WMM^mMmmS^MmM^^M S.fZ.1 6.1. M1NISTERE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES CHOIX DE RAPPORTS ET INSTRUCTIONS POBUF. SOUS LES AUSPICES DU MINISTERE DE L'INSTRUCTION PUKLIQUE ET DES CULTES 1IE CAHIER. — FEVRIER 1850 PARIS IMPRIMERIE RATIONALE M DCCC L ARR^TlL Vu I'arrete ilii 29 octobre 18^9 ', relatif !> la publication, sous les auspices du ministere de 1'instruction publiquc et des cultes, d'un recueil intitule : Archives des Missions scientifiques ct littcruires, Ckoix dc rapports el instructions , Art. 1". Le recueil, intitule1 Archives des Missions scicntifiqu.es , contiendra les rapports les plus interessants envoyes par les voyageurs charges de missions scicntifiqucs par le ministere dc ('instruction publique et des cultes, ainsi qu'un choix des Instructions redigees pour lesdites missions par 1'Inslitut et les differents corps savants, a la demande du ministere. 2. II sera nomme une commission cbargee de cboisir, parmi les rapports des personnes charg6cs de missions scientifiques, les communications qui seront dc nature it ctre publiees dans les Archives. Seront appeles a faire partic de cette commission : Un ou plusieurs membrcs de 1'Academiedes inscriptions et belles-lettres, pour 1'examen des rapports relatifs aux antiquites, a I'histoire, aux Etudes pbilologi- ques ; Un ou plusieurs membrcs de l'Arademic des sciences et du Museum d'histoire naturelle, pour les missions relatives aux sciences naturelles; Le cbefde la division des etablissements scientifiques ct litteraires au minis- tere de 1'inslruction publique et des cultes; Le chef du bureau des corps savants, travaux bistoriques et missions. 3. Les Archives des Missions scicntifiqucs seront distributes gratuitement aux oersonnes et aux etablissements ci-apres designees : 1° A MM. les secretaires perpetuels des cinq academics; 2° Aux membrcs titulaiies des deux comites bistoriques ; 3° A chacune des bibliothequcs publiques de Paris; 4° A la bibliothcque publiquc de cbaque ch-ef-lieu de d^partement; 5° A la bibliotbeque publique d'Alger; f>° Aux bibliotheques de 1'Ecole normale, de 1'Ecole des cbartes, de 1'Ecole francaise d'Athenes, de 1' Academic de m^decine et de 1'Ecole polytechnique. 4. Toute demande de concession gratuite des Archives sera renvoyee A 1'examen de la commission de publication. 5. II paraitra par annce 1 2 cahiers ou fascicules des Archives; cbaque cahier se composera de 3 a 4 feuilles in-8". Chaque annce formera un volume. 0. Les Archives des Missions scicntifiqucs seront imprimees par 1'Imprimeric nationale. Paris, le i4 decembre 18/19. I.c Ministre t/es J/tss /<>#.* .',„■/:■,,./., r. tutcldeamvertcn - /. ■////;;!// ,/;■/, 1 . ■./,•/ 4 7empifc dc la /.v, 5 ./////■ cyc&wc&t. ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITT^RAIRES, CHOIX DE RAPPORTS ET INSTRUCTIONS I'CBUK SOI S LEE AUsriCE'- DU MINISTERS DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES GDLTES. TOME 1. PARIS. 1MPRIMERIE NATIONALS. M nv.r.< L «a :«*> s MINISTERE DE ^INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES. ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. 1" CAHIER. ECOLE FRANCAISE D'ATHENES. LE VIEUX PNYX A ATHENES. La colline allongee du Pnyx s'etend du sud-est au nord-ouest; Tune de ses deux pentes regarde le fond de la plaine dans la direc- tion du Pentelique; le cote oppose descend vers le rivage de Pha- lere et de Munychie, dont elle est separee par la plaine mareca- geuse ou vient se perdre le Cephise. L'extremile meridionale de cette hauteur fait suite au Museium , dont elle ne se distingue que par un faible abaissement de terrain. Celui qui, de la crete de la colline, regarde le Pentelique, a sur sa droite, un peu en avant, 1'Acropolis, des pentes de laquelle se detache le rocher de l'Areo- page; celui-ci, escarpe du cole de la citadelle, setend sur la col- line, qu'il recouvre et qu'il deborde, et, s'inclinant de droite a gauche, se confond insensiblement avec la plaine, au pied meme de la colline du Pnyx, a l'endroit ou s'eleve le temple de Thesee. MISS. SCIENT. 1 L' Acropolis il 'Athenes forma primitivement le centre de la ville, dont les habitants construisaient leurs etroites demeures sous la protection de tears reniparls et de leurs dieux; plus tard, la ville de Cecrops couvrit l'Areopagc, circula dans la gorge qui le separe du Pnvx, et se prolongea enlre la citadelle et le Museium, gravit les flancs deces collines et s'eleva jusqu'a leurs sommets. Son mur dVnceinte, partant de la vallee de l'llissus, s'elevait sur le pen- chant du Museium, passail aupres du monument plus modernc de Philopappus, suivait la Crete de la colline du Pnyx et descen- dait vers le temple deThesee, qu'il comprenait dans son enceinte. Sur le versant qui regarde le nord, un espace nivele de main d'homme formait la place publique, ou le peuple allait ecouter Eschine et Demosthenes1. EHe figure une enceinte irregulieredonl la forme se rapproche, comme le remarque M. Leake2, d'un seg- ment circulaire dont la base ne serait point une ligne droite, mais une ligne brisee par le milieu; la partie arrondie tourne sa con- vexile vers la plaine, et Tangle saillant du cole oppose s'enfonce, en quelque sorte, dans le marbre de la colline. La tribune, ou Bvpa, s'eleve keel angle, taillee elle-meme dans le marbre; a droite et a gauche , le rocher est coupe a pic et forme comme deux murs d'une assez grande elevation, qui derobaient entierement au peuple la vue de la mer et des ports. Le sol de la plate-forme s'eleve insensiblement des deux cotes, et les derniers and items etaient sur la meme ligne que forateur; en face de la tribune, au contraire, lesol, qui incline vers la plaine, est soutenu par des blocs de marbre de forme carree, dont les dimensions egalent celles des plus gros blocs des murs cyclopeens. Au-dessus de la tribune et des deux pans de rocher dont il a ete question, s'etend un espace horizontal forme de la meme maniere que fenceinte du Pnyx, ettermine comme elle vers le fond, e'esta- dire au midi, par le rocher taille a pic. Ici , tout est moins grand ; mais, dans d'autres proportions , tous les details de la premiere en- ceinte se trouvent repetes. Le mouvement du terrain permit de donner au Pnyx d'Eschine et de Demosthenes la forme curviligne et concave que nous avons decrite tout a rheure. Quant a 1'en- 1 •Eum locum, ubi Demosthenes el /Eschiues inter se decerlare sotiti sunt. » Cic. De Fin. V, 2.) * Lcnke, Topog. of Athens, I, 5 17. celnle superieure, comme il fallut la iailler entitlement dans le rocher, ce futsans cloute une raison clela faire plane et simplement horizontale. Le rocher vertical du fond est parallele a la direction moy^nne des deux mors du grand Pnyx ; mais 1'inclinaison du sol , vers la droite de celui qui nionte, retrecit 1'eneeinte dans celte partie et lui donne la forme d'un triangle tronque, ouvert du cote de 1'Hymette. La surface de cette plate-forme porle partout les traces des marteaux qui l'ont aplanie, et parait divisee en com- parliments de formes diverses, indiquant sans doute 1'emplace- ment de murs et de maisons construites plus tard, lorsque 1'an- cien Pnyx eut ete abandonne. Cette conjecture parait d'autant plus vraisemblable, qu'un premier travail d'ensemble est indique sans aucun doute par la disposition generate deslieux , et que les traces d'un travail posterieur ne se rapportent a cet ensemble, niparleur grandeur, ni par leur position relative. II est done naturel de con- sider cette enceinte triangulaire comme ayant forme d'abord une place vide et sans subdivisions. A droite, dans la partie res- serree de 1'enceinte, se trouvent les restes d'une ancienne tribune. Un encadrement d'un metre environ de cote , et creus6 de quelques centimetres dans le rocher, determine sur le sol un espace qua- drangulaire de pres de six metres de largeuret de plus de cinq dans Tautre sens. Au milieu de cet espace, s'eleve la tribune, egalement taillee dans le marbre, et entouree sur trois cotes d'un degre bas et etroit; elle forme au-dessus de ce degre un bloc carre de trois metres et clemi de large , sur deux metres et demi dans I'autre sens ; la partie superieure est d^gradee par les pluies et plus encore par la main des voyageurs, qui font disparailre chaque jour quelque chose de la venerable antiquite. C'est la, pensons-nous, le Bjjfza de 1'ancienne Athenes : il ne s'eleve guere aujourd'hui qu'a un demi-metre de hauteur, et 1'orateur n'y dominerait plus que par les idees et le son de la voix la multitude, qui ne verrait plus ses gestes. La surface de cette tribune est plus grande que dans le nou- veau Pnyx : 1'orateur pouvait aisementy faire plusieurs pas et s'a- dresser, a droite et a gauche, a ceux qui 1'entouraient. Cependant, quelle que fut la hauteur de 1'ancien Br;fza, il ne pouvait etre aussi imposant cpe le nouveau. Celuici, en effet, adosse aux rochers de la colline, avait sur ses deux cotes une montee de six petits de- gres tallies clans le meme bloc que la tribune; le tout reposait sur une sorte d'estrade composee de trois marches et d'une longueur de m. . 1 . — Il — plus de neuf metres. Tout cet ensemble, d'une grancle majeste , placait les pieclsde l'orateur au-dessus du peuple; il paraissait eleve sur un piedestal proportionne asa taille, et sa voix descendait d'en haut sur la foule attentive et passionnee. Au-dessous de lui, sur I'eslrade de marbre, etaient assisles grelfiers, ecrivant sur leurs ge- noux, ou feuilletant les actes publics pour y cbercber les preuves dont il avait besoin. II n'y avait pas autant d'unite , ni autantdc grandeur , dans la disposition del'ancien Pnyx : la tribune etait isolee, et il n'y avait point de place autour d'elle pour les grelliers. II est vraisemblable que ceux-ci se tenaient sur la droite de l'orateur, a peu pres a la nieme hauteur que lui ; dans le rocher taille a pic , on voit un etroit escalier de deux marches, a la gauche duquel se trouvent encore des restes de bancs egalement tailles dans le roc; il y en a de meme sur la droite, a quelques metres de la tribune. On ne peut de- montrer que ces bancs fussent ceux des grefliers; mais cette opi- nion parait vraisemblable, puisque, en realite, ils devaient avoir une place marquee a cote de l'orateur , et qu'il ne s'en trouve pas autour du B>;pa. II est possible aussi que Tun des deux bancs, ce- lui de gauche sans doute, plus eloigne de l'orateur, fiit reserve aux envoyes des villes de la Grece, places ainsi en vue du peuple assemble pour les entendre et pour statuer sur leurs propositions. I/orateur, dans 1'ancien Pnyx, tournait le visage du cote de IHy- metle : il avait, par consequent, d'un cote Phalere, et de l'autre, maisenavant, l'Acropolis; pour montrer au peuple les Propylees, il eut etendu le bras gauche, ou passe devant lui sa main droite. L'enceinte horizontale du vieux Pnyx est loin d'etre aussi eten- due que celle du nouveau; et cependant elle eut pu suffire aisement a une ville dont la population, partagee en citoyens libres et en csclaves, n'aurait pas fourni plus de quatre mille citoyens aux assemblees publiques. Les deux murs du nouveau Pnyx ont en- semble une longueur de plus de i5o metres, et la largeur de la place est proportionnnee. L'enceinte triangulaire du vieux Pnyx ne s'etend guere en longueur au dela de cinquante metres, et sa plus grande largeur est d'environ quarante. Line place de cette etendue suffisait certainement a l'assemblee publique d'Athenes, puisque les citoyens s'y tenaient debout et n'occupaient, par consecjuenl , qu'un espace fort resserre. On est done conduit naturellemont a chercher les motifs pour lesquels 5 1'ancien Pnyxful abandonn£, et les cornices d'Athenes transporter plus bas, sur la meme colliDe. Jusqu'a 1'epoque ou 6crivait Thu- cydide, c'est-a-dire dans un temps ou 1'assemblee n'etait guere moins nombreuse qu'elle ne le fut sous les trente tyrans, les ci- toyens ne s'etaient pas reunis au dela de cinq mille1. Si done on changea le lieu des deliberations publiques , ce ne fut point parce que 1'ancien Pnyx etait devenu trop etroit. Peut-etre n'avait-il plus assez de majesle pour etre en harmonie avec la splendeur de la ville de Pericles; peut-etre le gout des Athenians etait-il blesse, lorsque, du pied d'une tribune taillee grossierement et suivant 1'antique simplicity, il apercevait les nouveaux Propylees et le nouveau Parthenon , ou la ricbesse des couleurs relevait en- core la beaute de rarchitecture. Cependant, nous devons consi- derer que ce ne fut point le peuple d'Athenes qui fit ce change- ment, mais les trente tyrans, peu jaloux de niettre a l'aise une multitude, a leur gre, trop turbulente, et de 1'attirer aux assem- blies publiques. D'ailleurs la disposition des lieux est d'accord avec le texle de Plutarque : « Ainsi, dit-il, cette tribune du Pnyx, disposee de ma- niere que de la Ion apercut la mer, les trente tyrans la tour- nerent plus tarcl du cote de la terre : ils pensaient que la puis- sance maritime engendrait la democratic, et que 1'agriculture t'tait moins inquietante pour l'oligarchie2. » On pourrait dire, comme parait le penser M. Leake, que le fait cite par Plutarque ressemble a ces traditions qui se perpetuent dans le peuple et n'onl souvent aucune cause legitime. Mais une tradition de cette nature eiit ete dementie a toute heure par les lieux eux-memes, que le peuple athenien avait sans cesse sous les yeux, ou, pour mieux dire, une telle tradition n'a jamais pu s'elablir. L'habile antiquaire, si exact partout ailleurs, n'a point considere assez at- tentivement les lieux , puisqu'il n'a dit quelques mots du vieux Pnyx que d'apres les auteurs anciens , dont le texte ne pouvait meme s'accorder avec son hypothese, et n'a decrit aucune por- tion de 1'espace compris entre la nouvelle tribune et les anciens > Thucyd. VIII, 72. 2 Aid xal to jSfjffzot to eV ITrvxi, ttsnoinfievov ware dnoSXinsiv itpus jy)v 3-otAaT- Taii iiarspov oi TpirixovTa itpbs ti}i» %&poLV aTzempe^av, oiofievot rfiv ft£v xaTa 3-a- Xomav ipx/iv yeveaiv eivtt Srj(ioi;s iv HaXafxTvc vavuzyias) , il faut remarquer aussi que ces orateurs vivaient au temps de Philippe de Macedoine, et parlaient dans le nouveau Pnyx, d'ou Ton ne peut voir en effet le theatre de la bataille. II est vrai, Plutarque ne parle explicitement qued'un change- ment d'orientation dans la tribune du Pnyx et non de la cons- truction d'un Pnyx nouveau. Mais il suffit de jeter un rapide coup d'oeil sur les lieux pour se convaincre que la grande tribune, adossee aux rochers dont elle fait partie , ainsi que ses degres et sa large estrade, n'a jamais eu une direction diflerente de celle qu'elle a aujourd'bui. Dira-t-on que c'etait une autre tribune ele- vee a droite ou a gauche sur la menie place? Mais alors ce n'est plus changer la direction d'une tribune , c'est en realite construire un autre Pnyx. D'ailleurs, dans cette hypothese , pourquoi eut-on donn^ a la place publique la courbure qu'elle a aujourd'bui et qui cut ete aussi mal enlendue qu'elle est favorable a la voix ' Avtaldfievoi Se oi pi/nopes amoG'ASTieiv eh ri IIpo7ru>.aia rr\i Axptmd'heuis e'xe- '/.evov v(iSs, xa't tt?* iv 2aXajxrtii r.pos tov UspTvv vaufut/ias •ris;ivr>aQy.t. (/Escliincs. de F. leg. p. xxv, 3; ^.1 Rciskc) d'un orateur parlant de la grandc tribune '? Enfin, celte tribune elle-meme n'est point rapportee , mais elle fait parlie de la mon- tagne : comment done, et dans quel but cut on laisse au milieu de la section verticalerocher don I elle eiit ete formce depuis? Ajou- tons cette derniere raison , que la tribune actuelle n'a pu etre a au- cune epoque plus haute quelle ne Test aujourd'hui, et que ja- mais, quelle qu'en ait ete Torientation, on n'a pu de la apercevoii la mer du Piree : en effel, les degres actuels, tailles dans le memo rocher, ainsi que 1'estrade sur laquelle elle est placee, s'elevenl jusqu'a sa parlie superieure , qui forme en quelque sorte la der- niere marche. Pour arriver a une hauteur d'ou Ton put voir la mer, il eut fallu que fescalier a droile et a gauche se continual au moins de trois degres; mais alors la surface superieure eut ete sans contredit trop etroite et incompatible avec Taction et les mouve- vements de l'orateur. Ainsi done, que Ton considere comme une erreur ou que Ton interprete le lexte de Plutarque de maniere a Topposer a celui d'Eschine, il en resulte des consequences ou contradictoires entre elles, ou qui ne peuvent s'accorder avec la disposition des lieux. II est a la fois plus simple et plus naturel de prendre les texfes comme ils sont , et de voir si les restes des monuments les confir- ment ou les contredisent. Or, ces textes s'accordent entre eux, et s'expliquent sans effort en presence de ces lieux. LTancicnne tri- bune s'elevait sur le plateau de la colline et Detail dominee par aucun objet: l'orateur indiquait les Propylees au peuple , qui, pour les apercevoir, devait seulemenl tourner la lete; montrant en- suite la mer du Piree, et les golfes el les iles, en presence de ce glorieux theatre il secriait : « Souvenez-vous du combat de Sala- mine ! » Rien n'etait plus propre a echauffer fame des Atheniens que de telles paroles prononcees dans un tel lieu et, pour ainsi dire , sur le champ de bataille. Cachez ces rivages : combien la 1 Nous devons relever ici une erreur de fait commise par M. Leake. «To be beard, dit-il , by the auditors from the pulpit of the Pnyx must indeed have re- quired the ut most exertion of the orator; we cannot wonder, therefore, that Demosthenes found it necessary to strengthen! his voice, in order to qualify himself for speaking in the Pnyx. » — En realite, une personne parlant sans ef- forts de la tribune du Pnyx est entendue distinctement de tous les points de la place. Demosthene a Phalcre se prdparait conlre le tumullc populaire, ct M Leako ne rignorait pas. — 8 — parole de 1'orateur a perdu de sa puissance! C'est ainsi que dans d'autres lieux et avec dautres pensees, pour animer le courage de ses soldats, Germanicus visitait avec eux la foret sauvage ou gisaient les ossements des legions de Varus. Quant a l'epoque ou fut construit le nouveau Pnyx et ou Tan- cien fut abandonne , elle est donnee par le texte de Plutarque, qui attribue aux trente tyrans le deplacement de la tribune. Quand ce texte n'existerait pas, loeil de l'artiste decouvrirait la solution du probleme tout aussi clairement que fantiquaire, et trouverait, dans ce melange si bien enlendu de la grandeur et de Telegance, les caracteres propres des ouvrages du siecle de Pericles :ilverrait la grandeur dans 1'unite de l'ensemble et la simplicite du dessin, l'elegance dans la gracieuse disposition des degres en etages inegaux et en retraite les uns par rapport aux autres ; Tune et l'autre a la fois dans les belles courbes du sol qui s'abaisse jusqu'a la puissante mu- raille qui le soutient vers le bas, et se releve mollement sur les deux cotes. Rien de pareil dans Tancien Pnyx : il est fait suivant l'antique simplicite, sans luxe, sans elegance : le rocher est taille en ligne droite, la place est borizontale, la tribune est comme ebauchee ; enfin, nous retrouvons ici ces deux classes de monuments qui marquent deux epoques de fhistoire d'Athenes, les monuments primitifs et les monuments reconstruits : le vieux Pnyx convient au vieux Parthenon et aux premiers Propylees; le nouveau Pnyx s'accorde avec le Parthenon de Phidias et les Propylees de Mne- sicles. De ces deux ordres de monuments, les uns sont plus petils et plus grossiers; les autres, portant tous les caracteres de la per- fection, ont fait de la ville de Pericles une ville nouvelle, qui n'eut jamais son egale dans le monde. Emile BURNOUF, Mcmbre de TEcolc fran9aisc d'Athenes. LES PROPYLEES. Au mois d'aout i65C, la foudre tomba sur 1'Acropole d'Athenrs pendant le siege qu'elle soulenait conlre les Venitiens, el fit sau- tcr les Propylees, ronvertis par les Turks en magasin a poudrc Lcs barbares ne gemirent que sur leur citadelle ouverte et leur arsenal detruit. Quanta l'oeuvre de Mnesicles, monument unique entre ceux que l'antiquite avait sauves jusqu'alors, ie nom meme et l'existence leur en etaient a peu pres inconnus. L'aga Jousouf habitait sur la principale colonnade une baraque de terre et de bois, et le reste du magnifique edifice disparaissait presque tout en tier sous d'autres constructions grossieres. La nature, aidee de I'imprudence des homines, detruisit en un moment ces miserables demeures et le chef-d'ceuvre d'architecture qu'elles recouvraient. Ce qui reste des Propylees suffit encore pour que Ion en puisse comprendre l'usage et imaginer la magnificence. L'Acropole d'Athenes, formee d'un rocber escarpe de toutes parts, etait en- touree de murailles baties sur le precipice, et accessible d'un seul cote. Ces murs dessinaient comme un ovale allonge dans la di- rection de Test a l'ouest, et le chemin qui conduisait a la cita- delle, apres avoir tourne sur la pente de la colline, aboutissait a l'extremite occidenlale de la plate-forme, en vue du Pnyx et vis- a-vis du rocher de 1'Areopage. C'est la que s'elevent les Propylees. Sur un sol incline furent etablies des substructions recouvertes de larges dalles de marbre blanc et presentant la forme d'un carre avec des ailes en saillie a droite et a gauche. Le carre principal lut ferme des deux cotes par deux murs de marbre paralleles, et divise en deux parties inegales par un troisieme mur transversal perce de cinq portes. La porte centrale est la plus grande; et, vues dun seul coup d'ceil, ces cinq entrees de la citadelle, de- croissant a droite et a gauche , forment un ensemble harmonieux. Sous la porte du milieu passe le chemin en pente dont nous avons parle, le seul par lequel il fut possible de penetrer dans la forteresse. II divise en deux parties symetriques la salle ante- rieure des Propylees et dessine ainsi deux vestibules sous un meme toit. L'ensemble de ces deux vestibules formait une sorle de portique couvert, avec six grandes colonnes doriqucs sur la fa- cade et une allee de six colonnes ioniques a 1'interieur. Celui qui, suivant le chemin de la citadelle, passait entre les colonnes dela facade el les six colonnes de 1'ordre ionique , et franchissait la porte principale, se trouvait alors dans un nouveau portique, divise en deux vestibules comme le portique anterieur, ayant comme lui, a la facade, un rang de six colonnes doriques, mais sans ordre ionique a 1'interieur. Au dehors, les deux ailes avan^aient — 10 — sur la dioile et sur la gauche, ct rejetaient vers te fond la colon- nade dori([ue des Propylees. L'une ct l'aulrc etaient oruees, sur la facade interne, d'une ordonnance de trois colonnes doriques. L'aile gauche, qui porta le nom de Pinacotheque , elait composee d'un vestibule et dune salle inlerieure, dans laquelle on penetrait par une porte flanquee de deux fenelres. L'aile droite n'etait qu'une simple galerie fermee de trois coles et ornee d'un ordre de trois colonnes doriques regardant l'ordre correspondaut de l'aile gauche l. Tel etait l'ensemble des Propylees d'Athenes. Avant l'cxplosion de 1 656, l'aile droite avait deja disparu sous lenorme tour venitienne qui la couvre. Apres l'orage , les frontons de la Pinacotheque et du corps principal n'existaient plus; les poutres de ruarbre penlelique qui s'elancaient d'une colonne a 1'autre gisaient a terre, rompues ou mutilees ; les chapiteaux et le haut des colonnes avaient disparu sous les debris, et quand forage eut ete oublie ou la tcrreur dis- sipee, les Turks, insouciants, releverent les ruines de leurs mai- sons et cacherent de nouveau , sous la boue dessechee, les marbres eclatants de Mnesicles. L'aile gauche fut mieux respectee du temps et des barbares; 1'elegante colonnade de la Pinacotheque n'a pas souffert : a peine quelques parties de colonnes, posees les unes sur les autres et polies avec toute la perfection antique, ont-elles cede a 1'effort des siecles et aux coups de canon qui, plus d'une fois, ont ebranle tous ces monuments. Enfin , le relour de la liberte a marque pour les arts de la Grece une ere nouvelle : pendant cpae le zele du peuple grec et l'amour eclair^ de l'Europe pour la belle antiquite relevaient des colonnes au temple de Minerve, ou en consolidaient les murs chancelants, on rejetail aussi dans la plaine les terres et les masures qui couvraient les Propylees, et si la Pi- nacotheque ne contient plus les tableaux de Zeuxis et de Poly- gnote, elle sert du moins de refuge a ses propres debris. La disposition generale de ce triple monument avait ete appro- prieea fusage auquel on le deslinail. La nature, par une distri- bution singuliere des montagnes, a donne au sol de la Grece une 1 Une porte au foml de celte galerie s'ouvrait sur une petite plate-forme avancee ou se trouveot ics restes d'un aulel. En 1 835, des fouillcs i'ailes sous la direction de M. Pittakis ddcouvrirent cot cspace Otroil coDtigu a la plale-forme du petit temple de la Victoire et rejele hors de l'cnceinte de I'Acropolia par le mur cyclopeen encore existant. — 11 — configuration loute particuliere, ct qui ne se rencontre pas aillcurs. Formee dans les dernieres revolutions du globe, cette petite con- tree, d'une date plus recente que les grands continents du reste du monde, ne leur ressemble non plus ni par ses divisions inte- rieures, ni par la figure quelle dessine au milieu des mers : corame si, dans cette partie de la sphere, les couches sol ides eus- sent eteplus egalement faibles que clans les regions environnantes des trois continents, il s'estsouleve detoutes parts des montagnes accumulees les unes a cole des autres, et plus bautes que ne sem- blerait d'abord le comporter la petite etendue du pays. Par suite de cetle production soudaine etpresque volcanique de la contree, les montagnes , comme en Italie le Vesuve ou le Monte-Nuovo, au lieu de s'etendre a leur base dans de vastes plaines et de former quelqu'un de ces grands bassins dont 1'Asie et 1'Amcrique nous fournissent des exemples , ont pris des pentes rapides et ont, en quelque sorte, pose leur pied dans la mer. Si Ton en excepte la cbaine du Pinde, par laquelle elle se rattache aux continents du Nord, la Grece est composee de montagnes isolees les unes des autres et peu inegales en hauteur : sans parler des iles de la mer Egee et des iles loniennes, qui d'ordinaire presentent une forme et une composition geologique souvent reproduites sur le conti- nent, etsont comme des montagnes de la Grece egarees au milieu des eaux. Au fond de chacun des golfes du Peloponnese et de l'Hel- las, s'etend une petite plaine de quelques lieues de profondeur, peu elevee au-dessus du niveau de la mer, et comprise dans une enceinte de montagnes grandioses; sur cette plaine unie, s'clevent une ou plusieurs collines de composition analogue aux montagnes d'alentour, et presque toujours surmontees d'un amas de rochers calcaires aplanis a leur sommet. Comme clans nos contrees, les seigneurs feodaux construisirent leurs chateaux forts sur les lieux escarpes, les anciens habitants de la Grece d'une meme famille ou d'une meme tribu s'etablirent sur ces rochers steriles avec leurs dieux et leurs richesses , et donnerent le nom de cite, -zso'kts, a leur commune habitation; une muraille sur le precipice en ferma l'enceinte. Plus tard, la ville se repandit alentour, descendit vers la plaine , et de ce moment le rocher prit le nom de Ville haute ou d'Acropolis. La ou plusieurs acropoles se rencontre-rent dans la meme plaine, la tribu la plus puissante absorba la plus faible, jusqu'a ce que, mailresse de tout le pays, elle songcat a — 12 — franchir les monlagnos qui l'entouraient, et a s'emparer des plai- nes voisines. C'est ainsi qu'Argos ruina Mycenes et Tirynlhc, que rien nc separait d'elle ; les Atheniens tournerent 1'Hymette et s'etendirent jusqu'a la mer d'Eubee; 1'acropole d'Eleusis eut asou- tenir tour a tour les assauts d'Athenes et deMegarcs; Messene subit le joug de Sparte; Platees, malgre les dieux et la fed juree, n'eut point de plus grands enneniis que les Tbebains. Toute 1'hisloire ancienne nous demontre que cbacune des acropoles de la Grece doit etre considered comme une ville, que l'enceinte de 1'acropole est l'enceiule de la ville primitive, et que les propylees sont la porte principale ouverte dans ses murailles. A Atbenes, comme 1'Acropolis est escarpee de toutes parts et n'ofire qu'un seul point accessible, les habitants durent porter toute leur attention de ce cote et disposer l'entr^e de telle manic-re, que, d'un acces facile en temps de paix, elle fut aisee a defendre en temps de guerre. L'ennemi quimonte, apres avoir eu a sa gauche lesrochers a pic, tourne subitement pour passer sous le temple de la Victoire-sans- ailes, et laisse a decouvert son flanc droit , que ne protege pas le bouclier; a son approche, il est recu par les traits el les projectiles lances de droite et de gauche par les soldals postes sous les co- lonnes de la Pinacotheque et de 1'autre galerie. Force-t-il ce pre- mier pas, il lui faut alors s'engager dans le corps principal des Propylees, et soutenir dans le chemin creux de la double colon- nade ionique une lutte inegale ou il se voit attaque sur les deux llancs ; la, cinq colonnes de soklats s'offrent a lui, tandis que le corps principal lui ferme le passage de la grande porte et a sur lui lavantage d'un sol incline; par les quatre ouvertures late- rales les defenseurs de la citadelle peuvent entrer dans les deux ailes des Propylees, y remplacer leurs morts et renouveler sans fin le combat. Maitre des portes , l'ennemi aura encore a com- batlre sur la plate forme de la citadelle, et a prendre un ordre de bataille en face d'une armee prete a le recevoir. L'existence des Propylees d'Athenes n'est point un faitisoledans la Grece ancienne : il y en avail de semblables a Eleusis, cons- fruits dans les memes proportions, sur le meme plan et avec la meme richesse <|ue ceux d'Athenes. A Megares, a Coriulhe, a Ar- gos, partoutoii se trouvait une acropolis entouree dc remparts, la porte principale etait defendue par des plates-formes avancees ou l'on placait des soldats, et qui porlaient le nnm de propylees; — 13 — a Mycenes meuie, detruile dans la periode qui suivit la guerre de Troie, 1'entree principale de la ville haute etait environ nee d'ou vrages militaires ; et la porte des Lions, devant laquelle s'ouvre encore un chemin borne a gauche par des roches a pic, et a droite par une forte muraille, n'est peut-etre que la porte d'antiques propylees. Quoi qu'il en soit, ce qui doit le plus attirer notre atten- tion, e'est le luxe avec lequel on decorait ces ouvrages militaires, destines, par leur position, a etre souvent corame un champ de bataille. Aujourd'hui Ton accuserait a bon droit de manquer de sens un Etat qui exposerait aux bombes etaux boulets ennemis de fragilcs colonnades et des murs de marbre poli; les Propylees d'Athenes a'ont pas resiste au canon des Turks et des Vcnitiens; plus d'un boulet s'est venu briser conlre les murailles adossees au rocher, mais plus d'un aussi, frappant dans les cannelures des colonnes ou sur les murs de la Pinacolheque, a fait voler en eclats ces marbres precieux. 11 est vrai, les moyens de destruction ne manquaient pas aux anciens : temoin ce siege de Platees, decrit par Thucydide, ou, elevant muraille contre muraille, lesThebains lancerent des faisceaux de bois embrases dans la citadelle qui resistait a leurs coups. Mais les machines de guerre n'etaient ni puissantes, ni variees, au temps de Pericles, et d'ordinaire Ton n'abattait les murailles qu'apres les avoir escaladees. D'ailleurs , ces machines n'agissaient pas a distance comme le canon; la cata- pulte, invenlee plus tard, lanc,ait des dards ou des pierres , et n'avait de force que contre les homines; pour le belier, il fallait 1'approcher des murailles et l'etablir de niveau surle sol. Les Pro- pylees, par leur position seule, n'avaient a redouter aucune de ces machines : aussi voyons-nous qu'ils ont resiste aux efforts des amies comme a ceux des siecles , et qu'il a fallu pour les detruire la force de la poudre , aidee de la foudre du ciel. Ce monument pouvait done etre decore avec tout le luxe de l'architecture et de la peinture antiques; il pouvait recevoir dans son enceinte des objels precieux et fragiles, comme des statues et des tableaux, sans avoir a redouter faltaque des ennemis. Et e'est ainsi que, malhabiles a detruire, peut-etre aussi peu d^sireux d'aneantir de belles choses, les anciens Grecs purent donner , meme a leurs ouvrages militaires, cette beaute et cette grace, qu'ils recherchaient surtout dans les temples des dieux. On voit, par ce qui precede, que les Propylees sont un monu- — Vi — mcnt de Parchitecture civile des \theniens. U est d'autant plus important de le remarquer, que d'habilcs antiquaires ontavance sur ce sujct uue opinion que nous considerons comme erronee. M. Leake, qui a compose sur Athenes un savant ouvrage, ou lexac- titude des descriptions n'est egalee que par la sage et ingenieuse critique des textes, pense que les Propylees d'Athenes portent a la fois les caracteres de I'architecture civile et de I'architecture reli- gieuse; il n'appuie pas son opinion sur 1'etude du monument, mais sur celte idee que, 1' Acropolis etant a la fois un'poste militaire et un grand sanctuaire de laDivinite, les Propylees, qui en etaient comme le vestibule, devaient presenter a la fois ces deux carac- teres. Quand il s'agit de l'antiquite , il est necessaire de n'apporter dans son etude aucune idee pr^concue : car notre facon de penser n'est pas celle des anciens , et nous ne parlons pas des arts comme ils en parlaient. Au siecle ou furent construits les Propylees, la philosophic, il est vrai, n'etait pas en arriere des autres connais- sances, et, comme la poesie et l'eloquence, elle avait deja eu ses grands hommes ; mais si les architectes du temps de Pericles etaient en meme temps des philosophes, il est acroire que ce qu'ils con- naissaient de cette science servait plutot a epurer leur gout qu'a leur fournir des theories touchant la nature et les caracteres du beau; Platon lui-meme, le plus sublime des philosophes anciens, et qui n'ecrivit ses meilleurs dialogues que quelques anneesaprcs la reconstruction des grands monuments d'Athenes, Platon n'a laisse aucun ecrit qui ressomble a un traite sur le beau dans les ouvrages de 1'art : il avait cependant, plus qu'aucun homme ne l'a eu depuis, le sentiment et 1'amonr de la beaute, lui qui faisait consister le souverain bonheur dans le spectacle de la beaute par- faite; mais conuaissant combien il est difficile de dire en quoi consiste la beaute d'un objet, il arrivait a ce resultat, que c'est par la beaute que les belles choses sont belles. C'est dans cette formule, profonde sans aucun doute, mais bien eloignee de toule analyse, que se resume tout ce que les anciens Grecs connaissaient de Yes- thdlique. II est done peu vraisemblable que Phidias ou Ictinus, avant de construire le Parthenon , aient pris d'abord la resolution de clonner aleurceuvre le caraclcrereligieux, et que Mnesicles, au contraire, ait voulu reunir dans les Propylees le caractere civil et le caractere religicux «i la fois. II y avait moins de metaphysique et plus d'inspiration dans Part des anciens : la nature clait lour guide ; — 15 — elc'est nous cjiii , faisant un re tour sur notre admiration, essayons tie nous 1'expliquer a nous-memes, et tie decouvrir dans leurs ouvrages les causes qui nousles font paraitre beaux. Ce nest pas que les artistes de ranciennc Grece n'eussent de leur art uneconnaissance exacteet profonde. Depuis les premiers essais de construction connus sous le nom tie murs cyclopeens, jusqu'au raur tie la Pinacotheque, il est facile de suivre les di- verses transformations que 1'art tie batir a subies, commeil est facile aussi de reconnaitre les perfectionnements successifs qu'ont recus dans leurs formes les colonnes , les entablements, les frises, les portes mcmes des edifices publics de la Grece depuis le lemps ties Atrides, jusqu'au siecle de Pericles. L'effet etait calcule a l'avance pour les moindres ornemenls, ou la delicatesse tin tra- vail egalait celle ties statues et des vases ciseles. Mais de cette re- chercbe dans les details, de ce gout difficile qui ne souffrait aucune imperfection, a 1'analyse philosopbique, a l'abstraction qui decouvre dans un grand ouvrage un earactere purement ideal , il y a sans doute un abime. Autant le besoin tie la beaute et tie la grace clans les ouvrages tie 1'art etait puissant chez les artistes tie la Grece, autant les theories donl nous parlons semblent £loi- gnees du genie antique. Nous done qui venons les derniers et qui faisons la science de Vart, comme, apres Pericles et Demosthenes, on tira la rhetorique de feloquence, bien loin de preter aux anciens ties idees nees de nos jours , nous devons d'abord conside- rer leurs ceuvres, les usages au milieu desquels ils vivaient, la nature qui les inspirait. Or, quand nous comparons les Propylees d'Athenes a un temple antique, nous ne pouvons trouver entre ces deux choses aucune ressemblance. Ce qui constitue le temple grec, e'est avant tout le naos, e'est-a-dire la salle feraiee, souvent inaccessible au vulgaire, ou se trouve la statue du dieu ou tie la deesse. Dans les Propylees, il n'y a rien qui ressemble au naos, puisque le batiment principal se compose d'un simple mur perce de cinq portes, avec une colon- nade devant et derriere. Le temple , sanctuaire tie la divinite , n'est point ouvert au premier venu; les pretres seuls, et quelque- fois les magistrats, ont le droit d'y penetrer. Au contraire, sous la grande porte ties Propylees passent, non-seulement les hommes a pied, mais les cavaliers et les chars; Taile droite forme une simple galerie ouverte du cote du chemin el livree aux soldats et aux — 16 — ciloycns; la Pinacotheque , ou lautre aile du monument, qui, composee d'un porlique et d'une salle fermee, a peut-etre quelque ressemblance avec un temple, est une galerie de tableaux et n'est sous la protection d'aucune divinite. Ainsi done, dans la disposi- tion generale du nionuunent il n'y a rien qui rappelle les temples des dieux. De plus, les diverses parties du temple se rapporlaient toujours au sujet principal , et si la statue de la divinite ne pou- vait etrevue, des sculptures placees a 1'exterieur relracaient du moins aux yeux du peuple ses bienfaits ou sa puissance : e'est ainsi que, sans sortir d'Athenes, nous voyons encore le Parthenon, le temple de Thesee, celui de la Victoire, ornes de bas-reliefs dont le sens etait aisement compris de tous. II n'y a rien de tel aux Propylees : tous les ordres exterieurs des colonnes y sont do- riques, et, des nombreuses metopes qui les surmontent, aucune n'avait recu de sculptures. Enfin, les anciens n'avaient pas comme nous un dieu unique dont la nature, bien connue des uns, mal demelee par les autres , put se'preter a toutes les intelligences et suffire a ce vague besoin que nous nommons aujourd'hui le sen- timent religieux, et qui est fort eloigne de la religion : ce serait mal connaitre le genie grec que de lui preter ces idees indecises et ces fantomes d'une raison qui se cherche elle-meme. Dans 1'an- cienne Grece, toute chose a sa forme, sa nature et ses attributs bien definis : ce n'est pas a Dieu que 1'on croit , e'est a Jupiter, a Minerve, a Venus. Celui qui n'admet pas les dieux et les deesses, quelque religieux qu'il soit d'ailleurs, celui-Ia ne croit pas a la divinite, et le grand crime dont on accuse Socrate, e'est de ne pas admettre la religion de son pays. 11 ne faut done point dire que les Propylees ont un caractere religieux; car on demandera aussitot quel est le dieu ou la deesse qui habite les Propylees1. 1 II y avait un autel appartenant aux Propylees et que les fouilles de i835, trop tot interronipues, ont decouvert; mais il etait hors du monument, et fut dleve' pour une cause tout accidentelle. « Celui des ouvriers qui montrait le plus dc diligence et d'activite, se trouvant au haut de Tedifice, glissa et tomba a terre; la cliute fut si terrible que les mddecins jugfcrent la guerison dublesse im- possible. Pericles etait douloureusemcnt affecte; mais la d6esse (Minerve) lui apparuten songe, luienseigna un remede qu'il employa, et quiapporlaa 1'bomme une gudrison prompte et facile. C'est pour cela que Pericles fit couler en bron/.e la statue de Minerve-Hygie, qu'il pla^a dans 1'Acropole auprcs de l'autel qui s'y trouvait, dit-on, auparavant. i (Plut. Phic. XIII, trad, dr M. Pierron.) — 17 — Telles sont les raisons particulieres l par lesquelles on peut se convaincre que ce monument n'est point un edifice sacre, et que, pour renfermer des temples et des autels, 1' Acropolis n'en est pas moins une citadelle, dont les Propylees sont laporte et comme le bastion principal. Pour ceux qui ont vu la Grece et considere en artistes ce merveilleux pays, il y a d'autres raisons encore, plus generates et plus convaincantes peut-etre, quoique moins sensi- bles et plus difficiles a saisir. De toutes les idees auxquelles atteint la raison humaine, celle peut-etre qui doit le plus aux choses du dehors est l'idee du beau. Le bien, dont on a souvent dit que le beau est 1'eclat, et duquel il est vrai de dire qu'il se distingue d'une facon encore plus ecla- tante, le bien se rencontre principalement dans les actions des etres libres, et la conscience de 1'homme suffit a nous en donner la premiere idee; on peut en dire autant du vrai, puisqu'il n'est que dans les jugements, c'est-a-dire dans les actes de 1'intelli- gence. La beaute, au contraire , a recu en partage d'etre a la fois le plus eclatant caractere des choses et l'objet le plus aimable que renferme le monde. II est vrai, la raison, en concevant l'idee de l'etre parfait, reconnait qu'il est aussi le beau par excellence, et c'est par elle seule que nous nous formons une idee telle quelle de la souveraine beaute. Mais notre esprit, qui n'a pas la puis- sance de cr^er des idees, non plus que notre volonte de creerdes etres, va s'elevant par degres de la beaute des corps a celle des actions et des pensees, jusqu'a ce que, par un dernier effort de la raison , il entrevoie la beaute souveraine , qui n'appartient qu'a Dieu. C'est en Grece , on le sait , c'est au temps de Pericles, a l'epoque ou Ton reconstruisait tous les monuments d'Athenes avec des formes nouvelles et mieux assorties , que Platon exposait cette doc- 1 Une inscription (n'Sgdu Repertoire de M. Rangavi) trouvee dans la Pinaco- theque constate que les frais des Propylees elaient payes par les Hellenotamies, et etaient par consequent a la charge du tresor civil. Le Parthenon, au con- traire, et tous les edifices sacrds, avaient leur tresor, d'ou 1'on lirait les fonds ne- cessaires a leur construction et a leur reparation. Ce seul fait prouve done que le vestibule de la citadelle etait considere par les Grecs eus-memes comme ni- lant pas un monument religieux; car si fEtat paya la construction des Propylees, ce n'est pas que le tresor sacre' n'y put suflire, puisqu'a la meme epoque, les finances etant epuisees, la repuhlique fit plusieurs fois des emprunts a ce tresor avec promesse de restitution. MISS, sciknt. 2 — IK — trine, vraie de nos jours comme elle l'etait alors. Si lei est I'ordre ile nosidees et la conduite de notre intelligence, que, des belles formes dont la nature est paree, nous prenions occasion d'en con- cevoir d'autres plus belles encore , il doitarriver que 1'artiste con toit son ceuvre a 1'image de la nature et lui donne un genre de beaute conforme a celle du pays qu'il habite. En ce sens, il est vrai de dire que l'art est fait a fimitation de la nature, comme il est vrai de dire, pour une raison contraire, que l'art s'eloignede la nature et prend son ideal dans la raison, c'est-a-dire dans 1'idee meme de Dieu. Les artistes de 1'ancienne Grece, plus heureux que les notres, puisque arrivant les premiers, et ne trouvant point de modeles dans un art anterieur, ils jouissaient du privilege de 1'originalite, ont du s'inspirer de leur propre pays et reproduire dans leurs ouvrages les grands caracleres de sa nature. Nous avons dit ail leurs 1 comment la lumiere brillante et coloree de la Grece poussa les anciens a peindre leurs temples, tandis que, a nos yeux, les formes delicates et 1'eclat du marbre paraissaient d'abord plus propres a exprimer la beaute. II est egalement necessaire de sentir tout ce qu'il y a dart dans la disposition de ce pays , d'y observer I'ordre des phenomenes naturels , de voir sous quels aspects s'v presentent aux yeux leslois universelles de la nature, simples en elles-memes et egales pour le monde entier, mais si differentes dans leurs effets suivant les lieux, les annees, les saisons. Or, un des caracteres les plus frappants du climat de la Grece, c'est que lous les phenomenes naturels y sont clairs, precis, detaches, et comme isoles les uns des autres : le soleil est encore loin sous I'horizon tie 1'Attique, lorsqu'une lueur blanche apparait entre le Pentelique et l'Hymette; elle s'etend, et a sa suite les rayons de I'astre, penetrant dans les profondeurs de 1'air, y dessinent un arc irise qui s'eleve par degres en s'agrandissant, et va se reposer sur les rivages lointains du Peloponnese, a l'extremite opposee de I'ho- rizon. A ce moment, le soleil dore les sommets du Parnes et de Salamine ; il monte , l'ombre des montagnes diminue et en peu de temps la plaine entiere est embrasee. Get ordre constant se re- trouve dans tous les autres phenomenes naturels , et les offre a nos yeuxavec une beaute simple, pure, toujours la meme, et dont I'image se grave dans notre esprit comme un type auquel il ne 1 Heine lUs Deux-Mondes , x"d^ccmbre 18/17. veut plus rien changer. Eclaires d'une lumiere sans melange, qui penetre librement une atmosphere sans vapeurs, enveloppes d'un ether plus transparent que le ciel de nos climats , moins charge de couleur que le ciel rouge de 1'Egypte, les objets, meme lointains, se distinguent nettement les uns des autres, et n'apportent a notre esprit que des images claires et demelees. Un homme de genie ne au milieu d'une telle nature, nourri et instr-uit par elle, s'il vient a composer une oeuvre d'art, mettra sans doute en elle les memes qualites qu'il voit hriller autour de lui. Des contrees froides et humides , oil le soleil ne fait que raser la terre sans 1'^clairer, oil les objets, noircis par les lichens, ne se voient qu'au travers des ombres et inspirent l'eiTroi , que naitra-t-il , sinon ces religions terribles du Nord, remplies de divinites au pouvoir mys- terieux et presque toujours maifaisant , et de creations fantastiques aux formes vagues et mal delinies d'ou la grace est absente? Rien n'est aussi contraire au genie antique que d'unir dans une seule creation des caracteres opposes ou sans relation entre eux. C'est done mal comprendre la Grece, oil tout est clair et distinct, que d'attribuer a Tun de ses plus grands architectes cette pensee toute moderne d' avoir voulu donner le caractere religieux a un monu- ment profane, ouvert a tous les citoyens, que la guerre pouvait souiller de sang , et qui ne devait avoir ni divinite , ni sacrifices. Mais n'y a-t-il rien dans les Propylees qui nous puisse induire en erreur sur le caractere de leur architecture? Bien loin de la: de toutes les parties qui composent ce monument, il n'en est pas une qui ne se retrouve dans les temples grecs, et en particulier dans les monuments d'Athenes. Depuis les degres, surlesquels s'e- levent les ordonnances des colonnes, jusqu'aux antefixes qui cou- ronnaient les toits, on ne rencontre aucun detail qui ne fut au Parthenon, au temple de Thesee, a Phigalie, a Agrigente, a Poes- tum, partout oil les Grecs ont porte Tarchitecture dorique; mais comme, dans les tableaux, les corps des divers personnages sont composes des memes parties, quoique leurs expressions soient souventopposees, et comme, avec la mer, des arbres et des mon- tagnes, un peintre dessinera une nature horrible aussi bien qu'un site enchante, le caractere des monuments depend aussi de la disposition de leurs parties. C'est encore un des avantages de l'ar- chitecture grecque, et en particulier de Tarchitecture dorique, de n'admettre qu'un petit nombre delements, et de pouvoir, sans — 20 s'eloigner jamais de la simplicity et dc la proportion, exprimer toutes les idees que pcul exprimer cet art. II est vrai que chez les Grecs cette qualite eminente n'appartenait pas en propre a Par- chitecture, mais qu'elle se rencontre dans les chefs-d'oeuvre dc tout genre de l'arl antique. Les moyens qu'emploie la sculpture grecque ne sont pas moins simples que ccux de l'architeclure; car, a vrai dire, la beaute des statues antiques reside moins dans ['analyse philosophique des passions humaines, qui donne a chaque trait du visage, a chacun des mouvements du corps, un sens precis et fortement marque, que dans fexpression la plus gene- rale et la plus simple a la fois des sentiments et des idees; aussi ne voyons-nous jamais les figures antiques perdre, en exprimant la colere ou le desespoir, cette regularite des traits, cette harmonie des mouvements, cette proportion dans les formes, qui font une partie de la beaute. L'art grec ressemble en quelque maniere aux masques de la tragedie antique, qui, toujours les memes pendant toute la duree du drame, faisaient paraitre les personnages comme autant de caracteres aux prises les uns avec les autres, et, suppri- mant la variete et 1'individu , mettaient a leur place ces types ge- neraux que l'humanite reproduit partout et toujours. On peut dire qu'il en est ainsi de 1'architecture. Avec un petit nombre d'ele- ments et des formes toujours analogues, elle donne a ses diverses productions des expressions varices et presque opposees les unes aux autres; ainsi, de ce que les memes parties se retrouvent a la fois au Parthenon et aux Propylees, nous ne conclurons pas que ces deux monuments ont un caractere religieux : s'il en etait autre ment, il faudrait dire aussi que les Arenes de Vespasien , pour etre composees des trois ordres grecs superposes , ont un caractere re- ligieux, et que le palais de Rouen ou les chateaux gothiques des hords du Rhin sont des monuments du meme caractere que 1'eglise Saint-Ouen ou la cathedrale de Strasbourg. Ce qui est vrai , e'est que 1'architecture civile des Grecs est tres-differente de leur archi- tecture religieuse: le Parthenon est un temple, et les Propylees sont l'entree d'une citadelle. Le seul caractere peut-etre qui se rencontre ;i la fois dans ces deux monuments, e'est que, a des degres divers, ils sont tous deux d'une beaute superieure : encore la beaute de l'un n'est point celle de l'autre, et en cela meme, il y a entre eux plus de difference qu'entre l'Apollon du Belvedere et la Venus de Milo. — 21 — Nous devons niaintenant revenir a la description du liiunuiiient dont nous n'avons donne en commencant qu'une legere esquisse. II est difficile, a la verite, et sans doute aussi hasardeux, de repre- senter par des paroles un ouvrage d'architecture, qu'il serait neces- saire d' avoir sous les yeux pour le bien comprendre ; mais les formes generates et les elements des edifices de la Grece sont aujourd'hui si connus, que les paroles servent moins a les decrire qu'a en faire ressortir les caracteres ideaux. Les Propylees sont avant tout un monument dorique, comme le Parthenon et le temple de Thesee a Athenes : cet ordre d'architecture etait , comme nos lecteurs le savent, le plus en usage dans toute la Grece et dans les colonies de f Asie mineure , de la Sicile et de 1'Italie meridionale : peut-elre , plus capable que tout autre d'unir lasimplicite et la grandeur, con- venait-il mieux que tout autre au genie grec; fordre ionique etait moins employe pour 1'exterieur dans les grands ouvrages d'archi- tecture, sans doute parce qu'exigeantplus d'ornements que le do- rique, il etait moins capable d'un grand effet ; quant au corinthien , on peut direqu'il est d'origine beaucoupplus moderne, etque.s'il a ete connu au temps de Pericles, c'estplus tard seulementqu'il a pris les grandes proportions du temple de Jupiter Olympien, et a rivalise avec les autres ordres. Le type de l'architecture grecque se trouve done dans le dorique, et, dans deux genres differents, les principaux modeles de l'ordre dorique sontle Parthenon et les Propylees. Le dorique religieux du Parthenon presente, dans la puissance de ses colonnes serrees et inclinees l'une vers 1'autre, l'image de la duree eternelle, premier attribut de la divinite; le dorique pro- fane des Propylees est concu d'une tout autre maniere : les six co- lonnes du corps principal sont separees comme en deux groupes par le chemin de la citadelle, qui traverse 1'edifice dans son milieu et tient la place d'une colonne; l'architrave n'etait point pour cela interrompue, non plus que la serie des triglyphes, et I'ensemble de cette facade etait surmonte d'un fronton sans sculptures. Une disposition analogue se voit encore dans ce que 1'on appelle la porle de 1' Agora, monument dorique situe sur la place du march e de l'ancienne Athenes, dans cette partie de la ville moderne que les Turks ont nominee bazar. La porte principale des temples, haute et etroite, quoique plus large a la partie inferieure, n'oc- cupait que l'intervalle de deux colonnes et ne produisait aucune ->-> interruption dans le peristyle; les necessites de 1'ordre doriquc avaientseulement exige que les quatre colonnes dangle fussent rap- prochees du centre de l'edifice, ct ce qui paraissait une difliculte insurnion table a Vitruve s'etait tourne dans les temples grecs en une beaute- nouvelle. La meme necessity se rencontra dans la cons- truction des Propylees; il fallut done que, tout en ecartant l'une de 1'autre les deux colonnes centrales de la facade, on rapprochat du centre les deux colonnes extremes. Mnesicles fit sortir une grace nouvelle de ces deux difficultes reunies : s'il avait porte a huit le nombre de ces colonnes, il y eut eu de cbaque cote deux in- tervalles egaux, qui, rapproches de la grande entree du milieu et des deux petits intervalles extremes, auraient blesse ce sentiment de 1'harmonie dont les Atheniens se montraient si jaloux : il les reduisit done a six, et forma de la sorte cinq intervalles inegaux, celui du milieu plus grand que tous les autres , les deux extremes plus petits, et les deux intermediaires d'une grandeur moyenne et proportionnee. II en fut de meme du peristyle posterieur, parallele au premier, mais construit sur un terrain plus eleve : entre les deux et correspondant aux cinq entre-colonnements, s'ouvrent les cinq portes dont il a ete parle et qui vont en decroissant de gran- deur a droite et a gauche. M. Quatremere de Quincy, qui n'avait pas vu les Propylees et qui ne les connaissait alors que par les au- teurs anciens et par des mesures prises a la hate , sous les yeux des Turks, a fait ressortir la beaute de ces ordonnances; la ma- jeste et la force du dorique sans base s'unissent a une grace sin- guliere par Tecartement des colonnes et par 1'habile disposition des deux facades, qui, vues l'une de Tautre a travers des portes inegales, forment avec elles une parfaite harmonic Nous ignorons quel etait 1'ordre interieur de l'opisthodome du Parthenon; bieu que tout porte a croire qu'il etait compose de quatre colonnes ioniques, on ne peut rien dire que de conjectural sur le galbe meme et les ornements de ces colonnes. Au milieu des orages, des explosions et des assauts qui ont devast6 1'Acropolis , 1'ordre interieur des Propylees a ete sauve; et ceux qui, sensibles a la beaute, altachent quelque prix aux ceuvres du genie antique, doivents'en rejouir, puisque, de toutesles ordonnances interieures, 1'ionique des Propylees peut etre considere comme le plus parfail. Nous ne pouvons decrire ici des colonnes; nous devons dire ce- pendant que, n'etant separees par aucun mur de 1'ordre doriqur. — 2j de la facade, ces colonnes devaient unir a la grace de leurs bases et de leurs volutes une simplicite en harmonie avec le reste de l'edifice: aussi 1'architecte a-t-il reduit, autant qu'il 6tait pos- sible, les ornenients du genre ionique. Non-seulement les volutes peuvent etre formees de courbes multipliees, et offrir a la lumiere des pleins et des vides ou elle se brise et se reflechil de niille ma nieres, mais des oruements nombreux peuvent etre sculptes au- dessous d'elle et s'etendre sur le fut de la colonne ; la base aussi u'a pas une forme tellement determinee, que les artistes grecs, maitres d'un art invente par eux, ne pussent en varier les mou lures au gre de leur imagination, et donner a l'61egance de eel ordre toute la simplicite ou toute la recherche qu'il leur plaisaii. Mais leur premiere loi, au temps de Pericles, fut celle de la pro- portion dans les formes et du rapport harmonieux des parties avec 1'ensemble. Autant on repandit d'ornements sur le double edifice ionique de Pandrose , voisin et contemporain du Parthenon , autant on montra de sobriete dans la decoration des Propylees : e'est que la, l'edifice .entier comportait l'elegance, et devait, dans ses parties comme dans son ensemble, etre une demeure agreable pour une deesse et une jeune fille ; ici, au contraire, la gravite du dorique exterieur, avec ses colonnes sans bases et ses chapiteaux prives de sculptures, n'eut pu s'accorder avec un interieur trop charge d'ornements. La meme harmonie dut se rencontrer entre les ailes des Pro- pylees et le corps principal de l'edifice. Quoique la disposition du terrain et l'usage auquel on les destinait n'eussent pas permis de les faire egales entre elles , cependarit les caracteres de leur archi- tecture etaient identiques, et e'est de la meme maniere qu'elles contribuaient a la beaute du monument. Le caractere le plus ap- parent de 1'aile gauche , presque entierement conservee, et connue sous le nom de Pinacotheque, se trouve dans la dimension de ses colonnes, plus petites d'un tiers que celles du corps principal. Au Parthenon, la colonnade interieure du naos etait formee de deux ordres doriques superposes et separes par un entablement; l'ordre superieur etait le plus petit , et n'avait en hauteur que la moitie de l'ordre inferieur. Bien que tout cet ensemble ait ete detruit , on peut imaginer, cependant, feffet qu'il devait produire : on concoit aisement que dans une enceinte, non moins elevee que le peristyle exterieur du temple, mais plus etroite et beaucoup — -2k — tuoins longue, il etait necessaire dc donner aux colounes des pro- portions plus petites ; mais, des lors, il fallait diviser la hauteur du monument ct former deux ordres superposes : les proportions relatives de ces deux ordres n'etaient point determinees par la ne- cessity du genre, mais il appartenait au genie de l'artiste de con- cevoir les plus belles et les mieux assorties. Nous devons craindre ici de raisonner apres l'ceuvre faite, et de vouloir prouver que, ainsi concue, elle devait etre belle, lorsque nous savons deja qu'elle Test en eflet : on peut dire , cependant, que ces proportions, inu- sitees et presque repudiees de nos jours, sont plus belles que toutes les autres et plus conformes a la raison, puisque, plus petites, les colounes superieures auraient besoin d'etre plus nombreuses , et que plusieurs d'entre elles sembleraient manquer d'appui ; plus grandes , au contraire , elles auraient leur base trop large , et pa- raitraient ecraser 1'ordre qui les supporte. Si nous entrons dans ces analyses, trop techniques peut-etre, c'est que la beaute des ouvrages d'architecture repose plus que toute autre sur des raisons abstraites et pour ainsi dire geometriques, et plus que toute autre s'adresse au sens commun. D'ailleurs, 1'ar- chitecture grecque, si simple dans les moyens qu'elle emploie, si accessible pour ainsi dire a toutes les imaginations, n'a pu atteindre a de si grands effets que par l'habile combinaison des formes , que par une science profonde, par un vif sentiment des proportions. Autrement, il est impossible de concevoir comment, avec des rap- ports tout differents d'ecartement et de dimensions, les colon- nades des Propylees produisent un effet egal a celui du Parthenon, et dans un genre different realisent peut-etre une aussi grande beaute. On peut dire sans doute que la beaute des ceuvres d'art reside principalement dans leur ensemble, et que, l'idee generale etant donnee, les diverses parties en decoulent naturellement et d'une facon presque necessaire; de sorte que les types ideaux d'Apollon et de Venus Victorieuse etant concus , ces dieux sortent du marbre avec leurs formes determinees et, sans etre inferieurs en beaute l'un a l'autre, ne se ressemblent neanmoins dans aucune de leurs parties. Mais quand il en serait ainsi, il n'en est point de 1'architecture comme de la plastique : les formes que reproduit le sculpteur ont un premier modele dans le corps de l'homme et de la feinme, et si l'idee du beau lui vient de plus haut, elle lui sert plulot a corriger les defauts de la nature vivanlc qu'a creer — 25 — sans modele cles formes nouveHes. Au contraire, il n'y a dans la nature ni temple, ni propylees; il n'y a ni frises, ni entablements, ni colonnes, a moins que Ton ne prenne au serieux cette idee bi- zarre nee a Rome1, et repetee quelquefois de nos jours, mais ala- quelle les Grecs, nos maitres, n'avaient point songe, queles colonnes sont faitesa l'image des arbres,et les enceintes des temples a Limi- tation des antres des rocbers : il faut avouer que Ton ne se ressemble guere de plus loin. La beaute des monuments est done moins imi- tative que toute autre, ete'est d'une maniere plus profonde quelle exprime les lois generates de la nature. Les trois colonnes de la Pinacotheque, formant un angle droit avec les six colonnes de la lacade principale, ne sont en hauteur que les deux tiers de celles-ci. On ne saurait prouver par des raisons demonstratives que eette proportion est mieux entendue que toute autre; mais comme dans un tableau Ton eclaire d'une plus vive lumiere le sujet prin- cipal, ainsi, dans le monument dont il s'agit, il fallait donner aux ailes des dimensions plus petites, afin que le corps principal ne perdit rien de son effet. D'ailleurs, si Ton considere I'ensemble de I'edifice, on s'apercoit aisement que les plus grandes propor- tions sont au centre, et qu'il y a decroissance a droite et a gauche dans la grandeur des portes, dans les intervalles des colonnes: il etait done necessaire de construire les ailes sur un plus petit mo- dele, alin qu'elles pussent entrer clans I'idee generate du monument. Lameme chose a lieu dans tous les arts; les accessoires ne doivent jamais l'emporter sur le sujet meme, ni exciter en nous un egai interet : un episode trop developpe nuit a I'ensemble du poeme ; au contraire, le chant du chceur ajoute a la beaute de l'harmonie et n'empeche pas Arsace et Semiramide d'etre les principaux per- sonnages et les plus remarques. Dans les ouvrages d'architecture , tout l'art consiste a choisir les proportions le mieux assorties, et lorsqu'une partie semble former a elle seule un tout accompli , a montrer par sa place etses dimensions quelle est dependante et faite pour concourir a un plus grand effet. En cela encore, l'art grec parait avoir atteint la perfection, et 1'emporte sur tout ce que les peuples anciens ont fait avant ou apres. Si la proportion du simple au double dans le peristyle interieur du Parthenon convenail a deux colonnades superposees, elle eut trop reduit la 1 Vitruv. De Archit, II, i, ,'i. — k26 — facade dfi la Pinacotheque el eut fait des deux ailes deux appen- dices inutiles et mal ordonnes. Les exemples du petit dorique a l'exterieur des monuments sont rares dans l'ancieune Grece, et la cause n'en est peut-elre pas difficile a decouvrir: le premier caractere de cet ordre est la .simplicity ; et cnmuie il n'admet que peu d'ornements, il est des- tine surtout a produire de grands effets. La beaute des ouvrages del'art depend moins, il est vrai, de leurs dimensions absolues que deleurs formes et de la juste proportion de leurs parties; mais il y a des limites en toutes choses, etles monuments doivent tenir un milieu entre le corps de l'homme , qui est petit, et la nature, au sein de laquelle il est place. Pour etre plus grand que le Parthe- non , le temple de Jupiter a Agrigente ne l'egale pas neanmoins en beaute; mais si le Parthenon n'avait que les dimensions d'une chapelle et n'occupaitpas plus d'espace que le temple de la Victoire Aptere, il est douteux qu'il eut acquis uneaussigrande renommee et qu'il fut regarde comme le chef-d'oeuvre de 1'architeclure. La oii les ornements sont remplaces par de grandes surfaces, le spec- tateur a besoin dese tenir a une certaine distance et de considerer 1'ensemble beaucoup plus que les parties. Cependant, les petits edifices sont destines a etre vus de pres comme les petits tableaux et les petites statues : on concoit done aisement que les Grecs, avec le vif sentiment du beau qui les animait, aient prefere dans ce cas l'ordre ionique et conserve i'autre ordre pour les grands monu- ments. Mais le dorique convenail a l'entree d'une citadelle par sa force et sa majeste, et e'etait assez que la colonnade interieure fut d'un autre ordre : or, on ne pouvait d'une part donner aux ailes un autre caractere qu'a la facade principale, ni d'autre part leur donner d'aussi grandes dimensions. II fallut done user dehardiesse et employer le petit dorique, en le parant neanmoins de toute lelegance dont il etait susceptible. Je ne puis m'expliquer autre- ment la grace singuliere de la Pinacotheque, qui etonne d'abord a l'entree d'une citadelle et dans une construction militaire; elle est faite d'ailleurs pour etre vue de pi'es; car 1'un de ses mursest construit sur le precipice, et le chemin etroit qui passe devant elle et traverse les Propylees est fraye sur une pente rapide. Cette elegance, du reste, ne depend que des proportions des parties entre elles, puisque le dorique grec est invariable dans ses formes generates et ne recoit du caprice de l'artiste aucun ornement inu- — 11 — site. Les Remains, on le sail, donnerent une base aux colonnesde cet ordre, comme on le voit au Colysee; mais, par cette innovation, ils invcnlerent en r^alite un ordre nouveau , supprimant triglyphes et iron tons, et donnant aux colonnes memes des proportions nou- velles et inconnues des Grecs. L'architecture en retira-t-ellc quelque profit? On peut dire qu'elle trouva du moins dans cette invention 1'avantage de la nouveaute; mais 1'usage du doriquepur disparais sant d'annee en annee, ce ne fut a la fin qu'une forme plus ele- gante et plus grandiose remplaceepar une autre forme, qui ne put legaler en beaute. Quoi qu'il en soit, le vrai dorique a cesse avec les beaux siecles de la Grece; les Romains n'en firent point usage, et le nouvel ordre qu'ils employerent dans plusieurs grands mo- numents, comme les arenes et les theatres, ils 1'employerent aussi dans de plus petites constructions et jusque dans les palais et les maisons des particuliers, ainsi qu'on lc voit a Pompei: mais l'idee de faire reposer sur une base la colonne dorique n'avait point cours chez les Grecs; on ne peut meme pas dire, avec M. de Chateau- briand, que les degres sur lesquels on elevait le temple la rem- plagaient a leurs yeux, car de tout temps la colonne ioniquea ete ornee d'une base elegante et a repose elle aussi sur des degres1. Tels etaient les principaux caracteres de l'architecture des Pro- pylees : ils n'avaient point re^u comme le Parthenon, comme le temple de Thesee, comme un grand nombre d'edifices sacres de fancienne Grece, des sculptures qui fissent partie du monument et fussent enchassees dans les frises et les frontons. Mais leur principal ornement consistait dans les peintures variees qui en decoraient fexterieur et 1'interieur. Apres de longues contesta- tions enlre les plus savants archeologues de nos jours, des etudes recenles ont fait voir que le Parthenon, dans toutes ses parties, 1 Ces degres des Propylees occupaient tout l'espace qui s'etend devant la t'a- i ade principale entre les deux ailes , et descendaient, selon toute apparence, non jusqu'aubas dela coiline, cequi ne serait justifie ni par 1'art, ni par 1'archeologie, mais jusqu'au chemin qui , les coupant en deux par le milieu , tournait subite- mentpour passer au pied de la plate-forme du temple de la Victoire. La question eut ete sans doute mieux eclaircie si la mort de 1'habile et infatigable pension- naire de i'Academie de Rome, j\I. Titeux, n'eut interrompu a la l'ois des re- ehei ehes deja fructueuses et une carri^re commencde avec honneur. Les grands escaliers conduisaient au vestibule antcricur, et au fond de ce ves- tibule se voient encore cinq degres au-dessu? desquels s'61eve lc mur perce des cinq portes inegales. — 28 — elait orne de couleurs brillantes ou la pure lumiere de la Grece elait distribute avec un art exquis; on savait deja que les temples de la Sicile etaient decores de la meine maniere; les peintures du temple de Thcsee a Athenes sont visibles pour tout le monde, et le stuc jaune applique avant la guerre du Peloponnese sur IVxterieur des miirs et dans les cannelures des colonnes est en partie conserve. Les Propylees, plus exposes sans doute aux ou- trages du temps et des bommes, nous sont parvenus depouilles, et les couleurs antiques ont ete remplact'es par cet or mat que les siecles deposent sur les monuments de la Grece. Cependant dans toutes les parties de 1 edifice un ceil attentif decouvre encore les traces de ces peintures : elles forment ca et la des couches assez epaisses pour etre detachees; le dehors de ces peintures s'est recouvert d'une poussiere jaunatre, mais la surface appliquee contre le marbre poli a conserve tout son eclat. Le bleu de ciel, le minium et le vert etaient les couleurs les plus repandues dans la partie superieure de ledifice : a l'exterieur, les triglyphes el leurs intervalles, les corniches, les mutules; a finterieur, les cha- piteaux ioniques, les architraves ornees de moulures, toutes les parties enfin qui dans ces deux ordres rappellent, par leurs sur- faces arrondies ou la petite dimension de leurs plans, le travail du sculpteur, avaient rec,u Tune ou 1'autre de ces couleurs ecla- tantes. On sait aussi que dans les chapiteaux ioniques et dans certains ornements d'un travail delicat, for avait ete habilement mele aux fonds rouges ou bleus des surfaces plus etendues. Quant au nom de l'artiste qui decora de ces peintures les Pro- pylees d'Atbenes, fhistoire ne nous fa pas conserve; mais deux raisons nous portent a croire que ce fut Mnesicles lui-meme : la distribution des peintures sur les monuments n'exigeait de la part d'un artiste aucune de ces connaissances qui appartiennent au peintre; la couleur etait appliquee d'une maniere uniforme , sans degradation de teintes, sur la surface polie du marbre blanc; les figures y etaient dessinees au compas et tracees avec la pointe du ciseau : c'etaient ou des oves, ou des perles, ou d'au Ires orne- ments semblables a ceux que Ton sculptait en relief sur les chapi- teaux et les frises; il n'v avait done rien dans un pareil travail qui ne fut du domaine de 1'architecte, ou qui put ajouter quelque chose a la gloire d'un peintre. En second lieu, l'antiquile ne nous a conserve le nom d'aucun personnage illustre charge d'appliquer — 29 — l'encaustique sur quelque monument civil ou religieux. Pline, il e^t vrai, clit quelque part que Protogenes peignit les Propylees; mais il est probable, comme le pense M. Raoul-Rochette , qu'il s'agit la non pas de l'edifice entier, niais de certaines parties inte- rieures ou ce grand peintre avait represents des sujets gracieux ou dramatiques. De grandes inscriptions 1 trouvees clans ces der- nieres annees a la Pinacotbeque ont prouve d'ailleurs que le monument n'etait point reste blanc jusqu'au temps de Proto- genes, mais qu'il avait etc" peint a I'epoque meme de sa construc- tion. 11 n'est point de notre sujet de parler des tableaux des Pro- pylees, ni des statues equestres elevees aux fds de Xenopbon et mises a l'abri sous leiys portiques. Les ailes du monument for- mant une sorte de musee, les objets d'art que Ton y deposait ne faisaient point parlie de l'edifice et pouvaient etre supprimessans qu'il perdit rien de sa beaute : d'ailleurs, dans l'esprit de Mnesi- cles, rien ne prouve que les Propylees dussent recevoir de telles statues comme un ornement oblige, puisqu'elles n'y furent placees qu'a une epoque plus recente2. Lorsqu'avec une armee atTaiblie, mais capable encore d'asser- 1 Repert. de Rangabe , n°s 56 et 57. 2 De quelle espece e^aient ces tableaux des grands peintres que Pausanias vit encore dans la Pinacotbeque? Deux savants arcbeologues de nos jours , M. Raoul- Rocbette et M. Letronne, ont longuement debattu cette question, et leur grande erudition n'a laisse ecbapper aucun texte qui put servir a la resoudre. L'un a pense qu'il s'agissait de tableaux sur bois fixes par des tenons de metal aux murs du monument; 1'autre, par des raisons non moins convaincantes, etabiissait que ces pcintures etaient a 1'encaustique, appliquees immediatement sur le marbre, prepare au marteau. Malbeureusement , a I'epoque ou la question fut agitee, les Propylees n'etaient point deblayus encore, et Ton ne connaissait ce monument que par les travaux incomplets d'architectes et de voyageurs qui 1'avaient mal vu. Le travail de M. Titeux eut cerlainement apporl(5 des lumieres nouvelles; il a. p^ri victime de son zele. Un arcbitecte francais, comme lui pensionnaire de Rome, actif et habile comme lui, M. Desbuissons, qui vient d'employer plus d'une annee a 1'etude penible de ce monument, nous a fait voir que jamais il n'y eut de tableaux fixes aux murs par des tenons, puisque nulle part on ne voit la trace de clous de metal , et que la surface du marbre est partout inlactc. D'uu autre cote, il n'y a point eu de peintures ;\ l'encaustique, et les deux faits qui le prouvent sont faciles a observer: premierement, le mur n'est point prepare pour recevoir le stuc; au temple de Tbesee, la surface du marbre a etd piquee a la poinle de fer, et e'est par ces creux et ces asperites que le stuc adberait h la pa- roi; dans les Propylees, le mur est faille a la gradine (sorte de marteau lourd et plat do lit le t.ranchant estdentele) etsimplement degros3i; non-seulemenl il n'j — 30 — vir la Grece , Xerxes arriva sous les murs d'Athenes , les habitants de la ville se refugierent sur leurs vaisseaux et trouverent dans le d^sespoir le dernier moyen de salut que leur laissaient les dieux. II fallait que les hommes de ce temps eussent une mer- veilleuse confiance dans 1'avenir pourlivrer ainsi au pillage, non- seulement leurs maisons et leurs murailles, mais les temples des dieux et tant de beaux edifices dont la ville elail ornee. En elTet, ni la matiere, ni le genie, ne devaient manquer a Athenes ; mais si la nation etait aneantie , avec elle perissaient a jamais et les monuments anciens et le genie qui pouvait les relever de leurs mines. Maitre de la ville deserte, le roi barbare la saccagea; ado- 's reste aucune trace de stuc, mais une telle surface est impropre a le recevoir. Secondement, dans le temple de Thesee, le mur, avant d'etre pique a la pointe a etc" aplani et poli, de sorte que toute la superficie fut moins saillante que les membres d'architecture (antes et moulures de toute sorte) et encadree par eux; il n'en est point de meme aux Propyl^es : ici, le mur presente la meme epaisseur que les membres d'architecture; seulement, on voit courir le long des antes une petite bande en creux, taillee au ciseau, polie dans toute son etendue, et portant toutes les marques d'un travail acheve; cela veut dire, en architecture, que ('edifice n'a jamais etc fini. En efFet, il est hors de sens que la muraille d'un edifice ait la meme epaisseur que les membres principaux, puisque, ceux-ci for- mant comme la charpente , le mur n'est qu'une sorte de remplissage, un panneau glisse comme a coulisse entre les antes: aussi, toute la surface des murs des Pro- pylees devait-elle etre abattue au niveau de la bande courante, et cela expliquc comment elle n'est encore taillee qua la gradine. Si ces details n'etaient trop techniques, j'exposerais, comme me l'a fait remarquer M. Desbuissons, ce qu'il y a d'acheve dans ce grand edifice et ce qui n'a point requ la dernierc main; comment, par exemple, sur les murs qui, selon M. Letronne, etaient peints a 1'encaustique, les jointures des pierres ne sont meme pas effacees, parce que, avant de poser la piece de marbre sur 1'assise deja etablie, on en taillait les bords, non pas a angle droit, mais a angle obtus, de peur qu'en la deposant la pres- sion n'en detachat quelque eclat. Plus tard, la partie obtuse devait etre abattue au ciseau, et la surface du mur etant polie, les jointures des pierres disparais- saient: telles sont, en efTct,les parois des temples finis, comme le Theseum et l'Erechtheum. Mais ces remarques nous meneraient trop loin; il suflira de dire qu'il n'y a de fini aux Propylees que les membres d'architecture, mais que toutes les grandes surfaces sont seulement degrossies: ainsi s'expliquent et lasaillie des surfaces des murs, et la cavite circulaire ou carree dans laqueile rcposent toutes les colonnes, tandis que le pave forme une saillic sur toute son Etendue, et que sa surface porte encore les traces des lourds marteaux auxquels devait succ^der le travail du ciseau. Nous devons conclure de la que les tableaux vus par Pausanias n'etaient ni peints a 1'encaustique sur les parois , ni peints sur des panneaux de bois fixes ;iun murs: ils etaient done detaches et independants de l'edificc. — 31 — raleur d'autres dieux, il renversa les edifices sacres ; ses soldats se r^pandirent dans lous les quartiers et, arm6s du fer et de la flamme, abolirent tout ce qui contrariait leurs idees. L'Acropolis, citadelle gardienne de la con tree et sanctuaire des plus augustes divinites, succomba la derniere, mais olTrit enfin, comme la ville meme, le spectacle d'un grand incendie dont les feux eclairerent la vaste mer et firent voir aux Perses la flotle si- lencieusequi les attendait a Salamine. En un jour perirent, parmi d'autres autels et d'autres temples, l'antique Parthenon, dont les en- tablements ont servi de materiaux pour la muraille de Cimon, la double demeure consacree aMinerve et a Pandrose , les premiers Propylees1 dont les debris gisent encore a i'entree de 1'Acropolis, ou ils sont meles avec des ruines plus modernes , ouvrage d'autres barbares. Qu'etail-ce que cet ancien Parthenon, cetErechtheumde truit, ces Propylees renverses par les Perses? On ne peut le dire avec certitude : cependant, il appartiendrait a un architecte habile de recueillir etde mesurer les fragments epars de ces monuments , de les remettre en idee a la place qu'ils occupaient, et declaircir enlin une question non encore resoluc et qui interesse a un aussi haut degre 1'histoire de l'art. Tout ce que nous pouvons dire ici des anciens Propylees, c'est qu'ils etaient inferieurs de bien des manieres a ceux de Mnesicles. Comme ces derniers, ils etaient d'ordre dorique, et certains ornements prouvent qu'ils avaient comme eux un ordre ionique a l'interieur ; mais leurs dimensions etaient plus petites, la pierre qui formait les colon nes et leurs en- 1 On voit , devant le mur de la Pinacotheque , dans un espace resserrt5 , aupres d'un escalier moderne qui descend dans le rempart, les restes d'un edifice ante- rieur a Pericles. Ce qui, dans Pausanias, se rapporte a cette partie de l'Acropole et au texte d'Aristophane, rappele" par M. Rangavi, nous eclaire mal sur 1'ori- gine de ces debris; mais, apres avoir mesure Jes pierres les plus importantes, j'ai pu reconnaitre que 1'ddifice etait trop grand pour occuper ia place oil ils se trouvent: ils sont done descendus de plus haut. En outre, il y a des triglyphes provenant d'un monument dorique, et d'autres pierres qui, par leurs dimen- sions, appartiennent a ce meme monument, et par leur forme a un ordre ionique. L'union de ces deux ordres, qui se trouve de meme aux Propylees de Pericles, 1'etendue de 1' edifice detruit, la place qu'occupent ses ruines, 1'epoque a laquelle elles remontent, beaucoup d'autres details que nous ne pouvons ('-nu- mber ici , nous portent a croire que ces fragments appartiennent aux anciens Propylees ; du reste, c'est aux archeologues , et principalement aux arcbitectes, qn'il appartient de resoudre une question de cette nature. — 32 — lableinents n'etait point le beau marbre du Pentelique, mais un caicaire poreux el grossier. Du reste, malgre f imperfection de la matiere, a la grace de ses ornements sculptes, a la douceur de leurs contours, a la finesse meme du travail, on reconnait un art deja avance et capable de nouveaux progres. Les colonues et toutes les autres parties de 1'edifice etaient couvertes d'un stuc plus dur que le marbre et qui, apres tant de siecles, resiste encore aux inteniperies de 1'air et au pied du passant indifferent Les restes de peintures brillantes ne manquent point sur ces debris ; comme on en trouve au vieux Parthenon, on en trouve aussi auxanciens Propylees: tant il est vrai que, des la haute antiquite, les Grecs ontpeint leurs monuments, et que cet usage, en vigueur au temps de Pericles, etait rec,u des artistes comme une antique tradition. Quand les Perseseurent ete detruits a Salamine, etque la mer, rougie de leur sang, se vitde nouveau sillonnee par les paisibles vaisseaux des marchands du Piree, Athenes sortit de ses cendres, la ville se releva plus belle qu'auparavant, et Pericles, qui a une aulorite presque souveraine unissait l'amour eclaire de tous les arts, rendit graces aux dieux en leur consacrant des demeures nouvelles et plus magnifiques que les premieres. Deux monuments reconstruits par ses soins couvrirent l'architecture de ce siecle d'une gloire a laquelle nulle autre n'a pu atteindre : ce furent le Partbenon et les Propylees. II est vrai qu'il n'epargna Tor ni de la republique, ni des allies : mais peut-etre la guerre medique avait- elle appris aux Grecs que, habitants dune petite contree, ils ne devaient placer leur gloire ni clans leurs richesses, ni dans leur puissance, mais dans les arts et les sciences, qu'ils avaient deja cullives avec tant d'eclat. Au milieu des richesses, qui abondent aujourd'hui en Europe, et maitres d'un pouvoir qui se fait seutir aux exlremites du monde, nous sommes etonnes de la grandeur des sommes consacrees par les Atheniens a leurs edifices publics. Nos cathedrales du moyen age exigerent de grandes depenses : mais elles s'eleverent peu a peu, et souvent par la charite des lideles; d'ailleurs, la simplicite des moyens employes pour cons- truire des ogives ou des cintres , pour elever de gros piliers com- poses de petites pierres, pour sculpter dans une maliere mollo des figures grossieres et bizarres , ne demandait que peu de talent et beaucoup de temps; aussi Ton mit des siecles a les construire, el souvent elles demeurerent inachevees. Les Propvlees d'Athenes — 33 — fluent commences en 437 avant J. C. sous rarchonte Euthy- menes , etMnesicles les acheva en cinq ans. Epuisee par les guer- resmediques, par des luttes non interrompues avec les peuples de la Grece, par la reconstruction des maisons et des edifices pu- blics, Athenes put, dansces cinqannees, consacrer a ce monu- ment au moins cinq cent talents, pres de trois millions de notre monnaie, et cela dans un temps oil 1'argent valait douze fois , peut-etre1, ce qu'il vaut aujourd'hui. Le grand commerce et 1'ac- tivite singuliere des Atheniens , unis a la sage administration de Pericles, pourraient peut-etre expliquer ce prodige; mais ce qui nest pas moins surprenant, c'est le nombre d'ouvriers intelligents qu'il fallut trouver pour reconstruire a la fois, et en si peu de temps, les principaux monuments d'Athenes : en effet, aucune main inhabile ne dut toucber a de tels chefs-d'oeuvre; il faut une grande adresse pour tailler avec cette precision, non-seulement les oves, les perles, les raies de cceurs, ouvrages qui demandent, a vrai dire, le talent du sculpteur, mais les cannelures des co- lon nes , les cbapiteaux ioniques , les pierres memes des murs , dont le travail est si parfait, que les jointures disparaissentet ne se voient souvent, aujourd'hui meme, que par la difference des nuances dont le soleil a peint ces monuments. Ce n'estdonc pas sans etudes ni sans depenses que cette republique devint , par la culture des arts, la premiere entre les cites et la lumiere des autres ages. Ainsi les deux monuments a la fois les plus accomplis de l'an- tiquite et les plus interessants pour l'hisloire de 1'art se trouvaient a Athenes : le Parthenon et les Propylees sont et demeureront a jamais deux types acheves dans 1'architecture; l'un sera, autant qu'une chose materielle le peut etre, com me l'ideal des monu- ments religieux, et 1'autre, un modele unique de 1'arcbitecture civile des anciens. Dans un precedent article nous avons essayede 1 Nous citons ici 1' opinion de J. B. Say, fondee sur le calcul du prix du ble a 1'epoque dc Pericles. M. Boeckh [Economic politique des Atheniens) , appuyant son calcul sur d' autres donndes, arrive a une difference moins grande, mais qui laisse fort elevees encore les defenses des Propylees. — Heliodore, cit^ par Photius et Suidas, porte a 2,012 talents ic prix de construction des Propylees : c'est un chiffre qu'il est impossible d'admeltre. ML Leake, dans 1'Appendice III a sa Topographie d'Athenes, prouve que la somme totale employee en construc- tions par Pericles ne s'est elevee qua 2,g5o talents; il en attribue le tiers au Parthenon, et pense avec raison que la moitie de ce tiers, e'est-a-dire 5oo talents , a du couvrir la depense des Propylees. miss, scient. 3 — 34 — faire ressortir par ['analyse les principaux caracteres du dorique religieux; nous avons du nous occuper ensuite des Propylees pour les mettre en parallele avec lui. II est vrai, letude de ces deux ouvragcs est une des plus difficiles que Ton se puisse proposer : les rhefs-d'ceuvre des arts ont cela de particulier qu'ils sont plus que tous les autres en harmonie avec la nature et conformes a ses lois eternelles; et conime il est difficile de reconnaitre dans le monde les causes mysterieuses d'ou naissent l'ordre et la beaute, c'es* aussi une entreprise perilleuse de rechercher dans les ceuvres du genie les raisons inconnues qui les font belles. Souvent leur plus grand charme est dans la juste proportion de leurs parties, dans 1'ensemble qu'elles composent par leur reunion : l'analyse, en brisant cette unite, risque d'abord d'oter a 1'ceuvre sa beaute prin- cipale. Souvent aussi telle partie n'est belle que par son rapport avec le tout, comme, dans une statue ou dans un tableau, tel trait du visage, sans etre beau par lui-meme, ajoute neanmoinsa 1'ex- pression et convient mieux que tout autre a 1'idee de l'artiste; cormne dans la nature, tel arbre, si bien place au fond de la vallee ou au sein de la vaste plaine , desbonore la montagne sterile avec laquelle il fait un contraste choquant : l'analyse qui, par sa methode, ne saurait presenter qu'un objet a la fois, nous expose done, ou a le trouver beau quand il ne 1'est point par lui-meme, ou a le trouver beau pour de fausses raisons. Cependant l'e- tude des ouvrages de fart, produits par des intelligences supe- rieures, il est vrai, mais bumaines et sernblables aux notres, est moins sujette a l'erreur que 1'etude des beautes naturelles. L'ar- tiste qui invente, analyse et compose, comme nous-memes, quoi- qu'il le fasse mieux que nous; le beau qu'il cherche, e'est celui que nous pouvons concevoir, et dont l'idee est en proportion avec notre esprit. Mais la beaute des ouvrages de lart est toujours in- ferieure a celle qui reluit dans la nature : et cela ne devrait pas nous surprendre, puisque Dieu, auteur du monde, dispose, dans sa toute-puissance, de mille moyens inconnus a 1'homme, et faconne les choses a son gr£, sans quil lui en coute ni travail, ni temps. En outre, le modele d'apres lequel il opere est eternel comme lui-meme et souverainement parfait. A la verile, 1'homme qui produit une belle ceuvre opere en un sens d'apres cememe modele, puisque la beaute est unique et invariable et que la raison qui la concoit nous met, pour ainsi dire, en comrnunautede pensee avec 35 Dieu. Mais en meme temps que Dieu dispose d'une puissance infinie, ce modelc qu'il imile quand il donne aux choses des formes assorties, il le voit avec une parfaite clarle dans sa propre intelligence, qui en est le principe : 1'homme, au contraire, ne le voit jamais qu'imparfaitement, et au moment ou il se plaint de ce que l'execution ne repond pas a son idee, il sent que cette idee meme est incomplete, fugitive, difficile a atteindre, plus difficile encore a fixer. Quelle difference! Elle vient de ce que Dieu, qui est la beaute par excellence, se possede lui-meme et jouit eternellement de soi : pour 1'homme, au contraire, si, par un effort de sa raison , il arrive a concevoir l'idee de la beaute, non-seulement il ne se voiteclaire que d'une rapide lumiere, mais il est emu si profondement a 1'appi oche d'un pareil objet qu'il ie contemple, et faime et le poursuit; mais revenu a la matiere a laquelle il doit donner la forme, sa memoire se trouble et 1'image s'obscurcit. Nel ciel che piu del la sua luce prendf Fu' io e. vidi cose che ridire Ne sa ne puo qua! di lassu disceude : Perche appressando se al suo disire Nostro intelletto si profonda tanto, C,hc retro la memoria non pub ire'. (Dante, Parad. I.) 11 est done impossible que les ouvrages de lart surpassent ou egalent en beaute la nature. Mais enfin la nature meme n'est pas egalement belle dans toutes ses parties, et rhomme est fait de telle sorte que telle plaine, telle mer, telle monlagne, lni paraissent plus belles que telle autre plaine, telle autre montagne, telle autre mer. Les Grecs ont eu sur nous ce grand avautage d'habiter un pays oil la beaute est comme en surabondance dans le ciel et sur la terre. Le peuple qui vivait au sein d'une telle nature, etqui prenaitd'ellesesidees, s'est forme peu apeu a son image, et comme la Grece est d'une beaule en quelque faron plus barmonieuse que toule autre contree de 1'Europe, les Grecs ont aussi surpasse toutes 1 atailles et des victoire^ duTzar moscovite, il s'est plu a revetir son heros de loutes les qualites du guerrier, et ne s'esl pas assez arrete a etudier en lui le genie de l'administrateur. Quoi qu'il en soit, lelivre de Voltaire sera toujours pour lui un tilre honorable; on y sent la main du maitre : et voila pourquoi il m'a paru vraimcnt curieux d'etudier ce livrc dans ses elements origi- nels , d'cn suivre en quelque sorte fhistoire secrete. Le premier portefeuille des manuscrits concernant l'histoire de Russie sous Pierre le Grand renferine : i° Un extrait du journal de Pierre le Grand, contenant kslaits et gestes de cesouverain depuis 1701 jusqu'a fan 1721; Ce journal, dont l'original est en russe , n'avaitpas encore, du temps de Voltaire , ete communique a l'Europe. Depuis il a ete traduit en francais par Formey, et public par le prince Michel ScherbatofT, a Berlin (1773, in-4°) ,aStockholm ( 1774, in-8°) et a Londres (1773, in-8°). II a ete egalement traduit en allemaud el imprime a Berlin et a Leipsick (1773, in-8°). Le journal de Pierre ie Grand commence a Tannee 1G98, et finit a la paix de JNysladt. II ne faut pas confondre ce journal avec un autre ouvrage ana logue publi6 a Moscou, en 1788, sous ce titre : Les Acles de Pierre le Grand, sage rcformateur de la Russie, recueillis d'aprcs des documents authenticjues et disposes par ordre chronologique, par J. Golikoff. Cet ouvrage, ecrit en russe, n'a pas encore ete traduit. II forme douze volumes in-8°; e'est la meilleure source a laquellc on puisse recourir pour l'histoire de Pierre le Grand. Du reste, depuis quelque temps, le Gouvernement russe ayant permis aux savants 1'entree des Archives de lempire, M. Oustria- loff, niembre distingue de Tacademie de Saint-Petersbourg, a en- trepris un ouvrage sur le grand Tzar, qui sera vraiment caracte- risliquc, el qui remplacera avec avantage toutcs les bistoires plus ou moins incompletes qui ont ete publiees jusqu'a present. Le premier portefeuille des manuscrits envoyes a Voltaire pour son histoire de l'empire de Russie sous Pierre le Grand, ren- ferine : 20 Deux memoires sur les alTaires de Perse, apres la conclu- sion de la paix aver la .Siierlo; — 43 — 3° Une suite d'anecdotes curieuses sur les negotiations entre les cours de Russie et d'Espagne.'depuis 1718, jusqu'a 1720; [\° Un abrege chronologique, revu et augmente, des evene- ments les plus reuiarquables du regne de Pierre le Grand; 5° Un recit de la maladie et de la mort de Pierre I", oil Ion s'attache a prouver qu'il est mort d'un mal venerien, aggrave par 1'usage de l'eau-de-vie, et non des suites d'un poison que lui aurait admim'stre sa femme Catherine Irc, ainsi que quelques-uns Ton I pretendu. Apres ces documents, dont 1'etude est d'un veritable interet, viennent les questions et objections que Voltaire envoyaiten Russie au fur et a mesure qu'il composait son livre , et les reponses a ces memes questions et objections; puis une serie de remarques et d'observations sur l'histoire de Pierre le Grand, que le comte Schouvaloff, sans doute, et d'autres Russes, faisaient tenir a son auteur, afin qu'il en fit son profit pour les editions a venir. Ces remarques et observations sont excessivement minutieuses : elles prennent 1'ouvrage de Voltaire, non-seulement chapitre par cha- pitre, mais page par page, et en quelque sorte ligne par ligne, relevant tantot un jugement hasarde, tantot une assertion inexacte, souvent de simples fautes typographiques. En examinant la der- niere edition qui ait ete publiee de IHistoire de Pierre le Grand , on se convainc facilement que Voltaire n'a tenu aucun compte de cette critique. C'est un tort, car son livre y eut cerUunement beaucoup gagne; mais, a cette epoque, Voltaire avait bien d'autres soucis. II ne sera peut-etre pas hors de propos de parcourir ici quel- ques-unes des questions dont Voltaire se preoccupait plus active- ment, et sur lesquelles il demandait deseclaircissements a Saint- Petersbourg. Je m'y determine d'autant plus volontiers, qu'outre l'interet particulier qui les raltache a ce sujet, ces questions ont encore un interet general qui doit leur meriter toute consideration : i° «Veliki knes, deinande Voltaire, signifie-t-il originairement due? Ce mot due, aux xe et xic siecles, etait absolument ignore dans tout le Nord. Knes ne signifie-t-il pas seigneur? Ne repond-il pas originairement au mot baron? N'appelait-on pas knes un posses- seur d'une terre considerable? Ne signifie-t elle pas chef, cornme mirza ou kan le signifie? Les noms des dignites ne se rapportent pas egalement les uns aux autres dans aucune langue. » — /I /I — La reponse a cette question est ainsi conc.ue : « Le mot lines est slavon, et signilie precisement ce que dans les autres langues de l'Europe on appelle prince: ainsi, veliki knes veut dire grand prince. L'usage ayant inlroduit le mot due pour distinguer les princes regnants des autres qui ne le sont pas, les etrangers, au lieu de dire grands princes en parlant des souverains de Russie , les ont appeles grands-ducs. Le titre de knes est em- ploye partout ou Ton dit en francais prince, et en allemand fiirst. Seigneur s'exprime en russe par hosoudar. II n'y a cliez les Russes aucun titre de naissance qui soit equivalent a celui de baron. Avant la creation des comtes et des barons faite par Pierre le Grand , on ne connaissait d'autres titles que ceux de knes et de dworenin ou gentilhomme. » 2° « Je suis fort surpris d'apprendre qu'il etait permis de sortir de Russie, et que e'etait uniquement par prejuge qu'on ne voya- geait pas. Mais un vassal pouvait-il sortir sans la permission de son boyard, un boyard pouvait-il s'absenter sans la permission du czar ? » A ces questions posees par Voltaire, on repond : « II n'y a aucune loi ecrite qui defendit absolument aux Russes de sortir du pays; mais, toutes les fois que quelqu'un voulait sortir pour commercer ou pour s'instruire en voyageant, il etait oblige de demander la permission et un passe-port, sans quoi il etait arrete sur les frontieres, ce qui se pratique encore a present sans distinction de condition. » 3d « Je voudrais savoir, dit Voltaire, quel nom on donnait a l'as- semblee des boyards qui elut Micbel Feodorovilscb. J'ai nomme cette asseniblee senat, en attendant que je sache quelle elait sa vraie denomination. Pourrait-on l'appeler diete, convocation; enfin etait-elle conforme ou contraire aux lois ? « 4° Quandunefois la coulumes'introduisit de tenir la bride du cheval patriarcal, cette coutume ne devint-elle pas une obliga- tion, ainsi que l'usage de baiser la panloufle du pape ? Et tout usage dans 1'Eglise ne se tourne-t-il pas bientot en devoir ? - Void la reponse a ces deux questions : « On ne saurait autrement la nommer que convocation, parce que, non-seulement les boyards, mais aussi toute la noblesse et toutes les villes, etaient invites d'y assister par leurs deputes. Commc ce cas venait d'arriver pour la premiers fois depuis Rurik , — 45 — premier grand-due de Russie, il n'y avait aucune loi a laquello- rette convocation put deroger ou se ronformer, et qui en pres- crivit la forme. « Les tzars ne font jamais fait par aucun autre motif que par celui de devotion , et comme une pure ceremonie d'eglise. Quoi- qu'on ne trouve pas dans les histoires et annales de Russie que les grands-ducs aient fait avant les palriarches la meme cerd- monie vis-a-vis des metropolitains ou autres chefs du clerge qui officiaient le jour de cette procession, il est tres-probable quelle s'est pratiquee de la meme facon ; et comme les Russes ont rec,u de 1'Eglise grecque tous leurs rites et ceremonies , il ne serait peut- etre pas hors de propos de rechercher si les empereurs grecs n'ont pas fait la meme chose. » 5° « La question la plus importante, poursuit Voltaire, est de savoir s'il ne faudrait pas glisser k'gerement sur les evenements qui precedent le regne de Pierre le Grand, afin de ne pas epuiser 1'attention du lecteur, qui est impatient de voir ce que le grand homme a fait. » Beponse : « M. de Voltaire est le maitre de faire tout ce qu'il jugera a propos. Mais les remarques et les memoires separes qu'on lui a envoyes serviront beaucoup a rectifier les erreurs dans les- quellessont tombes les auteurs Strangers, trop peu instruits, et n'ayant fait que se copier run 1'autre. Tout ce qui precede le temps ou Pierre a commence a regner doit etre interessant et nouveau pour leslecteurs, surtout 1'histoire de ces differentes revoltes des Strelitz , traduite d'un manuscrit compose par le fds du mal- heureux boyard Malfeyeff , massacre a l'occasion de la premiere revolte. Comme entre ces memoires il y en a plusieurs dont les details ne conviennentpasau plan de Touvrage de M. de Voltaire, on suppose qu'il n'en fera d'autre usage que celui d'en tirer la quin- tessence et ce qui est plus interessant : tels sont les differents etats des troupes, des revenus, etc. » Ceux qui ont lu 1'Histoire de Pierre le Grand ont pu se con- vaincre par eux-memes du peu de deference que Voltaire a eu pour les reflexions qui precedent. Voici un autre article qu'il a encore moins considere : 6° « On suivra exactement, dit Voltaire, les memoires envoyes. A l'egard de l'orthographe , on demande la permission de se con- former a 1'usage de la langue dans laquello on ecrit . de ne point — 46 — derive Moskwa, inaisA/oiTrt.d'ecrire Veronise , Moscoa , Alexiovis, etc On meltra au bas des pages les noms proprcs lels qu'on les pro- nonce dans la langue russe. » Reponse : « Les auteurs etrangers , faute de connaissance de la ian^ue Russe, ont tellement estropie les noms, qu'un russe meme aurait toute la peine du monde a les deviner. C'est pourquoi M. de Voltaire est prie de faire observer scrupuleusement 1'orthographe des noms russes, telle quelle se trouve dans les memoires et les remarques qu'on lui a envoyes, et dc meltre au bas des pages les noms mutiles , tels qu'ils se trouvent dans les auteurs Strangers. Pour plus d'exactitude, on enverra a M. de Voltaire une liste al- phabetique, correctement ecrite, de tous les noms propres qui pourraient entrer dans le corps de cet ouvrage. La riviere qui tra- verse la ville de Moscou s'appelle et se prononce Moskwa, et non Mosca ; de meme on ne dit point Veronise , mais Voronech , Alexiewilsch et non pas Alexiovis. Cette exactitude de l'ortho- graphe ne laissera pas d'ajouter un nouveau degre d'aulhenticite a l'ouvrage meme. » Le deuxieme portefeuille des manuscrits relatifs a I'histoire de Pierre le Grand contient : i° Line anecdote singuliere touchant le sieur Villebois, Breton d'origine, chef d'escadre dans la marine russe, grand buveur, mais bon et fidele serviteur, et pour cela tres-aime de Pierre le Grand. Ayant ete envoye un jour, apres une orgie, aupres de la Tzarine pour y remplir un message , il la trouva encore au lit et la viola, ce que Pierre ayant appris, il excusa le crime en faveur de l'ivresse de Tun et de la surprise de 1'autre. Villebois n'eut qu'une legere peine a subir, pour l'exemple; apres quoi il rentra au service de l'empereur, et jouit de toutes ses bonnes graces comme auparavant: ce trait est caracteristique. 2° Deux anecdotes, dont Tune sur la maladie et la mort de Pierre Icr, et fautre sur la celebration de ce conclave burlesque si connu qu'il institua pour se moquer de 1'Eglise romaine et ra- baisser 1'autorite du palriarche grec : je ne comprends pas que Vol- taire ait cherche dans son histoire a excuser cette parodie ridicule. 3° L'historique de la revolte et de la destruction des Strelitz. h° Plusieurs lettres de Pierre Ier au grand amiral comte Apraxin, eta Schafirofi', concernant l'arfaire duPruth et la reddition d'AsofT en 1711; — 47 — 5° L'ordonnanee ile Pierre le Grand touchant 1'etablis.sement d'un senat en 1711, avant la campagne du Pruth, pour diriger les affaires de 1'empire pendant son absence. 6° Plusieurs lettres et documents sur le congres d'Aland en 1718 et 1719, ou il fut traite de la paix entre la Suede et la Russie. 70 Une anecdote sur Mazeppa, tiree du memoire justificatif de son secretaire Orlik, adresse au metropolitain de Rezan en 1721. 8° Une serie de memoires sur le commerce de la Russie , sa marine, sa police, ses lois, l'etat de son eglise et de son clerge. 90 La copie du traite d'alliance et de commerce conclu entre Pierre I" et Louis XV. 1 o° La description de la ceremonie du couronnement de Pierre II, le 2 5 fevrier 1728. 110 La description de la chambre funebre ou fut depose le corps de Pierre le Grand apres sa mort. 120 L'etat des titres que prend l'empereur de Russie avec les princes etrangers et avec ses sujets. i3° Une foule de pieces historiques et critiques sur les Cosaques, les Lapons, ies Samoiedes, les habitants du Kamtchatka, et autres peuples sounds a la Russie. i4° Enfin , plusieurs tableaux genealogiques , historiques et geo- graphiques , pouvant servir a l'histoire de la Russie et de ses sou- verains. Je crois superflu d'ajouter a cette analyse celle des trois porte- feuilles in-4° qui se trouvent encore dans la premiere categorie des manuscrits de Voltaire. Presque tous les documents qu'ils renfer- ment touchant l'histoire de Pierre le Grand peuvent se ranger sous les memes titres que les precedents , dont ils ne font que deve- lopper les donnees. Cependant, avant d'en finir avec cette categorie, je ne puis m'em- pecher de signaler ici un de ses articles intitule : Particularites sur lesquelles M. de Voltaire souhaite d'etre instruit. Une question, entre autres , m'a paru digne d'etre citee : « Est-il vrai, demande Voltaire, que l'imperatrice Catherine, etant rebaptisee dans le rit de l'Eglise grecque , fut obligee de dire : Je crache sur mon pere et sur ma mere , qui m'ont elevee dans une religion fausse? » Beponse. ' « On ne rebaptise pas les personnes qui, d'une autre - 48 - religion chretienne, passent a la religion grecqne. Cetle ceremonie ne se pratique qu'avec les juifs , mahometans et idolatres : aux chntiens, on ne donne que fonclion. II est vrai qu'ils crachent, mais ce n'est pas sur leur pere et leur mere; c'est seulenient pour marquer qu'ils reconnaissent comrae fausses les opinions dans les- quelles ils ontete eleves. Toutes ces ceremonies sont decrites dans les livres qui traitent des rites de 1'Eglise grecque et russienne, et n'appartiennent guere a Thistoire. » J'arrive maintenant a la seconde categorie des manuscrits de Voltaire. II serait sans doute interessant de s'arreter en detail sur chacun des treize portefeuilles qui la composent. Un grand nombre des ceuvres de Voltaire nous y apparaitraient ainsi, en quelque sorte, a leur berceau. Ces tragedies, ces drames.ces lettres, ces grandes histoires, ces poesies de toute espece, qui ont valu tant de gloire a leurauteur, nous les ven ions a leur premier jet, et an milieu des corrections et des ratures, ces temoins manifestes de la lutte de la pensee contre l'expression qu'ont eue a soutenir les ecrivains meme les plus faciles. Et parmi celte foule de manuscrits pre- cieux, que de pieces se rencontreraient encore qui ont echappe a la publicite , et que nous lirions avec cette avidite jalouse et here qu'on apporte toujours a participer a des tresors derobes a la foule. Mais tracer un pared tableau serait une ceuvretrop longue pour le temps que j'ai a y consacrer. D'ailleurs, les limites de ce rap- port me prescrivent de me borner a quelques traits. Entre les diverses pieces contenues dans les treize portefeuilles que j'ai sous les \eux, voici, ce me semble, quelles sont les plus intercssantes : la tragedie (['Irene, avec les cbangements (original). — L'ancien original (["Adelaide Duguesclin, sous le titredes Freres ennemis. — Agathocle. — Atree et Thyeste. — Le Droit da sei- gneur (original). — Une dissertation theologique sur le Saint-Es- prit. — Une autre sur la doctrine de l'Eglise gallicane. — Une longue serie de manuscrits originaux, philosophiques et economi- ques de madame du Chatelet. — Toutes les pieces relatives aux proces Delabarre et Lally. — Une partie notable de la correspon- dance de Voltaire avec le roi de Prusse et du roi de Prusse avec Voltaire. — Plusieurs lettres a madame Denis, a M. Vagniere et a d'autres personnes. C'est dans une des lettres adressees a M. Vagniere, en date du — 49 — 28 fevrier 1778, par consequent trois mois avant la morl de Voltaire , que Ton trouve cette declaration ecrite de sa main : « Je meurs en adorantDieu, en aimant mes amis, en ne haissant pas mes ennemis, en detestant la superstition. » Plusieurs portefeuilles sont riches en documents historiques; ainsi, on y trouve : onze cahiers de lettres historiques commu- niquees a Voltaire sur la cour de France, depuis 1709 jusqu'en 1721. — Un essai sur les colonies. — Les memorres du comte d'Estaing sur les colonies, les finances, etc. — Une suite de re- marques historiques pour l'histoire generate , le siecle de Louis XIV et le siecle de Louis XV . — La guerre de 1 7 !\ 1 . — Les lettres du cardinal de Bouillon a Louis XIV, au sujet du livre de M. de Cambrai. — Des exlraits des memoires du due de la Force. — Plusieurs documents sur les affaires des Indes. — Divers me- moires et lettres sur raffranchissement du pays de Gex, etc. etc. Independamment des pieces que je viens de citer, la seconde ca- tegorie des manuscrits de Voltaire renferme encore une foule de poesies dans tous les genres, comme operas, contes, madrigaux, odes, epitres, chansons, etc. dont un grand nombre sont inedites. Dans un portefeuille separe et sans numero, mais qui merite d'etre mentionne, on trouve une tragedie, en tete de laquelle Voltaire a ecrit ces mots : « Tragedie de je ne sais quel polisson; » puis une histoire des perruques, que Voltaire a fait transcrire, ainsi qu'il le dit lui-meme dans une note, parce qu'elle ne fut imprimee qu'a un petit nombre d'exemplaires en 1706 ou 1706. La copie de cette histoire s'arrele au moment ou les perruques furent mises en usage dans 1'Eglise. « Je n'ai pas fait copier la suite de celte dissertation, dit Voltaire a ce sujet, parce qu'elle n'est faite que pour empecher les pretres de continuer 1'usage des perruques, introduit depuis quelques annees, jusqu'a la celebra- tion de la messe, ce qui ne regarde pas la curiosite que j'avais de m'instruire de l'antiquite des perruques. » Tout le monde sait que, dans sa terre de Ferney, Voltaire se comportait en veiitable seigneur : ainsi, entre autres etablisse- ments construits a ses frais, il y Gt batir une eglise. On trouve dans un des portefeuilles de ses manuscrits toutes les pieces re- latives a cette affaire, comme actes, devis, proces-verbaux , plans, etc. Un memoire autographe, conserve a la Bibliotheque imperiale, nous montrera jusqu'a quel point le seigneur de Fer- MISS. SCIENT. 4 — ;>u _ ney poussai: im minutieux en ce qui con- cernait ia construction de son egiise : • Aujourd'hui, 6 aout 1760, maitre Guillot et maitre I plac engages a batir les murs de : • . -".ie de la paroisse de I au lieu qui leur sera indique par IL le curt : et cboeur des memes dimensions. p -nt que choeur qui est actuellement aupns du chateau, afin que les memes bois de cbarpente et menuiserie de lancienne puissent senir a la nouvelle; ils edifieront le tout de n. hauteur et de meme pierre nommee blocaille ou blocage, prati- queront les fenetres a peu pres des memes dimensions: i. serviront du meme portail qui est a lancienne eglise, ils Ten. ront de la place on il est, et mettront des etancons pour soutenir ledit ancien ils auront seulement soin de faire saillir le portail de la nomelle eglise de quatre ponces; ils feront deux pi- ■s saillanls de quatre pouces a chaque cote du portail, avec un fronton de pierre molasse au-dessus dudit portail. Ces quatre p.ilas :ont de briques, quils revetiront de platre ou dun bon enduit de chaux. 11 n'y aura point d"autxes ornements, nt au prix des murs du chateau de Ferney, la pierre taillee au mt-me prix. et ledit ouvrage complet sera pa\e totalement le 1" ou le i5 octobre prochain, jour auquel lesdits entrepreneurs nt a livrer le batiment aux charpentiers pour faire la cou- \erture. Fait au chateau de Ferney. ledit 6 aout 17': De tous les portefeuilles des manuscrits de Voltaire dont i. ici question, le plus interessant et le plus curieux est sans conlre- :e cinquieme: en retrouve la le caractere de Voltaire tout entier : -emblage de tous les exi: - cette puissance ttonnante qui embrasse a la fois le bien et le mal, la vente et le men rto et 1 infamie. Ce portefeuille est en quelque - ] image de la pensee de Voltaire, le confident de ses etudes, le te- moin de toutes ses impressions. 11 contient une foule d'extraits dauteurs latins, anglais, francais, italiens: plusieurs anecdotes concernant 1'histoire des lettresetdes spectacles; des notes et des • sot toutes snrtes de sujets: en sorteque. dapres ce por- iement, on peut jugerde la verite do que \ ol- -ur lui-meme ; ■ ?nl dan* mon an'' — 5J — Quoi de plus attrayant que de suivre on esprit comme celui de Voltaire •■ travers la route mobile 'If; sea impressions; que de le \«iii tantot se replier sur lai-meme pour y fecondei sa pensee, tantot interroger des organes etrangers pour les faire servir a h propres iospirationsl Voltaire 6tait tm bomme laborieux et refle- cbi; rien oe passait sousses yeux qui nefixal vivement son atten- tion, et qui ne prit place aussitdt dans ses notes. S'il a etc aniversel, e'est. que son travail s'est applique a toutes choses. On est surpris, lorsqu'on parcourt ses manuscrits, surtout celui que j'examine 'ii ce moment, de voir jusqu'a quel point il poussait 1'observation. Les choses les plus indifferentes, les plus fugitives, prennent pour lui de I interet . , de la consistance ; il oe craint pas de leur consacrer an souvenir et de les rangei parmi les epis de sa moisson. Faut-il s'£tonnerapres celasi cet bomme a eu de lagloire, puisqii'au genie, qui , selon Bossuet, consiste dans one illumination soudaine, il joignil si liberalement cet autre genie que Button a defini la patience. Ce me'me portefeuille, oil se trouvent accumules pele-mele tant dextraits, de notes etde pieces diverges, renferme encore un grand nombre de vers dont la licence depasse toote imagination. Ah: Voltaire nientait bien fort quand , renianl les editions de la Pucelle qu'on faisait. courir sous spa nom , il pretendait qu'il n'etail pas capable de pareilles choses! On serait souvent bien etonne, bien confus pour notre pauvre bumanite, si Ion con- naissail I delassements des genies les plus graves et les plus suhlirni En vertu dun ordre supreme, tons ces vers impurs sont eon- damnes a ne jamais sortir de l'ombre des bibliotheques on ils sont renfermes. Cet ordre est juste etdigne : aussime garderai-je de trahir par ^indiscretion d'une copie la confiance qu'on m'a lemoignee en me les ' omrnuniquant. Jaime miens m'arneter a des images plus nobles. Le manus- crit que j'ai entre les mains est une veritable mosalque intellec- tuelle. Voltaire y a consigne, non -seulement ses propres pensees, mais encore les pensees des auteurs qu'il lisait. II sera curieux , sans doute, den tianscrire quelques-unes. Qu'elles soient sorties He I'esprit de Voltaire ou seulement recueillies par sa plume, elles nous feront connaitre egalement quelles etaient les causes et la nature de ses impressions. M. L. „_ KV Je jetterai ici ces pensees au hasard, et sans plus d'ordrc que lien a mis Voltaire lui-meme dans son manuscrit : « D'ou vient que les Italiens sont de si mauvais philosophes el de si fins politique^; les Anglais, au contraire? N'est-ce pas que la politique elant 1'art de trornper, de pelits esprits en sont plus capables. » « Si les pretres s'etaient contentes de dire : Adorez un Dieu et soyez justes, il n'y aurait jamais eu d'incredules ni de guerres de religion. » *I1 n'y a que les faibles qui fassent les crimes; le puissant et l'heureux n'en ont pas besoin. » « Si la lumiere vient des etoiles en vingt-cinq ans, Adam fut done vingt-cinq ans sans en voir? » « Quand on ne voyage qu'en passant, on prend les abus pour les lois du pays. » « Ceuxqui ont ecril sur 1'homme n'ont jamais considere l'homme en general. Lc pere Malebranche regarde rhomme comme une ame ebretienne, la Bruyere comme un Francais qui a des ridi- cules. Celui qui ferait un traite des cliiens devrait-il ne parler que des epagneuls? II y a des hommes noirs, blancs, jaunes , barbus, sans barbe; les uns naissent pour penser beaucoup, les autrcs pour penser tres-peu, etc. » « La memoire et Tesprit sont comme la pierre d'aimant, qui devient plus forte en augmentant petit a petit le poids qu'on lui fait porter. » « Les paroles sont aux pensues ce que Tor est aux diamanls : il est necessaire pour les mettre en oeuvre, mais il en faut pcu. » « Quand il plait au roi de creer des charges, il plait a Dieu de creer des fous pour les acheler. » « Les jesuites font commerce de diamante auxlndes; ils les en- ferment dans les talons de leurs souliers et ccrivenl qu'ils foulent aux pieds les richesses de TEurope. » « Dans les pays ou Ton a la liberie de conscience , on est deli- vre d'un grand fleau : il n'y a point d'hypocrites. » « La cause de la decadence deslettres vient de ce qu'on a atteint le but; ceux qui suivent veulent le depasscr. » « On aime la « M. leMinistre vous a expose ensuite en quelques lignes le plan des travaux que pourraient avoir a accomplir ces deux savants . et il a ajoute que si ce plan recevait voire approbation , il serait heureux de transmettre a MM. Daremberg et Renan les instruc- tions preparees par l'Academie. « Vous avez applaudi, Messieurs, a celte pensee de M. le Mi- nistre, et , pour repondre a sa conliance, vous m'avez charge de rediger les instructions et de remplir le cadre qu'il a trace. C'est ce projet que je vais avoir 1'honneur de vous soumettre. « Avant de faire 1'exposition detaillee de ce programme , je dirai quelques mots sur les deux savants designes par M. le Mi nistre, pour bien faire connaitre en quoi consistent les recherches auxquelles ils devront se livrer. «La mission de M. Renan et celle de M. Daremberg sont tout a fait distinctes : M. Renan, savant orientalisle, n'est pas medecin; il ne s'occupera qu'accidentellement des medecins arabes; sa mis- sion a pour but les manuscrits orientaux. Je dirai toutefois ton I a 1'heure en quoi et comment il pourra venir en aide a M. Darem- berg, pour ce qui nous concerne. « M. Daremberg, votre bibliothecaire , a deja rempli trois mis- sions en Allemagne et en Angleterre : deux ont ete 1'objet de rap- ports a M. le Ministre de Instruction publique, ou de lectures a l'Academie des inscriptions et belles-lettres. « J'arrive maintenant aux instructions qui devront etre confiees a M. Daremberg, et je vais les ranger dans 1'ordre meme indiqu6 dans la lettre de M. le Ministre : « i" Histoire et litterature de la medeeine dans 1'antiquite et au moyen age ; « 2° Recherche de materiaux pour la Bibliotheque des mede- cins grecs et latins; « 3° Confection d'un catalogue raisonne des manuscrits de me- deeine, catalogue deja en partie fait,d'apres les bibliotheques de Paris, de TAngleterre et du nord de 1'Allemagne. «Pour arriver a ce triple but, M. Daremberg devrait peut-etre se livrer a des recherches immenses, recherches qui depasseraient les forces d'un seul homme: aussi l'Academie, pour courir, comme MISS. SC1ENT 5 — 06 — on le dit, au plus presse, l'invitera a s'occuper specialement, et avant tout, des cinq auteurs grecs suivants : Hippocrate, Rufus, Ga'ien, Oribase et Aetius. « § 1". Les manuscrits d'Hippocrate sont tres-nombreux en Italie: quelques-uns de ceux qui se trouvent a Rome ont servi a Calvus pour sa traduction; mais il en est plusieurs qui n'ont point ele mis a profit pour la constitution du texte hippocratique. L'Aca- demie appelle sur ce point 1'attention de M. Daremberg : elle peose qu'on pourrait en esperer des secours eflicaces; elle l'en- gage aussi a s'occuper particulierement de la question d'authen- ticite des iivres hippocratiques. «§ 2. Les ceuvres de Rufus se composent de deux series : les traites ex professo et les Fragments. ■ Le traite des Maladies de la vessie et des reins oflre plus de deux cents lacunes; aucun des manuscrits connus ne comble en- titlement ces vides. M. Daremberg assure qu'il est parvenu a restituer entitlement le texte; et il est a desirer qu'il puisse suhs- tituer des lerons cerlaines a des restitutions qui n'ont pas encore i'autorite absolue d'un manuscrit. n L'Academie pense que pour le traite intitule Du Nom des par- ties du corps liumain , traite fort corrompu , mais non mutile, M. Daremberg trouvera beaucoup de ressources clans les manus- crits d'ltalie: les bibliotheques Rarberine, Ottobonienne a Rome, celles de Florence, de Venise et de Turin renferment plusieurs manuscrits de ce traite. « Parmi les Fragments de Rufus, celui sar les medicaments pur- gatifs a ete souvent transcrit et imprime a part. Dietz a signaie, comme presentant de bonnes lec.ons, un manuscrit a Florence. La collation des manuscrits de Galien, d'Oribase et de Paul d'E- gine permettra pcut-etre a M. Daremberg de donner un texte aussi exact que possible des autres fragments. «S 3. M. Daremberg ne saurait avoir la pretention de colla- tionner tous les manuscrits de Galien; mais il devra en examine; le plus grand nombre possible, afin d'en determiner du moins la valeur par des collations partielles, afin que, s'il lui est un jour donne d'aborder la publication de Timmense encyclopedie du medecin de Pergame, il soit en mesure d'indiquer ou Ton pourrait aller puiser les elements de la constitution du nouveau texte. Si jamais on acheve ce grand ouvrage, on aura rendu a la medecinc — 67 — ancienne et a l'histoire de la medecine le service 1c plus si- gnaled « L'Academie sait que plusieurs ouvrages dc Galien sont perdus ou du ruoins inedits jusqu'a ce jour. • D'apres deux manuscrits d'ltalie, Dietz a deja publie le traite Des Habitudes et celui Sur la Dissection des muscles, et il a signale d'autres traites inedits. « Les traductions latines, et surtoutles versions arabes, qui ont rendu aM. Greenhill la fin Des Administrations anatomiques, four- niront peut-etre a M. Daremberg quelques nouveaux traites ou fragments. «Parmi les traites de Galien qu'il se propose de collalionner, 1'Academie i'invitera «a s'attacher surtout a ceux de L'Usage des parties et Des Lieux affectes, deux veritables tresors, dont le pre- mier renferme toute la physiologic et le second, toute l'anatomie pathologique de cette epoque reculee. « § l\. Mais le travail le plus press6 est celui qui concern era Ori- base, dont la publication est deja commencee. La bibliotheque du Vatican renferme les quinze premiers livres de la Collection me"di- cale; le manuscrit n'a jamais etc collationne. Mgr le cardinal An- gelo Mai a publie, d'apres un autre manuscrit de la meme biblio- theque, quatre livres, en parlie inedits, d'Oribase; mais a l'exemple de Mattbaei, il a neglige de transcrire les chapitres extraits de Galien : il faudra done copier ces chapitres. «Deux manuscrits de Naples renferment aussi la Collection me- dicate, d'apres le specimen fourni par Dietz ; ils ne sont pas d'une grande valeur; mais 1'Academie est d'avis que M. Daremberg de- vra les examiner, du moins pour un certain nombre de chapitres. « Le sejour a Naples permettra aussi a M. Daremberg d'exami- ner les instruments de chirurgie retrouves dans la lave, deposes au Museo Borbonico, et dont une notable partie a ele decrite avec beaucoup de soin et de science par M. le Docleur H. Vulpes, membre correspoodant de cette Academic « M. Daremberg a pu collationuer sur les papiers de Dietz la Synopsis d'Oribase, d'apres une copie que lui a remise M. Littre. Mais M. Daremberg a cru remarquer que le travail de Dietz avait ele fait un peu superficiellement : 1'Academie l'engage done a re- voir avec soin les manuscrits de la Synopsis signales par Dietz; elle lui fait la memo recommandation pour le traite ad Eunapiam 5. — C8 — et pour les iivres Analomiques tires de Galieu , et (jui formeol le.v 2 h" et le 2 5e Iivres de la Collection medicale. • L'Academie pense qu'a 1'aide de ces secours fournis par les bibliotheques etrangeres et par noire Bibliotbeque nationale, MM. Bussemaker et Daremberg, charges de la publication des ceuvres d'Oribase (en grec et en francais), donneront de cet au- teur, en grande parlie inedit en grec, une edition vraiment cri- tique. • S 5. M. Daremberg a signale un fait curieux relalif aux textes d'Aetius : son voyage en Italie lui permettra sans doufede mettre davantage encore ce fait en lumiere. ■ On pouvait supposer a priori qu'Aetius, qui a compile son ou- vrage dans les cents de ses predecesseurs, avait cru devoir, pour sacrifier a son epoque, rajeunir certaines formes qui n'eussent peut-elre pas ete assez bien comprises par la generality des ler- teurs: par exemple, en comparant dans les manuscrits ordinaires d'Aetius les passages tires de Rufus et d'Aretee avec les texles originaux, on est souvent etonne d'une tres-grande difference; on devait en conclure, car on n'avait pas de raison suffisante pour s'y refuser, que ces differences venaient de la redaction meme d'Aetius. Pour s'assurer du fait, il n'y avait qu'a constater Tuni- iormite de ces alterations dans les manuscrits connus. Mais M. Daremberg s'est assure, par la collation du plus ancien ma- nuscrit connu d'Aetius (il remonte au xe siecle), que dans un bon nombre de cas les cbangements proviennent des copistes, qui, rencberissant sur le medecin d' Amide, cbercbaient un grec plus a la portee de leurs modernes lecteurs : ainsi , dans le vieux manuscrit, les passages d'Aretee et de Rufus serapprocbent beau- coup plus des textes originaux que dans les autres manuscrits. Cette fois les differences sont bien le fail d'Aetius, et Ton ne sau- rait supposer que les premiers copistes aient eu a leur disposition ou du moius qu'ils aient consulte pour leurs copies les textes originaux. « Ce qui acheve encore la demonstration , e'est que dans un ma- nuscrit, ictermediaire entrc le plus ancien et les plus modernes, M. Daremberg a trouve pour' /les memes passages des lemons ega- iement inlermediaires, et, pour ainsi dire, une transition entre le texte d'Aetius et celui des copistes recents. « Voila done un fait qui doit mettre en grande defiance contre — 69 — les manuscrits modernes d'Aetius, dont les copistes ont fait sciemment subir au texte priniilif des modifications prejudiciables , et qui doit faire recbercher les anciens manuscrits avec le plus grand soin. « L'Acad^mie engage M. Daremberg a poursuivre ses recherches dans ce sens , et a les etendre a Paul d'Egine et aussi a Oribase, auteurs du meme ordre qu'Aelius. « S 6. L'Academie ue saurait negliger non plus ce qui regarde les manuscrits contenant des traites anciens de medecine veteri- naire. Un manuscrit de Cambridge a deja appris a M. Daremberg quel'edilion des Hippiatriques, publitfe au xvie siecle, representail un texte fautif et incomplet. Ce manuscrit a une txcs-grande valeur; il contient plusieurs additions importantes, entreautres, un cbapitre inedit d'un auteur appartenant a une date assez re- culee, de Simon d'Athenes : on peut esperer de pareilles decou- vertcs en Italic «S 7. Si Ton en jugeparles traVaux deja publies, il ne reste pas beaucoup a faire pour les medecins latins propremeut clits. Aiusi, les manuscrits de Celse ont eie tous mis a profit par Targa dans ses deux editions; ils proviennent tous, du reste, du meme prototype. «I1 n'en est pas de meme pour Theodorus Priscianus; les ma- nuscrits fournissent beaucoup de corrections et d'additions. M. Da- remberg a acquis surtout la certitude de ce fait dans un manuscrit du xme siecle, qui est a la bibliotbeque royale de Berlin. « Le manuscrit qui a servi a publier le texte de dclius Aare- lianus parait perdu; mais, a defaut de ce manuscrit original, il est necessaire d'etudier avec une scrupuleuse attention les ma- nuscrits du faux Esculapius, du pseudonyme Aurelius et surtout de Gariopuntus ; car M. Daremberg a etabli le premier qu'uu tres- grand nombre de chapilres de l'ouvrage de ce dernier ont ele empruntes par extraits a Ccdius Aurelianas; de plus, il a constate que presque tous les chapitres d'Aurelius, qu'il avait regardes d'a- bord comme inedits, se retrouvcnt a peu pres textuellement dans Gariopunius. « II n'est pas non plus impossible de relrouver quelque auteur inedit ou meme ignore de celle periode : ainsi , a Cambridge, j\I. Daremberg, dans un manuscrit latin assez recent, a decou\ert — 70 — Cassius Felix, auteur classique au moyen age, et dont le trait6 £tait perdu depuis fort longtemps. « § 8. Dans une lettre adressee a M. le mioistre de Tinstruction publique et des cultes, M. Daremberg a lui-meme trace le plan des rcchercb.es qu'il compte faire relalivement a 1'histoire de la niedecinc dans la premiere periode du moyen age, periode que Ton pourrait appeler celle des origines de la me'decine moderne, et qui est comprise cntre la fin du ive siecle et le commencement du xn", e'est-a-dire entre le moment de la disparition a peu pres complete des medecins grecs en Occident et la constitution defi- nitivede 1'^cole de Salerne. • Toule cette periode est remplie dobscurite et d'incertitude , surtout pour ce qui regarde le veritable caractere de la mede- cine monastique ct les moyens de transmission de la science. Maisdeja, par Tetude des monuments, on a commence a demon- trer qu'entre le ve ct le ix° siecle, beaucoup d'auteurs grecs me- dicaux ont ete traduits en latin , etque ces traductions devenaieut des manuels ou Ton apprenait la medecine. Deja M. Daremberg a appele Tatlention des savants sur ces traductions, et en particulier sur celle du Traite des maladies desfemmes, de Moschion (le ma- nuscritest du ixe siecle). M. Bussemakcr a aussi collationnd une traduction de la Synopsis d'Oribase, du vf siecle. « II importe done de recbercber quels ont etc les auteurs tra- duits, comment et par qui ils font etc; quelles sont les traduc- tions qui nous restent, et si elles ontservi a des travaux du meme genre, mais posterieurs. II faut aussi savoir la maniere dont les auteurs ont £te interprets et expliqutis, et s'il existait un rapport entre cette espece de medecine scientifique et la medecine pratique. « II n'est pas nfcessaire de dire que I'hisloire de la pe>iode dont les limites ont ete posees plus baut , fournira les plus precieux Elements pour r6soudre une partie des questions auxquelles 1'Academie attache une veritable importance. II faut ajouter enfin que I'etude des ancienncs traductions , qui repre\sentcnt de tres-pres les anciens manuscrits, servira pour la constitution des textes,et ne sera pas inutile pour 1'histoire de la langue la line ct pour celle des origines de notre langue. « § 9. L'ecole de Salerne devra occuper une grande place dans les investigations de M. Daremberg: ses origines, sa constitution — 71 — ses influences , ses relations , fhistoire des maitres qui y ensei- gnaient, des praticiens qui y exercaient la medecine, 1'organisa- lion des etudes dans cette £cole, sont encore assez nial connues et mal appreciees, malgre les travaux les plus regents et ceux d'Ackermann en particulier. Les archives du Mont-Cassin, de la Cava et de Naples renferment, a ce quaffirme M. de Renzi, des documents propres a jeter un nouveau jour sur ces diverses questions. « Le poeme medical connu sous le nom de Schola Salernitana ofire aussi plusieurs problemes interessants a r&oudre sur son origine, son auteur, sa redaction primitive, ses accroissements successifs et les sources d'apres lesquelles il a ete r£dige\ Mais ce poeme n'est qu'un episode : le manuscrit de Breslau, qui con- tient les lecons des maitres salernitains , manuscrit decouvert par M. le docteur Henschell , et que M. Daremberg a le premier fait connaitreen France, offre un interet plus grand encore. II nous met parliculierement sur la voie des auteurs d'apres lesquels l'enseignement etait donne a Salerne. « Ces questions nous ramenent a Constantin 1'Africain, dontla grande figure domine toute cette epoque : 1'histoire de ses travaux est au moins aussi incerlaine que celle de sa vie. L1 Academic appelle specialement 1'altention de M. Daremberg sur tout ce qui regardele renovateur des veritables etudes medicales en Occident. Les bibliolheques du Mont-Cassin et de Naples renferment plu- sieurs manuscrits de Constantin , dont quelques-uns sont meme , dil-on , aulographes, II y a la matiere a une exploration toute nou- velle. « L'Academie verrait avec plaisir M. Daremberg porter aussi son attention sur les monuments laisses par l'ecole chirurgicale d'l- talie, pendant les xme et xive siecles, et en recbcrcher les ori- giues. Deja il a copie un travail tres-precieux de cette epoque, le commentaire de Qaatre maitres 'salernilains sur la chirurgie dc Roger et dc Roland. « S io. On ne saurait songer a une bistoirevraiment critique et serieuse de la medecine, considered comme science et comme art, qu'a la condition de posseder un inventaire aussi complet que possible , exact et raisonne , des ricbesses manuscrites que renfer- ment les bibliotbeques. Ce travail preliminaire, qui est surtoul indispensable pour l'bistoire de la medecine au moyen age, — 72 — uexisle nulle part; bcaucoup de ces richcsses sont lout a fait jgnorees. Les catalogues ne sont presque jamais fails par des homines speciaux. «M. Daremberg s'est efforce de supplier a cette penurie, en commcncant par le catalogue des bibliolheques de Paris , des principales viiles d'Angleterre etdu nord dc 1'AHemagne. L'Aca- demie l'engage a augmeuter ses tresors, en fouillant les bibliothe- ques d'ltalio. Un catalogue ainsiconcu n'a pas seulcment une va- leur historique ; il conduit aussi a de veritables decouverles, en meme temps qu'il fournit de precieux maleriaux pour la consti- tution des textes. « S 1 1. Quelques mots maintenant sur M. Renan etsur son in- tervention daus les travaux qui nous concernent. • 11 y a deux classes de manuscrits medicaux oricntaux : les uns contiennent des textes originaux , el parmi ceux-la il conviendra surtout de rechercber le Continent de Rhazes , dont les manus- crits sont si rares, qu'on n'en possede aucun exemplaire complci dans les bibliotheques d'Angleterre et d'Espagne ; cclles de Paris n'en possedent meme pas de fragments. • M. Renan pourra aider M. Daremberg dans l'examen qu'il de- vra faire des nombreux manuscrils relalifs, soit a ropblhalrnologie , soit a d'aulres questions chirurgicales. o La secoude classecomprend les traductions des medecins grecs en arabe , en hebreu ou en syriaque : c'est en etudiant avec soin ces manuscrits qu'on pout esperer faire quclque decouverle pre- cieuse, ainsi que le prouve le manuscrit d'Oxford , qui complete les Administrations anaiomicjues de Galien. « Grace au concours de M. Renan , plus familicr que luidans ces sortes de rechercbes, M. Daremberg pourra peut-etre nous rap- porter quelques fragments, ou peut-etre meme quelque traile inedit ou inconnu. <■ Telles sont, Messieurs, les instructions que nous proposerons a M. le ministre de l'instruclion publique de confier a M. Darem- berg, en lui exprimant loute la reconnaissance de 1' Academic au sujet des recherches scientifiques qui, sous son patronage, de- vront etre faites en Italie , dans cette lerre classique des sciences, des lellres et des arts; c'est une noble ct geuercuse inspiration qui anime en cette circonstance M. le Ministre. « L'armee franraisc , a qui pesent ses loisirs sur le sol couvert — 73 — des debris de tant de civilisations, va travailler de son cot6 a la gloire de la France, en pratiquant des fouilles, soit dans i'ancien Foram romanam , soit dans les environs de la ville eternelle. Eh bien ! des savants devoues et courageux vont , de leur cote , prati- quer ce qu'on pourrait appeler des fouilles dans la poussiere des bibliotheques. Applaudissons , Messieurs, a cette entreprise; car la science et la litterature medicales out, de ce cote, tant de deside- rata , qu'on doit au nioins chercher a combler quelques lacunes. II faut que ces investigations se fassent sous vos auspices ; c'est une mission que vous a confiee le Gouvernement et que vous vous empresserez de remplir. Pour notre part, Messieurs, nous nous estimons beureux de voir que M. le Ministre , dans cette circonstance, a bien voulu en appeler au zele et aux lumieres de 1' Academic » Signe DUBOIS (d'Amicns), Secretaire perpetuel. Les Instructions que nous venons de reproduire ont ete remises aux deux explorateurs, MM. Daremberg et Ernest Renan , qui, par arrt-te du Ministre, en date du 2 octobre 18^9, ont ete charges d'une mission scientifique et litteraire, ayant pour objet la recherche, dans les bibliotheques de Rome et des principales villes de l'ltalie, des manuscrits grecs et orientaux, interessants pour Thistoire generale et pour les etudes philologiques, ainsi que des manuscrits relatifs a 1'histoire et a la litterature medicales dans 1'antiquite et au nioyen age. II est permis d'attendre d'une mission executee sous de tels auspices d'utiles et serieux resullats pour la science. — 74 — DOCUMENTS OFFICIELS. i. MISSIONS SCIENTIF1QUES. ARRETE. Considerant qu ll importe dc donncr aux missions scienlifiques la direction la plus eclairee et de leur assurer les resultats les plus fructueux possibles; Considerant qu'une experience deja acquise a pu demontrer tout ce quil y a de profitable pour Terudition et la science a ap- peler sur les projets de missions 1'examen de Tlnstitut; Considerant, d'autre part, que de toute mission execute sous les auspices et aux frais de 1'Etat, doivent resulter un avantage public et une utilite nationale , ARTICLE PREMIER. Chaque demande de mission scientifique presentee au minis- tere de 1'instruction publique et des cultes , sera transmise a l'lns- titut, et 1'Academie specialement competente sera invitee a faire un rapport sur I'objet et l'opportunite du voyage. En cas d'avis favorable, 1'Institut sera pric de rediger des instructions sur les desiderata de la science , et sur les moyens les plus propres a at- teindre le but indique. ART. 2. Les resultats de toute mission scientifique qui aura pour objet de recueillir des monuments ecrits ou figures, appartiendront a 1'Etat, qui se reserve d'en disposer, soit par voie de publication, soit en faveur des e^ablissements nationaux. art. 3. Toutefois, il pourra etre deroge a cette disposition, en vertu de conditions speciales, fixees par le ministre et mcntionnees formel- lement dans l'arrete par lequel la mission sera conferee. Le Ministre dc 1'instruction publique et des cultes, DE PARIEU. 3o Janvier i 85 — 75 — II. ECOLE D'ATHENES. ARRETE. Vu 1'ordonnance du 11 septembre 18A6, portant creation de i'Ecole franchise d'Athenes; Considerant que I'Ecole francaise d'Athenes doit son existence a une pensee analogue a celle qui a determine la creation de I'Ecole francaise de Rome, dont les eleves sont tenus d'envoyer annuellement des travaux qui donnent la mesure de leur appli- cation et de leurs progres; Considerant qu'il importe a 1'avenir de I'Ecole franchise d'A- thenes et a 1'avenir de ses membres, que cette institution ne de- uieure pas sterile, mais quelle fournisse a 1'erudition des resultats serieux et publiquement constates, ARTICLE PREMIER. Chacun des membres de I'Ecole d'Athenes sera tenu d'envoyer, avant le ier juillet de chaquaannee, au ministere de l'instruction publique et des cultes, un memoire sur un point d'archeologie , de philologie ou d'histoire, choisi dans un programme de ques- tions que l'Academie des inscriptions et belles-lettres sera invitee a presenter a 1'approbation du ministre. ART. 2 . Les memoires envoyes seront transmis a l'Academie des ins- criptions , qui sera priee d'en faire 1'objet d'un rapport au ministre et d'en rendre compte dans sa seance publique annuelle , ou se- raient egalement annoncees les questions formant le programme des travaux de I'Ecole pour l'annee suivante. art. 3. Les memoires envoyes par les membres de I'Ecole d'Athenes pourront etre inseres dans les Archives des Missions, institutes par arreted ministeriels des 29 octobre et i k decembre i8do. art. l\. Le Monitear publiera, chaque annee, la liste des eleves pre- — 7G — scnts a 1'Ecole, et, en regard, l'indiralion des havaux envoyes par chacun d:eux. Lc Ministre dc {'instruction publique et des cuites, DE PARIEL 26 Janvier 1 85o NOUVELLES DES MISSIONS Par arrete de M. le ministre de Instruction publique et des culles, en date du 2 6 Janvier i85o, M. LEouzoN-LEDUca ete charge d'une mission en Russie et en Finlande, mission ayant pour ob- jels, i° la recbercbe et la transcription des documents qui peuvent interesser notre histoire nationale ; 20 un travail d'etudes et d'ex plorations concernant les antiquites finoises. Par arrete de M. le ministre de Instruction publique et des cultes,en date du 28 Janvier i85o, M. Hantutte, docteur en droit , a ete charge d'une mission scientifique ayant pour objet 1 etude des institutions d'enseignemenl en Angleterre et en Ecosse. iMrmMERiE nationals — Janvier i85o MINISTERE DE ^INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES. ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. IF CAHIER. Rapport sur les Recherches Zoologiques faites pendant an voyage en Sicile, par M. Milne Edwards , membre de Vlnstitut, charge" d'une mission scien- lifiqae en 18te\ Monsieur le Ministre, Les hommes qui s'occupent de l'etude des etres vivants ont du s'appliquerd'abord aacquerir des notions generates sur 1'ensemble de cette portion de la creation et sur les caracteres a 1'aide desquels chaque animal ou chaque plante peuvent etre distingues avec cer- titude de tous les autres corps organises. Pour arriver a ce but, il fallait rassembler les produils naturels de tous les points du globe , les comparer entre eux, les nommer et les classer; aussi pendant longtemps les voyages lointains oiTraient-ils , tant pour la zoologie 1 Mission scientifique ayanl pour objet des recbercbes zoologiques sur les cotes de la Sicile el des iles voisines. (Arrete" du 18 mars i844.) Ce rapport d'une de nos sommites scientifiques, du doyen actuel de la Fa- culte des sciences de Paris, nous a paru de nature a etre conserve" dans les Ar- chives. Ce recueil est en effet destine" a publier, non-seulement les rapports nou- veaux adresses au ministere de 1'instruction publique par les personnes en coins demissions, mais encore les plus remarquables memoires envoyes pendant les precedents voyages scientifiques, depuis l'etablissement du fonds. En adoptant cette marche, Ton croit entrer dans la veritable pensee qui a preside a la fon- dation des Archives. miss, sciem. 6 — 78 — que pour la botanique, un ialeret capital; mais lorsque lc grand catalogue des etres vivants s'est trouve ebauche" dans toutes ses parties , les travaux des collecteurs ont perdu de leur importance, et les naluralisles ont compris qu'il fallait chercher desormais a approfondir leur science plutot qu'a en elendre la superficie; laissant done a d'autres mains le soin de rassembler les objets qu'ils avaient encore ainventorier, ils se sont attaches a l'etude de la nature intime des etres dont les formes exterieures avaient jus- qu'alors absorbe" presque loute leur attention. L'anatomie comparee est devenue, des ce moment, le sujet prin- cipal de leurs recberches; et un des plus beaux titres de Cuvier est d'avoir bautement proclame, comme principe, que la zoolo- gie ne peut avoir de bases solides que lorsqu'elle repose sur la connaissance du mode d'organisation des etres quelle est appelee a caracteriser eta classer. II a fait voir que, pour arriver a des idees justes sur le plan general du regne animal , il fallait penetrer dans la structure interieure de tous les types principaux dont se com- pose ce vaste ensemble, et, par ses recherches sur 1'anatomie des mollusques, il a puissamment contribue a cette reforme, qui cons- titue dans 1'histoire de la zoologie une periode nouvelle. En en- trant dans cette voie, il fallait d'abord degrossir, en quelque sorte, le travail, et esquisser a grands traits la disposition generale des instruments de la vie chez les divers animaux. Pour obtenir ce resultat, on pouvait d'ordinairese contenter de la dissection d'ani- maux conserves dans l'acool , et nos musees fournissaienl par consequent d'amples materiaux aux investigations des zoologistes ; aussi ce premier besoin fut-il assez promptement satisfait; mais dans la science cbaque conquete, meme avant d'etre achevee, ap- pelle une conquete nouvelle, et quand on a commence a distin- guer nettement les principales modifications de l'economie animale, on s'est pose d'autres questions. Les zoologistes se sont preoccupes alors des pbenomenes de la vie consideree dans 1'ensemble des etres animes, et se sont demande aussi quelles pouvaient etre les lois qui regissent la constitution des animaux, et quel est le me- canisme , si j'ose m'exprimer ainsi, a 1'aide cluquel la nature en a varie le mode de structure. La zoologie, apres etre restee longtemps essentiellement des- criptive, et avoir revetu au commencement de ce siecle un carac- tere anatomique, a pris alors une direction plus pbysiogique, et, — 79 — en rappelant ici cette phase nouvelle de l'histoire naturelle des animaux, je ne pourrais sans injustice oublier le nom d'Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire, qui, attaquant avec chaleur une multitude de questions fondamentalcs pour la philosophic de la zoologie , a imprim6 un grand mouvement aux esprits, et a contribue, plus que tout autre, a dinger 1'attention des observateurs sur un ordre de faits dont cette science retire aujourd'hui ses richesses nouvelles les plus precieuses. Mais a Tepoque ou Geoffrey, entraine par son genie ardent, cherchait les lois de l'organisation animale, la zoo- logie manquait de donnees suffisantes pour la discussion de plu- sieurs des points les plus essendels a etablir, et c'etait le travail lent de 1'observation qui seul pouvait les fournir. Dans cette periode de la science, il devenait necessaire d'etu- dier avec une scrupuleuse attention , d'une part, l'histoire du deve- loppement des animaux, et, d'une autre part, les seYies de modi- ficalions par lesquelles l'organisme se simplifie chez les etres inferieurs : aussi vit-on alors un grand nombre de savants se livrer a des recherches sur I'embryologie, soit normale, soitteratologique, tandis que d'autres naturalistes s'appliquerent de preference a l'examen comparatif du mecanisme animal, la oil ses rouagessont le moins multiplies, et ou sa disposition generale offre le plus de variete. Mais les animaux inferieurs, que les zoologistesavaienttant d'int£ret a connaitre, ne peuvent etre bien etudies que lorsqu'ils sont encore vivants : par la dessiccation ainsi que par la conserva- tion dans les liqueurs alcooliques ou salines, leur corps se deforme, et toutes les parties les plus delicates de leur organisation se con- fondent ou se detruisent; pendant la vie, au contraire, leurs tissus offrent souvent assez de transparence pour permettre a 1'observa- teur de distinguer, non-seulement tous leurs organes interieurs, mais aussi le jeu de chacun de ces instruments physiologiques. Pour resoudre les problemes nouveaux qui se presentaieut aux zoologistes, il fallaitdonc abandonner lesanciennes m6thodes d'ol)- servation; ne plus se contenler de cadavres informes.et scruter la nature vivante jusque dans ses parties les plus cachees. II en re- sulte que les materiaux recueillis par les collecteurs etaccumules dans nos musees, quoique indispensables a la zoologie descriptive, ne sufiisaient plus a la zoologie physioiogique; Tobservaleur ne pouvait plus rassembler daus son cabinet tous les objets de ses etudes; il lui fallait poursuivre ses investigations partout ou la na- M. C. — 80 — hire a place !es etres dont il avait a s'occuper, soumettre ii ses experiences les animaux les plus freles, sans detruire en eux le mouvement vital, et en scruler attentivement la structure intime a l'aide du microscope aussi bien que du scalpel. C'est de la sorte qu'aujnurd'hui les zoologistes engages dans cette voie, de memo que les naluralistes adonnes a la recherche des especes nouvelles , sont obliges de visiter divers points du globe; mais, tandis que ces derniers peuvent se contenler de courses rapides, pendant les- quelles ils se bornent a ramasser tout ce cpii se presente devanl eux, les premiers ne peuvent remplir leur lache qu'cn sejournant pendant un temps assez long dans chacunedes localites dont ils on t a etudierlesproduits. C'est peut-etre faute depouvoir enagir ainsi, que la plupart des naturalisles attaches a nos grandes expeditions maritimes ne se sont guere occupes que de former des collections; et, dans 1'interet de la science, il serait a desirer qu'ils pussent de- sormais se livrer a des etudes plus approfondies ; mais cette ques- tion est etrangere au sujet dont je dois vous entretenir en ce mo- ment, INlonsieur 1c Ministre, et si j'en ai dit quelques mots, c'etait seulement afin de pouvoir caracteriser plus nettement la direction des recherches cjue je viens de faire sous vos auspices. Ces travaux entrepris dans la vue de jeter quelques lumieres sur la nature intime des animaux inferieurs el de nous conduire ainsi a nous former des idees plus justes sur le plan general de la creation animee, ne sont que la continuation des recherches que j'ai commencees, il y a bientot vingt ans, de concert avec un ami dont je regretterai toujours la perte. Effectivement, en me livrant avec Audoin a 1'etude de la faune maritime de la France, notre objet n'etait pas la decouverte de quelques especes nouvelles dont les noms viendraient grossir les catalogues des zoologistes, mais bien la connaissance physiologique d'une foule d'etres chez les- ([uels chaque fonclion de la vie se simplifie tour a tour, et l'orga- nisme tout entier se prete aux combinaisons les plus varices. Les zoophytes, les mollusques, les vers et les crustaces des cotes de I'Ocean et de la Manche nous oat fourni, pendant longtemps, ample matiere a observations; mais, apres avoir etudie a diverses reprises les principaux types zoologiques qui se renconlrent en abondance dans ces mers, j'ai desire leur comparer les especes pro- pres a des regions plus chaudes, et, dans cette vue, j'ai fait plu- sieurs voyages sur les bords de la Mediterranee , en Provence, en — 81 — Ilalie el en Algerie, par exemple. La je rencontrais en effet des etres clont la structure interieure et le mecanisme physiologique differaient beaucoup de ce que j'avais vu dans le Nord; mais des obstacles dependants de circonstances toutes locales, y sont venus accroitre les difficnltes de la tache que je in etais imposee. En effet, dans la Manche et meme sur nos cotes occldentales, la mer, en se retirant chaque jour, rend accessible a l'observateur les re- traites ou se cacbent la plupart des animaux inferieurs dont il me fallait etudier la pbysiologie; il m'avait done ete facile de men procurer un nombre suffisant pour des travaux de ce genre, et je pouvais meme les examiner sur place sans changer en rien leur mode d'existence ordinaire. Dans la Medilerranee, an contraire, labsence des marces prive le naturaliste de ce mode d'exploration, et, pour se procurer les animaux de cette mer, on a recours a la drague, et a d'autres moyens de peche, a 1'aide desquels on ra- niasse aveuglement ce qui se rencontre a des profondeurs plus ou moins considerables: de la des difficnltes tresgrandes, lorsqu'on veut etudier les phenomenes de la vie cbez les animaux inferieurs prop res a ces parages, et en presence de ces obstacles, j'ai souvent eu le desir de descendre dans une cloche a plongeur, afin de pou- voir examiner a loisirles rochers sous-marins, habites par les etres dont je voulais faire l'objet de mes recherches. Mais la clocbe a plongeur, a raison de son volume et de son poids, n'est pas d'un usage facile ; ce n^st pas sur un petit bateau pecheur, et a 1'aide d'un faible equipage qu'on peut la manceuvrer : il m'a done fallu y renoncer, mais j'ai pense qu'il serai t possible d'arriverau meme resultat en ayant recours a un appareii analogue a celui qui a ete invente par le colonel Paulin, pour servir dans les cas d'incendie oil il faut penetrer au milieu d'une fumee epaisse et de vapeurs dont faction sur les poumons serait promptement mortelle. Je savais d'ailleurs que cet officier distingue avait modifie son appa- reii, dans la vue de 1'adapter aux besoins des ouvriers qui ont a travailler sous l'eau; et il m'a semble que, dans certaines circons- tances, le zoologiste pourrait en retirer de grands avantages. Je me suis done determine a tenter ce mode nouveau d'exploration sous marine, ete'est dans les eaux calmes et transparentes des cotes de la Sicile que j'ai voulu en faire l'experience; car, dans ces mc;s, j'esperais trouver en grand nombre les animaux dont je desirais etudier la structure et le mode de developpement. Vous avez bien — 82 — void u, Monsieur le Ministre, inettrfc a ma disposilion les funds ne- cessaires pour l'execution de cette experience, et TAcademie des sciences m'a confie un apparcil de plongeur, construit sous la di- rection du colonel Paulin. Cet appareil consiste dans un reservoir metallique ayant la forme d'un casque, et communiquant, a Taide d'un long tube flexible, avec une pompe foulante destinee a y pousser sans cesse de nouvelles quantites d'air. Kevetu de ce casque, dont la visiere estvitree, et dont le bord inferieur s'adapte sur un coussin place autour du cou, je m'allourdissais a Taide de sandalcs de plomb, alin de faire contre-poids a la masse d'air qu'il me fallait emporter avec moi au fond de 1'eau, et, m'accrochant a une corde convena- blement disposee, je me laissais descendre dans la mer. La ma res- piration n'aurait pas tarde a epuiser la petite provision d'air vital contenue dans mon casque; mais des hommes charges de manceu- vrer la pompe foulante, m'en envoyaient achaque instant de nou- velles quantites au moyen du tube qui etablit la communication entre ce reservoir portatif et Tatmosphere. L'air ainsi injecte arri- vait promptement jusqu'a moi, et, s'echappant ensuite au dehors par les interstices restees b^antes entre le cou et le bord inferieur du casque, servait non-seulement a alimenter ma respiration , mais aussi a empecher 1'eau de s'elever jusqu'au niveau de ma boucbe, ce qui aurait determine 1'asphyxie. S'agissait-il de remonter, j'en donnais le signal a une personne placee sur leberteau ou se trouvait la pompe, et les matelots me bissaient a bord au moyen de la corde dont je m'6tais prec^demment servi pourplonger; ou bien, me debarrassant de mes sandales de plomb, je me laissais empor- ter rapidement jusqu'a la surface de la mer par Taction de mon casque, qui, etant rempli d'air et se trouvant entoure d'eau, ten- dait a s'elever comme le ferait, dans l'atmospbere, un ballon rempli de quelque gaz leger. Pour devenir d'un usage commode, cet appareil aurait encore bcsoin de quelques perfectionnemcnts , mais tel qu'il est, j'ai pu m'en servir utilement, dans plusieurs localites. Souvent je suis reste plus dune demi-beure sous Teau, occupe a examiner minu- tieusement les anfractuosites des rocbers sous-marins qui servent d'babitation a une foule de Mollusques, d'Annelides et de Zoo- phytes. J'ai pu sans inconvenient pousser ces explorations a une profondeur de plus de vingt picds; et si j'avais eu un batiment — 83 — plus grand et un equipage plus nombreux, ii m'aurait ete facile de descendre a des profondeurs beaucoup plus considerables; mais 1'iniperfection des moyens de sauvetage que je pouvais elablir a bord de mon bateau pectieur m'a fait penser qu'il y aurait de 1'imprudence a 1'essayer. Effectivement, en cas d'accident, de quel- que derangement dans le jeu d'une soupape, de la rupture du tube respirateur, ou rneme de 1'ascension de 1'eau dans 1'interieur du casque jusqu'au niveau des narines du plongeur, celui-ci ne pourrait echapper a 1'asphyxie qu'en regagnant promptement l'at- mosphei'e, et en se debarrassant de l'appareil dans lequel il se trouvait renferme : or, pour le faire remonter d'une profondeur de plus de vingt pieds, et pour retablir une communication libre entre ses poumons et lair, il nous fallait plus de trois minutes, ce qui aurait pu devenir dangereux; et dans des experiences de ce genre il faut cherchcr a tout prevoir. Je le repete done, cet appareil, pour rendre aux naturalistes tous les services qu'on peut en attendre, a besoin d'etre perfec- tion ne. Maisd'apres 1'usage que j'en ai fait, j'ai la preuve que dans certaines localites il peut etre deja d'un grand secours. Ainsi, en explorant par ce moyen les rocbers sous-marins et le fond duport de Milazzo, je me suis procure un nombre immense d'oeufs de Mollusques et d'Annelides dont je desirais etudier le developpe- meut; ailleurs j'ai pu aller saisir dans les anfractuosites du sol les plus petits animaux qui y vivent fixes et qu'on ne trouve pas ailleurs. Je voyais parfaitement toutce dontj'etais entoure, ete'e- tait la fatigue musculaire seulement qui m'empechait de me pro- mener au fondde lamer, conime j'aurais pu le faire surla plage. Afin d'utiliser, autanl que possible, les moyens d'exploration que vous aviez mis a ma disposition, Monsieur le Ministre, j'ai engage deux babiles zoologistes a se joindre a moi, et e'est avec M. de Quatrefages, charge par l'Academie des sciences d'une mis- sion speciale, et avec M. Blanchard, mon aide-naturaliste au Mu- seum, que j'ai etudie la faune maritime de la Sicile. Mais, pour laisser a cbacun de nous ce qui lui appartient reellement, nous n'avons entrepris aucun travail en commun; chacun de nous a choisi un certain nombre de sujets de recherches; et, bien que nous nous soyons en general communique nos observations, a mesure que nous les faisions, de facon a pouvoir mutuellement en con- trolerles resultats, je crois devoir declarer formellement que notre — 8/1 — cooperation n'a pas ete plus loin, et que, pour ma part, si j'ai contribute en quelque chose au succes tie leurs recherches, ce n'a ete qu'en mettant au service de mes compagnons tie voyage tous les moycns tie travail que vous avcz bien voulu me fournir. Au mois tie mars deinier, nous avons commence nos explora- tions a la terre dell'Isola, presqu'ile situee a quelques lieucs de Palerme; puis nous dirigeant vers Test, nous avons fait une sta- tion au cap Sanlovito , et nous avons employ^ environ six se- niaines a etutlier la faune maritime tie file tic Favigdana, un des points les plus riches de ces mers. La cote sud tie la Sicile, depuis Trapani jusqu'a Selinonte, nous paraissant peu favorable a nos travaux, nous avons rcnonce a celte direction, et retournant par Palerme, nous avons ete nous etablir successivcment a 1'extremite du cap Milazzo, a Stromboli, a Messine, a Taormine et a Catane ; nous avons visite aussi la cote d'Augusta et de Syracuse; en fin, au retour, nous avons fait des excursions zoologiques aux environs dc Naples, et.afin d'avoir quelques termes de comparaison necessaires pour nos recherches, je suis alle en dernier lieu sur divers points des cotes de la France. Avant de vous rendre comptedes icsnllatsscientifiques de notre voyage, je vous tlemanderai la permission, Monsieur le Ministre, de m'acquilter d'un autre devoir, en exprimant ici toute ma re- connaissance envers les personnes qui ont bien voulu aplanir en ma favour lesdilFiculles dontles explorations dece genre sont tou- jours accompagnees. Grace a 1'obligeance de M. de Montebello, amhassadeur de France a Naples, j'ai ohtenu du gouvernement napolitain toutes les facilites desirables en matieres de douaneset de police; et parmi les habitants de la Sicile a qui je dois le plus, je citerai le due deSerra di Falco, l'un des dignes correspondants tie notre Institut; le due de Cacamo, president de la commission sanitaire de file; M. Tabbe Picollo, et le chancelier du consulat de France a Palerme, M. Pierrugues. J'ajouteVai aussi que tous nos agents consulaires eu Sicile ont mis la plus grande obligeance dans leurs relations avec moi et mes compagnons tie voyage. La premiere question dont j'ai cherche la solution est relative a l'embryologie ties vers de la classe des Annelides. Dans un pre- cedent travail , j'avais cru pouvoir etablir que les affinites zoolo- giques, e'est-a-dire l'espece de parente qui semble exisler a dilTc- rents degres entre tous les etresanimes, sont proportionnelles a In — 85 — duree, plus ou moins longue, cl'une certaine similitude dans la marche des phenomenes genesiques chez 1'embryon des divers auimaux; de sorle que ceux-ci, lorsqu'ils sont en voie de forma- tion, cesseraient tie se ressembler d'autant plus tot qu'ils appar^ liennent a des groupes distincts , d'un rang plus eleve dans le systeme de nos classifications naturelles, et que les caracteres es- sentiels, dominateurs, de chacune de ces divisions, consisteraient, non pas, comme on le pense generalement, dans quelques par- ticularity de formes organiques visibles chez les adultes, mais dans 1'existence plus ou moins prolongee d'une constitution pri- mitive commune, du moins en apparence. Cette theorie, si elle est vraie, nous donnerait la clef de la methode naturelle en zoologie, et elle s'accorde avec tous les faits le* mieux constates en embryo- logie ; mais elle paraissait cadrer mal avec quelques observations faites recemment sur le developpement des Annelides. II etait done necessaire de soumettre a un nouvel examen 1'embryologie de ces vers , sujet qui , d'aiileurs , avait ete jusqu'ici a peine effleure. Pendant mon voyage en Sicile, j'ai pu m'en occuper et les observations que j'ai recueillies me semblent devoir olfrir de 1'interet pour la zoologie physiologique. J'ai constate chez ces animaux des metamorphoses non moins grandes que les change- ments subis par la chenille , lorsqu'elle se transforme en papillon ; et j'ai eu la satisfaction de voir que, loin d'etre en disaccord avec les idees que je viens de rappeler, touchant la subordination des affmites naturelles des animaux a la duree du parallelisme dans la direction des phenomenes genesiques, 1'embryologie des Annelidesfournit de nouveaux arguments a l'appuide cette theorie. Une seconde serie d'observations a eu pour objet l'ovologie des Mollusques marins de la classe des Gasteropodes, et a conduit ega- lement a des resultats dont la tendance generale est analogue a celle des faits que m'avait fournis letude embryologique des vers. Effectivement , chez tous les animaux de ce groupe dont j'ai pu suivre le developpement clans l'ffiuf, j'ai vu que 1'embryon offre d'abord les memes caracteres, et que e'est dans les dernieres pe- riodes de ses metamorphoses que le jeune animal acquiert les particular]' tes d'organisation d'apres lesquelles la classe dont il fait partie se subdivise eu families et en genres distincts. Ainsi , jusqu'a un certain age, les larves des Vermels, des Cerites, des Pleurnbranclies , des Doris et des Aplysirs m'ont offerf le menu' — 86 — mode tie conformation , et cest seulement lorsqu elles s'etaient deja constitutes comme Mollusques gasteropodes, que je com- meneais a apercevoir dans leur structure quelques differences d'un ordre secondaire. Je me suis egalement assure que, chez tous cesetres, la serie des developpements organiques n'estpas la rneme que chez les animaux verlebres, et j'ai pu me convaincre de l'existence d'un certain rapport entre le degre d'importance qu'offrent les grands appareils de 1'economie, consideres sous le rapport zoologique, et l'ordre chronologique de leur apparition dans I'organisme naissant. J'ajouterai aussi que tous les phenomenes genesiques dont j'ai ete temoin me sembleut contraires a l'opi- nion de quelques savants celebres, suivant lesqucls l'embryon des animaux superieurs, celui del'homme lui-meme, offrirait successi- vement des modes d'organisation analogues a l'etat permanent de chacun des principaux types inferieurs du regne animal; de sorte que le Mollusque , par exemple , serait le represen tant stable de Tune des formes transitoires dujeune mammifere en voie deformation. Loin de la, le Mollusque, des son origine, se constitue d'apres un mode qui lui est propre, et les premiers caracteres de l'animalite qui se montrent dans 1'embryon du mammifere sont ceux en verlu desquels celui-ci appartient a la grande division des verte- bres; de soiie que les differences sont primordiales, et que les rapprochements de la nature des hypotheses dont je viens de par- ler ne peuvent etre justifiees. Sur les cotes de la Sicile, je pouvais me procurer facilement des Mollusques dont la taille est beaucoup plus grande que celle des especes de notre littoral , et dont l'etude anatomique est par cela meme plus faciles. J'ai profite de cetle circonstance pour sou- mettre a un nouvel examen le mecanisme de la circulation chez ces animaux, et jesuis arrive a un resultat tres-inattendu, car j'ai acquis la certitude que chez les Mollusques , meme les plus par- faits, le systeme des vaisseaux a 1'aide desquels le sang circule dans 1'economie est plus ou moins incomplet; de sorte que, dans certains points du cercle circulatoire, ce liquide s'epanche dans les grandes cavites du corps ou dans les lacunes dont la substance des tissusest creusee. Sous ce rapport, la structure de ces animaux est par consequent beaucoup moins parfaite que celle des verte- bres, et se rapproche extremement du mode d'organisation que j'avais deja constate chez les Crustac es. — 87 — Depuis la publication cles recherches qu'en 1826 j'ai faites de concert avec Audouin, sur la circulation du sang chez ces derniers animaux, d'autres anatomistes se sont occupes du merne sujet, et sont arrives, sur quelques points, a des resultats en discordance avec les notres. II m'a semble, par consequent, necessaire de reprendre ce tra- vail, et, pendant mon sejour sur les bords de la Mediterranee, j'ai fait de nouvelles experiences sur la circulation chez les Squilles et cbez quelques an Ires animauxdela merne classe : cette etude m'a confirme encore davantage dans l'opinion que j'ai souvent enoncee relativement a 1'insuffisance des recherches anatomiques faites sur des animaux conserves dans l'alcool. En observant des Squilles vivants, il m'a et6 facile de reconnaitre la cause des erreurs sin- gulieres auxquelles les dissections de ce genre ont donne lieu dans ces dernieres annees, et de redresser des inexactitudes que j'avais moi-meme comniises dans mon premier travail. Les animaux gelatineux que Ton voit Hotter dans la mer, et que 1'on connait sous le nom commun d'Acalephes , sont ties-varies sur les cotes de la Sicile. J'en ai etudie un grand nombre, ct je me suis assure que, dans toute la famille des Ciliogrades, l'organisa- tion interieure est presque identique, bien que les formes exte- rieures de ces Zoophytes offrent les differences les plus grandes. Chez toutes les especes de la Mediterranee, j'ai trouve un systcme nerveux semblable a celui que j'avais decouvert dans le genre Lesueuria ; et, depuis mon retour en France, j'ai complete ces observations en constatant que le Cydippe ovatus ne fait pas excep- tion a cette regie, ainsi qu'on devait le croire d'apres le travail d'un anatomiste anglais, M. Grant. La plupart des zoologistes rangent dans cette merne classe des Acalephes des etres fort singuliers et d'une grande elegance , qui ressemblent a des guirlandes de fleurs plutot qu'a des animaux ; mais les observateurs n'ont pas fixe leur attention sur 1'anatomie de ces Zoophytes, etil y a peu d'annees on nesavait encore presque rien relativement a leur structure interieure. Les Stephonomies decouverts par Peron et Lesueur , pendant leur voyage aux terres australes , sont de ce nombre; en i84o j'en ai disseque quelques individus a Nice, mais je n'avais pu qu'en ebaucher l'histoire ana- tomique, et pendant mon voyage de Sicile j'ai reprisce travail, qui maintenant ofTrira , je 1'espere, de 1'interet pour les naturalistes. — 88 — Ce son I la, Monsieur le Ministre, les points principaux don I jc me suis occupe ret etc; mais, tout en poursuivant les observations qui mesemblaient devoir fixerpl us particulierement nion attention, j'ai chercbe a profiter tics circonstances favorables dans lesquelles je me trouvais, pour recueillir quelques autres fails d'un interet se- secondaire ; ce serait abuser de vos monienls (pie d'en faire ici ^enumeration , etj'ajouterai seulement que j'ai dessine, d'apres le vivant, tons les details anatomiques les plus importanls, relatifs a chacune des series dc rechercbes dont j'ai eu 1'honneur de vous entretenir. Ces dessins fonneront un atlas considerable, etje desire vivement pouvoir les publier a I'appui dc mes observations. Pendant que je me livrais a ces travaux, M. de Quatrefages s'occupait aclivement d'autrcs rcclierches entreprises clans des vues analogues. 11 a etudie avec perseverance l'organisation inlerieure d'un grand nombie d'animaux inferieurs interessants a connaitre, et je demanderai la permission de placer sous vos veux, Mon- sieur le Ministre , la note dans laquelle il rend lui-meme conipte de ses observations 1. Si vous jugez opporlun d'ordonner la publi- cation des resultats obtenus par notre voyage en Sicile, il aurait line part considerable dans cette faveur ; ses dessins seraient le plus bel ornement de notre livre, etje suis persuade que tous les zoologistes apprecieront, comnie je le fais, le ruerite de ses travaux. Mon troisieme compagnon de voyage, M. Blanchard, avail pour mission principale la formation de collections entomologiques , notre Museum ne possedant que fort peu d'insectes du midi de l'ltalie. II s'est acquilte de cette tache avec succes, car il a recueilli en Sicile et en Calabre plus de 2,000 especes, dont environ 000 manquaienl dans nos galeries, et dont 3oo paraissent etre nouvelles pour la science. Cependant il a encore trouve le temps de faire une serie interessante de recberches anatomiques sur le systeme nerveux des Mollusques; il a constate que dans la classe des Ace- phales, de meme que dans le groupe des Gasteropodes , la dispo- sition generate de eel appareil important presente moins d'unifor- mite qu'on ne le pensait, et que cbez quelques-uns de ces animaux le nombre des ganglions ou centres nerveux devient extrememenl considerable. En terminant ce compte rendu de nos recherches, je de- ' \ oyez cette note a la suitr de ce rapport. — 89 — rnande la permission, Monsieur le Ministre, de renouveler 1'exprcs de ma reconnaissance pour le service que vous m'avez rendu en medonnant les moyens d'entreprendre des travaux dont la science, j'ose 1'esperer , tirera quelques profits. Si je ne m'abuse, des explorations de ce genre, entreprises sur divers points du globe, seraient plus utiles que ne peuveut l'etre niaintenant les voyages des naluralistes collecleurs , el j'appelle de de tous mes vceux le moment ou de jeunes cbservateurs auraienl pour mission d'etudier au point de vue dela zoologie pbysiologique la faune de regions eloignees , dont nous ne con naissons encore que la nature morte. J'ai Thonneur d'etre, etc. Paris, ce lonovembre i844. H. MILNE EDWARDS. Notes sur les resultuts d'une excursion zoologique en Sicile, par A. de Qualrefages. En me con bant la mission de poursuivre sur les cotes de la Mediterranee les etudes auxquelles jfc me livrais depuis quatre ans sur les bords de la Manche, I'Academie des sciences avait plus particulierement designe deux questions comme devant faire le sujet de mes recbercbes. En consequence, la separation ou la reu- nion des sexes chez les memes individus, chez les Annelides, et Vana- tomie des Mollasques phlebenteres , ont ete, de ma part, l'objet d'une attention toule speciale. Jusqua ces dernieres annees, le nombre des animaux infe- rieurs regardes comme hermapbrodites etait tres-considerable; mais ce nombre diminue journellement, depuis que l'emploi du microscope a fourni un moyen certain de distinguer reletnent fecondateur de 1'element qui doit etre feconde. Parini les ani- maux, que les gens du monde confondent sous le nom general de vers, se trouve un groupe nombreux design^, par les natura- iistes, sousle nom d'Annelides. Certaines d'entre elles sonl bcrma- pbrodites : on en avait conciu que, chez ioutes, Its deux sexes se — 90 — trouvaient reunis sur chaque indiviJu. J'avais reconnu deja que chez loutes les especes, presentant sur les cotes du corps des mamelons armes de soies, les sexes etaient separes. Les nou- velles observations que j'ai faites en Sicile ont confirme la gene- rality de ceresultat. Chez toutes les Annelides chctopodcs , les sexes sont separes, meme chez les especes qui passent une vie solitaire dans des tubes calcaires ou cornes, circonstance qui exclut toute idee de rapprochement destine a faciliter la fecondation. Ici comme chez les poissons, les ceufs et le liquide fecondant ne sont mis en contact que par le mouvement des flots , auxquels les parents abandonnent ces produits, destines a perpetuer leur espece. J'ai constate egalement la separation des sexes chez plusieurs animaux de rembranchement des rayonnes; chez certaines Acti- nies, Holothuries, Asteries ou Etoiles de mer. Au contraire, j'ai constate qu'on admettait avec raison leur reunion chez les Planaires, animaux du groupc des vers. J'ai trouve reunis chez les memes individus des ceufs bien formes et 1'ele- ment fecondateur. Malgre les admirables travaux de Cuvier, sur rembranchement des Mollusques , tout est loin d'etre dit sur ces animaux. J'avais deja publie, sur un groupe de Gasleropodes, plusieurs memoires destines a faire connaitre leur organisation singuliere, sur laquelle M. Edwards avait le premier appele 1'attention des zoologistes en decouvrant leur appareil gaslro-vasculaire. Mes etudes surceuxde ces animaux que j'avais pu observer sur le littoral de la Manche m'avaient conduit a proposer d'en former un ordrc particulier, designe- sous le nom de Gastcropodes pMebcnUres. L'Academie des sciences m'avait engage a soumeltre ces resul- tats a une verification nouvelle, et favorise par le hasard, j'ai pu remplir completement scs intentions. Les phlebenteres de la Me- diterranee ressemblent, par leur organisation, a ceux de la Man- che, et forment avec eux un groupe bien distinct des autres Mollusques. Le caractere le plus general de ce groupe consiste en ce que fintestin, au lieu de former un simple tube, donne nais- sance a un appareil parfois tres-complique , designe par M. Ed- wards sous le nom cYappareil gaslro-vasculaire. Ce nom meme indique quelles sont ses fonctions. En effet, il semble destine a remplir a la fois le rdle d'organe digestif et celui dorgane circu- latoire. D'autres circonstances anatomiques et physiologiques se — 91 — raltachent a celle que je viens d'indiquer. La circulation et la respiration n'ont plus pour leur accomplissement d'appareil spe- cial, ou du moins cet appareil est incomplet. II en resulte que chez ces Mollusques , la classe des Gasteropodes nous presente des exemples de degradation organique analogues a ceux qu'on ob- serve dans d'autres classes, et surtout dans celle des Crustaces. Ces faits, et les consequences qui en decoulent, ont ete vivement contesles; mais il m'est permis d'esperer qu'un examen attentif les confirmera pleinement, au moins en ce qu'ils ont de reelle- ment essentiel. C'est en partie pour apporter une preuve de plus a 1'appui des resultats precedents, que j'aifait 1'anatomie complete de deux es- peces d'articules appartenant a des genres que les zoologistes ne savent trop ou placer, que les uns regardent comme voisin des Arachnides , d'autres comme appartenant aux Crustaces. Deja , M. Edwards avait signale les prolongements que i'intestin envoie j usque vers 1'extremite des pattes chez les Nymphons : j'avais fait une observation semblable chez les Pygnogodons. Je me suis as- sure, par de nouvelles recherches, que, chez les uns et les aulres, cette disposition coincide avec l'absence complete dorganes spe- ciaux de circulation et de respiration. La premiere de ces fonc- tions est reduite a des mouvements irreguliersdeva-et-vient depen- dants des mouvements du corps ; la seconde s'effectue entierement par la peau. Outre les Iravaux dont je viens de parler, j'ai complete des re- cherches commencees et contiuuees depuis quatre ans sur i'orga- nisation des Nemerles; j'ai eludie avec detail plusieurs Planaires marines et les Polyophtalmes; enfin, j'ai cherche a faire connaitr la structure intime des tissus de YAmphioxus. Ces etudes , que j'ai cherche a rendre aussi completes que possible, m'ont fourni quelques resultats qui touchent a des questions de zoologie et de physiologie generale : je vais indiquer quelques-uns des prin- cipaux. L'existence ou l'absence d'un systeme nerveux distinct, chez les animaux inferieurs , est une des questions dont les naturalistes se sont le plus occupes depuis le commencement de ce siecle. C'est sur cette absence presumee que Lamarck et Cuvier ont base quelques- unes des grandes divisions du regne animal. Parmi les etres aux- qucls des naturalistes du plus grand merite refusaient un sysleme — 92 — aerveux, se trouvent les Planaires, especes de vers plals , gentira- lement de petite laille, (jui habitenl les eaux donees ou salees, et les Nemertes, vers d'une forme allongee, dont certaines especes alleignent une longueur de trente et de quarante pieds : ces der- nieres out ete, de ma part, l'objet de recherches assidues pendant mes divers voyages aux cotes de la Manche; et, pendant mon se- jour en Sicile , j'ai complete tout ce qui me manquait a eel egard. Les Planaires out ete, cette annee, un des sujels speciaux de Dies etudes. Chez les unes et les autres, j'ai trouve un systeme nerveux distinct, et presenlant des dispositions toutes particuliercs; je lai decrit et figure pour plus de quarante especes. Une autre question tres-vivement debattue entre les ualura- listes modernes est celle de 1'existence ou de l'absence, chez les animaux inferieurs, d'organes speciaux destines a les mettre en rapport avec le monde ambiant.En France comme en Allemagne, les opinions sont divisees sur ce sujet, certains naturalistes ne voulant accorder a ces etres qu'une sorte de toucher ou de sensi- bilite generale ; d'autres, au contraire, leur reconnaissant la fa- culte de dislinguer diverses sortes de sensations, a 1'aide d'organes sensoriaux proprement dits. Mes recherches sur les Annelides, les Planaires, lesNemertes, m'onl fourni plusicurs faits qui viennent a 1'appui de cette derniere opinion. II est hors de doute, pour moi, que les points colores , appeles par quehjues Daturalistes points oculiformes , sont de veri tables yeux. J'ai vu bien souvent la communication de ces organes avec les centres nerveux ; j'y ai reconnu une organisation qui ne permet guere d'hesiter a voir en eux de veritables organes des sens ; j'ai rencontre en Sicile une Annelide dont les cristallins etaient tellement distincts, qu'ils pro- duisaient 1'effet d'une lentille de veire dont j'ai pu mesurer le fover. Bien loin que les animaux inferieurs soient tous depourvus d' sont rappelees par cette ins- cription, placee sur le rempart, du cote de la mer, api-es la porte de Keretch : Spectabills. nobilis. Dns. Nicolaus. Antouius. Spinula. Potestas. Pere. boc. opus, fieri. (Jussit) M.CCCC. XXXXI. die X... Un ecu conserve sur cette inscription porte une face echiquetee, et represente sans doute les arraes des Spinola. J'ai suivi le mur occidental et le mur meridional : il me reste a dire quelques mots du rempart oriental, qui, partant du donjon de Galata, descend jusqu'a la porte de Top-Hanna. Du cote de la ville, les courtines et les tours sont engagees, en grande partie, dans les dependances de letablissement francais des lazaristes et de quelques maisons particulieres. Les tours sont habitees ; quel- ques-unes ont perdu leurs creneaux et sont couvertes d'un toil. A fexlerieur, le fosse exisle presque en entier et permet d'exa- miner le mur et ses bastions. La construction est la meme que celle du reste de Tenceinte ; mais il est a remarquer que les cre- neaux sont ici perces de meurtrieres; toutes les tours sont carrees. La premiere, pres de la porte de Top-Hanna, a ete terminee par Balthazar Marufo, le meme qui a fait executer les travaux du cote de la mer. Ses armes, semblables a celles qui sont sculplees sur les portes de Moum-Khane et d'Egri-Kapoussi, se voient sur la lour, avec cette inscription, gravee en lettres gothiques, comme toutes les autres : + M°. CCCC0. XXXX". V°. Completa est Hec. turris. tempore, polestad is. Spectabilis. Diii. Baldasari. Marrufi. de. mcnse. Maii. Je n'ai \u rien a remarquer sur la deuxieme tour, qui est car- — 100 — ree et crenelee. La troisieuie est voisine de la porte de Banna Kapoussi. Elle fut terminee sous I'administration de Jean Sauli . ainsi que 1'atteste cette inscription : + Tunis, ista. fuit. finila. lem pore, regiminis. egregii. viri. Dfii Johanis. Sauli. honorabilis. Potestatis. Peyre. MCCCCIIII. Die. prima. Novembris. Au-dessous, trois ecussons : le premier porte un aigle a senestn?, pourmeservir des terrnes heraldiques ; le deuxieme, la croix, et le Iroisicme, un aigle a dextre. La quatrieme tour tombe en mine. Entre la troisieme et la quatrieme, la courline est intacte. La cinquieme, plus haute et plus forte que les autres, est situee pres de la porte et dans 1'axe de la grande rue de Pera. Des ar- moiries et une inscription mutiices s'aperroivenl dans le haut: il me senible y lire ikk- ■ ■ . Ces fondations, ou du moins la reedi- bcation generale de l'enceinte de (Jalata, se rapportent, comme Ton voit, a la premiere moitie du xve siede. Les Geuois, effrayes des progres des Turcs, qui pressaient deja Constantinople de toutes parts, se bataient de relever leurs remparts, mais ne son- geaient guere a porter un secours ellicace aux empereurs grecs. L'enceinte remonte a Test de la porte de Pera, et va se relier, sur le souimet de la montagne, an mur septentrional, derriere le donjon, graude tour ronde, isolee, peicc'e, dans le haut, de deux rangs de fenetres, et couverte d'un toitconique, qui senible de construction moclerne. Ce chateau, pas plus que les remparts et les courtincs, n'a de machicoulis. Du sol'au premier etage, il est partage par cinq planchers en bois, qui occupent la moitie du plan circulaire, Tautre moitie restant vide, pour permettre de hisser plus facilement dans le haut les materiaux et les provisions dont on pouvait avoir besoin dans un siege. On communique d'un plancher a Tautre par des escaliers en belles ]>ierres df taille, pra- tiques dans lepaisseur du mur. L'escalier s'arrete an premier etage, et Ton ne parvient au second qu'au tnoyen d'une echelle ou escalier mobile. Cette disposition, dont le but etail de rendre plus difficile l'acces de la pldte-lbrme ou de la salle (jui lenniuail la lour, est semblable a eolle qu'on remarque an chateau des papes, a Avignon. — 101 — - Ainsi defendu, le faubourg de Galata etait une veritable viile independante. La douane etait situee au bord de ia ruer ; le pa- lais ou se reunissait le conseil etait une belle maison en pierre, com in e ie sont la plupart des maisons de Galata, qui servent en- core de rnagasins aux negotiants francs ; on y remarque un bas- relief represenlant saint George vainqueur du dragon. L'eglise ca- thedrale de la colouie etait la cbapelle de Saint-George, dans la rue de 1'ancienne poste francaise. Saint-George avait sans doute autrefois de ricbes ornements et une belle paroisse; ce n'est plus aujourd'hui quune des plus pctites eglises protegees par la France a Constantinople. Detruite en 1676, elle fut peu apres reedifiee par les soins du marquis de Nointel, ambassadeur de Louis XIV, comme fatteste celte inscription latine, gravee sur une plaque de inarbre fixee au-dessus de la porte d'entree. D. 0. M. Anno reparata; salutis 1676. TempUim hoc jampridem D. Georgio Martvri dicatum incendii generalis ex parte superstes excilavit inclylum nome.n Ludovici 1 i semper augusti , Devastatos flammarum vi parietes erexit regis christianissimi suprema maiestas Pristine structural novum decus addidit ingenita pie'as regis ecclesia; primogeniti Die vocationi gentium sacro , ob regis regvm adorationem a regihus, expurgarunt manus pontiGciae anno 1677, Regio patrocinio regis a Deodati suffulsit et corroboravit occulala prudentia excelientissimi domini Caroli Francisci Olier marcLionis de Nointel regis oralorij, innovatione initi foederis capitum jam hide a 55 annis iuterrupta , Egregium pignus pietatis regiae nee 11011 et religionis avita; ab ipso patribus capucims provincial Parisiensis missionariis apostolicis rcstitntuin. La Scaia pres Larnaca, ie 29 octobre 1 84 5. Arrive settlement aujourd'hui en Ghypre, j'ai pu m'assurer que file possede encore de nombreux monuments de la domination francaise. Les mosquces de Nicosie, de Famagouste, de Limassol — 102 — et de Paphos, sont bien des eglises franraises et de style ogival ; les personncs qui ont pu les visiter m'assurent qu'elles renfernient encore plusieurs inscriptions tumulaires appartenanl au regne des Lusignans, malgre les changements qu'ont faits les Turcs dans leur interieur. Les chateaux construits par les princes fran- gais aKantara, a Dieu-d'Amour, a Buflavent, a Cerines, sont en- core de tres-belles ruines. Le magnifique cloitre de Lapais est debout presque en entier. Vous jugerez, Monsieur le Ministre, d'apres ces indications que je me permets de vous adresser a la hate avant le depart du pa- quebot de Smyrne, qu'un voyage en Chypre sera, comme j'avais eu 1'honneur de vous ledire, infiniment utile pour completer l'his- toire de la domination franchise dans cette ile, ouvrage auquel vous avez daigne vous interesser. La geographie de Tile va m'occuper essentiellement, et deja je puis compter, grace a 1'obligeant empressement de MM. les consuls pour faciliter mes explorations , que je pourrai apporter de nombreuses additions et quelques rectifications aux cartes existantes. Peu de temps avant mon depart de Constantinople, j'appris qu'une inscription antique venait d'etre decouverte a Bounar- Bachi, pres de 1'emplacement de Troie. J'ai ete assez heureux pour me procurer une copie de ce document interessant, que j'ai l'hon- neur de vous adresser avec ma lettre de ce jour. L'inscription est gravee sur une pierre de marbre blanc de 2 metres de long, 75 centimetres de large et 25 depaisseur. Voici les renseigne- ments que j'ai recueillis sur son origine et les circonstances de sa decouverte. La pierre etait d'abord a Koum-Kale, a l'entree du detroit des Dardanelles, pres du tumulus d'Achille, et avait ete, dit-on, re- tiree de ce monument meme. Elle servit depuis a laver les corps des musulmans avant leur inhumation. ^Transportee, il y a cent ans a peu pres, a BounarBachi, petit village situe a une lieue sud de Koum-Kale, elle y fut employee au meme usage. Elle etait placee a cet effet liorizonlalement sur deux autres pierres verti- cales et peu elevees, qui la soutenaient comme une table. La face ou se trouve l'inscription etait tournee vers la terre, ce qui ex- plique comment le petit monument auquel elle apparlenait n'a pas plus tot fixe raltcntion des voyageurs. Dernierement, lorscjue — 103 — le grand-due Constan tin de Russie est venu visiter la Troade, le prince, ou une personne de sa suite, remarqua cependant l'ins- cription et demanda qu'on soulevat la pierre pour en prendre connaissance. L'aga de Bounar-Bachi s'y opposa, en raison de la destination sacree de la construction dont elle faisait partie; mais un firman leva bienlotla difficulte, et mit le marbre meme a la disposition du grand-due, qui donna des ordres pour qu'on le transportat sans retard aux Dardanelles. La table vient d'etre tout recemment embarquee pour Odessa, d'ou elle sera envoyee au niusee de Petersbourg. C'est pendant le temps qu'elle est restee aux Dardanelles, qu'une copie a ete faite par un des attaches au consulat anglais de cette residence, qui a bien voulu men laisser prendre un double. Voici cette inscription : PPOT P ANTAE NIKHEAE AE THETOYTQN AE AE HEEKDIA MAXE EGAIKAKEI NOYE OE ... AXIAEQE . . TOE . .. EN TH IAH XAPIN HN TYXQ AIAAA ATHNENPANTI TPQI PEPI THE PPOE TOOE ON EYEEBEIAE KAI MAXAiE PPOETHNAOI NANEKTHE PPOTEPON TPAQEIEHE EPIETOA HE PPOE YMAETET EIE MAIPAEI (DANEPON PET HKENAIKA OHNTAE TE BOYE KAI TOYE BOYKOA OYE ANATIOENAI TANYNAE XQPAN — 104 — De Constantinople, je suis venu en Chypre, apres avoir pass£ quelques jours a Smyrne et une journee a Rhodes. Je n'ai pu qu'examiner, bien insuflisamment, en cette derniere ville, les reniparts et les tours charges encore des croix de fordre el des amies des grands maitres, les restes des eglises et de la salle du conseil , les longues rues etroites et quclquefois voulers, les hotels reniarquahles de la rue des Chevaliers, les helles mai- sons de quelques rues voisines, presque intactes encore, avec leurs fenetres ornees de moulures et de rinceaux, leurs bal- cons de pierre, comme a Malte, et leurs portes gothiques sur- montees de beaux ecussons sur niarbre. En parcourant celte par- tie de la ville, il semhlerait que les chevaliers ont quitte d'hier leurs remparts et leurs demeurcs. A mon retour de Chypre, j'es- pere repasser par Rhodes, el pouvoir vous adresser quelques de- tails plus precis sur les antiquiles franques dc cette ile, 1'amie tidele, mais un peu here, de sa voisine. Smyrne possede encore le temoignage de sa defaite et de 1'expe- dition memorable des chevaliers de I'Hopilal et des Francais- Chypriotes, dont je retrouve partout la memoire en ces contrees, Le long de la rue Franque, et peu avant d'entrer dans les ba- zars, j'ai remarque sur la porte du fort de Mer (construction qui me parait tout a faitlatine, saufles creneaux denteles), unegrande plaque de niarbre blanc renfermant trois ecussons : le premier avec les chfs'pontificales en sauloir; le second divise horizonta- lement en trois fas,ces, chargecs chacune de petits oiseaux que j'ai pris pour des cannettes; le troisieme, orne du lion des Lu- signans. A cote est une autre plaque avec deux arnioiries : Tune chargee de trois rangees de tourelles isolees; 1'autre , a la forme circulaire , me parait representer une roue avec ses rayons. Ces arnioiries sont incontestablement un monument de la conquete de Smyrne par les flotles unies du Saint Siege, de Rhodes, de Chypre, de Venise, et de l'occupation presque seculaire de cette viile par les Latins. Je n'y reconnais, il est vrai, ni les amies d'Andre Dandolo, qui occupait le trone ducal de Venise, ni celles d'Helion dc Villeneuve , grand maitrc de Rhodes lors de la croi- sade de i344 en Asie-Mineure; mais je ne doute pas qu'unc recherche ulterieure n'y fassc retrouver les armes, soit des olli- ciers qui commandaient les forces au nom de leurs souvcrains allies, soil des gouverneurs (!<' la ville de Smyrne, venus poste- — 105 — rieurement de Genes ou de Rhodes, et par le soin desquels ces blasons commemoratifs auront ete places au centre de la ville. Au-dessous des ccussons , et pres du cinlre refait de la porte du fort, les Turcs ont grave line inscription en caracteres arabes, pour rappeler probablement la reprise de la ville par les fideles du Coran. II ne m'a pas ete possible d'en avoir la traduction. Surlehaut de la colline qui domine le fond du golfe, se trouve le vieux chateau de Smyrne, a portes gothiques, reconstruit par les Latins durant leur occupation. Tout est mine a Tinterieur, et du cote de la campagne des breches enormes ont ouvert le rempai t. II est tel peut-etre que la laisse Tamerlan au commen- cement du xve siecle, apres l'avoir enleve aux Hospitaliers et de- mantele completement. Les Turcs, redevenus peu apres maitres de Smyrne, semblent n'avoir porte leur attention et leurs soins que sur les fortifications maritimes. Du Caire, le 17 decembre 1 845. J'avais le dessein, avant de retourner en France, de completer I'etude que je fais des monuments des croises en Chypre, par un voyage en Syrie , dans le pays memo ou les croisades ont eu leur plus grand eclat. La nouvelle qu'une compagnie d'Europeens allait entreprendre ce voyage m'a determine a 1'effectuer plus tot que je 1'avais pense, et a me rendre a Beyrouth pour me joindre a eux. Les routes de Syrie ne sont plus sures, en effet, depuis les evenements de 18/io, et il est imprudent de les par- courir seul. Pres de revenir en Chypre , je m'empresse de vous donner con- naissance de mon itineraire. De Beyrouth, ancienne ville franque et seigneuriale, dont les remparts remontent a 1'epoque des croisades, nous sommes alles a Sidon, aujonrd'hui Saida. Sur la montagne qui commande cette ville au S. s'eleve un beau chateau , nomme encore chateau de SainL-Louis, en memoire de ce prince, qui le fit reconstruire presque a neuf pendant son sejour en terre sainte. A Sour, ou Tyr, je nai remarque qu'une eglise ruinee, remontant au temps des Francais. Saint-Jean-d'Acre possede encore les restes de l'an- cienne cathedrale de Saint- Andre, qui n'est plus qu'une petite chapelle pres de la mer; mais 1'eglise de 1'ordre de Saint-Jean de — 106 — Jerusalem existe et merite, comrae le bel hopital des Chevaliers , aujourd'hui hopital militaire, de prendre place dans le Recueil des monuments des croisades, dont la publication vous a ele pro- posee l. Lenceinte de Cesaree est complete, et, dans Tinterieur, on voit des eglises gothiques, des tours, des portes, des maisons portant encore des ecus armories. A peu de distance de Ramla , sur la route de Jaffa , existe une magnifique mine franque : c'est le reste d'un etablissement des Hospitaliers, dont leglise etait dediee aux quarante martyrs. Une partie du cloitre, les cours, les vasles et solides citernes , existent encore; leglise est ruinee, mais sa lour est complete, a 1'exception de la fleche ou lanterne, qui parait avoir ete ren- versee par un tremblement de terre. L'elevation de ce monu- ment, la dimension et la beaute des pierres employees a sa cons- truction , donnent une haute idee de la richesse de l'hopital , destine a recueillir les pelerins se rendant a Jerusalem, et qui, en temps de guerre, pouvait devenir un tres-bon refuge. Les baies de la tour sont, les unes en plein cintre brise, les autres en ogive plus prononcee. Quelques fenetres sont decoupees en lobes; la plupart sont etroites et longues. Elles servaient sans doute de meurtrieres. A moitie du chemin de Ramla a Jerusalem est encore une ruine bien remarquable : c'est 1'eglise deserte , mais qu'on ne peut appeler ruinee, d'Abou - Gosch , 1'ancienne Jeremie. Les murs, la voute, les colonnes, sont intacts; il ne manque que le pave et 1'autel. Sur les murailles, on voit de nombreuses fres- ques. Toutes les ouvertures sont en plein cintre ou en gothique evase. L'enceinte de Jerusalem a et£ reparee par les Turcs; mais 1'en- semble de la construction appartient aux Francs. Le haut chateau qui fianque la ville du cote de Rethleem et de Jaffa porte encore le nom de chateau des Pisans. Quant a 1'eglise du Saint-Sepulcre, on sait qu'ellc est, dans ses parties capitales, du temps des rois francais, a 1'exception de la coupole et de 1'interieur, refaits apres Tincendie de 1808. Vainement les Grecs voudraient faire re- monter l'edifice actuel au temps de sainte Helene, qui aurait 1 Ce projct de publication, sur lequel il n'a pas iti stalu6, avail ele souniis, en i845, a M. le ministre par MM. Flandin el de Mas Latric. — 107 — eonstruit, si on les ecoutait, toutes les eglises d'Orient, corarae, en France, Cesar est, pour certaines peisonnes, lauteur de tous les campements romains dont il reste quelques traces : les fenetres gothiques du clocher de leglise, la frise cle la porte du parvis, on Jesus-Christ est represents faisant son entree triomphante a Jerusalem le jour des Rameaux, en attestent suffisamment i'ori- gine laline et francaise, car 1'Sglise grecque n'admet pas de bas- reliefs dans 1'ornementation de ses temples. Des pierres tumu- laires, remontant, dit-on, a nos premiers rois de Jerusalem, mais dans tons les cas fort, anciennes, et devenues par cela seul venerables, marquaient autrefois la place ou Godefroy de Bouillon et Baudouin , son frere, furent inhumes; les Grecs les ont descel- lees et mises en pieces a dessein , en reconstruisant 1'interieur du Saint-Sepulcre. L'eglise abandonnee de Sainte- Marie de Bethleem est un beau vaisseau de basilique latine, a plafond de bois, separe en trois nefs par deux rangees de vingt colonnes corinthiennes de marbre jaune d'un seul bloc, dans le style si simple et si noble de Sainte- Marie-Majeure et de Saint-Jean-de-Latran , a Rome. Ascalon , dont les ruines franques sont aussi nombreuses que celles de Cesaree, et Gaza, ville funeste aux croises, ont ete nos dernieres stations dans la Syrie meridionale. Peu apres avoir quitte cette ville, nous sommes entres dans le desert et sommes venus a El-Arisch. Puis, laissant a regret sur notre droite Damiette et Mansourah, nous avons gagne Belbeys, dont le noni rappelle une des incursions les plus hardies des croises et une des lois importantes cle leur legislation. En 1168, le roi de Jerusalem, Amaury, traversa en dix jours les sables avec une armee entiere, emporta d'assaut Belbeys, qu'il livra au pil- lage, et march a sur le Caire , qu'il ne put attaquer. On donne des dates bien anciennes a plusieurs mosquees du Caire. La Djami-Barkauk, fondee en n^g, serait aujourdhui conservee sans alteiations; 1'El-Azhar remonterait a 1'an 981, la Djami-Touloun a 876. Si ces dates sont bien constatees, les par- tisans de l'origine orientale de 1'ogive ont, il me semble, en leur faveur, un argument tres-puissant, car toutes ces mosquees, de meme que les anciennes mosquees de Damas et les tombeaux de la Vallee des califes, sont entierement en ogive, dans leurs formes generales comme dans leurs ornements. — 108 — Nicosie, le 19 Janvier 18/16. Je recherche partout les traces et les souvenirs de nos anciens Franrais de Chypre. Alexandrie, ou je me suis embarque pour revenir a Larnaca, m'a reporte a lepoque la plus brillante de leur histoire, en exa- minant ses ports, qui sont a peu pres comme Guillaume de iMa- chaut les decrit au xive siecle, le sire de Lannois au x\e. Du cote des aiguilles de Cleopatre, vers l'orient, est le grand port; a 1'ouest est le vieux port, par ou les chretiens, suivant une an- cienne tradition arabe, devaient un jour prendre la place. L'eve- nement s'accomplit, en effet, en i365, lorsque le roi de Chypre, Pierre I", penetra dans le vieux port, repoussa les Sarrasins, donna Tassaut au rempart qui couvrait alors la place du cote merae de la mer, Teniporta apres un sanglant combat et livra au pillage cette grande ville, « aussi peuplee que Paris, ce sont les expressions du chancelier de Lusignan , aussi belle que Venise, aussi forte que Genes, ville pleine de richesses et de marchandises, la reine de 1'Egypte, 1'epee des infideles, la porte des fideles, si les fideles l'eussent conservee. » Mais ils ne la gar- derent que trois jours. Gependant I'effroi que repandit en Egypte Tattaque du roi de Chypre fut si grand, et la crainte de voir ja- mais se renouveler Teffet de la fatale prophetie fut si vive, que les sultans interdirent des lors, sous les peines les plus graves, Tentree du vieux port a tous les navires chretiens. Cette defense rigoureuse s'est, m'a-t-on dit, perpetuee a Alexandrie, sous les sultans mamelouks comme sous les Turcs, jusqu'aux temps plus eclaires de Mehemet Ali. Une excursion que je viens de faire dans les montagnes de Sainte-Croix et de TOlympe, a Touest de 1'ile, m'a permis de replacer plus exactement pres de soixante villages, don I les noms sont defigures, ou les positions faussees, sur les cartes de Chypre, copiees presque toutes sur d'ancienncs cartes venitiennes. II est important de connaitre au moins la position relative de ces loca- lites, seul resultat que je puisse essayer d'atteindre, car plusieurs occupent remplacement de villes antiques, telles que Lapilhos, 1'ancien Lapethus, aujourd'hui un des plus jobs villages de Tile, marque Mir quelques cartes seulement; Chora-Elambousi, qu'on — 109 — ne vojt sur aucuiic; Haios-Erakliti, qui parait elre 1'ancicn Ta- massas; le lieu dit Apollona, a TO. de Piscopi, 011 j'ai relrouve et •aiesure tin stade antique de 600 pieds de longueur, apparte- nant probablement a fancier) Curium, oonnu par le culte particu- lier qu'au rapport de Strabon on y rendait a Apollon. D'autres ont figure dans l'histoire des Lusignans, comnie Agridi, Tem- plos, iEglia, Petra , Lefka, Modoula, Ralapanaioti, Rorako, Poli- tis-Chrysochou , Igna, Rouclia , Phinika, Anoghira, Rilani, Che- rokidia, etc., toutes localites deplacees ou oubliees eutieremenl sur les cartes. Pres de Larnaca, j'ai etudie la position de Fancien Citium , le memoire de d'Anville a la main. Je crois que notre savant geographe , en rejetant 1'opinion emise avant lui, qui plagait Citium pres de Larnaca moderne, est toinbe dans l'erreur. L'em- placement du port ferine, dont parle Strabon, est encore bien marque entre la Scala et Larnaca. Dans tous les terrains envi- ronnants, on n'a qu'a creuser la terre pour y truuver de gran des pierres qui ont appartenu inconteslablement a des constructions antiques. Les sceurs francaises de 1'ordie de Saint- Joseph , devenues depuis peu proprietaires du terrain, en retirent journellement des materiaux pour la construction de lecole et de l'hopital qu'elles ont fondes. On y a decouvert encore recemment des mon- naies grecques, des fragments de statues et de colonnes; j'en ai vu retirer moi-meme plusieurs fragments de mosaiques adhe- rents au sol. Je dois a famitie de M. Niven Rerr, consul d'Angle- terre, une belle tele de Venus en inarbre de Paros , qui a etc trouvee dans le meme lieu; tous ces vestiges tont des indices irrecusables de 1'emplacement d'une ville antique. Chiti, cu con- traire, a deux lieues de Larnaca , ou d'Anville transporte Citium, n'est qu'un petit village, comparativement tres-moderne: son en- ceinte ne recele aucune antiquite anterieure aux Lusignans. Ces princes y avaient une maison de plaisance, dont il reste encore quelques ruines. Le village de Chiti aura probablement pris sa denomination, non de la ville de Citium, quil ne remplace pas, mais du cap de Citium, sur lequel il est situe. Je pourrai seule- ment donner quelque developpement a ces observations dans le Memoire geographique qui doit accompagner ma carte. MISS. SCIBNT. — 110 — l)u lazaret de Marseille, le iSavril 1 846. Arrive depuis quelques jours a Marseille, et retenu a la qua rantaine, je m'occupe de mettre en ordre les notions geogra- phiques et archeologiques que j'ai recueillies dans mon voyage en Chypre, pour vous les soumettre. Ainsi que j'en avais l'esperance avant mon depart, j'ai relrouve partout en ce pays, dans les monuments, dans les moeurs et dans le langage meme , les traces du long tejour que les Francais y out fait au moyen age. II n'est pas de village un peu important qui ne conserve encore, soit une eglise, soit une abbaye, soit un chateau francais , ou au moins quelque inscription ou quelque dalle turnulaire de ses anciens seigneurs. J'ai releve avec soin toules les inscriptions, comnie toutes les armoiries , et j'ai pris le caique des dalles les mieux conservees, ou des membres des plus illustres families de Tile, des Tiberiade, des Ibelin, des Jaffa, des Bruns- wick, des Dampierre,etc. sont represents dans leurs costumesde marechaux, de cameriers, d'amiraux ou de seigneurs ecclesiastiques. Quelle belle galerie n'ajoulerait-on pas au niusee d'anliquites na- tionales de 1'hotel de Cluny , si Ton y faisait reunir toutes ces ar- moiries et ces tombeaux francais de Tile de Chypre, temoignages precieux d'un des plus interessants episodes des croisades. Les edifices gothiques que nos anciens Francais ont eleves dans file sont si nombreux, qu'au lieu de les decrire isolement, en sui- vanl l'ordre de mon itineraire , il m'a paru preferable de les classer tous en deux divisions : celle des monuments mililaires et celle des monuments religieux, et de suivre autant que possible, clans chacune de ces categories, les modifications que rarchitecture ogi- vale a subies en Chypre, en les comparant aux developpemeuts simultanes qui s'operaient dans le style gothique de France. Cette etude fait 1'objet de plusieurs lettres que je ne tarderai pas a vous adresser ]. J'ai donne une attention particuliere aux observations qui pou- vaient apporter quelques notions utiles sur la geographie an- cienne et moderne d'une ile dont I'interieur est encore bien peu 1 Ces tetlres ont ill'' imprimees Jans 1c Journal general de 1'instruction pu- blique. — Ill — eonnu des Europeans. J'ai chert-he la situation des chateaux forts, des monasteres el des anciens fiefs de Tile; j'ai releve a la boussole la position de tous les villages on je sm's pass£ ; j'ai mesure les hauteurs des principales monlagnes et j'ai reuni ainsi les elements d'une carte acluelle , qui, je 1'espere, sera plus exacte que cellos dont on se sert encore. Oblige, par la nature de ma mission ct de mes etudes ordi- naires , a me renfermer dans les choses du moyen age, je n'ai pu faire une recherche particuliere des antiquit.es de i'ile. J'aicepen- dant recueilli sur ma route plusieurs inscriptions grecques, qui me paraissent inedites, et de concert avec M. Cerutti, consul de Sardaigne, j'ai fait, faire a Dali des fouilles qui ont amene la de- couverle de plusieurs tetes et statuettes antiques quej'apporte en France l. Cette circonstance me semble donner un caractere de cer- titude a la supposition qui piacait a Dali l'ancienne Idalie: le bois sacre s'y trouverait encore dans les beaux plants d'oliviers et de caroubiers qui environnent 1c village. Je serais heureux , si vous voyiez dans les materiaux his- toriques que je rapporte et les memoires que je vais vous sou- mettre une preuve du vif desir que j'ai eu et des efforts que j'ai fails pour remplir du mieux qu'il m'a ete possible la mission que j'avais recue de voire bienveillance. Jaurais ete cependant arrete quelquefois dans mes explorations paries prejuges des Turcs, mal- gre le firman que M. de Bourqueney avait bien voulu me reinettre, sans 1'empressement obligeant que M. Goepp , consul du roi a Larnaca, et M. Summaripa, chancelier dn consulat, ont mis a prevenir ou a aplauir toutes les difficultes. M. de Summaripa a bien voulu faire le voyage de Nicosie pour presenter avec moi au gouverneur le firman dont j'etais porteur, et lui faire connaitre rinteret que vous prenez a 1'objet de mes recherches. Grace aux ordres que le pacha a donnes a la suite de cette visite, je n'ai eu qua recourir rarement a I'intervenlion de M. le consul. Une decouverte qui parait importante en ce qu'elle confirme encore, contrairement a Topinion de d'Anville, etl'anciennete de Larnaca et le veritable emplacement de Citkim , patrie de Zenon le Stoicien , a ete faite recemment, et bien qu'elle s'ecarte parson 1 M. de Mas Latrie a fait don de ces antiques au cabinet de la BibliofYieque nationale, oi\ piles sont conservees. m. 8 . -- 112 — sujet du cadre de la mission que vous avez hien voulu me donner, je crois devoir vous la signaler. En creusant un terrain situe entre la Marine et la haute ville , a Larnaca , des ouvriers onl mis a jour une grande pierre de ba- salte de sept pieds de haut, sur deux et demi de large et un pied d'epaisseur, couverte d'inscriptions cuneiformes et decoree sur sa face superieure de l'image en relief d'un prince ou d'un pretre por tant un sceptre dans sa main gauche. Je suis tout a fait inhabile a apprecier la nature , l'age et la valeur histori(jue de ce monu- ment; mais j'y vois des caracteres cuneiformes, j'observe dans le costume et l'attitude du personuage le meme style que dans les bas-reliefs decouverts par M. Bolta en Mesopotamie; je crois done reconnaitre ici un tombeau antique et un des rares monuments de la domination des Assyriens dans Tile de Chypre. Sous ce rap port, la decouverte m'aparu tres-int^ressante et le tombeau digne d'etre joint a la galerie assyrienne que Ton forme au Louvre. Dans la supposition on vous en jugerez ainsi, j'ai voulu pres- sentir les dispositions des proprietaires : ils seraient disposes a vendre ce tombeau ; mais j'ai trouve chez eux des pretentions qui me semblent exorbitantes, et qui sont entre lenues malheureuse- ment par la pensee bizarre que cette pierre renferme un tresor, bien qu'elle soit d'un seul bloc. G'est, du reste, une idee fixe de tous les Chypriotes et de presque tous les Orientaux , que le moindre debris ancien recele des objets precieux. Les proprietaires ne voulaient pas moins de 2 ou 3,ooo talaris de leur decouverte dans les premiers jours; mais ils ont deja com- pris qu'ils ne trouveraient jamais d'acquereur a ce prix; ils com- mencent meme a douter de l'existence du tresor, etje crois qu'ils finiraient par le ceder devant des offrcs serieuses de 1 2 ou 1 ,5oo fr. J'ai 1'honneur de vous envoyer un dessin assez exact, quoique mal execute, de la forme du monument. Si vous croyez bon de donner suite a ma communication, on n'aurait qu'a s'adresser a M. le consul de Chypre, qui a deja fait mettre le monument a l'a- bri de toute degradation , et qui attend vos ordres pour traiter de son acquisition 1. Veuillez agreer, etc. L. DE MAS LATRIE. 1 Nous donnons, avec la prosente livraison, un dessin de ce monument, aujourd'hui propritHe du musce de Berlin. 113 — ECOLE FRANCAISE D'ATHENES. 5«/- les ecoles fondees par les lazaristes a Alexandrie '. Conformement a vos instructions, Monsieur le Direcleur, je de- vais profiter de mon passage en Egypte pour in 'informer, com me representant de I'Ecole francaise, de la situation que s'est faite ici cette honorable societe, a laquelle nous ne pouvons elre in- differents, puisque, comme nous, elle est chargee d'enseigner au nom de la France, et qu'elle est aussi un des postcs avances de noire civilisation. Ce fut pour moi un plaisir, en meme temps qu'un devoir, d'entrer en rapport avec cet ordre bien- faisant qui a su , sans desavantage, remplacer en Orient l'ordre des Jesuites, et qui, sans alterer la purete de son caractere reli- gieux, conserve parlout et toujours les sentiments du plus deiicat et du plus devoue patriotisme. Des mon arrivee, M. Benedetti m'a fait connailre le pere lazariste qui se trouve en ce moment a Alexandrie. Le pere Leroy, administrates- de la mission du Le- vant, qui comprend la Syrie, TEgypte et TAbyssinie, reside ordi- nairement a Alexandrie, pour surveiller Forganisation des nou- veaux etablissements que son ordre y a fondes. Comme il vient de retourner pour quelque temps en Syrie, je fus presente au pere Reygasse , qui depuis quatre ans travaille avec M. Leroy a fonder des ecoles francaises chretiennes en Egypte , et dont l'o- biigeante reception ne m'a rien laisse a regretler. L'Egypte est une terre nouvelle pour les lazaristes. Etablis depuis longtemps a Antoura, pres de Beyrouth, dans la maison qu'ils ont occupee, 1 Ce morceau est un fragment d'une leltre ecrite en snptembre i 84 7 par M. L. Lacroix, alors membre de I'Ecole francaise d'Alhenes, aM. Daveiuy, direc- teur de cet etablissement. Quoique les renseignements qui y sont prdsentes sur les ecoles des lazaristes a Alexandrie aient ete pris il y a trois ans bientot, ils peuvent donner une idee assez exacte de 1'etat actuel de ces maisons d'educa- tion, qui sont en pleine prosperity, et qui sont dr icnues ce qu'elles promel- taient d'etre, a iVpoque ou M. Lacroix les a visitees. — LI 4 — apres la suppression des jesuites, ce n'est que de ces dernieres annees que datent leurs tentalives d'etablissement en Egypte , et deja ils out dans ce pays deux ecoles Jlorissantes ; de plus, Tun deux vient de partir pour l'Abyssinie afin d'y preparer de semblables fondations. Les etablissemenls d'Alexandrie ne sont point des ecoles de baut enseignement comme celles d'Antoura, de Sniyrne et de Constantinople. Les lazaristes n'y enseignent pas eux-ruemes; inais, appreciant avec beaucoup de sagacite ce qui conveuait le mieux au pays, et ce qu'il etait le plus facile de faire, ils out organise d'abord des ecoles pour le peuple, oil ils out place, sous leur direction, les sceurs de la Cliarite et les freres de la Doctrine cbretieune. M. Reygasse me conduisit d'abord a l'ecole des sceurs, qui occupe, non loin de la place de 1'Europe, mi beau bailment tout neuf, compose d'un grand corps de logis, avec deux ailes que reunit, du cole de la rue, une construction a rez-de-cbaussee, percee au milieu par la porte principale. Une grande partie du terrain, ou se trouvaient autrefois un cimeticrc et une tour de 1'ancienne enceinte de la ville, a etc donnee aux lazaristes par Mebemet-Ali. Les materiaux de la vieille tour out servi a la construction de la nouvelle ecole; la societe de la Pro- pagaude a fourni le reste des frais. II y a deux ans que les soeurs sontarrivees a Alexandrie, et leur ecole compte deja plus de deux cent dix eleves, divisees en exlernes, pensionnaires et orpbelines. ( loiucie c'est en ce moment le temps des vacances, je ne pus voir aucun des exercices de renseignement, sur lequel , au reste, je n'aurais rien a vous apprendre , puisqu'il est donne comme en France, avec les memes livres et les memes procedes. L'externat est divise en irois classes : les eleves restent une annee dans cbacune d'elles. Les pensionnaires, dout le nombre n'est point encore assez considerable, sont restees jusqu'a present reunies aux externes pour les etudes; mais ellcs en seront bientot separees. J'ai vu les trois classes, que j'ai trouvees propres, vastes, garnies de tableaux d'bonneur, de pancartes d'alpbabelet d'aritbmetique, et de cartes de geograpbie, lesquelles sont un peu trop petites et plulotfaites pourl'allas que pour le mur. J'ai conseille aux soeurs ces grandes cartes murales dont nous nous servons dans nos classes, et don I 1'usage est si commode pour enseigner et pour apprendre. Sans doute, il n'y a rien clans tout tela qu'nn ne puissc voir en Franco; — 115 — niais on est aussi charme que surpris de retrouver cet enseigne- ment de nos ecoles chretiennes transports au loin dans le Levant et donne a des enfants de toute religion et de toute langue. L'etablissement de la section des orphelines m'a donne lieu d'admirer toute 1'etendue de la bienfaisance des soeurs de cette maison ; c'est vraiment un prodige de charite. Elles ont calcule, me disait M. Reygasse, qu'avec trois talaris (i5 francs) par mois on pouvait pourvoir a 1'entretien d'une enfant, et trouvant cette soinme dans le surplus de la retribution des pension naires, elles font consacree a recueillir et a elever des orpbelines, dont le uonibre est proportionne a leurs benefices. Elles n'en ont encore que dix, inais elles ne desesperent pas, apres une plus longue ins- tallalion , de pouvoir economiser davant: ge et d'arriver a doubler chaque pensionnaire par une orpbeline. On comprend que ce n'est qua force d'economie et de devouement que les soeurs, qui sont au nombre de quatorze, peuvent obtenir de pareils resultats. Elles font tout par elles-memes dans leur maison; rien n'est confie a des mains etrangeres : elles enseignent et vaquenl a tous les soins du menage, auxquels elle associent leurs eleves, qui, outre la pe- tite education litteraire qu'elles recoivent, apprennent encore, ce qui manque tant aux femmes de cespays-ci, futile science de la direction et de 1'entretien de la famille, et le gout des travaux do- mestiques. Le menie esprit de bienfaisance ingenieuse et, inepuisable se manifeste dans l'etablissement du service de la Providence : les soeurs appellent ainsi les secours gratuits qu'elles donnent aux pauvres malades qui peuvent venir a leur porte les reclamer. La Providence occupe un petit corps de logis attenant a l'ecole, et comprenant la pharmacie, qui est bien pourvue, la salle des pan- sements, la salle d'attente et ie cabinet du docteur. Tous les jours, a 1'beure de la consultation, les malades affluent a la porte de cette maison, si bien appelee la Providence, et les chretiens de toutes les sectes, comme le fellah musulman, y trouvent le soulagement de leurs maux, la guerison de ces ophthalmies si frequeules en Egypte, et de ces plaies affreuses si communes parmi ceux qui vivent dans la malpropretd et la rnisere. Voici comment les soeurs entretiennent leur Providence : elles ont appris a leurs eleves a faire de jolis ouvrqges d'aigm'lle, tapisseries, broderies, filets, etc. on met tout cela en loterie , et la bonne volonle des Francs d'Alexan- — 116 — (trie y aidant, on trouve de quoi alinienter la Providence. Ce n'csf pas tout : les sceurs ont pris rhabitude de faire des touruees dans les villages des environs d'Alexandrie, donl la population est dans un si grand denument, donl les inaisons resseniblent presqu'a des tanieres; elles y porlent d;*s secours et des remedes. D'abord, on fut un peu 6lonne de les voir; mais com me leur arrivee apportait toujours a cos pauvres gens quelque soulagement et des bienfaits, lY'tonnement s'est change en enthousiasme, et {'apparition de nos soeurs excite maintenant dans ces villages musulmans les trans ports les plus vifs d'allegresse el de reconnaissance. Voila ce que j'ai vu et appris des soeurs de la Charite d'Alexandrie. Apres la visite de leur maison , M. Reygasse me conduisit a l'ecole des freres , dont l'etablissement est situe en face de celui des soeurs. }1 v a trois ou quatre mois seulement que les freres sontinstallcs a Alexandrie; leur maison n'est pas encore entierement achevee, mais ils se sont mis tout de suite a l'ceuvre : ils ont deja reuni cent soixante eleves, partages en trois classes. On elait en pleine etude quand j'entrai, et ce fut pour moi un curieux spectacle de voir une reunion d'ecoliers si difl'erents de race et de nationality re- cevant un enseignementuniforme, tout a faitsemblable acelni qui est donne en France aux enfants du peuple , et qui comprend la lecture, 1'^criture, la grammaire, l'arithmelique, un peu d'his- loire ct de geographic et meme le catechisme. Je vis toutes les classes : celle des plus avances, tenue parle frere Adrien , directeur de la petite communaute, se composaitd'environ trente ou quarante eleves. Frappe de la variete des physionomies et des costumes, je me fis dire par ordre leur pays et leur origine, et j'appris qu'il y avait la des Francais de toutes les echelles du Levant, des Italiens, desPortugais, des Espagnols, desSyriens, des Armeniens des deux cultes, des Grecscatholiques et schismatiques, des Arabes cophles et enlin un Arabe musulman , dont la sceur est aussi a l'ecole des lilies. Dans cette confusion de langues et de religions, les freres ont su etablir une regularity et une unite bien entendues et fort lolerantes : ils ont conserve comme en France les prieres, le ca- techisme et les cantiques. Or les prieres , avanl et apres les classes, sontsuivies par tous, mais ceux des cultes dissidents ne sont obli- ges qua une attention decente ; le catechisme n'est qu'une affaire de memoire pour ceux dont il ne commente pas la croyance; le chant des cantiques est uncleron de musique vocale qui en vaut bien une — 117 — autre. La messe n'est obligatoire que pour les enfanls catholiques. Plus j'y refU'chis, plus j'admire la sagesse pratique qui a preside a toutes ces dispositions. La langue fi ancaise est le principal objet d'enseignement de cette ecole, le moyen des autres etudes, et le lien comruun de cette petite societe si diverse. Tous les jours, il arrive des enfanfs qui n'en savent pas un mot et qui ne parlent que les langues de la Syrie et de l'Egypte : ils vont a la petite classe , on les met a 1'alphabet, on assouplil leur rude gosier par la pro- noncialion des sons plus doux de nos letlres ; on leur en fait tracer les caracteres, puis les mots viennent peu a peu, soit de la part du maitre, soit de celle des camarades. Mais que de temps et de peines il faudra pour former un enfant qui sache parler et com- prenche. C'est une bien rude tache et bien meritoire, et j'admirais la bonne humeur et la gaite de nos freres an milieu de leurs penibles fonctions. J'ai pu voir aussi que la meilleure intelligence regne entre les maitres tt les eleves, qui sont dociles, appliques et respectueux. Je crois encore que la variele des origines et des races excite et en- tretient lemulation parnii ces enfants, qui m'ont semblepleins de vivacite et d'ardeur. Dans aucune inspection on n'a vu rien de pa- reil a rempressement avec lequel ils soumeltaient les resultals de leurs travaux a un ttranger, Francais comme leurs maitres; ils etaient enchantes de mon approbation et j'avais le plus grand plaisir a paraitre content d'eux. M. Reygasse me montra aussi 1'eglise que Ton batit en ce mo- ment pour le service des deux ecoles et pour les catholiques d'A- lexandrie, ainsi que la maison qui servira de demeure aux laza- risles d'Egypte, et qui n'est point encore achev^e. II me conta les difficultes ciu'ils avaient eues a surmonter pour la fondation des deux ecoles que je venais de visiter , difficultes suscitt'es par les mauvais vouloir de la politique ; mais il parla avec la plus vive reconnaissance des dispositions du Gouvernement francais et de la generosite du pacha d'Egypte, qui a tanl fait pour eux en con- sideration de la France. Au reste, je savais depuis longtemps que Mehemet-Ali est en tres bons termes avec 1'Eglise catholique. Nous avons vu a Rome les belles colonnes d'albatre oriental qo'il a donnees au pape Gregoire XVI pour la reconstruction de Saint- Paul-hors-les-Murs , et ces jours-ci , j'ai reconnu dans le palais de Ras-el-Tyn ces belles mosaiques romaines qui attestent in- dubitablement un cadeau pontifical. 11 est certain que dans nul — 118 — pays chretien on ne se trouve plus libre ni plus respecte que sur cette terre de 1'islainisnie. Le fanatisme musulnian , si violent encore a Constantinople, est eteint ou assoupi en Egypte. Tout m'invite a pousser plus loin , et je ne desespere pas d'aller jusqu'aux cataractes. En attendant, je pars domain pour le Caire ou j'aurai taut a vous eciire sur les moeurs, les mosquees, les ecoles, les pyramides et i'inondation du Nil, qui en ce moment, dit-on , couvre toutes les campagne^ et a transformc la basse Egypte en une vasle mer que je suis impatient de contempler. Recevez , etc. Louis LACROIX Membre de t'Ecoie francaise d'Atheues. iNSTRVCTioxsdemanddes a l'Academie des Sciences par M. le MinislredeVim- traction publique , et destindes a M. Ducoaret, charge' d'unu mission dans I'Afrique centrale '. Commissaires : MM. Elie de Beaumont, Pelouze, Valenciennes, Ad. Brongniard, Gaudichaud, Decaisne. # BOTAMQUE. (M. Decaisne, rapporteur.) L'Academie nous a charges , MM. Elie de Beaumont, Pelouze , Valenciennes, Ad. Brongniart, Gaudichaud et moi , de rediger quelques instructions demandues parM.le Ministre de l'instruction publique pour M. le colonel Ducouret (Hadji-abd-el-Hamid-Bey), charge d'une exploration de cinq annees dans I'Afrique centrale. Dans l'itineraire trace par M. Ducouret, accepte par M. le Mi nistre, etsur lequel l'Academie n'est point appelee ase prononcer, on voit que M. le colonel Ducouret , partant d'Alger , se propose d'explorer la plus grande parlie de I'Afrique. La premiere partie de cet immense trajet continental comprcnd l'exploration du Tell algerien (Talifet), du pays desDaltes (Agably), del'oasisdesTourt, du Sahara (Mabroak), du pays des Hagars (Ouanonki), du royaume Arrets du u3 mai el du 7 novembre 18^9 — 119 — de Tambouctou (le Niger), du pays des Tajouantes, de celui des Di rimans, du Banan (lac Debo),du pays de Masima, du Bambara, du Mandingou, et enfin des sources du Senegal. Vos commissaires se sont bornes a rediger les instructions pour cette premiere partie du voyage seulement. L'histoire naturelle des contrees que doit parcourir en une annee M. Ducouret, est tellement obscure et presente de telles lacunes, que votre commission se borne, d'une part, a renvoyer aux ins- tructions generales redigees par MM. les professeurs du Museum ; de I'autre, a appeler 1'attention du voyageur sur quelques questions parliculieres que ses longs voyages en Afrique , sa position excep- tionnelle et les connaissances dans les idiomes africains , qui! parait posseder, lui permettront sans doute de resoudre. Vos commissaires engagent M. Ducouret a cbercher a eclairer, durant son sejour sur les fronlieres du royaume de Tunis, une question qui depuis longtemps occupe les savants , celle qui se rattache au Lotos des Lotophages: plusieurs naturalistes, et Des- fontaines, dans un memoire special , ont cru pouvoir rapporter le Lotos a une espece particuliere de jujubier. Les fruits du Lotos, produits par unarbrisseau epineux, auraient,suivant des traditions plus on moins fabuleuses, la propriete de f'aire perdre la memoire ou d'enivrer. Les jujubiers, les elaeagnus, parmi lesquels on a cru reconnaitre la plante des anciens, sont, en effet, des arbrisseaux epineux; mais leurs fruits, mucilagineux et douceatres, se mangenf inipunement. Tout recemuient , un des officiers les plus distingues de l'armee d'Afrique, M. Pellissier, a rencontre, dans le desert de Soussa , pres de Tunis , un arbrisseau epineux dont les fruits eni- vrent, el que les Arabes appellent Damouck. Nous signalons cet arbuste aux recherches de M. Ducouret. Desfontaines a observe, sur les bords du desert et dans le pays des Dattes, plusieurs plantes grasses qu'il a cru pouvoir rapporter a des especes de 1' Afrique auslrale: nous appelons sur ces veg6- taux 1'attention de M. Ducouret et nous demandons qu'il en envoie des boutures. Vos commissaires^recommandent a 1'attention de M. Ducouret les subslances medicinales usitees parmi les Arabes : ils emploient, parexemple, comme vomitif tres-energique le liber ou ecorce interne d'une plante qui nous est inconnue : cette drogue se debite sous la forme de corde jaune du volume dune plume ordinaire. Mais nous — 120 — croyons devoir prevenir M. Ducouret qu'une fuule tie subslam ps . meme employees clans le Maroc , y arrivent de flnde. Les ecorces tinctoriales et usitees dans la tannerie peuvent eliv fort interessanles a etudier pour notre commerce, et nous enga- geons M. Ducouret a chercher avec soin a se les procurer et a recueillir des echantillons, en tleurs ou en fruits, des planles qui les produisent. II n'est point indifferent, sous un autre point de vue , de con- naitre les diversss plantes alimentaires cultivees dans les contrives que M. Ducouret se propose de visiter. Nous demandons, en par- ticulier, les graines des nombreuses varietcs de Courges cultivees par lesMaures: ces semences, bien mures, renfermees dans des sachets de toile sur lesquels on inscrira le noni vulgaire el l'usage, nous parviendront en bon etat, car ellcs conservent pen- dant plusieurs annees leur faculte germinative. Qnelques plantes semblent etre les compagnes de nos cereales, et se rencontrer parlout oil penetre la culture de ces derniercs, et notamment du riz. II serait interessant de faire, pour ainsi dire, la flored'un champ ou d'une riziere. Nous engageons M. Ducomvf a noter avec soin la limite geographique et oreographique des differentes cultures qu'il observera, celle de la vigne en parli- culier , en cherchant a comparer les races africaines a nos vignes d'Europe. Les cartes indiquent, a Test de Tambouclou, une vaste oasis du pays de Koulouvis, les Touarigues, l'Oassa, etc. arroses par le Niger, et dont il serait du plus grand interet de bien connaitre la vegetation. Les Arabes et les Maures obliennent une liqueur fermentee de plusieurs palmiers , et, en particulier , du dattier et de YElieia ou palmier huileux ; mais ces deux especes ne paraissent pas etre les seules qui leur fournissent Yardky. Un dessin representant ces arbres (autres que le dattier), des fleurs et des fruils desseches, serait utile pour nous les faires sufhsainment connaitre. Nous deman- dons egalement a M. Ducouret des dessins exacts du rondier [Bo- rassus /E(hiopum). . II en sera de meme du baobab; la forme generale des fruits semble indiquer an moins deux especes dans ce genre remar quable,,et votre commission en Hemande des echantillons com pins, tile desire obtenir des tnesures du tronc flc ces arbres — 121 — gigantesques, etdes notes sur I'emplm clc leurecorce, qui, dit-on, est usitee conime febrifuge. La nature du sol des contrees immenses que doit traverser M. Ducouret peut etre eclaircie par la vegetation: on sait, par exemple, que les soudes, certains statices et quelques rese- das, etc., aflectionnent les terrains saumatres ; nous demandons que M. Ducouret prenne des notes tres-exacles sur les locality ou croissent ces plantes. Leur presence indiquera souvcnt, avec une extreme precision, la position d'anciens lacs sales que Ton a signales dans quelques points de l'Afrique que doit pareourir M. Ducouret. Caille signale dans le royaume de Tambouctou une espece de fruit a creme; ce fruit semble appartenir a une plante de la fa- mille des Asclepiadees, dont le sue propre passe pour tres-vene- neux, niais chez lesquelles les Aiabes de 1'Yemen et les Hottentots de l'Afrique australe onl su trouver plusieurs plantes aliinentaires. Nous recommandons tous ces vegelaux a M. Ducouret. Plusieurs voyageurs font mention d'une graine cola, employee, dit-on, comme monnaie dans un grand nombre de points de l'Afrique intertropi- cale; il serait interessant d'enposseder une certaine quantite, afin d'en faire l'analyse chimique. Les negres les machent et les em- ploient, reduites en pate liquide, comme condiment analogue au soja des Chinois-, le liquide jaune qu'ils en obtiennent leur sert a teindre le colon, et presente, dit-on, unegrande solidite. On a signale, dans quelques oasis du cenlre de l'Afrique, des ananas, des bananiers, etc. il serait interessant de savoir si les fruits de ces plantes alimentaires contieunent des graines, et, dans ce cas, d'en envoyer en Europe. C'est par une iare exception, on le sait, que quelques semences parfaites se rencontrent parfois chez ces vegetaux , propages de tout temps par boutures ou par dra- geons. — L'usage de certaines plantes alimentaires peut indiquer, avec autant de certitude que le langage, le costume, les mceurs et les relations des diverses races humaines entre elles. Nous demandons aM. Ducouret quelques details sur la culture des Aracbides, qui font aujourd'hui 1'objet d'un commerce etendu avec la cote occidentale d'Afrique, et sur la plupart des vegetaux qui fournissent de l'huile; nous en exceptons l'huile d'Argan. Mais nous demandons de bons echantillons des arbres qui produisent le beurre de Galam et, avec cette substance , des cires vegetales. — 122 — Quelques voyageurs ont signale une espece de riz sauvage sur les bordsdu Senegal. Le Museum en possede quelques echantillons incomplets, et vos rommissaires pensent qu'il serait interessant d'en obtenir de complets, afin de savoir si cette plante ne rentro- rait pas dans une des races deja cultures et donl on ignore l'origine. Nous demandons que M. Ducouret recueille avec soin des epis entiers des cereales qu'il aura occasion de rencontrer en maturite. L'histoire des differents gommiers laisse beaucoup a desirer. On suppose que les Maures se sont reserve la recoltc des diverses variel.es de gommes; qu'ils se retirent sur les frontieres du Maroc pendanl Fete, et qu'ils se rapprochent peu a peu du Niger, en des- cendant dans les plaines ou sont les forets de gommiers. Suivant Adanson, ces forets commencent a 60 kilometres du Niger et s'c- tendent vers le nord a une distance qu'il eslime a lioo kilometres environ ; il donne a ces forets a peu pres 120 kilometres de largeur de 1'est a 1'ouest, et il les partage en trois regions: celle du Sahel, vnisine du Niger; celle du Lebiar, qui cotoic, comme la premiere, la bande sablonneuse, le cordon littoral de l'Ocean: c'est la plus grande des trois; enfin celle de YAl-fatak, qui en occuperait le mi- lieu et dont la largeur est inconnue. On ignore completement en outre sices gommiers vivent en societe de maniere a constituer des essences forestieres , ou bien si d'autres arbres, quelques palmiers, s'ajoutent a ces vegetaux et viennent rompre la monotonie et la tristesse que doit donner a ces lieux le mince feuillage qui les couvre. Malgre les rechercbes intelligentes de MM. Perrottet et Leprieur, attaches a des titres dilTerents a notre colonie du Sene- gal, nous ignorons encore l'histoire de ces acacias, les conditions meteorologiques dans lesquels ils distillent cette gomme, qui an- nuellement fournit a nos comptoirs et, par suite, a tout notre commerce de troc, plus de deux millions de kilogrammes de pro- duit. Votre commission recommande done d'une maniere special?: cette question aM. Ducouret, et sa solution serait un des resultats des plus importants qu'il pourrait offrir a 1'Academie. » — 123 — MINERALOGIE KT 0E0L0GIE. (M. Eme de Beaumont, rapporteur.) L'interieurde 1'Afrique est si peu connu qu'il est difficile de poser a M. Ducouret des questions precises a resoudre sursa constitution geologique. II existe trop peu de rapports entre les productions mi- nerales et les climats pour qu'il soit possible, comme en botanique et en zoologie, de former, d'apres les latitudes cpue ce voyageur aura a parcourir, des conjectures plus ou moins probables sur les objets qu'il pourra rencontrer. Mais plus les regions de l'interieur de 1'Afrique nous sont inconnues, plus les echantillons de roches et de mineraux que M. Ducouret pourra y recueillir presenteront d'inleret. Comme I'etendue meme de ses voyages rendra probable- men t tres-difficile le transport et Tenvoi de poids un peu conside- rables, il est a desirer que M. Ducouret s'attache surtout a prendre des ecbantillons des substances les plus communes, de celles qui constituent les plus grandes masses , et qu'il se borne a de tres- petits ecbantillons, afm de pouvoir les multiplier davantage. Independamment des echanlillons, que M. Ducouret ne reus- sira peul-etre pas toujours a faire parvenir en totalite en Europe, ce voyageur ne manquera certainement pas de prendre des notes suivies sur la disposition generale des grandes masses minerales qu'il rencontrera , sur la pbysionomie qu'elles donnent aux contrees ou elles se trouvent, et sur leurs rapports avec la vegetation et la fertilite de ces contrees. 11 devra egalement etudier la nalure des substances minerales employees par les habitants pour leurs cons- tructions ou pour d'a utres usages. II devra recueillir aussi les ren- seignements que pourront lui fournir les habitants sur l'existence de carrieres , de mines, de sources minerales et thermales, et peut- etrememe de volcans , dont la connaissance ne serait pas parvenue jusqu'au littoral de 1'Afrique, et il ne devra pas dedaigner de tenir note de leurs idees, de leurs cmyances, de leurs fables, de leurs traditions, sur les pbenomenes .-.jeologiques dont leur pays aurait ete autrefois le theatre. M. Ducouret saisira aussi les occasions d'observer lesgisements des roches que les escarpemenls , les montagnes ou les berges des rivieres pourront lui montrer a decouvert. II distinguera celles qui sont regulierement stratifiees de celles qui ne paraissent pas 1'etre, — 124 — et, parmi les premieres, celles dont les couches soul horizontales et celles dont les couches sont plus ou moins in.clin.6es. II s'atta- chera a determiner leur ordre de superposition, et a noter aussi souvent, et avec autant de precision que possible, linclinaison et surtout la direction des couches qui nc sont pas horizontales, et les rapports que ces couches peuvent presenter avec la configuration des collines et des montagnes. II n'oubliera pas que des vues dessi- nees au daguerreotype, dans lesquelles ces rapports sontexprimes. sont toujours, meme dans les contrees deja connues, des docu- ments precieux, et il s1 attach era a en recueillir partout ou les clif- ficultes du voyage et les prejuges des habitants lui en laisseronl la possibility. ZOOLOGIE. M. Valenciennes pense qu'il suffit de donner pour instruction general e a M. Ducouret de rapporter lous les animaux qu'il pourra se procurer, et qu'il doit meme les expedier de tous les lieux ou, apres un sejour plus ou moins long, il trouvera une occasion d'envoi en Europe. Rappokt de l Acaddmie des inscriptions et belles-lettres sur une mission en Chine, projetde par M. A. Smitk. Monsieur le ministre de instruction publique , par sa lettre du 18 novembre 18/19, a demande 1'avis prealable de 1'Academie sur un plan de voyage en Chine qui lui aete presente par M. Arthur Smith. Cette demande a du etrerecue avec reconnaissance par l'A- cademie , et votre commission croit ne pouvoir mieux repondre a la confiance que vous t^moigne M. le ministre, qu'en recherchant consciencieusement les moyens de diriger, le mieux possible, une branche importante des encouragements que la France accorde a la science , et dans laquelle elle s'est distinguee , dans tous les temps, honorablement entre toutes les nations. Car, si la plupart des gouvernements font entreprendrede temps en temps des voyages, si la Russie fait etudicr toutes les parties de son empire, si l'Angleterre, le Dancmarck, la Prusse, l'Au- triche, et recemment meme les Etats-Unis, ont organise des expe- — 125 — ditions scientifiques isolees, il n'y a que la France qui ait fait aux voyages une place reguliere et considerable dans son budget, el qui soit en mesure de faire explorer successivement tous les points du globe, que les progres de la science designeronl a I'examen des savants. Cette institution, il est vrai, est encore recente, et n'a pu porter tous les fruits qu'on est en droit d'en attendre. Une partie des missions a fourni des resultats excellents; d'autres ont ete plus ou moins steriles, parce qu'on avait adopte des plans mal combines, ou qu'on avait ete malheureux dans le choix des per- sonnes. II etait inevitable que des erreurs fussent commises dans une organisation nouvelle et difficile, et voire commission est loin de vouloir en faire des reprocbes a qui que ce soit : elle sait qu'aucun systeme, si parfait qu'on le suppose, ne peut assurer d'avance la r^ussite d'une mission; mais elle pense que l'expe- rience du passe ne doit pas etre perdue, qu'elle a montre les ecueils principaux de ces entreprises et qu'elle permet de fixer quelques regies, dont {'observation pourrait faire eviter les voies fausses dans lesquelles on est le plus tenle de s'engager. Votre commission n'a pas cru s'ecarter de son sujet et depasser vos in- tentions, en demandant la permission de vous exposer brieve- ment le resultat de ses reflexions a cet egard , avantde vous l-endre compte de I'examen qu'elle a fait du plan particulier qui lui a ete souinis. Dans les regies a suivre qu'elle propose, elle a en vue uniquement les missions qui ont pour but des rechercbes archeo- logiques , historiques et linguistiques ; les missions qui interessent d'autres sciences doivent necessairement satisfaire a d'autres exi- gences que les academies competentes auront a exposer.. Votre commission pense que tout voyageur charge d'une mis- sion historique, archeologique ou linguistique , doit etre d'abord verse dans la langue savante du pays qu'il veut explorer, ensuite qu'il doit avoir un but determine et restreint, enfin, qu'il doit avoir devant lui un temps suffisant. II pourrait paraitre inutile d'insister sur le premier point; mais comme c'est le plus important de tous et celui qu'on a neglige le plus souvent dans les missions du Gouvernement, nous nous permettons d'entrer dans quelques details. Nous posons la con- naissance de la langue savante du pays comme la premiere con- dition de reussite, parce que c'est la seule preuve d etudes se- rialises sur un pays que Ton puisse donner, parce que la connais- M1S5. SCIRNT. m — 126 — .sauce do la langue savante seule met le voyagcur en etal de se servir des livres el documents ecrits qu'il peut rencontrer; parce quelle seulc lui permet de comprendre et de copier les inscrip- tions; parce que, sans elle, il ne peut pas se faire respecter par les classes instruiles du pays, dont la bienveillance et le concours lui seront indispensables ; enfin, parce que cette condition suffit pour ecarler les touristes et les amateurs qui ne desirent que voyager aux frais de l'Elat. II ne faut pas croire qu'un voyageur apprenne dans le pays merae ce qui peut lui manquer sous le rapport des connaissances pbilologiques: il acquerra aisement, de la langue vulgaire, ce qui! lui faut pour ses besoins journaliers ; il perfectionnera certainement ses connaissances antcrieures de la langue savante; mais il ne 1'apprendra pas, parce qu'il n'a pas le temps ni 1'envie de s'asseoir sur les bancs de l'ecole, et qu'il ne doit pas le faire, etant envoye dans un autre dessein. Si le Gou- vernement veut mainlenir le principe de ne confier des missions qui se rapportent aux sciences historiques, qua des personnes qui remplissent la condition que nous proposons , il obtiendra bientot des voyageurs tres-superieurs a la plupart de ceux qui se sont presenles jusqu'a present , et ilencouragera puissammentles ecoles savantes de Paris, parce qu'un jeune bomme qui se livre a 1'elude des langues et prepare des travaux speciaux sur un pays , aura 1'espoir d'obtenir une mission qui serait pour lui, en meme temps, une recompense et le moyen de s'ouvrir une carriere ho- norable dans les lettres. La seconcle condition est celle d'un but determine et limits. Aujourd'bui, presque tous les voyages dont on soumet les plans au Gouvernement comprennent des objets beaucoup trop nom- breux et des espaces trop vastes. DaYis 1'etat actuel de la science, il nous faut, avant tout, des descriptions minutieuses des monu- ments des peuples anciens, des fouilles pour les retrouver, des caiques des inscriptions, la recherche des" manuscrits qui man- quent dans nos bibbotbeques, l'observation exacte des institutions, l'etude des religions et l'analyse savante des dialectes anciens. Pour penetrer ainsi au-dessous de la surface des choses , il faut que le voyageur se restreigne et se contente de limites plutot trop etroites que trop vastes. Mais des plans en apparence aussi modesles sont rarement soumis au Gouvernement, et Ton voit des hommes qui ont traverse pendant des annees tout l'Orient, sans — m — rapporter un fait nouveau, se faire un merite de ces courses sle- riles, et se fonder sur elles pour demander de nouvelles missions qui resteront necessairernent aussi infructuenses. II y a telle ville qui serait un objet suffisant pour un voyage entier, et telle tribu, aujourd'hui barbare, dont 1'elude savante serait plus instructive que la description de toutes les grandes routes cent fois parcou- rues. La limitation de I'tJtendue des missions fournirait elle-memele moyen de remplir la troisieme condition a laquelle votre commis- sion attache de 1'importance, celle d'un temps suffisanta accorder aux voyageurs. II est evident que ce temps doit varier avec les circonstances , et qu'il est impossible dele fixer a priori; mais ce qui est certain , c'est que le genre de recberches qui doit etre le debut d'une mission scientifique exige, dans la plupart des cas, un sejour prolonge dans un pays. Un voyageur qui ne demeure pas longtemps dans un lieu n'apprend que par accident 1'exis- tence de monuments situes hors la grande route, ou enfouis sous terre; il ne peut pas frequenter les bibliotheques, ni se Her avec les gens instruits du pays, ni etudier les institutions, ni s'occuper des langues. Anquetil-Duperron a pu se procurer les livres des Guebres, parce qu'il a vecu longtemps parmi eux; M. Hodgson a pu decouvrir les livres originaux des Bouddhistes, parce qu'il avait eu le temps de rendre des services aux cbefs des monasteres dans le Nepal; M. Rich, a qui ni le savoir ni l'ardeurne manquaient, n'a pas pu faire a Babylone toutes les decouvertes qu'il pressentait, parce qu'il n'avait a sa disposition qu'un temps insulfisant, et il a dii laisser a M. Botta l'bonneur de decouvrir les antiquites de Ninive, quoiqu'il ait traverse cinq fois Mossoul, et soupconne ce qui devait y exister sous le sol. MM. Coste et Flandin ont campe aBisitoun, ou ils devaient copier la grande inscription de Darius; mais la difficulte etait grande et leur itineraire tres-elendu, de sorte que, sans M. Rawlinson, qui sejournait dans le pays, ce magnifique monument ne serait pas encore connu. Le catalogue des decouvertes qui ont ete faites par le moyen d'un long sejour, et de celles qui restent a faire, parce qu'aucun voyageur n'a encore pu ou.voulu leur consacrer le temps necessaire, serait trop long, et il serait inutile dinsister sur ce point; car il est evident que des recherches savantes ne peuvent etre que 1'ceuvre du temps, surtout dans des pays barbares, ou il faut, avant tout, dissiper la — 128 — mefiance, se faire des amis pour etre protege, et ou la vie du vovageur peut dependre de 1'epoque a laquelle il visite une loca- lity interessante. II est vrai que des missions ainsi concues supposent des voya- geursbien prepares et d'une grande ardeurscieDtifique;mais notre but est precisement de trouver des hommes serieux, ardents et devoues a la science, et nous croyons qu'en France on peut tout obtenir quand on le demande avec perseverance. Au reste, votre commission repete qu'elle ne regarde les con- ditions qu'elle pose que comme des moyens d'ecarter des plans I'videmment mal combines, et non pas comme des garan ties posi- tives de succes. La reussite dependra toujours du caractere , de la sante , de 1'aptitude du voyageur, et nous ne proposons de regies generates que comme des precautions preliminaires qui ne sau- raient etre negligees, sans compromettre d'avance les chances du succes. Nous passons maintenant au projet d'un voyage en Chine pre- sente par M. Arthur Smith; ce projet comprend deux points prin- cipaux : i° L'etude comparative du chinois vulgaire et des idiomes pro- vinciaux de la Chine, en vue de completer un vocabulaire dont s'occupe 1'auteur; 2° L'observation exacte et minutieuse des mceurs et coutumes, appliquee a une ville importante de la Chine. M. Smith se propose, pour atteindre son but, de resider pen- dant trois ans dans les ports chinois ouverts aux Europeans, et surtout a Fou-tcheou-fou , capitale du Fo-kien, d'y etudier les prin- paux dialectes chinois et les patois provinciaux, et d'observer les mceurs et les institutions du pays. II enonce ensuite 1'espoir de penetrer a Nankin et a Pekin , ce qui donnerait a son voyage une etendue qui exigerait une prolongation de temps. Votre commission s'abstient de discuter cette derniere partie du plan , parce qu'elle tient sa realisation pour trop peu vraisemblable dans l'ctat actuel des choses en Chine, et que M. Smith lui- meme n'en fait pas un des objets essentiels desa mission. Quant a la premiere partie du plan de 1'auteur, le perfection- nement du vocabulaire, votre commission est persuadee qu'on peut faire en Chine des travaux lexicographiques tres-utiles. Elle n'al- 1^9 Du Cithairon 1 ,4 1 1 Du Parnes 1 ,4 1 3 Du Callidrome, au-dessus de Drymaea 1,374 Du Cyrtone 1 ,08 1 Du Ptoiis 726 Du Messape » ,oa5 m to. — 136 — grandesvilles: Lilaia, Elaine, Cheronee, Orchomene, enfin, sur les bords du lac Copais; bien difierentes en cela des vallons etages dc l'Arcadie, ces quatre piaioes occupent, a la suite l'une de 1'autre, an meme niveau, et leur sol est tellement horizontal, qu'il parait corarae une mer solide d'ou les montagnes semblent sorlir comme des rivages; toutefois, un fleuve les parcourt dans toute leur eten- due : c'est le C6phise, qui coule vers le S. S. E.'dans la meme direction que les deux chaines de montagnes d'ou il tire ses eaux. Le grand bassin de la Grece orientale est ferine, dans sa parlie snperieure par le mont OEta, et vers son autre extremite par les bauteurs interrompues qui unissent le Messape et le Parnes, hau- teurs a travers lesquelles l'Asopus s'est fraye sa route pour at- teindre vers 1'E. la mer d'Eubee. La parlie la plus basse de ce bassin, situee entre 1'Helicon et les monts Cyrtones, est le rendez- vous general des eaux de toutes les montagnes d'alentour, et c'est la que s'etendent les grandes lagunes du lac Copais. 2. La figure du lac est celle d'un carre avec deux baies vers 1'occident et deuxautres baies du cote de l'est, dont les plus sep- tentrionales sont celles qui s'avancent le plus dans les terres. A l'orient, les eaux du Copais sont arretees par les flancs abruptes de grands rochers calcaires qui forment une division marquee dans le bassin de la Grece orientale. En effet, des monts Ptoiis, situtis a Tangle N. E. du lac, cette chaine de hauteurs steriles , courant vers le S. S. O., va rejoindre les pentes moins abruptes de l'He- licon et coupe , a angle droit , la Beotie en deux regions bien dis- tinctes. La region occidentale est en partie occupee par le lac; la region de l'E. comprend, entre la chaine du Cithairon et celle du Ptoiis et du Messape, quatre divisions principals, qui sont, en allant du S. au N. , la plaine de Plalees, celle de Thebes avec le champ Tenerique , le lac Hylica et le lac Paralimni , dont l'ancien nom grec est si incertain. Toutefois on pourrait donner le nom de Beotie centrale a l'ensemble de ces quatre subdivisions; car, de meme que du cote de I'O. la longue plaine du Cephise aboutit au lac Copais, de meme aussi du cote de l'orient s'etend la longue vallee de l'Asopus ou de Tanagre, au pied de la chaine non in- terrompue du Cithairon et du Parnes. II faut concevoir que ces quatre subdivisions de la Beotie centrale, comprenant deux plaines et deux lacs, sont disposees par etages les unes au-dessous des autres dans l'ordre meme oil nous les avons nomniees : la — 137 — plus elevee au-dessus du niveau de la mer est la plaine de Platees, au pied meme du Cithairon; la campagne de Thebes, ancienne- ment appelee Aonie, etle champ Tenerique sont a uu degre plus bas: mais comme une suite de collines les separe de la plaine de Platees, celle-ci verse ses eaux vers 1'orient , dans la fertile vallee de 1'Asopus; la plaine de Thebes1 au contraire vefse ses eaux vers le nord, dans le bassin profond du lac Hylica : 1'Aonie est fort Elevee au-dessus de ce dernier lac2, et ses eaux s'y deversent en cascade, au-dessous des ruines memes d'Hyla, par une entaille qu'elles se sont creusee au milieu des schistes verts. Enfin , au plus bas degre, dans un long bassin de forme ovale , au milieu des pentes rapides du mont Pious, s'elend lelac Paralimni3, a egale dis- tance entre le lac Hylica et le rivage d'Anthedon. Telle est la dis- tribution generale des bassins dans la Beotie centrale. Si nous voulons mettre cette region en rapport avec la region du lac Copais, il suffira de dire que le niveau moyen de ce lac est un peu moins eleve que la plaine de Platees et un peu plus eleve que le champ Tenerique el la plaine de Thebes4; de telle sorte qu'il v a dans le grand bassin de la Grece orienlale trois etages de lacs: le Copais, 1'Hylica et le Paralimni, dont le premier est a la fois le plus grand, le moins profond et le plus eleve au-dessus du niveau de la mer. 3. Les deux petits lacs beotiens n'exercent qu'une influence secondaire sur le climat de cette contree. Nous appuyons cette assertion sur deux raisons principales : premierement, ils sont etroits et contenus dans des bassins dont les pentes sont abruptes et steriles; il en resulte que les eaux qui tombent sur les mon- tagnes environnantes se rendent aussitot dans ces lacs en torrents impetueux , et s'y conservent comme dans des vases profonds une grande partie de 1'annee; secondement, 1'escarpement de leurs rives est cause qu'il ne se forme autour d'eux aucune alluvion ; les terres, ou pour mieux dire, les debris des roches calcaires d'a- lentour, entraines par les pluies torrenlielles de ces latitudes, roulent jusqu'au fond du lac, dont elles elevent peu a peu le niveau; mais cette action meme s'exerce avec lenteur, et 1'effet 1 Hauteur de la plaine de-Thebes au-dessus du niveau de la mer. 90 metres 2 Hauteur du lac Hylica 58 3 Hauteur du lac Paralimni 3o 4 Hauteur du lac Copais au-dessus du niveau de la mer 98 — 138 — n'en serait sensible qu'apres un long temps; car les calcaires ju rassiques de ces raontagnes, rendus compactes par la silice qu'ils renferment, se polissent ou se crevassent sous les eaux de la pluie et ne se reduisent pas en poussiere comme les calcaires des for- mations plus recentes. Les eaux de ces lacs conservent done leur transparence et ne sont point troublees, comme il arrive aux lacs peu profonds des pays plats, par les torrents qui s'y precipitent. Toutes ces causes reunies concourent a isoler les deux petits lacs thebains du reste de la Beotie, et a leur donner, pour ainsi dire, une existence propre et solitaire dans le grand bassin de la Grece orientale. Toutefois, renfermees dans des cavites profondes, a Tabri de tous les vents, leurs eaux sont exposees a Taction puis- sante des rayons solaires. 11 se concentre clans ces pelites vallees une extreme cbaleur durant les longs mois de 1'ete , de telle sorte que les eaux des lacs Hylica et Paralimni s'elevent a une baute temperature : aussi, durant cette saison, il se produit a leur sur- face une abondante evaporation qui ne s'arrete pas nicme pendant les nuits sereines, mais tiedes, du solstice. En 18 48, dans les der niers jours de decembre, quoiqu'il futdeja tombe de fortes pluies, la surface du lac Hylica etait encore a quatre metres au-dessous de son niveau : si par consequent nous estimons a 16 kilometres carres la surface moyenne du lac entre ses crues les plus hautes et ses plus basses eaux, nous voyons que, au 1" Janvier 1849, levaporation en avait emporte 64 millions de metres cubes. Sans contredit e'est une quantite d'eau fort petite , eu egard a celle qui s'eleve durant une annee de la surface des mers de la Grece, et e'est pourquoi nous avons remarque que les deux 1^ tbebains n'exercent qu'une influence secondaire sur le climat de ce pays; mais si Ton considere le peu d'etendue du lac Hylica, Ton trou- vera fort grande cett#masse d'eau vaporisee en moins de neuf mois , et Ton jugera par lade Taction puissante des rayons solaires dans ces petits bassins fermes , et de Tetat habituel de leur atmospbere particuliere, immobile, brulante et chargee de vapeur : il en re- sulte en effet que si leurs pentes rapides et depourvues de terre ne nourrissent qu'un petit nombre de plantes , celles qui parvien- nenl a prendre racine dans les fentes des rochers, telles que la grande pblomis et le cyclamen , s'y developpent avec une vigueur singuliere; pour les meaies causes aussi peut-etre, ces deux pelits lacs et principalement le Paralimni nourrissent d'excellents pois- — 139 — sons qui , avec ceux de Cbalcis, font du marcbe de Thebes un des inieux approvisionnes de la Grece. Nous ne pouvons nous etendre clavantage en ce moment sur ces deux petits bassins de la Beotie centrale, dont nous aurons d'ailleurs occasion de parler encore, et nous arrivons au lac Co- pals, le plus grand et le plus important des trois. II. 1 . Le lac Copais , ainsi que nous l'avons deja remarque, occupe la partie la plus basse de la vallee du C£phise. Le sol sur lequel il repose est un terrain d'alluvion qui s'incline par une pente reguliere du S. 0. au N. E. de telle sorte que sa partie la plus profonde est au pied des rochers de I'antique ville de Copai : cette observation , faite par les anciens et que nous trouvons consignee au livre IX de Strabon \ est aisee a faire aujourd'hui meme et a (He verifiee plusieurs fois dans ces derniers temps. La chaine de 1'Helicon, abrupte et sauvage du cote de la mer de Corintbe, s'incline plus doucemeot par son versant septentrional ; neanmoins, les torrents qui, depuis des siecles, degradent ses grands rochers calcaires et ses vallees creusees dans des schistes friables, en de- tachent sans cesse des debris qu'ils entrainent vers la plaine et qu'ils deposent au fond du lac Copais. Voici la cause pour laquelle le lac est plus profond vers le nord que vers le sud : c'est que la chaine septentrionale , formee par les monts Cyrtones et par leur prolongement vers le Ptoiis , est composee jusqu'a sa base des cal- caires siliceux et compactes de la formation jurassique; il en re- sulte que les eaux du ciel ont peu d'action sur ces montagnes et n'en detachent, pour ainsi dire, aucun debris; les formes brusques de ces rochers descendent jusque dans les«eaux du lac et le cei- gnent au nord comme a Test dun long escarpement presque sans interruption , lequel s'etend d'Orchomene a Oncheste. Au midi , les schistes des basses regions de 1'Helicon descendent vers la plaine en croupes arrondies et , sans cesse minees par les pluies et par les torrents, se transforment en une veritable alluvion. Ajoutons qu'au pied de cette montagne s'etend un etage de ce terrain ter- tiaire que les geologues appellent miocene, et qui, mele avec les 1 Strabon, IX, 27. — 140 — debris schisteux et les matieres veg^tales, produit un sol incline vers le nord, terre noire, selon l'expression d'Hesiode, et d'une extreme fertilite. C'est dans la partie la plus basse de cette allu- vion que se rassemblent les eaux du lac Copais. 2. Un grand nombre de cours deau se rendent dans ce commun reservoir de la Grece orientale; il faut a peine citer ceux qui des- cendent des montagnes du nord. L'aridite de ces roches calcaires produit deux effets principaux : les sources y sont rares et peu abondantes; les eaux des pluies ne les penetrent pas et s'ecoulcnt a leur surface sans y sojourner. Mais si, partant d'Oncheste, situe a Tangle S. E. du lac, nous suivons la rive meridionale , nous rencontrons, premierement, les eaux sacrees d'Hippocrene , qui forment le Permesse, et, s'unissant a celles de rOlmius, courent se jeter au lac Copais, non loin des ruines d'llaliarte1. Les poetes n'ont point exagere la fraicbeur et la fertilite de ces lieux : 1'He- licon est une montagne de 1,900 metres de hauteur, dont les cimes conservent de la neige une grande partie de fannee; les eaux qui proviennent de leur fonte penetrent dans les fentes des grands rocbers de la montagne, et ressortent un peu plus bas sans s'etre ecbauffees et sans avoir perdu leur limpidite; les vallees qu'elles parcourent, tournees du cote du nord, sont abritees contre les ardeurs du jour et jouissent de la tiedeur de fair de ces contrees meridionales, sans etre dessechees par les rayons embrases du so- leil. — De nombreuses sources descendent des flancs de THelicon entre Haliarte et Coronee : elles naissent , comme cela est ais£ a comprendre , sur la ligne de separation des schistes et des cal- caires; souvent elles bumectent le sol aulour d' elles au point d'y former un petit marecage : en i^4S, dans les derniers jours de mars, nous trouvames que plusieurs passages de la route deThes- pies a Lebadee , infratichissables pour des gens a pied, etaient a peine praticables jiour nos chevaux. Toutefois, malgre fabon- dance de quelques-unes de ces sources, et surtout de celle qui passe non loin de Coronee, par les moulins de Kalamos, on peut dire qu'elles contribuent plutot a la fertilite de la terre qu'a l'en- tretien des eaux du lac. Trois grands ruisscaux se rendent au Copais, rflercyne, le Cepbise et le Melas: le C6pbise seul est une riviere d'un long cours; 1'Hercyne n'arrose qu'une plaine cVnne 1 Strab. IX, 19. — HI — petite Vendue; le M£las, a peine sorti de terre, se perd aussitot dans les marais d'Orchomene. 3. Le principal lit de l'Hercyne est celui qui traverse la ville de Livadie , batie sur le penchant de la montagne : elle nait dans une gorge profonde fortnee par deux grands rochers a pic rappro- ches Tun de 1'autre comme deux murs; des masses pesantes se sont detachees de leurs flancs et sont tombees avec fracas au fond de la gorge sauvage. L'Hercyne se precipite a travers ces roches d'un calcaire noir et sulfureux, dont la cassure repand une odour fetide bien connue des geologues; le torrent, qui roule en tumulle au milieu de leurs blocs entasses, est charge de matieres sulfu- reuses qu'il depose peu a peu a leur surface en une couche blanche et legere : on attribuerait volontiers a 1'usage prolonge de ces eaux le teint pale et fair maladif des habitants de Livadie. Quoi qu'il en soit, apres avoir traverse la ville, l'Hercyne se repand, soit par des His naturels, soit par des canaux, dans une plaine alluviale d'une extreme fertilite, ou I'agriculture a pris, par la force des choses, son plus beau developpement : les arbres frui- tiexs y ci-oissent en abondance, principalement aux abords de la ville, dans la partie la plus haute de la plaine; on y remarque les amandiers, les pechers, les abricotiers, les poiriers. La partie inferieure de la vallee peut etre consideree, a bon droit, comme une des terrcs les plus fertiles du moude; la culture de la garance s'yestintroduite depuisplusieurs anneesety faitderapides progres; ilen est de meme de celle du coton. Malheureusement, ces terres si fecondes sont exposees annuellenient aux inondations : la baie S. O. du lac Copais s'avance jusqu'a 5 kilometres de la ville, et plus de 2 kilometres de terrain sont baigqes paries infiltrations des eaux et transformed en un marais insalubre elimproductif. On estime.en moyenne, aplusdemille1 chevaux,la force prod uite par la chute de l'Hercyne; bien que la plus grande partie de cctte force soit perdue ou mal employee, elle montre quel volume d'eau repandent dans la vallee les sources sacrees de Mnemosyne et de Lethe, et que si elles donnent au sol la fertilite, elles contribuent aussi plus que le Permesse a 1'entretien des eaux du lac; toutefois, l'Hercyne est un torrent, et cette riviere, qui roule avec fracas a 1'epoque de la fonte des neiges, n'est plus qu'un ruisseau murmurant a la fin de 1'ete. ' Sauvagc, Ann. des Mines, \' serie, t. X. — 142 — k. Le Cepliise coule du N. O. au S. E. dans la longue vallee dc la Grece orientale, dont il est le principal fleuve ; il se jette au lac- par le midi de la baie N. O. non loin d'Orchonu'ne. Ainsi que nous l'avons remarque, il arrose dans son cours quatre plaines, dont la plus eloignee est celle de Lilaia. Cette ville, ou se trouvc la source principale du fleuve, est a qualorze lieues du bord occi- dental du lac Copais; mais le Cepliise vient de beaucoup plus haut, puisque son lit peut etre renionte jusqua plus de vingt lieues du lac, en uu mot, jusqu'au col du mont Aetos, qui separe ses eaux d'avec celles du Sperchius. Dans la Grece, en eflet, il faut toujours distinguer la source d'un fleuve d'avec son origine : les sources se trouvent souvent a la parlie inferieure des mon- tagnes; mais les lits du fleuve remontent beaucoup plus haut et j usque dans les derniers escarpements des rocbers. Ces lits sont le plus souvent a sec; mais comme les ravins. sont les conducteurs naturels des eaux de la pluie et des neiges, si les fontaines inta- rissables sont les sources mysterieuses des fleuves, les gorges arides des rochers ou se rassemblent d'innombrables ruisseaux, en sont les sources visibles, et c'est sur les cols et les cimes des monts que Ton assiste au grand phenomene de la separation des eaux. — Le mont OEta s'eleve comme une barriere vers la partie occidentale de la vallee du Cephise; toutefois, il ne donne a ce fleuve aucune partie de ses eaux, car il est separe de lui par le col du mont Aetos. Cette vallee recoit les eaux des deux cbaines dont nous avons parleen commenqant, et le Cepbise a sur sa gaucbe, outre l'Aetos qu'il laisse derriere lui , le Callidrome, le Cnemis et une parlie des monts Cyrtones; sursa droite, leParnasse. Strabon1 nous dit bien que ce fleuve a sa source principale non loin de Lilaia , mais il ne nous en dit pas la cause , qui cependant n'etait pas dif- ficile a decouvrir : cette ville, en eflet, est situee au pied du Par- nasse, et regoit les eaux de son plus haut sornmet, le Lycor^e. Cette grande montagne domine a la fois les quatre plaines dans lesquelles se partage la vallee du Cepbise, et c'est elle veritable- ment qui, par ses sources, ses neiges perpetuelles et la grande surface quelle oflre aux eaux du ciel, donne naissance au lac Copais. Comme celui-ci est le reservoir des eaux de la Grece orien- tale, le Parnasse, et principalement le Lycoree, qui s'eleve au- 1 Strab. IX, 19. — Horn. Hym. iiApol. — 143 — i dessus de Delphes et de Lilaia , est le lieu geographique ou il faut chercher la principale origine de ces eaux. 5. Cependant, le fleuve Melas doit etre conipte comme un des grands affluents du Gopais. Ce fleuve singulier porte aujourd'hui le nom de Mavro-Potamo , par lequel les Grecs designent les phe- nomenes des eaux qui ont pour eux quelque chose de mysterieux etd'extraordinaire, ou bien auxquels se rapporte quelque tradition antique; cette epithete convient d'autant mieux au Melas, qu'elle ne fait que traduire son ancien nom. Le fleuve a sa source au fond de la baie N. 0. au pied du mont Acontius, sur le penchant du- quel se voient les mines de l'Orchomene des Minyens; il sort du pied du rocher, non loin du lac, et court au travers de grands roseaux, parmi lesquels il semble se perdre. Cependant, il ne se ruele pas aussitot-aux eaux du Gopais, car il s'est forme a lui- meme, daDS la suite des temps, un lit d'alluvions plus eleve que le fond du lac, et sur lequel il poursuit son cours ; il en est de meme du Permesse, de l'Hercyne et du Gephise, que Ton pent voir coaler a travers les eaux stagnantes, et atteindre les rochers de la rive orientale. III. l. Tous ces cours d'eau perpetuels et ces torrents, si Ton y ajoute les sources nombreuses et sans nom qui bordent le lac au midi et les eaux du ciel, forment, par leur reunion, le lac Copais. Les basses eaux du lac couvrent une superficie qui n'est pas infe- rieure a i5o kilometres carres; les hautes eaux des crues ordi- naires en couvrent 2 3o. Le niveau de 1'inondation annuelle, dans le voisinage de 1'antique Copai, est de 6 metres au-dessus du lit du Melas; mais, dans les grandes inondations, comme celle qui eut lieu en 1'annee i848, le niveau des eaux s eleve sur cetle meme rive jusqu'a 7 metres 4o; on peut s'en convaincre en ob- servant la trace que ces eaux laissent apres elles sur les rochers. Ainsi done, si, en considerant la pente uniforme du sol, 1'on ra- mene a 3 metres la hauteur moyenne des eaux du lac dans les crues ordinaires , on trouve que leur volume, a la fin de 1'hiver, est egal a 690 millions de metres cubes. Et puisque dans les plus basses eaux, cest-a-dire vers la fin de fete, il est encore egal a 337 millions, la difference de ces deux nombrcs , e'est-a-dire — 144 — 343 millions de metres cubes, exprime la quantite d'eau qui cir- cule clans la grande vallee de la Grece orientale en passant par le lac Copals : on voit qu'elle est a celle du lac Hylica dans le raj) port approche de 5,35 a i; mais, dans les grandes inonda- tions, qui ne sont point rares sous ces latitudes meridionales , la quantite d'eau qui se rend au Copals est plus que doublee, car elle s'eleve jusqu'a 7A0 millions de metres cubes au-dessus des basses eaux. Ces crues extraordinaires n'ont pas une autre origine que les inondations annuelles : elles ont lieu a la meme epoque, c'est-a-dire durant les mois de Janvier et de fevrier, lorsque la fonte des neiges est dans toule son activite; cependant, pour que les neiges elles-memes s'accumulent en aussi grandes masses sur les monlagnes de cette partie de la Grece, il faut un concours par- ticulier de circonstances dont noos parlerons plus tard. Les pluies commencent en septembre dans laBeotie, et meme des la seconde quinzaine du mois d'aout. Durant l'aulomne , ce ne sont le plus souvent que des pluies d'orage, violentes, mais de courte duree ; elles suivent alors dans leur chute une marche apeu pres constante. Les nuees electriques se rassemblent autour des sommets du Parnasse, et, parcourant d'un mouvement rapide la chaine qu'il forme avec 1'Helicon , elles s'abattent enfin dans les vallees septentrionales de ces monts, sur la plaine et sur les lacs, et embrassent quelquefoistoute la Beotie. Les pluies continues et les neiges ne tombent que plus tard , vers la fin de decenibre et durant les mois de Janvier et de fevrier. C'est a cette epoque aussi qu'ont lieu les crues du lac Copals, soit qu'elles se maintiennent dans leurs limites ordinaires , soit qu'elles inondent les basses campagnes, cntre Haliarteet Coronee, qu'elles s'avancent jusqu'aux environs de Livadie, et rendent inaccessible, du cote du sud, la ville d'Orchomene. 2. Les eaux du lac Copai's se perdent de deux manieres : par les katavothra et par Fevaporation. Les katavothra sont des conduits naturels perces a travers le sol , conduits dans lesquels les eaux des lacs ou des rivieres se precipitent. La Grece en offre de nombrcux exemples , comme Aristote en a fait la remarque1. On ne les rencontre pas seule- ment dans les plaines peu elevees et voisines do la mer, mais dans 1 Arist. Mitior. I, io. — 145 — , Jeshautes vallees, sur les plateaux des montagnes , et jusque dans la region des neiges. II y en a plus de Irente dans la seule Arcadie, dont plusieurs peuventetre ranges parmiles phenomenes les plus frappants de la nature. Dans celte province , composee de vallees fermees,debassins disposes en etages les uns au-dessus des autres, les katavothra conduisent les eaux des liautes montagnes jusque dans les vallees les plus basses ; quelques-uns meme ont leur issue dans les rochers des rivages et jusqu'au fond de la mer, de telle sorte que le sol du Peloponnese est parcouru par des fleuves sou- terrains, comnie il est arrose a sa surface et fertilise par cFinnom- brables ruisseaux. Ce double systeme d'eaux courantes s'etend a toute la Grece, et en voici la cause : presque toutes les montagnes de cette contree sont composees de deux sorles de terrain , les schistes et les calcaires siliceux; les uns et les autres sont impe- netrables pour les eaux; mais, tandis que les premiers formentdes coucbes lamelleuses sur lesquelies glissent les eaux du ciel, les calcaires, entasses en blocs immenses au-dessus d'eux, couronnent toutes les montagnes de leurs masses compactes et offrent mille canaux irreguliers, dans lesquels les pluies et les neiges trouvent leur ecoulement. Ce sont des rocbes de celte nature qui s'elevent a pic sur les rives septentrionale et orientale du lac Copai's; aussi Ton compte jusqu'a treize katavothra de 1'ancienne Copai aux ruines d'Haliarte. Laplupart de ces goufFres, il est vrai, sont tres- petits et meme difficiles a apercevoir ; mais plusieurs d'entre eux sont remarquables et servent d'issue aux principaux cours d'eau de la vallee beotienne. Les trois plus grands sont ceux ou se pre- cipitent I'Hercyne, le Cephise et le Melas : ce dernier est sur la rive septentrionale du lac. Perce a une certaine bauteur dans les rocbers, il n'absorbe pas le lirnon fangeux; les eaux claires du fleuve s'y engouffrent avec un grand bruit , qui retentit dans les cavernes voisines, sejour aime des colombes. Les katavotbra ont leurs issues bien connues dans le canal de 1'Eubee; nous voyons deja dans Strabon J que pres de Larymna sont les bouches du Cephise, -crap'j/v 6 Kyj^icrds exZ&waiv; il n'y a, en efTet, que 6 kilo- metres du gouffre du Cephise au fond de la baie de Larymna, et ces deux points ne sont separes que par un col de 35 metres de bauteur environ ; c'est la principale issue des eaux du Copais. II 1 Strab. IX, p. 4 12. — 140 — s'en trouve une autre sur le memo rivage , au fond dune autre baie non moins profonde que celle de Larymna. Ce rivage n'est eloigne du lac Paralimni que de 2,000 metres; mais ce petit espace est occupe par les grands rochers du niont Ptoiis, dont les couches sont inclinees de telle sorte, qu'clles ne laissent point passer les eaux de ce dernier lac, tandis qu'elles offrent des con- duits naturels a celles du Copais , eloigne pourtant dune distance triple. Enfin, parmi les gouffres qui meritenl d'etre remarques, il faut citer celui ou paraissent aboutir les eaux de 1'Hercyne; il est situe sur la rive orientale, bien au-dessus du fond du lac, et forme une source intermittente sur les bords du lacHylica, dont il n'est separe que par un col de 00 metres de hauteur au-dessus du Copais. II ne faut pas croire que la plus grande partie des eaux du lac s'ecoule par ces conduits souterrains ; deux causes principales les ompechent de produire de si grands effets : preincrement , ils sont pour la plupart fort petits, et ceux dans lesquels viennent se jeter les eaux des fleuves sont loin de les absorber entierement, parce que, dans la suite des temps, il s'estproduit sous la terre des eboule- ments ou des chutes de rochers qui ont singulierement diminue leur importance ; en second lieu , le plus grand nombre d'entre eux est situe au-dessus du fond du lac, de telle sorte qu'ils n'ab- sorbent les eaux qu'une partie de 1'annee, a 1'epoque des inonda- tions. En cela done, ils ne sont point comparables au gouffre du lac Stymphale : celui-ci, en effet, est une vaste cavite au pied du mont Apelauron, dans laquelle les eaux du lleuve tombent verti- calement en tournant sur elles-memes, et rejetant au dehors les vapeurs mephiliques dont les reservoirs souterrains sont remplis. Cette difference des gouffres du Copais et de Stymphale vient uniquement de leur position par rapport au fond des lacs; les premiers ne recoivent que la partie la plus claire des eaux stag- nantes apres que le limon s'est depose; l'autre engloutit a la fois les eaux du lac, les debris des plantes dessechees, la terre que le fleuve arrache de ses rives , et il offre a la vue le phenomene le plus etrange et le plus repoussant de toute la Grece. 3. On ne dit pas que la vallee de Stymphale soit fort insalubre, bien quelle soit couverte par les eaux durant l'hiver. Lorsque les pluies ont cesse et que les neiges ont disparu des montagnes, ce petit lac s'ecoule par le gouffre et grossit sans doute a cette epo- — 147 — que les belles sources de l'Erasinus et de Lerne; les debris des vegetaux sont emportes sous la terre, ou ils se deposent dans quelque grand reservoir et se pourrissent lentement, comme on en peut juger paries exhalaisons fetides du katavothron. I\ien de pareil n'a lieu au lac Copais: sa grande etendue et le peu de pro- fondeur de ses eaux font de ses larges rives un marais insalubre. Au mois de mars, il presente un aspect analogue a celui des la- gunes de Cette et d'Aigues-Mortes : c'est un vaste etang coupe ca et la de longues bandes de terres hautes, dont la couleur jaune ou brunatre tranche sur le bleu des eaux plus profondes; car, a cette epoque, les inondations et lc froid de 1'hiver ont fait disparaitre les vegetaux qui bordaient ses rives; aux mois d'et6, la chaleur du soleil, jointe aux pertes qui ont lieu par les katavothra, a re- duit le volume et 1'etendue des eaux; une riche vegetation donne au lac, vers la fin du printemps, 1'aspect d'une prairie fertile : les belles campagnes de la Beotie paraissent se prolonger dans les eaux et se confondre insensiblement avec elles. Des le milieu de l'ete, toute cette decoration a disparu : ces prairies apparentes sont devenues un marais insalubre; les eaux claires qui baignaient les tiges des roseaux ont fait place a une fange noire et infecte, sur laquelle jaunissent, aux rayons ardents du jour, ces grandes tiges de graminees, aussi promptes ase detruire qu'a se former. Le lac Copais parait avoir change plusieurs fois d'aspect et d'etendue dans 1'antiquite. Le plus ancien phenomene de ce genre dont il soit fait mention dans l'histoire est le deluge d'Ogyges. Gelte inonclation , qui n'a rien de commun avec le deluge uni- versel des traditions orientales, non-seulement couvrit la grande vallee du Cephise, mais franchit les cols qui separent le Copais du lac Hylica et du champ Tenerique, ainsi que 1'ondulalion de terrain qui distingue ce champ d'avec la plaine de Thebes. Toutes ces subdivisions du grand bassin de la Grece orientale furent cou- vertes par les eaux, et il dut en etre de meme des petites plaines qui font suite a celle de Thebes , du cote de Chalcis ; mais les champs de Platees ne furenl point submerges, parce que les eaux de cette plaine secoulent, par la vallee de Tanagre, dans la mer d'Eubee. La Beotie s'appelait primitivement Ogygie : s'il a existe un Ogyges, et si ce nom est celui d'un homme et non dune race ou d'une civilisation fort antique, ce ful sans doule sous son regne' qu'eut lieu le deluge dont nous parlous. Or, rien n'cst mieux — 148 — connu en rneteorologie que le phenomena de la circulation des eaux, et personne n'ignore qu'elles ne peuvcnt s'elever au-dessus de leur niveau que sous la forme de vapeurs; ce fut done par des pluies ou par des neiges extraordinaires que se produisit l'inon- dation d'Ogyges; mais, pour qu'elle ait pu s'elever a une aussi grande hauteur, il est necessaire que les goulTres se soient obstrues pendant quelque temps : ce phenoinene s'est, en effet, reproduit plusieurs ibis depuis cette epoque. « Comme la terre est caver- neuse et fisluleuse, dit Strabon , de terribles tremblements de terre ont souvent bouche des conduits et en ont ouvert dautres, les uns sur la surface du sol, les autres sous terre. . . Quand il y a des eboulements, les eaux montent jusqu'aux lieux babites, et engloutissent des villes et des villages. Quand les canaux se rou- vrent, ou qu'il s'en forme dautres, ces lieux se decouvrent de nouveau, de sorte que dans les memes endroits on va tantot a pied sec, tantot en bateau, et que les memes villes sont tantot sur le lac, tantot loin de lui. Ainsi les villes sont detruites et. re- baties plus baut, ou bien elles demeurent, parce que, baties d'a- bord sur des points eleves , elles echappent aux eaux1.)) II est done croyable qu'a la suite de quelque tremblement de terre survenu dans les monts Cyrtones et Ptovis, les katavotbra se trou- verent obstrues, et que, ce phenomene s'etant rencontre avecdes pluies et des neiges extraordinaires, il en resulta cette grande inondation d'Ogyges. Dautres parties de la Grece furent inondees aussi dans l'antiquite, mais par des causes toutes differentes : ainsi la plaine d'Atbenes fut occupee par les eaux de la mer, et 1'on connait les terribles effets de la colere de Neptune contre Argos. Que la mer ait couvert ces plaines dans les temps histo- riques, e'est ce que l'on ne saurait mettre en doute, puisque 1'on y trouve a chaque pas^ dans un sol depose horizontalement, les coquilles qui vivent encore aujourd'hui dans les mers voisines. Rien de semblable n'eut lieu dans la vallee beotienne, ou l'on ne trouve que des alluvions d'eau douce, reposant sur un terrain terliaire anterieur aux temps historiques, et qui d'ailleurs est elevee de 98 metres au-dessus de la mer, sur laquelle cette vallee n'estouverte d'aucun cote. Pour franchir vers 1'orient les cols dont nous avons parle et se deverser dans les plaines de la Beotie cen- ' Strab. IX, 16. — 149 — trale, les eaux du Gopais durent occuper, vers l'occident, une grande etendue de terrain et s'avancer jusque dans le pays de Lilaia et de Doris : pendant qu'elles sejournerent dans les quatre plaines du Cephise, elles y deposerent uniforraement les debris de terre, de vegetaux et d'animaux memes qu'elles avaient entrai- nes avec elles. Or on est frappe de voir, en effet, ces plaines dis- posers sur un meme niveau et recouvertes d'une alluvion hori- zontal, du sein de laquelle les montagnes environ nantes s'elevent com me des rivages, avec une telle regular! te, que le sol de la plainc parait s'etre glisse comme un lac au milieu des terres. Rien n'ex- cite la curiosite du voyageur comme de voir sur la lisiere de la plaine, je dirais volontiers sur sa rive, la ou 1'alluvion finit et ou commence le calcaire, finir aussi la vegetation de la plaine et com- mencer celle de la montagne; dans ces angles si bien dessines, le roseau des terres basses croit a cote de la grande pblomide des montagnes dessechees, sans que 1'un empiete jamais sur le domaine de 1'autre. Si 1'histoire citait une autre inondation qui eut, apres celle d'Ogyges, couvert cetle longue vallee, il faudrait expliquer par elle cet aspect des plaines d'Orchomene, de Che- ronee, d'Elatee; or un tel phenomene n'a pas eu lieu, puisqu'il n'en est fait mention dans aucun recit; il est done naturel de voir dans cette disposilion si frappante d'alluvions qui semblent for- mees d'hier, une trace du grand deluge d'Ogyges. /i. Strabon 1 rapporle comme une tradition populaire que, dans les temps les plus anciens, le sol du lac Copais etait a sec et bien cultive par les Orchomeniens, qui, en effet, dit-il, etaient fort riches. A cette epoque, la ville etait dans la plaine; mais les eaux 1'ayant inondee, ses habitants allerent setablir sur le mont Acontion, oil elle est aujourd'hui. Je crains que ce recit n'ait ete invente plus tard, lorsque Ton executa des travaux au lac Copais pour le mettre a sec, ou du moins pour en pr^venir les inonda- tions; en effet, les ruines d'Orchomene remontent aux temps les plus anciens de la Grece et ne sont surpassees en antiquite par aucune autre ruine de ce pays : or elles se voient non dans la plaine, ou il ne reste rien, mais sur le mont Acontion, au lieu meme indique par Strabon. Quoi qu'il en soit, il est certain que ces memos inondations, qui avaient force plnsieurs villes a s'eta- ' Strab. IX, 4o. MISS. SCIENT. j i — - 150 — blir siu les lieux eleves, pousserent plus lard les anciens a entre- prendre certains travaux au lac Copais, soil pour se garantir des crues extraordinaires , soit pour acquerir, aux depens du lac, des terres cultivables. Rien n'est aussi obscur que cetle question : ni les livres, ni la vue des lieux ne la peuvent resoudre. On sait qu'un certain metallurgist, dont le noni meme est un objet de dispute entre les editeurs de Strabon, Crates, peul-etre, fut charge- par Alexandre de grands travaux au lac Copais. Quelle etait la nature de ces travaux? on 1'ignore; Strabon dit seulement que deja plusieurs endroits etaient desseches, entre autres les abords d'Orchomene et l'Alhenes du fleuve Triton, lorsqu'une sedition ayant eclate en Beotie, 1'operation fut interrompuc. II n'est pas aise de comprendre ce que ce geographe a voulu dire par les mots ret £{±x dvaxnOaipav , car le mot zp. ; ex r&vopwv xaTtrtnvcowTiv ivsfini fiituot. — 159 — comme une peninsule avanc^e au milieu des eaux de la Mediter- ranee, et qu'une cliaine principale , le Pinde, l'unit au continent europeen. Elle est coupee et comme herissee de montagnes, dont la hauteur est a peine en proportion avec 1'etendue bornee de son territoire : ces monts la divisent en un grand nombre de plaines ou de vallees, independantes les unes des autres, comme elle est elle-meme, par sa position geographique au milieu des mers, independante du reste du monde. La, cbacun de ces ordres de phenomenesdontse compose la vie harmonieuse de notre univers, accomplit, dans des proportions plus restreintes et plus favorables a fobservation , son entiere revolution : on assiste a leur nais- sance, a leur developpement, a leur fin; on les voit renaitre d'eux-memes et se developper dans une periode nouvelle. Or, entre les plaines de la Grece, les unes sont ouvertes sur la mer, comme sont celles d'Athenes, d'Argos, de Sparte , de Messene; les autres, entourees de montagnes, forment des bassins fermes, dans le fond desquels se rassemblent les eaux des fleuves et des torrents : telles sont clans le Peloponnese les plaines de Pheneos, de Stymphale, d'Orchomene, de Mantinee, de Megalopolis meme et de Stenyclaros; dans la Grece, les bassins de la Beotie. Parmi ces plaines interieures, la plupart ont des gouffres sous les rochers des montagnes , et par ces canaux souterrains versent leurs eaux dans des bassins inferieurs et, enfin, dans le grand reservoir de la Mediterranee et de I'Ocean ; plusieurs aussi n'ont pas des gouffres assez nombreux ou assez larges pour donner passage a toutes les eaux qu'elles recnivent, et leur fond devient un lac ou un marais. Quand a cesse la saison des pluies, ces lacs s'abaissent peu a peu, ces marais se dessechent , comme il arrive a Capbyes et a Stym- phale; quelques-uns perdent moins d'eau qu'ils n'en recoivent, et leur niveau, s'elevant .par degres, envahit la plaine et en exile les habitants : cest ainsi que les eaux de Pheneos, a sec en 1'an- nee lSSS^'eleventaujourd'hui a une hauteur de plus de 60 metres, et couvrent une des plus riches vallees du Peloponnese. Le Copais est un de ces lacs dont les eaux se perdraient entierement, si ses gouffres etaient perces plus bas; mais , dans son etat present, il doit etre considere comme le reservoir principal des eaux douces de la Grece orientale. Par lui s'accomplit dans cette grande et fer- tile vallee le cercle entier des eaux : il produit chaque ete d'abon- dantes vapeurs qui se suspendent en nuages aux sommets des — 160 — monts, se insolvent ea pluie ou en rosee sur leurs llancs, y pro- duisent les sources des Hemes et reviennent enfin , chaque hiver, sous une autre forme, au bassin du lac d'ou elles s'etaient elevees. Cependant, l'eau produit et entretient la vie sur son passage : ici elle depose, chaque annee, ces alluvions auxquelles la Beotie doit une partie de sa richesse ; la elle nourrit clans les vallees le myrte, 1'arbousier, le lentisque, le chene vert, le pin aux par- fums salubres, le laurier-rose aux panaches elegants; plus haut, elle fait croitre dans les rochers memes ces noirs sapins qui cou- ronnent les monts et moderent la fonle des neiges; et ainsi, dans les plantes dont elle revet les montagnes, elle se donne a elle- memeson regulateur. Le Copais est. done veritablementle cceur de la Grece orientale, parce qu'il est le vaisseau d'ou sortent et ou rentrent ses eaux : autour de lui s'opere cette grande circulation dont nous avons decrit les divers periodes; et, comme dans le corps des animaux le cceur est le centre d'ou la vie se repand dans toutes les parties, le lac Copais est aussi pour la vallee Beotique Torigine et le principe de toute fertilite. Percez ce cceur et , par une ouverture souterraine, repandez ses eaux dans la mer, vous tarissez en elle la source de la vie : tout languit sur cette terre fc- conde; la glebe noire et pesante de 1'Aonie n'est plus qu'une aride poussiere; ses grands troupeaux de cavales errantes cherchent vai- nement leur pature dans des champs deserts ; et 1'ardent soleil , que ne lemperent plus les vapeurs de 1'air, y fletrit dans ses germes cette vie dont 1'activite bienfaisante offre aux yeux un si magni- fique spectacle. £mile BURNOUF , Ancien membre de TEcole franQaisc d' Athene*. Paris, mars j85o. — 161 — Noticb snr la situation actuelle de Vile de Chypre et sur la construction d'une carle de Vile, par M. de Mas-Latrie. PREMIERE LETTRE l. Monsieur le Ministre, Vous avez bien vOulu me demander quelques renseignements sur la situation actuelle de Tile de Chypre , comme suite de la communication que j'ai eu 1'honneur de vous faire en vous sou- mettant ma carte de 1'ile. Je m'empresse de vous adresser un apereu succinct des observations et des notions que j'ai recueillies sur le gouvernement, les finances, l'agriculture , l'industrie et la geograpbie de ce pays, si digne de nous interesser, et cependant si peu visite par les voyageurs europeens. Jusqu'a ces derniers temps, le gouvernement de Tile de Chypre est reste ce qu'il etait dans tous les autres pachaliks de 1'empire ottoman abandonnes au systeme inepte et spoliateur des baux a ferme. Des la conquete de Chypre, en 1571, les grands visirs, a qui les sultans affecterent une partie des revenus de cette riche province, eurent le choix de ses gouverneurs. Ce fut d'abord un pacha, ayant rang de beglierbey, auquel ils sous-affermerent les revenus de l'ile; mais, vers la fin du dernier siecle, les Chypriotes ayant adresse de vives reclamations a la Porte sur les exactions de ces fonctionnaires , les pachas furent remplaces par de simples mutzelims ou muhassils , a qui file fut baillee a ferme pour deux millions cinq cent mille piastres, ou 62 5,000 francs. Ces intendants, moins forts que leurs predecesseurs, moins surs de 1'appui du divan, laisserent prendre toute l'autorite aux eveques grecs , cpii parvinrent a leur enlever meme la perception de l'impot et a regler les comptes financiers directement avec la Porte. Cet etat de choses a dure jusqu'en i823, ou un sanglant coup d'etat de Koutchouk-Mehemet remit et consolida le pouvoir aux mains des pachas turcs. A toutes les epoques, du reste, au temps de la predominance des primats grecs, sous les muhassils 1 La meme communication a etc faite a la Societe de geograpliie. — 162 — ou sous les pachas, l'ile vegeta et s'appauvrit d'annee en an nee jus- qu'aux innovations du dernier sultan. Au milieu des difficulty's que la politique et la religion oppo- saient a ses essais de reforme, au moment meme ou la declara- tion cVindependance du vice-roi d'Egypte venait aggravcr ses preoc- cupations, Mahmoud etendit a Tile de Chypre le nouveau mode de gouvernement qu'il cherchait a etablir successivement clans tons ses pachaliks. Vers la fin de l'annec i83S, un firman abolit le fermage de Tile, et decreta que Chypre serait a l'avcnir gouver- nee parun fonctionnaire a appointemcnts fixes, qui devrait comptc au tresor imperial de la totalite des impots percus et ne pourrait rien exiger au dela de ses administres. Le nouveau regime fut inaugure dans l'ile par Osman-Pacha , homme de guerre habile et devoue, dont la presence en Chypre parut necessaire pour suiveiller Mehemet-Ali, alors mailre de la Syrie. Le firman de Mahmoud, application d'un systerne de re- forme generale qu' Abdul Medjid a complete en i83q, par le hatti-scheriff de Gulhane, a commence une ere nouvelle pour Tile de Chypre et pour la Turquie entiere. II reste sans doute en- core d'immenses ameliorations a operer dans le detail et clans Im- plication; mais ces ameliorations peuvent s'obtenir et decouleront, par une volonte perseverante , des principes d'equite publique, acceptes et proclames par le Gouvernement ottoman, car, dans un pays ou l'autorite souveraine conserve encore son prestige sa- cie, tout ce que veulent le prince et son gouvernement devient possible. Depuis la nouvelle organisation , le gouverneur de Chypre porte le titre de kaimakan, lieutenant du sultan, et recoit par mois un traitement de /[0,ooo piastres, ou 120,000 francs par an. II est pris indislinctement dans 1'armee, dans les services civils ou parmi les employes superieurs des ministeres a Constantinople, et quel que soit son rang, pacha, eflendi ou aga, les Chypriotes ont 1'habitude de lui donner le nom de pacha. Toute l'autorite ci- vile , 1'adminislralion financiere et le pouvoir executif sont concen- tres en ses mains. II a au-dessous de lui et a sa nomination douze zabils ou lieutenants administrant chacun l'un des douze districts de l'ile, de concert avec un demogcronle ou khodja-hachi choisi par les Grecs de la circonscription. Un conseil, que Ton appelle divan ou choura, assiste le pacha a Nicosie dans 1'expedition des affaires — 163 — ft la repartition des impots. Ce conseil tient a la fois, dans la li- jnite et le rapport des choses, de notre conseil d'Etat, de la cour des comptes et de la cour de cassation. Les huit membres qui le composent sont : le mufti, chef de la religion et interprete de la loi musulmane; le mollah , qui est le cadi ou juge de Nicosie; le commandant des forces militaires, lorsqu'il y a par occasion des troupes dans Tile; les principaux agas turcs de la capitale, farche- veque grec, et Tun des trois demogerontes elus par les Grecs, dont ils sont les representants vis-a-vis de 1'autorite superieure. Un delegue des Armeniens est admis au choura, quand ou traite du reglement des impots, pour defendre les interets de ses coreli- gionnaires; les Maronites attendent encore cette faveur, que la France a demandee pour eux. Les contributions versees annuellement au tresor du Grand Sei- gneur par 1'ile de Chypre s'elevent environ a la somme de quatre millions de piastres ou un million de francs. Elles proviennent du kharach, impot personnel a la charge exclusive des raias, Grecs, Maronites et Armeniens; du miri, impot preleve sur 1'aisance pre- sumee des contribuables turcs ou raias : ceux-ci en payerit injuste- ment les quatre cinquiemes depuis les evenements de i823 , bien queleur nombre, double seulementde celui des Turcs, nedutleur en faire atlribuerque les deux tiers; du bail a ferme des douanes de Tile; du fermage des salines de Larnaca et de Limassol ; d'une dimepercue sur la recolte de la soie et du fermage des differents fiefs ou terres domaniales reservees au Grand Seigneur des la conquete de 1'ile. La justice est rendue dans chaque district aux Turcs et aux Grecs par un cadi turc; mais cei'taines causes sont soumises au mufti de la capitale, et decidees par ses felw as ou interpretations. Les Grecs dependent encore des tribunaux de leurs eveques pour toutes les questions de foi, de morale et d'etat civil, comme les manages et les cas de divorce tres-frequents dans file. Les cadis n'admettent pas le temoignage des raias des qu'un musulman est implique dans le proces, quel qu'en soit Tobjet. Cette procedure, commune a tout l'empire, et qui a son analogue, du reslc, dans la legislation des Croises, finira par etre reformee, tant elle est rigoureuse. On appelle du jugement des cadis a la decision du choura, et dans les questions reservees aux eveques, les Grecs peuvent recourir en second ressort a la sentence de 1'archeveque. — 164 — Sous le rapport ecclesiaslique, Hie cle Chypre est divisee en •piatro dioceses: ceux de Nicosie, ou Levkosia, comme 1'appellent les Grecs, capitale de Tile, de Larnaca, de Kerinia ou Cerines, deBaffo, 1'ancienne Paphos, et de Limassol ou Liniisso. Le diocese de Nicosie, d'une etendue double des autres, est administre par l'archeveque, dont les revenus annuels s'elevent a la somme de 2^0,000 piastres turques, ou Go, 000 francos, somme d'un tiers superieure au traitcment du premier archeveque de France. Le diocese qui rend ce magnihque casuel coraprend la ville de Nicosie, les districts du Karpas, de la Messoree, de Ky- threa et d'Orini. Les rentes archiepiscopales y proviennent cle ces elements divers : de la contribution prelevee sur toutes les eglises du diocese, proportionnellement a leurs revenus particuliers ; des redevances dues par ses vingt-sept couvents ou benefices; de la dime payee par les paysans; du tribut paye en outre par chaque village (de 20 a 000 francs, suivant la fortune du lieu) pour le prix d'une messe pontificate que l'archeveque y va celebrer chaque annee; de la perception dun talari (5 francs environ), a 1'occasion de chaque mariage beni dans le diocese; enfin, du droit de dispenses si souvent necessaires dans 1'eglise grecque pour causes de parente ou de divorce. Chaque eveque preleve des droits analogues dans leslimites de son ressort; mais letendue des districts assignes a l'archeveque lui donne un rcvenu double au moins de celui de ses suffragants. Ces rentes, peu variables, ne comprennent ni les redevances en nature qu'apportent les Grecs quand ils viennent a Nicosie, ou l'archeveche est leur caravanse- rail , ni les sommes assez fortes que payent les papas pour rece- voir l'ordination , car la simonie la plus deplorable regne toujours dans 1'Eglise grecque. Des prerogatives honorifiques aussi elevees que celles des pa- triarchies sont, en outre, attachees au siege metropolitain de Cbypre. Le prelat est independant de tout patriarche; de celui meme de Constantinople, chef de 1'Eglise d'Orient. II est comme lui vetu de pourpre, et, quand il officio, il est accompagne d'un levite portant le chandelier a deux branches, privilege que l'arche- veque de Bosnic partageait presque seul autrefois avec lui. Au lieu de crosse, il a une canne a pomme d'or comme les anciens empe- reurs grecs; il signe toujours a l'encre rouge, et conserve pour sceau l'aigle imperiale a deux tetcs. Ces privileges furent la plu — J 65 — part accordes a 1'Eglise de Chypre par 1'empereur Zenon , qui la detacha en meme lemps du patriarcat d'Antioche, a 1'occasion de la decouverte du corps de saint Barnabe dans les ruines de la ville deSalainine, on 1'apotre chypriote avait souffert le martyre. Les souverains pontifes, en transferant le siege archi episcopal de Fa- magouste a Nicosie, sous Guy de Lusignan, ajouterent aux hon- neurs dont le prelat jouissait depuis le iv" siecle, les dignites de primat et de legat-ne du Saint-Siege. L'archeveque est nomme directement par la Porte, qui con- suite rarement dans ses choix le chapitre de Nicosie ; mais les cha- pitres diocesains ont le droit de nommer leurs eveques res- pectifs, sous la sanction de l'archeveque. Leur election une fois agreee par le Gouvernement lure , ils sont sacrespar l'archeveque, et entrent alors dans 1'exercice de leurs fonctions; chaque eveque a, couinie le metropolitan! , trois grands vicaires, un exarque, charge du recouvrement des dimes et des autres revenus de 1'eveche, un archimandrite, chef des pretres, et un archidiacre, chef des diacres, preposes tous les deux a 1'adininistration du dio- cese. Les chapitres des trois eveches reunis ont ensemble cinquante membres environ, chanoines, vicaires, diacres ou autres digni- taires ; le chapitre de Nicosie, a lui seul, est aussi nombreux. Pres de 4oo caloiers, moines, beneficiaires ou servants, obeis- sant a 83 hegoumenes, chefs de monasteres, et 1,200 papas ou pretres seculiers, repartis dans file, forment, avec les chapitres, un clerge de plus de 1 ,700 membres pour une population grecque d'environ 75,000 ames; excedant facheux qui contribue a la mi- sere des paysans en augmentant leurs charges, car les ecclesias- tiques grecs ont ete jusqu'a ces derniers temps ( 1 844 ou i845) exempts de 1'impot. Les caloiers fontvoeu decelibat, et c'est presque toujours parmi eux que Ton prend les hauts dignitaircs du clerge seculier, ne- cessairement celibataires ou veufs. Les papas, la plupart maries et miserobles, sont obliges de cultiver la terre ou de se livrer a quelque petit metier pour entretenir leurs enfanls : j'en ai trouve souvent dans les villages gardant les pourceaux, tissantleur cotnn ou faisant des souliers. Le peuple les respecte neanmoins; mais quelle influence morale veut-on qu'aient ces pauvres pretres sur leurs ouailles? Leur instruction est entierement nulle, car tout honune est apte a devenir papas pourvu qu'il saciie lire cou- MISS. SC1ENT. 12 — 106 — lamment dans un br^viaire. Le plus jeune eleve cle nos laza- ristes de Smyrne ou d'Antoura serait un docteur au milieu d'eux. Tout est languissant et neglige dans Tile, I'agricullure, I'in- dustrie, comme Tinstruclion publiquc. Sur une superficie d'un million d'hcctares de terres, presque toutes cullivables, qu'ils ont a leur disposition , lcs Cbypriotes en cultivent a peine 65,ooo hectares ou le quinzieme. lis exploitent les terrains les plus rapproches de leurs villages, et dont la ferti- lite peut le plus facilement les dedommager de leurs travaux ; quant a ceux qui sont eloignes, ou qui demanderaient des labeurs et des engrais, ils lesabandonnent. J'indiqueraisommairement les principaux produits de leur agriculture. Ble et orge. C'est une des grandes recoltes de Tile, dont l'exce- dant s'exporte pour la Syrie. Les districts les plus abondants en ble sont ceux de la Messoree, de Morpbo, du Karpas, de Lar- naca , de BafFo et des environs de Nicosie. Tabacs. Omodos et Avdimou en produisent une excellente qua- lite. Cette culture, deja considerable dans Tile, tend a s'aug- nienter. Cotans. On peut dire que le coton est aujourd'hui la premiere et la plus importante production du pays. Tous les districts le cul- tivent; mais les meilleures qualites sont celles de Kolossi, Pis- kopi, Lefka, Lapitbo, Lefkara, Dali, Nisso, Kytbrea et Morpho. Dans quelques localites, particulierement a Lapitbo et aTimbo, on cultive le coton arbuste. Marseille d'abord , et puis Livourne, recoivent la majeure partie des exportations de cet article. La garance ou les alizaris de Cbypre sont, apres ceux de Smyrne, les meilleurs que Ton recolte au Levant et les plus re- cherches en Europe. On les cultive dans les terrains bas et bu- niides dits Livadia, pres des bords de la mer, dans les environs de Morpbo, de Fam'agouste, de Saint-Serge, de Paralimni, de Derignia , de Spathariko , de Liopetri , de Larnaca , de Kiti et de Piskopi. La culture de la garance augmenle annuellement en Chypre. Soies. Elles sont excellentes a BafTo, Modoulla, Bedoulla, Evri- kou et Cathidata. Elles sont tres-abondantes, mais plus blancbes et moins estimees clans les environs de Varoscbia et dans le Kar- pas, qui en produit de grandes quanlites. Les soies de Chypre auraient plus de debouches sur les marches de Lyon el dc Liver- — 107 — pool , si les paysans de 1'ile ne s'obstinaient a employer toujours pour le devidage les roues enormes dont ils se servent depuis un temps immemorial. Caroubes. L'abolition des monopoles et les reformes nouvelles de l'administration turque, en augmentant la securite des rai'as, contribueront activement a ameliorer 1'agriculture , si arrier^e jusqu'ici. De vastes taillis de caroubiers sauvages et abandonnes ont ete, depuis deux ou trois ans, mis en culture par les paysans, qui en retirent deja des benefices considerables. Les caroubes de Gbypre, d'excellente qualite, s'exportent la plupart a Odessa pour les paysans russes , qui en font une grande consommation pendant leurs longs caremes. *Se/. Ilya deux salines en Cbypre : Tune a Larnaca, c'est la plus considerable; 3'aulre a Limassol. Les produits qu'on retirait , surtout de celle de Larnaca, etaient autrefois si imporlanls, que les princes Lusignans, et apreseux le senat de Venise, avaient pro- pose des officiers royaux a leur exploitation, et la consideraient comme une des sources les plus precieuses de leur revenu. C'est encore aujourd'hui une des plus avanlageuses productions du pays. Vins. Si ce n'est le plus riche , c'est au moins le plus renomme des produits de 1'ile de Cbypre. On en distingue cinq qualites : i° les vins noirs ordinaires, dont les meilleurs se recoltenl sur les collines occidentales du Machera , a Ghouri , a Palseochori , a Cbry- sorogbiatissa , Omodos, et aux environs de Limassol. 2° les vins ordinaires roussatres, qui se trouvent a peu pres dans les memes localites que les premiers. Les uns et les autres sont capiteux et ont une forte odeur de goudron, par suite de 1'usage ou sont les paysans de les conserver dans des outres ou des barils goudron- nes : ces vins communs se brulent ou s'exportent a Alexandrie, jamais en Europe. 3° parmi les vins de luxe, le plus estime estle fameux vin de Commandcrie , ainsi nomme des vignobles ou on le recolte, dans le district de Limassol , au nord du village de Ko- lossi, siege de Tancienne commanderie des chevaliers de 1'Hopital de Saint-Jean de Jerusalem. Roux quand il sort du pressoir, le vin de Commanderie se clarifie et prend une couleur topaze , qui devient toujours plus limpide, jusqua la huitieme ou neuvieme annee; ensuite il se fonce successivemcnt , et sa teinte, d'abord grenat comme celle du Malaga , passe presque au noir quand il est M. J 2 . — 168 — extremement vieux. Le vin est alors visqueux, epais et plein de force ; c'est un excellent stomachique. 4° le muscat est plus doux que le Commanderie et moins recherche, quoique de tres-bonne qualite. 5° le morocanclla, moins doux que le muscat, est aussi un tres-bon vin , mais assez rare, parce qu'on en recolte en petite quantile. Huile. C'est un excellent produit du pays. Bien que d'immenses taillis d'oliviers soient abandonnes, la recolte d'une bonne annee sulfit pour approvisionner 1'ile pendant trois ans et fournir a 1'exportation ; mais la culture des arbres et la fabrication de fhuile demanderaient de grandes ameliorations l. Side 1'agriculture nous passons a finduslrie, nous trouverons 1 D'apres les documents qui m'ont ete communiques aux consulats de France et de Sardaigne, on peut etablir ainsi ia quotite annuelle des divers produits de Tile de Chypre. NATURE DES PRODUITS. / Ble Ccrc'ales. . . < Orgo ' Vesce et avoinc ........ Vin Huile Caroubes Fruits et legumes Animaux exportes et leurs depouilles. . . Lait , beurre , l'romage Volaille Poissou et gibier Sel Laine • Soie Coton Garance Lin, chanvrc, graine de tin ctacsame. . . Tabacs Bcis et cbarbons Miel, cire, cnloquinte, poix, etc Total QUANTITES. 000,000 kafis. 1,350,000 300,000 ], 400,000 gouzes. 150,000 litres. 20,000 quint1. 100,000 okes. 0,000,000 120,000 20,000 1,600 quint*. 500 120,000 okes. EVALUATION en mesure DE FIUKCE. 150,000 beet. 337,500 75,000 140,000 4,087 4,500,000 kilog. 125,000 7,500,000 150,000 25,000 350,000 112,500 150,000 ESTIMATION APPROXIMATIVE. 1,500,000' 1,350,000 300,000 1,400,000 375,000 250,000 500,000 S50.000 500,000 75,000 100,000 75,000 90,000 475,000 280,000 75,000 150,000 120,000 150,000 200,000 8,765,000 — 169 — la nieme inxurie, la nieme langueur et plus de pauvrete avec autant d'elements de prosperity. Nicosie, Larnaca, Limassol et Kilani, les villes de fabrication de l'ile, ne possedent aucun etablissement qui puisse etre com- pare aux plus petites fabriques d'Europe. Tout y est laisse a l'in- dustrie et au travail individuel qui, du reste, ne manque pas d'ha- bilete, et qui, utilise dans une exploitation ou une direction centrale, pourrait realiser des benefices considerables. Les femmes grecques et les femmes armeniennes de Nicosie, comme celles de Larnaca, quand elles s'adonnent a la broderie, executent des ouvrages aussi estimes que ceux de Constantinople pour les coiffures et pour les sarka ou spencers des dames; leurs filoches de soie peuvent etre comparers aux plus fines dentelles d'Europe. La broderie esl, au reste, une vieille industrie de file; car Yor de Chypre , or et argent files quon appelle or de Chypre, si recherches au moyen age pour les costumes d'eglise ou de cour, si vantes dans les fabliaux de nos trouveres, et imites au xve siecle par les passementiers d'ltalie, n'est autre chose que les pelits cor- donnets en or tresses avec un art particulier par les femmes nico- siotes, et dont elles composent encore de si riches ornements. D'autres femmes tissent a domicile des serviettes et des toiles communes de coton , de grandes besaces en laine de couleur, ser- vant au transport des marcbandises, et de grosses toiles d'embal- lage en chanvre ou en lin, plantes que les Ghypriotes ont eu le bon esprit de cultiver depuis quelque temps dans la plaine de Morpho, au lieu de les demander a I'Egypte. Nicosie partage avec Psimilophou , Bedoulla et Tolirguia, le tannage des peaux verdatres dont les paysans font leurs Iodi- nes, hautes chaussures qu'ils portent toujours pour se preserver de la morsure des aspics, tres-communs dans file. Nicosie fa- brique en core comme Kilani des mousselines de soie et des hakirs en soie et coton, etoffe rayee semblable a. une fine toile ecrue. La capitale de Chypre fabrique seule les maroquins et les indiennes, objets les plus importanis de son industrie particu- liere. On estime que Nicosie livre annuellement S,ooo cuirs maro- quins teints en rouge, jaune ou noir, dont une grande partie s'exporte pour la Syrie et la Caramanie. Les couleurs sont d'un eclal tresvif et de bonne duree, mais les peaux n'ont pas, dit-on , — 170 — ia souplcsse des maroquins de Constanlinople. Les indiennes de Nicosie trouvent un immense debit en Orient pour tentures et divans. Ce sont des toiles de cotonnades importees d'Angleterre a tres-bas prix, et qui, une Ibis teintes a Nicosie, s'expoi'tent avec une valeur double en Syrie, en Caramanie, a Smyrne et a Cons- tantinople. II y a peu a ajouter a ces articles pour avoir une idee de toute [Industrie de Tile. Les fabriques de poterie commune de Larnaca, Limassol, Varoscbia, Korno et Lapitbo sufflsent aux besoins du pays. Les couver lares de Chypre , epaisse couche de coton piquee entre deux indiennes , s'exportent dans toutes les villes du Levant. Limassol a une distillerie etablie par un Franoais, mais il n'est pas de paysan, possesseur de vignobles clans les districts de Li- massol , cTOrini et de Papbos, qui n'ait cbez lui un alambic et ne fabrique le rati ou eau-de-vie de Cbypre, fort goutee dans le Levant. Les paysans du revers septentrional des montagnes, dans les districts de Lapitho et de Kerinia, ceux de Lefka et du Mara- thassa, vallee verdoyante qui merite bien son autre nom de Myriantliousa, le canton aux mille fleurs, distillent de l'eau de rose, de l'eau de fleurs d'oranger, de l'eau de lavande, de I'huile de myrte et du laudanum. Tout cela ne constitue qu'une induslrie fort restreinte. II n'y a rien d'elonnant, sans doute , a ce c[ue Tile de Chypre ne soit pas un pays manufacturer; peut-etre meme serait-il facheux qu'avec une population aussi clair-semee et un sol d'unerare ferti- lite, 1'induslrie vint enlever a 1'agriculture les bras qui deja lui font faute. C'est, en effet, 1'agriculture seule qui, tout arrier^e qu'elle est, peut fournir au commerce d'exportation une masse de produits suffisants pour mettre l'ile en etat de satisfaire aux impots qui lui sont demandes de Constantinople. Le commerce de Tile consiste presque uniquement dans Im- portation de ses produits naturels. Pendant une periode de quatre annees, de i84o a i8^3, les seules pour lesquelles des rensei- gnements journaliers, et aussi exacts que possible, aient per- mis de faire des releves dignes de confiance , la moyennc an- nuelle des exportations s'est ^levee a 2,200,000 francs, et la moyennc des importations d'articles etrangers servant a la con- sommation des habitants, a pres de la moitie de cette somme. Je disais jinMrdommonl , monsieur le minislre, quo Tile de — 171 — Chypreetait divisee en douze districts ou arrondissemeuts de per- ception, non compris la ville deNicosie, regie par un zabit parti- culier ; j'ajouterai quelqucs mots sur cbacun de ces departements. Le district deLarnaca a pour chef-lieu Larnaca, 1'ancien Citium, ville qui, avec son annexe maritime de la Scala , ou la Marine, renferme 6,000 habitants. Les consuls europeens et la plupart des negociants francs y ont fixe leur residence. Les autres lieux remar- quables du district sont : Lefkara, gros village habite par 200 fa- milies grecques et une cinquantaine de families turques; Kili, dit Chili, ou les rois Lusignans avaient un chateau et une maison de plaisance dont il reste encore des ruines; Aradippo, village assez industrieux; Chirokhitia, ou le roi Janus de Lusignan fut fait pri- sonnierpar lesMamelouks, en 14.26, et le Stavro-Vouni ou Monte- Croce des Europeens. Limassol est une petite ville assez propre el pavee. EskiLimassol ou Palcca-Limassol , a 2 lieues E. dela ville, ou sont les ruines d'Ama- thonte; Kolossi, qui possede encore le chateau fort de la com- manderie des Hospitaliers; Piscopi ou Episcopi, pres de 1'ancien Kourion , qui fut une seigneurie de la famille de Catherine Cor- naro; Kivides, ancien fief francais; Agro, Pelentria, Heptagonia et Kellaki, gros villages fertiles en vins, sont les principaux lieux du district. Le Kilani, chef-lieu Kilani, dont j'ai deja parle, est tres-mon- tueux; il produit beaucoup de caroubes, de la soie, du tabac et des vins. Omodos, village grec, qui donne le meilleur tabac de File ; Avdimou, gros village entierement habite par des Turcs, non moins fertile ; Pissouri, probablement 1'ancien Boosura de Strabon et 1'ancien fief franc de Pisur; Anoghira, petite commanderie de La Noyere, sous les Lusignans , appartiennent a ce district. Le district de Baffo , 1'ancienne Paphos, ou Paphos nova des Grecs et des Romains , la Paffons des Lusignans, a pour chef-lieu Ktima, bourg principalement habite par des Turcs. Ses localites, remarquables, soit par leurs souvenirs historiques, soit par leur importance actuelie, sont : Kouklia, la Covocle du domaine royal de nos princes francais, ou se trouvent des ruines ayant appar- tenu a la premiere et antique Paphos des Pheniciens, que 1'on appelait, des le temps de Strabon, PalaaPaphos; Hieroshpos, petit village pres de 1'emplacement, encore reconnaissable, du Jardin sacre de V6nus; Chryssoroghiatissa , riche et beau couvent, — 172 — ou 1'eveque tie Baffo reside pendant 1'ete; Aschelia, que je crois etre le lieu de YEchelle, ou existaient, du temps des Francais, des usines a fabriquer le sucre provenant du domaine des rois Lusi- gnans. J'ai remarque des ruines d'aqueducs et de moulins qui ont du scrvir aussi a la trituration des cannes a sucre, pres de l'em- bouchure du Dioriso, entre Aschelia ct Kouklia. Le district de Chrysochou doit probabletnent son noni aux mines d'or que les anciens avaient reconnues dans ses montagnes; malgre ces richesses, qui existent sans doute encore dans les proiondeurs de son sol, c'est le plus pauvre district de Tile. Beau- coup de ses habitants viventen veritables troglodytes, retires dans des cavernes au bord de la mer, et se nourrissant de poissons. Chrysochou , petit village lure, au S. de Poli, en est le chef-lieu. Katkigd, Kritou-Teros et Drusia sont ensuite les principaux vil- lages, lullia, hameau turc, avait autrefois une abbaye de religieuses grecques-catholiques, dont les ruines se trouvent a une demi-lieue au N. du village; Peristeronari , autre localite du district, est le fief de Presteron de la Mountain, dont il est parle dans 1'histoire des Lusignans. Lefka, bourg turc, est le chef-lieu du riche el fertile district de Lofka , auquel appartiennent Kalapanaioti et Modoulla, ou sont des eaux minerales; Bedoulla, Kaminariaet Prodromo, villages les plus rapproches de la cime du Troodos, que Ton considere comme 1'ancien Olympe ; Evrikou, oil Ton a trouve des indices de houille; Kathidata, peut-elre 1'ancienne Limenia ou /Epeea; les belles vallees de Marathassa et de Solea; enfin, le couvent de la Madone de Chicco, Panai'a tou Kyhkou, sanctuaire le plus venere de Chypre, que visitent avec une egale piete les pelerins grecs el russes, et qui possede de riches prieures hors de l'ile, en Thessalie sur- lout. Le district de Morpho a pour chef-lieu Morpho, appele par les Francais du moyen age Le Morf, village situe dans une grande plaine fertile en ble , coton , lin el sesame. Haios-Panleleimon, joli couvent, residence de 1'eveque de Kerinia, est renferme dans ce district, ainsi que Haios-Ilias, couvent maronite sous la protection de la Fiance; Haia-Marina et Assomatos, villages maronites; Peri- stcrona, le Presteron don Plain des Lusignans; Syrianochori , au- jourd'bui turc et grec, habile par des Syriens du temps de ces princes. — 173 — Le district d'Orini etTillyrgha, chef-lieu Lilhrodomla, bourg de iuter pour — 178 — moi, en portant la carte - marine a l'ecbelle de ■,,„'„,,,,. Dans ce developpement, je pouvais indiquer toules les particularity no- tables de mon itineraire. Une fois en possession de ce trace, et apres y avoir porle les positions bien delerminees de Larnaca, Nicosie, Famagouste, Ke- rinia et Papbos, j'ai procede ainsi, afin de suppleer, autant que possible, par un itineraire exact et attentif, aux resullats precis que mon inexperience des methodes de triangulation ne me per- mettait pas d'obtenir. J'avais, avant mon depart, etudie la vitesse de ma monture, et calcule quelle parcourait, en moyenne , 1 kilometre par quart d'beure dans la plaine ; ce kilometre et ce quart d'beure, qui res- pondent a peu pres dans l'ecbelle actuelle de ma carte a o,5o mill, ou un demi- centimetre, a ete mon unite. C'est d'apres cette base que j'ai calcule toutes les distances , notanl attenlivement, la monlre a la main, 1'heure et la minute du depart, les moments de halte et le moment ou je me remettais en route, tenant compte, aussi exactement que je le pouvais, des accidents qui modifiaient la marcbe, en 1'accelerant ou la retardant dans les pays de mon- tagne. Tout cela, je le sais, n'est qu'approximatif. J'ai cependant la conGance que mon itineraire et ma carte, si Ton veut bien les comparer aux cartes de Venise, de i566 et 1670, aux cartes de Mercator, Blaeu, Coronelli, Jauna, Reinhard et Drummond, ajouteront quelque cbose a la connaissance geograpbique de Tile de Cbypre, et rectifieront de nombreuses erreurs de position ou de denomination. Pour les directions, je me suis servi de la boussole construite par le capitaine Burnier, petit instrument d'un emploi tres-facile a dieval. L'aiguille est fixee a un cercle gradue, qui tourne sur un pivot, suivant les inclinaisons diverses, et dont les cbiffres se pre- sentent a 1'ccil de Tobservateur par une ouverture pratiquee dans i'epaisseur de la boite et munie d'un verre grossissant. Un arc de cercle en cuivre se releve au-dessus de la boite et soutient, par un mouvement de tension, une soie 011 un crin de cbeval, qui marque sur le cercle la graduation precise du lieu que 1'on vise. Un petit pied adapte a la boite permet de lenir facilement la boussole a la main. Je prenais ainsi Tangle de ma route toutes les fois qu'elle cban- geait sensiblemenl dans sa direction generale. Du village ou je — 179 — me trouvais, je visais, quand il etait possible, le village ou je me rendais, repetant 1'observation , une fois arrive a celui-ci, quand le temps et les lieux me le permetlaient. En arrivant dans les montagnes, je ne manquais pas de tenir compte de 1'elevation et de la position relative des villages, de noter (a vue d'oeil) 1'eleva- tion, ou les descentes principales et les hauteurs relatives des villages que je traversais. J'ai pris, au moyen du barometre Bun- ten, et quelquefois au moyen de l'appareil a ebullition de M. Re- gnault, dont je m'etais muni, la hauteur des points principaux des montagnes de Kantara, de Saint-Hilarion \ de Stavro-Vouni et du Troodos, qui sont, avec le Machera, ou je n'ai pu aller, les pics culminants du systeme orographique de Tile. Afin de reme- 1 Je citerai un exemple de ces observations que je n'ose appeler geodesiques, Voici les calculs que j'ai fails pour trouver la hauteur du Saint-Hilarion, d'apres les tables deM. Oltmanns, imprimees dans 1'Annuaire du bureau des longitudes. Observation faite sur la tourclle laplus elevee du chateau de Saint-Hilarion, le 22 Janvier 18U6 , a 3 heurcs 1J2 du soir. Beau temps, chaud. Thermometre libre, a fombre, 90. Barometre : haut, 874,9 bas, 327,7 702,6 Therm, du barom. = 1 o°. Observation la plus rapproche'e dans les tables que j'ai dresse'es a. la Marine de Larnaca au lord de la mer, le 2 Janvier 18U6, a 3 heures du soir. Beau temps. Thermometre libre = i5° Barometre : haut, Zio5,5 bas, 36o,o 765,5 Therm, du barom. = i6°,5. La Marine, station inferieure, /i.= 765,5 et repond dans la premiere table de M. Oltmanns a 6,208™ = a. Saint-Hilarion, station supeYieure, h . = 702,6 et repond dans la premiere table de M. Oltmanns a 5, 523°°, 8 = b. T, T representant les temperatures ccntigrades des thermometres adherents aux barometres, et f, t' etant les temperatures des thermometres a air libre, nous trouvons que T — T = i6°,5 — 10 = 6°, 5 et repond dans la scconde table a g°\5 = qui seront pour nous c. t-{-t' = i50-H90= 24-°- D'apres la formule donnee par M. Oltmanns, nous voyonsdoja que la hauteur — 180 — dier, en parlie au inoins, au defaut tie l'observalion simullancc au bas de la montagne, j'avais, pendant mon sejour a Larnaca, dresse une table d' observations a des heures et par des temps tres- varies, de faron a pouvoir y clioisir, pour 1'etat dn barometre au bord de la mer, des conditions a pea pres semblables a celles ou j'etais au haut de la montagne. II y a toujours erreur dans le cal- cul , mais , par ce moyen , elle est bien moindre. C'est en coordonnant toules ces observations que j'ai dresse mon itineraire et place toutes les localiles traversers ou aper- Ques. Je n'ai pas cru devoir me borner a porter ces lieux sur ma carte. J'ai voulu completer, autant que possible, ce premier tra- vail au moyen des renseignements que je demandais- aux gens du pays sur les villages des alentours, au moyen des notes que di- verses personnes ont bien voulu me remettre, et des cartes an- ciennes que j'ai conferees entre elles. Mais, comnie avant tout, je voulais donner une carle de la situation presente du pays, je ne pouvais admettre et placer que les villages dont l'existence ac- tuelle m'etait attestee. J'ai trouve pour cela un inappreciable se- cours dans la liste des villages grecs de 1'ile dressee, en i84i, par Talaat Effendi, dont j'ai eu l'honneur de vous parler deja J dans les notes statistiques que M. Georges Bernard, habitant depuis longtemps 1'ile de Chypre, m'a obligeamment communiquees, approchee du Saint-Hilarion est a - b - c, c'est -a-dire 6208 — 5523,8 — 9, 5, ou67im,7. II y a maintenant deux corrections a fairesur cette evaluation afiu d'approcher davantage de la hauteur vraie. Pour la premiere correction, dependante dr ia temperature des couches d'air, je trouve qui! faut ajouter 32m,i par suite de ce calcul : Ji± X 2 (<+ 0 = J2J. x 48 == 11^= 32,i. La hauteur s'eleve done a 707™, 1. La deuxieme correction, relative a la latitude ( 35°) , nous fait ajouter encore, d'apres la troisieme table, 2m,6, ce qui nous donne pour hauteur totale 709"\7. Je trouve done, sauf erreur de ma part, que le Sainl-llilarion est eleve da 709 metres ou 2,129 pieds au-dessus du niveau de la mer. C'est a peu pres les deux tiers de ia hauteur du V<5suve et la moitie du Puy-dc-Dome. 1 J'extrais et je cite textuellement le premier paragraphe du regislre de Talaat-ell'endi, comprenant les villages du district de Larnaca, pour en fairc connaitre la disposition. II faut se rappeler que les noms de villages, presque tons de racine grecque, ont ele d'ahord ecrits en turc sur le livre du pacha, et — 18J — dans les itineraires, les observations et les cartes des voyages au centre de Tile de M. Marcel Cerruti, consul de Sardaigne en Cbypre, et de M. Louis Cerruti, son frere , attache au consulat, documents pleins de renseignements que MM. Cerruti ont mis, avec la plus gracieuse complaisance , a ma disposition. J'ai pu , par ce moyen , tripler au moins le nombre des localites de mon trace; mais je n'ai jamais (sauf quelques exceptions que je moti- verai ailleurs), je n'ai jamais porte un village sur ma carte, que son existence presente ne me fut prouvee par le registre du pa- cha, et sa position relative indiquee par les anciennes cartes, ou les renseignements recueillis dans le pays. Ayant obtenu aussi la liste des villages turcs et des villages maronites de 1'ile, j'ai opere pour ceux-ci, comme pour les villages grecs, en les distinguant les uns des autres par des signes particuliers. copies ensuite dans un document itaiien, que M. Cerruti m'a communique. J'omots les sommes ecrites apres le nombre des habitants. Les noms marques d'un asterisque figurent tous sur ma carte. * Larnaca 5o5 contribuenti. * Scala 284 * Livadia 43 * Kellia 10 * Pyla 24 * Voroclini 43 * Aradippu 1 5 2 * Kity j 09 * Chirokitia 33 * Dromolacsia (ou Vromoloscbia) 37 Vudas 3o * Masotos 19 * Aletrico 18 * Meneu 19 * Anafoti 1 4 * Anglisides 19 San-Teodoro 32 * Maroni 16 * Psemtismeno 16 Tobi -. 3i * Calavassou 36 * Scharinu 26 * Drapia 6 * Laghia j 3 A reporter 1 ,5oS miss, scient. 1 3 — 182 — L'etat de Talaat Effendi m'a ete encore dune autre utilite. Comme il donne la nomenclature des villages par districts et qu'il precise le nombre des imposes de chaque village 1, j'ai pu indiquer d'abord, au moyen de signes diffe rents, 1'importance re- lative des localites entre elles (bourgs villages, hameaux), et tracer, au moins approximativement, les limites respectives des districts. . Quant aux noms des locality, aux noms des montagnes, des vallees, des rivieres, des caps, des sources et a toutes autres in- dications geographiques que j'ai portees sur ma carte, j'ai suivi scrupuleusement les noms que leur donnent les indigenes, cber- chant a rendre l'articulation etbnique aussi exaclement qu'il m'a ete possible avec nos caracteres frangais. Seulement, quand une legere modification d'ortbograpbe ne change pas la prononciation, je me suis rapprocbe, autant que possible, de la racine et de la forme reguliere du mot. J'ecris done Hagios et Haios , au lieu de Agios et Aios des cartes anciennes; Xylopbagou, au lieu deSilofaou; Heptagonia, au lieu de Eftagonia; Morpho, au lieu de Morfo; Report i,5o5contribuenti. * Ora 53 * Acapnu " * Melini. . 26 * Vavla a3 * Catodri 6 1 Stavros 54 San-Dimitrios ^9 San-Giorgio 17 San-Andronico 20 * Cato-Lefcara 3y * Alaminno J 1 * Cofinu 3 * Santa-Anna 7 * Pirgha 22 * Kivisili 3 * Terzefano 28 * Arpera ° * Menoghia »> Total des imposes grecs 1 ,97 1 'Oncompte en totaiite,dans un village, de 5 a 6 habitants, femmes et enfants compris, pour un impost. — 183 — Khoma, au lieu de Coma; Chrysochou, au lieu de Crisocou, etc. Je ne parle pas des erreurs de noras que j'ai cherche a rectifier, et qui defigurent beaucoup de cartes anciennes, j'oserai meme dire celles de Pococke et de Drummond , qui ont ecrit Chio ou Dechio pour Kykko, Palchrito pour Palaechytro, -Larma pour Lar- naca (tou Lapithou), Sinbati pour Symvola, Tcriterona pour Peris- teronari, Katagorio pour Kalochorio, Tricorni pour Trikomo , Simbati pour Sotira, Imiso pour Liniisso, Morso pour Morpho , Veroglini pour Voroklini, Palopanaioti pour Kalapanaioti, Cetria pour Chitria ou Khytrea, Mardama pour Kardama et tant d'autres semblables, Gambo pourKampo, Kocihera pour Kassivera, Cosola pour Kolossi, etc. La geographie ancienne m'a aussi beaucoup occupe, et j'espere avoir retrouve, indique au moins, la position de quelques villes antiques que Pococke et d'Anville n'ont pas signalees, telles que Tembros, ou Ton adorait Apollon Hylate; Panahron et son bois sacre; Tamassos, dont parlent Ovide et Strabon; Idalion, ou Ton a decouvert de nombreuses statuettes de Venus; Satrahhos, etc.1. Sans sortir des textes originaux , j'ai cherche a indiquer les posi- tions des localites mentionnees par les geographes et les histo- riens de 1'antiquite et du moyen age. J'expose nies recbercbes, avec mes preuves, dans le volume qui accompagnera ma carle. L. DE MAS-LATRIE. Paris, mars 1847. 1 Peu avant mon arrivee en Chypre, on avait decouvert enire Larnaca et la Marine, pres d'un ancien bassin encore entourd de substructions antiques, un monument couvert descriptions cundiformes dont ce recueil donne un dessin, plancbe n° III , et sur lequel M. Letronne a public une note dans la Revue ar- cheologique du mois de mai i846. Le bassin, que j'ai vu combler pendant mon sejour a Larnaca, mais dont on trouve le dessin dans Mariti et Drummond, devait etre le port ferme (A/fi)fv nXetoTds) signals par Strabon. « i3. — 184 — E COLE F R \ N C A I S E D' A T 1 1 E N E S. Rapport fail a I'Acaddmie des inscriptions et belles-lettres, au nom de la commission charade de preparer les propositions destinees a rdgulariser les travaux de I'Ecole j'rancaisc d'Athenes, le 8 mars 1850. (La commission dtait composde de MM. Raoul-Rochette, president; Ilase, Lebas, Lenormant et Guigniaut, rapporteur; avec 1'assistance de MM. Lan- glois, president; Guizot, vice-president, et Walckenaer, secretaire perpetue de i'Academie 1.) M. le ministre de 1'instruction publique et des cultes a rendu, le 26 Janvier dernier, un arrete dont l'article icr porte : « Chacun des membres de l'ecole d'Athenes sera tenu d'envoyer, avant le icr juillet de chaque annee, un memoire sur un point d'archeologie , de philologie et d'histoire , choisi dans un pro- gramme de questions que i'Academie des inscriptions et belles- lettres sera invitee a presenter a 1'approbalion du ministre. » L'article 2 : « Les memoires envoyes seront transmis a rAcademie des ins- criptions et belles-lettres, qui sera priee d'en faire 1'objet d'un rapport au ministre et d'en rendre compte dans sa seance pu- blique annuelle , ou seraient egalement annoncees les questions formant le programme des travaux de l'ecole pour l'annee sui- vante. » Ces dispositions ont ete prises en conformite de 1'ordonnance qui a cree l'ecole francaise d'Atbenes, le 11 septembre i846, 01- donnance dont l'article 7 stipule que « cette ecole pourra recevoir, par decision minislerielle, tous les developpements necessaires a ses progres. » M. le ministre, en notiliant a rAcademie, par une lettre du 3o Janvier, son arrete du 26 precedent, fait connaitre que 1'inlen- lion de cet arrete a ete de placer l'ecole franchise d'Atbenes sous le patronage et la haute direction de I'Academie des inscriptions et 1 L'impression extraordinaire de ce rapport, au nombre de trois cents exem- plaires, a die votee par I'Acaddmie, pour eire distribute a tous les membres de I'Fnstitot. — 185 — belles-ietlres, comme 1'ecole francaise de Rome est depuis long- tenips placee sous celle de l'Academie des beaux-arts. L'Academie ne pouvait qu'etre a la fois flattee et satisfaile de cette mesure, qui determine avec nettete et fermete le but assi- gne a 1'ecole francaise d'Atbenes par son fondateur, et qui tend a iniprimer de plus en plus a ses travaux un caractere vraiment scientifique, a lcs faire tourner d'une maniere efficace au progrcs des hautes etudes de philologie, d'archeologie et d'histoire. Ces etudes bien dirigees, faites par des jeunes gens convenablement prepares et cboisis avec soin ,, doivent recevoir de l'aspect des lieux, du commerce de la terre classique par excellence, des im- pressions quelle fait naitre , des souvenirs quelle reveille, des grands spectacles qu'elle presente, des eclaircissements qu'elle donne, pour ainsi dire, d'elle-memc, a chaque pas, sur une foule de questions , rimpulsion la plus feconde , les inspirations les plus beureuses. Des longtemps les gouvernements etrangers Tout senti et en ont fait l'experience : ils ont favorise, ceux d'Allemagne surtout, le sejour prolonge d'etudiants d'elite des universites en Italie , a Rome, a Naples et en Grece meme. A la France, il etait reserve, non pas seulement de suivre ces exemples, mais de les fortifier en les reprenant, de les organiser, pour ainsi dire, dans une institution reguliere et permanente, destinee tout ensemble a former une tradition de travaux sur l'antiquite , au berceau meme de la civilisation antique, et a y representer, pour l'honneur du nom fran^ais , la civilisation moderne , dont nous ne cesserons pas, il faut 1'esperer, d'etre les promoteurs. L'Academie n'a done pas hesite a s'associer a cette oeuvre de science et d'interet national. Elle a decide, dans sa seance du ier fevrier, qu'elle acceptait avec reconnaissance la mission qui lui est conferee par le Gouvernement aupres de 1'ecole francaise d'Athenes, et, apres avoir demande a M. le ministre de 1'instruc- tion publique tous les renseignements qui lui etaient necessaires sur l'organisation de cette ecole, sur ses reglements, son personnel et les resultats qu'elle a produits jusqu'a present, elle a forme une commission speciale de cinq membres , a laquelle le bureau s'est adjoint , pour examiner ces renseignements et pour preparer les propositions qui doivent la mettre en mesure de satisfaire aux vues du Gouvernement. C'est le resultat du travail de voire commission, Messieurs, que — 186 — j'ai 1'honneur de vous presenter. Elle s'est reunie quatre fois du 18 ievrier au 1" mars. Elle a pris connaissance de tous les documents mis sous ses yeux, et elle a enlendu ceux de ses membres qui etaient en etat de les completer et de l'eclairer pleinement sur les diverses questions qu'elle avait a resoudre au prealable, concer- nant l'organisation et la situation actuelle de 1'ecole francaise d'Athenes. L'ecole, composee exclusivement d'anciens eleves sortis de l'ecole normale superieure , tous recus agreges des classes d'hu- manites, d'histoire ou de philosophic, et la plupart ayant professe deja ces diflerentes classes, est placee sous la direction immediate dun ancien professeur de faculte, et sous la surveillance et 1'au- torite superieure du ministre de France aupres de S. M. helle- nique. Les eleves, qui ont le titrede membres de l'ecole francaise d'Athenes, y passent deux annees, et peuvent etre autorises a y demeurer une troisieme annee. lis peuvent, avec l'autorisation du Gouvernement grec, ouvrir des cours publics et gratuits de langue etdelitterature franchises etlatines. lis peuvent meme, s'ils y sont appeles, professer dans l'universite et les ecoles grecques tous les cours compatibles avec leurs proprcs eludes. lis peuvent enfin etre institues en commission des lettres pour conferer le baccalaureat 3ux eleves des ecoles franqaises et latines de l'Orient qui auraient fait des etudes completes. Des places aupres de l'ecole d'Athenes sont reservees a des eleves architectes de 1'Academie de France a Rome, designes par le ministre de l'interieur. Sur la demande du gouvernement deBelgique, il a ete decide que quelques jeunes professeurs beiges pourraient etre adjoints aux membres de l'ecole francaise a Athenes. Un professeur de grec moderne, choisi parmi les indigenes, a ete et est encore attache a l'ecole. Huit eleves, reduits a sept, ont forme la premiere promotion, a la fin de 1 846 : trois ont passe a l'ecole deux annees ; les quatre autres, trois ans. La seconde promotion a ete de six eleves en i848 et 18/ig : cinq sont actuellement presents a l'ecole, dont deux de- puis un an, et se partagent ainsi en deux sections ou annees d'e- tudes. Quatre eleves architectes de l'ecole de Rome ont ete ou sont encore aupres de l'ecole d'Athenes, et ont singulierement con- tribue a aider et a eclairer les membres de celle-ci dans leurs explorations et dans les travaux graphiques et archeologiques qui en ont ete la suite. Trois objets principaux ont occupe jusqu'ici les eleves membres — 187 — de lecole d'Athenes : le grec vulgaire, les etudes arch£ologiques , historiques et litteraires, et , pour quelques-uns, des cours de langue et de litterature franchises faits a la jeunesse du pays. La plupart, outre les reconnaissances topographiques plus a portee, et que tous ont faites , ont execute de veritables voyages dans les diverses parties de la Grece, en Thessalie, en Epire, en Acar- nanie, dans les iles, a Constantinople et jusqu'en Asie Mineure et merae en Egypte. lis en ont envoye, a diverses epoques, des relations, et ils ont compose, plusieurs du moins, des disserta- tions et des memoires, dont quelques-uns, qui ont paru dignes d'etre publies , font reellement honneur a lecole. Enfin, tous ont recueilli des materiaux plus ou moins considerables, qui, inde- pendamment de leurs impressions et de leurs etudes sur les lieux, ne peuvent manquer de fructifier, d'autant mieux qu'il n'est pas un d'eux qui ne soit revenu passionne pour la Grece et pour ses monuments, eclaire d'une lumiere toute nouvelle sur ses chefs- d'oeuvre et sur son hisloire. L'Administration a done justement pense qu'a tout prendre les resultats obtenus jusqu'a present sont satisfaisants , quoiqu'ils soient loin d'etre complets. La commission pense avec elle que si le but n'a pas ete atteint du premier coup, il peut l'etre et le sera, au grand profit de 1'erudition et des lettres, avec une organisation plus reguliere, des etudes dirigees avec plus de suite et d'ensemble, une impulsion plus haute et plus energique, une surveillance autorisee , ferme et bienveillante a la fois. II a paru a la commission que e'etait precisement la 1'objet de 1'arrete du ministre de 1'instruction publique , et du concours de- mandepar lui a TAcademie dans la direction superieure de 1'ecole francaise d'Athenes. Elle a cru voir que ce qui avait surtout manque a 1'ecole, e'est un plan de travaux suivis et gradues , et un reglement general d'etudes qui guide et oblige en meme temps les eleves , et qui, en les rendant responsables devant l'autorite , par l'intermediaire d'un corps savant, leur impose, a ce double titre, et donne au Gouvernement et au pays cette double ga- rantie. La commission s'est occupee, en premier lieu, de dresser ce plan , de faire ce reglement. Elle a concu 1'ecole comnie devant embrasser, aux termes de ses statuts, deux annees suivies et nor- males d'etudes, communes a tous les eleves, avec la prevision — 188 — d'une troisieme annee, en dehors des cours, pour ceux d'entre eux qui, s'y etant le plus distingues, obtiendraient cette recompense a titre de mission en Grece , et seraient tenus de la reconnaitre et de la justifier par des travaux d'une nature tout a fait speciale , par des recherches et des explorations ordonnces dans l'interet de la science. Partant de cette idee fondamentale, elle a consacre la premiere annee d'etudes, qu'elle a consideree comme une annee preparatoire et comme un complement de leurs etudes ant6- rieures, a munir les eleves, en quelque sorte, de tous les instru- ments et de toutes les directions de travail qui devront leur servir plus tard. Elle a voulu qu'ils s'occupassent, avant tout, de la langue vulgaire et de la topographie generale de la Grece , pour se mettre en communication avec le pays et avcc les hommes ; qu'ils etudiassent ensuite les elements de la paleographie , tant diplomatique que monumentale , de la numisrnatique et de l'ar- cheologie en general ; qu'enfin ils fissent une lecture assidue des auleurs , particulierement des geographes et des bistoriens anciens. Pour la langue grecque vulgaire, 1'attention des eleves devra etre appelee d'une maniere speciale sur 1'etude des dialectes pro- vinciaux et locaux, sur la nomenclature des productions de la na- ture dans les trois regnes, sur celle des objets de l'industrie , des professions, des arts, dans les differentes parties de la Grece, et principalement sur la nomenclature compared des lieux. L'idiome albanais devra rentrer clans le cadre des etudes linguistiques. Les eleves seront invites a dresser des vocabulaires speciaux et couipa- ratifs : du reste, c'est la connaissance pratique , familiere et popu- laire de la langue grecque moderne qui leur est surtout recom- mandee. Quant a la topographie , elle consistera dans la reconnaissance successive et generale des lieux, en rayonnant autour d'Athenes. Une premiere vue , encore moins qu'une observation detaillee des monuments , sera prise sur place, dans tout le cours de cette re- connaissance. Les materiaux de recherches ulterieures et plus spe- ciales seront soigneusement recueillis et notes. Les eleves seront tenus d'envoyer individuellcment une relation de leurs excursions, une description des lieux et des monuments qu'ils auronl visiles, un compte rendu exact de toutes leurs ob- servations. — 189 — Les elements de la paleographie, surtout monumentale ou epi- graphique, de la numismatique et des diverses branches de l'ar- cheologie , serout puises dans les meilleurs ouvrages sur ces ma- tieres, ouvrages dont la liste devra etre envoyee a l'ecole et qui seront deposes dans sa bibliotheque. Les eleves devront avoir sans cesse dans les mains les relations anciennes de la Grece , surtout celle de Pausanias, et en faire une etude approfondie et une verification successive sur les lieux. Pour les relations modernes, celles de W. Gell, Dodwell et Leake, de Ross et Ulrichs, leur sont specialement recommandees , ainsi que les recueils d'inscriptions , en premiere ligne le Corpus de Boeckh et les grandes collections de monuments figures qu'ils doivent connaitre et etudier dans les intervalles de leurs voyages. La des- cription physique et proprement topographique de la Grece, les travaux de la commission de Moree , et ceux de Puillon-Boblaye surtout , reclament egalement leur attention. La seconde annee du cours d'etudes se composera de travaux , memoires, dissertations sur des points speciaux de topographie, d'archeologie, d'histoire et de litterature , se rapportant aux etudes et aux explorations qui auront ete faites dans le cours de la pre- miere annee. Ces travaux sont obligatoires pour les eleves, qui se- ront tenus d'envoyer au moins un memoire de topographie et d'ar- cheologie, et une dissertation de mythologie, d'histoire ou de litterature, a 1'expiration de la deuxieme annee. Les eleves n'en poursuivront pas moins 1'exploration et l'etude de plus en plus approfondie des lieux, des monuments et des textes. lis feront une application naturelle de la connaissance et de la pratique qu'ils auront acquises de la langue grecque moderne, pendant la pre- miere annee, aux cours de langue et de litterature franchises et latines qui leur sont presents , et qui doivent exercer une in- fluence doublement heureuse pour eux et pour les jeunes Grecs devenus leurs disciples, en meme temps qu'ils contribueront a resserrer de plus en plus les vieux liens d'amitie entre la France et la Grece. Quant a la troisieme annee, quun petit nombre d'eleves auront ete autorises a passer pres de l'ecole, et pendant laquelle ils se- ront regardes comme charges de missions scientifiques speciales , elle devra etre a la fois le plus haut resultat et la justification la plus eclatante des deux antics. Tl sera propose par FAcademie aux — 190 — eleves qui auraient merite cette distinction , cbaque annee pour 1'annee suivante, un certain nombre de sujets d'explorations , de recherches et de v^ri tables memoires, repondant aux desiderata de la litterature, de 1'arcbeologie, de la geographic et de l'histoire. Ces eleves pourront, en outre , oblenir l'autorisation de continuer les cours quils auraient commences aupres des Grecs pendant 1'annee precedente. La coin mission , apres avoir arret e ainsi le plan des travaux de 1'ecole d'Athenes devant servir de base a un reglement general d'etudes, a determine un certain nombre de sujets et de questions qui pourront etre proposes sur-le-cbamp aux travaux des eleves de la deuxieme et de la troisieme a'nnees. Elle est d'avis que les eleves actuellement a 1'ecole, dans le cours de la deuxieme annee, de- vront etre tenus, par mesure transitoire, d'envoyer chacun, avant le ier juillet prochain (d'apres les lermes de 1'arrete duministre, et sauf a reporter, pour 1'avenir, l'epoque de ces envois a la lin de 1'annee), un memoire sur les resultats principaux du voyage quils sont annonces avoir execute en Thessalie et en Macedoine , en Epire, en Acarnanie et en Etolie. La division du travail et le cboix particulier des sujets sont laisses a leur disposition. Quant aux eleves qui pourront etre designes pour la distinction d'une troisieme annee, les sujets suivants de rechercbes et de me- moires leur seraient proposes : 1 ° Visiter Tile de Pathmos, principalement pour faire des recbei'- cbes dans la bibliotbeque du monaslere , et pour y dresser le ca- talogue, avec la description exacte et complete , accompagnee d'extraits, des manuscrits qui s'y trouvent; 2° Faire une etude et une description complete et approfondie de l'Acropole d'Albenes , d'apres 1'etat actuel et les travaux recents , compares aux donnees des auteurs anciens ; 3° Explorer 1'ile d'Eubee et la decrire exactement, en comparant l'etat actuel avec 1'elat ancien aux diverses epoques; en etudier et en exposer les traditions et 1'hisloire; /i° Etudier et eclaircir, par l'etude des lieux et par l'examen des traditions et documents divers de l'antiquite, le mythe de Trophonius, les cultes ct les rites auxquels il pouvait se ratta- cber. Tels sont. Messieurs, le plan, le cndre, la nature des travaux — 191 — qui paraissent a la commission devoir former le cours d'etudes de lecole franchise d'Athenes, et qui, dans son opinion unanime, ne peuvent manquer de faire tourner au profit de la science et a la gloire du pays les resultats d'une institution dont ralfermissement et la regularisation seront aussi utiles et aussi honorables que la pensee premiere en a ete grande et vraiment natiouale. Signe RaoulRochette , Hase , Ph. le Bas , Lenormant , Langlois , Guizot , Walckenaer ; Guigniaut , rapporteur. CertiCd conforme: Le Secrdtaire perpetuel, WALCKENAER. DOCUMENTS OFFICIELS. Collection plastique et epigraphique rapportee de VAsie centrale et de I'Asie Mineiwe par M. Lottin-de-Laval , charge d'une mission scientijique. RAPPORT AU PRESIDENT DE LA REPCBLIQUE. Paris, le i5 mars i85o. Monsieur le President, La grande expedition a la fois mililaire et scientifique qui a si dignement inaugure le xixe siecle, sous les auspices du heros legis- lateur qui se faisait gloire du titre de membre de flnstitut, a im- prime a farcheologie, a la pbilologie, aux sciences historiques comme aux sciences physiques, un mouvement fecond en recber- ches et en decouvertes de tout genre. II etait reserve a la France, apres avoir retrouve 1'antique civilisation de l'Egypte dans ses temples et dans ses tombeaux, apres avoir devoile le mystere si longtemps impenetrable des bieroglypbes , apres avoir eclaire ainsi lorigine de 1'ecriture et des arts, de ressusciter la civilisation, non moins ancienne peut-etre, de TAssyrie et de la Cbaldee, et de reta- — 192 — blir cette autre grande page des annalcs primitives du genre bu- main, qui semblait a jamais detruile avec les monuments deNiuive et de Babylone. Les monuments de Ninivc, donl les mines memes avaient peii , croyait-on, sont aujourd'hui represents par les pre- cieux debris d'un des plus remarquables d'entre eux , dans la ga- lerie Assyrienne du musee du Louvre, pendant que s'acbeve la publication du grand ouvrage qui restitue ce monument avec les bas-reliefs bistoriques et les innombrables legendes cuneiformes dont il etait couvert, et qui commencent a livrer leur secret , aussi bien que les bieroglypbes. Un autre ouvrage entrepris par suite d'une mission scientifique anterieure aux belles decouvertes de M. Botla, sous la direction de M. Flandin, son collaborates, et sous cellede M. Coste, nous a donne de magnifiques dessins des edifices et des sculptures de Persepolis; mais des monuments eux-memes de cette premiere ca- pitale des grands rois, nos collections publiquesne possedent rien encore, ou presque rien, non plus que des monuments de Baby- lone et de ceux des differenles villes de la Chaldee et de la Perse, aux cpoques successives de leur bistoire. Un voyageur ingenieux et bardi nous avait cependant mis en mesurede combler, jusqu'a un certain point, cette double lacune, grace a un procede trouve par lui, reste son secret, el au moyen duquel il lui etait donne de reproduire avec une complete fidelite, et a volonte, d'une maniere singulierement expeditive, les reliefs les plus saillants, les plus considerables, les inscriptions les plus compliquees et les plus minutieuses. Des lSdy, la commission des monuments bistoriques, cbargee de faire au ministre de l'inlerieur un rapport sur le procede et sur les moulages de M. Lottin-de-La- val , emettait un avis completement favorable al'acquisition de ces collections moulees, en constatant la surete et 1'importance du moyen par lequel il les avait obtenues. Plus tard, l'Academie des inscriptions et belles-lettres de 1'Insli- tut , consultee sur Tun et 1'autre point, se prononcait dans le meme sens, et par l'organe d'une commission formee dans son sein, a la demande du ministre de Tinstruction publique, dcclarait, le 08 septcmbre 18/ig, la collection de M. Lottin-de-Laval eminem- ment propre a interesser le monde savant, au triple point de vue bistorique , arcbeologique et pbilologique. L'Academie formait, en consequence, le voeu de voir 1»> Gouverneraenl acquerir cette — 193 — collection, dont elle indiquait la place a la suite des monuments assyriens rapportes de Khorsabad par M. Botla. De ce moment, Monsieur le President, persuade comme jc le suis que des monuments de cet ordre et de cette date, qui appar- tiennent aux plus vieux ct a quclques-uns des plus grands souve- nirs del'humanite, et qui jettent tant dejour sur 1'histoire de la civilisation et des aiis, ont leur prix dans tous les temps, j'ai resolu de faire tous mes efforts pour tacher d'assurer a la Fiance la pos- session de ces copies , dont la parfaite exactitude m'etait garantie, et memo celle du precede, superieur a tout autre, qui met en etat, non-seulement de multiplier, mais d'etendre indefiniment ces fac- simile d'un nouveau genre, qui peuvent tenir lieu des originaux. Malheureusement, il m'etait impossible d'offrir a M. Lottin de-La- val ce qui lui eut ete propose a une autre epoque, et je n'avais point a songer a la demande d'un credit special. Je ne pouvais disposer que de bien faibles ressources sur les fonds d'encou- ragement pour les sciences et les lettres. Le patriotisme de 1'artiste voyageur et son amour de 1'antiquite sont venus a mon secours : il a bien voulu accepter, comme prix de ses collections et de son procede, ce qui etait a peine la juste indemnite de ses travaux et de ses sacrifices dans un voyage perilleux; et il s'est surtout determine par la perspective que je lui ai offerte de le re- commencer en d'autres contrees a titre de mission du Gouverne- menl, moyennant i,5oo fr. sur le fonds des indemnitee annuelles aux savants et aux gens de lettres , et quelques milliers de francs pour un double voyage au bassin du Fayoum en Egypte et a la presqu'ile du Sinai en Arabie, deux points d'exploration notes parmi les desiderata les plus essentiels de farcheologie. L'Etat est devenu possesseur de la collection plastique epigraphique formee en Orient par M. Lottin-de-Laval , et du procede de moulage qui lui a permis, en la rapportant sous le plus mince volume, d'en reproduire les originaux avec la plus complete fidelite. J'ai charge, par un arrete en date du 2 3 novembre i84q, une commission , composee de MM. Guigniaut et de Saulcy, membres de 1'Institut, et F. Genin, chef de la division des sciences et des lettres auministere definstruction publique, de prendre possession, au nom du Gouvernement , de la collection cedee ainsi a 1'Etat par M. Lottin-de-Laval , et consistant en 1 3 A pieces : bas-reliefs , figures , inscriptions, qui proviennent de Persepolis, au nomine de /u ; de — 194 — Schahpour, dans les ddule^s du Khouzistan,G;des mines deNinive, aKhorsabad, a Koyounjuk et ailleurs, 20; et surlout de celles de Babylone el des anciennes villesde la Babylonie, telles que Opis, Seleucie, Ctesiphon, Sitace , Cunaxa, etc. Independamment des grandes figures de Xerxes, de Sapor II, des rois, des guerriers, des pretres de la Perse et de l'Assyrie, qui frappent au premier abord , el des nombreuses b'gendes des briques babyloniennes, non encore decbiffrees, un monument de la plus baute importance pour la linguistique et pour l'histoire est le cylindre assyrien trouve a Opis , entitlement couvert d'une inscription qui n'a pas moins de 5 10 lignes en caracteres cuneiformes, tres-menus, et pour ainsi dire expedites. Un fragment de basalten noir, non moins precieux, trouve a Akerkouf, sur le Tigre, parait olfrir un sujet astrono- mique analogue a celui quepresente la pierre rapportee des meme lieux, et connue des longtemps sous le nom de caillou de Michaux. Ces deux representations, qui se lient Tune a 1'autre, pourraient bien appartenir au zodiaque chaldeo-babylonien, origine la plus vraisemblable de celui des Grecs et du notre. Enfin, quelques mo- numents persans et arabes, d'epoque plus moderne, venant d'ls- paban et de Scbiras, de Bassora, de Bagdad et de Damas, ne sont pas non plus sans interet. Quant au precede de moulage cede egalement a 1'Etat par M. Lottin-de-Laval , je fai fait experimenter devant moi ; j'en ai recu la description et 1'instruction detaillees des mains de l'inventeur, et je les ai jusqua nouvel ordre consignees sous le sceau du minis- tere. Sensible a tout ce qui peut contribuer aux progres des arts et des sciences, comme a la gloire hereditaire de la France, habitue a prendre finitiative de toutes les decouvertes, vous apprecierez, jen suis bien sur, Monsieur le President, 1'importance des acquisi- tions que vient de faire le Gouvernement par mon entremise. J'ai done 1'honneur de vous proposer, suivant le va>u de TAcademie des inscriptions et belles-lettres, d'autoriser le placement et le clas- sement des pieces composant la collection Lottin-de-Laval au musee du Louvre pour faite suite a la galerie Assyrienne, et quant a la description du proceed de moulage, d'en ordonner le depot cachete au secretariat de 1'Academie des sciences pour etre statue ulterieurement, de concert avec 1'Institut , sur la publicite que devra recevoir ce proc^de. Cest le double objet du projel de decret an- — 195 — nexe a ce rapport, et que je vous prie de vouloir bien revelir de votre signature, si vous l'approuvez. Agreez, Monsieur le President, la nouvelle assurance de mon profond respect. Le Ministre de 1'instruction publique et des cultes, DE PARIEU. AU NOM DU PEUPLE FRANQAIS. Le President de la. Republique, Vu le rapport du ministre de 1 instruction publique et des cultes, en date du 10 mars i85o, Decrete : article premier. La collection plastique et epigrapliique rapportee de 1'Asie cen- trale et de 1'Asie mineure par M. Lottin-de-Laval, et acquise par 1'Etat, sera deposee au musee du Louvre, pour faire suite a la ga- lerie assyrienne. ART. 2. La description du procede de moulage decouvert par M. Lottin- de-Laval sera remise, cachetee, au secretariat de TAcademie des sciences, pour etre statue ulterieurement, de concert avec Tlns- titut, sur la publicite que devra recevoir ce procede. art. 3. Le ministre ds 1'instruclion publique et des cultes, et le ministre de 1'interieur, sont charges , chacun en ce cjui le concerne , de 1'execution du present decret. Fait au palais de TElysee-National, le 16 mars i85o. LOUIS- NAPOLEON BONAPARTE. Le Ministre de 1'instruction publique et des cultes* DE PARIEU. — 1% — NOUVELLES DES MISSIONS, Par arrele de M. le ministre de 1'instruction publique et des cultes, en date du 20 mars i85o, M. Marchegay, aocien eleve de i'Ecole nationale des chartes , archiviste general du departement de Maine-et-Loire, a ete charge d'une mission en Angleterre , a 1'efTet de rechercher et de transcrire, dans les bibliotheques et depots du Royaume-Uni , les documents relatifs a l'Anjou, et no- tamment le Livre noir de Saint-Florenl de Saumnr et le grand Car- talaire de Fontevrault. MINISTERE DE [/INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES. ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. IV" CAHIER. Premier rapport adresse a M. le Ministre tie I'instruciion publique, par M. Aucjiute Viquesnel, membre de la societe fjeoloqique, charge" d'une mission scientijique en Turquie en 18&6 l. Andrinople, le 1 5 juiilet 18/17. Monsieur le Ministre, J'ai quitte Constantinople le 20 mai dernier, et je me suis di- rige sur la ville d'Enos, en suivant le littoral. Sauf quelques points qui meritaient une attention toute particuliere, j'ai vu rapidernent cette premiere partie du voyage, et, afin d'arriver au plus vite au massif du Rhodope , je me suis contente de prendre une idee som- maire des terrains qui se rencontrent sur la route. J'aurai le temps, a mon retour vers Constantinople, d'etudier en detail les terrains 1 Mission ayant pour objet d'etudier Hnterieur de la Turquie d'Europe sous le double rapport de la geologic et de la geographic (Arrete du 9 ddcembre 1 8 46.) MISS. SCIENT. l4 — 198 — de la plaine. Ie n'ai clone commence cles observations serieuses sur le sol de la Turquie, qu'a parlir de la ville d'Enos. ITINERAIRE SU1VI DE CONSTANTINOPLE A ENOS. Buyuk Tchekmcdje, Silivri, Eregli, Tchorlou, Bodoslo, Achi- klar, Kanos, Charkeui , Kavak, Kadikeuit Mayan's, Fakirma, Tchelebi, Keui, monastere Saint- Athanase, Amigdalia, Enos. ITINERAIRE SUIVI d'eNOS A ANDRINOrLE. i° Fere, et courses aux environs de Fere: a Trajanopolis, a 3 lieues a TO. de la ville ; a Tchampkeui a G Jieues au N. ; a Ba loukkeui a i lieues a I'O. N. O.; 2° Pichman Keui, a 6 lieues N. N. O. de Baloukkeui, course a Moukate, a l lieue au N. 0. de Pichman Keui, et ascension au Moukate Ialia; 3° KarabadjiakDervend, a 4 lieues et demie au N. de Pichman Keui ; h° Teke, a 2 lieues au N. N. O. de Karabadjiak Dervend, as- cension au mont Kodja Ialia , a h, lieues du Teke ; 5° Boute de Dimotika par Kutchuk Dervend, Mandra Saltick Keui et Karabeile ; C° Exploration du plateau granitique au S. du Kizildeli Deressi, route de Sirtkarakilissi par Indjer, et Kiretch Arnaoutkeui; i-etoui a Dimotika, par Mandra et la montagne au S. de la ville ; 7° Boute de Dimotika a Ortakeui et a Lidja, et arrivee a An- drnople par la vallee de 1'Arda. GEOGRAPHIE PHYSIQUE. La carte de la Turquie d'Europe, dressee par M. le colonel Lapie, est suffisamment exacte pour permettre de suivre les de- tails geologiques de la premiere partie de mon voyage, mais elle laisse beaucoup a desirer pour la seconde partie ; je donnerai done ici un resume de mes observations sur le relief du sol quej'ai parcouru a TO. de la Maritza, entre Enos et Andrinople. Le Kodja Ialia, situe au S. 0. d'Andrinople, forme le point culminant entre les affluents de la Maritza et le Paiamli Deressi r — 199 — dont lcseaux se rendent dans l'Arcbipel, et traversent Je Kaza ou district de Gumourdjina. Lerevers N. O. de la montagne, est tri- butaire do l'Arda. Sa bauteur absolue, donnee par le barometre, est denviron mille metres. Une serie de creles diversement orien- tees se raltacbent a cette sommite, et se prolongent vers la mer en dccrivant une ligne sinueuse. Les principaux affluents de la Maritza qui descendent du revers oriental de cette chaine sont au nombre de trois, savoir : i° le Kizildeli Tcha'i ou Deressi ; 2° le Katrandje Keui Deressi ou Cheirova Tcbai ; 3° le Loutzou Keui Deressi. Quelques autres affluents prennent naissance dans les contre-forts, mais ne remontent pas jusqu'a la chaine principale. Le Kizildeli se compose de trois branches, dont deux (le Kizil- deli et le Boldjibouck) ont leurs sources sur les pentes N. et S. du Kodja Ialia, et la troisieme dans les montagnes situees entre le Kodja et le Moukate Ialia. Cette derniere branch e, connuesousle nom de Setan Deressi (ruisseau dudiable), se reunit au Kizildeli entre Karabadjiak Dervend et KutchukDervend.Le torrent penetre au N. de ce village , dans des defiles tortueux et encaisses , et se mele avec le Bokljibouk, son affluent septentrional, au village de Ghieuktchebounar. A partir de cette localite, situee a 5 lieues de Dimotika, le Zizoldeti coule en plaine, baigne le pied du chateau de Dimotika, et se jette dans la Maritza a un quart de lieue de la ville. Le Moukate Ialia verse le produit de ses eaux, d'un cote, dans le Setan Deressi, et, de tous les autres cotes, dans le Katrandje Keui Deressi; ces derniers contournent la chaine tracbylique de Tchampkeui, se reunissent aux affluents qui en descendent et se jettent dans la Maritza pres de Kalderkoz, non loin de Fere. Le Loutzou Keui Deressi se compose de deux branches : 1'une provient des montagnes au S. de Moukate ; 1'autre , des montagnes de Makri. Ce torrent, dont le lit est ordinairement a sec, passe a Trajanopolis, et debouche dans la mer, en face d'Enos. Lorsqu'on se rend d'Enos a Fere, on est frappe par la vue d'une chaine qui s'eleve parallelement au cours de la Maritza, et dont la ligne de faite presente des pitons aigus, dechires, et des rimes coniques plus ou moins emoussees. Si Ton gravit sur Tune de ces sommites , par exemple dans les environs de Tchampkeui, on reconnait que ces montagnes sont separees de la chaine prin- cipale par de profondes vallees. Leur position independante res- M. 1 li . — 200 — sort avec une plus grande 'evidence, si Ton se transporte sur le Moukate lalia. Une autre observation vient fixer l'attention, quel que soit le point d'oii Ton examine le pays. En faisant abstraction des sommites principales qui fonnent les separations entre les grandes vallees, on reconnait que les contre-forts presentent une disposition en plateau. Cette disposition est surtout tres-remar- quable dans la contree qui sc prolonge du Kodja lalia vers Dimo- tika. Elle se dessine en une ligne droite dont aucunc saillie ne vient interrompre la monotonie et l'horizontalite. Cette diversity si tranchee dans le relief du sol *ient a la na- ture des roches qui le composent ; les cretes aigues et dechirees du groupe de Tchampkeui sont formees de trachyte; les sommi- tes elevees du Moukate lalia, du Kodja lalia , etc. sont formees de scbistes cristallins, et le bas plateau qui se prolonge vers Dimolika est forme d'un granite a gros grain qu'entoure une bordure de scbistes cristallins1. GEOLOGIE. A. ROCHES STRATIF1EES. § lei. Scbistes cristallins. Les scbistes cristallins apparaissent dans la presqu'ile de Galli- poli, aux environs de Ravak, et pies des bords de la mer, entre la petite rade de Ibridje et les villages de Magaris et de Fakirma. lis constituent la masse des montagnes de Picbman Keui, de Mou- kate, du Kodja lalia, et ils accompagnent le cours superieur des trois principaux affluents de la Maritza. La rocbe dominante est l'ampbibolite ou diorite schistoide, qui alterne avec le gneiss et le micascbiste. Ces roches sont souvent grenatiferes, et renferment des bancs subordonnes de calcaire grenu ou lamellaire. Le cal- caire se montre en abondance a 1'extremite orientale du plateau granitique, dans la vallee de la Maritza , entre Mandra et Dimotika; il existe au Kodja lalia, aux environs du Teke; mais les plus belles plaques de marbre s'exploitent dans les montagnes de Lidja, non 1 Hauteurs donnies par le barometre : i° Cretes aigues du groupe de Tcbampkcui 35o a Aoo"1 2° Sommites elevees du Kodja lalia, et autres cimes voisines. 1,000 a 1,100 3° Plateaux elevcs du Tcke, Karabadjiack Dervend, etc. . . . 4oo h 45o .'i° Bas plateau granitique 2 25 a 200 — 201 — loin d'Ortakeui. J'ai vaioement cherche dans ces calcaires les cristaux degrenat, d'idocrase, d'epidote, de wollastonite, etc. que j'ai observes autrefois dans une carriere du Rilodayh a 6 lieues de Doubuitza. S II. Terrain de transition. Mon savant compagnon de voyage, M. Boue, admettait que les montagnes d'Achiklar et de Kanos se composentde terrain tertiaire dont la grande elevation est occasionnee par le prolongement sou- terrain de la chaineduRhodope. J'ai constate qu'elles sont formees de roches idenliquement semblables a celles de Constantinople, que tous les geologues s'accordent a. classer dans le terrain de transition. J'ai observe les memes roches dans la cbaine qui s'elend de Kanos vers Gallipoli, entre le mont Saint-Elie et Kavak ; elles se montrent encore aux environs de Baloukeui, etse prolongent de la, dans quelques vallees du Loutzou Keui Deressi et du Katrandje Keui Deressi. Ce terrain se compose de roches feldspathiques de grauwake fine ou grossiere, passant aux conglomerats, de gres quartzeux, de calcaire argileux noiralre, et de schiste argileux. Les seules traces de restes organiques que j'aie trouvees appartiennent a des plantes. § III. Terrain a polypiers et a nummulites. Les geologues sont loin d'etre d'accord sur la position que doivent occuper les terrains a nummulites qui couvrent de vastes contrees sur le pourtour de la Mediterranee. Nous avons cru re- marquer, M. Boue et moi, qu'en Turquie ce genre de fossiles passe dans des couches de 1'epoque tertiaire ; cependant, faulede preuves evidentes , nous avons range provisoirement dans la grande for- mation crelacee tous les terrains a nummilites de la Servie, de 1'Albanie et de la Macedoine. Mes observations actuelles vont fournir de nouveaux materiaux aux discussions. M. Boue, qui a rencontre dans les Balkans une si grande abon- dance de nummulites associees avec les fossiles caracterisliques de la craie , considere les calcaires a polypiers de la Thrace comme faisant partie du terrain tertiaire ; il pense que ces calcaires for- ment des accidents au milieu de depots de meme age que ceux — 202 — du bassin de Yienne (Autriche) , et, par consequent , il les rap- porte a l'etage moyen du terrain tertiaiie. Depuis nion depart de Constantinople , j'ai rencontre le calcaire a polypiers dans une foule de localites, et partout je l'ai trouve petri de numniulites. Le grand nombre de fossiles extraits de ce terrain que j'adresse au museum d'histoire naturelle du jardin des Plantes, permeltra aux conch yliologistes, j'ose 1'esperer, de decider la question chro- nologique. Cc terrain problemalique repose toujours, soit sur les scbistes cristallins, soit sur le terrain de transition ; il se compose, a sa partie inferieure, de gres souvent tres-grossiers et passant au con- glomerat, d'argile rouge, yerte, jaunatre ou grisatre, alternant avec des gres de diverse nature. Le calcaire contient souvent vers le bas une si grande quantite de grains de quartz et de fragments de tout genre, qu'il forme un veritable gres a ciment calcaire; souvent encore le ciment contient une tres-forte propoiiion d'ar- gile : sa partie superieure est ordinairement beaucoup plus pure ; la masse se compose en presque totalite de polypiers branchus dont les fragments sont soudes par la chaux carbonatee. Lorsque la penetration du ciment est parfaite , il en resulte un calcaire blanc, tres-compacte, a pate fine, a cassure irreguliere, et dans lequel les fossiles ne sont visibles que sur les surfaces alterees par les agents atmospheriques. Lorsque le ciment ne fait que coller entre eux les elements de la roche, il produit un calcaire facile a tailler sur certains points, et endurci sur d'autres points par les ra- mifications et les modules des polypiers. Le rocher qui supporte les mines du chateau de Dimotika est un bon exemple de cette texture ; il est perce de cavernes naturelles et d'excavations faites de main dhomme qui servent encore d'babitations. Ce calcaire ne se montre nulle part en couches etendues ; par- tout il se presente sous la forme de protuberances a contours ar- rondis et placees cote a cote. J'ai trouve des manielons de ce genre au mont Saint-Elie et au Serian-Tepe, entre Kanos, Charkeui et Kavak (golfe de Saros) , sur le bord de la mer, a la rade d'Ibridje , a Baloukkeui pres de Fere , a Scimenli dans la vallee de la Ma- ritza, a Sarikaia dans la vallee du Katrandje Keui Deressi, a Dimo- tika, le long de la vallee du Kizildeli-Deressi, a Indjes et Kircteh, Arnaoutkeui, a Ortakeui et Lidja el dans la vallee de 1'Arda. La forme parliculieie do ces butles indique claiienicnl leur originc ; — 203 — on y reconnail d'anciens recifs construils par des pulypiers qui se sont etablis partout ou ils ont trouve les conditions favorables a leur developpement. II est tres-curieux de les voir dessiner les contours de l'ancien rivage, ne jamais se montrer au milieu des plaines ni penetrer clans les vallees etroiles. J'ai ele tres-surpris de ne pas trouver ces recifs dans la vallee de la Marilza , enlre Mandi a et Dimotika; c'est dans cet espace qu'existe le prolongement de 1'axe mineralogique de la cliaine du Pdiodope. Leur absence sem- blerait indiquer que cet axe s'etendait alors beaucoup plus vers Test, et que les escarpements du plateau qui bordent laMaritza, entre Mandra et Dimotika, sont le resultat d'une fracture re- cente. Les couches superieures au calcaire a. polypiers ofl'rent une com- position tres-differente, suivant les localites. Au mont Saint-Elie et au Serian-Tepe, ce sont des argiles rouges et vertes alternant avec des gres ; par-dessus viennent des sables et des gres : cet ensemble arenace constitue la presque totalite de la contree comprise entre la mer de Marmara et la vallee de la Marilza. Aux environs de Fere, de Baloukkeui , etc. on trouve , au-dessus du calcaire a polypiers , des marnes, des argiles et des gres en couches subordonnees. Partout ce terrain a etc plus ou moins disloque; il se presence lonjours en couches inclinees. § IV. Terrain cvidemment tertiaire. Pour le moment, je n'ai rien de nouveau a ajouter aux con- naissances acquises sur le terrain tertiaire qui s'etend de Cons- tantinople aux montagnes d'Achiklar pres de Rodosto ; mais j'ai reconnue entre Kavak et Enos, a Fakirma, a Tchelebikeui et a Fere , un systeme de couches calcaires et argilo-calcaires cpui avait ete confondu avec le terrain precedent; ce systeme repose en couches horizontales sur les couches redressees des gres superieurs au calcaire a polypiers. S V. Alluvions. Les alluvions anciennes recouvrent les flancs de quelques-unes des vallees qui debouchent dans la Marilza : elles sont tres-puis santes dans la vallee de l'Arda, ou elles s'eiendent en collines qui — 204 — dominent et accompagnent de loin le cours de la riviere; elles se composent de cailloux roules , meles avec une terre rouge argi- leuse. Les alluvions modernes de l'Arda, formees de sable niicace, couvrent une plaine basse, aride, ou la culture des cereales et des muriers ne se montre qu'aux alentours des villages voisins d'An- drinople; celles de la Maritza sont souvent argileuses, plus fer- tiles et mieux cultivees. Ces depots recents sont interessants a cause de Tor en paillettes qu'ils renferment. Pendant les annees pluvieuses , des orpailleurs viennent laver les sables des affluents, ordinairement a sec, du Loutzou Kcui Deressi. Des petits tas coniques de sable, dissemines dans le lit de l'Arda, indiquent encore les recherches des laveurs de sable. R. ROCHES MASSIVES OU 1NJECTEES. § I". Granit. Le granit a gros grain constitue a Touest de la Maritza, entre Sofoulou et Dimotika, les plateaux peu eleves dont j'ai donne la description , et qui forment le prolongement de 1'axe mineralo- gique de la cbaine du Rhodope. Generalement a decouvert dans la partie centrale des plateaux, il est enveloppe d'une bordure souvent tres-mince des cbistes cristallins, clans lesquels il penetre sous forme de dyke , de dome ou de fdons. On le voit imbiber de ses elements les roches traversees, ou bien en absorber et dissoudre des fragments dans sa masse : cette assimilation est tres-remar- quable au contact du diorite schistoide; dans ces points, le granit se charge de cristaux d'ampbibole. S II. Porphyre quartzifere. Je ne Tai encore rencontre que dans le Moukate Ialia et aux environs de Pichmankeui ; il forme de gros filons et des dykes qui se prolongent du N. 20° 0. au S. 20° E. Dans le voisinage du porphyre quartzifere se trouvent des filons de quartz charge de mineral de fer, qui m'ont paru dependre de cette roehe plutoniquc. — 205 — § III. Diorite et serpentine. Le diorite massif perce au sommet du Moukate Ialia, et s'y presente avec ses caracteres mineralogiques bien tranches. Partout ailleurs 1'amphybole est noyee ou dissoute dans la pate feldspa- thique, et produit, par sa fusion intime, une roche verte qui res- semble a certains porphyres mal definis (Kodja Ialia, montagnes de Sarikaia, de Moukate, Pichmankeui, plateau au S. de Dimo- tika). La serpentine existe a Pichmankeui , au Kodja Ialia , etc. et comme le diorite s'oblitere rapidement, et passe a des roches vertes a caractere indecis, qu'on ne sait si Ton doit rapprocher du diorite ou de la serpentine, ces faits viennent a 1'appui de 1'opinion qui tend a rapporter a un seul et meme type le diorite , la serpentine et 1'euphotide. S IV. Trachyte. Le trachyte constitue a TO. d'Enos un petit massif de plusieurs lieues d'etendue, place a 1'extremite de la basse chaine qui borde au N. le golfe de Saros, et qui se prolonge sans interruption de Kadi- keui a Enos. La riviere de Kechan, au lieu de couper cette arete, comme Tindique la carte, se repand dans les marecages situes au N. du massif trachytique, et s'ecoule en temps de pluie dans la Maritza. Sauf la partie orientale, qui se rattache a la basse chaine, le groupe forme done une espece d'ile dont la base se trouve de trois cotes au niveau de la surface de la mer. Vers le N. E. aux environs du monastere de Saint-Athanase , la roche est un porphyre trachytique tres-dur et tres-tenace. Si Ton traverse la montagne qui supporte le monastere, pour se rendre a Enos, on descend par des contre-forts dans une vallee profonde presentant une forme en 'entonnoir, ouverte au midi, et dans laquelle se reunissent les eaux pluviales qui tombent dans 1'interieur du groupe. La paroi opposee qui borde le golfe se compose de trachyte blanc, rude au toucher, analogue au donate, de trachyte rouge et gris, et d'une variete impregnee de silice. Plusieurs coulees superposees et separees par des conglomerals se dessinent nettement pres de la sortie du groupe au monastere Scaloti. Leur disposition en echelons inclines a fait donner au monastere son nom de Scaloti (escalier). Les conglomerats boueux — 206 — se montrent en abondance pres d'Amygdalia, etsurloul en dehors du massif, sur le bord du golfe ; quelques autres points d'erup- tion se montrent encore dans la plaine entre Aimgdalia et Enos. En face du groupe que je viens de decrire, sur la rive opposee de la Maritza et du golfe d'Enos, s'eleve la chaine trachytique que j'ai designee sous le nom de montagnes de Tchampkeui. Le tra- chyte commence aux environs de Karabounos, et se prolonge jus- qu'aux environs deMakri; du moins, je 1'ai observe a trois lieues a TO. de Fere, et j'ai appris qu'on exploite de l'alunite a Chaptzi, sur la route de Fere a Gumourdjina. Ainsi, le trachyte forme une large ceinture a la base des montagnes ; non-seulement il constitue uue chaine dont les dechirures contraslent avec les contours adoucis du groupe d'Enos, mais encore il perce le sol en millc endroits differents. II se montre indifferemment dans les schistes cristallins, dans le terrain de transition et dans les couches infe- rieures et superieures du terrain a polypiers ; ces dcrnieres son I bouleversees et alterees a son contact. Le calcaire tertiaire recent de Fere , etc. est le seul qui recouvre le trachyte de ses couches horizontales ; ainsi, l'apparition de cette roche se trouve fixee eotre les deux depots. S V. Basaltc. La grande quanlite de fragments de basalte que j'ai rencontres sur la route de Constantinople a Eregli m'a fait penser que cette roche doit exister dans 1'interieur des terres ; c'est pour verifier cette supposition que je me suis rendu d'Eregli a Tchorlou. Ce bourg, bad sur le terrain tertiaire, estconstruit et pave en basalte. Ces materiaux sont tires d'unegrosse protuberance isolee ou dyke qui se trouve a une lieue de Tchorlou, sur la route deRodosto.Le basalte a traverse et altere le terrain tertiaire ; sa sortie est done tres-recente, et a bien probablement contribue a donner a la cote sa direction E. 0. Je nc doute pas qu'en retournant a Constanti- nople je n'aie l'occasion de reconnaitre rexistence de buttes sem- blables. Je rechercherai avec soin si Ton doit les considerer comme contemporaines des basaltes du Bosphorc et de la mer Noire. J'ai rhonneur d'etre avec respect, etc. Aigi'ste VIQUESNEL. \ndrinoplc, 1c i5 juillel iS!i~j. 101 Deuxi&me rapport a M. le Ministre Je Vinstruction publique , par M. Au- guste Viquesnel, charge d'une mission scientifiquc en Tnrquie. Monsieur le Ministre , J'ai eu 1'honneur de vous adresser, le 20 juillet dernier, par 1'entremise de M. Vernazza , vice-consul de France a Andrinople , un rapport renfermant un resume de mes premieres explorations. Depuis cette epoque, j'ai coupe plusieurs fois le massif du Rho- dope , et j'ai contourne sa partie occidentale ; il ne zne reste plus , pour connaitre cette interessante contree , qua parcourir les mon- tagnes situees au nord de Ienidje, de Maronia et de Miri. Arrive a Cavala hier au soir, je ne m'arreterai dans cette ville que le temps necessaire pour expedier au museum du Jardin des Plantes de Paris la pesante collection de roches que j'ai recueil- lie, et pour remplacer le tube de mon barometre, qui s'est brise la semaine derniere. Je n'ai pas un moment a perdre ; la pluie et la neige peuvent survenir d'un jour a l'autre, et rendre les mon- tagnes impraticables. Je me proposais de vous adresser, de Salonique ou de Cavala , un second rapport aussi detaille que le premier; mais un accident qui m'est arrive, le 2 septembre, au pied du mont Vitocha (situe a six lieues de Sophie, de Samakov et de Doubnitza), m'a prive de 1'usage d'un doigt; un eclat de roche tres-dure, lance avec force par le choc de mon marteau, est venu me frapper a 1'endroit ou le doigt du milieu s'attache a la main, et a coupe le muscle qui le fait etendre et ouvrir. Cette blessure, dont les consequences sont si graves, etait si petite qu'elle ne m'a pas arrete un seul instant, et ne m'a pas empeche de faire, des le lendemain, l'as- cension du mont Vitocha. Elle est cicatrisee depuis longtemps; mais c'est avec beaucoup de peine que je dirige ma plume. Je me vois done force d'ajourner le resume de mes observations jusqu'a l'epoque ou j'aurai contracte 1'habitude d'ecrire avec facilite. Pour le moment, je ne puis que vous adresser l'itineraire de mes ex- cursions. IT1NERAIRE D'ANDIUXOPLE A CAVALA. Je diviserai cet ilinerairc en plusieurs paragraphes. — 208 — S I. Route d'Andrinople a Philippupoli. i° Remonter la vallee de l'Arda jusqu'a Krdjali; 2° Se rendre dans la plaine de la Maritza, en suivant le som- met d'un enchainement de contre-forts, qui etablissent une ligne de partage enlre certains affluents de la Maritza; 3° Visiter la vallee du Stanimaka jusqu'au monastere de Batschkova. § II. Route de Philippopoli a Nevrokop. i° Reconnailre les sources du Dermen-Dere (Pachakai de la carte) et du Stanimaka; 2° Parcourir en partie la grande vallee du Kritschma Deressi (Karlora de la carte), qui se prolonge jusqu'aux montagnes de l'Arda, etqui, par consequent, s'etend entre les sources du Der- men-Dere et du Stanimaka, d'une part, et la chaine du Despoto- dagh, de l'autre part; 3° Passer dans le bassin de Batak, dont les eaux forment un affluent du Kritschma et se rendent a Postera, situe a deuxlieues de Tatar-Bazardjik; 4.° Traverser les montagnes du Dozpat Iailassi (Despotodagh), dont un versant fournit le principal affluent du Kritschma, et l'autre versant regarde la vallee de Dozpat. Cette derniere encaisse le seul affluent important du Karasou; 5° Traverser les montagnes qui separent la vallee de Dozpat de celle du Karasou: cette route reste sur les hauteurs, et con- duit, en dix heures, de contre-forts en contre-forts, dans la plaine de Nevrokop, ville situee au pied de la chaine du Perine, a un quart de lieue du Karasou. § III. Route de Nevrokop a Samakov. i° Remonter le cours du Karasou par le Kiz Derbend, defile celebre clans les chansons serbes , et arriver a Razlorck , situe dans une petite plaine au pied du Iel-Tepe, sonmiite la plus elevee de la chaine du Perine-Balkan ; 2° Descendre le cours du Karasou et remonter le ruisseau de — 209 — Iokourou, son affluent, qui prencl ses sources dans les monlagnes au sud de Samakov et de Bagna; 3° Traverser la chaine du DespotoDagh et descendre dans la vallee de Tchepina; de la. passer dans la vallee de Belova, dont les eaux se rendent au ruisseau de Tchepina ; If Visiter les sources de laMaritza, pres de Bagna; descendre a Samakor, ville renommee par l'excellent fer qu'elle fournit au commerce ; explorer le terrain qui renferme le minerai , et que j'ai, depuis, rencontre dans une foule de localites; 5° Explorer les sources de llskra, traverser les montagnes du Rilo Dagh et revenir dans le bassin de 1'Iskra. § IV. Route de Samakov a Kostendil. i° Remonter l'affluent de 1'Iskra, qui descend du mont Vi- tocha et ariose une plaine oubliee sur la carte ; ascension du mont Vitocha; 2° Traverser les contre-forts qui separent la derniere vallee et celledeDoubnitza; de la, franchir le plateau place entre le bassin de Doubnitza et celui de Kostendil; ascension du mont Koniavo; 3° Explorer dans ces trois localites le cours des affluents qui forment les sources de 1'ancien Strymon, le Strouma-Karasou de nos jours (ne pas confondre ce Karasou avec le Karasou de Baz- louk et de Nevrokop). § V. Route de Kostendil a Singhel. &* i° Etudier les differents bogbaz (defiles) qui encaissent le Strouma sur la plus grande partie de son cours, depuis son entree dans la cavite de Kostendil jusqu'a Demirhissar; 2° Parcourir le terrain compose de gres et de cailloux roul^s , et si profondement ravine, qui s'est depose au pied de la chaine du Perinedagh; de Melnik, ville situee au fond d'un de ces ravins tallies a pic, se rendre a Singhel. § VI. Route de Singhel a Seres. i° Traverser un contrefort et descendi-e, pres de son origine, dans la vallee qui debouche pres de Demirhissar; de la, se rendre. — 210 — par le col du mont All Boulouch, sommite elevee de la chaine du Perinedagh, dans la vallee de Karakeui, qui descend dans la plaine elevee el sans issue de Lissa; 2° Reconnaitre la forme et les ramifications de cette cavite, completement separee des vallees du Strouma, du Karasou et de la plaine basse de Drama, et dont les eaux se perdent dans un gouffre et vont sortir dans la plaine de Droma, a cinq lieues a l'E. N. E. de cette ville; 3° Traverser la chaine du Bozdagh et descendre dans la plaine de Seres. § VII. Route de Seres a Nevrokop. i° Se rendre a Drama, par Zigna; visiter la grotte qui donne issue a la riviere engouffree de Lissa; 2° Passer dans la cavite de Lissa, par le Bogaz de Guredjik; puis dans la cavite de Bilitintza (ramification de la premiere), par le Bogaz de Zernova ; 3° Descendre par Libeova dans la vallee du Karasou. § VIII. Route dc Nevrokop ;\ Cavaia. i° Descendre le cours du Karasou, trop profondement encaisse pour qu'on puisse en cotoyer les lives; voir a Borova sa jonction avec la riviere de Dozpat, ct quitter cette vallee a Touhal , village au dela duquel aucun seimen n'a consenti a me guider, malgre roffre que j'ai faite de prendre une escorte aussi nombreuse qu'on le voudrait; j'ai done ete force de renoncer au projet que j'avais forme de descendre le Karasou jusqu'a la mer; 2° Rentrer dans la plaine de Drama par le bogaz de Ravika, en explorer les contours meridionaux, et francbir l'arete qui la separe de la mer. En resume, cet itineraire, trop rcstreint pour vous faire con- naitre le relief du Rhodope, suffit pour donner une idee des changements notables que doit subir la carte de cette partie de la Turquie. J'ai l'honneur d'etre avec respect, etc. Accuste VIQL'ESNEL. Cavaia, le i"' oc(ol)rc i Si 7. — 211 — Ttotsieme eapport a M. le Minislrc de I'inslriiction publique, par M. Yiquesncl, charge d'une mission scienlijique en Turquie. Monsieur 1c Ministre, J'ai eu 1'honneur, dans mon second rapport redige a Cavala, le 3 octobre dernier , de vous exposer que , pour avoir une connais- sance complete du Rhodope , il me restait encore a explorer les montagnes meridionale de ce massif ; je viens aujourdhui vous annoncer que j'ai termine cette partie essentielle de ma mission. L'ilineraire de mes courses a travers les montagnes vous fera juger de 1'attention que j'ai mise a rattacher ces nouvelles observations a celle qui les out precedees. ITINERAIRE DE CAVALA A ANDRINOPLE. Je diviserai cet itineraire, conime le precedent, en plusieurs paragraphes. § I. Route de Cavala a Skiedje (Xanti des Grecs) , par Hanlar (residence du Mudir de Saricliabasie). i° Suivre les bords de la mer jusqu'aux environs de Hanlar, traverser le Karasou de Razlouk et la plaine de Xanti ; 2° Parcourir la plaine marecageuse et les collines tertiaires de Ienidje; 3° Suivre, pendant plusieurs lieues , la base des montagnes a l'E. eta TO. de Xanti; reconnaitre la nature des roches qui les composent et les cours d'eau qui en descendent. § II. Route de Skiedje a Ismilan , chef-lieu du Kaza de Ilaartchelebi. i° Remonter vers le nord le torrent de Skiedje ; suivre , a partir de Ghieuktchebounar , la crete qui le separe des Kourou Tchai ( Karatcb de la carte) ; 2° Parvenu aux sources de ces deux torrents, conlinuer a mar- cher vers le nord ; passer dans le bassin de 1'Arda; reconnaitre les affluents qui forment la branche meridionale superieurc de cette riviere; traverser les montagnes qui separent les deux branches, — 2T2 — ct descendre a Ismilan , village situe sur l'Arda, a 3 licues turques (tie 20 au degre) du village de l'Arda, a 4 des montagnes qui four- nissent des aflluenls de l'Arda, et au Karasou dc Razlouk; a i5 de Xanti ; a 18 de Philippopoli; a 17 de Drama; a 17 de Kridjali, village que j'ai traverse en me rendant de Andrinople a Philip- popoli; 3° S'avancer jusqu'au pied des montagnes qui separent l'Arda des vallees du Stanimaka et du Kritschma, etdont j'ai precedem- ment explore le revers oppose. § III. Route de Ismilan a Gumourdjina. i° Descendre vers Test le cours de l'Arda ou de ses affluents jusqu'a 5 lieues de Kadjali; 2° Marcher vers le nord pendant 16 heures, savoir : traverser le mont Ala Dagh; descendre dans la vallee du Snutla, principal affluent de l'Arda. Je venais de contourner les sources occidentales de cet affluent; j'ai remonte a l'origine d'un de ses trihutaires me- ridionaux pour atteindre le col qui sert de communication entre Gumourdjina et la vallee du Snutla. En descendant vers la plaine, j'ai acquis la certitude que la branche orientale du Kourou Tchai, tracee sur les cartes , n'existe pas. S IV. Route de Gumourdjina a Chalnlar. i° Explorer la plaine de Gumourdjina et la base des montagnes, comme les environs de Xanti ; 2° Ascension du Iardimli Tepessi, montagne situec aux en- virons de Maronia, et dont la base septentrionale est arrosee par le Iardimli-Deressi. II va etre question du cours de cette rivere. 3° Route de Maronia, Miri et Chainlar. Ce dernier village est situe a une lieue des eaux thermales de Lidja, que j'ai visitees pen- dant mon sejour a Vira ou Fere. § V. Route de Chainlar ii Chaphane ou Chapsi, village a 6 lieues a 1'est de Gumourdjina. i° Reconnaitre le cours du ruisseau de Domous Dere, affluent de la vallee de Lidja ; traverser les principales sources de la ri- viere dc Bodama-Tchai , qui se jette dans la mer a une lieue et demic — 213 — de Chainlar; traverser la ligne de partage des eaux , et descendre a Chaphane par la vallee d'un aflluent du Iarnimli-Deressi; 2° Visiter les exploitations souterraines d'ou Ton tire les roches employees a la fabrication de l'alun et qui ont donne leur nom au village voisin ( Chap, alun; Flane, fabrique, usine}. § VI. Route de Cbaphane a Tclialabou. i° Traverser la plaine et commencer a monter, a 2 lieues de Chaphane , sur Tarete de separation entre deux affluents du Iar- dimli; suivre le sommel de cette arete jusquau pied du mont Kodja Ialia, dont j'ai fait 1'ascension, au commencement de l'ete, par la vallee du Rizildeli Deressi; 2° Traverser pres de leurssourceslelardimli etses affluents, qui descendent du Kodja Ialia, et arriver a Tchabalou, village situe pres des sources du Bourgaz 1. § VII. Route de Tclialabou a Hazkeui, parMastanle, chef-lieu du Kaza de Sut- tanieri. i° Descendre par Avrem dans la vallee du Bourgaz; remonter a trois lieues de sa source ; parcourir le massif volcanique qui separe son bassin de celui du Snutla, et descendre a Mastanle, village si- tue sur le bord de cetfe derniere riviere ; 2° Suivre le cours du Snutla jusqu'a son confluent; gueer 1'Arda a une lieue en aval de Krdjali , et passer par Buyuk-Ierdji , village qui se trouve dansmes precedents itineraires; 3° Traverser les vallees du Sulimenler et du Perperek Deressi, dont j'ai vu , cet ete, les sources et le confluent; monter a Kirezli, ou se trouve le point de partage des eaux entre 1'Arda et 1'Oglou Tchai. Ce dernier ruisseau descend des montagnes de Koucharlar, Tun de mes sejours d'ete, et se jette , a Harmanti, dans la Maritza; l\° Descendre a Mandra, traverser le plateau qui s'etendjusqu'a la Maritza, et reconnaitre la position de Ouzoundjova. ' Laneigequitomba en abondancependantlanuit du 3 au 4 novembre et toute la journee du 4, m'enleva la possibility de contourner, comme j'en avais le pro- jet, les sources du Bourgaz, en suivant le sommet des montagnes dont le revers meridional fournit des affluents au Iardimli. Cet incident me determina a con- tinuer plus bas le cours de. mes observations, devenues impraticables clans les regions c^lev^es. MISS. SCIENT. l5 2H S VIU. Monte de Ila/lcui u Andrinoplc. Au lieu de prendre la route ordinaire parcourue par M. Boue, se dirigcr sur Tchirmen a travers le plateau accidente qui horde; la rive droile de la Maritza; descendrc le cours de celte riviere, et la traverser en bac a Marach, a une licuc d' Andrinoplc S IX. Resume" des ilincraircs. Mes explorations, depuis inon depart dc Conslanlinople, portent principalement sur la surface du sol limitee au nord el a Test par la Maritza, a l'ouest par le Karasou (ancien Slrymon) , au sud par lamer de 1'Arcliipel. .1'ai, dans tous mes rapports, appli- que aux montagnes comprises dans cet espace la denomination de massif du Rhodope. Les coupes que j'ai executees dans tous les sens, a travers cette partie si pcu connue de la Turquie d'Eu- rope, m'ont fourni des materiaux qui serviront, d'une part, a rcdresser les nombreuses inexactiludes de la carle, et, de l'aulre part, a decrire la distribution des terrains stratifies el des roehes erup lives. Une exposition concise des faits geologiqucs et geographiques exigcrait un travail qui me retiendrait plusieurs jours dans celte ville, etm'empecherait d'executer une partie de mes observations ulterieures.il me reste encore a etudier les terrains lertiaires du Tekirdayb et la cbaine cotiere de la mer Noire, qui me fournironl des points de comparaison interessanls a saisir. J'ai le projcl , a moins que la saison ne devienne par trop rigoureuse, de consa- crer la fin de 1'annee a ces dernieres explorations. J'ai l'honneur d'etre, avec respect, etc. A. VIQUESNEL. Andrinoplc, le i5novembre 18/17. (La strile prochainement.) — 215 — FtArronT adresse a M. le Ministre de I 'instruction pnbliquc et des allies pur /!/. Pellissier, 'professcur de philosophie , charge" d' line mission scienii- Jiqueenl848\ PREMIERE LETTRE. Monsieur le Ministre , J'aurais voulu justifies par plus d'empressement la confiance dont j'ai ete honore; mais ce n'est que sur les bords du Nil que j'ai rencontre assez de calnie pour recueillir quelqu.es observations dignes de vous etre adressees. Les derniers evenements accomplis en Egypte donnent d'ailleurs un nouvel interet a cette etude: contre toute prevision, Abbas-pacha succede a son grand-pere. La posterite a commence pour Mehemet-Ali avant sa mort; pcut- etre meme, au moment ou cette lettre vous parviendra, aura-t-il termine sa longue et orageusc carriere. Le moment est done venu de juger les ceuvres de cet homme remarquable, de rechercher quel a ete son but, d'apprecier la valeur de ses creations par les fruits qu'elles ontportes, de trancber enfin cette question, tant de fois debattue, s'il a ete reellement pour FEgypte un prince rege- neraleur ou s'il ne doit etre considere cjue comme un intrepide homme de guerre, un politique babile et audacieux, qui a su par quelques sacrifices apparents s'assurcr 1'interet de TEurope et la sympalhie de la France. Si minime cjue soit la partie des ceuvres de Mehemet-Ali qu'il m'appartient d'examiner, elle est loin d'etre la moins importante, car elle doit donner la mesure de ses pro- jets reels pour 1'avenir. Le reformateur cjui veut sincerement le bonheur et Televation morale d'un peuple doit porter, avant lout, l'education a la hauleur des destinees c^u'il lui prepare. En meme temps que cet examen des institutions de Mehemet et des fruits qu'elles ont donnes peut eclairer sur le merite de cet homme extraordinaire , il aidera a bien apprecier la conduile que va lenir sen successeur, sur lcquel les yeux de l'Europe se- 1 Mission en Suisse, en Italic, en Grece et en Egypte, ayant pour objet de reclierclicr Ti'tal de l'enscignement ct desmi'tliodes, et d'^tudier, sous le rapport, psycliologique, les populations dont le caractere ou 1'intelligencc peuvent olTrir '|iiel(|iie particularitd digue d'atlcntion. (Decision ministt'iielle du 2-> juillel i8i8.) M. l5. — 216 — raient sans doute lixcs sans la gravite tics initials qui retiennenl exclusivement ('attention de chaque peuple. D'apres la maniere ilont Abbas-pacha traitera les etablissements (instruction publique, il sera facile de prevoir ce qu'on peut attendre de lni. On saura si 1'Egypte doit raster vouce a la plus arbitraire tyrannie, ou si les populations, longtemps abruties par la misere el le despotisme, reprendronl enfin le rang auquel scmblent les appeler le souvenii de leurs ancelres, la beaute de Icur ciel, la fertility de leur sol et les qualites d'esprit et de cceur dont 1'abjeclion n'a pas encore efface en eux toutes les traces. Des longtemps Mehemel-Ali, ayant reconnu 1'insuffisance des ecoles arabes pour fournir a 1'Egypte des homines capables d'eie ver cette contree au degre d'importance qu'il revait pour elle, avait essaye d'y supplier par des etablissements nouveaux; mais ces ecoles, fondecs dans un but d'utilile immediate, avaient etc creees separement, et a mesure que le besoin en eta it eprouve. Independantes les unes des autres, elles ne relevaient pas d'une autorite superieure; il n'y avait entre elles aucun lien, aucune hierarchie : elles formaicnt une masse et non un systeme. Ce de- sordre dans l'organisalion generate descendait j usque dans les moindres details. Le directeur de chaque ecole, maitre chez lui , tracait arbitrairement un programme detudes qu'il modifiait a sa fantaisie; le plus souvent meme, il ne suivait aucune methode. Au-dessous de lui, chaque professeur jouissait et abusait de la meme liberte. Les resultats obtenus firent bien vile sentir le vice de ces institutions. Les eleves qui peuplaienl les ecoles avaient ete pris an hasard ct repartis sans aucun egard a leur aptitude; a leur sortie, ils etaient admis dans les differents services publics, sans autre garantie de leur capacite quun certificat du directeur de Tecole. Aussi se trouvaient-ils presque toujours bien au-des- sous de ce qu'on avait le droit d'attendre d'eux. Ces inconvenients, joints au desordre ruineux de 1'adminislration des ecoles, firent comprendre la necessite d'une organisation systematique de bins truclion. Une commission de douze membres, parmi lesquels se trouvaient cinq Europeens dont 1'influence etait preponderante, fut charges de ce travail , au mois de decembre i835, et deux inois apres, elle soumit au pacba un programme Ires detaillc d'ensei- gnement , dont voici une analyse sommaire. I u conseil supdrieur, compose dun president et de Irois membres — 217 — inamovibles , auxquels sont adjoin! s six membres consultants, est charge de la direction et de la surveillance de toutes les ecoles. Ce conseil en nomine tous les fonctionnaires , hormis le directeur; il en cree et mpdifie les reglements et les programmes; il en suit les iravaux par les rapporls mensuels que lui adressent les directeurs, par les proces-verbaux que lui envoie cbaque mois le conseil d'ins- truction et de discipline etabli dans quclques ecoles; par des ins- pections trimestrielles, dont il charge, soit un de ses membres, soit un delegue; par des inspections extraordinaires qu'il ordonne toutes les fois qu'il le juge convenable. Ce conseil ne releve d'aucun ministre et communique directement avec le pacha; il renvoie aux diflerents ministeres speciaux toutes les fournitures necessaires a. l'entretien des ecoles. Ses attributions le renferment etroitement dans le domaine de renseignement. Trois degres sonl etablis dans 1'instruction publique : Yensei- gncment primaire, destine a repandre 1'instruction elementaire et a fournir des eleves aux ecoles plus elevees; Yenseignement prepara- ioire, intermediate entre le premier et le dernier degre, ou Yen- seignement special. Les dispositions communes a tous les degres d'enseignement sont : i° la repartition des eleves en autant de divisions qu'il y a d'annees d'etudes; 2° les examens trimestriels , destines a constater les progres des eleves ; 3° les examens annuels , qui ont pour but de fixer le nombre des eleves admis a passer dans une division ou dans une ecole superieure; 4° l'exclusion des eleves qui n'auraient pas satisfait a l'examen de sortie ; 5° le casernement des eleves, qui sont nourris, loges, entretenus et soldes par l'Etat; 6° 1'adminis- tration confiee a un directeur, qui a sous ses ordres un personnel determine dans les moindres details, et dont la nomination appar- tient au conseil superieur de 1'instruction publique. I. L'cnseignement primaire est donne dans 5o ecoles, dont 4 au Caire, l a Alexandrie, et les autres reparties proportionnelle- ment dans toutes les provinces de 1'Egypte a 5,5oo enfants de sept a douze ans, pris dans les villes et villages. Le cours d'etudes, dont la duree est de trois ans, se compose de la lecture, Vecritare, la langne arabe , les elements de I ' arithmitique , 1'instruction reli- gieuse. Le personnel enseignant est forme d'un directeur et de deux professeurs. — 218 — II. Uenseignement preparaloire est donne a 2,000 eleves Jans deux dcoles : Tune de 1,000 eleves etablie au Caire, l'autre do 5oo etablie a Alexandrie. Ces ecoles doivent former ties eleves pour les ecoles speciales. Elles se recrutent dans les ecoles primaires, niais admettent egalement tous les jeunes gens qui reuniraient les conditions de savoir exigees a la sortie d£ ces ecoles. La duree des etudes y est de quatre ans. Les objets d'enseignement sont : Yarabe, ic lure, le persan, Varithmetique, les elements d'algebre, les elements de (jeomelrie , (les notions generates d'histoire et de geographic' , la calli- graphic, le dessin lineaire, de figure ct de paysage. Les lecons sont donnees par vingt et un professeurs. L'ecole est soumise a l'aulorite d'un direcleur aide d'un sous- directeur, de trois prefets et de douze maitres d'etudes. Un con- seil d'instruction et de discipline se reunit tous lesmois, sous la presidency du directeur, pour entendre le rapport du sous-direc- teur et statuer sur 1'exclusion des eleves qui auraient encouru cette punilion : 1'exclusion , qui n'est definitive que sur la decision du conseil superieur, entraine le renvoi dans les emplois subalternes des services publics. III. h'enseignement special, qui doit former des sujets pour les services civils et militaires, est donne dans les sept ecoles suivantes etablies au Caire ou dans les environs : i° Ecole des langues, destinee a former des traducteurs du fran- rais en arabe et en turc, et des professeurs pour les ecoles spe- ciales; 2° Ecole polytechnique , dont les eleves sont prepares aux ecoles d'application d'artillerie.de genie maritime, des ponts et cbaussees, des mines, et rendus aptes a tout service qui exige des connais- :ances en pbysique et en matbematiques; 3°, !i°, 5° Ecoles d'artillerie, decavaleric et d'infanterie, destinecs 1 lournir des officiers pour ces differentes amies; 6° Ecole de me'decine pour 1'instruction des officiers de sanle et des phariuaciens necessaires a 1'armee et au service civil; 70 Ecole de medecine veterinaire. Dans cbacime de ces Ecoles, qui a son reglenient ct son pro- gramme special , la duree des etudes est fixee a cinq ans. Tel est en resume, et dans son ensemble, le systeme etabli en i836 par la commission nommee aceteffel. A priori, el en reser- vant les objections que pouvail suggerer l'experience , rien de plds — 219 — simple, tie mieux euteudu, do mieux approprie aux besoins du pays. Lorsqu'on prcnd pour base la moyenne des naissances en Egypte, on voit que la dix-huitieme partie de la population, ou a pcu pies six enfanls sur cent, doivent recevoir 1 instruction pri- maire ; qu'apres trois ans d'eludes, les deux tiers reviennent se meler a la classe ignoranle 011 ils repandenl quelques lumicres; que le reste, ou le cinquantieme de la population, acquicrl dans les ecoles preparatoires el speciales une instruction complete , et doit fournir a l'administration ct a 1'armec des homines eclaires et capables. Ce resultal n'etait ni trop ambitieux a esperer, ui trop minime pour etre dedaigne. II estcependant quelques critiques suggerees par la lecture seule de ce programme. On peut regrelter que les connaissances scien- tifiques n'aient pas etc plus repandues el qu'on ..'ait pas songe a I'agricullure et a reconomie rurale, pour un pays dont la terre et ses produils ferment la premiere el principale richesse. En copiant un peu trop fidelement les programmes des ecoles franchises, la commission a oublie d'etablirdcs ecoles normales propres a fournir des mailres pour les differenls degres d'enseignement et a affran- chir FEgypte du tribut qu'ellc paye a l'Europe , en lui demandant presquc tous ses professeurs. Les attributions de Tecole poly tech- nique ne sont pas assez detcrminees : eclte ecole sert a preparer des sujets pour d'autres ecoles speciales, dont quelqucs-unes meme ne sont pas organisees. II y a aussi quelque inconvenient a sou- meltre a la direction du conseil superieur des ecoles aussi speciales que cedes d'arlilleric, de cavalcrie et d'infanlerie, qui semblent re- lever plus nalurellemenl du rninistre de la guerre. Enfin, on de- vait craindre quelque desordre et quelques embarras de cette necessite ou est place le conseil, d'avoir recours auxdifferentsmi- nislcrcs speciaux pour les fournilures el les besoins du service. Gependant tel qu'il est et malgre ses imperfections, ce pro- gramme elablissait en Egypte un systemc fortemenl conslitue, un, rationnel, etdont 1c principal element de duree consistail dans la creation des conseils interieurs de discipline ct d'adminislralion. II etait a craindre que les directeurs, presque tous Europeens, ignorant, ou peu s'en faut, les mo3urs et les prejuges du pays , ne courussent le risc^uc de prendre desmesurcs propres a lesblesser. Le conseil devait eclairer le dirccteur, ct, prenant sur lui la plus grande part de la respousabilile, le mellre a couvert, lout en res- — 220 — pectant son autorite. Cette ingenieuse creation pouvait seule faire accepter et rendi-e durable la direction des ecoles par des Euro- peans; c'est peut-etre {'institution qui atteste le mieux la sagesse et la prevoyance de la commission. Je compte, Monsieur le Ministre, vous dire dans une prochaine lettre ce qu'est devenue cette creation, qui fait le plus grand hon- neur au vice-roi et a ceux qui l'ont eclaire de leurs conseils. J'es- sayerai, en meme temps, de juger les modifications que ce systeme a subies, d'apprecier les revolutions qui se sont operees. De cette faeon paraitra ce qu'on a voulu faire et cc qui en est resulle. Vous aurez sous les yeux un etat exact de i'instruction publique-, en Egypte, a l'avenement du nouveau vice-roi; et il sera facile de controler I'opportunite des cliangemenls qu'il lui plaira dintro- duire dans cette partie capitale des creations de son predecesseur. Veuillez agreer, Monsieur le Ministre , fassurance des sentiments de profond respect avec lesquels J'ai lhonneur d'etre, etc. PELLISSIER, Le Caire, 20 avril i84g. SECONOE LETTJ'.E. Monsieur le Ministre, J'esperais vous presenter le tableau des premiers pas de l'Egypte moderne dans la voie de la civilisation. Une revolution recente fait de ce rapport I'bistoire complete d'une des creations les plus re- mai quables de Mehemet-Ali. Elle aura ete aussi la plus ephemere : il n'y a plus d'elablissement d'instruction publique en Egypte. L'activite naturelle de Mehemet-Ali et cette impatience com- mune a tous les despotes, qui ne souffre pas d'intervalle entre le projet et lexecution, Grent operer des merveilles. L'Egypte se cou- vrit comme par encbantement decoles etablies dans de vastes bati- ments et fournies du personnel et du materiel necessaires. De tous les points du territoire, les eleves y furent amenesdevive force. On commenca meme a traduire quelques ouvrages elementairesindis- pensables a renseigoemcnt. En peu de temps , le nouveau systeme fonctionna avec toutes les apparences de la vitalile. Mais il fallait dix annees au moins pour qu'une premiere generation d'eleves passat regnlierement par tous les degres dinstruction et presentat — 221 — des resultats appreciables. L'inconstance du prince, et des evene- mentimprevus, ne permirent pas dattendrej usque-la. Au bout do cinq ans, Ibrahim-Pacba, aigri et decourage par ses revers en Syrie, proposa a son pere la destruction d'etablissements ruineux selon lui. On eut grand'peine a faire admettre au vice-roi la neces- sity d'en conserver au moins une partie. On ne pouvait rien re- pondre a cette objection , que ia diminution des forces armees et de Importance politique de 1'Egypte entrainait une diminution dans le personnel militaire et administf atif , et par suite une re- duction des etablissements destines a le fournir. A vrai dire, I'iufiuence europeenne avait seule glisse, dans le reglement cons- titutif de 1'instruclion publique , cette mention par trop liberale pour un Turc, que les ecoles etaient destinees a repandre les lu- mieres dans le peuple. En les reduisant a preparer au vice-roi des ingenieurs, des officiers, des traducteurs et des medecins, la reforme provoqueepar Ibrahim-Pacha les ramena au role que voulait leur assigner son pere. Toutefois, a dater de cette transformation , Me- hemet-Ali ne prit qu'un mediocre interet aux travaux de ces eta- blissements. En i836, il s'etait montre her de donner le jour a une grandc institution ; depuis i84i, il en laissa negligemment ve- geter les debris. Le zele des directeurs et des professeurs donna seul quelque vie a ce systeme inutile. Le nombrc des ecoles pri- maires fut abaisse a cinq; elles rerurent 1,000 enfants. Une seule ecole preparatoire fut mainlenue au Caire. Toutes les ecoles speciales furent conservees; mais le nombre des etudiants fut con- siderablement diminue. Cinq cents eleves seulement etaient ins- truils a l'ecole preparatoire et repartis entre les ecoles speciales. Cetetat de choses dura jus qu'au commencement du mois d'avril de l'annee 18/19. G'est a ce moment que je visitai les ecoles. L'Ecole polytechnique etait composee de quatre-vingts eleves reu- nis a Boulac, dans un vaste palais, sous la direction de M. Lam- bert. C'est la seule oil le systeme militaire n'ait pas ete applique ; 1'ordre y est maiutenu par les habitudes studieuses des eleves et leur affection pour le directeur. La cordialite de 1'esprit defamille neuleve d'ailleurs rien au respect dontle directeur doit etre l'objet. Le programme d etudes de cette ecole avait d'abord ete caique sur celui de lecole polytechnique de Paris. Une suite de refortnes la rapproche de renseignement donne a YEcoJe centrale des arts et manufactures, qui convient beaucoup mieux aux besoins de , 2V2~2 1'Egypte. La geometric, la physique, la meeamquc et I'architec- ture sont, clcpuis cinq annees, les principalis objets delude. Les methodcs choisies par M. Lambert, d'apres son experience et la connaissance du genie arabe, inclincnl a meltre sans e'esse rap- plication a cote de la theoric : ainsi le cabinet de physique, riche de tous les instruments necessaires a 1 etude complete de la science, sert moiiis a l'ornement de l'ecole et a la satisfaction de 1'amour- propre des professeurs qu'aux exercices journaliers des eleves. Lne pensee de prevoyance, et le desir d'amener 1'Egypte a faire moins d'emprunts a l'Europe, ont fait adjoindre a ce cabinet un atelier jiour la reparation et la construction des instruments. Le laboraloire de chimie, monte avec grand soin , a deja rendu des services au pays : e'est la que sont apportees toutes les substances dont 1'etude chimique offre quelque interet scientifique ou indus- triel. J'ai vu moi-meme les resultats de l'analyse qu'on avail fait subir aux echantillons de houille dont un de nos compalriotes , M. Netlinger, espere avoir Irouve des couches precieuses dans la haute Egypte. Depuis quatre annees, l'ecole a fourni au vice-roi 108 ingenieurs des pouts et chaussces, G2 dirccteurs d'aleliers divers, 28 professeurs de sciences, 21 ingenieurs des mines, 18 directeurs ou inspeclcurs de fabriques, etc.; enlin, les eleves ont traduit cux-memes en arabe pros de 25 ouvrages franrais , dont la plupart out ete lithographies a l'ecole et les autres impri- mes : parmi ces ouvrages , qui servent de base a I'enseignement, j'ai remarque les Families chimiqv.es de Dcsprelz, la Geometric des- criptive d'OIivier, la Geologic de Boubee, YAstronomie et la Gvodc- sie de Francocur. En dehors de l'ecole, M. Lambert a encore fonde un observa- loire ou il a etabli quatorze de scs mciileurs eleves. Dans la plaine (jui s'etend de Boulac au Cairo, les Francais avaient construil un petit fort qui domine loule la campagne. Par un senti- ment delicat de piete palrioli(juc, e'est la que M. Lambert a voulu installer ses jeunes astronomes. Quelques instruments ont ete exhumes de magasins ou ils etaient enfouis; d'autres ont ete de- m ancles a Londres et a Paris, et, grace a la perseverance du maitre, a l'ardeur et a la docilite des eleves, on fail main tenant nuit et jour, avec exactitude, des observations dont il est tcnu rc- gistre, sur les phenomenes bygromelriqucs , barometriques el thermometriques ; sur Petal du cicl , sur la direction des vents, sur — 223 — le passage des ashes principaux. A la demandc de la Sociele royalc de Londres, les disciples de M. Lambert font encore quel- ques eludes sur les variations de l'aiguille aimantec. Apres avoir dispose 1'observatoire avec un zele qui n'a recule devant aucun genre de travail, apres avoir instruit et installe ses eleves, M. Lambert les a livres a eux-memes et se contente d'encourager leurs travauxpar sa bienveillante attention. II est touchant de voir cette societe de jeunes gens, dont le plus age n'a pas vingt-cinq ans, s'efforcer, au milieu de la barbarie qui les entoure, de re- uouer la cbaine des traditions historiques, et de se rattacher a 1'Europe en rcgenerant en Egyple une science cultivee avec eclat par leurs ancetres. lis out pleinement le sentiment de cette mis- sion, etle pur amour de la science les retient seul dans cette po- sition modeste : il n'en est pas un qui ne puisse obtenir dans l'ar- mee ou dans le service civil% un grade beaucoup plus brillant. Cette petite colonie scientilique, ou se redige ralmanacb egyp- tien, et ou se determine 1'epoque precise des principaux pheno- menes celestes, est sans conlredit la plus beureuse fondation; elle ne merite que des eloges. L'Egypte recueillera-t-elle le fruit de tant de peines inappreciees? cette interessante institution sera-t elle respectee par l'aveugle brutalite qui bouleverse tout dans ce mal- heureux pays? Quandon quitte FEcole poly technique pour entrer dans YEcole deslancjues, dirigce par un Arabe, il est impossible de n'etre pas frappe d'une difference flatteuse pour ramonr-propre europeen. Bien que la discipline de l'ecole soit toute militaire, on y regret te la proprcle, 1'ordre, la regularite, conditions exterieures quisont indispensables a la prosperite d'un grand etablissement. II est vrai qu'au moment ou j'ai visite 1'ecole des langues, un ordre imprevu du vice-roi y avait jete le trouble; toutes les etudes etaient sus- pendues. Je n'ai pu voir que le bureau de traduction, ou les vingt jpferriiers eleves mettent en turc et en arabe les meilleurs ouvrages francais. Cette fondation, a laquelle on n'avait pas songe d'abord, est due a la prevoyance du directeur actuel de l'ecole. M. Reffa- bey a compris de cpael secours serait une collection d'ouvragcs elementaircs ecrits dans la langue du pays , et que par la le succes de 1'enseignement serait rendu plus facile; il a lui-meme donne l'exemple, en ouvrant la seric de ces Iravaux par une traduction du Precis de la Geographic universelle de Malle-Brun. 224 .le ne puis parler avec connaissance et details de YEcole de ca- valerie. Celte ecole, fondee et dirigee par un Francais, M. le co- lonel Varin, est etablie a Ghiseh , en face clu Vieux-Caire. C'est, de toutes les institutions europeennes, celle qui a donne les re- sultats les plus brillants ; elle llatte les gouts militaires desTurcs, qui, presque tous, y envoient leurs enfants : l'instruclion qu'ils y reroivent est a peu pres celle de notre ecole de Saumur. J'ai eu 1'occasion d'entendre faire de cette ecole, et surtout du directeur, un eloge vivement senti par un colonel turc, gouverneurde Suez, qui avait appris de M. le colonel Varin a parler notre langue et a aimer notre pays. UEcole d'infanterie, etablie a Abou-Zabel, aux portes du Cairo et sur la iimite du desert, etait, m'a-t-on dit, dans un etat de complete disorganisation. Le tact et 1'habile fermete de M. Princetot, capitaine francais d'artillerie, ont tire du meme etat YEcole d' artillcrie , etablie a Tourab, pres du Caire; il a ete seconde dans cette regeneration par le concours empresse de M. Hippolyte, professeur de dessin a i'ecole. Quand j'ai visite ce bel etablissement, la discipline y avait ete si bien retablie quelle rendait desormais toute punition inu- tile. Je n'ai pu juger que du soin avec lequel sont executes les dessins, les leves de plans, les traces de fortifications passageres et permanentes. Une exquise proprete dans les dortoirs et les re- fectoires, un ordre parfait dans les sallcs d'etude, temoignent et du bon vouloir des eleves, et de l'excellente direction a laquelle ils sont sounds. VEcole de medecine a ete la premiere fondee; c'est aussi celle qui a donne les resullats les plus considerables. 11 est impossible de se faire une idee des diflicultes detout genre qu'a du surmon- ter M. le docteur Clot, createur de cette ecole; sa vie meme a ete mise en danger par les prejuges religieux, qui s'opposaient aux travaux anatomiques. Le langage medical a creer, les ouvrages spe- ciaux a faire traduire, renseignement tbeorique et pratique a or- ganiser, tout cela ne parait rien quand on songc a l'ignorancedes eleves auxquels on a du apprendre d'abord a lire et a ecrire. Ce qu'il a fallu depenserde patience et de resolution invincible pour triompber de toutes ces diflicultes n'est assurement pas paye par les fruits que M. le docteur Clot a recueillis de son travail. La plus belle recompense qu'il en ait recue, c'est ce temoignage pre- — 225 — cieux d'un hoimne eminent dans la science et dans la pratique, M. le professeur Lallemant, deMontpellier : « L'ecole de medecine du Cairo peut des aujourd'hui fournir des praticiens dignes de confiance, et meme quelques sujels propres a 1'enseignement. » En resume, et d'une faron generale , 1'organisation des ecoles est bonne, le zele des mailres au-dessus de tout eloge, 1'esprit des eleves irreprochable , les examens annuels et de sortie tres-sa- tisfaisants; et cependant, si 1'Egypte veut un officier instruit, un ingenieur habile, un medecin sur, elle est encore reduite a les de- mander a 1'Europe. Repartis dans les services militaires ou civils, les meilleurs eleves des ecoles restent au-dessous de leur tache; parfois meme , leur tenue et leur conduite ont pu fournir des amies a la malveillance et faire douter des bienfaits de la civili- sation. C'est la un fait digne de remarque, et l'etude des causes qui font produit vaut la peine qu'on y prete quelque attention. line lacune importante avail ete laissee dans le programme ge- neral primitif. L'oubli est surprenant, venant d'Europeens : il n'a- vait pas ete fait une assez large place a 1'enseignement du fran- qais. Quand on songe a la difficulte cjue presente, meme pour nous, l'intelligence des ouvrages scienlific[ues, on s'explique aise ment que des jeunes gens, qui connaissent a peine notre langue, n'aient pu y puiser qu'une instruction superficielle et toute de memoire. Les Arabes out deja une disposition naturelle a saisirvi- vement et a retem'r avec une scrupuleuse fidelite tout ce qui les frappe, sans s'inquieter de le comprendre. On avait neglige de prevenir ce mal ; les directeurs des ecoles ont fait leurs efforts pour reparer cet oubli : tous ont ajoute un cours de francais aux cours fixes dans leurs programmes. Mais , si fiequentes que fussent les lecons, elles venaient un peu tard, et se melaient d'ailleurs a tanld'etudes diverses, que le fruit en etait presque perdu. Leseul remede efficace eut ete la continuation des etudes au sortir de l'ecole, mais cela etait impraticable, et ce fut une seconde cause d'insucces. Les ofliciers formes par les ecoles d'artillerie et d'infanterie sont tous des enfans de fellahs. Comme tels, ils ne peuvent es- perer aucun avancement; a peine en cite-t-on deux qui soient par- venus au grade de colonel, et les citer, c'est con firmer la regie par l'exception. L'ignorance de leurs chefs les prive de tout se- cours et de tout encouragement, el le vernis d'instruction qu'ils — 226 — ont rocu est bicnlot efface par le contact ties Turcs et de leurs compalriotes. Quelqu'un d'eux echappe-t-il an decouragemenl et vcntil resister a celte influence, une jalousie liaineusc lc poursuit de regiment en regiment, et, lorsqu'il s'obstinc, il est eloigne par quekfue mission d'ou Ton espere ne lc voir jamais revenir. La po- litique du pacha ne lui permettait de rien entreprendre contre ce mal. Ce n'etait pas sans raison qu'il avail choisi les fellahs pour leur faire donner cjuelque instruction. Outre qu'il cut trouve clans le caractcre, linlelligencc et les mceurs des Turcs des obstacles invincibles, il se souvenait encore trop bien des mamelouks, et aurait craint de mettre aux mains de ses compatriotcs une armc nouvelle contre lui; il a mieux aime les tenir sous sa domination par leur ignorance , heureux de les voir entretenir, par leur des- potisme, la haine de leurs subordonnes, qui assurait son empire. Cost sans doute la meme politique qui fait donner toutes les places de l'administration a des Gophtes, que leur religion con- danme a ne jamais conquerir la moindre influence sur les popu- lations musu'manes. La maxime de Louis XI est de tous les temps, de tous les pays, de toutes les tyrannies. Des faits a peu pres semblables rendent raison des reproches adresses aux ingenieurs fournis par l'ecole poly technique. Des leur sortie de l'ecole, ces jeunes gens ont etc mis sous la direction d'an- ciens ingenieurs moins instruits qu'eux, mais plus rompus a la pratique. Jaloux des nouveaux venus, qui menacaient de les sup- planter, ccs ingenieurs n'ont pas manque de tendrc des pieges a leur inexperience: il n'a pas etc difficile de les y faire lombcr. Leurs fautes, mises en plein jour, et grossics par une malignite interess£e, ont fait porter sur eux un jugemeht beaucoup trop severe. L'accusation d'ignorance dirigee contre les nouveaux medecins arabes Irahit sans doute la repugnance qu'eprouventles Orienlaux a admettre les sciences de 1'Occident et a rejeter rempirisnie gros- sier de leurs devins. Peut-etre aussi des tcntatives louables, mais prematurecs, ont-clles eu pour resultat d'abaisser le niveau des connaissances. Dans 1'espoir de naturaliser la science en Egypte, on s'est trop hale d'abandonncr a des Arabes les chaires confiecs dans lc principe a des medecins europeens. Devail-on espercr que quelques annees de travail dans les ecoles de France auraient pu mettre des jeunes gens qui parlcnt a peine notrc langue en etal '227 d'enseigner a d'autres cc qu'eux-memes venaient d'apprendre ; la formation d'un personnel enseignanl veut plus de patience et de malurite. llepandus sur lc sol de 1'Egypte, les medecins nouveaux ont souvent ete entrained par la misere a compromettre leur di- gnite. Mai en rapport avec 1'importance de leur situation , I'exiguiite de leur traitement devait soumettre a de trop rudes epreuves cette cupidite qui est au fond du caractcre arabe. A ces causes particulieres d'insucces on pourrait en ajouter d'autres qui ne manquent pas d'importancc : les defauts etles qua- lities proprcs aux races orientales, comme le manque de perseve- rance et d'esprit de suite, une excessive mobilite, plus de curiosile que d'esprit d'investigation , une grande habilete dans les arts ma- nuels et d'imitation servile, peu de facilite pour la creation on replication. J'indiquerai seulement aussi les obstacles cjui naissent du gouvernement despotique : nulle confiance dans 1'avenir, dont lemailre dispose; la crainle incessante, non de faire mal, maisde deplaire; le savoir-faire et l'adulation, plus profi tables que le savoir et que le vrai merite. Ce nc sont la que des difficultes du second ordre : j'en veux venir a la plus importante de toutes. Les autres levees, cette dernierc suffirait a rendre infructueuses les tenlatives les plus intelligentes: e'est la profonde abjection politique, sociale et morale dans laquelle reste plongee la race egyptienne. C'est peu que les Turcs ecrasent sous un despotisme dedai- gneux une population dont ils rougiraient de parler la langue ; c'est peu que la communaute meme des croyances religieuses ne puisse temperer ce degout : la degradation des fellabs en est venue a ce point, qu'ils se meprisent eux-memes jusqu'a preferer la do- mination brutale d'un Turc au gouvernement d'un des leurs. Ce jugement honteux, porte sur clle-meme par la race conquise, explique et legitime presque le despotisme de la race conque- rante. Esclavc politique des Turcs, le fellah n'avait pas meme d'etat civil; depuis quelques annees seulement, le vice-roi fail enregistrer les naissances et les cleces. Jusqu'a ce moment, le fellah venait au monde et etait jete en terre sans que le gouver- nement en sut rien. Le maitre ne prenait pas meme le soin de compter son troupeau ; cette expression n'a rien d'exagere : bien qu'il ne porte pas le nom d'esclave, le fellah ne s'apparlient pas. Attache a la terre par les travaux de la culture, il n'en possede pas meme un coin assez grand pour recevoir ses depouilles. La — 228 — lerre est a L'Etat, qui, chaque annee, lui en confie une partie a cultiver, lui abandonoant quelques fruits pour salaire. 11 n'y a qu'un proprietaire en Egypte, c'est le vice-roi : le Turc estun sol- dat; le fellah est un journalier. Cependant, meme sur eette terre etrangere, qui n'est pour lui qu'une source de fatigues et de souflYances, le fellah pourrait en- core gouter les joies et subir les influences hienfaisantes de la famille : les mccurs orientales ne le permettent pas. Sans aucun lien solide avec son mari, la femme est presque toujours rejetee par le misere ou le caprice hors de la maison ou elle est deve- nue mere. Tour a tour instrument de plaisir et ohjet de degout, elle traine apres elle, de maison en maison, des enfants qui n'ont jamais connu leur pere. La multiplicity des femmes, I'oubli de toute pudeur, la promiscuite des sexes, fletrissent de bonne heure i'imagination et le cceur de ces enfants, et les condamnent a une depravation precoce. Quelle education morale pourraient-ils rece- voir sous ces huttes, plus mobiles que la tente du nomade? L'E- gyptien n'a pas meme une maison ; de la boue du fleuve , il se construit une cabane que le fleuve emporlera. Alois il ira 1'elever a quelques pas plus loin, moins prcvoyant que la brute, qui sait mettre son gite et ses petits a 1'abri du danger. A defaut des instincts et des enseignements moraux dus a la propriete, a defaut des sentiments et des vertus qui naissent au- tour du foyer domestique, 1'amour et 1'orgueil du travail pour- raicnt encore relever cette race malheurcuse, si les mceurs et la religion ne venaient la frapper d'un dernier coup, lui infligerune derniere fletrissure. L'ideal de la vie humaine, en Orient, c'est le repos. Etrange opposition ! suivant nous, vivre, c'est agir : celui- la vit plus qui agit plus et mieux; Timportance et la moralite de Taction sont une meilleure mesure de la vie de l'homme que le nombre des annees : pour les musulmans, vivre, c'est se reposer ; celui-la seul merite le nom d'homme, qui peut abandonner tout travail a des instruments inferieurs, pour s'enfermer dans le calme dune oisivete qui le rajiproche de Dieu. Les prodiges operes par ractivite des Europeens inspirent en Orient plus de stupefaction que d'admiration reelle. On prend assez volontiers en pitie tout le mouvement que nous nous donnons. Plus dune fois, Mehemet- Ali lui-meme, malgre sa sympathie pour les oeuvres de la civili- sation, malgre" son artivite presque europ^enne, aux moments ou — 22Q — It; succea ne venail pas assez vite au-devant de son impatience, s'est pris a se demander avec lassitude et decouragement si les Turcs n'ont pas le vrai sens de la vie humaine. Le Coran, d'ailleurs, vient au secours de la paresse naturelle aux races orientales; il proscrit comme sacrilege tout travail intellectuel. Le dilemme est simple et sans replique : un livre ne peut etre bon qui ne con- tienne ce que renferme deja le livre sacre, source unique de toute science; il n'en est done pas un dont letude ne doive etre dan- gereuse on pour le moins inutile. 11 y a des elements necessaires a 1' existence d'une societe hu- maine digne de prendre rang dans la march e de la civilisation ; ces elements, l'Egyptc ne les possede pas encore : propriele, famille, travail, base eternelle de toute societe, principe de toute morale humaine, source de tout progres, veritable et sainte devise de rhumanite et de la civilisation. Sans la propriele, pas de patrie , nul ordre, nulle stabilite, nul avenir; sans la famille, nulle tradition de moralite et d'honneur, nulle affection, nul soin du lendemain; sans le travail, nul progres, nulle grandeur legitime et durable : la societe est impossible, la vie s'eteint, la civilisation se retire, 1'humanite s'evanouit; il ne reste plus que des brutes eondamnees a une bestialite irremediable. Au sein d'une population si nial preparee a recevoir les bien- faits de la civilisation, si hostile a toute culture intellecluelle, des etablissements d'instruction publique caiques sur ceux de 1'Eu- rope ne pouvaienl etre qu'une superfetation, une soite d'ornc ment tout exterieur, incapable d'etre accueilli et d'entrer jamais dans les moeurs. Des institutions en apparence plus modestes, at taquant le mal au coeur de la population, auraient sans doute pousse dans le pays des racines plus profondes; elles n'auraient pas ete a la merci d'uD caprice, ou du moins auraient laisse apres elles des traces moins fugitives. Line premiere mesure , et ce n'est pas la moins importante, eul ete la reforme des ecoles etablies pour les petits enfants dans les mosquees; elles sont restees intactes, en dehors du systenje nouveau. L'enseignement du Coran et la fac^on dont il est pratique contrihuent de bonne heure a l'abrutissement de la population. Des leur entree a 1'ecole , presque tous les en- fants perdent la vivacite primitive, 1'animation intelligente de leur physionomie. Tout le monde sait que, entasses dans une salle sou- vent trop petite, aocroupis, la journee presque entiere , ils repetent MTSS. «riF.\T. l6 — -230 — tons ensemble, a haute \oix, les versebque leur apprencl leinaitre. l.e bruit monotone de ces cris incessants et le mouvement d'oscil- lation qu'iis impriment a leurs corps pendant qu'ils bredouillent des mots sans les romprendre, produisent bienlot en eux unc sorte d'ivresse semblable a celle des derviches pendant certaincs fetes religieuses. Renouvelee cbaque jour, cette ivresse les h^bete et donate a leur regard cette etrangete dont tous les voyageurs sont frappes. Au lieu d'etre franc et droit, le regard de presque tous les Orientaux est oblique et mal assure; il semble relenir quelque chose de la profondeur de 1'extase et du vague de rimbecillite. Des efforts auraient pu etre tentes en meme temps pour eveiller l'es- prit de famille par une repression severe des licences tolercesplu lot qu'autorisees par la loi religieuse. Parti de haut, l'exemple dune vie plus reguliere n'aurait pas manque d'iinitateurs, ct je sais meme tels ulenias importants qui auraient mis tout leur cre- dit au service de cette regeneration de la societe en Orient. Sans doute, on n'aurait su apporter a cet essai trop de mesure et de cif- couspection ; les reformes morales veulent plus de patience que de vigueur, plus de sagesse que d'audace : elles sont moins aisees que les revolutions politiques; le plus honteux prejuge coute plus de peine aderaciner que le meilleur gouvernement a deiruire. Une innovation encore tres-liberale et tres-propre a tirer les Egyp tiens de leur abjection, c'elait la creation d'une armee exclusi- vement eygptienne. II faut rendre a Ibrahim-pacba cette justice, (ju'il avaitdevine et se proposaitde mettre en (euvre cemoyen: par la il aurait sans doute reussi a constiluer une nalionalitearabe. Le drapeau est coninu: le foyer dune grande famille; e'est le centre de nobles affections; sous son ombre germentct grandissent volon- liers les idees de dignile personnelle, d'honneur, de devoir. La vie aventureuse du solclal developpe ses idees en les multipliant. La pensee de la inort , qu ildoit toujoursetre pret a affronter, eleveson amejusqu'a la source des inspirations les plus genereuses et lui fait une habitude du devouement etde la resignation. Le fellah est naturellemenl brave; cette voie de perfeclionnement moral pou- vait lui elre ouverte. Aumn moven de cette nature n'a c-te employe par Abliemet-Ali. II n'a pas mk'tiic j dn v songer; son but n'ctait evideinment pas celui qu'on lui a prete gratuilemen* en Kurope. line meprise asse/. comrtiune nous fait transporter en depil <\r toute vrtiisffrwWaltce — 231 — nos passions et nos idees dans tons les pays et a toutes lt?s epoques. Nous ne pouvions cependant pas exiger du pacha d'Egypte qu'ii songeat a 1'affranchissemcnt de ses serfs, a la liberte civile et po- litique, au developpement du principe de la democratie. Mehe- met-Ali considerant 1'Egypte comme son empire et son bien, il a voulu rendre son empire le plus puissant, son bien le plus pro- ductif possible. C'est comme moyens d'arriver a ce but qu'il a cree et protege des etablissements d'instruction non publique, le mot est mal applique, mais particuliere, et uniquement pour sa propre utilite. Cela pose, qu'on se rappelle que les mahometans ne sont qu'a 1'an 1265 de leur ere; qu'on se represente ce qu'elait 1'Europe au xmc siecle; puis que Ton compare, en tenant compte de la difference des religions, des races, des climats, et Ton ne pourra se defendre d'admirer le genie de 1'honime qui a su , pendant plus de vingt ans, donner a un pays tout barbare les ap- parences d'une civilisation llorissante et avaDcee. Ce qu'il a voulu faire, il l'a fait avec 1'applaudissement universel. II a interesse 1'Europe entiere a sa cause; il a failli un moment changer les con- ditions de l'equilibre politique du monde; il a tire une grande et fertile contree de la stagnation orientale; il l'a resolument sous- traite a la convoitise d'une puissance envahissante et dominatrice; ilaconstitue pour ses descendants une principauteheredilaire, leur laissant le soin de poursuivrc son oeuvre et de mainlenir le pays a la hauteur un peu factice ou il l'avait eleve par une lutte de quarante annees contre lui-meme et contre tous les siens, tache immense, travail inoui, ou sa raison a enfinsuccombe, apres une cai'riere dont l'histoire d'Orient offre peu d'exemples et fournira sans doute peu d'imitateurs. Le debut du nouveau regne en est une preuve. Cet illustre en- seignement est tout a fait perdu pour le petitfils de Mehemet-Ali, A.bbas-pacha. Quand je quittai 1'Egypte, ce prince etait unique- ment preoccupe du projet de se former une brillante garde d'hon- neur. Une clairvoyance intempestive lui avait fait chercher dans les ecoles les jeunes gens dont il desirait s'entourer; ils avaient ete enleves avec une rapidite dont les gouvernements despotiques et orientaux out seuls le privilege. La chose vaut la peine d'etre dite. Un officier superieur vient, sans etre annonce, passer la re- vue des eleves; il fait son choix et met de cote ceux dont 1'appa- rence lui plait, c'est a-dire presque tous. Ils seront soldats et au- M. 16. — 232 — ront f honneur de caracoler aux portieres delavoilure du prince. De leurs eludes inlerrompues, de leurs gouts contraries, de leurs esperances brisees, des etablissemenls mines, des services publics desorganises pour longtemps, il nVn est pas question. Triste spec- tacle que ces ecoles soudainement changeesen prisons: les inailres, devenus geoliers, sont con! rain ts de ennserver aux caprices du pa- cha ces jeunes gens instruits a de plus nobles travaux. Les eleves errent de tous coles: plus de travail, parlant plus de discipline. Beaucoup d'entre eux parviennent a s evader; ils vont pe cacber dans la ville ou cbercber un refuge au desert : tout leur sourit mieux que cet esclavage dore. Ceux qui restent encore ne son- gent qu'aux moyens de rejoindre les fugitifs. L'oisivcte, le re- gret du passe, 1'effroi de 1'avenir aigrissent les esprits; les habi- tudes d'ordre sont oubliees, et, comrne leur voix meme est mecon- nue, les maitres sont reduits a reprimer par la force des exces jus- qu'alors sans exemple. An milieu de ce bouleversement insense, Ton ne saurait trop louer 1 attitude qu'ont prise lesanciens amis de fillustre vieillard L'edifice qu'ils ont peniblement eleve est detruit par un caprice pueril; ils assistent, sans plaintes inutiles, a cette ruine de leur ceuvre. Ils atlendent que forage qui brise tout soit passe, et que leur temps revienne. Deja meme ils prevoient le moment on Ion aura besoin de recourir a eux, et demeurent prets a recom- mencer sur de nouveaux frais cette toile de Penelope tant de fois menacee, aujourd'bui detruite. La France doit au moins un regard bicnveillant, un encoura- gement sympalbique a ces propagaleurs zeles de la civilisation. Loin de la patrie, ils lui restent attaches par le cceur, en elendent avec orgueil finfluence bienfaisante, en celebrent bautement la gloire, en voilent pieusement les miseres et apprennent aux en- fants de l'Egyptea en prononcer le nom avec respect, avec espoir, avec amour. Daignez agreez, Monsieur le Ministre, les salutations respec- l u euses" de Votrc tres-humble serviteur, PELLISSIER. Berlin , 3 juin 1 8 A g . 233 Rapport de la Commission cliargiie da rediger des instructions demaudees par M. Anger, archilecte, pour un voyage en Orient '. Messieurs, M. Anger, archilecte, s'est propose un double but dans le voyage qu'il va entreprendre : s'instruire d'abord dans son art, par l'exa- men des monuments les plus celebres; puis etudier I'histoire de 1'architeclure dans les differents styles dont les peuples de l'anti- quite ont laisse des modcles. Votre Commission crqit entrer dans les idees du jeune voyageur et servir les etudes archeologiques, en vous soumettant le pro- gramme suivant. II eta'it inutile dindiquer a M, Anger les monuments de 1'Italie, de la Sicile et de la Grece, dont les descriptions et les plans lui sont deja familiers ; voire Commission a du s'altachcr surtout a diriger son attention sur des contrees oil existent des restes plus ou moins bien conserves d'edifices moins connus, dignes cepen- dant d'etudes serieuses. L'Asie occidentale est designee aux inves- tigations de M. Anger. Constantinople doit elre son point de depart. En effet, un sejour dans cetle ville est indispensable a quiconque entreprend un voyage dans 1'empire ottoman : c'esl la qu'on peut le plus facile- mentse procurer des passeqjorts, des lettres de credit et de recom- mandation, faire enfin tous les preparatifs necessaires a une expedition de longue duree. On engage M. Anger a se rendre a Brousse, et de Brousse a Smyrne, en passant par Kutahia, e'est-a-dire en traversant la Bithynie, la Phrygie et la Mysie. Ces provinces ont ete deja ex- plorees; mais on peut esperer que, si le voyage de M. Anger n'amene pas des decouverles nouvelles, il ajoutera du moins des renseignenients plus precis a ceux de ses devanciers. Les monu- ments des rois de Phrygie, dans la vallee de Doganlou, publics par M. J. Robert Slevart, n'ont pas ete dessines et mesures avec toute lexactitude desirable : ce travail gagnerait a etre coinplete, 1 Stances des venJredi 8 et samedi 9 fdvrier i85o, de 1' Academic des ins- criptions cl belles-lettres et de 1'Acad^mie des beaux-arts de 1'Inslitut. — 234 — D'ailleurs, il est vraisemblable que d'autres monuments analogues existent dans des vallees voisines, et les habitants des pays dont 1'altention a du etre excitee par les rechercbes precedentes , indi- queront peut-etre a M. Anger d'autres rocbers couverts de sculp- tures encore inconnues aux voyageurs europeeus. Le cimetiere de Kutabia renferme un grand norubre de bas- reliefs de la decadence , tres-curieux cependant par les details qu'ils fournissent sur la vie privee des anciens. Une suite de dessins in- teressants pourrait etre faite sur ce point. Le voyage dont nous venous de tracer le plan n'est qu'une sorte de prelude : il habituera le voyageur a la vie d'Orient , a ses fatigues, a ses privations; d'ailleurs nul danger sur cette route; parlout un climat sain, des populations douces et bospilalieres. Sniyrne serait la seconde station du voyageur. Dans cette grande ville , en communication constante avec TEurope, il pourra prendre quelque repos, mettre en ordre ses notes de voyage et faire les preparatifs d'une seconde excursion plus difficile. Sniyrne, en outre, est un point central d'ou il peut faire quel- ques excursions courtes, mais interessantes, a Epbese , Notiuin (Giaour-Keni), Magnesie, Sardes,etc. Aux portes memes de Sniyrne, setrouveun lieu d'etudes qu'on a trop neglige peut-etre jusqu'ici, nous voulons parler de la Smyrne Eolique, dont on voit encore l'enceinte a une lieue du quai tier franc , ou Ton trouve les mines d'un temple et un grand nornbre de tumulus renfermant des chambres sepulcrales. Tous ces vestiges meritent d'etre releves et dessines. La seconde partie du voyage aurait pour but Telude des monu- ments de la grande ecole ionique, et comprcndrait Texploration des villes grecques les plus importantes, depuis Sniyrne jusqua Guide. Dans cette region, temples, tbeiitres, stades, gymnases, toni- beaux, monuments de toute espece, s'olTrent, pour ainsi dire, a chaque pas. Que de points a signaler a l'attention du voyageur ! Teos, Notiuin, Ephese, Priene, Milet , Heraclee du Latmos, les Brancbides, llalicarnasse, Cnide, Stratonicee, Labranda, Milassa. Les manuscrils de M. Huyot, conserves a la liibliotbcque natio- uale, oifriront sans doute a M. Anger les renseignemenls les plus precieux pour cette partie de son voyage . et nous ne pouvons que fengager a les ctudier avec attention. — 235 — On comprend facilement que ce n'est pas 1'espoir cle decouvrir des monuments ineonnus qui nous engage a conseiller a M. Anger mi voyage dans les aociennes villes de l'autonomie ionienne; mais il y a, ce nous semble, un travail tres-interessant a faire, une lacune regrettable a combler : rechercber avec soin tous les details d'arcbitccture caracteristiques; relever, mesurer lous ces temples avec 1'exactilude qu'on apporte depuis quelques annees a 1'etude des temples doriques; tenir note de toutes les particularites de construction ; telle est la tacbe, diflicile sans doute, mais utile et glorieuse , que M. Anger pourrait se proposer. La Lycie a ete deux ibis exploree par M. Felloras, et quelques- uns de ses monuments les plus remarquables sont aujourd'hui a Londres. Une troisieme exploration n'aurait pas probablement des resultats qui en compenseraient les fatigues : aussi nous avons pense qu'il etait inutile d'appeler sur ce pays 1'attention particu- liere de M. Anger. Un troisieme voyage, beaucoup plus interessant, pourrait lui etre indique : c'est 1'exploration de la cote sud d'Asie, depuis Satalia jusqu'a Tarsous et Alexandrette. Ce pays n'a presque point ete visite par des voyageurs europeens, et les excursions rapides du capitaine Beaufort, de M. Gorrancez et de notre confrere M. Leon de Laborde, en 182 h et 1826, ont eveille la curiosite des savants, plutot qu'elles ne Font satisfaite. Les recentes decouvertes faites en Lycie par M. Felloras donnent lieu d'esperer que la Pampbylie et la Cilicie recelent des monuments d'un caractere non moins ori- ginal. Ce serait rendre un veritable service aux etudes arcbeolo- giques que de jeter quelque lumiere sur des regions encore si imparfaitement connues. N'est-ce pas trop presumer cle la patience et de l'amour de Tart qui animeM. Anger, que.de lui tracer encore un nouvelitineraire? Mais votre Commission a pense qu'elle avait, non-seulement a donner un programme a M. Anger, mais encore a signaler a tous les voyageurs les points les plus dignes de leurs recbercbes. Jusqu'a present ce voyageur n'a du s'occuper que d'arcbiteclure grecque 011 asiatique; nous allons lui proposer une etude toute differente. Nous supposons qu'il retourne de Tarsous a Constan- tinople ou a Smyrne , non point par la voie de mer ou en longeanl la cote, mais en traversant 1c Taurus et en passant par Konich. La route de Selefki, qui entre dans la monlagne en suivant le lit du — 230 — Calycadnus et se dirige vers Caraman, offre un grand aombre do inonunicDts Chretiens des premiers siecles de notre ere, encore presque cntierement inconnus et qni peuvent avoir une tres-grande importance pour l'histoire de l'architecture du moven age. Ces monuments, par un privilege bien rare, n'ont subi aucune modi- fication. Les variations de culte, les devastations des barbares les ont mutiles sans doute, mais ne les ont point alleres comme ces lentcs transformations qu'ont subies tons nos monuments euro- peens. La route de Cai'aman a Selefki par Mont a ete la route or- dinaire de la Terre Sainte pour les pelerins d'Europe, avant la grande invasion des eroises. Les hotelleries pour cbaque etape etaient des couvents qui offraient aux pieuses caravanes une eglise pour la priere et un cimetiere pour leurs moils, quand les corps etaient moins robustes que la foi. L'eglise d'Aladja, entre Mont et Caraman , est peut-etre dc tous ces monuments le plus lemar- quable. Batie en grand appareil d'une precision extraordinaire, entouree d'un cimetiere, de cloitres, de galeries couvertes de sculptures , elle offre un vaste sujet d'etudes pour 1'iconographie chretienne. La solidite de sa construction et son isolement au milieu des bois l'onl protege conlre le vandalisme musulman, el nous ne doutons pas qu'on n'y retrouve encore aujourd'bui toutes les dispositions de la primitive eglise. Le mont Karadagh ou la Monlagne aux mille et une eglises, pre- sente encore une foule de monuments moins anciens, mais presque aussi curieux, parmi lesquels il sera facile, sans doute, de suivre les modifications successives de cette arcbitecture chretienne de l'Asie. A Caraman conmiencera une autre elude , cclle de l'architecture arabe, particuliere aux princes Seldjoucides et aux premiers em- pereurs Ottomans. Les Seldjoucides avaienl inlroduit dans les pays conquis par leurs armes, au centre de l'Asie Mineure , un goul rare parmi les Turcs. Les murs de Konich , batis par eux, et qui ont preserve de la destruction de precieux restes de 1'antiquite, atteslent leur amour pour les arts et leur respect pour les monu- ments d'un autre age. Les mosquees de Caraman et de Konich peuvent elre consi- deices comme des types remarquablcs , qu'il serait interessant do omparer avec d'autres mosquees anciennes, telles c[ue celles de \alavatch, Afiouin, Karahissar, Brousse et Nicec. — T51 — Nous n'avons point indique dans celte rapide esquisse quelques points excentriques qui pourraient etre 1'objet d'excursions en dehors du plan que nous venons de tracer. M. Anger a bien voulu demander a plusieurs d'entre nous des renseignements particu- liers, et se charger de repondre a quelques questions speciales. Nous croyons cependant devoir, au nom des deux Academies, si- gnaler Pinteret qu'offrirait une excursion a Ancyre, qui pourrait se faire en partant, soit de Kutahia, soit meme de Konich. On sait que le texte latin et la version grecque du testament d'Auguste existent encore a Ancyre, et qu'une partie de cette precieuse ins- cription est cachee sous une masure qu'il serait facile de faire dis- paraitre. Restituer, completer un monument de cette importance , ce serait rendre un service immense a l'archeologie et aux etudes historiques. Nous indiquerons encore , comme une excursion tres- interessante, un voyage de quelques jours dans Tile de Chypre, et nous signalons a M. Anger, comme un monument digne de toulc son attention, une stele assyrienne, recemment decouverte a Cit- tium , pres de Larnaca , clont on n'a pu obtenir jusqu'a present que des croquis tres-imparfaits l. En resume, Messieurs, le voyage dans l'Asie occidentale clont vous venez d'entendre l'itineraire, aurait un double caractere : revision et exploration, telle est la tache proposee. En Ionie, c'est une etude approfondie, un travail de verification minutieux qui doit servir a fixer les regies de l'architecture ionique ; en Pamphylie, en Cilicie, dans le Taurus et le Karadagh, c'est la reconnaissance d'un pays nouveau. La nous demandons moins un releve complet que des esquisses rapides , et plutot un plan d'en- semble que des details minutieux. Nous nous en rapportons pleinement, d'ailleurs, a Intelligence et au zele de M. Anger pour apprecier cette distinction, et pour apporter dans les differentes parties de son voyage Tesprit d'observation propre a en assurer les plus heureux resultats. Nous n'avons pas besoin d'aj outer c[ue M. Anger est invite a recueillir avec soin tous les monuments de petite dimension , tels que medailles, camees, intailles, statuettes, cjui s'offriraient a lui 1 Cette stele a ete dessinee sur les lieux par M. de Mas-Latrie, pendant sa mis- sion en Chypre, et publiee dans la livraison de IVWrier des Archives. Nous ren- voyons ici aux details donnas sur ce monument par M. de Mas-Latrie dans son Kapport, page 112. [Reduction des Archives.) — 238 — dansles fouilles qu'il ferait executer ou que les hasards du voyage feraient lomber entre ses mains; qu'il est egalement invito a re- cueillir, par le procede fres-expeditif de festampage, toutes les inscriptions grecques ou latines qu'il rencontrera dans les lieux objcts de ses investigations. Nous avons lhonneur de prier l'Academie de vouloir bien demander a M. le ministre des affaires etrangere-3 d'accrediter M. Anger aupres des agents diplomatiques et consulaires de la Republique dans les pi'ovinces quil doit visiter. Paris, le 8 fevrier i85o. Signe a la minute , Raoul-Rociiette, Ph. leRas, Lenormant, Leon de Laborde, H. le Ras, Caristie, Lesueur, Taylor, et Merimee , rapporteur. Ce rapport a ete adopte par lAcademie des inscriptions et belles-lettres le 8 fevrier, et par lAcademie des beaux -arts dans la seance du 9. Certifie conforme : Certifie conforme Le Secretaire perpetuel de lAcademie des inscriptions et belles-lettres , Signe WALCKENAER. Le Secretaire perpetuel de V Acadimie des beaux-arts , Sijine RAOUL-ROCHETTK. Lettf.e adressde a M. le ministre de I'lnstruclion publique et des cultes , par M. Lollin-de-Laval, cliaixje" d'tuie mission scienlifujuc au Sinai. Golfe d'Akaba, le mars i85o. Monsieur le Ministre, Apres avoir fait l'ascension de la montagne de Moise, visite le couvent celebre et releve les inscriptions qui se trouvent dans le voisinagc, j'allaia la recherche cVune grande wadiqui devait etre la voie suivic dans l'antiquite pour aller du Sinai au pays des Madia- nites. La belle carte de Lapie est fort inexacte a propos de cette partie de la presqu'ile arabique , et elle me fit egarer. Un Redouin nous ditde quitter la direction de Madi Gazale, et apres une lon- gue marcbe, j'entrai dans cette grando vallee profondement en- — 239 — #caissee, nominee par let, Arabes Wadi Jahara, et j'y trouvai une vingtaine d'inscriplions; puis, tiois jours apres mon depart de Sinai, j'arrivai au golfe Elanitique. Ce long golfe est desert; nulle barque ne >ilIonne ses ondes d'un bleu profond, et les deux riantes oasis jetees au milieu des sables de sa plage occidentale etaient abandonnees. Je trouvai ce- pendant au puits de Dabah un vieux pecheur de la fribu des Mezein, qui n'avait jamais vu d'Europeens, vivant fort mal de' sa peche, et, quatre jours apres, un Tarabin de quinze a seize aris, a demi sauyage , perdu dans cetle solitude profonde. La point descriptions, nulle ruine, mais les plus riches madrepores colo- res et les plus merveilleuses coquilles des mers orientales. Je trouvai une necropolis au nord de Noueba : ce sont encore des Dyar Franyui, suivant la tradition bedouine; mais la tradition est fausse, etjeme reserve de traiter cette question dans 1'ouvrage que je prepare sur la peninsule arabique. Je dessinni un de ces monuments funeraires, dont la forme, l'appareil et la circonfe- reuce sori't invariables; et, apres avoir cotoye la mer jusque vers Akaba , je remontai au nord-ouesl, suivisla chaine qui enserre le desert, et penetrai dans les monts Helat par Wadi Outiv et Wadi Tye. Mes Bedouins n'etant jamais venus dans cette contree, nous nous egarames : nulle trace humaine, nul moyen de se rensei- gtier; enfin, apres deux longues journees, nous rencontrames deux Tarabins, qui nous Brent remonter a 1'ouest ; et le quatrieme jour je trouvai, sur un petit chainon isole, de magnifiques ins- criptions que je moulai. Le lendemain, je fis de nouvelles decou- verles fort interessantes, et, sept jours apres mon depart du golfe Elanitique, j'arrivai a Serbout-el-Kadem. Serbout ou Sarabit est une necropolis egyptienne d'un puissant interet. C'est une montagne de gres rouge presque inaccessible, laillee a pic de tous cotes, une veritable escalade de rochers dont rascension dure une heure et demie. Quand on a gravi un tiers de la montagne, on parvient a une pen le qu'il faut longer pendant un espace d'environ deux cents toises, et 1'on n'a litteralement <|ue la largenr de son pied; au-dessous, c'est le roc coupe verti- calement comme une muraille de donjon. Je n'ai jamais rien vu daussi eflrayant; j'ai failli m'y tuer vingt fois, et il me fallait passer la matin el soir, charge de mes monuments. Arrive au som- iiifl , Ion trouve uu vaste plateau sur lequel se dressent comme — '2/10 — des fautomes, dans la region des orages, des steles magnifiques ^ couvertes de bas-reliefs et ^inscriptions hieroglyphiques. J'ai mouletout cela , Monsieur le Ministre , el la Fiance seule possedera ces curieux monuments. Uo acte de vandalisme affreux vient de deshonorer ces mer- veilleux restes de la vieille civilisation egyptienne. L'annee der- niere, un Anglais est venu la s'installer pendant viugt-sept jours, et pour trouver quelques scarabees , des bijoux el des urnes fune- raires, il a brise ou bouleverse" une partie de cette necropolis. Les Bedouins du desert de Ramie achevent la mutilation par avidite. — J'en ai fait mes plaintes au gouvernement egyplien , el S. E. Khosrew Bey a promis a notre consul general d'intervenii pour arreter cette honteuse profanation. De Serbout-el-Kadem je suis venu a Wadi Nasp, et a quelques beures de la se trouvent les dernieres inscriptions; puis j'ai re gagne la route de Tor a El-Hamr, et suis renlre a Suez el au Kaire. Maintenant, Monsieur le Ministre, ma mission estterminee, et je crois quelle ne sera pas sans gloire pour le ministere qui I'a ordonn^e, car je rapporte plus de sept cents monuments inedits, relevesou moules en quarante et un jours, en y comprenant le voyage depr.is la capitale de 1'Egypte. J'ai rhonneur d'etre , avec un profond respect , Monsieur le Mi- nistre, vntre Ires-humble et tres-obeissant serviteur, LOTTIN-DE-LAVAL. NOUVELLES DES MISSIONS. Par arrete de M. le ministre de I'lusti uction publique et des cubes, en date du 20 avril i85o, une mission, a titre graluit, a ete accordee a M. Emile Anger, arcbitecte, a 1'effet d'etudier en Italic en Sicile , en Grece, a Constantinople, dans I'Asie Mineure et dans le littoral de 1'Egypte, 1'bistoire de 1'architecture dans les difierents styles dont les modeles nnns ont ete laisses par 1'anti- qutte. MINISTERS DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES. ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. V CAHIER. MISSION EN ITALIE CONFIEE A MM. DAREMBERG ET RENAN. Premier rapport a M. h Ministre de 1'instruclwn publique et des culles Paris, 10 mai 1 85o. Monsieur le Ministre , La mission queM. le Ministre votre predecesseur nous a confiee avait deux objets distincts et nettement determines. Le premier elait de repondre a une suite de questions se rapportant a la lit- erature et a 1'histoire generate du moyen age, posees par 1'Aca demie des inscriptions et belles-lettres dans les Instructions que cette compagnie avait redigees pour nous1. Afin de remplir le se- cond objet, nous devions, conformement aux memes Instructions et a celles de TAcademie de medecine , et pour rentrer dans la direction de nos travaux anterieurs, etudier, 1'un les monuments manuscrits concernant la litterature orientale, 1'autre, ceux qui 1 Les Instructions de l'Academie des inscriptions et belles-lettres etde TAca- demie de medecine, relatives a cede mission, ont e\& publiees dans le premier num^ro des Archives, page 54. miss, scient. 17 — 242 — ip«ardcnt l'histoirc et la literature de la niederine grecque, la- tine, et du moyen age. Notre curiosite nous a portes a ^tendre encore le champ de ces investigations, et nous avons examine avec soin, dans les diverses bibliotheques, toutes les pieces originates inedites oupeu connues et propres a eclaircir quelques points de l'histoire moderne, a partir du xvi° siecle. De plus , nous avons particulierement re- cherche les papiers qui regardent la vie et 1'administration du car- dinal Mazarin, et les divers recueils de ses Lettres. Nous commencerons, Monsieur le Ministre, par vous rendre compte des recherches auxquelles nous avons tous deux pris une part egale ' ; et, a vrai dire, en dehors de l'objet special de nos ins- tructions respectives, il serait aussi difficile d'assigner la limite du travail de chacun de nous, qu'il l'a £te, pendant plus de quatre mois, de tracer une demarcation dans 1'agreable communaut^ de pens^es et de sentiments qui nous a reunis. Cinq centres litteraires ont ete l'objet de nos explorations : Montpellier, Rome, Naples, le Mont-Cassin , Florence2. Le carac- tere dont nous avait revetus votre predecesseur nous a procure presque partout un accueil bienveillant et liberal. Naples seule, romme on devait s'y attendre, a 6t6 tout a fait inhospitaliere. Nous avons trouv£ cette fois tous les manuscrits sous les scelles. A Flo- rence, les bibliotheques sont publiques clans le meme sens que les notres, et nous n'avons eu a reclamer aucun privilege pour voir tout ce que nous desirions. Nous n'en devons pas moins a MM. Del Furia, conservateurs de la bibliotheque Laurentienne, un t^moignage public de notre gratitude pour leurs bons offices. Si, a Rome, la volonte particuliere du conservateur de la bi- 1 Le nombre des manuscrits medicaux et orientaux que nous avons examines minutieusement est trop considerable; les recherches que necessitent les des- criptions critiques de ces manuscrits sont trop longues, trop Vendues, pour que ies resullats auxquels nous sommes arrives puissent etre promptement consigned dans un Rapport. En tout cas, nous ne pourrons sans doute presenter dans les Archives des missions qu'un sommaire, ou du moins que les considerations les plus generates, r^servant les ddtails et surtout les nombreux kv&xScna pour rn faire, chacun de notre cote\ l'objet d'une publication spdciale. 1 Mon ami M. Renan, que des circonstances impdrieuse, m'ont force de quitter a Florence, est retourne a Rome; il a ensuite visile Ravenne, Padouc, Kolngne, Venise; il reviendra par Milan et Turin. Ch. D. — 243 — bliotheque vaut plus que les reglements, nous avons eu peu a le regretter, grace a la liberality de monsignor Molza, au Vatican; tie monsignor Marino Marini , aux archives; du rev. pere Theiner, a 1'oratoire ; de Dom Alberic Amatori , a Sainte-Croix de Jeru- salem; dupere G. Ferrari, a la Minerve; des superieurs de la pro- pagande pour le musee Borgia; grace surtout a la bienveillante influence de M. de Corcelles, et aux puissantes recommandations de Son Eminence le cardinal Angelo Mai, le patron naturel de ceux qui viennent sous les auspices de llnstitut de France, dont il est associe etranger. L'obligeance que nous avons rencontr£e dans ces grands depots litteraires nous a fait oublier l'accueil moins ami des bibliotheques Angelique etBarberine. Quant au Mont-Cassin , Monsieur le Ministre , la genereuse hos- pitalite qu'on y recoit, la liberalite sans reserve avec laquelle YArchivium est ouvert aux etrangers, la parfaite complaisance de dom Sebastiano Calefatti et des religieux qui travaillent aux archives, auraient sufli pour rendre les jours que nous y avons passes les plus agr£ables de noire voyage, quand ils n'en eussent pas ete les plus fructueux. Nous aurions cru manquer a un devoir de reconnaissance, Monsieur le Ministre, en ne vous signalant pas les personnes qui ont contribue a nous faire accomplir la mission qui nous a ete confiee. REPONSES ADX QUESTIONS DE L'ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Premiere question : Au Vatican, on desirerait (c'est le voeu de M. Laboulaye) la collation, avec le manuscrit original, du Liber Diurnas romanorum pontificum , publie, mais imparfailement selon Mabillon, par le reverend P. Gamier, a Paris, en 1680, in-4°? — Le manuscrit du Liber Diurnas se trouvait autrefois a la bi- bliotheque de Sainte-Croix-de- Jerusalem. C'est la que Lucas Hols- tenius, bibliothecaire du Vatican, le copia, dit-on, en une nuit1, pour le faire imprimer bientot apres. Pendant que 1'ouvrage etait 1 Nous avons trouv^, sur l'exemplaire de 1'ddition d'Holstenius, qui existe a la liibliothfeque de Sainte-Croix, la note suivante, ^crite de la main do Bessossi : « J. Joachim Bessossi, abbatis S. Crucis , ex dono illustrissimi abbatis Compa- Unde Holstenius sumpserit laudatas superscripliones, ipse non dicit et ego «ignoro». (Ges additions proviennent de fragments de copie du manuscrit de Paris, dont Holstenius avait eu communication. — Vov. Zaccaria Bibliotheca ritualis, t. HI, p. 339 et suiv. Roma?, 1781, in-/i°.) 1 Ces feuilles parvinrent aussi entre les main"; de Garnier, dont la reputation commencait deja a s'etablir. — 245 — Au siecle dernier, Riegger, pour satisfaire les rancunes cle l'em- pereur Joseph II contre la cour de Rome, reiinprima encore unc fois (en une edition populaire) le meme texte, avec les memes supplements. Enfin Scbcepflin, dans ses Commentationes hst. criticw (Rasil. 17^1; in-4°, p. 499), a donne une collation du texte de Garnier et de celui d'Holstenius. Mais revenons au manuscrit de Sainte-Croix, d'ou celtc discussion nous a un peu eloign es. En meme temps que le pape Alexandre VII supprimait 1'edition d'Holstenius, il faisait enlever le manuscrit original de la bibliotheque de Sainte-Croix. Depuis ce moment, nul, excepte Mabillon (Iter ital.p. 70) , n'a vu ce fameux manuscrit, nul nesavait memeou il avaitete depose, oudu moinspersonnenes'en etait enquis. C'est du reverend P. dom Alberic Amatori, acluelle- ment bibliothecaire de SainteCroix-de-Jerusalem, que nous ap- primes que le manuscrit a la poursuite duquel nous etions depuis si long-temps, avait ete place dans les archives du Vatican. Nous fimes alors les demarches necessaires aupres de monsignor Marini, prefet des Archives, qui se preta avec la plus parfaite obligeance a notre desir : il nous permit de faire chez lui la collation com- plete du manuscrit sur 1'edition de Garnier. Ce travail n'avait pas seulement pour but de corriger les fautes qui out du neces- sairement ecbapper a Holstenius dans la rapidite de sa trans- cription, mais encore de suppleer a 1'extreme rarete de Tedition que ce dernier en a donnee : nous n'en avons trouve a Rome qu'un seul exemplaire, a la bibliotheque de Sainte-Croix, et il est Ires-probable quil n'en existe pas un seul a Paris. Le manuscrit est de la fin du vne ou du commencement du vm° siecle; il consiste en 10/t folios de parchemin '. En voici un facsimile : pjuuiIecjiucD- jf| cen-a&r eu ri o fx Cut m f c^flama -. 1 Le nunidro de Sainle-Cioix dtaitcccxx; celui des Archives est II hhhli , 97 , ex capsula x. En tete on lit : 0 Preciosissinms est isle codex, scriptus Longobar- • dorum tempore, forlassis inter septiinutu et octavum seculum. F° 69. sexta — 246 — Pour les particularites orthograpbiques et grammatical, il res- semble a tous les manuscrits de cette epoque, ou les regies de la syntaxe 6taient peu respectees. Sous ce rapport, il est inferieur au manuscrit de Paris, ou du moins a fedition que Garnier en a donnee ; car il se peut que celui-ci ait corrige, sans en avertir, les fautes les plus grossieres dc son manuscrit; mais, quant au fond meme du texte, le manuscrit de Rome merite seul, par son anti- quite, de faire autorile, et devrait etre pris pour base d'une nou- velle edition. Nous en avons done fait une collation integrate et minutieuse , la(juel!e nous a fourni des variantes et des additions importantes, outre celles qui ont deja ete publiees par Mabillon dans le Muswum itaJicum. Sur Tavis de 1'Academie des inscriptions et belles-lettres , et avec votre agrement, Monsieur le Miuistre, nous avons remis notre collation a M. Eugene de Roziere, qui doit comprendre le Liber Diurnus dans un Recueil de Formules , dont il rassemble actuelle- mentlesmateriaux.Mieux que personne, M. de Roziere est prepare pour donner une edition critique du Liber Diurnus; nous lui laissons done le soin de comparer notre collation avec le texte d'Holste- nius, ou, a son defaut, avec la collation qu'en a faite Scbcepflin (voyez plus haut), et de determiner quel degre de confiance on doit accorder aux deux textes , celui de Paris et celui de Rome. Deuxieme question. On desirerait , s'il etait possible, la collation de l'histoire de Pbilippe-Auguste, par Rigord, publiee par Pithou et Ducbesne, et qui n'a pu etre revue par D. Rrial, dans le tome XVII des Historiens de France, que sur notre manuscrit 5925, tandis que Montfaucon dit de celui du Vatican, p. 3i, n° 1007 : emendatior quam editus ? — Chronique de Rigord. — II existe au Vatican trois manuscrits de la cbronique de Rigord, appartenant tous trois au fonds de la Reine. i° n° 1758 (ancien 1007 de Montfaucon), papier in-8°, lin du xvfsiecle; en tete : Liber Labbei, i635; cest celui que 1'Aca- d^mie nous avait signale. 20 Un manuscrit grand in-folio, en par- cbemin , ecrit certainement a une epoque tres-voisine de celle ou la cbronique a etc redigee; malbeureusement il est incomplet, car «synodusquac Labita est anno 681, dicitur nupcr celebrata [ed. de Garuicr, « p. 5o] , ex quo referri potest coditem scriptum vel labente septimo seculo , vel u incohante octavo.* — 247 — il sarrete aux mots : apud Messanam venerunl (p. 3o , 1. 2 , edit, des Hist, de Fr.) ; c'est le n° 88 (ancien »45) ; en tete est ecrit d'une main recente : Uigordus historiogmphus Philippi Augusti monachus apud D. Dionysium. 3° n° a3o: cest 1'ancienne edition de Pithou et Duchesne , avec des variantes a la marge ; ces variantes s'arrctent precisement aux memes mots que le manuscrit 88, avec cette note: Hie desinit ms. Fissarj (?) ; la marge porte aussi de nombreuses additions tirees de Robertas Sancti Mariani monachus. La comparaison de ces trois manuscrits (car a3omerite aussi ce nom) nous a conduits aux resultats suivants: x° ces trois manus- crits emanent d'une source beaucoup plus pure que le manusorit de Paris; ils renferment d'excellentes lemons : nous y avons signale aussi des additions ou suppressions importantes; 2° ces trois ma- nuscrits concordent ensemble et ne presentent que des differences peu importantes; toulefois 88 est le codex prcestantissimus ; 3° bien que les variantes dea3oproviennent d'un manuscrit mutile exacte- ment comme 88, on ne saurait affirmer que les variantes de o,3o aient 6te prises sur 88 , car il y a entre les deux textes quelques differences. On ne peut suivre la fdiation de B; on voit seulement qu'un des folios (celui sur lequel finit la Chronique de Rigord) est signe Boucherat conseiller. Nous aurions bien desire pousser jus- qu'au bout la collation de ces trois manuscrits, mais le temps nous a manque; du resle, la notice des manuscrits etantdonnee, il sera toujours facile d'achever cette collation quand on voudra publier une troisieme edition de cette chronique, ou simplemehf des additions et des corrections. Specimen de la collation Jes manuscrits de la Chronique de Rigord, avec It lexlc imprime" dans le Recueii des historiens de France, t. xvn. (Ms. 88 A. i758 B, 93oC) P. a, ]. 2 (a). Sapientiae laribus] sic P. 3. I. 6 (a). Incipit prologus in li- ABC; mais C a un interligne. brum gestorum regis] incip. artibus pro laribus. pro!, in libro gest. christianis- i. i4 (b). Ignavae] ignavie. A. simi regis. A. ignarae BC. 1. 12 (b). Solent auditores] sc- i. iG (b). Clementissimi] clern. lore aud. ABC. et sapientissimi. ABC. ). i3 (b). Seu ignorantia duc- I. 39 (d). Persecutus] prosecu- turn] ajoute, par une autre lus. A. main dans A. ■ 1.43(c). Agnoscere] cognosccrc. 1. i5 (b). Secundum cjueni] so ABC. cunclum quam ABC. — 248 P. 3. I. 20 (c). Venenlium] vcnena- tis ABC, comrne le manuscrit de Paris. 1. 22 (c). Substractione] sub- stractio ne AC. 1. 26 (c). IstiusJ ipsius. ABC. 1. 3i (d). Plene cdidici] plene didici. AB. 1. 4o (e). Etiam regnum] etiam regum AB; etiam regni C. 1. 42 (e). Deo disponente] Deo disponente qui omnium prin- ceps est et principium A; om. BC. P. 4, tit. Gesta Philippi] Gcsta primi anni regni Ph. A Les titres sont en rouge dans ce manus- crit; ils manquent dans B. 1. 21 (c) a 1. 27 (c). De quo rex Ludovicus religiosis manifestavit ] om. A; se trouve dans B et C. — Ce songe est sans doute une addition recente. 1. 33 (d). Septuagenarius] sexa- genarius. ABC. 1. 37 (d). Ingressus primo ut] ingressus ideo ut. AC. 1. 38 (d). Oratione sua ad Do- minum facta] oratione fusa ad Dominum(et omission de facta, ajoute par dom Brial). ABC. 1. 42 (d). Sublevare] sublunare. ABC. 1. 43 (d). Clamaverunt] clamare coeperunt. ABC. P. 5. 1. 28 (c). Clamantibus] ciaman- tibus et dicentibus AB. 1. 3o (c). Tunc coeperat] tunc incepcrat ABC. 1. 33 (c). Apres negaverat le ms A donne de decreto alcatorum. 1. 36 (c). Premiera igitur et ae] igitur om. A. 4i (d). Regibus in domum ejus] regibus (in B) dominum suum. ABC. 1.42 (d).Complacuit]placuit. AB. P. 5. 1. 44 (d). Observari] servariAB. 1. 5o (e). Cum eo] cum illo ABC. Apres cesmots, A donue le titre suivant : De odio regis in Judeos. 1. 52 (e). Clausum manquait primitivcment dans C; il a ete' rdtabli a la marge. Toutes les fois que C a rdtabli a la marge le metne teste que Paris, nous n£- gligeons ces particularity. 1. 54 (e). Principibus] pucris. ABC comme le manuscrit de Paris. P. 6, 1. 5 (a). Capellis ] campellis. ABC, comme 1'avait conjecturd dom Brail. 1. i4 (b). Apres subsecuta est, le ms A a : de primo bello Phi- lippi regis pro deffensioue ec- clesiarum et libertate. Les titres de cette esptce sont tres-mul- tiplids dans A. 1. 28 (c). Quindecim annorumj quindecim annorum et Domino consecravit dicitur enim a Deo dictus. ABC L29 (c). Totius populi] totius om. AC. 1. 35 (d). Ibi jugiler Deo ser- vientes] ibi domino servientes. AC. I. 47 (d). Simultatibus et fictis] simultabus, id est fictis. A BC. P. 7, 1. 3 (a). Videns autem ha?c Christ, rex] videns autem Christ, rex, A C, ou hcec est souligne pour etre effacd. 1. i3 (b). AfTuit et a seductori- bus] afluit et custodivit cum ab inimicis et a seduct. ABC. P. 16, derniere ligne : Sicut subjecta docet figura , manque dans A ainsi que le tableau lui-meme qui se trouve dans B, a la fin du manuscrit. Nous avons encore releve a la marge de C un certain nombre de varianles quiconcordenttoujoursavccA,etpresqueloujoursavecB. Troisieme question. M. de Montnierqueverrait avec plaisir que Ton — 249 — copiat dans la menie collection (n° 781 de Montfaucon , n° 1022 dp Keller, Romvart, p. i3y) le Mystere du siege d'Orttans ; et il recom- mande en general aux investigate urs ce fonds , acquis en partie d'A- lexandre Petau , fils de Paul , et dont plusieurs manuscrits venaient de l'ancienne abbaye de Fleury ou Saint-Benoit-sur-Loire? « Nous reproduisons un autre de ses vceux en appelant l'atten- tion sur un ouvrage intitule , dans le catalogue de Montfaucon (n° 446) : Doctrinal de la seconde rhetorique, fait par Bauldet Her- cut, cum variis carminibas gallicis? « Un roman de Guillaame de Dole, connu de Fauchet, et dont quelques extraits sont cites dans le Romvart de M. Keller (p. 576- 588), d'apres le nianuscrit 1725, ou il se trouve apres le roman de la Charreite et celui du Chevalier au lion , inspirerait un grand interet a M. Paulin Paris, parce qu'il est , comme le roman de la Violette, entremele de couplets et de chansons. » — Mystere du siige d'Orleans. — Manuscrit grand in-4-0 . 009 f. , Venture reguliere , mais assez difficile. Nous rapportons la copie de quelques-unes des scenes qui nous ont paru les plus interes- santes : celles ou interviennent le Roi, la Vierge, Dicu,l'inquisiteur delafoi, etc. Ces extraits donnerontpeut-etre une idee plus exacte de ce poeme si curieux , si national, que les morceaux publies par Keller. Parmi tous les manuscrits du Vatican, il n'en est pas qui merite davantage d'attirer l'attention des savants qui s'occupent de l'ancienne poesie franchise; et nous ne pouvonsnousempecher de remercier le savant academicien qui nous fa signale, du vif plaisir que nous a fait eprouver la lecture de cette naive et inte- ressante composition dont nous aurions voulu rapporter une copie integrale ou du moins une analyse detaillee. Doctrinal de la seconde rhetorique — (fonds de la Reine, n° 1/168). Cet ouvrage se compose de trois parties : i° un abecedaire; 2° une espece de diction naire de mots ' consonnants ; 3° des modeles de differents genres de poesie : servants (sic), lays amoureux , chants royaulx, halades, rondaulx, etc. Nous publions de longs fragments tires de ces deux dernieres parties. Guillaume de Dole. — Nous avons copie presque toutes les chan- sons de ce roman, en ayant soin de prendre les vers qui les pre- cedent et qui le-i suivent, afin de faire mieux comprendre com- ment elles sont amenees et encadr^es dans 1'cnscmble. — 250 — i En publiant les fragments du Roman de Guillaume de Dole, de \a Seconde rhdtorique et du Mystere d'OrUans , nous n'avons d'autre pretention que de reproduire le texte des manuscrits aussi exacle- ment que possible l : ce sont des materiaux que nous voulons met- tre entre les mains des homines competents; nous nous sommes done abstenus de tout commentaire pbilologique ou historique , certains de rencontrer dans une pareille voie des difficulty que nous nations pas en etat de surmonter. M. Paulin Paris, membre de llnstitut, a bien voulu revoir les epreuves et nous aider de ses precieux conseils, particulierement pour le roman de Guillaume de Dole, dont le texte presente de grandes alterations ; certaines meme sont rest^es irr^mediables. Les notes qui appartiennent a M. Paulin Paris sont signees P. Mystere du siege d'Orldans \ Ms de la Reioe, u° ion, pap. st' a. iu-j" F" 167. Lois ici y a pause longue, puis le roy de France se meltera a genouls deuers paradis et dit : Le Roy. O Dieu Ires digne et glorieux , Puissant eternel roy des cieulx, Je vous pry ayez souuenance De moy, desplaisant soucieux ; 5 Quant je regarde de mes yeuk Mon royaume qui est en doubtance ; A! Dieu du ciel Dieu de toutte3 puissance Plaise vous auoir ramenbrance De me secourir j il fust tant ; 10 En moy n'est plus nulle esperance Ne auoir de nul recouurance De riiommequi soit tant soit il* grant. Seigneur se je vous ay meflait Et que jamais vous ay forfait, 1 Nous nvons admis la ponctuation, et nous avons mis des accents partout ou la rime, la mesure ou le sens 1'exigeaient. 5 Keller (Romvart, p. i 37 etsuiv.) a publie 1c commencement de cc mystere. 3-Ce mot est ajoute par une autre main. * II semhlc qu'il faudrait : tant Just. P. — 251 — F° 167 v°. i5 Vous requiers pardon humblement, Et que ie ne soye deffait, Ne Ie royaulme1 ainsi contrefait, Par aucuns villainement. Y vous a pleu certainement ao Me bailler le gouuernement Du royaulme per permission; Se je fait faulte aucunement Je men repens tres grandement , Vous requerant remission, a 5 0 createur de tout le monde, En qui tout pouoir se habonde, Et dont vient toutte* consolacion; La ou vostre vertu redonde Y n'est riens sur la terre ronde 3o Ou n'ayiez dominacion. Or voy ge la destruction Du royaulme et la perdition Se vous ne mectez agarant; Helas ayez compassion 35 Par la vostre redempcion , Plus nay despoir que a Orliens '. Ore ny scay plus confort querre; Je voy par fortune de guerre Mon royaulme estre pres que soubmis; 4o Pas fault il dont perdre la terre De France par gens dEngleterre Qui sont anaiens anemis. Mon tres doulx Dieu se je ne suis Gappable pour la fleur de liz, F° 168 r". 45 Et suffisant de la tenir, Je vueil delesser le pays, Et me consens estre desmis ; Vray Dieu, se est vostre plaisir. Nostre Dame. O chier filz tres devotement 5o Et tres affectueusement, 1 Ici et dans tous les autres vers ou ce mot se trouve, il faudrait regnt au lieu de royaume, qui trouble la mesure. P. 2 Ajoutd rdcemment, et a tort. 3 OrUans, ms. 11 doit y avoir partout Orliens en deux syllabes. — 252 — Je vous requiers lanl que je puis, Que ne souffres aucunement Au monde tel enconbrement Comme ie vois quil est empris ; 55 Cest que le roy des fleurs de liz Qui en dignite auez mis Conduire le royaulme de France, Que soit par estranges soubniis Et que celuy roy soit desmis; 60 Chier fdz, ce serroit viollence. Ces Anglois venus d'Engleterre Nont nul droit en [la] noble Lerre De France n'a eulx n'appartient; Or voy par fortune de guerre 65 Le veullent auoir et acquerre, Et mectre le roy au neant, Qui est vray roy des crestiens , Et sur tous les roys parmanant Esleu par la vostre clemence; F° J 68 v°. 70 Si les anemis ont Orliens Y conquestront le ramenant A leur soulence et plaisance. O mon fdz doulcement vous pric , Que ce fait vous ne souffrez mie. 75 De vostre bon roy crestien, Que perde ainsi la seigneurie De France et noble monarchic ; Qui est si noble terrien # Cest le royaume qui lout soustien 80 Crestiennete, et la mainlien Par la vostre divine essence , Ne autre n'y doit auoir rien ; Au roy Charles luy appartient, Quil est droit heritier de France. Saint Euverte. 85 Pere lout puissant humblement Vous voulons prier et requerre, Que y vous plaise aucunement Garder voslre bon roy de guerre , Lequel vous a voulu requerre, 90 Ilumblement en misericordc, — 253 — Contre par qui il est en serre, Sans auoir pitie' ne concorde ; Chier sire vous sauez aussi Quant vint a mon eslection, F° 169 r8. 0,5 Que euesque je fus par ainsi, Fistes ma procreation Par vostre salutation , Moy indigne de vostre grace De ma constitution 1 oo Fut a Orliens la mon espace , Dont pour les quels je vous supplie Que vous plaise les preseruer De ceste greue villennye De guerre, que soient conseruez. io5 Leur patron fuz, vous le sauez, Et par la vostre providence ; Sire vueillez obtemperer A les garder de ceste offence. Saint Aignan. Chier pere ayez en ramembrance i io Pitte des habitans dOrliens; Y vous pleut par vostre ordonnance Que euesque fuz moy inocent. Je vous prie soyez souuenant De la glorieuse premisse , 1 i5 Quant vous fistes parler 1'enfant Pour moctroyer le benefice. Pour iceulx je vous l vueil prier En leur grande necessite, • Que vous leur veuillez octroyer i 20 La paix et la tranquillity, 0 1 69 v°. Qui sont en grant aduersite" A tort sans cause et sans raison , Par genz remplis d'iniquil6 , A qui nappartient la maison. Dieu. 125 Mere je Ires bien entendu, 1 Main r^cente. — 254 — Que mavez fait une requeste, Pour mon peuple qui est perdu Par leur vie faulse et deshonneste ; Je congnois que celui s'apreste 1 3o A moy du tout desobeyr ; Nulluy ne fait riens qua sa teste Sans me voloir de riens servir, Prestres, bourgeois et laboureurs Gens de pratique et autrement , i35 De present sont tous decepueurs Deulx gouuerner injustemcnl; Tant se maintient meschantement, Sans nulluy de moy tenir compte ; Dont les delesse pourement i4o Cbeoir en desonneur et bonte; Puis les plus grant d'auctorite Les baulx princes , dues et barons Rempliz d'orgued et vanite, Maugreeurs , jureurs et felons , i45 Qui de moi nulle memoire nont, Ne en1 riens, ont reuerence, Mes tout a opposite sont Viuant du tout a leur plaisance. Je ne puis, ce fait, consentir 1 5o Vostre requeste , chere mere , Que l'air si est enpuenty Pour leur vie rude et deputaire , Ne nont en aucune maniere De vous ne de moy ramembrance; 1 55 Hz endurent de la misere; Vous sauez e'est droite sentence. Nostre Dame Ah mon filz ayez congnoissance De la bonne et bumble priere Du roy Charles qui en presence 160 Vous a requis de son affaire; Y recongnoist son vitupere, En vous en requerant pardon Dont il se humilie a moy mere( ?) ; Chier filz ne le leisez par don. • M.i in r^fonlc. — 25o — Saint Euveute. s 65 Pere tout puissant nous prions Vous plaise le roi secourir, Et ceux dOrliens tout tant qui sont; En paix et union tenir; Je les ay aymez et cheriz, 170 Et pour ce que leur patron suis Par vostre saint nom sans faillir Leur euesque je fus jadis. Saint Aignan. Chier sire vous ne lerez pas Ce royaulme ainsi estre soubmis, iy5 Par gens estrangers mis an bas , Ce bon roy crestien desmis ; Pareillement nos bons amis DOrliens dont euesque je fus Qui en leur deuoir se sont mis 180 Et bien loyaulment deffendus. Diec. Mere et vous mes bons amis , Vueil entendre a vostre requeste, Combien les auoye permis A malediction celeste, i85 Pour leur vie faulse et deshonnesfe. , Es Francois principalement; Et vueil que on les admonneste Que pugniz seront grandement. Le royaulme je recouvreray F° 171 190 Au roy Charles par sa priere, Et en honneur 1'exauceray, Que tout temps en sera memoire , Sans que Francois ayent la gloire De auoir par eulx recouuert , ig5 Ne leur en donray la victoire. On les verra a descouvert, Michel ange entend a moy, Je veuil par toy faire messaigr — 256 — Pour subuenir au desarroy aoo De France ce noble heritaige; En haste yras en voyaigc Et feras ce queje te1 dy. Au plus pres d'un petit villaigc Lequel est nomine Dompremy 2o5 Qui est situe en la terre Et seigneurie de Vaucoleur ; La trouueras sans plus enquerre Une pucelle par bonneur ; En elle est toute doulceur, «j 1 o Bonne , juste et innocente ; Qui m'ayme du parfont du cueur, Honneste, sage et bien prudente; Tu luy diras que ie luy mande Qu'en elle sera ma vertu , 2i5 Et que par elle on entende Lorgueil des Francois abatu, F° 171 v°. Et queje me suis consentu Recouurer le royaulme de France ; Et par elle sera debatu 220 Contre le3 Anglois par oultrance. Premierement lu luy diras Que par elle vueil qui soit fait; Et de par moy luy manderas Qui soit acompli et parfait 2 25 Sy est quelle voise de fait Pour leuer le siege dOrliens , Chasser les Anglois a destroit, Sy ne s'en vont incontinent; Puis ce apres elle menra 23o Le roy Charles5 sacrer a Rains. De par moy elle accomplira En on3 paruiendra a ces fins; Que de ce ne se doubte point. Ma vertu sera auec elle, i35 Pour acomplir de point en point Par icelle jeune pucelle. Dy luy aussi pareillement 1 Main n'cente. 5 Idem. ■ Etbien? V. — 257 — Quelle se veste en abit d'omme; Je luy donneray le ' bardement , 2/io Pour mieux que cela se consomme; Puis elle sen yra en somme ' Deuers Robert de Baudricourt, Pour 1'amener en cesle forme Deuers le roy et en sa court. Michel Ange. F° 172. 245 Mon cbier seigneur en grant coraige, Acompliray vostre ordonnance; Vers la pucelle bonne et saige ; Cela luy diray en presence; Je vais sans nulle difference a5o Faire vostre commandement. Dieu. Que elle aye bonne fiance, Sans soi esbayer nullement. [Pose d'orgues ; et vient deuess la Pucelle gardant les brebis de son pere et queusant en Hnge.] Michel. Jeune pucelle bien eureuse , Le Dieu du ciel vers vous menuoye; 255 Et ne soyez de riens peureuse, Prenez en vous parfaicte joye ; Dieu vous mande , c'est chose vraye , F° 172 v°. Que y veult estre auec vous, Oii vous soyez en quelque voye; 260 Si n'ayez point donques repous; Sa voulente et son plaisir Est que vous alliez a Orliens, Pour en faire Anglois saillir Et leuer le siege deuant. 265 Se de vous sont contredisant En armes vous les convaincrez; 1 Le devrait etre efface. MISS. SC1F.NT. I 8 — 258 — Contra1 vous nc seront puissans , Mos de loul point les subiugrez. Puis aprcs y vous conviendra 270 A Rains mcncr sacrer lc roy; Que ainsi Dieu vous conduira , Et Charles cslre hors d'esmoy, Cornbien quil ait beaucoup d'efroj Et pour ce present fort a faire , 276 Dieu le fcra paisible en soy, Que il a ouy sa priere. Et au seigneur de Baudricourt Vous lui direz que y vous mayne Incontinent le chemin court, 280 Que il est vostre cappitaine, Ainsi que c'est chose cerlaine. Deuers le roy vous rnencra En abit d'omme toute saine. Que Dieu tousiours vous conduira. p> 173 La Pucelle. 285 Mon bon seigneur que dictes vous : Vous me faictes tres esbaye; Ceci ne vient point a propoux , Ensi je ne scay que je die, Moy poure pucelle rauye 290 Des nouvelles que vous me dictes ; Sachez que je ne les entend mie ; Que y me sont trop auctentiques , Je ne vous pourroye respondre. Ainsi moy poure bergerele , 20,5 Vous qui y me venez semondre Comme une simple pucelete, Gardans es champs dessus herbele Les poures bestes de mon pere, Une jeune simple fillete; 3oo Vos dis sont a moy bien conlraire. Michel Ange. Jehanne no vous en esmayez 1 V,' ronlrc. Ms. — 259 — Que Dieu la ainsi ordonne, Et veult que l'onneur vous ayez Du royaulme a present fortune 3o5 Qui a esle habandonne, F° 173 V0. Par pechie commis des Francois Par vous sera roy couronne, Et remis en ses nobles droicts. Pucelle. En armes je ne me congnois , 3 i o Ne m'appartient la congnaissance , Ainsi que vous le peuvez voir; Et en moy n'esl pas la puissance; Ne n'est remis nulle apparence Daller deuers le cappitaine 3 1 5 Lui raconter vostre ordonnance ; C'est que deuers le roy le maine. Michel. Amye y le fault ainsi Ce faire que Dieu le commande ; Nayez de riens peurs ne soucy, Quand de par moy y le vous mande; Pucelle. 320 La chose sachez est si grande Qui n'est nul qui le peust pencer; F° \lt\ r°. Ne en moy n'est sens qui se tende A sauoir cecy propencer. Michel. Fille accomplissez la chose 32 5 Et Dieu sera auecques vous, Que vous gardera comme une rose De polucion conlre tous. Ayez en luy ferine propoux , Et le faictes de bon coraige, 33o Y vous aidera, n'ayez poux, De lout dangier el tout dommaige. m 18. — 260 — PlJCELLE. A Dieu je vouldroye obeyr Comirie je cloy e est raison , Et tres humblement le seruir 335 A mon pouvoir sans mesprison, El tousiours en toute saison Vueil estre la poure servante Actendant la vraye maison Lassus ou ciel ou est m'inlente. Michel. 3/io A Dieu! Jehanne vraye pucelle, F° 174 v°. Qui est d'iceluy bien aym^e; Ayez tousiours ferme pensee De Dieu estre la pastorelle. Pucelle.^ En nom Dieu je uued estre celle, 345 De le seruir, si luy agree. Michel. A Dieu! Jebanne vraye pucelle, Qui est d'iceluy bien aymee. Pucelle. Mon bon seigneur, voslre nouvelle De par moy sera reclamee 35o Au seigneur de ceste contree, Par la voye que dictes telle. Michel. A Dieu ! Jehanne vraye pucelle Qui est d'iceluy bien aimee; Ayez tousiours ferine pensee 355 De Dieu estre la pastorelle. [Puis sen pari el v a pause. 261 Michel. F° 175. Pere j'ay du tout accompli Le vostre messaige humblement, Sans riens auoir mis en oubly, A la pucelle vrayement, 3Go Laquelle debonnairement, De tout son cueur vous veult seruir, Et tout vostre commandement Le vouldra faire et acomplir. .Dieu. Le royaulme je remetray sus, 365 Et les anemis confonduz Par la pucelle ruez sus , Et par elle tout convaincuz, Que des si quelle les aura veuz; En elle sera telle vaillance 3~o Que il en seront esperduz, En royaulme n'auront plus puissance. [Pose; puis dit] La Pucelle. O mon Dieu et mon createur, Plaise vous moy lousiours conduire; F° 175 v°. Vous estes mon pere et seigneur 375 Auquel je ne vueil contredire : Aller je vueil tout droit de tire Deuers Robert de Baudricourt, Pour mon cas reueler et dire, Sans plus ici faire sejour. [La pucelle vient a Baudricourt et y a pause. Pucelle. 38o Capitaine, Dieu vous doint joye! Deuers vous ie viens buniblement, Que parler a vous je vouldroye, Si vous plaisail aucunemenl. — 262 — Baudmcouut. Ma mye voluntairement 385 A vous cerles je parleray ; Dictes moy voslre pensement, Et voulentiers vous respondray. Pucelf.e. En nom Dieu sire y vous convient Que vous venez devers le roy \ elc. [Baudricourt consent; la Pucelle et lui arriventa Poitiers tlcvant les magisli.il>. La scene se passe a Poitiers.] F°261. La Pucelle. 390 Elle est lous les jours en dangier La ville5 et les habitans; Pour ce me faul si abreger, Et y aller incontinent. Que Dieu veult que je sois presanl, 3yb Pour les chasser hors du pays, Et que on me bailie des gens, Pour rebouter noz ennemis. F° 261 v°. L'Inquisiteur de la kov Pille le Dieu de paradis A le povoir et audience /ioo De convaincre ses anemis, Sans frapper ung seul coup de lance, Ne sans bommes n'aultre8 puissance, Quant y luy plaira ainsi faire, Sans vous nc sans voslre presence , hob Les faire fouyr el relrairc. 1 Vers corrige par unc main icccnle. 2 D'Orleans. \i uuhrc. Main reccnte. 263 La Pucelle. Dieu le peut faire voyrement, Mais ne luy plaist ainsi le faire, Veult que je y soie proprement Pour cette besoigne parfaire, Aio Et que j'aye soubz ma baniere Ung peu tie gens pour batailler A qui Dieu clonra la victoire, Ainsi que a son bon cheualier. L'Inquisiteur de la foy. Oullre plus vous veuil demander U 1 5 Pourquoy vous prenez babit d'omme, Et que vostre abit ne prenez De fille comme est consonne ? F° 262. Ne nest pas vostre estat en somme, Ne comme il a vous appartient, 4 20 Et mesbays dont ainsi comme Le prouez, que n'est pas plaisant. La Pucelle. Puisque c'est le voloir de Dieu, Et que m'est permis en l'office, Me fault gouverner en ce lieu, U"i 5 Pour luy acomplir son seruice; Et lestat qui est plus propice Pour guerroyer et batailler, En abit domme est plus notice Que de femme pour travailler. L'Inquisiteuk. A3o Et comment., Dea! que pensez-vous? Cuidez vous enfin paruenir, Comme vos diz et vos propoux , Sans aucunement deffaillir ? Vous pensez vous de seur ienir, 435 Que la chose ainsi aduiendra? — 264 — De la parfaire et acomplir, Fille, croy quil en demourra. La Pucelle. En mon Dieu j'ay ceste fiance F° 262 v°. Que la chose se parfera , 44o Et y ay bonne esperance; Aussi que Dieu nous gardera , Et la victoire nous donra, Allencontre des anemis, Et en France n'en demourra, M5 Que ne soient ou mors ou pris. L'Inquisiteur de la foy. Quant a de moy plus je n'en (lis, Ne n'en vueil plus discuter; Je croy en ses faiz et en diz , Et n'y vueil plus riens ajuster. 45o Au roy on la doit presenter Pour parascheuer ceste chose, Sans plus longuement arrester Ceste enuoi de Dieu je suppose. [Lcs i", 2e, 3e et 48 Presidens approvent tous; il en est de mesme du i" et 2e Conseillers. A la fin de la scene : ] F° 264 V°. 2e CoNSEILLER. Jehanne de par Dieu retournons 455 Deuers le roy je vous emprie. La Pucelle. Quant il vous plaira partirons, Le tarder ne prouffite mie. (Lors partiront, puis y a pause, puis dit) l" Conseiller. Jehanne voy la le roy assis , Y 1c fault aller salue'r, — 265 — 46o Lequel sera, a mon aduis, Joyeux de nous voir arriver. La Pucelle. Allons a luy sans delayer, Je desir de parler a luy. 2e CoNSEILLER, etc. [La pucelle devant le roy apres ses exploits.] A done icy y a pause el arrive la Pucelle deuant le Roy, laquelle se jette a ses piez et les baise et puis dit Le Roy. Ma belle. Idle leuez vous , 465 Et soyez tres bien venue, Vostre maintient plaisant et doux Me resiouyst dont vous ay veue ; A grant joye serez receue Et toute vostre compaignie, A70 Que riens ne sera soubz la nuie Qu'espargne vous soit chiere amye; Et sil vous plaist riens demander En mon royaulme que faire puisse Je vueil que vous y entendez &7& Vostre voloir qu'on accomplisse etc. F° 370. Pucelle. Sire roy a vous suis tenue Du bien que vous me offrez ainsi. Le Roy. Or ca bien soyez vous venue, Et vostre compaignie aussi. Pucelle. 48o Sire moy de poure value , Tres humblement je vous mercy; — 266 — A moy n'appartient pas cccy, Ne telle chose ne mest due, Le Roy. Or ca bien soyez vous venue, 485 Et vostre cornpaignie aussi etc. P 507. [Lors cntreront tous dedans la ville (d'0rl<5ans) a grant joye, ct y a unc petite pose de trompettes puis dit ] La Pdcelle. Vous tous tres hault et tres puissant seigneurs. A qui louenge est due et tous honneurs, Parler je veil cy en vostre presance Comme mes gardes et mynistrateurs , /490 De mal auoir et mes conservateurs , Dont vous mercie de toute ma puissance, etc. Le Recepueuk. Tres noble dame nous vous remercions, Quant vous a pleu de nous sauver la vie. La Pucelle. Si vous en charge faire processions , 4q5 Et louer Dieu et la vierge Marie. 2e Rodrgeois. Tres haulte dame tous nos intencions , Est louer Dieu de pensee infinie, Et vous aussi dame de Dieu amye, Que par vous sommes en consolations. La Pucelle. 5oo Ci vous en charge faire processions , Et louer Dieu et la vierge Marie , Dont par Anglois n'a point esle rauie Vostre cite ne vos pocessions. Iesus Maria, explicit. Amen. 267 Cost le Doctrinal de la Secunde Retorique fait par Baoldet IJercvt* Ian de grace mil quatre cens trente et deux. Fonda de la Heine, n° i£68 , f6 pap. xvc s. [F° 73.] Premierement sensuit ung ABC sur les voyeulx pour aprendre a espeler en la dite Secunde Retorique. Ba : balance, basilique, etc. = Be : bel, belle, etc. — Bi : bible, biblien , etc. = Bo : Bourgongne, bourgoingnon, etc. = Bu : bugle, bureaul, etc. — Apres les voy. viennent les consonnes jusqu'a z. [F° 83.] Cy sensuit une regie de Mos leonins plains sonnans equi- voques et personnans selon les lettres de 1'ABC fenissans, et pre- mierement en forme de a. En Ma : il ama, entasma, blasma, ble qui germa, plurna, em- pluma, opprima, somma, huiua, consomma, lima, rima, sublima mercure , exlima, bled qui sema, consuma , acoustuma ; en Nomma, nomma, surnomma, renomma, desnomma. = En Ferma; en fourma; en donna; enfna, etc. [F° 84.] Rimes en Na qui se pourroienl bien mettre es dessus dictes en fina. Dieu sa mere couronna , aorna , sermonna , pbilomena qui est rossignol, celui qui la karesme juna, etc. = Par V et ) , pari* et par A : Construira, destruira, etc. = En Ousia : cousta, bon gousta, jousta, jour i ousta, etc. = En Ita : visita, deserita, abilita, recita, etc. — En Ca : courouca, avanca, etc. = En Assa : il se lassa, brassa, amassa. = En Passa : coinpassa, passa, des- passa, grande espasse a. = En Posa : repos a. = En Sa : offensa. = En Pensa : pourpensa. = En Boursa : bonne bourse a. =z En Troussa : destroussa, etc. = En Manda : recommanda, uneamande a, etc. = En Da : fonda, souda. = En Ba : regiba, tumba, des- tourba, exiba, ribba, grosse flambe a, il sen gaba etrebarba, il verba, roba, enberba, etc. = En Bla : combla, etc. = En Bra : nombra, s'aombra, grant umbre a, ramembra, etc. rr: En Ga . souga, targa, alerga, astbarga, etc. = En Lia : lia, alia, etc. == 1 N'esl-ce pas unc alteration pour .Raol dc Therein ou Raollcl Heroul? P. — 208 — En Fia : purifia, glorifia, etc. = Eu Cha : il s'enibucba, trebu- cha, en loeil la buche a, etc. = En Qua : repliqua, etc. =r En Pa : frappa , coppa, etc. = En Va : Saulva, trouua, leua, etc. — La derniere rime est en Ba : II festora, cnipira, etc. [F° 84 v°.] Aultres rimes finissans par h et premierement : Joab iaclis roy dlsrael; Job qui fu pacient; Moab. Aultres rimes finissant par C et premierement en Ac : Sarac, pare, marc dor, Marc nom domme. = En Oc : Enoc, ung noc par quoy le yaue s'en va de premiere maison, ung croc en terre, ung croc que femme fet es cheuoux. = En Ic : ung alem- bic, gumme arabic, un pic a tirer terre ou pierres bors dc terre. = En Ec : sec, bee, Caudebec en Normandie, terc qui est ung ongnement noir a oindre brebis rongneuses. [F° 85. ] Aultres rimes finissans en D et premierement : David, il le vid, accord, discord. Autres rimes finissans par E en diverses determinations, chas cune par ordre , premierement en Eue : Seue, greue, une sourbrieue en cbanterie, une my brieue en cas pareil, etc. = En Traire : dung arc traire, dettraire, etc. = En Naire : debonnaire, concubinaire , etc. = En Faire : bien faire, mesfaire. = En Aire consonans une aire; la ville dAire, droma- daire, etc. = En Maire : gramaire, ung maire. = En Taire : se- cretaire , pour secret taire , presbitaire , etc. = En Saire : neces- saire , commissaire, etc. = En Voise : ceruoise, ou que je voise , il bloise quand il parle mal, etc. — En Oise : Ponthoise, une tboise francoise , galoise , il m'enpoise , etc. = En Ore : memore , tempore , etc. = En Oire : yuoire, j'espoire, etc. = En Presente: je me presente, cbose presente, etc. = En Tente ; lente — enle vente — lente — gente, etc. = En Bace ou Brace : face — mace — lasse — oincte — poincte. = En De ; mande — monde — fondc. [F° 86 v0.] Aultres rimes en onde que Ion pourroil bien mettre auecques les aultres rimes deuant dicles a ung besoing pour ce que elles sont consonans : Une grosse unde de nier. — Yaue qui souronde. — Blonde , faconde. — Puis viennent les rimes en ordre — orde — corde — horde — — 269 — garde — ourdre — oultre — tarde — arde — cede — guelle — tende fende — vende — bende — mande (je m'amande, j'ay fourfait). Combien que les dessus dictes rimes en ende soient mises cha- cune par ordre , elles sont bonnes ensemble qui ne pourroit mieulx faire. Rimes enfe, en ge, etc., et ainsi jusqu'aux rimes en yeax : Dieux, yeulx. [F° 104 v0.] En Y grecque sonne dure voieux dedens ung mot. Item il est propre en la fin d'ung mot ou il appartient. Item le z est propre en fin de mots ou il affiert, c'est assavoir en mos en vez, lez , tez, rez : parlez , ordonnez , donnez et autres mos, en sem- blablestons; car qui metteroit au ton de mez une s ce seroit mes ,- en lez ce seroit les; en vez une s ce seroit ves , comme dire naues; car s'il y avoit en naues une z derriere ce seroient nauez que Ton mange, et ainssi tous mos que fenissent par z, sont en ez; et les mos finissans par s sont en la finiture de mos extremes , comme primes et leurs aultres semblables. [F° 105.] Cy sensuiuent plusieurs et diuerses tailles de la or- nure de la dite Seconde retliorique , et est nommee secunde relhorique pour ce que la premiere est prosayque; les quelles tailles et or- nures sont mises chacune par ordre, comme Lay amourease, Ser- uents, Chant royal, Sotle (sic) amoureuse, Pastourelle , Balade en plu- sieurs fassons , Bondeaulx aussy en plusieurs et diuers faissons tant de vielle taille comme de nouuelle, Ffatras possibles et impossi- bles, Vers douzains, Lignes alexandrines , et Lignes doubleites. Premierement forme de Lay qui doibt estre de douze couples dont le premier et dernier couplet sont d'une facon et d'une con- sonance et les x aultres couples sont chacun par soy de fasson ; mais il fault que chacun ait quatre quartiers, et les peull on faire de si long ou si court mettre que Ton veult, mais que la plus longue-ligne ne passe point ix sillabes qui est feminine et la mas- culine de viii sillabes, et les aultres en dessoubz. La feminine tous- jours a une sillable plus longue que la masculine et pour entendre que sont quartiers, le premier couplet cy apres mis le monstre ou il y a trois lignes d'un son et i'aultre ligne quatrime d'un aultre son et Ton peult es aultres couples faire en tel mettre que dessus est dit, de x, de xn ou de plus de lignes qui veult et une aultre — 270 — ligne d'altre son , et puis recommeucier du premier son du nombre que Ion ara fait deuant iusques a quatre fois, el par ainsy Ion ara ses quatre quartiers furnis et peult on faire son premier couplet de teis quartiers que Ion veult, comme cy sensuit. Et pour entendre que sont couples de iiij quartiers on les verra par les comptes qui sensuivent en diuerses manieres. Et premierement : Par trois raisons me veul deffendre Quon ne me doibt mie reprendre ; Se selonc la condicion De mainour qui jamais niert mendre 5 Veil ma plainte et mon lay comprendre En triste ymagination. L'une est quamour ne veult entendre A ce que madame soit tendre Ver moy, ains est s'intencion 1 o Que mon dolant cueur face fendre ; Joye ne daigne en moy descendre Sen vis en lamentation. Couplet de quatre quartiers d'aultre faille. Qui bien aime et tart oublie Et cuer qui oublie a tart Ressemble le feu qui art Qui de legier n'estaint mie ; 5 Aussi qui a maladie Qui plait, enuis s'en depart; Et qui plaist tient pour sa pari. En ce point se Dieu me gart Me tient amours et maistrie ; i o Car plaisance si me lie Que jamais l'amoureux dart Nest hors traict, n'a tiers n'a quart De mon cueur quoy que nul die. Car tant ma fait compaignie 1 5 Que e'est neant du desparl , Ne que jamais par nul art Soil la poincture garie. — 271 — Taille damoureuse . L'amant veult viure en consolation Et acquerir de biens grande habundance, etc. [F° 106.] Forme de Seruentoys et est dit seruentoys pour ce quil doibt estre seruant deuant et derriere a une amoureuse comrae il sensuit; car cestui seruentoys est seruant deuant et derriere, et se font ces seruentois a Lisle en Flandres, le premier dimancbe deuant lassumption Notre Dame, et doibuent parler de lassump- tion Nostre Dame et de la passion Nostre Seigneur : Taille de Seruentoys seruant deuant et derriere a V amoureuse , deuant dicte. Lamant veult viure en consolation II doit auoir an son cueur souvenance Comment jadis par suspiration Saint Jehan vit au saint ciel la semblance 5 Dune femme benigne et charitable Affublee du soleil delectable Qui couronne portoit de oeuure excellente Faiste de xu estoilles rice et gente; Et enfanta par vertu glorieuse 10 Ung royal fdz de mageste prudente Ou grace auoit et doulceur plaintureuse. Et puis qu' amour par bonne affection A Saint Jehan donna la connaissance De celle femme ou est discretion , i 5 Vray amant doibt auoir ferme creance Que c'est la vierge autentique et loyable A laquelle saint Gabriel feable Salut donna plain de grace euidente; Disant Marie en toy est la iouuente jo A Dieu le fdz par vertu precieuse Pour ce qu etes pucelle paciente Qui pour amans conforter es soigneuse. Dont doit amant par veneration La digne femme avoir en ramenbrance 2 5 Que Dieu vesti par contemplation Du pur soleil, qui est signifiance De chastete dont vesture a notable. Les estoilles de sa couronne estable — 272 — Sont loyailte foy paix raison soluente 3o Grace pitie concorde sapientc Dulccur mesure humilite heureuse Discretion et amour quelle augmente , Pour la tenir en liesse amoureuse. Ainsi amours a domination 35 De ceste femme auoir a sa plaisancu Qui cffanta sans deffloration Le benoit filz ou est toute puissance , Le quel depuis prist mort dure et greuable Pour reparer le grand peche dampnable 4o DAdam qui prit le gout du fruit de l'enle Par le consed d'Eue inobediente, Dont ilz furent en chartre tenebreuse Et perdirent par leur meffait la sente De suffisance et paix delicieuse. 45 Dame sans per de bumble condicion, Femme royale, en qui maint attemprance,. Par Dieu le pere ou est perfection Vous este mise en lieu de suffisance Ou vous rengnes en gloire pardurable 5o Lez vostre fdz bening et cbarilable ; Au quel lieu que de vous soit plesente Toute la joye et on le vous presente ' Car son amour de votre cueur prez ente Si vous supply que me soies piteuse. 55 Prince cds est eureux qui met s'entenle A bien servir la Vierge sauoureuse Car en la fin ses bien seruans conlente Tant que jamais n'aront paine angoisseusc. Cy s'ensuit la forme et taille dung Chant royal qui se font a Dieppe en Normandie, et s'appelle Chant royal pour ce que Ton commence et fine en telle maniere que Ion veult et doibt parler de la naliuite Nostre Dame et de la passion Nostre Seigneur et de lassomption Notre Dame : Taille de Chunt royal. Par les faulx cris dune escouffle enuieuse Nous mit Adam tous a la mort denfer ; 1 II manque sans doute ici un vers. — "273 — Mais par les biens dune turte amoureuse Nous volu Dieu le meffait pardonner "> Et radrechier en pardurable vie. La turtre entens pour la vierge Marie Qui vray conforl de saluf nous presentc, Et Tescouffle pleine de fausse entente Prens por Eue qui ne cessa de braire 10 Avant quAdam beust du fruit de i'enle Mors le morcel qui tantnous fut coiitraire. [F° 107.] Cy sensuit la taille d'une Sotie amoureuse lesquelles se font a Amiens le jour de Ian neuf , ou il y a tous les ans Prince dicelies sotics amoureuses , et tant plus sont cle sos mots etdiucrses et estranges rimes et mieux valent : . SoKe amoureuse. 0 Je suis de tous les sos amans quon s[ace] Le moins eureux et qui plus se traueil[le] Pour dame amer qui fait faire grimace Quand je luy viens crier en son oreille 5 Comment s'amour en mes boiaulx s'auale. Dont fellement me regarde et rauale Disant valen faire amye aultre part, Car a mainour jamais tu n'aras part; Et de ses poings le visaige mafolle. io Mieulx me vaulsist combatre a ung liepfart] Que destre es mains dune si faicte folle. Hier le trouvay assie en une place Ou les porceaux vont coucber sans (?) Cornes auoit a guise de limace 1 5 Et par dessus une vielle touaille ; La le menoit ung cayemant de balle A la carolle au son d'une cimbale Auquel disait mon amy Jaquemart Je te donrray plein un pog cle briemarl 20 Et des try pes que iay faites a l'ole Mais il te fault tout premier ton pouparl Venir bouter dedens mon capitole, etc. [F° 108.] Cy sensuit une Balade et de matiere que la doibt tenir MISS. SCIENT. I f) — 27 'i — en Puy d'escole, la quelle est de xi lignes en chacun couplet par re que le refrain est de xi sillabes : Cil qui des fuis clamour na cognaissance Et desire sauoir trouuer maniere De rendre a lui loyalc obeissance Pour paruenir a sa grace plai:iiere 5 Et a lamour de dame doulce et gente, Viengne seruir en sa court excellent; La trouueia tourment delicieux Confort dolant, ennuy solacieux, clc. [F° 108 v0.] Balade contenant ix lignes pour co que le reftYain est de ix sillabes comme diet est : Ung compaignon d'entendement Et une femme de raison, etc. [F° 109.] Cy sensuivent aultres BaJades de taille nouuelle faictes a plaisance : Balade faite a la volente de Vouvrier. Ie vous mercye amours De tres loyal vouloir, De vos plaisans doukours Que me faites auoir D En vo sendee gent; Votre suis ligement. Car par rians regars A mon cueur conlente Celle qui les deux pars i o De son cueur ma donne. C'est sur toutes les flaours La plus belle a veoir, EHe a toutes valours C'est mon ioieux espoir; i 5 Cest mon esbattement, Mieulx layme vrayement Que dor cent mille mars ; Tant a de loyaulte Celle qui les deux pars — 275 — 20 De son cueur ma donne. Prince des joyaulx dars Damours ma assene Celle qui les deux pars De son cueur ma donne. Balade layee. Belle en vous seruant mest venue Desplaisance en lieu de Hesse, Qui piece a vous ay esleue' Pour ma souvcraine maistresse Et deesse; El vous maues babandonne Et donne Reffus , qui foy vous ay promis Comme amis, Cest par enuye venimeuse Et doubteuse Qui greue m'a vers vous a tort , Jamais naray vie joieuse Ains array paine doloureuse Sens confort. A mon gre n'auoye veue Dame de si baulle noblesse, Que vous este ne purueue Donneur courtoisie et largesse Et saigesse; Pourquoy amours ma commande Et mande Que pour le beaute de voz viz A deuis, Je vous serue tres bien eureuse Amoureuse ; Et jay este de cest accord Pour acquerir grace piteuse Et je suis par vous gracieuse Sans confort. Loyaulte je vous ay tenue Comme a ma haultaine princesse Et plaine foy entretenue '<)■ — 276 — Cuvdant de iove auoir ladresse: Or se cesse En moy toute joyeusete; Je suis ne Et plus maleureux qui soit vis Et ravis. En dure fortune angoisseuse Et nuyseuse, Mais se je debvoie estre morl Je vous aymeray plaintureuse Quoyque vous voye rigoreuse. Aultre Balade de court metre. Chiere maistresse. A vous me plains De la delresse Dont je suis plains . Par bel acoeil Dont ie recoil Angoisse dure ; Qui trop me dure; Car mes solas Troeuve en decours » Criant helas Mort ou secours. Je pers ladresse Des biens haultains ; Mort ton dart dresse Et men attains, Ainsi le voeil Plus que ne soeil , Mon cueur est las , Mercy na cure De plains et plours; Criant helas Mort ou secours. Princesse pure De bumble figure Noublies pas Moy en dolours , Criant helas Mort ou secours. — 277 — [F° 110.] Cy sensuiuent plusieurs Rondaalx doubles et simples que Ion fait pour mettre en chant et ungs de vm et ix sillabes et les aultres. de x et xi : Rondel double de vm et de ix sillabes et de tailles diverse* et nouuclles. Rossignol a ta bien venue, Va vers madame et le salue, De par moy en ton ioyeux. chant; Et lui dis quen elle seruant Ma loyaulte ne se remue ; Et que de beaute pourueue Sur toutes je lay esleue Pour de grace eslre possessant. Rossignol. Se tu sens sa response eue, Quen moy soit sa grace entendue , Presternent viens vers moy volant ; Et mon cueur a joye ara tant Que trislesse jaray perdue, Rossignol. [F° 110 v°.] Cy sensuiuent Fatras possibles el impossibles,' simples et doubles : Formes de simple Fali-as possible. Vierge a qui Dieu se maria Pour sauluer humaine nature ; Vierge a qui Dieu se maria , Et qui si digne mary a; Qui repaira la fourfaitture D'Adam qui nous injuria, etc. [F° 111.]' Cy sensuiuent forme de Vers dou:ains et sappele vers domains pour ce quil ne contient que i 2 lignes de laquelle ornure on peult comprendre matere pour faire tant en diuinite, amours, sollie ou aultres choses moralles : Amours par son subtil altraict Amans et amies attrait; Souuent si que leurs cueurs retrairre Ne seuent pas , nes ung retrait — 278 — En anifi' qui les fait detraire Par les doulx. clars jetter et Iraire De regard qui maint grief contraire Ymagine point et pourtrait, En eulx pour les plus bel attraire En une preson sans mestraire Ou nature n'a riens mestrait. [Fu 111 v0.] Cy sensuivent les tallies de Lignes alexandrines et sont dittes Lignes alexandrines pour ce que une ligne des fais du roy Alexandre fu fait de ceste taille; et maistre Jehan de Meun en a fait son testament1 qui se fait par !\ lignes d'un son chacun couplet et doibt auoir la ligne masculine xn sillabes et la ligne femenine xm sillabes comme il sensuit : Lignes alexandrines de xm et de ,\n syllabes. A vous viens a secours ma tres chiere maistresse, Pour dangier que mon cueur tient en grant desconfort ; Et vous pri que losles hors de ceste deslresse, Et que de bon vouloir vous lui donnes confort. Item combien que les 4 lignes devant dictes soient croisees i!s se poeuent bien mettre ainsi en ornure ou tout d'un son par k lignes ou tanl quon veult faire selon la matiere que Ion prent; et qui voeult faire grande clause quil se garde de prendre rimes pesantes et destrange son car ce seroit pour faillir a son fait; et pour ce le dit maistre Jehan de Meun a fait son dit testament de !\ lignes d'un son chacune clause. Forme de Rondel rondelant. Ma tres doulce amye Tassine , Voeulle faire pour Tassinet Par vraye amour monstre la signe Ma tres doulce amye Tassine. Se pour toy veoir iour tassigne De loyal coeur que t'as sy net Ma Ires doulce amye Tassine Voeulles faire pour Tassinet. Ici finit le uis au [° in v". 1 Cc testament a r'te publie" plusieurs fois, et entrc autrcs par Keller dans son Romvart, p. 121 et suiv., d'aprcs le ms n° 367, dii fonds de la Reine. — 279 — Extraits da Roman de Giullaumc de D6le '. Fonds do la Heine, Ms. 1725, pot. iu-f° parch, xiv" s. F* 73. Je ne demandai onques puis Ou il jut la premiere nuil, Mes mult li greua, voir ce cuit, Ce quil aloit seuls au plessie. ,r> L'empereres quil a lessie Gisant de la ou il torna Au matin quant il se leua Si fist ourir une fenestre ; Li soleus plus clers que puet estre to Geta ses biau rais par son lit; De sebelin et de samit Ot couertoir a roses dor. Por lamor bele Lienor Dont il auoit el cuer le nom 1 5 A commencie ceste chancon : Chanson*. Li noviaus tens et mais et roissignox Me semont de cbanter, Et mes fins cuers me fet dune amorete Un doz present que je n'os refuser; '.20 Or men doinl Dex en tel honor monler Cele ou iai mis mon cuer et mon penser; Qentre mes bras la tenisse nuete Ainz qalasse outre mer. Ainsi se conforte en chantant a 5 Et cil qui clieuauchait errant Vers Dole tot le grant chemin Se fu lant leuez par matin Puis quil vit qui lestut a fere, Qen mains dun iors vinl au repere 3o Mon segnor Guillaume de Dole. Renomee qui par tot vole 1 Keller [Romvart, p. 576 a 588) a public les cinq premiers et le dernier folio de ce roman. 3 Cette chanson est du chastelain de Coucy. Les mss. du roi portent avec rni- son a la fin du premier vers violette au lieu de rossignox. P. — 280 — La cuene lot droit au plessie ; Grant trot nun pas le col bessk Entre en la ville par la porte; 35 0 tot le seel d'or que porte, I I'A \". Fail cil une bone oraison : Dame let il une chancon Car nos elites, si ferez bien. E le chantes sor tote rien : .'io — Biaus biz, cefu ca en arriers, Que les dames et les mines Soloient fere lor cortines Et chanter les cbancons distoire. — Ila'i ma douce dame voire, /|5 Dites nos en se vos volez, Par cele foi que me deuez. — Biau biz mult mauez coniuree Ja ceste foiz niert pariuree Tant con ge le puisse amender. jo Lors commenca seri et cler : ( 'kanson. Fille et la mere se sient a l'orfrois, A un fil dor i font orieuls croiz. Parla la mere qui le cuer ot cortois . Tant bele amor list Aude en Doon. 55 Aprenez bile a coudre et a bier Et en l'orfrois les oriex crois leuer, I .'amor Doon vos couient oublier. Tant bon amor fist bele Aude en Doon. Quant el ot sa cbancon chantee : 6o « Certes mult s'est bien aquitee, » Fet cil, (c ma dame uostre mere. "Certes, Nicole, biau doz frere; « Bien seroit la chose atiree « Se ma suer s'estoit aquitee. » 65 Ele sen sosril belement Et si set bien cerlainement Quel nen puet en mil maniere Escbaper, se por la proiere En veut riens fere de son frere. 70 « Ma bele bile, » fet la mere , « II vos esluet feste et honor « Fere au vallet lempereor. — 281 — « — Ma dame bon voeil ie ferons. » Lors commenca ceste chaucon : Chans, -jb 8iet soi bele Aye as piez sa male maistre *, Sor ses genouls un paile dEngleterre A un til dor i fet constures beles : He be amors d' autre pais Mon cuer auez et lie et souspris. 80 Aual la face li courent cbaudcs lermcs, Qel est batue et au main et au vespre, Por ce quel aime soudoier d' autre terre. He lie amor d'autre pais Mon cceur auez et lie et souspris. 85 Quant el ot cbante baut el bien : « Or ne me demandez plus rien. » « — Non ferai ge, ma bele suer, n Se la franchise de vo cuer « Ne vos en fjet dire par grace ; » 90 « — la ne voudrez que ie nen face, B Par cest couent dirai encore, » Fet cele qui la trece ot sore Et blonde sor le blanc bliaut. Lors commenca seri et baut : Clians. 95 La bele Doe siet au vent Souz laubespine Guion atenl Plaint et regrete tant forment Por son ami qui si vient lent. Diex quel vassal a en Doon , 1 00 Diex quel vassal , Deu quel baron ! Ja namerai.se Doon non, Com ez cbargiez com ez floriz A toi me mist plet mes amis, F° 75. Mes il ne veut a moi venir. io5 Dex quel vassal a en Doon, Dex quel vassal , Dex quel baron ! Ja n'amerai se Doon non. Quant elle ot ceste perfinie, « Or seroit ce sanz cortoisie, etc. 1 II faudrait mere pour le seas ct pour la rime. _ 282 — i i o Entre lui et ses compegnons Por le cleduit des oisellons Que chascuns fet en son buisson , De ioie out commencie cest son : Chanson. Lorsque li ior sont lone en mai, i 1 5 Mes biaus doz chant doisel de lone , Et quant me sui partiz de la , Membre mi dune amor de lone ; Vois de ca gens bruns et enclins, Si que chans ne flors daubespins 75 v". lao Ne mi val ne cuiuers gelas. Fet Nicole, ou mult a solas. Quant vint a la fin de son son , etc Alii dex com il se desuoie De ce qui plus li touche au cuer ! ia5 Cel ior fesait chanter la suer A un iougleor mout apert Qui chante ces vers de Gerbert : Chanson. Des que Fro 1 au veneor tenca, Li bons preuoz qui treslot escouta, i3o Tant atendi que la noise abessa; Sor 1'arestuel de lespie sapuia, Ou voit Fro pas ne le salua. Fromonl, dit il, ge sui de ciaus de la Gerbert missire qui a uos menvoia i 35 Par moi vos mande nel vos celerai ja, Que li enuoies Foucon que ge voi la Et Rocelin car amdeus pris les as; Et sil le nient, bien est qui prouera. La chancon Renaut de Bainieu2 \Uo De Rencien le bon chevalier, 1 Abreviation de Fromont. Ce passage est tire de la partic inedite de la chan- son de geste de Garin le Loherain. P. 2 A la marge : Renault de Benieu , de Rennes. — 283 — Por son cors plus esleecier, De ioie dou bon hachelier < Commenca lues droit a chanter. (.'haiison*. Loial amor qui enfin cuer sest mise, 1 45 Nen doit iames partir ne remouoir, Que la dolor qui destraint et iustise Semble doucor quant len la puet auoir; Qui en porroit morir en bon espoir Gariz seroit deuanl Deu en jo'ise, 1 5o Pur ce men lo quant plus me fet doloir. Or sachiez de fi et de voir Quil prent toz les mains (?) en bons grez; Et Jouglez qui estoit alez Querre le gentil chevalier ] 55 Angois quil entrast el solier, Quant il ot montez les degrez Del solier si sest escriez : Dole chevalier a Guillaume ! Ou est li deduiz dou roiaume, etc. F°76v°.i6o Or sachiez bien certainement Mult lor furent bel li chapel Son mantel soz son bras senestre. Tuit cil de la rue et de lestre Le resgardent a grant meruelle iG5 Quant Jugles li chante en lorelle : Chanson. Aaliz main se leva Bon ior ait qui mon cueur a ; Biau se vesti et para De soz 1'ormoi , 1 70 Bon ior ait qui mon cueur a N'est pas a moi. Ainsi sen vont tote la rue Bien de tant loig com . 1 . horn rue Ce leuoient les genz enconlre, 1 Cette chanson se retrouve deux fois, avec quelques variantes, au f° 71. Voy. Keller (p. 585). — Elle est conservt'e sans nom d'auteur dans plusieurs de? inanuscrits de Paris. — 284 — 175 Bone aventure et bone encontre. Pur^e qu'il doute la percoiure De lui et de ses compegnons Et Jougles lor a dit chancons Et fabliaux dus .in. ou mi. 1 80 Lempereres por lui esbatre Le rcuout de tant conforter Quil vcut ceste chancon chanter : Chanson. Mout me demeure que noi chanter La tourtre a l'entree desl6 180 Ausi com ge soloie Mes une amor me desuoie Et tient esgare ou iai mon pense; Quel lieu que onques soie. F° 78. Tant ont sor la coute de soie igo Enuoisie et fet lor deliz Que dient qu'irodt a lor liz. Fet li rois ausi irai gie Quant nos auromes pris congie, etc La bone dame de lostel 1 95 Dona trop bon fermail a cote : Gardez le bien fet il bel oste Qu'il vaut encore .xm. libres Ja nuls qui lait au col n'iert iures, S'il beuoit tot le vin dOrliens. a 00 Dit li bosles car fust il miens Ausi boi ie trop tote ior. La damoisele ot par amor Sa ceinture d'argent ferr^e Deloie , car el a chantee 2o5 Ouoec Jonglet en la viele Ceste chanconete nouele : Chanson. Cest la ius en la praele Or ai bone amor nouele : Dras i gaoit (?) Perronele. 2 1 o Bien doi ioie auoir Or ai bon amor nouele A mon voloir. — 285 F°79. A tref ouoec lempereor En biau pales sor la riuiere 2i5 Par biaus dons et par bele chiere, Li monstre bien quil nel het mie; II li remenbre de sa mie Que quil sont amdui a i estre Apuie a une feneslre ; 220 Iuglet vit deuant lui ester Ensi fet la cbancon cbanter : Chanson. Conlre le tens que voi frimer Les arbres et blanchoier Mest pris lalenz de cbanter 2 25 Si nen eusse mestier; Qamors me fet comparer Ce qonqes ne soi trichier; Nonqes ne poi cndurer A auoir faus cuer leger 280 Pur ce ai failli a amie. Li bons Guillaumes ne let mie S'enuoiseure por la soie ; H fist dun drap dor et de soic Au soir courir son beau purpoint, etc 235 Uns bachelers de Normandie Cbeuaucboit la grande cbaucie Commence cestui a chanter Si la fit Jouglet vieler : Chanson. F° 80. pLa bele Aiglentine 2^0 En roial cbamberine Deuant sa dame cousoit une chemise, Ainc nen sot mot, quant bone amor 1'atise. Or orrez ia Coment la bele Aiglentine esploita. 2^5 Deuant sa dame cousoit et si tailloit Mes ne coust mie si com coudre soloit 1 Cette jolie chanson est tres-corrompue clans le manuscsit du Vatican. Chaque couplet devait avoir quatre vers de dix syllabes et un refrain de deux vers ine- gaux. P. — 286 — Ele s'entroublie si se point en son doit; La soe mere mout tost sen apercoit. Or orrez ia a5o Comment la bele Aiglentine, etc. Deffublez vo sorcot Se voil veoir desoz vostre gent cors Non ferai dam (?) la froidure est la mors. Or orrez ia, etc. 2 55 Bele Aiglentine, qu'avez a empirier Qe si vos voi palir et tressner, Engroissier?. . . . Ma douce dame ne le vos puis noier Je ai aime . 1 . cortois soudoier, 260 Le preu Henri qui tant fet a proisier. S'onqes m'amastes aiez de moi pilic. Or orrez ia, etc. Coment bele Aiglentine ? . . . . Vos prendra il Henris 2 65 — Ne sai voir, Dame, car onqes ne li quis. Bele Aiglentine, or vos tornez de ci, Tot ce li elites que je li mant Henri S'il vos prendra, ou vos lera insi; — Volontiers, dame la bele respondi. 270 Or orrez ia, etc. Bele Aiglentine s'est tornee de ci Et est venue droit a lostel Henri, Li quens Henris se gisoit en son lit, Or orrez ia que la bele li dil. 275 Or orrez ia Sire Henri veillez vos o dormez ? Ja vos requiert Aiglentine au vis cler, Se la prendrez a moullier et a per; Oil dil Henris one ioie n'oi mes tel. 280 Or orrez ia, etc. Oit le Henris, mult ioianz en devint, II fet monter cbevaliers trus que xx — 287 — Si emporla la bele en son pays Et espousa, riclie conlesse en fist. 2 85 Grant ioie en a Li quens Henris quant bele Aiglenline a. F° 85 Quant de la foelle espoissent li vergier Chanson. Que lerbe est vert et la rose espanie 290 Et au matin oi le cbant commencier Dou roissignol qui par le bois sescrie, Lors ne me sai vers amors consellier Car onqes noi dautre ricbece enuie Fors que clamors, 2q5 Ne riens ne men puet fere a'ie. Ja fine amors ne sera sanz torment; Que losengier en ont corroux et ire , Ne ge ne puis servir a son talent Quele me voelle a son seruise eslire. 3oo le soufferrai les faus diz de la gent Qui nont pooir sanz plus, fors de mesdire, De bone amor, Ne riens fors li ne me p uet geter d'ire. Ces deux vers li fist pechiez dire, etc. Chanson. 86 v° 3o5 Si lapeloit on Cupelin, II li noloit chasqe matin Quant je li donai le blanc pelicon. Ele amast mout miex le biau Tierrion; He he, ge disoie bien, 3 10 Que la pastorele ne men ferait rien. Chanson1. 87 v°. Mout ama li rois le garcon De Braie selve vers Oignon, etc. Ie di que cest granz folie D'encercbier ne desprover 1 A la marge : Ele (cette chanson) n'est point en mon livre. — Cette note marginale et les precedentes que nous avons rapportees sont peut-etre de la maindeFauchet. — Cest le deuxiemc couplet d'une chanson d'AuboindeSezanes, pubiifo dans le Romancern franpnis de M. P. Paris. — 288 — 3i5 Ne sa mouliier ne sa mie, Tant come len la veut amer; Ainz sen doit on bien garder Dencercher par jalousie Ce qu'on ni voudroit irouer. 320 Sanz deduit et sans seiorncr Erra tant quil vint a Maience. Grant honor et grant reuerence Li porterenl li ciloien; Ni covin I pas Saint Julien 32 5 Aourer pour auoir hostel, etc. P89. Un ior li sosvint de la hole Qui porte le sornom de Dole , Qu'il 1'ot oi tant par parole : Onqes lie la virent si oeil , 33o Des bons vers celui de Sabloeil ' Monsegnor Renaut li souint , De grant cortoisie li vint Quil les commenca a chanter Pour sa dolor reconforler : Chanson. 335 Ja de chanter en ma vie Ne quier mes auoir corage, Ainz voeil miex cjamors mocie Por fere son grant doniage; Car james si finement 34o Niert amee ne seruie ; Por e'en chasti tote gent Qel ma mort et li traie. Las j'ai dit par ma folic, Ce sai de uoir, grand outrage ; 345 Mes a mon cueur prist enuie D'estre legier et uolagc. A! dame si men repent, Mes cil a tart merci crie Qui tant que peust atent. .'Sr>o Por ce ai la mort deservie. P 9G 1 En marge : Renault de Saliloil. — 289 — Chanson. Or vienent Pasques les beles en auril, Florissent bois cil pre sont raverdi; Ces douces eues reuirent a lor fd Cil oisel chanlent au soir et au matin ; 355 Qui amors a nes doit melre en oubli, Souent i doit et aler et uenir. Ja sentramoient Aigline et li quens Guis. Guis aime Aigline Aigline aime Guion. Souz un cbaslel qen apele Biaucler 36o En mout poi deure i ot granz bauz leuez , Cez damoiseles i vont por caroler, Cil escuier i vont por boborder, Cil cbevaliers i vont por esgarder ; Vont i ces dames por lor cors deporter. 365 La be!e Aigline s'i est fete mener Si ot vestu un bliaut de cendel , Qui granz ij aunes trainoit par les prez, Guis aime Aigline Aigline aime Guion. Ceste nert pas tote chanlee 3^0 Uns chevalers de la contree Dou parage de Danmartin Commenca cest son poiteuin : Chanson. Quant uoi 1'aloete moder De goi ses ales contre el rai , 375 Que so bece lesse cader, Par la doucor qel cors li vai , En si grant enuie mest pris De ce que voi A grant mirauile est que vis , 38o Del sens ne coi. Dont desier non fou; Las tant cuidoi savoir donor, Et point nen sai pas one d'amor. Non pou tenir celi 385 Dont ia prou nen amer Tol mei lor cor \ Et soi meesme et tot le mont , 1 Le manuscrit a apres ce vers : Et inl meisraea. WISS. SCIENT. 20 — 290 — El porlant el ne mosleront Fors desier ses cor volon. 3qo Quant ces ij furent bien fenies Des bons vers Gaulier de Sagnies Resouinl .1. bon bacheler Si les comenca a chanter : Chanson. Lorsque florist la bruiere 395 Que voi les pres rauerdier Que chantent en lor njaniere Cil oisillon el ramier, Lors sospir en mon corage Quant cele me feit irier l\oo Vers qui ma longue proiere Ne mi pot auoir mestier. Celui aim damor entiere. Dont iai le cuer dire plain , 1 Las ce mi fet estre en paine 4o5 Trop vilainement foloie Mes ce quil aime ne crient. Et qui (?) damors se cointoie Sachez quil naime vraimenl. Amors doi etre si coie !\ 10 La 011 ele va et vient, Que nuls nen ait duel ne ioie, Se sil n'ai qui la maintienl. Celui aim?... Et la cort sen vont a grant ioie k 1 5 Font les gens qui sont en la voie Diex cest li frere la roine, etc. Chanson. F°9'7 Cest la gieus, la gieus, qen dit en ces prez. Vos ne vendrez mie dames caroler La bele Aeliz i vet pur ioer 420 Souz la vert oliue, Vos ne vendrez mie caroler es prez Que vos namez mie. : Le trxte dc ce deuxicme couplet parait entieremrnt corrompu. — 291 — Si doi bien aler el bien caroler Car j'ai bele amie. \-2.~) Fet .] . quens , or ne voi ge mie Qe nus doievsi cesli dh*e. Com fet lempereres missire Voire el cesti resler il les Qui vaut mauues entremes : 97 v° 43o Cesl la gieus enmi les prez : Chanson. Iai amors a ma volente Dames i ont baus leuez. Gari mont mi oel Iai amors a ma volente 435 Teles com gevoel. Ceste li rest bone sans doute Or la puet chanler, qu'il a toule Honor et ioie a cest mengier, Ne sont pas a conler legier : !\ko Li mes tant en .1. ot divers De cenglers et d'ours et de cers Grues , jantes , paons roslis. Li seriant nont pas ces lionnis Qui orent porree an mouton , 445 Qui por le mai ert en seson Et gros buef et oisonj peuz Vins blans et uermeils ont euz Itex come cbascuns amol; Mult se saola bien et pot 45o En esgarder son grand barnage, Lempereres ot le visage De sa nouuelle couronnee, Buer lont ses gens si esgardee Quelles en aime miex et prise 455 Ses biaux freres si a bien prise Sor lui grant part de cele ioie. James ne quit que nus hom voie Plus gent cheualier quil ert lors, Que quil servi empur le cors 46o Au dois deuanl lempcreor, Diex s'or veisl a cele honor ao. La bone mere scs enfans, Toz les iors quele fust viuanz En fust assez plus en sante. 465 Has Dex ! com Jen a cieus basle Qui li vont la nouele dire. Li fil as barons de lempire Lues droit qen ol napes ostees Et les bacins plains d'eue cler< ^70 Frrament que li emperere Qui si ot este bien seruiz Ot laue el lempereriz, Et larceuesqes tot auant, Lors comenca demainlenant £75 La grant feste tote la nuit En bohorder et en cleduit, etc. Ch. DAREMBERG et Ernest RENAN. ( Lu suite des irponses aux questions de l' Academic a an des procliains numeros.) Extraits du Rapport de VAcademie des inscriptions et belles-httres sur le projet de mission preseute a M. le ministre de ['instruction publique et des cvdtes, par M. Minoide-Mynas \ M. Minoide-Mynas a demande recemment a M. le Ministre de l'instruction publique de vouloir bien lui accorder une nouvelle mission dans le Levant, ou il espere conlinuer avec fruit et com- pleter, dans I'interet de la srienie, les premieres explorations auxquelles il s'elait livre de i83y a i84/t2. M. le Ministre, en transmettant la demande de M. Mynas a M. le secretaire perpe- tuel de TAcademiedes inscriptions et belles-lettres, a temoigne le desir de connaitre l'opinion de la Compagnie sur les avantages que pourrait offrir un nouveau voyage du savant helleuiste. 1 Rapport lu dans la sdance du vendredi 19 avril i85o. - Missions ayant pour objet la recherche de manuscrits en Grfece, en Epire. en Thessalie et dans TArcliipel. (Arretes des 19 fevrier i84o et 10 mai i844.) — 293 — La commission que l'Academie a chargee de lui presenter un rapport a ce sujet s'est reunie vendredi dernier, et, apres avoir pris connaissance de la lettre ministerielle et du projet presente par M. Mvnas, elle a examine atlentivement les difFerentes pro- positions que ce projet contient, et vient voussoumettre, avec les observations qu'elles lui out suggerees, 1'avis quelle croit conve- nable d'adresser a M. le Minis Ire. L'Academie le sait : des deux missions que le Gouvernement franca is a deja confiees a M. Mynas, aucune n'est restee infruc- tueuse. Les resultats de la premiere ont dignement n'pondu a 1'at- tente du monde savant. Des bas-reliefs, un sarcophage, places au- jourd'hui au Musee du Louvre, un nombre assez considerable de manuscrits deposes a la Bibliotheque nationale, un traile de Phi- loslrate sur la gymnaslique, et les Fables de Babrius, qui, seules, sufliraient pour assurer a M. Mynas, qui les a decouverles, comme a M. Boissonade, qui en a ete le premier editeur, un honorable souvenir dans fhistoire de la litlerature grecque; telles furent, de i83q a i843, les conquetes du savant voyageur, et Ton peut dire qu'il a pleinement justifie la confiance d'un minis tre auquel les lettres et la science de fantiquite devront une elernelle recon- naissance. Si le second voyage n'a pas ete aussi fructueux que le premier, ce n'est pas a M. Mynas qu'il faut sen prendre, mais a un mal- heureux concours de ciixonstances qui font force de revenir avant le termc fixe. II a cependant, durant le cours de i8d4, recueilli trois traites de Galien , des scolies sur les discours de Demos- thenes et sur ceux d'Eschine, des inscriptions, une statue d'A- nubis, etc. et en outre quelques manuscrits ou fragments de manuscrits relatifs au droit "reco-romain: mais malheuieusement tout n'a pas ete rapporte en France. M. Minoide-Mynas a pour lui la connaissance des lieux, l'expe- rience de cinq annees d'exploralion. Grec de naissance et de re- ligion, il parle avec une (gale facilite le grec, le turc et le bul- gare; mais, ce qui est surtout pour lui une chance puissante de succes, ce sont ses relations avec le c'erge grec, auquel appartenait un de ses oncles, archeveque de Serres, en Macedoine , et ou il compte de nombreux amis , ses eleves ou ses condisciples. — 294 — Constantinople, File de Samos et le mont Athos out deja. ete exploiter par le voyageur. II est tres-vraisemblable que. s'il lui est possible, comme il l'espere, de penetrer clans les couvcnts grecs du mont Sinai, de 1'Egypte et d'Alexandrie en parliculier, il a cbance de faire d'importantes decouvertes et d'utiles acquisitions. On peut en dire autant de Patlunos, de Chypre, de Rbodes et surtout de la Crete, de ceux des couvents du mont Athos qu'il n'a pas encore visites, de la Thessalie, de la Thrace et de quelques villes de l'Asie Mineure, de Trcbizonde, par cxomple. Mais les cbances diminueraient, a mesure qu'il s'elnignerait des cotes. Le clergegrec, dans 1'interieur des terres, a oublie l'idionie ma';ernel ; il ne parle plus que le turc, et c'est avec un sentiment de profonde tristesse que le rapporteur de votre commission a entendu, a Ku- taya, un popos qu'il saluait en grec lui repondre gravement : Roamsche bilniem fje ne sais pas le grec). II n'en serait pas de meme dans la Grecc proprement dite. La bibliolbequed'Albenes s'est, dans ces dernieres annees, enricbie de donations nombreuses, parmi lesquelles figurent des manuscrits dont quelques-uns peuvent etre inedits. Le couvent de Megaspileon possede une centaine de manuscrits sur parchemin, presque tous ecclesiastiques, il est vrai, mais dont quelques-uns, notamment un Menologium, sont d'une epoque ancienne. II serait bon aussi de visiter le monastere d'Hagbios-Loukas, en Phocide, un des plus considerables de la Grece centrale, et qui a deja fourni des docu- ments curieux aux historiens du moyen age. M. Mynas fera sagement de seborner aux conquetes litteraires, et, meme en ce qui concerne les inscriptions, il prendra certaine- ment le meilleur parti en se contentant de les copier, ou mieux encore de les estamper, puisque c'est rapporter le monument lui meme, et sous le moindre volume. Si M. le Ministre de l'lnstruction publique jugeait convenable d'accueillir favorablement la demande de M. Mynas.. . . , il impor- terait de poser en principe que toutes ses copies et que toutes ses ac- quisitions sont la propriete de 1'Etat, et, comme telles, deposees a la Bibliotbeque nationale; que, cbaque annee, quatre rapports circonstancies seront adresses par lui au ministere, et que ces rap- ports contiendront un compte rendu de ses decouvertes ct de ses — 295 — achats. L'aceomplissement de ce devoir serait tout dans l'interet de M. Mynas, et ne pourrait que justifier la nouvelle preuve de confiance qui lui aurait ete accordee. Signe a la minute , Boissonade , Hase , V. le Clerc et Ph. le Bas, rapporteur. L'Acadtmiie adopte les conclusions du rapport. Certifie conforme : Le Secretaire perpeluel, WALCKENAER. Catalogue de la collection plastique et Spigraphique deM. Lottin-de- Laval, donne'e parM. le Ministre de V instruction publique et des cultes au Musee du Louvre. La collection plastique et epigraphique rapportee de i'Asie cen- trale et de I'Asie Mineure par M. Lottin-de-Laval , et acquise par 1'Etat, vient d'etre deposee au musee du Louvre par ordre de M. le ministre de l'instruction publique et des cultes, et conformement au decret du President de la Bepublique, en date du 16 mars dernier \ pour faire suite a la galerie Assyrienne. Voici le detail sommaire des richesses qui composent cetle pre- cieuse collection. Catalogue de la collection plastique et dpigraphique , rapporte'e de I'Asie [centrale et de I'Asie Mineure par M. Lottin-de-Laval. Persepolis. 1. Buste du roi (Xerxes), moule sur la partie supeVieure du portique est de la grapde salle. 2. Autre tete royale, tiree de l'un des pieds-droits de la chambre du roi des rois. Bien quelle soit horriblement mutilee, on dis- tingue encore des trous qui avaient ete pratiques dans la pierre 1 Voir page ig5 , livraison de mars des Archives. — 296 — pour v incrnster un bandeau ou une tiare de metal , ou peut-etre des pierreries. 3. Grande figure d'environ deux metres de hauteur, prise sur le pilier nord de la chambre royale : e'est mi suivant ou peut-eti e une suivanle du roi, car certaines parties de cette belle sculpture trahissent le sexe feminin. Elle tient dans sa main gauche une ban- delette; la droite, levee en fair, est mulilee, aiusi que le haut du visage. On dirait le point de depart de Tart eginctique. k. Grand bas-relief du soubassement du palais : char traine par deux chevaux, precede et suivi par six personnages qui portent des olfrandes. 5 a \l\- Neuf figures isolees, representant des seigneurs perses et medes, avec tiares et couronnes radiees. i5 et 16. Deux figurines d'un charmant style, quart de gran- deur, ayant toutes deux la bouche cachee par une draperie, comme les femmes persanes et baktiares la cachent encore aujourd'hui. L'une, qui est a genoux, presente deux coupes; l'aulre, debout, porte une cassolette. 17 et 18. Doryphores (gardes du roi des rois) amies de lances el portant le carquois au dos. 19, 20 et 2 1. Trois figures groupees ayant les bras eleves. Elles soutiennent la base sur laquelle repose le trone de Xerxes dans le portique sud-ouest de fimmense salle qui se trouve au nord de la chambre royale. 22. Fragment de ce meme porlique : figurine isolee et mutilee. 2 3. Une figure a mi-corps ayant le torse nu, et la barbe et les cheveux soigneusement tailles. 2 k. Personnage portant sur ses epaules un lion, qu'il tient par les pattes de devant. 2 5. Deuxbustes d'etrangers, les bras eleves : fun parait etre un Scythe; fautre, un Arabe syrien. 26. Buste d'un seigneur perse, coiffe d'une tiare recourbee , tournee a gauche. 27. Le roi combattant un griffon : grandeur colossale. Cette figure, que Ton designe actuellenient dans la Perse mendionale sous le nom de Djemschid, ce heros celebre du Schah-Nameh, presente un relief tres-considerable. — 297 — Inscriptions. 28, 29, 3o et 3i. Quatre tablettes descriptions pehlvi, mou- lees sur les piliers est de la chambre royale. 32 et 3>. Deux inscriptions , en caraderes koufiques tres-beaux, prises dans une fenelre de la chambre royale. 34. Inscription persane dile d'Ali. Les Persans 1'epellent avec une onction extreme; ils pretendent que leur saint imam la traca lorsqu'il se rendit a Kerbela. 35, 36 et 37. Trois longues bandes d'une inscription trilingue, en caracteres cuneiformes , relevee a 1'entour d'un takte de la chambre du roi des rois. 38. Grande inscription cuneiforme du soubassement ouest du palais. Elle est unique sur cette vaste facade couverte de bas-reliefs, et couronne )e massif de 1'escalier qui mene a la colonnade. 39. Inscription cuneiforme du soubassement de la chambre royale, au sud ouest. /40. Inscription cuneiforme de vingt-cinq lignes. 4i. Fragment important de treize lignes d'une inscription du systeine assyrien de Persepolis. Shapour. (Defiles du Kouzistan.) 42. Buste colossal du roi Sapor II, la tete ornee d'une cou- ronne radiee. Un globe la surmontait, mais il a ete brise dans it; voyage. 43. Tete coupee, qu'une main tient par les cheveux, et qu'une autre main soutient. 44. Tete de jeune homme, tiree du grand bas-relief royal. 45. Trois tetes de personnages, du bas-relief royal sud. 46. Grande figure de six pieds, appuyee sur une longue epee. 4y. Inscription mongolique, qui est tracee en sens vertical, pres de la tete tie Sapor (bas-relief de l'ouest). On croit quelle fut eciile par Timour, lorsqu'il envahit la Perse meridionale. Ninive. (Rhorsabad.) 48. Tete de roi coloriee, demi-nature. /19. Buste colossal dc pretre assyrien. — 298 — 50. Figure entiere, demi-nature, de pretre assyrien. — Vehe- ment frange, tres-riche. II tient de la main gauche une espece de lotus. 5 1 . Tete colossale d'eunuque. 02. Tete de guerrier, avec bandeau. Haut de l'epaule couvert d'une peau d'animal. 53. Tete colossale, tournee a gauche. Bonnet d'etoffe, semblable au morlier italien du xve siecle. 54- Tete de guerrier assyrien, avec casque. Inscriptions cuneiformes. 55, 56. Deux grandes inscriptions, prises dans Tun des pas- sages du palais, au-dessous d'un bas-relief. 57, 58. Deux autres, en caracteres qui semblent plus anciens. 59. Inscription d'environ huit pieds de longueur, moulee au- dessus d'un bas-relief. 60. Grande inscription moulee sur un des taureaux a tete hu- maine. 61. Fragment de trois ligoes d'une inscription cuneiforme, en caracteres tres-larges. 62. Brique colossale, avec une inscription de cinq lignes. KoioNDJUK et muraille de Ninive. (Babylonie.) Briques avec inscriptions. 63 a 1 16. Cinquante-quatre briques, dont cinquante-trois por- tent des inscriptions cuneiformes. Une seule, designee sous le n° 71, porte une inscription samaritaine et a ete prise sur la mu- raille medique. Les autres ont ete copiees aux endroits suivants : Koiondjuk, — Muraille de Ninive, — Birs-Nemrod, — Ctesiphon , — Babylonc, — Sit ace, — Jardins de Semiramis, — Mujellib6, — Artemisa, — El Casr, — Tourde Babel, — Cunaxa, — Babil, temple de Beus, — Seleucie du Tigre, — Desert de Sitacene, — Kotcho — Ninive. 117. Cylindre assyrien trouve a Opis, ville ruinee, sur les — 299 — bords du Tigre. Ce monument, qui est de la plus haute impor- tance philologique, est sexagone et a 5io lignes de caracteres cuneiformes. 118. Autre epreuve du meme cylindre. 119. Pierre d'angle trouvee a Casr, a Babylone. — Trois lignes description, du systeme assyrien. 1 20. Fragment de basalte noir, trouve a Akerkouf. 121, 122, 12.3. Inscriptions persanes, provenant du palais de Casr-Kadjar. Ornemenls arabo-perses , etc. etc. 12/i. Detail d'une porte (harem de Sala Beg, a Baghdad). 125. Detail du harem de Mirza reza Khan, a Schiraz. 126. Frise seldjoukide, prise a Mardin. 127. Detail du harem de Habid-Beg, a Damas. 128. Frise prise a Mardin. 129. Long fragment d'arabesques (Habib-Beg, a Damas). 1 3o. Detail d'une fenetre de Bassora. i3i. Detail dune fenetre, pris a Ispahan. 182. Fragment d'un palais a Verami (Kborassan occidental). i33. Fragment d'une inscription de Khorsabad. i3/i. Tete assyrienne (fragment). Lettt.e de M. Lottin-de-Laval , charge" d'une mission scientijique an Sinai, a M. le Ministre de I'instruction publique 1. Au pied de 1'Horeb,. . . . mars i85o. Monsieur le Ministre, Me voici arrive au coeur de la presqu'ile arabique, et je m'em- presse de vous rendre conrpte des resultats obtenus par moi jusqu'a 1 Cetle lettre est un peu anterieure a celle qui est datee du mememois, et qui a paru clans notre livraison d'avril. — 300 — Ce jour pour la mission dont vous m'avez fait l'honueur de me charger. Le bey de Suez m'ayant fait proposer sa barque pour ni'eviter de contourner I'extreniite du golfe et les iagunes, j'ai envoye mes JBl-c1< )Liins m'altendre aux celebr s fontaines d<- Moi'se , de sorte que j'ai gagnc nn jour et pu faire quelques sondages a la maree haute, chose essentielle par rapport a certains passages de la Bible. De riches S\riens, agents consulaires a Suez, ont utilise beau des Fontaines; trois jarclins, enchanteurs pour l'Aral.ie, ont surgi des sables, et le voyageur peut s'y abriter a 1'ombre de beaux ta- rnarises; beau de ces sources est tres-acre, plus salee meme que celle de la mer Caspienne; une seule est potable, en Arabie seu- lement, car elle contient lant de sel que mes zemzemies en cuir sont brides el tout blancs depuis huil jours que je hois de celte eau. Je me suis dirige au sud-sud-ouest pour gagner le desert de Sin et Tor, 1'antique Phenicon. J'ai eu de la pluie les deuxieme et troi- sieme jours depuis el-Aioum; il neigeait sur le groupe des monts Sinai, et quand je suis entre dans cet affreux Gah-el-Tor, j'ai ele assailli par une effroyable tempete qui a dure pendant les cinq jours et les cinq nuits que j'y suis reste. L'atmosphere n't- tail que sable, et le vent du nord me glacait. On ne voyait pas un cha- meau a trois pas, et il ctait impossible de se faire entendre. Les Hebreux furent plusheureux que moi dans ce desert; ils avaieut du moins la ressource de la marine. J'ai gagne Tor a grand peine. Un geographe moderne en fait une ville de trois a quatre mille ames, ties curiense et tres-inte- ressanle. Tor, nomine par les Arabes Szaoualii.v-el-Tour, possede dix a douze maisons seulement, baties avec les plus beaux ma- drepores du monde, il est vrai , bien qu'elles soient fort sales et tres-laides, et un musulman et un cbrelien du Sinai' <|ui ven- denl quelques rares pro\isions aux navigateurs de Djedda et de Massaouah. De Tor, j'ai remonte le desert jnsque vers Raz-Mohammed , afin de sonder la longue chaine du Faratul, et je me suis ensuile dirige vers la fameuse vallee d'Hebrou. Jusque-la rien de curieux, rien d'interessant pour la science, sinon les grands souvenirs de la Bible. J'elais desesptic' — 301 — Je me rappelais avec tristesse les paroles d'un voyageur distin- gue qui m'avait assure, au Kaire , que je ne trouverais que deux ou trois bas-reliefs a Magarra et quelc/ues inscriptions tres-frustes a Mokattab, niais que cela ne valait pas les fatigues d'un voyage aussi rude dans cette saison. J'arrivai a Wadi-Hebron tres-malade, et je remontai le defile de granit. C'est la qu'ii eut fallu venir cbercherle socle du tom- beau de J'empereur Napoleon, car c'est bien certainement le plus beau granit du globe. La je trouvai les premieres inscriptions de cette langue inconnue qui va encore agrandir le domaine de la science, deja si vaste. J'ai releve geographiquement la route, fouillant cbaque wadi, et j'ai explore successivement le diar Frangui , les wadi Cedre, Guene, Magarra, la plaine des Quatre-Wadi , Mokattab, Nebek, tout, I'oue^t de la presqu'ile arabique , et, dans ces vallees pro- fondes, j'ai moule ou releve plus de trois cents steles, bas-reliefs et inscriptions. La moisson recueillie a wadi Magarra (litteralement la vallee des grottes) est fort importante , Monsieur le Ministre. La elaient les ceiebres mines de cuivre exploitees dans 1'antiquite par les Egyptiens. Un voyageur m'avait assure qu'il n'existait la que trois monuments, dont un tres fruste; mes Bedouins indigenes parta- geaient cette opinion, et , en effet, ils ne me firent voir que ces bas-reliefs. Je me preparai aussitot a mouler ces precieux restes, mais ce n'etait pas cbose facile; tout cela est au milieu d'un chaos inextricable. La montagne est presque coupee a pic et toute com- posee de rochers ecarteles ou de debris de gres rouge qui se brisent ou glissent sous les pieds. A cela venaient se joindre des rafales impetueuses soulevant des nuees de sable qui faisaient vaciller mes freles echelles liees avec des cordes, et cela quand j'etais a vingt-cinq pieds de baut , avec 1'abime au-dessous de moi. Malgre les indications du Kaire et l'assurance positive de mes Bedouins, je me dirigeai vers le nord de la montagne, et, en cher- chant a descendre dans un souterrain, j'apergus un couloir tres- etroit, obstrue a dessein par d'enormes debris de rochers ou je _ 302 — cms enlrevoir une espece d'encadrement. Je le deblayai a grand' peine avec mes leviers, et la, et dans le voisinage, je trouvai neuf inscriptions egypliennes en signes demotiques et hyeroglv phiques, et un bas-relief royal avec des cartouches superbes. Dans ce meme couloir, on a martele completemenl deux inscriptions qui, probable men t, donnaient des louanges immerilees a quelque rnauvais roi. J'ai moule tout cela, ainsi qu'une autre belle inscription qui se trouve sur un rocher isole de la wadi Guene. Jusqu'ici, Mon-' sieur le Ministre, tout ce qui pouvait se mouler la etc; le reste, quand le granit etait a peine gratte, je l'ai copie avec la fidelite dela stereotypie.L'habitude que j'ai du crayon m'a ete d'un grand secours pour relever ces ecritures mysterieuses. Pococke, qui a vu quelques unes de ces inscriptions, dit qu'elles ont ete peintes sur le granit avec un mordant, etc. Mon voyageur m'a repete la nieme chose : en face des monuments , j'ai trouve cela un peu naif. Le granit le plus dur ne selaisse pas facilement corroder par les acides; il ne cede qu'au feu et a l'acier, et, pour ces inscriptions, il a cede a l'acier et au granit. Toutes, elles ont ete gravees avec des ciseaux ou des poincons, mais surtout piquees avec les pieux des tentes ou des hachettes aigues en granit. L'as- sertion que j'avance sera facilement prouvee par mes moulages, car plusieurs creux reproduiront des inscriptions inachevees. J'ai releve dix-sept inscriptions dans Hebron ; bien qu'elles ap- partiennent a la meme langue cpie celles de Mokattab et de Cedre, j'ai reconnu deux nouvelles lettres, ce qui, neanmoins, complique peu 1'alphabet, qui est beaucoup plus modeste que 1'assyrien; parmi les inscriptions de la plaine des Quatre-Wadi , il s'en trouve plusieurs dont les lettres sont toutes liees entre elles, comme dans 1'ecriture sabeenne dont j'ai pu me procurer quarante-six carac- teres, il y a cinq ans, dans l'Arabie deserte; et generalement ces inscriptions attestent une calligraphic tres-avancee. La plus belle de toutes n'a pu etre moulee, a cause de ce vent maudit qui souffle sur l'Arabie depuis seize jours; mon 6chelle oscillait comme une branche de palmier, et, bien que j'aie recommence mon travail a qua tre reprises differentes, il m'a fallu y renbncer. Nous aurons neanmoins cette inscription, et tres-exacte, mais pas en platre. Je vais partir pour une wadi que nul Europeen n'a visitee, et qui doit receler des inscriptions nombreuses; puis je visiterai le — 303 — couvent, le Djebel-Mousa, et, de la, j'irai fouiller le sud-ouest de la presqu'ile, alin d'arriver a la hauteur de 1'archipel des Pirates pour remonter, vers l'est-nord, le golfe Elanitique dans toute sa longueur. C'est une contree completement iucounue, et j'espere que la providence me viendra encore en aide. J'ai l'honneur d'etre avec un profond respect, Monsieur le Ministre, Votre tres-humble et tres-obeissant serviteur, LOTTIN-DE-LAVAL. NOUVELLES DES MISSIONS. Par arrete de M. le Ministre de Instruction publique et des cultes, en date du 21 mai i85o, M. Minoide-Mynas a ete charge d'une mission nouvelle, dans le but de continuer et de completer ses premieres explorations. Cette mission aura pour objet la re- cherche des manuscrits et des documents originaux dans les cou- vents grecs du mont Sinai et d'Alexandrie ; dans les iles de Pathmos, de Chypre, de Rhodes et de Crete; dans les couvents du mont Athos, de la Thessalie, de la Phocide, de la Thrace et de 1'Asie Mineure. M. Lottin-de-Laval est de retour en France , apres avoir heu- reusement accompli la mission au Sinai dont il avait ete charge par M. le ministre de I'inslruclion publique et des cultes. Les nombreux et importants resultats de cette nouvelle mission seront 1'objet de prochaines communications inserts dans les Archives. — 304 — Par arrete de M. le Ministre de 1'instruction publique et des cultes, en date du 27 niai 1S00, ML Eugene De Montlaur, cor- respondantdu ministere pour les travaux bisloriques, a ete charge, sur sa demande, d'une mission gratuile en Espagne, ayant. pour objet de recbercher dans ce pays des maleriaux pour une suite d'etudes relatives a la litterature du midi cle I'Europe. Un arrete de M. le Ministre de 1'instruction publique et des cultes, en date du 23 niai i85o, a prolonge de deux mois la mis- sion confiee a M. Haistutte , docleur en droit1, afin de le mettre a meme de completer les nombreux documents qu'il a deja re- cueillis sur les universites d'Angleterre et d'Ecosse, en meme temps que sur 1'organisation et la situation dc renseignement pri- maire dans la Grande-Bretagne. D'un autre cole, M. Lorain, recteur honoraire, connu par sa haute experience des questions de l'enseignement, a bien voulu, a la demande du ministre, mettre a profit un sejour en Angleterre pour etudier l'organisation et les statuts de la celebre universite d'Oxford , et il en a fait lobjet dun rapport special ou sont consignees ses observations. 1 Archives des missions, page 76. MINISTERS DE ^INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES. ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. VI" CAHIER. Nous avons publie, dans notre numeVo de fevrier, le rapport de 1'Academie des inscriptions et belles-lettres sur le projet de mission en Chine, forme par M. Arthur Smith. Nous croyons de- voir puhlier aujourd'hui la lettre par laquelle M. Smith a demandee cette mission au Ministre et qui nous a paru contenir d'utiles ren- seignements, Paris, le 8 novembre 1 84p. Monsieur le Ministre, Depuis la loi de finances de 18^2, qui attribua au budget de Tinstruction publique un credit de 112,000 francs pour frais de missions scientifiques et litteraires, plusieurs voyages importants ont ete entrepris, sous les auspices du Gouvernement, dans les deux Ameriques, en Grece , en Asie Mineure, dans l'lnde meri- dionale, en Egypte et sur le continent europeen; mais Textreme MISS. SC7ENT. 2 1 — 306 — Orient (et, par cetle expression, je designe la Chine, les region.' Indo-chinoises et le Japon) n'a ele 1'objel d'aucune exploration speciale1. Aucun voyageur, que je sache, n'a reclame l'appui du Gouvernement francais pour visiter, dans uo hut d'utilile scieu- tifique, cettc vaste contree de la Chine, si peu connue encore, et qu'il imporlerait tant de connaitre. C'est cepays, si imparfaitement explore jusqu'ici, que je vou- drais visiter sous les auspices de votre administration. Je me suis prepare patiemment, pendant plusieurs annees, au voyage dont je viens vous soumettre le projet; j'en ai prevu les details, calcule les resultats possibles, envisage les dillicult.es avec la pensee cons- tante du devouement sans reserve qu'il fallait apporter dans une pareille entreprise. Mon plan comprend deux points principaux : / * 4 — — y i° L'etude comparee du Kouan-Jwa |=J ss, ou langue chi- noise vulgaire, et des idiomes provinciaux de la Chine, en vue de completer, en le reclifiant, un vocabulaire auquel je travaille, et dont le manuscrit est pret en grande partie; 2° L'observation exacte et minutieuse des moeurs et des cou- tumes , appliquee a une ville importante de la Chine , ou je resi- derais pendant quelque temps. Sur le premier point, Monsieur le Ministre, permettez-moi d'cntrer dans quelques developpements. Depuis 1839, je me suis adonne sans relache a l'etude de la langue chinoise vulgaire. Des le principe, j'avais rassemhle les materiaux d'un vocabulaire-, mais 1 Je ne parte pas de TaHocation lemporaire conceded a M. Callery pour 1'aider dans la publication de son Dictionnaire encyclopedique dc la langue chinoise. Macao, 1 845, tome I, grand in-8°. N. B. M. Callery avait etc ddlcgu^, par arretd du 3 d<''cembre 1842, pour corresponds avec le ministere de i'instrucliom publique sur 1'etat de la lilteVa- ture, des sciences, des arts et de I'dconomie politique en Chine, et tel £tait 1'objet special de 1'allocalion qui lui avait iti accorded sur les fonds de ce de- partement. (Redaction des Archives.) 2 Le Dictionnaire chinois , francais ct latin, du P. Basile de Glemona, public par de Guignes fils (Paris, 1 8 1 3, grand in-P), est difficile a consulter pour un commeneant; les mots cherches sont seuls imprim6s en caracteres chinois, et les polysyllabes, ainsi que les phrases d'exemples, ne sont repre- sents que par une transcription en lettres latines. De plus , l'ouvragc coute environ 80 francs. Quant au Dictionary of the Chinese language in three parts, dc R. Morrison, Macao, 181 5-23, 5 vol. grand in-8"; A ["Arte China, du P (inn — 307 — je n'ai pas tarde, malgre les secours que m'offraient les plus ce- lebres sinologues, a reconnaitre 1'impossibilite de terminer nn ouvrage de ce genre, sans m'elre initie, surles lieux memes, anx details de la vie publique et privee des Cbinois, et sans avoir ac- quis l'habitude pratique de leur langue. Dans cet ordre de recher- ches, voici quel serait mon plan : je suivrais les deux grandes divisions qu'on peut altribuer au ehinois vulgaire, a savoir le Peh-kouan-hoa JQ J=J pft\ ou ehinois du Nord, que Ton parle a Pen-king, et le Nan-kouan-hoa p£j |EJ p?j» ou cbinois du Midi, qui a cours a Nan-king , etje recueillerais avec le plus grand soin toules les differences de prononciation et d'idiotisme que pre- sen tent ces deux principaux dialectes; puis, passant a 1'etude des dialectes particuliers et des ^§|) "a^ Hiang-t'an, ou patois locaux, que possede cbaque province de la Chine I, sur lesquels on a en- core si peu de donnees, et dont la connaissance serait de nature a jeter tant de lumiere sur plus d'une question interessante d'eth- nographie et d'histoire , je tacherais de combler, pour les localites ou je m'arreterais, des lacunes si regrettables, etje n'aurais qu'a me guider, dans cette partie de ma tache, sur les publications dont les provinces de Kouang-tong (Canton) et de Foh-kien ont ete 1'objet2. calves, Macao, 1829. in-i°, et a son Diccionarw china-portuguez e porluguez-chinu, Macao, 1 83 1-33, 2 vol. in-i°, peu de personnes peuvent acquerir ces excellents livres, a cause de leur prix trop clevei (3 a l\oo francs). Le Chinese andenqlish dictionary, public par Medliurst, Batavia, 1 843 , 2 vol. in-8°, pr<5sente a peu prt's les memes inconvenienls. Je ne parlerai pas du Systema phonelicum scriptnree si- nicen, de M. Callery, Macao, i8ii, grand in-8°, ni du Vocabularium sinicum, de M. G. Scholt, Bcroiini, i8A4, in-4°, qui ne peuvent servir a 1'etude du ehinois vulgaire. II manque done un dictionnaire accessible aux eleves de 1'Ecole des langues orientales, suffisamment etendu et au niveau des derniers progres de la pbilologie cbinoise. C'est ce travail que j'ai entrepris en prenant pour guide le English and Chinese vocabulary, in the court dialect, de mon ami W. Williams , Macao, 184 1, in-8°, et surtout la precieuse Notitia UnyiMc sinicw, du P. Premare, Malacca, i83i, in-4°. 1 Cf. Rob. Tbom, Esop's fables ivritten in chincse. Canton, i84o, grand in-8°, Introd., page vu et sqq. , et M. Bazin , Principcs generaux du ehinois vulgaire, Pa- ris, i845, in-8°, pages 5-ig, 57, 108 et sqq. 2 Le Foh-kien et le Kouanie des eaux se maintient a une lieue de distance environ du rivage de la mer Noire , depuis le Bosphore jusqu'au lac de Derkos; par- venue au meridien de Aiakerdin, elle s'eloigne de la mer, con- tourne le lac a 2 ou 3 lieues de distance et va se rattacher aux contre-forts des montagnes de Serai. Passons aux accidents du sol qui forme la bordure orientale Limites du bassin de 1'Erghene. Cette bordure, clirigee du N. E. au S. O., atw!;* presente a son sommet un large plateau, a surface legerement del'Ersbeu" ondulee, couverte de gazon ou parsemee de bouquets de chenes, et dont la ligne de faite so trouve a une distance de 3 a 5 lieues au plus du rivage de la mer de Marmara; sa hauteur generale est de i5o a 200 metres ; ce bourrelet se reunit aux collines qui ope- rent, au S. O. du lac de Derkos, le partage entre les deux mers. Au point de jonction se trouvent les sources du Tchorlou-dere, I'affiuent le plus oriental de 1'Erghene. II ne me reste plus a decrire que la contree monluousc du Tekir- i^ir j ,1.. dagh, forman t le bord meridional du bassin. la chains «6ticre. — 316 — Montagues Le ,)eijt .rpoupe de montagnes situe en Ire Ganos et Achiklar, etd'AchiUar. au S. S. O. de Rodosto (en lure Tekir-dagh), conslitue la parlie la plus elevee de la contree et depasse 700 metres de hauteur ab- solue. 11 figure sur la carte sous le nom de Kagri-dagh ; a ce noni, eompletement inconnu dans le pays, je substituerai, pour eviter toute equivoque, celui de raoulagnes d' Achiklar ou montagnes de Ganos. Ce petit pinacle forme le noeud auquel viennent se ratta- cher quatre lignes de faite , savoir : chalna i° Au N., le plateau precedemment clecrit; (i.iiipoii. 20 Xu S. O., Farele dont le prolongement horde, d'un cote, le canal des Dardanelles et, del'autre, le golfede Saros. Cette petite chaine, composee d'une serie de protuberances de hauteur tres-inc gale, subit un grand abaissement entre Kavak et Aximil; puis elle se releve graduellement, et va former les basses montagnes com- prises entre Gallipoli et les chateaux d'Europe. chaiuc 3° A. TO. S. O. , l'arete qui s'etend sans interruption depuis goife d'Enos. son point de depart jusquaux environs d'Enos, passe a 4 heues au S. de Malgara et de Kechan, et separe les golfes d'Enos et de Sa ros. La partie orientale de cette chaine presente generalement des cimes decoupees a formes hardies, et dont l'altitude parvient a hbo ou 5oo metres ; la partie mediane, beaucoup plus basse, af- fecte une structure mamelonnee et decroit de hauteur en avancant vers TO.; i'extremite occidentale se compose du petit massif tra- chytique decrit dans mon premier rapport. A partir de la petite vallee de Magaris , la cote est bordee de pentes boisees, rapides, ravinees et depourvues de routes. Pour arriver au petit port de Ibrijde (Xero des Grecs), pres duquel n'existe pas une seule habi- tation x, il faut, quel que soit le point de depart, traverser neces- sairement la chaine. Cette derniere ne donne naissance qua des ruisseaux insignifiants, dont le lit reste a sec en ele; la seule ri- viere qui se jette dans le golfe de Saros, descend des montagnes de Ganos et prend son embouchure entre Kavak ct Kadikeui (Evretche des Turcs)2. 1 II n'existe pas dc village du 110111 d'tbridje ni de Xero : le. port est dt'signe. d'une maniere par les Turcs et d'une autre par les drees. 5 La carle donne h tort le nom d'Avracha au xilln^ d'Eraklista, siiue sur la iner di Marmara. 1'Ergh, — 317 — 4° A TO., la liene tie faite ciui passe a une demi-lieue tie Mai- 1?or,l}uie1 gara , a 2 lieues au N. tie Kechan, et dont l'extrimile- occitlentale Ju va s'abaisser au S. d'lpsala. Celte ligne sert tie point de partage QdoP°. voisins de Tangle droit. Parmi les accidents qui se rapprochent de la direction N. S., je citerai notamment , savoir : )° La chaine du Perin-dagh; i° La chaine du Dospat-Iailassi; 5° La chaine du Kodja-Iaila. Parmi les accidents voisins de la direction E. 0. , les plus re- marquables sont : i° La chaine du Karlik-dagh; 2° La chaine septentrionale du bassin de l'Arda; 3° Le systeme meridional de la Maritza, represent6 par quel- ques cretes, et principalement par les escarpements , et les talus rapides des contre-forls qui viennent se terminer a la vallee de la Maritza. L'avantage de designer brievement un ensemble de cimes ou de montagnes reli6es entre elles et disposees sur une ligne a peu pres reguliere m'engage a donner aux grandes rides precitees le nom qui s'applique plus particulierement a fun de leurs sommets, ou le nom de la vallee qu'elles dominent. II n'existe pas dans le pays d'expression pour designer le prolongement de ces princi- paux systemes. S. I. Chaine du Pe>in-dagh. La chaine du Perin-dagh , qui comprend les cimes les plus ele- — 320 — vees cle la Turquie d'Europe, s'etend depuis le parallele de Sama- kov jusqu'a celui de Seres, et separe les vallees de Slrouma et du Karasou l. Les sommites dont elle se compose sont decoupees en domes plus ou moins surbaisses , en pitons aigus et quelquefois en cones plus ou moins reguliers. Plusieurs groupes cle montagnes viennent, comme des con tie -forts , se rattacher afaxe du systcme; j'aurai soin de les faire connaitre en procedant du N. au S. Rilod«gb. La partje ja p]us remarquable de cette chaine par son eleva- tion, et par ses cimes hardies et sauvagcs, forme, a son extremite septentrionale, un angle presque droit avec sa direction generale, et porte le nom de Rilodagh. La crete, profondement dechiree, de cette grande arete fournit de nombreux torrents qui s'ecoulent, d'un cote, dans le bassin de Doubnitza; de l'autre, dans la vallee du monastere Rilo, et qui vont se jeter clans le Slrouma, tan- dis que son extremite orientale donne des affluents a l'lskra. Les cimes les plus elevees paraissent depasser la hauteur absolue de 2, Goo metres. Le col qui sert de communication entre Sa- makov et le monastere Rilo n'est praticable que pendant quatre ou cinq mois de l'annee, et parvient a la limite superieure des arbres verls (entre 1,800 el 1,900 metres). Lorsque Ton considere le Rilodagh du haut du mont Vilocha, situe au S. O. de Sophia et au N. 0. de Samakov. il se presente sous des dimensions colos- sales, bien que le point d'observation atteigne a une altitude de plus de 1,800 metres. Son entourage tend a faire ressortir encore ses formes elevees. Ainsi, des contre-forts de 1,000 a 1,100 metres rattachent le mont Vitocha au Rilodagh, et servent en meme temps de separation entre deux bassins ou plaines qui s'etendent a la base des escarpements de la derniere montagne. Le fond cle la plaine, qui se ferine au defile de Doubnitza, est oriente cle 1'E. a TO., presente une longueur cle quatre lieues sur une demi-lieue de large, et se lie a 600 metres environ au-dcssus du niveau de la mer. Le fond cle la vallee, arrose par un affluent de l'lskra, se dirige de TO. N. O. a 1'E. S. E., offre une longueur de G lieues sur 2 a 4,ooo metres de largeur. Son elevation absolue est d'environ 1 Bien que Tanck-n Strymon soit indifKremment appele' Strouma et Karasou , je rcservcrai le nom de Karasou (eau noire), qui s'applique a plusieurs rivieres de la Turquie, au cours d'eau qui ariose la vallee de Raslouck et de Ne\rekop. — 327 — 85o metres au pied da uiont Vitocha, et do 760 metres a Sa- makov. En se rendant de Kostendil a Doubnitza, on est egalement frappe a la vue des escarpements du Rilodagh, qui surgissent a une si grande hauteur au-dessus de tout ce qui les avoisiue. Au S. E. du Rilodagh se presente un massif de cretes decoupees, Ddmir-Kapou- dont fensemble est dispose de TO. al'E., et que j'appellerai, du nom de Tune d'elles, Demir-Kapou-Tepessi. Le versant meridio- nal de cette sommite donne naissance au ruisseau de Belitza, tri- butaire du Karasou; le versant oppose a un affluent de l'lskra, qui debouche dans la plaine, a une lieue au N. de Samakov. Le groupe de Demir-Kapou renferme les sources les plus eloignees de la Maritza; il presente, au S. de Bania, des pentes escarpees qui dechirent des vallees taillees presque a pic, et que dominent des cimesde plus de 2,000 metres. Un contre-fort, dont le plateau superieur s'eleve a 10,000 metres (5oo metres au-dessus de Bania et 25o au-dessusde Samakov), relie sa base aux montagnes d'lch- liman, qui font partie du Grand-Balkan, et forme la separation entre le bassin de l'lskra et celui de la Maritza. D'autres contre- forts rattachent a la chaine du Dospat-Iailassi le massif du Demir- Kapou-Tepessi, qui, par consequent, joue un role tres-imporlant dans forographie de la contree. Le Iel-Tepe forme, apres le Rilodagh, le groupe le plus haut de ioi-Tcpe la chaine. Sa principale sommite, placee au centre de plusieurs series de cimes moins elevees, parait atleindre a une altitude de 2,3oo metres, et se montre au S. E. de Djoumaa et au S. de Ras- lack. Considere de la vallee du Karasou , dans les environs de Djoumaa, ce groupe presente aux regards une masse conique im- posante, reposant sur une vaste base formee par ses contre-forts. Son revers septentrional horde la plaine de Raslouk d'escarpe- ments orientes environ de TO. a l'E. Le bassin qui se deploie a la base de ces talus abruptes offre, a l'altitude de 65o a 700 metres , une longueur de 5 lieues sur une lieue de largeur. Le Iel-Tepe donne naissance aux principales sources du Karasou , et fournit au Strouma un tributaire important, le Tchenarlidere (Schenadi- derede la carte). Nous arrivons a un quatrieme groupe de cimes , dirigees , comme Porin-dagh. Ic-gli — 3*28 — les precedentes, a peu pros de l'E. a I'O., et plus parlicuiierement designees sous le noni de Perin-dagh. En appliquant a loute la chaine N. S. cette denomination , je n'ai fait qu'augmenter le nonibre des somniites comprises sous cette designation; car un grand nonibre d'habitants du pays rangent le Iel-Tepe parmi les cimes du Perin-dagh : tel est le motif qui m'engage a donner ce nom a toute retendue de la cbaine N. S. Le groupe dont je m'occupe verse la plus grande partie de ses eaux dans la vallee du Strymon, auN. de Melnik, et le resle dans celle du Karasou, au N. de Nevrocop. Cette derniere ville est si- tuee au pied de 1'extremite orientale du groupe , a Tissue d'un tor- rent et a un cmart de lieue du Karasou. L'allitude des cimes les plus elevees parait depasser 2,000 metises; celle de Nevrokop elant de 4 00 metres environ. Viennent ensuite lesmonlagnes de Singhel, puis le Tcharli-Bal- kan , et dans leur intervalle la vallee de Kourchova , dans laquelle se reunissent les sources du ruisseau qui passe a Demirhissar et se rend au Karasou. Ges contre-fortsparviennent a une hauteur d'en- viron 1,200 metres. Le Tcharli-Balkan presente a sonsommet un vallon boise qui sert de sejour d'ete aux babitanls de Seres. Un torrent descend du revers meridional de cette crete , et coule au pied des ruines de la forteresse de la ville precitee. On peut passer de la vallee de Kourchova sur le revers oppose de la chaine N. S. par un col ouvert a une hauteur absolue d'au moins 1,000 metres, et qui domine au N. le mont Ala-Boutouch, sommite calcaire de forme triangulaire, se terminant en pointe completement denndee, el montant a une altitude cVenviron 1,700 metres. La vallee dans laquelle on descend, de fautre cote du col, conduit, en quelques heures de marche, dans la plaine elevee de Lissa, dont il sera question tout a lheure. L'extremile meridionale de la cbaine N S. se termine au sys- teme du Bos-dagh. La cime la plus elevee de ce groupe, placee presque au N. de Drama , et dont les bases septentrionale et orien- tale sont baigneespar le Karasou, paraissent parvcnir a 2,000 me- tres au moins au-dessus du niveau de la mer. Les autres somniites, separees par de profondes echancrures, et qui se prolongenl au — 329 — N. E. de Seres, se tiennent enlre i,5oo et 1,800 metres, el servent a isoler la haute plaine de Lissa de la vallee basse et presqne circulaire de Drama. Deux cols principaux etablissent une communication entre ces deux cavites 1; leur altitude est probablement inferieure a celle du passage du mont Sminitza , qui Mom conduit de Lissa a Seres par un couloir existant a une hauteur bm,n"'a- de 85o a goo metres. De ce dernier passage, on descend dans une vallee tres-profonde , tres-etroite , dirigee du N. N. E. au S. S. 0. , et dominee a I'E. par des escarpements eleves que les Grecs de- signent sous le nom de Meni-Kion-Oros. Le torrent qui coule au fond de ce sillon sort par une fente a parois verticales et rappro- chees au S. du monastere Saint-Jean et a FE. de Seres. Les contre- forts, qui se terminent brusquement a la plaine, conservent en- core une hauteur de 600 a 800 metres. Pour completer la description de la structure de la chaine du Perin-dagh , je crois indispensable de dire quelques mots sur les bassins de Lissa et de Drama , qui se trouvent enclaves dans les montagnes se rattachant a son extremite meridionale. Le systeme des eaux qui se r^unissent dans la cavite de Lissa c«yUoroiu. — 342 — teau tie 5oo a 600 metres de hauteur, qui seil de base au massif imposant du Iel-Tepe. Je rappelierai que cetle base, du c6t£ op- pose de la chaine, parvicnt a 65o ou 700 metres dans la plaine de Raslouk. La surface rocheuse de la plate-forme est profon- dernent sillonnee par les petils torrents qui descendent des con- tre-forls voisins. Un karaoul fortifie (corps de garde) et plu- sieurs auberges s'elevent pres du point culminant de la route et portent conune le plateau le nom de Kreschna. Au dela de ce point, le cours dun torrent coupe si profondement la plate-forme, qu'il 6te la possibility de continuer a suivre les hauteurs. Au bas d'une descenle longue, tortueuse et disposee de loin en loin comme des zigzags, on retrouve le Strouma, qui coule, a une dis- tance de 1,000 a 3,ooo metres en ligne droite de la route prece- dente, au fond d'une fente profonde de trois lieues de longueur. A partir du bas de la descente, la vallee s'elargit assez pour laisser un passage qui cotoie le bord du fleuve et conduit en une heure de marche sur le bord duTchenarli-dere , qui conflue presque a la sortie du defile. Ce torrent est le seul qui prenne ses sources dans les hautes sommites du Iel-Tepe. Son cours inferieur n'est plus separe de la plaine voisine que par une mince cloison formant I'extreme limile du plateau de Kreschna. cavii,! La plaine dans laquelle debouche le Strouma a 5 Heucs de long '"'"nirt"'^ sur 5oo a 2,000 metres de large, et une direction moyenne du .lu'iiiTe.o N- N* 0- au S. S. E. Bordee a TO. par des pentes rapides et boi- etc.iie sees ([e ^QO a 500 metres de hauteur absolue, elle est accompa- ontagu« see s'etendent en sens inverse dans la vallee dont ils retrecissent deux ri>e» la largeur. C'est au pied occidenlal de ces montagnes que je ia Marin.. place la base du triangle dont j'ai parle tout a l'heure. L'inter- valle qui les separe est borde de collines que je considere comme les temoins de 1'ancien barrage du lac qui a du remplir autrefois le fond de la plaine de Philippopoli. Aujourd'hui une large echan- crure ouvre un libre passage a la Maritza. Depuis ce point jus- qu'aux environs d'Andrinople, la riviere coule dans une plaine dont la largeur varie de 5oo a 4,ooo metres. Entre Armanli et Tchirmen s'etendent les contre-forts de la chainc de Kourt-Kcui- Kalessi et du mont Iailadjik, deja cites dans ce rapport. Ils se presentent en plateaux disposes en amphitheatre, etdecoupes par des ruisseaux qui ont un coins de 4 a 5 lieues de longueur. Les points culminants, composes ordinairement de schistes cristallins, parviennent a une altitude d'environ 3oo metres et sont cou- ronnes, de distance en distance, de rochers aigus formant une saillie de 10 a i5 metres au-dessus du niveau general. Pres de Deinekli, des buttes trachytiques, de forme conique , parviennent a la meme hauteur. Dans les environs de Tchirmen, commenceut les collines qui servent de cloison entre le cours de 1'Arda et de la Maritza, et qui vont se terminer a Maracb. En aval de ce dernier village, le fond de la valine se trouve Ca"'- considerablement elargi par le confluent de l'Arda, et plus loin par celui du Tondja, qui s'operent tous deux dans le voisinage d'Andrinople. Ce bassin est isole de la cavite d'lamboli et d'Eski- Sagra, par des collines comprises en Ire le cours du Tondja et de la Maritza, et se raltachant aux montagnes precilees situees au N. d'Armanli, sur la rive septentrionale de la derniere riviere. II est horde a VE. par d'autres collines qui vont s'appuyera la base de la chaine cotiere de la mer Noire. Le pourtour de cette cavite, sur- tout dans sa parlie meridionale, porte encore les restes de ter- rasses plus ou moins bien conservees qui attestent, comme celles du bassin de Philippopoli, 1'existence d'un ancien lac. La hauteur absolue de la cavite d'Andrinople est d'environ 100 metres au- dessus du niveau de la mer, et celle des collines de la rive droile d'environ ] 5o a 180. tin Tekir-dagh. — 348 — a.UM.riu. ^esl entre Kouleli-Bourgas et Seuerdjili, a 3 ou 6 lieues d'An- iafwUur.. drinople , que le cours de la Maritza se trouve de nouveau resserre entre les bases des collines des deux rives, et quitte la direction N. S., qu'il avait prise depuis son entree dans le bassin , pour prendre la direction N. E. S. 0. et se porter vers Dimotika, Saltil- Keui et Soflou. Au dela de ce dernier village, la valine de la Ma- ritza se dirige a peu pres vers le N. jusqu'a son embouchure dans le golfe d'Enos. Dans toute cette etendue, le canal offre une lar- geur comprise entre 1,000 et 4,ooo metres. Depuis Dimotika jus- l.iuao., qu'au dela de Soflou, il est borde a 10. par l'extremite orientale <,t de ce vaste plateau, compose de granit et de scnistes cnstallins, decrit dans mon premier rapport, et qui represente 1'axe minera- logique du Rhodope. Ce plateau conserve encore, dans le voisinage de la vallee, une hauteur moyenne de 180 a 23o metres, et se termine par des pentes tres-abruptes ou par des escarpements. C'est la qu'il faut placer la liaison du Rhodope et du Tekir-dagh. Entre karabounar et Chainlar, village situe a 3 lieues a 10. de Fere , la meme rive est formee par les derniers contre-forts de la petite chaine trachytique de Tchampkeui, entremel^s de collines tertiaires et de terrasses de depots recenls : ces accidents de terrain ne s'elevent plus qu'a une hauteur absolue de 3o a 100 metres. Les bords de la rive orientale se composcnt de collines tertiaires qui forment depuis 1'entree du canal , a Seuerdjili , jusqu'a 3 lieues en amont d'Ipsala, une cloison de separation entre la vallee de la Maritza et celle de l'Erghene. En general , les bords de cette rive sont moins Aleves que ceux de la rive opposee , et parviennent tout au plus, dans les parties les plus hautes, a 6o ou 8o metres au- dessus du fond de la vallee. Les details que j'ai donnes dans mon dernier rapport sur le cours de l'Erghene, sur le golfe d'Enos et lieux circonvoisins, me dispensent de m'etendre davantage sur les accidents curieux que presente la rive orientale de la Maritza inferieure. , „,,r,c,es En resume, si Ton en excepte la cavite de Bania, la vallee de V'"* la Maritza ne presente aucun des caracteres generaux des vallees interieures du Rhodope. Bordee d'un cote par ce dernier massif, dont elle contourne la base, elle est limitee du cote oppose par des collines qui ne se rapprochent jamais assez pour donner naissance a d'^troits defdes. Meme dans les endroits les plus ressenes, le la vallee *!•■ In ?1arit — 349 — fond de lechancrure qui separe les deux bords est occupe par une plaine plus ou moins large. Nous venons de faire le tour du Rhodope ; il est temps dc pene- trerdans 1'interieur du massif. N'oublions pas que les generalites exposees deja, concernent specialement les vallees dont je vats m'occuper. S III. Affluents tie la Marilza superieure. Je comprendrai dans ce paragraphe la description de tous les tributaires que la Maritza superieure rer.oit depuis le defile de la Fille (Kiz-derbend) jusqu'a Marach, et qui tous descendent du versant septentrional du Rhodope. Le premier qui se presente, en procedant de I'O. a 1'E., est v«Hee l'Elli-dere (en fran^ais, cinquante ruisseaux), dont le confluent se trouve a 3 lieues a TO. de Tatar-Razardchik. II se compose, dans la partie superieure de son cours, de deux branches : Tune, alimented par les con Ire-forts orientaux du Demir-Kapou-Tepessi ; 1'autre , par 1'extremite septentrionale de la chaine du Dospat- Iadassi. Ces deux ramifications se reunissent a 2 lieues au S. de Tchepina et portent le nom de Tchepina-deressi. Une troisieme branche , venant du S. et du S. 0., se mele au ruisseau dans la petite plaine de Tchepina, dont le niveau parvient a la hauteur d'environ 600 metres. A la sortie de ce bassin , le cours d'eau prend le nom d'Elli-dere; il s'engage dans un defile dirige d'abord vers le N. et ensuite vers le N. E. Les parois de la rive orientale peuvent s'elever a 200 metres au-dessus du fond de la vallee; celle de la rive opposee, a une hauteur absolue de 1,200 metres, et meme de i,5oo metres a TO. du col qui conduit a Relova. Ce dernier Beio»«-dfc«»i village est situe a une altitude de 35o metres, au fond d'un ravin, de 1'Etii-de™, par lequel s'ecoulent les eaux provenant du revers meridional de la montagne. Cet affluent de l'Elli-dere n'est separe de la Maritza et du defile de la Fille que par une cloison de collines qui peut depasser de i5o a 200 metres le niveau du ravin. Ildebouche dans la plaine a 1 lieue de Relova, et va se reunir 2 lieues plus loin a l'Elli-dere, asa sortie des montagnes. Le Kritchmaderessi (Karlova de la carte), raffluent le plus con- Kvitd crf>- 1 — 350 — siderable, apres I'Arda, que le Hhodope fournita laMaritza, doit son nom a un village situe a 1'entree des montagnes. Son cours a 3o lieues de longueur. Ses nombrcux tribulaires se reunissent dans les profonds sillons compris entre les liniites suivantes : A TO., la chaine du Dospat-Iadassi ; Au S., les montagnes aux sources de I'Arda ; A 1'E., la crete dont le versant oriental regarde les vallees du Stanimaka, du Dermen-dere et du Peruchtilza. Les deux sources meridionales du Kritchma descendent du karlik-dagh 1, montagne connue aussi sous le nom d'Eichekolak , et se reunissent pres du village de Dovlen : 1'une, de 7 lieues de cours, se nomnie Cliiri- kollika-deressi ; 1'autre, de 9 lieues de cours, se nomme Machet- ghedi-deressi. Une troisieme branche, le Domous-dere, prend naissance, a TO. de Batak, dans le Dospat-Iadassi el dans scs noni- breux contre-forts , coule vers le S. au pied de la cbaine, serpente a une hauteur de 1,000 metres sur de petils plateaux , et de la s'en- gage dans des defiles pour confluer, apres 6 lieues de cours, pres du village de Dovlen , ou les deux branches superieures du Kritchma font leur jonction. Torrent de Miba]ko\a Mihalkova est le seul village de la vallee qui soit bati pres des affluent bords du torrent; il se trouve a 5 lieues de Dovlen et a 10 du vil- uu Kritchma. lage de Kritchma, dans un etroit ravin, dont les eaux descendent du mont Persenk (Parcelli de la carle) et du Kaialitchali-Tepessi, que j'aurai 1'occasion de citer encore un pcu plus loin. La hauteur absolue de la riviere, pres de Mihalkova, parvient a environ 4oo metres; celle du Pensenk depasse 1,700 metres. A TO. de Mihalkova , s'eleve un chainon parallele au Dospat-Ia'ilassi ; son extremite meridionale est separee du Dospat par le cours du Domous-dere, et son extremite septentrionale se termine aux environs d'lacikorou ; ses sommites les plus elevees paraissent atteindre a 1,800 metres. J'ai deja dit que ce chainon forme, a TO. d'lacikorou, une cloison entre la vallee du Kritchma et celle de Batak, qu'arrose le Karlik-deressi. • 1 Plusieurs sommites da Rhodope portent le nom dc Karlik (de Karli , nei J'ai deja citd lc Karlik pres de Gumourdjiua; je vais Ijicnlol parler d'un troisi6me Karlik, qui se Irouve dans les environs de Balak, — 351 — Ce dernier ruisseau prend ses sources dans le montKarlik, K"J^"tMi' montagne massive en forme de dome , qui s'eleve a 2 lieues au S. du Kritchma. de Batak. La hauteur du lit de la riviere, a Batak meme, est en- viron de 85o metres. A TO. de ce gros village, un plateau ondule montant a 900 metres environ , fournit des affluents au Karlik- deressi. Entre ce plateau et la petite plaine de Tchepina precedem- ment decrite , existe la cavite de Rakovitza. Celte derniere plaine , elevee et sans issue, n'est, diton, parcourue par aucun ruisseau et absorbe les eaux pluviales ou resultant de la fonte des neiges qui descendent de son pourtour. Plusieurs sillons, a 1'E. de Ba- tak, rec,oivent les torrents qui descendent du versant occidental des montagnes d'lacikorou et qui se melent au Karlik-deressi. Le j)lus considerable, celui d'leni-Mahale (nouveau quartier), opere sa jonction a une demi-lieue en amont de Pestera, village situe a 2 lieues au S. de Tatar-Bazardchik. Le Karlik-deressi recoit encore les petits ruisseaux fournis par les collines de Pestera, puis il va se reunir dans la plaine au Kritchma-deressi , a 2 lieues du village de Kritchma et a 1/2 lieue d'lenikeui. Le Kritchma-deressi conflue avec la Maritza, non loin de Kadikeui et pres de Karatair, village situe a 3 lieues au N. 0. de Philippopoli. Confluent du Kritchma- deressi. Le Peruchtilza -deressi et le Dermen-dere (Pachakai de la carte) sont deux ruisseaux dont le cours a 8 ou 9 lieues de lon- gueur. Separes par une arete qui, dans ses points les plus elev^s, parvient a une hauteur absolue de 800 a 1,000 metres, ils pren- nent tous deux naissance dans le Tomritch ou Kaialitchali-Te- pessi, montagne trachytique a cimes aigues et dentelees. Le Pe- ruchtilza conflue avec la Maritza a 2 lieues, le Dermen-dere a 1 lieue a I'O. de Philippopoli. Vollces du Peruchtilzj- deressi et du Dermen-dere. Le Stanimaka-deressi se compose de deux branches principales qui operent leur jonction a 1 lieue au S. de la ville de Stanimaka; 1'une descend du versant oriental du Kaialitchali-Tepessi , 1'autre du mont Persenk et des montagnes au N. de Pachmakli. La crete demi-circulaire qui r^unit les deux premieres sommites embrasse dans son developpement les ramifications du torrent de Mihal- kova, dont j'ai deja parle; le revers meridional des montagnes de Pachmakli verse de l'eau a un tributairc de TArda, le Tcha- tak-deressi. La branche 0. du Stanimaka , qui descend de ces Vallees du Stanimaka deressi. — 352 — montagnes et du mont Persenk, recoit une f'oule de petits tor- rents des cretes elevees qui la dominent a l'E. Elle passe devanl le monastere et le village de Batchkova (BaHikeui de la carte), tous deux construits sur la rive droite , a 2 lieues de Stanimaka; la hauteur absolue du lit du torrent, pres de ccs deux localites, est environ de 35o metres; les parois verticales qui 1'encaissent, depuis la jusqu'a la plaine, s'clevent a environ 4oo metres au- dessus du fond de cette etroite fissure. Le Stanimaka, dont la source la plus eloignee se trouve a i5 lieues de son confluent, • se jette dans la Maritza a quelques lieues a l'E. de Philippopoli. Divers Je passerai sous silence les ruisseaux de Papasli , de Ketenlik, aei* Maritza. et plusieurs autres qui descendent des cretes elevees, comprises entre la vallee du Stanimaka et cello de l'Oglou-Tchai. Leur cours a trop peu d'etendue pour fixer notre attention. VeU« L'Oglou-Tchai tire son origine des montagnes de Kouchavlar, I'Ogiou-Tchai. situees a i 2 lieues d'Armanli. De tous les affluents de la Maritza cites jusqu'a present, c'est le seul dont le cours prenne une direction voisine de la ligne 0. E. comme le systeme septentrio- nal de 1'Arda qui borde sa rive droite. A 1 lieue au S. de Has- keui, il coule sur un plateau dont la hauteur absolue est de 200 metres environ. II conflue a Armanli avec la Maritza. II suflit de rappeler ici que les ruisseaux qui tombent dans la Maritza, entre Armanli et Marach, ont un cours de 2 a 5 lieues de longueur. S IV. ValleSe de 1'Arda. Nous arrivons enfin a la vallee la plus importante du Rhodope par son etendue et le nombre de ses ramifications; elle tire son nom dun village situe a environ 5o lieues d'Andrinople, sur le versant oriental du mont Djura et pres du col qui conduit dans la vallee du Karasou. Depuis son origine jusqu'a Topoklou, vil- lage construit a 6 lieues a l'E. du mont Djura, 1'Arda ne recoit de la rive gauche que la decharge des ravins sillonnant des pentes rapides, tandis qu'elle recoit plusieurs affluents de la rive droite, par exemple : — 353 — i* Le Pouslranova, qui confine a 1 lieue a l'E. du village de Affluent" 1 ° de In rive 1 Arda. mericlionalp, 2° Le Tekir et le Tchemdjes, qui se melenl eu amont et pies d'Ismilan, a 2 lieues a l'E. du Poustranova. Ces trois ruisseaux , coulanl du S. vers le N., descendent des montagnes situees au S. et au S. O. d'Enos-dere, et qui servent de separation entre les bassins de 1'Arda et du Karasou. 3° Le Palaza-deressi , se romposant de plusieurs branches , parnii lesquelles je citerai l'Enos-dere. L'une des sources de ce dernier ruisseau prend son origine clans une ligne torlueuse de montagnes, clont le revers oppose fournit de 1'eau au Karasou, au torrent de Xanti et au Kourou-Tchai ; une autre source provienl de la haute crete qui s'eleve entre la precedente et le ruisseau de Tchemjes, que je viens deciter. Ces deux sources se reunissent a Enos-dere. A partir de ce dernier village, le cours d'eau borde au N. par la ligne de faite placee a 1'origine du Kourou-Tchai, au S. par un massif interpose entre lui et la vallee de 1'Arda, se di- rige vers l'E. et conflue avec 1'Arda au village de Palaza, situe a une demi-lieue d'Enos-dere, a 2 lieues d'Ismilan el a i lieue en amont de Topoklou. Un quart de lieue en aval de ce dernier village, se trouve le Ruis«e«M nil » • J" Tehalnk. confluent du Tchatak-deressi, dont les sources sont placees, a 7 lieues de distance , dans les montagnes de Pachmakli , que nous avons vues fournir des tributaires au Stanimaka. Depuis son origine jusqu'a Stouianova, village situe a 3 lieues en aval de Topoklou, la vallee ofTre une largeur sufllsanle pour permettre a la route de cotoyer le bord de la riviere; vnais, a partir de Stouianova jusqu'a Krdjali , elle se resserre el se trans- D<>fii forme en un defd6 tortueux de 8 a 10 lieues de longueur. Dans St cet espace, 1'Arda ne re<^oit que des affluents qui prennent leur Knijaii origine a 2 ou 3 lieues de distance. eulre ouianova La plaine de Krdjali, allongee de I'O. a l'E., a 2 lieues de long sur 1,000 a A,ooo metres de large. Outre plusieurs petits ruis- Plain* seaux, 1'Arda recoit dans cette cavite le Suutlu, son tributaire le plus considerable. MISS. SCIF.NT. 1 4 do Krdjnli, — 354 — Villi* Le Suutlu esl forme d'une multitude de petits torrents qui d« Suutlu nil n l l l» • * aiuu.nt sillonnent proloiuleinent 1 espace compns clans les li antes sui- de l'Arda. vantes : Au S. la chaiae du Karlik; Au N. le chaiuoa qui comaience au S. 0. de Palaza, et serl de cloisoa entre la vallee de l'Arda et celle du Suutlu; A l'O. le contre-fort qui reunit les deux ligaes de faite prece- clentes; A 1'E. ua con tre- fort de la chaiae du Karlik. Oa compte 20 lieues depuis la source la plus eloignee du Suutlu jusqu'a la plaiDe de Rrdjali. Le bassin offre ua alloagement general de TO. a 1'E. clans sa partie superieure. Le torrent prend, a 8 lieues du confluent, son cours vers le N. et traverse, avant de deboucher dans la plaine de Krdjali , deux defiles que dominent des pitons trachytiques. Defile L'Arda sort de la cavite de Krdjali par uac gaiae dirigee du u cavite S. vers le N. et resserree eatre deux enormes cones de trachyte. \ic«iie ' A i lieue de distance, la vallee reprend sa direction normale de d i inich. j.q >A j.g gjje pg^jj. piusjeurs petits cours d'eau , depuis ce coude jusqu'a Ulutch (Oula-keui de la carte), et, sur cette tHendue d'une demie a 2 lieues, son fond acquiert une largeur de 200 a 800 metres. D»fii« Dermis Ulutch iusqu'aupres d'Ada, la riviere coule dans une et lente prolonde, coupee a pic dans un puissant depot trachylique. d'Ad". Ce defile, de 3 lieues de long, horde de murailles verticales dont la hauteur s'eleve de 200 a 3oo metres au-dessus du fond de la gaine, est le plus curieux de tous ceux qui encaissent le cours de l'Arda. Vers le milieu de son etendue et pres de Soouk-bounar, la riviere occupe toute la largeur du canal, dont le fond est pave de coulees a surfaces presque horizoatales, taatot foraiant des nappes straliformes, taatot des masses prismaliques eatourees de coagloaierats. Ces produits eruptifs, offrant une resistance inegale a l'aclion erosive du torrent, donnent lieu a des especes de gra- dins, du haul desquels l'Arda se precipite, de chute en chute, jusqu'a la sortie de la gorge. Pendant Fete, la riviere disparait en plusieurs points au fond des fentes et des erosions qui sillonnent les rochers; pendant I'hiver, elle no Irouve pins un 6couleitfent — 355 — assez rapide, s'arnasse devant 1'endroit le plus etroit, et laisse des traces de son passage a 10 cu i5 metres de hauteur. Un peu avant la fiu du defile, 1'Arda reroit de la rive gauche un tribu- de7a"rive taire qui vient des montagnes de Kouchavlar, situees a environ »ept««»tri<>n»ie. io lieues a TO. Le pont jete sur ce torrent, pres du confluent, porte le nom de Setan-Kupressi (pont du Diablo). La colline triangulaire qui supporte les mahales d'Ada ' separe , V»Uee du Bourgjs comme une ile, le cours inferieur du Bourgas et celui de 1'Arda. affluent t • *■ 1 i ■ •> • > » • «. *lel'Araa La jonction des deux rivieres sopere a environ 2,000 metres en aval du defile que je viens de decrire. Le Bourgas-dere forme, apres le Suutlu, 1'aflluent. le plus considerable de 1'Arda, et ses sources les plus eloigners se trouvent a i5 lieues d'Ada, dans les montagnes de Tokatchik. Les limites superieures du bassin de ce torrent sont , savoir : i° Au S., la ligne de faite de la chaine du Karlik, qui se lie au Kodja-Iaiia, et dont les montagnes coniques de Tokatchik font par tie; 20 A l'E.,les contre-forts occidentaux dela sommite proprement dite du Kodja-Iaila; 3° A l'O. , lepaisse cloison trachytique, dirigee du S. au N., se rattachant a la chaine du Karlik , et servant de separation entre le bassin du Bourgas el celui du Suutlu. Parmi les uombreux ruisseaux qui se jettent dans le Bourgas, je citerai : i° Ceux que fournit le plateau d'Avrem et de Doutte, place au pied de la sommite du Ivodja-Iaila, el qui, apres un cours de 6 a 7 lieues , coufluent en amont de Kochikavak, a 5, 6 et 7 lieues d'Ada; 20 L'labassan-deresse, qui prend sa source au pied du Turkia- \assare-tepessi, grand cone trachytique place sur le haut de la cloison qui separe le bassin de Bourgas et du Suutlu. Le Bourgas, gonfle de ces tribulaires, s'engage dans une gaine tortueuse, do- minee par des escarpements et des pitons trachytiques, et assez large pour laisser un passage aux voyageurs. 1 Ada veut dire ile; mahale, quarticr: les Turcs donnent ce dernier nom aux groupes epars d'habitations donl l'ensenible forme un village. M. 2 1 . — 35G — Sa junction avec 1'Arda donne lieu a une petite plaine de demi- lieue de longueur, que partage en deux lobes un etrangleruent occasionne par des dykes de trachyte. Au-dessous de Mahamoutte, la riviere penetre dans un defile tortueux dont la direction generate va de TO. a TE., el dont la sortie se trouve a 3, lieues de distance , aupres d'Adatchali (Andachali dela carte). Dans toute l'elendue de cette gorge, I'Arda baigne la base des escarpements qui bordenl des deux cotes son i .nil, canal. La rive gauche est dominee par un plateau arete dont la hauteur absolue est environ de 3oo metres, tandis que la rive droite est llanquee de pitons trachytiques qui s'elevent a 5oo ou 600 metres. Dfm* . , La plaine de Sulbukune et d'Adatchali est separee de la vallee itre la cavile l L dc l'Arda de la Maritza par le plateau du large sillon qui se prolonge entre suiiukune. la chaine de Kourkkcui kalcssi et la montagne d'lailadjik. L'Arda n'a plus a franchir, pour couler definitivemenl en plaine, qu'un dernier defile de l\ a 5 lieues de longueur, forme par la soudure des contre-forls du massif d'lailadjik el des montagDcs an N. et au N. O. d'Ortakeui. La plaine commence a Bektacli, village situe a 6 lieues a l'ouest d'Andrinople, el va loujours en s'elargissanl jusqu'a l'endroit ou elle se confond avec celle de la Maritza. § V. Affluents de la Maritza inferieure. Les afriuents que la Maritza inferieure recoit de la partie orien- tale du Rhodope , entre Andrinople et son embouchure dans la mer, sont : le Kizil dele-deressi et le Katrandji-keui-deressi (Kara- bounar de la carte); deux autres ruisseaux, le Lidja-keui-deres.M et le Bodama-Tchai , tombent directement dans le golfe d'Enos. Ces quatre ruisseaux prennent naissance dans la chaine du Kodja laila ; les trois premiers sont deja decrits dans mon premier rap port; il ne resle plus a parler que du Bodama-Tchai. Le Bodama-Tchai se compose de deux branches principales; la plus eloignee prend sa source dans les montagnes a l'E. de Chaphane ou Chapsi , passe a Kirka, se dirige de 10. a IE. , et Valid — 357 — re^oit plusieurs aflluents cles montagnes trachytiques bofdant sa rive septenlrionale. D'autres tributaires tirent leur origine des montagnes au N. de Miri et, apres avoir fait leur jonction, con- fluent par la rive meridionale. Tous ces cours d'eau reunis passent au fond d'une gaine que domine le plateau du village du Bodama , et dans laquelle se trouve, a 2 lieues en aval de Bodama, le vil- lage de Dervent (defile), situe a 200 ou 3oo metres du torrent et a 3 lieues de la mer. Le Bodama-Tcha'i , apres un cours de 18 ^ lieues, debouche a fextremite du golfe d'Enos, entre Miri et Fere, B^u>*-™»f a 3 lieues de la premiere ville et a lx lieues de la seconde, S VI. Valliie du Karasou. Les differents cours d'eau que nous venons de decrire dans 1'interieur du Rhodope se jettent, les uns dans le Strouma, les autres dans la Maritza; nous avons encore a considerer ceux qui tombent directement dans la mer de l'Archipel. Je commencerai cet examen par le Karasou, la riviere la plus considerable et la seule qui traverse toute 1'epaisseur du massif du Rhodope. Le Karasou (eau noire) presente un developpcment de 5o lieues de longueur. Dans sa partie superieure, il se compose de plusieurs torrents qui portent le nom d'un village situe sur leur cours ; aucun d'eux ne conserve jusqu'a son origine le nom de Karasou. La branche a laquelle s'applique celte designation resulte de la reunion de plusieurs ruisseaux qui descendent du versant meri- dional du Iel-Tepe et forment leur jonction , les uns en amont, les autres en aval de Raslouk. Une autre branche provenant du meme versant, le Dobronichta-deressi , n'est separee de la prece- dente que par un bombement insignifiant qui s'avance dans la plaine , sans en interrompre le developpement. Le gros bourg de Bagnitska (ou par abreviation Banska), qui sei^t de rendez-vous au commerce de ces montagnes, est construit sur le dos de ce talus a pente douce, forme de blocs roules par les torrents. Le ruisseau de Dobronichta , gonfle de plusieurs affluents, sort de la plaine pre- cedente et penetre dans une etroite vallee ou passe la route qui con- duit dc Raslouk aNevrokop par le defile de la Fille (Kiz-derbend) l. ' II existe en Turquie plusieurs deGles 1 RHODOPE. Un rapide resume fera ressortir les differences do hauteur que presentent les montagnes designees dans ce rapport sous le noni de massif du Rhodope, et permettra d'en saisir les traits les plus saillants. Le Rhodope, consider^ dans son ensemble, rappelle la forme d'un parallelogramme dont les grands coles sont orienles a peu pres de TO. a l'E. et les petits cotes environ du N. au S. II a pris cette figure, pour ainsi dire mathematique, sous finfluence dun double systeme d'affaissements qui 1'unt isole de toules parts et onl creuse a Tentour la vallee du Strouma , celle de la Maritza el la mer de TArchipel. II se relie au systeme du Balkan, dans les en- virons de Samakov, par des contre-forts qai forment une sattlie de 2 5o a 3oo metres sur le plateau eleve sur lequel il repose. Deux chaines principales, dirigees environ du N. au S., se — 363 — deploient dans la partie occidentale du massif et renfennent dans 1'intervalle qui les separe la vallee transversale du Karasou. C'esl la que se trouvent les montagnes les plus elevees : leur hauteur au-dessus du niveau de la mer depasse 2,600 metres dans les environs de Samakov, et parvient encore a pres de 2,000 metres dans le voisinage de Seres etde Drama. Une troisieme chaine N. S. faconne l'extremite orientale du Rhodope : ses points culminants montent a plus de 1,000 metres et s'abaissent insensiblement en se prolongeant vers le S. Deux autres systemes , perpendiculaires aux trois premiers, c'est-a-dire orientes a peu pres de TO. a 1'E., s'etendent parallele- ment aux grands coles du parallelogramme et forment les bords superieurs de la vallee longitudinale de l'Arda. Le systeme meri- dional ne s'eleve a pres de 2,000 metres que dans le Karlik, et reste ordinairement dans les 1,000 a 1,200 metres. Les plus hautes sotnmites du sysleme septentrional sont de 1,800 a 1,900 metres; elles tombent tout a coup, vers la paitie mediane, clans les 5oo a 600 metres, et se reduisent a de basses collines aux approches d'Andrinople. Ainsi le Rhodope se compose de cinq grandes chaines princi- pales et renferme deux grandes vallees, 1'une transversale, l'autre longitudinale. Les autres valines prennent leur origine dans les chaines qui forment les cotes de cet interessant massif. Permettez-moi, Monsieur le Ministre, de vous rappeler le con- ten u des considerations preliminaires placees en tete de ce rap- port. La direction des chaines de montagnes et leur hauteur au dessus du niveau de la mer ne peuvent etre indiquees que d'une maniere approximalive dans le travail que j'ai l'honneur de vous soumettre. J'ai l'honneur d'etre avec respect, etc. Acguste VIQUESNEL. Paris, le 12 mai 1848. MINISTERE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES. ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. VIP CAHIER. Rapport adresse a M. leMinistre de I' instruction publique et des cultes par M. Ernest Renan, charge" d'une mission scientijique et littdraire en Italie, conjointement avec M. le docteur Daremberg l. Paris, 25 juillet i85o. Monsieur le Ministre, Mon premier devoir, au retour de la mission scientifique et lit- teraire que votre predecesseur m'avait confiee , conjointement avec M. le docteur Daremberg , est de vous adresser la relation de mes travaux, bien qu'un tel resume, fait a la bate, ne puisse manquer d'etre incomplet et raeme inexact. Ce ne sera qu'apres de longues recberches dans nos bibliotheques, et apres de minutieuses verifi- 1 MM. Daremberg et Renan ont deja publie dans les Archives (cabier de mai) un premier rapport sur leurs travaux communs. M. Daremberg pubiiera son rap- port particulier aussitot qu'il aura termine les verifications ndcessaires pour donner a son travail le degre de perfection desirable. MISS. SCIENT. 2 5 — 36G — cations, que je pourrai m'cxprimer avec precision sur la valeui lies docuiiienls que je rapporte, et dire avec certitude, pour pin sieurs, s'ils sont inedils on publics. Neanmoins, Monsieur le Mi- nistre, je ne puis atlendre j usque-la pour vous exposer la maniere don I j'ai cberche arepondre aux vopux du ministere ctde I'Acade- mie des inscriptions. Le rapport que j'ai I'honneurdc vous adres ser est moins une ccuvre critique que le simple recit de ce que j'ai fait et de ce que jai vu. Je serai satisfait s'il vous prouve que je ne suis pas reste trop au-dessous de la confiance dont voire pre- decesseur ma honore et des encouragements de 1' Academic qui a bien voulu patronei notre mission. ROME BICLlOTHfeQUF. DU VATICAN. Manuscrits syriaques. — Les manuscrits syriaques composent la veritable ricbesse de la section orientale au Vatican. Les collections indiennes et cbinoises y sont presque nulles; la collection arabe , bien que nombreusc, contient une proportion de manuscrits inte- ressants plusfaible qu'aucune autre bibliotheque, et ne pourra ja- mais rivaliser avec les grands depots de Paris, de Leyde, de 1'Es- curial. La collection syriaque seule, par 1'importance des manuscrits quelle renferme , constitue au Vatican une remarquable specialite. Mon premier travail a porte sur la Cbronique de Denys de Tel mahar, auteur du vmc siecle. Le manuscrit en est fort ancien el unique en Europe. Les deux premieres parties de cet ouvragf elant extraites presque lextuellement d'Eusebe de Cesaree, de Socrate, de Sozomene, mon attention principale s'est portee sur la troi- sieme partie, ou l'auteur, devenant bistorien original, raconte de sa propre autorite les evenements de son temps : il y a surtout des details curieux et nouveaux sur l'epoque de Justinien. Jen ai copie des fragments considerables. Ce qui ajoute a l'interet de ce manuscrit, e'est qu'il est en grande partie palimpseste. Au-des- sous des caracteres syriaques se rctrouvent des lettres grccques onciales du v° siecle, representant une portion du texte des Sep- tante. Assemani avait cru a tort que ces caracteres etaient coptes. Ce manuscrit devra done compter desormais a titre de manuscrit grec parmi les anciens codes de la Bible. Cette particularity est — 367 — d'autant plus remarquable , quel'ouvrage a appartenu a la collec- tion de Sainte-Marie Deipara de Nitrie, collection maintenant transported en Angleterre , et ou M. Cureton a trouve d'autres pa- linipsestes plus importants encore, enlre autres un tres-ancien fragment du texte d'Homere. J'ai aussi examine avec soin YHistoire monastique de Thomas de Meragah. Je l'ai trouvee moins interessante. L'auteur borne son recit aux successions ou depositions de patriarches, aux miracles et conversions qui interessent la secte religieuse a laquelle il ap- partient. La Chronique de Barhaebraeus aurait me>ite la premiere place dans mes recherches , si je n'avais su qu'il s'en prepare a Upsal une edition , pour laquelle le manuscritdu Vatican aura ete consulte. En revanche, j'ai donne une attention toute particuliere ■ aux ceuvres philosophiques et poetiques de ce fecond ecrivain , qui merite d'etre appele le prince de la litterature syriaque; ses epigrammes, ses traites philosophiques en vers, m'ont fourni des extraits de quelque interet. En general , j'ai £tudie avec un soin par- ticulier ce cote trop neglige de la litterature des Syriens. Un ma- nuscrit, tres-sommairement decrit par Assemani, m'a donne" un grand nombre de pieces curieuses, des vers rimes en mots grecs, des epigrammes toutes semblables a celles des epigrammatistes grecs et latins, des prieres pour toutes les circonstances de la vie, des traites scientifiques, plus ou moins empruntes a lecole d'A- lexandrie, un entre autres de Berose a Theon, sur les elements, sur les lieux souterrains, sur 1'homme , dont je me propose de faire plus tard la critique. L'astronomie et la medecine syriaques ont eu leur part dans mon travail ; j'ai examine et decrit plusieurs ma- nuscrits qui s'y rapportenl. Les versions syriaques de YOrganon d'Aristote m'avaient deja occupe a Paris : notre Bibliotheque nationale en possede un beau manuscrit. J'ai retrouve cette meme version au Vatican et a Flo- rence , avec plusieurs autres analyses ou extraits qui m'ont fourni de riches documents pour 1'histoire de YOrganon parmi les Syriens. Ces nouvelles recherches n'ont fait, du reste, que confirmer mes premiers r^sullats et me prouver de plus en plus le parallelisme exact des etudes scolastiques en Occident et en Orient. J'ai aussi trouve" dans un des manuscrils du Vatican un commentaire sy- riaque sur Ylsagoge de Porphyre , probablement la traduction de celui d'Animonius ou de Philopon. M. a 5 . — 368 — Le Vatican possede deux textcs tres-differents d'un livre fort absurde en iui-menie, mais interessanl par l'enscmble dcs ecrils auxquels il se rattache : le Testament d'Adam, adresse a Seth. Ce livre est evidemment la traduclion d'un apocryphe grec de la mrine famille que le Testament des douze patriarcbes, le Testa- ment de Job, le Testament de Salomon, etc. On sait l'impor- tance de ces sorles d'ouvrages pour 1'bistoire des origines et des premiers temps du cbristianisme. Le texte grec de celui-ci est cer- tainement perdu. Fabricius, dans sa collection des apocrypbes ne parle ni du texte, ni de la traduction. J'ai copie les deux versions syriaques (run bout a 1'autre, ainsi qu'une version arabe du meme ouvrage. bien que celle-ci se trouve, je crois, a Paris. Par ce moyen, j'espere arriver a reconstituer ce livre, qui peut reinonter a une assez baute antiquite. J'ai aussi trouve et copie un morceau d'un caractere assez an- cien, et qui semble renfermer quelques fragments de Marcion. C'est surtout par le syriaque qu'on peut arriver a connaitre plus exactement ces beresies primitives et plus ou moins gnostiques de Bardesane, de Marcion, elc. dont la Syrie fut le principal tbeatre, et dont les monuments originaux, perdus en grec, se sont parfois conserves en syriaque. Manascr-its hebrcux. — Parmi les manuscrits bebreux que j'ai examines, le seul que j'aie trouve digne d'une mention et d'une eHude speciales est la traduction hebraique du dictionnaire hebreu ( avw")£'n ^^D) , ecrit en arabe par Abulwalid (Rabbi Jona), l'ou- vrage le plus important de la philologie juive au moyen age. L'o- riginal se trouve a la Bodleienne; mais la version du dictionnaire n'existe complete qu'au Vatican. (V. Wolf, Bibl. hebr. I, p. 48y- 488.) J'en rapporte des extraits considerables. Manuscrits arabes. — La collection arabe du Vatican ne ren- ferme aucun texte important qui ne se trouve a Paris; elle abonde en ouvrages de tbcologie et d'ascetisme cbretien, en traductions des peres de l'Eglise, de theologiens modernes, etc. Le seul texte que j'aie copie est le Testament d'Adam, dont j'ai parle plus haut. J'ai aussi examine et d^crit quelques manuscrits interessants pour 1'bistoire de 1'ecriture arabe. J'ai trouve en tete de deux manuscrits ces formules en caractere inconnu qu'on rencontre parfois sur les manuscrits arabes, et qui semblent joucr la le role de talis- mans. Ces deux formules offrent la plus graude similitude enlre — 369 — elies pour les traits fondamentaux, et, autant que mes souvenirs peuvent me l'attester, une similitude plus grande encore avec une formule analogue qui se trouve en tete du beau manuscrit de la traduction arabe d'Aristote que possede la Bibliotheque natio- nale. Gette ressemblance rend bien peu probable l'hypothese de M. de Hammer, qui supposait que ces caracteres etaient de pure fan- taisie et inscrits la par le vendeur pour donner plus de prix a l'ouvrage. Cependant j'aimerais encore mieux adopter ce systeme que decroire, avecFourmontet Assemani, qu'ils nous representent 1'ecriture bimyarite. Manuscrits eihiopiens. — II serait tres-utile d'examiner un a un et page par page tous les manuscrits eihiopiens du Vatican. Le ca- talogue qu'on en possede est tres-sommaire et se borne aux indi- cations les plus vagues. Ce travail serait d'autant plus important, que plusieurs de ces manuscrits sont palimpsestes, et que les textes grattes, lisibles encore, pourraient ajouter des ouvrages plus anciens a ceux qui forment maintenant le fonds courant des bibliotheques etbiopiennes. Mais ce n'est pas en quelques semaines quuu pareil travail pourrait se faire. Je me suis borne, quant a 1'examen special, au beau manuscrit de la traduction du livre d'Henoch. On sait que ce livre bizarre, mais si important pour 1'bisloire des origines du cbristianisme , a ete rendu a la science par la traduction ethiopienne que Bruce en rapporta cVAbyssinie. Le manuscrit du Vatican est surtout remarquable par la traduc- tion qu'un orientaliste italien (peut-etre Georgi) y a jointe, et par quelques dissertations inedites de ce meme Georgi. Apres les tra- vaux de Lee, Lawrence et Hoffmann sur ce livre important, ces pieces sont encore interessantes et instructives. Manuscrits indiens. — Le Vatican merite a peine d'etre men- tionne quand il s'agft de collections indiennes. Sous le titre de Codices indici sont ranges vingt-deux manuscrits, dontseptmalais ou relatifs au malai, trois javanais, six malabars, trois sanscrits- devanagaris, trois lexiques et grammaires sanscrits, provenant du college de Saint-Pancrace. La plupartdes manuscrits malais et ma- labars sont chretiens; un seul est ecrit sur olles : c'est un tres-gros manuscrit grantham, contenant des vies de saints. La meme boite renferme deux autres olles, 1'une en caractere tamoul, 1'autre en bengali. Le n° XX devanagari est un petit manuscrit tres-soigne, renfermant les sentences morales de Tcbanakhya , offert au Vatican — 370 — par Nicolas Gephalas de Zante, qui en fit une traduction grecquc et une traduction italienne; lui-meme 1'avait recu a Benares le 5 fevrier 182/1, du brahmane Gayanoung. Les deux autres manus- crits devanagaris sont petits, sans suite, a peine lisibles, accom- pagn£s de notes en persan. Manuscriis grecs. — Bien que cette partie de la bibliotheque du Vatican ne rentrat pas directement dans l'objet de mes recher- ches, il m'est souvent arrive d'y porter mes investigations en vue de mes etudes personnelles ou pour remplir les commissions de doctes personnes. Le grand travail du depouillement des catalo- gues et des index appartient tout entier a mon collegue et ami M. Daremberg. J'ai cependant soumis a un examen particulier quelques-uns des catalogues anciensde bibliothequesparticulieres qui se trouvent en grand nombre au Vatican, entre autres les catalogues de Bessarion et de Sirlet. Ges catalogues donnent lieu a des remarques interessantes, et fournissent des indications pre- cieuses pour ressaisir la trace des manuscrits. J'y ai trouve, che- min faisant, la copie de quelques arrets de censure de Micbel Ghis- lieri, alors grand inquisiteur, depuis pape sous le nom de Pie V, qui seraient d'un grand prix, s'ils etaient inedits. M. Daremberg et moi avons fait de vains efforts pour retrouver un ouvrage an- cien fort important, YHisloire d'Eunape, quon supposait avec quelque raison exister au Vatican. Muret 1'avait vue dans la col- lection du cardinal Sirlet, qui forme aujourd'hui le fonds Otto- bonien , et assure qu'ayant demande la permission de la publier, cette permission lui fut refusee a cause de fheterodoxie de l'au- teur. On sait en effet qu'Eunape avait ecrit pour relever Julien Tapostat et deprimer les empereurs cbretiens. M. Boissonade, dans la preface de son edition de la Vie des sopbistes (Amsterdam, 1822, p. xvi-xix) , avait insiste sur la possibilite de retrouver ce precieux manuscrit. Nous croyons avoir acquis la parfaite certitude, Monsieur le Ministre, que si cet ouvrage a jamais fait partie de la collection successivement appelee Sirletiana, Colonnese, AUaempsiana, Olto- bonienne, il en a disparu depuis longtemps. Le cardinal Mai en a publiedes fragments d'apres lespalimpsestes [Script. Vet. nova Coll. t. II, p. 247-3i8). Je n'ai pas 6te plus beureux dans la recherche du manuscrit des Harmoniqu.es d'Adraste le peripateticien , que Vossius avait vu au Vatican, et dont un savant academicien desirait une copie. — 371 — Mais ces efforts iniVuetueux m'ont ainene du moins a une notice exacte des manuscrits d'harmonique et de musique grecque que possede le Vatican. Pour me conformer a une recomniandation de M. Jomard, j'ai leve un caique des cartes et des images cosmographiques du beau manuscritdeCosmasIndicopleustes, tres-inexactement reproduces dans 1'edition de Montfaucon (Nova collectio Patrum, t. II, p. 190 et pi. 1). G'est aussi sur les indications de M. Egger que jai porle mon attention .sur les manuscrits de Longin qui se trouvent au Vatican. D'inleressants problemes se rattacliaient a 1'exacte des- cription du n° 285. Cet examen m'a amene a un resultat que je crois de quelque importance. C'est surce maiiuscrit qu'Amaticrul decouvrir en 1808 la particule >), reslee jusque-la inaperrue dans le titre de 1'ouvrage (\iovvaiov i) Aoyyivov). Eh bien ! Monsieur le Ministre, il n'est pas douteux pour moi (et cette opinion a ele partagee par mon collegue, M. Darembt-rg, et par toules les per- sonnes a qui j'ai fait voir le manuscrit) que cette particule a e4e inseree la par une main plus moderne. Je n'oserais porter une affirmation, mais je recommande instamment ce point aux belle - nistes qui visiteront apres nous le Vatican. Mon essai sur l'elude de la langue grecque au moyen age, cou- ronne par 1'Academie des inscriptions, m'a fait attacber un grand interet a des homelies grecques prononcees par un eveque de Taormina, au xmc siecle, qui se trouvent dans un manuscrit du Vatican. Manuscrits latins. — La commission des Groisades m'avait de- mande la collation partielle avec le texte de Bongars des nom- breux manuscrits de Robert le Moine qui se trouvent au Vatican. Le n° 2001, de beaucoup le meilleur, a ete la base de mon tra- vail. J'ai copie tous les tilres, ainsi que les vers latins qui termi- nent le manuscrit et qui sont une dedicace du copiste a Fre- deric II. J'ai aussi caique le dessin curieux qui se trouve en tete du manuscrit, et ou ce meme copiste, Henri de Scbefdeler, offre son volume a 1'empereur. Le n° 599^ du fouds de la Reine, jus- qu'ici tres-sommairement decrit, m'a fourni un grand nombre de pieces sur l'epoque litteraire de Piccolomini (Pie II), sur l'his- loire de ce pape et de son epoque; quelques details nouveaux sur P6trarque; une note des prestations en nature failes par Venisc pour la guerre contre les Turcs, laquelle presenle les details les — 372 — plus curieux pour 1'histoire de l'artillerie a cette epoque; une chi-onique de Rieti que je crois inedite, et qui n'est pas saus in- teret pour faire comprendre la vie interieure des cites italienues. J'attache aussi quelque prix a un de ces itin^raires de Rome au moyen age, auxquels les pelerins donnaient le titre de Mirabilia urbis Ronue, lequel est different de ceux qu'ont publies Montfaucon, Muratori, Mabillon dans ses Analecta, le cardinal Mai dans le dixieme volume de ses Scriptoram veterum, etde la Graphia duress urbis Romce, recemment donnee par M. Ozanam. Un livre de sorts par les prophetes et les apotres, presentant quelques traits de moeurs curieux, nous a semble digne d'etre copie en partie. Les glossaires pour l'explication des mots grecs et arabes sont nombreux au Va- tican. Enfin , un manuscrit d'Hygin, du xnf ou xivc siecle, m'a ete signale par mon collegue comme contenant une particularity remarquable pour 1'histoiie de la langue grecque au moyen age, je veux parler des alpbabets grec, bebreu et arabe qui se trouvent figures en tete du manuscrit, avec les noms grecs des letlres et leur valeur numerique en cbiffres arabes1. Manuscritsfrancais. — Pour satisfaire a une demande de M. Par- dessus, j'ai copie les rubriques de deux manuscrits relatifs a l'an- cien droit francais : 2794 Ottob. [Stille et coustumes du Chaslellet de Paris) et 4790 Vatican. J'ai copie, en outre, quelques cbapitres de ce dernier qui m'ont semble" d'un interet special. Sur Tinvitalion de M. Jomard, j'ai examin6 avec soin la Galle- ria geografica d'Ignazio Danti au Vatican , tres-imparfaitement re- presentee dans le grand recueildePistolesi. Le troisieme etage des Loges , trop neglig6 des visiteurs , renferme aussi des cartes et plans du meme Ignazio. Je rapporte au meme academicien de nombreux renseignements sur les anciens instruments de geographie et d'art nautique, qui se trouvent au Museum Borbonicum de Naples, a la tribune de Galilee a Florence, dans plusieurs eglises de cette ville, et surtout au musee Rorgia a la Propagande. II nous a semble que les missions litteraires n'ont une utilite reelle que quand les ex- plorateurs, se mouvant libremeut dans le cercle de leurs travaux, peuvent preter leur concours aux ouvrages savanls en voie d'exe- 1 J'ai depuis trouvc un alphabet analogue a Veronc. On pcut en voir un scin- blable tird de la bibliothequc de Laon (Catal. des man. des dc'partcmenls , 1. 1 , p. 234) etdans le n° 17 du fonds de S'-Gcrmain (p. 204 v°.) — 373 — cution, et se considerer momentanement comme les charges d'af- faires de la science pres les bibliotheques etrangeres. BIBLIOTHEQDE ANGELIQUE. Dans les bibliotheques particulieres de Rome, appartenant a des communautes religieuses ou a des families patriciennes, le ca- talogue des manuscrits a toujours ele 1'objet principal de notre attention. Sans doute nous n'avons pas neglige d'examiner, d'ex- traire ou de copier les pieces importantes que pouvaient contenir ces collections; mais nous avons cru qu'il importait plus encore d'en faire connaitre les richesses, et d'indiquer aux savants les do- cuments qu'on y peut trouver pour 1'histoire politique ou litte- raire , documents dont les savantes relations de Montfaucon et de Mabillon, les catalogues de M. Haenel, la Bibliolheca manuscriptoram italica de M. Frederic Blume, les Archives de M. Pertz, ne peu- vent donner qu'une si faible idee. Un extrait etendu du catalogue est done le resultat principal que nous avons retire de 1'exploration de chacune de ces bibliotheques. A la bibliotheque Angelique, j'ai trouve quelques manuscrits orientaux de grande valeur, un bel exemplaire du dictionnaire hebreu d'Ibn-Caspi, ouvrage important et rare, avec d'autres ecrits du meme auteur; un magnilique manuscrits yriaque estrancjhelo , le plus ancien peul-etre qui existe de la version philoxenienne, et qui merite de compter pour beaucoup dans la critique du texte du Nouveau Testament. J'ai aussi feuillete avec interet la collection des travaux de Guillaume Bonjour, moine augustin ne a Toulouse, un des premiers qui se soient occupes de la langue copte : sa gram- maire, son dictionnaire, ses dissertations attestent au moins de louables efforls et meriteront une mention dans 1'histoire de l'e- tude des langues orientales. Nous avons pu aussi nous assurer que la bibliotheque Angelique possede plusieurs lettres inedites de Petrarque. BIBLIOTHEQUE BARBERINE. * De toutes les bibliotheques particulieres de Rome, la biblio- theque Barberine est la plus riche en manuscrits orientaux; j'en rapporte un catalogue assez etendu. Les manuscrits turcs forment — 374 — surtout une collection remarquable. J'ai extrait et decrit avec soin un manuscrit de strategic arabe et un beau manuscrit hebreu con- tei)ant la grammaire hebraique de Moise Kimcbi et d'autres tra- vaux grammaticaux du moyen age. Des circonstances indepen- chmtesdenotrevolontenousont empeches, dans cette bibliotheque et la prccedente, de donner a nos rechercbes toulo 1'elendue que nous aurions desire. BIBLIOTHEQUE VALLICELLANE. Si notre exploration de la bibliotheque Vallicellane, au con- traire, a ete la plus complete et la plus fructueuse, nous le devons a la parfaite courtoisie et a l'inepuisable complaisance du P. Au- gustin Theiner, conservateur de ce riche depot. La bibliotheque Vallicellane (autrement dite bibliotheque de l'Oratoire, ou de la Chiesa Nuova) est la plus riche de Rome en documents relatifs a Fhistoire de France. Les relations frequentes de l'Oratoire, et en particulier de Baronius , avec la France a l'epoque de la Ligue et de Henri IV, les rapports intimes de 1'abbe Benedetti, agent fran- cais a Rome sous Louis XIV, avec cet ordre, ont accumule dans cette bibliotheque une foulede pieces, plusoumoinsinleressanles, plus ou moins inconnues, sur les affaires de France aux xvi° et xvn° siecles. Toute l'bistoire de la Ligue et de la Fronde est la en pieces originales. Les documents relatifs aux diflerends de Louis XIV avec la cour de Rome formeraient a eux seuls plusieurs volumes. Cette bibliotheque, comme toutes les autres bibliotheques parti- culieres de Rome, renferme d'ailleurs une masse ^norme de co- pies de pieces diplomatiques relatives a l'histoire de la papaute ou des nations europ^ennes qui se sont trouvees dans des rapports plus etroits avec la papaute, des relations d'ambassades , des remits de conclaves , des anecdotes de toute espece. Certes la critique ne peut tout accepter indifferemment dans ces pieces, qui formcnt le fonds commun de toutes les collections romaines et qui repr^sen- lent exactement le journalisme d'une epoque ou , la publicite n'etant pas encore organisee, l'anecdote et la correspondance fournissaient seules un aliment aux nouvellistes. Les recits de enclaves, enlre autres, n'ont guere d'autre valeur historique que comme monu- ments des habitudes cancanieres de la prelalurc romaine. II y a pourtant beaucoup a apprendre pour Thisloire et les mceurs dans — 375 — ces commerages, qui defrayment les nouvellisles du temps et fi- rent de Rome, au xvna siecle, le centre anecdotique du monde entier. Ce gout servit aussi a multiplier a Rome les copies de pieces importantes, qu'on chercherait vainement ailleurs. Nous rapportons un catalogue tres-etendu de toutes les pieces interessanles pour l'histoire qui se trouvent a la bibliotheque Val- licellane, etla copie integrate ou partielle de celles qui nous ont paru les plus importantes ou les moins connues, quelques pieces sur le cardinal de Retz, une lettre de Richelieu a Mazarin, alors agent d'affaires a Rome, de curieux details sur un regalo offert par Richelieu au cardinal Barberin pour le mettre dans les interets de la France, une lettre de Christine a Louis XIV sur ses diffe- rends avec Rome, avec la reponse de M. de Lionne a Christine, une longue piece intitulee : Abrege d'un discours faict avec sa Sain- teti par aulcuns de ses confidens , apres le departement de Mons levesque de Paris de Rome, pour miner la maison de France par elle mesme et rendre un nouveau roy vassal dupape, trouve1 es papiers et mcmoires de Laurent David, avec ung avertissement a tous bons et naturels francois, qui exprime avec originaiite les esperances du parti exalte a 1'epoque de la Ligue; plusieurs extraits relatifs aux affaires de la regale et de Lavardin; d'autres relatifs a. 1'interditde Venise; quelques pieces de vers italiens sur les affaires de France a l'£- poque de la Ligue; une relation d'un Italien sur son voyage a la cour de Louis XIV; une relation des fetes qui eurent lieu au Monte-Pincio , a 1'occasion de la revocation de I'edit de Nantes; une lettre d'Arnaud d'Andilly a 1'archeveque de Reims, tres-impor- tante si elle etait inedite; en fin, quelques pieces de vers francais, peu connues, ce me semble, en deck des monts, et qu'on ne ju- gera peut-etre pas sans interet pour 1'histoire des rnceurs et de la litterature. La bibliotheque Vallicellane possede aussi un assez bon nombre de manuscrits anciens, grecs et latins; nous en avons pris l'indi- cation sommaire. J'ai fait la notice de quelques manuscrits grecs relatifs aux etudes byzan tines de la derniere epoque, dans 1'un desquels j'ai trouve la traduction grecque de la premiere des epi- tres familieres de Ciceron. Quelques vers latins inedits du xv° siecle ont de I'interet. M. Daremberg m'a aussi signale un glossaire latin (que je suppose etre celui d'Ugution) renfermant beaucoup de mots grecs, ecrits en caracteres grecs. — 376 — BIBLIOTIIEQCE COBSINI. La bibliollieque Corsini ne possede ni manuscrils orieutaux, ni manuscrits classiques, mais elle est riche en papiers relatifs a l'bis- toire politique et litteraire des xvic et xvne siecles. Nous en avons fait une liste considerable. La collection des autographes a surtoutfixe raon attention. Elle renferme un tres-grand nombre de lettres de savants et de littera- teurs italiens du xvme siecle et un nombre presque aussi conside- rable de lettres de savants etrangers. J'ai copie ou extrait d'inte- ressantes lettres de la Condamine, l'abbe Bartbelemy, Boerbaave, Jean-Francois Seguier, la plupart adressees a Bottari , archiviste du palais Corsini, et une lettre, en italien, de Voltaire, de 1760. La correspon dance du cardinal Fleury avec le cardinal Neri Corsini serait digne de la publicite, qu'on lui refuse sur de bien legers scrupules. J'ai trouve en outre six lettres de Fenelon, da tees des i5 mai 1709, 10 fevrier 1710, 9 Janvier 1711, 19 oclobre 1711, 8 fevrier 1 7 1 2 , 1 5 juillet 1 7 1 2 . J'besitai longtemps a croire que ces lettres, conservees dans une bibliotbeque si facilement ouverteau public, fussent restees inedites. Toutefois, ne les ayant trouvees ni dans 1 edition de Lebel , ni dans la vie de Fenelon par M. de Bausset, ni dans le volume (YOpuscules inedils el lettres recemment publie chez Ad. Leclere, j'e deinandai au prince Corsini, qui me 1'accorda liberalement, rautorisalion de les publier. Ces lettres, dont 1'une est fort elendue, sontd'un grand interet pour 1'histoire politique et th^ologique du temps. BIBLIOTBEQUE CHIGI. La bibliotbeque Chigi est plus remarquable par l'importancc que par le nombre de ses manuscrits. Je n'ai examine le celebre Denys d'Halicarnasse, le Libanius (non encore collationne et qui renferme probablement de 1'inedit) , le manuscrit grec des pro- phetes, exemplaire unique d'une version qu'on suppose etre celle qu'Origene publia apres l'edition des Hexaples, les cabiers auto- grapbes du Tasse, que pour m'assurer de leur importance critique. Les pieces bistoriques olfrcnt encore plus d'interet. IS agenda auto- grapbe de la jeuuesse de Sixte V, dont M. Ranke a deja parle, — 377 — les nombreuses chroniques tie villes d'ltalie, les pieces relatives a Alexandre VII Chigi , le fondateur de la bibliotheque , les rela- tions d'ambassadcs, le journal de voyage du cardinal Flavio Chigi, neveu d'Alexandre VII , m'auraient fournid'interessants exlraits, si les heures de travail dans cette bibliotheque m'eussentetedispen- sees avec moins d'avarice. J'ai du nie borner a l'examen special de quelques manuscrits latins d'Averroes et de quelques manuscrits grecs de medecine. BIBLIOTHEQUE SAINT-GREGOIRE (iN CLIVO SCAUIll). Cette bibliotheque, clonton soupconne a peine 1'existence, n'est decrite avec quelque etendue dans aucun voyage litteraire en Ita- lic Les savants anciens qui ont ecrit sur les manuscrits de ce pays ont bien parle de 1'ancien fonds de cette abbaye , fonds qui disparut presque totalement a 1'epoque de la domination franchise; mais la nouvelle collection formee par les cardinaux Zurla et Maur Capellari (Gregoire XVI, qui, avant d'etre pape, fut bibliothecaire et abbe de Saint Gregoire) des debris de la bibliotheque de Saint- Michel de Murano, pres Venise, dont le catalogue a ete donn6par Mittarelli, et de quelques autres fonds camaldules, n'a attire de* puis safondationl'attention d'aucun savant. L'extremebienveillance du P. Raimondo Archi m'a permis de faire un catalogue complet de cette collection, restce jusqu'ici a peu pres inconnue. Blume et Haenel en parlent d'une maniere tres-supei-ficielle, et les religieux m'ont assure que, dememoire d'homme, leur bibliotheque n'avait recu de visiteur. II sera done interessant pour le public savant d'avoir la notice exacte de ce qu'elle renferme. Le nombre des manuscrits que j'ai decrits monte a plusde cent. Comme les manuscrits ont etc malheureusement confondus avec les incunables , qui sont tres-nombreux , il a pu , malgre mes efforts , m'en echapper quelques-uns. Parmi les plus importants, il faut signaler un recueil d'opuscules de Roger Bacon, entre lesquels je me reserve de faire le discernement de 1'inedit; quelques poemes italiens du xve siecle, d'un grand interet; une foule d'ouvrages des erudits de cette (5poque, specialement des camaldules Petrus Del- phinus et Ambroise Traversari; des ouvrages ascetiques italiens de la seconde moitie du moyen age; un tres-beau manuscrit grec de la Geographie de Ptolemee; un veterinaire inedit, qui parait an- cien (Rutius?); l'exemplaire de la Rhetorique et de la Poetique — 378 — d'Aristote qui a appartcnu a Francesco Barbaro; quelques honii- liaires carlovingiens; un important manuscrit d'Angelome, reste inconnu aux benedictins qui ont redige dans YIHsloire litteraire 1'article de ce moine du ixe siecle, et qui complete la serie de ses oeuvres, etc. etc. Plusieurs de ces manuscrits portent en marge des notes assez interessantes du predecesseur de Pie IX, quand il n'etait encore que bibliotbecaire. BIBLIOTHEQUE DE LA MINERVE. Extraits du catalogue des pieces historiques et des manuscrits classiques. La collection orientale a peu dinteret. BIBLIOTHEQUE SAINTE-CROIX DE JERUSALEM. Extraits du catalogue, tres-ricbe en ouvrages grammaticaux du moyen age et en pieces bistoriques. Notice de la Summa gramma- tical de Petnis de Ysolella. BIBLIOTHEQUES DU GIESIJ, DU COLLEGE ROMAIN ; MUSEE KIRCHER, ETC. Differents motifs m'ont force d'etre tres-superficiel dans fexa- men des collections savantes de la compagnie de Jesus. Le rapide coup d'ceil que j'ai jete sur la bibliotheque du College romain, quelques manuscrits orientaux qui me sont tombes sous la main au Giesu, ne m'ont inspire ni regret de ce que je ne pouvais voir, ni desir d'en demander davantage. Le musee Kircher, au College romain , merite mieux sa celebrite. Les antiquites chr^tiennes et orientales qui y sont recueillies m'ont fourni quelques notes en vue de travaux ult^rieurs. Les musees de Rome, bien que se rattachant moins directemenl a 1'objet principal de ma mission, ont beaucoup fourni a la curiosite sp^ciale quej'y portais. Parmi les monuments qui ont fixe mon e lude, je signalerai seulementle bas-relief palmyrenien, avec inscription bilingue, qui se trouve au musee du Capitole, et le sarcopbage representant le systeme neoplatonicien sur la formation et la des- truction de 1'homme second , au meine musee. Les monuments byzantins de la premiere moilie du moyen age qui abondent a Rome m'ont beaucoup appris sur le role des Grecs en Occident durant cetto epoque. 379 PROrAGANDE. Mes travaux a la Propagande, Monsieur le Ministre, forment la partie la plus importante de mes recherches orientales. La lih>6- ralite et la complaisance des superieurs de cet etablissement m'ont encourage a y continuer mes recherches, souvent heVissees ail- leurs d'entraves et de deplaisirs. Le musee Borgia n'occupe pas dans la science et dans 1'opinion des savants de 1'Europe le rang qu'il nitrite. Comme il n'en existe aucun catalogue, les richesses en sont ensevelies, pour ainsi dire, dans des armoires obscures et sur des rayons poudreux, ou il faut aller chercher l'un apres 1'autre les manuscrits qu'on veut examiner. 11 n'y a, d'ailleurs, dans ce riche depot aucune classification arretee, et les choses s'y trouvent a peu pres dans 1'ordre oil les a laissees le dernier visi- teur. Tout cela m'a determine, Monsieur le Ministre, a soumeltre a un examen minutieux les parties de cette importante collection qui rentrent de pres ou de loin dans le cercle de mes Etudes. Manuscrits relalifs aux etudes indicnncs. — Cette partie est sans contredit la plus curieuse du musee Borgia. L'ltalie est de tous les pays lettres de 1'Europe le plus pauvre en manuscrits indiens, et par contre-coup celui ou les etudes indiennes sont le plus faibles. Le musee Borgia fait au milieu de cette pauvrele une remarquable exception, et, s'il reste pour les etudes sanskrites au-dessous du mediocre, par un contraste singulier il est peut-etre, en ce qui concerne 1'Indo-Chine, la premiere des collections europ^ennes. La collection indienne de la Propagande est formee de 1'ancien musee Borgia, situe autrefois a Velletri; de 1'ancien fonds de la Propagande, et d'un grand nombre de manuscrits posterieurement ajoules a ces deux fonds. Les deux fonds de Velletri et de la Pro- pagande ont ete decrits par Paulin de Saint-Barthelemy dans ses Codices Avenses (1793) et son Examen historico-criticum , etc. (1792). J'ai retrouve tous les manuscrits mentionnes par Paulin dans le fonds de Velletri, a l'exception de deux. Le fonds de la Propagande est beaucoup plus incomplet : presque tous les manuscrits qui en faisaient partie ont disparu. Mais, d'un autre cote, j'en ai retrouve un plus grand nombre encore, dont Paulin ne parle dans aucun des deux ouvrages precites. Trois parties de 1'Inde ont ete surtout visiters par les mission- — 380 — naires italiens : le Malabar, le Nepal et le Tibet, llndo Chine: e'est pour cela que les manuscrits devanagaris de Benares et du pays mahraltc y sont si rares. Je n'en ai Irouve a la Propagande que quatre ou cinq sur charta jaune repliee en zigzag, provenant du Nepal et relatifs, un seul excepte, a la religion chretienne. lis sont presque tous de la main de Marco della Tumba. Le seul qui offre quelque interet est la Traduzione del Libro detto Giansagr, libro de' Cabiristi; texte Sanskrit copie et traduit par ce mission- naire. Les autres manuscrits Sanskrits de la Propagande sont en carac- teres granthams de la cote de Malabar, el, par consequent, fort inferieurs aux manuscrits devanagaris; la plupart sont sur olles, e'est-a-dire sur feuilles de palmier gravees au poincjon et enfilees. J'ai soigneusement releve ceux qui ne sont decrits dans aucun des catalogues de Paulin. Le Malabar ayant ete la partie de Uncle la plus exploree par les missionnaires italiens, les manuscrits mala* bars-grantbams et tamouls abondent a la Propagande. J'ai trouv6 plusieurs grammaires et dictionnaires faits avec soin, des manus- crits chretiens en grand nombre, conciles, vies de saints, parlies de la Bible, pieces relatives aux affaires ecclesiastiques de llnde, suppliques au roi de Travancor et reponse de son ministre, etc. sur papier et sur olles, avec un grand nombre de lettres et d'olles diverses. En general, la Propagande possede beaucoup plus pour l'etude des dialectes vulgaires de l'lnde que pour l'etude de la langue ancienne et sacree. Je rapporte aussi le caique dune inscription tibetaine sur pierre rouge, caracteres graves en creux et tres-gros. Les manuscrits ou fragments de 1'Inde transgangetique forment la veritable richesse du Musee de la Propagande; j'en ai fait le releve le plus complet, avec la certitude de n'avoir rien omis. J'ai trouve en lout dix-neuf pieces, la plupart en pali, quelques-unes en siamois. Plusieurs de ces pieces etaient deja connues par les travaux de Paulin et par le savant Essai sur le pali de MM. Bur- nouf et Lassen; d'autres etaient inconnues, et clans ce nombre je crois avoir decouvert un essai de grammaire palie, ou du moins des tableaux au moyen desquels il sera peut-etre possible de rem- plir les lacunes qui restent encore clans le systeme des flexions de celte langue. Cet examen m'a amene a plusieurs resultats que les personnes vouees a ces etudes ne trouveront peut-etre pas sans interet. J'ai copie en grande partie les traductions et commentaires — 381 — italiens qui accompagnent quelques-uns des textes palis, et spe- cialement la traduction du Kammouva et celle des Precetti Men- galaa, par le barnabite Giuseppe Amato. Independamment des manuscrits en langue 6trangere, la Pro- pagande est riche en lettres, memoires, disserlations sur les lan- gues, la religion, la litterature des differents peuples visites par les missionnaires italiens. M. Eugene Burnouf, dans la note qu'il avait remise a la commission chargee de rediger nos instructions, avait attire de ce cote mon attention speciale. J'ai, en consequence, par- couru et extrait les nombreux cabiers de Tumba, Montegazza, Carpanus , Paulin , en prenaut de preference les pieces relatives a d'autres contrees qu'a Tlndoustan, sur lequel nous avons des ren- seignements de meilleure source. J'ai copie presque entierement une dissertation d'un missionnaire francais sur le systeme religieux et philosopbique des Siamois, pleine de details interessants. Quel- ques pieces relatives au Tibet ont aussi arrete mon attention. Manuscrits copies. — Bien que la langue copte ait occupe jus- qu'ici peu de place dans mes etudes , la collection copte de la Propa- gande est si importante , que je n'ai pu me dispenser de l'examiner. Les vingt-neuf boites renfermant les feuilles detacbees d'anciens manuscrits coptes-thebaiques doivent compter entre les plus pre- cieux monuments de cette litterature. Aide par les indications de mes devanciers.j'ai releve fascicule par fascicule, et souventfeuille par feuille, le contenu de ces precieux parchemins. Outre la version des livres de TAncien et du Nouveau Testament (publiee en partie par Georgi), j'y ai trouve de nombreux morceaux des peres et des conciles et d'innombrables fragments des livres apocryphes qui eurent tant de cours dans les premiers siecles du cbristianisme, surtout cbez les chretiens d'Egypte et de Syrie, actes apocrypbes des douze apotres, actes de martyrs, romans pieux, etc. Les autres manuscrits coptes de la Propagande sont presque tous accompa- gnes d'une version arabe. Je rapporte le catalogue et la notice de ceux qui offrent quelque interet. Manuscrits syriaques. — Parmi les manuscrits syriaques de la Propagande, se rapportant presque tous a la liturgie, aux Peres, aux conciles, il en est deux tres-dignes d'interet : 1'un est le lexique de Bar-Bahlul, bel exemplaire qui devait servir a Tedition projetee en Allemagne; 1'autre, que je considere comme le plus precieux monument syriaque qui soit a Rome, est le Divan des Mendailes MISS. SCIENT. 26 — 382 — hi < liretiens de Saint-Jean, ecrit dans un dialecte a jiart et conic aant en representations figurees tout le systeme theologique de cette secte gnostique, qui s'est conservee a travers les sieclcs aopres de Bassora. II est impossible de se figurer 1'etrange egarement d'esprit que revelent ces figures. Le lexte explicalil' qui les accom- pagne est en caraeteres syriaques, contrairemcnt a l'usage ordinaire de cette Jamille religieuse, qui possedc un caractere particulier. Notre Bibliolheque nationale renferme pkisionrs nianuscrits de ce genre, entre autres le Livre d'Aclam, public par M. Norberg; mais elle n'a pas le Divan, et je ne crois merne pas qu'aucune biblio- tlieque de I'Eurqpe le possede, la Propagande exceplee. J'en rap- porte des fragments et une analyse complete. Plusieurs ouvrages manuscrils des Assemani sur les eglises d'Orient et leur discipline, le facsimile dc la celebre inscription de Siganfou, onl aussi fixe mon attention. Manuscrits arabcs. — J'en rapporte le catalogue. Bel exemplaire de Hariri; recits sur les grands bommes de Tislamisme d'Aboul- Hasan Abdallah-el-Bekri; presque tons les autres sont cbreliens; peres de 1'Eglise, apocryphes, etc. Un beau manusciit de merle cine, en persan. Manuscrils ethiopicns. — II en est quelques-uns de tres-interes- sants : un apocrypbe designe sous le titre pen motive de Bartos, et qui est reste inconnu jusqu'ici; (Vinq^ortants documents pour 1'histoire ecclesiastique de l'Abyssinie, pouvant servir a determiner la date si controversee de 1'introduction du cbristianisme en ce pays; la serie des abbes du monastere de Saint Antoine; une tres- curieuse description de 1'eglise de Saint-Aragavi, que j'ai analysee avec etendue; des poesies religieuses, des hymnes, etc. Manuscrits grecs. — J'ai fait la notice des manuscrils principaux : saint Denys I'Areopagite, 1'Epinnmis de Platon, avec une epi- gramme grecque de Marsile Ficin ; un manuserit de musique eccle- siastique; le Plutus, les Nuees, les Grenouilles d'Arislopbane. beau manuserit avec scolies; Hippocrate; extrails des Peres, etc. Manuscrits latins. — Beau manuserit de Festus, quclques sco- lasliques, saint Anselme, Petrus Aureolus, un Virgile superbe, le rituel qui servit au sacre de Charles V, a Bologne. Langues diverses, miscellanees , etc. — Je n'ai pu examiner que tres-sommairement les collections elrangeres a l'objet denies etudes, illyrienne, armenienne, georgienne, cbinoi.se, mexicaine, irlan- — 383 — daise, etc. Les miscellanies relatifsades idiomes clivers abondent a la Propagande et expliquent comment cet etablissement, bien qu'il n'ait dans son but et dans sa direction rien de scienti- fique, a pu provoquer les premiers essais de linguistique ou de philologie comparee (Paulin de Saint-Barthelemy, Hervas, etc.). Les essais de grammaires ou de dictionnaires japonais, coreens, coptes, arabes , tibetains, et meme de dialectes de TAfrique, ka- kongo, etc. les alphabets de langues et dialectes divers, les nom- breuses dissertations archeologiques , autographes ou imprimees, de de Murr, Assemani, sur les cylindres babyloniens, etc. et en general toute la correspondance d'Etienne Borgia avec Adler, Tychsen , de Murr et autres savants de ce temps, offrent de l'in- teret. La bibliotbeque de la Propagande, distincte du musee Borgia , possede aussi de belles collections, entre autres une serie de dis- sertations d'exegese biblique, unique peut-etre. Quelques monu- ments figures, surtout les verres chretiens des premiers siecles, sont importants pour l'histoire de Fart. Les pieces historiques, en particulier celles qui sont relatives au concile de Trente, merite- raient un examen attentif. Enfin la belle collection des cartes g£o- graphiques du xve et du x\ie siecle est une des plus precieuses qui existent. Le planisphere sur cuivre du xivc siecle, la carte de Fra Mauro, celle ou est trace le meridien celebre d' Alexandre VI, sont connus des carlographes. .1'en rapporte une description detaill^e, avec des renseignements sur plusieurs autres cartes que Ton a moins re marquees. • NAPLES. Mon collegue vous a expose, Monsieur le Ministre, les motif's pour lesquels Naples ne figure dans notre rapport que par une page blanche. Le palais des Studj porte pour devise : Jacent hfsi pateant, et depuis deux ans tons les manuscrits et une grando partie du Museum Borhonicum sont sous les scellos! Pour cfimble de malheur, la bibliotheque Brancacciana, qui aurait pu occuper nos loisirs, etait en pleine disorganisation par suite de change- ments dans le local. Les quinze jours durant lesquels nous avons vainement attendu Tauton'saMon du ministere auraient ete per- dus pour la science, si, aux portes de Pompei et d'FJerculanuni , M. 2G. — 384 — a quelques lieues tie la Cava, de Salerne et dc Pceslum , un seul moment pouvait etre perdu pour l'esprit initio aux recberches de l'histoiro et de la critique. LE MONT CASSIN. Celte noble abbaye, bien digne d'une meilleure palrie, aurait sufii pour nous consoler de 1'inbospitalite et des meromptes que Naples nous reservait. Les buit jours que nous avons passes a YAr- chivium, au milieu des attentions les plus dedicates, ont ele peuf etre les mieux remplis de notre voyage et les plus feconds en utiles resultats. La decouverle a laquelle j'attache le plus de prix, Monsieur le Ministre, est celle de quelques pages inedites d'Abelard. Le n° 174 m'etait indique par le catalogue comme contenant V Enchiridion, les Betractationes , trois livres de Theolorjie chretienne de saint Au- gustin et le Sic et non d'Abelard. Les autcurs du catalogue avaient bien remarque qu'une tbeologie cbretieune, attribute a saint Augustin ne pouvait etre qu'apocryphe. A la premiere inspec- tion ,je songeai que ce devait etre la Thcologia christiana d'Abelard, et cette conjecture se trouva pleinement verifiee, quand je com- parai le manuscrit au texte publie par Martene et Dnrand dans le Thesaurus novus anecdotoram, t. V. De plus, celte tbeologie ne se composait pas de trois livres, comme le supposait le catalogue, mais bien de cinq livres, comme le texte publie; seulement. an lieu des titres des 4' et 5° livres, il y avait une lacune destinee a recevoir la rubrique. La collation des deux textes m'apprit bien tot que les quatre premiers livres n'offraient pas de difference impor- tante avec le texte imprime, mais que le cinquieme presentait beaucoup de variantes, de transpositions, d'additions, et ajoutait cinq ou six pages au texte des Benedictins, lequel s'arrete au mi- lieu d'une pbrase. En effet, apres ces mots : reservatur consilio, qui terminent le texte imprime, le manuscrit continue ainsi : m quo omnium na{ararum causae et rationes aternaliter atque incommu- tahiliier constiluit. Si quis tamen et de hoc rationem quarat, etc. J'ai copie avec le plus grand soin ce morceau, qui m'a semble ajouter beaucoup en determination a la pensee de ce qui precede. 11 ser- vira a completer le texte de cet ouvrage important dans le second — 385 — volume de la belle edition de M. Cousin, dont ies doctes conseils avaient a plusieurs reprises, avant raon depart, attire raon atten- tion sur Abelard. J'ai fait aussi la collation du Sic et non, conlenu dans ce meme manuscrit, avec le texte publie par M. Cousin. Je savais, par l'introduction du savant editeur, que les manuscrils de cet ou- vrage different notablement les uns des autres, et pourtant j'ai et6 surpris des innnenses differences que presente le texte du Mont- Cassin. L'ordre des chapitres est interverti d'un bout al'autre, les citations sont transposees, rangees sous d'autres titres, etc.; les parties relatives au concours de Dieu dans les actes bumains, a la Providence, aux anges, a Adam, a l'histoire evangelique, aux apotres, sont tout a fait omises. Ce manuscrit me semble done constituer une famille a part , quoique sur bien des points il se rap- procbe du manuscrit de Tours. J'ai releve l'ordre des cbapitres, les titres qui manquent dans le texte imprime, les principales differences dans les citations. L 'Archivium du Mont-Cassin possede un grand nonibre d'ou- vrages manuscrits du celebre pbilosopbe Cremonini, dont quel- ques-uns sont inedits, entre autres une lecon d'ouverture sur ce texte : Mundus nanquam est; nascilur semper et moritur, el deux lettres, 1'une de i'inquisiteur de Padoue a Cremonini, pour lui demander la retractation de ses erreurs, 1'autre de Cremonini a I'inquisiteur, ou il lui refuse nettement, et dans des termes d'une bardiesse remarquable, la retractation demandee; j'ai copie ces deux lettres. Un manuscrit m'a offert un tres grand interet, au point de vue de mes travaux sur i'etude du grec au moyen age : c'es*t un psau- tier a cinq colonnes, du xne siecle. L'une de ces colonnes coutient le texte grec, transcrit en lettres latines, avec les particularites iotacisles qu'on remarque toujours dans ces transcriptions. A la suite des i5o psaumesse trouvent tous les cantiques adoptes dans la liturgie de l'eglise , transcrits de la meme maniere. C'est un monument important a ajouter a un grand nonibre d'autres de meme nature que j'ai recueillis. La bibliotbeque Cotlonienne pos- sede un manuscrit qui a appartenu au roi Athelstan, et qui ren- ferme un psautier et un recueil de prieres grecques transcrits en caracteres anglo-saxons. Montfaucon a donne clans sa Palteogra- pliia grwca des transcriptions analogues; moimeme, a mon passage — 386 — ii Montpellier, et plus laid a Veroue, j'en ai recueilli de curieux exemples. Le Mont-Cassin m'a, du reste, fourni un grand nombre daulres documents pour l'histoire de la langue grecque en Occident. Les manuscrits de l'epoque carlovingienne, avec des niols grecs ecrits en caracteres grecs , y abondenl. La grammaire de Hilderic contient un chapitre sur les mots grecs (jui out passe en latin et sur leur transcription. L'abbaye du Mont-Cassin, comme celle de la Cava, possede un grand nombre de cbartes grecques, ou avec des sous- criptions grecques. Ces cbartes sont aussi tres-uombreuses daus les environs, a Benevent, a Aquino. A Naples, il y a ineme deux cbartes avec des souscriptions grecques ecrites en caracteres latins. Je rapporte a cet egard une foule de renseignemenls qui ne pou- vaientetre pris que sur les lieux, et qui jetteront peut-etre quelque jour sur l'usage de la langue grecque a ces confins du lalinisme. La bibliotheque du Mont-Cassin renfernie un grand nombre de ces versiculi qui forment une des brancbes les plus inleressantes de la litterature de l'epoque carlovingienne. Ughelli, M. Giese- brecbt, le P. Tosti, M. Ozanam ontpublie ceux d'Alfano, de Guai- fre, de Marus. J'ai copie quelques autres pieces , qu'on jugera peut- etre de quelque interet. Le Mont-Cassin ne possede que trois ou quatre manuscrits orientaux : un livre d'astrologie arabe, divise selou les signes du zodiaque, avec des pieces de vers correspondant aux premieres surates du Coran ; une belle bible hebraique, qui n'a pourtant ni 1'antiquite ni l'importauce que M. Drack a voulu lui atti'ibuer; enfin, un manuscrit rabbinique, qui n'avait jamais ete decrit exactement, et dont le contenu ( le premier ouvrage excepte) etait reste tout a fait inconnu jusqu'ici. Ce manuscrit renferme trois ouvrages : i° la traduction hebraique des quiuze livres des Elements d'Euclide, c'esta-dire des treize livres autbentiques et des deux livres d'Hypsicles; difference qui n'a pas ecbappe au traducteur : car le nom d'Hypsicles est mentionne dans les ti- tres du xive et du xve livre; 2° le Sepher hammispar (tddDH TDD), livre d'arithmetique d'Abrabam ben Ezra ben Meir, docteur du xne siecle (voy. Wolf, Bibliotheca hebraica, t. I, p. 83, 5°); 3° la traduction hebraique des trois livres des Spheriqu.es de Theo- dose de Tripoli, par Moise Aben Tibbon , le meme qui a traduit Euclide. On ignorail jusqu'ici que Theodose, dont on possede la — 387 — traduction arabe, eut etc traduit en hebreu : ce manuscrit seuible done unique et merite de prendre place parmi les monuments les plus importants de la litterature rabbinique. II renferme quel- ques lacunes qui portent presque toutes sur les titles ou les expli- cit, en sorle que ce n'est qu'apres de longues recbercbes que j'ai pu reconnaitre les ouvrages qu'il contient. Nous rapportons en outre du Mont-Cassin des exlrails du cata- logue qui pourronl n'etre pas inutiles pour diriger les recbercbes des futurs explorateurs. FLORENCE. Manuscrits syria<]ues. — La bibliolbeque Laurentienne est la plus ricbe peut-etre de 1'Europe en manuscrits relatifs a la philo- sopbie syriaqne. Comme mes etudes se sont particulierement di- rigees sur ce point, j'ai du en faire 1'examen le plus attcntif. J'ai trouve deux beaux manuscrits de la grande encyclopedic peripate- ticiennedeBarhoebraeus, inlitulee } j^a 1\*» Ljbfi..** le Beurre de la sagesse, clont l'un n'avait point ete reconnu par Evode Assemani, l'auleur du catalogue de laLaurentienue. Ce grand ouvrage, encore classique chez les Syriens, represente dans la pbilosophie orientale la methode d'Albert le Grand , et cette maniere de fondre dans une paraphrase plus developpee le texte aristotelique, tout en mainte- uant la division des traites, comme la division de la science elle- meme. J'ai trouve en outre un tres-giand nombre de traites de iogique , traductions, extrails, analyses, paraphrases de VOnjanon, qui, reunis aux documents que j'avais deja trouves a Paris et au Vatican, m'ont amene a 1'intuition definitive de 1'etat de la Iogique cbez les Syriens. Celte question ne peut elre tenue pour oiseuse, quand on sait que ce sont les Syriens qui onl initie les Arabes a la culture de la science et de la pbilosophie grecques, et quand on reflechitarimmense influence que la culture arabeaexercee sur les destinees de l'esprit humain. Le point de depart de ce grand mou vementdoil etre cherebe dans les ecoles et les monasteres deSyrie. La granimaire, qui, chez les Syriens, est si etroitemenlliee a la dialectique, a aussi attire mon attention. J'ai examine divers traites granmiaticaux, priucipalement de Barhaebraeus, en negligeanl toutefois sa granimaire en metre ephremeen, deja publico. Enfin, je n'ai pu visiter la Laurentienne sans donner au moins — 388 — uii coup d'cjeil aux deux inagnifiqu.es tetra-evangiles syriaques quelle possede : le premier, du vie siecle, renferme la version peschito et d'admirables peintures, qui constituent sans comparaison le plus precieux monument de 1'art syrien; le second, un peu plus mo- derne, renferme la \ersion philoxenienne. L'histoire de la femme adultere manque dans ces deux manuscrits. Le premier presente en oulre, sur le Lamma sabacthani, une particularity importanle pour la critique de l'Evangile de saint Mathieu. Beaucoup de mots grecs sont semes sur les marges. Manuscrits arabes. — Mais 1'objet principal qui m'attirait a la Laurentienne, Monsieur le Ministre, e'etait 1'unique et precieux manuscrit qu'elle possede du texte arabe du grand commentateur Ibn-Roschd (Averroes). J'ai choisi Averroes et l'histoire de 1'aver- roi'sme pour le sujet d'une these que je dois presenter a la Faculte des lettres de Paris , et dont j'ai deja recueilli presque tous les ma- teriaux. Independamment des traductions latines faites sur l'he- breu, imprimees plusieurs fois par les Juntes, les traductions he- braiques et les traductions latines faites sur 1'arabe abondentdans tou les les bibliotheques de manuscrits. Mais ce qui est tout a fait rare, cest le texte arabe lui-meme. Les violentes persecutions dont la phi- losophie fut 1'objet chez les musulmans du temps d'Averroes, et surtout apres lui, lirent oublier le grand commentateur chez ses compalriotes, pendant que chez les juifs et chez les chreliens il acquerait la plus haute celebrite et marchaitde pair avec Aristote. Telle est la cause qui a fait disparaitre la plupart des manuscrits du texte original. Deux bibliotheques seulement eu Europe en ren- ferment quelque portion, la Laurentienne et celle de 1'Escurial. Notre Bibliotheque nationale n'en possede que des fragments ecrits en caractere hebreu. Le manuscrit de Florence, d'origine ma- rocaine, contient le grand commentaire sur les cinq parlies de YOrganon, sur la Rhetorique et la Poetique, e'est-a-dire sur l'en- semble des oeuvres logk/ues d'Aristote, dont ces deux derniers ou- vrages font partie dans la classification des Arabes. J'ai extrait et confronle avec la traduction sur les points les plus importants ce precieux manuscrit. Qu'il serait desirable d'en avoir une copie integrale! J'aurais bien desire au moins copier le commen- taire sur la Poetique, l'un des plus interessanls et le plus defigure dans les traductions hebraiques et latines, les traducteurs juifs ayant supprime ou mal rendu les citations de poetes arabes qu'A- — 389 — verroes a substitutes aux citations de poetes grecs faites par Aris- tote1. Ce serait au point de vue de la lilterature arabe, comme au point de vue de l'histoire de la philosopbie, un travail bien im- portant. Les citations de Nabega, de Motenabbi, d'Amrilkai's, d'Antara et d'Abou-Temam se retrouvent a cliaque page. Mais cette copie eut absorbe une fraction trop considerable du temps qui m'etait accorde, et comme, d'ailleurs, je n'ai pu trouver a Flo- rence ni a Pise un seul copiste pour 1'arabe, nous serons long- temps encore prives de cd texte, a moins qu'il ne vous plaise, Monsieur le Ministre, d'obtenir Tagrement du minislere toscan pour faire venir le manuscrit a Paris, ou il serait facile de le faire copier tout entier. L'extreme raret6 du texte arabe de Rhazes donneaussi quelque interet a deux abreges du Continent que possede la Laurentienne, et que j'ai soumis a un sommaire examen. Manuscrits he'breux. — Parmi les manuscrits hebreux , ceux qui ont attire mon attention sont : Un tableau cabalistique contenant 1'arbre sephirotique, avec des explications et des figures d'un remarquable travail; deux manuscrits de la Bible, distingues entre tous par la calligrapbie et par les belles miniatures qui les ornent; une traduction bebraique du livre de medecine d'Arnauld de Villeneuve; une traduction hebraique du Viatique d'lbn-aldjez- zar, ou plutot de Constantin l'Africain. L'ouvrage parait avoir ete traduit sur le texte latin de Constantin, comme 1'indique le mot Viatico (1312x13) conserve dans le titre hebreu. Manuscrits latins. — Un article du catalogue latin avait un mo- ment pique noire curiosite. Nous y lisions : Petri Bwlardi (seu po- tias Abeelardi) Pratiqua quam observabat in circulaloriis suis. Quoique ce til re n'annoncat qu'un apocryphe, nous etions desireux de sa- voir les pratiques qu'on attribuait au pere de la pbilosophie fran- c;aise, transforme en geomancien. Malheureusement Bandini a mal lu : l'auteur est P. Beclardus, dont l'identite, meme putative, avec l'amant d'Heloise parait fort douteuse2. Ce manuscrit m'a 1 II existe a Paris (fonds de Sorbonne, 1779) une traduction faite sur Tarabe par Hermann i'Allemand , 011 ces suppressions n'ont pas eu lieu; mais elle est, comme toutes les traductions de Tarabe faites au moycnage, d'une extreme bar- barie. Cette traduction a &t6 imprim^e a Venise en i48i et se trouve aux incu- nables de la Bibliotheque nationale. a II est pourtant remarquable que le nom de Bailurdo est encore populaire en — 390 — neaumoins lourni quelques by nines populaires qui paraissent avoir ele en usage dans les operations magiques, et qui pourraient servir a completer les collections de Ad. Follen , Th. Wright, Edclesland- Duineril. Dans un autre inauuscrit , eonsacre egalement aux sciences oecullcs, j'ai releve avecinleret des scries de inotsgrecs, arabes, hebreux, auxqueis on attribuait des vertus surnaturelles. J'ai, en outre, examine plusieurs carles de geographic du com- mencement du xvic siecle. Enfin , un manuscrit de la Laurentienne et d'autres monuments de la Toscane m'ont lourni quelques pa- ralipomenes a rillustration de la Divine Comedie et au spirituel Voyage dantesque de M. Ampere. Quelques olles malabariques composent toutes les richesses iu- diennes de la Laurentienne. On raconte que Ciriaco d'Ancone, Jepourvoyeur de manuscrits de Cosme de Medicis , lui rapporla d'Orient des manuscrits indiens. Ce fait avait depuis longtemps pique ma curiosite. Mais il est probable que le mot Inde doit etre pris ici dans le sens vague qu'on lui donnail dans l'antiquite et ii la Renaissance; je n'ai rien trouve du moins a la Laurentienne qui ait du me faire renoncer a cette opinion. PISE, S1ENNE, ETC. L'art toscan du xive siecle est certainement, par le choix des sujets, celui qui inleresse le plus le philosophe. Les mosaiques en clair-obscur de la calhedrale de Sienne, les fresques d'Aui- biogio Loreuzetli et de Taddeo Bartolo au palais del Pubhlico, la chapelle des Espagnols a Florence, doivent compter entre les mo- numents les plus importants de Thistoire de la philosophic Pise m'a fourni plusieurs monuments interessants pour l'his- toire de l'averroisme. Le tableau de Traini dans l'eglise Sainle- Catherine, rcpresentant la defaite d'Averroes par saint Thomas, a dejaete decrit, bien que des circonstances essentielles, et meme la pensee generale et dogmatique du tableau , n'aient pas ete jus- qu'ici bien saisies. Mais ce qui est reste inapergu, c'esl la place Italic commc celui cl'iin magiciea. Mais peut-etre vaut-il micux rattaclior la t6 putation de sorcellerie a i'arliste dc ce nom dont parlc Cicognora (Storia della scollura, 2" <5d. 1820, p. i35),ct dont on a cru retrouvcr le travail sur uue verriere de Notre-Damc-de-Chartres. (Voy. Revue Archeoloyique, i5 aoiit i85o, p. 289.) — 391 — d'Averroes dans Fenfer dOrgagna au Campo-Santo. Son noiu, presque efface, s'y lit encore; ii y est couche, entourd des plis d'un serpent, dans une bolgia reservee aux heretiques, avec Mahomet ct FAnlechrist, circonslance qui prouve d'une maniere bien sen- sible comment Faverroisme elait devcnu a celte £poque, en Italie, synonyme d'incredulite. A Florence, au chapitre des Dotninicains appele Capellone degliSpaynuoli, pres Santa-Maria-Novella , Averroes figure aussi avec Arius et Sabellius dans 1'admirable fresque de Taddeo Gaddi, parmi les heretiques ecras6s par 1'ordre de saint Dominique. PEROUSE, ASSISE, ETC. La bibliotheque de Perouse n'est point a negliger. Elle renferme un grand nombre de manuscrits classiques , un plus grand nombre encore de documents relatifs a la literature italienne , un ma- nuscrit ethiopien interessant, des pieces hisloriques, la collection deslettresdeMazarin. J'ai decritspecialement une traduction latine de Libanius, des premiers temps de la Renaissance, une copie dun opuscule tres-rare de Galilee, un curieuxmanuscrit des Offices de Ciceron avec des miniatures remarquables et des legendes en francais. Mais les monuments et les ceuvres d'art de 1'Ombrie me reser- vaient des enseignements plus precieux a beaucoup d'egards que ceux des bibliotheques. Ce beau pays est assez peu explore pour que j'aie cru ne pas sortir de Fobjet de ma mission en portant sur ce point une attention speciale. Ainsi, a Narni, j'ai pu reconnaitre dans Feglise des Zoccolanti un important tableau du Spagna, qui appartient vraiment a la France, puisqu'il represente Fapotheose de saint Louis, et sur lequel M. Valery s'est etrangemeut mepris. A Perouse, Fexploration detaillee qu'il m'a ete permis de faire des richesses de la belle abbaye des Benedictius de Saint-Pierre m'a f'ourni des renseignements a peu pres inconnus sur une foule doeuvres importantes de Fecole perugine. Que n'apprennent point la salle du Cambio , le Dome et les nombreuses eglises de Perouse ? Assise est 1c grand musee des origines de Fart moderne : deux fois j'y suis revenu , deux fois j'ai voulu lire sur place , tracee par le pinceau de Cimabue et de Giotto, la grande legende du second Christ du ruoyen age. Peut-etre mes vues sur FOmbrie, et sur — 392 — Assise en particulier, ne paraitront-elles pas indignes du serieux d'un voyage scientifique. Spolete, les bords du Clitumne, Foligno, m'ont aussi beaucoup appris. Les Marches, Tolentino, Macerata, Recanati, Lorette, Osimo, Ancone, m'ont presente une toute autre physionomie. Les Marches sont la Beotie de l'ltalie; l'art y montre peu de spontaneite. Mais Tolentino et Lorette ont de curieuses le- gendes; Macerata et Osimo, d'importantes antiquites, trop ou- bliees; Ancone, de beaux monuments byzantins, qui m'ont beau- coup fourni pour fhistoire de rhelleuisnie dans le monde latiu au moyen age. Pesaro , Rimini, ont de la Renaissance d'impor- lants monuments et de beaux souvenirs. RAVENNE. Grace a la genereuse hospitalite de M. le marquis Cavalli , 1'liote et le guide de tous les Francais que la curiosite attire dans ces parages recul^s, mon sejour a Ravenne a ele Tun des plus agrea- bles et des< mieux employes. L'interet scientifique de Ravenne reside principalement dans ses admirables monuments: on a dit avec raison que Ravenne represente bien mieux la Constantinople de Justinien que Constantinople elle-meme. L'essai que j'ai pre- sente a 1'Academie des inscriptions sur l'etude de la langue grecque en Occident durant le moyen age donnait a ces monuments un interet tout special pour moi. Saint-Vital, Saint-Apolliuaire, Saint- Jean l'Evangeliste, l'eglise de Classe, le tombeau de Placidie, celui de Theodoric , celui d'Isaac l'Armenien , Sainte-Marie-in-Cosmedim , une foule d'autres baptisteres ou eglises byzantines du vne et du vme siecle, font de Ravenne un point historique d'une valeur inappreciable, ct m'ont fourni pour mon travail tout un chapitre que je n'avais jusqu'ici que vaguement entrevu. La bibliotheque communale de Ravenne n'est pas indigne de ces monuments. L'Aristophane , si justement celebre, m'a peu occupe, parce qu'il a ete deja epuise par Bekker, et notre compa- triote M. Miller. Le manuscrit des epitres de Ciceron serait, s'il fallait en croire M. Th. Mommsen, qui l'a etudie, presque aussi pr^cieux que l'Aristopbane. En elTet, la perfection avec laquelle les passages grecs y sont transcrits et accentues, toute la science grammaticale et philologique que suppose cette belle copie, se- — 393 — raient un vrai prodige au xine siecle, 6poque a laquelleM. Momm- sen rapporte ce manuscrit. Malheureusement cetle attribution est fautive, et j'ai recueilli cles preuves qui etablissent indubitable- ment que le manuscrit appartient au xv° ou au xvie siecle. J'at- tacbe beaucoup plus d'importance a un manuscrit grec contenant une ehronique du royaume de Chypre, qui n'est autre chose que le texte original de la chronique de Diomede Strambaldi, dont la traduction italienne se trouve au Vatican. Ce texte etait reste in- connu jusqu'ici; bicn qu'il ne porte pas le nom de Strambaldi, les souvenirs precis qui me restaient du manuscrit de Rome ne m'ont pas laisse douter de leur identite. J'ai decril et exlrait plu- sieurs autres manuscrits : un bel Olympiodore; des manuscrits grecs de medecine et de philosophie aristotelique; un bel exem- plaire du Sihah de Djeuhari; un manuscrit hebreu de conlroverse avec les chretiens; un veterinaire interessant du moyenage; les poesies de Gregoire Tifernas ; un beau manuscrit francais des ro- mans de la Table-Ronde et du Saint-Graal; plusieurs cabiers de philosophie aristotelique duxve siecle ;un manuscrit de Pendasius, que je retrouverai a Padoue; une histoire des empereurs, depuis Auguste jusqu'a Othon IV, de Riccobaldi de Ferrare (inedite) ; une belle traduction de 1'Eneide du xve siecle, in oitava rima; de nom- breuses traductions en vers et en prose , ouvrages des philologuesde la Renaissance; une foule de poesies italiennes; le commentaire (inedit) de Benvenuto de Rambaldi d'Imola sur l'Enfer de Dante; des chroniques des eglises de Ravenne; des correspondances de lettres italiens et etrangers. Les papyrus de Ravenne, autrefois si celebres , et qui ont fourni de si precieux documents auxMarini et aux Fantuzzi, ontpresque tous disparu. J'ai recueilli des renseignements exacts sur le sort de ceux qui sont disperses, et sur le nombfe et 1'etat de ceux qui restent encore a I'archeveche et a la bibliotheque communale. M. Frederic Blume est sur ce point d'une extreme inexactitude. Enfin, j'ai du consulter sur les lieux plusieurs ouvrages relalifs a ces papyrus et aux monuments de Ravenne, ouvrages qu'il serait peut-etre difficile de trouver en France, a cause de l'int£rel tout local qu'ils pr^sentent. Les musses lapidaires de I'archeveche et du college m'ont beaucoup olFertpour 1'histoire de 1'etude du grec au moyen age. — 304 — liOLOGNE. La bibliotheque de 1'Universite, a Bologne, se distingue par sa ricbesse en manuscrits orientaux; ces manuscrits proviennent en grande partie des dons du savant comte Marsigli. Un premier ca- talogue en fut imprime a Vienne en 1702; Joseph Simonius As- semani le refit et le completa en 1720, mais avec assez peu de soin : les nombreuses inadvertances qui lui etaicnt echappees ont ete corrigees par le polyglotte Mezzofanti. Parmi les manuscrits arabes , au nombre de 55o, ceux qui ont specialement attire mon attention sont : le superbe Dioscoride, ecrit l'an de 1'hegire 6^2; le livre de jurisprudence et de morale du faquib Abul-Leith de Samarkand, dont j'ai extrait quelques curieux chapitres; le livre du scbeik Abd-el-Wabhab ben AH el- Scbarani sur 1'obligation de connaitre el de celebrer la divine Providence, qui n'est qu'un long panegyrique de sa propre per- sonne; un curieux atlas, accompagne de texte, dont j'ai pris une notice etendue. Les collections turque et persane, les manuscrits hebreux, notamment un tres-bel Avicenne (Histoire des cinimaux) , les nombreuses olles malabariques, un calendrier mexicain, sont aussi tres-dignes d'attention. Parmi les manuscrits grecs, le plus precieux a mon avis est un gros volume de medecine assez moderne et en partie astrologique , mais con tenant des fragments imporlants et probablement ine- dits des medecins et des compilateurs anciens. II y a aussi de beaux manuscrits de Plularque, de Josephe, des Geopoviques deCassianus Bassus. Parmi les papiers plus modernes, j'ai distingue la lettre autographe et bien connue de Voltaire a Benoit XIV, en lui de- diantsa tragedie de Mahomet; d'interessants sonnets sur les actrices qui jouerent Zaire au palais de Mondragone a Frascali , en 1755, et qui n'etaient autres que les princesses Borghese et Colonna; des cahiers de philosophie du xve et du xvic siecle; une vieille carte de Gratiosus Benincasa d'Ancone, 1^73. J'ai eu 1'honneur de visiter avec M. le comte Marchetti, 1'une des gloires litteraires de 1'ltalie contemporaine , le portico delle Scuole, 1'ancienne universite de Bologne, et la bibliotheque communale qui y est deposee. Les manuscrits y sont peu nombreux rt d'une mediocre importance. Tout rinteret se reporto sur ces portiques — 395 — couverls d'ecussons dont plusieurs portent des noms historiques, sur cet amphitheatre ou l'anatomie prit naissancc. J'ai aussi trouve dans la representation de 1'Enfer qui se voit encore dans l'une des chapelles de Saint-Petrone, et que Ton attribue a Buffalmaco, des traits presque semblables a ceux qne les artistes de Pise et de Florence ont diriges contre Mahomet et Averroes. La galerie com- munale possede nn pelit tableau semblable a la fresque de Saint- Petrone. FERRARE. L'objet principal que je me proposais dans les bibliotheques de la Romagne et de la Venetie etait la recherche des manuscrits relatifs a la philosophic scolaslique et averroistique, qui, au xv" et au xvic siecle, eut tant de vogue dans ce pays. J'ai deja dit que j'ai rassemble les materiaux d'une these que je dois presenter a la faculte des let Ires sur l'histoire de l'averroisme au moyen age et a la Renaissance. Je desirais vivement rechercher sur les lieux memes les ti'aces de cette curieuse philosophie; les resultats ont depasse raon esperance, et les textes que je rapporte, de Venise surtout, seront, je 1'espere, envisages comme un des fruits les plus utiles de ma mission. A Ferrare , j'ai trouve et examine les Quodlibela du carmelite Robert Piclingham, les lecons d'Antoine Montecatinus, les com- mentaires medicaux et philosophiques du Ferrarais Antoine Bra- savola , et en particulier son commentaire sur le De substantia orbis d' Averroes, dont j'ai fait une analyse etendue. J'ai aussi donne quelque attention a des ecrils nombreux de controverse contre les juifs, aux poesies latines de Lilio Giraldi et de Coelius Calca- gnini, a une traduction de la Pulcherie de Corneille, par le car- dinal Bentivoglio , a quelques manuscrits arabes , et a des olles kawies, assez surprises de se trouverdans une collection dont 1'in- teret principal reside dans les poesies autographes de 1'Arioste, du Tasse et de Guarini. VENISE. Oblige de limiter inon sejour a Venise a quelques semaines, je me suis boi-ne, parmi les nombreux manuscrits de Saint-Marc, a ceux qui interessent la philosophie aristotelique et averroistique du xve et du xvie siecle. Les documents inedits que je rapporte — 396 — introduiront, je 1'espere, des elements nouveaux dans l'histoire de la philosophic de cette epoque. Us serviront, du moins, a tracer la voie, a faire comprendre comhien les notions cpie nous avons sur ces ecoles sont incompletes et inexactes, et a indiquer le moyen de repandre quelque lumiere sur ce sujel ohscur. Ce moyen serait, Monsieur le Ministre, une exploration longue et attentive des ma- nuscrits philosophiques de Venise, Padoue, etc. Les sources impri- mees sont ici absolument insulhsantes. Les philosophes de l'ecole de Padoue etaient tous professeurs; ils imprimaient peu et avec timidite, mais ils professaient heaucoup et avec assez de franchise. Leur cours etait leur veritable philosophic; toute leur reputation se fondait sur leur enseignemenl, et tandis que leurs ecrits imprimes se bornaient a quelques dissertations qui se vendaient fort mal (des temoignages du temps nous l'allestent), les redactions de leurs cours, les cahiers de leurs eleves, se repandaient dans toute 1'Italie, s'entassaient dans les bibliolheques particulieres ct pu- bliques , ou ils sont restes absolument negliges dcpuis la deca- dence de cet enseignement philosophique. 11 est resulte de la que les historiens de la philosophic n'ayant juge celte ecole que sur ses monuTiients imprimes, qui sont la moindre partie de ses tra- vaux, l'ont fait d'une maniere tres-superficielle, et ont omis les noms des maitres les plus illustres, de ceux qui, par le nombre de leurs auditeurs et la celebrite de leurs lecons, furent surnom- mes les monarchies de la philosophie (famosissimus monarcha philoso- phorum). Je croirai avoir beaucoup fait si, par mes recherches, j'ai pu tourner de ce cote 1'attention de ceux qui s'occupent d'his- toire de la philosophie, et tirer de l'oubli quelques noms de pro- fesseurs autrefois celebres, et aujourd'hui trop oublies. Le fonds philosophique de Saint-Marc provient, presque entier, de Tabbayc de San-Giovanni-in-Verdara de Padoue; les chanoines reguliers de Saint- Augustin de cette abbaye les avaient eux- m£mes recus en don de Jean de Marchcneuve et de Gaetano de Tiene. Je les ai tous examines avec soin , car, bien que plusieurs des ouvrages qu'ils contiennent aient ete imprimes a Venise au xv'siecle, les editions en sont devenues raresou ontdisparu. Voici les noms plus ou moins inconnus que j'en ai exhumes : Paul de Venise , de Tordre des Ermites de Saint-Augustin , qu'il ne faut pas confondre avec d'autros lettres du meme nom, l'un des averroistes les plus declares. Son commcntaiie sur le traitc do — 397 — Tame d'Aristote , sa Summa totius philosophies, reproduisent a chaque page la doctrine d'Averroes sur l'unite de l'intellect actif pour tout le genre humain ; j'en ai fait de longs extraits. J'ai aussi examine son iraile De constilutione mundi et son commentaire sur la Physique d'Aristote. Gaetano de Tiene est plus connu, et pourtant plusieurs de ses ocuvres philosophiques sont restees inedites. Son commentaire sur le De anima, imprime a Venise en i48i, mais devenu rare, est de la plus haute importance : il y professe aussi tres-fran- chement les principes d'Averroes, mais sans en admettre les consequences heterodoxes. Son commentaire sur la Physique, ses Questions sur diverses parties de la philosophic trois theses surtout que j'ai trouvees de lui sur la theorie de 1'intellect, pre- sentent un grand inleret. Gaetano, par sa fortune, sa position sociale, son enseignement et ses ecrits, fut un des plus ener- giques souliens de la philosophie aristotelique clans le nord-est de l'ltalie. Jean de Gand, ou Jandunus, est egalement bien mal connu. Ses oeuvres pourtant abondent dans toutes les bibliotheques de l'ltalie, et il est cite sans cesse par les philosophes duvxv° et du xvf siecle. J'ai examine sa Logique , ses Questions dialecliques, ses commentaires sur la Physique d'Aristote et sur le De subs- tantia orbis d'Averroes, et surtout ses questions sur ie De anima, ouvrage capital, roulant tout entier sur !e debat des questions averroistiques , et remarquable par la force avec laquelle il combat les opinions du commentateur arabe. Adam Bouchermefort, ciont le nom revele un Francais, com- menta aussi le De anima, le livre De causis et la Physique d'Aris- tote, clans le sens des questions agitees de son temps. Pierre de Mantoue s'occupa de logique. Je l'avais deja trouve a Rome, a Sainl-Gregoire in clivo Scauri dans la portion que pos- sede cette abbaye de l'ancienne bibliotheque de Saint-Michel de Murano. Jacques de Forli, Jean de Lendinara, Hugues de Sienne, Ma- gisterRicardus furent aussi des professeurs jadis celebres, et dont j'ai trouve plusieurs traites ou dissertations. Les extraits que j'en ai fails suffiront pour les faire connaitre , ou du moins pour don ner une idee de leur direction philosophique. Mais de tous les philosophes padouans, celui qui a le plus par MISS. SC1ENT. 27 — 398 — ticulierement attire mon attention est Cesar Cremonini. Les ecrits imprimis de Cremonini ont tres-peu d'importance et ne peuvent laire comprendre la renommee colossale a laquelle il parvint, et comment dans l'opinion il put marcher de pair avec Galilee, son collogue a l'universite" de Padoue. Or, la bibliotheque de Saint-Marc possede vingt-deux grands volumes, Merits d'une meme main et contenant son cours complet sur toutes les parlies de la philosophic peripatrticienne. Le catalogue les donne comme au- tographes; mais cette opinion ne peut , ce me semble , etre aclmise. Us proviennent des archives du conseil des Dix, auquel Cremo- nini avait en effet adresse ses ouvrages, comme le prouve la lettre que j'ai trouvee au Mont-Cassin et dont j'ai parle precedemment. C'est dans ces manuscrits qu'il faut chercher la vraie philosophie de Cremonini. J'ai fait des extraits tres-considerables, speciale- ment de son traite De intelligentiis, de son commentaire sur le Traite de lame et de son Exposition de la metaphysique d'Aristote. J'ai compare avec cette grande collection authentique plusieurs autrcs manuscrits du meme philosophe provenant d'ailleurs, et j'espere que ces recherches diverses jetteront quelque jour sur le representant le plus celebre de 1'ecole de Padoue. Un vieux manuscrit d'Averroes contient des notes interessantes sur le traducteur Michel Scot et quelques traites rares dans les manuscrits du Commentateur. J'aiaussi note, chemin faisant, des vers de Pierre Damien, peut-etre inedits, et le traite De cura et modo rei familiaris, adresse au chevalier Raymond et fausse- ment attribue a saint Bernard. (Voy. Hisl. litt. de la Fr. t. XII, p. 265.) J'ai retrouve ce traite a Turin, ce qui m'amenera a en parler de nouveau. Enfin , je n'ai pu m'empecher de jeter un coup d'ceil sur l'in- teressante collection recueillie par Just Fontanini, eveque d'An- cyre, de lettres adressees, soit a lui, soit a Octave Falconieri, soit a d'autres lettres italiens. Quelques lettres d'Emery Bigot, de Car- cavi, de Chapelain, de Menage, adressees a Falconieri, ont un veritable interet, el j'en ai copie des parties. J'ai aussi feuillete un recueil de lettres d'erudits de la Renaissance, forme par le sa- vant bibliothecaire Morelli, et extrait quelques lettres de Ciriaco d'Ancone, en vue de mes recherches particulieres. Enfin, je rap- porte plusieurs indications utiles comme supplement au catalogue imprinu'' des manuscrits de Saint-Marc, qui est fori inromplel. — 399 — Ma visite aux Armeniens de Saint-Lazare , en meme temps quelle m'a fait connaitre par experience la courtoisie des Mekhi- taristes, vantee par tous les voyageurs, m'a anient a me former une idee exacte des tresors armeniens qu'ils possedent et qu'ils savent si bien exploiter. Enfin, les differents monuments de Ve- nise m'ont beaucoup appris pour mon histoire de l'etude de la langue grecque en Occident durant le moyen age. Venise etait, apres Ravenne et le midi de 1'Italie, le point qui m'offrait a cet ^gard le plus d'interet, PADOUE. BIBLIOTHEQUE DE L'UNIVERSITE. La bibliotheque de 1'universite de Padoue, composee presque uniquement de manuscrits du xve siecle, est riche en philosophes de la seconde et de la troisieme scolastique. J'y ai retrouve de nombreux exemplaires de Jean de Gand , Paul de Venise , Hentis- berus, Jacques de Forli, Gaetano de Tiene, Cremonini, qui me- taient deja connus par mon exploration de Venise, mais dontj'ai rencontre ici plusieurs traites nouveaux. D'autres philosophes pa- douans se retrouvent dans de nombreux manuscrits : je citerai Thomas de Catalogne , Nicolas Bonnet , Paolo della Pergola , Penda- sius surtout, dont j'ai retrouve un traite fort important De anima, ouvrage capital pour 1'histoire de l'averroisme , et dent j'ai fait de longs extraits. Je citerai encore un important commentaire inedit sur le De generatione et corruptione , par l'Allemand Marsile d'Inghen. Parmi les livres etrangers a la philosophic les plus cu- rieux sont 1'Itineraire de Marino San u to et une copie duLivre noir de larepublique de Venise, e'est-a-dire du registre des condamnes a mort pour crime politique de 1'an y56 a Tan 181 3. BIBLIOTHEQUE DE SAINT-ANTOIJJE DE PADODE. Cette bibliotheque abonde aussi en manuscrits scolastiques. J'y ai trouve Jandunus, Jacques de Forli, dontj'ai fait quelques nou- veaux extraits, quatre superbes manuscrits de Gaetano de Tiene, donnes par lui-meme a Saint- Antoine, un commentaire anonyme sur fame, offrant de 1'interet, un coins sur la m^taphysique d'A- M. J7. — 400 — ristole par un magister Calaber, qui pounait bien etre Onofrio Calaber, a qui Gactano adresse son traits de l'ame; ouvrage im- portant, roulant presquc entier sur les questions averroistiques , et dont j'ai fait de longs extraits. BIBLIOTHEQOE DD CHAPITRE. C'est la seule bibliotheque de Padouc qui renferme des manus- crits anciens. En fait de manuscrits pbilosophiques, j'y ai trouve Paolo della Pergola , Nicolas de Foligno , magister Strodus. Gaetano de Tiene, qui fut cbanoine de Padoue jusqu'a sa mort, en i/i65, ne pouvait en etre absent. J'ai fait, en outre, quelques extraits du catalogue, et copie line tres-curieuse cbanson latine d'etudianl qui se trouve a la suite d'un volume des Decretales. BIBLIOTHEQUE DU SEMINAIRE. Une circonstance penible, la destitution toute recente du savant bibliothecaire , m'empecha de mettre a profit ce depot comme je 1'aurais souhaite. On croit y posseder deux traitesinedits de Roger Bacon ; j'ai des indications suffisantes pour verifier ulterieurement cette conjecture. J'ai fait aussi quelques extraits du catalogue, qui donneront une idee de cette collection , qui a deja beaucoup fourni a la presse savante. Universite, Ermites , etc. — Grace a la complaisance du recteur magnifique de 1'universite, M. Baldassare Poli , connu par ses sa- vants ecrits sur l'histoire de la philosophic italienne et sur l'eco- nomie politique, j'ai pu examiner les archives de 1'Universite , et en particulier les rotali ou programmes des cours, du xvic siecle, indiquant le sujetdes lecons, le nom et les honoraires du profes- seur, etc. J'y ai trouve une foule de details curieux sur l'epoque ou Galilee, Fabrice d'Acquapendente, Cremonini, professaient simul tanement dans cette ecole celebre. Plusieurs traditions encore con- servees, quelques portraits, entre autrescelui de Cremonini, sont aussi d'un grand interet et apprennent beaucoup, meme apres les grands ouvrages de Facciolali et de Papadopoli sur cet illustre gymnase. Plusieurs des monuments de Padoue completent d'une manicre frappante la physionomie historique de son universite. L'eglise — 401 — ties Ermites, avec le tombeau de Pierre d'Abano, les peintures alchimiqueset cabalistiques du Guariento; le grand salon du palais delta Ragione, avec les fresques astrologiques ex^cutees par Giotto ou son ecole, sur les id6es de Pierre d'Abano, sont d'inappr£- ciables monuments de cette science de la fin du moyen age, bizarre, mysterieuse, charlatanesque et naive a la fois, qui laisse deja pressentir la science moderne. VICENCE. La bibliotheque communale de Vicence, dite Bartoliana , m'a fourni peu de documents interessants. Ma moisson s'est bornee a un opuscule inedit d'Augustin Nypbus, au commentaire autogra- phe de Prosper Alpinus sur les six livres de Dioscoride, et aquel- ques cabiers de philosopbie aristotelique. J'ai parcouru avec plus de fruit l'Histoire litteraire de Vicence, de Calvi (en religion Angiol-Gabriele de Santa-Maria , carme dechausse ), Vicence, 1772, ouvrage rare, qui ne se trouve peut-etre pas a Paris. J'ai exlrait presque entier 1'article de Gaetano de Tiene. Le palais Tiene , la pinacotbeque communale, m'ont offer t beaucoup d'interet. La pi- nacotheque possede les portraits de Pierre d'Abano, de Nicolas Leonicenus et de plusieurs aulres personnages illustres dans l'his- loire de la philosopbie, sans parlerde celui de Cbristophe Colomb, dont M. Jomard a etabli J'aurbenticite. La bibliotheque Gonzali ne m'a offert aucun manuscril qui eut pour moi un interet special. VEKONE. La bibliotheque du chapitre de Ve>one est, a mon avis, la plus precieuse de l'ltalie, celle, du moins qui, dans l'etat actuel des sciences philologiques , peut offrir le plus de documents in^dits pour les lit'.eratures classiques et pour celles du moyen age. Ce n'est pas sans une vive surprise qu'apres avoir visite tant de bi- bliotheques du nord de l'ltalie, formees presque uniquement de manuscrils modernes, on se trouve lout a coup entoure de ma- uuscrits en lettres onciales du v° et du vi° siecle , de palimpsestes prccieux par ce qu'ils ont fourni, ou cequ'ils peuvent fournir en- core, de manuscrits carlovingiens, riches de choscs in^dites. Mal- beureusement, on doit regretlcr de voir cette inappreciable col- — 402 — lection entre les mains de possesseurs aussi incapahles d'en tirer profit que peu disposes a ceder leurs droits sur ce qu'ils regar- dent comme leur exclusive propriety. Mais telle est ici 1'abon- dance des ricbesses, que, nialgre le parti pris de contrarier mes rechercb.es, j'ai pu derober bien des choses a ces maitres avares, et moissonner sous leurs yeux quand ils croyaient ne me laisser qua glaner. C'est surtout en vue de mes travaux sur 1'etude du grec en Oc- cident pendant le moyen age que j'ai trouve a Verone des docu- ments interessants. La bibliotheque du chapitre possede a cet £gard un monument de la plus grande importance : c'est un psautier grec du ve ou du vie siecle, ecrit en lettres latines onciales. J'ai trouve au Vatican, au Mont-Cassin , a Montpellier, ailleurs, des transcriptions de cette sorte de 1'epoque carlovingienne ou du xn° siecle; mais ce qui me semble tout a fait remarquable et cer- tainement unique, c'est une transcription d'une si grande anti- quite. L'ortbograpbe est iotaciste, excepte pour Ytj, qui est constam- ment transcrit par e, bien qu'une main plus moderne 1'ait tou- jours change en i. Les gloses del'archidiacre Pacifico, le fondateur de cette bibliotheque au ixe siecle, les ceuvres de Rathier, eveque de Verone, un manuscrit de saint Maxime du v° ou du vie siecle, un hexameron de 1'epoque carlovingienne, m'ont ofTert d'autres particularites interessantes pour la meme etude. Enfin, un ma- nuscrit de droit et de formules ecclesiastiques du xc siecle se ter- mine par un alphabet grec fort curieux, accompagne d'une note sur la maniere de mettre en caracteres grecs 1'indiction des di- plomes, ainsi que les suscriptions, les formules finales et certaines combinaisons mystiques de lettres grecques encore en usage a cette epoque dans l'Eglise latine. J'ai decouvert , dans un manuscrit du ixc siecle , une piece ine- dite d'Alcuin , intitulee Lorica Ladcini ( sic ) sapientis , fort curieuse, et que j'aurais vivement desire copier. De ridicules pretentions in'en ont empeche, et je conipte peu sur l'effet de la promesse qui me fut faite par un chanoine, moins scrupuleux que ses con- freres, de m'en faire passer plus tard la copie. Quel interet n'au- rait pas la publication exacte de tous les rhythmes carlovingiens que possede cette bibliotheque! VEpicedium de Charlemagne, le rhythme sur 1'histoire de Verone, les hymncs anciennes avec leur notation musicalc de 1'epoque carlovingienne, sont des pieces du — 403 — plus baut iuteret. Muratori , je le sais, en a publie les plus impor- tantes; il reste toutefois beaucoup a faire apres lui , et pour quel- ques unes cle ces pieces, le texte qu'il a donne est si fautif, qu'on peut les regarder com me inedites. La patrologie aurait aussi a gla- ner a Verone beaucoup de choses inedites, et le cardinal Mai' est loin d'avoir epuise tout ce qu'elle possede a cetegard. Le catalogue, ouvrage de 1'illustre Scipion Maffei, donne comme inedites quelques sentences de Publius Syrus, douze distiques de Martial et plusieurs autres epigrammes latines. Quinze distiques de Theognis donnes de meme par Maffei comme inedits, ontete publies depuis; nean- moins la copie que j'en ai rapportee fournira plusieurs rectifica- tions interessantes. J'ai aussi examine" avec soin le beau manuscrit francais du Tresor de Brunetto Latini , la chronique de Guillaume de Nangis, l'bistoire des guerres de France en l'annee i45o, par Georges Bevilacqua, et surtout 1'interessante correspondance de 1'eveque de Bayeux , Louis Canossa , legat du pape en France et en Angleterre, pleine de details interessants pour notre histoire. Enfin j'indiquerai une note des plus curieuses (a la fin du ma- nuscrit n° 2t)4) sur la bataille de Pavie , indiquant, beure par heure, les peripeties de la lulte. Un manuscrit de la Vita nuova, de Dante, contient deux sonnets de plus que les editions impri- in^es, eten differe par plusieurs variantes et transpositions. Enfin, apres avoir curieusement examine les palimpsestes qui ont servi aux d^couvertes de Niebuhr et de Mai, j'ai pu me convaincre qu'il reste encore beaucoup a faire pour arracher a ces precieuses pages tout ce qu'elles contiennent. J'ai reconnu et avidement contemple des fragments de Tite-Live, appartenant pour la plupart a des livres perdus, et en particulier au XIXe. Mais, lors meme qu'un tel decbiffrement ne fut point sorti du cercle habituel de mes tra- vaux , je n'aurais pu songer a affronter sur ce point les pretentions du chapitre, que j'avais trouvees si exagerees pour des choses bien moins imporlantcs. Parmi les manuscrits grecs , j'ai remarque et d^crit les Prole- (jomenes de la philosophic de David l'Annenien, accompagnes d'une Introduction a la doctrine de Platon , et de quelques vers que Maffei recommande egalement , ou comme n'etant pas publies , 011 comme differents des textes imprimes; un commentaire d'Asclepiade de Tralles sur la M^tapbysique d'Aristote ; les homilies de Leon le Philosophc; une page inedite de saint Cyrille ; rHomerocenton — liOk — (1'bistoire evangelique composee avec des vers d'Homere) de le- veque Patricius; quelques manuscrits de Galien, etc. La philosophie de la Renaissance m'a ici moins occupe, et a vrai dire, apres Vicence, je n'ai plus retrouve ces nombreuses col- lections de manuscrits philosophiques, restes de reuseignenient du xv° et du xvie siecle, qui fornient un trait si caracteristique des bibliotheques du nord-est de 1'Italie. J'ai vu pourtant a Ve- rone, avec quelque interet, des manuscrits de Paolo della Per- gola, Onofrio de Sulmona, Francois Piccolomini, et un com- mentaire sur l'Ethique d'Aristote par un scolastique peu connu , llenricus ab Alemannia. La bibliotheque municipale, de formation recente, possede plusieurs manuscrits, tous relatifs a l'histoire de Verone, et en [jarticulier un bel exemplaire des Constitutions de cette ville et le registre des terres qu'elle possedait au xin° siecle. BRESCIA. Ge n'est pas sans une grande surprise et une joie trcs-vive que j'ai trouve un exemplaire du Sic et non d'Abelard dans la patrie du plus celebre de ses disciples, Arnauld de Bresse. Ce fait est d'autant plus remarquable que le manuscrit est a peu pres con- temporain de ces deux grands bommes, et de la meme 6criture que celui du Mont-Cassin l. J'en ai releve tous les titres , et j'ai pu me convaincre qu'il est encore plus incomplet et plus different du texte public par M. Cousin que celui du Mont-Cassin. Parmi les autres manuscrits C[ue j'ai examines, je citerai le Dogma philosophorum de Barthelemi deRecanati, recueil de phi- losophie morale, commun en Italie, des opuscules d'Albertano de Brescia, des dissertations inedites de Formey et du cardinal Qui- rini , des letlres de Canossa , d'autres documents pour l'histoire de France, un recueil de lettres adressees a Bcssarion , par Nicolas Perotti, Pbilclpbe, Antoine de Palerme, Marsile Ficin. J'ai copie une des lettres de Ficin, qui merite d'etre connue. 1 Guillaumc dc Saint-TLierry denonce a saint Bernard le Sic ct non coninic un ouvrage suspect qui circulait 'myslerieusemcnt parmi ies partisans d'Abelard: Oderunt lucem, nee etiam queesita inveiunntur. (S. Bcrnardi Opp. t. I, j>. 3oi.) V. Cousin, GEavres inedilcs d'Abelard, Introd. p. clxxxv. — La presence du Sic ct non a Brescia est d'autant phis remarquable, que la Quiriniana tie renferme pas de fonds ancien, en sorle que ce manuscrit est la lout individuel. — 405 — Quelques antiquites reunies a la bibliotheque m'out offert beau- coup d'interel pour mes etudes sp^ciales. Je citerai un astrolabe grec qu'on estime du vie ou vne siecle, le diptyque de Boece, la croix d'Ansperge, le superbe manuscrit des quatre evangiles, en velin sur pourpre, du vie siecle, une concordance d'Eusebe, du vme ou ixe siecle. MILAN. Le temps m'a manque, Monsieur le Ministre, pour examiner, comme ils l'auraient merits, les grands depots litteraires de Milan et de Turin. D'ailleurs le role de l'explorateur etranger devient ici plus dilncile et moins necessaire. L'activite litteraire des indigenes suffit, dans ces deux villes, a 1'exploitation des ricbesses qu'elles renferment, et l'etranger aurait mauvaise grace de cbercber a faire, en quelques jours, des decouvertes qui ont ecbappe aux fa- miliers du lieu. C'est pourquoi j'ai considere mon exploration comme close a Brescia, etje mesuis borne, pour le reste demon voyage, aux commissions dont l'lnstitut m'avait honore ou aux recbercbes special es qui interessaientquelques-uns de mes travaux. L'Academie des inscriptions m'avait charge de verifier a la bi- bliotheque de Brera ce que pouvait etre un ouvrage mentionne par M. Perlz dans ses Archives, sous le titre de JohannisMussce Ain- philruon. Get ouvrage n'est autre chose que la fable d'Amphi- tryon et d'Alcmene ou Geta, de Vital de Blois, poete du xm° siecle, publiee d'abord par le cardinal Mai (Classici auclores, t. V), puis d'une maniere plus complete par plusieurs editeurs, entre autres parM. Osann a Darmstadt, par M.Wright a Londres, parM. Midler a Bale, et recemment dans la Bibliotheque de l'ecole des chartes. Le manuscrit de Brera est bien preferable a celui du Vatican sur lequel a travaille le cardinal, puisque ce dernier mauuscrit n'a pas revele au savant editeur le nom de 1'auteur du poeme, qui se trouve en toutes lettres dans le distique final du manuscrit de Brera. Mais il n'offre plus qu'un mediocre intcret apres les edi- tions posterieures. Jean Mussa, que M. Pertz avail pris pour i'au- teur, n'est que le copiste. A l'Ainbroisienne, l'lnstitut m'avait charge de copier, au moins en partie, les coutumes lalines de Milan du commencement du xme siecle. J'ai trauscrit tout entier le prologue , qui rappelle les cir- constances historiqins ou cette compilation fut execulee, el les — 406 — noms tie ceux qui y prirent part. J'ai copie en outre toutes les ru- briques et quelques chapitres qui iu'ont semble d'un interet spe- cial, ceux, par exemple, qui reglent la propriete des cours d'eau et le systeme des irrigations, maliere si importante dans le Mila- nais. Plusieurs manuscritsprovenant de la celebre abbaye de Bobbio a i'Anibroisienne in'ont offert des particularity curieuses pour l'bistoire des etudes grecques au nioyen age et quelques versiculi inedits ou peu connus. La vieille eglise de Saint- Ambroise, et surtout le tresorde Monza, vrai musee lombard du temps de Theo- delinde, in'ont aussi inteiesse en vue du meme objet. Enfin, les arcbives de l'archeveche contiennent un diplome important et meconnu : c'est un double authentique de l'acte bilingue de reu- nion des deux Egliies, concluau concile de Florence entre Jean \ 111 Paleologue et Eugene IV, avec le sceau de lempereur et les sous- criptions. Baronius en a publie le texte latin d'apres 1'original qui se trouve a Florence. Uue collection particuliere, celle de nilustre conite Porro, qui m'a ete ouverte avec la plus parfaite courtoisie , m'a offert plusieurs pieces bisloriques d'un grand interet : un menioire autograpbe de huit ou dix pages deTureune, dale d' Amiens, sur les affaires d'Angleterre; une quittance de Cbarles VIII pour les Ceut-Suisses; une lettre autographe de Louis XII a sa fdle; une piece authen- tique d'histoire contemporaine, qui jettera une vive lumiere sur les evenements de 18 J 5 dans le royaume d'ltalie , quand les noms qui l'ont signee seront lombes dans le domaine de l'bistoire; une chronique de Venise, contenant des details nouveaux et tout a fait intimes sur Carmagnola, et l'eternelle collection des lettres de Mazarin. VERCEIL. L'interessante bibliotbeque du chapitre, dout on peut dire qu'il n'existe aucun catalogue, se compose de 2i5 manuscrits , dont une bonne moitie appartient aux x° et xf siecles : c'est done une de celles qui peuvent laisser encore quelque cbose a l'espoir des chercheurs. J'ai recueilli des gloses grecques de quelque interet : dans deux manuscrits des pradicamenla, dils de saint Augustin; dans un manuscrit dedie a Charlemagne et contenant les traites de la music/iie de Boecc et de saint Augustin; dans un manuscrit — 407 — dts Etymologies d'Isidore. Je rapporte encore quelques indications qui pourront suppleer au peu de documents que Ton possede sur le contenu de cette bibliotheque. TURIN. A la bibliotheque de I'universite , j'ai cherche, comme a 1'Am- broisienne , les traces qui peuvent se trouver dans les manuscrits de Bobbio cles etudes grecques des Hibernais de cette abbaye. Si j'ai ete moins heureux qu'a Milan, c'est que Turin a seulement herit6 des rebuts de cette antique et precieuse collection , dont l'Ambroisienne et le Vatican ont pris la meilleure partie. J'ai releve neannioins dans deux manuscrits liturgiques des particularity de quelque interet. En fait de philosophic, j'ai retrouve Jean de Gand, Gaetano de Tiene, le livre d'economie domestique attribue a saint Bernard, et que Ton revendique pour Bernard de Chartres (Bernard Svl- vestris) ; un livre de philosophie occulte, contenant plusieurs traites qui ne sont pas dans la collection de Manget, et dont le catalogue de Pasini ne donne qu'une notice incomplete. La bibliotheque de l'Universite possede un grand nombre de manuscrits francais du plus haut interet. J'ai borne mon examen a la critique de 1'Amedeide en seize pages autographes , d'Honore d'Urfe. Ce morceau est certainement des plus curieux pourl'his- toire de la critique francaise et pour l'histoire litteraire de l'auteur de l'Astree. Bien que quelques fragments en aient ete inseres dans 1'edition recente de 1'Amedeide, j'en ai copie toute la partie generale etles eudroits les plus curieux; j'espere que nos critiques les liront avec quelque interet. La bibliotheque particuliere du roi, fondee par Charles- Albert, et qui m'a ete liberalement ouverte, possede deja quelques ma- nuscrits, un homiliaire carlovingien , des vers latins du meme temps, une histoire de la Bible et une exposition de la doctrine chretienne en italien du xive siecle, avec des miniatures tres-cu- rieuses. Les archives du royaume contiennent des pieces du plus haut interet pour la France. J'ai examine une description en francais des funerailles d'Anne de Bretagne, avec des figures representant les difl'erents moments de la ceremonie, une traduction francaise — 408 — de la Cite lie Dieu de saint Augustin , du xive ou xvc siecle , la Chasse du roi Modus, I'Eloge de Louis XII, de Claude Seyssel, imprime sans date ni lieu , I'Eloge de Henri II, etc. APPENDICE. Le desir de poursuivre quelques series de recherches nous a portes a profiter de 1'occasion de notre voyage pour visiter cer- taines bibliotheques de France qui se trouvaient sur notre route, soit en allant, soit au retour. Comme d'ailleurs ces recherches se lient a des investigations qui m'ont occupe dans toule nia mission et dont j'ai eu frequemment a parler dans les pages qui precedent , je crois devoir, Monsieur le Ministre, pour completer l'expose de mes travaux, vous dire quelques mots de ces explorations secondares. BIBL10THEQUE DE MONTPELLIER. A la bibliotheque de Montpellier, un manuscrit latin contenant differents ouvrages d'Averroes m'a offert un texte des Errears aver- roistiques condamnees en 12/io en Angleterre et a Paris, beau- coup plus etendu et plus caracterise que celui qui est imprime dans la Bibliotheca maxima Palruin (t. XXV) et qui a etc reproduil par Duboulay dans son Histoire de l'Lniversite de Paris (I. 111). J'ai copie les parties inedites de cette piece importante. J'ai aussi trouve a Montpellier un grand nombre de manuscrils curieux pour 1'etudc du grec au moyen age, des glossaires grecs- latins, des manuscrits latins de l'epoque carlovingienne, semes de motsgrecs, et enfin plusieurs fragments liturgiques en grec Lrans- crits en caracteres latins, les prieres de la messe, le Pater, etc. j'ai parle, a propos du Mont-Cassin, des autres pieces analogues que j'ai recueillies. Enfin, j'ai copie dejolies pieces de vers, de l'epoque carlovingienne, restecs jusqu'ici inedites, des prieres pour les 6preuves du fer et de l'eau bouillante , des invocations mystiques et quelques vers scolastiques sur l'etre, d'un caraclere fort original. r BIBLIOTHEQUE DE DIJON. M. Libri , en reudant compte, dans le Journal des Savants, d'un maniucrildeSaint-Benigne contenant un grand nombre de poiites — 409 — latins, avait signale au milieu de ces poetes un commencement tie traduction d'Homere en vers latins du moyen age. Ce pheno- mene litteraire m avait semble en dehors de toutes les vraisem- blances, et j'ai profile de mon passage a Dijon pour eclaircir mes doutes a ce sujet. En effet, cette pretendue traduction n'est autre chose que l'abrege de 1'Iliade du Pseudo-Pindarus , qui commence comme celle d'Homere, mais qui n'est pour la suite de 1'ouvrage qu'une analyse seche et ecourtee. Cet ouvrage a coutume, du reste, de se trouver joint aux poetes latins daus les manuscrits du moyen age. Malgre cette deception, mon sejour a Dijon ne m'a pas ete inu- tile : j'en rapporte plusieurs notices qui ne seront peut-etre pas sansquelque valeur, au moins avant la publication du catalogue. Et je remarquerai en passant qu'avant de le publier il sera urgent de le refaire, ou au moins de le reviser; car je 1'ai trouve extre- mement defectueux. Tel est, Monsieur le Ministre, le resume de mes travaux dans la mission que votre predecesseur m'a fail 1'honneur de me Con- ner. Je n'ai point aspire a l'unite; je me suis permis sans scrupule de faire parfois le principal de l'accessoire et 1'accessoire du princi- pal. Je me suis rappele que 1'Academie des inscriptions, dans les conseils qu'elle voulnt bien nous adresser au debut de notre voyage, nous avait recommande cette curiosite large et vraiment savante qui peut sortirsans efibrtdu cercle de ses travaux babitueis. j'ai done recueilli ce que je trouvais sous ma main et ce que je re- gardais comme le plus utile dans 1'etat actuel des sciences pbilo- logiques, en vue de mes propres travaux, ou de travaux plus sa- vants que les miens, sans cbercher a donner a mes recberches une couleur unique et d'ensemble. Je serai trop recompense si les savants speciaux veulent bien trouver dans mon spicilege quelque epi utile a leurs travaux , et m'excuser ainsi d'avoir parle teme- rairement , inexactement peutetre, de ce que je ne pouvais savoir aussi bien qu'eux. J'ai 1'honneur d'etre avec le plus profond respect, etc. Ernest RENAN. — 410 — BArPOitT adresse a M. le Ministrc de Vinslruction publique et des cultes, par M. Lottin de Laval , sur les las-reliefs de Schapour et de Persepolis qu'il a rapportes de sa mission au Sinai. Le voyageur instruit qui descend de l'lndus ou de la region devorante de Mascate aborde avec une joie infinie la plage boueuse de Bcnder-Bouchyr. La cependant, de prime abord, rien ne semble fait pour exciter 1'admiration; Boucbyr est une petite ville tres-miserable d'aspect, batie de terre et de roseaux, a la faron des plus pauvres bourgades de 1'Inde, sans eau, devoree par la fievre et brulee par un soleil tropical. Mais cetle terre a ete foulee par Alexandre, Nearque y vint ravitailler sa flotte1; c'est la premiere ville de ce vaste empire perse qui eut une action si grande sur l'Asie, puis c'est le cbemin de Schapour et de Per- sepolis. A cinq journees du golfe Persique, en remontant a Test, on trouve au sorlir des apres defiles de Kaumaritch une immense vallee profondement encaissee dans la belle cbaine du Khouzi- stan; je laissai au sud la route de Cbiraz, et apres une marche de trois heures a l'est-nord, au milieu d'une solitude effrayante, je vins franchir le fosse d'une ville antique qui dut avoir une haute importance : c'etait la cite de Sapor le Grand , qui porte encore aujourd'hui son nom2. Schapour s'etendait en forme olliptique du nord au sud. Au centre, sur une montagne mediocre, separee d'une longue chaine qui la borde comme une muraille , etait le palais de Sa- por, dont il reste quelques arceaux a plein cintre et de hauts pans de rnurs3. Ce palais, d'un abord presque inaccessible, dominait 1 Selon toutes probabilites, Bendcr-Bouchyr est la Mcsambria des anciens. (Voyez Arrien, Exped. d'Alex.; William Vincent, Voyage de Niarquc.) * Nous 6crivons Sapor, qui est le nom adopts en France pour ]c vainqueur de ValeVien, bien que ce soit Schapour. Sapor II batit plusieurs villes durant le cours de son long rfegne : les plus ce- lebres furent celle dont nous nous oecupons et Nichapour dans le Khorassan. 3 LesSassanides emprunterent beaucoup aux Bomains pour leur architecture et leurs arts. Tous les monuments de Schapour du Farsistan altestent a un tres- hant degr6 le genie romain, de memo que la base du fameux Taktc-Kchsrd bati par Kosrhoes en face de SeMeucie du Tigre : c'est la que pour la premiere fois I'ogive a M erigee en svstf'mr architcetoniqur. :^ . //t/tt/'twi/ry Missions sei&tti/igiies. J ' * IV. !. : ... /..l/w ./, /.„ Mlsyiofix .>r/ri//i/i.iil< ■ l LeUm ' . InAiiiw ,/.v.///.o'A.">" - t.ni-ffcur 6a' — 415 — irrecusable du sexe feminiii. Je les ai decouvertes derriere la chambre royale a Persepolis, tout pres dela petite plate-forme ou je moulai cette belle inscription faisant aussi partie de la galerie du Louvre et consacree a la genealogie de l'illustre race d'Ache- menes. LOTTIN DE LAVAL. Aux Trois-Vals, 6 juillet i85o. Rapport adresse1 aM. le Ministre de l instruction publique , par M. Battssicr, charge, en 1846, d'une mission en Grece, en Syne et en Asie Minenre. Paris, le i5 decembre i8/J6. Monsieur le Ministre, En quittant Smyrne, d'ou j'ai eu 1'honneur de vous ecrire, je me suis rendu directement a Rbodes. J'ai fait une etude speciale des diverses constructions de cette ville, qui presque toules se rapportent au sejour des chevaliers de Saint-Jean, et dont les plus importantes ont ete elevees sous le gouvernement de grands maitres d'origine franqaise. Je vais, monsieur le ministre, vous donner findication et une description succincte de ces monu- ments, et vous pourrez juger de 1'intenH qu'ils doivent olfrir pour riiistoire de fart. ARCHITECTURE MII.1TAIRE. Les fortifications de Rhodes sont clans un assez bon etat de conservation et ne paraissent pas avoir ete modifiees depuis la conquete ottomane. Elles presentent, du cote de la mer, une muraille batie en pierre d'appareil , flanquee de quelques tours, et couronnee par une galerie crenelee. Les merlons des creneaux ont une ou deux bifurcations dans le goutarabe, et sont quelquefois lout perces d'une meurtriere longitudinale. Ce systeme de defense , du c6t6 de la terre, est plus etendu et plus complet : il se com- pose d'un ensemble de courtines, de bastions et de larges fosses M- 38. — 416 — creuses dans le roc. Helion de Villeneuve restaura les fortifications de Rhodes, et Dieudonne de Gozon posa les fondements de la tour Saint-Michel, a l'extremite de la jetee meridionale du grand fort. Toutefois, les travaux les plus considerables furent executes par les ordres du grand maitre Pierre d'Aubusson et sous la direc- tion de Pierre Clouet, ingenieur de 1'ordre de Saint-Jean et com- mandeur du prieure de France. Les portes de la ville meritent un examen particulier. On peut dire dune maniere generale, qu'elles sont defendues par un pont- levis et par deux tours rondes ou carrees, surmontees d'une galerie a machicoulis et a crencaux. La Porte d'Amboise a ete commencee en 1 A8o par Pierre d'Aubusson, et achevee par Emeri d'Amboise, dans les premieres annees du xvic siecle. Elle est precedee par un pont levis et flanquee de deux tours cylindriques; elle presente un passage incline a gauche, dont la voute, legerement cintree, est decoree de chevrons et de frettes degeneres. Au-dessus de 1'entree, on a place un bas-relief ou 1'on voit un ange les ailes deployees, tenant d'une main 1'ecusson de 1'ordre, et de l'autre main les ar- mes de d'Amboise. On lit sur cette pierre : amboyse mdxii. Je dois noter encore une statue mutilee de la Vierge qu'Helion de Ville- neuve fit venir d'ltalie. Cette porte est precedee par deux autres portes moins monumen tales, a creneaux bifurques, et isolees l'une de l'autre par des fosses. L'ensemble de ces travaux a 1'apparence d'une veritable forteresse. Au dela de cette partie des fortifications, s'etend un cimetiere ou ont ete inhumes les soldats musulmans tues pendant le dernier siege de Rhodes. La Porle Saint-Jean est construite a peu pres dans le meme sys- teme que la precedente. Elle offre egalemeut trois passages suc- cessifs : le premier est voute en plein cintre; elle presente les amies de 1'ordre et celles du grand maitre Raymond Zacosta. De la on arrive a une seconde porte qui ressemble a la premiere, puis on trouve une enorme lour carree, servant de prison. La porte principale est delimitee superieuremenl par un cintre tres-sur- baisse et encadree dans une bordure qui se termine en fronton tres-aigu. Cette bordure est rehaussee de moulures et de feuillages qui rappellent le style de la derniere periode ogivale. Dans le tym- pan, au-dessus de la porte, on a sculpte les armes de 1'ordre, celles de Vitliers de I'lsle-Adam, et une figure de saint Jean: Le saint tient un rouleau sur.lequel est ecrit : ecce agnus del Parnii — 417 — plusieurs armoiries elfacees, j'ai remarque celles de la famille de Graon. Du cote de la nier et a Test, se presente la Porte Sainte-Calhenne qui decrit un plein cintre, et s'ouvre entre deux belles tours roudes engagees dans les courlines et couronnees de machicoulis. Une inscription latine, en partie detruite, apprend que cette porte a ete edifiee en 1^76 par les soins du grand maitre P. d'Aubusson. On lit : REVERENDUS D. F. PETRUS DAUBUSSONNIUS RHODI MAGNUS MA- GISTER HANC PORTAM ET TURRES EREXIT , MAGISTERII ANNO PRIMO. Au- dessus de l'entree, on voit une grande table de marbre, sculptee en forme de niche, dans le style ogival flamboyant, et trois sta- tues representant, au centre sainte Catherine, a droite saint Jean et a gauche saint Pierre, patron du fondateur de l'edifice. Sur ce bas-relief sont figurees les armoiries de Pierre d'Aubusson. C'est par cette porte que le prince Zi-Zim fit son entree dans la ville de Rhodes, en 1^82. Dans la meme direction, du cote de la mer, il existe une autre porte, d'une construction analogue a celles dont je viens de parler; elle est rehaussee des ecussons d'Helion de Ville- neuve et de J. B. des Ursins. On remarque plus loin , encastre dans une courtine, et sous une niche a pinacle et a ogive, un bas-relief destine a rappeler le souvenir de la nomination de Pierre d'Au- busson au cardinalat. Les deux colonnes du temple de Salomon, le chapeau et les cordons des cardinaux avec les armes de l'ordre de Saint-Jean, sont figures dans ce bas-relief, qui porte la date de lligo. L'edifice le plus pittoresque de Rhodes est l'enorme Donjon de Saint-Michel, bati a Textremite de la jetee meridionale du grand fort. Ce donjon , renferme dans une courtine en talus, a la forme d'une grosse tour carree, portant a ses angles superieurs quatre tourelles en nid d'aronde, et est couronnee par une galerie de ma- chicoulis en partie ruinee. Sur la plate-forme de ce fort s'eleve une seconde tour polvgone. II existe encore, dans la cour du fort Saint- Michel, des canons et des coulevrines de bronze qui portent a la culasse I'elFigie en bas-relief de Saint-Jean. On y voit aussi une grande quantite de boulets en gres qui ont d'un a deux decimetres de diametre. La jetee septentrionale, defendue par le fort Saint- Jean, qui completait le fort de Rhodes, n'existe plus aujourd'hui. Le Fort Saint-Nicolas est bati sur une autre longue jetee qui part de 1'enceinte murale de la ville et s'avance dans la mer. Cetle jet^e — 418 — limitait d'un cote le port cles galeres. Le fort Saint-Nicolas est ce- lebre dans les fastes historiques de Rhodes. 11 l'ut attaque avec acharnement par l'armee de Mahomet II, et defendu avec un courage heroique par les chevaliers de Saint-Jean. II se compose d'une enceinte polygone, au centre de laquelle se trouve une tour cylindrique peu elevee, sur laquelle lesTurcs ont place un fanal. Sur la face de 1'enceinte qui regarde la mer, on voit les armoiries du grand maitre Raymond Zacosta, celles de son ingenieur et celles du due de Bourgogne, Philippe le Bon, qui donna aux che- valiers 1,200 ecus d'or pour fortifier leur ville. Enfin, on avait place ce fort sous la protection de Saint-Nicolas, dont la statue est actuellement tres-mutilee. Le fort de Saint-Nicolas porte la date de i464. Dans la courtine qui gagne lajetee du port des galeres, il existe un bas-relief, encadre dans une arcade a colonnettes et a ogive en forme d'accolade. Une figure du Pere Eternel, porte sur les images, occupe le tympan de Tare; un ange, represent^ de face, est sculpte dans le champ de l'arcade. Cette sculpture apparlient au dernier periode du style ogival. Parmi les armoiries qui l'ac- compagnent, j'ai remarque celles de Villiers de l'lsle-Adam. Sur une autre courtine, on trouve les armoiries de Pierre d'Aubusson et de Pierre Clouet. II me reste erjeore a signaler la Vedette des Chevaliers. On appelle ainsi un petit edifice mine, a porte cintree, situe non loin de la mer, et portant a 1'un de ses angles une guerite en encorbeille- ment, d'ou la sentinelle pouvait reconnaitre les navires en vue de Rhodes. Je ne dois pas oublier non plus de mentionner une belle tour dediee a Saint-Paul. On voit sur l'une de ses faces un bas- relief ou ce saint apotre est represente tenant d'une main une epee et de 1'autre main un livre ouvert. Au-dessous sont sculptees les amies de l'ordre, au milieu desquelles se trouvent les armoi ries du pape Jules II, surniontees des clefs de Saint-Pierre et de la tiare pontificate. Une inscription difficile a lire, en raison de la hauteur ou elle estplacee, apprend que cette tour a ete batie par les ordres de Pierre d'Aubusson. Elle est conrue a peu pres en ces termes : d, paulo petrus daubussonnius, rhodi magister, de- dicavit. Enfin, une autre tour carree, a creneaux bifurques, et depouillee actuellement de ses machicoulis, porte les armoiries de J. Fernandes de Heredia, grand mat I re en i.'>76 — adetruire, inais ils ne font jamais de tentatives pour conserver: ilslaissent les oeuvres de l'hommeperir d'elles-memes, par l'cffort du temps, avec lequel ils n'essayent point de lutter. La rue des Chevaliers, batie aux xi\v et xve siecles, existe done, a peu de chose pres, telle qu'elle a ete laissee par le grand maitre Villicrs de lisle-Adam , apres la capitulation de Rhodes. A 1'exlremite inferieure de la rue, a droite, et a peu pres en lace du couvent des Chevaliers, on trouve tout d'abord le Prieure d'ltalie, qui n'offre de remarquable qu'une sorte dedicule ogival renfermant les armoiries de l'ordre et celles du grand maitre Fa- brice Caretti, avec la date de i5io. Ces armoiries sont surmon- tees d'une pomme de pin. La porte de 1'edificeest en ogive; quant aux fenetres, elles sont rectangulaires et saus ornements. Le Prieure1 d'Angleterre, qui est voisin du precedent, a la meme physionomie architecturale. II porte un tres-bel ecusson ecartele des amies de France et d'Angleterre; au-dessus de la porte, on voit deux autres ecussons dont je n'ai pu encore trouver 1'attribu lion. Le Prieure de France est situe egalement a droite en montant dans la rue des Chevaliers. C'est un grand edifice rectangulaire, couronne par une galerie crenelee presenlant des gargouilles saillantes en forme de poisson, et quatre guerites en encorbeille- ment d'un effet tres-piltoresque, et qui donnent a l'edifice une pliysionomie tout a fait monumentale. Je dois dire cependant que cette galerie est ruinee eji partie : le rez-de-chaussee de la facade est decore dune arcaturc simulee. La porte est ogivale, ornee de chaque cole des ecussons du cornmandeur Clouet , architecte du prieure, et surmontee de la date M92. On remarque a droite et a gauche dans le mur de la fagade une grande croix grecque sculp tee en marbre, et dans cbaque bras de la croix, des ecussons aux armes de France, de Tordre de Saint-Jean, de Pierre d'Aubusson et d'Henri d'Amboise. Sur un autre ecusson, egalement aux armes de France, on lit, en bas, la legende voluntas dei est, et sur les cotes, montjoie sainct denis. Les fenetres sont rectangulaires, en- cadrees par une corniche; sur celle du milieu est inscrite la date de i4o,5. II existe une porte laterale donnant dans une ruelle. Elle est rehaussee d'un bas relief representant un ange qui lient, d'une main, les armes de l'ordre, et de laulre main , les armes d'Henri — 427 — d'Amboise. On remarque encore au-dessus de cette porte les amies de Villiers de lisle Adam , suspendues a une branche de pin , sans doule en memoire de Royer du Pin, qui posa, en i358, la pre- miere pierre du prieure de France. La porte laterale donne acces a un escalier qui conduit dans un salon ouvrant sur une cour in- terieure, autour de laquelle sont disposers plusieurs chambres que je nai pu visiter. II y a dans le salon une vaste chemin£e. Le pla- fond, en charpente, est orn6 de peintures et de la croix de Saint- Jean de Jerusalem. La maison situee au-dessus du prieure dont je parle, apparlenait egalement a la France. La facade presente une chaire en pierre a laquelle on arrive par un escalier exterieur. Cette chaire, bade suivant le gout du xve siecle, est couronnee par un clocheton. C'est de la qu'on lisait les proclamations du grand mai- tre. On remarque sur cette maison les armes de France et celles de la famille de Clermont Tonnerre. Un autre edifice qui a un interel tout particulier pour moi, est VAuberge de France. La facade principale donne dans une ruelle. On y lit 1'inscription latine suivante : R. D. F. P. COURIAUT, BAIULIUS MORE ET PRECErTOR DES ESFAULX , hanc reedificaverunt. M. d. xx. Sur 1'arriere-facade de ce monu- ment, qui donne du cote de la mosquee de Soliman, on trouve les armes de France a droite; celles de l'ordre au milieu, et celles de Regis de Saint-Simon a gauche. Enfin , au-dessous de ces ecus- sons est gravee cette autre inscription : CHRISTUS VICIT, CHRISTUS REGNAT, CHRISTUS IMPERAT. R. D. F. REGIS* DE SANCTO SIMONE, THESAURARIUS , HAS AEDES RESTAURAV1T. M.CCCC.IX. x. junii. Get edifice est, par malheur, ruine en grande partie. Je trouve encore a citer, pour la rue des Chevaliers, le Prieure' de la langue de Languedoc, decore d'armoiries. II offre une ins- cription ainsi concue : r. d. n. s. f. franciscus flota, prior tho- LOS. CONSTRUXIT. M.D. XVIII. Le Prieure d'Espagne el de Portugal occupe deux maisons situees en face Tune de fautre, et reliees l'une a 1'autre par une arcade ogivale. On voit sur Tune des facades de l'edifice de belles armoi- ries ou Ton reconnait, au centre, les armes d'Espagne; a droite, celles d'Evreux , et a gauche , celles de Portugal ; 1'ecusson de Pierre d'Aubusson est aussi sculpte sur cet edifice, et cela sans doute parce que le prieure d'Espagne aura ele bati pendant la magistra- ture de ce grand maitre. — 428 — On retrouve encore dans la ville de Rhodes quelques autres monuments, mais ils sont peu iniportants. Je signalerai cepen- dant une uiaison qui porte les armoiries de la famille des Baux de Provence, et le sarcophage en marbre du grand maitre Robert de Julliac. Ce tombeau, a base rectangulaire, est adosse a une maison pres du couvent des Franciscains, et a ete transforme en fontaine. Snr sa face principale, on voit les amies de 1'ordre et celles de Julliac, avec une inscription latine qui fournit la date de i 377. Telles sont, Monsieur le ministre, les diverses constructions historiques que renferme encore maintenant la ville de Rhodes. Presque toutes ont ete elevees par des grands maitres originaires de noire pays. Nous pouvons done les revendiquer conmie des monuments nationaux el leur donner place dans 1'hisloire de ['ar- chitecture francaise. J'ai 1'honneur d'etre, elc. L. BATISSIER. NOUVELLES DES MISSIONS. Par arrete de M. le Ministre de l'instruction publique et des cultes, en date du 11 juillet 1800, M. L. Re*ier, sous-bibliothe- caire a la bibliotheque de la Sorbonne, a ete charge d'une mission scientilique en Algerie. Cette mission a pour objet d'explorer dans la province de Constantino les monuments epigraphiquesde Lam- ba?sa et des lieux environnants, et de recueillir, soil par l'estam- page, soit par la copie, toutes les inscriptions de ces monuments. M. Renier doit parlir le icr octobre. Par un autre arrete, en date du 22 aout 1800, M. Aug. Mariette, attache au catalogue des antiquites egyptiennes du musee du Louvre, a ete charge d'une mission scientiiique ayant pour objet 1'exploration de tous les couvents de l'Egypte, et priucipalement de la Thebaide, qui possedent des bibliotheques de manuscrits cophtes, syriaques, arabes et ethiopiens, afin de former une col- lection de tous les manuscrits orientaux, interessants pour l'his- toire et les antiquites de l'Egypte chretienne. M. Mariette est parti le t\ septembre. MINISTERE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES. ARCHIVES nn^ MISSIONS SCIENTIFIQUES. VII1E CAHIER. MISSION EN ITAL1E CONFIEE A MM. DAREMBERG ET RENAN. Premier rapport a M. le Minis tre de I'instraction publiquc et des cultes. — Suite des rdponses mix questions de I'Arade'mie des inscriptions et belles-lettres \ ROME. Quatrieme question : II y aurait iieu de consulter aussi et peut- etre de transcrire, au moins depuis 1'an 1226, les chroniques suivantes : n° 35 1 de Montfaucon, De geslis Francorum ad an- num 1336; n° 285, Historicc Galloruin, ad annum 13U0 ; n° 817, Historim qumdam Galliccv, ad annum 1347. Chronique n° 351 de Montfaucon. — II nous a ete tres-difficile de retablir la correspondance des numeros anciens et des numeros actuels pour cette chronique et les suivantes, a cause des titres vagues que donnent Montfaucon et le catalogue. Le n° 35 1 de Montfaucon se trouve maintenant sous le n° 695 2 (chart. xive siecle, signe et parafe De Besancon) ; il porte pour titre, d'une main 1 Voy. la livraison du mois de mai. 2 Le iiumero de Montfaucon se lit encore en tele du matlltscrit. MISS, SCIENT. — 'l.iO — pins recenle : De gestis Fraticoratn ad annum 1336, per rmon&ehum Sancti Dionysii. Grace aux savantes indications de M. V. Leclerc < •) de M. N. de Wailly, nous avons reconnu dans cette chronique celle de Guillaumc Scot, que la Bibliotheque nationale possede sous le n° 1082 de 1'ancien fonds de Saint-Germain, et dont il est dit d'avance quelques mots dans 1'Histoire litleraire de la France, t. XXI, p. 778. Du Chesne, dans le tome V des Histories Fran- corum scriplores, en a public quatre fragments (p. 267, 288, 095, 5/49), relatifs a Philippe-Auguste, Louis VIII, saint Louis et Philippe le Hardi, d'apres le manuscrit d'Alexandre PtHau. Or, ce manuscrit d'Alexandre Petau est le meme qui passa dans le fonds de la Peine, et avec ce fonds au Vatican. Nous avons pu remarquer, en effet, une parfaite similitude cntre qeulques frag- ments que nous avions copies et ceux qui ont ete imprimes pat du Chesne, tandis que ces fragments offrent beaucoup de va- riantes avec le manuscrit de Paris. Du reste, le manuscrit de la Reine est plus complet que celui de Saint-Germain; ce dernier ne commence qua la legende du combat pour lame de Dagoberl, legende qui fait le sujet de la vignette en tete du livre, tandis que le manuscrit de Rome commence aux origines traditionnelles de la nation franque; il s'ouvre par la table des chapitres : « Incipit tabula et numerus capitulorum libri sequenlis : « Quomodo quidam Troiani, qui et postea Franci, a terra re « cedentes, Sicambriam ;edificaverunt. «Quomodo et quando prajfatorum Troianorum pars maxima . in Gallias veniens Luthetiam a?dificaverunt. « Quomodo Troiani remanentes in Sicambria Alanos supe ■ rantes, liberi a tributo Romanorum per deceonium sun! effecti « et quare Franci fuerunt nominati. « Quomodo Romanis tributum solvere nolentes usque ad rippas 0 Rheni fluminis recesserunl. « Quomodo pivedicti Franci Germaniam orcupantes, Romanis " ab eis superatis, nulli postea subici voluerunt. « Quomodo Marcomirus cum multis praadictorum Francis Lu- - teciam veniens, ab illius urbis incolis honorabililer susceptus, « defensor Galli.e est effectus. « De primo rege Francorum Pharamundo el de lege salica Fran • corum. * De (ilodio rege secundo Franroruni. — 431 — « De tercio rege Francorum Mereueo ] [sic), a quo Franci Me- « rouerigi - (sic) sunt vocati. « Ouomodo beata Genovela super sanctorum Dyonisii, Rustici « et Eleutherii corpora basilicam sedificavit, et de signo calcis os- € ten so. « De modico vino per sanctum Dyonisium sic multiplicato , quod o suffecit potui operariorum usque ad operis consummationem. « De innumeris miraculis quae per sanctum Dyonisium in prae- « dicta civitate Deus voluit operari. « De Gbilderico, rege Francorum, et quomodo idem rex a Francis * yEgidium, Romanorum ducem, regem statuentibus est expulsus, « et quomodo postea revocatus. « De visione ostensa Childerico regi super regum eventibus fu- « turorum. « De Clodoveo et uxore Clotilde Christiana regem inducente ad « christianitatem. « De victoria ccelit us data Ciodoveo contra Alamannos, etejusdem « regis Clodoveiconversione ad (idem, etdeejuset multorumFran- « corum baptismo. » Etc. etc. A partir de Dagobert, les deux manuscrits concordent l'un avec 1'autre. L'auteur fait toujours de 1'abbaye do Saint-Denis le point central de son histoire, et rapporte d'innombrables mi- racles operes par le saint patron. 11 met aussi un soin tout par ticulier a prouver que Hugues Capet ne fut point un usurpateur : Quomodo iste Hugo de progenie Karoli Magni desccndit , et quod, regni non fait usurpator (cap. i«4o). Voici les titresdes derniers chapitres apres la mort de saintLouis : « De rege Pbilippo, sancti Ludovici filio3. « De Philippo quinto agnominato Puichro, praedicti Philippi « regis hlio 4. « De Ludovico nono, praedicti Philippi regis filio, ejusdemque « Ludovici fdio Johanne primo. « De Philippo sexto :\ prasdicti Ludovici noni fratre. » Arrive an regne de Philippe de Valois, le chroniqueur s'arrele 1 Dans 1c textc, on tit : Meroae ou Merone. 2 Dans le lexte : Meruumgi ou Meroningi. 1 Ms. dc Paris : Et hwre.de. 1 Ibid. De Philippo (jiunto Pio el Puichro, rege Francorum. 5 Jbid. Nunc regnanie. m. 29. — 43-2 — et conclut ainsi : « Iste Philippus sextus primo comes Pictavensis . ■< mortuo fratre suo Luclovico, nonduni tunc nato ejusdem Lu- « dovici fdio, regna ' Navarras et Franciae regens fuit. Postmodum, « anno Domini millesimo trecentesimo sexto decimo, dominica " post Epiphaniam, dante regni patrono 9- ])eato Dyonisio , Remis « una cum Johanna regina inungitur, ac regali dyademate coro- « nalur. De isto ad praesens non intendimus multa loqui. Dicit « namque sermo divinus: Ne laudaveris hominem in vita sua, « tanquam diceret : Lauda post mortem, magnifica post consuni- « mationem. » L'ouvrage se termine par des considerations sur les devoirs d"un hon roi et par une priere adressee a saint Denis. Depuis noire retour d'llalie, Tun de nous (M. Renan) ayant dii entreprendre un voyage a Rerlin , a decouvert dans la biblio- theque de cette ville (fonds latin, n" 53) un autre manuscrit de la chronique de Guillaume Scot, plus complet encore que celui du Vatican, car non-seulement il comprend la parlie anterieure a Dagobert, mais 1'ouvrage est precede d'une preface interessante en ce qu'elle explique Torigine du livre et prouve que, dans la pen- see de 1'auteur, il se rattachait a un ensemble plus £lendu. Voici cette preface : « Hiis igitur quae ad ieromartiris AriopagitaiDyonisii felicem in « Christo sanctaj regenerationis ortum vitaGque ejus ac doctrina- « feliciorem decursum lelicissimumque sua; passionis exitum ac « martyrii preliosi triumphum venerandum, etsi non quantum « sufficienter debuimus, utpote scientia imbecilles,ingenio segnes, « eloquio rudes, quantum tamen auxiliante Deo valuimus, in se- « cunda hujus libri parlicula jam decursis, nunc ad describcnda « signa et miracula per quas Deus omnipotens longe lateque pra1- « fati martiris agonistae sui invictissimi merita quantaeque virtutis « etpotestatis apud Dcum omnipotentem in revclandis sibi devotis « injuriosisque sibi et rebellibus puniendis existat, cunctis fideli- « bus declaravit, etsi non omnia quorum non est numerus, pauca « tamen ex innumeris, ejusdem confisi precibusaccedentes, ea non « temere , quippe fideli devolione scientes quam apud Deum el « sanctos ejus babet quamvis ignara pura tamen devotio el Qdei 1 Ms. tie Paris : llcyni Francis: el Navarree. 2 Ibid. Derotc prius visitato reqni patrono. — 433 — « dilectio just* vetribulionis mercedem, piorum et devotorum «auribus, quantum nobis Deus ipse dederit , inlimemus. Verum « sanctus ipse Dyonisius regni regumque Francorum patronus «prsecipuus, custos vigil et sollicitus, ex nonnullis qua? circa re- (i gum ipsorum personas gesta sunt miracula non parum mirabilis « apparet aut etiam gloriosus, quin potius inter miracula pereum « exhibita praecipuum tenet locum, interque facta per eura mi- « rabilia mirabilius exislit quod Francorum reges el populi prse « ceteris olim nationibus gentilitalis erroribus ardentius astricli, « per eum facti sunt cbristianissimi, amplioribusque divitiarum « terreuarum et cceleslium honorumque titulis dilalati, sed quod « majus est, fidei christianae assidui defensores et strenui, in re- « busque bellicis pugnatores victoriosissimi, ejusdem patroni sui « Dyonisii protegente eos in omnibus ea qua apud Deum praecellit « potentia, dum nee ad bella quaecumque soliti sunt praefali reges « procedere quin prius ad ejusdem peculiaris patroni sui Dyonisii « venerabile monasterium bumiliter accedentes, extractis de locis « suis ejusdem Dyonisii suorumque consortium Rustici et Eleu- <■ tberii , sed et nostris temporibus beatissimi Ludovici corporibus « sacrosanctis, eisdem se devotis orationibus recommendent, desu- « perque ejusdem Dyonisii altare sanctissimum de pastoris ejus- « dem loci manibus commune totius Francorum exercitus vexillum « accipiant benedictum, sperantes per sanctorum suflragia prae- * dictorum et hostium superbiam deprimere ac de ipsis vicloriam « obtinere; sane quod hanc antiquorum veridicam legimus famam, « neminem nobilem aut ignobilem regni aut ecclesia? turbatorem « cujus culpa aut controversia sanctorum corpora subleventuranni » fore superstitem , sed ita vel infra deperire. lllis ergo reges Fran- « corum et popu'os tota se convenit devotione committere, qui dare ° valent eis dehostibus triumpbare. Haec igitur attendentes, diver- « saque miracula diversorum regum temporibus per Dyonisium « esse facta, intentionis nostras primariao velum ad hoc dignum « duximus extendendum, ut describentes facta per Dyonisium "miracula atque signa, ipsorum regum Francorum ortmn et de- « cursum, eorumque genealogiam et gesta, etsi non omnia, pauca « tamen, utpote quae nobis visa fuerunt plus notanda,discurrendo »quasi in hac libelli hujus parte tertia, quantum nobis ipsius « patris nostri precibus quibus semper innitimur Deus largiri vo- « luerit , declaremus. Sic enim in hoc libello regalis Serenitas, cui — 434 — < ob amprem patroni spiritualis sui Dyonisii liber ipse legends « porrigitur, contemplari polerit et vidcre sua' originis initia , ad «qaantaque temporalium ac spiritualium bonorum dignitatum- « que honorem per eumdcm patron um suum provecta fuerint in- « crementa. Sed et impretiabiles diversarum reliquiarum thesauri « tjuando et a quibus ad venerabile Beati Dyonisii monasterium « sint translati declarare intendimus. Hoc enim ad Beati Dyonisii « gloriam pertinet et honorem. Hujus autem partis tertiaj capitula « sicut et in aliis decrevimus pramittendum. » Suit la table des chapitres, comme danslemanuscrit delaReine. Chronique n° 285 de Monlfaucon. — Cette chroniqueporte main- tenant, dans le fonds de la Reine, le n° 693. Tous nos efforts et ceux des bibliothecaires pour la retrouver ont ete inutiles. Nous savons pourtant qu'elle a ete vue par des voyageurs francais qui ne nous ont precedes que de quelques mois. Chronique n" 817 de Montfaucon : Hislorm quccdam Gallicic ad annum 13U7 . — C'est probablement le n° 925 de la Reine (chartac. 160 fob), chronique en francais, ou la derniere date mentionnee est en effet le 25 juillet 1.347. Le commencement et la fin sont perdus. On peut etre assure toutefois qu'il ne manque en tete du volume qu'un ou deux feuillets; les six premieres pages, en effet, ne sont quune simple enumeration chronologique sous cette forme : « Lan mille c et xxxvm fu fondee labbie des Dunes. — Lan mille c et xl fu fondee labbie de Clermares l. — Lan mille c et un lu martiries saint Nichase et se seur sainte Eutrope. — Lan mille c et lxx fist li Reis Henri dengleterre morir saint Thumasde Can- torbri la il disoit messe. — Lan m. cc. commencha lordene des Prescheurs. — Lan mille cc et x, commencha lordene des Freres Mineurs. — Lan m. c [sic) et lii ardi le viHe de Sainlomer et loule leglise de saint Bertin , et ot a noin labbe Dadont de Lyons de Quiermulle-. et fu filz dun noble chevalier de Flandres nomme messire Testart dyprcs signeur de Quiermulle et chastellain de son beritaige dypres. — Lan mille cc, el lxi , fu papes Urbains qui donna a Charlonleconte danguau lo royaulme de Sezille, que Main - froit le ficux Frederic tint. — ban mille cc et i.xx morut saint 1 Clairmarais. 1 Labie <\a donl 'If lyons <\<- Quiemulis ' od — Q3D — Loys de France ea Tunes , le jour saint Barthelemieu , au mois de Novembre. Son parti lost de Tunis, et li Roys Charles de Cesille sen vinti a trapes honteusement sans riens faire , car il prinst grant tresoir du soldan de Tunes. Et le Roys Edelbard li heux Henri roy dengleterre, cpii vint au derain non vault riens prendre de thel avoir. — Lan mille cc et xxxi, vindrent manoir les Cordelieres de sainle Clare a Sanperlvit a le saint Jehan en este. — Lan mille cc et lxxxvii, ot Jehan le due de Brebant ba- taille, dont furent occis li in freres de Lussembourth et levesque de Colloingne prins. — Lan mille (sic) saint Franchois eut xx ans, quant il commencha 1'ordeue. 11 fut xx ans en l'oidene. — Lan mille cc et vm morut saint Franchois. — Lan mille mi" et ix, fu Godefroit de Buillon fait due de Lorraine, et puis fu rois de Jherusalem. — Lan m. mi" et xvi, ala Godefroit de Buillon ou- tremer. — Lan m. mi" et xvm,fu Anthioce prinse de Godefroy de Buillon. — Lan m. c. fut prins Jherusalem, et fu fait roy de Jheru- salem Godefroy de Buillon. Et che mesme an morut il. Et apres fu fait roy Baudelvin son frere de Jherusalem. — Lan m. c. et xix, morut Baudelvin Hapque \ qui fu conte de Flandres, et gist a saint Bertin. — Lan m. c. et xxvi, le second jour de mars, fu tues Charles le conte de Flandres au moustier de saint Donas2 a Bruges. — Lan m. c et xxvn, morut li contes Guillaumes de Flandres, et gist a saint Berlin. — Lan m. cc et \n, fu couronnes lempereur Octon. — Lan m. cc et xi, conquist lempereur Octon la terre de Puille et de Cesille, et fu long tans roys. — Lan m. cc etxvm, fu bataille a Bouvines, conlre le roy Phelippes de France. — Lan m. cc et xvi, morut lempereur Octon, puis tint Frederic le royaume. — Lan m. cc et xxm, morut Philippes le conte de Boulloingne. — Lan m. cc et xm, morut Philippes, roy de France, qui desconfy Ferrant, conte de Flandres , lempereur dallemaingne et les Engles a la bataille de Bouvines. — Lan m. cc et xxvi, fu le roy saint Loys couronne au moisde » Ici se termine le verso du premier feuillet ; il y a entre ce feuil- let etle suivant une lacune d'un ou deux feuillets, car le folio 2 commence par : « Gherard Mamabourse » Cette table chro- 1 Hapkin (de Smet, Collection de Chronujiies belyes inidites, t. I, p. 70); Ha- piule (dc Smet, t. I, p. 68; t. II, p. 5o). 5 Saint-Donatien. — 436 — nologique se continue durant les trois premiers f'euillets ; au folio 4, commence le recil : « Les anchiennes ystoires nous racontent que au temps Charle- magne filz. Pippin, tres excellent royde France et dalemaingne, et ties fort empereur de Rome , estoitune terc brahaingneetpeuculli- vee , pour ce quelle navoit este habitee puis le temps le roy Clotaire et Daingonbert ses fdz, qui par les saints bommes qu'ils envoierent en celle tere pour y habiter, en encbacirent les mescreans qui illonc habitoient , et cil qui demourir y voloient rechuprent la foy Jhu Christ. En celle tere demourait lors uns vaillans homes et boms chrestiens, quiLiedins1 estoitappelles, qui estoit dune ville quon appelle Har levecque 2. Et ainsi comme ly empereurs tres puissant [passoit] par illecq, Ledin len requist que garde de celle tere le vausist faire Lidiis engenra Ensdierran etc. ■< En Ian de lincarnation Nostre Seigneur Jhesu Christ vnc mi" et xv, rechupt la seigneurie de Flaudres Engueran , fdz ledit de Har levecque. Cilz Enguerans avoit este tout son temps en service le rov Charlemagne. » Cest le debut invariable de toutes les chroniques de Flandre (voir dans la collection de M. deSmet.t.I, p. n, 34, 269; t. II, p. 3i). La chronique du fonds de la Reine a de grandes analogies avec plusieurs de celles qui composent la collection de M. de Smet, et particulierement avec la chronique de Gilles de Muisis 3 et Tancienne chronique de Flandres, tiree d'un manuscrit de Bour- gogne, inseree dans le t. II, p. 27, comme aussi avec la chronique de Flandre publiee par Denys Sauvage (Lyon, 1662), et plusieurs autres semblables 4. Toutefois, elle n'est identique a aucune de ces chroniques, et elle meriterait par son etendue et son interet de trouver place dans la collection des savants beiges. Les faits plus iapprocbes de Tepoque de 1'auleur, les guerres de la France et de TAngleterre, les guerres de Flandre, les dernieres croisades , sont traitees avec des developpements et une critique remarquables. Cinqaii'ine question : A la liibliotheque Angelica, a Rome, le 1 Appele aussi Lidris, Lideric. 5 Harlebekc. 3 T. II, p. 93. \'oy. aussi Br&juigny, \odir des manuscrits, t. II, p. 219: \\ arnkcEnig, Histoire \ Warnkoenig, 1. I , p. 7 1-7(1. — 437 — manuscrit de Prignano : Hisloria familiaram Normanoram (C, 6, 2, 3) pourrait etre de quelque usage pour la publication qu'on projette de l'ouvrage de du Cange sur les Families normandes. J.B. de Prignano , moine augustin de Naples au xve siecle , d'une famille noble de Salerne, peut avoir recueilli dans ces deux gros volumes in-f° des details ignores de du Cange sur les families normandes du royaume de Naples. — Le manuscrit de Prignano etait, a ce qu'il parait, sur le point d'etre imprime, car il est muni de tous les imprimatur necessaires dates de Naples iG4i. — Cependant il presente encore, ainsi qu'on le verra par la description, un assez grand desordre. II con- sisle en deux volumes in-foliopap. d'une ecriture fine etreguliere, avec pieces justificatives et documents divers, sans pagination. Sur le folio de garde du premier volume : T. Philippus vicecomes , epis- copus Catanzarii, olimgeneralis, bibl. Angel, donavit anno 1657. — En tete du premier volume, d'une autre main que celle qui a ecrit le manuscrit : P. Mag. Bapt. Prignani Salerni, ordin. Ereinit. Sancii Augustini ; Hist, delle famiglie di Salerno Nor inane. Contenadu premier volume : folio l, « fam. Abenauola; i5J, Ge- sualda; 21, Filangera; 35, d'Almagna; 47, della Porta; 5i, Alta- villa; 59, Calvella; 65, di Chiusano; 67, di Drogone; 71, Fran- cesca; 77, Fallucca; 81, Frasneta; 85, Infante; 89, Materia; 91, della Marca ; 93, Medania ; 101, Molina; n3, d'Evoli; 121, Molisi; 125, Montefuscola; i3i, Mosca delta d'Anella; l3"g, Di Principato; 1/19, Sanframondo; i53, Tocco ; 187, della Tufo (sic); 201, Baricle2; 233, di Rota detta di Sanseverino; 282, d' Aquino; 3io, Ruffa; 33o, di Ricardo detta Pagliara; 334, Mel- losa detta Protogiodice; 338, Mazza; 342, Marchese; 35o, Man- ganara, 352, Grassa cognominata poi (iuarna; 372, de Littera detta Boppo de Aiello. Tome II : folio 1, « fam. Sangiorgio: 3, di Serpico3; 9, Sapo- nara; 11, Saraccina; i5, Scillata ; 21 v°, Scotto; 23, Senescalca ; 1 Entre chaque famille il y a plusieurs folios blancs, souvent reserves pour des additions. — Entre 317 et 333, il n'y a que des folios blancs, et la famille cjui commence 201 est inacbevee. 1 To uj ours ce nom est indistinctement figure dans les titres comme dans le texte, meme dans le deuxifeme volume, 011 1'bistoire de cette famille se retrouvr ainsi que celle de plusieurs autres. 3 C'esl tine errcur, car c'est la continuation de la famille Sangiorgio. — 438 — 27, di Serpico; 28 v°, quelques lignes sur la famille Turda; 29, Setara; 34, Turda1; 36, Vallona (appelee aussi quelquefois Mansolla); 4o, Veterese; 42, Salvatica; 46, di Procida; 5o, Por- castrella; 52, Platamone; 56, Montemarana; 60, Montefalciona ; 64, Marzana; 72, Marchisana; 73 v° et 75, quelques lignes sur la famille Mansella , dont 1'histoire complete commence au folio 76 ; 80, Gian villa; 82, di Senerchia2; 84, Fasanella; 90, Conversana; io4, de Bossone; 108, Balbana; 112, d'Artus; 116, Rotonna detta d'Acerno (ou d'Acarno dans le recit); 118, de Celano; 122, Dom Musco; i3o, Curiale. Folio 137, « Libro delle cose antiche del regno di Napoli estratto da uno antico libro dell'illust. sign. Flettome (? ce mot est trans- crit assez indistinctement) Pignatello, primo duca di Monteleone. Incip. Papa Urb. IV di natione francese per la malignita di Man f redo Re del una ed altra Sicilia rebello della Chiesa, etc. » — « i47, incom- manso le Croniche di Roberto Vi&sardo e Fratelli e di Rugiero , Conte di Mileto ; i48, Historia di Normandi; 176, Note de scrit- ture di Gonli di Marsi e suoi descendenti. 186, Fragment de Thistoire de la famille Abenauola; 200, Gue- sualda; 210, Euoli; 218, encore la famille Abenauola3; 226, Fi- nuilla (?); 229, Ganale; 233 v°, Quelques lignes sur la famille Tufo; 2 33, Baricle (voyez plus baut). II y a beaucoup de desordre dans cette partie , ou le recit est enLremele de fragments sans commencement ni lin, de pieces et d'extraits de diverse nature, entre autres : Storia dell' anliquissima et nobilissima casa Sauella. « 2 5o, fam. Dentice; 260, del Archivescovo ; 2 63, Battipaglia; 2 65, de Arco (dont la suite est peut-etre folio 2 52 ); folio 268, dei Gaduelli andati in Palermo ; 271, Biscida; 271 v°, Bucca Mu- gella; 272 v°, Burrella; 274, Butromile; 276, Calvella; 278, Ca- nale; 282, Capoana; 288, delia Corte. Suivent plusieurs pieces, entre autres : « i° Gonti di Marsi; — 20 Epitome virorum illustrium familiae de Alaneo servata tempo- rum et annorum serie : incip. Cesarias XVI Archiep. Salernil. ah Honorio HI creatus anno 1225, etc.; — 3° ex script, (seriniis?) ' Mcmc commencement que plus liaut. 2 II parait qu'clle avait et^souvent confondue avec la pr<5cedente. ; Tant6t pour ces repetitions la redaction dilTerc, tantfil ellc est a peu pres identique. — 439 — Thoinassi de Gaiano (?); » commence en i328: Rainaldus de S. Vin- ccntio , etc. finit en 1 434- MILAN. Sixieme question. Si Ton passe par Milan , il serait a desirer que Ton put Iranscrire, a la bibliotheque Ambioisienne, les Premieres Coutames de Milan, redigees en latin au commencement du xiii0 siecle. A la bibliotheque de Brera, on recommande J. Mussie Amphitruon, indique fort sommairement dans les Archives de M. Pertz, tome IX, page 636. — Le manuscrit de cescoutumes est une copie moderne, mais notarise et certiliee conforme a 1'original. La redaction des cou- tumes est rapporlee a 1'annee 1216. Un prologue rappelle les cir- constanccs historiques ou cette compilation fut executee, et les noms de coux qui y prirent part. Voici ce prologue ct la serie des litres et des rubriques : Consuetudincs Mediolani anni 1216, diligentcr cum auloijrapho per D. RaphaeJem Fagnanum collatm. « Incipit liber consuetudinum Mediolani anni 1216. « Gum olim Brunazius Porcha Potestas Mediolani de consilio « civinm in scriptis ordinasset ut universal consuetudines qua3 in « hac civilate de caetero servarentur, Bectorsive Potestas sequentis « anni in unum redigeret vel redigi faceret, ut non aliunde con- « suetudines inducerentur nisi qua* in illo volumine fuissent in- <• ventaj, placuit omnibus el Jacobo Malecoxigiai Potestati sequen- « tis anni Manfredonem D. Grasillum et Leonardum de Cruce, « Alberta et A. de Marliano et A. de Sesto et P. Judicem et M. de « Villa et G. Menelotium et A. de Bombellis et M. Sallarium et « Vicecomitem de Bezdio et Gasparem Othonem de Orto et L. Bc- « Irotum viros discretos eligere, quos sacramentum ut infra ad " haec adstrinxit ut praefatas consuetudines inquiierent, et in « scriptis redigerent, sicut a praenominato D. Potestate Mediolani « fuerat ordinatum. Qui volentes ea quae juraverant ad finem « congruum perducere, convocalisduodccim viris peritis, illis dis- « tricte praeceperunt ut si quas consuetudines haberent, illis os- — kkO — « tendereut. Receptis vero consuetudinibus, et quibusdani ex illis • sparsis super quibusdani capitulis quae habuerant, babito quo- « que et inspecto libello queni dictus P. Judex de consuetudinibus « Mediolani sub certis titulis studiose posuerat, sequentes euni- « dem ordineni traclandi et titulorum quos dictus P. scripserat, n hanc compilationem sive editionem de diversis consuetudinibus « civitatis Mediolani in praenominato libello P. scriptis et quibus- « dam aliis ad perpctuani memoriam et singulorum utilitatein in « scriptis redegere, et eas praedicto Priori, sicut adstricti fuerant, « consignaverunt. Veruni quia causarum ali;e sunt civiles, aliae « sunt criniinales, et civiles saepius agitantur, a civilibus causis, « nos praenominati ad hoc electi, incipienduni putavimus; quaruni « ordo talis in nostra civitate servatur. In primis. « Rubrica de judiciis civilibus. « Si personali actione quis conveniatur. « Si aliquis in blasnio praeterierit. « Rubrica quando de crimine civiliter agilur. « Rubrica generalis de contractibus. « De re paterna tuenda. « Rubrica de cautione quam tenetur dare venditor pro evictione. « De venditione rerum mobilium. « De venditione animalium. v « De locatione et conductione. « Desocietatibus et sociis rubrica et de socedis1. « De commodato. « De mutuo. « De verborum obligationibus. « De actione quae in rem pro quarta dalur. « De sponsalitiis rubrica. «Rubrica de ultimis voluntalibus defunctoruni. • Rubrica de pugnis, et in quibus casibus bant, et quoniodo « secundum nostram consuetudineni fiant et formam. « Rubrica de prrescriptionibus quaj in nostra civitate servantur. « Rubrica de servitutibus et aqureductibus, et de jure molendi- « norum2 et aliis multis. 1 \oyei du Cange, Gloss. Med. et Inf. Lat. sub voc. Soceda , Socula. * Le manuscrit portc partoul molandinum; cctte forme we se trouve pas dan» du Caogc. — 'I'll — « Rubrica cle jure raolepdinorum. « Rubrica de oneribus et districtis et conditionibus. « Rubrica de decimis. " De tutelis rubrica. « Rubrica de feudis. o De forma sacramenti fidelitatis. « Rubrica de successionibus et legatis feudorum. «De successione feudorum et de fructibus eorum. « De consueludinibus communis Mediolanensis servandis. « Rubrica de rippis [sic) ', « Forma siquidem sacramenti praestiti ab illis qui hanc compila- « tionem fecerunt, de quo sacramenlo superius ab initio hujus « operis mentionem fecimus , talis est : « In nomine Domini, sacramenium illorum qui debent inqui- « rere et in scriptis redigere vel redigi facere usantias qua? obser- « vari debent. * « Juro ego, etc » Puis YExplicit, fattestation notariee de coniormite avec le texte, et le sceau de Raphael Fagnano. Nous allons donner ici les deux chapitres relatifs aux irriga- tions et a lapropriete des cours d'eau, matiere si importante dans le Milanais. Rubrica de servilutibus et aqaeeductibus , etjure molendinorum et aliis mallis. « Restat ut de aqua et jure aqua? duceuda? videamus, quam « quidem unicuique ducere licet e.v flumine publico vel privato ad « irriganda sua prata Vetera vel nova, et praecipue Vetera, si absque •> aliorum incommodo bat, prnecipue molendinorum, quorum « usus favorabilis est per nostram consuetudinem, adeo quidem ut <> si quis sedem molendini antiquam babet, longissimo tempore « steteritquod illud non conslruxerit, et inferior vel superior vici- « nus aliucl molendinum aedificavit, vel aliquid aliud fecerit quod « antiquo molendino noceat, etsi XXX vel XL annis illud posse- « dit, vel sine aliqua interruptione tenuerit, domino tamen veteris 1 Tarif du prix de certaines marchandises, reglements sur les poids, les rue sures, les fansses balances [baraiiriir). Voy. du Cange, s. v. Baranca. — 442 — * molendiiii , licet quod antiquo et vetustiori tempore stetit molen- «dinum, non oberit quominus in suum statmn antiquum molen- • dinum suum possit construere, sed poterit superiorcm et infe- « riorem vicinum cogere ut omne opus ab eo factum quod antiquo ■ noceat molendino destruat, nulla obstante temporis praescrip- « tione, praecipue quum de antiquo molendino constet, et ipsum « ibi antiquitus fuisse et stetisse appareat, et aliqua vetustalis mo « lendini veteris insignia appareant. ■ Rubrica de jure molendinorum. « Molendinorum quoque favore per noslram consuetudinem <. alia regula approbata est, ut qui molendinum habcl, potest al- « veum fodere, purgare et terrascitare l destrorsum et sinistrosum, « invitis etiam illis qui prope ripam praedia possident, et hoc ds- « que ad inferius molendinum. Sed et illis qui prata irrigare « volunt, probibere potest ne hoc faciant. Et Consules Mediola- « nenses molendinorum favore interdum pcenam apponunt, si « contrafactum fuerit, et camparios ad custodiendam aquam pra- « ficiunt, excepto si permissum est prata irrigare vcl prohibitum « per se, ut die sabbati post occasum solis usque ad ortum solis « 1* feriae, eo intellecto ut per hanc consuetudinem non acquira- «ratur jus irrigandi alicui qui non habet, nee auferatur illi qui « habet jus irrigandi, vel nisi tempore plenne (sic), quibus tempo- « ribus praadicta non servantur. » Les coutumes de Milan sont suivies , dans le meme manuscrit, des Statata Vigodulfi annil25b, ainsi qu'il suit . n i :>!)4, ii aprilis. « Statuta loci Vigodulfi condita ab ecclesia S. Trinitatis Papiac, « ecclesia S. Marias de Campomorto , Lantelmo de Landriano e « fratribus, ac Lucio de Landriano de Mediolano, dominis ipsius «loci, edita ex archivio regia? civitatis Papi.e, per Franciscum " Hieronymum Sannazarium , ipsius urbis notarium et cancella- « rium. » Suit l'attestation notariee de conformite, dalee de Tan i.V|8, puis une seconde attestation pour cette copie plus moderne. ' Terrasser, de Itrrascis on terrassia. (!r xrrke ne sr trouve pas dans dn Cange — 443 — L'Ambrosienne contkni du reste les coutumes d'un grand Dombre d'autres villes de Lombardie. li. L'Academie des Inscriptions nous avait en outre charges de ve- rifier, a la bibliotheque deBrera, ce que pouvaitetre un ouvrage indique par M. Pertz dans ses Archives, tome IX, page 036, sous le titre de Johannis Mussce Amphitruon1. Cet ouvrage n'est autre chose que le poeme en distiques, a la fois dramatique et narratif, designe ordinairement sous le titre de Geta, de Vital de Blois, au- teur du xme siecle, et dont le sujet est emprunte a 1'Anrphitryon de Plaute. Ce curieux poeme a ^te publie pour la premiere fois par Mgl le cardinal Mai, clans le tome V de ses Classici Auctores , pages 463-/178 (i833), mais avec quelques retranchements. D'ail- leurs, le manuscrit du Vatican n'avait pas revile au savant editeur le nom de 1'auteur. En i836, M. Fr. Osann le publia a Darmstadt avec YAuJularia du meme auteur, sous le titre : Vilalis Blesensis Amphitryon et Aulularia Eclogce, in-8°. En i838, M. Thomas Wright I'insera dans sa collection : Early Mysteries and other latin poems of the xii'h and xm,]' centuries (London), in-8°. Depuis, M. Midler l'a encore publie a Bale. Enfin, recemment, M. Ana- tole de Montaiglon l'a publie dans la Bibliotbeque de TEcole des Chartes, t. IV, 2e serie, 1 847-48, p. 474, d'apres cinq manus- crits de Paris , sans avoir conn u d'autre edition que celle du car- dinal Mai, et se croyant autorise des lors a le publier comme en grande partie incdit. Le manuscrit de Brera est du xve siecle , papier, mauvaise ecri- ture, plein de particularites d'ortbographe italienne, accompagne de scolies et de notes grammaticales. Le Geta s'y trouve joint a des pieces de vers latins du temps de la Renaissance. A cette epoque, en efTel, ce poeme eut une certaine vogue en Italic II en existe une traduction italiennede ce temps, que Ton a faussement attribute a Boccace. Le distique final, qui renferme le nom de Tauteur, est fortdif- 1 Nous devons la plupart. des details qui suivent a l'crudition de M. Victor le Clerc, qui, dans le tome XXII de 1'Histoire litteraire de la France, consacrera un savant article a Vital de Blois. — '\hl\ — i'erent, selon les divers manuscrits, el quelquefois y manque com- pletement. Le notre porte : Explicit hie Gieta deceptus ab Archade sumino , Viialis Blesis explicit Amphitruon. Vitalis Blesis parait etre la ieron adoptee pour le noni de 1'au- teur par les manuscrits d'ltalie. Le manuscrit de la Laurentienne est peut-etre le seul qui donne le vers final comme celui de Brera. Un manuscrit de Naples, du xvc siecle, porte en titre : Co- media Vitalis Blesis (Wright, op. cit. pref. p. xvi et suiv.). La me- sure du vers aura rendu la syncope necessaire. Des cinq nianus- crits de Paris, trois ne donnent aucun noni d'auteur : un donne Vitalis seul; un autre donne Vitalis Blexus pour Blexensis. A la suite de l'ouvrage, dans le manuscrit de Brera , on lit : Explicit liber Amphitrionis per me Johannem Martinum dc Mussa in Bergolio. Jean Mussa, que M. Pertz a pris pour 1'auteur, n'est done que le copiste. Le catalogue manuscrit donne la note sui- vante sur Bergolium. « Bergolium fuit suburbanus locus Alexan- « driae Statellae seu delta Paglia; quo everso .Tclificaium fuit ibi « ca strum. » Voici quelques-unes des lecons particulieres au manuscrit, qui peuvent avoir de 1'interet, apres les diverses editions dont ce poeme a ete 1'objet : V. 48' : Color. Caatericodd. h abe n t decor. V. o,i : Blanda. Caeteri blande , blandit. V. 92 : Virginea. Caeteri virgineo. V. g4- : Verba pro blanda. Le disliquc 97-98 est omis dans le manuscrit de Brera. V. 99 : Turn pro jam. V. 101 : Acre rebellans pro Acre repelles , ou arte repellas (Wright). V. 3go : Superos, et non super hos , comme porte la Bibl. de l'Ecole des Chartes. V. 48i : Cape lella perito. Wright : prwito. V. £99 : Leviato pro lenito. V. 525 : Pali pro paci. V. 526 : Ilia pro Me, vel ungae (Wright). 1 Nous donnons le numero des vers d'apres 1'edition de la Bibliotlieque de l'Ecole des Chartes. Ch. DAREMBERG et Ernbsx RE NAN. 445 Rapport adressd'a M. le Ministre de V instruction pnblique. par M*Mariial Delpit , charge, en 1846 , d'unc mission en Angleterre. Londres, ie 26 aoiit 18/16. Monsieur le Ministre , Les archives de la Tour de Londres ont une celebrite euro- peenne; de tous les depots anglais cest, sans contredit, le plus important pour l'liistoire de France corame pour celle d'Angle- terre. Avant et apres Brequigny, qui les explora au siecle dernier par ordre du gouvernement de Lotus XV, elles ont ete souvent consultees par nos historiens, mais elles offrent encore bien des documents inconnus. Pour la troisieme fois, Monsieur le Ministre, me voici occupe a en etudier les collections diverses, heureux de glaner apres l'illustre crudit que je viens de notnmer. Je m'ef- force de justifier la con fiance dont vous avez bien voulu m'ho- norer, en recueillant tout ce qui me parait de nature a eclairer quelque point de notre histoire generale ou locale. Je ne puis vous signaler ici chacune des pieces que j'ai analysees ou transcrites, mais je veux du moins essayer de vous donner un apereu des ri- chesses de ce celebre depot, en insistant principalement sur les collections qui interessent l'liistoire de France. Permettez-moi, Monsieur le Ministre, de vous dire d'abord quelques mots du ve- nerable et antique monument dans lequel elles sont renfermees, et de l'administration qui preside a leur garde. En arrivant a Londres par la Tamise, le premier edifice qui frappe les yeux, c'est la Tour. Situee sur la rive gauche du fleuve, entre les Docks et la Cite, elle est la corame un souvenir vivant d'un temps de guerre et de barbarie au milieu des prodiges de lindustrie et du commerce. Batie, corame vous le savez, Mon- sieur le Ministre, par Guillaume le Concmerant, elle fut d'abord destinee a proteger la ville, et aussi a y assurer la domination des Normands. Depuis longtemps Londres, defendue par ses innom- brables vaisseaux, n'a plus besoin de forteresse; aussi la Tour n'est- elle plus qu'un arsenal, une caserne de soldats sans importance militaire et un depot d'archives. On y conserve, il estvrai, par respect pour la Iradition, les usages d'une place de guerre; on fii ferme regulierement les pontes chaque soir, avec l'antique ce- MISS. SCIENT. 3o m — 446 — r6monial, mais les fosses ont etc combles receninient et converlis en vertes pelouses. L'aspect de cette petite ville de guerre, ayant unc existence a part a cote de la grande cite, ne laisse pas cependant de frapper forteinent 1'imagination. On traverse d'abord deux portes flan- quees cliacune de tours crenelles el separees I'unc de faulre par un large fosse, puis on apcrcoit la tour des Archives [Records totver) , appelee aussi la lour de Wakefield, parce qu'on y en- ferma, dit-on, les prisonniers fails a la bataille de ce nom. La tour des Archives tient a la tour de Sang (Bloody ioiver). Cette derniere est construite sur une porte que defend encore la herse du xive siecle. Par cet antique passage, on arrive a unc place qui occupe le milieu de l'enceinle, et au centre de laquelle se trouve la tour Blanche [White toire?-) , dite aussi la tour de Cesar, sans doute parce quelle fut batie sur un debris de fortification romaine. La tour Blanche est avec cellc de Wakefield consacrec a la garde des archives : ce sont les seules dont je veuille vous parler ici, Monsieur le Ministre. On a ecrit des in-folio sur 1'his- toire de la Tour et sur les evenements dont elle a 6te le theatre; je n'ai pas entrepris une tache aussi ambitieuse. White tower est une vaste tour carree qui parait avoir etc isolee de toute construction, comme le donjon des fortercsses du moyen age; elle a subi tant de restaurations ou plutot de mutila- tions successives, qu'on a peine a reconnaitre a l'exlerieur le ca- ractere de l'architecture normande, dont elle nous ofTi e cependant le plus ancien specimen en Angleterre. Le rez-de-chaussee est oc- cupe par un magasin a poudre, ce qui expose le plus precieux monument de Londres, comme les archives quil renferme, a un danger de toutes les minutes. C'est la un contre-sens avec Tesprit conservateur de ce pays, et malheureusement ce n'est pas le seul qu'offre la Tour; le respect de Thistoire et la religion des souve- nirs semblent chose inconnus de 1'adminis! ration mililaire qui preside a sa garde. Au premier toge, unc seule sallc est visible; elle sert de sup- plement a un batiment de construction moderne adossc a la tour Blanche, et ou Ton conserve d'anciennes armures. On monte au second etage par un escalier moderne construit en dehors de la tour Blanche, au lieu meme ou se trouvait le murier plante, suivant 1'antique usage, sur la tombc des enfants — kill — d'Edouard IV. Grace sans doute aux \ieux titres qu'elle renfenne, cette partie du monument a ete respectec. La cliapelle de Guillaume le Roux est intacte, et, sauf quelques couches de badigeon et les ca- siers d'archives qui en occupent une parlie, le fils du Conque- rant n'y trouverait rien de change. Cette chapelle, d'un style remarquahle, eu egard a la date de sa construction, est a plein cintre, entouree d'une galerie circulaire qui est separec de la nef par des piliers massifs supportant des arcades egalement a plein cintre. On ne sait pas a quelle epoque elle a commence" a servir de depot d'archives; le fait remonte a une date ancienne, et il est assez curieux que la chapelle des rois normands ait et6 comme celle de saint Louis consacree a la garde d'anciens titres. II serait a desirer que les Anglais imitassent encore notre exemple en restaurant la chapelle de Guillaume le Roux comme nous fai- sons de celle du palais de Justice. Au Iroisieme etage de la tour Blanche, se trouve une immense salle construite en bois qui, bien que coupee par un plancher provisoire et entierement encombree de casiers de parchemins et de papiers, frappe par la simplicity grandiose de son architecture comme par les souvenirs qu'elle rappelle. Elle porte le nom de salle du Conseil, parce que, selon la tradition, les rois d'Angle- terre y siegeaient quand ils residaient a la Tour, et e'est dans cette salle meme que le due de Glocester, preludant au crime qui devait quelques jours apres lui donner la couronne, fit arreter en plein conseil les amis et soutiens de ses neveux, 1'archeveque d'Yorck, 1'eveque d'Ebly, lord Stanley et le malheureux Hastings, qui fut immediatement mis a mort. Je reviens, Monsieur le Ministre, a la secondc tour consacree aux archives, Wakefield lower. C'est une large tour ronde don I la base est d'une haute anliquite: on pense generalement cju'elle faisait partie des constructions ajoutees a la forteresse du Con- querant par Guillaume le Roux. La portion qui subsiste au- jourd'hui semble apparlenir au xnf siecle et ne contienl que deux sallcs, Tune au rez-de-chaussee , espece de cave ou le jour ne penetre pas; Faulre, au premier etage, appelee la chambre de Henri VI, parce qu'elle fut, dit-on, le theatre du meurtre de ce roi. C'est une piece octogone garnie d'immenses et antiques ar- moires a comparliments, oil les roles occupent chacun une place speciale. Sur le meme palier que la chambre de Henri VI, dans w- 3o. — 448 — un batinienl de construction plus moderne, est le cabinet da garde des archives, M. Thomas Duffus-I lardy, Tun des erudits les plus distingues dc ce pays. Ce cabinet, auquel on arrive par l'etroit et vicil cscalier en spirale de la lour de Wakefield (escalier qui serl aussi de communication avcc les bureaux places au rez-de-chaussee ot aux etages superieurs), est une piece carree, boisee en clicnc d'un aspect serieux ct parfaitement en harmonic avec la science dont elle est i'asile. Une large fenetrc donnanl sur la Tamise laisse voir les uombreux vaisseaux qui sillonnenl 1c fleuve en tout sens, et permet ainsi de joindrc le spectacle le plus vivanl qui fut ja- mais aux souvenirs du passe. Mais ce qui fait pour moi le charme ct I'interct dc cettc retraite, e'est la presence dc 1'honimc bon et aimable qui chaque jour veul bien m'y donner une place a ses cotes et mettre a ma disposition tous les tresors confies a sa garde. J'ai hale de vous dire, Mon- sieur leMinistre, tout ce que je dois a son amitie. Non-seulemenl il ma communique les materiaux du beau catalogue qu'il pre- pare, mais il me seconde dans mes rechercb.es par une coopera- tion quotidienne, et supplee a mon inexperience en me pretant chaque jour 1'aide de sa science si complete pour tout ce qui touche a la paleographie, a 1'histoire et aux antiquites de son pays. Brequigny, vous le savez Monsieur le Ministre, avait eu beaucoup de peine a penetrer dans la Tour; il lui avait fallu sur- prendre , en quelque sorte, la jalousie brilannique et conclure , comme simple particulier, un marche avec le garde d'alors, au- quel il payait de six mois en six mois une sonime assez forte pour obtenir la permission de consulter les roles; les temps sont bien changes. Une administration vraiment liberale, a la tete de la- quelle est place le maitre des roles, lord Langdale, preside au- jourd'hui a la garde des archives anglaises, et, plus heureux que Tenvoye du gouvernement de Louis XV, je ne trouve parlout qu'accueil bienveillant ct facilites de tout genre. Le poste de garde des archives dc la Tour de Londres a pres- que toujours ete occupe par des hommes considerables dans la science, parmi lesquels il suffit de nommer lesPrynne, lesSelden. Ces illustres erudits ne renicraient pas le titulaire actuel, dont le nom x'estera, comme le leur, attache a d'importantes publications sur 1'histoire d'Angleterre. Outre le garde general dont je viens ile vous parler, Monsieur le Ministre el qui recoil les directions — 449 — de lord Langdale, le personnel de 1' administration des archives de la Tour se compose d'un garde-adjoint et de huit employes; de plus, un certain n ombre de relieurs, d'hommes de peine, etc. Charges de la restauration des vieux parchemins, et qui s'acquit- tent de ce travail minutieux et difficile avec une grande habilete\ sont attaches a l'etablissement. Selon l'usage anglais, l'Etat r&ribue largement tous ces services, mais aussi chacun des employes con- sacre tout son lemps a la bcsogne qui lui est confiee. Au premier rang des richesses historiques conservees a la Tour, il faut menlionner les anciens roles de la chancellerie. Ce sont de veritables volamina composes de feuilles de parchemin quelque- fois au nombre de plus de cinquante, cousues bout a bout et rou- lees; on y ti-anscrivait les ordonnances, lettres et actes divers emanes des rois d'Angleterre, en meme temps qu'ils efaient expedies. Ces copies, dont nous avons 1'analogue dans nos registres du tresor deschartes, etaient et sont encore regardees comme aussi aulhen- tiques que les originaux eux-memes , envoyes a leur destination , et aujourd'hui perdus pour la plupart. L'usage de transcrire ainsi les actes publics sur des rouleaux de parchemin , n'a commence en Angleterre qu'a une epoque posterieure a laconquete; on n'en trouve aucune trace sous les rois Saxons. Les savants pensent qu'il fut introduit par les Normands, et cependant le celebre Dooms- day-Book, que Guillaume le Conquerant fit faire avec tant de soin et a la conservation duquel il attachait une si haute importance, a, comme vous le savez, Monsieur le Ministre, la forme d'un, livre. Quoi qu'il en soit de l'epoque precise a laquelle l'usage des en- rolments fut adopte en Angleterre , il devint universel sous les premiers successeurs du Conquerant; seulement, une distinction assez remarquable s'etablit entre les roles de la chancellerie et ceux de l'echiquier; les premiers furent composes de mem- branes de parchemin cousues bout a bout a la suite les unes des an Ires, de maniere a former un rouleau continu; tandisque, pour les seconds, les membranes furent posees les unes sur les autres, et liees entre elles par une laniere de parchemin. Cette difference dans le mode de confection des roles fut imaginee, selon Madox, en raison de la separation des deux departements de la cour du roi , separation qui eut lieu vers la fin du regne de Richard Ier; elle subsiste encore aujourd'hui dans les roles officiels que les — 450 — lnglais , fideles a ia tradition, continuent u tenir sur parchemin avec le meme soin qu'au moyen age, en depit de loutes les ga- ranties de conservation qu'offrent l'imprimerie et la presse perio- dique. Les anciens roles de la chancellerie sont les seuls qui soient conserves a la Tour; la confection et la garde en furent d'abord attributes au chancelier; mais, absorbe parses fonclions politiques et judiciaires, il ne tarda pas a se decharger de ce soin sur Tun des clercs de la cbancellerie, qui prit alors le titre de Maitre des roles. On ne connait pas 1'epoque precise de la creation de ce der- nier office; il y a lieu de croire qu'il date de l'origine des enrole- ments. La plus ancienne nomination de Maitre des roles dont facte se soil conserve, estde 1'annee 12q5, mais on lit dans le Dialogus de scaccario, ecrit sous le regne de Henri II, que le chancelier fait gardcr les roles par un depute, per suppositam personam , et comme un des plus anciens titres des Maitres des roles est celui de Custos rotulorum cancellariw , on peut en conclure que leur office exislait avant le regne de Henri II. L'importance des maitres des roles grandit avec le temps; bientot ils participerent aux fonctions judi- ciaires du chancelier, sans cesser toutefois de pr£sider a la confec- tion des roles , laissee aux clercs de la chancellerie. Ces derniers, charges de fournir sur les gages de leur office le parchemin ueces- saire.cherchaient a en employer le moins possible; de la les abre- viations sans nombre, non-seulement de mots, mais de formules entieres que Ton rencontre dans les roles de la Tour. Ces abrevia- tions si multiplies font de chaque role une sorte d'ouvrage com- plet, dont les parties, etroitementliees enlreelles'ne peuvent plus se comprendre si on les separe; elles rendent les extraits partiels difficiles , mais aussi epargnent au lecteur les repetitions fali- gantes de la phraseologie du moyen age. Les clercs de la chancellerie , dans fintention sans doute de faciliter les recherches, etablirent plusieurs classes de roles, entre lesquelles ils diviserent les acles qu'ils avaient a transcrire, soit d'apres la forme materielle de ces actes, soit dapres le sujet au- quel ils se rapportaient. G'estainsi qu'ils eurent une serie de roles pour les lettres closes, une pour les lettres patentes, une autre pour les chartes. Ces divisions s'appliqucnt aux actes qui concer- nent l'Angleterre. Quant aux pieces qui se rapporlent a raduiinis- tration des mis anglais dans leurs provinces continentales , ot a — 451 — leurs conqucles dans le pays de Galles, en Ecosse et en Irlande, ainsi qu'a leurs relations avec les divers etats de l'Europe , elles sont divisees par pays, a chacun desquels une serie particuliere de roles a ete assignee. 11 est inutile de dire qu'il y cut de nombreuses infractions a la regie generale. Au moyen age, la rigueur de nos classifications modernes etait a peu pres impossible. Mais ces infractions memes donnent aux diverses series des roles de la Tour uu interet de plus pour lhistorien franrjais; on y trouve, en effet, bien des actes qui, si la regie eut ete rigoureusement observee, eussent pris place dans les roles gascons, franrjais et normands. J'ai du etudier dans leur ensemble toutes les classes des roles de la Tour; en voici, Monsieur le Ministre, 1'enumeration succinctc avec le titre special que porte cbacune d'elles et qui a toujours servi a les designer. Piotuli cartarum antiquarum. — Les roles des chartes anciennes sont au nonibre de quarante-cinq : ils renferment des actes de dates diverses depuis le regne d'Edouard le Confesseur jusqu'au commencement du xmc siecle. Ce sonl principalement des chartes de concession a des etablissements ecclesiastiques. Rolali charlarum. — Les roles des chartes servaient a Tenregis- Irement des actes de concession de terres, fiefs, dignites, offices hereditaires, privileges et franchises faite par le roi a la noblesse, a la bourgeoisie ainsi qu'aux corporations ecclesiastiques ou laiques et aux autres gens de mainmorte. On y trouve, avec les actes dc concession premiere, ccux de confirmation et de renouvellement. L'usage de faire confirmer, a chaque nouveau regne , les chartes donnees sous le regne precedent, existait en Angleterre comme en France , avec cette difference que les confirmations empruntent a la formule initiale usitee de cc cote du detroit, le titre dlnspexi- mus, tandis que les notres sont appelces Vidimus. La publication des roles des chartes avait ete entreprise par la Records commis- sion; un premier volume, du aux soins de M. Hardy, a paru en i83y; il comprend les actes de 1199 a 1216. Cct ouvrage a mal- heureusement ete interrompu lors de la suppression de la Records commission, a Tavenement de la reine Victoria. Rotuli Ulterarum patentium. — Les roles des lettrqs patenles tirent leur nom de la classe de diplomes qui y sont inseres, Ultercc patenles, ainsi appelees parce qu'elles elaient expediees sur des feuilles de parchemin ouvcrtes, et scellecs au has d'un sceau — 452 — pendant , par opposition aux letlres closes, que Ton expediait pliees el scellees sur le cote. Pour les regnes des Plantagenets, les actes insures dans les patent-rolls sont d'un grand iuteret : ils se referent aux prerogatives de la couronne, au revenu pul)lic, aux diflerentes branches de judicature, negociations, treves et traites de paix avec les etats et rangers; on y trouve des lettres de protection, de creance et de sauf-conduit, des pouvoirs donoes aux ambassadeurs , des licences pour la nomination des eveques et autres dignitaires ecclesiastiques , des presentations aux eglises, des anoblissements, des lettres de grace, etc. Les roles des lettres paten tes commencent avec la troisierue annee du regne du roi Jean . 1200 ; ceux qui se rapportent a la periode comprise entre cette date et la mort d'Edouard IV en 1-483, sont conserves a la Tour; les roles des annees suivantes sont gardes a Bolls-Chapel , et au Petty-lag-Office. Uu catalogue des roles des lettres patentes de la Tour avait ete publie en 1802 par les soins de la Records commission; ce ca- talogue, incomplet et defectueux a tous egards, ne pouvait suf- lire aux recherches, etlameme commission ordonna l'impression du texte meme des roles. Un premier volume, edite par M. Hardy, a etc publie en i835; il contient les actes de 1201 a 1216. Roluli litterarum claasarum. — Les roles des lettres closes qui se trouvent a la Tour, commencent a la sixieme annee du regne du roi Jean sans Terre, i2o£ , et s'etendent jusqu'a la fin du regne d'Edouard IV, 1 483. Ils contiennent les mandats, lettres et ecrits de nature privee adresses, au nom du roi, a certains individus sur toute matiere politique ou domestique; il serait difficile d'enume- rer tous les sujets traites dans cette vaste correspondance royale , d'une grande importance pour Thistoire particuliere de TAngle- terre. On y trouve des renseignements curieux sur la condition morale et politique des populations, sur le pouvoir et rinfluence du clerge et de la noblesse, 1'elat de la propriete feodale, la chasse, la fauconnerie, 1'organisation et les depcnses de la maison royale , etc. ; mais ce que j'ai du y chercher et ce que je veux vous signaler ici, Monsieur le Ministre, ce sont les documents qui interessent Ihistoire generale de TEurope et celle de notre pays en particulier. On trouve dans les roles des lettres closes, les pieces de la correspondance des rois d'Angleterre avec la cour de France comme avec celles des autres etats de TEurope, el. bien dan I res actes relatifs a notre pays dont Phistoire est toujours si — 453 — melee a celle de TAngleterre, pendant tout 1c moyen age, sous le rapport de la politique, des arts, de Tindustrie et clu commerce. Les roles des lettres closes, et surtout ceux du regne de Henri III , ont une valeur et un interet tout parliculier. Ce monarque, grand amateur des arts, les favorisa beaucoup; et Ton trouve dans les lettres closes des renseignements qui permettent d'apprecier l'etat auquel ils etaient parvenus sous son regne, et parmilesquelsil faut citer des instructions curieuses pour les travaux de construction, de reparation ou d'embellissement des chapelles et chateaux royaux, commandes de peintures , de sculptures , de pieces d'ameu- blement, details sur les presents offerts aux ambassadeurs etran- gers, sur les bijoux, fargenterie, les costumes du temps, etc. etc. La valeur historique des roles des lettres closes avait, des 1801, attire Tattention de la Records commission. Elle voulut d'abord en faireun inventaire complet, puis elleordonnalapublicationdutexte lui-meme. Le premier volume, contenant les actes de 1 2o4" a 1 2 2 l\, parut en i833, toujours par les soins du savant garde des archi- ves de la Tour; le second volume etait sous presse lors de la sup- pression de la Records commission en i838 : il est reste inter- rompu. En i844 , le maitre des roles a fait publier les feuilles qui en etaient imprimees ; elles forment un mince volume et contien- nent les actes compris entre 12 24 et 1227. Rotuli parliamentorum. — Ces roles sont une des sources les plus curieuses de I'histoired'Angleterre; ils contiennent, non-seu- lement les proces-vcrbaux de la tenue des divers parlements, mais les actes des procesportes devant ce tribunal supreme, et le texte des petitions qui lui etaient presentees. Je reviendrai plus tard, Monsieur le Minislre , en vous parlant des actes isoles qui se trouvent a la Tour, sur les petitions adressees au roi et au parlement; un grand nombre ont ete ecritespar les habitants de celles de nos pro- vinces qui etaient soumises a la domination anglaise. Elles font connaitre.rnieux que tout autre document, fetat de la societe au moyen age. Les roles du parlement conserves a la Tour com- mencent a la cinquieme annee du regne d'Edouard II, el finissent avec celui d'Edouard IV. Ils ont ete imprimes au siecle dernier par ordre des deux chambres, dans un ouvrage intitule : Roluli par- liamentorum, ut et petiliones etplacita inparlamento. On avait reuni aux roles du parlement gardes a la Tour, tous ceux qu'on avait pu trouver dans les autres depots publics , et Ton s'etait efforce de — kbU — eombler les lacunes a l'aicle d'anciens nianuscrils consenes dans diverscs bibliotbeques; mais l'ouvrage n'ayant pas de table, il etait presque impossible de le consultcr. En 1802 , la chambre des lords en fit faire une qui forme un enorme volume in-folio, inti- tule : Index to the Rolls of parliament comprising the petitions pleas and proceedings of parliament from anno 6 Ed. to anno 10 Henri VII, 1278 a 1503. Coronation rolls. — Ces roles servaient a l'insertion des proces- verbaux des sacres des rois ; trois seulement , de la premiere an- nee clu regne d'Edouard II a la premiere annee du regne de Henri V, sont conserves a la Tour; les autres sont gardes a Iiolls- Chapcl, jusques et y compris celui du sacre de la reine Victoria : ce dernier n'a pas moins de six cents pieds de long. Botali finium. — Le mot fines a, dans la diplomatique anglaise, un sens complexe qu'il serait difficile de traduire exactement en lrancais; il exprime a la fois des dons volontaires faits auroipour en obtenir un service, des droits obligatoires acquittes conform6- ment aux usages du moyen age, dans mille circonstances de la vie feodale, et enfin des amendes encourues par suite de condam- nations judiciaires. Les fines etaient pour les rois d'Angleterre une source de revenus importants, a en juger par les roles de la Tour. II fallait en effet payer pour toutes choses, pour beriler de son fief, pour le vendre, pour epouser une pupille, pour se remarier si c'etait une veuve, pour obtenir la concession d'un privilege quelconque, tel que droit de foire , de marche, de chasse, etc. permission de faire le commerce ou d'exercer une industrie, exemption de tonlieu , de peage, de service militaire. Enfin, ce n'etait pas seulement la faveur ou la protection du roi dans un casdonne qui s'achetait alors, on payait aussi pour obtenir justice, et de toutes ces exactions c'etait assurement la plus odieuse. Un article fut, il est vrai, insere dans la grande cbarte, pour remedier a cet abus, et Ton pourrait croire en y lisant : nulli vendemus, nulli negahimus, aut dijferemus justiliam , que cette promesse solen- nelle fut executee, si les rotuli fuiiuin n'etaient la pour attester le contraire. Les premiers des roles des fines, ceux du regne du roi Jean, ne contiennent que de simples notes rclatant le don offerl au roi ou le droit acquitte; plus tard, ils sont rediges d'une ma- niere plus explicite. Une des portions les plus curicuses de ces roles est telle qui est relative aux juifs: on v voit l — oppose. D'autrc part, isolees et detachees les unes tics autres , elles perdraient la plus grande partie de leur interet clans ane publica- tion parlielle. Je dois ajouter qu'elles renferment toulcs, a c6te de faits importants, des faits sans valeur, e1 qu'il en est peu dont le style soit assez litteraire pour 1'impression. La langue dans laquelle elles sont ecrites est encore en voie de formation : ce n'est pas la langue que vont fixer les grands cerivains , et Ton n'y trouve plus la naivete ni la rudesse qui donnent quelquefois dc l'interet aux documents anterieurs. Ce nest guere qua la fin du regne de Louis XIV que le style des affaires a commence a devenir phis simple etplus regulier. II faudrait done, de toute necessity, faire un choix et un rema- niement de ces materiaux pour les mettre en oeuvre. Le plan suivi pour la collection des negociations relatives a la succession d'Es- pagne serait le seul que Ton put adopter. II faudrait choisir los negociations relatives a de grands interets et a de grands evene- ments, tels que la paix de Westphalie ou la paix des Pyrenees ; y rattacher celles qui ont eu pour but des interets secondaires, et presenter un simple resume des faits en citant tous les fragments importants des pieces a 1'appui. C'est seulement de cette maniere que Ton peut ecrire l'histoire de la diplomatic francaise au xvne siecle, epoque ou elle acquit tout son developpement , ou elle comment a regler meme les differends des puissances les plus reculecs du Nord, oil elle prit une part active a tous les trai- tes signes en Europe, a ceux de Copenhague et d'Oliva, comme a ceux de Westphalie et des Pyrenees. II serait curieux d'observer, dans un pareil travail , comment les resultats obtenus par Mazarin ont ete prepares par Henri IV et par Richelieu. Quand on songe a 1'interet dune pareille publication et a la facilite de reunirles documents dont elle ferait usage, on ne peut qu'exprimer le vecu qu'elle soit un jour realisee. Elle exigerait moins d'erudition que d'intelligence politique, el, reunie a quel- ques autres publications recentes, elle jetterail un grand jour sur Thistoire d'une epoque qui nous interesse d'autant plus qu'elle nous touche de plus pres. C'est une chose digne de remarque que les actes et les documents officiels des siecles les plus voisins du notre soient, en general , les moins connus et les moins a portec du public, et qu'il faille consulter a peu presexclusivement, pour IV'- tude de ces temps, des memoires tres-propres ;i faire connaitre la — 461 — sociele qui les a ecrits, mais tres-insuffisanis pour faire apprecier la marche de son gouvernement. Dans 1'impossibilite d'enumerer toutes les pieces diplomaliques deposees au Stite-paper ojjlce, je me contenterai d'indiquer celles* qui m'ont surtout paru remarquables , et j'y ajouterai le catalogue des collections du British Museum. On sait que sous Henri IV TAngleterre et la France furent alliees el exercerent souvent une action commune sur les affaires de 1'Eu- rope. Aussi, les documents de cette epoque sont-ils fort nombreux dans les deux collections. Les documents francais les plus impor- tants appartiennent a un fonds qui faisaitpartie de la bibliotheque de Georges III, et que Georges IV legua au British Museum. Ce fonds renferme huit volumes in-folio avec des tables, cotes 111-118, et remplis destructions donnees par les rois de France a des am- bassadeurs francais depuis i525 jusqu'en i656; mais pres de cinq volumes sur les huit sont consacres au regne de Henri IV. Le dernier comprend une partie des instructions donnees sous Louis XIII, entre autres celles de M. de Feuquieres. On trouve dans les volumes suivants, cotes 119-132, outre plusieurs pieces parliculieres, telles que memoires, actes et traites concernant les deux couronnes, le recit des negociations de plusieurs ambassa- deurs francais en Angleterre, de Lomenie en ioq5, de Harlav de Beaumont, de 1602 a i6o5, et de laBoderie, de 1606 a 1611 l. Pour les pieces anglaises 2, je me contenterai de signaler les deux correspondances les plus importantes, celles de sir Thomas Parry, ambassadeur a Paris en i6od (elle se trouve au British Museum, suivie de la correspondance du due de Lenox et de quelques autres grands personnages , Harleian mss. n° ^2.32), et celle de sir Georges Cary, ambassadeur a Paris en 1609. Cette derniere correspondance est assurement la plus remarquable de toutes celles des ambassadeurs anglais, sinon par 1'interet mcTiie des questions qui y sont traitees, du moins par la clarte du style et la nettete de l'exposition. Ces qualites sont surtout celles d'un rapport sur la France , adresse par sir Georges Gary a Jacques Ier3 1 Voy. pour les negociations de M. de la Boderie, le fonds Harleien , n" 4132. 2 Voy. cependant les papiersdes ambassadeurs anglais en France, depuis 1 58g jusqu'en i5o,i (n° 6, 7, 8 et 9 du fonds Egerton). 11 "Concerning the state of France, by sir Georges Cary, addressed lo James ctlie T'.» mss. SCIENT. Jl — 462 — (n° 921 du fonds Egerton,.Br. Mas. copic). Cc rapport, a l'excep- tion des premieres pages rem plies par une dissertation, sans inte- ret pour nous, sur les origines de la nation , est le meilleur expose de l'ctat de la France sous Henri IV, et des progres qu'elle venait d'accomplir recemment. Malheureusement la secondc partie, dans laquelle 1'auteur devait exposer la situation cxtriicurc du pays, manque presque tout enliere. Tel qu'il est toutefois , ce tableau, dont le cadrevest d'ailleurs restreinl, paraitrait mieux meriter les honneurs d'une traduction et d'une publication que les rapports deja publics des ambassadeurs Venitiens sur la cour de Fran- cois II et de Charles IX. II faudrait consulter aussi plusieurs volumes de la Bibliotheque Cottonienne {Br. Mas.), ceux qui sont intitules: Transacta inter Angliam et Franciam (Caligula , E n° vn et suiv. jusqu'au n° xn); ils renferment uncertain nombre de pieces originales et de recits importants pour bien connaitre les operations d'Henri IV pendant la guerre civile: la plupartde ces pieces sont anglaises. Pour le regne de Louis XIII, la collection du Stale-paper office ne m'a pas paru renfermer de documents qui merilassent une mention speciale. Elle est cependant fort riebe en correspon- dances avec les reformes francais 1, et en observations sur la politique de la France , sur les phases diverses de son interven- tion dans les affaires d'AUemagne; on y trouve aussi, entre autres pieces, un assez grand nombre de lettres de Gaston d'Orleans et de Marie de Medicis, pendant son cxil, ces dernieres copiees par Gerbier sur les lettres originales2. Mais co qui m'a le plus frappe, e'est de n'avoir pas rencontre une seule ligne relative a la revolu- tion d'Angleterre. A l'epoque ou les. correspondances eussent ete le plus curieuses , il faut signaler une lacune de seize ans (de i64i a i65y), presque exclusivement remplie par des reclamations adres- sees en fav cur des marchands des deux pays ou par des pieces sans autre importance. Au British Museum, le fonds de Georges HI renferme les nego- 1 Voy. les lettres de M. de Boislorec a Jacques I" (Harl. coll. Br. Mas. n" 1 583), et, dans lc nieme \olume, la correspondance de MM. de Rohan et de Soubise avec Jacques I" et Buckingham. Cf. n° 1679. - Voy. aussi, dans le meme volume (Harl. coll. n° 1 583), plusieurs lettres de Marie de Miklieis, entre autres une lettre originale adressee .1 ("liarlcs I" au sujet de son manage. — 463 — cialions du comte de Tillieres, du marquis d'Effiat, de MM. de Blainville et de Bassorupierre en Angleterre, pendant les anodes i62-4, 1625 et 1626, ainsi que le memoire adresse a M. de Be- thune, arubassadeur a Rome, pour obtenir du pape la dispense necessaire au mariage d'Henriette de France avec Charles Ier (vol. cotes 1 33-i 38) l. Les fonds Seguier et de Brienne comprennent aussi les negocia- tions de Bassompierre en Espagne, en 1621, pour la restitution de la Valteline ; les instructions donnees a Boulru, envoye a Ma- drid en 1628, et a quelques autres charges d'affaires 2 ; quelques memoires sur les affaires d'AHemagne, et principalement sur la negociation de Feuquieres3; les instructions adressees par Char- les Ier a plusieurs de ses ambassadeurs en France, entre autres au due de Buckingham, a lord Holland et a sir Edward Barrett4. Je ne parle pas des memoires des dues de Bassompierre et de Rohan, ni des traites de Dupuy et de Godefroy sur la Lorraine, le Roussillon, la Catalogue, ni de quelques autres ouvrages de ce genre deja imprimes 5. Enfin, je dois citer deux collections importantes deposees a Lon- dres ; e'est la correspondance des nonces residanten France, avec lespapes, depuis 1607 jusqu'en i633 °, et le recueil des lettres ecrites a M. d'Estrees, pendant son ambassade a Rome, de- puis 1619 jusqu'en i645 7. Les relations des ambassadeurs Venitiens pour le xvne et pour le xvine siecle sont assez nombreuses. Elles m'ont paru ressembler 1 On trouve meme plusieurs exempiaires de la negociation de Bassompierre (Harl. coll. nos 4363, 45g3 et 4597). Voy. aussi, dans le volume n° 1 583, les remontrances de l'ambassadeur de France, en 1627, au sujet de la persecution indirecte exerc^e en Angleterre contre les catholiques. s Harl. coll. n° 4453. 3 Voy. Harl. coll. n° 4370, et fonds de Georges III, n° 118, pour la negocia- tion de Feuquieres. Voy. les Memoires de Villiers-Hotman et de quelques autres ambassadeurs, sur les affaires d'Europe pendant le rcgne de Louis XIII. (Harl. coll. nos 4432 , 4433 et 4434-) On trouve aussi dans ces volumes quelques pieces diplomaliques. 4 Harl. coll. n° i584 •• la plupart de ces instructions sont en anglais. 5 Voy. pourtant les nM 4433, 4438, 444o de la collection Harleienne (fonds Seguier). 15 Additionnalmss. volumes cotes de 8721 a 8732. 7 Fonds Egerton, nos 624 et Ga5. Cf. Additionnal mss. volumes cotds de 5 145 a 5A 54. m. 3 1 . — Ik6k — beaucoup a celles du xvie siecle qui ont ete deja publiees. Quoi- qu'elles s'etendent au dela du regne de Louis XIII, je les citorai toutes a la fois. Ce sont celles d'Angolo Corraro, 16/11; de Nani, \66o ; delMorosini, 1671 et 1672; deFoscarini, i684;deGira- lomo Venier, 1C89 ; de Tiepolo, 1708 ; de Tiepolo et Foscarini , 1723 ; d'Alessandro Zen, 1787 ; de Francisco Venier, 1 7^3 l. La relation de 1'archeveque de Tarse au cardinal Barberini, en i()2 3, doit etre rapprochee de celles des ambassadeurs Venitiens. Les principales correspondances qui appartiennent. au regno de Louis XIV font parties de la collection deBrienne. Le volume cote au British Museum sous le n° /t58g, renferme une nomenclature des d^peches de cette collection; le British Museum ne possede que les suivantes 2. Six volumes de lettres du president de Thou au comte de Brienne, pendant son ambassade en Hollande de 1667 a 1661, lettres pour la plupart originates et remarquablement ecrites; la correspondance du chevalier Terlon , envoye a Copenhague depuis 1627 jusqu'en 1661 ; celles de MM. deGohorri et Duplessis-Besan- con a Venise, Servient a Turin, de Valencai enltalie, de la Barde en Suisse, de Saint-Chamons et Guessier a Borne, de Comminges en Portugal , de la Haye a Constantinople, de Bordeaux a Londres en 1607 et i658 •, celles de MM. de Grammont et de Lyonne en Allemagne, en 1607; Blondel dans TAllemagne du Nord, d'A- vaugour et de Lumbres en Pologne, a la meme epoque. Chacun de ces volumes comprend toutes les pieces d'une negotiation , de quelque nature qu'ellessoient, instructions, manifestes, memoires, correspondances, et peut etre considere comme un dossier com- plet. Presque toutes les lettres en chilTres sont traduites, et cest dans les volumes de cette collection, surtout dans ceux qui ren- ferment la correspondance des ambassadeurs envoyes dans le Nord, que Ton peut le mieux apprecier le progres et rinfluence de la 1 Additionnal mss. tic 1 836 a i84o, nM 8734 et suiv. 2 Ellcs sont cotees sous les nos 452.5 et suivants, jusqua 4549. Le n° 4534 comprend un grand nombre des pieces, trails et manifestos qui ont precede la paix dc Munster : plusieurs de ces pieces sont au resle imprimdes. On y trouvc aussi une copie. du Journal des ambassadeurs franc.ais dans leur voyage depuis Mezieres jusqu'a la Haye (du 22 octobrc iG43 au icr mars i644). Voy. aussi des copies de depeches pour les annees 1657, i65g et 1661, cotees n" /| 5 7 G , 4578. 4579. — 465 — diplomatic franchise sous Mazarin. On Irouve enlin, au milieu de ces recueils , celui des lettres de M. de Brienne lui-meme a son fils, et un traite qu'il redigea, en 1662 , pour lui expliquer l'etat gene- ral des affaires de lEurope et les interets politiques des puissances. Mais ce traite, elementaire et mal ecrit, ne me parai trait propre qua donner une idee fausse de la valeur des hommes politiques de ce temps. II faut rapprocher de cette collection, comme se rapportant a la meme epoque, les leltres de Mazarin a MM. leTellier et deLyonne, sur les negociations de la paix des Pyrenees a Saint-Jean-de- Luz K Les negociations avec d'Angleterre auraient semble devoir etre les plus nombreuses. Je n'ai trouvecependant, pour cette epoque, que celles de M. de Sabran en 16M et i645 2, et celles de 1'ar- cbeveque de Bordeaux en 1657 et i658. Elles jettent peu de jour sur I'bistoire de l'Angleterre meme ; mais elles peuvent faire ap- precier le role de la diplomatic franchise pendant la revolution de ce pays. C'est dans ce sens, ce me semble , que devrait etre conq.ue une analyse de ces documents. Pour Tepoque qui suit le traite des Pyrenees et la restauration anglaise, je citerai la relation de l'am- bassade a Londres du due de Verneuil , du comte de Comminges et de M. Courtin en i665 3. Le British Museum comprend encore plusieurs volumes de memoires diplomatiques desannees 167/1, 1675 et 16764, epoque ou se preparaitla paix de Nimegue, et un volume de la negocia- tion de la paix de Gertruydemberg en 1 7 1 o 5. Je n'y ai vu aucun memoire des ambassadeurs anglais de ce temps particulierement relatif a la France , la plupart ayant reside pres des puissances signataires de la triple et de la quadruple alliance. Cependant , leurs papiers peuvent etre d'une utilite tres-reelle pour 1'histoire de la guerre de la succession d'Espagne, et il me suffira de citer , dans leur nombre , comme des plus curieux, ceux de sir Georges 1 Fonds de Georges III, n° i3q. Cf. Hart. coll. n° 3628. 1 Additionnal mss. n°s 546o et 546 1. 3 Fonds Egerton, n° 627 et 812. Cf. Harl. coll. n° i5og. 1 Hail. coll. nos i5i4-i523. Cf. Correspondance de Colbcrl, du comte d'Avaux, dc M. de Pomponne pendant les annecs 1676 et 1677. Addit. mss. n" n443 et ii444. 5 Fonds Egerton , n" 865. — 466 — Stepney, envoye successivement pendant cette guerre a la Haye, a Vienne et clans differentes aulres cours. Deux volumes de papiers italjens, cotes 875/1 et 8755, con- tiennent toutes les pieces du differend d'Alexandre VII et d'lnno- cent XI avec la cour de France. Entre autres correspondances diplomatiques, le State-paper office renferme celle de Lockart , ambassadeur de Cromwell en France (1607 et 1 658), avec les secretaires d'Etat Thurloe et Nicholas. Elle roule tout entiere sur 1'alliance de Mazarin avec le Protecteur, et sur la campagne entreprise en commun par les troupes fran- chises et anglaises contre les Espagnols dans les Pays-Bas. On trouve dans les volumes consacres aux annees suivantes de curieux renseignements sur la connivence morale de la France a la restauration de Charles II, et sur la mesintelligence qui ne tarda pas a s'clever entre le gouvernement de ce prince et celui de Louis XIV. En 16O6, la France etait accusee de soutenir les rebelles d'Irlande , anciens partisans de Cromwell , et Charles II recevait des plans dont les auteurs enumeraient lous les moyens de jeter le trouble dans Tinterieur de la France et de demembrer la mo- narchie. L'epoque des guerres de Louis XIV est enlieremenl remplie par des memoires anglais et par des pieces franchises interceptees. Quelques-unes de ces pieces ne sont pas sans interet pour nous. Telles sont les negociations entamees par l'Angleterre avec les gouvernements etrangers, pour faire retablir en France 1'edit de Nantes (vol. cote 281). Les relations diplomatiques de deux pays recommencent apres la paix d'Utrecht et comprennent toutes les negociations entamees pour la preparation on 1'execution de ce traile, ou pour la quadruple alliance. La plupart de ces pieces sont inedites, et quoique les limites d'un rapport ne me permet- tent pas de nombreuses citations, j'ai cru devoir publier la lettre suivante, datee de Paris le 20octobre 1719, etadressee parl'abbe Dubois a Destouches qui etait alors charge d'affaires de France, et qui se rendait d'Allemagne a Londres. Elle contient Texpose des moyens dont l'abbe Dubois voulait se servir pour devenir cardi- nal, et quoiqu'elle n'apprenne rien qui ne soit connu, elle m'a paru trop curieuse pour rester secrete. — 467 — LETTRE DE I/ABDE DUBOIS A DESTOOCHES. (i A Paris, le 20 d'octobre 1719. « Je suis tres-edifie, Monsieur, de la conduite que vousaveztenue a 1'egard de M. de Senneterre; et c'est pour vous la faciliter que je ne vous avais pas charge de m'ecrire. Je vais lui mander que son allesse royale lui permet de passer par Paris en revenant d'Hanovre , et que vous suivrez le roi de la Grande-Brelagne en Angleterre, d'ou vous me rendrez comple exactenient de tout ce que vous apprendrez 011 penserez. II est vrai que beaucoup de choses qu'il etait important que je susse ont echappe a M. de Sen- neterre, ce qui m'a fait repentir de ne vous avoir pas charge de m'ecrire assiduement par toutes les voies possibles. Mon applica- tion aux affaires publiques et mon indolence sur tout ce qui re- garde mon avancement et mes interets particuliers, m'ont fait negliger toutes les avances que vous m'aviez faites de la part de mylord Stanhope pour faire agir 1'empereur a Rome en ma faveur. Le pape est sur le point de faire une promotion, et quelqu'un de mes amis pretend qu'une recommandation de 1'empereur au pape pour moi , produirait un grand effel , et cet ami m'a force a faire dire a mylord Stanhope que j'acceptais son offre. On gaterait tout s'il paraissait que j'ai menage ou souhaite , ou meme su cette demarche. Cet office ne se peut faire que par une letlre du roi de la Grande- Brelagne a 1'empereur, ecrite proprio molu, et par un ordre de mylord Stanhope a M. de Saint-Saphorin (l'ambassadeur d' Angle- terre a Vienne), d'y joindre ses soins et ses sollicitations, etd'obte- nir que l'empeieur envoie ordre incessaniment a son ministre a Rome de parler au pape; si cela se peut faire sans inconvenient pour mylord Stanhope , je ne veux pas me reprocher d'avoir refuse un office qui m'est honorable et qui peut m'etre utile. Parlez-en a mylord avec la confiance entiere que je dois avoir en lui, mais priez-le d'avoir les intentions suivantes : i° que je ne paraisse en avoir aucune connaissance; 20 la diligence, parce que la promo- tion doit se faire incessamment; 3° de recommander expressement a M. de Saint-Saphorin de tenir cet office secret, meme a 1'egard de Dubourg, charge des affaires de France a Vienne. Conduisez cela sagement. Ne m'en ecrivez jamais que par des couniers a qui vous pouvez prescrire de me rendre vos lettres en mains propres. — 468 — el assurez mylord Staubope que je me livre a son ambition pour nioi , et (pie je suis a lui plus qua moi-mcme. Dans votre letlre qui nj'a etc rendue par l , vous avez oublie dans l'enveloppe uue feuille de la lettre qui devait comnieneer comme il parait dans la reclame : Dans une. Je suis, Monsieur, enlierement a vous. » D. (Extrait ilu State-puper ojjice. Coll. intitulde France. Vol. cotu 282.) deuxieme partie. PIECES HISTORIQUES ETRANGERES A LA DIl'LOMATIE. Les plus curieuses de ces pieces appartiennent a une collection qui se trouve au State-paper office, et qui a ete rarement visilee, si elle l'a ete jamais. Ce sont des gazettes a la main, ecrites jour par jour, quoique assez irregulierement , et envoyees aux secre- taires d'Etat anglais. La serie de ces envois, sauf quelques excep- tions anlerieures, commence a 1'epoque ou Louis XIV prit lui- meiue les renes du gouvernement, et continue jusqu'a sa mort. Nous avons de ce temps des gazettes officielles imprimees dont on rencontre rneme quelques-unes dans la collection du State- paper office; celles dont je parle les copient dans certains passages textuellement. Elles ne doivent cependant pas etre confondues : les gazettes manuscrites comprennent beaucoup de faits que les gazettes imprimees passent sous silence, et sont, par cela meme, beaucoup plus completes. II y a entre les unes et les autres la difference qui existe entre un journal d'opposition et un journal officiel. Or, avec quelque circonspection qu'on doive employer les documents semblables, on peut affirmer qu'il y a une cbose ne- cessaire pour achever le tableau d'une epoque ou la liberte d'e- crire n'existait pas : e'est la connaissance des faits que ne disait pas la presse officielle et que souvent les correspondances parti- culieres n'osaient pas dire. Les gazettes redigees par les agents de TAngleterre ne ressemblent dailleurs pas a ces libelles plus ou moins calomnicux qui s'imprimaient alors a Tetranger, et que nous avons le malbeur de posseder en si grand nomine, (/est quelquefois une cbronique ennemie; ce o'est jamais une cbro- Le nom est en bis — 469 — nique scandaleuse. Sous le rapport lilteraire, elles ne sont pas toutes indignes du temps ou elles ont ete ecrites, comme on peut s'en convaincre par le fragment cite plus bas. Les faits qu'elles eciaircissent, s'ils ne sont pas a coup sur des plus considerables, ne sont pas toujours les moins curieux. Le regne de Louis XIV que nous sommes habitues, sur la foi de Voltaire, a regarder comme un regne de grandeur et de prosperite sans melange, ne fut pas, dans ses plus beaux jours, a 1'abri des murmures, des conspirations et des revoltes; les correspondances anglaises racon- tent le desordre des rnoeurs administratives , le malaise des peu- ples, les soulevements des provinces, faits dont 1'histoire officielle a souvent efface ou affaibli la trace. On y peut etudier les miseres de la monarchic absolue au milieu meme de ses splendeurs, et si ce n'est que l'ombre du tableau, ce n'en est pas moins une partie essentielle. L'histoire des tentatives faites en 167^ pour soulever 1'Anjou et la Normandie; celle de la revolte de la Bretagne sous le due de Chaulnes, la persecution des protestants, la guerre des Cevennes, sont peut-etre les evenements sur lesquels ces gazettes jettent le plus de jour. Elles donnent des renseignements precieux sur les moeurs de la haute societe du temps ; elles tiennent note des arrestations, des mises a la Bastille : la Bastille eut alors pour hotes des personnages considerables et beaucoup de dames de la cour; elles racontent le proces d'un gouverneur de Bretagne con- vaincu d'avoir pris pendant son gouvernement pres de trois mil- lions qu'il ne clevait pas : on donne an aatre nom a cela (annee 168/i); celui d'un intendant de Dauphinequi contrefaisait les lettresd'un eveque (annee 1688). Le gouverneur fut absous, et l'intendant changea de province. Ces faits , s'ils ne sont pas tous absolument prouves, ont le malheur d'acquerir un grand degre de vraisem- blance, quand on les rappi-oche d'autres documents que nous avons sur cette meme epoque. Les auteurs de ces correspondances paraissent avoir ete, en ge- neral, bien informes; quelques-uns avaient acces a la cour et fai- saient partie de la maison des princes. J'ai trouve des lettres dont les auteurs offrent leurs services au ministere anglais, et qui ne peuvent avoir ete ecrites que par des personnes de la cour1. Les ] Voy. une lettre ^'ciitc d'Anvers a un ministre anglais (i3 oclob, 1708) cl non — 470 — premieres gazettes soat signees des noras de Petit, Oldenbury et Gaillard; on a meoae les quittances des sommes recues par eux. Mais les nonis les plus remarquables sont ceux de Jurieu el de Basnage. Jurieu fut l'agent de l'Angleterre depuis 1696, et, pen- dant la guerre de la succession d'Espagne, il orgauisa en France dans les differents ports, a Dunkerque, a Brest, a Nantes, a Mar- seille, un systeme de correspondance qu'il dirigea 1. On ne peut s'etonner que la persecution donl les reformes fureut l'objet apres la revocation de l'edit de Nantes les ait jetes dans les bras de l'An- gleterre, mais il est malbetireusement avere que leurs piincipaux pasteurs furent ses agents. On s'adressait meme a eux de prefe- rence, comme aux correspondants les plus capables et les mieux informers. Sil faut en croire une lettre sans date, mais placee dans le registre de 1'an 1698, plusieurs d'entre eux recevaient a la fois, pour le meme motif, 1'argent de la France et celui de l'Angle- terre. J'ai cru devoir reproduire ici un fragment de ces correspon- dances. Voici quelques lettres ecrites en iG55. Je les ai prises sur une simple copie qui ne porte ni adresse ni signature; mais ad res- sees ou non a des Anglais, elles n'en sont pas moins interessantes et dignes de figurer a cote d'autres documents sur cette meme epoque: 5 juillet i655. — « J'ai regu votre lettre par laquelle j'ai vu ce qu'on m'offre par mois jusqu'a ce que je me sois fait connaitre, ce que j'accepte. « Mais j'entends que quand on aura vu comment je peux servir, et quels services je peux rendre, on auginente de beaucoup ma pension. « Je vous prie de bien faire comprendre ceci : qu'on ne peut pas faire naitre les occasions a servir, mais qu'on peut seulement les embrasser lorsqu'on les trouve. Ce que je dis, parce que peut-etre on pourra s'etonner de la slerilite des avis, ce qui procedera du cours des affaires et non de ma faute. signde.L'auteur ties principales correspondanccs de fan 1703 parle sanscesse des intelligences qu'il a eues avec diffdrents personnages de la cour. 1 On voil par une lettre de Jurieu a lord Nottingham , t. 287, que ces cor- respondanccs coutaient a 1'Anglctcrre 12,000 florins par an. Jurieu partagrait leur direction avec un agent nomrae Caillaud t'tabli a Rotlerdam. Une lettre ecrite par Caillaud a lord Nottingham (10 juillet 1702 ) mentionnc 1c ministre Basnage parmi les agents en sous-ordre. — 471 — « Assurez-vous que le prince de Conde ne fera grand chose celte campagne, que les Espagnols se tiendront sur la defensive, et que nous faisons cette annee de grands progres partout. » 8 juillet. — « Presentement il n'y a nul changement a attendre en ce royaume. Les peuples sont accables de miseres, detailles, de toutes sortes d'impositions qu'ils aiment mieux souffrir que la guerre. « La noblesse est tellement ruinee quelle n'est pas capable de monter a cheval pour aucune execution , quelque apparence qui leur puissse etre presentee d'une plus avanlageuse condi- tion. « Les parlements sont tous asservis, et ceux qui les corupo- sent n'oseraient parler ni rien dire contre le present gouverne- ment. « Les grandes villes ne respirent que le repos et detestent tous ceux qui ont ete les auteurs des derniers troubles. « L'ordre ecclesiastique est tout dependant de la cour et du fa- vori , de qui ils ont recu leurs benefices. » Tous les gouverneurs de places sont attaches de meine a la cour et au cardinal. « Tous les grands seigneurs se plaignent, et je n'en connais pas un seul qui soil capable de rien. « Pour Paris, tout le monde deteste le present gouvernement , et s'y assujettit pourtant volontairement. « On a cru que le cardinal de Pietz pourrait causer quelqu'alte- ration pour le jubile, car venant a etre donne par ses ordres, l'au- torite du roi etait en quelque facon violee, et le jubile etant refuse au peuple , cela devait , selon toute apparence, causer quelque sedi- tion ; cela n'a point du tout reussi. Les grands vicaires nommes par le cardinal de Retz ont ete mandes en cour. Un d'eux a obei et y est alle. L'autre y a ete mene par force, et le peuple n'a point remue. Et quand on aurait pris tous les cures prisonniers, per- sonne n'aurait rien dit. On voit clairement que dans Paris on veut le repos, et qu'on ne veut plus entendre a aucun remuement; cela est certain. «Quand aux courtisans, ils sont toujours mal contents, mais avec tout cela il decoule toujoui^s quelque douceur qui les apaise, et nul n'est capable de rien. « Le marechal deTurenne, qui seul a sens, courage et expe- — 472 — Hence, est asservi a la faveur; car, depuis qu'il est marie, il a si grande peur de perdre la fortune de sa famille , qu'il est le valet des valets de M. le cardinal. Les autres courtisans sont pires que valets, car ce sont des esclaves. « Pour les princes , le due d'Orleans est dans sa rnaison de Blois entierement euseveli dans la douceur de la vie cbampetre. On le prie de venir en cour, et on ne desire pas qu'il vienne. Et lui aiine son repos, et considere que s'il etait a la cour, il serait le jouet des favoris qui, tous les jours, le rendraient meprisable. II n'est point bomme ni a faire ni a entendre a aucune entreprise quand meme elle serait assuree. « M. le prince de Conde est brave de sa personne, comme vous savez , niais tout son parti est ici entierement aneanti. II est pour- tant tres-certain que s'il avait un bon succes, il arriverait ici une grande revolution. Mais s'il ne gagne une bataille, il n'y a rien a faire pour lui. « Le due de Longueville ecoute toutes sortes de propositions , mais il n'est capable de faire aucune bonne entreprise, ni de prendre point de ferme resolution. « Tous les autres princes effectifs ou qui se disent tels , ne sont capables de rien, et ne sont considerables en quoi que ce soit. «Quant a la cour, le roi, en 1'age ou il est, prend ses diver- tissements a la chasse et a faire 1'amour. « On lui a fait paraitre mademoiselle Maucini pour la plus accomplie de tout le royaume. C'est une jeune fdle de quinze ans, niece du cardinal, qui a beaucoup d'esprit, mais n'est pas belle. Elle est agreable. Le roi en est amoureux, etpeu a peu il se pour- rait porter a l'epouser. Tous ceux qui sont autour de Sa Majesty sont gagnes pour lui inspirer une telle pensee. Quand cela lui viendrait dans l'esprit, il n'y aurait personne qui s'y opposat. Je ne dis pas que la cbose se fera ni qu'elle ne se fera pas. Mais messieurs les courtisans servent ou directement ou indirectement pour acheminer ce mariage. « M. le cardinal subsiste non-seulement parce que le roi 1'aime tendrement, mais il 1'estime et il le craint. Et quand la reine voudrait detruire les sentiments de S. M. elle ne pourrait le faire. Le cardinal a en sa main tous les honneurs et biens a distribuer ; il ne faut done pas s'etonner si 1'on s'allachc a lui. Le cardinal n'a point de confident particulier, mais il change suivant les occasions ; — 473 — il connait fort bien le pas glissant ou il est , mais il aime mienx perir honorablement que tie se retirer lachement. « II n'y a point d'apparence qu'il lui arrive rien ni par assas- sinat, ni par poison, ni par disgrace, et tres-assurement ii se maintiendra; et tout 1'Etat demeurera tranquille, excepte que les Anglais entrassent en France ou que M. le prince, de Conde eut un bon succes: ces deux cboses n'arrivant point, cet Etat demeu- rera tranquille. « On a envie ici d'avoir querelle avec le pape, parce qu'on n'a eu nulle part en son election, et parce qu'on craint qu'il com- mence le premier a oter credit au cardinal, lequel le pape n'estirne point, et il traversera en tout ce qu'il pourra. " Le cardinal serait bien aise que le pape le prit en aversion , afin de lui renvover son chapeau pour etre connetable de France , car il n'est pas pretre et peut se marier quand il voudra. Son but principal est le cabinet, lequel il gouverne paisiblement ; et per- sonne ne lui contredit en quoi que ce soit; et jamais en France favori n'a ete si absolu, sans apparence d'aucune diminution d'au- torite. « Pour la maison des Stuarts en ce royaume, cest pen de cbose. Cbarles s'est retire mal satisfait, car il etait dans le dernier me- pris. Le due d'York est dans les armees, comme vous savez , ga- gnant sa vie a la sueur de son corps. II a desire d'epouser M"° de Longueville qui l'aimait. Le pere n'y a jamais voulu consentir, parce qu'il lui aurait fallu nourrir le due d'York. « Glocestre devait se faire d'eglise pour avoir des benefices, afin de subsister. Montaigu gouvernait tout ce negoce; tout cela est dechu. « La reine d'Angleterre est toujours dans le convent de Sainte- Marie de Chaillot ; e'est une personne dont on ne parle plus dans les compagnies, comme si elle etait morte. Elle ne parle pas mal du Protecteur. II y a peu de jours que je lui ai oui dire qu'en France nous n'avions pas une telle tete. Elle a aupres d'elle deux Anglais fort envenimes qui , s'ils pouvaient, voudraient bien tramer quelque chose contre le Protecteur. Montaigu est toujours a Pon- toise, a cinq lieues de Paris. Cest un petit fou qui s'est fait pretre : il ferait bien du mal au Protecteur s'il pouvait; mais il n'est juge ici bon a rien ; il fait le bigot et grand catbolique , mais il n'y croit rien du tout; mais cela lui serl a vivre. — klk — « Lo Protecteur est ici fort estime du peiiple et des plus senses. « Nos ministres d'Etat les plus signales disent que le Protecteur n'a point fait de fautes en sa condnite, mais (pie nous en faisons tous les jours. « On ne croit pas qu'entre lui et nous il y ait jamais aucun bon et solide accommodement. « On tient que le Protecteur balancera toujours les affaires sans se declarer ni pour ni contre nous. « On croit qu'il entretient le prince de Conde de vaines espe- rauces dont on ne verra nul effet. « M. le prince est aussi lasse des longueurs par lesquelles le Protecteur le mene depuis trois ans sans avoir encore rien fait en sa faveur. « On ne croit pas que ce soit 1'interet du Protecteur de rien en- treprendre ouvertement contre la France. « On croit qu'il menacera toujours sans rien faire contre nous. « On croit pour certain que M. le prince s'accommodera avec le cardinal , et que M. le due d'Engbien epousera une niece que Ton garde ici pour cela, outre trois autres et un neveu qui viennent bientot. « M. de Candale et M. le grand-maitre de la Meilleraye, qui de- vaient epouser des nieces, sont traites fort froidement a cause qu'ils ont trop delibere; et, a la fin, il faudra qu'ils les demandent avec grande soumission , et peut-etre qu'on ne les voudra plus donner, car elles sont toutes destinees pour les grands princes de- dans et dehors le royaume. » il juillet. — « Je vous confirme ce que je vous ai dit a plu- sieurs fois, e'est qu'on ne peut pas faire naitre les affaires, on ne peut que les decouvrir. « S'il semble que pour quelque temps je ne serai pas fort utile, avec un peu de patience on verra les services que je pourrai rendre. « Je distinguerai les lettres que je vous ecrirai en trois parties : Tune contiendra les nouvelles qui courent; l'autre, le jugement que je donnerai de l'etat des cboses; la troisieme, qui sera en chiffre, portera les avis de consequence, et cela une fois la se- maine , et deux fois si la matiere le requiert. « Je vous ai mande que Landrecies se prendra ; que M. le prince ne fera que ravager la campagne; je vous confirme tout cela. — 475 — « Je vous ai mande que le cardinal de Retz avec le jubile donne de la peine ; mais cela ne reussira a rien et ne causera aucune al- teration publique; je vous conQrme tout cela. « Le peuple souffrira plutot tout que le trouble. « Le cardinal est mieux affermique jamais. Leroi est amoureux de sa niece : les amours s'echauffent ; peut-etre il 1'epousera, il n'y a rien de certain en cela. « Les Espagnols ne contentent point, ni le prince de Conde qui en est fort las. Si cette campagne lui reussit comme les prece- dentes , il s'accommodera avec le cardinal s'il peut. Souvenez-vous bien decela; et que quand le prince s'accommodera , cela paraitra tout dun coup, et que le traite se fera en secret, dont cependant je pourrai avoir connaissance. « J'ai des nouvelles certaines que le marecbal de Grammont a commence une etroite correspondance avec M. le prince par ordre du cardinal. « Pour Rome, je vous confirme qu'on irrite le pape et qu'on veut etre mal avec lui, et que le cardinal voudrait etre maltraite parle pape pour avoir occasion de lui renvoyer son cbapeau de cardinal qui lui serait paye par l'epee de connetable qu'il souhaite extre- mement. « Je vous ai mande tout cela; je vous le confirme. Je vous prie, gardez bien cette lettre pour vous en bien souvenir, et la faites bien considerer. « Soyez assure qu'il ne se passera rien de considerable de cjuoi vous ne soyez averti par moi. Moquez-vous de toutes les autres nou- velles qu'on vous mandera, et faites un fondement assure sur ce que vous recevrez de moi. « Le sommaire de ce que je vous ai mande revient a ceci. Si M. le prince a un grand avantage, et qu'on fasse quelque diversion, toutes cboses sont ici portees a un tres-grand cbangement; cela n'arrivant pas, on souffrira plutot tout que de rien remuer. « On croit qu'apres la prise de Landrecies le roi reviendra a Paris : « i° Afin que le peuple recoive le jublie par les grands vicaires nommes par le roi et non par ceux du cardinal de Retz ; « 2° Pour faire passer divers edits pour avoir de 1'argent; « 3° Pour faire un cbangement aux monnaies, lesquelles le roi va mettre on petit volume, ce qui fache fort le monde; ce cban- — 476 — geruent de monnaie marque ou mauvais ordre, ou necessite, ou tous les deux ensemble. » 1 6 juillet. — La lettre manque; voici cependanl \epost scriptum: « Je vous ai ecrit ce matin ce que j'avais a vous mander. « Depuis ma lettre ecrite, j'ai avis assure que le cardinal et le due d'York ont eu depuis trois jours de grandes conferences, et qu'ils ont ete jusques a trois heures ensemble, ce qui ne peut etre sans tres-grand sujet. « Je suis assure que le cardinal et le roi d'Ecosse ont commerce ensemble. Je saurai ce que e'est, et vous en donnerai avis. « Je suis familier avec Montaigu , par lequel je saurai tout, car il sait le fond des intelligences. « On se prepare a faire un autre siege apres qu'on aura etabli les ordres a Landrecies. n Le cardinal est devenu liberal : il donne a tout le monde et de fort bonne grace, et dit qu'il a epargne pour pouvoir avoir de quni donner. « Sa puissance est tout a fait etablie. » 24 juillet. — ,« L'envie que le pape avait de sentremettre pom- la paix est fort ralentie ; il y a un mois qu'on n'en parle plus. « Ce pape est un bomme que j'ai connu a Munster; e'est un personnage qui n'a nulle mechancete, plein de bonnes intentions, mais leger d'esprit et changeant : il embrasse tout avec chaleur, puis il se relacbe. Des qu'il s'est vu pape, il a voulu tout reformer a Rome, faire la paix en la cbretiente, attaquer leTurc, batir des eglises, corriger tout 1'ordre ecclesiastique , jeuner, prier, faire aumones : tout cela est bon ; mais e'est trop a la fois, car il n'a point de sante. II a ete taille deux fois de la pierre, et le pauvre homme ne se mesure pas selon ses forces ; enGn, un sien confident lui a dit: « Pere saint, voulez-vous durer longtemps? laissez le • monde comme il est. » • La-dessus le pape s'est resolu de n'entreprendre pas (ant de besogne. Pour l'entremise de la paix il n'en parle plus. « Le cardinal Mazarin le meprise tant c^'il peut, et quand la paix se devrait faire, ce ne sera pas par son moyen. « II est passe par ici, depuis trois semaines, un moine jacobin qui a eu conference avec le cardinal toucbanl la paix. C'est un pere dominicain espagnol. « Pour 1'accommodemenl de M. le prince, il est t res-assure qu'il — kll — se traite quelque chose; mais il n'y a rien encore de bien avarice, et je n'en ai pas bonne esperance. « Assurez-vous sur moi que voas serez bien averti de toutes res choses. « L'autorite, la faveur et le credit du cardinal sont au plus haul point : je ne vois rien qui le puisse choquer que le Protecteur; e'est pourquoi il est tres-certain que , ou tot ou tard , le Protecteur lui jouera quelque mauvais tour. « Nous avons assiege La Capelle, et faisons en Flandre des pro- gress, car la terreur et lachete a saisi le coeur des Espagnols. En Italic, nous attaquerons Pavie ou Cremone. » t\ aout. — « Le roi est parti a la tete de trente miile hommes , et est entre en Flandres, et a dit a la reine 1 qu'elle n'aurait de ses nouvelles de quinze jours. « On parle diversement de son dessein : les uns croient qu'il veut prendre Conde et le fortifier, et ruiner Maubeuge. « Les autres, qu'il entrera dans Valenciennes ou il y a un parti forme pour le recevoir. « Les autres, pour entrer bien avant dans le pays et obliger les villes a son obeissance. « En peu de jours on saura son dessein. « Je vous ai prie de me mander si vous croyez que je puisse etre utile ici : sinon j'irai en ma maison de campagne jusques au retour du roi a Paris. Mais si Ton veut que je demeure ici , faites- le moi savoir. » [State-paper office, coil, intitulde France, vol. cote 222.) Independamment des gazettes, on trouve au State-paper ojjicc des documents de toule sorte, tels que des Elats de la marine fran- caise pour chaque annee ou a peu pres ; un tableau des traite- ments des ministres de France a IV'tranger; diverses pieces rela- tives soit a des trailes, soit aux droits eventuels que des princes ou des particuliers pouvaient faire valoir sur telle ou telle pro- vince, des memoires sur differents sujels. Mais plusieurs de ces memoires sont imprimes, d'autres sont les copies d'originaux connus; d'autres sont sans importance, parcc que nous avons heaucoup de documents semblables. 1 A la reine initio Miss. $CIKNT. :\j — V78 — Parmi les documents historiques du British Museum, je dois citer diverses relations d'ambassadeurs ou de voyageurs sur des cours etrangeres, telles que celles d'Espagne, de Portugal ou sur la Turquie. Ces relations, dont le merite est inegal, et qui onten general peu de porlee, renfernient cependant des details curieux et des portraits de tous les personnages importants. On y trouve aussi , surlout dans ceux qui ont la Turquie pour objet, des re- marques sur les institutions et les coutumes, remarques plus pre* rieuses quo le recit de faits souvent sans interet pour nous1. La relation des sept Provinces -unies des Pays-Bas, redigee sous Louis XIV, et, si je ne me trompe, par un ancien ambassadeur de France a la Haye, est une piece du menie genre, mais bien supe rieure 2. Je signalerai egalement plusieurs correspondances particulieres dont la plus curieuse est assurement celle de Lecomte, un des personnages de la suite du due de Chaulnes, lors de son ambas- sade a Nimegue. J'en citerais quelques fragments si je ne crai- gnais de trop allonger ce rapport 3. Plusieurs collections de portraits de la cour de France, entre autres sous les regnes d'Henri III et de Louis XIV4. Un Tableau du commerce de la France avec la Grande Bretagne en 1 685 , tableau tired'un manuscrit qui a fait partie de la biblio- theque de Robert Walpole 5. Quelques documents de ce genre ont ete publies en Angleterre : aucun, que je sache, n'a paru en France. Divers traites sur 1'Eglise de France au xvnc siecle; 1'etat de ses 1 Voy. fonds Lansdovvne, n° ii52, Rapport adresse en i664, par i'amluis- sadeur fran^ais ea Portugal , sur la cour de Lisbonnc. — Fonds Harleicn, n° 482.1), Rapport d'un ambassadeur venitien (traduil en francais) sur la cour de Pbi- lippe IV, en 1 660. N° 457,1, Relation de la cour du seYail. — -Relation du voyage du sieur Sanson Napollon, gentilbomme ordinaire de la cbambre du roi, a Cons- tantinople, Tunis et Alger, 1623-1628. — Cf. Voyage de Relval. Itincraire de Dijon a Constantinople (Harl. coll. n" 1599). — Cf. egalement Harl. coll. n"' 45 20 et 445 1. a Harl. coll. n° 2296, in-8° de i4 pages (recto et verso). Cf. le jugement sur le livre de W. Temple (Harl. coll. n° 45 1 5.) s Harl. coll. n° 4471. Volume renfermant diverses pieces sur la paix d( Nimegue. 4 Fonds Cotton Vespasian F. V, el coll. Harl. n° 7.570. s Fonds Egerton , ri° 921. — 479 — revenus, son gouvernement, les plaintes qu'elle adressa au roi; pieces faisant presque ton les partie de la collection Seguier, et qu'on petit rapprocher des memoires du clerge *. Divers memoires sur l'etat des eglises reformees, lenr adminis- tration et leur discipline ~. Un memoire sur la Provence en i64 1, et sur les demeles de 1'intendant, M. de Seve, avec le Parlement, memoire mal ecrit et longuement redige, mais ou Ton peut etudier ce qu'etaient les difficultes de 1'administration provinciale au xvn° siecle, et combien elle etait impuissante au milieu des rivalites et des troubles de tout genre. H faut rapprocher de ce volume , comme ayant preci- sement la meme utilite, celui qui renferme les lettres ecrites par divers officiers au cbancelier Seguier 3. Un etat de la France, en anglais, posterieur a rannee i654, et comprenant un expose tres-judicieux de la Constitution francaise a cette epoque 4. On peut le placer au meme rang que Touvrage imprime de Limnoeus, qui est d'ailleurs du meme temps. Un traite des grands officiers de la couronne de France5. Un traite contre la torture , que 1'auteur pretend devoir etre consideree coninie peine et non comme simple rnoyen d'informa- tion6. (Regne de Louis XIII.) Un memoire sur 1'amiraute de Bretagne au temps d'Henri IV. H etait question de la supprimer pour la reunir a 1'amiraute de France 7. Un memoire fort remarquable sur Farlillerie, memoire redige au temps de Vauban , mais sans nom d'auteur 8. Un recit curieux de la mort de la duchesse d'Orleans, belle- 1 Harl. coll. n0522/i2, 44o2, 4437, 445o, 45a4- 2 Ibid. n°> 1293, 3g8o. 3 Ibid. n° 4493. Cf. fonds Egerlon, n°ii. Lettres ecrites au garde des sceaux de Chateauneuf pendant les annees i65o et 1 65 1 . 4 Fonds Lansdowne, n° 705. 6 Harl. coll. n° 4435. Cf. fonds Lansdowne, n° 11 52, Traite anglais sur 1c gouvernement de la France. Quoique incomplet, il renferme des observations curieuses. L'auteur cxplique les pertes que la noblesse a faites dans sa lutte contre la royaute : il remarque que le sol tend a se diviser et le nombre des propri^taires a s'augmenter. 6 Harl. coll. n° 4437. 7 Ibid. n°4472. 8 Ibid. — 480 — sceur de Louis XIV, ecrit par le pere Feuillet, qui l'avait assistee i* ses derniers moments l. Plusieurs cahiers des assemblies tenues chez le chancelier Si- guier pour la reformation de la justice'-'. Les pieces des accusations portees par Fouquet pendant son proces contre le chancelier Seguier3. Je n'ai trouve aucun autre document historique qui apparlint a cette epoque et qui fat digne de mention. TROISIEME PARTI K. li:ttres particulieuks. Ayant rencontre, dans les collections que j'ai visitees, quelcpies pieces interessantes, quoique moins exclusivement historiques et ne se rattachant que d'une maniere indirecte a mon but princi- pal, j'ai cru ne pas devoir les passer enlierement sous silence. Le British Museum possede beaucoup de lettres de personnages ce- lebres. Je me conlenterai de signaler ici : Une leltre d'Antonio Perez au due de Lerme4, lettre fort longue et qui n'est pas indiquee dans les catalogues. Ce sont des conseils sur les moyens a employer pour garderla faveur du roi d'Espagne. Elle est ecrite en francais, et tout a fait digne d'etre placee a cote des autres lettres du meme personnage. Deux leltres originales de Bossuet sur sa candidature a 1'Aca- demie frangaise5. Une correspondance egalement originale de Bulfon avec diffe- rentes person nes°. Enfin , deux lettres de Fenelon ', ecrites au sujet de l'education du due de Bourgogne; elles n'ont pas ete publiees, a ma connais- sance, et elles ne me paraissent pas indignes de 1'etre. Un esprit eleve , habitue a chercher sa superiorite dans des vues justes et 1 Fonds de Georges 111 . n i in 3 Marl. coll. n S i Ibid. i\" 229(1. Ibid, a" 4468. Fonds Egerton , n' (3 " Ibid. Ibid, n — 481 — droites, ne peut descendre, meme a une question d'un ordre se- condaire, sans y conserver ses qualites distinctives. J'ai cru, mon- sieur le Ministre , ne pouvoir mieux terminer ce rapport qu'en les reproduisant dans leur entier. La premiere est un pi^ojet d'etudes pour le due de Bourgogne jusqu'a la fin de 1'annee i6g5. Elle n'est pas datee; elle est evi- demment adressee a l'un des sous-precepteurs. « Je crois qu'il faut , cette annee, laisser M. le due de Bourgogne continuer ses themes et ses versions comme il fait actuellement. « Ses themes sont tires des Metamorphoses. Le sujet est fort varie : il lui apprend beaucoup de mots et de tours latins; il le divertit, et comme les themes sont ce qu'il y a de plusepineux, il fauty mettre le plus d'amusement qu'il sera possible. « Les versions sont alternativement d'une comedie de Terence et d'un livre des odes d'Horace. II s'y plait beaucoup; rien ne peut etre meilleur ni pour le latin, ni pour former le gout. II traduit quelquefois, les fetes, l'histoire de Sulpice Severe, qui lui rap- pelle les fails en gros dans 1'ordre des temps. Je m'en tiendrais la jusqu'a u retour de Fontainebleau. «Pour les lectures, il sera tres-utile de lire toujours, les fetes, " les livres historiques de 1'Ecriture. « On peut aussi lire le matin, ces jours-la, riiistoiremonastique d'Orient et d'Occident de M. Bulteau , en choisissant ce qui est le plus convenable ; de meme des Vies de quelques saints particu- liers ; mais s'il s'en ennuyait , il faudrait varier. On peut aussi , le matin, lui lire, en les lui expliquant, des endroits choisis des au- teurs de De Re rastica, comme le vieux Caton et Columelle, sans l'assujettir a en faire une version penible. On peut faire de meme des Jours et des OEuvres d'Hesiode, de I'Economique de Xenophon. II a lu les Georgiques il n'y a pas longtemps , et les a traduites; il faut lui montrer legerement quelques morceaux de la Maison rustique et du livre de la Quintinie, mais sobrement, car il ne saura que trop de tout cela. « Son naturel se porte ardemmenl a toutle detail le plus vetil- leux sur les arts et sur 1'agriculture meme. « Je ne crois pas qu'il ait encore 1'esprit assez mur et assez ap- plique aux choses du raisonucinent pour lire, ni avec plaisir ni avec fruit, des plaidoyers. Je suis persuade qu'il faut remettre ces lectures a I'annee prochaine. — 482 — « Pour l'histoire, on pourrait lire, les apres-midi, ce qu il n'a point encore acheve de l'histoire de Cordeinoy, on , pour mieux faire, le porter doucement a continuer, jusqu'a la Tin du second volume de cetle histoire, 1'extrail qu'il a fait ioi-meme jusqu'au temps de Charlemagne. Ensuite, on peut lui montrer quelque chose des auteurs de noire histoire jusqu'au temps de saint Louis, dont il a vu la vie ecrite par M. de la Chaise. Ces auteurs sont assez ridicules pour le divertir, ie lecteur sachant choisir et re- marquer ce qui est plaisanl et utile. J'ai meme fait faire un eitrait de ces auteurs , qu'on peut lire. « Toutes les fois qu'il voudra travailler a son extrait, il faut lui accourcir un pen le temps de 1'etude, et lui menager quelque petite recompense. « On peut diversifier ce travail par un autre qu'il a commence, qui est un abrege de toute l'histoire romaine avec la date des principaux fails a la marge : cela l'accoutumera a ranger les faits et a se faire uue idee de la chronologie. « On peut aussf travailler avec lui, comnie par divertissement, a faire diverses tables chronologiques, comme nous nous sommes divertis a faire des cartes particulieres. « Je crois qu'on pourrait, au retour de Fontainebleau , commen- cer la lecture de l'histoire d'Angleterre par le memoire de M. 1'abbe de Fleury ; puis on lirait l'histoire de Duchesne. » Un autre projet d'etude pour les annees 1696 et 1697 fut en- voye kFenelon, probablement par 1'abbc Fleury, caril ni'a paru de son ecriture. Fenelon le renvoya annote avec la reponse sui- vante : A Cambrai, 19 tnars 1696. « Je suis d'avis, Monsieur, que nous suivions autant qu'il sera possible, pendant cette annee , votre projet d etudes. • Pour la religion, je commenccraispar les Livres sapientiaux , mais je ne croirais pas qu'on dut se bonier a la Vulgate pour la Sagesse et pour l'Ecclesiastique. Je crois qu'on peut se servir de quelque traduction moins imparfaite. Pour les livres poetiqucs, on en peut faire un essai; mais comme les autres livres tiendront quelque temps, parce qu'il est bon deles expliquera mesure qu'on les lira, je regarde la lecture des livres poetiques comme etanl encore un peu eloigner. — 'i83 — « J'approuve fort la lecture des livres choisis de saint Jerome, de saint Augustin, de saint Cyprien et de saint Ambroise. Les Confessions de saint Augustin out un grand charme en ce qu'elles sont pleines de peintures varices et de sentiments tenches. On pourrait ou passer les endroits subtils ou abstraits , ou s'en servir pour faire de temps en temps quelque petit essai demetaphysique. Mais vons savez mieux que moi qu'il ne faut rien presser la-des- sus de peur de rebuter des operations purement intellec.tuelles un esprit paresseux, impatient, et en qui l'imagination prevaut encore beaucoup. Quelques endroits choisis de Prudence et de saint Paulin seront excellents. L'Histoire des variations sera bonne ; mais il me semble qu'elle an rait besoin d'etre precedee par quel- que histoire du progres des heresies dans le dernier siecle. Si Va- rillas etait nioins romancier, il serait notre homine; il a traite les evenements qui regardent 1'beresie dans toutes les parlies de 1'Eu- rope depuis le temps de Wiclef. Vous trouverez peut-etre quelque auteurplus convenable. Je ne sais si Sleidan est traduit en fran- cais; il n'y a pas moyen de le lire en latin. «Pour les sciences, je ne donnerais aucun temps a la gram- maire, ou du moins je lui en donnerais fort peu. Je me bornerais a expliqqer ce que c'est qu'un nom, un pronom, un substantif, un adjeciif et un relatif, un verbe substantif, neulre, passif, actif et deponent. Nous avons un extreme besoin d'etre sobres et en garde sur tout ce qui s'appelle curiosite. «Pour la rhetorique, je n'en donnerais point de preceptes; il suffit d'en clonner de bons modeles, et d'introduire par la dans la pratique. A mesure qu'on fera des discours pour s'exercer, on pourra remarquer 1'usage des principales figures et le pouvoir qu'elles ont quand elles sont clans leur place. « Pour la logique, je ia differerais encore de quelques mois. « Je ferais plutot un essai de la jurisprudence; mais je ne vou- drais la traiter d'abord que d'une manierc positive et historique. « Je ne dirais rien presentement sur la physique, qui est ecueil. « Pour l'histoire , celle d'Allemagne faite par Heiss est deja lue; je laisserais le reste au memoire cjue M. le Blanc nous promet. II comprendra les extraits necessaires de Wicfort, et ce qu'il y a de bon dans les petites republiques. Au reste, apres y avoir pense plus que je n'avais fait , je crois qu'il n'e.ct a propos de commen- cer la lecture d'aucun memoire de M. le Blanc que quand on les — dSk — aura presquc tous : c'est une matiere qu'il est important de trai- ler de suite. II ne faut pas perdre de vue ce qu'on vient de lire d'un pays pour etre en etat de bien juger de ce que Ton va lire d'un pays voisin. C'est cet assemblage et ce coupd'ceil general qui fait la comparaison de toutes les parties, et qui donne une juste idee du gros de l'Europe. « Pour 1'bistoire des Pays-Bas , Strada est deja. lu , ce me semble. On pourrait parcourir Bentivoglio. Grotius ne se laisse pas lire; on pourrait neanmoins le parcourir aussi etjlire les plus impor- tants morceaux. On pourra separgner une partie de cette peine si M. le Blanc traite les Pays-Bas en nous donnant les extraits qui meritent d'etre rapportes. (Ce qui suit est de 1'ecriture meme de Fenelon). « Vous voyez , Monsieur, que je suis plus librc a Cambrai qua Versailles, et que je fais mieux mon devoir de loin que de pres. Ne prenez de tout ce que je vous propose que ceque vous jugerez convenable, et nevous genez point. II sera bon que vous preniez la peine de communiquer cette lettre a M. l'abbe de Langeron, par rapport aux beures ou il travaille aupres de monsieur le D. de B. « J'ai fait l'ouverture du jubile, et j'ai deja precbe deux fois; il me parait que cela fait plusieurs biens. Je taclie de donner au\ peuples les vraies idees de religion qu'ils n'ont pas assez. J'acquiers de 1'autorite; je les accoutume a des maximes qui autorisent les bons confesseurs. Enfin, je donoe aux predicateurs i'exemple de ne cbercher ni arrangement ni subtilite, et de parler precisement d'affaires. Priez Dieu, mon cber Monsieur, afin que je nesoispas une cymbale qui retentit en vain. Aimez-moi toujours comme je vous aime et vous revere. » (British Museum, foncls Egcrton, n° 36.) J'ai I'honneur d'etre , etc. A. C. DARESTE. MINISTERE DE L'WSTRUCTION PUBLlQUE ET DES CULTES. ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. IX' CAHIER. Premier rapport a M. le Minis tre de Vinstruction publique et des cultes, sur qnelqiws recherchcs litidraires et liistoriques dans les principales biblio- ihcques de I'Angleterre ; par dom Pitra, de Vabbaye de Solesmes. Londres, 2 5 aoiit i8ig. Monsieur le Ministre, En conliant une mission litteraire pour I'Angleterre aux mem- hres de 1'abbaye de Solesmes, vous avez cru devoir diriger leurs investigations sur deux points principaux : d'unepart, sur les do- cuments concernant la continuation du Gallia Christiana; de 1 'autre , sur quelques manuscrits interessant notre histoire litteraire. Le Gallia christiana, parvenu, apres un siecle d'ebauches, a sa quatrieme edition, depuis le premier essai du chanoine de Macon Claude Robert, avait atteint, par les travaux de la congregation de Saint-Maur, son XIV volume. II ne restait plus a decrire que quatre provinces ecclesiastiques : Tours, Utrecht, Besancon et MISS. SCIENT. 33 — /j 86 — Vienne. Tous los materiaux importants ctaient rccueillis et misen ordre, au moins pour la metropolc cle Tours; on avait meme commence l'impression d'un XVe volume, et quelques feuilles sont arrivees jusqu'a nous. Dans la revolution qui survint, tant cle choses tomberent a la fois, qu'a peine on remarqua Tun des moin- dres desastres, l'aneantissement de ce volume commence et la dispersion des manuscrits du Gallia Christiana, line vague rumeur resta, que ces pieces, confiees a Tun des derniers travailleurs, etaicnt passees en Angleterre, oil, desesperant cle 1'ceuvre, I'exile aurait abandonne, en mourant, ces tresors sous le dernier toitqui l'abrita. Apres de longues annees, la Providence ayant permis que l'or- dre de Saint-Benoit se retablit en France, clans 1'abbaye de Soles- mes, au centre de la province de Tours, que decrivaient les der- niers Benedictins de Saint-Maur au moment de leur dispersion , il etait difficile de venir apres eux sans se preoccuper vivement du monument qu'ils laissaient inacheve. Malgre les difficultes d'un etablissement renaissant de fond en comble, les travaux commence- rent pour continuer la France chrelienne . Un moment, 1'undes plus habiles ministres du dernier gouvernement voulut les seconder; son successeur defit brusquement ce qui etait a peine entame. Livree a ses seules ressources, 1'abbaye de Solesmes ne voulut pas perdre espoir. Toutes les occasions furent mises a profit pour explorer les archives et les depots litteraires : plus de quarante bi- bliothec[ues publiques cle Test, du nord et du centre de la France furent visitees; Tun des membres de la nouvelle congregation dirigea ses recberches vers 1'etranger, dans la Suisse , en Belgique, et jusque dans la Hollande, quembrasse presque tout entiere la seconde province a decrire, la metropole d'Utrecht, 1'une des plus vastes et des moins connues. C'est au retour de ce dernier voyage cjue jeus I'lionneur, Mon- sieur le Ministre, cle vous communiquer quelques r^sultats cle ces diverses explorations. 11 ne me futpas difficile cle faire apprecier a votre sagesse eclairee ce qu'il y avait de profitable, dans ces recher- ches, aux lettres fran^aises, a 1'histoire nationale, au present, comme au passe. Votre attention descendit jusqu'aux details se- condaires et remarqua un assez grand nombre de documents ine- clits recueillis a 1'exemple et sur les traces des premiers rcdacteurs du Gallia chrisliana, et destines a continuer, sous le litre cle Spici- — 487 — legium solesmense, les collections analogues de nos devanciers de Saint-Maur. Sous 1'impression de ces pensees, vous crutes devoir etendre a 1'Angleterre ces premieres investigations. Pour bien augurer d'un pareil voyage et en tracer le plan , il suffisait de se rappeler les liens etroits qui pendant des siecles ont uni les provinces de l'Oucst a la puissance anglaise, et la renommee des tresors que possedent le British Museum, les bibliolheques d'Oxford ct de Cambridge et. les musees formes par d'opulents et doctes membres de la noblesse anglaise , parmi lesquels M. le baronnet Phillipps de Middlebill et lord Ashburnbam occupent les premiers rangs. En arrivant en Anglelerre, notre premier soin fut d'eclairer ce •qui concernait les anciens manuscrits du Gallia Christiana. Nous apprimes, par Fobligeance de Mgr Thomas Brown , vicaire aposto- lique au pays de Galies, qu'un vieillard de la congregation de Saint-Maur, doni Levos, assez longlemps accueilli par les Ben6- dictins anglais, passait pour avoir possede de precieux manuscrits; mais qu'ayant appris, vers 1820, qu'une tentative se faisait a Senlis pour retablir son ordre en France, apparemment il avait remporte avec lui tous ses papiers. Ces details nous furent confirmes par le president de la congregation anglaise, le reverend docteur Barber, qui vecut longtemps avec ce vieillard emigre, fort respectable; il nous apprif qu'il etait mort vers 18 45 , dans une retraite austere, au fond d'un ermitage, pres de sa famille : dernieres et doulou- reuses traces, eVidemment sans issue, deja meme effacees et per- dues pour nous. L'Angleterre , abondamment enrichie de nos depouilles litte- raires, et demeuree comme fermee aux anciens travaux du Gallia christiana, contribuera peut-etre a reparer cette perte. Deja, plus heureux que nos peres, nous avons pu atteindre le musee Britan- nique et tous les divers depots que signalaient vaguement les an- ciens catalogues ; d'amples inventaires detailles ajoutent au bel ordre qui y regne, et, par surcroit, l'erudite obligeance des conser- vateurs supplee aux meilleures indications. Nous ne saurions trop nous louer de M. Madden en particulier, sans toutefois mecon- naitre les bons offices de ses doctes et bienveillants collegues. L'abondance des materiaux nous a pennis de suivre les dispo- sitions naturelks de notre plan d'eludes ct de reparlir nos rcclier- cbes par provinces ecclcsiastif[iics. m. 33. — 488 — A la metropole de Tours se rapportait d'abord un manuscrit de la bibliolbeque Lansdownienne, n° 3/19, portant pour titre : Cartularium ecclesicc Turonensis. La redaction premiere de ce re- cueil comprend vingt-quatre pieces, datees en majeure partie cl- 1'episcopat de Bartbelcmy II, 72" arcbeveque de Tours. Presque toutes concernent uniquement la juridiction temporelle et spiri- tuelle de son si£ge, et ses debats avecl'eglise deDol, en Bretagne. Le dossier de ce longproces, qui dura quatre siecles, est complet et a etc integralement public dans divers recueils. On y trouve an- nexes comme appendice : des lettres plus rares de Pbilippe Au- guste, de Henri III, de Ricbard U d'Angleterrc; des hommages des comtes et seigneurs de Chateauroux, de la Rocbe, dc Monso- reau ; une lisle des fiefs de l'arcbevecbe an xir siecle ; divers actes des abbes de Marmoutiers, de Cormery, de Meaubec, de Saint-Florent de Saumur. Ce qui nous a paru etre le plus remarquable dans ce recueil, cest le fait raeme de sa redaction, executee avec une cer- taine attention de greffe, commandee peut-etre etdirigeeparBarth6- lemy, pour en faire le code de son droit metropolitain et feodal. Une collection moderne, provenant des archives des Records (Additional mss. n° 61 64, pi. CXXI. F), nous a fourni d'autres pieces dun genre special et que rien ne remplacerait en France. Pendant les guerres de France et d'Angleterrc, il etait d'usage, chez nos voisins, que chaque manifeste fut accompagne d'un arret de confiscation lance au profit de l'ecbiquier sur tous les prieures relevant des abbayes de France. Tous les biens tombaient, d'un trait de plume, sous la main du seigneur roi, quibusdam certis de causis; puis, de par lettres patentes, des clercs dressaient Yextenta ou le proces-verbal de saisie. Tout etait dument enrcgislre, cvalue a dire d'experts, consigne sur la parole et la garantie de douze jures : par grace, d'ordinaire, les prieurs et moines etaient consti- tues gardiens de leurs biens confisques. II est curieux de penetrer, a 1'aide de ces minutieux inventaires, dans l'intericur de ces eiablissements et d'en visiter, dans les moiudres details, tous les offices, depuis la sacristie, la librairie, la cellule du prieur, jusqu'aux celliers, aux colombiers, aux mou- lins. Cbaque espece de r^coltes, de culture, de provisions, les divers troupeaux des etables, rameublement el les vaisselles, tout est chiffre et appointe par pounds, sous et deniers, avec la vigilante precision du fisc. — 489 — Rien n'y accuse, comme on s'est plu a le dire, une opulence exorbitance et fastueuse. Tywardreth, Tun des plus considerables prieures, au comte de Cornouailles, dependant de Saint-Serge d'Angers, avait un revenu net de 266 livres 6 sous 10 deniers et demi ou une obole : il s'y trouva, le i4 juillet i338, entre autres choses, a la sacristie, deux calices et des ornements evalues a 60 sous; dans la librairie, des manuscrits prises 20 sous (item libri pretii XX solidorum) ; dans la chambre du prieur, un lit du prix de 1 3 sous 4 deniers; au dortoir, six lits valant chacun 3 sous 4 deniers , etc Marmoutiers possedait Tykeford, Cosham et Tykethorn. Saint- Serge, outre le prieure que nous venons de nommer, avait encore Talkarn au Devonshire; Rouwel et Wylecole appartenaient a Fon- tevrault; Venge, a Saint-Nicolas d'Angers; Ashby et Churchlington a l'abbaye d'Aunay, etc. Parmi les abbayes et les eglises de France spoliees a diverses reprises et presque entierement depouillees par un edit du parlement de i4o5, figurent, outre les abbayes deja nominees, Sainte-Gatherine de Rouen, Saint-Sauveur de Cou- tances, Lyre, Preaux, Fecamp, leRec, Fontenelle, Saint- Wandrille, Saint-Valery, Saint-Pierre-sur Dive, le Monl-Saint-Micbel. Ces confiscations se succedent periodiquement sous les Planta- genets, surtout aux regnes des trois Edouard. C'est comme le re- flux des expeditions militaires : cbaque flot amene ses epaves. Encore etaient-ce bien moinsles depouilles de l'elranger submerge par la bourrasque que lepatrimoine du pauvre peuple et la ricbesse de la nation meme que dilapidaient ces fantaisies de 1'echiquier. Les recolements de saisie prouvent que ces alien priories etaient occupes par des Anglais, versaient leurs revenus sur le sol anglais, nourrissaient sur place leurs hommes, leurs tenanciers et leurs pauvres. II est note, comme exception, quun seul de ces prieures, celui de Tykeford, envoyait une legere redevance a Saint-Martin de Tours. En meme temps, on donne un cahier des charges ou figurent, avec le couvent tout anglais, deux chapelains seculiers et dix-huit families anglaises, dont la portion, toujours plus abon- dante que celle des moines, est designee pour chaque jour et chaque semaine, et ferait certainement envie dans les meilleures poor- houses du pauperisms anglais. Dans la serie des provinces du Gallia Christiana, Tours est suivi d'Ulrecht, qui a occupe peu de place dans nos recherches , un »c- — 490 — jour prolonge dans la Hollande nous ayant perniis d'eludier tt de recueillir sur place beaucoup de documents. La Hollande n'a eu , du reste , de relations importantcs avec 1'Angleterre que depuis la destruction de leveche d'Utrecht. II y aurait bien quelqu< interet, pour qui voudrait approfondir ces grandes commotions du xvic siecle, a feuilleter, entreautres, les riches portefeuilles dela bibliofheque Lansdownicnne et a recueillir la correspondance des Nassau avec les Tudors : il y trouverait ce fait, peu remarque peut- etre, que le protestantisme hollandais est une importation an- glaise, violemment introduite par Guillaumc le Taciturne, grace aux tresors et aux soldats d'Elisabeth. Ce sont des mains anglaises qui, avec la connivence de la France et en haine de l'Espagne, ont le plus contribue a renverser cette antique eglise d'Utrecht, fondee huit cents ans auparavant, sur le berceau des premiers Francs, par des missionnaires anglais, que protegeaient puissam- ment nosroismerovingiens, Mais nous devions nous hater et circonscrire notre champ d'ex- plorations. Nous avons done note, plutot que consulte, divers rna- nuscrits de Hedda et Beka (colon. Galha C. VII. Vitell. E. VI), Gerard de Leyde (ib. Vitell. E. VI), Jehan van Naeldyck (Vitell. E. XV, Tib. C. XIV) , une chronique anonyme de Hoerne (Nero A. XIII) , un ordinaire de Notre-Dame d'Utrecht (Additt. mss. 9769), plusieurs chartes du xme au xvi° siecle (Galba B. I); des annales de 1'abbaye d'Oestbroek (Tib. C. VI) , qui meriteraient une place dans la collection des Chroniques beiges , une notice dans 1'Histoire litteraire de la France et un|appendice aux Acta sanctorum de Mabil- lon. Le B. Ludolf, fondateur de Saint-Laurent d'Oestbroek, sorti de la grande abbaye d'Afflighem, laissa quelques precieuses leltres et transmit a son couvre une telle persistance de regularity austere, qu'on appela communement cette abbaye ordinis career. G'est par la Hollande, apparemment, qu'un ancien manuscrit de la cathedrale de Besancon a trouve le chemin du musee Britan- nique. C'est un pontifical du xe siecle , compile et abreg£ de di- verses parts; il a ete certainement a 1'usage de leglise cathedrale de Besancon. On lit encore en t&te, dans quatre feuillets prelimi- naires, une charte de Baoul a Girfroid de Besancon, concernant 1'ordination de trois eveques, Beron de Lausanne, Jerome de Belley, Asmundus de Sion; puis vingt-dcux formules de ser- ment et hommage rendu aux aiThevequcs cle Besancjon, et — 491 — principalement a liugues Ier, lle et III", par les eveques de Lau- sanne, Bale et Belley. La plus ancienne formule peut renionter a 888 : une seule est datee de 1'an 1057. H s'y trouve egalement des prestations d'obeissance souscrites , propria manu, par un abbe de Lure et des abbesses de Baume, de Favernay, de Chateau-Cha- lons , dont les noms et les dates manquaient entierement aux listes que nous possedons. La variete des Ventures, dans la plupart de ces formulcs, permettrait de les consid^rer ou comme des auto- grapb.es, ou comme des pieces conternporaines. Nous avons re- marque , dans ce precieux manuscrit , d'antiques portions de la liturgie bisontine , que nouspourrions, sans trop de lemerite, re- porter au dela de Charlemagne et peut-etre a saint Protade , a qui 1'eglise de Besancon attribue ses plus anciens monuments litur- giques. Au jeudi saint, il y a trois ordres divers, et differents de tous ceux qu'a publics dom Martenne : Fun de ces ordres est entre- mele de formules grecques, qui nous ont rappele les plus loin taines origines de nos eglises gallo-grecques. Nous n'hesitons pas a y voir des debris de celte rare liturgie gallicane que dom Ma- billon recherchait si avidement, et qu'il a beureusement res- titute en grande partie. Nous n'avons pas eu moins d'empresse- ment a recueillir une piece inseree sur la fin, et attribute a iDgilramnus de Metz : e'est un tarif des honoraires qu'il avait fixes pour les clercs de son eglise en prenant possession de son siege, « afin , dit-il, d'accroitre le zele des cbantres de 1'eglise et d'exciter entre eux une louable emulation. » On sait que , fidele a cette impulsion, 1'eglise de Metz, sous son pontilicat, s'acquit une si grande reputation, qu'elle merita 1'honneur d'etre choisie par Charlemagne pour introduire en France le chant romain et la liturgie gregorienne. Nous esperions peu trouver dans les bibliotheques d'Angleterre grand'ehose a cette distance, et si loin des relations anglaises, sur nos eglises et nos provinces de Test et du midi de la France, si ce n'est peut-etre , pensions-nous, par la correspondance de Cluny et de Citeaux avec les abbes et prelats d'Angleterre; et encore, le magnifique Monasticon ancjlicanum , parvenu, avec un luxe crois- sant, a sa troisieme edition, n'aura-t-il pas tout publie? Nous pouvions en douler. Bien que Cluny et Citeaux occupent une large place dans cette ample collection , toutefois les actes inter- nationaux de ces deux grands corps y sont trop rares. II existc en — 402 — France, et particulierement aux archives de Bourgognc, a Dijon, d'importantes leltres echangees entre les abbes citerciens, qui ajouteraient quelque prix a une nouvelle edition du Monasticon anglicanum. Scs derniers editeurs n'ont pu profiler d'une acqui- sition recente quia dote le musee Britannique deplusieurs diaries de Cluny, conservees la, comme beaucoup d'autres pieces venues de la France, sous 1'irrevocable sceau des achats : Jure emptus. Nousavons trouve, sous les n°* i538 a 1596 des manuscrits addi- tionnels , cinquanlehuit chartes de Cluny, qui commencent par une bulle originale de saint Gregoire VII; deux archeveques de Besancon, Theodoric et Odon , se rencontrent plus loin; puis une serie de cedules ou des abbes clunistes du nord et du midi de la France, de TEspagne et du Portugal, s'excusent de ne pou- voir assister aux chapitres generaux de l'ordre. Enfin , vingt-cinq bulles originales, emanees de onze souverains pontiles , sur les af- faires et les privileges de Cluny! Serions-nous en presence des archives du grand chapitre, et ces bulles seraient-elles sorties du chartrier de Cluny, ou M. Lambert de Barive vit encore, en 1775, une malle scellee des sceaux du pape Innocent IV et des quarante principaux peres du concile cecumenique de Lyon, renfermant des diplomes pontificaux qui manquaient aux archives du Vati- can? NoussavoDs qu'on a fait d'inutiles recherches pour relrouver depuis ce tresor perdu , avec 1'immense chartrier de 1'illustre et inalheureuse abbaye. Le British Museum possede encore dans un cartulaire du prieure cluniste de Domnene, au diocese de Grenoble, province de Vienne (Had. 3712, pi. LIII, H), deux cent soixante-quatre chartes et un polyptique qui appartiennent aux archives de Cluny et rentrent directement dans notre objet : ce n'est qu'une copie fidele, mais trop recente, exexutee en 1679 sur un ancien manus- crit de la bibliotheque Dubouchet. L'original a du etre rcdige aux premieres ann^es du xne siecle, a en juger par les pieces les plus recentes, dat6es de la premiere croisade : Tempore hierosoUmitancc profectionis. Plus de deux cents, quoique non datees, selon 1'usage de cette epoque, sont du xie siecle. Entre lesdcrnieres pieces, on a intercal^ les fragments d'un polyptique qui se reTere aux pre- mitTes chartes du prieure. La plupart des grands abbes de Cluny y sont mentionnes; Pontius, entre autres, dont les actes sont si rares, allant a Bone, entend et juge un proces. Deux chartes sont — 493 — dictees par saint Huguesde Grenoble, Tun des noms les plus glo- rieux que doive cnregislrer le Gallia chrisiiana dans ses dernieres colonnes. Quelque niodeste que fut, dans le pouille de France, la place du prieure de Domnene, son cartulaire aurait par unseul point un reel interet : Pierre le Venerable fut prieur de Domnene. Nous avons ici les actes inconnus par lesquels il preluda au gou- vernement de son immense ordre. (Test a Saint-Pierre de Dom- nene que se revela cette sagesse qui, bientot montant au trone ab batial de Saint-Pierre de Cluny , se fera admirer de 1'Eglise et du monde entier. Ce prieure, par tous ses titres, touche a la Grande-Chartreuse, qui elle-meme a etendu son desert et ses provinces a toute la ca- tholicite. Nous devions done mettre entre les bonnes fortunes de ce voyage celle qui nous a faittrouver ici, parmi les plus recentes acquisitions du Museum, onze volumes in-folio ecrits au siecle dernier par un savant chartreux allemand et comprenant I'his- toire universelle de son ordre (Add. mss. 17085-17096.) Dom G. Schwengel, prieur de la chartreuse de Dantisque, commenca en 1760 cette derniere transcription , qui dura dix ans, remarquable d'abord par son Elegance calligraphique. Le corps de 1'ouvrage a pour titre : Propago sacri ordinis Carthusienis. L'auteur, partant du point le plus accessible a ses investigations, commence par decrire les maisons allemandes de son ordre, detruites ou subsistantes. A la province de la Germanie inferieure tiennent les chartreuses de la Hollande, qui sont loin d'etre suffisamment decrites dans Van Heussen. Ce tableau des progres de 1'ordre se poursuit ainsi jus- qu'a la derniere fondation; puis l'auteur, completant ce premier travail par trois volumes d'appendices, refait les listes des prieu- r£s, revoit ses pieces pour les augmenter et les enrichirde notes, dresse une precieuse serie d'obituaires, et en detache uue foule dc notices biographiques sur les bienfaileurs et les homines illustres qu'il rencontre. Enfm, sous la rubrique d' 'apparatus , le dernier travail en date, le savant chartreux a specialement rassemble les documents d'un interet general , les privileges pontificaux, les pa- tentcs imperiales et royales. On voit que ces dernieres recherches leconduisirenta enlreprendre, en 1760,1m vaste codex diplomatics que la mort peut-etre a interrompu. Deux tomes considerables sont acheves et contiennent sept cent cinquante titres concernant specialement la Prusse et la Pologne. — 494 — Le plan du Gallia Christiana, a tort ou a raison , ne comprend pas l'ordre do saint Bruno; mais quelques chiffres sufliront pour indiquer toutce que nous avions a recueillir dans ce vaste travail. Les quatre provinces ecclesiastiques qui nous occupent out eu, a diverses reprises, quaraute-tiois chartreuses; presquc toutes ont recu dans leurs cloitres ou envoye de leurs deserts des ponlifes et des docteurs, des pasteurs et des apolres de toutes les parties do 1'Eglise. Grenoble eut six eveques consecutifs sortis de la Grande Chartreuse; Vienne, cinq archeveques. Six autres enfants de saint Bruno ont gouverne les eglises de Belley, de Maurienne , de Ge- neve. L'un d'eux, trop peu connu, a peine elu eveque de Belley, le B. Boniface, a merite d'etre designe par Innocent IV, en pre- sence de tous les peres du concile de Lyon, pour succeder a saint Edmond sur le siege primatial de Cantorbery. Je souhaite, Monsieur le Ministre, que ce resultat de nos pre- mieres recherches reponde aux flatteuses esperances qucvousaviez bien voulu concevoir a l'avance, et qu'au inoins le recit n'en soit pas si denue d'interet qu'il ne nous soit permis de vous communi- quer encore d'autres resultats que nous n'hesitons pas a preferer aux precedents. L'extreme obligeance de M. Madden nous permit de consultcr ses notes manuscrites sur les dernieres acquisitions du British Museum, dateesdu 2 juillet de la presente annee. Cet inventaire, rarement confie avant 1'impression qui le livre au public, est d'au- tant plus precieux, que 1'habile et feconde administration de M. Madden a procure au departement des manuscrits plus de quarante mille pieces nouvelles. Notre plus vive preoccupation se fixa sur une serie de quarante-neuf numeros embrassant une col- lection extraite des archives du Vatican. A notre demande, la collection integrale fut mise a notre disposition. Vingthuit volumes in-folio passerent successivement entre nos mains. Une note de M. Madden nous apprit que sir James Graham, alors ministre se- cretaire d'Etat, avait fait copier, aux fraisdu gouvernement anglais, toutes les bulles et chartes des archives secretes du Vatican qui concernent 1'histoire de l'Aogleterre. Le chevalier Bunsen, ambas- sadeur de la Prusse , et le savant antiquaire M. William Hamilton furent les intermediaires. Le saint-siege, avec sa liberalite ordi- naire, acceda noblement a cette demande, sous la seulc clause de ne publier ces pieces qu'apres un avis prcalable : precaution uni — 495 — quement inspire par les conservateurs des archives vaticanes, qui, malgre les soins mis a la transcription, n'ont pas juge le tra- vail suiiisamment prepaid pour le public. Monsignor Marino Ma- rini , principalement prepose a cette ceuvre, partagea entre trois copistes, et en trois sections, les pieces concernant 1'Angleterre, 1'Ecosse et ilrlande.-Ce triple corps diplomatique marche ainsi, parallelement, d'Honorius III a Leon X. A partir de Henri VIII commencent de volumineux supplements ou miscellanea qui ren- ferment diverses pieces d£tachees qui arrivent jusqu'aux derniers Stuarts. Les textes ont ete soigneusementcollationnes tantot avec les originaux , tantot avec les formulaires inedits de Cenci , Marini et Berardo de Naples. Deux volumes ^indices resumenl toutes les pieces, et 1'objet de chacune d'elles y est expose avec une rare et concise elegance. Partis de Rome en i845 et deposes au State paper office, ces documents furent en deux fois, le ier mai et le 4 juillet , transferes par ordre du parlement aumuseeBritannique et places dans les Additional mss. aux nos i535i et i5/ioo, sous ce titre v&itablement romain : MONUMENTA BRITANNICA EX AUTOGRAPHIS RO.MANORUM PONTIFICUM DEPROMPTA MAR[NUS MARINIUS conlegit, digessit, CCM INDICE. II y a, ce semble, dans ce simple titre, dicte a Rome, accepte a Londres , ecrit en lettres d'or au musee Biitannique, plus qu'un interet litteraire; vingt ans plus tot, il en eut ete autrement. Mais tel estle mouvement qui emporte toutes cbosesen des regions nou- velles, qu'a peine on s'etonne de voir les archives pontilicales s'ou- vrir librement a la science anglaise, et le travail des clercs et des prelats romains transmis par un ambassadeur ludierien, re^u par la secr£tairerie d'Etat britannique, olTert solenuellement au parlement des trois royaumes, et depose, par ses ordres, au plus beau des musees nationaux. Ajouterai-je une circonstance plus imperceptible encore? L'humble etude de ces monuments par Tun des derniers fds de saint Benoit venant, d'une petite abbaye, sous les auspices de la Republique francaise, consulter a Londres les archives secretes du Vatican! En presence dune pareille collection, tout plan d'etude etait — 496 — subordonne au simple ordre des volumes el des pages, rcligieu- semeot feuilleles la plume eu main. Les Monumenta Britannica s'ouvrent au pontificat d'Honorius III, dont les bulles, dalees des neuf annees de son regne, remplissenl deux volumes. II eut ete difficile d'inaugurer ce bullaire anglais par un recueil plus gravemenl bistorique. Aux premieres pages, Jean sans Terre, delaiss6 de ses barons, odieux a ses sujets, quatre jours avant sa mort, dicte le testament qui legue au saint si6ge la tutelle de son royaume, son fils enfant, cinq orpbelins que leur propre mere abandonne a son tour. La France epiait ce mo- ment : de la Flandre aux Pyrenees, toutes les possessions anglaises ont rompu leur ban; la noblesse et le clerge se coalisent contre l'e- tranger. Des conciles provinciaux et des metropolitains exagereut a grand bruit de jusles griefs, et Pbilippe-Auguste met partoaL la main pour attiser le feu; son fils, par une expedition bardie, porte 1'incendie au coeur de 1'Angleterre et jusque dans lacapitale. Pour surcroit de complication, Innocent III descend dans la lombe , peu avant Jean sans Terre. Sans la papaute romaine, les Plantagenets et 1'Angleterre cou- raient un meme naufrage; Honorius III les sauva. Chaque page des Monumenta est un acte qui protege lejeune roi; chaque lettrc de Rome vaut a son pupille une victoire. Toute la correspon- dance du cardinal Galon donne, jour par jour, le bulletin de cette longue crise, jusqu'au moment ou, retire a Lincoln, investi dans ce dernier refuge, il benit une derniere fois les armes du comte de Pembroke; le leudemain, 21 mai 1217, Louis de France per- dit la bataille qui decida la querelle. Honorius etend sa tutelle, non-seulement sur les orpbelins ct la veuve de Jean sans Terre, mais sur cette bonne reine Beren- gere , veuve de Richard Coeur-de-Lion , qui eut son dernier asile dans 1'Anjou et de nombreux demeles avec les eveques du Mans. II nous importait parliculierement de retrouver ces souvenirs , a peine indiques en quelques diplomes de Rymer. En comparant les Faeiera aux Monumenta, nous avons pu- former une serie de vingt pieces qui repandent un jour nouveau sur les dernieres annees de la reine Berengere. La plupart sont adressces aux arche- veques, doyens et architliacres de Tours; aux abbes de Saint-Pen; de Chartres , de Josaphat , de Saint-Victor de Paris ; aux abbesses de Fontrevrault, aux chapilrcs de Rennes et du Mans. Honorius esl — 497 — oblige d'epuiser toutes les voies de mediation et de procedure pour soustraire la reine a deux ennemis inflexibles, l'eveque du Mans, Guillaume, et un autre Guillaurne, comte de la Guiche. Quoique plus specialement attentif a ces sortes de pieces, qui rentraient dans notre cadre d etudes, nous ne pouvions perdrede vue au passage quelques documents d'un interet plus general , telles que les nombreuses lettres de nos papes francais, Urbain IV, Clement VI, Jean XXII, Urbain VI, etc. Une longue suite de bulles concernant l'administration du savant archeveque de Cantorbery Etienne Langton, enrichirait de faits peu connus sa biographie, d'ailleurs savammenttraceedans l'Histoire litteraire de la France. II eutimporteau meme recueild' avoir cinq bulles adressees a diverses illustrations de l'Universite de Paris, Pierre de Capoue, Guillaume de Pont-d'Arc, Richard 1'Anglais, et concernant specialement un chancelier de cette meme Universite, Matthams Scotus , que sa science eleva, rnalgre les rivalites, a ce poste eminent, et dota de riches benefices , a Cantorbery. Designe meme pour 1'archevechc de Cassel, en Irlande , il refusa , dans la crainte de ne pouvoir parler la langue de son peuple. L'hagiographie n'attacherait point seule un grand prix aux bulles concernant le culte de saint Hugues de Lin- coln , la canonisation de saint Guillaume d'York , et de saint Richard de Chichester, la translation de saint Edouard a Westminster, oil il reside encore, le proces du pieux Henri VI, qui se poursui- vait a Rome au moment oil file des saints fut violemment se- paree par un autre Henri du centre de la catholicite. D'autres rechercheraient avidement les titres curieux des templiers d'An- gleterre; Rymer et la collection des ordonnances, ou celles de nos historiens, sont loin d'avoir reproduit toutes les lettres echangees entre les rois de France et d'Angleterre. Nous devons faire hon- neur a Gregoire IX et au pape francais Innocent IV des premiers privileges universitaires qu'offre cette collection, et qui concernent, non-seulement Oxford et Cambridge, mais Lincoln et Exeter, ou Mattbaeus Scotus eut une chaire fameuse de jurisprudence. La mention de ces dernieres universites peu connues, nous a paru surprendre et preoccuper plusieurs savants d'Oxford. II nous sera permis d'ajouter qu'Innocent IV exige que les docteurs d'Exeter soient examines secundum morem parisiensem. Au nom de Tart, nous signalerons une bulle d'indulgence d'Innocent IV pour Tedi- fication de 1'une des plus belles calhcdrales del'Anglelerre, celle — 498 — de Winchester. Aux philanthropes on peut reeommander, avec le meme Innocent IV, une institution fondee en 12^7, ayanl pour but de prefer aux pauvres sans interets :- « En quatreans, dit la bulle , cette ceuvre avait retire le royaume du gouiTre des usures qui devoraient la substance des pauvres. » Tous les interets s'atta- cheraient a une serie considerable de lettres, d'exhorta^ions, de reglements sur les croisades, que nous aimcrions a voir rassembler dans une grande collection qu'on pourrail intiluler Le DuUaire des croisades. Nous nous batons de clore ces etudes generates par un dernier mot : Honorius III, Gregoire IX, Innocent IV et leurs in- fatigables legats valurent a i'Angleterre, en place d'inevi tables catas- trophes , cinquante-six annfas de paix, pendant lesquelles Henri III mene et acheve 1'un des plus longs regnes de Thistoire. « Sous son faible, maispacifique gouvernement, ditLingard, les richesses et les prosperites de la nation s'accrurent plus rapidement que sousau- cun des belliqueux ancetres de Henri. » Rome a pu longtemps re- peter ce qu'Honorius III disait a ce meme Henri : « Certes, com- bien il a fallu au siege apostolique de sollicitude pour sauver le royaume cV Angleterre , sa part privilegiee ! Vous le savez , et il lTest pas un peuple recule qui Tignore. » Nous ne nous sommes permis quelques regards sur ces pieces d'histoire generale qu'apres avoir recueilli et copie scrupuleuse- ment les renseignements modestes et precis de noms, de lieux, de dates que requiert le cadre severe et bien circonscrit du Gallia Christiana. Ainsi n'avons-nous pas neglige une bulle d'Honorius III a l'archeveque et a 1'archidiacra de Tours, pour absoudre de cen- sure un vicomte de Beaumont; une confirmation, par le meme, des privileges de la chapelle royale de Saint Pierre de la Cour, au Mans, fondee, comme la chartreuse du Pare, en expiation de la mort de saint Thomas de Cantorbery ; un arret de reserve pour prononcer ulterieurement sur un proces entre Ungues de Gloces-, ter et Tabbaye de la Couture, au Mans, a propos d'une terre de Rodington et du manoir de Walsiston ; une concession de Gre- goire IX permettant a 1'^glise de Saint-Julien du Mans d'aliener une terre de Dewrelquinston ; une dispense de mariage fulminee par rarcheveque de Tours , laquelle prend une importance histo- rique par le nom des personnages, le comte de la March 0 , d'une part, et, de Tautre, la eclebre Isabclle , reine douairiere d'Angle- terre. — 499 — Enfin , nous etions desireux de rencontrer surtout, dans le Ileges- tiun d'lnnocenl IV, un venerable archeveque de Cantorbery qui appartient a plus d'un tilre a la France chretienne, Boniface, transfere du siege de Belley a 1'eglise primatiale de I'Angleterre. Au moment ou 1'episcopat anglais a dans ses rangs des hommes tels que saint Richard deChichcsler, Robert Grosse-Testede Lincoln , Ri- chard de Durham, Richard de Salisbury, quelle place occupe un chartreux franrais, devenu le primat de ces prelats, sur le si£ge illustre naguere par Etienne Langton et saint Edmond? A en ju- ger par nosmoderneshistoriens, elle est nulle ou hurailiante. Les plus recentes et les plus volumineuses compilations se taisent completement en Angleterre comme en France. Si ailleurs il en est question, ce n'est que pour repeter et amplifier les odieuses accusations d'avarice, d'exactions , de fraudes, lancees par Mat- thieu Paris, et qui ont arrete jusqu'aux Bollandistes, desesperant de A'oir le vrai. La verite est aux Monumenla Britannica; le proces est tout entier dans quatre-vingt-quatre bulles authentiques. Certes , s'il n'y a pas la une canonisation a instruire, il y a au moins une venerable meinoire a replacer dans les annales historiques et lit- teraires de la France, une rehabilitation a constater dans les dyp- tiques du Gallia chrisliana. Boniface, issu des premiers dues de Savoie , oncle du roi d'An- gleterre, sort de la Grande Chartreuse pour etre promu d'accla- malion au siege de Belley. A peine elu , ce moine diacre est choisi par un papeaussi eminent qu'lnnocentIV, enplein concile deLyon, pour remplacer un grand homme et un saint. 11 promulgue, a son debut a Cantorbery, de memorables statuts qui figurent encore dans le Provinciate Anglicannm ; il entreprend, et avec succes, en passant sur des oppositions et des rancunes qui fletriront sa me- moire injustement, de combler un abimc de dettes et de dilapida- tions creuse pendant 1'exil de son saint pred^cesseur ; il lui me- nage la plus haute justification , et une grande gloire a son eglise, la canonisation du saint confesseur et celle de son chancelier, saint Richard; il appelle a son aide, et honore de benefices, d'habiles cooperate urs : Guillaume, grand chantre de Lausanne; Etienne, fils d'un seigneur Chandy de Bourgogne; Robert de Tile, fils du due ' de Bourgogne; Albert le Pleban, son parent; Etienne, archidiacre de Vienne et de Cantorbery. Parmi ses beneficiers, figurent en- core Leonard de Messine, Annibaldi de Rome, Guillaume de — 500 — Thowtham, savant medecin, el un doyen de Belley qui lui rend d'eminents services et remplit une legation apostolique. Ainsi appuye, et son Eglise une ibis relev£e, il use hardiment de son droit de primat et visile tout ce qui releve de sa metropole, c'est- a-dire l'Anglelerre tout entiere jusqu'au pays de Galles, ou la guerre, les frais trop excessifs , d'insurmontables difliculles l'ar- rete'nt. II eut autant de peine a franchir les limites dn, diocese de Londres et les portes de la capitale; il entra toutefois, soutint son droit par les censures et porta sa defense jusqu'a Rome. Le moment le plus difficile fi.it une revolution qui remplit 1'Arjgle- terre de dissensions. Le sage pontife suivit la voie des saints, et relrouva en France l'asile qui avait accueilli ses illustres prede- cesseurs, Anselme, Thomas, Edmond. Urbain IV datait du 25 fe- vrier 126^ une bulle qui autorisait Boniface a exercer dans fexil sa juridiction ordinaire sur sa cite, son diocese, sa province; d'aut'res bulles etendent expressement cet exercice au clerge re- gulier et seculier, citent devant son officiality l'eveque de Win- chester, le plus compromis dans les troubles; lui permetlent d'ab- soudre celui d'Hereford d'un serment impose par la terreur, cassent toute absolution donnee par d'autres illegitimement, de- boutent ses adversaires de procedures intentees contre lui, met- tent a neant les conjurations assermentees des barons, et enfin lui confient, pour le faire executer, le traite de paix dicte par saint Louis, que TAngleterre avait pris pour arbitre et pacificateur de ses discordes. Boniface est en relation avec ce prince, avec l'e- veque de Paris, avec Urbain IV, doot il semble 6tre le legat extraordinaire. Restaurateur de son eglise, regulateur de file des saints, conseiller des rois, ses neveux et ses freres, negocialeur et messager de paix en des conflits redoutables, il allait enfin re- voir son eglise, longtempsdesolee. II voulut auparavant visiter une fois encore sa premiere solilude, le desert de la Grande Char- treuse, les montagnes natales de la Savoie : il y mourut en odeur de saintet6. La veneration des peuples a conserve jusqu'a nous son tombeau a Chambery; et pendant que l'Angleterre, oublieuse et ingrate, livrait sa memoire aux detracteurs; que la France hislo- rique et litteraire partageait ses injures ou se taisait; que les plus doctes hagiographesajournaient indefiniment son eloge;que l'histo- rien memedcsChartreux, doni Schwangel, pouvaita peine, apres ses nombreuses recherches, coordonner quclques ligncs disparates, — 501 — le peuple savoisien prenait {'initiative avec conliance : le chevale- resque Charles-Albert sollicitait une autorisatiou de culte public, et Gregoire XVI, vers le me me temps, accordait a la fois et cette autorisation et la permission de copier, aux archives du Vatican, ces quatre-vingt-quatre bulles qui appartiennent desormais a une uouvelle Anglia sacra comme a la France chretienne. Nous n'osons pousser plus loin, dans ce memoire, cette revue des Monuments hritanniques ; mais nous ne pourrons nous dispenser d'y revenir, etpeut-etre d'en reparler dans un nouveau memoire, si, comme nous 1'esperons, il nous est donne- de reprendre, avant le retour, nos etudes au miis£e Britannique. Nous aurons a joindre ces notes a d'autres qui ne seront peut-etre pas trop indignes de la haute el bienveillante attention d'un ministre; nous pourrons revenir a plusieurs monuments litteraires que nous avons ecarles a regret. Dans ces labeurs qui, avec quelques charmes, ont sou- vent leurs peines et leurs deceptions, le plus difficile n'est pas de rencontrer une foule d'objels curieux et rares, mais d'arreter su- rementson choix et de le maintenir. Ce qui ajoute aux perils des diversions seduisantes, e'est de rencontrer inopindment des mo- numents longtemps et en vain cherches par d'habiles exploraleurs, ou ignores des plus avenlureux : le musee Britannique en renferme plusieui's, et ils portent les noms d'Alain de Lille, d'Honorius d'Autun, d'Odon de Morimond, d'Adson de Montier-en-Der, d'Ab- bon de Fleury, de Serlon de Bayeux, de Guillaume de Conches. II nous sera d'aulantmieux permis.au retour, d'y accorder quelque attention, qu'un second objet de > otre mission nous convie spe- cialement a ces sortes detudes; il nous sera meme permis de de- passer les limites de la lilteralure nationale pour recueillir quel- ques nouvelles depouilles de I'Egypte etde 1'Orient, pour reveler a la docte et poetique Allemagne des pages oubliees de l'un de ses premiers erudits , Herman Contract ; des chants inconnus d'une pro- phetesse sublime , sainte Hildegarde. De ces chemins detournes en apparence, un pas suffira pour nous ramener a notre point de de- part : ce sera d'interroger les nombreux manuscrits d'Hildebert du Mans, de Marbode de Rcnnes , d'Alcuin de Marmoutiers. Ce dernier nom nous rappelle une jouissance inatlendue, qui nous fut me- nageeau moment de quitter le musee Britannique, et dont le recit peut clore ce memoire. Nous avions retrouv^ a la bibliotheque Harleienne un manus- M1SS. SCIENT. 34 — 502 — (lit que Brequigny, en 177(3, a le premier signale a 1'aUention du momle savant, 11 y a trouve quatre-vingt-trois epitres nouvelles du celebre Alcuin et, dans ce nombre, une lettrede Charlemagne a l'empereur dc Constantinople. Usserius avait indique en marge toutes ces pieces comme inedites, apparemment avec Farriere- pensee de les publier. Brequigny se decida a les copier integrale- ment, de sa main , et eut lagenerosite de les ceder au dernier £di- teur d'Alcuin, Froben, prince-abbe de Saint-Emmeran de Ratis- bonne. Nous ne pouvions pas soupconner qu'apres un aussi habile explorateur il y eut rien a glaner. Notre surprise a ete d'autant plus agreable de voir que, meme pour Alcuin, tout nY-tait pas epuise, et qu'en outre il restait deux lettres d'un eveque ami dAlcuin, nouime Guillaume, et sept epitres inedites d'un savant Irlandais qui vecut a Marmoutiers , Dungale, Tun des plus doctes correspondants d'Alcuin et meme de Charlemagne. L'unique piece qui ait revele son nom n'apprend rien sur sa vie, demeuree pres- que entierement inconnue. Ces sept epitres fournissent des parti - cularites curieuses; et , fussent-elles plus insignifiantes, ce sera tou- jours une bonne fortune que de pouvoir recolter, pour le Spicilegc de Solesmes, sur les traces d'Usserius, de Brequigny et de Froben. Agreez, Monsieur le Ministre, 1'assurance, etc. Fr. J. B. PITRA , O. S. B. 3e. i'abbaye deSolesmos. Premieu rapport u M. le Ministre de I'lnstruction publicjiie, par M. ih Mas Lalrie, charge' en 18U6 d'une mission en Chypre. Monsieur le Ministre, En me rendant dans Tile de Chypre pour conlinuer une etude que j'avais commencee en France sur l'Histoire des Croisadcs, je ne pouvais croire que tous les monuments eleves par les Francais en ce pays, au moyen age, eussent entierement disparu du sol, mais j'etais loin d'esperer qu'il en restat des mines aussi nom- breuses et aussi belles que celles que je reconnus des mes pre- mieres excursions. \ mesure quej'avanQai dans le pays, j'appre- — 503 — ciai inieux ses richesses monumenlales et j'acquis bientot la conviction que Tile de Ghypre seule, malgre les ravages tres-reeis dont elle a souffert depuis quatre siecles, renferme encore autanl de monuments interessants pour fhistoire de nos etablissemcnts d'outre-mer que la Syrie, etbien plus que Rhodes, Constantinople et les pays de 1'archipel reunis. J'ai retrouve, en effet, danstoutes les provinces de file, a Nicosie, a Famagouste, a Limassol, a Cazaphani , a Poli , etc. , dans les montagnes du pays de Ce- rines et du Carpas , comme clans les pays de Papbos, du mont Olympe et de la Messoree, des edifices de la plus pure architecture gothique, des eglises, des chapelles, des couvents, des chateaux, eleves par nos anciens croises fixes en Orient. Et en attribuant ces constructions aux Fra*ncais, je ne donne rien aux conjectures ni aux probabilites. Lors meme que le style de leur architecture et le mode de leur execution laisseraient quelque incertitude sur le temps qui les a vus s'elever ou la nation qui les a edifies, les armoiries, les tombeaux, les inscriptions en franeais qui decorent leurs murs ou qu'on retrouve dans leur enceinte, etabliraient, sans discussion , leur nationality ; quelquefois meme elles precisent la date de leur fondation. Je decrirai ailleurs, plus au complet, ces monuments divers en suivant 1'ordre de mon itineraire; je crois preferable, pour pre- senter un apercu general de leurs formes et du style de leur arcbi- tecture, de les reunir en deux classes, afin de les examiner en- semble suivant la nature de leur destination, et d'entrer seule- ment clans quelques details sur les plus importants ou sur ceux qui conservent lemieux les caracteres originaux des temps de leur construction. J'examinerai done aujourd'hui les edifices militaires eleves par les Francais dans Tile, reservant pour d'autres notices la descrip- tion des monuments religieux, des tombeaux et des armoiries. Je ne rappellerai pas les evenements qui ont rendu celebres clans Thistoire de Chypre quelques-uns des chateaux dont j'aurai a par- ler, les sieges cju'ils ont soutenus, les legendes populaires ou les recils plus certains que les temps nous ont conserves sur leur fondation, ou les evenements dignes de memoire dont ils ont ete le theatre. Les notions de ce genre appartiennent a Thistoire, et je me propose seulement de doDner ici une description archeolo- gique de ces chateaux. — 504 — \ oulant me borner aux monuiuenls edilies pendant le regne des princes fraucais, jo ne dirai mcme qu'un niol des enceintes de Nicosie et de Famagouste, les seules \ ilies completement forti fiees de Tile, parce que leurs remparts sont d'une dale posterieure a l'usage de l'artillerie ou d'une construction etrangere. L'enceinte de Nicosie, elevee en 1667 par les Venitiens , forme une eloile reguliere de onze bastions triangulaires, dont les angles inferieurs sont arrondis. Le mur est bad dans un systeme parliculier qui merite d'etre signale : arrive a peu prcs a moitie de sa bauteur, il est brusquement incline vers l'interieur de la ville, sur les terre-pleins qui le soutiennent, de manicre a presenter aux projectiles ennemis un angle obtus , disposition peut-etre habile, mais qui n'a pu sauver la place lors du siege des Turcs. 11 est vrai que les ingenieurs venitiens avaient laisse en dehors des ou- vrages, et a une petite distance des fosses, une suite de colli nes d'oii Ton domine toute l'enceinte. Ce lieu, si bien dispose pour 1'attaque, fut occupe par les batteries de Mustapha, en 1570, et la ville fut reduite apres un siege de quarante-cinq jours , malgre sa resistance opiniatre. Au temps des Lusignans, une partie des hau- teurs meridionales etaient renfermees clans l'interieur des remparts, qui comprenaient un espace triple de l'etendue actuelle de la ville. Un contemporain a constate que les Venitiens, pour effectuer leur malheureux projet d'enceinte, avaient detruit, outre le chateau royal, quatre-vingls eglises ou couvents, parmi lesquels etait le inonastere de Saint-Dominique, le Saint-Denis des Lusignans. Les fortifications de Famagouste sont intactes et d'une construc- tion remaquable par le choix,la taille et l'assemblage despierres. Les murs de l'cnceinle sont droits et lisses; ils sont couronnes de creneaux rectangulaires et proteges a leurs angles par des tours d'une construction semblablea celle du remparl. Deux portesseu- lement donnent acces a l'interieur : le porte de mer, s'ouvrant au sud, et la porte de terre defendue par un large fosse, un pont- levis, une herse et une double cloture. Le rempart meridional arrive au rivage merae, comme dans la ville actuelle de Genes, enveloppe completement la place de tous cotes et se termine a 1'est par un grand bastion carre. Ces travaux doivent etre de diflTe- rentes epoques. L'histoire de Chypre nous apprend que Jacques II de Lusignan repara les anciennes fortifications de Fagamouste; il est certain aussi que les VenitieDS y out eleve ou refait quelques — 505 — ouvrages, car on trouve le lion de saint Marc et les noms des pro- veditcurs Foscarini ct Priuli graves en plusieurs endroits; niais 3e plan general de l'enceinte actuelle et la plupart des construc- tions exislantes, doivent appartenir aux Genois, cpii firent de Fa- niagouste , pendant un siecle, leur boulevard commercial dans les mers de Syrie. II faut remarquer, toutefois, que les remparts ele- ves des la fin du xme siecle par les Lusignans autour de la ville, avaient la meme disposition qu'ils ont conservee sous les Genois, les Venitiens et les Turcs, car en 1878, au rapport d'Andre Ga- laro, les galeres catalanes, ayant force la passe du port, arriverent jusqu'au pied de la courtine que baignait la mer. A l'interieur, Famagouste, sauf quelques edifices, n'est qu'un amas de ruines et de decombres ; a la fin du siege de 1 5y 1 , qui dura un an , et le lendemain de la prise , elle ne devait pas offrir un as- pect plus desole. Les Turcs n'ont songe qu'a faire quelques repa- rations aux remparts, dont ils garden t 1'entree avec une crainte superstitieuse. Le chateau de Cerines, si celebre dans 1'histoire des Lusi- gnans, n'est pas encore un edifice qu'on puisse considerer comme apparlenant en entier au temps desFrancais; de notables parties ont ete reconstruites par les Venitiens et appropriees au service de l'artillerie. Dans son ensemble, il forme un grand quadrilatere entoure d'un fosse, flanque de deux grosses tours rondes vers la mer etde tours carrees vers la terre; le tout d'une construction aussi belle que celle de Famagouste. Le rempart , haut de plus de ho pieds et large de 12, est partout crenele. II est perce au tiers de sa hauteur, et de distance en distauce, de larges embrasures pour le jeu des canons. Les tours rondes ont plusieurs etages de bouches a feu, ou du moins de salles destinees a les recevoir; il y reste encore quelques canons de fer rouilles, provenant de fa- briques turques, et quelques pieces de bronze venitiennes. On lit sur i'une de ces dernieres : Galeacias Albergeli me fecit, entre le lion aile de la republique et 1'ecusson du maitre fondeur. Les parties les plus anciennes de ce chateau me paraissent etre les constructions interieures. Tout autour d'une esplanade qui occupe le bas de la forteresse , sont des pieces et des salles voutees servant autrefois de magasins d'armes, de depots de pro- visions et de logements pour les soldats. Les fours existent en- core : ce sont de petites constructions isolees et en forme de ruche. — 5U0 — Lcs apparlements que devaient habiter les princes quand il^ journaient dans ce chateau sont a l'ouest; quoiqu'ils soient aujour- d'hui ruines, on reconuait leur ancienne destination aux ornc- 111 en Is des baics et de leurs nioulures. Du memecote est la chapelle, petite nef en ogive, tournee ves 1'Orient, et aujourd'hui delabree. Trois colonncs de marbre soutiennent encore la retombee des arcs de la voute; leurs cbapiteaux, dont le galbe est plus evase- que celui des cbapiteaux antiques, est orne de grenades et de feuilles tie vigne. Limassol et Papbos possedent aussi d'auciens chateaux, eleves sur le rivage pour proteger leurs ports. lis remontent au temps des Lusignans, ainsi que 1'incliquent leurs baies en ogive; on sait meme que celui de Limassol a ete reedifie par le roi Janus, au xve siecle; mais les crenaux denteles que Ton remarque sur leurs murs ont etc faits dans les premiers temps de la conquete otto- mane; aujourd'hui, les Turcs les laissenttomber en ruine.Le con- sul de France se trouvant 1'annee derniere a Papbos avec le gou- verneur, on voulut tirer le canon du fort en leur honneur; au premier coup de feu , une partie du rempart fut ebranlee et croula dans la mer avec sa batterie. Arrivons aux chateauxqui appartiennent en entier au temps des Lusignans, et qui n'ont pu etre alteres par des constructions pos- terieures, puisque leur dementelement ou leur abandon date du commencement de la domination venitienne. Les plus grands sont les chateaux de Dieu-d'Amour ou de Saint-Hilarion , de Buffavent ou de la Reine, de Kantara et de Kolossi. Ce dernier est une grosse tour isolee dans la campagne; quant aux autres, on n'en aurait pas une idee exacte si on se les repre- sentait semblables pour 1'ensemble et la disposition aux anciens chateaux de France, avec leurs fosses, leurs pofcts-levis et leurs corps de balisses a grandes facades. Les Lusignans , en fondant ou plutot en reconstruisant les cha- teaux de 1'ile, car les hauteurs de Saint-Hilarion, de Buffavent et de Kantara etaient defendues, des le temps des gouverneurs grecs, par des fortifications, les Lusignans ne s'etaient pas propose uni- quement d'y construire des demeures a leur usage; ils avaient deja lcs palais de Nicosie et de Famagouste, les maisons de plai- sancede Strovilo, de Chili, de Cherokidia, de Bassilia, qu'ilshabi- taicnt quelqucfois. Des trois chateaux, de Saint-Hilarion , deBuffa- — 507 — ventet tie Rantara, siiues dans les montagnes du nord de l'ilc, le premier seuletaita la fois un chateau fort etune residence royale; quant aux autres, les princes francs avaient eu surtout ttntention den faire des forteresses qui pussent leur servir de prison, de depot d'armes, et de refuge pour eux-memes dans un cas ex- treme. On avait a cet elTet saisi les points les plus escarpes de la cliaine de montagnes qui traverse Tile de 1'ouest a Test, entre Cormachii et le cap Saint-Andre; on les avait enveloppes de rem parts, de pavilions creneles et d'autres moyens de defense; utilisant et taillant le roc quand il pouvait tenir lieu de mu- raille; profitant de toutes les saillies pour y avancer une re doute, de tous les endroits planes pour y asseoir une salle , une chapelle ou une tour a meurtrieres; de telle sorte que Ten- semble du chateau presentait une reunion de pieces et de corps de logis separes presque toujours, et in dependants les uns des autres, plutot qu'un systeme de constructions continu comme en offraient autrefois la Bastille, Coucy, ou, de nos jours encore, le chateau de Vincennes, construit clans le memo siecle qui a vu s'elever la plupart des chateaux de Chypre. Cette disposition etait loin de nuire a la defense, car on communiquail d'un batiment a lautre par les cours et les remparts, et l'as- pect general n'en est pas aujourd'hui moins itnposant que celui des vieux chateaux que nous venons de citer. On n1y retrouve pas, il est vrai, leurs belles facades et leurs grands donjons, mais on est etonne d'y voir s'elager, jusqu'aux hauteurs les plus escarpees, au milieu de cypres et de genevriers, de magnifiques citernes, des galeries, des terrasses crenelees , d'elegantes cha- pelles; Ton ne peut quy admirer I'art avec lequel Tingenieur a fait serpenter les remparts sur les rochers les plus abruptes; I'on est emerveille de voir comment il a pu asseoir sur un plan aussi rapide des pavilions, des corridors et des voutes superpo- sees les unes aux autres, comment il a pu edifier de si hautes tourelles au sommet de rochers a pic. Le transport seul des ma- teriaux a ces elevations surprenantes a du couter des peines iufinies. Un caractere qui distingue encore les chateaux de Chypre, et en general toutes les constructions de Tile , des cons- tructions de la France : c'est qu'au lieu des toits aigus ou co niques qui deparent quelquefois ces dernieres , surtout dans !r — 508 — Nord, elles sunt teiminees, en Chypre comme on Syrie, par des terrasses, dont lcs lignes horizontalcs sont dun plus bcl effet. AjoutoDs que dans ces divers monuments, principalement dans les chateaux, I'ogive et le plein cintre sont egalement employes pour former les arcs des baies, bien que ces chateaux aient ete construils du xme au xivc siecle, epoque ou I'ogive dorninail presque exclusivement en Europe. Dieu-d'Amour, dont le nom me parait utre une corruption dune autre denomination plus ancienne, est le plus grand el le plus beau chateau de Chypre. C'etait le seul des trois ou les Lusi- gnans aimassent a sojourner, et il est facile de reconnaitre dans l'inlerieur de ses trois enceintes les pieces qui servaient ^habita- tion aux princes quand ils venaient y passer la saison des fortes chaleurs. Ce n'est qu'apres une marche de trois hcures sur les flancs de la montagne de Cerines, qu'en partant de Fungi, chifTlik a une lieue de cetle ville, on arrive a la premiere porte du chateau. Elle est aujourd'hui ruinee et il n'est pas possible de reconnaitre quel £tait son systeme de cloture ; on voit seulement quelle n'elail protegee a l'exterieur ni par un fosse, ni par un pont-levis; mais cette entree, comme les creneaux et les tours du petit porche dans lequel elle donne acces , n'etait qu'un ouvrage avance servant de defense a une seconde porte. Celle-ci est au fond de 1'avant-cour, a gauche, el fait face au midi; elle est crenelee et surmontee d'un moucharaby de six consoles en contre-lobes, construction dont le nom, comme la forme, semble avoir ete emprunte par la France a l'Orient, car on en voit de semblables aux minarets du Caire, a la forteresse de Damas et a 1'enceinte de la ville d'Aiguemortes. La porte, peu elevee eten plein cintre, etait defendue , comme je 1'ai dit, par les creneaux et les tours laterales; elle traver- sal le rempart et communiquait a une grande cour inclinee sur le penchant de la montagne. Lors meme que l'ennemi eutpu, en forcant ces premiers obstacles, penetrerdans lacour.il n'eutsur- monte que les moindres difficulles de son entreprise. Toutes les constructions superieures ^taient disposees de telle fa^on que les. defeuseurs pouvaieDt lancer leurs traits sur lui pendant qu'il avait a gravir, par une montee ardue, jusqu'a la seconde enceinte, for- mee de lours et de galeries crenelees. La, en retraite et de cote, so trouve un corridor 6troit, defendu par deux portes en ogive, — 509 — qui seules lui pennellaienld'arriver plus haut , et qui devaient lui opposer une resistance d'autant plus longue, qu'il elait oblige de conibatlre sur un terrain inegal , pierreux et escarpe. Aussi voit- on que le chateau de Dieu-d'Amour n'a jamais ete pris de vive force : le vieux sire de Beyrouth lui-meme, un des plus habiles capitaines de Chypre, aide de tous les homines d'armes du pays, ne put en deloger les troupes de Frederic II, et les imperiaux 1'assiegerentvainement, apres qu'une capitulation 1'eut rendu aux Chypriotes. Quand on a passe le corridor en voute d'ogive, on se trouve veritablemenl dans Tenceinte du chateau , et au milieu des corps de baliments destines, soit a la defense, soit a Thabitation. II est impossible de suivre aujourd'hui le plan de ces constructions, bouleversees par la pioche et la mine, sur un sol jonche de de- bris informes; mais on jugera de leur importance et de leur etenduepar ce fait , que j'ai remarque, malgre les demolitions effec- tuees dans les trois enceintes, plus de soixante pieces de differentes dimensions, dont les quatre murs existent encore. Aussi les Turcs auraient-ils du reserver pour] ce seul chateau la denomination poelique du Yuz bir ev, les cent et une maisons, qu'ils donnent ega- lement a Buflavent et a Kantara. Les edifices renfermes dans la deuxieme enceinte s'etendent sur les deux penchants de la montagne. On peut encore rccon- naitre la destination de quelques-unes de ces constructions. Un grand pavilion a deux etages, place hors de la portee des traits et ouvert sur lamer de Caramanie, devait etre une des parties principales de l'appartement royal. II a deux salles de 80 pieds de long sur 20 pieds de large, eclairees chacune par six fenetres. De son etage inferieur, on passe sur une terrasse, d'ou un esca- lier conduit dans une basse-cour fermee au nord par un edifice crenele, de vingt pas de large et renfermant neuf chambres on magasins. Ce fort termine Tenceinte vers le nord, cote qui elait suffisamment protege par Tescarpement effrayant de la montagne et des rochers , sur lesquels il repose. A cote de la grande salle est une chapelle, autrefois probable- ment un oratoire, dont la facade offre encore 1'image d'un sainL avec un nimbe peint a fresque. Un pretre vient chaque ann^e, le jour de Saint-Hilarion, celebrer la messe dans ce lieu solitaire. La cbapelle du chateau n'est pas eloignee et communique avec le pa- — 510 — villon , quoiqu'elle en soit detachee. Des pilastrcs et des colonnes engages dans le mur soutenaient sa voute, aujourd'hui ecroulee. Le chevet, tourne a 1'orieut, est termine en conque ou voute de four; a cote sont deux petites niches en hemicycles, oil Ton re- trouve corame sur les murs des restes de fresque rouge et bleue. L'eglise etait eclairee par deux fenetres gothiques encore intactes, et par une troisieme baie ouverte , a 1'instar des Grecs, au milieu du chevet, comme pour eclairer le sanctuaire; ellc etait precedee dun porche ou piece couverte qui semble avoir fait partie d'un corridor. Une troisieme enceinte domine toutes les constructions clont je viens de parler et complete le systeme de defense du chateau. Avant d'y arriver, on remarque a droite une citerne a ciel ouvert d'une construction tres-hardie. Elle est comme scellee aux flancs du rocher, qui la ceint de deux coles; scs murs vers le nord et Test paraissent n'avoir pas moins de 3o pieds de haut; ils ont 5 pieds d'epaisseur et sont soutenus vers fouest par quatre so- lides contre-forts de 1 metre de large. A l'interieur, la citerne est longue de 07 pieds, large de hi. En montant a la porte de l'en- ceinte, on apercoit les traces d'un escalier qui, a travers les blocs de pierres et les genevriers , conduit a un petit forlin en voute d'o- give, detache a 1'extremite des rochers vers le sud-ouest. Sixgrandes meurtrieres, pratiquees dans 1'epaisseur de ses murs, permettaient de lancer des traits au dela des batiments et des enceintes, jus- qu'au fond des vallons du nord et du sud. Pour parvenir a la porte dont j'ai parle, la pente est encore plus rapide que dans la premiere cour : ici le moindre faux pas ferait rouler un homme dans la citerne ou le precipiterait sur les rochers. Qu'on songe a la position d'ennemis places sur ce terrain , et obliges de se couvrir des traits qui leur etaient lances des terrasses superieures! Mais les assi^geants n'ont du jamais penetrer jusqu'a cette hauteur. L'entree ogivale de 1'enceinte est intacte; elle a encore les trous ou Ton passait les poutres pour consolider la cloture. La porfe s'ouvre par une grande cour pleniere entouree de rochers ou do constructions crenelees, et fermee a Touest par une galerie de trois elages. Le milieu du baliment a ete ouvert par la mine et a croule au fond des precipices; mais les grandes mines qui en restent en- core, appuyees sur les hauteurs de droite et de gauche, laissenl appreeier la bonne quality des pierres employees dans la cons- — 511 — traction, leur laille reguliere, leur ajustemeiit precis et le soin apporte dans 1'ornementalion generate cle ce beau corps cle logis, qui a du etrc habite sou vent par les princes. Sa piece principals a 20 metres de long sur 8 metres de large; ses fenetres sont divi- sees en deux baies a plein cinti-e, au-dessus desquelles s'ouvrent de petites arcades de trefles et de quatre-feuilles a jour, qu'en- veloppe une arcade superieure en ogive. Des bancs en pierre regnent autour de ces fenetres elegantes, d'ou la vue s'etend vers l'ouest sur les riches coteaux de Karava; de Lapithos, aux ma- gnifiques jardins cle palmiers et d'orangers d'Acheropiti, de Tre- mithi, de Vassilia, ou le roi Hugues IV descendait souvent pour s'entrelenir avec le savant Georges Lapithes de litterature et de philosophic Au-dessous de cette salle en est une autre d'egale dimension; a cote , dans les deux etages se trouvent d'autres pieces moins grandes servant probablement de chambres a coucher et dont quelques- unes, comparables aux chambres des maisons de Pompei, n'ont pas plus de deux fois la grandeur d'un lit. Du cote oppose, vers le sud-est et sur le pic dominant toute la montagne, est encore un autre petit chateau complet, avec ses remparts, ses meur- trieres et ses tourelles. G'etait comme un dernier donjon, un der- nier refuge, ou plutot ce n'etait qu'un belvedere; car, a ces hau- teurs inaccessibles , que pouvait-on craindre de I'ennemi, s'ii n'etait deja maitre des cours et des galeries inferieures du chateau ? J'ai mesure la hauteur de ce point, le plus eleve de la chaine sep- tentrionale de Tile, et j'ai trouve, au moyen du baromelre Bunten, 7°9m'7 ou 2,129 pieds. Ce sont a peu pres les deux tiers de la hauteur du Vesuve et la moitie du Puy-de-D6me. De ce point, la vue est encore plus etendue que du rempart de l'ouest. Elle embrasse vers 1'Orient toute la cote de Cbypre jusqu'au cap Saint-Andre, oil les regards se portent d'abord sur Klebini, sur le chateau de la Reine et le beau cloitre de Lapais, dont je parlerai plus tard. Vers le sud, une elevation cache Ni- cosie et ne laisse apercevoir qu'un coin de la Messoree; mais par-dessus la montagne , on voit briller la mer de Larnaca et de Limassol; au nord, on suit toute la cote de Caramanie, et Ton distingue aisement, vis-a-vis du chateau de Saint-Hilarion , les for- tifications de la petite ville d'Anamour, qui porta quelque temps, sous le regne des Lusignans, le pavilion chrelien. — 512 — Le chateau de BufFavent, appele aussi chateau cle la Reine, est situe a trois lieues nord-cst de Nicosie, a une heure au nord du couvent de Saint-Jean Chrysostome. II est d'un acces plus difficile encore que le chateau de Saint-Hilarion , et, comme ce dernier, il n'a jamais ete force par 1'ennemi. On ne peut croire qu'il n'y ait eu autrefois une communication praticahle avec le has de la mon- tagne; mais les Venitiens out du detruire toute trace d'escalier, quand ils prirent le parti de diminuer le nomhre des forteresses de 1'ile et de concentrer leurs garnisons dans les places inaritimes. Aujourd'hui, pour parvenir a la premiere porte du chateau, il faut s'aider des mains aulant que des pieds dans un sentier es- carpe entre les rochers, et assurer sa marche aux troncs des cypres qui ont pousse dans le roc, si on ne veut rouler dans les preci- pices. En penetrant dans finterieur, on voit que Bufiavent est cons- truit d'apres le meme systeme que Saint-Hilarion. Une double en- ceinte separe le chateau en deux parlies assez eloignees Tune de 1'autre et formees chacune de chamhres, de magasins et de forts, communiquant entre eux ou isoles, suivant 1'exigence du terrain. Les constructions principals se trouvent dans la premiere en- ceinte et sont etagees sur le penchant du ro'cher vers la plaine de Nicosie; 1'enceinle superieure renferme les derniers donjons, qui reposent sur les sommets les plus eleves et dominent au nord et au sud, depuis Cerines et Lapais d'un cote, jusqu'au mont Olympe et a la Messoree de 1'autre. Comme du haut de Saint-Hilarion et de Kantara, on voit du haut de Bufiavent la mer et la cote de Cara- manie au nord, la mer d'Egypte au sud. Aussi sa situation favorable avait-elle fait choisir ce chateau pour point d'observation par les Lusignans, qui y avaient etabli un guet charge de signaler, par des feux , 1'approche des navires aux gardes de Cerines et de Nicosie. Les baies du chateau de la Reine , les porles notamment, pa- raissent avoir ete presque toutes en ogive; on y reconnait seule- ment quelques pleins cintres , autant qu'il est possible d'enjuger depuis que les pierres de taille qui formaient les arcades d'entree ont ete descell^es. Les salles d'habitation ou de d6pot sont moins grandes et bien moins nombreuses qua Saint-IIilarion ; il n'en resle plus que quinze aujourd'hui dans les deux enceintes. Elles sont entieres, et plusieurs ont meme conserve lour toiture en voule d'ogive a finterieur, en terrasse au dehors. Dans quelques- — 513 — unes s'ouvrent des citernes et ties caveaux profonds, qui ont, a differentes epoques, detenu des personnages importants. II serait difficile de preciser la date de la fondation du ce cha- teau; ce qui est certain , c'est qu'il y avait un fort sur la niontagne de Buffavent des le xne siecle, a l'arrivee de Guy de Lusignan , et ce qui parait encore hors de doute, c'est que l'edifice actuel appartient en entier, sauf peut-etre les fondations, au temps des princes francais. Quant a sa denomination de chateau de la Heine, il est possible qu'elle n'ait pas plus d'un siecle de date et qu'elle provienne de l'erreur accreditee par l'ignorancedescaloyers de Saint-Jean Chrisostome, qui croient posseder 1'antique portrait de la reine fondatrice de leur monastere et du chateau voisin. On peut lire dans Mariti et Ali Bey les fabuleuses aventures de cette pretendue reine, simple et bonne Venitienne de la noble famille Molino. Le portrait, conserve avec soin derriere l'autel de Saint-Jean Chrysostome, est un ex-voto de cette dame et du jeune Antonin Molino , probablement son fils , ainsi que 1'indique cette inscription1 peinte sur le panneau : H Ag.HCI C .TIC . AS ~ AIC .t«. 9y • M /PI AC . T8- ($IAI TT 8?) MOLIN 0 Ke . /NTO NH N 8 T8 171 8 - MOM N 0 . , Le tableau est peint sur bois, a fond dor, dans le style grec suiviaVenise. II represente saint Jean TAumonier recommandant a la Vierge Antonin et Marie Molino, agenouillcs devant elle. L'eglise du couvent de Saint- Jean Chrysostome fut peut-etre dotee ou restauree au temps des Venitiens par Marie de Molino, et le souvenir de cette liberalite , imparfaitement conserve par le ta- 1 Pricre dc la servante de Dicu, Marie de . . . Molino, et d'Antonin (fils) de Philippe Molino. — 51/i — bleau que la donatrice ou riu-goumene lit execulcr a cette occasion , aura fait croirc quelque temps apres que ce portrait rappelait les traits de la fondatrice du couvent et du chateau. II ne faut pas plus de cent ans pour accreditor de semblables erreurs dans un pays ou Ton necrit presque jamais ct oil les moines nesavcnt pas lire. Le chateau de Kantara est situe a 1'orient de la chaine des mon- tagncs, dans la province du Karpas, cntre Davlo au nord, et Ko- makcbir au sud. llestaure et probablement agrandi par les pre- miers Lusignans , il fut rebati en partie par Jacques, fils de Jean II , au xrv° siecle, ct demantele au xve par les Yenitiens. Quoique la montagne sur laquelle il est situe soit presque aussi elevee que celles de Saint-Hilarion et de Buffavent, ses poinles sont moins oscarpees et le pied du chateau plus facilement accessible. Cest sans doute a ces conditions moins favorables que la forteresse du Karpas doit davoir ete prise plusieurs Ibis par les ennemis, qui n'avaient pu emporter les chateaux de l'ouest. Kantara est moins etendu et plus compacle, si 1'on peut dire, ([lie ces derniers. II semble que les ingenieurs charges d'assurer la defense de ce point , reconnaissant le danger des pentes prati- cables qui pouvaient conduire a ses pieds du cote du nord et de Test, aient double la force des murs et les aient ramasses autour d'un plus petit espace. Deux grosses tours protegent la porte ou- verte dans lepaisseur du rempart, et qui communique a une basse-cour qu'entourent les corps de batiments. Les tours et les courtines du nord ont saute sous la mine; les parties conservees enveloppent le haut de la montagne, en descendant de Touest au sud et a Test. II y a la, comme dans les autres chateaux, une cha- pelle, des magasins, des caveaux, des cilernes, des salles voutees ct percees de meurtrieres, qui ne presentent rien de particulier apres ce que nous avons dit des chateaux precedents; j'ai remar- que seulement au rempart de Kantaria une disposition que je n'ai pas retrouvee dans les autres forts. Vers le sud, loin de la porte d'entree et loin de la partie des murs ou l'ennemi devait dinger ses attaques, s'ouvre une poterne a l'extreniite d'un cou- loir etroit que protege une voute solide, en descendant vers les rochers. Cette petite porte, qu'on aurait pu laisser ouverte sans danger, meme pendant un assaut, car elle donne sur des es- carpements a pic , laissait communiquer avec la campagne quand — 515 — l'entree principale elait bloquee, el permetlait d'envoyer un einis- saire au dehors dans un moment de danger ou de suvprise. Je dois parler avec quelques details de la tour de Kolossi ou du Colos , comme on 1'appelait au temps ou elle etait le chef-lieu de la commanderie des Hospitaliers de Chypre. Les Grecs et les Turcs la designent sous le nom de Could, denomination derivee peut- etre de Colos, et appliquce aujourd'hui indistinctement par les habitants de Tile a tous les chateaux isoles. Situe a une lieue de la mer et a egale distance a peu pres de Piskopi et de Zagatzi, le Colos domine toute la plaine qui s'etend depuis ces villes jusqu'a Liinassol; il peut etre classe, pour son aixhitecture et sa conservation remarquables, panni les plus beaux edifices francais qui aient ete construits au moyen age et qui existent encore aujourd'hui dans Tile. C'est une grosse tourcarree sans tourelles aux angles, de soixante-cinq pieds- de cote et de quatre-vingts pieds de hauteur environ , dont l'entree , situee a dix pieds au-dessus du sol, est tournee vers la mer; un pont-levis s'a- battait autrefois du seuil a la terre et livrait passage pour entrer dans la tour ou pour en sortir. On Fa remplace depuis longtemps par une rampe en maconnerie qui facilite le transport des cotons et des garances dans' ses vastes salles, car le Colos est heureuse- ment conserve et sert de magasin a l'une des plus riches fermes de 1'ile de Chypre. Sous la rampe, s'ouvre une petite porte voutee donnant dans un etage souterrain de trois salles en ogive. Le mur est, a cet endroit, de neuf pieds d'epaisseur. Je n'ai pu retrouver les traces de l'ouvrage avance qui protegeait sans doute cette facade du chateau; mais a quatre pas en avant du rempart oriental existe encore un mur crenele de trois ou quatre metres de haut sur quatre pieds d'epaisseur, relie a la tour des deux cotes. Ce mur semble aujourd'hui n'avoir d'autre destination que de proteger les fenetres de l'etage inferieur eclaire par la petite cour; cependant il a, outre sa porte principale, pratiquee en ogive vers la campagne, une seconde porte laterale ouverte dans la clo- ture que je suppose avoir existe devant la facade du pont-levis. La facade meridionale de la tour ou est le pont-levis n'estper- cee que de deux fenetres eclairant le second etage; elle est defen- due a la hauteur de la terrasse et dans 1'axe de la porte quelle surmonte, d'un moucharaby a cinq consoles, assez semblableaux moucharabys du chateau de Saint-Hilarion. mais d'un style moins — 516 — severe ; ses consoles sont forniees de irois conlre-lubes en retraite , et les parties vidcs scparant les consoles sont decoupees en lobes que surmonte une arcade ogivale. La facade orientale est decoree de quatre ecussons en inarbre blanc, incrustes dans une grande croix a branches egales, ancienne forme dc la croix dc l'ordre de 1'Hopital. Au centre de ces emblcmes estl'ecu royal desLusignans, car les proprietes des Hospitaliers , en Chypre, etaient toujour* subordonnees au souvcrain doinaine da roi. L'ecu ecartele de la croix de Jerusalem , du lion sur champ burele des Lusignans, du lion d'Armenie et du lion de Chypre, ne peut etre anterieur a l'annee i3o,3, epoquc de la reunion des trois couronnes dans les armes de la maison de Chypre. Mais cette circonslance ne pre- juge en rien l'age de la tour, qui est probablement bien plus an- cienne que les armoiries dont elle est aujourd'hui decoree. Le bras gauche, le bras droit et le croisillon inferieur de la grande croix figuree sur la facade renferment d'autres ecussons de plus petite dimension que l'ecu royal. Le premier ecu est ecartele au premier et au quatrieme quartier de la croix de l'ordre de l'Hopi- tal , disposition qui indique toujours les armoiries d'un grand maitre; au deuxieme et au troisieme d'une fasce, embleme heral- dique d'Antoine Fluvian, eleve au magistere en 1421, et de Jean deLastic, nomme pour le remplacer a sa mort, en if\3j. L'autre ecu, ecartele comme le precedent au premier et au quatrieme canton de la croix de l'ordre, appartient a Jacques de Milli, grand maitre de ilibh a 1461, dont il porte la flamme en chef des deuxieme et troisieme quartiers 1. Les facades du nord et de l'ouest sont percees de fenetres au premier et au deuxieme etage; aux memes plans, deux construc- tions saillantes servant de latrines s'avancent hors du mur par deux consoles en encorbellement. Le cote nord est perce en outre, a huit pieds a peu pros audessus du sol, de trois ouvertures etroites donnant jour dans l'etage souterrain. Un moucharaby de trois consoles, desservi par la terrasse, defend l'approche de ces fenetres et de tout le rempart septentrional. Kntrons maintenant dans 1'interieur du chateau. II est divise en deux etages, sans compter les basses-fosses. L'aire du premier 1 J'ignore ji quel dignilaire opparlenait lYcu du croisillon vertical dont les (juatrc cantons oflrcnt une fleur de lis. est un pen inferieuce au seuil tie la porte d'enlree; le second est recouvert par la terrasse. Le premier etage, a la hauteur de la rampe, est divise en deux grandes salles : celle de gauche est subdivisce en deux pieces voulees et en ogive. Dans celle de droite, une trappe mobile, ouverte sur les salles inferieures, permettait de communiquer avec ellcs quand la porte exterieure etait muree. Ces salles, au nombre de trois , vouteesen ogive et moms hautes que les autres, etaient sans doute destinees anx magasins et aux cuisines. Les chevaliers de service se tenaient sur la terrasse et dans les pieces du rez-de- chaussee; 1'appartement superieur etait reserve au capitaine de la tour ou au commandeur de Chypre, quand il venait resider a Kolossi. Un escalier a vis de trente-quatre marches, pris en partie dans 1'epaisseur du mur, en partie sur le pallier, conduit a cet etage; il n'est compose que de deux grandes salles de vingt metres de long sur dix metres de large; le mur de refend qui separe ces chambres est ouvert aux deux extremites de deux portes en ogive; au centre, deux larges cheminees, qui devaient servir rarement. Ouatre fenetres en plein cintre surbaisse sont praliquees dans 1'epaisseur du mur, qui est ici de cinq ou six pieds ; leur em- brasure relient des sieges en pierre par ses trois cotes. L'escalier continue au-dessus de cet etage et conduit sur la ter- rasse, en debouchant sous un lanternon a toit plat. Arrive la, on se trouve sur une belle plate-forme de vingt metres carres , autour de laquelle regne un parapet de deux pieds et demi de haut, garni de creneaux rectangulaires, qui doublent son elevation. Des meurtrieres verticales et en embrasure sont menagees au fond de chaque partie pleine. Les merlons sont assez rapproches les uns des autres; mais a certaines distances setrouvent des espaces plus grands qui servaient sans doute a la manoeuvre des grosses ma- chines de guerre. Aux cotes du sud et du nord, on voit les ouver- tures des deux moucharabys; au centre , un grand trou circulaire divise par un mur est la double issue des cheminees de 1'apparte- ment principal. A Tangle nord-ouest, vis-a-vis l'escalier, devait s'elever autrefois un petit pavilion dont on reconnait l'assiette, et quiservait, soitde lieu d'observation, soitd'abri pour une cloche. Ce signal etait souvent employe dans les chateaux pour donner 1'eveil aux soldats des pieces inferieures, et peut-etre en existait-il un semblable au Colos; mais les gardes de la tour avaient un autre MISS. SCIENT. 35 — 518 — inoyende communication entre ses divers Stages : c'est un conduit d'un pied de largeur et de huit polices d'ouverture, dont on re- marque 1'orifice sur la facade ouest de la terrasse, et qui se pro- longe jusqu'au plan du pont-levis, en s'ouvrant aussi sur l'etage du commandeur. Ce canal etroit n'avait sans doute d'autre destina- tion que de donner passage a la voix d'un etage a l'autre. II a du servir plus d'une fois a signaler fapproche des vaisseaux Catalans, genoisou egyptiens, qui vinrentsi souvent desoler de leurs incur- sions les riches campagnes des pays de Limassol et de Paphos, sous le regne des successeurs de Pierre I", le vainqueur d'Alexan- drie el de Satalieh. Je borne a ces details ce que j'avais a dire des chateaux francs dontil reste de grandes mines en Chypre. II en estplusieurs aulres nioins importanls et moins bien conserves que ceux qui viennent de nous occuper. II suffira de les citer; ce sont : Gastria, chateau des Templiers , sur un rocber peu eleve , au has de la cote meri- dionale de Carpas, entitlement mine; Chiti, maison de plaisance des Lusignans, a deux lieues.de Larnaca, on se trouvent des portes en ogive donnant acces dans une cour, et de grandes citernes si- tuees autrefois au milieu de jardins; Potamia, chateau royal dont il reste quelques vestiges pres du village de ce noni et sur la ri- viere de Jalia, au nord-est de Dali; Sigouri, ou le Chateau-Franc, sur le Pidia, construit par le roi Jacques Icr pourtenir les Genois en echec dans Famagouste, et demoli par les Venitiens; enfin , Cherokidia, au bas du village ainsi nomme, dans le Masoto. Ce dernier chateau, apres avoir appartenu aux Templiers, puis aux Hospitaliers, etait la propriety des Lusignans dans le xv° sie- cle. J'ai remarque dans les ruines qui en restent trois grandes salles a deux etages dont les fenetres inferieures sont en baies rectangulaires et au second etage en plein cintre, tandis que la porte dentree est gothique. L'emploi simultane de ces differentes formes de baies appartient generalement aux constructions du xme siecle. II est certain d'ailleurs par Thistoire que le chateau de Cherokidia remonte aux premiers Lusignans, puisqu'il existait deja au commencement du xive siecle et que, detruit au xve par les Egyptiens, il fut laisse en ruine par les provediteurs de Venise. A cote des trois salles , dont la toiture n'existe plus aujourd'hui , est une grande piece voutee en ogive, qui est peut-etre la prison ou une partie des Templiers furent incarcerfo fan 1307, par — 519 — suite des ordres venus de la cour d'Avignon , qui pi ojetait, des cette epoque,la suppression de cet ordre ambitieux. Non loin du chateau et dans les dependances probables de ses anciens jardins, on voit encore nne eglise, petit vaisseau latin, recouvert aujourd'hui de fresques grecques. Quoique eloignee du village et prcsque aban- donuee , cette cbapelle, appelee Panaia ton Kampou, Notre-Dame du Champ, est bien connue des paysans des environs, qui vien- nent souvent y bruler des cierges devant une image de la Vierge. Kampos designe en Chypre tout terrain plainier; niais serait-ce faire une conjecture trop hasardee, que de voir conserve dans la denomination particuliere de l'oraloire de Cherokiclia, le souvenir du sanglant combat de 1^26, qui couta la vie a tant do seigneurs chypriotes, a tant de chevaliers francais venus pour combattre les Mameloucs, et qui se termina par la prise du roi Janus lui- meme. Rendu a la liberie et revenu du Caiie, le roi n'aurait-il pas voulu honorer la memoire de ses fideles coinpagnons d'armes, et marquer le lieu oil il avait ete fait prisonnier, en y elevant une chapelle sous 1'invocation de Notre-Dame du Champ de bataille? Les chateaux forts dont je viens de parler appartenaient tous au domain e de la couronne ou ai;x ordres l-eligieux; on en cher- cherait vainement en Chypre qui eussent ete la propriete par- ticuliere de simples feudataires, couime il y en avait au moyen age un si grand nombre en Europe et meme en Syrie. La difference de la situation et des institutions poliliques de ces pays explique la difference que Ton remarque dans les usages feodaux. En France, comme dans le reste de TEurope , aux xie et xne sie- cles, les hommes nobles transformerent leurs habitations en forte- resses, non pas seulement dans des vuesd'independance, mais par le besoin urgent d'assurer leur defense personnelle au milieu du trouble general et de raffaiblissement du pouvoir souverain. En Syrie Taction de la royaute, quoique plus forte qu'en Europe au xii° siecle, etail cependant affaiblie encore par les privileges des grands vassaux que les Assises avaient sanclionnes en meme temps et aussi expressement que les droits de la royaute; il y avait de plus en Syrie la necessite de fortiGer sur tous les points un pays sans cesse ouvert aux agressions de 1'ennemi. De la, le grand nombre de forteresses appartenant au roi, aux ordres re- ligieux et aux seigneurs, qui se trouvaient dans les principautes de Jerusalem , de Tripoli et d'Antioche. Rien de semblable n'exista m. 35. — 5*20 — laporte, on voit sculptes un oiseau et un quadrupede aile. Dans le haut, de longues meurtrieres et un balcon a machicoulis protegent 1'entree du monastere ; acot^ existent encore lesrainures d'un pont-levis, bien qu'on arrive de plain-pied au seuil de la porte. Je ne puis comprendre l'utilite de cet appareil militaire dans un pays aussi sur que Chypre la ete de tout temps, dans un petit royaume fort uni. qui ne sut jamais ce qu'elaieut guerres sci- gneuriales ou revoke de commune, el je ne puis atlribuer la conservation de ces moyens de defense qu a l'influence des habi- tudes suivies par les architectes en Europe et en Syrie, ou les ab- bayes ressemblaient a de vraies forleresses. Jai signal^ les principaux monuments eleves en Chypre pen- — 549 — daiil le moyen age, depuis lc temps oil le contre-coup des eve- nenxentsde Syrie detacha cette ile de l'empire grec et la fit passer sous la domination de chevaliers francais, jusqu'au siecle ou nos princes en furent evinces par la republique de Venise. J'es- pere que ces descriptions imparfaites suffiront cependanl a mon trer quel style d' architecture nos compatriotcs ont apporte et suivi dans ce pays. C'est, comme vous 1'avez vu, le vrai style go- thique de France; et, circonstance remarquable dans une societe ou les hommes du midide la France dominaient probablement en nombre, c'est 1'ogive du Nord plutot que 1'arcade arrondie des provinces meridionales , que Ton trouve clans toutes leurs cons- tructions. Nous avons reconnu en outre que les monuments francais-chy- priotes n'avaient rien pris aux idees et a 1'architecture des Grecs de Constantinople : ni les croix a branches egales , ni les coupoles, ni les mosaiques, ni les ornements a perles. Tons ceux que nous connoissons, les plus anciens, comme lesderniers construits, nous ont offert toujours les elements essentiels des edifices de 1'Eglise latine et du gothique; on peut meme considerer comme un fait certain, que les premiers rois francs de Tile eux-memes, Guy, Amaury ou Hugues de Lusignan , s'ils ont foncle des eglises nou- velles a leur arrivee en Chypre, cequi est tres-possible , n'ont rien unite du gout byzanlin. Les raisons qui avaient determine ces princes a donner a leurs monnaies 1'aspect des monnaies de l'em- pire de Constantinople, afin de les accrediter plus aisemenl au milieu de populations grecques nouvellement soumises a leur autorite, ces raisons ne pouvaient influer en aucune maniere sur la forme ou la decoration des monuments qu'ils elevaient. Et en efiet, nous voyons que Hugues ct Henri 1" elevent Sainte-Sophie de Nicosie, eglise du pur gothique, en meme temps qu'ils imitent les coins imperiaux sur leurs monnaies. Avant le milieu du xme siecle, les Lusignans repudierent, au reste, ces legers emprunts necessites par les circonstances, en meme temps qu'ils rompaient politiquement avec les empereurs grecs; et des cette epoque le type franc fut exclusivement inherent a leurs monnaies, comme il 1'avait ete toujours a leurs lois et a leurs habitudes, comme il avait du 1'etre a leurs eglises, a leurs tombeaux ct a leurs cos- tumes. L caractere saillant, !>' principc copstanl de leur architectui Miss, scum 3t — ;>.r>n — . est I'ogive dans touk-s les baies, unie tres-rarement au plein .in I re dans les chateaux, jamais dans les eglises : ce son I toujoursles unites clevees et les piliers chances qui constituent on propre 1'ar- ehitccture gothique. Comme en France, les archivolles des eglises Iranques son I formcos en Chyprc d'archivoltes secondaires el en retraite les unes au-dessous des autres; des roses ou des fenetres composes s'ouvrent au-dessus des poiiails; I'interieur de l'eglise, long vaisseau latin, est divise en plusieurs nefs par des colonnes on des piliers d'ou partent en divergeant les nervures de la voute; son chevet est toujours dirige vers I'orient, mais je n'ai point re- marque que I'axe en IVil incline sur celui de la nel ; comme en France, les travees et I'abside sont perceesde fenetres geminees et elroites; comme en France enfiu, du xuie au xvc siecle, 1'orne- mentation des baies, des archivolles et des tympans , est former de diverses combinaisons du cercle, toujours en lobes, d'arcatures inscrites sous une baie superieure simulec ou a jour, detoiles, de lleurs, de feuilles isolees et en plein relief sur la pierre. Au milieu de celte similitude generale de formes et de decora- tions, il y a plusieurs differences notables qui donnent a ce qu'on pourrait appeler le gothique de Gbypre, une physionomie parti- culiere. Je voudrais en rappeler ici les traits epars dans les des- criptions precedentcs. Celui c[ui frappe d'abord a la vue du monument, e'est la forme meme de Tensemble, qui est d'un aspect different de celui de nos eglises. On ne louera jamais trop le style ogival, comme systeme d'archi lecture religieuse; mais, cependant, n'y a-t-il pas quelque chose de disgracieux dans les toils aigus et les pignons a au vents qui ecrasent ou masquent leurs statues et leurs Heches a jouri* Qu'on se represente cette ornementation se dessinant en entier dans fair, comme a la cathcdrale de Milan, au lieu de s'effacer sur la teinte grise d'un toil escarpe , et Ton verra quelle difference d'effet elle produira. Dans aucun des monuments de Chypre on ne re- trouve ces pyramides d'ardoises, necessitees par nos climats plu- vieux; ils se terminent tous en terrasses horizonlales menagees sur les has cotes, sur les nefs et sur les tours, ce qui leur donne- rait, de loin, quelque apparence de constructions antiques. L'ab- sence de comblcs eleves ne produit pas, cependant, dans ces edi- fices le meme elfel que dans les eglises gothiques de Milan et de Pavie, parceque leurs couroDnementsmanquentdes statuettes, des — 551 — Heches et des clochelons a jour des eglises lombardes. En Chypre, toutle has de 1'eglise conserve bien les formes sveltes et !a len- dance aseendente de I'architecture gothique, dans le retrecisse- m en t de ses voiites, de ses fenetres et de ses contre-forts , inais il semble que les terrassesy viennent arreter trop brusquement cette direction verlicale des lignes qui est le principe fondamental de 1'art gothique. II eut fallu, ce semble, au-dessus de leurs plates- formes, les acroteres sculptes, les statues et les clocbetons decou- pes qui continuent la disposition aerienne de la construction go- iliique. Les architectes francs de Chypre et de Syrie ont ete empeches de suivre exclusivement le gothique par 1'usage generalemenl eta l)li dans leur patrie adoptive de construire en terrasses, usage de la plus haute antiquite en Orient el auquel font allusion deja ces mots des proverbes : Je me suis assis solitaire et ajjlige an lord de mon toit1. On dirait aussi que le voisinage des monuments grecs del'Ionie etde la Moree, qu'ils connaissaient, ceux de Chypre et de la Syrie, qui devaient les frapper davanlage, ont influe en quelque chose sur leurs ceuvres. Dans le style gothique, ce sont les lignes perpendiculaires el lesbaies elancees qui dominent; dans les monuments antiques, ce sont, au contraire, les formes carrees ou cinlrees et les lignes horizon lales. Les artistes francs-cbypriotes ont cede sur ce point a la puissance de 1'usage et de Texemple : ils ont rejete les clocbe- tons, les fleches el les toils aigus des cathedrales gothiques d'Eu- rope; ils ont prefere terminer leurs couronnements par les lignes droites el les plates-formes des anciens. Les chapiteaux a volutes et a feuilles d'eau cpie nous avons remarquesa Sainte-Sopbie, a Saint- Nicolas, a la chapelle du chateau de Cerines, semblent encore inspires par le gout antique, coinme les futs lisses et unis de leurs colonnes, comme les frises et les ornements en oves que Ton trouve aux faitage des tours et des contre-forts de plu- sieurs eglises de Pile, notamment a Sainte-Sopbie. Les bases des colonnes sont certaineinent une imitation antique. On y trouve 1 Prov. 21, sf>, etc. Le foin civil sur les toils. Psaumr 129. La Bible-est ph rrallnslons ?emh!al)li s. — 55-2 — toujours les tores, les gorges, les regie is et les plinthes cla6siquet ; jamais, ou presque jamais, les pattes, les bees d'oiseaux, les feuilles, les masques des bases gothiques. Un caraclere qu'on remarquera encore, c'esl que les anciennes formes de la basilique latiDe , modele quant a la disposition inle- rieure de la cathedrals golbiqtie, paraissent avoir persiste plus longlempsen Chypreeten Syrie que dans la France septentrionale. Ainsi, on peut sc le rappeler, dans aucunc eglise de Chypre nous n'avons vu trace du jube\ qui, peut-Gtre, etait remplace, suivant le style primitif, par un ambon construit entre deux colon nes. Toutes ces eglises sont terminees en bemicycles, la plupart sonl precedees d'un porcbe com me Sainte-Sopbie , Saint-Nicolas-de- Nicosie, 1'Emergbie, Arab-Achmcl, l'eglise du Serai] , le Katbo- liki, la chapelle de Lapais, etc. Dans aucune on ne trouvc de chapelles qui aient ete comprises dans la fondation premiere de 1'eglise; tandis qu'en France, des le xnic siecle, les absides poly- gonales n'etaient pas rares, les porches elaient presque inusites, el les chapelles etaient, au contraire, tellement multipliees qu'on a peine quelquefois a reconnaitre dans ces extensions diverses le plan simple et imposant de la basilique latine. Les principes du veritable systemegotbique, e'est-a-dire du style du xin° siecle, se maintinrent aussi en Chypre presque sans alte- ration, non-seulement dans les eglises du xivc siecle, niais mem; dans celles du \v°. epoque a laquelle nous rapporlons Saint-Nico- las de Nicosie. L'ornementation sembellit et se multiplie a mesure qu s'eloignc du type primitif de Sainte-Sophie, le plus ancien mo- nument ogival a date certaine que je connaisse en Chypre; mai elie reste toujours soumise a la regie, a la symetrie, a la decent e. L'art cbypriote emploie dans ses ornements, comme Tart gothique d'Europe, les roses, les fleurons, les oves, les pampres, les feuilles de choux, le lierre, les crosses, les chevrons, les meandres; il \ a joule des motifs empruntes a la flore ou a la pomone du pays, tels que des anemones sauvages, des feuilles de colocases, des branches de myrte, de palmiers et de caroubiers, des pommes depin, des grenades, des oranges; au regne animal, il prend, pour figurer ses cbeneaux et quelquefois pour orner ses frises. le lion, le chien, le camel^on et \eskourkoata ou locustes, si funcsics aux agriculteurs de 1'ile. Quand il repr6senle la nature humainc, — 55o — c'est to uj purs i'homme clans ses formes nobles et naturelles, ou des tetes d'anges ailees; il ne prend jamais ni les feuilles bordees de pcrles, ni les galons brodes des byzantins, ni les serpents sym- boliques, ni les figures bizares , ni les masques bideux, si chers anx tailleurs de pierres de France , et il est douteux qu'il en fut jamais venu, lors meme que les revolutions eussent permis son developpement complet, a placer dans ses monuments les traits licencieux que Ton retrouve jusque sur les portails de nos cathe- drales des le xivc siecle. Faudrait-il attribuer ces derniers faits a de pures circonslances accidenielles? Ne pourraiton voir, au con- traire, dans cette direction de 1'art gotbique en Cbypre, la conse- quence de la condition elevee et tres-bonoree , maiscompletement etrangere aux cboses politiques, da clerge des Lusignans, qui, en s'occupant surtout des interests religieux de ses fideles , donna moins de prise a la critique ou a la medisance. L'art cbypriote semble avoir suivi toujours des regies severes qui n'excluaient pas l'elegance, la gr&ce, la ricbesse, mais qui n'aimaient pas les decorations fantastiques et tourmeutees. Aussi voit-on, par les monuments monies du xve siecle, qu'il n'est jamais tombe dans les exces du gotbique deja sensibles en Europe au siecle precedent. Mais il n'a pas aussi les qualites de ces defauts, c'est-a-dire labardiesse, la legerete, 1'elancement des constructions, 1'abondance, la varicte, l'expansion des sculptures. Toute son ornementation se concentre aux portes, aux fenetres et aux archi- voltes. II n'a ni les legions de saints qui peuplent et embellissent nos eglises, ni les clef's de voute qui etaient devenues des tours de force communs en Europe. Ses murs , ses con tre-forts , ses fai- tages, restent souvent lisses ou sont ornes de rares sculptures; et dans Tensemble, ce qui frappe surtout, c'est moins l'elevation des bailments, la delicatesse el la multiplicity des sculptures, que la regularite et les proportions des parties, la symetrie, la purete et la bonne execution des ornements. Neanmoins, c'est toujours l'ogive elancee, le gotbique du nord de la France qui regne exclusivement dans ses constructions; et c'est un point essentiel qui le distingue du gotbique de Syrie, du moins de celui que j'ai vu dans les constructions franques de Beyrouth, de Sidon, de Saint-Jean d'Acre, d'AbouGoscb, de Ramla et de Jerusalem , ou domine 1'aicadc large et anondie du midi Ac la France — 554 — Le gotbique chypriote ne manque pas de richesse; le marine y a etc employe en grand bien plus frequemment qu'en France. Let. trois portails interieurs de Sainte-Sophie sont en marbre Mane, les colonnes du pourtour du checur sont en granit; le portail de SainteCalherine est en marbre blanc, le couvenl de Lapai's, les eglises de Katboliki, de Saint-Nicolas, de Vassili, ont aussi des frises, des linteauxou des colonnes de marbre. Pres de Yeni-Djami , a Nicosie, j'ai vu des debris considerables d'une eglise gothique au milieu descpuels sc trouvaient des Irises, des voussoirs, des co- lonnes et des chapiteaux en beau marbre blanc. La qualite de la pierre ne repond pas toujours a la richesse de cette decoration, li est des parties de Sainte-Sophie de Nicosie, de Saint-Nicolas de Famagousle, du chateau de Saint-Hilarion , et surtout de 1'abbaye de Lapai's, construites avec une sorte de lambourde que le temps a deja profondement rongee et qu'on prendrait pour une pierre ponce. Je n'ai pas observe qu'on ait employe la brique dans la construction des eglises, iryus j'ai trouve quelquefois ces materiaux entremeles a la pierre dans les cintres des chateaux. Le sol des plates-formes est compose comme l'aire de beaucoup de maisons en Orient et a Venise, d'un melange epais de chaux, de terre, de cendres et de gravier, qui acquiert a la longue la consistance de la pierre. L'appareil suivi generalement dans la construction des chateaux comme des eglises, est l'appareil moyen regulier; et la taille des pierres semble avoir ete tres -elendue en Chypre. On remarque aux chateaux de Saint-Hilarion et de Kantara des combinaisons de voutes et de corridors a escaliers qui ont necessile de vrais chefs-d'oeuvre de stereotomie. Dans aucun de ces monuments, pas plus que dans les ediiices gothiques que j'ai pu examiner en Syrie, je n'ai vu la peinlure employee a l'ornementation de 1'architecture. Je ne parle pas des fresques ou des sujets hagiographiques dont on retrouve des ves- tiges dans les vieilles chapelles franqucs de Saint-Hilarion , de La- pais, de Sainte-Sophie, d'Abou-Gosch, etc. mais seulement de la simple allcrnance de couleur appliquee en lai'ges bandes sur les assises des facades ou sur les claveanx des cinlres, comme on le voit aux vieilles tours de Genes, a Saint Laurent, de cette ville, aux eglises de Maguelonne, de Saint-Gilles et de quelques autres villes du midi de 1'Europe. II cut semble que ce systeme de badi geonnage polychrome emprunt£ aux Wabes, qui rappliqucnl — 555 — i ncore a leurs mosquees el a leurs maisons, a Damas et au Caire, aurait du se retrouver dans les monuments eleves par les Francs en Orient. Mais il n'en est pas ainsi. Du moins ines recherches ne m'ont rien fait decouvrir de semblable dans les eglises gothiques n i en Cbypre, ni en Syrie. Le temps seul a recouvert ces vieilles pierres de la belle teinte jaune que Ton retrouve sur les monuments de l'Egyple , de la Grece , de la Sicile et de toute la partie meridionale de la Medi- terranee. II semble deja qua Constantinople et en Italie cette brii- lante nuance d'or se charge un peu du gris septentrional qui noircit nos monuments de France dans un demi-siecle. Je termine cette longue lettre, monsieur le Ministre, par un mot sur les eglises grecqucs de 1'ile de Chypre. Celles que j'ai visitees se rattachent a deux systemes differents : ou elles conservent les formes anciennes des basiliques byzantines, c'est-a-dire la croix grecque et les coupoles sur pendentifs, comme Sainte-Sophie de Constantinople et Saint-Marc de Venise, ou elles ont pris la longue nef et les voiites en ogive des Latins. J'ai vu des eglises du premier modele a Nicosfe, a Hieros-Kipos, a Jaillia, etc. J'en ai retrouve du second dans ions les districts et presque dans tons les villages de 1'ile. La forme generale de ces eglises est a 1'inlerieur : une longue nef sans transsepts, peu elevee, terminee en hemicycle a fenetres. L'iconostase ferme ordinairement cette abside; quelquefois, par une disposition genante, il separe la nef en deux dans le sens de sa longueur. A l'exterieur parait seulement une longue voule en berceau, ayant des deux cotes d'etroits parapets menages sur l'e- paisseur des murs, a l'occident un porcbe couvert, et a l'orient le toit conique du cbevet qui n'atteintpas souvent le haut de la voute. Tels sont les couvents de Saint-Georges, pres -de Larnaca, les eglises de Pbaneromeni, de Tripiotissa, de Palingnotissa, de Bibi, aujourd'bui eglise de l'arcbeveche ; de Pallurgiotissa , d'Omoloi- tades, d'Haia Paraskevi, a Nicosie ou dans les environs; celles de Saint-Mama a Morpho, d'Haia Pantaleimona dans le district de Morpho, et en general toutcs les eglises de la Messoree, du Karpas et de 1'ouesl de 1'ile. Faut-il voir dans ces edifices d'anciennes eglises gothiques latines, appropriees aujourd'bui au culte grec? Je ne le pensepas. Jecrois, au contraire, que la plupart ont 6t6 construites par les Grecs memes el du temps des Francais. Nous en avons, rv — 556 — senible, des preuves certaiues dans les eglises do Phancromeni, de Saint-Mama el de Bibi, qui ont etc de tout temps en possession lies (irecs et qui, cependant, sont edifices dans le syslemc latin. On ne peuts'etonncr do voir les Grces adopter l'architecture d'une nation qui les a gouvernes et proteges pendant trois siecles, alors surtout qu'on se rappelle que les cultes des deux peuples avaient autrefois hien plus de conformite qu'aujourd'hui, et que les offices se celebraient souvent en com num. L'importalion du style go- thique a laisse en Chypre des habitudes qui ont dure plus que 1'alliance un pen forcee des deux l-ites. On a construit recemment une eglise grccque a Limassol, elle est en ogive; on a fait des repa- rations au couvent de Saint-Mama et de Saint-Georges, on a tou- jiurs suivi l'ancien type des arcades aigues. Enfin, ce style est passe tellement dans les habitudes des architectes et des habitants de Tile, qu'ils n'en connaissent pour ainsi dire pas cVautre. J'ai vu plusieurs maisons en construction a Nicosie ct a Larnaca, elles sont ii;utes en ogive. Je livre cos faits a 1'observation des savants qui se sont occupes de rechercher l'origine et les vicissitudes de cetto forme d'architeclure que Ton est convenu d'appeler ogivale. J'ai Thonneur d'etre avec un profond respect, etc. L. D£ MAS LATRIE. MINISTERE DE ^INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES. ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. X" CAHIER. Second rapport a M. le Minislre de I'inslruction publique et des cultes , sur qaelques recherches litte'raires dans les principales bibliotheqaes de I'Angletcrre; par dom Pitra, de Vabbaye de Solesmes. Middlehill, i5 novembre 18A9. Monsieur le Ministre , Au sortir du musee Britannique, la saison des vacances uni- versitaires nous faisant craindre de trouver moins accessibles les bibliotheques d'Oxford et de Cambridge, nous nepouvions esperer une diversion plus agreable ni aussi fructueuse que notre visite a Middlebill.Depuis vingt-cinq ans.M. lebaronnetPhillippsamasse, dans cette belle residence , des, tresors litteraires de tous genres. Le chateau de Middlehill est a mi-cote d'une colline qui enclot Tune des plus agreables vallees du pittoresque comte de Woi-cester. Sur les hauteurs, s'eleve la tour de Broadway, qui n'est pas seule- ment remarquable par an horizon de dix-sept comtes; c'est, de MISS. SCIENT. 38 — 558 — plus, corame un phare qui signale aux amis des bonnes lettres nne lente hospitaliere, ou sont accueillis tous les pelerins de la science. Litteratis aperta, c'est le litre qu'en 1824 le g£nereux ba- ronnet donnait a son rnusee. Cest ainsi qu'il entendait conlinuer des traditions cheresaux vieilles et nobles families de 1'Angleterre, consacreos a Middlehill par les souvenirs encore vivants d'une riche et hospitaliere abbaye de Pesbore. Nous n'avons entendu a Middlehill qu'une plainte : c'etait sur la rarete des visiteurs, bien qu'il en vienne des contrees les plus diverses, celui-ci des loin- taines academies du Nord, celui-la d'un autre monde et d'au dcla I'Ocean. Plus d'un Francais nous y avait precedes; a notre arrivee, un docte eleve de l'Ecole des chartes, M. Salmon , en sortait. Pen- dant notre sejour, un correspondant du docteur Otto, d'lena, vint collationner 1'un des rares manuscrits de saint Justin; et, comme nous consultions un passional de saint Guislain, pour les Bollan- distes d'Anvers, M. Steinmetz, qui donne en Allemagne une nou- velle edition de saint Irenee, ecrivait pour obtenir une nouvelle recension du precieux Codex Claromontanus . Nous etions peut-etre plus officiellement recommande que d'autres visiteurs, mais il ne se pent rien ajouter a 1'accueil qu'ici i'on accorde egalement a tous; a cette hospitalite, qui a la muni- ficence des vieux temps et la politesse des mceurs les plus mo- dernes ; a ce commerce erudit du baronnet, qui a pour tous assure- ment, sans distinction de langues, un facile entretien, mais qui reserve peut-etre aux Francais une parole encore plus elegante et plus aimable. M. Phillipps possede pres de 18,000 manuscrits et peut-etre autant de livres imprimes. II cherche si pcu a exagerer ces chiffres, qu'il y a sous plus d'un numero jusqu'a 100 volumes, etdans un volume k a 5, 000 pieces. Gbaque acquisition conserve son signa- lement d'admission. Les fonds divers se succedent par centaines sans se confondre , et le voyageur admis a parcourir ces vastes salles, garnies jusqu'au comble, ces galeries a triple et quadruple rang, passe par les plus illustres bibliotheques d'autrefois, par les librairies abbatiales et les galeries princieres; du college de Clermont a Saint-Victor, a Saint-Germain-des-Pres, puis a Lobbes, a Slavelo, a Saint-Maximin de Treves, a Saint-Martin de Tournav, a SaintVaasl d'Arras; du cabinet d'Iriarte, ou de la cellule de doni Van Ess, aux archives de Muschenbroeck, au musee Meermann. — 559 — II peut meme, franchissant les Alpes, reconnaitre Bobbio, Saint- Marc de Milan, la bibliotbeque Colonna, venue de Rome. II y a des feuillets dates de Buda et legues par Mattbias Corvin, des vo- lumes du mont Atbos et de laThebaide, des papyrus gallo-grecs. des inscriptions cuneiformes de Ninive ou de Babylone, des bie- roglypbes legendaires ramasses dans les steppes americaines. A une epoque malheureusement trop fortunee pour les collec- teurs, ni voyages ni depenses n'ont ete epargnes, et, pour abriter ces tresors soustraits au vandalisme de tous les temps et de toutes les contrees, il a fallu sacrifier les agrements et les decors d'une belle demeure. Plutot que de disputer la place a ses hotes de- laisses, le docte baronnet a raieux aime recevoir ses amis a 1'etroit et affliger quelques exigences d'esthetique. Le bibliophile passionne ne laisse pas que d'avoir un facile abandon de grand seigneur, qui s'eslime plus heureux de donner que de recevoir, de communiquer que d'acquerir; et cette lar- gesse estd'autant plus desinteressee, que rien ne manque au riche possesseur, soit pour apprecier ses tresors, soil pour les mettre en oeuvre a la satisfaction du monde savant. Middlebill a des presses qui ne sont point steriles; YOjpcina Mediomontana a plus d'un trait de voisinage avec le tbeatre academique de Selden; et la tour de Broadway illustre, au frontispice, plus d'un modeste in-folio qui n'aurait qu'a se produire pour trouver un grand jour. Mais un visiteur survient-il? I'ediLeur antiquaire, genealogiste , paleograpbe, suspend tous ses travaux et n'a plus qu'une sollici- tude : trouver ce qui peut plaire au voyageur, prevenir ses plus indiscretes demandes, lui menager d'agreables surprises. Nous croyons remplir un devoir en constatant ces faits honorables, que nous voudrions pouvoir divulgner avec plus de relentissement. Nous n'hesitons pas a descendre jusqu'aux details : il nous est souvent arrive , au soir d'une journee ou nous eprouvions le be- soin de nous confondre en excuses, d'etre convie par le baronnet a une recreation qu'il appelait le dessert des manuscrils. A l'heure ou la table anglaise se couvre de vins, de fruits, de mets plus rares, nous trouvions, etale sous nos regards, un rare buffet des plus precieux manuscrits de Middlebill, et nous pouvions, a dis- cretion, passer de 1'un a I'autre jusqu'au dela des plus longues veillees. C'est ainsi que nous avons eu ce que, a notre tour, nous ■appellerions les soirees de Sirmond, de Mabillon, de Meerrnann; w. 38. — 560 — les vigiles de Saint-Martin, de Sainl-Maxiinin , de Saint-YVaast , les j?u/'/smerovingiennes et lombardes. Quelque etranges que soient, au temps present, ces jouissances platoniques, ces symposies d'un autre age, nous leur devons Imp de choses pour ne pas en rendre compte. Nous reserverons, toute- fois, la derniere et la principale place de ce Memoire aux etudes plus suivies et plus speciales qui ont rempli nos meilleurs mo- ments a Middlehill. II nous sera permis, Monsieur le Ministre, de suivre un ordre chronologique danscelte infinie variete de monuments, bien que nous n'ayons pu les classer que sur des apercus tres-rapides et par des vues d'ensemble : tout autre crilerium eutexigeun temps qui nous manquait. Ainsi, de longues journees eussent a peine sum a 1'etude du monument que nous plarons au premier rang d'age: Des papyrus grecs ecrits des deux faces, deja reduits, mille ans avant nous, a un tel etal de vetuste qu'il a fallu , au plus tard vers levin6 siecle, les coller, en sacrifiant le verso des feuillets, sur des rotules merovingiens couverts egalement des deux cotes d'une ecriture cursive merovingienne, qui rappelle les diplomes de la premiere race. Sous les papyrus exfolies, et en plusieurs points denudes, il est possible, a laide d'une loupe, de lire une nomenclature de noms francs sur ces feuilles de garde. Serait-ce un recensement militaire, un role feodal, une notice des digni- taires du palais? On nepeut s'empecber de desirerqu'un procede sur permette de detacber ces membranes merovingiennes des pa- pyrus grecs : on trouverait au revers d'admirables specimens de paleographie pour les deux epoques. Quant au grec, findistinc- tion des mots, 1'absence d'accents, la rarete des sigles d'abrevia- tion, la magnificence des onciales, remontent au dela des temps barbares. Nous y avons en vain chercbe, quelques moments, les traces d'un auteur chretien. II est aise d'y voir de beaux vers, d'une facture homerique, sauf un ou deux qui accuseraient plutot le metre des tragiques grecs. Aux confins des vic et \\f siecles, nous rangerons, en seconde ligne, le manuscrit 1 7 /1 5, olim Claromontanus 578. II peut marcher — 561 — tie pair avec le manuscrit 93G de Sain t-Gerniain-des-P res que la uouvelle diplomatique traite avec tantde complaisance etappelle la plus ancienne collection des conciles des Gaules. La description de ce manuscrit, conmie de tous ceux du college de Clermont, manque aux paleographies francaises, et cette lacune est presque irreparable. Ici , nous avons reconnu le Codex Lugdanensis, que Sirmond Labbe et Cossart, Hardouin, ont mis a contribution. Les conciles de la province de Lyon y abondent : le plus recent est celui de Macon, de 58 1. Les noms des archeveques de Lyon sont releves et mis en saillie dans les marges, en caracteres merovin- giens tres-voisins du vne siecle , et de seconde main. L'une de ces notes marginales porte : Domino et magnifico fratri Secuiidino. Se- rait-ce le poete lyonnais, ami de Sidoine Apollinaire? On pourrait meltre cette inscription a l'une deses lettres. Sans entrer dans un detail paleographique qui exigerait des facsimile, nous rattache- rons ce Codex Lugdanensis a une famille de manuscrits greco-lyon- nais, qui nous semblent offrir, comme celui-ci , une sorte d'ortho- graphegallo-grecque; on les reconnait aux titres, aux souscriptions, tracees en beaux caracteres grecs , a l'usage du digamma, frequem- ment employe pour designer le nombre vi, etc. Quant au texte meine, ce qui frappe d'abord, c'est que cette collection est systema- tiquement incomplete et arrangee dans un but particulier : ce ne serait pas l'unique preuve qu'il y eut des redactions diverses des actes des conciles, plus ou moins reduites, selon les vues et les besoins des eglises. En collalionnant a la hate quelques endroits du texte plus notables, avec 1'edition de Labbe et de Sirmond, nous avons ete surpris qu'il restat encore a recueiilir plus d'une variante importante concernant les litres, le rang d'age , les attri- butions locales des conciles, l'ordre et la designation des eveques, 1'arrangement et le texte des canons. Le plus important de ces conciles des Gaules, le second d'Orange, a pour chacun de ces canons un argumenlum dont la valeur dogmatique, sinon conci- liaire, nous a paru assez grave pour en relever integralement le texte, qu'aucune edition n'a encore donne. Ce point seul nous aurait convaincu que si un jour on reprenait 1'edition des con- ciles de France, qu'avait commencee la congregation de Saint- Maur, une nouvelle recension integrale de ce manuscrit serait in- dispensable. La perte de ce manuscrit pour la France est d'autant plus regrettable, que la Bibliotheque nationale possede la collec- — 5C-2 — lion de Saint-Germain-des-Prcs, si semblable a celle-ci, qu'on a ete tente.bien qu'atort, de les regarder Tune et I'autre comine .ayant appartenu primitivement au ramie Codex Lugdunensis. Nous nous batons de designer plus brievement quelques ma- nuscrit du vmc siecle recemment acquis par M. Phillipps, qui ne les avait point encore classes : i° Un saint Fulgence coniplet, en caracteres Lombards; 2° Une collection des canons de Cresconius, qui a fourni la meilleure edition, celle du P. Chifilet, enrichie dune Concorde de canons, ex Codice Claromontano, c'est-a-dire tiree de ce meme manuscrit de Middlehill ; 3° Un Eugippius , peut-etre le plus ancien manuscrit de ce compilateur de saint Augustin, avec un fragment de saint Phi- lastre; 4° Un homiliaire de l'abbaye d'Otlenbury, qui porte en marge, en onciales Carolines plus recentes, le nom de Henri, moine de cette abbaye. Parmi les quatre-vingt-quatorze homeiies, plusieurs portent les norns de deux eveques des Gaules, Faustinus et Sedatus : nous regrettons de n'avoir pu les collationner avec les imprimes (84 oo); 5° Un beau manuscrit visigothique de saint Augustin ; 6° et 7° Deux manuscrits de Bede, dont l'un a un ealendrier qui porte la date de 7^9, treize ans apres la mort du venerable auteur; 8° Un Miscellanea, en leltres lombardes entremelees de mero- . vingiennes, lequel contient, a la suite de divers opuscules de saint Augustin, de saiut Jerome, de saint Ambroise, un tres-an- cien poeme cbretien d'une latinite africaine, d'une prosodie semi- barbare, execute sur leplan des plus anciennes apologies; il date, par toute sa composition, d'une epoque voisine des persecutions. II offre des analogies si nombreuses, des citations tellement iden- tiques avec 1'unique poeme connu de Commodien , que nous n'a- vons pu nous dispenser d'attribuer ce poeme au meme auteur. Autant que le permettait une ecriture presque illisible par la con- fusion des caracteres , des mots etdes lignes encbevetrees,et par la vetuste de quelques feuillets ronges par mille ans d'usure, nous avons copie integralement cette piece, que nous destinons au Spi cilegium Solcsmense. La Renaissance Caroline, qui changea si brillamment la lace — 503 — des monuments calligrapbiques , est abondamment representee au musee Phillipps ; elle y peut revendiquer : Quatre evangeliaires, decores en partie de leurs gemmes et ivoires : Tun des plus remarquables porte le nom , et conserve une elegante dedicace, d'une abbesse Bertbilde (codd. 3oi5, 3087, 2i65, A735); Un sacramenlaire de Noyon , d'une forme oblongue et porta- tive, assez rare pour ce temps, semble rappeler les voyages con- siderables que les anciens eveques de Noyon et de Therouane devaient accomplir pour visiter leur vaste diocese (cod. 384o); Une collection canonique, tres-voisine de lepoque assignee au faux Isidore, differe toutefois et dc la collection dite des fausses Decretales et des canons de l'eglise dEspagne, deeouverte par le P. Buriel, et publiee a Madrid au commencement de ce siecle (cod. 17A9); Un exemplaire des Capitulaires , contemporain d'Ansegise; Un Optatien, en capitales onciales et rustiques, distributes en mosaiques figuratives ( 1 8 1 5 ) ; Un Penitenliel hibernois, attribue au venerable Bede (1760) ; L'un des rares manuscrits de Yictorin, De Trinilate adversus arianos (i684); Un Sulpice-Severe , legue a Saint-Vincent de Metz par l'eveque Tbeodoric, dans une remarquable dedicace, qui nous a paru de sa composition ; Deux manuscrits de 1'bistorien Josephe ( 6547,6548) ; L'un des plus anciens exemplaires connus de la Regie des Soli- taires (8282) ; Le concile d'Aix-la-Cbapelle de 806, ecrit par un contempo- rain (cod. 6546) ; Celui de Douzy, avec fragments d'Hincmar et notes de la main de Sirmond ; Une version latine du troisieme concile cecumenique de Cons- tantinople, avec divers appendices, ou se remarque une hymne sur sainte Marie-Madeleine, non menlionnee dans les Monuments inedits sur les traditions provencales, publies par le savant abbe Faillon , de Saint-Sulpice. Nous placerions volontiers sur la fin du ixe siecle un petit ma- nuscrit (1817) dont 1'ecriture incline au xe et accuse une main saxonne, qui a repandu caet la, sur les marges, d'autres traces in — 564 — dubitables de l'origine du manuscrit. Apres un preambule ou il nous fut aise de reconnaitre le beau passage de Cicero n : 0 vita: philosophia dux, un titre nous arreta longtenips : Incipit exj>ositio Marciani a Johanne Scoto. Nous interrogans vainenient tous nos souvenirs, toutes les notes fournies par nos guides babituels, Fabri cius, Cave, Oudin , dom Ceillier, 1'Histoire litterairc de la France, rien ne nous meltait sur la trace de ce conmienlaire du celebre Erigene. Nous ne voulions d'abord prendre que quelques frag- ments comme points de repere : nous fumes entraine jusqu'au bout par le cbarme de cette exposition , ou le celebre philosopbe se revele a ne pas s'y me-prendre : ses hellenismes affectes, son platonismefamilier, d'ingenieuses explications des anciens mythes, qui ne le cedent pas a la symbolique de Creuzer; des echappees tres-precoces sur nos sciences reputees les plus modernes, sur les plus recentes theories de la lumiere, de i'ether, de ratmosphere; quelques traces ou germes de ses erreurs; ces curieux details, brodes surle texte le plus elementaire dansfecole pendant mille ans, ce serait la matiere d'un memoire special que nous voudrions pouvoir developper a loisir. Nous devons ajouter qu'une ligne de Fabricius, dans saBibliolhequelatine, nous a confirme dans Topi- nion que nous possedions la une ceuvre de Scot Erigene, et leplus ancien commentaire de Marcianus Capella. Mais le manuscrit de Middlehill finit au milieu du premier livre; nous ne perdimes pas 1'espoir d'en trouver ailleurs la continuation. G'est une entreprise delicate que de classer avec precision les manuscrits des xe et xie siecles; faisant done toutes reserves pour des juges plus competents, nous assignerons goo ans d'antiquite : A un Eutrope provenant de la bibliotbeque Askew, remarqua- blepar deux catalogues, l'un des empereurs, clos a Leon, l'autre, malheureusement inutile, portant ce titre : Regum Winolensium seu Longobardorum (cod. 3076); A un second exemplaire, des capitulaires d'Ansegise (cod. A une bistoire ecclesiastique de Bede; A un saint Augustin de Dialcctica et Categoriis, suivi d'Albinns de vu arlibus. — Un moment nous crunies avoir trouve ce que Froben et d'autres ont vainement cbercbe, les traites d'Alcuin sur — 565 — les vii arts liberaux. Mais ce manuscrit, comme les imprimes, s'arrete au milieu du traite sur la rhetorique (cod. 1780). Nous fumes dedommage de cette deconvenue par un manus- crit (i833) des premieres annees du xiesiecle; sous ce titre : Viclorii canon paschalis, il se trouva contenir une longue serie des ceuvres inedites du savant abbe de Saint-Benoit-sur-Loire , Abbon de Fleury. Ce manuscrit renferme dix opuscules distincts, classes par rang chronologique, a en juger par les dates qui s'y rencontrent : g5o , 969, 982, 983, ioo3. Un ouvrage fondamental est, au septieme rang, le commentaire sur le cycle pascal de Victorius,diversement appele et a tort divise sous plusieurs titres qu'il faut desormais reunir; ce commentaire, d'un livre de comput, comme celui d'Erigene sur Marcianus Capella, contient une tres-baute pbilo- sopbie, qui semble remonter aussi loin et plus baut que Pytha- gore, jusque dans le plus profond symbolisme des astres et des nombres. Parmi les opuscules groupes autour de ce traite fonda- mental, nous avons recueilli principalement un calcul des annees du monde jusqu'a 1'an g5o, le plus ancien travail date d'Abbon , une methode pour relrouver la position zodiacale de la lune, ex- posee en vers libres, avec alternances rimees, non sans elegance; puis deux epitres , dont une porte la derniere date connue de la vie d'Abbon, 1'an ioo3. Mabillon avait copie de sa main ces deux ^pities, et meme il se persuada tellement les avoir publiees, qu'a deux repi'ises il 1'affirme, et pourtant il faut, comme dom Rivet, renoncer a les retrouver dans ses ecrits. C'etait un manuscrit de Tabbaye de Lobbes que Mabillon avait rencontre; D. Martenne et D. Durand le virent a leur tour et en detacberent quelques frag- ments. Or, ces fragments se retrouvent textuellement dans le ma- nuscrit de Middlebill , lequel provient egalement de 1'abbaye de Lobbes. Notre curiosile, eveillee par ces premiers indices, examina d'autantplus attentivement ce precieux livre. La distribution cbro- nologique des pieces, les cbangements graduelsdeTecriture, cette singularity que les dernieres pieces en date soient rejetees sur quelques feuillets vides ou volants, avec cette note qui semble designer un appendice autograpbe : Hie, unum laterculum inclidi. — C'etait assez pour nous incliner a croire que nous avions la, non-seulement le manuscrit de Lobbes copie par nos illustres devanciers, mais, a defaut de foriginal , une copie autbentique qui a bien pu passer sur le pupilre d'Abbon. II nous £tait au moins — 560 — permis, de\ant ce muet temoin, de nous rappeler les cinq mille etudiants qui accouraient a Fleury-sur-Loire autour de la cbaire d'Abbon, et ce vaste foyer de lumieres que l'ecole orleanaise repandait au loin, a Reims, a Ravenne, a Rome, par Gerbert; a Lobbes, a Liege, a Mayence, par Ratier, Francon, Herman Contract, emules, sinon disciples, d'Abbon; en Angleterre, par Abbon lui-meme, que Briedferth et Adelard de Batb, ce premier traducteur d'Euclide, proclamaient leur maitre. Cette science remonte droit aux sources classiques et ne releve en rien des Arabes. Mais nous devons renoncer raenie a effleurer ici cette curieuse genese de la science du xe siecle, lequel n'a d'autre cel6- brite que d'etre repute l'age de fer des siecles barbares. Trois autres manuscrits, parmi ceux que nous avonsvus, eus- sent egalement merite une elude detaillee : i° Un passional de Saint -Guislain que les Bollandistes de Bruxelles, avaient signale a notre attention. II s'y ti'ouve adcalccm un catalogue des eveques de Tongres, mentioned par Mabillon, publie par Hontbeim , longuement decrit par dom Baudry , biblio- tbecaire de l'abbaye. II restait a constater que le manuscrit etait de deux differentes mains; que la plus recenle, voisine du xne sie- cle, avait £crit le catalogue, sauf les derniers noms, d'une ecriture plus moderne encore; qu'ainsi Hontbeim n'avait pas meme In exactement tous les noms, et que tout son systeme perd 1'argu- ment lire de ce catalogue; qu'enfin il importe toujours de re- voir les pieces le plus frequemment citees dans un long proces, tel que celui des diptyques de Tongres, que les nouveaux Bollan- distes promettent de restituer. 2° Un bomiliaire d'un eveque de Verone , Egilo , dont les sermons lorment comme un procemium. Le reste est distribue sur un plan special et ricbement orne de grandes miniatures des quatre doc- teurs remplissant des pages entieres. Ce sont de precieux monu- ments de i'art byzantin, qui florissait alors dans la baute Italic Ni ce manuscrit, ni cette ceuvre, ni cetauteur, ne sont mentionnes nulle part, que nous sachions, soit par Ugbelli, dans la derniere edition de Y Italia sacra, soit par Fabricius, dans la recension *du docte Mansi (cod. 1676). 3° Middlehill possede un evangeliaire venu de l'abbaye de Po- lirone, laquelle l'avait rei;u de la celebre comtesse Mathilde. La reconnaissance de l'abbaye fut consignee dans un memorial pom- — 567 — peux, que 1'abbe signa et fit souscrire par tous ses moines, profes de choeurs, freres et convers; plusieurs ne figurent que par une croix, et I'ensemble offre l'une des plus curieuses pages de paleo- grapliie (cod. 35oo). A partir du xne siecle, les manuscrits du baronnet Phillipps, dans la seule portion tres-minime que nous avons vue, sont telle- ment nombreux et considerables, qu'il nous est impossible de poursuivre autrement que par une aride nomenclature : i° Du xne siecle, un Sigebert de Gembloux, collationne par M. Pertz (cod. 4632); Un martyrologe d'Adon, de m5 (cod. 8076); Un cartulaire anglo-saxon de Sherborn (cod. 3626); Un menologue grec comprenant le mois d'octobre, oil s'arre- tent les plus recents travaux des Bollandistes (cod. 1621); D'Anastase le Sinaite, un questionnaire inedit qui cite abon- damment les plus anciens et les plus rares docteurs de l'eglise grecque et meme latine (cod. i4-74). Un palimpsesle qui reunit le ixeet le xne siecle dans un Isidore liber differentiarum , et un passional des apotres qui nous parait avoir servi de point de depart aux collections legendaires (cod. 464o); Un glossaire symbolique, sans nom d'auteur: nous y avons re- connu l'ceuvre de Gamier de Clairvaux, eveque de Langres, qui, avec Alain de Lille et d'aulres compilateurs, forme une chaine de lexicographes remontant aux premiers ages chretiens. C'est une serie de monuments dont nous poursuivons depuis longtemps 1'etude. Nous esperions trouver a Middlehill, le plus ancien de tous, un manuscrit de Meliton, provenant du college de Clermont, et achete par Meermann. M. Phillipps a regrette de n'avoir pas sauve ce manuscrit avec tous ceux qui lui viennent de Meermann. Du xnc au xiii6 siecle, se place un bel exemplaire de la topo- graphie de Giraldus Cambrensis, qui a les deux prefaces de 1'au- teur, Tune, en tete, a Richard 1", mort avant la fin de Touvrage; 1'autre, ad calcem, a Jean-sans-Terre. M. Phillipps le regarde comme rautographe de Giraldus; les miniatures lui semblent his- toriques : il y a lieu de s'etonner que le texte n'en ait encore 6te collationne pour aucune edition (cod. 6gi4). 2° Parmi plusieurs manuscrits grecs qui pourraient bien re- monter au dela du xiif siecle, nous avons remarque les Geopo- — 508 — niqu.es ile Constantin Porphyrogcnete, de Heron, et d'autres, au milieu desquels etaient intercalees neuf belles hymnes de Pho- tius, lesquelles, avec trois autres publiees par le cardinal Mai, coin- pletent loutes les ceuvres poetiques du patriarcbe (cod. i565); Diverses portions de saint Jean-Chrysostome, qui ont servi a l'edition de Fronton -le- Due (codd. i/|35, i/i36, 1M2, 1433); Un saint Gregoire de Nazianze qui n'a pas encore ete colla- tionne (cod. 1^29); Un recueil de glossaires qui renfenne les lexiques de Cyrille, d'Orion de Thebes et de plusieurs anonymes; Un Sopbocle du xive siecle (cod. i588); Un Homere de S'-Marc de Milan, du xvc siecle (cod. GG5o); Un eucologe du mont Atbos (cod. 3662); Un Tite - Live magnifiquement orne de miniatures (cod. 2924). Un chef-d'oeuvre, en ce genre, est le livre de chasse dc Gaston de Foix, provenant de la bibliotheque du due de Marl- borough, execute pour un prince de la maison royale de Castillo et d'Aragon. Je ne sais si un naturaliste meme se plaindrait de 1'exactitude des moindres details dans ces belles scenes de ve- nerie. La beaute et la variete des costumes sont inconq)arables (cod. 10298). Nous rapprochons de ce monument une autre rarele du musee Phillipps; une collection des bustes des douze empereurs, peints sur velin, al'aquarelle, avec une si etonnante perfection, que M. Phillipps, appuye sur divers indices, estime que ce doit etre le chef-d'oeuvre si vante et tant regrelte de Julius Claudio (cod. 902). Vers 1'an l/iio, un moine de S'-Echuond de Bury, Boston, parcourait les bibliotheques des monasteres et des colleges de l'Angleterre, comptait et decrivait les manuscrits, dressait un catalogue universel et alphabetique des auteurs ecclesiastiques, avec la liste de leurs ouvrages. Ce travail extraordinaire existait au xvne siecle; Usserius eut l'original, Thomas Gale devait le publier. Nous avons eu la joie de le trouver a Middlehill avec les notes d'Usserius et de Thomas Gale, et nous pouvons annoncer sa prochaine publication par M. Phillipps et par les presses uV Middlehill. — 5G9 — Nous devons mentionner encore : Deux manuscrits autographes d'Erasme (cod. jkhli); Quatre-vingt-huit epitres du cardinal Polus, provenant de la bibliotheque Colonna (cod. 7659); Des missels et divers monuments liturgiques en caracteres slaves glagolitiques et illyriens; L'uniqiie manuscrit, dit-on, da Passe-temps de Jehan Thermite; le tres-rare Bibliotheca latens etpromissa, augmente du double par les notes manuscrites de 1'auteur Theod. Tanson van Alme- loveen ; Un Oribase du xvie siecle, copie par 1'un des plus infatigables collecteurs et copistes de cc temps, et dont nous avons souvent retrouve le nom dans les manuscrits de Meermann, Claude Naulot d'Avallon. A la suite d'Oribase, se trouvait un texte du medecin grec Severus, tellement different de 1'unique edition recemment donnee par Dietz, que nous n'avons pashesite d'enenricbir la col- lection des Analecta medica que M. le docteur Daremberg prepare avec une si louable ardeur (cod. i532). Nous aurions pu signaler encore divers manuscrits recents, des collections d'autographes de toutes les celebrites contempo- raines, des manuscrits de la main des auteurs les plus celebres, des correspondances diplomatiques, et surtout revenir sans fin a cette memorable bibliotheque de Clermont, formee pendant cent cinquante ans par un puissant corps religieux, dirigee successi- vement par des bibliotbecaires qui s'appelerent Fronton-le-Duc, Sirmond, Labbe, Hardouin, conlisquee, vendue et dispersee a trois 011 quatre reprises. Ce fut une calamite de la science euro- peenne, d'autantplus irreparable, qu'iln'en existe plusqu'un triste et imparfait catalogue, et que pas un seul de ces rares tresors n'a ete decrit dans les diverses diplomatiques francaises. Qu'on juge de l'etendue de cette perte par les rebuts memes du dernier en- can. Enlre quelques liasses abandonnees avilprix, comme non- vaTeurs, encaissees pele-mele et arrivees a. Middlehill dans le plus complet desordre, M. Phillipps a trouve les papiers du savant pere Chifflet, c'est-a-dire : i° 1' 'apparatus et les materiaux d'une edition complete de Florus de Lyon; 20 les instrumenta de 1'histoire de Tournus; 3° les analecta de ses lectures et ies fragments de sa cor- respondance; d° en fin, les pieces justificatives de deux grands ouvrages qui absorberent les dernieres et les medleures annees du — 570 — savant jesuite, 1'Histoire de Saint-Benigne do Dijon el celle de Saint-Claude en Jura. C'est une veritable decouverte pour les tra- vaux du Gallia christiana, en ce qui concerne la metropole de Be- sancon. Bien que nous ayons eu trop tard a notre disposition ces precieux documents, les notes que nous en avons detachees en grande bate nous semblent meriter d'ouvrir la seconde partie de ce rapport. II. Nous abordons, Monsieur le Minislre, ce qui nous a le plus occupe a Middlehill , ce qui nous y a ramene deux fois , grace a la genereuse hospitable du docte baronnet. Et bien que nous ayons, ce semble, un plus vaste champ, des souvenirs plus chers , des notes plus abondantes , il est plus difficile d'en rendre compte que de rememorer ces courses aventureuses de nos heures perdues, ces recreations d'un long labeur dont nous venons dt> parler. Le compilateur du Gallia christiana, qu'il suive des scntiers connus ou perdus, a toujours des difficultes : il faut tout voir a droite et a gauche, retrouver les jalons de ses devanciers ou en planter de nouveaux, a travers dinextricablcs detours ; les lieux , les dates, les series de noms et d'offices, les genealogies, les chro- niques, les obits, les cartulaires, voila son domaine, qui nelaisso pas place a une digression d'agrement, a une halte de lassitude. C'est une bonne fortune pour lui, quand, apres avoir longtemps remue les vieux papiers et parchemins de tout age, il ajoutea ses listes un nom de plus, fixe une dale flottante, circonscrit les ter- rains vagues de la chronologie et de la geographic Mais comment , surtout aux jours ou nous sommes, communiquer de pareilles jouissances ? Nous avons assurement besoin , Monsieur le Ministre, de nous rappeler tout votre bienveillant empressement a secon- der la mission qui nous est confiee, et toute votre indulgence a notre egard , pour continuer cette revue dans ses plus arides details. Ce sont souvent les documents les moins attrayants au pre- mier abord qui fournissent les resultats les plus satisfaisants, Un Computus Gehennensis , simple role de doit et avoir, pour les deux seules annees i/i38 et i/i3g, dans une eglise qui a perdu — 571 — toutes ses archives, la cathedrale de Geneve, nous a offert (cod. ■}2lx): La statistique ecclesiastique des sept paroisses de cette ville an xve siecle; L'enumeration des fondations pieuses de la cathedrale ; L'etendue de sajuridiction et de son domaine temporel ; Deux cardinaux , celui de Rouen, et un autre, Guy d'AIby, ancien prevot de Geneve; Trois eveques de Geneve, Guillaume de Lornay, Jehan Ber- trandi et Bernard ; Deux eveques de Belley , Jehan de Courte-Cuisse , Raoul de Bonnet; Aniedee de Montmajour, eveque de Maurienne; Des abbes et prieurs de Filiac , Doyvenot et Saint-Joseph de Geneve; Des doyens, des grands chantres, etc. Pour toute la province de Besancon : les papiers du P. Chif- flet sont a consulter de preference. Dans une premiere liasse , cinquanle-deux pieces forment comme un cartulaire choisi de S'-Benigne de Dijon , ou figurent : Les papes Gregoire VII, Urbain II, Pascal II, Calixte II, Ho- norius II, Alexandre III, Lucius III, Urbain III, Celeslin II, In- nocent III, Honorius III, Alexandre IV et 1'antipape Clement II; Les archeveques de Lyon et de Reims et les eveques de Langres , Tulle, Chalons, Lisieux; Cinq archeveques de Besancon: Hugues, Guillaume, Hum- bert, Anserric et Guillaume II; Odon et Gontard, de Valence; Guy de Lausanne; Humbert de Geneve ; Plusieurs abbes, Pierre de Pont, chancelier de Lausanne, etc. L'abbaye de Saint-Claude, qui eut une si longue et si splendide existence, fournit au P. Chiffiet des titres plus anciens et plus riches ; ses quatre-vingt-huit chartes meriteraient presque toutes d'entrer dans les instrumenta de la metropole de Besancon. II s'y trouve , entre autres personnages : Les papes Leon IX, Calixte II, Pascal II, Innocent II, Eu- gene III, Urbain III, Innocent IV, Alexandre IV, Benoit XIII, Martin V; — 572 — Les empereurs Charlemagne, Frederic II , Charles IV; Les rois Pepin , Raoul , Hugues ; Divers areheveques et &veques de Lyon , de Langres, deTroyes; Ponce, Guy, Anseric, Amedee de Besanc_on; Guy et Agilmar de Vienne; Plusieurs abbes de Lacu, de Montevilla , d'Abundantia; Amalric, doyen de Geneve; Hugues de Peltier, legal; Les constitutions des abbes defordrede Saint-Benoit, decreases dans les chapitres generaux tenus en 1278, 1281 et 1292 ; Et, enfin, une serie continue de vingt-six abbes de Saint-Claude, representees par des titres authentiques qui fixent leur rang, leur date, leurs noms et leurs actes. Pour apprecier la valeur de ces renseignements, il suiht de rappeler que 1'ancien Gallia Chris- tiana ne nous a fait connaitre qu'un tres-petit nonibre d' abbes de Saint- Claude, dont plusieurs meme sont commendataires et des plus modernes. Le P. Chifflet etait explorateur de race , et savant par droit de naissance. II n'y a done rien a negliger dans ses moindres papiers : aussi avons-uous, avec quelque soin, feuillete des liasses de me- langes sur les deux Bourgognes , et specialement sur Macon , Tour- nus, Cluny, Poligny, Salins; des fragments de pontificaux bisontins; un releve des inscriptions tumulaires de Citeaux; un n^crologe de Vienne; un martyrologe tres-ancien; un catalogue des eveques de Besancon. C'est au meme fonds que nous devons rapporter un cartulaire trop mutile de Sainte-Madeleine de Besancon, qui n'a plus que trente et une chartes sur cent soixante-six qu'annonce l'index (cod. 64o5); nous y avons remarque : Quatre bulles des papes Eugene III, Luce III, Urbain IV, Inno- cent IV; Et d'autres titres de sept areheveques de Besancon, Hubert, Amedee, Nicolas (de Flavigny), Gaufroy, Guillaume II, Odon, Vital; D'un eveque de Geneve, Ardulfus, et de Guillaume de Bellay. Notre premiere et principale attention, dans ces sortes de re- cherches, se porte sur la province eccl&siastique de Tours, la pre- miere que doivent aborder les continuateurs du Gallia christiana. — Oblige, par Tabondance des materiaux, de faire un triage, et — 573 — comptant , pour quelques manuscrits, sur les recherches que MM. Salmon et Marchegay doivent bientot communiquer au pu- blic, nous avons concentre uos etudes sur trois sources principales : Les titres de Vendome; Le cartulairede Fontevrault; Les documents concernant Saumur, et specialement le carlu- laii-e noir de Saint-Florent. 1° TITRES DE VENDOME. Nous ne pouvions ne pas interroger attentivement, quoique ne se rapportant pas immediatement a notre but, les titres de la Tri- nite de Vendome, objet d'une si docte et si longue contestation entre Mabillon , Launoy, dom Bouquet, Besly, Manage, et com- pulses, pendant cent cinquante ans, depuis les recherches de Pasquier. Nous avons successivement depouille : Un inventaire de cent cinquante-neuf bulles confirmant rim- mediation de 1'abbaye, et donnees par quarante-six souverains pontifes (codd. ^263, 2970); Des notes de D. Hugues Lantenoi sur la maison de Vendome, envoyees a dom Mabillon; Des tables genealogiques de toutes les bi*anches des princes Ingelgeriens et des Plantagenets d'Anjou et d'Angleterre; Quelques analecta de Geoffroy de Vendome et d'Yves de Chartres; Un memoire sur la dignite cardinalatice conferee a perpeluite aux abbes de Vendome , en la personne d'Oderic , par Alexandre II , en io63 ; D'autres notes sur Agnes, mere de 1'empereur Henri IV, morte dans un cloitre, selon les titres de la meme abbaye; — sur la ce- lebre relique dont Mabillon defendit I'authenticite; sur le privi- lege qui s'y rattache, oclroye par Louis de Bourbon , au retour de sa captivite. Nous avons trouve une copie authentique de ce pri- vilege, que Mabillon ne put obtenir, bien qu'on en fit chaque an- nee lecture devant les maire et echevins de Vendome , a chaque delivrance solennelle d'un captif. Cette piece nous a paru d'un si touchant interet, que nous l'avons integralement copiee. Nous nous sommes estime heureux surtout , en retrouvant les debris du precieux cartulaire de Vendome, que n'ont cesse de compulser, sans en epuiser les tresors, Sirmond, Labbe, Hardouin, MISS. SCIENT. 39 — 574 — du(.ange,Lauriere, D. Martenne, Mabillon ettous ceux quiprirent pari aux controverses sur les titres de Vendome. II semble qu'a force de passer de main en main, il n'ait pu arriver jusqu'a nous qu'en lambeaux; un index annonce cinq cent sept titres, et des corrections montrent qu'il etait tres-incomplet : nous avons eu peine a compter une centaine de pieces encore subsistanles. Parnri celles que nous avons copiees ou qui nous ont frappe, nous si- gnalerons : Les titres de fondation , selon les deux versions qui ont cause tant de controverse; Une lettre du chapitre d'Angers a Geoffroy de Vendome, pour l'inviter a prendre part a l'election de leveque; dom Marlene a publie cette piece aussi curieuse par la forme que par son objet; La fondation du refuge d'Angers, en io4o ; Une cbarte d'Arnulfe, arcbeveque de Tours; Un concordat entre le comte Geoffroy et Geoffroy, eveque du Mans ; Une charte souscrite par Berenger, arcbidiacre d'Angers; Une autre ou il figure de pair avec Ulger d'Angers et en titre ho- norifique, pour 1'affrancbissement d'un colliberl; La piece que Mabillon a publiee sur 1'enorme prix d'un bomi- liaire d'Haymon: elle est plus longue du double au cartulaire, et peut-etre n'a-t-elle pas ete entierement comprise ; Un acte d'affrancbissement d'un collibert, donne par l'abbe Oderic en io56, au moment de son depart pour Rome; Un titre mentionnant ce meme voyage, etla presence de l'abbe dans un concile de Rome; Une donation de deux moulins , qui amene le recit curieux d'un meurtre dont les chroniques locales ont garde le souvenir; Une autre donation d'une terre dans la Sologne, faite sous la forme d'une £pitre tres-vive et tres-pittoresque, dictee probable- ment par Geoffroy de Vendome, au nom d'une fenime Heresinde, et adressee au comte Geoffroy; Les coutumes octroyees par Burcard de Vendome, et concer- nant surtout les corvees des veilles pour tous les mois de l'annee ; Une donation de Gervais, eveque du Mans. La plupart de ces pieces, outre leur interet historique , appelaient notre attention par les dignitaires ecclesiastiques qui y figurent et completent les diverses listes de toute la province. 575 2* (JARTULAIHE DE FONTEVRAULT. (Cod. 67.) Avant que le concordat l'eut place dans la circonscription du diocese d'Angers, Fontevrault, par sa royale existence, se mela, des son origine , aux plus graves affaires de toute la province. C'etait.on le sait, le Saint-Denys des Plantagenets, et quand cette dynastie, usee parses exces, eut disparu , la protection de nos rois environna Fontevrault d'un tel honneur, que les princesses du sang royal se succedent presque sans interruption dansle catalogue des abbesses. Le cartulaire que possede Middlehill nous a paru etre la precieuse pancarte de Fontevrault. 11 depasse a peine le long regime abbatial de la venerable Petronelle et le temps heroique de Robert d'Arbrissel. Rien ne caracterise mieux la physionomie de Fontevrault que le role imposant, meme en face du fondateur, des premieres abbesses. Petronelle apparaiten toutes choses et par- tout, avec l'attitude dune mere qui regne et gouverne. Elle a du dieter plusieurs des chartes , qui sont remarquables par une sorte de causerie tres-detaillee, et qui tranche sur le preambule des di- plomes. Ce preambule, ou les savants clercs se donnaient carriere , est presque loujours tres-bref dans les chartes de Fontevrault : une sentence , un mot de l'Ecriture Sainte , en font les frais. Mais le corps de 1'acte est longuement deduit. On croit entendre les diverses parties prenant Petronelle pour arbitre et pour juge. Le recit recommence en sous-oeuvre, memeapresl'enumeration des te- moins ; souvent les plus notables sont qualifies avec une certaine emphase. On n'omet pas de mentionner la presentation du mar- tyrologe et 1'insertion des bienfaiteurs dans 1'obit du monastere. Le clerc Robert de Gre, qui figure le plus souvent comme notaire, croit devoir indiquer les chartes qu'il n'a pas dictees et celles qui lui appartiennent plus specialement. Si le convent a donne son acquiescement, on ajoute qu'il a ete repondu , au chapitre, amen. Meme horsdu monastere, l'abbesse Petronelle dispose en grande autorite et juge les causes en litige comme sur son siege abbatial; elle raconte elle-meme comment , prenant un jour de vacation dans la campagne, elle eut occasion de faire une descente delieux pour terminer une contestation avec Achard d'Escharbot. Robert d'Arbrissel , quoique cite frequemment , ne parait nulle part comme principal acteur; et pourtant on voit que tout a Fontevrault s'incline devant son autorite de fondateur. C'est a m. 39. — 570 — cause de lui , en sa presence, en ses mains que se»font les tradi- tions, les echanges.les concessions. C'est un pelerin partant en palefroy pour Compostelle, un croise s'en allant en Tcrre-Sainte, qui tiennent a honneur de lui confier un gage de veneration. Les eveques, et d'entre les plus eminents Hildebert de Tours, Ulger d'Angers, Pierre de Poitiers, semblent lui faire cortege. Le comte Foulques d'Angers , en presence dela reineBertrade, retiree a Fontevrault, rend un solennel hommage au tres-religieux Robert, « dont la doctrine admirable remplit d'eclat toute TEglise par le verbe de sa sainte predication , le tonnerre de ses salutaires exhor- tations et la splendeur de son eloquence. » Merae apres sa mort, il est encore Tame de Fontevrault : c'est sur sa tombe, corame sur 1'autel, que se font les traditions les plus solennelles. S'il lui fallail un temoignage nouveau pour proteger sa memoire, nous ferions remarquer qu'il ne parait a Fontevrault qu'entoure de cbapelains, de freres et de disciples qui le venerent. L'un de ses plus devoues amis est Geoffroy de Vendome, qui vient, en sa presence et clans les termes les plus honorables, offrir a Fontevrault une commu- nion de prieres avec la Trinite de Vendome. Le cartulaire est sur beau velin , a grandes marges , de trois mains differentes, toutes de cette belle et large ecrilure qui ca- racterise le commencement du xnc siecle. Les copistes ont unite" avec une sorte de luxe les capitales et les tetes de cbartes des originaux, surtout pour les pieces importantes. Le manuscrit est mutile au commencement et a la fin. II devait contenir au moins 280 feuillets, dont il ne reste que i36. Les pieces etaient rangees sous des titres generaux, qui designaient probablement les possessions de 1'abbaye et divisaient les titres dans Yarmarium. 3° TITRES DE SACMUR. Les plus lointaines origines de cette ville se confondent avec la vie presque inconnue d'un obscur disciple de saint Martin, l'ana- chorete Florentius. Vers le vn° siecle, le jour commence a poindre sur sa tombe, qui devient glorieuse. Charlemagne ouvre une longue serie d'hommages et d'offrandes, ou empereurs et rois, Francs, Normands et Bretons, ADglais et Frangais, se confondent et riva- lisent. L'ermitage devient une abbaye, Tabbaye une cite ; placee au centre de la metropole de Tours, cette cite, petite en soi, se mele a tons lesevenements dela province et des pays circonvoisins. — 577 — Ces relations, aussi etendues que variees, avaieut cre6 l'un des plus riches depots d'archives locales, le chartrier de Saint-Florent. II y avait la un cartulaire blanc, un cartulaire rouge, un codex arcjen- leus, un livre des privileges et, entre tous ces tresors, le cartulaire noir , dont il ne reste plus a Angers que la couverture vide, et les notes supplementaires, dues a M. Marchegay. Cet habile et patient archiviste a tente, imitateur des travaux de Guvier, de remonter a neuf ce cartulaire fossile dontil n'avait pas merae entre les mains les lambeaux. L'une de nos plus vives preoccupations, en arrivant a Middlehill , etait de voir un cartulaire de Saint-Florent de Saumur du xi° siecle. Nous ne 1'eumes pas plutot entre nos mains qu'il nous fut aise, en rapprochant les pieces deja publiees en diverses parts, les copies de la volumineuse collection de dom Housseau, les signa- lements ingenieux de M. Marchegay, de reconnaitre le celebre car- tulaire noir. Des lors nous nous empressames de collationner ce qui etait edite ou copie ailleurs et d'oblenir de la munificence de M. Phillipps la faveur de copier le reste inlegralement pour l'ins6rer dans le Spicilegium Solesmense que nous preparons. Ce long travail a ete l'une de nos grandes jouissances. Un car- tulaire nous a toujours semble la plus vivante manifestation des anciens ages : chaque feuillet amene en regard un pape, un eveque, un empereur ou roi , un comte ou baron qui parle , cntoure de tout son cortege, par 1'organe d'un docte cI.tc, official ou chancelier. C'est plus que la vue retrospective d'un plaid, d'un concile ou d'un tournoi; car c'est toutes ces choses a la fois, ou se succedant avec la plus fidele et la plus dramatique variete. Or, tout ce qui passa trois siecles durant sur la terre angevine, aux bords de la Loire et de la Sarthe , aulour du tombeau de saint Florent , sur les cendres du monastere souvent incendie, saccage et toujours rebati , tout cela est consigne au cartulaire noir ; c'est un grand corps historique selon le titre meme : In hoc cor- pore continentur antiquorum prcccepta, etc. II s'ouvre par les preceplions imperiales du fils de Charlemagne, de Pepin et de Charles le Chauve, au milieu desquelles est insure un chant populaire sur la destruction du monastere par Nomence, en 85 1; a l'une des fetes du patron de Tabbaye, on chantait so- lennellement a 1'eglise ce poeme, venu jusqu'a nous, avec les notes saxonnes qui permettent d'entendre encore cette antique melodie. — 578 — C'est J'un des premiers chants populaires qui conservent, apres mille ans, une notation rnusicale. La piece elle-meme, bien que reproduite par Mabillon et les Bollandistes, ne l'a ete nulle part sans lacune. Les ravages des Normands dispersent de nouveau les moines et leurs archives : deux seuls titres de donation, de 834 et 868, semblent avoir echappe avec les privileges des empereurs; un me- tropolitain , Hardouin de Tours, est le second fondateur, au mi- lieu du x° siecle. Six diplomes garantissent au monastere une nou- velle existence; l'autorite pontificals y ajoute sa confirmation supreme par le pape Jean XVIII; une foule de titres, sans date precise, groupes autour de seize autres portant sans contesta- tion le millesime du xe siecle, temoignent de 1'iznportance que prend l'abbaye restauree. Un petit nombre d'abbes, Amalbert, JAodbert, Giraud, Frederic Sigo, Guillaume de Dol, conduisent 1'histoire de l'abbaye jusqu'au xne siecle. L'un d'eux n'a qu'un court regime : sa devotion l'ayant entrain^ a Jerusalem, il fut massacre en chemin. Celui qui fait la plus considerable figure est fabbe Sigo : le plus grand nombre des chartes date de son epoque etportele cachet d'une dictee particuliere, qui quelquefois s'eleve jusqu'a 1'eloquence et se plait aux preambules theologiques et aux citations savantes. Nous croyons que ce fut a ses ordres et sous sa direction que fut execute le cartulaire noir, entre lesannees io54 et 1070. Les pieces de son successeur sont d'une autre main, et une chronique des abbes, inseree au milieu des titres, s'arrete a Sigo,dont lenom seul est ecritdevantune colonne vide. Guillaume de Dol a rempli la plupart de ces intervalles de ses chartes, trop souvent abregees a l'etat de notice. Ces appendices sont surtout im- portant pour fhistoire de Bretagne, dontles grandes families (et celle de Guillaume etait des plus nobles) figurent avec des details precieux pour les genealogies , les evenements , les lois et les mceurs de la BreLagne. La seule enumeration des divers modes de tradition ofTrirait un symbolisme judiciaire fortcurieux. II nous est impossible d'entrer dans l'expose, meme sommaire , des deux cent quatorze pieces qui remplissent les quatre vingt-dix-neuf feuillets de ce beau cartulaire. II ne s'en trouve qu'un petit nombre d'imprimees; dom Housseau en avait iosere plus de la moitie, imparfaitement transcrites, dans sa grande collection, heureusement conserv^e a la Bibliotheque nationale. Nous n'avons pas hesite a copier tout — 579 — ce qui nous manquait eu France, et nous faisons des vceux pour qu'il nous soit donne de publier integralenient ce cartulaire , Tun des plus anciens et des plus remarquables que Ion puisse otfrir aux amis de nos antiquites nationales. Nous aimerions a mettre en tete fhommage de notre reconnaissance a M. le baronnet Thomas Phillipps, qui nous a communique ce tresor avec autant de grace que de generosite : ce serait en meme temps, ce nous senible, acquitter hotre dette envers le Gouvernement de notre pays, qui nous a accorde l'honueur de cette mission. J'ai du, Monsieur le Ministre, omettre dans ce rapport, deja fort long, plus d'une note et plus d'une piece qui m'eussent en- traine au dela des justes limites. Je n'ai pas meme effleure une bibliotheque entiere, entre les fonds divers, qui concerne specia- lement la province d'Utrecht: ce sont les manuscrits de Muschen- broek , ancien archiviste des etats d'Utrecht. Je conserve precieu- sement les notes, trop rapidement prises sur les principales pieces de ce foods, qui n'en compte pas moins de trois mille : on y trouve les precieux recueils de Bondam et les cartulaires qui avaient fourni les materiaux de la rare collection de Kluit. La perte de ces documents a ete regardee comme une calamite par les savants de Hollande, qui s'en plaignent encore. Nous avons ete beureux d'en retrouver la trace , et nous conservons nos indications avec d'autant plus de soin, qu'elles completent des recherches que nous avons lailes nous-meme dans les archives neerlandaises , et qu'un jour peut-etre nous devrons reprendre et continuer. Agreez, Monsieur le Ministre, etc. Fr. J. B. PITRA, Moine b6n(5dictin de 1'abbave de Solesme*. ERRATA ET CORRIGENDA. Le premier memoire ayant et^ iniprime en Tabsence de i'auleur, il s'y e»t gliss6 quelques fautes que le iecteur voudra bien excuser. Page 487, lig. a3, au lieu de : i8A5, lisez : 1825. Page 5oi, lig. 4 et 5, au lieu de : a une nouvelle, lisez : a un nouvel. Page 497. Les ecoles de Lincoln et d'Exeter, dont il est question au bas de la page, doivent etre regardees comme des etabiissements prives, et non comme des universites. II y a meme lieu de craindre que le copisle des Monumenta bri- tannicu n'aitt^crit exonicnsis pour oxoniensis, confondant ainsi Exeter avec Oxford. — 580 — Happoht adresse u M. le Ministre de V instruction publique et des culles , par M. •/■ Vattier tie BourviUe, charge d'une mission dans la Cyrenuique1 . Bengasi, 27 mars i848. Monsieur le Ministre, De retour a Bengasi de ma premiere excursion aux mines de Cyrene, j'ai l'honneur de vous rendre compte de ce voyage et des succes que j'ai obtenus, resultat du commencement de mes tra- vaux. Les pluies qui n'ont cesse de tomber dans le mois de Janvier ayant rendu les routes penibles, et un voyage par terre mena- cant, par consequent, d'etre excessivement lent et fatigant, je me decidai, pour ne pas perdre de temps, a m'embarquer pour Derna, ou j'arrivai le i"fevrier, muni d'ordres tres-pressants pour le gouverneur de cette ville et le chef des tribus arabes demeu- rant a quelques lieues de Cyrene. Apres plusieurs jours consacres a visiter 1'ancienne Darnis et a me procurer les montures et les chameaux necessaires pour le transport de mon bagage, je quittai Derna le lundi 7 fevrier, a midi, laissant la mer a ma droite, et me dirigeant par le haut de la chaine Libyque; je franchis la montee escarpee et difficile d'El-Eukba et je passai ma premiere nuit dans une grotte sepulcra'e, au milieu d'une foret vierge, ou l'olivier sauvage dominait. Le lendemain niardi, parti de ce point a sept heures, je me reposai quelques instants, vers midi, aupres d'anciens tbermes designes sous le nom de Koubbeb ; a trois heures je visitai les ruines de Lamloudeh (Limniade) , et passant ensuite a trois milles, au sud de Gherness, je fus demander 1'hospitalite , a six heures, a un chef de tribu, dans la belle plaine de Djauss. Mercredi 9, parti egalement a sept hemes du matin, je m'arretai une heure aupres du chateau et de la petile ville de Labrack, to- talement ruines l'un et l'autre, d'ou je remoDtai a cheval a midi pour n'en plus descendre qu'a trois heures et demie au milieu des ruines de Cyrene. L'aspect de ces ruines etendues, empreint partout d'un caractere de grandeur, frappe l'esprit,*au premier abord, d'un sentiment vague, triste, indefinissable. Mais ce premier moment d'enthou- ' Voir lis plauclies dans cetle livraison. — 5S1 — siasme passe, lorsqu'on commence a jeterautour de soi un regard froid et calme , ce qui etonne reellement alors au milieu de ce bouleversement general , au milieu de cette agglomeration informe de debris divers qui seuls indiquent que la , il y a dix-huit siecles, vivait dans le luxe et l'opulence Cyrene la magnifique, Gyrene au trone d'or; ce qui etonne, dis-je, au milieu de ces debris confus, c'est la vue de sa necropolis, de cette ville des morts , qui jadis entourait celle des vivants d'uu immense reseau; vaste necropole qui excitait autrefois radmiration par la profusion de ses colon- nades et de ses statues, et qui aujourd'hui n'offre plus au regard afflige du voyageur que les boucbes beantes de ses mille grottes sepulcrales, souillees, profanees par des mains bat bares, et les restes epars de ses norabreux et supeibes mausolees. Je m'etais propose d'explorer les monuments qui m'offraient le plus de chances de succes ; j'ai du sur les lieux changer le plan de travail que j'avais arrete avant d'y arriver. L'emplacement du temple d'Apollon etait en majeure partie couvert de moissons, ainsi que celui de Bacchus : j'ai pu neanmoins, dans le premier, trouver quelques inscriptions qui me paraissent etre assez in- teressantes, et dans le second, grand nombre de fragments de marbre et de statues mutilees. Le Cesareum et d'autres edifices remarquables que j'aurais aussi voulu explorer sont couverts de blocs si considerables et en si grande quantite, que je n'ai pas tarde a reconnaitre 1'insuffisance des moyens en mes mains, et des modiques fonds mis a ma disposition , pour mener a bonne fin un travail qui doit etre long et opiniatre. Je me suis done attache a quelques autres monuments et mausolees ou les difficultes lo- cales paraissaient etre moins nombreuses; mais malgre la preuve du contraire, que je ne tardai pas a avoir, certains indices me firent poursui\ re avec opiniatrete mes recherches , et j'eus tout lieu de me feliciter de ma determination. Ces excavations avaient lieu dans la partie interieure et exterieure d'une grotte sepulcrale faisant partie de la necropole occidentale de Cyrene, et dont M. Pacho fait mention a la page 201 de son ouvrage. Cet hy- pogee est divise en trois pieces , et chacune contenait un sarco- phage qui, chacun, devait etre un chef-d'oeuvre, d'apres quelques legers debris que j'y ai trouves; et ce que mes excavations m'ont mis a meme de reconnaitre, c'est que cet hypc^gee devait etre, sans aucun doute, un des plus beaux et des plus importants mau- — 58^ — solees de Cyrene. Je me reserve plus tard d'eu donner uue des- cription detaillee, n'ayant pu terminer ies travaux que j'y avais commences : j'ai du les suspendre, a mon grand regret, l'epuise- ment de nies fonds et mon retour a Bengasi, que le service neces- sitait, m'en ayant fait une loi. J'ai trouve dans 1'interieur de cette grotte, entre autres debris, un fragment de bas-relief qui m'a paru digne du Mus£e : on y voit une tete de guerrier entierement detachee du fond et d'une parfaite conservation. Je l'ai emporte, ainsi qu'un buste en beau marbre de Paros , d'un travail remar- quable, auquel la tete manque, mais je n'ai pas perdu l'espoir de la retrouver. Dans la partie exterieure de Ihypogee, ou exis- tait jadis un magnifique portique, j'ai decouvert jusqu'a present, parmi les decombres, quatre futs de belles colonnes en marbre blanc avec leurs bases et leurs chapiteaux en volutes d'ordre ioni- que, et un immense bloc de marbre blanc uni qui servait de frise ; une belle statue de femme (Pl.I),au-dessus de grandeur naturelle, dontj'ai fort heureusement Irouve la tete la veille de mon depart: le nez seul est legerement deteriore, tout le reste est intact; une tres-belle tete d'bomme d'une parfaite conservation, ainsi que la main droile tenant un papyrus, et le pied gauche intacts avec les morceaux de fer qui les assujettissaient au torse auquel cette tete appartient, et que je decouvrirai a la reprise de mes travaux, ainsi que trois ou quatre autres statues que je sais devoir exister en cet endroit, d'apres la position du portique et le nombre de niches que j'y ai vues dans les parties mises a jour par mes fouilles. Dans une autre grotte plus occidentale, dont il est question a la page 210 de l'ouvrage de Pacho et a la planche LIV de son album, existaient six metopes contenant chacune des peintures du plus grand interet. Je suis parvenu, apres avoir brise la roche, a enlever ces metopes, et je les tiens a la disposition du Gouver- nement, ainsi qu'une demi-statue en marbre decouverte dans un autre hypogee , et dont j'ai 1'honneur de vous adresser ci-joint le dessin (PI. II), avec celui des deux tetes dont il est parle plus haut , et une copie de quelques inscriptions trouvees a Cyrene. J'ai du y laisser le torse de femme et plusieurs autres marbres trop lourds que je n'ai pu transporter a Bengasi; mais je vais, ces jours-ci, nl'occuper des moyens de transport suffisants pour reunir ces objets a tous ceux que j'ai deja ici. Ainsi, plusieurs points historiques et geographiques constates ^M*. \. .fr,'//te>rs ,/.< ATlSStO/lS >,/,s/ ////,//<. ■ DEMI-STATUE DE FEMME — 583 — et rectifies, tels que, pour Berenice, Je lac Tritoois avec son ile et son temple ruin£, les fleuves Ecceus et Lotlion , les ruines de la vraie Adrianopolis retrouvees, etc. etc.; des peintures antiques et des marbres, parmi lesquels des statues et des bas-reliefs ac- quis au Musee, des vases precieux, des terres cuites, des medailles et des inscriptions inedites: tels sont, Monsieur le Ministre, les r^sultats obtenus jusqu'a present. Les ressources mises a ma dis- position pour commencer etaient si modiques, qu'elles n'ont pas tarde a etre epuisees. En presence done de ces resultats avanta- geux , je n'hesite pas un moment a m'adresser 4 vous avec con- fiance, Monsieur le Ministre, pour solliciter la continuation de ma mission et des fonds sulfisants pour reprendre ces travaux ou je les ai laisses, et me mettre a meme de completer mes premieres decouvertes, d'enrichir notre pays de nouveaux objets d'art an- tiques, et de repondre aux voeux de TAcademie et de l'instruction publique. J'ai 1'honneur d'etre avec respect, etc. J. VATTIER DE BOURVILLE. INSCRIPTIONS TROUVEES AUX RUINES DE CKRENE. Sur un marbre decouvert dans des fbuilles faites au temple d'Apollon, ayant 71 centimetres de longueur, 4i de largeur et 68 de profondeur : AIKAATO*NAZKAAFI21APITEYON TATi2ATTOXArZNOIAPETAZE KAKAIEYNOIAIAIEXnNAIA AEIEITETOZK0INOIEYEP1 P52MA10IKAIEZTANrOAl 'I2IIAPEZKAITAZrnTl APINEi'ZEBEIAIOl POAAnNOZ. — 584 — Sur le meme inarbre, au cote oppose : TIKAAYAIOZAriLlunC NHZMATNOZOKAI •nEPIKAHEIAPEITEYON EKTANTANTQAnoXAQ NOZfTPOZOAQN. Sur un autre ruarbre trouve au meme endroit; largeur 62 cen- timetres, hauteur 2 4 et profondeur 46 : OAIANOHZANAEIOZ TOMPATEPAANAEIN IEYEIMAXQTQIAPOAAQNI AEKATAINiANEOHKE. Autre marbre trouve au meme endroit. IVLIAE AVGVSTAE CYRENENSES ^OCTAVI0yPR.OCOS Autre marbre de la necropole occidentale. ioyXian zebaztan kypanaioi. Parmi les mausolees situes sur la droite de la rue sud de Cy- rene, il en existe un dont les mines plus considerables et plus imposantes attirent surtout les regards. C'est au milieu de ces mines cpie se trouve un tres-grand et beau marbre, ayant 2 me- tres 70 centimetres de hauteur, 89 centimetres de largeur et 55 de profondeur, sur lequel se lit linscription suivante : — 585 — (Belle guirlande de branches de vigue entrelacees.) KAEAPXOZ KAEAPXQ KAEAPXOZ KAEAPXQ KAEAPXOZ PAPEYBATA PAPEYBATA*Z »LPP0TOYKNRKAEYnATPA AYZIAQZLMJO 2PvvEYH.... Sur le cot6 oppose lE'ZIZTPATOZ MYZOvY. Autre marbre trouve non loin, a 1'ouest des Kenissieb : ICOZHZ^KPII TTOYL^a KOINTOE^KO INTOY^LII AYKA*T&IOY iappattpoi hXytoz LIH «*> J. VATTIER DE BOURVILLR. — 587 — Bappobt adressd a M. le Mmistre de I instruction publique sur des observa- tions physiques et geologiques faites en Islande, pendant Vdtd dc 18&6, par M. Descloizeaux, charge d'une mission scientijique dans cette tie. Paris, le 10 decembre i846. Monsieur le Ministre, Le rapport que j'ai 1'honneur de vous adresser aujourd'hui a pour but de vous faire connaitre les observations que j'ai recueil- lies cet ete en Islande, dans les trois principales localites dont l'examen etait l'objet special de la mission que vous avez bien voulu me confier. Ces trois localites sont : le gisement du spath d'Islande , les Gey- sers et 1'Hekla. J'ai deja presente, sur les deux dernieres, une courte notice a 1'Academie royale des sciences, et cette note a ete insereedans lescomptes rendus des seances de 1'Institut; mais j'ai prefere ne vous transmettre mon memoire qu'apres y avoir intro- duit les premiers resultats des recberches que je n'ai pu com- mencer que depuis mon retour. Ce memoire comprend trois parties distinctes : i° Observations sur le gisement du spath d'Islande; 2° Observations thermometriques sur la temperature de l'eau des Geysers, a diverses profondeurs; 3° Observations geologiques et barometriques faites au mont Hella. PREMIERE PARTIE. GISEMENT DU SPATH D'ISLANDE. Le seul gisement de spath d'Islande connu jusqu'ici se trouve dans une baie nominee Rodefiord, qui occupe presque exactement le milieu de la cote orientale de 1'Islande. Cette baie, ou fiord, s'enfonce perpendiculairement aux bautes falaises verticales qui bordent la cote, et se bifurquant aux deux tiers environ de sa profondeur totale , elle pousse, vers 1'interieur de Tile, deux bras in^gaux, dont le plus petit et le plus septen- trional a recu le nom d'Eskifiordr. Au fond de cette petite baie, est — 588.— etabli un comptoir commercial appartenant a un nrgociant tie Copenhague. Le gisement du spath est situe sur la rive gauche d'Eskifiordr, presque en face du cap qui bifurque la baie de Rodefiord ; ce gise- ment occupe, a 109 metres (mesure barometrique) au-dessus du niveau de la mer, une portion assez limitee du flanc droit d'un petit ravin, au fond duquel coule un tres-faible ruisseau nomme Silfurloekir (ruisseau d'argent) , sans doute a cause de l'6clat quof- frent, au soleil, les clivages brillants du spalh qui borde ce ruis- seau. L'eau qui l'alimente provient de hautes cretes couvertes de neiges eternelles, et va immediatement, en suivant presque une ligne droite , se meler a celles de la baie. Mesure a 1'endroit meme ou le spath se montre au jour, le ravin qui le contient n'a que 5m,5o de profondeur, sur une largeur de i4m,85 a sa partie superieure, et de hm a sa partie inferieure. Ses parois, assez irregulieres par suite de l'eboulement des roches dont elles se composent, offrent une pente d'environ 45 degres. La roche dans laquelle est creuse le ravin est un trapp amyg- daloide vert noiratre , a petits noyaux de calcaire, et a cristaux de feldspath, probablement labrador. Cette roche, d'un aspect assez homogene, suivant toute la longueur du ravin, a une grande ten- dance a se diviser en feuillets minces, ce qui lui donne parfois faspect d'une phonolite; cependant, autour du gisement meme du spath , cette disposition est beaucoup moins marquee : sa cou- leur et sa structure sont un peu differentes, et les noyaux calcaires qui la penetrent sont plus gros et beaucoup plus abondants que dans les autres parties. L'espace occupe par le gite de spath, sur le versant droit du ravin en question, a une longueur de i7m,8o sur une hauteur de 4"\2o; ces dimensions ont ete reconnues a la suite des premieres recherches faites pour trouver le gisement precis des echanlillons les plus purs, recherches qui, au bout d'un certain temps, ont toutes conduit a la roche encaissante du gite ; quant a sa profon- deur, on n'aurait pu la determiner que par un sondage pour lequel je ne possedais pas les oulils necessaires. Quoiqu'on ne connaisse exactement du gisement du spath qu'une coupe suivant un plan incline de lib" environ a l'horizon, ce renseignement suffit pour conclure la nature de ce gisement. En effet, il resulte evidemment de la disposition circonscrite quil — 589 — aflecle, qu'on doit le regarder comme un depot, ou une ainaude de dimension colossale, mais tout a fait analogue aux petits no- dules qui penetrent les roches aniygdalokles. Cette amande est al- longee dans le sens de l'axe longitudinal du ravin , et c'est seule- nient a 1'ouverture de cette excavation naturelle qu'une partie de son iuterieur doit d' avoir ete mise au jour. Par suite de cette dis- position , il semble naturel de conclure qu'il doit exister d'autres depots semblables dans les trapps amygdalins dont se compose la plus grande partie des cotes est et ouest de l'lslande; mais, jus- qu'a present, rien n'est venu confirmer cette presomption. Les premiers travaux , apres m'avoir eclaire sur la nature du • gite ou amande Rodefiord, m'apprirent bientot que ce gite se com- pose de deux parties distinctes et d'une valeur bien differente sous le rapport des produits qu'elles fournissent. L'une de ces parties, la plus considerable, consiste en un tres- gros bloc cristallise d'un spath presque completement opaque gene- ralemcnt strie et tres-fendille; trois faces de ce bloc adherent assez fortement a la rocbe encaissante, tandis que les trois autres sont libres, ou recouvertes seulement d'un peu d'argile et de terre vegetale. La seconde partie est une masse d'argile sableuse, en contact avec l'une des faces du bloc cristallise, ofirant une surface entiere- ment degagee, et entouree de tous les autres cotes par les parois memes du gite. En exploitant, soit a la poudre, soit a la piocbe, le gros bloc cristallise, dont je suis parvenu a voir nettement les points de contact avec les rocbes amygdaloides qui l'entourent , j'ai trouve que ce cristal monstre avait une largeur de 6 metres et une hau- teur moyenne de 3 metres. On concoit qu'une masse cristallisee , d'une telle dimension, ne soit pas completement homogene : aussi , sa partie inferieure, bai- gnee par le petit ruisseau qui occupe le fond du ravin , est-elle la seule qui ne presente pas de solution de continuite. Les parties moyenne et superieure sont divisees par des couches ou filons de stilbite cristallisee en une multitude de gros cristaux, dont les formes domiuantes sont le rhomboedre primitif et quelques faces du dodecaedre metastatique de Haiiy; comme ces cristaux ne sont pas tous parfailement orientes de la meme maniere, il existe aussi cntre eux des vides remplis par une argile ferrugineuse brune. MISS. SCIENT. ^O — 590 — On parvieut assez facilement a detacher par clivage des por- tions considerables de ces cristaux , entoures sur deux ou Irois de leurs faces par une croute uniforme de stilhite cristallisee. Les cristaux qui forment ces croutes sont en general implantes per- pendiculairement aux faces sur lesquelles ils s'appliqucnt, et tel- lement serres les una contre les autres, que la croute entiere peut se detacher du spath sans se briser. La fidelite remarquable avec laquelle ces croutes se sont moulees sur des faces quelconques des cristaux de spath semble indiquer que leur origine est con- temporaine de celle du spath lui-meme : en effet, les surfaces d'ou 1'on a enleve les croutes de stilbite sont legerement striees dans plusieurs directions et comme guillochees; quelquefois meme des cristaux isoles de stilbite sont couches a la surface des cristaux de spath, ou bien ils enfoncent obliquement, de 3 ou k millimetres, 1'unede leurs extremites dans 1'interieur de ces cristaux, sans que le reste de la surface paraisse avoir subi la moindre alteration: rien ne peut done faire croire que ces surfaces aient subi un com- mencement de fusion ou de ramollissement, etlaseule hypothese qui paraisse admissible, e'est que les parties exterieures du spath, tout en se formant au-dessus d'un noyau deja solide, servaient de support aux cristaux de stilbite qui commencaient a prendre nais- sance, et que 1'accroissement de cette derniere substance, prenant un certain developpement , celui du spath devait necessairement cesser. Parmi les nombreux echantillons extrails du gros bloc dont je viens de parler, il ne s'en est trouve qu'un noinbre excessivemeut restreint dont la transparence fut un peu complete. II n'en a heureusement pas ete de meme pour la portion argi- leuse du gite, qui se trouve en contact avec Tun des cole.s de la grande masse cristallisee. L'argile brune, ferrugineuse , qui conslitue cette seconde partie du depot de spath, renferme, dissemines sans aucun ordre appa- rent, des cristaux complets et des fragments naturels de cristaux g^neralement transparents. Les dimensions de ces echantillons varient depuis 3 a /i centimetres jusqu'a deux decimetres et plus de cote; les cristaux complets ont pour forme habituelle une combinaison des faces du rhomboedre primitif avec les faces du dodecaedre metastatique, etcellesd'un dodecaedre trts-obtus place sur les aretes culminantes du noyau; outre cette forme domi — 591 — siante , ils ollVent encore deux ou trois rhoinboedres derivant de la forme primitive par des lois assez compliquees. Les faces des divers solides clout se composent ces cristaux com- plets sont plus ou moins ternes; mais a cliacune des faces d'un memc solide correspondent toujours le meme eclat et le memo poli, ce qui permet de dislinguer immediatemenl les plans qui apparliennent a des solides differenls. II est excessivement rare de trouver de ces cristaux complets qui soient parfaitement transparents, meme lorsqu'on leur a en- leve 1'espece d'epiderme qui les enveloppe. C'est surtout parmi les fragments naturels de cristaux qu'on trouve le plus grand nombre d'echantillons purs et limpides; ces fragments offrent tantot les six faces du clivage rbomboidal, tan- tot trois ou quatre seulement de ces faces, avec trois ou deux autres faces appartenant a l'un des solides qu'on observe sur les cristaux complets; le plus souvent , les six faces d'un pareil frag- ment ont un aspect mat el terne dans toute leur etendue; cepen- dant, quelquefois cet aspect n'existe que par places irregulieres , tandis que le reste de la face offre un lustre particulier, legerement gras, et moins eclatantque celui d'un clivage fraichement obtenu ; d'autres fois, enfin , toutes les faces d'un ecbanlillon sont profon- d£ment corrodees , et ses aretes sont arrondies comme s'il avait ete soumis pendant longtemps a faction d'un dissolvant faible. Dans les deux excursions que j'ai failes pendant les annees i845 et i846 au gisement du spatb , j'ai recueilli un nombre as- sez considerable de ces fragments naturels de cristaux, dont la transparence et la purete peuvenl elremises a profit par les pby- siciens; cependant, les experiences dedicates ou 1'on se propose dobserver les pbenomenes de la polarisation de la lumiere exigent un si grand degre de perfection dans les cristaux qu'on y emploie, que parmi ceux qui, au premier aspect, sembleraient convenables, la plupart doivent encore etre rejetes; de sorte que des ecbantillons parfaits de 7 a 8 centimetres de cote sont deja rares, et qu'un tres-petit nombre seulement, apres le travail du polissage, peuvent conserver 12 a i4 centimetres de longueur sur 9 a 10 centimetres d'epaisseur. 11 arrive souvent, en effet , que des cristaux de spath , d'ailleurs tres-limpides , sont penelres, parallelement a la grahde diagonale des faces culminantes de la forme primitive, par des James — 592 — minces hemitropes, que le doctcur Brewster a signaleesle premier depuis longlemps. Ce savant physicien a fait voir que les clivages supplementaires, admis par Haiiy dans le spalh calcaire , ne pro- venaient que d'un decollement suivant les plans de jonclion de ces lames hemitropes, et que les stries qu'on observe sur certains cris- taux rhoinboedriques de spath n'etaient que les traces d'affleu- rement de ces lames. Or, les lames hemitropes modifiant d'une maniere particuliere le rayon lumineux qui les traverse, rendent les cristaux ou elles existent tout a fait impropres a la fabrication des prismes de Nicol , des prismes birefringents, etc. etc. La presence de ces lames etant l'obslacle le plus habituel et le plus absolu que rencontre 1'emploi utile de quelques ecbantillons bien transparents d'ailleurs, je n'insisterai pas sur plusieurs autres imperfections qu'on y trouve plus rarement. On peut se demander mainlenant si ces fragments naturels de cristaux si purs, dissemines au milieu d'une masse argileuse , ne pourraient pas provenir de la destruction parlielle d'un bloc ou d'un immense cristal bien limpide dont la decouverte promettrait des ecbantillons beaucoup plus gros que tons ceux qu'on a trouves jusqu'ici. Si ces fragments existaient seuls dans 1'argile, leur voisinage d'un bloc cristallise conserve encore en entier permettrait peut- etre d'adopter cette idee; mais, comme je l'ai signale plus haut, ces fragments sont accompagnes de cristaux tout a fait complets qui ne peuventjamais avoirfait partie d'uucristal ou d'un groupe cristallise plus gros; car ces cristaux sont si complets et si bien isolcs, leurs aretes sont si nettes et si vives, que ceux qui n'ont pas ete alteres au moment de leur extraction ne presentent nulle part le moindre point d'attache; si 1'on admet meme qu'ils ont pris naissance au milieu d'une dissolution saline, il est impossible de voir par ou i^s ont pu etre supportes. Aussi, quelle que soit l'opinion que Ton adopte sur la forma- tion du gros bloc cristallise, dont une portion adhere encore au- jourd'hui aux parois du gite, et en general sur le mode de produc- tion des amandes qui remplissent les roches amygdaloides, il ne me parait pas possible d'admettre que les cristaux complets et les fragments de cristaux limpides n'aient pas cristallise au milieu meme de 1'argile qui les recele. — 593 — La ricbesse du giseaient dont je viens de donuer la description seinble avoir ete autrefois plus considerable que maintenant; en effet , il y a une trentaine d'annees, on pouvait se procurer assez f'acilenient des cristaux assez purs et d'un grand volume; la col- lection privee du roi de Danemark, 'celle du musee de Copen- hague, et la plupart des anciennes collections publiques de 1'Eu- rope, possedent depuis fort longtemps des echantillons dont la dimension et la transparence ne laissent rien a clesirer, et 1'eni- portent de beaucoup sur ceux que j'ai pu recueillir pendant deux campagnes. Un pared appauvrissement est du reste assez ordinaire aux gisements qui ne sont ni des couches , ni des filons ; cependant, je suis convaincu que des rechercbes poussees avec un peu d'as- siduite, et plus de temps que la mission du batiment de l'Etat qui m'avait conduit en Islande ne m'a permis de le faire, parvien- draient encore a fournir, pour de longues annees, a tous les be- soins des physiciens et des constructeurs d'appareils optiques. DEUXIEME PARTIE. OBSERVATIONS SUR LA TEMPERATURE DES GEYSERS A DIVERSES I'ROFONDEURS. i° Grand Geyser. La temperature de I'eau du grand Geyser et de quelques sources tbermales qui 1'entourent a deja ete prise par un assez grand nombre devoyageurs; mais celte determination, toujours difficile, n'avait jamais ete faile jusqu'ici avec des instruments auxquels on put ajouter une entiere confiance. Les dernieres observations qui aient ete entreprises sur ce sujet sont dues a M. Lottin, qui, pendant 1'annee i836, accom- pagna en Islande la commission scientifique du Nord, presided par M. Gaymard. M. Lottin a fait au grand Geyser trois experiences successives : la premiere experience lui a donne la temperature du fond , la se- conde celle du milieu, et la troisieme celle d'un point situe a un metre au-dessous de la surface superieure de la colonne d'eau qui remplit le puits central du Geyser. M. Lottin, n'ayant pas repete ses trois experiences, n'a pas pu constater si les temperatures ne presentaient point quelques varia- tions en rapport avec le temps des Eruptions. — 504 — C'est cette question que j'ai ebercbe a resoudre par une suite d'observations disposees convenablement pendant les douze jours, du l\ au i5 juillet, que j'ai campe entre le grand Geyser et le Strokkur. J'ai ete assez heureux pour trouver au rendez-vous mon ami M. Bunsen , professeur de cbiinie aMarbourg, qui, de son cote, s'etait muni des instruments necessaires a ces observations, et, grace a la reunion de nos efforts, nous avons pu arriver a des resultats tout a fait concluants. Les tbermometres employes dans nos experiences etaient des tbermometres a deversement tres-sensibles , et construils de ma- niere a pouvoir etre facilement enfermes dans des etuis fermant bermetiquement au moyen d'un couvercle a vis, lute avec du mastic au minium et a la ceruse. Ces instruments portent des divisions arbitraires, et ilspeuventdonner facilement les dixiemes de degre; avant et apres chaque experience, leurs indications etaient reglees a 1'aide dun bon etalon. Comme on le verra par le tableau que je donne plus bas, nous avons opere, immediatement avant, iinmediatement ajires, pen- dant une grande eruption, et, enfin , dans 1'intervalle assez long qui a separe deux gran des eruptions consecutives. Des mesures et des sondages preliminaires nous ont donne, pour les diverses dimensions du bassin et du puits central du grand Geyser, des nombres presque identiques avec ceuxqu'avait Irouves M. Lottin en i836. Voici ce que nous avons obtenu : Diamfctre du bassin dans un sens i6"\oo Diamfetre du bassin dans le sens perpendiculaire 18 ,00 Diametre de i' orifice du puits central 3 ,00 Profondeur du puits dans le sens du premier diametrc. . . 23 ,5o Profondeur du puits dans le sens du second diametre. ... 21 ,5o Profondeur du bassin au centre 1 ,5o En retrancbant de la profondeur totale du puits central cede du bassin ou im,5o, il reste pour la profondeur du puits au-dessous du bassin, dans le premier sens, 22 metres, et dans le second 20 metres : on peut done ad met Ire que cette profondeur est en moyenne de 2 1 metres. Dans cbacune de nos experiences , cinq tbermometres ont ete employes simultanement; ces cinq thermometres etaient fixes sur une memo ligne, separes les uns des autres par fie? distances de — 595 — 4m,5o a 4m,8o, de maniere que le premier oecupat le fond, et le dernier a peu pres Torifice du puils; la ligne etait soutenue par un anneau occupant le milieu d'une grosse corde, tendue suivant 1'un des diametres du bassin, et tenue aussi roide que possible par deux homines places a chaque extremite. Les thermometres sonl toujours restes plonges dans l'eau pen- dant 3o minutes; afin que les erreurs possibles des indications de ces instruments ne marchassent pas toujours dans lememe sens, nous avions soin, a chaque experience, d'intervertir l'ordre qu'ils occupaient sur la ligne. Le tableau suivant donne 1'epoque de chaque observation , le temps qui la separe de la grande Eruption la plus rapprocbee , les distances relatives des thermometres et les resultats obtenus. Premiere experience : le 6 juillet, a 8h 20' du soir; Qh 20' apres une grande eruption. 1" thermometre au fond 1 a3°,6 1° idem a 4°\8 au-dessus du fond 122 ,7 3e idem a 9 ,6 1 13 ,0 i° idem a 1 4 ,4 85 ,8 5° idem a 19 ,2 82,6 Deuxieme experience : le 7 juillet, a 2h 55' apres midi; il n'y avait pas eu d'eruption depuis la veille 1 1 heures du matin ; le bassin etait tout a fait rempli. 1" thermometre au fond , Wl'i** 2° idem a 5m,oo au-dessus du fond 123 ,0 3e idem a 9 ,85 1 20 ,4 4° idem a 1 4 ,75 1 06 ,4 5" idem a 19 ,55 85 ,2 Un quart dheure apres cette seconde experience, il y a eu une toute petite eruption , mais le niveau d'eau du bassin n'a pas sen- siblement change. Troisieme experience : le 7 juillet, a 6h 58' du soir. i" thermometre au fond 1 a6°,5 2° idem a 5m,oo audessus du fond, pas de rdsultat. 3" idem a 9 ,85 1 2 1 ,8 4" idem a 1 4 ,75 1 1 o ,0 5* idem a 19 ,55 84,7 — 596 — Dix minutes apres la fin de cette experience, a eu lieu use grande eruption. Qualrieme experience : le 7 juillet, a 9*" 3/4 du soir; ik 1/2 en- viron apres la grande eruption , le bassin a moitie rempli. 1" thermometre au, fond i2 2°,5 a* idem a /im,9o au-dessus du fond, perdu par rupture de l'<5tui. 3" idem a 9 ,70 (colonne divisee) 121,2 i° idem a 1 3 ,5o 1 o3 ,0 Quoique les accidents arrives a plusieurs de nos thernionietres, pendant le cours des experiences, nous aient empeches d'obtenir chacune de nos quatre series aussi completes que nous l'aurions desire, les resultats consignee dans le tableau precedent suffisent bien pour montrer que la temperature de la colonne d'eau qui remplit le canal du grand Geyser varie continuellement clans toute sa bauteur, et que cette variation est caracterisee par deux faits principaux : un maximum qui a lieu immediatement avant les grandes eruptions, et qu'on peut evaluer au fond du piuts a 1 270 ; et un minimum qui suit les eruptions , et dont la valeur est en moyenne de ] 2 2°, 5. Ces temperatures sont un peu superieures a celle qu'accuserait une masse d'eau bouillante soumise a une pression de deux at- mospheres environ ; mais on concoit bien qu'au Geyser, la pression de la colonne liquide ne doit pas agir seule, et que la cause encore inconnue qui peut soulever dans les airs , jusqu'a une bauteur qui atleint quelquefois 5o metres, une gerbe d'eau dont la base a 3 metres de diametre, exerce necessairement une certaine in- fluence sur la temperature de cette eau. Nous avons fait aussi deux tentatives pour mesurer la tempera- ture pendant les eruptions; 1'une a completement echoue par la rupture de l'instrument, la seconde a etc plus heureuse : un tber mometre plonge a 4 metres au-dessus du fond , apres avoir subi , le 1 k juillet a 3\ 10' du matin, une magnifique eruption, pen- dant laquelle le sommet de la gerbe avait atteint la hauteur re- marquable de 49™, 4o, indiquait une temperature de \i!\°M- Ce nombre correspond bien a celui qu'on aurait trouve a la memo profondeur dans notre seconde experience, faite immediatement avant une eruption. — 597 — Outre les grandes eruptions qui arrivent toutes les ik ou 36 heures, a peu pres, el a la suile desquelles le bassin du Geyser se vide completement, une suite d'observations, commenceesle 3 et finies le i3 juillet , nous a montre qu'il y avait a peu pres toutes les heures des detonations souterraines suivies d'un simple bouil- lonnement au centre du bassin , dans lequel le niveau de 1'eau n'eprouve alors qu'un tres-leger changement. Ces mouvements brusques, suivis d'un calme presque absolu, doivent aussi influer notablement sur 1'equilibre de temperature de la colon ne d'eau quiremplit le puits central; mais nos experiences n'ont pu etre ni assez nombreuses, ni assez rapprochees , pour apprecier cette action. 2° Strokkur. Le Strokkur, situe a peu de distance du grand Geyser, n'a pas forme, comme celui-ci, un bassin ou reservoir autour de son ori- fice; cette ouverture, a peu pres circulaire, siluee a fleur de terre, n'offre qu'un petit bourrelet fortement use et arrondi par le pas- sage frequent de la colonne d'eau jaillissante. Son diametre est de 2m,/io; la profondeur totale du Strokkur est de i3m,55; mais le canal par lequel l'eau de cette fontaine s'elance dans les airs est loin d'avoir la regularite du puits central du grand Geyser : sa forme est celle d'un long enlonnoir, et, a 8m,3o au-dessousdusol, ou a 5m,25 au-dessus du fond, son diametre n'est plus que de om,26. Dans l'intervalle des eruptions, l'eau n'occupe jamais qu'une partie de ce canal, ou son niveau ne depasse guere une dizaine de metres, de sorte que sa surface, sans cesse agitee et bouillon- nante, oscille entre 3 metres et 3m,5o au-dessous du sol. Une colonne d'eau de 10 metres de profondeur, et dont le dia- metre moyen est a peine de l metre, ne doit pas presenter en ses differents points de bien grandes differences de temperature; aussi, dans les trois experiences que nous avons faites sur cette source , n'avons-nous employe que trois thermometres fixes a la meme ligne. Voici les resultats de ces experiences : Premiere experience : le 8 juillet, a 4h 38' du soir; hauteur de la colonne d'eau au-dessus du fond, iom,i5. i" tkernynnetre au fond n 2°,9 a" idem a 3m au-dessus du fond i i i ,4 3" idem a 6 i 08 ,o — 598 — Deuxieme experience : le y juillet, a 51' '62 du soir, une heuir environ apres une eruption ; hauteur de la colonne d'eau au- dessus du fond, iom,oo. 1" thermometre a 2m,g5 au-dessus du fond 1 i4°,2 a* idem a 6 ,20 109 ,3 3* idem a 9 ,20 (colonne divisee) io3 ,2 Troisieme experience : le 10 juillet, a 61' b~j' du soir, 6 heures environ apres une eruption ; hauteur de la colonne d'eau au-dessus du fond, 10 metres. 1" thermometre a om,35 au-dessus du fond 1 13°,9 2" idem a i ,65 1 1 3 ,7 3* idem a 8 ,85 99 ,9 On voit, en examinant ces trois tableaux, que, jusqu'a/i metres environ au-dessus du fond , la temperature de l'eau est peu variable : c'est qu'en effet, dans tout cet espace, le canal a un diametre tres- etroit; mais, a partir de ce point, elle doit diminuer plus rapide- ment pour atteindre pres de la surface une limite a peu pres cons- tante, voisine de 1000; car, comme je l'ai deja dit, l'eau du Strok- kur bouillonne continuellement asa partie superieure, et rappelle parfaitement une grande marmite en ebullition ; d'ailleurs, cette eau, essayee dans l'hypsometre de M. Regnault, bouillait, le 9 juillet, a 7h 3o' du soir, a ioo°,5;et, le 10 juillet, a 7h 3/4 du soir, a ioo°,3. Le i3 juillet, un thermometre qui etait rest6 plong6 au fond du Strokkur pendant une eruption qui s'est elevee a 47m,4 en- viron, nous a indique la temperature de 11 5 degres. II semble encore resulter de nos experiences sur la mesure de la temperature au fond de cette seconde source jaillissante, que cette temperature esl, comme a u grand Geyser, variable avec le moment plus ou moins rapproche des eruptions ou on la prend ; mais, pendant 1'ete pluvieux qui a regne cette annee en Islande, les eruptions naturelles du Strokkur ont ete si rapprochees et or- dinairement si soudaines , que nous n'avons pu disposer nos expe- riences de maniere a mettre clairement cette relation en evidence. Je terminerai ces observations par quelques remarques sur la constitution chimique des eaux du Geyser et du Strokkur. Les eaux de ces deux fontaines, comme tonics Irs f\iux ther- — 599 — . males de 1'Islande, sont plus ou moins chargees desilice, desoude et d'acide sulphydrique. La seule analyse que Ton possedait jus- qu'ici de l'eaii du grand Geyser a ete publiee en 1790, dans les Annales de chimie et de physique, par le docteur Black d'Edim- bourg; mais 1'eau ayant ete transported dans des barriques en bois, il n'avait pas ete possible de reconnaitre les proportions de ses elements volatils. II etait done necessaire de repeter 1'analyse du docteur Black et de la diviser en deux parties : i° dosage sur place des matieres gazeuses; 2° examen, dans le laboratoire, du residu salin de l'eva- poration. Muni du sulphydrometre de M. Dupasquier, j'ai mesure les quantites d'hydrogene sulfure contenues dans 1'eau du Geyser et dans celles de plusieurs autres sources tbermales d'Islande, tandis que M. Dancour a bien voulu se charger d'analyser le residu fourni par 1'eau que j'ai rapportee de mes deux voyages dans des bouteilles hermetiquement fermees au caoutchouc. En atten- dant que nous puissions publier le resultat de 1'analyse quanti tative de ce residu, compose essentiellement de silice, de sulfate, de carbonate de soude et de chlorure de sodium, voici le nombre de centimetres cubes d'hydrogene sulfure que j'ai trouve dans un litre d'eau des sources dont les noms suivent : 1 litre d'eau du grand Geyser contient 2CC,448 d'hydrogene sulfurd. 1 litre d'eau du Strokkur 1 ,748 idem. Un litre d'eau des deux sources situees au nord du Geyser et du Strokkur, et enfermees dans des bassins sans communication apparente entre eux, contient : Pour l'une des sources 2CC,448 d'hydrogene sulfure. Pour fautre source 1 ,749 idem. L'une de ces sources, dont 1'eau parfailement limpide depose de nombreuses concretions siliceuses , a done exactement, en hydrogene sulfure, la meme teneur que le grand Geyser; l'autre, au contraire, se rapproche tout a fait du Strokkur sous ce rap- port. Plusieurs voyageurs qui ont visite la localite des Geysers out — 600 — admis que le grand Geyser et le Slrokkur sont alimentcs par des reservoirs communs; cependant , quelques fails me paraissent s'op- poser a cette opinion. En effet, lorsqu'on cherche a provoquer une eruption artili- cielle du Strokkur, en remplissant son canal avec des mottes de terre et de gazon, l'eau qui jaillit apres celte operation reste tres- trouble et tres-noire pendant fort longteinps, tandis que celle du Geyser reste parfaitement transparente ; il n'est pas rare de voir a la fois deux grandes eruptions au Strokkur et au grand Geyser; et enfin, les quantites d'hydrogene sulfure que renferment les eaux de ces deux sources sont si differentes, la masse des depots siliceux formes par Tun est tellement inferieure a celle du second, qu'il est bien difficile d'admettre que ces deux eaux, d'une com- position d'ailleurs analogue, soient en communication incessante. TROISIEME PARTIE. OBSERVATIONS FAITES A L'HEKLA. L'Hekla, qui depuis 1'annee 1772 semblait tout a fait eteint el ne paraissait plus qu'un immense glacier legerement conique cou- vert de neige, s'est subitement reveille au mois de seplembre i8l\b. Le 2 septembre, apres un ete generalement beau et sec, pen- dant lequel la temperature s'etait souvent elevee a 20 degres, des cendres abondantes furent lancees du sommet de l'Hekla, sansse- cousses sensibles , et couvrirent en peu de temps de grandes prai- ries situees a Test et au nord-est du volcan. La partie la plus tenue de ces cendres , arretee dans sa course par un courant atmosph6- ricjue d'une direction tout a fait opposee a celui qui les transportait dans Tinterieur de 1'Islande, vint tomber, le k et le 5 septembre, aux iles Shetland, aux iles Orcades, et surtout sur les bateaux em- ployes a la peclie du hareng, aux environs de ces dernieresiles. Bientot apres, le sommet entierde la montagne etaiten feu, et, a 200 metres environ au-dessous de ce sommet, s'ouvrait une bouche qui vomissait des torrents de lave. Ces phenomenes ne perdirent presque rien de leur intensite jusque vers le milieu de decenibre; ils cesserent un moment a cette epoque, reprirent une nouvelle activite en Janvier, et sc terminerent definitivement au milieu de- mars i8d6. — G01 — • Pendant tout ce temps, la lave avait coule tres-lentement sur un terrain de luf assez accidenle, en faisant entendre un craque- inent continu el se brisaut dans tous les sens, el elle s 'etait arreted vers le inois de fevrier. Malheureusement, a lepoque de l'annee pendant laquelle a eu lieu cette grande eruption , les communications, et surtout le pas- sage des rivieres, deviennent tres-difficiles en Islande, de sorte qu'un tres-petit nombre de personnes ont pu s'approcher du vol- can durant son activite , et qu'on ne possede presque aucun ren- seignement sur les diverses phases quelle a presentees. Lorsque nous arrivames au pied de 1'Hekla , le 18 juillet der- nier, il ne nous restait done plus qu'a constater les principalis resultats del'eruption; e'est ce que nous avons cherche a faire, M. Bunsen et moi, par deux ascensions au sommet, et plusieurs courses dans les environs. Nos premieres observations ont porte sur la forme et l'etendue du courant de lave et sur la disposition des crateres formes pen- dant 1 eruption; plus tard, nous sommes parvenus a mesurer les dimensions de ces crateres, leur direction, et la hauteur absolue du sommet actuel de la montagne au-dessus du niveau de la mer. Je vais m'occuper d'abord de la forme generale du volcan et des crateres modernes; puis je passerai a la description de la cou- lee de lave. L'Hekla offfe un massif a peu pres conique , allonge suivant uneligne dirigee de Test 210 nord, a l'ouest 210 sud, dont lepied est entoure de collines de tuf , generalement dirigees de Test 3o" nord a l'ouest 3o°sud. Les pentes de ce massif sont assez regulieres et ne varient que de 26 a 3o degres; elles sont entierement recouvertes de neige; mais, depuis la derniere eruption, cette neige est dissimulee sous une enveloppe de cendres et de scories d'une epaisseur de plu- sieurs centimetres, ce qui avait fait croire a plusieurs personnes qu'elle etait entierement disparue. Ce double revetement empeche conmletement de reconnaitre la structure in time du volcan , mais il facilite beaucoup son ascen- sion. Cette operation ne commence reellement qua partir d'un ravin d'une soixantaiue de metres de profondeur, qui separe le pied du massif des collines de tuf environnantes, et dans lequel un petit bras de lave moderne est venu s'epancher. On pent, en — 609 — ed'et, parcoarir ii cheval la plaine et les collines parscmees de nombreux blocs cle phonolites qui s'etendent , depuis ce ravin , jusqu'au bar (habitation islandaise) de Hale, pros duquel on eauipe ordinairement. Deux heures sont necessaires pour faire cette premiere course. Une fois qu'on a traverse le courant de lave qui remplit le fond du ravin, on trouve, sur le revetement de neige et de cendres, un sol doux et suffisamment resistant, et on n'emploie guere plus de trois heures pour parvenir jusqu'au sommet. A notre premiere ascension, le 2 3 juillet, le temps etait assez brumeux et nous ne ponvions rien distinguer au loin. Des va- peurs epaisses d'acide sulfureux , se degageant des nombreuses fumerolles que nous avions rencontrees un peu avant d'atteindre la cime, venaient se meler au brouillard et augmentaient conside- rablement 1'obscurite au milieu de laquelle nous etions plonges. Heureusement, un vent d'est tres-vif , sous lequel nous avions eu soin de nous placer pour faire plus commodement l'ascensiou, amenait de temps a autre quelques eclaircies, et c'est en les met- tant a profit que nous avons pu reconnaitre et visiter les differents crateres ouverts au mois de septembre i845. Une seconde ascension, commencee le barometre a la main, dans Tapres-midi du 2.5 juillet, et terminee dans la matinee du 26 par un temps assez clair, nous a fourni tous les elements des mesures que je donnerai plus has. Le plus grand cratere , celui qui occupe le sommet actuel de THekla, a une ouverture a peu pies circulaire, dont la circonfe- rence est de i,3oom,5. Ce cratere, au moment ou nous l'avons visite, se composait d'un talus a pentes douces , ties-fendille et rempli de fumerolles, et d'un entonnoir central assez profond. Ces fumerolles , dont nous avons examine un grand nombre, ne deposaient que du soufre cristallise etfondu, et laissaient ddgager une grande quantite d'acide sulfureux. Apres avoir traverse le talus qui les contenait, nous descendimes dans l'enlonnoir central, dont les parois, inclinees de 33 a 35 degres, etaient recouvertes de pe- tites scories arrondies et mobiles, ce qui les rendait assez difficiles a remonter. Au fond de 1'entonnoir se trouvaient des blocs plus ou moins gros, d'une base un peu poreuse, dont les surfaces, exposees a 1'air libre, etaient couvertes de petits cristaux de pyrite — 003 — de fer : ces blocs ont sans doute 6te arraches, au moment de l'e- ruption , des bords memes du cratere, dans l'interieur duquel leur poids les a forces de retomber; les intervalles qui existaient entre eux etaient remplis par des quantites assez considerables de glace et de neige, d'ou il semble permis de conclure que ce premier cratere, apres avoir fourni au commencement de 1'eruption un contingent sans doute fort abondant de blocs isoles et de scories, n'a pas participe aux derniers pbenomenes du mois de mars i846. L'observation barometrique nous a donne i65 metres pour la profondeur du fond du grand cratere, au-dessous de son bord le plus eleve : la difference de niveau entre scs bords superieur et inferieur a ete trouvee de 126™, 2. Apres avoir quilte l'entonnoir central et traverse de nouveau le talus a fumerolles dans sa partie la plus basse et la moins in- clines , nous trouvames un petit plateau, de 36 metres de largeur, qui s£parait le premier cratere du second; celui-ci, beaucoup plus petit que le precedent, offrait un entonnoir parfaitement regulief, dont les parois, inclinees.de 3o degres, etaient recouvertes de pe- lites scories et de cendres pyroceniques : lefond de ce second cra- tere ne contenait ni blocs de lave, ni neige; sa profondeur, au- dessous du bord le plus eleve, a ete trouvee de j3 metres, et la circonference de son orifice de 6o/im,4. Immediatement en contact avec le bord inferieur du second cratere, et separe de lui seulement par une crete tres-etroite, se trouvait lebord superieur d'un troisieme cratere, plus petit encore que le precedent, et offrant aussi 1'apparence d'un entonnoir tron- que tres-obliquement. Ses parois etaient revetues de scories rou- geatres; sa profondeur, au;) ; on la nomniait aussi 1'ile Ronde (STpoyyvXrj), ce qui ferait croire que la catastrophe, qui la brisa ainsi en plusieurs ilots , et en abima le centre sous les eaux, fut pos- lerieure a fetablissement des premieres colonies pheniciennes. A quelque epoque, du reste, que soit arrivce cette premiere revolu- tion, il est facile aujourd'hui, a la vue des flancs declines de ces falaises, dont la blessure semble encore saignante, tie retrouver toute rhistoire de cette ile volcanique dans ces anciens ages mimes dont les homines n'ont conserve aucun souvenir. A une epoque anterieurc a toute histoire, alors que brulail dans toute son activite cette grande chaine de volcans, qui depuis TAuvergne et le Vivarais se prolonge le long des Apennins a tra- vers toute l'Europe meridionale el la Meditcrranee, et dont les iles de Milo et de Santorin furent sans doute le dernier enfante- ment, un cratere, s'elevant du fond de la mer au centre meme de ce grand bassin que forment aujourd'hui les iles de Thera et de Therasia, eclata au-dessus des eaux et commenca sa tache infer- nale. II vomit d'abord des masses considerables de laves et de cen- drcs, dont les couches, en se repandant autour de sa bouche, se superposaient regulierement les unes sur les autres, et il forma ainsi une grande ile circulaire, dont la peripheric s'elevait par une pente douce au-dessus de la mer, et montait vers le cratere en formant une sorte de dome d'au moins 700 metres de haut. Le dernier effort du Titan fut de rejeter une pluie monstrueuse de cendres et dc pierres ponces, qui recouvrit toute la surface de file d'une couche blanchatre, dont l'epaisseur varie de 7 a i3 metres environ. Alors le travail de la creation futacheve : le volcan put rentrer dans son repos. II suffisait desormais de fair et de la pluie du ciel pour faire de ces debris volcaniques une terre fer- tile, proprea recevoir les homines et a subir la culture. C'est alors que le Phenicien Cadmus , qui courait les mers a la recherche d'Europe sa sccur, charme par la beaute de cetle ile, y fonda une premiere ville, dont il laissa le gouvernement a Mem- bliares, son parent, pour poursuivre sa route vers la Beotie. Mais ce dome volcanique etait mine. Voila que tout d'un coup le cratere meme s'e'ffondre, entrainant avec lui dans labiine tout le centre de 1'ile, et ne laissant plus que des rebords ebreches, tels qu'on les voit encore aujourd'hui. Du cote de 1'orient et sur les deux — 611 — tiers presque cle la circonference , s'etend Tile principale de Thera , qui forme comme un grand croissant; au nord-ouest est l'ile cle Therasia; au sud-ouest, et entreles deux, la petite ile d'Aspronisi. Au milieu de ces debris de 1'ancienne Calliste, la mer forme depuis ce temps un vaste canal, large de plus d'une lieue, qui so dirige du nord au sud-ouest entre d'affreux escarpements, et seme seulemenl au centre de quelques noirs iiots d'une epoque poste- rieure. Je ne fais point la une temeraire conjecture sur les anciennes revolutions de cette ile : on y retrouve en effet les traces encore toutes fraicbes de sa terrible histoire , telles qu'on les aurait pu voir au lendemain de la catastrophe. Que du centre de ce bassin on regarde avec attention de part et d'autre cette dechirure circu- laire, ces falaises de Thera, cle Therasia et d'Aspronisi, qui se dressent perpendiculairement a plus cle 200 metres encore au- dessus du gouffre, et Ton reconnaitra des deux cotes, dans les flancs dechires cle ces iles, une entiere symetrie de couches hori- zontales de diverses couleurs, rouges, grises, verdatres, noires, jaunatres et blanches, qui se correspondent a une nieme hauteur et dans un ordre semblable. On ne peut douter en voyant ainsi a nu ces stratifications r^gulieres, cpi'elles n'aient forme une seule ile dans 1'origine. — Les premiers habitants avaient sans doute peri dans cette epouvantable ruine. Uneseconde colonic, 36o ans environ apres la premiere, vint deLacedemone setablir a son tour dans cette ile, sous la conduite de Theras, un descendant de Cadmus. Theras, apres avoir regne a Sparte au nom des enfantsdesa soeur, clont il etait le tuteur, quand il fallut leur remettre la royaute, quitta le pays, el a la tete de quelques aventuriers de Sparte et des exiles minyens depuis longtemps deja etablis en Laconie, il alia chercher fortune ailleurs. II s'arreta dans l'ile de Calliste, bien de- chue alors de sa premiere beaute, et y batit une ville a laquelle il donna son nom. Calliste s'appela desormais Thera (0>;pa) ou le monstre sauvarje, nom qui lui convenait bien mieux depuis sa der- niere catastrophe, et qu'elle conserva jusqu'a la fin du me siecle. Carc'estseulcment alors cpe l'ile, devenue chretienne, pritle nom de Sainte-Irene , sapatronne, lequel, ensecorrompant, estdevenu plus tard Saniorin. Mais depuis la resurrection de la Grece, 1'administration s'est montree justement jalouse de restituer aux villes relevees leurs m. 4 2 . — 612 — anciens noras. Quand on a, en effet, une telle histoire, on ne saurait irop faire pour en rammer et en consacrer les grands sou- venirs. C'est ai'nsi qu'on a releve une ville do Sparle au pied du Taygete, et qu'on en a fait le ehef-lieu de la nomarchie de la Laconie, a(in qu'un tel nom ne disparut pas de la carte de la Grece. Pareillement, corame on ne pouvail changer le nom de Santorin, on renditdu moins a la ville principale de file son nom antique deThira, ou Phira (>/pa) avec 1'alleration eolienne. Cette ville est situee au centre interieur du croissant, au bord de la falaise , ou elle se tient suspendue comme des nids d'hiron- delles au sommet d'un mur. De petites maisons blanches et baiies en domes ou en terrasses, semblent se soutenir en etage les unes sur les autres, et en s'accrorhantaux moindres saillies des rochers, courent le long de la Crete avec une effrayante hardiesse. On dirait que la ville, en se pressant au bord de I'abime, craint de ricn derober a la culture de ces champs d'une merveilleuse fertilite, qui du bord de la falaise descendent en pente douce du cote de 1'orient jusqu'a la mer. Les batiments ne peuvent mouiller au pied de cette falaise que couronne Phira, car, a quelques pieds du roc ou Ton debarque, commence une mer sans fond. On n'y arrive qu'en canot. Au has de ce mur de rochers, on ne trouve qu'un quai etroit de beton rompu par la lame, qui y deferle toujours avec violence, et quel- ques huttes voutees en forme de tombeaux qui s'enfoncent autant que possible sous les excavations de la montagne , pour s'abriter contre les avalanches de roches que les orages detachent parfois de la couche friable de cendres ou elles etaient enchassees. Une rampe etroite, taillee dans le flanc vertical de la falaise, grimpe en zigzag jusqu'a la ville. De la, quand le temps est sombre et que le vent du sud-ouest souleve dans I'abime sur lequel on est suspendu des vagues noireset bordees d'ecume, c'est un spectacle a donner le vertige. On croirait voir une chaudiere infernale, du fond de laquelle de sombres iles de basalte, des roches de lave d'une forme fantastique s'elevent en bouillonnant a l'appel ma- gique de quelque esprit des tenebres. Assurement il y a du avoir en tout temps de terribles legendes sur les divinites souterraines de ces lieux. Nous arrivions le jour de la Fete-Dieu. M. Alby, le vice-consul de France, etait avec toute sa famille a 1'eglise metropolitaine. — 613 — Nous nous y rendimes aussitot, heureux de prendre part a cetle belle fete de l'Eglise catholique sur un volean perdu de rArchipel. Apres avoir parcouru quelques rues etroites et en escaliers, d'ou Ton voyait, par-dessus les terrasses des maisons, la mer de Crete etincelante au soleil de midi, la procession entra dans la cour de la maison des Lazaristes, oil les sceurs avaient prepare pour le saint sacrement un fort joli autel de mousseline et de tleurs. Les nombreuses petites fdles de leur pensionnat s'etaient rangees a l'entour en robes blanches et une couronne de roses sur latete. Non, quelque paien que Ton puisse devenir dans un sejour prolonge en Grece, Ton verrait passer la theorie athenienne vo- guant sur son vaisseau dore vers Delos , qu'on ne saurait jamais etre plus emu que je ne le fus en presence de cette poinpe tou- chante du culte paternel et de ce simple reposoir pare par des mains francaises. J'acceplai avec bonheur 1'offre que me fit le bon abbe Heurtaux de loger, pendant mon sejour a Santoriu , dans cetle maison de Saint-Vincent de Paule qu'il dirige, et je pus voir de pres l'ecole franraise des sceurs. C'est un grand plaisir de visiter en detail cet etablissement oil sont reunies une soixantaine de jeunes filles appartenant aux meil- leures families catholiques de la Grece continentale et des iles; salles d'eludes, classes, ouvroirs, dorloirs, y sont tenus avec un ordre et une proprete exquis : parlout un air d'aisance, de sim- plicity elegante, de bonheur, qui charme. Ces pelites filles, en meme temps qu'elles y apprennent tout ce qui fait une solide education, viennent se former ici, sous la direction de nos soeurs, a des habitudes de proprete, d'economie, de travail, qu'elles por- terontun jour dans leurs menages. Toutes parlent un peu le fran- cais; quelques-unes commencent a fecrire assez bien. On se croi- rait presque en France dans cette maison de Santorin. — Si nous n'avons plus cette ardeur entreprenante qui pousse les Anglais a aller former au loin des colonies dont la metropole retire ensuite tant d'avantages, ce qui fait 1'honneur de la France, c'est qu'en revanche elle n'a jamais manque de colons de la charite chretienne , prets a aller s'etablir partout ou ils pouvaient precher 1'evangile par leurs bonnes oeuvres. Propagande genereuse, qui ne saurait porter ombrage a personne, parce qu'on y cherche seulement a faire le bien des homines, sansaucune vue d'inleret national. Des sceurs de charite, des missionnaires francais, vous en trouvcrez — GH — dans tout TOrient, parlout enloures do bonnes ceuvres et de vene- ration. Qu'on aille a Smyrne, a Constantinople, on sera emer- veille de tout ce que font nos lazaristes a force de zele avec dc fort mediocres ressources : cela tient vraimcnt du miracle. Tout le monde les benit, sans s'inquieter jamais de leur desint6ress£e et bienfaisanle influence; et si Ton se souvient qu'ils sont Francais, c'est uniquement pour bonorer la nation ou sc rencontrent de pareils homines, ainsi devoues au progres de la civilisation cbre- tienne. Etre les bienfaiteurs des peuples vaut micux qu'cn etre les conquerants. — Cette maison de Saint-Lazare etablie a Pbira est vraiment la providence des pauvres du pays : grecs ou calboli- qucs, les soeurs trouvent le moyen de soulager tous les necessiteux, sans acception de croyanccs. Une pbarmacie parfaitement niontee est attacbee a fetablissement; une jeune scour fort instruite y dis- tribue les remedes gratuitement, panse cbaque jour tous les in- lirmes qui s'y presentent , et va cbez les malades prodiguer ses soins avec ses consolations. « Scour Agatbe est Tange dubonDieu, » me disait avec une larme a rocil un rude batelier cretois, ancien corsaire, qui m'avait raconte sans sourciller ses lerriblesaventures de forban. L'abbe Heurtaux, d'ailleurs, se louait fort de cette bonne popu- lation de Santorin : « Catholiques et grecs, disait-il , y sont fort religieux, mais d'une vraie piete; carils vivententre eux dans une grande union. — Quand on babite, interrompis-je, surun voican a peine eteint, et qui menace de se rouvrir au premier jour, on doit se sentir plus immediatementsous la main de Dieu. — Vous avez raison , reprit-il ; mais le zele religieux , qui eclate ailleurs en un fanatisme intolerant, tourne ici en charite fraternelle. Pourtant ici, comme dans les aulres iles, toutes les families catboliques descendent d'avenluriers italiens et espagnols qui sont venus, il y a quelques siecles, s'etablir dans l'Archipel, et ont reduit la popu- lation grecque a une sorte de servage. Mais les nobles de Santorin n'ont jamais etc de petits tyrans comme ceux de Naxie. Quoiqu'ils soient encore aujourd'bui les proprietaires de la plus grande partie du sol, pourtant cbaque paysan grec adepuis longtemps sa vigne, et vit dans une petite aisance. Oui, ajouta-t-il, nos missionnaires se trouvent bien ici. Nous ne complons plus guere c[ue Goo ames de notre communion (car vous savez combien 1c catholicisme a • souffcrt dans les Cyclades par rinsuflisancc des missions); mais il — 015 — y a plaisir a etre le pasteur de ce petit Iroupeau de choix, qui est d'ailleurs reuni tout enlier autour de nous a Phira. Auparavant, ccs families catholiques habitaient, pour la plupart, la forteresse leodale de Palwos-caros, dont vous avez pu voir les mines sur un promonloire de lave qui s'avance dans la nier au centre du crois- sant. Longtemps ce nid d'aigle, avait etc la residence du seigneur de Santorin; maisdepuis la revolution, nos nobles ont dcserle les uns apres les autres leurs vieux manoirs en ruines, pour venir se fixer dans la ville, ou ils ont bati dc belles et spacicuses mai- sons. » Ces belles maisons resseinblent assez de loin a des hultes de sauvages ou a des tombeaux. Comme dans toute file il n'y a pas de bois pour faire des toits et des plancbers, Its maisons n'ont qu'un etagc et, au lieu de toits, sont surmonlecs d'une voute en plein cintre. Autant de chambres, autant de voules, ce qui donne a la ville un aspect fort singulier. L'ile fournit, du reste, pour cette construction d'excellentsmateriaux. Dans lacouche de ponces qui la recouvre, on trouve une grandc quantite de poazzolane ( i(7T! poyw[m) , cxtremement estimee dans tout 1'Orient, laquelle, melee a de la cbaux, fait un excellent ciment hydiaulique, qui devient a l'air d'une extreme durete. Aussi tout se fait ici au mor- tier. Quatre murs blanchis a la cbaux et voutes comme une cave, avec une porte au-devant, voila une maison complete. Point de fcnetres (on ne saurait assez segarantir contrc la lumiere et la cha- leur); point de cbeminee (jamais on n'a besoin de se chauffer). Un divan qui regne autour de la salle compose tout l'ameublcment: c'est, le jour, le siege pour la causerie, c'est la couchette pour la nuit; babiller en fumant et dormir, que faut-il de plus pour 1'ai- sance de la vie parcsseuse de TOrient? Quelques villages sont cons- truits avec bien plus de simplicile encore. Vous arrivez sans vous endouter au milieu du village de Vothon (Bddcov). Au lieu d'elever des maisons, les gens du pays prenant pour rues ces ravines pro- fondes que les torrents d'hiver ont labourees sur la pente desmon- tagncs, creusent des deux cotes dans le tuf des caves, des maga- sins, et meme des maisons. Un petit mur, perce d'une porte, ferme le devant de la grotte. Des cypres, des palmiers nains, des vignes et des oliviers, qui cr-oissent au fond des ravines, vous cachent encore ces taupinieresd'bommcs. On ncsecroiraitguereau centre d'uu village, si (^h. el la une coupole, un petit clocher au — 616 — niveau du sol n'indiquaient des habitations sous les pieds; et quand on descend dans le lit du torrent, on est tout surpris de voir des figures curieuses aux portes de ces red u its souterrains. Le lendemain de notre arrivee, nous montames a cheval pour aller visiter les ruines tie fancienne ville d'OEa, situees sur une montagne escarpee a 7 ou 8 kilometres au sud de Phira. Le neveu de notre vice-consul , le jeune Alby, qui venait, comme la plupart des fils de famille de Santorin, de terminer son education en France, nous accompagnait; et pendant qu'en descendant vers la plage orientale de Tile, nous cheminions au milieu de vignes ma- gniliques, entre des haies de cactus ou de petils murs de lave, il nous donnait, sur la culture de Tile, de curieux renseignements. Presque partout le sol est forme d'un tul epais de ponces assez dur a entamer. On croirait d'abord que cette terre ne saurait ja- mais rien produire; mais quand on l'a peniblement defrichee, elle devient cendieuse, legere et excellente pour la vigne. C'est que ces pierres spongieuses, au temps meme des plus grandes seche- resses, conservent encore a un decimetre de profondeur une cer- laine humidite suffisante pour les petites plantes. Point de haute vegetation sans cloute, je n'ai vu partout que des arbres chetifs et rabougris,exceptea la ville pourtant oil l'on trouve quelques beaux oliviers, des figuiers et des cypres, qui n'ygrandissent qua force de soins. Mais en pleine terre, la vigne, forge, le coton, viennent a merveille. Cependant la culture du coton et de forge diminue chaque annee : c'est la vigne qui envahit tout. A peine aujourd'hui recolte-t-on assez de coton pour la consommation de file, et assez d'orge pour nourrir seulement le quart de la population. Hors le vin, tout manque done a Santorin; il faut tout acheter des lies voisines : habits, chaussures, betail, froment, charbon, lin , fer, planches, bois de construction pour les navires et les tonneaux, tout vient du dehors. Parfois meme, dans les temps de seche- rcsse, quand les citernes sont e^puisees et que les deux uniques sources qu'on trouve dans file, cachees sous un repli schisteux du Mesa-Vouno, sont taries, il faut aller chercher de l'eau douce a Nio et a Amorgos. La vigne fait done f unique richesse de file: aussi l'y cultive-t-on avec le plus grand soin. Les ceps sont plantes en quinconce a huit pieds les uns des autres, afin qu'ils puissent etendre leurs racines a leur aise dans ce sol leger. Quelques- uncs de ces souches ont plus de deux cents ans, et sont encore pleines — 617 — de vigueur. On coupe les branches pres du tronc chaquc annee , et Ton ramene les nouvelles pousses a l'entour en forme d'enton- noir. En meme temps que cela empeche le cep de s'epuiser en jets inutiles, cela permet de semer dans 1'intervalle des pieds un peu d'orge, qu'on coupe a la fin d'avril, pour en nourrir les betes de somme. — On distingue ici plus de soixante especes de raisins. L'espece dominante est Yassyrticon, gros raisin noir, dont on fait le vin ordinaire. Ce vin , fort estime en Russie , et trop peu connu , a mon avis, en Occident, ressemble assez a nos bons crus du Rhin, ou encore au Madere, avec un leger arriere-gout de soufre. Mais rien surtout n'est comparable, comme vin de dessert, au vino santo blanc ou rousje de Santorin : il se fait avec un raisin nomme mavro tragano, qu'on laisse expose pendant quinze jours au soleil sur les terrasses des maisons avant de le porter au pressoir. Au bout d'un an, c'est une liqueur exquise, mais capiteuse, qui surpasse les meilleurs malvoisies de 1'Archipel et meme le muscat de Samos. « Et je ne doute pas, ajouta mon compagnon, qu'on ne puisse l'ameliorer encore par une fabrication mieux entendue. — En etes-vous done encore, repris-je, a ces grossiers procedes que j'ai vu pratiquer dans le Peloponnese, et qui n'ont pas change, je crois, depuis Bacchus? Foule-t-on toujours le raisin dans de sales citernes? Y mele-t-on encore, comme dans le resle de la Grece, des pomnies depin, qui lui donnentuneodeurderesine insupportable? Est-ce que vous gardez aussi votre vin dans des peaux de bouc? — Pas tout a fait, repondit-il; mais peu sen faut: et nous aurions grand besoin que quelque vigneron de France vint nous appiendre son art. Notre vin d'ailleurs se conserve parfaitement sans resine, et c'est presque le seul cru de 1'Archipel qui puisse supporter une longue traversee. Aussi 1'cxportons-nous en grande partie. Nous en vendons pour 5oo, ooo drachmes environ ( 445,000 francs) sur les seuls marches de Taganrog, au fond de la mer d'Azow; notre commerce emploie a cet usage une quarantaine de bricks et une soixantaine de goeleltes. Tout va en Russie, comme vous voyez. Cependant, dans ces dernieres annees, une maison a essaye d'en- voyer un brick charge de vins jusqu'a New-York; mais la specula- tion n'a reussi qua demi par la fraude des malelots, qui, pen- dant la traversee, percaient furtivement quelques tonnes, et rem- placaient le vin par de l'eau de mer. » En causant ainsi, nous etions arrives au pied du promontoire — G18 — Sainl-Elienne, immense rochcr de marbre bleu, qui sc defaclfe du inont Saint-Elie, et barre la plaine, en s'avancant jusque dans la mer. Le Saint-Elie est une montagne de 700 metres environ do hauteur, situee a peu pies aux deux tiers de la demi-lune que forme Tile. A l'extremite de sa croupe , il se divisc ainsi qu'unc ancre pour projeter a Test le promonloire Saint-Etienne, comine un de ses bras, et au sud-ouest celui d'Exomytis. C'estsur la crete de cette espece disthme qui unit le Saint-Etienne au Saint-Elie {la Montagne da centre) [Micra (3ouvo),que s'elevait l'ancienne ville d'OEa. Au pied de cetlemuraille de granil, il faut laisser les che- vaux, et grimper a pied la roche escarpee le long d'etroitcs cor- nicbes qui surplombent sur la mer. Car dcpuis si longtemps que la ville antique a eterenversee par des tremblements de terre, les torrents d'hiver et les eboulements ont enlieremcnt detruit lous les chemins qui y menaient, et des chevres seules osent niainlenant frequenter ces sommets. Arrive en haut, on ne trouve plus que des debris a peu pres meconnaissables, tant ils ont ete remues, fondles, brises. Cette ville, en efTet, a ete Tune des mines les plus ricbes de sculpture antique qu'ait exploiters la curiosite des modernes. « On trouve, ecrivait encore le P. Richard au xvne siecle , sur la pente duMesa- Vouno les mines d'une belle et ancienne ville. C'est un prodige ; xavfxevrj) • elle est au milieu du groupe. Au — 623 — sud-ouest de celle-la, sY-tend la vieille ile brulee (IlaXate xzvuivij) , dont rorigine remonte au second siecle avant fere chretienne. Enfin la petite ile brulee (Mjxpa %a.v[isvij) , situee au nord-est de la grande, date du commencement de 1' empire romain. Les catas- trophes qui ont aecompagne la formation de ces ecueils sont net- tement decrites dans les histoires contemporaines. Strabon mentionne feruption de la Paleea-Caimeni, qu1on s'ac- corde a fixer a l'annee ou Philippe III, roi de Maeedoine, enla- mait avec Rome des negociations pour la paix (Ol. cxlv, 4-197 av. J. C.) «Entre Thera et Therasia, dit-il, des flammes com- mencerent pendant quatre jours a jaillir du fond de 1'abime : toute la mer etait en feu. Au milieu de cet embrasement, une ile formee de blocs de lave montait peu a pea, comme soulevee par une machine : elle avait douze stades de circuit. Quand cet enfan- tement terrible eut cesse, les Rhodiens, les premiers, qui etaient alors les maitres de la mer, oserent approcher de ce nouvel ecueil et y elever une chapelle a Poseidon Asphaleios1. » Cette ile fnl nominee Vile Sainte, a cause de sa mysterieuse origine. J'y cher- chais inutilement quelques vestiges du temple eleve par les Rho- diens, je ne trouvais plus (a la meme place sans doute) qu'une miserable chapelle de Saint-Nicolas , qui sert actuellement de qua- rantaine. Deux siecles et demi plus tard (46 ap. J. C), sous le regne de Claude, une seconde ile de trachyte, la Micra-Caimeni , dan's une nouvelle convulsion du volcan , monte a son tour sur la mer a deux mille metres environ au nord-est de la premiere; on la uomme Yile Divine (Gs/a). Dans les temps qui suivirent, le volcan continue a agiter Tile entiere , tantot soulevant quelque nouvelle montagne de lave, qui s'ajoute aux ecueils deja formes, tantot abimant dans la mer des plages de 1'ile jadis baties, maintenant submergees. Mais ces mouvements n'ont laisse dans les souvenirs que des traces obscures. Seulement, on sait que, sous le regne de Leon flsaurien, en 726, la plus ancienne des deux iles, l'Hiera, recut de notables accroissements encore reconnaissables aujour- d'hui : c'est un enorme cone forme de blocs de trachyte qui se- leve au nord-est de 1'ilot. Des lors le Titan s'est-il rendormi , pour 1 Strabon, I, 8, p. 91. — 024 — nc se plus reveiller que sept cents ans plus lard? ou y eut-il dans cet intervalle mal connu de nouvellcs secousses? On ne sait. Jusqu'au milieu du xve siecle, on n'en trouve plus aucune mention dans 1'histoire. Mais, de ce moment, les pbenomenes volcaniques se multi- plient autour de Santorin. C'est, en i4&7 (20 nov.) un tremble- ment de terre qui agite Tune des Caimenes, la souleve encore au-dessus de la mer, et en detacbe d'enormes blocs qui retombent dausl'abime; c'est, en 1D70, un abaissement subit de la cote me- ridionale de Tile, qui submerge les mines d'Eleusis; c'est, en i5y3, une courte eruption qui agrandit le cone de soulevement que 1'on voit encore au sud de la Micra-Caimeni. Mais les deux plus memorables eruptions des temps modernes sont celles de i65o et de 1707. Dans la premiere , on eut dit que le volcan cbercbait a s'ouvrir un cratere loin de son foyer ordi- naire. Apres plusieurs jours de tremblements de terre (16 sept.), on vit en debors du golfe, entre le cap Coloumbos, situe au nord- est de Tile, et les iles de Nio et d'Amorgopoulo, monter a la sur- face de la mer un ilot nouveau, forme de ponces toutes blancbes. Ce laborieux soulevement fut suivi longlemps encore de secousses violentes, d'explosions de flammes, de tempetes. La mer envabit avec fureur les plages basses situees a Test de Santorin, et y dis- persa entierement les ruines antiques de Perissa et de Camari, qu'on n'avait pas encore reconnues. Enfin, apres quelques mois, ces convulsions s'apaiserent; mais file nouvelle avait disparu, ne laissant d'autres traces qu'une immense quantite de ponces, que les vents balayerent par tout l'Archipel. Le Titan , apres cet avor- tement, se reposa encore pour un demi siecle; mais ce fut pour eclater bientot plus terrible et plus puissant que jamais. Le 2 3 mai 1707, un nouveau cratere s'ouvrant soudain sur la mer, vis-a-vis du cratere eteint de la Micra-Caimeni , se mit pendant un an a vomir sans relache des torrents de fuuiee , de flammes , de cendres , de pierres rouges, qui retombaient dans la mer a plus d'une demi- lieue de la. L'ile entiere de Santorin cbancelait dans ses fonde- ments; la terre tremblait avec d'effray antes detonations; la mer rtait furieuse : c'etait une scene de la fin du monde : on mourait de frayeur. Cela dura un an. A partir de 1'annee suivante, les explosions devinrent plus rares : une derniere eruption eclata en- — 625 — core le id septembre 1711; mais c'etait le supreme effort de cet enfantement infernal. Une nouvelle ile de laves plus considerable que toutes les autres, venait de sortir de la mer, toute fumanle encore. C'etait la Megali-Caimeni. On constata apres 1'eruplion que 1'ile entiere de Santorin s'etait abaissee; mais les falaises surtout sur lesquelles la ville de Phera est bade descendirent de plusieurs metres, comme l'attestent encore desreduits, qu'on avait creuses dans le tuf, a cinq ou six pieds au-dessus du niveau de 1'eau, pour servir de magasins, lesquels, a demi noyes aujourd'hui, neservent plus qu'a remiser les barques des pecheurs. On a aussi remarque que, depuis cette epoque, l'ile de Milo, si fertile encore et si po- puleuse au temps ou Tournefort la visitait, commenca a etre em- poisonnee par ces vapeurs sulfureuses , qui en rendent aujour- d'hui le climat malsain et le sol ingrat. Maintenant le volcan semble eteint sous les fournaises des iles bailees. Peut-etre cependant ne fait-il que sommciller encore. Peut- etre ces domes de noir basalte s'entr'ouvriront-ils pour des erup tions nouvelles? Ou peut-etre est-ce quelque nouvel ilot qui vien- dra eclater sur la mer. Au devant de la petite Caimeni, les pecheurs ont observe un plateau de rochers, encore noye sous les eaux, qui monte d'annee en annee. La sonde donnait encore trente metres pour le point le plus eleve de cet ecueil, au commencement du siecle : le sommet n'etait plus qu'a huit metres de profondeur en 1800, qua cinq metres en i834- II semble que depuis ce temps le soulevement se soit ralenti. On remarque aussi, au sud-est de la Mecjali-Caimeni, une grande tache jaunatre qui se prolonge au loin sur le sombre azur de la mer; e'est une source d'eau ferru- gineuse tres-puissante, qui jouit d'une propriete singuliere. Tout batiment qui vient mouiller pendant quelques jours dans ces eaux, en sort tout brillant, avec son doublage enlierement net- toye de la rouille qui le salissait. On dit aussi, dans le pays, que cette source est comme 1'event ou la soupape de surcte du volcan, et que, toutes les fois que la tache jaune disparait sur la mer, il faut s'attendre a quelque tremblement de terre. Je m'approchai en canot de cette mare, et je remarquai que sa temperature etait plus elevee que celle de la mer de quatre ou cinq degres centi- grades. A la surface venaient crever d'innombrables bulles de gaz hydrosulfurique : feau semblait fremir et bouillonner, comme une cuve de raisins en fermentation. Cette eau , analyseepar mon MISS. SCIENT. 43 — 626 — ami M. Landerer, professcur a I'liniversite d'Athenes, donna pom elements : Muriate de soudc 1 06 Carbonate de fer 21 Sulfate de magnesie 18 Muriate de chaux 8 Carbonate de cbaux 3 plus des traces de sulfate de soude, d'oxyde defer, d'oxyde de magnesie, de bronie, etc. Je continuai le tour de la Megali-Caimeni, et j'y trouvai dans deux ou trois criques, une quinzaine de petits batiments quietaient venus s'y refugier pendant 1'orage, et se tenaient amarres aux pointes de roc du rivage, car l'ancre ne morel pas sur ce fond de rocher : e'est l'unique port de Tile. Je descendis sur ces mon- ceaux de scories entassees dans un pele-mele affreux : on dirait le foyer immense d'une forge eteinte. Ces montagnes de lave sem- blent a peine refroidies, else dressent aussi nues etaussi hideuses qu'au lendemain du jour ou le Titan les vomit du fond des eaux. On y grimpe avec peine et fame remplie d'un mysterieux effroi. Cette nature fait peur, quand on voit le resultat de ses fureurs : on sent la que la terre, comme le cceur de 1'homme, a aussi son cote terrible, sa ferocite, et je ne sais quelle redoutable puissance de colere. Rien, dans ces lieux damnes, qui rappelle la vie : on n'y trouve que quelques carcasses blanchies doiseaux de mer. Mais sur la Paleea-Caimeni , au contraire, qui compte deja plus de vingt siecles, le temps, en decomposant les matieres volcani- ques, a forme un peu de terre vegetale : et Ton est etonne de trouver c,a et la sur ces roches mandites quelques plants de vignes ou un beau figuier. Pendant que mes compagnons y chassaient quelques chevres sauvages, moi, coucbe sous 1'ombre epaisse d'un figuier, je m'a- musais a relire la Theogonie d'Hesiode. En verite, on n'a jamais tenu assez de compte, pour 1'histoire geologique du monde, de ces chants des anciens jours de la Grece, ou les hommes qui avaient ete encore temoins des recentes revolutions du globe, se iransmetlaient en de poetiques legendes le recit de ces grands ca- taclysmes, dont la science moderne a essaye plus tard d'eclaircir le mystere. Toute poesie n'est pas mensonge. On a ete frappe un jour du merveilleux accord que signalait Cuvier entre le r^cit — 027 — de Moise sur la creation , et les decouverles modernes de la geo- logic Qui s'etait doute jusque-la de la valeur scientifique du de- but de la Genese, si longtemps neglige ou meme raille? Pareille- ment, on n'a guere voulu voir jusqu'ici dans la Cosmogonic d'Hesiode que des fantaisies de poete, ou tout au plus une doctrine inventee par les pretres de la Pierie pour expliquer arbitrairement toute la genealogie des innombrables dieux trouves ou apportes par eux dans la Grece, qu'ils essayaient de mettre d'accord. Mais quand, sur un des derniers champs de bataille des Titans, je relus ces antiques recits du monde tire du chaos, qui, transmis de generation en generation , ont ete recueillis par le chantre d'Ascra, je fus frappe de la saisissante verite de ces pein- lures. Je compris de plus en plus que la mythologie grecque n'est pas la creation d'une imagination entitlement libre dans son choix : que les pretres n'ont pas tout invente; mais qu'ils n'ont dit le plus souvent dans leur doctrine cosmogonique que ce qu'ils avaientvu ouappris. Dans toute cette poesie religieuse, etsurtout dans la vieille histoire des luttes des geants contre le ciel, il y a plus de physique et de vraie geologie qu'on ne le pense generale- ment. — Non pas que j'aie la jjretention d'expliquer scientifique- nient chaque detail de la legende, de rechercher dans chacun des noms des enfants de Rhea ou des filles de 1'Ocean chacune des proprietes physiques ou chimiques de la terre ou de la mer, enGn de retrouver toute la science moderne d'Elie de Beaumont dans ce vieux chant mystique d'Hesiode. Mais dans 1'histoire des re- voltes des Titans et des Centimanes, quelle vive et vraie pein- ture des convulsions de la nature soulevant et dechirant les mon- iagnes, dans l'enfantement supreme de la creation! Qu'on est curieux de voir surtout sous quel aspect ces grands cataclysmes ont apparu aux yeux des premiers hommes, et aujourd'hui qu'on possede les secrets de la science, de reconnaitre ces terribles phe- nomenes de la nature a travers les descriptions qu'ils en ont faites dans leur ignorance et leur effiroi! Sur les epaules du volcan Se dressaient cent tetes de serpent , bydre affreuse Qui lechait le ciel de ses noires langues de fumee, Et qui sous ses sombres sourcils faisait ^tinceler du fond de ses yeux Des lueurs sinistres. Sur toutes ses tetes flamboyait une aigrette de feu ; De cbacune de ses boucb.es s'dcbappaient des vois terribles, etc. m. 43 . — 028 — C'est ainsi que l'liomiue voyait aux premiers ages de l'huma- nite, avec 1'etonnement, la frayeur, la foi del'enfance, mais aussi avec ee sixieme sens que nous avons perdu en grande partie en vieillissant, le sens de la poesie. On sait que la Grece meridionale a etc, avec 1'Italie, le dernier theatre dans l'ancien continent ou les forces de la nature ont de- ployeleur terrible puissance; et certes il n'est point de pays, qui ait plus conserve de traces de sa recente creation. Depuis le Bos- phore et la Thrace j usque en Crete, ce ne sont par tout que roches dechirees, que montagnes disloquees, que crevasses profondes, que crateres de volcans, que villes anciennes ruinees par des tremblements de terre. Les homines ont vu naitre les iles de Rhodes , d'Anaphi , de Delos. Quand on est au pied des rochers qui ecrasentDelphes.oncroirait que c'est d'hier que Jupiter a disperse les montagnes entassees par les geants : le Titan foudroye et en- seveli sous les roches de Milo et de Santorin fume encore. Qu'au fond de son cabinet, le commentaleur nevoie dans ce com- bat de la terre et du ciel que la lutte du vieux et grossier natura lisme des Pelasges contre la religion plus elevee, que les pretres hellenes apporterent en Grece, et qui unit par remplacer l'ancien culte, je le concois. Mais ici, sur les lieux, tout prend une signi- fication nouvelle. Ce combat n'est plus un symbole: c'est la verite merae; et Ton goute la realite d'une description vivante ou Ton n'avait admire que Timagination brillante, mais chimerique, d'un poete. On sent ici, comme partout en Grece, que les anciens poetes n'ont pas tant invente que nous le croyons generalement, mais qu'ils ont presque tout pris, jusque au plus merveilleux de leurs legendes, a l'etonnante nature qui les environne.Voulez-vous savoir la plus ancienne histoire des volcans de TArchipel ? La voici , parfaitement exacte, telle que je la lus dans mon Hesiode, avec un inexprimable interet de curiosite , comme si ce n'etait pas un des lieux communs de mythologie dont on avait amuse mon enfance. Aux premieres epoques du monde, la Terre, s'unissant dans les tenebres avec le Ciel, avait mis au monde deux sortes d'enfants : les uns, appeles Cyclopes, semblaient tenir davantage de la nature de leur pere, et sous le nom de Brontes (le tonnerre) , de Steropes (la foudre) , d'Arges (1'eclair) , servaient de ministres aux puissances d'en haul1; les autres, nommes Titansei Centimanes, appartenaient 1 Hesiode, Theog. v. 1 3g. — 629 — surlout a la Terre : cetaient ces forces de la nature, mysterieuses, formidables, qui, dans les tressaillements du monde en travail, bouleversaient la mer et les continents. Les Titans regnaient en particulier sous la terre, les Centimanes dans les profondeurs de rOcean : ces derniers etaient Cottos, ou le demon de la tourmentc (xor1u>); Briaree, ou l'ernption (f3pja6 au premier rapport dc MM. Darem- berg et Benan, 267. Documents provenant de la mission en Italie de MM. Leon de Bastard et Guessard, i3i. Ducouret. Instructions de I'Academie des sciences pour sa mission dans I'Afrique centrale, 1 18. E Ecole francaise d' Athenes. Arrctc por- tant que les membres de cette ecole sont tenus d'envoyer, chaque annee, un memoirc sur un point d'arcbeo- logie, dc pbilologie ou d'histoire, 75. — Bapport fait a I'Academie des inscriptions cl belles-lettres , au nom de la commission chargee de pre- parer les propositions destinies a regulariser les travaux exigds a l'a- venir des elcves de cette ecole, 184. — Bapport fail ;i I'Academie des — 719 — inscriptions et belles-lettres, au nom de la commission chargee de pre- parer le programme de 1'examen special institue pour les agregds candidats aux places de membres dc cette ecole, 65 1. Extrait du roman de Guillaumc dc Dole, insere dans le premier rap- port de MM. Darembcrg et Renan, 279. — Du rapport de {'Academic des inscriptions et belles-lettres sur le projetde mission de M. Minoide- Mynas, 292. Fragment d'un voyage enlrepris dans 1'Arcbipelgrec, en 1847, PE Bourville. Rapport sur sa mission dans la Cyrdnaique, 58o. Viquesnel (Auguste), membre de la socidte geologique. Premier rapport sur sa mission en Turquie, 197. — Deuxieme rapport, 207. — Troisieme rapport, 211. — Quatrieme rapport , 3 1 1 . — Cinquieme rapport , 3 1 S. — Sixiemc rapport, 323. FIN DE I.A TABLE AN'ALVTIQl'E DES MAT1ERES. PLACEMENT DES PLANCHES DANS LE TOME PREMIER DES ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. Plan des Propylees ct de l'entr<5e dc 1'Acropolis d'Athenes Frontispice. Les Propylees et le temple de la victoire Aptere a Athenes Idem. Stele antique trouvde dans 1'ile de Chypre '. . Page 0,5 Figure de Schapour-le-Grand 4i i Buste de roi presume Xerces 4 » k Figure de femme 4 1 4 Fragments de statues 583 Demi-statue de femme 583 TABLE DES MATIERES CONTENUES DANS LA LIVRAISON. Pages. Le Vieux Pnyx a Athenes, par M. Emile Burnouf, membre de 1'Ecole d'A- thenes 1 Les Propylees , par le meme 8 Rapport adresst$ a M. de Salvandy, ministre de I'instruction publique, par M. Leouzon-Leduc, charge d'une mission litteraire en Finlande et en Russie, sur les papiers de Voltaire conserves dans la Bibliotheque im- periale et dans celle de 1'Ermitage de Saiiat-Petersbourg 39 Instructions de 1'Academie des inscriptions et belles-lettres, et de 1'Academie de mddecine, relatives a la mission scientifique et litteraire de MM. Da- remberg et Ernest Renan en Italie 54 DOCUMENTS OFFICIELS. i. Arretd sur les Missions scientifiques 74 II. Arrets sur 1'Ecole d'Athenes 75 Nfouvelles des missions 76 PLANCHES. I. Carte de la colline du Pnyx, et plan des Propylees et de l'entree de 1'Acro- polis d'Athenes. II. Les Propylees et le temple de la Victoire-AptiVc a Athenes. CONDITIONS DE LA SOUSCRIPTION. II paraitra par annee 12 calners ou livraisons des Archives des Missions scientifiqnes. Chaque livraison accompagnee , s'ilya lieu, de cartes et de dessins, sera composee de 3 ou 4 feuilles in-8°, de maniere a former un volume par ann^e- Le prix de labonnement est de x 2 francs par an. ON SOUSCRIT chez GIDE et J. BAUDRY, editecjrs, rue des Petits-Augustins, n" 5, A PARIS.. SSsSw ■ .#> m i -*!< WV ^H •/■.•-. >** «» ^B i