos. Il ne dit d’ailleurs rien de l’apparence ni de la nature de ces scories !. Quant aux mines d’or, les principales, d’après un passage bien formel d'Hérodote*?, se trouvaient vers le sud-est de l’île, auprès de Kynira, en face de Samothrace. J’ai parcouru ce district, com- plétement abandonné, depuis plusieurs siècles déjà, par la popu- lation, et tout couvert de forêts presque impénétrables; je n’y ai pas trouvé la moindre trace d’or. La tradition de l'île n’a conservé aucun souvenir de ces richesses ni de ces travaux; aucun voyageur moderne n’en a découvert les vestiges. La couche de terre végétale n'a quelque épaisseur que dans le peu de terrain plat que renferme l'ile; partout ailleurs elle est assez mince. Sur les collines, la terre est légère, sablonneuse, et en plusieurs endroits contient un peu de fer; la vigne perce sou- vent jusqu'aux couches supérieures du rocher et enfonce sa racine dans le schiste tendre et friable$. Les essences qui dominent, et ! Observations, etc. de P. Belon, liv. I, ch. xxxir1. Cf. Conze, p. 32, 35. ? VE, xzwur, — $ Cf. Virgile, Géorg. IT. ue qui ont dû toujours dominer dans les forêts de Thasos, appar- tiennent presque toutes aux conifères; le pin surtout y réussit merveilleusement; il ÿ est représenté par plusieurs espèces, plus ou moins communes en Orient. J'ai été étonné de n'y pas trouver de sapins; il en croit peut-être quelques-uns dans les parties les plus élevées du Saint-Élie et de l’Ipsario; mais dans tout le reste de l'ile je n'en ai pas vu un seul. Il semble, à lire Belon, que de son temps ce bel arbre fût plus commun à Thasos. CHAPITRE Il. HISTOIRE DE THASOS DEPUIS L’ÂGE HÉROÏQUE JUSQU’À LA CONQUÊTE ATHEÉNIENNE. (15002 — 463 av. J. C.) D’après Hérodote ! et toute l'antiquité, Thasos dut ses premiers habitants à une colonie phénicienne, laissée dans l’île par les compagnons de Cadmus errant dans l’archipel à la recherche d'Europe. Le chef de cette colonie aurait été un certain Thasos, d’où le nom que reçut et que porte encore l'ile. Les Grecs ne se tourmentaient pas l'esprit, autant que nous le faisons maintenant, des questions d’origine et d’étymologie ; quandilsvoulaient se rendre compte de la naissance d’une ville et du nom qu'elle avait pris, ils avaient toujours sous la main un héros éponyme qui expli- quait tout, et que protégeaient contre le doute le culte qu'on lui rendait et l'attachement de chaque ville à ses antiques légendes. Pour moi, s’il me fallait absolument donner une étymologie, je présenterais, sous toutes réserves, la conjecture d’Hasselbach ?. Il fait venir le mot Sdoos, d'un primitif Sa, S-dw, nourrir, que l’on retrouverait dans TÜyvn, nourrice, et l’ile devrait ainsi son nom à sa fertilité , autrefois si vantée. C'est de même que lon a fait dé- river de xæt{w le nom de l’île de Kaäcos, parce que plusieurs îles de la région où celle-ci se trouve gardent des traces sensibles de l'action des feux souterrains; on a tiré ainsi le mot même cos, île, de »éw, nager. Au reste, le véritable intérêt de cette étymo- logie, rapprochée de celle d'Hérodote, c’est le contraste qui s'y LR iv: ? De insula Thaso, Marbourg, 1835, in-8°, p. 2. , \ st Dre marque entre l'esprit grec et le nôtre, entre l'antique naïveté et la critique moderne !. Quant à l'établissement des Phéniciens à Thasos, nous n’avons aucune raison d'en douter; ce qui confirme le dire d'Hérodote et des autres écrivains de qui nous tenons ce fait ?, c’est la prépon- dérance de la marine phénicienne dans la mer Égée, comme dans le reste de la Méditerranée, avant le développement de la race grecque; c’est le goût et l’habileté singulière qu’apportèrent de bonne heure les Phéniciens à la découverte, à l'extraction et à la mise en œuvre des métaux; c’est enfin ce temple de l’Hercule thasien qu'Hérodote vit encore à Tyr, et qui attestait les anciens rapports des deux pays. Ce serait, PA AS vers 1500, cinq générations avant la naissance d'Hercule, fils d’Alcmène, que les Phéniciens se se- raient établis à Thasos$; ce qui les y retint, ce furent les mines d'or qu'ils y trouvèrent sur la côte orientale de l'ile, et d'où vint à l’île de Thasos, chez les poëtes, le nom de Chryse. C'est peut- être aussi à l'industrie phénicienne qu’il faut faire remonter da première exploitation de ces mines de fer dont ne parlent point les auteurs, mais dont j'ai reconnu les traces certaines à l’ouest de l’île, en face de l’Athos: enfin les Phéniciens paraissent avoir passé de Thasos sur la côte opposée, en Thrace, avoir fondé un comptoir à Galepses, et, les premiers, tiré du Pangée des métaux précieux. En même temps les Phéniciens apportèrent et établi- rent à Thasos le culte de Melkarth, l'Hercule tyrien, très-diffé- rent, comme le reconnait Hérodote, de l'Hercule grec“; les navi- gateurs syriens avaient-répandu les autels de leur dieu sur toutes les côtes de la Méditerranée, et jusque sur le rivage de l'Océan, à Gadès, où brülait en son honneur, dans un temple célèbre, une flamme qui ne s’éteignait jamais®. À la longue, ce culte avait peut-être pris à Thasos un caractère particulier; car il y avait à ! CF. Ilopracoos Avpynocôs } Proéminence ? Nasus * Pausan. V, xxv, 7; Conon, ap. Phot. narrat. 37; Apollod. Bibhoth. , 1; Steph. Byzant. 1. V, Gdocos; Scymn. V, 660. $ Etienne de Byzance, je ne sais d’après quelle autorité, place le héros Tha- sos , représentant de la colonie phénicienne, dix générations avant l'Hercule grec. * Voir les textes réunis dans O. Müller, Orchomène et les Minyens, p. 109. * Voy. Guigniaut, Religions de l'antiquité, t. WE, p. 171. à his. à nn” à me Tyr, longtemps après que l'ile eut échappé à la domination phé- nicienne, un temple consacré à l’Hercule thasien ; il est possible que le dieu eût emprunté à l’industrie métallurgique , placée à Thasos sous sa protection, quelques attributs nouveaux et distinc- tifs. Quant aux Cabires, que certains textes et une étymologie, qui paraît fort vraisemblable, ont fait croire d’origine phénicienne !, il est assez surprenant que l’on ne trouve pour ainsi dire pas trace de leur culte à Thasos, tandis que deux îles voisines, Samo- thrace et Lemnos, où l’histoire ne mentionne pas le passage des Phéniciens, et où, en tout cas, ils n'ont pas séjourné aussi long- temps qu'à Thasos, furent de bonne heure et restèrent jusqu'aux derniers jours du monde païen le centre et le foyer des religions cabiriques. Ne pourrait-on, autant qu'il est possible d’avoir une opinion en une si obscure matière, en inférer que les Cabires appartiennent bien plutôt aux Pélasges qu'aux Phéniciens, et que ce n'est point à Tyr et à Sidon qu'il faut chercher la source des doctrines qui se transmirent et se perpétuèrent pendant plusieurs siècles dans les mystères de Samothrace ? On sait qu’il ne faut pas voir dans les établissements des Phéni- ciens des colonies proprement dites, mais plutôt ce que nous ap- pellerions des comptoirs; c’étaient comme des navires toujours à l'ancre devant le rivage où se faisait l'échange des marchandises tyriennes et des produits du pays. I n’est donc pas probable que les Phéniciens aient jamais occupé toute l’ile de Thasos;ils se seront contentés d’en posséder les ports et d’en exploiter les mines, toutes voisines de la mer, à ce qu’il semble ; pendant ce temps, des tribus thraces auront habité les forêts et les montagnes de l’intérieur; de làle nom d'Édonis sous lequel on désigna parfois cette île?. Les Édoniens étaient fixés entre le Strymon et le Nestus, et Thasos dut attirer de bonne heure leurs regards; ils la partagérent sans doute longtemps avec les Phéniciens, au profit desquels ïls y nourrissaient des troupeaux; ils en abattaient les boïs et en culti- vaient les champs. Mais il se préparait aux Phéniciens, après environ deux siècles de tranquille possession, une concurrence bien plus redoutable et qui n’admettrait pas le partage : celle des Hellènes. Les héros 1 Voy. Guigniaut, Religions de l'antiquité, t. I, 1° partie, p. 287. ? Apollod. Biblioth. I, 5,9, 13; Scymn. My BapBapor rd mpôrepor dnouv, ds 20705. (V, 659.) LL — hellènes, fils ou petits-fils des dieux, commencaient à parcourir le monde en luttant contre tous les obstacles qui s’opposaient à l'essor de la race grecque : accidents et fléaux de la nature, monstres étranges, farouches brigands, tribus et nations ennemies. Minos, ou la dynastie crétoise que représente ce nom, ayant créé une marine, chassait de la mer Égée les peuples barbares, Cariens et Léléges, qui en avaient occupé les îles, et entrait peut-être, à cette occasion, en lütte aussi avec les Phéniciens; en tout cas, la légende nous montre Hercule chassant les Thraces de l’île de Thasos pour la remettre au pouvoir d'Alcée et de Sthénélos, fils d'Androgée, et par conséquent petit-fils de Minos, qu'il avait faits prisonniers à Paros!. Ainsi, dans leurs premières entreprises sur l'ile, les Hellènes se seraient d’abord attaqués aux Thraces, et Paros aurait envoyé à Thasos ses premiers colons grecs, vers le milieu du xru° siècle. Les choses restèrent sans doute ainsi pendant quelque temps, les Grecs occupant de l’île ce qu’en possédaient autrefois les Thraces, mais les Phéniciens en gardant tout le commerce et continuant à en exploiter les mines. Ce qui prouve, dès lors, l'existence et la persistance dans l’île de Thasos d’une population grecque alliée aux Pariens et en rapport avec eux, c’est ce que Pausanias nous raconte de Cléobée, cette vierge parienne qui ap- porta la première aux Thasiens le culte de Déméter, trois géné- rations , à ce qu'il semble, avant Archiloque, et, par conséquent, dans le cours du 1x° siècie?. Hors le fait bien attesté de l'établissement des Phéniciens à Thasos, tout ce que nous avons rencontré jusqu'ici sur les origines de cette île se réduit à des traditions assez vagues, où l’on est obligé de beaucoup suppléer, par induction et conjecture, pour éviter les contradictions et mettre un peu d'ordre. L'histoire de Thasos ne commence véritablement qu'avec la colonie parienne qui y fut conduite vers la fin du vurr° siècle par Télésiclès, père _ d'Archiloque. Un lexicographe nous a conservé l’oracle par lequel Télésiclès, qui avait sans doute ses raisons, se fit ordonner de la part du dieu de Delphes la fondation de cette colonie : «Annonce aux Pariens, Télésiclès, que je t'ordonne «De fonder dans l’île Aérienne une brillante cité.» 1 Apollod. Biblioth. II,5, 9, 13. 2, Paus. X, xxvrrr. 3 Thuc. IV, c1v; Strab, X, p.418; Eustath. ad Dionys. Perieq. s. v. O&oos. — ARE On a là un des surnoms que reçut dans l antiquité l'ile de Thasos : Heoia, pour À spa: il faut Îe tirer de dnp, pris dans son sens primi- tif de brouillard, vapeur, nuage, et l'expliquer par le climat humide de Thasos et les nuées qui en couronnent souvent les montagnes. Quant à la date précise de l’arrivée de Télésiclès à Thasos, nous n’avons pas de raison de ne point admettre celle que don- nait Denys, la xvin° olÿympiade (720-717 av. J. C.)!. Archiloque, en effet, fils de Télésiclès, fleurit, d'après Hérodote, à l'époque de Gygès, roi de Lydie , qui régna de 715 à680 avant J. C. Son père a donc très-bien pu, vers 720, être à la tète de l'émigration pa- rienne. Selon Xanthus de Lydie, c'est dans la xvir olympiade, vers 708, que l'ile aurait été colonisée. La différence entre ces deux dates, pour une époque aussi reculée, est irès-légère, et mé- rite à peine d’être remarquée ?. Archiloque lui-même vint quelque temps après chercher fortune à Thasos, où son père était peut-être toujours à la tête de la colo- nie parienne, ou avait au moins laissé des souvenirs encore pré- sents à toutes les mémoires. Le poëte avait été forcé de quitter son île natale; il en avait été chassé par la pauvreté, ou plutôt par l'inquiétude chagrine de son caractère, et par les haines sans nombre que lui avait attirées sa méchante humeur. Mais à Tha- sos aussi il ne lui fallut pas longtemps pour se faire plus d’un en- nemi, et, ce qui acheva de le perdre, ce fut le manque de courage et de dignité qui s’alliait si tristement chez lui au génie poétique *. Ce que raconte Eusèbe (Præp. VIT, p. 256) de l'embarras des Pariens en pré- sence de cet oracle, et de la finesse d’Archiloque, qui sait seul comprendre la pensée du dieu et découvrir que c'est Thasos qu'il désigne sous ce nom d’Aéria, a l'air d’une historiette faite à plaisir. Les Pariens semblent avoir eu déjà, avant cette époque, trop de relations avec Thasos, pour que ce soit le hasard d’une in- terprétation conjecturale qui ait conduit leur colonie dans cette île. Voici l’oracle : À yye}ov ITapious, Teeoinee, ds ce xe}eUw Nhow v Hepln rieur eûdeiekov dou. ! Ap. Clem. Alexand, Strom. I, xx1, p. 398. ? Id. ibid. 1. I. $ Ælian. H. V. X, xt. ! Plutarque, qui nous a conservé ( Apophtheg. p. 239) les vers d’Archiloque sur la perte de son bouclier, ne nous dit pas, il est vrai, que c’est en combattant dans les rangs des Thasiens qu'il eut sa mésaventure ; mais, comme nous connaissons, d'autre part, son voyage et son séjour à Thasos, ainsi que la mauvaise impression qu'il en emporta, comme sa vie n'offre pas d’autre circonstance qui ait pu le QU À peine établie, la colonie nouvelle s'était trouvée assez forte pour s'élancer sur le continent voisin et en disputer les rivages aux peuplades thraces qui les habitaient ; dans un combat contre l’une d’entre elles, les Saïes, Archiloque prit la fuite et jeta son bouclier pour mieux courir; ce qui est pis, il s’en vante, non pas comme Horace !, bien des années après l'accident, et d’un air demi-sou- riant, demi-honteux , avec une bonne grâce qui désarme le blâme, mais au sortir même de la bataille, hautement, brutalement : « Quelqu'un des Saies se pare maintenant de mon bouclier, longtemps sans reproche, maïs que dernièrement, bien malgré moi, j'ai jeté et abandonné dans un buisson. Pour moi, j'ai su fuir ainsi le trépas; quant à ce bouclier, qu'il devienne ce qu'il voudra ;je trouverai à m'en acheter un autre qui le vaudra bien®?. » ‘était donner beau jeu à ses ennemis et braver l'opinion, pro- bablement déjà peu disposée à l’indulgence; il dut donc quitter Thasos, mais non sans doute sans y essuyer des affronts qui ne sortirent jamais de sa mémoire. Aussi dans ses vers ne cesse-t-il de maudire Thasos. Ici il en fait « une échine d'âne, toute couverte de forêts sauvages... à Thasos, dit-il, aucun lieu aimable, agréable et charmant comme les rives du Siris. » Là il appelle Thasos « ville trois fois misérable; » ailleurs il prétend « que toutes les misères de la Grèce se sont donné rendez-vous à Thasos. » mettre en face de cette peuplade thrace, je crois être en droit de rapprocher et d'expliquer ainsi ces faits. C’est d'ailleurs de cette manière que l'ont compris les biographes d'Archiloque. (Voyez Mémoires de l'Académie des inscriptions, t. X, 1° série, une dissertation de l'abbé Sévin.) L Od. IE, vix, 10. : Âomidi pèy Seiwy ns dydAeta, hr mapà Sduve Évros dudunrov xd\lmov oÙx 0) wr. Aürôs d’éEéPuyoy Savarou TéÀos* dois Éxeivn Éppéto + éÉadris aThooua où xaxlw...., Hde &o7 évou bdyrs Éo7nuer Ÿns dy pias émoleQns.. .. Où ydp T1 ads y@pos où ériuspos Oÿd” éparos, oios duQi Zipros pous..., OGoov dè rnv Tpicoïbuphy mo». 3 Ap. Strab. VIT, vi : Qs IaveAZlpron didds &s Odoov ouvédpauer. C£. Strab. XIV, p. 647. Il semble être aussi question dans un vers d'Archiloque, qui présente malheureusement une leçon contestée, des «maux des Thasiens. » Kai Oaciwy pèr, où Tà MayynTwy xaxd. ER Quoi qu’il en soit des embarras et des souffrances qui ne furent peut-être pas épargnés aux premières années de la colonie, elle paraît avoir pris un rapide essor. Elle réussit sans doute à expul- ser de l’île, s'ils y étaient encore, les Phéniciens, que le dévelop- pement des cités ioniennes et éoliennes des îles, ainsi que de la côte d'Asie, commençait alors à bannir de la mer Égée. Quant aux mines, les Grecs, continuant probablement à se servir des procé- dés et des méthodes d'exploitation phéniciennes, n’en laissèrent pas décroitre le produit, et nous les trouvons, deux siècles plus lard, accoutumés à en tirer un très-beau revenu. Non contents de cette source de richesses, les Thasiens poursui- virent bientôt les Thraces, autrefois maîtres de l'ile, jusque sur le continent. C'était le moment où les plus anciennes colonies grecques, devenant métropoles à leur tour, semaient sur tous les rivages de la Méditerranée , et même de l’Euxin, de jeunes et com- merçantes cités, qui faisaient partout reculer devant elles la bar- barie et la refoulaient vers l’intérieur des terres; les Iloniens,.en Orient, comme les Achéens en Sicile et dans la Grande-Grèce, étaient, par Phocée et Milet, à la tête du mouvement. Les nou- veaux habitants de Thasos, qui, par les Pariens, appartenaient à la race ionienne, furent emportés aussi par cet élan, par cette force d'expansion qui poussait vers cette époque les navires de Milet jusqu’au fond du Bosphore Cimmérien, ceux de Phocée jusqu'aux côtes d'Espagne. Mais les Thasiens, pour s'étendre et s'enrichir, n'avaient pas besoin d'aller si loin; ils avaient en face et tout près d'eux les montagnes aurifères et les plaines fécondes de la Thrace, tout un monde inconnu, dont la Grèce commençait alors à soupçonner et à convoiter les richesses. Il paraît que l'ef- fort en ce sens ne se fit point attendre; car c'était peu d'années, une génération peut-être, après la fondation de la colonie, que se livraient contre les Saies ou Sapéens les combats d'où le poëte de Paros ne rapportait pas son bouclier. Mais tous les soldats de Tha- sos ne ressemblaient pas à Archiloque, et, s'ils essuyérent quel- ques défaites, la persévérance de leurs efforts finit par mettre la fortune de leur côté. Après des luttes dont l'histoire ne nous a pas conservé le récit, mais qui remplirent sans doute tout le vn° siècle, et peut-être une parlie du vi°, nous trouvons les Thasiens, vers 500, maîtres incontestés de toute la côte depuis l'embouchure du Strymon, au delà duquel ils auraient rencontré les colonies chal- 2. Poe cidiennes, jusqu’à l'embouchure du Nestos!. Ils avaient même, bien au delà de ces limites, fondé, dès le temps d’Archiloque, un établissement nommé Strymè, sur le territoire même de Ma- ronée, colonie de Chios Malgré l'opposition des Maronéens, ils auraient réussi à se maintenir en possession de ce petit port, qui, plusieurs siècles après, au temps de Philippe, redeviendra un sujet de guerre entre Thasos et Maronée?. Mais les Thasiens ne pouvaient songer à s'étendre dans cette direction, vers l'Ébre : les villes d’Abdère , de Maronée et d'Énos s'étaient solidement établies sur toute la côte, du Nestos à la Cher- sonèse de Thrace, et n’y laissaient pas de place aux conquêtes. Le vrai domaine des Thasiens, c'était le littoral du Strymon au Nes- tos; ils y possédaient les villes de Galepsos, OEsymè, Scapte- Hylè et Daton. Il n'est pas très-aisé de déterminer exactement la position de chacune de ces colonies ou comptoirs. Galepsos paraît avoir été, de toutes ces villes, la plus occiden- tale; elle était située non loin de l'embouchure du Strymon, au pied du Pangée, peut-être 1à où se trouve maintenant l'échelle d'Orfano, ou dans les environs; car Scylax, partant d'Amphipo- lis et marchant vers l'Orient #, la nomme, après Amphipolis, et Phagres, Strabon entre Phagres et Apollonie; Thucydide la rapproche une fois d’Argilos, la première place à l’ouest de Stry- mon, l’autre fois d'OEsymè, que, d’après Scylax, nous devons chercher quelque part au sud de la baie de Cavala, à l’est de Ga- lepsosi. OEsymè, quoique remontant à une très-haute antiquité et men- tionnée dans Homère, devait être une très-petite ville, dont il est impossible de retrouver maintenant l'emplacement. Quant à Scapte-Hyiè, qui n’est nulle part donnée comme un port, et où il y avait des mines fort productives, je placerais volontiers cet établissement à quelque distance du rivage, à l'entrée de l’une des vallées du Pangée, dans le voisinage ou sur l'emplacement Heraclid. Pontic. ap. Frag. Hist. græc. éd. Didot, t. If, p. 197. Hérodote ( VIII, cvri1) appelle Strymè une ville thasienne , Ouciwr mdAs. Scylax, p. 64, éd. gr. 3 T. VIT, p. 33: Eîra ai roÿ Etpuuôvos éxGohai- eîra Daypns, Talnbos, Âmon- Aowvia, mâoa mois eira ro Néolou s1oua (1V, 107: V, 6). 5 Il VIT 304; cf. Athén. Deipnosoph. I, p. 31; Skymnos (v. 655) se contente de placer OEsymè entre Amphipolis et Néapolis, sans nommer Galepsos. 1 2 3 n BEN Le même de la moderne Pravista, auprès de laquelle, n'a-t-on dit, on rencontre encore des traces de métaux précieux !. Il n’est pas probable que les gisements minéraux se trouvassent sur le rivage même; ils devaient plutôt se rencontrer à une certaine hauteur dans la montagne. Enfin le long séjour de Thucydide à Scaptè-Hylè pendant son exil mesemble indiquer que cette bourgade n’était point tout à fait sur la côte, car toutes les villes de ce littoral, nous le voyons par Thucydide et par les listes de tribus parvenues jusqu'à nous, étaient alors sujettes d'Athènes, et exposées à recevoir sans cesse la visite de navires et de troupes athéniennes; elles ne pou- vaient donc servir d’asile à un banni d'Athènes, tandis qu’une bourgade cachée dans un repli de la montagne, à quelques heures de la mer, se prêtait bien mieux à abriter son exil ?. Daton, qui avait, selon Strabon *, des champs fertiles, des chan- tiers de construction et des mines, ne me parait guère pouvoir se placer ailleurs qu'au fond du vaste et beau port qui se trouve au sud-ouest de Cavala et qui est maintenant connu dans le pays sous le nom d'Eski-Cavala, « la Vieille-Cavale. » Là seulement il y a entre la montagne et la mer une plaine assez étendue et assez arrosée pour mériter d'être cultivée; là seulement un port assez sûr pour qu'il ait été commode d’y construire et d'y lancer des navires; enfin le contre-fort du Pangée où est adossé maintenant le village de Leftéro, à cinq ou six kilomètres du port de la Vieille-Cavale, pou- vait très-bien renfermer autrefois des mines. Leftéro-Limani, comme on appelle maintenant ce beau havre, offrait donc aux Thasiens, pour le chargement des produits de leurs mines et pour leur com- merce avec l’intérieur, la position la plus avantageuse qu’il leur füt possible de trouver dans la baie qui s’arrondit et se creuse en face de Thasos. On pourrait s'étonner de ne pas trouver de médailles de Daton, ! C’est à ces travaux d'exploitation que Scaptè-Hylè doit son nom , de oxén7w «fendre, creuser, fouiller, » et de ÿAn « forêt. » On pourrait donc le traduire mot à mot par « forêt fouillée. » (Voir sur ces traces, ou du moins sur ces souvenirs d'anciennes exploitations minières conservés dans le Pangée, L. Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, p. 27.) 2 Plut. De Exilio, xt; Vita Cimonis , 1v; Marcell. Vita Thuc. 3 VIT, xxx. 4 Diodore (XVII, v) et Appien (De Bello cwili, IV, cv) se trompent évidem- ment quand ils font de Daton et de Crénides, depuis Philippe, une même ville; Daton, cela n’est pas douteux, a toujours été au bord de la mer. MISS. SCIENT. Le SR en: et de ne point rencontrer le nom de cette ville dans l’histoire de la guerre du Péloponnèse et des luttes qui remplirent le siècle sui- vant; mais ce silence s'explique par la naissance d'une nouvelle ville, Néopolis ou Néapolis, dans le voisinage de Daton, vers l’é- poque de l’asservissement et de la décadence de Thasos. Néopolis paraît être une colonie d'Athènes, ou du moins avoir été fondée par des Athéniens mêlés à des colons thasiens, probablement sur la petite presqu’ile qu'occupe maintenant la ville de Cavala !. Cet établissement donna à Daton une dangereuse rivale. Néopolis semble avoir rapidement acquis de l'importance, et remplacé Da- ton, la colonie thasienne, Thasos alors n'étant plus là pour la sou- tenir. Le nom de Néopolis se trouve dans les listes du tribut que payaient les alliés à Athènes avant et pendant la guerre du Pé- loponnèse, et la ville le conserva jusque sous les empereurs by- zantins. Sa durée et sa prospérité continue s'expliquent aisément quand on songe qu'elle était comme le port de la grande et opu- lente cité de Philippes. À l’est de Daton, les Thasiens possédaient la partie de la plaine que le Nestos laisse à droite. Là ils avaient des échelles qui, ex- posées dans ce pays découvert aux incursions des Thraces, ne pouvaient acquérir une grande importance et ne méritaient pas d’être nommées. Pistyros, mentionnée en passant par Hérodote?, était peut-être un de ces villages thasiens; il y avait là des pé- cheries sur des étangs salés très-poissonneux, qui donnent, en- core maintenant, une boutargue très-renommée dans le pays d’a- lentour. Les Thasiens, vers le commencement du v° siècle, où nous Îles trouvons dans le récit d'Hérodote, vivaient, à ce qu'il semble, en assez bonne intelligence avec les Thraces, malgré leurs conquêtes sur ces tribus. Celles-ci, restées maîtresses de la magnifique plaine de l’Angitas et du Strymon, ainsi que des hautes vallées du Pan- gée et des pentes qu'il étale vers l'ouest, le nord et le levant, avaient fini par se résigner à voir aux mains des Thasiens le ver- sant méridional de leur montagne et tout le littoral. Les Thraces ! Voir, pour tout ce qui regarde la fondation de Néopolis, L. Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, p. 24 et 25, et une curieuse inscription (1bid. n° 5) qui fournit une raison de plus de croire à la part prise par les Athéniens à l'éta- blissement de la «ville nouvelle.» “VIT "CIX, ÉD RE, trouvaient sans doute, à ce voisinage, des facilités pour l'écoule- ment de leurs denrées, et c'était peut-être à leurs relations ami- cales avec les Thasiens, aux conseils et aux exemples de ces ha- biles ouvriers, héritiers de l’industrie phénicienne, que les Pières, les Odomantes et les Satres devaient de pouvoir exploiter les mines d'er et d'argent que renfermaient leurs vallées. Ce ne fut donc donc pas de ces barbares que vint la première attaque provoquée, vers la fin du vi° siècle, par la richesse et la prospérité de Thasos. L'auteur de l’entreprise fut un Grec, His- tiée de Milet!. Cet aventurier, pendant que les Perses, provoqués par sa témérité, mettaient à sac la malheureuse Ionie, se conso- lait en exerçant la piraterie dans l’Hellespont et la mer Égée. En h94 avant Jésus-Christ, amenant avec lui une petite armée d'Io- niens et d'Éoliens jaloux de la fortune de Thasos et avides de prendre part au pillage de ses trésors, il vint mettre le siége de- vant Thasos. Cette ville, qui n'était encore que très-imparfaite- ment forlfiée, se trouvait en grand danger de succomber; elle fut sauvée par un mouvement de la flotte phénicienne sur les der- rières d'Histiée. Craignant pour Lesbos et Chios, qui tenaient encore contre les Perses, Hisliée s’en retourna, avec toutes ses troupes, à Lesbos. Ainsi délivrés inopinément de ce péril, les Thasiens résolurent de prendre leurs précautions contre l’avenir?. Ils commencèrent à se donner une flotte de guerre, qu’ils augmentaient chaque an- née, et à entourer leur cité d'un mur plus haut et plus fort$. Les montagnes de l'ile leur fournissaient en abondance du bois pour leurs navires et du marbre pour leurs murailles. Les Thasiens pouvaient aisément faire face à ces dépenses; c'est qu'en ce mo- ment Thasos, surtout après les désastres que venait d'éprouver l'Tonie, était une des cités les plus opulentes du monde grec. Hé- l Hérod. VI, xxvur. ? Id. ibid. VI, xuvr. 3 Id. ibid. Où yàp dn Qaoior, oix ümo lotuaiou re roù MiAnotou molopxnbévres xai mpoccdwy ÉouoËwy pEeydÀwWY, ÉXPÉWYTO TOÏOI XPNUAGI VAÏS TE VAUTNYEULELOI aps nai reïyos mepiSadAduevor. dè æpocodds oQt éyivero &x re Ts fmelpou uaxp X0s mEp mEvos. p y ñs nreip OCR ” } Ps £ . +S fñ x = / / \ xai dm0 Tüv perahlwy. Ex pév ye rüv ëx EnanTÿs ŸAns Tôv ypuoelwy era} }wy To érinav 0ydwmxoutTa réhavra mpoonie, Ex dÈ Tüv Év aûrÿ Odow ÉAdoow pèv Toürwy, \ ) C4 c \ "4 4 2 + C2 2 L .. D _Æx et suyvà dè oùtw &ole 7 éminay Oaciouot oct xapnôv drehéor mpooie dmd Te This freipou uai Toy uerd}lwy ëreos Éndolou dimudoi réhavra, ôre de To æAetolor mpooñÀle > TPMXOOIL. [M — 20 — rodote, frappé de cette extraordinaire richesse, nous a laissé le compte et indiqué les sources des revenus de l'État, tels qu ‘ils étaient à Thasos avant que l'ile eût à payer aucun tribut à un maître étranger. Il est certain en effet qu'Hérodote, dans le pas- sage où il donne le chiffre « du revenu des Thasiens, » n'entend pas, comme pourrait le faire un économiste moderne, évaluer la production annuelle de Thasos et de ses colonies, le revenu na- tional composé du produit de tous jes capitaux, de l’ensemble de tous les revenus privés. Un calcul si compliqué, qui maintenant encore présente des difficultés à notre science économique, eût été ipOsFihle à l'époque d'Hérodote, et un Grec de ce temps n’en eût même pas conçu l’idée. Rien au contraire n'était plus aisé que de relever les revenus de l'État, indiqués chaque année par des chiffres soumis sans doute ici, comme à Athènes, au contrôle de l'assemblée populaire, puis gravés sur la pierre. Les revenus de l'État étaient donc d'après Hérodote, vers 490, de deux cents talents (1,112,180 francs) dans les années ordi- naires, et, dans les meilleures années, ils s'élevaient jusqu’à trois cents talents (1,668,270 francs). L’historien indique deux sources de ce revenu; la principale, ce sont les mines d’or que les Tha- siens possédaient sur le continent, au pied du Pangée, à Scaptè- Hylè, et celles qu'ils avaient dans leur île même, où ils conti- nuaient les travaux des Phéniciens. Les mines du Pangée rapportaient en moyenne quatre-vingts talents (444,872 francs), celles de Thasos un peu moins, peut-être soixante à soixante et dix talenis, de manière que les deux exploitations réunies donnassent à l'État de cent quarante à cent cinquante talents. On n’a d’ailleurs pas là, à ce qu'il semble, le produit total des mines, que l'État ne pouvait guère exploiter directement, mais la part du produit que devaient lui remettre les entrepreneurs auxquels 1l accordait des concessions ou donnait les mines à loyer. L'autre source de la fortune des Thasiens, celle qui complétait la somme de deux cents ou trois cents talents donnée comme to- tal par Hérodote, n’est indiquée par lui que d’une manière beau- coup moins précise. « Leur revenu, dit-il, provenait de la terre 1 Voir dans Bœckh, Écon. polit. des Athéniens, 1. TT, ch. 11, comment était cnee en Attique l'exploitation des mines du Laurium, et quelle part y était réservée à l'État. ati EN ferme et des mines.» De quelle nature étaient ces revenus de la terre ferme, et que produisaient aux Thasiens leurs établisse- ments sur la côte de Thrace? L’historien n’entre dans aucun détail ; mais étudions les lieux, voyons ce qui se faisait ailleurs, et nous pourrons peutêtre, par l'induction et l’analogie, combler cette lacune. Les terres que possédaient les Thasiens sur tout ce littoral, du Strymon au Nestos, avaient certainement été acquises, au moins la plupart d'entre elles, par la force des armes, dans des expédi- tions entreprises au nom de la république de Thasos. Elles étaient donc en grande partie la propriété de l'État, qui les donnait à ferme , soit à des cultivateurs indigènes, soit à des Thasiens établis sur le continent. À Thasos comme à Athènes, les loyers des terres du domaine public devaient former une branche importante des revenus de l'État. Mais ce qui devait rapporter encore plus que ces fermages, c'étaient les douanes que les Thasiens avaient certainement éla- blies dans tous leurs comptoirs. Ce n'était que par l'intermédiaire des Thasiens aue les tribus thraces qui exploitaient les mines du Pangée ou qui cultivaient les champs humides et féconds qu’ar- rosent le Strymon, l'Angitas et le Nestos, pouvaient écouler leurs produits, et dans ces affaires avec des peuples ignorants et gros- siers, dans ce négoce dont ils avaient en quelque sorte le mono- pole, les Thasiens devaient faire des bénéfices énormes. Demandez aux négociants francs de Salonique et de Cavala ce que mainte- nant, dans des conditions à peu près pareilles et sur ces mêmes rivages, leur donnent de profits les tabacs, les cotons et les cé- réales qu'ils achètent aux Bulgares et aux Turcs des plaines de Sérès et de Drama. Aussi ie produit des droits qui frappaient ce commerce, quelque légers qu’ils fussent et de quelque manière qu'ils aient été établis, devaitil monter assez haut. C’est à cette première période de l’histoire de Thasos que l’on doit attribuer les curieuses monnaies d'argent qui portent, d'un côté, un carré creux, de l’autre, avec des détails obscènes, un satyre sollicitant une bacchante ou la saisissant et l'embrassant de force. Cette représentation semble se rattacher au culte orgiaque ! Mionuet, Description des médailles, t. 11 du Supplément. Elles sont décrites dans l’avant-propos du volume, et figurées dans la planche insérée page 545 du même tome. de Bacchus tel qu'il était pratiqué dans le Pangée, l’'Hémus et le Rhodope. Les médailles où elle se rencontre sont globuleuses, et de travail plus ou moins archaïque; quelques-unes portent dans le champ les lettres OA, tandis que les autres, sans légende , of- frent avec les premières la plus grande analogie de style. On les trouve à Thasos et dans toute la région de la Thrace qui avoisine cette île. Pour n'être pas, malgré leur haute antiquité, plus rares qu’elles ne le sont maintenant, il faut qu'à une certaine époque il en ait été émis et répandu dans le pays une très-grande quantité. Frappées sans doute surtout à Thasos et dans ses colonies, elles ont dû, pendant longtemps, être le principal moyen d'échange entre les Thasiens et les barbares leurs voisins, et servir de mon- naie courante dans le Pangée comme sur les rives du Strymon et du Nestos. De longs jours de puissance et de prospérité toujours croissante semblaient donc s'annoncer pour Thasos; elle avait employé ses riches revenus à s'assurer contre une surprise comme celle qui avait manqué la faire tomber aux mains d'Histiée, et, par l’aug- mentation du nombre de ses vaisseaux longs, elle s'apprêtait à étendre son commerce et peutêtre à soumettre les îles voisines à son influence , quand les Thasiens se trouvèrent tout d’un coup en face de l'empire perse, qui s’apprêtait, avec Darius, à fondre sur l'Europe. Cette rencontre arrêta leur essor. En 492, dans la première expédition de Mardonius au delà de l'Hellespont, la flotte qui accompagnait son armée se présenta devant Thasos!. On ne pouvait guère songer à la résistance, quand le bruit des récents malheurs de l'Tonie et du triomphe facile des Perses ef- frayait encore tout l'Orient; les Thasiens se soumirent donc, et prêtèrent hommage au grand roi. Il ne paraît pas que cette pre- mière visite des Perses ait été accompagnée de violences ou que l'on ait alors demandé à l'ile de grands sacrifices; mais bientôt le Joug des Perses se fit sentir plus durement aux Thasiens. Îls avaient été accusés par leurs voisins, auprès de Darius, de méditer une défection ?. Hérodote ne nomme pas les dénoncia- teurs, mais c'était sans doute quelque ville de la côte de Thrace, \bdère, Enos ou Maronée, jalouse des possessions de Thasos en terre ferme et excitée par l'espérance d’en recueillir la succession. l Hérod. VI, xLiv. 2014. NI, xLwrT. D Un messager du grand roi vint donc, en 490, ordonner aux Tha- siens d’abattre leurs murs ei de conduire leurs navires à Abdère, peut-être la cité délatrice, pour être là remis aux mains des offi- ciers du roi. Les Thasiens abattirent leurs murs et hivrèrent leurs vaisseaux. | f Les Perses se contentaient en général de soumettre les Etats grecs à un tribut et à une sorte de suzeraineté presque nominale; aussi ne paraissent-ils pas avoir enlevé aux Thasiensleurs possessions de terre ferme, car, lors du passage de Xercès avec son immense armée, la république de Thasos, comme maîtresse d’une partie du continent que traversait l'expédition, dut nourrir pendant un jour le roi et ses troupes. Un des principaux de la ville, Antipater, fils d'Orgis, fut chargé par le peuple d'ordonner le souper, et de faire à cette fin toutes les dépenses nécessaires}; quand il vint rendre ses comptes après s'être acquitté de la commission, il prouva que le festin avait coùlé quatre cents talents d'argent (2,224,360 Îr.); les Thasiens, comme les Abdéritains, devaient remercier les dieux que Xercès et sa suite se contentassent d’un seul repas par jour. Ils n’en furent d'ailleurs pas quittes à ce prix; il leur fallut équi- per des vaisseaux et les joindre à la flotte perse; c'est là ce qu'Hé- rodote indique clairement, quoique d’une manière un peu géné- rale et sans nommer Thasos?. « Les Grecs, dit-il, qui habitent la Thrace et les îles voisines de la Thrace fournirent cent vingt navires. » Comment croire que, de ces îles voisines de la Thrace, la plus riche et la plus florissante ait été oubliée dans cette réqui- sition ? Une galère de Lemnos est mentionnée par Hérodote dans le combat de l’Artémision, une de Samothrace à Salamine: s’il ne nomme pas les Thasiens, c'es! uniquement qu'il n'a rien de particulier à en dire, qu'aucun fait d’armes ou aucun accident ne les a signalés. Après la fuite de Xercès, quand la flotte grecque, victorieuse à Mycale, parut dans les eaux de la Thrace, les Thasiens, comme les autres, s’empressèrent de secouer la domination des Perses, et quand, deux ans plus tard, l’insolence et la trahison de Pau- sanias déterminèrent les alliés à se tourner vers les généraux athé- niens, Thasos entra dans la confédération qui s’organisa par les soins d'Aristide et de Cimon sous la présidence d'Athènes. ! Hérod. VIE, cxxxv. + VIE, cxwiir. nn, on Thasos eut encore là, entre deux orages, quelques beaux jours. Son commerce, en effet, n'avait pu que gagner aux passages de flottes, aux mouvements d’armées qui, depuis Platée et Mycale, animaient ces mers et ces rivages, ainsi qu'aux plus intimes rap- ports établis par la ligue de Délos entre les différentes îles et co- Jonies grecques. Le goût et le sentiment des arts ne faisaient pas défaut à sa prospérité, et elle cherchait à ses richesses un noble emploi; en attendant qu'elle eût à elle de grands artistes, elle sut attacher son nom à l’une des œuvres d’un des plus célèbres sculp- teurs de la Grèce, elle fit consacrer à Olympie par le fils de Mi- con, Onatas, le meilleur des maîtres d'Égine, une statue presque colossale de l'Hercule thasien. Comme le remarque Pausanias!, qui admirait cette statue six siècles plus tard, à Olympie, l’Hercule thasien n'était plus alors le dieu phénicien qui avait été d'abord adoré dans cette île; ce culte n’avait jamais cessé d'occuper le premier rang dans les religions thasiennes, mais il s'était trans- formé peu à peu, et, tout en conservant sans doute au dieu quel- ques attributs particuliers, 11 était arrivé à se rapprocher sensi- blement de celui que l’on rendait dans toute la Grèce au fils d’Alcmène. Avec ce nouveau caractère, qu'il avait dû prendre dès l'établissement des Grecs dans l'ile, Hercule restera toujours le grand dieu, le sauveur et le protecteur de Thasos. | Après Hercule, le dieu le plus vénéré des Thasiens, celui que l'on trouve associé au fils d’Alcmène sur les belles pièces d’argent qui, dans le cours de ce siècle, vont remplacer à Thasos les types barbares de ses monnaies primitives, c’est Bacchus, le dieu de la vigne. Les origines phéniciennes expliquent suffisamment les hon- neurs rendus à Hercule dans l'île de Thasos et le rang qu'il y garde toujours; quant à Bacchus, quoi de plus naturel que de le voir a loré dans une île dont ses présents formaient la principale richesse? C’est d’ailleurs un dieu thrace. Un autre culte particulier de Thasos, c’est celui de Déméter, de la Déméter cabirique, si l’on en croit Creuzer, telle qu'on l’honoraïit à Samothrace?. Nous savons par Pausanias à quelle époque Tellis et Cléobée avaient apporté ce culte à Thasos, où il s'était sans doute un peu modifié sous l'influence des religions de l'île voisine, comme semble l'indiquer une médaille thasienne, NX: * Voyez Guigniaut, Religions de l'antiquité, t. IF, 1° partie, p. 315. nn + où on la voit rapprochée des Dioscures, qui sont eux-mêmes regardés parfois comme deux Cabires. Quel qu'ait été au juste le caractère de la Cérès thasienne, la fertilité renommée de Pile suffit à expliquer les hommages qu'y recevait cette déesse. Eus- tathe, commentant Denys le Périégète!, s'exprime ainsi: «Il appelle Thasos ogygienne et rivage de Cérès, à cause de la fécon- dité et de la richesse de son soi.» Le culte proprement dit des Cabires de Samothrace ou de Lemnos ne paraît pas s'être jamais établi à Thasos même; mais, par l'initiation aux mystères de Samothrace, où se faisaient ad- mettre, dès leur première jeunesse , presque tous les habitants des pays d’alentour, la religion dont cette île était le centre et le foyer dut exercer une influence sur l'esprit des Thasiens. On pense en retrouver des traces dans quelques inscriptions thasiennes, d’é- poque assez basse, il est vrai, où la croyance à la vie future se présente sous des formes que l’on croit pouvoir rattacher à la tradition et à l’enseignement des mystères ?. Les autres grands dieux de la Grèce, nous l’apprenons par l’his- toire et les inscriptions, eurent aussi leurs autels et leurs prêtres à Thasos; mais, comme ils n’y avaient reçu aucun attribut singu- lier, il est inutile d'en parler. Le culte et le temple de Minerve, dont il est question dans un décret antérieur à la conquête romaine, datent peut-être, à Thasos seulement, de l'occupation athénienne $. Cette occupation ne devait passe faire attendre : Thasos fut un des premiers, parmi les États confédérés, qui passèrent du rang d’alliés à celui de sujets d'Athènes. Nous ne savons pas à quelles conditions les Thasiens étaient entrés dans la ligue de Délos. Quelques-uns des confédérés avaient offert, dès le début, de s’ac- quitter envers les Athéniens au moyen d'une contribution an- vuelle ou de navires que monteraient les marins d'Athènes; les Athéniens avaient d’abord fait mine de vouloir exiger le service militaire; mais bientôt, mieux inspirés, ils avaient laissé la plu- part des villes s’en exempter à ce prix et préparer elles-mêmes leur asservissement en désapprenant les fatigues et les dangers de la guerre. Pendant que les Grecs d’Asie et des îles s’endor- l Voyez p. 525. * Voyez Bæœckh, C. I. Gr. n° 2161 b. — Cf. l'inscription inédite que je public. DEP n'.rL6T, a maient et s’affaiblissaient dans la prospérité, sans souci de l’a- venir, Athènes exerçait et aguerrissait à leurs frais sa flotte et son armée. Les Thasiens, tout porte à le croire, ne commirent pas la même faute que beaucoup de leurs voisins; ils s'engagèrent et persévérèrent à fournir leur contingent de vaisseaux, de marins, et d’hoplites. S'ils ne s'étaient tenus ainsi en haleine, s'ils n’a- vaient continué à payer de leur personne dans la guerre contre les Perses , comment auraient-1iis pu, onze ans plus tard, opposer à la puissante Athènes une aussi vigoureuse et aussi longue résis- tance ? La rupture eut des motifs étrangers aux charges et aux condi- tions de l'alliance; elle fut amenée par un conflit d'intérêts, sur le continent, entre les Thasiens, à peu près maîtres de toute la côte du Nestos au Strymon, et les Athéniens, que la prise d'Éion, vers 472, avait établis à l'embouchure du Strymon, au pied du Pangée!. Sans doute les Thasiens n'avaient pas vu sans jalousie ce dangereux voisinage; puis des colons avaient dù arriver d'Athènes, en vue, soit d'obtenir des concessions de terres, soit de s'associer avec quelques-uns des rois et chefs thraces pour l’exploitation de ces mines du Pangée que les Thasiens avaient alors presque toutes entre leurs maïns; peut-être aussi, profitant de la position si favorable d'Éion, des marchands athéniens ou des métèques protégés par Athènes avaient-ils réussi à détourner et à attirer dans cette nouvelle voie une partie de ce grand commerce avec l'intérieur dont les Thasiens étaient auparavant les intermédiaires obligés et dont ils tiraient de si grands profits. De là de sourds mécontentements et des froissements continuels, puis enfin, sans doute en 465, rupture ouverte : les Thasiens déclarent qu'ils se retirent de l'alliance. Mais les Athéniens n’admettaient point, ils venaient de le montrer par l'exemple de Naxos, que l’on eût le droit de sortir de la confédération volontairement, comme on y était entré; leur suprématie dans la mer Égée n'était qu'à ce prix. S'ils laissaient se dissoudre ce vaste empire maritime dont chaque jour ils appréciaient mieux toute l'importance et toutes les pro- messes, avec lui disparaissait ce brillant avenir de puissance tout employée à de grandes choses et de richesse couronnée de la gloire des arts, que commençait à rêver, avec Périclès, la démo- 1 Thuc. Ï, c-cr. nn | cratie athénienne. Toute défection devait donc être traitée comme une révolte. Dès que l’on apprend la détermination des Thasiens, Cimon arrive avec une flotte !. Les Thasiens, sans doute dans le détroit qui sépare ieur île du continent et en face de leur capi- tale, vont au-devant de lui et acceptent la bataille; ils sont vaincus, et perdent trente-trois vaisseaux. Les Athéniens aussitôt débarquent dans l’île et mettent le siége devant la ville, pendant que leur flotte la bloquait du côté de la mer. Mais la place était forte; les murailles en avaient sans doute été relevées, plus épaisses et plus hautes que par le passé, aussi- tôt après la guerre médique; elle renfermait une population nom- breuse, décidée à résister jusqu’à la dernière extrémité. Une loi fut portée « que celui qui proposerait de traiter avec les Athéniens serait mis à mort?.» Les femmes mêmes, aussi animées de pa- triotisme et de haine que les hommes, prenaient part à la lutte. Les Thasiens, pour repousser les assiégeants, avaient dressé des machines en dedans de leurs murs; mais ils manquaiïent de cordes pour les assujettir et les faire jouer; les Thasiennes coupèrent et offrirent leurs cheveux*. Grâce donc aux défenseurs de la ville, grâce à l’énergique résolution des habitants, le siége se prolongea assez pour que les envoyés des Thasiens, trompant la vigilance des assiégeants, pussent parvenir jusqu'à Sparte, signaler à ses magisirats l’ambi- tion et la puissance chaque jour croissantes d'Athènes, et lui demander une invasion en Attique qui sauvàt Thasos en rappe- lant à la défense de ses foyers l'armée de Cimon“. Sparte avait promis cette diversion et se préparait à l'exécuter, quand un tremblement de terre, suivi de la révolte des Hilotes et des Mes- séniens , vint lui donner assez à faire en Laconie pour qu'elle ne pût songer à provoquer Athènes. Thasos, abandonnée à elle- même , devait succomber; le siége était arrivé à sa troisième année sans aboutir encore; mais la guerre et la famine diminuaient tous les jours le nouwnbre des défenseurs de la place, et rendaient de plus en plus cruelles les souffrances de la nombreuse popula- tion qui, sans doute de tous les points de Pile, était venue se ! Plut. Cimon, x1v. ? Polyen. Strat. 11, xxxur. 5 Id. ibid. VI, cxvrr. 4 Thuc. FE, c; Plut. L. L. Diod. Sic. XI, xx. renfermer et se presser derrière les murailles de la capitale. On sentait qu'il fallait céder; mais la loi terrible qui punissait de mort toute proposition d'accommodement subsistait toujours. Ün citoyen, dont le nom nous a été conservé, Hégétoridès, se dévoua pour le salut de tous. S'étant mis lui-même une corde au cou, il parut en cet état devant l'assemblée du peuple. « Citoyens, dit-1l, usez-en avec moi comme vous le voudrez, et selon votre intérêt; mais du moins, au prix de ma mort, sauvez ce qui reste encore des citoyens, en abrogeant la loi.» Les Thasiens com- prirent; ils ne firent point de mal à Hégétoridès; la loi fut rap- portée, des négociations furent ouvertes, et les conditions du vainqueur acceptées. Les Thasiens durent rentrer dans l'alliance d'Athènes, et lui livrer les villes, territoires et mines qu'ils possédaient en terre ferme, ainsi que tous leurs vaisseaux; enfin une somme, dont nous ignorons le montant, dut être payée immédiatement comme indemnité de guerre, en même temps qu'était réglée la contri- bution annuelle à laquelle Thasos serait tenue désormais envers Athènes (463). CHAPITRE HIT. HISTOIRE DE THASOS SOUS LA DOMINATION ATHÉNIENNE. (463 — 405.) Les textes anciens ne nous donnent aucun moyen d'évaluer, même approximativement, la taxe annuelle qui, après la reddi- tion de la ville, fut imposée à Thasos; il faut, pour combler jus- qu'à un certain point cette lacune, recourir à ces listes de tributs qui, gravées sur la pierre et conservées dans l’acropole d'Athènes, y ont été retrouvées il v a peu d'années. Je suivrai, pour tout ce qui se rapporte à ces tables, le texte qu’en a donné Bœckh, ainsi que l’ordre dans lequel il les a rangées, et l’ingénieux et savant commentaire dont il les a accompagnées !. D’après sa conjecture, qui présente un très-haut degré de vrai- semblance, les nombres que nous trouvons dans ces tables, au ! Bæœckh, Staatshaushaltung der Athener, deuxième édition, tome IF, appen- dice xx, 1851. LA moins dans toutes celles de ces tables où se rencontre le nom de Thasos, représentent la dime d’un mois de la contribution an- nuelle de chaque ville, c'est-à-dire, le dixième du douzième, ou le cent vingtième du tribut. Ce prélèvement aurait été fait, chaque an- née, au profit du trésor particulier de Minerve, par les Helléno- tames, sur les sommes qu'ils avaient reçues et encaissées. On peut donc toujours, par une simple multiplication, remonter de la cote indiquée par les tables à la somme totale payée cette année-là par l'État tributaire. Pour Thasos, en négligeant une ou deux cotes en partie effacées et dont il est impossible de rien tirer, voici les nombres que l’on trouve : En 447 (ces indications d'années, Boeckh lui-même le déclare, sont loin de présenter une certitude absolue), trois cents drachmes, ce qui correspond à un tribut de six talents. Même cote en 445 et en 430. | En 448, cinquante-quatre drachmes, ou un tribut de un talent quatre cent quatre-vingts drachmes. Enfin en 432, 426 (?), 420, 419, 412 (?}, trois mille drachmes, ou un tribut de soixante talents. Boeckh s'étonne, et à bon droit, de la faiblesse du tribut qui semble avoir été payé pendant une trentaine d'années par Thasos. Sans doute on peut écarter tout d’abord la cote de cinquante- quatre drachmes, qui ne se présente qu'une fois et paraît appar- tenir à une année où les Thasiens, pour un motif ou pour un autre, auraient obtenu un dégrèvement provisoire et tout acci- dentel, ou n'auraient pu acquittér qu’une portion de leur contri- bution annuelle; il se pourrait que ce füt à la suite de cette stérilité, qui, dans le cours de ce siècle, appauvrit et désola Thasos pendant trois années consécutives !. Mais on est forcé de tenir un tout autre compte de la somme de trois cents drachmes qui revient plusieurs fois, et qui semble prouver que, jusque vers le commencement de la guerre du Péloponnèse, les Thasiens n'auraient été régulièrement taxés qu'à six talents par an. Mais ne voit-on pas, dans le même temps, d’autres îles, qui étaient loin de passer pour aussi opulentes que Thasos, payer un tribut beau- coup plus fort, Naxos quinze talents, Paros trente talents? En n'étant imposée qu’à six talents, Thasos se trouverait rangée à L Pausanias, VE, x1. = He côté de Téros, d'Andros ou de Siphnos. À elles seules, les mines situées dans l'ile même de ‘TFhasos ne rapportaient-elles pas à l'état un revenu d'au moins soixante talents, et peut-on supposer que les Athéniens, qui n'écorchaient pas, je crois, les alliés, mais qui savaient les tondre, eussent si peu demandé à qui pouvaït tant donner? Thasos en effet dut bien vite se remettre des maux de la euerre, et, si la perte de ses possessions de terre ferme diminua sensiblement son opulence, il lui restait encore bien des sources de richesse et de prospérité. Si d’ailleurs Thasos n’avait été en état de fournir que six talents, comment expliquerait-on que le tribut montàt tout d’un coup de cette somme si faible à la somme, comparativement irès-élevée, de soixante talents, qui paraît être la contribution ordinaire de Thasos pendant toute la guerre du Péloponnèse? C'est juste la contribution d'Égine pendant toute cette époque, et quelques talents de plus que celle de Byzance; enfin cela parait bien mieux en rapport avec ce que nous savons des ressources de Thasos. Reste. donc seulement à expliquer la taxe si faible des premières années, qui ne peut certes représenter tout ce que Thasos payait alors aux Athéniens. Bœckh se tire d'embarras par une ingénieuse et très-vraisem- blable conjecture. Selon lui, la subite élévation du tribut, vers A32, au chiffre de soixante talents, où il se maintient désormais jusqu'en 411, moment de la nouvelle défection de Thasos, cor- respondrait à une restitution qui aurait été faite alors aux Tha- siens de quelqüe branche des revenus publics dont les aurait d’abord dépossédés la conquête. Mais quelle peut être la portion du domaine public dont la soustraction et le retour à l'État devront exercer sur le montant du tribut une telle influence et le faire varier dans une si forte proportion? Les possessions de terre ferme, on ne peut y songer; on voit, pendant toute cette pé- riode, les anciens comptoirs de Thasos figurer séparément, comme villes sujettes, dans la liste des alliés d'Athènes; quant aux mines du Pangée, elles étaient tombées entre les mains de grands propriétaires athéniens, comme l'historien Thucydide, qui en tiraient trop de profit pour songer à s'en dépouiller; enfin Athènes n'avait aucane raison de reconstituer un empire, de relever une puissance qu’elle avait pris tant de peine à détruire. Il n'en est pas ainsi des mines qui se trouvaient dans l’île même ; Thucydide ne nous dit pas que la jouissance et l'exploitation en , = aient été retirées aux Thasiens, et pourtant le chiffre si faible de la somme annuellement exigée de Thasos pendant la première moitié de la période qu'embrassent nos tables ne permet pas de croire que le produit des mines ait alors compté dans le revenu de la république de Thasos, revenu qui servait nécessairement de base au peuple d'Athènes pour la fixation du tribut, Voici donc ce que l’on peut supposer : à Thasos, aussitôt après la soumission de la ville révoltée, Athènes se serait attribué les droits que l'État avait sur les mines et les profits qu'il en tirait; par l'entremise de l’un de ces inspecteurs ou surveillants !, comme elle en met- tait parfois dans les cités alliées, elle aurait perçu en son nom et pour son propre compie la somme que devait payer l’entrepre- neur à chaque nouvelle concession d'une certaine étendue du terrain minier, ainsi que la portion de ses bénéfices qu'il devait chaque année à l'État. Le produit de ces redevances, n'étant pas compris dans le tribut proprement dit, ne serait pas entré dans la caisse des Hellénotames, et, par conséquent, n'aurait jamais eu à figurer dans les tables qui nous sont parvenues. Au bout d'une trentaine d'années de ce régime, Athènes, soit qu'elle y trouvât des inconvénients et des embarras, soit qu'elle voulüt se concilier les Thasiens, peut-être à la fois pour ces deux motifs, aurait rendu à la république de Thasos ses droits sur les mines de l'île qu'elle lui avait momentanément enlevés, et naturel- lement lui aurait au même instant imposé une augmentation de tribut en rapport avec ce que produisaient les redevances qu'elle abandonnait et qui faisaient retour aux Thasiens. C’est ainsi que, depuis lors, tout le revenu que le peuple d'Athènes tirait de l’île aurait figuré au chapitre du tribut, et la taxe annuelle de Thasos serait restée régulièrement fixée pendant environ vingt ans à soixante talents (333,654 francs). Cette donnée, que l’on n’a aucune raison de révoquer en doute, nous fournit le moyen d'apprécier, dans une certaine mesure, la lourdeur des charges qu’Athènes faisait peser sur les alliés, à l'époque même où elle poussa le plus loin ses exigences. On n'a aucun motif de penser que les mines de Thasos fussent déjà épuisées, et ne produisissent plus à l'État, comme du temps d'Hérodote, une soixantaine de talents, revenu qui, à lui seul, à L l Enioxono, QuÂanes. L- ae aurait déjà suffi à acquitter le tribut. Mais Thasos, même privée de ses possessions de terre ferme et de son monopole du com- merce de toute une région de la Thrace, avait d’autres éléments de prospérité, que des relations plus intimes avec Athènes étaient faites plutôt pour développer que pour restreindre; ses marbres, ses fruits, son blé devaient trouver un débit plus facile, et c'est aussi vers cette époque que son vin semble commencer à devenir de mode à Athènes et à se répandre dans toute la Grèce !. Qu'on ajoute donc au produit des mines ces autres branches de revenu, et l'on se convaincra que la contribution de Thasos, quoiqu’elle fût, avec celle d'Égine, la plus forte de toutes celles que payaient les alliés, ne pesait point très-durement sur l'ile. Le vrai grief des alliés d'Athènes contre son empire, c'est qu’il contrariait ce vif amour de l'indépendance municipale qui est un des traits les plus marqués du caractère grec; mais, malgré ce qu'en disent les ennemis d'Athènes dans les historiens anciens, dépositions passionnées que les modernes ont trop souvent prises au sérieux et acceptées sans réserve, Athènes, au moins jusqu'à la détresse et aux fautes politiques qui suivent les désastres de Sicile, ne paraît point, dans ses rapports avec les villes sujettes, avoir trop de- mandé à l'impôt, ni puisé, jusqu'à les dessécher et ies tarir, aux sources de leur richesse et de leur prospérité matérielle. Quelques pertes d’ailleurs de territoire ou d'argent que lal- liance et la conquête athénienne aïent fait subir à Thasos, elle y gagna du moins l'honneur de fournir à la Grèce le premier deses peintres célèbres, Polygnote, grave et brillant interprète des vieux mythes et des légendes homériques. Ce fut en effet probablement Cimon, qui, après avoir réduit Thasos, emmena le jeune artiste à Athènes; fils et élève d’un peintre thasien, Aglaophon, Polygnote s'étaitsans doute acquis de bonne heure, dans l'ile, une réputation qui le fit distinguer du général athénien. Accueilli et encouragé par celui-ci, Polygnote dut saisir avec empressement l’occasion de pa- raître, sous les auspices d’un personnage comme Cimon, dans cette Athènes qui commençait dès lors, selon la belle expression de Thucydide , à être l’école de toute la Grèce. Son génie, aidé de ce puissant patronage, lui eut bientôt acquis à Athènes une renom- * C'est à Athènes surtout que l'on a trouvé un assez grand nombre danses Lu , Û d'amphore portant le nom des Thasiens. {Voir G. Perrot, Sceaux trouvés sur des anses d'amphores thasiennes; dans la Revue archéologique, 1861.) — 33 — mée qui, de là, se répandit dans la Grèce entière. Ge fut lui qui, avec le concours d'Onatas et de Micon, mêla, dans le Pæcile, aux souvenirs de la guerre de Troie les souvenirs non moins héroïques de la grande épopée que venait d’achever la Grèce; son principal ouvrage , les vastes compositions dont il orna la Lesché de Delphes, font époque dans l’histoire de la peinture grecque. Cet imposant tableau de toute l'histoire primitive, de tout l'âge héroïque de la Grèce, était, pour l'imagination et la piété des Grecs, à peu près ce que furent pour l'Italie du xiv° et du xv° siècle les fresques dont Giotto, Orcagna, Masaccio et les autres maîtres antérieurs à Raphaël, couvrirent les murailles du Campo-Santo de Pise et des églises de Florence. Polygnote n'avait pas oublié de donner place dans son œuvre aux bienfaiteurs de sa patrie; dans l’une de ses compositions figuraient la vierge Cléobée, tenant sur ses genoux la ciste mystique, et Tellis, l’aïeul d’Archiloque, qui avait apporté à Thasos le culte et les mystères de Cérès. Ce grand artiste paraît avoir été un noble cœur; il refusa le sa- laire qu’on lui offrait pour les travaux dont il avait embelli Athènes; le peuple aussitôt, touché de ce désintéressement, et ne vou- lant pas que la ville fût vaincue par le peintre en générosité, lui accorda une faveur des plus rares alors et des plus enviées, le droit de bourgeoisie à Athènes !; c'était comme une involontaire réparation du dur traitement qu'Athènes avait fait subir à la pa- trie de l’artiste. Depuis ce moment, Polygnote et sa famille pa- raissent tout à fait établis dans la Grèce continentale, et particu- lièrement à Athènes. Aristophon, frère de Polygnote, et comme lui élève de leur père, fut lui-même un bon peintre; cet Aglao- phon qui peignit Alcibiade dans tout l'éclat de sa jeune beauté et au lendemain de ses victoires dans les grands jeux, assis sur les genoux de la nymphe Némée, était sans doute fils d'Aristo- phon, et ainsi neveu de Polygnote. Voilà donc que le vieux peintre thasien, Aglaophon, qui sans doute n'avait jamais quitté son île, se trouve devenu, par suite même des événements où avait succombé la liberté de son pays, le chef et le père d’ane brillante famille d'artistes glorieusement mélés au grand mouve- ment de l’art grec en ce siècle privilégié, adoptés par Athènes et recherchés par toute la Grèce ? ! L Plut. Cum. 1v. ? Nous n'avons pu qu'indiquer ici en passant le caractère et le rôle de Poly- MISS. £CIENT. à 22. Site Vers la même époque un autre Thasien, d’un caractère bien diffé- rent, jouait aussi un certain rôle à Athènes : je veux parler de Sté- simbrote. Stésimbrote, à peu près contemporain de Cimon, lui sur- vécut quelques années, car un de ses livres fut évidemment écrit pendant la guerre du Péloponnèse, après 431. Il paraît être venu à Athènes peu de temps après la guerre médique, et y avoir passé toute sa vie. Précurseur des sophistes, il se faisait payér, et fort cher, pour expliquer aux jeunes nobles les poèmes d’Homère, et leur enseigner l’éloquence; aussi Socrate se souvient-il de lui et le touche-t-il parfois, en passant, de son ironie. Naturellement attaché, par ces liaisons, au parti aristocratique, il écrivit, pour ses patrons, un ouvrage dont le titre était, d’après Athénée, Thé- mislocle, Thucydide et Périclès ; Athénée et Plutarque l'ont assez souvent cité pour que nous en puissions juger à peu près le ca- ractère !. C’est une méchante langue que Stésimbrote. Si la passion poli- tique et les dépits des personnages dont il est le client expliquent les calomnies dont il se fait l’écho contre Périclès et sa famille, on comprend moins les anecdotes scandaieuses qu'il rapporte sur Ci- mon et sa sœur Elpinice. Cimon n'était-1l pas le chef glorieux du parti que l'écrivain était payé pour défendre, et Stésimbrote même, dans un portrait qu'il faisait de lui quelque part, ne sem- blaitil pas professer pour ce grand homme une vive admiration? C'est qu’une fois en train de médisance , emporté par sa verve ma- ligne, le pamphlétaire, car on ne peut l'appeler historien, n'épar- gnait plus personne, et que tout scandale lattirait et lui parais- sait bon à ramasser. Stésimbrote, c'est le T'allemant des Réaux du siècle de Périclès. Enfin, dans cette ardeur de diffamation, il entre peut-être quelque rancune patriotique contre les conqué- rants et les maîtres de Thasos. Si la vérité et surtout des engage- ments de parti le forcent à reconnaître ce qu’il y a chez Cimon de courage et de noblesse, ne diminue-t-il pas l'éloge autant qu'il le peut en faisant le fils de Miltiade bien moins cultivé, bien plus étranger aux choses de l'esprit, bien plus péloponnésien qu'il ne gnote; nous renverrons ceux qui voudraient mieux connaître ce grand artiste à l'intéressante étude que lui a consacrée M. Beulé, Revue des Deux-Mondes , 1°! jan- vier 1863. * Voir les fragments de Stésimbrote rassemblés dans la collection Didot, Fragm. hist, græc. t. IT, p. 52-58. ER l'était !? Ce n'est pas ici le lieu d'entreprendre la réhabilitation de Cimon, mais certainement Stésimbrote a beaucoup contribué à lui donner auprès de la postérité une réputation de grossièreté que ne mérite point le protecteur de Polygnote, l’auteur des pre- miers embellissements d'Athènes, le digne prédécesseur, à ce titre comme à tant d'autres, de Périclès. | C’est ce caractère des récits de Siésimbrote qui explique etle long oubli où ils semblent tomber pendant les beaux temps de la Grèce, quand on demandait à Fhistoire autre chose que de malins com- mérages, et la faveur dont ils recommencent à jouir aux heures de décadence, alors que la société, vieïllissante et ennuyée, com- mence à trouver un singulier plaisir à tous ces petits scandales du passé, qui la consolent de son infériorité et la délassent de l’ad- miration. Nous trouvons aussi la mention et quelques citations d’un livre du même auteur sur les mystères et d’un autre sur Ho- mère ; les courts fragments qui nous en sont parvenus présentent peu d'intérêt. C’est surtout par ses médisances, rivales de celles des comiques, que Stésimbrote s’est fait une place à part et mé- rite de compter dans l'histoire littéraire d'Athènes au siècle de Pé- riclès. Cette comédie, dont Stésimbrote imitait si volontiers le cynisme et la méchanceté, un de ses compatriotes, Hégémon de Thasos, l'interprétait un peu plus tard avec le plus grand succès devant le peuple athénien. Athénée parle assez longuement de ce célèbre acteur, qui parait s'être permis parfois des plaisanteries un peu fortes et qui n'auraient pas chez nous le même succès que chez les Athéniens; un jour, ayant fait provision de pierres avant de paraître en scène, il se mit, aussitôt après son entrée, à les jeter à la tête des spectateurs; cette gentillesse fit beaucoup rire ?. Alci- biade aimait Hégémor, sans doute pour son insolence; un jour l'acteur, je ne sais pour quelle incartade, allait être traduit de- vant les juges. Il vint avec ses confrères implorer la pitié et le se- cours d’Alcibiade; aussitôt le fils de Clinias, suivi des suppliants, 1 Plut. Cim. 1v. «Stésimbrote, de Thasos, qui était à peu près contemporain de Cimon , dit que celui-ci ne savait ni la musique ni aucun autre des arts libéraux alors répandus parmi les Grecs, qu'il était tout à fait privé du bien dire et de la finesse attique, mais qu'il y avait dans ses manières beaucoup de noblesse et de franchise, et que par le caractère ïl tenait plus du Péloponnésien. » ? Athén. IX, p. 407, B. c. 5. Jnre marcha à l'édifice où l'acte d'accusation était affiché en la manière ordinaire, et, s'étant mouillé le doigt, l'effaça sans plus délibé- rer. Les grefliers se turent et l’accusateur prit la fuite. Enfin Hégé- mon était en scène et transportait le peuple par la verve bouffonne de son jeu dans une pièce intitulée le Combat des Géants, au mo- ment où la nouvelle de la catastrophe qui avait terminé l’expédi- tion de Sicile commença à se répandre dans le théâtre !. L'acteur, dès que la rumeur du désastre arrive jusqu’à lui, veut s'arrêter ; on lui ordonne, sans doute les magistrats, de continuer, et les Athéniens, sans se lever de ieurs places jusqu'à la fin du spec- tacle, pleurent la tête voilée, pour ne pas étaler leur douleur aux regards curieux et malveillants des alliés mêlés dans la foule. Tout ce courage et cette dignité du peuple athénien ne pou- vaieunt pourtant dissimuler longtemps la blessure; ces défections des alliés, qui se succéderont si rapidement jusqu’à la fin de cette guerre, vont commencer. Celle de Thasos fut une des premières ; elle arriva en 411. En 424, après l'arrivée de Brasidas en Macédoine et ses pre- miers succès, de toutes parts s'étaient offerts aux Thasiens, qu'ils regardassent vers la Chalcidique ou vers la côte, plus proche en- core, de la Thrace, entre le Strymon et le Nestos, des exemples voisins de défections heureuses ; deux même de leurs anciennes co- lonies, OEsymè et Galepsos, passèrent aux Lacédémoniens ?. Mais Brasidas n'avait pas de flotte, et tant que les Athéniens seraient, comme ils l’étaient alors, maîtres de la mer, aucune île ne pou- vait sans folie songer à la révolte. Thasos d’ailleurs était surveil- lée de près; Thucydide, en cette année un des deux généraux chargés de défendre la Thrace, s’y trouvait avec des vaisseaux et des troupes au moment où Brasidas surprit Amphipolis. Banni, et 1l le méritait peut-être, pour n'avoir pas veillé de plus près sur la ville la plus importante de toute la province qu'il avait à gar- der, Thucydide semble s’être retiré et avoir passé presque tout le temps de son exil en face de Thasos, dans une des anciennes possessions des Thasiens, à Scaptè-Hylè, où 1i avait des terres et des mines. C’est là qu'il à écrit la plus grande partie de son his- toire; c'est là, après la visite qu’il fit à Athènes, la guerre termi- ! Athénée, IX, 407; XV, 699. ? Thuc. IV, cxx1t, à propos de Sicione; IV, cvr. EE: née, qu'il serait revenu mourir. Il fut donc on ne peut mieux placé pour suivre et pour nous faire connaître les événements qui ame- nèrent en 411 la révolte de Thasos contre Athènesf. Cette défection de Thasos fut, comme celle de plusieurs autres villes, une conséquence de cette malencontreuse révolution aris- tocratique des quatre cents, qui faillit hâter de sept ans le dénoù- ment de la guerre du Péloponnèse, et la terminer par une trahi- son. Après que, dans le ca mp de Samos, les trompeuses promesses d’Alcibiade et les intrigues de quelques-uns des généraux eurent décidé l’armée, comme malgré elle, à admettre le principe d’une révision de la constitution d'Athènes dans le sens aristocratique, les envoyés qui partirent pour Athènes afin d’y porter ces résolu- tions et d'y établir le nouvel ordre de choses durent, sur leur route, descendre dans les différentes îles où ils aborderaient, et y rem- placer la démocratie par l'oligarchie. Quelques-uns de ces com- missaires, probablement dans les premiers mois de 411, passèrent par Thasos, et s’y acquittèrent de la tâche qui leur avait été con- fiée. Mais, comme le remarque Thucydide, les choses tournèrent tout autrement qu'on ne se l'était promis? ; là encore, comme en Jonie, comme à Athènes même, les chefs du parti aristocratique d'Athènes ne réussirent qu’à faire les affaires des ennemis de leur pays, des Péloponnésiens. Ils dépouillèrent de son pouvoir et de ses droits le peuple, qui, à Thasos comme à Samos, comme à Chios, comme dans la plupart des villes de l'empire athénien, n'était point hostile à l'alliance d'Athènes ni disposé à la révolte, et ils ne se concilièrent pas les aristocrates, qui avaient tant de vieux griefs contre la patronne de la démocratie grecque, tandis que tous leurs souvenirs et toutes leurs espérances les inclinaient vers Lacédémone. Les meneurs de la faction ne virent donc là qu’une concession de la peur qui serait retirée dès que revien- draient la confiance et la force; les Athéniens, en se chargeant de leur mettre eux-mêmes le pouvoir en main, leur avaient épargné la peine et le danger de faire une révolution; c'était une faute dont il fallait profiter avant qu’elle fût réparée. Laissés à eux- mêmes, car à ce moment le peu d'hoplites et de vaisseaux qui restaient à Athènes étaient en Ilonie, ies nouveaux maïtres de 1 Plut. De Exilio, xt; Cimon , 1v ; Marcell. Vita Thucydidis. Cf, Bæckh, Staatsh, 1, p. 335; Poppo ad Thuc. t. IT, p. 337. 2 VITE, Lxiv. UE ‘île s'entendirent avec des exilés de leur parti qui, réfugiés chez les Péloponnésiens, n'avaient jamais cessé d'entretenir des rela- tions dans l'ile et de travailler à en préparer la défection. Par leur intermédiaire on pressa Sparte d'envoyer des vaisseaux dont l'apparition devant Thasos serait le signal de la révolte; en at- tendant ce moment, les magistrats firent relever les murs de la place, et, au bout de deux mois, l'eurent mise à peu près en état de défense. Thucydide ne nous dit pas quand furent accomplis les vœux des aristocrates, quand se déclara la défection de Pile; mais ce changement dut suivre de près, car nous y trouvons éla- blis, l'année suivante, en 410, une garnison lacédémonienne et un harmoste qui avaient alors eu déjà le temps de lasser les Tha- siens, de les dégoûter de la protection spartiate, et de leur faire regretter leurs anciens maitres. Là sans doute, comme partout, les Lacédémoniens, entourés d’ailleurs d’exilés qui rentraient avec de longues rancunes à satis- faire, avaient bientôt fait sentir leur orgueil et leur dureté natu- relle; en même temps Athènés, au mois d'avril 410, avait rem- porté dans l'Hellespont sa brillante victoire de Cyzique, qui avait relevé son nom et Îes espérances de tous ceux qui s’intéressaient à ses armes. Aussi, vers le mois de mai 410, après des luttes intes- tines dont nous ne connaissons pas le détail, voyons-nous le parti démocratique assez fort pour chasser l’harmoste lacédémonien, Étéonicos, avec la garnison qu'il commandait, et admettre dans le port, quelque temps après, Thrasybule et son escadre; le gou- vernement populaire fut rétabli, et il semble que depuis lors jus- qu'à la fin de la guerre Thasos ait persisté dans l'alliance athé- nienne !. Ce retour de:Thasos à la cause d'Athènes contribua beaucoup à rétablir les affaires des Athéniens dans ces parages en maintenant ou en ramenant plusieurs villes de la côte de Thrace; aussi le peuple d'Athènes lui en sut-il un gré tout particulier. L'auteur de la révolution et ses principaux partisans reçurent d'Athènes le droit de cité sans les charges qui l’accompagnaient, ! Xénoph. Hellen. Ï,1, xtx et xxxur; IT ,1v, 1x. Diodore (XIIE, Lxx11) présente ces événements un peu différemment; il donne à Thrasybule moins de vaisseaux, et lui fait plutôt faire la conquête de Thasos qu'y soutenir et y consacrer de son au- torité une révolution accomplie; mais les indications de Xénophon, d'accord avec le langage que tient Démosthène en rappelant ces faits sont, je crois, ici comme partout , à préférer. M et leurs descendants conservaient encore ces priviléges au temps de Démosthène!. Les partisans d'Athènes et de la démocratie payèrent cher ces faveurs après la bataille d’Ægos-Potamos ?. Quand Lysandre, avec les forces qu’il commandait, débarqua dans l'ile, beaucoup des démocrates avaient disparu et s'étaient cachés : alors, comme main- tenant, l’île devait fournir de sûres retraites dans ses montagnes, couvertes de bois. Lysandre, qui n’aimait pas à laisser d'ennemis derrière lui, réunit les Thasiens dans le temple d'Hercule, etleur donna de bonnes paroles : « Il comprend, dit-il, les craintes qui ont décidé quelques citoyens à la fuite; mais, qu'ils se rassurent et qu'ils reviennent, ils n’ont rien à redouter, il ne leur sera fait au- cun mal. » De ces promesses, Lysandre prend à témoin Hercule, l'auteur de sa race, Hercule protecteur de Thasos. La solennité de ces serments et la sainteté du lieu où ils avaient été prononcés déterminèrent les fugitifs à reparaître Pour achever de leur ôter toute défiance, Lysandre laissa passer quelques jours; puis quand ces malheureux, trop tôt rassurés, ne songeaient plus à prendre aucune précaution, il les fit tout d’un coup saisir et mettre à mort. IL paraît d’ailleurs probable que ceux qui se sentaient le plus compromis n'avaient pas attendu à Thasos l'arrivée du cruel vain- queur, et qu'ils auront pu se confondre dans la foule des fugitifs qui, de l'lonie, de l’Hellespont, de la Thrace et des iles accoururent après Ægos-Potamos apporter à Athènes leur découragement , leur misère et leur faim. CHAPITRE IV. THASOS DEPUIS LA BATAILLE D’ÆGOS-POTAMOS JUSQU’À LA REDUCTION DE L’ÎILE EN PROVINCE ROMAINE. (4o4 av. J.C.-59(?)apr.J.C.) Avant de quitter Thasos, Lysandre y avait sans doute installé, comme dans les autres villes alliées, un harmoste lacédémonien, aidé d’une décarchie où conseil des dix; partout avaient été choi- ! Demosth. Ado. Lept. p. 474. ? Polyen. I, c. xiv; Corn. Nepos, Lysander, IL. 3 Arist. Panalhen. p. 192. =. y sis pour remplir ces fonctions, parmi les partisans de Sparte et de l'aristocratie, ceux qui, dans chaque ville, s'étaient le plus signalés par leurs violences et par leur dévouement à la poli- tique et à la personne même de Lyÿsandre. Le tribut que paya Thasos à Sparte dut d’ailleurs être à peu près aussi fort que celui dont l'avait frappée Athènes, car on sait que les Lacédémoniens avaient fixé à mille talents le total de la contribution des alliés, ce qui ne permet guère de croire que beaucoup de villes aient obtenu un dégrèvement; Thasos, d'ailleurs, qui se trouvait en armes contre Sparte au moment où finit la guerre, ne fut proba- blement pas ménagée. Les choses durent rester à peu près en cet état pendant une dizaine d'années, jusqu'au moment où la bataille de Cnide, en 394, enleva l'empire de la mer aux Lacédémoniens. Deux récits de Plutarque, dont les détails sont suspects et semblent arrangés pour conduire à, une de ces leçons morales qu'aimaient tant les anciens et qu'ils préféraient même parfois à la vérité historique, prouvent au moins que, pendant qu’Agésilas était en Asie, les Thasiens l'avaient fait assurer de leur soumission et de leur dé- vouement, el que, quand le roi ramena son armée le long de la côte.de Thrace, ils l’accueillirent en alliés fidèles et empressés de Sparte, dont on ignorait encore le désastre !, Mais bientôt après, quand Pharnabaze et Conon, précédés du bruit de leur triom- phe, apparurent dans la mer Égée avec leur flotte victorieuse; quand Cos, Chios, Samos, Éphèse ei Mitylène donnèrent le 1 Apophteg. Laconica; Ages. XxxV, xxVI.— Ayant recu d’Agésilas de grands bien- faits, les Thasiens voulaient lui élever des temples et lui rendre les honneurs divins; ils lui envoyèrent une ambassade en Asie à ce sujet, pour qu'il choi- sit lui-même les honneurs qu'il préférerait se voir rendre. « Votre cité, dit-il aux députés, peut donc changer les hommes en dieux ? — Oui certes, répon- dirent-11s. — Eh bien! faites-vous d'abord vous-mêmes dieux, et, si vous réussissez, alors j'aurai confiance en vous, et je vous laisserai me faire dieu.» Les Thasiens, comme Agésilas traversait avec son armée leur territoire, lui apportèrent de la farine, des oïes, des confitures, des gäteaux et autres mels et boissons recherchés; de tout cela, il n’accepta que la farine, «le reste ne lui serait d'aucun usage, il priait quon voulüt bien le reprendre.» Comme on insistait, comme on le suppliait de tout accepter, il fit distribuer ces provisions aux esclaves; on lui en demanda Îla raison. « C’est, répondit-il, parce que ceux qui cultivent la vertu n’ont rien à faire avec toutes ces délicatesses chères à la gourmandise; ce sont là des appas à prendre les esclaves; il est honteux à des hommes libres de s'y laisser séduire. » — Je signal de la révolte contre les harmostes lacédémoniens et leurs partisans, Thasos aussi dut s'affranchir et revenir au gouverne- ment populaire et à l'alliance d'Athènes. Toujours est-il qu’en 389 Xénophon!, dans une rapide mention qu’il fait, en passant, d’une attaque des Lacédémoniens sur Ténédos, nous révèle la présence d'officiers et de troupes athéniennes à Thasos, ainsi qu'à Samothrace, et la grande influence qu’Athènes avait recon- quise dans ces parages. À ce moment, d’ailleurs, Athènes, heu- reuse d’avoir là une station pour ses vaisseaux, et d’être maîtresse d’une aussi importante position, satisfaite de pouvoir compter sur l'amitié d’une île voisine de Lemmnos et d’'Imbros, où elle s'occupait à rétablir ses colons, n’élait pas en état de se souvenir encore du passé et de demander un tribut à Thasos. Si l'ile con- tribuait aux dépenses communes de la guerre, ce n'était que dans une très-faible mesure et autant qu'elle-même le voulait bien. La paix d’Antalcidas (387 ans avant J. C.) vint lui rendre une pleine autonomie, que depuis plus d’un siècle elle n'avait jamais possédée, successivement soumise à la suzeraineté presque nominale des Perses, puis à la protection, plus dure et plus coù- teuse, d'Athènes et de Sparte. = Depuis ce moment, la constitution de Thasos ne semblé plus varier; tout ce que nous en savons d’ailleurs jusqu'au moment où l'ile est soumise à la domination romaine se borne presque à quelques noms de magistrats et à quelques indications contenues dans une inscription qui doit être voisine de l'époque d'Alexandre, et que je croirais plutôt un peu antérieure à ce règne”; elle 1 Hellen. NV, vu. : 2 CL Gr. n° 2161. — En voici la traduction : « Étant archontes Aristoclès, fils de Satyros; Aristème, fils d’Amomitas; ...nistrate, fils de Bition; les théores Amphéride, fils de Simalion ; Eupbrille, fils de Panchare; Timioclès, fils de Choiros, par l'ordre du sénat et du peuple, ont écrit ceci : « Sous l'invocation de la Bonne Fortune. «Polyarète, fils d'Histiée, proxène et bienfaiteur de la ville, s'étant montré plein de bienveillance pour la république des Thasiens, et ayant rendu, aussi bien aux particuliers qu'à l'État toute sorte de services, il a paru bon au sénat et au peuple de louer Polyarète, fits d'Histiée, à cause de sa vertu et de l'amitié qu'il a toujours témoignée à la république de Thasos, puis de déclarer citoyens : Polyarète, fiis d'Histiée, ainsi que les fils de Polyarète Antigène, Polyarète et Histiée, et ses filles Parménuse et Nicée; il en sera de même de mn on? offre encore, en effet, beaucoup de traces du dialecte particulier, voisin surlout de l'ionien, qui paraît avoir été parlé dans Pile depuis le temps de la colonisation parienne jusqu’au temps où, sous les successeurs d'Alexandre, on adopta presque partout, pour les actes publics et les inscriptions de tout genre, une sorte de langue universelle où s’effacent les variétés de dialecte. C’est un décret « du sénat et du peuple » qui confère le droit de bour- geoisie thasienne à un certain « Polyarète, fils d'Histiée, proxène et bienfaiteur de la ville, pour s'être montré plein de bienveil- lance envers la Donne des Thasiens, et avoir rendu, aussi bien aux particuliers qu'à l'État, tous les services qu'il a pu.» Nous voyons, par le texte de ce décret, que les deux grands corps de l'État étaient, à Thasos, le sénat et l’assemblée populaire. Le sénat, qu'il fût composé par l'élection, ou, comme ailleurs, par le sort, avait probablement, comme à Athènes, l'examen préalable et la préparation des projets de loi ainsi que la direction générale des affaires, landis que la souveraineté résidait dans l'assemblée du peuple. Trois archontes, qui donnaient leur nom à l'année, étaient les premiers magistrats de la République et partageaient entre eux les attributions du pouvoir exécutif. Ici ils paraissent comme chargés d'indiquer à des magistrats inférieurs, aussi au nombre de trois, nommés théores, l'endroit du temple de Minerve où ils devront inscrire le plébiscite en question. Il est difficile de savoir quel était au juste le rôle de ces théores; d'après le texte même de ce décret, il paraît probable que ce n'étaient pas tout à fait des prêtres, mais qu'ils composaient plutôt ce que tous leurs descendants: tous partageront tous les droits et tous les avantages des autres Thasiens. je sont autorisés à entrer dans la tribu dont ils obtien- dront le consentement. Les théores feront graver ce décret dans le temple de Minerve, à l'endroit qui sera indiqué par les archontes. L'hiéromnémon four- nira aux frais nécessaires. [l est défendu à qui que ce soit de parler ou de pro- voquer aucune disposition contre ce décret, et de faire retourner au scrutin; cette décision doit rester immuable. Si quelqu'un, en opposition à cette volonté, veut parler contre ce déeret, provoquer des dispositions contraires, ou faire retourner au scrutin, ces tentatives seront nulles, et il devra payer miile statères, qui seront consacrés à Apollon Pythien, et mille autres statères à la ville, Les apologues seront chargés de l'exécution de ce décret : s'ils ne poursuivent pas cette affaire, ïls seront condamnés à payer la même somme; et les apologues qui leur succéderont seront tenus de faire les poursuites contre eux et contre les autres. Tout citoyen peut entreprendre ce procès, et, si c'est un particulier qui le gagne, 1l recevra la moitié de l'amende. » nn 0 < nous appellerions «la fabrique !. » C’étaient les marguilliers du temple de Minerve ?. Le hiéromnémon semble ici le trésorier de la République, car c’est à lui qu’est confié le soin de solder la dépense de la gravure et de la mise en place du décret. Ce rôle ne paraît pas d'abord s'accorder tout à fait avec l’étymologie de ce titre et avec ce que l’on sait des fonctions que remplissaient ailleurs les hiéromné- mons*. La chose peut pourtant s'expliquer : le trésor de Thasos était sans doute déposé dans un temple, ainsi que cela se prati- quait à Athènes et dans d’autres villes. Par ce fait même, le tré- sorier de la République revêtait une sorte de caractère sacré; il devenait le gardien et l’archiviste du temple. Un autre titre particulier à Thasos, c’est celui des apologues, qui ne se trouve pas, je crois, ailleurs que dans cetle inscription. Selon Bæœckh, il répondrait à celui de logistes (Aoy:olai) chez les Athéniens et dans d’autres républiques; il se trouverait par là dé- signer les magistrats chargés de représenter, en toute occasion, les intérêts du trésor public, et de faire valoir ses droits, soit en examinant soigneusement les comptes des magistrats sortis de charge, soit en déférant aux tribunaux compétents ceux qui se trouveraient avoir commis quelque délit punissable d’une amende. On voit d’ailleurs que le personnel de cette sorte de cour des comptes élective se renouvelait souvent, peut-être tous les ans. «S'ils n'attaquent pas en justice le coupable, qu'eux-mêmes aient à payer l'amende, et qu'ils soient attaqués par les apologues qui viendront après eux. » Un remarquable trait de mœurs politiques nous est révélé par ce décret : c'est ce droit accordé à chaque citoyen de se porter partie, au nom de l’État, contre les particuliers transgresseurs des lois et même contre les magistrats qui avaient manqué à leurs devoirs“; ici même une sorte de prime oflerle à ceux qui auront le courage de se mettre ainsi en avant et d'accepter ce rôle inté- resse tous les citoyens à prendre la défense des lois et de la ! Rac. Seos et oùpos? Cf. äpxroupos, oïxoupos. ? Of ra Seia QuAdooouour. (Pollux et Harpocration. s. v. ewpot.) * Cf. Delphes et le mémoire de M. Letronne sur les Hiéromnémors. * Cf. les actes d'äffranchissement religieux à Delphes. ({ Wescher et Foucart, Inscriptions recueillies à Delphes , Paris, 1863 , in-8°.) = ff = République. On a là une marque évidente de l'esprit démocra- tique, qui, dans celle des constitutions de la Grèce que nous connaissons le mieux, dans la constitution d'Athènes, avait Com- pris ainsi la responsabilité des magistrats et avait soumis leur conduite au même examen et aux mêmes attaques. Thasos dut avoir, comme Athènes, ses orateurs populaires, accusateurs pu- blics presque attitrés, promptls à saisir comme prétexte la plus légère illégalité et le moindre abus de pouvoir, détestés des riches et des grands, méritant souvent cette haine par ce qu'ils appor- taient d'acharnement et d'envie à soutenir leur rôle, mais utiles pourtant, par le contrôle qu'ils exerçaient et la peur qu’ils inspi- raient, au maintien de la constitution et des lois. Dans d’autres inscriptions de l'époque romaine se trouvent des titres de magistrats municipaux qui, transmis par la tradition, doivent remonter jusqu'au temps de l'existence indépendante de la cité. Ainsi un citoyen de Thasos paraît comme ayant exercé deux fois les fonctions d'érodéxrns?. C'est sans doute percepteur, receveur des deniers publics, qu'il faut entendre par 1à. Le même a été dyopavouos, c'est-à-dire magistrat chargé de veiller à l’appro- visionnement du marché, d'y maintenir l’ordre, d’y contrôler les. transactions en vérifiant les poids et les mesures employés par les marchands, etc. Il est question ailleurs d'un directeur du gymnase, yuuvaciapyosÿ, qui a en même temps le titre de xoouo- zohus, embellisseur @e la ville. Ce dernier titre désigne sans doute un magistrat semblable à l'édile romain, et chargé, comme lui, de la voirie, de tout ce qui concerne les constructions privées et les édifices publics. Il nenous manque sans doute que peu dechose, quelquesinscrip- tions de plus, sinon pour connaître tout le mécanisme de la cons- titution thasienne, au moins pour avoir une liste à peu près com- plète des honneurs et dignités qui, pendant plusieurs siècles, à Thasos, excitèrent les désirs et récompensèrent les efforts des am- bitieux. Quel petit monde savamment ordonné, riche et varié dans sa simplicité même, toujours unique et original par certains côtés, que chacune des cités grecques, et combien létude de toutes ces constitutions, maintenant perdues pour nous, nous 140: 1. Gr 163%) 2162,2163, 2163°, 2163°. Ibid. n° 2163?. 3 Ibid. n° 2163. 19 En eût sans doute révélé d'ingénieuses combinaisons; combien de nuances, de tempéraments et de compromis entre la démocratie et l'aristocratie, ces deux formes extrêmes et comme ces deux pôles entre lesquels oscille la vie politique des cités grecques !! L’autonomie recouvrée par Thasos ne pouvait guère être en- core qu'un leurre; Thasos n'était plus et ne pouvait pas redevenir assez puissante pour rester isolée au milieu du monde grec; d’ailleurs la paix d’Antalcidas, en prétendant dissoudre les con- fédérations, en n’attribuant à personne l'empire et la police de la mer, la livra tout aussitôt aux pirates. Quel État pouvait donc, mieux qu'Athènes, offrir et donner aux faibles la protection dont ils avaient besoin? Athènes, en échange d’un tribut modéré, était prête à accorder l’escorte et le concours de ses trirèmes, en même temps qu’elle assurait de grands avantages à ses alliés par les ressources que leur offrait son marché du Pirée. Chargé de four- nir aux besoins d'une grande ville riche et voluptueuse, le Pirée promettait à toute sorte de marchandises un prompt et facile débit, tandis que le blé de l’Euxin, dont la plupart des îles, aussi bien qu'Athènes, ne pouvaient guère se passer, se trouvait là plus abondant et à meilleur marché que partout ailleurs. Enfin sur les côtes lointaines de l'Euxin, dans le royaume du Pont, où les Thasiens envoyaient dès lors leurs vins et en faisaient un assez grand débit, ils avaient besoin de la protection d'Athènes, qui avait de bonne heure entretenu des relations et conclu, si l’on peut ainsi parler, des traités de commerce avec les souverains de ce pays?. En ce moment, grâce à l'amitié, à la faveur persévé- rante que le roi Leucon témoignait aux Athéniens, l'influence d'Athènes était plus forte dans ces régions qu'elle ne l'avait jamais été auparavant, et les Thasiens devaient y tirer un grand profit du patronage et de l'appui d’Athènesÿ. Tout porte donc à croire que Thasos, comme beaucoup de places de la Thrace et d'îles de la mer Égée, rentra bientôt dans ! Aristote s'était chargé de faire cette étude dans ses TMoAreïu, dont K. F. Neumann a recueilli les fragments, Heidelb. 1827. Ces fragments ont été réimprimés et complétés dans Müller, Fragm. hist. græc. éd. Didot. ? Demosth. Ado. Lacrit. p. 945. On a une curieuse confirmation du texte de Démosthène dans deux anses d’amphores thasiennes découvertes par M. Dubois de Montpéreux à Kertch, en Crimée. ( Voyage autour du Caucase, p. 143 et 204.) * Demosth. Ado. Leptin. passim. ic Ge l'alliance d'Athènes et resta sous son influence jusqu'au règne et aux conquêtes de Philippe de Macédoine. Malheureusement, si les indices ne manquent pas qui attestent cette dépendance, on n’a point de texte qui fixe le moment où elle commença, nt jes conditions auxquelles elle s'établit. Fut-ce tout aussitôt après la paix d’Antalcidas, fut-ce seulement en 378, après l'attentat de Sphodrias et son acquittement à Sparte, quand se reforma, sous les auspices de Chabrias, de Timothée et de Callistrate, la nou- velle confédération athénienne qui réunit d’abord Chios, By- zance, Rhodes, Mitylène, et peu à peu soïxante-six autres villes insulaires et maritimes ? Quoi qu'il en soit, si pendant une vingt- taine d'années nous ne trouvons aucune mention expresse des Thasiens ni dans Xénophon ni dans Diodore, les seules sources presque, avec quelques vies de Plutarque, pour la période de la orandeur et des victoires thébaines, il n’en est pas tout à fait de même pour l’histoire de la génération suivante, celle de Démos- thène et de Philippe; la collection des discours du grand orateur athénien est pour nous une mine bien autrement abondante en renseignements sur les relations politiques et commerciales d’A- thènes, sur ses intérêts et ses liaisons à l'extérieur; aussi y ren- contre-t-on plusieurs fois Thasos nommée incidemment comme alliée et dépendante d'Athènes !. En 362, comme la récolte avait manqué et que le blé était rare et cher dans toute la Grèce, Byzance, Chalcédoine et Cyzique se mirent à arrêter et à retenir pour leur propre usage les cargai- sons de blé qui venaient du Pont et de la Chersonèse taurique. Athènes fut obligée, cette année et la suivante, pour se préserver elle-même et préserver ses alliés de la disette, d'envoyer une flotte garder les détroits et assurer le libre passage des navires chargés de céréales; l'amiral athénien Timomachos fit même convoyer et remorquer, par des divisions de ses trirèmes, non- seulement les bâtiments qui se rendaient au Pirée, mais aussi ceux qui avaient pour destination Thasos, Maronée et d’autres ports de Thrace. On voit par cet exemple combien alors étaient réels les services qu’Athènes pouvait et savait rendre à ses alliés. Après s'être acquitté de sa mission dans l'Hellespont, l'amiral athénien, avec le gros de son escadre, passe en 361 plusieurs mois ! Demosth. Adv. Polycl, p. 1212, S$ 24-26; p. 1213, 17; p. 1225, S ga. nn à Fhasos. Dans la première Philippique, où Démosthène, en 351, expose son programme et soumet à l'assemblée tout un plan de ré- forme intérieure, de politique extérieure et d'opérations sur terre et sur mer contre le roi de Macédoine, dont lui seul alors avait deviné l'ambition et le fatal génie, Thasos est indiquée, avec Skia- thos et Lemnos, comme station d'hiver pour la flotte athénienne qui agirait contre Philippe!. En 344, dans le discours sur Ha- lonèse, Démosthène se plaint que Philippe ait usé de la paix ré- cemment conclue pour faire ramener à Thasos, par les généraux athéniens eux-mêmes, des exilés qu'il avait accueillis pendant la guerre?; le roi avait sans doute profité du séjour de ces bannis en Macédoine pour les enrôler dans cette armée de traitres qui ne lui servit pas moins que la phalange à asservir la Grèce. En 340, quand Philippe et Athènes, après des hostilités indirectes qui duraient déjà depuis deux ou trois ans, se déclarèrent enfin ouvertement la guerre, le roi, dans la lettre ou manifeste qu'il adresse au peuple athénien, se plaint que le port de Thasos ait reçu et abrité des corsaires de Byzance, qui faisaient grand tort à la marine et au commerce de la Macédoine, et il reproche à Athènes de n'avoir pas empêché les Thasiens de se faire ainsi complices de cette piraterie. Enfin, dans la même pièce, il parle d’un différend entre Maronée et Thasos, à propos de Strymé, contestation qu'auraient terminée les Athéniens en imposant leur arbitrage “. Après la bataille de Chéronée, Thasos, sans perdre probablement sa constitution ni son apparente autonomie, passa certainement sous ia domination ou tout au moins tomba dans une étroite dépendance de la Macédoine. Nous savons que, des iles, Athènes ne garda que Lemnos, Imbros, Skyros et Samos; Thasos d’ailleurs était trop voisine de la Chalcidique et de la Thrace, et présentait trop d'avantages à celui qui eût voulu atta- quer Amphipolis et le Pangée, pour que Philippe n'ait pas tenu à en faire l'acquisition et à s’y établir. | Il semble que Thasos, après la guerre du Péloponnèse, ait songé à reprendre pied sur cette côte de Thrace, où elle s'était fait jadis une si belle part, et d’où Athènes l'avait arrachée et ! Demosth. Philip. T,S 48. 2 ]d. De Haloneso, $ 80. + Epistola Philippi ap. Demosth. p. 159. : 4 Ibid, p. 163. 2. GES ramenée en arrière. Du haut des collines où s'élevait leur cité, les Thasiens ne pouvaient contempler sans envie et sans regret cette fertile plaine du Nestos, dont ils moissonnaient autrefois les champs et que le limon du fleuve poussait chaque jour plus avant dans la mer et plus près de leur ile, comme pour les exciter à la reconquérir; cette immense rade où s'élaient jadis échelonnés leurs comptoirs; enfin le Pangée et ses flancs gros de richesses, et ses vallées, dont chacune pouvait cacher de l'or dans ses replis. Dans cet effort pour aborder et s'attacher de nouveau au rivage de la Thrace, les Thasiens renouvelèrent leurs prétentions sur la petite ville de Strymè, leur ancienne colonie, tout près de Ma- ronée, au pied du mont Ismaros. Malgré l'opposition de Maronée, les Thasiens paraissent s'être remis en possession de ce poste avancé; il semble même qu'ils aient soutenu à ce sujet une guerre navale contre Maronée. La lutte finit, vers 340, par l'intervention d'Athènes, qui força les parties à accepter son jugement arbitral : nous ne savons pas en faveur de qui elle décida !. Ce qui d’ailleurs était plus important pour les Thasiens, et ce qui devait surtout exciter leur convoitise, c'était la partie du continent qui leur faisait face, c'était le pied du Pangée; leurs efforts, de ce côté, semblent avoir eu un commencement de succès; Démosthène nous parle de comptoirs thasiens en terre ferme, de l’autre côté du canal qui sépare l'ile du continent?. Enfin nous savons, par Diodore , que les Thasiens fondèrent, en 360, la ville de Cré- nides, au-dessus des belles campagnes de l’Angistes, en regard et tout près du Pangée, sur une colline dont la cime haute et escarpée semblait faite tout exprès pour se couronner d'une acro- pole imprenable, tandis que ses pentes inférieures, largement étalées comme pour recevoir toute une cité, descendaient douce- ment à la plaine en laissant échapper de toutes parts des sources abondantes et fraîches. Le site était admirablement choisi, et de ceux qui promettent à une ville naissante la grandeur et l'empire; mais les Thasiens s'y étaient pris trop tard; 1ls avaient fondé leur colonie l'année même où Philippe montait sur le trône, et, deux ans après, le roi de Macédoine en était maître; Crénides ! Demosth. Ado. Polycl. S 15, p. 1211; Philippi Epistola, p. 159. 2 Id. ibid. p.122. 3 Diod. XVI, ri. VO s'appelait Philippes, pour devenir sous ce nom et rester pendant plusieurs siècles la vraie capitale de toute cette contrée !. C’est sans doute à ces dernières années de la prospérité de Thasos, vers le temps de la fondation de Crénides, qu’appartient une curieuse et unique médaille du cabinet de Paris, qui repré- sente d'un côté la tête d'Hercule jeune, couverte de la peau de lion, et de l’autre, un trépied, et par terre un diota, avec l'ins- cription QAZION HTIEIPO; elle est en or?. Cette légende, «le continent, les possessions de terre ferme des Thasiens, » indique que la médaille a été frappée sur la côte de Thrace, dans un de ces comptoirs, de ces établissements des Thasiens, au pied du Pangée; et, comme Thasos a, relativement, frappé très-peu de monvaie d’or, il est naturel de voir ici, dans le choix du métal comme dans la légende, l'intention de rappeler quelque événe- ment important et heureux pour les Thasiens, quelque notable accroissement de leurs domaines de terre ferme. Or la fabrique, le style de cette pièce ne permettent en aucune manière de la faire remonter jusqu’à l'époque de la première puissance territoriale avant Cimon et la conquête athénienne; elle appartient à l'art du 1v° siècle et ne peut être de beaucoup antérieure au règne de Philippe. Dans ces limites, quelle circonstance, mieux que l'envoi de la colonie thasienne à Crénides, explique-t-elle la légende que porte notre pièce? Si les Thasiens purent jamais se croire sur le point de réussir dans cette difficile entreprise du rétablissement de leur puissance continentale, cette illusion leur fut-elle jamais plus permise qu'au lendemain de la fondation, par leurs mains et sous leurs auspices, d'une ville que le choix même du site destinait à une si rapide et si durable grandeur? Celte médaille rappelait donc le souvenir de la naissance de Crénides, et aurait été frappée à Cré- nides même; ce seraient les prémices de ces mines dont l’or va de- venir, entre les mains du roi de Macédoine, le prix de la liberté grecque, vendue par les traitres à gages. Ce qui confirme cette conjecture, c’est la ressemblance frappante, déjà remarquée par Eckhel, entre cette pièce, qui porte le nom des Thasiens, et 1 Diod. XVI, vurr. Sur Philippes et tout ce qui s'y rapporte, voir L. Heuzey, Mission archéologique de Macédoine. ? C’est Pellerin le premier qui l’a citée (cf. Eckhel, Doctrina , t. IT, p. 53.) — Elle est figurée dans les planches de Mionuet, t. If, pl. 8, n° 5 du Supplément. En voir la description au volume [, p. 433. MISS, SCIENT. ! DRE d’autres, de même métal et de types pareils, avec la légende @PI- AITITTON !. À vrai dire , les pièces ne se distinguent et ne diffèrent que par l'inscription ; c'est d’ailleurs même style, même fabrique, mêmes figures. Cela s'explique aisément : les habitants de Cré- nides, après avoir changé de nom et de maître, auraient, pendant quelque temps encore, continué à se servir des coins et des types thasiens. Quant à ces belles monnaies d'argent thasiennes qui portent d’un côté Bacchus, de l’autre Hercule, bien plus communes, elles ont dû être émises, en trèsgrande quantité, pendant tout le cours du v° et du 1v° siècle ?. Les plus anciennes et les plus remarquables, ce sont celles où la tête de Bacchus, barbue et couronnée de lierre, est accompagnée, au revers, d'un Herculé qui, un genou en terre, fait effort pour bander son arc; les autres, où la tête de Bacchus est jeune et imberbe, l'Hercule debout et appuyé sur sa massue, sont d’un style moins grave et moins ferme, mais d’une rare élé- sance. Elles paraissent, pendant toute cette période, avoir été, dans tout l'intérieur de la Thrace et jusqu’au delà du Danube et des Carpathes, le principal moyen d'échange, la monnaie la plus recherchée des barbares, celle dont ils donnaient le plus haut prix. En effet on a trouvé en Transylvanie et dans les principautés da- nubiennes de grandes quantités de ces tétradrachmes thasiens; mais beaucoup sont d’une fabrique si barbare qu'il est impossible de les attribuer aux Thasiens mêmes; il faut donc y voir des imitations dues à des princes, à des chefs barbares qui, pour tirer parti du produit de leurs mines, battaient monnaie; mais, comme leurs do- maines n'étaient pas assez vastes pour suffire à la circulation d’une monnaie nouvelle et particulière, ils faisaient copier, par des ou- vriers plus ou moins maladroits, es statères de Thasos. Le dessin des figures était, il est vrai, gauche et lourd; les légendes étaient incomplètes ou d'une orthographe barbare ; parfois même elles étaient remplacées par des points, ou manquaient tout à fait. Mais toutes grossières qu'elles fussent, ces imitations suffisaient aux tri- bus de l’intérieur : les Thraces, les Triballes, les Gètes et les Daces ne devaient pas être difliciles sur la forme des caractères et l'orthographe des mots grecs. Ce règne de la monnaie tha- L Doctr. nummor. t. IE, p. 54, 75. ? Voyez Mionnet, Description, 1. 1, p. 433 et sqq. Supplément, t. I, p. 545 et sqq. Recueil des planches, pl. LV ; Supplément, t. IL, pl. VITE pen. sienne dans ces vastes et mystérieuses contrées dura sans doute jusqu’au moment où la détrôna et la remplaça la monnaie macé- donienne, répandue à profusion par le commerce et la conquête tout autour de la Macédoine: alors les rois barbares se mirent à contrefaire les statères de Philippe et d'Alexandre. Appauvrie et asservie, Thasos ne pouvait lutter contre cette concurrence; des mines de l'ile, à cette époque, il n’en est plus question, et celles du continent sont toutes aux mains des rois de Macédoine. Sous la domination, ou dans l'alliance de ces puissants voisins, Thasos ne dut pas perdre sa constitution ni l'apparence de son autonomie; mais, en réalité, elle ne put manquer d’être comprise, sous un nom plus ou moins honorable, dans l'empire d'Alexandre, et, après lui, dans celui de Lysimaque!. D'ailleurs tout ce que nous savons de l’île à cette époque, c'est qu'un de ses enfants, le Thasien Androsthène, suivit Alexandre en Asie et se fit une place dans cette glorieuse histoire. Compagnon de Néarque dans le Pé- riple de la mer des Indes et du golfe Persique, chargé ensuite par le conquérant, avec Hiéron et Archias, d'aller à la recherche de terres inconnues, il fut un des plus remarquables représentants de cet esprit d'universelle curiosité et d'investigation scientifique que partageait et qu'encourageait le royal élève d’Aristote. Em- pressé à fournir des matériaux pour la grande enquête qu'avait ouverte le nouveau maitre de l'Asie, Androsthène avait écrit des journaux de ses voyages que lisait encore Strabon, mais qui ne sont point parvenus jusqu'à nous. Thasos s’affranchit sans doute de la domination macédonienne au milieu du désordre qui suivit la mort de Lysimaque et l'inva- sion des Gaulois. Pendant trois ans (280-278) les bandes bar- bares inondèrent la Macédoine et la Thrace; il n’y avait plus d’em- pire macédonien, et tout le continent était au pillage; Thasos servit alors d'asile à bien des fugitifs, accourus avec leurs richesses pour échapper aux envahisseurs, qui, nous le savons, n'essayérent pas d'attaquer les îles. Toujours est-il que nous retrouvons Thasos ! En effet on apprend que, en 338, après la victoire d'Antipater sur Agis dans le Péloponnèse, les partisans de la Macédoine accusèrent à Thasos, et sans doute firent condamner par le peuple, surpris et effrayé, ce qui restait dans l’île de ci- toyens marquants opposés à la politique macédonienne. Cela montre que Thasos avait gardé au moins l'apparence et le nom de l’autonomie.{ Demosth., Pro Co- rona, p. 294 ; Strabon, XVI, p. 766; Arrian. Exped. Alex. VIT, xx.) 4: HO NNEE indépendante au temps de Philippe III. Ge roi, qui, sans avoir le génie du premier Philippe, n'avait pas une ambition moins avide et moins tenace, après qu’il eut rempli toute la Grèce de ses garni- sons, ne pouvait négliger une si voisine et si naturelle dépen- dance!. En 202 son général Métrodore se présenta devant Tha- sos avec une escadre et des troupes, et demanda qu'on l’admit dans la ville; il promit aux Thasiens que le roi ne mettrait pas de garnison dans leur cité, qu'il ne leur imposerait ni tribut, ni obli- gation de fournir des logements aux gens de guerre, et qu'il les laisserait vivre sous leurs propres lois. On crut à ces promesses, on ouvrit les portes aux troupes royales et on les accueillit avec acclamation; en retour, Philippe laissa une garnison dans la ville et fit peser sur Thasos le joug le plus dur ?. Aussi, après Cynoscé- phales, quand Philippe se fut engagé à retirer ses troupes de toutes les places qu’il possédait hors de son royaume même et à se ren- fermer dans la Macédoine proprement dite, les Romains envoyé- rent-ils à Thasos un commissaire, L. Stertinius, pour veiller à l'exécution du traité et rendre à l'ile son indépendance. Thasos redevint donc et resta libre jusque sous les premiers empereurs, autant du moins qu'on pouvait être libre depuis que Rome avait étendu la main sur la Grèce et l'Orient. Pendant cette longue période, où les villes et les États perdent leur histoire et n'obtiennent, en passant, quelque rapide mention qu'à propos du rôle qu'ils jouent dans les querelles de leurs maitres, Thasos est nommée dans le récit de ia lutte entre les meurtriers de César et les triumvirs. À la veille du dénoûment, pendant le cours des opérations qui eurent pour théâtre la plaine de Philippes , Thasos servit de dépôt à tous les magasins de l’ar- mée républicaine“, C'était une heureuse disposition ; ainsi, maîtres de la mer, Brutus et Cassius, dont la flotte était mouillée dans la rade de Néopolis, pouvaient recevoir leurs provisions jour par Jour, avec la plus grande facilité, et en même temps leurs maga- sins n'étaient pas exposés à une surprise de l'ennemi. Toutes les chances semblaient donc du côté des républicains; mais dans la première action, à demi victorieux, ils eurent le malheur ? Polyb. XV, xxrv. ? ÉÉardparodloaro, dit Polybe. # Polybe, XVIIF, xxvri,xxxt; Tite-Live, XXXIHIT, xxx, xxx v. * Appian. De Bell. civ. IV, cvr. pur de de perdre le plus babile de leurs deux chefs, Cassius. Pour ne pas attrister et décourager les soldats par la vue des funérailles de leur général, Bruius fit transporter le corps de son anni à Thasos, et c'est là que lui furent rendus les derniers honneurs !. Après la perte de la seconde bataille et la mort de Brutus, beau- coup de ses officiers s’échappèrent en toute hâte à Thasos, les uns pour envoyer de là leur soumission au vainqueur, les autres pour disposer leur fuite. Bientôt Antoine arriva lui-même devant l'ile, admit à composition ceux qui l'y avaient attendu, et se fit re- mettre les armes et les approvisionnements de tout genre qui y étaient déposés?. Ce nom de liberté que n’enlevèrent point à Thasos les trium- virs victorieux, elle le garda jusqu’à l’'avénement des Flaviens. Il semble en effet que ce soit Vespasien, esprit pratique ét peu ama- teur de fictions, qui ait réuni Thasos à la province de Thrace. Pline, en effet, lui donne encore le nom d'ile libre, tandis que l'on voit apparaître le nom de Domitien sur une monnaie tha- sienne *. CHAPITRE V. THASOS DEPUIS SA RÉDUCTION EN PROVINCE ROMAINE JUSQU'À NOS JOURS. (79 (?) apr. J. C. — 1856.) La réunion officielle de Thasos à l'empire romain ne dut, en réalité, rien changer à la situation de l'ile. Thasos jouit d'une grande prospérité sous l’Empire, comme sufliraient à l'attester les nombreux et riches sarcophages de l’époque romaine qui couvrent la plage près de l’ancienne capitale, ainsi que les immenses tra- vaux des carrières et les traces laissées tout alentour par la nom- breuse population dont elles occupaient et récompensaient l'in- dustrie, Le caprice des maîtres du monde s'était épris du marbre de Thasos, et son vin jouait un grand rôle dans leurs débauches ; enfin les gourmands recherchaient le froment, la saumure, les 1 Plut. Brut. xuiv. ? Appian. De Bell. ci. AV, cxxxvr. 3 Plin. H. N. IV, n° 12; Eckhel, Doctr. nummor. IE, p. 55. ————_—_—_ rs aaEaE Te raves et les noix de l’île!. Thasos d’ailleurs, pendant toute cette période, n’a pas d'histoire; nous apprenons seulement, par une inscription qui subsiste encore, encastrée dans le mur d’une pe- tite église, au pied de l’acropole d'Athènes, que Thasos était une des nombreuses villes grecques qui avaient élevé des statues à Adrien sur l’esplanade du temple de Jupiter Olympien à Athènes; cette inscription doit être de 127 après J. C. ou très-peu pos- térieure à cette date?. Depuis lors jusqu’à la fondation de l’em- pire d'Orient, nous ne savons rien de Thasos; les magistrats mu- nicipaux se succèdent dans l'administration de la cité, et, non contents de la gloire dont ils ont joui pendant leur vie, étalent en- core sur leurs tombeaux toute la pompe de leurs titres; les femmes mêmes prenaient leur part de ces dignités, et, sur les sarcophages, on trouve leurs noms accompagnés de presque autant de désigna- tions honorifiques que ceux de leurs maris et de leurs pères. Pendant les premiers siècles de l'empire byzantin, nulle part aucune mention de Thasos; l'ile avait peu à peu perdu presque toute importance. Les mines avaient cessé de produire, nous ne savons pas au juste à quel moment, maïs sans doute même avant la conquête romaine; l’exploitation, commencée à une époque très-reculée, et poursuivie avec plus ou moins d'activité pendant au moins huit ou neuf cents ans, semble s'être fort ralentie et peut-être tout à fait arrêtée vers le temps de Philippe et d'Alexandre, car, dans Démosthène déjà, il n’est plus question des mines de Thasos; les grandes quantités de métaux précieux que tout d’un coup les rois de Macédoine tirèrent du Pangée durent faire négli- ger et abandonner des gisements sans doute dès lors à peu près épuisés, car il n’en était pas des mines de Thasos comme de celles qui se trouvaient près de Philippes, où, suivant la tradition po- pulaire, l'or enlevé par la pioche se reformait tout aussitôt dans les entrailles de la terre, comme repousse dans nos champs l'herbe coupée par la faux*. Depuis leur interruption, les travaux n'ont Jamais été repris à Thasos, et le souvenir même s’en est perdu dans le pays. Quant au marbre de Thasos, il ne paraît pas avoir été aussi à ! Senec. Epist. 86; Stat. Sylo. I, v, v. 34; IT, 11, v. 92; Virg. Georg. Il, v. 89; Apuleius, Apoloy. p. 289; Athen. IV, p. 164; VIF, p. 329. 2? Bæœckh, C. I. G. n° 336. % Pseudo-Arist. Ausoult, Mirab. c. xzur. Ne la mode à Constantinople qu'a Rome, car dans la longue énu- mération que nous a laissée Paul le Silenciaire des marbres de toute couleur et de tout pays employés à la décoration de Sainte- Sophie, celui de Thasos ne paraît point, non plus que dans la description qui nous est donnée par Procope des autres édifices dont Justinien avait embelli sa capitale. Ce qui était goûté par- dessus tout à Constantinople, c'étaient les veines brillantes et va- riées des marbres de Laconie et de Carystos, le sombre éclat des granits et des porphyres d'Égypte: mais quand les architectes n'avaient pas à leur disposition ces matériaux rares et coûteux, ils employaient le marbre de Proconèse, qui avait sur celui de Tha- sos l'avantage de venir de moins loin, et, par conséquent, d’être moins cher. L'agriculture dut naturellement décliner dans lile quand la population se vit inquiétée et troublée par les pirates qui, depuis la chute de l'empire romain jusqu'à ces derniers temps, presque jusqu’à nos jours, n’ont pour ainsi dire pas cessé d’infester la mer Égée 1. On oublia, on perdit peu à peu les secrets de cette indus- trie sans laquelle la meilleure culture ne porte que des fruits im- parfaits; ainsi maintenant le vin de Thasos, provenant de vignes cultivées sans soin et comme au hasard, puis fabriqué grossière- menf, ne se garde point et n’a plus de valeur. Ce serait une monotone et douloureuse histoire que celle de tout ce qu'ont souffert, pendant ces longs siècles, les îles de l'ar- chipel, surtout les petites, celles qui ne pouvaient pas, comme Chio ou Lesbos, faire les frais d’une domination capable de leur fournir quelque défense contre les envahisseurs. Les sèches et froides annales de ces temps mentionnent parfois, par un mot, une incursion de pirates, tous les rivages de l'archipel pillés et ra- vagés, puis elles passent, elles retournent aux intrigues de la cour impériale et aux disputes théologiques de Constantinople; mais l'imagination recule et s'effraye quand elle tâche à se repré- senter lout ce que chacune de ces rapides mentions suppose de misères subites et sans remède, de propriété détruite, de familles brisées, de captifs trainés en esclavage. Encore les chroniques ne se souviennent-elles que des hostilités qui, par leur importance : La piraterie avait, à diverses reprises, désolé ces mers bien avant la chute de l'empire romain. — et leur durée, prennent le caractère d’une sorte de guerre mari- time. Que serait-ce si elles pouvaient nous rapporter tous les actes de violence isolés, tous les coups d’audace des forbans que n'ont jamais cessé de protéger les anses et les caps sans nombre des côtes dentelées de la Grèce? Dans l'intervalle des invasions van- dales, arabes, turques et vénitiennes, ces brigands avaient comme l'interrègne de la mer, et perpétuaient ainsi, au sein de la plus profonde paix, toutes Îles inquiétudes et tous les maux de la guerre. | Dès 438, des pirates infestent les abords de l’Hellespont, et, en 466 et 475, les flottes de Genséric désolent les îles et les côtes de la Grèce, et en emportent les dépouilles à Carthage. Vers 775, ce sont des Slaves de Thrace qui arment une petite flottille de ba- teaux pirates, ravagent les iles voisines de la côte, et en enlèvent une partie de la population; l'empereur Constantin Copronyme est obligé de racheter de leurs mains deux mille cinq cents de ses sujets. Bientôt après viennent les Sarrasins : maîtres de la Crète depuis 823, ils envoient vers l’Hellespont une flotte consi- dérable qui, en 829, bat et détruit près de Thasos la flotte impé- riale!. À la suite de cette grande victoire, les Sarrasins restent maîtres de la mer, parcourent pendant plusieurs mois l'archipel en tout sens, font partout des débarquements, et retournent en Crète avec un immense butin et des troupeaux d’esclaves?. Pen- dant environ un siècle et demi, malgré les avantages que rem- portent souvent les amiraux byzantins, les Arabes renouvellent sans cesse ces expéditions, de la Propontide jusqu'aux rivages de la Sicile et de l'Italie. En 904, ils réussissent même à emporter d'assaut Salonique, qui devait être alors une ville de plus de deux cent mille âmes. En s'y rendant, ils s'étaient arrêtés quelques jours à Thasos pour y préparer leurs machines de siége, et s’é- taient sans doute divertis, pendant que travaillaient les ouvriers, à piller l'ile. Il faut, pour arrêter ces continuelles incursions, les victoires des grands empereurs Nicéphore Phocas et Jean Zimis- cès, à la fin du x° siècle. Au commencement du xn°, sous le doge Domenico Micheli, les Vénitiens ravagent les Cyclades pendant quelques années. En 1161, Raymond de Poitiers, comte de Tri- ! Theophan. Continuat. 1. LE, c. xxx1x. ? Const. Porphyr. Basil, 184, 185; Cedrenus, IT, 580. = te poli, envoie dans l'archipel douze galères qui, par les cruautés que commettent partout leurs équipages, font en beaucoup de lieux plus de mal à la population chrétienne que n’en avaient fait jadis même les incursions des Sarrasins. Dans le désordre qui suivit la prise de Constantinople par les croisés (1204), plus tard, dans les guerres entre Michel VIII Pa- léologue (1261-1282) et les républiques maritimes de Ftalie, la piraterie dut avoir beau jeu. Au xiv° siècle, les Turcs prennent goût à la mer, et leurs corsaires couvrent l'archipel et la mer de Marmara, partout présents, des rochers du Magne aux murs de Constantinople. Des soldats de fortune, à la faveur des guerres civiles de l'empire, se font pirates. Cantacuzène, vers 1350, as- siége dans Éion un certain Bithynien, Alexis, qui, après avoir pris parti pour Apocauchos, celui-ci mort, s'était fait pirate; avec quel- ques bâtiments il ravageait toute la côte de Thrace et avait fait beaucoup de mal aux Thasiens et aux Lemniens }. Après la prise de Constantinople par Mahomet IT, ce fut bien pis encore; sans parler de la visite annuelle que faisait aux îles le capitan-pacha pour en recueillir les tributs, elles avaient aussi à craindre les entreprises des chevaliers de Saint-Jean , des Maniotes, des galères de Venise, de Florence ou d'Espagne, enfin des bar- baresques. Les corsaires latins ne se faisaient aucun scrupule de ruiner ou d'emmener en esclavage les sujets chrétiens du sultan; d’abord c'était toujours une manière d’appauvrir et d’affaiblir l'empire turc, puis devait-on de si grands égards à des schisma- tiques, qui ne valaient guère mieux que des musulmans ? Quant aux barbaresques, eux aussi se trompaient souvent, et, quand ils n'avaient pas fait quelque bonne prise sur le commerce de lOcci- dent, ils ne se faisaient aucun scrupule, pour ne pas retourner les mains vides à Alger ou à Tunis, de débarquer dans quelque ile, de piller deux ou trois villages, et d'aller vendre sur les mar- chés des régences les raïas du sultan, leur patron. Tout cela a duré jusqu’au commencement de ce siècle, jusqu’à la destruction de l’ordre de Malte, jusqu'aux réformes de Mahmoud, jusqu'à l'é- tablissement du royaume de Grèce, jusqu’à la prise d'Alger par les Français et l'admission de la Turquie dans la famille ds États européens. Avec la marine à vapeur, maintenant maîtresse des ! Cantacuz. IV, p. 17. = l'O etes mers, il semble impossible que la piraterie reparaisse et se sou- tienne; l'abolition mème de la course, en cas de guerre maritime, paraît prochaine. Les îles peuvent donc, sans crainte de l'avenir, respirer de leurs longues souffrances, et compter sur des jours meilleurs. ; Ces détails étaient nécessaires pour faire comprendre comment Thasos était arrivée à l’état de décadence et de misère où la trouve maintenant le voyageur, état d’où elle n’a pas encore commencé à se relever. C’est que, en effet, de l’histoire particulière de Tha- sos pendant toute cette période, nous ne savons presque rien. Dans le Synecdemus d'Hiéroclès, qui nous représente, à ce que l'on croit, les divisions administratives de l'empire au commen- cement du règne de Justinien, vers 530, Thasos fait partie de la Macédoine première, avec toute la Chalcidiques Au x° siècle, dans le livre de Constantin Porphyrogénète sur les thèmes de l’em- pire!, Thasos est classée avec Samothrace dans le thème de Thrace, préfecture de Thrace. I n’est fait mention de Thasos ni dans le traité de 1199 entre Alexis IT et les Vénitiens, ni dans celui de 1204 entre le doge de Venise et les croisés; Samothrace, par cette dernière convention, est donnée à l’empereur. Vers 1308, un Ticino Zaccaria, noble génois, neveu du Manuel Zaccaria qui avait fidèlement servi Michel VIIT Paléologue, et reçu de lui en don la souveraineté de Phocée avec ses riches mines d’alun, se présente devant l’ile avec deux bâtiments, s’en empare, et en fortifie encore le château, où il installe une garnison et des officiers dévoués?. Raymond Muntaner, un des chefs de la grande compagnie cata- lane et son historien, digne rival de Froissart, nous raconte la ré- ception que lui fit, ainsi qu'à l'infant don Fernand, dans son château de Thasos, Zaccaria, qu’il avait aidé, quelque temps au- paravant, à s'emparer de Phocée sur son cousin Benoît Zaccaria * : «...Ce fut dans ce château de Thasos que j'arrivai et que je retrouvai le seigneur infant avec quatre galères, et ce fut là qu'il m'attendit quand j'allai vers la compagnie prendre congé d'elle, et ce fut là aussi que je retournai près du seigneur infant. Et si vous vites jamais un brave homme bien accueillir son ami, ce fut ainsi que m'accueillit messire T'icino Zaccaria. Et incontinent 1l l De Themat. II, 1. ? Pachymer. p. 638. * Chronique de Ramon Muntaner (trad. Buchon), ch. cexxxiv. —. fes me livra le château et tout ce qu’il renfermait, et nous traita ma- gnifiquement, le seigneur infant et nous tous, pendant les trois jours que nous y demeurämes; puis il m'offrit et sa personne, et le château, et tout ce qu'il possédait. Moi, de mon côté, je lui lis toute sorte de présents, et lui fis don d’une barque armée de vingt-quatre rames, et lui laissai bien quarante hommes, qui con- sentirent à rester avec lui à sa solde, et ainsi lelaïissai-je bien fourni et bien équipé. Aussi le proverbe du Catalan est bien vrai qui dit «Oblige et ne regarde pas qui;» car, dans ce lieu où je ne pensais jamais me trouver, j'éprouvai un grand plaisir, et le sei- gneur infant par moi, ainsi que toute notre compagnie. Et s'il en eût été besoin nous pouvions, dans ce château, nous mettre tous en sûreté, et même, à l’aide de ce château, pousser en avant des conquêtes. » | Les hommes d'armes que Muntaner laissa au seigneur de Tha- sos, gens éprouvés en toules les aventures de la Grande Compa- gnie, et accoutumés à mépriser, à battre et à rançonner les Grecs, l’aidèrent sans doute utilement, malgré leur petit nombre, à re- pousser les attaques de Maroule, général d'Andronic IF, qui vint, en 1315, assaillir Thasos par terre et par mer. Après un siége assez prolongé, les troupes impériales paraissent avoir été forcées de se retirer sans emporter la place. Quoi qu'il en soit, il semble qu'en 1327 elle était rentrée sous la domination impériale, car nous voyons Andronic Il faire transporter à Thasos, Imbros et Lemnos, comme colons, deux mille Dalmates!. Les bras man- quaient déjà à la terre, le désert se faisait. En 1414, Manuel IT, partant pour rétablir l’ordre dans l'empire et visiter jusqu'au Pé- loponnèse, commence par réduire l'ile de Thasos, indépendante de nouveau sous un chef qui n’est pas nommé par le chroni- queur grec. La citadelle arrête deux mois les troupes impériales?. Peu de temps après, Thasos fut jointe à la principauté des Ga- teluzzi, maîtres de Lesbos, d’Imbros, de Lemnos, de Samothrace et même de la ville d’Énos, sur le continent. L'ile leur apparte- nait quand Mahomet mit fin à l'empire de Byzance. En 1455, après la mort de Doria Gateluzio, son fils et successeur, pour se faire reconnaître par le sultan, fut obligé de lui céder Thasos, ! Pachymer. p. 420, éd. Bonn; Cantacuz, {. [, p. 51. 2 Phrantzès, 1, I, ch. nr. —— 00 et bientôt après Lemnos, Imbros et Samothrace!. Les iles re- coivent des garnisons turques; mais celles-ci, en 1457, à l’an- nonce d’une flotte envoyée par le pape, et qui, commandée par un cardinal, devait, espérait-on, reconquérir tout l'archipel, se hâtent de repasser sur le continent?. La flotte ne se composait que de seize galères , et, comme la plupart des expéditions chrétiennes | de ce temps, elle fit aux chrétiens des îles beaucoup plus de mal que de bien, en appelant sur eux les vengeances des Turcs sans pouvoir les y soustraire. Thasos, Imbros, Lemnos s'étaient rendues sans difficulté à la flotte italienne. Celle-ci y laisse quelques soldats, et s'éloigne vers Rhodes. Aussitôt paraît l'amiral ottoman avec sa flotte. Imbros et Lemnos se soumettent, et l'amiral se contente de saisir tous les Italiens qu’il trouve dans les îles et de les envoyer à Mahomet Il, qui les fit mettre à mort. Mais Samothrace et Thasos résistent ; aussi l’année suivante Tzagan, gouverneur de Gallipoli et succes- seur d'Ismail, se présente avec une flotte plus nombreuse, réduit par la force Samothrace et Thasos, et les ruine de fond en comble; les villages sont pillés, les champs ravagés, et tout ce que l'on peut saisir d'habitants est emmené et établi à Constantinople. Mahomet II s’occupait alors, à sa manière et en homme qui n'ad- mettait pas de délai, de repeupler sa capitale. Il ne reste guère dans les deux îles que ceux qui s'étaient assez bien cachés dans ies bois, sur les montagnes, pour ne pas tomber entre les mains des vainqueurs. | Ce fut là le dernier coup qui acheva d’accabler Thasos, et dont elle ne s’est jamais relevée. Depuis lors une population pauvre et rare, perdue parmi de vastes forêts qui envahissent de toutes parts les cultures, a végété plutôt que vécu dans l’île. Ces belles forêts de pins, qui pourraient faire la richesse de Thasos, ne servirent guère, pendant toute cette période, qu'à lui procurer de fré- quentes visites des pirates et corsaires de toute langue et de toute couleur; quelque misérable que füt l'ile, ils y trouvaient toujours à faire des prisonniers, à enlever des bestiaux et quelques jarres d'huile ou de vin. Mais ce n’était pas tant l'espoir du pillage qui les attirait à Thasos; il y avait ailleurs plus et mieux à prendre; ! Ducas, p. 330, éd. Bonn. * Chalcondyle, 1. IX, p. 469-498, éd. Bonn. me Ce ce qu'ils aimaient surtout de cette île, c'était le couvert de ses bois déserts et presque impénétrables. Quand ils se voyaient, dans ces parages, poursuivis de trop près par un ennemi supérieur en force, ils évitaient les îles découvertes et qui n'auraient pu leur offrir aucun refuge, Samothrace, Imbros et Lemnos; ils gouver- naïient sur Thasos, tàchaient de se dérober un instant à la vue derrière un cap et se faisaient échouer sur la plage. Là, si leur ba- teau était petit et pas trop lourd, ils le cachaïent sous les brous- sailles, sinon ils le brülaient, puis s'enfonçaient avec leurs armes et quelques provisions dans les bois, où il eût fallu , pour les trou- ver, chercher longtemps. Aussi le plus souvent les ÿ laissait-on tranquilles, et, au bout de quelque temps, quand le danger s'était éloigné, les aventuriers remettaient leur bateau à la mer, ou bien ils appelaient à leur secours, au moyen de signaux faciles à com- prendre, le premier bâtiment ami qui se trouvait naviguer dans ces eaux. D’autres fois l'équipage d'un pirate orthodoxe du Magne ou des îles, ainsi retenu dans l’île par la perte de son navire, s’en- rôlait, afin d'échapper de cette prison, à bord d'un corsaire maltais ou même barbaresque, car beaucoup de ces écumeurs de mer chan- geaient de religion aussi facilement que les mâts de leurs vaisseaux changeaient de bannière, et les triples renégats n'étaient pas rares dans ces bandes mêlées de toute langue et de toute race. À Thasos on avait grande chance de ne pas attendre trop longtemps une occasion favorable, car très-souvent, après avoir fait à la sortie de l’'Hellespont ou autour de l’Athos quelque bonne prise, les pirates et corsaires venaient aborder à Thasos, sur une plage déserte et boisée, pour y partager tranquillement le butin et s'y enivrer à leur aise, sans trop de danger d’être surpris et dérangés. On comprend que ces visites, dont le souvenir est encore vi- vant dans le pays, coûtassent toujours quelque chose aux habi- tants, qui n'osaient pas s’écarter des villages de peur de tom- ber dans les mains de quelque bande débarquée la nuit dans une crique voisine. Malgré toutes leurs précautions, il leur ar- rivait parfois d’avoir leurs fils ou leurs filles ainsi enlevés par quelque brusque attaque, ou d’être obligés de livrer aux forbans des provisions et de l'argent. Aussi tous les villages sur le bord de la mer avaientils été peu à peu abandonnés; ceux qui leur avaient succédé s'étaient cachés à une où deux heures au moins du rivage, parmi des bois et des vallées, de manière à n'être pas — Qu — aperçus du large, et le woivode qui gouvernait l'ile résidait au centre même, à trois ou quatre heures de la plage, dans le bourg d'Hagios-Theologos, ainsi devenu capitale. De plus, sur tous les caps et principalement aux abords des deux ou trois échelles qui servaient au commerce avec le continent, s'élevaient des tours où étaient entretenues jour et nuit des vigies pour signaler l’ap- proche de tout bateau suspect. Ces transes continuelles où ül fallait vivre rendirent bientôt le séjour de l'île insupportable aux Turcs, qui s’y étaient établis après la conquête et avaient fondé à Theo- logos, sur la rive gauche du torrent, tandis que les chrétiens habitaient la droite, un village dont il ne reste plus que quelques décombres et les fondations d’une grande tour ruinée. H y a bien longtemps, me dirent les vieillards, que ce village & été aban- donné et qu'il n'y a plus dans l'ile d’autres Turcs que les officiers qui la gouvernent. Déjà à la fin du siècle dernier, Cousinery n'y trouvait de musulmans que le woivode ou bey, aidé de sept ou huit agas, qui se partageaient la police de l’île et recueillaient le haratsch!. Quand on apprenait l'approche et le débarquement des pirates, le bey et ses assesseurs s'enfuyaient et se cachaient parfois dans la forêt, si la bande était trop forte pour que l’on püt espérer de défendre le village contre elle. C'est ainsi que l'ile, placée dans la dépendance du bey de Ca- vala, qui en nommait le woivode, passa près de quatre siècles dans une obscurité qui ne fut point pour elle un gage de tranquillité ni d'humble bonheur; les peuples heureux ne sont point les seuls qui n'aient pas d'histoire. Au printemps de 1821, quand, la guerre commencée dans les Principautés danubiennes et en Morée, toute la Chalcidique se souleva , et que le drapeau de l'indépendance flotta sur les couvents de la Montagne-Sainte, les Thasiens, excités par cet exemple, firent aussi leur révolution : on prit le woivode, on le mit dans une barque, et, sans lui faire de mal, on le porta en terre ferme?. Mais, bientôt après, pendant que Thasos goûtait les premières douceurs de la liberté, une troupe de pirates grecs, forte d'environ huit cents hommes, débarqua dans l’île et en pilla plusieurs villages. Cela fit réfléchir les Thasiens, et les dégoüta fort de leurs frères et alliés; ils souffraient d’ailleurs beaucoup de ! Voyage dans la Macédoine , ch. xur. ? Prokesch, Denkwürdigkeiten, t. HT, p. 614. De l'interruption forcée des relations avec Cavala, toujours au pou- voir des Turcs; enfin ils étaient trop paresseux et trop peu hardis pour se soutenir et vivre comme vécurent alors presque toutes les populations qui prirent une part active à la lutte, en recou- vrant par le pillage ce que le pillage leur avait dérobé, en dé- pouillant leurs ennemis, et parfois aussi, quand l'occasion s'en présentait, leurs amis. Tout bien considéré, les Thasiens rappe- lèrent donc leur gouverneur turc, reparurent à Cavala, et payèrent exactement, pendant le reste de la guerre, les taxes dues au sultan. Celui-ci, malheureusement, n'était guère en état de les protéger, et les Thasiens se voyaient sans cesse forcés de dépen- ser d'assez grosses sommes pour se racheter des escadres grecques qui, en croisant dans l'archipel, ne manquaient jamais de venir en force faire une apparition devant Thasos. Ces visites, que l'histoire du temps n'a pas pris la peine d'enregistrer toutes, étaient, au dire des habitants, presque annuelles. Il arriva même qu’elles se répétèrent plusieurs fois dans une saison. De ces agressions, je n'en trouve que deux mentionnées dans les annales de cette guerre; elles sufliront à donner l’idée des autres. En avril 1823, les Ipsariotes, dans une de leurs cam- _pagnes, débarquent cinq cents Rouméliotes à Thasos, et s'y em- parent de huit navires turcs avec leurs cargaisons d'huile!. Au printemps de 1827, Karatasso et ses Olympiens, au lieu de saisir, comme ils en avaient été chargés par le gouvernement, les défilés des Thermopyles, vont avec leur flottille lever des contri- butions à Thasos ?. Le rétablissement de la paix par la fondation du royaume de Grèce et la reconnaissance du nouveau gouvernement par la Porte ne sullirent pas à détruire la piraterie dans l'archipel et à en préserver Thasos. Un savant voyageur allemand, Grisebach, qui toucha à Thasos en 1839, raconte que les quelques maisons qui forment l'échelle de Panaghia, sur l'emplacement de l'ancienne capitale, avaient été pillées et brülées par des flibustiers en 1837 et en 1838. Il n’y eut vraiment de sécurité qu'après 1839, quand une petite escadre grecque, commandée, je crois, par Canaris, eut surpris les pirates auprès du mont Athos, et les eut achevés dans Ü Gordon, 1. I, p. 67. > Id. ibid. p. 384. l'île de Ioura; on prit leurs bateaux, on tua ou dispersa les équi- pages, et depuis, grâce aux bâtiments à vapeur que les puissances maritimes ne cessèrent de faire croiser dans l'archipel, la tran- quillité ne fut plus troublée. Mais en 1854, lorsque, sous couleur de guerre et d’insurrection contre la Turquie, la piraterie recom- mença à paraître dans l'archipel, Thasos servit encore d'asile et de refuge aux forbans serrés de trop près et forcés d'abandonner leur bateau. Une barque de pirates grecs ayant été brülée, dans une crique de Thasos, par un bâtiment à vapeur autrichien, l'équipage se sauva dans l’intérieur, et se cacha, ou plutôt s'éta- blit sur une montagne, tout près de Panaghia. Tous les paysans connaissaient le gite des voleurs; mais, pour contrarier le gou- vernement turc et les Francs, les habitants jouaient l'ignorance quand on leur demandait de découvrir les brigands et d'aider à les prendre; en revanche, ceux-ci s’abstenaient de toute dépréda- tion sur les terres et les maisons des Grecs; cela dura neuf mois. Il fallut, pour en finir, que le consul de France à Cavala, M. La- fon, qui avait pris la chose très à cœur, fit, avec l’aide d'une fré- gate ottomane, saisir tous les primats de l'ile, que l’on emmena à Salonique. Après qu'ils y eurent passé trois mois à leurs frais, leur constance se lassa ; ils écrivirent à leurs amis de céder, et l’on força les pirates à quitter Thasos, à se réfugier quelque autre part. Alors les primats purent rentrer chez eux, tous à demi ruinés par leur séjour à Salonique; il leur avait fallu payer pour échapper à la prison, payer pour ne pas être envoyés à Constan- tinople, payer pour obtenir de retourner à Thasos. Les fonc- tionnaires turcs sont gens fort habiles et s'entendent merveilleu- sement à dépouiller qui leur tombe entre les mains. CHAPITRE VI. ÉTAT ACTUEL DE L'ÎLE, SON ADMINISTRATION, SES PRODUCTIONS, CARACTÈRE DES HABITANTS. En 1807, la Porte venait d’être forcée de reconnaître l'autorité dont Méhémet-Ali, fils d'un aga de Cavala, s'était emparé en Egypte. Pour se rendre agréable à ce puissant vassal, elle lui fit présent de l'ile de Thasos, voisine de sa ville natale, et qui pou- EN vait lui fournir en abondance ce qui lui manquait le plus en Égypte, des bois de construction. Le sulian ne renonçait pas à la propriété de l'ile, mais il en abandonnaït l’usufruit et l’adminis- iration au pacha d'Égypte, à charge seulement de recueillir et de verser au trésor de la Porte le haratsch dù par les Thasiens. De- puis, comme les autres possessions de Méhémet-Ali, elle est passée à ses héritiers, et elle appartient ainsi maintenant, sous les mêmes conditions, à Saïd-Pacha. Pendant longtemps Thasos ne put guère s’apercevoir qu'elle eùt changé de maître; le pacha d'Égypte avait autre chose à faire que de s'occuper de ce lointain domaine, et, content d'en tirer de temps en temps quelques bois de construction, comme par exemple pour créer la flotte qui fut détruite à Navarin, il aban- donnait Thasos à l'incapacité, souvent brutale, des beys turcs de province. C'était comme une sorte de bénéfice qu'il accordait tantôt à l’un, tantôt à l’autre des beys de Cavala et des environs, amis ou alliés de sa famille. Ceux-ci, qui ne pouvaient avoir aucun intérêt à la prospérité de l'île, y mettaient à peine les pieds, et se conlentaient d'en tirer par leurs agents le plus d'argent qu'ils pouvaient. Enfin, depuis deux ans, sur des plaintes répétées qui étaient parvenues jusqu'en Égypte, le vice-ro1 actuel, Méhémet- Saïd, sentant d'ailleurs que son gouvernement ne tirait pas de l'île tout le part qu'il aurait pu, nomma bey de Thasos un offi- cier distingué de la marine égyptienne, Djafer-bey, capitaine de frégate; c'est un homme intelligent, qui a vu l'Europe, et qui l'aime; de plus, c'est un honnête homme, très-juste et plein de bienveillance pour ses administrés. Aussi, quoique les Grecs, et en particulier ceux de Thasos, ne soient guère portés à la re- connaissance, surtout envers un musulman, Djafer-bey parait très-aimé dans l'ile. Espérons qu'entre ses mains Thasos com- mencera à se réveiller, à sortir de sa misère et de sa longue tor- peur, à mieux profiter de ce qu'avait fait pour elle la nature et des ressources dont ses malheurs mêmes n'ont pu tout à fait la priver. Les Grecs de Thasos ont beaucoup à faire pour se releve#, car ils sont tombés bien bas. L'ile renferme neuf villages comprenant en tout un peu plus de mille maisons, ce qui donne une population de cinq à six mille âmes. Quelle différence entre ce chiffre et le vombre d'habitants que l'ile a dû contenir autrefois et qu’elle MISS. SCIENT, 5 == OL pourrait nourrir encore si elle redevenait industrieuse et com- merçante! Dans l'antiquité, Thasos devait avoir au moins soïxante à quatre-vingt mille habitants. La capitale, en effet, parait avoir été une ville de vingt mille âmes, et le reste de l’ile était peuplé à proportion; on trouve encore en cinq ou six endroits la trace de bourgs riches et populeux, et il faut compter que la forêt a couvert et nous cache le site de plusieurs autres villages. Sans les coups qui la ruinèrent et la dépeuplèrent au temps de la conquête turque, et surtout sans les circonstances toutes parti- culières qui prolongèrent et perpétuèrent ses souffrances durant plusieurs siècles, Thasos devrait être aujourd'hui une des iles les plus prospères de l'archipel. Elle aurait pu, comme Ténédos, Chio et Lesbos, s'enrichir par la vente de ses produits dans tout l'archipel et à Constantinople. Son vin, qui provient d'un gros raisin d’un rouge clair, sans doute le même auquel Virgile don- nait l’épithète de blanc!, «albus,» par opposition aux raisins italiens d’un rouge foncé voisin du noir, est d’un goût franc; il ne porte pas à la tête et n’a pas cette chaleur, bientôt irritante, de la plupart des vins grecs; il rappelle plutôt certains bons vins ordi- naires de France. Les habitants savent le faire assez bien pour pouvoir le garder sans y mettre de résine; mais il serait sans doute facile, avec du soin et de l’art, de le perfectionner beaucoup et de lui rendre son ancienne réputation. Nulle part les oliviers ne donnent des fruits plus abondants ei plus beaux. Le miel de Thasos est très-recherché à cause du goût et du parfum particu- liers que lui donnent les fleurs de pin que sucent au printemps les abeilles; cet arome, qui choquerait peut-être à Paris certains palais, plaît beaucoup aux Orientaux. Enfin les Thasiens, s'ils n'étaient point tout à fait maîtres de leurs forêts, s’ils devaient respecter et laisser pour le gouvernement les plus gros troncs, avaient la permission d’abattre des arbres de moyenne grandeur, et étaient ainsi à même de fournir en abondance des poutres et des planches à ces villes d'Orient qui, toutes bâties de bois, en font, grâce aux incendies et aux tremblements de terre, une si active consommation. Le grand avantage qu'auraient eu les Thasiens sur la plupart des insulaires, c’est qu'ils auraient pu, pour l'exportation ct la * «Sunt Thasiæ vites, sunt et Mareotides albæ.» Virg. Georg. il, 91. De vente de leurs denrées, se passer d’intermédiaires. Rien ne leur eût été plus aisé que d’avoir une marine rivale de celle de Psara, d'Hydra ou de Spezzia. Le bois que les Ipsariotes, les Hydriotes et les Spezziotes, comme maintenant les armateurs de Syra, étaient obligés d'aller chercher bien loin et d'acheter plus ou moins cher, les Thasiens l'avaient chez eux à discrétion, sans autre dépense que les frais fort légers d’abatage et de transport jusqu’au rivage; ils ont toujours eu droit de prendre du bois sur leurs montagnes, quand ils ont voulu construire pour leur propre compte. Les bâtiments de Thasos auraient donc coûté moins cher à leurs armateurs qu'aux Hydriotes et aux Ipsariotes ceux qu'ils lancent à la mer, différence qui aurait donné à la marine tha- sienne une certaine supériorité sur ses rivales. Ainsi enrichie à la fois par l’agriculture et le commerce, Thasos ne serait-elle pas devenue aussi, pour les Grecs des environs, un foyer d’instruc- tion et de lumières; n’aurait-elle pas joué, dans la guerre de l'indépendance, un rôle brillant qui eût rappelé son ancienne gloire ? Voilà ce qui aurait pu être; disons maintenant ce qui est, ce que nous avons vu. Les Thasiens ne font pas d'autre navigation que de porter de l'huile et de la cire à Cavala, et d'en rapporter de l'orge et du blé; l'ile n’a en tout qu'une trentaine de caïques dont les voyages les plus lointains sont le mont Athos et Lemnos. Les vignes, on n’en cultive plus, depuis longtemps, que juste ce qu'il en faut pour la consommation de l'ile. L'huile même, le principal revenu de Thasos, les Thasiens en ont laissé décroitre la production; les oliviers ont été mal entretenus, on a négligé de remplacer ceux qui mouraient, on a laissé les broussailles envahir les plantations; aussi le temps n'est plus dont on se souvient en- core à Thasos, où l’île donnait un million d'oques d'huile; depuis bien des années elle n’en produisait plus que quatre ou cinq cent mille: en 1856, où la récolte était d’une abondance extraordi- naire, on espérait en faire environ huit cent mille oques. Depuis quelques années que le gouvernement égyptien tire de l’île beau- coup de bois, les paysans, qui trouvent pour le moment dans ces travaux des salaires plus élevés, négligent encore plus la terre. Aussi nulle part les villages ne sont-ils plus sales, les maisons plus mal tenues, plus étrangères à toute recherche de ce luxe 5. 2. AS simple et approprié au pays, qui consisle en quelques divans contre des murailles soigneusement blanchies à la chaux. Nulle part aussi ce désir d'instruction qui se manifeste presque partout chez les Grecs ne se fait moins sentir. Il n’y a dans l'ile que trois écoles d'enseignement mutuel, .à Théologos, à Panaghia, à Casa- vit, et encore est-il bon de s'entendre et de savoir ce que l’on entend à Thasos par «avoir une école. » J'arrive un soir à Théo- logos, le second village de l’île, et je cause avec le primat, qui n'avait reçu chez lui, de la population et des ressources de la commune. « Avez-vous une école? » — « Certainement, Monsieur: «comment n’en aurions-nous pas, ms dv éyoper) » —« Êtes-vous «contents du maître ?» — « Sans doute: c’est un homme irès-ins- «truit, il a étudié à Athènes. » — « J'irai demain visiter son école. » — « Mais, Monsieur, le maître est parti depuistroiïs ans, en congé, «et n’est pas encore revenu; en attendant, j'allais vous le dire, « l'école est fermée. » Les Thasiens parlent un grec affreux, dont les formes sont très-barbares, et qui est tout mêlé de mots turcs. Quant à la languc ancienne, non-seulement il n'y a pas dans toute l’île une école où les éléments en soient enseignés, mais, bien plus, on n'y trou- verait pas un Thasien qui ait fait ailleurs quelques études, et qui soit en état de comprendre ces passages d'Hérodote et de Thucy- dide qui sont comme les titres de noblesse de l'ile. Parfois je m'amusais à les traduire aux paysans, pour jouir de leur étonne- ment à entendre combien leurs pères avaient été riches et puis- sants. Au reste, les habitants de l'ile paraissent sentir combien ils sont tombés bas; ils l’'avouent, ils s’en confessent avec une sorte d’humilité honteuse et embarrassée. « Nous sommes des moutons, des bêtes de somme, eiueda mpoBarémia, mpdyuara,» me disaient plusieurs d’entre eux. Je n'ai d’ailleurs pas trouvé les Thasiens d'aujourd'hui aussi bons et aussi hospitaliers qu'a bien voulu le dire un vovageur optimiste et qui ne les a vus que pendant trois jours, M. de Prokesch. Ils ont, à un très-haut degré, à peu près tous les défauts que l’on reproche ordinairement aux Grecs, sans aucune des qualités qui souvent les compensent. Pour être igno- rants et bornés, ils n’en sont pas moins fourbes, menteurs, inté- ressés et avides. Plusieurs fois, le matin, en sortant d’une maison où l’on m'avait donné une prétendue hospitalité que l’on avait su me faire trés-bien payer, je mapercevais, au bout de quelque D né “n DENT et temps, que l’on n'avait dérobé quelqu'un des ustensiles de mon ménage de campagne, ou bien une partie de mes vivres. La population si peu nombreuse qui habite Thasos y est très- inégalement répartie; la cause principale de cette inégalité, c’est que le sud de file à bien moins d'eaux vives que le nord. Les habitants des bourgades que contenait autrefois cette région étaient obligés, pendant une partie au moins de l’année, de ne boire que de l'eau de puits; aussi, dès que l'ile commença à se vider, la po- pulation de ce district, ne se contentant pas, comme celle des autres cantons, d'émigrer derrière une montagne, hors de vue de la mer, se porta tout entière vers ie centre et le nord de l'ile. C'est ainsi que de Potamia à Kakirakhi il faut, pour trouver un village, s'éloigner de la côte et remonter dans l’intérieur au moins à trois lieues du rivage, c'est-à-dire pénétrer jusqu’au miliea même de l'ile, jusqu'à Théologos; toute la côte sud-ouest et sud-est est complétement déserte et n’a pas même une échelle fréquentée. La capitale actuelle de Thasos est le bourg de Panaghia, au nord-est de l'ile, à environ une lieue et demie vers le sud de la capitale antique; il se compose de six cents maisons, toutes bà- ties en moellons de marbre, si l’on peut ainsi parler, et dont bien peu ont quelque air de propreté et d’aisance. Le site est d’ailleurs très-beau ; le village, fuyant, il y a deux ou trois cents ans, selon la tradition du pays, le rivage infesté de pirates, et cherchantune position forte et facile à défendre, s’est arrêté dans un large ravin, sur le flanc de la montagne. A lever la tête et à voir au-dessus de soi les escarpements du Saint-Élie et les forêts d'arbres verts qui pendent à ses rochers, on se croirait en Suisse. Au milieu du bourg, des sources abondantes et fraîches sont ombragées par de grands platanes. Pour se rendre de Panaghia à Théologos, après avoir dépassé le hameau de Potamia, situé non loin de la mer, au-dessus d’une petite plaine d’oliviers et de maïs, il faut franchir la chaîne du Saint-Élie. Sur la pente nord de Ja montagne, le chemin, si on peut l'appeler de ce nom , est horrible; on ne comprend pas com- went les mulets réussissent à gravir les marches hautes et glis- santes de ces escaliers de marbre. Le versant méridional, au moins dans sa partie inférieure, est moins rocheux, et garni d'une couche plus épaisse de terre végétale. Hagios Theologos est moins considérable que Panaghia, puisque l'on n’y compte que deux cent Le 0 quarante familles, et pourtant il occupe plus de place et semble plus grand, grâce à ses maisons dispersées dans les jardins; c’est ce que les paysans expriment encore ici par le mot homérique eÿp- xopos. Théologos a été longtemps et était encore, au commence- ment de ce siècle, le village principal de l’île et la résidence du gouverneur. Panaghia n’a succédé à ces droits que depuis le réta- blissement de la sécurité des mers; alors sa position en face de la terre ferme, la proximité du rivage, la bonté de sa rade où vien- nent mouiller tous les bâtiments un peu considérables qui ont affaire dans l’île, ont enrichi et agrandi Panaghia, et en ont fait la nouvelle capitale. Casaviti, classé d’après son importance au troisième rang, est un très-joli village, assis sur les deux flancs d'une large vallée qui remonte de la mer au sommet du Saint-Élie: les maisons sont à demi cachées par les arbres des jardins, et, au bas de la vallée, on aperçoit la mer, et, par delà, les montagnes lointaines de la Thrace; il semble qu'aucun lieu dans l'ile ne doive être plus sain, et plus agréable à habiter. Il n’en est pourtant pas ainsi; à quel- que distance en arrière de Casaviti, la montagne se creuse en un large et haut amphithéâtre, dont les parois de marbre, en se re- froidissant rapidement après le coucher du soleil, versent, dit- on, sur le village une ombre glaciale et malfaisante, tandis que pendant le jour, en lui renvoyant comme un vaste miroir tous les rayons qu'elles recevaient, elles ont redoublé pour lui les ardeurs du midi. De ces brusques changemenis de température naissent des fièvres intermittentes et pernicieuses qui nuisent à la prospé- rité du village. Les autres villages de l'ile, Moriæs, Sotiro, Kakirachi, Volgaro, qui doit sans doute son nom à une colonie bulgare, n’ont rien de. remarquable. Le seul qui mérite une mention à part, c'est Cas- tro, un pauvre hameau d'environ soixante maisons, le lieu habité le plus élevé de toute l’île; il se trouve à peu près au centre, assis sur la grande arête qui traverse l’île de l'est à l’ouest, en un des points où elle s’abaisse et s’élargit le plus. Il y a là un roc pointu, supporté de toutes parts par des pans coupés à pic; il semble que ce fut un site désigné par la nature même pour la fondation d’une acropole; on n'y trouve pourtant aucun vestige antique, et ce n'est que dans des temps plus voisins de nous, tout à la fin du moyen âge, qu'on a tiré parti des avantages qu'offre la position ne ue au point de vue militaire. C’est que les anciens habitants de Tha- sos en préféraient les rivages aux parties montagneuses et stériles du centre, et savaient trop bien placer leurs demeures pour ve- nir s'établir sur ce sommet battu du vent, et qui n’a tout alen- tour que des champs de broussailles et des pierres; il a fallu des temps de bien grandes misères, d’inquiétudes bien vives pour dé- cider les populations à chercher un asile sur ces hauteurs, qui devraient être abandonnées aux bêtes fauves, tandis que mainte- nant on a fait avec elles un échange, et on leur laisse les fertiles plaines du bord de la mer. Si cette île est maintenant plus pauvre que nulle autre, si tous ses villages présentent le même aspect de décadence et de misère, je ne connais pas de lieux qui plairaient plus à l'artiste, je ne connais pas de villages plus mêlés d'ombre et d'eaux courantes, plus pittoresques. Ce sont partout, dans les parties habitées, des maisons cachées sous de grands noyers, des oliviers auprès des- quels ceux de l’Attique paraîtraient petits et grêles, des jardins d'où s’élancent de hauts cyprès et de vigoureux figuiers. Si l'on s'enfonce dans la montagne, la végétation n’est pas d’une moins étonnante richesse. On ne peut rien imaginer de plus beau que les ravins creusés par les torrents dans les vallées qui, du Saint- Élie et de l’Ipsario, descendent en tout sens à la mer; partout des platanes, non pas écourtés, comme ceux des torrents d’Attique et de Morée, par le manque d’eau pendant la moilié de l’année, mais abreuvés à satiété, mais, comme dit le poëte, « lancés à rênes abandonnées dans l'air pur, » partout des lauriers plus grands que nulle part ailleurs, des chènes verts, des charmes aussi larges que nos hêtres. Tout autour, sur les pentes les plus raides, des pins, d'espèce et de feuillage variés, forment une épaisse forêt, se cram- ponnent à la pierre, et marient admirablement leur vert sombre et brillant à la blancheur du rocher tout de marbre. L'espèce humaine n’est point aussi belle à Thasos que la na- ture; le type des hommes est assez vulgaire; il ÿ en a qui sont grands et bien faits, mais presque tous sont plutôt laids, et leurs traits comme leur tournure manquent de distinction. Les femmes, pour la plupart de taille au-dessous de la moyenne, sont en gé- néral mieux que les hommes; on trouve, en assez grand nombre, de jolies figures, douces et régulières, à Théologos et dans les environs. À Panaghia, le sang est moins’beau. Le costume n’a rien es ‘HE de remarquable; c'est celui de toutes les îles : le fez, la veste de couleur sombre, souvent bordée de fourrures, ouverte sur la poi- trine que couvre un gilet croisé, le large pantalon bouffant arrêté au mollet par des cordons. Le costume des femmes ne présente pas d’autre particularité que le bonnet, surmonté d’une espèce de crête rouge qui revient en avant au-dessus du front et rappelle, par l'effet comme par la couleur, la plante que l’on nomme chez nous amaranthe ou crête de coq; cest une sorte de pelote en laine, sur laquelle on pique de petites croix de cuivre ou d’ar- gent. Au reste, elle commence à passer de mode, et n’est guère plus portée que par les vieilles femmes et dans les villages les plus arriérés. On ne parle que le grec dans file; le dialecte tha- sien, quoique bien moins pur et moins antique que celui de l’île voisine, de Samothrace, conserve pourtant certains mots de la vieille langue que je n'avais encore trouvés nulle part ailleurs dans le langage populaire. Seuls, Îles primats, obligés par leur position d'être en rapports continuels avec le bey et ses ofliciers, savent plus ou moins mal la langue turque. | L'île est gouvernée despotiquement par le bey, qui réunit en lui tous les pouvoirs: c’est lui, ou le lieutenant qu'il laisse dans l'ile quand il est à Cavala, qui remplit les fonctions de juge en même temps que celles d'administrateur; toutes les contestations judiciaires que l'arbitrage des primats n’a pas sufli à terminer lui sont soumises, et lui seul prononce des sentences qui aient une valeur légale. Chaque village a d'ailleurs son primat ou tchorbadji, un Grec, et l’ile tout entière son chef grec ou tchor- badji-bachi, qui forment une sorte de consulte et concourent avec le bey à l’arrangement de toutes les affaires importantes. Dans chaque village, à côté du tchorbadji, magistrat mumi- cipal, élu par les habitants et défenseur de leurs droits, le gou- vernement est représenté par un soubachi, sorte de brigadier de sendarmerie, homme du bey, quoique payé par le village. C'est en général un musulman, Turc ou Albanais, qui remplit ces fonctions. | L'ile est loin d’être accablée d'impôts, et ce n’est pas le poids des taxes qui arrête l'essor de sa prospérité. En 1854, elle payait À5,000 piasires, c’est-à-dire à peu près 8,600 francs de haratsch. Il est vrai que maintenant le haratsch étant aboli, a-t-on dit, pour salisfaire aux vœux philanthropiques de l'Occident, la Porte de: "mem be mande à Thasos 57,000 piastres pour l'impôt des soldats; mais cette somme même n'aurait rien d’excessif, et d’ailleurs le bey a fait des réclamations qui seront peut-être accueillies. La dime sur l'huile, qui donne un assez beau produit (en 1856, 400,000 pias- tres, environ 80,000 francs), va au gouvernement'égyptien, tan- dis que celle de la cire et du miel, qui est peu de chose, ne profite qu'a la maison du gouverneur. Quant au droit d'entrée sur le blé que l’on apporte de Cavala, il est très-léger, plus léger que dans toute autre île turque. Mais ce qui fait pour le pacha d'Égypte la véritable valeur de Thasos, ce sont les forêts, inépuisables si elles étaient bien amé- nagées et exploitées avec discrétion, que l'île renferme, surtout dans les cantons du nord et de l’est. Said-Pacha a, depuis quelques années , grand besoin de bois de construction, non pour la marine militaire égyptienne, qu’Abbas et lui ont laissé périr, peut-être avec raison, mais pour les chemins de fer de la Basse-Égypte. Aussi, pour tirer mieux parti de cette richesse, le vice-roi a-t-il envoyé à Thasos, en même temps que le nouveau gouverneur, deux ingénieurs égyptiens dont l'un, Redjib-Effendi, a étudié en Angleterre l’art des constructions navales ; ils dirigent la coupe, le transport et l’'embarquement des bois. Le transport des pièces de charpente, de la montagne où on les a abattues jusqu'au rivage, présente surtout d'énormes difficultés; il faut souvent attacher jusqu’à six ou huit bœufs à un tronc de pin pour le trainer parmi les broussailles et les rochers, ou lélever au sommet de pentes escarpées. L'exploitation serait bien plus économique et plus aisée une fois quelques routes faites, non routes carrossables, mais sentiers suffisants pour le passage des bêtes de somme avec leurs fardeaux. L'entretien de ces chemins, qui auraient partout pour sol la roche même, serait aisé; mais qui songe en Orient à faire des routes? En atlendant, l'Égypte aura toujours tiré de Thasos, en 1857, 29,000 pièces de bois de pin, 9,000 de 0",30 cent. carrés d'épaisseur, et 20,000 plus petites. CHAPITRE VIL LES RUINES. L'histoire n’est pas seule à nous attester l’ancienne splendeur de Thasos; les ruines qui en couvrent le sol confirment les témoi- gnages des historiens et au besoin y suppléeraient. On a même ici un singulier phénomène : tandis que dans d’autres pays l’em- barras est de trouver sur la face de contrées bouleversées et défi- gurées par tant de révolutions les traces de toutes les villes dont les historiens et les géographes nous apprennent ie nom, à Tha- sos, l'étude du terrain et la tradition locale nous révèlent plusieurs villes, ou, pour parler plus exactement, plusieurs lieux habités dont les auteurs n’ont fait aucune mention, et qui pourtant pa- raissent avoir eu, dans l'antiquité, une certaine importance. Tout ce que les textes nous donnent pour cette île se réduit aux trois noms de la capitale, Thasos, et des deux villages d'OEnyra et de Kynira; aussi les meilleures cartes, jusqu'ici, n’ont-elles pu en porter d’autres; pourtant ces trois noms sont loin de donner une idée de la manière dont les habitants étaient pressés, distribués et groupés dans cette ile riche et populeuse; c’est ce qu’il est facile de conjecturer tout d'abord, et ce que met hors de doute l'étude des ruines et l’examen des vestiges antiques épars dans tous les cantons de l’ancienne Thasos. De toutes ces ruines, les plus étendues et les plus remiar- quables, comme aussi les seules connues jusqu'ici, sont celles de l'ancienne capitale, au nord de l'ile, à l'endroit le plus resserré du canal, au fond d’une rade vaste el assez sûre, où se fait en- core à peu près toul le commerce de l'ile. Une dizaine de magasins y forment l'échelle de Panaghia; un employé de l'administration sa- nitaire y est à la fois directeur de la quarantaine et capitaine de port. Toute l'aire de l’ancienne ville est déserte et abandonnée aux broussailles, qui y forment, parmi les pins et les oliviers francs, des fourrés épineux où les recherches ne sont pas toujours . aisées. L'enceinte subsiste tout entière. Elle a la forme d’un polygone irrégulier, qui, dans l’ensemble, ne s'éloigne pas trop d’un rec- tangle, dont les grands côtés couraient de l’est à l’ouest, parallè- \\U ae DZ \\ \ À {} ‘M NN NN Je N ù Î | on 1) | | | | l | | \ 1! | \ AN K \ an Ur IL uit ul ul LL LL \ \ AUD fe ii \ PAPA : “8P 10224 9 “SOIJOul 001 LZ 09 Gr 0 ‘ "2[P#: S'HLIIC I d 272DJU1 27107 ATP 713 sup 22720? 3 L Mt 2DDFU?) 07 onb onbumu ou no PDU UD 2OD)T É L PLIS) f 2D4L0$U02 U91Q 0}L10,] PLIS, 74 #1P10]0,] °}) HDOQUO] ä à I ë N' (ZE SOAI “. ÿ4 n)J sdwuey \e\ / LE qUOUOUD}UOS 97) D24 710€ o 740,7 2} 01 It 09 UT 5428 0p TU à » & obpunsi oa e ss0f vour o) Sup soanot) SHPruor 4 1, un ‘ é 3, RL 22 SonbLIOP Souuojon S9p UE, 22 en 1 LE SONIA JUOS 10 2SIFSY EZ | cam | ’ 6] 22447 74 204 Le | m- EE, € mb 227 2. CT4 XAPAJUI0 J RS AE F6: = OT SJ IV D / VA y, ! (is rs D lement au rivage. Elle embrasse à la fois une partie de la plaine et des hauteurs abruptes qui portaient l’acropole et plusieurs autres des édifices publics de la cité. Le développement de cette enceinte, si l'on veut tenir compte de la petitesse des maisons antiques, donne l’idée d’une ville de vingt à trente mille ha- bitants !. La muraille, tout entière en marbre blanc, et par endroits conservée dans toute sa hauteur, peut être partout suivie et re- connue sans trop de difficulté. Elle n’est point de style uniforme ; les parties les plus anciennes paraissent être sur la colline. Là, si l'on ne rencontre pas l’appareil polygonal proprement dit, les assises sont irrégulières, les pierres très-inégales, les unes énormes, les autres très-petites; quelquefois, comme on le voit dans une porte dont je donne le dessin, elles sont assemblées au moyen d’angles saillants et rentrants?. C’est surtout la partie sud-est de l'enceinte qui présente ce caractère archaïque, et j'inclinerai à croire qu’il faut peut-être la faire remonter à la reconstruction qui suivit immédiatement la seconde guerre médique. Quand les Athéniens avaient démantelé Thasos, ils s'étaient sans doute con- tentés de faire aux murs de larges brèches, d'ouvrir et d’abattre les remparts, surtout du côté de la mer; maîtres de cet accès, ils auront laissé subsister quelques pans de murailles, quelques- ! Voir, planche If, le plan général des ruines. ?-Planche Il, fig. 2, point 2 du plan général. — Voir chez M. Conze, p. 12, pl. IV, f. 15, une inscription archaïque et différentes lettres, différents signes qu'il a relevés sur divers blocs voisins de cette porte. Un des plus curieux, ce sont deux yeux colossaux (pl. V.) dessinés à la pointe sur un bloc de marbre qui faisait partie du mur. Il y voit une précaution contre le mauvais œil ,un emblème dnotporuo, quelque chose comme le phallus sculpté sur les murs de plusieurs villes de Grèce, d'Italie ou d'Afrique, comme le Gorgoncion qui, du haut de l'acropole, à Athènes, regardait le théâtre de Bacchus. — 76 — ; unes des portes du côté de la campagne, et ces restes de la seconde enceinte auront été compris dans la troisième, élevée en 411, vers la fin de la guerre du Péloponèse. C'est qu’en effet le mur dans la plaine est évidemment plus moderne; par la dimension des blocs comme par le caractère de l'appareil, il rappelle les murs de Messène et des autres ouvrages du plus beau temps de l’art hellénique; les assises y sont presque égales, les joints parfaitement verticaux, et les pierres assemblées avec le plus grand soin !. a Ten que QE EN I on ne in Ti A RU a on Li 4 nn I nm . Ün irait curieux de cette construction, c’est que le mur n'est pas, dans son élévation, tout entier de la même roche. Aux deux tiers environ de sa hauteur, court, entre deux assises de marbre, une mince bande de plaques de schiste, qui se retrouve dans toutes les parties bien conservées de l'enceinte, hors les portes et leur saïillant?; cette disposition n’a guère pu être, dans la pensée de l'architecte, qu'un ornement. On a regardé comme une beauté ce contraste entre le clair éclat du marbre et les teintes vertes et sombres du schiste. Mais on ne trouve rien de tel dans les monu- ments classiquesde l'architecture militaire grecque, en Grèce mème, à cette époque. C'est par leur parfaite simplicité et par ce qu'il y a de soin et d’exactitude minutieuse dans l'appareil que se font admirer l'enceinte d’Éleuthères, les longs murs reconstruits par ! Les pierres de cette partie du mur ont 1°,35° de long sur 0°,45° de haut. — La vue que nous donnons ci-dessus est prise du point 1 du plan général. ? La bande de dalles schisteuses est indiquée par des traits plus noirs dans la portion de mur que reproduit la figure ci-dessus et la suivante, Conon, et les fortifications de Messène : ce n’est point par ceite bigarrure et ce jeu de couleurs; il est permis de voir dans cet G.P del. effet un peu forcé une sorte de provincialisme que l’on ne s’éton- nera point de rencontrer dans un coin détourné de Farchipel, à Thasos!. Une autre particularité, c'est que l'enceinte n'a pas précisément de tours, mais ce que l’on pourrait appeler de fausses tours ou des bastions à un seul saillant. Après chaque porte, le mur fait une saillie de quatre mètres; c'est ce que fera mieux comprendre une figure bien simple. L'ennemi ES qui cherchait à pénétrer dans la ville se trouvait exposer ainsi aux traits son flanc droit, que ne protégeait point le bouclier. La ville avait deux ports artificiels, petits lun et l’autre, mais suffisants pour les navires des anciens, et complétés d’ailleurs par une vasie rade, qui est elle-même un abri presque toujours sûr ?. Le plus curieux est l’occidental, sans doute l’ancien port militaire, celui qui renfermait les galères de la république. Il est 1 M. Conze rapproche de cette disposition le degré en marbre noir d'Éleusis qui se trouve aux Propylées, et la bande du même marbre qui se trouve dans le mur de marbre blanc, où est percée la porte découverte par M. Beulé, au bas du grand escalier de l’acropole (p. 13). Mais je ferai remarquer que la différence de couleur attire bien moins le regard dans une série de marches, où elle est tempérée d'ailleurs par les jeux de la Jumitre et de l'ombre, qu'au milieu de la hauteur verticale et de la surface unie d’une muraille. Quant au mur où se trouve la porte en question, il est de basse époque, et, à ce titre, cet exemple confir- merait plutôt mon dire. {Voir Beulé, Acropole d'Athènes, ch.1v, S 3.) ? On reconnaît là les deux ports que mentionne Scylax, Peripl. 67 : xoos vñcos nai môdus, nai luËves dÿw Toÿrwy 6 eis neo os. = 7e) formé par deux môles garnis de tours tellement disposées qu'un bâtiment cherchant à forcer l'entrée du port se trouvait toujours avoir affaire à deux au moins ou à trois d’entre ses tours; soit qu'ils voulussent pénétrer par le goulet , soit qu'ils tentassent de prendre pied en quelque point de la chaussée, les assaïllants de- vaient toujours essuyer ce que nous appellerions maintenant un feu croisé; ils recevaient de droite et de gauche des flèches, des traits, des pierres. | Le plan ci-joint fera mieux comprendre cette disposition; on y verra que les deux môles ne sont pas pareils, l’un formant un simple crochet, l’autre une double potence; il est possible qu’en accumulant les défenses sur le môle de l’est, on ait eu l'intention de protéger en même temps le second port, dont il forme l’un des côtés. Ce port, fermé vers l'orient par une longue jetée étroite et tout d'une pièce, était sans doute le port marchand. Tout ensablé qu'il est et à demi comblé, les caïques viennent encore souvent y jeter l'ancre. Partout subsistent des traces du quai, de même style que les môles, qui bordait les deux bassins. La jetée mitoyenne qui sé- pare les deux ports s'appuie, à l'endroit où elle atteint le rivage, sur une sorte de plate-forme ou d'élargissement du quai, qui forme un rectangle dallé de larges plaques de marbre. Cette espèce de cale, qui présente sur son grand côté quatorze mètres, était partagée entre le port militaire et le port marchand par un mur qui la traversait et qui empéchait que l’on püt, du port marchand, monter et s’avancer sur le môle, flanqué de quatre tours, qui formait la plus solide défense du port militaire. Ces ports sont séparés de la ville par une muraille, laquelle est assez mal conservée, parce qu’elle a été employée en grande partie à fournir les matériaux de constructions postérieures, comme le château génois, dont une partie est restée debout, en arrière du port militaire. Il en subsiste pourtant assez pour que l’on puisse assurer que les ports n'étaient pas compris dans l’enceinte, et qu'une fois même que l'ennemi s’en était emparé, la ville pouvait encore continuer à se défendre. Les portes qui, en temps ordi- naire, ouvraient de la ville dans ces sortes de faubourgs, n’ont pas laissé de traces; aussi m'a-t-il été impossible de les indiquer sur le plan. Entrons maintenant, de la marine, dans la cité proprement 2 "Te dite. Il ne reste presque aucun vestige des édifices et des cons- tructions de tout genre qui se trouvaient dans la basse ville; par- tout là, on a labouré, on a construit, au moyen âge, de nouvelles habitations; les torrents descendus de la montagne ont apporté des pierres et du limon, si bien que le sol, dans toute la plaine, s'est fort exhaussé. Une église, située sur l'emplacement de la Tour génoise, peut-être sur l'emplacement d'un ancien temple, renferme des colonnes ioniques et doriques trouvées sur divers points; quelques travaux exécutés, en 1855, par ordre de Djafer- bey, pour dégager la source qui jaïllit derrière les magasins et en recevoir l'eau dans un bassin, ont encore fait découvrir des tambours de colonnes et des fragments de corniche. Des fouilles dans tout ce terrain seraient certainement intéressantes et fruc- lueuses. Mais c’est surtout sur la hauteur que l’ancienne Thasos a laissé d'elle-même des débris considérables. Là, assis sur le roc même, les monuments antiques n'ont guère eu à se défendre que du lent effort de la végétation, plus vigoureuse et plus destructive à Thasos que nulle part ailleurs; les racines des pins, des oliviers et des paliures, se glissant entre les joints des pierres les mieux assemblées, ont fait écrouler des pans tout entiers de maçonnerie hellénique, ont soulevé et renversé les gradins du théâtre. Mais tout, pourtant, n'a pas disparu, comme il est aisé de s’en con- vaincre en gravissant les pentes souvent fort roides de cette colline. Commençons par l’ouest, à l'endroit où le mur, quittant la plaine et la prairie, commence à s'élever sur la hauteur. On ren- contre d'abord une sorte de place en demi-cercle, taillée dans le roc, dont il est assez difficile d'indiquer l’ancienne destination. Peut-être y avait-il là, adossés à ces parois de pierre, de ces bancs ou exèdres, où l'on se réunissait soit pour causer au soleil pendant les jours d'hiver, soit pour jouir en été d’une belle soirée. Que l’on continue à monter en suivant avec le mur la crête de la colline, on arrive à un premier sommet, d'un abord très-difficile; l'étroite plate-forme, que supportent et défendent de toutes parts des rochers aigus et glissants, ne semble pas avoir jamais reçu de cons- tructions, au moins de constructions de quelque importance. Puis l'arête s’abaisse pendant environ une centaine de mètres, pour se relever en une nouvelle éminence, qui porte les fondations d’un édifice rectangulaire appuyé, par l'un de ses pelits côtés, au mur d'enceinte, tandis que, de l’autre côté, il est tourné vers la mer. Ce rectangle est orienté, dans le sens de sa longueur, de l’ouest- nord-ouest à l'est-sud-est; 1l a vingt-huit mètres de long sur seize de large. Malheureusement l’intérieur est rempli de débris de maisons modernes, qui empêchent de retrouver le plan de l’édi- fice; tout ce que l’on peut saïsir, c'est qu'il y avait là un temple périptère ; on distingue parfaitement, sur le rebord de la terrasse, les traces du scellement des colonnes, et un fût, trouvé parmi les décombres, m'a permis de reconnaitre que les colonnes étaient sans base, d’un bon style dorique. De la cella, comblée par des monceaux de plàtras, on ne peut rien reconnaître. Quant aux débris de l’entablement, c’est dans la vallée qu'il faudrait les cher- cher, sous les broussailles; car, vers lest et le nord, le temple forme une terrasse portée sur un mur de soutenement d'un beau travail, quoique inachevé, à ce qu'il semble, puisque beaucoup des blocs qui le composent ont encore les saillies qui ont aidé à les saisir et à les mettre en place; on n'abattait ces proéminences cy- lindriques, où s’atlachaient les cordes, qu’unc fois toute la cons- truction terminée, et 1l semble ici qu'un événement imprévu ait empêché de mettre la dernière main à un ouvrage si bien com- mencé. Le mur, quoique le pied en soit sans doute engagé dans les décombres, et qu'il ne nous apparaisse point tout entier, a ER us encore, vers la plaine, une hauteur verticale qui varie de huit à dix mètres !. Ce temple, par sa position élevée, par ce qu'il avait dû coûter de dépenses et de travail, ainsi que par l’effet qu'il ne pouvait manquer de produire, était sans doute le principal édifice de Thasos, et son sanctuaire le plus vénéré. Il pourrait sembler na- turel d’y reconnaître le temple d'Hercule, le grand dieu des Tha- siens, et çavait été là ma première pensée; mais de curieux pas-. sages d'un livre d'Hippocrate, le Traité des épidémies (édit. Littré, tomes Il et III, passim), qui m'avaient échappé, et que M. Conze (pages 16 et 17) a le premier mis en lumière, me forcent à aban- donner cette idée. Il y est fait deux fois mention de personnages qui habitaient émévo Toù Hpax}elou, ümepdvew Toù HpaxAeciou, au- dessus du temple d'Hercule (t. IT, p. 698; t. III, p. 134), et sile temple d'Hercule avait été dans la ville haute, comme je l'avais supposé d’abord, on ne voit pas où chercher le quartier qui l’au- rait dominé. Il faut donc, jusqu’à nouvel ordre, renoncer à donner un nom à cet édifice, qui a dü tout au moins être un des plus importants de la ville ?. Au delà de ce temple, le mur redescend un peu, ‘et, suivant toujours le sens de la colline, court vers le nord-est, et se relève, à environ cent cinquante mètres de là, pour tomber sur l'angle sud du château génois, qui paraît avoir remplacé l’acropole grecque. Ce château, flanqué de tours élevées et minces, est sans doute celui où Zaccharias fit si bon accueil à Raymond Muntaner; la maçonnerie moderne y cache presque partout l’ancienne cons- truction, mais l'opportunité du site et le grand nombre de pierres antiques mélées à la bâtisse montrent bien que c'était là l’em- placement de la citadelle primitive. D'ailleurs, à l'angle nord-est, où les décombres sont moins entassés et où le mur plonge à une assez grande hauteur sur un petit ravin qui descend à la mer, paraissent plusieurs assises helléniques d’un très-beau travail, en plus gros blocs que ceux du mur d’enceinte; un peu plus bas, ” ! Cette vue est prise du point 4 du plan général. ? Au sud-ouest de cet édifice, M. Conze a vu, creusée dans ie rocher, une niche consacrée à Pan, que je n'ai point aperçue. Î} a cru distinguer, davs ce qui reste des sculptures qui l'ornaient, le dieu lui-même, au milieu d'un trou- peau de chèvres. (Voir, pour la description de cette niche, sa dissertation, p. 10 etas,et pl. VIT, n° 2.) MISS. SCIENT. 6 AR une sorte de bastion, du même style, défend les approches; il semble que l'on ait songé, par cet ouvrage avancé, à protéger l’acropole contre une tentative de débarquement dans la petite crique voisine !. De 1à, le mur, tantôt occupant la crête même de la hauteur, tantôt établi sur la pente, à peu de distance de la mer, se di- rige en droite ligne vers le nord; arrivé à une soixantaine de mètres de l'extrémité du cap, il tourne vers l’ouest et redescend dans la plaine en longeant et dominant le rivage, jusqu'au mo- ment où il vient s'appuyer au pied du môle qui ferme à l’est le port marchand. Un mur transversal, en assises horizontales, mais qui semble peu soigné, ferme dans toute sa largeur l’étroit pro- montoire, à quelque distance en avant de l'enceinte; il semble que ce soit une addition faite à la hâte dans un moment de péril. Dans ce même quartier, sur la pente qui regarde la ville et la mer, se trouve le théâtre, taillé au flanc de la colline. Mesuré à la scène, il a vingt-sept mètres cinquante d'ouverture; quant au nombre des gradins, quoique plusieurs siéges soient encore en place et parfaitement conservés, je n'ai pu le déterminer avec exactitude’, il y a là tant de broussailles, el tant de pierres ont été soulevées et dérangées de leur place, que le compte est très- difficile à faire; je crois pourtant qu'il y avait de dix à douze rangées de bancs?. 1 Si je n’ai pas parlé des deux lions, grossièrement sculptés, qui se trouvent engagés dans une des portes du château, c'est que mon impression avait été la même que celle de M. de Prokesch-Osten (Düissertazione della Pont. acad. rom. di arch. t. VI), et que je les avais pris pour des ouvrages du moyen âge. Il suffit d’avoir voyagé en Orient pour savoir combien ceite forme a été employée alors comme motif de décoration ; à Angora, Koutahia, Konieh, on trouve encore en abondance des restes de lions d'époque byzantine et seldjoukide, qui rappellent à certains égards l’apparence des lions de Thasos. I1 y a là une de ces délicates questions de style que je n'essayerai pas de trancher aujourd'hui, n'ayant pas les monuments sous les yeux. { Voir p. 8 et ÿ les arguments très-sérieux qu'ap- porte M. Conze à l'appui de son opinion, et pl. IV, n° 5, 10 et 11, le dessin qu’il donne des deux figures.) ? M. Conze (p. 17) déclare n'avoir pas vu Île théâtre que j'ai retrouvé dans l'acropole et qui figure sur mon plan. Malgré le soin extrême qu'il a apporté à l'étude de ces ruines et qui lui a fait voir en plusieurs endroits des détaïls qui m'avaient échappé, ces débris ne l'ont pas frappé, et je me l'explique aisément. En cet endroit du périmètre, il aura suivi la crête de la colline, en cherchant les traces du mur, et le théâtre est, à quelques mètres plus bas, caché par les brous- sailles. [1 n’y a d'ailleurs pas de doutes à conserver; si M. Conze n’avail point EME ES En plusieurs endroits, là où s’abaisse vers la plaine la colline qui porte tous les édifices que je viens de décrire, on découvre, à demi cachés dans le fourré, des murs de soutènement qui portaient autrefois des maisons ou des édifices dont il n’est pas resté d'autre trace. Dans l'espèce d'angle que la colline forme, en tournant vers l’ouest, au pied du temple situé dans lacro- pole, je croirais volontiers, sans pouvoir l'affirmer avec une en- tière certitude, qu'il y eut autrefois un stade ou peut-être une agora, enfin, un lieu public de réunion. Les anciens, quisavaient si bien profiter des sites, n'avaient pas dû négliger les facilités que leur offraient ces deux pentes opposées et voisines, et les murs, qui semblent se correspondre des deux côtés de la petite vallée, auraient servi à compléter, en soutenant les terres, l’œuvre de la nature; ils auraient ainsi achevé d’approprier ce lieu aux usages de la cité. Deux voies principales, à ce qu'il semble, sortaient autrefois de la ville; l’une se dirigeait vers l’ouest, du côté où sont mainte- nant Volgaro et Casaviti; l’autre, que suit, au moins pendant quelque temps, la route de Panaghia, pénétrait dans l’intérieur de l’île. Chacune d’elles est encore maintenant bordée d’un grand nombre de sarcophages en marbre; tous ont été ouverts, mais quelques-uns n’ont pas perdu leur couvercle et laissent encore déchiffrer leurs inscriptions, qui sont en général de l'époque ro- maine. Ces monuments sont (ous, au moins ceux qui sont restés debout, d’un style simple, mais un peu lourd, dont suffront à passé à côté de cet édifice sans le voir, il aurait reconnu à l'instant la nature et le caractère de l'édifice que je désigne sous ce titre. Le théâtre, comme il l'indique lui-même, est d’ailleurs mentionné dans l'ouvrage hippocratique auquel il ren- voie plus haut : xarexeivro mapa rù Séarpor. (Ed. Littré, 1. IF, p. 665.) 6. 1 OR donner une idée les deux tombeaux que j'ai dessinés, l’un à Thasos même, l’autre dans le sud de l’île, à Alki. Sur la plage, les flots lavent d’autres débris de tombes toutes semblables, et con- servent aux marbres qu'ils rongent une plus éclatante blancheur. La ville de Thasos, telle que l’on peut se la figurer d’après le site et d’après les ruines, devait présenter, dans l'antiquité, un aspect plein de charme et de grandeur. Au rivage, de nombreux vaisseaux, protégés à la fois contre la mer et contre l’ennemi par les digues et leurs tours; puis, en arrière, des quais tout animés de mouvement et de voix, des temples élevant leur faite par-des- sus la belle et sévère ligne des murailles, et la ville montant, par une pente doucement inclinée, jusqu’au pied des hauteurs; là, sans doute, parmi des jardins et des bois sacrés, les maisons et ies édifices, publics disposés par étages, et l’ensemble couronné par les tours de l’acropole et les colonnades du temple d'Hercule; pour agrandir encore le tableau, par-dessus la colline qui portait les monuments de la cité s’apercevait dans le lointain le haut sommet du Saint-Élie avec ses roches brillantes et les forêts qui pendent à ses flancs. | À Panaghia, aucun débris d’édifice qui conduise à croire que ce lieu ait été habité pendant le cours de l'antiquité; quelques frag- ments de bas-reliefs et d'inscriptions, qui s’y trouvent employés dans les constructions du village, ont été évidemment apportés de Liméni (voy. Conze, p. 27). Il en est de même de Théologos. Mais à deux heures de Théologos, vers l’est, se conserve un nom an- cien, celui de Kinyra, donné à une petite vallée maintenant dé- serte, en face d’une petite île qui porte le même nom. Après que l'on a franchi le col qui forme le fond de la vallée de Théologos, une descente rapide conduit bien vile aux ruines d'un village placé au nord-ouest de la plaine, à vingt minutes environ de la mer; il n’y a plus là maintenant que quelques huttes où les pay- sans viennent camper à l’époque de la récolte des olives, mais les restes de nombreuses maisons et de deux églises byzantines attestent qu'avec son ancien nom ce lieu a gardé des habitants ‘jusqu’à une époque assez récente. Je ne placerais pourtant point l'antique Kinyra, celle dont parle Hérodote !, juste à l'endroit où 1 VIT, xzvrr. — I n'ya d'autre changement dans la forme du nom que Île pas- sage, facile à comprendre, du neutre pluriel au féminin singulier : ra Koëvupa, dit Hérodote, maintenant ÿ Koévupa. DA: “US se rencontrent ces débris du moyen âge, car je n'y ai trouvé au- cune pierre d'une origine hellénique certaine; je la mettrais plu- tôt à une demi-heure de là, vers le sud-est, dans une toute petite plaine qui est à demi séparée de celle-ci par un contre-fort de la montagne, mais qui communique avec elle par le bord de la mer. Là les champs, tout le long du rivage, sont couverts de débris de briques et de poteries, et sur une pointe, en face de la petite île que l’on peut voir marquée sur la carte, j'ai trouvé, cachés dans un impénétrable fourré, les vestiges d’une acropole. La colline basse, qui domine d’une dizaine de mètres le sable du rivage, était flan- quée de murs de soutènement de construction hellénique, quoique assez grossière; sur ces terrassements, qui formaient trois étages, s'élevait une forteresse à tours carrées. L'une de ces tours, dont la _trace peut se suivre parmi les buissons, mesure six mètres de côté. Ainsi l’ancienne Kinyra était au bord de la mer et sera sans doute restée là pendant toute l'antiquité. Vers la fin de l'empire romain, quand les rivages auront commencé à être exposés aux subites attaques de brigands et d’ennemis de tout genre, le bourg se sera éloigné de la plage, il sera monté là où se trouvent les ruines du village abandonné et de ses églises byzantines. Quant à OEnyra, l’autre point de la côte orientale indiqué, avec Kioyra, par Hérodote !, pour déterminer la position des mines, le nom ne s’en est pas conservé dans la tradition du pays, et l'on n'a pu m'indiquer, dans ce district, aucun lieu qui gardàt des traces de l'antiquité, ni même du moyen âge, aucun village abandonné. Il est donc impossible de savoir si les mines étaient au sud ou au nord de Kinyra; j'ai cherché au sud, et n’ai trouvé ni minerai contenant la moindre parcelle métallique, ni vestige d'exploita- tion. Mais il faudrait bien du temps pour faire des recherches com- plètes dans les forêts vierges qui couvrent de ce côté la montagne. En continuant à nous avancer vers le sud, nous arrivons à des découvertes d'un autre genre. Toute cette région contient des sites, maintenant abandonnés, mais qui ont été habités dans l’an- tiquité et même au moyen âge, et qui ont conservé de ces époques des débris plus ou moins considérables. Les noms qu'ils portent, quoique nous ne les trouvions nulle part dans ce qui nous est resté des historiens et des géographes anciens, appartiennent pourtant 1 VI, xx vir. — 86 — tous, par leur physionomie et leur étymologie hellénique ; ou tout au moins latine, à l'antiquité; c'est ce qui les distingue tout d'a- bord des noms qui désignent les villages actuellement existants dans l’île; tous ceux-ci se rattachent nettement au romaïque et aux souvenirs chrétiens, ou à l'italien et au bulgare. Nous avons donc le droit de voir, dans les noms de Temonia, d'Alki, d'Astris et de Pothos, ceux des bourgs de Thasos pendant l'époque grecque et romaine, conservés sans altération par la mémoire du peuple; il me semble que le doute n'est pas permis à cet égard. De Théolopos, il faut un peu plus de deux heures à travers les bois, vers le sud-sud-est, pour arriver à une petite anse appelée dans le pays Temonia; il y a là un peu de terre entre les côtes et quelques oliviers. J"y passai cinq jours au bord de la mer, dans une sorte de petite grotte qui quelquefois sert d'abri aux pêcheurs pendant la nuit, près de leur barque, tirée sur le sable!. Tous ces parages sont très-intéressants par les traces qu'ils gar- dent du long séjour en ces lieux d’une active et nombreuse po- pulation, et de sa persévérante industrie. D'une pointe connue dans le pays sous le nom vraiment grec d’Alki (la force), à un autre cap qui se trouve à 1,500 mètres environ vers l'ouest, et qui s'appelle Demir-Khalca, ce ne sont que débris d'habitations el carrières de marbre. Demir-Khalca, le cap qui borde à l'ouest la petite anse de Te- monia, se termine à la mer par une falaise de marbre coupée droit comme un mur et haute de 5o à 6o mètres. Au-dessus, toute la montagne est labourée d’excavations à ciel découvert, qui rappellent celles du Pentélique; c’est le même système d’exploi- tation, ce sont, à peu de chose près, les mêmes dimensions : en- viron une quinzaine de mètres de largeur et une dizaine de pro- fondeur pour les plus grandes fosses. Mais, ce qui est le plus curieux, C'est la manière dont s’opérait probablement l'embarque- ment du marbre. D'après la tradition du pays, consacrée par le nom moitié turc, moitié grec, de Demir-Khalca, anneau, poulie de ! On peut faire dériver ce nom du mot grec ancien réuevos, enceinte consa- crée. Quand la langue vulgaire eut perdu ce terme, la prononciation en aurait altéré l'orthographe, et substitué un o à le du milieu. I ne serait point impos- sible non plus qu’il vint du latin temo, temonis, et qu'il contint une allusion au commerce maritime qui se faisait sur ce point de la côte. ({ Voir, pl. IT, la carte de cette portion de l'île.) “OUUPYh 2771 z —son/rur 0777/1800 [PP 10428, 9 72 17: Ju 00€ 00% 001 —— ED IP LR LA | = NA : A NN N NN PS UR z J /) * 2] : S V4901LIE") : l DT 111) ) (l NU | jh 072) J, (PA (il I) ” \| \\ 17 = À ru 4 S = CC KK s S> —_—_— EE — VUE RRN | Ë 2 EEE |, — NN LES = è \ EE MU, : \ = rest ” à = EEoFYFSFYSYSS”S*< EEE 2 ) < ER onbque I) I Hits 11 H1) 170 14 ill 1W, \ || | | D n AU" { | AIT 17] 14 117} ll TI DS EE SC EEE EE MES ve fer !, les navires venaient, quand la mer était tout à fait calme, s’'amarrer au bas de la falaise, dans les eaux très-profondes qui bordent partout cette côte; au moyen d’une grue ou de quelque machine semblable, on pouvait descendre immédiatement les blocs à bord. Si le temps se gâtait, en quelques instants on ga- gnait l’anse de Temonia, qui offre un mouillage sinon excellent, au moins suffisant pour les petits ‘bâtiments des anciens. Le roc même de la falaise, là où il tombe à pic dans la mer, offre en plusieurs endroits des traces du travail de l’homme; avant d'atta- quer la pente de la montagne, les ouvriers avaient commencé par exploiter et tailler le cap lui-même. À voir dans la carrière ce marbre avec celui d’Alki, le plus beau de toute l’île, je ne comprenais pas, je l'avoue, les expres- sions que les anciens emploient en parlant du marbre de Thasos, les veines variées qu'ils lui prêtent, l’épithète de « maculosum » par laquelle ils le désignent?; mais, depuis, j'en ai fait tailler et polir un morceau que j'avais pris justement à Demir-Khalca, et le fait est que si ce marbre, au moment où on le détache du roc, paraît d’un beau blanc, à très-gros grains, à cassure brillante, il prend sous le polissoir un aspect tout autre. Ce sont alors des teintes laiteuses et des tons gris, qui diffèrent d'intensité à chaque grain, suivant qu'il a été plus ou moins attaqué et aminci par l'outil; sans qu'il y ait pour cela vive opposition de couleurs et diversité tranchée, cette variété de nuances donne à l’ensemble une apparence qui justifie parfaitement le mot dont se sert Pline. Si donc ce marbre n’est pas assez fin de pâte ni assez blanc pour bien conveair à la statuaire, l'architecture peut en tirer de très- heureux effets, grace à son éclat tempéré et à ce que les tons di- vers y ont de moëlleux et de fondu. Les anciens l’avaient bien senti; les deux seules statues en marbre de Thasos dont il soit fait mention appartiennent à la décadence, à l’époque des nouveautés bizarres qu'essayait en vain pour sesrajeunir l’art vieillissant, au siècle d'Adrien; d’assez bonne heure, au contraire, on avait com- mencé à faire du marbre thasien un assez fréquent usage pour daller les temples ou en orner les parois, pour revêtir les piscines des bains publics ou privés, et embellir en mille manières les villes et les palais. C’était sartout chez les Romains, vers le siècle 1 223 «fer;» Xaaxä&s « collier ;» — anneau de fer. ? Plin. H. N. XXXVII 1x. MU d'Auguste, que le marbre de Thasos était devenu très à la mode, et il joua un grand rôle dans les profusions et les magnificences architecturales de l'Empire. Les carrières ne sont pas le seul reste de l'antiquité que garde la colline de Demir-Khalca : cette colline se termine par un petit plateau qui communique, par une étroite arête, vers l’ouest, avec la montagne voisine, tandis que, de tous les autres côtés, il est coupé à pic, surtout au nord, où il descend, par une pente très- roide, dans la gorge du torrent qui vient se jeter à Alki sur'le -sable. Ce plateau porte, assise sur un large piédestal de rochers, une sorte de tour hellénique, d'un beau travail, et dont on voit encore en quelques points de la circonférence jusqu à dix assises debout; elle est ronde et elle a quinze mètres de diamètre dans l'intérieur, hon compris les murs, qui sont épais d’un mètre; les assises sont très-régulières, tous les joints, verticaux. La longueur des blocs rectangulaires de marbre varie de 0”,80 à 1”,20, leur hauteur de 0,50 à 0,70. C'est certainement une des ruines helléniques les plus imposantes que je connaisse, une de celles qui attestent le mieux, par le contraste qu’elles forment avec la faiblesse et la misère du présent, la puissance des générations passées. | La construction que je viens de décrire est plutôt une enceinte circulaire qu’une véritable tour, car elle est trop large pour avoir jamais reçu un plafond qui la couvrit tout entière, et qui portàt un étage supérieur; aussi l’intérieur en est-il tout plein de débris de maisons, qui paraissent antiques, au moins par les fondations. Plus bas, à quelque distance, une église ruinée avec des cons- tructions byzantines. Au fond même de l’anse de Temonia, je n’ai rien trouvé d’an- cien, mais à cinq minutes de là, vers l’est, dans le bois de pins, se voient les restes du village auquel la petite baïe a sans doute dû son nom, en avant d'autres carrières toujours du même mar- bre. Ce que ces ruines présentent de plus remarquable, ce sont les assises inférieures d’une tour carrée d’un beau style hellé- nique, en longs blocs rectangulaires parfaitement assemblés. Tout autour s’apercoivent des fondations de maisons antiques et des pans de maçonnerie d'une époque bien postérieure. Il y a là des débris de tous les temps, mais sans aucun caractère artistique; c'élait un village d'ouvriers avec une forteresse pour garder les 7 carrières et défendre le passage. Tout près se creusent deux cri- ques où des barques pouvaient venir charger le marbre, si on ne le portait pas à Temonia. . La tour a 9 mètres de côté, les pierres de 0,80 à 1",10 de long, sur 0",50 à 0",60 de haut. En continuant à marcher un quart d'heure vers l’est, on trouve les ruines connues dans le pays sous le nom d’Alki!; elles cou- vrent une partie du cap et un petit isthme presque au niveau de la mer, par lequel se rattache à la terre ferme la colline basse qui forme le promontoire. Des deux anses que sépare l’isthme, la plus grande est l’anse occidentale, qui forme un port petit, as- sez bien abrité, et où l’eau est assez profonde pour qu'une fré- gate puisse y mouiller; la grève, de sable et de galets, est toute bordée de restes de maisons. C'était sans doute là que jetaient l'ancre les nombreux navires qui venaient charger du marbre de Thasos pour l'Italie, pour l'Asie Mineure. Presque tout le promontoire est hérissé de tertres formés de débris et d’éclats provenant des excavations d’où l'on a tiré le marbre; ce qu'il y a de plus curieux, c'est l’extrémité du cap. Il y a là une espèce de bas-fond formé par une carrière de marbre au niveau même de la mer; les habitants ont coupé le cap bloc par bloc, du haut en bas, jusqu'au moment où ils ne pouvaient con- tinuer sans voir leurs travaux envahis par l’eau. On peut mesurer là les dimensions des blocs enlevés; elles sont en général très-or- dinaires, variant de 1,20 à 1,40 de long sur 0",40 à 0"60 de large; on y voit encore les trous pratiqués à la base de chaque bloc dans la couche inférieure pour en détacher la pièce que lon voulait enlever. Environ cinquante mètres en ligne droite dans le prolongement du cap, sur une largeur de quarante mètres et une hauteur moyenne de dix mètres, que présente à peu près par- 1 À x, la force. Cenom vient peut-être de la force musculaire qnene pouvaient manquer de développer, chez cette population de carriers, les rudes travaux aux- quels elle était employée. Alki pourrait aussi vouloir dire tout simplement «lieu fortifié, » et répondre ainsi à notre mot ferté, pour forteresse, qui entre conime composant dans un si grand nombre de nos noms de ville. Enfin, d’après M. Conze, on prononce Aliki, en trois syllabes (p. 30). Ainsi écrit, ce mot se tirerait naturellement de &Xs, &6s, sel, et signifierait probablement saline, Je dois dire que cette forme n’a pas frappé mon oreille pendant mon séjour dans l'île, et que c’est toujours Alki que j'ai entendu prononcer. ms OS tout cette langue de terre, ont été ainsi débités, ce qui donne à peu près neuf mille mètres cubes de marbre tiré morceau à mor- ceau, nous ne pouvons dire en combien de temps, de ce seul point. Qu'on essaye par là de se figurer ce qu’à elles toutes ont dû produire et envoyer au dehors les carrières d’Alki, de Temo- nia et de Demir-Khalca, pendant une exploitation continue de plusieurs siècles! Au nord-est du promontoire, vers l'endroit où il se rejoint à l’isthine, se rencontrent des traces de sc nombreux bâtiments et des fondations MENP antiques qui semblent appartenir à un mur faisant le tour du cap. Mais la ruine la plus importante, ce sont les débris mélés d’un petit temple dorique et d’une église byzantine qui à remplacé le temple; les mêmes colonnes, sans cannelures, de 0",25 de diamètre, semblent avoir servi aux deux édifices. Les chapitaux doriques, hauts de 0",18, sont d’un seul morceau et très-simples. L’abaque, carré, a 0,45 de côté. Les triglyphes ont 0°,23 de haut. Je n’ai pas trouvé trace de sculptures, et je ne pense pas qu'il y en aït jamais eu; celte population d'ouvriers avait dû se borner, dans les édifices qu'elle élevait, au strict nécessaire. Les chapitaux byzantins, rec- tangulaires, sont ornés d’une croix sur chaque côté de l’abaque ; ils ont 0,39 sur 0,9. En avant de ces ruines, du côté de la terre ferme, se voient les restes d'une construction du moyen âge en moëllons el en ciment : cest un bâtiment à murs épais d’un mètre, long en tout d’une cin- quantaine de pas, et divisé intérieurement en plusieurs chambres. Tout près de là, sur une dalle longue de 1°,50, qui servit aux chrétiens à couvrir une tombe, on aperçoit une grande croix sculptée, et en dessus une inscription funéraire, dont je ne puis saisir que les deux premiers mots, ùmêp edyxis, et les deux derniers, xai Hpaxlÿdo|v]. Ces lettres, hautes de 0",05 , sont ainsi distribuées des deux côtés du sommet de la croix : YTIEPEYXIE APKAIHPAKAHAO Les deux lettres 49, qui restent ainsi seules entre eüyÿs et ñpa.- OU xhÿèov, quoiqu'il n'y ait pas de lacune sur la pierre, ne présentent point de sens. En changeant seulement une lettre, qui a pu se trouver défigurée par le temps, ne pourrait-on lire plutôt ürèp edyis Àpxad({ou) Hpaxhydou ? Plus bas, au milieu de l’isthme, le haut d’un énorme sarco- phage en marbre sortait de terre; ayant remarqué, sur une des faces, le commencement d’une inscription qui semblait bien con- servée, je fis entreprendre, pour le déblayer, une fouille qui dura quatre jours. L'intérieur, ouvert depuis longtemps par une large brèche percée dans l’une des faces, ne pouvait rien m'offrir de curieux, mais J'espérais trouver dans celte épitaphe quelques dé- tails peut-être sur l'état du pays à une époque et pour une ville sur laquelle se tait l’histoire. Malheureusement l'inscription ne valait pas la peine qu'elle me coûta; beaucoup de lettres ont été effacées par des souches d'olivier, qui ont pressé et mordu le marbre, et la perte, après tout, n’est pas grande; car ce n'est, comme suffit à le montrer ce que l’on en peut lire, qu'une de ces inscriptions versifiées communes sur les tombeaux à l'époque romaine, el composées de banalités en mauvais distiques sur la mort et la vie. lci c'est une jeune fille qui parle; elle se plaint d'avoir été enlevée par la Parque au moment où elle allait goûter les douceurs du mariage !. Le dessin du sarcophage est lourd, mais assez simple, très- commun d’ailleurs; ce qu'il a de plus remarquable, c’est qu'il n'est fait que de deux pièces : l’auge et le couvercle. Les deux monolithes sont d’un poids prodigieux. En fouillant à l’entour, nous découvrons des moulures qui pa- ! Voir l'appendice. 5 je ie raissent avoir appartenu à d’autres tombes; n'ayant pas, comme le grand sarcophage, leur masse inébranlable pour défense contre les outrages du temps et des hommes, ces autres monuments au- ront été renversés de bonne heure. Sur le rivage, à l'angle sud de celle des deux anses qui re- garde l’orient, se reconnaissent les restes d’une aïre dallée à la- quelle conduisaient des degrés maintenant détruits en partie par les vagues qui les battent sans cesse. Le petit côté du rectangle, celui qui regarde la mer, le seul qui se dessine nettement et ne soit pas couvert de terre et de broussailles, présente quinze mètres de développement. Sur cette sorte de plate-forme gisent deux fûts de colonnes qui ont 0”,75 de diamètre et qui sont à seize canne- lures. Dans les cannelures de l’une d'elles s’aperçoivent des lettres pour la plupart effacées; M. Conze (voir p. 30 et pl. XVI, n° 1) a lu quelques mots : Zwrppryos Audtolv] mepreus], vers la fin, Méyrmros, à droite... os Mépios o7paryyos, et sous ces derniers mots, le signe en forme de feuille qui se rencontre si souvent sur les inscriptions de l’époque romaine. Je ne trouve ni triglyphes, ni chapiteaux; mais, d'après les arêtes vides des cannelures, ces colonnes doivent être d'ordre dorique. Quelques-uns des blocs taillés qui gisent à terre en cet endroit sont des plus grands que j'aie Jamais vus; il y a entre autres une sorte de poutre de marbre qui a jusquà 4",90 de long sur o",70 de large, et 0",60 de haut. ui = _ fa Sue FN ELNTS gt 4 de = na | Quel était le caractère de la construction imposante qui s'élevait ici sur le rivage? C'est ce que ne permet pas de déterminer l'état actuel des ruines; mais l'importance du triple soubassement qui porte l'aire supérieure m'avait fait penser qu'il y avait peut-être En E là un temple élevé, sur la carrière même, au patron des rudes ouvriers qui extrayaient le marbre et le taillaient pour l’expor- tation. En dégageant toute la plate-forme dont un côté seule- ment, dans l’état actuel des lieux , se laisse apercevoir, on pourrait sans doute reconnaître comment elle était orientée, détermina- tion qui apporterait un élément de plus pour la solution du problème. Tout l'isthme est rempli de débris de maisons de toutes les époques sous lesquelles on reconnait en beaucoup d’endroits les fondations antiques, faciles à distinguer au soin avec lequel les pierres sont assemblées et à l'absence de tout ciment. Il y a d'ail- leurs là trop de plâtras entassés pour que l’on puisse mesurer au- cune maison ou en déterminer avec quelque sûreté le plan et les divisions intérieures. La conclusion où conduisent l'étude et l'examen attentif de tout ce district, d'accord avec la tradition du pays, c'est que ce point de la côte a réuni, jusque dans le moyen âge, une active et nom- breuse population ; il ÿ avait là, sur une ligne d'environ une lieue de long, trois bourgades d'ouvriers : Demir-Khalca, Temonia, Alki, dont la plus importante était sans aucun doute Alki. Alki était la capitale de ce canton; c’est là, à ce qu'il semble, que ces artisans, enrichis par un travail bien rétribué, cherchaient à se donner ce luxe des beaux monuments, si cher aux Grecs, et qu’ils élevaient des édifices dont nous ne pouvons plus apprécier l'élé- gance et la beauté, mais qui, leurs débris le disent assez, ne manquaient pas de grandeur; c'était là que les opulents entre- preneurs se faisaient élever, de ce marbre qui leur avait donné leurs richesses, quelque tombe magnifique, toute chargée de litres pompeux, comme celle qui subsiste encore solitaire parmi les ruines de la ville silencieuse et morte. Mais quand le marbre de Thasos fut passé de mode , les caprices de Constantinople n'étant plus les caprices de Rome; quand la mer fut infestée de pirates, cette population, qui ne pouvait vivre là que de son marbre et par la mer, risqua de mourir de faim, car il n’y a point, dans tout le voisinage, de ces plaines fertiles, de ces vallées humides et fécondes qui se rencontrent au nord de l'ile; l'eau même manque dans toute cette région. Il fallut alors que les habitants de toute cette côte, trahis par l’industrie qui, seule, les avait appelés sur ces arides rochers et les y avait longlemps nourris, émigrassent =. es vers l'intérieur, dans des campagnes qui leur présentassent plus de sécurité et où ils pussent demander à l’agriculture les ressources qu'avait cessé de leur fournir leur travail accoutumé. Tout d’ailleurs ne dut pas finir en un jour; à mesure que les demandes deve- naient plus rares et que se ralentissait l'exportation du marbre, ces bourgades ont dû tomber peu à peu; la ville se changea en village, le village en hameau, avant qu'arrivàt l'heure de l’aban- don suprême et que le désert se fit sur ces rivages. Au contraire de la population d’Alki et de tout ce canton, celle qui occupait, pendant l'antiquité, le petit district maintenant inha- bité d’Astris, toui au sud de lile, paraît avoir été tout adonnée à la culture de la terre. Astris n’est pas une plaine, mais un ensemble de collines éta- lées à larges pentes, et descendant doucement vers le lit d’un ou deux torrents et vers la mer. Ces collines sont maintenant couvertes d'oliviers, de champs cultivés, de vignes; c'est de là que le village de Théologos tire presque tout son vin. Il n’y a d’ailleurs pas de source dans tout ce territoire, et les habitants étaient obligés de demander à des puits toute leur eau. Un de ces puits subsiste encore, vers le nord de la vallée, à la sortie des montagnes; il est peu profond, mais très-solidement construit; on peut, soit y puiser au moyen d’un seau, soit descendre jusqu’à l’eau par un escalier souterrain d’une dizaine de marches. Tout autour de ces puits se trouvent des restes de maisons, et, à une centaine de pas vers l’est, les assises inférieures d’une tour hellénique carrée, de neuf mètres de côté; le travail paraît moins beau qu’à Temonia; mais la différence provient en partie de ce que, le mar- bre employé ici étant moins dur, les angles ont été plus facilement attaqués et les pierres se sont plus disjointes. Tout auprès, les murs d'une église ruinée contiennent des fragments antiques, et dans le chœur se voit un autel en marbre, très-simple, mais d'une bonne époque. En descendant vers la mer, environ à vingt minutes de là, on ? Le nom de Frankoecchsia, que lon donne dans le pays aux ruines de cette église que j'ai signalée à Alki, sur la hauteur, semblerait indiquer que l’exploi- tation de ces marbres aurait été reprise au moyen âge par les Italiens, Vénitiens ou Génois. I est certain que les pans de murs de maintes maisons, encore debout malgré la grossièrelé de leur construction, ne paraissent pas pouvoir remonter à une époque bien éloignée de la nôtre. tal Ro RE Cu \ ; RTE LE DORE" Pr mr nt op ailes hs tn / 022777277777/2777 722 Uoh OU DATA — "7}duto) UP DJOQILOT 4 RL IUD OP T Q — SONPITTP OP PP MARIA $ sonbiup spuoubhif Sop ouitofiol 20D 0840 @ — "DU ANO EG —"S PDT \ | + T8P 102484 9 | v00'N SOJA 000 te °9 IP dl ile 2 = LD8E UOAOUE D — SÈV][IA UP S9]S . 2 à / HO NS /, 1} l 11) | ll ll Wu {A | \ AT 7/7 à à \lu ns 1) 1 | A1 1 fl} } | N \ Z Z | NZ ] | af | || dl 17e 1 WILIS \ Sn TUE 9.08]IA' SELS NA CRS ANIAS = il PE = | WA x }\ 7/1 AT Id —., trouve, parmi d’épaisses broussailles, les débris d’une seconde bourgade, et, au milieu, supportée sur un soubassement de tra- vail hellénique, une grande plate-forme rectangulaire, longue de soixante-cinq pas, qui représente sans doute le péribole d'un temple d'assez grandes dimensions; en effet, dans une tour du moyen àge que l'on a construite au milieu même de cette enceinte, presque tout entière avec des pierres antiques, se trouvent de grandes dalles de 1",30 de long sur 0",70 de haut, et des cha- piteaux que malheureusement je n'ai pu dégager; ils ne me pré- sentaient que la face supérieure de l’abaque, large de 0",70 de diamètre. Je n’ai donc pu juger de l’ordre auquel appartenait ce temple, n’ayant d’ailleurs trouvé aucun fragment caractéristique, ni füts, ni colonnes, ni triglyphes, ni métopes. Des buissons épi- neux, très-serrés, rendent là les recherches plus difficiles que nulle part ailleurs. L'orientation de l'enceinte, dont la plus grande longueur se mesure de l'occident à lorient, contribue à me faire reconnaître là l'emplacement d’un ancien sanctuaire. À peu de distance, vers l'ouest, on retrouve les fondations d’une grande construction rectangulaire antique divisée en plu- sieurs chambres par des murs se coupant à angles droits. En un quart d'heure, on arrive ensuite à une plage de galets qui forme le fond d’une large rade et où l’on n'a jamais pu mettre les bar- ques à l'abri autrement qu'en les tirant à sec sur le sable. Le petit promontoire bas, maintenant couvert de pins, qui borne à l'ouest la rade, porte les ruines d’une église byzantine qui paraît avoir été assez grande et assez ornée, d’après les mou- lures de ses chapiteaux et de ses colonnes; parmi ses débris je trouve aussi une pierre funéraire, où s’aperçoivent encore quel- ques caractères de l'époque byzantine. Tout à côté, les restes d’un village, sans doute du moyen âge, car on n'y trouve aucune pierre qui semble de taille antique. | En remontant à Théologos par une étroite vallée, plus à l'ouest que la route ordinaire d’Astris, je rencontre au milieu des bois, à environ une demi-heure de la mer, les restes d’une tour carrée à peu près de même dimension que celles de Temonia.et d’Astris. Celle-ci est d'un très-beau style, d’un appareil parfaitement régu- lier; elle domine le torrent, au-dessus duquel elle est supportée par un mur de terrassement un peu moins soigneusement bâti, qui plonge jusqu'au fond de la gorge. _ ofûtee Il ya donc dans ce district d’Astris les traces de trois villages, dont deux paraissent dater de l'antiquité, tandis que l’autre semble appartenir exclusivement au moyen âge. Quant à cette forteresse au milieu des bois et que n’entourent point des restes d'habitations, qui n’a pas même conservé de nom, elle était sans doute uniquement destinée à couvrir de ce côté, comme poste avancé, le territoire d’Astris. En effet, le défilé qu’elle défendait, s’il n’eüt point été gardé, pouvait aisément conduire l'ennemi jusqu'au cœur même de ce territoire, sans qu’on aperçût sa marche, cachée dans cet étroit pli de terrain, tandis que par toute autre route, placé plus en vue, il eût été bien vite découvert et arrêté à temps. Sur la plage au sud-est de Théologos se trouvent quelques maisons qui servent d'échelle à ce bourg, sur une grande rade, très-ouverte, mais qui a pourtant, à son extrémité sud-est, une sorte de recoin bien abrité où peuvent mouiller à peu près en sûreté quelques petits bâtiments. À environ une lieue de la mer, la vallée qui descend de Théologos s’élargit beaucoup, et il y a là une des plaines les plus vastes de l'ile, entourée de collines en pente douce, et où le blé vient bien sous les oliviers. Beaucoup de parties de cette terre fertile sont pourtant en friche. À l'époque où cet espace était tout entier livré à une culture plus industrieuse et qui ne négligeait rien, tout ce territoire devait être d’une grande fécondité. L'analogie suffirait à indiquer que cette plaine dut, elle aussi, avoir, dans l'antiquité, un de ces bourgs fortifiés qui paraissent s'être élevés à Thasos, dans le voisinage de la mer, partout où l'industrie, l’agriculture et le commerce pouvaient nourrir les ha- bitants. D'ailleurs ce canton a conservé le nom tout grec de Po- thos, et les vestiges antiques n’Y manquent pas !. En effet, à une demi-heure environ de la mer, au pied des collines qui tombent du nord, je trouve, parmi les débris d’un édifice antique dont je ne puis distinguer le caractère, une stèle avec un bas-relief très-fruste; j'ai cru distinguer un sacrifice. A quelques pas sont les fondations d’une tour carrée semblable, par les dimensions de l’ensemble aussi bien que par le caractère de l'appareil, à toutes celles que j'ai déjà décrites. 1 M. Conze se trompe, je crois, en écrivant Boto. Ce n'est pas ainsi que je l’ai entendu prononcer. — Ji . | Au bord de la mer, vers le sud-est de la rade, tout près d’une ferme appartenant à l’un des couvents du mont Athos, dans les ruines d’une église byzantine, mélées à des chapiteaux et à des co- lonnes du moyen âge, sont éparses quelques pierres helléniques !. Kastro a gardé les restes d’une forteresse visiblement moderne, et dont M. Conze à fixé l’âge en lisant sur une plaque de marbre encastrée dans le mur de l’église du village une inscription qui fixe la date de la construction de ce château à l’année 1434. Elle est accompagnée de l'écusson de la famille Gatelusio et d’un nom à physionomie tout allemande, Berto Grimbalt, celui sans doute de quelque soldat de fortune qui s'était mis au service des Gatelusi, et qu'ils avaient fait seigneur de Kastro. Pas plus que M. Conze je n'ai vu à Kastro la moindre trace de l'établissement antique dont M. de Prokesch avait cru y retrouver les vestiges, et je crois que l’on pouvait dire a priori que les anciens habitants de l'ile n’ont jamais dû en quitter les fertiles rivages ni le fond des val- lées pour se fixer, loin de la mer, sur cel âpre sommet. ‘échelle de Moriæs doit son nom d'Haghios-lannis à une église byzantine, maintenant ruinée, mais qui paraît d’ailleurs avoir été construite avec assez de soin, à en juger d’après les débris de moulures et de colonnes qui gisent à terre. L'absence en cet en- droit d’une dénomination d'origine hellénique, ainsi que le manque de ruines grecques, est une suflisante raison de croire qu'il n'y a pas eu là d'ancienne bourgade, au moins de quelque importance. Kakyrachi est un village tout moderne; pourtant ! Entre Pothos et l'échelle de Moriæs, M. Conze (p. 36 et pl. X) décrit une plage que je n’ai pas visitée et qui servirait d'échelle à Castro. I] a trouvé sur cette plage, dans les murs d’une petite église d'Haghios-Ghiorghios, quatre stèles funéraires portant chacune une courte inscription. La première a quelque intérêt, quand même M. Conze ne nous préviendrait pas que la forme des caractères paraît antérieure à l'époque romaine, on serait averti de l'ancienneté relative de ce texte par l'orthographe du second des noms qu'elle contient. On y voit encore trace de ce dialecte particulier, voisin de l'ionien, qui paraît avoir été parlé dans l’île jusque sous les successeurs d'Alexandre, et dont nous avons un exemple dans la grande inscription qui figure au Corpus sous le numéro 2161. Voici l'inscription d'Haghios-Ghiorghios : Exvluvos DrAcwvtd[e]os Toù EQaipou. ? Conze, p. 37, pl. IT, n° 7,8, 11. MISS. SCIENT. 7 c'est bien à l'antiquité, tout porte à le croire, qu’appartient l’ex- ploitation minière qui a laissé, entre Kakyrachi et Sotiros, des traces si curieuses. Îl n'est nulle part mention de mines exploitées dans l’île à une époque plus récente, et le souvenir de ces travaux s'est tout à fait perdu dans le pays; mais il s’y est conservé, sur ces tours carrées de style hellénique dont j'ai signalé les restes em plusieurs endroits de l’île, une singulière tradition. Ces tours, disent les habitants, auraient été bâties pour renfermer les ruches et les mettre à l'abri de l'attaque des ours, qui auraient été autre- fois très-nombreux dans l'ile. Ces animaux sont, comme on sait, très-friands de miel. Mais aucun texte ancien ne nous autorise à croire qu'il y ait jamais eu d'ours à Thasos ou dans aucune autre île de l'archipel; puis ces tours se trouvaient dans les lieux habi- tés, au centre même des villages, où les ours ne s’aventurent guère; enfin ce n'est pas pour résister à de tels ennemis que l’on se serait donné la peine d'élever ces remparts, d’un travail si soigné, ces belles et régulières assises. Toutes ces constructions ne paraissent d'ailleurs pas remonter à une époque très-reculée, à ces temps où l’homme, encore enfant, craïgnait les bêtes sau- vages et était souvent vaincu dans la lutte de tous les jours qu'il soutenait contre elles; elles appartiennent toutes, à ce que je crois, aux beaux temps de l’art grec, du vi au 1v° siècle avant Jésus-Christ; alors la population de l’île, active, nombreuse et serrée, avait dû depuis longtemps traquer et détruireces monstres, si tant est qu'ils aient jamais existé à Thasos. Il est certain que le style et les dimensions de ces tours pré- sentent, de l’une à l’autre, une très-grande ressemblance, et qu'elles paraissent avoir été toutes comme construites sur le même modèle; cela ne conduit:il pas à croire qu’elles ont été toutes éle- vées à peu près en même temps; quelles appartiennent à un même système de fortification simultanément appliqué à toute la côte, à tous les bourgs de Thasos? Je placerais volontiers cette entreprise et ces travaux au commencement du v° siècle, peu avant ou peu après les guerres médiques : ce fut 1à le moment de la plus grande puissance et de la plus grande richesse de Thasos. Par les dimensions des blocs qui les composent, comme par tout le caractère de l'appareil, les tours paraissent antérieures à l’en- ceinte de Thasos. Si elles ne dataient pas de cette époque, il faudrait les faire descendre jusqu’après la fin de la guerre du Péloponnèse, ee. (ei = jusqu'aux premières années du 1v° siècle, ce qui me parait moins vraisemblable. Le but de ces ouvrages de défense est facile à saisir; il s’agit de protéger contre des attaques venues du dehors, contre des dé- barquements d’ennemis ou de pirates, cette population d'ou- vriers, de commerçants et d'agriculteurs qui couvrait alors les rivages heureux de Thasos. Il est moins facile d'expliquer le rôle de la tour qui se trouve à une heure environ d’Astris, sur la route de Théologos. Cette forteresse a-t-elle été élevée à une épo- que où le sud de l'ile jouissait d’une existence indépendante, et où Astris avait à défendre des attaques de Thasos, avide de res- saisir la suprématie, son fertile territoire ? Quelque petite que soit l'île, si l'on songe aux habitudes du génie grec et à ce qui se pas- sait dans d’autres îles voisines, on reconnaïtra que cette conjec- ture n’a rien d'invraisemblable, et que, malgré le silence de l’his- toire, Astris et peut-être Alki ont pu vivre pendant quelque temps séparées de la capitale. Peut-être aussi cette tour n’était-elle des- _tinée qu’à servir de refuge aux habitants d’Astris, s'ils se voyaient surpris par un débarquement et forcés de quitter la plaine; on pouvait arrêter là l'ennemi et l'empêcher de pénétrer plus avant dans l'intérieur de l'ile. Une autre tradition qui s’est conservée à Thasos, et qui à sans doute plus de fondement que celle des ours, a rapport à l'an- cienne culture de l’île. Suivant les paysans, les vignes avaient au- trefois occupé dans l'ile bien plus de place que maintenant; non- seulement beaucoup de terrains qui sont aujourd’hui envahis par les broussailles étaient jadis consacrés à la vigne, mais dans quel- ques-unes des parties les plus fertiles de l’île, sur des coteaux bien exposés que n’a jamais désertés la culture, les ohviers se sont substitués aux vignes à une époque que ne peuvent fixer les habi- tants; ils attribuent ce changement à un roi qu'ils ne nomment pas. Dans celte autorité protectrice de l'olivier, ne serait-on pas tenté de voir l'influence athénienne? Pendant tout le temps qu'elle s'exerça librement sur Thasos, elle put y apporter et y développer une culture nouvelle. Ne seraient-ce pas les Athéniens qui auraient introduit dans l'ile l'arbre cher à l'Attique, peut-être inconnu jusqu'alors sur ces rivages? Toujours est-il que les paysans trou- vent, à chaque instant, en bêchant leurs oliviers, d'anciens pres- soirs en pierre maintenant sous le sol et tout comblés, qui attes- 4 . — 100 — tent la présence antérieure de la vigne en ces lieux mêmes; mais, comme à l’époque romaine Thasos produisait encore de grandes quantités de vin et qu'il n'était point question de son huile, il se pourrait que ce fût seulement au moyen âge que l'olivier eût ainsi gagné du terrain et pris le pas sur la vigne. Pendant cette période, l'ile fut souvent dévastée et ravagée; or l'olivier, toujours prêt à repousser de la souche dès le lendemain de l'incendie, et par là presque indestructible, l'olivier dut résister mieux que la vigne à ces ravages. J'ai dit ce que nous apprenaient de Thasos l’histoire écrite, la tradition du pays, le spectacle et l'étude des ruines qui en cou- vrent le sol. Ce qui résulte de ces recherches, c'est que cette belle île ne méritait ni la misère et l'abandon où ses maîtres actuels l'ont laissée tomber, n1 la longue négligence des voyageurs et l'oubli auquel semblait l'avoir condamnée le monde savant. Le malheur de Thasos, dans l'antiquité, ce fut d'arriver trop tôt à son apogée de richesse et de puissance, d’avoir ses plus beaux jours avantle moment où commence pour la Grèce l’époque vraiment histo- rique; puis, quand s’ouvrit, après les guerres médiques, le grand siècle auquel Périclès a donné son nom, de rencontrer Athènes sur sa route, de se trouver avec elle en conflit d'intérêt et d’être obligée de lui céder, avec le commerce de la Thrace et l'or de ses mines, ses écrivains et ses artistes. Si Thasos avait conservé son indépendance politique et ses trésors, elle eüt peut-être gardé Polygnote, et trouvé parmi ses citoyens ou fait venir du dehors des architectes et des sculpteurs dignes d’aider le grand peintre à doter sa patrie de monuments qui fussent immortels, au moins _ dans la mémoire des hommes. — 101 — APPENDICE. Inscription métrique trouvée à Alki sur un sarcophage. 1 KATIAAK 2 AHMHTPIATOAZTT 3 \ZAAIEMAAZK k ZWHETIAPEXEN..... MOIPINNOMOZ 5 ZIKAIXHAOZEXZIAZMAZAIAANAYTAI...ZAIOIIN 6 YYXHZBHLMZOZNIOZNOMAITIAAZWE fi HIGZOIETAPZLAWKZOZOZMETAMOIPANOA 8 WEZWOYZIAAAINTIAZINETTIIXOONIOIZE 9 « OYOAMATIAPOZNIKHEINET WXOPONEYPYN 10 HXAXET APMZEAYTPANMHTZPATIObOIMEN 1] OYTEMENYNIKOMOIZOAANAMOIZINEE. ..KENO 12 KOYPIAION....THETIPOZTIOZINEPXQMENHN 13 AAËTIMAAMHTHNATAAODPONAMOIPEXIX 14 XPYZIAAKAITAMIHETTA...AOZEETEPEZEN 15 AIAIOY...HM-IZ...TYNBONETTA . Käria nai à deiva maryp nai dde]G» ? . Amuyrpla Tôde m[Velov nareoTjoaper 1 2 d. | 4. Zwÿs mép[eloyer [okiynr] poipiv vôuos. D. Ei xai ymlds Eye dépas dyAa[o]v, adrap [és] «idonv 6. Wuyrn ë6n éuéber: Ghér|y|onx épiGoadéws 7. Hiféois yap Édawne Seds per uoïpav 6À[éGpov, 8. Qs Coovot, Aakiv wâouw émiyOoviois. 9. OÙ0” ua mapherxoiw éyà yopdv ebpdr [ädupor: 10. Haye yée us Avypdv uirep éroGbiuév|[nv]. 11. OÙre ue vuu(Goxouois Sahauoroiw éc[etAlxer à [oeuvos 12. Koupidiov [yevé]rns mods mo épyouévnr : 13. À'ërt a ddunpryr, ära}6Gpova, moïp’ éniy[noe], 14. Xploida xai yauins ma[oT4]dos éolépeosv. 15. Àidiou [uv]nuys ruv6or èm][noaucba. Je me suis servi, pour donner la transcription précédente, de ma copie, de celle de M. Conze (pl. VIT, n° 2) et de la resti- tution qu'il a due à MM. Sauppe et Wieseler (p. 31). Ce n’est qu'au quatorzième vers que mon texte s’écarte quelque peu du leur, sans même que pour cela le sens soit sensiblement modifié. tr en Comme eux, je renonce à tirer parti des quatre premières lignes, dont il ne nous reste que quelques mots sans liaison ; elles parais- sent avoir été en prose, et avoir contenu le nom des parents de la jeune fille à qui avait été élevé le tombeau. Avec le cinquième vers commence une série de vers élégiaques qui peut se traduire ainsi (cest, par une prosopée dont on trouve de fréquents exemples dans les inscriptions funéraires, la morte qui prend la parole et qui s'adresse elle-même aux vivants) : « Si la tombe enferme mon beau corps, mon âme s’est envolée vers la voûte céleste, je le déclare hautement; car la divinité ac- corde aux vierges ce privilége, après que la mort les a frappées, de parler, comme si elles étaient encore vivantes, à tous ceux qui habitent la terre. Je ne me suis point, avec Îles autres filles, mêlée aux plaisirs des larges danses, car ma mère a eu de bonne heure à pleurer mon triste trépas. Mon illustre père ne m'a point con- duite à un jeune époux dans la chambre nuptiale; mais j'étais dans un âge tendre et encore ignorante de l’hymen quand la Parque m'a rencontrée sur son chemin et a privé sans retour Chrysis des joies du lit conjugal. » | «Nous lui avons élevé celte tombé pour conserver sa mémoire à jamais. » | # La dernière ligne forme encore un pentamètre, qui vient ici hors cadre, si l'on peut ainsi parler. Ligne 4. Mofow est pour uoioyr, ionisme pour poépar. Au temps où fut gravée l'inscription , l'ivtacisme avait déjà prévalu. Ligne 6. Je préfère Gééryoua à GOévËéonu, qu'a mis M. Conze, parce que je ne vois pas sur ma copie trace du Æ, qui tient pourtant de la place. Le F, que je n’y trouve pas non plus, pou- vait être lié au N, et représenté alors seulement par une petite barre horizontale { N°7), qui n'aura facilement échappé : Gdéryouas pour Gbéyyouu. Ligne 8. Aaiv pour }akeiw. Ligne 10. Mÿrep, au nominatif, pour wyryo, est une singulière licence poétique qui prouve bien l'ignorance du poëte thasien. Ligne 14. Au quatrième mot, je lis sans hésitation &ao7ddos au lieu de &Arfdos, que donne M. Conze. La première syllabe du mot, sa, est très-nette sur ma copie. Ligne 15. Tü»6oy pour Truu6o». Ce qu'il y a de plus intéressant dans cette inscription, ce sont les idées morales qu’elle révèle et qu’elle exprime; c'est ce privi- lége d’une communication plus directe avec les mortels, accordée — 103 — par Dieu, dit le poële, aux àmes des vierges morlies avant l’àge; c'est cette distinction si nette établie entre l'âme et le corps. Dans l'antiquité, c'étaient surtout les mystères qui enseignaient la vie future, ses récompenses et ses peines; aussi est-ce dans les épi- taphes des initiés que l’on croit retrouver particulièrement ces croyances. La même opposition entre l'âme et le corps, les mêmes expressions presque se retrouvent dans une autre épitaphe, dé- couverte, elle aussi, à Thasos!; elle est encore consacrée à une jeune fille. On pourrait attribuer ces idées, qui paraissent avoir élé si familières aux Thasiens, au voisinage et à l'influence des mystères de Samothrace. L'époque où a été composée cette inscription peut être assez avancée; cette épitaphe est au moins du second et peut-être du troisième siècle après Jésus-Christ. Les formes les plus remar- quables et qui accusent le mieux la décadence sont l'E, que l'on trouve figuré de même dans une autre inscription thasienne, celle d'OElia Macedonia, et la forme, moins rare, W pour (. Les lettres sont hautes de 0”,3. MR CGT D 2101, ST que, malgré la conquête miuyenne, les Caucons restèrent en ma- jorité dans le pays; mais les Minyens furent la race dominante, celle qui donna à la ville une physionomie et une politique propres. C’est peut-être à l’origine minyenne de la population do- misaute qu'il faut en grande partie attribuer les continuels chan- gements que nous aurions à signaler dans l’histoire de Lépréon, si de pareilles recherches entraient dans notre sujet. L'Élide et l'Arcadie se sont constamment disputé l'alliance ou plutôt la domination de Lépréon, sans être jamais parvenues, ni l’une ni l’autre, à s’assimiler complétement un peuple étranger qui savait profiter de leurs divisions pour conserver son indépendance. Cependant, d’après Pausanias, si la balance à jamais penché d’un côté, c'est du côté de l'Élide!, puisque les Lépréates vainqueurs aux grands jeux d'Olympie se faisaient tous couronner comme Éléens. Quoi qu'il en soit des sympathies plus ou moins grandes des Lépréates pour les deux puissants voisins qui les menaçaient, il n'en est pas moins vrai qu'un noble esprit de liberté anima tou- Jours ce petit peuple. Sans prétendre, ce qui eût été ridicule de sa part, à un rôle important en Grèce, il n’imita point le funeste exemple de ces cités de second et de troisième ordre, qui profi- taient de leur faiblesse pour se tenir à l'écart dans toutes les grandes questions. L'histoire a flétri ces abstentions et celte pru- dence systématique, qui, pour faire échapper les États à quelques dangers, les met en dehors des traditions d'honneur national. Les Lépréates crurent toujours que ce qui se passait sur les frontières de leur petit État les regar dait directement, qu'ils avaient le droit de se mêler à tout ce qui intéressait la race grecque. Certes ïl eût peul-être mieux valu pour eux ne pas intervenir dans les guerres de Messénie, et ne pas encourir la puissante inimitié de Sparte victorieuse; mais ils ne se laissèrent pas abattre par le malheur, et, au jour de la grande lutte de l'indépendance hellé- nique, ils ne se crurent point excusés par leur faiblesse, Deux cent Lépréates combattirent à Platée, et le nom de leur patrie fut gravé sur le trophée élevé par les vainqueurs. De tous les écrivains de l'antiquité, c’est Pausanias, ordinaire- ment si sobre, on pourrait presque dire si sec dans tout ce qui re- 1 Ooot atrôr Oxdurix évixnour, HAelous êx Aerpéou oQûs 6 xnpuË dveïne. (Pau- sanias, V, v.) NOMe EE si garde la Triphylie, qui nous a laïssé les renseignements les plus (tendus sur Lépréon. Suivant lui, cette ville, que la conquête romaine avait faite Arcadienne sans retour, avait, dans l'antiquité, au milieu de toutes ses vicissitudes, obéi plus souvent aux Éléens qu'aux Arcadiens. Le même écrivain assigne au nom de la ville plusieurs origines possibles, entre lesquelles il ne se décide pas. Il ignore s’il vient de Lépréos, fils de Pyrgée et fondateur de la ville, ou de sa sœur Lépréa. I indique encore une troisième opinion complétement différente des deux premières, qui se ressemblent beaucoup. Les habitants de la ville auraient été les premiers de tous les Grecs atteints de l'affreuse maladie connue sous le nom de }é7zpa. Mais, dans ce cas, il faut admettre que ce sont les Lépréates qui, sui- vant toute apparence, ont donné à la maladie un nom qu'ils avaient déjà. Sans cela, si les habitants ont pris le nom de la maladie, il resle toujours à savoir le nom qu’ils ont porté à une époque anté- rieure. C'est encore Pausanias, qui nous a transmis le bizarre combat singulier entre Lépréos et Hercule rapporté par M. Beulé dans toute son étendue. Enorgueilli par l'égalité obtenue dans une lutte gastronomique, Lépréos aurait osé défier le fils de Jupiter à un combat plus terrible, dans lequel il aurait trouvé la mort. Au temps de Pausanias, Lépréon n’était pas encore compléte- ment en ruines, mais depuis longtemps déjà la décadence avait commencé pour la belliqueuse cité; les monuments avaient pour la plupart disparu. Le temple de Jupiter Lycéen , les tombeaux de Lycurgue, fils d’Aléus, et des autres héros de Îa ville, même celui de Caucon, dont il est parlé dans Strabon, n’existaient plus que dans la mémoire des hommes. Pausanias n’a vu aucun monument remarquable; tout était tombé, sauf un temple de Cérès en simple pierre et sans aucune statue. La ville de Lépréon était située sur une colline escarpée, dont les pentes, extrêmement roides au nord et au midi, pouvaient être difficilement gravies, ce qui n'avait pas empêché les habitants de les fortifier avec tout autant de soin que le côté de l’ouest et celui de l'est. La colline qui domine Strovitzi avait été choisie avec un rare bouheur, car, bien qu’il se trouve fort peu de plaines en Tri- phylie et que le pays soit tout couvert de collines, ces collines sont en général d’une forme si arrondie, si aisément accessible de "4 ae tous les côtés, que nulle autre dans le voisinage n'était aussi propre à devenir une position militaire. L’acropole et, probablement aussi, la ville avaient leur plus grande longueur de l’ouest à l’est. Les habitants, en construisant leur cité dans ce sens, n'avaient fait que suivre la colline, dont ils occupaient les différents plateaux. Un quart d'heure avant d'arriver à l'acropole, on trouve, déjà sur ja crête de la colline, les ruines d’un petit édilice, qui jadis était peut-être une chapelle; ces ruines, à fleur de terre, ont quatre mètres cinquante centimètres de long sur trois mètres de large: il est probable que ce bâtiment, quel qu’il fût, se trouvait dans l’en- ceinte de la ville. À partir de cette ruine, la pente, qui depuis le village de Stro- vitzi a été très-roide, devient au contraire fort douce, et, bien que le terrain ne soit pas de plain-pied avec l’acropole, on a pu cepen- dant y bâtir la ville. D'ailleurs, en se dirigeant vers l'acropole, on ne tarde pas à reconnaître, quoique d'une manière un peu confuse, au milieu des broussailles et des genets dont le sol est couvert, les traces du mur d'enceinte de la ville, qui court dans la direction de ces premières ruines. Pendant un quart d'heure environ on s'avance sur l’emplace- ment de l’ancienne ville sans distinguer aucune trace de temple ni de maison; le mur d'enceinte, dont on voit les fondements au niveau du sol, indique seul qu'on est dans une ville; mais, tout d’un coup la scène change, on se trouve à l'acropole. Cette acropole située, comme d'habitude, sur la partie la plus élevée de la colline, se divise en deux forteresses distinctes, ou plutôt en deux forteresses successives. Celle que l’on rencontre la première appartient à la plus belle époque de l'art de la cons- truction militaire chez les Grecs. Les ruines de Messène, construite par Épaminondas pour contenir toul un peuple, sont sans con- tredit d’un aspect plus imposant par leur étendue, mais l’art est le mème. Cette première partie de l’acropole de Lépréon est tout aussi parfaite dans les moindres détails; on y sent le même désir d'unir l'élégance à la solidité, et l'exécution est lout aussi heureuse. Les assises sont partout régulières, et la ligne droite domine à l'exclusion de toute autre; on croirait voir les ruines d’un temple d'Athènes orné par Phidias, et non celles d’une obscure acropole du fond du Péloponése. — 204 — H suffit de jeter un coup d'œil rapide sur les restes de Lépréon pour reconnaître que es deux parties de l’acropole ont été cons- truites à des époques bien différentes. La partie qui nous occupe en ce moment appartient à une civilisation beaucoup plus avan- cée, et bien que l'histoire ne nous indique pas le moment précis où les Lépréates, regardant leur primitive acropole comme insuf- fisante, l'ont réparée et augmentée d'une forteresse nouvelle, nous pouvons presque trouver sur les pierres mêmes la date de la cons- truction. Les ruines de Messène étant les plus belles ruines militaires de la Grèce, le voyageur est naturellement porté à les comparer à toutes celles qui appartiennent à un art aussi parfait. Or les fortifica= tions de Messène et celles de la partie la plus récente de l’acropole de Lépréon se ressemblent non-seulement par l'observation des mêmes règles générales de proportion et d'harmonie (il suffirait pour cela qu'elles eussent toutes deux été bâties pendant les deux siècles environ où l'architecture grecque n'a pas dégénéré), mais encore par la qualité des matériaux employés, et par les dimen- sions données aux parties semblables. Prenons pour exemple ce qu'il y a de mieux conservé dans l'acropole de Lépréon, la tour extérieure qui regarde l'ouest; sa hauteur est de quatre mètres trente centimètres. À quatre- vingt-dix centimètres au-dessous du sommet, on voit dans les murailles une large rainure qui indique la place où se trouvait le plancher du premier étage. Les blocs de pierre les plus consi- dérables employés à la construction de celte tour ont.un mètre vingt centimètres de longueur, soixante centimètres de largeur et quarante-cinq de hauteur. Toutes ces mesures sont exactement celles d'une des tours qui sont auprès de la grande porte de Messène. | Nous trouverons la même coïncidence parfaite, en descendant à des détails plus minutieux encore. Les créneaux situés au rez- : de-chaussée des tours ont treize centimètres d'ouverture à l’exté- rieur, un mètre à l’intérieur, et les deux pierres qui forment le créneau, s’évasant de l'extérieur à l’intérieur, ont une épaisseur uniforme de quatre-vingi-dix centimètres. Il n'est pas sans intérêt de remarquer que ce système de cré- neaux plus larges à l'intérieur qu'à l'extérieur est conforme aux règles cle la fortification moderne, quoiqu'il donne des résultats L: re et — 205 — en apparence tout ‘différents, puisque les embrasures de nos ca- nons et les créneaux destinés dans les places fortes au feu de l'in- fanterie sont plus larges à l'extérieur qu'à l'intérieur. Le but est toujours le même, donner aux tireurs ce qu’en termes du génie on nomme un champ de tir plus vaste, c’est-à-dire, leur permettre d'obliquer à droite ou à gauche leurs armes, quelles qu’elles ient, de manière à pouvoir envoyer leurs projectiles dans tous les sens, au lieu de les lancer simplement en face, comme on était à peu près obligé de le faire avec certaines fortifications sans art du moyen âge, celles par exemple dont on voit les restes à Co- ron. Des raisons tirées sans doute de la nature différente des pro- jectiles employés dans les temps anciens et dans les temps mo- derhes ont amené, pour ainsi dire, à retourner le créneau, mais le principe n'a pas varié. Il ne serait peut-être pas trop hardi de supposer que ces cré- neaux de mêmes dimensions, dans ces tours de même hauteur, indiquent uue date presque identique, surtout si l’on veut tenir compte de la nature des matériaux employés à la construction. La pierre des fortifications de Messène comme la partie la plus récente des fortifications de Lépréon, est plus molle et moins solide que celle qu'on trouve en général dans les forteresses grecques, en par- ticulier dans la partie ancienne de l’acropole de Lépréon. N’est-on pas en droit de supposer que cette pierre facile à casser, que l’on trouve si rarement en Grèce, appartient à quelque carrière située dans les montagnes qui séparent la Messénie de la Triphylie? Épa- minondas, pressé par le temps, aura sans doute préféré à des maté: rlaux plus solides une pierre probablement placée plus à sa portée et plus facile à travailler rapidement. La similitude des matériaux et la ressemblance parfaite des procédés employés par les ingé- nieurs amènent à soupçonner que les deux forteresses ont été éle- vées à la même époque, sous la direction des mêmes ingénieurs, peut-être dans le même but politique, sous l'influence du grand capitaine qui, au génie militaire, joignait en véritable homme d'état la prescience de l'avenir. Nous avons vu que les matériaux employés, la hauteur des tours, les créneaux et leurs différentes proportions, étaient les mêmes. Il y a coïncidence parfaite jusque dans les portes intérieures des tours, qui ont un mètre soixanlte- cinq centimètres de hauteur, quatre-vingt-quinze centimètres de largeur, et quatre-vingl-cinq d'épaisseur. — 206 — On ne trouve dans l'intérieur de la première enceinte aucune trace de constructions anciennes. La seconde enceinte était la primitive acropole. Elle a à peu près la forme d’un triangle dont le sommet se trouve à l’est, la base à. l'ouest. Les côtés ont environ soixante et dix mètres de longueur, la base, quarante-cinq, et le sommet, vingt. La muraille qui fermait jadis cette acropole du côté de l’ouest s'était, suivant toute pro- babilité, écroulée, au moins en partie, à l'époque où les fortifica- tions de Lépréon furent augmentées, èt elle a été remplacée par une muraille semblable à celle de la première enceinte pour l’art et le fini du travail, bien qu'elle en diffère pour les dispositions intérieures. Sans aucun doute elle date de la même époque. Cette antique acropole est située sur un petit plateau, un peu plus élevé que celui où se trouve la prennière enceinte, de sorte que. la moitié de la forteresse prise, il était encore possible de prolonger la défense. On entrait par une porte, dont il est encore facile de déterm- ner la largeur, qui était de deux mètres quatre-vingts centimètres. L’épaisseur totale de la muraille était de quaire mètres trente cen- timètres, mais elle n'était pas construite en maçonnerie pleine. Elle contenait une suite de maisons, ou plutôt de logements mi- litaires, car la révularité absolue de ces chambres, dont on voit en- core très-bien la disposition, ne permet d'en attribuer la construc- lion qu'à un dessin général et unique, et non au caprice ni à la fantaisie des particuliers. Voici la disposition exacte de cette ligne de défense. On en trouve en Grèce d’autres exemples, mais nulle part aussi bien conservés. . À une distance de trois mètres dix centimètres l’une de l’autre se trouvent deux murailles, l’une extérieure, l’autre intérieure, formées toutes deux de blocs de pierre qui tous ont à peu près’ soixante centimètres de hauteur, de largeur et de longueur. Ces deux murs, joints à l’espace vide, donnent la profondeur totale de quatre mètres trente centimètres. Cet espace vide est coupé à des distances égales par des murs de la même épaisseur que ceux dont je viens de parler, de manière à former des chambres car- rées, qui servaient probablement de logements à la garnison en temps de guerre, % d'A Quoique ce système de fortifications se rapproche plus, pour la disposition, de l’époque de larchitecture polygonale que de - = di l'époque d'Épaminondas, il n’en est pas moins certain que cette parle de l’acropole appartient aux temps les plus savants de l’ar- chitecture grecque : la régularité parfaite de la coupe des pierres, leur poli à l'extérieur ne peuvent laisser aucun doute à cet égard. Il est probable que les ingénieurs, tout en réparant la vieille acro- pole avec les procédés usités de leur temps, auront cherché à . mettre la partie nouvelle en harmonie avec ce qu'ils n'avaient pas | ” à remplacer. Telle est sans doute la raison qui les aura engagés à DS ,., à : è préférer ce système de petits logements aux immenses corps de garde ou places d'armes dont on peut voir à Messène des modèles à peu près intacts. Presque au centre de Facropole, vis-à-vis de la porte d'entrée, on distingue les fondations d’un assez grand édifice qui devait être un temple de six mètres cinquante centimètres de large, sur qua- torze mètres quatre-vingts centimètres de long. Suivant toute ap- parence,.ce temple était celui de Cérès, qui seul subsistait au temps de Pausanias. Les murs anciens, qui forment les deux grands côtés du trian- ole de l’acropole, peuvent être considérés comme une transition entre la construction cyclopéenne et l'architecture régulière des beaux temps de la Grèce; ce n’est déjà plus l’art informe, quoique puissant, que nous pouvons étudier à Tirynthe; on trouve dans jes fortifications de Lépréon une grande préoccupation de l’art et de la beauté, mais ce n’est qu'une aspiration impuissante encore. Toutes les pierres sont taillées, inais non d’une manière régulière; on trouve des blocs d’une grandeur fort inégale; a ligne horizon- tale domine, mais non à l’exclusion de toute autre. Comme toutes les forteresses qui remontent à la conquête misyenne, l’acropole de Lépréon appartient à l'architecture polygonale. À l'extrémité de l'acropole, dans un endroit où le terrain s'élève un peu, par suite peut-être du travail de l'homme, on voit les ruines d'un bâtiment dont il serait assez difficile de désigner l’em- ploi, à moins qu'on ne veuille le regarder comme un ancien lo- gement militaire, parce qu'il est appuyé sur le mur qui ferme lacropole à l'est. Le sol s'abaisse tout d’un coup de plusieurs mètres à l'endroit où finit la citadelle, ce qui fait qu'on y montail par un escalier d’une dizaine de degrés encore visibles. Des deux côtés de cet es- calier étaient deux tours beaucoup plus massives et plus grandes FRET, CE" Eat à n. « ; LA M que celles dont nous avons eu à parler déjà; on peut encore voir, creusés dans le roc, quelques-uns des degrés des escaliers ‘inté- rieurs de ces tours. L'œil. suit, pendant quelque temps, les traces du mur d’en- ceinte de la ville, du côté du sud, en descendant vers Strovitzi: mais les broussailles et les arbustes qui couvrent la colline em- pêchent de bien saisir l'ensemble. À quelques centaines de mètres de Lépréon, de l’autre côté du village de Strovitzi, s'élève une toute petite colline fort escarpée de tous les côtés. Le plateau est maintenant cultivé, mais on voit qu'au moyen âge il a dû supporter quelque château franc. Un fragment de colonne dorique tendrait même à faire supposer qu'il était moins désert dans l'antiquité que de nos jours; mais, sui- vant toute apparence, un temple devait se trouver seul sur ce pla- teau; il n’est pas vraisemblable qu’une acropole rivale s’élevät à cinq cents mètres de la guerrière Lépréon. CHAPITRE IL. PYLOS , CHAA (SAMICUM, ARÉNÉ, MACISTOS). Suivant Strabon, ce serait un peu au nord de Lépréon que nous devrions chercher la fameuse Pylos, capiiale du royaume de Nestor, qui, pendant quelque temps, semble avoir eu son impor- tance. Celte opinion n'a pas généralement prévalu, et Pylos Co- ryphasienne, située près de Navarin, en face de l'ile de Sphacté- rie, est regardée, malgré l'autorité de l'éminent géographe, comme la seule résidence authentique de Nestor. Il semble que Strabon ait lui-même prévu toute la difficulté dont son opinion aurait à triompher. Il a fait une véritable dissertation, 11 a cherché à ac- cumuler ies preuves à l'appui de sa découverte, car c'était une véritable découverte, puisque personne n’en avait parlé avant lui. Peine iautile, il n'a pu parvenir à ébranler l'opinion reçue. Le nombre des arguments n’en fait pas la force, et l’on en chercherait en vain de concluants dans la discussion de Strabon: il ém est même qui pourraient être retournés directement contre lui. L'épi- thète de sablonneuse donnée par Homère à la Pylos de Nestor peut, sans contredit, s'appliquer à une grande partie du territoire de la Triphylie; mais combien ne convient-elle pas encore davantage à — 209 — Pylos Coryphasienne, dont on voit de nos jours les ruines sur une vraie colline de sable? Ce n’est qu'avec la plus grande peine que l’on peut parvenir au sommet, quand on ue vient pas du côté qui fait face à Sphactérie. Nous ne suivrons pas Strabon dans sa dissertation sur ce qu'il appelle la géographie homérique, mais nous n'irons pas aussi loin que Mannert, cité par Puillon Boblaye, lorsqu'il insinue que la Pylos de Triphylie pourrait bien n'être qu’une fantaisie géogra- phique de Strabon, une création de son imagination. Croyons toujours à la bonne foi des hommes illustres auxquels nous de- vons tant de précieux renseignements sur l'antiquité, même lors- que nous ne pouvons pas partager leur opinion. Pausanias ne place en Triphylie ni la Pylos de Nestor, ni aucune autre Pylos. Ce n'est pas une raison absolue pour nier l'existence de toute ville de ce nom. Pausanias, à qui la science est si redevable, ne s'était pas imposé d’être complet sur tous les points, mais il s'était im- posé de ne parler que de ce qu'il avait vu de ses yeux; son silence ne prouve donc qu'une seule chose, qu'il n'avait pas vu la Pylos dont parle Strabon; mais il est probable qu'il se serait donné la peine de la visiter s'il avait cru qu'elle fût réellement l'ancienne capitale de Nestor. IL est permis de regarder comme vraisemblable l'opinion émise par Puillou Boblaye que Strabon aura été induit en erreur par le nom d'une Pylos sans aucune importance, située en Triphylie, qu'il aura prise pour la capitale déchue des Pyliens. Cette Pylos plus modeste, mais du moins réelle, se trouvait vers l'endroit où sur la carte de l'état-major est marqué le villase moderne de Pis- kini. En ce défilé passait la route qui reliait la Messénie à l’Arcadie septentrionale. Cette opinion est aussi celle de M. Curtius; M. Beulé ne s'est pas occupé de Pylos. | : Entre les deux Pylos, dit Strabon, mais sans aucun doute beau- coup plus près de la Pylos triphylienne que de celle de Messénie, se trouvait le temple d Hercule Macistien, l’une des divinités les plus honorées dans le pays avec Neptune, Pluton, Proserpine et Cérès. La Triphylie et l'Élide ayant été le théâtre d'une assez notable partie des exploits de ce dieu, il n’est pas étonnant d'y trouver son culte en vigueur. Strabon place encore dans le voisinage de Lépréon la petite ville de Macistos ou de Platanistos, sans indiquer sa position d’une MISS, SCIENT. 14 — 210 — manière bien précise. Il est bon de remarquer qu'en cet endroit le langage de Strabon est assez vague; il ne semble pas ajouter une grande importance à Macistos, et se contente de l'appeler petite ville. Il est probable que le savant géographe, qui ne paraît pas avoir visité lui-même l'intérieur de la Triphylie, ne se faisait pas illusion sur la valeur des renseignements qu il avait à sa disposi- lion; il sentait qu'il ne pouvait passer tout à fait sous silence le nom de Macistos, et il l’a cité pour qu'il füt dans son livre; mais on sent qu'il y a des doutes dans son esprit, et qu'il se garderait bien d’insister. C'est qu'en effet Macistos n’était rien moins qu'une petite ville. L’amphictyonie minyenne, dont elle avait la prési- dence, portail souvent aussi le nom d’amphictyonie macistienne, et il ne semble pas que chez les Grecs, peuple si jaloux de tous les honneurs religieux, une ville ait pu obtenir la présidence d'une amphictyonie à moins d'être une des principales cités re- présentées. Les habitants de Pise, aux jeux olympiques, ceux de Delphes, aux jeux Pythiens, obtenaient bien une sorte de pré- séance sur des peuples plus importants, mais cela tient à ce qu'ils étaient chez eux, à ce que les jeux se célébraient sur leur propre territoire, ce qui les plaçait dans une position exceptionnelle. Mais de quel droit Macistos aurait-elle pu réclamer la présidence des jeux du temple de Neptune Samien , si elle avait été une petite ville située près de Lépréon, si sa position géographique avait semblé l'en exclure, aussi bien que son importance politique? Ja- mais Samicum , qui fut de tout temps une ville assez POP comme le prouvent ses ruines, n’eût cédé l'honneur de la prési- dence à une petite ville éloignée, quand le temple auprès duquel se réunissaient les envoyés et les citoyens des villes représentées à l'amphictyonie se trouvait au pied de ses murailles. Puillon Boblaye, sans regarder, d’après Strabon,; Macistos comme une petite ville, n'est pas éloigné de lui donner la position indiquée par le géographe ancien. 11 est conduit à cela par un passage de Xénophon, qui dit qu'Épéum se trouve entre Héræa et Macistos. Telle est bien, en effet, la position d'Épéum, mais il ne me semble pas que de la phrase de Xénophon on puisse se faire un argument suffisant pour déterminer la position de Ma- cistos. Le président de la commission d'architecture de l'expédition de Morée, M. Blouet, à six cents mètres de Lépréon, dit Puillon Bo- — 211 — blaye, a reconnu des restes antiques dans une enceinte qui date du moyen âge. I me semble qu'il est ici question du petit plateau dont j'ai déjà parlé, et qui ne saurait être pris pour Macistos, d’a- bord parce qu’il est trop petit, et ensuite parce qu'il est trop rap- proché de Lépréon. Puillon Boblaye est de cet avis, et il croit de- voir regarder ce petit plateau comme une partie de Lépréon même. Il se fonde sur ce que Polyhe nous dit que cette ville était divi- sée en plusieurs parties. Il n’est pas impossible, en effet, que les Lépréates se soient organisés dans ce quartier de leur ville, lors- que, à l'approche des troupes macédoniennes, ils se soulevèrent contre Philidas et ses trois mille Kléens et Etoliens, maîtres de l'acropole, et livrèrent ce terrible combat qui excite à un si haut point l'admiration de Polybe. En admettant comme fort probables les explications de Puillon Boblaye sur ce petit plateau, on serait peut-être en droit de lui demander s’il est bien conséquent avec lui-même, en supposant qu'on peut trouver à Mophtitsa les ruines de Macistos. Mophtitsa, comme il le dit lui-même, est un village situé à troïs kilomètres - de Lépréon. Six cents mètres lui semblent une bien faible distance pour séparer les deux principales cités minyennes, mais trois ki- Jomètres peuvent encore paraître bien peu de chose. D'ailleurs Puillon Boblaye fait là une simple supposilion; il ne dit pas avoir vu de ruines à Mophititsa, il ne dit pas même en avoir entendu parler; pour ma part, je n’ai rien vu dans les environs immédiats de Lépréon qui m'’autorise à y placer une ville antique, et cepen- dant le nom de Macistos, que je voyais sur la carte de l'état-ma- jor, m'a poussé à prendre une foule d'informations, qui toutes sont restées inutiles. Pausanias et Polybe ne citant pas le nom de Macistos, ce nest pas chez eux que nous pouvons chercher des renseigne- ments sur sa situation. Hérodote se borne à indiquer l’époque de sa fondation, mais il ne dit rien de son emplacement. Que Polybe et Hérodote, historiens qui racontent des faits et ne donnent de détails géographiques que quand ils se rattachent naturellement à leur sujet, se taisent sur la position d’une ville importante, nous n'avons point à nous en étonner. Le si- lence de Pausanias, voyageur érudit et amateur de l'antiquité, pourrait nous sembler plus étrange, si nous ne devions pas plus tard l'expliquer, avec M. Curtius, d’une façon toute naturelle. Il /, 14: ., Le. 2 ES — 212 — suffit, pour le moment, de prouver qu'il n’y a, ni dans les écri- vains de l'antiquité, ni dans les ruines encore debout en Triphy- lie, rien qui autorise à placer Macistos à l'endroit indiqué par la carte de Kiepert et par celle de l'état-major français. Les seules ruines helléniques dont j'ai eu à constater l'existence dans les environs de Lépréon n’ont, je le crois du moins, été visi- tées par aucun voyageur. Sans cela on n'aurait pas manqué de les décrire, sinon à cause de leur beauté, au moins à cause de leur singularité, car elles ne ressemblent en rien aux autres cons- tructions helléniques dont on voit encore les restes. Üne partie des fortifications si peu connues d'Épéum a seule été élevée dans le même système. Les ruines dont je parle sont situées à une heure et demie de marche, au nord-ouest de Lépréon, ce qui ne fait pas une grande distance à vol d'oiseau, vu que l’on perd le temps à descendre et à monter continuellement. Elles sont un peu au sud du village moderne de Sartena, dont elles ne sont séparées que par une fort étroite vallée, sur une colline escarpée de trois côtés, ‘et de très- difficile accès. Ces ruines ne sont connues dans le pays quesousle nom générique de palæo kastro, qui ne signifie plus rien, parce qu'il s'applique indistinctement aux constructions de l’époque pé- lasgique, à celles du temps de Périclès, de l’époque romaine, des Césars, des Byzantins, des Turcs et des Vénitiens même. De ce palæo kastro, on aperçoit dans le lointain Zante et Cé- phalonie, et, bien qu’il soit situé sur un piton rocheux et sauvage, il est entouré de plaines fertiles, qui s'étendent jusqu’à la mer. Ces ruines me paraissant fort étranges, je me borneraï, pour les décrire, à reproduire textuellement les notes prises sur les lieux mêmes, de peur que mes souvenirs ne m'induisent en er- reur pour quelques détails. Cette enceinte est une des plus petites, mais des plus curieuses que j'aie jamais vues en Grèce. Murs extérieurs et maisons, tout est debout, au moins en grande partie, et généralement jusqu’à la hauteur d’un mètre, quelquefois plus. Il est très-dificile de mesurer exactement le mur extérieur de l’acropole, parce qu’on ne peut le suivre, ni du côté de la campagne, ni du côté de l'in- térieur. Du côté de la campagne, il esthordé de précipices; du côté de l'intérieur, on est arrêté à chaque instant par les murs de mai- sons qui viennent s’y appuyer, de façon qu'on n'a d'autre route LS que le mur lui-même. L’acropole a environ cinquante mètres de longueur et trente-cinq de largeur. Sa longueur va du nord-ouest au sud-est. La construction date sans aucun doute de l’époque Pélasgique, mais elle est bien loin de la force déjà savante des murailles de Tirynthe. Les pierres sont taillées pour la plupart, mais d'une ma- nière grossière, et, aucun grand bloc n'ayant été employé, elles sont petites, en général plates, mais superposées et enchevêtrées les unes dans les autres, avec un certain art qui donne au mur une grande solidité. Cependant cette acropole ne paraît avoir subsisté dans un état aussi satisfaisant de conservation que grâce à sa position sur un plateau solitaire et très-uni. Les oliviers sauvages qui, en quel- ques endroits, se sont fait jour à travers les pierres et les ont renversées, ont été ses seuls ennemis. Le mar d'enceinte a partout un mètre soixante et quinze centi- mètres d'épaisseur. Il ne se compose pas, comme la plupart de ceux des époques postérieures, d’un revêtement extérieur et d’un revêtement intérieur en pierres, avec de la terre, ou des pierres plus petites au milieu. Les pierres plates dont j'ai déjà parlé sont seules entrées dans la construction. La hauteur est à peu près par- tout d’un mètre, et rien ne peut indiquer jusqu'où les fortifica- tions s’élevaient autrefois. Les murs des maisons situées dans l'enceinte de lacropole n'ont pas moins d’un mètre d'épaisseur, la hauteur et le système de construction sont exactement les mêmes que pour le mur ex- térieur. Toutes ces maisons étaient fort étroites, comme toutes les maisons particulières de l’ancienne Grèce, dont on trouve encore des traces. Celles que l’on voit à Athènes auprès du Pnyx ne sont pas plus grandes. On distingue encore l'emplacement de deux tours carrées qui faisaient face au sud-est. L'une d’elles était auprès d'une porte, à laquelle aboutissait un escalier grossièrement taillé dans la mon- tagne, et dont on voit encore les traces. Cet escalier était situé vers la partie sud-est, les trois autres côtés étant complétement inaccessibles; vers le milieu de l'escalier se trouve un tout petit plateau fort uni, où l'on croirait voir les restes informes des substructions d'un temple. o La ville devait se trouver au pied du sommet sur lequel se voit | l'acropole, sur un petit col maintenant cultivé, ce qui explique qu'on ne rencontre plus de restes. Quant aux constructions éle- vées sur le ierrain en pente qui séparait l’acropole de la ville, on conçoit aisément qu’elles se soient écroulées et qu’il n’en reste plus vestige. L'étrange architecture de cette ais citadelle appartient évi- demment aux premiers temps de la Grèce; on ne trouve rien de semblable que dans la partie la plus ancienne d’ Épéum ; aussi Je ne serais pas éloigné de croire que ces ruines sont celles de la cité homérique de Chaa, dont parle Strabon. Le fleuve Acidon ou Acidas serait le ruisseau qui coule au pied des ruines, car, dit le géographe ancien : « l’Acidon coulait le long du tombeau de Jar- danus et de Chaa!, ville qui existait autrefois près de Lépréon, où est aussi ja plaine d’Æpasiunr. » La plaine d’Æpasium est celle qui s'étend depuis les bords de la Néda jusqu'au premier étang sur la côte de la mer: ainsi tout semble s’accorder avec le texte de Strabon. L'emplacement de Chaa ne différerait, suivant moi, que de peu de chose de celui que M. Kiepert indique sur sa carte. Il le place un peu trop au nord-est. Je crois qu'on doit le voir un peu au-des- sous du village moderne de Sartena, dans les ruines helléniques dont je viens de parler. Entre les ruines de Chaa et la mer, on trouve dans un site pit- toresque, presque au niveau de la plaine, une église grecque abandonnée, quoique à peu près intacte, qui peut passer pour un des plus charmants modèles de l’architecture byzantine. Cette église, maintenant isolée, prouverait, s’il était besoin de preuves, qu'au moyen âge le pays était beaucoup plus peuplé qu’aujour- d'hui, car elle ne ressemble en rien aux nombreuses chapelles que l’on rencontre partout dans les champs. Elle est d’une cons- truction très-soignée, qui indique qu'elle a été élevée par une population riche. Non loin de cette église, très-près du rivage de la mer, on ren- contre le village presque désert d’'Hagios Isidoros, et le khani du même nom. Bien que les terres du voisinage soient aussi cultivées que le permet leur nature sablonneuse, les maisons ne se sont pas 1 Ô Âxidwy morauds pet sr) rdOor lapddrou ai Xdar mor morè Ürdpéacar mAnrioy Aerpéov, ômou nai T0 wedioy ro Airdoiov. (Str abon, VEIT, 115, 21.) — 215 — relevées depuis la guerre de l'indépendance hellénique, et aucune contrée n'a plus souffert à cette époque que la partie maritime de la Triphylie. Ibrahim pacha, pendant tout son séjour dans le Pé- loponèse, a élé le maitre incontesté de la Messénie. Son quartier général permanent était à Modon, où l'a trouvé le général Maison à son arrivée. Il avait fait du littoral triphylien une de ses grandes routes militaires, pour communiquer avec le nord de la pénin- sule par Patras. Cette voie lui paraissait préférable pour toutes ses troupes, et en parliculier pour sa cavalerie et ses transports, qui ne craignaient pas, dans les plaines d'Élide et de Triphylie, les surprises el les embuscades qu'elles rencontraient à chaque pas dans les contrées plus montagneuses. Le pays gardera long- temps le souvenir et la trace du passage quotidien des troupes égypliennes. Au-dessus du khani d'Hagios Isidoros, commence cette im- mense forêt de pins décrite par M. Beulé avec tant d’exactitude et de poésie. On peut trouver ailleurs des forêts plus sombres et plus épaisses, qui répondent mieux à l'idée que nous nous faisons de la majestueuse horreur de ces grands bois, où la nature déploie tout le luxe de la végétation; mais nulle part on n’en saurait voir qui inspirent une tristesse plus douce, un plus délicieux recueil- ement. On n’a pas besoin de chercher ailleurs l’origine de ce culte de Pluton, jadis si répandu en Triphylie; l’idée de la mort, mais _de la mort calme et sereine, se présente naturellement à l'esprit, au milieu de cette vaste forêt, où l’on entend constamment le bruit des flots se mêler à ce triste et harmonieux bruissement des pins agités par le vent, bruissement pour lequel notre langue n’a pas de mot propre, comme celle de Théocrite. À côté de cette forêt, entre elle et les collines, sont les pêche- ries de Kaïapha, étang plus considérable de nos jours que dans l'antiquité. Cet étang était jadis alimenté par l’Anydrus ou fleuve sans eau, ainsi nommé parce que les sables mouvants du rivage l'empêchaient souvent de se jeter dans la mer. L'obstacle est au- jourd’hui permanent, les dunes se sont amoncelées, et il n’y a plus de communication visible entre la mer et l'étang. Les pêcheries de Kaïapha n’ont point gardé intacte leur funeste réputation. Jadis leurs eaux passaient pour fétides, et l’on croyait que la mort ne tardait pas à surprendre les imprudents qui s’arré- taienl sur leurs bords. De nos jours elles passent simplement pour bib Tue — 9216 — malsaines, comme toutes les eaux stagnantes; maïs leur nom mo-' derne indique assez qu'on ne croit plus à la tradition antique qui voulait que les poissons pris dans leurs eaux ne pussent pas servir à la nourriture de l’homme. Le gouvernement de la Grèce actuelle ne partage point cette opinion, et il tire un revenu considérable de la ferme du droit de pêche. Cependant il semble qu’il y eut quelques contradictions dans les opinions des anciens à cet égard, car Strabon, qui nous apprend que cet étang répandait une odeur si fétide qu’on la sentait à vingt stades, et que les eaux étaient assez corrompues pour infecter les poissons, nous dit, quelques lignes plus loin, qu’elles avaient la propriété de guérir certaines mala- dies de la peau. Il est assez difficile d'admettre qu'on allät, en certains cas, chercher ia santé dans des eaux tout à fait pestilen- tielles. Pausanias parle aussi du culte des nymphes anygrides et des services qu'elles rendaient aux malades. I! suffisait, pour guérir les affections de ia peau , d'invoquer les nymphes, de leur faire un sacrifice d’après les rites consacrés , et de traverser ensuite le fleuve à la nage, car ce n’était alors qu'un fleuve. Ce phénomène d'eaux légèrement sulfureuses, que les anciens ne s’expliquaient pas, ou, du moins, qui dépassait l'intelligence du vulgaire, avait donné lieu à plusieurs fables, que Strabon et Pausanias nous ont transmises. Suivant les uns, c'était le centaure Pylénor qui, frappé par Hercule d’une flèche trempée dans le sang de l'hydre de Lerne, avait lavé sa blessure dans le fleuve, et lui avait donné son odeur infecte. Suivant d’autres, 1l la devait aux ablutions des filles de Prœtus, que Mesampus, fils d'Amy- thaon , avait conduites sur ses bords. La grotte jadis consacrée aux nymphes anygrides s'aperçoit en- core sur la rive des pêcheries de Kaïapha, ainsi que celle qui, suivant Strabon, vit la naissance de Dardanus, fils de Jupiter et d’une des Atlantides. Les pêcheries de Kaïapha se relient vers le nord à celles d’Agou- linitsa. Elles n’en sont séparées que par un étroit espace qui, en cerlains endroits, se réduit à une mince chaussée souvent couverte par les flots. Ce passage forme le défilé de Kaïapha; il était dé- fendu, au temps de la domination turque, par le petit fort de Klidi, très-bien nommé, parce qu'il était en effet la clef de la Fri- phylie. Un derven aga ou capitaine des détilés, officier chargé de — 217 — veiller à la sécurité des routes, y faisait sa demeure. Les traces du fort turc existent encore sur un des trois petits mamelons qui sé- parent les deux étangs , et l’on conçoit que, quand il était armé, il fût très-difficile de forcer le défilé. Cette position est tellement forte de sa nature que même dans l'antiquité, qu'il n’y avait point d'artillerie qui püt enfiler le passage dans toute sa longueur et rendre ainsi inutile l'avantage du nombre, elle était regardée comme la clef de la Triphylie et sa frontière naturelle vers le nord. L’Alphée était bien, lui aussi, une frontière naturelle, mais une frontière difficile à défendre contre un voisin plus puissant. Un fleuve peut être franchi sur tous les points, soit à gué, soit sur des bateaux ; il demande une surveillance incessante, et, pour résister avec succès, 1l faut que celui qui se tient sur la défensive ait une armée presque aussi nombreuse que celle de l’agresseur. Les villes de la Triphylie étaient loin d’être dans cette position à l'égard des Éléens ; aussi toute la partie du pays située au nord du défilé de Kaïapha fut très-souvent conquise. Les écrivains anciens ne savent même rep s'ils doivent appeler cette contrée Élide ou Tri- phylie. II arrive à Polybe, dans le même chapitre, de faire une énumération des villes de Triphylie sans y faire entrer le nom d'Épithalion, puis de nous dire que ia conquête d’ Épithalion acheva celle de la Triphylie; singulière contradiction, qui prouve quil y avait, pour ainsi dire, une Triphylie de droit et une Triphy- lie de fait, très-restreinte par la conquête. Le défilé de Kaïapha ne fut pas toujours lui-même une barrière suffisante; mais s'il fut quelquefois franchi, ou peut-être tourné par les envahisseurs, il s'en resta pas moins la frontière ordinaire du pays vers le nord. C'est dans le défilé même qu’il faut, d'après les traditions pres- que invariables de l'architecture grecque, chercher l'emplacement du fameux temple de Neptune Samien, centre religieux de la Triphylie. Les Grecs s’efforçaient de mettre, autant que possible, leurs temples en sûreté, parce que ce n'étaient pas seulement pour cux cles sanctuaires vénérés, mais encore des lieux de dépôt qui renfermaient souvent de grandes richesses. Or le temple de Nep- tune aurait été à l'abri derrière les fortifications qui défendaient le défilé, tandis que, sur le rivage même de la mer, ou dans la vaste plaine située au pied de Samicum , il pouvait être insulté et pillé par un simple parti de maraudeurs. D'un autre côté, presque tous les temples grecs sont placés sur des éminences, qui permet- .Lo'eNe E tent qu'on les voie de loin. Tout le monde même s'accorde à recon- naître l’art merveilleux avec lequel les artistes anciens savaient choisir leurs emplacements pour faire paraître leurs édifices plus grands et plus imposants par la perspective. La partie la plus large du défilé renferme trois tertres, trop petits pour mériter le nom de collines, admirablement disposés pour recevoir des tem- ples. Ils semblent si bien faits pour cet usage qu'il faut s'appro- cher de très-près pour reconnaître qu’ils n’ont pas été élevés par la main de l’homme. Cependant je dois avouer que j'ai fouillé avec soin les trois tertres pour y trouver les traces du tempie de Nep- tune, mais que toutes mes recherches ont été infructueuses, je n'ai trouvé que les traces du petit fort turc dont j'ai déjà parlé. Peut-être pourrait-on reconnaître l'emplacement du temple dans les fondations d’un mur maintenant à fleur de terre, qui viennent se relier à la chaussée actuelle, une vingtaine de mètres plus loin que le tertre sur lequel est placé le fort turc. Ce mur n’a été, si je ne me trompe, remarqué par aucun voyageur, pas même par M. Curtius, le plus attentif de tous. Il n’en est pas un, cependant, qui ne soit passé en cet endroit et qui ne l’ait foulé aux pieds de son cheval, mais les guides n’ont d'autre but que d'arriver au gite, et quand même ils auraient reconnu une ruine hellénique dans ce vestige de mur, ils se garderaient bien de l'indiquer au voyageur. Ils croient avoir assez fait ce jour-là en lui montrant les ruines de Samicum, qui sont cependant aussi visibles que les fortifications de Montrouge ou du mont Valérien Ce mur, dont on voit les traces, a vingt-cinq mètres de long et deux mètres cinquante centimètres de large. De chaque côté, ily a soixante centimètres de pierres de taille, fort régulières; le mi- lieu est rempli de terre et de pierres plus petites, ce qui se ren- contre dans beaucoup de constructions helléniques, entre autres dans celles de Samicum, qui sont toutes voisines. Malheureuse- ment il ne reste que les fondations de ce mur, de sorte qu'il est impossible de deviner si c'était un des côtés du temple ou une fortification destinée à couper le défilé, et à le mettre à l'abri de toute invasion de la part des Éléens. Quoi qu'il en soit, il ne parait pas que les Éléens aient plus respecté la religion que l'indépendance de la Triphylie. C'est à Élis que Pausanias a vu la statue de Neptune. Les vainqueurs l'avaient enlevée de Samicum, avec aussi peu de scrupule qu'ils — 219 — avaient ravi aux Pyliens la statue de Pluton. Les deux divinités avaient trouvé droit de cité sur la terre étrangère, car Pausanias prétend que les Éléens leur rendaient un culte encore plus respec- tueux que celui dont elles étaient l’objet avant leur translation. La statue de Neptune était placée dans la partie la plus fréquentée de la ville. Elle était d’airain; on lui avait donné la taille d'un homme de haute stature; le dieu n'avait point de barbe, ses pieds élaient posés l’un sur l’autre, et, de chaque main, il tenait un ja- velot. Tels sont tous les détails que l'antiquité nous a laissés sur cette statue. Le nom de l'artiste, l'époque à laquelle elle a été érigée, nous sont également inconnus. L'amphictyonie dont ce temple était le centre comprenait les six villes minyennes de la Triphylie. Maintenant comment expli- quer que les six villes de Nudion, de Pyrgos, de Lépréon, d'É- péum, de Phrixa et de Macistos voulant ériger un temple à frais communs, afin de créer entre elles un lien à la fois religieux et politique qui leur rappelàt leur commune origine, si dans la suite des temps elles venaient à l'oublier, aient choisi un territoire étranger? Comment comprendre que la ville de Samicum, au pied de laquelle le temple était bâti, ne fit pas partie de cette amphictyonie? Comment les Macistiens ont-ils obtenu l’intendance des jeux et l'administration du temple, s'ils n'étaient pas posses- seurs du terrain sur lequel il avait été élevé ? Question difficile à résoudre d’une manière positive, en s'appuyant sur des textes an- ciens. M. Curtius l’a résolue par une hypothèse hardie, mais infi- niment probable, à laquelle aucun autre écrivain moderne n'avait osé s'arrêter, ou plutôt qui n'était venue à la pensée de personne, car, si étrange qu’elle puisse paraître au premier abord, il est impossible de ne pas l’admettre dès qu’on y a un peu réfléchi. Suivant Strabon, Samicum était un fort jadis connu sous le nom de Samos, parce que, dans les premiers temps de la Grèce, on donnait ce nom à toutes les hauteurs et aux villes qui s’y étaient élevées. L’illustre géographe croit que Samos pourrait bien n'avoir été que la citadelle d’Aréné, dont parle Homère ! : « Ceux qui habi- taient Pylos et l’agréable Aréné. » On ne trouve nulle part les traces d'Aréné, et l’on est porté à la placer à Samos, parce que, dans un 1 Of dé TvAor + évéuovro nai Àpvnr ÉpaTeivn». (Homère, Iiade IT, v. 591.) — 220 — autre passage, Homère donne un important renseignement ! : {} est un fleuve minyen qui se jette dans la mer près d’Aréné. L'iden- tité de ce fleuve minyen avec l’Anygrus n’est pas douteuse; ce n'est que fort tard que le nom d’Anygrus a prévalu, par consé- quent les noms de Samicum et d’Aréné n’indiquent qu'une même ville, ou peut-être des quartiers différents. Pausanias avoue que personne n’a pu lui montrer les ruines d'Aréné, ni lui indiquer son ancien emplacement; aussi il w’est pas loin de partager l'opinion de ceux qui regardent Aréné comme l'ancien nom de Samicum. Pour M. Curtius, en cela d'accord avec Strabon, l’ancien nom serait Samicuin ou Samos, qui, dans la langue primitive des Pé- lasges , signifiait hauteur. Cette dénomination, donnée à beaucoup de villes situées sur de hautes collines ou sur des montagnes, semble venir de la Phénicie. Vers les temps héroïques, la conquête pylienne aurait imposé à Samicum le nom hellénique d'Aréné, usité du temps d’Homère. Bientôt, à la conquête pylienne suc- céda la conquête minyenne, et M. Curtius suppose qu'un troisième uom, celui de Macistos, fut donné à la ville. L'opinion du savant Allemand est d'une grande vraisemblance. Macistos a existé, a même été avec Lépréon la ville la plus im:- portante de la Triphylie, nous n'en pouvons douter. Cependant nous ne trouvons ces ruines nulle part. Nous ne trouvons même guère de renseignements sur sa position géographique, dans les écrivains anciens. De plus, il est bien peu probable que les Mi- nyens, à l'époque où ils ont envahi la Triphylie, aient négligé une position aussi forte et aussi importante que Samicum; or nous savons où se sont établies cinq de leurs six tribus; reste la sixième, la plus importante de toutes, celle qui obtint l'inten- dance des jeux, la présidence de l’amphictyonie commune, qui inême donna, en quelque sorte, son nom au pays, puisque tout le territoire des Minyens est quelquefois désigné sous le nom de Macistia, et l'amphictyonie, sous le nom d’amphictyonie macis- tienne. Comment croire que, si les habitants de Samicum étaient des vaincus, les Minyens leur laissassent une sorte de suprématie religieuse? 31 ; £ à F l Ko dé ris motapos Muvuyios els &ha EiAAwy, Eyy0er À phvns. (Homère, Iliade, XI, v. 7°2-725.) — 9221 — Une autre présomption fort bonne vient se joindre à ces raisons. Aucun des auteurs anciens ne parle à la fois de Macistos et de _ Samicum. Hérodote ne cite que Macistos; Pelybe, qui fait une : énumération de toutes les villes de la Triphylie, ne nomme que Samicum. Pausanias garde le même silence à l'égard de Macistos. Strabon seul cite à la fois Macistos ou Platanistos et Samicun:; mais nous avons eu déjà l’eccasion de remarquer qu'en celte cir- conslance son autorité est fort contestable. I dit, en passant, un mot de Macistos; il se garde bien d’insister, lui qui n’épargne pas les développements pour tout ce qui regarde la Triphylie. Il ne semble pas avoir grande confiance dans ses renseignements, et, en effet, quoiqu'il soit très-court, il commet une erreur évidente en ap- pelant Macistos une petite ville. On peut affirmer, d’après son im- portance politique et religieuse, que ce ne fut point une pelite ville, au moins relativement aux autres cités triphyliennes. Aïvsi, d'après M. Curtius, Samicum serait le nom pélasgique de la ville; Aréné, le nom hellénique; Macistos, le nom minyen. Si le now de Samicum se trouve jusqu’à la fin, lorsque ceux d’A- réné et de Macistos ont déjà disparu, cela tient au culte de Nep- tune Samien, déjà célèbre au temps de la conquête minyenne. Les vainqueurs l'ont adopté, comme presque toujours les peuples de l'antiquité adoptaient les dieux des vaincus, et ils lui ont laissé son nom. Le nom du temple qui faisait la célébrité de la ville n'ayant pas changé, les étrangers ont dùû être fort portés à ne pas changer celui de la ville, et c'est ce qui explique que, pendant un certain lemps, le premier nom et le troisième ont pu coexister. À la fin, l'habitude l’a emporté, le nom de Samicum est seul resté en usage. Pausanias ne parle pas de celui de Macistos, ce qui ne prouve nullement qu'il ne le connaisse pas; mais il ne se sert que du nom moderne et ne croit pas devoir prendre la peine d’ensei- gner à des lecteurs, qui la savent fort bien, la disparition du nom de Macistos. S'il ne regardait pas ces deux noms comme les deux noms successifs d'une même ville, quelle apparence qu’il eùt com- plétement ignoré le nom de Macistos, et qu'il n’en eût point parlé, ne füt-ce que pour dire qu'il ignorait où se trouvait cette impor- tante ville? Pour éclairer davantage cette question, il n’est pas sans intérêt d'étudier en détail les ruines que tous les voyageurs ont parcou- rues. Évidemment, si Samicum n'est pas devenue plus tard Ma- __ 999 — , cistos. si elle est toujours restée la vieille cité pélasgique, dont de nom , déjà remplacé au temps d'Homère, a reparu dans la suite, les ruines de ses murailles présenteront un caractère de vétusté facile à reconnaître; à défaut de monuments écrits, les citadelles de pierre peuvent donner des documents historiques. Leurs ruines nous indiquent, à peu d'années près, la date de leur fondation. De-tous les voyageurs modernes, M. Beulé est celui qui a parlé de Samicum avec le plus de détails; il admire, comme il le doit, ces magnifiques ruines, les plus belles, dans leur genre, qui se voient encore en Grèce. II les croit à peine postérieures à celles de Mycènes et de Tirynthe. Je crois comme lui qu’elles appartien- nent à la même époque de l’art. Mais les constructions de My- cènes et de Tirynthe en marquent le commencement, celles de Samicum en marquent l'apogée et presque la fin, parce que l'architecture cyclopéenne, déjà transformée et devenue Far- chitecture polygonale, n’avait plus qu’un pas à faire pour devenir la savante et régulière architecture du temps de Périclès et d'Épa- minondas. D’après l'inspection des ruines, je crois que c’est à l’in- vasion minyenne qu'il faut placer la construction de l'enceinte de Samicum, c'est-à-dire plusieurs générations après la guerre de Troie. Les fortifications de Tirynthe présentent beaucoup d’analogie avec celles de Samicum. C’est le même caractère de solidité et de force, mais l’art est bien plus sensible dans les dernières; on voit qu'on s’est déjà beaucoup préoccupé de la beauté et de la régula- rilé. Il est probable que la vieille cité pélasgique de Samicum avait été entourée de murailles comme loules celles qui datent du même temps, mais elle aura été détruite par les vainqueurs, qui auront construit une nouvelle enceinte avec les ressources nouvelles que les progrès de l’architecture mettaient à leur disposition. Je crois donc que les murailles qui existent encore de nos jours datent du moment où l’ancienne ville prit le nom de Macistos, c'est-à- dire du moment où une ville minyenne s’éleva sur l'emplacement de la cité pélasgique détruite. Les procédés généraux de la construction sont les mêmes à Macistos qu’à Tirynthe, mais déjà ils ont été modifiés dans les dé- tails. Les blocs de pierre employés sont toujours énormes et 1rré- guliers, mais ils sont déjà moins irréguliers, ils sont plus souvent aplatis dans leur partie extérieure. L'emploi de la ligne droite . — 223 — pour la taille des picrres devient, sinon général, au moins fré- quent, el il est telle partie des murailles qui, vue à une certaine distance, ressemble aux constructions des époques les plus sa- vantes. Pour se convaincre des progrès et des changements déjà introduits dans l'architecture, il n’y a qu’à consulter la figure 3 de la feuille 53 du premier volume de l'expédition scientifique de Morée, on verra que, bien que polygonale encore, la construction de Macisios se rapproche presque autant, dans ses belles parties, de celle de Messène que de celle de Tirynthe. Les ruines de Macistos sont beaucoup mieux conservées que . celles de Lépréon, et leur effet général est beaucoup plus impo- sant, d'abord parce qu'elles ont plus de développement et plus de hauteur, ensuite parce qu’il y a unité de style; cependant elles doivent dater à peu près de la même époque que la partie la plus ancienne de Lépréon. On remarque, dans les murailles de Tirynthe, de petites portes pratiquées de distance en distance, sans doute pour favoriser des sorties partielles. Ces petites portes, dont la destination était toute militaire, n'ont rien de commun avec les grandes portes de la ville. On ne les retrouve plus dans les constructions de l’architec- ture régulière. À Lépréon, à Macistos, elles existent encore, mais déjà modifiées; au lieu d’avoir le sommet triangulaire, comme à Tirynthe, elles l'ont plat. C'est sans doute là une différence insi- gnifiante, et l’on ne voit pas même bien le motif du changement, mais il faut en tenir compte pour reconnaître l’époque de Ja construction. Dans le plan général de Samicum, ou plutôt de Macistos, les architectes de l’expédition scientifique de Morée indiquent l'en- ceinte qui existe encore de nos jours comme l'enceinte de l'acro- pole. Ils placent la ville plus bas dans la seule situation qu'elle ait pu occuper eu effet si l’acropole remplissait toute la colline; mais, bien que l'usage à peu près invariable de toutes les villes an- ciennes ait été d’avoir deux parties distinctes, la ville proprement diteet l’acropole, n'est-ce pas exagérer le respect dû à la coutume que de voir une simple acropole dans une enceinte dont la partie in- tacte a huit cents mètres de développement, et qui, suivant le co- lonel Leake, avait un mille et demi anglais, c'est-à-dire deux kilo- mètres de tour? L’acropole d'Athènes n'a pas la moitié de cette étendue, et cependant il n'y a jamais eu de comparaison possible entre Athènes et Macistos. Toute ville étant au moins cinq ou six fois plus grande que son acropole, si les ruines que l’on voit à Macisios sont celles de la citadelle, il faut supposer que la ville elle-même était de beaucoup la plus grande de la Grèce. Je regarde comme infiniment plus probable la supposition que les Minyens ont profité de la situation exceptionnelle de la petite montagne sur le flanc de laquelle ils ont bâti leur ville. Elle s’é- lève en pente assez douce de l’ouest à l'esl. Du côté de l’est, elle est inaccessible et très-dilficilement abordable par le nord et le sud. Hs ont compris qu'il suffisait d'entourer leurs habitations d’une enceinte solide, et qu'il était inutile de se préparer un lieu de refuge. C’est ce qui fait qu’ils n’ont rien épargné pourleurs for- tifications; ils on! fait de leur ville une immense acropole. Aucune forteresse contemporaine de Macistos n'a aussi bien résisté à l’action du temps; cela prouve que les procédés de cons- truction étaient déjà bien savants malgré leur simplicité appa- rente, car la position de la ville est telle que l’on peut à peine com- prendre que des murs sans ciment, des pierres qui ne sont retenues que par leur propre poids, soient encore debout après environtrois mille ans; il semblerait qu’au lieu de leur donner de la solidité leur poids eût dû les faire glisser sur un terrain aussi incliné; ce- pendant ces murailles sont aussi fortes, aussi solides que si elles avaient dix ans d'existence. La ville avait la forme d'un triangle à peine irrégulier dont la base se trouvait à la partie inférieure de la montagne. Ge côté des fortifications manque en entier. Il est probable qu'il n’a pas suc- combé sous l’action du temps, parce que la destruction n’eût pas été aussi complète, et l’on trouverait au moins épars sur le sol les énormes blocs dont se composaient les murailles. Les matériaux ont sans doute été emportés pour servir à quelque usage inconnu. Le sommet du triangle est presque intact, les murailles, encore debout, s'étendent à environ quatre cents mètres de chaque côté. Elles ont presque partout trois mètres quatre-vingis centimètres de hauteur, et deux mètres cinquante centimètres d'épaisseur. Les portes pour les petites sorties, dans le genre de celles de Tiryn- the, n'ont que soixante et quinze centimètres de large, et leur hau- teur ne dépasse pas celle de la taille ordinaire de l’homme. On voit encore debout, aux angles saillants, onze tours carrées, mais qui n'ont ni chambres intérieures, ni créneaux. HS 2 I semble qu'une des portes principales de la ville ait regardé le sud-ouest; elle se trouve entre deux tours en ruines, ce qui em- pêche d'en mesurer exactement la largeur. CHAPITRE IV. KROUXNES , CHALCIS, EPITALIUM, SCILLONTE, PHRIXA. Laissant derrière nous Macistos et les roches Achéennes que dominent ses ruines, nous trouverons, en nous avançant vers le nord, l'emplacement de deux villes du monde Homérique, Kpoÿ- vos et Xœlxus, dont Strabon nous révèle l'existence. Le colonel Leake regarde le vers d'Homère sur lequel s'appuie le géographe ancien comme d’une authenticité douteuse; imais il ne donne aucune raison à l'appui de son opinion. La meilleure à donner, sans doute, est que, de tous les textes anciens qui nous sont res- tés, ce vers deux cent quatre-vingt-quinzième du quinzième chant de l'Odyssée est le seul où il soit question de ces deux villes. Mais il n’est pas fort étonnant que l'histoire se taise sur Krounes et Chalcis; elle ne peut pas entrer dans des détails sur les moindres villages. L'opinion de M. Curtius paraît plus prudente et plus juste. Sans songer à repousser l'autorité de Strabon appuyée sur celle d'Homère, il conclut, du silence général des autres écrivains an- ciens, que Krounes et Chalcis ont été des cités sans importance. et que même elles ont disparu de bonne heure, à une époque et pour des causes que l'histoire a dédaigné de mentionner. Suivant lui, Krounes, dont le nom viendrait de XENVN ; source, pourrait bien s'être trouvée à l'entrée de la petite vallée de Tavla, où l’on voit encore la source qui avait peut-être donné son nom à la ville. Quinze stades auraient ainsi séparé Macistos de Krounes. Qua- rante stades plus loin, toujours sur le bord de la lagune d’Agou- linitza, M. Curtius croit reconnaître, dans la colline sur laquelle s'élève le village moderne d'Anémochori, l'emplacement de lan- cienne Chalcis. Cette supposition n’a rien d'improbable, elle n’est contraire ni au texte de Strabon, n1 à celui d'Homère; la situation d'Anémochori ressemble à celle de beaucoup de villes anciennes, mais il se trouve entre la vallée de Tavla et Agoulinitza plusieurs petites collines sur lesquelles il serait tout aussi raisonnable de MISS. SCIENT. 15 — 9226 — placer Chalcis, et nulles ruines, nuls vestiges de l'antiquité ne nous aident à choisir entre elles. De tous les villages que nous avons parcourus jusqu'à présent dans la Triphylie, et même de tous ceux que nous y verrons plus tard, le plus important sans contredit est celui d’Agoulinitza, qui ne contient pas huit cents habitants. La population vit, en général, de l'exploitation des pécheries, qui fournissent de poissons une grande partie du Péloponèse. Telle est la plus grande ville du ter- ritoire de l’ancienne Triphylie, car dans toute l'étendue de l’épar- chie d’Olympie on se sert du mot ville pour désigner Agoulinitza. Peut-être n'est-il pas sans intérêt de remarquer que le gouver- nement de la Grèce moderne, tout en conservant le nom de la Triphylie parmi ses subdivisions géographiques et administra- tives, l’a appliqué à un pays tout autre que l’ancienne Triphylie; à la Messénie du nord. La Triphylie de Polybe et d'Hérodote fait partie de l’éparchie d'Olympie. Suivant le colonel Leake, les limites de la Pisatide et de la Ma- cislie se trouvaient un peu au midi d'Agoulinitza, un peu au nord d'Anémochori, village sur l'emplacement duquel s’élevèrent successivement, selon lui, Chalcis et Macistos. Il est incontestable que les environs d’Agoulinitza ont été souvent occupés par les Éléens, et le colonel Leake ne fait peut-être pas descendre assez vers le sud les limites de la Pisatide. Mais tout ce que les Éléens possédaient au sud de l’Alphée n’était acquis que par l'épée, ils ne pouvaient revendiquer d'autre droit que le droit du plus fort; aussi Polybe n'hésite point à compter Épitalium parmi les villes de la Triphylie. Cette ville était située au passage même de l'Alphée, sur Ja dernière colline, qui n’est pas la moins escarpée, ce qui fait que Strabon se croit obligé de faire connaître l'opinion de ceux qui pee que, pour Homère, éüxriro» Airu et Épitalium ne sont qu'une seule ville. Tel n’est point le sentiment de Strabon. Pour lui, Épitalium est la ville qu'Homère appelle tantôt Thryon, tantôt Thryoessa, du nom des mauvaises herbes qui croissaient en abon- dance dans ses environs. Le poëte ne nous laisse aucun doute sur son emplacement, puisqu'il lui donne le nom de passage de l'AI- phéeï. Bien que l’Alphée passe en Occident pour une rivière in- | Kai Opüor, À @eroïo môpoy, xai éüxriroy Aïnu. (Homère, [liade, I1, 592.) [A — 227 — signifante, il est plus important que la plupart des cours d'eau de la Grèce, et les endroits où il est guéable sont assez rares pour qu'on puisse les regarder comme une indication précise. Quant à l'opinion de ceux qui voudraient placer Épéum au passage de l’Alphée, à l'endroit où l’on s'accorde en général à placer Épitalium, Strabon nous la fait connaître, mais ne nous indique pas les raisons qui pouvaient la rendre plausible. Aucun voyageur moderne ne l’a adoptée, le colonel Leake, M. Curtius, M. Beulé placent tous Épitalium à l’endroit ns par Strabon. Xénophon n'indique pas, d’une manière précise, la place d'Épéum, mais il nous empêche du moins de commettre une erreur aussi grossière, puisqu'il nous dit qu "Épéum l se trouvait entre Macistos et Héræa. Or, quel que soit l'endroit de la Tri- phylie où l'on place Macistos, il est impossible de faire passer par le gué de l’Alphée une route destinée à relier cette ville et Héræa. Cette partie de la Triphylie n'est pas riche en ruines. De Ma- cistos à l’Alphée on ne trouve rien. Épilalium n’a pas laissé plus de traces de son existence que Krounes et Chalcis. Mais, si ces deux dernières villes n’ont existé qu'à l'époque héroïque, Épita- lium a figuré dans l’histoire avec un rang modeste, il est vrai, mais du moins avec assez d'éclat pour que son existence et même sa situation ne soient pas douteuses. Les textes de Polybe, de Xéno- phon, de Diodore de Sicile, de Strabon, sont assez précis pour que la position donnée à cette ville par les voyageurs modernes ne soit pas une simple supposition. On peut toujours regretter l'absence des ruines et des restes visibles d’une antique cité, mais ici leur témoignage n'était pas indispensable. Il n’en est pas de même pour Bolax, que le colonel Leake vou- drait retrouver dans le hameau de Volantza. Hätons-nous de dire que le savant voyageur ne donne son opinion -que sous toutes réserves. Il n’a d’autres raisons à faire valoir en sa faveur que la similitude des sons. Ce que nous écrivons Bolax se prononçait jadis Volax, le hameau moderne se nomme Voiantza. Voilà toute l'argumentation du colonel, qui, du reste, ne la regarde pas comme fort solide. : M. Curtius avoue franchement qu'il ne sait pas où cette ville 1 Mreioy ñ ueraËd œôis Hpaias xai MaxioTov. (Xénophon, Hell. If.) MOS de était siluée, et, en effet, aucun des écrivains de l'antiquité ne nous a laissé le moindre renseignement à cet égard. Polybe est, je crois, le seul qui cite ce nom, mais il se.borne à dire que c’é- tait celui d’une ville de Triphylie, de sorte que nous ne savons si c'est au nord ou au sud, à l’ouest ou à l’est de la province que nous devons la chercher. L'opinion du colonel Leake acquerrait quelque probabilité s’il se trouvait des ruines dans les environs de Volantza; mais je n'ai pu rien découvrir de semblable, et il ne dit pas en avoir vu lui-même. Volaniza n'est, d'ailleurs, pas situé comme une ville ancienne; le village est dans un riant petit vallon, entouré de collines. C’est sans doute sur l’une d'entre elles que le colonel vou- drait placer Bolax. Mais, dans toute la partie de la Triphylie qui avoisine l’Alphée, la configuration du terrain devient un fort mé- diocre argument, vu que les collines se succèdent sans interrup- tion, et, si l’on ne tenait compte que de leur disposition, on serait amené à placer une acropole sur chacune d'elles. À une heure et demie de Volantza, dans la direction d'Olympie, mais toujours sur la rive gauche de l’Alphée, se trouve le village de Meknysiae qui, quoique bien petit, est divisé en deux parties, situées à près de dix minutes l’une de l’autre, À», Karow Makry- sia, le village de la plaine et celui de la colline; c’est ce dernier qui est indiqué sur la carte de l'état-major. Un lettré d’Agoulimitza m'avait annoncé que je trouverais dans ce village le tombeau de Xénophon. Pareiïlie fortune ne m'était pas réservée et je n'y comp- tais guère, mais j'étais curieux de voir si ce nom célèbre était resté populaire, et si l'on donnait réellement dans le pays le nom de tombeau de Xénophon à un tombeau quelconque, füt-il aussi peu authentique que le tombeau de Léonidas à Sparte. Malheu- reusement, je dois avouer que les habitants de Makrysia me pa- raissaient pour le plus grand nombre s'être peu occupés d'études historiques : le nom de Xénophon leur est complétement inconnu. Cependant l'habitant d’Agoulinitza n'avait pas tout à fait tort. Je ne trouvais pas à Makrysia le tombeau de Xénophon, mais J'étais sur l'emplacement de Scillonte. Il est impossible de ne pas reconnaître la retraite où l'écrivain termina sa vie dans un opulent exil. Il a pris plaisir à la décrire avec un soin minutieux. Cette petite, mais profonde rivière, qui roule ses eaux poisson- neuses vers l’Alphée, c’est le Sélinus. Sur ses bords, s'élevait le L — 229 — temple de Diane, construit d’après les proportions de celui d'É- phèse, et qui lui ressemblait en petit. Mais il vaut mieux laisser la parole à Xénophon lui-même, pour décrire le petit vallon de Makrysia. « Xénophon ! était en exil et habitait déjà Scillonte, fondée par les Lacédémoniens, près d'Olympie, lorsqu'il reçut la visite de Mégabyse, qui était venu pour voir les jeux et pour lui rendre son dépôt (sa part du butin fait sur les Perses pendant l’expédi- tion de Cyrus). Xénophon acheta alors un terrain d’après les in- dications de la divinité. Le Sélinus traversait ce terrain. Un autre Sélinus coule auprès du temple de Diane d'Éphèse; tous deux sont remplis de poissons et de coquillages, mais il y a er plus, sur Je territoire de Scillonte, du gibier de toutes espèces pour les chasseurs. Xénophon éleva, avec l'argent consacré, un temple et un autel, et il ne manqua jamais d'offrir à la déesse la dixième partie des fruits müris sur son terrain. Tous les citoyens, tous les voisins, hommes et femmes, prenaient part à la fête. La déesse leur fournissait, pendant leur séjour, les vivres, le pain, le vin, les gâteaux et même une partie des animaux immolés sur ses terres, ou tués à la chasse, car les fils de Xénophon et ceux des autres citoyens faisaient une chasse pour cette fête, et toutes les personnes qui le désiraient y participaient. On prenait sangliers, biches, cerfs, tant sur le terrain consacré que sur le Pholoé. Par la route qui va de Lacédémone à Olympie, Scillonte est à environ vingt stades du temple de Jupiter Olympien. Sur le terrain con- sacré se trouvent des bois et des montagnes couvertes d'arbres propres à nourrir les sangliers, les chèvres, les bœufs et les che- vaux. C’est là que paissaient les attelages de ceux qui venaient à la fête. Autour du temple même est un bois sacré planté par la main des hommes, ses arbres donnent des fruits, que l’on mange quand ils sont mûrs. Le temple ressemble au temple d'Éphèse, comme le petit peut ressembler au grand, et la statue, comme le cyprès peut ressembler à l'or. Une colonne a été élevée près du sanctuaire, avec cette inscription : Sol consacré à Diane. Celui qui le possède et qui en récolte les produits doit, chaque année, en consacrer la dixième partie et entretenir le temple avec le reste. Si quelqu'un y manque, la déesse avisera. » ! Traduit de Xénophon. — 230 — Ce terrain fertile, facile à cultiver, ces bois, si riches en gibier, sont sous nos yeux à Makrysia; s’il pouvait rester un doute, il suf- firait de remarquer que Xénophon dit que le Sélinus traversait le terrain sacré; or le cours d’eau qui passe près de Kaärw Makrysia ne peut être que le Sélinus, puisqu'il n'y en a pas d'autre jusqu’à Olympie. D'ailleurs, la distance de vingt stades, indiquée par le texte de Xénophon, est bien celle qui sépare d'Olympie le village moderne. | Le colonel'Leake remarque avec raison qu'on pourrait s'étonner que Scillonte fût sur la route de Sparte à Olympie, puisque l'emplacement des jeux est moins à l'occident que Scillonte. Mais les routes ne se tracent pas à vol d'oiseau, on tient compte des villes; il est plus avantageux d’avoir une route un peu plus longue si elle doit traverser un plus grand nombre de villes. D'ailleurs la route qui passait par Scillonte n’était pas la route directe par Héræa, mais la route qui traversait le midi de l’Arcadie, par Mé- galopolis. Il me semble que, si le texte de Xénophon pouvait laisser le moindre doute sur l'emplacement de Scillonte, Pausanias le lève- rait au besoin; mais il m’a été complétement impossible de recon- naître aucune ruine antique. Tout a disparu, et le temple de Diane et la statue de marbre du Pentélique, que Pausanias a vue sur un tombeau que l'on donnait pour celui de Xénophon. Il ne faut pas d’ailleurs s'étonner que, dans un pays aussi cultivé que les environs de Makrysia , ies fragments antiques aient pu difficile- ment subsister. Le travailleur des champs est impitoyable pour tout ce qui le gêne dans ses travaux; la charrue a dû passer sur les fondations du temple; quant à un simple tombeau, on ne sau- rait s'étonner de le voir disparaître. Le temple de Diane et le tombeau dont parle Pausanias sont les seuls monuments qu'il ne fût pas insensé de chercher. L'an- cienne ville de Scillonte a péri dans la quarante-huitième olym- piade pour avoir pris le parti des habitants de Pise contre les Éléens, dont la colère se montra impitoyable. Vers la quatre- boisé sixième olympiade, les Lacédémoniens rendirent la liberté à tout le territoire qui avoisine Scillonte. Ils relevèrent la ville et y _établirent Xénophon, exilé d'Athènes, avec une fortune plus en harmonie avec ses goûts qu'avec leurs habitudes. Le séjour du héros des Dix Mille a seul pu sauver de l'oubli le — 251 — nom de sa nouvelle patrie. Scillonte n’avait pas jeté un grand éclat avant sa destruction par les Éléens; il ne semble pas qu'elle ait joué un plus grand rôle après avoir été rétablie par Sparte. Po- lybe n'est postérieur que de deux siècles, et cependant il ne parle pas de Scillonte, lorsqu'il raconte la conquête de la Triphylie par Philippe, bien qu’il entre dans de grands détails. Certains écri- vains en ont conclu que Polybe ne regardait pas Scillonte comme une ville de Triphylie, parce qu’elle avait trop longtemps appar- tenu à l'Élide. Il est incontestable que, comme toute les villes du nord de la Triphylie, Scillonte a subi longtemps l'influence éléenne ; mais, au point de vue géographique, la Triphylie s'étend jusqu’à l’Alphée, et si Polybe ne nomme point Scillonte, c'est qu'il dé- daigne une cité sans importance, un village peut-être dépourvu de fortifications. Il n’est même pas impossible que Scillonte eût cessé d'exister à l'époque de Polybe, car Pausanias ne parle que de ses ruines. Pour toute cette partie de la Triphylie, Pausanias est notre guide le plus fidèle et le plus précis; c'est lui qui nous aide à recon- naître, sur la route de Scillonte à Olympie, le mont Typæon, du sommet duquel on précipitait toutes les femmes assez curieuses pour braver la loi qui leur interdisait le spectacle des jeux olym- piques. Une seule fut assez heureuse pour n'avoir pas à se repen- tir de son imprudence; on la nommait Callipatira, suivant les uns, Phérénice, suivant les autres. Elle trahit son sexe au moment où elle s’élança dans l’arène pour embrasser son fils, qui venait de mériter un prix. Il ne fallut rien moins, pour la soustraire à | mort, que l'intérêt qui s’attachait au jeune vainqueur, et le souve- nir d’un mari et de plusieurs frères, qui, tous, avaient triomphé aux jeux olympiques. Ce fut à partir de cette époque que les maîtres de gymnastique, qui, en vertu de leurs fonctions, avaient des places réservées, durent paraître nus, parce que c'était dans leurs rangs que Callipatira s'était cachée. Les Ioniens n'avaient point imité le rude génie de la race do- rienne; ils n'avaient point interdit l'entrée des jeux à leurs femmes et elles pouvaient paraître à tous ceux dont ils étaient les fonda- teurs. Bien que la condescendance pour les femmes ne fût pas le trait dominant des mœurs antiques, les poëtes de la race ionienne surent fort bien saisir ce qu'il y avait de supérieur dans les cou- tumes de leurs compatriotes, et plus d'une allusion pourrait prou- — 2352 — ver qu'ils regardaient comme dignes des barbares les façons dk agir des Doriens !. Le mont Typæon, cette roche Tarpéienne de la curiosité fémi- nine, était situé sur la rive gauche de l’Alphée, presque en face du temple de Jupiter. C'est la dernière limite de la Triphylie et une curiosité blämable pourrait seule nous faire franchir l'Alphée j à la suite de Pausanias, pour assister sur la rive droite aux jeux olympiques. La vallée de l’Alphée est une des plus belles de la Grèce; elle est fertile et boisée parce qu'elle a de l’eau, l’Alphée étant un vrai fleuve, ou tout au moins un cours d’eau permanent qui ne tarit jamais; mais c’est un regret pour le voyageur que de l'entendre appeler le Rouphia. Ce nom moderne a complétement prévalu; l’'Aiphée est oublié, et ce serait en vain qu'Aréthuse viendrait re- demander son amant aux habitants de ses bords ; son nom leur est inconnu. | | Je ne crois pas que dans un pays aussi illettré que la Grèce moderne, aussi couvert de races différentes, on doive ajouter une bien grande foi aux traditions locales; cependant il est du devoir des voyageurs de consigner celles qui leur paraissent d'accord avec la vérité. Quand je visitai le village de Volantza, pour voir sil y avait quelque vérité dans l'hypothèse du colonel Leake, je débutai par demander, comme d'usage, aux habitants, s'ils connaissaient dans les environs de leur village de vieux marbres, de vieux murs, de vieilles pierres avec des inscriptions. Le village tout entier eut fait dix lieues pour se parlager les quelques drachmes que je paraissais disposé à donner, mais seulement après avoir vu. Ce- pendant force fut d'avouer qu'il n’y avait autour de Volantza rien de ce que je cherchais, mais plusieurs paysans m'affirmèrent que je trouverais à Palæo-Phanari les restes d’une vieille ville. Je dois faire remarquer que Palæo-Phanari est à environ quatre lieues de Volantza; or les paysans triphyliens ne sont pas voyageurs, et si ceux de Volantza ne font pas exception à la règle commune, ül est à présumer que pas un habitant sur dix ne s’est, depuis la guerre de l'indépendance, hasardé à quatre lieues de son village. Les questions que j'ai faites en plusieurs endroits, où je cherchais des guides, m'ont amené à de singulières conclusions sur Pimmo- l Homère, Hymne à Apollon. ** ‘ . — 233 — bilité triphylienne. C'est donc bien une tradition qui existe, au sujet de Palæo-Phanari; fort peu des habitants de Volantza avaient été aussi loin. Ce qui le prouve, c'est qu'il n’y a absolument rien à Palæo-Phanari. Un paysan narquois, s’il eût été seul, eùût pu envoyer un voyageur visiter cette colline escarpée, un village tout entier ne se serait pas permis cette plaisanterie, ou au moins ne l'eût pas inventée et soutenue jusqu’au bout. Tout porte donc à penser que les habitants de Volantza étaient de bonne foi en m’envoyant à Palæo-Phanari. Je suis également convaicu que pas un d’entre eux n'avait vu le plateau qu’il m'in- diquait, parce qu'il ne se trouve sur aucune route, et que cette ascension ne sert à rien. D'ailleurs, si l’un de ces paysans y fût monté, il n'aurait pas manqué de me dire qu'il n’y avait là rien de plus qu'autour de son village, comme c'est, du reste, l’exacte vérité. C'est donc bien une tradition populaire que j'ai recueillie à Volantza sur l'existence d’une ancienne ville, à l'endroit indiqué par la carte de l'état-major, sous le nom de Palæo-Phanari. Pausanias nous apprendra quel cas nous devons faire de cette tradition. « Le fleuve Leucymnias, dit-il, descend du mont Pholoé et se jette dans l’Alphée. En traversant l’Alphée dans cet endroit, on se trouve sur les frontières des Piséens. Là est une colline escarpée, sur laquelle on voit les restes de la ville de Phrixa et uh temple de Minerve Kydonia ; le temple n'existe plus en entier, mais l'autel s’est conservé jusqu’à mon temps. » M. Kiepert, dans sa carte, a très-heureusement fixé la position du fleuve Leucymnias au coude de l'Alphée; Pausanias, si com- plet pour tout ce qui regarde les environs d’Olympie, Gonne les noms de tous les cours d’eau successifs, le Cladéus, l'Harpinnas, le Parthénius, le Leucymnias. La colline de Palæo-Phanari se trouve précisément entre l'embouchure du Parthénius et du Leu- cymnias. Il ne saurait donc y avoir aucun doute; d'ailleurs le mot de colline escarpée ne convient qu'à celle qui s'élève à pic au coude de l’Alphée. On ne saurait s'étonner de ne plus trouver de restes anciens à Palæo-Phanari, puisque, dès l'époque de Pausanias, Phrixa était en ruines. L'autel encore debout de Minerve Kydonia a disparu, aussi bien que le temple; il ne reste plus qu’une citerne sur le plateau le plus élevé, mais la nature même du terrain ferait, en l’absencé de toute tradition et de tout texte indicateur, soupçonner MU de en cet endroit une ancienne acropole. Ilsemble même que la main de l'homme ait aidé la nature, et que des travaux de terrassement aient été exécutés pour faciliter la construction des fortifications de Phrixa, ou, du moins, pour les rendre plus redoutables. Le colonel Leake et M. Curtius ne font aucune difficulté de placer Phrixa à Palæo-Phanari; c'est aussi l'emplacement indiqué par l'Atlas de M. Kiepert, et je ne crois pas qu'après le texte de Pausanias il soit possible de ne pas se ranger à cette opinion. Palæo-Phanari était, avant la guerre de l'indépendance hellé- nique, un village assez florissant. Son nom moderne semblait in- diquer que l’ancienne Phrixa, connue plus tard sous le nom de Phaistos, n'avait jamais complétement cessé d'être un centre de population. Le nom s'était altéré avec le temps, sans devenir mé- connaissable. La guerre a détruit les habitations qui s'élevaient sur l'emplacement de la cité Minyenne. Tout a été brûlé, et le village a été reconstruit beaucoup plus bas, sur les flancs de la colline, ainsi que je le tiens d’un témoin oculaire de ces scènes de désolation. Le colonel Leake parle de ruines helléniques situées entre le village de Vrina et le mont Smerna; d’autres voyageurs les pla- cent près de Moundritza, mais personne ne les a vues; je n’ai pas été plus heureux que mes devanciers, je dois même dire que mes guides n'en avaient pas la moindre idée. J'ai déjà expliqué qu'un voyageur, quelque soin qu'il mette à une exploration, n'est pas en droit de nier l'existence d’une ruine parce qu'il ne l'a pas vue, mais enfin je ne puis m'empêcher de remarquer qu'il y aurait, d'un autre côté, une certaine audace à vouloir fixer l'emplacement d'une ville ancienne d’après les ruines dont plu- sieurs personnes ont entendu parler, mais que nul n’a décrites, ni même aperçues. J’admettrai néanmoins volontiers, avec M. Cur- tius, que ces ruines, si elles existent, peuvent être celles de Ty- pana ou d'Hypana. Strabon nous apprend, en effet, que ces deux cités étaient peu éloignées l’une de l’autre, et situées au nord de Pylos. Mais, s'il est permis de regarder l'opinion de M. Curtius comme une hypothèse assez probable, il faut bien se garder d’en faire une chose certaine, car tout cela repose sur une base trop peu solide. Le colonel Leake voit dans ces ruines Épéum , la cité minyenne; la raison qu'il donne à l'appui de son opinion est peut-êtfe un peu — 235 — légère, c'est le texte de Xénophon qui place Épéum entre Macis- tos et Héræa. Le point indiqué par le savant colonel se trouve, en cffet, dans la ligne tracée par l'historien ancien, mais il est plus de vingt collines sur lesquelles il ne serait pas déraisonnable de placer des acropoles sur cette route, et je ne vois pas la raison qui fait donner la préférence à l’une plutôt qu’à l’autre. Après avoir placé Épéum près de Vrina, le colonel n’a plus à s'occuper que de la position de Typana et de celle d'Hypana. Pour lui, Typana est la ville dont on voit les ruines au-dessus de Pla- tiana. Hypana se serait jadis élevée sur l'emplacement du village moderne d’Alvena. La première de ces suppositions est fondée sur ce que, d'après le rapport de Polybe, le chef étolien Philidas, lorsque Philippe menaça la Triphylie, envoya une partie de ses troupes à Lépréon, une autre à Aliphera, et resta dans Typana pour observer les mouvements de son adversaire, alors à Héræa. Or la position de Platiana paraît au colonel la plus propre à réa- liser le plan de Philidas. A cela on peut répondre qu’en admettant l'excellence des raisons stratégiques du colonel il est à croire que toute autre place fortifiée des environs de Platiana pouvait aussi bien convenir à Philidas; or il est certain que Typana était dans le voisinage; de plus, Philidas a bien pu se décider par l'état des fortifications, plus encore que par la situation des villes. Pour ce qui est d'Hypana, que le colonel place au village mo- derne d’Alvena, ce n’est qu’une supposition de sa part fondée sur la position élevée du village et le nom de la ville ancienne. Je ne combattrai donc pas cette opinion, qui ne se présente que sous forme d’hypothèse, mais je ferai remarquer qu’on ne trouve au- cune ruine dans les environs d’Alvena. Le plus sage, peut-être, est d’avouer qu'il est fort difficile d’as- signer une place précise à ces deux villes, qui n'eurent jamais une grande importance, puisque Strabon les appelle de petites villes, lui qui donne assez facilement le nom de villes, sans res- triction aucune, à des centres de population très-minces. Sans re- pousser complétement l'hypothèse du colonel Leake pour ce qui regarde Hÿpana, je me rangerais plus volontiers à l’avis de M. Kie- pert, qui place ces deux villes un peu plus haut. En effet, l’une d'elles ayant été réunie à l’Élide, c'est surtout vers la partie sep- tentrionale de la Triphylie que nous devons les placer, car si nous ne savons pas exactement où elles étaient situées, leur position 686 2 approximative nous est assez connue pour que nous ne conser- vions pas de doutes à cet ee Maintenant que j'ai passé en revue toutes les villes de Triphyhie mentionnées par Hérodote, Polybe, Strabon et Pausanias, indi- quant d’une manière certaine la position des unes, hasardant les hypothèses les plus probables à l'égard de quelques autres, avouant enfin mon ignorance pour celles dont mes recherches person- nelles, ni ques de mes devanciers, n’ont pu me faire découvrir la trace; je n’ai plus à parler que d’ Épéum, ville qui, à elle seule, forme une importante partie de mon sujet. CHAPITRE V. EPEUM. Il me reste maintenant à m'occuper spécialement d'Épéum ta rechercher le nom, l'origine et le véritable emplacement de cette antique forteresse; à en étudier, en décrire et en dessiner les ruines si remarquables et si bien conservées. Je vais essayer de répondre aux différentes questions de l'Institut, dans l’ordre où elles ont été posées. Les écrivains anciens ne s'accordent pas sur le nom que l’on doit donner à la ville qui nous occupe. Homère la nomme éüxrt- ro Aërv, Hérodote Ério, Xénophon Hreio», Polybe Airior, Strabon Es Stace Æpy, Étienne de Byzance, Hreov. Il y a donc trois opinions en présence : celle d'Homère, à laquelle se rangent Strabon et Stace; celle d'Hérodote, adoptée par Polybe; celle de Xénophon, adoptée par Étienne de Byzance. En effet, pour risque connaît la vraie prononciation de la langue grecque, il n'y a qu'une simple différence d'orthographe entre l'Ériov d'Hérodote et l’'Airior de Polybe, qui, tous deux, doi- vent se prononcer Épion. Il en est de même pour l'Hreior de Xénophon et l'Ariov d'Étienne de Byzance, qui, tous Rue, se prononcent Ipion. À laquelle de ces trois opinions donner la préférence? Qui prendre pour guide entre tant d'écrivains, qui presque tous font * L'auteur de ce mémoire ne parait pas avoir eu connaissance du voyage de M. Ross dans le Péloponèse, où il est assez longuement parlé d’ Épeion. ce M autorité? Avant de discuter cette question, je crois devoir indi- quer, mais seulement pour mémoire, deux opinions émises avant Strabon et rapportées par lui. La ville que Strabon appelle Aîru ne serait, suivant certains critiques, autre que Thryon, sur les bords de l’Alphée. J'ai déjà prouvé que cela était impossible, puisque cela contredisait, d’une manière évidente, le passage de Xénophon qui nous apprend qu 'Hretor est entre Macistos et Hé- Træa. Slace est postérieur à Strabon, mais cependant, pour nous, c’est encore un ancien; nous pouvons croire qu'il avait une connais- sance exacte de la tradition Homérique, surtout pour les choses qu'il semble traduire plutôt qu'imiter, et il a placé dans le même vers Thryon et Æpy. Quos Thryon, et summis ingestum montibus Æpy !. l semble difficile de trouver un argument plus fort, en aussi peu de mots. Thryon et Æpy étaient donc bien deux villes dis- tinctes. Quant à l'opinion de ceux qui ne savent pas si dans &üxretor Aërv, Afv n’est pas l’épithète, et éxrero le nom propre, je ne crois pas devoir la discuter. Je me contenterai de remarquer que, puisque Strabon l'a citée, tout en la repoussant, il faut qu'elle ne fût pas pour les anciens aussi étrange qu'elle peut le paraître à des modernes. L’exactitude de la géographie d'Homère est si reconnue qu'il y aurait une grande hardiesse à rejeter son témoignage, surtout quand on le voit confirmé, après un aussi grand intervalle, par Strabon et Stace; aussi je n'hésite pas à regarder Aîrv, comme un nom très-authentique. Hérodote, Xénophon, Polybe et Étienne de Byzance se sont, il est vrai, écartés de la tradition Homérique, mais les trois premiers sont des historiens, et le quatrième un géo- graphe; ils n’ont tenu compte que du nom de la ville moderne. I suffit d’avoir jeté un coup d'œil sur les ruines indiquées par la carte de l'état-major, sous le nom d’Æpy, un peu au-dessus du village de Platiana, pour comprendre que ce n'est pas de cette ville qu'Homère a voulu parler. Ses murailles sont évidemment postérieures à la guerre de Troie, et même au poëte qui l’a chan- 1 Stace, Thébaïde, IV, vers 180. — 238 — tée. Elles ne remontent pas plus haut que l'invasion minyenne, dont parle Hérodote en termes si précis. Il n’est pas impossible, il est même assez probable qu ‘avant cette époque une ville pélasgique s'élevait sur le même empla- cement. La configuration du terrain peut encore nous porter à penser qu'elle était connue sous le nom d'Æpy, qui convient par- faitement à la colline escarpée, où se trouvent les ruines encore debout, mais cette ville, si elle a existé, a complétement disparu, soit par la conquête minyenne, soit par quelqué catastrophe anté- rieure; il n’en reste plus vestige. Ainsi, sans contester l’authenticité du nom d’Æpy, nous devons l’écarter; il n’a jamais été celui de la ville dont nous avons les ruines. Restent en présence les deux opinions d'Hérodote et de Xéno- phon, les noms d'Épion et d’Ipion. Certes, dans toute autre cir- constance, il serait permis d’hésiter entre deux historiens aussi éminents; mais Xénophon habitait à quelques heures de la ville en question; une promenade à cheval, une de ces chasses qu'il décrit avec amour pouvaient l’amener chaque jour sous ses mu- railles. Comment croire qu'il ne connüt pas exactement son nom, et l'orthographe de ce nom? Je n'hésite donc pas à préférer le nom d'Ipion donné par Xénophon. Pendant mon séjour en Triphylie, j'ai curieusemeut observé la prononciation des habitants. Je pensais que la différence entre Hérodote et Xénophon n'était peut-être pas aussi considérable qu'elle le paraissait. En effet, si la lettre H s'était jadis prononcée en Triphylie comme un E long en français, la différence se ré- duisait à rien. Mais la prononciation des Triphyliens modernes n'autorise nullement une pareille conjecture. La lettre H se pro- nonce à Platiana, comme à Athènes : c’est toujours FT français. La ville, que désormais nous nomimerons Ipion, n'a jamais joué dans l’histoire un rôle fort important; Macistos et Lépréon l'ont éclipsée de tout temps; il n’est pas difficile d'admettre que Polybe et Hérodote, qui n'habitaient pas la Triphylie, comme Xénophon, ont pu ignorer son nom véritable, mais il est impossible de révoquer en doute le témoignage de l'historien de Scillonte. Cependant c’est toujours grave, même lorsque l’on croit avoir en main des preuves matérielles, que d’accuser d'erreur des histo- riens comme Hérodote et Polybe, au moins pour ce qui concerne l'intérieur de la Grèce; aussi je ne regarde comme nullement in- ET. vraisemblable l'hypothèse suivante, qui concilierait les trois opi- nions que nous avons discutées. Æpy serait le nom d’une ville pélasgique bâtie par la population primitive sur la colline de la nioderne Ipion. À Æpy, détruite ou abandonnée, les Minyens au- raient substitué Épion, et, par la suite des temps, le nom de l’an- tique cité, s’altérant encore, serait devenu Ipion. Cette hypothèse a l'avantage de ne donner de démenti ni à Homère, ni à Héro- dote, ni à Xénophon, et par cela même, elle présente un grand caractère de probabilité. L'habitude de traduire en français As, H, €, par Æ ou E, équi- valents dans la prononciation, jette nidltes obscurité sur le vrai nom et même sur la véritable origine de cette ville.‘ Comment au premier abord ne pas croire qu’Æpy, Épéum ou Épéon, dont on trouve les ruines dans le pays r possédé par les Épéens, n'ait été fondé par ce peuple? Il n’en est rien cependant, ou du moins nous n'en avons pas la preuve. Pausanias parle assez lon- guement des Épéens et de leur arme mais il ne dit nulle part qu ils aient donné leur nom à une ville quelconque. Strabon, qui parle des Épéens et d'Æpy, ne prétend pas non plus que la ville doive son nom au peuple. En effet, les deux noms d'Æpy et d'Épéens, si semblables pour nous, ne présentaient aucune simi- litude pour les Grecs. Le mot air signifie ville escarpée et non ville des descendants d'Éréos. C'est Dei uniquement à sa position que la ville homérique d'Æpy a dû son nom, quels qu’aient été ses fondateurs, que l’histoire ne nous fait pas connaître. Tout ce qui regarde la cité des temps héroïques est obscur, mais ce n'est pas d’elle que j'ai à m'occuper. L'origine de la ville historique n’est pas douteuse. Hérodote! nous apprend que les Mi- nyens, quand ils envahirent la Triphylie, se partagèrent en six tribus qui, chacune, fondèrent une ville; Ériov fut du nombre. Le témoignage est précis, on ne peut le D en doute. Ériov fut donc une ville d'origine minyenne ; la ville épéenne avait com- plétement disparu. Les ruines d'Ériov, encore debout de nos jours, suffiraient, comme je le prouverai en les décrivant, à don- ner raison à Hérodote, si l’on pouvait concevoir le moindre doute après l’assertion si positive d’un historien aussi exact. * , ! 2 ms - Érpdroyro és roÙs Ilapwpentas xai Kaÿxwvas, roûrous à Échdaavres x ris ywpns oQéas aÿroûs ÊË poipas diethov, nai Emeirer ExTiour mÔas rücde év aÿroïor, AËrpeov, Mœxorov, Dpiéas ; Ilüpyov, Ério», Noudtov. (Hérodote, liv. IV, ch. cxzvur.) RENE — 20 — Que le nom d'Éreo vienne de-celui des Épéens, cela n'est pas contestable; mais il n’en est pas moins vrai qu'il a été donné par les Minyens, et non par d'autres, à la ville nouvelle. Peut-être voyaient-ils dans ce nom un moyen de perpétuer le souvenir de leur victoire. Ainsi la fondation d'Érsov coïncide dans l'histoire avec -la disparition, ou du moins avec l’assujettissement des Épéens. Il n’y a donc aucun doute possible sur le nom et l’origine de cette ville. Il y en aurait sur son véritable emplacement si la ques- tion ne pouvait être décidée que par les textes des auteurs an- ciens, car ils font défaut. Xénophon seul donne un renseignement précis lorsqu'il nous dit que Hreior était placée entre Macistos et Héræa. Or les ruines situées au-dessus de Platiana se trouvent à peu près à moitié chemin, entre ces deux villes, à vol d'oiseau. Cette in- dication suffirait pour rendre probable l dnioe de M. Curtius, qui place Hre/or au-dessus de Platiana, mais il n ‘y aurait pas cepen- dant certitude. La certitude, nous la trouverons dans l'étude ap- profondie des ruines qui, par leur caractère, attestent que la ville a été fondée en même temps que Lépréon, à l'époque de la con- quête minyenne. Quoique peu connues, les ruines d'Hretor sont, de toutes les ruines de la Grèce, les mieux conservées et les plus curieuses à . étudier en détail. Tirynthe, Messène, Samicum, présentent cer- taines pardes qui ont moins souffert, mais ce ne sont que des parties ; à Hretov, nous retrouvons la ville presque entière, avec ses fortifications, et même avec ses divisions intérieures. Le plan que je joins à mon mémoire indique, par des numéros, les ruines encore debout; je suis arrivé au numéro quarante et un, et jau- rais pu aller plus loin si je ne m'étais imposé de désigner par le même chiffre les restes qui se ressemblent. En un- mot, si les: ruines d'Hreéov ne sont pas les plus belles de la Grèce, elles sont, sans contredit, les plus complètes; si elles ne nous font pas con- naître l’art grec dans sa majestueuse et élégante simplicité, elles nous font connaître tout entière, dans son ensemble et dans ses détails, une ville grecque d'autant plus curieuse à étudier qu’elle ne s'est jamais élevée au premier rang, ni par les armes, ni par le commerce, ni par les arts, une ville enfin comme devaient être la plupart des villes de la Grèce, car ce serait commettre une grave erreur que de croire connaître les cités de la Grèce antique parce — 241 — qu'on aurait pu deviner, ou reconstruire par la pensée Athènes ou Corinthe. Les capitales ne deviennent célèbres et remarqua- bles que parce qu'elles diffèrent des villes de province; par con- séquent, connaître les unes n'est pas connaître les autres. Ce- pendant la race grecque a droit à nos sympathies, en Triphylie comme en ÂAttique. Négliger les villes ignorées, quand on trouve l’occasion de les étudier, pour reporter toute son attention sur Athènes et ses monuments fameux, ce serait commettre dans l'histoire ancienne la faute de ceux qui, dans l’histoire de France, ne voulaient tenir compte que des races royales, de leurs prospé- rités et de leurs malheurs. Hxeiov s'élève sur une colline escarpée au-dessus du village de Platiana ; les pentes sont tellement roides que le nom de l’homé- rique Aëxv revient naturellement à l'esprit du voyageur. On est obligé de tourner la colline pour arriver au sommet, si bien qu’on entre dans la forteresse du côté d’Alvéna. H me serait très-difhicile d’être assez clair pour me faire com: prendre dans la description de ruines aussi considérables, si l’on ne voulait pas me suivre, les yeux sur le plan très-exact que j'ai fait d'Hretor. La ville occupe, dans toute sa longueur, la crête étroite et inégale d’une colline, ce qui fait qu’il n’y avait pas unité de ni- veau pour les différents quartiers; chaque quartier était situé sur un petit plateau à part, et ces plateaux étaient tous séparés par des murailles qui en faisaient, en quelque sorte, autant de forteresses distinctes. Le plan donné par M. Curtius et celui du colonel Leake tiennent compte de ces plateaux et les indiquent. Cependant je crois être plus dans le vrai en en marquant un nombre plus con- sidérable, et comme chaque partie de la ville a été dessinée par moi successivement, et sur les lieux mêmes, j'espère avoir évité les inconvénients que présentent, au point de vue de l'exactitude, les dessins faits d'ensemble ou de souvenir. J'ai indiqué par des chiffres romains les sept différents plateaux qui se trouvent sur le sommet de la colline, et par des chiffres arabes les différentes ruines qui se trouvent dans chacun d'eux. Le plateau I a trente mètres de longueur sur dix-huit de large. Il est situé à l'extrémité de la colline, et les rochers qui le com- posent portent à croire qu'il n'a jamais éié habité; il a été fortifié uniquement pour que, en‘cas de siège, l'ennemi ne püt pas s’y établir. MISS. SCIENT. “30 | aan Les chiffres 1 et 2 indiquent des tours de six mètres de lar- geur, dont la construction rappelle la magnifique architecture po- lygonale de Samicum. 3. Toute cette partie de la muraille est de construction poly- gonale; les blocs employés sont fort considérables, mais ils sont moins régulièrement taillés que ceux des deux tours. La muraille a un mètre quarante centimètres d'épaisseur, ce qui semble peu de chose pour une fortification de cette époque, mais elle n’est formée que de gros blocs de pierre, 1l n'y a pas de remplissage au milieu. 4. Ouvrage avancé destiné à la défense des flancs de la colline, sur laquelle la ville était située. 5. Ce côté du plateau I est tellement escarpé que, loin de faire un ouvrage avancé, les Minyens ont cru pouvoir se dispenser de le fortifier; il n'y a pas trace de muraille, et tout travail eût été inutile, puisqu’en cet endroit le rocher est à pic; les chèvres ne pourraient même pas y grimper. 6. Escalier tournant qui du plateau Il descendait au plateau I. La différence de niveau entre les deux était de huit mètres environ. Le plateau II faisait partie de la forteresse et semble avoir été habité dans toute son étendue, 1l a soixante et dix mètres de long, sur une largeur qui varie entre vingt et vingt-cinq. cé Passage intérieur de trois mètres trente-cinq centimètres de longueur, qui conduisait du plateau IT à l'escalier. 8. Giterne assez pupignde, 9. Petit ouvrage avancé faisant saillie sur le mur qui sépare les deux plateaux. Ce bastion a sept mètres soixante centimètres de large. 10. On voit encore Rai traces d’une rigole formée par de gros blocs de pierre, très-régulièrement creusés vers le centre. 11. Cette partie de la muraille ne ressemble en rien à toutes les autres; elle appartient à ce genre singulier de construction que j'ai signalé à Chaa. Toutes les pierres sont petites et plates, elles ont en général quarante centimètres de longueur, cinq de hauteur; le travail est loin d'en être fini. Cette minime partie des fortifications d'Hrefov semble remonter à une plus haute antiquité que tout le reste. Il est difficile d'imaginer la raison qui a pu en- gager les Minyens à laisser subsister cet unique vestige d’une ville détruite, si toutefois c'est là un reste d’Æpy. Il est plus difficile — 243 — encore, si ce n'est pas un souvenir de la ville homérique, de com- prendre pourquoi l’on à employé dans cet endroit un système de construction si étrange et si peu en harmonie avec tout le reste. Ce mur, en petites pierres plates, a une épaisseur d’un mètre quatre-vingt-dix centimètres. 12. À partir de l’angle rentrant, qui est de trois mètres dix cen- timètres, le mur est construit en pierres plus grosses et rentre- dans les constructions polygonales du plus beau caractère. 13. Excavation faite avec le plus grand soin. Il est assez difficile de deviner à quoi elle pouvait servir. Elle a un mètre soixante et dix centimètres de profondeur, cinq mètres dix centimètres de longueur, sur quatre mètres vingt centimètres de largeur. 14. Porte extérieure, donnant sur la campagne, du côté de Pla- tiana ; elle a un mètre cinquante centimètres de large. Il est assez probable que cette petite porte était destinée aux sorties, comme les portes dont j'ai parlé à propos des fortifications de Samicum, et qui ne sont elles-mêmes qu'une imitation de celles que l’on voit à Tirynthe. Cependant les ruines d'Hretor n'étant pas en général aussi élevées que celles de Samicum, puisque leur hauteur n’est en moyenne que d’un mètre, au lieu de trois mètres quatre-vingts centimètres, il est impossible de comparer ces petites portes dans tous leurs détails, parce que la partie supérieure manque. Il semble que le plateau IT ait été regardé par les Minyens comme le plus important au point de vue militaire, comme leur dernière ressource, en cas de malheur. Ils ont profité de ce qu’il était le plus haut de tous pour le fortifier d'une manière excep- tionnelle. Nous avons déjà vu un petit ouvrage avancé, destiné à protéger une de ses extrémités du côté du plateau I. Un autre ou- vrage de même nature, maïs beaucoup plus fort, le protégeait du côté du plateau II. C'était en effet, de ce côté seulement qu'il était raisonnable de craindre un danger quelconque. 14 bis. L'ouvrage extérieur, destiné à protéger l'extrémité du plateau IT, était lui-même défendu par un mur solide indiqué sur le plan, ce qui faisait une sorte de place d'armes. Les deux pla- teaux communiquaient entre eux par un escalier situé à la droite de l'ouvrage extérieur, et de l’autre côté par une porte encore vi- sible dans le mur, qui formait la place d'armes. Le plateau IT à quatre-vingt-dix mètres de longueur, sur vingt- huit de large. | 10. se ONPRRUEE 15. Le mur de l'enceinte extérieure a, en cet endroit, deux mètres d'épaisseur. 16. Tour extérieure de cinq mètres soixante et dix centimètres de saillie, et de sept mètres quatre-vingts centimètres de largeur. Quand on entrait dans la ville, par la porte de cette tour, on trou- vait devant soi un mur polygonal aussi solide que le mur exté- rieur, et qui formait avec ce mur une sorte de rue, ou plutôt d’impasse, percée seulement vers l'entrée du plateau Il. 17. À ce mur intérieur était adossé un théâtre. Bien qu'il n’eût pas les proportions des théâtres conservés dans l’Attique, et sur- tout dans lArgolide, il était assez grand pour une ville de l'im- portance d'Hreiov. La scène, légèrement convexe, est fort bien conservée; elle avait dix mètres de largeur, quatre mètres qua- rante centimètres de profondeur. On distingue encore fort bien neuf gradins demi-circulaires en pierre, et sur Île côté un esca- lier par lequel les spectateurs entraient et sortaient. Les gradins s'élèvent en amphithéâtre, comme dans tous les théâtres de la Grèce; je pense qu'il y en avait un nombre plus considérable que celui qu'on voit de nos jours; mais j'ai calculé que les neuf gradins qui subsistent süffisaient pour mille spectateurs. 18. Passage en pente douce, par lequel on allait du plateau III au plateau IV. Les fortifications qui séparaient ces deux plateaux ne semblent pas avoir été aussi soignées que les autres lignes de démarcation. Militairement ces deux plateaux n’en faisaient qu'un. Le plateau IV n’a que trente-cinq mètres de long et vingt de large. 19. Le mur de l'enceinte extérieure n’a, dans cet endroit comme dans presque toute son étendue, que deux mètres d’épais- seur, mais On a profité de la disposition du terrain et de certains rochers placés à l’intérieur pour donner au mur de pierre un sou- tien en terre de quatre mètres d'épaisseur, ce qui forme une sorte de boulevard. 20. Traces d’un édifice de cinq mètres quarante Ru de longueur, sur irois mètres quatre-vingts centimètres de largeur. Il est impossible de deviner quelle a pu en être la destination. 21. Excavation considérable maintenant à découvert, mais pro- bablement couverte dans l'antiquité. La profondeur .est de deux mètres soixante et dix centimètres, la longueur de douze mètres et la largeur de sept mètres soixante et dix centimètres. 22. Conliguës à cette excavation se trouvent deux chambres — 245 — séparées par un corridor. Chacune de ces deux chambres à six mètres de longueur, sur quatre mètres trente centimètres de lar- geur. Le corridor a un mètre soixante centimètres de largeur. Il est assez probable que ces deux pièces et l'excavation attenante faisaient partie d'un même édifice, peut-être d'une prison. 23. Une rue étroite comme la plupart des rues des villes an- ciennes, et comme toutes celles des villes modernes de l'Orient, séparait l'édifice dont je viens de parler du mur qui terminait le plateau IV. 24. Traces d'un mur qui allait se relier avec le bâtiment indi- qué par le numéro 20, et qui faisait rue avec la prison. 25. En face de cette prison, se trouvait un chemin fortilié qui descendait sur le flanc de la colline et allait aboutir à une des tours de l'enceinte extérieure de la ville. La porte principale devait se trouver au bout de ce chemin. Sa largeur, qui n’est pas de moins de douze mètres, indique que c'était une des grandes voies de communication d'Hreéor, probablement même la plus grande. La surface du plateau IV est parfaitement égalisée; elle semble l'avoir été de main d'homme, ce qui, vu l'absence de toute trace de maison, ferait supposer que ce pouvait bien être l'agora. On ne peut croire que, s’il y eût eu des maisons sur un terrain aussi uni, elles eussent complétement disparu, quand on trouve tout à côté des traces des édifices publics si bien conservées qu'on re- connaît encore les divisions intérieures de ces édifices. Sans vou- loir en tirer de conséquences trop téméraires en faveur de mon opinion, je ferai remarquer qu’à certaines fêtes religieuses les ha- bitants des villages voisins se réunissaient en ce lieu pour célébrer leurs panégyries par des danses. Le plateau IV était séparé du suivant par un double mur. Le plateau V a cent mètres de longueur, sa plus grande largeur atteint quarante mètres. C'est là que commençait, suivant toute apparence, la ville proprement dite, ou du moins la partie réser- vée aux habitations particulières. Jusqu'ici nous n'avons trouvé que des traces d’édifices publics, et en assez grand nombre pour supposer qu'il n'y avait pas de maisons dans les environs. Rien, d’ailleurs, n'était plus dans les habitudes des anciens, que de consacrer la partie la plus reculée et la moins accessible de leurs villes au culte des dieux et aux monuments publics. Le premier — 246 — plateau, nous l'avons vu, était complétement désert: le second renfermait peut-être quelques habitations particulières, dont il ne reste plus de traces, et par conséquent la chose est douteuse. Pour le troisième et le quatrième, on peut affirmer hardiment qu'il n’y en à Jamais eu. 26. Sur le cinquième plateau, les traces de maisons deviennent très-nombreuses et se distinguent parfaitement. Quelques-unes ont encore un mètre de hauteur. 27. Les maisons qui venaient s'appuyer sur le mur d'enceinte de la ville sont généralement d’une construction plus soignée que les autres, ce qui pourrait faire croire qu'elles avaient été élevées aux frais du trésor public, peut-être dans un but de défense. I n’est pas impossible que ce fussent des logeinents militaires, dans le genre de ceux que nous avons observés à Lépréon, dans une position tout à fait semblable. 28. Ce qui rend cette opinion assez probable, c'est qu'au mi- lieu de cès bâtiments se trouve une porte qui correspond à une porte et à une tour de l'enceinte inférieure. Cette porte a six mè- tres de large. Elle n’est pas à la hauteur de l'extrémité extérieure des bâtiments qui l'entourent, elle se trouve dans un enfonce- ment, si bien qu'on n’y arrive que par un passage de neuf mè- tres de profondeur. Cette partie des fortifications est une des plus soignées et des mieux conservées. 29. La différence de niveau entre les plateaux V et VI est d'en- viron six mètres; ils sont séparés par un mur qui, bien que poly- gonal encore, se rapproche tellement du beau style des grands siècles de l'architecture grecque que je n'hésite pas à en regarder la construction comme postérieure à celle de tout ce que nous avons vu jusqu'ici. Cette supériorité de construction est surtout frap- pante dans une chambre qui servait probablement de corps de garde, située au bout de cette muraille. De loin, l'illusion est com- plète, on croirait voir un fragment des fortifications de Messène; il faut s'approcher pour s’apercevoir de l'erreur. La longueur du plateau VI est de cent vingt mètres; la largeur est la même que celle de tous les autres. 30. Ruines d’un édifice de douze mètres de longueur sur cinq mètres quatre-vingt-dix centimètres de largeur. 31. Suite de petites portes dont il est difficile de déterminer l'usage spécial. De ST 32. Restes d'une église byzantine, qui semble avoir été cons- truite avec des fragments anciens. 33. Maison taillée dans le roc. 34. Fondations d’un temple; Ta longueur était de onze mètres, la largeur de quatre. 35. Restes d’un grand mur. 36. Maison taillée dans le roc. 37. Citerne. Ici cessent ces plaleaux de hauteur inégale qui, grâce au soin pris par les Minyens de les fortifier séparément, faisaient d'Hretor une ville presque imprenable, parce qu'il aurait fallu faire cinq ou six siéges successifs. Le plateau VII n’a pas de fortifications qui lui soient particulières, et qui en fassent une citadelle à part. Il n'est protégé que par les murailles extérieures de la ville. 38. Restes d’un temple de cinq mètres de large, sur huit de long. 39. Autre temple de quatre mètres soixante et dix centimètres de large, sur sept de long. Avec le plateau VII finit la crête de la colline qu'Hrefor occupe tout entière et qui lui donne une forme si singulière, une lon- gueut si démesurée pour sa largeur. ho. À une distance qui ne dépasse généralement pas soixante et dix mètres des fortifications que je viens de décrire, on trouve, sur le flanc méridional de la colline, les restes d’une enceinte for- tifiée, protégée par des tours. Elle s'étend jusqu’à la hauteur du premier plateau. L'œil la suit facilement, bien qu'elle soit très- loin d’être aussi bien conservée que ce qui se trouve sur le som- met de la colline. 41. Tout l’espace compris entre la première et la deuxième ligne des fortifications était couvert de maisons dont on voit en- core les traces, mais très-confuses. Il est facile de comprendre que, sur un terrain en pente, les édifices n'aient pas pu résister aussi bien à l'action du temps que dans la partie plus élevée et plus égale. Telles sont ces ruines si considérables et si peu connues; on ne doit pas hésiter à reconnaître en elles Hretov. Outre l'indication géographique que nous trouvons dans Xénophon, nous avons encore, pour lever tous nos doutes, la similitude parfaite avec Lépréon. Bâties à la même époque et par la même race, les deux LL — 948 — cités ont gardé des traces visibles de cette communauté d’origine. L'architecture et tous les procédés de construction sont exactement les mêmes. La même date semble inscrite sur ces pierres. Ajoutons que, si les deux forteresses se ressemblent par les dé- tails, elles se ressemblent tout autant par le plan général, qui est loin d’être celui de toutes les cités grecques. Rien de plus rare en effet que ces enceintes successives. Partout on trouve une grande muraille qui protége la ville, une autre qui ferme l’acropole; ce n’est guère qu'à Hretor et à Lépréon que l’on trouve, outre les docs: extérieures, plusieurs acropoles distinctes. He/o» en renferme un plus grand nombre que Lépréon , qui n’en a que deux, mais cela tient à la nature du terrain, à l'étrange prolongement d’une colline sans largeur. Puisque, sur un sommet aussi petit que le leur, les Lépréates en ont fait deux, cela suffit pour démontrer qu'ils avaient adopté le même système. De toutes les villes de la Triphylie ancienne dont le nom nous est parvenu, ZruAayyio est la seule dont je n’ai pas parlé, mais, comme l’a reconnu M. Curtius, juge si compétent en pareille ma- tière, l'antiquité ne nous a laissé aucun renseignement sur cette ville. : FRA : dat 7e Archives des Missions sctntifiques, 2° sertie, lome 1 er F7 \ U (l SL l 12 Jours. 9 PDastion. 15 Mur exterieur. \ 3 Mur exterieur. 10 Aqgueduc. _16 Jour. ) 4 Ouvrage avance. un Murexterteur. 17 Theatre NM 5 liochers. 12 Îd. | 1 Passage. 6 Escalier. | . 13 Elrcavation. 19 Mar exterieur. 7 lassage. x forte. 4008 Édifice publee. # (terne. 14% Bastion . 21 Excavation. | Nota. Les chiffres ron Échell TNSENET Re: 29 Corps de garde. 36 Mason. 30 Édifice. 3 Gterne. 41 Llortes. A 38 Temple. 32 Ë guise byxantine. F9 Je. 33 Maison. 40 Enr exterieure. 34 Temple. ft Maisons. 85 Mur. . | ù Imprimerie Impériale. | jo Gr Si 81 12 Jours. 9 Pastwon. 29 Corps de garde. 36 Murson. k 3 Murcrxtéricur. 10 lquedue. ; 10 0 Édifice) 37 Gterne. Z Ouvrage avance. n Muextiriour. T7 3 Jhrtes. 38 Temple: £ Roches. Ê 2 2 Église bysantne 39 1d. ï 6 Escalier. 13 Lrcavation. 19 di) sons. 83 Maison. 40 Encente exterieure. à 7 l'usage. 7 Porte. oenents nulituires. 3 Temple. Z1 Mhrsons d (ierne. 14 PBastion. A W Jorte. ur. T0 1 des différents plateau MÉMOIRE SUR L’ÉTOLIE, PAR M. BAZIN, MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE D'ATHÈNES. CHAPITRE PREMIER. COUP D’OŒIL SUR L’HISTOIRE DE L’ÉTOLIE. L'histoire de l'Étolie est connue. Il importe néanmoins de tra- cer à grands traits la naissance, le développement, l'extinction de la puissance étolienne : les ruines des cités étoliennes seraient muettes pour nous ou ne nous parleraient qu'à demi, si nous ne revoyions pas dans un rapide tableau les habitants qui grandirent et s’abritèrent derrière ces rudes et solides remparts. Quand on parle de l'Étolie, on ne peut se contenter de mêler l’histoire à l'archéologie et de rattacher à la description des villes le récit des faits dont elles ont été le théâtre. En effet, la vie politique et mi- litaire des Étoliens n’a pas été renfermée dans les bornes de l'É- tolie; l'esprit d'aventure les a jetés sans cesse hors de leur terri- toire et les a promenés, par exemple, de l’Acarnanie au Peloponèse et du Peloponèse à la Thessalie. On les montrera donc, après les obscurs débuts et l'organisation de leur ligue, tour à tour aux prises avec la ligue achéenne, Philippe IT, les Romains; on cher- chera dans leur caractère, leurs mœurs, leur religion, leurs ins- titutions le secret de leur grandeur éphémère et de leur ruine. Reculés à l'extrémité du golfe de Corinthe, les Étoliens de- meurent longtemps en dehors de la Grèce et des luttes qui la par- tagent. Ils ne connaissent les guerres médiques que par la renommée, et la guerre du Peloponèse que par une pointe té- DCR PR TT A um 2e 1 PR SUR. — 250 — méraire de Démosthène, auquel ils infligent une rude leçon sous les murs d'Égitium 1, Ils s'abstiennent de la première en barbares qui ne sentent pas dans les Perses l'ennemi commun de toute la Grèce, et, s'ils ne prennent part à la seconde que par accident, c'est que la victoire de Sparte ou d'Athènes n’étendra pas à l'Étolie la suprématie de l’une ou de l’autre rivale. Cependant ils s'orga- nisent , ils réunissent dans une fédération aux tribus de l'Étolie ancienne, établies sur la côte, les tribus de l'Étolie Épictète, nourries dans les montagnes, sauvages encore et fortes de leur brutale indépendance. Lorsque la prépondérance passe d'Athènes, de Sparte et de Thèbes à un État nouveau, la Macédoine, les Étoliens se mélent aux rivalités obscures et compliquées des lieutenants d'Alexandre; le danger se rapproche de leurs frontières et ils se sentent mena- cés. Si la Mécédoine n’a qu'un maître, Antipater, ils lui résistent, soit ligués avec Athènes dans la guerre Lamiaque, soit avec leurs seules ressources; si elle est disputée par des prétendants rivaux, ils s'unissent au prétendant le moins à craindre, à Perdiccas contre Antipater, à Polysperchon et à Antigone contre Cassandre ; mais, tout en les attaquant de front, les Macédoniens soulèvent sur leurs derrières leurs ennemis naturels et invétérés, les Acar- naniens, De 322 à 270, les Étoliens courent successivement des Macédoniens aux Acarnaniens et déploient dans ce double mou- vement des qualités qui croissent chaque jour, l'énergie, la téna- cité, un élan poussé jusqu'aux emportements de la barbarie. L'ex- pédition des Gaulois offre une plus noble matière à leur bravoure, etils peuvent, après les représailles qui vengent les massacres de Gallium ?, après leurs exploits dans la bataille qui sauva le témple de Delphes, fonder au nom des Grecs, en l’honneur de Jupitér Sauveur et d'Apollon Pythien, les owrypra ou fêtes de la déhi- vrance. L'Étolie venait de gagner le droit de s'inscrire au rang des nations grecques ÿ. L'orgueil de la force éveilla ou nourrit l'ambition des Étoliens : ils sentirent que leur vigueur intacte ou à peine entamée les ap- pelait au rôle le plus brillant parmi des nations fatiguées où épuisées de leurs luttes, et à la terreur portée par leurs brigan- * Voir, pour le détail de l'expédition de Démosthène, p. 302, 304. 2 Voir p. 310. * Inscriptions publiées à Athènes par la Société archéologique, cahier [, n° 75. — 251 — dages jusqu'en Attique !, ils voulurent ajouter l’ascendant de leurs conquêtes. Ils mirent la main sur la Locride Ozole et la Phocide, voisines , s’entendirent avec l'Épire pour le partage de l’Acarnanie, et, introduits dans le Peloponèse par d'anciens et fidèles alliés, les Éléens, ils réunirent à leur ligue Tégée, Mantinée, Orcho- mène, Psophis, Phigalie. La Béotie, dégénérée depuis Épami- nondas et Pélopidas, tomba entre leurs mains sous le coup d'une seule défaite. L’Étolie touchait au nord, par la Béotie, au territoire de la ligue achéenne, qui venait de s’incorporer Corinthe et Mé- gare; elle la menaçait au sud par les postes importants qu’elle avait occupés en ÂArcadie; elle s’alliait à Cléomène contre les Achéens : une lutte entre les deux ligues était imminente. Les brigandages de vrais chefs de partisans, Dorimaque et Sco- pas, qui jettent la Messénie dans la ligue achéenne, et la défaite des Achéens à Caphyes, due surtout à l’impéritie d'Aratus, pro- voquent la guerre des deux ligues. L'assemblée des alliés de la ligue achéenne à Corinthe retentit des plaintes des Béotiens, des Phocidiens, des Épirotes, des Acarnaniens, des Achéens; l’abais- sement de l'Étolie est résolu, et à Égium le héraut proclame devant les Achéens réunis le droit de dépouille sur les Étoliens. Mais les Achéens ne trouvent pas un allié dans le Peloponèse, et Scopas, un des principaux auteurs de la guerre, est nommé stra- tége. Les Étoliens ouvrent la campagne par des incursions en Achaïe et en Piérie (219). Philippe, l'allié intéressé, mais pré- cieux, de la ligue achéenne, l'ennemi implacable des Étoliens, répond à à leurs pillages par une expédition brillante dans l'Acar- nanie étolienne et dans la basse Étolie?. Il la soutient par une se- conde expédition dans le Peloponèse, qui enlève aux Étoliens des places fortes d’Arcadie et la Triphylie tout entière. Après avoir battu en brèche l'influence étolienne dans le Peloponèse, il veut leur enlever les moyens de la reconquérir et couper court à leurs brigandages : il assiége Céphallénie, qui leur fournit des vais- seaux, et n'échoue que par la trahison de ses principaux officiers. Les Étoliens trouvent des auxiliaires j jusque dans son camp. Il est vrai que Philippe répare l'échec qu'il a essuyé devant Céphallénie par une campagne hardie qui consterne la région des lacs et le ? Voir un curieux chant ithyphallique, cité par Athénée, VI, 62. ? Voir, pour les détails, p. 332, 333. — 252 — mène en vainqueur à Thermus. La moitié des Étoliens s'était jetée sur la Thessalie !. Bientôt Philippe passait lui-même dans celte province et y enlevait aux Etoliens l’importante position de Thèbes de Phthie. Il ne consentait à la paix qu'après la bataille de Trasimène, pour suivre les périlleux conseils qui stimulaient son ambition et le poussaient contre l'Italie. Agélaüs l'Étolien, dans les conférences de Naupacte, recommandait aux Grecs la concorde et leur signalait le nuage qui arrivait de l'occident. On ne savait pas qu'il était si proche et qu'il allait couvrir toute la Grèce. La voix prophétique d’Agélaüs ne fut pas entendue : Philippe, pour avoir la Grèce, conclut une alliance avec Annibal, et les Étoliens, pour défendre leur indépendance contre Philippe, s'u- nirent avec Rome. Le souvenir de leurs pertes en Acarnanie, en Thessalie, en Arcadie, que n'avaient point compensées des incur- sions stériles ni des représailles d'un moment; la crainte d'une ruine complète, les promesses séduisantes des Romains, déci- dèrent les Étoliens au traité fatal. Mais le vrai coupable fut Phi- lippe, qui n'avait d'autre mobile que l'ambition. Les Romains avaient désormais un pied en Grèce. L'action fut vivement en- gagée : Nasus et Éniades, villes acarnaniennes, furent livrées aux Étoliens par les Romains, qui ne se réservaient que ie butin dans les conquêtes communes. Mais l’attitude résolue des Acarnaniens etl’approche de Philippe firent échouer une expédition formidable dirigée par les Étoliens contre l'Acarnanie. Les Romains, alors, re- tirent leurs légions et ne laissent aux Étoliens, pour les soutenir, que leur flotte. Ils ont atteint leur but, remis les Étoliens aux prises avec Philippe et préparé la ruine de l'Étolie et de la Macé- doine, en attisant le feu de leurs inimitiés. Pour surveiller les Étoliens et les tenir dans l'alliance romaine, ils ont appelé Attale, que les Étoliens nomment stratége, de concert avec Pyrrhias. Le beau rôle est à Philippe, qui poursuit la conquête des villes éto- liennes de Thessalie et pénètre une seconde fois jusqu’à Thermus, tandis que les Étoliens ne savent ou ne peuvent que ravager l’A- chaïe. Ici la Grèce, qui a compris la politique de Rome et vu le péril, intervient par les députés de Ptolémée, de Chio, de Mity- lène, du roi des Athamanes, d'Athènes, pour réconcilier les Éto- ! Voir, pour les détails, p. 313, 314. — 253 — diens et Philippe. Mais les Étoliens barbares, étrangers aux dé- tours de la politique, ne peuvent se croire trahis; un secours envoyé à temps par Rome leur ferme les yeux. Il est vrai qu'il _est presque aussitôt retiré que donné, et que les Étoliens, désabu- sés, traitent avec Philippe. Rome se venge en concluant à son tour avec Philippe un traité dans lequel elle n’a pas compris les Étoliens (211-205). Rome a triomphé à Zama; elle n'oublie pas que Philippe a pris parti pour Annibal, et elle associe sans peine les Étoliens, dont elle exploite les aveugles ressentiments, à la vengeance qu’elle veut tirer de la Macédoine. Les Étoliens combattent donc pour Rome en Thessalie, pendant que Philippe est rejeté en Macédoine par Flamininus, et leur cavalerie concourt glorieusement à la vic- toire de Cynocéphales. Mais Flamininus ne veut rendre aux Étoliens que Thèbes de Phthie. Suivant Tite-Live et Polybe, la jactance des Étoliens, et l'avidité qui, après Cynocéphales, les avait jetés sur les dépouilles de Philippe, avaient indisposé contre eux les Romains et leur général. La verité est que Rome ne voulait pas humilier Philippe au prof de l'Étolie (197). Repoussés avec mépris, parce qu'ils étaient inutiles, les Étoliens comprenaient enfin la politique de Rome. Mais ils allaient se perdre par l’impatience de leurs ressentiments, l’âpreté de leurs réclamations, l’aveuglement de leurs alliances. Ils montrèrent aux Grecs Rome mettant ses garnisons à la place des garnisons ma- cédoniennes dans les villes de la Grèce, Orée, Chalcis, Démé- trias, Corinthe , et substituant sa tyrannie à celle de Philippe; ils dévoilèrent les motifs cachés du coup de théâtre joué par Flami- ninus aux jeux isthmiques et la vanité de cette liberté prétendue; ils s’attachèrent à Flamininus, qu'ils fatiguèrent de leurs plaintes. Flamininus les renvoya au sénat et le sénat à Flamininus. Puis les Romains, pour se concilier la Grèce, retirèrent leurs garnisons d'Orée, de Chalcis, de Démétrias, d'Érétrie, de l'Acrocorinthe, et les Étoliens se jetèrent dans les bras d’Antiochus. Les nouveaux alliés se trompèrent l’un l’autre : les Étoliens promirent à Antio- chus des auxiliaires qu'ils ne pouvaient pas lui assurer, et Antio- chus fit étalage de forces considérables que la Grèce ne vit jamais. La précipitation, la crédulité, la vanité présageaient aux coalisés une prompte ruine. Malgré les conseils d'Annibal, ils s’aliénaient Philippe par leurs conquêtes en Thessalie, après la prise de Démé- sr | trias et de Chalcis. Les Étoliens, déçus dans leurs espérances, se ralentissaient pour Antiochus, qui bientôt succombait aux Ther- mopyles, et ne savaient que déployer une bravoure inutile der- rière les murs d'Héraclée. Vaincus, ils s’adressèrent au sénat, qui les irrita par ses conditions exorbitantes, et on les vit tour à tour, dans l'intervalle de leurs négociations malheureuses, défendant Naupacte, Lamia, Amphissa, contre Acilius Glabrion (191-190), se vengeant sur Philippe, auquel ils reprirent l’Amphilochie , l’A- pérantie, la Dolopie; jouant leur dernière partie à Ambracie contre Fulvius; enfin, après la défaite totale d’Antiochus, accep- tant toutes les conditions, c'est-à-dire une contribution de guerre de cinq cents talents, des otages, des limites nouvelles, qui leur retirent les villes soumises par les Romains ou passées volontaire- ment du côté de Rome; une dépendance absolue, qui les attache aux Romains comme alliés effectifs dans toutes les guerres de la République. Céphallénie, qui leur fournissait des vaisseaux, leur est enlevée, et les Achéens sont postés à Pleuron et à Héraclée, pour surveiller l'Étolie (188). Enchaïnés par leur traité avec Rome, les Étoliens tournent contre eux-mêmes cette ardeur inquiète qu'il leur était défendu d'employer contre leurs ennemis. Des factions acharnées seforment dans les villes, et la faction romaine, soutenue par la complicité, la connivence ou la négligence de Rome, décime la faction éto- lienne. Un Bébius prête ses soldats pour massacrer cinq cent cin- quante chefs étoliens, prétendus ennemis de Rome. Paul-Émile lui-même sanctionne ces atrocités. L’accusation d'intelligence avec Persée ou de sympathie pour la Macédoine semble autoriser toutes les vengeances. Rome alimente perfidement les fureurs de la guerre civile qui ruine ses ennemis; c'est une des taches de sa domination en Grèce. L'Étolie tombe bientôt dans la léthargie de l'épuisement. | Son histoire est désormais finie. Elle se déclare pour César contre Pompée, et une partie de sa population est transportée par Auguste à Nicopolis. Depuis, elle suit les destinées de la Grèce. Elle est comprise dans la province d’Achaïe, ravagée par les bar- bares, indépendante sous les Commènes, après la fondation de l'empire latin, réunie passagèrement à l'empire d'Orient vers le milieu du xrv° siècle, occupée par les Albanais, gouvernée par des Tocco, comtes de Céphalonie, enfin conquise par les Mures — 255 — avec le reste de la Grèce. Ii suffit d'indiquer en passant ces vicissi- tudes, dont le détail est sans intérêt. CHAPITRE IL. LES HABITANTS. On a dit que le caractère, les mœurs, la religion, les institu- tions des Étoliens contenaient le secret de leur grandeur et de leur ruine, Il suffit, pour le prouver, de réunir les traits de leur phy- sionomie épars dans Thucydide, dans Polybe et dans Tite-Live. Thucydide nous apprend que, de son temps encore, le brigan- dage était l'occupation favorite des Acarnaniens , des Étoliens , des Locriens Ozoles !. Rien ne leur semblait plus naturel que de piller autrui : C'était à charge de revanche. Et il n’y avait pas seulement du butin, il y avait aussi de l'honneur à y gagner. Quand on ne conçoit d'autre force que la force physique ou que la ruse, qui en dispense, le brigand vigoureux ou habile qui ramène des bœufs volés sur un territoire voisin paraît le premier des hommes. Dans les deux siècles qui suivent, l’histoire se tait sur les dé- prédations des Acarnaniens et des Locriens Ozoles ; il est à croire qu’elles avaient cessé. Les Étoliens seuls demeuraient les repré- sentants endurcis du brigandage, et Maxime de Tyr, en énumé- rant les goûts des différents peuples , a pu dire : Ta Airwluua, Ana- Teiar : « le brigandage, voilà la passion des Étoliens ?. » C'est que l'audace et une humeur remuante formaient le fond du caractère étolien. À cette énergie peu réglée il fallait un ali- ment continuel, et les Étoliens se jetaient dans les aventures. S'ils ne pouvaient emporter les difficultés de haute lutte, ils avaient cet esprit d'invention (érévoua) qui suggère des expédients pour les tourner *, Dans l'histoire, les exemples ne sont pas rares de ces chefs entreprenants et habiles qui savent entrainer les peuples et venir à bout de périlleuses entreprises. En Étolie, l’ardeur in- quiète et la volonté persévérante n'étaient pas le privilége des chefs, mais le lot de tout le monde. Timarque, un aventurier in- connu, était allé piller les côtes d'Asie. Il débarque un jour près 1 Thucydide, I, v. ? Maxime de Tyr, Duss. XXII, 11. * Polybe, 11, xzvr. — 256 — d'un village bien peuplé. D’un coup-d'œil il a mesuré le péril et, sans attendre, il met le feu à ses vaisseaux. Réduits à n’espérer plus que dans leur valeur, ses hommes et lui triomphent de cette multitude !. Si nous avions encore les Airwluxd de Dioclès de Rhodes, de Dercyllus, de Dosithée, nous y lirions assurément les exploits de plus d'un Timarque ?. Isolés dans leurs montagnes, les Étoliens n'avaient appris ni à régler leur caractère ni à juger plus sainement leurs entreprises. À défaut d’attrait naturel, le brigandage eût eu chez eux la force d’une longue tradition. Ils faisaient ce que leurs pères avaient fait. Même dans l’art de la guerre, quoiqu'ils eussent pu expéri- menter les effets de la discipline et de l’ordre, ils étaient demeurés les Étoliens d'autrefois. Dans une plaine, en bataille rangée, ils n’eussent pas tenu; mais, sur un terrain accidenté, ils excellaient à profiter des positions et des circonstances; ils étaient terribles dans une mêlée, quand on se mesure homnie contre homme. Il y avait dans leur nature quelque chose d'indépendant et de sau- vage qui répugnait à l'éducation des camps; s'ils eussent voulu les y soumettre, leurs chefs eussent compromis leurs succès. Par leurs attaques désordonnées et fougueuses, les Étoliens déconcer- taient leurs ennemis; et, quand ils les voyaient plier, ils les épou- vantaient . de cris terribles et prolongés, que Polybe, l'historien de la ligue achéenne, pouvait trouver excessifs et fatigants. Ainsi la guerre qui, par la discipline dans le camp, amène ou soutient quelquefois la discipline dans l'État, n'avait pas corrigé les Etoliens $. Le succès de leurs aventures les enflammait. Ils avaient ravagé l'Acarnanie, l’Attique, les côtes du Peloponèse; ils avaient poussé jusqu’en Asie Mineure, jusqu’en Bithynie, sans essuyer un seul de ces revers qui rebutent. Entendaient-ils parler d’une expédition méditée par quelque chef hardi, ils accouraient avec enthousiasme. Ils allaient rapporter du butin et de nouveaux titres de gloire. Dans un pays où le brigandage est l'occupation préférée, 1l est naturel qu’on admire, que l'opinion place au premier rang ceux qui réussissent *. ! Polyen, Strat. vi. ? Fragm. des hist. grecs, vol. LIT et IV, éd. Didot. % Polybe, IV, vin, 10; x, 0. & Jd..ab. zxrx, 5 et 6. PU ts Par une suite naturelle, le brigandage, en Étolie, après avoir été une passion, devint une nécessité. Ils s'étaient fait une habi- tude de vivre aux dépens d'autrui, et ne pouvaient la quitter. On échange difficilement les émotions d’une guerre de surprises, l'i- vresse du succès, les fortunes rapides, contre la vie monotone du laboureur, les maigres productions d'un sol ingrat ou les calculs incertains du commerce. Mais le résultat le plus fâcheux, c'est me les richesses introduites Die la guerre en Étolie avaient créé de nouveaux besoins, éveilié une curiosité insatiabie. Tyrannisés par les exigences d’un luxe insensé, il leur fallait ou se ruiner à force de dettes ou se jeter tête perdue dans les aventures. On voyait un Scopas, autrefois stratége, passer au service plus lucratif de Ptolémée , revenir en Étolie avec des sommes considérables et y lever six mille hommes pour son nouveau maître. Stimulés par la cupidité, les Étoliens s’enrôlaient en masse, et il fallut que le stratége en fonctions, Damocrite, 2. de toute son autorité pour conserver des soldats à l’Étolie (200) ! Plus un peuple est grossier, plus le luxe y prend des propor- tions extravagantes. Un tel peuple n’a le sentiment ni de la beauté, ni de l'élégance; il ne recherche que ce qui éblouit, et, avec la curiosité, l’avidité des enfants, il amasse l'or, l’argent, les objets rares. Pour se les procurer, les moyens lui deviennent indiffé- rents. Polvhe, qui s'est fait contre les Étoliens l'écho passionné des accusations de la Grèce, leur reproche amèrement de ne pou- voir laisser en paix leurs voisins. Tout État qui confinait à l’Étolie tournait sans cesse des regards inquiets vers ses frontières; il sa- vait que les Étoliens attaquaient sans déclarer la guerre, sans ex- poser auparavant leurs griefs; 1l se tenait donc constamment sur le qui vive, ou, de guerre lasse, il laissait faire. Les traités mêmes ne protégeaient pas toujours les alliés du peuple étolien. Si la perspective de riches dépouilles tentait trop vivement sa cupidité, il lui suflisait du premier prétexte pour rompre. Maïs une cou- tume singulière s'était établie chez les Étoliens avec la force d’une loi. Deux peuples, alliés l’un et l’autre de l'Étolie, se déclaraient- ils la guerre, on croirait que les Étoliens restaient neutres ou se portaient comme médiateurs, ou , s'ils échouaïient dans ce rôle, pas- saient du côté où était le droit. Ils passaient des deux côtés. Ils se 1 Poiybe, IV, xxxt, 13 IX, xxxvur, 63 XIII, 113 Tite-Live, XXXI, xzur. MISS, SCIENT. 17 — 258 — payaient apparemment de cette raison adourable qu'ayant des al- liés dans les deux camps ils étaient autorisés à les soutenir les uns et les autres. Leurs scrupules levés par un aussi beau pré- texte, ils pillaient sans honte les deux partis. C'était ce qu’ils ap- pelaient dys» Ad@upor dd haQupov, expression intraduisible qui signifie piller le pillage, piller partout où l’on peut piller. Suivant Dolghe: qui nous donne ces détails, Philippe et les autres États grecs leur demandèrent de renoncer à une pareille coutume. Ils ON RS qu'ils supprimeraient plutôt l'Étolie dans l'Étolie; en d’autres termes, qu'ils consentiraient plutôt à leur ruine complète. Les représentations qu'on leur adressait étaient rarement écoutées. S'ils y répondaient, ce n’était pas par des raisons, mais par d'in- décentes plaisanteries !. Les temples mêmes n'étaient pas à l'abri de leurs coups. Eux, les Étoliens, qui avaient défendu contre les Gaulois le temple de Delphes, qui, en mourant pour le sauver, avaient protesté assez hautement de l'inviolabilité des sanctuaires, se déshonorèrent par les mêmes profanations qu'ils avaient condamnées. On les vit piller le temple de Minerve Itonia, en Béotie; de Diane à Lusi, en Arca- die; de Neptune, au cap Ténare; de Junon, à Argos; de Neptune, à Mantinée; celui de Dium, en Macédoine, où ils brülent les por- tiques, détruisent les offrandes, renversent les statues des rois; celui de Dodone, où ils vont jusqu’à brüler le sanctuaire. Aveu- glés par leurs convoitises, ils n'avaient plus rien de sacré. Leurs âmes s’endurcissaient comme leurs corps, et l'accusation d’im- piété les touchait peu. Ce mépris de l'opinion et des dieux, un d'entre eux, Dicéarque, le porta jusqu’à son comble. Passé au service de Philippe, il avait reçu le commandement de la flotte macédonienne dans une guerre injuste contre les Cyclades. « En- voyé, dit Polvbe, pour commettre une impiété manifeste, non- seulement 1l ne croyait rien faire d'énorme, mais il espérait, par l'excès de son délire, consterner les dieux et les hommes. Partout où il abordait, il élevait deux autels : l’un à l’Impiété, l’autre à lInjustice; il leur offrait des sacrifices et les adorait comme des dieux ?. » Tant de desseins, accomplis impunément contre les hommes 1 Poiybe, IV, zxvir, 4; IE, xzvi, 33 XVII, 1v et v; IV, xva, 2-4. 2 Id. IV, xxv, 2; xvu, 9 ; Re 9-10; IV. LXIT, 23 LXVH, 2; XV xxx wir. — 259 — et contre les dieux, avaient rempli les Etoliens d'orgueil. Cet or- gueil faisait une partie de leur force. Les difficultés imprévues ne les déconcertaient qu’un instant; ils avaient en eux-mêmes une confiance si démesurée qu'ils reprenaient aussitôt courage. Ils se sont peints dans leurs monnaies : témoin le statère étolien, qui, d’un côté, porte la tête de la déesse de la guerre, Minerve, et, sur le revers, l'Étolie assise sur un amas de boucliers et tenant d’une main la lance, de l’autre une Victoire, symbole réservé de la toute- puissance des dieux !. Cet orgueil dégénérait en jactance. Dans leurs discours, ils pre- naient volontiers le ton emphatique et théâtral. Dans une assem- blée générale où s'était rendu Flamininus, les Étoliens décidèrent qu’ils appelleraient Antiochus. Flamininus demanda copie du dé- cret : « Bientôt, répondit le stratége Damocrite, j'irai porter le décret et la réponse en Italie, et je camperai sur le Tibre.» Les malheurs mêmes qui humilièrent plus tard leur orgueil ne les pouvaient réduire à un langage plus modeste et plus prudent. Quand leurs députés allaient demander la paix au sénat, ils l'irri- taient en lui rappelant que sans eux les Romains n'auraient pas vaincu Philippe ?. Cependant il serait injuste de s'exagérer la grossièreté et l’igno- rance des Étoliens. Une partie de leurs enfants allaient faire leur éducation dans les écoles d'Athènes. Il fallait même que la poé- sie ne les trouvât point insensibles, puisqu'il se rencontrait des poëtes pour les chanter. Une poétesse de Smyrne, Amynta (?), fille d’Apion, avait dignement parlé dans ses vers du peuple étolien et des ancêtres des Lamiens: elle obtint en retour de la reconnais- sance de Lamia, réunie alors à l’Étolie, tous les priviléges qu’on décerne d'ordinaire aux bienfaiteurs des villes. Si les arts n’é- taient pas cultivés en Étolie, les Étoliens les prisaient assez Ce- pendant pour faire appel au talent des artistes étrangers. Les statues des chefs étoliens qui avaient battu les Gaulois, celles de Diane, d’Apollon, de Minerve, de l’Étolie personnifiée, figuraient avec honneur au temple de Delphes. Mais ce qui est surtout digne de remarque, c'est le nombre des œuvres d'art qui embellissaient Thermus. Les Macédoniens y trouvèrent plus de deux cents sta- ! Polybe, IT, 117, 5. 2 Id. XVII, 1v; Tite-Live, XXXV, xxxim1; XXX VIE, xuix. = 008 tues, sans parler d’une quantité d'offrandes dont plusieurs étaient aussi précieuses ie le travail que par la matière. Il faut rappeler tous ces détails à l'honneur des Étoliens qu'autrement on trai- terait trop volontiers avec Polybe, leur ennemi, comme un peuple de brigands". Par malheur, dans leur existence toujours agitée, les Étoliens ne purent donner aux lettres et aux arts qu'une attention fugitive. La politesse des peuples civilisés, qui eût adouci leur humeur fa- rouche, leur fut inconnue. On ne demandera pas si, cette in- fluence leur manquant, la religion n’y suppléa point par la sienne: on a vu que les sanctuaires plus d’une fois n'eurent rien de sacré pour eux. Leur religion d’ailleurs fut ceile d'un peuple guerrier. Les dieux qu'ils adoraient, c'était Minerve, dont la tête, coiffée du casque, figure sur plusieurs de leurs monnaies; Minerve, la déesse de la guerre pour eux, et non de la sagesse; c'étaient Diane et Apol- lon, surnommés l'une Laphria, l'autre Laphrius, c'està-dire les dieux qui président aux dépouilles et ramènent les soldats chargés de butin, les dieux dont l’arc immortel ne se détend jamais et dont les traits ne manquent jamais le but. Dans Bacchus, ils de- vaient adorer le dieu du vin, de cette liqueur généreuse qui donne la force ou qui la répare; les vignes. comme aujourd'hui encore, couvraient une partie de l'Étolie. Sans doute ils avaient dressé des autels à Hercule, dont l'histoire se trouve inélée à celle de leur époque héroïque. Hercule n'était-il pas leur bienfaiteur par sa victoire sur l’Achéloüs? N'était-il pas surtout le dompteur des monstres, le type le plus accompli de la force physique ? Le té- tradrachme étolien porte la tête d'Hercule, coiffée d’une peau de bête. Après Minerve, Apollon, Diane, Hercule, venait l’Achélous. Ils honoraient en lui, on peut le croire, la force terrible et capri- cieuse, qui, là, déposait doucement sur leurs terres un limon fé- condant, ici les ravageait, les rongeait, les entrainait avec violence dans son cours. Au-dessous encore étaient les héros du passé, aux- quels se rattachaiïent les premiers titres de gloire de l Étolie, et dont les exploits, embellis par la légende, étaient autant de modèles. Plus tard seulement, quand une alliance fut conclue avec Antio- chus, l'Étolie reçut d’autres dieux, des dieux étrangers. Alors 1 Eschine, Lettr. XII, 12 ; Lebas, Inscr. Thessal. n° 1142; Pausanias, X,, x, 1 VIF, xvmix, 15 Polybe, V,1x, 2-8. HS parait l'Aphrodite syrienne. Comment ce culte futil compris, quelle influence exerça-t-il sur les Étoliens? Nous lignorons. Mais, comme il fut introduit à une époque où dominait le goût du luxe et de la somptuosité, il est à craindre que les Étoliens n’en aient pas saisi le sens profond et qu'il n’ait eu sur leurs mœurs qu’une action funeste!. Les Étoliens crurent aux oracles avec le reste de la Grèce. Malgré sa confiance en sa propre force, un peuple guerrier aime à savoir par avance comment tourneront ses entreprises, et, moins il est éclairé, plus il subit le mystérieux empire des oracles. Toutefois, quand ils voulaient consulter les dieux, Delphes n'était pas leur sanctuaire préféré. Ils se rendaient à l'épaisse forêt de Dodone, écoutaient avec la foi naïve des enfants les bruissements du chène sacré, y reconnaissaient des voix prophétiques et les déclaraient les interprètes les plus véridiques de la volonté des dieux?. Le caractère des Étoliens se retrouvait dans leurs fêtes. Elles avaient cet air rustique et primitif des traditions qui durent, parce que ni l'esprit ne s'étend, ni le goût ne se perfectionne. Voici comment ils célébraient les Laphria , la fête de Diane Laphrienne. Ils dressaient autour de l'autel un bücher de bois vert et sur l'autel plaçaient le bois le plus sec. Alors commençait une procession magnifique en l'honneur de Diane. La prêtresse venait la dernière sur un char trainé par des cerfs. Le lendemain, les habitants ar- rivaient en foule, apportant les fruits de leurs arbres et amenant des victimes de toute sorte, des sangliers, des cerfs, des biches, des loups et des ours. Puis, à un moment donné, ils jetaient sur l'autel les fruits, les animaux encore vivants, et mettaient le feu au bûcher. Plus d’une fois la force de ia flamme jetait quelques animaux hors du bücher, pendant que d’autres s'en élançaient avec violence. Mais les habitants les reprenaient et les précipi- taient de nouveau dans le feu, qui les avait bientôt consuméssÿ. En dépit de leur humeur indisciplinée, qui semblait répugner à loute autre autorité que celle des chefs de guerre, les tribus de ! Denys, fils de Calliphon, V, zix, Geogr. græcr mun..éd. Didot; Paus. IV, xxxr, 6; VII, xxt, 1; V,xv, 7; Strabon, X, 11, 21 ; Maxime de Tyr, Diss. VII, r. À Paus. VIE, 2%t,.2. ; $ Paus. VIT, xvirx, 12. Pausanias mentionne cette fête quand il parle de Pa- tras ; mais Patras, en adoptant l'Artémis Laphria, avait dû adopter le culte qu'on lui rendait en Étolie. ne a ST — 262 — l'Étolie avaient su de bonne heure se rapprocher et s'organiser. Pendant la guerre du Péloponèse on les a vues accourir, même du golfe Maliaque, pour défendre contre Démosthène les villes éto- liennes qui confinent à la Locride. Ces tribus, alors, mues appa- remment par le sentiment d'une origine ou d’un intérêt commun, semblent se former en fédération. La distinction des peuplades subsiste; chacune se gouverne à sa manière, mais elles s’enten- dent, elles agissent de concert, dès que la cause de l’Étolie est en jeu. Cette fédération dure jusqu’à l’époque d'Alexandre. À la mort de Philippe, ils avaient cru le moment opportun pour rom- pre avec la Macédoine; mais quand ils apprennent le châtiment infligé à Thèbes, les députés de chaque peuplade se réunissent et vont implorer le pardon d'Alexandre. Pendant l'expédition d'A: lexandre en Asie, la ligue étolienne se constitue. Les Étoliens avaient senti que, pour s’agrandir ou se défendre efficacement, ül fallait substituer à l’incohérente agrégation des tribus leur union définitive sous une même loi. En effet, à l’époque de la guerre lamiaque, Diodore nomme expressément Tr xowdr Tv Airwldr (la ligue étolienne), et, quand Pausanias raconte l'invasion des Gaulois, il mentionne un des premiers stratéges, Eurydame !. Le stratége était le premier magistrat de la république éto- lienne; il était nommé par les Étoliens, réunis en assemblée. Ses pouvoirs lui étaient conférés pour un an et il devait entrer en fonctions le jour même où ses concitoyens l'avaient élu. Un stra- tége n’était Jamais réélu à l'expiration de son mandat, Polybe l'in- sinue, et on lui donnait invariablement un successeur. Mais il fallait qu'après un intervalle d’une ou de plusieurs années il püt être renommé, puisque nous trouvons dans les inscriptions des Étoliens stratéges pour la seconde fois et même pour la quatrième fois. Le stratége en Étolie justifiait son nom; il était vraiment chef de guerre; mais par une sage disposition qui, par malheur, dut être souvent éludée, il n’avait le droit ni de proposer la guerre, ni d’opiner sur cette question. Son rôle se bornait à recueillir les avis. La guerre était-elle déclarée, par ses édits 11 appelait les ci- toyens aux armes et leur fixait le point où ils devaient se réunir. I se mettait lui-même à leur tête. Si la victoire était remportée sous sa conduite, il avaitle droit de faire le partage des dépouilles. ! Arrien, Ï, x; Diod, de Sic. XIX, Lxvi; Paus. X, xvii, 4. : 6263 > La cupidité des Étoliens pour le butin lui rendait ce droit bien précieux ; il avait entre les mains de quoi gagner l'amour ou s’at- tirer la haine de tous. La part des dieux, suivant l'habitude an- tique, était faite la première, et le stratége avait encore l'honneur de graver son nom sur les armes consacrées. L'importance de ces priviléges était rehaussée par l’influence et la considération qui s'attachaient à son rang !. Le stratége convoquait aussi l'assemblée générale, mais aupa- ravant il s'entendait avec les apoclètes. Les apoclètes sont le second pouvoir de la république étolienne. Ils étaient tirés, nous ne savons par quel choix, des citoyens les plus importants et les plus distingués; ils étaient sans doute assez nombreux, puisqu'on envoie trente apoclètes conférer avec Antiochus, et formaient une sorte de sénat. Leurs fonctions sont assez mal définies. À ce qu’il semble ils discutaient, dans des réunions où le stratége était pré- sent, les questions qu'il s'agissait de soumettre à l'assemblée; en cas d'urgence, ils décidaient avec lui de l'opportunité d’une as- semblée extraordinaire. Ils pouvaient être envoyés près d’un allié puissant pour régler les conditions de l’alliance et concerter les mouvements. Comme les apoclètes étaient un conseil en perma- nence, c'étaient encore eux que l’on consultait dans les entreprises particulières, dans ces hardis coups de main qui plaisaient si fort en Étolie , et leur autorisation avait presque autant de force que les votes de l'assemblée. L'influence des apoclètes se sentait dans toutes les affaires de la ligue. En troisième lieu, venait l'assemblée générale. Ses réunions élaient ordinaires ou extraordinaires. Les premières avaient lieu tous les ans à Thermus, après l’'équinoxe d'automne. Elles s'appe- laient wavarwhsmo (en latin panætolium). Elles étaient sans doute un des plus grands événements de la vie d’un Étolien. Comme elles se tenaient à jour fixe, tous pouvaient s'y préparer à loisir et s’y rendre des points les plus reculés de l'Étolie. Aussi la difficulté des communications ne les arrêtait pas et ils accouraient en foule du sommet de leurs montagnes. S'ils laissaient passer ce grand jour, trouveraient-ils une seule occasion dans toute l’année pour entendre parler des affaires de leur pays, pour s’y mêler? Ce n'était d'ailieurs 1 Poll. IT,xr1, xx, vu; Boeckh, Inscr. 2350; Tite-Live, XXXV, xxxiv; Po- lybe, XX ,x, 13; XX, 1; IV, v, 7: en ni l'éclat ni l'attrait qui manquaient à ces assemblées. Marchés considérables, fêtes magnifiques, jeux, sans doute, et processions religieuses en l'honneur d'Apollon, tout en cette circonstance concourait à faire de Thermus le rendez-vous de l'Étolie. A des plaisirs que leur rareté rendait plus précieux, se mélait l'exercice des droits politiques. Les Étoliens se pressaient sur la longue colline de Thermus et l’assemblée commençait. On élisait les ma- gistrats. Le stratége et les apoclètes {cette prérogative ne pouvait appartenir à d’autres) avaient préparé la liste des candidats; ils la soumettaient au peuple, et à chaque nom le peuple témoignait, probablement par des cris, de son approbation ou de son opposi- tion. Les candidats alors ‘plongeaient tour à tour la main dans une urne qui contenait une fève blanche cachée parmi des fèves noires ; le candidat qui retirait la fève blanche était élu. Puis le stratége et les premiers de la nation venaient entretenir les Éto- liens de leurs affaires; ils leur exposaient la situation du pays; ils leur parlaient de la guerre, de la paix, des alliances nécessaires ou utiles. Quelquefois des députés des autres peuples, un général romain, se rendaient à la réunion pour présenter leurs réclama- tions ou adresser leurs prières. L'assemblée décidait : elle seule déclarait la guerre, faisait la paix, nommait les ambassadeurs et leur prescrivait ses volontés. Maïs, en tout cela, son autorité était plus apparente que réelle. Elle ne se formait une opinion que sur les raisons qui lui étaient exposées par ses orateurs, et 1l était fa- cile à ces derniers de guider, de déterminer son vote. La véritahle puissance était donc aux mains de l'aristocratie, et la ligue éto- lienne était un État aristocratique. Les Romains le savaient bien. Aussi leurs généraux, quand ils voulaient se présenter à l’assem- blée, sondaient-ils d’abord, dans des entretiens particuliers, les dis- positions des principaux chefs : les gagner, c'était gagner la nation !: Les réunions extraordinaires de l'assemblée avaient lieu en cas d'urgence. Alors les apoclètes écrivaient aux villes et leur fixaient le jour où ces réunions se tiendraient. Le rendez-vous n'était plus Thermus, mais une autre ville dont les circonstances détermi- naïient le choix, par exemple, Hypata, Lamia, Héraclée, Nau- pacte ?. 1 Polybe, IV, xxxvn; V, var; Lebas, {nscr. d'Asie Min. 85 : Hésychius, v. Kuapo œarpiw; Tite-Live, XXXVI, xx1v, xxvi; XXXV, xxxr1; XXXI, xxx. ? Polybe, XX, x. en nan — 265 — On connaït, avec le stratége, quelques-uns des magistrats de l'Étolie : l’hipparque ou commandant de la cavalerie; cette fonc- tion devint importante quand les Étoliens, maîtres d’une partie de la Thessalie, purent s'y procurer des chevaux excellents, et la cavalerie étolienne sauva peut-être les Romains à Cynoscéphales ; le scribe public, chargé sans doute de rédiger les délibérations de l'assemblée ; le conseil des synèdres (ouüvedpor, œuvédpov) avec deux présidents, formant une sorte de tribunal d’arbitres qui, par exemple, juge les dommages subis par des alliés contraire- ment aux conventions, et condamne les coupables à la restitu- tion ou à une amende; les nomographes enfin, chargés d’enregis- trer les décisions de l'assemblée qui ont force de loi ou de prendre des mesures qui tirent le pays de ses embarras intérieurs; ainsi les Étoliens accablés de dettes choisissent pour nomographes Do- rimaque et Scopas, qui réduisent les dettes, ou même les sup- priment 1. C'est au moment de leurs démêlés avec Philippe que la puissance des Étoliens est arrivée à son comble. Des villes, des provinces entières étaient entrées dans la confédération , sponta- nément ou par force. L'Étolie s'était accrue en Acarnanie, d'Am- bracie, de l’Amphilochie, des villes riveraines ou voisines de l'Achéloüs, Phætius, Stratus, Métropolis, Éniades: de la Locride Ozole et de la Phocide; en Thessalie, d'Hypata, au pied du plus haut sommet de l'OEta, dans la vallée du Sperchius ; d'Héraclée, qui gardait l'entrée des Thermopyles; de Lamia, d ’Échinus, de Larissa Crémaste, sur le golfe Lamiaque; de Mélitée, sur le revers septentrional de l'Othryÿs; de Pharsale; de Thèbes de Phthie, port considérable sur le golfe Pagasétique; de Lysimachie dans la Chersonèse de Thrace, de Cius en Bithynie, sur le golfe du même nom. Fortifiée de toutes ces importantes conquêtes, elle était en état de balancer dans la Grèce du nord la puissance macédo- nienne. Céphallénie lui fournissait des vaisseaux. Elle s'était assuré un autre moyen d'action, la prépondérance dans le conseil am- phictyonique et une autorité sans contrôle sur le temple de Del- phes. On sait le respect qui sattachait à l'oracle de Delphes et aux décrets des Amphictyons. Dans l'origine, les Étoliens ! Polybe, XXII, xv, 10; XIIL, 1; Lebas, Inser. d'Asie Min. 89; Id. Thessalie, 1179; Boeckh, 2350. Pre — 9266 — n'étaient pas représentés au conseil amphictyonique; mais quand la conquête facile de la Locride Ozole les eut acheminés à celle de la Phocide, il fallut compter avec eux. Parmi les hiérommé: mons ou députés au conseil amphictyonique, les inscriptions nous montrent d'abord quatre Étoliens, pendant que les autres peuples n’ont que deux voix ou une seule; puis neuf, quand cinq députés représentent les autres États; enfin une inscription qui paraît complète nomme trois Étoliens comme seuls hiéromné- mons. Ils ne se seraient donc pas contentés d’une majorité exor- bitante; ils auraient voulu composer à eux seuls un conseil dont ils étaient restés si longtemps exclus. Delphes étant aussi dans leurs mains, ils pouvaient, en leur en interdisant l'entrée, se venger avec éclat de leurs ennemis. L’amour-propre de Démétrius Poliorcète dut souffrir quand ils l'empéchèrent d'aller célébrer à Delphes les jeux pythiques *. Les Etoliens n'avaient pu prendre pied dans le Péloponèse, comme ils l'avaient fait dans la Grèce du nord ; néanmoins, ils y avaient occupé des points importants. Postés en Arcadie, à Tégée, Mantinée, Orchomène, Psophis, Phigalie, ils pouvaient de ces différentes villes faire face aux États du Péloponèse qui se grou- pent autour de l’Arcadie comme d'un centre. Ils inquiétaient sans cesse la ligue achéenne, leur ennemie naturelle. Hs avaient pour alliés les Spartiates et les Messéniens, alliés changeanis, sur- tout les derniers, mais aussi les Éléens, dont Îa fidélité ne se démentit ineus Les alliés n'étaient tenus, à ce qu'il semble, qu'a fournir des troupes en cas de guerre. Les villes réunies avaient d'autres obli- gations : elles devaient adopter le gouvernement de l'Étolie. Elles ne décidaient rien d’important sans la consulter. Ainsi, quand il s'agit de fixer les frontières de Mélitée et de Pérée, en Thessalie, ce sont trois commissaires étoliens qui les déterminent, et les té- moins de l’acte sont des magistrats ou des particuliers étoliens. Comme marque de leur dépendance, elle mettait en tête de leurs décrets le nom du stratége en fonctions. Cependant les Étoliens leur avaient laissé, au moins en partie, leurs libertés munici- ! Polybe, IV, xxv, 63, 64, 65; XXII, viu, 3: V, x; Tite-Live, XXXWI, xxVI; XX VIII, v; XXVIL, xxx; XXXIL, xxxnr; Polybe, IX, x11; IE, xuxt3 XVIT, 11; Lebas, Inscr. Delph. 833, 841; Boeckh, Inscr. 1694, vol. I. ? Polybe, 11, xvr; IV, 111, 70. — 267 pales et leurs magistrats locaux : ainsi Naupacte avait toujours _ses théores, et Lamia, son stratége, son hipparque et ses trois ar- chontes!, On a vu que les Étoliens s'étaient rendus terribles à la Grèce par leurs brigandages. Comment ces désordres se conciliaient-1ls avec une organisation régulière comme l'était en définitive celle de la ligue Étolienne? C’est que les affaires étaient menées par une aristocratie avide, dont les convoitises allèrent croissant à mesure qu ‘elle eut plus d'occasions d’être séduite par un luxe et des plai- sirs que la primitive Étolie ne connaissait pas. Un de ces chefs corrompus donnait-il le signal d’une entreprise pour ramasser du butin ou payer ses dettes, les citoyens remmuants ou pauvres le suivaient, sans lui demander compte de ses desseins. Le stra- tége fermait les yeux, et, si les villes dépouillées se plaignaient trop haut, les orateurs de l'aristocratie savaient donner le change à l'assemblée , qui ne demandait qu'à les croire. Puis la justice devait être mal organisée dans un pays qui ne paraît pas avoir eu de législation. Les nomographes faisaient les lois au jour le jour, suivant les besoins du moment, et elles ressemblèrent plutôt en maintes circonstances à des expédients qu'à des arrêts de l'équité. Ces vices énormes dans l'organisation de la ligue l'empêchèrent de devenir pour la Grèce un centre nouveau. Les Étoliens lui ins- piraient une défiance qu'ils ne cherchaient point à vaincre. Leur seule politique était de s'étendre, et l’on ne leur sut aucun gré de leur lutte prolongée: contre la Macédoine, parce qu'ils ne com- battaient en elle qu'une ennemie de leur agrandissement. Quels droits avaient-ils d’ailleurs à se substituer à la Macédoine? La Ma- cédoine avait plus fait que l'Étolie pour être admise au rang des États Grecs véritablement dignes de ce nom; pour sortir de sa barbarie, elle avait appelé à elle les lettres, les arts, la politesse d'Athènes. L'Étolie, presque toujours étrangère à la civilisation Grecque, ne retenait ses voisins immédiats dans sa dépendance que par les liens de la nécessité ou les suggestions de la politique; la crainte de ses entreprises ou le désir d’une importante alliance lui avaient seuls donné quelques villes sur des côtes lointaines. Mais ces villes ajoutaient plus en apparence qu’en réalité à sa véri- table force; elles aspiraient en secret à se rejoindre au corps dont l Lebas, {nscr. Thessal. 1143, 1159; Boeckh, Inscr, 2350. — 268 — elles étaient séparées ou à devenir indépendantes. La puissance étolienne n’était qu'une agrégation violente qui portait en elle trop de causes de ruine pour subsister longtemps. Aussi l’imprudence qui accompagne la force brutale, la passion aveugle, les dissen- sions intestines livrèrent à Rome les Étoliens à demi vaincus. CHAPITRE II. L'ÉTOLIE, DE L'ASPROS (ACHÉLOUS) AU FIDARIS (EVENUS). 1. Plaine de Missolonghi et d'Ætoliko. Quand on se rend en Etolie par le golfe de Corinthe et qu'on arrive en face de Missolonghi, on embrasse d'un coup d'œil la longue plaine qui s'étend du Fidaris à l’Aspros. Au nord , se déve- loppe, parallèlement à la mer, la crête nue du Zygos, qui semble un rempart dressé pour fermer l'Étolie intérieure; à l'est, s'élève le gigantesque rocher de Varassova, qui abrite l'embouchure du Fidaris; à l'ouest, se distinguent dans l'éloignement CEE et les montagnes basses du sud de l? Mentehio Missolonghi s’avance dans la mer, protégé par ses lagunes. Pour y toucher, il faut tra- verser les lagunes sur des bateaux plats et d’un faible tirant d’eau : le paquebot s'arrête où les lagunes commencent. Des pieux se dressant hors des eaux, marquent la route. À droite et à gauche, on aperçoit le Péuua, bande de terre étroite et discontinue, qui, s'étendant de l'embouchure du Fidaris à celle de l'Aspros, forme la ceinture brisée des lagunes. Plus loin sont les barrages de ro- seaux (xælauwrÿs), où les pêcheurs prennent le poisson. Du mois de janvier au mois de mai, ils les laissent ouverts; ils les ferment quand est passée l’époque du frai ou quand le soleil échauffe les eaux basses; ils ont ainsi une réserve qui suffit à l'été et à l’au- tomne, Ces lagunes ont leur histoire : deux petits îlots qu'on y rencontre en s’avançant vers Missolonghi ont été le théätre de beaux faits d'armes dans la guerre de l'indépendance. C’est d’a- bord le Vasiladis, où, du fort construit par les Grecs, il ne reste que quelques pans de murs délabrés. En février 1826, alors que la flotte ottomane, renforcée par l’arrivée d'Ibrahim-pacha, était maîtresse de la mer et des lagunes, un vieil officier italien, Gia- comuzzi, Sy défendit bravement avec soixante hommes : vaineu CT ve par le nombre, il sut encore traverser les bateaux ennemis et ra- mener à Missolonghi les débris de sa pelite troupe. A Filot de Klisova, tout près de la ville, le succès des Grecs fut complet. L'église d'Hagia-Triada (Sainte-Trinité), en forme de tour, en était l'unique forteresse. Les Turcs, résolus d'enlever à Missolonghi son dernier rempart du côté des lagunes, l’attaquèrent en avril 1826, par terre et par mer, avec toutes leurs forces disponibles. Cent trente Rouméliotes, qui la défendaient avec Kitsos Tzavellas, soutinrent du matin jusqu'au soir les assauts-furieux des Turcs, en tuérent un grand nombre et, quand le pacha fit sonner la re- traite, s’élancèrent de la tour, capturèrent neuf canonnières enne- mies, dressèrent enfin un trophée de douze cents fusils et baïon- nettes. La journée fut des plus terribles : Reshid-pacha lui-même fut blessé; dix mille cadavres de Turcs et d'Égyptiens flottaient sur les lagunes ensanglantées. La plaine a deux villes de quelque importance : Missolonghi et Ætoliko. La pren est la capitale du nome ou nr hot d'Étolie. Mais, qu'on lui Ôte sa caserne et son hôpital militaire, qui ressemblent à peu près à des édifices, elle se réduit à un amas confus de mauvaises maisons, traversé par des rues irrégulières. Aux premières pluies, le sol humide et marécageux sur lequel elle est bâtie se couvre de larges flaques d’eau : on dirait une ville inondée. Les habitants cheminent alors sur des chaussées . glissantes qui rendent seules les rues praticables. Toutefois le voyageur ne peut traverser Missolonghi en courant : il y est re- tenu de vive force par les souvenirs. C’est à Missolonghi qu'est la tombe de Marco Botzaris; on regrelte seulement de n'y plus ad- mirer le chef-d'œuvre que David d'Angers avait donné à la Grèce. Botzaris repose au milieu de ses compagnons d'armes. À droite et à gauche de son tombeau, des tertres verts couvrent les restes de braves soldats, soutiens obscurs de la cause qu’il a défendue. Le siége de Missolonghi est dans toutes les mémoires. On veut admi- rer ces remparts fameux qui ont bravé les efforts des flottes et des armées turques. Voilà encore l’étroit fossé qui les défendait. Les murs ont disparu sans laisser de trace. Quelle chance de durée dans un grossier parapet de pierres et de terre qui avait quatre pieds de hauteur et deux et demi d'épaisseur? Lord Byron s’ef- força de le perfectionner; mais il n’en pouvait faire un ouvrage solide. Et pourtant, c'est derrière ce parapet qu’en 1821 huit cent — 270 — trente Grecs tinrent en échec de juin à novembre mille Tures et Albanais, la fleur des troupes ottomanes, et qu’ils les forcèrent à une retraite honteuse; c'est avec ces misérables défenses, à peine réparées, qu’en 1825, trois mille Grecs, puis quatre mille, quand la flottesgrecque se fut rendue maîtresse de la mer, fatiguèrent les quinze mille hommes de Reshid Méhémet-pacha, un des meilleurs généraux turcs, déconcertant les stratagèmes de l’en- nemi, l'épouvantant par de furieuses sorties, le laissant monter sur la brèche pour l'en précipiter avec un affreux carnage. Il fal- lut pour les réduire, en 1826, qu'Ibrahim-pacha vint de Morée avec quinze mille hommes disciplinés, une artillerie exercée, que les forces turques s’élevassent à vingt-cinq mille hommes; qu'une flotte turque de cent trente-cinq voiles occupât la mer: que la famine épuisàt les forces des habitants. Incapables de tenir davantage, et trop fiers pour se rendre, les Grecs, bien que trahis par un déserteur, sortirent impétueusement de leurs murs, tuèrent les canonniers turcs sur leurs pièces, traversèrent l'armée ennemie et se traînèrent lout exténués jusqu'à Salone. Ceux qui ne purent ou ne voulurent quitter Missolonghi se firent tuer par les Turcs, ou, retirés dans quelques bâtiments en ruine qui contenaient le reste de leurs munitions, se firent sauter avec l'ennemi. Par leur bravoure et leur ténacité, les Grecs, dans ce siége mémorable, se montrèrent au moins les égaux de leurs aïeux tant vantés de Marathon, de Platée, des Thermopyles. Ætoliko n’est qu'un dème ou canton dépendant du nome de Missolonghi. Quand on découvre cette ville, on est charmé de son aspect riant, de ses maisons blanches, qui semblent bâties sur les eaux. Les habitants d’Ætoliko se sont établis sur une île étroite au milieu des lagunes qui portent ce nom. La ville est plus pe- tite, mais plus régulière que Missolonghi; elle a des rues plus droites, des maisons plus propres et plus commodes. Les Grecs d’Ætoliko sont actifs et industrieux; ils se préoccupent d'agrandir leur commerce de poisson, d'huile, de raisin de Corinthe, d'amé- liorer l’état d’une ville qu'ils ne peuvent étendre et, hors de la ville, de jeter des chaussées sur leurs terrains marécageux. I n'y a pas longtemps encore on ne pouvait se rendre qu'en bac à File basse d’Ætoliko; aujourd'hui deux beaux ponts la font commu- niquer avec la terre ferme. La ville a dû vendre quelques-unes de ses propriétés pour couvrir les frais de la construction : elle n’a AE Sp pas reculé devant ce sacrifice. À Missolonghi, les habitants se rap- pellent avec trop de complaisance un siége illustre; ils ne font rien, parce que leurs pères ont beaucoup fait. La petite ville d’Ætoliko est plus sage, quoiqu'elle aussi ait des souvenirs dont elle a le droit d’être fière. En octobre 1822, cinq cents hommes la défendirent contre toutes les forces du pacha Omer Brionis et, bien que leur artillerie se réduisit à quelques vieux canons servis par l'Anglais Martin, ils forcèrent le pacha à la retraite. Ils résis- tèrent jusqu'en 1826 et ne eapitulèrent qu'à la dernière extrémité. La plaine de Missolonghi et d'Ætoliko est en général triste et inculte. Ces terres humides et mouvantes, que les pluies changent en impraticables marais, se couvrent de joncs et de roseaux. Il faudrait plus de bras, plus d'énergie, plus de capitaux que n’en ont les habitants du pays pour les conquérir à l’agriculture. Leur aspect, il y a des siècles, dut être encore plus sauvage. Les Grecs appellent Acyyos les fourrés bas et enchevêtrés qui poussent pêle- mêle sur un sol vigoureux et laissé en friche; et Mecol6yy1ov (Missolonghi) signifie la ville bâtie au milieu du A6y70s. Les ter- rains plus fermes que les habitants cultivent sont au pied du Zygos. Près de Missolonghi, la vigne ordinaire réussit et, près d’Ætoliko, le plan qui donne le raisin de Corinthe, et l'olivier. Quand on sort de la plaine de Missolonghi et d'Ætoliko et qu'on se dirige vers l’Aspros, on rencontre le Képhalari, la seule source d'eau vive que les habitants d’Ætoliko aient trouvée dans le voi- sinage, à plus d’un quart d'heure de la ville. C’est un spectacle curieux que la presse qui se fait autour de cette source. Dans un réservoir qui reçoit les eaux se heurtent les animaux, buvant pêle- mêle; les femmes vont, viennent tour à tour, remplissant leurs barils, les chargeant sur leur dos et, en bonnes ménagères, occu- pant le temps de la route à filer. La plaine qui s'étend des lagunes d’Ætoliko à l’Aspros ressemble à la première plaine par le peu de consistance du sol; elle s’en distingue par un trait assez remar- quable. De loin en loin, dans cette plaine, se dressent des émi- nences rocheuses, pareilles à ces îlots déserts et nus que la nature a semés sur la mer Égée. Leurs pentes sont généralement brusques et leurs flancs coupés à pic. Le sol qui les entoure n’a rien de commun avec les éléments dont elles sont formées : il est noi- râtre, peu consistant, facilement détrempé par la pluie. En con- sidérant cette plaine, on ne peut s'empêcher d'y reconnaître, pour +. “06 "er Re ee een — 9272 — parler avec Hérodote, un don du fleuve, de l’Aspros. Les rochers ont dü être des îlots, et le sol, un limon, qui, charrié en abon- dance dans le lit de l’Aspros, rejeté à son embouchure, s'est amassé autour des ilots voisins comme autour d'autant de noyaux. Bien que raffermi par le temps, ce terrain témoigne encore de son origine. De l'Événus à l'Aspros, le climat est malsain : on ne s’en éton- nera pas. L'air est vicié par les exhalaisons funestes qui montent du sol. Missolonghi seule fait exception : ses lagunes sont salées, et l'air qu’on y respire a toute la pureté, toute la vivacité des brises de mer. Pour assainir ce pays et tirer de la terre les richesses qu’elle peut donner, il faudrait la couper de canaux dans tous les sens et y attirer l'humidité qui surabonde. La plaine d'tÆoliko CATRE rait alors parmi les plaines fertiles de la Grèce. 2. Le Zygos et la région des lacs. Le revers méridional du Zygos n'offre partout que des pentes rapides et nues. Pour lexpiorer, il faut se risquer sur des sentiers glissants, souvent à peine tracés dans la pierre; mais on est bien- tôt fatigué de sa morne physionomie, de ses cimes, de ses gorges, de ses ravins, où le regard ne rencontre que ia roche grisàtre et brûlée ou tout au plus quelques chétifs arbustes. Et pourtant des ruines témoignent qu'on y a vécu. C'est un antique kastro, bâti comme lieu de refuge par les cultivateurs de la plaine; c’est un cou- vent ruiné, dont les fondateurs ont recherché pour emplacement la plus âpre solitude ; au-dessus, la roche, coupée à pic; au-dessous, un ravin profond, mais en face une échappée sur les lagunes d’Ætoliko, la mer et les côtes lointaines. Les hauts sommets et le revers septentrional du Zygos ont plus d'intérêt. On y trouve des bois de châtaigniers, des fourrés épais, des ravins profonds el verdoyants. Ici un hameau s'est éta- bli près d’un plateau labourable; 1à des cabanes clair-semées ami- ment les bords d’un vaste ravin; là un village a couvert la hauteur de ses maisons riantes et bâti ses kalyvia (cabanes) au bas de la montagne pour être à portée de ses champs. L'été, l'automne, c'est un va-et-vient continuel du village aux kalyvia; l'hiver, un torrent, grossi par les pluies, ravage le chemin, déracine les ar- bres, roule des quartiers de roche arrachés à la montagne. Lorsque de la plaine de Missolonghi et d'Ætoliko on veut arri- Re ver au cœur de la région des lacs, on ne franchit pas le Zygos, on le traverse par le défilé de Klisoura. C’est un des plus beaux chemins de la Grèce. Il semble que la nature, par une convul- sion terrible, ait déchiré la montagne pour frayer aux hommes une route dans le Zygos. À droite, à gauche, les roches perpen- diculaires se dressent, ainsi que deux murs, à une prodigieuse hauteur, et les stries verticales qui les parcourent sont comme la marque de la déchirure qui les a séparées. On avance, on se croit engagé dans un chemin sans issue, quand la montagne s’ou- vre dans une autre direction. Une fente assez étroite sert de porte. à ce passage extraordinaire et inène dans un joli bois, qui couvre les dernières pentes du Zygos. Les ponts d’Alaïi-bey font une digne suite au défilé de Klisoura. Il y a deux cents ans un marais presque impraticable séparait seul le lac de Vrachori du lac d’Anghelo-Kastro ; pour aller à Vrachori, la première ville de la contrée, il fallait tourner le lac d’Anghelo- _Kastro. Un bey du pays eut alors la pensée, hardie pour l'époque, de jeter sur le marais un pont de près de deux kilomètres; s'il en faut croire Leake et Pouqueville, il l'établit sur des fondements romains. Les vieillards, à qui leurs pères ont raconté les travaux du pont, ne parlent point de ces fondements; et aujourd’hui non- seulement les assises ont disparu dans la vase, mais encore pres- que toutes les arches sont bouchées. Quelquesunes paraissent encore d’un travail solide, mais grossier, et laissent voir l’eau du lac de Vrachori, qui, par un mouvement insensible, coule dans le lac d’Anghelo-Kastro. Le défilé de Klisoura était d’une beauté im- posante et sauvage; la chaussée d’Alaï-bey est d’une grâce char- mante. Un air frais, un peu humide, y circule dans les plus grandes chaleurs et l’on croit traverser un long berceau. Des chènes, des platanes, des oliviers sauvages, capricieusement en- treméêlés, courbent et rapprochent leurs branches au-dessus des ponts; sur ces beaux arbres la vigne sauvage se joue en mille re- plis ou quelquefois les couvre presque tout entiers comme d'un manteau. Il n’est pas de voyageur qui ne traverse cette chaussée à pas lents et ne la voie finir avec regret. Au sortir des ponts d’Alaï-bey on découvre les deux lacs : à droite est le lac de Vrachori. Il a près de cinquante et un kilo- mètres de tour et cinq dans sa plus grande largeur; c'est un beau lac, aux eaux pures et tranquilles; seulement, à son extrémité MISS. SCIENT. 18 ne orientale, ilse brise contre les rochers comme une mer, mais avec moins de fracas; les habitants le nomment [lé\&yos, nom bien ancien, qui s’est conservé tout exprès pour lui. Ce nom lui vient sans doute et du bruit de ses eaux et aussi d’une idée exagérée de son étendue. On dit dans le pays qu'à son extrémité orientale il est d’une profondeur insondable. Les habitants de ses bords, ex- clusivement occupés des travaux des champs ne le pêchent qu'une fois l’année, trop peu tentés par le médiocre poisson qu’il nourrit. Aucune barque ne le sillonne le reste du temps, hormis uneseule, .qui en fait très irrégulièrement le service et se rend de Kénourio à quelque village de la rive opposée. Les eaux du lac de Vrachori s’écoulent lentement, par les ponts d’Alaï-bey, dans celui d’'An- ghelo-Kastro. Ce dernier n’a guère que seize kilomètres de tour et deux et demi dans sa plus grande largeur. Il le cède de beau- coup au lac de Vrachori. Sans parler de son étendue, sa forme est moins belle et ses bords sont marécageux. À son tour il verse ses eaux, par un courani bourbeux qu'on a pu décorer jadis du. nom de rivière, dans le vaste lit de l’Aspros, de telle sorte que les deux lacs d'Étolie sont comme des affluents de ce grand fleuve. Mais les lacs, bien que donnant toujours, ne tarissent point : des montagnes voisines descendent à toutes les époques de l’année, el surtout en hiver et au aa ce de nombreux ruisseaux qui les alimentent. La région des lacs forme aujourd’hui l’éparchie (sous-préfec- ture) de Trichonie, dont Vrachori est le chef-lieu. C’est une petite ville, médiocrement bâtie, aux rues étroites et tortueuses, qui pourtant n’est pas sans charme. Dans le quartier des ouvriers et des marchands , les maisons pressées se serrent autour de l'énorme platane de la place publique; les autres sont disséminées, reculées dans leurs jardins, et, quand on regarde Vrachori des hauteurs voisines, on prendrait cette ville pour un groupe de maisons de campagne : tout y est vert et riant. 3 Au nord du lac d’Anghelo-Kastro, la plaine est d’une calais nomie morne; peu de villages, une terre abandonnée. Et pourtant dans cette plaine s'élevait une ville que Mélétius, géographe grec du xvrr siècle, signale comme une des plus importantes de l'Eto- lie, Zapandi. Ce n’est plus aujourd’hui qu’un amas de maisons à demi ruinées, dominé par deux minarets dont l’un dresse encore sa flèche intacte. La guerre de l'indépendance en a chassé les — 275 — Turcs; les exhalaisons malsaines du lac en ont éloigné les Grecs, relativement peu nombreux, qui demeuraient les maîtres de l'É- tolie; et tandis que ces maisons réparées eussent pu abriter un village florissant, quelques misérables cabanes, disséminées dans les ruines, conservent seules le nom de Zapandi. Lorsqu'on de- mande aux habitants du hameau pourquoi tant d’arpents de terre demeurent en friche : elle est donc mauvaise, cette terre, et re- belle à la culture? Point du tout, disent-ils, elle est bonne, mais les bras manquent. Une partie de la Grèce languit, avec un sol riche et prêt à donner, faute d'hommes. On s'éloigne en empor- tant cette pensée et l’on ne peut s'empêcher de jeter un regard triste sur la ville abandonnée de Zapandi. Les bords du lac de Vrachori sont bien différents; les villages y abondent; ils sont établis ou dans la plaine qui s'étend au sud du lac el qui, moins large que celle de Zapandi, est plus fertile et plus saine, ou sur les dernières pentes du Zygos. Mais les villages les plus intéressants à visiter sont au nord du lac. Bâtis sur des collines où ils jouissent d'un air plus pur, ils ont leurs champs au bas, près du lac, dans d’étroites et riantes vallées. Pour aller de l’un à l’autre, on traverse des bois de chênes, de chënes-houx, d'yeuses; on passe des ruisseaux cachés sous des platanes touffus, on longe-des ravins profonds dont les flancs sont tout égayés d’ar- bustes verts. Tout à coup, à un détour du chemin, l'horizon s'é- tend, et, avec ses maisons blanchätres, le village paraît. De ce côté, toutes les maisons sônt en pierre. Dans le voisinage, les ha- bitants trouvent des collines d'un calcaire blanchâtre désagrégé par le temps et dont les pentes sont jonchées de débris. Ils y ren- contrent et des pierres épaisses, faciles à tailler, pour bâtir les murs, et des pierres plates comme des tuiles pour former le toit. Éparses sans beaucoup d'ordre sur la colline, ces maisons ont un air d’aisance qui réjouit. Au milieu du village ou tout auprès, jaillit une source abondante, pure, vantée par les habitants comme leur première richesse, et qui souvent, plus bas, va faire tourner quelque moulin. Puis tous ces villages ont sur le lac de Vrachori une échappée dont on ne se lasse point, parce qu'elle varie d'un village à l’autre. Dans toute cette région on cultive le blé, l'orge, . la vigne: les arbres fruitiers n’ÿ manquent pas et surtout le figuier. Mais le maïs y est la nourriture principale et la préoccupation constante. Quand un Étolien en voyage rencontre un habitant 18. — 276 — d'un autre hameau, il est bien rare qu'il ne lui demande pas comment va le mais dans ses champs, s'ils ont eu de la pluie ou souffert de la sécheresse. Heureux les propriétaires qui ont pu détourner et distribuer sur leurs terres des eaux courantes! Les pieds de leur maïs ne sèchent point el leur récolte est assurée. Avant de quitter là région des lacs, le voyageur veut lui donner un dernier regard et la contempler quelques instants dans son ensemble. Il gravit une des hauteurs qui la dominent au nord. À ses pieds est le lac de Vrachori avec ses bords sinueux, ses roches abruptes ou ses plaines fertiles, ses nombreux villages; la chaussée ombragée d’Alaï-bey, Vrachori et ses jardins, le petit lac d'An- ohelo-Kastro; puis, comme cadre à ce tableau riant, la longue chaîne du Zygos, non plus âpre et nue comme du côté qui regarde Missolonghi, mais verte et boisée; au nord, le mont Viéna, pareil à une haute pyramide, dont les flancs grisätres sont coupés par intervalles d’une bande de noirs sapins; à la suite, les ramifica- tions de l’Arapoképhala; à l'est, de hautes collines; à l’ouest, la hauteur coupée à pic d'Anghelo-Kastro avec sa tour byzantine, le lit blanc de lAspros, le petit lac d'Ozéro, le mont Boumisto, les côtes montagneuses d’Acarnanie, et, par delà, les sommets vapo- réeux de Céphallénie. En sûreté derrière ses montagnes, qui lui font comme une ceinture, dotée par la nature de ces avantages qui attirent et fixent les hommes, un air pur, un sol fertile, des eaux abondantes, la région des lacs est vraiment le cœur de YÉ- tolie. 3. Massif de l’Anapoképhale, du Khélidon et du Koutoupa. Toute la contrée qui s'étend du lac de Vrachori au Vélouchi et que comprennent, à l’est, le Fidaris et le mont Kaléakhouda, à l'ouest, l’Arapoképhala et le Khélidon, est une des plus sauvages de l'Étolie, la plus sauvage peut-être. Dès qu'on s’y engage, on se trouve comme perdu au milieu des montagnes; de quelque côté qu'on se tourne, on n’aperçoit que pics élevés, tantôt se dressant les uns au-dessus des autres, tantôt s’allongeant en ligne dentelée. C'est un pêle-mêle imposant qui d'abord étonne; mais l’imagina- tion s’habitue par degrés et se plaît même à cette grandeur fa- rouche. Sur les pentes des premières montagnes croissent des sa- pins élancés; puis soudain la végétation disparaît presque tout entière et le regard ne rencontre plus que des croupes grisâtres _ ES et nues. De loin en loin quélques maigres chênes-houx tranchent un peu sur cette nudité : ils l'égayent de leur verdure tenace, que n'entame aucune saison. Les chemins sont d’étroits sentiers qui courent comme une bande pale sur le flanc de la montagne; ils ne sont praticables que dans les temps secs. La pluie les dégrade et les emporte, ou bien encore, quand ils traversent des rocs schis- teux, elle détache et roule des pierres sur la tête des voyageurs. Des abimes s'ouvrent au-dessous comme de vastes entonnoirs; ils donneraient Île vertige si on les regardait avec trop de fixité, On ne rencontre sur cette route qu'un ou deux campements de Va- laques, amis des hautes cimes pendant les chaleurs de l'été, qui ont bäti leurs tentes de branchages au bord d’un ravin. A Néro- syrus, quelques familles grecques, je ne sais par quel choix étrange, ont affronté l’äpre solitude de ces lieux. Après avoir che- miné longtemps sans rencontrer autre chose que des sommets et des abîimes, on découvre au fond d’un gouffre quelques maisons éparses : c'est le village de Nérosyrtis. Presque séparés de leurs semblables, des hommes vivent là de leurs petits champs, conquis sur une nature qui semble ingrate; qui sait ce qu'il se dépense de courage dans ce coin perdu? En&n, au sortir d’un bois qu'on a lentement traversé pour reposer son imagination et sa vue, on aperçoit, sur une pente qui s'abaisse d'abord par degrés, puis tombe brusquement à pic dans le torrent, un grand village et plus loin un important monastère : ce sont le village et le monastère de Proussos. Lorsque ce monastère fut fondé, suivant une tradition cons- tante, par Théophile l’Iconomaque, dans la première moitié du ix° siècle, sa réputation de sainteté se répandit bientôt dans la montagne. Les fidèles y accoururent en pèlerinage; plusieurs fa- milles même ne voulurent plus s’en éloigner : ainsi se forma le village. Par malheur les Turcs brülèrent l’ancien couvent, qui perdit dans l'incendie sa chrysobulle et ses titres. La restauration est assez pauvre; une partie du monastère est dans le roc; les bà- timents sont adossés à la montagne, qui les abrite. On ne quitte Proussos que pour s’enfoncer de nouveau dans des gorges qui rappellent celles qu'on laisse derrière soi. Les pentes des montagnes y sont encore plus abruptes; par moments il a fallu couper dans le roc un chemin suspendu au-dessus de l'abime. Le silence n’est interrompu que par les cris de quelque dd paaven — 278 — berger en guenilles qui appelle ses chèvres. Les chèvres sont les vraies habitantes de ces montagnes; elles semblent en aimer da désespérante solitude; elles courent, elles bondissent de rocher en rocher avec une sürelé, une agilité surprenantes. Si par hasard vous rencontrez un paysan, 1l vous regarde d’un œil étonné; il ne peut comprendre ce que vous venez faire en de pareïls lieux, et, comme pour vous prendre à témoin de leur désolation, il vous dit : « Vous voyez quel pays nous avons là!» puis il passe outre. Pourtant, au fond de ces ravins coule une rivière qui, pendant l'été, pousse un mince filet d’eau dans son lit de cailloux: c’est la rivière de Carpénisi, qui, venue du Vélouchi, court du mord- ouest au sud-ouest et va se jeter dans la Megdova. Tantôt elle se montre à découvert, tantôt elle se cache sous un épais rideau de platanes. En plus d’un endroit, il semble qu'elle ne se soit frayé un chemin que par la force et que a montagne vaincue se soit déchirée pour lui ouvrir un passage. Ici la rivière coule entre des rochers perpendiculaires plus hauts encore que ceux du défilé de Klisoura, dont ils rappellent la forme; là elle a creusé son dit entre les dernières pentes des montagnes, qui se rapprochent presqu’à se toucher, qui s’éemboitent en quelque sorte les unes dans les ‘autres. Plus loin les rochers s’avançaient comme un mur jusque dans son lit : elle les a brisés et s’est pratiqué dans leurs flancs le couloir tortueux qu'elle traverse. Encore une pente rapide à gravir péniblement et les gorges vont finir. La scène change : les montagnes s'éloignent, la vallée s'éénls des champs, des vignes, des villages apparaissent sur les dernières pentes. À l'est, le Kaléakhouda élève jusqu'à 2,104 mètres sa masse énorme, toute couronnée de sapins; à l'ouest, le Khélidon dresse au-dessus d’une forêt de sapins sa tête grisätre, qui éclate au soleil; au nord, au fond de la vallée, le Vélouchi, la plus haute de ces trois montagnes, ferme l'horizon avec ses croupes arrondies (2,319 mètres), qui, bien que nues, ont un aspect moins sauvage que les montagnes des gorges de Proussos. La ri: vière de Carpénisi coule librement dans la vallée. On distingue même Carpénisi et ses maisons éparses au pied du Vélouch1, qui l'abrite. Arrivés au sommet d’où se découvre aux yeux cette scène nouvelle, mes guides s’arrétèrent et se signèrent dévotement. On eût dit qu'ils se sentaient soulagés d’un poids énorme en quittant ces sentiers étroits, ces gorges désolées, cetle nature pour eux. Le — 279 — aussi triste que la nuit. Rendus, pour ainsi dire, à la lumière du jour, ils en exprimaient involontairement et naïvement leur re- connaissance. La route de Carpénisi n'est plus qu'une promenade à travers des jardins fruitiers, des haies vertes, des eaux courantes qui vont arroser les champs. Mais Carpénisi, bien que chef-lieu de l’épar- chie (sous-préfecture) d'Eurytanie, est d’un aspect misérable. Pour y entrer, il faut traverser le lit de la rivière où de maigres pla- tanes sont perdus parmi les cailloux. Ceite rivière, trouvant à s'é- tendre, a désolé tous les abords de la ville; des maisons mal replà- trées témoignent des ravages qu'elle a faits. Les habitants ont bâti au hasard, près d’un jardin, près d'un verger; les rues, si on peut les appeler ainsi, sont tortueuses, montantes, dégradées par les eaux: les maisons Jetées pêle-mêle. Carpénisi ne pourrait vivre si les villages voisins ne la nourrissaient. Isolée dans un pays sau- vage où les communicalions, difficiles en été, sont impossibles dans la saison des pluies et en hiver, elle est regardée, par les Grecs qui sont obligés de s’y fixer, comme un véritable exil. À Carpénisi se rattache un des plus iristes souvenirs de la guerre de l’indépendance. Moustapha, pacha de Scodra, ravageait le pays d'Agrapha et les rives de l'Aspros; Omer Brionis arrivait par Arta et Komboti pour se joindre à Moustapha; la flotte turque domi- nait le rivage depuis le Kandili jusqu'à Naupacte el y opérait de continuels débarquements; les chefs d’Agrapha et des bords de l'Aspros avaient pris la fuite; dans la Grèce du nord, Missolonghi tenait seule avec ses chétifs remparts et le petit nombre de ses dé- fenseurs. Le découragement se répandait partout etJl'on parlait de se rendre. On se fût rendu eu effet sans Marco Botzaris. Il accou- rut avec ses braves Souliotes, réunit les autres chefs, communiqua son audace aux plus timides, leur démontra la nécessité de re- noncer aux escarmouches; presque sans munitions, sans four- rages, ils n'avaient plus de ressource que dans une attaque déses- pérée. Les Grecs d’Agrapha et de Souvalaco étaient venus grossir le corps des Suuliotes et le porter à douze cenis hommes. On alla chercher près de Carpénisi l'avant-garde des Turcs, forte de quatre mille cinq cents hommes; ou convint d’altaquer cinq heures après le coucher du soleil et Botzaris se chargea du centre. L'heure passe : les Grecs avaient refusé de marcher. Avec ses trois cent cinquante Souliotes, Botzaris se jette sur les Turcs, les massacre "PE — 280 — | | dans leurs tentes, s'empare de tous les retranchements, hormis | un seul, à l'assaut duquel il est blessé aux reins; il continue pour- : tant à combattre, quand il tombe le front percé d’une balle. Bien- » | tôt.le jour arriva et les Souliotes connurent la perte qu'ils avaient | faite. Ils se retirèrent en bon ordre avec des armes, des chevaux, des troupeaux pris sur les Turcs, et portèrent à Missolonghi le corps. de leur chef. Il convenait qu'un des plus héroïques cham- pions de l'indépendance eût son tombeau dans la plus héroïque des villes grecques. À l'affaire de Carpénisi, des Albanaïs sauve- rent l'honneur de la Grèce. On montre encore religieusement, au pied d’une colline couverte de sapins, l'endroit où Botzaris fut frappé (août 1823). Du mont Arapoképhala à l’Aspros, la nature demeure sauvage : elle ne fait que changer de a Les hautes montagnes ont disparu; ce n’est plus qu'un dédale de collines, en général basses, qui se croisent dans tous les sens, qui s’enchevétrent dans le plus capricieux désordre. Elles sont couvertes d’une végétation la plupart du temps peu vigoureuse, comme celle qui pullule sur les terres pauvres et abandonnées. Partout poussent pêle-mêle le chêne-houx, le chêne, l’arbousier, l’alaterne (@rAÿxn), le paliure, la fougère; l'arbousier et le chêne-houx dominent. Les chemins grimpent les pentes des collines, en côtoient le pied, serpentent pan les taillis. Égayé d’abord par cette verdure, le regard se fa- tigue à la longue de ses teintes monotones et surtout de ses maigres proportions. Chaque échappée nouvelle ramène les mêmes pers- pectives, qui importunent parce qu'elles sont sans grandeur. Au milieu d’une pareille nature, on ne peut s'attendre à rencontrer que de misérables villages. Ils sont misérables en effet. L’eau même, si nécessaire à la culture, l’eau, que les Grecs estiment à légal du pain, y est très-rare. Du maïs en quantité insuffisante el presque pas de blé, voilà tout ce que produit ce pays. Avec beaucoup de travail, les habitants ne réussissent qu’à ne pas mourir de faim. Le peu de vin qui se boit dans cette partie de l'Étolie vient de Vrachori. On y voit des malheureux ramasser avec un soin avide des poires sauvages tombées de l'arbre; on se croit ramené aux âges barbares où les hommes mendiaient à la nature leurs misé- rables aliments. Aussi se réjouit-on d'arriver dans le voisinage des fleuves torren- tueux qui arrosent, mais aussi ravagent, une partie de cette con- — 281 — trée, la Megdova et l'Agrafiotico-Potamo. Descendus, celui-ci des monts Agrapha, cellelà des hautes montagnes qui séparent la Grèce moderne des provinces turques, ils coulent parallèlement du nord au sud, se réunissent au bas du monastère de Tatarna, et bientôt après vont se jeter dans l’Aspros. Sur l’Agrafotico-Po- tamo, les Grecs Démétrius et Manolis ont jeté en 1659 un des ponts les plus hardis qu’ait la Grèce. Il est d’une seule arche, et les pentes inclinées qui en forment le tablier sont si rapides qu’il faut le traverser avec précaution. C’est-un beau spectacle que de voir l'Agrafiotico-Potamo et la Megdova se réunir, puis se verser dans l’Aspros. Les larges bandes blanches que ces fleuves décou- pent sur le fond vert des vallées éclatent au soleil, et les àpres montagnes d'Acarnanie ferment l'horizon. Le Koutoupa est la seule montagne qui domine l'extrémité de ces collines boisées; sur son revers occidental, à une hauteur de 883 mètres, est bâti Hagios-Vlasis, le seul village important des en- virons. Les hautes positions qu’il commande ont été illustrées dans la guerre de l'indépendance. En janvier 1823, les Turcs, comman- dés par Kutahis et Omer Brionis, venaient d’échouer devant Mis- solonghi. Au nombre de cinq mille, ils voulurent passer l’Aspros pour retourner en Épire ; mais les eaux étaient trop fortes. Ré- duits à changer de direction, ils marchèrent vers la Thessalie : Hagios-Vlasis était sur leur route. Karaïskakis, avec quatre ou cinq cents hommes, occupa une des positions d'où l’on pouvait inquiéter les Turcs; mais, quand les Turcs approchèrent, il s’ef- fraya du petit nombre-de ses soldats et voulut se retirer. Alors un vieux capitaine grec, nommé Tzakas, courut à lui, le souffleta publiquement et lui cria : FÜQre pwpé, æoù ætyers (eh bien! pol- tron, où vas-tu?) Telle était la sauvage familiarité de ces chefs que Karaïskakis ne songea point à se fâcher; seulement piqué au vif, et le vieux Tzakas marchant en tête, il chargea les Turcs avec fureur, les poussa sans lâcher prise et en noya un grand nombre dans l’Aspros. 4. Du Fidaris au Khiona. Le cours du Fidaris divise naturellement en deux grandes parts l'exploration de l'Étolie ancienne : la première, de la rive droite du Fidaris à l'Aspros; la seconde, de la rive gauche du même fleuve au mont Khiona. La description de cette seconde part four- — 9282 — nira les traits qui manquaient encore au tableau général de l'Éto- lie. Moins abondante en ruines que la première, qui fut le centre de la puissance étolienne, elle a pourelle l’attrait d’une grandeur sauvage et originale; même après les sites pittoresques des gorges de l’Arapoképhala, le voyageur qui la parcourt reçoit des impres- sions aussi profondes que variées. On passe le Fidaris au-dessous de Bokhori, en face des roches abruptes du Varassova. On risque sa vie, sartout quand la pluie ou la fonte des neiges ont enflé le Fidaris, si l’on n'est pas con- duit par un guide qui connaisse à fond le passage. Emportées sur la pente de leur lit, les eaux se précipitent avec l’impétuosité d'un torrent et font dériver le guide et les bêtes de somme : elles don- neraient le vertige, si l’on n’en détournait les yeux. Onest si fa- miliarisé depuis l'enfance avec la mythologie et les aventures d'Hercule qu'involontairement on se souvient à eet endroit de la rencontre d'Hercule et de Nessus. Oui, ce fut sans doute par ce même gué que Nessus conduisit Hercule et Déjanire; mais ce fut aussi sur la rive gauche, dès qu'il l'eut touchée, qu'il paya de sa vie ses impudentes libertés. Les masses du Varassova et du Klokhova, qui se dirigent vers la mer à peu près du nord au sud, séparent le Fidaris de Naupacte. Le plus haut sommet du Varassova n’atteint qu'à 917 mètres. À peine une maigre végétation en égaye les flancs arides. C'est plutôt üun immense rocher qu'une montagne, et ses pentes, du côté de la mer, tombent à pic dans le golfe de Corinthe. Frappée de cevea- ractère du Varassova, l'imagination populaire a enfanté une lé- gende qui rappelle la vieille légende du Lycabette. « Un jour, me disait un paysan , les Grecs nos ancêtres, ces hommes robustes, voulurent jeter un pont qui fit communiquer la Roumélie avec la Morée. Ils soulevèrent donc le Varassova et le portèrent; mais, arrivé au bord de la mer, il échappa de leurs mains.» Les col- lines qui s’y rattachent et qui se confondent bientôt avec les con- tre-forts du Klokhova, forment avec les dernières pentes du Zygos le lit sinueux du Fidaris. Le Fidaris semble rouler impatiemment ses eaux jauvâtres ct ronger le pied des hauteurs qui se poussent dans son lit pour l'emprisonner. Après en avoir suivi quelque temps les détours dans un site sauvage, ‘on le perd de vue : les mon- tagnes bleuätres qui dominent Platanos forment l'horizon. On dirait que le Varassova, sans doute au moyen âge, eut une — 283 — pari dans les traditions de la Grèce : les pâtres qui en ont exploré les pentes et les gorges y ont complé jusqu’à soixante et douze églises ou chapelles. Il y a dans le nombre quelques monastères, un par exemple, au nord de Mavromati; mais aujourd’hui églises, chapelles et monastères sont en ruines. Le Klokhova, dont la masse est à peu près parallèle à celle du Varassova et dont le plus haut sommet s'élève à 1041 mètres, n’a guère d’intéressant que la route ou kaki-skala, qui en traverse les pentes méridionales. Tail- lée dans le rocher, elle surplombe le golfe de Corinthe et ouvre de belles perspectives sur Patras, la côte et les montagnes du Pé- loponèse. Tout le pays que couvrent de leurs ramifications le Varassova, le Klokhova, le Rigani, qui domine Naupacte, est d'un médiocre intérêt. Ce n’est pas que les accidents de terrain y fassent défaut ; mais ils sont sauvages sans avoir ni la grandeur des proportions ni le charme d’une végétation riante. Les villages sont clair-semés et pauvres. Ils trouvent pourtant quelques plaines à cultiver, entre le Fidaris et le Varassova, dans l’étroite vallée qui sépare le Va- rassova du Klokhova, et, sur le bord de la mer du Klokhova au Morno. L'énergie manque à l'homme plus que tes ressources du sol. Je n’en veux citer qu'un exemple. Quand on aperçoit les mai- sons de Galata au pied du Varassova, parmi la verdure de leurs petits jardins, on croit arriver dans un village heureux et impor- tant. La terre y témoigne de sa vigueur par sa végétation naturelle. La paresse des habitants a reculé devant la peine qu'il eût fallu prendre pour couper de quelques canaux des terrains trop char- gés d'humidité, mais excellents. Descendu de l'OEta et coulant d’abord du nord au sud, puis de l'est à l’ouest, pour répondre ensuite à sa première direction, le Morno est une rivière moins large, moins profonde el surtout moins rapide que le Fidaris. Comme le Fidaris, 1l est presque toujours enfermé par de hautes collines. Une partie seulement du teritoire qui s'étend sur la rive droite appartenait à l'Étolie : cette province y était séparée de la Locride Ozole par des limites que les traités avaient dû fixer, mais qui seraient difliciles à préciser aujourd’hui. La physionomie du pays est triste et les villages sont généralement misérables. On n’y arrive qu’en traversant de grands ravins ou en escaladant de hautes collines que les monts Trikorpho et Vigla poussent vers le Morno. Quelques-unes de — 284 — ces collines sont couvertes de petits chènes. On le croirait à peine, mais les habitants d’un village de la rive gauche du Morno ont été assez malheureux , assez tourmentés par la faim pour aller ramas- ser des glands dans le bois et s’en nourrir. Ce village, c'est Avo- ros. Je ne sais par quelle inspiration funeste il s'est établi près d'un couvent, au bord d’un ravin profond. Les terres qu'il cultive sont éloignées, ingrates ou tout au moins d’un revenu insuffisant, et les habitants racontaient la disette dont ils venaient d’être vic- times avec l'accent d’une morne résignation. Les villages voisins ne sont pas réduits à de telles extrémités; mais enfin le sol tour- menté sur lequel ils sont'bâtis est peu propice à la culture. On se fatiguerait bien vite à parcourir un tel pays, si des échappées sou- _daines sur les hautes montagnes d'Étolie, le Vardoussia et le Khiona, ne venaient de loin en loin relever l'attention et donner au paysage un fond imposant. C'est avec une sorte de joie que l’on traverse le Morno pour s'enfoncer dans les montagnes, à la recherche d’une nature plus vigoureuse. Quand on a parcouru cette région, on demeure frappé d'un caractère qui la distingue d’une autre région montagneuse de l'Étolie; je veux parler du massif de l'Arapoképhala. Ici, les montagnes ne sont pas jetées, comme au nord des lacs de Vrachori et d’Anghelo-Kastro, avec ce désordre grandiose qui frappe d’abord, puis qui tourne à la monotonie par la répétition des mêmes pers- pectives. Elles se développent en étages distincts, qui se dirigent à peu près de l’est à l’ouest. Elles forment comme de puissantes bar. rières qu'il faut contourner ou franchir pour circuler dans le pays, et les sentiers qui servent de chemins s’enroulent à leurs flancs coinme de longs lacets. La première de ces barrières se compose des monts Papadia, Tritzovo, Vlachovouno; la seconde, des monts Ardini et Trékouri; la troisième, des grands contre-forts que l'Arapoképhala détache vers l'Oxia et le Vardoussia; enfin le Vardoussia lui-même est’une quatrième barrière doublée du Khiona et plus redoutable que toutes les autres, mais dirigée du nord au sud : elle séparait autrefois l'Étolie de la Désidi La hauteur moyenne de ces montagnes (on ne parle ici ni du Var- doussia ni du Khiona, qui s'élèvent l’un jusqu'à 2,512 et l'autre jusqu'à 2,495 inètres) varie de 1,500 à 1,800 mètres. Entre la première et la seconde ligne coule le Kakavos, petite rivière qui va se Jeter dans Fidaris; entre la seconde et la troisième, le Fida- — 285 — ris lui-même, dont les sources les plus importantes sont dans les monts Oxia et Vardoussia. Des cours d'eau viennent donc ajouter à la sécurité du pays, à ses ressources et à la variété du spec- tacle. | Sur d’étroits plateaux, dans de petites vallées, sur les dernières pentes des montagnes, les habitants ont trouvé des terres tantôt fertiles, tantôt un peu maigres, mais enfin qui répondent à leur travail. Le maïs, le blé et surtout la vigne y’ réussissent. Dans. quelques endroïts même, comme près du gros bourg de Mégali- Lobotina, les blés deviennent beaux et serrés. D'abondanies eaux, qui descendent des montagnes, sont dirigées par les habitants dans leurs terres, principalement dans leurs champs de maïs, qu’elles abreuvent et fertilisent. Quand elles ont assez de force et de vo- lume, on les emploie à faire tourner des moulins. Elles méritent d’ailleurs tous les éloges que ne manquent pas d’en faire les ha- bitants; elles sont transparentes, fraîches et légères; on ne peut en imaginer ni de plus saines, ni de plus agréables au goût. Dans les montagnes, les pâturages ne font pas plus défaut que les eaux courantes ; imais, au lieu de les abandonner aux tribus nomades des Valaques, les habitants les ont gardés pour leurs troupeaux; Hs deviennent presque uniquement pasteurs, quand les terres qui sont à leur portée sont légères et improductives. Ils ont encore une ressource importantes : c'est l'exploitation des bois. Leurs montagnes sont couvertes de beaux sapins. Ils les coupent, les dé- grossissent, puis les transportent, soit au Kakavos, soit au Fida- ris; mais, lorsque les eaux sont basses, en particulier dans le Kakavos, il faut pousser longtemps les pièces de bois jusqu’à ce qu'elles rencontrent un courant assez fort pour les porter au Fi- daris et du Fidaris à la mer. Aussi les difficultés du flottage, jointes au mauvais état des chemins, ne leur permettent pas de tirer tout le parti qu'ils pourraient et qu'ils voudraient de leurs richesses forestières. En somme, les habitants du Kravari, bien que jetés au milieu des montagnes, ne sont pas les plus mal partagés de l'Étolie. Is ont fondé de nombreux villages, dont quelques-uns sont devenus des bourgs importants, comme Pendé-Hagii, Mégali-Lobotina et surtout Platanos. Établie à mi-côte sur un des contre-forts du mont Ardini, Platanos est devenue depuis huit ou dix ans une petite ville de quelque importance : elle réjouit l'œil et le surprend à la Mi NE fois par ses rues propres, ses maisons en pierre, qui semblent neuves. Presque tous les villages du Kravari sont, comme Plata- nos, bâtis sur des pentes, tantôt au cœur des montagnes, tantôt au-dessus du Fidaris ou du Kakavos, qu’ils dominent, tantôt dans d'étroites vallées où ils se cachent. Des hauts sentiers qu'il est obligé de suivre, le voyageur les voit blanchir}, comme disent les Greës, et animer, égayer par leur présence un des pays les plus sauvages. Les maisons s’étagent les unes au-dessus des autres dans un désordre souvent pittoresque. En général au bas du village est une petite place soigneusement nivelée : elle est réservée pour les danses du dimanche et des jours de fête. Cet usage ne rappelle- t-il pas les épithètes, si fréquentes chez les poëtes, d'eipüyopos, de xaX\iyopos? Les chants des hommes auquels répondent les chants aigus des femmes annoncent au loin la danse monotone, qui se prolonge des heures entières sans que les danseurs se lassent de danser ni les curieux de regarder. Plus d’une fois des chansons klephtiques pes. 20 Lo ces danses tranquilles. Pour peu qu ’on aime les grands spectacles de la nature et les soulèvements où elle a marqué sa force, on sera content du Kra- vari. Sans cesse on chemine sur les hauteurs: on traverse des bois de chënes et surtout de magnifiques bois de sapins, droits et élan- cés, d’où l’on débouche sur de larges et profonds ravins; tantôt on domine de vastes gorges, où les collines descendent par cas- cades capricieuses; tantôt on se voit emprisonné soudain, comme dans un cirque, de montagnes dont les pentes roides semblent fermer toute issue; tantôt enfin on longe le Fidaris, qui, dans le nord du Kravari, coule plus libre, moins encaissé, mais aussi moins impétueux, et qui bientôt échappe à la vue par un détour de son cours irrégulier. Des paysages charmants et que le con- traste fait valoir, reposent l'attention un peu fatiguée par la suc- cession des grandes perspectives. Ainsi, près de Khomori, le Ka- kavos coule dans une gorge ravissante. Sur les contre-forts du mont Papadia, qui le dominent, l’épaisse et sombre verdure des pournaria |chênes-houx) s'étale à plaisir et monte jusqu'aux plus hauts sommets; près des bords s’allongent, comme encadrement, deux rideaux de platanes à verdure tendre, aux feuilles finément découpées, qui vont disparaître au fond de la gorge. Maïs ce qui 1 Acrpièer TÔ Xp. EU fait surtout le prix des perspectives du Kravari, çe sont ses ma- gnifiques échappées sur les sommets neigeux de l'Oxia, du Var- doussia, du Khiona, du Khelmos. Elles ravivent les impressions, réveillent les souvenirs, reculent les horizons, transforment le spectacle en l’agrandissant. Des hauteurs qui s'élèvent au-dessus de Platanos on peut, quand on a parcouru l'Étolie, la revoir pres- que tout entière, ramassée en quelque sorte dans un même pano- rama. On a devant soi le massif de PArapoképhala, la ligne du Zy- gos, puis, échelonnés l’un au-dessus de l’autre, le Varassova, le Kickhova, le Rigani, et, en se retournant, l'Oxia, qui rejoint le Vardoussia. Un coin du golfe de Corinthe , le mont Voïdia et, par- dessus, les pics éclatants de neige du Khelmos servent de fond à cetle scène imposante. Quand on parle de la physionomie du Kravari, on ne peut oublier le défilé extraordinaire qui s'étend entre le Vardoussia et le Khiona, les plus hautes montagnes de la Grèce moderne. Il est traversé par une rivière qui, à sa sortie du défilé, s’unit au Kok- kino-Potami pour former le Morno. Des contre-forts dérobent à la vue par intervalles les hautes montagnes qui, démasquées tout à coup, élèvent leurs flancs noircis d'épaisses forêts de sapins et leurs crêtes cachées sous la neige. C’est une belle ligne que celle du Vardoussia, lorsqu'on peut la voir d’un point favorable, par exemple du gros bourg de Pendé-Hagñi. Elle s'élève presque sans cesse du sud au nord et l’on aperçoit les neiges commençant, croissant par degrés, puis couvrant tout à fait le sommet qui do- mine la chaîne. Au contraire, le Khiona dresse à peu près au cen- tre de sa ligne une masse gigantesque qui est, pour ainsi dire, son effort suprême et qui saisit par son magnifique et sauvage isole- ment. Qu'on juge maintenant du spectacle et des impressions du voyageur, lorsque les deux montagnes se découvrent à la fois et l'accablent de leurs vastes proportions. On a pour se reposer comme des haltes ménagées à dessein qui rappellent les bords du Kaka- vos, lorsqu'on traverse les collines que le Vardoussia détache vers la rivière et qu'ombragent des chênes élancés. Par malheur, l'exploration da Kravari n'est pas sans fatigue : ses chemins, qui sont à peine des sentiers, peuvent être comptés parmi les plus mauvais de la Grèce. Quelquefois arrivé au fond d’une vallée, après une descente longue et rapide, si l’on regarde derrière soi, on n’apercçoit plus que des pentes presque perpendi- — 288 — culaires et l’on ge demande avec étonnement comment on a passé là. Les paysans eux-mêmes se plaignent de leurs chemins dans un langage énergique ou pittoresque : «Nous y sommes faits, disent- ils, et cependant quand nous gravissons ces montées, la fatigue nous coupe la rate. » Et encore : « Mais la chèvre elle-même, si elle était chargée, n’y passerait pas?. » N'importe, l'air pur et sain qu'on respire dans le Kravari, la variété des spectacles que le pays dé- roule aux yeux, ont bientôt fait oublier tous les obstacles de ja route. 5. Les habitants. On a vu dans l’histoire de l'Étolie que les Étoliens d'autrefois eurent un caractère à part entre tous les peuples grecs, et que les traits saillants de ce caractère furent l’impatience du repos, l'es- prit de querelle et de rapine, une vanité sans bornes, un franc ex pour la parole donnée, ei, comme unique compensation, une énergie et une ténacité, il est vrai bien rares en Grèce. Je n’af- firme pas que les Étoliens Re aient gardé les qualités de leurs ancêtres, mais à coup sûr ils nen perpétuent pas les dé- fauts. Le temps, des révolutions terribles, une longue servitude, une religion nouvelle, les en ont débarrassés; et même, par un singulier contraste, les qualités qu'ils font paraître sont justement celles qui manquaient le plus : à la race dont ils descendent. Les Étoliens (on parle ici des Étoliens de la montagne, qui for- ment la majorité de la population) sont en général trapus, ner- veux, bien pris, durs à la fatigue. Leur physionomie est ouverte et tranquille; elle s’anime peu; elle trahit le plus souvent l’indo- lence de lesprit et la mollesse du caractère. Dans un village seu- lement, à Voïtza, j'ai trouvé des visages inquiets et prèsque som- bres : ces hommes-là ne ressemblaient plus aux habitants des hameaux voisins; ils devaient avoir quelques gouttes de vrai sang. étolien dans leurs veines. La lenteur de l'esprit leur fait supporter patiemment a rance; une éducation même élémentaire pénétrera difficilement dans leurs montagnes; ils ne voient guère à quoi cette éducation les acheminerait. Ils n’ont même pas la curiosité des habitants l Ay xai elue0a ualnuévor, nôs x06eTai ñ omAÿva. ? Aèy mepyder ñ yida Poprouérn. — 289 — du Péloponèse, curiosité souvent importune, mais qui témoigne enfin du besoin de savoir. Si un étranger s'arrête dans leur vil- lage, ils lui donnent juste le degré d’attention qu'on accorde à un incident peu commun et le regardent silencieusement : ce sont peut-être les moins indiscrets de toute la Grèce. Ils n’interrogent volontiers l'étranger que sur leurs ruines, lorsqu'il se trouve quelque ville ou quelque forteresse antique près de leur village. Ils ont passé si souvent à côté de ces grandes pierres, de ces marbres, comme ils les appellent, soit en allant à leurs champs, soit en menant leurs troupeaux à la montagne; ils les ont si sou- vent considérées que, pour en entendre parler, ils sortent de leur indifférence et hasardent une question : « Qu'’étaient-ce donc que ces hommes-là ? Comment soulevaient-ils des blocs si lourds? » Ils sentent vaguement que, sur le sol où ils vivent, ii a jadis vécu des hommes qui appartenaient en quelque sorte à une autre es- pèce. , Pour eux, ils n’ont qu’une préoccupation, c'est de tirer de leurs champs ou de leurs troupeaux de quoi vivre avec leurs fa- milles. Une petite minorité, plus active et plus intelligente que la masse, s'est presque élevée jusqu'à l’aisance; la majorité sait se tenir sur la limite de la misère et se contente de n'y pas tomber. Quelques villages, bâtis par malheur sur un sol ingrat, font seuls exceplion. Ils sont pour la plupart au nord-ouest de l'Étolie. On sent la misère en pénétrant dans ces pauvres cabanes d’une attris- tante nudité. À Kato-Voulpi, je dus en chercher une pour m'y ar- rêter : je n’y vis guère d'autre meuble qu'une sorte de guitare grossière (Avpæ). La malheureuse femme qui me recevait la gar- dait comme une précieuse relique; elle n'avait pas d'autre souve- nir d’un fils que la conscription lui avait pris, et elle ne s’en se- rait séparée pour rien au monde. Dans ces villages, on accepte la faim, la maladie, le manque des choses les plus nécessaires comme un lot fatal dont il n’y a pas à se plaindre. Il n'en est pas de même au Kravari : les habitants que le sol ne nourrit pas prennent le bâton et la besace du mendiant, s'expatrient et vont promener leur misère dans le reste de la Grèce. La montagne seule est laborieuse en Étolie, et elle ne produit, elle ne peut guère produire que la subsistance des habitants. Ar- rive-t-on dans les plaines, j'entends la plaine de Vrachori, qui s’é- tend jusqu’à l’Aspros, la plaine de Missolonghi, celle d’Ætoliko, MISS. SCIENT. 19 ee on en lrouve l'exploitation remise à des cultivateurs mer cenaires. C'est une tradition du mépris que les anciens Étoliens profes- saient pour l agriculture, ou plutôt une suite de la répugnance que le travail de la terre inspire aux Grecs en général. Chaque année arrivent des Sept-Îles, et en particulier de Zante, quinze cents à deux mille travailleurs, qui taillent la vigne, lui donnent les façons dont elle a besoin et préparent les champs de maïs; ils reviennent ensuite à l'automne faire la récolte. Ils sont payés en nature et re- çcoivent douze pour cent sur la récolte dans les mauvaises années et dix pour cent dans les bonnes. Comme la culture du blé est moins Lea LS que celle de la vigne et du maïs, les habitants consentent à s’en occuper eux-mêmes. La qualité dominante des Étoliens, j'entends encore ad Éto- liens de la montagne, est un amour-propre, un point d'honneur qu'ils nomment Grormia. Nous sommes pauvres, aiment-ils à dire, mais nous avons dé l’amour-propre. Cet amour-propre; ils le témoignent aux étrangers par un accueil cordial, par une hos- pitalité désintéressée et parfois délicate. C’est alors qu'on apprend à les connaître. On trouve des gens simples, doux, serviables, d’une franchise un peu rude, d’une discrétion trop raïe en Grèce, d’une gaieté même qui s'échappe en saillies sans prétention. On se sent au milieu d’une population que les vices de la demi-civi- lisation grecque n'ont pas encore atteinte et qui a surlout pour elle ses bons instincts. Puisse-t-elle les conserver longtemps! Elle n'aurait pour se relever ni assez d'activité ni assez de finesse. Une pareille population doit être facile à gouverner. Elle n’a peut-être qu’une haïne : c’est la haine du collecteur de la dime, et voici comment elle se venge des exactions dont elle se croit victime. Le paysan inscrit pour une dîime supérieure à la dime qu'il doit payer prend avec lui huit ou dix de ses amis; ils sortent du village, se rendent sur la grande route, et là font ensemble un las de pierres qu’ils appellent anathème (dv&ünua). La nou-. velle de l’injustice et de la vengeance se répand dans les villages voisins, et les paysans qui passent ne manquent pas d'ajouter une pierre au tas de l'anathème. On en rencontre un certain nombre sur les routes du Kravari. La langue des Étoliens n’a présque rien qui la distingue de la langue qu'on parle dans tout le nord de la Grèce. Elle aime les abréviations et supprime volontiers les syllabes non accentuées, RL ere — 291 — par exemple ofapr, r@éx:, pour ourap: (blé), rouQéx: (fusil). Le © au commencement des mots y est souvent prononcé cemme noire ch : ils disent chyllogos (obAïoyos), réunion. Ils affectionnent dans les verbes contractés les imparfaits en æya : érohéuaya, maparn- payæ, au lieu de la forme habituelle éroAeuodoa, raparnpodoa (je combattais, j'observais). Ils ont assez bien su défendre leur langue contre l'invasion des mots étrangers; ils n’en ont pris qu'un petit nombre aux Turcs, aux Valaques, aux Italiens. En passant quelque temps dans le pays, on pourrait peut-être se convaincre qu’ils ont conservé, plus que les habitants des autres provinces, les mots et les formes du grec ancien. J’y ai entendu, par exemple, des mots composés élégants, comme pxporpemns; la locution #4 Ta mdvra, où se trouvent singulièrement réunis le terme ancien et le terme moderne ; la particule 4» employée de- vant limparfait avec la valeur conditionnelle qu'elle avait jadis. Les Étoliens leurs ancêtres étaient au contraire fameux pour leur mauvais langage, qu'Eustathe, sans doute sur l'autorité des gram- mairiens !, flétrit du terme expressif d’éA6xoros (étrange, ex- traordinaire, en dehors de ioute règle). Ils avaient, entre autres, l'habitude de donner les flexions de la seconde déclinaison à des mots de la troisième, disant, par exemple, au lieu de yépouor, rolnuaot, yepévrois, mabnudros. Mais les renseignements précis nous manquent sur le dialecte étolien; les inscriptions, qui viengent si souvent réparer le silence des grammairiens ou des scholiastes, sont, en Étolie, trop peu nombreuses et trop insigni- fiantes pour qu'on en puisse tirer des conclusions certaines. On n'affirmera donc ni qu'ils parlaient le dialecte éolien, ni qu'ils par- laient le dialecte dorien. Seulement on peut dire qu’à l'époque de leur puissance, c’est-à-dire à partir d'Alexandre, les différences qui distinguaient l’éolien du dorien s'étaient effacées et qu'il s’é- _ tait formé, du mélange de ces deux dialectes, un dialecte mixte, un dialecte éolo-dorique, qui est celui des inscriptions de Delphes, qui fut sans doute celui des inscriptions étoliennes, et qui reproduisait les habitudes de la langue parlée. ! Eustath. éd. de Rom. F1, p. 211; IT, 537. — 292 — CHAPITRE IV. CARACTÈRE GÉNÉRAL DES RUINES ÉTOLIENNES. À l'époque de Thucydide, les Étoliens établis sur les frontières de la Locride Ozole habitaient des bourgades ouvertes. Il dut en être longtemps de même dans toute l'Étolie. La nature Jui avait donné comme acropoles les hautes montagnes dont elle a hérissé le pays. Sur leurs àpres sommets, l’Étolie avait pour remparts les crêtes des rochers, les ravins profonds, qui en couvrent les ap- proches, les étroits défilés, qu'une poignée d'hommes peut dé- fendre. Mais quand les tribus éparses se rapprochèrent, au temps de la guerre des Gaulois, et se formèrent en corps de nation; quand leur ambition croissante redoubla le nombre et l’animosité de leurs ennemis, il leur fallut imiter les autres nations de la Grèce et s'entourer de solides enceintes. L'Étolie se couvrit alors de villes fortes. Les Étoliens les construisirent avec un art souvent grossier, se préoccupant avant tout de leur donner des murs épais, qu'ils armaient de tours, ou dont ils brisaient la ligne par des re- dans. Ils y employèrent tous les systèmes de construction : l’hel- lénique régulier, mais rarement; l’hellénique irrégulier, le poly- “gonal brut, le polygonal régulier. Mais on ne doit pas s'attendre à trouver dans ces villes ni temples, ni édifices qui rappellent, même de loin, ceux de l'Attique et du Péloponèse. Les Étoliens n'avaient eu ni le temps, ni peut-être le goût d'apprendre l’archi- tecture et la sculpture. Quand ils voulurent bâtir, soit pour lés dieux, soit pour l'État, ils employérent le même système que pour leurs remparts; un peu plus de soin dans la taille et dans l'agencement des pierres fit toute la différence. Du moins les villes étoliennes se présentent-eiles, comme celles de l'Acarnanie, dans un état de conservation qui intéresse, qui émeuve le voyageur, en arrêtant ses yeux sur l'image encore vivante du passé? Qu'on lise, qu'on parcoure seulement l’histoire du peuple étolien. Trop de guerres, à toutes les époques, ont désolé ce malheureux pare et, quand les ennemis des Étoliens ont été les plus forts, ils n’ont pas voulu les humilier, mais les ruiner. Oui, les cités étoliennes méritent vraiment le nom de ruines: les murs sont démantelés, sauf un petit nombre d'exceptions, écroulés, rasés parfois jus- qu'aux fondements. Il est des bourgades fortifiées dont quelques \ #48 pierres éparses marquent seules l'emplacement. Et cependant, ces débris, si misérables qu'ils puissent souvent paraître, ont encore un vif intérêt. Il y a des parties entières de l’Etolie dont les'au- teurs anciens nous ont à peine cité le nom. Les ruines en ra- content l’histoire. Quant aux villes, qui nous sont mieux connues, il est rare que leur position ne soit pas incertaine; il importe de la fixer. Enfin l'étude des ruines étoliennes, qui n’a encore été faite que très-incomplétement, est l’appendice naturel et indis- pensable de l'histoire des Étoliens. Elle fournit les derniers traits à ceux qui veulent recomposer la physionomie d'un peuple éner- gique qui s’est conquis une place à part dans les annales grecques. I. ÉTOLIE ÉPICTÈTE. Agraïde, Apérantie, Eurytanie. L'Étolie se divisait en deux régions! : l'Étolie ancienne, c'est-à- dire l'Étolie des temps héroïques, comprenant la côte, de l’Aché- loüs à Calydon, les deux revers du Zygos et la plaine qui s’élend au sud du lac Trichonis; l'Étolie Épictète, ou acquise, ainsi nommée parce qu’elle ne fut réunie que plus tard à l’Étolie ancienne, le vrai berceau du peuple étolien. Elle avait pour frontières, à l’ouest, la rive gauche de l’'Achéloüs supérieur et la partie comprise entre sa rive droite et l'Inachus ; au nord, la Dolopie, le Tymphreste; à l'est, les monts Oxia et Khiona, qui la séparaient de la Doride:; au sud, une ligne irrégulière qui, suivant la frontière septentrionale de la Locride Ozole, le golfe de Corinthe vers Naupacte, la rive gauche de l’Événus, après avoir enfermé le territoire de Calydon, traversait ce fleuve au nord du lac Trichonis, le côloyait et rejoi- gnait l'Achéloüs au-dessus de Stratos. L'Étolie Épictète était oc- cupée par cinq tribus : les Agréens, les Apérantiens, les Eury- tanes, les Ophioniens et les Apodotes. Suivant Strabon, il faudrait chercher la première des cinq tri- bus, celle des Agréens, sur les deux rives de l'Achéloüs. « Les Éto- liens, dit-il, et les Acarnaniens sont limitrophes; ils ont pour frontière commune l'Achéloüs, qui, sorti du Pinde et coulant du nord au sud, traverse le pays des Asréens, peuplade étolienne, et celui des Amphilochiens ?. » Cependant Thucydide place évidem 1 Strabon, X, 11, 1. Id. ibid. 16. — 294 — ment l'Agraide sur la rive droite du fleuve. Il suffit de lire la marche que le Spartiate Euryloque entreprend, en 426 , à travers l'Acarnanie, pour s'unir aux Ambraciotes sous les murs d’Argos Amphilochicon ! : on verra que ce chef, arrivé à Limnéa, ville maritime de l’Amphilochie, tourne à droite pour éviter la route difficile qui longe la mer, se jette dans l’Agraïde voisine, traverse le Thyamos et rejoint, à Olpé, les Ambraciotes. L’Agraïde paraît donc avoir occupé une partie de la vallée du Bjakos (Inachus) et du coude prononcé que forme l'Achéloüs, de Sivista à Prévenda. Les Agréens étaient une des peuplades les plus sauvages del 'Étolie, puisque Philippe pouvait dire à Flamininus que les Agréens n'é- taient pas des Grecs. Avant la régulière organisation de la“ligue achéenne, ils obéissaient à un chef de tribu , que Thucydide ap- pelle roi. Les Spartiates d'Euryloque et les Ambraciotes, battus par Démosthène, se réfugient chez le roi des Agréens, Salynthius. Le seul village de l'Agraïde dont le nom soit venu jusqu'à nous est Éphyre ?. C'était peut-être la grossière acropole de Makriadha, la plus importante de toutes celles que l’on rencontre dans1de pays des Agréens. Je ne parle de cette tribu que pour mémoire. Le territoire qu’elle occupait, ses bourgades fortifiées, ont été deé- crits avec exactitude dans un récent travail sur l’Acarnanieÿ. L’au- teur s'est occupé de l’Agraide, parce qu’il a étendu, avec Strabon, les limites de l’Acarnanie jusqu’à l’Achéloüs. Veut-on presser les paroles de Strabon et trouver une solution au désaccord que nous avons signalé entre Thucydide et lui? I faut reculer au delà de l'Achéloüs le territoire des Agréens. Mais alors il est impossible de marquer les limites qui séparaient l’Agraïde de l'Apérantie. Sur la rive gauche de l’Achéloüs était l’'Apérantie, séparée par ce fleuve de l’'Amphilochie et de l’Agraïde. Trois mentions rapides, c'est à quoi se réduisent sur l’Apérantie les témoignages de lhis- toire. En 191, Philippe s’en empara à la faveur de son alliance avec Rome”. En 189, pendant que la trêve accordée par Scipion aux Étoliens leur laisse quelques mois de répit, ils rétablissent leur allié Amynander dans l’Athamanie , dont Philippe l’a chassé, ! Thucydide, LIT, cvr. 2 Strabon, VIIL, xx, 5. % Mémoire de M. Heuzey, membre de l'Ecole française d'Athènes, sur l'Acar- panie. & Tite-Live, XXX VI, xxxitr. “ Le, hé D he 7 — 295 — descendent dans l'Amphilochie, qu'ils reprennent, passent ensuite dans l’Apérantie, qui retourne à la ligue étolienne sans résis- tance, et de l’Apérantie vont conquérir la Dolopie !. En 169,par une marche audacieuse en plein hiver, Persée traverse toute la chaîne du Pinde et se présente devant Stratos, que les Étoliens ont promis de lui livrer. Mais Popilius l'a prévenu et s'est jeté dans la-place. Joué par les Romains, Persée passe le Petitarus et campe à cinq milles de Stratos; puis, manquant de vivres et trop près de l'ennemi, il se rend dans l’Apérantie, qui le reçoit avec enthousiasme ?. Leake et, à sa suite, Kiepert veulent que le Petita- rus soit le Bjakos d’Acarnanie, qui se jette dans l’Achéloüs à la hauteur de Prévenda. Mais il y a plus de dix milles de Stratos au Bjakos, et encore il faut remarquer que Persée ne campe pas sur le Petitarus, mais au delà. Ajoutez qu'en faisant de Bjakos le Peti- tarus de Tite-Live on met l’Apérantie, en partie ou en totalité, sur le territoire où nous avons vu précédemment qu'est l'Agraïde. Il reste donc que le Petitarus soit le Zervas, petite rivière d'Étolie , qui, descendue du mont Koutoupa et coulant du nord-ouest au sud-ouest , se jette dans l’'Achéloüs au-dessus de Stratos. Ces renseignements, bien qu’insuffisants, permetteñt de déter- miner à peu près les limites de l’Apérantie. À l'ouest, elle touche à l'Achéloüs, puisque Persée, après le passage du Petitarus, se trouve dans l’Apérantie; au nord , elle confine à la Dolopie. C’est de l'Apérantie en effet que les Étoliens, en 189, passent dans la Dolopie, qui se soumet. À l'est, elle semble avoir eu pour fron- tières naturelles les ramifications du mont Koutoupa et la Meg- dova; au sud, la Megdova encore, à moins qu'elle ne se soit un peu étendue par delà cette rivière. L’Apérantie comprend donc ce pays accidenté, coupé en tous sens de collines boisées, qu’arrosent deux rivières descendues du Pinde, l’Agrafiotico-Potamo et la Megdova. Le Campylus de Diodore de Sicile*, sur lequel! Cas- sandre s'arrête en 314, lorsqu'il vient diriger par ses conseils l'implacable animosité des Acarnaniens contre l'Étolie, est sans doute identique à la Megdova. Elle justifie ce nom de xaumÜhos (courbé) par le coude qu’elle forme avant de recevoir lAgrafio- ! Polybe, XXII, vin, 4-6; Tite-Live, XXXVIIT, 1. ? Tite-Live, XLIIT, xx. 3 Diodore de Sicile, XIX, cxvrt. — 296 — 1 tico-Potamo. Après avoir longtemps coulé du nord au sud, elle tourne brusquement et se dirige de l’est à l’ouest. | Quand on explore l’Apérantie, on rencontre cinq forte ou bourgades fortifiées, situées sur une ligne sinueuse qui va de l'Agrafotico-Potamo à l’'Achéloüs. Gette ligne de défenses gardait les frontières de l’Apérantie contre les incursions des Dolopes; au delà, c’est la Dolopie qui commence. De l’Agrafiotico-Potamo à la Megdova, on ne retrouve aucune ruine. Il est probable que de ce côté les hautes ramifications du Pinde avaient paru aux Apé- rantiens un rempart suffisant. La première des bourgades for- tifiées qui protégeaient les frontières des Apérantiens est le kastro de Palæo-Katouna. Quelques blocs rudement taillés sur une col- line au milieu des bois, voilà tout ce qui en reste : c’étail encore plutôt une forteresse qu’une bourgade. En marchant vers l’ouest, on arrive au kastro de Voulpi. Celui-ci, mieux conservé, cou- ronne une colline de hauteur médiocre, au sud du pauvre village de Voulpi. On peut suivre la ligne des murs, qui ne présentent d'intéressant que deux tours carrées, l’une au nord-est, l’autre au sud-est ; l'une, dont il reste encore six assises, l’autre, quin'en a plus que tfois. Elles sont, comme les murs, en hellénique irré- gulier. En dehors des murs écroulés et sur la pente de la colline, on reconnait des fondements de maisons. À quelques heures des ruines de Voulpi, et sur la même ligne, est le kastro de Vélaora. Ce n'est, à vrai dire, qu’un fort, bâti sur un âpre rocher, au milieu d’une plaine stérile et pierreuse. Si, dans ces pays sauvages, étrangers à l’art de bâtir comme à tous les autres, la grossièreté du travail était une marque d’antiquité, le fort de Vélaora serait un des plus anciens de la Grèce. Les murs est et sud-est, seuls conservés, se développent sur une ligne à. peu près droite sans tours ni redans. Ils sont formés de pierres brutes et appartiennent au cyclopéen le plus irrégulier. Le mur, épais de 2” 80, s'élève encore à la hauteur de cinq assises. Au sud, on s’est passé de murs; la roche abrupte, après avoir formé des remparts qui s'échelonnent comme des gradins, tombe à pic . dans une plaine au bout de laquelle on aperçoit l'Achéloüs et les montagnes du Valtos. Pour ajouter encore à la force de ce mur naturel, les fissures du roc ont été bouchées avec précision. Ce fort est situé au nord de Vélaora. Au sud du village et à peu de distance du premier, les habitants en montrent un autre, bâti — 297 — dans la plaine. Le premier semble avoir élé un refuge dans les temps mauvais, au milieu des guerres; le second, sans doute, était habité pendant la paix. Ce dernier, autant qu'on en peut juger, était le plus considérable des deux. Il n'en reste aujourd'hui que les fondements, et de loin en loin une ou deux assises; mais on voit qu’il avait été construit avec soin. Il devait être en cyclo- péen régulier. J'arrive à la cinquième et dernière place qui termine la ligne de défense du côté de la Dolopie et surveille un angle de l’Aché- loüs. L’enceinte, qui est encore assez étroite , forme un quadrilatère ct l’on peut la reconnaître dans toute son étendue. Les côtés nord et sud sont écroulés; les murs de l’est et de l’ouest sont conservés, du moins en partie, et présentent un beau modèle de cyclopéen régulier. Dans le mur est on remarque une tour carrée, mais d'appareil hellénique. Rien ne prouve cependant qu'elle soit d’ad- dition postérieure ; seulement, comme elle était une des parties les plus importantes dans la défense, on avait eu recours pour la bâtir à un appareil réputé plus beau et plus solide que le cyclo- péen. Mais les deux villes importantes des Apérantiens sont l’une au- dessus, l’autre au-dessous du monastère de Tatarna, l'une à l’ou- verture , l’autre presque au fond de l'angle resserré que l'Agrafo- tico-Potamo forme avec l'Achéloüs. La première est connue dans le pays sous le nom de kastro de Djouka; elle occupe une colline de configuration triangulaire. La partie la mieux, et presque la seule conservée est le mur est. À l’extrémité où ce mur est rejoint par le mur sud s'ouvre la porte de la ville encore debout. Deux tours en forment et en protégent l'accès, hautes de 3° 38, et larges, celle de droite de 2" 15, celle de gauche de 4" 10; l'ouverture de la porte est de 2" 60, et la longueur du passage fortifié, qui mène dans l'enceinte de 8" 75. L'appareil du mur est en hellénique presque régulier, excepté la tour de gauche qui, par ses blocs énormes de toutes formes et de toutes dimensions, appartient au cyclopéen régulier. Le mur, tantôt ruiné jusqu'aux fondements, s'élevant tantôt à la hauteur de deux ou trois et, sur un point, de sept assises, présente encore un système de fortification qu'on ne retrouve pas dans les autres cités de l'Étolie. Ce sont des espèces d’éperons ou saillies triangulaires, imaginées sans doute pour va- rier les moyens de défense. Le mur est, gravissant donc avec ses — 298 — | tours et ses éperons la pente de la colline, s’interrompt lorsque | commencent les roches abruptes dont la colline se couronne. | Le sommet de cette colline, dont les pentes, au nord, tombent | | perpendiculairement dans un ravin profond et verdoyant, était | | l’acropole du kastro. Il conserve encore des vestiges qui prouvent | qu'au moyen âge on avait compris la force naturelle de cette place et qu’on l'avait réparée. Ces remaniements consistent surtout en | deux murs demi-circulaires, échelonnés en gradins, qu'on avait élevés pour séparer l’acropole du reste de l’enceinte. Les habitants qui, dans les ruines des villes anciennes, appellent vénitien tout ce qui n’est pas hellénique, rapportent aux Vénitiens les répara- tions du kastro de Djouka. Elles appartiennent sans doute aux despotes d'Épire ou à la famille des Tocco. | Les ruines de la seconde ville sont dans un état déplorable. Elle ll était située sur une collimæ qui, par sa configuration, rappelle | celle du kastro de Djouka, mais qui est en même temps plus haute et plus large. L’enceinte en gravissait les pentes et appuyait | | | le sommet de son triangle aux roches à pic dont la colline est cou- ronnée. Le mur sud est le seul dont on retrouve des vestiges. À en juger par la suite des fondements, souvent interrompue, par quelques assises qui se cachent dans les broussailles, ce mur se | || développait sur une ligne brisée et appartenait à l’hellénique irré- | gulier. La position est une des plus fortes qu'on puisse voir. Les despotes d'Étolie l'avaient senti; mais, comme fort probablement l'enceinte était déjà écroulée et qu’ils ne pouvaient ou ne voulaient la relever dans son premier développement, ils en avaient bâti une seconde , intérieure à l’ancienne, et dont les traces se voient au nord et au sud de la colline. De trois côtés, la ville était défendue : * par des barrières naturelles; elle est située précisément au point. 2 où la Megdova et l’Agrafiotico-Potamo réunis vont grossir l'Aché- a | loüs. Si l'ennemi voulait l'attaquer par le nord, il trouvait sur son * 1 | chemin le kastro de Djouka, qu'il fallait d’abord forcer. Parve- . “R] nait-il à triompher de cet obstacle et à s'engager entre l’Agra- fiotico-Potamo et l'Achéloüs, il avait encore tout à faire. I devait | cheminer dans un dédale de collines boisées, faciles à défendreet | peut-être défendues, et, quand il arrivait à la colline du kastro, | il en trouvait les pentes coupées à pic de toutes parts et aborda- | | | bles seulement par une crête étroite qui la rattache aux collines prochaines. C’est un spectacle intéressant que de voir du haut LL. + "ET, «2 des rochers de l'acropole les trois fleuves qui n'en vont former qu'un seul, puis, au nord, par delà le labyrinthe des collines boi- sées , les hautes ramifications que le Pinde pousse vers Granitza et Palæo-Katouna; enfin, plus loin encore, les sommets blanchâtres du Djoumerka. Quelle était cette ville? Étienne de Byzance nomme en Étolie Pérantia, qui semble une abréviation d’Apérantia et qui dut être la capitale des Apérantiens. Nous sommes porté à la reconnaître dans les ruines qui viennent d’être décrites. Au pied de la colline sur laquelle elle s'élevait, on a trouvé un nombre considérable de tombeaux helléniques, mais qui paraissent n'avoir contenu que des urnes lacrymatoires. Je crois devoir placer encore dans l'Apérantie des ruines situées de l’autre côté de la Megdova, sur la rive gauche, en face-de la ville d’Apérantia. On les trouve sur la pente d’une colline qui do- mine les maisons éparses du village d'Hagios-Vasilios. Ce sont des fondations carrées dont l’une annonce un appareil hellénique re- marquable et qui semblent avoir appartenu à un édifice public. Elles se rattachaïent à une ville à présent détruite, dont la trace se perd au milieu des épais fourrés de la colline, Ces ruines ont donné une inscription encastrée maintenant dans une des aires du village. La tradition veut qu’on y lise : « Le trésor des deux royau- mes est caché sous cette pierre!.» Elle ajoute que le kastro d'Apérantia et le kastro d'Hagios-Vasilios étaient les capitales de deux royaumes, opposés d’abord, puis réunis, et dont les trésors avaient élé cachés au même endroit. Je déchiffrai sans peine sur la pierre brisée ces mots en grossiers caractères : « (un tel, le nom manque) fils de Simas; Théodotos, fils de Riaopas; Critolaos, fils d'Ardymas?.» C'était peut-être une liste de magistrats apé- rantiens. De ces noms deux seulement sont grecs; les autres sen- tent leur origine barbare. Mon explication parut faire réfléchir les paysans; je doute qu’elle les ait convaincus. Les limites de l’Eurytanie sont aussi difficiles à déterminer que celles de l’Apérantie. En 426, les Messéniens de Naupacte conseil- lent à Démosthène de tenter la conquête de l'Étolie; ils lui tracent même son plan de campagne. Il attaquera d’abord les Apodotes, 1 Tor düwr Paoraedr Snoaupôs drondrw dm aÿroy rûv Affor. ? Voir à l'Appendice, n° 1. — 900 — dont le territoire confine à la Locride Ozole, puis les Ophioniens, puis les Eurytanes. D'autre part nous lisons dans Strabon que l'Événus prend sa source chez les Bomiens , qui appartiennent à Ja tribu des Ophioniens. Du rapprochement des deux passages il pa- raît ressortir que eye avait pour limites, au nord, le Tym- phreste (Vélouchi); à l’ouest, le Campylus (Megdova) et lAchéloüs ; à l'est, l'Événus; au sud, le lac Trichonis. On peut assigner sans crainte aux Eurytanes un aussi vaste terriloire, puisque Thucy- dide nous les donne comme formant la majeure partie du peuple Étolien!. Leur nom même témoigne de leur importance et ’de l'extension de leurs limites. Sans doute Tzetzès?, dans ses scholies sur Lycophron, le tire d'Eurytus, roi de la ville thessalienne d'OŒEchalie; mais il semble, dans ceite étymologie, obéir à l'habi- tude si enracinée qui portait les anciens à rattacher à des héros les noms des peuples. Peut-être faut-il plutôt reconnaître: dans Eÿov- râves un dérivé de l'adjectif eÿous et supposer que les sn ss ürèrent leur nom de leurs vastes territoires. J'ai décrit le pays des Eurytanes, son aspect sauvage; les pics élevés et nus qui le hérissent, et le caractère plus doux, plus hu- nain en quelque sorte, de la vallée qui s'étend des monts Khé- lidon et Kaléakhouda au inont Vélouchi. Formés au milieu de cette nature farouche, les Eurytanes étaient devenus farouches comme elle. Ils avaient la réputation de parier une langue inin- telligible et de se nourrir de chair crue. Thucydide , qui a recueïlli ces rapports sur les Eurytanes , ne les donne que comme un bruit; ils prouvent du moins que les Eurytanes étaient la tribu la plus barbare de toute l'Étolie. Quand la ligue étolienne fat ré- gulièrement organisée, ils durent être de tous les brigandages; : mais aussi, à la guerre, les meiïlleurs soldats, les plus souples, les plus infatigables, les plus terribles à l'ennemi, les plus cruels. 7x Les détails nous manquent sur les Eurytanes comme sur les 4 Apérantiens. Aristote, dans sa République des Ithaciens, et Nicandre, dans son Histoire d'Étolie, mentionnaient chez les Eurytanes un. oracle d'Ulysse 5. Comment le nom et le culte d'Ulysse avaient-ils pénétré jusqu'è à ces montagnes? Nous savons que ce héros était"ho- noré à Trampya, au fond de l'Épire ; c'est là que se seraient arré- * Tucydide, III, xcrv. ? Tzetzès, schol. s. Lycophron, V: 799 et suiv. # Id. ibid. TE — 301 — tées ses courses lointaines, c’est là qu'il aurait trouvé les hommes «qui ne connaissent pas la mer et qui n'assaisonnent pas de sel leur nourriture. » Si les Eurytanes étaient de la même race que les Épirotes, Pélasges comme eux, parlant comme eux une langue inintelligible au reste des Grecs, le culte d'Ulysse leur serait peut- être venu de l'Épire. - Les rares forteresses que le voyageur rencontre dans les mon- tagnes de l’Eurytanie témoignent encore aujourd’hui de la bar- _barie des Eurytanes. C’est d’abord le kastro de Bérikos, près du village de ce nom, commandant le défilé qui mène de la région des lacs à Carpénisi. La haute colline dont il couronnait le som- met n’est accessible que par une crête étroite qui la rattache aux montagnes. Ces ruines ont peu d'intérêt. Des pierres longues et plates, à peine dégrossies et entassées sans art, forment les pans de mur que l’on distingue encore dans ce fourré. C’est vers le mi- lieu de la vallée de Carpénisi, près du village de Klapsi, un em- placement où ïl faut peut-être reconnaître celui de l'OEchalie étolienne, que Strabon! place dans le pays des Eurytanes. Mais les vestiges mêmes d'OEchalie ont presque disparu; les habitants ont brisé les pierres de l'enceinte pour bâtir des maisons ou des enclos. OEchalie a dû subsister au moins jusqu’à l'époque des An- tonins. On y a trouvé un fragment de mosaïque grossière et un sceau de bronze avec l'inscription « Polémarchas » dont les carac- tères sont de basse époque. Plusieurs villes dont on rencontre les ruines au nord du lac Trichonis appartenaient, selon toute apparence, à la tribu des Eu- rytanes. Mais il est à croire qu'elles remontent au temps où les Eurytanes renoncèrent à leur primitive indépendance, où ils con- sentirent à se fondre dans le grand corps de la ligue étolienne, où les noms des peuplades disparurent devant le nom déjà fameux d'Étolien. Avant la constitution de l'Étolie, les Eurytanes n’habi- _taient que des bourgades ouvertes et ces villes avaient de solides enceintes. Elles appartiennent à l’histoire générale de l'Étolie; elles ne sont même nommées que dans cette expédition hardie où Phi- lippe, en poussant jusqu’à Thermus, frappa l'Étolie au cœur. Toute la région des lacs en fut émue, et il faut réserver pour un chapitre particulier la description des nombreuses cités qu'elle contenait. 1 Strabon, X,1, 10. == 008 Le 2. Apodotie, Ophionie. L'histoire des Ophioniens et des Apodotes se confond, comme celle des Agréens, des Apérantiens , des Eurytanes, avec l’histoire générale de la nation; ils fournirent à la cause Étolienne des sol- dats vaillants sans doute, maïs obscurs; et l'apreté de leur terri= toire, leurs impraticables montagnes, en écartant d'eux les entre- prises de l'ennemi, leur dérobèrent aussi l'illustration. 1 Cependant les Apodotes nous sont mieux connus que les Ophio- | niens, grâce à Thucydide, qui nous a transmis sur eux quelques détails intéressants. Nous sommes en 426. Démosthène s'est laissé persuader par les Messéniens de Naupacte, ennemis naturels des | Étoliens, d'attaquer l'Étolie Épictète, les Apodotes d’abord, puis M les Ophioniens, puis les Eurytanes. Les Messéniens lui représen- | tent ces tribus comme habitant des bourgades sans défense et fort 3 éloignées l’une de l’autre; elles n’ont que des armes légères, elles 1 seront prises au dépourvu, et Démosthène, soutenu par les Lo- | criens Ozoles, qui connaissent le pays, qui combattent avec les mêmes armes que les Étoliens, les accablera sans peine. Démos- thène, séduit, a déjà conçu le plan le plus audacieux et le plus brillant ; il compte emmener avec lui les Étoliens soumis, des- 4! cendre par la passe de Cytinium et prendre la Béotie à revers. Il n’a cependant avec lui que des Messéniens, des Céphalléniens, | des Zacynthiens, trois cents hommes d'équipage Athéniens; il n'importe, il n’attend pas même les Locriens Ozoles. Parti d'Énéon en Locride, après une nuit passée dans le temple de Jupiter méen, il entre avec l'aurore en Étolie, prend Potidanie le preinie jour, Crocylium le second, Tichiüum le troisième, puis s envoie le butin à Eupalium en Locride. I voulait ach conquête, celle de l'Apodotie sans doute, retourner à N: de là marcher plus tard sur l'Ophionie. Les Messéniensi sentèrent que ses succès devaient l’encourager, que la soum de l’Étolie n’était qu’un jeu et qu'il fallait pousser en avant. Mais s déjà les Étoliens s'étaient rassemblés, et même les dernières tribus de l'Ophionie, les Bomiens et les Calliens, qui habitent aux enwi- rons du golfe dore av étaient accourues au secours des Apodotes. Démosthène s'empara encore d’ Égitium, dans une position élevée, environ à quatre vingts stades de la mer. Mais les hab M tants, et les Étoliens venus à leur aide, occupèrent les hauteurs qui — 303 — dominaient la ville, fatiguèrent les Athéniens par leurs attaques impétueuses suivies de brusques retraites , et, quand leurs ennemis eurent épuisé leurs projectiles, se jetèrent sur eux et les accable- rent de traits. Les Athéniens voulurent fuir; mais les Étoliens; rapides comme des bêtes fauves, les atteignaient à la course et les . massacraient, ou bien encore les poussaient dans des ravins sans issue. Égarés, des malheureux, le plus grand nombre des soldats de Démosthène, s'étaient réfugiés dans une forêt dont ils ne pou- vaient se tirer, les Étoliens y mirent le feu et les brülèrent. Bien peu surent retrouver le chemin de la mer et d'Énéon. Leurs malheurs avaient commencé avec la mort de leur guide. Démos- thène, dans cet engagement, perdit une partie des troupes alliées, cent vingt hoplites des meilleurs de l’armée athénienne, et son collègue, le stratège Proclès!. L'affaire dramatique d'Égitium fait le principal intérêt de ce récit, dans lequel on regrette de ne pas trouver sur la marche de Démosthène, sur la position des villes qu'il occupa, des détails plus circonstanciés. L’ expédition que Thucydide raconte fut dirigée contre l'Apodotie, c'est-à-dire contre une partie du territoire Éto- lien qui confinait à la Locride Ozole. Il s’agit d'abord de fixer ie point de départ, Énéon. Suivant Leake, il faudrait reconnaître celte ville dans les ruines helléniques qui couronnent une haute colline au nord-est d'Omer-Effendi, sur la rive gauche du Morno. Les villes de la Locride Ozole se seraient alors échelonnées sur tout le long de la côte, pendant que les villes étoliennes auraient té plus reculées dans l’intérieur ; par exemple, on se figure vo- itiers la chaîne des monts Trikorpho et Vigla comme la ligne : ir à Naupacte pour sh contre les Ophioniens ?? C'est _qu'app | ii il lui semblait périlieux de tenter en pleine Étolie Je passage du Morno, qui séparait sans doute les Apodotes des Ophioniens ; il est difficile de passer cette rivière, même en été, dès que les moindres pluies viennent la grossir. Au contraire, en traversant le Morno plus près de son embouchure, alors qu'il coule , t # [2 ! Thucydide, II, xerv-xcix. 2 Id. ibid, xcvr. av ", . r Ve — 304 — dans un lit à la fois plus vaste et moins profond, Démosthène avait l'avantage de tourner un obstacle dangereux et d’avoir der- rière lui, en cas d’insuccès, le territoire d’un peuple allié. Démosthène marche au nord-est, et la première ville dont il s'empare c’est Potidanie. On n'en retrouve plus l'emplacement. Potidanie était d’ailleurs moins une ville qu’une forteresse, castel- lum ; ainsi l'appelle Tite-Live, qui la donne comme voisine d'Eu- palium. En 207, dans la seconde guerre entre les Étoliens et la Macédoine, Philippe fait une bheie descente sur la côte de Lo- cride, à Érythrée, près d'Eupalium. « Les Étoliens, dit Tite-Live, étaient sur leurs gardes; tous les hommes qui se trouvaient dans la campagne ou dans les forteresses voisines de Potidanie et d’A- pollonie se sauvèrent dans les forêts et dans les montagnes !. » Si Eupalium était, comme le veut Leake, une ville de la côte, en face de l’île Trissonia, il faudrait chercher Potidanie, par exemple, aux environs du village de Koupléous. En continuant vers le nord-est, comme on s’imagine que le fit Démosthène, on trouve au-dessus du village de Gouméi les ruines d’une petite ville qui correspondent à Crocylium ou à Tichium; elles ne méritent pas d’être décrites. L'appareil est de l’hellénique le plus irrégulier, si l’on peut encore lui donner le nom d’hellé- nique. Ce sont des blocs de toutes les formes, de toutes les di- _ mensions, disposés sans la moindre symétrie, mais cependant avec un ordre grossier d'où résulte une solidité réelle. À l’ouest et sur le point le plus élevé de l'enceinte, gisent au milieu des broussailles, des blocs régulièrement taillés que les paysans ap- pellent les marbres, et dont quelques-uns portent des moulures d'une extrême simplicité. Il faut peut-être y voir les débris d'un temple ou d’une chapelle de la ville. La ville elle-même était des plus petites, une bourgade fortifiée et rien de plus; elle avait vue au sud-est et au sud-ouest sur le golfe de Corinthe, depuis les promontoires de Rhium et d'Antirrhium jusqu'à Égium, à l’est sur la ligne du Trikorpho, au nord-est sur les neiges du Vardous- sia. Leake, qui a examiné la position en passant, veut y recon- naître Égitium. Mais d’abord cette hypothèse l'oblige à entasser sur un étroit espace des villes que Thucydide nous donne comme assez éloignées l’une de l’autre. Puis les ruines de Gouméi, bien l Tite-Live, XXVIII, vou. 153 2 +, /70 — 305 — que dans une position élevée, ne sont pas défendues par ces ra- vins infranchissables dont parle l'historien. On cherche en vain sur ce terrain pierreux et infertile la forêt où les Athéniens furent brûlés. On s'étonne qu'ils n’aient pas facilement retrouvé leur route, quand ils avaient sous les yeux le golfe de Corinthe; quand, une fois descendus des hauteurs de Gouméi, ils entraient dans une vallée qui conduit droit à la mer. Il semble que les ruines de Gouméi soient plutôt Crocylium et qu’il faille chercher Ti- chium dans le voisinage de Lykokhori. Les ruines que l'on rencontre à égale distance des villages de Sé- védikos et de Strouza, paraissent être Égitium. Restes insignifiants d’une bourgade dont l'enceinte était en hellénique irrégulier, elles ne méritent qu'une mention ; mais on y reconnait les traits par lesquels Thucydide marque l'emplacement d'Égitium. Les deux éminences rocheuses qui dominent la ville au nord et au nord-est ont pu être occupées par les Étoliens pour inquiéter de loin Démosthène. Les Athéniens devaient s'enfuir au sud-ouest. De ce côté des collines roides, échelonnées en rampes parallèles, ferment l'horizon et creusent d’impraticables ravins. Il n’est pas jusqu'aux bois de Thucydide qui ne couvrent encore les pentes voisines; ce sont des bois de chêne dont les arbres, petits sans doute, mais serrés, pouvaient bien arrêter la fuite de l'ennemi. On ne peut se tirer de cette partie accidentée sans connaître les sentiers qui circulent sur la pente des collines. Enfin les ruines de Strouza répondent mieux que celles de Gouméi à la distance indiquée par Thucydide. La position isolée , sauvage, était excel- lente pour infliger une leçon à des ennemis trop téméraires!. Il est vraisemblable, sans qu'on ait toutefois des raisons pour l'affirmer, que le Morno séparait l'Apodotie de l'Ophionie. Retrou- vons-nous dans les historiens ou les géographes le nom ancien du Morno ? Denys, fils de Calliphon ?, en décrivant la côte de la Lo- cride Ozole, nous parle d’une rivière Hylæthus, qui venait, dit- on, d'Étolie. I n’a pu désigner que le Morno. C’est donc entre l'Événus et l’'Hylæthus que s'étendait le pays des Ophiens ou Ophioniens, et les tribus des Bomiens et des Calliens en auraient ! A une heure d'Égitium, près d'une église ruinée d'Hagios-Vasilios, sur la rive gauche du Morno, inscription. ( Voyez l'appendice, n° 2.) ? Denys, v. 65-68. Le Morno a ses sources dans J'OEta et le Vardoussia. MISS. SCIENT. 20 — 506 — occupé la partie orientale ] jusqu’ au mont Khicna, qui les séparait de la Doride. Les villes des Ophioniens ne sont nommées ni dans la géo- graphie ni dans l’histoire, et à peine en retrouve-t-on quelques vestiges sur le sol. Les Ophioniens paraissent avoir occupé au nord du Morno, depuis le Kokkino jusqu’au Fidaris, la région tourmentée du Kravari: les Bomiens alors auraient habité entre le Kokkino et le mont Vardoussia, et les Calliens se seraient éta- blis dans la vallée qui sépare le Vardoussia du Khiona. Les pre- mières ruines de l'Ophionie sont au nord-est de Koupaki, près du village de Palæo-Katounon. Sous un magnifique bouquet de chênes-houx, d’où l’on découvre les ravins de Koupaki, la longue ligne du Tricorpho et le Voïdia de Morée, subsistent encore les restes d’un temple antique. Tout l'indique, la position d’abord, puis de belles pierres de taille dont trois sont encore en place; enfin, des détails de sculpture sur des blocs dispersés, un poisson, une sorte de bouclier, des ornements grossiers, mais rares en Étolie. Plus loin, au nord de Palæo-Katounon , se retrouvent les iraces d’un mur hellénique. Là sans doute, au pied de collines escarpées, en face du Khiona neigeux, s'élevait la petite ville dont le temple ou la chapelle dépendait. La seconde ville dont on reconnaisse l'emplacement était au nord du gros bourg de Mégali-Lobotina, près du monastère d'Ha- gios-Dimitrios. Il n’en reste plus qu'un pan de mur, haut de trois assises, à peu près du même hellénique irrégulier que les en- ceintes de Calydon et de Pleuron. La position était bien choisie. Qu'on se figure un véritable cirque de montagnes nues, dont quelques rares sapins nuancent les pentes grisâtres et déchirées: puis au nord du cirque, se rattachant à l’une des montagnes qui le forment, une longue crête toute bordée de profonds ravins. C’est sur cette crête, défendue seulement dans les points acces- sibles, que la ville se développait; elle avait appuyé son acropole à la montagne, dont la crête est comme une saillie. Les moines trouvent dans leurs champs des monnaies effacées et des poteries grossières. [ls ont même déterré une stèle funéraire sur laquelle on lit, gravé en caractères profonds, le nom d’un certain Nicanor, tils de Ptolémée !. ! Voir à l’appendice, n° 3. Après Nicanor, vient ladareras. Quel sens attacher — 9307 — Des autres villes de l'Ophionie, on ne retrouve plus qu'un ou deux pans de mur à Artotiva, sur la rive droite du Kakavos, et quel- ques pierres helléniques à Klépa, sur la rive droite du Fidaris. Au mot Bœwuoi, on lit dans le dictionnaire d’Etienne de By- zance : « Bo’, collines d'Étolie : ceux qui les habitent, Bomiens. » Étienne de Byzance n’a pas voulu dire que le pays des Bomiens füt plus accidenté que le reste de l'Étolie, mais seulement que les collines s'y appelaient Bœuof et que de ce nom était venu le nom de la tribu. L’explication d'Étienne de Byzance ne nous ins- truit guère; tout au plus nous apprend-elle un terme Étolien. Quoi qu'il en soit, le Kokkino, qui, suivant toute probabilité, sé- pare les Bomiens de l'Ophionie proprement dite, est une petite rivière aux eaux rougeûtres qui prend sa source dans un des con- tre-forts du Vardoussia. Avant de se jeter dans le Morno, elle reçoit le torrent de Granitza. Deux villes et trois peut-être se reconnais- sent encore sur le territoire des Bomiens. La première est au sud- est du village de Dresténa; elle enfermait sans doute dans son enceinte une colline presque isolée dont les pentes sud-est et sud-ouest sont défendues par deux torrents qui se rendent au Kokkino. Le Kokkino paraît lui-même au sud et se perd entre de hautes collines. À l’est se dresse la masse du Vardoussia. C’est en- core uu emplacement des plus sauvages comme les aimaient les Étoliens. H ne reste de la ville que quelques assises cachées dans les broussailles; mais les pentes de la colline sont jonchées de dé- bris de poteries grossières et de tuiles. Enfin sur une éminence voi- sine on trouve encore un grand nombre de tombeaux helléniques. La seconde ville est mieux conservée. Elle est plus avant dans la vallée du Kokkino, à peu près au sud-ouest du village de Klima. Elle couronne le sommet d’une colline haute et abrupte, qui, vers le nord, se rattache à la masse du Vardoussia. On suit encore en partie la ligne de l'enceinte dont l'appareïl est au moins aussi brut que celui du kastro de Gouméi. Cette position, qui mérite plutôt le nom de forteresse que celui de ville, sur- veille et commande la vallée du Kokkino. Faut-il placer dans le pays des Bomiens ou dans la Locride à ce mot? Est-ce un surnom, Nicanor le Galatien, dû à quelque expédition d'Asie Mineure ou à des actes de bravoure dans la guerre des Gaulois? Est-ce un frère dont le nom eût été uni sur la stèle à celui de Nicanor? I est difficile de le dire. IoAeuaios, forme conuue pour froäepaños. — 308 — Ozole le kastro de Vélukhovo ? On appelle ainsi une ville impor- tante, assise au sommet d’une haute colline que le Vardoussia dé- tache vers le Morno. L’enceinte existe encore dans presque toute son étendue; au sud-ouest le mur ést un hellénique irrégulier d’une bonne exécution et d'une grande solidité; au sud-est c’est en cyclopéen régulier qu'est tout un pan de mur de deux ou trois mètres de haut. Âu moyen âge on a bâti sur les ruines de la ville antique. En effet sa position est des plus fortes. Âu nord, elle s’ap- puie à la chaîne du Vardoussia ; à l’est, elle est défendue par le torrent du Vélukhi et par le Morno, qui, tournant au sud, passe dans une gorge étroite sous un pont d’une seule arche jeté d'un rocher à l’autre; à l’ouest, coule le Kokkino; grossi du torrent de Granitza, il va se jeter dans le Morno, au pied même des rochers de la ville antique. Ainsi cette ville domine trois vallées, les deux vallées du Morno et la vallée du Kokkino. L'Étolie n’a guère de position comparable que celle d'Apérantie, au confluent de la die dova, de lAgrafiotico-Potamo et de l'Aspros. Leake revendique le kastro de Vélukhovo pour la Locride Ozole, et veut y reconnaître la ville d'Hylé. Les raisons qu'il donne à l'appui de son hypothèse semblent plus spécieuses que justes: Laissons le procès qu'il fait au texte de Thucydide, dans lequel il veut substituer Taaïor à Yaïos! sur l'autorité d'Étienne de By- zance : « Pan, dit Étienne de Byzance, ville des Locriens Ozoles; “ethnique, ŸXaïor. » Le même auteur se charge de justifier Thucy- dide en nous donnant aussi Yaéa et Yaïou, qu’il place encore en Locride Ozole. Mais Leake prétend que le nom d'Hylé convient bien à la contrée sauvage que dominent les ruines de Vélukhovo et que cette contrée devait jadis ressembler davantage à une forét: c'est un raisonnement qui peut s'appliquer avec autant de justesse à d'autres emplacements de la Locride Ozole. Il ajoute : « Hylé résista au Spartiate Eurylochus, jusqu'à ce qu'il eût pris une bourgade des Hyléens, Polis, et il crut nécessaire d'en exiger des otages avant de commencer sa marche dans la Locride. Hylé était donc une ville importante et voisine à la fois d'Amphissa et de la Phocide*, » Répondons qu'il est impossible de conclure du passage de Thucydide l'emplacement d'Hyæa. Il est même probable qu'Eu- ! Thucydide, TT, c. ? Leake, Voyag. dans la Grèce du Nord, t. IF, p. 619. — 909 — ryloque n'eût pas pris la peine d'exiger des otages d'Hyæa et de réduire Polis, si elle ne se füt pas trouvée sur son chemin : or il semble s'être acheminé d’Amphissa par la passe de Myonée pour gagner la côte, et Hyæa devait être plutôt au sud qu’au nord-ouest d’Amphissa.. Le rapprochement que Leake établit entre Hylé et Hylæthus, l'ancien nom du Morno, est ingénieux, mais il ne peut passer pour une preuve. Que sera donc le kastro de Vélukhovo ? la troisième place des Bomiens. Les trois vallées environnantes appartiennent à l'Étolie; il suffit d'y réfléchir un instant pour comprendre que jamais les Étoliens n'auraient permis aux Lo- criens de s'établir dans une position d'où ce peuple les aurait tenus sans cesse en échec. Trois villes anonymes, voilà les seules traces que nous retrou- vions des Bomiens. On ne sait pourquoi Leake suppose une ville de Bomi aux sources de l'Événus. Ni Strabon, ni ,lhucydide, ni Étienne de Byzance ne l'ont nommée, et, près des sources de l Évé- nus qui, suivant Strabon ’, sort du pays des Bomiens, il ne paraît pas qu'il existe aucun emplacement antique. Les Calliens occupaient la vallée qui s'étend entre le Vardoussia et le Khiona; la plus importante de leurs villes devait même être située au nord de ces deux montagnes, car c'est surlout les Cal- liens que Thucydide place dans le voisinage du golfe Maliaque ?. La position de Callium ou Callipolis, la capitale des Calliens, est encore mieux déterminée par Tite-Live et par Appien. En 191 le consul Manius-Acilius Glabrion, qui venait de battre Antiochus aux Thermopyles et de prendre Héraclée, gravit l'OEta et offrit à Hercule des sacrifices à l'endroit appelé Pyra. C'était là, suivant la tradition, que le bûcher avait consumé les restes mortels du Dieu. Glabrion voulait marcher contre les Étoliens, réunis à Nau- pacte, et il avait envoyé, en avant-garde, pour occuper les défilés périlleux des montagnes, quatre mille soldats sous Appius Clau- dius. De l'OEta jusqu’au mont Corax, rien n’arrêta la marche de l’armée romaine. Arrivé au Corax, Glabrion le traversa près de Callipolis; il trouva cette montagne, qui est une des plus hautes de la Grèce, abrupte, impraticable, surtout avec des soldats pe- samment armés et chargés de butin. Pressés sur une route étroite, 1 Strabon, X,u1,5 ? Thucydide, IF, xcvi. — 910 — beaucoup d'hommes tombèrent au fond des ravins'. Au témoi- gnage de Tite-Live et d’Appien, il faut joindre le témoignage, moins précis, de Pausanias: APR ils s’éclaircissent et se com- plètent. Brennus vient d'être repoussé par les Étoliens au passage de l'OEta; il se persuade alors que, s'il peut contraindre les Éto- liens à rentrer en Étolie, il aura plus facilement raison de la Grèce. Il choisit donc quarante mille fantassins et huit cents cava- liers, qu'il confie à Orestorius et à Combutis; il leur commande de retourner d’abord en Thessalie par les ponts du Sperchius, puis de se jeter sur l Étolie. Ils obéirent, et tous les excès que peut commettre une soldatesque barbare, Callium en fut le théâtre. Brennus avait ordonné à ses lieutenants un mouvement simulé sur la rive gauche du Sperchius; ils la remontèrent quelque temps, repassèrent le Sperchius au point où 1l reçoit la Vistritza, descendirent la vallée de la Vistritza et tombèrent sur la malheu- reuse Callium ?. Reconnaissons d’abord dans le Vardoussia le Corax de Séxaloi et de Polybe. Le Vardoussia en effet pousse ses derniers contre- forts jusqu’à l'OEta ; il est vraiment la plus haute montagne de la Grèce, puisqu'il s'élève à 2,495 mètres, et que le Khiona seul compte quelques mètres de plus *. Enfin une armée qui descen- dait de l'OEta pour marcher à Naupacte le trouvait nécessaire- ment sur son passage °. Mais sur quel point le traversa Glabrion ? Il n'existe que deux routes pour franchir le Vardoussia; la pre- mière, à l’est du village de Mousounitza, tracée entre la plus haute cime de la montagne et un sommet qui mesure plus de 2,300 mè- tres ; la seconde, au nord du Vélukhovo, lorsque le Vardoussia, qui va s’abaissant du nord au sud, n'atteint plus qu'à 1,200 mè- tres. Glabrion dut prendre la première. C'est la seule qui pré- sente les difficultés dont parlent Tite-Live, d’après Polybe,-et Appien; c'est la seule qui soit bordée de ravins si affreux qu'on n'ose pas s’y aventurer tant que la neige n’est pas fondue. Des hauteurs du Corax, Glabrion descendit dans la vallée du-Kokkino et de là s’achemina par le Morno à Naupacte. S'il avait suivi la ! Tite-Live, XXXVI, xxx; Appien, Syriaca, XXI. ? Pausanias, X, xxui. # Strabon, X, 11, 4. 1" Tite-Live, Appien, endroits cités. 5 Polybe, XX. — SI1l — seconde route, Appien ne nous dirait pas qu'il passa le Corax près de Callipolis : en effet Callipolis ou Callium dut être au nord de la vallée du Vardoussia et du Khiona. Qu'on la suppose dans la partie méridionale de la vallée (c’est là qu’il faudrait la chercher, dans le cas où Glabrion aurait franchi le Corax au-dessus de Vé- lukhovo), on ne comprendra guère que les Gaulois, repoussés ré- cemment au passage de l'OEta, se soient aventurés dans le défilé périlleux de la vallée, ni que, descendus le long de la Vistritza, ils aient été chercher si loin des représailles. Glabrion lui-même aura mieux aimé courir les risques d’une route diflicile, explorée d’ailleurs par une avant-garde de quatre mille hommes, que d’ex- poser son armée à des embuscades et à des surprises. Les ruines de Kastriotitza, au nord-ouest du gros bourg de MavroLithari, répondent parfaitement aux conclusions qui se tirent des textes de Tite-Live, d'Appien, de Pausanias, et par suite à l'emplacement de Callium ou Callipolis. L’enceinte, d’é- tendue médiocre et reconnaissable encore au sud, à l’ouest, au nord, était défendue par des tours carrées et bâtie en hellénique irrégulier de la belle époque, tel que celui qu’on remarque dans les remparts de Chalcis d'Étolie. La position de Callium est plus intéressante que ses ruines. Elle s'élève sur une pente douce qui aboutit à des ravins profonds et enferme dans la ligne de ses murs délabrés le petit village de Kastriotitza. Placée à l'entrée de la vallée du Vardoussia et du Khiona, elle regarde à l’est et au sud- ouest le Vardoussia, dont elle embrasse presque toute la chaîne avec ses accidents grandioses et ses neiges tenaces, pendant qu’au sud le Khiona dresse au-dessus des collines qui le masquent les neiges et les sapins de sa plus haute cime. En s'enfonçant dans la vallée, on trouve, un peu avant Komia- kos, sur Ja rive droite du Morno, d’autres ruines que les habitants désignent par le nom commun de Palæo-Kastro. Qu'on s’ima- gine une véritable terrasse de rochers ou, si lon veut, une plate- forme naturelle soutenue par des rocs perpendiculaires. Elle sup- portait une bourgade plus petite encore que Callium et défendue, seulement aux endroits où le rocher manquait, par des murs en hellénique irrégulier. Deux ou trois pans encore en place en mon- irent la force. Au moyen âge, la position parut si favorable qu'on remania l'enceinte comme au kastro de Vélukhovo. En effet la petite ville, déjà défendue par les rochers de sa terrasse, s'élève — 312 — au cœur d'une vallée sauvage et facile à disputer, dans laquelle coule le Morno. Rares en Étolie, les inscriptions, dans ces régions désolées , de- viennent plus rares encore. J'ai trouvé seulement à Lefkadiki, près d’une église ruinée de la Panagia, une stèle élégamment sculptée, qui porte, sur une bande en saillie, le nom de Timola. Les caractères semblent de l’époque romaine !. On peut croire que les Étoliens ont été frappés de l'importance de la vailée du Vardoussia et du Khiona. Callium en garde l’en- trée, le kastro de Koniakos, le centre, et le kastro de Vélukhovo, la sortie. Le kastro de Koniakos ne peut être Callium pour lesraïsons qu'on a vues; d’ailleurs près de cette ville il est impossible de franchir le Vardoussia. Ajoutons que, si l’on considère combien le kastro de Vélukhovo se rattache au système de défense de la val: lée, on se convaincra davantage encore qu'il faut le retirer à la Lo- cride Ozole et l’'attribuer à l'Étolie. La description de l'Étolie Épictète est terminée. Si elle permet de suppléer souvent au silence de la géographie et de l'histoire, on ne peut nier qu'il n'y ait quelque monotonie dans cette suc-. cession de ruines sans importance et de villes anonymes. Moins désolée que l'Étolie Épictète, l'Étolie ancienne ne manque pas de villes importantes et connues, soit par l'histoire des temps héroi- ques, soit par la lutte qui mit aux prises Philippe et les Étoliens. : II. ÉTOLIE ANCIENNE. 1. Région des lacs. Suivant Strabon, la côte, de l’Achéloüs à Calydon, et, dans l'intérieur des terres, les plaines fertiles de Stratus et de Trichonium formaient l'Étolie ancienne. Stratus , qui ne fut réunie à l'Étolie que pour un temps et par droit de conquête, appartient à l’Acar- panie; Trichonium s'élevait dans la région des lacs. C’est autour des lacs que se PRE Rent les cités les plus importantes et les plus riches de l'Étolie, à l'exception peut-être de Calydon. Protégées par leurs montagnes et rapprochées en quelque sorte pour une vie commune sur un territoire favorisé, elles se regardaiïent entre elles, du haut des collines qu’elles occupaient, avec le contente- ment de l’aisance et la sécurité de la force. Aussi regrette-t-on 1 Voy. l'appendice, n° 4. — 313 — vivement, quand on les visite, d'être si mal renseigné par les auteurs anciens et de lrouver si peu de ces inscriptions qui sup- pléent parfois avec tant de bonheur au silence de l’histoire. La plupart ne nous sont connues que par l'important passage où Po- lybe rapporte l'expédition de Philippe contre Thermus. Il faut en peser toutes les circonstances. En 218, la moitié des Étoliens avait envahi la Thessalie sous la conduite de Dorimaque. Les Acarnaniens pressent Philippe de saisir l’occasion et de frapper un grand coup en Étolie. Philippe se rend à leur avis, aïme ses troupes à la légère, réunit des guides, prend ses informations sur le pays el se met en marche. Parti le soir de Limnée, il arrive, au moment où le jour vient de poindre, sur les bords de l’Achéloüs entre Stratos et Conopé; ses soldats ont pris un peu de repos pendant la nuit. Sans attendre il tra- verse le fleuve; c’est a Thermus qu’il veut marcher, c’est à Ther- mus qu’il s'arrêtera. Il s’avance avec célérité, tout en ravageant le pays, et laisse sur sa gauche Stratos, Agrinium, Thestia; sur sa droite, Conopé, Lysimachie, Trichonium, Phytæum. Il arrive à la ville de Métapa, siluée près du lac Trichonis et commandant les défilés qui en longent les bords; elle est à peu près à soixante siades de Thermus. Il la trouve abandonnée des Étoliens, il y laisse cinq cents soldats, voulant en faire un poste qui surveillàt l'entrée et assurât la sortie des défilés. En effet, dit Polybe, les bords du lac [en cet endroit], montueux, àpres, hérissés de fo- rêts , ne laissent qu’un passage tout à fait étroit et difficile. Cette mesure prise, Philippe dispose ainsi ses troupes : en tête les mer- cenaires, puis les Illyriens, puis les peltastes et la phalange ; à l'arrière-garde les Crétois, et il travérse les défilés, pendant que sur sa droite les Thraces et l'infanterie légère le suivent hors du chemin et à travers champs. Sa gauche fut protégée par le lac lui-même pendant près de trente stades. Sorti du défilé, le roi trouve le bourg de Pamphia, où il laisse également une garnison; il marche ensuite vers Thermus par une route, non-seulement montante et àpre à l'excès, mais encore bordée de chaque côté par de profonds ravins : dans quelques endroits, elle était tout à fait étroite et dangereuse; il fallait gravir ainsi pendant trente stades. Philippe parcourt encore ce chemin en peu de temps, parce que les Macédoniens marchaient avec énergie, et arrive à Thermus à la fin du jour. Il campe et laisse son armée piller les — 314 — bourgs voisins, la plaine de Thermus et aussi Thermus, dont les maisons étaient toutes remplies de richesses. Le temple d'Apollon lui-même n'est pas épargné; on met le feu aux portiques et on les détruit; on renverse et brise les statues. Thermus ne fut pas dé- fendue, parce qu’elle n'avait jamais été attaquée et que sa forte position semblait l’assurer contre les tentatives de l'ennemi. Phi- lippe put donc se venger impunément du pillage du temple de Diane et répondre aux profanations par des profanations. Puis, chargé du butin de Thermus, il revint par la même route. Lors- qu'il eut quitté les hauteurs, trois mille Étoliens, sous la conduite de Dorimaque de Trichonium , se jetèrent dans Thermus et atta- quèrent les Macédoniens. Ils les avaient déja déconceriés parleur agression inattendue et ils les poussaient avec vigueur, lorsqu'äls tombèrent sur un détachement d'Ilyriens et de peltastes, posté en embuscade pour les recevoir. Près de trois cents furents tués ou faits prisonniers ; les autres s’enfuirent à la hâte par les sentiers des montagnes. L'arrière-garde, qui avait eu à souffrir de l'attaque des Étoliens, se remit en ordre, brüla Pamphium, traversa le défilé sans être inquiétée de nouveau et se rejoignit au corps d'armée. Philippe attendait près de Métapa. Le lendemain il rasa Métapa et alla camper près d’Acræ. Le surlendemain il ravagea le pays sur sa route et s'arrêta près de Gonopé; il passa dans ce Re oo le jour qui suivit. Le cinquième jour, il remonta l'Achéloüs j jusqu'à la hauteur de Stratos et passa le fleuve !. En 206, plus ennemi que jamais des Étoliens depuis leur alliance avec Rome, Philippe tomba une seconde fois sur Thermus, dé- truisit tous les objets d'art qu'il avait respectés dans sa première expédition et ravagea sans doute les villes d'Hellopium et de Phytæon?. Je passe maintenant à la description des ruines. Je restituerai leur nom, chemin faisant, à celles qui ne peuvent être l’objet d’au- cune contestation; j'attendrai, pour imposer un nom aux autres, que j'aie discuté le système de Leake sur la marche de Philippe. a. Agrinium. À la hauteur de Stratos, sur la rive gauche de l’Aspros, on MPolVbes NV rte 2 AT VIT 1240 — S15 — rencontre des ruines connues dans le pays sous le nom de kastro de Spolaita : Spolaïta est un village situé au nord de la ville an- tique. Celle-ci développait son enceinte sur la plate-forme d’une colline basse dont les pentes, hérissées, au nord et à l'ouest, de rochers à pic, présentaient un premier rempart. On peut encore suivre la ligne des murs presque dans toute son étendue. Elle forme un pentagone irrégulier. Le mur sud, qui gravit une pente douce, est protégé par deux tours carrées (six mètres de front) et tantôt s'élève à la hauteur de deux, quatre, cinq assises, tantôt est renversé jusqu'aux fondements. À l’est, le mur s'abaisse, puis se relève et se développe sur une ligne brisée que six tours dé- fendent. C’est le mieux conservé et le plus intéressant de toute _ l'enceinte; sur un point on compte jusqu’à neuf assises. On y trouve RTS deux portes, dont il ne reste que l’ouverture. Deux tours, très-rap- prochées, surveillaient les abords de la première; la seconde est percée à l’angle nord-est de l’enceinte. L’ennemi qui eût voulu la forcer aurait eu beaucoup à souffrir de la résistance des habitants postés sur les murs de l’est et du nord, et, en supposant qu'il fût arrivé jusqu'a l'entrée, il lui eût fallu s'engager dans un couloir étroit dont un côté est formé par le mur est et où il pouvait être écrasé. Les murs ouest et nord, qui dominaient des ravins ou des rochers à pic, sont presque entièrement détruits. Le développe- ment de l'enceinte est médiocre. Elle commande une grande plaine dont celle de Stratos n’est que la continuation et que l’Aspros baigne au nord-ouest. Le mur, extrêmement solide, dont l'épaisseur mesure jusqu'à 3"15, se compose d'assises régulières, empiétant rarement l'une sur l’autre, aux joints presque verticaux. Le kastro de Spolaïta est Agrinium. On ne peut nier l’ana- logie indiquée par Leake entre les noms d’Agrinium et de Thestia et ceux d’Agrius et de Thestius, descendants, suivant la légende, des héros Calydon et Pleuron. Quittant la côte et remontant PA- chéloüs, Agrius et Thestius seraient venus fonder des établisse- ments dans la région des lacs. Frappé d’une autre analogie peut- être, celle d’Agrinium et d’Agréens, Kiepert a reculé Agrinium dans les montagnes, bien au delà de Stratos. Mais on a vu sur quel territoire élaient établis les Agréens. De plus, Polybe dit ex- pressément : « Philippe laisse à gauche Stratos, Agrinium !.» Les L Polybe, V, vit, 7. — 316 — ruines du kastro de Spolaïta, les premières que l’on rencontre après Stratos, sont donc celles d'Agrinium. Un passage de Dio- dore de Sicile confirme cette opinion: En 314, Cassandre, l’en- nemi des Étoliens, vient conseiller aux Acarnaniens d'abandonner les bourgades ouvertes ou les villes mal défendues et de se con- centrer dans quelques fortes positions. Les Acarnaniens se retirent en effet à Stratos, Agrinium, Sauria!. Le kastro de Spolaïta avait pour lui la force de son enceinte épaisse et la proximité de Stratos. Les deux villes ne sont séparées que par l’Achéloüs, que. l'on traverse à gué à cette hauteur, et les Acarnaniens les avaient évidemment choisies pour se soutenir et se secourir l'une l'autre. Notons ce point comme éclairci dans l’obscure géographie de l'Étolie ancienne. Agrinium appartenait alors aux Acarnaniens, qui, sans cesse en guerre avec les Étoliens, s'étaient emparés de quelques villes sur la rive gauche de l’Achéloüs. Mais, lorsque Cassandre fut parti pour Leucade, trois mille Étoliens allèrent bloquer Agrinium, la réduisirent à capituler, et, lorsque les Acarnaniens eurent évacué la place, les poursuivirent malgré la parole donnée et les massacrèrent perfidement. b. Thestia. Sur la même ligne que les ruines de Spolaïta, en marchant vers l’est, on trouve le kastro de Mavrovro. Il devait se développer sur une colline qui, au nord, s’abaisse insensiblement vers le Pé- titarus (Zervas), mais qui, au sud, tombe à pic dans la plaine. Quand on considère la position de ce dernier côté, on se trouve en présence d'un mur de roc presque perpendiculaire et dont l'escalade eût été sans doute impossible pour un corps ennemi. L’enceinte, dont il ne reste que deux pans de mur en hellénique irrégulier, près du Zervas, paraït avoir été réparée au moyen âge. Il faut reconnaître la ville des Thestiens dans cette position re- marquable, reliée à l’est au Kinigou, dont elle est un des derniers contre-forts, défendue au sud et à l’ouest par des pentes abruptes et au nord par le Zervas. Polybe, qui est le seul à la citer, ne nous apprend pas même le nom de la ville, mais seulement celur du peuple. Il est probablé que la ville s'appelait Thestia. Comme le kastro de Mavrovro est le premier que l’on rencontre après le 1 Diod. de Sic. XIX, Lxvrrr. — 917 — kastro de Spolaïta et que Philippe laisse sur sa droite Agrinium, puis Thestia !, de même que nous avons vu Agrinium dans la pre- mière de ces ruines, nous avons dû voir Thestia dans la seconde. . Leake n’a visité ni l'un ni l’autre emplacement. Au sud-est de Thestia, sur le bord d’une petite rivière, l'Er- mitza qui, descendue du mont Arapoképhala, porte ses eaux au lac d'Anghélo-Kastro, s’est conservée une inscription intéressante. La pierre sur laquelle elle est gravée, grossière, brisée en un “endroit, rongée par le temps, est tournée vers la rivière et me- sure 1"75 de long, sur 1"35 de large. L'inscription se compose de deux parties, Fée en caractères hauts de dix centimètres, creusés profondément et très-distincts, l’autre en lettres beau- coup plus petites et à demi effacées. C'est une borne qui séparait les territoires de deux tribus inconnues, elle dit: « Limite des Ei- téens et des Eoïtanes?. » La suite, inintelligible, contenait peut- être l'avis de respecter la borne et les limites qu'elle fixait. Les Eitéens et les Eoitanes appartenaient sans doute à la grande tribu des Eurytanes, qui occupait toute cette contrée montagneuse. Nous avons dans l’histoire même d'Étolie un exemple de ces subdivi- » sions de tribu; les Bomiens et les Calliens nous sont donnés par Thucydide comme dépendants de la tribu des Ophioniens. Les » Eitéens et les Eoïtanes ne sont pas nommés dans les auteurs an- - ciens. S'il est permis de hasarder une conjecture sur eux, je dirai » qu'ils semblent avoir occupé la partie de l'Eurytanie qui s'étendait - du revers occidental du Koutoupa, du Kinigou et de l’'Arapoké- phala, à l'Achéloüs. c. Conopé. J'arrive aux villes que Philippe laisse à droite dans sa marche sur Thermus. La Fee est Conopé, à vingt stades de l’Aché- loüs, près de la rivière Gyathus*. Il y a peu de villes en Étolie - dont l'emplacement soit aussi bien déterminé. Au- dessous de . Stratos, puisque Philippe passe l’Achéloüs entre Stratos et Co- . nopé, on ne rencontre d'autre rivière que le courant qui porte à VAchéloüs les eaux des lacs de Vrachori et d'Anghélo-Kastro. Il faut donc y reconnaître le Cyathus de Polybe. Sur la rive gauche 1 Polybe, V, vn1,7 ? Voir l'appendice, n° 5. 3 Polybe, IX, xLv, 1. — 318 — du courant, sont des ruines byzantines et des vestiges helléniques: l'Achéloüs coule au bas, à une distance de quatre kilomètres et demi, qui répond à peu près aux vingt stades de l’hisiorien grec. C'est là que fut Conopé. Cette ville est plusieurs fois nommée dans l’histoire de l'Étolie: elle commandait un des passages de l’Achéloüs que Philippe, dans l'expédition quil entreprit, en 219, contre la basse Étolie, força malgré les efforts de la cavalerie étolienne!. Strabon nous apprend qu'elle échangea son nom de Conopé contre celui d’Ar- sinoé. Polybe, on ne sait pourquoi, lui donne tantôt l’un de ces noms, tantôt l’autre; il l'appelle même en un endroit Arsinoia?. « Ce n'était d’abord, nous dit Strabon, qu'une bourgade appelée Conopa : la ville fut fondée par Arsinoé, femme et sœur de Pto- lémée IL 5.» Cette Arsinoé, fille de Ptolémée I® Soter, avant d'é- pouser son frère Ptolémée II Philadelphe, fut mariée en 299 au vieux roi de Thrace Lysimaque. Quoique l'histoire n’en fasse pas mention, des rapports d'alliance et d'amitié durent s'établir entre les Étoliens et Lysimaque, lorsque ce dernier soutint, contre un ennemi des Étoliens , Démétrius Poliorcète, la lutte acharnée qui lui valut la Macédoine. La fondation d’Arsinoé se placerait donc entre 297 et 283. Lysimaque, épris d'Arsinoé, appela de son nom d'autres villes, bien plus importantes que Conopé, Éphèse par exemple. Plus tard, lorsque Rome eut humilié l'Étolie, Arsinoé fut le théâtre de tragiques événements. C’est dans ses murs que … le sang étolien fut pour la première fois versé par des Étoliens et que fat donné le signal des guerres civiles et des proscriptions qui précipitèrent la ruine de l’Étolie“. Après la prise de Constan- tinople par les Latins, Conopé changea de nom une seconde fois. La ville ancienne était sans doute détruite; mais la position parut importante aux despotes d’Étolie, descendants de cet Isaac l'Ange, porté, en 1185, au trône de Constantinople par la révolution qui renversa Andronic. Elle surveillait un des passages de l'Achéloüs et aussi l’un des défilés qui mènent de la haute dans la basse Étolie. Michel I”, ou Michel II, la rebâtirent au xin° siècle : ces princes étaient des Ange-Comnène : ils appelèrent la ville nouvelle du | 1 Polybe, IV, 2x1 v, 5. 2 Id; CREVER NX XIV D! $ Strabon, X, 11, 22. 4 Polybe, XXX, x1v, 5. 0 à dl — 319 — nom qu’elle a gardé, Anghélo-Kastro (le chäteau des Anges). Ni- céphore la donna en dot avec d’autres villes (1294) à sa fille Ithamar, qui épousa Philippe de Tarente, fils de Charles IE, roi de Naples. On ne retrouve plus guère à Anghélo-Kastro que les ruines de la ville byzantine. Elles sont situées sur une colline escarpée de . tous les côtés , excepté celui qui regarde le Cyathus, et se réduisent à quelques pans de mur, à une tour délabrée, aux restes d’une église de Saint-Georges. Arsinoé ou Conopé paraît avoir embrassé dans son enceinte une plaine qui s'étend au-dessous de la colline; sur la colline s'élevait sans doute l'acropole. Mais une base de co- lonne ionique, d’un diamètre médiocre, voilà le seul vestige qui rappelle la ville ancienne. Il faut y joindre une inscription funé- raire, engagée dans une église ruinée d’Anghélo-Kastro. On y lit deux noms de femme et un nom d'homme, en caractères assez soignés : Mocrateia, Rycleida, Damippas!. d. Lysimachie. Après Conopé, vient Lysimachie. Sur cette ville, les témoi- gnages des auteurs anciens sont peu nombreux, mais précis, et suffisent pour en déterminer l'emplacement. Strabon nous dit qu'elle était près du lac de Lysimachie, à égale distance de Pleuron et d’Arsinoé ?, En 191, Antiochus, lisons-nous dans Tite- Live, après avoir assisté à une assemblée de Naupacte, quitte cette ville pour rejoindre les troupes qui lui arrivaient du golfe Maliaque ; il suit la route qui mène à Stratos en passant par Ca- lydon et Lysimachie *. Cette route devait traverser l'Événus, dé- boucher dans la plaine de Missolonghi, franchir le Zygos, tomber au village de Papadatais, tourner à gauche entre le Zygos et le lac d'Anghélo-Kastro, et longer l’Achéloüs jusqu'à Stratos. Les ruines de Papadatais répondent aux indications de Polybe, de Strabon et de Tite-Live. On vient de voir qu’elles se trouvent sur la grande route de Naupacte à Stratos; elles sont également éloignées des ruines de Kyra-Irini (Pleuron) et d'Anghélo-Kastro; enfin elles sont à peu de distance du grand ac d'Étolie. Comme les deux lacs d’Anghélo-Kastro et de Vrachori étaient, selon toute appa- 1 Voir l'appendice, n° 6. 2 Strabon, X, 11, 22. 3 Tite-Live, XXXVI, xi. _ dédaééé né L4 — 320 — rence, réunis dans l'antiquité, les historiens et les géographes an- ciens ne nomment dans cette région qu'un seul lac, qui, à difié- rentes époques, porta des noms différents. Il s’appela d’abord Hyrie, et fut formé, si l'on en croit la fable, des larmes d'Hy- rie, mère de Cycnus, qui ne put se consoler de la mort et de la métamorphose de son fils!; le nom d'Hydra, que lui donne Strabon comme le plus ancien de ses noms, paraît se confondre avec celui d'Hyrie et n'en être qu'une variété. Plus tard, quand Lysimaque fonda Lysimachie ou entoura de murs la bourgade d'Hyrie (c’est une conjecture vraisemblable de Leake), les Éto- liens, reconnaissants, attachèrent à la ville nouvelle et au lac le nom de leur allié et de leur bienfaiteur. Enfin, à une épequepos- térieure, Trichonium étant devenue une des villes les plus impor- tantes de la ligue étolienne, le lac de Lysimachie s’appela 7 chonis : Polybe ne le nomme jamais autrement ?. Tenons donc les ruines dePapadatais, les premières que l'onren- contre après celles d'Anghélo-Kastro, pour l’ancienne Lysimachie. Lysimachie était déjà détruite au temps de Strabon. Elle enfer- mait dans son enceinte une colline importante, dont les pentes abruptes tombent au sud et à l’ouest dans un ravin profond: Le mur nord est le mieux conservé; on y distingue encore quatre tours carrées, dont deux sont ruinées entièrement, tandis que les deux autres s'élèvent à la hauteur, celle-ci de six, celle-là de quatre assises. Le mur ouest, dont on retrouve les fondements seuls de distance en distance, protégé par un ravin, semble n'avoir pas*été armé de tours et avoir gravi la colline en ligne brisée. Le mur sud n'est pas en meilleur état que le mur ouest. Du côté de l'est, le mur flanqué de tours, dont une seule est reconnaissable, a subi des remaniements au moyen âge. Les tours du nord, la seule partie qui permette de se former une idée de l'enceinte, sont en hellé- nique régulier. Les tombeaux de Lysimachie étaient près du lac; dans l’église de Mataranga, sur une stèle provenant de l’un deces tombeaux, on lit l'inscription suivante en caractères peu PE «Chidas, fils de Chrion.» ! Ovide, Mét. VIF, v. 371-382. ?-Polybe, V,/vir, 10; XI, vir, 1. * Voir l'appendice , n° 7. — 321 — e. Trichonium. Quand on continue à suivre la route qui passe près du lac de Vrachori, on trouve les ruines de Gavalou, ruines insignifiantes et qui méritent à peine d’être décrites. L’enceinte de la ville an- cienne, quienfermait une colline allongée et basse, tournée comme celle de Papadataïs vers le lac de Vrachori, a été complétement rasée. Il n'en subsiste plus guère qu'une ligne de fondements, sou- vent interrompue ou enfouie dans le sol. Sur le haut de la col- line, près de l’église du village, est un füt de colonne dorique, d'un seul morceau, d’assez petit diamètre et d'exécution mé- diocre. Il faut le signaler : tout ce qui ressemble à de l'art est de la dernière rareté en Étolie. C’est 1à que fut Trichonium. On n’en peut guère douter, puisqu' on ne rencontre pas d’autres ruines entre Papadatais et Gavalou. Trichonium était avec Stratos une des premières villes de la mésogée étolienne; les riches plaines qu'elle cultivait entre le Zygos et le lac qui porta son nom, sont encore les meilleures et les plus fertiles du pays. De Trichonium sortirent quelques- uns des chefs les plus influents de l’Étolie : Do- rimaque , le vainqueur de Caphyes, le fougueux stratége, le pro- fanateur du temple de Dodone, le législateur peu scrupuleux d’un moment de crise; Dicéarque, le principal auteur de l'alliance entre les Étoliens et Antiochus, ainsi que de la rupture avec Rome; Alexandre, qui se jeta sur l’arrière-garde de Philippe après la prise de Thermus, qui combattit l'abolition des dettes demandée par les Étoliens et décidée par Dorimaque et Scopas!. On ne trouve à Gavalou aucune inscription qui vienne ajouter aux témoignages de l’histoire. Fe Phytæum. La dernière ville que Philippe laisse sur sa droite est Phytæum. Pour en reconnaître l'emplacement, il semble qu'il n'y ait qu'à suivre les bords du lac. Phytæum, nommée après trois villes qui regardent le grand lac d'Étolie, Conopé, Lysimachie, Trichonium, doit être dans la même direction et dans une situation semblable. Quand on a dépassé Gavalou, Boutino, on arrive au petit village o » FANS , : ts . 1 Les nouvelles inscriptions de Delphes ont révélé d'autres stratéges originaires de Trichonium. MISS,. SCIENT, | 21 Ro + de Palæochori, près duquel subsistent encore des ruines helléni- ques intéressantes. Elles appartiennent à une enceinte qui cou- ronnait la plate-forme, assez étroite, d’une haute colline dont les pentes, dans la direction du sud-est, sont presque perpendicu- laires. Le mur nord-ouest est le seul qui subsiste : il est en hellé- nique irrégulier d'une grande solidité. Je reconnais dans cet em- placement l'ancienne Phytæum que EMyRE cite en passant et que nomme Étienne de Byzance. Leake, qui n’a pas eu le temps d’ex- piorer les bords du lac de Vrachori, veut sans aucune raison voir Phytæum dans les ruines de Kouvélo. Les ruines de Palæochori, qui font une suite si évidente aux villes que Philippe laissa sur sa droite, ne permettent pas cette supposition. 2. ANCIENNES VILLES À L’EST ET AU NORD DU LAC TRICHONIS. a. Kastre de Kaloudi. Les incertitudes et les difficultés commencent maintenant : où chercher Métapa, Pamphium, Acræ? Sur les emplacements que Leake leur assigne on ne découvre aucune ruine, aucun vestige d'enceinte. Quand toutes les autres villes de la région des lacs ont laissé des traces plus ou moins considérables de leur existence, il serait extraordinaire que ces trois-là eussent été en quelque sorte effacées du sol. Mais que l’on s'éloigne de l'extrémité nord-ouest du grand lac d'Étolie où Leake veut que se soient élevées Acræ, Mé- tapa et Pamphium; que l’on passe à l'extrémité opposée, aussitôt on rencontre d'importantes ruines. Les décrire successivement, confronter l'opinion de Leake avec le texte de Polybe et l’état des lieux, voilà peut-être le moyen le plus sûr pour résoudre une question qui ne manque pas d'intérêt êt que les géographes ont controversée. Les premières ruines que l’on trouve sur son chemin en pour- suivant le tour du lac Trichonis, sont au bas du pauvre village de Kaloudi. La ville ou plutôt la bourgade fortifiée qu’elles repré- sentent avait entouré d’une enceinte une hauteur hérissée de rocs dans une étroite vallée. On arrive à cette bourgade à travers les bois; elle est retirée à l'écart et comme cachée. Elle n’a qu’une faible échappée sur le lac Trichonis, dont une colline et une plaine la séparent. On reconnaît au mur nord-ouest, le seul qui subsiste, l'appareil de l'enceinte. Il est en hellénique irrégulier. Les pierres - x ÿ | SEE ressemblent à des blocs détachés de la montagne, taillés grossiè- rement et ajustés par un art tout primitif qui allait à la solidité sans être capable d’y ajouter l'élégance. b. Kastro de Dervékista, En arrière des ruines de Kaloudi est le kastro de Dervékista. Perdu au milieu des bois, il couronne une colline d’où l’on dé- couvre au loin le Fidaris : c’est une forteresse du moyen âge et nous ne la citons que pour mémoire. c. Kastro de Morosklavo. La position de Morosklavo, qui enfile en longueur le lac Tri- chonis, est une position antique. Quelques fondements grossiers sur une colline au bas du village de Morosklavo et les monnaies étoliennes qu'on y trouve rappellent seuls qu’une ville ou une bourgade existait là. d. Kastro de Pétrochori. Le kastro de Pétrochori, sans être aussi ruiné, n'offre que peu d'intérêt. On reconnait seulement sous les remaniements du moyen âge les fondements du mur sud-ouest. L'emplacement est pitto- resque et remarquablement choisi. Les montagnes de Naupacte, le cône sombre de l’Arapoképhala, la chaîne du Zygos, le lac Tri- chonis, qu’on domine comme à Morosklavo, forment une perspec- tive belle et variée. En même temps, un peu au-dessous de Pé- trochori, commence la ligne de collines dont les pentes rapaces tombent dans le lac Trichonis. Le kastro de Pétrochori, posé au sommet d’une de ces collines, en défendait les abords et gardait l'entrée d'un périlleux défilé. e. Kastro de Képhalo-Vryso. Si l’on quittait les bords du lac pour traverser les collines basses et les étroites vallées qui sont à l’est de Pétrochori, on rencontrait le kastro de Képhalo-Vryso. Cette ville n’est pas bâtie sur une colline comme la piopart des cités de l'Étolie, mais en plaine. Elle a la forme d’un carré long, presque régulier. Trois côtés de l’en- ceinte subsistent encore et s'élèvent en général à la hauteur de deux ou de trois assises. Le mur oriental, adossé à des collines pier- reuses, est seul détruit. De distance en distance, les murs du sud, 21. — 324 — de l’ouest, du nord, sont flanqués de tours carrées, éloignées l’une de l’autre d'environ 42 mètres et présentant une face de 7 mètres. On en compte encore quinze, dont deux très-ruinées. Une tour ronde forme l’angle sud-ouest de l'enceinte; elle défend , avec une tour carrée, la seule porte que l’on retrouve et dont il ne reste que l'ouverture. Le mur, épais de 253, est construit comme les rem- parts de Messène ; de longs blocs, perpendiculaires aux parements du mur, forment des compartiments qui retiennent les pierres de remplissage et doublent la solidité de l'enceinte. L'appareil est hellénique, les assises sont régulières, maïs les joints demeurent obliques. L'intérieur de l'enceinte est aujourd’hui un beau champ de maïs arrosé par des eaux courantes. On y trouve près du mur sud des fondations du même style que lenceinte : elles ont Ja forme d’un parallélogramme, long de 125 mètres et large de 12"85. Elles supportaient un mur de 1"22 d'épaisseur. Adossés à la ligne méridionale des fondations sont les restes d’un édifice qui mesurait 12"00 de face sur 5"20 de côté. Il faut reconnaitre dans ces fondations l’agora de la ville étolienne et, dans les restes de l'édifice, peut-être un petit temple, peut-être un édifice pu- blic. L’emplacemeut du temple semble indiqué par la chapelle ruinée d'Hagia-Triadha {Sainte-Trinité), qui touche au mur orien- tal et près de laquelle on trouve de belles pierres de taille, per- cées de trous de scellement. Au nord de Képhalo-Vryso, dans le village de Mokista, est une église byzantine, construite en partie de pierres de taille remar- quables, qui semblent provenir d’un temple ancien. Elle est pe- tite et curieuse tant par son antiquité que par des inscriptions païiennes et chrétiennes. Malheureusement les unes et les autres . ont été à moitié détruites par le temps ou par les bergers. La première est encastrée dans le mur de l'église : c'est une stèle. Au haut de la pierre on lit, tracés en caractères soignés, maïs avec des appendices aux extrémités des lettres qui annoncent l’époque impériale : « Artémitos, fils d’Agémon ‘. » Plus bas est une autre inscription, également funéraire, mais en caractères penchés, né- gligés, et certainement postérieure. Le commencement de toutes les lignes a disparu et la fin n’en est pas toujours lisible : il m'a semblé impossible d’en tirer un sens raisonnable. 1 Voir l'appendice, n° 8. — 325 — La troisième inscription est chrétienne : elle est sur une grosse pierre carrée, assez fruste, en face de l'église. La forme des carac- tères, les abréviations, les lettres liées ensemble annoncent une époque basse. Elle est en l'honneur du fidèle qui a fait relever à ses frais l’église vénérable de l’archange Michel; les chrétiens, par- lant dans l'inscription, souhaitent, à ce qu'il semble, au fils du restaurateur de l’église, une bonne renommée à jamais et tous les biens !. J'ai jugé inutile de donner la quatrième inscription, chrétienne aussi : jy ai plutôt deviné que lu, dans quelques mots à peine reconnaissables , des souhaits pieux pour un bienfaiteur de l’église, comme dans l'inscription précédente. L'église de l'archange Michel avait été de nouveau détruite : une dernière inscription, encasirée dans le mur rappelle le nom et les sentiments chrétiens de celui qui la rebâtit telle qu’on la voit maintenant : « Désirant effacer la souillure de mes fautes, MOIS 2. Cosmas, j'ai avec une grande ardeur relevé cette de- meure à partir des fondements, aidé par les divins archanges : vous donc qui accourez ici..... désirant les faveurs du chef des armées célestes ..... demandez d’abord (pour vous) la paix du cœur et pour moi le salut de l'âme ?. » Dans cette inscription non- seulement les lettres sont plus d’une fois liées ensemble, mais en- core les mêmes lettres y sont représentées par des caractères dif- férents, et des minuscules sont mêlées aux majuscules. f. Kastro de Soponikos. En redescendant de Mokista vers le lac Trichonis, on trouve, au bas du village de Soponikos, les ruines d’une petite bourgade dont les murs, armés de tours, enfermaient le haut d’une colline, jusqu'au point où par une brusque pente elle va tomber dans les eaux du lac. On peut en suivre encore presque tout le développe- ment : les parties les plus ruinées sont au nord-est, au sud-est et au sud-ouest. Le reste de l'enceinte est assez bien conservé et sa hauteur varie de cinq à huit assises. L'appareil est analogue à celui des ruines de Képhalo-Vryso. La position de cette bourgade est importante : elle garde l'issue du défilé dont le kastro de ! Voir l'appendice, n° 9. ? Ibid, n° 10. — 326 — Pétrochori commande l'entrée. À l’ouest en effet commence une plaine qui, peu spacieuse d'abord, S'ÉIIE tout à coup après Vrachori et s'étend d’Anghélo-Kastro j Lo à Stratos. g. Kastro de Krionéro (Pr). Près de Soponikos, au village de Krionéro, subsistent d'insi- gnifants vestiges d’une ville étolienne. On a beau explorer en tous sens la colline pierreuse sur laquelle elle s'élevait, on ny trouve plus qu’un morceau de mur en hellénique irrégulier. On est dédommagé par une inscription curieuse, engagée dans l’église d'Hagia-Triadha et presque complète, En voici la traduction : «À la bonne | fortune] «[Un tel] de Trichonium [étant stratége], Nicoleuon, Nicra [dès], Xénon, Phistyens, [étant magistrats] de la ville de Phis- tyum, Alcestis étant prêtresse, Lycos, fils de Lyrisbos, d’Arsinoé, a vendu à Aphrodite Syrienne Phisiyenne un enfant mâle, nommé Sgaros, né dans sa maison, afin de lui assurer la liberté, pour le prix de quatre mines trente drachmes. S'est porté ga- rant, conformément à la loi, Lycophron, fils d'Agétas, de Bou- catium; ont été témoins Cratiadas, Hybrilaos de Boucatium, ÂAristarchos, Stratolaos de Boucatium, Lycon de Lamia, Xénon, Agéson de Phistyum : l'acte de la vente est déposé chez Xénon de Phistyum !. » Si l'on compare cette inscription aux inscriptions analogues du temple de Delphes, on trouvera qu'elle n’apprend rien de nou- veau sur les ventes simulées d'esclaves dans lesquelles Curtius voyait avec raison de véritables affranchissements. Les fouilles récentes de Delphes, en augmentant le nombre de ces actes , ap- portent de nouvelles preuves à lopinion de Curtius. Mais l’ins- « cription de Krionéro est remarquable à d’autres titres : elle nous 1pprend que la Vénus Syrienne était adorée en Étolie. À quelle époque le culte de cette divinité pénétra-t-il dans les montagnes étoliennes? Sans doute lorsque les Étoliens s’allièrent avec: An- tiochus; à la suite des troupes asiatiques arrivèrent des idées elles et des dieux nouveaux. Depuis que les Étoliens s'étaient enrichis par la guerre, qu'ils s'étaient jetés dans le luxe et les plai- 1 Voir l'appendice 6 ADM AN LS ———————————— “Ga. + RS d +, D » — 327 — sirs, ils ne pouvaient que recevoir avec empressement un culte si conforme au relâchement de leurs mœurs. Vénus alors dut être l’objet d’'hommages aussi passionnés, aussi exclusifs que ceux qui dans d’autres villes s’adressaient aux dieux étrangers. Son temple, comme le temple de Sérapis à Ghéronée, à Tithorée, à Coronée, devint un centre d’affranchissement; c'est un dixième centre à joindre à ceux que Curtius énumère; il était jusqu'ici demeuré inconnu. Les inscriptions nouvelles de Delphes contiennent les actes de deux affranchissements faits à Delphes par des Étoliens : peut-être, lorsqu'ils eurent dans leur pays un centre d’affranchis- sements, les consommèrent-ils en général au temple de Vénus. Outre ce fait si intéressant, l'inscription de Krionéro nous donne encore le nom de deux villes étoliennes qui ne sont connues que par elle, Boucatium et Phistyum. Évidemment les ruines de Krio- néro sont identiques à Phistyum : l'inscription a été encastrée dans l'église qui s’est élevée sur l'emplacement du temple, et Vénus y estappelée Vénus Phistyenne. Dans les premières lignes les ma- gistrats locaux sont les magistrats de Phistyum. S'il était possible de conserver des doutes sur ce point, ils seraient levés par une autre inscription engagée dans le mur de l’église; quoiqu'il n'en reste que quelques noms propres mutilés, on y lit encore au gé- nitif pluriel le nom de Phistyens. C'est donc une ville, passée sous silence par les auteurs anciens, dont le nom et la position sont acquis à la géographie. h. Kastro de Kouvélo. Au sud-ouest de Krionéro sont les ruines importantes de Kou- vélo. Elles couronnent un des derniers contre-forts du mont Viéna: c'est une colline qui s’abaisse doucement vers le lac de Vrachori. Toute la ligne de l'enceinte subsiste plus ou moins bien conservée, et s'élève en général à la hauteur de deux ou de trois assises; le mur sud-est est seul complétement détruit. Dans cette ville, le système de défense est assez varié. Les murs sont à la fois armés de tours carrées et brisés par des rentrants. Mais la partie la plus curieuse de la ville ancienne est sans contredit une acropole ovale qui occupe au nord-est le sommet de la colline. Du côté sud, elle élait séparée du reste de la ville par un mur intérieur, détruit aujourd'hui jusqu'aux fondements. Au point où ce mur rejoignait le mur oriental, on trouve une tour demi-circulaire dont les côtés, — 328 — engagés dans l'enceinte, font saillie à l'intérieur de l'acropole; elle domine et enfile toute la ligne du mur oriental. Elle s'élève encore à la hauteur de vingt assises; maïs il est à remarquer que si ces assises sont en hellénique irrégulier comme le reste de l'enceinte, elles sont cependant formées de pierres plus petites et l’on est tenté d'y voir un ouvrage ajouté postérieurement à l’acropole pour en augmenter la force. La tour est percée de trois fenêtres à jam- bages obliques, disposition analogue à celle des fenêtres doriques et de deux portes dont l’une communique par une rampe avec la ville basse et l’autre avec lacropole. Près de la tour, le mur compte neuf assises et, ce qui mérite d'être noté, ce pan de mur, qui offre d’abord un assez beau spécimen d'hellénique irrégulier se continue brusquement et pendant quelque temps en polygonal régulier. Avons-nous dans cette partie le seul reste d’une enceinte beaucoup plus ancienne que celle qu'on vient de décrire, ou n'y faut-il voir qu’un caprice des ouvriers qui ont bâti la muraille ? Dans un pays où l’art de bâtir n’était pas plus développé que tous les autres, on serait tenté de s'arrêter à la seconde hypothèse. Di- sons encore, pour en finir avec ces ruines, que l’acropole, du côté du nord, était défendue par deux tours rondes, dont les fonde- ments sont helléniques, mais dont le reste a été refait au moyen àge. Pendant que Phistyum gardait le passage qui mène par les montagnes dans l'intérieur de l'Étolie, le kastro de Kouvélo sur- veillait celui qui longe les bords du lac. Il a joué son rôle dans la guerre de l'indépendance. En 1822, les Turcs partis d'Agrinium sous la conduite du pacha Omer-Bricnis, voulaient passer dans le Kravari. À cette nouvelle, Odyssée, fils d'Andritzos, réunit les ca- pitaines du pays; ils se jetèrent avec leur intrépide chef dans l'acropole de Kouvélo, y portèrent des provisions et occupèrent les bords du lac; leur attitude déterminée déconcerta les Tures, qui battirent en retraite et renoncèrent à leur projet. u Kastro de Viochos {Thermus). Ün des points les plus saillants du tableau qui se déroule aux yeux du voyageur, lorsqu'il débouche par le défilé de Klisoura dans la région des lacs, c’est, vers l'extrémité nord-ouest du lac de Vrachori, un pic aux pentes abruptes, contre-fort détaché du mont Viéna. À mesure qu’on en approche, il s’éloigne de plus en plus de | ?. . dp: +1 2 5 La ‘ — 329 — la montagne dont il semblait d’abord faire partie ; il se dresse dans un majestueux isolement avec la couronne de rocs perpendiculaires que la nature a placée sur son sommet. Du premier coup d'œil on a deviné une position, remarquable par sa force, dont les Éto- liens ont dû faire choix pour y asseoir une de leurs plus impor- tantes cités. Ils aimaient, comine on l’a vu par l'exemple des ruines de Djouka, de Tatarna, de Mavrovro, de Papadatais, la forme triangulaire dans les hauteurs qu'ils enfermaient de leurs en- ceintes ; elle leur donnait au sommet une acropole naturelle, dé- fendue ordinairement par des ravins et des précipices, qui domi- nait de haut la ville et les alentours. Le pic de Vlochos est, si l’on peut dire, l'idéal des positions de cette nature, et les ruines dont il est couvert sont les ruines d’une grande ville. Quand on explore le kastro de Vlochos, on remarque aussitôt que la nature est au moins de moitié dans les défenses. À l’ouest et surtout à l'est, dans la partie la plus rapprochée de l’acropole, les pentes de la colline sont hérissées de rochers droits comme des murailles. L’acropole, qui élève au-dessus de la ville sa masse .de rocs abrupts, n'est accessible qu’à l'ouest par un étroit sentier, qu'on rendrait sans peine impraticable. Une semblable position avait en elle-même de quoi arrêter, de quoi lasser les efforts de l'ennemi; par surcroît les abords en sont des plus difficiles. Veut- on l'approcher par l’ouest, on rencontre une série de collines, perpendiculaires à celle de Vlochos et parallèles entre elles, qui se dirigent les unes vers le lac de Vrachori, les autres vers la plaine du même nom; au milieu coule le torrent de l'Ermitza, qui, descendu du mont Arapoképhala, porte ses eaux au lac d’An- ghélo-Kastro. À l'est, l'obstacle est le même et encore plus rude à vaincre : de ce côté les collines sont plus hautes, plus roides, sé- parées par des ravins plus profonds. Au sud, on trouve les rami- fications du pic de Vlochos; il faut cheminer sur leur crêtes étroites ou s'engager dans les défilés qu'elles forment. Les pentes de l’acropole au nord sont tout à fait inaccessibles. Ces défenses, dont la nature faisait les frais, les Étoliens les ont complétées par des murailles. Celles de l'est ont disparu, à l’ex- ception de quelques morceaux qu’on voit encore dans la partie sud-est. C'est au sud et surtout à l’ouest qu’il faut chercher les restes de l'enceinte. On reconnaît dans toute son étendue le mur ouest, dont la hauteur varie de deux à cinq ou six assises. Il forme — 930 — une ligne brisée qui, à mesure qu'elle se développe, dévie de plus n plus de l'est à l’ouest et suit les accidents da terrain. H n’est pas flanqué de tours; il est défendu seulement par des redans qui se protégent les uns les autres; ce système ne se rencontre dans aucune autre ville d'Étolie. On remarque deux portes dans la même muraille, l'une au nord- ouest, l’autre au sud-ouest, La première a dans sa disposition de l’analogie avec la grande porte de Mycènes. On y arrive par un couloir long de 510 et large de 2%25, que forment le mur même de l'enceinte et un mur inté- rieur parallèle à ce dernier. Mais il ne reste de la porte que l’ou- verture. La seconde, appelée par les paysans la petite porte, est percée directement dans le mur et ne présente aucun trait par- ticulier. | Le mur ouest va sans cesse en s’abaissant du nord au sud ; le mur sud, à cheval sur les ramifications de ia colline de Vlochos, tour à tour en gravit et en descend les pentes pour les enfermer dans l'enceinte. Il est armé du même système de redans que le mur ouest. Mais sa porte, vers l’angle sud-ouest, mérite d’être no- itée. Quand on vient de tourner cet angle, on rencontre un ren- trant demi-circulaire dont le diamètre mesure onze mètres trente centimètres. La porte est percée à peu près aux deux tiers de ce rentrant dans la partie la plus rapprochée du mur ouest. De la sorte, comme l’a bien remarqué Leake, des ennemis qui eussent voulu forcer la porte du sud, présentaient le côté droit à décou- vert; ils étaient nécessairement accablés par les projectiles partis du mur sud, du rentrant, dont la forme circulaire permettait de faire CHANGER les traits sur un même point, et du mur ouest. Cette ingénieuse disposition est sans exemple, tout au moins en Étolie. L'appareil du mur, épais d’un peu plus de deux mètres, est à peu près le même que celui de toutes les villes étoliennes. Il n'y a dans la construction aucune uniformité. Tantôt les assises sont régulières, tantôt elles empiètent l'une sur l’autre. Les joints sont obliques. Quelquefois les blocs sont de formes et de dimensions tellement inégales, que leur assemblage est plus voisin dupoly- gonal que de l'hellénique même irrégulier. Ici les fondationsssont assises sur d'énormes blocs carrés. Les Étoliens ne s'étaient préoc- cupés que d'élever une enceinte solide , et, malgré son état de délabrement, on peut se convaincre qu'ils y avaient réussi. — 331 — Si l’on pénètre dans l'intérieur de l'enceinte, on a beau Îa par- courir dans tous les sens, on n’y trouve ni vestiges d'œuvres d'art, ni ruines d'édifices, ni fondations , pas même une stèle funéraire, une pierre avec quelques caractères grecs. Au pied des roches de l’acropole, un couvent détruit, plus bas le pauvre village de Vlo- chos avec ses maisons éparses parmi des jardins et de petits ver- gers, plus bas encore un taillis épais dans lequel se perd le mur sud, voilà tout. L'existence d’une importante ville, dont le tour mesure plus de quatre kilomètres, n’est plus attestée que par les débris de ses murs, bâtis il est vrai pour durer des siècles. Pour achever l’idée qu'on a prise du kastro de Vlochos, il faut monter jusqu’à l’acropole. Après avoir escaladé les rochers, on arrive à une plate-forme de cent quatre-vingt-deux mètres de long sur vingt-sept mètres de large, qui s'élève à une hauteur de six cent quatre-vingt-dix mètres. De ce point, comme d'un poste d'ob- servation admirable, les Étoliens embrassaient un horizon étendu, fait pour flatter leur amour-propre et pour stimuler leur ambition. À l'est, le sombre Arapoképhala avec ses sapins, ses pentes dé- chirées par les torrents, ses pes tourmentés, leur cachait la Pho- cide et la Thessalie, l’une réunie à leur ligne, l’autre qu'ils dis- putaient à la Macédoine; mais au nord ils voyaient, au delà de l'Achéloüs, l’'Acarnanie devenue leur proie, depuis Éniades jus- qu'à la riche Ambracie, derrière laquelle on découvre, du pic de Vlochos, les crêtes dentelées du Djoumerka. Les sommets grisàtres des monts Agrapha leur rappelaient qu'ils avaient pour voisins ces Dolopes, qu'ils devaient soumettre un jour. Au nord-ouest s'éle- vait comme un vaste dos Céphallénie, qui mettait ses navires au service de leurs brigandages; à l’ouest, au-dessus du Zygos, l’O- lonos et le Khelmos leur parlaient de l’Arcadie soumise, du Pélo- ponèse, ce théâtre de leurs âpres rivalités avec la ligue achéenne; au sud enfin, les montagnes nues de Naupacte; c'était la Locride Ozole, réduite à la condition de province étolienne. Si mainte- nant de ces perspectives lointaines ils ramenaient plus près d'eux leurs regards, ils pouvaient surveiller la région des lacs et signaler aux villes voisines l'approche de l'ennemi. Dans cette position si bien choisie, si difficile à approcher, plus difficile encore à emporter, on ne peut méconnaître Thermus, la première des villes étoliennes. Ne mérite-t-elle pas vraiment Île nom que Polybe donnait à Thermus, le nom d’acropole de toute — 332 — l'Étolie ? De quelque côté que soit venu Philippe, qu'il soit ar- rivé par les collines parallèles qui se dirigent vers le lac Trichonis ou par les contre-forts de l'Arapoképhala, n’y a-t-il pas trouvé ces chemins montants, dangereux, bordés de précipices, dont parle l’historien grec? La plaine ravagée par les soldats de Philippe, n'est-ce pas celle qui s'étend entre le lac et les dernières pentes du pic de Vlochos? Tous les détails rapportés par Polybe conviennent au kastro de Vlochos et ne conviennent qu’à lui séul. | C’est donc bien sur la pente de la colline de Viochos que se réu- nissaient les assemblées générales, le Panætolium de Tite-Live; et il faut voir le mont Panætolium, cité par Pline l'Ancien, dans l’Arapoképhala, dont un largeet profond ravin sépare Thermus. C'est là qu’avaient lieu les marchés annuels, suivis de fête smagnifiques; c'est là qu’on procédait à l'élection des magistrats; là encore, dans les maisons de Thermus, comme daus un trésor public, étaient déposées les richesses les plus précieuses de l’Etolie. Ces richesses : appartenaient pour la majeure partie aux Étoliens des autres villes qui, n’imaginant pas qu'un ennemi osàt Jamais s’aventurer jus- qu'à Thermus, les croyaient plus en sûreté à Thermus que dans leurs propres demeures et les laissaient sans crainte aux maïns d’un hôte ou d’un ami. | On les étalait au jour des assemblées générales. Les fêtes célé- brées dans ces jours solennels avaient sans doute un caractère religieux et le temple d’Apollon en était le centre. On se le figure sur la plate-forme de l'acropole : les Grecs choiïsissaient volontiers les lieux élevés, les sites pittoresques pour y bâtir leurs temples. À Thermus, le temple d'Apollon était entouré de portiques qu'il faut bien se représenter couverts d’un toit en bois, puisque Phi- lippe les brüle, au rapport de Polybe, avant de renverser les por- tiques mêmes; ces portiques élaient ornés d'armes suspendues, dont plusieurs étaient d'un grand prix. Les Macédoniens prirent les plus belles et brülèrent les autres, qui montaient, à peine ose- t-on le croire, à plus de quinze mille. À côté de ces armes ou dans le temple étaient les offrandes de toute sorte dont le travail n'avait pas moins de prix que la matière. Enfin près de deux mille sta- tues, les unes de dieux, les autres de héros, de bienfaiteurs ou de citoyens distingués, placées aux abords de l'édifice, lui for- maient comme une magnifique avenue. Une ville comme Thermus ne pouvait succomber qu'a une — 333 — surprise, et c'est par une surprise que Philippe l’emporta. Lorsqu'il passa inopinément l'Achéloüs, Dorimaque venait de se jeter sur la Thessalie avec la moitié des Étoliens, et il avait emmené sans doute les citoyens les plus entreprenants et les plus aguerris. Quels soldats Y'Étolie pouvait-elle donc opposer à Philippe? Elle n'avait que des habitants dispersés dans leurs villes et dans leurs bour- gades, intrépides aussi, prêts à se battre puisqu ‘ils étaient Éto- liens, mais qu'il fallait le temps de réunir. Alexandre de Tri- chonium en trouva trois mille , et assez promptement, avec lesquels il attaqua Philippe le lendemain de son arrivée. Mais comment Thermus même n'opposa-t-elle päs plus de résistance? C’est que tout porte à croire que sa population, outre qu’elle fut prise au dépourvu, n’était pas assez considérable pour garder une ligne de murs si étendue. Polybe n’en dit pas un mot; mais il parle de la plaine des Thermiens et des bourgades voisines. Voici sans doute ce qu'il faut conclure de ce double renseignement. Les Thermiens, sauf un petit nombre, habitaient hors de Thermus, pour être à portée de leurs champs ou de leurs vignes, prêts d’ailleurs à se jeter dans la ville aux jours du danger ou à s'y rendre aux jours des assemblées générales. Thermus était donc l’acropole de l’É- tolie, parce qu'elle en était la place la plus forte, celle qui pou- vait être le plus facilement défendue; mais la négligence avec laquelle la gardait l'Étolie, trop confiante, devait la livrer tôt ou tard aux mains d'un ennemi qui avait les mouvements aussi ra- pides que ses résolutions étaient audacieuses. Au moyen àge, Thermus demeura sans doute une des plus importantes forteresses de l'Étolie, mais elle perdit son ancien nom pour prendre celui d'Eulochos. Ce nom expressif autant que juste signifie excellente pour les embuscades ; il a formé par corruption le nom du village moderne,-Vlochos, qui n'est pas un nom slave, quoi qu’en dise Leake. Eulochos n'est citée qu’une fois dans l’his- toire byzantine : c’est une des villes qui restèrent fidèles à An- dronic en 1339, lorsque Nicéphore IT, parti du Péloponèse, re- prit à l'empereur une partie du despotat d'Étolie. Pendant la guerre de l'indépendance, les Grecs se retranchèrent dans Vlo- chos, où les Turcs les bloquèrent en vain des mois entiers. On voit encore, au-dessous de la première porte de l'ouest, un mur inté- rieur qu'ils ont élevé dans l'ancienne enceinte. Pa — 934 — 3. DISCUSSION DU SYSTÈME DE LEAKE SUR LA MARCHE DE PHILIPPE. Maintenant que la position de Thermus est fixée, par quelle route y marcha Philippe? Savança-t-il au nord des lacs d’Anghélo- Kastro et de Vrachori jusqu’à Kénourio, par exemple, pour mon- ter ensuite à Vlochos? Ou bien, passant au sud des mêmes lacs, tourna-t-il le lac de Vrachori et se rendit:il à Viochos en gravissant les contre-forts de l’Arapoképhala? Philippe avait le choix entre ces deux routes et n'en pouvait suivre une troisième. Leake se prononce pour la première. Les Macédoniens, dit-il, . venaient d'arriver par une marche forcée de Limnée à lAché- loüs; fatigués comme ils devaient l'être, ils ne pouvaient faire la seconde route, elle était trop longue, ou, s’il était possible qu'ils la fissent, ilsne pouvaient gagner Thermus assez à temps pour pil- ler la ville et ravager la plaine. IL faut donc admettre que Phi- lippe passa au nord des lacs d’Anghélo-Kastro et de Vrachori; dans cette hypothèse, Acræ était située à l'endroit où le Cyathus sort du lac d'Anghélo-Kastro pour se jeter dans l’Achéloüs; Métapa doit être cherchée au-dessous de Vrachori, près du lac; et l’em- placement de Pamphium, que Leake ne songe pas à déterminer, est sans doute à peu de distance du village de Kénourio. Cetteroute, qu'on peut évaluer à trente ou trente-cinq kilomètres et qui est constamment en plaine, à l'exception de six à huit kilomètres de Kénourio à Vlochos, occupa, suivant Leake, la matinée et deux heures de l'après-midi. Philippe perdit du temps, soit pour ravager le pays, soit pour laisser une garnison à Métapa et à Pamphium. Au premier abord, l'hypothèse de Leake paraît la plus vrai- semblable; mais quand on pèse les termes de Polybe, on s'aper- çoit qu’elle prête à de sérieuses chjections; Leake a prévu lesunes et tenté d'y répondre, les autres lui ont échappé. Ainsi le texte de Polybe dit expressément : « Philippe s'avança laissant à sa gauche Stratos, Agrinium, Thestia ; à sa droite, Co- nopé, Lysimachie, Trichonium, Phytæum!.» Comment, onde demande, Philippe, en passant au nord des lacs d’Anghélo-Kas- troetde Vrachori, a-t-il pu laisser à sa droite Trichoniumet Phy- tæum, qui l’une et l’autre sont bien à l'est de Vlochos? Si l'hÿpo- 1 Polybe, V, vi, 7. — 335 — thèse de Leake était la vraie, Polybe n’eût nommé que Conopé et Lysimachie; il n'eût parlé ni de Trichonium ni de Phytæum , en deçà desquelles Philippe serait resté dans toute sa marche. Quand Philippe est arrivé à Métapa, Polybe nous dit : « À cet endroït les bords du lac sont àâpres, montueux et couverts de forêts, qui ne laissent qu’un étroit passage !.» Rien n’est plus clair et plus précis que ces paroles. Or, de Vrachori à Kouvélo, le lac est séparé des dernières pentes de la montagne par une plaine plus ou moins étendue, mais enfin par une plaine; de Vrachori à Kouvélo, les bords du lac ne sont nullement äpres et montueux. Leake, glissant sur cette difficulté, suppose qu'autrefois les bords du lac étaient couverts de forêts et que l’étroit sentier qui les traversait sans doute était le défilé dont parle Polybe. Mais ces forêts mêmes, imaginées par Leake pour le besoin de sa cause, n'existent plus et, on peut le dire avec certitude, n’existaient pas à cette époque. La plaine des bords du lac devait tout entière être en cultures; elle est la seule qui püt nourrir les villes postées sur les hauteurs voisines; on n’en saurait trouver une autre; car où chercher, sinon près du lac, aux lieux mêmes où Leake place le défilé qui allait de Métapa à Pamphiumn , la plaine des Thermiens que, suivant Polybe, les soldats de Philippe ravagèrent à leur arrivée ? ? Une première supposition en entraine une seconde. Polybe nous dit que Philippe, arrivé près du défilé de Métapa, détacha sur sa droite, pour la garder d’une surprise, les Thraces et l'infan- terie légère, tandis que sa gauche, pendant trente stades, c’est- a-dire dans toute la longeur du défilé, était protégée par le lac même ?. Ce passage est embarrassant pour Leake. Si Philippe en effet eût suivi la route que Leake lui a tracée, il auraiteu constam- ment le lac à sa droite. Leake n’avait qu’une ressource pour con- server son hypothèse, c'était de refaire le texte de Polybe. Aussi déclare-t-il qu’un copiste négligent a écrit etwrÿu«r (gauche) où il fallait écrire dËt@v (droite), et réciproquement. Sans doute, si les autres passages de Polybe et l'état des lieux concouraient pour con- firmer l'hypothèse de Leake, on pourrait accuser le copiste avec 1 Polybe, V, vis, 8. 2 Id. ibid. 1v. 3 Id, ibid. vni, 12. pen — 9336 — assez d'autorité ; mais si cette difficulté se complique d’autres dif- _ ficultés sérieuses aussi, ne faudrait-il pas donner raison au copiste et tort à l'hypothèse? ; Le chemin qui monte à Vlochos lorsqu'on a passé l’Ermitza est loin d’être impraticable et de présenter tous les dangers dont parle Polybe. Il traverse des collines basses et n’est pas bordé de ravins profonds. Puis, si Philippe a suivi cette route, comment ies Macédoniens ont-ils besoin de marcher avec énergie? Comment Philippe, parti de l’Achéloüs, au moment où le jour venait de paraître, n'est-il arrivé à Thermus qu’à une heure très-avancée? Mais, dit Leake, sur la route il ravagea le pays et il perdit du temps pour laisser une garnison à Métapa et à Pamphium. Ces ravages durent être l'affaire de l’arrière-garde, qui mettait le feu aux récoltes; quant aux détachements postés dans Métapa et dans Pamphium, c'était sans doute une mesure prévue et réglée d'avance par Philippe, qui, nous dit Polybe, avait réuni des guides avant de partir et s'était soigneusement informé de l’état du pays. Supposons cependant que sa marche ait été retardée par ces différentes préoccupations : à quelle heure arriva-t-il, suivant Leake lui-même? À deux heures de l’après-midi. Mais deux heures de l'après-midi ne sont pas. l'heure très-avancée dont parle Polybe!. Bien que Philippe revienne par la même route, son retour prête encore à de nouvelles objections contre l'hypothèse de Leake. Le troisième jour depuis son départ de Thermus, il se rend d’Acræ à Gonopé, tout en ravageant le pays sur son passage, et ne repart de Conopé que le surlendemain. On ne comprend pas que les soldats de Philippe, qui n’avaient pas fait de marches fatigantes, quelque temps qu'ils aient perdu à dévaster la cam- pagne, aient employé une journée entière à parcourir six à sept kilomètres, car telle aurait été la distance d’Acræ à Conopé, si Acræ, comme le suppose Leake, d’ailleurs avec beaucoup de ré- serve, eül été située près de l'endroit où le Cyathus sort du lac d'Anghélo-Kastro. Ajoutez qu'après une étape aussi courte on ne s'explique pas davantage qu’un chef aussi actif que Philippe passe une journée près de Conopé sans l’occuper à rien. Puis, quel be- soin avait-il de camper en vue de Conopé? Son chemin, après 1 Polybe, V, vit, 3. — 337 — avoir quitté Métapa, dans l'hypothèse de Leake, était de marcher sur Agrinium. Acræ et Conopé le détournaient. Enfin sur les emplacements que Leake assigne à Métapa, Pam- phium, Acræ, le voyageur, ainsi qu’on l’a vu plus haut, cherche en vain le moindre vestige d’une ville antique. Ce n’est pas tout : ces villes eussent été toutes trois en plaine et il suffit de parcourir l'Étolie pour reconnaitre que les Étoliens n’élevaient leurs villes ou leurs bourgades que sur des hauteurs. Le kastro de Képhalo- Vryso fait seul exception; encore était-il adossé à une colline pier- reuse et défendu par le kastro voisin de Pétrochori. Par surcroît, les bords du lac d'Anghéio-Kastro sont marécageux et cette unique raison en eût éloigné les Étoliens. | Il faut donc conclure que Philippe ne passa pas au nord, mais au sud des lacs d’Anghélo-Kasiro et de Vrachori. Pourquoi choisit- il la route la plus longue et la plus détournée? Ce fut sans doute qu'il voulait tromper l'Étolie sur ses véritables intentions. Il ne s'éloignait en apparence de Thermus que pour mieux la sur- _ prendre et la frapper plus sûrement. Il savait aussi que l'Étolie avait ses villes les plus nombreuses et les plus florissantes au sud et à l'est du lac Trichonis; en passant presque sous leurffinurs, il leur montrait l’armée macédonienne et déconcertait leur audace par une audace plus grande encore. Mais, fussions-nous incapables de conjecturer les raisons qui déterminèrent Philippe à préférer cette route, il nous sufhrait d'établir qu’elle fut possible et qu’elle répond aux indications de l'historien grec. Philippe fit sa campagne de Thermus au mois d'août, c'est-à- dire à un moment de l’année où les jours sont de dix-sept heures. Il avait à parcourir près de soixante-cinq kilomètres, dont plus de la moitié est en plaine; le reste du chemin n'était fait pour re- tarder ni les Macédoniens ni les Acarnaniens, montagnards endur- cis à la fatigue. Philippe, qui connaissait la longueur de l'étape, leur avait ordonné de s’armer à la légère, et Polybe prend soin de nous dire qu'ils marchèrent avec énergie. En dix heures et pour une entreprise extraordinaire, de pareïls soldats pouvaient par- courir les soixante-cinq kilomètres de la route. S'ils n’eussent pas perdu de temps, 1ls seraient arrivés à Thermus à trois heures de l'après-midi. Mettons deux heures pour les retards inévitables d’une marche si longue : ils arriveront à cinq heures, à une heure avancée du jour, ainsi que le dit Polybe; et ils auront encore près MISS. SCIENT. 22 — 338 —. de trois heures pour piller Thermus et se répandre dans les bour- gades voisines. | Tout s'explique. En suivant cette route, Philippe laisse réelle- ment à sa droite, non-seulement Conopé et Lysimachie, mais Tri- chonium et Phytæum, puisqu'il les dépasse. À Pétrochori, il ren- contre cés bords du lac âpres, montueux, couverts de forêts, qui ne laissent qu'un étroit passage; et, pendant qu'il traverse le dé- filé, sa gauche est protégée par le lac. Le kastro de Pétrochori, qui en commande l'entrée, est donc Métapa, et le petit kastro de Sopo- nikos, qui en surveille l’issue, la bourgade fortifiée de Pamphium. Philippe alors quitte le lac Trichonis et pousse droit à Vlochos en passant entre le kastro de Kouvélo et celui de Krionéro. Dès qu'il les a laissés derrière lui, il faut qu’il s'engage dans le chemin dangereux qui traverse les hauts contre-forts de l’Arapoképhala, aussi peu praticables aujourd’hui qu'ils l'étaient du temps de Philippe, dégradés par les torrents et bordés de ravins profonds. Le lendemain de son arrivée à Thermus, Philippe, qui passe la ma- tinée à consommer le pillage de la ville et dont l’arrière-gardeest attaquée par Alexandre de Trichonium, ne peut aller plus loin que Métapa. Le second jour, il perd assez de temps au sac de Mé- tapa pour être obligé de s'arrêter le soir à Acræ. Le nom de cette ville, qui signifie en grec « extrémité, » nous inviterait seul à la chercher à l'extrémité du lac; elle parait correspondre aux ruines de Kaloudi. Il ne sera plus étonnant que Philippe emploie le troisième jour pour se rendre d’Acræ à Conopé : une telle étape, quoiqu'elle n’ait rien d’excessif, était assez forte pour des soldats déjà fatigués. D'ailleurs ils se reposeront le quatrième jour près de Conopé; Philippe n’aura fait qu'un acte de prudence en leu» accordant toute une journée de répit. De Conopé, il remontera naturellement l’Achéloüs jusqu’à Stratus : ce sera son chemin cetle fois ; il n’en pouvait prendre d'autre. Si quelques-unes des acropoles qui dominent l'extrémité sud-est du lac Trichonis ont retrouvé leurs noms, il en est deux des plus importantes qui demeurent, si l’on peut dire, anonymes : le kas-. tro de Képhalo-Vryso et celui de Kouvélo. Dans la seconde ex- pédition que Philippe entreprend contre Thermus et qui mal- heureusement ne nous est connue que par de trop courts fragments de Polybe, Phytæum est de nouveau nommée avec une seconde ville, Hellopium. Peut-être fautil voir Hellopium dans le kastro — 339 — de Képhalo-Vryso, qui commandait, avec celui de Pétrochori, la route de Thermus. D’autre part, l'inscription de Krionéro cite comme garant de l’affranchissement un citoyen de Boucatium et, parmi les témoins, trois autres citoyens de la même ville. Ils sont avec les Phistyens en majorité dans cet acte. On est donc porté à voir dans Boucatium une ville voisine de Phistyum et à l'identi- fier avec les ruines peu éloignées de Kouvélo. l. ZYGOS ET LA BASSE ÉTOLIE. a. Ithoria. Le premier des chemins qui, de la région des lacs, mène dans la basse Étolie, suit les bords de l'Achéloüs. Depuis Anghélo- Kastro jusqu'au village d'Hagios-Ilias, il franchit les dernières ramifications que le Zygos pousse à l’ouest; il traverse ensuite cette plaine, formée de terres d’alluvion, qui s'étend entre l'A- chéloüs et les lagunes d’Anatoliko. Conopé surveillait les abords et Ithoria la sortie du défilé; Pæanium commandait la plaine. A l'ouest du village d'Hagios-Ilias, se dresse une hauteur ro- cheuse aux pentes abruptes. Elle garde encore à son sommet des vestiges de murs antiques. Sa crête allongée avait été couronnée de remparts, excepté sur les points où les rochers inaccessibles les eussent rendus inutiles. On en suit encore à l’ouest la ligne peu étendue; ils ne subsistent plus qu’à la hauteur d’une ou de deux assises ou même ils sont rasés jusqu'au sol. L'appareil est en hellé- nique irrégulier, Des entailles pratiquées dans le roc assuraïent la solidité des fondements. À l’est, quelques blocs sont les seules traces de mur ancien. De ce même côté il faut encore signaler une citerne creusée dans le roc dont l'ouverture est carrée et dont les pans sont obliques. La hauteur, ainsi défendue, formait lé- troïte acropole de la ville, qui s’étendait au-dessous, à l’est, dans la direction des lagunes d’Anatoliko. L'enceinte de la ville, plus ruinée que Îles remparts de l’acropole, paraît s'être dirigée d'abord à l’est, puis avoir couronné au sud des pentes qui s’abaissent vers les lagunes, enfin être remontée à l’ouest pour rejoindre les rem- parts de l’acropole. Au sud-ouest deux pans de mur, composés de gros blocs et d'appareil polygonal, rappellent presque seuls l'existence de cette enceinte et forment une des portes de la ville. Le kastro d'Hagios-Ilias, dont le temps et les guerres ont con- 22. — 310 — e sommé la ruine, doit être compté parmi les plus anciennes villes de la ligue étolienne et aussi parmi les plus fortes. À l’ouest Îles rochers de l’acropole, au sud les collines qui tombent dans les la- gunes d’Anatoliko lui assuraient ces défenses naturelles, qui sont les plus rudes à emporter, et il est à croire qu’à l’est et au nord l’art et le travail des habitants avaient fait le reste. On trouve en- castrée dans le pavé de l'église d'Hagios-Ilias une stèle d’assez bonne époque; on y lit ces mots : « Euthydème, adieu!» Entre Stamna et Gouria, on rencontre trois tours carrées qui se liaient au kastro d'Hagios-Ilias et disputaient le passage au mo- ment où le défilé cesse et où la plaine commence. La première est ruinée jusqu'aux fondements; la seconde, mieux conservée, s'élève sur quelques points à la hauteur de trois assises; la troi- sième, de proportions plus considérables, est en aussi mauvais état que la première. Elles étaient construites sur des éminences rocheuses analogues à celles qui de loin en loin se dressent comme des îlots sur la plaine de Gouria et de Mastron. Les blocs dont elles étaient formées sont taillés dans la roche même qui les sup- porte et disposés par assises régulières. b. Pæanium. Près de Mastro, sur une éminence rocheuse, sont les ruines d’une ville dont l'enceinte était médiocre, mais bien défendue et construite avec un soin rare en Étolie. Cette enceinte, qui figure un pentagone irrégulier, est le plus souvent rasée jusqu'aux fonde- ments ou ne conserve qu’une ou deux assises. Néanmoins on peut encore juger de sa force. Large de deux mètres soixante cent- mètres, elle était flanquée, à peu près de quinze en quinze mètres, par des tours carrées dont les: faces inégales mesurent de septà neuf mètres. Les assises sont le plus souvent régulières et les Joints droits. Il est évident que les Étoliens s'étaient efforcés de suppléer à la faiblesse de la position par la solidité de l'enceinte et le tra- vail des défenses. Ils avaient multiplié les tours pour accabler l'ennemi de leurs projectiles. Dans l’intérieur de l’enceinte on distingue des fondations perpendiculaires au mur du nord qui paraissent des traces de maisons construites avec symétrie, Ces l Voir Pappendice n° 12. CE ee à = JA — maisons étaient couvertes sans doute en larges tuiles helléniques, dont on voit des débris disséminés çà et là. Du kastro de Mas- tron, on embrasse toute la plaine que formèrent les alluvions de l’'Achéloüs, le fleuve, qui se rend à la mer par des replis capri- cieux, les éminences rocheuses que son limon a réunies au conti- vent et dont quelques-unes portent des villages comme celles de Magoula et de Katochi, le pic de Kourtzolari, l'Hagios-Ilias, les pentes nues du Bergandi et du Boumistos et le sommet lointain du Djoumerka. Il est facile maintenant de comprendre la marche par laquelle Philippe en 219 traversa la basse Étolie pour mettre le siége de- vant Éniades. Après avoir forcé le passage de l'Achéloüs, à la hauteur de Conopé, il s’engagea dans un défilé : c’est celui que for- ment, comme on l’a vu, l'Achéloüs et les dernières pentes du Zygos. Sur son chemin Philippe rencontra Ithoria, « devant laquelle il faut passer et qui n’est pas moins remarquable par la force de sa position que par la solidité de ses défenses. À son approche, la garnison d'Ithoria s'enfuit; le roi s'empara de la place et la rasa. Il ordonna également aux tirailleurs de renverser les tours qu'ils trouveraient aux environs. » Le kastro d'Hagios-Ilias, placé sur la route qui mène par les bords de l'Achéloüs à Éniades, est Ithoria, de même que les tours qui se trouvent sur la route de Stamna à Gouria sont celles que les soldats de Philippe détruisirent. Polybe continue : « Après avoir traversé le défilé. .... Philippe campa devant Pæanium ; il résolut avant tout de s'en emparer et, grâce à des assauts répétés, il la prit de vive force. Cette ville n'avait pas plus de sept stades, mais par le travail soigné de ses maisons, de ses murs et de ses tours, elle ne le cédait à aucune autre. Philippe la rasa; puis il démolit les maisons et fit placer avec soin les bois de construction et les tuiles sur des radeaux qui devaient les porter à Éniades!. » Les traits par lesquels Polybe dé- crit Pæanium ne conviennent-ils pas tous au kastro de Mastron ? N'est-ce pas là cette enceinte d'un développement médiocre, ces murs bâtis avec soin, ces tours multipliées et jusqu’à ces tuiles helléniques dont on retrouve encore quelques débris? Les ruines de Mastron sont donc Pæanium. L’exactitude avec laquelle Polybe a raconté l'expédition de Philippe dans la basse Étolie nous fait +4 ! Polybe, IV, Lx1v-Lxv. — 342 — vivement sentir lout le prix d’un pareil guide et toute la valeur de ses récits. Au-dessous de Mastro se sil l'étroite plaine qui commence au village d'Hagios-Îlias. À mesure qu'on avance, on reconnait mieux dans le sol dont elle est formée les alluvions de l’Achéloüs. Le terrain devient de plus en plus mouvant et marécageux, et les continuelles exhalaisons qui s'en dégagent vicient l'air malsain et lourd qu’on respire à Néochori et à Magoula. Au delà de ces vil- lages, on ne rencontre plus d'habitations. Toute cette partie s’ap- pela jadis la Parachéloitide ; VAchéloüs, en la composant de son limon , confondait sans cesse les limites des Étoliens et des Acar- naniens, qui se disputaient par les armes la terre nouvelle; elle appartenait au plus fort. Aux temps qui ne nous sont connus que par la fable, elle fut le théâtre d’un des exploits ou plutôt d’un des grands et utiles travaux d'Hercule. Les anciens voyaient déjà dans son duel légendaire avec l’Achéloüs l’image d’une lutte réelle dans laquelle Hercule avait triomphé du fleuve en rectifant par des digues et par des canaux son cours CAPEICMAEE L’Achéloüs roulait un limon si abondant que, suivant les mêmes anciens, il avait réuni au continent une partie des Échinades et qu'il n'était pas douteux qu il n'y réunit les autres?. La plus importante qui paraisse y avoir été rattachée en Étolie est celle que formait jadis le mont Kourtolari. Il dresse à l’extrémité de la Parachéloïtide sa crête rocheuse et présente tous les caractères d’une ile. Il faut y reconnaître sans doute l’île Artémita. Du temps même de Pline, le limon de l’Achéloüs comblait tous les jours l'intervalle qui la séparait du continent. Les témoignages de Strabon sur les trois lacs de la basse Éto- lie sont plus difficiles à vérifier. Il nomme le lac Cynia, long de soixante stades et large de quarante, qui porte ses eaux à la mer; le lac Uria , beaucoup plus petit, séparé de la mer par une bande de terre d’un demi-stade; le lac de Calydon, considérable et pois- sonneux, qui, de son temps, appartenait aux Romains de Patrasÿ. Mais aujourd'hui l’Étolie n'a d’autres lacs que ceux d'Anghélo- Kastro et de Vrachori. On est obligé de supposer ou que les géo- 1 Strabon, X, 11, 19. ? Thucydide, IF, en. sStrabon, X:T11; 22. — 313 — graphes sur lesquels s'appuie Strabon, qui n'a pas vu l'Étolie, sont des autorités suspectes, ou que les lacs ont disparu avec le temps pour faire place à des lagunes. Dans cette dernière hypothèse, les lagunes d’Ætoliko seraient le lac ouvert de Cynia, bien qu'elles soient loin de mesurer soixante stades de long sur quarante de large; les lagunes de Missolonghi répondraient au lac Uria, et celles de Bokhori au lac Calydon. On verrait alors, dans le fau ou bande de terre étroite qui sur plusieurs points sépare de la mer les lagunes de Missolonghi et de Bokhori, les restes de la digue naturelle qui empêchait les eaux du lac d'Uria et du lac de Calydon de se confondre avec les flots. c. Kastro de Sidéroporta. _ Au nord-est des lagunes d'Ætoliko on trouve les ruines d’une petite ville qui fut rasée jusqu'aux fondements. On peut suivre encore à l'est, à l'ouest et au sud-ouest, la ligne de l'enceinte. Ap- puyée aux dernières pentes du Zygos, elle enfermait quatre col- lines ou plutôt quatre ramifications basses que le Zygos pousse jusqu'aux lagunes d’Ætoliko. Les faibles traces qui en subsistent témoignent encore de sa force. Le mur, large de trois mètres soixante et quinze centimètres, était armé, de trente-sept en trente- sept mètres, de tours demi-circulaires dont le diamètre mesure sept mètres quatre-vingts centimètres. On ne trouve aucune enceinte de ce genre dans tout le reste de l’Étolie. L'appareil est encore l’hellénique irrégulier. Cette place commandait un des embran- chements de la route qui menait, par Conopé, de la haute dans la basse Étolie. Les habitants, frappés de sa position, l'ont appelée, on ne sait à quelle époque, Sidéroporta ou la porte de fer. On lit dans Pausanias que les Achéens assiégeaient la ville éto- lienne de Phana. Comme ils ne parvenaient pas à s'en emparer, ils consultèrent l’oracle de Delphes. L'oracle leur répondit que pour se rendre maître de Phana, « la ville armée de tours , » il fal- lait observer combien d’eau se buvait dans la place. Les Achéens, w’entendant rien à l’oracle, se désespéraient; ils se préparaient même à lever le siége et à remonter sur leurs vaisseaux; les as- siégés leur témoignaient le plus grand dédain. Mais une femme qui était allée puiser de l’eau à la fontaine près des murs tombe entre leurs mains; ils apprennent que les assiégés n’ont pas d'eau dans la ville et qu'ils sont obligés de renouveler leur provision 528 ne toutes les nuits. Les Achéens troublent la source et réduisent les habitants par la soif!. Lorsqu'en 189 l'Étolie fut humiliée par Rome et dépouillée de son indépendance, les Achéens reçurent Héraclée et Pleuron avec l'autorisation sans doute de se venger de leurs ennemis. On peut croire qu'ils travaillèrent à s'étendre sur le littoral de l'Étolie: la forte position du kastro de Sidéroporta dut les tenter, et il n’est pas improbable que ces ruines, avec leurs nombreuses tours, soient les ruines de la ville « arrnée de tours, » de Phana. On chercherait vainement dans la basse Étolie un emplacement qui convienne mieux à Phana. À peu de distance des murs coule une source abondante, la seule qui soit à la portée de la ville : ne.serait-ce pas celle où les habitants de Phana, pressés par les Achéens, allaient puiser de l'eau pendant la nuit? Les Achéens étaient venus par mer ; on pouvait se rendre à Sidéroporta par mer en remontant les lagunes d’Ætoliko. Mais, comme le texte de Pausanias manque de précision, on en est réduit aux conjectures. d. Kastro de Saint-Georges. C'est avec plus de certitude ou du moins plus de vraisemblance qu'on cherche près du monastère de Saint-Georges dans le Zygos, à l'est de Sidéroporta, l'emplacement de Proschium. Strabon at- tribue la fondation de cette ville à une colonie ‘d’Étoliens qui vint après les Curètes et les Hyantes, c'est-à-dire dans les temps les plus anciens, s'établir en Étolie, et qui s’empara même de Ca- lydon et de Pleuron. À l'époque de Thucydide, le territoire de Calydon et de Pleuron s'appelait encore Éolide. « Les Éoliens, dit Strabon , transportèrent Pylène sur les hauteurs et changèrent son nom en celui de Proschium?. » Lorsqu’en 426, à la suite du traité entre Sparte et l’Étolie, Euryioque a vainement tenté de s'emparer de Naupacte, il traverse Calydon, Pleuron , et s'arrête à Prosbhiun. Là il s'entend avec les Ambraciotes, qui menaçaïient Argos-Amphilochicum , et, le moment arrivé, il traverse l’Achéloüs et va rejoindre ses alliés sous les murs d'Argos*. On ne rencontre pas sur les hauteurs, c'est-à-dire sur le Zygos, d'emplacement ! Pausanias, X, xvrir, 1-3. 2 Strabon, X, 11, 6. * Thucydide, IT, cvr. 7x4 — 345 — antique qui soit plus à portée de l’Achéloüs ou mieux fait pour servir de poste d'observation dans une pareille entreprise. Les ruines appelées maintenant le kastro de Georges attestent l'exis- tence d'une ville qui commandait la sortie du défilé de Klisoura et regardait de loin le lac Trichonis. Elles ne méritent pas d’être décrites : on ne distingue plus guère que des fondements. e. Kastro des Trois-Églises. Sur la route qui va d’Ætoliko à Missolonghi, en suivant le pied du Zygos, on trouve plusieurs ruines intéressantes. On arrive d’a- bord au kastro des Trois-Eglises, qui se réduit à un mur hellé- nique irrégulier, d'un développement médiocre et armé de deux tours. Est-ce d’une ville, est-ce d’une forteresse que ces ruines sont l'unique trace? Sans doute le mur qui se prolonge jusqu’au pied de la montagne la gravissait et appartenait à une ville qui avait assis son acropole sur les pentes ou sur und es sommets du . Zygos. Autrement cette place, ville ou forteresse, n’eût pas fermé CPE le chemin et n’eût en réalité rien défendu : il eût été trop aisé de la tourner. Qu'on la suppose au contraire établie sur le Zygos, elle commande le passage qui mène dans la Pleuronie et la Caly- donie. L'ennemi arrive-t-il en tournant les lagunes d'Ætoliko , il rencontre d'abord le kastro de Sidéroporta, puis celui des Trois- Églises. S'enfonce-t-il dans le défilé de Klisoura, il évite le kastro de Sidéroporta, mais une poignée d'hommes peut lui disputer avec avantage le chemin qu'il a choisi. Si le kastro de Saint-Georges correspond à Proschium, peut-être les ruines des Trois-Églises marqueraient-elles l° emplacement de l'antique Pylène” .Onne veut pas dire que le mur qui subsiste appartienne à la vieille ville, ruinée par les Éoliens; il ne remonte pas à une aussi haute anti- quité. Mais il n’y a rien d’improbable à ce qu'une ville nouvelle se soit établie sur l'emplacement de l’ancienne. La position, moins forte que celle de Proschium, était encore importante. Les pentes rocheuses du Zygos, enfermées par l'enceinte de Pylène, justifie- raient l’épithète de scopulosa que lui donne Stace. Le nom mo- derne des ruines leur vient des constructions renversées qui les avoisinent et qui étaient apparemment de petites chapelles. L Strabor, X , 11, 6 et 22. — 3h16 — f. Kastro de Kyra-Irini (nouvelle Pleuron ): En avançant vers Missolonghi, on aperçoit à sa gauche, sur un des sommets du Zygos, d'anciennes murailles qui se détachent faiblement du fond conne des rochers. C’est le kastro de Kyra- Irini, la mieux conservée des acropoles Étoliennes. L’enceinte qui subsiste à la hauteur de cinq, de huit, de dix et même de quinze assises, forme une sorte de quadrilatère irrégulier et présente un développement d'environ deux kilomètres. On peut en suivre la ligne entière. Elle est flanquée de tours carrées (on en compte en- core trente et une) dont la distance respective varie de trentesà soixante et dix mètres et dont la face mesure de cinq à sept mètres. L'appareil est en hellénique irrégulier, d'une remarquable solidité, surtout dans les tours; les assises empiètent l’une sur l’autre et les joints sont obliques. Dans ses traits généraux, le kastro de Kyra-Irini reproduit donc le caractère de toutes les cités étoliennes; mais il a des détails qui lui sont propres et qui en rendent l'exploration intéressante. Ainsi les tours, en particulier celles du mur sud, ont gardé les de- grés terminés par un étroit palier qui menaient de la ville sur la plate-forme de la tour. On retrouve encore toutes les portes de la ville, au nombre de sept, six grandes et une petite. Elles se répar- tissent ainsi, une dans le mur sud, trois dans le mur est et trois dans le mur ouest. La mieux conservée est la première porte du mur est. Elle est large d’un mètre soixante et dix centimètres et haute de deux mètres soixante et dix centimètres ; la longueur du couloir qu’elle forme est égale à l'épaisseur du mur et mesure deux mètres. Elle est à linteau droit. On remarque le trou rond dans lequel les gonds tournaient, la saillie intérieure à laquelle s’ap- puyait la porte, les deux ouvertures carrées qui recevaient l'extré- mité du levier destiné à l’assujettir. Dans le mur ouest, est une autre porte, large de deux mètres, maïs en moins bon état : elle était cintrée. Comme à Stratos, le cintre, au lieu d’être formé par l'ajustement calculé des pierres, était simulé par des claveaux taillés en creux; deux sont encore en place. La dernière porte qui mérite d’être citée est la grande partie de l'angle sud-ouest ; elle est pratiquée près d’une tour d’angle qui la mé par la saillie d’un de ses côtés; elle a deux mètres trente-huit centimè- tres de large. Elle est trop ruinée pour qu’on en puisse déter- Æ; tr, #3 — 947 — miner la hauteur. Üne des poutres qui la couvraient, tombée en travers de l'ouverture, mesure trois mètres soixante-cinq cen- timètres. L'intérieur de l’enceinte se divise en deux parties, la ville haute ou l’acropole et la ville basse. Un: mur, flanqué aussi de tours carrées, mais presque ruiné jusqu'aux fondements, les sépare. On remarque dans l’acropole une église en ruines et une citerne byzantine voütée. La ville basse est vraiment digne d'intérêt. Près d’une tour du mur ouest percée de deux portes, dont l’une donne sur la,montagne, l’autre sur la ville, on trouve un petit théâtre. I! conserve encore huit gradins placés sur le roc. Ouvert à l’ouest, il est formé par deux murs de soutenement au nord et au sud. Son diamètre intérieur est de treize mètres quarante centimètres. Trois mètres le séparent du mur de la ville, auquel probablement s’appuyait la scène. En même temps que les proportions de ce théâtre sont médiocres, la construction semble en avoir été fort grossière. La seule trace d'architecture qu’on y découvre est un tambour de pilastre rond taillé sans art. Les spectateurs avaient pour horizon les pentes du Zygos, la plaine mouvante d'Ætoliko, les lagunes, la ligne dentelée de Kourtzolari. Ce tableau ne manque pas d'une certaine grandeur triste et sauvage. Au sud-ouest du théâtre s'ouvre dans le roc une excavation quadrangulaire d'environ vingt mètres de largeur sur trente de longueur et quatre de profondeur. Elle est divisée, par quatre murs parallèles entre eux et aux longs côtés de l’excavation, en cinq compartiments dont la largeur varie d'un mètre quarante centi- mètres à cinq mètres soixante centimètres. Les parois, d’une pierre d'épaisseur, sont en hellénique presque régulier. Elles sont percées, les deux premières, de trois, et, les deux dernières, de deux ouver- tures triangulaires grossièrement formées. Il serait difficile de me- surer aujourd'hui la hauteur et la plus grande largeur de ces ouvertures, qui rappellent par leur disposition la porte triangulaire de Thoricus; le temps en a encombré la base et en a même bouché deux ou trois. Dans les parois on remarque encore de distance en distance des trous carrés ou triangulaires, trop multipliés pour qu'on n'y voie pas un détail nécessaire dans l’ensemble de lou- vrage. Enfin une poutre de pierre jetée en travers du premier compartiment semble attester que lexcavation était couverte en totalité ou en partie. ET Si l’on arrive par la porte de l’est et qu’on gravisse les accidents de terrain qui se dirigent du sud au nord, c’est un spectacle assez extraordinaire que de voir s’enfoncer à ses pieds cette excavation considérable avec les tons grisätres de ses parois sur lesquelles tranchent seulement quelques plantes parasites, végétation con- sacrée des ruines. On ne peut s'empêcher de reconnaître un tra- vail qui a coûté du temps, qui intéressait la communauté entière et qui s’est mieux défendu contre l’action des siècles que tous les autres édifices de la cité. Les paysans disent en montrant lexca- vation : Nd raïs Quhauaïs (voilà la prison). Il est difficile, de se contenter de cette explication traditionnelle; tout prouve au contraire que la construction appelée Taïs GQuAauais était la prin- cipale citerne de Kyra-rini. Placée à dessein dans un fond, elle recevait les eaux pluviales qui découlaient des pentes environnantes ou qui lui étaient amenées par des conduits de briques, dont on retrouve encore quelques traces, de petites citernes secondaires. Le niveau des eaux était maintenu à l’intérieur et par les grandes ouvertures iriangulaires et par les trous des parois. Le toit qui couvrait la citerne v entretenait la fraîcheur et la propreté. Des machines, probablement fort simples, servaient à élever les eaux et à les distribuer aux habitants. Il ne faut pas s'étonner de l’im- portance attachée aux citernes dans ces villes qui s'étaient fondées pour plus de sécurité au sommet d’une roche brülée et aride. Près du mur est on rencontre un ensemble de fondations qui méritent d'être décrites. Les premières forment un quadrilatère de cinquante-neuf mètres de long sur dix de large. Sur un ou deux points où subsistent quelques assises, on reconnaît que ces fonda: tions supportaient un mur d’un appareil soigné dont les joints étaient droits et les assises régulières. À l’ouest, un édifice de forme quadrangulaire faisait, comme une tour, saillie sur l’un des longs côtés. À l’est et presque en face du petit édifice quadrangulaire, la ligne des fondations est interrompue en un endroit. Tout au- près gisent encore des blocs de pierre, taillés en arc de cercle , et des piédestaux percés de trous de scellement dont toutes les mou- lures consistent en une scotie et une plinthe. Au sud-ouest et tout près d’un des petits côtés du quadrilatère se présentent d’autres fondations singulières. C’est d’abord un édifice qui forme à l’ouest une saillie quadrangulaire, analogue à celle du quadrilatère pré- cédemment décrit, et accolée à une construction demi-circulaire — 349 — en forme d’exhèdre. Dans 1a direction de l’est, d’autres fondations font suite à celle-ci, puis se perdent brusquement. Il ne parait pas douteux que, dans la première de ces fondations, c'est-à-dire dans le grand quadrilatère, dont la construction té- moigne d'un soin particulier, il ne faille reconnaitre l’agora de la ville antique. Ces pierrestaillées en arc de cercle devaient former une exhèdre à l'endroit où la ligne des fondations est interrompue. La destination de l’exhèdre était-elle en rapport avec le petit édi- fice quadrangulaire qui lui faisait face? C’est ce qu'il serait difficile de décider. Maintenant, à quoi servaient les piédestaux, que sup- portaient-ils, comment les avait-on ajustés? Autant de questions, auxquelles un architecte serait seul en état de répondre. Toute- fois, dans ses traits généraux, cette agora m'a rappelé l’agora du kastro de Képhalo-Vryso, qui n’était également qu’un promenoir où les citoyens venaient causer de leurs affaires. Les autres fonda- tions étaient probablement celles des édifices publics qui se grou- pent autour de l’agora, comme le tribunal, le rameïov, etc. Un des traits particuliers du kastro de Kyra-Irini, ce sont les ter- rasses qu'on y rencontre au nord du théâtre et au sud de la grande citerne. Elles sont en général rectangulaires; leurs dimensions varient et les murs qui les soutiennent sont tantôt en hellénique régulier, comme les murs de l’agora, tantôt en hellénique irré- gulier comme les remparts de la ville. Sur les pentes inclinées de la montagne, ces terrasses donnaient aux édifices qu’elles soute- paient une assiette égale et solide. Tel est dans son ensemble et dans ses détails importants Île kastro de Kyra-lrini. À quelle ville étolienne correspond-il? Leake . et Mure répondent : à la nouvelle Pleuron. À l'appui de son dire, . Leake cite le passage de Strabon sur les deux Pleuron; le géo- graphe vient de nommer, parmi les montagnes d'Étolie, l'Ara- cynthe. « C’est sur l'Aracynthe, dit-il, que la nouvelle Pleuron fut fondée par les habitants de l'ancienne. Celle-ci était, il est vrai, 3 située dans une plaine fertile près de Calydon; mais les Étoliens J'abandonnèrent, alors que Démétrius, surnommé l'Étolique, ra- vageait la contrée!.» Le Démétrius dont parle Strabon est le fils d’Antigone Gonatas; il fit une expédition dans la basse Étolie, entre 240 et 235. Dans sa description de la Grèce, Denys, fils de L 1 Strabon, X, 11, 4. . — 350 — Calliphon , place Pleuron près de la côte; il faut entendre la nou- velle Pleuron, la seule qu'il dût connaître : « Après l'Acarnanie vient l'Étolie; on y trouve la ville de Pleuron, qui possède un temple de Minerve!. » La position de la nouvelle Pleuron est encore mieux déterminée par Stace, qui parle, il est vrai, de l’ancienne Pleuron , mais avec des traits qui ne conviennent qu’à la nouvelle. Tydée fait un vœu à Minerve, quand, avec le secours de la déesse, il s’est débarrassé de cinquante soldats apostés pour l'assassiner. « Si je reviens, s’écrie-t-il, dans la belliqueuse Pleuron, je t'élèverai un temple brillant d’or sur les hauteurs de l'acropole. On y viendra contem- pler avec ravissement les tempêtes ioniennes et l’impétueux Aché- loüs, quand, traversant la barrière des Échinades, il soulève la mer de ses flots jaunâtres?. » Il ne faut pas voir dans la description de Stace un à-peu-près poétique. Ii est au fond d'accord avec Strabon, qui place la nouvelle Pleuron sur l’Aracynthe, avec Denys, qui cite dans Pleuron un temple de Minerve. L’Aracynthe est donc la chaîne entière ou tout au moins la partie occidentale du Zygos: le kastro de Kyra-lrini répond à la nouvelle Pleuron. En effet, l’acropole de ce kastro est sur le Zygos le seul emplacement an- cien d'où le regard puisse porter jusqu’au pic de Kourtzolari, qui lui cache l'embouchure de l’'Achéloüs, et jusqu’au point où le golfe de Corinthe s'ouvre dans la mer lonienne. Où s'élevait dans Pleuron le temple de Minerve? Quel culte rendaient les Étoliens à cette déesse, la même sans doute qu'Étienne de Byzance appelle Minerve Aracynthienne? On l'ignore. Leake suppose avec vraisemblance que l’église ruinée de l’acropole a pris la place du temple; il affirme même, à l'appui de son hypothèse, avoir vu dans l’église un fût de colonne dorique qu'on n'y trouve plus. Les vers de Stace lui donnent raison. Minerve devait être une des principales divinités étoliennes. Le statère d’or étolien porte la tête de Minerve avec le casque, le collier de perles et les pendants d'oreille. L'histoire particulière de la nouvelle Pleuron nous est à peu près inconnue. Nous savons seulement que de traité qui ruina l'in- dépendance de l’Étolie réunit cette ville à la ligue achéenne. Elle ! Denys, V. 57-6o. ? Stace, Théb. IT, v. 727-732. — 391 — obtint vers 164, par l'entremise de Sulpicius Gallus, d’être rendue à l’Etolie!; les Romains, qui ne redoutaient plus la ligue étolienne, . cherchaient alors tous les moyens d'abaisser la ligue achéenne, son ancienne rivale. Le nom de Kyra-Irini (la dame, la princesse Irène) que portent maintenant les ruines de la nouvelle Pleuron, se rattache à quelque tradition du moyen âge dont il serait peut- être impossible aujourd’hui de retrouver l’origine. g- Ruines de Gyfto-Kastro et de Pétrovouni. Quand on descend de la nouvelle Pleuron, on aperçoit deux collines contigües, contre-forts détachés du Zygos, dont un torrent et une plaine étroite les séparent. L'une et l'autre, et surtout la pre- mière, offrent un ensemble de ruines que Leake avait déjà si- gnalées. D'abord sur la colline de Gyfto-Kastro, on peut suivre, dans presque tout son circuit, une enceinte de configuration polygonale qui se développe à mi-côte et qui mesure environ mille deux cent soixante mètres. Mais, à l'exception de deux tours en hellénique régulier, elle est entièrement dans un style irrégulier et brut. Sur plusieurs points elle a été remaniée au moyen âge et peut-être à une époque plus rapprochée encore : le nom de Gyfto-Kastro (camp de bohémiens) indique assez que des tribus nomades se sont cantonnées dans la vieille forteresse et l'ont réparée à leur usage. Les ruines de la colline de Pétrovouni, quoique moins considé- rables, sont assurément plus curieuses que celles de Gyfto-Kastro. Elles se composent d’un mur qui, descendant de l'enceinte de Gyfto-Kastro au sud-est, ferme par une porte l’étroit défilé des deux collines, gravit les pentes orientale et méridionale de Pétrovouni et s’interrompt à l'ouest. Au point où il cesse, commencent des crêtes rocheuses qui hérissent le flanc de la colline et qui ren- daient inutile le prolongement de l'enceinte. Ce mur porte le ca- ractère d'une haute antiquité. Les pierres, ou plutôt les blocs qui le forment, ont été taillées dans les roches de la colline même ou dans la montagne voisine; ces blocs se détachaient par larges tran- ches et on Les plaçait à mesure, tels qu'ils arrivaient de la carrière, sans qu’on se donnût la peine de les dégrossir et sans qu'on s’in- L Pausanias, VIE, 11, 3. — 392 — quiétât des inégalités ou des intervalles des assises. Seulement, quand les intervalles trop considérables eussent pu compromettre la solidité de l'enceinte, on les remplissait de petites pierres. De la porte principale, qui commandait le défilé des deux collines, ïl ne reste plus que la baie, large de deux mètres quarante-cinq centimètres et longue de trois mètres quatre-vingt-dix centimètres. En résumé, les deux collines de Gyfio-Kastro et de Pétrovouni se protégent réciproquement; leur double enceinte appartient à une même ville, à un même système de défense plus compliqué sur la colline de Gyfto-Kastro, d'un appareil Due solide sur la colline de Pétrovouni. Leake rapporte, dans ses voyages de la Grèce du nord, quelles antiquaires-du pays prenaient les ruines de Gyfto-Kastro et de Pétrovouni pour celles de l'Olène d'Homère ; pour lui, il préfère les attribuer à l’ancienne Pleuron. La question est difficile à décider, parce que l'antiquité ne nous a laissé d’autres témoignages que les indications insuffisantes ou peu dignes de foi du géographe Strabon. Il n’avait pas vu les lieux; il se trouvait en présence des autorités contradictoires d’Artémidore et d’Apollodore, et il ne savait auquel entendre. « L'ancienne Pleuron, nous dit-il d’abord, était près du mont Curium, d'où, suivant quelques-uns, vint aux Pleuroniens le nom de Curèles!. » Aïlleürs, quand il rapporte les origines de la nouvelle Pleuron : « L'ancienne Pleuron, dit-il, était située dans une plaine fertile, à peu de distance de Calydon*?. » Enfin, lorsqu'il trace le cours de l'Événus : « L'Événus ne coule pas d’abord à travers la Curétique , qui est la même chose que la Pleu- ronie, mais plutôt à l’est, dans la direction de Chalcis et de Ca- lydon; ensuite, ayant fait un coude vers les plaines de l’ancienne Pleuron et ayant passé à l’ouest, il revient au sud pour se jeter dans la mer.» S'il ne fallait tenir compte que des deux premiers passages, il serait facile de se ranger à l'avis de Leake. Il n'y a aucune invraisemblance à supposer que la partie orientale du Lygos se soit appelée Curium au lieu d’Aracynthe et que la plaine de Missolonghi soit la plaine fertile de l’ancienne Pleuron. Reste le troisième passage; l'Événus arrosait donc la Curétique ou Pleu- ronie, non pas d'abord, mais après un coude à l’est vers Chalcis 1 Strabon, X , 11, 4. 2? Id. ibid. 16 Ad, ibid. 5k A et Calydon. Il faut avouer que les notions de Strabon sur l'Événus étaient bien vagues ; il ne connaissait de cette rivière que la partie inférieure de son cours et il la connaissait mal. Où a-t:il trouvé ce double coude par lequel l'Événus se serait porté d’abord du nord ou du nord-ouest au sud-est pô retourner ensuite au sud- ouest? L'Événus, à la hauteur où le prend Strabon, se dirige presque uniquement du nord-est au sud-ouest. Maintenant, pour trouver les plaines de l’ancienne Pleuron qu’arrose l'Événus, on n’a pas le choix : il faut de toute nécessité atiribuer à Pleuron les plaines de Bokhori. On rejette alors, et le texte du géographe semble insinuer cette conclusion, Calydon de concert avec Chalcis sur ia rive gauche de l'Événus. Mais nous verrons bientôt: qu'une” telle. hypothèse, quoiqu'’elle ait été soutenue par Pouqueville et qu'elle ait plu à Ottfried Müller, est inadmissible. Deux textes viennent ajouter à notre incertitude sur les ruines de Gyfto-Kastro et de Pétrovouni, ce sont les témoignages du même Strabon sur Olène. « Les Étoliens détruisirent Olène, qui était près de la nouvelle Pleuron et les Acarnaniens leur en dis- putaient le territoire”. » Un peu plus loin : « Dans l'intérieur de l'Étolie était Olène, dont Homère a parlé dans la liste des villes étoliennes; il n'en reste plus que des vestiges près de Pleuron au pied de l’Aracynthe?. » Leake, trop préoccupé peut-être de l'expres- sion « dans l’intérieur » veut qu'Olène se soit élevée sur les bords du lac Vrachori et qu'elle ait été remplacée plus tard par Tricho- nium. Mais Pline en parlant de Pleuron , de la nouvelle sans doute, puisque l’ancienne était détruite de son temps, dit: « Pleuron est dans l'intérieur des terres. » Or, du moment où l’on n’attache pas à cette expression plus d'importance qu'elle n’en mérite, on doit convenir que les ruines de Gyfto-Kastro et de Pétrovouni corres- pondent plutôt à l'Olène d'Homère qu’à l'ancienne Pleuron. Je sais bien que Strabon, embarrassant ses lecteurs comme à plaisir, dit de Lysimachie qu’elle était près d'Olène” ; mais Olène, si elle est.au pied de l’Aracynthe, ne peut être en même temps près de Lysimachie et de la nouvelle Pleuron : il faut choisir. On remar- quera donc que deux fois, en parlant d'Olène, Strabon la place tout à côté de la nouvelle Pleuron; et l'on se rappellera, ce qui l Strabon, X, 11, 2, 6. 2 Id. ibid. 21. # Id. ibid. 2». MISS. SCIENT. 23 — 394 — n'est pas sans importance que toutes les villes étoliennes citées dans lIliade semblent s'être élevées entre le Zygos et la mer. Olène ne peut avoir fait seule exception. Où donc placer l’ancienne Pleuron? Un peu au delà de Misso- longhi, par exemple dans la plaine, au pied d’un des contre-forts du Zygos. Son entière destruction s'expliquerait par son emplace- ment même, puisque plus d’une fois nous avons vu des cités éto- liennes qui s’élevaient sur des hauteurs, rasées jusqu'aux fonde- ments. Elle se trouverait ainsi à une moindre distance de Calydon ; mais les paroles de Strabon nous invitent plutôt à l'en rapprocher qu'à l'en éloigner. Ses plaines ne seraient pas davantage arrosées par l'Événus ; mais Strabon, en décrivant le cours de l'Événus, s’appuyait sur de mauvais renseignements. La Curétique ou Pleu- ronie n'aurait été séparée de la Calydonie que par des limites ar- bitraires, et aurait compris la plaine de MERE et peut-être celle d’Ætoliko. hk. Kastro d'Hagios-[lias. Au nord-est de la nouvelle Pleuron et au sud du village de Khiérasovo, en plein Zygos, se reconnaissent encore, bien que très-effacées, les traces d’une ville étolienne. Elles se réduisent à quelques fondations, disposées autour de la chapelle en ruines de Saint-Élie et à un pan de mur, haut de cinq assises, en hellénique presque révulier. Il semble que l'enceinte était uniquement dé- fenäaue par un système de redans. On n'insistera pas sur des ruines qui se perdent au milieu d'un impénétrable fourré. Quel motif avait donc pu décider les Étoliens à bâtir une ville dans cet em- placement sauvage et sans horizon? Les Étoliens n'étaient pas hommes à chercher seulement la sécurité en se reculant hors des regards et de la portée de l'ennemi. Que l’on considère la posi- tion du kastro d'Hagios-Îlias, on verra qu'il commandait un des passages de la montagne, une des routes qui menaïient de a ré- gion des lacs dans la Calydonie. Peut-être faut-il reconnaître Élæus dans les ruines d'Hagios- Hias. Voici les paroles de Polybe, le seul auteur qui nomme Élæus. Philippe, dans sa campagne de 21g contre les Étoliens, vient de ruiner Ithoria, Pæanium et d'entrer à Éniades. « Parti d'Éniades, il campa près d'une place Îorte de la Calydonie, nommée Elœus, remarquable par la solidité de ses remparts et à — 9559 — l'excellence de ses défenses en général. Le roi Attale avait payé aux Étoliens les frais de la construction. Les Macédoniens em- portérent encore cette ville d'assaut, ravagèrent toute la Calydo- nie et revinrent à Éniades 1, » Quel chemin suivit Philippe pour se rendre d'Éniades à Élæus? Polybe ne le dit pas. Mais si l'on réfléchit que la position d'Hagios-Ilias est un excellent point d’at- taque contre la Calydonie, qu'elle en commande le chemin, qu'elle est très-favorable aux coups de main et aux surprises, notre conjecture paraîtra sans doute vraisemblable. Les ruines d'Hagios-Ilias ne semblent pas celles d’une ville importante ; mais on n’a pas oublié les termes de Polybe, mpôs Ti wpiov byvpér, qui indiquent moins une ville qu'une petite place fortifiée avec soin. En tout cas, l'hypothèse de Leake n'est guère souteñable. Il place Élæus à Missolonghi, parce qu’il veut tirer Élæus de #Xos, ma- rais”. D'abord il peut paraître singulier de décider par une éty- ee contestable une question de topographie, puis ce n'était guère l'habitude des Étoliens, surtout à l’époque où Élæus fut bâtie, d'élever leurs villes dans des plaines; enfin le territoire de Missolonghi dut appartenir à la Pleuronie. Chilia-Spitia. L'emplacement de Chilia-Spitia, à mi-chemin entre Missolon- ghi et Bokhori, convient peut-être au bourg d’Halicyrne. On ap- pelle Chilia-Spitia (les mille maisons) les ruines d’un village du moyen àge dispersées sur une colline basse qui se rattache au Zygos. À chaque pas en effet se rencontrent des fondations élroites ou des tas de pierres, informe reste des maisons écroulées. Ce vil- lage fut bâti sur un emplacement antique, car, en explorant la pente ouest de la colline, on remarque, à moitié caché dans les broussailles, un pan de mur dont l'appareil rappelle l'enceinte de Gyfto-Kastro. Pline place Halicyrne dans l’intérieur des terres, comme Pleu- ron *; exagérée pour Pleuron, l'expression doit l'être aussi pour Halicyrne. Strabon , au contraire, la nomme, après Pleuron, parmi les villes qu'on aperçoit de la côte; il ajoute que Calydon est si- 1 Polybe, IV, zxv, 6 et 7. 2 ÉAæos est donné avec un esprit doux dans toutes les éditions de Polybe et dans le nouveau dictionnaire d'Henri Étienne. 3 Pline l’ancien, H. N. IV, zu. — 356 — tuée au nord d'Halicyrne, dans l’intérieur des terres, à la distance de trente stades !, Geite fois ce renseignement est assez précis etul n’y a guère que sept kilomètres entre Chilia-Spitia et l’emplace- ment probable de Calydon. Halicyrne serait donc à Chilia-Spitia ; bourg sans importance, il n'est pas étonnant qu’elle n'ait pas laissé plus de iraces sur le sol que dans l’histoire. J- Kastro de Kurtaga (Calydon). Les ruines de-Kurtaga sont, avec celles de la nouvelle Pleuron, les plus importantes de la basse Étolie: on peut même dire de l'Étolie tout entière. Elles présentent un développement de plus de quatre kilomètres, et il est facile de suivre pas à pas la ligne de l'enceinte, inégalement conservée, mais toujours reconnaissable. Quand on a exploré l'emplacement de Chilia-Spitia, on reprend la route de BoKhori, et, après une heure de marche tranquille, on arrive à Kurtaga. La première vue des ruines n’éverlle que de pénibles impressions. On se sent à l'étroit et mal à l’aise en pré- sence de cette petile vallée sauvage qu’enferment trois collines nues et que dominent à l'ouest les arides sommets du Zygos, dont les irois collines ne sont que des ramifications. C’est un ins- tant fâcheux de désappointement. Mais tout d’abord une imposante construction annonce de voi- sinage d’une grande ville. À l’extrémité d’une crête qui part du milieu de la vallée, en dehors de l'enceinte, s'élèvent les trois côtés d’une remarquable terrasse. Le mieux conservé mesure 29 mètres de long et compte encore six assises. L'appareil consiste en larges pierres, qui alternent avec des pierres étroites; les assises ont la régularité des murs soignés du beau temps; les joints sont droits et faits avec précision. On se fera une idée du bel aspect de cette terrasse quand on se représentera, en même temps que l'excellence du travail, la dimension des grands blocs qui mesurent par exemple 2"50 de long sur o"90 de large. À l'extrémité opposée de la crête, sur l'emplacement de la chapelle d’Hagios- lannis, on croit reconnaître les traces d’un édifice qui aurait fait pendant à la terrasse. Celle-ci, placée dans un endroit apparent, construite avec une attention particulière, ne pouvait supporter qu'un temple, et le plus important de la ville; il est naturel de Eftrabon, X,71! 21. — 357 — supposer qu'au grand temple en répondait un autre et que cette crête était un terrain sacré. Mais on ne retrouve plus, dans la proximité de la terrasse, même le plus insignifiant débris d’archi- tecture. Après tant de descriptions d'enceintes et de remparts, peu de mots sufiront pour faire connaître les ruines de Kurtaga. L’en- ceinte y est défendue par un système alternatif, mais irrégulier, de tours et de redans, à l’ouest et au nord; au nord et au nord-ouest, les redans sont presque absolument substitués aux tours, qui de- viennent très-rares; elles reparaissent en proportion plus considé:- rable dans les murs sud-est et sud. L'appareil des remparts diffère peu de l’hellénique régulier dans les murs sud et sud-ouest; mais dans les murs nord-ouést, nord et est, il devient tout à fait irré- gulier; les faces des assises sont plus brutes, elles empiètent l'une sur l’autre et les joints sont obliques. Tels sont les remparts de la nouvelle Pleuron et de la plupart des villes étoliennes; seulement ceux de Kurtaga ont dans leur construction quelque chose de rude qui témoigne d’une assez haute antiquité. Les murs, au sud, à l’ouest et au nord, ont environ 2"4o d'épaisseur, au nord-est et à l’est, l'épaisseur du mur, on ne s'en peut guère expliquer le motif, diminue sensiblement; en revanche, et peut-être par com- pensation , il est armé à l'intérieur de saillies quadrangulaires, placées de distance en distance, qui ressemblent à des contre-forts. Ajoutons , pour en finir avec l’état actuel de l'enceinte, que la plus grande hauteur du mur va jusqu’à sept assises et qu'elle varie entre trois et cinq dans sa hauteur moyenne. Les murs du kastro de Kurtaga se développent au sud-ouest sur un terrain à peu près égal, le long d'un torrent venu de Zy- gos : on y remarque la bouche d’un conduit qui déversait dans je torrent les eaux de la ville. Parvenue à l’ouest, la ligne de l’en- ceinte quitte le torrent et va s’élevant par degrés jusqu'à une crête qui , du côlé qui regarde les lagunes de Bokhori, tombe perpendi- culairement dans la ville. Quand on arrive en face des ruines de Kurtaga, on s’imagine que la ville ancienne n'avait pas franchi les bornes de l’étroite vallée qu'on découvre et qu'à cette crête se . termine l'enceinte; mais elle se prolonge bien au delà. Elle passe au nord et, sur le revers de la crête, on reconnait l'acropole so- lidement armée de tours au dehors et formée au dedans par une enceinte rectangulaire que subdivise inégalement un mur trans- | | DES 358 at k versal. Des hauteurs de l'acropole, une nouvelle perspective se découvre aux yeux : c'est une riante vallée fermée à l'est par l'Événus et les pentes du Varassova, au nord et à l’ouest par les ramifications du Zygos. Une petite rivière larrose et porte ses eaux à J'Événus. Les murs de la ville descendent alors avec la colline dont le sommet porte l'acropole, puis, par une ligne irrégulière, du nord tournent à l’est, gravissent de nouveau la colline, arri- vent à la crête si ls avaient franchie au nord-ouest, et bientôt passent au sud, où ils ne présentent à l'Événus qu'un front d'un médiocre développement. IL faut donc se représenter le kastro de Kurtaga comme à cheval en quelque sorte sur une des ramifi- cations du Zygos, dont il couvre les deux versants, tout en laissant en dehors l'extrémité de la colline. Quelques vestiges de terrasses, adossées au mur ouest ou élevées dans l'enceinte de l'acropole, voilà les seuls restes d’édifices que l'on retrouve à l’intérieur de la ville. I ne reste plus à y signaler que la grande porte pratiquée dans le mur sud. Elle avait 5#20 d'ouverture et formait un couloir de 10 mètres de long : deux tours carrées la protégent par une saïilie de 3"40. Il est à remar- quer qu'elle est exactement dans l'axe de la grande terrasse. C'é- tait sans doute par cette porte que sortaient les processions sa- crées pour s’acheminer Îe iong de la crête au temple du dieu le plus vénéré. Trois portes secondaires se reconnaissent encore dans les murs de l’ouest, du nord et de l’est. Le kastro de Kurtaga, on peut l’affirmer presque avec certi- tude, c’est Calydon. Pline l'ancien latteste : « Calydon, dit-il, est à sept mille cinq cents pas de la mer près de l'Événus ! ». En effet, de l’acropole de Kurtaga on voit l’Événus à ses pieds et l’on distingue la mer, peut-être à sept ou huit kilomètres, par delà les plaines mouvantes de Bokhori. Strabon dit, dans sa Me un peu inexacte du cours de l’Événus : « L'Événus coule près de. . Calydon?. » Il est vrai qu’il semble se contredire, ou du moins ne savoir à quelle opinion se fixer, quand il rapporte les autorités opposées d'Artémidore et d’Apollodore. Leake et d’autres ont voulu à tort transposer les phrases de ce passage. Strabon nomme les fleuves, les montagnes et les villes de ja côte étolienne, l'Évé- ? Pline PAncien, EL. N. IV, 11. * Strabon, X, 1,5. — 999 — aus, le mont Chalcis, Pleuron, Halicyrne, Calydon; puis il ajoute que si Artémidore place le mont Chalcis entre l’Achéloüs et Pleu- ron; Apollodore le met avec le Taphiassus au nord de Molycrie et donne Calydon comme située entre Pleuron et le mont Chalcis; enfin, pour se tirer de cette question embrouillée de topographie, il supposerait volontiers deux monts Chalcias ou Chalcis, l'un près de Pleuron et l’autre près de Molycrie. La position du mont Chalcis lui fait oublier tout le reste; mais il ressort, de sa préfé- rence marquée pour le témoignage d'Apollodore, que si Pleuron, Halicyrne, Calydon sont à l’ouest et non à l’est du mont Chalcis, elles sont aussi à l’ouest de l'Événus : entre l’Événus et le mont Chalcis, il n’y a pas de place pour trois villes. Sans doute cette explication ne dissipe pas toutes les obscurités du passage, mais _si l’on adopte la transposition et la correction de Leake, on se trouve en présence d’autres difficultés!. Voici donc sur l'emplacement de Calydon un nouveau témoi- gnage qui confirme les précédents : elle est à l’ouest de l'Événus entre Pleuron et le mont Chalcis. Elle justifie la double épithète d'Homère, qui tantôt l'appelle l’aimable Calydon aux grasses cam- pagnés, tantôt Calydon, la ville haute et pierreuse?. La vallée ar- rosée par un affluent de l'Événus, et surtout la plaine de Bokhori, offrent de précieuses ressources à l’agriculture. D’autre part on ne peut nier la physionomie ingrate de la colline que couvrent les remparts de Calydon, ni oublier les montagnes pierreuses qui en enferment le territoire, les ramifications du Zygos et le Varassova. Ce qu’on ne retrouve plus aujourd’hui, c’est le vaste et poisson- neux étang de Calydon, qui fournissait aux Romains de Patras «le mulet, le meunier et le loup de.mer, fils des dieux $;» c’est aussi le port cité par Pausanias et la source de Callirhoé #. La face des lieux a été certainement changée par les débordements de l'Événus et par les terres d'alluvion qu ‘il dépose depuis des siècles. 2 Strabon,X , 11, 21. Si Strabon a suivi dans son énumération l'orûre que veut Leake, il a dit : Pleuron, Halicyrne, Calydon, l Événus, le mont Chalcis. Sur quelle autorité s’appuie-t-il? Sur celle d Apollodore. Alors, pourquoi rappeler qu’il a déjà cité l'opinion d’Apollodore sur la position de Chalcis, puisqu'il vient de la reproduire? Pourquoi l'appeler en témoignage sur l'emplacement de Caly- don, puisque c’est l'emplacement qu'il aurait donné, et d’après Apollodore ? ? Homère, Il. IT, v. 640; IX, v. 577. 3 Strabon, X, 11, 21; Athénée, VIT, xvir. * Pausanias, VIT, xxr, 6. =. SD # Si l’on avait encore besoin de preuves pour reconnaître Caly- don dans les ruines de Kurtaga,onn aurait qu'à considérer l'im- portance de la position. Elle commande le passage de l'Événus, les abords de la plaine de Missolonghi et les chemins qui mènent, le long de l'Événus ou à travers la montagne, dans l’intérieur de l'Étolie. D'ailleurs on a beau explorer la rive gauche de l'Événus et le versant oriental du Varassova, on n’y découvre aucun empla- cement antique. On cherche en vain, d’après les indications de Pouqueville!, au-dessus de Mavromaii, sur les pentes du Varas- sova, ces pans de mur d’une acropole semblable à celle de My- cènes, avec des portions de rempart d'une époque postérieure. Pouqueville voulait que Calydon fût sur la rive gauche de l'Évé- nus et il croyait l'y avoir trouvée; mais il s’est trompé si souvent, il a fait tant de fois de la topographie fantastique, que l’on peut, après examen, contester et nier hardiment ses affirmations. Au dessus de Mavromati, 1l n'existe sur le Varassova qu'une grossière forteresse du moyen âge et qu'un monastère délabré. | Les ruines de Kurtaga répondent même aux indications de dé- tail que Sirabon nous donne sur Calydon. « Près de Calydon, nous dit-il, est le temple d’Apollon Laphrien?. » On n'a pas ou- blié l'importante terrasse qui se présente d’abord au voyageur, lorsqu'il arrive par la route de Missolonghi. Sur cette terrasse s'élevait sans doute le temple d'Apollon Laphrien. Apollon devait y être adoré avec sa sœur, Artémis Laphrienne, honorée à Caly- don d’un culte particulier que lui empruntèrent les Messéniens’ de Naupacte et les habitants de Patras. Elle était représentée en chasseresse, et sa statue, d'ivoire et d’or, était l'œuvre d'artistes de Naupacte, Ménæchmus et Soïdas, qui suivirent de près, dans l’ordre des temps, Canachus de Sicyone et Callon d’Égine (O1. 70, 500-496). Cette statue fut donnée par Auguste à Patras*. Bac- chus, divinité non moins chère aux Calydoniens, avait peut-être son temple à l'extrémité opposée de Îa crête, sur l'emplacement ù s'élève aujourd'hui la chapelle d'Hagios-lannis. Près de cette chapelle est une stèle honorifique, récemment découverte avec une inscription, qui devait perpétuer la mémoire d’un bienfaiteur ? Voyage en Grèce, t, IV, 1.X, chap. vi. 2 Strabon, X, 11, 21, Ÿ Pausanias, IV, xxx1, 73 VIT, xvair, 814, "4 = O6 — iñconnu de Calydon. On pourait encore s’en auloriser pour alla- cher ie nom de Calydon aux ruines de Kurtaga!. L'histoire de Calydon appartient presque tout entière à l’épo- que héroïque. Les noms d'Ænée, de Tydée, de Méléagre, jetèrent alors sur elle un vif éclat, puis elle retomba soudain dans la plus profonde obscurité. Elle ne sut même pas résister aux Achéens, qui s'en emparèrent, et il fallut qu'Épaminondas vint la délivrer. On n'entend plus parler d'elle qu'au moment de la guerre civile et, en 48, elle se donne à César, lorsqu'il passe en Grèce pour y poursuivre son rival Pompée. Quelques années plus tard, elle était tout à fait déchue de son ancienne importance, puisque Strabon dit d'elle et de Pleuron: « Ces villes, qui faisaient jadis l'ornement de la Grèce, sont maintenant tombées dans le plus profond abais- sement. » On n’a pas séparé Calydon des villes de l'Étolie ancienne, bien que Strabon en fasse comme la capitale de l'Étolie Épictète : c'est qu’elle est une des villes les plus anciennes de l'Étolie et qu’elle avait jeté tout son lustre avant que l'Étolie s’accrût des provinces qui composèrent l'Étolie Épictète, cette Étolie nouvelle. Quel était, indépendamment de sa prépondérance dans F Étolie Épictète, le territoire qui dépendait de Calydon? Quelles étaient les limites de la Calydonie? Il serait difficile du le préciser. Il semble cependant que la Calydonie, au sud du Zygos, se rencon- trait avec la Pleuronie à l'endroit où commence la plaine de Bokhori; qu’elle commandait aux villes et aux places du Zygos oriental et qu'elle s'étendait au sud du lac de Vrachori. IV. VILLES DE LA CÔTE SUR LA RIVE GAUCHE DE L'ÉVENUS. a. Chalcis. Sur la rive gauche de l'Événus (aujourd'hui Fidaris) se dresse la masse rocheuse du Varassova dont les pentes abruptes tombent à pic dans le golfe de Corinthe. Le Varassova, c’est le Chalcis de Strabon. « Après l'Événus, vient le mont Chalcis, qu'Artémidore appelle Chalcias ?. » Le mont Chalcis portait une ville du même ! Cette inscription m'a été signalée par M. Colnaghi, vice-consul anglais à Missolonghi. 11 semble qu'il faille lire dans la première ligne Kalvdwwov, et dans la seconde en à le premier mot serait duos. (Voy. l'appendice, n° 13.) 2 Strabon, X, 11, 21. — 362 — on nom, Chalcis ou Hypochalcis, parce qu'elle était plutôt bâtie au pied que sur un des points élevés de la montagne. Sirabon en précise encore l'emplacement en ajoutant qu'elle était au-dessous, c'est-à-dire au sud de Calydon”’. Elle était à peu de distance de l'embouchure de l'Événus; en 425, la flotte corinthienne, qui ve- nait appuyer en Acarnanie les mouvements du général spartiate Cnémus est attaquée, à l'entrée du golfe, par la flotte athénienne, venue de Naupacte : « Les Corinthiens, dit Thucydide, voyaient les Athéniens arriver à eux de Chalcis et de l’Événus?. » Dans une des gorges du Varassova subsistent encore les ruines d’une ville dont l'emplacement répond aux indications de Strabon et de Thucydide. Les paysans donnent à ces ruines le nom bizarre de kastro de Pangali$. I est difficile d'imaginer une situation plus sauvage et en même temps plus forte : la nature ne pouvait mieux servir l’homme. Arrivé dans l’étroite vallée qui sépare le Varassova du Kilokhova, au sud du village de Vasiliki, ou gravit le Varas- sova par un étroit défilé et soudain on découvre toute l’économie ,de la ville antique. À l'ouest s'élève la masse du Varassova; à l’est les rochers se dressent comme des murs; au nord et au sud, deux lignes de murs, dont l’une barre le défilé et dont l’autre ferme la voie de la mer. Le mur du nord offre un beau spécimen de l’hellénique pres- que régulier qu’on pourrait appeler du nom de mixte. Les blocs à face rude sont disposés par assises régulières, mais les joints sont obliques. De temps en temps, des entailles, pratiquées dans les blocs et interrompant la symétrie des assises, sont remplies par de petites pierres taillées avec soin. On reconnaît encore deux portes bien conservées, à linteau droit, hautes, la première de 1"45 et la seconde de 1"73 : celle-là va en se rétrécissant de la base au linteau comme les portes doriques. Mais la partie la plus intéressante du mur, ce sont les tours. Arrêtons-nous à celle qui, à l'extrémité nord-ouest du rempart, s'élève encore à dix assises. On y compte trois portes, une fenêtre triangulaire et deux fenêtres qui se terminent en véritable ogive, taillée dans les assises. Ces tours étaient avant tout des postes d'observation. Le terrain va 1 Strabon,X, 11, 43 IX, 1v, 8. ? Thucydide, IT, Lxxxirr. * Mayxal, la toute belle : ce nom doit tenir à quelque tradition perdue. — 9363 — s'elevant de l'est à l'ouest, et, par suite, les fenêtres des tours qui donnent à l’est et au sud-est, surveillent également le golfe de Co- rinthe, la côte de Patras et bien au delà des promontoires de Rhium et d'Antirrhium. On se figure les habitants de cette ville maritime, perdue dans la montagne, comme des brigands et des pirates; on se les représente volontiers postés aux fenêtres et aux portes de leurs tours, et guettant l’arrivée de leurs barques ou l'apparition d'une voile ennemie; puis, au moment donné, descendant la gorge du Varassova et courant au rivage pour accueillir les leurs ou pour se défendre. Le mur du sud se développe sur une ligne demi-circulaire dont l'ouverture fait face au rivage; au centre est percée une porte, large de 3"50, qu'une tour défend. C'était la grande porte par laquelle on montait à la ville en arrivant d’une expédition mari- time. Elle était difficile à forcer : des deux bras du mur qui se recourbent pour la garder, les habitants pouvaient accabler de traits leur ennemi. Au bas de la porte est une mare d’eau salée qu'on appelle Aurn. Ce fut sans doute autrefois un petit port que les sables comblèrent peu à peu, quand la ville devint déserte. IL était abrité par les rochers du Varassova. Le kastro de Pangali est la Chalcis d'Homère, « voisine du ri- vage!,» la Chalcis de Strabon et de Thucydide. Isolée par la masse du Varassova et par le Fidaris des autres cités étoliennes, elle ne put, nous ne savons à quelle époque, défendre son indé- pendance. Thucydide nous apprend que de son temps elle appar- tenait aux Corinthiens, qui sans doute y avaient conduit une co- lonie. Elle tomba aux mains de Tolmidès en 455, lorsqu'il alla croiser sur les côtes du Péloponèse?. C'est probablement après la guerre du Péloponèse, lorsque la confédération étolienne se fut onanisée sur la rive gauche de l’Événus, que Chalcis fut réunie de nouveau et pour toujours à l’Étolie, | En face du Varassova et se dirigeant parallèlement vers la mer est le Klokhova. Une petite vallée les sépare, dans laquelle coule le torrent de Gavrolimni. Au moyen àge on voulut fermer la val- lée du côté du golfe et, sur une éminence, à peu de distance de ! Homère, 11, II, v. 640. ? Thucydide, F, cvrrr. | | ; | à w? — 904 — la mer, on éleva une forteresse qui montre encore en partie ses murs grossièrements faits de pierres brutes et de tuiles, ses trois tours, son église et sa citerne ruinées. Le Klokhova répond au Taphiassus. Dans cette montagne, au rapport de Strabon, on voyait le tombeau de Nessus et des autres centaures. La putréfaction de leurs cadavres avait produit au pied du Taphiassus une source à l'odeur empestée, aux eaux grume- leuses!. Ce devait être une source sulfureuse, et Pouqueville pré- tend lavoir retrouvée. b. Macynie. Sur le Taphiassus, c’est-à-dire sur une des. collines qui s’y rat- tachent, se trouvait la petite ville de Macynie?. Archytas d'Am- phissa en faisait l'éloge dans un vers gracieux que nous a con- servé Plutarque : « L’aimable Macynie, qui se couronne de raisins et qui exhale des odeurs embaumées*.» Aujourd’hui Macynie se ré- duit à une enceinte en ruines qui enferme la plate-forme d’une colline basse, au sud du pauvre village de Mamakou. Il suffit de dire qu’elle est d’un développement très-médiccre, qu'elle a la forme d’un carré long, qu'elle était flanquée de huit tours, aujour- d'hui écroulées, et qu'on n’y reconnaït plus qu'une porte dans le mur sud. Les murs offrent absolument le même appareïl que ceux de Chalcis, et sur aucun point ne s'élèvent à plus de cinq assises. La vue, qui ne rencontre, au nord et à l'ouest, que les pentes nues du Klokhova, se repose au sud et à l’est sur une jolie plaine qui s’allonge et s’effile pour former le promontoire d'Antirrhium, sur le golfe de Corinthe et sur la côte de Morée depuis Rhium jus- qu'au cap Âraxe. C’est probablement sur les contre-forts du Klo- khova que Macynie avait planté ses vignes; et le charme dont parle le poëte, elle le devait sans doute à l'intelligente culture de la plaine qu'elle domine, à ses beaux champs mélés de vergers et de jardins. Macynie n’a pas d'histoire. Fondée, suivant Strabon, ainsi que Molycrie après le retour des Héraclides, sans qu’on sache nile nom ni la nation de ses fondateurs“, elle faisait partie de la Lo- ! Strabon, IX, 1v, 8. Ad. X at, het or: ? Plut. Quest. Græc. XV. Strabon, X:,11, 6. = og a des se ds de ne pt > 0 à En on né ec He EE ue DU ri nr t : — 305 — eride Ozole au temps d’Archytas d'Amphissa, ou du moins de Plutarque, qui apporte ce vers d’Archytas à l'appui d'une étymo- Jogie particulière du mot Ozole. Macynie fut sans doute réunie à l’Étolieen même! temps que Chalcis, et Strabon la cite expressément au nombre des villes étoliennes. c. Molycrie. Après Macynie, venait la petite ville de Molycrie, située dans le voisinage ou en face du promontoire d’Antirrhium!. Nous savons, par Pausanias, qu’elle possédait un temple de Neptune. Les meur- triers du poëte Hésiode, Ctimène et Antiphus, fils de Ganyctor, qui s'étaient échappés de Naupacte, mirent le comble à leur for- fait par la profanation de ce temple ; maïs les habitants de Mo- dycrie leur firent expirer leur crime?. Les ruines de Molycrie se reconnaissent encore au nord-est du village d'Hagios-Géorgis, dans une situation élevée, sur un étroit plateau. L’enceinte, en hellé- nique très-irrégulier, ruinée, à peine reconnaissable, n'a de cu- rieux que les restes d’un édifice important. Long de 30"35 et large de 13"15, il est presque rasé jusqu'aux fondements et ne garde que les deux degrés par lesquels on y montait. La face du premier degré est partagée en trois et celle du second en deux bandes en retrait l’une sur l'autre. L'édifice qu'ils supportaient devait être un temple d’un dorique primitif et l'on peut y recon- naître le temple de Neptune à Molycrie. Il faut encore signaler hors de l'enceinte, au sud-est, une ci- terne ronde en fort bon état, qui mesure 2"25 de profondeur et 6"35 de.diamètre. Elle se compose de cinq assises régulières à joints obliques : on ne distingue sur les assises aucune trace de revêtement. Au-dessus de Molycrie s'élevait une colline qui servait sans doute aux habitants de poste d'observation. Ils voyaient à l'ouest le Klokhova , au nord le Rigani, dont les séparaient des ravins pro- fonds et sauvages, creusés par la nature comme pour les défendre : au sud, ils dominaient l’Antirrhium, dont la pointe s'allongeait en face de leurs remparts ; au sud-est, ils surveillaient les abords de Naupacte, le cours et, ia plaine du Morno, et de l’ouest à l’est, L Strabon, IX, vu, 4: X, 11, 25. ? Pausanias, IX, xxxt. — 366 — ils embrassaient d’un regard la côte du Péloponèse depuis Zante jusqu’au cap Psoromyti. En 426, Molycrie, jadis colonisée par les Corinthiens, était su- jette d'Athènes. Les Étoliens, qui venaient de battre Démosthène à Égitium, demandèrent l'assistance de Sparte pour se venger des Messéniens de Naupacte, dont les conseils leur avaient be LExpeetian de Démosthène. Sparte leur envoya Euryloque. Re- poussés dans une première Mia sur Naupacte, les Étoliens se pe contre Molycrie et s'en emparèrent!. Molycrie ne fut plus séparée de la ligue étolienne. H convenait de Re à l'Étolie ancienne ces villes de la côte, Chalcis, Macynie, Molycrie, qui furent réunies à l'Étolie par droit de conquête. Au ee ouest el au nord commencent, on l’a vu, les tribus sauvages et vraiment étoliennes qui peuplaient l'Étolie Épictète. Août 1861. 1 Thucydide, IH, cr; Diod. de Sic. XIT, zx. — 307 — APPENDICE. N°°E Dans une aire du village d'Hagios-Vasilios. SIMA OEOAOTOZ RIAQTIAZ KPITOAA OZ APAYMA ” No Pres de l'église d'Hagios- Vasilios , au sud-ouest de Sévédikos , sur la rive gauche du Morno. AIKAIOTIOAIZ NIKATAZ | MOAYEXPIOZ N°4 Sur un long bloc grossièrement taillé, pres d'un monastère d'Hagios-Dimitrios. NIKANQ@P FAAATEIAZ MOAE/ HAIOY L hf DA A RE PUR « La. jt D — 308 — N° 4. Sur une stèle funéraire. TIMOAA N°9 Borne sur la rive gauche de l'Ermitza, près du village de Scotira. TEPMON EITEAION EOITANO AAEZTHI EYAIX N° 6. “À Stèle funéraire à Anghélo-Kastro. MOKPATEIA PYKAEIAA AAMITITTAZ Ne 7: Stèle fancraire dans le pavé de l'éqlise de Mataranga. XIAA. XPIQNO. N° 8. K FOUT ” + UE Stele funéraire dans le mur extérieur de l nn. e Saints- 1e, É à Mokista. s Ni APTEMITOZAFEMO.. — 369 — N? @, Pierre de taille couchée devant l'église. (Caractères de basse époque : reproduction en minuscules.) 0 TaËiapyou Trou ueyahou decmoTou Hœt OUGBEOU "TT 1: | .....€eme6oaGeuce Tv yopyyiav POS aveyepoty Tou cebaomiou douou oÛer mobouvTA. ......... exAITapouuev To may ayabov Àoyo. TOUT& MApt... av ayx0ov Lo, mo 3 À Dans le mur extérieur de la même église. (Époque encore plus basse : reproduction.) mobwy }abetv xabapoiv auTaxmuaror .....HXOOUAS CUP TOÛW EX HENTIÈWY 7 pa Tovde Tor doOv...oUv apoet Twv dtwv ApY4ayYEAWY Où youv Seovtes evÜade. ....... APXIOTPATIYWVOS TMOÛEITE Tv yapiv TOU SeEOu TpwTIoTA Tv evomrhayriav euyeobe uar or du- LUN... MERE Dans le mur extérieur de l'église d'Hagia-Triadha, à Krionéro. NW OROMR 0 SPL = HER RRONEUEM. CE Lt. ONAEETIMOAIOZ ENDIZTYOI NIKOAEY.NOZNIKIA...2ENQNOZOEIZT YOQNOEOKO AEYOY ZAZAAKHETIOZATEAOTOAYKOZAYPIEBOYAPZINOEYE APOAITAIZYPIAIDIZTYIAIEQMAANAPHONOIONOMAEZET A POZTATENOZOIKOT ENHEZETIEAEYOEPIAITIMAZAPT... OYMMMMABEBAIQTHPKATATONNOMONAYKObPAON ATHTABOYKATIEYZMAPTYPOIKPATIAAAZYBPIAAOZ BOYKATIEIZAPIZTAPXOZZTPATOAAOZBOYKATIEIZ AYKOQNAAMIOZ2ENQNATHEQNEIETYOIAAKHETIZ AQNAKEIT AITTAPAZENQNADIETYON MISS, SCIENT. 4 FE HONPAUE XAIPE | Nes; F4 ‘4 Stèle honorifique près de la chasélle d' he bn -Lannis à 772 tr 10 | KAAYAQNIGNAAMAPXON Î | | | AOZKAAYAQNIONTON | EYEPTETAN DES + + A Archives des Missions secentifiques, 2° serre, Lomme 1% er de ct Ad Ve mu Nord 10 Fehelle de Of V4 & 2/1 )y1 O Imprimerie Imperiale. oua/os JOr. xtttt £' Htt+4rtrtt LILI SSD RAS RSRE TUE = - x ñ 7 a -M l'État d'après la carte de Te On D à PT. er k nléfiques, 2° SePTe, Loge 10 des Mésstons CL fu 5, / Archives - Nord E CARTE Û 4 DE = L'ÉTOLIS ANCIENNE e à FÈ RÉDUITE | d'après la carte de TÉtat-major. & NÉ 4 5 F 9 1 ANNE : ë ; | à + L D d ï æ F È - 1277254 È W : : \ £ :. 2 \ 7 A Fe L : f É À £ = 49 LILUTTIN : FE : FD :01Gl x Z EX = : É. = Ta À 5 $ Ê - AE < x Anruakos 8 20 ; + À } S Î Î 5 AT Ê 1€ Echelle î . . de Î pe £ A * 300,000 ” RUN, à j 7 à 2 AS F ; = k, En ë À F Atinhium. - Î Imprimerie Imperiale TABLE DES CHAPITRES. Fr Pag. : I. COUP D’OEIL SUR L’HISTOIRE DE L'ÉTOLIE.......... 249 habitants m0. 0... age 295 l 4 » Plame de Missolongii et d'Ætoliko. . :. ............:.4 : 268 | NA Le Zyeuset la résrion des 1.0... 23026... 270 3. Massif de l’Arapoképhala, du Khélidon et du Koutoupa ....... 276 re ion 2 RS CN Se eee a a 281 TE Le de D ee à ee 3 os 288 IT. LES RUINES (CARTE DE L'ÉTOLIE ANCIENNE) ......... 292 Camattère général des ruines étoliennes . ..#."#........,.......... Ibid. Étolie Épictète. Ammaide, Apérante, Eurytanié.. 2.0... ....... 293 Apodotie, D dd her nan me « ju 302 à Pi ancienne. Rénion deslacs. ..,..:........:14.,........... 312 TS IN DR RAR Te de mise à à e à 314 EN se a ous Noa datau se ae n du ee 316 ra adu on os ve « 317 4 MIS ere ee CR... ... 319 % RE sr nm sn u se 321 “: Es A cc MARNE... Ibid. HI. VILLES À L'EST ET AU NORD DU LAC TRICHONIS........ 322 DR ON MOUOR CAGE). LU. ,.. 0.1. Ibid. CAT PUR M PR SPP NT EE 323 ce boiphacement dé Morosklavon. 402 0......:....... Ibid. Doro Perachont(Pamphi} 0-00... ........,. 4: Ibid. e. Kastro de Képhalo-Vryso (Hellopium?}g ...:............... 1bid. : Kastro de Soponikos [Métapa).. .2........................ 329 4. Kastro de Krionéro (Phistyum) . ....:....:.............. 326 h. Kastro de Kouvélo (Boucatium?}......................... 327 DO Vian D Ehermns)s,...2:.......46. sa dde 328 Discussion du système de Leake sur la marche de Philippe........... 334 JE EU NN PANNE RCE 339 D nu di assaut ul. dass a dE Ibid, a Un LL nue SUP TS 340 haelro de Didéroportà (Phana?}....,....47 1... ue, 343 d. Kastro de Saint-Georges (Proschium)}..................... 344 e. Les Trois-Églises CT RAP PRE PRE PNR RO PEIRS 345 Dbasiro de Kyra-Irini (nouvelle Pleuron)..". .…....:...4....... 246 g. Ruines de Gyfto-Kastro et de Pétro-Vouni (Olène?)...,....... 391 Me” |: AG ; LS VAN IE LR O, NS AS TRE ei | _Kastro d'Hagios-Llias CESR) LC RS PR Ge Che spita (Haicrnes) 4e SL RES Kastro dé Kurt yon tee EUR Se UC trRes AE Eee ê IV. VILLES DE LA CÔTE SUR LA RIVE GAUCHE DE LI F ‘Chalets LE Macynie........................... x RCTIB RU ET NE RS ‘ LEA eus ee folie td + #: 5 LOL É COMORES : “ aus ss ess 00. + 4" a 53 co j: | tar rer RER ————— rot re GG Imprimerie Impér RAPPORTS SUR UNE MISSION SCIENTIFIQUE EN PALESTINE PAR M. VICTOR GUÉRIN, DOCTEUR ÉS-LETTRES, ANCIEN MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE D’ATHÈNES, AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ. 4 PREMIER RAPPORT. Jérusalem, 1° juillet 1863. Monsieur le Ministre, Chargé par Votre Excellence, le 9 février dernier, d'une mis- sion scientifique pour Îa Palestine, j'ai quitté Paris aussitôt que les instructions que vous aviez demandées pour moi à l'Académie des inscriptions et belles-lettres m'ont été remises, c'est-à-dire le 4 mars. Le 9 du même mois, je m'embarquai à Marseille , et le 18 j'abordai a Jaffa; le 20, j'entrai avec une respectueuse émotion dans la ville sainte, dont je saluais les murs pour la troisième fois. | . Votre Excellence n'attend pas de moi dans ce Rapport, que j'ai l'honneur de lui envoyer, et qui doit contenir seulement le résumé succinct de mes premières recherches, une description, même som- maire, de cette cité célèbre. Cette description, j'essayerai plus tard de la faire après tous les. voyageurs qui m'ont précédé, lorsque, de retour à Paris, je pourrai rédiger à loisir les nombreuses notes que je recueille maintenant. Pour le moment, je me borne à dire à Votre Excellence que j'ai étudié avec un soin, en quelque sorte religieux, une ville dont le monde entier vénère les souvenirs, et £ Le premier de ces rapports est adressé à M.1e comte Walewski, Ministre d'Etat, qui avait dans ses attributions le service des Missions scientifiques et lit- téraires à l'époque où M. Victor Guérin a été chargé de sa mission. Les deux autres rapports sont adressés à M. Duruy, Ministre de l'Instruction publique. MISS. SCIENT. gd 25 Archives des Missions Serge, ot seree, dome 17. ex b DORA f Frise F- Our UT O7 7/07/2770 dafao Xoriarin . nel: oHartefil optomat Oo bonbe El Péar outjel=Xeur ÆtAathen CUP A ee Zaronbe Pehur: ofela o < Pen 27770 Wabuo à Aalaun > OArtrh OSEBASTE Dale ra, | Gigls É Yon ONAPLQUSE CA 1072 oMafhena-et-Tahita Nota. label Offaborta Apr Svur. DATE 77772 ) Comme poids de ropere, ot a place OChourgaba sur colle carte tune douane de villes oArrron oi: OZ /Hlañyel: Ornmleten ban connues, * o Horde 0 = Zasonf® olkreth OS emo /gnetio ©» 77 oJernbrah oXenitte Astaiot © NAllat Djeul Mellut-Fivre F3 ns Et-Mifrructa Rhatalit= | EN JUDEE, EN SAMARIE El DANS LA BASSE GAI Par V. GUÉRIN Inchà Oo deosuo 0; AbUrS 7 LdDouar ‘ Érrouhéa SArah OS'annértele imite Tinele CALCEAR Q be OHordj-ul-Lissanà | Dounnetre 8 Loge D Tombeau Parle - | ’ oordj-Bertaouil Noura ali. 5 5 o DeëreLHhrnatat Xcbda s 0 | PR Hortiraon Qasereo WVanil RU FT) J Dons aédeh® dbucCoch Kefr-Anx x Z% rEabel® o#aberdjan oHosseah arnarebe 1 227272 072 oZirw/h 3 tamneh oEt-Hharfeh Ailasao lune retire Oombean LIRE poète Umodeko AL Jeltess o 77 nÉLotein Aboi-Arreh OinncelBarr ion hohhis OWartaba Djebah Ha Veë-Sukuia Æhouatel Ahrouso œlanou Beit-Msel Thab d brhanoe du V2 / Ceres TT ŒtLous EL], CPerdarah PenebBko por Alone Prae rade Déien — ofament Heure, Eos 27Àas Re RAR UN QCemm-Djina * Q oHognir. ARhokh Oummelltaà O0 ©Ayeda o£CTedaonieh Dites OPjeladieh Moore S / Htidiao QBei The 0 ASCALON LPS purge Pris ï oGamas hp X A © ofwbba © SN So f Yetaotilero | Ori, ofa 2 ietaoru y oubea NC en mn NN o£d. 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Il eut la bonté de m'introduire lui-même deux fois dans la mosquée d'Omar, interdite naguère encore aux chréliens, sous peine de mort, et qui, vous le savez, a remplacé le fameux temple de Salomon. Je pénétrai également à sa suite dans la mosquée d'El-Aksa, qui a succédé à la belle église de la Présentation, œuvre de l'empereur Justinien. Je visitai en détail toute la plate-forme du Haram ech- Cherif, ainsi que ses immenses et admirables souterrains. Guidé par les savantes explications de M. de Barrère, je pus de la sorte retrouver sur place ou refaire par la pensée les divers parvis, les portiques et les substructions du Moriah. Je pus, même me rendre un compte assez exact de l'ancien sanctuaire des Juifs, dont la roche, vénérée par les musulmans sous le nom de Es-Sakrah, constituait peut-être l’une des parties les plus saintes, comme étant probablement l'aire d’Aravna, sur laquelle reposait jadis l'arche d'alliance. Si ce temple, en effet, a été comme effacé du sol, et si, conformément aux prophéties, il n'en est pas resté pierre sur pierre, l'emplacement qu'il occupait est néanmoins encore jus- qu'à un cerlain point reconnaissable. Quant à la vaste enceinte qui l’entourait, elle se confond en beaucoup d’endroits avec celle du Haram ech-Cherif. Relevée à diverses époques, elle porte da trace de ses reconstructions successives. Quelques parties même semblent primitives, et, par la magnificence des blocs prodigieux - avec lesquels elles ont été bâties, provoquent toujours l’admiration de ceux qui les contemplent. Après avoir étudié le mont Moriah, j'examinai avec la même attention les monts Sion, Acra et Bezetha. Une question de la plus haute importance est celle des trois enceintes de l’ancienne ville et de l'étendue qu’elle avait à l'époque de Jésus-Christ. De cette question, en effet, dépend, au point de vue topographique, celle de l'authenticité du saint sépulcre et du Calvaire. Elle a été, de ma part, l’objet des plus sérieuses investiga- tions, et je l’ai plusieurs fois discutée avec M. le consul de France, qui s’en est occupé d’une manière toute spéciale, et qui doit même — 375 — prochainement publier un travail à ce sujet. M. de Barrère iden- tifie, avec beaucoup de raison, suivant moi, avec les Grottes royales de l'historien Josèphe les immenses carrières qui s'étendent sous le mont Bezetha, et dont l'entrée, qui se trouve près de la porte de Damas, n’a été découverte que depuis quelques années. Cette identification jette une grande lumière sur le tracé du troisième mur d'enceinte, lequel, dans certains plans de Jérusalem, est reporlé trop loin vers l’est et vers le nord. En réalité, il semble s'être confondu avec le mur actuel de cette partie de la ville. D’autres problèmes d'un vif intérêt ont été soulevés par d’émi- nents archéologues à propos de quelques-uns des innombrables tombeaux qui environnent Jérusalem. Ce n’est pas ici le lieu de les traiter à mon tour ; mais Votre Excellence doit bien penser que je ne les ai pas laissés de côté en examinant les diverses nécropoles de la vallée de Josaphat et de Ben-Hinnom , et principalement les remarquables excavations funéraires connues sous le nom de Tom- beaux des rois, des juges et des prophètes. En même temps que j'étudiais curieusement les monuments encore debout et les moindres vestiges de la Jérusalem antique, je ne négligeais pas non plus ceux de la Jérusalem chrétienne et musulmane, parcourant la ville quartier par quartier et souvent même rue par rue. Que de décombres accumulés de toutes parts! que de constructions ruinées elles-mêmes, superposées sur des constructions antérieures! L'église du Saint-Sépulcre, sa fondation, ses changements divers, sa forme actuelle, devaient naturellement préoccuper tout d’abord mon attention, en même temps que les grands mystères qui se sont accomplis dans son enceinte, et qui- en font le lieu le plus auguste et le plus vénérable de la terre, m'imposaient le devoir de consacrer à ce monument de longues heures de mé- ditation et d'examen. Que de fois j'ai erré sous ses voùtes sécu- laires, en repassant en moi-même les événements dont il a été le théâtre! Il me semblait que l'archéologie toute seule est une science presque morte, qui n’a de vie véritable qu'avec l'histoire. Avec l’histoire, au contraire, les pierres elles-mêmes ont quelque- fois une éloquence muette, qui parle néanmoins bien haut à tous ceux qui savent l’interroger et la comprendre. Une fois les solennités de la semaine sainte terminées, et quand le flot des milliers de pèlerins que les fêtes de Pâques avaient atli- 25. — 376 — rés à Jérusalem se fut écoulé peu à peu, pèlerins de toute langue, de toute race et de toute nation, qui me fournirent eux-mêmes un sujet d’études intéressant, Je quittai moi aussi la ville pour commencer l'étude de l'intérieur du pays. Et d'abord, pour procéder avec méthode, je crus devoir étu- dier avec soin les deux routes principales qui de Jaffa condui- sent à Jérusalem. L’une de ces deux routes est, il est vrai, très- connue, étant depuis des siècles la route ordinaire des pèlerins; mais ceux-ci, à peine débarqués à Jaffa, se hâtent, pour la plu- part, d'aller saluer de près les murs de la ville qu'ils viennent voir quelquefois de si loin, et ils ne visitent guère, chemin faisant, les villages et les ruines qui bordent le sentier qu'ils parcou- rent. l’ancienne voie romaine, qui est encore maintenant celle des chameliers, est peu fréquentée par les voyageurs. J’explorai donc ces deux voies, ainsi que l'intervalle qui les sépare. Sans entrer ici dans des détails qui donneraient à ce Rapport des proporlions tout à fait inusitées, je me contenterai de signaler à Votre Excellence les localités que j'ai découvertes dans cette pre- mière tournée. 1° À trente-cinq minutes au nord-ouest de Kouionieh, ruines connues sous le nom de Kharbet-beitMizeh ë;ge can äs,s. Elles occupent le plateau d’une haute colline qu'environnait jadis un mur d’eaceinte. Au dedans, plusieurs aires antiques pratiquées sur le roc aplani, el, à côté de ces aires, citernes creusées en forme d’entonnoirs renversés, débris nombreux de poterie, vestiges encore reconnaissables d’un certain nombre de maisons dont les maté- riaux gisent à terre. Là devait être un village de quelque impor- tance. | 2° À dix-huit minutes à l’ouest-nord-ouest de Koulonieh, sur une autre colline, restes d’un second village antique : on les ap- pelle Kharbet-Farhan (j\=;s à5,s. Plusieurs tombeaux creusés dans Je roc; deux sources dérivant de conduits antiques. 3° À trente-huit minutes au nord de Soba, Kharbet-Kebaleh AUS &,=. Dans une vallée fertile, sur les bords d’un ruisseau alimenté par une source intarissable, débris d’une forteresse du moyen àge. Elle mesure cinquante pas de long sur trente-cinq de large, et était défendue par trois tours. Les pierres avec lesquelles elle a été construite sont, pour la plupart, assez grandes et bien aplanies; quelques-unes, néanmoins, sont taillées en bossage, ce * — 371 — qui prouve qu'à l'époque des croisades, de même qu'aux époques juive et romaine, on taillait quelquefois les pierres de cette ma- nière. Dans l'intérieur, magasins souterrains voûtés en ogive et restes d’une petite chapelle. 4° Katanneh Gb. Petit village encore habité, dans une vallée très-étroite, entre Beit-Enan à l’est et Beit-Nouba à l’ouest. Ce petit village, qui peut renfermer deux cent cinquante habitants, n’est marqué sur aucune carte; la fontaine en est antique. 5° Sur une haute montagne rocheuse, au pied de laquelle le village de Katanneh est bâti, Kharbet-Kaphirah BAG y. Ro- binson, en passant à Aïalon, avait entendu parler de cetle ruine, et il l'a placée sur sa carte, mais sans avoir eu le temps d’aller la visiter. (Robinson, t. IIT, p. 146.) J'adopte comme incontestable l'identification proposée par ce savant voyageur; en eflet, la ruine qu'il n'avait pu visiter est bien celle d’une petite ville forte remou- tant à la plus haute antiquité. Avant d'atteindre le sommet de la montagne, dont une citadelle occupait le point culminant, j'ai remarqué les traces d’un double mur d'enceinte construit avec des pierres d’un grand appareil, mais mal taillées, et dont quelques- unes sont presque brutes. On m'a également montré six vastes c1- ternes creusées dans le roc et revêtues jadis intérieurement d’un ciment très-puissant dont une partie existe encore. L’acropole et le reste de cette ville sont maintenant envahis par de hautes herbes ou livrés à la cullure par les habitants de Katanneb. Ils vénèrent, non loin de là , un santon appelé Scheik-Abou-Kaphir ;a85 A. Il est facile de reconnaître l'identité du nom arabe actuel S,A&S, avec le nom hébreu n122, que nous trouvons dans le livre de Josué {ix, xvir et xvur, 26), comme donné à l’une des quatre villes des Gabaonites. Cette ville fut assignée à la tribu de Benjamin. Elle est mentionnée plus tard, dans le livre d'Esdras {n1, 25) et dans celui de Néhémie (vi, 29), parmi celles qui furent réhabi- tées par les Juifs à leur retour de la captivité. 6° Kharroubeh y , petit village sur une colline à l'est-nord- est de Beit-Annabeh. Il consiste en quelques cabanes qui ne sont habitées qu'à l’époque des semailles ou de la moisson. J'y ai ob- servé les débris d’une tour antique dont les assises inférieures existent encore et sont construites avec de belles pierres de taille. Alentour gisent les restes d'anciennes constructions renversées. — 378 — 7° Kharbet-Haberdjan (= yasi às,s. Ruines d’une petite ville antique à trente minutes au nord de Beit-Aour-Tahta {Bethoron inférieure), sur une haute colline. Traces encore reconnaissables d’une enceinte primitive; cinq citernes creusées dans le roc; un birket construit; plusieurs pans de mur bâtis en beaux blocs bien équarris; autres ruines indistinctes provenant de maisons démo- lies. 8 Kharbet-Hallabeh &K= &y& , à dix-huit minutes du même village de Beit-Aour-Tahta , dans la direction de l'ouest. Restes d’un village antique; débris de maisons renversées; plusieurs citernes creusées dans le roc; deux pressoirs à huile, etc. 9° Kharbet el-Bridje A) +, sur un plateau entre Beit- Loukieh, au nord-ouest, “et Beit-Enan, au sud-est. Ruines d’une petite ville antique; plusieurs citernes; six tronçons de colonnes gisant à terre; débris de quelques murs. Telles sont, Monsieur le Ministre, les localités que je crois avoir le premier explorées sur les deux routes qui de Jérusalem con- duisent à Jalfa; j'ai, en outre, visité toutes celles que d’autres voyageurs avaient vues avant moi, et dont les noms étaient mar- qués sur les diverses cartes que j'ai pu me procurer. Parmi les questions que l’Académie m'avait posées, 1l en est une que je rencontrais en quelque sorle sur mon chemin dans cette première tournée : c’est celle de la position véritable de Modin, la célèbre patrie des Macchabées, qu'Eusèbe et saint Jérôme placent près de Lydda, sans indiquer autrement la distance qui séparait ces deux points, mais qu'une tradition, déjà fort ancienne en Pa- lestine, identifie avec le village actuel de Soba, situé sur une haute montagne, un peu au sud de Beit-Nakoubah, et, par conséquent, assez loin de Lydda. J'ai commencé par examiner avec soin Soba. Ce village, déjà fortifié par la nature, était, il y a vingt-quatre ans à peine, envi- ronné d'une enceinte d'anciens remparts construits avec de magni- fiques blocs, comme le prouvent quelques pans de murs qui ont échappé à la destruction qu’en ordonna alors [brahim-Pacha. Dans une maison qui sert aujourd’hui à la réception des étrangers, plu- sieurs vieillards m'ont affirmé avoir vu autrefois l'ouverture d’un grand tombeau, aujourd’hui comblé. De cette maison on distingue parfaitement la mer, qui, à vol d'oiseau, n’est éloignée de la mon- — 319 — tagne de Soba que d’un intervalle de trente-cinq kilomètres à peine, du côté d'Yebnah. On peut donc supposer réciproquement, à cause de l’extrême transparence de l'atmosphère en Palestine, pendant six mois de l'année au moins, qu’il serait possible d’aper- cevoir de la mer un monument considérable qui s’élèverait sur l'emplacement de cette maison. Nous savons, en effet, par un passage de l’Écriture (I Macc. ch. 11, v. 1), que la ville de Modin était située sur une montagne. Un autre passage du même livre (ch. xr1, v. 25 à 30) nous ap- prend que, dans sa ville natale, Simon érigea, sur le sépulcre de son père, de sa mère et de ses frères, sept hautes pyramides en- tourées de grandes colonnes, qui étaient elles-mêmes surmontées de trophées d'armes et de vaisseaux sculptés faits pour être vus de tous ceux qui naviguent sur la mer. S'il faut prendre à la lettre les derniers mots, il est bien certain que, de lamer, il serait impos- sible de distinguer, sur le sommet du mont Soba, des vaisseaux sculptés au haut d’une colonne, quelque grande qu’elle fût; mais l'ensemble d’un mausolée monumental comme celui qui est dé- crit daus les trois versets qui précèdent, qui s'élèverait sur le pla- teau de Soha, pourrait, je crois, être aperçu de la mer. Les habitants de ce village m'ont également montré au dehors, et un peu au-dessous de l’ancienne enceinte de leurs murs, plu- sieurs grottes sépulcrales taillées dans le roc. L'une d’entre elles est actuellement bouchée; mais, au dire de ceux qui n'accompa- graient, elle est irès-vaste. Devant cette grotte s'étend une grande plate-forme , le roc ayant jadis été aplani par la main de l'homme. De là on voit aussi très-distinctement la mer, et un grand monu- ment qui s’élèverait sur cette plate-forme, où j'ai cru reconnaitre encore la trace d’entailles destinées à encastrer et à asseoir des constructions, serait peut-être pareillement aperçu des naviga- teurs. Après avoir étudié Soba, je me transporlai à Latroun, regardé par Robinson comme le site probable de Modin. Latroun , situé à peu près à moitié chemin entre Ramleh et Ki- riet el-Enab, résidence habituelle du célèbre Abou-Gosch, offre les ruines d’une ville et d’une forteresse. Celle-ci, flanquée de tours, occupait la partie culminante d'une colline isolée, dont le plateau supérieur peut avoir neuf cents mètres de pourtour. Les murs qui l'environnaient, et dont une partie existe encore, ont élé cons- — 300 — truits avec des blocs d'assez bel appareil. Dans l’intérieur, d'im- menses magasins voütés en ogive, qui semblent dater de l’époque des croisades, servent encore aujourd'hui de refuge à une popu- lation de deux cent cinquante Arabes. Au-dessous de la forteresse et sur les pentes de la colline, on distingue les vestiges d’un second mur d'enceinte qui entourait la ville proprement dite. De cette dernière il ne subsiste plus que quelques magasins voûtés en ogive, des puits, des citernes et äe nombreux blocs antiques dispersés au milieu des broussailles ou dans des champs cultivés. Comme Latroun n’est qu'à trois heures de Lydda ou Diospolis, tandis que Soba en est éloigné d'au moins six heures; comme, en outre, du haut de cette colline on aperçoit de même la mer, Ro- binson incline à y reconnaître la montagne et la ville de Modin (EEE, p.41 5%): Une autre opinion place la patrie des Macchabées à Kastoul. Kastoul est un misérable hameau habité par quatre ou cinq fa- milles arabes, sur le haut d’une montagne d'où l'on aperçoit, il est vrai, parfaitement la mer, mais qui ne m'a offert que des ruines peu considérables; ce sont celles de quelques maisons au pied d’une tour carrée dont les soubassements sont antiques, au moins en partie, et dont tout le reste est moderne. Il y avait là autrefois un castellum qui aura donné son nom au hameau actuel; mais il n'y à jamais eu, sur cette montagne, une ville ou même un bourg important. D'ailleurs Kastoul est également à six heures de Lydda, et peut-être même davantage. Il n’y a, par conséquent, pas de rai- son plausible pour y placer plutôt qu’à Soba, dont le viilage offre des ruines considérables, et qui peut invoquer en sa faveur une tradition de plusieurs siècles, la montagne et la ville de Modin. Est-ce à dire pour cela qu'il faille choisir entre Soba et Iatroun pour l'emplacement de cette ville célèbre? C'est ce que je n'ose affirmer, mon opinion, sur ce point, étant encore incertaine, et j'ai besoin, avant d'émettre un avis plus motivé, de consulter plu- sieurs ouvrages qui me manquent ici. Ce que je puis seulement affirmer, c'est que j'ai parcouru tous les environs de Lydda et qu'aucune ruine ne n'a été indiquée dont le nom ait le moindre rapport avec celui de Modin. Ce nom célèbre a donc été effacé de là Palestine. 711 Plus tard, Monsieur le Ministre, j'aurai l'honneur de vous re- meltre, sur ce point intéressant, ainsi que sur toutes les localités — 381 — que j'ai parcourues dans cette première tournée, une suite de Mé- moires étendus et développés que j'offrirai également à l'Académie, dont les conseils m'ont été si précieux, et dont je m’efforcerai de suivre fidèlement les instructions. Je passe maintenant, Monsieur le Ministre, au compte rendu de ma seconde exploration. Comme celle-ci a été fort longue, et a embrassé, 1° la plaine entière des Philistins, que j'ai parcourue ville par ville, village par village, depuis Ramleh jusqu’à El-Arisch, c'est-adire jusqu’à la frontière d'Égypte ; 2° le désert de Bir es-Seba, que j'ai exploré en tous sens; 3° le premier plan du massif occi- dental des monts de la Judée , depuis Bir es-Seba jusqu’à Jérusalem, je vais, pour plus de clarté, diviser ce compte rendu en trois par- lies, et, dans la crainte d'être trop long, je me contenterai aujour- d’hui d'envoyer à Votre Excellence la liste des localités que je crois avoir découvertes, ou du moins qu'aucun autre voyageur, à ma connaissance , n’a visitées avant moi. I. SUR LE CHEMIN DE JERUSALEM, VERS LA PLAINE DES PHILISTINS ET DANS CETTE PLAINE. 1° Kharbet-Saideh 5% &,s=. Ruines d'un village sur un plateau élevé situé entre le village de Ouledjch, au sud-ouest, et le Wady-Sataf, à l’ouest. Je copie un fragment d'inscription grecque de l'époque chrétienne, ne consistant malheureusement qu'en deux mots, sur une belle pierre ornée de moulures. Cette ruine est men- tionnée par Robinson, qui l’a aperçue de loin sans pouvoir la vi- siter (t. III, p. 267). 2° Er-Ras gui. Petit village sur une montagne qui domine l'Oued-Beït-Sakaïa. 3° Kharbet-Beit-Sakaïa Xliw uw &,s. Village ruiné sur les pentes d'une colline; sauf quelques citernes qui sont probablement antiques, les maisons, à moitié démolies, qui couvrent de leurs dé- bris les flancs de la colline, ne paraissent pas remonter, comme celles de Saideh , au delà du moyen àge, peut-être même sont-elles pour la plupart d'époque plus récente. 4° Kharbet-Deir-Amer ,% 5 7%. Sur un plateau très-levé, près d’un oualy musulman appelé Oualy-Scheik-Amer, restes d'une — 382 — grande construction divisée-en une vingtaine de compartiments, et qui a pu être un couvent. Autour de cette construction, qui ne paraît pas antérieure au moyen âge, cinq citernes plus anciennes. 5° Kharbet-Djebah cu =. Restes d'un petit village dont les ruines accusent l’époque musulmane, mais dont ie nom est évidemment hébraïque ñÿ23, ce qui prouve quil a été relevé sur l'emplacement d'une localité antique avant d’être abandonné de nouveau. 6° Kharbet-Beit-en-Nis {mail cu à,5. Sur le sommet d’une montagne, restes d'un village antique, maïs qui a encore été ha- bité depuis l’époque musulmane. 7° Kharbei-Beit-Fadjous ES CARS ne Petit village ruiné sur un plateau. 8° Achoua s,äi. Ce village, encore habité, est {id par plu- sieurs voyageurs; mais aucun, que je sache, ne l’a identilié avec l'antique Echthaol 9NnwN. Or cette identification me paraît cer- taine. 1° Cette ville est toujours mentionnée dans la Bible avec celle de Zarea, sa voisine (Josué, xv, 33; x1x, 41; Jug. xvi, 31; XVII, 29; XVIII, 11), et comme on connaît parfaitement la po- sition de Zarea 9%, qui existe encore avec le nom qu'elle por- tait du temps de Josué, \s;w, et que cette localité n’est séparée d’Achoua que par un intervalle de quatre kilomètres au plus, ce voisinage est déjà une présomption favorable à ma conjecture. 2° La tradition des indigènes, ainsi que trois d’entre eux me l'ont affirmé, veut que leur village se soit appelé primitivement Achoual ou Achtoual Jjoxt), nom dans lequel il est impossible de ne pas reconnaître celui d’Echthaol. 3° Le nom actuel, saufla terminaison, qui a été abrégée et modifiée, se rapproche beaucoup du nom an- tique. 4° La Bible nous apprend que Samson fut enterré par ses frères entre Zarea et Echthaol, dans le tombeau de son père Manué (Josué, xv1, 51). Or, chose singulière, entre Achoua et Zarea, les musulmans vénèrent depuis des siècles un oualy qui porte, il est vrai, vulgairement le nom de Oualy-Scheik-Gherrib nyS ; mais qui m'a été désigné par plusieurs sous celui de Kabr-Chamson gomelé +5, «tombeau de Samson. » Ces quatre preuves, que je ne fais ici qu'indiquer rapidement à Votre Excellence, mais que je développerai plus tard, me paraissent démontrer péremptoirement l'identification que je propose. 9° Kharbet-Zanouah ent &,3. Ruines étendues et accusant —, 383 — une assez haute antiquité, du moins pour la plupart, sur un pla- teau élevé. Elles sont mentionnées, sans avoir été visitées, par Ro- binson , qui les a identifiées très-justemient avec l’ancienne Zanouah n\3t, citée dans le livre de Josué {xv, 34). Les habitants de cette ville contribuèrent à rebätir les murs de Jérusalem (Néhémie, 11, 13). À l’époque de saint Jérôme elle existait encore (Onomasticon, ad verb. Zannohua). 10° Kharbet cl-Bedaouyeh x) 4) &,%, ou Deir el-Be- daouyeh xs) ali 25. Ge sont, suivant la tradition de l'endroit, les restes d'un ancien couvent chrétien, qu’environnaitun mur d’en- ceinte dont les assises inférieures existent encore. 11° Kbarbet-Krechoum ,,#s &,5. Débris confus d'une pe- tite ville s'élevant en amphithéâtre sur les pentes d’une montagne et en couronnant le sommet. 12° Oumm-Djina a 45. Hameau d’une quarantaine de mai- sons qui a succédé à une localité antique, comme le prouvent les gros blocs assez régulièrement taillés qui sont épars sur le sol en cet endroit. 13° Kasr-Birel-Limoun (ysaNi ya y125. Belle citerne antique au milieu d’ane vallée. Elle est renfermée dans l’intérieur d’une tour carrée dont les soubassements paraissent dater de l'époque romaine , et dont les assises supérieures trahissent une construction plus moderne. 14° Kharbet-Tibneh &ia5 &,5. Ruines mentionnées, mais non visitées par Robinson, qui les identifie, ce qui me paraît incon- testable, avec l’ancienne Timna ñ399, ou Timnatha ñD39D, où Samson épousa une femme philistine et déchira de ses mains un jeune lion (Jug. x1v, passim). Ces ruines couvrent les flancs d’une colline hérissée de broussailles. 19° Bridje < : . Village bâti avec des matériaux provenant des ruines de TibEË dont il est peu éloigné. 16° Amoury 5,,%. Petit village qui, comme le précédent, n'est, Je crois, marqué sur aucune carte. 17° Kharbet-Minet-Esdoud ssXui &iwo 5,5%. Ce sont les ruines du Maïumas-Azoti, ou port d’Azot, port qui était défendu par une forteresse dont j'ai retrouvé les débris, et enlouré d’une petite ville distincte d'Azot. Azot, en effet, Jebneh, Ascalon et Gaza, avaient chacune un port et un établissement maritime qui 17 * — 984 — formaient autant de villes à part. Avant d'arriver à Es doud , J avais revu les ruines de l’ancien Maïumas-lebneh, ruines presque entiè- . rement ensevelies sous le sable, comme celles que j’ai retrouvées à Minet-Esdoud. 18° Kharbet-Berdara &,js,, ä,2%. Restes d’un petit village détruit. 19° KharbetRemilta &xkke, à,=. Id. 20° KharbetDjeladyeh ä:54 à. Restes d’une puissante él autres Dec moins considérables alentour. ° ElKhimeh kg? Ÿ. Village non mentionné jusqu'ici. Près du mr quelques pierres antiques. 22° Denebbeh äxs. Id. 23° Kharbetel-Mensyeh mali à. Restes d’un village an- tique. 24° Kharbet-Scheick-Sidi-Daoud 5,5 x Aù XL. Restes d'un village antique, près de la koubba d’un santon ainsi appelé. 25° Kharbet-Baten et-Touileh Xi (ls &,&. Débris d’un ancien village. 26° Kharbet es-Samera j-aull &,5S. Ruines assez étendues, mais très-confuses. 27° Kharbet és-Safÿeh Xxslo)i äs,2. Ces ruines sont voisines, mais distinctes de Tell es-Safyeh, qui, tout le monde le sait, est l'Alba-Specula, ou la Blanche - Garde des croisés, et peut-être, comme quelques voyageurs le prétendent, l’une des Mizpa de Fan- tiquité, celle que l'Onomasticon place au nord d’Eleutheropolis, sur la route de Jérusalem. 28° Deirel-Morhalles als 25. Hameau peu considérable, 29° Kharbet-Demdem pNrS =. Vestiges d'un ancien village. 30° Kharbet-Soufia &gÿsu à. 1d. 31° Kharbet el-Arak G,xll &;,S. |) Ruines qui avoisinent les 32° Kbarbet-Zaker $SS x, immenses cavernes de 39° Kharbet-Tenefsy jumiis y. | Deir-Doubban. 34° Kaukaba à KS. Village musulman qui a succédé à une localité antique. J’y ai trouvé phsienes fûts de colonnes en marbre blanc et en granit gris qui, m ’a-t-on dit, ontété déterrés dans l’en- droit. 39° Kharbet-Kamas (pl &),S, prononcé vulgairement Ga- * — 385 — mas. Ruines aujourd'hui peu considérables d’un bourg antique , d'où l’on a extrait des colonnes il y a une re d'années. 36° KharbetOumm ech-Choukaf Cañsl Li &,. Ruines d’un village antique, à huit kilomètres au sud d’Ascalon, le long du rivage. 37° Kharbet-Amaris pms,li &,5. Restes d'un village heu: un peu au sud du précédent, et, comme ce dernier, presque en- tièrement enseveli sous des monticules de sable. 38° Kharbet-Scheiïk - Haoued 5,5 A y. Traces de quel- ques constructions anciennes, auprès de l’oualy d’un santon ainsi appelé, à deux kilomètres au nord d’Ascalon. 39° Ed-Deir y», Village de trois cent cinquante habitants, non mentionné jusqu'ici sur la route d’Ascalon à Gaza. Près du puits, plusieurs füts de colonnes antiques en marbre gris blanc. 40° Kharbet es-Sour sw) X,,3..Ruines d’une ville maritime, à quatre kilomètres environ au sud-ouest de Gaza; traces d’un mur antique le long de la plage; nombreux débris de poterie, et quelques vestiges d'anciennes constructions renversées ou ense- velies sous des dunes de sable. Je suis porté à identifier cette lo- calité avec l’ancienne Anthedon, ville sur laquelle l’Académie avait attiré mon attention, et dont le nom a complétement disparu. Quelques voyageurs l'ont placée à Tell el-Adjul; mais sur cette col- line je n'ai trouvé que des débris fort insignifiants, tandis qu'ils sont plus considérables à Kharbet es-Sour, dont l'éloignement de Gaza est d'environ cinquante minutes, ce qui répond à la dis- tance de vingt stades donnée par Sozomène. (Hist. eccl. V, 1x.) 41° Kharbet-Scheik-Hassan {Lu Zi =. Vestiges d’une petite ville maritime détruite ou ensevelie sous le sable. Peut-être faut-il y reconnaître le Maïumas-Gazæ, ou établissement maritime de Gaza. 42° KharbetDmeti çG+s à... Restes d'un ancien village com- plétement détruit au milieu de champs cultivés, à dix-huit cents mètres à l’est de Deir el-Belah, le Daron très-vraisemblablement de l’'Onomasticon, et le Darum des historiens des croisades. 43° Djebaleh AU. Grand village entouré de jardins très- fertiles, à quatre kilomètres au nord de Gaza; neuf cents habitants; autour du puits, sept tronçons de füls de colonnes antiques en marbre blanc. — 386 — 44° Beni-Seleh x ç.Villageassez important, composé de plu- sieurs hameaux qui se touchent presque les uns les autres, et dont la population totale est de treize cents habitants; quelques fragments de colonnes antiques dans deux maisons particulières. Ce village est situé sur une colline peu élevée, à vingt-cinq minutes au nord- est de Khan-lounés, petite ville que plusieurs voyageurs ou géo- graphes identifient, et, je le crois, très-justement, avec l'antique Tenysos. 45° Kharbet-Maan-lounès {pme (yes =. Ruines d'une pe- tite ville antique presque complétement effacée du sol, l'empla- cement qu'elle occupait étant depuis longtemps livré à la culture; elle était située à vingt minutes à l’est de Khan-lounès. Ce nom de Mann est évidemment hébraïque. Les deux mots arabe yles et hébreu yD sauf une très-légère différence, sont identiques. Mais il ne faut pas confondre celte Maan avec la ville du même nom qui est citée par la Bible, au sud d'Hébron, dans la montagne de Juda. Ouire ces diverses localités que je viens de citer à Votre Excel- lence, et qui n'avaient point été explorées avant moi, j'ai visité, sur la route de Jérusalem à El-Arisch, toutes celles qui étaient déjà connues, afin d’épuiser en quelque sorte l'étude de la vaste plaine des Philistins. Esdoud, Gaza et Ascalon ontété surtout, de ma part, l'objet d’un examen tout particulier; Ascalon étant l’une des ques- tious spéciales que l’Académie m'avait posées, j'ai campé exprès deux jours entiers au milieu de ses ruines solitaires, afin de pou- voir les étudier à loisir. | En me rendant de Gaza à El-Arisch, j'ai examiné celles de Refah, l’ancienne Raphia, autre question comprise dans mon programme. Ïl ne reste de cette ville, jadis importante et aujourd'hui entière- ment détruite ou ensevelie sous le sable, qu’un beau puits, par- faitement construit, qui alimente encore d’eau les caravanes et les Bédouins des environs et quelques colonnes en granit gris, soit de- bout, soit renversées. À El-Arisch, j'ai observé les ruines, ou plutôt l'emplacement de l'antique Rhinocoloura, à laquelle a succédé le village actuel. Dans l'intérieur du fort, j'ai trouvé un petit édicule égyptien orné sur trois faces d’hiéroglyphes assez bien conservés; nouvelle preuve que Rhinocoloura appartenait à l'Égypte, el que le Ouady =. it — el-Arisch est incontestablement le Sihor de la Bible (Josué, xur, 3), ou Fluvius Ægypti, qui formait autrefois comme maintenant la véritable limite naturelle de la Palestine vers le sud. IT. EXPLORATION DU DÉSERT DE BIR ES-SEBA. De retour à Gaza, le 3 juin, et avant de me rendre à Beit-Dji- brin, je formai le projet, malgré les chaleurs toujours croissantes de la saison, d'explorer en entier le désert de Bir es-Seba, où les Bédouins nr'avaient signalé l'existence de ruines nombreuses. Ne voulant pas laisser derrière moi ces ruines sans les avoir visitées, je traitai, devant le moutsellim de Gaza, avec l’un des principaux scheiks de la tribu des Hanadjereh, l’une des cinq tribus nomades quierrent dans ce désert. Il m'était impossible, en effet, de m’aven- turer, avec les deux seuls bachi-bouzouchs qui me servent habituel- lement d’escorte, dans ces vastes solitudes, où l'autorité des pachas est à peine reconnue. Conduit par ce scheick des Hanadjereh et par un autre de la iribu des Terabin, je parcourus pendant six jours consécutifs le territoire de ces deux tribus ainsi que celui des Hazazmeh et des Teiaah. Voici, Monsieur le Ministre, les noms des diverses ruines qui m'ont été montrées, ruines qui ne sont marquées sur aucune carte, et que je décrirai plus tard à Votre Excellence et à l’Aca- démie, avec des détails qui pourront jeter un jour nouveau sur - partie presque inconnue de la Palestine. * Kharbet-Oumm el-Hadjar LE : | ps. 2° Kharbet el-Bridje £y41 &ys. 3°" Kharbet-Atrhaaoui TL Xp. 4° Kharbet ez-Zettaouyeh DA y. 5° Kharbet el-Kharsa Lui à Xp. 6° Kharbet-Djedeydeh 8 y. 7° Kharbet-Sembea es y. 8° Kharbet-Djemma Le y. 9° Kharbet es-Slayeb cualall à,2. 10° Kharbet-Armilta Like | Xp. ° Kharbet-Chellal JA Rp. 12° Kharbet-Tell el-Fara 8, 5 DyS — 383 — 13° Kharbet-Khouyelieh kate &,s. 14° Kharbet-Ghalalat-Rached X&j, &YRS àÿ,s. 15° Kharbet-Martaba U5,o às,s. 16° Kharbet-Bradj es-Seba zamdl Zi, &ys. 17° Kharbet-Achkib Cuf&i &,s=. Cette ville, assez considé- rable, située sur les bords d'un oued du même nom, ne pourrait- elle pas être identifiée avec l'ancienne Akzib 353N, mentionnée dans le livre de Josué (xv, 44)? 18° KharbetOumm elBarrhout essai ei ps. 19° Kharbet-Abou-Arkik dus! ms) Lys. 20° Kharbet-Ftis (maïs ps. 21° Kharbet el-Mefarrada js,àtl y. -22° Djir et-Terrakat er ape) >4>. Grande caverne creusée dans le roc, qui m’a paru être une ancienne carrière. 23° Kharbet-Tel lech-Cheria La) À5 à. 24° Kharbet el-Heurk 5,x &,=, qu'on prononce Heurg. 25° Kharbet el-Baha LV à,,2.. 26° Kharbet-Sahan |,\&, à l'est; de Kharbet-Oumm el-Amdan (hell ei y, à l'est-sud-est; et Kharbet el-Koudeireh 8,5 ni by, également à l'estsud-est, à cinq kilomètres environ de Béthel. Cette dernière ruine est de beaucoup la plus importante. On y trouve, sur une — 393 — plate-forme rocheuse, quatre grands réservoirs et de nombreuses citernes, creusées dans le roc, qui doivent remonter à la plus grande antiquité, des tombeaux fort anciens, de vastes carrières et, dans une suite de jardins actuellement plantés de figuiers que cultivent les habitants d'un village voisin appelé Deir-Diouan BE pm; les vestiges de plusieurs grands édifices, de magni- fiques blocs épars çà et 1à, quelques fûts de colonnes mutilés, de petits cubes de imosaïque, etc. En un mot, El-Koudeireh a dû être jadis une cité considérable, et le village arabe de Deir-Diouan a été bâti avec des matériaux provenant de ses ruines. Faut-il donc, comme incline à le penser le savant Robinson, y recon- naître l'emplacement d’Aï? C'est là une question que je me pro- pose de traiter plus tard avec tous les développements qu'elle mérite. Pour le moment, j'aime mieux suspendre encore mon opinion, ayant besoin, pour l’asseoir d’une manière définitive, de consulter plusieurs ouvrages qui me manquent ici. De Béthel je me rendis à Djifneh, l’ancienne Gophna, dont J'explorai tous les environs, et de là à Taïbeh, village chrétien comme le précédent, et situé sur une montagne élevée, du som- met de laquelle le regard embrasse un immense horizon. Cette montagne est couronnée par les ruines d’une belle citadelle cons- truite avec de magnifiques blocs parfaitement appareillés, et la plupart taillés en bossage. Cette antique citadelle, dont une partie existe encore, est aujourd'hui environnée d'une enceinte plus étendue qui accuse, à mon avis, une époque postérieure et probablement byzantine, si même elle ne date pas seulement de l'époque des croisades, bien que les pierres des angles soient fort régulières et presque toutes relevées en bossage. Le bossage, en effet, n'est pas toujours un signe d’une haute antiquité : en Pales- tine, notamment, je me suis convaincu par l'étude d'une foule de monuments qu'il appartient pour ainsi dire à toutes les époques, et même à l'époque actuelle. Quoi qu il en soit, Taïbeh présente tous les caractères d’une ville aussi ancienne qu'importante. De nombreuses citernes creusées dans le roc, des fûts de colonnes brisés, engagés dans des constructions plus récentes, de gros blocs rectangulaires et d’une taille irréprochable dispersés çà et là ou encore en place : tout annonce que ce village a succédé à une lo- calité considérable fortifiée à la fois par la nature et par l'art, et qui, d’après Robinson, serait l'antique Ophra, la même que Écri- — 994 — ture semble désigner seulement sous les noms d’Ephraim, Ephrem ou Ephron. | De Taïbeh j'allais me diriger vers Silo et poursuivre, le plus méthodiquement qu’il m'eût été possible, l'exploration de la Sa- marie entière, lorsque j'appris que le district d'Hébron avait dé- posé les armes, grâce à l'énergie et à l'habileté déployées par le nouveau pacha de Jérusalem, qui s'était hâté de se transporter à Doura, le centre de l'insurrection, avec toutes les troupes dont il pouvait disposer. Je m'empressai alors de revenir sur mes pas, afin d'achever l'étude de la Judée avant de continuer celle de la Samarie. Cette dernière tournée, tout écourtée qu'elle a été (je vais la reprendre après-demain), a eu néanmoins pour résultats, outre l'examen des localités que j'ai signalées à Votre Excellence, et d’autres encore qui sont marquées dans les cartes, la décou- verte de dix-sept autres qui n’ont été signalées par personne, et dont voici les noms, en attendant que je puisse un jour en donner l'histoire et la description plus complète : 1° Kharbet el-Khous (my &:,S. Sur la pente sud-ouest de la montagne de Neby-Samuel. Ce sont les restes d’un hameau qui dépendait de la ville dont le sommet de cette montagne offre les débris, et que l’on regarde généralement comme étant la célèbre Mitzpa, bien que cette opinion ne soit peut-être pas à l'abri de toute critique. 2° Kharbet-Adasa Line ä,,s. Petit village ruiné sur une col- line, à vingt-cinq minutes au nord-est d'El-Djib, l'antique Gabaon. 3° Abou-Koch [5 #5. Hameau encore habité, sur une haute colline, à quatre kilomètres à l’ouest de Djifneh. 4° Kharbet-Deir-Saideh 8x;lw y»5 &ys. Village abandonné sur une montagne rocheuse. La plupart des conslructions renver- sées qu'on y remarque sont musulmanes; néanmoins quelques vieux pans de murs semblent appartenir à une époque plus ancienne. ; 5° Abou-Achridem , au) #). Sur une montagne rocheuse dont les flancs sont cultivés, petit village réduit à une soixantaine | d'habitants. J'y ai observé un réservoir antique et quelques ves- tiges d'anciennes constructions. 6° Kharbet ed-Douar j,N)) x. Restes d’un poste de défense renfermié dans une enceinte plus étendue, sur un plateau élevé, au nord-est du village bien connu de Koubar. ET 7° Kefr-Echoua six) ris. Village de mille cinq cents habi- tants, peu éloigné de la ruine précédente. - 8° Kharbet-Bourham play à. Petit village de cinquante habitants; quelques ruines de l’époque byzantine, un tombeau antique creusé dans le roc, à deux kilomètres à l’est de Koubar. 9° Kharbet-Deir el-Akbal JUS) 5 ss, à l'est-sud-est de Kharbet-Bourham. Source sortant d’un rocher par un canal an- tique; plusieurs constructions renversées, qui sont regardées par les Arabes comme celles d’ün ancien couvent. 10° Doura },,5. Village de deux cent cinquante habitants, à l'est-sud-est de Djifneh; deux sources recueillies dans de petits réservoirs antiques; plusieurs maisons construites, en partie du moins, avec de belles pierres rectangulaires, dont quelques-unes taillées en bossage. 11° Kharbet-Kefr-Ana Li DAS yes. Ruines d’un village, sur une montagne, à deux kilomètres du grand village d'Aïn-Sabroun. 12° Kharbet Oumm-Acchan-Aïn-Aroun (yo) es és ei y. Ruines peu importantes au sud du même village. 13° KharbetHalik ko ä,3. Restes d'un ancien village à l'est d’Ain-Sabroun. . 14° Kharbetel-Mokater ;1K1) &ys. Petit village renversé de fond en comble, non loin de Tell-Hadjar. Ce village possédait une belle église byzantine à trois absides et trois nefs, la nef centrale étant soutenue par trois colonnes, dont les füts, mutilés, gisent encore à terre. 15° Kharbet-Abou ‘1-Chekof LiñäJ} 1 ÿ) >, amas confus de pierres, les unes régulièrement taillées, Îles autres presque brutes, et la plupart de grandes dimensions; elles appartiennent à un ancien village détruit. 16° Kharbet el-Khardjeh ki Xp à l'est-sud-est de Djeba ; restes sur une colline d’un village antique; citernes et souterrains creusés dans le roc. 6 | 17° Kharbet-Tell-Farah $\,s JS &,=, à quatre kilomètres au sud-est de la ruine précédente. Vestiges sur une colline d’un vil- lage et d’un poste militaire destiné à défendre un défilé important formé par la réunion de deux ravins très-profonds, l'oued Farah et l’oued Souenit, qui, à partir de ce point, se dirigent ensemble vers la mer Morte, resserrés dans le même lit entre deux mu- — 396 — railles gigantesques de rochers. Plusieurs grottes taillées dans Îles parois de ces rochers. Elles paraissent avoir été habitées par des moines à l’époque chrétienne. Traces d’un ancien aqueduc ame- nant jadis au Kharbet-Farah les eaux d’une source très-abondante appelée Ain-Farah. IE. De retour à Jérusalem, je me remis'immédiatement en marche pour explorer la partie de la Judée que je n'avais point encore visitée, Cette longue tournée, que j'ai poussée jusqu'aux dernières limites méridionales de la Palestine, en marchant en moyenne sept ou huit heures par jour, et quelquefois bien davantage, pen- dant trois semaines consécutives, m'a permis de visiter non-seu- lement toutes les localités déjà reconnues avant moi, mais encore d'en reconnaître un très-grand nombre d’autres qu'aucun Euro- péen, que je sache, n'avait jusqu'ici explorées. | Pour arriver à ce résultat, j'ai gravi tour à tour presque toutes les montagnes qui formaient le massif de la haute J udée, sûr que j'étais de trouver sur chacune de ces montagnes ou le long de leurs pentes des ruines de bourgs et de villages détruits. La Judée, en effet, était autrefois extraordinairement peuplée et admirable- ment cultivée. J'ai trouvé partout, même sur les montagnes les plus sauvages et les plus abruptes, qui attristent maintenant le regard par leur affreuse nudité ou qui sont hérissées d’épaisses broussailles, les traces non équivoques du travail et du séjour de l'homme, lequel avait su transformer en jardins fertiles, plantés de vignes, de figuiers et d'oliviers, les flancs rocheux des monts dont il occupait d’ordinaire le sommet. Des ruines de différentes époques, chananéennes, judaïques, romaines, byzantines, musulmanes, ont de tous côtés attiré mes regards. Il m'est absolument impossible, Monsieur le Ministre, de les décrire ici, même brièvement, à Votre Excellence, et je vais me borner aujourd'hui, devant repartir après-demain pour la Sa- marie, à vous donner la liste des seules localités que j'ai décou- vertes. Plusieurs d’entre elles sont fort importantes, et ont été Jadis des villes considérables, bâties en belles pierres de taille à bossage ou complétement aplanies. Ces villes, du reste, paraissent toutes avoir été construites presque sur le même plan. Ce qui les — 397 — caractérise principalement, c'est le nombre incroyable d’excava- tions en tout genre qu'on y rencontre. Le peuple qui les avait fondées avait une habileté singulière pour creuser le roc et y pra- tiquer des citernes, des appartements souterrains, des magasins à blé ou à orge, des pressoirs, des grottes, quelquefois des cavernes immenses, et, en particulier, des tombeaux. Ces excavations, qui doivent remonter à la plus haute antiquité, sont à la fois les par- ties les plus anciennes et les mieux conservées des ruines de ces vieilles cités, dont l’origine se perd dans la nuit des temps histo- riques, car plusieurs d’entre elles sont mentionnées dans l'Écri- ture comme existant déjà à l'époque de l'entrée des Hébreux dans la terre promise. En foulant, la Bible à la main, leurs débris solitaires, on ne peut se défendre d'une émotion profonde quand on songe que chacun des pas que l'on fait pour les interroger soulève la pous- sière de tant de siècles évanouis. Le passé semble alors revivre devant vous, et l'imagination, fécondée par l’histoire, peuple de souvenirs ces ruines abandonnées. J’essayerai un jour en les dé- crivant de rattacher à leurs noms lous les principaux faits que ces noms rappellent. Pour le moment, Monsieur le Ministre, que Votre Excellence daigne m'excuser si, dans le désir où je suis de recueillir, avant de revenir en France, la plus grande quantité de notes qu'il me sera possible, en consacrant tout mon temps à des explorations incessantes, je me contente, en finissant ce rapport, de vous transmettre la liste des localités que je crois avoir le premier visitées. Ces localités, dans cette dernière tour- née, atteignent le chiffre de quatre-vingt-un. Les voici : 1° Kharbet-Oumm-Atlaà gX5) el y. 2° Kharbet-Ras-Oued el-Araiïs |fl,xl sis wa Kyæ. 3° Borj-Houmar ,ws=— ar 4° Kharbet-Djindjes msi àys. 5° Kharbet-Mountar Lise 5. 6° Kharbet-Scheik-Saëd xx . 12° Kharbet-Koualeh ET Roy - 13° Kharbet-Rhoueïn el-Gharbieh Xg,all né à. 14° Kharbet-Rhoueïn ech-Charkieh &45,&9i { BL TS Ces deux dernières ruines sont très-importantes. Assez voisines l'une de l’autre, elles se distinguent seulement par l’épithète, la première d’occidentale kw rx) , la seconde d’orientale CPS IR Je les identifie, à cause de leurs noms et de leur proximité du Khar- bet-Attir, l'ancienne Jathir ou Ether, avec la ville d'Aroër, dont il est question dans le passage suivant du I° Livre des Rois, ch. xxx, v. 25, et qui in Jether ; x. 28 , et qui in Aroër. Le mot arabe Rhouein @w>ss est, en effet, sauf une légère modification dans la première lettre et le changement de la dernière en |,,à peu près semblable au mot hébreu 7?9Y. Or on sait que, dans la transcription des noms hébreux en noms arabes, ces deux modifications sont loin d'être rares. 15° Kharbet el-Kharaba Li, y. 16° Kharbet ed-Deir ,:NJ)) &,2.. 17° Kharbet-Deir el-Louz ,,N) ,»>5 à. 18° Kharbet-Aziz ,»,si ä,s. Ruines d'une grande et belle ville sur le plateau et les pentes d'une colline; vestiges de plusieurs édifices en magnifiques pierres de taille et ornés jadis de colonnes. 19° Kharbet el-Djouf God y. Emplacement reconnaissable d’une ancienne église byzantine dans un bourg détruit. 20° KharbetDeir-Rhaza lé 55 xs. 21° Kharbet el-Hedjireh ë 4 xs. 22° Kharbeter-Rahÿeh x à. 23° Kharbet ed-Dar NI) &,2. 24° Kharbetel-Harayeh x, A à. 25° Kharbet-Menaïn [parie &,2=. 26° Kharbet-Beit-Zeta Lis, eu à. 27° Kharbetel-Fradise pre Xp. 28° Kharbet el-Rhokh nl À y - 29° Kharbet-Aïn-Abou-Kelibeh XuX #1 (as y. 30° Kharbet ed-Deir ,}:NJf &,2. 31° Kharbetel-Aïn [jai à. 32° Sifla Mu. 33° Kbarbet el-Asad wi xs. = NS — 34° Djerach (1, 35° Kharbet-Aselin james 5,5. C'est là que j'ai trouvé le . tombeau de Samson, dans l'endroit même où la Bible le place, entre Saraa ct Esthaol. 36° Kharbet-Deir-Abou-Cabous jun #5) »35 à. 37° Kharbet-Sidi-Ibrahim a Di Gauu rs. 38° Kharbet-Hamadeh 85 x,2. 39° Kharbet-Abou ‘1-Cherof GA pi xs. 4o° Kharbet Abou-Chekadem pri mn) Lys. 41° Kharbéten-Nakoura |, x) &,s. 42° Kharbét-Klidia LaaX y. * 43° Kharbet-Kaïpha &US y. A4 Kharbet-Abdad ste y 45° Kharbet-Kania LUS ie. 46° Kharbet-Oumm el-Louz ;,N) ei y. 47° Kharbet-Rebba L, 2. sd d’une petite ville. Quel- ques édifices renversés offrent, dans leurs débris, de belles pierres de taille. Serait-ce l’Arebba, dont il est question dans le passage suivant du Livre de Josué, ch. xv, v. 60 : Cariathbaal, hæc est Ca- riathiarim, urbs sylvarum, et Arebba? 48 Kharbet-Aïd el-Mia xali aus à). 49° Khärbet-Ghrabeh x, à, 50° Kharbet-Beit-Alin ,çAÂs eus ps. 51° Kharbet edDeir y NI xs. 52° Kharbet-Kila MS à&,=. Ruines étendues sur une haute colline. Ce sont très-probablement celles de la ville de Ceila n7%p, mentionnée dans le Livre de Josué, ch. xvi, v. 44, saidiéiérient après celle de Nésib. Or les ruines de Nésib, retrouvées par Ro- binson, et que j'ai visitées après lui, sont situées seulement à vingt-cinq minutes de distance au sud-est de Kila. 53° KharbetDougas (KkK55 à, . 54° Kharbet-Hatta = y - Ruines très-considérables. 55° Kharbet-Andab GiXis à. 56° Kharbet-Louka K,J Lys. 57° Kharbet-Faräh Ls,b &;,S. Ruines étendues sur le plateau d'une montagne; au bas, source abondante découlant d'un canal antique. 58° Kharbet ed-Deir 5 NT xs. — 00 — 59° KharbetHabda ixus xs. 6o° Kharbet es-Serreh ë, wi) y. 61° Akoudel-Minieh Zali sis. 62° Kharbet-Kerza 5 à Roy. 63° KharbetDoumeh x45 &,=. Ce sont les restes de la ville de Douma ñn9%3, mentionnée dans le Livre de Josué (xv, 52). Cette ruine est, à la vérité, signalée par Robinson; mais ce savant voya- geur, trompé sans doute par de fausses indications, l’a placée dans sa carte très-loin de l’endroit qu'elle occupe réellement, erreur qui a été reproduite depuis par les cartes qui ont suivi la sienne. 64° Kharbet-Anab es-Serhir jaxalj &lis &,s. 65° Kharbet-Anab el-Kebir Af ls xs. Ces deux ruines, principalement la dernière, sont celles de deux. grandes et belles villes, dont le nom est identique à celui que nous lisons dans le Livre de Josué (xv, 50), Anab, en hébreu 22ÿ. Une de ces ruines a été mentionnée, mais non vue par Robin- son , qui, d'après les renseignements qui lui avaient été donnés par un cheik de village, renseignements ou inexacts ou mal com- pris, l’a placée, sur sa carte, à cinq ou six heures de marche du lieu où elle est réellement située. Cette erreur a depuis passé dans d'autres cartes. | 66° Kefr-Djour ,= vas. 67° Kharbet ed-Djoui cs y. | 68° Kharbet el-Bireh &8,xii &;,S. Plusieurs constructions en pierres de tailles; arasements d’une église byzantine. 69° Kharbet-Soumra |,4su à. 70° KharbetedDeir y A à, 71° Kharbet-Rabda Ji, à. 72° Kharbet-Raboud 5,31, &,<.. 73° Kharbet-Kerma Los y. 74° Kharbet-Bezem > DS. 79° KharbetDeir-Razeh 8h, ,:5 xp. 76° Kharbet-Terrama Lois ÂyS. 77° Kharbet-Aïn-Madjour ,=le (y4S y. 78° Kharbet-Aïn-Mahmoudieh 5,4 (yas &yS. 79° Kharbet-Louza ,,! às,s. 80° Kharbet-Askeh à@us 2. 81° Sourif Cis)pa. — OI — Telles sont, Monsieur le Ministre, les localités jusqu'ici inex- plorées que j'ai découvertes dans ma dernière tournée. Si j'ajoute à ce nombre les cent dix-huit dont mon premier Rapport contenait la liste, et les dix-sept que j'ai trouvées sur le territoire de l’an- cienne tribu de Benjamin et dans le district sud-est de la Samarie, jarrive au chiffre de deux cent seize localités, villes, bourgs ou villages antiques, la plupart réduites aujourd’hui à l’état de ruines solitaires, quelques-unes néanmoins habitées encore, qui ne se trouvaient jusqu'a présent mentionnées dans aucune carte. Je vais nr'efforcer actuellement de parcourir et d'explorer la Samarie avec le même soin que j'ai apporté à l'exploration de la Judée. Je pousserai mes recherches aussi loin et aussi longtemps que me le permettront et les ressources dont je puis disposer et les circonstances présentes. La Palestine, en effet, est agitée de- puis quelque temps, par suite de différentes causes, et notamment du recrutement militaire, que Fautorité tâche d'y opérer en ce moment. Or cette opération, à laquelle le pays est encore peu ha- bitué, rencontre de grandes difficultés dans beaucoup de villages. De nombreux réfractaires se sont réfugiés parmi les Bédouins, qu'ils excitent; quelques-uns même , privés de tout moyen de sub: sistance, paraissent s'être organisés en petites bandes pillardes et infestent les routes. Les conseils ne me manquent pas pour m'en- gager à ne pas quitter Jérusalem ; mais je regarde comme une question d'honneur et de devoir de poursuivre ma mission, et, plein de confiance dans la Providence, je vais me remettre en marche. Seulement je serai très-probablement obligé d'augmenter ma pelite escorte, et, partant, mes dépenses, ce qui me contrain- dra, à mon grand regret, d'abandonner la Palestine avant d’avoir achevé de remplir le programme que l’Académie m'avait tracé. J'ai à parcourir ici non pas principalement les grandes routes fréquen- tées par les caravanes, et souvent battues avant moi par d’autres voyageurs, mais les chemins déserts et les régions les moins con- nues, où je puis espérer de faire, pour ainsi dire, chaque jour des découvertes nouvelles. Un pareil voyage ne peut être accompli par un Européen, surtout quand il est seul, comme moi, et que les circonstances deviennent plus difficiles, sans une escorte suffisante. La plus forte partie de ma dépense est toute là. Je ne veux pas, Monsieur le Ministre, insister sur ce point. Très- reconnaissant de la somme que la bienveillance de M. le comte — 402 — Walewski, alors Ministre d'État, a remise entre mes mains, Jai tâché de la faire fructifier et de la rendre féconde en résultats scien- tifiques. Si Votre Excellence daigne également me seconder, je m'efforcerai de justifier de même votre confance, et de chercher à honorer de mon mieux, pour ma faible part, le corps universi- taire, auquel j'appartiens depuis vingt-trois ans, ct dont vous êtes actuellement le glorieux patron. Jai l'honneur d’être, etc. TROISIÈME RAPPORT. Jérusalem, 28 novembre 1 868. Monsieur le Ministre, De retour à Jérusalem depuis quelques jours, je m'empresse de remercier Votre Excellence du supplément de 3,000 francs qu'elle a bien voulu m'accorder pour que je puisse nee. mes recher- ches dans la partie de la Palestine que je n'ai pas encore explorée. Malheureusement il m'est impossible de pedtiieh immédiatement de cette allocation nouvelle; car, arrêté tout à coup à Nazareth, il y a plus de quarante jours, par une fièvre extrêmement forte, dont je ne suis point encore délivré, j'ai dû renoncer, à mon grand regret, à continuer mes voyages. Les conseils qui me sont donnés m’engagent à retourner en France, sous peine de ne pas retrouver d'ici à longtemps mes premières forces. Si‘donc, avant peu, je ne suis pas rétabli, je quitterai prochainement, non sans tristesse, da contrée célèbre dont je désirais avant de partir avoir achevé l’ex- ploration. Toutefois, Monsieur le Ministre, j'ai l'intention formelle d’y revenir dans quelques mois et de consacrer exclusivement à l’entière exécution, s’il est possible, du programme de lInstitut, la somme que vous avez daigné mettre à ma disposition; car, ayant épuisé le premier crédit qui m'avait été alloué , je prends sur mon compte les frais assez considérables d'aller et de retour, De cette manière je pourrai consacrer intégralement l’année prochaine , aux explorations qui me restent à entreprendre, les fonds nouveaux que Votre Excellence vient de m’accorder. Pour le moment, je vais essayer de résumer dans ce troisième Rapport celles que j'ai exécutées dans la Samarie et dans la Galilée. — 05 — L'agitation qui à régné dans ces deux provinces pendant près de trois mois, principalement le long des rives du Jourdain, dans toute la plaine d'Esdrelon et jusqu’auprès de Safed, m'a empêché d'étudier autant que je l'aurais voulu la partie orientale de la Samarie et le district sud-est de la Galilée. Je ne pouvais trouver à aucun prix de guide pour m’accompagner de ce côté, et j'aurais exposé en pure perle la vie de mes bachi-bouzouks et la mienne. Depuis trois semaines le calme est rétabli, et Îes Bédouins ont con- clu une paix provisoire avec l'autorité, Îles routes sont redevennes beaucoup plus sûres; mais mon indisposition rend pour moi inu- tiles ces heureuses circonstances. Si je reviens en Palestine, je tâcherai de combler ce vide et de comprendre dans mes investi- gations les points que je n'ai pu explorer. | Je diviserai ce Mémoire en deux parties : l’une, qui sera l’ana- lyse succincte des découvertes que je crois avoir faites le premier en Samarie; l’autre, qui résumera rapidement ma tournée en Galilée. PREMIÈRE PARTIE. SAMARIE. Il serait trop long, Monsieur le Ministre, d'indiquer, même sommairement à Votre Excellence toutes les villes, bourgs ou vil- lages, soit ruinés, soit encore debout, que j'ai visités jour par jour dans la Samarie , et je vais ici, comme dans mes deux pré- cédents Rapports, vous signaler celles de ces deux localités qui me paraissent avoir échappé j jusqu’à présent à à l'attention des autres voyageurs. En voici la liste, que je transmets à Votre Excellence ere l'ordre où je les ai découvertes à partir de Jérusalem. ° Kharbet-Sôma logs äs,=. Débris d'un bordj ou pente mili- taire à rat fe la route ; plusieurs citernes creusées dans le roc. | 2° Deir-Hazem ,5l= ,55. Traces d’un mur d'enceinte environ- nant un plateau longs aujourd’hui cultivé; plusieurs citernes creusées dans le roc. Tous les gros blocs de cette localité ont été transportés à Jérusalem. 3° Kharbet-Mikran |,j,$e &,s. Ce sont éiidemmentilesit ruines de l’ancienne Migron, dont il est question dans le premier livre des Rois (xiv, 2) et dans le passage d'Isaïe (x, 28), et dont la — 04 — situation, demeurée jusqu ici inconnue, avait été l’une des ques- tions que l’Académie m'avait posées. | 4° Kharbet-Hanouta ou Haouanin bris by. 5° Kharbet-Beit-Likia Li cu &,s. 6° Kharbet-Ras et-Taouil Jul) ul) y. Colline élevée, couronnée de quelques ruines, au nord-nord-ouest de Tell el- Foul. 7° Kharbet et Tireh e) à}, à louest-nord-ouest de Ram- Allah. Débris d’une localité importante sur un plateau divisé en nombreux compartiments cultivés par de petits murs de sépara- tion, dans la construction desquels on remarque beaucoup de blocs antiques. Néanmoins la plus grande partie des matériaux de cette ancienne cité, et notamment une dizaine de colonnes, ont été transportés à Ram-Allah, qui a été bâti avec ces débris. Dans l'un de ces jardins, j'ai retrouvé les restes d’une église bysantine, dont l'abside principale, tournée vers l'Orient, est encore reconnais- sable. 8° KharbetRballet el-Adas [pe Xx)i ke y. Restes d’un ha- meau presque entièrement détruit dans des jardins cultivés. 9° Kharbet-Cheb es-Siar Aa! ar =, à l'ouest-nord-ouest de la ruine précédente. On y trouve un amas de gros blocs assez mal équarris sur la pente d'une montagne et une construclion carrée bâtie avec des blocs semblables et de plus grande dimen- sion encore. 10° Kharbet-Aïn-Kefria LS CS Had Restes d'un ancien khan fortifié construit avec de gros blocs, et datant probablement de l’époque des croisades. Une source abondante y est recueillie sous une construction voûtée, légèrement ogivale. 11° Kharbet-Abou-Maref Ge wi X,5=. Ce sont les restes d'un hameau détruit. | 12° Aïn-Kenia Lis «xs. Petit village de deux cent cinquante habitants, qui n’est indiqué dans aucune carte. Il domine un oued dont le lit est bordé de magnifiques touffes d'agnus-castus et d'un arbre qui s'appelle en arabe deleb. L 13° Plus loin, dans la direction du nord-ouest, après une montée très-âpre, j'atteins un village renfermant trois cent cin- quante habitants; on l'appelle Deir-Bzia xx5> »23. A Djania, sillage connu, je remarque que la mosquée était — 105 — autrefois une église chrétienne ornée de colonnes; plusieurs ci- ternes antiques et de nombreuses pierres, régulièrement engagées dans des constructions grossières, attirent mon attention. 14° Kharbet-Aïn-Aïoub si «ss &,&. Une source antique ÿ est recueillie sous une voûte d'apparence musulmane; les restes d’un petit village détruit l’environnent. On y trouve les arase- ments de plusieurs enceintes bâties en gros blocs irrégulièrement taillés. 15° Deir-Ammar ,L£i ,;5. Village sur une haute montagne; il renferme trois cents habitants; quelques pierres antiques sont engagées dans des constructions musulmanes. 16° Kharbet-Deir-Ammar ,L£) ,:5 &>,&. Ruines d’un bourg détruit sur une montagne; restes de plusieurs constructions en gros blocs; nombreuses citernes creusées dans le roc, à moitié com- blées. 17° Kharbata LL. Village sur une montagne, qu'il faut dis- tinguer d’une autre Kharbata située plus au sud. Il renferme deux cent cinquante habitants. L'un d’entre eux me montre l'emplace- ment d’une église chrétienne, aujourd'hui renversée. 18% KharbetHallabeh à y, situé au nord de Beit- Aour-Tahta {ou Bethoron inférieure), restes assez considérables d’une petite ville aujourd’hui hérissée de broussailles. 19° Kharbetel-Haourieh à ,,4 à;,5. Nombreux puits antiques creusés dans le roc; amas de gros blocs jonchant le sol, sur une colline élevée. 20° Kharbet-Chelta AK äs,=. Puits et citernes antiques. 21° El-Mediah &; Xi). Petit village de deux cent cinquante habitants, sur une colline. 22° KharbetZakarieh à); y. Ruines assez considérables; citernes antiques. 23° Kharbet-Nedjmet-Miriam ph—e àÆ y. Il offre les ruines d’un village complétement détruit, dont l'emplacement esl entière- ment livré à la culture; quelques gros blocs y jonchent encore çà et là le sol. J’y remarque un pressoir à vin évidemment antique, à deux compartiments et creusé dans le roc. Ce village, comme son nom l'indique, Etoile-de-Marie, était encore habité à l’époque chré- tienne. 24° Kharbet-Abou-Ismail jleçwl 9) >, dans une vallée, cinq MISS. SCIENT. 27 — 06 — ou'six citernes ; restes d'une grande construction en gros blocsnon cimentés, d'apparence antique. 25° Djerdah ës;=. Ruines très-étendues d’une ville considé- rable. Nombreuses enceintes de maisons et d’édifices aux trois quarts renversés, construits avec de gros blocs non cimentés.et rongés par le temps. Les rues de cette ville, qui me paraît remonter à une haute antiquité, sont encore reconnaissables; plus de cent citernes s’y voient encore; la plupart sont recouvertes de gros blocs ronds et creusés qui en ferment l'orifice avec la pierre engagée dans ce même orifice. Cette méthode de fermer les puits et les citernes est la plus antique de toutes, comme le prouvent plusieurs passages de la Bible. 26° Nanil Àus. Bourg de quinze cents habitants, sur une montagne dont les pentes sont bien cultivées; quelques pierres antiques apparaissent en plusieurs maisons. ‘ 27° Kharbetel-Akabeh xaKx)] 2, sur une colline; ilest d’une faible importance. 28° Kharbet-Zebda as, &,s=. Ruines plus considérables , citernes creusées dans le roc, gros blocs jonchant le sol. 29° KharbetHarmouch (se, X,%. Restes d’un. hameau détruit. 30° Kharbet-Ras-Abou-lacoub 4x; ») A T &yæ, Sur une colline plantée d’oliviers; quelques citernes creusées dans le roc; un petit birket ; amas de petits matériaux et de débris de poterie épars sur le sol. | 31° Kharbet-Dasera 8,ws à. Il est plus important que le précédent; citernes nombreuses; restes de plusieurs grandes cons- tructions en gros blocs. 32° Farroukia LS à , hameau de quarante habitants près du Nabr el-Aoudjeh, l’un des plus considérables de la Palestine. 33° Kharbet el-Blakieh àS M) &,s , ruines aujourd'hui très- indistincles d’un ancien village situé près de la mer. Le rivage décrit dans cet endroit une petite anse naturelle où les bâtiments viennent actuellement encore mouiller pour faire des charge- ments de paslèques, à une heure d'Arsouf, lantiijue Apollonia. 34° KharbetKabouta L,K à, , autre village ruiné surle bord de la mer, au nord du précédent. 35° Kharbet el-Harrabeh àsl,;gll &,s. Vestiges d'un village à — 07 — détruit non loin du grand étang connu sous le nom de Basset el- Falekh. Une grande forêt de chênes de cette espèce que les Arabes appellent chettoul ou ballout s'étend autour de cette ruine. J'ai traversé celte forêt tout entière : il en est question plus d’une fois à l'époque des croisades sous le nom de forét d’Arsouf. Les arbres en sont soit clair-semés, et alors généralement beaux et d’assez grande dimension, soit pressés les uns contre les autres, et ne s'élevant guère au delà de hautes broussailles. 36° Kharbet-Akhreich és,=) à;,=. Restes d'un bourg détruit. Assez grand nombre de citernes creusées dans le roc; plusieurs birkets ; amas de blocs de diverses dimensions; débris de maisons renversées. ; 37° Kefr-Berah 8, À , sur une colline, village musulman abandonné depuis trente ans; il avait été construit en partie avec des pierres antiques. Sur le seuil d’une petite mosquée, encore debout, git renversée à terre une colonne cannelée et torse en marbre blanc. Une dizaine de citernes antiques se distinguent au milieu des ruines. 38° Kharbet-Oummet-Tineh xaaxJ! el y. Amas de pierres, la plupart considérables et assez bien taillées; sur une colline, plu- sieurs citernes creusées dans le roc. 39° Kharbet-Oumm el-Keba fi pl =. Plusieurs enceintes en gros blocs, les uns à peine dégrossis, les autres bien équarris. Une douzaine de citernes creusées dans le roc. 4o° Sannirieh %yalw. Village sur une colline renfermant quatre cents habitants. 41° Deir es-Seman gyleaml »5, Deir el-Mir ,AÙ 5, Deir el- Kalah lei ,55, Deir el-Ballout es,JWi ,»5. Ces quatre ruines importantes, assez voisines les unes des autres, et situées sur des collines, sont, il est vrai, indiquées dans la carte de M. Van de Velde, auquel elles avaient été signalées de loin, mais je crois qu’elles n’ont encore été visitées par personne. Deir es-Seman consiste en une grande et magnifique construc- tion rectangulaire en blocs très-régulièrement taillés et la plupart relevés en bossage. Des pans tout entiers du mur d'enceinte existent encore; l'intérieur est divisée en plusieurs compartiments, mais d'époque plus récente. Plusieurs colonnes dispersées ont appartenu à une église remontant probablement aux premiers 27. <= 408 — "1 #0 siècles du christianisme, et aujourd’hui détruite, Près de là, plu- sieurs birkets, creusés dans le roc, communiquent les un$ avec les autres; l’un de ces réservoirs, de forme circulaire, est peu profond, et paraît avoir servi de filtre à trois autres rectangulaires situés plus bas. Ce deir semble avoir été un couvent fortifié. Deir el-Mir offre des ruines moins remarquables; elles couvrent le sommet et les pentes d'une colline rocheuse; elles attestent à la fois une époque ancienne et des remaniements plus modernes : la grande construction, entre autres, qui couronne la cale paraît manie He $ Deir el-Kalah est sans contredit Lt des ruines les plus inté ressantes de la Samarie. Ce sont les restes d’un vaste couvent fortifié construit sur le plateau d’une montagne escarpée et diffi- cilement accessible, si ce n'est d’un côté. Il a été bâti avec de grandes pierres très-régulièrement taillées, et, pour la plupart, relevées en bossage. Il renfermait dans son enceinte, dont la plus grande partie existe encore, une église, plusieurs belles salles, un chà- teau, un pavillon et plusieurs birkets, le tout en blocs du même appareil, c’est-à-dire gigantesques , ce qui ferait croire au premier abord qu’on a devant les AE les restes d’un antique palais judaïque, n’était l'église dont j'ai parlé, laquelle s'adapte si par- faitement avec tout À reste qu'il me paraît impossible de croire qu’elle ait été construite à une époque postérieure. Elle est tour- née vers l’orient et n'a qu'une nef et une abside. Une assez grande part de celle-ci est intacte; elle était ornée intérieurement d’une corniche à la fois simple et élégante. L'église était jadis tout entière pavée en mosaïques; il n'en subsiste plus que quelques cubes épars çà et là. L’une des salles que j'ai signalées était divi- sée en deux compartiments par des arcades cintrées en magni- fiques pierres de taille et avait deux étages, l'étage pe étant éclairé par des fenêtres rectangulaires. Ce que j'appelle le Stsai était divisé également en deux étages : le premier consistant en chambres voûtées cintrées, de second éclairé par des fenêtres rectangulaires ; le toit n'existe plus. La plupart des blocs de cette dernière construction sont réelle- ment énormes. .. Au-dessus de Kasr est un birket de quarante et un pas de iong sur douze de large, en partie creusé dans le roc, en partie bâti avec de gros blocs relevés extérieurement en bossage et revêtu — 409 — autrefois à lintérieur d'un ciment puissant. Ce réservoir com- munique par un canal avec deux autres birkets de dimensions plus petites et presque entièrement creusés dans le roc. Plus bas est un quatrième birket en partie creusé dans le roc et en partie construit. Près de ce dernier réservoir je remarque un chapiteau tressé en forme de corbeille, el qui doit avoir appartenu à l’église, dont l’intérieur était orné de colonnes. J’attribue toutes ces belles constructions aux premiers temps de l’époque byzantine. La taille des pierres en bossage se retrouve en effet en Palestine à toutes les époques, à partir des plus reculées jusqu’au temps actuel. Deir el-Ballout n'a pas été seulement un couvent, mais aussi une ville. Elle avait été construite, généralement du moins, avec d'assez gros blocs, et paraît remonter, sauf les restes aujourd’hui peu distincts de l’église, à une époque antique. Depuis quelques années, une centaine de musulmans sont venus habiter ces ruines. 42° Kefr-Incha EURE Village ruiné, dont plusieurs cons- tructions sont musulmanes; d’autres, au contraire , et notamment de nombreuses citernes creusées dans le roc, remontent à une plus haute antiquité. 43° Mokatta-Aboud 541 zx5K&e. Ce n'est point là un village, mais une immense carrière voisine d'Aboud, taillée dans les flancs d'une montagne. J’y ai remarqué de nombreux tombeaux creusés dans le roc et de formes différentes. Je les décrirai plus loin. 44° Kbour-Tibneh xiuss 545. Ces tombeaux, qui se trouvent au sud de Tibneh, l’ancienne Thamnath-Sara, dans la montagne d'Éphraim, donnée à Josué (Josué, ch. xix, v. 50),se trouvent sur les flancs septentrionaux d’une montagne qui doit être évidem- ment le mont Gaas, dont il est question au chapitre xxiv du même livre de Josué, v. 30. Ces tombeaux, que j'ai visités l’un après l'autre, sont taillés dans le roc, et ont appartenu sans aucun doute à la ville voisine, dont Tibneh n'offre plus que les ruines tout en conservant le nom presque intact. Le plus remarquable de tous se compose d'un vestibule oblong soutenu par quatre piliers, deux à demi engagés dans l'épaisseur du roc, les deux autres au centre, détachés; ils sont sans chapiteaux et surmontés seulement de quelques moulures très-simples. Le frontispice du monument est très-mutilé; les paroïs du vestibule sont percées de deux cent quatre-vingt-huit petites niches, soit rectangulaires, soit triangu- — 110 — laires, soit principalement cintrées : elles sont sur huit rangées et ressemblent aux trous des pigeonniers. Une porte très-basse fait communiquer ce veslibule avec une grande chambre sépulcrale renfermant quinze fours à cercueil cintrés ; au centre, une exca- vation rectangulaire en forme d'auge devait autrefois contenir un sarcophage. Là probablement était la tombe de Josué, qui, d’après la Bible, avait été enterré à Thamnath-Sara. Les fours à cercueil étaient destinés à plusieurs membres de sa famille, tandis que lui-même aurait été enseveli dans l'excavation centrale. Ce qui me porte à attribuer à ce monument célebre la desti- nation que je lui donne, c’est d'abord qu'il est le plus remar- quable de tous ceux que j'ai pu examiner dans la nécropole de Tibneh; c’est ensuite le nombre extraordinaire de petites niches pratiquées dans le vestibule, et destinées probablement à recevoir des lampes sépulcrales qu'on y venait allumer de toutes parts, à l'époque anniversaire de la mort de ce grand homme, pour ho- norer sa mémoire. 45° Kharbet-Ablata Xi à;,=. On y remarque les arase- ments de quelques constructions antiques et un petit birket. 46° Kharbet el-Kelah a &=. Sur les pentes d'une mon- one restes d'un village détruit. 47° Kharbet ed-Doueir 25 %ii &,. Sur une colline, deu assez considérable renversé de fond en comble. 48° Kefr-Ain 4ss AS. Village sur une colline, habité par deux cents habitants. 49° Kefr-Tout 65,5 AS: Restes d’un bourg sur une montagne; ils appartiennent à diverses époques. : 50° Kharbet-Dakleh àäXs &,s=. Débris d'un village assez étendu et remontant probablement à une époque fort ancienne, sur les pentes d’une montagne. L'eau d’une fontaine abondante y est recueillie dans un petit réservoir creusé dans le roc. 51° Kharbet-Aliata blghs à, . Ruines d’une ville située sur une montagne; elles en couvrent principalement le sommet et les pentes orientales. Des citernes nombreuses, quelques tombeaux creusés dans le roc, les arasements d’un grand nombre de mai- sons renversées el de plusieurs édifices publics s'y distinguent au milieu d'un amas confus de divers matériaux de toutes dimen- sions et notamment de gros blocs, les uns bien équarris, les autres irrégulièrement taillés. — All — 52° Kharbet-Rhater À à&,%. Ce sont des ruines peu impor- tantes sur une montagne. 53° Kharbet-Kemounieh ETES =. Quelques amas de débris dans une vallée qui porte le même nom. 54° Tasouf Gewb. Village assez étendu, dont le tiers seul est aujourd'hui habité. Les enceintes de nombreuses maisons en pierres de taille plus ou moins bien taillées, et qui doivent être en partie antiques, y sout encore debout ou en partie renversées. Dans les flancs d’une colline voisine je remarque quinze excava- tions sépulcrales. 59° Merda js,+. Dans une vallée, village de quatre cents ha- bitants. 56° Kharbet-Ataroud 5,,bls &,=. Sur une montagne assez élevée, restes d’une localité antique. 97° Kharbet-Makna et-Tahta et Khirbet-Makna el-Foka x,,s= XAU) US ss AU Lis. Ruines de deux villages du même nom situés non Join l’un de l’autre : le premier, dans une plaine, le second sur une montagne, el désignés pour cette raison sous la dénomination de Makna inférieure et de Makna supérieure. 58° Kharbet-Kebar ,4s X,s. Restes d'un bourg fortifié sur une assez haute colline, dont il occupait le sommet et les pentes. On y trouve les débris de constructions de diverses époques boule- versées de fond en comble; on y distingue particulièrement les arasements de deux murs d'enceinte en blocs presque bruts et de trèsgrandes dimensions. L'un de ces murs environnait Îa plate- forme de la colline, et le second sa partie inférieure. Le village était ainsi divisé en deux quartiers, dont l’un était comme l’acro- pole de l’autre. | 59° Kharbet-Djafa Ll= x,,=. Restes d'un village sur une col- line aujourd’hui en partie cultivée. 60° Kharbet-Beit-Taroub ©, 54 ca &,%. Village détruit sur une colline actuellement couverte de vergers. 61° Kharbet clBathen (çLUli &,s. Sur une haute colline, dont les pentes sont bien cultivées, restes confus d’un village presque effacé du sol. 62° Zbouba L,s;. Village sur une colline oblongue, d'environ deux cent cinquante habitants. 63° Kharbet el-Biar ;Uaj} xs, , peu important. — MIE — 64° Kharbet el-Leptemat esLelzah) Nr Village détruit, sur les bords d’un oued appelé El-Arais. 65° Zemmarin D. Village peu important, sur une colline. 66° Kharbet-Tabbalin LK}UL à >=. Village entièrement ruiné. 67° Oumm et-Tout es,xl +. Petit village dans une vallée. Les vingt maisons au plus dont il est composé sont très-grossièrement construites; dans quelques-unes, j'observe des pierres antiques. Le mihrab d'un oualy est entièrement construit avec des matériaux antiques. 68° Kefaia LLAS. Village d'environ deux cent Re habi- tants sur le haut d’une montagne rocheuse. 69° Oumm el-Alak Ai 45. Petit village sur une colline. 70° Faraoun (,,5)$. Village de quatre cents habitants sur une colline oblongue. 71° Ertah eb. Sur une colline rocheuse; village de quatre cents habitants. 72° Kharbet-Staba Liu) mt Restes d'un village antique sur une colline rocheuse; trois maisons encore habitées. 73° Kharbet-Zahran (,j,=, x;,=. Restes sur une montagne d’un petit village détruit. 74° Kharbet-Kefr-Lebed XaNi rie. Rp. Ruines considérables. et d’un grand intérêt sur un plateau. Les débris de plusieurs mo- numents en belles pierres de taille, superposées sans ciment les unes sur les autres, y ont longtemps captivé mon attention. 75° Belah \xb. Sur une montagne, bourg assez important. 76° Kharbet ed-Dalieh x Ni 2. Sur une montagne, amas de nombreuses maisons renversées; un bord). en gros blocs non équarris en occupe encore le point culminant. Plus bas est un birket taillé dans le roc. 77° Kousin çasS. Sur une montagne, village de quatre cents habitants. 78° Kharbet-Deir-Selloum ph > Xi. Village sorte depuis une cinquantaine des Il se compose d'environ trente maisons à voûtes ogivales. 79° Oumm el-Meten ç&i pi. Village de cinq cents habitants. 80° Et-Tell jf. Village de neuf cents habitants, sur une col- line; 1l est assez bien construit. — LI5 — _81° El-Arak (ÿi,xll. Hameau d'une vingtaine de maisons, perché comme un nid d’aigle sur une montagne presque inac- cessible. 82° Kharbet-Bordj-Berdaouil Jsisys pr >: Restes d'une très-orande forteresse de l'époque des croisades probablement, et couronnant le plateau d'une très-haute montagne. Les indigènes, comme le nom de Berdaouil l'indique, l’attribuent au roi franc Beaudouin. 83° Soummeil Aer Petit village sur une colline. Telles sont, Monsieur le Ministre, les quatre-vingt-trois localités, soit détruites, soit encore habitées, que je crois avoir le premier découvertes, en sillonnant presque en tous sens la grande plaine qui de Jaffa s'étend jusqu’au mont Carmel, toute la partie mon- tagneuse et centrale de la Samarie, et une partie même du dis- trict oriental de cette contrée. Mais, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, j'ai trouvé là, à cause du soulèvement des tribus bédouines riveraines du Jourdain, des obstacles insurmontables, obstacles qui maintenant se sont aplanis, sans que je puisse, vu ‘état de ma santé, profiter de cette heureuse circonstance. Le long de la côte de la Méditerranée, j'ai étudié avec un soin plus spécial les ruines d’Arsouf, l'antique Apollonia, celles de Césarée, de Dora et d’Atlit, dont l'examen m'avait été recom- mandé par l'Institut. : À Césarée, entre autres, en dehors de l’enceinte des Croisades, j'ai découvert un vaste hippodrome, avec un obélisque renversé, en syénite rose, et deux bornes, également en syénite, autour desquelles devaient tourner les chars. Outre l’aqueduc déjà si- gnalé par plusieurs voyageurs et qui amenait à la ville les eaux du Nahr-Zerka, l’ancien fleuve des Crocodiles, et qui en contient encore, comme me l'ont affirmé les gens du pays, j'en ai retrouvé un second au milieu d’épaisses broussailles, lequel alimentait également la ville par des eaux apportées de beaucoup plus loin, et dont j'ai reconnu les diverses sources à Miamas et à Soubbarin. La plupart de ceux qui ont exploré les ruines de Césarée se sont bornés, en général, à étudier celles qui sont comprises dans l'en- ceinte des croisades; mais la ville antique débordait beaucoup autour du périmètre de ces remparts, et c'est au milieu de plaines hérissées de chardons et de broussailles qu’il faut chercher plu- ss RS = sicurs des monuments signalés par Josèphe. Ces édifices sont tous renversés, et la plupart des blocs avec lesquels ils avaient été construits ont été transportés ailleurs. Néanmoins on rencontre cà et là des füts de colonnes brisées, soit en marbre, soit en gra- nit. Les constructions du moyen àge ont subi et subissent encore des ravages incessants, car Césarée est comme une carrière que l'on exploite continuellement pour en extraire et en exporter des matériaux de construction. La cathédrale toutefois, bien que bou- leversée de fond en comble, a conservé toutes les assises inférieu- res de ses trois absides et des quatre contre-forts qui soutenaient sa façade. J'ai reconnu dans les ruines du château qui, vers le sud, défendait le port, quelques parties bien antérieures à l'époque des croisades, et remontant probablement à Hérode lui-même. Du magnifique aqueduc qui longeait le rivage on ne distingue plus que quelques arcades bâties en belles pierres de taille, le reste étant enseveli sous des dunes de sable. À Dora, des ruines d’une haute antiquité se mélent à celles des constructions du moyen âge. L'emplacement de cette antique cité phénicienne est également une mine d’où l’on a tiré et d’où l'on tire encore de belles pierres de taille et des fûts de colonnes, qui sont ensuite dispersés de tous côtés. C’est ainsi que, d'année en année, les vestiges de ces villes célèbres s'effacent de plus en plus. Les tombeaux seuls restent immuables, creusés qu'ils sont dans le roc. La nécropole de Dora s'étend à deux kilomètres à l’est de la ville, dans une longueur considérable, sur les flancs de collines rocheuses, exploitées jadis comme carrières. Je n’y ai trouvé au- cune inscription, bien que j'aie examiné un grand nombre de ces excavations sépulcrales. Atlit, le Castellum peregrinorum des croisés, et probablement la Magdiel de la Bible, offre dans ses ruines gigantesques les traces visibles de la plus haute antiquité, de l’époque des croisades et de quelques constructions plus modernes. La ville proprement dite a disparu presque tout entière, à l’exception des arasements de son enceinte; mais la forteresse, bâtie sur un promontoire qui jadis était une île, présente à l'admiration du voyageur d'énormes pans de murs encore intacts et construits en gros blocs taillés en bossage; des magasins immenses voûtés; plusieurs vastes salles, restes de l’ancien couvent des Templiers; l’enceinte, très-reconnais- sable, du port militaire; quelques belles colonnes ayant appartenu — 15 — à l'église renversée; malheureusement, les habitants qui ont élu domicile au milieu de ces magnifiques ruines s'acharnent avec une ardeur déplorable à les détruire de plus en plus, et je n’ai plus retrouvé certains édifices dont j'avais admiré les débris il y une dizaine d'années. C’est pour Saint-Jean-d’Acre principalement qu’ils débitent les belles pierres de taille diamantées, arrachées à leurs murs écroulés. Au cœur de la Samarie, j'ai visité à deux reprises la ville de Naplouse, l'antique Sichem, que j'ai parcourue en quelque sorte rue par rue, afin d'y retrouver tout ce que lantiquité ou le moyen âge y ont laissé de traces apparentes. Les monuments Judaïques ont tous disparu, sauf les canaux, assez bien conservés, de plusieurs fontaines abondantes, et un réservoir récemment découvert qu’on m'y a montré. De l’époque des croisades, il sub- siste plusieurs parties de constructions en belles pierres de taille, et notamment le portail mutilé de l’église de Saint-Jean-Chrysos- tome, dont les nefs ont subi des transformations déplorables pour constituer maintenant la principale mosquée de la ville. Celle-ci est ornée de colonnes de diverses sortes enlevées à cette église et provenant aussi d’autres monuments détruits. J'ai gravi et parcouru en tous sens le mont Garizim, la mon- tagne sacrée des Samaritains, dont les ruines ont été, il y a quel- ques années, décrites si fidèlement par M. de Saulcy. Ce savant archéologue, sur la foi de son guide samaritain et d'après ses propres conjectures, avait déjà identifié avec l'antique Louza les resles de la ville qui sont épars sur cette montagne, au bas de la grande enceinte fortifiée que les habitants appellent El-Kalah, et qui renferme les vestiges d’une grande église chrétienne tournée vers lorient, dont le plan singulier est encore reconnaissable, bien que cet édifice ait été presque entièrement détruit. Plusieurs musulmans de villages voisins m'ont confirmé la même tradition. Comme le Garizim est devenu pour les Samaritains leur mon- tagne sainte par excellence, ils y ont jadis placé leur temple et plusieurs des traditions qui se rattachent au mont Moriah. C’est ainsi qu’ils y montrent encore aujourd’hui l'endroit où Abraham devait immoler son fils. Le mont Hébal, beaucoup moins exploré, et dont linstitut m'avait recommandé l'ascension, a été de ma part l’objet d'une tournée spéciale, Sur ses flancs méridionaux j'ai rencontré plu- — hI6 — sieurs tombeaux antiques creusés dans le roc. Le long de ses pentes orientales j'ai découvert deux ruines appelées, l’une Khar- bet el-Akoud 5 4x) &>æ, l'autre Kharbet-Kefr-Kous SET | HS qui sont celles de deux villages détruits, dont les citernes seules paraissent antiques. Sur son point culminant, une ruine plus étendue, appelée Kharbet-Klesa VA) &s, est celle d’un grand village antique mal construit et bouleversé de fond en comble; les pierres avec lesquelles il a été bâti sur ce plateau rocheux avaient été à peine équarries. Au centre, on distingue les traces d’une enceinte mesurant trente-deux pas sur chaque face et qui a pu avoir une destination militaire. J'ai en vain cherché sur le sommet de cette montagne les traces ou l'emplacement de l'autel que, d’après les prescriptions de Moïse, Josué y avait élevé en pierres non polies, et sur lequel il avait immolé des victimes pacifiques, ainsi que les immenses blocs enduits de chaux sur lesquels il avait gravé les préceptes de la loi. La tradition de l'em- placement de ce monument sacré a complétement disparu dans le pays, et les Samaritains prétendent que c'est sur le mont-Ga- rizim que Josué a dressé cet autel. Ils montrent encore aujour- d'hui, près de l'endroit où ils continuent chaque année à immoler l'agneau pascal, douze gros blocs placés, disent-ils, là par Josué pour représenter les douze tribus. Non loin de Naplouse est le village de Sebastieh, reste misé- rable de l'antique ville de Samarie, qui fut pendant deux siècles la résidence des rois d'Israël, et embellie plus tard par Hérode l'Ascalonite. Ce prince lui donna alors le nom de Sébaste, en l'honneur d’Auguste, nom qu'elle conserve encore aujourd'hui. Son admirable position sur la fertile et belle montagne de Sowne- ron, les restes des magnifiques portiques dont elle était ornée, les vestiges de deux de ses temples , les ruines également imposantes de sa grande église de Saint-Jean-Baptiste, l’'admirable horizon dont on jouit du haut de son acropole, tout cela mérite et captive longtemps l'attention du voyageur. Ce n’est pas dans un résumé si rapide que je puis essayer de décrire tout ce qui subsiste de cette antique capitale de la Samarie, à laquelle elle a donné son nom. Je me bornerai à signaler ici en passant deux choses qui m'ont particulièrement frappé, et qui, je crois, ont échappé à la plupart des voyageurs; c'est 1° dans la crypte souterraine où élait autrefois renfermé le corps de saint Jean-Baptiste, l'antiquité — 17 — du caveau divisé en trois compartiments cintrés, où ce saint avait été enseveli entre deux autres prophètes. Ce caveau, en effet, me paraît dater des premiers siècles du christianisme, si même il nest pas contemporain de saint Jean: Le resie de la crypte est d’une époque beaucoup plus récente. C'est 2° presque au bas des pentes septentrionales de la montagne, les débris d'un vaste portique remontant sans doute à l'époque d'Hérode, et formant par la double avenue de colonnes qui le soutenaient, et dont quinze sont encore debout, un grand fer à cheval, auquel abou- tissent à droite et à gauche des rampes ménagées avec art sur les flancs du Someron. Ce portique domine lui-même la vallée qui s'étend au nord , et d'autres rampes tracées avec le même soin conduisent à celle-ci. SECONDE PARTIE. GALILÉE. 4 Dans l'impossibilité où je me trouvais alors d'étudier la partie de la Samarie qui avoisine le Jourdain, je commencçai, après avoir examiné les ruines de Ledjoun, l'ancienne Megiddo très-probable- ment, comme le savant Robinson a essayé de le prouver, l'ex- ploration de la Galilée, en attendant que des circonstances plus favorables me permissent d'achever mes recherches en Samarie. Kaïfa, l’ancienne Hepha; Saint-Jean-d’Acre, jadis Akka; Lib, Ec- dippa ; Oumm el-Aouamid, dont les grandes ruines, aujourd'hui hérissées de broussailles, attestent plusieurs époques; Scanderoun, l’ancienne Alexandroschéné; Sour et ses environs, dont le nom et la gloire, sinon les ruines, qui s’effacent de plus en plus, se sont perpétués dès la plus haute antiquité jusqu'à nos jours; l'antique nécropole d’Adloun, ville que M. de Saulcy a, je crois, très-juste- ment identifiée avec l’ancienne Ornithopolis ; Sarfend, l’ancienne Sarepta; Saïda , enfin, la fameuse Sidon, qui a été le terme de mon voyage vers le nord, ont été tour à tour le long de la côte l'objet de mes études. - De Saïda je me suis dirigé au sud-sud-est vers Kalat ech-Choukif, château autrefois très-fortifié, sur une montagne qui surplombe à l'est le ravin extrêmement profond et escarpé du Nabhr-Lytany, le Leouates de l'antiquité, qui va se jeter à la mer sous le nom de — 18 — Nahr el-Kasmieh. Ce château, entouré de fossés creusés dans de roc, construit en partie avec de gros blocs taillés en bossage, est le Beaufort de l'époque des croisades. Il paraît en grande partie avoir été réparé, sinon fondé à cette époque; l’ogive s'y montre presque partout, et une chapelle ruinée s’y voit encore. Descendant de là vers le sud, j'ai visité Tibnin, dont le château, désigné par les croisés sous le nom de T'oron, a été presque entie- rement détruit par les musulmans et relevé en partie, il y a cent vingt-sept ans, par l'un des ancêtres du gouverneur actuel , qui l'ha- bite. Situé sur une haute montagne, d’où le regard embrasse au moins les trois quarts de la Galilée, il domine un village du même nom quis’étend àses pieds, et qui, comme nous l’atieste Guillaume de Tyr {V, 5), portait dans l’antiquité le même nom qu'aujour- d’hui. À l'époque des croisades il s'appelait, comme le château, Toron ou Toronum. Au village de Kounin je remarquai de nombreuses colonnes en pierre dispersées, ayant appartenu probablement à un même édi- fice, peut-être une synagogue, peut-être aussi une église chré- tienne. Non loin de là, le village d'Anata semble être le Beithanath du livre de Josué xix, v. 38. . Les ruines intéressantes d'Taroui, de Kefr-Birim, d'ElDjich, l'ancienne Giscala, et de Meiroun , si célèbre par son antique nécro- pole et, comme les trois précédents villages, renfermant les débris d'anciennes el belles synagogues, ont été successivement l’objet de mon examen sur la route de Tibnin à Saled. Cette dernière ville s’est complétement relevée de ses ruines depuis le terrible tremblement de terre qui la renversa en 1837 et fit périr un tiers au moins de ses habitants. Son château, du moyen âge, est actuellement presque entièrement détruit; du moins le revêtement de son mur d'enceinte et des divers bâtiments qui le composaient a été complétement enlevé pour servir de matériaux de construction. | De Safed, passant par Ramebh, jadis l’une des Ramath de Fanti- quité; par Kabra, que Robinson a le premier identifié avec la Ga- bara de Josèphe; par Medjdel-Keroum, dont le nom est évidem- ment antique, je regagnai Kaïfa en traversant en tous sens la plaine de Saint-Jean-d’Acre, afin d’y trouver le lac Cendevia, signalé par Pline {V, xvu) comme étant la source du Belus ou Pagida, appelé — 19 — aujourd’hui Nahr-Naman. Cest le fleuve célèbre, comme on lesait, auprès duquel, d’après le rapport de Pline { Hist. nat. V, 16, 36, 65), les Phéniciens ont trouvé les premiers, par un heureux hasard, l’art de fabriquer le verre. Je découvris et parcourus presque en- tièrement ce grand marais, qui avait élé signalé à Robinson, mais qu'il n'a point visité. Des sources nombreuses sourdent de terre pour l’alimenter, et ses bords sont couverts de roseaux gigantesques, refuge des sangliers. Sa profondeur est en certains endroits de trois à quatre mètres ; en hiver il est presque impossible d'en approcher, si ce n’est du côté du sud, où il est dominé par un tell, sur lequel on remarque d'anciennes ruines, et appelé Tell el-Kerdaneh. En effet, tout le terrain qui l’avoisine est si marécageux qu’il est très- difficile de le traverser; en été même il ne faut l’explorer qu'avec la plus grande précaution, el le bachi-bouzouk qui m'accompagnait a failli périr sous mes yeux au milieu d'une fondrière d’où il eut vrande peine à se tirer. C'est en parcourant cette plaine, et principalement en étudiant ce marais par une chaleur accablante, bien que ce füt le 15 oc- tobre, que je ressentis les premières atteintes de la fièvre qui, de- puis lors, en brisant mes forces, a déconcerté tous mes projets. Je voulais, en effet, examiner plus à fond et, s’il se pouvait, village par village, l’intérieur de la Galilée, dont je n'avais jusque-là ex- ploré en quelque sorte que les contours et les principales mon- lagnes ; je voulais aussi consacrer une huitaine de jours à l'examen complet des ruines qui entourent ou couronnent la chaîne du Carmel; je voulais enfin, conformément au programme que l’Aca- démie avait bien voulu me tracer, faire le tour du lac de Génézareth, rechercher la ruine de Jotapat, étudier les ruines de Kadès et d’Azor, remonter de là jusqu'aux sources du Jourdain, et, redescendant ensuite ce fleuve, étudier ses deux rives jusqu'à son su peur dans le lac de Tibériade. Je venais d'apprendre, en effet, qu'un armistice allait être conclu entre le pacha d’Acre et les Bédouins. Maïs, à peine arrivé à Na- zareth , d’où j'allais commencer cette nouvelle campagne, je fus tout à coup obligé d'y renoncer, et depuis lors il m'a été impossible de l’entreprendre. Ce n’est même pas sans fatigues qu'après un long repos forcé dans cette ville, où les révérends pères franciscains m'ont offert la plus bienveillanie hospitalité, je pus regagner Jé- rusalem. J'y ai eu l’heureuse fortune de voir à mon arrivée les — 420 — premières fouilles entreprises par M. de Saulcy, et j'ai retrouvé de la part de M. le consul de France la bienveïllance accoutumée et l'intérêt sympathique qu il m'a toujours témoignés. ILest probable, Monsieur le Ministre, si la fièvre ne me quitte pas, que je suivrai bientôt ce troisième Rapport, que M. de Barrère aura la bonté de vous expédier. Je termine ce Mémoire, Monsieur le Ministre, en vous donnant la liste de plusieurs localités que j'ai visitées dans cette tournée rapide de la Galilée, et qui ne sont jusqu’à présent signalées dans aucune carte. Peut-être M. Renan les a-t-il découvertes; peut-être aussi sont-elles marquées dans la nouvelle carte de la Syrie publiée par le Dépôt de la guerre, et que je n'avais point entre les mains ; aussi je ne me les approprie qu'avec réserve. ° Kharbet et-Taybeh &gl)i &,S. Sur l'une des trois routes qui de Kaïfa mènent à Nazareth, restes d’un bourg entièrement détruit qui occupait une colline et ses pentes; on ÿ remarque quel- ques tronçons de colonnes autour d’un puits. 2° Kharbet et-Tireh 8,ax)) &,2. Village détruit entre PER et le mont Thabor. À ElMenchieh réal). Petit village de date assez récente. ° Abou-Atabeh äslis 1. Hameau peu considérable, tous deux à sé de distance au nord-ouest de Saint-Jean-d’Acre. 5° Kharbet-Hamrah j,+ ä;,=. Sur une coiline le long de la mer, un peu au nord-ouest de Rasel-Abiad , ou cap Blanc. Restes d’un bourg antique; quelques gros blocs bien taillés. 6° Dabr el-Kabou saïli ,22. Ruines de quelque étendue près de là. ( 7° Kharbet-Aiïn -Seddin D? X us &>%. À cinq kilomètres au nord de Sour, près du rivage. J'y ai remarqué plusieurs sarco- - phages brisés, quelques fragments de colonnes, une grande quan- tité de débris de poterie antique, et çà et là de beaux blocs bien taillés. Un nombre considérable d’excavations ont été pratiquées sur l'emplacement de cette ville détruite pour en extraire des ma- tériaux de construction. 8° Zautarel-Gharbieh x ,x)l ,L,;. Petit village sur les bords. du Nabr el-Litany, différent d’un autre Zautar ech-Charkieh indiqué dans plusieurs cartes. | 9° Seir ;aw. Hameau sur une montagne près du même fleuve. TT 10° Kharbet-Chaleboun pK % à,2.Restes d'une ville antique à l’ouest du bourg de Bint-Djebel. J'y ai trouvé trois magnifiques sarcophages ornés de sculptures mutilées, et, au milieu d'épaisses broussailles, les vestiges de plusieurs monuments considérables sur le sommet et les pentes d’une colline. 11° Kharbet ez-Zouïleh kb.) &,s. A quinze minutes au nord du village d'Taroun. Restes, sur une colline hérissée de broussailles presque inextricables, d’une localité fort ancienne; nombreuses citernes creusées dans le roc; débris d'une assez grande construc- tion; arasements de maisons renversées; un grand birket circu- laire. 12° KharbetMansourah j,ymie &,5=. Sur une colline voisine de la précédente et couverte de chênes verts, traces de plusieurs constructions importantes, citernes et tombeaux creusés dans le roc. 13° Sedjour ,.<. Petit village sur les pentes d’une colline ro- cheuse à peu de distance de Rameb. En laissant de côté tes treize localités, qui ont pu être décou- vertes avant moi, et en m'attribuant seulement les quatre-vingt-trois indiquées ci-dessus, les trois trouvées sur le mont Hébal et les deux cent seize consignées dans mes deux précédents rapports, j'arrive, Monsieur lé Ministre , au chiffre de trois cent deux ruines ou villages encore habités, qui, je crois, n'avaient été jusqu'ici signa- lés par personne: Contraint d'interrompre mes recherches, et sans doute d'abandonner bientôt cette terre célèbre, où chaque pas que l'on fait réveille un souvenir et où tant de villes et de villages anéantis attendent toujours qu'on vienne interroger leurs ruines solitaires, j'aurai tàché, du moins pour ma faible part, d'ajouter quelque chose aux découvertes des voyageurs qui m'ont précédé; ce sera là ma consolation et ma récompense. L'histoire à la main, j'ai foulé respectueusement les traces qu'ont laissées derrière elles tant de générations éteintes sur ce sol biblique dont le passé se perd dans les premiers temps des âges du monde, et où se sont accomplis des événements auprès desquels pâlissent tous ceux dont le reste de la terre a été témoin. Ici les livres saints ont une sorte de commentaire vivant; on les comprend mieux, et ils servent eux-mêmes à faire comprendre ce que l’on voit. C’est cette étude comparative dont l'intérêt puissant m'a soutenu si longtemps; ct, forcé de la suspendre, j'hésite encore, malgré les conseils qui me soni donnés, à m'arracher de ce petit coin du globe, sans cesse MISS, SCIENT. > 8 — 122 — visité depuis des siècles, et toujours néanmoins fécond en décou- vertes nouvelles pour ceux qui veulent sérieusement en sonder les mystères. J'ai l'honneur, etc. V. GUERIN. RAPPORT ADRESSE À $. EXC. LE MINISTRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE, SUR DES RECHERCHES ÉPIGRAPHIQUES EN GRÈCE, DANS L’'ARCHIPEL ET DANS L'ASIE MINEURE, PAR M. CARLE WESCHER, MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE D'ATHÈNES. Plusieurs cahiers d'inscriptions, pour la plupart inédites, re- cueillies par M. Carle Wescher, membre de l’École française d'A- | _thènes, dans plusieurs explorations entreprises sur divers points de l'archipel grec et des côtes d'Asie Mineure, ont été envoyés en 1863 à Son Excellence M. le ministre de l'instruction publique. Ces re- cueils étaient précédés du rapport suivant , dans lequel M. Wescher rend compte de ses travaux. Athènes, 4 juillet 1863. Monsieur le Ministre, Les recueils épigraphiques que j'ai l'honneur de transmettre à Votre Excellence, par l'intermédiaire de M. le directeur de l'École française d'Athènes, comprennent les inscriptions que j'ai recueil- lies, dans le courant de l’année 1862, sur divers points de l’ar- chipel grec et des côtes d'Asie Mineure. En adoptant pour ces mo- numents, si divers par leur date et par leur origine, le classement géographique, je me suis conformé à l'exemple donné par les maîtres de la science, depuis l’illustre Bæœckh, qu'on peut appeler le fondateur de l’épigraphie grecque, jusqu’à Philippe Le Bas, qui représentait avec autorité les mêmes études parmi nous. Le premier de ces recueils appartient à l'Asie Mineure et se sub- divise en quatre sections intitulées : Halicarnasse, Cnidé, Smyrne, Éphèse. Le deuxième est consacré tout entier à une des Sporades 20. es" MO 2e les moins connues jusqu à ce jour, l'ile de Carpathos. Le troisième, comprenant les inscriptions recueillies dans d’autres îles, offre trois chapitres : Rhodes, Lindos, Naxos. Le quatrième traite spé- cialement de l'ile de Crète et des décrets de proxénie que j'y ai découverts. La marche à suivre dans la composition de ces recueils était indiquée par la nature même des matériaux dont ils se composent. Donner le fac-simile exact de chaque monument, ajouter à cette reproduction paléographique une transcription en écriture cur- sive, interpréter cette transcription par une traduction littérale, éclairer la traduction elle-même par le commentaire, telle est la méthode que j'ai cru devoir adopter. Ce travail m’a conduit à des conclusions que je prends la liberté de soumettre à Votre Excel- lence dans une rapide analyse. | La plupart des monuments qui composent ces quatre recueils proviennent de régions voisines les unes des autres et formant dans le monde hellénique un groupe particulier qu'on pourrait désigner sous le nom d'archipel dorien. Lorsque, pendant l'été de 1862, je fis une première tentative d'exploration dans ces parages lointains et rarement visités, je m'aperçus bientôt que j'y trouve- rais en assez grand nornbre des monuments épigraphiques pou- vant enrichir mes études sur l’ensemble des inscriptions éolo- doriques de faits instructifs et de rapprochements nouveaux. Cette partie orientale et méridionale de l’Archipel, qui s'étend depuis les côtes de Garie et les rivages d'Halicarnasse jusqu'à l’ex- trémité occidentale de l'ile de Crète, et qui, semée de rochers et d'écueils, fut connue et redoutée des anciens sous le nom de mer de Carpathos, semble avoir été le siége préféré des colonies do- riennes. Cette race vigoureuse et vivace y a laissé, profondément empreintes, les marques de son passage. Autant le génie ionien fut mobile, divers, prompt à se transformer, autant le génie dorien paraît grave, constant, tenace. Invariablement fidèle à son culte, à ses lois, à ses mœurs, cette race montra la même obstination à garder son langage. En ces pays doriens, les inscriptions, même les plus rapprochées de l’ère chrétienne, laissent voir encore des traces nombreuses de l’ancien idiome. Cette empreinte locale s’est conservée parfois jusque dans la langue des chrétiens grecs de ces contrées : dans certaines îles surtout elle étonne par son archaïsme et présente, plus qu’en aucun lieu de la Grèce, des mots et des == 19 di N == formes d’origine dorique. N'estil pas curieux et intéressant d’ob- server des analogies parfois frappantes entre le langage de l'ins- cription qu'on déchiffre et celui du pauvre raia qui vous la montre? Cette ressemblance des formes dialectiques, à deux mille ans de distance, ne saurait être indifférente au philologue. Elle prouve mieux que tous les livres la merveilleuse persistance de cette lan- gue grecque, que les changements inouïs survenus depuis vingt siècles dans la politique et dans la religion des peuples n’ont pu abolir, et qui garde encore, à travers ses dégradations successives, les marques certaines de la noblesse de son origine et de ia per- manence de son génie. , Parmi les documents qui offrent le témoignage de ces faits, j'ai l'honneur de signaler particulièrement à l'attention de Votre Ex- cellence ceux qui proviennent d’Halicarnasse, de Carpathos, de Rhodes, de l’île de Crète. 15 HALICARNASSE. L'ancienne Halicarnasse est connue aujourd’hui des marins sous le nom turc de Boudroum. Le château de Boudroum, comme celui de Cos, comme les tours et les murailles de Rhodes, est l'œuvre des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. C’est dans les murs de ce château, d’une belle construction et d’une conservation étonnante, qu’on voyait encore il y a quelques années, au milieu des écussons du moyen âge, les sculptures antiques provenant du tombeau de Mausole et transportées, par les soins de l'Angleterre, au Musée britannique. Halicarnasse est une mine féconde d’anti- quités de tout genre. Les Anglais, qui ont enlevé à Boudroum tant de beaux marbres, ont laissé derrière eux un certain nombre d'inscriptions. J'ai trouvé là, même après Hamilton, même après M. Le Bas, des textes précieux à recueillir. J'ai dû les chercher parfois jusque dans l’intérieur des maisons turques, malgré les cris des femmes effrayées à la vue d’un Franc. * Parmi les monumetns épigraphiques qu’il m'a éié donné de transcrire et d’estamper intégralement, il faut signaler surtout deux grandes inscriptions dont l’une est en dialecte dorien, tandis que l'autre est en dialecte ionien. La première appartient à la poésie : c'est une élégie en distiques. Elle est gravée sur la tombe == ID = d'une jeune Grecque de Myndos, nommée Myrto, éloignée pré- imaturément de sa famille et morte à dix-neuf ans, loin de la cité natale, sur le rivage où se lit aujourd'hui son nom. Les vers sont inscrits sur un bloc de marbre blanc, qui gît sur le sol, à côté d'un autel funéraire orné de sculptures délicates représentant des guirlandes de fleurs et de fruits entremêlées de bandelettes et de têtes de victimes. L'emplacement, semé de ruines, est à une demi- lieue d'Halicarnasse, au bord de la mer, non loin d’un couvent et d'une église grecque bâtie sans doute sur les ruines de quelque sanctuaire antique. Le style de ce petit poëme est plein de charme : il rappelle Théocrite et fait pressentir André Chénier. Le poëte anonyme a emprunté ses images au paysage environnant, aux flots qui baignent cette tombe. En voici un exemple. La mère affligée de la jeune Mvrio est comparée « à l'alcyon qui pleure au sein des vagues. » Or, aujourd'hui même, on voit errer sur les eaux, près de ces rivages, les oïseaux de mer au cri plaintif que les Turcs appellent elkovans. La légende orientale raconte que ces oiseaux sont des âmes en peine, venant gémir la nuit au lieu où elles ont aimé et où elles ont souffert. En lisant ces vers antiques, on pense involontairement à la jeune Tarentine du poëte français. Elle aussi s'appelle Myrto : Pieurez, doux aicyons! à vous, oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons , pleurez! He a véen, Myrlo: es... ER L'autre monument, d’une interprétation plus difficile, est en prose et appartient à l’histoire. C’est un grand décret en dialecte ionien gravé sur une stèle qui, sciée en deux dans le sens de la longueur, forme aujourd'hui les montants d’une fenêtre dans une maison turque habitée par un tailleur grec de Chios. C’est là qu’à l'aide d'une échelle j'en ai recueilli le texte, non sans difficulté : la fenêtre est très-haute, et les marbres sont renversés. N'est-ce pas chose curieuse que la rencontre d’un monument officiel en dialecte ionien dans la cité dorienne d’Halicarnasse ? Hérodote, né dans cette cité, adopta le même dialecte. Hippocrate, originaire de l’île dorienne de Cos, est également un modèle de la prose ionienne. Ces faits montrent avec quel soin il faut distinguer, dans l'étude de la langue grecque, les dialectes littéraires des dia- lectes parlés, et la langue écrite de l’ancienne langue usuelle. — 127 — En parcourant Halicarnasse, il ne faut oublier n1 les colonnes à inscriptions d'Haghia-Marina, incomplétement explorées par Ha- milton, ni l'épitaphe dorienne de l’Achéen Phthiote Tolmidas, ni l'inscription monumentale de l'architecte Denys, ni le fragment éphébique provenant du gymnase d'Halicarnasse, fragment cu- rieux en ce qu'il nous montre les deux cultes de Mercure et d'Her- cule associés dans la religion des gymnases, le dieu de la force physique placé à côté du dieu de l'intelligence, comme un sym- bole vivant de cette éducation hellénique qui se proposait pour objet la perfection du corps aussi bien que celle de lesprit. | En vue d'Halicarnasse s’allonge dans les flots la péninsule de Cnide. À Cnide encore nous trouvämes les traces des recherches anglaises. Bâtie en amphithéâtre au bord de la mer, Cnide, avec ses deux ports, ses temples, ses théâtres, ses constructions cyclo- péennes, helléniques et romaines, offre un ensemble de ruines vraiment imposant aux regards du voyageur qui visite ce désert. La nécropole surtout, pleine de silence et de solitude, est belle à contempler, avec ses deux files de tombeaux rangés le long d’un chemin suspendu en corniche au-dessus des flots. Ces tombeaux, qui sont pour la plupart d’une architecture très-ornée, ont été violés dès les temps anciens. Les nombreuses inscriptions d'Asie Mineure qui dévouent à la vengeance céleste ce genre de profa- nation ne sauraient laisser aucun doute sur ce point. La multitude même de ces formules prouve la fréquente répétition des actes sacriléges que les inscriptions maudissent sans avoir pu les pré- venir. Je rapporte de Cnide un certain nombre d’anses de vases portant, avec l'indication de la fabrique, les noms des magis- trats éponymes. La plupart de ces noms sont doriens. L'industrie des potiers, florissante à Cnide, exportait ses produits au loin, car j'ai trouvé des fragments de cette provenance jusque dans les ruines d'Athènes. IL. CARPATHOS. Jusqu'ici lile de Carpathos n’était représentée dans la collec- tion des inscriptions grecques par aucun document de quelque importance. Ce fut donc avec une véritable satisfaction qu'au mois — (0 — d'août 1862 J'appris la découverte d’un décret en dialecte dorien, faite dans cette île. Grâce à l’obligeante intervention de M. Didier Jouannin , gérant du vice-consulat de France à Rhodes, je fus admis sur-le-champ à examiner ce monument. L'inscription, gravée sur une stèle brisée en deux, est d’une étendue considérable : quoique incomplète aujourd'hui, elle a près de quarante lignes. Elle offre le texte d’un décret rendu par un dème carpathien en l'honneur d'un médecin nommé Ménocrite, fils de Métrodore, originaire de Samos et exerçant dans l'ile de Carpathos la profession de méde- cin public. Ce Ménocrite s'était distingué par son dévouement pendant une peste : la cité, reconnaïssante, décerne des éloges pu- blics à son zèle, à son désintéressement, à son courage, en même temps qu'elle vante sa science et son talent. Une couronne d'or lui est offerte : cette récompense sera proclamée aux jeux célébrés en l'honneur d’Esculape. En outre, Ménocrite jouira du droit de proédrie, c’est-à-dire d’une place réservée dans les fêtes et cérémo- nies publiques, et le souvenir de sa vertu sera transmis à la pos- térité par l'inscription du décret sur une stèle de marbre qui, éri- vée dans l'enceinte du temple de Neptune Porthmios, demeurera inviolable à l'ombre du sanctuaire. C’est précisément cette stèle qui existe encore, et qui nous apprend ces détails. Ce curieux document réunit tous les genres d'intérêt. Sous le rapport épigraphique, il ajoute au Corpus un élément nouveau en y faisant figurer l’une des plus importantes et des moins connues parmi les Sporades doriennes. Sous Îe rapport topographique, il complète les renseignements très-succincts donnés par Strabonet par Ptolémée sur lintérieur de l’île. Sous le rapport mytholo- gique, il nous révèle un culte nouveau de Neptune (le culte de Poseidon Porthmios), et fixe l'emplacement d’un temple dont les ruines étaient jusqu'ici demeurées sans nom. Sous le rapport philologique, il fournit quelques additions au dictionnaire de la langue grecque et enrichit de plusieurs faits l’histoire des dialectes helléniques. | Enfin il ajoute un chapitre intéressant à l’histoire de la méde- cine dans l'antiquité, en nous faisant connaître l'institution des médecins publics, Élus par la cité et payés par elle, les médecins publics devaient leurs services gratuits à la société tout entière. Nous lisons, dans l'inscription , que Ménocrite soignait avec un égal empressement les citoyens et les étrangers, les habitants de la ville — 29 — et ceux des fauhourgs. Fonctionnaire de l'État , il ne recevait aucun salaire des particuliers. Ainsi seront mieux expliqués dé- sormais les passages d’Aristophane, de Platon, de Xénophon, où se trouvent des allusions à ces usages. N’hésitons pas à le dire : les devoirs moraux du médecin sont retracés dans les considérants de ce décret en des termes qui font honneur à la civilisation an- tique. L'origine de la médecine, chez ies Grecs, était religieuse. Les temples d'Esculape furent les premiers hôpitaux, etses prêtres, les premiers médecins. Les Asclépiades n'étaient pas, comme on l'a cru quelquefois, une famille, mais une corporation pieuse exerçant au nom du dieu lui-même le bienfaisant ministère dont il était le patron. Née à l'ombre du sanctuaire, la médecine anti- que, en se sécularisant avec Hippocrate, prit dans les enseigne- ments et dans la pratique de ce grand homme un caractère de loyauté scientifique et d’élévation morale qu’elle garda longtemps. Qu'on relise, dans la savante édition de M. Littré, l'écrit intitulé Serment d’'Hippocrate, on verra que cet admirable morceau , à part quelques détails vieillis dans l’inévitable changement des mœurs, peut passer encore aujourd'hui pour le code véritable de la pro- fession médicale. Sans doute les médecins grecs ne suivirent pas toujours les sages préceptes de leur maître, et plus d’un s'enrichit aux dépens de la morale. À Rome, le vieux Caton interdit for- mellement à son fils la fréquentation des médecins : Interdixi tibi de medicis. Toutefois nous voyons par notre inscription que les médecins grecs ne ressemblaient pas tous à ceux que proscrivit plus tard l’austère censeur des mœurs romaines. Plus d'un assu- rément comprenait comme Ménocrite les devoirs de sa profession, et se souvenait de ces belles paroles contenues dans le serment qu'il avait prêté au seuil de sa carrière : «Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et dans la sainteté !.» Les honneurs rendus à Ménocrite prouvent que les peuples savaient, alors comme aujourd'hui, apprécier ce dévouement. J'ajoute à ce travail quelques chants populaires inédits prove- nant de l’île de Carpathos. Ces chants, en grec vulgaire, serontun témoignage certain de ce que j'ai avancé au sujet de l’état présent de la langue grecque dans cette ile. 1 Âyvds nai 6oiws diarnpñow Blov ro éudv nai réyunv Ty Eur. (Extrait du Serment d'Hippocrate, tome IV de l'édition de M. Littré, pages 628-632.) = 180. — IL. RHODES. L’épigraphie rhodienne, encore peu connue, m'a paru mériter une attention sérieuse. Le recueil d'inscriptions que j'ai formé doit beaucoup à l’amicale coopération de notre compatriote M. Auguste Salzmann et à l’'obligeance de M. Biliotti, vice-consul d'Angleterre à Rhodes. Les inscriptions rhodiennes sont d’une importance souveraine pour l'histoire religieuse de la Grèce. Placée aux confins du monde grec, entre l’Europe et l'Asie, Rhodes, vouée au culte oriental du soleil et liée par des rapports commerciaux à la Syrie, à la Phénicie, à la Palestine même, devint l’entrepôt naturel, non- seulement du négoce, mais encore des idées et des traditions de l'Orient. De là ces formes religieuses particulières, ces associations secrètes adonnées à la célébration de rites mytérieux, ce caractère : sacerdotal de l’organisation politique elle-même dans un pays qui avait choisi pour magistrat éponyme le pontife du Soleil et, qui gravait sur ses monnaies la radieuse effigie du dieu de la lumière : -Claram sole Rhodon. On trouvera des exemples frappants de ces faits dans plusieurs des inscriptions que j'ai recueillies et qui sont devenues l’occasion d’un travail particulier sous le titre suivant : Mémoire sur les épavor et les Siacor dans l'antiquité grecque, et prin- cipalement à Rhodes. — Voici les conclusions de ce travail. Indé- : pendamment du culte public, qui déployait sa pompe dans les temples, et du culte domestique, qui se concentrait autour du foyer, nous savons par les inscriptions qu’il existait des sanctuaires réservés pour l'usage de certaines congrégations et servant de théâtre à des cérémonies particulières. Pour la seule île de Rhodes avec ses colonies, j'ai pu, en rapprochant mes propres découvertes épigraphiques de celles de Ross et d'Hamilton, dresser une liste de dix-neuf sociétés de ce genre. Ges sociétés, par leur organisation philanthropique comme par leur caractère mystique et religieux, font penser à plus d'une institution qu'on eût pu croire exclusivement moderne. Chaque associalion possédait une caisse commune avec deux sources de revenus : d'abord les dons volontaires dus à la générosité des par- hiculiers, ensuite la contribution régulière et personnelle payée — 31 — par les associés et appelée éranos. À Athènes, le montant de cette cotisation paraît avoir été de trois drachmes par an. Le membre qui refusait de la payer était exclu de la société, à moins qu'il ne fût excusé par son état d'indigence ou de maladie. Les sociétaires ou éranistes célébraient en commun certaines fêtes, se réunis- saient pour des sacrifices et pour des banquets; en même temps, ils se soutenaient mutuellement dans le besoin. Le sociétaire qui subissait des revers de fortune recevait des secours de la caisse commune, à charge de remboursement quand les chances lui re- deviendraient favorables. Les sociétés s’assemblaient pour délibé- rer, et prenaient en commun des résolutions qui étaient inscrites sur des stèles placées dans le sanctuaire : c'étaient les archives de l'ordre. Les femmes figuraient dans ces réunions : nous le savons par une inscription athénienne et par deux marbres récemment découverts dans l’île de Théra, aujourd’hui Santorin. Les assem- blées étaient secrètes; nul étranger n’y pouvait être admis; l’ordre le plus parfait devait y régner; le règlement, qui existe encore, interdit sévèrement tout tumulte , et condamne le membre récal- citrant à l'amende et à des peines corporelles. À la tête de ia so- ciété se trouvaient un certain nombre de dignitaires, la plupart désignés par le sort et formant un clergé, dans l’acception étymo-* logique du mot (clerus, du grec x\ñpos). Les principaux de ces di- gnitaires étaient : un président général, un archéraniste surveillant ’administration financière, un secrétaire, des questeurs ou tréso- riers, des syndics, des commissaires, des sacrificateurs, un héraut sacré avec mission de faire les proclamations solennelles, enfin une prêtresse dirigeant la section féminine de la communauté. Quand ces dignitaires sortaient de charge après avoir rempli cons- ciencieusement leurs fonctions, ils trouvaient leur récompense dans les honneurs que leur décernait la confrérie reconnaissante. Ces sociétés prenaient presque toujours le nom des dieux qu’elles vénéraient. À Rhodes et dans les environs, ces dieux étaient le Soleil, Minerve Lindienne, Jupiter Atabyrien, Jupiter Xénios, Jupiter Sauveur, Dionysos ou Bacchus, Pan, Aphrodite, Adonis, Agathodæmon , les Héros en général, et d'autres divinités moins connues. De là les noms d’'Héliastes, d’Athénaïstes, de Lindiastes, d’Atabyriastes, de Xéniastes, de Sotériastes, de Dionysiastes, de Paniastes, d'Aphrodisiastes, d'Adoniastes, d’Agathodæmoniastes, d'Héroïstes, et ainsi de suite, donnés aux communautés. Plusieurs — 132 — sociétés porlaient en outre le nom de leur fondateur : ainsi les Atabyriastes Euphranoriens, c'est-à-dire fondés par Euphranor; quelques-unes même paraissent avoir ajouté à ce nom celui d’un chef particulier, par exemple, les Atabyriastes Euphranoriens, sectateurs d’Athénée de Cnide. C'était sans doute alors une branche distincte de la grande société, semblable à ces communautés ré- formées qu’on trouve dans quelques ordres religieux du christia- nisme, et qui portent le nom du réformateur. En expliquant les inscriptions par les bas-reliefs qui les accom- pagnent quelquefois, on peut supposer que les lieux de réunion étaient de vastes jardins fermés par une ceinture de portiques et” d’autres constructions aux regards des profanes. Au milieu du cloître, sous de frais ombrages, s'élevait l'autel destiné aux sacri- fices par lesquels s’ouvrait chaque séance. Une inscription de Rhodes nous parle du local envahi, du mobilier détruit, des dé- pendances du lieu saint dévastécs, et mentionne avec détail les dépenses qui en résultèrent pour la communauté et qui furent payées par un généreux bienfaiteur. Quels étaient les auteurs de ces dégâts? L'inscription, malheureusement mutilée, garde le si- lence sur ce point; mais tout, dans ce document, annonce une “époque voisine de l’ère chrétienne. Ne serait-ce pas une consé- quence de la lutte entre des cultes rivaux ? Et n'aurions-nous pas sous les yeux un de ces épisodes fréquents dans lhistoire de la dernière époque du paganisme? Dans cette île de Rhodes, placée aux confins de l'Orient et de l'Occident, le combat entre les di- verses influences religieuses qui se disputaient le monde dut com- mencer plus tôt qu'ailleurs, et enfanter des luttes plus vives. IV. LA CRÈTE. Sur un point peu connu de l’île de Candie, j'ai commencé, l'an dernier, avec le concours de M. Émile Roubaud, chirurgien de la marine française, le déblayement d’un mur hellénique por- tant des inscriptions grecques. Ces fouilles ont amené la décou- verte d’un certain nombre de textes. Un ou deux de ces textes, , aperçus par d'anciens voyageurs, figurent déjà dans le Cémpa avec des attributions incertaines et d’ étranges erreurs. L'existence du mur antique qui les porte, et qui continue sous D M Hs — 135 — . terre, n'était pas indiquée. Désormais la place de ces inscriptions est connue, leur texte rétabli, et les inscriptions voisines sont en partie déblayées. Ces inscriptions renferment des actes de proxénie. Elles se trouvent au milieu des ruines d’un Palæo-Kastro, dont le nom ancien n’a pu être déterminé avec certitude jusqu’à ce jour !. Sur les six blocs que j'ai mis à découvert sont inscrits vingt-cinq proxènes appartenant à l'ile de Crète, au Péloponnèse et à la Grèce du nord. Les cités crétoises nommées dans ces actes sont au nom- bre de quatre : Hiérapolis, Priansion, Cnosse, Hiérapytna. Les “iles de l'Archipel sont représentées par une des Cyclades, Paros. Le Péloponnèse fournit à cette liste des Lacédémoniens, des Mes- séniens, des citoyens de Patras et de l'Achaïe en général. Dans la Grèce du nord, Ambracie, Héraclée, Apollonie, sont souvent nommées. Ces documents promettent des renseignements précieux pour l'histoire politique et commerciale de la Crète au 1n° siècle avant notre ère. Les conditions de la proxénie sont nettement définies dans un de ces actes. Ici le titre de proxène n'était pas un simple honneur, il avait une véritable importance politique. Les villes crétoises d'alors, comme les républiquesitaliennes du moyen âge, étaient souvent en guerre les unes avec les autres; elles avaient besoin dese ménager des auxiliaires, des alliés, des agents : le décret de proxénie devenait dès lors une sorte de pacte réciproque, et les priviléges accordés au proxène devaient être précisés avec soin. Parmi ces priviléges, on remarque surtout l'exemption formelle des droits d'importation et d'exportation, par mer comme par terre, faveur qui pouvait devenir pour le proxène ure source de profits considérables dans un pays commerçant et maritime placé, comme l’île de Crète, au centre de trois grands continents et visité sans cesse par les vaisseaux de toutes les nations. À cette faveur s'ajoute le droit d’asile, non pas vaguement indiqué comme dans d’autres inscriptions de ce genre, mais formulé avec une intention évidente : le proxène est déclaré inviolable même en temps de guerre, même sans libalions, c'est-à-dire sans qu'il soit nécessaire d'invoquer une convention préalable, telle qu'une suspension ! Ce nom a été retrouvé depuis. — Voir, au sujet de cette découverte, le Rap- port adressé à S. Exc. le Ministre de l'instruction publique par M. C. Wescher, chargé d’une mission scientifique dans l'ile de Crète (mai 1864). LA : — 3h — d'armes, une trêve, un traité. Privilége précieux au milieu des rivalités souvent sanglantes qui divisaient les cités crétoises dans le siècle auquel appartiennent ces inscriptions. On a vu quetous ces documents, si divers par leur origine etpar leur objet, ont un lien commun : c'est la langue. La plupart d’entre eux sont en dialecte dorien. Quelques-uns, comme le décret de Carpathos et les proxénies crétoises, présentent des formes de langage particulières qui appartiennent à des dialectes locaux. Les inscriptions crétoises notamment ont, sous le rapport phiolossegs un caractère original. ° Cet exposé serait incomplet à mes yeux si je ne signalais à Votre Excellence le concours précieux que j'ai trouvé pour mes travaux auprès de M. le contre-amiral Touchard, commandant la division navale du Levant, et de MM. les officiers composant l’état- major de la frégate la Zénobie. Le souvenir de leur hospitalité ne s’effacera jamais de mon cœur, et je serais heureux de pouvoir rendre publique cette sincère expression de ma reconnaissance. J'aurai l'honneur de soumettre prochainement à Votre Excel- lence deux nouveaux recueils se rapportant à d'autres séries de travaux. L'un de ces recueils, qui sera le cinquième de la collection, a Delphes pour objet. Il renferme le fruit de la dernière campagne épigraphique que j'ai tentée au milieu de ces ruines célèbres, et qui, interrompue par des circonstances indépendantes de ma vo- lonté, a eu néanmoins des résultats importants. Il se divise en deux parties. La première est intitulée : Essai sur l'inscription bilingue de Delphes, avec le texte d’une inscription inédite, relative à la compo- sition du conseil des Amphictyons. L'inscription bilingue de Delphes est un des monuments les plus considérables que nous ait légués l'antiquité grecque. Publiée jusqu'ici d’après deux copies défec- tueuses prises, l’une par Cyriaque d’Ancône, dans le cours du xv° siècle, et l’autre par Dodwell, au commencement du x1x° siècle, elle avait besoin d’une révision nouvelle et définitive. Je suis en mesure de la donner telle qu’elle existe actuellement sur le marbre. Ce marbre, qui provient du temple même d’Apollon, est en- castré aujourd’hui dans la muraille intérieure d’un réduit obscur e ; — 55 — _etinfect appartenant à une maison du village moderne de Castri. ILest mutilé, renversé, caché derrière des immondices et des dé: bris de toute nature. Je suis parvenu .néanmoïins à prendre la copie complète et l'empreinte exacte du monument. Une investi- gation minutieuse m'a convaincu qu’au-dessous de l'inscription déjà connue s’en trouve une autre, beaucoup plus longue et en- core plus intéressante, qui avait échappé à l'attention des précé- dents explorateurs. Quelques lettres seulement de cette seconde inscription figurent dans le Corpus, et ces lettres n’y forment aucun sens. J’ai fait dégager cette partie inférieure du marbre, auparavant inconnue, et j'ai recueilli avec un soin religieux ce texte, qui, tout mutilé qu'il «est, sera compté, je l'espère, parmi les reliques les plus précieuses de l'antiquité. Voici en quelques mots le contenu de ce document. C’est une sentence des hiéromnémons déterminant les limites de la terre sainte, c'est-à-dire du domaine d’Apollon. L'inscription, qui a plus de soixante lignes, est gravée sur deux colonnes : la colonne de droite, où sont indiquées les bornes du territoire sacré, est . très-fruste, mais, par un heureux accident, le commencement de la colonne de gauche, qui contient le passage le plus important de l'inscription, est mieux conservé. Nous y trouvons ce qu’il im- portait par-dessus tout de savoir, je veux dire la composition nor- male et définitive du conseil des Amphictyons, avant le rema- niement de cette institution par Auguste. L'organisation de ce conseil rappelle à certains égards celle de la diète germanique. Vingt-quatre voix y représentaient la totalité des suffrages. Ces voix étaient réparties entre dix-sept nations ou États. Parmi ces nations, les unes jouissaient de deux voix, les autres possédaient un seul suffrage. Les États qui disposaient de deux voix étaient : Delphes, la Thessalie, la Phocide, la Béotie, les Achéens de la Phthiotide, les Magnètes, les Ænianes. Les États qui ne disposaient que d’un seul suffrage étaient les Doriens du Parnasse, les Doriens du Péloponnèse, les Athéniens, les Eubéens, les Maliens, les OEtéens ou habitants de l'OEta, les Dolopes, les Perrhæbes, les Locriens Epicnémidiens ou mieux Hypocnémi- diens, et les Locriens Hespériens ou occidentaux, plus connus sous le nom de Locriens Ozoles. La cause de cette inégalité dans le nombre des suffrages paraît tenir à la composition originelle du conseil, Il est probable qu’à l'origine la confédération se com- = 480 = posait de douze tribus seulement. Les sept premières tribus étaient formées par les sept États que j'ai énumérés d'abord, et qui pos- sédaient deux voix par État. Quant aux cinq dernières tribus, chacune d’elles paraît s'être subdivisée en deux branches, et chaque branche disposait naturellement de l’une des deux voix primiti- vement accordées à la tribu entière. Ainsi les Doriens du Par- nasse et ceux du Péloponnèse n'étaient que deux fractions de la grande famille dorienne. Les Athéniens et les Eubéens apparte- naient à la race ionienne. Les quatre peuplades de la Thessalie, Maliens, OEtéens, Dolopes, Perrhæbes, formaient originairement deux tribus seulement. Enfin, les Locriens orientaux, qui habi- taient au pied du mont Cnémis, et les Locriens occidentaux, qui cultivaient la plaine d'Amphissa, représentaient ensemble la na- tion locrienne. | De cette façon tout s'explique. A l'origine, douze tribus dis- posent chacune de deux voix; plus tard, cinq de ces tribus, en se. décomposant, ièguentune voix à chacune des dix fractions qu’elles laissent après elles. Telle apparaît, d'après ce document, et en dehors des changements passagers imposés par la politique ou par . la guerre, l’organisation du conseil amphictyonique. . La seconde partie du recueil est relative à la découverte du mur oriental. On sait que le temple de Delphes était bâti sur une terrasse soutenue par un vaste soubassement. Jusqu'ici un côté seul de ce soubassement avait été exploré, c'est le côté du midi. Les travaux de déblayement considérables qui avaient été exécutés le long du mur méridional à diverses époques et auxquels j'avais pris moi-même une part active, laissaient une question importante à résoudre. Les faces latérales du soubassement existent-elles dans le sol? Sont-elles de construction pélasgique? Portent-elles des ins- . criptions? Aujourd’hui, cette question est résolue en ce qui con- cerne la face orientale. Cette face existe, elle est pélasgique, elle est couverte d'inscriptions. Arrêté par des obstacles matériels et obligé de refermer ma fouille, je n’ai pu recueillir qu'une faible par- tie de cette nouvelle série de documents. Toutefois, j'ai rapporté quelques spécimens intéressants, notamment deux belles inscrip- ! Voir, au sujet de ces précédents travaux, les communications faites en 1861 à l'Académie des inscriptions et belles-lettres par M. Carle Wescher. (Compte rendu des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, séance du 31 août 1861.) tions amphictyoniques, dont l’une est relative à un vol commis dans l'enceinte sacrée, dans le trésor même des Phocéens. On n'avait rien trouvé jusqu’à présent qui touchât d'aussi près à la question religieuse. J'ai été assisté, dans cette partie de mes recherches, par M. Boitte, architecte, pensionnaire de l’Académie de France à Rome. M. Boitte est le premier artiste français qui ait visité Del- phes, où il a exécuté, sur mes indications et à ma demande, un certain nombre de dessins archéologiques. Un sixième recueil sera formé par les inscriptions que j'ai rele- vées sur divers points de l’Attique et du Péloponnèse. Il contien- dra une étude sur le Nymphæum du mont Parnès. C’est une grotte dédiée à Pan et située dans la partie la plus sauvage et la moins accessible de la montagne. La trace en était perdue. En l’explorant sous la conduite d'un chasseur du pays, j'y ai rencontré des inscriptions inédites gravées sur le roc vif, comme celles de Vari ct de Daphné. Elles ajouteront un nouveau chapitre à cette partie intéressante de l’épigraphie grecque. Daignez agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d’être, De Votre Excellence, Le tres-humble et très-obéissant serviteur. Carze WESCHER. MISS. SCIENT. 20 RAPPORT SUR LES FOUILLES D’APTÈRE (CRÈTE), ADRESSÉ A SON EXCELLENCE M. DURUY, MINISTRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE, PAR M. CARLE WESCHER, ANCIEN MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE D’ATHÈNES , CHARGE D’UNE MISSION SCIENTIFIQUE EN ORIENT.. Ruines de Palæo-Kastro, près du golfe de la Sude, 1° mai 1864. Monsieur le Ministre, Les fouilles que j'avais entreprises en 1862 dans la partie occi- dentale de l’île de Crète, et qui étaient demeurées suspendues jusqu’à ce jour, viennent d'être reprises par l'ordre de Votre Excellence. Ces fouilles avaient pour objet le déblayement d’un mur hellé- nique situé sur l'emplacement d'une antique cité désignée vul- gairement sous le nom de Palæo-Kastro, non loin des hauteurs qui couronnent le bord méridional du golfe de la Sude. Sur les blocs qui composent ce mur sont gravées un cerlain nombre d’ins- criptions grecques. Ces inscriptions appartiennent à une série de décrets ou actes officiels émanant d’une des anciennes républiques qui se partageaient la Crète : elles sont rédigées en dialecte cré- tois. De semblables documents sont intéressants à un double titre : ils offrent des matériaux précieux à l'historien, en même temps qu'ils livrent des textes nouveaux aux investigations du philologue. J'avais commencé à recueillir ces inscriptions dans 29. CA Un — un précédent voyage ! : cest ce travail que j'achève présente- ment, et j'espère qu'il pourra être bientôt transmis à Votre Excel- lence. Les fouilles, au moment de leur reprise, viennent d’être mar- quées par une découverte scientifique qu'il convient de signaler à votre attention. Les savants, soit antiquaires, soit géographes, qui ont consacré leurs travaux à la difficile étude de la topogra- phie crétoise, n’avaient pu se mettre d'accord sur le nom de la cité antique dont j'explore en ce moment les débris. Selon MM. Du- mas, Gauthier et Lapie, auteurs d’une grande carte de l'ile de Crète, ces ruines répondent à l’ancien Hippocoronium. Selon Po- cocke et d’autres voyageurs, elles marquent le site d’une ville ap- pelée Minoa des Cydoniens (Minoa Cydoniatarum). Selon une tra- dition locale recueillie par le savant explorateur anglais Pashley, ces ruines étaient celles d’Aptère; mais cette dernière opinion, dénuée de preuves, restait à l’état de simple conjecture, et n'avait pu être admise définitivement dans la science. La question, toute- fois, n’est pas sans importance, puisqu'il s’agit d'une cité considé- rable et longtemps florissante, dont les ruines, à la fojs cyclopéennes, helléniques et romaines, disséminées sur un vaste emplacement, excitent encore aujourd'hui, par leur étendue comme par leur diversité, l’'étonnement du voyageur qui les rencontre en ces loin- tains parages. C’est un fait particulièrement remarquable que l'existence d’un mur inscrit au centre même de cette cité, et il im- portait de connaître d’une manière certaine la provenance de ces documents, qui offrent un point de rapprochement si curieux avec les actes du même genre conservés dans les débris de plusieurs autres villes helléniques. Lorsqu'il y a deux ans j'entrepris avec mon ami M. Roubaud une première fouille sur ce point, je cherchai vainement, dans les inscriptions que nous venions de mettre à découvert, la solution de cet intéressant problème. Il fallut attendre, pour prendre parti sur cette question, que Je pusse de nouveau interroger les ruines. Cette fois, la réponse ne s’est pas fait attendre. À une certaine profondeur dans le sol, j'ai trouvé, sur un beau bloc hellénique appartenant au mur dont ïl s'agit, un grand décret en dialecte crétois, dont voici, en peu de mots, le contenu. ! Voir le Rapport de M. C. Wescher, daté d'Athènes, 4 juillet 1863, p- 423. — ll — Ce décret, rendu par le sénat et par le peuple, a pour objet de décerner des honneurs particuliers à Attale, roi de Pergame, afin de le remercier de sa bienveillance envers la confédération crétoise en général, et particulièrement envers la ville d'Aptère. Le nom de cette ville est écrit en dialecte dorien, Aptara pour Aptera (Täs Tv Ârlapaico æolos, dit formellement linscrip- tion). Toutes les parties de ce texte sont également dignes d'attention. La ville décide qu'elle fera ériger une statue de bronze représen- tant le roi Attale, son bienfaiteur : le roi sera figuré, soit à pied, soit à cheval, selon son choix. La proclamation de cette récom- pense sera faite solennellement par la voix du héraut dans les jeux publics. Le soin de veiller à l'exécution de ces mesures est confié aux magistrats appelés xôogos : ces magistrats étaient char- gés, dans les villes crétoises, des mêmes fonctions que les éphores à Sparte. En outre, le roi Altale jouira de tous les priviléges accor- dés aux bienfaiteurs et aux proxènes, tels que droit de proédrie, droit d’asile, exemption des charges, etc. etc. Une circonstance à remarquer, Cest qu'une disposition spéciale garantit au roi la sécurité personnelle, soit en temps de paix, soit en temps de guerre, soit dans la ville même, soit dans les ports qui en dé- pendent : il est dit formellement qu'il pourra mouiller en sûreté dans ces ports, et qu'il y trouvera toujours un accueil hospitalier. L'ile de Crète est souvent signalée par les anciens comme un foyer de piraterie. Ce privilége de sécurité maritime, accordé par une cité créloise à un prince étranger, comme faveur exceptionnelle, semble venir à l'appui de cette assertion. La découverte de ce monument épigraphique termine le débat précédemment soulevé, et le Palæo-Kastro du moyen âge reprend désormais son nom antique, son nom véritable, retrouvé dans ses raines après deux mille ans. C'est bien fancienne Aptère, en dialecte dorien Aptara, célèbre dans la mythologie grecque par la victoire poétique des Muses sur les Sirènes. Autour de ce texte capital se groupe une série de monuments analogues d’une étendue moins cousidérable. C’est, par exemple, un décret en l'honneur de Prusias, roi de Bithynie; ce sont des actes de proxénie relatifs à des habitants de Lampsaque, de Ma gnésie, de Malles, de Pruse, de Nicomédie. On sait ce qu'il faut entendre par ce mot de proxénie. Le — 42 — proxène devenait, dans sa propre cité, l'hôte public d'une cité étrangère, dont il surveillait les intérêts, dont il hébergeait les délégués, dont il faisait même quelquefois les affaires politiques. En échange des services rendus, il obtenait certains priviléges particuliers, consignés ordinairement dans l'acte officiel qui lui conférait son titre. Cet acte, gravé sur une stèle ou sur les murs d’un édifice public, devenait pour le proxène et pour ses descen- dants un titre ineffaçable, transmis à la postérité sous la garde des lois et de la religion. Quand un certain nombre de ces actes se trouvent réunis, ils fournissent des renseignements précieux pour l'histoire politique et commerciale de Ja cité à laquelle üls appartiennent. Les relations de la ville d’Aptère en particulier devaient être très-étendues, à en juger par le nombre et par la diversité d’origine des proxènes dont l'existence nous est révélée par ces inscriptions. Nous trouvons en effet les proxènes d’Aptère, non-seulement dans les villes de la Crète, dans les îles de l’Ar- chipel, sur les côtes voisines du Péloponnèse, mais encore dans la Grèce du nord, dans l'Asie Mineure et jusqu'aux extrémités du monde grec, sur le littoral de l’Adriatique ou sur les bords de l'Hellespont. C’est que l'ile de Crète, placée entre trois grands continents et visitée sans cesse par les vaisseaux de toutes les uations, était devenue, en quelque sorte, gràce à sa situation géo- graphique, comme le centre de l’ancien monde. La ville d’Ap- tèxe paraît avoir occupé dans cette île une place considérable pendant la période historique à laquelle ces inscriptions se rap- portent et qui va de la mort d'Alexandre au commencement de la domination romaine. G IL faut noter encore deux faits relatifs aux fouilles. Le premier est la découverte d’un assez grand nombre de petites monnaies en bronze, portant, soit intégralement, soit sous forme abrégée, la légende ATITAPAIQN. Le second est l'existence d'actes de proxénie sur des fragments distincts du murus inscriptus, et appartenant, par conséquent, à des monuments différents. Je citerai notamment un acte de proxénie relatif à un Lacédémo- nien, Cet acte est gravé sur un fût cylindrique surmonté d’un À de grande dimension, représentant la lettre initiale du nom AIITAPA. J'avais signalé, il y a trois ans, un fait analogue à Delphes, où les actes de proxénie se sont aussi trouvés gravés, non-seulement sur le soubassement du temple d’Apollon, mais — 43 — encore sur des fragments épars, et notamment sur un marbre de forme triangulaire paraissant avoir servi de support à un trépied. ° Aux inscriptions provenant des fouilles s'ajouteront plusieurs documents trouvés dans diverses parties de la ville antique. Je rl * Une inscription honorifique gravée au nom de la cité pour ER fils d'Épébastos. Cette inscription est curieuse par sa rédaction et par la formule qui la termine. 2° Une offrande faite par une femme à la déesse Ilythye. Cette déesse était particulièrement vénérée dans l’île de Crète, où elle avait un sanctuaire cité par Strabon. L'orthographe du nom de celte déesse, écrit en dialecte crétois dans notre inscription (EAETOTIA), est particulièrement à remarquer. Les ruines d'Aptère occupent une vaste étendue. À la fois cy- clopéennes, helléniques et romaines. elles offrent des monuments encore subsistants de ces trois époques, qui marquent l'origine, la perfection, la décadence de l’art chez les Grecs. De beaux niurs pélasgiques, des restes de temples, un théâtre bien conservé, des fortifications helléniques imposantes, de vastes citernes du temps des Romains, s’y disputent l'attention de l’antiquaire. Le moyen âge y est représenté par un solide et spacieux bâtiment, moitié ferme, moïtié couvent, qui est une dépendance du mo- nastère de Patmos, propriétaire de ce canton depuis les empereurs de Byzance jusqu'à nos jours. Les inscriptions ont été découvertes au centre de Palæo-Kastro, sur un emplacement que je crois être celui du prytanée de l’an- tique cité. Les blocs sur lesquels ces documents sont gravés ont dû faire partie de l'édifice même, dont ils constituaient saus doute les paroïs extérieures. Il n’y a rien là qui ne soit conforme aux habitudes épigraphiques des Grecs. Les prytanées, ces foyers des cités helléniques, étaient des sanctuaires de Vesta et offraient aux archives publiques un asile non moins sacré que les temples eux- mêmes. | En signalant à Votre Excellence les principaux résultats de cette exploration, je regarde comme un devoir de lui faire connaître l'accueil empressé que j'ai trouvé auprès de M. Derché, consul de France à la Canée, et les témoignages de bienveillance que J'ai reçus de S. Exc. IsmaïlPacha, gouverneur général de lile de DT ee Candie. Leur concours était nécessaire au succès de mon entre- prise, et il ne n'a pas fait défaut. Daignez agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage du profond respect avec lequel j'ai l’honneur d'être, De Votre Excellence, Le très-humble et très-obéissant serviteur, Carze WESCHER. RAPPORTS DE M. GEORGES PERROT, CHARGE D’UNE MISSION ARCHÉOLOGIQUE EN GALATIE:. PREMIER RAPPORT. Angora, 21 août 1861. Monsieur le Ministre, Nous avons atteint la ville d'Angora, l'ancienne Ancyre, où la iwission que j'ai l'honneur de diriger aura sans doute à faire un séjour d’une assez longue durée. Je m'empresse de profiter de cette halte pour vous exposer comment mes compagnons el moi avons employé jusqu'ici notre temps, et pour résumer les résultats acquis jusqu'à ce jour. MM. Guillaume, architecte, pensionnaire de l’Académie de France à Rome, et J. Delbet, docteur en médecine, attachés à la mission par arrêté de Votre Excellence, m'avaient rejoint dans les derniers jours d'avril, à Constantinople; j'y étais déjà depuis près d'un mois, occupé à chercher un cawass, un drogman, à me pro- curer des lettres de recommandation et des lettres de crédit pour les villes de l’intérieur. Le 2 mai 1861, nous nous embarquions pour Nicomédie, où nous trouvàmes plusieurs inscriptions inédites, dont deux latines ; or on sait combien les textes latins sont rares dans les provinces orientales de l'empire. Nicée, Gheumlek, l’au- cienne Kios, ne nous ont rien offert de nouveau, ou du moins d’intéressant; mais à Moudania, l'ancienne Apamée des Myrléens, ! Ces rapports ont été adressés à M. le comte Walewski, ministre d'Etat, qui avait alors dans les attributions de son département le service des Missions scien- tifiques et littéraires. — 46 — nous avons recueilli ce qui subsistait encore d’un théâtre caché depuis plusieurs siècles sous les vignes, et que les Turcs n'ont rendu au jour, l’an dernier, que pour le démolir aussitôt, et en tirer les matériaux d'une jetée. On avait trouvé, quelque temps avant notre passage, dans l'orchestre de ce théâtre, une inscrip- tion latine, gravée sur un bloc de marbre en forme de piédestal ; cette inscription fixe d’une manière définitive, à Moudania, l’em- placement de la Colonia Julia Concordia Apamea; on n'avait jus- qu’alors placé Apamée en cet endroit que par une conjecture fon- dée sur le texte de Strabon. Nous nous sommes reposés deux jours à Brousse; à Pandermo, nous sommes restés une semaine pour explorer avec soin les ruines de Gyzique et pour en dresser le plan, opération qui a été longue et difficile à cause de l'aspect tout particulier que présente ce ter- rain; il est couvert d’un maquis plus épais et plus impénétrable là où les débris anciens sont plus considérables. Nous y avons étu- dié et mesuré les débris d’un vaste et colossal édifice, où nous incli- nons à voir ce temple célèbre d'Hadrien, qui est souvent compté, à l’époque byzantine, parmi les sept merveilles du monde; la com- paraison des dimensions que nous avons relevées et de celles qui nous sont indiquées par les auteurs pour certaines parties de ce temple changera, nous l’espérons, notre conjecture en certitude. Sur notre route de Cyzique à Koutahia, M. Guillaume a me- suré et dessiné des monuments qui avaient déjà été signalés à l’at- tention des voyageurs, mais non reproduits par le crayon, comme le gymnase d'Hadriani, et surtout comme la belle tombe phry- gienne connue sous le nom de Delikli-tach, «la pierre percée, » qui se trouve auprès d’Harmandjik. À Koutahia, l'ancienne ville de Cotiaion, nous avons recueilli, même après M. Le Bas, un certain nombre d'inscriptions inédites, intéressantes à divers titres. Une pointe que nous avons faite, dans la direction d’Afioun-kara-hissar, vers le sud-est, nous a encore procuré plusieurs textes épigraphi- ques, dont l’un concourt, avec une inscription précédemment dé- couverte, à fixer au village d’Altun-tach le site d’une ville, Ben- nisoa, que ne mentionnent point les auteurs, et qui paraît avoir eu pourtant une certaine importance. De retour à Koutahia, nous nous sommes dirigés vers le dis- trict si curieux où se trouve le monument étrange connu sous le nom de Tombeau de Midas, ainsi que tant d’autres tombes et habi- — 47 — talions creusées dans le roc. Dans ce canton de Doghanlou-dérè-si, après tous nos prédécesseurs, Leake, Hamilton, Texier, Barth, nous avons trouvé encore à glaner ; nous avons pris des photogra- phies de quelques-uns de ces monuments, malgré un temps dé- testable, et nous avons étudié un curieux type d’architecture mili- taire primitive, Pischmich-kalè-si, «la forteresse brûlée, » vieille citadelle phrygienne qui veillait, à ce qu’il semble, sur les tombes royales, qu’elle regarde et domine. À Pischmich-kalè-si, au lieu de murs, le précipice; créneaux, chemin de ronde, escalier pour y parvenir, casemates, chambre pour le commandant, citernes, grand escalier descendant à la plaine comme on en trouve dans nos châteaux du moyen âge, tout est creusé dans la roche vive. Nous avons dressé le plan de la citadelle et pris une vue de l'entrée. Nous nous sommes arrachés à regret à ce canton, qui aurait mé- rité de nous retenir plus longtemps; nous avions hâte d'arriver à la province dont l’exploration nous était le plus particulièrement recommandée, la Galatie. Nous traversämes donc rapidement la ville moderne de Siwri-hissar pour nous rendre à Bala-hissar, l’an- cienne Pessinunte, cité phrygienne, célèbre par son temple de Cybèle, et devenue, après la conquête galate, la capitale des To- listoboïiens. C’est M. Ch. Texier qui a eu l'honneur de signaler le premier à l'attention les ruines de cette ville fameuse, et de leur donner leur vrai nom ; d’après le plan qu'il en a dressé , nous espé- rions trouver sur le terrain matière à d’intéressantes études. La réalité a été loin de répondre à nos espérances. M. Texier, comme il le dit lui-même, a examiné très-rapidement ces ruines, et ce premier coup d'œil l'a trompé sur l'importance des vestiges encore subsistants. Il est des édifices qu’il indique et dont nous n'avons plus trouvé trace, tandis qu'ailleurs les débris étaient trop confus et trop dépourvus de caractère pour qu'il fût possible d'y saisir une disposition quelconque. Trompés dans cette attente, nous avons décidé de regagner Constantinople en traversant un district qui est marqué sur la carte comme une véritable terra incognita, le pays qui s'étend sur les deux rives du Sangarius dans son cours supérieur, et qui est connu sous le nom d’Assi-Malitch. Nous avons recueilli là, mais trop tard, des renseignements sur deux sites contenant des ruines elque nous aurions laissés à quelques heures de la ligne suivie par —— MSN == nous. L'un de ces sites doit être celui de Juliopolis, ville dont l’em- placement n’a pas encore été retrouvé. Les indications que nous avons réunies permettront aux futurs explorateurs de visiter ces ruines, où il y a peut-être d'importantes découvertes à faire. En tout cas, cette partie de notre voyage permettra de tracer d’une manière plus exacte le cours du Sakharia au-dessus de sa jonction avec la rivière d’'Eski-sheir. De Muderlu, l’ancienne Modrene, cinq jours de marche à travers les belles forêts de Olympe bithynien et du lac de Sabandja nous ont ramenés à Nicomédie. Nous étions à Constantinople dans les derniers jours de juin. Nous passämes une quinzaine de jours à mettre en ordre et en sûreté notre butin, une centaine d'inscriptions, la plupart iné- dites, une douzaine de photographies, une vingtaine de dessins, tous nos itinéraires relevés à la boussole, des observations baro- métriques etthermométriques régulièrement prises pendant toute la durée du voyage. | Nous nous embarquions le 15 juillet à bord d’un bâtiment des messageries, le Caire, qui nous déposait à Héraclée Pontique, au- jourd'hui Érekli; nous y visitions cette fameuse grotte qui était re- gardée autrefois comme une entrée des enfers, et devant laquelle il y aurait à faire des fouilles qui seraient certainement produc- ives; tout le sol de l’'étroite vallée où s'ouvre la caverne semble composé de stèles funéraires renversées et entassées les unes sur les autres. À quelques heures d’Erekli se trouve Uskub ou Eski- bagh, autrefois Prusias ad Hypium. Là M. Guillaume étudia et dessina un théâtre que M. Hommaire de Hell avait le premier si- gnalé à l'attention des voyageurs futurs, et qui présente d’intéres- santes particularités de forme. M. Guillaume regarderait cet édifice, dont l'ornémentation a du goût et de la richesse, comme un mo- nument du premier siècle de la conquête romaine. En même temps je relevais de longues et curieuses inscriptions, encastrées dans les murs de l’ancienne ville, qui mentionnent toutes les tribus de Prusias ad Hypium, et qui nous montrent quelle était, sous les Romains, au second siècle de notre ère, l’organisation d'une cité bithynienne, quelles étaient ses magistratures, quels jeux publics amusaient le peuple et permettaient aux riches citoyens de faire éclater leur opulence et leur prodigalité. D'Uskub, nous avons gagné Bolu, qui nous a paru occuper l'emplacement même de l'ancienne Claudiopolis, auparavant Bithynium; les cimetières de EL — 49 — la ville et des villages voisins sont remplis de stèles funéraires dont beaucoup portent des inscriptions. Je n'ai pu copier, parmi celles qui s’offraient à nous, pendant le trop court séjour que nous avons fait à Bolu, que les plus intéressantes et les mieux conservées ; il y aurait encore là beaucoup à recueillir. De Bolu, nous avons traversé l'Olympe galate, du nord au sud, par un sentier qui mène en vingt heures de Bolu à Bei-Bazar. Aucun voyageur n'avait encore suivi cette route, et d’ailleurs, nous avions chance de descendre ainsi les pentes méridionales de lOlympe, non loin du point où Manlius battit les Tolistoboïens et les Trocmes. J'espérais retrouver peut-être les traces de quelques oppida celtiques, de ce camp retranché, où les Galates se fortifièrent et se défendirent sans succès; mais jai eu beau multiplier les questions, je n'ai rien appris ni rien trouvé. La description de Tite-Live est plus pittoresque que précise : il n'indique que fort vaguement la région où eut lieu l'engagement, et il faudrait, pour reconnaître, son récit à la main, le lieu du combat, que le hasard vous amenàt sur le champ de bataille même. De Bei-Bazar à Angora, nous avons suivi une route déjà connue, où nous avons pourtant glané quelques inscriptions et recueilli quelques vues pittoresques. Pendant toute cette dernière partie de notre voyage, depuis Bolu jusqu’à Angora, notre marche a été ralentie et attristée par la fièvre, qui a frappé l’un après l’autre tous mes compagnons; moi seul, plus habitué à ce climat, j'ai résisté jusqu'ici. M. Guil- laume surtout a été cruellement éprouvé ; il lui a fallu se tenir à cheval, pendant trois jours, dans des sentiers de montagne, avec une fièvre violente et continue qui ne lui permettait de prendre aucun aliment. Cordialement accueillis à Angora par l'évêque des Arméniens catholiques, M£' Antonio Chichmanian, à qui nousétions recommandés, nous nous remeltons en ce moment de nos fatigues, et nous nous préparons à étudier l’Augusteum sous toutes ses faces, à dégager, s’il est possible, la traduction grecque de l’Index rerum gestarum. Grâce aux lettres vizirielles dont nous étions pourvus, grâce à l'appui de l'évêque, nous avons trouvé chez le pacha et les notables les meilleures dispositions , el lout nous fait espérer pour nos recherches et nos fouilles un heureux succés. J'ai l'honneur d’être, Monsieur le Ministre, etc. G. PERROT. — 150 — DEUXIÈME RAPPORT. \ Angora, 16 septembre 1861. Monsieur le Ministre, Nous devons déjà à notre séjour en Galatie une importante dé- couverte qui, nous l’espérons bien, ne sera pas la dernière. Je vais en rendre rapidement compte à Votre Excellence, en attendant que je puisse mettre sous ses yeux notre conquête. Dans le programme de la mission que vous m'avez fait l’hon- neur de me confier, mon attention était particulièrement appelée sur la célèbre inscription connue depuis deux siècles sous le nom de monument d'Ancyre, inscription qui, par son étendue et surtout par la nature du document qu’elle nous a conservé, est peut-être la plus intéressante de toutes les inscriptions latines qui sont par- venues jusqu'à nous. Ce n'est autre chose, en effet, que le testa- ment de l’empereur Auguste; non les dispositions testamentaires adoptées par lui pour se donner un héritier et un successeur, mais son testament politique, le résumé de sa vie tout entière écrit par lui-même, le compte des victoires et des services par les- quels il a conquis le pouvoir suprême, la liste des magistratures qu’il a exercées et des honneurs que lui ont accordés le sénat et le peuple, l'énumération des édifices qu’il a réparés ou construits, le tableäu de sa Rome de marbre, qu'il a substituée à la vieille Rome de briques. C’est la substance de ces Commentaires, ou mé- moires de sa propre vie, qu'avait écrits Auguste, et que nous ne possédons plus. Un pareil document est d'autant plus important que la plupart des historiens de ce règne fameux sont perdus; pour er recomposer péniblement lhistoire, on est obligé d’em- prunter partout, de demander aux auteurs d'histoires générales, aux allusions des poëtes contemporains, aux inscriplions éparses dans tout l’ancien monde, aux légendes enfin des médailles, des faits et des détails que l’on est souvent embarrassé pour grouper dans leur ordre véritable. Quoi donc de plus précieux, malgré sa brièveté, que cette histoire lapidaire empruntée par la province de Galatie aux stèles d’airain où l'avait fait graver à Rome le suc- cesseur d'Auguste ? Le malheur est que cette inscription a beaucoup souflert du — 51 — temps, et qu'elle contient, surtout dans sa première partie, de longues lacunes. L'examen du texte latin, gravé dans l’intérieur du pronaos de l’Augusleum , à droite et à gauche de la porte prin- cipale, nous convainquit bien vite que, s’il y avait à lire plus correctement certains membres de phrases, et à arracher çà et là, à force de patience, quelques lettres de plus aux écorchures du marbre et aux lèvres des profondes blessures qui, en divers points, ont emporté toute trace de l'écriture, nous ne pouvions espérer d’ajouter beaucoup ainsi à l'intérêt historique du monument. Nous pouvons donner et nous donnerons un texte épigraphique plus correct et plus complet; surtout, par le mode de transcription que nous avons adopté, nous indiquerons exactement l'étendue des lacunes, ce qui rendra bien autrement facile et sûre toute tenta- -tive future de restauration. Faute d’avoir eu un texte ainsi établi, ceux qui ont essayé de combler, à l’aide de l’histoire et d’autres inscriptions semblables, les vides que celle-ci présentait, sont tombés dans de graves erreurs, mettant quelquefois deux ou trois môts là où il fallait deux ou trois lignes, et une phrase tout en- tière là où il manquait quelques lettres. Le texte que nous rap- porterons, fac-simile exact de la muraille, à l'échelle du dixième, aura donc sur tous ceux qui l'auront précédé une incontestable supériorité. C’est grâce au concours empressé de M. Guillaume que j'ai pu donner à ma copie cette forme trop rarement em- ployée. C’est tout ce que nous avons pu faire pour le latin. Il ne dépendait pas de nous d’en retrouver des alinéa tout entiers, dont le marbre, cédant à de brutales atteintes, n’a pas gardé le moindre vestige. Pour fournir à l’histoire des renseignements plus complets''et, dans quelques parties, entièrement nouveaux, c'était donc, nous l'avons compris tout d’abord , à l'inscription grecque gravée exté- rieurement sur la muraille orientale de la cella du temple qu’il fallait nous adresser. Cette inscription est la traduction fidèle du texte latin, destinée à le mettre à la portée d’un peuple chez qui, à cette époque, la connaissance de la langue latine devait être fort peu répandue. Quand le temple fut consacré, et que les princes galates en célébrèrent la dédicace par ces fêtes magni- liques dont une inscription, gravée sur l'ante de gauche, nous a conservé le souvenir, il fallait que la foule, se pressant aux abords du somptueux édifice, püt lire, sur la paroi de marbre, Îles — 152 — grandes actions du dieu nouveau en l'honneur duquel on avait ap- pelé les plus habiles artistes et prodigué les plus riches matériaux. Cette inscription a un développement d'environ vingt-trois mè- tres de long sur 1"35 de haut, les lettres ayant 0"023 de hauteur. Elle est partagée en dix-huit colonnes et demie, c’est-à-dire qu’en moyenne trois des colonnes grecques répondent à une des co- lonnes du latin, qui en a six. Du temps de Tournefort, elle était déjà presque complétement masquée par des maisons turques adossées au temple, comme elle l’a toujours été depuis, et comme elle l’est encore aujourd’hui. Tournefort en avait aperçu quelques parties, sans se douter qu'elle répondit au latin, dont il avait pris copie. Pococke en transcrivit, dans le siècle suivant, quelques lignes, qui lui en révélèrent la nature et le sens. Enfin, il y aune vingtaine d'années, un des voyageurs qui ont le plus fait pour la géographie et l’histoire de l'Asie Mineure, M. Hamilton, pénétra dans les maisons turques qui cachaient l'inscription, et acquit le droit de faire abattre un mur qui en couvrait le dernier tiers. Il put copier ainsi quelques mots, sinon des lignes entières, des dixième, onzième et quatorzième colonnes, les quinzième, -sei- zième, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième en entier. La fin de la dix-huitième el la dix-neuvième sont les seules parties non masquées; on les voit de la cour d’une des maisons dont je viens de parler. Cette découverte rendit déjà un grand service à ’étude et à la restitution du texte latin, et fut saluée avec une juste reconnaissance. Cependant ce n’était point là la partie de l'inscription grecque qu'il importait le plus de retrouver; la se- conde moitié du texte latin, les trois colonnes qui sont écrites à droite du pronaos, sont incomparablement mieux conservées que la première moitié, gravée sur la muraille gauche. C'est surtout dans les deux premières colonnes du latin que se trouvent les plus longues, les plus tristes lacunes; on peut dire qu'il en manque environ les deux tiers. C’est précisément cette partie de l’inscrip- tion grecqué que nous avons retrouvée. e Grâce au firman dont nous étions munis et aux ordres qu'avait en conséquence donnés le pacha, nous avons visité, plus complé- tement encore que M. Hamilton, les maisons turques qüi entou- rent le temple. Dans l’une d'elles, nous avons trouvé le commen- cement de l'inscription. La première colonne seule était à découvert; le reste disparaissait derrière un mur en briques crues, — 1535 — appliqué sur là muraille de marbre à l'effet de supporter les poutres du plafond, mur auquel en venait aboutir un autre qui divisait la maison en deux pièces. J'ai aussitôt entamé des négo- ciations avec le propriétaire de la maison pour démolir le mur, sous condition de le rebâtir à mes frais. On avait d’abord élevé des préténtions très-exagérées; mais, grace à d'obligeants inter- médiaires et à la présence de notre médecin, dont on désirait les soins pour un enfant malade, on a fini par entendre raison. Der- rière ce mur, nous avons trouvé les huit premières colonnes de l'inscription. J'ai passé une semaine à les copier, puis, mis en goût par ce premier succès, jai attaqué la maison voisine, qui servait de magasin à un marchand de paille. Moyennant un nou- veau présent, nous avons obtenu de nous installer dans cette grange ; nous avons praliqué des tranchées dans la paille, et nous avons pu copier là en entier les dixième, onzième, douzième et treizième colonnes. Quelques mots de la dixième et de la onzième avaient été aperçus par M. Hamilton, je ne sais comment, sans qu'il püt lire des lignes entières. L'état des lieux a dû changer de- puis son passage. La neuvième colonne nous manque encore; elle est cachée derrière un gros mur mitoyen que nous avions songé d’abord à faire abattre; je dirai plus loin pourquoi nous avons dû renoncer à abattre ce mur. Cette colonne correspondait d’ail- leurs à une des parties les mieux conservées du latin. Il en est de même pour la quatorzième, où M. Hamilton a lu la moitié de toutes les lignes. Je n'ai jamais oublié, dans le cours de ces re- cherches, que l'inscription grecque n'est qu'une traduction, et que chaque colonne varie d'importance suivant l'état de la partie du latin auquel elle répond. En partant de ce principe, la portion du texte grec à laquelle je devais tenir le plus, ce sont les huit premières colonnes, qui me conduisaient jusqu'à la vingtième ligne de a troisième co- lonne du latin, et qui embrassent ainsi les parties du texte latin que le temps a le plus maltraitées. Aussi, là surtout, n’ai-je épar- gné ni soins ni peines pour ne pas omettre dans toute cette éten- due une lettre ou même une moitié de lettre, un jambage à peine visible sur le marbre noirci par la terre ou par la fumée. Ce tra- vail a été d'autant plus fatigant qu'il fallait le faire tout entier à la bougie, dans une chambre obscure. J'ai passé bien des heures à faire jouer en tout sens la lumière sur la surface du marbre, pour MISS. SCIENT. 30 = 1 éclairer les lettres sur tous les angles. Souvent, au troisième ou quatrième essai, l'ombre d'une arête restée un peu plus vive que les autres me révélait le mot que je cherchais. J'ai été parfaite- ment secondé par M. Guillaume; malgré tout ce qu'avait d’en- nuyeux et même de pénible pour lui ce travail, étranger à ses études spéciales, il a bien voulu revoir après moi toute’ l’inscrip- tion; il a corrigé plusieurs erreurs dans ma copie, et l’a enrichie de plusieurs mots nouveaux. Il va sans dire que nous reprodui- sons cette inscription, comme l’autre, en fac-simile, à l'échelle du dixième. Malheureusement, en certains endroits, le marbre a été martelé jusqu'à enlever le fond des lettres, sans doute pour faire mieux tenir les carreaux de boue que, pendant des siècles, on a appli- qués sur la noble muraille; en d’autres endroits, on l'a creusé pour y enfoncer des poutres. Aussi, malgré nos efforts réunis, la première colonne présente quelques lacunes, et, dans la seconde, pas une seule ligne n’est entière : çà et là des mots clair-sémés, et dont il est quelquefois difficile de saisir la liaison là où on n’a pas le latin pour guide. La troisième et la quatrième colonne, quoique incomplètes par places, nous révèlent des faits dont lelatin n’a pas gardé trace : la résistance qu'Auguste dit avoir opposée aux vœux du sénat et du peuple lui déférant le pouvoir absolu, son refus non moins persistant d'acccepter le consulat à vie, les soins qu'il a pris, les dépenses qu'il a faites pour approvisionner le marché, la préfecture des mœurs qu'il a exercée, le rang de prince du sénat qu'il a occupé pendant quarante ans, ious les colléges religieux dont il a fait partie, etc. Les cinquième, sixième, sep- tième et huitième colonnes se lisent presque comme au lendemain du jour où elles ont été gravées; à peine manque-t-il çà et là un mot, quil est aisé de suppléer à coup sûr. Quant à ce qu'elles ajoutent au latin, il serait trop long de chercher à le dire ici. Tout ce qu'il est possible de marquer dès à présent, c’est que les la- cunes du texte original étaient bien plus considérables qu’on ne se le serait figuré d’après les éditions qui en ont été données à diverses reprises. En constatant l'étendue de ces lacunes, nous sommes heureux d'avoir en même temps trouvé moyen d'en combler, au moins pour ce qui est du sens et des faits, la-plus grande partie. La dixième colonne et les trois suivantes sont en général bien conservées. cal — 155 — Sur les dix-neuf colonnes dont se composait l'inscription srecque, j'en ai donc lu et copié douze pour la première fois, cinq autres ont été données par M. Hamilton, ainsi que la moitié d’une sixième; une seule, la neuvième, n’a encore été vue ni par lui ni par nous; j'ai reculé devant les difficultés d'exécution, le latin se suffisant à peu près à lui-même dans cette partie. Il fallait déran- ger encore pendant plusieurs jours des gens chez qui nous étions installés depuis Jlongtemps déjà, et qui, malgré la patience et la nonchalance turques, commençaient à s'impatienter du dérange- ment que nous leur causions. Nous devions craindre, en employant l'autorité pour les forcer à se prêter à de nouvelles démolitions, de mettre contre nous l'opinion du quartier, ce qui nous gênerait pour continuer les fouilles que nous avons entreprises dans le temple et autour du temple, dans un cimetière turc, dans la cour d’une maison voisine. Heureusement, grâce à bien des ménage- ments et à un peu d'argent semé à propos, nous avons pu remuer le sol sans obstacle. Le bruit court pourtant dans la ville que les étrangers qui se sont emparés de l’'Ak-Médressé, « l'École blanche » (c'est le nom que l’on donne chez les Turcs aux ruines du temple d’Auguste), ont déjà expédié en France huit chameaux chargés d’or. Ce n’est pas là ce que nous cherchions; le moindre bas-re- lief, la moindre statue ferait mieux notre affaire. Nous n'avons pas encore eu le bonheur d'en rencontrer; mais nos fouilles n’én aideront pas moins M. Guillaume à reproduire fidèlement tous les détails de l’ornementation, et à reconnaître la véritable disposi- tion de l'édifice. Voici une note qu'il me remet au sujet de ces travaux , et que je transcris afin de donner à Votre Excellence une idée des résultats obtenus jusqu’à ce jour : « H ne reste du temple d’Auguste que les murs longitudinaux, terminés par des antes, et un mur transversal, où se trouve la porte antérieure de la cella; à la partie postérieure existent encore les murs et les reins de la voûte d’un chœur d'église ajouté par les Grecs byzantins. «Les fouilles entreprises ne pouvaient guère avoir pour objet la découverte de fragments antiques importants, soit d’architec- ture, soit de sculpture. La transformation de l'édifice d’abord en église par les Byzantins, puis en médressé ou école par les Turcs, ne laissait guère d'espoir à ce sujet. «I n’y aurait donc qu’à rechercher toutes les indications sub a. —. Ie sistantes de la disposition architecturale de l'édifice et de sa déco- ration, indicalions nécessaires à upe étude sur l’état primitif du temple. À ce point de vue, le résultat des fouilles a été très-satis- faisant et modifie d’ane manière importante les données que nous possédions sur l'Augusteum. «La première tranchée a été faite pour retrouver les traces du mur transversal qui terminait la cella. Ce mur a été détruit par les Byzantins, afin d’alionger leur église et de pouvoir lui donner un chœur; il n’a laissé d'autre trace que son arrachement sur les murs longitudinaux; les libages même des fondations ont été ex- traits, sans doute pour être utilisés dans les constructions qui s’a- joutèrent aux murs antiques à l'effet de former le chevet de l'église. D’autres tranchées, pratiquées contre les murs longitudinaux, m'ont donné la profondeur considérable des fondements (près de trois mètres), la différence de niveau centre le sol du pronaos et celui de la cella (un mètre dix centimètres), et enfin la riche et délicate décoration de la partie inférieure du pronaos postérieur. La même décoration se retrouverait certainement aussi dans le pronaos principal; mais celui-ci est transformé en un cimetière turc, qu'il est impossible de fouiller profondément. Les Byzantins, pour établir leur église, ont abaïssé le sol de la cella au niveau de celui du pronaos; c’est ainsi que le pavement a disparu. Une tranchée transversale entre les antes postérieures nous a donné les dés en pierre qui probablement soutenaient les deux colonnes jadis placées entre ces antes. J'espérais qu'une tranchée pratiquée dans l'axe en ce point nous ferait trouver les traces d’un portique posté- rieur ou des marches d'entrée, ou au moins du massif qui les por- tait. La découverte d'une crypte sous le chœur m'a ôté tout espoir de ce genre. L'entrée de cette crypte, très-petite, est fermée en arc de cercle; elle donne accès à six degrés très-hauts, par lesquels on descend. La voûte, plein-cintre, de ce caveau est en pierre et d'une belle exécution. J’ai fait fouiller le sol dans l'espoir de trouver une mosaique où un pavement quelconque; mais tout a disparu. «La tranchée pratiquée dans ie pronaos principal entre les antes, poussée autant que l’a permis le voisinage des tombes turques, m'a donné aussi la fondation en pierre qui portait les co- lonnes. Il reste une dernière question à vider, celle de l'existence d'un portique autour du temple. Sur la face latérale, à l'ouest, existent une mosquée et un cimetière turcs qui interdisent toute - excavation. Nous avons vu que la présence du chœur et de Îa crypte à la partie postérieure nous ôlait tout espoir de retrouver rien du temple en ce point; reste donc la face latérale est et la fa- cade antérieure. Sur la première, trois maisons turques sont ap- puyées au mur même du temple; la cour seulement d’une de ces maisons, à l’angle nord-est, nous a permis de faire une excava- tion latérale. Des tranchées perpendiculaires, et d’autres paral- lèles au mur, poussées jusqu’à plus de deux mètres de profondeur (quoique ici déja les fondations en pierre soient déchaussées), n'ont donné aucune trace de substruclions indiquant l'existence d'un portique. Une dernière tranchée pratiquée, suivant l’axe de l'édifice, à la face du temple, nous renseignera sur ce qui a pu exister en ce point. «Ici se bornent toutes les fouilles praticables aujourd'hui à l’extérieur et à l’intérieur du temple d'Auguste. Elles auront fourni, tant par leurs résultats positifs que par leurs résultats négatifs, des renseignements sans lesquels il eût été impossible de recher- cher l’état primitif et de tenter sérieusement la restauration de ce beau monument. » Plus nous étudions ensemble, M. Guillaume et moi, le monu- ment au pied duquel, depuis un mois, nous passons presque toutes nos journées, plus nous l’admirons. Par la beauté des pro- portions, comme par la finesse des détails et par la merveilleuse exécution de l'appareil, c'est, sans aucun doute, de tout ce que l’on peut voir en Orient, ce qui se rapproche le plus de l’inimitable perfection des monuments d'Athènes. | Nos recherches nous ont fait découvrir quelques autres inscrip- tions intéressantes. Sur l’ante de droite, se lit, en caractères qui ne peuvent être antérieurs au second siècle de notre ère, la liste des souscripteurs qui ont contribué à une réparation de l'édifice. La toiture, paraît-il, était surtout endommagée, et fut refaite en entier. En tête de la liste, on lit le nom de Séleucus, prêtre d’Au- guste. Le culte d’Auguste n’était pas mort avec la famille julienne ; on continuait, longtemps après lui, à rendre hommage à l’em- pereur régnant en adorant le fondateur de l'empire. C’est ce dont témoigne aussi une curieuse inscription inédite que nous avons recueillie dans l'enceinte d’un turbé, ou tombeau turc; elle men- lionne, en tête d’une longue liste contenant les noms de tous ceux qui avaient concouru à élever une statue à l'empereur, une — 158 — femme, flamine d’Auguste; le nom de l'empereur manque. Dans cette même enceinte, nommée Aslan-hané, ou la Cour des Lions, M. Delbet a pris l'image photographique d’un lion, qui est cer- tainement d’une bonne époque et d’un ariiste habile. Le marbre est frusle, mais la pose est pleine de franchise et de noblesse ; elle rappelle celle des fameux lions de l'arsenal de Venise. Je ne men- tionne que pour mémoire plusieurs inscriptions byzantines que nous avons lues, en dégageant le pied du mur, sur les parois de la cella. Voilà, Monsieur le Ministre, où en sont les travaux de la mis- Sion. Suivant le désir que vous me marquez, j'ai donné à cette expo- sition de plus longs développements que je ne l'avais fait jus- qu'ici. Veuillez m’excuser si j'ai dépassé la mesure. M. Guillaume compte employer encore environ trois semaines à étudier dans ses moindres détails le temple d’Auguste, et. à réunir les matériaux d’une restauration. J'aurai fini d'ici à quelques jours la transcrip- tion de tous les textes épigraphiques que m'offrent le temple et la ville. J’emploierai la fin du mois à parcourir en toùs sens les en- virons d'Ancyre, à y chercher toutes les traces encore subsistantes de ia Galatie indépendante, puis de la Galalie sujette de Rome. Dans les premiers jours d'octobre, nous espérons pouvoir nous diriger vers Boghaz-Keui (Pterium), et aller recucillir, dans cette région intéressante, au moyen du crayon et de la photographie, tous les restes de ces palais et de ces sculptures de style assyro- médique que MM. Texier, Hamilton et Barth y ont signalés. Grâce à votre libéralité, nous pourrons accorder à ces curieux restes d’un passé mystérieux tout le temps nécessaire, et ne recu- ler devant aucune dépense utile. S'il nous est impossible de rap- porter pour le Musée, comme nous désirerions le faire, un.de.ces étranges bas-reliefs, au moins tàcherons-nous d'en prendre des moulages. k Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d’être, De Votre excellence, Le très-humble et très-obéissant serviteur, (x, PERROT. — 159 — TROISIÈME RAPPORT. Angora, 22 octobre 1861. Monsieur le Ministre - En date du 17 septembre, j'ai eu l'honneur de vous adresser un rapport dans lequel j'exposais à Votre Excellence les découvertes épigraphiques que nous avious eu le bonheur de faire sur les murs de l’'Augusteum, et le mode de transcription que nous avions adopté. Je vous disais ce que nous avions fait, et pour le monu- ment original, dont nous rapporterons un texte plus près d’être complet et plus facile à compléter, et pour la traduction grecque, dont nous aurons douze colonnes inédites à publier; en même temps, je vous indiquais à quelles conjectures nous avaient cori- duits, sur la disposition primitive et le véritable caractère du temple de Rome ct d’Auguste, les fouilles que nous avions entreprises dans le temple et autour du temple. 11 me reste aujourd'hui, Mon- sieur le Ministre, avant de quitter Angora, à résumer rapidement les résultats généraux du long séjour que nous avons fait au centre de la Galatie, dans la plus importante de ses trois anciennes ca- pitales, les découvertes accessoires que j'ai dues à de nombreuses excursions dans les environs, enfin les idées que je crois dès main- tenant pouvoir exprimer sur quelques-unes des plus importantes questions auxquelles devait répondre notre mission. Eu nous traçant le progranune de la mission que vous nous avez {ait l'honneur de nous confier, Votre Excellence appelait parlicu- lièrement notre attention sur les monuments dits celtiques que l’on pouvait supposer devoir exister dans une contrée où sétait bxéc une branche de la race celtique, et où sa langue persista, aflirme- t-on, jusqu’au 1v° siècle de notre ère. J'ai donc tenu à éclaircir ce problème, et mes recherches se sont portées tout spécialement sur ce point. Je n'ai négligé aucun indice, quelque léger qu'il füt, aucun renseignement, quelque peu de confiance qu'il parüt mé- riter, et j'ai entrepris, à cet effet, plus d’une course infructueuse. Comme je m'y attendais avant de commencer ces recherches, je n'ai rien trouvé qui présentèt la plus lointaine ressemblance avec les dolmens, les menhirs et les cromlechs. Une ou deux fois j'ai été conduit à concevoir des espérances, qui ont été bien vite déçues. — 160 — En réponse à mes questions, sans cesse répélées, les paysans me. parlaient de monuments qu'ils appelaïent dikili-tach , la pierre plan- tée; c'est à peu près le nom qu'on donne en Bretagne aux menhirs, «les pierres debout. » J’ai été voir ce qu’on désignait ainsi : c'étaient seulement des stèles funéraires de la fin de l'empire, restées de- bout sur l'emplacement désert de quelque village antique. J’ai exploré les forêts de lOlympe et ses pelouses alpestres, les col- lines étranges et lourmentées qui bordent le Sangarius dans la partie supérieure de son cours, les vastes plaines qui s'étendent autour d'Ancyre, les landes immenses et montueuses de l'Haima- neh, sans trouver nulle part le plus léger vestige de ces singuliers et barbares monuments, que jusqu à ces derniers temps personne n'hésitait à attribuer aux Celtes, nos ancêtres. Faut-il croire que des monuments de ceite nature ont été élevés en Galatie, mais qu’ils ont disparu depuis sans laisser de traces? Si aucun voyageur n'a été assez heureux pour en rencontrer, des recherches plus complètes doivent-elles nous en révéler un jour ou l’autre? Ou plutôt, comme je le pense, n'a-t-on pas de sérieuses raisons de croire que de pareils monuments n’ont jamais existé en Galatie, et que toute recherche à ce sujet est et demeurera vaine? Le sol de la Galatie a gardé des monuments assez nombreux d'une antiquité reculée, d’un art primitif bien antérieur à la con- quête gauloise, et même à l’ascendant pris par le génie et l'art grecs sur les races qui peuplaient, depuis les temps antéhistori- ques, l'intérieur de l'Asie Mineure. Sans parler des importants monuments de style assyro-médique que l’on connaît auprès de Boghaz-keui, dans la Galatie orientale, et que nous n'avons pas encore vus, de ce côté-ci de l’'Halys, aux environs d’Ancyre, j'ai découvert des œuvres encore inconnues de ces temps lointains et de ce même art primitif. Dans une fontaine turque, auprès d'un petit village nommé Kalaba, à une heure d'Angora, se trouve en- castré un bloc d’une espèce de granit noir, qui porte, sculpté avec un très-faible relief, un lion en course. Par son caractère de force et de simplicité, cette figure rappelle certains lions assyriens en bronze que nous possédons au Louvre, et se rapproche aussi de ceux que nous avons vus représentés dans quelques-unes des né- cropoles primitives de la Phrygie; c’est une œuvre sur l’origine de laquelle il est impossible de se méprendre; elle aura, nous le sup- posons, fait primitivement partie de quelque tombeau, et été — 6 — peut-être détachée, beaucoup plus tard, de la face du roc dans lequel elle avait été taillée. Le lion mesure, de la têle à la nais- sance de la queue, un mètre vingt-sept centimètres. Nous en rap- portons une photographie très-bien réussie. Dans l’Haïmaneh, la province qui s'étend au sud-ouest et au sud d’Angora, à neuf heures de cette dernière ville, près du petit vil- lage d'Hoiadja, j'ai visité le premier une antique forteresse ruinée, qui est connue des paysans sous le nom de Ghiaour-kalési, la for- teresse des infidèles. Elle occupe le sommet d’un haut mamelon qui domine une gorge assez creuse, où passe une des routes les plus fréquentées de l’'Haimaneh, une de celles qui conduisent le plus directement vers Pessinunte. C’est pour fermer ce chemin et commander à tout ce district que cette forteresse a été construite à une époque très-reculée. Une double muraille cyclopéenne, en gros blocs formant des assises irrégulières assemblées sans ciment, défendait le petit plateau ; l’une en bordait la crête; l’autre, à qua- rante mètres environ au-dessous de la première, servait d'ouvrage avancé du côté qui regarde la vallée et descend à la route. L'ap- pareil de ces murailles est moins énorme que celui de plusieurs des enceintes de la Grèce, de Tyrinthe, par exemple, et même de Mycènes en Argolide, de Samicum en Triphylie; les blocs sont pourtant encore très-grands. Une pierre d'angle, que j ai mesurée, a 1°98 d'un côté, 1"20 de l’autre. C'est la première construc- tion de ce genre que nous ayons rencontrée en Asie Mineure. Mais ce qui, bien plus que ces murailles, fait l'intérêt de ces ruines, ce qui leur imprime un cachet d’antiquité reculée et d’é- trange originalité, ce sont deux grandes figures d'environ trois mé- tres, sculptées dans le rocher, à gauche de l'entrée de la forteresse. Ce sont deux guerriers, coiffés d’une tiare ou d’un casque en forme de tiare surmonté de l’uréus. Tous les deux sont dans ia même position, debout, la main droite étendue vers l'occident. Le bras gauche, replié devant la poitrine, semble tenir quelque chose; quoi? C’est ce que je n’ai pu distinguer. Le cosiume se compose d’une tunique courte à larges manches, serrée au-dessus des han- ches par une ceinture d'où pend une courte et large épée, et des- cendant jusqu’au-dessous du genou. Au bas de ce vêtement court une bande qui figure probablement une bordure dont la couleur différait de celle du reste de l’étoffe. Les jambes paraissent nues. Les pieds sont chaussés de souliers dont la pointe se relève un peu, — 62 — comme celle des souliers à la poulaine, détail curieux qui se re- trouve dans les bas-reliefs de Boghaz-keui. Par le caractère du costume, par la disposition des plans, par la manière dont est comprise et rendue la forme humaine, par l’en- semble enfin du style, ces monuments se rapprochent sensible- ment de ceux de Boghaz-keui, autant que je puis en juger d’après les dessins qui en ont été donnés, et les figures assyriennes que nous possédons au Musée du Louvre. On pourra se convaincre de celte ressemblance en étudiant le fidèle et sincère dessin qu’en rapporte M. Guillaume. C’est la même simplicité, le même art d'indiquer les choses largement et par grändes masses. 11 y a un peu de dureté et quelque chose de trop accusé dans certains mou- vements des muscles ou des draperies, mais point cette froideur compassée qui gâte la plupart des figures égyptiennes. Dans le caractère de la physionomie, dans le dessin du profil, quoique ce soit là une des parties que les siècles ont le moins respectées, on reconnaît ces traits fortement accentués, ce nez aquilin, cetle barbe longue et frisée, tout ce lype enfin qui se trouve dans toutes les sculptures assyro-médiques, et quine saurait être confondu avec nul autre. R | Maintenant, comment se trouvent et que font ici ces deux figures colossales? À quelle époque et dans quelle intention les a- t-on sculptées dans cette roche, sous la puissante enceinte à qui elle servait d'indestructible fondation ? Quelles générations les ont laissées là comme la marque ineffaçable de leur passage? Je ne sais, et, en l'absence de toute inscription et de tout document his- torique, il ne me paraît pas que personne puisse répondre à ces questions. Veut-on une hypothèse: voici une de celles qui me par raîtraient peut-être le moins invraisemblables. Dans ces longues guerres entre les rois de Lydie ei les rois de Médie, sur lesquelles Hérodote nous donne de trop courts détails, les rois mèdes fran- chirent l’Halys et s’'avancèrent au-devant de leurs ennemis. Peut- être fut-ce dans le cours d’une de ces campagnes que les Mèdes fer- tifièrent cette hauteur ; comme prise de possession et comme pour marquer cette terre de leur sceau, ils auraient alors taillé dans le roc, à la porte de leur citadelle, l’image de deux princes ou gé- néraux mèdes. Il semble que la main droite des deux guerriers, étendue vers l'occident, montre les vastes plaines qui se déploient à perte vue de ce côté et en promette la conquête. Quoi qu'il en — soit de celte conjecture, il me paraît très-probable que nous avons là la signature de quelque conquérant venu de Ninive ou de Ba- bylone, ou plutôt encore d'Echbatane ou de Suze. En tout cas, ce que ces figures ont de très-intéressant, sans parler de leur valeur artistique, c’esl que ce sont, si je ne me trompe, les premières de cette nature et de ce caractère qui aient été découvertes en deçà de l'Halys, la limite ordinaire des grandes monarchies de l'Asie centrale; on attribue une origine égyptienne à la grande figure sculpiée sur le rocher de Nymphi, auprès de Smyrne. Les curieux bas-reliefs de Pterium sont sur la rive droite de ce fleuve; on l’afait considéré jusqu'ici comme l'extrême frontière de l’art assyro-médique; or voici sur l’autre rive, à trois jours de marche environ vers l’ouest, comme des sentinelles avancées qu'il a poussées jusque dans la Phrygie. Il n’y a que quelques jours de distance entre Ghiaour-kalési et les vallées de Doghanloudéré et de Kumbet, où l’on trouve dans les nécropoles phrygiennes un art aussi tout primitif, mais d’un style et d’un caractère différents. Tandis que chez les Assyro-Mèdes la repré- sentation de la figure humaine et des scènes de la vie paraît la chose principale, ce qui domine dans les tombeaux phrygiens, c'est l'ornementation, c'est la représentation d'animaux fantasti- ques ou réels, qui gardent toujours d'ailleurs un caractère pure- ment décoratif et symbolique. On n'a nulle part trouvé la figure humaine dessinée sur les tombeaux phrygiens. S'il a tiré sohibie: chose du dehors, l’art grec qui, dès ses débuts, s'applique surtout à reproduire la forme humaine, se rattacherait donc plutôt à la tradition et aux exemples de ce que l'où appelle l'art assyrien qu'aux modèles offerts par de plus proches voisins, les Phrygiens et les Lydiens. Les monuments d'une époque bien antérieure à l'invasion cel- tique ne manquent donc pas au territoire qui prit plus tard le nom de Galatie. On y trouve aussi des traces de l’art grec propre- ment dit; ainsi, à Pessinunte, les débris des temples élevés par les Attales à l'époque macédonienne, et de nombreux restes de la ci- vilisation gréco-romaine. Sans parler ici de l’Augusteum, Ancvyre est pleine de tombeaux, de fragments d'architecture et de sculp- ture du temps des empereurs. De tous ces débris, celui qui a la plus grande valeur artistique, c’est le lion colossal dont j'ai parlé à Votre Excellence dans mon dernier rapport, et qui se trouve dans — 64 — l'enceinte de la mosquée nommée Aslan-hané. Presque tons les villages de l’'Haïmaneh conservent encore des stèles funéraires qui semblent appartenir aux temps postérieurs à Constantin. Enfin on trouve en Galatie les restes de quelques grandes églises byzantines, et, déjà presque aussi ruinées , quelques mosquées dues aux sultans d’Iconium. Comment ce sol qu'ont marqué de leur empreinte et où ont laissé quelque chose d’elles-mêmes chacune des nations qui s’y sont succédé, chacune des grandes époques de l'art, n'aurait-il rien gardé de la nation et de la période celtiques? Il y aurait là, il faut l'avouer, une singulière anomalie! * La première réponse à faire, c’est qu'il est loin d'être prouvé que les dolmens, menhirs, cercles de pierre qui se rencontrent encore en tant d’endroits de l'Europe occideniale, soient d'origine celtique. Quelques-uns des savants qui se sont occupés le plus sé- rieusement de ces questions, dans ces derniers temps, inclinent à les attribuer à la race qui aurait précédé nos pères dans ces con- trées, et cette opinion, que l’on appuie sur des raisons spécieuses et de vraisemblables conjectures, tend aujourd'hui à s'accréditer dans la science. ; D'ailleurs, en admettant même que ce soil aux Celtes quil faille attribuer les monuments dont notre Bretagne offre peut-être les plus beaux types, on comprendra facilement que les bandes guer- rières qui envahirent l'Asie Mineure et s’établirent dans la pro- vince appelée depuis Galatie n'aient laissé aucun ouvrage de ce genre. Ces hardis conquérants n'étaient, d’après Tite-Live, lors de leur passage en Asie Mineure, en 278 avant Jésus-Christ, que vingt mille environ. Ils n'avaient franchi l’Hellespont qu'après avoir, pendant plusieurs années, parcouru les armes à la main et avec diverses fortunes ia Thrace, la Macédoine et la Grèce. Pen- dant les cinquante premières années de leur séjour en Asie, ils sont tantôt au service d’un prince, tantôt au service d'un autre, et ils courent d’un bout à l’autre de l'Asie Mineure en la pillant. Ce n’est guère que vers 220 qu'ils s’établissent définitivement au centre de la péninsule, dans un territoire formé de districts em- pruntés surtout à la Phrygie et à la Cappadoce. Ce n'est pas pen- dant ces cinquante ans de courses aventureuses et de rapides expé- ditions que ces cavaliers, toujours en selle, que ces condotitierr, guerroyant aujourd'hui en Bithynie, demain en lonie ou en Lycie, —— 10 — ont pu songer à consacrer à leurs dieux, sur la montagne ou dans la forêt, ces sanctuaires immenses, ces énormes autels sur lesquels, en Gaule, leurs pères, dit-on, offraient à Teutatès de sanglants sacrifices. [ls n'auraient donc pu vaquer à ces soins que vers la fin du zr° siècle, et dans le cours du siècle suivant, quand cette ar- mée devient une nation, quand ces soldats s'attachent enfin à un sol et possèdent un territoire à eux, la Galatie, que se partagent les Tolistoboïens, les Tectosages et les Trocmes. Mais alors les Ga- lates étaient déjà bien loin de la mère patrie. Hors peut-être quel- ques vieillards, assez heureux pour avoir survécu à ces longues fatigues et à tant de combats, ceux qui fondèrent l'établissement définitif, qui se fixèrent autour de Pessinunte, d'Ancyre et de Tavia, étaient tous nés en Asie, les uns de captives enlevées avec le reste du butin, les autres, un peu plus tard, de mariages con- tractés avec des femmes du pays. Les bandes de jeunes hommes qui, à travers toute l'Europe orientale, la Macédoine et la Thrace, étaient venues jusqu’en Asie Mineure, ne s'étaient pas embarras- sées, au début de cette aventure, de femmes et d'enfants. Ce n'était ensuite qu’en mêlant sans cesse leur sang à celui des Grecs asiati- ques qu'elles s'étaient rapidement augmentées et qu’elles avaient pu devenir la souche féconde d’une nation nouvelle, fruit du croi- sement de deux races. Les Romains disaient bien, en désignant les Gaulois d'Asie Mineure sous le nom de Gallo-Grecs. Sans même qu’il füt besoin de ces unions chaque jour renou- velées, ces soldats ignorants et grossiers, jelés au milieu de cette Asie Mineure si peuplée, si riche, ornée de tant de merveilles des arts, devaient en subir promptement l'influence, se laisser péné- trer par les idées et les croyances d'un pareil milieu, en imiter les usages et les mœurs. Tous les témoignages historiques s'accordent à nous les montrer, dès le temps de la guerre contre Mankus, déjà très-grécisés, ayant pris le luxe et les habitudes asiatiques, et ne différant guère des populations qui les entourent que par leur humeur guerrière, leur bravoure, leur mépris de la mort. Tite- Live, par la bouche de Manlius, les accuse bien d’avoir conservé l'habitude des sacrifices humains ; mais c’est dans un de ces dis- cours qui ressemblent souvent à des exercices de rhétorique, et non dans le cours du récit. Est-ce là une assertion fondée sur des faits, ou ne faut-il pas plutôt n'y voir qu'un moyen oratoire, un trait brillant inventé pour les besoins de la cause? Connaïssant les — 166 — usages et les rites sanglants des Gaulois de la Gaule Transalpine, Manlius ou , si l’on veut Tite-Live, qui le fait parler, a pu sans in- vraisembiance les attribuer à leurs frères de l'Asie Mineure. Il me paraît probable que les Gaulois, dès cette époque, s'étaient mis à adorer les dieux dont ils avaient trouvé le culte établi darnis les pays où ils s'étaient fixés. Partout ils avaient rencontré, dans les villes dont ils devenaient les maïîtres, des sanctuaires anciens et vénérés, et ils les avaient respectés; c'est ce que prouvent la répu- tation dont jouit à cette époque même le temple de Pessinunte et Péclat qui l'entoure, quoique le clergé en soit hostile aux Gaulois, etqu'il accueille, avec des félicitations et des souhaits de victoire, le consul romain qui marche contre eux. Tout prouve la facilité avec laquelle ces conquérants subirent les influences successiyes qui vinrent les dominer, d'abord celle des Grecs asiatiques, puis bien- tôt celle de Rome. En l'absence de documents suffisants, les noms propres mêmes en témoignent. Déjà, avant la conquête romaine, les noms grecs sont très-fréquents parmi les Gaulois. Pour n’en ci- ter qu’un exemple, le dernier roi de Galatie, Amyntas, le succes- seur de Déjotarus, porte un nom macédonien. Dans les inscrip- tions contemporaines du règne d’Auguste, on trouve encore quel- ques noms visiblement gaulois; mais, dès le règne de Tibère, on ne rencontre plus que des noms moitié grecs, moitié romains. Dès la fin du premier siècle avant Jésus-Christ, on voit un prince gaulois grand prêtre de Comana. Un peu plus tard, ce sont toutes les villes de Galatie qui inaugurent à Ancyre, par l'érection d'un splendide édifice, le culte du dieu Auguste et de la déesse Rome. Ces tétrarques galates, riches des dépouilles de toute l'Asie Mineure, impunément pillée pendant près d’un siècle; ces princes, qui faisaient servir leur opulence à s'entourer de toutes les re- cherches et de tout le luxe de cette civilisation raffinée qu'ils avaient vaincue; ces grands seigneurs, qui n’épargnèrent rien pour élever dans leur capitale le plus somptueux, le plus élégant, le plus achevé peut-être de tous les monuments de l'Asie Mineure, ne me paraissent pas avoir été gens à élever des dolmens et des menhirs. La grossièreté de ces monuments barbares les eût révol- tés. S'il était resté quelque chose de la mère patrie, c'était seule- ment dans l’organisation politique que nous retrace Strabon, or- ganisation qui semble d’ailleurs avoir bien peu duré; dans le choix du lieu où le grand conseil de la nation tenait ses séances, un — 67 — bois de chènes: enfin, surtout, dans je ne sais quelle héréditaire générosité, dont Polybe, Tite-Live et Strabon nous rapportent plu- sieurs curieux exemples. Toutes ces raisons me font croire que si les monuments dits celtiques appartiennent vraiment aux Celtes, il n’en a jamais du moins existé en Galatie. Dans les deux tiers de la Galatie que nous avons déjà consciencieusement visités, aucun voyageur n’en a en- core rencontré, et quant à nous, après des recherches faites plus a loisir et poussées peut-être dans plus de directions que celles d'aucun de nos prédécesseurs, il ne nous a pas été donné d’en trouver la moindre trace. Dans la Galatie orientale, que nous allons aborder d’ici à quelques jours, je doute fort que noussoyons plus heureux. J'espère en revanche que nous pourrons ajouter quelque chose à la connaissance des intéressants débris de l’art oriental qui se trouvent épars au nord de Yusgat. Ce sera là notre première station ; nous nous dirigerons ensuite vers Amassia et Samsoun. Je crains seulement que l'hiver, très-rigoureux dans le centre de l'Asie Mineure, et les pluies abondantes qui commencent déjà à tomber, ne gènent souvent nos mouvements, et ne nous forcent parfois à perdre du temps. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance du profond respect avec lequel je suis, De Votre Excellence, Le très-humble, très-obéissant et très- dévoué serviteur, G. PERROT. QUATRIÈME RAPPORT. Beyrouth, 17 janvier 186». Monsieur le Ministre, J'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence des tra- vaux de la mission d'Asie Mineure jusqu’au moment de notre départ d’Angora. Nous n'avons pu quitter cette ville que le 27 oc- tobre. C'était bien tard pour tout ce qui nous restait à voir; mais, tout en travaillant sans relâche du matin au soir, M. Guillaume — 168 — \ n'avait pu achever plus tôt ses dessins. Heureusement le témps, menaçant pendant les derniers jours que nous avons passés à An- gora, s’est bientôt remis, et nous a constamment favorisés: les grandes pluies d'automne, qui commencent d'ordinaire en no- vembre, ont lardé jusqu'au 1* décembre. Grâce à cet heureux accident, cette dernière période de notre voyage, pour laquelle nous n’étions pas sans inquiétude, n’a rien eu à envier aux pré- cédentes, et j'espère montrer à Votre Excellence qu'elle n'aura pas été la moins féconde en résultats scientifiques et en découvertes intéressantes. Nous sommes partis d'Angora en nous dirigeant vers l'est, pour passer l’'Halys à Kaledjik. Entre cette petite ville et Angora, près d’un village nommé Hassan-Oghlan, où se trouvent quelques ves- tiges antiques, M. Guillaume a dessiné un bas-relief sculpté sur le roc à l'entrée d’une gorge : il représente une douzaine de per- sonnages offrant un sacrifice à une divinité assise sur un trône. Quoique évidemment de l’époque romaine, il est curieux par sa naiveté : c’est de la sculpture de chef-lieu de canton, le chef- d'œüvre d'un artiste de village. À Kaledjik, où j'ai lu quelques inscriptions, nous avons franchi l’Halys, puis marché pendant trois jours dans un pays plat, jaune et sans intérêt; c'est la partie septentrionale de ce vaste et monotone plateau qui occupe tout le centre de la péninsule. Nous nous sommes arrêtés une journée à Nefezkeui, village situé à six heures vers l’ouest de la ville mo- derne de Yusgat, chef-lieu de la province d’Angora. Des raisons sérieuses me conduisaient à placer là, contre l'opinion de Kiepert, la troisième des capitales de la Galatie, Tavia, la ville principale des Trocmes. J’espérais trouver dans ce village quelque inscrip- tion portant le nom des Taviens et tranchant aïnsi la question. Mon attente, malgré les recherches les plus actives, a été trompée; je n'ai trouvé que des inscriptions funéraires byzantines, et un frag- ment plus ancien, mais dont on ne peut tirer de sens et qui ne contient pas de nom propre. Je n’en persiste pas moins dans mon opinion. Les débris très-nombreux que l’on trouve à Nefez, traces de bains, de temples, de maïsons, piédestaux, gradins de théâtre, tombeaux, appartiennent tous, sans exception, à l’époque ro- maine, ce qui convient parfaitement à ce que nous savons de Ta- via; cette ville, en effet, n’est nulle part mentionnée avant les guerres de Rome en Asie Mineure; elle paraît avoir été fondée par \ = 169 —= les Galates et n'avoir acquis quelque prospérité que sous l'empire, sans jamais arriver à égaler les capitales des deux autres tribus ga- lates, des Tolistoboïens et des Tectosages, Pessinunte et Ancyre. Tout au contraire, Boghaz-Keui (le village de la Gorge), où Kiepert et quelques autres géographes placent Tavia, à cinq heures vers le nord de Nefez, ne présente que des ruines étranges et gigantesques d’un caractère tout primitif, parmi lesquelles ne se trouve pas une stèle, pas une moulure qui atteste l'influence de lart grec, et, à plus forte raison, de l’art gréco-romain, comme l'a très-bien senti M. Texier, qui a eu l'honneur de découvrir les restes grandioses épars autour du village de Boghaz-Keui; ce sont évidemment les débris d’une cité dépeuplée et abandonnée bien avant l’époque d'Alexandre le Grand. Je vois donc, avec M. Texier, dans ces ruines voisines de Bog- haz-Keui, celles de Pterium, la principale place forte de la Cappa- doce , détruite par Crésus, dans sa lutte contre Cyrus, au vi siècle avant notre ère. Nous sommes restés dix jours à Pterium; nous y avons beaucoup travaillé, en nous attachant à ce que nos travaux ne fissent pas double emploi avec ceux de M. Texier, à qui le temps paraît avoir manqué pour reproduire compiétement tous les curieux détails de cette architecture et de cette sculpture pri- mitives. Nous avons étudié et dessiné, entre autres choses, dans la vaste enceinte cyclopéenne qui entoure la ville, un passage sou- terrain, à voûte triangulaire, qui rappelle les couloirs dont sont percées les énormes murailles de Tyrinthe. Dans les deux chambres, creusétes à découvert au milieu de la masse de rochers connue dans le pays sous le nom d’Jasili-Kaïa (la roche sculptée), on compte plus de cinquante figures, qui paraissent représenter une pompe royale et sacerdotale ; or nous avons retrouvé un cer- tain nombre de personnages que M. Texier n'avait point vus, soit à cause de leur position, qui les rendait difficiles à apercevoir, soit parce qu'ils étaient presque complétement enterrés. Les fouilles que nous avons fait exécuter nous ont permis de tout dé- gager et d'atteindre le roc, aplani comme un plancher. Dans la plus petite des deux chambres, il y a eu jusqu’à deux mètres de terre à enlever. Un groupe de douze combattants, qui n'avait point été reproduit jusqu'ici, est, dans tous ces bas-reliefs, ce qu'il y à de mieux conservé, complétement caché qu'il était, depuis long- temps sans doute, sous cette épaisse couche de poussière. Nous ? MISS. SCIENT. RA — 170 — rapportons un estampage d'une des principales figures. Enlin, pour ce que nous donnons après M. Texier, la photographie nous permettra de reproduire, plus exactement que n’a pu le faire son crayon, le style original de.ces représentations. Tout en se rappro- chant beaucoup du style des figures de Ninive et de Persépolis, ces bas-reliefs ont pourtant leur caractère à part. Les symboles nom- breux et variés qu’ils contiennent soulèventune foule de problèmes qui ne seront jamais, je pense, tous résolus, mais dont l'examen doit pourtant jeter un jour utile sur l’histoire des anciennes reli- vions asiatiques. Nous nous sommes attachés à reproduire tout ce qui se distinguait encore de ces symboles, malheureusement quel- quefois exécutés dans de très-petites proportions et par là même très-exposés à disparaître ou à devenir méconnaissables. Notre appareil de photographie n'a cessé de travailler du matin au soir à Pterium, et nous en rapportons plus de vingt épreuves, aussi bien réussies que le permellent la mauvaise conservation et l’é- clairage insuffisant de plusieurs figures, situées entre de hauts ro- chers, qui ne les laissent frapper par le soleil que pendant de trop courts instants. Si la saison n'eût été aussi avancée, nous serions restés plus longtemps à Boghaz-Keui; mais nous avons dû nous en arracher à regret. Nous nous sommes dirigés sur Aladja, à cinq heures vers le nord-est. Sur notre route, au-dessus d'un sauvage ravin où se voient plusieurs grottes funéraires, M. Guillaume a dessiné une tombe romaine, creusée dans le roc, dont la façade porte une assez riche décoration architecturale. À une heure et demie au nord d’Aladja nous avons été chercher un monument bien plus ipportant, jadis signalé par Hamillon, mais que le crayon n'avait jamais reproduit. C'est, creusée aussi dans le roc, une tombe monumentale, antérieure certainement à l’époque romaine et pro- bablement même à toute influence grecque. Les trois colonnes qui forment l'espèce de portique sur lequel s'ouvrent les deux chambres funéraires, placées à ses deux extrémités, rappellent tout à fait les plus anciennes colonnes doriques que l’on connaïsse en Grèce et en Sicile, et en même temps la présence d’une base très-simple, qui ne se rattache à aucun ordre d'architecture connu, leur donne un caractère tout particulier. Par sa situation au-dessus d’une belle et pittoresque vallée qu'elle domine, par la teinte rouge du haut mass'f de rochers au milieu duquel elle 2 HR s'ouvre, par ses grandes proportions et son style sévère, cette tombe me paraît une des plus belles que l’on puisse rencontrer et admirer en Asie Mineure. J'y verrais volontiers celle d’un des rois ou satrapes qui ont régné sur la ville de Pterium ou habité la splendide résidence dont le village d’Euiuk, à quatre heures de là, conserve les imposants débris. | D’Aladja, nous nous sommes rendus à Euiuk. Ce hameau, qui comple une trentaine de maisons, avait élé signalé pour la pre- mière fois à l’attention du monde savant et des voyageurs par M. Hamilton; arrivé, d’ailleurs, dans ce village au coucher du so- leil, il en repartit avant le jour. Il se borna, dans son ouvrage, à donner un croquis tout à fait infidèle de l’un des deux grands sphinx qui se voient encore auprès du lavoir, et je ne sais com- ment, dans son dessin, il en fit une sirène, erreur qui ne s’ex- plique que par l'heure où il visita ces débris : il est difficile de dessiner quand on n'y voit plus assez clair pour distinguer les détails du modèle. Vingt ans plus tard, en 1859, le docteur Barth, le célèbre explorateur de l'Afrique centrale, fit une course rapide à travers l'Asie Mineure, de Trébizonde à Scutari; il passa par Euiuk, et, à son retour, il indiqua l'importance et le vrai ca- ractère de ces ruines : il y vit un palais d'origine assyrienne ou perse, et signala de curieuses analogies entre ce qui reste de cet édifice et les grands palais retrouvés par MM. Botta et Layard sur les monticules voisins de Mossoul. Malheureusement il n'avait pas de dessinateur à sa disposition, et il ne resta que quelques heures à Euiuk, ce qui n’eût pu, en aucun cas, suffire pour re- lever exactement tout ce qui subsiste de cet antique et singulier monument. Il dut donc se contenter de présenter quelques vues générales; sa description, ne reposant point sur des dessins tm sur des plans, ne peut donner de ces ruines qu'une idée vague et un peu superficielle. Nous sommes restés six jours à Euiuk, et une étude plus appro- fondie nous a conduits à reconnaitre, dans l’ensemble, la justesse des vues de M. Barth. L'édifice occupait la plate-forme d'un tertre artificiel, qui s'élève de neuf à dix mètres au-dessus du niveau de la plaine. Autant que permettent d'en juger les éboulements du ta- lus et les déformations du terrain, ce tertre aurait formé un carré d'environ deux cents mètres de côté. Il semble voir, sur les flancs, des traces de tours. La seule partie conservée, ou du moins la | J1ls nn seule apparente dans l'état actuel du sol, c'est la façade princi- pale, tournée vers le sud. Des deux côtés de la porte qui en oc- cupait le milieu règne une série de bas-reliefs taillés dans des plaques de granit et représentant, selon moi, une procession sa- cerdotale, une pompe religieuse. Ils formaient le soubassement d'une terrasse ou plutôt la partie inférieure d’une muraïlle dont tout le haut aurait sans doute été, comme à Khorsabad et à Nim- roud, fait d'une autre matière plus légère. Il subsiste, plus ou moins bien conservés, douze de ces bas-reliefs : trois ou quatre étaient encore en place et apparents; les autres étaient enterrés ou renversés, la face antérieure contre le sol. Tous ceux qui ne se présentaient pas librement au regard, nous {es avons fait déga- ger ou relever. Cette dernière opération surtout a été difficile, à cause de la lourdeur de ces masses et de l'insuffisance des moyens dont disposaient nos ouvriers. Ils y ont cassé plus d’un levier. Nous avons aussi fait déblayer le seuil de la porte et de tout le vestibule intérieur et extérieur. Ce dernier paraît avoir formé, devant le seuil, un large palier, qu'accompagnaient sans doute deux grandes figures de lions couchés, dont l’une, très-bien con- servée, se trouve debout, à quelques pas de là. Par sa disposition, comme par le rôle qu'elle jouait dans la décoration, cetle figure rappelle les grands taureaux de Ninive. Elle est taillée dans un bloc de deux mètres quarante centimètres de long. La tête se pré- sentait en ronde-bosse à celui qui venait du dehors et montait les spacieux gradins; mais le corps était dessiné en bas-relief sur une des faces seulement du bloc, sur celle qui regardait le palier et qui élait ainsi en vue. Le lion tient terrassé sous ses griffes un autre animal, une espèce de taureau à cornes de bélier. II y a, malgré la rwdesse de l’exécution, je ne sais quelle puissance dans ce lion d’un aspect étrange, enchaîné au bloc d’où l'artiste n’a pas su le dégager tout entier. La tête d’un autre lion, de proportions un peu différentes, se trouve un peu plus loin. Dans tous ces bas- reliefs, nous revoyons des symboles qui nous avaient déjà frappés à Boghaz-Keui : ainsi, l'aigle à deux têtes, qui, ici comme là-bas, porte sur ses ailes éployées un personnage à longue robe. On voit que les armes de la Russie ont une respectable antiquité, et que ce symbole remonte bien au delà de l’origine qui lui est attribuée. D'autres symboles, qu’il est difficile de décrire sans le secours du dessin, nous apparaissent ici pour la première fois. — 175 — Enfin, ce qui fait l'originalité de ces ruines, ce qui leur donne un caractère et un intérêt à part, c'est qu'à côté de tous ces traits qui font songer à l’art assyro-médique et qui rappellent Ninive et Persépolis, on trouveici, dans la décoration proprement dite, une imitation flagrante de l'Égypte. Quelques ligures des bas-reliefs, entre autres une femme assise et tenant en main quelque chose qui ressemble à une fleur, sont tout à fait, par leur attitude et leur ajustement, dans le sentiment égyptien. Mais ce qu’il y a de plus frappant, ce sont les deux grands sphinx, hauts de près de trois mètres, qui formaient les jambages de la porte principale, et qui sont encore en place : il ne manque quele linteau, qui posait sur leurs têtes, el dont les énormes débris jonchent le sol. C’est encore en passant entre ces deux sphinx, sur le seuil antique dont le granit a conservé les trous des gonds, que l’on entre dans le village d'Euiuk. D’autres sphinx paraissent avoir, ici comme en Égypte, formé une avenue monumentale en avant de l'entrée. C'est ce que semblent indiquer les débris très-recounaissables d’un autre sphinx que nous trouvons et que nous mesurons, gisant dans ‘ la plaine, à demi enterré, à quatre-vingt-deux mètres vers le sud de la porte. Le sphinx est une figure décorative d'un cachet tout particulier, inventée, tout le monde en convient, par les artistes égyptiens, et qui appartient en propre à l'Égypte. Avant la conquête perse, les populations araméennes qui habitaient cette contrée, située dans l'intérieur des terres, la Cappadoce, dont la Ptérie n’est qu'un district, n’ont dü avoir aucun rapport, entretenir aucune relation avec l'Égypte. Si, avant la fondation du royaume de Pont, elles paraissent avoir atteint vers le nord jusqu’à la mer Noire, au sud elles ont toujours été séparées de la Méditerranée par le Taurus et par les populations toutes différentes qui en habitaient les ver- sants méridionaux, Lyciens, Pamphyliens, Ciliciens. Si donc il convient, selon moi, d'attribuer aux Cappadociens eux-mêmes, et à un art cappadocien proche parent de l’art assyrien , les immenses ouvrages etles représentations figurées de Boghaz-Keui, l’ancienne Pterium, je croirais devoir assigner une autre origine et une date plus récente au palais d'Euiuk et aux figures dont il est orné. Dans l'édifice considérable dont ce petit village couvre et marque la place, j'inclinerais à voir un palais du satrape perse chargé de gouverner le pays à l’est de l'Halys, l'importante et vaste province En, de Cappadoce. J'irai même jusqu'à dire que l'on peut, presque avec certitude, indiquer au delà de quelle époque ne saurait re- monter la construction de ce monument, et même lui donner, avec quelque vraisemblance, une date approximative. Ce fut la victoire de Gambyse qui révéla aux peuples de l'Iran, maîtres, depuis Cvrus, de l'Asie centrale et de l'Asie Mineure, les mer- veille$ de l'Égypte, ces étranges et riches ornements, héritage de tant de siècles. L’impression dut être profonde. Si maintenant en- core, après tous les outrages qu'ils ont souflerts, ces tombeaux, ces palais, ces temples, avec les millions de figures peintes et sculp- tées qui en peuplent les enceintes et en animent les murailles, saisissent si vivement l'imagination, combien l'effet était plus grand avant qu'aucune main profane eût troublé l'harmonie et diminué l'éclat de ce monde mystérieux et splendide, avant que le sable du désert eût enterré les colosses et rempli les salles que tant de rois, tant de générations de peintres et de sculpteurs s'é- taient épuisés à embellir? On voit, par le récit d'Hérodote, que Cambyse seul, en Égypte, se défendit de ce sentiment d’admira- tion et d’involontaire respect : tous le subissaient plus ou moins auprès de lui, et sa mort prémaiurée, que la superstition inter- préla comme un châtiment de ses violences contre la religion et les dieux de l'Égypte, contribua certainement encore à frapper les esprits. Quoi d'étonnant qu'après les désordres qui suivirent la mort de Cambyse, quand Darius réorganisa l'empire ete partagea en vastes satrapies, semblables à des royaumes, un de ces grands seigneurs, presque tous alliés à la famille royale, ait voulu se bâtir dans sa province un palais qui réunissait le luxe de l’Assyrie à ce- lui de l'Égypte ? C’est ainsi qu'au xvi' siècle la France s'éprit de l'Ita- lie, dont elle faisait la conquête, et que nos rois el nos princes se firent à l'envi construire des palais italiens. Ici peut-être on avait fait venir des artistes égyptiens, comme Louis XII et François-[* ame- naient d'Italie ciseleurs, sculpteurs et peintres. Tandis que les bas- reliefs sont en général d’une exécution naïve et presque barbare, les sphinx, qui ont l'air d’avoir été travaillés par d’autres mains, présentent l'ampleur et la proportion des ouvrages égyptiens de la bonne époque. C’est surtout dans les premiers temps après la con- quête que dut se manifester une sorte d’engouement pour l'Egypte : je rapprocherais donc, autant que possible, de la mort de Cambyse ds ES la construction de ce palais. D'un autre côté, elle ne peut, dans me aucune hypothèse, êlre postérieure à l'expédition d'Alexandre, et, plus on descend vers cette époque, plus les rapports avec la Grèce se multiplieni, et moins il paraît naturel de trouver un édifice purement asialique et égyptien, où ne se fait sentir, dans aucuue forme, dans aucune moulure, l'influence de l'art grec, chaque jour plus puissante et poussée plus loin. Je n’hésiterais donc pas à assigner ce palais au premier siècle de la monarchie achémé- nide, et je serais disposé à l’attribuer au règne de Darius. Alors, sans doute, la Cappadoce était gouvernée par un de ceux qui, avec le fils de Cyrus, entrèrent les premiers à Memphis et à Thèbes : jamais non plus l'empire ne fut depuis aussi riche et aussi prospère, les Satrapes plus libres de jouir en paix du fruit des conquêtes de leurs pères, les compagnons du grand Cyrus. Nous ne pouvions songer à rapporter des bas-reliefs, non que les habitants s’y opposassent; je leur fis à ce sujet quelques ouvertures qui furent fort bien accueillies; c'eût été pour eux, ou plutôt pour le maire du village, qui eût mis tout l'argent dans sa poche, l'oc- casion de gagner une petite fortune ; mais ils me déclarèrent fran- chement que sous ce poids leurs arabas, mauvais chariots trainés par des bœufs maigres, casseraient ou culbuteraient, et que d’ail- leurs, aux premières pluies, les routes deviendraient impratica- bles et tout charroi impossible : or nous étions à cinquante lieues environ de la côte, et décembre approchait. En allant à Euïuk dans la belle saison, muni de moyens de transports supérieurs à ceux dont disposent les paysans, accompagné de quelques bons ouvriers qui allégeraient les blocs en en dégrossissant la face pos- térieure, peut-être réussirait-on , mais non sans peine, à faire arri- ver au rivage quelques morceaux intéressants. Ne pouvant pen- ser pour cette fois à une pareille entreprise, nous n'avons du moins rien négligé pour bien faire connaître tout ce qui subsis- tait de ce curieux édifice où du moins tout ce que nous pouvions en atteindre sans démolir les maisons bâties sur l'emplacement du palais. Pendant une semaine, nous avons fait travailler à déblayer la façade principale, et, en même temps, M. Guillaume dessinait et M. Delbet photographiait tout ce qui se découvrait à nous, à mesure que les choses sortaient de terre. Toute cette série de reproductions, complétement nouvelles, permettra aux savants de contrôler mes conjectures sur l’âge du monument et de cher- cher le sens des représentations sculptées sur le granit, ainsi que nr, des symboles qui les accompagnent; aux artisles, d'en apprécier le style et le caractère. D'Euiuk, en trois jours, nous gagnâämes Amassia. À peine \ étions-nous, avec le mois de décembre commença hiver. Ce fu- rent d'abord des pluies abondantes, puis du froid et de la neige. Nous profitèmes de la première éclaircie pour aller à Zileh, l'an- cienne Zéla, étudier la rapide campagne de César contre Phar- nace, le fils du grand Mithridate, cette victoire qu’il a racontée en trois mots devenus célèbres : Venir, vidi, vici. En attendant quelques jours, nous risquions de voir se fermer tout à fait, au passage de la montagne, la route, déjà fort difficile el fort mau- vaise. Le récit d'Hirtius à la main, nous avons parcouru les envi- rons de Zéla, et nous avons été assez heureux pour retrouver le champ de bataille : les lieux se prêtent si bien à la description du compagnon, du continuateur de César, que nous ne conservons aucun doute à ce sujet. Les pieds dans la neige et la pluie sur le dos, M. Guillaume a dressé un plan du terrain; nous solliciterons l'honneur de mettre ce plan, à notre retour,-sous les yeux de Sa Majesté l'Empereur. Il y a dix heures d’Amassia à Zéla. Revenus à Amassia, nous y sommes encore restés une semaine. I y faudrait passer un mois dans la belle saison, tant cette curieuse ville ren- ferme de monuments intéressants de tous les âges, restes d’une belle citadelle hellénique, avec ses larges et profondes galeries creusées dans le roc et descendant jusqu’à un réservoir intérieur situé dans les flancs de la montagne; murailles du palais des rois de Pont, qui en donnent la situation et tout le contour, sur une esplanade qui domine toute la ville; tout auprès, tombes royales d’une disposition et d'un style tout particuliers, avec tout le sys- tème d'escaliers, de galeries, de portes qui permettaient d'aller de l’une à l’autre et de les défendre contre toute profanation; nom- breuses grottes sépulcrales éparses dans les rochers qui entourent la ville; édifices seldjoukides, ornés avec toute la finesse et la ri- chesse du style persan; belles mosquées des premiers sultans otto- mans. Il y aurait là de quoi occuper longtemps l’archéologue et l'architecte. M. Delbet a profité de quelques rayons de soleil pour photographier l’ensemble des tombes et les plus élégants des mo- numents seldjoukides, et M. Guillaume a dessiné en grand détail les tombes royales et les plus intéressants des tombeaux voisins d’Ainassia, Ces monuments, se trouvant sur la route de Bagdad, — avaient déjà été visités plusieurs fois, notamment par MM. Hamil- ton et Barth, mais on n’en possédait jusqu'ici que des croquis tout à fait insuffisants. Il fallait songer àla retraite. Le voyage et surtout l'étude étaient devenus impossibles. M. Guillaume ne pouvait plus dessiner, aux tombes royales, qu'en allant réchauffer de temps en temps ses doigts engourdis à un petit feu allumé contre le rocher. La neige s’amoncelait sur les chemins. Nous partimes pour Samsoun : dans la montagne, nos chevaux enfonçaient jusqu’au ventre dans la neige; en plaine, c'étaient des boues profondes. Le temps sur mer était affreux. Il nous fallut attendre plusieurs jours à Samsoun le bateau, retardé par des coups de vent. Nous nous embarquämes enfin, et nous étions à Constantinople pour la nouvelle année. De Constantinople, nous avons expédié en France les caisses contenant les notes, dessins, eslampages, objets de toute nature que nous avons recueillis, et nous rentrons en France par la côte de Syrie, en voyant au passage Jérusalem et les Pyramides. Vers la fin de février, nous espérons avoir l'honneur de présenter à Votre Excellence ce que nous rapportons de notre voyage. Nous avons été huit mois entiers en Asie Mineure. Ç’a été un grand bonheur pour nous que l'hiver, souvent plus précoce dans toute cette région de l'Asie Mineure, nous ait permis, en retardant sa venue, de remplir jusqu’au bout le programme que je m'étais tracé et que d’Angora j'avais soumis à votre approbation. Je craignais fort, à cette époque, qu'il ne nous füt pas donné d'en réaliser toutes les promesses. J'appellerai l'attention de Votre Excellence sur l'importance que présente, pour l’histoire politique, religieuse et artistique de l'Asie Mineure, ce groupe des monuments de la Ptérie, dont MM. Texier, Hamilton et Barth avaient indiqué chacun quelques parties, mais que les premiers nous avons étudiés et reproduits complétement. Les savants pourront, je l'espère, grâce aux des- sins nombreux que nous rapportons, dissiper un peu les ténèbres qui enveloppent encore ces populations mal connues, sorte d’a- vant-garde que la race sémitique avait poussée vers le nord, au delà du Taurus. En rapprochant les bas-reliefs de Boghaz-Keu et la belle tombe d’Aladja des figures colossales que j'ai eu le bon- heur de découvrir à Ghiaour-Kalé-si, au sud-ouest d’Ancyre, des tombes et des forteresses phrygiennes que nous avons étudiées NN entre Koutahia et Siwri-hissar; en comparant les uns aux autres tous ces ouvrages taillés dans le roc, on pourra, je n’en doute pas, mieux connaître cet art primitif de l'antique Asie, et mieux signa- ler les différences de style qui séparent l’art des Phrygiens de celui des Cappadociens, ou l'architecture propre aux anciennes populations asiatiques de celle qui a déjà subi l'influence de Part rec, tout en gardant quelque chose des vieilles traditions, ainsi les tombes de Delikli-tach et d'Aladja, de celles d'Amassia. Il y a là loute une source d'études intéressantes qui pourront s'appuyer sur des matériaux authentiques et dignes de toute confiance. Grâce au zèle et à l'habileté du docteur Delbet, nous rapportons plus d’une centaine de clichés photographiques, sinon tous réussis comme épreuves (souvent le temps ou les conditions d'éclairage nous ont gênés), au moins tous précieux comme irrécusables do- cuments. Ï ne m'appartient pas de louer l'architecte que j'avais moi-même désigné et demandé comme collaborateur à Votre Excellence; ses dessins seront mis sous vos yeux, et, nous l'espé- rons, sous ceux du public; je ne puis pourtant n'empêcher de vous dire quelle infatigable patience il a mise à sa tâche : rare- ment, je crois, les monuments originaux ont été étudiés avec au- lant de soin, reproduits avec autant de fidélité. Permettez-moi, Monsieur le Ministre, au terme de cette mission que vous nous avez fait l'honneur de nous confier, de vous re- mercier, au nom de mes compagnons, comme au mien, de l'ap- pui et du soutien que vous n’avez cessé de nous prêter pendant ce long voyage que vous nous aviez permis d'entreprendre. Il ne nous reste plus qu'un vœu à former, c’est que le fruit de nos travaux ne soit pas perdu et que votre haute bienveillance, après nous avoir mis à même de recueillir tous ces matériaux, nous aide à les communiquer au monde savant, et à faire honneur, dans la me- sure de nos forces, au Souverain éclairé qui a daigné s'intéresser à la pensée de notre expédition, au Ministre qui nous a si libéra- lement fourni les moyens de mener à fin notre entreprise. 1 Le vœu que formait, en terminant, l'auteur du rapport a été exaucé. MM. Perrot, Guillaume, et Delbet ont pu commencer, grâce aux secours fournis par le Ministère d'État sous forme de souscriptions, la publication d'un ouvrage où seront contenus tous les résultats de leurs ‘recherches en Asie Mineure; le travail se continue aujourd'hui sous les auspices du Ministère de l'instruction publique, auquel sont revenues les missions. L’Exploration archéologique de la — 179 — Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d’être, De Votre Excellence, Le très-humble et très-obéissant serviteur, G. PERROT. Galate, de la Bihynie, d'une partie de la Mysie de la Phryqie, de la Cappadoce et du Pont, comprendra vingt-quatre livraisons; les dix publiées jusqu'au 1°° jan- vier 1865 renferment trente et une feuilles de texte petit folio et trente-neuf planches, dont les cinq planches doubles donnent, en lithochromie, à l'échelle du dixième, un fuc-simile exact du monument d’Ancyre. La partie du texte déjà imprimé contient quatre-vingt-buit inscriptions, reproduites en caractères lapi- daires; la plupart sont inédites; quelques-unes avaient déjà été transcrites, mais inexactement. Le texte s’imprime chez Firmin Didot, les planches chez Lemer- cier. Pout toutes les sculptures de siyle asiatique étudiées à Boghaz-Keui et à Euïiuk , le moyen de reproduction adopté est la litho-photographie, procédé Poi- tevin; ce procédé, que M. Mariette a employé pour les planches de son bel ou- vrage sur le Sérapéum, réunit à la durée de l'impression lithographique ces ga- ranties de parfaite et naïve exactitude que peut seule garantir la photographie. RAPPORT DE M. EUDORE SOULIÉ, CONSERVATEUR ADJOINT DES MUSÉES IMPÉRIAUX, SUR DES RECHERCHES RELATIVES A LA VIE DE MOLIÈRE. M. Eudore Soulié, après la publication de documents. inédits sur la vie de Molière, découverts par lui à Paris, principalement dans les études des notaires, a été chargé par M. le Ministre de lInstruction publique, en août 1863, d’une mission ayant pour objet de faire des recherches analogues dans les archives publiques et particulières de diverses villes de France. M. Soulié a adressé à Son Excellence le Rapport suivant : Versailles, le 14 décembre 1863. Monsieur le Ministre, Avant de poursuivre dans les archives des notaires des dépar- tements les recherches qui m'avaient réussi dans Îles études de Paris, j'ai d'abord essayé de me procurer quelques indications de nature à me conduire plus sûrement sur les traces de Molière et de sa troupe. Ces indications, j'avais lieu d'espérer que je les trou- verais si je parvenais à découvrir l'inventaire fait après la mort du comédien Joseph Béjard, décédé à Paris le 21 mai 1659, sept mois après la rentrée définitive de la troupe de Molière. En effet, Gui Palin écrivait à cette époque : « Il est mort ici, depuis trois jours, un comédien nommé Béjard, qui avoit vingt-quatre mille écus en or. » Joseph Béjard avait fait partie de la troupe de Molière dès l'année 1643, puis il avait publié à Lyon, de 1655 à 1657, un armorial des États de Languedoc, dédié au prince de — 82 — Conti; s’il laissait une fortune de vingt-quatre mille écus, évidem- ment gagnée en province, l'analyse de ses papiers devait en indi- quer la source et relater quelques actes passés chez les notaires des villes où Béjard, et par conséquent Molière, avaient séjourné. La découverte de cet inventaire, conservé à Paris dans l'étude de M. Faiseau-Lavanne, n’eut pas le résultat que j'espérais; ce docu- ment ne donnait que la description et prisée des habits de ville et de théâtre, du linge et de quelques autres objets renfermés dans deux coffres; mais pas un denier comptant, pas un papier de famille ou d’affaires. | Privé de ces indications, qui m’eussent été bien précieuses, il ne me restait plus qu'à entreprendre dans les départements le dépouillement minutieux des actes notariés correspondant aux dates traditionnelles du passage de Molière. Pour suivre le sys- tème qui m'avait réussi à Paris, système consistant à commencer par la date la plus récente pour remonter à une plus ancienne, je devais d’abord me rendre à Rouen, dernière station de Molière avant sa rentrée définitive à Paris. Suivant ses premiers biographes, Molière serait venu s'établir à Rouen pendant l'été de 1658, et, d’après Conrart, une actrice de sa troupe, M Duparc, y aurait été courtisée par Pierre ct Thomas Corneille; enfin, le 23 no- vembre 1659, un an après sa rentrée à Paris, la troupe de Mo- lière, après avoir débuté devant Louis XIV par le Nicomède de P. Corneille, jouait une tragédie, Pylade et Oreste, œuvre d'un Rouennais nommé Coqueteau La Clairière. Toutes ces circonstances indiquaient la ville de Rouen comme devant être l'objet d’une exploration très-approfondie. Les anciennes minutes des notaires de Rouen, antérieures à l'année 1682, sont déposées au Palais de justice et confiées à la garde de M. Barabé, ancien archiviste de la préfecture de la Seine-Inférieure. Les notaires en exercice à Rouen, pendant l’année 1658, étaient au nombre de douze, et se nommaient : Borel, Cavé, Crespin, Crosnier, Dupuys, Ferment, Follet, Helye, Liot, Mau- bert, Maurice, Meillibuc. L'examen de leurs répertoires et de leurs minutes, très-nombreuses et très-bien conservées, ne m'a rien fait découvrir sur Molière et sa troupe. J'ai seulement trouvé dans les minutes Follet, à la date du 2 juillet 1658, un acte passé par Thomas Corneille, écuyer, demeurant à Rouen, paroisse Saint- Sauveur, héritier de Marthe Le Pesant; et dans les minutes Mau- — : rice, deux actes passés , les 28 août et 5 septembre 1658, par Pierre Corneille, écuyer, demeurant en la paroisse Saint-Sauveur; puis un autre acte passé chez le même notaire, le 22 novembre sui- vant, par Thomas Corneille. Ces quatre actes viennent à l'appui de ia tradition qui signale la présence des frères Corneille à Rouen au moment des représentations données dans cette ville par la troupe de Molière. Après avoir terminé l'exploration des.minutes des notaires, il me restait à rechercher dans les regisires des anciennes paroisses de Rouen, si Molière, ou l’un des personnages de sa troupe, n’au- rait pas figuré dans quelque acte de baptême, de mariage ou de décès. Ces paroisses étaient au nombre de trente, et je me suis assuré, par la lecture des registres, qu’ils ne contenaient rien de relatif à Molière; mais là encore j'ai retrouvé le nom de Pierre Corneille qui, le 24 septembre 1658, tient sur les fonts de bap- tème, à Saint-Étienne-la-Grande-Église, le fils d'un sieur François Avice. Ÿ M. de Beaurepaire, archiviste du département de la Seine-In- férieure, avait signalé, 1l y a quelques années, dans le Nouvelliste de Rouen, quelques renseignements sur les troupes de comédiens en passage à Rouen pendant le xvn° siècle, renseignements exis- tant aux archives de l’hospice général. En l'absence de M. de Beau- repaire, je me suis adressé à M. Maupas, directeur de l'hospice, qui s'est empressé de me communiquer les registres des délibéra- uons de l’'Hôtel-Dieu, et quelques papiers ayant pour titre : Pièces concernant le droit des pauvres contre les comédiens qui viennent jouer en celle ville. (Série À, n° 31.) La plus ancienne de ces pièces est une requête des administrateurs de l’'Hôtel-Dieu au Parlement de Rouen, datée du 4 juillet 1651, dans laquelle ne sont mentionnés ni les noms des acteurs ni le local où ils donnaient leurs jeux publics et pièces comiques. Quatre pièces, relatives à l'année 1652, font connaître les noms de deux comédiens, Laurent Conseil, sieur d’Argi, et La Rocque, ainsi que l'emplacement de leur salle, le jeu de paume des Deux-Mores, sis au bas de la rue Herbière. L'année suivante, le 24 janvier 1653, nouvelle requête des administrateurs de l’'Hôtel-Dieu au Parlement pour obtenir que les comédiens, « étant de présent en cette ville, » seront tenus de prendre un jour qu'ils destineront au profit de l'Hôtel-Dieu. En 1657, le 11 août, ce sont les comédiens du Marais qui . ES” versent une somme de cent cinquante-deux livres aux pauvres de l'Hôtel-Dieu. (Registre des délibérations, vol. n° XVI, fol. 74 verso.) En 1658, c'est-à-dire l’année même où Molière était venu s’é- tablir à Rouen pendant l'été, on trouve sur le registre n° 16 ces deux mentions qui ont la même somme pour objet, et qui pa- raissent bien se rapporter à la troupe de Molière : « Du vendredy 20° jour de juin 1658. « Receu par les mains de M° Le Marchand, administrateur, la somme de soixante-dix-sept liures quatre sols six deniers que led. s° a dit estre prouenu du don fait par les comédiens à la représentation d’une comédie pour les pauures dud. Hostel-Dieu. » (Fol. 122 verso.) Le même article se trouve recopié au folio 124, sous cette forme : « Plus receu led. comptable par les mains dud. s' Le Marchand la somme de soixante et dix-sept liures quatre sols et six deniers que led. s' a dit estre prouenu d’une comédie représentée par les comédiens de Son Altesse, en faveur et bénéfice des pauures dud. Hostel-Dieu. » Ce titre de comédiens de Son Altesse rappelle celui que la troupe de Molière avait à Paris, dès l’année 1644, «troupe en- tretenue par Son Altesse Royale, » c'est-à-dire par Gaston, frère de Louis XIIT. I est pourtant nécessaire d'ajouter qu'en 1658 on dé- signait, sous le titre de Son Altesse Henri Il, d'Orléans, duc de Longueville, gouverneur de Normandie, et sa femme Anne-Ge- neviève de Bourbon, qui tous deux se trouvaient alors à Rouen. L'année suivante, la présence d’autres comédiens à Rouen est encore signalée par le registre des délibérations de l’'Hôtel-Dieu. Il mentionne, à la date du 14 février 1659, un versement de trente-huit livres fait par les comédiens étant au jeu de paume des Braques, puis, le 21 février suivant, un autre versement de vinot-six livres, provenant des comédiens étant au jeu de paume des Deux-Mores, et enfin, le 5 septembre 1659, deux cent soixante et une livres, provenant d’une représentation, données le 1° aux pauvres de l’'Hôtel-Dieu par «ie s' de La Rocque et ceux de sa troupe. » Le jeu de paume des Deux-Mores se trouvait près de l’empla- cement actuel de lhôtel des Douanes, et paraît être le local de Rouen le plus anciennement destiné à jouer la comédie. Le jeu — 985 — de paume des Braques, situé au bas de la rue du Vieux-Palais, près d’une forteresse qui portait ce nom, servit, jusqu’en 1696. de salle de spectacle. Dans lequel de ces deux jeux de paume, aujourd’hui détruits, la troupe de Molière a-t-elle donné des re- présentations ? C’est ce qu'il est impossible de décider, et j'ai dû quitter Rouen après avoir épuisé inutilement tous les moyens d’v conslater d’une manière certaine la présence de Molière. La plus ancienne biographie de Molière, celle donnée en tête de la première édition complète de ses Œuvres, publiée en 1682, indique Grenoble comme lavant-dernière station de Molière en province. Suivant l’auteur anonyme de cette courte notice, Molière «avoit passé le carnaval à Grenoble, d’où il partit après Pasques et vint s'établir à Rouen. » La date du jour de Pâques 1658 est le 21 avril; c'est donc antérieurement à cette date que je devais chercher à Grenoble les traces de Molière. D’après les indications de M. Gariel, conservateur de la biblio- thèque de la ville de Grenoble, j'ai d’abord consulté aux archives de la mairie les registres des délibérations tenues dans l’hôtel de ville. Dans le registre n° 3, commençant en 1657 et finissant en 1670, j'ai trouvé, au folio 52, la mention suivante, qui correspond parfaitement à la date indiquée pour les représentations données par Molière : « Du 2° feb” 1658. Il a esté tenu conseil ordinaire dans l'hostel de ville où estoient presens Messieurs les quatre consulz, mons. Balme, chanoine, mons' Sanguin, chanoine de S' André, mons' l’aduocat de ville, etc. «Il a esté propozé par mons' le p' consul touchant linciuilité des commediens qui ont affiché sans auoir leur decret d'approba- tion; il a esté opiné et puis conclu que les affiches seront leuées et à eux-deffendu de faire aucune comedie jusqu’à ce qu’ils ayent satisffaict à la permission qui leur doïb estre donnée par mesd. s"* les consulz et du conseil. » Je n'ai pas trouvé d'autre renseignement aux archives de la mairie de Grenoble. Les registres des églises de Saint-Hugues et de Saint-Laurent ne renferment aucun acte relatif à Molière ou à sa troupe. Les notaires qui exerçaient à Grenoble, au commencement de l'année 1658, étaient au nombre de quarante; leurs minutes se trouvent presque toutes déposées et très-bien conservées à la MISS. SCIENT. 22 _—s ‘ON chambre des notaires, où j'ai été introduit par M. Guigonnet, secrétaire de la chambre. Une si grande quantité de documents me donnait l'espoir de découvrir quelque acte analogue à ceux que j'avais trouvés à Paris, aussi n'ai-je pas reculé devant la né- cessité de les examiner tous. J'ai successivement dépouillé les répertoires, les registres et les mivutes volantes des notaires : Blain, Blanc, Borel, Chancy, Charbot, Collaud, Duclot, Dufour, Fouchon, Froment, Garnier, Lavorel, Maïlher, Martel, Merle, Meysenc, Patras, Polin, Reinard, Rivet, Rivyer, Buissière, Achard, Vaulce, David, Nicolas, Roud, Faulconnet, Peronard, Bouvet, Guignes, Bovier, Demarc, Febvrier, Glenat, Jaccard, Revol, Roux, Sirand, Montagne. Les minutes de ces deux derniers notaires sont les seules qui ne se trouvent pas aux archives de la chambre ; elles sont conservées dans l'étude de M. Buquin. Dans les minutes de Montagne, j'ai trouvé un acte relatif au jeu de paume qui, dès le xvn° siècle , servait de salle de spectacle, et sur l'emplacement duquel est construit le théâtre de la ville de Gre- noble; ce jeu de paume appartenait au duc de Lesdiguières. Voilà le seul renseignement que m'ait fourni cette longue et pénible recherche. J'avais une dernière vérification à faire à Grenoble, dans les archives de l’hospice civil; il pouvait y exister des documents analogues à ceux de l'hôpital général de Rouen, relativement aux représentations données au profit des pauvres. Les archives de l'hospice civil de Grenoble sont, en ce moment, déposées dans un local dépendant de l'hôpital militaire, à cause de la reconstruc- tion d’une partie des bâtiments de l’hospice civil. Le transport de ces papiers ayant dü être fait avec précipitation, ces archives n'ont pu encore être mises en ordre, et les recherches y sont presque impossibles. J’ai pu trouver un registre sommaire des dé- libérations de l'hôpital, catalogué sous le n° 6, etc. et comprenant les années 1642 à 1682; mais je n’y ai rencontré, folio 347, que celte mention, antérieure de deux ans au séjour de Molière à Grenoble : « Du 25° février 1656. [Délibéré] qu’on retirera des comédiens cinq pistoles, si faire se peut. » | Les registres détaillés de recette et de dépense de l'hôpital de Grenoble ne commencent qu’en 1669; le premier compte rendu par le receveur aux administrateurs est de 1707. Les archives de l’hospice de Grenoble renfermaient, d'après — 87 — un inventaire fait au xvin° siècle, six « livres de raisons » ou livres de comptes des sieurs Nicolas père et fils, libraires et imprimeurs à Grenoble. Je n'ai pu retrouver que deux de ces registres, l’un antérieur, l’autre postérieur à 1658; le registre de l’année 1658 aurait pu mentionner quelques impressions faites pour les comé- diens. Parmi les fournitures faites en 1660, par le libraire et commissionnaire Nicolas, à l’évêque et prince de Grenoble (Pierre Scarron), se trouve la comédie des Précieuses ridicules, qui se vendait dix sols. Enfa, grâce à M. Pilot, archiviste de la préfecture de l'Isère, jai terminé mes recherches par le registre des audiences du Par- lement de Grenoble, qui ne m'a fourni aucune indication pour l’année 1658. Les minutes du baïlliage du Graisivaudan , qui con- tiennent des détails sur la police de Grenoble, ne commencent qu'en 1684. Je crois avoir épuisé à Grenoble toutes les sources qui pou- vaient me conduire à quelque découverte sur Molière, et j'ai eu le regret d'y avoir employé beaucoup de temps sans que mes efforts aient été couronnés de succès. Ce que j'ai recueilli de plus important à Grenoble, c'est une sorte de programme du Don Juan ou l’Athée foudroyé, imprimé sans doute pour quelque troupe de province contemporaine de Molière, et donnant des détails très- curieux sur la mise en scène et sur les décorations de cette « pièce à machines. » Ce document, inconnu de tous les éditeurs de Mo- lière, et même de M. Taschereau, à qui je l’ai communiqué à mon retour, se compose de deux feuillets in-quarto et appartient à M. Gariel, bibliothécaire de la ville de Grenoble. Les recherches relatives à l'année 1658 étant épuisées à Rouen et à Grenoble, je devais, suivant le système que j'ai adopté, étu- dier l’itinéraire de Molière en 1657, et c’est à Lyon que j'avais le plus de chances de retrouver ses traces, non-seulement pour l’année 1657, mais encore pour les années antérieures. En ‘effet, dès 1653, Molière avait donné à Lyon sa première comédie, l'Étourdi; Y'année suivante, un comédien de sa troupe, Cyprien Raguenau de l'Estang , était mort dans celte ville et avait été en- terré dans l'église Saint-Michel. De 1655 à 1657, le comédien Joseph Béjard avait fait imprimer à Lyon, chez Scipion Jassermé, un Recueil des titres, qualités, blasons et armes des Seigneurs barons des États généraux de la province de Languedoc. À la mème époque, ET — 188 — d'Assoucy nous apprend, dans ses Aventures, qu'il rencontra Mo- lière à Lyon, et qu'il le suivit d’abord à Avignon, puis à Pézenas et à Narbonne. On sait encore, par la vie de Pierre Boissat, écrite en latin par Nicolas Chorier, que Molière joua à Lyon une tra- gédie de Claude Basset, secrétaire de larchevêché, et intitulée Irène. Enfin, M. Péricaud, ancien bibliothécaire de la ville de Lyon , avait signalé, dès 1835, deux délibérations de l'Hôtel-Dieu de Lyon, pour l'année 1657, comme se rapportant à la troupe de Molière. D’après les données qui précèdent, la seconde ville de France se présentait bien comme celle où Molière avait, pendant cinq ans, établi ses principales relations et d’où il pouvait le plus facilement se transporter, avec sa troupe et son matériel, dans toutes les villes du Midi. C’est à Lyon que Molière avait pu indi- quer un domicile fixe et contracter des engagements analogues à ceux que l'on trouve dans les études de Paris : baux, associations de comédiens, marchés pour l'installation des salles de spectacle et les transports d’une ville à une autre, etc. La compagnie des notaires de Lyon a eu l'excellente pensée de rassembler dans une maison qui lui appartient, et qui sert de lieu de réunion à la chambre, toutes les minutes antérieures au xIx° siècle; ses archives occupent le deuxième étage. Le local est vaste et bien aéré, le classement est dans un ordre parfait, et il serait bien à désirer qu'une semblable mesure füt adoptée par la chambre des notaires de Paris. M. Laforest, ancien président, et M. Berloty, président actuel de la chambre de Lyon, ont bien voulu me donner toutes les facilités nécessaires pour favoriser mes recherches dans cette immense collection de documents. Voict, par ordre alphabétique, la liste des notaires en exercice à Lyon, de 1653 à 1657, dont j'ai examiné les répertoires, lorsqu'il en existait, les minutes reliées et les minutes volantes : Acthand ér. . shr. ts, 1693-1657. Chol ss. pe on der Le 1654-1657. Darante 1... 1653-1654. Chomats . : 26 RÈ 1654-1657. BeNEVDe 2-2 1653-1657. CORNE ee ne DUC 1653-1653. BéRaFae EQEE H . 1655-1657. DADEPIENTE PE 1653-1657. Blaghi. tea. de. ai 1653-1657. Deboie. , 4134984 .... 1653-1657. Blanchard. fax “1653-1657. Deräulx; 24. 00stat 1653-1657: Boulard …... ... , 1653-1655. Duemet. … . .… LE 1653-1697. DIEU. : ee 7-00 1655-1657. DUMIONRE ><, 1099-1000. CGhambard""VPECErr 1653-1657. DOVENL. Ne Re en _ 1653-1657. Champenoys. .....,.. 1659216587 5 Green. 1, 28 TA -,. 1653-1657. == MM = Eayaedibdh}agenns >... 1653-1657. Monin. .:46 nséyasst. 1653-1657. Esacdié hs... ; 1653-1657. Morin: ; sms pus - 1653-1657. Een... 1653-1657. Movos, 1653-1657. PE... 1653-1657. MAO Le . 1653-1657. Fressmet. "7... 1653-1657. NTCORAS CON NS CONS . 1693-1657. Gazanméhon . 72... 1653-1657. Fapilonel : at t a 1653-1657. Gone ts. dt . 1657-1657. Pascale: shine ist 1653-1697. A 1653-1657. Plassior gr et. de. 1653-1657. 1648-1660. NT ON 1653-1657. ER 1653-1657. EE ges ptet 1653-1657. ESS L'HIUYHES 1653-1656. Ava Tr ENS LE 1653-1657. fabhertiisse dep. ren chan 1657. Feist nrhisions pr 1653-1656. Jos 1 1653-1657. Rivière ss. ns 6 1653-1655. Lamberdin, 7, ....;. 1653-1653. Rostand. 1653-1657. 0 Tr ete Pts 1653-1657. ROUPTATT NE 4-0 de 1653-1657. MAUR TS 1653-1657. ERLE D de 1653-1657. Mere nr ot 4, 1653-1655. Spot. are: 3.111165 657. Mafilienisui. és ii. 1658-1696. +4: Terrasson.. 4 «, 1653-1698. Mas. 1653-1657. Cette liste peut donner une idée du temps qu’il n’a falla con- sacrer au dépouillement de toutes ces pièces; le résul{at a été loin de répondre à ce travait, et, contre toute prévision, je n'ai pu, dans cette volumineuse quantité d'actes, en découvrir un seul qui se rapportàt directement à Molière. L’exploration a été aussi complète, aussi approfondie que possible, et il n’en est ressort: qu'un certain nombre de faits dont je vais tracer le résumé, en ne bornant à ceux qui concernent l’histoire du théâtre et les per- . sonnages avec lesquels Molière a pu avoir des relations. Au nombre des comédiens qui, dès 1643, avaient fait partie de la première troupe de Molière, se trouvait un sieur Georges Pinel, d’abord maître écrivain à Paris, et qui, en montant sur les planches, avait pris le nom de La Couture; les minutes du notaire Guyon renferment cinq actes relatifs à ce comédien, passés les 21 et 22 mars et le 18 décembre 1649. À cette époque, Georges Pinel et cinq de ses camarades prenaient le titre de comédiens de Son Altesse Royale, c’est-à-dire de Gaston , duc d'Orléans. Gaston avait été, en 1644, le premier protecteur de la troupe de l’Illustre Théâtre; en retrouvant quelques années plus tard à Lyon six co- médiens qui continuent à être entretenus par ce prince, on se demande si Molière était encore leur chef à cette époque. On sait, par un acte de baptême découvert à Narbonne, que Molière sé- journail dans cette dernière ville le 10 janvier 1650; mais, dans — cet acte de baptême, on ne voit figurer aucun des comédiens qui contractaient un emprunt à Lyon à la fin de l’année précédente; ces comédiens sont : Sabran Mitarat, dit La Source; François de La Barre, Hugues de Lan, Louis Rufin, dit La Foniaine; Georges Pinel, dit La Couture; Remy Broutière, dit Du Ronchier. Les actes qui établissent leur présence à Lyon en 1649 deviendraient très- précieux le jour où il serait -prouvé que ces comédiens ont tous fait partie de la FOpe de Molière. À la fin de l’année 1653, indiquée comme celle où |’ Étourdi fut joué pour la première fois à Lyon, un comédien qui avait quitté la profession de pâtissier à Paris pour entrer dans Ja troupe de Molière, Cyprien Ragueneau de l'Estang, prend à baïl pour trois ans, le 15 octobre 1653, une chambre et galerie d’une maison, sise rue Sainte-Hélène, près les jésuites de Saint-Joseph de Lyon. Ce comédien a pour répondant Antoine-Marcelin de Damas, ba- ron de Digoine. Parmi les actes notariés que j'ai trouvés à Paris, il en est plusieurs qui prouvent les relations de M. de Digoine avec Madeleine Béjard, qui, après Molière, était le personnage le plus important de la troupe, Aucune circonstance n’est à négliger quand on cherche à faire revivre des faits oubliés depuis deux siècles; un détail insignifiant en apparence peut conduire à une découverte très-importante. J'ai constaté que M. de Digoine , qui appartenait à une ancienne famille de Bourgogne, avait loué, le 1° octobre 1652, une maison, sise au quartier de Bellecour, rue Sainte-Hé- lène , proche les jésuites de Saint-Joseph. Ce quartier était proba- blement celui des comédiens, puisque tous leurs actes sont passés chez le même notaire , nommé Guyon, et c'est ce qui m'a conduit à étendre mes cherches dans ses minutes, depuis 1648 jusqu'en 1660. Les relations de M. de Digoine avec Madeleine Béjard et avec les comédiens de la troupe de Molière prirent peut-être nais- sance à Dijon, ville indiquée vaguement comme ayant été visitée par Molière. Le 20 mai 1654, c'est M. de Digoine qui paye pour Ragueneau le terme de loyer échu ; malheureusement il manque dans les minutes Guyon toute la fin de l’année 1654, pour la- quelle le répertoire alphabétique renvoyail , aux noms de Rague- neau et de Digoine, à trois actes qui n'existent plus: Ragueneau mourut à tp dans le mois d’août de la même année , et ces actes se rapportaient sans doute aux formalités accomplies avant ou après son décès, testament, inventaire, elc. Par une étrange fata- — h9I — lité, les registres de l'église Saint-Michel, dans laquelle Ragueneau fut enterré, manquent également aux archives de la mairie de Lyon; ils ont été détruits par un incendie, et les doubles de ces registres, qui devraient se trouver au greffe du Palais de justice, n'existent pas non plus. Nicolas Chorier, avocat en parlement, demeurant à Vienne, a donné quelques détails sur Molière dans sa vie de Pierre Boissat et dans un ouvrage inédit qui a pour titre : Nicolai Choreri adversa- riorum de vita et rebus suis. Parmi les minutes des notaires Faver- jon et Guyon se trouvent deux actes passés par Chorier, les 12 oc- tobre 1652 et 20 mai 1657; ces dates correspondent à peu près à celles du séjour de Molière à Lyon. Pierre Boissat qui, suivant Chorier, accueillit Molière à Vienne avec beaucoup de distinction, était, d’après les actes passés par lui à Lyon de 1650 à 1654 (iminutes Faverjon et Guyon), gentil- homme ordinaire de la chambre de S. À. R. le duc d'Orléans. Il y a là encore une circonstance à relever pour la vie de Molière : la protection de Gaston dut lui valoir l'appui de quelques-uns des personnages qui étaient altachés à la maison de ce prince. Dans le grand nombre d'actes passés par l’imprimeur Scipion Jassermé, de 1653 à 1657, chez les notaires Blanchard, Faverjon et Symonel, je n'en ai rencontré aucun de relatif à l'armorial de Joseph Béjard; mais il en est plusieurs où figure comme témoin, tantôt comme correcteur d'imprimerie, tantôt comme avocat en parlement, l’auteur d’une Histoire du Théâtre françois, Samuel Chappuzeau, qui habitait Lyon à cette époque. On a peine à com- prendre que Chappuzeau, qui dut connaître Molière lors de son passage à Lyon, et qui en a fait un grand éloge dans son livre pu- blié en 1674, ne nous aït pas laissé quelques détails sur les pre- mières représentations de l'Etourdi. Je n'ai trouvé qu’un seul acte concernant Claude Basset, avocat en parlement et secrétaire de l’archevèché de Lyon; il est passé chez le notaire Terrasson, le 17 novembre 1658, et à cette date Molière était rentré définitivement à Paris. Les minutes des notaires Grangier et Guyot m'ont fourni deux acles des 10 janvier 1653 et 4 décembre 1655, dans lesquels figu- rent deux personnages de la famille de Molière : Jean Boudet, « tapissier du roi, en cuir doré, » demeurant à Paris, et Philippe Poquelin, marchand bourgeois de Paris. — her — Dans les minutes de G. Favard se trouve un acte passé, le 5 avril 1653, par Jean Cassaignes, syndic du diocèse de Narbonne, qui trois ans plus tard se rendit solidaire d’une assignation de cinq mille livres donnée par le prince de Conty à Molière sur le fonds des étapes de la province de Languedoc. Enfin le bail d’un jeu de paume dit de la Sphère, situé au quar- uer de Bellecour (il existe encore une rue de la Sphère dans ce quarlier, qui était celui des comédiens), m'a donné à penser que ce local pouvait être celui dans lequel Molière avait, comme à Paris, à Rouer et à Grenoble, installé une salle de spectacle. Après n'avoir négligé aucun des renseignements que pouvaient me fournir les minntes des anciens notaires de Lyon, j'ai consulté aux archives de l'hôtel de ville, et grâce à la complaisance de M. F. Rolle, conservateur de ce dépôt, le répertoire des actes con- sulaires, dans l'espoir d'y trouver quelque document relatif aux co- médiens. Les consuls de Lyon n'avaient dans leur juridiction que les théâtres forains, dressés en picin air, ainsi que j'ai pu le cons- tater par des permissions données à des «opérateurs » ou charla- ans, qui, comme aujourd'hui, attiraient le public par des parades. Ainsi, le 1° avril 1655, permission au sieur Gorles!, opérateur; le 6 juillet suivant : « permission pour Gilles Barry ?, opérateur, de vendre ses drogues sur la place des Jacobins et des Corde- liers, et d'y dresser un théâtre.» Dans toutes les permissions données de 1653 à 1657, il n'en est pas une seule qui se rapporte à des comédiens jouant à l'intérieur. J’ai tenté de m'assurer si les papiers de la sénéchaussée ne contiendraient rien sur ce sujet; mais ces papiers, déposés avec beaucoup d’autres au greffe de la Cour impériale, sont dans un état de désordre qui ne permet pas de les aborder | M. Gauthier, archiviste de la préfecture du Rhône, a bien voulu me communiquer les registres de l’archevêché de Lyon , dans les- 1 Ce Gorles doit être parent d'une actrice de la troupe de Molière, mademoi- selle Duparc, qui, d'après son acte de décès, se nommait Thérèse de Gorle. Depuis mon séjour à Lyon M. Rolle a trouvé sur les registres de la paroisse Sainte-Croix, à la date du 23 février 1653, l'acte de mariage de René Berthelot, dit Duparc, avec « damoiselle de Gorla, » et à la date du 29 avril 1655, l'acte de mariage d’un comédien nommé Martin, dans lequel Molière et Duparc figurent et signent comme témoins. 2 L'auteur d'Élomire hypocondre, Le Boulanger de Chalussay, prétend que Mo- lière reçut des leçons de Barry et d’un autre opérateur surnommé l'Orviétan. — 193 — quels il aurait pu exister trace de quelques contestations entre le clergé et les comédiens, ce qui arrivait souvent à cette époque; mais je n'y ai rien trouvé de semblable. Les archives de l'Hôtel-Dieu et de l’hôpital de la Charité four nissent, ainsi que M. Péricaud l'avait déjà signalé, quelques ren- seignements sur des représentations données à Lyon en 1657 et 1658. Le nom de Molière n'y figure pas, mais tout porte à croire que c'est de sa troupe qu'il s’agit dans les comptes que je vais transcrire : « Du mercredi vingt-uniesme jour de feburier mil six cent cin- quante sept. | « Lesdits sieurs [recteurs et administrateurs de l’hostel-Dieu de Nostre Dame de Pitié du Pont du Rosne de la ville de Lyon], ayant cy-deuant prié Monseigneur l’archeuesque, lieutenant general pour le Roy en ce gouuernement, à ce qu'il luy pleut ordonner aux commediens qui sont à present en ceste ville de jouer une com- medie pour le beneffice des pauvres malades dud. hosiel-Dieu, il leur auroyt volontiers accordé que non seullement lesd. comme- diens qui sont à présent en ceste ville jouent une comedie pour lesd. pauvres malades, mais encores ceux qui y viendroient cy- après seroient obligez, toutes les fois qu'ilz y habiteront pour en jouer, d’en donner une pour lesd. pauures dud. hostel-Dieu; en suitte de quoy ceux-cy en auroient joué une dans la grande salle de l’hostel de monseigneur le gouuerneur où reside mond. sei- gneur l’archeuesque, le quinziesme jour du present mois, de la- quelle auroyt esté receu pour lesd. sieurs recteurs la somme de quatre cens neuf liures qui a esté mise ez mains dud. sieur Ar- thaud pour la passer en sa feuille et mettre en son compte, sauf à desduire de lad. somme ce qu’il desbource pour les frais de lad. commedie dont il fera aussy despence en sond. compte qui luy sera passé sans difficulté, dont et du tout a esté faict le present acte. » (Registre des actes du bureau du grand hostel-Dieu du pont du Rosne de la ville de Lyon, vol. n° 22, fol. 92 verso.) On trouve, en effet, dans le compte de recette et de dépense que rend le sieur Jean Arthaud, trésorier des deniers de l'Hôtel- Dieu , pendant les années 1656 et 1657, vol. n° 28, fol. 3 verso: «* Des commediens pour une comedie qu'ils ont donné pour les pauures le xix° feburier de lad. année, la somme de deux cens trente quatre liures deux sols et trois deniers, à icelle somme ra- — 9h — + battu les frais d’un ballet et aux suisses de monseigneur le gouuer- neur et quatorze louis d'or aux comediens. « Des susd. commediens pour autre comedie donnée le nn° juin, ditte année, la somme de cinquante une liures dix huict sols, à icelle desduit quinze louis d’or à eux donnés. » Dans le « Compte de la recette et depense des deniers de l’au- mône générale de la ville de Lyon» (Archives de l'hôpital de la Charité, registre n° 74, fol, 3 verso), on lit : « Feburier 1658. De messieurs les commediens le 27 dud, mois de feburier la somme de cent une liures quatre sols pour la com- medie qu'ils ont donné aux pauvres de ladicte aumosne. » Sur les indications de M. Rolle, qui avait rédigé, il y a quel- ques années l'inventaire des archives de la mairie de Villefranche- sur-Saône, et qui se rappelait y avoir mentionné l'acte de bap- tème du fils d’un comédien, je me suis transporté dans cette ville, qui se trouve sur la route de Mâcon à Lyon. Molière avait pu s'ar- rêter à Villefranche en venant de Dijon, et cet acte devait offrir d'autant plus d'intérêt que, sans pouvoir en préciser la date, M. Rolle se souvenait qu’il y figurait un personnage de la maison du duc d'Orléans. J'ai en “effet trouvé, sur les registres de la pa- roisse de Notre-Dame-des-Marais de Villefranche, l'acte de bap- tême du fils d'un comédien du Roi nommé François Mousson Duroché, tenu par Jean de Sauzey, écuyer de Son Altesse Royale; mais cet acte est du 13 août 1668; à cette date Gaston était mort et Molière était depuis dix ans à Paris. Dans cet acte figure un autre comédien du Roi, Philippe Toubel, dont le nom de famille se retrouve dans l'inventaire de Madeleine Béjard. Après avoir quitté Lyon, je me suis rendu à Montélimart, où je me croyais certain de découvrir un acte notarié, signalé par l'in- ventaire de Madeleine Béjard à la date du 18 février 1655. Molière avait dû figurer dans cet acte, et si je l'avais trouvé j'aurais au inoins rapporté une preuve matérielle de’ son itinéraire. Mais c'est en vain que je me suis adressé aux quatre notaires de cette viile : MM. le baron de Coston, Sestier, Augier et Messié : je n'ai pu re- trouver parmi leurs minutes un acte dont l'existence m'était ce- pendant démontrée, Il m'est aujourd'hui prouvé, Monsieur le Ministre, que cette source des actes notariés, si riche à Paris en ce qui concerne la vie de Molière, reste dans les départements improductive ou insigni- = UE fiante. J'avais cru, ainsi que tous les biographes de Molière, que sa troupe n'avait cessé, pendant une période de douze années, de parcourir les provinces, el que c'était hors de Paris seulement que l'on pouvait retrouver des documents sur les commencements de sa carrière théâtrale; la mission que je viens de remplir m'a donné la conviction contraire. Les troupes ambulantes ou de cam- pagne, comme on les nommait alors, revenaient régulièrement à Paris à l'époque du carème, non pour y donner des représentations, mais pour se recruter, se modilier, puis se rendre sur les points les plus éloignés de la capitale. C’est donc à Paris que je compte reprendre le cours de mes recherches, et, sans l’excursion que je viens de faire, je ne serais jamais arrivé à ce résultat, si différent de toutes les probabilités. En me mettant à même de rectifier à cet égard des idées erronées, Votre Excellence n'a imposé le devoir de continuer avec plus d’ardeur encore un travail pour lequel j'ai déjà reçu tant d’encouragements, et je ne négligerai rien, Mon- sieur le Ministre, pour le rendre digne de l'intérêt que vous avez bien voulu me témoigner. J'ai l'honneur d’être avec un profond respect, Monsieur le Mi- nisire, ; De Votre Excellence, Le très-humble et très-obéissant serviteur, Eur. SOULIÉ. RAPPORT À L'EMPEREUR, PAR M. LÉON HEUZEY, ANCIEN MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE D’ATHÈNES, CHARGÉ, AVEC LE CONCOURS DE M. DAUMET, ARCHITECTE , ANCIEN PENSIONNAIRE DE L’ACADÉMIE DE FRANCE À ROME, D’UNE MISSION ARCHÉOLOGIQUE EN MACÉDOINE. Avril 1862. SIRE , Plusieurs expéditions archéologiques, entreprises à différentes époques sous les auspices de la France, ont mis entre les mains des savants les antiquités de la Grèce méridionale. Les vastes ré- gions qui s'étendent, au nord, sur les deux versants du Pinde, élaient restées jusqu'ici plus négligées, sans mériter cet oubli. Mal- gré les courses de quelques voyageurs et le persévérant travail de l'École française d'Athènes, la Thessalie, l'Épire et la Macédoine, avec les parties adjacentes de l'Illyrie et de la Thrace, n'avaient encore été l’objet d'aucune exploration régulièrement organisée. Votre Majesté a conçu la pensée généreuse d'envoyer dans ces contrées une mission pourvue de tous les moyens d'action dési- rables. Vous avez voulu, Sire, que les études particulières aux- quelles Votre Majesté porte un si haut intérêt fussent une raison pour faire mieux connaître au monde savant ce florissant domaine des premières tribus grecques, qui, plus tard, ne cessa d’être le siége d’un puissant État que pour devenir l’un des greniers de Rome et son principal champ de bataille. Appelé à l'honneur, inespéré pour moi, de diriger ces re- cherches, rien ne m'a été refusé de ce qui pouvait en favoriser Île — 198 — succès. Aucun concours ne pouvait m'être plus précieux que celui de M. Daumet, architecte, ancien pensionnaire de l'École de Rome, dont l'amitié et les lumières m'ont activement secondé dans tous les travaux de cette longue campagne. Le soin de relever, sur mes indications, la topographie de tous les points historiques, était confié en même temps à un garde du génie, M. Laloy, qui s’est acquitté de cette tâche avec beaucoup d'habileté et au prix de grandes fatigues. Enfin nous devons une reconnaissance particu- lière à M. l'amiral commandant la station du Levant, pour les services qui nous ont été rendus par la corvette à hélice la Biche, placée sous le commandement de M. Saillard, lieutenant de vais- seau. La présence de ce bâtiment, le zèle et l’entrain des mate- lots, transformés en travailleurs, nous ont rendu faciles des opé- rations qui eussent été jugées impraticables dans les conditions ordinaires; le concours qui nous a été prêté par les officiers est devenu pour nous une collaboration des plus utiles, toutes les fois qu'il s’est agi d'explorer des régions voisines de la côte. Disposant de pareilles ressources, je devais veiller avant tout à n’en pas détruire l'efficacité, pour vouloir porter nos recherches sur un trop grand nombre de points. Entreprendre une explora- tion générale de tout le pays, c'eût été renouveler le travail des premiers voyageurs, qui cheminaient à grandes journées, courant à toutes les ruines, et cherchant à beaucoup voir, sans trouver le temps de rien étudier. Cette méthode, dont l’Anglais Leake a su tirer un parti remarquable pour restituer dans son ensemble l’an- cienne géographie de ces contrées, ne pouvait plus que disperser, sans profit, notre attention et nos efforts. J'ai préféré choisir d’a- vance, pour les explorer à loisir, un petit nombre de points im- portants, et m'arrêter là seulement où le renom d’une ville de pre- nier ordre, le souvenir d’un grand fait historique, l’existence de ruines intéressantes, nous promettaient des résuliats de quelque valeur. En rassemblant ainsi, autour de quelques noms illustres, un ensemble de documents, nous avons espéré, Sire, pouvoir rap- porter une série d’études plus complètes et plus dignes d’être pré- sentées à votre Majesté. La grande ville de Philippi nous à Œabord retenus près d'un — 199 — mois sur l'extrême frontière de la Macédoine. Ses ruines répondent encore aujourd'hui, par leur importance, à la longue et brillante fortune de ce bourg de la Thrace, devenu tour à tour une forte- resse macédonienne, une colonie de Rome et l’une des métropoles du christianisme naissant. Situées sur un promontoire de rochers, au milieu de la vaste plaine de Drama, elles occupent une de ces positions dominantes qui font d’une place forte la clef de tout un pays. Dans la haute ville, qui représente l'antique cité macédo- donienne, une enceinte en blocage recouvre encore partout de beaux restes de la muraille hellénique. Toute la plaine, au pied des montagnes, n’est qu'un champ de ruines, où l’on retrouve cà et là les marques de l’art fastueux des Romains; parmi ces débris, quatre monuments ont attiré particulièrement notre attention. Bien que le théâtre ne dessine plus, sur la pente ardue de l'a- cropole, que sa forme circulaire, nous en avons exploré avec soin tous les abords; sur l'emplacement même de la scène, j'ai fait dé- gager un joli fragment de sculpture romaine : c'était probable- ment une Muse, représentée assise, décorant cette partie de l’édi- fice. Les rochers voisins ont surtout conservé de nombreuses traces de l'antiquité : les habitants s'étaient servis de leurs parois de marbre pour y graver des inscriptions pieuses et y répéter, par séries, les images de leurs dieux. Il y a là, sur le roc, comme un Panthéon des divinités vénérées de la colonie. M. Daumet s’est ap- pliqué à reproduire ces différents types, parmi lesquels je signa- lerai une Diane, avec les attributs de déesse lunaire. C'est au pied des mêmes rochers que j'ai retrouvé les vestiges d’un temple de Sylvain et les longues inscriptions latines en l’honneur de ce dieu, copiées jusqu'ici très-incomplétement par des voyageurs qui n’a- vaient fait que passer en suivant la route de Drama. De l’autre côté de cette route, s'élève, avec ses portes cintrées et ses piliers de marbre, la grande ruine désignée par les Turcs sous le nom de Dérékler (les Colonnes). Ces constructions massives soutenaient autrefois des voûtes d’un rayon considérable, et for- maient les quatre angles d’une haute salle, probablement d'une salle de thermes, dont l'ornementation, malgré la richesse et l’exé- cution assez soignée des détails, s’écarte déjà sensiblement du style antique. Il semble que, dans ces provinces de la Thrace, ! Ou plutôt le dieu phrygien Mën ou Lunus. (Note de l’auteur.) — 900 — l'architecture romaine ait dévié, plus tôt qu'ailleurs, vers les formes uouvelles qui devaient. constituer l’art byzantin. Les thermes de Philippes méritaient d'être étudiés à ce titre, comme titre de:tran- sition entre deux époques de l’art. À une distance assez grande des murailles, sur le lieu même où nous avons reconnu Île champ de bataille de Philippes, on ren- contre un monument d’un tout autre aspect. Ce sont les restes d’une belle voûte en marbre blanc, construite sur la voie Égna- tienne, non loin d'un cours d’eau, qui n'est autre que le Gangès d'Appien et que la rivière mentionnée dans les Épîtres de saint Paul. Nous nous sommes convaincus que cet arc, isolé dès lori- gine, ne pouvait être, ainsi qu'on l’a supposé, une porte de la ville, mais qu'il appartenait à la classe des constructions triomphales. Il était remarquable par la simplicité de son architecture et ne se composait que d’une seule voûte, qui reposait sur deux massifs en orand appareil, ornés de fines moulures et d’élégants pilastres à feuilles d'acanthe. Quelques travaux entrepris par nous au pied de cet édifice, intéressant par sa position comme par son style, ont mis à découvert les débris écroulés de l’entablement, mais sans faire retrouver aucune trace de l'inscription qui se lisait sur les bandes de l’architrave, et qui paraît avoir disparu, depuis long- temps, sous le marteau des tailleurs de pierre. | Le quatrième monument, désigné à tort sous le nom de tro- phée de Vibius, est un tombeau monolithe d’un beau caractère: Il faisait partie d’une double ligne de grands mausolées, qui s'é- levaient aussi le long de la voie Égnatienne, mais de l’autre côté de la ville. Une étude attentive de l'inscription, répétée en lettres énormes sur les deux faces du socle de marbre, m'a permis d'ajou- ter plusieurs détails à la lecture incomplète de Cousinéry. Ce début de notre campagne a rapporté un riche butin épigra- phique. J'ai découvert, en parcourant la plaine dans une étendue de quinze lieues, une centaine d'inscriptions, presque toutes la- lines. Les unes sont intéressantes pour l’histoire de la colonie, les autres pour l’histoire générale de l'antiquité, par exemple l'ins- cription d’un certain Opimius Félix, véritable page de testament transcrite sur la pierre. Au nord, je me suis avancé jusqu’au dis- trict inexploré de Zikhna, dans le pays habité par les Bulgares, où j'ai commencé à trouver les limites de la colonie romaine. Le latin, dans toute cette région, reste employé sur les inscriptions, — 501 — de préférence au grec; mais il y est mêlé parlout avec les noms barbares de la Thrace. Les personnages de marque portent simul- tanément deux noms, l’un thrace, l'autre romain, qui n'est peut- être que la traduction du premier. Le soin des tombeaux et le poétique usage d'y déposer des roses sont remis aux confréries de Bacchus, la grande divinité des Thraces, qui avait, sur les mon- tagnes voisines, le plus révéré de ses sanctuaires. Ces détails, pré- cieux pour l'éclaircissement de June des questions les plus obscures de l’ethnographie ancienne, se lisent sur le sarcophage colossal de Bithus, fils de Tauziès, et sur plusieurs stèles que j'ai rencontrées dans la même région. Notre présence et nos recherches dans les environs de Philippes n’ont pas manqué d'exciter quelque émotion parmi les Turcs Ko- niarides, qui ont remplacé dans la plaine les anciens colons de Rome. Mais nous pouvions nous reposer sur la vigilance de Husni- Pacha, gouverneur de Salonique, dont l'administration énergique n'a pas cessé de nous assurer, pendant la plus grande partie de notre mission, toute garantie pour nos personnes et toute liberté pour nos travaux. Je dois même à son obligeante intervention de rapporter de Philippes deux de nos meilleures trouvailles : la sta- tue du théâtre et l'inscription d'Opimius, auxquelles nous avons pu joindre plusieurs sculptures provenant d'Amphipolis et de Thes- salonique. IE. Pour remplir dans une de ses parties essentielles le plan d'ex- ploration adopté par Votre Majesté, il est, Sire, un résultat que nous devions poursuivre de nos plus sérieux efforts : c'était la dé- couverte de quelque débris important appartenant à l'époque macédonienne. On ne connaissait guère que par des exemples douteux ou par la comparaison avec les médailles, le véritable ca- ractère de cette brillante période de transition où l'art grec, se prêlant à des nécessités inattendues, modifia ses formes et son style, sans déchoir de sa primitive pureté. Il n'était pas sans inté- rêt pour la science de chercher à retrouver quelques restes des grandes constructions élevées au cœur même de la Macédoine par des rois amis du faste et de la gloire. Malheureusement aucune civilisation n’a laissé derrière elle moins de restes de son ancienne MISS. SCIENT. 3 à « — 502 — splendeur. De tant de cités illustres, Pella, la capitale de Philippe et d'Alexandre, n’est plus qu'un champ de labour; Édesse, la ville sainte, cache jusqu’à ses vestiges sous les bâtisses d’un quartier bulgare ; les débris plus considérables que montrent Thessalonique et Berrhée ne sont, comme à Philippes, que des souvenirs de la domination romaine. C'était parmi les ruines d’une ville obscure, et dont le nom même ne peut être fixé avec certitude, que se cachaïent les seuls restes reconnaissables d'un monument macédonien. Il y a quelques années, explorant pour la première fois les bords du fleuve Ha- liacmon , j'avais signalé, près d'un village portant le nom signifi- _catif de Palatitza, et dans l'enceinte d’une antique acropole, un entassement de beaux fragments ioniques et doriques. Ces débris, rassemblés en trop grand nombre pour ne pas marquer l’empla- cement de quelque grand édifice, m'avaient paru offrir tous les caractères d’un travail grec, contemporain de Philippe et d'A- lexandre. La mission de Votre Majesté mettait à ma disposition tous les moyens de tirer parti de ces premières observations. Les fouilles, commencées au mois de mai pour sonder le terrain, ont été re- prises au mois d’août avec un plus grand développement. La ma- ‘ladie est venue nous opposer de sérieux obstacles ; mais, grace à la ferme impulsion donnée aux travaux par M. Daumet, grâce au concours de M. Sallandrouze de Lamornaix, enseigne de vais- seau, chargé de commander les matelots débarqués, l’entreprise a été menée à son terime. De nombreuses tranchées ont mis à découvert un vaste rectangle de substructions helléniques, qui s'étend sur une longueur de soixante et dix mètres et sur trente mètres de profondeur. Les li- gnes de murs qui marquent les divisions intérieures, bien que ra- -sées en beaucoup d'endroits au niveau du sol, montrent qu'il y avait là une de ces entrées monumentales que les anciens appelaient propylées, avec deux corps de bâtiment qui en formaient les ailes. Le passage qui s'ouvre au centre donnait accès du dehors dans une erande enceinte attenant à l’acropole, et conduisait en même temps, par deux larges portes, aux constructions latérales. Il était décoré avec magnificence, et divisé en plusieurs vestibules succes- sifs par des rangs de pilastres qui reposaient sur des seuils mono- lithes en marbre blanc de huit mètres de long. C’est en étudiant — 005 — de près les fondations, en mesurant les bases, les seuils restés presque partout à leur place, qu’il a été possible de reconnaître avec certitude ces dispositions importantes. L'examen attentif que M. Daumet a fait des moindres débris lui a fourni d’abondants matériaux pour une restauration, au moins partielle, de ce cu- rieux reste de l'architecture macédonienne. Aux deux ailes, et surtout à l'aile droite, qui est mieux conser- vée, On remarque une série de divisions, communiquant entre elles et disposées comme pour un logement. La plus curieuse est une chambre de forme circulaire, où se trouvaient en place les «restes d’une sorte de tribune en marbre. Tous ces appartements sont de petite dimension, conformément aux usages de la vie an- tique. Ils étaient décorés simplement de stucs peints et de pavages en petites pierres. Mais la largeur des portes, la beauté des seuils de marbre, ornés de moulures ioniques, l'épaisseur et la régula- rité des assises en grand appareil montrent que cette partie même de l'édifice, construite avec un mélange de simplicité et de gran- deur, n’était pas une habitation ordinaire. L'intérieur des propylées offrait surtout une disposition élégante et très-originale : chacun des pilastres qui décoraient les vesti- bules tient engagées et adossées l’une à l’autre deux demi-colonnes ioniques. Plusieurs doubles bases de cet ordre, remarquables par la fermeté de leurs profils, se sont retrouvées dans les fouilles ; mais la plus précieuse découverte en ce genre est celle d’un grand chapiteau double, de la même composition, orné de moulures très-simples et de quatre volutes d'angle, morceau unique et des plus intéressants pour l'histoire de l’art. Je citerai encore de nom- breux fragments d’un petit ordre ionique, offrant la même com- binaison de colonnes opposées, et toutes les pièces d'un grand ordre dorique. Les détails de ces ordres sont d’une perfection de travail qu’il est impossible d'attribuer à une époque moins an- cienne que le règne d'Alexandre. Il n'est pas jusqu'aux tuiles, dé- corées de peintures et de reliefs délicats, qui ne témoignent du soin avec lequel avaient été exécutés les moindres ornements. Les nombreux fragments que j'ai pu faire embarquer avec nous, grâce aux autorisations libéralement accordées par le gouver- nement turc, suffiront pour montrer jusqu'a quel point les ar- tistes de l’époque macédonienne avaient changé les formes et les proportions adoptées au lemps de Périclès, mais avec une 7 39 : — 504 — y science et un à-propos d'invention qu’on ne retrouve plus dans l’âge suivant. | Il est particulier que, parmi tant de restes, aucun débris d’ins- cription ne soit venu révéler ni le nom de la ville ni la destina- tion de tout cet ensemble de constructions antiques. La grande enceinte, restée inexplorée, contenait certainement d’autres dispo- sitions d'architecture; des traces de pavage antique y ont été re- connues par M. Daumet à plus de soixante mètres des fouilles rien cependant ne fait penser que ce fût l'emplacement d’un temple. Il est question , dans l’histoire d'Alexandre, d’un nymphée de Miéza, résidence ornée d’ombrages, que Philippe désigna comme retraite, à son fils, pendant son éducation par Aristote. Cette citation, dont je ne veux pas abuser, prouve cependant que les rois de Macé- doine avaient, hors de leur capitale, des lieux d'habitation et de plaisance, qui, suivant un usage antique, n'en restaient pas moins consacrés à quelque divinité. Aucune attribution ne pourrait mieux s'accorder avec le nom moderne de Palatitza ni avec la si- tuation de ces ruines dans un des plus beaux lieux de la Macé- . doine, au milieu d'eaux courantes et de pentes boïsées et sur une coHine couronnée elle-même de grands arbres, qu'un respect re- ligieux empêche de couper. Deux autres découvertes sont venues compléter ces études sur l'art grec en Macédoine. Dès le mois de mai, je faisais atlaquer les grands tamuli qui s'élèvent dans la plaine de Pydna, et parti- culièrement.une chambre sépulcrale peinte, dont je n’avais pu voir, lors de mon premier voyage, que les voûtes et le fronton dorique, le reste étant obstrué par des éboulements. Ce travail n’a pas eu pour seul résultat de nous faire connaître l’ensemble de la construction souterraine et tout son revêtement d'enduits colorés : deux lits funèbres, richement ornés de figures d'animaux et de feuillages élégants dans le goût des Grecs, étaient enfouis-sous les terres, ainsi que les baltants renversés de deux portes de marbre, décorées de têtes de lion en bronze. Des dispositions analogues se sont retrouvées dans un autre tombeau découvert près des ruines mêmes de Palatitza. L'usage, souvent observé chez les Étrusques, de coucher les morts des nobles familles dans des chambres somptueuses était donc com- mun aussi à la Macédoine. Dans le second exemple, le caveau est également couvert par une voûte; mais, au lieu d’être enfoui sous — 905 — un tumulus, il présentait au dehors une belle et sévère façade ionique. Les sépultures rappellent de même la figure des lits an- tiques, qui n'est accusée ici que par de simples profils d’une pu- reté remarquable. Les portes sont encadrées de reliefs imitant de puissantes ferrures et des rangées de clous à large tête. Nous en rapportons les fragments , avec un battant de la porte aux lions de bronze, et le plus beau lit funèbre de Pydna. IT. Des travaux étendus de topographie historique nous ont rete- nus près de deux mois en Thessalie, pour nous conduire ensuite sur les côtes de l'Ilyrie et de l’Épire, à travers des régions illus- trées par les plus grandes opérations militaires des Romains, de- puis les campagnes de Flamininus et de Paul-Émile jusqu’à celle de César et de Pompée, objet principal de notre étude. En par- courant ces contrées, je n'ai eu garde de me départir du pro- gramme qui m'avait été tracé par Votre Majesté, dans le sens le plus large et ie plus favorable à tous les genres de recherches : J'ai continué à relever, avec la même attention, tous les vestiges que le pays a conservés de l’art et de la civilisation des anciens, sans négliger les souvenirs que le moyen àge est venu mêler, en plus d'un endroit, à ceux de l'antiquité. . Ce rapport général ayant pour but d'exposer la partie archéolo- gique de nos recherches, je ne m'étendrai pas ici sur l'étude pro- longée que nous avons faite de la plaine de Pharsale et de ses tu- muli. Ces détails, comme lous ceux qui concernent les marches et les campements de César, seront l’objet de rapports spéciaux, que j'aurai l'honneur de soumettre successivement à Votre Ma- jesté; mais la nécessité d'examiner de près le terrain et d'y relever les moindres ruines nous a mis sur la voie de plus d'une heureuse découverte. _ C’est ainsi que j'ai pu retrouver, sur plusieurs points de la Thessalie, quelques rares mais précieux vestiges d'un brillant dé- veloppement de la sculpture et de l'architecture grecques dans ces contrées. Ces débris appartiennent à la période où l'art pos- sède déjà le sens du naturel et connaît le prix de la perfection, sans oser se détacher encore des traditions de l'école archaïque. Sans doute la Thessalie, sous le régime qui tenait alors la ma- — 506 — jeure partie des populations dans les liens de l'esclavage agricole, n'avait pas vu naître chez elle les artistes auteurs de pareils ou- vrages. Mais les familles puissantes qui appelaient les poëtes les plus renommés pour céiébrer leurs victoires, ces Aleuades et ces Scopades, dont les royales demeures reçurent tour à tour Pindare et Simonide, n'avaient pas manqué d'emprunter aussi aux libres cités de la Grèce des architectes et des sculpteurs, Choisis parmi les plus habiles. | Je crois pouvoir comparer à tout ce que les collections euro- péennes possèdent de plus rare un bas-relief de style ancien, trouvé à Pharsale. Une femme et une jeune fille, la tête ceinte de ban- deaux arrangés avec recherche et conformément à quelque mode thessalienne, tiennent à la main des fleurs, qu'elles semblent se présenter l’une à l'autre. La simplicité des ajustements, la com- plète ressemblance des costumes n'annoncent pas des divinités; je serais porté à penser qu'il faut voir, dans ceite stèle, un motif fu- néraire, plutôt qu'une représentation religieuse. Mais quelle est l'action exprimée par le geste différent et soigneusement étudié des deux femmes? Est-ce quelque cérémonie du culte des morts? L'artiste a-t-il voulu exprimer une allégorie morale ou représen- ter seulement les douces et poétiques occupations de ce loisir que les bienheureux trouvaient dans les champs Élysées? C’est une question qui mérite d’être soumise aux juges les plus expérimen- tés, et qui ne peut être éclaircie que lorsque le marbre aura été exposé aux yeux des connaisseurs. Ce qui n’est pas douteux, cest que ce monument est l’œuvre d’un art déjà très-avancé ; et l'on y démêle, sous la grâce un peu étrange des vieux maîtres, une iar- geur de conception et une élévation de style qui touchent de près à la grande sculpture grecque. Parmi les inscriptions que j'ai déchiffrées dans la même ré2lon, quelques- -unes remontent aussi à une époque ancienne et sont au- tant de monuments du vieux dialecte thessalien. La plus remar- quable est un décret des Pharsaliens, rédigé dans l’idiome locai, et gravé avec toute la netteté des belles inscriptions d'Athènes. Les monuments épigraphiques les plus communs, dans cette par- tie de la Grèce, sont les actes d'affranchissement, qui appartien- nent tous à une époque plus récente; l’un d'eux donne la ré- duction du statère grec en deniers romains, et nous fait connaitre que, dès le meme d'Auguste, l'emploi des monnaies romaines 907 — | Det fat introduit par un règlement dans les actes officiels de ces pro- vinces. | R Sur la frontière de la Thessalie et de l'Épire, les fameux ro- chers des Météores, avec leurs couvents suspendus, nous offraient un sujet d'études d’une nature toute différente. J’y avais découvert en 1857, dans les bibliothèques des moines, une intéressante col- lection de chartes byzantines, que je n'avais pu copier que par extraits. Pendant que mes compagnons relevaient toute la contrée environnante et ses étranges aspects, et que M. Daumet, en par- ticulier, reprenait des études sur l’art byzantin commencées par lui dans les églises de Salonique, j'ai employé mon temps à ter- miner la copie de ces manuscrits. Ce sont des bulles, octroyées, non-seulement aux Météores, mais encore aux grands couvents, aujourd'hui détruits, de Zablantia, de Leucosada, de Mégalôn- Pylôn, et à la citadelle de Phanari; elles sont signées par les deux Andronic, par les conquérants serbes Étienne et Syméon, enfin par divers Césars et Augustes, gouverneurs ou usurpateurs de la Thessalie. À défaut de manuscrits anciens, ces documents don- nent de curieux détails sur l’état des populations et sur le mélange les races dans cette province, à l’époque où elle avait nom Grande- Valachie. J'ai extrait aussi de plusieurs parchemins des renseigne- ments particuliers sur les Météores, et transcrit en entier un ma- nuscrit de quelques pages résumant avec intérêt l'histoire de ces vingt-quatre monastères, qui formaient alors ce qu’on appelait la T'hébaide de Stagi. Les régions écartées de la Lyncestide et de la Péonie ne furent, pendant plusieurs siècles, que très-imparfaitement connues des anciens. Strabon décril comme une terre froide et ingrate ce ma- gnifique pays de culture, que la race laborieuse des Bulgares couvre aujourd’hui de ses colonies. Ce fut seulement l'administra- lion romaine qui parvint à organiser la population, restée long- temps barbare, et à développer les richesses naturelles de la con- trée. Les nombreuses antiquités qu’on y rencontre appartiennent toutes à la même période, et prouvent que ces provinces ne con- nurent la civilisation qu’en prenant place dans le système de l'em- pire romain. Je n'étais proposé particulièrement de retrouver les ruines de l’ancienne ville de Stobr, le chef-lieu qui représentait Rome dans ces régions écartées. Pour y-parvenir, nous avons dû relever le — 508 — bassin encore inexploré de la Tzerna (ancien Érigon). La ville de Stobi n’était pas située, ainsi qu'on l'avait pensé, sur le cours moyen de cette rivière, où l’on ne trouve que des rochers et des gorges impraticables, mais au point même de son confluent avec le Var- dar. C’est là que j'ai retrouvé l'emplacement de la cité romaine, le cercle ruiné de son enceinte, les restes de ses ponts, etson nom même gravé, avec le titre de municipe, sur une inscription mo- numentale en l'honneur de l'empereur Adrien. Les villages, à plusieurs lieues de distance, sont pleins de fragments antiques. Cependant, au milieu de cette population transformée, les anciens cultes locaux n'ont pas perdu leur empire : je n’en veux pour exemple que les inscriptions d'Apollon Oteadanos, dont la statue. d’or, suivant une légende, surmontait le pic volcanique de Slato- vrekh (la Cime d’or), près de Perlépé, et dont les autels, conser- vés dans l’église d’un monastère bulgare, servent aujourd’hui aux plus saintes cérémonies chrétiennes. Contrairement à ce que j'ai observé dans la Thrace, la langue grecque est ici employée le plus souvent sur les inscriptions, bien que les noms soient tous de forme romaine. La prédominance de cette langue dans le pays est confirmée par les pierres milliaires de la voie Egnatienne qui m'ont été indiquées par M. Calverth, consul d'Angleterre à Monastir : les distances y sont marquées en grec, au-dessous d’une dédicace latine en l'honneur de Commode. Descendus des hauts plateaux de la Turquie centrale, par l’an- cienne voie Égnatienne , nous trouvions sur le littoral de l’Adria- tique deux cités maritimes de premier ordre. Grâce à une position excellente, en face de l'Italie et sur le double embranchement de la route militaire qui mettait la capitale de l’Empire en commu- nication avec l'Orient, Apollonie et Dyrrachium ont joui d’une fortune qui n’a fait que grandir avec la dominalion romaine. Au- jourd’hui, malgré l’état de dispersion de leurs ruines, chacune d'elles conserve encore un caractère particulier, qui répond au rôle différent qu’elles ont joué dans l’histoire. À Dyrrachium on retrouve partout, comme à Philippes, le sou- venir de Rome; l'établissement de la race conquérante a presque entièrement effacé les traces plus anciennes. Une stèle funéraire, un fragment de bas-relief el le sarnom d'Épidammus qu'une ins- cription latine d'assez basse époque donne à un chevalier romain, préfet perpétuel du collége des ouvriers charpentiers, sont Îles — 509 — seuls vestiges de la ville grecque qui fut autrefois l’occasion de la guerre du Péloponnèse. Les débris de la colonie romaine forment, au contraire, toute une muraille de la forteresse moderne de Du- razzo et viennent s'y mêler aux écussons napolitains et normands. Quelques morceaux de sculpture et d'architecture semblent même appartenir à une époque voisine de la république. Il faut citer par- ticulièrement deux combattants, dont la belle tournure se fait ad- mirer, malgré les défauts d’une exécution rude et incorrecte. De nombreux fragments, qui entraient dans la composition de divers édifices, donnent une idée de la multiplicité et de la magnificence des constructions élevées par les Romains à Dyrrachium. La mu- raille turque contient encore les pièces principales d’un arc de triomphe. Les inscriptions mentionnent aussi un aqueduc construit par l’empereur Adrien et une bibliothèque élevée vers le temps de Trajan. Aucune partie de ces édifices n’est restée debout; on ne retrouve même pas de traces de l'enceinte antique. Je n'en ai pas moins fait relever avec soin l’ancienne fortification byzan- tine, beaucoup plus étendue que les murailles turques modernes, pour donner une idée de la situation et du développement de celte grande station de l'Empire, qui a conservé jusqu'au milieu du moyen âge un rôle de première importance. Les ruines d’Apollonie présentent, au contraire, l'image d'une ville qui a gardé, pendant toute l'antiquité et même sous la do- mination romaine, les traditions de la vie hellénique. Quand on examine les nombreux fragments qui sont rassemblés sur l’em- placement de l’ancienne acropole et qui forment du monastère de Poïanni un véritable musée, on se retrouve avec une joie in- finie au milieu de la Grèce. Cependant ces débris, arrachés à plus de vingt édifices différents, portent ‘presque tous la marque d’un style moins sévère que les monuments du siècle de Périciès : c’est la même délicatesse de goût avec plus de variété et de faniaisie dans l’invention des détails. Un petit antéfixe en marbre, repré- sentant deux danseuses enlacées dans les enroulements d'une pal- mette, est peut-être ie plus merveilleux exemple de ce grec orné, qu'on ne s'étonnera pas de rencontrer dans une colonie de Co- rinthe. Sur plusieurs fragments doriques et, notamment, autour d’une tête de lion, tombée de la corniche d’un temple, on voit les feuillages et les ornements corinthiens se mêler à l’ornementation ordinairement toute géométrique de cet ordre. L'ionique s'écarte — 9510 — également des formes anciennes, pour se rapprocher de celles que nous avons retrouvées à Palatitza et attribuées à l’époque d’A- lexandre. Un Atlante en pierre, malheureusement très-mutilé, qui supportait les architraves de quelque portique, est un autre témoignage de toute la richesse qu'une population opulente avait déployée dans la décoration de ses édifices publics. La statuaire proprement dite n'est représentée, parmi les antiquités que nous avons rassemblées à Apollonie, que par une têle de femme voi- lée; mais la beauté de ce seul débris suffit pour montrer qu'aucun des arts de la Grèce n'avait dégénéré entre les mains des colons de Corinthe sur ces côtes lointaines de l'Illyrie. Apollonie et le port voisin d'Oricum, dont j'ai pu retrouver les ruines, étaient pour nous le terme de notre voyage. La saison, quoique très-avancée, nous réservait encore quelques beaux jours; nous les avons employés à achever, avec l’aide du commandant et des officiers de la Biche, les études d’hydrographie et de topo- graphie militaire que nous devions mener concurremment avec l'exploration des monuments et des ruines. Dans les derniers jours de novembre, nous nous trouvions à Corfou et nous reprenions, après une absence de dix mois, le chemin de la France. Tel est, Sire, l'ensemble des recherches archéologiques entre- prises par les ordres de Votre Majesté dans la partie méridionale de la Turquie d'Europe. Plus de deux cents dessins, exécutés par M. Daumet, assurent à ces résultats toute l'authenticité qu’un crayon savant et fidèle peut donner aux découvertes lointaines. Nous rapportons en outre un nombre à peu près égal d'inscrip- tions, les notes d'un grand travail de topographie, reliant par des cheminements les points que nous avons particulièrement étu- diés, enfin une collection de marbres antiques, moins importante par le nombre que par la rareté des fragments qui la composent. Ün pays tant de fois ravagé ne promettait pas des ruines compa- rables, par leur état de conservation, aux grands débris restés de- bout sur plus d’un point de l’Attique ou du Péloponnèse. Il conte- nait cependant des richesses qu'une exploration, nécessairement limitée par le temps, est loin d’avoir épuisées. Votre Majesté a pensé que ces provinces devaient être étudiées avec une persis- tance particulière, à cause même de la nouveauté des renseigne- ments quelles ne pouvaient manquer de fournir pour l'histoire poliuque et pour l’histoire de l’art. Si notre voyage à produit quei- — 911 — ‘ques-uns des résultats prévus par Votre Majesté, qu'il nous soit permis d'en faire remonter l'honneur à la protection auguste qui n’a cessé de lever devant nous tous les obstacles. Je suis, avec le plus profond respect, SIRE, De Votre Majesté, ‘À Le très-humble, très-obéissant et très-fidèle serviteur et sujet. LÉON HEUZEY. FAITS DIVERS RELATIFS AUX MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES. M. Luzel, que M. le Ministre de l'Instruction publique avait chargé, par un arrêté du 8 janvier 1864, de rechercher et de recueillir, dans quelques archives particulières du département des Côtes-du-Nord, les manuscrits ou imprimés concernant les mystères brelons, a envoyé au Ministre, comme résultat de cette mission, un certain nombre de docu- ments intéressants sur cetle matière. M. le Ministre a décidé que ces documents seraient déposés à la Bibliothèque impériale, où ils pourront être utilement consultés par les personnes qui se livrent à l'étude de l'histoire du théâtre de l’ancienne Bretagne. M. Emile Colpaërt avait été chargé, vers la fin de 1858, d’une mis- sion gratuite en Amérique, pour y étudier l'état de civilisation de cette contrée. Pendant le cours de cette exploration, M. Emile Colpaërt a recueilli des renseignements intéressants sur l'ethnographie del'Indiana, sur l’état de la métallurgie au Cerro de Pasco (Pérou), sur les bêtes à laine des Andes, sur la tonte des alpagas et le trafic des laines parles In- diens, sur les principaux végétaux du Pérou, et principalement sur la culture et les propriétés de la coca et les moyens pratiques de l'in- troduction de cet arbuste en Europe. Quelques-uns de ces travaux ont déja été publiés. M. Emile Colpaërt a rapporté également de son voyage un grand nombre d'épreuves photographiques représentant différents types d’Indiens, et a dressé, à son retour, une carte géographique com- prenant le département de Cuzco dans tous ses détails et l’état descriptif des territoires sud-limitrophes non encore explorés, et arrosés par les affluents de l'Amazone, carte que M. Emile Colpaërt se propose de pu- blier prochainement. M. le Ministre de l'Instruction publique, par un arrêté du 19 dé- cembre 1864, a confié à M. Émile Colpaërt une nouvelle mission scien- tifique au Pérou, pour continuer ses études sur ce pays, principalement au point de vue de la géographie, des mœurs et de l'histoire naturelle. = ee M. le comte Hector de La Ferrière a reçu, en 1863, la mission de dresser un catalogue des manuscrits et documents français existant dans les archives et les bibliothèques de divers pays étrangers : de Saint-Pé- tersbourg, de l'Angleterre et de l'Ecosse, de l'Autriche, de la Prusse, de la Saxe et de la Bavière. Les dépôts de Saint-Pétlersbourg et de Londres ont été déja explorés par M. le comie de La Ferrière, et un grand nombre de pièces relatives tant à notre histoire qu'a notre littéra- ture ont été inventoriées ou analysées par lui. Ce travail sera publié en totalité ou en partie. L'Académie des sciences ayant émis un avis favorable sur les résultats d'une mission qui avait été confiée, en 1862, à M. J. Janssen pour étu- dier dans le midi de l'Ttalie divers phénomènes de physique céleste, re- latifs principalement à la constitulion du spectre solaire el à celle des spectres obtenus avec la lumière des étoiles, M. le Ministre de l'Instruc- ion publique a chargé en 1864 M. J. Janssen d’une nouvelle mission pour se livrer à des études analogues dans le midi de la France, dans les Alpes et dans les montagnes de l'Auvergne. Les résultats de ces nou- velles recherches seront, comme les précédents, soumis à l'examen de l'Académie des sciences, el il en sera rendu compte dans les Archives des Missions scientifiques et littéraires. MISSIONS DONNÉES DEPUIS LE 23 JUIN 1803 JUSQU’AU 31 DÉCEMBRE 1804. MM. Favre (L'abbé), chargé du cours de malais près l'École des langues orientales vivantes. — Mission gratuite à l'effet d'étudier les manus- crits malais et javanais existant dans les bibliothèques des Pays-Bas. (Arrêté du 8 juiliet 1863.) Pasreur, membre de l'Institut. — Mission ayant pour objet d'étudier, dans les diverses régions viticoles de l’Empire , les modes de fabrica- tion du vin, les améliorations dont est susceptible cette fabrication, ainsi que les maladies que les producteurs ont à combattre. (Arrêté du 21 août 1863.) SouLié (Eudore), conservateur adjoint au musée de Versailles. — Mission ayant pour but de rechercher dans les archives publiques et privées des départements de l'Empire et notamment à Rouen, Lyon, Vienne, Grenoble, Montélimart, Nimes, Montpellier, Pézenas, Bé- ziers et Narbonne, les faits relatifs à la vie de Molière. (Arrêté du 21 août 1863.) Wescner (Carle), ancien membre de l’école française d'Athènes. — Adjoint à la mission scientifique de M. le vicomte de Rougé en Egypte, afin d'y recueillir les inscriptions grecques et latines qui ont pu échapper aux recherches des précédents voyageurs et de contrôler celles qui ont été publiées ”. (Arrêté du 2 septembre 1863.) RianT (Paul). — Mission gratuite en Danemark, en Suède et en Nor- wége, pour recherches relatives à l’histoire et à la litlérature des États scandinaves. (Arrêté du 7 septembre 1863 ). 1 Par un arrêté du 10 avril 1863, M. le vicomte de Rougé avait été chargé d'une mission scientifique en Égypte à l'effet, 1° d’y étudier et d'y copier les ins- criptions mises au jour par les fouilles des dernières années; 2° de comparer et corriger sur place les principaux textes recueillis par Champollion et par d’autres voyageurs , et publiés inexactement. — 516 — MM. Baxvie (DE), attaché en qualité de photographe à la mission de M. de Rougé. à (Arrêté du 22 septembre 1863.) NeuBauEr. — Mission gratuile à l'effet d'étudier les manuscrits hébreux en général, et particulièrement les manuscrits karaïtes existant dans la bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. (Arrêté du 26 septembre 1863.) SauUSsAYE (DE La), membre de l'Institut. — Mission gratuite au Ha- novre, à l'effet de recueillir dans les bibliothèques de ce royaume les divers documents concernant la correspondance de Leibnitz et de Denis Papin. (Arrêté du 28 septembre 1863.) SauLzey (DE), membre de l'Institut, — Mission scientifique ayant pour objet d'explorer diverses parties de la Palestine au point de vue de la topographie, de l'histoire et de l'archéologie. (Arrêté du 4 octobre 1863.) … Borszisce (A. DE). — Mission gratuite pour rechercher dans les archives de Naples et calaloguer les divers documents historiques et admi- nistratifs qui se rapportent à l'occupation française pendant la fin du xv° siècle et le commencement du xvi‘. (Arrêté du 17 novembre 1863.) Luzez (F. M.). — Mission à l'effet de rechercher et de recueillir dans le département des Côtes-du-Nord les mystères bretons, manuscrits ou imprimés. (Arrêté du 8 janvier 1864.) GuiLLEMET. — Continuation d’une mission , accordée en 1863, à l'effet de reproduire par la photographie les manuscrits et les inscriptions existant dans les églises et les couvents grecs du mont Athos et dans diverses localités de la Turquie d'Asie. (Arrêté du 10 mars 1864.) L2 FoucarrT, ancien membre de l'école d'Athènes. — Mission gratuite en Grèce à l'effet d'y compléter ses études sur les antiquités de Delphes. (Arrêté du 21 mars 1864.) MoxrTagwac (DE). — Mission gratuite dans la régence de Tunis, à l'effet d'y étudier l’histoire des Croisades et des ordres religieux de la che- valerie. (Arrêté du 21 mars 1864.) LL nn MM. Wescuer (Carle), ancien membre de lécole d'Athènes. — Mission épigraphique dans l'ile de Candie. (Arrêté du 25 avril 1864.) MouriEer, docteur en médecine. — Mission gratuite ayant pour objet d'explorer et d'étudier le Japon, pendant son séjour dans cette con- trée, au point de vue des sciences naturelles et médicales. (Arrêté du 30 avril 1864.) JANSsEN, docteur ès-sciences. — Mission au Havre, à Marseille el dans les Alpes, pour continuer ses observalions scientifiques sur l'analyse prismalique de la lumière solaire et de celle des étoiles. (Arrêté du 23 juin 1864.) Cuasces (Émile). — Mission dans les deux Castilles à l'effet d'y étudier la littérature et l'histoire de cette contrée pendant le moyen âge. {Arrêté du 30 juillet 1864.) - Bouranric, archiviste aux Archives de l'Empire. — Mission en Belgique à l'effet de rechercher dans les archives et bibliothèques de ce royaume les documents inédits relatifs au gouvernement intérieur de la France pendant le moyen âge. (Arrêté du 30 juillet 1864.) AuGusTE DozzFrus, EUGÈNE De MoNTseRRaAT el PAur. PaviEe. — Mission scientifique pour étudier, sous la direction de M. Charles Sainte- Claire Deville, membre de l'Institut, les terrains volcaniques des bords du Rhin et les formations porphyriques et granitiques du Pala- tinat et de l'Odenwald. (Arrêté du 5 août 1864.) Loupux (Eugène), bibliothécaire honoraire de la bibliothèque de l'Ar- senal. — Mission gratuite pour rechercher dans les bibliothèques de Rome les documents relatifs à l'histoire des familles françaises établies depuis les Normands et la Maison d'Anjou dans le royaume de Naples. | (Arrêté du 13 août 1864.) Rey (Guillaume). — Mission gratuite dans le nord de la Syrie, à l'eflet d'étudier les régions des monts Ansaryés et la vallée de l'Oronte, au point de vue de l'archéologie et de la géographie. (Arrêté du 25 août 1864.) MISS, SCIENT, 31 — 918 — MM. MacnaBaz. — Mission à l'effet de rechercher dans les bibliothèques et archives de l'Espagne les ouvrages manuscrits ou imprimés relatifs au Mexique, (Arrêté du 31 août 1864.) Comes (François), professeur à la Faculté des lettres de Bordeaux. — Mission gratuite à Turin, à l'effet d'y effectuer des recherches histo- riques sur les relations de la France avec la Maison de Savoie , depuis : l'origine de cette Maison jusqu'en 1815. (Arrêté du 1° septembre 1864.) COLPAËRT (Émile). — Mission scientifique en Amérique ayant pour ob- jet l'étude du Pérou, au point de vue de la géographie, des mœurs et de l'histoire naturelle. (Arrêté du 19 décembre 1864.) LuzeL. -— Nouvelle mission ayant pour objet de rechercher et de re- cueillir les mystères bretons, manuscrits ou imprimés, dans les départe- ments du Finistère et du Morbihan. (Arrêté du 1 9 décembre 1864.) TABLE DES MATIÈRES SUIVANT L'ORDRE DANS LEQUEL ELLES SONT PLACÉES DANS LE VOLUME. —“ } —— Pages, COUT an SE EE RS RE DRE EE PCT RE Et 1 Arrêté du Ministre de l'Instruction publique D AS LS MTS CAS SNS 111 Mémoire sur l'ile de Thasos, par M. G. Peñnor. .................... 1 Rapport sur les recherches faites aux archives de Venise, concernant la correspondance des ambassadeurs vénitiens résidant en France, par D D Bus can 109 Rapport sur la Mission accomplie en Égypte, par M. le vicomte E. De An dd aan de dl ET quan es ba 167 Rapport sur la mission accomplie en Égypte, par M: C. WESCHER ........ 179 Mémoire sur la Triphylie, par M. Boutan..&- ....................... 163 Mémoire sur l'Étolie, RE AR RU nn due Pauasuos due ue à 247 Rapports sur une mission scientifique en Palestine, par M. V. GuéRiN..... 373 Rapport adressé à S. Exc. le Ministre de l'instruction publique, sur des re- cherches épigraphiques en Grèce, dans l'archipel et dans l'Asie Mineure, OL ET ER NT PME POELE LT TETE 423 Rapport sur les fouilles d’Aptère (Crète), adressé à S. Exc. M. Duruy, mi- nistre de l’Instruction publique, par M.C. WESCHER............... 139 Rapports de M. G. Perrot, chargé d’une mission archéologique en Galatie. h45 Rapport de M. Eudore Soulié, conservateur adjoint des musées impériaux, sur des recherches relatives à la vie de Molière .................... A8: Rapport à l'Empereur, par M."Léon Heuzey, chargé, avec le concours de M. Daumet, d’une mission archéologique en Macédoine ............. 497 Faits divers relatifs aux Missions scientifiques et littéraires . ............ 513 Missions données depuis le 23 juin 1863 jusqu’au 31 décembre 1864.... 919 LÀ raie se vendent au prix de 9 francs le volume. 5 | | Fu ON SOUSCRIT À PARIS, de FRANCK , RUE RICHELIEU, N° 67; er cuez À, DURAND, RUE Cuyas, n° . RCE RAA LA AGAY 7) fl LULU 01298 7764