Erg ANS LS 4 à ARR LIEN MERE À Ver ARCHIVES DES RALLATE À ATEN PAL A ZE A AU A EU 0 onon DE RAPPORTS ET INSTRUGTIONS di. PUBLIÉ SOUS LES AUSPICES RARAA AAA AS { EE — F Ÿ y AR ALATR AA A ALAIN LA DEUXIÈME SÉRIE. #4 LEE | LS <; à DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. HOME AT + + > o D 6 a - — _ Si > 9 CS PC >cA 2< He > à. ca ne « ÿ 2e 2 : r » C1 À a De > C4 \ ® < 2 >CA o PL o ST CA > (2 = ga pe) _ = ex ml — ex _— a © a) me) _ > pr es! FESSES M DCCC LXVII. 7SC\ TO O0 7 , v F NRA AA AAA R NANAENIEXTX 1 | F | 9 RRRIRRAR , ARENA R 0 9 9 + (QD TZ VASE FRERE [ONS SCIENTI ARCHIVES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES. CHOIX DE RAPPORTS ET INSTRUCTIONS PUBLIÉ SOUS LES AUSPICES DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. DEUXIÈME SÉRIE. TOME TROISIÈME. PARIS. IMPRIMERIE IMPÉRIALE. M DCCC LXVI. Là * à 5: dé " Fm 11 avr e w k x} in 1e da RUN ATP as Fr. En à En Æ. bp" 2 ’ # ft j ÉT « { $ M _ PR PIRATES Éx * ÉENErr WA e 54 É 4 FT MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE. — —— C<——— | dé ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. DEUXIÈME RAPPORT SUR LES RECHERCHES FAITES À LA BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE DE SAINT-PÉTERSBOURG CONCERNANT LES LETTRES ORIGINALES ET MANUSCRITS FRANÇAIS SORTIS DE FRANCE, PAR M. LE COMTE HECTOR DE LA FERRIÈRE, MEMBRE NON RÉSIDENT DU COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQUES ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES |. —— Ce — Saint-Pétersbourg, novembre 1863. Monsieur le Ministre, Mon dernier rapport ne dépassait pas les dernières années du xm® siècle, et ne touchait en rien au règne de Henri IV. I est donc utile de rappeler ici que la Russie possède plusieurs volumes de lettres autographes et originales de ce grand roi, emportées de France par Dubrowski. Les plus importantes, je ne dis pas toutes, ! Voir le premier rapport, t. I, p. 373 des Archives des Missions (2° série). MISS. SCIENT. — III. ù 1 2 buse ont pris place dans la publication de M. Berger de Xivrey; mais, pour l’histoire du règne de Henri IV, il se trouve à Pétershourg d’autres documents qui méritent d’être signalés. En première ligne, quelques lettres de Sully. Je les ai rappor- tées, et il suffira de quelques citations pour en faire apprécier l’importance. Je commence par une lettre adressée à Henri IV à la date du _16 mars 1603; elle témoigne de la sollicitude de Sully pour les pauvres taillables, comme il les appelle, et des efforts infructueux de ce grand ministre pour les soulager. «Sire, «Jay receu la lettre dont il a pleu à Vostre Majesté m'onorer du huitiesme de mars, suivant laquelle j'ay escrit au premier président de Rouen, afin de faire faciliter la vérification des édits des commissaires examinateurs et lieutenans criminels assesseurs; mais, quant au partement de M. de Vic, j'estime qu’il n’a eu au- cune cause légitime de le différer, car de croire que sa présence puisse servir à l’'advancement et perfection des trois affaires pour lesquelles Vostre Majesté nr'escrit qu’il est retardé, il n’y a nulle aparence, d'autant que pour celuy du sel il n’y reste, il n’y a longtemps, aucune dificulté qui touche les Suisses, mais seule- ment les fermiers de Dauphiné, et encor cela est si aisé à termi- ner qu'il n’en faut faire aucun cas. Quant au recouvrement des deniers, jy ay fait tout ce qui m'a esté possible, et ne faut point se haster ny user de persuasions pour travailler à ce qui concerne le bien de vostre service ou vostre particulier contentement, mon inclination y estant entièrement portée et n'ayant nul plus grand désir et passion que de voyr Vostre Majesté satisfaite de toutes mes actions, et si J'avois esté creu lorsque j'ay représenté les moïens de soulager les pauvres taillables, qui presque seuls porlent tout le fais de l’Éstat, les deniers seroient de beaucoup plus facille recouvre- ment; en pareilles affaires, il est fort aisé d'en discourir et re- marquer les deffaux; mais le plus souvent cela se fait par ceux qui n’y voudroient pas mettre la main pour y prendre la peine qui y est nécessaire. [1 n’y a rien si aisé que de proposer des in- convéniens, mais, quand ce vient à trouver des remèdes, chacun Duc Lee hausse les espaules. Ceux qui ont maintenant la charge du re- couvrement des deniers sauront dire si par le passé jy ay bien travaillé ou non, à quoy je ne m'espargneray non plus pour l'advenir, ains les aideray et m'y emploieray comme sil y alloit de mon salut et de ma vie. J'avoys cy devant vérifié un estat du trésorier des lignes de Bugnons, auquel, à la vérité, j'avois usé de quelque sévérité, et croy que c’estoit le seul moien de les faire marcher droit en leur charge; mais le conseil a trouvé bon de mo- dérer en aucune chose ce que j'avois ordonné. Quant aux édicts : qui se doibvent vérifier en Normandie, la présence ou absence du s' de Vic ne les advancera ni retardera d’une heure. C’est pour- quoy, m'estant cejourduy venu voir, je lui ai dit, en présence du jeune s° de Loménie, tout ce qui est contenu à la présente et qu'il me sembloit qu'il ne pouvoit plus colorer son retardement des affaires du Roy, et que d'icy en avant chacun l’attribueroit aux siennes particulières. Quant aux voitures, j’ay baillé ma lettre à M. de Chasteauneuf, afin qu'il fist suivre l'intention de Vostre Majesté, et luy ay dict que s'il y avoit quelque particularité en quoy il eust besoing de moy, qu'il m'y emploiast librement. Je recognois qu'il est besoing de donner satisfaction aux Suisses, mais de panser faire en sorte qu'ils ne se plaignent, je croy qu'il est du tout impossible; c'est pourquoy, quand je voy que nous faisons tout ce que nous pouvons, je ne m'en tourmente pas davantage, puisque Dieu mesme, à qui nous debvons tout, se contente quand il est servi de nous selon la puissance que sa grace nous confère. Attendant nouveaux commendemens de Vostre Majesté, je suplie- ray le Créateur !. Sully croyait avoir à se plaindre de M. de la Trémouille, et c'ést ainsi qu'il s’en explique auprès du roi : « Quant au soupçon qu'il voudra essayer d'imprimer en l'esprit de Vostre Majesté, c’est chose dont je ne me mets guères en peine, car vous estes trop plein de bonté et de jugement, et moy trop resolu à m'acquitter de mon debvoir et préfère vostre service à tous autres respects, estant bien certain en ma conscience que je ne donneray jamais subject de m’estimer autre que Dieu m'a fait naistre. Quant à vos principales affaires, j'ay toujours cru qu'elles vous estoient plus chères et plus en recommandation que ! Bibliothèque impériale de Saint-Pétershourg; vol. 107, pièce n° 9. A ge tout autre et qu'il n’y avoit sorte de plaisir dont vous ne vous di- vertiriez bien lorsqu'elles requerroient vostre soin et sollicitude tout entière !. » Je termine ces citations par une dernière lettre à M. de Beau- mont, notre ambassadeur en Angleterre; elle fait bien connaître ce que pensait Sully de la politique du gouvernement anglais. «Je vous remercie de la souvenance qu'il vous plaist avoir de moy et du tesmoignage que vous me rendés de vostre affection et bonne volonté à mon endroit, à quoy je correspondray tousjours par toutes sortes de bons offices et services que sauriés désirer de moy. Quant à ce que vous avés escrit au roy touchant les résolu- tions d'Angleterre, c’est chose en quoy je n’ay point esté trompé, car, ayant fort remarqué la condition des esprits de ceux qui y conduisent les affaires, J'ay tousjours estimé qu'il ne falloit pas faire grand fondement sur leurs promesses qu’ils interprètent par de si diverses gloses, que toute la sustance s’en va en dis- tinctions de vanité; mais, quoy quil en soit, si J'en suis creu, l’on leur fera observer ce qu’ils ont promis pour le secours d’ar- gent; Car, aux sommes que nous fournirons, nous soutiendrons tousjours qu'il ÿ en a le tiers en l’acquit de ce que nous pouvons debvoir à l'Angleterre, et voilà tout le fruit que je pense que nous recevrons du traité que j'ay faict, car aux autres points dont l’exé- cution et les effets dépandent absolument d’eux, il n'y faut pas faire grand fondement; ils ont si grand désir d’être pacifiques que, pour y parvenir avec tout le monde, ils demeureront indif- férents à tous sans nulle certitude d'amitié avec aucun; ce sont les termes où se réduisent ordinairement ceux qui suivent trop les neutrallités. Pour nostre regard, nous ferons nostre fonde- ment sur nous-mesmes et ferons de si puissantes provisions de toutes choses que il nous sera facile de résister à toutes sortes d’ef- forts, de quelques costés qu'ils viennent. Quant à vostre particu- lier, je ne vous puis faire autre responce que celle que j'ay faicte à mon frère, faisant au roy et à moy semblable prière à la vostre, qui est que pour la conséquence le roy ne peut augmenter les estats, ny apointemens, ny faire des dons pour satisfaire à vos dépances extraordinaires, car dans l’apointement qui est ordonné à tous les ambassadeurs, l'ordinaire et l'extraordinaire y est com- 30 avril 1604. — Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, vel. 107. “RNNE JU pris; mais ce que j'estime que le roy doit faire est que ceux es- tant en charge estant retournés, Sa Majesté les doit recognoistre selon leurs mérites et services. Quant aux présens que vous esti- mez que l’on deust faire, les premiers ont si peu rendu de fruit que je ne suis nullement d'avis de venir à la seconde fois, aussi la pluspart sont-ce gens qui prennent à toutes mains et font mesmes promesses à tous pour n’en exécuter après pas une seule. Quant à vostre continuation d’une année de plus en Angleterre, jestime que c’est chose que l’on a consentie sur vostre désir, car si l’on eust jugé que vous ne l’eussiez pas eu agréable, je m'asseure que vos amis vous en eussent bien peu faire dispencer. Il me semble aussy qu'il n’est point besoing que vous envoiés si souvent des courriers exprès; c’est nous constituer en despance sans grande nécessité, et, si tous les autres ambassadeurs en usoient _de mesme, cela nous consumeroit bien de l'argent; aussi le roy avoit voulu que l’on vous en escrivist, car il y a moiïen de faire tenir vos lettres sans courrier exprès, comme Je fis tousjours es- tant en Angleterre; c’est pourquoy vous me trouverés fort difficile au paiement de tels voiages ou les feray si resserrés que ceux qui les obtiendront n’y auront pas grand acquit. Sur ce je prieray Dieu qu'il vous garde. » Le jugement que porte Sully sur le roi Jacques n’est pas moins sévère :. « Votre Majesté, disait-il dans une lettre à Henri IV du 27 juil- let 1607, verra à ceste heure l'humeur du roi d'Angleterre, qui ne sait et ne saura Jamais désirer les choses et mettre la main à l'œuvre pour les obtenir, sinon lorsque les moyens et occasions seront passées ; » et 1l ajoutait : « Vostre personne est telle en expé- rience et réputation et votre royaume si florissant et populeux que vous pouvez faire et dresser le fondement de vostre salut sans l’ayde d'autrui, et m'assure que Vostre Majesté n'oubliera pas d'en user ainsi, et selon sa prudence et courage et résolution accoustumée qui n’a jamais eu tant de lustre et d'éclat que aux affaires difficiles et périlleuses. » Ün autre document non moins important que les lettres de Sully, c'est la correspondance du landgrave de Hesse, Mau- rice le Savant, avec Henri IV. Elle a été imprimée par M. de 1 Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, vol. 97. / RME ee Rommel en 1841, et dans sa préface, parlant de sa publication, il nous dit : « Quant aux lettres du landgrave, nous n’avons pu les repro- duire que d’après les minutes et brouillons conservés dans les archives de Cassel. Les originaux, s'ils existent encore, ne pourraient quère se retrouver qu'en France. » Eh bien! c’est ce volume tout entier des lettres de Maurice le Savant dont plusieurs sont accompagnées de la traduction des chiffres que n’a pu donner M. de Rommel, qui en ignorait la clef; c'est ce précieux volume dont le savant éditeur ne soupçonnait pas l'existence, qui avec tant d’autres est venu en Russie. Tout d’abord j'ai voulu me rendre compte des différences qui pouvaient se rencontrer entre le manuscrit et la publication de M. de Rommel que j'avais sous les Yeux, et voici ce que j'ai re- marqué. La correspondance imprimée de Maurice le Savant s’arrête en réalité au 18 décembre 1608 ; car elle ne nous donne qu’une seule lettre de l’année 1609, en date du 23 février. Le manuscrit de Sant-Pétersbourg en renferme six autres, toutes d’une date posté- rieure, et dont la dernière, du 21 avril 1610, répond à une lettre de Henri IV du 1° du même mois. Quand il s’agit de pareils documents, toute citation ne ferait qu’en affaiblir la valeur, le mieux c’est de les reproduire intégra- lement. D'ailleurs à leur lecture les grands desseins de Henri IV sur l'Allemagne nous y apparaissent d’une manière plus nette, plus précise. On devine, on pressent que l'heure du dénouement s’ap- proche, et que, pour prendre les armes, les princes protestants n’attendent plus que le secours qui doit venir de France. Dans la lettre du 21 avril 1610, qui précéda de si peu, re- marquons-le bien, lattentat de Ravaillac : «Je m'en rapporte à Vostre Majesté, écrivait Maurice le Savant, la priant de penser combien les troupes (dont de sa grace elle s’est offert d’assister aux princes protestans ses amis et alliés) pourront faire advancer les entreprises desdits princes en considération que celui qui se trouve le premier en campagne trouve beaucoup d'avantage sur son ennemy, et que la présente saison de l’année est bien propre pour mettre en œuvre quelque bon et louable desseing, dont les occasions ne se présentent à toute heure ». Je vais donc donner et par ordre de date toutes ces lettres iné- Pong, dites du fandgrave; elles ne sauraient trouver une meilleure place que dans ce recueil. « Sire, « Le soing et la sollicitude de Vostre Majesté envers les servi- teurs et amys des princes d'Allemagne ès-choses concernant iceux et la manutention du repos public nous obligent de plus en plus à recognoistre la bonne affection qu’elle nous porte, et, Dieu mercy, les choses s’acheminent si bien en Allemagne que j'en espère bon succès au contentement de Vositre Majesté, et principalement le tant désiré renouvellement de la fraternité et estroite alliance qui est de longtemps entre les trois maisons de Saxe, Brandebourg et Hesse; il n’a pas tenu à moy que les affaires de ceste union ne sont pas tant advancées comme elles debvoient. Les difficultés qui ont esté du costé de l'électeur de Brandebourg y ont apporté beaucoup de traverses et maintenant semble-t-il que les occurences qui se présentent tant du côté de l'électeur de Brandebourg en Prussie et Juliers, que de l'électeur de Saxe aux confins, nous poussent à y mettre la main et entendre à bon escient, car les émotions en Bohème à cause de la religion donnent non peu d’ombrage à mon cousin l'electeur de Saxe, dont je ne suis pas moins soi- gneux qu'elles ne luy causent quelque malencontre. Les estats de Bohème et principalement les protestans requièrent instamment l'exercice libre de leur religion, et pour la seureté d’iceluy en demandent estre pourveus par la matricle du royaume, et à cause qu'ils n’ont peu venir à bout de leurs intentions ils se sont joincts ensemble tous résolus à faire convoquer une diette, faire levée de gendarmes et obtenir à main forte comme on dict ce qu'ils n'ont peu jusqu'ici par doulceur et prières. [ls ont envoyé diverses ambassades auprès des électeurs et princes d'Allemagne, affin comme je croy de les informer de leurs prétentions et demander quant et quant lettres d’intercession. Je serai instruict du tout dans peu de jours par les ambassades que j'attends journellement et ne fauldra pas aussy l'électeur de Saxe de m'en informer au plein pourdélibérerunanimement de ce qui sera de besoing à obvier à des inconvéniens qui en pourroient naistre. J'attends aussy le frère de ‘électeur de Brandebourg, le margrave Ernest, qui s’est acheminé vers le pays de Juliers à seconder les affaires de son frère et appré- rene UT hender la possession d’icelles terres en sa faveur, mais il ÿ trou- vera de besoigne taillée d’aultant que l'Empereur y envoyera le marquis de Bourgas, le colonel de Schomberg et le sieur de Nieuhus avec charge de séquestrer lesdicts païs et les tenir au nom de Sa Majesté jusqu’à ce que les intéressez se soyent mis d'accord. Moy je ne désire rien tant sinon qu’ils pourroient jouyr de leur droict et obtenir ce qu’ils prétendent sur lesdictes terres, mais je crains beaucoup que, par leur discrepance, ne soit troublé le bien et repos public, et fait ouverture aux invasions des estrangers, lesquelles peuvent grandement faciliter le passage du Rhin, que par leurs bonnes intelligences J'espérois mieux estre gardé au bien de toute l'Allemagne. À mon avis il n’y aura pas difficulté à cause de quel- ques fiefs qui relèvent de l’Électorat palatin et de la maison de Bourgogne lesquels sont faicts caduqs et dévolus par la mort du dernier duc de Juliers à leurs souverains, mais pour les aultres terres mon cousin l'électeur de Brandebourg fonde sa succession sur quelques accords qui auroyent esté, il y a longtemps dressés entre les seigneurs de Clèves et de la Marche, c'est assavoir que lesdictes terres doresnavant ne debvroient estre Jamais séparées soit par succession ou quelque aultre partage, ains tousjours unies appartenir par succession à l’aisné fils ou fille en cas que la lignée masculine commenceroit à faillir et que alors les aultres filles seroyent tenues de renoncer audict héritage moyennant une no- table somme de deniers de laquelle elles debvroyent estre pour- veues én récompense, ce qui depuis auroyt esté continué tout de mesme au pais de Juliers, dont la succession du dernier duc de Clèves seroit escheue à sa sœur aisnée Marie Éléonore, de laquelle ledict électeur est le gendre, mesme les aultres sœurs ayant renoncé effectuellement à icelle suivant lesdicts accords: au contraire mon cousin le prince palatin, Philippe-Louis, débat sa cause d’une aultre façon, assavoir que où en tels et semblables traictés est faicte simple mention des héritiers, alors le droict commun entend les masles, lesquels debvroient estre préférés au sexe féminin : et pour autant que c'esloit luy qui a lignée masculine de la sœur du dernier duc, que le droict de l’électeur de Brandebourg seroit expiré et la suc- cession entrée en sa maison nonobstant la renonciation faicte, la- quelle pour y intervenir une lésion énorme seroit tenue et déclarée de nulle valeur. Ce sont environles droicts, Sire, sur lesquels lesdicts sieurs fondent leur succession, mais à ce que j'ay pu apprendre DRE ce des advis qui me viennent de ces quartiers là, il me semble que l'électeur de Brandebourg a prévenu le palatin en l’appréhension de la possession , laquelle luy facilitant les subjets plus affectionnés à son party que à celuy du prince palatin, lequel ils estiment moins bastant à tenir lesdictes terres vives et les deffendre contre les inva- sions des estrangers. Il seroit mieulx à mon advis de s’accorder paisiblement sans donner occasion à un tiers de s’en mesler, auquel accord appoïteront grand avantage la présence de l'électeur, lequel depuis peu de jours estant venu en poste à Berlin, à recevoir l'hommage de ses subjets, s’en est retourné en Prussie à cause d’une commission que le roy de Pologne a ordonné estre faicte audict pais pour quelques griefs présentés au roy par icelle noblesse; à ce que je puis conjecturer des circonstances et délogemens, j'ay peur qu'il ne se trame quelque autre chose au désadvantage du- dict électeur puisque desjà ladicte noblesse a sollicité auprès du roy le mariage de sa sœur avec le marquis Albert, et par consé- quent qu’on le frustast de la curatelle; le temps nous enseignera le tout. Quant à mes affaires particulières, mon cousin l'électeur pa- latin a essayé par ses députés de composer les différens qui sont entre le duc de Brunswic et moy à cause des confins, et de bastir entre nous une bonne intelligence, mais les demandes irraison- nables des gens dudict duc ont empesché le tout tellement qu’on a laissé les affaires aussy bien scabreuses qu'auparavant. Dieu nous veuille donner sa paix, lequel je prie, « Sire, de vous donner longue et heureuse vie. « De Cassel ... avril 16091.» Sire, « J'apprends par les lettres de Vostre Majesté du 28 d’aoust du présent la continuation du soin et de la bonne affection qu'elle porte à l'affaire de Clèves et Juliers. J'espère de n'avoir mal em- ployé mon debvoir en ayant rendu d'accord les deux princes mes cousins de Brandebourg et Neubourg, puisque Vostre Majesté (la- quelle par sa grande expérience et jugemens aux affaires d'Estat ! Bibliothèque impériale de Saint-Pétershourg; documents français, vol. 6, pièce n° 7, page 15. gén UN ee en emporte l'honneur plus que nul aultre) trouve agréable et con- forme tant à la justice qu’à l’estat présent d'Allemagne ledict ac- cord et qu'elle s’en rend protecteur contre tous ceulx qui le tas- chent rompre par ruses ou par armes. Il n'y a que Vostre Majesté laquelle puisse animer lesdicts princes doresnavant et les ayder de son autorité, affin que eux mesmes aussy tiennent ferme et qu'ils ne se laissent aller à leurs convoitises et impressions, craignant qu'ils ne donnent moyen par un mauvais gouvernement aux en- nemis de se prévaloir sur eux et à ceux du païs d’altérer les volontés et bonne affection dont ils ont plus de besoing que chose du monde. Je ne doubte que Vostre Majesté n’en aye eu le vent, je crie à haute voix en les semonçant à observer la religion de la promesse faicte à Dortmund etfais toutoffice possible pour lesmainteniretesta- bliren la possession si heureusement prise , n’ayantenvoyéseulement pour cest effect de mes serviteurs, comme Vostre Majesté aura entendu par les siens pour les assister en leurs délibérations, mais aussi au surplus j'ai veu en personne monsieur mon cousin l’élec- teur de Brandebourg lequel ratifie ledict accord et me promet d'y contribuer tout son pouvoir pour s’y tenir ferme et ne refuse rien de ce que je luy ai proposé touchant l'arbitrage de la cause prin- cipale. Mais, puisque la plus grand fascherie en cest affaire nous vient de la maison de Saxe, je me suis trouvé fort en peine estant informé de leurs prétentions et d’aultre costé considérant l'alliance dont nous sommes réciproquement obligéz, à raison de quoy je me suis transporté aussi Vers monsieur mon cousin l’électeur de Saxe et luy ay proposé les difficultés qui se pourront présenter si cette maison se séparoit des aultres estats évangéliques, et l’'ay prié de se renger pour cest effect avec lesdicts deux princes à la façon comme le duc de Deux-Ponts s’est gouverné : mais je le trouve bien ferme en sa résolution touchant la cognition de l'Empereur et le procès de Ia court d’iceluy, de sorte que je ne me peux promettre, com- bien que je l’aye touché à bon escient que sans grand difficulté je le puisse faire venir à la raison, si ce n’est qu’à la prochaine entrevue dudict électeur de Brandebourg et du duc Jean George de Saxe frère dudictélecteur de Saxe laquelle j'ai procurée et espère qu'elle se fera en peu de jours devant que je parte de ces pays icy. Je tascheraÿy moyennant la grace de Dieu d'y faire quelque bon office pour le repos de la patrie, et ceste conjonction là me semble estre le seul moyen de résister aux desseins et armes de nos adversaires EORR, D s'ils tascheroiïent à déposséder par voie d’icelle lesdicts deux prin- ces. Enfin j'y fais tout debvoir et, combien que l'affaire principale ne me touche point en mon particulier, si est ce que pour l'amour * du public je n'espargneray rien qui despend de mon pouvoir pour procurer la paix en Allemagne. J'apprends aussi qu'en peu de jours le comte Wolfoang de Mansfelt viendra trouver Vostre Ma- -jesté de la part dudict électeur de Saxe; je croy qu’il aura charge de remonstrer à elle le droict de la maison de Saxe qu'elle à à la succession de Clèves et Juliers et la pourra prier de favoriser sa cause et désirera sans doubte estre mis en la possession desdicts païs. Je suis aucunement perplexe en ce point-là et seray fort aise que Vostre Majesté m'y assistast de ses bons advis, dont je la prie et luy promets que mon intention est de favoriser à celuy qui a le droict sans avoir respect de la personne. Je loue la résolution de Vostre Majesté dont elle a obvié aux desseins de l’archiduc Léo- pold, messieurs les Estats des Païs-Bas la seconderont et me pro- mets beaucoup du roy de la Grand Bretagne et de celuy de Dane- marc. Ce que les princes mesmes pourront ou voudront faire je le sçauray en peu de jours et en advertiray Vostre Majesté comme aussi ce que touche l’advancement de l’union entres les princes et estats en Allemagne, lesquelz s’entreverront au 24 du présent à Halle en Souabe. Les alliances héréditaires entre les maisons de Saxe Brandebourg et la mienne se resveillent de jour à aultre- et espère devant que je parte de ces païs icy que j'en pourray donner quelque particulier advis à Vostre Majesté, laquelle comme Je trouve porter beaucoup d'affection à mes affaires, ainsi ne laisse- ray-je de m'y gouverner selon ses bons advis dont je la prie qu'il luy plaise me faire l'honneur et seroy à jamais de Vostre Majesté syncère et cordial amy et serviteur priant Dieu qu’il l'aye en sa saincte et digne garde. « Leipzigh le 30 de septembre l’an 1609!.» « Sire, « Par Monsieur de Bongars Vostre Majesté apprendra particu- lièrement le mauvais estat auquel il a laissé les affaires de Juliers, : Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, vol. 6, pièce n° 8, pages 18 et 19. partant d’auprès les princes de Dusseldorf, et d’aultant que je me sens innocent en tout et partout, si par la nonchallance des ungs et des aultres les affaires tombent en une préjudiciable ruine du bien commun, je laisse semblablement au dict sieur de rapporter sans flatterie à Vostre Majesté ce qu'il aura trouvé que j'aye faict pour cest affaire, tant en l'enfournant qu’en y continuant, pour n’estre contrainct de chanter ma diligence moy mesme. Et trou- vera Vostre Majesté que je n’aye pas seulement soutenu cest af- faire contre tous ceulx qui se sont efforcés de déposséder sans con- noissance de cause locale les dicts sieurs princes mes cousins, ais que je l’aye faict contre mon propre intérest cordialement mon debvoir en tout lieu, et combien qu'il semble que tout le monde sans aulcun esgard veille quasi contre sa conscience lascher et pieds et mains, si suis-je bien résolu de continuer encores tout ce que par raison d’estat je pourray et debvray. Suppliant Vostre Majesté de postposer semblablement toute considération à l'amitié qu'elle doibt à luy mesme, à ses amys et à la cause publique, comme je n’en doubte de mon costé en aulcune façon. Recom- mandant à tousjours ma personne et ce qui en despend à ses bonnes graces, lesquelles je désire aussy mériter en toutes occa- sions qui se présenteront jamais, et cela avec la mesme dévotion que je loue le Créateur avec tout le reste des gens de bien de la faveur dont sa bonté a de rechef et de nouveau resjouy Vos Ma- jJestez, qui en cest endroict prie ce mesme Dieu de donner à Vostre Majesté en parfaicte et longue santé heureux accomplissement de tous ses désirs. « De Cassel, le 26 décembre 1609 !.» « Sire, «Par ma précédente et la relation du sieur Bougars que nous avons faict tenir à Vostre Majesté par Petits-Yeulz (sic), elle aura veu en quel estat estoient pour lors les affaires de Juliers comme aussy ce que nous avions résolu pour le faict de l'union. Depuis s’estant l'électeur de Brandebourg rendu à l’improviste à Schmalkade, où Je le suis allé trouver à sa requeste, nous nous résolusmes d'aller en 1 Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg , vol. 6, fol. 21, pièce n° 9. — 13 — compagnie visiter le duc de Saxe à Cobourg, et de luy remonstrer de vive voix le peu de droicts que l’on feroit à luy et à sa maison à Prague, ainsi que par cy-devant je luy aurois donné à cognoistre par l’un de mes conseillers. Ayant donc trouvé iceluy sieur duc fort disposé au bien, et mesmes presques à promettre de s’en al- ler en personne jusques à Dresde, rompre à son possible le voyage que l'électeur de Saxe auroit désigné faire à Prague, advancer tant qu'il pourra le renouvellement de l'union de noz maisons, de la- quelle il croyoit dépendre la réconciliation de Saxe et de Brande- bourg, je n’ay voulu faillir de le donner à cognoistre à Vostre Ma- jesté, et de luy dire que, cependant que nos ambassadeurs sont à Halle à traicter en vostre nom avec ladicte union, que ledict sieur électeur de Brandebourg est parti d'icy pour attendre à Anspak ou Coulmbak le succès des affaires dudict Halle, pour selon cela s’'advancer ou reculer. Et que pour mon particulier je me suis re- tiré vers Cassel pour estre tant plus proche vers ledict païs de Juliers, et y remédier à mon possible les inconvéniens qui sur- viennent de jour à aultre, qui, d’ailleurs, suis en bonne espérance que s’estant les princes présens aux nopces de Stutgard assez bien résolus que le bon succès de Dure et d’Altchouë, comme aussi l’arrivée de noz ambassadeurs au dict Halle, et la présence dudict électeur aux confins les y fortifiera merveilleusement. Suppliant Vostre Majesté de ne point abandonner ceste cause ains de la fa- voriser par son auctorité de plus en plus, en récompense je suis et seray à Jamais !. » « Cobourg, ce 30 décembre 1609.» « Sire, « La présente servira de response à celle de Vostre Majesté soulz date de Paris, le 18 janvier, et suis bien aise de ce que par mes dernières comme aussy par la relation du sieur Bougars, Vostre Ma- jesté aura entendu les empeschemens qui me sont survenus pour ne m'estre point trouvé à l'assemblée de Halle, mon indisposition m'ayant causé ceste absence, maugré que j'en aye eu. J'apprends, par ceux de mon conseil lesquels j'ai envoyés à ladicte assemblée, U . ! Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg , vol. 6, pièce n° 10, fol. 23 ss: QU ie que les résolutions pour affaires de conséquence sont fort mal ay- sées à trouver là, où d’un costé marche la multitude des suffrages, de l’aultre, la diversité des respects, soit pour le particulier d’un chacun, soit pour le regard de l’empereur. Je m'en rapporte à M. de Boisisse, lequel estant assisté du sieur Bougars, ne laissera pas d’en tenir advertie Vostre Majesté, et ne seray plus long en ré- mémorant les faultes dont il me semble que noz affaires sont me- nacées d’une ruine très-dangereuse tost ou tard, seulement diray-je que la discrétion du médecin s'emploie plus tost à oster la cause du mal d’un corps affecté que non de l’abandonner par désespoir, quoyque la maladie eust gaigné le dessus, et se donne garde de le tuer tout à faict au lieu de mettre la main aux remèdes néces- saires. Ainsy en sommes-nous, Sire, en ce temps-cy, sans que Vostre Majesté eust faict tout pour le bien de l’Aflemagne, que d’avoir embrassé à bon escient sa cause en luy faisant un offre royal et digne de sa personne, dont mes dicts conseillers m'ont deument adverty, lequel à linstance et exemple de Vostre Ma- jeste pourra estre suivi d’une bonne résolution du roy d’Angle- terre et de Messieurs les Estats des Païs-Bas; croy que nous eus- sions esté contraincts de quitter le party et estre spectateurs du naufrage, lequel à nostre veue feroient nos amis n’ayant rien plus asseuré que après leur enfournement estre tiré quant et quant au gouffre des malaysances. Mais je ne me puis passer icy de supplier Vostre Majesté, qu’il luy plaise de mettre en considération que toutes entreprises grandes et louables ne se résolvent qu'à force de peines et diflicultez, et pour dire ce que j'en pense, le commencement dudict desseing mérite fort d’estre bien espluché et meurement considéré devant que mis en œuvre; mais, les uns y allans avec plus de courage que les aultres, il fault les excu- ser les faultes de ceulx-cy en aydant par la vivacité des uns le peu de courage des aultres. Jay tenu la cause de Juliers toujours pour commune, et la tiens encore pour telle; mais, n’ayant eu tant de pouvoir sur ceulx de ladicte assemblé que de le leur persuader, je me suis advisé de m'accommoder plus tost avecques eulx que de donner subject à une plus grande distraction, tant des per- sonnes que des affaires. Mon cousin l'électeur de Saxe a envoyé vers moy Île sieur Gunterot, et m'a remercié fort de ce que je me suis employé jusques à présent pour accorder les deux maisons de Saxe et de Brandebourg pour le différend qui leur est survenu ds à raison de la succession dudict pays, me priant instamment d'y continuer, et que de son costé il se gouverneroit en sorte que son affection au bien public et repos commun le montreroit évidem- ment par des preuves suffisantes, et qu’il aye pour cest effect ad- journé l'électeur de Brandebourg au 6 du présent à Hof en Voit- laum, où il envoyeroit son frère le duc Jehan Georges de Saxe, accompagné de gens de qualité qui ne porteroient moins d’affec- tion à la concorde commune que de la dextérité à accommoder une affaire d'importance. La dicte entrevue se résolut à mon ins- tance il y a quasi quatre mois, et fut dict que l’on ne la différeroit, mais que l’on l’effectueroit à l’instant; les empeschemens surve- nus me sont inconnus. Je me y en fusse allé (Loys, électeur de Saxe, m'en ayant instamment fait rechercher par ledict sieur Gunte- rot), n'eustesté mon indisposition , laquelle m'a empesché de m’em- barquer aux voyages de Halle et de Hof. De la response que Jj'ay donnée au sieur Gunterot je ne diray rien, Vostre Majesté estant asseurée de la syncérité de mes intentions et sachant le but où je vise. Aussi je me dispenseray de prier Vostre Majesté d’y continuer peur n'estre moins asseuré de sa constance à bien faire à ses amis et alliéz, que du soing qu’elle a toujours tesmoigné avoir au bien publicq par des effects qui se voyent par tout le monde. Je prieray Dieu, Sire, qu'il ait Vostre Majesté en sa saincte garde, luy don- nant en parfaicte santé l’heureux accomplissement de ses bons désirs. « Escrit à Cassel, le 7 février 1610 !.» « Sire, « Les lettres de Vostre Majesté escriptes le 1* d'avril me servent d’esperon pour continuer au cours auquel je me suis engagé pour pourchasser à bon escient le bien public de nostre patrie d’Alle- magne, et chercher la conservation et prospérité de nos alliéz à cause du droict et de la bonne raison qu’ils ont eue à s'emparer du pays de Juliers, et en prendre la possession devant qu’en estre for- clos tout à faict, et prostituéz à la mercy de leurs ennemys. Mais les bonnes intentions n’estant pas toujours secondées d'heureux suc- ? Bibliothèque impériale de Saint- Pétersbourg, vol. 6, pièce n° 11, fol. 25 et 26. ER un cés comme elles sont d'équité, il ne fault pas se lasser au mi-che- min et abandonner la cause juste en considération des travaulx et peines qui se présentent pour la manutention d’icelle. À la vérité, je me suis trouvé jusques icy tant obligé à la maison de Saxe que, sans contrevenir à nos conventions, je juge impossible de me pou- voir plus mesler de l'affaire de Juliers après qu’elle m'a faict sça- voir ses prétentions. Mais voyant que le bien public de 1a patrie aille devant, je me résolve volontiers avec ceux-là qui le pour- chassent, s'estant renduz complices de l’union , non que je me veille constituer juge du différend qu'il y a entre ces deux maisons de Saxe, l'électeur de Brandebourg et palatin, toutes mes confédérées et alliées; mais pour la difficulté laquelle se peult présenter si les- dictes maisons avoient attiré le dict païs des mains de leurs ad- versaires, dont ils peuvent jouir heureusement, moyennant quel- que bon et amiable accord concilié par leurs amys, sans courir hasard d’en estre dépossédés ny par voie d’arrest ny par celle des armes. Je me suis employé jusques icy et m'emploieray, Dieu aï- dant, à l’advenir pour faire venir à la raison ceulx qui n’y veulent pas entendre maintenant, mais aussi ayÿ-je raison de contribuer du mien à ce qui touche le public {où la dicte Union vise unique- ment), tant pour servir d'exemple à mes voysins que pour as- seurer mon estat des invasions et aultres inconvéniens qui me pourront estre causés par la course de mes ennemys. Et en cela je me trouve très-bien conseillé de Vostre Majesté et l’en remer- ciant bien humblement; je luy dis que selon mon pouvoir et proportion j y contribueray de très-bon cœur, aultant que mes alliéz s’y résoudront à apporter, espérant qu'en me rangeant avec les dicts Messieurs de l’Union, je ne fais rien dont la maison élec- torale de Saxe se puisse formaliser, puisque mon intention est de ne créer aulcun préjudice ny à leurs prétentions aux dicts pais ny aux pactes et conventions héréditaires que avons eus et entre- tenus loyaulment Jusques icy, mais plus tost de me monstrer neutre quand il est question de leur droict, sans m'en mesler de façon quelconque. Mais cependant que nous nous employons à divertir et empescher la conjoincture des troupes qui s’assemblent en la haulte Allemagne pour se rendre au secours de l’archiduc Léo- pold, nous nous trouvons destituéz de gens de guerre pour faire résistance au dict archiduc aux quartiers d’en bas, voyant que, sans quelque bon secours, nos forces ne me semblent estre suff- de AE santes à conduire la guerre, laquelle se vient à allumer tant en la haulte qu’en la basse Allemagne. C’est pourquoy je me rap- porte à Vostre Majesté, la priant d'y penser combien ses troupes (dont de la grace elle s’est offerte d'assister aux princes protes- tans ses amys et alliéz) pourroyent faire advancer les entreprises des dicts princes si bientost elles s’approchassent au dict païs, en considération que celuy qui se trouve premier en campagne trouve beaucoup d’advantage sur son ennemy et que la présente saison de l’année est bien propre pour mettre en œuvre quelque bon et louable desseing dont les occasions ne se présentent à toutes heures. Quant à la conservation de ce que l’on a une fois establi en cecy, je trouve la preuve de l'expérience et prudence de Vostre Majesté, et fault-il qu'on y pense à bon escient pour ne remonter (ainsi qu’elle dict) à cheval. J'espère que Messieurs les principaulx intéressés y penseront, et me suis résolu, pour mon particulier, de ne faillir à mon debvoir, tant pour le respect que je porte à Vostre Majesté et à ses bons advis que pour mon propre bien et advantage qui me pourra estre causé du voysinage de mes alliéz et confédéréz. Pour le roy de la Grand-Bretagne, je me promets que sa bonne affection sera accompagnée des effects dignes de sa personne et me fais croire que Messieurs les Estats des Pays-Bas, par la sage conduicte de Vostre Majesté, seront aysément dis- poséz à embrasser ceste cause comme si elle fust leur propre, veu que leur Estat estant appuyé sur la bonne correspondance de leurs voysins, ils se trouveront aultant plus establis comme :ilz se verront affoiblir au cas contraire. Icy j'asseureray, Sire, Vostre Majesté de la continuation de ma dévotion, et prieray Dieu pour la prospérité et long santé d'icelle. « Escrit à Marbourg, le 21 d'avril lan 1610.» 2 +. « Sire, « À l'heure de ceste dépesche, les cy-jointes me viennent à estre escrites et communiquées par M. mon cousin, le duc Jean Ca- simir de Saxe, dont j'ay voulu envoyer le double à Vostre Ma- jesté, affin qu'elle voye clairement que n'avons du tout, par la grace de Dieu, travaillé en vain, mais que ceux de la dicte mai- son de Saxe se commencent à recognoistre, se rangeant en partie MISS. SCIENT. —— JIT, 2 met Me avec ceux qui regardent au public. Pour M. l'électeur, il y aura de la peine, mais j'espère que petit à petit il pourra estre réduict à la raison et se laissera gagner à la fin par ses aultres cousins, qui ont aultant de droict et raison sur les dicts pays qu'il peut pré- tendre luy-mesme !. » Henri IV mort, le Landgrave continua à correspondre avec Marie de Médicis. La Russie est également en possession de ces dernières lettres : elles sont originales, et au nombre de cinquante. M. de Rommel ne les connaissait pas, car il les eût publiées, comme le digne complément de son livre. Je me bornerai à citer celle que Mau- rice le Savant écrivit au jeune roi Louis XIIT, le 6 décembre 1610. « L'évidence des bonnes et belles preuves que Vostre Majesté, despuis son advénement à la couronne, a donnée du soing qu’elle porte à la conservation de mes cousins les princes possédans des pays de Juliers et de tout ce qui peult servir à l’advancement du bien de nos affaires, ont esté cause que, nonobstant la rupture du traicté de Cologne, je me suis délibéré de faire encore un essay s'il serait possible de faire condescendre les intéressés aux condi- tions et ouvertures desjà proposées par vostre ambassadeur le sieur de Boissize, ou à tout le moins approchantes et semblables, m'y sentant pressé et obligé plus que touts les aultres par les très-anciennes et estroictes alliances particulières entre les mai- sons de Saxe et Hesse. Et d’aultant que je sçay que mes cousins de Brandebourg et Neubourg ne vouldront ny pourront entre- prendre aulcune chose sans le consentement et volonté de Vostre Majesté, je la supplieray me vouloir favoriser de son appuy et de ses bons advis et intentions sur ce subject, lesquelles je secon- deray de mes peines et de tout mon pouvoir pour faire paroistre à tout le monde la bonne volonté et intention que Vostre Majesté a eue de divertir les maux et inconvéniens qui nous menacent si on n'y apporte du remède. Cependant, Sire, je prieray Dieu pour l'accroissement de vostre santé et prospérité. «De Marbourg, le 6° de décembre 16102.» | 1 . . . r . L a Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg ; documents français, vol. 6, pièce n° 12, fol. 28 à 31. Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg ; documents français, vol. 6. UN Cette dernière lettre nous fait bien comprendre le rôle que la France était appelée à jouer, et la situation toute favorable où l'avait placée Henri IV; mais la politique du grand roi était morte avec lui : c'est en vain que le Landgrave met toute son activité, tout son zèle au service d’une cause à demi abandonnée. La prise de Juliers fut la dernière concession faite aux desseins d'Henri IV. Cette correspondance de Maurice le Savant, qui éclaire d’un jour si nouveau les affaires de l'Allemagne, se complète par les propres réponses de Marie de Médicis, également venues aux mains de la Russie. Il y a donc à Pétersbourg tous les éléments d’une curieuse publication, à laquelle pourraient se joindre les lettres du prince d’Anhalt à Henri IV et à Marie de Médicis, et celles du comte de Mansfeld. Pour grossir encore cette liste, je mentionnerai les lettres des princes de Bade, celles des électeurs ecclésiastiques, les lettres des autres électeurs et princes d’Alle- magne, enfin les lettres des empereurs d'Allemagne avec la cour de France. Ce ne sont pas des copies, mais bien les lettres origi- nales faisant partie de nos anciennes collections de Saint-Germain- des-Prés. Tel est le résumé .de tout ce que la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg renferme sur notre politique extérieure dans les premières années du xvri° siècle. | J'arrive maintenant aux documents qui intéressent notre propre histoire intérieure; mais, avant de les passer en revue, je placerai ici quelques lettres inédites de la jeunesse de Louis XIII, pour n'avoir pas à interrompre plus tard l’ordre des faits. « Papa, « Îl n’y a plus de matadies à Saint-Germain, j'attendray vostre commandement pour y retourner, car il fait plus beau qu’en ce lieu. Je vous baise humblement les mains et à maman, et suis, papa, « Vostre très-humble et obéissant filz et suject. « Loys. » En voici une autre à sa sœur Henriette : 4 « Ma Sœur, envoyez-moy, s’il vous plaist, ce petit carreau de ve- lours rouge qui est dans la chapelle du vieux château de Saint- 2 us NT LES Germain. Il y a si peu que je vous ay laissée que je ne vous diray autre chose, sinon que nous allons bientost à Monceaux. Cependant je demeure vostre plus affectionné frère. « Loys. » C'est à cette même Henriette de France qu'écrivait Marie de Médicis : | «Ma Fille, ayant sceu que vous estes bien sage à prendre ce que l’on vous donne en vostre maladie, Jay désiré vous tes- moigner le contentement que j'en ay par ce petit coffre que je vous envoye avec de petites besongnes qui y sont dedans. Quand vous serez entièrement guérie, Je vous garde encore quelque chose de plus beau, et je vous feray toujours paroistre que je vous aime bien et que Je suis vostre bonne mère. « MARIE. » Madame de Montglat avait élevé le jeune roi Louis XIIT; il s’en ressouvint toujours et resta fidèlement attaché à celle qu'il conti- nua d'appeler ma Maga, même lorsqu'il devint roi. Ces lettres méritent peut-être d’être connues, ne füt-ce que pour témoigner de cette persistance d'affection si honorable pour la femme qui en fut jugée digne. « Ma Maga, l'on me dit les affections que vous avez pour moy, je voy ce que vous m'en escripvez, j'en croy encore davantage et qu'elle ne vous donne peu de repos, vous représentant les périls de la guerre. Vos prières sont si bonnes que je n’ay rien à craindre, continuez-les et croyez que je vous aime 1. - | « LOUIS. » «Ma Maga, je vous donneray toujours sujet de continuer en l'affection que vous m'avez portée, dont les tesmoignages me sont bien .agréables, c’est ce que je vous diray sur les estrennes que vous m'avez envoiées, et pour ce qui regarde la charge que je vous ! Autographe n° 33 de la collection des documents français. NE Le ay donnée en la maison de ma sœur, je veux et entens que la fassiez pleinement et comme vous en avez usé Jusques à présent et que vous ayez le pouvoir et l'autorité qui appartient à la surin- tendance dont je vous ay jugée et vous tiens digne. Je seray bien- tost à Paris ou s’il est besoin je feray savoir plus particulièrement ma volonté, cependant je prie Dieu qu'il vous ayt, ma Maga, en sa garde. « Barbezieux, ce 6 janvier 1622 !. « Lours. » « Ma Maga, escripvant à ma sœur, J'ay aussy voulu vous donner ce mot en réponse de vostre lettre; ce sera la dernière du voyage, puisque, en bref, vous serez, par ma présence, assurée en ma bonne volonté, que vous conserve en quelque lieu que je sois, sachant que vous vous en rendrez toujours digne comme vous avez faict au passé, ce que me promettant, je prie Dieu qu’il vous ayt, ma Maga, en sa garde. « De Poitiers, ce 14 janvier 1622 *°. « LOUIS. » J'entre de plain-pied dans le règne de Louis XIIT, à l’aide de la correspondance originale de M. de Puisieux avec M. de Léon de Brulart, notre ambassadeur à Venise. Cette correspondance est là tout entière, du 10 juillet 1612 au 4 février 1620. Dès sa première dépêche, Puisieux trace à M. de Léon la conduite qu'il doit tenir désormais en correspondant avec lui : avoir soin de si- gner ses dépêches; être sobre de détails pour les affaires de peu d'importance; faire connaître les jugements, les appréciations qui se produisent sur les lieux mêmes, avec toutes les circonstances qui en dépendent; être circonspect et retenu dans l'exposé de ses propres impressions. En qualité de secrétaire d'État, Puisieux était spécialement chargé des affaires d'Italie. Henri IV avait beaucoup fait pour les Vénitiens ; il avait, non sans peine, arrangé leur différend avec ! Autographe, vol, 33 de la collection des documents français. ? Autographe, vol. 33 de la collection des documents français. LOT SES Paul V; mais ils s'en montrèrent peu reconnaissants et ils mani- festaient à chaque occasion leur hostilité contre le Saint-Siége et le catholicisme. Puisieux ne cesse de recommander à M. de Léon d’user de froideur envers eux; leur amitié lui paraît douteuse, leur esprit de domination insupportable, et la cour de Rome arti- cule contre eux de sérieux griefs : «M. de Breves nous mande, écrivait-il à M. de Léon, que le Pape fait plainte des intelligences secrètes que Fra Paolo Sarpi entretient en France avec les huguenots, correspondances péril- leuses durant uae minorité, et qui tendent à la destruction de la religion catholique plus qu’au rabais de lautorité temporelle du Pape. Si MM. de Venise pesoient leurs affaires sérieusement, ils reconnoistroient qu'il y va de leur repos et grandeur de leur répu- blique à donner lieu et liberté à de telles pratiques, desquelles, ajoute-t-1l, ne savons encore les particularités, et pour lesquelles éclaircir nous aurons besoin de vostre secours 1. » La grosse affaire du moment, c'était la succession du duché de Mantoue, ce but de toutes les convoitises, de toutes les ambitions. En 1612, à la mort du dernier duc, François de Gonzague, qui de Marguerite de Savoie ne laissait qu'une fille, Charles Emmanuel reconnut bien que le frère cadet du duc devait suc- céder au Mantouan; mais il réclama le Montferrat, soutenant qu'il était venu par les femmes, et qu’à titre de fief féminin il devait appartenir à sa petite-fille, Marie de Gonzague. Il ne s’en tint pas aux paroles, il s'en empara, et, pour lui faire cher prise, il ne fallut pas moins que la double intervention de la France et de l'Espagne. Les lettres de Puisieux à M. de Léon nous éclairent sur cette question, que nous reverrons plus d’une fois reparaître. À chaque courrier, il invite M. de Léon à assister de ses con- seils le nouveau duc Ferdinand de Gonzague, à le visiter sou- vent : « Entouré d’ennemis, lui écrit-il le 23 février 1613, trahi par ses propres domestiques, environné de conseils passionnés, il n’a que le nom de la France et la protection de Leurs Majestés qui parlent pour lui.» Et dans une autre lettre, il ajoute : «Le duc de Savoie a mal reçu les conseils de Lesdiguières au ! Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, correspondance de Puisieux. MONT sujet du duc de Mantoue. Les Espagnols emploieront ruses et ar- gent pour molester le nouveau duc et pour l’ennuyer d’incerti- tudes. La France seule n’a aucun intérêt personnel et n’a réelle- ment en vue que le repos de lTtalie. » Tout en voyant si Juste et si clair dans les intrigues des Es- pagnols en Italie, Puisieux, par une contradiction étrange, était l’un des chauds partisans du double mariage dont s’occupait Marie de Médicis, rompant ainsi avec tous les projets, toute la politique d'Henri IV. C’est lui le premier qui fut envoyé à Madrid pour pré- parer les voies et sonder les intentions du roi d'Espagne. Il s’en explique plus d’une fois avec M. de Léon : il y voit pour l'Europe un gage assuré de repos, pour la France une sorte de garantie contre l'ambition des princes. « Nostre premier regard, dit-il dans une lettre du 4 février 1615, doit estre le nostre; si nous arrivons à nos mariages avec l'Espagne, nous pouvons affermir la tranquillité chrestienne par une si forte liaison. » Aussi le voyons-nous seconder de tous ses efforts la politique de Marie de Médicis, qui, sans tenir compte de l'opposition des princes, des remontrances de l’Angleterre, de l'agitation et des murmures des protestants et des dissidences survenues parmi ses propres ministres, mena à bonne fin la double alliance qu’elle projetait depuis trois ans. Tout en poursuivant les négociations avec l'Espagne, il fallait toujours avoir les yeux fixés sur l'talie, où le duc de Savoie ne voulait pas désarmer. « Il ne cherche qu'obscurité, disait Puisieux à M. de Léon, et il faut que M. de Rambouillet traite clairement avec lui. » À l’intérieur, les craintes étaient sérieuses, la guerre civile sem- blait imminente, mais Puisieux ne la redoutait pas, si les princes étrangers n'y prenaient part. « M. le Prince, disait-il, ne sait pas ce que c’est que s'attaquer à son maistre. Les exemples de ses pères le devroient avoir fait sage sans l’apprendre ainsi à nosire commun dépend. Cela nous fera un peu haster notre voyage. » La cour, en effet, se décida au voyage de Bordeaux. Il nous sera facile de suivre sa marche jour par jour, car la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg possède les comptes de la dépense de Ma- dame, sœur du roi, la future reine d'Espagne, durant son voyage. Partie le 17 août 1615, en compagnie de M"° de Vendôme, hr QUE qui avait sa maison à part, Madame se trouvait encore le 27 sep- tembre à Poitiers. Elle y fut dangereusement malade de la pe- tite vérole. Le 1° octobre, elle dîne à Maule et soupe à Angou- lême ; elle y séjourne la journée du 2. Le 3, après avoir diné à Angoulême, elle se rend à Barbezieux, où elle soupe et couche. Sa dépense de chaque jour varie de 310 à 340 livres; celle de Mie de Vendôme, de 20 à 25 livres. Le 4 octobre, elle quitte Bar- bezieux après diner et va souper à Montlieu. Le 6 octobre, elle couche à Bourg, elle y dine le lendemain, et, sur le soir, elle entre à Bordeaux. Son séjour s’y prolonge jusqu’au 21 octobre. Sa dépense s’en ressent et s’'augmente par jour de 50 à 60 livres. Le 21 octobre, elle quitte Bordeaux et couche à Potensac; le 22, à Bazas; le 23, elle diîne à Captieux. C’est là que s'arrête son livre de dépenses. Si l’on veut juger de la manière dont sa table était fournie, voici une partie du menu du samedi 17 octobre, à Bordeaux ; je ne cite que les meilleurs poissons : Cinq pluyes de Loire........ AE vi 1. Cindg'pluyes'dé mer 0 RE Tree muletse :ERROE Ha PUTAIN TARENRE rois ‘dorades. Teen ERP ER SE Deux tortues .#100.6Rm PSG MER ET RIRES Deux cents de petites huitres. ....... 22 ON AENEMNSE Puisieux fut un de ceux qui furent envoyés à la frontière pour l'échange des princesses. M. de Phélipeaux l’annonce à M. de Léon, et dans cette même lettre il ajoute : «Les cérémonies du mariage ont esté accomplies le dimanche 17 de ce mois, comme aussi le semblable a esté fait à Burgos. Madame partit de cette ville le XXI et se trouva le jour de Tous- saints sur la rivière qui sépare les deux royaumes. Les protes- tants cherchent des désordres, mais un grand nombre restera dans le devoir. À l'assemblée de Grenoble, M. de Lesdiguières leur a adressé des remonstrances et servira mesme contre ceux de la religion !. » À son retour, Puisieux écrivait à M. de Léon : «Cette nation française est si légère; Dieu nous a fait la grace ! Bibliothèque impériale de Saint-Pétershourg. L'aes, . d’avoir achevé ces mariages, desquels l'exécution sembloit diffi- cile. Le diable est subtil en moyens; » et comme s’il pressentait sa prochaine disgrâce, annonçant à M. de Léon que le roi d’An- gleterre venait de faire enfermer son favori, le comte de Som- merset, il ne peut s'empêcher de dire : « Comme les princes se jouent de leurs sujets, et comme la fortune est inconstante. » La cour quitta Bordeaux sans trop s'inquiéter des obstacles dont on la menaçait sur sa route. C’est à ce moment que Sully reparaît sur la scène. Malgré le peu de cas que l’on faisait de ses conseils, le vieux ministre ne pouvait se résigner au repos. Ne s'inspirant que de son patriotisme, il cherchait par tous les moyens à étouffer la guerre civile. « Monsieur, écrivait-il à Villeroy, «Je voy de plus en plus le feu de nos divisions s’allumer de toutes pars. J’ay faict un voyage en bas Poitou qui n’a pas peu servi sur ce subjet. Je continueray et feray ce qu’il me sera possible pour tenir ceste province en tranquillité ou pour le moins pour la rendre des dernières aux mouvemens, car j'ai esté si peu in- formé des intentions du roy et on m'a laissé avec si peu de corres- pondance avec ceux de Poitiers et ceux qui ont pris l'autorité dans la ville que j'appréhende que par précipitation, ils ne renversent le fondement que je veux poser pour asseurer le repos en l’esten- due de mon gouvernement. Je leur en escriray aux uns et aux autres, leur proposeray des expédiens tels que, si ils les rejettent, les troubles qui arriveront à ceste occasion leur seront imputés et non à moy. Au surplus j'ay donné charge au sieur Dumarais, fils de ma femme , de vous parler de deux affaires qui me touchent gran- dement en mon particulier, mais lesquels ne regardent pas moins le public; partant je vous prie ne croire point que ce soient mala- dies qui se puissent guérir de parolles; il y fault de prompts effets, lesquels m’estans desniés je les y appliqueray de moy mesme et seray contraint d'y embarquer le général. Desja tous mes conseils mes advis et mes expédiens ont estés mesprisés; je vous prie ne pas faire ainsi de ceux-cy, sinon je ne vous responds plus de rien que de ceste province, où je maintiendrai toutes choses en estat si de la court l'on m'y veult assister; mandant à un chacun qu'il ait bonne correspondance avec moy, ce que attendant par vos moiens DUR et l’entier éclaircissement des volontés de Leurs Majestés je vous offre mon fidèle service et vous baise les mains de tout mon cœur. Quelques avantages remportés par M. de Guise hätèrent les né- sociations de Loudun et la paix se conclut; mais, par un de ces brusques revirements si communs alors, la disgràce qui frappa le chancelier de Sillery, son père, révoqué le 16 mai, atteigniten même temps Puisieux : | « La tempeste a donné jusqu'à moy, écrit-il à M. de Léon, à laquelle il faut céder et attendre en patience une meilleure saison pour l'ouvrage, laquelle, sans le secours que nous devons espérer du ciel, court fortune de tomber en un grand mal et une confusion déplorable. Les gens de bien qui n’ont plus de voix au chapitre et n’ont d'autre soulagement que ledit espoir sont bien heureux d’estre plus esloignés de ces désordres et qu’on n’en puisse rien imputer à leurs conseils. Je vais mener une vie plus tranquille. M. Mangot est porté à ma charge par les Princes. J'espère qu'on en sera bien servi. Vous continuerez à adresser vos dépesches à M. de Villeroy jusqu’à ce qu'il vous soit mandé d’en user autre- ment. Il n’est encore bien déterminé qui sera vostre successeur. M. de Saint-Remy est venu à la traverse qui fait effort pour estre maintenu. Je laisse maintenant cette dispute aux autres. Ainsi que devez faire, ce me semble, attendant doucement ce qui sera or- donné de vous. » Ramené aux affaires par la chute du maréchal d'Ancre, Pui- sieux reprend sa correspondance avec M. de Léon. II le tient au courant des froideurs, des difficultés. qui persistent entre Louis XIII et sa mère. Lorsque celle-ci s'évade de Blois, il justifie la conduite qu'avait tenue le roi et met tout sur le compte des factieux qui avaient jeté dans l’esprit de la reine de si fâcheuses impressions. Sa correspondance cesse bien peu de jours avant l’escarmouche du pont de Cé, qui, en quelques heures, mit fin aux résistances de Marie de Médicis et de ceux qui suivaient sa fortune. La correspondance de Puisieux se complète par celle de M. de Baugy, notre ambassadeur à Vienne. Cette dernière touche à toutes les grandes questions qui passionnaient et agitaient alors l’Alle- magne; elle nous parle de la résistance de la diète de Hongrie, ne voulant consentir au couronnement du roi Ferdinand, que sous ! Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg; documents français, vol. 107. os «te certaines conditions qu’elle arrache une à une; elle nous peint là révolte sanglante de la Bohème; enfin elle s'occupe aussi de cette éternelle question de l'Italie, qui, comme le dit M. de Baugy à M. de Léon, « a bientôt exercé tous les princes de la chrétienté et leurs ministres, et n’est pas plus avancée que le premier jour... et pourtant il seroit bien à désirer, ajoutait-1l, que l'Italie jouisse de ce repos que la France s'attache à lui procurer avec tant de cons- tance. » La correspondance de M. de Baugy se ferme sur la mort de l'empereur Mathias. «I a succombé, écrit-il à M. de Léon, le 21 de ce mois (mars 1619). I avoit bien reposé la nuit jusqu’à six heures du matin; en voulant prendre un bouillon il fut frappé d’apoplexie. La soudai- neté de cette mort et l'interrègne par lequel on va passer produira bien des orages, si la Providence n’a pitié de l’Allemagne. » Peu de jours après, il ajoute : « On est incertain sur ce que feront les Bohèmes. Les délibéra- tions prises par eux à la suite de la mort de l’empereur, notam- ment le renouvellement de la loi contre les jésuites, l'exil de plu- sieurs catholiques, la déposition de quelques autres de leurs charges montrent que cette mort ne les a point fait changer. » . De 1620 à 1626, lacune complète dans les documents de Russie. Rien sur le connétable de Luynes, rien sur Richelieu et ses com- mencements ; mais en 1626, la correspondance du secrétaire d'état Phélipeaux d'Herbault va nous permettre de reprendre l’histoire du règne de Louis XIII. Elle ajoute quelques particularités à ce que nous savions déjà de la conspiration de Chalais, du séjour de Louis XIII en Bretagne , et du mariage un peu forcé du duc d'Or- léans avec M"° de Montpensier. C’est au moment de la guerre avec les Anglais et de leur descente dans l’île de Ré qu’elle prend un véritable intérêt historique. Ce sont les bulletins de cette cam- pagne, si glorieuse pour M. de Toiras, envoyés jour par jour à notre ambassadeur à Constantinople. M. d'Herbault dépeint ironi- quement le luxe extravagant déployé par Buckingham , emmenant deux carosses, une litière, des lances pour courir la bague, des ha- billements somptueux, des violons, des hautbois, des musiciens, et emportant jusqu'à des confitures. Un peu plus tard, le siége de la Rochelle, le voyage de Louis XIII en Dauphiné et l’heureux passage des Alpes deviennent l’occasion de curieuses dépêches. er te C'est de Suse, dans l'ivresse de son premier succès, que Riche- lieu écrit à M. de Césy, pour le remercier de lavoir complimenté de la prise de la Rochelle, la lettre que voici : « Monsieur, vous rendant grace de la lettre que j'ay receue de vostre part sur la prise de la Rochelle, qui pourroit me donner de la vanité si je ne me cognoissois moi-même, y voyant non seule- ment mon nom estre cogneu au lieu où vous estes, maïs en outre en quelque estime, je prends la plume pour vous dire que ayant veu par une des vostres que trois capucins d'Italie sont arrivés à Pera depuis quatre moys, j'estime, Pour plusieurs considérations que vous pouvez concevoir, qu’il est à propos de les renvoyer vers le lieu d’où ils viennent, ce dont le roy informera leurs supé- rieurs, qui ne pourront sans doute que l’approuver. Je me promets que vous observerez cet ordre en semblables occasions, me remet- tant au reste à ce que le père Joseph vous représentera sur ce subject. Et après vous avoir recommandé très-instamment le pro- grès de la mission establie sous la protection du se par vostre soing je vous ASOMERTIQUE je suis véritablement. Puisque le nom du père Joseph est venu sous la Mae. de Riche- lieu, c’est le moment de nous occuper de lui. Il y avait alors dans le Levant une lutte continuelle d'influence : d’un côté les Vénitiens, les Hollandais et les Anglais, coalisés et réunis au faux patriarche Cyrille, de l’autre la France toute seule. « Il'est de la piété du roy, écrivait d'Herbault le 13 septembre 1627, il importe à la religion catholique d’empescher les progrès de l’hérésie dans l’église d’'O- rient.» Dans une autre lettre il fait allusion à cette propagande incessante de livres protestans dont les Anglais sont coutumiers. C’est donc dans les lettres de M. de Césy, dans celles du père Joseph, que l’on peut bien juger du rôle joué par la France en Orient et des difficultés qu’elle y réncontrait. Les lettres de l’illustre confident de Richelieu sont rares, celles que je donne ici, et qui sont adressées à M. de Césy, serviront peut-être à celui qui voudra écrire sa vie. « Monsieur, «Quelque petite indisposition m’empesche de vous escrire de ! Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, vol. 107, pièce n° 56. Le titre seul de cette lettre a été donné par M. Avenel, sur une indication de M. Léou- zon-Leduc, Papiers d'État de Richelieu, vol. 8 , pis: ma main, j'accompagneray de ces lignes ces deux bons pères que nous ferons dans peu suivre de deux autres. Vous nous obligez trop de prendre tellement à cœur nostre affaire, aussyÿ voiez vous combien elle réussit glorieusement par vostre bonne conduite et soubz vostre authorité. Nous pouvons dire que vous avez appuié les autres bonnes œuvres que vous avez desjà trouvé establies; mais celle-cy vous doibt sa naissance et recoit tous les jours par vostre moien un accroissement merveilleux et digne de son prin- cipe. Nous sommes bien asseurez que vous prendrez toujours plaisir d'en avancer le progrez puisque vous voiez combien Dieu y es- pend ses bénédictions et par l'approbation qu'il donne à cette ouvrage il vous donne suject d'y vouloir conjoindre vos soings, dont les effets sont si utiles. Monsieur Ingoli me mande que Sa Sainteté a grandement approuvé ce qu'il vous a pleu ordonner de nous en Chio. Nous pouvons suivre sans scrupule tout ce qu'il vous plaira faire pour les autres lieux. Vostre prudence est nosire guide et vostre protection est nostre bouclier. Vous ne sçauriez croire combien toute cette cour approuve et admire ce que vous faites pour nous avec tant de dextérité de puissance et de bonheur. Nostre establissement dans Alep a esté grandement considérable et de ce que vous l'avez mesnagé avec une telle industrie contre tant d'oppositions. Nous vous avons une grande obligation de ce que vous estendez vostre assistance dans les lieux esloignés de vous : c'est une des louanges que l’Esglise rend à Dieu quand, pour magniffier sa grandeur, elle dit qu’il la couvre et la deffend sous l'ombre de ses aisles. Cest ombre veut dire la réputation et le cré- dit quand il opère dans les lieux où il semble que l’on n’ayt pas en pouvoir si présent comme sont ceux où la divine Maiesté ne paroist pas avec tant d'évidence encore que son estre soit estendu partout. Ce n’est pas une flatterie si ie dis que vostre action tient quelque chose de la ressemblance de celle de Dieu puisqu'il en est l’autheur; ce qui ne diminue pas vostre gloire, mais plustost la rend si légitime et d’un tel prix que vous ne pourriez pas en ra- battre l'estime sans faire tort à celuy duquel elle vient. Je laisseray au vénérable frère Archange le soing de vous rendre nos continuelz remerciemens puisqu'il peut faire tous les jours ce que nos lettres ne font que rarement, aussy il vous dira combien ceux que nous vous envoions sont honnestes gens. J'attends avec impatience ce qu'auront fait vos gens à Marseille puisque vos amis de deçà ont = 00 jugé à propos de veoir clair en cet expédient pour satisfaire à M du Conseil, qui se porteront plus fortement à vous rendre jus- tice par la rigueur si cette voie d'accomodement ne réussit. Je n’ay rien apporté en cela du mien. Seullement j'y ay mis bon ordre voyant qu’on prenoit le chemin de faire exhorter vos parties d’acquiesser à vostre droit et se tirer du mal qu'ils se font eux mesmes. Vostre successeur désigné, continue tousjours à me pro- mettre d'attendre tant qu’il vous plaira. Je voussuplye très humble- ment de croire que en toutes les occasions je seray toujours très véritablement, « Monsieur, « Vostre très-humble et très-obéissant serviteur «F. Joseph capucin ind.» « Paris ce 14 septembre 1627. «Je vous ay mandé par mes précédentes comme M. d'Erbault m'avoit tesmoigné la satisfaction que Île roy a receuë de ce que vous avez fait et de ce ne vous ii avez escrit pour nostre esta- blissement dans Chio!. | « Monsieur, « Jay receu un extresme desplaisir d'apprendre par vos lettres du 12 de décembre l’estat de vostre affaire. Je n’ay jamais veu rien de plus long et de plus malheureux. Il faudroit, je ne diray pas ne vous estre point obligé à l’infiny comme je suis, mais estre dé- pouillé d'humanité pour ne pas s’efforcer à vous servir en ceste occasion. Mon malheur est que je ne lay peu encore faire d'autant que depuis deux mois M. le garde des sceaux est à Paris, et depuis le moys d'octobre j'ay-demeuré en cette armée avec dessein de ne m'en point esloigner qu'après la prise de la Rochelle qu'it y a lieu d'espérer dans quelques moys. Nous attendons icy le roy dans troys semaines; je croy que le conseil retournera avec luy. J’escriray cependant à nos pères qui sont à Paris qu'ils s’informent de ma- ® Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, vol. 107, pièce n° 53. NT dame vostre mère si elle y est, et du supérieur de la Croix, quel ordre j'auray à tenir. Et je n’apporteray pas plus de passion Pour voir les Rocheloys en leur debvoir que vous hors de la peine où vous estes depuis si longtemps. Cependant nos obligations envers vostre bonté croissent tous les jours. Aussy l’object qui les faist naistre estinfiny et vous fera recevoir une récompense sans borne. C’est où je fonde la confiance que je prends de vous donner tant d’importunité en tant de lieux. C'est le mal agréable que souffrent les pères qui ont une grande famille; ce qui donne plus de facilité à la nostre de subsister dans sa faiblesse, c’est qu’elle est appuyée sur la providence de Dieu et soubmise à vostre prudente conduite. Je ne m'estendray point davantage sur les particularitez et prin- cipalement sur les traverses des pères cordeliers en la Syrie, le roy y apportera remède par son authorité. Nous attendons le prin- cipal effort de vostre assistance. Le R. P.. Archange vous dira de ma part ce qui concerne les autres lieux où le pape nous a com- mandé de servir et encore qu'ils soient esloignez de vous, le res- pect que nous debvons et la protection que nous en espérons nous font vous supplier très-humblement de nous y départir votre fa- veur que quelques uns préviennent quelquefois par anticipation et que nous voulons suivre avec obéissance. Permettez moi de faire mes très humbles recommandations à Madame lAmbassadrice et de vous assurer tous deux, que je suis pour toujours très-vérita- blement !, « Monsieur, « Vostre très-humble et très-obéissant serviteur en nostre Seigneur. «F. Joseph capucin indigne. « Du camp devant la Rochelle, ce 20 mars 1628.» «Je vous nepee de recepvoir avec vostre bénignité ordinaire ces deux bons pères que nous vous envoyons pour estre employés où vous jugerez plus utile. 1 Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, vol. 107, pièce n° 55. RS Je « Monsieur, «Encores que je n’ignore pas que vous me faites la faveur de ne pas révocquer en doubte l’affection que j’ay pour vostre service, je m'asseure que M" de la Picardière et le s' Marson vous en ren- dront des tesmoignages, qui, néantmoins, ne consistent tous qu’en bonne volonté, et, par ainsy, requièrent plus tost la grace que vous me ferez d'y adjouster foy, qu’une approbation certaine. Vous voyez que, selon vostre désir, l’on n’a point pressé vostre partement et que l’on envoie terminer vosire affaire le plus favo- rablement qu’il sera possible. J’auray toujours ce mesme soin en ce qui vous concernera. Quant à ce qui nous regarde, je vous supplie de continuer vostre protection et dextérité pour faire que les desseins des habitans de Chio de nous establir dans leur esglise puissent avoyr lieu, et d'en escrire à Rome, s’il en est be- soin, ainsy que le roy a fait de deçà pour vaincre les difficultés qui s’y sont rencontrées par faute de se bien entendre. Je vous supplie aussy d'obtenir le pouvoir de célébrer la messe au nou- veau bastiment de Smyrne. Ce nous sera une double obligation que vous donniez une bonne fin à ceste affaire qui, à la vérité, a esté mal comancée. Je vous supplie aussy d’escrire, par M. de la Picardière, au R. P. Gardien de Jérusalem à ce que les bons : pères se résolvent enfin de bien vivre avec nous, cessant de nous faire les mauvais tours que tous les jours nos pères de la Syrie, de Palestine en reçoivent, et de rompre la teste au Pape et au Roy, à quoy je ne voy point d’autres remèdes que de leur faire cognoistre le mal qui leur peut enfin arriver d’un tel procédé, et de leur faire voyr qu'ils ont besoin du Roy. « Monseigneur le cardinal vient de recevoir vostre lettre du 27 de novembre qu’il a veue volontiers et se trouvant sur la veille de son départ pour Suze. Il m'a comandé de vous dire qu'il juge fort à propos ce que vous luy mandés, qu’il est utile d’empescher avec adresse que l’on fasse de nouvelles alliances avec le Turc, soit d’une part ou de l’autre. Quant au Sarde, pour quelques con- sidérations présentes, il ne faut pas que Îuy ou les siens puissent cognoistre que le Roy le veuille traverser en ce que dessus encores qu'il soit bon d’en esloigner l'effet avec la susdite précaution. II ne sera que bien que le Turc et l'Empereur fassent un peu la mine pour rendre ce dernier plus retenu de mal faire au Roy et ACL OURE e de travailler ses voysins. Estant plus utile qu’il exerce ses forces et fasse du mal aux gents du Turc qu’à ceux qu’il debvroit aymer, pour estre de mesme créance; son parent, qui le possède, ne permettra jamais qu’il désiste de ce dessein que par force. « Quant à ce qui regarde la Transilvanie, Monseigneur le car- dinal a donné charge à M. de la Picardière de la prudence et du secret duquel il se fie beaucoup, de vous dire ses intentions plus amplement que ne pourroit porter une lettre à la haste, et vous prie continuer à luy mander exactement les progrès de cette affaire. « Vous m'obligerez particulièrement de croyre que M. de la Picardière part avec dessein de vous rendre toutes sortes d'efforts avec la bienveillance et la probité que vous avez tousiours recoi- gneues en luy. « Je salue très-humblement madame de Césy, demeurant à tous deux pour jamais !, « Monsieur, « Vostre très-humble et très-obéissant serviteur en Nostre Sei- gneur, «F. Joserx, cap. ind. « De Grenoble, ce 5 février 1630. » £ _ Cette dernière est datée de Ratisbonne; il y était, conjointe- ment avec M. de Léon, chargé de traiter de la paix. « Monsieur, « Jay receu vos lettres des moys d'avril, de may et de juin. Vous voulez mettre la dernière main, à ce que je voy, à l’œuvre de nos missions duquel vous avez jetté les fondemens. La décla- ration que Je vous ay faite et que je rends partout publicque, des extresmes obligations que nous en avons, me servira, s’il vous plaist, d’un remerciement général, n’osant entreprendre de le faire en particulier et aussy souvent que vos bienfaits le méritent. J'espère maintenant que vous aurez terminé l'affaire de Chio, et, s'il y manque quelque chose, je vous supplie d'en escrire à M. de | Brossac , lequel y secondera bien vostre bonne affection, et de faire ! Bibliothèque impériale de Saint-Pétershbourg; documents français, vol. 107, pièce n° 61. MISS. SCIENT. — III. 3 acer ‘JE entendre au Pape, à la congrégation et au s° Ingoly, lequel semble y apporter plus de difficulté, qu'il n’y a point de raison de priver les habitans et nous de nostre bien commun pour l’intérest mal fondé de l'évesque, qui ne doibt estre juge et partie. Vostre re- charge à Rome sur ce sujet, s’il en est besoin, fera un grand effect. «L'affaire de Smyrne m'a donné aussy de la peine, car comme il n'y a pas d'apparence que la maison nouvelle ne serve à nostre usage ayant esté bastie et payée pour nous au moins l'argent estant tout prest et la maison du lieu s’en tenant contant. Aussy auray-je grand regret d'incomoder les R. P. jésuites, que je fais profession de servir en tous lieux et de cela je vous supplie très- humblement de les asseurer que s'il se trouve quelqu'expédient raisonnable je l’embrasseray toujours volontiers. Il me semble qu'il seroit à propos qu'ils allassent loger chez M. le vice-consul, 5il change de logis et mesmes quand ils seroient ailleurs, pour leur commodité. Ce seroit toujours du bonheur qu'ils fissent leurs dé- votions dans nostre esglise, ce qui seroit un bon exemple de con-. fraternité, car quand à demeurer dans nos mesmes logis, vous sçavez que pour la diversité des instituts, des habitudes et des conversations que les séculiers veulent avoyr libres, selon leurs différens mouvemens, nous ne pourrions pas convenir sans grande difficulté. Le Roy a trouvé bon que Jje fisse un voyage en Alle- magne pour accompagner M. de Léon, nostre cher et comun amy, en une diète que l'Empereur tient en cette ville avec les électeurs, où les ambassadeurs de plusieurs princes assistent pour essayer d’accommoder les affaires de la chrestienté. (Suivent neuf lignes biffées.) | « Avec: vostre submission, je salue très humblement madame l’ambassadrice. M. de Léon vous baise affectueusement les mains: 11 vous escrira au prochain voyage !. « Monsieur, « Vostre très-humble et très-obéissant serviteur en Nostre Sei- gneur, «F. Josepx, c. ind. « Ratisbonne, ce 9 septembre 1630. » L . , . EC . " . Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg ; documents français, vol. 107, pièce 64. sn D — Je retourne maintenant en arrière : la correspondance de Bou- thillier, que possède la bibliothèque de Saint-Pétersbourg, va me permettre de reprendre durant quelques années encore l'histoire de Louis XIII. M. d'Herbault étant mort à Suse, le 20 mai 1629, Bouthillier lui avait immédiatement succédé. En me servant de sa correspondance avec M. de Léon, je pourrai suivre nos armées au delà des Alpes; mais avant de m'occuper des guerres d’Ita- lie, une lettre de lui mérite d’être citée, car elle révèle un fait qui me semble peu connu. Le 30 octobre 1629 il écrivait à M. de Césy : « Il arriva icy un accident qui nous tint en émotion durant deux heures : un homme, qui se disoit Persien et qui suivait le roi depuis quelque temps, feignit avoir reçu, dans l’antichambre de Sa Majesté, un coup de pistolet de la main d’un homme qu'il disait avoir suivi, parce qu'il le soupçonnoit d’avoir quelque mauvais dessein sur la personne de Sa Majesté; mais on découvrit qu'il s’estoit blessé lui-mesme avec un certain ferrement qu’il avoit sur luy. Le fourbe a reçu le chastiment qu’il méritoit. Monsieur est à Nancy; le roi quittera Fontainebleau lundi pour aller s’esta- blir à Saint-Germain-en-Laye !. » J'arrive aux événements dont l'Italie était le théâtre : Voici ce qu’en dit Bouthillier, dans une lettre du 16 novembre 1629, à M. de Césy : « Les Espagnols et les Allemans attaquent de tous costés M. de Mantoue !; mais la protection que Sa Majesté donnera à ce prince sera telle, que chacun apprendra que Sa Majesté n’a pas moins de vigueur et de puissance pour assister ses alliés au besoin, qu’elle a montré de modération et de sincérité pour procurer le repos à l'Italie que l'ambition des Espagnols vient aujourd’hui à troubler. » Et il ajoute : «Le Roi veut arrester les progrès des Allemans dans le Man- touan et des Espagnols dans le Montferrat. Le cardinal sera dans huit jours à Lyon pour tout préparer. » 1 Lettre autographe et datée de Fontainebleau, vol. 81 de la collection des documents français. ! Le nouveau duc Charles de Gonzague, duc de Nevers, qui avait quitté la France, la situation qu'il y occupait, pour se jeter dans les hasards d’une double lutte avec l'Espagne et l'Autriche. [e) Louis XIII restait en arrière pour traiter du retour de son frère retiré à Nancy, el auprès duquel il avait envoyé le maréchal de Marillac. Avant de rejoindre le cardinal et de passer les Alpes, il devait apaiser les factions du dedans, redoutables auxiliaires des ennemis du dehors. La négociation fut longue, les exigences de Monsieur onéreuses, enfin le traité fut signé et l’entreyue des deux frères eut lieu à Troyes, le 18 avril (1630). Bouthillier, l’un des agents les plus actifs de cette nouvelle ré- conciliation, entre à cet égard dans de curieux détails. Libre enfin de marcher en avant, le roi arrivait le 2 mai à Lyon; après y avoir pris le temps de régler le mouvement des troupes, il prenait la route de Grenoble et y entrait le 10. Dans une longue suite de dépêches, Bouthillier nous fait assis- ter à tous les événements un peu marquants de cette seconde campagne d'Italie, dans laquelle Mazarin, à peine connu la veille, déploya de si hautes qualités comme négociateur, ne tenant compte ni des obstacles, ni des distances, se mesurant de parole avec Ri- chelieu, qui deviendra son modèle; passant d’une armée à l’autre, allant de Collalto à Spinola; leur arrachant d’abord un armistice, puis, à l'heure suprême de la lutte, se jetant entre les deux ar- mées, impatientes d'en venir aux mains, et obtenant la paix au moment même où, la bataille déja engagée, cette paix semblait impossible. | & Tout ce qui tient à ces grands événements, tout ce qui peut y ajouler de nouvelles particularités mérite-d’être minutieusement reproduit. C’est ce qui nous a engagé à rapporter les lettres de Bouthillier à M. de Césy, à l’occasion de cette nouvelle guerre d'Italie, où tant d'hommes illustres se trouvaient en présence. Plus tard elles pourront être utilisées. Bouthillier avait précédé Richelieu à Lyon et il s’y trouvait encore au moment de la grave maladie qui faillit emporter Louis XIII. Je crois devoir donner le récit qu'il en fait à M. de Césy!: « Cette maladie a esté une fièvre continue; elle commença le 22 du mois passé, il fut saigné le 26, et le 27 il reçut le corps de Nostre-Seigneur. Cette action ne fut pas plustost achevée, que Sa Majesté a paru fort soulagée, si bien qu'on le crut en achemi- nement à une prompte guérison, et de fait, ayant pris médecine Es ! Le 7 octobre 1630. Re NE peu de temps après la communion, il fit une opération de dix- sept fois dans la nuit du 28, qui fut suivie d’un repos de cinq heures. Il passa le jour suivant, qui estait le 29 du mois et le sep- tième de sa fièvre, et la nuit du mesme jour avec beaucoup de repos, et la fin dudit jour eut une crise parfaite, tant par les sueurs que par un flux de ventre. Mais le 30, entrant dans la nuit, ce bénéfice se changea en un flux de sang qui travailla grandement Sa Majesté toute cette nuit, et elle se résolut encore de communier le lendemain et se prépara à ce qu'il plaisoit à Dieu avec une constance si fort au-dessus de celle que les plus religieux des hommes peuvent avoir, que les tesmoignages d’une si rare vertu augmentoient encore l’affliction que son mal portoit à tout le monde. Après la communion il commença à se trouver mieux; le mal se-découvrit aux médecins, car Sa Majesté jeta par le bas une matière d’apostume qui s’estait formée dans le ventre. » Le mieux se soutint, et le 18 octobre Bouthillier écrivait à M. de Césy : « La convalescence du Roi marche bien; une dernière crise a emporté le reste des humeurs; la semaine prochaine il partira pour Paris. La trefve est expirée en Italie, l'armée marche au se- cours de Casal. » Enfin, dans une dernière lettre à M. de Césy, Bouthillier lui fait part des derniers événements : « Le Roi, lui dit-il, est parti le XIX pour Paris, accompagné de la reine et de toute la cour. La paix a esté signée à Ratishbonne par M. de Léon, le XIII de ce mois, et les commissaires de l’'Em- pereur. Le Roi en reçu la nouvelle à Roanne; mais les articles en ont paru tellement contraires aux instructions de M. de Léon, et que loin de pacifier ltalie ils y feroient naïstre de nouvelles aigreurs, Sa Majesté n’a pu l’approuver. Le s° Mazarini estant venu près des généraux de Sa Majesté pour les engager à se tenir à ce traité et de s’arrester, ils n’en ont tenu compte et ont continué de marcher au secours de Casal avec la mesme diligence. Ils ne sont plus qu'à 12 milles de Casal. » C'est de Paris que Bouthillier annonce à M. de Césy que la paix est enfin signée. Mazarin l'avait arrachée sous les murs de Casal au moment même où le canon grondait déjà. Le récit que nous en donne Bouthillier appartient à l'histoire de lillustre homme d’État. OR « Suivant cette résolution, MM. les généraux s'estoient avancés et mis en bataille à la veue de Cazal mesme, commencé-à mar- cher vers les premiers retranchemens où le s° Marsilly et sept ou huit soldatz, mais plus beaucoup des ennemis, avoient esté tués, les nostres ayant forcé le premier retranchement; sur cet instant le s' Mazzarini sortit du camp des ennemis et feit un signal de paix et de suspension d'armes, qui fut accompagné en mesme temps d’un semblable d’une bonne partie des soldats de l’armée ennemie; les nostres au contraire ne demandoient que combat et bataille ; de là ledit Mazzarini s’estant approché de M" les géné- raulx, il leur dit que les Espagnols consentoient à tout ce qu'ils avoient désiré et qu'ils se retiroient présentement de la ville et chasteau de Cazal; ce qui ayant esté entendu, Mess” nos géné- raux firent arrester l’armée et entrèrent bientost en conférence avec ceux qui commandoient les armes d’Espagne dont il s’est ensuivy que les dits Espagnols ont levé le siége et quitté la ville et le chasteau de Cazal, Pont de Vere, Rossignan et tous les lieux qu'ils tenoient dans le Montferrat, s’estant retirés avec leur armée dans l’estat de Milan, et celle de Sa Majesté pourra ensuite estre retirée dans ses premiers postes du costé du Piedmont, es- tant à remarquer que, dans cette expédition, les vivres y ont esté en grande abondance et qu'elle n’a eu aucune nécessité. Il est aysé de juger si se succès est glorieux aux armes et à la réputa- tion du Roi. Il faut espérer qu’il pourra estre suivi d’une seure et honorable paix, pour laquelle Sa Majesté montrera les mesmes bonnes intentions que par le passé et affin d'y parvenir plus seure- ment se tiendra toujours préparée à la guerre !. » J'ai laissé de côté toutes les intrigues ourdies par Marie de Mé- dicis contre le cardinal. C’est à Lyon, durant la: maladie du roi, qu’elle avait engagé cette dernière lutte avec Richelieu, où elle devait succomber. Nous venons de le voir, c’est en vain que, voya- geant avec elle, il essaya de la fléchir, de détourner l'orage, il ne le put. Bouthillier aborde ce sujet avec M. de Césy, mais en termes modérés. De la journée des dupes il n'indique que le changement survenu dans le ministère et sans réflexions : «Sa Majesté a jugé à propos de congédier M. de Marsillac et de ! Bibliothèque Impériale de Saint-Pétersbourg; documents français, vol. 81. QU SE ds le faire se retirer à Lisieux, en Normandie, ayant fait choix de M. de Châteauneuf comme l’un des plus anciens du conseil et l'une des personnes dont la fidélité et l'expérience lui sont con- nues, pour lui commettre cette importante charge dont il s'acquit- tera très-dignement comme j'espère que fera M. le président Lejai de celle de premier président que le Roi lui a donnée. » De 1630, époque où nous sommes parvenu, Jusqu'à la fin du règne de Louis XIII, nous n’aurons plus, ainsi que nous l'avons eu pour le commencement, des correspondances suivies comme celles de MM. de Puisieux et d’'Herbault ; mais en revanche nous aurons des lettres de presque tous les hommes importants employés par le cardinal de Richelieu, sans en excepter Bouthillier, dont la bibliothèque de Saint-Pétersbourg possède encore quelques lambeaux de correspondance avec M. de Brasset, notre ambassa- deur en Hollande, et M. de Rorté, notre envoyé près les cours d'Allemagne. | Dans ces lettres éparses de tant de personnages divers, et dont la plupart sont adressées au chancelier Séguier, tout n’est point à prendre, et je me bornerai aux documents les plus importants. Voici d’abord les instructions données, le 20 novembre 1633, à M. Dubois, envoyé en Allemagne et en Suède. Elles méritent d’être reproduites, car la politique d'Henri IV, par rapport à l’Al- lemagne, y est reprise et appliquée par Richelieu. « M. Dubois ira trouver le chancelier Oxenstiern pour lui faire entendre la part que prend Sa Majesté à l'accident survenu en Silésie par la prise du comte de Latour, et du désir qu'elle a d'apporter ce qui lui sera possible pour y remédier, selon que le présent estat de ses affaires le lui permettra. « Ce que Sa Majesté juge de plus important, c’est d’affermir ‘électeur de Brandebourg et les autres princes et seigneurs de ces quartiers-là, et d'essayer, par le moyen de l'électeur de Brande- bourg , de ramener l'électeur de Saxe et le général Arnim, sujet naturel de l'électeur de Brandebourg, afin qu'ils joignent leurs troupes à celles des Suédois et de Bernard de Veymar pour s’op- poser à l'ennemi commun. « M. Dubois continuera ce qu’a commencé M. de Rorté et en- gagera l'électeur de Brandebourg à ne point se séparer de la France et de la Suède. «II faut surtout empescher l'électeur de Brandebourg de se laisser amuser par les manifestes trompeurs du duc de Friedland et de ses cohérens, se ressouvenant comme il endormit et attrapa, par de semblables artifices, les ducs de Poméranie et de Meck- lembourg. ; « Qu'il se souvienne qu’il vaut mieux pays gasté que perdu, ce qu'il ne pourroit éviter s’il se livroit aux Espagnols ou à ceux du conseil de l'Empereur !. » À côté des dépêches qui traitent de notre politique extérieure ; et de celles qui nous dévoilent les intrigues qui agitaient la cour de France, il ÿy en a un certain nombre d’autres qui éclairent l'état intérieur de nos provinces, et nous révèlent leurs luttes, leurs discordes et leurs souffrances. On ne crée pas une marine, on n’entretient pas des armées permanentes sans aggravation de charges pour la nation. C’est là le triste revers des grandes choses accomplies par Richelieu. Si l’on ne s’en tient pas aux apparences brillantes de son administration, si l’on veut apprécier la mesure des sacrifices exigés, la triste et vraie situation de la France nous semble résumée dans ces quelques lignes adressées par Desnoyers au cardinal : « Nous ne sommes plus en saison où il faille maltraiter les peu- ples sans sujet. Les misères dans lesquelles ils sont nous obligent plutost à compassion qu’à leur faire sentir des rigueurs inutiles qui leur arrachent de l’âme ce qui leur reste d'affection pour le prince ?. » C'est dans les lettres adressées au chancelier Séguier que nous allons désormais fouiller pour en faire sortir tout ce qui intéresse l'histoire de nos provinces tant étudiée aujourd’hui. Que de noms, que de choses à relever et à mentionner dans les six gros volumes dont se compose ce recueil ! Pour en finir avec les résistances féodales, Richelieu avait or- donné de raser tous les châteaux forts. Villarceaux, Laubarde- mont, Laffemas sont chargés de cette œuvre de destruction. Leurs rapports nous fournissent de précieuses indications sur nos vieux manoirs. C’est à Laubardemont, rapprochement singulier, que revient la tâche de faire démolir le château de Loudun. Dans une lettre au chancelier Séguier, M. d’Armagnac se plaint de la ! Volume 33 de la collection des documents français. ? Volume 107 de la collection des documents français. = Es besogne, qui a été mal faite : «Il reste encore sur la motte du chasteau une grosse tour qui commande la plus grande partie de la ville. » Le procureur général Molé tient le chancelier au courant de tout ce qui se passe à Paris. Chargé de la police de la grande ville, il donne de curieuses explications sur la manière dont elle se pratiquait alors. Dans un long rapport de sa main, je trouve le récit d’une révolte des Carmes de la place Maubert : « Le 7 de ce mois!, les anciens, à main armée, se sont saisis des portes, ont chassé par force les religieux réformés et barricadé toutes les portes, de sorte que, les commissaires y allant, ils n’ont ouvert. Le prévost des marchands s’y est transporté, personne n’a respondu. Le premier président y est entré seul à huit heures du soir et depuis a eu de fréquentes communications avec eux, il at- tend les ordres du chancelier pour agir. » Lors de la campagne de 1636, MM. d’Argenson, de Choisy et de Bullion avaient mission d’approvisionner l’armée de Picardie. Leurs lettres nous apprennent comment alors on faisait vivre une grande armée. Lorsque l'argent venait à manquer, et il manquait souvent, c'était aux dépens des pauvres paysans des campagnes, réduits comme ceux de Picardie à se réfugier dans les bois, et voyant de leur retraite leur récolte livrée à la cavalerie. Schomberg nous parle du Languedoc, où la pénurie d'argent est ‘extrême. Le marquis de Brézé nous parle du Poitou. De ce der- nier les lettres ont une telle pointe d'originalité que je ne puis me défendre d’en citer au moins une. « Certains nobles d'Anjou, écrivait-il au chancelier Séguier, ou soy disant tels, s'estant assemblez il y a quelque temps pour m’as- sassiner, et voyant que cette entreprise là estoit plus aisée à ré- zoudre qu’à exécuter, se résolurent de s’assembler une seconde fois pour voir comme quoy ils se pourroient mettre à couvert des pour- suites que je pourrois faire contre eux; le résultat du conseil qu’ils tenoient pour cela fut qu'ilz passeront un escrit entre eux, par le- quel ilz se juroient réciproquement de poignarder et brusler la maison de celuy qui manqueroit à la ligue et qui viendroit à ré- sipiscence ; ilz se résolurent de plus de faire signer par le plus de gens qu'ils pourroient, valets, sergens et bourgeois de bourgs, le ! Octobre 1636, vol. 107 de la collection des documents français. be 4 AO tout sous le nom de gentilz hommes, des cayers de plaintes contre moy pour esluder celles que je pourrois faire contre eux, mais Monsieur, je suis tout prest de rendre compte de mes actions et de payer de la vie si j'en ai fait une contre l’ordre, mon devoir et la justice. Si ma santé me l’eust peu permettre, Je serois allé moi- mesme me présenter devant vous pour vous rendre compte de mes actions, mais, Monsieur, s’il s’en trouve pas une digne de re- préhension, Je croy que vous n’estimerez pas Juste que, Marson, qui est petit-fils du notaire, ait esté dans la maison de cinq cens gentilz hommes pour les armer et assembler contre moy, et cela sans lui en avoir jamais donné aucun subjet ; il en a trouvé très- peu qu'ilz l'aient voulu faire, mais tousjours n’a-til pas tenu à luy, et vous en demande justice, Monsieur, et pour les con- vaincre, il n’est besoin que de leur commander de vous présenter les deux papiers, l’un qu'ilz doivent faire voir et l’autre qui doit demeurer entre eux, qui est celuy de la ligue offensive et défen- sive contre moy. J'espère de vostre bonté que vous ne refuserez pas vostre protection en une chose si juste à celuy qui est de toutes les puissances de son ame, votre très-humble et obéissant serviteur !, » Continuons à passer en revue chacune de nos provinces : À Lyon, il n’y a plus aucune justice : M. Morin se plaint au chan- celier Séguier, qu'un peintre, nommé Leblanc, a été laissé pour mort par les domestiques d’un nommé Boitier, et que le présidial se refuse à poursuivre. Il demande qu'il soit nommé à Lyon un intendant de justice, et que Cossin, Rochefort, Bernier et Chou- lier, conseillers au présidial, soient mandés à Paris pour être ré- primandés et tenus six mois sur le pavé ?. La ville de Limoges est épuisée par la peste. Au nom des ha- bitants, M. d’Argenson demande un délai pour la levée des nou- velles impositions $. Le Parlement d’Aïx est en lutte ouverte avec le maréchal de Vi- try *. À Toulouse, conflit perpétuel entre les commissaires du Roi, ! Autographe n° 107 de la collection des documents français. ? Lettre du 25 février 1633; vol. 107 des documents français. * Lettre originale du 9 mai 1633 ; vol. 107 de la collection des documents français. “ Diverses lettres de M. de la Poterie au chancelier Séguier; vol. 107 de la col- lection des documents français. LEON Mons ‘qui veulent connaître de tout, et le Parlement. M. de Berthier est l'organe des plaintes de ses collègues à l'égard du chancelier !. La haute Auvergne est mécontente ; M. de Mesgrigny s’effraye de la situation. M. de Chaulnes écrit de Clermont (25 juillet 1643), que toutes les villes ont secoué le joug, et que tout est en désordre. Le bruit s’est répandu que le droit de subvention était aboli; il se plaint du fermier, le sieur Ferry, homme fastueux, àpre au gain, haut en la main. Ses commis ont donné des ordres contraires aux siens, et, en terminant sa lettre, il manifeste ses vives répugnances «à tousjours prendre les armes pour défendre des personnes insa- tiables. » À Périgueux, M. de Verthamont en est réduit à faire des con- cessions à la populace et lui promet le renvoi du maire. Au Mans, M. Legras se plaint de la manière déplorable dont la levée des troupes se fait dans cette ville. La Chambre de l’édit du Parlement de Grenoble refuse de sié- ger, parce que la préséance a été accordée au président catholique sur le président protestant. La Cour des comptes de Montpellier est en brouille avec le pré- sidial de Nimes. La Chambre de l’édit de Castres s'oppose aux mesures prises par les commissaires envoyés par le Roi pour punir les rebelles du Vivarais. À Rouen, conflit entre le Parlement et la Chambre des comptes. La révolte des Nu-pieds ensanglante les villes de la basse Nor- mandie. M. de Bellegarde fait un triste tableau de la misère de la ville de Clamecy. La Bourgogne n’est pas plus tranquille. M. de Machaut écrit au chancelier que le Parlement refuse à la fois l'enregistrement des édits et les subsides pour les fortifications : « La peste désole Dijon, où elle augmente à ce point que la place n’est plus tenable. Le mal s’épanche dans le pays. Dans Auxonne tout y meurt. » L'esprit de révolte gagne la Bretagne. À Rennes, une sédition dure trois jours; le peuple crie : Vive le Roï sans gabelle! brise les vitres de M. de Brissac et de plusieurs autres notables personnes. M. d'Étampes ne sait plus où donner de la tête. 1 Diverses lettres de M. de la Poterie au chancelier Séguier; vol. 107 de la collection des documeñts français. = M À Bordeaux, ce n’est plus une simple émeute, c’est la prise de la ville par la populace. Voici ce qu’en écrit M. d’Aguesseau au _Chancelier : « Monseigneur, «Jay un extresme desplaisir de n’avoir sceu plus tost vous don- ner cognoissance de la sédition qui est arrivée en cette ville lundy dernier, sur le sujet de l’establissement d’un droit que le roy a or- donné estre levé par chascun an sur les cabaretiers. Le désordre a esté si extraordinaire en cette occurrence qu'il estoit impossible de pouvoir prendre le temps ny le loisir de l’escrire. Vous aprendrés toutes les particularitez de cette sédition par les divers procès-ver- baux qui en seront envoiés, tant de la part de nostre compagnie que du costé des jurats. Je vous raporteray seulement, Monsei- gneur, quelques circonstances, après vous avoir marqué en gros que l’archer qui faisoit le dit établissement et un nommé Desai- gues, faisant profession de porter l’espée, qui s’est ingéré de luy mesme dans cette affaire, sans avoir aucune charge dans la mai- son de ville, y ont esté tous deux tués à diverses heures et en di- vers endroits, estant sortis de la dite maison de ville en habits déguisés pour se sauver; deux ou trois autres y ont encore esté tués, ayant esté pris pour des gabeleurs, comme aussy un nommé Émery, commis à la recette du droit. Et il est remarquable que ceux qui ont fait la sédition n’ont rien pillé ni volé, et que mesmes, après avoir tué ledit Émery en son logis, ils ont rendu jusques à une cuiller d'argent. Cette tourbe séditieuse, quoyqu'’elle fust de plus de trois mille personnes, n’estoit pourtant composée que de la plus basse partie du peuple. Après qu'ils se furent emparés de la maison de ville, ils firent venir devant eux les prisonniers et leur prononcèrent leurs élargissements avec défense à eux de se plus laisser emprisonner. Ils firent aussy demander la vie aux deux ju- rats qui estoient dans ledit hostel de ville, et un d’eux ayant son chapeau sur la teste, ils luy dirent que la vie ne se demandoit point en cette sorte, et luy firent oster son chapeau; ils leur firent en- suitte mettre leurs chaperons sur leurs épaules, et les menèrent en leurs logis, où les ayant mis ils crièrent plusieurs fois vive le roy. On m'a raporté qu'il crioient de mesme vive le roy après qu'ils avoient tué quelqu'un de ceux qu'ils estimoient estre des gabe- , ! ; + L ‘ cest NE al leurs. Le lendemain, qui estoit mardy, ils furent par la ville, ar- més comme le jour précédent, et crièrent aussy diverses fois, selon les occasions, vive le roy, et plusieurs disoient qu'ils paieroient à Sa Majesté tout ce qui luy plairoit leur imposer, pourveu que ce ne fust point sur le vin. Ce malheur public provient de ce que les jurats n'ont point esté secourus des bourgeois comme ils pré- tendent; ils l'ont ainsy raporté au parlement; sur quoyÿ nostre compagnie ayant député aucuns de M" les présidens et conseil- lers pour aller par la ville assembler quelques bourgeois, les dé- putés ont confirmé la même chose et raporté qu'ils n’avoient trouvé aucuns bourgeois; le lendemain mesmes, allant par la ville et atroupés comme le jour précédent demandant un arrest d’abolition généralle et qu'on fist ouvrir les portes de la ville ou qu'ils mettroient le feu partout. Les jurats et capitaines me rapportèrent au chasteau du Ha, où je m'estois retiré, qu'ils n’avoient pu trouver aucuns bourgeois pour s'opposer aux dicts séditieux, ce que mesmes aucun de MM. du parlement me confir- mèrent, lesquels s’estoient mis en devoir d’en assembler. Nostre compagnie ayant esté advertie que les séditieux tenoient la mai- son de ville assiégée, pensant par ce moyen arrester la sédition, donna arrest par lequel estoit ordonné qu’il seroit sursis pour un mois, sous le bon plaisir de Sa Majesté, à l’establissement du dit droit, et que l’arrest seroit présentement publié à son de trompe. Le premier huissier estant allé vers la dite maison de ville pour faire publier le dit arrest, il fut environné par plusieurs des sé- ditieux, lesquels le descendirent de son cheval et luy arrachèrent le dit arrest, et, ne l'ayant point trouvé à leur goust, le déchirèrent et tuèrent un jeune homme qui tenoit le chapeau du premier huissier, disant qu’il aydoit aux gabeleurs. Je demeuray au palais le dit jour de lundy, jusques à cinq heures du soir avec quel- ques-uns de M'° du parlement, affin de donner les ordres qui seroient jugés nécessaires sur les advis qui nous seroient aportés; mais ayant esté adverty à l'heure de cinq heures que les dits sé- ditieux estoient dans l’hostel de ville et qu’ils disoient vouloir ve- nir au palais pour se saisir de moy et de Constans, jurat, comme favorisans le dit establissement, je quitay le dit palais, et m'es- tant mis dans un carosse, je me fis conduire au dit chasteau du Ha, où je suis demeuré jusqu'au mercredy matin, que je suis rentré avec Messieurs du parlement au palais, où ayant raporté que j'a- EURE peu vois escrit à Mons' d’Espernon et luy avois donné advis, dès le lundy après disné, de la dite sédition, et qu'il m'avoit envoié une response par son capitaine des gardes, par laquelle il me mandoit ne pouvoir venir si promptement, tant à cause de son indisposi- tion que parce qu’il estoit peu accompagné, il fust à l'instant dé- libéré, les chambres assemblées, d'envoyer deux députés vers le dit s' d'Espernon pour le prier de venir promptement, par l’espé- rance que sa présence arresteroit le désordre. Suyvant cette prière, | ledit s' d'Espernon estant venu jeudy dernier, il est descendu dans | la maison de ville, où, à son entrée, il a destitué les jurats et leur a fait deffense de se plus immiscer en la fonction de leurs charges jusques à ce que par Sa Majesté en ayt esté autrement ordonné et après a donné tel ordre à la ville que depuis son arrivée les sé- . ditieux sont demeurés renfermés dans leurs maisons, de sorte que la ville paroist maintenant en repos. Quand les choses seront en- tièrement asseurées et qu’il n’y aura plus rien à craindre, le parle- ment ne manquera pas d'informer et de procéder au chastiment des coupables !, « AGUESSEAU. « Bordeaux, ce XX may 1635.» Le 8 juin, d’Aguesseau annonce au chancelier l'exécution de Bureau, l’un des chefs « qui a esté pendu sans apparence d’émo- tion populaire. » La sédition ne s’en était pas tenue à Bordeaux. elle avait gagné Moissac, Lectoure, Castel-Sarrasin et Auch. De Toulouse, M. de Berthier écrivait au chancelier que le contre-coup s’en faisait sentir dans toutes les populations, le long de la Garonne. Cette triste revue est loin d’être terminée : dans le mois de juin 1640, une sédition éclate à Moulins, les faubourgs se révolient et prennent les armes. Par crainte du pillage, le maire, M. Rey, faiblit devant l’émeute et quitte la ville, où le désordre prend le dessus; les prisonniers arrêtés le premier jour sont mis en liberté par un des échevins. N'ayant pas de troupes suffisantes, le gouver- neur, M. de Saint-Géran , se retranche dans le château , et à l’une des fenêtres fait pendre l’un des chefs. Un mois se passe ainsi; enfin cent mousquetaires parviennent à entrer dans le château; le gou- ? Biblioth. impériale de Saint-Pétersbourg ; documents français, vol. 114. C2 verneur reprend l'offensive, et, une fois maître de la ville, il fait encore pendre l’un des chefs des séditieux, en attendant M. Hum- bert de Chaponay, envoyé de Lyon pour faire sévère justice. La correspondance du maire et du gouverneur, qui se dénoncent ré- ciproquement au chancelier Séguier, formerait à elle seule presque un volume. M. de Sacé réclame une chambre des grands jours pour la pro- vince de Rouergue : les tailles s’y lèvent diflicilement, les gen- tilshhommes en entravent les rentrées. Il se plaint que sa vie se passe sans repos ni relâche. À Angers, une violente émeute a lieu en octobre 1641.M. de Heere écrit au chancelier que, s’il eùt eu seulement cent hommes sous la main, il eùt empêché la sédition. À Tours, Agen, Ville- franche, pareilles émotions populaires; les rebelles y sont assez nombreux pour s'attaquer à des régiments. À tant de maux, où trouver un remède? Dans les premières années du règne de Louis XIIT, un poëte normand, Montchrétien de Vateville avait écrit un gros livre sur l’économie politique. À l'en croire, le système prohibitif devait enrichir la France. In- quiet de l’avenir, effrayé des souffrances qu'avec quelque justice on faisait remonter jusqu’à lui, Richelieu, lui aussi, cherchait le remède, mais là où il n’était pas. On se figurait alors que, pour alléger les charges de la nation, il suffisait de prohiber la sortie des espèces d’or et d'argent, de limiter le commerce des marchan- dises de luxe, d'établir des lois somptuaires. On se persuadait surtout que, par la réforme des monnaies, on rappellerait la ri- chesse dont il ne restait plus que l’ombre. Le chancelier Séguier fut chargé d'étudier toutes ces questions, et de toutes les lettres qui lui furent adressées, la plus remar- quable, sans aucun doute, est celle de M. Lusson. Malgré sa lon- gueur, je vais donc la citer tout entière; elle touche à toutes les questions financières de l’époque, résume les idées qui avaient cours, et nous fait bien connaître le grand trafic qui se prati- quait, dès le xvr° siècle, par le commerce de Lyon et de Marseille sur les matières d'or et d'argent. « Monseigneur, « Le vœu que j'ay fait de vous rendre toute ma vie très-humble ER en service et obéissance, les devoirs de ma charge et les bienfaits que J'ai reçus du roy par vostre faveur m'obligent, suivant le comman- dement qu'il vous a pleu de me faire, rechercher tous moyens pour remédier aux désordres des monnoies, lesquels, Monseigneur, j'ose vous dire estre venus jusqu’à un tel excès qu'il est hors de la mé- moire des hommes d’en avoir veu de pareils en ce royaume, pour : ce que tous les plus grands maux qui se puissent rencontrer au fait des monnoyes semblent avoir conspiré ensemble, et s’estre unis à son dommage en la falsification et rognure des espèces et presque en toutes celles qui ont cours. Le surhaussement qui est excessif en l'or commence à s’introduire aussi aux monnoyes d’ar- gent en quelques provinces; toutes sortes de meschantes espèces estrangères s’exposent parmi le peuple, l'or et l'argent monnoyé et en masse se transporte de toutes parts hors de la France, où il ne s’en rapporte que très-peu qui soit propre à fabriquer de bonnes monnoyes. Les marchandises non nécessaires à la vie et qui ne servent qu'à épuiser Îles richesses des Estats, nourrir et faire croistre le luxe, s'y apportent de tous costés en très-grande abon- dance, et pour augmenter encore les désordres pendant que les estrangers, par la vente de leurs marchandises inutiles à la vie et l'exposition de leurs mauvaises monnoyes, tirent les bonnes es- pèces du royaume, les orfévres, qui vendent à tel prix que bon leur semble la vaisselle d'argent et la façon d’icelle, fondent tous les jours les quarts d’escus qui sont les plus pesans et les trans- | muent en une infinité de nouvelles formes de meubles, de cabi- nets, et de plaisir qui ne servent qu'à repaistre les imaginations des hommes curieux, ainsi les bonnes monnoyes se transportent hors de la France ou s’y convertissent en ouvrages d’orfévrerie, et ce qu'il y reste d'espèces d'or et d'argent sont pour la pluspart estrangères, deffectueuses en poids et alloy, surhaussées de leur prix ou fausses; mais ce qui est très-dangereuse conséquence, c'est qu'en mesme temps que tous ces désordres se rencontrent aux monnoyes d’or et d'argent, celles de billon se falsifient de telle sorte que le plomb, le fer et l’estain et le cuivre servent de ma- tière pour faire des sols, outre ce il se fabrique des doubles en quantité immense. Ainsi par tant de mauvais accidens, vous voyez Monseigneur un désordre général en toutes ces parties du faict des monnoyes, en quoy il semble estre difficile de pouvoir remédier, soit pour ce que les maux sont invétérés, les François accoustumés mer HO => à se dispenser de l'observation de lédit des monnoyes, les peu- ples de la campagne qui payent les impositions, pauvres en beau- coup de lieux pour avoir esté depuis quelques années affligés de peste, guerre, stérilité et harcelés par le passage des gens de guerre et surchargés de nouveaux subsides pour subvenir aux affaires du roy, et par conséquent, Monseigneur, pour toutes ces considérations il semble que le corps de l’estat soit moins capable de pouvoir supporter la perte qu’un descry des monnoyes peut apporter procédant à une réformation générale, mais encore que ces maux soient si grands qu'ils paraissent en quelque sorte irre- médiables; si est-ce que je me promets que Sa Majesté adsistée de voëtre grande expérience et sagesse au maniement des affaires saura choisir le temps et les expédiens convenables pour remédier à tant de fascheux accidens et par un bon règlement sur le fait des monnoyes, le retranchement du luxe et reslablissement du commerce, rendre le royaume aussi riche en or et en argent qu’il se soit veu au temps de leur plus grande abondance; cependant puisqu'il vous a pleu, Monseigneur, me commander que je vous représente les choses qui peuvent estre utiles en telles occurences, je vous diray qu'ilsemble qu’en attendant que vous procédiez à une entière réformation sur le faict de monnoyes par les remèdes géné- raux comme sont le descry des espèces estrangères, la réduction de celles qui sont surhaussées à leur prix légitime , et si vous le trouvez à propos par une nouvelle fabrication de monnoyes, il seroit bon pour y disposer les choses de remédier par advance à quelques désordres particuliers comme pour empescher les transports des bonnes monnoyes du roy et l'introduction en plus grande quantité de celles des estrangers, et particulièrement des Flamands, faire publier l'ordonnance que vous avez résolue, portant défenses des points coupés et dentelles, à quoy s’il vous plaisoit adjouster d’aul- . tres marchandises inutiles qui viennent d'Angleterre, comme sont les toiles de soye, et bas, et rubans dont le traffic monte tous les ans à des sommes excessives, j'estime, Monseigneur, que ce ne se- roit pas peu fait pour conserver ce qui reste de bonnes monnoyes en ce royaume. L'on pourroit dire outre qu’il fauldroit défendre encore d’aultres marchandises des Angloys dont la France se peut passer telles que sont leurs draps, et futaines, et bas d’estame, mais ayant appris du règne du feu roy aux assemblées tenues devant Sa Majesté sur le fait des monnoyes et commerce, queles Angloys, MISS. SCIENT., —— III. A ES te qui seuls peuvent fournir du plomb et de l’estaing l’avoient obli- vée par traités d'accepter leurs draps, et futaines, et quelques autres denrées pour jouir du commerce de ces deux métaux, je n’estime pas qu’il faille retrancher celle de ces dernières marchandises des- quelles toutefoys la France n’a pas besoin. Or après avoir empesché le transport de l'or et de l'argent du royaume en les Estats voisins par le retranchement des marchandises de luxe, il semble que, pour attirer ces métaux, il faudroit en quelque façon imiter l’éco- nomie des Angloys, qui nous obligent de prendre des denrées qui sont en quelque façon superflues pour avoir celles qui nous sont nécessaires, et pour cela parce que les Espagnols, auxquels la France peut donner la loy en matière de commerce à cause qu'ils tirent d'elle les bleds, sel et toiles qu’ils ne peuvent avoir ailleurs si commodément, pour conserver leur or et argent ont fait depuis peu observer sous de peines rigoureuses à leurs peuples qui confinent avec la France du costé des monts Pyrennées vers le Béarn et Bayonne une ordonnance portant défense de traficquer en ce royaume d'autre façon que par échange, au lieu qu'iiz payoient cy devant en reales ou pistoles quelques marchandises; il faudroit considérer s'il ne seroit point à propos de leur faire sçavoir que le roy ne permettra plus à ses subjetz de porter des bleds et toiles en Espagne, si elle ne se relasche de la sévérité de l'observation de ceste ordonnance de trafic par eschange. Ainsi le défunt roy, sur l'occurence d’une nouvelle imposition que Philippe II avoit mise en Espagne de trente pour cent sur les marchandises, défendit aux François tout commerce avec elle, ce qui fit abolir incontinent l'impost. Je sçay bien que l’on dira que c’est un moyen pour diminuer le revenu des traites foraines et que les fermiers deman- deroient diminution de leurs fermes, mais la France ayant son plus grand commerce avec les Espagnols, et de marchandises dont ilz ne peuvent se passer, ainsi que nous avons dit, il semble, Mon- seigneur, qu'il soit nécessaire de les contraindre par tous moyens possibles de laisser venir l'or et l'argent en ce royaume, si l’on veut qu’ils payent de monnoye à suffisance pour acquitter les reve- nus du roy; mais, n'estant pas assez de pourveoir par ces moyens ou aultres pour faire couler l'or et l'argent de ce costé en la France, si l'on ne recherche ceux qui sont propres pour les y conserver, jestimerois que pour ce il faudroit empescher autant qu'il sera possible les grands transports d'argent qui se font par Lyon et — 951 — Marseille en Levant, et, pour ce considérer, il ne seroit pas utile d’oster un impost que l’on dit que le roy a mis depuis peu sur l'or et sur l'argent qui se transporte à Lyon, pour ce que cette imposition semble autoriser les transports. L'on pourroit aussi apporter quel- que tempérament aux priviléges prétendus par les Marseillois de pouvoir transporter tout l'argent qui leur plaist pour entretenir Île commerce d'Orient par lequel il sort tous les ans du royaume plus de dix millions de livres, mais parce que ce trafic se fait par la Provence, qui pour ses confins, assiette et mœurs de ses peuples et la condition du temps, semble devoir etre gouvernée comme elle est avec grande circonspection, je remets, Monseigneur, à vostre prudence de choisir les occasions et les expédiens plus commodes pour y apporter l’ordre que vous jugerez convenable; il sembleroit toutefois que, sans toucher directement aux priviléges prétendus par les Marseillois, le roy pourroit retrancher les transports qu'ils font de l'argent, empeschant qu’il n’en sortist par Lyon, qui en est le passage principal; et, pour ce faire, enjoindre très-expressément aux gouverneurs de Lyon, qu'aucuns veulent rendre suspects d’en tirer de grands profits, de donner des passeports pour tirer de l’ar- gent et faire que ceux qui doivent veiller sur les ditz transports ne despendissent de ceulx qui en profitent et feussent gens d’eslite et probité cogneue; oultre cela, faire que Monsieur l’intendant de la justice du dit Lyon y tinst soigneusement la main, et pour ce qu'il mandast souvent le conservateur des priviléges des foires et luy fist entendre la résolution du roy de faire entretenir ce bon ordre , et qu’il eust à y disposer les marchands autant qu'il se pourra. Aquoy je n’adjousteray rien plus, Monseigneur, crainte de vous estre ennuyeux, que deux choses, l’une qui concerne le règlement qu’il conviendroit apporter aux monnoyes du pays Messin, et l’aultre les faux sols. Pour la première, vous sçavez, Monseigneur, qu’il s’y fabrique de la monnoye qui porte d’un costé les armes de l'Em- pire, laquelle toutefois, au lieu d’estre pareille en aloy à celles qui suivant les résolutions prises dans les diètes se fabriquent dans l'Empire, est tellement altérée que J'ay veu des espèces d'or ayant l'image de Saint-Etienne d’un costé et les aigles de l’aultre, qui n’estoient que douze karats, et que pour cela l’on pouvoit soutenir estre de fausse monnoye; or si le roy par vostre prudence avoit trouvé bon d’establir un parlement à Metz pour diriger les affaires de ce gouvernement en mieux et ramener peu à peu les peuples 4. 42 sous les lois du royaume, il semble que, par la mesme raison, il seroit expédient de régler le fait des monnoyes, qui y sont très- désordonnées, suivant les ordonnances de Sa Majesté, ou autre- ment; si la fabrication des mauvaises monnoies qui ont cours au pays messin se continue, l'on y pourra fondre et defformer toutes celles de France, qui s’y transporteront sans doute en grande quan- tité à cause du gain qu’il y aura et plus grand commerce, y ayant un parlement establi; à quoy pour remédier si vous, Monseigneur, l'aviez agréable, il faudroit réunir la monnoye du pays messin à celles de France, et pour ce ordonner qu’il ne sy fabriquast plus à l’advenir que de la monnoye qui fust de mesme poids et aloy que celle de France, et si Sa Majesté est résolue dès à présent de ren- trer en possession entièrement de tout le pays messin ; qui fut du- rant la première race de nos rois l’un des principaux membres du royaume, et le partage des filz aisnés de France, il faudroit que la monnoye qui s’y fabriquera désormais portast les armes de Sa Majesté, et fust jugée par la cour des monnoyes de la mesme façon que sont celles de tout son royaume, ainsi qu'il s’est fait de temps en temps à mesure que les provinces qui par apanages ou aultre- ment estoient tombées ès mains des grands qui avoient usurpé les droits royaux, et entre autres celuy de battre monnoye, ont esté pour la loi de la reversion réunies à la couronne; que si, Monsei- gneur, vous preniez ceste résolution, et qu’il vous plaise me com- mander pour cela que je vous envoye quelqu'un de nostre com- pagnie, je satisferay à ce que vous m'ordonnerez sur ce subject, ainsi que J'avois désiré faire suivant vostre ordre pour aller infor- mer dans le Poitou contre les fabricateurs de faux sols. Mais deux de nos conseillers qui en estoient plus capables se sont trouvés malades, et par ce moyen ont esté retenus de pouvoir servir le roy, comme mon indisposition aussi ma empesché en particulier de pouvoir satisfaire plus tot à l’honneur de vos commandemens, lesquelz, Monseigneur, je vous supplie très-humblement de croire que je recevray toujours avec toute l'humilité et le respect que je vous dois et un désir extresme d'exécuter promptement tout ce qui me sera par vous ordonné, soit en choses qui despendront de ma charge, ou aultres qu’il vous plaira m’employer. « J'omettois de vous dire que l’un des meïlleurs moyens pour remettre la fabrication des monnoyes est celui de faire travailler les mines que je vous proposay il y a quelque temps, car, ce fai- ie sant, l’on peut trouver en ce royaume l'or et l'argent qui vient des Indes et que les François vont chercher avec grand peine parmi les hasards de la mer. « Paris ce 12 août 1633.» . C’est ici, Monsieur le Ministre, que je m'arrète. Dans le rap- port suivant, en abordant la minorité et le règne de Louis XIV, J'aurai à revenir plus d’une fois sur la situation misérable de nos provinces. Pour cette seconde période, les documents ne me fe- ront pas défaut; ils sont plus importants encore que ceux qui déjà ont été signalés; car, par un bien singulier hasard, notre histoire provinciale au xvr° siècle est venue prendre place dans la biblio- thèque impériale de Saint-Pétersbourg, perte irréparable pour nous et sans nul profit pour la Russie. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage de mes sen- timents respectueux. Ce Hector pe LA FERRIÈRE. . f S LA anis tp Lire ni lé so | pk D PT Et PANLE oran nn Se re à vf sr MP ISERE pe ï ‘ D # \ | 2 e k PS ; Tr # < ODA Ier CE : He UT SR RE QE 14 " a L Lrel 2: ! ; é LE Gi em AE He MT 3 Lt Eine Ft ROLL ITEM 42 FRE ER DE 27 | 17 êFF A 20 VE Y Ë x ; | k Le Fa € e } Ù LE D Ë Ye 4 SA Frs gs £ Va FA ro FFM ë F l''MITITER VESIT RTES- +E RTE r 4 i . (CRT =. x? RO | si : EX F2 FAR TC ENT # LE ; La 7 . 74 4 à } .. je * TE eu LA ; ? aù à % &. & 20 pe ; Ft} a+ +7. x ‘ e 4 p £ t d 1 3 L 4 ve SE EN Eis J $ Va. = Ce OCDE Le x » Le 5° Es 1 ÿ + <. vd É | 22*9 è d _ T . " x . È = # _ “ : x 2 4 ; s v . FA L * = . L . 5 “ LI . . |... Temple/rde Minerve De] Propylées. 3. Mur de soutenemen 4.5.6. Endroits où 1l y avai Petite crique où des D MRC ENINE rectangulaire ce Assises en marbre b 10: Pierres de taulle qui 1 Plate-forme où l’on vo > PT,” 2 7) PP ES Mavro Vouno.{Ÿwerros avvuèpos) Pani Vouno. Extrémité occidentale de fa montagne de Kératia. Trelo Vouno { Tmerros) MÉMOIRE SUR LES RUINES DE SUNIUM ET DE LA CÔTE DE L’ATTIQUE, DEPUIS LA BAIE DE VARI JUSQU’À LA PRESQU’ILE DE COUROUNI, PAR M. TERRIER, MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE D'ATHÈNES. 1863. LE CAP SUNIUM. Entre le golfe d'Égine et l'ouverture du canal d'Eubée s’avance un distriet montagneux et désert, qui forme l'extrémité sud-est de l’Attique : c’est le massif du Laurium. Des collines rocheuses, que séparent d’étroits vallons, en remplissent l’intérieur : sur la côte elles forment des promontoires découpés capricieusement, entre lesquels pénètrent une foule d’anses et de baies. Le plus méridio- nal de ces promontoires est le cap Sunium, aujourd’hui le cap Co- lonne (x460 KoX6vvaus). C’est une éminence peu élevée qui se prolonge dans la mer du nord au sud, se rétrécit d’abord en formant une sorte d’isthme, puis s’élargit et se relève à son extrémité comme pour faire aux ruines qu’elle porte un piédestal plus imposant. À l’est, une crique étroite s’enfonce entre les rochers, sur le flanc même de listhme, et peut abriter les embarcations auxquelles le vent ne permet pas de doubler le cap; de l’autre côté de la pointe, dans la côte qui tourne vers le nord-ouest, s'ouvre une baïe beau- coup plus spacieuse, qui s’arrondit en un demi-cercle irrégulier interrompu par quelques sinuosités. Un ilot occupe le milieu de l'entrée , et, sans garantir le bassin des vagues du large, en dimi- nue un peu la force. Je joins à ma description un croquis pour % Temple 3e Minerss * _ Fropléce d Mur de svaenrant MS EnarnEn nl aNSN des earbea dans le sur de fortification AC Fitce coque MR ÉecEnaat un sacaler qui arovazsait sans doute à bfe patte porte fans fe nur Cv rortenguiliei taillée dans Le ro Aonses en exe dance appartarant 4 quelque Lemple Per tal qe Ediquent Vcplmomest dur évite ue: sssmdiabe Care prie de de poèrres eus pro ot Enix tettr Pacte: forme nû Panltois dar routes d'un mur polyzenal, dés chayiteaise tnéeantiqets ét ce L e de Mentions À DE LA POINTE MÉRIDIONALE DEMPAUNIQUE DES IUES 9 DRS CORES VOISINES MendéiirPestique | Hpänoré) 11 Plane 40 Kérava Milläge de Kératia 2 est aitüe au pied dé la montagne er au xond nondioit # Mogaloms lie d'Androx sd ne de Zés | Kéareÿ Le de Fharmia UKÉPvar ; s Ted Eagses Georges (ASE) 4 Ve 2 Fax our Eorteré wedernle Mosca Vouba | Mapyns. Cograraeins Hortigses +: 12 Frots fans 1% Porto Haftie Le Rart AU Foree Dasciha s de Tinos. il Thé (Boni) Le pont at Es æures Forts Faoha à . 2 Le %e la chine du Lautriurs au suèieueue 4 dt mastague de omis Lspés M Cr ñeutt Gi Coeriss à léraus LS aie dé Marathon IE) lAcutes de Férata À 2 à Thériso 18 Fresqu'le de Couronri LP Wropeeci eur dé de derriere bee autour 96 Joutos Luniura nnteache dirritretes montagnes 38 Île de Mila VMfinsÿ é Pjuille Bit priso cette sue 7 Li Merygée st route de Lérauss À Adhèces à Wevbra k lé. Hero Livadi É ; b À Meropen # Era 19. Mavro Vouno. Kabi Thalizsa cet dentelle Cimnencemest de ls Aire d Lagrium 27 + dléènaQÉAérn RE Ta pnre + Notagne gr 2 ie rap Soon OS 2e Legrans Faute 41 port d'Anavy#g, ù sie 4 L.2 — D6 — donner des lieux une idée plus nette. Je le dois à l’obligeance de M. Joyau, architecte de l’Académie de Rome, qui voulut bien m'accompagner dans une des excursions que Je fis à Sunium, et qui prit plusieurs vues à la chambre claire. ) Les principaux dessins que je donne ici sont calqués sur les siens, et l’on peut compter du moins sur l'exactitude des lignes et de la perspective. | C'est par le côté occidental de la baie qu'on arrive en venant d'Athènes par Vari et Anavyso. Il n’y a là d’autres sentiers que ceux qui ont été tracés par les chèvres, et souvent même ils dis- paraissent. La pointe qui ferme la baie à l'ouest présente d’abord sur ses pentes orientales une grande quantité de scories : certains rochers y sont brülés comme s'ils avaient subi longtemps l’action d’un feu violent, et tout offre sur ce point des traces de travaux métallur- giques. Si l’on s’avance vers l’est en contournant la baie, on trouve des restes de petits murs rasés à fleur de terre et d’autres traces de constructions peu importantes qui étaient disséminées sur tout son pourtour. Sur la hauteur d’où la vue a été prise et qui est au nord du cap, on voit des fragments de marbre et une enceinte rectangulaire formée de blocs qui sont aussi de marbre, mais dont les dimensions et la coupe n’annoncent pas un édifice construit avec beaucoup de soin. En avançant toujours à l’est, on descend sur un sol plat et marécageux, séparé de la mer par unedevée na- turelle que les sables ont formée. Il semble que la mer soit autrefois venue jusqu’au pied des hauteurs; mais les terres descendues de leurs pentes, celles qu’amène à la suite des pluies d'hiver un ruis- seau qui débouche dans cette petite plaine, et le sable même de la mer, ont comblé le fond de cette anse. C’est maintenant un terrain - couvert d’efflorescences salines, où croissent quelques plantes d’un aspect chétif. Au pied des hauteurs seulement il est bordé d’une ligne de débris, parmi lesquels se trouvent de nombreux fragments de terre cuite. On ne peut cependant guère supposer que le port soit venu jusqu’à l'emplacement marqué par ces débris ; le rivage descend dans la mer par une pente si douce que de petites em- barcations mêmes ne peuvent aborder. Après avoir longé la mer sur la levée de sable, on atteint enfin la hauteur sur laquelle étaient situés la ville, les fortifications et le temple de Minerve. On gravit assez péniblement entre les brous- CESR de sailles et les aspérités du rocher; on rencontre le mur à mi-côte; on le.longe quelque temps dans une dépression du terrain qui semble avoir servi autrefois de chemin: on franchit les débris de la fortification et l’on se trouve devant un mur de terrasse qui sé- parait l'enceinte sacrée du reste de la ville. Ce mur est dirigé, comme le temple, d'est en ouest; à l’est il dis- paraît, parce que le sol, qui monte, arrive à son niveau ; à l’ouest le terrain , s’abaissant de plus en plus, découvre le mur par le bas, et à l’angle occidental on compte quinze assises. Dodwell! en vit encore seize. Le mur fait retour vers le sud à angle droit. Près de l'angle qu’il forme, la maçonnerie a cédé sous le poids des terres et, en s'écroulant, a ouvert une large brèche d’origine récente. C’est sur la face septentrionale de ce mur que se trouvent les traces des propylées. Quelques tambours de colonnes, quelques chapiteaux, un coin de dallage et des pierres couvertes de brous- sailles sont tout ce qu'on en voit à présent. En avançant on entre dans l’enceinte sacrée, et l'on a devant soi les ruines du temple de Minerve. | Du milieu d’un monceau de décombres de toutes les formes s'élèvent des colonnes de marbre. L'action de l'air, des pluies, des exhalaisons salines en a rongé la surface ; loin d’être revêtues de ces teintes chaudes et dorées dont se parent d'ordinaire les ruines de la Grèce, elles font avec l’azur du ciel, par leur blancheur crue, un contraste presque choquant. On croirait, au premier coup d'œil, qu'elles viennent d’être taillées; mais bientôt on en voit les contours si alt‘rés qu'elles semblent avoir été dégradées à plaisir. Neuf colonnes de lPaile méridionale, celle qui domine la mer, sont encore debout : il reste une colonne du pronaos, une ante et deux colonnes de l'aile du nord. Quand lexpédition de Morée vint à Sunium, elle n’en trouva pas davantage, si ce n’est que la seconde colonne du pronaos avait encore deux tambours, qui ne sont plus en place. Leake avait vu quatorze colonnes et une ante; Fourmont et Le Roy, dix-sept colonnes; du temps de Spon il y en avait dix-neuf. Ainsi, en lisant les récits des voya- geurs qui se sont succédé, on assiste aux progrès de la destruction ; on voit l'édifice tomber pièce à pièce, et Pon prévoit le temps où ‘ les ruines mêmes auront disparu. l Dodwell, Travels in Greece , 1. 1, Sunium. Lier Fr cs Le promontoire porte aussi les traces de l’action du temps; le pied en est bordé d’une ceinture de rochers détachés de la masse. En plus d’un endroit ses flancs escarpés surplombent, tout prêts à s'écrouler encore, et déjà quelques parties de la plate-forme qui porte le temple ont été emportées. Tel est l'aspect que présente aujourd’hui le cap Sunium. Lorsqu’en sortant du golfe Saronique on fait voile vers les Cy- clades, vers l'Asie Mineure, ou qu'on se dirige du côté du nord, c’est là qu'on aperçoit ! pour la dernière fois la Grèce continen- tale; c’est aussi, au retour, la première terre qu'on voit s'élever au-dessus des eaux. | Sunium attira donc de bonne heure l'attention des Grecs, qui en firent un lieu sacré. C'était un de ces sites remarquables où la divinité leur paraissait plus présente qu'ailleurs et qui semblaient demander des autels et des temples. Aussi Homère l’appelle-t-il déja un promontoire sacré dans le passage où Nestor raconte à Télémaque le voyage qu'il fit au retour de Troie : AAN dre Zoumor ipdr dQixouel”, axpor ÀOmvéwr, Év0a xuGepvyryv MevsAdou Doï6os ÂTo}]wv Ois dyavois Beléeooiw émoryouevos naréme@ver Dobvriv Ovyropidmv, ds énaivuro GUÀ dvÜpoTrwr Nija xu6cpvfoa, dmÔTe omepyoiar de). Ês à pèv évôa naréoyer’, émeryoperds wep ddoio ÔGo’ Étapor Sdnlot, xai Êmi xTÉpEX NTEPIGELE. (Odyssée, ch. IIT, v. 278-285.) Phrontis, moins heureux que le pilote d'Énée, n’a pas donné son nom au lieu de sa sépulture, et les vers seuls du poëte nous apprennent où il fut enseveli; mais le promontoire, Jusqu'à la chute du paganisme, resta sacré comme du temps d'Homère, et aujourd'hui encore les restes d’un temple le désignent aux yeux des voyageurs. Ce fut sans doute Neptune qu’on y adora d’abord : dans cette enfance de la navigation, tout cap était un cap des tem- pêtes. Avant de se hasarder sur la mer Égée, on ne manquait pas d'invoquer le dieu des mers; après l'avoir traversée, on lui offrait des actions de grâces. Mais de bonne heure aussi cette extrémité à! ! C’est peut-être à cette circonstance que Sunium dut son nom. Yoîuæ, Je fuis; dans Sophocle, cotofw, fuis Zoÿrtoy : signifierait alors point de départ. Se de l’Attique dut être consacrée à la grande divinité athénienne : Minerve partagea les honneurs rendus à Neptune et le fit même un peu oublier. DEUX TEMPLES À SUNIUM. — TÉMOIGNAGES DES ANCIENS. Dans le Cyclope d'Euripide, Ulysse, pour prévenir le Cyclope en sa faveur, lui rappelle les temples que les Grecs ont élevés à son père : Of rôr oùv, & ‘vaë, marép Éyev veüv Édoas Éppvoauecba yÿs év É]ddos puyois lspôs T äbpavoTos Tarvdpou uévet Atumr, Maéas T äxpor xevOu@ves, ÿ Te Youviw Auas ÂOdvas oùs ÜTAPyUPOS DÉTOA, l'epaisioi Te xaraQuyai. (Gyclope, vers 290-295. Éd, Didot.) Nous trouvons énumérés ici la plupart des endroits où Neptune avait des temples fameux. Il y en avait donc un à Sunium comme au cap Ténare, au cap Malée, à la pointe méridionale de l'Eubée ; mais le promontoire appartenait plus particulièrement à Minerve. Le passage de Sophocle cité par Leake nous apprend peu de chose ; AÜdyas y est à l’accusatif pluriel : il est question d'Athènes et non de Minerve : l'evoîuar iy dAGev ëmeolt OvTOU ILp66nu dAixvoTor, äxpar Yrd maux YXouviov, Tas iepàs dnws Iopoosimomer Abdvas. (Ajax, vers 1217-1221. Éd. Didot.) Aristophane parle de Neptune seulement : il l'appelle Zourec- paros dans les Chevaliers (v. 556); dans les Oiseaux, par un jeu de mots, au lieu de Zouvspare, il dit : Zovviépaxe xaip dvaË [edapyexé. | Le Scholiaste explique ainsi le premier passage : Zourdpare | d © êv T® our ai xœi eüyovra, et le second par ces mots : à Zovviépaxe, émet mept bprilur à X6yos, dvri rod Eouriipare. Le ET (pes poëte n'aurait pas fait à Neptune une épithète du nom de Sunium si le culte qu'on y rendait au dieu n'avait eu quelque célébrité. Eustathe n’a pas les vers d’Aristophane bien présents à la mé- moire et confond Neptune avec Jupiter quand il dit, en commen- tant les vers d'Homère cités plus haut : Kaï fows iepor aûro @ncur met Leds Souvieds éruâro êuet" dv dbupaubiuds mailto à nœuds xœÂEt Zouvidparor |. . Pausanias ne mentionne jure qu'un ue de Minerve? : As- pri TE Papa hear Tnv Axpavr éoli, xai vads À Onväs Souriddos êTrL xopuPT TAS &xpas. I est vrai qu'en fixant d’une manière si précise la situation du temple qui attire ses regards quand il double le cap, il ne dit pas qu'il n'y en ait aucun autre dans les environs : il est vraisem- blable toutefois que, s’il y en avait eu un second de quelque im- portance, il l'aurait nommé. TEMPLE DE NEPTUNE. Les voyageurs modernes n'ont vu qu’un temple, comme Pau- sanias, bien que quelques-uns mentionnent en outre en passant d’autres restes de constructions antiques. Leake Ÿ, après une re- cherche inutile, conclut que Neptune avait seulement un autel comme dans le temple {c'était plutôt devant le temple) de Mi- nerve Poliade sur lacropole d'Athènes. Mais les expressions d'Eu- ripide et d’Aristophane semblent indiquer quelque chose de plus. Le temple aurait pu aussi être consacré en même temps aux deux divinités, comme celui que Pausanias vit à Sparte; mais sans doute Pausanias l'aurait dit ° Je m'étonne qu'un second emplacement, situé à peu de dis- ! Eustathe, Jhade, ch. HE, v. 272. 2 /Pausanias, dt. % Leake, Topography of Athens, t. I, p. 64. Quand je cite l'ouvrage de | Leake sur Athènes et les dèmes de l’Attique, c'est toujours à la deuxième édition que mes indications se rapportent. # Pausanias, 1. LIT, c. xr, 9. | * I n'y aurait d’ailleurs rien eu d'étonnant à ce que ces deux divinités fussent adorées ensemble. Dans Athènes même il y avait, suivant Pausanias (I, x1v, 6), une statue de Minerve (yAauxods &yoy roùs G@0aluots), et il remarque à cette occasion, pour expliquer cette couleur commune aux yeux de Minerve et à ceux de Neptune, que les Libyens faisaient Neptune père de Minerve, RE LL Sn Le tance de l'édifice principal, n'ait pas attiré davantage l'attention des voyageurs. À quelques centaines de pas au nord du temple de Minerve, plus bas que ce temple, sur le faite aplati du petit isthme qui rat- tache l'extrémité du cap à la terre, on trouve une sorte de plate- forme où une foule de fragments de marbre sont semés au milieu des broussailles. Un mur, dont les restes ne s'élèvent plus guère au-dessus du sol, la soutient à l’ouest, du côté de la baie; il est d'appareil cyclopéen, mais les matériaux n’en sont pas très-remar- quables par leurs dimensions. On le voit aussi par endroits du côté de l’est. Au milieu des fragments informes qui se trouvent là en grand nombre, on distingue plusieurs chapiteaux doriques de deux dimensions différentes. Le diamètre des plus grands au-des- sus de l’échine, autant que l’état de la pierre rongée par le temps permet de le mesurer, est de 0",75, tandis que ceux du temple de Minerve ont un mètre environ. Les plus petits, mesurés dans la même dimension, ont 0",60. Ces chapiteaux sont d’une pierre noiratre, dont l’air a blanchi la surface; des trous cylindriques les traversent de part en part, ce qui est, je crois, une particularité fort rare; ils étaient destinés sans doute à recevoir des cylindres de bois qui formaient dans la colonne un axe continu. Il m'a semblé reconnaître aussi un bras de fauteuil avec une partie du dossier et du siége; mais le bloc était si fruste qu'on pouvait aisément sy tromper. Dans l'enceinte on voit encore l'emplacement de plusieurs petites constructions dont les pierres dépassent à peine le sol; ce sont comme des fondations à fleur de terre qui dessinent un espace rectangulaire de deux ou trois mètres de long sur une largeur un peu moindre; de ces assises on ne voit que l'épaisseur, dans laquelle les joints sont quelquefois obliques. Il serait impossible, avec d'aussi fai- bles éléments, de reconstituer les édi- fices que renfermait l'enceinte, mais on ne peut douter qu’elle n’ait contenu un temple. Des fouilles donneraient sans doute des renseignements plus étendus; mais 1l est peu d’endroits où elles soient moins commodes qu’à Sunium. Le pays aux environs est complétement désert. La der- nière habitation qu’on trouve en venant d'Athènes est une masure LR située à deux heures des ruines, dans un petit vallon où se trouve un puits qui fournit une eau déjà un peu saumâtre. Sur la côte orientale, les lieux habités sont au moins aussi éloignés. À Su- nium même on ne trouve point d'eau; il faut, pour en avoir, l’ap- porter d’un puits situé à une heure de marche dans la baie de Legrana; encore est-elle si saumâtre, après quelques heures d’éva- poration, qu’elle irrite la soif au lieu de la calmer. Quand je vis Sunium pour la seconde fois, nous étions munis de tentes qui nous fournirent un logement presque commode; mais, à mon premier voyage, je passai la nuit dans une petite grotte au bord de la mer. On en trouve plusieurs autour du cap. Au-dessous même de la plate-forme dont j'ai parlé tout à l'heure, au fond de la crique de l’est, des cavités assez profondes sont creusées dans le rocher; la vague vient mourir à l'entrée; sur le sable dont le sol est tapissé, sur les parois et les voûtes on voit les traces des feux qu'y ont allumés les bergers ou les pêcheurs. Homère aurait placé là une grotte des Nymphes comme celle près de laquelle les Phéa- ciens déposèrent Ulysse endormi. Le petit port même, moins sür, il est vrai, que celui dont parle le poëte, peut cependant recevoir plusieurs grandes barques et les garantir, derrière ses jetées de rocher, des vents du nord et du sud. Kara Aud dÈ mpo6)ÿres Év aÿTé AuTal dmopO@yES, liuévos morimemTyuto* Air’ dyépwr oxemowot duvoayowr uéya xÜua ÉxTober. (Odyssée, ch. XIII, v. g7.) Sur la pente raboteuse qui monte de cette crique à la plate- forme, on reconnaît en plus d'un endroit que le rocher a été taillé. Sans doute il y eut là des maisons et comme un faubourg maritime de Sunium. Ces grottes, cette crique abritée, cette plate-forme qui la do- » mine et d’où la vue s'étend à l’orient sur la mer des Cyclades et sur le sud de l'Eubée, que terminait le cap Géreste consacré à Nep- tune, ne rappellent-elles pas le culte de ce dieu et les expressions d'Euripide, ces retraites (xevOudves), ces refuges (xaraQ@vuyar) dont il parle? D'un autre côté, la construction cyclopéenne (bien qu'elle ait été souvent employée en concurrence avec l'appareil hellé- nique), les matériaux plus grossiers, les marques d’un art moins — 63 — avancé, les débris plus rares et beaucoup plus déformés par le temps, tout montre que ce temple a précédé celui dont on admire les restes. | Si l'on pouvait ajouter foi au périple qui nous reste sous le nom de Scylax, on penserait que du temps de l’auteur il n’y avait qu’un temple de Neptune. Voici ce qu’il dit : Ô 48 Ilespareds Auuévas Eyes y" ArdQhuolos reïyos ua Xunr* Sorior dupoTipiov ai TEÏYOS" iepèr Ilocerd@vos* Oopends Teïyos nat Auuéves düo. Mais on ne peut s'appuyer sur un mot d'un auteur si suspect, et la nature des dé- bris prouve plus que le passage en faveur de leur antiquité re- culée. Je pense que le temple existait déjà avant l'expédition des Perses. Peut-être le détruisirent-ils quand leur flotte fit le tour de l’Attique. Mais, dans ce cas, Euripide aurait-il mis dans son Cy- clope ces mots, qui semblent indiquer au contraire que le temple avait échappé aux ravages : Ads ÂGdvas os ÜTApyupos GÉTEQ D Aristophane, dans les Nuées, fait une allusion d’où l’on pourrait peut-être conclure que le tonnerre était récemment tombé à Su- nium. H fait dire à Socrate que Jupiter ne foudroie pas les par- jures, mais que ses traits, au contraire, volent souvent au hasard. ÀAXAG rdv adroÿ ye ver Bélker xai Zoûriov äxpor ÀOyvév, Kai tds dpès Très uéyalas”. Cette foudre, qui ne respectait pas même le temple de Jupiter, frappa peut-être celui de Neptune et lincendia; les Athéniens, occupés de la guerre du Péloponèse, ne purent le relever ?. On pourrait multiplier les conjectures. Quoi qu'il en soit, ce temple a existé, et du temps de Pausanias il avait disparu. Ici, comme dans la lutte où l'olivier emporta les suffrages, Neptune est le vaincu. À peine de faibles restes rappellent-ils les honneurs qu'on lui rendait : on ne fait même plus, pour aller visiter ces ruines, un détour de quelques pas; on gravit tout droit le sommet le plus élevé du promontoire, d’où les blanches colonnes d’un | temple moins ancien, dominant toutes les mers d’alentour, té- | moignent encore du rang qu'occupa, dans la politique comme dans les arts, le peuple de Minerve. 3 Aristophane, Nuées, v. ho:. ? La première comédie des Nuées fut représentée en 423 ; l'année précédente, | Brasidas avait enlevé Amphipolis aux Athéniens. se VO 2 TEMPLE DE MINERVE. Bien que j'aie cru devoir m'étendre sur des restes peu connus et qui méritent quelque intérêt, c’est du temple de Minerve que je dois m'occuper spécialement. Pour le reconstruire, Îles auteurs anciens ne nous sont d'aucun secours. Tout ce que nous apprend Vitruve dans un passage obscur !, c'est que le temple de Castor, dans le cirque Flaminius à Rome, et celui de Minerve, dans la- cropole d'Athènes, présentaient quelques dispositions semblables. Mais les portions qui sont encore debout et les fragments amon- celés sur le sol peuvent fournir en partie les matériaux d’une res- tauration. Il n'appartient qu’à un architecte de poursuivre ce tra- vail dans tous ses détails; aussi ma tâche sera-t-elle plus modeste. Décrire l'édifice dans son ensemble, en marquer le caractère et les traits principaux, le représenter au milieu de son enceinte et de ses dépendances, discuter, chemin faisant, quelques points douteux, voilà tout ce que je dois me proposer. Le soin de lexécution, les dimensions et les dispositions du temple, le caractère des moulures et des ornements, le rappro- chent de celui que Thémis avait à Rhamnunte, et surtout du temple de Thésée, qui s’est conservé si merveilleusement au pied de l’acropole. Il est certain que ces édifices furent construits à des intervalles peu éloignés. Tout prit lessor quand la défaite des Perses et la supériorité des Grecs furent assurées. Les arts se hâte- rent de fleurir dans Athènes comme s’ils avaient pressenti les dé- sastres de la guerre du Péloponèse et prévu que le ciel même de la Grèce ne leur offrirait plus une saison aussi favorable. Alors Péricles fit élever ces monuments dont la beauté et la parfaite con-. servation étonnaient déjà Plutarque?. Cependant on ne mentionne pas le temple de Sunium parmi ceux qu'il avait fait construire. S'il faut essayer de fixer avec précision l'époque où ce temple fut élevé, je ne choisirai pas celle où Périclès dirigea les affaires : de grands travaux occupaient alors les artistes et employaient les revenus de l'État. Je ne remonterai pas non plus au temps de Cimon : il était naturel d’orner Athènes avant de songer à Sunium, 1 Vitruve, 1. IV, ch. vur. ? Plutarque, Vie de Périclès. ART, EU Périclès mort, la guerre du Péloponèse força d'abord les Athé- niens de consacrer presque tous leurs revenus aux dépenses mili- taires; mais en 422 avant J. C. quand une trêve de cinquante ans fut conclue avec Sparte !, bien qu'aucune des deux villes ne l'observat fidèlement, l’Attique goûta quelque repos. Les artistes abondaient ; les richesses affluaient encore dans Athènes; les mines du Laurium étaient exploitées avec la plus grande activité. était le temps où Nicias y possédait mille esclaves, qu'il louait au Thrace Sosias?. Sunium, principal entrepôt des mines, pro- fitait de leur prospérité. C’est à cette époque probablement que le temple s’éleva : on en pouvait demander les plans à un élève d'Ictinus, et les sculptures aux élèves de Phidias. L'emplacement était désigné d'avance. C'était le sommet du promontoire; coupé à pic du côté de la mer au sud et à l’ouest, escarpé à l'est et abordable du côté du nord seulement, ce plateau devait élever l'édifice à une grande hauteur au-dessus de la mer, et l’isoler aux yeux des navigateurs dans toute sa beauté. Le niveau du sol était loin d’être partout égal; il montait en pente douce de la ville au bord méridional du précipice, et l’inclinaison en était encore plus marquée d'ouest en est. On commença donc par for- mer une plate-forme artificielle avec de grands blocs empruntés aux rochers du voisinage; on les revêtit de marbre, car le grand mur de soutenement qui est au nord et à l’ouest en est formé, et lon ne pouvait placer dans une enceinte de marbre un soubasse- ment de pierre. On obtint ainsi une terrasse, qui était comme le premier socle du monument. À l’est, elle ne formait au-dessus du sol qu'un gradin élevé; du côté de l’ouest, la différence de ni- veau était de deux ou trois mètres. On n’en peut guère aujourd'hui mesurer la hauteur exactement : les pierres se sont écroulées, celles du temple ont roulé par-dessus et les ont cachées en grande partie; en quelques endroits seulement, les pierres qui formaient le massif sont apparentes et prouvent l'existence de cette terrasse, que la pente rendait d’ailleurs nécessaire. Sur cette aire solide on posa le soubassement du temple, formé de trois hauts degrés de marbre, et le temple lui-même. Il était ! Thucyd. VI : Kai éni ÊË èrn pèr nai déna pñvas dméoyovro un Emi Thy Éxaré- pov yñv olparedou, éÉwler dè per dvaxwyñs où PeGuiou &6)ar Toy À AAous raud- lola. ? Xénophon, Revenus de l'Attique, chap. 1v. MISS. SCIENT. — III. J — 66 — d'ordre dorique, avec six colonnes de front et douze sur les côtés en comptant celles des angles. En cela il différait du temple de Thésée, qui a treize colonnes, et ressemblait à celui de Rham- nunte. Les auteurs des Antiquités inédites de l’Attique } n’ont pas donné la partie postérieure du temple, et ne se sont pas pronon- cés sur le nombre des colonnes. Les architectes de l'expédition de Morée ? pensent avoir retrouvé sur l'emplacement de ia façade occidentale les assises qui de ce côté marquaient lalignement du gradin inférieur du socle, et qui par suite déterminaient le nombre des colonnes. La surface du plateau, d’une étendue fort limitée, ne permettait pas un édifice d’une grande longueur. I fallait que le monument eût de l'espace autour de lui; qu'il couronnät le rocher sans le charger; qu'il se tint debout sur le plateau sans sy étendre. Aussi, tandis que le temple de Thésée a 14 mètres de façade sur 32 de longueur, celui de Sunium, presque aussi large, puisqu'il a 13”,50, n'était long que de 28. | IL à fallu, par suite, abaisser un ‘peu les colonnes, qui seraient devenues trop hautes pour la longueur du temple. Celles du Thé- séion ont 6",50 de hauteur; celles de Sunium 6,10 ; les diamètres sont presque égaux, et la diminution d'épaisseur de la base au chapiteau est à peu près la même. On remarque aussi que les cannelures sont au nombre de seize seulement, tandis qu'il y en a d'ordinaire vingt dans l’ordre dorique. Peut-être prévoyait-on les dégradations que devaient produire les exhalaisons de la mer sur un marbre tendre et peu résistant. Les arêtes, moins nom- breuses, étaient aussi moins aiguës et moins fragiles. Quoique les colonnes aient été fort dégradées et que les tam- bours mêmes qui ne sont pas tombés aient été déplacés, on peut juger que lévraous n'existait pas, ou du moins, qu’elle était extré- mement faible. Les colonnes, au lieu de s’écraser sous leur far- deau, le portent avec aisance. Combien il y a loin de ce dorique à celui de Pœstum! Quelle différence dans les impressions que produisent la vigueur gracieuse, de l’un et la solidité inébran- lable de l’autre! On voit une fois de plus à Sunium que si les anciens, dans la construction de leurs édifices, obéissaient à des règles, ils ne sy ! Antiquités inédites de l'Attique, par la Société des Dilettanti; traduction de M. Hittorf, chap. vire, pl. IV. 2 Expédition de Morée, t. M ; Surium. — 07 — asservissaient pas. Sans cesser de les respecter, ils prenaient les libertés que le goût et la logique demandaient dans chaque cas particulier. | Comme l'extrémité occidentale du temple est entièrement dé- truite, on ne voit plus jusqu'où arrivaient les antes de lopistho- dome ; mais on peut ies placer en face du second entre-colonne- ment à partir de l’ouest. Si l'on mesure la distance de ce point aux antes du pronaos, dont l’une est encore debout, on obtient une longueur de 20 mètres. C’est dans cet espace qu’étaient ré- partis l’opisthodome, le pronaos, et, entre les deux, la cella, qui avait environ 12 mètres de longueur. £ Il me semble difficile d'y placer des colonnades intérieures : l'espace qui sépare les deux murs n’a guère que 6 mètres : com- ment le partager en trois galeries? Si l’on prend 2 mètres pour chacune des colonnades de côté, en y comprenant l'épaisseur des colonnes, il restera au milieu un couloir de 2 mètres aussi, qui sera fort mesquin. Si l’on veut diminuer la largeur des galeries laté- rales, elles deviennent tellement étroites qu’elles sont inutiles et peuvent à peine livrer passage à une seule personne. Comme la surface du pavé de la cella a été enlevée partout, on ne peut voir s’il y avait ou non des traces de colonnes ; mais l'absence de füts et de chapiteaux autres que ceux de la colonnade extérieure est une preuve négative d'une assez grande valeur. Le Théséion, où la largeur de la cella est presque la même |, n'avait pas ces ordres intérieurs qu'exigeaient, pour soutenir le loit, les vastes dimen- sions du Parthénon et de plusieurs autres temples dont on voit encore les restes. Dans le temple de Phigalie ?, la cella, quoiqu'elle eût un mètre de plus en largeur, n’avait pas de colonnes détachées: c’étaient seulement des, pilastres très-saillants, dont la partie anté- rieure était arrondie et cannelée comme une colonne. Ïl n'y avait de passage qu'au milieu de la cella. Encore ces fausses colonnades avaient-elles surtout pour objet de porter la frise intérieure, qui faisait le plus riche ornement du temple. Telles étaient les dispositions de l'édifice dans ses parties prin- cipales. Si l’on examine de près l’exécution, on reconnaît, malgré l'état déplorable dans lequel se trouvent les ruines, qu’on y avait ! Stuart, Antiquités d'Athènes, t. HE * Expédition de Morée, 1. W. ER que apporté les plus grands soins. Sous quelques chapiteaux, les arêtes des cannelures, protégées par la saillie de l’échine, se sont conservées; elles ont toute leur netteté, et il est impossible de pousser plus loin la perfection du travail. Le marbre a obéi si do- cilement au ciseau qu'il semble avoir été modelé plutôt que taillé. Dans ces courbes qui terminent les cannelures à la gorge du cha- piteau, il y a une telle souplesse qu'on croit voir l’empreinte laissée par le pouce de l'artiste façonnant le marbre comme de l'argile. Les joints sont d’une grande justesse, qu’on peut constater encore lorsque les pierres n'ont été ni déplacées ni ébranlées. Les blocs étaient réunis par des crampons de bronze qui, en excitant la cupidité, ont nui au monument qu'ils devaient conserver. Les tambours des colonnes présentaient sur leurs surfaces horizontales le même travail que ceux du Parthénon. On avait obtenu, sans doute par le frottement, une adhérence parfaite, et des cavités étaient creusées dans l’axe pour recevoir les dés de bois qui atta- chaïent les tambours entre eux 1.” On regrette de ne pouvoir constater à Sunium ces courbes lé- gères qu'employa l’art dorique arrivé à sa perfection, et dont on trouve un si bel exemple dans le soubassement du Parthénon. Comment saisir, sur un socle aux assises disjointes et interrom- pues, sur quelques fragments d’architrave déplacés et dégradés, ces inflexions délicates qu’on a été si longtemps à constater dans des temples encore presque entiers? Quand même celui de Sunium serait beaucoup mieux conservé qu'il ne l’est, ses petites dimen- sions rendraient de telles courbes difficiles à mesurer. On ne saurait non plus arriver à la certitude pour ce qui re- garde la décoration de l'édifice. Il a été orné de sculptures, on n'en Î SURFACE HORIZONTALE D'UN TAMBOUR. À Cavité pratiquée pour recevoir un dé qui à unissait les deux tambours. | é _2B B Surface polie, sur laquelle le contact entre ae c les deux tambours était complet. = . , Ve C Anneau non poli, creusé un peu plus que la PATES) part.e B et par lequel les tambours ne se touchaïent pas. D Anneau poli comme la surface B et au même niveau. Ainsi les deux tambours étaient en contact seulement par les parties B et D, Se peut douter. Au pied des colonnes du pronaos on retrouve plu- sieurs plaques épaisses de marbre qui évidemment ont été sculp- tées; de fortes saillies accusent encore les parties qui étaient en relief; aux endroits où la pierre, fouillée plus profondément, était préservée par son enfoncement, on retrouve quelquefois un con- tour léger. Le marbre est plus blanc Ià où la cassure a mis la sur- face plus récemment à nu. Enfin, des voyageurs plus heureux ! ont vu autour du temple des sculptures qui en provenaient. Mais comment étaient-elles disposées et quels étaient les sujets qu elles représentaient? C'est ce qu’il est moins facile de dire. _ Ilest singulier que, sur sept pièces de marbre que j'ai recon- nues au milieu des débris pour avoir porté des sculptures, aucune ne présente de restes reconnaissables. Ni les détériorations causées par le temps, ni les chutes, ni même la funeste curiosité de ces voyageurs qui croient d'autant mieux aimer l'antiquité qu'ils ont mutilé plus de monuments, ne suffisent à expliquer cet état. II faut qu'on ait mis de l’acharnement à défigurer et à détruire tout ce qui dépassait la surface unie de la pierre. Quand Fourmont visita le temple ?, il vit parmi les débris un bas-relief représentant un homme qui se précipitait du haut d’un rocher ; une femme et un petit enfant, assis, levaient les bras et paraissaient le regarder avec effroi. C’est la seule sculpture dont le voyageur parle. Cependant, à cette époque, il devait y avoir d'autres sculptures, puisque Dodwell, dans le voyage qu'il fit entre 1801 et 1806, vit encore, au pied de la partie la plus es- carpée du rocher, un bas-relief qu’il déclare bien sculpté : «I went « down the steepest part of the precipice and found a metopa near « the water beautifully sculptured, but corroded by the spray of « the sea 5. » Puisqu'il a pu juger du mérite de l’œuvre, il pouvait aussi nous dire ce qu'elle représentait. Il est à regretter qu'il ne l'ait pas fait; car, à présent, cette métope a disparu. Je n'ai vu, en faisant le tour du rocher et en examinant les fragments retenus dans ses anfractuosités ou descendus jusqu’à la mer, aucun reste de sculp- ture. ! Dodwell, Travels in Greece, t. 1; Sunium, 537. Fourmont, cité par l'Expé- un de Morce, t. IL. * Académie des Inscriptions, t. VIT; Histoire, p. 750. * Dodwell, Travels in Greece, t. 1, p. 790. — 70 — Ce qui parait certain, c'est qu'’au-dessus des colonnes et des antes du pronaos courait une frise. L'entablement que portaient ces antes ne tournait pas avec le mur de la cella; mais, comme au Théséion d'Athènes, il se prolongeait au-dessus du æTépœua. On le voit encore entre l’ante du nord et la colonne correspon- dante sur le côté. Gette disposition, qui n’est pas commune, et qu’on avait adoptée, dans le temple de Thésée, pour donner plus de longueur à la frise, avait ici le mème objet. D'un autre côté, si l’on mesure les plaques de marbre qui ont été sculptées, on voit que leurs longueurs, qui sont différentes entre elles, dépassent souvent la largeur que devaient avoir les métopes et ne se trouvent jamais égales à cette largeur. Enfin la hauteur, qui est de 82 cen- timètres, correspond bien à celle qu'aurait la frise. Il en faut donc conclure qu’une frise sculptée courait au-dessus de l’archi- trave du pronaos. Quant aux métopes, bien qu'on n’en trouve aucune avec des traces de sculpture, il n’est pas sûr qu'aucune n’ait eu de bas-re- lief. Si l’on suivait l’analogie que présente le temple de Thésée, on en mettrait au contraire sur la façade et sur les côtés Jusqu'à la rencontre de l’entablement du pronaos. Comme cette partie du temple paraît avoir été renversée depuis longtemps, les métopes ont pu disparaitre, ensevelies sous les décombres. Autant qu’on peut le conjecturer d’après les faibles traces qui sont encore visibles, les sculptures du temple représentaient un combat de héros et de centaures. Sur plus d’une plaque J'ai re- connu des jambes et des croupes de chevaux : il m'a même sem- blé distinguer la partie postérieure d’un torse humain se réunis- sant au dos d’un cheval. Ce serait une répétition de plus de ce thème qui plaisait tant aux sculpteurs grecs et surtout aux Athé- niens !. Quant au bas-relief que vit Fourmont, peut-être représen- lait-il Égée se précipitant du haut du promontoire à la vue de la voile noire que son fils avait oublié de changer ?. Cette sculpture ? Voir les métopes extérieures du Parthénon, la frise intérieure de Phigale, les bas-reliefs du temple de Thésée, sans compter les représentations indiquées par les auteurs anciens et toutes celles qui se trouvent sur les vases, les sarco- phages ou ailleurs. , ? La tradition commune veut qu'Egée se soit ainsi donné la mort dans l'acro- pole d'Athènes, à l'endroit où plus tard s’éleva le temple de la Victoire Aptère; f — T1 — se rattachait ainsi à la légende nationale dont faisait encore partie la Centauromachie !. On y peut voir aussi Glaucus, le pêcheur d’Anthédon en Béo- tie, qui se jette à la mer après avoir mangé l'herbe des dieux ? et devient dieu lui-même. J'aimerais assez, parmi les ornements d’un temple qui domine la mer et sur le promontoire où Neptune avait aussi ses autels, voir figurer les dieux marins. Glaucus pou- vait être accompagné des divinités dont la mythologie grecque peuplait les flots. Si les artistes grecs se plaisaient à montrer dans les centaures le corps humain habilement combiné avec celui du cheval, il ÿ avait aussi de quoi les tenter dans la double nature, dans les formes souples et les replis ondoyants des Tritons et des Néréides. Pour le reste de la décoration, on n’a guère à faire que des con- jectures. Chacun peut composer à son gré un groupe et le placer dans le fronton; couvrir les murs de la cella de peintures monu- mentales à : élever au fond-une statue de Minerve, dont on choisi- rait le type sur les plus belles des monnaies frappées avec l'argent du Laurium *; mettre un autel à ses pieds; creuser dans les pla- fonds du æ/éoœua et du pronaos des caissons peints aux étoiles d’or brillant sur un fond bleu; tracer des oves sur l’échine des chapiteaux; peindre les triglyphes en bleu et les métopes en rouge; étendre sur la cymaise de la corniche des bandes de pal- mais Stace, dans sa Thébaïide, ch. XII, v. 615, place ce même événement à Su- nium. Linquitur Eois longe speculabile proris Sunion, unde vagi casurum in nomina pont Cressia decepit falso ratis Ægea velo. Cette tradition avait plus de vr aisemblance, car, en attendant son fils à Su nium, Égée devait le revoir plus tôt qu'en restant dans Athènes. I lui était aussi plus facile de reconnaître le vaisseau du haut d’un rocher dont la mer baigne le pied que du haut de l'acropole, qui en est éloignée de plus de six kilomètres. Cependant, du temps de Pausanias, on montrait encore à l'acropole l'endroit d'où Égée s'était précipité. ( Pausanias, L, 11, 4.) ! Voir le temple de Thésée dans Stuart, Antiquités d'Athènes, 1. HE. ? Athénée, Deipnosoph. 1. VIT, 48 : Oeür dypwoli. * Dans la cella du Théséion, Mycon avait peint une Centauromachie et la défaite des Amazones. ( Pausanias, I, xvi1, 6.) * Par exemple, sur le magnifique décadrachme que donne M. Beulé dans son ouvrage sur les monnaies d'Athènes, p- 48. =." mettes, où des couleurs vives, mais alliées harmonieusement, per- mettent de saisir les détails et la pureté du dessin !; couvrir le toit de ces tuiles de marbre dont l'invention valut une statue à Bisès de Naxos ?; en border le bas d’élégantes antéfixes; en garnir l'arête de tuiles faîtières, au-dessus desquelles montent des pal- mettes délicates; surmonter d'un large fleuron ou d’une statue le sommet du fronton, et de griffons ses angles inférieurs; appliquer à la corniche, sur les côtés, des têtes de lion, dont la gueule ouverte rejette l’eau au delà du socle du monument#; enfin rétablir en imagination toute cette décoration brillante qui ajoutait tant de ri- chesse et de variété à la simplicité du dorique grec. ‘état où les monuments anciens s'offrent à nos yeux nous abuse sur l'aspect qu'ils présentaient dans leur nouveauté. Nous n’en voyons plus que la masse; beaucoup de détails ont disparu, et de la décoration il ne reste presque rien. Tout en reconnaissant la simplicité qui existait en effet dans le plan et dans les dispositions générales, il faut bien nous persuader qu’une riche parure cou- vrait et embellissait ce corps vigoureux. L'édifice plantait dans un sol de marbre ses colonnes robustes, commençait au chapiteau à devenir plus riche et plus orné : aux soffites, à l’entablement, la variété des formes et l'éclat des couleurs augmentaient pour s’é- panouir sur les parties hautes, sur les corniches, les toits et les frontons, dans une richesse harmonieuse. Je laisse maintenant le temple pour m'occuper de la terrasse qui le soutenait. Je ne puis être d’accord, dans les dispositions que je lui attribue, avec le plan donné par l’'Expédition de Morée“. L’artiste qui l’a dessiné place d’abord sur les côtés du temple, à sa partie postérieure, deux escaliers parallèles à son axe, par les- ? Pour la décoration peinte, voir l'ouvrage de M. Hittorf sur l'architecture po- lychrome; les documents réunis par M. de Laborde, pour une restauration du Parthénon; le travail exécuté sur le temple d'Égine par Expédition de Morée, t: 4; 2? Pausanias, 1. V, c. x. 3 Pour l'agencement des tuiles et la disposition des têtes de lion sur la cor- niche; pour le dessin des palmettes ou fleurons qui ornaïent les antéfixes et les tuiles faitières, les exemples abondent. Le temple de Némésis à Rhamnunte dans les Antiquités inédites de l'Attique, le temple de Phigalie dans l’Expédition de Mo- rée, en fournissent qui sont à peu près de la même époque que le temple de Sunium. # Expédition de More, t. I, pl. 3: Fe TS LC di sf titine: bte et e-et nine e Mnt er 2 quels on arrivait au portique de l’opistho dome. Je doute que ces constructions ajoutées au socle de l'édifice aient pu s’y rattacher sans en charger et en cacher les angles, sans en troubler les lignes. De plus, le niveau du sol étant plus élevé au sud qu’au nord, ces escaliers auraient été inégaux, ce qui eût été d’un effet encore plus fàcheux ; aussi, malgré les exigences du terrain, le dessi- nateur les à représentés égaux. Mais c’est surtout la disposition adoptée devant la façade antérieure de l'édifice qui me paraît in- conciliable avec la pente du terrain. Comme le terrain monte du nord au sud dans la largeur de la façade, le premier des trois gradins qui forment le socle du temple était, à l'angle sud-est, peu élevé au-dessus du sol; il avait au contraire plus d’un mètre de hauteur à l’angle nord-est. Cependant l’auteur de la restaura- tion suppose un palier qui atteint à la hauteur du premier gradin et auquel on arrive sur les côtés par deux escaliers égaux, com- posés chacun de onze marches. Ces marches auraient pu trouver place au nord, mais le peu de hauteur du gradin au sud n'en per- mettait pas même la moitié. Il y a en outre, dans les mesures du plan, une inexactitude orave, qui, une fois corrigée, rend encore plus invraisemblable devant la façade une plate-forme élevée. L'artiste a mis entre la dernière colonne qui subsiste à l’est et le mur qui ferme l'en- ceinte au bord du précipice une distance de 28",50. J'ai mesuré cette distance, et de la colonne À au mur C, dont les fondations sont encore très-visibles, je n’ai trouvé que 16°,50. Or, si l'on ajoute devant la colonne À un espace de 3",50 pour le dernier entre-colonnement, la colonne d’angle et l'épaisseur des gradins, on n’a plus que 13 mètres de largeur. Si l'on prend encore 7",50 pour une terrasse haute de 11 degrés, c’est-à-dire de deux mètres environ, on a entre cette terrasse B et le mur d'enceinte C un pas- sage resserré qui n’a pas plus de 5,50, et qui aurait fait devant la façade du monument un fort mauvais effet. Je pense donc que le socle du temple reposait de tous côtés sur une plate-forme dont la limite, à l’ouest, est marquée par des vesti- ges encore visibles, et que l'expédition de Morée indique au point H. Mais, au lieu d’avoir devant la façade 2 mètres au-dessus du sol, elle n'avait pas même un mètre. Il suffisait de quatre ou cinq degrés parallèles à la façade pour y monter. Entre ces degrés et les gra- dins se trouvait un palier, et de ce palier, par de petites marches E a RAA lil AN \\ li me ALU nl 1) il | \: | PTIT A \| | A 1 HitlUr [A jus D NU us ci A D Nm | | \l DAS ru D 0 IAA ie 0 (il } NT ju D 28", O0 . ) Le D p j ‘ | D ji D) pt | Da TT D 1 1 1 "| ! 1 ! D [l ! ! 1 , : : D OLD DDC. UE LE UP A2 LTD Me LE PTE LOL LE LOL RLILNIE NL AL RIDE 2 EXLZILAE, ZX V7 DALLDL TT à 7 ZZU LG TL RLVGE ANT LONLLDO AZ INDE LIL LE À LL, LL L 12 4 ee MACDÉ AAA ii entr et 1H D qe HA UE Li < wi tint TRE v RIFTE AA u Un AE du He (i ‘ (UT NH HER nt \ il qi rl D j Vi nr | NN Lu BN Dr AL f 1 AAA U (LAS ï il DEN NÉ dl] qi | Lo poil .. Lo ji Lu qi VIT: i\\ { du HI 1 \ Wu (NN tir AN 1 on Int ql jt ALT \ fl fie FA AN NUS NL pis l: 1fft A {il pal 14 LUBTAN ji LU AAA LA DL nue cé RS aus ajustées sur les gradins mêmes, comme on en voit au Parthénon, on arrivait au portique du pronaos. La plate-forme: s'étendant moins loin devant le temple (6 mètres au lieu de 7*,50), le mau- vais effet du passage dont je parlais est diminué d'autant; mais ce qui le faisait disparaître tout à fait, c’est le peu de hauteur de la plate-forme, qui n’enferme pas cet espace comme entre deux murs, n'arrête point le regard et lui permet de mesurer le temple dans toute sa hauteur. PROPYLÉES ET ENCEINTE DU TEMPLE. L'entrée de l'enceinte sacrée est à une distance de quarante pas au nord de l'édifice. Une ligne qui en partirait perpendicu- lairement au mur qu'elle traversait tomberait, perpendiculaire- ment aussi, sur le prolongement de l’axe du temple, à peu de distance de sa façade orientale. Les propylées consistaient en un petit monument dorique. J'ai déjà dit ce qu'il en reste ou du moins ce qu'on en voit hors de terre. Il avait sur chaque façade la forme des temples que Vitruve appelle in antis ! et que les Grecs nommaient é wapaoldor, c’est-à-dire qu’il se terminait par deux antes, entre lesquelles étaient deux colonnes. Le chemin passait par l’entre-colonnement du milieu, large de 2",50. Ce monument n'était donc qu’un vestibule entre deux murs divisé en trois pas- sages par des colonnes. Il avait 9 mètres de façade et 13 mètres de longueur. On voit encore, appliqué le long de la paroi intérieure du mur, un banc de marbre de 4",50 de longueur, qui allait de- puis les antes du sud jusqu’au tiers du passage. Sa longueur semble indiquer qu’un mur l’arrêtait là en coupant l'édifice transversale- ment. Les restes sont trop peu importants pour permettre autre chose qu’une restauration très-hypothétique. On ne voit même pas si l'entrée du passage, élevée de quelques pieds au-dessus du sol inférieur, était accessible par une pente ou par des degrés, et si les chars pouvaient pénétrer dans l'enceinte ou s'ils en étaient exclus. Il suffisait qu’on y püût faire entrer les victimes, et quel- ques marches étaient un obstacle qu’elles pouvaient franchir faci- lement. Les colonnes n'avaient aucun renflement et la base en était Jointe au sommet par des lignes droites. Un listel étroit en 1 Vitruve, 1. III, c. vx. — 11 — sépare les cannelures et rappelle l’ordre ionique. La hauteur de l’architrave dépasse les proportions ordinaires. Les deux colonnes de la façade étaient aussi plus espacées qu'elles ne le sont com- munément dans l’ordre dorique : c'était afin de laisser entre elles un passage plus large. Nous sommes loin des magnifiques propylées d'Athènes, de cet escalier imposant, et de cette majestueuse colonnade qui reliait deux corps de bâtiment construits en marbre; mais l'édifice, sans avoir ces proportions grandioses, avait de la grâce et de l'élégance. Il faisait sur le mur de terrasse qui limitait l'enceinte une saillie de plus d’un mètre. Ce mur lui-même s’en allait rejoindre du côté de l’est le mur de la ville, à vingt pas des propylées, et ne s'élevait guère au-dessus du sol ; mais à l’ouest il se prolongeait de 4o mètres et formait au-dessus du terrain, qui descendait toujours, une ter- rasse de plus en plus élevée. On l'avait construit avec le même marbre que le temple, marbre emprunté à des carrières du voi- sinage; mais la construction, quoique d'appareil hellénique, n'est pas des plus régulières. Les assises sont de hauteur inégale et les joints entre pierres de la même assise sont souvent obliques. La surface extérieure des pierres n’a pas été polie : elle est à bos- sages. À l’angle du mur seulement, à l'endroit où il fait retour vers le sud, les blocs ont été taillés de manière à former sur chaque face une bande verticale qui longe l’arête du mur dans toute sa hauteur. On retrouve dans la plupart des constructions hellé- niques cette moulure qui ornait les angles, leur donnait plus de fini et les arrêtait plus nettement que n’eussent fait des pierres imparfaitement taillées. La terrasse, en se dirigeant vers le sud, rencontre le bord du rocher coupé à pic; l'extrémité du mur qui la soutient s’est même écroulée dans le précipice. Du côté de l’est l'enceinte était formée par le prolongement du mur de fortification. Elle n’avait pas besoin de clôture au sud: le rocher se terminait là, comme je l'ai dit, par un escarpement dont il aurait été bien dangereux de tenter l'escalade. Le mur de terrasse qui portait les propylées, quoique bâti en marbre, était couronné d’une assise construite avec la pierre ru- gueuse et grossière dont sont formés les rochers du rivage. Ce sont des blocs plus hauts et moins larges que les autres : ils approchent de la forme cubique. ain EN Ils portaient la muraille d’un bâtiment qui bordait la terrasse dans la plus grande partie de sa longueur. En effet, à 9 mètres du front de la terrasse on trouve les fondations d’un autre mur pa- rallèle au premier : elles se montrent à partir de l’angle nord-ouest jusqu’à peu de distance des propylées. Ce sont les traces bien re- connaissables d’un long corps de bâtiment qui était couvert d’une toiture de tuiles épaisses. On en rencontre de nombreux fragments au pied du mur de soutenement. Les traces s'arrêtent avant d'arriver aux propylées; mais depuis l'endroit où elles cessent jusqu’à cet édifice, on voit les fondations d’un autre mur plus rapproché du mur de terrasse et qui lui est également parallèle. Il ÿ avait donc, attenant aux propylées, un bâtiment qui en dépendait. Il était destiné très-probablement à loger les gardiens de l'entrée; peut-être même un autre bâtiment pareil lui faisait-il pendant à gauche des propylées. Quoique de ce côté on ne voie plus de maçonnerie, je penche d'autant plus en faveur de cette supposition que l'équilibre de la construction est ainsi rétabli. Cet appendice de gauche était, d’ailleurs, utile pour défendre l’espace laissé entre les propylées etle mur de fortification. La destination du grand bâtiment qui longe la terrasse est moins facile à déterminer. Les dimensions en étaient considérables et la construction fort solide : les murs reposaient sur de fortes assises et, pour en pouvoir soutenir le poids, l'angle nord-ouest de la terrasse était tout rempli d’une maçonnerie de grosses pierres de taille, au lieu d’être comblé de terre et de cailloux. Athénée !, en parlant d’un certain temple, mentionne en même temps l'édifice où se réunissaient les agents chargés de percevoir, pour des usages religieux, une certaine quantité d'orge ou de blé et celui où ils conservaient ce qu'ils avaient recueilli : Eës rh» ÉmiOXEUNY TOÙ vEw, TOÙ dpyelou xai ToÙ mapaorTiov, ua Ts ointas Ts iepäs, dudévar Tù dpyüpiov, dmooov dv oi Tv iepéwr émioxevdaolar molwowotr. Peut-être la construction dont nous nous occupons servait-elle aux différents usages indiqués dans ce pas- sage. Cependant nous ne savons ni si de tels bâtiments se trou- vaient à côté même des temples, ni s'il y en avait à Sunium. D'un autre côté, J'ai peine à croire que celui-ci ait fait partie du plan primitif de larchitecte. 1 Derpnosoph. VE, 27. mt UT En effet, pour ceux qui regardaient le temple du fond de la baie et des hauteurs environnantes, il le masquait en entier ou en partie : il en cachait au moins le soubassement, en embarrassait les abords , et en détruisait l'effet par le voisinage d’une construc- tion parasite. Au contraire, sans cet obstacle fiächeux, le temple présentait du côté de la terre un aspect imposant et magnifique. Des hauteurs voisines on voyait comme une succession de vastes gradins couronnés par l'édifice sacré. C'était d’abord, au-dessus des maisons de la ville aux toits peu élevés, aux matériaux mo- destes et aux lignes irrégulières, une solide et longue terrasse de marbre à bossages qu'interrompaient seulement les propylées et les deux petites constructions dont ils étaient flanqués. Au-dessus, une seconde terrasse, moins longue et moins haute, d’une cons- truction plus soignée, occupait le milieu de l'enceinte. Elle soute- nait elle-même les degrés d’où montaient les colonnes du temple ; enfin les palmettes qui dentelaient le faîte du toit de marbre, et le profil accidenté des acrotères, se découpaient sur l’azur lumi- veux du ciel. | Le bâtiment qui gàtait cet ensemble fut sans doute construit à l'époque où Sunium reçut ses fortifications; c’est-à-dire un peu plus tard que le temple. La ville haute ! ayant été alors isolée du port et des magasins qui bordaient le rivage, et resserrée dans une enceinte étroite, il fallait y ménager l’espace. Quand on craignait une invasion, une surprise, tous les biens meubles étaient trans- portés dans les places fortes, et il ÿ avait alors une foule d'objets précieux à mettre en sûreté. Un édifice particulier fut sans doute élevé sur la terrasse du temple pour la fortifier elle-même, pour abriter les dépôts que recevait l'enceinte sacrée, et pour recevoir en même temps les hommes chargés de la défendre, avec les provi- sions et les munitions qui leur étaient nécessaires. FORTIFICATIONS. Il faut distinguer l'enceinte sacrée, que je viens de décrire, de l'enceinte fortifiée, dont elle occupait seulement l'angle méri- dional. Si la place avait été emportée, sans doute on aurait encore ! Athénée (livre VI, 104), en employant pour désigner l'enceinte fortifiée l'expression d'acropole, riv y XEouvio éxpérolw, montre bien qu'elle était loin d'enfermer toute la ville. PR er pu défendre les dépendances du temple; mais la défense n'aurait guère pu se prolonger. Cette enceinte était peu spacieuse, renfer- mait très-peu de logement, manquait d’eau et ne paraît pas avoir été construite pour une résistance sérieuse. Les murailles dont le développement formait la place forte de Sunium enfermaient, au- dessous du temple et de son péribole, un espace assez étendu sur les pentes du cap. Peut-être la partie de la ville qui s’étendait au- tour de la baie n’était pas moins peuplée: mais on était prêt à tout évacuer pour se réfugier dans la ville fortifiée. Du sommet du cap, taillé à pic au sud, le mur de fortification, qui formait d’abord la clôture orientale du péribole, descendait au nord vers le fond de la baie; mais bien avant: d'atteindre le bas de la pente il tour- nait vers l’ouest, comme on le voit dans le dessin que j'ai donné au commencement de ce travail, et venait rejoindre le bord de la mer à un endroit où la côte était encore fort escarpée et très- peu accessible. Il avait plus d’un demi-kilomètre de développe- ment : le terrain qu'il enfermait d’un côté et que le rocher défen- dait de l’autre avait près d’un kilomètre de circuit. On voit encore fort bien la manière dont ce mur était construit dans ses assises inférieures, et c’est un spécimen intéressant de fortification antique. L'épaisseur qu'il conserve presque dans toute sa longueur est de 2,75. Il était formé de deux murs parallèles construits en pierre : on avait comblé avec un mélange de caïlloux et de terre l'intervalle qui les séparait. En plus d’un endroit, on ne distingue que les fondations; mais, dans les parties moins rui- nées, on trouve encore les matériaux dont le vide intérieur était rempli. On y remarque, avec la pierre et la terre, des fragments de poteries. La pierre dont on a formé le revêtement est empruntée aux roches du voisinage ; elle est dure et pleine de cavités comme celle qu'on tirait des carrières du Pirée. Pour le revêtement exté- rieur elle a été taillée en blocs réguliers d’assez fortes dimensions; ils ont de trois à cinq pieds de longueur sur un pied et demi de hauteur. Pour le revêtement intérieur, c’est seulement dans l’en- ceinte du temple qu'on a pris ce soin. Le revêtement, dans le reste du mur, est formé, du côté de la ville, de moellons réunis par un mortier. On opposait aux ennemis de gros blocs, qu’il était difficile de déplacer et d’ébranler; l’autre côté n’avait besoin que de sou- tenir le poids de la construction. Ces deux murailles auraient pu céder à la charge des terres placées entre elles et se seraient écrou- ; — Gi — lées rapidement si elles n'avaient été reliées d'espace en espace par des cordons de grosses pierres de taille qui les attachaïent l’une à l'autre, divisaient le poids des matériaux intérieurs et en portaient une partie. À des intervalles de 20 mètres en moyenne, mais inégaux entre eux, des tours faisaient en avant du mur une saillie de 3 mètres!. La première se trouve dans l'enceinte même du temple; la seconde est déjà hors de cette enceinte. En continuant à descendre vers la baie , au lieu de la troisième, on trouve une entrée avec un ouvrage pour la défendre. Les tours sont carrées; mais cet ouvrage décrit une ligne courbe qui a fait croire à quelques voyageurs que la mu- raïlle était garnie de tours rondes. L'état délabré de cette construc- tion , les inégalités’ du terrain et les broussailles dont les débris sont couverts, font qu'il est peu facile d'en prendre un plan exact; mais la figure ci-jointe suffira pour en faire comprendre la dispo- sition. | Entrée dans le mur de fortification à Sunium. Dessin donné par Leake, Athènes et dèmes de l'Atuique, vol. If, 144. Entrée pra- tiquée dans un mur qui, entre les dernières hauteurs de l'Ægaleus et celles du Parnès, fortifiait le passage de la plaine de Tria à la plaine d'Athènes. On y reconnait aisément l'intention des constructeurs, qui, sui- 1 Vitruve, livre I, chap. v : «Intervalla autem turrium ita sunt facienda ut ne «longius sit alia ab alia sagittæ emissione, uti, si qua oppugnetur, tum a turribus MISS, SCIENT, — JII, 6 is ARE vant l'usage des anciens dans les entrées des forteresses , avaient voulu que l'ennemi, en approchant de la porte, exposät surtout son côté droit. C'était celui que le bouclier ne couvrait pas. Il était ici menacé par les défenseurs qui garnissaient l'ouvrage D!. On voit qué la courbe donnait à cet ouvrage plus de développement. En outre, ceux qui étaient sur la muraille en C voyaient l'ennemi presque de face. Il se trouvait ainsi, une fois qu’il avait franchi l'entrée du défilé B, entouré de tous les côtés et comme enfermé dans un espace clos où on l’accablait à loisir de projectiles. L'entrée que je viens de décrire était celle qui conduisait aux propylées. C’est encore par là qu’on passe d'ordinaire la muraille pour se diriger vers le temple. En B on trouve quelques blocs de marbre qui indiquent qu'une petite construction obstruait encore cette entrée. Peut-être était-ce une porte ornée. À partir de cette première entrée on compte en descendant trois tours avant d’ar- river à la seconde. Celle-ci était placée au point où la courbe du mur vers l’ouest devient plus prononcée. L'ouvrage qui la défen- dait était carré, mais de dimensions bien plus considérables que les tours qui garnissaient l'enceinte. I avait fallu le rendre très- fort parce qu’il garnissait une partie du mur proéminente et aussi parce qu’il était plus accessible que la partie du mur plus rappro- chée du sommet. Dans la partie qui se dirige vers l'ouest et re- garde le fond de la baie, la muraille semble avoir été plus élevée; mais plus elle approche de la mer et moins on peut reconnaïtre l'emplacement des tours : quelquefois même on cesse de voir la muraille. La construction, de ce côté, en est différente; on ne re- trouve plus le revêtement extérieur de pierres de taille; l'appareil est formé de moellons mal taillés et mal ajustés. Sans doute le mur a été renversé en cet endroit et relevé ensuite, mais avec une précipitation qui ne permettait pas un travail soigné et durable. H arrivait là jusqu’au bord de la mer, et il y est taillé à pic. L’en- «quæ erunt dextra et sinistra scofpionibus reliquisque telorum missionibus hostes «rejiciantur.» On voit qu'à Sunium les traits pouvaient aisément atteindre d’une tour à l’autre. ; ! Vitruve, livre [, chap. v : «Curandumque maxime videtur ut non facilis sit “aditus ad oppugnandum murum : sed ita circumdandum ad loca præcipitia el ex- «cogitandum uti portarum itinera non sint directa, sed oxad. Namque quum ita « factum fuerit, tum dextrum latus accedentibus quod scuto non erit tectum, proxi- «mum erit muro. » TT TE SL Non - ceinte enfermait là une petite anse ou plutôt un enfoncement du rocher où une barque pouvait aborder. C'était la communication la plus directe avec la mer; un escalier fort roide, dont on voit les traces, descendait sur le flanc du rocher, et, quand même toute la muraille aurait été investie par terre, on aurait pu par là, pourvu que la mer restàt libre, introduire des hommes dans la place ou en faire sortir. Dans l’espace enfermé par la muraille on trouve des fondations de murs qui portaient des maisons : on y voit des pierres, des fragments de poteries. Dans une dépression du terrain, j'ai vu deux citernes qui ont la forme ordinaire des citernes antiques d'Athènes. Elles ressemblent à d'énormes carafes creusées dans le rocher. Les autres sont comblées de terre ou cachées par les buissons. II fallait beaucoup de citernes à Sunium, même en temps de paix, car la ville n’avait pas d’autre eau, à moins qu'on n'en fit venir d'une distance de huit kilomètres. On pourrait, à l’aide d’une inscription commentée par Otitfried Müller !, reconstruire en entier le mur de Sunium. Je pense qu'ici, comme à Athènes, le revêtement même n'était pas de pierre dans toute sa hauteur. Les blocs qui se sont écroulés ne paraissent pas assez nombreux nour avoir formé une muraille bien haute, du moins dans la partie rapprochée du temple; car dans le bas de la ville, le mur, dont pouvaient approcher des machines, avait be- soin d’être plus fort. Il y avait donc, au-dessus de quelques assises dé pierres, des assises de briques crues, &À/0wv ?, puis- qu'on ne retrouve au pied du mur aucun vestige de briques cuiles. Sur la plate-forme supérieure circulait un chemin pour défendre la muraille rüv, uerarupylov Tv ædpodor$. C'était un chemin couvert protégé par un mur mince percé d'ouvertures. La partie de ce mur qui était pleine et montait jusqu'à hauteur d'appui était l'éré)Ëtor !; elle avait environ un mètre de haut: les créneaux, érdhËss®, s'élevaient au-dessus, laissant entre eux des ouvertures ' De Munimentis Athenarum, 2 Sur l'usage des briques crues chez les Grecs, voy. Ottfried Müller, De Mu- nimentis , p. 14. 3 De Munimentis, p. 39, ligne 44. 4 Ibid. p. 34, ligne 56 : ŸVos pèv éraXËlou rpeïs môdas, > Jbid, ligne 54 : Kai r@v énd}Ëewy mavra, 2e ir en appelées Supides|. C'étaient de véritables fenêtres, car le mur continuait à courir au-dessus d'elles. Le mur dans lequel elles étaient percées portait un toit destiné à préserver de la pluie, du soleil et des projectiles les combattants qui garnissaient le rem- part. Du côté de la ville, ce toit s’'appuyait non plus sur un mur continu, mais sur des piliers de brique, oixodounaer dè xat &x Toù évdo0er o 10% ous ?, qui laissaient entre eux et le parapet extérieur un espace suffisant pour que deux hommes armés pussent y passer de front sans difficultéÿ. Telle était, dans ses parties principales, cette muraille, qui ne fut point bâtie aussi solidement que les murs du Pirée et les longs murs élevés après la défaite des Perses. Sunium , en effet, fut fortifié à la hâte. Thucydide5 nous apprend que ce travail fut exécuté dans un temps où les Athéniens se trouvaient sous le coup de leurs désastres de Sicile, pendant l’h:i- ver qui suivit cette malheureuse campagne. Sans se laisser acca- bler, ils se procurèrent alors des bois de construction, mirent des vaisseaux sur Île chantier pour réparer les pertes de leur flotte et fortifièrent Sunium. Le même auteur nous apprend en même temps quelle était l'utilité de ces fortifications. On voulait que les vaisseaux qui apportaient des subsistances pussent, sans danger d’être pris, venir de l’'Eubée et doubler le cap. En effet, Décélie, grâce à la trahison d’Alcibiade et au conseil qu'il donna aux Lacédémoniens, avait été occupée par les ennemis d'Athènes. Les denrées, qui autrefois n'avaient qu'à traverser l’Euripe pour débarquer à Oropos et pour être de là portées à Athènes directe- ment par terre, étaient obligées de faire par mer le tour de lAt- tique, ce qui était long,. dangereux et dispendieux. Les vents pouvaient être contraires; les bâtiments pouvaient étre surpris par le mauvais temps, enlevés par les ennemis; il leur fallait des ports de refuge, et Sunium leur en offrait un qui ne pouvait être mieux placé. On pouvait même v débarquer, en cas de besoin, les cargaisons, ! De Munimenus, etc. p. 34 , ligne 55 : Aiokeirwr Supidas dim AlvOovs. ? Ibid. lignes 58-59. * Vitruve, livre I, chap. v : «Crassitudinem muri ita faciendam censeo uti «armati homines, supra obviam venientes, alius alium sine impeditione præterire « possint. » * Thucydide, 1, 93. s (VE, 4. — 89 — qui longeaient ensuite la côte et parvenaient à Athènes sans avoir rien à craindre de l'ennemi. Le port devait avoir plusieurs navires en station pour protéger les transports et pour veiller sur les côtes. Ces précautions n'em- pêchèrent pas les Lacédémoniens, avec quarante-deux vaisseaux commandés par Hégésandridas, de tourner Sunium pour aller soulever l’Eubée et jeter l'ancre devant Oropos!. Les Athéniens tremblèrent pour l’'Eubée. Jusque-là ils l'avaient tenue en respect; ils en tiraient leur subsistance; ils y trouvaient, pendant que leur territoire était ravagé , des ressources inépuisables. Aussi résolurent- ils de tenter un dernier effort. Trente-six vaisseaux sont équipés sans retard, partent pour défendre Érétrie menacée, engagent le combat et sont complétement battus. Les Athéniens, dit Thucy- dide?, tombèrent dans le plus grand abattement qu'ils eussent encore éprouvé. Ni leurs désastres en Sicile, ni aucun autre mal- heur, ne les avaient jetés dans une telle épouvante. Si Sunium , dans cette occasion, ne fut guère utile aux Athéniens et put tout au plus abriter quelques débris de leur flotte, Tite-Live nous raconte une expédition dans laquelle les Romains en tirèrent un bon parti*. ‘était pendant la guerre qu'ils engagèrent contre Philippe, roi de Macédoine, en 200 avant J. C. et qui se termina en 195 par la bataille de Cynoscéphale. Les côtes de l’Attique étaient ravagées par des corsaires qui partaient du port de Chalcis, et Athènes, qui avait jadis tenu toute l'Eubée sous sa domination, était incapable d'arrêter les courses de quelques vaisseaux. Un consul romain, Claudius, vint à son se- cours : 11 s'embarqua sur une flottille composée de tous les navires qu’il trouva ; les Athéniens ne purent lui fournir que trois bâti- ments, encore nétaient-ils pas pontés. Claudius longe la côte, arrive à Sunium avant le soir et s'Y arrête pour ne pas donner l'alarme aux ennemis en se montrant dans l'Euripe. La nuit venue il repart, arrive à Chalcis avant le lever du soleil, surprend la ville, la pille et taille en pièces les troupes macédoniennes. On voit combien était importante une station d’où l’on surveillait les deux côtes de l’Attique et la pointe sud de l’'Eubée; d'où l'on ! Thucydide, VIIT, 95. 2? Id. ibid. 96. 3 Tite-Live, XXXI, 22. si 6. ee commandait à la fois l'entrée du golfe Saronique et celle de l’Eu- ripe, ce détroit qu’on pourrait appeler les Thermopyles maritimes de la Grèce!. Aussi, quand les successeurs d'Alexandre se disputèrent les lam- beaux de son empire et en particulier la Grèce, ceux qui possé- daient l’Aitique ne négligeaient pas Sunium. Démétrius, fils d’Antigone, l’avait fait occuper, et nous voyons Patrocle, amiral de Ptolémée Lagus, fortilier, pour l’opposer à cette place, l’ilot auquel il donna son nom et qui est à quelques kilomètres à l’ouest du cap?. À la mort de Démétrius IT, roi de Macédoine, en 232, Diogène, qui gouvernait pour lui l’Attique, occupait Salamine, le Pirée, Munychie et Sunium. Aratus le décida, moyennant 150 talents, à rendre ces places aux Athéniens, qui entraient dans la ligue. Achéenne. Il est facile de se représenter la position critique où auraient été placés les Athéniens si un ennemi, trouvant Sunium sans défense, l'avait occupé et fortifié pour son compte. Dans la guerre du Pélo- ponèse surtout, Athènes aurait été entourée de tous côtés, du côté de la Béotie, du côté de la mer, du côté de Décélie, privée des ressources que la mer lui fournissait, privée des revenus qu’elle tirait de ses mines. Si la présence des Lacédémoniens dans le nord de l’Attique et loin du Laurium suffit pour faire accourir à eux les esclaves des mines, fatigués de leurs pénibles travaux et de leur condition misérable, le moindre corps ennemi, une fois maître de Sunium, aurait sans peine enlevé aux mines tous leurs travailleurs, détruit tous les ateliers, tout le matériel dont cette extrémité de l’Aitique était remplie, et porté le coup le plus fu- neste aux finances des Athéniens. | Même en temps de paix, cette pointe que terminait Sunium avait besoin d’être gardée avec vigilance. Elle était fort exposée aux attaques des pirates, qui fondaient sur ses côtes et disparaissaient aussitôt avec leur butin. Hs enlevaient même les personnes et les vendaient comme esclaves. On retrouve dans la littérature an- cienne les traces de ces enlèvements. Dans l’Eunuque de Térence, ! «Ut terra Thermopylarum angustiæ Græciam, ita mari fretum Euripi clau- a dit. » (Tite-Live, XXXI, 23.) ? Etienne de Byzance : Ilarpoxhou vñoos" ws Ipoxovñotos, oÙTw Iarpox}oyhotos, map Tr  rt. — Pausanias, I, 1, ÂT7xc, * Plutarque, Vie d'Aratus. ni une jeune fille, Pamphile , est amenée comme esclave dans Athènes; mais là on reconnaît qu'elle est de naissance libre, qu'elle a été dans son enfance enlevée à Sunium et on lui rend tous ses droits d'Athénienne. Térence avait pris ce sujet, comme les autres, dans les comiques grecs, et nous trouvons ici une de ces indi- cations fréquentes qu’il nous donne indirectement sur les mœurs et l'état de la Grèce!. Sunium servait aussi, en cas d'invasion, de place de refuge. Démosthène? cite un décret qui ordonnait aux Athéniens éloi- gnés de plus de 120 stades d'Athènes et du Pirée de transporter leurs biens dans les places d'Éleusis, Phylé, Aphidna, Rhamnus, et Sunium. Philippe s’avançait par la Phocide et lon ne voulait rien lui laisser de ce qu’on pouvait dérober à ses ravages. Dans ce décret, les places fortes de l’Attique ne sont pas toutes citées : on n'y trouve ni Décélie, qui peut-être n'avait plus les murailles élevées à la hâte par les Lacédémoniens, ni Anaphlyste, ni Tho- ricos. On n'avait pas voulu diviser les forces et l’on avait choisi les villes les plus sûres pour leur confier ces dépôts : les autres n'avaient qu'à se défendre elles-mêmes. Sunium était considéré comme une retraite où ne pourrait ja- mais pénétrer l’armée de Philippe. C'était l'extrémité la plus reculée de lAttique et la plus difficile à atteindre pour un ennemi qui ! L'auteur latin peut aussi nous servir à éclaircir un passage obscur d’un poëte de la comédie moyenne, Anaxandride, cité par Athénée (livre VI, chap. Lxxx1n1) : Oùx &oTs dothwr , à ’yablè, oùdauoÿ mous" Tiyn dè mdvra eraPéper Tà cwuara, IloÀ2o dè »Üv pév Eloi oùx éheubepor, Eis raÿproy dè Zoureïs, sir’ eis rplrny Y0p£ xéxpnvTu TÔv yaèp olaxa oTpÉQes Aaiuoy ÉndoTw. Ces vers ont donné lieu à des interprétations bien différentes. C’était surtout le mot Zoumseïs qui embarrassait. Tout me semble s'expliquer facilement si l'on pense à ces enlèvements dont les habitants de Sunium ou du voisinage étaient victimes plus souvent que d'autres. «Tel est esclave aujourd'hui, demain on reconnaïtra qu'il est originaire de Sunium, après-demain on le verra sur l'agora.» Si cette dernière expression est encore d'une interprétation douteuse, il est certain du moins qu’elle exprime cette idée : jouir de ses droits de citoyen. L'auteur faisait allusion à ces reconnaissances dont Térence nous fournit un exemple et dont les comiques grecs avaient avant lui usé et peut-être abusé. ? Pro Corona, p. 238. venait des frontières de la Béotie : il aurait fallu emporter plu- sieurs autres places avant d'y arriver. Après avoir si longtemps servi à protéger les mines, Sunium tomba aux mains des esclaves qu'on employait à les exploiter. Ces malheureux rompirent un jour les chaînes qui les chargeaent même pendant le travail!, surprirent l'enceinte fortifiée et de là portèrent longtemps la dévastation dans toute l’Attique?. On voit par là combien la ville était forte et combien Athènes alors était faible. Diodore de Sicile donne, ilest vrai, moins de gravité à cette révolte. Suivant lui, au lieu des myriades dont parle Athénée, ce furent seulement mille esclaves qui se soulevèrent et ne tardèrent pas à être détruits. Cet événement eut lieu en même temps que la seconde révolte des esclaves de Sicile“, celle qui fut dirigée par le Syrien Eunus et qui se termina par sa mort en 132 avant J. C. Peut-être doit-on attribuer aux attaques faites contre les esclaves l'état où se trouve la partie septentrionale de la muraille. C’est de ce côté qu'on aborda la ville; Pancien mur y fut détruit et l’on ne mit guère de soin à le relever. La ville de Sunium dès lors déclina promptement : avec ses fortifications elle avait protégé cette pointe de l’Attique contre les attaques maritimes, surveillé l'Eubée, commandé lEuripe, servi de refuge et de dépôt en cas d’invasion par terre; à présent l'Attique n’avait plus rien à craindre, puisqu'elle était soumise; l’'Euripe, comme la Méditerranée en- tière , appartenait aux Romains; la Grèce avait échangé contre une dépendance paisible son indépendance inquiète et agitée : Rome se réservait le droit de faire la guerre et se chargeait de la police du monde. Sunium ne pouvait même plus servir à loger les gar- diens des mines®; car les mines, après qu'on eut fondu une se- conde fois les anciennes scories®, furent définitivement abandon- nées. Elles l'étaient déjà au temps d'Auguste : sous les Antonins. Pausanias en parle comme nous en parlerions aujourd’hui (At- ! Athénée, 1. VI : Ka ai œoXai dé aûra: Ârinai uuprades rüv oiner@r deduévos cipyd&ovro eis Tà péra) Aa. | 2 Id. ibid. Hocerdwyos yêp Ô @1Aooo@os, dmoordvras @moiy aÿroÙs uara- Doveÿocar uèy roùs éni Tôy ueréAñwr @ianas, xoura}d6eoar dÈ rm» émi Zouvlo dxpôrotw, nai Êmi moÀY YpÜvOY wopÜñou Tv  Try. 3 Diodore de Sicile, XXXIV, 16: Kai xarà Tir ÂTremnr vaës P'AUCDE # Athénée, 1. VE. — Diodore, XXXIV, 16. S Id. ibid. Tods êni Tôy perd] )wy QüAanas. 5 Strabon, p. 399. EN tica, À, 1) : Aavperor ÉvÜa mot ÀOnvaious ÿv dpydpou péTala. Peut-être même ne trouva-t-il plus de ville; du moins le mot de Aurv! peut indiquer seulement l'abri naturel que la baïe fournissait aux vaisseaux. Quelles ressources pouvaient soutenir désormais l'existence de Sunium? Le commerce avait pris d’autres routes; le pays, aux environs, était stérile et désert; l'eau manquait. La _ ville tomba insensiblement en ruines et se fit si bien oublier qu'on ne sait même pas à quel moment elle cessa d’être habitée. LA CÔTE DE L'ATTIQUE, DEPUIS LA BAIE DE VARI JUSQU’À LA PRESQU'ÎILE DE COUROUNI. Je suivrai dans cette description l’ordre que j'ai suivi en effet dans mes deux excursions autour de cette pointe de l’Attique; c'est-à-dire que je longerai la côte par terre en me dirigeant d'Athènes vers le cap Sunium pour remonter ensuite vers le nord jusqu’à Porto-Rafti. | Il faut près de trois heures et demie pour se rendre d'Athènes à Vari. On traverse la plaine en marchant vers l'extrémité méri- dionale de l’'Hymette; on tourne ce dernier par le sud pour se diri- ger vers le sud-est entre la mer et la chaîne aride de l’'Hymette sans eau, &vvdpos, que les Grecs modernes ont nommé, à cause de sa stérilité et de sa nudité, Maÿpo Boÿvo; on traverse des ruines étendues, dont les pierres servent à présent à faire de la chaux et qui marquent l'emplacement de l’ancien dème de Halæ Æxonides?. On voit encore quelques restes dans une plaine couverte de brous- sailles et l’on arrive, par une sorte de défilé, au village ou plutôt à la ferme qui porte Ie nom de Vari (Bdp:). Ce sont quelques mai- sons contiguës, qui enferment presque entièrement une grande cour. À quelques pas s'élève une petite église; à la porte de l’église un pin ombrage de son maigre feuillage un banc de pierre circu- laire qui entoure son tronc; on voit tout près de là l’aire à battre le grain, dAwvn, formée de grosses pierres peu unies. Une qua- rantaine d'habitants peuplent ces maisons et cultivent les terres d'alentour. Pendant l'hiver et le printemps, des bergers descendus des hauteurs du Parnès et même des montagnes de Béotie viennent : Atuca,1.}, k. + Léake, II, 55. — faire paître leurs troupeaux dans les environs. Mais bientôt la terre, que les pluies printanières avaient fécondée, est durcie par la sé- cheresse ; l'herbe devient rare et Jaunit sous le soleil; l’eau baisse dans les puits; la chaleur est accablante. Alors la troupe abandonne les huttes de branchages, x«A/6:a, qu’elle avait élevées. On se met en marche; les femmes et les enfants vont en tête, portant, avec l'aide d'un âne ou d’un mulet, leur pauvre bagage. Les troupeaux viennent ensuite et se déploient dans la plaine en broutant tout ce qu'ils rencontrent; sur les ailes et par derrière, les bergers et leurs chiens dirigent la marche et pressentles chèvres capricieuses ou les brebis attardées. Ainsi par petites journées, s’arrêtant aux puits et aux sources et partout où l'herbe n’a pas encore disparu, le village nomade remonte vers les montagnes pour y trouver des eaux plus abondantes, des pâturages plus riches et une tempé- rature moins chaude. J’eus ce spectacle en arrivant à Vari au commencement du mois de mai. Une multitude de moutons et de chèvres, un certain nombre de chevaux et quelques têtes de gros bétail formaient les troupeaux de ces bergers albanais, qui mènent en. Attique la vie des peuplades errantes de l'Asie. On s'accorde à placer à Vari ou dans le voisinage le dème d’ ah gyre de la tribu Érechtéide!, qui, suivant Strabon?, se trouvait entre l'Hymette anhydros et le cap Zoster. Parmi les pierres qui composent l'aire du village oh en voit une sur laquelle se lit une inscription ainsi restituée par Boeckh#. HPAIKAEIA HE ANTIJbANO|YE ANA|FYPASI|OZ Leake attribue à ce dème toutes les ruines qu’on trouve depuis l'endroit appelé Palæo Vari, à un kilomètre à l’est. En effet c’est près de cet endroit que Stuart5 a trouvé le nom d'Aybpa, qui n'existe plus. Cet emplacement correspond bien aussi à l’indication donnée par Strabon, qui place ce dème avant le cap Zoster et au nombre des dèmes de la plaine d'Athènes. Le centre du dème était donc Étienne de Byz. — Harpocr. ? IX, 398. 3 Corp. n° 584. ! Leake, IT, 56. 4 5 Antiquités d'Athènes, vol. HIT, 25. = ON. sans doute à l’ouest de Vari, qui en faisait cependant partie. Ainsi se trouvait fermé des deux côtés le défilé dont Vari occupe l'entrée orientale et qui était fortifié avec beaucoup de soin. À droite et à gauche il est longé pendant plusieurs centaines de mètres par des |murs épais; d’autres murs transversaux coupaient la route. C’est à sa gauche surtout que le voyageur, en venant d'Athènes, voit les restes de ces murs dont la construction est mélangée d’appa- reil cyclopéen et d'appareil hellénique. Ils semblent avoir été garnis de tours; mais, si l’on s'approche, on s'aperçoit que ces tours, qui: s'élèvent de quelques pieds seulement au-dessus du sol, ont en- fermé des cercueils. Quelques-uns se voient encore à côté; ils sont taillés dans de gros blocs de pierre et fort simples : ils étaient recouverts par la terre qui remplissait ces tours. Ces ruines sont fort curieuses et sans doute d’une haute antiquité, si l’on en juge par la construction. Les mêmes monuments servaient sans doute à la fois de fortifications et de sépultures. Ces ouvrages gardaient la route qui longe la côte; ils séparaient la Paralie de la plaine d'Athènes et formaient de ce côté la première défense des mines. En Attique, dans la plupart des passages étroits, il ÿ avait ainsi des murs destinés à isoler les différentes parties de la contrée, à arrêter la marche d'un ennemi et à multiplier pour lui les obsta- cles; le défilé de Daphné, où passait la Voie sacrée, la route qui au nord du mont Corydalle débouchaït sur le dème des Acharniens, étaient ainsi garnis d'ouvrages qui en facilitaient la défense. _ Dans la plaine d'Athènes même, sur la route qu'on suit pour arriver à Vari, les endroits où le chemin passe entre de petites hauteurs paraissent avoir été fortifiés. Ces défenses semblent fort inutiles à présent que toute la plaine aux environs offre un libre passage; mais quand le pays était couvert de dèmes, de fermes et de propriétés séparées par des murs, elles pouvaient faire obstacle à l'ennemi, forcé de suivre des voies étroites. Leake signale quelques colonnes entre Vari et la mer, à un en- droit où peut-être, dit-il, était le temple de la Mère des dieux dont parle Pausanias ?. Je placerais plutôt ce temple, comme Anagyre même, à un kilomètre à l’ouest de Vari. Il y a là l'emplacement, ‘encore fort visible, d’une église qui avait succédé à un temple, 1 Leake, II, 143, 144. N'R L, 1. TC comme on en peut juger par des fondations antiques et par quel- ques fragments. On yÿ trouve aussi une inscription mutilée et inintellisible. On y distingue cependant le mot Baorsños. Les caractères, qui sont d’une assez bonne exécution, semblent dater des premiers temps de la domination romaine. Dans le mur de l’église de Vari, il y a aussi deux courtes ins- criptions sur des stèles que Dodwell y vit déjà et dont il donna le dessin !. Il y remarqua encore les restes d’une statue équestre; au- jourd'hui on ne voit plus que le corps du cheval, encore a-t-on peine à le distinguer, car 1l est presque noyé en entier dans un banc formé de maçonnerie et placé devant l’église; les habitants veulent même que ce soit un lion. La situation de Vari est assez heureuse : deux chaînes de col- lines enferment entre elles une plaine cultivable dont en se rejoi-: gnant elles forment le fond. Au sud, entre deux promontoires, dont le plus occidental et le plus saillant est le cap Zoster, la vue s'étend sur la mer, où s'élève dans le lointain l'ile de Belbina. | C'est dans le voisinage de Vari, à quarante minutes au nord-est” que se trouve la grotte d’Archidamus. Elle était dans l'antiquité consacrée aux Nymphes, à Pan et à Apollon. Elle n’est profonde que de quatre ou cinq mètres; mais la descente en est rapide, et les degrés taillés par les anciens sont depuis longtemps hors de service. On y voit plusieurs-inscriptions et plusieurs sculptures qui semblent, vu leur naïveté, remonter à une haute antiquité. Au centre d’un enfoncement semi-circulaire taillé dans Île rocher, est la statue d’une femme assise dans une sorte de fauteuil et dont la tête a disparu. Peut-être était-elle rapportée et faite de bronze“ ou de marbre : un trou qu’on distingue dans le cou permet de le supposer. À gauche de cette statue une niche en renfermait* une plus petite qui a disparu. C'était une image de Pan, comme“ nous l’apprend cette inscription gravée au-dessous : MANOZ Dans une autre partie de la grotte on voit un homme grossiè- rement sculpté, d'une taille courte et trapue, portant un marteau l Dodwell, t.1I, p: 949. | — 93 — | de la main droite. La main gauche, qui tenait un ciseau !, n’est plus guère visible. Le nom d’Archidamus gravé à côté, et dans plu- sieurs autres parties de la grotte, indique que l’ouvrier qui a tra- vaillé à orner ce lieu en l'honneur des nymphes s’est ainsi repré- | senté lui-même. On distingue aussi dans le roc des cavités pratiquées pour recevoir des libations, et au-dessous le mot AMOAAQNOE. On ignore quel est cet Archidamus, qui, venu de Phères en Thessalie?, et possédé par les nymphes, ruu@oAnros Ÿ, exécuta ces travaux par leur inspiration, @pddoos vuuQér. Sans doute il voulut ainsi les apaiser et se guérir du délire auquel il était sujet, ou après avoir été guéri il leur consacra cette offrande. | Bœckht pense que la forme archaïque des caractères est affectée; en effet l'y qui se trouve dans le nom d'Archidamus, ainsi écrit plusieurs fois, | APXEAHMOS prouve que ces inscriptions ne sauraient remonter plus haut que la 56° olympiade; mais on a pu graver de nouveau dans des temps moins reculés le nom qui était sous une forme plus ancienne dans une inscription dont il ne reste que ces lettres : XEAAMOZ O : EPAIOZ Il faut sans doute voir dans cette caverne la trace du culte pri- mitif de Pan, répandu dès les temps les plus anciens dans cette extrémité de l’Attique. Le nom de Pani, que porte une montagne située entre l’'Hymette et l’'Hymette anhydros*; le Paneion, que Strabon © place dans le voisinage d’Anaphlyste et qu’on y retrouve encore, en sont des témoignages. C’est sans doute dans cette grotte que Platon, enfant, fut amené par ses parents, qui sacrifièrent ! Dodwell, IE, 553. 2 Depaios. J'adopte l'explication de Leake, IT, 58. 3 Platon, Phèdre, p. 238 : T® dvr: yàp Seîos Éoixey Ô TOmos eivar, GoTe av dpa mohddus vuuQoAnrlos mpoïdyros roÿ dyou yévœuu, wh Sauudons * Tà vÜv yàp oÿ- xéTI mOpho difupiuSwy Cbéy you. * Corpus, p. 464. 5 Leake, vol. IT, 56. IR, D, 21. NT eu pour lui à Pan, à Apollon Nomius et aux Nymphes, c'est-à-dire aux divinités mêmes dont nous retrouvons ici les noms |. En quittant Vari, on se dirige vers l’ouest en traversant la plaine, et bientôt on se trouve parmi des collines coupées de val- || lons, où des champs de blé sont cultivés entre des bois de pins clair-semés sans qu’on voie d'habitations. À une heure environ de Vari, on trouve dans un de ces vallons un puits moderne, mais qui a sans doute succédé à un puits antique : à côté, parmi les débris d’une église byzantine, une stèle rectangulaire paraît an- tique, cependant elle ne porte pas d'inscriptions. Peut-être ces restes correspondent-ils à quelque dème; mais il n’y a rien qui puisse le confirmer. Si l’on se guide sur le passage où Strabon énumère les dèmes de la Paralie, on pourra chercher là Thoræ, qu’il nomme après Anagvyre ?. Mais je crois qu’on risque fort de s’égarer si l’on veut suivre l’ordre que Strabon a adopté dans cette énumération. I semble avoir donné les noms sinon au hasard, du moins avec fort peu de régularité. Ainsi, après avoir mis Thoræ immédiatement après Anagyre, il place près de Thoræ le cap Astypalæa 5, qui est assez loin au sud et beaucoup plus près, selon ioutes les vrai- semblances, du dème d’Anaphlyste. Il commet une erreur au sujet du temple de Vénus Coliade, et il nomme ensemble, comme étant près de cette côte, l’ile de Belbina et l'ile de Patrocle; c'est même Belbina qu’il nomme la première. Cependant l'ile de Patrocle est à moins d’une demi-lieue de la côte à l’ouest de Porto-Legrana; tandis que Belbina est à plusieurs lieues en mer au sud de Su- nium “. Comme Strabon est la principale autorité pour cette par: üe de la côte, le meilleur est donc de se tenir dans la réserve, de ne pas vouloir tout fixer, et de se prononcer sur certains points seulement qui paraissent mieux établis que les autres. Je laisse- rai les auteurs qui se sont occupés spécialement, des dèmes pla- cer sur la côte Lamptra que ne nous indique plus le tombeau de Cranaüs, Thoræ, que Leake®, ne pouvant le mettre près du cap Olympiodore, Vie de Platon, p. 1. ? Strabon, 1. IX, 21. 3 Id, ibid. Leake la place à 10 milles. Pausanias, I, 31. 5 II, 6o. 2 Re es Astypalæa, met du moins près d’un petit cap entre Vari et Ana- vyso, Ægilia, qui semble avoir été près d’Anaphlyste au nord }; enfin Cytherus, que Müller, dans sa carte de la Grèce septen- trionale, place en face de l'Eubée, entre Psaphis et Rhamnunte, que Ross? place près de Gargette, au’ pied du Pentélique, que Leake * place avec hésitation entre Thoræ et Anaphlyste, et que M. Hanriot *, dont j'imite la réserve, ne place pas du tout. Je me contenterai de mentionner, à une demi-heure du puits dont j'ai parlé tout à l'heure, près de l'endroit appelé Keramoti, des murs à fleur de terre que le chemin traverse au milieu même du bois et qui sont d’une belle construction, des traces de chars dans le ro- cher qui indiquent la route ancienne de Sunium, et une heure plus loin, à quelques centaines de pas sur la droite du chemin, la petite église d'Hagios Dimitrios. Un bouquet d'arbres touffus l'entoure et représente le bois sacré qui sans doute à la même place accompagnait autrefois un petit temple. Un peu plus loin on trouve dans une vallée des restes d’un village moderne, et la tour d’un tchiflik turc à moitié démolie. On ne saurait dire com- bien de dévastations se sont succédé sur cette terre de l’Attique. On ne voit pas seulement des ruines antiques, mais aussi des ruines toutes récentes et d'autant plus tristes. Une foule d’endroits, qui avant la guerre de l'indépendance, c’est-à-dire il y a environ quarante ans, étaient cultivés et habités, sont maintenant stériles et déserts. Si la Grèce, à d’autres égards, a réparé ses pertes, il est bien des parties de l’Attique qui se ressentent encore des effets de la dévastation. À une demi-heure de ces décombres et à trois heures et demie de Vari se trouve la ferme d’'Eiymvo. Elle ressemble à celle de Vari par sa disposition; mais un des côtés de la cour intérieure” n'est pas fermé par les maisons, et au milieu de cette cour s'élève une tour carrée qui servait autrefois d'habitation au surveillant turc du village. Les environs d’Elymvo sont couverts de débris malheureusement peu intéressants. Ce sont des moellons, des ran- _ gées de pierres de taille, des fondations des murs qui dessinent des, édifices peu considérables. Parmi ces ruines il y en a sans 1 Strabon, IX, 21. — Leake, Déèmes, Il, 61. 2 Dre Demen. 3 Dèmes, I, 28. Les Dèmes de l'Attique. doute d’antiques; mais beaucoup aussi semblent d’une époque assez récente, et Anavyso parait avoir été habité, il y a quelques siècles, beaucoup plus qu'il ne l’est à présent. Au milieu des dé- bris el à cinq minutes de la ferme qui compose aujourd’hui tout le village, on voit une petite église qui avait autrefois trois nefs;. mais elle n’en a plus que deux : celle qui était au milieu et celle | de gauche, qui est plus basse; elles communiquent entre elles par trois arcs à plein cintre. Quelques pierres bien taillées prove- nant d’un édifice plus ancien consolident les murs. Au-dessus de la porte et de la fenêtre dont elle est surmontée, des assiettes de faïence ont été incrustées dans le mur pour l’orner. L’angle du . pignon est surmonté d'un fragment d'ornement byzantin en guise d’acrotère. Devant l'église est une petite place au milieu de la- « quelle deux pierres debout font comme un double autel. Tout près de la ferme, sur une petite stèle ronde renversée, on ! hit une inscription chrétienne qui montre qu’une église byzantine de quelque importance a précédé celle qui subsiste. Elle est fort peu lisible et la fin m'en a paru tout à fait inintelligible : je la donne cependant telle que j'ai pu la lire. TANAKHINI.OT.. .OTTANDETONA OCTUNAT IGN KAIENAONMET À WNMAPTHPWNE GAGWPHNENTITOZ ESITHIPHOCTAP. OMIAOK:'.CTIEZH. . C.00W.EPODST.. N ) Ce qu'on y voit de plus clair, c’est que les caractères, comme l’or- thographe, sont des temps les plus barbares. E Au sud d’'Elymvo est située une montagne qui porte le même nom. Les habitants du pays l’appellent aussi Scordo Vouno; au nord la plaine est bornée par l'extrémité orientale d’une petite chaîne qui se nomme à l’ouest Pani Vouno, et au-dessus d'Elymvo, Keratia Vouno. J'y voulus monter pour voir une grotte qu'on me disait fort curieuse et pour jouir de la perspective qu'on y devait avoir. Après une heure environ d’une ascension extrêmement rude sur des pentes rapides, toutes hérissées de buissons et de roches, nous arrivâmes à la caverne. Elle était sans doute consacrée dans l'antiquité au culte de Pan, comme le nom même de la montagne et un passage de Strabon nous l’apprennent; mais on n'y trouve plus aucune trace d’antiquités. Cependant je ne regrettai pas de l'avoir visitée, car c'est une des plus intéressantes de la Grèce. Les stalactites dont toutes les parois sont tapissées n’ont pas, il est vrai, la blancheur de celles d’Antiparos; mais elles affectent des formes pittoresques et curieuses; elles composent des groupe: bizarres, s'élèvent en piliers massifs ou en colonnes élancées qui s. perdent dans l'obscurité des voûtes. Le terrain, à l'intérieur, est très-accidenté. Des pentes rapides aboutissent à des couloirs sombres qui s’en- foncent dans la montagne : des réduits ténébreux sont pratiqués derrière des masses de rocher. Mais pour mieux jouir de ces cu- riosités, il faut ramasser les broussailles sèches qu’on trouve er abondance aux environs et les allumer au fond de la caverne: alors la flamme, en montrant la hauteur des voûtes, la profon deur des conduits souterrains, les formes étranges des stalactites, en jetant partout des clartés rougeàtres et de grandes ombres mouvantes , forme un tableau saisissant. I faut encore quelques minutes pour arriver de l’ouverture de la caverne au sommet de la montagne, et l’on ÿ trouve un spectacle qui repose de toutes les fatigues. Un horizon d’une étendue im- mense se déroule aux yeux. La pointe méridionale de l’Attique en est le centre et se déploie autour de la montagne avec autant de netteté que sur une carte de géographie. Au nord, on voit à ses pieds ie riche village de Keratia, qui a donné son nom à la montagne : c'est là que commence la plaine fertile de la Mésogée, qui va en s'élargissant vers le nord, où on la voit bornée par l'Hy- mette et le Pentélique. La vue passe entre les deux et parvient, au delà de la plaine d'Athènes, jusqu'aux sommets du Parnès. Par-dessus les petites chaînes qui bordent la côte, on aperçoit les sinuosités des rivages, depuis la vaste baie de Marathon, qui est à dix lieues dans le nord, jusqu'aux collines mamelonnées qui ca- chent au sud la baie de Sunium, et sur la côte sud-ouest jusqu'à la baie de Vari; le cap Zoster, qui la borde, est le dernier qu’on MISS, SCIENT,. —- III, F' A voie s’avancer au milieu de la mer; le mont Pani empêche de suivre plus loin la côte. Autour de cette terre, dont on apprécie alors la magnifique si- tuation, la mer s'étale, brillante comme de l'argent du côté du soleil, de l’autre teinte d’un bleu sombre. Une foule d’iles et de terres s'élèvent du milieu des eaux. C’est au nord l’Eubée, qui s'étend le long de l’Attique et finit par se confondre avec elle à l'horizon; ses hautes montagnes donnent pour fond à cette partie du tableau leur silhouette bleuâtre, au-dessus de laquelle j'ai vu scintiller, dans un éloignement prodigieux, quelques cimes nei- geuses. À lest, les Cyclades semblent continuer la ligne de l’'Eu- bée; mais de si loin je ne voyais pas leurs rochers de marbre briller, comme dans les vers d'Horace, au-dessus de l’azur foncé des flots : p2 Interfusa nitentes Vites æquora Cycladas. Au contraire, au sein de la mer toute resplendissante sous le soleil du matin, laissant entre elles des détroits et des lacs de lumière, elles s’élevaient enveloppées d’une ombre vaporeuse. Après Andros, Géos, Kythnos et une foule d’autres îles ou îlots qu’on a peine à distinguer les uns des autres, une échappée s'ouvre du côté du sud, et peut-être dans des moments favorables pourrait-on aperce- voir, derrière l’île peu éloignée de Belbina, les cimes lointaines des pics de la Crète. Hydra et la péninsule Argolique, avec le profil capricieux de ses montagnes, qui s'élèvent derrière Paros et Égine, recommencent autour de l’horizon le cercle des terres, qui se continue par les hauteurs de l’isthme de Corinthe : elles apparaissent au-dessus du cap Zoster pour disparaitre derrière le mont Pani, qui cache aussi le Pirée, Phalère et Salamine. Le dessin que j'envoie ne retrace que les lignes de cet horizon splendide. Il est calqué sur la vue que mon compagnon de voyage, M. Joyau, prit à la chambre claire. Appuyant son appareil sur un de ces monceaux de pierres que les bergers ont coutume d'élever au sommet des montagnes, il put, malgré le vent violent qui ré- gnait et qui en Attique règne d'ordinaire à ces hauteurs, dessiner tout le tour de l'horizon. Il faut se représenter cette longue bande comme un cercle fermé et se supposer au centre, sur la montagne, BE" dont les pentes forment en beaucoup d'endroits le premier plan. Keratia est alors, comme je l'ai dit, presque au nord et seulement de quelques degrés à l’est, au pied de la montagne: Andros est à l'ouest, Sunium au sud et à quelques degrés dans l’est. Elymvo est au pied de la montagne comme Keratia, mais au sud, etilny a pas trois lieues de distance entre les deux. Le point sous iequel est écrit le nom de Sunium, et qui est marqué par un petit pic, est celui où la côte orientale et la côte occidentale se rejoignent. Il faut se figurer là.un angle que la nature du dessin n’a pas permis de reproduire et qu'on peut représenter en pliant la bande de papier de manière à former un angle aigu. L’ouest se trouve entre Égine et le cap Zoster. Quoique dans un dessin si vaste beaucoup de détails aient dis- . paru, on y voit fort bien les montagnes du Laurium, leur situa- tion et les endroits par où elles étaient accessibles. On distingue aisément, à gauche d'Elymvo, cette vallée qui va jusqu’à la mer et où la ferme d’Anavyso est située. Elle sépare complétement du mont Elymvo ou Scordo Vouni le massif du Laurium, composé d'une foule de collines au sommet d'ordinaire arrondi. Sur la côte orientale, du côté de Thérico, la séparation est moins facile à re- connaitre, et, en effet, elle est bien moins marquée. Cependant des ravins et des vallons étroits limitent le Laurium de ce côté. C'est dans ces dépressions du terrain que passe la route de Thé- rico à Keratia, cachée, pour l'observateur placé sur la montagne, par les hauteurs qui la dominent. Si cependant on la suit à sa sortie de Keratia, on la voit s’enfoncer dans un vallon montant et l’on en peut deviner la direction jusqu’à la côte orientale : elle redescend là dans une plaine assez spacieuse où était bâtie l’an- cienne ville de Thoricos. Cette disposition des lieux est encore plus sensible sur une bonne carte. C’est le massif bien distinct compris entre la route de Keratia à Thérico, celle de Keratia à Elymvo, la vallée d’Anavyso et la mer, qu’on appelait le Laurium. Il forme si bien un district à part qu'Hérodote l’emploie comme terme de comparaison pour donner une idée de la manière dont la Chersonèse Taurique est séparée de la Scythie !. Il compare en- 1 Hérodote, IV, 99 : Kai maparAñoia radrn nai oi Taÿpor véupovru Ts Exv- Os, ds ei ris ÀTlunñs à) 0 éfvos nai un ÀOnvaïor vEuOiaTo TÜv youvôy Ty Eouvra- xdv , pähAov ës Tôv mÜvTOor Thv dxpny dvégovra, Tv dmd Oopixoù péype ÂraGÿ- eTou dpou* rotoûror ñ Tauprun éolr. — 100 — core, au même endroit, à la Ghersonèse, et par conséquent à la presqu'ile du Laurium, cette extrémité de la Japygie qui s’avance entre la mer Adriatique et le golfe de Tarente, ayant sa base flanquée des villes de Tarente et de Brindes. La comparaison était juste, bien que la forme du Laurium soit moins allongée. L'ancien dèmé d'Amphitrope, qui était sur l'emplacement du village de Métropisti !, était situé à l’extrémité septentrionale de ce district, presque à égale distance entre les deux côtes; 1l comman- dait à la fois la route d'Anaphlyste et celle de Thoricos, qui se bi- furquaient un peu plus haut. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la carte pour s'en assurer. C’est pourquoi je crois que le dème n’a pas dû son nom au circuit qu'on faisait autour de la montagne pour y arriver, mais à cette circonstance que de là on pouvait éga- lement se tourner des deux côtés et se diriger sur lune ou l’autre . ville. À présent il est facile de s'expliquer le système de défense em- ployé pour les mines. Sur le versant occidental on ne pouvait pé- nétrer dans le Laurium que par la vallée qui le sépare du mont Elymvo, car ce mont ne laisse pas de passage entre lui et la mer. Anaphlyste, placé en travers de la vallée, fermait cette entrée. Sur la côte orientale, Thoricos était de même à l'entrée du che- min qui, en longeant la mer, va jusqu’à Sunium. Mais ce n'était pas assez pour fermer le pays complétement. L’ennemi pouvait encore pénétrer par la Paralie et déboucher au-dessus d'Anavyso, ou par la Mésogée et prendre le chemin d'Amphitrope. Comme la région des mines fait là une pointe vers le nord, elle était un peu exposée. Les Athéniens ne semblent pas avoir craint ce dan- ger, qu'ils pouvaient éviter en fermant le chemin au-dessus d’Am- phitrope avant sa bifurcation et en barrant la vallée à l'ouest d'Elymvo. Thucydide ? rapporte que les Péloponésiens, dans lan- née même où la peste se déclara en Aïtique, s’'avancèrent par la Paralie jusqu'au Laurium, c’est-à-dire que, suivant la côte comme nous l’avons fait, ils arrivèrent par la vallée d'Elymvo; mais ils ne paraissent pas avoir pénétré dans les montagnes; ils les contour- nèrent seulement par le nord pour aller ravager la côte qui regarde l’'Eubée. # 1 Stuart, Leake, Hanriot. "Thucyd' 1H )156 — 101 — | C’est que les Athéniens avaient eu le temps de mettre à l'abri les esclaves et les instruments de travail; il n’y avait rien à piller et l’on ne trouvait plus, comme dit Xénophon !, que des pierres. On ne cherchait donc pas à défendre le pays, n1 à le fermer ; la seule crainte qu'on eût, c'était que les ennemis, par une at- taque soudaine, ne laissassent pas aux possesseurs des mines le temps de mettre en sûreté leurs esclaves et le reste de leurs biens. Xénophon ? trouve que Thoricos et Anaphlyste, quoique distants seulement de soixante stades , n'étaient pas encore assez rapprochés. Il propose de construire une troisième forteresse sur l'endroit le plus élevé du dème de Bessa, ét dfnkordre Broons Tome. Où était ce dème, qui faisait partie de la tribu Antiochide $? C’est une ques- tion douteuse. Forbiger le met à Cataphygi, sur le revers occi- dental du Laurium , au sud d’Anaphlyste et beaucoup plus près de ce dème que de Thoricos. M. Hanriot le place plus au sud encore, à une heure seulement de Sunium, sur l’'Hagios Ilias; Leake en voit l'emplacement à Mesokhori, plus au nord et presque exactement au milieu de la distance qui sépare les deux dèmes. Il me semble approcher davantage de la vérité. Je mettrais Bessa plus au nord encore, afin que la forteresse fût plus voisine du point que me- naçait tout d’abord une invasion et, par conséquent, offrit aux travailleurs un refuge plus rapproché. Au milieu du groupe un peu confus que forment les collines du Laurium, on distingue ce- pendant une dépression qui les partage à peu près par leur mi- lieu : c'est la vallée de Corphona“, qui va jusqu’à la mer, où elle aboutit sur la plage de Porto Legrana. On peut placer l'endroit où Xénophon voulait élever une troisième forteresse à la naissance de cette vallée, sur la plus haute des montagnes qui la bordent à l'est. Cet emplacement satisfait à toutes les conditions que de- mande Xénophon. Quant au caractère d’un pays accidenté et boisé, que le nom de Boca implique comme le latin Saltus, on le retrouve là comme dans presque tout le Laurium. Je me suis arrêté longtemps sur la topographie du Laurium avant même d'en avoir atteint le massif. C’est que nul endroit n'est plus favorable que la montagne de Keratia pour embrasser ! Xénoph. Revenus de lAttique, c. 1v. 2 Id, ibid. ? Harpocr. Suidas. Sans doute de x6p@os pour x6Amos. (Voy. Ducange au mot Kép@os.) — 102 — - l'ensemble du pays et en saisir la conformation. Je vais descendre à présent la vallée qui mène d'Elymvo à la mer. Après avoir quitté la ferme on traverse d’abord une forêt d’ar- bustes, puis des terres à blé, au milieu desquelles, à vingt minutes d'Elymvo, se trouvent les ruines d'un aqueduc. Ii prenait l’eau d’une source au pied des hauteurs à l’est et l’amenait sans doute à quelque propriété située au milieu de la vallée. On voit encore les restes de cet aqueduc sur une longueur de deux ou trois cents pas : la construction, fort grossière, donne à supposer qu'il a été élevé par les Turcs. Ils recueillaient les eaux avec grand soin, n’en laissaient rien perdre, les amenaient près de leurs mosquées et de leurs habitations pour alimenter les nombreuses fontaines qu'ils aimaient à construire. Ils en profitaient mieux, sans contredit, qu'on ne le fait à présent, et notre guide, en voyant des fon- taines où des puits taris, disait qu’il n’en était pas de même du temps des Turcs. Ici on ne voit même plus la source pour laquelle a été bâti ce petit aqueduc. Quelques minutes plus loin on rencontre la ferme d'Anavyso. Ce nom est évidemment une corruption du nom ancien ÂvdGau- oîos. Ce qu'il y avait de difficile à prononcer s’est adouci; la douce 8 à remplacé l'aspirée ®, et l'accent est resté sur la même syllabe : Âvd@auolos, ÂvdBuoos. Ce dème avait été fondé par un fils de Trézène, qui lui avait donné son nom, comme Sphettus, l'autre fils, à un autre dème !. Il faisait partie de la tribu Antio- chide ? et les témoignages anciens, joints à la conformité du nom, établissent avec certitude qu'il était dans cette valléeÿ. Il est moins facile d’en déterminer l'emplacement exact. Nous savons par Scy- lax# qu'il y avait à Anaphlyste un port et une forteresse, Âvd- @luolos Teïyos xai ]uuyv. Or la ferme qui porte le nom du dème est à une demi-heure de la mer et sur un terrain plat aû milieu de la vallée. Le port et la forteresse n'étaient pas nécessairement contigus. Nous savons au contraire que, dans beaucoup de villes antiques, le port était assez éloigné des murailles de la ville : Anaphlyste fut 1 Pausanias, IT, xxx, 9. ? Stephan. Harpocr. Suidas. 3 Xénoph. Des Revenus, IV, xt, 44. — Hérodote, IV, 99. — Strabon, IX, T6 OL 4 Scylax, p. 21 _— 105 — fondé dans un temps où, de peur des pirates, on n'habitait guère le voisinage immédiat de la mer !, Pour ces raisons je chercherais l'emplacement de la forteresse sur la pente des hauteurs qui bor- dent la vallée à l’est et un peu au nord d’Anavyso. Il n’y a pas là de fortifications ; mais le terrain y est couvert d’une grande quan- tité de pierres comme dans les lieux anciennement habités. Le port était séparé de la ville par une distance d’environ deux kilo- mètres. On y voit aujourd’hui des salines en exploitation, où tra- vaillent quelques ouvriers et que garde un petit détachement de soldats. | Le cap qui est à l’est de ces salines est le cap Astypalæa, en face duquel se voit, à moins d’un kilomètre, la petite île appelée par Strabon ÉXeoÿooa? et maintenant Lagonisi. Strabon met aussi près d'Anaphlyste 1e temple de Vénus Coliade où, suivant Hérodote ?, les débris de la flotte des Perses furent poussés par le vent après la bataille de Salamine. C’est une erreur qui a déjà été signalée plusieurs fois, car on s'accorde en général“ à placer Colias près de Phalère, d’après l’au- torité de Pausanias 5 principalement et d'Étienne de Byzance. Il me semble, et je lai dit plus haut, que Strabon n'a pas décrit _ cette côte avec beaucoup de soin, mais en homme qui ne l'a pas parcourue et qui d'a vue de loin. M. Hanriot6 n’en a pas moins soutenu avec beaucoup d’habileté la thèse qui s'appuie sur;l’au- torité de cet auteur. Gependant s’il faut choisir entre le témoi- gnage d’un géographe qui, dans une énumération rapide et con- fuse, glisse, comme pour lui ôter de sa sécheresse, un détail orné d’une citation, et celui d’un curieux qui, parcourant, ses tablettes à la main, les environs d'Athènes, regarde tout soigneusement, s'informe de tout et nous transmet avec fidélité, nous faisant suivre sa course pour ainsi dire pas à pas, les notes qu’il a prises sur les lieux : c'est évidemment pour ce dernier qu’on se déterminera. Ce curieux, c'est Pausanias. C’est quand il vient de débarquer dans la plaine d'Athènes, c'est en parcourant les ports, c’est en visitant ! Thucydide, E, 7. ? Strabon, IX, 11, 21. * Hérodote, VIIT, 96. 1 Stuart, Kruse, Leake, Grotefend, etc. 5 Athca, I, 4. ® Topographie des dèmes de l'Attique, p. 210. — 104 — Phalère même qu'il parle de Colias, äxpa Kwluds; ensuite, re- prenant sa marche vers Athènes à travers la pig il nous dit ce qu’il rencontre sur sa route : Éote der Tv Oddv Ty és À Oyvas ëx Daknpoÿ vads Hpas oùTe Süpas Éywv oÙre dpoBor, et bientôt il entre dans la ville. | Certainement ce n’est pas là un homme qui, après avoir fait un long voyage, confond ses souvenirs ou ses notes; il n'est pas même sorti de la baie de Phalère, et, en effet, Étienne de ha place Colias à Phalère même : ia &xpa HTOE Paœlnpoi œxTy. U faut donc suppser que ce nom s'appliquait à la partie du rivage qui termine la baie au sud-est, qui portait, du temps de Leake, le nom de Toeïs Iüpyo:, où Dodwell ! vit encore, près d’une petite église, un chapiteau dorique et la partie supérieure d’une colonne can- nelée. Cette colonne et ce chapiteau étaient peut-être des débris du temple de Vénus; aujourd’hui on ne les voit plus; léglise même a disparu, et à peine quelques pierres laissent-elles soup- conner que plusieurs édifices se sont succédé dans cet endroit. Étienne de Byzance paraît hésiter entre les. deux dénominations de cap et de rivage, d'äxpa et d'äxrn. Son incertitude s'explique. Quand on est dans la baie de Phalère, comme on voit la côte se recourber vers le sud, on croit avoir devant soi un cap allongé. Mais, quand on est arrivé sur le cap même, on voit que la côte à l'est ne rentre pas vers l'intérieur des terres et que la saillie en est peu marquée ?. Les récits d’Hérodote * et de Plutarque * sont également en fa- veur de Pausanias, quelque adresse qu'on mette à les tourner contre lui. Il est peu probable qu’un vent d'ouest, dveuos CéQupos (Hérodote prend soin de le nommer), ait poussé les débris de la flotte Jusqu'au cap Astypalæa, qui est à l’est sans doute, [mais aussi fort au sud de Salamine, et qui en est éloigné de dix lieues environ. Le fait de la Vie de Solon que raconte Plutarque serait rempli d'invraisemblances si le cap Colias était aussi loin sur la côte. L’au- teur dit, il est vrai, que Solon et Pisistrate vinrent par mer à Colias, mheloas êri Kw/ada perà roù Ilesoiolpdrou, ce qui est peu na- turel s'ils venaient d'Athènes; mais on peut supposer qu'ils étaient l Travels in Greece, t. F, p- 428. * Hérodote appelle aussi Colias un rivage, #iovæ. ( VIIT, 96.) * Hérodote, VIIT, 06. \ Plutarque, Vic de Solon. — 105 — au port de Phalère, dans la presqu’ile de Munychie; de là le tra- jet pour aller à Colias est beaucoup plus direct par mer que par terre. Ils trouvèrent à Colias toutes les femmes athéniennes, æd- as Très yuvaîxas, et plus loin rüv Âfnvatwy rès œpairas habetr yuvainas, qui faisaient un sacrifice à Cérès. Est-il probable que toutes les femmes athéniennes, si ce n’est pour de grandes fêtes comme celles d'Éleusis, allassent jusqu’au cap Astypalæa, voyage qui est presque d’une journée pour un homme à cheval? En les voyant, Solon envoie un homme dévoué à Salamine pour y jouer le rôle de transfuge et avertir les Mégariens, alors maîtres de l’île, qu'ils peuvent surprendre et enlever d’un seul coup les femmes des premiers citoyens d'Athènes. Le messager arrive à Salamine; on le croit, et sans tarder on s’embarque pour suivre son conseil. Il est évident que quelques heures seulement sont nécessaires pour ces allées et venues pendant lesquelles la fête dure toujours. So- lon voit le vaisseau sortir de Salamine, xareïder Td æhoïoy éauvé- pEvov dmd Ts NoOU, CE Qui se comprend fort bien, car l’ancienne ville de Salamine était au sud de l’île, à moins de trois lieues du cap Colias. H fait déguiser des jeunes gens en femmes et leur fait cacher des poignards sous leurs robes. Les Salaminiens, trompés, croient trouver une proie assurée, fondent sur les prétendues femmes, qui se livraient à des danses religieuses, et sont tués jus- qu’au dernier. Aussitôt les Athéniens s’embarquent sur le navire de leurs ennemis et prennent l’île sans coup férir, xat Tir voor émemhevoavres ed0ds Éyes» Toùs ÀOnvalous. La rapidité de tous ces mouvements n’indique-t-elle pas jusqu’à l'évidence que l’île était très-rapprochée du lieu de la fête, et qu’à peine même peut-on reculer le cap Colias d’une lieue dans le sud-est? Toute cette légende n'est peut-être qu'une invention de l’imagination et de la vanité athéniennes; mais, si elle n’était pas vraie, il fallait du moins qu'elle fût vraisemblable. I1 serait aisé de trouver près du cap Colias, placé à Trispyrghi, la terre dont on faisait ces vases fameux dans l'antiquité !. Le ma- rais même de Phalère, à quelques minutes du cap, est tout formé d’une argile fort propre à la cuisson. Cette année (1863) on y a exécuté des fouilles dans lesquelles on a découvert une quantité ! Athénée, XI, p. 482 : Kparñpa iolaoay ris KwAados yis. -— Suidas, Kwla- dos xepauñes. — Plutarque, Moral, p. 42. — 106 — considérable de fragments de poterie et un grand nombre de pe- tits vases d’une terre fine et légère; ils sont d'ordinaire couverts d'un vernis noir, quelquefois ils ont des ornements noirs sur un fond rougeûtre. On trouve en même temps des ossements qui font voir que cet endroit a servi de lieu de sépulture; mais on ren- contre aussi une multitude de PRE d'amphores et de grands vases communs tels qu’on n’en voit guère dans les tombeaux. Il paraît probable, d’après ces débris, qu'il y a eu dans le voisinage quelque fabrique de vases dont les rebuts se sont accumulés en cet endroit. La côte, à l’est du cap, LS aussi des dépôts considé- rables d'argile, et j'ai même vu, à moins d’une lieue de Colias , une petite voûte dont les briques ont été vitrifiées par le feu et qui a servi de four pour la fabrication de quelques poteries. Je me suis arrêté un peu longuement à cette discussion; mais il m'a semblé utile d’éclaircir autant que possible, puisque je le rencontrais sur mon passage, un point sur lequel les citations spé- cieuses et l’argumentation ingénieuse de M. Hanriot avaient jeté quelques doutes. $ En quittant Anavyso on tourne à gauche avant d'atteindre la mer, et l’on pénètre dans les montagnes mêmes du Laurium. Au moment où l’on commence à les gravir, dans un petit vallon soli- taire, on trouve un puits, les restes d’une petite église byzantine et parmi les pierres un petit chapiteau. ionique. C’est tout ce qui reste du village de Kataphygï, où Stuart! place le dème ancien de Dnyaia. Cependant il n’y a guère là de place pour un dème, et Strabon ni aucun autre auteur ne mentionne de Phégée entre Anavyso et Sunium. Quant à la ressemblance des noms, elle est tout à fait fortuite, et le nom moderne a sa signification par lui- même, sans qu'il soit besoin de remonter à un autre nom pour l'expliquer. Ces restes sont à près d'une demi-lieue d’Anavyso. On traverse la montagne par un sentier pénible et incommode qui serpente entre des pins peu élevés, auxquels on laisse rare- ment le temps d'atteindre leur croissance. Le sol est d’un brun rougeûtre, qui trahit déjà la présence des oxydes de fer; on y ren- _contre aussi du quartz en abondance et des cristaux bleus pro- duits par un carbonate de cuivre. On est dans la région des mines et, une demi-heure après avoir quitté Cataphygi, on arrive sur 1 Stuart, III, 28. — 107 — l'emplacement du village de Legrana !. Du temps de Dodwell il y avait encore là une ferme appartenant au grand monastère du Pentélique; aujourd’hui on ne voit plus que des décombres. Ils sont situés au fond d’une vallée qui tombe obliquement sur la vallée de Corphona, par laquelle le massif du Laurium est par- tagé; près des ruines est un ruisseau à sec; mais le lit en a été creusé et forme un réservoir maçonné, où l’on trouve encore en été un peu d’eau croupie. Dans le voisinage on voit un puits dont la margelle antique a été remplacée; cependant elle est près du puits, toute sillonnée et comme cannelée à l’intérieur par le frot- tement des cordes, répété pendant des siècles. Des restes de mai- sons se voient à quelques pas avec ceux d’une église qui était assez richement ornée, car on y remarque plusieurs colonnes en marbre de couleur et des plaques également en marbre. H est probable que Legrana (ou Alegrina) n’est qu'une corrup- tion de Laurium, comme l'a fait remarquer Stuart, non qu'il y ait eu ici dans l'antiquité un bourg appelé ainsi, mais parce que l’ancien nom de la montagne s’est appliqué peu à peu au principal village qu’elle renfermait. En continuant la route on rencontre un cercueil de pierre qui a été tiré de la terre et vidé; les gens du pays y déposent maintenant la résine des pins qu’ils recueillent pour enduire leurs outres; un quart d'heure plus loin il y a une masure en ruines qui est cependant habitée, et je fus tout étonné d'en voir sortir deux hommes pour nous tirer de l’eau d’un puits avec ces seaux de cuir qui ne quittent pas les bergers grecs. C’é- tait la dernière maison et la dernière eau vraiment douce que nous devions trouver sur la route de Sunium. Nous étions alors dans une vallée profonde, qui bientôt se confond avec celle de Corphona. À gauche s'élèvent des hauteurs abruptes; les arbres ont peine à s'attacher aux rochers dont elles sont formées; quel- quefois leurs flancs à pic sont percés d’une foule de cavités qui semblent pratiquées par la main des hommes; à droite le terrain monte en pente plus douce et se couvre de taillis presque unique- menti composés de pins. Le lit du torrent peut servir de chemin entre les deux versants; il est encaissé entre des berges élevées toutes couvertes de buissons, et le fond en est tapissé d’un sable épais et fin. ! Stuart, t, I. — Dodwell,t,1, 546; il l'appelle Alegrina. — Leake, t. II, 66. — 108 — C'est sur le côté droit de la vallée qu'on voit les premières traces laissées par le travail des mines; ce sont des scories brunes et noires dont le sol est semé. Quelquelois, au milieu du taillis, s'ouvre une clairière; le sol y est nu et à peine, entre les scories qui le forment, quelques brins d'herbe ont pu pousser. C’est en, ces endroits que se travaillait le minerai, bien qu’on ne voie au- cune trace de fourneau ou même de puits de mine. On emprun- tait sans doute ce minerai aux rochers rongés qui se dressent de l’autre côté de la vallée, et leurs flancs, qui laissent voir toutes les couches géologiques dont ils sont formés, n’exigeaient pas des travaux bien profonds. Après une marche d’une heure environ dans cette vallée soli- taire et sauvage, on arrive dans une plaine marécageuse qui borde la mer. Ici encore on retrouve un souvenir du Laurium , et la baie s'appelle Porto-Legrana. Le sol de cette vallée est formé surtout par le sable de la mer; le seul puits qu’on y voie, quoique assez éloigné du rivage, fournit une eau saumâtre déjà et qui sert à abreuver les troupeaux !. On n’y voit point de ruines, et, s’il y en a eu, le sable les a recouvertes. C’est à l’ouest de cette baïe que se trouve l’île de Patrocle, à présent l’ile de lÂne, Gaïdaro-Nisi?. Ce n'est qu'une des collines du Laurium, séparée des autres par un canal qui n'a guère qu'un kilomètre de large. Elle est couverte darbrisseaux et de broussailles, et les bords en sont d’un accès as- sez difficile, à cause du rocher dont l’île est formée. Cependant les barques des pêcheurs s’abritent encore dans les petites criques qu’elle présente, et Pausanias® nous apprend que Patrocle, amiral de Ptolémée, fils de Lagus, y construisit un rem- part et y dressa des palissades. Kai vÿoos Épnuos où ueyäAn, IlarpôxAou xakoumévy"Teiyos yàap wuo- douyoaro év aûTÿ xai yapaua Ébahsro HérpoxAos, ds Touwpeoiv émémAer vabapyos Aiyumlious, &s Irocuaïos d roù Adyou rpwpeîr éoeker ÀGn- vaiots, dTe o@lot» Âvriyovos à Aypnroiou olpariä Te aÿrès éo6e6Ayus ÉPbeipe Tv ywpar nai vavoir ua Êx Sakdooms xareïpyer. On voit sur la côte orientale de l’île quelques restes de murs qui ! C'est, comme je l'ai dit plus haut (page 62), le puits le plus voisin de Su- nium sur la côte sud-ouest. ? Strabon, IX, 11, 21. 3 Pausanias, Attica, 1, 1. — Étienne de Byzance. — Stuart, t, IF, 38. — Leake, t. IT, 62. | | | — 109 — faisaient partie de ces fortifications. Un ennemi, une fois retranché dans cette île, occupait un poste fort commode pour attaquer l’At- tique : on pouvait de là passer facilement sur le continent, empé- cher le travail des mines, peu actif du reste au temps de Ptolémée, pénétrer dans la Paralie ou dans la Mésogée, et pousser ses in- cursions jusque dans la plaine d'Athènes. L'ile ne conserve plus aujourd’hui le nom de Patrocle, mais le souvenir du retranche- ment qu'il éleva se retrouve encore sur la côte qui est en face; elle forme une baie peu profonde, mais large, qui se nomme Porto-Characa. Entre cette baie et celle de Legrana s'élève le mont Saint-Élie (Âysos HXas). C’est un nom qu'on retrouve souvent appliqué aux montagnes de la Grèce moderne. Le prophète qui fut enlevé au ciel sur un char de feu a remplacé dans l’imagination populaire le dieu antique du soleil, Phébus Apollon, à qui les montagnes étaient consacrées Î. On quitte la baie de Legrana pour franchir de nouvelles hau- . teurs qui la séparent de celle de Sunium; les scories continuent à abonder; les rochers et le sol semblent uniquement formés de minerai. Au bout d’une demi-heure on descend le versant orien- tal de la colline et l’on se trouve dans la baie de Sunium. La quantité de scories qu'on voit de ce côté prouve qu’on les appor- tait du voisinage pour les travailler en cet endroit, où l’on pouvait plus facilement élever des ateliers, se procurer par mer tous les matériaux, toutes les provisions nécessaires, où l’on était enfin dans le voisinage immédiat du port et de la ville. À peu de dis- tance dans les terres, Dodwell? vit un puits de mine; je ne Pai pas retrouvé, mais il ne faut pas aller bien loin pour en rencon- trer. Il suffit de remonter les hauteurs dont la pente méridionale descend vers la baie. C’est là que je me dirigerai d’abord. Comme j'ai parlé longuement de Sunium, il est inutile d'y revenir, et je ferai cette fois le tour de la baïe en passant derrière les montagnes dont elle est bordée ou dominée. Il y en a plusieurs qui s'élèvent à une assez grande hauteur; la forme en est conique; les flancs, Iläou dè ouomiai ro &dov nai mpéoves äxpor TYnAôvr épéwr. Homère , Hymne à Apollon, 22-23. ? Dodwell, Travels in Greece, t. 1, 545. À little fürther inland is the shaft of u mine. — 110 — nus et grisàtres, leur donnent l'apparence de gigantesques mon- ceaux de cendres; quelques buissons forment sur leurs pentes des taches d’une verdure terne; des roches d'apparence volcanique, s’'élevant au-dessus de leurs flancs unis, en forment la cime. À l'ouest de ces montagnes, un plateau étroit marque la ligne de partage des eaux; il en part vers le sud un vallon qui va promp- tement rejoindre la baie; un autre contourne les montagnes par derrière, en se dirigeant vers l’est, et aboutit à la mer sur la côte érientale, à moins de deux kilomètres au nord du cap. C’est sur le plateau, et à la naissance des vallons qui en descendent, qu’on ren- contre le plus de mines. Le sol est couvert de scories et criblé d'ouvertures. Un grand nombre ont été comblées, mais on en re- connaît la place à un entonnoir que le terrain forme autour d'elles, « à la terre fine que les pluies y ont entraînée, à la végétation vi- goureuse qui en tapisse le fond. Plusieurs ont encore quelque - profondeur, parce que, n’entrant que très-obliquement dans la montagne, elles se comblaient moins. Ce ne sont pas des puits réguliers, mais des cavités qui ont toute l’irrégularité des grottes naturelles. Les ouvriers enlevaient tout ce qu'ils trouvaient de minerai et poursuivaient le filon dans toutes ses directions et jusque dans les crevasses des roches qui l'enfermaient. Le travail d'exploitation commençait la plupart du ‘temps à la surface du sol, où la veine métallique venait affleurer; puis on descendait sous terre avec les détours que le filon exigeait. J'ai pénétré dans plusieurs de ces ouvertures, mais jamais-je n'ai pu aller bien loin; la terre, les fragments tombés de la voûte ont bientôt fermé le passage, et même en rampant sur le sol on peut rarement aller à plus d’une dizaine de pas devant soi. | Ce qu’on en voit suffit pour retrouver les drôvouos des Grecs, ou galeries souterraines, ainsi que les @péara, ou puits qui s’en- foncent perpendiculairement dans le sol. Quelquefois plusieurs galeries s'ouvrent à côté les unes des autres; alors des masses de rochers les séparent et supportent le poids des terres. C’étaient les ueooupiveïs; on les appelait ainsi par ce qu’elles indiquaient les limites des différentes concessions. On retrouvait ces piliers au fond des mines, où ils servaient aux mêmes usages; car un entre- preneur pouvait creuser une mine nouvelle ou obtenir une con- cession dans une mine déjà en exploitation; c’est même ce qui arrivait le plus souvent, et l’on n’osait s'exposer aux chances d’une — 111 — opération incertaine. Il fallait donc marquer soigneusement sous terre les limites dans lesquelles chacun devait se renfermer. Ces étais se nommaient aussi ôpuor, et la loi défendait très-rigoureu- sement qu'on les attaquàt, parce que c'était compromettre la soli- dité des voûtes et mettre en péril la vie des travailleurs !. - On comprend facilement, en voyant combien les mines étaient rapprochées, qu'une foule de différends devaient s'élever entre les concessionnaires. Tantôt ? on empêchait les ouvriers d’une exploi- tation rivale de travailler, dv Tes éÉeiln Tia vis épyaoias; tantôt même on incendiait les travaux du voisin, ou du moins on les enfumait, éä» TÜ@n ris ou édv dPdŸn ris. On s’attaquait à main |armée, dv da ériQéon, ou l'on étendait ses travaux au delà de sa concession, sur le lot du voisin ou sur le terrain que l'État se ré- servait, &v émexaTatéurn Tv uéTpwy ëvros. Aussi avait-il fallu ajouter une branche particulière à la législation et créer des tri- bunaux spéciaux pour juger les débats qui s’élevaient dans les mines. On ne voit auprès des ouvertures aucun reste important des établissements qui devaient les avoisiner. Les esciaves qui com- posaient un atelier épyaoînp:ov peraluxôv, étaient peu difficiles | à loger; quelques constructions en bois suffisaient pour les travaux, et l’on ne tardait pas à mettre en lieu sûr l'argent qu'on avait ob- tenu. Pline * nous donne quelques renseignements sommaires sur les procédés que les anciens employaient pour tirer Largent du mi- nerai; On avait recours à la fusion, à la trituration et à d’autres moyens mécaniques; ce qui est sûr, c'est qu'on n'employait pas beaucoup d’eau dans ces opérations. La présence des scories prouve que le minerai se travaillait sur les lieux, et les mines que je viens de décrire étaient situées sur des hauteurs entièrement privées d’eau. J'ai déja dit d’ailleurs combien la presqu'ile du Laurium est sèche, quoique plus boisée que le reste de l’Attique. 1 J'emprunte ici beaucoup au mémoire de Bæckh sur les mines des Athéniens : comme il a réuni à peu près tous les textes sur ce sujet et qu'il en a tiré un fort bon parti, il serait superflu et dangereux de refaire ce qu'il a si bien fait. Je me borne à exposer les idées que fournit l'aspect des lieux , et les commentaires qu'on | y peut trouver pour les passages des auteurs. ? Démosthène, Plaidoyer pour Panténète. * Livre XXXIIT, 31; XXXIV, 37. — 112 — Peut-être est-ce pour cetle raison que le cinabre, qui se trouvait aussi dans les mines du Laurium, était porté dans Pile de Géos pour y être travaillé! En effet, l'eau était nécessaire, selon Vi- truvé ?, pour la fabrication du cinabre. On sait que l'argent se ti- rait d’un minerai de plomb *. Du temps de Spon‘, on apportait encore des villages du Lau- cium à Athènes du plomb, qui, dit-il, «a quelque qualité plus parfaite qu'à l'ordinaire, puisque les orfévres, venant à le rafliner, y trouvent un peu d'argent. » Aujourd'hui ce minerai, à force d’a- voir été exploité, est fort rare, du moins à la surface du sol; mais on trouve encore des minerais de fer très-abondants dont l'exploi- tation, si le combustible était moins rare en Attique, ne serait pas sans profit 6. À côté des gisements de galène de Sunium, qui fournissaient l'argent, il y a des dépôts puissants de pro- toxyde de fer hydraté accompagnés d’ocre rouge ?. II ne paraît pas que les Athéniens aient exploité le fer, mais ils n’ont pas négligé l'ocre. Gelle que fournissait leur pays était la meilleure, au dire de Vitruve, qui nous apprend que les veines d’ocre avaient été sui- vies avec autant de soin que celles de la galène argentifère, mais: ! Journal archéologique d'Athènes. ÉQnuéprs apxæooyimn (1843), page 947. ÉÉerdons pd ypévwr dupiéds Tà ro Aauplou peralAcia, xaÜds ai Tà véqitl aûrod, dès ndurfOmr v'évaxaAbo T1, Tr ômoïoy nd pe melon dre, ÉnTÔs Ts THÉEwS uai ris ywplosws ToÙ dpybpou Ex roù poAÏGdOU, Au peral ina Épyaclau Éylvorro. Eis dè nm} vioor Kéar, cis rdv Auéra Boulxdpr Gvouaboueror, ebploxoura Ashava dpxalor rivdr eûreld» uriplor, xal Üroxdre Tür yœuadrwn Tobrwr pôpix ÉpuÜpà ou- moTauespa x piArou, doTe Ex Ts etphoews arr cuurepalve ÔTE À XATAONEUT Toù . miArou éyivero Ep Tÿ Pnelon vnow, dre En Kég narecxeudoUn ypémars rd Ômoïov uôvo» els àpionémnr mooérnra ndüvaro à mon mpÔs rods À Onvalous xarà our0t- xnv : mepl robrov cabera péypr Ts oûuepor Ex papudpou Émypd@n ris Édnuocréun &v rÿ Âpyauodoy ÉQnuepidr. (Landerer.) 2 Vitruve, VIT, 9 : «Revertar nune ad mini temperaturam , ipsæ enim glebæ, «cum sunt aridæ, pilis ferreis contunduntur et moluntur et lotionibus et cocturis «crebris eflicitur ut adveniant colores. » $ «Galenam vocant quæ juxta argenti venas plerumque reperitur.» (Pline ,s XXXI.) Pline veut dire qu'elle contient l'argent. ? Spon, p. 265. ® Fiedler, Reise durch alle Theile des Kônigreiches Grieehenland, t. IT, p. 557. $ Id, ibid. TE, p. 560. ? Id. ibid. IE, p. 560. Vitruve, hiv. VIT, ch. vrr : « Sed quæ fuerai oplima , Attica. . ... » — 115 — que de son temps les unes et les autres étaient abandonnées !. Peut- être ces minerais de fer, négligés par les Athéniens d'autrefois, rendront-ils un jour au Laurium quelque chose de l’importance et de l’activité qu'il avait jadis?. Le combustible surtout fait dé- faut, et déjà dans l'antiquité on dut avoir de la peine à s’en pro- curer suffisamment, Le Laurium était sans doute boisé, et, s’il faut en croire Sophocle, le cap Sunium était lui-même couvert d'arbres *; mais quelle forêt pouvait suflire à des travaux métal- lurgiques qui couvraient d'ateliers toute la surface de la contrée) Les Athéniens faisaient donc venir du bois de l'étranger et pour la fusion du minerai et pour la construction des bâtiments néces- saires à l'exploitation. On le voit par un passage du discours contre Midias#, dans le- quel Démosthène accuse son adversaire d’avoir chargé un vaisseau de différents objets, et en particulier de bois pour ses mines de Sunium , au lieu de sir ie comme c'était son devoir, au ser- vice de l'État : Aushuiras bre Népoms xat Éooxiuara ua pure para cs aÿTov, xai Évha sis Tà épya Tà Lg “énxopuêe, nai xpn- pariouds, où }ewToupyia yÉyover 1 Tprmpapyia T® naTan Ua roÿrw). On en peut conclure que les mines situées dans l’intérieur des terres se servaient du bois que fournissait le pays; celles qui étaient plus rapprochées de la côte brülaient du bois venu par ? Pline (XXXIIF, ch. xrr) parle aussi de l’ocre que fournissait l’Attique. ? Avant de quitter la Grèce, en 1864, j'appris qu'une compagnie française avait acheté du village de Keratia, à qui appartient en grande partie le district du Laurium , l'autorisation de recueillir et de fondre de nouveau les scories par- tout répahdues sur le sol. Des essais faits, dit-on , avec soin, promettaient, même après la refonte opérée par les Romains suivant Strabon, des résultats satisfai- sants. Mais, dès qu'on sut que ces terrains déserts avaient de la valeur, chacun c prétendit en être le propriétaire. Les discussions soulevées par l'incertitude des titres opposèrent ainsi un obstacle à un travail qui eût répandu quelque argent dans le pays. Je ne sais si ces projets ont été repris, mais je crains bien que l'état de la Grèce, toujours agitée, ie désordre et le manque de sécurité dont souffre ce malheureux cit, ‘empêchent longtemps encore de pareilles entre- prises. * Sophocle dit en parlant de Sunium : . Îv' S&ey éneol wévrov Ipd£ang dhixhvo lo. (Ajax, v. 1216, 1217. Éd. Didot.) * Démosthène, Kara Mesdiou, 167. MISS. SCIENT. — 111. [e « — 114 — mer de l’Eubée, comme celui dont il est question dans le plai- doyer de Démosthène, ou des côtes plus septentrionales de la mer Égée. Les mines des environs de Sunium devaient être dans cette der- nière classe; l'emplacement en est sans doute boisé à présent, et c'est même un des rares endroits de l’Attique où l’on voit des arbres morts de vieillesse; mais, au temps de l'exploitation, une grande partie de la surface aujourd’hui couverte d'arbres était occu- pée par les ateliers, et les ressources du pays environnant étaient bien faibles en comparaison des besoins des entrepreneurs. À mesure qu'on s'éloigne de la partie haute de la vallée, les ou- vertures deviennent plus rares, et, quand on a descendu une gorge aux parois escarpées, à l'aspect sauvage, que les torrents d'hiver ont creusée, on n’en trouve plus du tout; mais alors la vallée, un peu plus large et moins abrupte, devient cultivable et a été cul- tivée. Au milieu des taillis on voit des espaces que les arbrisseaux n’ont pas encore envahis. Des pierres et quelques morceaux de marbre annoncent qu'il y a eu là des maisons et des églises. Les champs de blé, qui ont disparu depuis longtemps, ont laissé comme traces de leur présence des moissons de pavots, qui, vues des hauteurs environnantes, revêtent d’une teinte écarlate ces terres abandonnées. Enfin on arrive au rivage, où un puits d’eau saumâtre et une auge taillée par des bergers dans un tronc d’arbre témoignent seuls que ce pays, autrefois si peuplé, n’est pas encore tout à fait inhabité. | Dès qu’on commence à suivre la côte en s’éloignant de Sunium et en se dirigeant vers le nord, on voit sur sa droite, à quelques kilomètres en mer, l’île de Macronisi. Le nom en indique la forme. C’est une colline longue de plus de trois lieues, étroite, rocail- leuse, dont un versant regarde la côte de l’Attique et l’autre l’île : d'Andros. Partout ses pentes descendent dans la mer sans laisser une lisière de terrain uni entre elles et les flots. Elle n’atteint pas la hauteur de deux cents mètres, même dans ses parties les plus élevées. Quelques arbustes y poussent entre les pierres et la font paraître moins désolée. Déjà dans l'antiquité elle était déserte !. Comment habiter une île sans eau, dont le sol tout hérissé de ! Strabon, IX, 11, 22 : Tpoxerreu dE Ts Ilapañias raÿrns pô pèv rod Ooprnoùd xai Toÿ Eovviou voos ÉAéyn, Touyeïa nai Éonuos, mapauñuns Ôcov ÉEnxovra oa- PER pre pau dious TO uAuos. | NE pierres se refuse à la culture? Les anciens l'appelaient l'ile d’'Hé- lène!. Suivant Pausanias, Ménélas, après la prise de Troie, y dé- barqua avec son épouse. Si l’on en croit Strabon, l'ile abrita une passion moins légitime, et c'est avec Päris qu'elle y descendit en s’éloignant de Sparte. Euripide, qui cherche à sauver la vertu de son héroïne, dit que Mercure, avant de la transporter en Égypte, la déposa d’abord dans cette île ?. L’honneur d'Hélène me semble assez mal défendu par le poëte, qui nous laisse penser qu’elle au- rait succombé si Mercure n’était intervenu comme le Deus ex ma- china. Quoi qu’il en soit, qu'Hélène ait vu l’île en compagnie de son mari, de son amant ou de Mercure, c’est elle qui, d'après la tradition antique, lui donna son nom. Cette île abrite la côte où s'ouvrent plusieurs ports, dont quel- ques-uns s’avancent assez loin dans les terres. À une heure de Su- mium on en voit un qui s'appelle Gaidaro Mandra, ou Porto Panorimo . C’est le nom ancien de Panormus que portaient plu- sieurs ports en Grèce. Pausanias en mentionne deux, l’un en lonie“, l’autre en Achaïe” ; mais il ne parle pas de celui-ci. Ptolémée seul5 nomme Panormos entre Sunium et Halæ Araphenides, qui est beaucoup plus au nord sur la côte. On peut, d’après l’analogie des noms, mettre Panormos ici. Le “port est spacieux; il est très-ouvert du côté de l’est, maïs garanti par l’île de Macronisi. Le rivage y est plat et borde une plaine marécageuse, dans laquelle sont éparses une foule de pierres dont quelques-unes ont appartenu à des édifices antiques; on y trouve aussi des scories qu'on avait apportées là pour les travailler plus commodément. Ce port n’a jamais pu être bien important, et il 1 Strabon , IX , 11, 22. — Pausanias, Attica, XXXV, 1. — Étienne de Byzance. ? Euripide, Hélène, v. 1670. Où d Gpioéy ce mpôra Malados rôuos, Endprns, dmépas rôv xar’ oÿpavdy douwy, Kéÿus déuas cùv, un Idpis yhueté 0e, Ppoupà wap Âuriv rerauéyn, vioov \éyw, Édéyn T0 houmdy év Bporoïs xex}oerou. 3 Leake, Dèmes, t. II, 68. Pausamas, V, vir, 5. VIT, xx, 10. Ptolémée, Géogr. IT, xv, 8. [l ne parle pas d'Halæ, mais du temple de Diane qu’on y voyait. L-2 Ü. =" a6 > | n'est pas étonnant que les anciens ne l’aient pas nommé plus sou- vent. Les montagnes forment derrière la plaine une barrière qui in- tercepte les communications. Il faut, pour pénétrer dans l’inté- rieur de l’Attique, suivre la côte jusqu'à Thérico; il était donc tout naturel qu'on s’y rendit tout d'abord de préférence. Panormos n'avait pas non plus la situation avantageuse de Sunium et ne pouvait servir qu'à un commerce local, c’est-à-dire à celui qu’exi- geait l'exploitation des mines du voisinage. Aujourd’hui il n’y a que des pêcheurs qui s’y arrêtent pour abriter quelques heures leurs barques et prendre de l’eau que fournit un puits situé à cinq minutes de la mer. . Toute cette côte est longée par les collines du Laurium , qui tan- tôt viennent Jusqu'à la mer et s’avancent en y formant des pro- montoires, tantôt se retirent et laissent entre elles et le rivage des terrains plats inondés par les pluies d'hiver et quelquefois par la mer même. Îl y avait des mines dans toute cette étendue, et l’on rencontre toujours au bord de la mer les mêmes indices de tra- vaux métallurgiques ; mais on ne voit que les résidus; les fourneaux ont disparu complétement. À vingt minutes de Panorimo on marche pendant plusieurs cen- taines de pas sur un sol formé de scories; ce dépôt prodigieux n’est pas éloigné d’une belle anse, au fond de laquelle on voit des dé- bris et des fondations de murs. C’est ici sans doute que Dodwell ! crut voir les ruines de Laurium : « The traces are so extensive «that they seem to indicate not only the buïldings attached to «the mines, but the town of Laurion itself which was probably «strongly fortified and inhabited principally by the people belong- «ing to the mines. » Cependant, s'il ÿ avait eu une ville fortifiée de Laurium, les auteurs qui parlent d'Anaphlyste, de Thoricos et de Sunium, et qui ne citent pas d’autres places fortes, l’auraient sans doute men- tionnée. S'il y eut quelque endroit habité, rômos, appelé en parti- culier de ce nom, il faut le chercher dans la partie de la contrée où les noms d’Alegrina et de Legrana se sont conservés, plutôt qu'ici. Kiepert? place au même endroit et avec plus de raison, Je. ! Dodwell, t. [, 538. ? Kiepert, Atlas von Hellas. Carte X. crois, le bourg de Maronée. C'était, en effet, un des centres d’ex- ploitation , et on le trouve mentionné par Démosthène !; cependant je crois qu'il est difficile d’en fixer l'emplacement, comme celui des autres endroits de la région des mines, d’Aulon (AÿAw»r) cité par Eschine?, et de Thrasyllus cité par Eschine et par Démos- thène $. On rencontre sur cette côte, en même temps que les mines, des masses considérables d’un marbre blanc teinté de gris qui res- semble à celui du temple de Sunium. Quelquefois le rocher où passe le chemin en est composé, et le pied des chevaux glisse sur cette pierre dure et polie. Entre Porto Panorimo et Thérico, on voit sur la gauche de la route, à un kilomètre de distance, de grandes pierres debout au sommet d’une éminence. On dirait, à la régularité de leurs formes, que c’est une ruine hellénique ; mais si l’on s'approche on y reconnaît une carrière de marbre blanc : peut-être a-t-elle fourni les matériaux du temple. Deux heures et demie après avoir quitté Sunium on arrive à Thérico. Une large baie s'enfonce dans les terres; un terrain ma- récageux , où l’on fabrique encore de la poterie, borde la mer, dont il est séparé par une levée de sable que consolident des buissons épais : plus loin dans l'intérieur, une vallée où l’on voit quelques -figuiers, quelques oliviers, des vignes, des moissons fort vigou- reuses au mois de mai, remonte vers le nord-ouest, où elle se ré- trécit et se termine en une gorge que suit le chemin de Keratia. Des collines entourent la plaine et leurs dernières projections viennent comme deux bras enfermer la baie. Un ruisseau, dont la source est à Keratia, y coule quelquefois en hiver et est tari dès le printemps. C'est dans la partie septentrionale de la baie, au bord de la mer, sur les premières pentes de la colline rocailleuse qui couvre le port du côté du nord, que se trouve le village de Thé- rico. Il se compose de quarante ou cinquante maisons; mais en été c'est à peine si elles sont habitées : quelques paysans seulement y restent pour cultiver les champs voisins; ils sont obligés, s'ils veulent de bonne eau, de l'aller chercher à un puits éloigné de plus d'une heure dans l'intérieur des terres. En hiver, au con- * Démosthène, Contre Panténète, $ 1v. (Oratores Attici de Georges Baiter et d'Hermann Saupp, Zurich 1850.) 2 Eschine, [, 101. * Id, 1bïd. — Démosthène, Contre Panténète, $ xxv. (Oratores Attici, etc ) — 118 — traire, tout s’anime ; des barques de pêcheurs et des bâtiments ca- boteurs viennent chercher un abri dans cette baie magnifique; des habitants de Keratia y descendent pour ouvrir des magasins où ils vendent aux marins des vivres et d’autres objets; les pluies de l'hiver fournissent de l’eau à cette population. Le nom de Thérico indique que là était l’ancien dème de Tho- ricos ; la situation correspond tout à fait à celle qui est fixée par les auteurs !, et des restes nombreux attestent encore l'importance de la ville antique. C'était un des principaux centres d'activité et de commerce dans la région des mines; la vallée a plusieurs kilo- mètres de circuit; les mines dans les montagnes voisines sont nombreuses, et le port est bien supérieur à ceux d’Anaphlyste et de Sunium. I ne manque pas de fond, et l’île d'Hélène, quoique à plusieurs kilomètres en mer, en ferme si bien l'entrée qu’on croirait voir un lac quand on regarde du fond de la baie. Aussi ce rivage fut-il habité dès les siècles les plus reculés, et l’origine de Thoricos se perd dans la nuit des temps fabuleux. Ce fut une des douze villes dans lesquelles Cécrops répartit pour la première fois la population de l’Attique ?. C’est ici que naquit Céphale, qui tua sans le vouloir sa femme Procris au pied de l’'Hymette, Prope purpureos colles florentis Hymetti, et qui aida Amphitryon dans sa guerre contre les Thébaïins #. Tho- ricos existait donc avant la naissance d'Hercule. Quand Clisthènes, en 510, partagea les Athéniens en dix tribus, Thoricos fit partie de la tribu Acamantide 5. | Trois ruines principales y attirent encore l'attention du voya- geur : ce sont celles d’un portique, d’un théâtre et quelques forti- fications. Le portique s'élevait dans la plaine, à l’ouest des maisons du village actuel. C’est dans l’ouvrage des Dilettanti 6 qu'il faut l'étu- dier, car maintenant la terre a recouvert en partie ce que leurs * Hérodote, IV 99. — Xénophon, Des Revenus de l'Atüique. — Strabon, IX, 114220 NEtC: ? Strabon, IX, r, 20. ? Ovide ËArs ainandi A1, IIT, v. 686. * Bibliothèque d'Apollodure l'Athénien, X. HA, ch. 1v, 7. ® Hesychius, Lexique, i. 1, p- 1742. — Suidas, Lexique. Antiquités inédites de l'A ttique, trad. par M. Hittorf, p. 61. 6 — 119 — fouilles avaient mis au jour. On ne voit plus que des tambours de colonnes couchés au milieu d’un champ de blé. Les Dülettanti ont reconnu un édifice qui avait quatorze colonnes sur les grands côtés et sept sur les petits : il était long de 100 pieds environ et large de la moitié. Les colonnes étaient doriques, mais les canne- lures ne se montraient qu’au bas de la colonne et sous le chapi- teau. Le reste du fût était comme enveloppé d’un fourreau de pierre. Il en était de même aux temples de Cérès à Éleusis et de Thémis à Rhamnunte!. L’entre-colonnement du milieu, sur les grands côtés, est plus large que les autres et a servi de passage, tandis que, sur les petits côtés, les colonnes étant en nombre im- pair, 1l y en avait une au milieu du portique. Cette disposition n était donc pas celle d’un temple ; mais elle convient à un portique élevé pour orner une place et sans doute pour servir en même temps à quelque usage public. C’est l'avis des Diletianti, qui sem- blent avoir raison. Le petit plan qu’ils donnent {page 60) montre, dans l'enceinte formée par les colonnes, une salle rectangulaire autour de laquelle tournait le portique. Cette restauration est très- vraisemblable. La ville s’'étendait sans doute autour de cet édifice, sur un terrain plus uni que les pentes de la colline et moins ma- récageux que le rivage. Une autre partie de la ville, celle qui était fortiliée, était construite sur la colline qui domine Thérico. Les fortifications, bâties avec la pierre que le sol fournissait, c’est- a-dire avec un marbre blanchàtre que les influences atmosphéri- ques attaquent facilement, ont en grande partie disparu. Cepen- dant on peut voir la ligne qu’elles suivaient, entourant la colline d'une enceinte qui avait près de deux kilomètres. On y distingue les fondations de quelques tours. Il en est une entre autres qui conserve huit ou neuf assises et quatre mètres environ de hauteur. Elle est carrée, d’un appareil hellénique très-irrégulier, avec un parement à bossages, mais ayant aux angles ces bandes dont j'ai déjà noté un spécimen à Sunium, à l'angle du mur de terrasse. Bien que Thucydide ne dise pas quand Thoricos fut fortifié, il le fut probablement à la même époque que Sunium. Les Perses, en effet, ne durent pas laisser debout les anciennes murailles s'ils en trouvèrent, et d’ailleurs la construction de celles qui restent ne paraît pas remonter bien haut; d’un autre côté, la forteresse exis- ! Antiquités inédites de l'Attique, articles de Rhamnunte et d'Eleusis. — 120 — tait du temps de Xénophon comme celle d’Anaphlyste!. On voit dans l’enceinte des traces nombreuses du travail que les habitants avaient exécuté pour conserver les eaux de pluie. De petits ca- naux creusés dans le rocher la recueillaient avec soin et la con- duiïsaient dans des citernes, où elle se conservait pour les besoins de la ville. C’est le même procédé qu'on a employé dans les quar- tiers de l’ancienne Athènes qui occupaient les rochers de Philo- pappus et du Pnyx. | Le théâtre est bâti dans l’enceinte fortifiée, à peu de hauteur au-dessus du pied de la colline. Il est curieux par sa forme et par le genre de sa construction; le plan en est bizarre. Le voici tel qu'il a été donné par Leake?. Je supprime seule- ment une construction qui me parait y avoir été ajoutée posté- rieurement. La scène allait d'A en B. C’est l'irrégularité du terrain qui a donné lieu à cette forme ir- régulière ; on s’est contenté d’entourer une dépression dans la pente de la colline en y établissant les gradins. Les murs mêmes sont à présent fort peu élevés et n’ont guère plus de deux mètres de haut. L'appareil en est plus grossier que celui des tours. Les matériaux sont les: mêmes, et l’on s’est servi du marbre dont la colline est couverte; mais il a été noirci et rongé par le temps. On a posé les blocs mal taillés les uns sur les autres, sans aucun ciment, en remplissant avec des morceaux plus petits les vides qui restaient, si bien que cet appareil est moitié hellénique et moitié cyclopéen. Les dimensions de l'édifice n’ont rien d’imposant, car dans sa plus grande largeur il n’a pas vingt mètres. On voit que c’est le théâtre d'une petite ville. Il peut se comparer à celui de Chéronée en ! Xénophon, Des Revenus de l'Atique. LME, p. 69. — 121 — Béotie, qui ne décrit guère, dans le rocher où il est creusé, que le quart ou le tiers d’une circonférence. C'était assez pour la popu- lation de la ville. Chez les Romains, où l'architecture était partout soumise à des règlements uniformes, ces petits théâtres n’au- raient été qu'une réduction des grands : les Grecs ici n'ont con- sulté que la commodité; dans ces théâtres, tout le monde était presque en face de la scène et fort bien placé pour voir et pour entendre. Ün mur épais C tombe perpendiculairement sur celui qui en- toure le théâtre; il est percé, comme pour rendre la circulation possible autour de celui-ci, d’une ouverture en forme d’ogive gros- sière : il paraît cependant contemporain du reste de la construc- tion. Sans doute on aura trouvé que c'était le seul moyen de pra- tiquer un passage dans un mur construit avec de tels matériaux sans nuire à la solidité des assises supérieures. Cette ogive irrégu- lière rappelle le vide triangulaire qu'on voit au-dessus d’une porte, dans le trésor d'Atrée à Mycènes!, et qui avait pour objet de dé- charger le linteau du poids des parties hautes de la construction. I ne faut, d’ailleurs, tirer aucune conséquence d’un cas particu- lier, surtout quand 1il se rencontre dans une construction aussi grossière. En partant de Thérico, deux chemins se présentent : l’un se dirige vers le nord-ouest pour atteindre Keratia; l’autre vers le nord, parallèlement à la côte, dans la direction de Porto-Rafti. Celui de Keratia traverse les montagnes en serpentant sur les flancs d’un ravin profond qui peut être regardé comme la limite du Laurium au nord-est. On y rencontre encore des scories, et, à une heure de Thérico, on reconnaït l'emplacement d’un des plus grands centres d'exploitation. Là deux vallons se rencontrent et se confondent pour former celui qu’on vient de remonter. Au- dessous de leur jonction, on voit un puits de mine, de forme rectangulaire, qui est d’une assez grande profondeur, si l’on en Juge par le temps que les pierres mettent à en atteindre Île fond. Sur l'espèce de presqu'ile que forment les deux ravins sont des ruines considérables sinon par la dimension des pierres, du moins par l’espace qu'elles couvrent. C'est l'endroit qu'on ap- pelle Pétrakia. M. Hanriot, au sujet de ce nom, rappelle avec bon- | Expédition de Morée, t. W. — 122 — heur deux passages de Pline. Dans l’un l’auteur parle d'émeraudes qui se trouvent en Attique dans le fleuve Syverus!; dans l’autre il dit que les mines d'argent de Thoricos fournissent des éme- raudes ?. On sait que, quand un auteur parle d’un fleuve en Attique, . | il faut entendre un ruisseau ou plutôt même un ravin sans eau. C’est ce que veut dire le flumen de Pline : ce ravin était sans doute le fleuve Syverus; cette mine est une des mines de Thoricos et c’est ici qu'on découvrait ces émeraudes dont le souvenir est conservé par le nom de Petrakia. Probablement encore c’est ici que se trou- vait le dème dont nous lisons le dérivé Zuépédns dans deux ins- criptions données par Bœckh *. On rencontre encore sur la route quelques restes de minerai, des traces d'une chaussée turque qui suivait la même direction, une ruine hellénique de peu d'importance, et l’on arrive à Kera- tia deux heures et demie après avoir quitté Thérico. C’est un gros village situé au milieu d'une plaine fertile qu’arrosent plusieurs sources. [1 possède la plus grande partie des terres de l'extrémité sud de l’Attique et les montagnes du Laurium lui appartiennent. IL y reste fort peu de ruines, quoique l'endroit ait dû être habité dans l'antiquité. Mais c’est la prospérité même du village qui les a fait disparaître. La solitude conserve les ruines; elles sont plus promptement détruites dans les endroits habités ; les matériaux en sont employés à mille usages; des constructions nouvelles les re- couvrent et les cachent. On ne sait pas avec certitude quel dème ancien a fait place à Keratia. Leake* met dans le voisinage celui de Prospalta, sur la foi d’une inscription qui n’est pas décisive. M. Hanriot $ et Ross y placent celui de Potami. Cependant ce dernier dème est men- tionné par Strabon parmi ceux de la côte, entre Thoricos et Pra- siæ. Bien que le port füt souvent assez éloigné de la ville, il est peu probable qu'il en ait été aussi loin que l’est de Keratia le port Daskalio, c’est-à-dire à près d'une heure et demie. Il vaut donc en- core mieux, Je pense, s'en tenir à l'avis que Leake appuie sur une 1 XXXVII, xvrir, 1 : « Sudines dicit et in Syvero Atticæ flumine nasci. » ? XXX VIE, xvur, 3 : «In argentariis metallis repertæ, in loco qui Thoricos vo- « catur, semper minus pingues et e longinquo speciosiores. » 3 Bæœckh. Corp. S. 281, 306. 1 Leake, Dèmes de l'A tuique, vol. [, p. 75. 5 Hauriot, Dèmes de l'Attique, p. 206. | | — 123 — inscription trouvée ici par M. Finlay !. Il n'y a de ce village à Athènes qu'une journée de chemin; on traverse la Mésogée, dont la terre rouge, légère et cependant fertile, se couvre au printemps de riches moissons; mais ce n’est pas cette route que je dois suivre : il me faut continuer à longer la côte jusqu’à la presqu'ile de Courouni, en m'éloignant de Thérico et de la région des mines. Dans cette partie de la côte les collines s'élèvent près de la mer et leurs pentes vont souvent jusqu’au rivage sans cependant y former de pointes bien saillantes. On trouve le port turc ( Tourco Limiona) à un quart d'heure de Thérico. A l’ouest une vallée sé- pare des collines de l’intérieur la chaîne qui longe la mer. C’est au nord de cette vallée, à une heure et demie de Thérico, que Leake voit le site de l’ancien dème de Potami. I y a là, sur une hau- teur, des ruines helléniques qui portent le nom de Palæo Castro ou d’Hévræo Castro. Ge qui rend la supposition de Leake vraisem- blable, ce sont deux torrents ou plutôt deux ravins qui entourent la hauteur et expliquent son nom de Potami : c'est aussi le voisi- nage de Porto Daskalio, dont on voit la baie s'ouvrir à trois kiïlo- mètres au nord-est des ruines, après qu'on a dépassé la montagne nue et escarpée de Mavro Nori. Thucydide rapporte que la flotte péloponésienne, dans la vingt et unième année de la guerre du Péloponèse, jeta l'ancre dans un port entre Thoricos et Prasiæ. Si Thucydide?, en cette occasion, n’a pas nommé le dème de Po- tami, c'est parce qu'il était à quelque distance dans l’intérieur des terres, el si Strabon le nomme parmi les dèmes de la côte, c’est qu'il n'en était pas fort éloigné et qu'il y avait son port. Il est inutile de dire qu'on ne trouve plus à Potami le tombeau d'Ion, qui, si l'on en croit Pausanias, s’y voyait encore de son temps : mais du moins le souvenir du père de la race ionienne, attaché à cette côte, montre qu’elle fut habitée dès l’antiquité la plus re- culée. | La contrée qui sépare Porto Daskalio de la presqu'île de Corouni est montagneuse et déserte. Il faut traverser une première chaine de collines et l’on se trouve dans une vallée qui aboutit non pas ! C'est la dédicace d’une stèle offerte à Esculape par les habitants de Pros- palta. 2 L. VIIL, p. 95. % Pausanias, 1, VIT, 1: Kai lovos 8 r@ due uviua à Iorauiwr 8oh; et de même À. F, xxxr, 3. — 124 — à un port, mais à un rivage bordé de rochers. Il a reçu le nom significatif de Kaxn Odacca. On franchit ensuite les flancs escar- pés et nus d’une montagne qui PRE encore Mavro Nori, et l'on se trouve enfin dans la vallée qui mène à Porto Rafti. Comme ce trajet est fort incommode, on prend d'ordinaire, pour se rendre de Thérico à cette baie, le chemin de Keratia, qui fait un détour dans l’intérieur des terres, mais qui du moins est praticable pour des chevaux. Par ce chemin on va, en moins de deux heures, de Keratia à Porto Rafti. | La baie qui porte ce nom est partagée en deux bassins que sé- pare une pointe de terre : celui du sud est plus spacieux; il est borné au nord par la pointe dont je viens de parler, au sud par la presqu'ile de Corouni ou Courouni. Il y a peu de chose à dire de cette presqu'ile!: c'est une col- line aux flancs abrupts, dont les pentes rapides plongent dans la mer. La baie qu'elle borde est plus intéressante : elle repré- sente l’ancien port de Prasiæ, dème de la tribu Pandionide?. Leake $ a trouvé le nom de Prasa appliqué à une petite ile dans la partie sud de la baie“. Ces indices, joints au passage dans le- quel Strabon énumère les dèmes de cette côte, ne laissent guère de doutes. Après Thoricos et Potami il nomme Prasiæ, Stiria et Brauron : Eîra ee, Zerpit, Bpaupor ümou To Tis Bpaupo- vias À préudos Loue Comme Brauron était à une lieue environ dans le nord, où l’on rencontre encore le village de Vraona, on ne peut guère mettre ailleurs qu'ici le port de Prasiæ. En débouchant par terre dans le fond de la baie, au sud, on trouve des fondations de murs, des décombres et un puits. Si l'on avance encore on laisse à sa droite la pointe qui partage la baie en deux et l’on arrive dans le port septentrional, où se voit une église dédiée à saint Nicolas et quelques maisons qui font un petit commerce avec les barques qui viennent s’abriter dans le port. Une petite plaine située tout auprès est toute jonchée de pierres qui ont 1 Etienne de Byzance parle d’une presqu'île en Attique appelée Kopævera : il " presq q PI n en déter mine pas la situation; mais les noms correspondent. 2 Étienne de Byzance. % Leake, Dèmes de l'Attique, , 67. Dodwell a vu dans de voisinage un village qui portait le même nom. IX, p. 399. Leake, Dèmes de l'Attique, t. I, 72. 6 ——_— EE ES — 125 — fait partie d'anciennes constructions : on y voit même un fragment de mur dun appareil très-grossier et presque cyclopéen. Enfin, sur la côte nord de la baie, qui est complétement déserte, s'élève la petite église de Saint-Spiridion. Ces ruines, ces maisons, ces églises, montrent qu'autrefois tout le tour de la baïe était habité. Leake ! pense que Prasiæ bordait le bassin du sud et Stiria celui du nord; mais rien ‘ne prouve que Stiria ait été un port; car Stra- bon mentionne tous les dèmes qui étaient dans le voisinage de la côte. Prasiæ, au contraire, était un des principaux ports de l’At- tique. C'était de là que partait la théorie chargée de porter à Dé- los les offrandes des Athéniens et, suivant la tradition, celles du peuple mystérieux des Hyperboréens ?. Or le port méridional est peu sûr : la petite île de Prasa et des bas-fonds de rochers le ren- dent incommode et même dangereux. Celui du nord au contraire est plus profond et mieux couvert. Il est donc fort probable qu’il servait au dème de Prasiæ, et je partage l'opinion de M. Hanriotÿ, qui met ce dème dans la partie septentrionale de la baie. Peut- être alors faudrait-il voir dans ces assises antiques dont je parlais tout à l'heure des restes du temple d’Apollon ou du tombeau d'Erysichthon *. | La baie de Porto Rafti porte plus d’une trace du passage des Vénitiens. Leake donne le nom de Vegneza au rivage qui borde la partie sud de la baie. La pointe qui s'avance entre les deux ports s'appelle encore du nom italien de Punta, et des pêcheurs que je rencontrai me dirent qu'on y voyait des fortifications italiennes. | En effet, cette pointe de rocher, longue et étroite, était coupée, du côté de la terre, par un mur épais, dont la construction n’est ni | grecque ni romaine : ce sont des pierres noyées dans un ciment qui est loin d’égaler la dureté du ciment romain. Un autre mur | longeait aussi le. rivage de cette petite presqu'ile : on en suit fort | bien les traces au nord, et il est fort probable qu'il existait aussi 1 Leake, t. II, 67. 2 Pausanias, I, xxx1, 2 : É» dè Ipacredoi ÀÂrdlwvos éol vads* évrala rs | TrepÉopéwy dmapyès iévas Aéyerau, mapadiddve dè aërds Ÿrep6opéous uèv Àprua- onoîs, À pruaoroÿs à condor, mapà dè roûrwr Euvlas ës Euvwmny xouieiv, év- | red0er dè Qépeobar did É)Aveor és Tpdours , Afnvalous dè eivas roùs s Afhov &yoy- | ras” Très dE dmapyas xexpÜQÜ pèr év nahdun mupdr, yiwoxecha dè Ür” déve. * Hanriot, Topogr. de l'Att, p. 206. & Pausanias, [, xxx1, 2 : Éo7i de uviua mi Ipaciaïs Épuotybovos. — 126 — au sud et venait rejoindre des deux côtés la muraille transversale; sur celle-ci on reconnait l'emplacement de deux tours. C'était une excellente position, qui n'était accessible par terre que sur une largeur peu considérable et qui commandait à la fois les deux ports. À l'entrée de la baie, en avant de la pointe, on voit un îlot ap- pelé Ra Il est de forme conique avec des pentes très-roides, et porte à son sommet une statue dans laquelle l'imagination ai sed laire voit un tailleur assis (Pémrus): de là vient le nom donné à l'ilot et à la baie. Je voulus voir cette statue de près. Une barque d'Hydra se trouvait dans le port; elle appartenait à des pêcheurs qui n'avaient guère pris encore que de ces poulpes dont il se fait une si grande consommation pendant les carêmes grecs. Favorisés par un vent d'ouest, nous arrivèàmes à l’île en vingt minutes, mais nous eûmes quelque peine à débarquer, tant le rivage en est escarpé. L’ascension fut pénible; il fallait s’aider des mains sur ces roches brisées dans les fentes desquelles poussent quelques plantes odoriférantes et une grande quantité de férules. Enfin je me trouvai sur le sommet. C’est un plateau très-étroit, qui a fourni à peine la place nécessaire pour le monument. Un piédestal formé de grandes pièces de marbre, haut de deux à trois mètres et en partie détruit, porte une statue à peu près de même hauteur, c’est-à-dire qu'elle s'élève en tout d’une quinzaine de pieds au-dessus du ro- cher. Les jambes, les bras et la tête ont été brisés; mais on voit encore fort bien la position du personnage. Il est assis, la jambe droite était ramenée sous le corps, la jambe gauche avançait au bord du piédestal. Le bras gauche retombait le long du corps; le bras droit était étendu comme pour adresser un geste de comman- dement aux flots de la mer Égée, vers lesquels la statue est tour- née, ou plutôt pour s'appuyer sur un sceptre. La tête était droite et haute. Dodwell! suppose que c'était la statue du dieu qui avait un temple à Prasiæ, Apollon; mais je ne pense pas qu’il ait rai- son. Le costume est romain; l'attitude est celle d’un empereur. La sculpture même est romaine. Les draperies ont peu de vérité : le dos est aplati et d’une exécution aussi peu soignée que s'il n'avait jamais dû être en vue. Peut-être cette statue fut-elle élevée par Hérode Atticus. On sait avec quelle magnificence ce précepteur ! Dodwell, Travels in Greece, t.1, p. 092, — 127 — de Lucius Verus et de Marc-Aurèle employa son immense fortune. Il fit construire dans Athènes le théâtre qui porte son nom !; il fit revêtir de marbre les gradins du stade panathénaïque ?; il avait à Képhissia une villa dont Aulu-Gelle nous fait l'éloge $ ; à Marathon, où il était né et où il avait une vaste propriété, on a trouvé des bustes de Socrate, de Lucius Verus et de Marc-Aurèle, qu’il y avait fait venir“; on sait qu'il y avait érigé dans la campagne des sta- tues à ses esclaves favoris ®, et j'ai encore vu, près des fondations d’une muraille antique, quelques restes de sculptures mutilées. Il n’y aurait donc rien d'étonnant à ce qu'il eût orné d’une statue d’Antonin, son protecteur, ou de Marc-Aurèle, son élève, l'entrée dn port principal de cette côte €. | Le marbre du piédestal ne porte pas d’autres inscriptions que _ les noms de quelques voyageurs et de marins de différentes ma- tions qui ont voulu laisser à la postérité un témoignage de leur ascension. R En retournant à terre je pus me convaincre que la côte ne ga- rantit pas suffisamment le port contre les vents d'ouest, et que l'entrée, quand ils soufflent, est fort difficile. Un orage s'étant élevé de ce côté, nous fûmes plus de deux heures à regagner le point d’où nous étions venus en vingt minutes, et nous y arri- vàmes tout trempés d’eau de mer et d’eau de pluie. C'est ici que mon excursion et ma tàche s'arrêtent. De Porto Rafti on peut aisément arriver à Athènes en un jour. Üne route fort praticable pour des piétons et des cavaliers s'éloigne de la côte, entre dans la Mésogée à Vraona, l’ancien Brauron, la traverse dans la direction du nord-ouest, tourne, près de l’em- placement de Pallène, les dernières hauteurs de l’'Hymette, et, longeant du nord au sud le versant occidental de cette chaîne, se dirige vers Athènes en traversant la plaine. Sur cette route, 1 Pausanias, VII, xx, 6. 2 Philostrate, n° 5. 3 Aulu-Gelle, Noct. Att. 1. I, ch. x. Collection d’antiquités de feu M. le comte de Choiseul-Gouffier, par Dubois (uti par Leake). * Philostrate Sophist. IT, p. 12. 5 Dans l'inscription 193 du Corpus de Bæœckh, on trouve mentionné comme étant du dème de Prasiæ un nommé Hérode. C'était peut-être un parent de notre | Hérode, que cette coïncidence assez frappante rattache davantage au dème de Prasiæ, Re cinq minutes après avoir quitté Porto Rafti, on voit une grande quantité de pierres dont beaucoup ont élé taillées. À une demi- heure de là, près du village de Ziorta, on trouve encore des champs qui en sont couverts et une vallée qu’une ville remplissait autrefois. C’est ici que, d'accord avec M. Hanriot !, je place l’an- cien dème de Stiria, patrie de Thrasybule 2. La route que je suis à travers la Mésogée, c’est cette route de Stiria dont parle Platon. — « Comme Hipparque, dit-il, vit que les habitants d'Athènes étaient assez instruits et qu'ils admiraient sa sagesse, il voulut instruire aussi les gens de la campagne. II fit donc, sur toutes les routes qui menaient de la ville aux dèmes, placer pour eux des Hermès à mi-chemin; puis, parmi les maximes qu'il avait ap- prises des autres ou trouvées lui-même, choisissant celles qui lui paraissaient les plus sages, il enferma chacune d'elles dans un vers élégiaque et fit graver ces inscriptions, qui étaient à la fois l'œuvre d’un poëte et d’un sage. Aussi tout d’abord les citoyens cessèrent d'admirer autant ces préceptes de sagesse inscrits dans le temple de Delphes, le lr@0: ceaurér, le Mndèr &yav et d’autres semblables. Les maximes d'Hipparque leur semblaient plus sages; et bientôt, à force de passer et de repasser et de lire les maximes, ils prirent goût à de telles lecons et fréquentèrent la ville pour en apprendre davantage. « Il y avait deux inscriptions sur chaque Hermès. Dans celle de gauche, Mercure disait qu'il était à mi-chemin entre la ville et le dème ; à droite on lisait par exemple : « Hipparque a élevé ce monument : Marche dans des pensées de justice. | « Mais il y avait sur les différents Hermès des inscriptions diffé- rentes aussi nombreuses que belles. Sur la route de Stiria, entre autres, on lit celle-ci : «Hipparque a élevé ce monument : Ne trompe pas ton ami.» On ne voit plus aujourd'hui ces inscriptions; mais elles ne sont pas nécessaires pour porter l'esprit aux graves réflexions. Il est dif- ficile de ne pas songer longtemps au contraste prodigieux que font la tristesse et la solitude d'aujourd'hui avec l’innombrable po- pulation dont tant de ruines attestent l'existence passée. Je me re- Hanriot, Topogr de l'Atique, p. 205. ? Eschine, Contre Ctésiphon, p. 82. — Diodore de Sieile, XIV , xxx1r. ? Platon {ou un de ses imitateurs), Hipparque, p. 220. — 129 — présentais surtout l’aspect que devait offrir Sunium quand venait la fête des Panathénées!. [ s'y donnait, à cette époque de l’an- née, des courses de trirèmes. De tout l’intérieur du Laurium, de toutes les côtes de l’Attique et des îles voisines, les spectateurs affluaient. La foule se pressait entre les maisons et le port, regar- dait avec fierté le vieux vaisseau persan, trophée de la victoire de Salamine ?, qui se gardait à Sunium; elle s’entassait aux portes étroites de la ville fortifiée et en garnissait les murailles. La | pompe sacrée, traversant les propylées avec les prêtres, les sacri- ficateurs et les victimes, montait sur la plate-forme du temple et se déroulait, avec ses vêtements éclatants, sous les portiques de marbre. Au-dessus du fronton brillant de l'édifice et de ses acrotères étincelants, la fumée des sacrifices montait en tourbillonnant dans l'atmosphère limpide. On voyait, de la plate-forme du temple, les hauteurs environnantes couvertes de spectateurs, la baie sil- lonnée d’une multitude de barques, et, une fois le signal donné, les trirèmes, qui volaient sur les eaux en les faisant écumer sous l'effort des rames. L’azur du ciel et l’'azur de la mer, les rochers et les collines inondés de lumière, les côtes lointaines et bleuâtres encadraient ce tableau. La mer, le ciel et les rivages, n’ont perdu aucune de leurs beautés ; mais de celles qu'ajoutaient à la nature le travail et le génie de l’homme quelques pierres éparses et quelques colonnes mutilées sont tout ce qui reste aujourd’hui. ‘ Lysias, ÀÂrodoyia dwpodoulas. 3 Hérodote, VIII, 121. MISS. SCIENT,. — 111, (q) Ra 4 UE TE TO NT Le } 1 jt 1 a Læ ÿ N À # #) ee , : Fe COS À Siaëar mile abbé ini 1h) ; | ét ts sypogh:stjes # sisuole-glehh aber PPT ET CN Et | erenhpe qe hab: LAINE pert” raquette Ab frauvesas tele où oréofé Bobi cu 2 NeRET HR Yisbesha'e els stat MERE ed liemne Tésbi em + out) Sæ LE dk: pay Der ad AO, sony fie ja so per fx atatatetéhl wvéhistoonr , : ob So si eue _ RAPPORT SUR UN VOYAGE SCIENTIFIQUE EN ANGLETERRE ET EN ALLEMAGNE, PENDANT LES MOIS DE JUIN, JUILLET ET OCTOBRE 1865 , PAR M. SCHIMPER, PROFESSEUR DE GÉOLOGIE À LA FACULTÉ DES SCIENCES DE STRASBOURG. Parti de Strasbourg le 22 mai, j'ai consacré les cinq premiers jours de mon voyage à visiter les riches collections de végétaux fossiles qui existent à Bonn, à Aix-la-Chapelle et à Gand. Les collections de l'Université et de l'École des Mines de Bonn, de même que celle de la Société rhénane des sciences naturelles, possèdent les séries les plus complètes des formations houillères de la Prusse rhénane et de la Westphalie, des terrains tertiaires du Siebengebirge et des cendres volcaniques de l’Eifel. C’est au Muséum d'histoire naturelle, qui renferme les nombreux types de fossiles décrits dans le grand ouvrage de Goldfuss, qu’existe aussi le célèbre tronc de Sigillaria avec ses racines, dans lesquelles on a cru reconnaître le problématique Stigmaria ficoides. Un examen minutieux de cette pièce classique m'a fait reconnaître l'erreur de cette supposition. Par le mode de bifurcation de ses racines, la souche de ce Sigillaria montre bien une certaine ressemblance avec le Stigmaria, mais ses cicatrices foliaires et radiculaires ne permettent pas de confondre ces deux formes végétales extraordi- naires du monde primitif. D’autres observations que jai faites de- puis en Angleterre, en Suisse, dans les Vosges, et à Saarbrück même , d’où provient l'échantillon de Bonn, me font considérer le Stigmaria comme un type à part, dont le tronc aurait eu la forme générale de celui du Welwitschia, découvert, il n’y a pas long- temps, sur les côtes occidentales de l'Afrique. — 132 — Grâce à la grande bienveillance avec laquelle les directeurs de ces diverses collections se sont mis à ma disposition et m'ont permis d'examiner en détail tous les échantillons qui m'offraient de l’intérêt, j'ai pu en moins de deux jours prendre toutes les no- tes dont j'aurai besoin pour mon traité de Paléontologie végétale et désigner les échantillons qui doivent y être figurés. La collection de la Société rhénane renferme une magnifique série d’Astérophyllites, d’Annularia et de Sphenophyllum, plantes caractéristiques des terrains houillers, sur la place systématique desquelles on n’est pas encore d’accord. L'examen des nombreux échantillons des deux premiers genres, dont quelques-uns sont encore munis de leurs organes de fructification, ne me permet plus de douter que ces débris ne soient réellement les rameaux des Calamites, lesquels, de leur côté, seraient de véritables Équi- sétées. Le Calamites radians représente du reste très-bien les An- nularia, tandis que le C. Meriani représente les Astérophyllites. À Aix-la-Chapelle le docteur Debay m'a ouvert avec la plus grande libéralité ses riches collections de végétaux fossiles des couches supérieures de la formation crétacée qui s'étendent de cette ville jusqu'à Maestricht. Ces collections sont uniques dans leur genre, car elles contiennent plusieurs centaines d'espèces de plantes dicotylédonées qui, jusqu'au momentoù ce savant a com- mencé à faire ses découvertes, n'étaient connues dans les terrains antérieurs aux terrains tertiaires que par un très-petit nombre d'espèces, appartenant à un seul type dont on n’a pas encore pu fixer le représentant dans la flore du monde actuel. Les restes végétaux trouvés dans la formation crétacée d’Aix-la- Chapelle permettent maintenant d'établir la physionomie végétale de cette époque et aideront à faire trouver la place systématique de ces belles feuilles de Credneria si abondantes dans le grès crétacé (quadersandstein) du Harz. M. le docteur Debay met à ma disposition, pour les décrire et figurer, tous les échantillons que je pourrais désirer, même ceux qu'il n’a pas encore publiés, de sorte qu’il me sera possible de faire connaître dans ma Paléontologie du règne végétal une flore à peu près complétement inconnue jusqu’à présent et qui établit d’une manière si frappante le passage de la flore jurassique à la flore tertiaire. De cette façon je parviendrai à faire disparaître la grande lacune qui existe encore dans tous les traités de pa- — 133 — léontologie relativement à la végétation de l’époque crétacée. D’après ce que j'ai pu voir déjà, il n’existerait aucune interrup- tion brusque entre la flore du crétacé supérieur et celle du ter- tiaire inférieur, nouvelle preuve en faveur de la théorie d’une évolution lente et successive par suite de transformations. Quoique les découvertes de M. Debay ne s'étendent encore que sur ün es- pace de quelques kilomètres carrés, elles sont cependant de la plus haute importance et comptent parmi les plus belles en pa- léontologie qui aient été faites dans ces derniers temps. À Gand, j'ai pu étudier dans la riche collection de M. l'abbé Coemans la flore du terrain houiller de la Belgique, et me con- vaincre de son identité avec celle du bassin de Saarbrück. Le sa- vant possesseur de cette intéressante collection m'a également offert en communication tous les échantillons que je voudrais décrire et figurer. Arrivé à Londres le 28 mai, je me suis immédiatement adressé à mon illustre ami sir Roderick Murchison, directeur général du Geological Survey de la Grande-Bretagne et des magnifiques col- lections géologiques et paléontologiques du Museum of practical geology, pour combiner avec lui mon plan de campagne et en re- cevoir les recommandations nécessaires. Ce Nestor des géologues anglais ma reçu avec une bonté extrême, et m'a présenté lui- même aux savants les plus éminents de la capitale. Pour me di- riger dans mes courses, il me donna les cartes géologiques de l’An- gleterre et de l'Écosse exécutées sous sa direction, et son classique ouvrage sur les terrains de transition, ouvrage qui m'a été du plus grand secours pour mes recherches personnelles. Grâce à ce concours efficace et à la bienveillance incomparable avec laquelle les directeurs des différentes collections facilitèrent mes recher- ches, j'ai pu atteindre complétement mon but et ne point perdre de temps dans ce grand centre scientifique. Les collections du Museum of practical geology réunissent dans une seule enceinte tous les minéraux, toutes les roches et tous les fossiles rencontrés jusqu'a présent dans le Royaume - Uni. Tout est dans l’ordre le plus parfait, tous les échantillons sont ri- goureusement déterminés; un catalogue imprimé sert de guide aux visiteurs, et de nombreuses coupes géologiques, suspendues près des armoires, indiquent le mode de disposition des terrains dans lesquels les objets contenus dans les armoires et vitrines ont — 6h — été trouvés. Dans une collection aussi complète et aussi bien organisée, il ne m'a pas été difficile de m'orienter et de trouver les objets que je voulais étudier. | Les fossiles végétaux de l’oolithe inférieur, en général si rares, sont représentés ici par la suite la plus riche que l’on connaisse. C'est là que je vis, pour la première fois, . des échantillons com- plets du Zamites gigas, du Ralæozamia, un Stigmaria des schistes argileux inférieurs du lias, où jamais trace de Sigillaria n’a été rencontrée, preuve de plus que le Stigmaria est indépendant du Sigillaria. Un autre tronc nommé Endogenites erosa, provenant du néocomien {Lower Greensand), et parfaitement silicifié, offre la plus grande ressemblance avec une branche de Stigmaria. Comme je dois en recevoir un échantillon, il me sera peut-être possible, par lexamen microscopique de son organisation intérieure, d’en déterminer la place systématique. J'ai eu la satisfaction de voir que les appréciations sur l’âge re- latif de la grauwacke des Vosges, que j'ai développées tout récem- ment dans un travail sur la flore fossile du terrain de transition de cette chaîne de montagnes, sont confirmées par les fossiles du Lower Coal formation d'Angleterre, qui sont spécifiquement identiques avec les restes végétaux de la vallée de Thann dans le Haut-Rhin. En Angleterre, l'équivalent de la grauwacke des Vosges supérieures se confond avec les couches inférieures du terrain houiller, ce qui ne laisse plus aucun doute sur la place qu’elle doit occuper dans la série des formations paléozoïques. Dans les Vosges (système des ballons), au contraire, elle est iso- lée par des masses métamorphiques et sans relation aucune avec les différents petits bassins houillers dispersés dans la chaine vos- glenne. Pour la première fois aussi J'ai vu dans cette collection une empreinte complète de l’animal à bélemnite; cette dernière oc- cupe encore la place qu’elle avait occupée dans l'animal vivant, et se trouve munie de son bouclier nacré, qui protégeait le sac à encre, encore visible. Ce bouclier, qui ressemble assez au test de . l'osselet de la seiche, ou à la spatule cornée du loligo, est en effet le prolongement direct de la partie dorsale de lalvéole. Voltz, dans son travail sur les bélemnites, avait prévu l'existence de ce bouclier sans l'avoir jamais vu, car il manque toujours aux bélemnites libres; mais l'examen scrupuleux de l’organisation de —— 135 — l’alvéole concamérée lui a révélé deux systèmes de stries d’ac- croissement, qui l'ont conduit à supposer l'existence d’un bouclier semblable à la spatule du loligo, et à ranger définitivement les bélemnites dans la famille des Céphalopodes. L'hypothèse de M. Voltz, fondée uniquement sur les lois de l'anatomie comparée, a été combattue longtemps; aujourd’hui la vérité en est prouvée de la manière la plus éclatante. Désormais il me sera facile de donner à mes auditeurs une idée exacte de l'animal qui à porté la bélemnite, fossile qui a été le sujet de tant de conjectures, et dont la forme primitive est encore fort mal déterminée, même dans les ouvrages de géologie paléontologique les plus récents. Le Musée de la géologie pratique est exclusivement consacré aux collections géologiques de la Grande-Bretagne; il renferme tous les documents relatifs à la grande carte géologique publiée sous la direction de sir Roderick Murchison, et qui est.un chef- d'œuvre d’exactitude et d'exécution. À Dublin il existe une col- lection semblable, se rapportant uniquement à la géologie de lIr- lande, et dirigée également par le chef local du Geological Survey of Ireland. Les cours qui se font dans ces deux établissements traitent surtout de la géologie du pays. C’est là que se formentles jeunes géologues attachés plus tard au Geological Survey, les in- génieurs des mines et un grand nombre de savants indépendants, qui portent leursinvestigations, non-seulement dans tous les coins des Iles-Britanniques, mais dans tous les lieux de la terre. C’est grace à cette école, essentiellement pratique, que la constitution géologique de l'Angleterre est mieux connue que celle d'aucun autre pays, et que cette science, qui se rattache à tant d'intérêts in- dustriels, y est arrivée à un développement beaucoup plus complet que partout ailleurs. Il n'existe sur le continent qu’ane seule institution de ce genre : c’est le Geologische Reichsanstalt, fondé à Vienne par le célèbre professeur Haidinger. Cette institution a déjà rendu de trés-grands services. Tous les ans, elle envoie plu- sieurs Jeunes savants, qu'elle a formés, dans les parties non encore explorées de l'empire autrichien; chacun d'eux est chargé d’un district, dont il dresse la carte géologique sur une grande échelle et Jusque dans ses moindres détails; il collecte les minéraux, les roches et les fossiles destinés à augmenter les collections et à servir en même temps au contrôle de son ouvrage. La direction de l'établissement préside à la rédaction de la carte géologique — 136 — générale et du texte explicatif, et publie en même temps, sous le titre de Jahrbücher der geologischen Reichsanstalt, une magni- fique suite de mémoires, qui se rapportent tous soit à la minéra- logie, soit à la géologie du pays. Au milieu des immenses richesses que me présentaient les diverses collections du British Museum, de l'Ecole de géologie pratique, du College of Surgeons, etc. il m'a été naturellement impossible de m'en tenir à une branche et de n'avoir en vue que mes publications; j'ai cru devoir m'occuper de tout ce qui.pou- vait minstruire, élargir mes vues et me fournir de nouveaux matériaux intéressants pour mes leçons. Cela m'a été d’autant plus facile que toutes ces collections, tenues dans un ordre par- fait, sont du matin au soir ouvertes aux savants et dirigées par des hommes qui joignent à un grand savoir une complaisance in- fatigable. | Dans. les collections de la Société linnéenne, j'ai pu étudier lherbier bryologique de Linné et en mettre au clair la synonymié originale. Ce travail, réclamé par la botanique depuis longtemps, sera publié incessamment dans les Annales de la Linnean Society. Le 8 juin, j'ai quitté Londres pour me rendre à Manchester, où le musée de la société géologique renferme une suite fort ins- tructive de la formation houillère du pays. J’ai obtenu d’un des membres de cette société non-seulement de nombreux échantil- lons de végétaux fossiles, mais aussi une collection complète de toutes les variétés de houille qui sont exploitées dans le Lanca- shire et dans le Yorkshire. Pendant mon court séjour dans le-voi- sinage de cette ville, j'ai pu étudier le dépôt diluvien connu sous le nom de drift, et qui est surtout fort développé à Broughton, où mon ami le docteur Wood m'avait offert l'hospitalité. Ce dé- pôt, qui se rencontre en maints endroits en Angleterre, est devenu célèbre par la grande quantité de fossiles provenant d'animaux arctiques vivants qu'il renferme. L'existence dans ces couches di- luviennes d'êtres organiques qui ne vivent plus que dans les con- trées les plus septentrionales, ne permet plus de douter que, pen- dant la dernière période de l’époque glaciaire, tout ce pays n'ait été submergé par une mer qui portait encore tous les caractères d'une mer glaciale. Deux jours m'ont suffi pour apprendre à connaître la configu- ration générale du terrain houiller du Lancashire. Une course — 137 — à Todmorden, dans le Yorkshire, m'a fait voir. dé magnifiques coupes du grès houiller (millstone grit des géologues anglais) et des schistes riches en empreintes de végétaux fossiles. Les membres de la Société botanique de cette localité m'ont fait connaître la flore des environs et fait cueillir plusieurs espèces de mousses fort rares que je voyais là pour la première fois dans leur station na- turelle. | . Les ouvriers naturalistes d’Ashton-under-Lyne m'ayant invité à assister à une de leurs réunions scientifiques, je me suis rendu, le 12 juin, dans cette petite ville manufacturière. J’ai trouvé, dans cette réunion intéressante, des ouvriers de toutes les professions qui ont constitué une association portant le nom de Society of the practical and working-men naturalists. Cette société forme une branche de la Lancashire Linnean Society, essentiellement compo- sée de working-men, et dont le nombre monte déjà à près de cinq cents. Des associations semblables existent dans presque tous les districts de l'Angleterre. Dans tous les endroits où une branche d’une association de district a son siége, les membres de cette branche contribuent, au moyen d’une petite cotisation, à former une bibliothèque scientifique, dont les livres sont prêtés aux sociétaires. Jai été étonné de voir combien ces hommes, oc- cupés toute la journée d’un travail manuel plus ou moins pé- nible, prennent intérêt à toutes les questions scientifiques, même à celles qui ne se ratiachent pas immédiatement à la vie pra- tique. Un ouvrier tisserand, membre de l'association de Todmor- den dans le Yorkshire, que j'ai prié de m'accompagner dans le pays de Galles, m'a été du plus grand secours pendant ce voyage, par ses profondes connaissances de la flore d'Angleterre. Près d'Ashton-under-Lyne, j'ai visité, sous la conduite des working- men nataralists, un dépôt de drift extrêmement remarquable par la composition variée de ses matériaux, dont une partie provient évidemment du Northumberland et du Westmoreland, et peut- être même de l'Écosse. Entre Manchester et Warrington, j'ai pu voir le grès rouge en contact immédiat avec le grès bigarré (new-red) sans intermé- diaire du grès vosgien, qui manque entièrement en Angleterre. Cette circonstance et des considérations fondées sur le caractère des fossiles du grès bigarré me font croire,sque la place de ce dernier, de même que celle du calcaire conchylien (muschelkalk), — 138 — serait plutôt à la fin des séries de transition qu'au commencement des formations dites secondaires ; le troisième membre du trias, c'est-à-dire les marnes irisées, ouvrirait la série des terrains juras- siques. J’ai été heureux de voir de mes propres yeux, sur de bord N. O. du bassin houiller du Yorkshire, le point de contact du grès rouge avec le magnesian limestone, qui constitue, en Angle- terre, une formation à part d'une puissance extraordinaire. Dans les Vosges, il se trouve confondu avec le grès rouge sous forme de rognons dolomitiques. Étant assez rapproché du delta, bien connu par ses dunes, qui s'étend entre l'embouchure de la Mersey et celle de la Ribble, et sur lequel est établie la nouvelle ville de Southport, j'ai cru devoir consacrer une journée à l'examen de ces sables mouvants qui jouent un si grand rôle dans l’histoire des côtes du Lancashire et dans celle des côtes atlantiques de la France et de la Hollande. Cette journée a été pour moi d’un grand intérêt, car non-seule- ment j'ai pu observer dans une nouvelle localité un phénomène qui m'occupe depuis longtemps, mais étudier en même temps la flore si intéressante de ces sables rejetés par la mer et conduits par le vent dans l’intérieur des terres. Pressé d'arriver dans les montagnes du pays de Galles, terre classique des formations cambriennes et siluriennes, des roches métamorphiques et de l’ancien phénomène glaciaire, j'ai quitté le Lancashire le 14 juin, sans avoir pu visiter encore quelques exploitations houillères qui devaient enrichir mes collections de végétaux fossiles. Le grand massif du Snowdon dans le North- Wales, fut choisi comme principal centre d’explorations. Déjà à Bangor je vis les avant-coureurs du grand système gla- ciaire du Snowdon, car, tout près de la station du chemin de fer, dans la direction du Menai-bridge, on aperçoit une grande mo- raine entamée pour l'exploitation du gravier, de manière à mon- trer sa structure intérieure et les matériaux dont elle se compose. Pour commencer par le côté le plus sauvage et le moins visité, mais aussi le plus intéressant du Snowdon, j'ai pris le chemin de Conway, Llanwrst et Capel-Curig, et, après avoir passé la nuit au Head of the pass, j'ai fait, le 15 juin, l'ascension du Snowdon du côté S. E. ascension qui est aussi longue que pénible. Mais, malgré la profonde tristesse qui règne dans ces hautes vallées rocheuses privées en partie de toute végétation et de toute vie — 139 — animale, ce chemin, si chemin il y a, ne laisse pas d'offrir un grand intérêt scientifique. Les roches siluriennes sont partout à découvert; il est donc aisé d'en voir le mode de disposition et la composition minéralogique. À chaque pas, on marche sur des dé- pôts erratiques ou sur des roches moutonnées polies et burinées, effets des anciens glaciers qui descendaient du cirque de Clogwyn- y-Garnedd, placé sous le sommet du Snowdon; par-ci par-là on voit des petits lacs plus ou moins lugubres, qui doivent leur exis- tence aux barrages produits par des moraines. Près du dernier de ces lacs, le Llyn-Glüs, j'eus le bonheur de voir pour la première fois vivant le rare OEdipodium griffithianum, petite mousse de la famille des splachnacées et d’un grand intérêt. Son habitat est ex- trêmement restreint, car elle n’a été rencontrée Jusqu'à présent que dans un très-petit nombre de localités des montagnes les plus élevées de la Grande-Bretagne et en un seul endroit des Alpes de la Norwége. Pendant cette longue course, depuis Capel-Curig jus- qu'au sommet du Snowdon, j'ai pu faire de nombreuses observa- tons sur le caractère botanique général du North-Wales et sur la constitution géologique de cette montagne, qui a servi de point de départ aux travaux classiques sur le système cambro-silurien de sir Roderick Murchison, et aux premières recherches de Buck- land et d'Agassiz sur les phénomènes glaciaires en Angleterre. La végétation est, comme je l'ai déjà fait observer, extrêmement pauvre; en fait de plantes phanérogames, je n’ai rencontré au- cune espèce qui soit propre à la localité ou qui, par son dévelop- pement numérique, püt imprimer un cachet particulier à sa physionomie végétale; les lichens sont rares et réduits à un petit nombre d'espèces communes dans toutes les montagnes à roches siliceuses et de moyenne hauteur; aucune analogie n'existe sous ce rapport avec les montagnes placées dans des conditions analogues de la Norwége et de la Suède. La flore bryologique est un peu plus intéressante et se fait remarquer par plusieurs espèces qui carac- térisent pour ainsi dire les Alpes du pays de Galles et de l'Écosse; ce sont, en dehors de l’'Œdipodium déjà nommé, l’Andreæa al- pina, observé, il y a cent quarante ans pour la première fois, par Dillemius, le père de la bryologie, dans les précipices du Clogwyn- y-Garnedd, l’Arctoa fulvella, que je n'avais encore vue que près des neiges perpétuelles du Sneehättan en Norwége; le reste de la végétation mousseuse forme un mélange d'espèces alpines et — 140 — montanés, telles que l’Atrichum hercynicum, qui est extrêmement répandu, le Polytrichum alpinum, le Campylopus longipilus, qui, du reste, caractérise toutes les montagnes élevées de la Grande- Bretagne et manque presque entièrement au continent; l’Am- phoridium lapponium, l'Anœctangium compactum, le Webera poly- morpha, sont des espèces qui se rencontrent, plus ou moins sporadiquement, à une altitude de 800 à 1,000 mèëtres, tandis que dans les Alpes et dans les Vosges elles ne se voient jamais au-dessous de 1,200 mètres. Les roches dont se compose le massif du Snowdon , et en général tout le système de montagnes du North-Wales, appartiennent au silurien inférieur (caradoc, lingula et llandeilo-flags), aux cam- brian ou longmynd-rocks entrecoupés de trapps, greenstones, por- phyres (volcanic ashes et volcanic grits). Les schistes, souvent cristal- lins et métamorphiques, sont fortement disloqués, traversés par de nombreuses failles et par des filons cuprifères, qui çà et là sont exploités ou l'ont été dans les temps passés; le cuivre s’y trouve à l'état de pyrite. Les porphyres sont feldspathiques et passent au feldstein, qui de son côté se confond souvent avec ce que les géo- logues anglais appellent cendres volcaniques stratifiées ou avec le greenstone, espèce de diorite lamelleux passant insensiblement aux schistes dont il est encaissé. Ce mélange de roches m'intéressait vivement; d’une part j'y retrouvais les types décrits par les géolo- gues anglais, et de l’autre je pouvais suivre dans de nombreux points de contact l'influence des roches ignées sur les roches sé- dimentaires. D’après tout ce que j'ai pu voir, il m'est impossible d'admettre que le greenstone et le feldstein soient des roches érup- tives, ce sont évidemment des schistes siluriens métamorphosés par feldspathisation ; le trapp lui-même ne paraît être autre chose que le résultat d’une transformation de ce même schiste.: J'ai observé les mêmes roches sur une très-grande échelle et dans des conditions tout à fait analogues au Croma-Gloun, dans le comté de Kerry, en Irlande, et sur les bords du Black-Sea, près de Kil- larney. Dans les Vosges, les schistes sont affectés d’un métamorphisme tout à fait analogue, et il n’est pas rare de les voir passer en un schiste cristallin à éléments confus, riches en feldspath; ce schiste cristallin se transforme de son côté en greenstone ou diorite à la suite de la séparation de lélément feldspathique et de l'élément — 141 — amphibolique. Dans les hautes Vosges les schistes houïllers ont pris les caractères du trapp par la métamorphose qui s'étend jus- qu'au grès de la grauwacke. Là, comme dans le massif du Snow- don, ce sont les porphyres qui paraissent avoir été la cause de ces grandes transformations. Üne fois orienté relativement à la nature géologique du terrain sur lequel je me trouvais, je dirigeai toute mon attention sur le phénomène erratique dont je venais de voir les premières grandes traces. Nous choisimes Llanberis, au pied du Snowdon, comme centre de rayonnement. Cet endroit, ainsi que l'antique ruine de Dolbadarn castle, est assis sur des roches moutonnées appartenant en partie à un poudingue cambrien fritté et en partie à une roche syénitique éruptive ou métamorphique; partout sont perchés des blocs erratiques descendus des différentes hauteurs du Snowdon. Sur les deux rives du lac Llyn-Padarn et sur la rive gauche du grand lac de Llanberis on se trouve entouré de toutes parts des traces les plus évidentes de l’action du grand glacier, qui dé- bouchait du Pass, séparant le Snowdon du Glydr-Vawr, pour aller envahir les parties basses de Caernarvon et Bangor. Partout des roches arrondies, poliés et burinées, des accumulations de sables et de graviers mélangés de gros blocs à angles tranchants. Les travaux du chemin de fer qui doit relier Llanberis à la ligne de Caernarvon ont entamé plusieurs de ces grands amas de détritus de manière à découvrir leur intérieur, qui ne se distingue absolu- ment en rien des moraines déposées dans nos Alpes par les gla- ciers encore en activité. Qu'on ait pu voir dans ces dépôts l'effet de grands torrents qui se seraient précipités du haut des montagnes pour se perdre dans la plaine, et qu'on y voie encore aujourd’hui celui de radeaux de glaces chavirés avec leur charges de sables et de fragments de rocs : voilà ce qui est difficile à comprendre quand on a vu ce qui se passe au pied de nos glaciers actuels et que l’on compare les effets de leur travail avec ce qui s’observe aux alen- tours du Llyn-Padarn. Plus on se rapproche du Pass, plus le phénomène glaciaire devient apparent et grandiose : moraines pro- fondes, latérales et frontales, roches arrondies avec des sulcatures admirablement conservées et dirigées dans le sens du grand axe de la vallée; on se dirait à proximité d’un de nos grands glaciers de la Suisse, du glacier de l'Unter-Aar ou de celui du Rhône. Dans-le Pass enfin, par où les glaciers réunis du grand cirque oriental du — 142 — Snowdon , le Cwm-Llydaw dominé par les effrayants précipices du Crib-y-Ddescyl, et du Glydr-Vawr, sont venus s'étendre en éven- tail dans le fond de la vallée et jusque sur l'ile d'Anglesea, les roches en place sont polies comme des miroirs et souvent creusées en ornières parallèles, dont les parois montrent encore le burinage fait au moyen de quartzites anguleux ou de grains de sable em- pâtés dans le pied du glacier. Ces traces du passage de l’ancien : glacier doivent être d'autant plus évidentes dans cette gorge que la masse de glace resserrée entre les deux montagues a dù s’accumuler davantage et exercer par conséquent une pression plus forte sur le fond. L’épaisseur prodigieuse de ce glacier peut facilement être constatée, du reste, par la limite supérieure des roches polies, qui était aussi la limite de son action dans le sens vertical, d’un côté dans le cirque sauvage du Crib-y-Ddescyl, de l’autre côté sur le passage du Glydr-Vawr qui conduit de la vallée de Llanberis dans la partie supérieure de la vallée de Non-Francon par la gorge ro- cheuse nommée Twll-Dü ou Cuisine-du- Diable. Pour voir ces limites de mes propres yeux, je tenais à parcourir moi-même ces lieux désolés rendus célèbres aussi dans ces derniers temps par les importantes observations géologiques que M. Ramsay, membre du Geological Survey, y a faites pour la carte géologique d'Angleterre. J'avais, en même temps, un vif désir de visiter quelques petits lacs de ces hauteurs, devenus classiques par la découverte faite, au commencement du dernier siècle, par le botaniste gallois Llwyd, de l'Isoetes, plante de la famille des Iycopodiacées, et qui a été l'origine de nombreuses recherches de la part de quelques-uns des botanistes les plus éminents. En 1862, un botaniste français, mort depuis, M. Jacques Gay, a entrepris, malgré son âge avancé, le voyage du North-Wales, dans le but unique d'étudier cette plante sur les lieux mêmes où elle a été découverte et pour s'assurer si le Calamaria folio breviore crassiore et le Calamaria folio lon- giore graciliore ne correspondraient point aux deux espèces dI- soëtes distinguées nouvellement dans les lacs de la Forêt-Noire, des Vosges, de l'Auvergne, etc. Malheureusement M. Gay n’a pu vaincre les difficultés qui s’opposaient à la visite des deux lacs Phynan-Vréch et Phynan-Volan, placés, le premier, dans l'étage inférieur, et le second, dans l'étage supérieur du cirque presque inabordable du Cwm-Glas et dans lesquels, il y a cent soixante ans, ce curieux type végétal a été cueilli pour la première fois. — 145 — Habitué depuis longtemps aux difficultés du genre de celles que présentent les abords abruptes de ces deux lacs et accompagné de mon savant tisserand de Todmorden , qui, malgré ses soixante et dix ans, avait encore l’ardeur scientifique d’un jeune homme, de mon ami Wood et de deux autres botanistes anglais, qui étaient venus uous rejoindre à Llanberis, j'eus la satisfaction de voir croître sur les lieux et de cueillir moi-même les deux formes de Calamaria dé- crites et figurées par Dillenius et de m’assurer qu’elles appartien- nent toutes deux à l’Isoetes lacustris. Ce n’est que le lendemain de cette course que Jai rencontré dans le lac Liyn-y-Cwm au Clydr- Vawr la seconde espèce de ce genre, c’est-à-dire l’Isoetes echino- spora, mélangée à l'espèce ordinaire, et lors de mon voyage en Ir- lande je l'ai trouvée seule et en abondance dans une anse du petit Black-Sea, près de Killarney. Pour se rendre dans le cirque de Cwm-Glas (vallée grise), on quitte la route du Pass qui conduit à Capel-Curig, près du Pont- y-Cromlech, et le premier obstacle qu'on rencontre est une im- mense moraine, haute comme une montagne, entièrement formée de débris du Crib-y-Ddescyl et du sommet même du Snowdon, placés sur des roches moutonnées et profondément burinées d’un porphyre feldspathique rougeâtre très-compacte ; quelques-unes des sulcatures ont plusieurs centimètres de profondeur; les lee- sides ou faces abruptes non polies de ces roches regardent tous le Llan-Peris et indiquent ainsi parfaitement bien la direction de la marche du glacier. La chute du glacier dans cet endroit, de même que sur la terrasse qui sépare le lac inférieur du lac supérieur, était très-rapide et doit par conséquent avoir présenté le beau phénomène des aiguilles de glace, tel qu'on le voit au glacier des Bossons, dans la vallée de Chamounix, à la chute supérieure du glacier du Rhône et ailleurs. Arrêté dans le grand amphithéâtre du Cwm-Glas, je me suis trouvé à proximité des traces supérieures du mouvement glaciaire; ces traces disparaissent à environ 300 mètres au-dessous du som- met Y-Wyddfa, point culminant du Snowdon, à 3571 p. à. (1088 mètres) au-dessus du niveau de la mer. Plus haut, toute la masse rocheuse est raboteuse, déchiquetée, dentelée, exactement comme cela se voit au-dessus des flancs moutonnés de la vallée qui s'étend depuis l’hospice du Grimsel, en Suisse, jusqu’au gla- cier actif de l'Unter-Aar. C’est donc à cette altitude qu'il faut placer — [Al — la limite inférieure des neiges perpétuelles du North-Wales pen- dant l’époque glaciaire, et la limite supérieure de la transformation de cette neige en glace glaciaire, après avoir passé assez brusque- ment par l'état intermédiaire de nevé. J’ai eu le bonheur de pouvoir étudier les phénomènes glaciaires dans toutes les grandes chaînes de montagnes de l’Europe, depuis la Norwége et la Suède jusque dans la Sierra-Nevada, au sud de l'Espagne, mais nulle part je n’ai été aussi saisi que dans ce cirque majestueux du Cwm-Glas de lévidence de ce grand phénomène si longtemps révoqué en doute par quelques-uns de nos géologues les plus célèbres; je n’ai rencontré nulle part comme dans cet en- droit désert un plus bel assemblage de roches éruptives, méta-. morphiques et schisteuses. Un fait qui m'a vivement frappé dans ce cirque, et pour lequel je n’ai pas encoré trouvé d'explication, c’est l'alternance, souvent répétée, de schistes parfaitement unis et offrant à peine une épaisseur de 2 à 3 centimètres, avec des couches d'une nature minéralogique sensiblement différente, pro- fondément plissés en zigzags et offrant à peu près la même épais- seur. Serait-ce un effet du retrait du schiste à la suite de sa con- densation, et qui aurait été plus fort que celui des autres couches? La curiosité du géologue satisfaite, je me suis tourné vers l'exploration botanique de cette curieuse localité. Quoique plus humide et plus ombragée que les flancs de la montagne tournés vers le sud, cet ancien cirque glaciaire ne montre pas une richesse heaucoup plus grande en végétaux intéressants. À l’excep- tion de l’Isoetes lacustris et de ses compagnons presque constants dans ces montagnes, le Lobelia Dortmanna, qui commencait seule- ment à élever ses hampes florales au-dessus de l’eau, le minime Sabularia aquatica et le filamenteux Lüorella lacustris, les petits lacs n’offraient rien d’intéressant. Les endroits marécageux, qui ne manquent pas, sont occupés par d'épais tapis de sphaignes ordinaires, tels que Sphagnum acutifolium, latifolium et. subse- cundum var. contortam, dans lesquels viennent s'implanter de larges touffes d’Hypnum revolvens et d'H. sarmentosum, des cari- cinées et joncées ordinaires, le Pinguicula vulgaris, etc. Le Saæi- fraga slellaris garnit partout le bord des rigoles. Aux endroits moins humides croissent le Silene acaulis, l’'Armeria maritima dans sa forme pubescente, l’'Oxyria digyna, exactement semblable à la forme que j'ai cueillie dans le temps au Dovrefjeld, en Nor- — 145 — wége, les Poa alpina var. vivipara, Rhinanthus minor, Vaccinium myrtillus rabougri, etc. dans les fissures des rochers les Selaginella spinulosa, Polypodium phegopteris et dryoptertis, Asplenium viride, Cystopteris fragilis, Cryptogramma crispum (le Woodsia hyperborea, qui existait là autrefois, a été entièrement détruit par les cher- _cheurs de fougères), le Rhodiola rosea, le Cochlearia officinalis, le T'halictrum alpinum, elc. La végélation mousseuse est surtout re- présentée par les Rhacomitrium fasciculare, heterostichum alpestre, aciculare, ellipticum (non encore observé sur le continent), Breu- telia arcuata, Campylopus longipilus en toufles immenses sur les rochers humides, le Weisia crispula, dans les fentes des rochers le Lissidens polyphyllus, que j'ai vu là pour la première fois, l'Anœctangium compactum , l'Amphoridium lapponicum, le Bryum pseudo-triquetram et le Philonotis fontana, sur les rochers secs l’An- dreæa alpina, et l'Andreæa falcata, espèce nouvelle pour la flore d'Angleterre. Malgré mes recherches assidues je n'ai pu trouver dans ces schistes que des traces à peine reconnaissables de quelques co- quilles et aucune-trace de restes végétaux. J'ai observé la même absence complète de débris végétaux fossiles dans tous les schistes siluriens que j'ai examinés pendant le cours de mon voyage; les plantes qui vivaient au fond de la mer silurienne — mer proba- blement universelle — doivent avoir été d’une organisation trop simple et trop fugace pour laisser des vestiges de leur existence dans une roche qui cependant aurait été si propre à les conserver. Pour poursuivre la marche et les ramifications du grand gla- cier du Pass de Llanberis, je fis, le 17 juin, l'ascension du Glydr- Vawr, de 500 p. a. moins élevé que le Snowdon. La partie infé- rieure de cette montagne, couverte de pàturages et sillonnée de quelques ravins constamment corrodés par l’eau qui y court, est peu propre à l'étude du phénomène glaciaire; mais arrivé à une hauteur de 2,000 p. a. à peu près, où la roche affleure partout, et où le ravin profond de Devils-Kitchen se précipite dans la haute vallée solitaire de Non-Francon, occupée à son origine par le lac Lilyn-Ogwen, j'avais devant moi le plus bel ensemble de traces glaciaires qu'on puisse rencontrer. D’après la direction des sulca- tures et surtout celle des stoss et lee-sides il ne peut y avoir aucun doute qu'un embranchement du glacier du Snowdon n'ait pris son chemin par ce haut passage pour se jeter de là par le Twll- MISS. SCIENT. — III, 10 — 146 — Dù sur le glacier qui occupait la vallée de Non-Francon; celui-ci, a ‘la sortie de cette vallée, près de Capel-Curig, a dû s’anasto- moser avec le grand glacier provenant de l’immense cirque gla- ciaire S. E. du Snowdon et passant par le Head of the pass. Ces glaciers réunis sont venus déboucher à Llanwrst pour se diriger de là vers la baie de Conway. Ün striage secondaire, qui entre- croise le striage principal dans la haute vallée du Glydr-Vawr, indique clairement qu'après ia retraite du grand embranchement du glacier snowdonien, un glacier formé vers le sommet du Clydr- Vawr, et qui jusqu'alors n'avait été qu’un affluent de ce dernier, a continué à exister pour son propre compte avec un mouvement du S. E. S. au N. O. N. Ce glacier a poussé la moraine latérale droite du glacier disparu après l'avoir réunie à sa propre moraine {frontale sur la rive droite du lac Llyn-Cwm, qui paraît devoir son existence à ces deux anciens glaciers. Le petit bassin dans lequel il se trouve semble en effet avoir été creusé par ces derniers, car on y remarque encore très-bien le polissage glaciaire. Quant au drift ou dépôt marin dont parle M. Ramsay et qui s'élèverait au-delà de oo mètres, et aux certaines formes de striations produites par des icebergs flottants, je n’en ai rien pu découvrir pendant cette course. Il est vrai que, pour des détails de ce genre, il faudrait pouvoir Sn de plus de temps que je ne l'ai pis faire. Mais, d'après ce que j'ai observé dans d’autres en- droits, à Bangor, dans le Lancashire, en Écosse et en Irlande, je n'ai plus le moindre doute que, vers la fin de l’époque diet les Iles-Britanniques n'aient été submergées pendant une période assez longue; les sommets seuls des montagnes les plus élevées restaient émergés sous forme de petites iles rocheuses telles qu ï en existe encore aujourd'hui dans la mer Britannique. Les immenses moraines par-dessus lesquelles on passe en allant de Caernarvon à Bangor, et celle qui se trouve tout près de ce dernier endroit, sont de véritables aosars, c’est-à-dire des dépôts glaciaires remaniés à leur partie supérieure par la mer, tels qu’on les voit entre Stockholm et Upsal et surtout près de cette dernière ville, entre autres le pollacksbacken. Pour supposer que ces im- menses dépôts, si bien orientés vis-à-vis du lieu de leur origine, c'est-à-dire du Snowdon, aient été amenés et déposés par des ra- deaux de glaces naufragés et que ces radeaux aient en même temps produit le polissage et le burinage des rochers, il faudrait fermer — ]n7 — les yeux à l'évidence et ignorer complétement les phénomènes en- core maintenant en activité. Je ne saurais admettre non plus avec les géologues anglais que les dépôts erratiques qui, sous forme de drift, recouvrent une partie de l'ile d'Anglesea, aient été apportés par des icebergs et que ces roches moutonnées et striées aient été façonnées ainsi par ces mêmes agents. Si le drift longe les flancs des montagnes jusqu'à une hauteur de 500 mètres, comme l'in- dique M. Ramsay, qui à rencontré des coquilles marines appar- tenant à des espèces vivantes au Liyn-Dur-Arddur, à mi-hauteur du Snowdon, il est diflicile de comprendre comment des radeaux de glace auraient pu polir la surface de l'ile d'Anglesea et y chavirer, vu que cette île ne s'élève que fort peu au-dessus du niveau de Îa mer actuelle, et que par conséquent la mer qui la recouvrait pendant sa submersion doit avoir eu une profondeur d'au moins oo mètres. Quant à la végétation du Glydr-Vawr, elle est tout aussi pauvre que celle du Snowdon; j'eus cependant la satisfaction de trouver dans le petit lac Lyn-Cwm-Bach la seconde espèce d'/soetes, Pechi- nospora, accompagnée de lespèce ordinaire, dans un marais tourbeux {Log ou swamp}), à proximité l’Hypnum sarmentosum fruc- tifié, mousse qui jusqu'alors n'avait été vue en Angleterre qu’à ‘état stérile, dans les creux formés par les blocs entassés au fond du ravin de ‘Fwl-Dü, le méridional Hymenophyllam Wil- soni; le Meconopsis cambrica, avec ses fleurs jaune-orange, égaye un peu cette solitude privée de tout autre ornement et rappelle à chaque instant au botaniste qu'il se trouve dans le pays de Galles, dont cette plante porte le nom. à Dès mon entrée dans le North-Wales j'avais remarqué près de Conway un affleurement considérable de schiste silurien montrant le singulier clivage indépendant de la stratification , et sur lequel le professeur Sedgwick a le premier attiré l’attention des géolo- gues. Depuis, quelques-uns des savants les plus distingués de l'Angleterre, tels que Phillips, Sharpe, Tyndall, etc. ont publié des travaux spéciaux pour expliquer ce phénomène extraordinaire, qui est la condition principale de l'immense étendue qu'a prise l'exploitation des ardoises dans ce pays. À Llanberis, je me trou- vais vis-à-vis d’une des plus grandes carrières de ce genre, de la carrière Dinorwig, où l'extraction du schiste ardoisier occupe plus de deux mille ouvriers. Nulle part mieux que dans cette 10: — 148 — immense ardoisière, ouverte sur une hauteur de plus de 150 mè- tres, je n'ai pu étudier le clivage de Sedgwick, et me convaincre qu'il n’est autre chose que l'effet d'une pression latérale, pres- sion qui peut facilement être expliquée par l'injection des puis- sants dykes de porphyre, qui sont venus augmenter la masse du Snowdon en même temps qu'ils devenaient la cause de la surélé- vation de ce système de montagnes. Le plissement du schiste lui-même est dû à cette même cause. L'intrusion des nombreuses veines de quartz qui se rencontrent partout dans ces terrains sé- dimentaires et surtout dans les roches métamorphiques a dû exercer également son influence mécanique sur les roches envi- ronnantes. Cette pression devient tout à fait évidente par les fossiles renfermés dans ces schistes et qui tous sont comprimés latéralement. Depuis mon retour ici, J'ai examiné les ardoises fossilifères d'Angers et je leur ai trouvé le même clivage; aussi les beaux trilobites qu'elles renferment sont-ils tous comprimés obliquement et légèrement étirés dans un seul sens. Je connaissais depuis longtemps cette défiguration de ces fossiles, mais ce n’est que dans la carrière de Llanberis que j'en ai trouvé l'explication. Quant à la végétation campestre de la vallée de Llanberis, dont une bonne partie est occupée par les lacs Liyn-Padarn et Llyn-Paris, elle peut être considérée comme fort pauvre; il n’y a ni céréales, ni arbres fruitiers; les arbres de nos plaines y man- quent également ; sauf quelques jardins, on ne voit aucune espèce de culture. La petite forêt de la colline de Dolbadarn est un parc planté de mélèzes, de frênes, de quelques hèêtres, d’érables, de bouleaux et d’aunes. Un taillis de chêne sessilifiore se trouve sur la rive droite du lac inférieur. Le houx, l’érable, le sorbier et l’'aune paraissent être les seules essences indigènes. À cent mètres au-dessus du lac, plus un seul arbre : c’est l’âpre nudité de montagnes pelées, désertes, et malheureusement presque stériles pour le botaniste. En fait d’arbustes on ne trouve que le noisetier, l’épine noire, une ou deux espèces de ronce, deux es- pèces de rosier, trois espèces de bruyère, le Myrica gale, plante du nord, et surtout l’'Ulex, plante extrêmement commune dans toute la Grande-Bretagne. Parmi les plantes herbacées ce sont les deux espèces d'Hymenophyllum, V'H. tunbridgense et VH. Wilsont, assez abondantes dans le ravin' de la cascade de Dobladarn Hill, qui attirent plus particulièrement l'attention du botaniste. C'est — 149 — près de Llanberis que le curieux Meconopsis cambrica, si carac- téristique pour tout ce pays, a été cueilli par Morisson, qui la décrit pour la première fois dans son Historia plantarum universa, publié en 1680. La Digitale pourprée, assez commune partout, interrompt un peu la monotonie de la végétation par son port majestueux et la couleur éclatante de ses nombreuses clochettes. Nombre de plantes, qui dans nos plaines et nos vallées forment le fond de la végétation, telles que les Convolvulacées, les Solanées, les Labiées, les Polygonées, les Euphorbiacées, les Caryophyllées, manquent complétement. J'étais étonné, par contre, de rencontrer l'Umbilicus pendulinus, l'Hypericum androsæmum et l'OŒEnanthe cro- tala, trois plantes plus ou moins méridionales. Le fond des deux lacs forme une prairie d’Isoetes lacustris, en- tremêlée de quelques rares individus d'Jsoetes echinospora, et du Lobelia Dortmanna, dont les milliers de hampes florales s'élèvent au-dessus de l’eau et composent un véritable parterre flottant. Le 19 juin j'ai quitté Llanberis pour me rendre en Irlande en passant par l’île d’Anglesea, où je me suis arrêté une journée à visiter des massifs de granit éruptif qui se sont fait jour à travers les schistes siluriens dont, à la suite de cette éruption, une partie se trouve transformée en une roche compacte cristalline riche en quartz, et l’autre en un schiste chlorité ou micacé plus ou moins délitable. Ces schistes montrent près de Holyhead, au phare de South Stack, placé sur un roc isolé dans la mer, un fort bel exemple de contournements presque spiralaires. Le calcaire car- bonifère affleure près du détroit de Menai, qui lui-même est creusé dans le cambrien ; celui-ci occupe en général une partie notable de l’île, La petite île de Holvhead est en effet tout entière formée d'un schiste micacé gris assez compacte, fortement plissé et tra- versé de nombreuses veines de quartz blanc. Le drift et de grands blocs erratiques provenant du Snowdon se rencontrent dans de nombreux endroits. Arrivé à Dublin le 20 juin, j'ai pu faire, le même jour encore, une excursion aux environs de la ville, pour voir quelques car- rières de calcaire carbonifère, qui a la singulière propriété d’être traversé par de larges bandes de quartzite ou plutôt de silex noir à cassure conchoïde. Ces bandes, disposées parallèlement aux surfaces de stratification, sont évidemment des sécrétions du cal- caire riche en silice lors de sa formation, et leur origine est la — 150 — même que celle des rognons de silex dans la craie, qui sont éga- lement orientés dans le sens de la stratification. Pour profiter du beau temps, qui est rare en Irlande, je partis dès le lendemain, accompagné du docteur Moore, directeur du Royal botanic garden of Glasnevin et de quelques autres botanistes, pour les montagnes du comté de Kerry, où Muckross, près des lacs de Killarnev, fut choisi comme centre d’excursions. Cette partie de l'Irlande est peut-être la plus intéressante de toute l'ile, car on s'y trouve immédiatement au pied d’une chaîne de mon- tagnes très-considérable , riche en phénomènes géologiques de tout genre, à proximité des immenses tourbières de Kenmore, célèbres par le gigantesque Cervus megaceros, dont le squelette s’y ren- contre souvent dans un parfait état de conservation, et au mulieu d'une végétation luxuriante, qui doit son prodigieux développe- ment aux influences du Golfstræm, dont les flots d’eau chaude viennent se briser contre cette extrémité méridionale de File. Le voyage de Dublin à Killarney est des plus intéressants, géologiquement: parlant : d’abord le développement immense du calcaire carbonifère, ensuite celui du drift, et enfin, à mesure qu'on s'approche de la chaine de Kerry, le système erratique avec ses moraines de graviers et de grands blocs anguleux placés de 30 à 4o kilomètres du lieu de leur origine. On admet aujourd'hui comme un fait incontestable que les côtes atlantiques de la France, les côtes de la Norwége, les Iles- Britanniques en général , subissent l'influence plus ou moins grande de la température élevée du Golfstræm; nulle part cependant on n’est aussi frappé des effeis de cette influence que dans le comté de Kerry, qui occupe l'angle S. E. de l'Irlande. Les régions boisées aux environs de Kork, de Killarney et de Glengariff ressemblent à de véritables forêts vierges des pays chauds; les arbres y arrivent, surtout dans le développement de leur couronne, a des dimen- sions qui sont inconnues sur le continent pour les mêmes espèces. L'humidité et la chaleur réunies produisent sur les essences du Nord des modifications morphologiques dignes d’une étude toute particulière. Beaucoup d’arbres et d’arbustes du Sud prospèrent d’une manière admirable en Irlande. L’Arbutus Unedo, originaire du Portugal, où il ne dépasse guère les dimensions d’un arbuste de moyenne taille, arrive ici à une hauteur de 10 à 12 mètres avec uñ tronc de 4o centimètres de diamètre; les Erica carnea et — 151 — cinerea forment de véritables buissons, les deux espèces d'Ulex atteignent les dimensions de notre Sarothamnus scoparius. L'if, qui chez nous a beaucoup de peine à prospérer, s’élance, surtout dans la variété pyramidale, jusqu’à une hauteur de 10 mètres. Les arbres les plus élevés, tels que le frêne, le chêne, le bouleau, le pin sylvestre, l’'érable platanoïde, sont entrelacés jusqu'à leur sommet de lierre, dont le tronc acquiert 5 centimètres de diamètre, et de chèvrefeuille, qui garde également une grande partie de ses feuilles en hiver, de sorte que, pendant cette saison, ces forêts restent complétement vertes, et cela d'autant plus qu'elles sont encore entremélées de nombreux pieds de houx, qui prennent les dimensions de véritables arbres. Dans les forêts transformées en parcs, on rencontre le châtaignier, qui prospère admirablement, sans toutefois donner de bons fruits, le cèdre du Liban et le cèdre deodora, l'Araucaria du Brésil, de magnifiques touffes de rhodo- dendron , qui se propagent spontanément comme une plante indi- gène; le Fuchsia et les roses du Bengale inondent les cottages de leurs milliers de fleurs; les jasmins blancs et jaunes sont employés pour former des haies. À côté de cette végétation frutescente et arborescente, si riche et si variée, on regrette l'absence totale de nos arbres fruitiers. Si l'on rencontre par-ci par-là dans un jardin de grand seigneur quelques pieds de cerisier ou de pommuer, ce sont des échantillons chétifs et rabougris, et leurs fruits sont à l'avenant. Si, par leur développement extraordinaire et leur grande va- riété, les plantes ligneuses donnent à ce pays un caractère presque tropical, les végétaux cryptogames, dans leur ensemble, affectent encore beaucoup plus ce caractère. L Tous les troncs d'arbres sont couverts d’épaisses touffes de mousses aux couleurs variées, telles que Orthotrichum, Ulota, Hypnum, Jungermannia, dans lesquelles viennent s'établir les Po- bypodium et les Hymenophyllum, ou des Sticta gigantesques, comme le Sticta herbacea, dont j'ai vu des échantillons qui avaient deux pieds de diamètre; le magnifique Sticta macrophylla, originaire du Mexique et de l'ile de Bourbon. Les troncs non garnis de mousses sont recouverts d’une légion de lichens crustacés, parmi lesquels le Lecanora rubiginosa, qu'on n'est habitué à voir que dans les parties méridionales de l'Europe, joue un rôle principal. Les fougères saxicoles et terrestres ne frappent pas moins par 2 oops leur quantité que par leurs dimensions souvent gigantesques. J'ai vu des groupes de Pleris aquilina et d’Osmundu regalis atteindre une hauteur de plusieurs mètres; l'Aspidinm Filix mas. var. pa- leaceum former des corbeilles de 2 mètres de haut, imitant par- faitement la couronne d'une fougère arborescente ; la scolopendre et le Biechnum spicans ont une végétation tellement luxuriante que leurs frondes sont souvent bifides et les limbes du premier crispés et découpés comme dans nos serres chaudes. Les deux Hymenophyllum, type plutôt tropical que de zone tempérée, re- couvrent les vieux troncs et les rochers ombragés en larges tapis, et portent de nombreuses fructifications ; une autre fougère tro- picale, le charmant et délicat Trichomanes radicans, était autrefois répandue dans les ravins du Croma-Gloun; la chasse acharnée que lui ont faite les nombreux amateurs de fougères de l'Irlande et de l'Angleterre, a réduit cette charmante plante, originaire du Mexique, à un petit nombre de pieds, qui sont aujourd'hui protégés par le propriétaire de la montagne, comme le sont par l’'empe- reur de Russie les bisons des forêts de Byalistock. Grâce à cette intelligente protection, cet habitant des forêts vierges du Mexique pourra raconter encore longtemps aux curieux de la nature lhis- toire de son émigration, et convaincre ceux qui nient l'influence du courant du Mexique sur la végétation d’une partie de l'Europe, qu'elle existe malgré eux. Je peux, du reste, encore la prouver par lexistence en ces lieux de plusieurs types de mousses qui sont essentiellement propres aux climats chauds. Je mentionnerai seulement les nom- breuses espèces de Campylopus, qui presque toutes se rapprochent beaucoup plus des espèces de l'Amérique intertropicale que des espèces de l'Europe; l’abondance du Breutelia arcuata, existence du Dallonia splachnoïides dans les gorges humides du Croma-Gloun, et du Hookeria lætevirens près de l’'O’Sullivan’s cascade sur la rive droite du lac de Killarney, trois genres à physionomie tout à fait tropicale et en quelque sorte étrangère au milieu de la végétation mousseuse aborigène. Plusieurs autres mousses des environs de Killarney, telles que le Bryum torqueseens, le Philonotis rigida, l'Entosthodon Templetont, le Barbula vinealis var. flaccida, le Tri. chostomum crispulum var. robustum, le T'richostomum mutabile, le Zygodon viridissimus fructifié, appartiennent à la flore bryologique du midi de l'Europe. Parmi les hépatiques, on peut considérer : — 153 — comme immigré de la Jamaïque le Sendinera juniperina, si géne- ralement répandu dans cette montagne; le Jungermannia cochleari- folia doit également être venu du sud; de même le Lepidozia tumidula, qui n'a ses analogues qu'à la Jamaïque, au Brésil, dans les îles australiennes et de la Sonde. Quant au Sticta macrophyllu déja nommé, sa provenance mexicaine ne sauräit être révoquée en doute. Le Fissidens polyphyllus enfin, qui abonde à Glengariff et se trouve aussi à Beddgelert, au pied du Snowdon, est un type propre aux Antilles. - Tout en m'occupant d’une manière spéciale de la végétation de cette localité curieuse, je n'ai cependant pas pu oublier que je me trouvais là de nouveau sur une terre classique, non-seulement pour ce qui concerne la composition géologique du sol, mais aussi par rapport au grand phénomène glaciaire, dont la chaîne du Croma-Gloun forme un des principaux centres pour l'Irlande. Le massif lui-même est composé de schistes appartenant au silurien inférieur ; son pied est entouré d’une bande de vieux grès rouge, sous forme d'un poudingue très-compacte, ou d'un grès à grains assez fins, tous les deux* semblables, à s'y méprendre, au pou- dingue et au grès vosgiens; vers la plaine, ce grès est recouvert de couches puissantes de calcaire carbonifère, qui, comme celui-ci, se relèvent vers la montagne. Les schistes siluriens de cette der-_ nière sont fortement redressés, contournés et plissés, ils montrent les mêmes formes de métamorphisme que dans le pays de Galles; tantôt ils sont transformés en micaschiste qui passe au gneiss, tantôt en schiste chlorité qui passe au.greenstone; le feldstein se confond avec le schiste plus où moins cristallin, qui, de son côté, se distingue souvent à peine du schiste argileux. JL y a vingt-cinq ans, mon ami EL. Agassiz est venu ici, après avoir visité l'Écosse et le pays de Galles, pour chercher de nou- velles preuves à l'appui de sa théorie sur l'extension des anciens glaciers et l'existence d'une époque glaciaire à la fin de l’époque tertiaire. Cette théorie longtemps combattue, surtout par quelques géologues français, est aujourd’hui généralement admise comme une vérité riche en conséquences scientifiques. J'avais entrepris un peu plus tard et dans le même but, un voyage en Norwége et en Suède, et les résultats auxquels j'étais parvenu, concordaient exactement avec ceux que le professeur Agassiz avait obtenus en Suisse et aux Iles-Britanniques. Ces résultats furent également ss UE 1 combattus dans leur application par les mêmes savants, mais les dernières recherches faites tout récemment dans la presqu'ile scandinave par Kjerulf, Horbye et autres, ont pleinement prouvé l'exactitude de mes observations et l'application que j'en avais faite. +. Déjà avant d'arriver à Killarney on rencontre de nombreuses accumulations semblables à des retranchements placés perpen- diculairement au grand axe de la vallée etcomposés de matériaux tout à fait différents de ceux qui forment la roche sous-jacente. A l’ouest et au sud du lac se dressent brusquement des montagnes, dont la plus élevée, placée au sud, le Cwm-Tual, a une hauteur de 3404 pieds anglais. Les flancs des montagnes montrent jus- qu'à une hauteur considérable le phénomène du moutonnage; les roches dures, telles que le feldstein et le greenstone, ont conservé le striage d’une manière tellement nette qu'on le dirait provenir d’un glacier encore en activité. À côté de ces preuves principales du travail glaciaire, on voit à diverses hauteurs du Croma-Gloun, de nombreuses preuves secondaires : ce sont les rigoles dans les- quelles coulait l’eau sous les glaciers, les marmites de géants et un système de canaux anastomosés semblable à celui des Karren- felder, et qui doit aussi être attribué à l’eau glaciaire. J’en ai vu de semblables dans nos Alpes, sur des rochers récemment aban- donnés par le glacier. Dans le Black-Valley, une des vallées les plus solitaires et les plus sauvages de la contrée, et qui s'étend depuis le lac inférieur jusqu’au pied des Macgillicaddy’s Reeks, le glacier a débouché dans la grande vallée occupée aujourd’hui par les deux lacs, après s'être réuni avec un autre glacier descendu de l’est du Croma- Gloun dans la direction du Hunting-Castle et du Tork-Waterfall. Quant aux lacs, ce sont les restes de l’ancien fjord, qui s'éten- dait depuis la Bandry-Bay jusqu’à la hauteur où se trouve au- jourd'hui la petite ville de Killarney. Ce fjord a été séparé de la mer, à l'instar du lac Mjôsen en Norwége, par une légère surélé- vation et par des moraines qui sont venus barrer son extrémité inférieure. Tous les massifs de rochers qui pointent dans la grande vallée sont parfaitement arrondis, et leur long axe.est parallèle au grand axe de la vallée, et par conséquent aussi à celui du mouve- ment moyen de l’ancien glacier. Les stoss-sides sont tournés inva- riablement vers le fond de la vallée d’où arrivait le glacier, et les — 155 — lee-sides du côté opposé; les deux flancs sont profondément burinés dans le sens de leur longueur. Les nombreuses îles rocheuses du lac supérieur ressemblent à des dos de baleines gigantesques, et leur polissage est tellement parfait qu'elles sont presque toutes pri- vées de végétation. Ce n’est que sur le côté raboteux de la lee-side que quelques herbes et arbustes sont parvenus à prendre racine. Toutes les vallées qui partent en rayonnant du pied du Croma- Gloun, et surtout la belle vallée de Glengariff, qui s'ouvre vers la mer, présentent les mêmes phénomènes. Des icebergs, provenant des glaciers qui débouchaïient de ce côté dans la mer, ont dû en- combrer souvent la baie de Bandry, comme cela se voit aujour- d'hui dans Jes nombreuses baies et fjords du Spitzberg et du Groënland. Mon temps, trop limité, ne m'a pas permis de pousser mes ex- plorations plus loin. J'ai quitté avec regret ce pays, qui, sous le rapport de la botanique et de la géologie, est un des plus intéres- sants et dont l'existence est ignorée de la plupart des savants du continent, et me suis dirigé un peu plus vers le nord, où se trou- vent les tourbières qui recèlent les restes du Cervus megaçeros. Je désirais visiter en même temps le promontoire du Brandon, placé entre le Brandon-Bay, et le Dingle-Bay pour y rechercher quelques mousses que je n'avais pas encore vues à l'état vivant, et voir en même temps le silurien supérieur et un immense dé- veloppement du vieux grès rouge. Après cette course, qui a duré deux jours et qui m'a fait connaître un des coins les plus tristes de l'Irlande, je suis revenu par Tralee à Dublin, où j'ai encore passé trois jours dans la maison hospitalière du docteur Moore. Ce temps a été employé tant à étudier les végétaux fossiles con- servés dans les riches collections du Geological Survey qu’à faire une connaissance spéciale du jardin botanique qui, avec celui de Kew, tient le premier rang parmi les jardins botaniques de l'Europe. Par la libéralité de M. Jukes, directeur du Geological Survey of Ireland, j'ai reçu une suite de végétaux fossiles tant du dévo- nien que du terrain houiller propres à l'Irlande, de même qu’une quantité d’autres fossiles qui manquaient encore à la collection géologique du musée de Strasbourg. J'ai même eu le bonheur, grace à l'intervention amicale d’un membre du Geological Survey, de faire l'acquisition d’un magnifique squelette complet du Cervus — 156 — megaceros, certainement le plus beau qui existe sur le continent, et qui est maintenant un des principaux ornements de notre mu- sée, déjà si riche en objets intéressants. Désireux de voir les types des schistes cambriens de Tremadoc et de Harlech, qui sont les équivalents de ceux de Longmynd, je suis encore retourné dans le North-Wales en me dirigeant sur Harlech dans le Merionethshire et tout près de Tremadoc. Cette roche, que je ne connaissais que par quelques petits échantillons, m'a vivement intéressé, surtout parce que c’est dans ces schistes qu'on a trouvé les traces les plus anciennes de la vie organique sur la terre. Une course au Cwm-Bychan, montagne d’une déso- lation effrayante, distante de 35 milles de Harlech, m'a fait faire ample connaissance avec cette formation ; la gorge qui conduit par un haut passage sur l’autre côté de la montagne, où il y avait au- trefois une mine d’or, correspond à la ligne de contact du système cambrien, qui atteint ici une puissance de 2000 mètres, avec le silurien inférieur ou lingula-flags. Cette course longue et pénible ne m'a donné que des résultats négatifs pour la botanique. Eu revenant de Harlech pour aller à Caernarvon et Bangor, j'ai longé le pied occidental du Snowdon , que je n'avais pas encore visité. Cette partie offre un grand intérêt, car, depuis la vallée où court la route de Pont-Aberglaslyn à Beddgelert, on aperçoit au-dessus du sommet du Snowdon le grand cirque Cwm-y-Clogwyn, occupé autrefois par une mer de glace et aujourd'hui par trois petits lacs. Un embranchement du grand glacier descendu de ce cirque a passé par la vallée étroite de Beddgelert, où 1l a laissé les traces les plus évidentes sur les rochers, qu’il a polis et rayés d’une facon telle que le célèbre géologue anglais Buckland a fait mettre une petite inscription sur l’un d'eux, voisin de la petite cascade, qui dit que, dans les temps anciens, un glacier a passé par cette gorge. De Beddgelert à Caernarvon on passe sur le drift et par-dessus d'immenses moraines remaniées à leur surface. Après avoir mis en ordre les collections rapportées du pays de Galles et d'Irlande, je partis le 7 juillet de Manchester pour Glasgow, accompagné du docteur Wood. Je n'ai pu voir qu'en passant les dépôts erratiques provenant du Cumberland, et qui me parurent commencer tout près de | Lancaster. Les montagnes du Westmoreland, semblables par | leur forme à nos ballons, dont elles sont contemporaines, et qui | — 157 — sont également formées de terrains de transition anciens, m'ont montré, partout où je les aitraversées, des dépôts glaciaires et du drift. Les blocs erratiques que j'ai vus sur la dolomie, et le grès rouge, provenaient sans doute des granits rouges à gros cristaux d’orthose qui se sont fait jour à travers les schistes dans l’intérieur et au sud de l'Écosse. Je n'ai malheureusement pas pu visiter le district des lacs où, d’après les recherches d’Agassiz et de Buckland, le terrain erratique se trouve développé sur une grande échelle, et où les géologues anglais ont trouvé, depuis, des moraines placées sur les dépôts marins récents, ce qui prouverait qu'après l'immersion de l'Angleterre pendant l’époque glaciaire, les glaciers ont continué à subsister sur le sommet des montagnes non recou- verts par la mer, et qu'ils ont repris leur ancienne extension après que celle-ci se fut retirée. IL résulterait de là, comme on l'avait supposé par d’autres considérations, que l’époque glaciaire a eu une durée fort longue. Arrivé à Glasgow, ma première course eut pour but d'examiner les basaltes qui se trouvent à proximité de la ville et qui offrent beaucoup d'intérêt par la diversité de leur aspect extérieur et par leur composition minéralogique. J’ai de la peine à voir dans cette roche un véritable basalte, le péridot y manquant tout à fait, et le pyroxène étant remplacé, du moins en partie, par de l’amphibole. Je serais tenté de la prendre pour un mélaphyre analogue à celui de la vallée de la Nahe près d'Oberstein, où il traverse aussi le terrain houïller comme à Glasgow. Une petite mousse, qui manque complétement à la flore continentale, le Glyphomitrium Daviesü, se trouve sur les blocs épars au pied d’un grand massif de ce basalte. Les journées du 8 et du 9 juillet furent employées à visiter la grande vallée du Loch-Lomond et à faire l'ascension du Ben-Voir- lich et du Ben-More. La base de la première de ces deux monta- gnes est formée par une roche quarizeuse métamorphique, qui parait appartenir au système perméen; la partie supérieure, com- posée de micaschiste riche en quartz, est évidemment le résultat de la transformation du schiste silurien inférieur, qui domine dans le pays. Les versants fortement accidentés et très-humides du Ben- Voirlich offrent une végétation assez riche, et j'eus le plaisir d’y cueillir plusieurs mousses que je n'avais pas encore vues à l’état vivant. — 158 — La vallée supérieure de Loch-Lomond est traversée par une grande quantité de moraines frontales, qui indiquent les station- nements successifs de l'immense glacier de cette vallée pendant sa marche rétrograde. La puissance de quelques-unes d’entre elles et leur grand nombre, il y en a plus de cent, indiquent clairement que cette marche de recul doit avoir été très-lente, -ou plutôt qu'après des séries de fontes considérables, le glacier doit avoir eu des temps d'arrêt de longue durée. Cetie prodigieuse masse de glace descendue du Ben-Voirlich, du Ben-Lomond et des autres montagnes qui encaissent la vallée, s'étendait, lors de son plus grand développement, jusqu’à l’em- bouchure de la Clyde. Le Ben-More, que j'ai visité le 9 juillet, offre la même constitu- tion géologique que le Ben-Voirlich ; sa végétation, au contraire, est très-différente, et cela parce qu'il est moins accidenté et moins humide. J’y ai remarqué un singulier mélange de mousses de la région alpine et de la région montane; même des espèces qui sur le continent ne s'élèvent guère au-dessus de la région campestre se trouvent associées là à des espèces propres aux hautes Alpes. Le sommet de la montagne, qui s'élève à 3,560, altitude correspon- dant à 5000 dans nos Alpes, est tout entier recouvert du Rhaco- mitrium lanuginosum et du Dicranum congestum, deux plantes qui ne montent ordinairement pas au-dessus de la région montane; d'un autre côté, j'ai rencontré très-abondamment, à une hauteur de 3500 pieds anglais, le Conostomum boreale fructifié, qu’en Suisse je n'avais jamais vu au-dessous de 6000 à 7000 pieds; il en est de même pour le Dicranum falcatum. J'ai observé cette même irrégularité dans la distribution des plantes suivant les altitudes sur toutes les montagnes que j'ai visitées dans la Grande- Bretagne, et je croïis devoir lattribuer à linfluence du climat insulaire. | Comme il m'importait beaucoup de faire connaissance avec le phénomène erratique de la vallée du Tay dans le Pertshire, je pris, le 10, le chemin de Küillin, qui conduit au pied du Ben- Lawers, montagne la plus élevée de l'Écosse après le Ben-Nevis dans les Grampians, et dont je voulais apprendre à connaître la flore en même temps que la structure géologique. Le glacier de la vallée supérieure du Tay était formé par un grand nombre de glaciers secondaires provenant du Glen-Lyon, — 159 — qui sont venus se réunir au grand glacier du Ben-Lawers vers le milieu du bassin occupé actuellement par le Loch-Tay. C'est là, en effet, quon trouve d'énormes moraines, distinguées de celles qui sont en amont de cette partie de la vallée, par la pré- sence de matériaux provenant du Ben-Lawers. Le Loch-Tay lui- même doit son existence à un barrage glaciaire, qui limite son extrémité inférieure. Ce barrage cependant n’a été déposé que lors du retrait du glacier, car à l'époque de sa plus grande extension il se jetait dans la mer du Nord, à l'embouchure du Tay, qui au- jourd’'hui forme un véritable fjord. Un embranchement parait s'être détaché de ce grand glacier, pour se diriger vers le sud, en passant entre et même par-dessus les montagnes de Breadalbane ; c'est du moins ce que paraissent indiquer la direction des stries et la composition des moraines. Sous le rapport botanique, le Ben-Lawers offre moins d'intérêt qu'il n'en promet de loin. J'ai cependant pu y observer diverses plantes que je n’avais pas encore vues jusqu'alors. Dans la région des forêts, à Lochay-Bridge, où j'avais établi mon quartier gé- néral, j'ai rencontré sur les troncs des érables une mousse nou- velle pour l'Angleterre, le Habrodon Notarisiüi, dont on ne con- naissait encore que deux localités, l’une aux environs de Gênes, et l’autre sur l’isola Madre, dans le lac Majeur. La partie supé- rieure à une végétation très-pauvre et semblable à celle du Ben- More. À une altitude de 2000 pieds anglais, j'ai cueilli le Disso- don splachnoides, qui en Suisse et au Tyrol ne se voit jamais dans une station inférieure à la région alpine commençant à 2000 mètres. J'ai cherché en vain le beau Splachnum vasculosum, mousse norwégienne, que les botanistes anglais indiquent sur cette montagne. Le 14 juillet, j'ai visité les vallées de Glen-Ogle et de Balgu- hidder, où j'ai vu, dans le Loch-Voil, un petit lac, qui, à en juger par ses bords et son lit rabotés, pourrait bien avoir été creusé par un glacier provenant du Ben-Chroan. Le 15 juillet, je suis rentré à Glasgow, où j'ai passé une journée pour voir le célèbre muséum de Hunter, qui appartient maintenant à l'Université , etétudier les végétaux fossiles de l'Écosse, réunis dans ce riche musée. Une grande collection d’entomos- tracés, presque microscopiques, des schistes houillers de l'Écosse, préparés par le professeur Rogers, m'a vivement intéressé. Ces — 160 — petits cruslacés sont peu connus jusqu à présent; J'espère les trou- ver aussi dans nos terrains houillers, maintenant que je sais com- ment il faut procéder pour les découvrir et pour les isoler. Le 17 juillet, j'ai fait une course rapide dans l'Ayrshire pour collecter près de Daïlly plusieurs espèces de mousses propres à cette localité, telles que l’Orthotrichum Sprucei, le Myrinia pulvi- nala, le Brium obconicum, le Breutelia arcuata fructifié, l'Ortho- trichum Shaw, qui n’a encore été trouvé que sur un seul tronc. d'arbre, près du Kelkerron-Castle. Un rideau de montagnes, for- mées d’un conglomérat quartzeux bréchiforme, est recouvert de détritus erratiques, dans lesquels on peut trouver des échantillons de roches de toutes les montagnes de l'Écosse et surtout de la presqu'ile d’Arran. | Le résultat du voyage en Ecosse, que je viens de décrire som- mairement, a été satisfaisant sous tous les rapports. Les nom- breuses observations sur le phénomène erratique que j'ai pu faire dans les diverses parties que j'ai visitées suffisent pour comprendre l’ensemble de ce grand phénomène dans tout le reste de ce com- plexe de montagnes, et pour établir ses rapports avec les forma- tions glaciaires de l’Europe en général. La physionomie bryolo- gique du pays diffère autant de celle des Alpes de la Scandinavie que de celle de la grande chaîne alpine du centre de l'Europe. Dans son ensemble, sa flore montre une grande ressemblance avec celle du pays de Galles, mais elle offre aussi des formes inté- ressantes qui lui sont propres. Les altitudes végétales sont beau- coup moins tranchées que dans l’Europe moyenne et méridionale. La région alpine, comparée à celle de la Suisse et des Pyrénées, montre une dépression d'environ 500 mètres; comparée à celle de la Norwége, elle est plus élevée de 400 mètres. Mais certaines espèces, qu'on ne devrait rencontrer en Écosse qu’à une altitude de 1300 mètres, se trouvent déjà à celle de 1000 mètres; d’autres, dont la limite supérieure devrait être à 4oo à 500 mètres, mon- tent jusqu’à 800 et1000 mètres. Cette irrégularité dans la distri- bution des plantes suivant les altitudes prouve évidemment que la végétation se trouve influencée par l’antagonisme d’un climat naturel et d’un climat pour ainsi dire artificiel; le premier est celui qui appartient à la latitude et l’autre résulte de la nature insulaire du pays, modifiée encore par l'influence du courant mexicain, qui se fait sentir d’une manière incontestable sur toute la surface des — .IG1l — es-Britanniques. Cette dernière influence est surtout remarquable du côté S. et S. O. de la chaîne écossaise, où elle produit dans la station naturelle des plantes les mêmes anomalies que sur les versants méridional et occidental de la chaîne scandinave. Certains types se rencontrent sous une latitude à laquelle ils sont étrangers et s'élèvent même à des altitudes d'où l’ensemble de la physio- nomie végétale les exclut tout à fait. Des formes méridionales sont mélangées aux formes septentrionales; des espèces champêtres viennent se mettre à côté d'espèces alpines. La géographie botanique est malheureusement encore dans l'enfance, surtout pour la partie qui comprend les végétaux dits inférieurs ; cependant ils forment, pour ainsi dire, le fond de la physionomie végétale d'une contrée, et cela d'autant plus qu'on avance vers le nord, où la végétation cryptogame l'emporte de beaucoup sur la végétation phanérogame. Rien encore n'a été fait dans ce sens que ce que j'ai essayé dans mon Mappa bryogeogra- phica, où les Iles-Britanniques ne figurent pas. J'ai donné des instructions à plusieurs jeunes botanistes écossais qui m'ont accom- pagné-dans mes courses, afin d’avoir plus de détails encore sur le mode de dispersion des plantes dans ce curieux pays. Ces instruc- tions portent déjà leurs fruits, car, depuis mon retour ici, j'ai reçu de nombreux et précieux renseignements sur cette question, de sorte que dans la nouvelle édition de mon Synopsis muscorum europæorum, que je prépare en ce moment, je pourrai traiter de la géographie bryologique de l'Écosse en connaissance de cause. Arrivé, dans la matinée du 19 juillet, à Londres, je me suis rendu immédiatement au jardin botanique de Kew, dont le direc- teur, sir William Hooker, m'a communiqué avec la plus grande libéralité un grand nombre d'espèces nouvelles de mousses qui me permettront de rendre mon Systema universale muscorum beaucoup plus complet que cela n'eût été possible avec les maté- riaux que je possédais. Le docteur Hooker m'a confié, pour mon ouvrage sur les végétaux fossiles, ses nombreuses et précieuses préparations microscopiques de fruits et de bois silicifñiés, et dont quelques-unes sont les types originaux qui lui ont servi pour ses propres hs. ces it _Le 22 joiet, j'ai quitté cette terre Ro de l'Angleterre, ù partout j'avais reçu l'accueil le plus cordial, où les secours les plus efficaces m'ont fait atteindre le plus rapidement et le plus MI1SS. SCIENT. —— III. 11 — 162 — complétement possible le but de mon voyage, et où j'ai pu réunir, en moins de deux mois, un nombre considérable d'observations qui me seront tout aussi utiles pour mes leçons que pour mes pu- blications scientifiques. Dès le 24 juillet, je prenais part aux exa- mens pour le baccalauréat ès-sciences, qui m'ont retenu à Stras- bourg jusque vers le 15 août, époque à laquelle je partis pour la Suisse afin de réunir dans les musées de Genève, de Berne, de Zurich et de Bâle, certains matériaux nécessaires à la publica- tion de ma Paléontologie végétale. À Genève, j'ai trouvé la collec- tion la plus complète des végétaux fossiles du terrain houiller de la haute Savoie, si longtemps révoqué en doute; à Berne, les types des algues fossiles du Flysch, qui ont servi à la publication de M. Fischer-Ooster; à Zurich, la plus riche collection de végé- taux fossiles tertiaires qui existe dans le monde et qui a reçu une importance sans égale par les magnifiques publications du pro- fesseur Heer; à Bâle enfin, j'ai pu faire, dans la collection de l'Université, un choix d'échantillons de plantes keupériennes, qui doivent être représentés dans mon ouvrage. Je n'ai pu consacrer que vingt jours à mon voyage en Alle- magne, du 1% au 20 octobre; ce temps a été partagé entre le pays de Saarbrück et la Franconie. J'ai dû passer huit jours à Saarbrück même pour étudier à fond les riches collections de plantes houillères du professeur Goldenberg et de l'École des mines. Tous les échantillons dont j'aurai besoin me seront com- muniqués, plusieurs d’entre eux jetteront une nouvelle lumière sur certaines parties de la paléontologie végétale de l’époque houil- lère. De Saarbrück, je me suis rendu à Neunkirchen, Birkenfeld -et Oberstein dans la vallée de la Nahe, pour comparer l’ensemble du terrain houiïller, des terrains de transition plus anciens et des masses éruptives (trapps, mélaphyres, porphyres), avec les terrains analogues que je venais de voir en Angleterre, et j'ai été frappé de la ressemblance. En Franconie, j'ai surtout étudié le bassin triasique de Würz- bourg, si riche en beaux végétaux fossiles et où l’on peut mieux suivre que partout ailleurs la relation qui existe entre les trois membres du trias et de ce système lui-même avec les dépôts infé- « rieurs de la grande série jurassique. J'ai pu collecter et acquérir sur les lieux une magnifique collection d'empreintes du grès bi- garré et des marnes keupériennes, dont je transmettrai une partie à — 163 — au Muséum du Jardin des Plantes, à Paris. Forcé d’être de retour à Strasbourg, le 20 octobre, pour les examens ; je n'ai pu étendre ce voyage autant que j'aurais voulu. Je le reprendrai aux vacances de Pàques. Agréez, Monsieur le Ministre, l'hommage de mes sentiments respectueux. | , SCHIMPER. HS AIT LE CURE AS | RAPPORT LES PHÉNOMÈNES CHIMIQUES DE L'ÉRUPTION DE L'ETNA EN 1865, PAR M. F. FOUQUÉ. Paris, 30 janvier 1866. Monsieur.le Ministre, J'ai exposé, dans un rapport que j'ai eu l'honneur de vous adresser précédemment !, l’histoire complète de l’éruption dont l'Etna a été le siége au commencement de l’année 1865. Je ne reviendrai pas sur la description des effets mécaniques dont j'ai été témoin pendant près de quatre mois. Cependant, avant d'en- trer dans l'étude des phénomènes chimiques dont je veux plus spécialement m'occuper, je dois rappeler ici en quelques mots les principaux phénomènes physiques qui se sont produits pendant le cours de léruption. Après plusieurs secousses de tremblement de terre, le sol s’est fendu, dans la soirée du 30 janvier, sur une longueur considé- rable du côté nord-est de l’Etna. La fissure ainsi produite était dirigée à peu près vers le sommet de l’Etna et représentait par conséquent une fêlure de la montagne, dont la cheminée centrale aurait été le point de départ souterrain. La disposition de cette déchirure du sol, restée béante à sa partie supérieure, vérifie d’une manière éclatante les remarques de Mario Gemellaro, développées et généralisées par M. Élie de Beaumont à l'occasion de l’érup- tion de 1832. , Les projections, concentrées bientôt à la partie inférieure de la fissure et chassées d’un seul côté par le vent dominant, ont à Moy. t, IF, 2° série, p. 397. M1SS. SCIENT. 111, V2 — 166 — formé, à l’est de l’ouverture, un rempart irrégulier, qui s’est com- plété plus tard du côté opposé, en formant une enceinte ellip- tique dans laquelle sept points principaux de la fissure donnaient lieu à d’effroyables détonations. L'intérieur de cette enceinte s’est ensuite subdivisé lui-même par l'accumulation des matières pro- jetées retombant dans l'intervalle des points où s’observaient les explosions, et nous avons vu de la sorte sept cratères se former dans une même direction. Dans les premiers temps, ces sept bouches détonaient toutes avec vivacité; plus tard elles se sont successivement affaiblies dans un ordre régulier, et quand j'ai quitté l’'Etna, une seule, celle dont le niveau était le moins élevé, présentait encore une activité notable. Tout s’est donc passé sui- vant des lois fixes et bien déterminées. Les courants de lave vomis par la fissure sont descendus rapi- dement sur les pentes de la montagne; ils ont atteint une lon- oueur d'environ 7 à 8 kilomètres avec une largeur variable dépassant quelquefois 2 à 3 kilomètres. Des arbres ensevelis dans ces torrents de matière incandescente ont été épargnés en certains endroits, grâce au développement d’une mince couche de vapeur d'eau qui les a isolés, et surtout grâce à la solidifica- tion d’un étui de lave qui, souvent, s’est moulé avec une exacti- tude parfaite sur leur écorce. J'ai signalé, dans une note insérée dans le Bulletin de la Société géologique, l'importance de ce fait, pour expliquer comment certaines roches, très-altérables, ont pu souvent se trouver en contact avec des roches ignées sans éprou- ver aucune modification notable, Enfin une formation particulière des courants secondaires de lave, à laquelle j'ai donné le nom de formation par éclusage, per- met peut-être de rendre compte de la disposition en escalier que présentent souvent les laves anciennes lorsqu'elles ont coulé sur des pentes fortement inclinées. Je ne dirai rien de plus sur les phénomènes physiques et méca- niques de l’éruption de 1865, les réactions chimiques qui s’y sont accomplies devant ici appeler exclusivement mon attention. La connaissance de ces réactions est de la plus haute importance pour l'établissement d’une théorie des volcans. Les produits d’une éruption sont de deux sortes : d’une part, se trouve la lave épanchée sous forme de courants liquides ou pro- : jetée dans les airs en masses plus ou moins volumineuses sous — 107 — forme de cendres, de lapilli ou de blocs dont la grosseur varie et peut atteindre le volume de plusieurs mètres cubes; d'autre part, se trouvent une foule de produits volatils extrêmement variés. Ce sont ces produits dont Gay-Lussac demandait qu’on recherchàt la nature, en disant que cette étude, faite sur les vapeurs de plu- sieurs volcans, pérmettrait de déceler la cause de leur activité, qu'elle donnerait en un mot la clef des phénomènes volcaniques. Aujourd'hui le désir exprimé par Gay-Lussac se trouve en partie rempli : Gay-Lussac lui-même, sir Humphry Davy, Daubeny ont commencé à porter la lumière dans ces difficiles questions. M. Boussingault a, le premier, appliqué d’une façon suivie les ressources de la chimie à l'analyse des gaz dégagés dans les vol- cans, et ses travaux nous donnent une idée parfaitement exacte de l’état d'activité des volcans des Andes à l'époque où il les a vi- sités. Il a ouvert une voie féconde dans laquelle il a été suivi par l’un des plus illustres chimistes de l'Allemagne, M. Bunsen, dont le travail sur l’éruption de l'Hékla en 1844 restera à jamais comme un modèle de l'application de la chimie à la géologie. Cependant M. Boussingault et M. Bunsen, n'ayant pu assister au début d’une éruption, se sont principalement occupés de l’exa- men des évents volcaniques considérés dans une phase décrois- sante de leur activité. Or M. Ch. Sainte-Claire Deville est venu montrer que les produits volatils dégagés dans un même volcan étaient loin d'être constants. Quand une éruption commence, la température des bouches est très-élevée; on observe surtout cer- taines sublimations caractérisées par des matières salines peu vo- latiles; quand la température s’abaisse, on trouve d’ autres dépôts; quand elle s’abaisse encore, les dépôts varient de nouveau, et ainsi de suite. Les variations dans la température sont toujours accompagnées d’un changement dans la nature des produits su- blimés. D'autre part, des circonstances fortuites avaient empêché M. Ch. Sainte-Claire Deville de pouvoir étudier comme il l'aurait voulu les substances volatilisées à une très-haute température. C’est surtout cette lacune que j'ai voulu remplir. Les résultats auxquels j'arrive me permettent d'apporter des raisons nouvelles à l'appui d’une théorie des volcans émise il y a bien longtemps déjà , mais délaissée généralement faute de preuves suflisantes pour la soutenir. Les observations que j ‘ai faites sur place à l'Etna, au Vésuve et aux îles Éoliennes, ainsi que les expériences analv- 12 — 168 — tiques et synthétiques que J'ai réalisées depuis dans le laboratoire de géologie du Collége de France, s'accordant parfaitement avec cette théorie, lui donnent une solidité dont elle était dépourvue. Néanmoins, j'avoue qu'elle n’acquerra une valeur définitive que lorsque de nouveaux faits seront encore venus s'ajouter à ceux que je vais signaler. | Les phénomènes chimiques que lon observe dans les volcans sont extrêmement variés. Sans parler de la lave, dont la composi- tion est assez complexe, on trouve parmi les produits des érup- tions une foule de substances aussi diverses par leur nature que par leur volatilité, Toutes ces matières sortent, comme la lave, par les ouvertures des cratères. Celles qui sont peu volatiles, comme par exemple cer- tains sels de potasse et de soude, se déposent presque immédiate- ment sur les blocs pierreux qui forment le pourtour des bouches du volcan; d’autres peuvent rester à l’état de vapeur à des tempé- ratures beaucoup plus basses, et ne se condensent ordinairement que plus loin sur les flancs des cônes volcaniques : tels sont par exemple le perchlorure de fer et le chlorhydrate d’'ammoniaque. Enfin d’autres substances, qui sont gazeuses, comme l'acide chlor- hydrique, l'acide sulfureux, l'acide carbonique, ou très-volatiles comme l'eau, vont se perdre dans l'atmosphère. Toutes ces matières se dégagent simultanément, mais dans des proportions très-variables, suivant le temps plus ou moins consi- dérable écoulé depuis l’origine du mouvement éruptif. Il serait très-intéressant de pouvoir déterminer d’une façon précise et di- recte la manière dont s'effectue cette variation: mais, pour cela, il faudrait pouvoir s'approcher du bord des cratères à toutes les époques de l’éruption; or, dans les premiers temps, les blocs de lave incandescente projetés de tous côtés sont si abondants, qu’en essayant d'approcher des bouches on serait infailliblement écrasé par ces masses brülantes, dont le volume est souvent de plusieurs mètres cubes, et qui retombent avec une effroyable vitesse après s'être élevées dans les airs à des hauteurs de 1,500 à 1,800 mètres. Pour pouvoir braver ces terribles projectiles, il fau- drait des dispositions spéciales, semblables à celles que l’on em- ploie dans les places fortes pour se garantir de la chute des bombes. N'ayant rien de tel à ma disposition, j'ai dû essayer de tourner la difficulté. ce 468 == 11 se présente heureusement un moyen qui permet de suivre et d'étudier sans danger toute la série des phénomènes. Le fait sur lequel repose ce procédé détourné d'observation est le suivant : Les matières volatiles fournies par les cratères arrivent des en- trailles de la terre en traversant une masse de lave en fusion; or cette lave fondue est loin de jouir d’une liquidité parfaite; sa vis- cosité est toujours considérable, même quand sa température est excessivement élevée; c’est pourquoi les gaz et les vapeurs qui s’en échappent ne sont exhalés qu'avec difficulté, sous la forme de grosses bulles qui viennent péniblement crever à la surface du bain. II résulte de là qu’au moment où la lave jaillit au dehors el s'épanche sur les flancs de la montagne sous la forme d’un cou- rant de feu, elle contient encore dans son sein une grande partie des matières volatiles qu’elle est susceptible de dégager, et qui se dégagent en effet au fur et à mesure que le courant incandescent s'éloigne de son point d'émergence. Mais, en même temps que les coulées de lave descendent en suivant les pentes du terrain, elles subissent un abaissement graduel de température et se solidifient à la surface. La croûte formée se brise bientôt en fragments irréguliers, qui sont charriés par le courant comme ces plaques de glace que transportent les fleuves au commencement et à la fin des fortes gelées. Plus loin les blocs se multiplient; ils devien- nent même si abondants qu'ils recouvrent de toutes parts la ma- tière en fusion et la dérobent complétement aux regards. Les masses incohérentes ainsi formées, se déposant progressivement sur les bords ou à l'extrémité terminale des coulées, ÿY constituent des moraines comparables à celles des glaciers. La température de ces amas, très-élevée au début, ne s’abaisse qu'avec une extrême lenteur; il n’est donc pas étonnant de voir s’y continuer longtemps toute une série de réactions chimiques, qui, pour se produire, on! besoin du concours d’une chaleur passablement intense. Ces réactions sont loin de se produire uniformément sur toute ‘étendue des coulées; elles changent de caractères à mesure que celles ci sont plus étendues. Même quand la lave est encore entie:- rement liquide, certains points des courants donnent seulement quelques légères fumées diaphanes, tandis que d’autres sont cou- verts d’un nuage épais qu'on aperçoit d’une grande distance. Ici, la matière en fusion s’agite et bouillonne tumultueusement; là, elle présente une surface tranquille qui semble être le siége exclu- — 170 — sif des phénomènes de volatilisation. Dans la partie plus refroi- die, les centres d'action chimique sont encore plus localisés. Les gaz et les vapeurs ne se dégagent plus en quantité notable que dans certains points limités, distribués çà et là sur le trajet des coulées et principalement sur les revers extérieurs des moraines latérales. Ces sortes de foyers donnent ordinairement naissance à d’épaisses fumées blanches; c’est pourquoi on leur a donné le nom de fumerolles. Le plus souvent leurs orifices sont allongés; cependant quelquefois ils affectent une forme arrondie. Tout alentour les blocs de lave sont revêtus d’un dépôt cristallin bril- lamment coloré, formé par la condensation des matières volatili- sées. Tantôt la chaleur y est assez intense pour qu'on y puisse fondre le cuivre et l'argent; d’autres fois on n’y peut plus faire entrer en fusion que le zinc ou même que le plomb ou létain; enfin, dans certains cas, la température observée atteint à peine 30 ou 4o degrés. Les produits des fumerolles ne sont pas moins variés que leur degré de chaleur. Les plus chaudes déposent principalement du chlorure de sodium; celles qui viennent après dans l'ordre des températures décroissantes abandonnent du chlorure de fer et du chlorhydrate d'ammoniaque; enfin les dernières ne produisent plus que de la vapeur d’eau. Il existe ainsi une relation fixe entre la température des fume- rolles et la composition des matières qui s’y trouvent volatilisées. La découverte et l'établissement de ce fait important sont l'œuvre de M. Ch. Sainte-Claire Deville, et les observations que j'ai faites cette année à l'Etna ne font que confirmer l'exactitude de la loi qu'a posée cet éminent géologue. Avant la publication de ses travaux, on croyait généralement qu'aucun ordre régulier n’exis- tait dans la distribution des fumerolles, et que tout s’'échappait pêle-mèle du foyer volcanique. Il est le premier qui ait éclairé des lumières de la science une question d'importance majeure, restée obscure jusque-là. Voici en quels termes il expose sa dé- couverte dans sa troisième lettre à M. Élie de Beaumont, lettre relative à l'éruption du Vésuve du 1° mai 1855 : «On a deux moyens de mesurer d’une manière générale l’in- tensité des forces volcaniques en un point donné, savoir : la tem- pérature des fumerolles et la nature de leurs éléments, qui, rangés dans l'ordre suivant, paraissent (au moins pour le Vésuve et dans — 171 — l'éruption actuelle) correspondre à des tensions volcaniques de moins en moins grandes : «1° Chlorures alcalins, un peu d'acide sulfurique et sulfates, fumerolles anhydres ; «2° Acides chlorhydrique et sulfureux, accompagnés de vapeur d’eau; « 3° Vapeur d’eau, avec de très-petites quantités d'acide sulfhy- drique ou de soufre natif (et quelquefois chlorhydrate d'ammo- niaque prédominant) !; « 4° Enfin vapeur d'eau pure. » Malgré la netteté des faits observés par le savant académicien pendant la durée de l’éruption de 1855, on voit, d'après ses ex- pressions mêmes, avec quelle prudente timidité il avait posé la loi qui préside à la constitution des fumerolles. Aussi, désireux de constater si les éruptions suivantes confirmeraient sa manière de voir et si les émanations volcaniques suivraient la même loi, s'empressa-t-il de retourner au Vésuve pour assister à la nouvelle éruption de 1861. J’eus l'honneur de l'accompagner dans cette excursion, et je dois dire tout d’abord que les faits parlaient d’eux- mêmes et que la relation signalée par M. Ch. Sainte-Claire De- ville entre la température et la composition des fumerolles en 1855 était encore exactement la même en 1861. Malheureusement pour l'étude projetée, la quantité de lave fournie par l’éruption de cette dernière année avait été peu considérable; l'écoulement de la ma- tière en fusion n'avait duré que sept heures; de plus on était alors au cœur de l'hiver, si bien que le refroidissement de la lave s'était rapidement opéré, et que, treize jours après le début de l’éruption, au moment où M. Ch. Sainte-Claire a pu faire ses premières ob- servations, les fumerolles à haute température n’existaient déjà plus. Les émanations les plus chaudes que l’on rencontrait sur le trajet de la lave fondaient tout au plus le zinc; il n’y avait plus que des traces d'incandescence. Ainsi les fumerolles de la première catégorie, c’est-à-dire celles qui fournissent du chlorure de sodium et auxquelles M. Deville a donné le nom de fumerolles sèches, manquaient entièrement. Elles avaient existé quelques jours auparavant, il n'y avait pas à 1 J'ajoute à dessein entre parenthèse ces derniers mots, parce qu'on les trouve inscrits une page plus loin dans la même lettre de M. Ch. Sainte-Claire Deville. Hs complètent donc ici son idéc. * — 172 — eu douter, car de nombreux dépôts de chlorure de sodium, distri- bués çà et là, rendaient le fait indubitable; mais enfin il ne s’en produisait plus au moment de notre arrivée. Nous ne pouvions donc faire aucune observation certaine sur le mode de production de cette catégorie d’émanations. Cependant mon illustre maître, avec l'instinct précieux qui le guide dans l'examen des phéno- mènes géologiques, avait senti l’importance de l'étude de ces fu- merolles et soupçonnait que leur observation attentive donnerait la clef des phénomènes éruptifs. La persévérance et le soin avec lesquels il les avait étudiés en 1855, l'insistance avec laquelle il revient dans ses différentes lettres sur leurs caractères distinctifs, enfin une note publiée à la huitième page de sa douzième lettre à M. Élie de Beaumont, montrent assez l'importance qu'il attribuait à cette étude et expliquent le regret qu'il éprouva, en 1861, en voyant que nous arrivions trop tard sur le lieu de l’éruption. Nous dûmes done nous résigner à l'examen exclusif des trois derniers ordres de fumerolles. De ce côté, nous étions singulière- ment favorisés; ces émanations étaient nombreuses et leurs carac- tères nettement tranchés. | Je résuimerai ici succinctement les principaux résultats aux- quels M. Ch. Saint-Claire Deville s’est trouvé conduit par ses ob- servations, et qu’il a exposés en détail dans ses lettres à M. Élie -de Beaumont au moment de son excursion au Vésuve en 1861, et dans son important mémoire à la Société géologique !. Les fumerolles acides sont toujours très-chargées de vapeur d’eau. Elles rougissent le papier de tournesol d’une façon éner- gique. Elles contiennent de l'acide chlorhydrique et de lacide sulfureux et donnent un dépôt brillamment coloré de perthlorure de fer, qui, au contact de l'air et de l'humidité, se transforme fa- cilement en oxyde. L’acide chlorhydrique est toujours prédomi- nant par rapport à l'acide sulfureux, et quelquefois même on le rencontre seul. Enfin, quand il se fait des dépôts de soufre autour des orifices d’une fumerolle de ce genre, cette substance se trouve sous la forme de petits amas mamelonnés, ayant subi une fusion plus ou moins complète. La température de ces fumerolles peut être‘suflisante pour correspondre à la fusion du zinc, et souvent elle est supérieure à 4oo degrés. ! Bulletin de la Société géologique de France, 2° série, t XHE et XIV. — 175 — Les fumerolles d'ordre inférieur sont alcalines ou au moins très-faiblement acides; elles ne contiennent plus de chlorure de fer, mais, en revanche, le chlorhydrate d’'ammoniaque y est extré- mement abondant. Quand elles dégagent de l'acide sulfhydrique (ce qui n'a Jamais lieu qu’en très-faible proportion), une partie de ce gaz se décompose en présence de l'air et donne un dépôt de soufre en petits cristaux octaédriques emboités sous forme de files linéaires. La température de ces fumerolles peut s'élever jusqu'à 4oo ou 500 degrés; mais, dans le cas où l’on y rencontre du sou- fre, elle ne dépasse guère 100 degrés. Enfin les fumerolles à basse température ne renferment que de la vapeur d’eau pure. Tel est le résumé rapide des observations faites par M. Ch. Sainte-Claire Deville sur les fumerolles de la lave. Les émanations des cratères et de la fissure si remarquable de cette éruption Jui ont fourni des résultats parfaitement concor- dants avec les précédents. En effet, toutes ces émanations se sont rattachées sans difficulté à l’une des trois catégories ci-dessus in- diquées. Les fumerolles acides, abondantes dans l’intérieur même des cratères, ne différaient en rien de celle qu'on observe sur la lave. Celles de l’ordre suivant se sont rencontrées sur la crête ou sur le revers des cônes, dans la période décroissante de l’éruption. Elles différaient de celles de la lave par leur défaut d’alcalinité. Enfin les fumerolles à vapeur d’eau, abondantes dans les parties extrêmes de le fissure, étaient beaucoup plus importantes que celles de même ordre siégeant sur la lave, car elles donnaient lieu à des émanations d'acide carbonique et de gaz combustible, qui ont fait de ls petite éruption de 1861 l’une des manifestations volcaniques les plus remarquables qui se soient produites depuis longtemps. M. Ch. Sainte-Claire Deville termine sa dernière lettre par les conclusions suivantes : « Ainsi, bien qu'il existe entre les émanations de la lave et celles de la fissure une différence en apparence fondamentale, à savoir que les premières tirent nécessairement leurs éléments de la lave elle-même et ne peuvent, comme les autres, se renouveler au loyer intérieur, les transformations qu’elles éprouvent suivent de part et d'autre le même ordre de succession; cet ordre est bien celui que J'avais observé dès mes premiers travaux sur Péruption — 174 — de 1855, et mes nouvelles recherches n’ont fait qu’en établir plus clairement la réalité et en élargir même les applications. » On peut voir, d’après cela, quel était l’état de la question à la suite des travaux de M. Ch. Sainte-Claire Deville. Ce savant avait montré d'une façon évidente qu'il y avait de l’ordre et de la régu- larité dans les phénomènes volcaniques les plus complexes en ap- parence, et, de plus, il avait tracé d’une main sûre les grandes divisions à établir dans ces phénomènes. Il avait donc débrouillé le chaos et montré qu'il se passait dans les volcans une série de réactions chimiques comparables à celles des laboratoires. __ Cependant il y avait toujours lieu de se demander si les mani- festations volcaniques observées au Vésuve n'étaient pas propres à ce centre éruptif, et si l’on n'observerait pas aïlleurs des phéno- mènes entièrement différents. En d’autres termes, la loi posée était-elle une loi générale, et cette classification, si rigoureusement tracée, tenait-elle compte de toutes les réactions si diverses qui se produisent dans les centres volcaniques? Enfin, il faut avouer qu'en la regardant comme parfaitement exacte dans tous ses dé- tails, il était impossible de trouver une théorie qui rendit compte d’une façon satisfaisante d’une telle succession dans les phénomènes. L'éruption grandiose dont l'Etna a été le siége cette année of- frait une excellente occasion de revenir sur ces problèmes délicats. L'énorme quantité de lave fournie par les nouveaux cratères, l'épaisseur considérable des coulées, la continuité de léruption, permettaient d'étudier à loisir toutes les variétés de fumerolles, y compris les fumerolles à haute température, dont l'étude, pleine d'intérêt, n'avait pu jusqu'alors être faite complétement. Sur la recommandation de M. Ch. Sainte-Claire Deville, je fus chargé, par Votre Excellence, Monsieur le Ministre, de cette im- portante mission. Mon excellent maïtre me confia ses instruments de travail, qu’une longue expérience lui avait appris à modifier et à perfectionner. Enfin je partis le 18 février, après avoir reçu ses avis et ses dernières recommandations. | J'ai séjourné à deux reprises dans le voisinage des cratères nou- veaux, la première fois, du 20 fevrier au 10 mars, la seconde fois, du 15 avril au 20 mai. Pendant mon premier séjour, l’érup- tion était en pleine activité, il était impossible d'approcher des cratères à moins de 200 mètres. Je me suis donc borné d’abord à étudier les fumerolles de la lave. Celles-ci étaient extrème- — 175 — ment nombreuses, et l'on y reconnaissait immédiatement les quatre variétés de fumerolles indiquées par M. Ch. Sainte-Claire Deville. Je vais énoncer ici en peu de mots les observations qui m'ont été suggérées par chacune d'elles. Fumerolles sèches. Elles était très-nombreuses et se voyaient partout où il y avait de la lave incandescente. Les blocs pierreux du voisinage étaient recouverts presque uniformément d’un dépôt blanc entièrement soluble, neutre au papier à réactif, et composé à peu près exclu- sivement de chlorure de sodium. Cette matière, dissoute, ne don- nait en effet qu'un très-faible précipité par le chlorure de barium, et par conséquent ne contenait que de très-petites quantités de sulfate de soude. La vapeur d’eau n’entrait que dans des propor- tions le plus souvent insignifiantes dans ces émanations. La déno- mination de fumerolles sèches qui leur avait été appliquée semblait donc pleinement justifiée. Cependant, une fois, j'eus l'occasion d'observer un fait anomal qui aurait dù appeler mon attention. Près des cratères il venait de se former un nouveau courant de lave, qui s’avançait avec rapidité en roulant un flot de matière en fusion. Je m'attendais à n’y trouver que des fumerolles sèches; mais une expérience des plus simples me montra bientôt qu'au con- traire les fumées abondantes qui s'en dégageaient étaient extré- mement acides et riches en vapeur d’eau. J’attribuai ce cas sin- gulier à des circonstances toutes locales, et crus que la vapeur d’eau provenait de la décomposition des matières végétales ense- velies dans le bain de matière fondue. Je n’attachai donc aucune importance à ce fait, qui me paraissait exceptionnel. Cependant, j'aurais dû penser que les émanations d’un courant en mouve- ment et encore très-fluide devaient être plus importantes que celles de masses stationnaires et à peu près solidifiées, comme celles au milieu desquelles j'avais observé les fumerolles sèches. Mais cette remarque m'échappa, et, comme règle générale, j'ad- mis que toute fumerolle émanée de la lave incandescente était nécessairement une fumerolle sèche. Cette opinion était une er- reur, comme Je l'ai reconnu plus tard. Fumerolles acides. Celles-ci étaient aussi nombreuses et beaucoup mieux délimi- — 170 — tées que les précédentes. Situées en général sur la crête des mo- raines latérales, elles se faisaient remarquer par leur haute tem- pérature, presque toujours supérieure à celle de la fusion du zinc, mais inférieure à celle de la fusion du cuivre. Leurs orifices allongés donnaient issue à d’abondantes fumées formées principa- lement de vapeur d’eau et d'acide chlorhydrique. Tout autour se trouvaient de brillants dépôts de perchlorure de fer et de chlorhy- drate d’ammoniaque. À léruption de 1861 au Vésuve, tes fume- rolles acides déposaient presque exclusivement du chlorure de fer, du chlorure de cuivre et seulement des traces de chlorhy- drate d’ammoniaque, qui semblait bien plutôt appartenir aux fu- merolles de la troisième catégorie; ici, au contraire, le sel domi- nant était le chlorhydrate d'ammoniaque, et Jai vu certaines fumerolles fortement acides douées d’une température de 500 ou 6oo degrés, qui déposaient uniquement du chlorhydrate d’am- moniaque. Cependant ce dernier cas était rare, et presque tou- jours le chlorure de fer finissait par faire son apparition et teinter en jaune le dépôt blanc de chlorhydrate d’ammoniaque. J’ajouterai qu’en général la température des fumerolles acides paraissait d'autant plus élevée que le dépôt formé était plus riche en chlorure de fer, et, dans une même fumerolle, les points les plus chauds étaient aussi ceux qui déposaient cette substance en plus grande quantité. Le perchlorure de fer se trouvait par exemple sur les bords mêmes de l'orifice de la fumerolle, et le chlorhydrate d'ammoniaque le bordait à l'extérieur. Quant au soufre et à l’acide sulfureux, je n’en ai pas observé trace. La rareté de cet acide dans les fumerolles acides de la lave a déjà été signalée par M. Élie de Beaumont à l’éruption de lEtna de 1832, et par M. Ch. Sainte-Claire Deville aux éruptions du Vésuve de 1855 el de 1861. | Fumerolles alcalines. Ces fumerolles ont en général une température plus basse que les précédentes. £lles sont situées, d’une façon à peu près cons- tante, sur le revers extérieur des moraines latérales. Rares dans le voisinage des cratères et dans la première partie du trajet de la lave, elles deviennent très-nombreuses vers l'extrémité des cou- lées, et surtout dans les points où le terrain ne présente qu’une faible pente. Leurs orifices sont étroits, ils ont l'apparence de pe- — 177 — tits trous circulaires. Ces fumerolles elles-mêmes ont une forme générale arrondie. Leur dépôt est blanc. Quelquefois cependant il présente une légère nuance jaunatre due à la présence de ma- tières organiques volatilisées. Il est constitué presque entièrement par du chlorhydrate d’ammoniaque, et souvent on n’y trouve rien autre chose, si ce n'est une quantité extrêmement petite de sul- fate de la même base. Ce dépôt est neutre au papier à réactif ou égèrement alcalin, et les fumées qui le produisent bleuissent presque toujours énergiquement la teinture de tournesol. Cette alcalinité des fumées est due à deux causes; la première consiste dans la dissociation du chlorhydrate d’ammoniaque, laquelle s’o- père au moment de la volatilisation du sel; alors l’ammoniaque et l'acide chlorhydrique se trouvent simultanément mis en liberté, et l’'ammoniaque, agissant plus fortement que l'acide chlorhy- drique sur le papier à réactif, celui-ci se trouve bleui. Ainsi l'existence du chlorhydrate d’ammoniaque seul, dans les émana- tions d’une fumerolle, suffirait pour en expliquer la réaction alca- line. Mais il existe une autre cause plus efficace encore de cette réaction, cause dont j'ai constaté la réalité : c’est la présence du carbonate d’ammoniaque parmi les produits des fumerolles alca- lines. Ce sel étant extrêmement volatil, il n’est pas étonnant qu’il ne se dépose pas autour des orifices dont il émane; mais, quand on dispose au-dessus de ces ouvertures un appareil condensateur convenablement construit, on recueille un liquide chargé de sels amimoniacaux , parmi lesquels il est facile de mettre en évidence la présence du carbonate d’ammoniaque. L'existence de ce sel étant ainsi constatée dans les fumerolles alcalines, il y avait lieu de se demander quelle en était l’origine; étäit-1l réellement l’une des substances apportées par la lave, ou provenait-il simplement de la décomposition des végétaux recou- verts par les coulées de matière brülante? On sait que M. Bunsen, dans son mémorable travail sur les laves de l'Hékla, attribue à cette dernière cause la production de tous les sels ammoniacaux dont il a reconnu l'existence sur les flancs de ce volcan. Dans le cas qu'il m'était donné d'examiner, il n’était pas douteux qu’une parte de l’ammoniaque ne düût provenir d’une telle origine. Le nombre considérable des arbres brülés, l'odeur aromatique qu'on sentait à chaque pas auraient sufli pour démontrer le fait. Enfin une observation directe est encore venue m'en fournir une preuve — 178 — nouvelle. Parmi les fumerolles alcalines, celles dont le dépôt pré- sente une couleur légèrement jaune brunâtre sont aussi celles qui exhalent le plus fortement l'odeur aromatique dont je viens de parler; or, quand on prend une petite quantité du dépôt de ces fumerolles, et qu’on le chauffe à une très-douce température sur une lame de platine, on finit par volatiliser entièrement les sels ammoniacaux, qui en constituent la presque totalité, et il resteun léger résidu de couleur brun foncé, aggloméré sous la forme de très-petits granules solubles dans l’eau et dans l'alcool. Ce résidu est peu volatil. Quand on le chauffe fortement, la majeure partie se réduit en vapeurs; mais cependant une petite porlion rougit et brüle, en laissant une trace de cendres ferrugineuses, légères comme le plus fin duvet. Ce résidu est donc une matière orga- nique. Le carbonate d’ammoniaque qui l'accompagne est donc très-probablement de même origine, d'autant plus qu'on ne le rencontre jamais que dans les points où il y avait de la végétation. Quant au chlorhydrate de la même base, l’ammoniaque qui entre dans sa composition ne peut être regardé comme provenant ex- clusivement de la décomposition des végétaux ensevelis dans la lave, car nous verrons plus loin qu’on le trouve en masse sur les flancs des cratères, dans des points où la quantité de matière or- ganique décomposée est tout à fait insignifiante par rapport à la proportion considérable du sel ammoniacal que l’on y rencontre. Je regarde donc le carbonate d’ammoniaque des fumerolles alcalines comme un produit formé sur place par la combustion des matières végétales, tandis que, très-probablement, le chlorhy- drate est en grande partie apporté par la lave elle-même. En tenant compte de ce fait et en mettant de côté le carbonate d'ammoniaque, qui semble être un produit purement accidentel, puisqu'il n’existerait pas si les courants de lave s’étendaient sur un terrain dénué de végétation, on voit qu’il n'existe aucune dif- férence radicale entre les fumerolles acides et celles que j'ai ap- pelées fumerolles alcalines }; ces dernières ne sont autre chose que ce que seraient Îles autres si elles étaient affaiblies et privées en même temps de leur température élevée et de leur forte acidité. TI * M. Ch. Sainte-Claire rejette, peut-être avec raison, la dénomination de fu- merolles alcalines comme ne s'appliquant pas à toutes les fumerolles de ce groupe. Sans attacher une grande importance à cette dénomination, je crois ce- pendant qu'elle est commode et qu’elle mérite d’être maintenue. — 179 — y a donc lous les passages possibles entre ces deux catégories de fumerolles. | Comme M. Ch. Sainte-Claire Deville l’a fait remarquer, on trouve quelquefois du soufre dans les fumerolles alcalines, mais toujours en très-petite quantité et sous la forme de cristaux octaé- driques emboîïtés en files linéaires. Ce dépôt se fait uniquement par la décomposition de l'hydrogène sulfuré, qui, dans certains points, s'échappe au milieu des vapeurs ammoniacales et qui abandonne du soufre en présence de l'oxygène de l'air. Le soufre ainsi déposé se rencontre dans la partie de la fumerolle où s’ob- serve la température la moins élevée. Fumerolles à vapeur d'eau pure. Elles sont très-nombreuses et servent de terminaison naturelle aux précédentes. Leur température est inférieure à 100 degrés, et sur la lave elles ne sont accompagnées d'aucun dégagement ga- ZeUX. Telles sont les observations principales que j'ai eu l’occasion de faire pendant mon premier séjour à l'Etna. Quand j'y suis re- venu pour la seconde fois, le climat s'était adouci, la neige avait fondu et les études étaient devenues incomparablement plus faciles. J'ai recommencé l'étude des fumerolles de la lave. Celles des trois derniers ordres ne m'ont présenté rien de spécial. Ce que je voyais était la reproduction fidèle de ce que j'avais observé la pre- mière fois. Mais il n’en était plus de même pour ce qui regarde les fumerolles à très-haute température. Il est vrai que les fume- rolles sèches telles qu’elles ont été décrites par M. Ch. Sainte- Claire Deville continuaient à se montrer très-abondantes. Dans les points où la lave encore incandescente était stationnaire ou ne présentait qu'un faible mouvement, on était presque toujours sûr de les rencontrer; mais, à côté de cela, le fait singulier que j'avais observé pendant mon premier séjour et que j'avais regardé comme tout à fait exceptionnel, se répétait chaque jour sous mes yeux. D'abord, sur la lave fluide, le nuage épais que l’on observe était le plus souvent très-aqueux et fortement acide, surtout quand les dégagements étaient assez abondants pour que les bulles de gaz fissent bouillonner la matière en fusion. Enfin, même dans des points où la lave était arrêtée, on trouvait des foyers doués d’une — 10 —— température extrêmement élevée, autour desquels se formait un dépôt composé principalement de chlorure de sodium, avec de petites quantités d’autres sels de potasse et de soude, et souvent de l’oxyde et de l’oxychlorure de cuivre. Dans ce cas, les, fumées dégagées étaient encore très-acides et très-chargées de vapeur d’eau. Dans les fumerolles sèches, les vapeurs salines se dégagent de la surface des blocs de lave ou de leurs interstices, mais sans que ceux-ci offrent une disposition spéciale, Dans les fumerolles dont je viens de parler, on voit au contraire des orifices distincts ser- vant d'ouverture à des foyers sous-jacents et limités. Enfin, pour caractériser nettement ces deux ordres d’émana- tions, je dirai que, dans ces fumerolles et dans celles de la lave en fusion, c’est une vaporisation que l’on observe; dans les fume- rolles sèches, ce n’est qu'une évaporation superficielle. Le dépôt formé est donc beaucoup plus considérable dans un cas que dans l’autre. } | Cette distinction permet d'expliquer comment les fumerolles sèches, fournissant les mêmes éléments salins que les fumerolles humides, ne contiennent cependant aucun des éléments très-vo- latils que l’on rencontre dans celles-ci. Voici en effet ce que l'on peut dire : au moment où la lave incandescente commence à se solidifier, les blocs qui la composent renferment, dans la couche très-mince qui limite leur surface, des sels de soude et de potasse, de l’eau, des gaz acides, en un mot toutes les matières qui se dé- gagent de la lave en fusion. Les plus volatiles de ces matières s’é- chappent rapidement dans l'atmosphère, et les autres, continuant ensuite pendant très-longtemps à se volatiliser d’une façon insen- sible, donnent naissance aux fumerolles sèches. Dans les cas où l’on observe des fumerolles à haute tempéra- ture donnant à la fois de la vapeur d’eau, des gaz acides et des sels alcalins, la roche est toujours incandescente au niveau des orifices, et très-probablement, à une plus grande profondeur, ül existe encore de la lave fluide ou au moins pâteuse. Ainsi l'on voit donc que les vraies fumerolles de la première catégorie ne sont pas des fumerolles sèches, mais des fumerolles acides dont la température est assez élevée pour amener la vola- Ulisation des sels de potasse et de soude, qu'on ne rencontre pas dans les fumerolles acides ordinaires (fumerolles du second ordre), — SI — uniquement parce que la température de celles-ci n'est pas sulti- sante pour produire ce phénomène. Par conséquent, de même que les fumerolles à vapeur d’eau pure ne sont que des fumerolles alcalines faibles dépouillées de leurs éléments salins, de même que celles-ci ne sont autre chose que des fumerolles acides peu actives, de même encore les fumerolles acides ne sont que des fumerolles du premier ordre, ne possédant pas la chaleur suffi- sante pour volatiliser les sels alcalins. À mesure que l’on considère des fumerolles dont la tempéra- ture est plus basse, on voit disparaître les éléments fournis par la lave liquide; les sels alcalins manquent les premiers, le perchlo- rure de fer disparaît ensuite, et la proportion d’acide chlorhy- drique devient assez faible pour que le carbonate d’ammoniaque provenant de la décomposition des végétaux le neutralise le plus souvent; enfin tous ces éléments finissent par manquer complé- tement, et la vapeur d’eau reste la dernière. Le passage d’une certaine catégorie de fumerolles à la catégorie suivante se fait d’une façon le et nous voyons la manière dont s'effectue cette transition. Est-ce à dire pour cela que la classification établie par M. Ch. Sainte-Claire Deville soit opposée au fait? Non, au contraire, elle en est l'expression exacte, et a- mais en histoire naturelle une classification ne fut mieux justifiée par l'observation; seulement, tandis que la nature procède d’une facon continue dans ses œuvres, les meilleures classifications éta- blissent nécessairement des lignes de séparation fictives, qui, pour être légitimes, doivent correspondre aux points particuliers où les phénomènes changent d'aspect. Or la classification posée par mon savant maître présente précisément ce caractère. Elle m'a dirigé dans mon travail, et je puis dire que désormais elle servira de guide à toute personne voulant se livrer à l'étude des émanations volcaniques. Pour terminer ce qui est relatif aux fumerolles de la iave, il me reste à signaler un fait remarquable : c’est la présence des car- bonates alcalins dans le dépôt des fumerolles sèches. Ces fume- rolles couvrent les blocs de lave d’un dénôt salin blanc fortement alcalin, faisant effervescence avec les acides, composé presque en- tièrement de:chlorure de sodium {toujours au moins 90 p. 0/0) avec un peu de chlorure de potassium, de sulfate de soude et de carbonate de soude. MISS. SCIENT. — 111. 19 — 182 — Voici par exemple la composition de deux échantillons de ces dépôts : Chlorure de sodium: : #50 MU 198,72 93,28 Chlorure de potassium..." 3,22 1,07 Carbonate de soude Le re 1,06 0,27 Suilale de SOUAE.1 eee. 0 traces 5,98 100,00 100,00 La quantité de sulfate de soude est d'autant moindre, que l'on considère des produits recueillis dans des points plus éloignés des cratères; elle peut être nulle. Le chlorure de potassium semble va- rier en sens inverse. Nous allons tout à l'heure en voir la raison. L’alcalinité du dépôt formé diminue rapidement à mesure que la lave se refroidit, et ordinairement au bout de deux ou trois jours après que la lave a cessé d’être incandescente, les carbonates alcalins ont entièrement disparu, et le dépôt est devenu neutre au papier à réactif. L'acide chlorhydrique répandu en vapeurs dans tout le champ de l’érup'ion transforme les carbonates en chlorures, et bien- tôt on ne trouve plus trace de carbonates. La plus petite pluie, la moindre rosée, dissolvent également le carbonate de soude. Tels sont les motifs probables qui m'avaient empêché, pendant mon premier séjour à l'Etna, de remarquer l’alcalinité de ces matières. Dans les fumerolles à haute température chargées d’eau et d’a- cide, le dépôt est toujours neutre; l’abondance des vapeurs acides et la continuité de leur dégagement empêchent l’alcalinité de se produire. Ces fumerolles sont remarquables encore à un autre titre. En effet, elles ne déposent jamais que des quantités très-faibies de sulfates et abandonnent au contraire de très-fortes proportions de chlorure de potässium. J'ai trouvé dans un de ces dépôts 32 p. o/o de ce sel; le reste était du chlorure de sodium avec des traces in- signifiantes de sulfates. Cependant la proportion de chlorure de potassium qué je viens d'indiquer dépasse de beaucoup les pro- portions ordinaires de ce composé, et je citerai de ‘préférence l'analyse suivante comme représentant bien mieux la composition moyenne des dépôts formés dans ces fumerolles. UE OU M de en de dote eo 91,20 Chidiurede potassium : ... 0.4/4, 8,39 Re dé cuivre... nues ils ist arf 0,41 A ans... ... :...., |, traces 100,00 L'analyse précédente a été faite sur un échantillon pris dans les dépôts d’une fumerolle à très-haute température, où l'on dis- tinguait en plein jour l'incandescence de la lave. Les fumées qui s'y dégageaient étaient très-aqueuses et rendues fortement acides par de l'acide chlorhydrique. On peut expliquer l'absence presque complète des sulfates alca- lins par la température de la lave, assez élevée pour volatiliser les chlorures, mais devenue insuffisante pour réduire les sulfates en vapeur. Plus les courants de lave s'éloignent des cratères, plus leur température s'abaisse, et par conséquent plus la quantité de sulfate de soude contenue dans les dépôts va en diminuant. Quant au chlorure de potassium, la seule explication plausible que l’on puisse donner de son abondance dans les gisements que nous ve- nons de signaler, et de sa rareté dans la région des cratères, con- siste à admettre qu'il résulte de la réaction de l'acide chlorhydrique dégagé par la lave sur les cendres provenant de la combustion des matières organiques. | | Les carbonates alcalins se retrouvent dans la région des cratères c'est-à-dire dans des points où la végétation a disparu depuis long- temps; c’est pourquoi on ne peut les regarder comme provenant uniquement de la décomposition des matières végétales. D'ailleurs c’est du carbonate de soude que l’on trouve et non du carbonate de potasse, tandis que l'inverse devrait avoir lieu si les carbonates observés avaient pour origine une décomposition organique. La production des carbonates alcalins ne paraït pas être un fait particulier propre à l’éruption de cette année; car J'ai appris de M. le professeur Silvestri qu'il y avait d'anciens gisements de car- bonate de soude dans les crevasses de la lave de 1669, et que lPimportance de ces amas était assez grande pour qu'ils soient de- venus l'objet d’une exploitation industrielle. Émanations des cratères. Les blocs lancés en quantité innombrable par les cratères of- in ÊR —…— ]6Ùù — fraient tous pendant quelque temps le même dépôt blane alcalin, riche en carbonate de soude et se transformant de même en sels neutres sous l'influence des vapeurs acides vomies par les bouches volcaniques. Ce fait suffit pour montrer que les cratères ont fourni des émanations semblables à celles qui constituent les fumerolles à haute température de la lave. Les dépôts que l’on rencontre ainsi ne renferment que de très- petites quantités de sels de potasse (jamais. plus de 2 p. oo et souvent seulement des traces). En revanche, on y observe ordinai- rement des proportions considérables de sulfate de soude et de carbonate de soude. | Voici par exemple les nombres fournis par une analyse faite sur une matière recueillie à une époque voisine du milieu de l’éruption : Chlorure:de soditum:-2ne: 2 EN EE EUR 64,66 Ghiorurede potassium 02..." ea 1,93 Sulfate de soude re MR CN Eee 21,28 Sulfateide/chatxit. 42 FR CNE MON aeS Sulfate de magnésie. ...... Égeoe tt Hé traces 6 Carbonate dexsonde + nue nr. es LES 100;00 Des matières recueillies dans les mêmes conditions à la fin de l’éruption m'ont offert la composition suivante : Chlorure e:sodime2e 220. on EURE 8,27 Ghlorure dé potassium 72... 0 PC SERRE 0,00 Sullaterde soude, 9% 0m re MON MIRE 87,62 Sulfates de potassen Ai NON, LUE 0,8 Sulfäte.de masnésie,+\.-er the SOEReCSEE NE 0,79 Sulfate de chasses ie UN, Se aa TRS 2,91 Carbonate de sonde 2222 ne ERP ESS 0,00 100,00 La disparition du carbonate de soude et du chlorure de potas- sium, la diminution considérable dans les proportions du chlorure de sodium, et en même temps l'augmentation observée dans la quantité de sulfate de soude, s'expliquent par la continuité d’action des vapeurs sulfureuses dégagées par les cratères et transformées en acide sulfurique au contact de l’air. Les émanations acides semblables à celles des fumerolles acides — 185 — de la lave s’observent également dans les cavités des cratères, et exactement avec les mêmes caractères que sur la lave. Elles sont en effet composées, comme celles-ci, de perchlorure de fer, de chlorhydate d’ammoniaque, d'acide chlorhydrique et d’une quan- tilé relativement très-petite d'acide sulfureux. Dans les premiers temps de l’éruption, la quantité d’acide sul- fureux produit était tout à fait insignifiante, par rapport aux tor- rents “d'acide chlorhydrique dégagés. IL n’en était plus de même dans les derniers temps; l'odeur de l'acide sulfureux était devenue l'odeur dominante, et le liquide recueilli dans un appareil conden- sateur disposé sur les flancs des cratères contenait des proportions notables de ce gaz en dissolution dans l’eau condensée. Cepen- dant, même dans ce cas, j'ai toujours trouvé dans le liquide re- cueilli l'acide chlorhydrique beaucoup plus abondant que l'acide sulfureux. À la fin du mois de mai, alors qu’un seul des cratères (le cratère n° 1) présentait encore une activité notable, j'ai re- cueilli, sur une crevasse du cratère n° 3,un liquide aqueux conte- nant en dissolution les proportions suivantes d'acide chlorhydrique et d'acide sulfureux : | Acide chlorhydrique. .......... PRE AR A UT 92,79 MEME SulIUreux . ,,...:. 411. : - D te à A A 7,27 100,00 Ainsi l’on voit qu'un cratère à demi éteint, ne donnant plus lieu à aucune explosion ni à aucune sortie de matières incandes- centes, dégageait encore un excès d'acide chlorhydrique par rap- port à l'acide sulfureux. Le chlorure de fer et le chlorhydrate d'ammoniaque existaient en grande quantité, surtout sur le revers nord-est du cratère n° 1. Ce dernier sel s’y observait dans des proportions telles qu'il est impossible de regarder tout l’'ammoniaque qui constitue sa base comme provenant de la décomposition des matières végétales, car alors il faudrait réellement admettre en ce point l'existence d’un amas souterrain de pareilles matières, hypothèse tout à fait inad- missible. Cependant je ne doute pas que la majeure partie de l’'ammoniaque n’ait été apportée par l'atmosphère. Voici l'observa- tion qui me conduit à cette conclusion : les sept cratères nouveaux étaient très-inégalement revêtus du dépôt de chlorhydrate d’am- — 186 —- moniaque; les cratères n° 5 et n° 6 n'en présentaient pour ainsi dire que des traces; le cratère n° 1 en offrait au contraire un bril- lant dépôt qui aurait ressemblé parfaitement à de la neige si, de place en place, il n'avait été teinté en jaune par du perchlorure de fer. Les cratères intermédiaires étaient d'autant plus riches en chlorhydrate d'ammoniaque qu’ils se rapprochaient davantage du cratère n° 1. Or, si l’on fait attention à la direction des cratères, on verra que le cratère n° 1 est le plus rapproché de la région cultivée de la montagne, ainsi que de la région boisée qui a été dévastée par les courants de lave; les cratères n° 5 et n° 6 sont tournés vers la région déserte de l’'Etna. Si donc les vents amènent de l'air contenant des vapeurs ammoniacales, cet air, venant prin- cipalement des régions basses de l’Etna les plus voisines, devait passer au contact du cratère n° 1 avant d'arriver aux autres, qui sont situés plus haut. Il y laissait son ammoniaque neutralisé par l'acide chlorhydrique, qui s’y dégageait en abondance. On peut donc ainsi expliquer l'épaisseur et l'étendue du dépôt de chlorhy- drate d'ammoniaque qu’on y observe. Un autre fait vient encore à l'appui du précédent. Dans tous les cratères en éruption, le dépôt de chlorhydrate d’ammoniaque était surtout abondant sur les parois extérieures. Cette remarque est spécialement applicable au cratère n° 1. Son revers extérieur était couvert d’un épais dépôt blanc Jaunatre, et, quand j'ai pu gravir son rebord pour la première fois et plonger mes regards dans l'in- térieur de sa cavité, J'ai été tout surpris de voir que sa paroi inté- rieure était presque nue, formée de matières terreuses avec des dépôts peu abondants, et cependant la température était peu éle- vée tout le long de ces parois, sur lesquelles les condensations au- raient fort bien pu s’opérer. Cette disposition montre donc que l’'ammoniaque venait beaucoup plus de l'extérieur des cratères que du fond de leur cavité. Enfin ajoutons encore que le chlorhydrate d’'ammoniaque était notamment abondant sur le revers nord-est du cône n° 1, du côté tourné vers le bas de la montagne, c'est-à-dire dans la direction où les vents pouvaient surtout amener des vapeurs ammoniacales. Je crois donc que le chlorhydrate d’ammoniaque déposé ne provient pas uniquement de la décomposition des matières végé- tales par l’action des courants de lave, mais cependant toutes les raisons que je viens de citer me font penser, conformément aux — 187 — idées de M. Bunsen, que la majeure partie de ce sel provient d’une telle origine, les courants atmosphériques amenant de loin l'ammoniaque dans les points où se font principalement les dé- gagements d'acide chlorhydrique. Ces fumerolles dégagent en outre de l'acide carbonique en proportions assez variables. Les fumerolles alcalines ammoniacales paraissent au premier abord manquer complétement, mais une observation attentive montre au contraire qu'elles sont assez communes; seulement le carbonate d’ammoniaque ne s'y rencontre plus, et par suite ces fumerolles ne présentent aucune alcalinité. On les rencontre sur la crête des cratères quand ceux-ci n'offrent plus qu’une faible ac- tivité. Ces fumerolles s’y présentent sous la forme d'émanations lé- gèrement acides formées par de la vapeur d’eau, de petites quan- tités d’acide chlorhydrique et de chlorhydrate d’ammoniaque, de l'acide sulfhydrique, et enfin de l'acide carbonique, que l'on y trouve quelquefois en proportions notables (jusqu'à 15 p. o/o). Les bords des orifices de ces fumerolles sont garnis d'un dépôt de soufre cristallisé en octaèdres, tout à fait semblable à celui que l’on rencontre dans les fumerolles alcalines de la lave. Enfin les fumerolles à vapeur d'eau pure s’y montrent encore comme le dernier signe de vitalité éruptive. On voit donc que les fumerolles des cratères sont semblables de tout point à celles de la lave, et, si l'on excepte l'acide carbonique libre, qui manque dans ces dernières, ainsi que le carbonate d’ammoniaque, qui, au contraire, s y trouve en plus, on peut constater que les émana- tions des unes et des autres sont exactement les mêmes. Tout ce que nous avons dit précédemment sur la relation qui existe entre la composition des fumerolles et leur température trouve encore ici son application. Résumons maintenant en quelques mots tous les faits que nous venons de consigner : | 1° Les fumerolles à vapeur d’eau pure (4° ordre) et les fume- rolles acides (2° ordre) correspondent exactement à la description qu'en a faite M. Ch. Sainte-Claire Deville d’après ses études en 1855 et en 1861, à cette différence près que j'ai trouvé le chlor- hydrate d'ammoniaque beaucoup plus abondant à l’Etna qu'au Vésuve. 2° Les fumerolles alcalines sont encore telles que mon savant maitre les a décrites, seulement J'en ai précisé les caractères en — 188 — y constatant lune facon nette la présence du carbonate d’ammo- niaque et en expliquant l’origine de ce sel. 3° Cesontsurtout les fumerolles à haute température (1‘ ordre) qui m'ont fourni des résultats-nouveaux. Obligé, par les circonstances dans lesquelles il se trouvait, de se contenter d’un petit nombre d'observations , M. Ch. Sainte-Claire Deville avait cru que toutes ces fumerolles étaient à peu près complétement dépourvues d'acides et de vapeur d’eau; c’est pour- quoi il leur avait donné le nom général de fumerolles sèches. J'ai constaté, en effet, qu'en une foule de points à l’Etna s’opé- raient des volatilisations offrant ce caractère, et donnant lieu à des dépôts riches surtout en chlorure de sodium. Jai même reconnu que, dans ces dépôts, on rencontrait souvent, avec le chlorure de sodium et le sulfate de soude signalés par M. Deville, de petites quantités de carbonate de soude qui les rendaient alcalins. Mais, à côté de ces émanations sèches et à peu près neutres au papier à réactif, il en existe d’autres douées également d’une très-haute température et exhalant de l'acide chlorhydrique et de la vapeur d’eau en quantité considérable. Ces fumerolles humides à haute température déposent des sels alcalins tout comme les précédentes. On rencontre leurs produits dans trois sortes de gisements : ° Sur les blocs pierreux lancés par les cratères; Sur les courants de lave liquide, dans les fumées qui s’en dégagent ; 3° Sur les moraines latérales des courants de lave, dans des points limités et circonscrits. {C'est là qu'on trouve les sels de cuivre.) Les dépôts salins observés offrent en outre, dans chacun de ces trois cas, des caractères particuliers sur lesquels nous avons ap- pelé l’attention. En somme nous regardons les fumerolles humides à haute tem- pérature comme les vraies fumerolles du premier ordre, et, dans uotre opinion, les émanations sèches n’en sont qu'une dégrada- tion. Enfin, si l’on jette un coup d'œil général sur toutes les émana- üons produites dans le cours de léruption de 1865, on voit qu'elles ont varié régulièrement de composition suivant le temps ccoulé depuis l'origine de léruption et suivant la distance au — Mr centre éruptif, conformément à la loi posée par M. Ch. Sainte- Claire Deville. Seulement nous devons ajouter que cette variation est due beaucoup moins à l'apparition d'éléments nouveaux, ou à une augmentation dans la proportion de ceux qui existaient déjà, qu'à la disparition successive des produits observés d'abord, les- quels cessent les uns après les autres d’être volatilisés au fur et à mesure que la température s'abaisse davantage. Tel élément, qui était relativement peu important au début de léruption, devient plus tard prédominant, uniquement parce que les matières moins volatiles ont peu à peu disparu des fumerolles, sans qu'il se pro- duise lui-même en plus grande abondance !. Étude de la lave. Après avoir étudié les produits volatilisés dans le cours de l'é- ruption , j'ai analysé quelques échantillons de la lave nouvelle. Cette lave est noire, très-scoriacée à la surface, compacte dans l'intérieur des blocs; elle ne présente que rarement cette appa- rence de cordes tordues qu'offre en quelques points la lave de 1852 à l'Etna, et que présente surtout à un très-haut degré la lave du Vésuve de 1855. J'ai trouvé pour sa densité des nombres com- pris entre 2,66 et 2,89. Elle agit fortement sur l'aiguille aimantée, si bien que, pour tracer le plan de l’éruption, j'ai été obligé de renoncer à l'emploi de la boussole. Dans des points distants les uns des autres à peine de quelqués centaines de mètres, la déclinaison de laiguille ai- mantée variait de plusieurs degrés. Comme exemple je citerai un certain nombre de déclinaisons magnétiques que j'ai mesurées autour du champ de l'éruption : A oct ons AE EE PE MORE DE 18° 20° Frumento......... QE end nt uns 12° 4o' Primo monte. … +, A0 lee ter dédie 14° 10° at D da : D HE 1% ao: uelO. 1... ....1. LAN : $ Re vit 20. Es Dofla. 5... 4 id caro re 15° 00° 01 0 nid: ob L12520$ ! I est cependant incontestable que certains produits apparaissent dans les périodes décroissantes d’une éruption, et plus spécialement dans les dernières périodes. Les dégagements abondants et subits d'acide carbonique qu'on observe — 190 — Pour apprécier la quantité de matière volatile contenue dans la lave, j'en ai pris un petit fragment et, après l'avoir pulvérisé et desséché au bain de sable à une température d'environ 150 de- grés pour chasser l’eau hyÿgrométrique, je l'ai chauffé au rouge vif à l’aide d’une lampe Deville. La matière ainsi traitée a fondu facilement en un verre noir bulleux en perdant 0,51 p. o/o de son poids. En la chauffant de nouveau à la même température pendant un quart d'heure, j'ai vu les bulles de matière volatile interposées se dégager peu à peu, et enfin il est resté un verre noir homogène. Ce dégagement des matières volatiles opéré de la sorte donne une idée très-exacte de ce qui se passe en grand dans les volcans. En effet, la lave fondue se boursoufle; il se forme une grosse bulle qui crève péniblement; le niveau du li- quide en fusion s’abaisse alors, et cette série de phénomènes se reproduit ainsi jusqu’à ce que la lave se soit transformée en un verre homogène en perdant tous les éléments volatils qu’elle conte- nait. Dans la nature, les choses se passent exactement de la même façon, toutefois avec cette différence que jamais le dégagement des vapeurs ne s’y fait d'une manière complète. Les fragments de lave que j'ai transformés ainsi en un verre parfait avaient perdu après cette opération 0,65 p. o/o de leur poids. J'ai répété cet essai plusieurs fois et j'ai toujours sensiblement trouvé le même ré- sultat. Enfin j'ai analysé trois échantillons de lave, l’un provenant des matières rejetées au début de l'éruption, l’autre au milieu environ et le troisième à la fin. Tous les trois avaient été recueillis dans le voisinage des cratères. ; Voici les résultats fournis par ces analyses ! : au pied du Vésuve à la fin des éruptions seraient dans ce cas. Je pense toutefois que lon peut parfaitement rendre compte de cette exception à la loi posée pré- cédemment. Ce ne serait qu'une anomalie purement apparente. ! Ces analyses de laves ont été faites par la méthode si précise de M. Henri Sainte-Claire Deville, mon ancien maître à l'École normale. Ici elles sont rame- nées chacune à fournir une somme égale à 100. Dans toutes les trois, les excès ou la perte étaient inférieurs à + pour cent. mm — |9I — LAVE du commencement de l’éruption. ne 20,23 RE : - .. .. 20,2) Oxyde ferreux. 12,10 en 7... 8,91 D ET De 4,03 Potasse . .... : 0,04 Re... . 0 3,69 Mr or ini r. . DCE 0,69 100,00 LAVE du milieu de l’éruption. 20,88 19,81 11,80 10,04 3,97 0,40 2,49 0,69 LAVE de la fin de l’eéruption, 00,82 21,03 11,68 8,78 4,00 0,35 2,69 0,65 On voit d'après cela que la composition moyenne de la iave n’a pas sensiblement varié pendant toute la durée de l'éruption, et, de plus, que la composition moyenne des irois échantillons analysés se rapproche extrêmement de celle que M. Durocher et M. Bunsen assignent à la plus profonde des deux couches de ma- üière fondue qu'ils supposent avoir contribué à la formation de toutes les roches éruptives. C’est ce que montre nettement le ta- bleau tracé ci-dessous. LAVE MAGMA BASIQUE de 1865. = ie, 90,97 . .... 20,49 Hate ferreux. . ......... 11,99 .-... -.. W7 0 EN PPENRREEE 4,03 CO COMPOSENT 0,43 Soude....;. LL: + 2,98 de Durocher. 22,2 16,3 19 8,1 6,1 1,0 MASSE pyroxénique normale de M. Bunsen. 18,47 19,71 14,45 11,87 6,89 0,65 1,96 — 192 — Après avoir analysé la lave de 1865 pour rechercher les élé- ments qui semblent faire partie de sa composition, j'ai traité une grande quantité de cette lave par l'eau, afin de pouvoir doser le chlorure de sodium et les autres sels solubles qu'elle était suscep- tible de contenir. L'eau de lavage ainsi obtenue est neutre au tour-, nesol. Elle précipite abondamment par le nitrate d'argent et donne seulement un très-léger trouble par le nitrate de barvyte. 10 grammes de lave traités de la sorte m'ont fourni 32 milli- grammes de chlorure d'argent, correspondant à 13 milligrammes de chlorure de sodium. D’après cela, la lave analysée contiendrait 0,13 p. 0/0 de sel marin. Fous les échantillons que j'ai examinés m'ont fourni une colo- ration jaune très-évidente avec le molybdate d'ammoniaque. La présence des phosphates dans la lave me paraît donc être un fait constant; cependant, même en opérant sur de grandes quantités de matière et en traitant non plus par Peau pure, mais par l’eau acidulée, afin de mieux dissoudre les phosphates, je n'ai pu arri- ver à les obtenir en quantité suffisante pour pouvoir les doser. Les sulfates sont aussi en très-faible proportion dans la lave. Le sui- fate de soude qu’on trouve dans les dépôts des fumerolles paraît donc résulter plutôt de l’action de l'acide sulfurique sur le chlo- rure de sodium que d’une volatilisation directe. Je n’ai pu reconnaître dans la lave que j’ai examinée ni la pré- sence du fluor, ni celle d'aucun sel ammoniacal. Enfin, dans les chlorures alcalins obtenus dans les analyses, J'ai cherché si avec le potassium et le sodium il n’y aurait pas du lithium, du cesium ou du rubidium. L'analyse spectrale ne m'a révélé la présence d'aucun de ces métaux. L'étude des matières déposées dans les fumerolles m'a fourni également des résultats négatifs dans une recherche ana- logue. Émanations du sommet de l'Etna et des cratères de 185 2. Pendant que le sol entr'ouvert sur le flanc nord-est de l'Etna donnait issue à rune foule de matières fixes ou volatiles, la che- minée centrale du volcan fonctionnait avec une moindre activite qu’à l'ordinaire. Néanmoins elle fournissait encore d’épaisses fu- mées blanches formées de vapeur d’eau, d'acides sulfureux et chlorhydrique avec prédominance de ce dernier acide. Sur les — 1935 — bords de son cratère il se produisait aussi des émanations ana- logues. De plus, la fissure de l’éruption de 1852, qui paraissait fermée depuis longtemps (car en 1856 elle ne dégageait plus que quel- ques fumées insignifiantes !), a semblé se rouvrir cette année sous l'influence de la poussée souterraine qui déterminait la nouvelle éruption. Par suite, sur l’un des cratères de 1852 il s’est produit une crevasse offrant un redoublement d’activité très-remarquable. Deux excursions, l’une au sommet de l’'Etna, l’autre dans l'inté- rieur du val del Bove, m'ont permis de constater tous ces faits, sur lesquels je vais donner ici quelques détails. Les fumerolles que l’on observe sur les parois extérieures ou dans l’intérieur même du cratère central de l’Etna, ainsi que celles qu'on rencontre au fond du val del Bove sur le bord des cratères de 1852, peuvent toutes sans exception se rattacher aux fume- rolles des trois derniers ordres. Nulle part on n’y rencontre d’éma- nations assez chaudes pour déposer des sels alcalins. Sur le revers du cratère central, du côté sud-est, se trouve une longue traînée de fumerolles légèrement acides, qui s'étend du haut en bas du revers du cône. Ces fumerolles ont une température qui varie de 80 à 100 degrés; elles dégagent de la vapeur d’eau en quantité considérable avec un peu d’acide sulfhydrique. Ce dernier gaz, en arrivant au contact de l'air, s’y décompose et donne lieu à une multitude de petits dépôts de soufre octaédrique. Le côté nord du grand cratère semble au premier abord tout à fait éteint, mais en réalité il n’en est pas ainsi. Près de son bord septentrional il présente une crevasse allongée, large de 20 à 30 centimètres et longue d'environ 25 mètres. Cette crevasse est le siége d’une fumerolle acide encore très-active. La température moyenne y est de 150 degrés. Il s’en dégage, avec de la vapeur d'eau, un mélange de chlorhydrate d’ammoniaque, d'acide chlor- hydrique, d'acide sulfhydrique et d'acide carbonique. L'observation de cette fumerolle montre qu'elle a dû posséder autrefois une température plus élevée et fournir d’autres produits. En effet, elle ne donne plus aujourd'hui de perchlorure de fer, et cependant les roches qui l’avoisinent sont imprégnées de ce sel, 1 M. Ch. Sainte-Claire Deville a constaté que la fissure de 1852 donnait eu- core d'abondantes fumées en 1855; mais à son second voyage à l'Etna, en 1856, 11 l'a trouvée sensiblement éteinte. —= MO —— lequel apparaît de tous côtés sous forme de concrétions et d'efflo- rescences. Ces dépôts, bien différents de ceux qui se forment par la volatilisation, font voir qu’à une époque antérieure le chlorure de fer a dû être abondant dans les émanations de cette portion du cratère. Trois analyses exécutées sur les gaz dégagés en différents poinis de cette fumerolle ont fourni les nombres suivants : 1° Analyse. 2° Analyse. 3° Analyse. Acide sulfhydrique . 12,7 6,4 5,4 Acide carbonique . . 66,2 32,0 37,8 Oxygène. ...... 714 4,4 9,8 9,6 AZOtE : «220 RES 16,7 91,8 : 47,1 100,0 100,0 100,0 Les trois analyses précédentes ont été faites sur place. La sui- vante a été exécutée dans le laboratoire. 4° Analyse. Acide sulfhydrique.......... DURANT 7 AE 3,42 Acide)carboniquern nsc de RME 55,72 Oxypènes ts med msonpit pe als MRC 7,4 AZDLO SE 0 06e nd Le Bee Men UN EDS 34,45 100,00 Les gaz de la première, de la seconde et de la quatrième ana- lyse ont été recueillis exactement au même point de la fumerolle et à moins d’une heure d'intervalle. Malgré cela, on voit combien la composition du gaz a varié dans ce court laps de temps, puisque la proportion d'acide carbonique a diminué d'abord de 66 32 p. 0/0 pour s'élever de nouveau à près de 56 p. 0/0. Les va- riations dans la proportion des autres éléments ne paraissent pas moins considérables. Enfin, en comparant les resultats de ces analyses, on voit que l'acide sulfhydrique et l'acide carbonique augmentent ou dimi- nuent de proportion sans qu'il y ait aucun lien certain entre leurs variations respectives. Au fond du val del Bove, sur les bords du cratère inférieur de 1852, on trouve une fumerolle tout à fait semblable à la précé- dente. Elle siége sur une crevasse longitudinale dont la direction est celle de la fissure de 1852. La température y est d'environ — 195 — 200 degrés. Cette fumerolle, fortement acide, est environnée, dans ses portions les plus chaudes, d’un dépôt abondant de per- chlorure de fer et de chlorhydrate d'ammoniaque. À ses extrémi- tés, qui sont plus refroidies, elle dégage de l'acide carbonique, de l'acide sulfhydrique et donne un dépôt de soufre. L’Etna n’est pas un centre volcanique isolé. Il occupe l'extrémité d’une grande fracture de l'écorce terrestre, à l’autre extrémité de laquelle se dresse le Vésuve. Dans l'intervalle de ces deux points, sur la ligne qui les joint, se trouvent les iles Éoliennes, dont deux surtout, Stromboli et Vulcano, sont remarquables par leur activité continuelle et par la haute température de leurs émanations. Cet hiver, au moment où s’est produite l'éruption de l’'Etna, la poussée volcanique qui la déterminait paraît s'être fait sentir dans ces deux îles, mais plus particulièrement à Stromboli. En effet, d’a- près le témoignage des habitants, il ÿ a eu à cette époque des déto- nations beaucoup plus fortes que d'habitude, d’abondantes projec- tions de lave liquide dont on trouve encore les restes sur les flancs du cratère, et enfin des émissions de cendres qui, pendant plu- sieurs jours, ont couvert l'ile entière. Ainsi donc il y a eu à cette époque une période de recrudescence. Mais bientôt, au contraire, il s’est produit un‘affaissement dans l'intensité des phénomènes volcaniques, et, quand j'ai visité Stromboli, des détonations s’y produisaient encore, mais faiblement. C'était peu de chose com- parativement à ce que je venais d'observer à l’Etna. Les projec- tions de pierres incandescentes s’y faisaient toujours à chaque explosion, mais elles dépassaient à peine le bord du cratère. Enfin les fumerolles du pourtour ne déposaient du chlorure de fer et du chlorhydrate d'ammoniaque qu'en petite quantité, et aucune ne possédait une température capable d'amener la fusion du plomb. Des fumées épaisses et denses chargées d'acide sulfureux et d'acide chlorhydrique remplissaient le cratère et empéchaient d'en voir le fond. À Vulcano il y a eu probablement aussi une période de recru- descence suivie d’une période d’affaissement, mais les renseigne- ments nécessaires pour constater la chose d’une façon positive m'ont complétement fait défaut. Quand j'ai visité cette île, les phénomènes que j'ai observés m'ont paru n'être qu’une image af- faiblie de ceux dont M. Ch. Sainte-Claire Deville avait été témoin en 1856. Sur le revers du cône principal, je n'ai trouvé qu'un ‘ — 196 — petit nombre de fumerolles où se dégageait de l'acide carbonique mélangé d'une très-faible proportion d'acide sulfhydrique. Tout autour de leurs orifices on observait de petits amas de soufre oc- taédrique. Dans l’intérieur du grand cratère, la température était beau- coup plus élevée. En plusieurs points les gaz dégagés étaient assez chauds pour fondre le zinc. Les principaux produits accumu- lés autour des orifices des fumerolles étaient : le sulfure d’arse- nic, le chlorure de fer, le chlorhydrate d'’ammoniaque, le soufre et l’acide borique. Ün certain nombre de ces fumerolles ne con- tiennent que les deux derniers produits et possèdent une tem- pérature qui ne dépasse pas 100 degrés. Les autres fumerolles sont généralement douées d’une température plus élevée. Ges dernières dégagent en outre des proportions souvent considérables d'acides sulfureux et chlorhydrique, dont on ne trouve que de faibles quantités dans les autres. LT Voici les nombres fournis par quelques-unes de ces analyses : 1° Fumerolle fortement acide, déposant sulfure d’arsenic, chlorure de fer, chlorhydrate d’ammoniaque vers le centre, acide borique et soufre sur la périphérie; température supérieure à 360 degrés. Acides sulfureux et chlorhydrique....... RE À . 79,80 ACIde CArDONIQUe ne sueee cine co Acide sulfhydrique ....... traces très-marquées. DAY AÉTE ANNE ONE à EPA LR A RE 0,52 Aote SOU RAR L'AREN MAT LR @Ari SNS SRE #3 2,28 100,00 2° Fumerolle fortement acide, avec même dépôt que dans la précédente; température de 250 degrés environ. Acides sulfureux et chlorhydrique . ............. 66,0 Acide‘carhoniquesssh. 4 athlon Nbr dat 12,0 Acide sulfhydriques... #2 PS ETS 10,0 Oaxyoène. 2022 Pet eee UE Le 2,4 AZOPC ne 2 ae ae te de er a not ee : ti 9,6 UT de 3° Fumerolle. fortement acide, avec même dépôt que dans les précédentes fumerolles; température, 250 degrés environ. Acides sulfureux et chlorhydrique ...........,.. 34,0 ue... RAR OR 28,0 : rique. 1 .sss isa: COMO UN 12,0 ui PE DS à ASP RTS 4,8 5 LEE L R TI 21,2 100,0 4° Fumerolle fortement acide, avec même dépôt que dans les précédentes fumerolles ; température, 150 degrés. Acides sulfureux et chlorhydrique ............. 27,19 Anti eanhoniquenf: . sin iliis dd. Doug ver 11. 10169,62 EN drIQue.…..4... à... dt 00,00 eee 2 2,20 ue Peas EUR 7 10,99 100,00 L’acide sulfhydrique de ce gaz n’a pas été dosé. I était décom- posé quand le tube dans lequel il était renfermé a été ouvert pour l'analyse. La proportion en était d’ailleurs peu considérable. 5° Fumerolle faiblement acide, avec dépôt de chlorhydrate d'ammoniaque, de soufre et d'acide borique; température, 100 degrés. Acides sulfureux et chlorhydrique............... 7,3 BoRrboniquén. 022%. 2, ris Ji, au, out 68,1 hadmsnlihydrique!:#;: titi .ue du. 10,7 2 0 nt A à ie 257 I ORNE COPA Sn 11,2 100,0 6° Fumerolle faiblement acide, avec dépôt de chlorhydrate MISS. SCIENT, — JII. 1 — 198 — d'ammoniaque, de soufre et d'acide borique, sans sulfure d'arse- nic ni perchlorure de fer; température, 100 degrés. Acides sulfureux et chlorhydrique ; ............ 00,00 Acile carbonique RTS eee REA NES E 63,59 Acide sulfhydrique . . ... ..... traces très-faibles. dpréntns ae en NE AR: 1 Nes PRE 7,28 Agoke. 4: AN tac EE EE RE PET OR 29,13 ! 100,00 Bien que cette dernière analyse n'ait pas été faite sur place, le défaut d'acide sulfhydrique ne provient pas d’une décomposition de cet acide, car le tube dans lequel le gaz avait été rapporté ne présentait dans son intérieur aucun dépôt de soufre, et, lavé à l'eau distillée, 1l fournissait une dissolution neutre ne donnant qu'un très-léger louche avec le nitrate de baryte. L'absence de trouble par le nitrate d'argent montrait encore l'absence complète d'acide chlorhydrique. Dans tous ces gaz, l'acide chlorhydrique est beaucoup plus abondant que l’acide sulfureux, dont la quantité est très-faible, bien que son odeur soit prédominante. En effet, quelques gouttes d’eau distillée agitées au contact du gaz précipitent abondam- ment par le nitrate d'argent, tandis qu’elles se troublent à peine par le nitrate de baryte, même après addition d’un peu d’eau de chlore. On voit, d’après la comparaison des nombres fournis dans ces diverses analyses, que plus la température de la fumerolle est élevée, et plus la proportion d’acide chlorhydrique est considé- rable par rapport à celle de l'acide carbonique. Le dosage de l'acide sulfhydrique ne se fait pas aussi rigoureu- sement que celui des autres éléments gazeux, car, sur place, on opère nécessairement sur la cuve à eau dans laquelle ce gaz est notablement soluble, et sa facile altérabilité en présence de loxy- gène et de l’acide sulfureux humides rend incertaines les ana- lyses faites dans le laboratoire. Cependant, en admettant même * La plupart de ces gaz ont été analysés par moi, dans le laboratoire du Col- lége de France, à l'aide de l'appareil Doyère, instrument qui m’est devenu fa- milier grâce aux excellentes leçons de MM. Félix Leblanc et Ch. Sainte-Claire Deville. — 199 — que les nombres précédents ne sont exacts qu'a 2 où 3 p. 0/0 près pour l'acide sulfhydrique, on peut encore tirer quelques conclu- sions générales relativement aux proportions de ce gaz. On voit en effet qu'il est surtout abondant quand la température est com- prise entre 100 et 4oo degrés. Au-dessous de 100 degrés, on ne trouve plus dans les émanations de la fumerolle que de la vapeur d'eau et de l'acide carbonique. Au-dessus de 4oo degrés, il est probable que l'acide sulfhydrique disparaît, parce qu'il brûle au contact de l'oxygène, et se transforme en acide sulfureux. Dans l’ile de Vulcano, on trouve encore, à quelques mètres du bord de la mer, du côté de Lipari, une petite cavité remplie d'eau à 86 degrés, au milieu de laquelle s'opère un dégagement gazeux abondant et exhalant une forte odeur d'acide sulfhydrique. Des bulles nombreuses se dégagent aussi dans le voisinage, tout le long du bord de la mer, dont l'eau près du rivage a jusqu'à 50 degrés. Le gaz de la cavité contient des proportions notables d’acide sulfhydrique; celui qui se dégage dans la mer à quelques mètres de là en contient encore des traces, mais celui qu’on recueille à 200 mètres n'a plus aucune action sur le papier à acétate de plomb. On voit en même temps que la proportion d'acide carbo- nique va aussi en diminuant à mesure qu'on s'éloigne de la petite cavité qui paraît être le point d’activité maxima. Les cinq analyses suivantes mettent en évidence la loi du phé- nomène. GAZ GAZ GAZ GAZ DU BORD DU BORD DU BORD DU BORD de de la mer, la mer, à 50 metres |à 200 mètres | à 250 mètres de la-cavite. | de la cavité. | de la cavite. | de la cavite. Acide sulfhydrique. . j traces. traces. Acide carbonique. . . 86,76 Qaygène. ........ 1,89 2 11,99 100,00 100,00 100,00 Un fait important résulte encore de linspection des nombres 14. EC précédents. On voit en effet que la proportion de l'azote augmente en même temps que celle de l'acide carbonique diminue. Ce fait est d'autant plus remarquable que, dans les quatre derniers gaz, il n'existe que des quantités insignifiantes ou nulles d’acide sulfhy- drique, et par conséquent la faible quantité relative d'oxygène ne peut être attribuée à une altération de ce gaz par l'oxygène dégagé simultanément. D'ailleurs la quantité absolue d'oxygène augmente elle-même, quoique beaucoup moins rapidement que celle de l’a- zOte. Nous ferons remarquer en outre que ces conclusions sont d’au- tant plus légitimes, que les gaz précédents sont recueillis sur l’eau et par conséquent tout à fait exempts d'air mélangé accidentel- lement. Entre Stromboli et Vulcano se trouve l’ile de Panaria, sur les bords de laquelle on observe aussi des dégagements gazeux dont la température est d'environ 100 degrés. Il s'y produit de petites quantités d'acide sulfhydrique, qui donnent lieu à des dépôts de soufre plus ou moins abondants. J'ai analysé deux de ces gaz. Le premier a été recueilli près du rivage au milieu des rochers, en un point où la vapeur sortait avec pression et où il y avait un dépôt de soufre cristallisé; le second a été recueilli sur une petite flaque d'eau de mer rendue légèrement laiteuse par la décomposition de l'acide sulfhydrique dégagé au contact de l'air. GAZ DÉGAGÉ AU MILIEU d’une petite flaque d’eau près du rivage. de mer, tout près du bord. GAZ DÉGAGÉ À TERRE, Acide sulfhydrique 6,44 traces. Acide carbonique. 90,53 OxVobnE he Ces Mot er- he 0,52 V0 d'A A NE aa A CL nb AL 2,51 100,00 On peut faire sur ces deux gaz des remarques semblables à celles que noùs avons faites sur les gaz de Vulcano. — 201 — Enfin, entre deux écueils nommés Bottaro et Liscubianca et si- tués près de Panaria, j'ai eu occasion d'observer un important dégagement qui fait bouillonner l’eau de la mer sur une vaste étendue. J'en ai recueilli et analysé le gaz à deux reprises, la pre- mière fois le 22 mai, la seconde fois deux jours plus tard, en re- venant de Stromboli. La première fois, il m'a offert la composition suivante : Acide sulfhydrique. ....... Ps dan traces très-sensibles OR onique : : 4.08 SORA 72,3 2:11, LENTENASERURRNTE PRCECRTREENEERE CU POURRPSRESE 5,1 RE net ci au cité rferé nai s 22,6 La seconde fois, J'ai trouvé les nombres suivants : Apide sulfhydrique. . ............ traces presque nulles. Acide carbonique. ........ an Hé: À di PE du *. 48,91 1 1 10 PSS EEEES RES RENE $ NA AT 8,34 Sales. Li. 0.1. sich saiilurses-catiss h2,73 On voit qu'à deux jours d'intervalle la composition du gaz a considérablement changé, mais cela tient peut-être uniquement à ce que la mer était beaucoup plus agitée le second jour que le premier, et comme le gaz, pour se dégager, doit traverser une épaisseur d'eau de mer d'environ 5 à 6 mètres, on comprendra facilement que les gaz solubles dans l’eau doivent être recueillis en proportion d'autant moindre que l’eau de mer se trouve plus souvent renouvelée et changée sur le lieu du dégagement. Excursion au Vésuve et à la solfatare de Pouzzoles. Peu de jours après le début de l'éruption de l'Etna, on a vu tout à coup cette année le Vésuve prendre un aspect menaçant. I a projeté des cendres et des blocs incandescents dans une propor- tion telle que l'ascension du cône central est devenue impossible durant plusieurs semaines, et qu'on a cru pendant tout ce temps à limminence d’une éruption. Bientôt cependant les phénomènes se sont affaiblis et la montagne a repris son aspect ordinaire. Quand J'y suis monté, le 2 juin dernier, voici ce que j'ai constaté : à la — 202 — place des deux cratères profonds qu'on y observait en 1861,on n'en voyait plus qu'un seul, ayant environ 250 mètres de diamètre et 30 à 4o mètres seulement de profondeur. Au centre existait un petit cône haut de 7 à 6 mètres, présentant à son sommet une bouche allongée dans la direction du nord-ouest au sud-est, d’où sorlaient d’abondantes fumées très-chargées d'acide chlorhydrique mélangé d’une petite quantité d'acide sulfureux. Sur toutes les roches voisines on trouvait un épais dépôt de chlorure de fer et de chlorhydrate d’ammoniaque. Enfin, entre le petit cône inté- rieur et les parois du grand cratère qui l’environne, on voyait un double courant de lave solidifiée qui avait comblé toutes les pro- fondeurs de l’ancien gouffre. D’après la forme des blocs solidifiés, on peut affirmer que la lave liquide a dü jaillir du côté sud-est et qu'elle a formé deux bras passant, l’un au sud, l’autre au nord du petit cône et se rejoignant du côté opposé. Il y a donc eu une es- pèce d'éruption intérieure, puisque la lave n’a pas coulé au dehors du cratère central, mais qu’elle s’est bornée à le remplir presque en totalité. Sur les bords du grand cratère, le sol est sillonné de deux ou trois fentes parallèles à ces bords, d’où il se dégage de la vapeur d'eau à 90 degrés et de l'acide carbonique, comme f'in- dique lanalyse suivante : ACC CARDOQER à +2 stade « qeces Se cs M TES 4,80 Oxygène... ....... CS SITE QU D LEE EF 19,60 Apoté. SUIS AISNE . 4 ESC. SR A « 79,60 La solfatare de Pouzzoles offrait également, lorsque je l'ai visi- tée, une décroissance notable dans l'intensité des phénomènes dont elle est habituellement le siége. Le trou connu sous le nom de Grande Solfatare donnait encore un abondant jet de vapeur, mais ce jet sortait presque sans bruit et sous une faible pression. Quant aux points situés plus au nord- ouest et formant ce qu'on appelle la Petite Solfatare, les dégage- ments de gaz et de vapeurs qui s'y produisaient étaient excessive- ment faibles. Les plus importants étaient encore garnis d’un dépôt de soufre cristallisé et noircissaient l’acétate de plomb; mais la plupart ne fournissaient plus que de l'air mélangé d'acide carbo- nique. Les deux analyses suivantes montrent la relation qui existe entre la température et la composition des gaz. ENT PETITE SOLFATARE. D TEMPÉRATURE = 96°. | TEMPÉRATURE = 77° 5. _ Acide sulfhydrique 11,43 0,00 D CHRONIQUE... ........... 56,67 15,09 A A my qu 5,72 15,91 ... ... …. . ... 26,18 69,40 Excursion autour de la Sicile. Toutes les émanations que nous venons de décrire se rattachent aux fumerolles acides, Leur température est ordinairement assez élevée, presque toujours supérieure à 100 degrés. Parmi les an- nexes du Vésuve et de l’'Etna, il nous,reste à signaler d’autres sources gazeuses entièrement différentes. Ce sont des émanations dont la température diffère très-peu de la température ordinaire, et dont les produits principaux sont de l'acide carbonique, de la- zote, de l'hydrogène et des composés hydrogénés. L’acide sulfhy- drique s'y rencontre encore quelquefois, mais toujours en quan- tité excessivement petite. Ceux de ces dégagements gazeux que l’on observe en Sicile semblent avoir peu varié de composition depuis l'année 1856, époque à laquelle M. Ch. Sainte-Claire Deville les a recueillis et analysés. L’éruption de cette année à l'Etna paraît n’avoir apporté aucun changement notable dans la nature de ces gaz; elle a eu seulement une influence marquée sur leur abondance, Ainsi, pen- dant tout le courant de l’année dernière, et particulièrement pen- dant la poussée volcanique de 1863, qui fit monter la lave liquide jusqu'aux bords du cratère central de l’Etna, ces dégagements éprouvèrent presque partout une recrudescence marquée, comme si les évents secondaires du volcan eussent donné issue aux matières gazeuses qui ne pouvaient sortir par la cheminée principale. Cette année, au contraire, une éruption importante ayant eu lieu et les flancs de lEtna s'étant largement ouverts, toutes les sources ga- de zeuses ont perdu énormément de leur activité, de telle sorte que j'ai trouvé généralement des dégagements très-faibles. Les gaz que j'ai étudiés ainsi peuvent être divisés en trois caté- gories : 1° Ceux qui contiennent un ou plusieurs éléments combustibles (hydrogène et carbures d'hydrogène); 2° Ceux qui sont formés presque exclusivement d'acide carbo- nique; | 3° Ceux qui sont riches en azote. J’ai observé les premiers à Aci-Reale, à San Biagio, à Paterno, au lac de Palici et aux macaloubi de Girgenti. Quatre de ces loca- lités sont situées sur une même ligne étendue du nord-est au sud- ouest, au pied de l'Etna. Toutes les sources gazeuses de la pre- mière espèce ont pour caractère commun de se produire au milieu d’une argile grisàtre pénétrée de cristaux de gypse, où elles forment souvent des monticules coniques connus sous le nom de volcans de boue. Elles sont accompagnées à leur sortie par une petite quantité d’une eau boueuse fortement salée. L'une d'elles, celle de Santa Venerina, près d'Aci Reale, produit en outre des sulfures alcalins et alcalino-terreux, qui en font une station d'eaux minérales re- nommée. Voici la composition des gaz qui en proviennent : SAN SANTA PATERNO. PALICI. GIRGENTI. BIAGIO. VENERINA. Acide sulfhydrique. . Acide carbonique. . Gaz des marais..... Hydrogène. ....... Oxyoèries vu ao Les nombres que nous venons d'inscrire conduisent, lorsqu'on les examine attentivement, aux conclusions suivantes : 1% Tous ces gaz sont constitués des mêmes éléments; un seul, celui de Santa Venerina, présente un élément qui lui est propre : c'est l'acide sulfhydrique, dont il contient des traces faibles. 2° Tous renferment de l'hydrogène libre, du gaz des marais et pas de bicarbure d'hydrogène. : — 6606. -— 3° Tous contiennent un excès d'azote par rapport à l'oxygène qui entre dans leur composition, et si l’on met à part le gaz des macaloubi de Girgenti, qui forme une éruption remarquable, on voit que les gaz les plus riches en azote sont ceux qui renferment le moins d'acide carbonique. 4° Dans les trois premiers, l'élément dominant est l'acide car- bonique; dans les deux autres, c’est le gaz des marais. Maintenant cette différence de composition peut facilement s'expliquer, si l’on remarque que San Biagio, Paterno, et Palici sont situés dans le voisinage et presque au contact de dégagements constitués par de l'acide carbonique à peu près pur. En effet, à 3 kilomètres de la salinelle de San Biagio se trouve l’acqua rossa de Valcorrente; à 200 mètres de la salinelle de Paterno se trouve l’acqua rossa de la même localité; enfin, dans le lac de Palici, qui n’a guère plus de 100 mètres de diamètre, on observe à la fois côte à côte les deux espèces de gaz qui se dégagent ensemble au milieu de l’eau, de telle sorte qu’en temps ordinaire on ne recueille que leur mé- lange. C’est seulement dans les années sèches, quand le lac est en- tièrement privé d’eau, que l'on peut observer isolément au fond de son lit les différentes sources gazeuses, et chacune avec son aspect particulier. Les principales sources de la seconde espèce sont l'acqua rossa de Valcorrente, celle de Paterno et la Valancella, près du lac de Palici. Ces dégagements gazeux, beaucoup plus abondants que les précédents, se produisent au milieu d'une eau limpide chargée de bicarbonates de chaux et de fer. Voici les résultats des analyses : VALCORRENTE, PATERNO. VALANCELLA, Acide carbonique......... 99,07 _ 97,90 99,76 Oxygène ...... A FREE 0,18 0,40 0,04 .: : , . ... 0,79 1,70 0,18 Quant aux sources de la troisième espèce, j'en ai étudié deux, très-différentes d'aspect : l’une provient d’un ancien puits artésien foré par les Arabes au 1x° siècle, l'eau en est limpide et pure, c’est — 206 — la source de Limosina ou acqua santa près de Catane; l’autre est une source sulfureuse située à l’autre bout de la Sicile, au pied de l’ancienne ville de Ségeste et très-renommée aux époques grecque et romaine. Voici les résultats des analyses : | : LIMOSINA. SÉGESTE. Âcidescarboniques:s 212100 déé ele. toc 0,92 MTOPR,. és seit mpeur RnE Éd CR LL NS 88,12 Oxveine 2 tr Rd Sr 11,96 Acide sulfhydrique ....... du ME 2 Ana traces 100,00 100,00 La composition du gaz de la source minérale de Ségeste parait assez variable, car, dans une analyse faite sur place, j'avais trouvé que le gaz était de l'azote à peu près pur. Gaz des bords du golfe de Naples. Dans différentes localités, le long du rivage de la baie de Naples, on trouve des dégagements gazeux semblables aux pré- cédents. , Les premiers que j'ai examinés sont ceux de l’eau minérale de Castellamare. En 1861, ils contenaient de l’acide sulfhydrique en notable proportion; aujourd’hui ils ne renferment plus que des traces de ce gaz. La source de l’acqua media, qui en était chargée en 1861, m'a fourni cette année un gaz dont la compositon est la suivante : Acide sulfhydrique. CADRE DOC SOON Pre traces. Acide Caron. UE -- re nec 47,67 Azôte LAL, SR CREME OU AR PRET HAE 52,33 100,00 Le gaz de la source dite Solforo ferrata, qui contenait en 1856 — 207 — jusqu’à 6,7 p. 0/0 d'acide sulfhydrique, ne m'en a plus offert que des traces, avec : Acide BRU. . se 0 cn à + ce se : ME EE ..... . Te se 66,35 100,00 Enfin le gaz de la source dite Ferrata del Pozillo, au lieu de contenir 90 p. 0/0 d'acide carbonique comme en 1856, ou même 72 p. 0/0 comme en 1862, est formé aujourd’hui de : RARRMRRDNIQUE UT. TT EN 7 36,21 RL etes 2e 63,79 100,00 Dans la région des champs phlégréens, on peut faire la même remarque. À la grotte d'ammoniaque, près du lac d’Agnano, il n’y a plus aucun dépôt de soufre, et l’acétate de plomb n’y est plus noirci comme en 1861. Le gaz qui se dégage est de l'acide carbonique presque pur, comme celui qui se dégage du lac même, et auquel j'ai trouvé la composition suivante : M ue ee muse mec ee 97,47 CRETE D PAR, VO ARTS STE 0,02 D PONS De it eo eti must PAAATIELE 2,01 100,00 Dans tous les points que je viens de signaler, les gaz ne sont pas combustibles; j'ai maintenant à décrire des dégagements ga- zeux contenant des gaz susceptibles de brüler. Parmi ces derniers, les uns semblent être de date récente, d’autres paraissent se pro- duire depuis longtemps; mais, dans ce cas, ils ont subi des modi- fications profondes dans leur composition. Celui de Torre del Greco semble avoir été produit par l’éruption de 1861; celui de Chiatamone a été remarqué pour la première fois à la même époque; enfin, ceux de Santa Lucia et de la Grotta di Zolfo sont des dégagements, autrefois incombustibles, dont les éléments ga- zeux ont changé de nature depuis peu de temps. — 208 — Voici leur composition : TORRE | s GROTTA SANTA LUCIA. | CHIATAMONE. DEL GRECO. | DI ZOLFO. Acide carbonique. . .. 85,38 95,66 65,34 94,42 Acide sulfhydrique.. . 0,00 traces traces traces Gaz des marais...... 0,99 3,32 0,08 ” Bicarbure d'hydrogène 0,05 0,94 0,88 Oxygène . sec die die 2,89 8,52 LUS Aadie, 2 Ce 9,38 22,59 2,492 98,61 100,95 98,94 Ces gaz sont remarquables à plus d’un titre : 1° Tous contiennent de l'hydrogène bicarboné et aucun ne renferme d'hydrogène libre, tandis que j'ai observé l'inverse dans tous les gaz combustibles de la Sicile. 2° Ces gaz contiennent d'autant plus d'hydrogène carboné que le lieu de leur dégagement est plus éloigné du Vésuve. 3° Le gaz de Torre del Greco, qui, en 1862, renfermait de l'hydrogène libre, n'en contient plus trace, mais il renferme en revanche une petite quantité de bicarbure d'hydrogène. Parmi les produits hydrogénés qui se dégagent dans les volcans, l'hydrogène libre semble donc correspondre à une période d’acti- vité volcanique plus élevée que le protocarbure d'hydrogène, et celui-ci de même, à une période plus élevée que le bicarbure. THÉORIE DES PHÉNOMÈNES VOLCANIQUES, En tête du célèbre mémoire que Gay-Lussac publia, en 1823, dans les Annales de physique et de chimie, pour essayer d'expliquer théoriquement les phénomènes volcaniques dont il avait été témoin au Vésuve, nous trouvons les lignes suivantes : « On peut former deux hypothèses sur la cause qui entretient les phénomènes volcaniques. Suivant l’une, la terre serait encore dans un état d’incandescence à une certaine profondeur au-dessous de sa surface , ainsi que sembleraient le faire présumer les obser- — 209 — vations que l'on a faites récemment dans les mines sur l'augmen- tation progressive de sa température; et cette chaleur serait le principal agent des phénomènes volcaniques. Suivant l’autre hy- pothèse, leur principale cause serait une affinité très-énergique et non encore satisfaite entre des substances à laquelle un contact fortuit leur permettrait d'obéir, et d'où résulterait une chaleur suffisante pour fondre les laves et les élever par la pression des fluides élastiques à la surface de la terre. » De nos jours, la question doit encore être posée exactement dans les mêmes termes, car toutes les hypothèses faites jusqu’à présent sur la cause des phénomènes volcaniques se fondent inva- riablement ou sur la chaleur centrale ou sur des réactions chimi- ques, se produisant dans les profondeurs du sol et dégageant une quantité de chaleur suflisante pour engendrer les phénomènes volcaniques et calorifiques dont les volcans sont le siége. Considérons les hypothèses de la première catégorie. Le fait qui leur sert de base doit tout d'abord appeler notre attention. Le globe terrestre présente-t-il une couche de matières fondues, sous-jacente à une mince écorce solide extérieure ? I y a quelques années ce fait était regardé par tout le monde comme parfaitement certain. L’accroissement de température observé à mesure que l’on s’enfonce.dans l'intérieur du sol, l’aplatissement de la terre vers les pôles, mesuré avec une grande exactitude, l’état cristallin des roches anciennes, la mobilité relative des continents et des mers à la surface du globe terrestre, les phénomènes volca- niques et plusieurs autres faits moins importants, étaient regardés comme des preuves incontestables de la fluidité des couches pro- fondes du globe. Un certain nombre de ces raisons ont perdu depuis lors une grande partie de leur autorité, et aujourd'hui, par exemple, l’état cristallin des roches anciennes constitue un argu- ment tellement contesté qu'il ne peut plus guère être invoqué comme preuve de l'existence du feu central. De savants physi- ciens, se fondant sur des considérations astronomiques |, sont allés jusqu’à penser que la terre était entièrement solide, mais les hypothèses sur lesquelles ils s'appuient pour établir leurs rai- sonnements offrent toujours un côté défectueux qui enlève toute ! Hopkins, Philosophical Transactions, volume de 1839, 1841 et 1842. — W. Thompson, Philosophicul Transactions, volume de 1 863. — SR valeur aux conclusions qu'ils en tirent. Dans l’état actuel de la science, on peut donc regarder encore l'existence du feu central comme fondée sur les plus grandes probabilités. Ceci posé, voyons si cette hypothèse d’une fusion ignée dans les profondeurs du sol peut rendre compte d’une façon satisfaisante de tous les phénomènes volcaniques. Si nous pouvons expliquer ces phénomènes dans tous leurs détails en nous appuyant sur elle, l'accord de la théorie avec les fait observés nous fournira une nouvelle preuve très-positive en faveur de l'hypothèse introduite. Du même coup, nous aurons ainsi expliqué les éruptions et prouvé l'existence d'un foyer profond de matières en fusion. Nous allons donc admettre, pour un moment, l'existence du feu central comme démontrée positivement, et chercher les conséquences de cette supposition en ce qui regarde l'interprétation des phéno- mènes volcaniques. Et d'abord, l'hypothèse ainsi adoptée suffit-elle pour rendre compte des éruptions, sans qu'on ait besoin de supposer en outre l'introduction d’aucune matière étrangère dans l'intérieur du sol? Un certain nombre de physiciens et de géologues le pensent en- core aujourd'hui. Quelques-uns supposent que la sortie des laves pourrait bien être due à une simple contraction de l'écorce ter- restre, conséquence d’un refroidissement insensible à l'observation directe, mais appréciable seulement dans ses grands effets. M. Cor- dier, partisan de cette idée, avait calculé que la quantité de lave émise par l’éruption la plus considérable, répartie à la surface du globe ne constituerait pas-une couche de —— millimètre d’épais- seur, tandis qu'une contraction de l'écorce terrestre qui amènerait une diminution d’un millimètre dans le rayon terrestre serait capable de produire cinq cents éruptions des plus violentes. Dans cette théorie, la vapeur et les matières volatiles entraïînées avec la lave proviendraient de nappes d'eau rencontrées par le fluide incandescent et entraînées avec lui par un mouvement d'aspiration comparable à celui qu'on observe dans les trombes. Les phénomènes éruptifs seraient donc ainsi assez bien expliqués, si des objections sérieuses ne s’élevaient contre cette manière de voir. D'abord, le fait capital sur lequel repose en grande partie toute cette théorie, savoir le refroidissement lent et graduel du globe, est un phénomène très-mal connu, malgré les savants tra- vaux auxquels il a donné lieu. On est loin de connaïtre sa vitesse — 211 — et l'on connaît encore moins son influence sur la forme de l'écorce terrestre. Cette incertitude du fait fondamental de la théorie en- lève à celle-ci la plus grande partie de sa valeur. De plus, le refroidissement et la contraction de l'enveloppe solide de la terre s’opérant d’une façon lente et continue, l’écou- lement de la lave, une fois commencé par l'ouverture d’un cractère, devrait continuer indéfiniment. On ne comprendrait pas les inter- mittences des éruptions. Celles-ci ne peuvent être expliquées que par des causes accidentelles dont la puissance diminue et s'épuise fatalement après un certain temps d'action. - Une autre théorie qui n'implique également, d’une façon né- cessaire, la pénétration d'aucune matière étrangère Jusqu'au con- tact de la couche en fusion, est celle qui a été proposée par M. Perrey. D’après ce savant physicien, les éruptions seraient déterminées par les mouvements que le liquide igné éprouve par l'effet des attractions luno-solaires. À chaque marée de l'Océan correspondrait une marée souterraine, qui pousserait contre l'é- corce terrestre le liquide renfermé dans son sein, et qui, à certains moments, chasserait ce liquide au dehors en déterminant des dé- chirures dans l’enveloppe solide. L'émission des matières gazeuses et volatiles s’expliquerait comme dans la théorie précédente. H n’est pas douteux que les attractions luno-solaires n'amènent des poussées locales contre la face intérieure de l'écorce terrestre, mais je ne puis y voir la cause véritable des éruptions. En effet, la grande viscosité du fluide igné souterrain, l'épaisseur peut-être peu considérable de la nappe sphéroïdale qu'il forme, les résis- tances qu'il doit éprouver dans son mouvement par suite des frottements contre les masses solides avec lesquelles il est en con- tact, et enfin les changements réguliers qui s’opèrent dans le sens de son mouvement doivent atténuer singulièrement les effets qu’il est capable de produire. On peut encore dire ici qu'une éruption commencée devrait continuer indéfiniment, si telle était la cause principale de son origine; et de plus, chaque jour, on devrait remarquer, dans l’activité des cractères, des recrudescences régulières, que l'observation est loin de confirmer. Les marées souterraines ne sont donc pas la cause réelle des éruptions ; seu- lement, je crois volontiers qu’elles les déterminent, au moment où tout se trouve prêt pour leur production, Quand l'écorce ter- restre est sur le point de se rompre sous l'influence des efforts in- — 212 — térieurs exercés contre elle, l'impulsion d'une marée souterraine, quelque faible qu’elle soit, peut suffire pour amener la forma- tion d’une fissure, par laquelle se fait l'écoulement des laves et des autres matières rejetées ordinairement dans le cours d’une éruption. ; Les difficultés que nous venons de rencontrer, sans pouvoir les résoudre d’une façon satisfaisante, nous portent à croire que des matières étrangères doivent pénétrer dans l’intérieur du sol, pour déterminer les phénomènes éruptifs. Examinons donc cette hy- pothèse. ne L’air et l’eau sont les deux seules substances fluides, abondantes à la surface du sol et capables de pénétrer dans ses profondeurs. Mais il est facile de voir immédiatement que le premier de ces deux corps ne peut jouer aucun rôle important dans la produc- tion des phénomènes et qu'il ne peut arriver jusqu’au contact du foyer incandescent. « Comment, dit Gay-Lussac, l'air pourrait-il pénétrer dans les foyers volcaniques, quand il y existe du dedans au dehors une pression qui peut élever la lave liquide, matière pesant environ trois fois plus que l’eau, à plus de 1,000 mètres de hauteur comme au Vésuve, et à plus de 3,000 dans un grand nombre de vol- cans? Une pression de 1,000 mètres de lave, équivalant à une pression de 3,000 mètres d’eau ou à celle d'environ trois cents atmosphères, exclut nécessairement toute introduction d’air dans l’intérieur des volcans ; et comme cette pression se soutient pendant de longues années, durant lesquelles les phénomènes volcaniques conservent néanmoins une grande activité, l'air ne doit y contribuer absolument en rien. Il est en outre évident que, si l'air communiquait librement dans les foyers des volcans, ascension de la lave et les tremblements de terre deviendraient impossibles. » 3 Bien que l’absence d'oxygène et d'azote dans les émanations volcaniques soit loin d’être aussi complète que le pensait Gay-Lus- sac, cependant ces gaz sont toujours relativement en assez petite quantité et l’on peut expliquer leur présence en admettant qu'ils proviennent ou de l'air en dissolution dans l’eau, ou mieux en- core, de l'air aspiré à travers les interstices des roches qui consti- tuent le sol des volcans. On peut donc conclure avec certitude que l’air ne peut être la — 215 — cause des phénomènes volcaniques. Il ne nous reste plus à con- sidérer que la seconde hypothèse, celle de la pénétration de l'eau. « Que l’eau, dit Gay-Lussac, pénètre dans le foyer des volcans, c'est ce qui ne peut guère être révoqué en doute. Il n’y a pas de grande éruption qui ne soit suivie d’une énorme quantité de va- peurs aqueuses, qui, se condensant ensuite par le froid au-dessus de la cime des volcans, retombent en pluies abondantes, accom- pagnées de tonnerres effroyables, ainsi qu'on l’a vu à la fameuse éruption du Vésuve de 1794, qui détruisit Torre del Greco. On a aussi souvent observé, dans les éjections journalières des volcans, des vapeurs aqueuses et du gaz hydrochlorique, dont il n'est guère possible de concevoir la formation dans l’intérieur des vol- cans sans le concours de l’eau. » Quelques pages plus loin dans le même mémoire, Gay-Lussac ajoute : « La nécessité, à ce qu'il me paraît, que l’eau pénètre dans les foyers volcaniques, la présence dans les laves de quelques cen- tièmes de soude, celle du sel marin et de plusieurs autres chlo- rures rendent très-probable que c’est l’eau de mer qui y pénètre le plus ordinairement !. » En se fondant sur des considérations analogues, M. Abich et M. Durocher adoptent exactement les mêmes conclusions. Durocher surtout développe cette idée avec une grande clarté dans son mé- moire sur la pétrologie comparée, auquel j'emprunterai le passage suivant : « L'intervention des eaux marines dans les effets volcaniques me paraît basée sur trois grands ordres de faits : 1° l’action des fluides élastiques, bien plus marquée aujourd’hui qu'autrefois, sur les phénomènes et les roches d’éruption; 2° la nature de ces fluides élastiques, parmi lesquels abondent la vapeur d’eau, l'acide chlorhydrique, les chlorures et les acides du soufre; 3° l’augmen- tation considérable de la soude dans les roches ignées de plus en plus modernes, qu'elles dérivent de la couche siliceuse ou de la ! L'opinion de Gay-Lussac sur l'infiltration des eaux de la mer dans les pro- fondeurs du sol semble très-fermement arrêtée, et cependant il suffit de lire at- tentivement le mémoire dont les lignes précédentes sont extraites pour voir que cette idée était loin d’être une certitude pour lui. Par une distinction inconce- vable , il croit la pénétration de l’eau possible quand elle doit servir à produire des actions chimiques; 11 n’y croit plus dans tout autre cas. MISS. SCIENT. — III. 15 — 214 — couche basique. J’ajouterai que cette substitution de la soude à la potasse est accompagnée du remplacement du fluor par le chlore. Je pourrais aussi rappeler que beaucoup de produits volcaniques renferment non-seulement des matières organiques, mais encore, d'après les observations de M. Ehrenberg, des débris reconnais- sables d’être organisés, ce qui accuse évidemment le concours d'éléments extérieurs dans la formation de ces produits, tandis qu'il n’y a rien de semblable dans les roches granitiques an- ciennes, qui constituent des masses purement endogènes. Je sais qu’il y a certaines difficultés inhérentes à l'hypothèse d’une inter- vention des eaux de la mer dans les actions volcaniques; mais ces difficultés ne sont pas insolubles, et il faut nécessairement tenir compte de l’ensemble des faits que je viens de signaler comme tendant vers la même conclusion. » La théorie dont je viens de donner un exposé en me servant de passages empruntés à des mémoires de Gay-Lussac et de Du- rocher est très-ancienne, bien antérieure aux travaux de ces savants; mais Ce sont eux qui l'ont le plus nettement indiquée avec toutes ses conséquences. C’est cette même théorie que j'adopte sans réserve et que-Jje vais discuter ici dans tous ses dé- tails. Jai déjà examiné la question du feu central, qui en forme la base fondamentale, et j'ai montré qu'on devait admettre l’exis- tence d’une couche en pleine fusion sous-jacente à l'écorce ter- restre. Maintenant, je vais prouver la possibilité d’une infiltration des eaux de la mer jusqu’au contact de la nappe incandescente et réfuler toutes les objections mises en avant contre ce dernier fait. L'eau provenant des pluies ou de la fonte des neiges s’infiltre dans le sol des montagnes et des collines et reparaît le plus sou- vent à la surface dans des points situés à un niveau plus bas, en suivant la pente des couches et après un cours souterrain plus ou moins étendu. C’est là l’origine des sources qui alimentent nos ruisseaux et nos fleuves. Quand l’infiltration a été peu profonde, l'eau, ayant pris la température du sol avec lequel elle a été en contact, possède à sa sortie une température peu différente de la température ordinaire. Mais, dans certains cas, les cours d’eau sou- terrains peuvent pénétrer à de grandes profondeurs; alors ils re- paraissent au jour à une haute température. Dans les lagonis de la Toscane, dans les geysirs de l'Islande et dans une foule d’autres sources minérales, les eaux qui jaillissent sont à une température — 215 — assez élevée pour sortir en partie à l'état de vapeur. Enfin, il n'y a pas d'éruption volcanique dans laquelle il ne se dégage des torrents de vapeur d’eau. On peut, à l’aide d’un calcul simple que j'exposerai plus loin, évaluer à environ 22,000 mètres cubes la quantité d'eau qui a été vomie journellement par les nouveaux cratères de la dernière éruption de l'Etna. Rappelons aussi que toutes les roches ignées contiennent de l’eau et souvent en pro- portion très-considérable. Toute cette eau ne peut exister norma- lement dans l’intérieur de la terre, «car, la température du globe ayant été autrefois plus élevée, sa fluidité plus grande et l'épais- seur de sa croûte solide plus petite qu'aujourd'hui, l'eau aurait dü nécessairement se dégager de son intérieur et s'élever au- dessus de sa surface !. » IL faut donc que l’eau soit amenée du dehors dans les profondeurs du sol. On doit donc admettre les infiltrations. Voyons maintenant les objections faites contre cette hypo- thèse. On a dit que l’eau, communiquant avec la lave en fusion par des canaux souterrains, s’échaufferait à la vérité en s’enfonçant dans le sol, mais qu’elle devrait alors se réduire en vapeur et re- monter à la surface de la terre par les mêmes conduits qui l'avaient amenée, en entrainant avec elle des fluides élastiques qui vien- draient sourdre en bouillonnant dans quelques lieux de la surface des mers, « ce qui, dit Gay-Lussac, n’a jamais été observé. » On peut répondre facilement à cette objection, en disant qu’on connait trop peu le fond des mers pour savoir quels sont les déga- gements à température élevée qui peuvent se produire dans ses profondeurs, d'autant plus que la vapeur d’eau produite devrait se condenser immédiatement en se dégageant au fond d’un liquide froid comme l’eau de la mer, si toutefois cette condensation n’était pas déjà opérée avant que la vapeur atteigne la surface du sol. Il y a donc bien des probabilités pour que les dégagements de vapeur au fond des mers passent inaperçus alors même qu'ils exis- teraient. Mais on connaît des dégagements de ce genre, et j'en puis particulièrement signaler un des plus remarquables, que j'ai pu observer moi-même. Quand on passe en bateau entre deux ilots situés au milieu des îles Éoliennes, nommés l’un Bottaro, : Gay-Lussac , mémoire déjà cité. — 216 — l'autre, la Lisca Bianca, la limpidité de l'eau permet d’apercevoir au fond de la mer d'énormes dégagements de gaz et de vapeurs dont un certain nombre de bulles arrivent jusqu’à la surface. La majeure partie de ces bulles se condense ou se dissout, et la température de la mer s'élève en ces points de quelques degrés au-dessus de celle qu'on observe à quelque distance. Cet exemple montre donc que l’objection précédente est loin d’avoir une valeur réelle. Maintenant, la vapeur d’eau doit-elle toujours sortir par les mêmes conduits qui l'ont amenée? Il est évident d’abord que si une cause accidentelle quelconque vient à produire une obstruction dans ces étroits canaux, l’eau ne pourra plus reprendre le chemin par lequel elle est arrivée. Elle se trouvera donc emprisonnée dans un espace clos, et, comme elle ne sera plus renouvelée, sa température s’élèvera bientôt jusqu'à devenir égale à celle des malières situées dans le voisinage. Il pourra donc y avoir, dans un espace limité, production d’une énorme quantité de vapeur douée d’une très-haute pression. Je montrerai tout à l'heure que cette pression pourra alors être suffisante pour produire tous les phénomènes mécaniques qu'on observe dans une éruption. Mais voyons tout d'abord si l'hypothèse d’une obstruction accidentelle présente quelque probabilité. Les canaux dans lesquels l’eau circule pour pénétrer dans les profondeurs sont probablement très-étroits. De plus, les assises qui composent le sol dans le voisinage des centres volcaniques ont été ordinairement le siége de cataclysmes géologiques impor- tants qui les ont disloqués et bouleversés. C’est ce qu’atteste d’une façon générale la situation de presque tous les volcans à peu de distance des côtes. Un volcan n’est autre chose qu’un point de ré- sistance minima de l'enveloppe terrestre, et l’'Etna particulière- ment est un centre de fêlure des plus remarquables. D’après les observations de M. Élie de Beaumont, on voit qu'il se trouve au point de croisement de plusieurs lignes importantes du réseau pentagonal qui représente les principaux accidents de l'écorce du globe. Enfin, quand on se borne à considérer la Sicile et la partie de lftalie constituant une région dont l’Etna occupe à peu près le centre, on constate immédiatement que le sol y a subi de grands bouleversements. La forme même des côtes, la disposition du détroit de Messine, l'alignement de l’Etna et du Vésuve sur — 217 — une même ligne qui passe par les îles Éoliennes, montrent le fait avec évidence. Pour toutes ces raisons, les obstructions des canaux aquifères sou- terrains sont non-seulement possibles, mais encore très-probables. Enfin, la pénétration de l’eau peut encore se faire autrement que par des conduits plus ou moins larges; elle peut s’opérer, au moins dans certaines parties, par des infiltrations au travers de roches poreuses. Dans ce cas, nous n’avons plus besoin de recourir à l'hypothèse d'obstructions souterraines. Une expérience exé- cutée par M. Daubrée nous montre comment les choses doivent se passer dans la nature dans de telles circonstances. L'appareil qui a servi à M. Daubrée se compose d’une plaque en grès poreux interposée entre un récipient qui communique librement avec l'atmosphère et une petite chambre exactement close, dont elle forme la paroi supérieure. Cette chambre renferme une couche de mercure de plusieurs centimètres d'épaisseur, au fond de la- quelle s'enfonce un manomètre à air libre; le reste de cette cavité se trouve occupé par de l’air ou un autre gaz quelconque. On verse de l'eau dans le récipient supérieur et l’on chauffe le fond de la chambre à une température d'environ 160°. L'eau pénètre par imbibition à travers la plaque de grès, dont l'épaisseur est seule- ment de quelques centimètres, humecte la face inférieure de cette plaque et se réduit en vapeurs dans l’intérieur de la chambre. Le passage du liquide à travers le grès se fait d'autant plus rapi- dement que l’espace inférieur est plus fortement chauffé; le ni- veau du mercure s'élève dans le manomètre et la tension devient presque égale à deux atmosphères. L’absorption de l’eau et son passage à travers la roche s’opèrent alors même que la pression dé- veloppée dans la chambre inférieure semblerait devoir s'opposer à cette transsudation. La différence dans le degré d'humidité des deux faces de la plaque y produit des phénomènes capillaires assez puissants pour contre-balancer les différences de pression. Un autre fait digne de remarque, c’est que, si l’on met de Feau dans la chambre inférieure en laissant au contraire le récipient à sec, et si l'on vient à chauffer Pappareil, la plaque paraït arrêter en grande partie les vapeurs, et le mercure s'élève dans le mano- mètre. IL est très-probable que l’eau des mers communique avec la couche incandescente à l’aide de conduits d’un diamètre sensible, — 218 — et dans le cas, moins vraisemblable, où cette communication se ferait grâce à la simple porosité des roches, les phénomènes mé- caniques que l’on observe dans les éruptions s’expliqueraient en- core facilement, d'après l'expérience de M. Daubrée, à la con- dition de supposer entre l'écorce terrestre et le liquide igné quelques masses gazeuses dont le développement accidentel n’a rien que de très-vraisemblable. J'avoue cependant que la première de ces deux suppositions me paraît de beaucoup la plus probable, à cause de la compacité extrême des roches les plus profondes que nous connaissons dans l’intérieur de l'écorce terrestre. Une autre objection que l'on a opposée est ia suivante Comment se fait-il que la vapeur d’eau puisse acquérir une ten- sion suffisante pour vaincre la pression de l'énorme colonne de lave qu’elle doit soulever? On a fait des calculs approximatifs pour prouver cette impossibilité, en comparant les tensions de la vapeur d'eau à de hautes températures avec l'effort nécessaire pour vaincre la résistance des masses de lave qui doivent être amenées jusqu'à l’ouverture des bouches volcaniques. Généra- lement, ces calculs sont inexacts. Ils reposent sur une extension trop grande donnée à certaines lois expérimentales établies pour des températures peu élevées et des pressions relativement faibles. Pour répondre à l’objection précédente et à ces calculs plus cu moins fondés, il suffit de remarquer que la pression exercée par la lave croît proportionnellement à la profondeur à laquelle on k considère; la température croit au moins aussi vite dans l’épais- seur de l’écorce terrestre, et la pression de la vapeur d’eau varie d'une manière beaucoup plus rapide. Il doit donc y avoir une profondeur à laquelle la pression de l’eau pourrait vaincre la ré- sistance d’une colonne de lave étendue jusqu’à la surface du sol. Un calcul approximatif du genre de ceux qu'on a effectués pour prouver l'impossibilité d’une pénétration de l'eau montre, au con- traire, qu’au niveau de la couche en fusion, l’eau réduite en vapeurs pourrait certainement exercer une action suffisante pour projeter la lave au dehors. Mais il n’est pas probable que l’eau ait besoin de pénétrer jusque-là. La face inférieure de l'écorce ter- restre n’a pas une forme sphéroïdale lisse et régulière; il est à peu près démontré par les grands phénomènes géologiques qu'il existe de grandes déchirures à la face profonde de cette écorce et que la lave en fusion peut, dans l’intérieur des méats ainsi — 219 — formés, se rapprocher notablement de la surface du sol. À une profondeur de neuf kilomètres, par exemple, il peut y avoir côte à côte, à quelques mètres de distance, de l’eau à 300° environ, maintenue à l’état liquide par la pression de ses couches supé- rieures, et de la lave au rouge blanc. Le moindre éboulement des roches, la moindre obstruction dans les conduits qui amènent l'eau mettront en contact l’eau et la matière ignée, et l’éruption commencera par une explosion comparable aux explosions qui brisent les chaudières de nos machines à vapeur. Ce phénomène arrivera surtout quand le contact aura été subit et que l’intro- duction de l’eau se sera faite en abondance, car alors les phéno- mènes de tension seront plus développés. Quand, au contraire, il y aura excès de lave et défaut de vapeur, la lave pourra mon- ter doucement. Dans ce cas, la lave sera rejetée en plus grande quantité, mais les bouleversements du sol et les projections se- ront moins formidables. Telle est probablement l'explication véritable des caractères si variables que présentent les éruptions. Nous venons de voir qu'une pénétration des eaux de la mer est extrêmement probable, et qu'une fois effectuée elle peut expliquer tous les phénomènes mécaniques qu'on observe dans les érup- tions. Nous avons maintenant à démontrer que, non-seulement cette pénétration est possible, mais qu’elle est réelle. Or l'étude des fumerolles va nous fournir pour cela un moyen précieux. En effet, si la théorie que nous soutenons est vraie, l'eau de mer in- filtrée doit être en partie entraînée avec la matière en fusion qu'elle pousse devant elle, et, au milieu de la lave, nous devons retrouver non-seulement des masses d’eau vaporisées, mais en- core tous les sels si variés qui s’y trouvaient en dissolution, ainsi que les produits de leur décomposition réciproque et des altéra- tions diverses qu’ils peuvent éprouver à une haute température. Les produits volatils émis avec la lave nous fourniront, en faveur de l'hypothèse d’une infiltration des eaux de la mer, un argument d'autant plus fort que ces matières seront plus nombreuses et plus variées, si toutefois cette hypothèse peut expliquer leur nombre et leur diversité. Enumérons d’abord toutes ces substances, ce sont : 1° L'eau, le sesquioxyde de fer, le sous-oxyde de cuivre, la ma- gnésie ; — 220 — 2° L'acide chlorhydrique, les chlorures de sodium, de potas- sium, de magnésium, d'ammonium, de fer et de cuivre, de co- balt, de plomb, de manganèse; 3° L'acide carbonique, le carbonate de soude, le carbonate d’ammoniaque ; 4° Le soufre, l'acide sulfureux, lacide sulfurique, l'acide sulf- hydrique; les sulfates de soude, de potasse, de chaux, de ma- gnésie, d’ammoniaque; l’alun; 5° L’hydrogène, le gaz des marais, le gaz oléfiant; 6° L’azote et l'oxygène; 7° Le phosphate de soude, le phosphate de chaux, les chloro- phosphates; 8° L’iode et le fluor, probablement à l’état d’iodures et de fluo- rures alcalins. | I faut que l'hypothèse introduite explique la présence de tous ces corps et, de plus, qu’elle rende compte de leur abondance relative et des circonstances de leur gisement. Or, parmi ces matières, deux se trouvent en abondance dans la mer, ce sont l’eau et le chlorure de sodium. Quand de l’eau de mer est évaporée, le chlorure de sodium constitue les 0,76 du résidu sec. Lorsque la lave arrive au jour, le sel marin constitue aussi la majeure partie du dépôt salin qui se forme dans les fume- rolles à haute température. Nous avons vu, en effet, qu'il y en- trait dans des proportions voisines de 95 p. 0/0, et si, à la fin de l’éruption, la proportion de sulfate de soude augmente considéra- bilement aux dépens du chlorure de sodium, cela tient certaine- ment à une transformation d’une partie du chlorure de sodium en sulfate de soude. Le chlorure de potassium accompagne partout le chlorure de sodium, et quand on analyse des matières recueillies près des cra- tères, on trouve, entre ces deux chlorures, sensiblement le même rapport qu’ils présentent dans l’eau de mer. Il est vrai que dans les fumerolles à haute température de la lave, surtout dans celles qui contiennent de petites quantités de chlorure de cuivre, on trouve le chlorure de potassium en proportion beaucoup plus considé- rable (ordinairement dans le rapport de 7 à 8 p. 0/0); mais cette augmentation extraordinaire dans les proportions de ce sel s’ex- plique parfaitement, comme nous l'avons dit précédemment, quand on songe que les fumerolles de la lave s'élèvent au-dessus — 221 — d'arbres brûlés dont la cendre est éminemment riche en potasse. L’acide chlorhydrique dégagé par la lave transforme cette base en chlorure de potassium. Maintenant il existe dans les eaux de la mer plusieurs sels qu'on ne rencontre pas dans les émanations volcaniques, et réciproque- ment. Nous allons chercher la cause de ces anomalies apparentes et montrer qu'elles affermissent la théorie proposée au lieu de l’é- branler. Examinons d’abord les sels abondants dans l’eau de la mer, qui paraissent manquer dans les dépôts volcaniques. Parmi ceux-ci se trouvent tout d'abord les sels de magnésie , qui manquent à peu près complétement dans les produits des fumerolles : la rai- son de cette absence est facile à expliquer, car on sait que les sels de magnésie se décomposent avec une grande facilité en présence de l’eau sous l'influence de la chaleur. Le chlorure de magnésium par exemple, le plus abondant d'entre eux, ne peut subir une tem- pérature de 100 degrés à l'air libre sans se décomposer complé- tement. Or, quels sont les produits de cette décomposition? Ce sont l'acide chlorhydrique et la magnésie. L’acide chlorhydrique se trouve dans les fumées qui se dégagent de la lave incandescente, et la magnésie, qui n'est pas volatile, s’incorpore dans la lave, dont elle constitue l’un des éléments les plus importants. Dans certains cas exceptionnels cette magnésie a été retrouvée à l’état de liberté, mais toujours en quantité extrêmement petite; généralement elle disparaît dans la lave. Ainsi, ne pouvant rencontrer le chlorure de magnésium dans les famerolles, nous observons les deux produits de sa décomposition, et chacun d’eux a la place spéciale que lui assigne sa volatilité. Si quelque chose doit nous surprendre, c’est de trouver encore, dans les produits sublimés, des traces de chlo- rure de magnésium non décomposé. | Le sulfate de magnésie, qui se rencontre en proportion notable dans les eaux de la mer, s’observe aussi en petite quantité dans les produits de sublimation, mais sa fixité empêche de supposer qw’il ait été réellement volatilisé. D'ailleurs on ne le trouve pas parmi les matières déposées au commencement des éruptions; on ne le trouve qu à la fin, alors que les vapeurs sulfureuses agissent de- puis longtemps sur les roches. Dans ces conditions, les laves, at- taquées à la surface par l'acide sulfurique qui provient d'une trans- formation de l'acide sulfureux ou de l'acide sulfhydrique au con- tact de l'air, doivent donner du sulfate de magnésie. C’est proba- — 222 — blement là l’origine du sulfate de magnésie que nous observons en petite quantité dans les dépôts des fumerolles. Nous devons donc nous demander ce qu'est devenu le sulfate de magnésie apporté dans l'hypothèse d'une pénétration des eaux de la mer. On pourrait certainement invoquer la décomposition de ce sel à une haute température sous l'influence unique de la vapeur d’eau, mais cette décomposition est beaucoup moins facile que celle du chlorure de magnésium. On pourrait encore invoquer l’action des silicates de la lave; mais une réaction d’un autre genre me paraît expliquer encore mieux la décomposition du sulfate de magnésie et en même temps la production du sulfate de soude. La même eau apportant à la fois dans la lave le sulfate de magnésie et le chlorure de sodium, il est naturel de chercher ce que devient, à une très-haute température, un mélange de ces deux sels soumis en outre à l’action de la vapeur d’eau. Cette expérience a été faite, il y a une dizaine d'années, par M. Ramon de Luna et a même servi de base à une fabrication industrielle de sulfate de soude. Je l'ai répétée récemment, et j'ai été surpris de la facilité avec laquelle s’opère la réaction mutuelle des deux sels. I y a, en effet, double décomposition; il se forme du sulfate de soude et du chlorure de magnésium; puis ce dernier corps est décomposé par la vapeur d’eau au fur et à mesure de sa formation, et l’on obtient en défi- nitive un dégagement d'acide chlorydrique et un résidu qui n’est autre chose qu’un mélange de sulfate de soude et de magnésie caustique. Ainsi donc, parmi les produits volatils qui s’échappent d’une coulée de lave, on doit trouver non pas du sulfate de magnésie, mais du sulfate de soude et de lacide chlorhydrique. La magné- sie s'incorpore dans la lave. Des remarques analogues doivent être faites relativement au sulfate de chaux, sel assez abondant dans les eaux de la mer, et qu'on ne retrouve pas, en quantité sensible, dans Îles produits directement sublimés provenant de la lave fondue. On ne l'ob- serve jamais, en proportion notable, qu'à la fin des éruptions, et alors il paraît provenir d’une altération sur place des roches soumises à l’action des vapeurs sulfureuses. Sa volatilité extrème- ment faible, son absence dans les premiers dépôts nous portent à penser qu'il provient d’une réaction secondaire absolument comme le sulfate de magnésie. Mais alors nous devons aussi, — 2923 — comme pour le sulfate de magnésie, nous demander ce qu'est de- venu le sulfate de chaux qui a dû être introduit dans la lave par l’eau de mer. Pour répondre à cette question, nous ferons le même raisonnement que précédemment, et nous serons conduit à exa- miner ce qui se passe quand on chauffe, à une haute température, un mélange de chlorure de sodium et de sulfate de chaux, sous l'influence d’un courant de vapeur d’eau. | Cette expérience donne un résultat plus compliqué que celui que l’on obtient avec le sulfate de magnésie, à cause de la stabi- lité du chlorure de calcium, bien supérieure à celle du chlorure de magnésium. Pour réaliser cette expérience, J'ai mis dans une nacelle de pla- tine un mélange de 971 milligrammes de chlorure de sodium fondu et 2,069 milligrammes de sulfate de chaux parfaitement sec, c'est-à-dire environ une partie de chlorure de sodium pour deux parties de sulfate de chaux. La nacelle a été introduite dans un tube de platine enfermé lui-même dans un tube de porcelaine, et le tout chauffé dans un fourneau à réverbère. L'emploi des deux tubes concentriques est nécessaire, car, lorsqu'on se sert du tube de porcelaine tout seul, le chlorure de sodium volatilisé réagit, sous l'influence de la vapeur d’eau, sur les silicates qui forment le tube, et l’on ne fait pas autre chose que répéter la mémorable expérience de Gay-Lussac et Thénard sur la décomposition du sel marin par les silicates en présence de la vapeur d’eau. Si, au contraire, on se sert seulement d'un tube de platine, le platine se laissant traverser par les gaz, l’oxyde de carbone du fourneau pénètre dans le tube, et l'on obtient des phénomènes de réduction qui compliquent encore les résultats. C’est peut-être pour cette raison que M. Siemens, qui s’est occupé de la question, a obtenu des résultats qui diffèrent sensiblement des miens. Le tube de platine que j'employais communiquait d'une part avec un ballon renfermant de l’eau distillée, et de l’autre avec un tube à dégagement long de 80 centimètres dans sa branche verti- cale et débouchant sous une éprouvette renversée sur le mercure. La nacelle a été chauffée pendant près de six heures au rouge le plus vif, et le dégagement de la vapeur d’eau s’est fait, pendant tout le temps, avec lenteur et régularité. À la fin de l'expérience, une portion de l'air contenu primiti- vement dans le tube de platine avait passé dans l’éprouvette ainsi — 294 — qu'une certaine quantité d’eau condensée. J’ai ouvert le tube quand il a été suffisamment refroidi, et alors j'ai analysé successivement, 1° La matière contenue dans la nacelle: 2° La matière trouvée dans le tube de platine en dehors de la nacelle ; 3° Les substances en dissolution dans l’eau condensée: 4° Les gaz qui avaient passé dans l’éprouvette. 1° Dans la nacelle, le poids des matières contenues était de 1,793°" répartis comme il suit : Sulfate déchet du Vie CRTC 1974 Chlorure de calciuma...}2 2. 26 Lu CPE 336 Cham qus que PR ER IE RER PERRET Di 43 Sulfate de'séudei. ESA EURE LCR traces. 1,793 Ainsi, il ne restait sensiblement dans la nacelle que de la chaux ou des sels de chaux. Les sels de soude avaient été entièrement sublimés. | 2° Dans le tube de platine, le poids de matières retrouvées était de 966" répartis comme il suit : Sulfate de chaux...... nl égs ESS at PAT ISERE . 254 Sultate.de:soudez 05. Re ne RER 972 Soude caustique .......... NE 21 Chiorure de Sodium. 7.2.7... mg dc 219 966 3° Dans le liquide condensé j'ai trouvé : Chlorireide sodinn.h ste Lila dois à Ale ss NS. Acidechloshydeique 22-25 0e Aa ad PE 32 Acide sullureux. .: a ure e ct Led ets or ci GI EEE 3 393 Oxyrénerl MX RRE ONE ENE MEN Er ERT E 20,99 Arokeiso Rent eh cas MAUR Er. pe SAC 79,09: 100,00 Ce gaz représente, non-seulement celui qui provient de la réac- | — 225 — tion opérée, mais encore tout l’air renfermé primitivement dans l'appareil; il n’est donc pas étonnant qu'il diffère si peu de l'air atmosphérique. On peut voir cependant, à l'inspection de ces nombres, qu'il contient probablement un petit excès d'oxygène. Les matières restées dans la nacelle et dans le tube sont forte- ment alcalines, l’eau condensée est au contraire très-acide. Ce qui ressort surtout de cette expérience, c'est que, à une tem- pérature élevée, il y a double décomposition entre le sulfate de chaux et le chlorure de sodium. Il se forme du chlorure de cal- cium et du sulfate de soude. Comme produits secondaires, on ob- tient encore de la soude caustique, de la chaux caustique, de l’a- cide chlorhydrique et de l'acide sulfureux, qui proviennent de la décomposition partielle des sels mis en présence dans ces condi- tions. Enfin la même expérience nous montre encore la très-grande volatilité des sels de soude comparée à celle des sels de chaux. Maintenant, si l'on compare cette réaction avec celle qui devrait se produire si de l’eau de mer était chauffée au sein de la lave en fusion, on voit que le sulfate de chaux contenu dans cette eau devrait fournir, en agissant sur le chlorure de sodium , des produits secondaires identiques à ceux qu'on observe dans toutes les érup- tions. Dans les eaux de la mer, il existe encore certains sels qui ne s'y trouvent relativement qu'en très-petite quantité : ce sont les bromures, les iodures, les fluorures et les phosphates. A part les premiers, qui n’ont jamais été signalés dans les émanations volca- niques, probablement à cause de la difficulté de les reconnaître quand ils sont en très-faible proportion dans un mélange salin, tous les autres sels ont été observés. M. Scacchi a montré l’exis- tence du fluor dans la lave du Vésuve de 1855, M. Ch. Sainte- Claire Deville, M. Bornemann, celle de l’iode dans les émanations gazeuses de Vulcano; enfin les phosphates s’observent dans pres- que toutes les laves et j'en ai trouvé des traces dans tous les échan- tillons de la nouvelle lave de l’'Etna que j'ai examinés. Nous venons de considérer un certain nombre de sels abondants dans les eaux de la mer et qu'on ne retrouve pas dans les produits des éruptions. Nous avons donné les raisons pour lesquelles on observait non ces sels eux-mêmes, mais simplement les produits de leur décomposition. Maintenant, nous allons passer en revue les autres matières qu'on rencontre dans les émanations volca- — 226 — niques et qui semblent, au contraire, manquer dans l'eau de mer. Dans chaque groupe de fumerolles, on observe des substances qui nous offrent ce caractère. C’est pourquoi nous allons exami- ner successivement chacune de ces sortes d’émanations, en discu- tant l’origine des éléments qu’on y rencontre. 1° Les fumerolles à haute température nous offrent, en pro- portions souvent considérables, des carbonates alcalins qui n’exis- tent pas, au moins en quantité sensible, dans les eaux de la mer. Une explication assez rationnelle se présente immédiatement à l'esprit pour rendre compte de la présence de ces sels dans les fumerolles : une température extrêmement élevée règne dans la lave en fusion au moment de sa sortie; les phénomènes de disso- ciation doivent donc s’y produire avec une grande énergie, sur- tout si l’on remarque que la pression, qui était considérable dans l’intérieur du sol, se réduit, au moment où la lave jaillit au dehors, à peu près à la pression atmosphérique. On peut donc supposer avec vraisemblance que les sels de soude transportés par la lave, et particulièrement le silicate de soude qui en fait partie, se décomposent et donnent de la soude caustique, laquelle se transforme bientôt en carbonate en présence de l'acide carbo- nique de l'atmosphère ou de celui qui sort en même temps par les ouvertures des cratères. L'explication que je viens de donner a été proposée, il y a quelques années, par M. Bunsen dans une circonstance bien re- marquable. L'illustre chimiste n’a jamais trouvé dans les volcans ni potasse caustique, ni soude, ni même aucun carbonate alcalin; mais certains produits de décomposition, certaines roches altérées qu’il avait observées lui ont paru si bien s'expliquer par l'inter- vention des alcalis, qu’il a cru devoir admettre leur présence dans les évents volcaniques et chercher même les conditions dans les- quelles la potasse et la soude pouvaient ainsi se trouver à l'état de liberté. Plus d’une objection peut cependant être faite à cette interpré- tation des phénomènes. On peut dire surtout que la dissociation des éléments d’un silicate alcalin ne doit guère s’effectuer au sein d’une masse de lave en fusion, d'autant plus que les deux produits de la décomposition ne possèdent tous les deux qu’une très-faible tension de vapeur, et si la dissociation s'effectue seulement à la — surface du bain, on ne comprendrait guère l'épaisseur du dépôt de carbonate de soude qu’on observe quelquefois. Il faut donc chercher une explication plus vraisemblable. Nous pourrions in- voquer l’action du chlorure de sodium sur le sulfate de chaux en présence de la vapeur d’eau. Nous avons vu, en effet, que cette opération donnait naissance à de la soude caustique; mais 1l existe une réaction plus simple encore, qu'on reproduit artificiellement avec une grande facilité, et qui probablement est la cause princi- pale de la production de la soude caustique dans l'expérience précédente. Cette réaction n’est autre chose que la décomposition du chlorure de sodium exposé seul à l’action de la vapeur d’eau . à une très-haute température. La décomposition du chlorure de sodium par la vapeur d’eau seule a été niée positivement par Gay-Lussac, et cependant j'ai trouvé qu’elle s’opérait sans aucune difficulté, d’une façon incom- plète, il est vrai, mais avec certitude. Le chlorure de sodium sur lequel j'ai opéré était parfaitement exempt de chlorure de magné- sium. Il ne donnait aucune trace de précipité ni par le phosphate de soude ammoniacal, ni par les carbonates alcalins. Évaporé 4 sec et calciné, ce chlorure ne laissait aucun résidu insoluble ; en- fin, de crainte qu'il ne renfermät des traces de carbonates alcalins, il était préalablement évaporé avec un excès d’acide chlorhydri- que. Le chlorure de sodium, qui remplit toutes ces conditions, peut être regardé comme exempt de sels métalliques ou terreux ; j'a- jouterai que celui sur lequel j'opérais avait été préparé avec du carbonate de soude et de l'acide chlorhydrique purs, et qu’au spectroscope il présentait uniquement les raies du sodium. J'ai donc pris du chlorure de sodium offrant toutes ces garanties de pureté, je l'ai chauffé au rouge et soumis alors à l’action d’un courant de vapeur d’eau. Dans ces conditions, j'ai toujours obtenu un dégagement d'acide chlorhydrique et un résidu contenant 2 à 3 p. o/o de soude caustique. En prolongeant longtemps l’expé- rience, on n'augmente que très-peu la quantité de soude pro- duite ; mais la décomposition du chlorure de sodium commence dès qu'on essaye d'amener à sec une dissolution de ce sel sur un bain de sable chauffé à la température d'environ 200 degrés, et il est presque impossible de fondre le chlorure de sodium sans qu'après fusion il présente une réaction alcaline très-marquée. Or, dans les dépôts récents qui se forment, à haute tempéra- — 228 — ture, à la surface des laves, on trouve toujours, en même temps, du chlorure de sodium et de la soude (transformée en carbonate de soude, probablement par l'acide carbonique de l’air). En outre, on observe un dégagement d'acide chlorhydrique, acide qu’on ne trouve jamais à l'état de liberté dans l’intérieur de la roche, pas plus que la soude caustique. Il n’y a que le chlorure de so- dium qui puisse à la fois engendrer ces deux corps, au contact de la vapeur d’eau qui l’accompagne. Il est donc presque certain qu'il se passe là une réaction identique à celle qu'on peut opérer dans le laboratoire. Avec le carbonate de soude et le chlorure de sodium , et plus constamment peut-être, quoique en moindre quantité que ce dernier sel, nous trouvons dans les volcans le sulfate de soude, sel qui n'existe pas normalement dans les eaux de la mer. Il est vrai qu'on peut l’extraire de l’eau des maraïs salants en Y produi- sant des cristallisations à une basse température, mais cette con- dition est si éloignée de celles qui peuvent exister dans un foyer volcanique qu'on doit chercher une tout autre explication. Après ce que nous avons dit précédemment, l'explication se présente d'elle-même. D'abord, la majeure partie de ce sel, sur- tout à la fin des éruptions, provient d’une décomposition du carbonate de soude et du chlorure de sodium par l’acide sulfu- rique, dû lui-même à une oxydation de l'acide sulfureux ou de ‘ l'acide sulfhydrique. Le reste provient d’une double décomposi- tion opérée entre le chlorure de sodium et les sulfates de chaux et de magnésie de l’eau de la mer sous linfluence d’une très- haute température. Le sulfate de potasse résulte d’une décomposition analogue éprouvée par le chlorure de potassium. 2° Dans les fumerolles acides, on observe d’abondants dégage- ments d'acide chlorhydrique, et l’on sait cependant qu'il n'existe pas d'acide libre dans l’eau de la mer. Ce gaz ne peut donc pro- venir que de réactions chimiques opérées au milieu du bain in- candescent. Or les réactions capables d'expliquer ce dégagement sont assez nombreuses, ce sont : la décomposition du chlorure de magnésium par la vapeur d’eau, celle du chlorure de sodium sous l'influence de la vapeur d’eau seule ou bien en présence des sulfates ou des silicates. Celle de ces réactions que nous venons de citer en dernier lieu, savoir la décomposition du chlorure de 0 — sodium par les silicates en présence de la vapeur d’eau, est célèbre dans les annales de la science. C’est la première expérience syn- thétique, à l’aide de laquelle on soit parvenu à reproduire fidè- lement un phénomène géologique naturel. Elle a été exécutée en commun par Gay-Lussac et Thenard, et, malgré l’époque déjà an- cienne à- laquelle elle a été faite, elle n'a rien perdu de son importance. La décomposition du chlorure de magnésium par l’eau à une température même peu élevée est un fait connu depuis longtemps, et, quant aux autres réaclions, j'ai indiqué précédemment com- ment on pouvait les reproduire artificiellement. La formation de l'acide chlorhydrique aux dépens des sels contenus dans l'eau de la mer s'explique donc très-rationnelle- ment. Néanmoins nous rencontrons là une difficulté qui doit ap- peler notre attention. Comment se fait-il que les fumées acides soient plus abondantes dans les fumerolles du second ordre que dans celles dont la température est plus élevée, ou, en d’autres termes, pourquoi la richesse en acide chlorhydrique augmente- t-elle quand la température s’abaïisse et qu'on passe de la première période éruptive à la seconde? Les dépôts formés dans les fume- rolles à très-haute température sont souvent alcalins, et, dans tous les cas jamais acides, et l'odeur suffocante de l'acide sulfureux et de l'acide chlorhydrique se fait sentir avec bien plus d'intensité dans le voisinage des fumerolles acides qu'auprès des fumerolles dont la température est plus élevée. L'augmentation dans la proportion des fumées acides semble donc un fait incontestable, quand on passe des fumerolles qui déposent des sels alcalins à celles qui n’abandonnent plus que du chlorure de fer et du chlor- hydrate d'ammoniaque. On pourrait répondre que, dans le premier cas, la haute tem- pérature de la fumerolle est précisément la cause qui empêche le dépôt des substances très-volatiles comme le perchlorure de fer ou le chlorhydrate d’ammoniaque, et que ces matières, chassées au loin dans l'atmosphère, incommodent beaucoup moins que lorsqu'elles se condensent autour de leurs orifices de sortie en for- mant un épais nuage. Enfin c'est surtout dans les fumerolles sèches que les vapeurs acides font principalement défaut, et nous avons vu que ces fumerolles avaient un caratère tout spécial, qui expliquait cette anomalie. Dans toutes les autres fumerolles à MISS. SCIENT. — III. 16 — 230 — haute température déposant des sels alcalins, la production de l'acide chlorhydrique est aussi abondante que dans les fumerolles du second groupe. Cependant, dans le cas même où les vapeurs acides seraient réellement moins abondantes dans les fumerolles à très-haute température que dans les autres, on pourrait encore rendre compte du fait d’une manière assez vraisemblable. On sait, en effet, d'après les expériences de M. Henri Sainte-Claire Deville, que les affinités chimiques diminuent notablement quand la température devient très-élevée, et par suite qu'une foule de doubles décompositions qui s’opèrent à une température mé- diocre n'ont plus lieu quand le degré de chaleur devient trop considérable. Les corps entre lesquels les réactions devraient s'opérer restent alors inertes en face les uns des autres. Il ne serait donc pas étonnant que plusieurs des réactions citées pré- cédemment n'aient pas lieu, quand la température dépasse une certaine limite. Une fois la présence de l’acide chlorhydrique dans les fume- rolles expliquée, la formation des chlorures de fer, de cuivre, de manganèse, de cobalt, de plomb, celle des oxydes de quel- ques-uns de ces métaux, s'expliquent alors tout naturellement. Les chlorures de cobalt, de plomb, de manganèse sont extrêmement rares ; le plus souvent, on n’en trouve que des traces. Les com- posés cuivreux sont assez communs dans les fumeroliles à très- haute température, mais ils y sont toujours en petite quantité. En somme, ce sont des corps peu importants. Il n’en est pas de même du perchlorure de fer, qui est d’une abondance extrême dans les fumerolles acides. L'action de l'acide chlorhydrique sur les silicates ferrugineux de la lave rend parfaitement compte de sa formation. Ce chlorure se transforme à son tour en fer oligiste sous l'influence de la vapeur d’eau, et les dépôts des fumerolles acides passent alors du jaune plus ou moins clair au rouge ou au brun. Dans certaines conditions même, le sesquioxyde de fer se présente à l'état cristallisé sous forme de lamelles hexagonales connues sous le nom de fer spéculaire. Gay-Lussac a reproduit artificiellement cette décomposition du perchlorure de fer par la vapeur d'eau et a pu obtenir du fer pe. 58 offrant la même apparence que celui des volcans. La formation de la ténorite (sous-oxyde Fe cuivre), que l’on trouve en paillettes brunes cristallines, et celle de l’hydrate de — protoxyde decuivre, que l’on rencontre souvent dans les famerolles à très-haute température, s’expliqueraient de la même manière, par l’action de l’eau sur le chlorure de cuivre. Enfin l'acide chlorhydrique contribue également à former le chlorhydrate d’ammoniaque, qui certainement est l'élément solide volatil le plus abondant de toute l'éruption. Nous avons déjà dit que la décomposition des végétaux et des autres matières organi- ques rencontrées par la lave à la surface du sol produisait la majeure partie de l’ammoniaque, qui forme la base de ce sel; mais il nest pas douteux qu’une partie de l'ammoniaque ne soit amenée par la lave elle-même. C’est donc maintenant qu'il nous faut poser la question suivante : Comment l’ammoniaque s'engendre-t-elle dans les entrailles de la terre? Deux explications se présentent à nous. On sait que les élé- ments de l’eau se dissocient à une haute température, et d’ail- leurs la vapeur d’eau contenue dans la lave s'y trouve en contact avec des silicates ferrugineux susceptibles de suroxydation, et qui pourraient même seuls déterminer sa décomposition ; il est donc certain qu'il doit se dégager de l'hydrogène libre. Maintenant, les évents volcaniques donnent issue à des quantités considérables d'air en partie dépouillé d'oxygène. L’hydrogène naissant et l'azote se rencontrent donc au sortir d’un bain de matière en fu- sion et en présence de l'acide chlorhydrique. On peut, par suite, sans trop de témérité, supposer qu'il se forme de l’ammoniaque dans ces conditions. La production de l'hydrogène naissant expliquerait en même temps la formation de l'acide sulfureux, du soufre et de l'acide sulfhydrique par la décomposition de l'acide sulfurique des sul- fates sous l'influence de ce corps, et par suite, la formation des soufrières. Enfin elle rendrait compte des dégagements d’'hydro- gène libre qu'on observe quelquefois, et peut-être aussi de celle des carbures d'hydrogène qui se dégagent dans le voisinage de l'Etna et du Vésuve, à des distances plus ou moins grandes de ces volcans. Mais on peut encore donner une autre explication plus simple que la précédente et qui rend même mieux compte des phénomènes. On sait qu'il existe dans la mer une proportion telle de ma- tières animales et végétales que certains auteurs n’ont pas craint de la comparer à une vaste dissolution de matière organique. Si 16. — 232 — donc l’eau de mer est la cause des éruptions, on doit retrouver non-seulement ses sels, mais encore les produits de la décomposi- tion des substances azotées qu'elle contient en si grande quantité. Elle doit donc fournir une portion de l’ammoniaque qu’on retrouve dans les fumerolles à l’état de chlorhydrate et qui, en agissant sur les sulfates à une haute température, amène les phénomènes de réduction que nous avons précédemment signalés. La décom- position de ces matières expliquerait encore l'hydrogène libre, les carbures d'hydrogène et l’acide carbonique dont on observe le dégagement, bien que, pour ce dernier gaz, on doive surtout in- voquer la décomposition si facile du carbonate de chaux en pré- sence des masses incandescentes. Enfin la décomposition de ces mêmes substances organiques expliquerait encore l'existence si constante des traces de phos- phate que l’on rencontre dans la lave. 3° Les fumerolles du troisième groupe offrent deux éléments étrangers à l'eau de mer : ce sont le carbonate d’ammoniaque et l'acide sulfhydrique. Nous avons vu que le premier provenait très-probablement de la décomposition des matières végétales rencontrées par la lave à la surface du sol. Quant à l'acide sulf- hydrique, sa présence s'explique, comme celle de l'acide sulfu- reux ou du soufre, par une réduction des sulfates en présence de l'hydrogène naissant. On ne rencontre généralement pas ce corps dans les fumerolles acides, simplement parce qu’à la température élevée de ces fumerolles, il brülerait facilement au contact de l'air ou serait décomposé par l'acide sulfureux en présence de la vapeur d'eau. Tous les autres produits qu'on rencontre dans les émanations volcaniques sont composés d'éléments identiques à ceux des ro- ches ou des autres matières minérales qui composent l'écorce terrestre ; nous voyaus donc que l'introduction des eaux de la mer jusqu'au contact de la masse fluide formée par ces roches fondues suffit pour expliquer la nature de tous les produits qu’on rencontre dans une éruption. Ainsi l'hypothèse d’un fluide igné sous-jacent à l'écorce terrestre, jointe à celle de l'introduction des eaux de la mer dans les profondeurs du sol, suffirait pour expli- quer parfaitement les effets mécaniques et les phénomènes chi- miques si variés que l’on observe dans les volcans. Voyons maintenant les conclusions auxquelles on serait conduit, — 233 — si l'on refusait d'admettre la théorie précédente. Dans ce cas, il est évident que l’on devrait avoir recours à la seconde hypothèse faite par Gay-Lussac et admettre dans l'intérieur du sol la pro- duction d’actions chimiques d’une puissance extrême. Or il est évident qu'on ne peut faire un choix arbitraire parmi toutes les réactions chimiques connues. Il faut que ces réactions satisfassent aux conditions suivantes : 1° Parmi les matières aptes à entrer en combinaison, on ne doit considérer que celles qui sont naturellement abondantes soit à la surface, soit dans l’intérieur de la terre. 2° Il faut que ces matières possèdent de puissantes affinités réciproques, afin de pouvoir produire l'énorme dégagement de chaleur et les effets mécaniques que l’on observe. 3° Les corps destinés à réagir ainsi les uns sur les autres doi- vent être d'abord étrangers au foyer volcanique et y pénétrer seulement de temps en temps, car les éruptions sont intermit- tentes; dans leur intervalle, il s'écoule des périodes de repos relatif, et, pour que l'équilibre soit de nouveau troublé, il faut qu'il se produise des rapprochements accidentels entre des corps qui auparavant ne se trouvaient pas en contact. Il doit donc y avoir au moins une des substances réagissantes qui soit douée d’une mobilité facile, et qui, par conséquent, soit gazeuse ou liquide. 4° Enfin, parmi les matières que rejettent les cratères, on doit retrouver, en quantité notable, les produits résultant des com- binaisons effectuées entre les éléments chimiques qu'on suppose avoir réagi les uns sur les autres ; et de plus, ces éléments étant connus, on doit pouvoir expliquer la production des nombreux corps simples ou composés qui sont vomis par les bouches volca- niques, ainsi que les réactions qu'ils sont susceptibles d'exercer les uns sur les autres ou sur les matières qui constituent le sol. Or, si l’on cherche parmi les substances naturelles quelles sont celles qui sont capables de remplir ces conditions diverses, on n'en trouve qu'une seule, c’est l'eau. L'eau possède des affinités puissantes ; en agissant sur certains-corps elle développe des quan- tités considérables de chaleur; et en même temps c'est un des corps les plus abondants de la nature. Son état liquide ordinaire, sa propriété de mouiller les matières terreuses, rendent facile sa pénétration dans l’intérieur du sol, soit qu'elle circule dans des — 234 — conduits souterrains, soit qu’elle s'enfonce par imbibition au tra- vers des roches. Elle peut, à partir de la surface du sol, descendre en quantité variable dans les profondeurs, suivant les conditions accidentelles de la pénétration. Enfin elle tient ordinairement en dissolution un certain nombre de sels qui peuvent intervenir aussi dans les réactions. Reste donc uniquement à savoir quelles sont les substances qu’elle vient fortuitement trouver dans le sein de la terre, et si, en agissant sur elles, elle remplit la dernière condi- tion que nous avons posée. Avant de discuter cette question, je dirai tout d’abord qu'elle a passé par des phases diverses et qu’elle a progressé en même temps que la chimie. La plus ancienne hypothèse sérieuse qui ait été mise en avant est celle de Lémery. Elle est fondée sur l'expérience suivante : quand on fait un mélange de soufre en fleur et de limaille de fer et qu'on le couvre d’une mince couche de terre, après l'avoir humecté légèrement, on remarque bientôt une élévation notable de température; le mélange effectué ne tarde pas à se gonfler, la terre dont il est enveloppé se couvre de crevasses; il se dégage en abondance de la vapeur d’eau et des gaz sulfurés, et quelquefois même la chaleur produite est suffisante pour amener l'incandes’ cence de la matière. Nous connaissons maintenant exactement les réactions chimiques qui s’accomplissent dans cette expérience. Nous savons qu'il s'y dégage un mélange d'hydrogène et d'acide sulfhydrique, et que le résidu de l'opération consiste principa- lement en sulfate de fer. Quand cette expérience fut faite pour la première fois, on si- maginait que le soufre et les matières sulfurées étaient d’une abondance extrême dans les volcans. On vit donc, dans la décou- verte de Lémery, une explication nette et simple de tous les phé- nomènes volcaniques, et jusqu'à la fin du dix-huitième siècle cette explication fut adoptée à peu près par tout le monde. Mais, à cette époque, des observations commencèrent à être faites sur place. Spallanzani exécuta des expériences pour démontrer la fausseté de la théorie de Lémery, et peu à peu ces idées se trou- vèrent abandonnées. En 1823, elles étaient tellement rejetées que Gay-Lussac, dans son mémoire, ne les discute même plus. Il se con- tente seulement de dire «qu’il ne peut concevoir que le soufre, d'après ses propriétés connues, soit un agent des feux volcaniques. » — 235 — Il y a, en effet, à opposer à cette théorie, une foule d’impossi- bilités dont la principale certainement est l'absence presque com- plète du sulfate de fer dans les produits volcaniques, tandis que, d’après Lémery, ce composé devrait en être l'élément principal. L’extrême rareté de l'hydrogène et le peu d'abondance de l'acide sulfhydrique parmi les matières gazeuses rejetées fourniraien une objection de même ordre. Pour ces raisons et pour beaucoup d’autres non moins sérieuses, que je me dispense de signaler ici, l'explication des phénomènes éruptifs d'après l'expérience du volcan de Lémery se trouve au- jourd’hui complétement délaissée. À l'époque où cette hypothèse commençait déjà à perdre de sa popularité, il s'en est produit une autre non moins éloignée de la vérité. La couleur noire de la lave, inflammation de cer- taines mines de houille sous: des influences accidentelles mal dé- terminées, la combustion spontanée des amas de lignites par suite de l'oxydation et de l'élévation de température des pyrites qui les accompagnent, avaient fait penser que tous les volcans en activité recélaient dans leur intérieur des masses considérables de matières charbonneuses embrasées, et les dégagements abon- dants d'acide carbonique constatés dans la plupart des volcans semblaient donner raison à cette manière de voir. L’illustre Wer- ner, le fondateur de la géonosie moderne, soutenait ces idées, auxquelles deux chimistes éminents, Klaproth et Vauquelin, ont prêté l'autorité de leur science. | Pour réfuter cette théorie, Gay-Lussac emploie le raisonne- ment suivant : « Il suffit, dit-il, de remarquer que, lorsqu'un mi- néral fusible et contenant même moins de 0,10 d'oxyde de fer est chauffé fortement dans un creuset brasqué, il se réduit beau- coup de fer, ainsi que Klaproth l’a fait voir dans le premier vo- lume de ses Essais. De plus, d’après MM. Gueniveau et Berthier, il ne reste pas plus de 3 à 4 centièmes d'oxyde de fer dans les scories des hauts fourneaux; or les laves contenant beaucoup de fer, et les basaltes qu'on a analysés en contenant de 15 à 25 centièmes, il n’est pas probable qu’il puisse rester du carbone en présence d’une aussi grande quantité de fer sans. le réduire. » Cinq ans plus tard, en 1828, Humphry Davy, exposant ses propres opinions sur l’origine des éruptions volcaniques, croit en- core nécessaire d'apporter de nouveaux arguments contre cette si A A même hypothèse. Voici ce qu’il en dit : « Parmi les causes aux- quelles on attribuait autrefois les feux volcaniques, la combustion du charbon minéral est une de celles qu'on a le plus généralement adoptée; mais il est complétement impossible d'expliquer par là les faits connus. Quelque considérable qu’une couche de houïlle puisse être, la combustion sous terre ne saurait jamais produire une chaleur violenté; car la formation de l'acide carbonique quand une libre circulation de l'air n'existe pas doit tendre cons- tamment à empêcher la combustion. Si une telle cause avait quelque réalité, il est à peine possible de supposer que la ma- tière charbonneuse n’ait pas été trouvée, soit dans la lave, soit dans les produits aqueux ou salins qui s’échappent par la bouche du cratère. Il est arrivé souvent en Angleterre que des couches de houille ont brûlé longtemps; mais les produits ont été de l'argile et des schistes cuits et jamais rien de semblable à la lave. » Ajou- tons à cela que Humphry Davy, dans l’excursion qu’il avait faite au Vésuve, en 1819 et 1820, avait exécuté un grand nombre d'essais pour démontrer positivement l’absence du charbon dans la lave. Enfin nous devons dire que l'acide carbonique est beaucoup moins abondant parmi les produits qui se dégagent des volcans en activité, quon ne l'avait cru d'abord. Quand on veut trouver un dégagement abondant d’acide carbonique, ce n’est pas dans la cavité d’un cratère encore actif qu'il faut le chercher, c’est dans des crevasses du sol éloignées du centre éruptif ou bien en- core dans des cratères à demi éteints, où les autres produits vo- latils ordinaires des éruptions ont cessé de se montrer. C'est ce que les observations de M. Ch. Sainte-Claire Deville et les miennes démontrent d’une façon positive. La combustion des matières charbonneuses ne peut donc être la cause des phénomènes vol- caniques. Une autre hypothèse a été proposée par Gay-Lussac, sans pour- tant qu'il y attachât lui-même une grande certitude. Gay-Lussac avait été frappé au Vésuve de labondance des fumées chargées d'acide chlorhydrique qui s’y produisent dans une certaine période des éruptions, et, dans les expériences de synthèse qu’il fit ensuite dans son laboratoire, il avait remarqué la grande élévation de tem- pérature qu'on observe quand on fait réagir l’un sur l’autre l’eau et le perchlorure de fer. Ces deux observations le conduisirent à — 237 — penser que, si dans l’intérieur du sol le silicium et l'aluminium étaient à l’état de chlorures, l'eau provenant des infiltrations pour- rait bien, en réagissant sur ces corps, amener un grand dégage- ment de chaleur capable d'expliquer la haute température des volcans. En même temps, on obtiendrait, comme produits de la réaction, de l’acide chlorhydrique, de la silice et de l'alumine, substances dont l'existence est bien démontrée, soit dans la lave, soit dans les produits volatils qui s'en échappent. Cette hypothèse semble donc concorder avec les faits, bien mieux que les précé- dentes. Cependant il n'en est rien. Et d’abord Gay-Lussac a re- marqué lui-même que la quantité d'acide chlorhydrique dégagée dans un volcan n'est nullement en rapport avec l'intensité des phénomènes éruptifs. Ensuite, il serait bien difficile d'expliquer comment une substance aussi volatile que le chlorure de silicium pourrait se trouver renfermée dans le sein de la terre; et enfin, quand on calcule la quantité minima de ce corps qui aurait dü intervenir pour produire les phénomènes calorifiques et méca- niques d’une éruption, comme celle de 1865 à l’Etna, on arrive à trouver un nombre tellement considérable, qu'il est impossible de supposer dans l’intérieur du sol un amas pareil d’une substance qui, Jusqu'à présent, a été exclusivement un produit de labora- toire. Comme j'aurai bientôt à invoquer un raisonnement analogue pour réfuter une autre hypothèse plus connue encore, celle de Davy, je vais indiquer, aussi brièvement que possible, la manière dont j'ai fait ce calcul approximatif. Les deux matières importantes rejetées par les cratères sont la lave et la vapeur d’eau. J'ai cherché la quantité de chaleur né- cessaire pour leur donner la température qu'elles possèdent et pour les amener au jour. Puis, après avoir déterminé expérimen- talement la chaleur produite par la décomposition de quelques grammes de chlorure de silicium, j'ai pu facilement en conclure la quantité de ce corps qui devrait être décomposée pour engen- drer un dégagement de calorique égal à celui qui donne naissance aux phénomènes éruptifs. Telle est la marche générale de ce calcul. Entrons maintenant dans quelques détails sur les nombres auxquels il conduit. Voyons d'abord quelle est la quantité de chaleur nécessaire pour donner à la lave écoulée la haute température qu'elle possède au mo- ment de sa sortie. Dee La lave de 1865 à l’Etna s’est étendue sur une longueur de 7,500 mètres, avec une largeur moyenne de 750 mètres et une épaisseur de 6 mètres. Son volume total a donc été d'environ 34 millions de mètres cubes, ou à peu près égal à 12 fois le volume de la plus haute des pyramides d'Égypte. Son poids était, par suite, égal environ à 98 millions de mètres cubes d’eau. La chaleur spé- cifique de la lave est très-voisine de 1,8 et, en la supposant portée à la température de 1,000 degrés au moment de sa sortie, ce qui n’a rien d'exagéré, puisqu'elle fond le cuivre avec facilité, on trouve qu’il a fallu, pour l’élever à cette température, environ 17 milliards de kilocalories. (J’appelle kilocalorie la quantité de chaleur nécessaire pour élever d’un dégré la température d’un mètre cube d’eau à 0°.) Nous ne savons nullement la profondeur d’où provient la lave, mais, dans tous les cas, la quantité de chaleur nécessaire pour l'amener à la surface du sol doit être assez faible par rapport à la précédente. En effet, en supposant qu'elle provienne d’une profondeur de 20 kilomètres, épaisseur que la plupart des géo- logues modernes attribuent à peu près à lécorce terrestre, on trouve, en transformant en chaleur le travail effectué, un nombre qui s'élève seulement à environ 4 milliards de kilocalories. Mais ce nombre est probablement beaucoup trop fort, et, pour rester dans les idées des géologues qui regardent les réactions chimiques comme la cause des éruptions volcaniques, et qui pensent que le foyer souterrain est situé très-peu profondément, je supposerai que la lave vient de points situés seulement au niveau de la mer, c'est-à-dire, à 2 kilomètres au-dessous de l’orifice des cratères. Alors la chaleur nécessaire pour produire son mouvement éléva- toire se réduit à 4oo millions de kilocalories. Dans cette hypo- thèse, l'élévation de température de la lave et son mouvement d’ascension exigent donc à peu près un minimum de 17 milliards et demi de kilocalories. Faisons maintenant le même calcul pour l’eau. La quantité de matières volatiles émises par l'un des cratères nouveaux, celui que J'ai désigné par le n° 5, peut être regardée comme représentant la production moyenne de tous les cratères de cette éruption. Je le prendrai donc pour terme de comparaison. Or ce cratère a dé: toné pendant cent jours, à peu près toutes les quatre minutes, en donnant chaque fois naissance à une épaisse colonne de vapeur — 239 — d’eau ayant environ 4,000 mètres carrés de section et 300 mètres de hauteur. En supposant l’espace qu'elle occupait saturé de va- peur à la température de l'atmosphère, qui était d'environ 15 de- grés au milieu de la journée à la fin de mon séjour (et cette sup- position est exacte, car il Y avait toujours condensation), on arrive à trouver que la vapeur rejetée à chaque explosion par ce seul cratère représente un volume de 10 mètres cubes. Admettons que tous les cratères réunis aient fourni six fois _ autant, cela nous donnerait 60 mètres cubes pour la quantité d’eau lancée à chaque détonation générale. Par suite, ces cratères auraient ainsi fourni 22,000 mètres cubesd’eau par jour et environ 2 millions de mètres cubes pendant la durée totale de l’éruption. Cette eau, étant à l’état de vapeur et partageant la température élevée de la lave au moment de sa sortie, avait pris par con- séquent, pour arriver a cet état, un nombre d'environ 3 + mil- liards de kilocalories. La quantité de chaleur nécessaire pour l’amener à l'extérieur est ici tout à fait négligible. l1 résulte donc de là qu’une combinaison chimique quelconque capable de donner naissance à l’éruption de 1865 aurait dû four- nir au moins: one 0... environ 17 + milliards de kilocalories. 1 A la vapeur d’eau... 3 I .: PC PIDPIT 21 milliards de kilocalories. Or 6 grammes de chlorure de silicium, décomposés par 500 grammes d’eau à 7°,5, donnent un mélange dont la température est de 13°,8. On peut conclure de là que la décomposition d'un kilogramme de ce corps engendre un dégagement de chaleur égal à 315 calories, et 1,000 kilos de la même matière, en se décom- posant au contact de l’eau, donneraient 315 kilocalories. De là suit qu'il faudrait admettre l'intervention et la décomposition par l'eau de 66 millions de mètres cubes de chlorure de silicium pour retrouver les 21 milliards de kilocalories, qui ont manifesté leur action pendant la durée de l’éruption de 1865. On devrait donc supposer qu'il y avait au-dessous du point où se sont ouverts les nouveaux cratères un amas de chlorure de silicium, dont le volume serait vingt fois plus considérable que celui de la plus haute py- ramide d'Égypte. — 240 — De plus, il faudrait en supposer à peu près autant au-dessous des cônes de chaque éruption, et alors, quand on évalue ainsi la quantité de chlorure de silicium qui aurait dû se trouver origi- nairement au-dessous de l’'Etna, on arrive à des nombres tellement fabuleux qu'on est obligé immédiatement de renoncer à l’hypo- thèse introduite. La découverte du potassium et du sodium par Humphry Davy le conduisit à proposer une théorie bien plus séduisante que toutes les précédentes. Les métaux alcalinsetalcalino-terreux décomposent l'eau même aux températures ordinaires de l'atmosphère; en s’oxydant ils dé- gagent une grande quantité de chaleur; enfin, leurs oxydes combi- nés avec la silice entrent en très-forte proportion dans la com- position des Îaves. Il n’est donc pas étonnant que Davy ait eu l’idée de supposer un énorme noyau de métaux alcalins et terreux oc- cupant les parties centrales du globe, et d'attribuer les phénomènes volcaniques à l'oxydation de ces corps produite par l’eau infiltrée dans l’intérieur l'écorce terrestre. Ampère adopta cette idée et en fit la base de son système cosmogonique. D’après lui, la terre n'aurait été dans l'origine qu'un énorme globule de métaux inox ydés, qui, en s’unissant à l'oxygène de l'atmosphère, auraient formé toutes les roches et les matières terreuses que nous con- naissons. Le savant chimiste auteur de cette hypothèse, ayant assisté à une éruption du Vésuve en 1819, étudia avec attention les pro- duits qui se déposaient à la surface des laves, et reconnut qu'ils étaient, en grande partie, formés par des sels de potasse et de soude, comme sa théorie le faisait prévoir; mais il ne constata l'existence d’aucun dégagement d'hydrogène appréciable, tandis que la décomposition de l’eau par les métaux alcalins aurait dû mettre en liberté des torrents de ce gaz. Aussi, dans le mémoire qu'il publia à son retour et qui a été traduit dans les Annales de phy- sique et de chimie, après avoir réfuté toutes les théories proposées avant lui, s’il soutient encore la sienne : c’est uniquement ; dit-il ; parce qu’il ne voit aucune autre cause suffisante pour expliquer les phénomènes volcaniques. Plus tard, l'impossibilité dans la- quelle il se trouvait de pouvoir expliquer les dégagements d’acide chlorhydrique, d'acide sulfureux et des autres composés volatils qu'on observe dans les éruptions, augmenta encore ses doutes — 241 — sur la valeur de sa théorie, et il finit même, dit-on, par y renoncer complétement. Cependant, cette hypothèse étant encore la plus vraisemblable de toutes celles qui ont été invoquées pour expliquer les phé- nomènes volcaniques, quand on n’admet pas l'existence du feu central, les savants qui regardent la terre comme entièrement solide se sont rattachés et pour ainsi dire cramponnés à la théo- rie de Davy, de telle sorte qu’elle compte encore aujourd’hui un petit nombre d’adhérents. I faut dire aussi qu'une des ob- jections les plus graves qu'on puisse lui opposer, c'est-à-dire l'absence à peu près complète d'hydrogène dans les dégagements gazeux des volcans, à été fortement attaquée et critiquée par M. Bunsen. Dans les solfatares de Krisuvik et de Reykjahlidh en Islande, le sol est couvert d'une boue noirâtre, au milieu de laquelle s’échap- pent avec violence des jets de vapeur et de gaz contenant jusqu’à 25 p. 0/0 d'hydrogène. M. Bunsen, ayant effectué un cubage de gaz à l'une des sources de Krisuvik, a trouvé qu'il ne s’y produi- sait pas moins de 12 kilogrammes d'hydrogène en 24 heures, et il ajoute qu’en admettant que toutes les innombrables sources de champs de ces fumerolles ne fournissent qu'une quantité de gaz cent fois plus considérable {estimation bien certainement de beau- coup inférieure à la réalité), il devient cependant possible de prou- ver par le calcul que la quantité de lave équivalente à ce dégage- ment d'hydrogène suffit pour produire, entre les deux dernières éruptions de l'Hékla, toute la lave qui a coulé en 1845. Presque immédiatement après la publication du mémoire de M. Bunsen sur l'Islande, M. Charles Sainte-Claire Deville et M. Félix Leblanc reconnaissaient ensemble la présence de lhy- drogène dans les émanations gazeuses des lagonis de la Toscane, et le premier de ces deux observateurs, visitant ensuite les eaux minérales de la Sicile, qui sont évidemment des annexes de l'Etna, constatait encore qu'un grand nombre d’entre elles don- naent lieu à des dégagements du même gaz. De plus, en 1861, une éruption du Vésuve, ou j'eus l'honneur d'accompagner M. Ch. Sainte-Claire Deville, nous donna l’occasion d'observer une production de gaz combustibles plus remarquable encore tant par son abondance que par les circonstances dont elle était accompagnée. La fissure sur laquelle les cratères de 1861 se — 242 … trouvaient implantés s'était étendue au travers de la ville de Torre del Greco, dont elle avait occasionné la ruine; puis elle se prolongeait dans la mer à une distance de plusieurs centaines de mètres, et dans cette partie de son ouverture donnait nais- sance à de puissants jets de gaz, qui sortaient en bouillonnant au milieu de l’eau. Or ces gaz contenaient 0,75 p. o/o d’hydro- sène libre, mélangé en outre de 0,25 p. 0/0 de protocarbure d'hydrogène. Enfin j'ai retrouvé récemment l'hydrogène et d’autres gaz combustibles dans les eaux minérales gazeuzes annexes de l’'Etna et du Vésuve, visitées en 1856 par M. Ch. Sainte-Claire Deville. L'hydrogène n’est donc pas aussi rare dans les volcans qu'on l'avait cru d’abord, et l’on peut même dire, d’après ce qui a été observé à l’'Hékla, au Vésuve et à l’'Etna, que l'hydrogène paraît être un produit volcanique constant; mais, chose remarquable, ce n'est pas dans les centres volcaniques, ce n’est pas dans les cratères en activité qu'on l’observe, c'est dans les évents secon- daires où les phénomènes éruptifs ne présentent qu’une médiocre intensité. Bien des fois, M. Ch. Sainte-Claire Deville et moi nous avons recueilli les gaz dégagés dans les cratères du Vésuve et de l’'Etna, en opérant soit ensemble, soit séparément, et jamais nous n'y avons trouvé d'hydrogène libre. M. Mauget, au Vésuve, et M. Silvestri, à l'Etna, sont constamment arrivés au même résultat négatif. L'absence ou au moins l’extrême rareté de l'hydrogène dans les dégagements des cratères est donc un fait certain. Il s’y forme, il est vrai, de l’ammoniaque, de l'acide chlorhydrique et de l'acide sulfhydrique, qui sont des composés hydrogénés; il s’y produit aussi des phénomènes de réduction très-marqués. Mais la quantité d'hydrogène indispensable pour la production de tous ces phénomènes est réeHement bien insignifiante, quand on la compare à l'énorme quantité de ce gaz que suppose la théorie de Davy. 7 Il est encore vrai qu'il est impossible d'approcher des cratères dans les premiers temps d’une éruption, et par suite qu'on ne peut recueillir et analyser les gaz dégagés dans cette première période, malgré tout l'intérêt qu'offriraient les expériences. Mais alors l'hydrogène, étant combustible, devrait brûler en arrivant au contact de l'air et produire des flammes facilement visibles. Quand on fait arriver à laide d’un tube de platine un dégage- mo. QUES ment d'hydrogène au travers d’un bain de lave fondue dans un creuset , le gaz brûle avec une flamme jaune lumineuse due aux sels de soude entraînés; le même phénomène devrait évidem- ment se produire dans la nature, s’il y avait réellement de l’'hy- drogène parmi les gaz dégagés. M. Bunsen tourne cependant cette difficulté opposée à la théorie de Davy en faisant remarquer que le gaz dégagé n’est pas de l'hydrogène pur, mais un mélange gazeux, qui, en lui supposant la composition de celui qu’on recueille dans les fumerolles de l'Islande, produit en brülant une température de 152 degrés, tem- pérature bien inférieure à celle qui est nécessaire pour enflammer l'hydrogène. Il est donc tout naturel, dit-il, que la présence des gaz combustibles échappe à l'œil au sein du foyer embrasé. L'ab- sence de flammes se trouverait donc ainsi expliquée, mais il est facile de voir que cette explication manque de fondement. En effet, les gaz qui se dégagent s’échappent souvent directement du milieu d’un bain de matières fondues, avec lesquelles ils sont restés longtemps en contact. Dans les derniers temps de mon sé- jour à l'Etna, j'ai pu à plusieurs reprises monter sur les rebords des cratères et voir dans l’un d'eux (cratère n° 1} les gaz se dé- gager du sein de la lave liquide. À des intervalles de temps très- rapprochés, plusieurs fois par minute, la lave se boursouflait, peu à peu gonflée par une énorme bulle de gaz. L’ampoule volumi- neuse ainsi formée crevait bientôt avec fracas en projetant les débris du liquide visqueux dans lequel elle avait été emprison- née, et le liquide incandescent reprenait alors son niveau jusqu’à ce qu'une nouvelle bulle vint amener la reproduction des mêmes phénomènes. J'ai pu observer ainsi ces dégagements gazeux pen- dant des heures entières et souvent dans l'obscurité de la nuit, et jamais je n'y ai aperçu trace de flammes, malgré le contact prolongé des gaz avec la matière incandescente. La rareté de l’hy- drogène dans les émanations volcaniques est donc une objection sans réplique contre la théorie de Davy!. La masse énorme de métaux alcalins qu'il faudrait supposer ! J'ai écrit les lignes précédentes avant d’avoir assisté à la récente éruption de Santorin , si remarquable par les dégagements de gaz combustibles dont elle a été le siége. Malgré cela, je ne crois pas devoir rien changer aux réflexions qu’on vient de lire. Les dégagements de gaz combustible de Santorin, malgré leur abon- dance , ne peuvent rendre compte de l’éruption qui s'y est produite. — 2h44 — au-dessous de chaque volcan, dans cette théorie, constitue aussi une objection sérieuse. En admettant, comme nous l'avons fait précédemment, que la dernière éruption de l’Etna a donné lieu à un dégagement de 21 milliards de kilocalories, il s’ensuivrait que, pour expliquer ce grand dégagement de chaleur, on aurait besoin de supposer qu'il ÿ avait dans l’intérieur du sol, au-dessous des cratères nouveaux, une masse de sodium d’au moins 7 millions de mètres cubes, et comme l'explication devrait être la même pour toutes les éruptions passées, cela amènerait à supposer au- dessous d’un centre éruptif comme l'Etna un amas de sodium tout à fait incroyable. Enfin, la théorie de Davy n'’explique ni l'acide chlorhydrique ni le sulfate de soude, ni le carbonate de soude, ni la plupart des autres produits qu'on observe dans les émanations volcaniques, et quand on étudie les dégagements de gaz combustibles prove- nant des évents secondaires, on trouve que ces gaz sont toujours plus riches en protocarbure d'hydrogène qu'en hydrogène libre, tandis que l’inverse devrait avoir lieu, si des métaux alcalins leur donnaient naissance au contact de l’eau. L'hypothèse de Davy est la dernière hypothèse sérieuse qui ait été proposée et soutenue pour expliquer les phénomènes volca- niques sans l'intervention du feu central. Or nous voyons qu’elle ne soutient pas un examen attentif; elle doit donc être aban- donnée, et avec elle doit tomber toute idée d'expliquer les phé- nomènes éruptifs à l’aide d'actions chimiques. Au contraire, si l'on admet l'existence d’une couche de ma- tières en fusion étendue au-dessous de l'écorce terrestre et péné- trant dans ses anfractuosités, et si l'on suppose des infiltrations de l’eau de la mer arrivant jusqu’au contact du liquide incandes- cent, nous avons vu que toutes les manifestations volcaniques s'expliquent et s’'interprètent avec une grande facilité. La com- plication même de ces manifestations si diverses devient alors la meilleure preuve possible en faveur d’une théorie capable d'en rendre raison. | — RÉSUMÉ. Le travail que je viens d'exposer se compose de deux parties. Dans la première, j'analyse et discute tous les phénomènes chi- miques dont j'ai été témoin à l’Etna; dans la seconde, j'entre- prends de donner une théorie de ces phénomènes. Les faits po- sitifs que j'ai constatés sont nombreux et variés : 1° J'ai vérifié l'exactitude de la classification des fumerolles établie par M. Ch. Sainte-Claire Deville, et reconnu que les phé- nomènes éruptifs décroissaient dans un ordre constant et régu- lier. 2° J'ai reconnu que les fumerolles à haute température n'étaient pas toujours des fumerolles sèches, mais qu’elles contenaient sou- vent des proportions notables d'eau. 3° Dans ces fumerolles, j'ai trouvé souvent du carbonate de soude, sel qui n'avait jamais été signalé dans aucun volcan en pleine activité. 4° Dans les mêmes fumerolles, j'ai observé quelquefois des proportions considérables de sulfate de soude et de chlorure de potassium. Les particularités qu'offrent ces deux sels dans leur gisement ont été pour moi un sujet d'étude tout spécial. 5° J’ai examiné avec soin les matières déposées dans les fume- rolles acides et dans les fumerolles alcalines. J’ai cherché parti- . culièrement l'origine du chlorhydrate d’ammoniaque qu'on ren- contre si abondamment, surtout dans ces dernières, et, en outre, j'ai constaté que l’alcalinité de ces famerolles était bien réellement due à du carbonate d'ammoniaque. 6° J'ai fait plusieurs analyses de la lave nouvelle et recherché avec attention les produits volatils qu’elle pouvait contenir. 7° L'étude des gaz que j'ai recueillis en Sicile, aux îles Éoliennes et dans la baie de Naples, m'a permis, en comparant mes résultats à ceux qu'avait obtenus M. Ch. Sainte-Claire Deville en 1855 et 1861, d'arriver à des résultats intéressants sur les variations que subissent les émanations gazeuses avec le temps et sur le rôle relatif de l'hydrogène et des carbures d'hydrogène considérés comme produits volcaniques. 8° Enfin, j'ai voulu démontrer qu'une infiltration des eaux de la mer jusqu'au contact de la matière en fusion sur laquelle re- MASS, SCIENT, — fil, 17 IT SR pose la croûte terrestre peut expliquer tous les phénomènes"érup- üfs. Pour cela, j'ai dû exécuter certaines expériences synthétiques. ayant pour but la reproduction de quelques-unes des substances. dont j'avais reconnu la présence à l'Etna. J’ai pu montrer ainsi, 1° que la vapeur d’eau seule suffit pour décomposer le chlorure de sodium et engendrer de la soude caustique et de l'acide chlor- hydrique; 2° que le sulfate de chaux et le chlorure de sodium, réagissant l’un sur l'autre en présence de la vapeur d'eau, pro- duisent du sulfate de soude et plusieurs autres composés qu'on observe dans les émanations volcaniques. Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, de Votre Excel- lence. le très-humble et très-obéissant serviteur. F. Fovaue. dr Pr. ET. lave. / : / : ! ms | | ñ < \ = El \ = = \ = = \ g = \ sn \ \ PLAN DE L'ÉRUPTION DE 1865 1 10000 à l'échelle de Imprimer PER EE a eq mt pe me mm meme trente rage nent te np tn æ .— ' “ ArGRUE des Missions scientifiques. tome II, page 165 - cratère n° 7. Ce A A KA sn CLIS E ss NTERLAONS Imprimerie Impériale. | “TM W L à 0 è + n 4 - , « - t è d 1 NL vaut Au A 1 L) |] «t [AL URL 1 É 1 : nn . 4 L N . LL \& ( (bte A l | { l ' , L à b + Qu. 2] + 41 : 1 } El 1 . a \ l : t » x 2 # % = 4 Archives des Missions suentfiques, tome 111, page 163. PET VE ÿ & 7. 2, DE LA PARTIE CENTRALE DE L ETNA d'après la Carte de M. de Watthershausen Kilomètres NN rene) LT € 1 2 3 $ $ arr | do Archives des Missions scientifiques, tome LIT, page 165. III (LU au \\ ee | Archives des Missions scientifiques, tome LT, page 165. Rp AIN Se = = RATERES DE 1865 VUS DU COTE E KIT all ll | UN | {I (ill) (pal CL PAAUN | Il | l | { À D'apr ne vhotographie de M. Paul Berthier, Imprimeris Archives des Missions scientifiques, tome LT, page 165. fie . “A at A (l ù di QT ui 4 ft AA FISSURES DE L'ÉRUPTION DE 1865 L i LAgE s< 4 » 4 ‘ ‘ ï Ë Li Î j La \ \ ke ï æ L) 5 nl ré | Es { à ÿ bd. ol FES du) AT A à " \ oi Ê vo pe ,U Ke À + 2 t £ . F À ’ h i * l F + * y 1 i le nr: 2 0 , ; 4 | ‘# 14e NORTON 0 re ve * RAPPORT SUR UNE MISSION LITTÉRAIRE EN ANGLETERRE, PAR M. PAUL MEYER, MEMBRE DU COMITÉ IMPÉRIAL DES TRAVAUX HISTORIQUES ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES. Paris, mai 1866. Monsieur le Ministre, La mission que Votre Excellence à bien voulu me confier avait deux objets : le premier était d'étudier et de collationner un cer- tain nombre de manuscrits qui renferment des chansons de geste destinées à prendre place dans le recueil des Anciens Poëtes de la France, publié sous les auspices de Votre Excellence, par M. Gues- sard; le second consistait à rechercher d’une manière générale tout ce qui peut intéresser l'histoire littéraire de la France pendant le moyen âge. Je ne pouvais manquer de réussir quant au premier point : ceux qui avant moi ont exploré les richesses paléogra- phiques de la Grande-Bretagne, et notamment MM. Fr. Michel et Ch. Sachs, avaient signalé les manuscrits que j'avais à étudier; et quant au second point, quoique moins défini, j'avais une vague espérance de ne point revenir sans avoir ajouté aux découvertes faites par mes devanciers. Deux motifs entretenaient en moi cette espérance : la richesse bien connue des bibliothèques anglaises et leur accroissement indéfini. La richesse des bibliothèques anglaises, au moins en ce qui concerne notre littérature, a plusieurs causes. L'une, c’est que, le français s'étant implanté en Angleterre après la conquête, la littérature des classes élevées fut, pendant plus de deux siècles, toute française, et par son origine et par la langue. Il s'y implanta à ce point que, lorsqu’au xiv° siècle l’anglo-saxon re- prit le dessus, il était tout mélangé de mots appartenant à la langue d'oil, et que les œuvres auxquelles il servait d'expression étaient conçues dans le même esprit, souvent dans la même forme que PT. s les compositions françaises qu'elles venaient remplacer. Des relations incessantes entre les deux pays, entre la colonie et la mère patrie — ces termes sont de toute exactitude au moins au point de vue littéraire — transportaient outre Manche les œuvres françaises, si bien qu'à négliger quelques différences orthogra- phiques dues à des nuances de prononciation, on peut dire que les deux nations avaient une seule et même littérature; si bien que maintenant la série de nos anciens monuments littéraires peut trouver à se compléter à Londres ou à Oxford. Une autre cause plus immédiate de la richesse des bibliothèques britanniques, c'est qu'en Angleterre la passion des livres a été, plus que nulle part ailleurs, un goût dominant. Ce n’est pas d’hier que nos voisins ont accoutumé de pourchasser à des prix qui nous semblent exor- bitants les manuscrits les plus précieux et les livres les plus rares. Depuis Richard de Bury, le savant évêque de Durham, qui dans son Philobiblion nous expose et les moyens de se procurer des livres et les précautions à prendre pour leur conservation, jus- qu'à sir Thomas Phillipps et à lord Ashburnham, l’histoire nous montre en Angleterre une suite non interrompue de personnages employant pour l'accroissement de leurs collections les facilités d’une “haute position dans l'État et les ressources d’une grande fortune. C’est Bodley, qui recueillait des livres en tous lieux et re- constituait à Oxford une nouvelle bibliothèque sur les débris des bibliothèques que les réformateurs avaient détruites; c’est Cotton, c'est Harley, c’est le marquis de Lansdown, c’est Burney, desquels, par un pieux respect, le Musée britannique a conservé intactes et dans leur ordre primitif les splendides collections; c'est Hunter, qui dota d'un musée et d’une bibliothèque la ville de Glasgow; c'est lord Francis Egerton, qui, non content de léguer au Musée bri- tannique ses manuscrits, y Joignit encore une rente perpétuelle destinée à augmenter le fonds qui porte son nom. Ainsi, par l'effort de simples particuliers, de magnifiques bibliothèques se sont for- mées dans la Grande-Bretagne. De bonne heure ouvertes au pu- blic, elles ont vu, et verront sans doute encore leurs richesses s’'augmenter par des legs généreux, tandis que l'État ou les uni- versités, qui ont maintenant la charge de leur conservation, pour- voient, au moyen d’un large budget, à leur accroissement régulier. Ces considérations me faisaient espérer qu’en dehors même des études déterminées qui nr'étaient prescrites, mon voyage ne serait — 219 — pas infructueux. D'une part, les fonds anciens ne devaient pas avoir été entièrement explorés au point de la littérature française; d'autre part, les acquisitions nouvelles, notamment-les additional manus- cripts du Musée britannique, m'offraient une mine à peu près in- tacte. Enfin, je ne désespérais pas de pénétrer dans quelqu’une de ces riches collections qui, maintenant comme autrefois, se for- ment au prix de peines et de dépenses infinies. Sur tous ces points, Monsieur le Ministre, mes espérances se sont réalisées; je pourrais même dire qu’elles ont été dépassées. Dans le plus ancien des fonds que contient le Musée britannique, la Bibliothèque du roi, dont le catalogue est publié depuis 1734, j'ai fait une découverte qui intéresse au plus haut degré l’histoire de saint Louis en même temps que notre histoire littéraire. Parmi les additional manuscripts j'ai rencontré plus d’un ouvrage nouveau et important. Enfin j'ai été assez heureux pour être admis à visiter la splendide bibliothèque du comte d'Ashburnham, et l’incompa- rable obligeance du noble lord à me montrer ses riches collec- tions, la générosité avec laquelle il a mis à ma disposition un double exemplaire de ses catalogues !, me mettent à même de signaler à Votre Excellence nombre de manuscrits précieux par leur contenu, par leur ancienneté ou par leur provenance. J'ai vu successivement les bibliothèques du Musée britannique, de Durham, d'Édimbourg, de Glasgow, d'Oxford, d’Ashburnham- place. J'aurai l'honneur d'exposer à Votre Excellence les résultats de mes recherches en ces divers endroits, tandis que, dans une série d'appendices placés à la suite de chacune des parties de ce rapport, je publierai des extraits des principaux manuscrits que j'ai étudiés, les accompagnant des notices nécessaires pour en faire connaître la valeur. Il MUSÉE BRITANNIQUE. Bien que les collections du Musée britannique aient été souvent explorées, c’est là cependant que j'ai fait la plus riche moisson; ce qu'il faut attribuer à leur importance, sans doute, mais aussi ! L'un a été déposé au département des manuscrits de la Bibliothèque impériale avec l'assentiment du donateur. — 9250 — à l'excellente organisation de l'établissement où elles sont con- servées. Nulle part les recherches ne sont plus aisées ni l’accommo- dation plus satisfaisante. Quelles que soient les richesses du Musée, les lecteurs sont mis à même de les connaître dans la même me- sure que les conservateurs, car les catalogues, soigneusement tenus à jour, sont à la disposition de tous. Je n’ai point à m'occuper du catalogue des livres imprimés; je puis cependant témoigner en passant de l’avantage que le lecteur trouve à faire ses recherches soi-même, à vérifier en un instant si l'ouvrage qu’il désire existe ou non dans la Bibliothèque !, à trouver au nom de chaque auteur la liste de ses ouvrages et de leurs diverses éditions, c’est-à-dire toute une bibliographie spéciale qui, pour certains noms, tels que Homère, Cicéron, Shakespeare, pour certaines matières, telles que Académies, Catalogues, Périodiques, Angleterre, France, comprend souvent plusieurs volumes. Il est à peine besoin d’ajouter que ce catalogue reste manuscrit 2. C’est une condition essentielle pour qu'il puisse être tenu au courant des acquisitions nouvelles. D'ail- leurs un catalogue de livres imprimés ne sert guère au dehors de la bibliothèque à laquelle il se rapporte; et partant il ne saurait y avoir que bien peu d'utilité à en multiplier les exemplaires. Les catalogues de manuscrits au contraire sont ou publiés ou en voie de publication *. ! Au cas où un ouvrage manquerait, on a toujours la ressource de le signa- ler à l'attention des conservateurs en l’inscrivant dans un registre des Libri de- siderati, constamment ouvert aux demandes des lecteurs. ? À deux reprises on a tenté l'impression du catalogue des imprimés du Musée britannique ; d'abord de 18:13 à 1819, ensuite en 1841. La première publication est bientôt devenue inutile, la seconde n’a pas été poussée au delà de la lettre A. 3 Les fonds manuscrits du Musée britannique peuvent se diviser en deux sé ries : ceux qui sont définitivement arrêtés, et ceux qui sont destinés à recevoir un accroissement indéfini. La première série comprend les fonds dont les catalogues sont ci-après énumérées : À Cataloçue of the manuscripls of the King's Library... by David Casley, 1734; in: Catalogue of the Cottonian mss. by J. Planta, 1802, in-fol. Cataloque of the Harleian mss. by H. Wanley and Rev. N. Nares, 1808-1813; 4 vol. in-fol. Catalogue of the mss. formerly F. Hargrave's, by H. Ellis, 1818, in-4°. Cataloque of the Lansdown mss. by F. Douce and H. Ellis, 1819, in-fol. Cataloque of the Arundel mss. 1834, in-fol. Catalogue of the Burney mss. 1840, in-fol. Les fonds ouverts sont celui des additional mss. et celui qui se constitue au — 951 — L'excellente disposition des catalogues, la faculté de consulter les livres imprimés sans dérangement et dans la même salle que les manuscrits, celle encore de se servir à volonté des 20,000 vo- lumes qui garnissent les rayons de la salle de lecture, et parmi lesquels on trouve toutes les grandes collections historiques, les encyclopédies, les dictionnaires, les principaux recueils pério- diques !, en outre un confort matériel qui ne laisse rien à désirer, sont autant d'avantages que l’on ne trouve réunis qu'au Musée britannique et qui font de cet admirable établissement le lieu le mieux approprié à l'étude qu'on puisse souhaiter ?. Les travaux que J'avais à faire en vue du Recueil des anciens poëtes de la France, et pour lesquels M. Guessard m'avait donné des instructions précises, consistaient en trois points : 1° Collationner une copie du poème de Doon de la Roche exé- cutée sur le manuscrit Harléien 4404 par le docteur Sachs; moyen du legs de lord Francis Egerton, comte de Bridgewater. Ils n'ont point de catalogues séparés. Jusqu'au n° 5017, la liste des manuscrits additionnels doit être cherchée dans le catalogue d'Ayscough (1782, 2 vol. in-4°), de là, jusqu'au n° 10,018, il faut avoir recours à l'Index to the additional mss. with those of the Egerton collection preserved in the British Museum and acquired in the years 1785- 1835 (1849, im-fol.). De 1836 à 1840 les listes des manuscrits nouvellement ac- quis ont été jointes à celles des livres imprimés. À partir de 1841, on s’est borné à publier les listes de manuscrits. Deux volumes ont paru , qui contiennent le cata- logue des manuscrits additionnels et Egerton acquis de 1841 à 1847; le second de ces volumes a été publié en 1864, il conduit l'inventaire des manuscrits ad- agé . , F : = Fe . ? 0 ditionnels jusqu'au n° 17277, et celui des manuscrits Egerton jusqu'au n° 1149. La suite n'est pas encore publiée, mais peut être consultée en manuscrit. Les manuscrits orientaux, tout en restant dans leurs fonds respectifs, sont décrits dans un catalogue particulier dont jusqu'à présent quatre fascicules ont paru : deux contiennent une partie des manuscrits arabes, et les deux autres L P comprennent les manuscrits syriaques et les manuscrits éthiopiens. Outre ces catalogues, le Musée britannique a fait un grand nombre de publi- cations scientifiques, trop connues pour avoit besoin d'être rappelées, et qui, q P PI Î d'ailleurs, sont étrangères à l’objet de ma mission. ! Ces livres ont un catalogue particulier ( List of books of reference in the Read- &g-room of the British Museum, 1859, 8°; with coloured plan). Le plan qui y est joint indique les matières contenues dans les dix-huit travées garnies de rayons q 5 \ qui occupent la circonférence de la salle. Un exemplaire de ce plan est fixé à chaque bout des tables où se placent les lecteurs. ? L'obligeance extrême des employés du Musée mérite une mention spéciale, Ge sont eux qui font tout le service, et les lecteurs (au Musée on ne dit pas le public) n’ont jamais affaire à des garçons de salle, En outre un employé supérieur, parlant plusieurs langues, est chargé d'assister les lecteurs dans leurs recherches — 252 — 2° Collationner sur le manuscrit (Bibl. reg. 16. E. VIIT) Le Voyage de Charlemagne à Jérusalem, publié en 1836 par M. Fr. Michel; __ 3° Apprécier la valeur du texte de la chanson de Foulque de Candie contenu dans le manuscrit Bibl. reg. 20. D. XI. J’ai collationné Doon de la Roche et le Voyage de Charlemagne, et ces deux poëmes, dont le premier est inédit, et dont le second n'a été tiré qu'à très-petit nombre, seront bientôt mis sous presse pour paraître dans le recueil des Anciens Poëtes. De Foulque de Candie on connaït trois manuscrits en France, un à Boulogne et deux à la Bibliothèque impériale {fonds fr. 778 et N. D. 275 bis). Le meilleur des trois est celui de Boulogne; il a conservé à la fin de chaque laisse le petit vers à rime féminine qui est ordinaire dans la geste de Guillaume d'Orange, et qui peut être considéré comme l'indice certain d’une rédaction ancienne. Ce caractère précieux a déjà disparu des deux manuscrits de Paris. Il n’existe pas davan- tage dans celui de Londres, qui, ainsi que je m'en suis convaincu par une collation attentive, présente exactement la même rédaction que le manuscrit 778 de la Bibliothèque impériale. En dehors de ces études, qui m'étaient d'avance indiquées, je me suis livré à des recherches dont je vais exposer à Votre Ex- cellence les résultats, en procédant selon l’ordre des temps. Wace, Roman de Rou. — On sait que ce poëme historique est composé de trois parties qui se distinguent nettement par la mesure des vers. La première comprend 750 vers octosyllabiques, la seconde 4,114 alexandrins, la troisième 11,383 octosyllabiques, Cette dernière seule se rencontre dans les anciens manuscrits, qui sont au nombre de trois : l’un au Musée britannique, c'est le pre- mier en date. À en juger par Pécriture, il peut remonter aux envi- rons de l'an 1200. Le second est à Paris (Bibl. imp. fr. 375); le troisième, à Stockholm. Quänt aux deux premières parties, elles n'existent plus maintenant que dans une copie de Duchesne, dont on ignore la source, et dans les transcriptions qui en sont dérivées; et s'acquitte de ses fonctions, je puis en rendre témoignage, avec autant d'intel- ligence que de courtoisie. «This officer is charged with the special duty of assist- ing the readers in their researches; and, from his central position in the Read- ing-room, Will be readily accessible to all, and able to superintend the whole service.» (Livret publié par l'administration du Musée sous le titre : British Mu- seum, New Beading-room and libraries. 1864, p.19.) — 253 — l'authenticité même en a été contestée. Lorsque Piuquet prépara son édition du Rou, il se servit d’une copie du manuscrit de Londres qu'avait exécutée l'abbé de la Rue; copie fort bonne, autant que je puis croire !, mais qu'il corrigea selon un déplorable système. On sait qu’en ancien français l’article masculin pluriel a deux formes : li pour le sujet, les pour le régime; Pluquet a trouvé con- venable de rétablir partout /i. Voici par exemple le commencement de la troisième partie d'après le manuscrit et d’après l'édition : MANUSCRIT : ÉDITION (vers 5165 et suiv.): Pour remembrer des ancesurs Por remembrer des ancessurs. Les faiz [e] les diz e les murs Li fez è li diz è li murs, Les felunies des feluns Li felunies des féluns E les barnages des baruns, E li barnage des Baruns Deit l’um les livres e les gestes. Deit l'um li livres è li gestes E les estoires lire à festes. E li estoires lire as festes. Le malheureux système de Pluquet ôte à sa publication toute valeur philologique. L'importance du Rou au point de vue litté- raire, non moins qu'au point de vue historique, est grande, et il est bien à désirer qu’on donne enfin de ce poëme une édition cri- tique. Puarippe DE GRÈVE, Poésies latines. — Chansons de Trouvères. — M. À. Dinaux écrivait en 1863? : «Le numéro 15,119 du catalogue du docteur Van de Velde, de Gand, 1832, in-8, tome IT, indique parmi les mss. le suivant: « Item, plusieurs pièces « de vieux françois mises en musique, où en marge se trouvent les « noms suivants : Colard de Boutillier, mesir Raouls, Jehans de Neu- « ville, messir Gassez Brulez, mess. Regnaut Castellain de Couchy. « Très-bien écrit avec initiales en or et en couleurs, ornées de pe- « tites figures et autres ornements en marge. » Où est passé ce ma- nuscrit ? » — II est entré au Musée britannique sous le numéro 274 du fonds Egerton. C’est un petit volume écrit dans la seconde partie du xrm° siècle, sauf quelques pièces sans valeur qui ont été ajoutées au xv°. Il se compose de deux parties, l’une contenant l Je ne sais ce qu'est devenue cette copie, mais M. Bonnin, d'Évreux, en possède une transcription où l'on ne voit aucune trace des modifications systé- matiques qui corrompent le texte du Rou dans l'édition de Pluquet. ? Trouvèires brabançons, p. xxxW. — 254 — des poésies latines, l’autre des chansons de trouvères. C’est dans celle-ci qu’on trouve sur les marges, et d’une écriture du xrv° siècle, les mentions d'auteurs relevées dans le catalogue Van de Velde; l'identité des noms et de leur orthographe, établit suffisamment l'identité du manuscrit. L'incipit attribue la première partie de ce volume à Philippe de Grève (+ 1237), chancelier bien connu de l'église de Paris, qui se fit remarquer par ses luttes contre l’'Univer- sité, et s'attira le bläme de plusieurs de ses contemporains par lar- deur avec laquelle il maintint le droit à la pluralité des bénéfices !. Jusqu'à ce jour ses poésies sont restées absolument ignorées; on en peut donc considérer la découverte comme importante, d’au- tant plus que certaines conviennent très-bien au caractère du per- sonnage et complètent pour ainsi dire sa physionomie. Mais 1l est sûr que toutes ne peuvent lui être attribuées; et il faut tout au moins en retrancher les dix pièces contenues dans les folios 58 à 92, qui sont purement liturgiques, et dont quatre appartiennent à Adam de Saint-Victor. Sans doute, la présence de ces pièces ne laisse pas de diminuer l'autorité de la rubrique initiale, Incipiunt dicta magistri Ph. quondam cancellariü parisiensis, et il est plus d’une des poésies contenues dans ce recueil dont l'attribution au chan- celier pourra être contestée; toutefois, il faut se garder d’un scep- ticisme exagéré. Ainsi javais cru tout d’abord que le Débat du cœur et de l'œil, Quisquis cordis et oculi Non sentit in se jurgia.. (Fol. 24.) devait être retiré à Philippe de Grève. En effet, on le trouve dans un grand nombre de mss. dont aucun à ma connaissance ne l'attribue au turbulent chancelier ?. Mais dans la table que Laborde a dressée des chansons des trouvères Ÿ, il y a une pièce dont le premier vers est : | Li cuers se voit de l’ueïl plaignant. ? Gerard Dubois, Hist, eccl. Paris. Il, 345; Du Boulay, Hist, univ. Paris. HI, 164; Daunou dans l’Hist. lit. XVIIT, 184. — Sur Philippe de Grève considéré comme théologien et auteur de sermons, voir M. Hauréau, Nouces et extraits des mss. XXI, 2° partie, 183-194. ? M. Th. Wright la publiéd’après huit mss. dans ses Lalin poems commonly atlri- buted to Walter Mapes, p. 93; cf. Hist. lit. XXII, 162-3. 3 Essai sur la musique IT, 318. — 255 — L'auteur indiqué est «le chancelier de Paris.» Malheureuse- ment cette chanson ne se trouve que dans un ms. celui que La- borde désigne par initiale S (Sainte-Palaye), et cems. semble avoir disparu ; au moins est-ce le seul parmi les six mss. cités dans la table de Laborde que je n’ai pu identifier avec aucun des chansonniers actuellement connus !. Il m'a donc été impossible de comparer les deux pièces, mais toujours est-il qu’elles ont l’une et l’autre le mème sujet, et qu'elles se réclament du même auteur, coïncidence assu- rément favorable à l'authenticité de la pièce latine. L'opinion qui me semble la plus probable est que Philippe de Grève a traité le même sujet en latin et en français; on a d’ailleurs la preuve qu'il composait des chansons en langue vulgaire, car le ms. de la Bi- bliothèque impériale 12581 nous offre une chanson à la Vierge, d’un rhythme remarquable, à la fin de laquelle on lit: « Ci define la proiere de Nostre Dame, lequele li chanceliers de Paris fist ?. - La Disputatio cordis et oculi n’est pas la seule des pièces attri- buées à Philippe de Grève par le ms. Egerton 274 dont l'authenti cité soit garantie par un témoignage extérieur. Un ouvrage extré- mement précieux pour l'histoire des mœurs et des lettres au xin° siècle, la chronique du frère mineur Salimbene, de Parme, 1 Voici la concordance des cinq autres chansonmiers cités par Laborde : Vut- can — fonds de la reime Christine, 1490; — Roi — Bibi. imp. 844 (anc. 7222); — Paulmy — Arsenal B. L. F. 63; — Clairambault — Bibl. imp. fr. 845 (anc. Cangé 67); — Noailles — Bibl. imp. 12615 (anc. suppl. fr. 184). ? Fol. 352; elle a douze couplets, en voici les deux premiers : Ma joie, m’annor, Ma vie, m'amor, Ma pais, ma lumiere, Qui de grant secours Faire as pecheors lestes costumiere, Mon cuer mehaignié Met à vostre pié ; Noble tresoriere , Faites le haitié, Vos qui de pitié Isstes boutilliere. Pucele loiaus , Roiïne roiaus, Mere debonaire, Precieus vaissiaus, Esmerez cristaus, Plains de seintuaires , Temples aornez, Tres enluminez De grant luminaire , M'arme confortez, Douce, qui portez Le dous laituaire. On remarquera que ce rhythme est sans exemple dans la poésie des trouvères, que tout au contraire il est assez fréquent dans la poésie liturgique du x1r° au x siècle. 11 n’est pas très-différent de celui qu'a employé Philippe de Grève lui- même dans la Disputatio membrorum, contenue dans le ms. Eg. 274 fol. 12-19. * Publiée dans le tome IT des Monumenta ad provincias Parmensem et Placenti — 256 — mentionne diverses poésies de notre chancelier, parmi lesquelles il en est deux qui se retrouvent dans le même ms. Ce texte est trop précieux pour n'être pas cité tout au long. À l’année 1247 Salim- bene rapporte que le frère mineur Henri de Pise ! composa la mu- sique d’une pièce de Philippe, chancelier de Paris : «Item, cantum fecit in 1lla littera magistri Philippi, cancellarii Parisiensis, scilicet : Homo quam sit pura Mihi de te cura. » Cette pièce n’a pas été recueillie dans le ms. Egerton. Poursui- vons la citation : « Item, in alia littera quæ est cancellarii similiter, cantum fecit, scilicet : Crux de te volo conquert. » Et: Virgo tibi respondeo. » RTE Centrum capit circulus. » Et : Quisquis cordis et oculi. » « Et in 1lla sequentia : Jesse virgam humi Davit, delectabilem cantum fecit, et qui libenter cantatur, cum prius haberet cantum rudem et dissonum ad cantandum. Litteram vero illius sequentiæ fecit Ricardus de Sancto Victore, sicut et multas alias fecit sequentias. » On peut admettre que Salimbene attribue à Philippe de Grève non pas seulement la première de ces pièces, mais encore les trois suivantes; d’autant plus que l’une d'elles (Quisquis cordis et oculi) est précisément celle dont j'ai établi plus haut l'authenticité. Salimbene ajoute : «Item in hymnis sanctæ Magdalenæ, quos fecit prædictus cancellarius Parisiensis, scilicet : Pange, lingua, Magdalenæ, nam pertinenta; Parmæ, 1857, in-fol. ( Voir sur cet ouvrage étonnant une bonne étude de M. Tabarrimi dans l’Archiwvio storico, nouv. série, XVI, r, 25-69, et XVIIT , xx, 42-89; et-quelques remarques de M. Mussafia dans le Jahrbuch f. engl. u. roman. literatur, VI, 222-226.) ! Personnage mentionné d’après ce texte par Sbaraglia, dans son supplément à Wadding. me M cum ais sequentibus hymnis, cantum delectabilem fectt » (p.65). Voilà donc encore toute une série d’hymnes sur la Madeleine que le manuscrit Egerton ne nous a pas conservées, mais qui se retrou- reront peut-être dans quelque autre recueil. Enfin, à l’année 1250, on lit dans la même chronique : « Item, vitam prælati et subditorum bene describit magister Philippus, cancellarius Parisiensis, sub metaphora membrorum corporis » (p. 224). Cette phrase renferme une allusion évidente à la Dispu- Latio membrorum, contenue aux fol. 12-19 du ms. Egerton, et pu- bliée ci-après à l’'Appendice. À quel propos fut-elle composée, et quel était cet évêque en lutte avec ses diocésains qui fournit à Philippe le sujet de son allégorie? C’est ce que Salimbene nous apprendrait certainement si nous avions le texte complet de sa chronique, mais malheureusement la seule édition qu'on en pos- sède a été faite d’après une copie misérablement tronquée, et la phrase que j'ai citée est isolée entre deux lacunes marquées par des points. | En. présence de ces témoignages, l'authenticité du plus grand nombre des pièces contenues dant le manuscrit Egerton paraît incontestable; on ne peut guère, ce me semble, élever de soup- cons contre les chansons satiriques que le même manuscrit at- tribue à Philippe de Grève; ce sont celles-là qui sont en parfait accord avec ce que nous savons du caractère remuant et agressif du chancelier de Paris. Je ne vois par exemple aucun motif pour lui contester la pièce De Curia romana (fol. 38 et suiv.), où on hit: « Si vous cherchez des prébendes, en vain déroulerez-vous votre vie; gardez-vous de faire valoir vos mœurs, de peur d’of- fenser le juge. En vain vous appuierez-vous sur votre instruction, vous n'aurez attendu que pour vous voir supplanté par d'autres, à moins que vous ne luttiez à forces égales. — Jupiter implorant Danaé perd sa peine, mais il la possède dès qu'il se colore en or. Rien n'est plus puissant que l'or, ni mieux agréé, et Tullius n’est pas plus éloquent, etc. ! » On voit déjà par cet échantillon, et l'on verra mieux encore par les extraits publiés à l’Appendice, que ces chansons offrent une ! La même idée avait déjà été exprimée par saint Colomban dans son épître à Fredolius. (Voir Hauréau, Singularités lustoriques , p. 13.) Je publie la pièce de Philippe de Grève à l'Appendice (4). On en connaissait déjà trois couplets con- servés anonymes parmi les Carmina burana (Stuttgart, 1847), p. 51-53. — 258 — vrande analogie avec les poésies satiriques qui circulèrent en sigrand nombre pendant la seconde moitié du xn° siècle et la première du x, se présentant parfois sous le nom énigmatique de Golias, at- tribuées tantôt à l’archidiacre d'Oxford Gautier Map !, tantôt, avec plus de vraisemblance, et souvent avec certitude, à Gautier de Châtillon et à Primat?, mais qui en réalité paraissent être l’œuvre de toute une classe appartenant au monde ecclésiastique . La seconde partie du même manuscrit contient du fol. 98 au fol. 117, dix-huit chansons françaises, puis une dix-neuvième aux fol. 131-132. Malheureusement les premiers couplets de douze d’entre elles ont été plus ou moins graités, et remplacés par les premiers vers de quelques insignifiantes pièces liturgiques. Parmi ces chansons, cinq m'ont paru n’exister dans aucun autre ms. je les publie ci-après, me bornant pour les autres à la mention du premier vers et à l'indication des mss. où elles se rencontrent. Plu- sieurs chansons n'étaient pas accompagnées du nom de leur auteur; je l'ai restitué entre crochets. Malgré son peu d’étendue, et bien que les textes qu'il contient soient corrompus, ce petit recueil n’est pas à dédaigner, et la proportion de cinq chansons nouvelles sur dix-neuf est certainement considérable. Le ms. Egerton 274 porte à dix-neuf le nombre des chansonniers français connus jusqu’à ce _ jour“. — Aux fol. 119 à 130 sont intercalées deux poésies latines ! The latin poems commonly attributed to Walter Mapes, collected and edited by Th. Wright. London, 1841 (Camden society). 2 É. du Méril, Poésies pop. lat. au moyen âge, 1847, p. 144-163; Müldener, Die zehn Gedichte des Walther von Lille, genannt von Châtillon. 8 Voir Giesebrecht, Die Vayanten oder Goliarden und ihre Lieder, dans V'Allge- meine Monatsschrift f. Wissenschaft u. Literatur, 1853, le résumé de Wattenbach, Deutschlands Geschichtsquellen, 2° éd. p. 518-519, et ci-après, p. 263, note. # En voici la liste. Bibl. imp. fr. 844 (ancien 7222), 12615 (anc. suppl. fr. 184); ces deux mss. sont de la même famille. — Arsenal B. L. Fr. 63, Bibl. imp. fr. 845 (anc. Cangé 67), 846 (anc. Cangé 66), 847 (anc. Cangé 65 ); ces quatre | mss. forment une même famille. -— Berne 389, dont une copie suivie d’un glos- saire existe à la Bibl. imp. Moreau 1687-1689 (anc. Mouchet 8); fr. 20050 (anc. S. G. F. 1989); ces deux mss. présentent assez de rapports pour être rapprochés, moins cependant qu'en offrent entre eux les. mss. de chacune des deux familles précédentes. — Vatican, Christ. 1490. — Vat. Christ. 1522. — Bibl. imp. 1591 {anc. 7613). — Bibl. imp. La Vall. 59. — Bibl. imp. fr. 12581 (anc. suppl. fr. 198). — Bibl. imp. fr. 765 (anc. 7182). — Sienne H. X. 36. — Berne 231 (co- pie à la Bibl. imp. à la fin du ms. Moreau 1689). — Montpellier H. 196. — Bodi. Douce 308. : — 259 — dont la première , un dialogue en vers rimés entre le mauvais riche et Lazare, n’a été, que je sache, signalée nulle part, tandis que la seconde est une pièce très-connue qu'on attribue tantôt à saint Bonaventure tantôt à Jean Hoveden. — (Appendice À.) Jean pE Journi, la Dime de pénitence. — L'ordre chronologique m'amène à parler du ms. addit. 10015 acquis par le Musée en 1836. C'est un volume composé de 200 feuillets de parchemin, ayant le format d’un petit in-4°, et paraissant écrit vers 1300. II renferme deux ouvrages : La Dime de pénitence, dont nous nous occuperons tout à l'heure et l’/mage du monde. Au dernier feuillet on lit cet explicit : « Mesires sains Bodes fist chest romant, benoiete soit l’ame de li.» La Dime de pénitence est un poëme allégo- rique contenant un peu plus de 3000 vers. Par le sujet, 1l est peu intéressant ; deux choses cependant le recommandent et en ren- dent la découverte précieuse; d’abord, avantage bien rare, il se présente avec sa date, 1288, et avec le nom de son auteur, Jehan de Journi : En l'an de lincarnation De Dieu qui soffri passion, M. et ITT°, se x11 anées Estoient de ches conte ostées, Si commencha et parfurni Che livre JEANS DE JOURNI, En Chypre, droit à Nicossie, Là ü gisoit en maladie ; Et qui du non veut counissanche, Ch'’est la Disme de Penitanche. Et d'autre part il renferme, comme nous le verrons, de nom- breuses allusions à l’histoire contemporaine. Mais d’abord, qui est ce Jean de Journi qui, à Nicosie, en 1288 occupait à écrire un poëme les loisirs que lui faisait sa maladie? Je n'ai pu réunir à cet égard que bien peu de renseignements. Journi est un village du Pas-de-Calais. C'est là sans doute le lieu dont était originaire notre personnage, et dont il avait la seigneurie. Le même surnom est porté par un des chevaliers de l'hôtel du roi qui, en 1270, durent s'embarquer avec saint Louis, Anguerran de Jorni*. Ce dernier était 1 D. Bouquet, XX, 308. — Enguerrand de Journi fut aussi, en 1268, l'un des commissaires chargés de traiter avec la ville de Gênes au sujet de l'acquisition —— 260 — selon toute apparence le parent, peut-être le père de notre Jean. Puis, au xv° et au xvi° siècle, divers membres de la famille de Journi figurent dans le P. Anselme!. De la vie de Jean, je ne sais que ce qu'il nous apprend dans l’explicit ci-dessus rapporté, et dans le prologue de son œuvre. Il avait été à folle école, il avait composé des écrits légers, de « faux fabliaux; » aussi, pour s’acquit- ter des méfaits que sa langue a commis, veut-il la contraindre à dic- ter chose qui soit profitable à lui-même et aux autres. C'est ainsi qu’il entend rendre à Dieu la dime des biens qu’il a reçus de lui et dont jusque-là il avait « payé peu de droiture:» Les fabliaux de Jean de Journi ne nous sont pas parvenus ; au moins son nom n’apparait-il dans aucun de ceux que nous possédons. Puisque nous sommes réduits à la Dime de pénitence, efforçons-nous au moins d'en tirer tout ce qu'elle renferme d’intéressant. L'intérêt de l’ou- vrage réside, je l'ai dit, dans le fait qu'il est daté très-exactement, de navires destinés à la croisade. On lit en effet au dos d’un document relatif à ce traité : « Ce sont les convenances faites à Genne des naves et des tarides à la volenté le roi, par mon seigneur Inguerran de Journi et Henri de Champrepus clerc.» Ce document, qui se trouve dans le ms. Bibi. imp. latin 9016, a été analysé par M. Jal, dans son Mémoire sur quelques documents génois relatifs aux deux croisades de sant Louis, p. 44-54 (extrait des Annales maritimes ct coloniales , mai 1842), et publié par M. Champollion-Figeac dans les Mélanges historiques (Collection des Documents inédits), Il, 61-67. I est attribué par l’un et l’autre de ces savants à l'année 1246; mais c’est à tort selon moi. L’unique date qui s y trouve est ainsi conçue : «et doivent estre les devant dittes naves apparillies... d’enmi le mois de mai prochain à venir jusques en .i]. ans, l'an de lincarnation courant mil.cc.Axxvu].» Il faut remarquer que, dans une rédaction latine du même traité, également signalée par M. Jal et publiée par M. Champollion, cette date manque; on y lit seulement : «a medio instantis mensis madii ad duos annos» (Mélanges historiques , Il, 58). La date 1278 fournie par le document français est donc une sorte de glose. Elle est évidemment erronée, car il ne peut s'agir que de l’une des deux croisades de saint Louis. MM. Jal et Champollion opinent pour la première et corrigent «mil ce xlviij,» considérant cette date comme le terme des deux an- nées spécifiées par le traité qu'ils attribuent conséquemment à l'an 1246. Mais il me semble bien plus simple de corriger «mil cc Ixvü], » et d'admettre que le ré- dacteur ou Îe copiste du document français a voulu désigner l'année de la conclu- sion du traité. Le motif principal qui me détermine à rapporter cet acte à la se- conde croisade, c'est que, des deux commissaires, l’un, Enguerrand de Journi, figure, comme on vient de le voir, à la même époque sur la liste des chevaliers de l'hôtel du roi, et que l’autre, Henri de Champrepus, apparaît en qualité de com- missaire du roi dans divers actes de nolis passés à Gênes en 1268 et 1269. (Voir Jal, Mémoire cité, p. 32, et Mélanges historiques, 1, 516 et suiv.) LV, 03 Er, 831.4; VIII, 525!c — 261 — que le ms. est contemporain, ou à peu près, de la composition, et qu'ainsi la Dime fournit à l’histoire de la langue un jalon par- faitement sûr; qu’en outre notre histoire littéraire s'enrichit d'un nom sur lequel on parviendra peut-être à réunir des renseigne- ments plus nombreux que ceux auxquels nous sommes présen- tement réduits. Mais ce n'est pas tout, l’auteur donne plus qu'il n'a promis; une fois son traité terminé, il vient à parler des choses de son temps. Il Le fait sous la forme d’une oraison, longue d'environ 350 vers, dans laquelle il prie successivement pour tous les princes contemporains, les désignant tantôt nominativement, tantôt par des traits qui suffisent à les faire reconnaître. Parmi ces person- nages figurent Henri IL de Lusignan, roi de Chypre, qu'il appelle son seigneur, et Charles IE d'Anjou, «le prince qui est en prison, » nous dit-1l, fournissant un indice qui permet de resserrer encore la date de l’explicit, puisque ce prince ne fut délivré que le 29 août 1268. Le sentiment qui domine dans celte prière est celui qu'on devait attendre d’un chrétien écrivant à cette époque et en Orient: une douleur profonde de la décadence des établissements chrétiens de Syrie. L'espérance d’un meilleur état de choses tient peu de place dans les considérations auxquelles se livre Jean de Journi; néanmoins son ton est partout celui d'une résignation bienveiïl- lante, et c'est seulement contre la corruption du gouvernement de Rome qu'il fait paraitre un vif ressentiment. — (Appendiee B.) ; Miracles de Notre-Dame. — La Chronique de Turpin. — Frère Philippe, Les Merveilles de l'Irlande. — L'intérêt de ces trois ou- vrages consiste en ce qu'ils sont écrits en provençal. Pour le fond, ils ne présentent rien de nouveau. Le texte latin des miracles existe dans divers recueils manuscrits, et Gautier de Coincy en a versifié quelques-uns. Quant à la chronique du faux Turpin, dont on a tant de copies en latin, on en connaissait jusqu’à cinq versions françaises, mais on ignorait qu'elle eût été traduite en provençal. Le troisième ouvrage s'annonce tout d’abord comme plein de curiosité. En voici le début: « S'ensuit d'un livre qui parle des merveilles de la terre d'Hibernie, et fut envoyé ledit livre au saint 1 Moy. G. Paris, de Pseudo-Turpino (Paris, 1865), p. 44-64. MISS: SCIENT. — IIT, i 18 — 262 — et bienheureux pape Jean xxir par frère Philippe, de l’ordre des Prêcheurs, de l’église de Corck en Hibernie. — Et premièrement est montré comment un nommé Guiral fit un petit livre de ces merveilles. «Il fut un nommé Guiral, parent de Henri, roi des Anglais, qui fut envoyé en Hibernie avec Jean fils dudit roi; et quand ils furent là, ce Guiral s'émerveilla des choses que Dieu faisait en ces parties extrêmes du monde et qu'on ne voyait point ailleurs. Et de ces merveilles ledit Guiral fit un petit livret, qui ne contenait pas l’en- . semble complet de ces choses. Et ce n’est pas merveille si ce livret ne contenait pas toutes lesdites merveilles, car Bede et Solin, qui en ont traité, lui firent défaut. Et pour cela ledit frère Philippe lut ledit livre dudit Guiral, et avec ce qu'il y trouva de vrai et de profitable il fit cette œuvre, avec'maintes autres choses meilleures et plus importantes qu’il y ajouta. » Ce frère Philippe est tout à fait inconnu; les pères Quétif et Echard ne le mentionnent point, et son ouvrage, évidemment composé en latin, n’a pas été signalé jusqu’à ce jour. Du reste, il est loin de justifier les promesses ambitieuses de son prologue. J'ai attentivement comparé son livre avec le «livret » de Guiraud le Cambrien, dont il affecte de parler avec dédain; je vois bien ce qu'il en a retranché, mais non pas ce qu'il y a ajouté. On trouvera à l’'Appendice la table des chapitres; dans une suite de notes j'ai établi la correspondance des deux textes. — (Appendice C.) Primar, Chronique des règnes de saint £ouis et de Philippe le Hardr. — J'arrive maintenant, Monsieur le Ministre, à une découverte qui est de beaucoup la plus importante entre celles qu'il m'a été donné de faire pendant ma mission. Je veux parler de la traduc- tion de la chronique de Primat (1250-1285) qui occupeles feuillets 194-251 du manuscrit Bibl. reg, 19. D.I, le reste du volume étant rempli par des ouvrages de moindre importance , dont je donne le détail à l'Appendice. Ici je présenterai à Votre Excellence quelques observations sur l’auteur de cette chronique, sur louvrage lui- même, sur son traducteur. L'auteur est un moine de Saint-Denis nommé Primat, jusqu'ici connu par une mention sur laquelle j'aurai à revenir plus tard!. Son traducteur est Jean du Vignay, ? Indépendamment de ce texte, qui est fourni, comme on le verra, par un des | (l [ 1 — 9263 — religieux hospitalier de Saint-Jacques du Haut-Pas, qui a mis en français le Miroir historial de Vincent de Beauvais, la Légende dorée de Jacques de Voragine, le Liber de ludo Scachorum de Jac- ques de Césoles, les Otia imperialia de Gervais de Tilbury}. Voici les passages qui nous donnent le nom de l’auteur et du traduc- teur, en même temps qu'ils nous renseignent sur le but que se proposait ce dernier en faisant passer en français l'œuvre de Pri- mat; le premier intervient à propos des miracles de saint Louis que Jean du Vignay intercale dans son texte : XLIIIT. D'aucuns des faits esptrituelz et des miracles d'iceli saint homme monseigneur saint Loys. Pour ce que il est avis frere JEHAN DE ViGNay, qui ay transporté et mis les ii. volumes de ceste presente œuvre de latin en françois, selon ce que frere Vin- cent, de l'ordre des Prescheurs, l'ordena et fist, avec une adition que je y ay adjoustée selonc les croniques que Prymar fist, laquelle adition prent 1à où frere Vincent laissa, c'est assavoir que le dit frere Vincent et PrimaT parlent trop poy plus précieux manuscrits des Chroniques de Saint-Denis, on a voulu trouver dans le Decamerone un témoignage beaucoup plus explicite sur notre auteur. On a rap- proche de Primat ce Primasso, qui, selon Boccace, «fu un gran valente uomo in grammatica, e fu oltre ad ogn'altro grande e presio versificatore, le quali cose il renderono lanto ragguardevole e si famoso che, ancora che per vista in ogni parte conosciuto non fosse, per nome e per fama quasi niuno era che non sapesse chi fosse Primasso. » (Giorn. [°, nov. 7°.) Mais il est évident que cette identification ne repose que sur la similitude des noms. En outre, il paraît certain que ce Primasso n'est pas différent d'un chanoine de Cologne appelé Primas, «magnus trutannus et magnus trufator et maximus versificator et velox ,» selon frère Sa- limbene, de qui Boccace semble avoir eu les paroles présentes à l'esprit lorsqu'il qualifiait son Primasso de «grande e presto versificatore. » Salimbene parle de ce chanoine poëte à l'année 1233 (p. 41), et lui attribue l'Apocalypsis et la Con/cssio Goliæ , ces deux poëmes dont il nous est parvenu tant de copies, ordinairement anonymes , et parfois mises sous le nom de Gautier Map ou de Gautier de Chà- tillon. Tout ce passage de sa chronique est plein d'intérêt; c'est un témoignage précis à joindre aux témoignages qu'ont réunis sur la littérature des Goliards MM. Th. Wright, Du Méril, Müldener et Giesebrecht. — M. Ch. Thurot me signale sur le poëte Primat un autre témoignage au commencement de la Somme de Thomas de Capoue : « Dictaminum genera tria sunt a veteribus diffi- mita : scilicet prosaicum, metricum et rhithmicum; prosaicum ut Cassiodori, metricum ut Virgili, rhithmicum ut PrrwaTIs. » 1 Cette traduction est restée ignorée jusqu'à ce jour; le seul manuscrit qui en existe à ma connaissance appartient à lord Ashburnham; coli. Barrois, n° 19. 18, — 264 — en leur traitié des meurs esperitueles de celi tres honnourable saint, car des mi- racles de li ne me merveille je pas se 1l n’en parlent point, car nul ne doit estre tenu pour saint homme en sa vie..... tant pour la dévotion que j'ay au dit benoit monseigneur saint Loys comme pour plus parfaitement acomplir l'istoire com- menciée de Îi, il m'est pris volonté de meitre ici endroit aucuns de ses fais espe- rituelz selon ce que je les ay compris en sa légende, et aucuns aussi des miracles de yceli saint, tant ceulz que je ay trouvé en escrypture, comme ceulz que j'ay veus à mes propres iex... (Fol. 224ab). Le second passage se trouve dans l’épilogue de la traduction : Et aussi me convient il faire fin, pour ce que PRIMAT, de qui je ay translaté les croniques que äl fist depuis le temps frere Vincent, laissa l’ystoire ci endroit ou environ; si que je fais la fin de ma translation selon l’ystoire de celi PRIMAT. Les chroniques de Primat ont donc servi à Jean du Vignay à faire une suite au Miroir historial de Vincent. Il avait traduit ce dernier ouvrage, qui s'arrête à 1250, pour Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe VI; il y Joignit en forme de continuation, et à l'instigation de la même reine, une portion de l’œuvre de Primat : « Et merci tant comme je puis la tres honnourable et haute, puis- sant et noble Jehenne de Bourgongne, roine de France, par qui [commant] je ay fait ceste presente œuvre, de ce qu’elle le me daigna faire baiïller à faire et à acomplir. » (Fol. 251 d). Jean du Vignay négligea-t-il de faire exécuter un exemplaire du Miroir contenant sa traduction de Primat, et pouvant servir de modèle à de nouvelles copies? c'est ce que nul ne saurait dire, toujours est-il que ce supplément à l'œuvre gigantesque de Vincent de Beauvais est joint dans le manuscrit du Musée britannique à des ouvrages avec lesquels il n’a aucune connexité, tandis qu'il ne se rencontre dans aucun des manuscrits connus de la traduc- tion du Miroir. Quoi qu'il en soit, il est hors de doute que nous ne possédons pas la totalité de l’œuvre de Primat. Il n’y a aucune raison de sup- poser que cet auteur ait commencé son récit juste au point où Vincent avait laissé le sien, et 1l est tout naturel que Jean du Vi- gnay ne l'ait traduit qu'à partir de ce même point. En outre, il est évident que le chapitre qui, dans le manuscrit du Musée britan- nique, est le premier, n’est pas le début de l'ouvrage. En voici les premières lignes : ï Vraiement la royne mere d'iceulz, qui avoit nom madame Blanche, et estoit seur du roy d'Espaigne, laquelle estoit à acomparagier à Rebeque par sagesse et — 9265 — par suttileté d'enging, gouverna en ce temps le royaume de France, et non pas . par vertu feminine, mes vertueusement, comme s'ele fust homme, si que por. alegier la douleur que ele avoit conceue de l'encheïtivement de ses filz, les 1j. devant diz contes ses filz furent envoiés à icele. Les deux devant dits comtes ! Mais c’est la première fois qu'il en est question! Sans doute, dans le texte complet, ils étaient men- tionnés un peu plus haut. Donc nous n'avons pas le commence- ment de la chronique. Là-dessus point de doute possible : il s’agit seulement de savoir à quelle époque commencait l'ouvrage. Ques- tion dont la solution dépend d’une recherche que je dois tout d'abord entreprendre, celle du rapport qui existe entre Primat et Guillaume de Nangis. Ici il faut distinguer entre l'Histoire de saint Louis et celle de Philippe le Hardi. En ce qui concerne la pre- mière, on remarque, à première vue, une grande parité entre les deux historiens; des chapitres entiers sont les mêmes de part et d'autre !, l'ordre du récit est presque constamment identique. Les différences consistent en suppressions’opérées par Guillaume de Nangis. Quand il ne copie pas, il abrége; rarement il présente des faits ou des idées qui ne se irouvent déià dans Primat ou dans Geoffroi de Beaulieu, ce dernier cas étant le moins fréquent. Seulement, de temps à autre, il insère sous la rubrique incidentia, dans la narration qu’il emprunte à ses devanciers, des faits d’his- toire étrangère. L'hypothèse que Primat serait venu après Guillaume de Nangis et aurait ajouté de son cru ce qui manque à ce dernier, serait in- soutenable, car maints indices montrent que Primat est le plus ancien des deux. Pour lui, le roi Louis IX n’est pas encore saint Louis; il est seulement «le roy, » «le roy Loys; » lorsqu'il raconte sa mort, il ira jusqu’à l'appeler « le tres beneuré crestien,» mais il n'a aucun pressentiment de sa canonisation, dont pourtant on com- mencera à s'occuper dès les premières années du règne de Philippe le Bel. Aussi ignore-t-il complétement les miracles de saint Louis; si bien que Jean du Vignay croit devoir en intercaler quelques-uns dans sa traduction, ainsi qu'il l'annonce dans un passage transcrit ci-dessus; Guillaume de Nangis en rapporte quatorze. Donc, pas de contestation possible sur ce point : Primat est le devancier de Guillaume de Nangis. Il n’en est pas moins étonnant que ce 1 Voy. par exemple le chapitre x, publié à l'Appendice avec le texte de Guil- lame de Nangis en regard. — 266 — dernier ait gardé le silence le plus complet sur celui qu’il ne fait’ suère qu'abréger depuis 1250 au moins jusqu'à 1270, tandis qu'il nomme dans sa préface Gillon de Reims, qui d’ailleurs nous estinconnu, et Geoffroy de Beaulieu, à qui en effet il a fait plusieurs emprunts. — Quant au règne de Philippe le Hardi, Primat offre un moindre intérêt; 1l est moins complet que Guillaume de Nangis, qui sûrement a eu d’autres sources à sa disposition !. Reste la question de savoir à partir de quel endroit Guillaume de Nangis a commencé de suivre Primat, ou, ce qui revient au même, à quelle époque commençait {a chronique de celui-ci; car, même a priori, il n'est point probable que cet endroït soit précisé- ment celui où prend la traduction de Jean du Vignay. Avant l’année 1250, la première époque qui puisse être le point de dé- part d’une histoire, c'est l’avénement de saint Louis, soit l’année 1226. C’est la date à laquelle Guillaume de Nangis commence son histoire et c'est, vraisemblabléement aussi, celle d’où Primat fai- sait partir la sienne. Ma conjecture n’est pas fondée seulement sur le rapport constant que nous pouvons constater à partir de 1250 entre les deux écrivains, mais sur un texte qui a été bien dis- cuté sans qu'on en ait donné, ce me semble, la vraie explication. C'est une question incidente qu'il me faut examiner en détail. La Bibliothèque Sainte-Geneviève possède un manuscrit des Grandes chroniques de Saint-Denis?, composé de deux parties bien distinctes. La première, écrite dans le dernier tiers du XII siècle, s'arrête à la mort de Philippe-Auguste; la seconde, postérieure d’un demi-siècle environ, contient la vie de saint Louis qu'offrent tous les manuscrits des Grandes chroniques. À la fin de la première partie, au folio 326 v°, se trouve une miniature de celles qu'on appelle de présentalion : un moine agenouillé présente un livre à un roi de France; derrière le moine, un abbé mitré étend la main vers le livre et semble parler au roi. Au-dessous de Ia nuiniature sont deux pièces de vers, l’une française, l’autre latine. Les pre- miers vers français sont ceux-ci : Phelippes, rois de France, qui tant ies renomez . Ge te rent le romanz qui des rois est romez (sic), ! Je cite à l'Appendice un chapitre appartenant au règne de Philippe HE, où Guillaume de Nangis rapporte quelques faits inconnus à Primat. 2 Coté EL. F2, Ha appartenu à Charles V, dont il porte au dernier feuillet la signature. Tant à cis ! travallié qui Primaz est nomez Que il est, Dieu merci, parfaiz et consummez. Ce roi Philippe est, selon l'abbé Lebeuf et M. P. Paris, Phi- lippe Il; c’est, d’après M. de Waiïlly, Philippe IV ?, conclusion à laquelle j'arrive aussi par une autre voie. N'examinons pas si Primat est un titre comme l’a pensé l'abbé Lebeuf, ou le nom d’un simple copiste comme le croyait dom Bouquet : question résolue sans plus de recherches, du moment que nous sommes en posses- sion d’un grand fragment de l’œuvre du chroniqueur Primat. Ce qu'il faut rechercher, c’est à quoi se rapportent ces vers. Jusqu'à ce Jour on a pensé qu'ils avaient trait à la partie des Chroniques de Saint-Denis à la suite de laquelle ils sont placés, et l'on en a conclu tout naturellement que Primat était l’auteur, ou, si l’on veut, le traducteur de cette vaste compilation *, opinion que je ne puis partager. D'abord, à ce compte, il serait bien extraordi- nare que la miniature de présentation et la dédicace en vers ._vinssent après l'ouvrage présenté, au lieu d’être placées au devant. De plus, le texte de la dédicace conduit à une tout autre conclu- sion. Les vers latins débutent ainsi : Ut bene regna regas per que bene regna reguntur, Hec documenta legas, que libri fine sequuntur. Ut mandata Dei serves, prius hoc üibi presto : Catholice fidei cultor devotus adesto, Sancta patris vita per singula sit tibi forma... Quels sont ces documenta qui suivent à la fin du livre? Outre que l'expression serait singulière appliquée à un texte qui précéderait la dédicace , au lieu de la suivre, on ne voit rien, dans la chronique, à quoi puisse se rapporter le conseil donné dans le second vers. Cette chronique, ne l'oublions pas, s'arrête à la mort de Philippe- Auguste; mais le conseil serait parfaitement applicable aux ensei- gnements de saint Louis à son fils qu'on peut voir rapportés par divers auteurs du temps : Joinville, Guillaume de Nangis, notre Primat “. Ils se trouvent aussi dans la vie de saint Louis qui oc- 1 Manuscrit cte. Mémoires de l'Acad. des inser, XVI ,"1"° parte, p. 366-397. Voyez notamment fist, lit. XXI, 740. Chap. XLI de la traduction de J. du Vignay. 2 3 — 268 — cupe la fin du manuscrit, et qui est, comme je l'ai dit, la ‘rédac tion des Grandes chroniques; la difficulté est seulement que cette partie du volume est datée par l'écriture du commencement du xiv® siècle, et partant n'existait pas alors que les vers furent écrits. Autre difficulté : le cinquième vers, Sancla patris, etc. désigne saint Louis, selon l’abbé Lebeuf et M. P. Paris, Phi- lippe HT, selon M. de Waïlly. De toute façon il est sans connexion avec un ouvrage où l’histoire n’est pas conduite plus loin que Philippe-Auguste. Je suis donc amené par un raisonnement ri- goureux à cette conclusion que les vers tant français que latins sont la dédicace d’un ouvrage que nous n’avons plus, et s'étendant jusqu'à la mort de saint Louis dans l'hypothèse de l'abbé Lebeuf et de M. P. Paris, jusqu'à la mort de Philippe le Hardi dans lhy- pothèse de M. de Waïlly; que cet ouvrage était le texte complet de Primat; qu’il prenait place dans le manuscrit de Sainte-Gene- viève à la suite de la dédicace; qu'il a été arraché du manuscrit, et remplacé au commencement du xiv° siècle par la Vie de saint Louis, qu'on y voit maintenant. Cette conclusion me semble imposée en quelque sorte par les indications de ia dédicace, et n’avoir pas besoin de preuve ultérieure. Toutefois je ne négligerai pas de signaler dans l’état matériel du manuscrit une circonstance qui vient encore à l'appui de mon opinion. Chacun des cahiers de ce manuscrit est composé de six feuilles doubles, soit douze feuillets; si donc la partie du volume qui suivait la dédicace à été enlevée, il ÿY a douze chances contre une pour que le cahier où se trouve cette dédicace ait été entamé, le seul cas où il ait pu demeurer intact étant que la dédicace se soit trouvée écrite sur le douzième feuillet. Or elle occupe le verso du onzième, et le douzième, où devait commencer le texte de Primat a été arraché. Ainsi, d’une part, la dédicace s'applique à un ouvrage de Primat que le ma- nuscrit ne contient plus; et, d'autre part, ce même manuscrit porte la trace de l’enlèvement violent d’un certain nombre de feuillets. On voit que toutes les inductions tendent à la conclusion for- mulée plus haut : à savoir que la dédicace se rapporte à un ouvrage de Primat, tout à fait distinct des Grandes chroniques. D'où ré- sultent, relativement aux controverses que cette dédicace a soule- vées, deux faits importants : 1° l'hypothèse qui, se fondant sur ce texte unique, attribuait à Primat larrangement et la traduction des — 269 — Grandes chroniques, perd son unique point d'appui; 2° l'ouvrage de Primat, que nous connaissons à partir de 1250 par Jean du Vignay, se poursuivant jusqu’à la mort de Philippe IT, c'est à Phi- lippe IV, comme le pensait M. de Waïlly, et non à Philippe IIF, qu'il a été dédié. La question de savoir où commençait la chronique de Primat est maintenant toute résolue. Elle faisait suite à la partie des Chro- niques de Saint-Denis contenue dans le manuscrit de Sainte- Geneviève, c'est-à-dire qu’elle prenait à l’'avénement de Louis VITE, ou — si, conune fit Guillaume de Nangis, elle négligeait le court règne de ‘ce prince — à l’avénement de saint Louis en 1226. Ajoutons qu'elle devait figurer dans le ms. de Sainte-Geneviève, non sous sa forme originale, mais déjà traduite en français; les termes de la dédicace {Ge te rent le romanz, etc.) ne laissent pas de doute à cet égard. __ Ilest donc certain que la chronique de Primat commençait au règne de Louis VIIL ou à celui de Louis IX ; maintenant it s’agit de montrer que, dès le début de son histoire de saint Louis, Guillaume de Nangis a copié Primat. Foute discussion sur ce point peut a priori sembler aventurée, puisque le manuscrit de Londres ne nous fournit l'œuvre de Primat qu'à partir de 1250; on peut cependant, si je ne mabuse, parvenir à cet égard à un haut degré de pro- babilité. Si lon étudie à travers la traduction de Jean du Vignay le style de Primat, on y reconnait une grande recherche, une disposition constante à l’emphase et aux formes oraloires. La rhétorique lobsède, cherche à se faire jour à tout propos, et lui fait commettre les fautes les plus choquantes contre le goût. Ainsi lorsqu'il raconte, vraisemblablement d’après le récit de témoins oculaires, tant les détails sont précis, la mort de saint Louis, il éprouve le besoin de faire intervenir «la tres fe- lomnesse et hardie Atropos, » qui«ne doubta pas rompre en nulle mamière et le fil et la vice du tres noble roy des Frans » (fol. 220 4). Parlant de la tempête qui, au retour de la croisade de 1270, assaillit les croisés près des côtes de Sicile, il invoque avec aussi peu de convenance un souvenir classique : «Et quant ül orent fait une partie de leur voiage, tantost Neptunus, qui est sire des vens, fu courouciés sans apaisier; si mist hors les vens de ses tresors et les esmut en si grant rage que lon n’avoit onques oy avant si fors ne si crueulz esperiz de tourmente de vent» (fol. — 270 — 237 a). De pareils exemples de mauvais goût se rencontrent à chaque page, et le plus souvent ils ont été reproduits par Guil- laume de Nangis; c'est notamment le cas pour celui que je viens de rapporter !. Si donc l'on reconnaït dès le commencement de la vie de saint Louis par Guillaume de Nangis cette manière si caractéristique, ne sera-t-il pas permis d’en conclure que dès ce moment Guillaume transcrit ou abrége Primat? Il me semble qu’on peut l’admettre sans trop accorder à l’hypothèse, puisque d’ail- leurs le fait est patent à dater de 1250. Ici toutefois je dois prévenir une objection. M. de Wailly a parfaitement établi? que, jusqu'à l'année 1250, Guillaume de Nangisasuivi de très-près Vincent de Beauvais, sans toutefois le citer. On pourrait donc dire : de 1250 à 1285 Guillaume de Nangis se guide sur Primat, mais jusqu'à 1250 son modèle c’est Vincent. Je crois cependant que le rapport étroit qui existe entre Guillaume et Vincent n’est nullement contraire à mon opinion; c'est même à M. de Wailly que je dois l'explication que je vais présenter de ces deux faits en apparence inconciliables. Si l'on compare les passages cor- respondanis de Guillaume de Nangis et de Vincent de Beauvais, on remarque que de part et d'autre la matière historique est lamême; les mêmes phrases se rencontrent chez les deux auteurs; seule- ment chez Guillaume de Nangis 1l y a de plus des réflexions qui cherchent à être savantes ou philosophiques, mais qui ne sont le plus souvent que prétentieuses; la manière de Primat sy re- connaît sans peine. On peut donc croire que ce dernier s’est:servi autant qu'il a pu de Vincent, l’interpolant, le fourrant à son gré. Puis est venu Guillaume, qui a pris comme son bien l’histoire ainsi préparée, et l’a publiée en y changeant peu de chose. Cette con- clusion ne peut être démontrée que par une comparaison suivie des deux textes; ici je dois me borner à mettre en regard les deux rédactions d’un même récit. Je souligne les phrases et les mots de Guillaume de Nangis qui manquent à Vincent; on verra qu'ils n’ajoutent guère à l’histoire, et qu'ils donnent seulement au récit une apparence boursouflée, qui est la marque du style de Primat. l Histor. de France, XX, 480. ? Bibliothèque de l'École des Chartes, 2° série, 1. T, p. 395. ET VINCENT. (Lib, XXX , cap. 130, edit. Duac. IV, 1237.) Eodem tempore Hugo Marchiæ comes et Theobaldus comes Campaniæ contra novum regem suum conspirantes Ludo- vicum , fœdus ad invicem imierunt. Unde comes Britanniæ ex consensu comilis Campaniæ, qui contra prohibitionem Ludovici regis defuncti de Albigensium terra redierat, castellum quod Sanctum Jacobum de Beverone nominant, una cum Belesmo, sibi quondam ab eodem Ludovico custodia traditum , firmabat et victualibus muniebat. Itaque rex novus et junior, comitantibus se Romano cardi- ali, tunc legato sedis apostolicæ , et Phi- lippo patruo suo,comite Boloniæ, necnon et Roberto Drocensi comite, cum exer- “citu multo usque ad Carrheriam de Car- ceio properavit. Quod videns ac timens Campaniæ comes, a proposito maligno resipuit, et adhærens regi Franciæ a comitum Marchiæ et Britanniæ consortio celeriter resiluit, GUILL. DE NANGIS. (Histor. de Fr. XX, 319.) Eodem anno quo coronatus fuit Lu- dovicus rex, Hugo comes Marchiæ et Theobaldus comes Campaniæ , nec non et Petrus comes Britanniæ, contra ipsum regem et dominum suum conspirantes, fœdus ad invicem inierunt. Unde comes Britanniæ ex consensu comitis Campa- nie , qui absque licentia, imo contra vo- luntatem et præceptum regis jam defuncti Ludovici de terra Albigensium redierat, castellumque quod S. Jacobum de Be- veron nominant, quod una cum alio quod Belesmum dicitur, sibi rex defunctus Ludovicus diu ante in custodia tradide- rat, prout melius poterat firmabat, et vi- ctualibus muniebat., Scd confœderationem et in regnum suum corum machinationem pessimam novus rex adhuc juvenis per- agnoscens, asseruit Jurans in brachio for- titudinis suæ quod defenderet se de omni- bus, habitoque cum suis consilio, contra ilos incredibilis multitudinis ducens exercilum !,usque ad quarreriam de Cur- celio quantocius properavit. Rex siquidem Éomanum cardinalem, Sedis apostolicæ tunc legatam in Francia, comitemque Bo- loniæ Philippum avunculum suum, necnon Robcrtum comitem Drocensem, fratrem comilis Brilanniæ,in suo habebat comitat. Cum autem vidisset comes Campaniæ exercitum regis mirabilem dominumque suum naturaliter pertimescens, a suo pravo proposito resipiscens, adhærens- que regi Franciæ, a comitum Marchiæ et Britanniæ consortio celeriter resilivit. Prenons maintenant la partie de Guillaume de Nangis qui cor- respond à ce que Jean du Vignay nous a conservé de Primat, et voyons quel est le rapport de ces deux textes. Les conclusions que nous tirerons de cet examen pourront avec vraisemblance être Notez que Vincent dit simplement cum eæercitu multo, — 272 — appliquées à la partie antérieure. Je n’ai point l'intention de pré- senter une comparaison détaillée des deux ouvrages : les limites d’un rapport ne me le permettr aient pas, et d’ailleurs ce sera l'œuvre des deux savants continuateurs de Dom Bouquet qui pu- blieront la chronique de Primat pour le recueil des Historiens de France. Je me bornerai à signaler quelques traits importants entré ceux qu'un examen complet pourrait mettre en lumière. Je l'ai dit : les Gestes de saint Louis de Guillaume de Nangis ne sont guère autre chose que la chronique de Primat abrégée en cer- taines parties; parfois, ainsi que la préface l'annonce, on y ren- contre des faits empruntés à Geolfroi de Beaulieu, mais ce qu’on n'y trouve pas, Où au moins ce qui est infiniment rare, ce sont des faits qui ne soient recueillis à aucune de ces deux sources. Toutefois il est malaisé de découvrir l’idée qui a guidé Guillaume de Nangis dans son travail decompilateur ou plutôt d’abréviateur. Pourquoi reproduil- il, sans en rien omettre, le long exposé fait par Primat de la lutie entre Charles d'Anjou et Manfred, tandis qu’il abrége ce qui se rapporte aux soulèvements de Marseille contre le même Charles d'Anjou? Pourquoi dans sa chronique rapporte-t-il en trois lignes la prise d’Antioche par Bibars (1268), et pourquoi n’en parle-t-il pas du tout dans ses Gestes de saint Louis, lorsque Primat consacre à ce grave événement un chapitre entier !? Pourquoi donne-t-1l des derniers moments de saint Louis un récit moins détaillé et, à coup sûr, moins intéressant que celui de Pri- mat 22 Et lorsqu'il abandonne Primat pour suivre Geoffroi de Beaulieu, quel est le motif de sa préférence? C’est notamment ce qu'il fait lorsqu'il rapporte comment les ossements de saint Louis furent transportés à Saint-Denis, tandis que ses entrailles étaient 1 Le onzième de la traduction de J. du Vignay. Pour le dire en passant, ce chapitre est la seule source où l’on puisse apprendre les circonstances du siége d’Antioche. ? Voir ce récit à l’'Appendice (chap. xxx1x). On peut dire que la chronique de Primat est la meilleure source de l’histoire de la seconde croisade de saint Louis. Sa narration, qui a presque la forme d'un journal, a une précision que n'offre point Guillaume de Nangis ; 11 a de plus conservé maints détails supprimés par ce dernier. Je RUE ANNE NN l’'Appendice le chapitre (Lv) relatif aux trêves qui mirent fin à de ee On verra que l'analyse du traité conclu alors est dans Primat bien plus développée que dans Guillaume de Nangis, et qu'elle présente avec le texte même du traité tel que l’a publié Silvestre de Fe. un 2 remar- quable. — 273 — placées à Montreale, en Sicile !; et encore omet-il le mot cor, qu'il trouvait dans le récit de Geoffroi de Beaulieu ?, fournissant ainsi un argument tel quel à ceux qui, il y a vingt ans, attribuèrent au saint roi, avec une conviction plus ardente que réfléchie, le cœur qu'on trouva dans une cassette de métal à la Sainte-Chapelle. 11 eût lu dans Primat un récit plus circonstancié que dans Geoffroi de Beaulieu *. Ce sont là autant de questions qui pour moi sont insolubles. Je crois seulement remarquer qu’au moins en certains cas Primat montre dans l'appréciation des faits une liberté d'esprit plus grande que Guillaume de Nangis. Lorsque le premier a ma- nifesté son opinion sur les hommes ou sur les choses avec trop de vivacité, lorsqu'il a rapporté un fait qui n’est point à l'avantage des siens, on voit le second modifier le récit de son devancier, et y opérer de prudentes coupures. Deux exemples sufliront à faire apprécier ce procédé. Voici en quels termes l’un et l’autre auteur . parlent des difficultés que les croisés éprouvèrent à se procurer des vivres à Cagliari. PRIMAT. GUILL. DE NANGIS. (Chap. xxvir, fol. 211.) (Histor. de Fr. XX, 446.) Et il prometoient à faire tout à la vo- Ad votum tamen regis omnia promit- lenté du roy, et si n’en faisoient nulle tentes, nihil aliud aut parum facere vo- autre chose, se mout pou non, mes il luerunt. Hoc enim solummodo fecerunt firent arriere tant que .xir. deniers tour- quod duodecim denarii turonenses pro 1 Histor. de Fr. XX, 168. 2 Jbid. 24. | 3 Voici ce texte, qui est décisif et tranche la question dans le sens que défen- daient M. Letronne et M. de Waïlly : «Et après tout ce, les varles de la chambre du roy et tous les menistres, et ceulz à qui l'office apartenoit pristrent le corps du roy et le departirent membre à membre, et le firent cuire si longuement en yaue et en vin que les os en cheirent tous blancs et tous nez de la char, et en povoient bien estre ostez de leur gré sans force faire; et les entrailles furent en- messages qui l'aportoient descendirent au port de Pannorie, et les chevaliers et plusieux nobles hommes de celle cité les reçurent à grant joie et les convoicrent tres devotement jusques à ladite abbaie , et le couvent de celle abbaïe vintsollemp- nelment à l'encontre, et reçurent le cuer et ces autres entrailles de celui tres devot roi pour grant don et precieux. Et quant l'office des mors fu acomplie, il mistrent tout en leur eglise moult convenablement et moult honnestement. Et les menistres et les varles du pales du roy laverent les os du corps du roy moult tres neitement et les enveloperent en dras de soie aveuques espices bien oudou- MT nois valurent .xtr. deniers de Jennes, et povoit l'en .1. pou plus plenteureuse- ment trouver pain et vin à vendre; mes l'en ne povoit trouver des autres choses se ce n’estoit à grant force. O! se Kalles Martel, c'est à dire Kalles roy de Secile, fust venu à un tel chastel, et il eust trouvé tel chose et si rebelle pucple, si comme je cuide, il eust destruit en un seul moment el gent et chastel tout ensamble, mes celi Louis, roy debonnaire, paisible, ama miex à passer touz souz dissimulation que il qualuordecim januensibus ponerentür, et quod panis et vinum aliquantulum fertilius ad emendum poterat invemiri. Sed alia nisi cum magna difficultate po- terant reperiri. Quæ Franci graviter fe- rentes monebant regem ut castrum et gentem illam juberet evertere : sed pius et pacificus rex potius elegit omnia sub dissimulatione præterire, quam chris- üanos, ad quos destruendos non venerat, licet partim meruissent, tahiter extir- pare. ne faisoit à destruire les crestiens, quer il n’estoit pas pour ce venu, combien que il [T } eussent deservi en partie. On voit avec quelle prudence Guillaume de Nangis a modifié la phrase où Primat exprimait avec tant de naïveté l’idée qu'il avait du tempérament de Charles d'Anjou. Un peu plus loin il s’agit de la prise du château de Carthage. Primat donne la composition des colonnes d'assaut, que Guillaume de Nangis fournit avec beaucoup moins de précision. Parmi les troupes chargées de ce coup de main figuraient, selon Primat, des Castillans. Ils se comportèrent d’une façon peu honorable : « Entretant comme les mariniers assailloient le chastel, .cc. arbalestiers des Castellainz s'enfuirent, sanz ce qu'il eussent encontré un assaut nul des Sarrazins.» (Fol. 213 bc, chap. xxxr.) Cette phrase a été supprimée par Guillaume de Nangis. Dans ces deux exemples etdans maint autre qu'on pourrait citer, il ne s’agit que de détails d’une médiocre importance, et les retran- chements se bornent à quelques lignes; mais c’est précisément ce qui fait voir qu'en opérant de tels changements Guillaume de Nangis n’a pas été mü par le désir d’abréger le texte de Primat, qu'il a voulu bien plutôt faire disparaitre des passages qu'il ju- seait compromettants. Je ne pourrais sans étendre démesurément les limites de ce rap- port pousser plus loin ces observations. L'ouvrage de Primat four- nirait aisément la matière d’un mémoire considérable, c’est de ceux que leurs travaux antérieurs ont rendus familiers avec les rans et les mistrent en sauf pour estre gardés dedans un sarquil à estre mis en un tombel en l’eglise du benoit Saint Denis Aryopagite en France, aveques ses pares (sic), et les autres roys de France anciens, quant il en seroit temps et lieu. » (Fol. 220-221.) — 9275 — sources de l’histoire du xmr° siècle, c’est de M. de Wailly notam- ment, si bien préparé à l'étude d’un nouveau monument de cette histoire par ses recherches sur le règne de saint Louis, et par la publication des tomes XXI et XXII du recueil des Historiens de France, que nous devons attendre la solution des diverses ques- tions auxquelles Primat peut donner lieu. Il me reste présentement à dire quelques mots de Jean du Vignay et de la façon dont il a accompli sa tâche. Il est ici ce qu'il se montre dans ses autres iranslations, un traducteur lourd mais exact. On s’en apercevra de reste en lisant les extraits cités à l'Ap- pendice, quelques-uns desquels sont placés en regard du texte de . Guillaume de Nangis, où, pour rendre à chacun ce qui lui appar- tient, de Primat, Il y a dans son œuvre un certain nombre de contre-sens dont plusieurs, assez graves, font croire que le bon religieux se résignait assez volontiers à écrire des phrases dénuées de sens. Celle-ci par exemple: «Et donc plusieurs admirans se merveilloient du grand courage de son cuer et de la fermeté de li, et li portoient bone volenté en tant comme il li plaisoit à culs recevoir, si comme les mecreans s’entreportent compaignie par entrechan- gables amistiés. » (Fol. 197 b.) Le texte latin porte: « Unde quidam admiralü, admirantes ejus magnanimi cordis constantiam, sibi fiebant benevoli, et in quantum licebat sibi eos recipere, utpote infideles, mutuis amicitiis adhærebant. » (Histor. de Fr. XX, 384.) Mais ces légères taches seront aisément pardonnées à Jean du Vignay en considération du service important qu'il a rendu à notre histoire en lui conservant un fragment très-considérable de l'ouvrage de Primat. On peut même dire qu'il en à jusqu'à un certain point accru l'intérêt en y intercalant le récit de plusieurs miracles, dont quelques-uns ne se rencontrent pas dans les autres recueils, car c'est lui-même qui les a recueillis, ce qui lui a donné occasion de nous fournir indirectement sur sa personne quelques renseignements inédits !. ! Dans son chapitre xLvrr: Les miracles que frere Jehan de Vignay vit avenir en Normandie de Monseigneur saint Loys. En voici le début: «La vegille de la feste du benoit saint Loys, je, frere Jehan du Vignay, translateur de ce livre, estoie ou Molay Bacon demourant à l'escole avec la personne de ladite ville qui estoit mon parrain et portoie son nom; si avint que plusieux autres personnes orent volenté et devotion de venir à Baieux, qui est à ij lieues du Molay Bacon pour veillier à une chapelle de saint Michel de Bayeux, en laquelle .r. autel du benoit saint dessus — 276 — En résumé, 6n peut dire que la découverte de Primat intéresse tout à la fois l'histoire politique et l’histoire littéraire. La première y recueille quelques faits nouveaux pour la période comprise entre les années 1250 et 1285; la seconde y gagne un auteur jusqu'ici méconnu, que plusieurs avaient cru être un simple copiste, tandis que d’autres lui attribuaient la rédaction des Chroniques de Saint- Denis, à laquelle on n’a plus aucune raison de supposer qu'il ait pris part; en même temps elle acquiert une vue plus juste d'un historien sur qui jusqu'à ce jour on n'avait pu que se méprendre, Guillaume de Nangis. On le croyait historien original, au moins dans une certaine mesure, il descend maintenant au rang des compilateurs et laisse sa place à Primat. — {Appendice D.) I me serait facile d'augmenter le nombre de ces notices, si je ne m'étais fait une loi de ne point parler des mss. qui ont été étu- diés par mes devanciers, ou qui sont suffisamment décrits dans les catalogues imprimés. Je me bornerai maintenant, en ce qui concerne le Musée britannique, à de rapides indications de mss. qui, sans offrir un grand intérêt, méritent cependant, pour diverses raisons, d'être signalés. Le Musée britannique a acquis il y a peu d'années du libraire Tross, et conserve, sous le numéro 21218, un manuscrit que J'avais cherché vainement à Narbonne et à Carcässonne en :862; c'est un exemplaire du roman de Philomena, dont la Bibliothèque impériale possède deux copies, l’une dans la collection Doat, n° 7, l'autre parmi les papiers de Dom Vaissète (Languedoc, n° 74). C'est bien le volume qui au siècle dernier, et longtemps après sans doute, fut conservé à Narbonne : 1l commence comme les deux copies par le testament de Charlemagne que rapporte Éginhard, et porte encore les signatures de plusieurs consuls narbonnais |. dit estoit fondé de nouvel; si avint que une moye cousine et sa fille estoient aveu- ques moy au partir de la ville pour venir à ladite vegille, si que eile vouloit amener .r. sien fiz clerc, mon cousin et compaignon de escole, etc.» (fol. 229g- 230). On avait jusqu'ici ignoré la patrie de Jean du Vignay. — En un autre endroit (chap. xurmr, fol. 225) ïl raconte l'accident arrivé à la nef du roi saint Louis lors de son retour d'Egypte, d'après le récit que lui en avait fait son père «lequel avoit esté en celi passage aveuques son oncle, qui estoit a donques clerc du roy saint Loys, et avoit nom maistre Guillemes du Pont. » * Choupart, consul, 1619. — Chambert, consul, 1624. —- Pacquier, consul, 1634, ete, — 277 — On connaissait déjà cinq mss. de. la vie de saint Honorat par Raimon Féraut!. Le Musée britannique en possède un sixième (add. 10323), et j'en ai vu un septième chez lord Ashburnham ?. On peut ainsi constater le succès qu'obtint cette composition à plusieurs égards remarquable. Le ms. addit. 9288 est d’origine française; on y lit en effet ces mots écrits sur le premier feuillet de garde: « Ge present livre soit conservé à Marc de Roel de Brion, mes enfans. Faict par moy, le xur° juillet xvr° xx. DE Guirraxcourr. » Les feuillets 116 et120 sont occupés par la mention des naissances et mariages survenus dans la famille de Brion de 1555 à 1623, et les feuillets 120 à 126 contiennent « les heures, les jours et le lieu de la nativité des enfans de Nicolas Laubigoys, trésorier général de’Bourbonnois, et de Blanche du Lart, sa femme, et de leurs parreins et marrines, » pour les années 1470 à 1499. Le ms. renferme le récit de la pas- sion mis en français pour Isabeau de Bavière, ouvrage dont il existe d’autres exemplaires, En voici la rubrique initiale et Le préambule : Cy commance la passion de Nostre Scigneur Jhesu Crist, translatée de latin en françois depuis lu suscitation du ladre jasques en la fin, à la requeste de tres redoub- tée dame Ysabel, par la grace de Dieu royne de France. A la loenge de Dieu et de la Vierge souveraine et de tous sains et saintes de Paradis, et à la requeste de tres excellente et redoutée dame et puissante princesse, dame Ysabel de Baviere, par la grace de Dieu royne de France, j'ay translaté ceste passion de Jhesu Crist nostre sauveur, de latin en françois, sans y adjouster moralitez, hystoires, exemples ou figures, l'an mil .cec.nr*, et dix huit, prenant mon commencement de la suscitation du ladre, pour ce que ceilui miracle, aveques les autres par avant faitz pas Jhesus, furent occasion aux Juifs de machiner et traittier la mort et passion de Jhesu. Je donne à l’Appendice quelques vers d’un ms. imparfait de Thésée de Cologne que possède le Musée sous le numéro addit. 16955. La Bibliothèque impériale n’a aucune copie de ce roman. 1 L'un des meilleurs appartenait à Raynouard et est actuellement en la pos- session de M. Guessard ; les autres appartiennent à la Bibl. imp. (fonds fr. 2098 ét 13509, la Vall. 152) et à la Bibl. de Carpentras. 2 Collection Laibri, numéro 106. % Par exemple à Troyes, n° 1257 et 1915: \ MISS. SCIENT, — III. 15) — 278 — Sir Thomas Phillipps en possède une (n° 3,636), et lord Ash- burnham une autre {collect. Barrois, n° 354). 11 a été mis en prose et imprimé à Paris en 1534. — (Appendice E.) Un ouvrage qui figurait dans toutes les belles librairies de la fin du xiv° siècle et du xv°, c'était la traduction de Tite Live qu’exé- cuta Pierre Bercheure pour le roi Jean; son succès s’étendit jus- qu'au delà des Pyrénées, paraît-il, car le ms. Harleien 4893 nous offre une version catalane de cette translation française. C’est une preuve de plus de l'influence considérable que la littérature française exerça au xv° siècle sur le développement des lettres en Catalogne; et ce n’est pas la seule que mes recherches dans les bibliothèques anglaises m'aient permis de recueillir. Je donne à l’appendice le commencement de l’œuvre de Bercheure dans les deux textes. — {Appendice F.) Un autre ouvrage catalan, conservé sous le numéro Egerton 1526, présente une curieuse particularité. C’est une traduction de la Bible jusqu’au psautier inclusivement, écrite en 1465!; on y lit sur le dernier feuillet cette note qui par l'écriture semble remonter aux dernières années du xv° siècle : Visa per nos et permissa magis- tro Johanni Parmentario, Fr. BerNARDUS (?) inquisitor. Le ms. Lansdowne 1179 contient les livres 1x à xvr de la tra- duction que Jean du Vignay exécuta du Speculum historiale de Vincent de Beauvais. C'est donc le second volume de l'ouvrage, qui en contient quatre dans les exemplaires complets. A la fin on lit ces deux notes, dont la seconde est à peu près effacée : Dame sans per. À Prigent. Ce livre est à Prigent, seigneur de Rays et de Ccectivy et de Taillebourg, conseiller et chambellan du corps du roy, et admiral de France?. Il peut n'être pas inutile de noter que le qua- ! On lit à lexplicit: Aquest vulum fo acabat dimars a .xxvmmr. de Octubre, any .MCCCCLXV. 2? L'amiral Prégent de Coëtivy, tué au siége de Cherbourg en 1450, fut un bi- bliophile distingué. La Bibliothèque impériale possède plusieurs ms. qui lui ont appartenu; ainsi le n° 340 du fonds français (anc. 6961). On peut voir sur ce per- sonnage la Bibliothèque de l'École des Chartes, &° série, t. T, p. 5. I est souvent question de lui dans les historiens contemporains, Mathieu d'Escouchy, par exemple, et Jean Chartier. ET, trième volume de cet exemplaire est conservé à la Bibliothèque impériale sous le numéro 52 du fonds français (anc. 6732). La Bibliothèque impériale possédait naguère un ms. des Chro- niques de saint Denis d’un grand format, exécuté à la fin du x1v° siècle et orné de miniatures; 1l portait le numéro 8298, et antérieurement il avait fait partie de la Bibliothèque de Col- bert, n° 2599). En 1836 M. P. Paris le décrivit !, en 1848 son absence fut constatée, en 1955 le Musée britannique l’'acquit du libraire Lilly et lui assigna le numéro addit. 21143. Celui qui le prit à la Bibliothèque royale eut soin d’arracher les quatre premiers feuillets contenant la table et le prologue, faisant ainsi disparaître les marques de propriété inscrites sur la première page, mais il n'a pu tant faire que sur le verso du dernier feuillet on ne distingue encore le cachet rouge de la Bibliothèque du roi. Dans un prochain rapport, j'exposerai à Votre Excellence les résultats de mes recherches dans les bibliothèques de Durham, d'Édimbourg et de Glasgow. J'ai l'honneur d’être, Monsieur le Ministre, De Votre Excellence, Le très-respectueux et très-obéissant serviteur, Paurz MEYER. ! Grandes chroniques de Suint-Denys , éd. in-fol. col. 1702. Cette description ne laisse aucun doute sur l'identité du volume , qui a conservé sa belle reliure de ma- roquin rouge aux armes de Colbert. RER LT APPENDICE. NOTICES ET EXTRAITS DE MANUSCRITS CONSERVÉS AU MUSÉE BRITANNIQUE. Ju does A0 À EGERTON 274. TI. Parnippe DE GRÈVE, poésies latines. — II. Chansons de trouvères. Fol. 3. Incipiunt dicta magistri Ph, quondam cancellaru parisien sis. Ave gloriosa Virgmum regina.. - Fol. 7 verso. De Beata Mari. O Maria virginei, Flos honorts..- Fol. 12. | Disputatio membrorwm. Inter membra singula De ventris mgluvie Murmur est et questio. Quod pro ventris crapula Membra carent requie Jugis fit exactio. Lugens dicit oculus : Fol. 12 verso. Cur vigil et sedulus Cuncta lustrans exploro ? Venter cuncta devorat, Avidus incorporat {Juiequit extra laboro. Âuris dicit : Cur haurio ? Cur doctrinis inservio Nec satior auditis ? Auditi sont pereunt, Fol, 13. Fol. 13 verso. Fol. 14. Fol. 14 verso. Fol. 15. Fol, 15 verso. ! Manuscrit «d Le, — 281 — Ad ventrem cibi transeunt, Crescit fames et sitis. Naris dicit : Cur explores Cibi fumos et vapores ? A te! frustra discernuntur Que per ventrem confunduntur. Ventris immunditia Corrumpuntur omnia; Odor transit in fetores. Lingua fatur : Quod doctrina Michi confert, dapes, vina, Ista michi non parantur, Cuncta ventri comparantur. Licet per me transeant Parum tamen recreant; Hic ciborum officina. Manus dicunt : Quid labores Nobis prosunt? quid sudores? Cum tu, venter, cuncta vores, Cum tu solus implearis ! Nullum pascas sed pascaris, Neque pastu compescaris ; Nichil paras, immo paris Torsiones et dolores. Queritur pes : Cur fatigor ? Discurrendo cur aflligor ? Sive curro sive labor Meum onus meus labor : Ut dum venter cibis turget Me portantem pondus urget. Ergo restat unum consilium : Suspendamus omnes officium , Quiescamus a labore. Labor noster nobis est sterilis, Condempnetur servus mutilis, Moriatur cum dolore. Dum sic a propris Cessant officiis Interdicto communi, Cibos non capiunt, RS \ Fol. 16. Fol. 16 verso. Fol:17- Fol. 17 verso. Fol. 18. Fol. 18 verso. — 282 — Omnes deficiunt Sensus quia jejuni. Stipent aures tinnule , Oculus caligat, Mutant manus tremule Pedes terror ligat. Lingua que loqui debuit Explicare non potuit Pro ceteris querelam ; Omnibus dictat ratio Cordis uti consilio Et querere medelam. Tunc aperit oraculum Cordis secreta veritas ; Increpat aurem, oculum, Docet quanta temeritas, Quam dampnosa presumptio , Quam ceca conspiratio ! Quid est, inquit, quod facitis ? Cur non, stulte, subducitis Ventri cujus receptio Communis est refectio, Communis est utulitas ) Venter recepta continet Sed nichil sibi retinet, Cuyjus est dispensatio Lapsorum restauratio Membrorum incolumitas. Offitia repetite, Fideli servo credite, Que singulis restituet. Si operas subtrahitis Nec alimenta queritis Nichil vobis distribuet. In vos ipsos irruitis, Gladium in vos vertitis Qui vos et ipsum destruei. Sic repetunt offitia, Venantur necessarla, Relegatur imfirmitas. Reparatur lux oculis, Redit in membris singulis Virtus opus et sanilas. Fol. Foi. Fol. Foi. Fol. Fol. Fol. Fol, 19: 19 verso, 20. 20 verso. 22 VErSO. 24 verso. 25 verso. 26 verso. = M Hec sub typomysteru Sub uno Christo capite Geruntur in ecclesia ; Cujus sunt actus varii, Necessitatis debite Diversa sunt officia ; Hic est auris, hic oculus, Lingua, manus, pes, ceteri; Princeps communis bajulus Communi vacans operi Ventris habet offitium. Cujus tanta sit caritas Ut nichil ei proprium , Sed sit ut servus omnium Ut sic servetur unilas Dum rependit obsequium. Sicut perit respublica Si careat erarlo , Sic unitas catholica Si caret hoc offitio. Angaria Christi in cruce. Homo vide que pro te patior Si est dolor sicut quo crutior... De Miseria hominis. O mens cogita Quod preterit mundi figura. . . De Miseria homunis. Homo considera Qualis, quam misera. : . Disputatio cordis et oculi. Quisquis cordis et oculi Non sentit in se jurgia... De Reprehensione homunis. Nitimur in vetitum Et negata cupimus . É De Innocentio pontifice. Pater sancte dictus Lotharius NT de Quia loius baptismi gratia, Appellaris nune Innocencius, Pol. 27. Nomen habens ab innocentia ; Divinitus vocaris Lerlius ; Ternari signant mysteria Trinitatis quod sis vicarius. În numeris primus respergilur, Et in fine noia binarius Quod binatim archam ingreditur Animal nullum immundius !; Pre ceteris felix ternarius, Hoc impare Deus exprimitur, Hic numerus est Dei proprrus. Tmitaris patnis potentiam, Quia solus potens es omnia, = Et filium per sapientiam, | Qui premimet omni sanctitia Pietatis per affluentiam ; Septiformis preditus gratia Gerens in te personam terciam. À potente pelo presidium, Ut imfirmum firmet potentia; À prudente verum consilium Hiurninet te cum prudentia ; À benigno pium remedium Indulgeat misericordia Cordis, oris, operis vicium. Fol. 27 verso. Piece sans rubrique sur la misère de la condition hu- maine : Cum sit omnis caro fenum Et post fenum fiat unum...… Fol. 28 verso. De Prelatis. Cette pièce, entièrement notée, ne contient aucun trait saillant; j en donne seulement les premiers vers : Veritas, equitas, largitas corruit, Falsitas, pravitas, parcitas viguilt; Urbanitas evanuit. Karitas, castitas, probitas viluit, Vanitas, feditas, vihitas claruit; ? Ce vers et les deux précédents font évidemment allusion à Genèse, vi, 19. Fol. 36. RUE Rusticitas prevaluit. Semitas abditas novitas circuit ; Solitas cognitas debitas arguit Antiquitas quas tenuit !... De Filio prodigo. Minor natu fiius Est gentlis populus. ) Cette pièce est entièrement notée. Fol. 37. Pièce sans rubrique, dans laquelle les vertus sont représen- tées comme vaincues par les vices : Fol. 38 verso. Vitia virtutibus Obvia cum omnibus Dimicant , implicant Se varie... De Curia roman. Bulla fulminante Sub judice tonante, Reo appellante, Sententia gravante, Veritas subprimitur, Distrahitur et venditur'; Justitia prostante [tur et recurritur Ad curiam , nee ante Quid consequitur Quam exuitur quadrante. Pape janitores Cerbero surdiores; In spe vana plores : Nam etiamsi fores Quem audit Orpheus ?, Pluto deus tartareus, Non ideo perores, Malleus argenteus Ni feriat ad fores Ubi Protheus Variat mille colores. ! La même pièce se trouve aussi à la fin du ms. Bibl: imp. lat, 1251. M en a publié le début dans ses Poésies populaires latines du moyen âge , p. 16. > Manuscrit : Orpheus quem audit; il y a dans les Carmina burana (p. 53) quem Pluto Tartareus — audut Deus. . E. du Méril : Orpheus — ttes EU Si queris prebendas Frustra vitam pretendas ; Mores non commendas Ne judicem offendas ; Frustra tuis litteris Inniteris ; moraberis Per plurimas kalendas, Tandem expectaveris À ceteris ferendas, Paris ponderis Pretio nisi contendas. Jupiter dum orat Danem, frustra laborat , Sed eam deflorat Auro dum se colorat. Auro nil potencius Nec gracius, nec Tullius Facundius perorat; Sed hos urit acrius Quos amplius honorat, Nichil justius Calhidum Crassus dum vorat. Fol. 39 verso. Pièce sans rubrique : Suspirat spiritus, Murmurat ratio, Erumpunt gemitus , Querelas audio. … Fol. 40. De Prelaus. Mundus a munditia Dictus per contraria, Sordet immunditia Criminum ; Crescit in malicia; Culpa nescit terminum. Fol. 40 verso, Omnis immundicie Clerus fons est hodie, Capita milicie Presules ; Nec tot pestis varie Monstra vidit Hercules. Sordium spuritia Currit ad declivia ; M Presulum flagitia Plangite, Queque fluunt vicia Ad membra de capite... Nichil prodest mathesis Nil logos, nil poesis ; Aurum plus quam fronesis Ponderat ; Nisi trahat Lachesis Cloto frustra properat... Fol. 42 verso. Courte pièce sans rubrique et entièrement notée : Homo nätus ad laborem , Et avis ad volatum. Fol. 43. De Innocentibus : Laqueus conteritur Venantium dum queritur Rex omnium Jhesus nasci dignatus.…. Cette pièce et la suivante sont entièrement notées. Fol. 45 De sancta Katcrina : Agmina milicie Celestis omnia Martinis victorie Occurrunt obvia. . : Fol. 47. Noel. Festa dies agitur, Mundo salus redditur... Fol. 47 verso. Louanges à la Vierge : Sol est in meridie, Laudes demus Marie, .. Fol. 48. Pièce qui semble composée à l’occasion de la conversion d'un juif : Luto carens et latere Transit iebreus libere Novus novo caractere In sicco mente in unda... Fol. 52 verso. — 288 — Fol. 49 et suiv. Diverses pièces religieuses . Tempus est gracie Filium Marie... Veni sancte Spiritus Spes omnium... In Salvatoris nomine Qui sanguine Mundo mundum abluit... In Seculum : In veritate comperi Quod sceleri cleri Studet unitas ; Livor regnat, veritas Datur funeri; Heredes Luciferi Sunt prelati; Gloria jam elati Membra domant alia Capitis insania Ceci, ducesque cecorum Et cecati terrenorum... Cette pièce et les suivantes sont entièrement notées. Fol 54 verso. Fol. 56 verso. Fol. 56 recto. In omni fratre tuo Non habeas fidutiam, Quoniam livor est in pluribus Dolum accientibus... De Advocatis : Venditores labiorum Fleant advocati Qui plus student premiorum Dande quantitati Quam cause qualitati. Ad consulta prelatorum Multi sunt vocati, Sed electi pauci quorum Adquiescat animorum Virtus equitati. Parcunt veritati Stantes causis pro reorum; Jus pervertunt decretorum, — 289 — Sanclas leges antiquoræm Nummis obligati Dupplices probati Mala fovent perversorum , Scelus operati ; Quod attendat occultorum Judex Christus, nec eorum Parcat falsitati ! Les pièces qui suivent sont purement religieuses. Fol. 58. Cunctipotens genitor... Fol. 59 verso. Kyrie fons bonitatis. .. Fol. 62 verso. Gloria in excelsis Deo... Fol. 66. Superne matris gaudia ?... Fol. 7: verso. Salve mater Salvatoris ?... Fol. 75. Stella maris, o Marie. .. Fol. 78. Quam dilecta tabernacula . . . Fol. 83. Rex Salomon fecit templum. . Fol. 87. Jocundare plebs fidelis. . . Fol. 92. Kyrie celum creans IT. Fol. 98 recto. he... (Le premier couplet est gralté ). Fol. 98 verso. De tout son cuer et [de] toute s’entente Le doit servir chascuns et jor et nuit, Et je li doins tant com vivrai de rente À cascun an noviel son u conduit. A seour port tos ceaus maint et conduit... À li servir sont tout li bel deduit, ! Adam de Saint-Victor, éd, Léon Gautier, [l, 434. ? Id. ibid. 189. 3 Id. I, 155. * Id. ibid. 168. Le sens indique qu'il manque ici un vers, et en ellet le couplet n'a que huit vers au lieu de nenf. — 398 — Car c’est la flors et la savoreuse ente K1 tot le mont rechata de son fruit. Ki bien le siert et bien l’a en memore Ne puet fallir ke bon loier n’en ait, Car en son cors porta le roi de gloire Fol. 99. Et l'alaita de son saverous lait ; La mere Dieu voir endormir ne lait Nului ki l'aint en ort pechié ne lait, Et s’il 1 chiet ariere l'en retrait, Ki bien le siert nuit et jor sans retraire Paradys a desrainet tot sans faillir !. Ki violt amer la roïne celestre Nus n’a pooir ke le gret ne mahaït, K’ele est del ciel porte et pons et fenestre; Ki mettre i violt par defors ne remaint; Par li 1 sont entré maintes et maint. À jointes mains li proi ele tant m'aint, Par sa douchor k'à bone fin m'amaint, K’al jugement tos nos maite à la diestre U? son chier fil u toute douchor maint. (Le premier couplet est gratté. ) Fol. g9 verso. Douche dame aimée sans faintsse De cuer, de cors, de desir, de voloir, Fol. 100. Bien ai ma mort et porcachie et quise Se je de vos noiant ne puis avoir. Hé! franche riens, en cui j'ai mon espoir Alegiés moi par vostre gentellisse Cest cruel mal qui si me fait doloir. Cascuns se plaint c'amors trop le justice Et j'en sui liés plus que de nul avoir, Car j'ainc tous jors ma dame en itiel guise Grant mal mi fait et pis vauroie avoir. Qui bien aime en gré doit recevoir Les maus d’amer, car el a tiel franchise Que nus sans li ne puet grant Joie avoir. Ce vers est irès-corrompu : le sens demanderait deservi piutôt que desranet; la rime devrait être en ait et le vers compte une syllabe de trop. 2 Corr. De. nn COLARD LE BOUTILLIER. Fol, 100. L{oiaus amours et desiriers de joie]. Cette pièce est presque entièrement grattée. Elle est d’ailleurs très- connue; elle se trouve dans les mss. fr. 844 (fol. 128), 12615 (fol. 24), et dans Berne, 385 (partie II, fol. xij). MESIR RAOULS. Fol. 101. Qu{ant voi la glaje mere]. Les huit premiers vers sont grattés. Cette pièce se trouve encore dans huit manuscrits au moins: fr. 847 (fol. 85), 845 (fol. 65, sous le nom de Tierri de Soissons); Berne (partie IT, fol. civ), fr. 20050 (fol. cxxv), 12581 (fol. 231), fr. 1501 (fol. 93), La Vall. 59 (fol. 118). Elle a été publiée d'après Vat. 1490 par Keller (Romvart, p. 262), puis par Mätsner, Alifr. Lieder, n° X. Fol. 102. LR FRET de tt vfnie © e aguies « piato,atars ete tele kel à SU tele uen ue 0e ele" rstiete je ea sue + Fol. 102 verso. [Per] çou l'ainc en bon espoir. S’ai et main et soir De li ramembrance, Sa douche semblance Son viare cler Que ne puis aillors penser, Ne doit pas estre esbahis Cius qui amors font doloir, Ains li vient mius que tos dis Serve amor en bon espoir. J'ainc mius à avoir Mort en atendance K’euisse veulance D'amour esciver Ne de la bele oublier. Biele, blonde, sans folor, Tant vos ainc de cuer entier Miex ainc languir en dolor Que refuser vo danger. Mi mal sont legier K'amor mi font traire ; Tos li cuers m'esclaire D'un espoir joli Qui dist que j'arai merchi. — 292 — JEHANS DE NUEFVILLE. Fol. 102 verso. Desoremais est raisons !,., Pièce attribuée à Guyot de Dijon par 844 (fol. 177); à Raoul de Soissons par Berne 389 (partie I, fol. liij}, et anonyme dans 191 (fol. 84), dans 846 (fol. 46), et dans 20050 (fol. exxi). MESIR GASSES BRULEZ. Fol. 103 verso. De boinne amor et de loial amie. Se trouve encore dans 844 (fol. 31), 847 (fol. 29), 846 (fol. 41), 1591 (fol. 84), 765 (fol. 56 ), 20050 {fol. vij); publiée d’après Berne 389 par Wackernagel, n° XXVIT. | [LE ROI DE NAVARRE. Fol. 104 verso. Tant ai amors servies longuement.] Se trouve encore dans 844 (fol. 74), 847 (fol. 47), 846 (fol. 137), 1591 (fol. 44), Berne 389 {partie INT, fol. xvj), 12581 (fol. 230). Fol. 105 verso. En tous tans doit 11 hom, en son venir Fol. 106. Enviers amors, cuers e cors presenter, Jestre cortois et en merchi servir ?; Se bien l'en chiet qu'il ne s’en doit vanter, Car mesdisans qui trop 1 voient cler Son[t] en agait qu'espie. Ki bien se set en biau servir tenir À son seignor puet le nom acater, Kar qui bien siert ne puet pas defalir Kil n'ait souvent mius kil ne puist penser; Fol. 106 verso. Et trop waut mius en servir demorer, Qu'en pluseurs lius poroit on conquester Le nom de segnorie. Tant vit li homs c'amors set maintenir Et Ki n'en quert de riens vers li fauser, Car bien 11 fait son service merir, Par an moien ki nes lases d'errer (?). Ki amor puet maint [à] amant douner Cou k’en cuidier li fait si haut monter Qu'il n’en puist chaïr mie. l Manuscrit : est et raisons. en manque ici un vers rimant en er. — 293 — Peu trouve amors de ceaus ki sont entir Vers ses commans si c'om [les] doit garder : Cascuns est pres adies dusk’à morir, Et se d’un peu les vosit esprover Ja n'i poroit malvais longes durer ; Tost s’en depart quant n’i puet achiever Sans paine la folie. : Nus ne s’en doit por nul mal repentir Puis c'amors weut son service graier; Tant doit cascuns de son signor soufrir C'om ne l'en puist de nule rien blasmer. Or weïl amors servir sans commander, Quant lius sera, bien m'i saura douner À son plaisir aïe. [LE CHÂTELAIN DE COUCI.] Foi. 107 recto. Mfoult m'est bele la douce començance]. Attribuée au châtelain de Couci par 844 (fol. 54), 12615 (fol. 156), 847 (fol. 31), Berne 389 (partie If, fol. xxüij), et au roi de Navarre par 1591 (fol. 37); anonyme dans 20050 (fol. j), et dans 846 (fol. 82). MESS. REIGNAUT CASTELLAIN DE COUCHY !. Fol. 108 verso. La douche vois del rosignol sauvage. Se trouve dans 844 (fol. 54), 12615 (fol. 157), 847 (fol. 33), 846 (fol. 74), Berne 389 (partie IT, fol. xxj). Fol. 110 recto. J [a por ce se d’amer me duel]. Je n'ai trouvé cette pièce que dans le manuscrit de Berne (partie I, fol. exij). LI CASTELL. DE COUCHY. Fol. 111 verso. Merci clamant de mon fol errement]. Se trouve dans 844 (fol. 53), 12615 (fol. 155), 847 (fol. 37), 846 (fol. 82), 1591 (fol. 122), Berne 389 (partie II, fol. xxxij), 20050 (fol. xxxix), La Vall. 59 (fol. 78). ! Le ms. Egerton 274 est, autant que je puis croire, le seul chansonnier qui donne le nom du châtelain de Coucy. Ce nom est donc bien Regnaut, comme dans le roman de la dame du Fayel, et non pas Raoul comme le pensaient La Borde, et, d'après lui, Ginguené (Hist. litt. XIV, 581). Ainsi se trouve confirmée l'opinion exprimée par Amaury Duval. (Hist, litt. XVII, 645.) MISS. SCIENT. — III. 20 EE EE EP — 994 — |BLONDEL.. | Fol. 113 recto. Dieus! je fui ja de si grant Joie sire. Se trouve dans 844 (fol. 137), 12615 (fol. 87), 847 (ol. hà), 845 (fol. 44), 1591 (fol. 54), Berne 389 (Ponte IF, fol. xj), 20050 (fol. Ixxxxiij). — Dans tous ces manuscrits, la pièce commence le le cou- plet Li plus se plaint, qui ici est placé ke troisième. Fol. 114 recto. Su LE OR A SE M EN EN (Cinq vers grattés) Fol. 114 verso. Corant si me........ voloir La’riens el Mont. 28 eme .. . ait amours à forche amer. Je sai de fit que je m’effrach; Et si n’en puis mon cuer oster Cou aïe tout par mon porcach. Si n’en doit nient autrui blasmer : Puisque la beste est prise au las À tart se prent au retorner. Aus (sic) d’amors fenis mon chant ; Elas ! elas! çou que sera? Si oel me dient en riant Qu'ele encore m'aime et amera; Mais que chaut moi de son samblant . Biaus sire Diex! quant ele m'a! Aorés en soit Diex de tant; Jamais mes cueurs sens n’en dira. [LA CHIEVRE DE REIMS. | Fol. 115 recto. Ki bien violt amors descrire. Se trouve dans 844 (fol. 175), 12615 (fol. 152), 847 (fol. 72), 845 (fol. go), 846 (fol. 115), Berne 389 (partie IT, fol. exviij), 20050 | (fol. xxxiiij). [HENRI III, DUC DE BRABANT .] Fol. 116 verso. Amours k’el cuer m'est entrée. Se trouve dans 844 (fol. 6). — Publiée par A. Jubinal, Complainte | de Pierre de la Brosse, p. 44. [LE ROI DE NAVARRE. Fol. 117 recto. Li rousignos chante tant. Se trouve dans 844 (fol. 65), 12615 (fol. 9), 846 (fol. 70), 1991! (fol. 170), 20050 (fol. clv), Berne, 231 (fol. 5), La Vall. 59 (fol. 12} | h | = Fol. 119. Homo quidam erat dives et induebatur purpura et bysso, et epulabatur cotidie splendide; erat autem quidam mendicus nomine Lazarus, qui jacebat ad januam ejus, ulceribus ple- nus, cupiens saturari de micis que cadebant de mensa di- vitis, et nemo ülli dabat. Quadam autem die ambo de- functi sunt, etc. DIVES, ad Abraham sic loquitur. Audi, sancte senior, audi me loquentem : Dives ego morior, audi morientem ; In inferno crucior, audi patientem ; Respice quid patior et consolare dolentem. LAZARUS. Noli, pater, credere viro qui sic orat, Quia fallax fallere verbis te laborat ; Pro patrato scelere veniam implorat Et verbis struit insidias dum verba colorai. DIVES. Nuper eram plenus, dives, felix et amenus Et michi grande genus, modo sum miser, exul, egenus. LAZARUS. Multum dives heri miser es modo cum misereri. .. L'écriture de cette pièce et de la suivante est différente de celle des chansons et semble un peu postérieure. Fol. 122. Philomena, previa temporis ameni, Que recessum nuntias ymbris atque cent, Dum demulces animos tuo cantu leni, Avis perdulcissima, ad me, queso, veni... Pièce attribuée à saint Bonaventure, et, avec plus de probabilité, à Jean Hoveden. Voir Fabricius, éd. Mansi, I, 253, note, et IV, 85, et Warton, Hist. of engl. Poetry, 1824 (T, 89). ÎLE ROI DE NAVARRE, OU PIERRE DE GAND.) Fol. 131 recto. Efnsi com unicorne sui]. Cette pièce est attribuée au roi de Navarre par 844 (fol. 75), 12615 (fol. 13); à « Pierre de Gans » par Berne 389 (part. F°, fol. viij); elle est anonyme dans 20050 (fol. exxii), dans 12581 (fol. 230) et dans Berne 231 (fol. 1); mais dans les deux derniers de ces mss. elle se 20. — 296 — l trouve dans une série de chansons dont l'attribution au roi de Navarre n’est pas contestée. La fin du volume (fol. 132 verso à 159) ne contient que des poésies liturgiques écrites au xv° siècle. DB ADDIT. 10,015. | JEHAN DE JOURNI, La Dime de Pénitence. Fol. 1. Adsit principio sancta Maria meo. Ausi com chascuns crestiens S1 est tenus de tous ses biens De rendre à Diu la droite dime, Je qui connois en moi meïme Que j'ai de Diu maint bien eù Et mainte grasse recheü Dont j'ai paié poi de droiture, Com chil qui poi ai mis ma cure À faire chose qu’à Diu plaise, De quoi je sui à grant mesaise, Veul desormais à Dieu entendre Et joiaument ma disme rendre. Et pour che ke ma langue fole Qui a esté à fole escole À souvent dit mainte folre, Dont de Dieu est m’ame estongie, Especiaument en diter, Si estuet il pour aquiter Moi des mesfais que ele a ja dis Et pour gaaingnier Paradis Que je la bate et laidenge Fol. 1 verso. Tant que ele à Dieu la disme rende Des faus fabliaus que ele a trouvé. Mais pour che qu’à droit fol prouvé Doit l'en tenir tout erestien Qui raconter cuide nul bien, Tant ait en lui grant connissanche Se Dieus ne le est en aidanche, Jou JEHANS, SIRES DE JOURNI, Qui me counois à mal garni D’engien soutill et de scienche, D'usaige lonc ne d’eloquensce, Requier à Dieu devotement Qui est et iert sans finement — 297 — Qu'en chestui fait me veolle aidier, Si que diter puisse et traitier : Cose qui me soit hounerable Et quant à l'ame pourfitable, A moi et tous chiaus qui orront Mes dis et entendre i vaurront. Et à la benoite Marie À jontes mains requier et prie Fol. 4. Que ele pour moi son fil requiere Qu'en gré rechoive ma proiere. Dieus qui sor tote creature Homme ama tant qu’à sa figure Et à s'ymage le forma, Pour che que li hom s’aforma, Si veut que li hom si le serve Qu'en bien servant le liu deserve Que Lucifer perdi jadis : C’est le siege de Paradis; Et pour chelui fait proprement Douna à l’oume entendement, Et mist en lui sens pour connoistre Le bien du mal por le bien croistre Et pour le mal amenuisier. Pour che doit à l’'oume anoier Quand Dieus fourmé l’a à s'ymage Et il fait tant par son outrage Qu'il pert le regne pardurable Et laisse Dieu le merchiable Pour rencheïr es mains chelui. Fol. 4 verso. Qui point de pité n’a de lui, Ains le heit de mortel haïne; Pour che li hom qu'à lui s’acline Et en ses las se laist cheir Sa vie doit forment hair, Car tout n’eüst li hom deserte De Dieu servir ne de sa perte Ne son secours, s1 le deüst Servir en tout quank'il peüst De loial cuer sans changement ; Pour .1H1. raisons : premierement Pour chou ke c’est grant honeranche D'oume servir de grant poissanche, Et qui sert Dieu il sert tel houme Qui trestout pueut et seit en soume, Car plus de sens en lui abonde K’en trestous chiaus qui suut u monde; Qu'il est fontaine de scienche. Cr Foi, 5, — 298 — Nus hom , tant ait boine loquenche, Ne porroit dire les deus pars Du sens qui est en lui espars, Car nus hom ne pueut sens avoir S'en la fontaine de savoir Ne se voise tant abaissier Qu'il puist à son pui sorpuchier {sic} De la douche fontaine et clere Qui nous doune sens et matere Puis ke nos bien beü avons, Comment deffendre nous savons De l'anemi ki nous veut faire Par son engin maint grant malfaire. Or est il drois ke je vous die Que la fontaine seneñe, Et li puisor et la cordele Qui vait jusqu’à la fontenele.… La fontaine signifie Jésus-Christ; les seaux (puisor) sont nos bonnes œuvres qui nous mènent à Dieu; mais encore faut-il que la corde soit suffisamment longue; cette corde est la persévérance dans le bien, etc. Cette exposition allégorique constitue le poëme qui se termine ainsi : Kol. 73. Chi fait JEHANS atant finanche De le disme de penitanche, Mais apres vient une proiere Que tous preudons doit avoir chiere, Car cascuns est tenus de faire, Si que sains Paus le nos esclaire. JEHANS apres son dit l’avise, Or faites che qu'ele devise. Segnour, en la fin du ditié Que je vous ai ich traité, Faites pour moi une proiere À Dieu de volenté pleniere ; Prions Jhesu Crist sans faintise Premierement pour sainte Yglise, Qu'il li otroit toudis à faire Tel cose qui li puisse plaire, Noumeement pour l'apostole Qui doit estre come l’estoile. En cui maronner ont recuevre; Car li papes par sa boine œvre S1 doit le monde enluminer Et ses subjeus endotriner. Fol, 73 verso. Fol. 74. Fol, 74 verso. — TE — Apres pour tous les cardonaus Qui tout sont devenu venaus ; Car orendroit si ne fait Romme, Si queme on dist, à nesun houme Grasse nule pour boine vie, Pour gentilleche ne clergie, Mais qui d’avoir donne grant masse Chil trouvera leus tantost grasse ; Mais chil qui est plains de poverte Chil trouvera la porte ouverte. Et tout soit 11 qu'à Dieu desplaise Tel usage vill et mauvaise, On ne s’en doit esmervellier, Car là furent fait Li denier Premierement, dont convoitise Si s’est des lors en Romme mise, Dont il a ja des ans deus mile Que herbergier vint en la vile. Dont samble il bien par teneüre Qu'’ele ait en la chité droiture. Pour che n’i voi consel ne voie Fors kKà chelui qui tout avoie Prions de cuer qu'il s’'entremetc : Du fait de Roume, si qu'il mete Convoitise qui trop s’avanche Fors de toute l’apartenanche De Roume c'om tant on diffame, Que je ne voi houme ne feme Qui vient de là que il ne die Que convoitise la maistrie. Prions encor Dieu en pitie Que Roume ne soit engingnie Es sentenses qu’el a à rendre, Mais les rende si sans mesprendre Que de Dieu et de gent senée Tous jors en puist estre loée, Et que toutes fauses parties I soient de leur tort punies. Apres prions qu’as jugemens Doinst Dieus tes acomplisemens Que la sentensse soit tenue Que sainte Yglise ara rendue. Apres les desus dis capiteles Prions pour trestous les ministres Qui ont en eglise baillie, Fol. 75. 1 Albert, duc d'Autriche , ire fut couronné empereur qu'en 1295, après avoir défait et taé — 300 — Que caseuns puist mener sa vie Si que chaus qu'il doivent aprendre T puissent tel essample prendre En leur oures premierement Et puis en lor preechement Qu'il en puissent eneore aquerre Repos sans fin, honeur en tere; Et Li souvrain si se conduisent Qu'à che meïsme venir puissent. Apres prions Dieu humiement Pour tous prinches nomnement Que chil qui sont obeïssant Au siege saint en acroissant Tiegnent toudis l’obedienche, Et chil qui par simple science D'obeir 1 ont volenté: Soient des or entalenté D'obeir com gent droituriere Tous jors au vicaire saint Piere, Et qu'il puissent si maintenir Raison et justiche tenir Que li pueples puist à delivre En boine pais desous aus vivre, Et que li peuples si les serve Que d’aus et de Dieu en deserve Boin gerredon et tele amour Que Dieus n’en oïe ja clamour- Apres prions devotement À Dieu qui est sans finement Qu'il doinst honor, joie et ga[a]gne Au tres poissant roi d'Alemagne Qui preudom est vallans et sages. Et a toudis mis ses usages En honerer chevalerie. Prions à Dieu par sa pitié K'il li envoit prochainement Pooir qu’il puisse hastivement De l’enpire estre courounés ?, Car Dieus en seroit hounerés, Sainte eglise et chevalerie Et toute gent de boine vie, Car preudons est et droïturiers. Diex li envoit ses desiriers! son compéliteur Adolphe de Nassau. Fol. 55 verso. « = Fol, 76. — 301 — Apres prions sans delaianche Pour le roy Phelipe de Franche À cui Dieus par largueche pure A doné bel don de nature : Ch'est che qu'il est plains de biauté Qui li vaut une roiauté ; Et s'il a de biauté plenté Si hi doinst Dieus sens et bonté Dont maintenir sache ses gens Si 1ert en tout et biaus et gens. Âpres faisons requeste bele Pour le noble roy de Castele! Qui toudis a mout mortel guerre As Sarrasins pres de sa terre, Que Dieus si l'ait si en memore Qu'avoir puisse toudis victore Des mescreans, et en saudée Quant s’ame iert de son cors finée ? En ait la joie souveraine Pour son traval et pour sa paine. Apres, pour le roy d'Engleterre * ; Millor de lui n’estuet il querre; Que Dieus li envoit longe vie, Voloir, savoir et tele aïe Que de cha mer puisse venir Pour la guerre Dieu maintenir, Dont il est ja si avanchiés Que pour che fait s'est il croisiés ‘. Si prions Dieu qu'il l'en otroie Victore, honor, boins los et joie. Apres faisons une proiere Pour les enfans du noble pere Qui d’Arragon fu jadis roys ‘; Que Dieus leur doinst, si com ch'est drois, Que cascuns d’aus enssi s’apensse Qu'il viegnent à l'obediensse ! Sanche IV ; 1284-1295. 2 F aut-il corriger sevrée ? * Edouard I”; 1272-1307. : 11 s'était en effet croisé du vivant de son père (1270), et s'était rendu en Syrie à Ja tête d’une petite armée. Il arriva à Saint-Jean-d’Acre le 9 mai 1271. (Rec. des Hist. des Croi- sades ; Histor. occid. IL, 460, note b.) * Pierre III, F 1287; ses enfants dont il est ici question sont Alphonse IE (T 1291), qui lui succéda, comme roi d'Aragon , et Jaime, qui, au moment où écrivait notre auteur, était en possession de la Sicile, — 302 — De S. Pierre et de son vicaire ! Lequel truisent si deboinaire ? Qu'à lui aient boine acordanche Et ferme pas à cheus de Franche. Apres, si prions en ches livre À Nostre Segneur qu'il delivre Si li plaist sans arestison Le prinche qui est en prison ‘, Car à preudome Île tesmoignent Toutes les gens qu'à li besoignent, Fol. 76 verso. Et d'autre part s'oneste vie Li en porte grant garantie. Prions pour le conte d'Artois ‘, Qui est sages, pieus et courtois Et conpains à tous chevaliers De son cors et de ses demiers, Que Dieus li laist si bien tenir Tout che qu'il a à maintenir Qu'encore 1 ait et si ami ‘ Et chil qui se sont arrami . Ou arramissent par beubanche De faire à lui n’afs] siens grevanche, Dieus s1 leur veulle consentur Qu'encor s’en puissent repentir; Car tout che qu'il font au preudome H font à l’église de Roume Qu'il a establi en chest liu Pour maintenir les drois de Diu. Segnour, encor Je vous requier Que vous doies à Dieu proier Pour le frere du tres boin roy D'Engletere, qui grant conroi À mis piecha * de cuer entier Fol. 57. Et met pour lui apparellier À sa venue de cha mer. Tel prinche doit ou mont amer, ! Pierre III avait été excommunié par le pape Martin IV, pour s'être fait proclamer rot de Sicile au détriment de Charles d'Anjou. ? Manuscrit deboinaine. * [ne peut s'agir ici que de Charles II d'Anjou, fait prisonnier par Pierre If d'Aragon; il lut rendu à la liberté, le 29 août 1288, par le fils de ce dernier. * Robert II. * En 1971 Edmond ("F 1296) avait été rejoindre son père Édouard en terre sainte ( Chron. Johannis de Oxenedis ; s. h. anno; et le Continuateur de Guillaume de Tyr dans les Histor. occid. KW, 461.) | — 303 — Car courtois est, sages, loïaus Et as poures drois appoiaus ; Mesire Edmons est il noumés Et de grans grasses renoumés. Si est garnis de tel largeche Dont grant renon prent sa nobleche Car «non» ne seut il onques dire Mais « prendés. » Sa riquech’ enpire Et si amende sa value. Prions à Dieu sans atendue Qu'il li envoit joie et santé Et pooir que la volenté Qu'il a de venir en Surie Puisse bien tost estre acomplie, Car la tere en amenderoit Et Dieus honerés en seroit. Apres prions, se ferons bien, Que tout li prinche terrien Qui de 1à mer sont demourant, Dieu et sainte Eglise honerant, Fol. 737 verso. Puissent tous jors si maintenir, Raison et justiche tenir Que li pueples puist à delivre En bone pais desous aus vivre, Et que li pueples si les serve Que d’aus et de Dieu en deserve Boin guerredon et tel amour Que Dieus ne aie ja clamour. Apres devons Dieu reclamer Pour les seigneurs de decha mer, Et premiers pour le patriarche Qui est gouvrener{e|s de l'arche De sainte eglise qui 1 maint. Prions à Dieu qu'il se demaint En tel maniere et en tel sens Qu'il et li clergiés par son sens Puissent mener si sainte vie Que par lessample du clergie Li lai puissent tel cose faire Tous jours kà Jhesu Crist puist plaure. Apres requerons humiement À Dieu qu'il maint acroissement De gens d’onnour et de tous biens Fol. 78. Celestiens et crestiens ! lJe pense qu'il faut corriger lerriens Fol. 78 verso. un Le] L.2 Sidon. Beirouth. — 304 — À mon seigneur le roi Henri Que Sarrasin ont amenri De toute la gregneur partie Qui afliert à sa segnourie, Ch’est à savoir et à entendre De la tere où Dieu vaut estendre Ses bras pour tous chaus enbrachier Qui veulent aler droit sentier; Car Jerusalem ont conquise Et trestoute la tere prinse Qui à son roiaume apartient, Fors Acre qui encor se tient ?, Saiete * et Castiau-Pelerin #, Sur 5 et Barur © dont enterin Ne sont li mur ke par frankise. En ches conte est Cayfas mise; Et ches cités quo j'ai noumées Si sont si griefment apressées Qu'’eles n’ont tere pour semer, Ne dont vivre fors que de mer. Dont est 1l bien cose certaine Que grant despens et molt grand paine Couvieni à ces cités deffendre; Pour che couvient au roi despendre, Et 11 le fait mout volentiers, Quamqu'amasser puet de deniers En Chipre dont est rois et sire ; Et à paines puet che souffire. Or prions dont Dieu finement Qu'il maint au roi delivrement Si com il set qu'il est mestiers Secours de gens et de deniers Par cui Jherusalem soit mise Ens ou pooir de sainte Eglise, Car grant honte est as crestiens Et plus as prinches terriens Qui se metent pour pris en paine Quant autre tienent la fontaine Dont des ruissaus crestien boivent. Li anemi bien les dechoivent Quant entr'aus les font gerroier Tant qu'il ne puent Dieu vengier, Henri I de Lusignan, roi de Jérusalem et de Chypre; 1285-1324. L'auteur écrit en 1288 ; Acre fut prise le 18 mai 1291. Ville située à peu de distance d’Acre. Tyr, qui tomba au pouvoir des Sarrasins peu de jours après la prise d'Acre. smite sde fit) tué — 305 — Mais anemis qui les encombre Qui la veüe leur aombre. On en voit hui bien l’essamplaire ; Fol. 79. Mais je m'en veul atant retraire Sourparllers nuist et est vergoigne, Mais prions Jhesu Crist qu'il doigne Au roi dont je fais mension Pooir, voloir discression De maintenir si bien justice Vers la gent qui li est sous mise Que toute gent mainent lor vie En pais desous sa segnourie. Apres, pour le roi d'Ermenie ! Prions Dieu et sainte Marie Que de son fait si lor remembre Que son roïaume puist deffendre Contre Tartars et Sarrasins Et Turquemans et Haussasins Qui molt li font grant encombrier De son royaume gerroier, | Si prions Dieu qu'il ne consente Que li rois plus damage en sente, Car ïl acuelle volentiers Courtoisement les estrangiers Qu'en sa tere vont sodoier, Si com j'ai oï tesmoignier. Fol. 79 verso. Or repairons au noble prince D'Antioche qui on espice De Triple mout vilainement, Et si houme noumeement Qui contre lui sa vile ont close Sans che qu'il dient nule cose Où on puisse noter raison. Chi a vilaine mesproison Quant sans monstrer raison nisune Contre le prince font conmune Et departent la segnourie, Et afferment par aatie Que la princhesse asegeront Et en la fin le prenderont ?. 1 Livon Il; 1270-1288( ou 1289?). ? Boémont VII, prince d'Antioche, étant mort (octobre 1287), un conflit s’éleva au sujet de la possession du comté de Tripoli entre sa mère, Sibylle d'Arménie, et sa sœur Lucie, femme de Narjot de Toucy, grand amiral de Sicile. C’est ce dernier que notre auteur ap- pelle «noble prince d’Antioche.» Les habitants de Tripoli, s'étant déclarés contre lui, se Fol. 80. Fol. 8o verso. mirent en commune et firent hommage à Sibylle, y mettant pour condition que leur municipalité serait conservée. ( Voy. de Mas-Latrie, Hist. de l'ile de Ghypre, V, 482-483.) ! Des exemples de ce proverbe, en termes différents, et seulement du xv° et du xvi° siècle, ont été réunis par M. Le Roux de Liney, Le livre des Proverbes français, 2° éd. I, 56 et 74. — 306 — Certes il font grande mervelle Et mervelle ai qui lor conselle, Et plus quant ïl le consel croient Que si laidement se desvorent; Car à tout le mains, pour le blasme De lor fois dont on les diffame, Devroient il ches fait laissier. Pour che devons à Dieu proier Qu'à chaus de Triple meche en cuer De jeter cest orguel en puer Qui les a volut dechevoir, Si que leur dame rechevoir Veullent à joie et à leeche, Et que ma dame la princhesse Lor pardoinst deboinairement Trestout leur divers errement. Pour ie segneur de Sur faison Aussi à Dieu nostre orison, Que che qu'il a encomencié Li envoit Dieus par sa pitié, En mieus toudis perseveranche, Car comencement sans fallanche À ïl et bel et boin et sage; Et 1 li vient bien de lignage Car ses peres iert pourveans, Sages, courtois et cler veans. Si est bien drois et raisons gente Que de son bien li fiex se sente, Car ou proverbe se contient Que de boin arbre boins fruis vient ! Et il s’en sent si bien sans falle Que molt prison sa comenchalle. Pour che prions Nostre Segnour Que sens, pooir, valoir gregnour Li veulle otroier et mander, Et que toudis puist amender Et Sur ausi puist maintenir Qu'à grant honour puissent venir. En l'an de l'incarnation De Dieu qui soffri passion = sn M. et .111°., se .x11. anées Estoient de ches conte ostées, Si commencha et parfurni Che livre JEnaNs pe Jour En Chipre, droit à Nicossie, Là ù! gisoit en maladie; Et qui du non veut counissanche Ch'est la Disme de Penitanche. LI Hic liber est scriptus , qui criæit sit benedictus. C ADDIT. 17,920. i Miracles de Notre-Dame. — I. Turpin. — HI. Frère Paicipre DE Cork, les Merveilles de l'Irlande. Les traductions comprises dans ce manuscrit paraissent avoir été faites à la demande de quelque grand personnage. On peut l'induire de certaines notes écrites sur les marges et qui semblent être de la main du copiste, lequel était sans doute en même temps le traducteur. Je transcris les principales de ces notes, restituant autant que possible les parties enlevées par le couteau du relieur : Fol. 3 b, en regard du miracle de Tombelaine : Aquest m{iracle] senblan v [os] aves el I[ibre | de Santa Maria. Fol. 3 ce. [Vos] avetz de mot... miracle el... auctoritatz. Fol. 20 c, en regard d'un passage ou il est dit que certains oiseaux de proie battent leurs petits pour les contraindre à voler, on hit : [Et es | vertat majormen [ dels] esparviers, e aïsso, senher, [av Jetz el libre que parla d’els. Fol. 22 d, en regard d'un passage sur les castors, on lit : Que so castors ni quel natura an, vos, senher, ho avetz el libre de las bestias, aqui meteihs parla de las talpas e de lor natura. Fol. 23 a, en regard du passage où il est dit qu'il n'y a point de tigres en Irlande : Que es tigris, vos, senher, ho avetz el libre de las bestias. L Manuscrit : Là à ul. — 308 — 1 Fol. 1 - Aussi de jotz s'ensec dels miracles de sainhta Maria vergena. — E prumeiramen consi Nostra Dona donet forsa e poder als efans que levesso las colomnas basten la sua gleja. Coma Constanti fees bastir una merevilhoja glieja ha la honor de Nostra Dona, e agues fah amenar alqunas grans colomnas a obs de la dicha glieja, van venir plu- ros homes per levar aïsselas colompnas ella glieja ; mas anc levar non las pogro, e de jorn en jorn s’estudiavo de levar amb gran forsa , e re finalmen no pogro aca- bar, mas aprop Nostra Dona fetz apparesser en vegio al maestre que bastia la glieja que apeles tres efans de l’escola, Ihi qual no ero ples enquera de perfectio de vertut, e levario las colomnas, e lo maestre va los apelar, e aïssi quan foro vengutz van se penre a las colomnas, e de contenen van las levar per lo miracle de Nostra Dona. En qual maneira Nostra Dona no suofre las enjurias fachas al sieu glorios filh, e aissi aparec en la ymagina contra la qual Ihi Jugieu fagio escarnimens de la passio. Un arcivesque cantava una vetz el la ciotat de Toleta lo jorn de la festa de la assomplio de Nostra Dona..…… En qual maneira un crestia mes en guatge la ymagina de Crist vas un Jugieu per pretz d'una somma d’argen, e en qual maneira quan lo crestia lo ac paguat la ymagina portet testimoni de ] 1 la pagua . Fol..1 b. Ella ciotat de Bisancea , que d’autra maneira es apelada Constantinoble.…. Fol. 1 d. En qual maneïra la ymagina de Nostra Dona receup lo quairel que sos aversaris trametia al sieu devot, e cossi la ymagina mes patz entre los enemics, e quan foro covertit : los receup ha penedensa. Prop d'Orlhis a un castel loqual es apelatz Avenon, on1hi ciotada ha honor de Nostra Dona avio fah una glieja.…. Fol. 3 a. En qual maneira la vergena Maria un clers sieu devot que la saludava tot jorn lo Ihieuret de mort, e de son iah propri lo alachet, e Ihi reparet la lengua e las lauras, e 1hi donet sanitat*®. Un clers fo que avia fort son entendemen ellas riquezas del mon... * Gauthier de Coincy, éd. Poquet, col 545. ? Id. col. 347. Fol. 3 b. En qual maneira Nostra Dona delhieuret la femna prens del perilh de la mar, e la femna amb son efan amenet al port de salut. Es un luoc apelat Tumba, on ha una glieja de S. Miquel Arcangel, la qual es mot merevilhojamen bastida.……. Fol. 3 c. En qual maneira lo vel de la ymagina de Nostra Dona e Ia cor- tina que era costa la dicha ymagina no foro cremat, ja- ClaissO que tot autra cauza que era de costa cremes. En la dicha glieja de S. Miquel que es el pueh apelat Tumba so religios moines que servo ha Nostre Senhor..….. Fol. 3 c. En qual maneira Nostra Dona lhiuret la abbadessa prenhs senes diffamatio ?. Fo una abadessa morgua la qual avia fort cura de sa relegio e de sas sub- jetas.….. Fol. 4 a, En qual maneira un efan clers espozet la ymagina de Nostra Dona amb un anel, e pueis aquest efas Ihi mentic ho nolh volc atendre sos covenens, e Nostra Dona va lo apelar à son servigi *. Denan una glieja foro alqus efans que jogavo al joc de la pilota, e ac n'iun que ac .1. anel en sa ma, lo qual Ih’avia donada una piucela per affectio carnal..…. Fol. 4 b. En qual manera Nostra Dona envelopet un home de son man- tel, loqual home era en gran perilh de mar, e pues lo ame- net au port de salut". * Una naus fo el la mar carguada de peleris , 1hi qual anavo en Jerusalem... Fol. 4 c. En qual maneira Nostra Dona delhiuret de perilh sels que ero en gran perilh de tempesta sobre la mar*. Un abat fo amb d’autres en una nau sobre la mar de Bretanha en gran perilh paujat.….… ! Ce miracle est rapporté par Guillaume de Saint-Pair, Rouman du Mont-Saint-Michel, ». 3532 et suiv. Une autre version, également en vers français, se trouve dans le ms. Bibl. imp. fr. 395, au verso du dernier feuillet. ? Je ne trouve pas dans l'édition de Gautier de Coincy, donnée par l'abbé Poquet, ce miracle, qui est d’ailleurs bien connu. (Voy. l'Hist. lit, XXTIT, 124.) * Gaulier de Coincy, col. 355. * Id. col. 606. Mid: col. 517. MISS. SCIENT. —— JIf, 21 — 310 — Fol. 4 d. En qual maneira Nostra Dona delhiuret la piucela del perilh de la lengua et de las lauras. En un borc de l’evescat de Noyo ac una piucela que queria so viure amb sas mas filan…. En qual maneira a femna deceubuda jotz semblansa de pietat conceup de son propri filh;e quan ac efantat estranguolet l’'efan e lo gitet ella privada. Un rie hom fo ha Roma amb sa molher, e lus e l’autre era de paratge, mas negu efan no avio….. Fol. 5 a. En qual maneira lo diable revelet lo crime de la dicha maire per so que fos cremada, mas ela, per gran compunctio, se tornet a Crist. Fol. 5 c. En qual maneira Nostra Dona venc a aquesta femna peneden de so que avia fah, e la delieuret del crim denan totz, el dyable s’en anet totz cofus. Fol. 6 a. Aïssi dejotz s’ensec eossi lo dyable pres molher, ha laqual donec ho atribuic ini- quitaz, e d’aquesta molher el ac 1x. filias, e las .viu. el donet ha .vrIT. maneiras d'omes, e la novena no donet a un especialmen, mas vole que amb tota maneira d’omes forniques. — La prumeira filha es symonia....................... Fin : La novena es luxuria, e aquesta donet a tota maneira de gen, E, ditz S. Bernat que luxuria es defenida en aissi : Luxuria es secreta dilecüo pauc durabla, e es ameja totz tems durabla, la qual ayra la lutz e degira escurdat, e demanda cobri- men e evacua lo cen. Ii. Fol. 7 c. Aissi de jotz s'en sec de la ystoria de S. Turpi, arcivesque de Rems, facha del famos rey Karlemagne, que recomta cossi el aquiri Espanha e Galetia e las ostet als Serrazis ; mas prumeiramen ditz cossi S. Jacme apostol apparec al dit Karle. Lo glorios S. Jacme apostol de Crist, am los autres dissipols de Dieu anan per diversas partidas del mon, anet prumeiramen en Galecia predicar, e fo mort per ! Herode vas Jerusalem, e d'aqui fo portatz lo sieu cors a la mar tro ha an (sic) Ga- | licia, la qual terra estet occupada pels Seïrragis troque venc Karlemagne empe- ! raire,rey els Romas e dels Gals.e dels Alamans e de mainhtas autras gens. | — 311 — Aquest Karle aqueri amb grans trebalhs mainhs regnes, so es a dire Anglia e Gal- lia e Alamanha e Bajoriam e Lotharingiam e Bergonha e Ytalia e Britanhia e * totas las autras regios e las ciotatz que so de la una mar tro que ha l’autra, per l'a- jutori de Dieu sosmes a si, per lo qual trebalh el fo si lass e fatiguatz que plus no vole acomensar hatalha, e prepaujet que se repauses.. . Fin : E sapio tuh aquels que bataiharau lo pays de S. Jacme que els serau dampnat perdurablamen , e totz aquels que lo guardarau de poder de Serrasis ilh serau tos- tems vivens en gloria. Deo gracias. Amen. TE. Aissi de jolz s'ensec d'un libre que parla de las merevilhas de la terra de Ybernia, e fo trames lo dih libre al s. e benaurat papa Johan XXII per fraire Phelip, de l'orde de Predicadors, de la glieja de Corcageñ en Ybernia pausada.—E prumei- ramen es mostrat cossi un apelat Guiral fetz un petit libret d'aquestas merevilhas. Fo un apelat Guiral, paren de Henric rei dels Angles, que fo trames en Yber- nia amb Johan filh del dih rei; e quan foro aqui, aquest Guiral se merevelhet de las causas que Dieus fasia en aquelas partidas darreiras del mon; las quals causas no ero vistas en autras regios. E d'aquestas merevilhas lo ditz Guiral fetz un petit libret loqual no contenia pleneira aprehensio d'aquelas causas. E d’aisso no es merevelha si aquel libret no ho contenia pleneiramen las dihas merevilhas, quar Beda e Solinus que tractero d’aisso hi defaliro. E per so lo dih fraire Phelip leai lo dih libret del dih Guiral , e amb aquo que trobet aqui de vertat e profechable el fetz aquesta obra , amb autras causas melhors e majors que hi ajostet. Aiïssi dejotz s'en sec de Ybernia on es situada ho pausada, Hybernia es aprop Bretanha la major, mas plus verayamen a dire Hibernia es paujada outra Britanya e Vallia e Esscocia per l'espasi d’una jornada navegan per aigua, e es situada en la mar gran occidental ; empero aquesta mar passa per un estreh luoc dins Hibernia e Escocia, e d’outra aquestas fis no se troba terra, ni home ni bestia de qualque condicio que sia non hi habita; e aqui no pot hom veire si no l’aigua el cel senes autra causa, la mar aqui decort e va per vias rescon- dudas que no aparesso; e aissi quan las partidas devas Orien per lors signes que a autras partz no so acostumatz a veire sobremonto e aparesso, aissi las circumfe- rencias ho la fis que so en Occiden per las mereveilhas que so aqui so mot noblas; donc se sec que Hibernia es costa Britanya e Vallia e Escocia ha ladrier ho de- costa, e on que los naviguans ano en Occiden, so vist aqui en qualque port que els sio, Aissi de jotz s'ensec de la quantitat ho de la grandesa de la ilha”. | Giraldus Cambrensis, 1, 3. — 912 — De la distinctio e de la qualitat de las partidas de Hibernia, e de a graissa de la terra”. Fol. 20 b. Dels fluvis et dels lacs e dels peissos que soaqui *. Dels auzels d'aquesta terra e de lor natura *. Fol. 21 d. De las bestias salvatjas e silvestras*. Fol. 22 a. Dels verms venenos e mess que no so en Hybernia *, De la fuga de las bestias venenosas facha per S. Patrici. Fol. 22 b. De las bestias verenosäs aportadas en Hybernia d’autras partz, las quals non hi podo viure, ans moro encontenen; e que totas causas d'aquesta terra so contrarias a tot vere°. Fol. 22 d. De las varias lausors e de la natura d’aquesta terra”. De las causas que son en Occiden que valo plus que aquelas*. Fol. 23 a. De la bontat de l'aire de Occiden *. De las merevilhas e dels miracles de Hybernia; e prumeiramen de la ilha ellaqual homs non mor”. Fol. 23 b. De la ilha de gloria hon los cors des homes no poirisso "". Del purguatori de S. Patrici”. Fol. 23 d. De las fons mot merevilhosas '*. Fol. 24 a. De ke ilhas de Orchadia que so costa Ybernia, e de His- landia !*. 1 Girald.ÏI, 4. ? Id. ibid. 7. 5 Id. ibid. 8-18. # Id. ibid. 19-22. 5 Les premières lignes de ce chapitre correspondent à Girald. I, 23. $ Ce chapitre et les trois précédents sont fondés sur Girald. 1, 23-24, mais conliennent diverses additions. 7 Girald. I, 25. 8 Id. ibid. 26. * Id. ibid. 27. D (AN | PRET 1 Id. ibid. G. *? Id. ibid. 5. Ce qui concerne saint Patrice est très-développé dans le provençal. 15 Jd. ibid. 7-10. bd AI-T0e — 313 — Fol. 24 b. Del lop que parlava amb lo prestre”. Fol. 25 a. Dels guals cantans ho vociferans en Hybernia en una ma- neyra que ha autra part no se fa en aissi”. Fol. 25 b. Dels miracles, e prumeiramen dels poms e dels corps de S. Kevin°. De las anedes de S. Colma que vulgarmen son apeladas certellas*. Fol. 25 d. De la peyra que per miracle ret vi ha ops de las messas”. De las pius e des ratz que foro encaussat*. Del fuoc de Santa Brigida que tostems dura, e cenres no hi creisch ?. Fol. 26 a. De l'ausel de Santa Brigida *. Fol. 26 a. Del libre mirivilhosamen escrih *. Fol. 26 c. Dels mirivilhos repaus dels sainhs ”. Fol. 26 d. DeS. Branda*. De la crotz que parlet e de sas vertutz”*. Fol. 27 6. De aquels que no pogro fugir al fuoc de Santa Brigida *. Del miracle de la semensa de l'evesque de Corkagen e dels s. molis"*. Fol. 27 c. De la venguansa que fo facha per la dissonor que fo facha hal s. luoc ”*. Fol. 27 d. Dels habitadors d'aquesta terra, e prumeiramen de l'aveni- ! Girald. IT, 19. ? Id. ibid. 25-27. 5 Id. ibid. 28. “ Id. ibid. 29. 5 Jd. ibid. 30. 5 Id ibid. 31-32. 7 Id. ibid. 34-36, $ Id. ibid. 37. ° Id, ibid. 38-39. 19 Jd, ibid. Lo. M Jd, ibid. 43. 2 Jd. ibid. 44-47. 13 Jd, ibid. 48. M Jd, ibid. kg, 51-53. 15 Jd, ibid. 54. — QU = men de Cesara, boda de Noe, lo qual avenimen fo faytz de- nan lo diluvi!. Fol. 28 «. De l’avenimen de Barthola que dischendet de la linada de Japhet, aprop lo diluvi*. De l'avenimen de Nemedi que venc de Sichia amb .1f11. que ero sos filhs . Gol, 28 b. De l'avenimen dels .v. fraires que foro filhs de Gela, los quals devisiro prumeiramen Hybernia en .v. partz, e de Salamo que fo prumeiramen senher de tota Hibernia*. Fol. 28 c. De l’avenimen dels «nr. filhs de Milesi, rey que venc de los partidas d'Espanha*. Fol. 28 c. De la discordia d’aquetz .11. fraires, é cossi quan Heberus fo mortz Hermon fo senher de tota Hybernia*. Fol. 28 d. De Girganti rey dels Bretos, lo qual amenet ho endresset los Basclenses en Hybernia”?. Del dreh per loqual es dih que Hibernia perte al re*. : Fol. 29 b. De l’avenimen dels onstinantorum (sic)°. Del nombre de totz los reys de Hybernia, e cossi los reys aquetz an regnhat tro que Hybernia pervenc ha la senhoria e al regi- men dels reys d’Anglaterra per la autreansa del papa”. _ Girald. III, 1. ? Id. ibid. 2. Id. ibid. 3. Id. ibid. 4-5. . ibid. 6. ÿ Id. ibid. 5. 4 Id. ibid. &. Id. ibid. 9. H y a à cet endroit une lacune d'au moins un feuillet ; le commencement du fol. 29 correspond à Girald. III, 37, ? Girald. TT, 43. 1 Jd, ibid. 44-46. DATETO IUT ER EN nu D _— hi — D BIBL. REG. 19. D. TI. J. Le livre d'Alexandre, en prose. — IL. JEAN Le VenELais : La Ven- geance d'Alexandre. — IL. Marc Por : Le Livre du grand Caam.— IV. Oporic pe Friouz : Les Merveilles de la terre d'outre-mer. — V. Ascezan: Mission chez les Turtares. — VI. Le Directoire, ou projet de croisade adressé au roi Philippe IV par un frère précheur. — VIK. PriMar : Chronique des règnes de Louis IX et de Philippe III. — VIT, … Extraits de la Bible (1 Rois xvur-xxir, et IT, xx), en français”. I. Ci commence le livre et la vraie hystoire du bon roy Alixandre, qui fu filz de Neptanabus, qui jadis fu roy d'Egvpte et seigneur, et de la royne Olympias, qui fame estoit du roy Phelippe, seigneur de Macedoine, lequel roy Alixandre par sa force conquist tout le monde, si comme vous orrez en l'ystoire. Puis que li premiers peres de l’umain lignage fu cries à l’ymage de son crea- teur, le roy de gloire nostre sire qui le voult honnorer seur toutes creatures li donna congnoissance de savoir trier le bien du mal pour user des choses qui seroient selon nature et eschiver les choses contraires... Fin (fol. 46 b) : Mais à ceste example deussent prendre garde tuit li roy et li prince et li grant seigneur qui ont les terres et les pueples à gouverner, qui soustiennefn]t et alie- vent en leur hostiex les flateurs et les mauves par qui il sont souventes fois de- ceuz et en ames et en cors; si comme fu cist grans rois Alixandres qui sires estoit de tout le monde, qui par ceulz qu'il avoit norriz et alevez et qui à sa table le servoient et de pain et de vin fu envenimé et mis à mort, et li et touz les siens, si comme vous avez oi ci devant en cest livre. Amen. Explicit le livre d'Alixandre ?. LE. Fol. 47 a. Ici est la vengeance du grant roy Alixandre, c'onques de 1 Ce manuscrit est un grand in-fol. de 267 feuillets. I1 est évidemment d'origine fran- çaise el a sans doute été exécuté pour un grand personnage. Sur la bordure de deux mi- niatures (fol. 1 et 58) on remarque un médaillon renfermant un écu où apparaît une aigle de sable aux ailes éployées, sur champ d'or. ? On connaît plusieurs copies de la même version de l'Histoire d'Alexandre, par exemple au Musée britannique, Bibl. reg. 20. A. V; Bibl. imp. fr. 1418 (anc. n° 7517), etc. nr roi ne fu si grant esclandre, car il fu sires et rois de tout li mondes (sic) et des poissons de la mer et des ondes. Seigneurs oez, .1. pelit m'entendez : Le sens de nul sage home ne doit estre celez Qui ne soit au besoing au siecle amonnestez, Que maint cuide estre sage qui moult est fol provez, Tel savoir com je sai vous doit estre moustrez. Seigneur bon eonteor qui de Fromont savez, De Fouques de Candie et [de] Tybaut contez, De maint autre barnage dont gaires ne savez; Mes j'en dirai .r. bon s’il puet estre escoutez : C'est du roy Alixandre qui tant ot de bontez; Onques mieudre de lui sus destrier n’iert montez; Moult par pot estre liez que de touz fu amez... Fol. ob: Seigneurs, or faites pes, .I. petit vous taisiez; Oez bons moz nouviaus, car li autre sont viez; Onc par nul jugleür ne fu meilleur ditiez. JEAN Lr VenELAIS fu moult bien afaitiez : En son hostel se sist, si fu joians et liez, L. chanterres li lut d’Alixandre à ses piez, Et quant 11 l’a oï, si fu grains et iriez, Et dist qu'il iert dolenz s’encore n’est vengiez. D'un filz qu'ot de Caudace en ot vers comenciez; Bien dist et bien en jure ei bien s’est afichiez Encor sera il bien du quens Henri loez. Cil est seur tout le mont de donnér enforciez; Sages est et cortois, preus et bien afaitiez, Et aime les eglises et honnore elergiez, Les poures gentilz hommes n’a il pas abessiez, Ainçois les a trestous levez et essauciez, Et données les terres, les honnors et les fiez. En cuer de si haut homme n’ot onc tant de piliez, : Ne ne, fu de donner si tres appareïlliez. Des le temps Alixandre ne fu tiex, ce sachiez, Quanqu'il donna el monde fu mont bien emploiez. Fin (fol. 57 b) : Quant li serf furent ars et livré à martire À tous les .x1r. pers prist li varles à dire : - . - - . : r . «Seignors , or sui moult liez et ai refroidié mire; Cil n’aront mes mestier ne d’entrait ne de mire. Pour trestoute la terre dont je doi estre sire Ne voudroie je pas qu'il fussent à destruire. » Li.xir. per s'en vont, si commencent à rire; mn OU Tuit 1 homme demandent de Alior lor sire; Tiennent le por seignor le meilleur et le pire. - Ors’en vont tuit ensemble el re[gne] de Satire. Cil qui cest romans fist ne vous en veult plus dire : Les traïtors sont mors et livrez à martyre, Alixandre est vengié si com vous oez lire. Explicit la venjance Alixandre *. ILE. 5° Fol. 58 a. Ci commence li livres du grant Caam qui parole de. la grant Ermenie, de Persse, et des Tartars, et d'Ynde, et des granz merveille[s] qui par le monde sont. Pour savoir la pure verité des diverses regions du monde, si prenez cest livre, si trouverez les grandesimes merveilles qui sont escriptes en la grant Hermenie et de Persse et des Tartas et d'Ynde et de maintes autres provinces ; si comme nostre livres vous contera tout par ordre, dès que mesires Marc Pol, sajes et nobles sitoiens de Venice, raconte, pour ce que il les vit; mais auques il y a choses qu'il ne vit pas mais il entendi d'ommes certains par verité. Et pour ce metrons nous les choses veues pour veues, et l’entendue pour entendue, à ce que nostre livre soit vrais et veritables sans nule mençonge.. Fin (fol. 135 a) : Or vous avons conté du fait à la fille du roy Caydu, et sachiez que puis ce fait son pere n'aloit nul part en ost qu'il ne la menast avecques lui, ne il n'avoit che- valier qui tant feïst d’armes comme elle faisoit ; et aucune foiz se partoit de l’ost et aloit en l'ost de ses anemis; et prenoit aucune foiz .1. homme aussi legierement comme se ce fust .1. oysel, et l’aportoit devant son pere, et ce faisoit elle souvent. Explicit le livre nommé du grant Kaan de la grant cité de Cambalut?. IV. Fol. 136. Ci commencent les merveilles de la terre d'Outremer, se- lonc ce que frere Odorique du Marchié Julien, de l’or- dre des freres meneurs, tesmoigne, translatées en françois par frere Jehan de Vygnai, hospitalier de l'ordre du Haut pas. Ja soit ce que moult de plusieurs manieres de gens racontent mouil de choses Même ouvrage Bibl. imp. fr. 790 fol. 179, et 791 fol. 107. * Ce texte n’est pas la meilleure leçon qu'on possède de l'ouvrage de Marc Pol; il ap- partient à la même famille que le manuscrit de la Bibl. imp. fr. 5649, celui que M. Pau- thier désigne par la lettre C. * Traduction un peu {rop littérale des mots du texte : Odoricus de Foro Julu. — 318 — et diverses des manieres et des conditions de ce monde, toutefoiz est il assavoir que je, frere Odoric du Marchié Julien, avoie volenté de trespasser la mer, et convoitoie aler as parties des mescroians, si que je feisse aucun fruit des ames: si vi là et oy moult de choses grans et merveilleuses; quer en trespassant premie- rement la mer Adrienne et la mer de Morienne, je me transportay de Venise en Trapesonde... Fin (fol. 148 c) : Frere Guillaume Sollengin, de l’ordre des meneurs, mist loiaument en escript toutes les devant dites choses, si comme le dit frere Odoric li devisa de sa propre bouche, en l'an de Nostre Seigneur mil ccc. et xxx. el mois de mai, en la cité d'Espade, el lieu saint Anthoine; ne ïl ne li chaloit de parler latin fors curieurs et ordené; ettout aussi comme frere Odoric le racontoit, frere Guilleme escrivoit en tel maniere que toux entendissent legierement les choses dites. Et le dit frere Odoric trespassa de cest siècle en nostre Seigneur assez tost apres, c’est assavoir l'an de nostre Seigneur mil ccc.xxxrr. el .xun1. jour de Jennier, el convent de Venise; et est ennobli el dit convent par moult de grans miracles !, V. Fol. 148 ec. Ci apres commence des autres devisions de la terre devant dite, comment le pape Innocent envoia premierement les freres meneurs et les freres prescheeurs en mesage aus Tartarins pour eulz convertir à la divine escripture; et il rapo[r]|terent toute la maniere du païs par escript. EI premier an de Innocent le pape le quart de cesti nom, et en lan .xxxIHI. de l’empiere Federic le secont, qui fu l'an de grace mil .Cc. et .xLIrr. , celi pape Innocent envoia frere Ascelin de l’ordre des prescheeurs avec .1. autres freres que ül avoit en sa compaignie, avec ces propres léttres , comme mesages à l'ost des Tartarins, et ausi envoia il autres freres en autres parties pour amonester les que il se ostassent de toute pestilence des homes, et receussent la verité de la foy; et je meismes apris les fais des Tartarins d'un frere prescheur, c’est assavoir frere Symon de saint Quentin, qui avoit esté lonctemps el païs; et ces mesages qui furent envoiés du pape si furent frere Jehan de Plain Carpi et .x11. autres freres ; si furent envoiés as Tartarins, si comme le dit frere Jehan le tesmoigne... Fin (fol. 165 d) : Etses Hassasis n’ont nule loy, fors cele que pouour leur donne; il habitent sanz difference à toutes fames, meres, seurs et autres, aussi comme se il fussent pro- ! Voir sur cet ouvrage Wadding, Script. ord. min. le même, Annales ord. min. ad ann. 1331, t. IL, et l'introduction de M. d'Avezac à Plan-Carpin (Société de Géographie, IV, 419). Des extraits du texte latin se trouvent dans les Bollandistes ; janvier, 1, 986-992. On n'en connaissait jusqu’à ce jour d’autre traduction que celle de Jean Lelong d'Ypres, con- tenue dans divers mss., entre autres Bibl. imp. fr. 2810 ff. 97-115. Une copie de la tra- duction de Jean du Vignay se trouve chez lord Ashburnham, collection Barrois n° 19. — 319 — pres. Et des que il sont es berceulz, il sont norris el pais el aprennent touz langa- ges, et sont enseigniez à craindre et à doubter leur seigneur sus toutes choses, ct à obeir li} Juques à la mort; et croient bien que par ceste obeissance il doivent venir à la joie de paradis, et dient que cil qui meurt en obedience est saintefié comme angre ?. VI. Fel. 165 d. El non du pere et du filz et du saint esperit, amen. Ici coumence ke Directoire, c’est à dire l’esdroitement ou voie droituriere à faire le passage de la terre sainte, ordené par un frere de l’ordre des prescheurs escrivant les choses veues et esprouvées miex que les choses oyes, au tres noble prince et seigneur mon seigneur Phelippe, roy de France, l'an de nostre seigneur mil .cec. xxx11; et fu translaté en françois par Jehan de Vignay l'an mil cecxxxnt*. Du saint propos de vostre hautesce, monseigneur le roy de France, en la court roumaine s’esjoist et fait feste tout le monde par la renommée de vostre saint pro- pos mouteplié ; et pour ce est assavoir aussi comme 4. autre Machabée pourveu des souveraines choses, vous prenés la bataille de Dieu pour l'amour de la foy et pour la delivrance de la terre sacrée. . Fin (fol. 192 d) : H est ainsi des paiens que apres Îes victoires eues et les honneurs à eulz meïs- mes, toy certes, monseigneur le roy, afert il avec endrecement de cuer, avet ferveur de devotion, avec purté d’entencion , rendre gloire et honneur au roy im- mortel, mvisible et seul Dieu, duquel tu dois atendre guerredon non pas monien- tel et terrien , mes perdurable et celestiel, Amen, Amen *. VI. Fol. 192 d. — Cy commencement les chapitres et les eroniques de Primat, et contiennent .IIIF*. chapitres. (Suit la table des chapitres). Fol. 194 a. Le premier chapitre. De Madame Blanche, royne, mere de saint Loys. Vraiement la royne mere d’iceulz, qui avoit nom Madame Blanche et estoit seur du roy d Espaigne , laquelle estoit à acomparagier à Rebeque par sagesse el 1 C'est l'abrégé de Plan-Carpin qui se trouve dans le livre 31 (ou 32, selon les édi- tions) du Miroir historial de Vincent de Beauvais. ? Ici se place une miniature où l'on voit le frère mineur, auteur de cet ouvrage, présen- tant son livre au roi. Voy. sur cet ouvrage M. d’Avezac, introd. à Plan-Carpin, p. 414-416, et Quétif et Échard , 1, 571. On ne connaît pas d'autre exemplaire de la traduction qu’en fit J. du Vignay. — 320 — parsuttillece d'enging, gouverna en ce temps le royaume de France, et non pas par vertu feminine, mes vertueusement comme s’ele fust homme ; si que pour alegier la douleur que ele avoit conceue de l'encheitivement de ses filz, les .xr. devant les diz contes ses fiz furent envoiés à icele , les quiex firent tant par les perïlz de mer et de terre que il entrerent en France et vindre à leur mere , et l’acolerent !. Mes avant que il partissent de là mer, Guillaume abbé et le couvent du benoit saint Denis en France, avec les autres couvens de ieur moines, ainsi comme ceus qui sont tenus par une prerogative, c'est à dire comme par une seigneurie d’amor à obeïr as roys de France, avoient envoié le chantre de l'eglise et le tiers prieur comme mesages sollempnielz à visiter le roy et à enquerre de son estat. Le[s]quelz le roy reçut à especial joie, comme mesage de son patron; et pour ce que il estoient lassés de si grant voiage, il les retint longuement avec soy, et leur offri dons et monnoie, mes il ne les voudrent recevoir. Et apres ce, quant il s’en voudrent venir, il leur donna congié et les renvoia à leur lieu propre. Et par la grace de Dieu qui les menoit il nagie- rent à veles estendues parmi les robeurs de mer, et s’en vindrent sains et drus el royaume de France; et retournerent à leur eglyse et raconterent à l'abbé et au couvent ce que il avoient fait et comment il estoit au roy ?. GUILLAUME DE NANGIS (Rec. des Hist. de France, XX, 414). Item, incidentia de bello quod fuit in An- glia inter regem Henricum et Simonem de Monteforu. Anno Domini M. CC. LXIII. erat in Anglia, non tamen de Anglia, sed de Francia ducens originem, vir in armis strenuus et armorum peritia callidissi- mus, Simon de Monteforti, Simonis se- nioris de Monteforti comitis, viri chris- tianissimi et æque in armis strenuissimi, filius, qui in expugnando Albigensium hæreticam pravitatem, in obsidione Tho- losæ civitatis, ictu mangonelli interüt, et ad Dominum tanquam martyr, ut cre- ditur, transmigravit. Idem vero Simon, filius ejus, comitatum Leucestriæ in An- glia possidens, sororem regis Angliæ Henrici desponsaverat, ex qua quinque filios, Henricum, Simonem, Richardum, Guidonem et Almaricum , ac unam filiam PRIMAT (Manuscrit, fol. 198 c). Le X° chapitre, du contens du roy d'En- gleterre et du conte Symon de Montfort pour une constitution que il firent. En celi temps ou environ estoit en Engleterre, mes il n’en estoit pas né, mes estoit du lignage de France, c'est assavoir homme noble en lignage et en armes, et sage et subtil en l’escience des armes, Symon de Montfort, fils de noble home Symon conte de Montfort, le viel homme tres crestien, et semblable- ment noble el fait des armes ,lequelpère, en combatant soi contre la mauvesté des hereges d’Albigois, fu mort el siege de Thoulouse du coup d'un mangonnel; et,sicomme l'en croit ,iltrespassa à Dieu aussi comme martyr. Et celi Symon son fiz pourseoit la conté de Leucestre par droit de heritage , et avoit espousé la suer de Henn roy d'Engleterre; et en avoit ! «Alfonsum vero Pictavensem et Carolum Andegavensem, ‘comites, videlicet fratres suos, ad reginam matrem suam consolandam duxit in Franciam remittendos.» (Vincent de Beauvais, Spec. hist. 1. XXXI, cap. cr. — Guill. de Nangis, Gesla S. Lud. — D. Bouq. XX, 382.) Cetle phrase termine ce que Vincent rapporte de saint Louis. * Cette visite faite à saint Louis par deux moines de Saint-Denis est racontée, mais en moins de phrases, par Guill. de Nangis, dans sa Chronique. — D. Bouq. XX, 555, A. — 321 — possidebat. Accidit autem in illo tempore quod rex Angliæ, barones ct prælati, unanimiter consentirent in quandam constitutionem ad utilitatem reipublicæ, ut dicebant, et illam juramenti robore firmaverunt. Coactus vero dictus Simon eandem constitutionem consimiliter ju- ramento firmare, respondit omnibus quod quicquid alïi postea facerent , nullo modo deinceps quod petebant ab ipso frangeret juramentum. Cum igitur pos- tea rex ipse barones et prælati præfatum juramentum cum dicta constitutione unanimiter irritassent, et in nihilum revocassent, Simonem ad hoc idem fa- ciendum compellere nitebantur. Sed ‘ipse, sicut prædixerat, juramenti digni- tatem inviolabiliter observans, propter hoc inter ipsos dissentionis et guerræ v. nobles filz et une fille, c’estoit Henri , Symon, Richart, Guy et Almauri. Et donc avint que le roy, les barons et les prelaz s’estoient consentu [ensemble à une constitution pour le profit] ! du com- mun, si commeil disoient, et la confer- merent par force de leur seremens. Et quant celi Symon fu contraint par son serement à la confermer, il respondi à touzquese il la juroit, que que les autres feissent , il n’enfroisseroit point d’ore en avant son serement en nule menniere. La quel chose ainsi faite, celi roy, les barons et les prelas, d’un commun acort amienterent celi serement et la dite cons- titution du tout en tout, et en contrai- gnoient le dit Symon à faire aussi. Mes, si comme il avoit avant dit, garda sanz corrumpre la dignité de son serement; materiam ministravit. et ceste chose fu la première mocion et le commencement de la guerre et de la discention d’entre euls. Fol. 219 d. XXXIX. De la mort du roy et de la venue de son frère Karlles, roy de Secilie. Le roy de France, si comme il est dit par dessus, estoit forment malade de fievre et de flun, et fu si grevé de maladie que la nuit du samedi devant dit les medecins furent du tout desesperez de sa guerison. Et environ celle mienuit il fat oint de la derreniere onction de frere Gieffroy de Biaulieu; et au matin, par la volenté de Dieu, la fievre s’alenti .1. por, si que il reprist son esperit. Et ja soit ce que moult souvent et .1. poi avant il eust receu le corps Nostre Seigneur Jhesu Crist, il requist que li aportast celi de qui il estoit porté et soutenu. El adonques il se sourdi contre son tres noble createur et issi de son lit, et vesti sa chemise et son mantel dessus, et puis dist son confiteor à tres grant devotion, si comme il avoit acoustumé, et encore à greigneur, et bati sa poitrine et reçut son sau- veeur à lermes et à pleurs. Et quant il ot ce fait, il fu en travail de sa fievre plus fort qu'il n’avoit acoustumé toute celle nuit et le jour ensuivant. Le lundi ensuivant une galie vint au port environ l’eure de prime, qui estoit au roy de Cecille; et cil qui l'amenoïient distrent que le roy de Secile viendroit li et ses nez environ l’eure de nonne. Et les chambellens si porterent celle nouvelle au roy le plus tost que il porent, et cuidierent que par si joieuses nouvelles il fust aucun poy allegié de sa maladie et de ses doleurs. Et le roÿ ouvri les yeux quant il li distrent, et dient que il commença à rire, mais il estoit ja si prez de la mort que il ne povoit son courage acliner à nulle leesce. Et que plus, si comme cil qui ! Les mots placés entre crochets manquent dans le manuscrit et sont ainsi restitués par M. de Wailly. — 322 — menoient la galie avoient dit du roy de Secille, ainsi avint, car il vint au port de Thunes à l’eure de nonne, et il avoit esté avant tant désirré de touz. Et si comme il se hastoit de descendre de la nef, la tres felonnesse et hardie Atropos ne doubta pas rompre en nulle maniere et le fil et la vie du tres noble roy des Frans, et le frere n’estoit pas loing de la chambre de son frere par la tierce partie d'une lieue quand celi tres debonnaire roy mist hors l’esperit et se endormi beneureement en Nostre Seigneur si comme nous croion. O! comme ce fu merveilleuse condi- tion de fortune, laquelle aucune fois donne les aventures contraires; et en une seule heure, car en celui meimes moment que doleur et tristeisce fu commencie en l'ost pour la mort de l’un, nouvelle joie et nouvelle leesce fu denonciée de tout le pueple environ le rivage pour la venue de l'autre. Et vraiement nul ne porroit dire ne raconter combien grant multitude la compaingnie il y avoit et de l'un pueple et de l’autre, qui couroient au rivage de la mer, car il y en avoit tant que il s'entre agraventoicnt les uns les autres. Et les mariniers crioient aus estrivées, et le pueple l’un aprez l'autre : «Vive le roy, vive!» Et les François crioient : « Bien viengne nostre roy, notre conditeur et meneur, nostre espcrance, nostre joie et nostre force contre les aguès de noz anemis ». Et ainsi tout lost s’esjoïssoit merveilleusement de sa venue. Et si com le pueple convoioit ainsi le roy de Sezille avant que il venist aus tentes, l'en li dist la mort de son frere le roy, le tres be- neuré crestien, lequel fu dolent tres parfaitement, mais PR le grant courage et la fermeté de son cuer, il refraint sa doleur dedenz soy et n’en fist nul semblant par dehors, mais s’en alla premierement à la Lente du conte de Poitiers, son frere, qui estoit adonques present aveuques li, et quant il ot là esté aucun poi de temps, il entra en Îa tente de Monseigneur Phelipe son reveu, qui n’estoit encore pas commencié à garir à plain de sa maladie, et ne savoit encore nulle chose de la mort son pere. Et quant il l’ot veu et il l'ot conforté par douces paroles, si comme il appartient, il s'entourna au desrenier en la chambre où son frere estoit, duquel le corps gisoit sanz ame, Et messire Pierre le chambellenc alla devant, et il entra adonques après, aveuc moult poy de gent qui estoient bien en ses fa- miliaires. Et tantost il se estendi à terre, emprez le corps, et fist sen oroison à sanploux et à lermes, et s’en alla juques aus piez du mort qui là gesoit, et baisa les piez d'icelui à grans sangloux et à grans lermes; et donc fu levé d'illuec à force de ceulz qui à estoient. Et donc l'en li donna une touaille et de Feaue , et lava ses mains et son visage, et essuia ses 1eux qui estoient amoistis de lermes, se il apartient à croire que tant noble cuer et tant noble et puissant corps qui avoit vertu de jaïiant preist aucun poy en piourant la maniere de fame. Mais il est à croire que oil, pour pitié et nature de sanc. Et donc issi il de la chambre sanz ce que 1l aparul en viaire.nul signe de tristesce, ou se il y aparut, si fus ce moult poyi.ue ef Es PCT MONT PE AU. UE MIRE NÉE Fol. 235 d. LV. Comment les treves furent données Adoncques le roy etnos princes seconsentirent austreves,sicomme ditest, mais ce fu aussi comme sus .r. accort de pais faite par certainnes condicions. Et de ce © Voici ce que dit au sujet du même traité Guillaume de Nangis, 1° Dans la Vie de sant Louis et de Philippe LI : «Rege igitur Franciæ, cunctisque principibus qui seeum erant, treugis, ut dictum est, et quasi cujusdam pacis condilionibus cansentientibus, fuit inter eos et regem Tunicii taliter ordinatum. Scilicet quod expensæ, — 323 — fu ordené en tel maniere entre noz gens et le roy de Thunes; et tout premierement que en toutes les citez et les nobles lieux du royaume de Thunes et en toutes les terres subjectes au royaume et qui y seroient en subjection, d'ores en avant prestres et religieux aroient eglises et edifices et eymentieres, et habiteroient es dis lieux sollempnelment et en pais, etsonneroient communement leur campanes et celebre- roient le divin service, et feroient en commun l'office de predication, et feroïent et amenisterroient les sacremens de l’eglise aus crestiens qui là habiteroient, Et aprez ce, que tous les crestiens qui seront amis ou subgez du roy et desbarons, serontsauz etseursen biens eten personnes, en alant et en venant el en demourant en toute la terre du royaume de Thunes que le roy tient et tendra , et porront aler et venir fran- chement parmi la terre en quel lieu que il plaira à eulz. Et que tous Îes anemis des roys et des barons ct leurs traytres seroient tantost chasciez hors de celi ro- yaume et n'y seroient en rulle maniere receuz ne soustenuz d'ores en avant. Lt aveuques ce, tous les marcheans crestiens qui sont el royaume de Thunes, et tous leurs biens qui estoient arrestez pour l'occasion de ceste presente guerre, seroient delivres et s'en porroient aler où il vouldroient, sanz nul destourbier. Et que tout ce que l'en devoit aux marcheans et à touz les autres crestiens el royaume, soit du roy de Thunes, soit de quelconques autres, seroient paié aus diz crean- ciers, De rechief, tous les crestiens qui estoient detenus en chetivoison, fust es chartres du roy de Thunes ou d'autre quelconque personne, es terres subjectes au roy de Thunes, seroient delivres et laissiées quittement en quel part que il voldroient. Et de rechief, que Federic d'Espaigne et Federic Lauce et tous les quas rex Franciæ et barones in via fecerant, debereut sibi totaliter in auro purissimo res- titui; et decennes treugæ nulla interruptione decisæ usque ad præfixum terminum utrinque firmiter observari. Fuit etiam postea additum quod portus Tunarum tantis servitutis condi- tionibus oneratus, qui commeantes mercatores gravibus exactionibus opprimebat, tantæ immunitatis et libertatis de cetero fieret, quod omnes mercalores qui ad portum conflue- rent vel transirent ulterius, cujuscumque mercimoniæ forent, nihil omnino solvere tene- rentur. Omnes enim antea rerum omuium quasin nayibus de ferebant, nullo remedio vel exceptione suffragante, regi Tunarum parlem decimam tributi nomine persolvebant. Fuit etiam ordinatum quod rex Tunarum regi Siciliæ tributum quod in thesauris suis anteces- sores sui percipere consueverant, persolveret annualim. Erat autem in urbe Tunarum multitudo Christianorum , jugo tamen servitutis Sarracenorun oppressa , et fratrum prædi- catorum'congregatio ac ecclesiæ constructæ in quibus fideles quotidie confluebant, Quos omnes ex sui regis præcepto Sarraceni captos incarceraverant, cum fines suos intravisse Francorum exercitum cognovissent, Isli omnes ex paclo, non solum a carceribus liberantur, sed a servitutis conditionibus immunes, ut ritum christianæ religionis exerccant, permit- tuntur. Treugarum ergo prædescriptis conditionibus certis captionibus utrinque roboratis, et auri polliciti summa pro parte maxima jam soluta, usus armorum deponitur, et secure Sarracenorum magnates et bumiles inter nostros spatiatum veniunt, mercatum victualium offerentes. ( Histor. de Fr. XX, 478.) 2° Dans la chronique : « Ad ultimum autem, cum vidissent quod Christiani, machinis paratis et variis instrumentis ad pugnandum necessariis, Thunicium per terram et aquam intenderent oppugnare, timore perterrili, pacta cum nostris facere tentaverunt; inter quæ dicuntur hæc fuisse præcipua : scilicet, ut omnes Christiani, qui in regno Thunici captivi tenebantur, hbere redderentur, et quod , monasterüs ad honorem Cbrisli per omnes civitates regni illius constructis, fides christiana per quoscumque prædicatores catholicos prædica- retur, et baptizarentur volentes pacifice baptizari; atque solutis expensis quas 1bi reges fecerant et barones, rex Thunici tribatum solitum regi Siciliæ debitum restauraret, » (/bid, XX, 563.) ou autres anemis et traytres du roy de Secile et de ses hoirs presens et à venir seroient boutez hors du royaume et de la poosté de toute la terre subjete au roy de Thunes; ne doresenavant il ne seroient receus el dit royaume ne en la seignorie, mais seroient mis et boutez hors de toute leur force, et seroient mis en la chartre, si il revenoient. De rechef, le roy de Thunes paiera pour les domages fais au roy de Secile et pour les despens fais des autres roys et des princes et des barons de lost par 1°. fois .x. mille onces d'or !, desquelles la moitié fu paiée en present, et de l'autre moitiée il baïlla pleiges les marcheanz à paier à .1r. ans. Et aveuques ce le roy de Thunes rendi au roy de Secille le treuage de .v. anz ja passez. Et fu acordé que doresenavant il li paieroïit chascun an le treuage double. Et ces treves don- nées entre le roy de Secille et le roy de Thunes dureront .xv. ans, sus telle con- dicion que quant le quinziesme an sera venu, que il sera en la volonté du roy de Secile ou de ses hoirs d’enfraindre les treves ou de confermer les à temps certain ou à à perpetuité. Quant les treves devant dites furent confirmées par les dites conditions, et certaines cautions furent données d’une part et d'autre, et la somme de l’or qui estoit promise ot esté paiée pour la greigneur partie, les armes furent mises jus et les assauz accoustumez appaisiez et transmuez en paisibleté de temps. Et les Sarrazins granz et petis se venoient seurement esbatre et esbanoïer entre noz genz, et leur offroient les simples gens des viandes et de la vitaille à vendre. GUILL. DE NANGIS (Rec. des Hist. de France, XX, 494). Anno Domini M. CC. LXXIIII. fuit dies concilii assignata in calendis Maii ; et pluribus sessionibus habitis, duravit concilium usque ad festum beatæ Ma- riæ Magdalenæ. In quo concilio multa utilia statuta fuerunt; scilicet de elec- tione summi pontificis et statu ecclesiæ universalis. Et propter subsidium terræ sanctæ fuit concessa decima a prælatis et procuratoribus capitulorum et eccle- siarum usque ad sex annos. Circa finem concilii, venerunt Græcorum et Tarta- rorum nuntii solemnes. Qui Græci ad unitatem ecclesiæ re- dire promittentes, in signum hujus rei Spiritum sanctum a Patre et Filio con- PRIMAT S (Fol. 244 b). LXITI Du concile celebré à Lyons par pappe Grinqotre, et du mariage du roy à la suer du duc de Breiban. En l'an de Nostre Seigneur, qui fut l'an mil CC.LXXIIIT., general concile fu fait et celebréà Lyons sus le Rosne par Gringoire pappe le disieme, ne l'en ne se recorde point que onques autrefois nul si grant concille ne si general fust célébré en nulle partie, et à ce concile envoia l'eglise d'Orient, c'est assavoir ceulz de Grece, plusieurs des prelas de la terre, comme messages sollempnez, si comme ils disoient, et prometoient que du tout en tout, d'ores en avant, il obeiroient à l'église sainte de Romme, et comme à vraie mere catholique, c’est assavoir sur tous les articles de la foy. Et avant celi concille il n'avoient 1 Le traité traduit par S. de Sacy (Acad. des Inscr. IX, 4), porlant 210,000 onces d'or, il faut sans doute lire dans le texte de Primat, au moyen d'une simple transposition : «.n1°. .X. fois mille,» Ce . est d'ailleurs corne par d’autres textes (voir par ex. Histor. de Fr. XXI, 197,3 — 325 — fessi sunt procedere, symbolumque apostolorum in communi concilio so- lemniter decantaverunt. In eodem concilio plures ordines mendicantes sunt quassati, et bigami qui tonsuram clericalem tunc temporis deferebant de cetero ferre prohibiti sunt, ac uti privilegio clericali. Nume- rus vero prælatorum qui ad hoc conci- lium interfuerunt, quingenti episcopi, sexaginta abbates et ali prælati circa mille. Eodem anno, cum rediret de con- cilio, Petrus de Charni, archiepiscopus Senonensis, defunctus est, et successit -eidem magister Gilo Cornuti, præcentor ecclesiæ Senonensis. De secunda uxore quam accepit Phi- lippus rex, et de morte regis Navarræ Henrici. Anno ultimo prænotato, Philippus rex Franciæ, die Martis infra octavas Assumptionis Beatæ Mariæ virginis ma- tris Domini, duxit in uxorem apud Vi- cenas juxta Parisius Mariam, puellam nobilem, filiam Henrici quondam du- cis Brabantiæ, ex filia ducis Hugonis Burgundiæ, et sororem Joannis tunc Brabantiæ ducis. point le credo des apostres, ne ne creoient point que le Saint Esperit pro- cedast egaument du Pere et du Filz, ne n'avoient point quiconque vult. Et en celi concille il reçurent ces choses, et promistrent fermement que toute l’e- oglise d'Orient ensuivroit et tendroit d'ores en avant toutes ces choses et ce saint enseingnement. Mais aucuns fu- rent qui crurent mieux que povoir les eust plus contrainz de venir à celi con- cille que ne fist la devote amour de te- Et il avoient oy, cest assavoir ceulx d'O- rient, que un tres-noble concile seroit celebré en l’eglise d'Occident sus refor- mer les articles de la foy, et pour sa- voir se aucune chose non due et desor- denée estoit avenue en aucun lieu, et si se doubtoient que le pappe par aven- ture ne envoiast à eulz l’esfors des vrais catholiques pour vengier le descort que il faisoient sur les devant diz articles, mais quel chose que ïl en aient fait aprez, toutes fois le promistrent il à faire par toute l’eglise d'Orient. Et à celi concille vindrent les messages des Tar- tariens, et à leur requeste il furent illue- ques baptiziez en sains fons; mais Dieu scet bien à quel intencion il le firent. L'année enswant, le roy Phelippe es- pousa fame tres noble pucelle Marie, sueur du duc de Breiban, environ la feste de l'Assumption Nostre Dame, au bois de Vicennes, et en l’anée ensui- ant, el jour de lAssumpcion Nostre Dame Vierge Marie, il la fit couronner sollempnelment à Paris en la presence à bien de touz les nobles hommes du royaume de France. nir ces sains enseignemens. VI. Fol. 252. Comment li Philhistien s’assemblerent en bataille encontre Israel, et mistrentleur herberges entre Sacroch et Mecha, et Saul et leur hommes d'Israel mistrent leur tentes et as- samblerent pour combatre aus Philistiens en la valée de Therebinth... * MISS, SCIENT, — III, T — Fin (lol. 267) : Lors fu li roys moult courouciez; si fist le prophete mettre en chartre, et reparra en Samarie moult courouciez et dolenz de gront maniere. Ci finent pluseurs batailles des roys d'Israel encontre les Plhilistins et les Assyriens. E ADDIT. 16,955. Tusseus ! Set oser ete ee vo. es ses es es ee ee © 6 « + es CE] se Fol. 5. «Entendez envers moy, noble dame a pris, à Je vous dis pour certain, ne le creez envis, Que je viens d'un tel lieu où le roy VO maris Vous a jugie à mort veiant tous ses marchis, Et dist que Theseus si n’est mie son filz, Et qu'un nain Fengendra, si que prenez advis, Car s'on vous treuve cy ains que il soit midis Sera le corps de vous essillié et bruys. Pour une courtoisie que j'euz de vous jadis Le vous suy venu dire, dont au roy ai mespris. » Quant la royne l'ouyt [et] ses motz et ses dis, D'angoisse s'est pasmée, moult fu son cuer faillis ; Et quant se redressa la dame que je dis, À une chamberiere s’escria à hault cris : « Amie ! allons nous ent, si laissons le pays.» een eee oc eee ee ee © « | e se eo e © e © = 0 cesse res res sepe esse ee ce 0 ne ©» 24% s te vue 0 0e 0 0e + « © 0 © © © a ia Je 9 lens ee Fol, 7. Seigneurs, oyez ystoire dont 1y vers sont plaisant; Se n’est mie menconge : on le treuve lisant; Si en est mieulx prisée et bien est afferrant, Et meïismes le roy de France l'auiriant Pour le bien et l’ouneur qui lui va concevant L'a faict mettre en paincture, si scevent moult de gens En la sale à Saint-Pol où il va repairant, Ou ly duc et ly conte, chevalier et sergent, Areevesques, evesques, abbez [et] noir et blanc, Roynes [et] duchesses, pucelettes sachant, Escuiers et bourgois et les gens mendiant, Le pevent bien veoir là endroit aparant; ‘ Je commence au cinquième feuillet parce que les quatre premiers sont aux trois quarts détruits. Il y a d’autres lacunes dans le courant du volume. Dans son état actuel ce manuscrit contient près de 15000 vers. : — 327 — C'est du ber Theseus de Coulongue la grant Qui devint en beauté de corps et de semblant. Ce miracle y fit Dieu pour l'enfant {sic}, Car preux fu et hardy et ot le cuer vaillant, Moult essaucha la loy Jhesu le roy amant !. Fol, 7 verso. Et amendry la loy Mahon et Térvagant; Puis fit maint hardement et autre fait vaillant Et pour Flore de Romme fille Esmere le grant Emprint grant hardement, s’en ot afaire grant Et en terre et en mer maint dommaige pesant. La pucelle conquist par un aigle luysant Où il se fit porter, par un ytel couvenant Qu'en l'aigle estoit entré, que nul ne l'aloit veant. Sé lui fit fere amours qui deçoit maint amant. Pour ceste damoisele dont je vous vois parlant Endura maint tourment si com m'ores contant Huymais pourrez ouyr ung gracieux romant ; Je croy que de meilleur n'oystes onc lisant. PIERRE BERCHEURE. F (Traduction de Tite-Live.) TEXTE FRANCAIS. (Bibl. imp. fr. 31.) À prince de tres souveraine excel- lence, Jehan roy de France, par la grace divine, frere Pierre Bertheure, son petit serviteur, prieur à present de Saint-Eloy de Paris, toute humble re- verence et subgection. C’est tout cer- tain , tres-souverain seigneur, que tout excellent prince de tant comme il a l'engin plus cler voyant et de plus no- ble et vive qualité , de tant veult il plus volentiers encerchier et sçavoir les vertueus fais et les notables euvres des TEXTE CATALAN. (Harl. 4893.) Al princep de molt gran exellencia Johan rey de França, per la divinal gra- cia ffrare Pere Bertor, son petit servidor, prior a present de sent Aloy de Paris, ab tota humil reverencia e subjectio. Aço estot cert, molt sobiran senyor, que tots excellents princeps de tot en tant com ell ha lo engeyn pus clar veent e de pus nobla e viva qualitat, de tant vol ell plus exercitar los virtuosos fets, € saber les notables obres dels princeps antichs, e los sabers d'armes, rahons e ? On sait que la forme correcte de cette expression est raemant (rachetant, rédemp- teur) : L peres raemans ( Raoul de Cambrai, p- 154); por Dieu le raement (ibid. p. 98 ct 145); Jhesus L raemant (Huon de Bordeaux , v. 4713); le pere raemant (ibid, v. 1347), ete On a pu dire aussi roiamans, simple variante du même mot {Amis et Amiles, v. 3138, Huon de Bordeaux, v. 2939, étc.); mais dès le commencement du xiv° siècle, on ne trouve plus que roi ou roy amant, en deux mots, d’où on doit conclure que le sens de celle expression s'était perdu; c'est le cas ici, comme dans la première partie de Doon de Mayence (v. poëmes du même temps. 1754 et 2691), dans Hugues Capet (v. 3137, 4267, etc.), et dans tous les — 9328 — princes anciens, et les sens d'armes, raisons et industries par lesquelles ilz conquistren! jadis les pays.et les terres, edifierent empires et gouvernement et tindrent par grans successions et par longues durées, affin que par semblable guise, iz peussent Jeurs terres def- fendre et gouverner, et les estrances posseder et conquerre en aidant leurs amis ct degrever leurs ennemis, et def- fendre leurs subgies et aider leurs amis. Ce fut donc la cause, prince tres- redoubté, que le peuple roumain entre tous aultres peuples qui par vertu de constance et de sens et par puissance d'euvres chevalereusez ont leurs ar- mes portées et conquesié empires et royaumes pour eulz et pour leur ost bien esté sur tous li souverains et li plus cicellent, si comme assez appert en ce que eulx qui ou temps du commence- ment furent une seule cité assez povre et petite, sceurent tant faire par armez vertueuses continuées par sens et par labeurs que 11z conquistrent la rondesce du monde. Et pour ce à leurs fais mer- veilleux pevent tous princes prendre exemples notables es choses dessus dites. Ainssi doncques, tres excellent seigneur, me commandastes vous que les trois decades de Titus Livius, es- quelles sont contenues les hystoires roumaines , je translatasse de latin en françois... industries per Jesquals ells conquista- ren antiguamen les terres, e hediflica- ren imperis romans € realmes, e los fundaren e tresqueren e deffensaren e governaren € tengueren per grans suc- cessions e per longues durades afli que per semblants guises ells poguessen les lurs deffendre e governar, e les stranyes conquerir e possehir en manera deguda a greugar lurs enemichs e deffendre lurs amichs sotsmeses e aydar los. Aço fo donchs la causa, princep molt redob- table, que vos entrels altres princeps ha- vets lo engin molt noble, considerarat que lo poble [de] Roma entre tots altres pobles qui per virtut de constancia e de seny e per poder de obres cavalleroses han lur armes porlades en regions stranyes e conquistats imperis e reynes per si mateix e per los lurs han be stat axi sobre toits los sobirans e pus excel- lents, axi com assats appar en aço que ells qui al commencament foren una sola ciutat assats pobre e petita, saberen lant fer per armes virtuoses continuades per industria e per trebayll que ells conquistaren la redonesa del mon, e que per aço de lurs affers o fets mara- vellosos poden tots princeps pendre exemples notables en les coses dessus dites. Axi donchs, molt” excellent senyor, me manats vos que les .r17. de- cades de Titus Livius, en les quals son continuades les ystories romanes, yo transatadas de lati en frances. TP 7 +278 stat. pr ; & RAPPORT UNE MISSION SCIENTIFIQUE DANS LE NORD DE LA SYRIE PAR M. E. G. REY. Paris , avril 1866. Monsieur le Ministre, Au mois d'août 1864, Votre Excellence m'a fait l'honneur de me charger d'une mission scientifique dans le Nord de la Syrie, où j'allais pour la troisième fois reprendre mes explorations des parties les moins connues de ce pays si riche en grands souve- Je viens aujourd'hui vous réndre compte des résultats aux- quels mont conduit mes travaux durant les années 1864 et 1865. Le but principal de la mission qui m'était confiée par Votre Excellence devait être, outre l'étude des monuments militaires moyen âge, la reconnaissance topographique de la montagne des Ansariés, connue des anciens sous le nom de mons Bargy- lus, et d'une partie des régions situées sur la rive droite de l'O- ronte. Depuis la fin tragique du colonel Boutin, qui, en 1812, vint anéantir les résultats des recherches de cet officier, peu de voya- geurs s'étaient aventurés dans les mystérieuses vallées que l'émi- nent géographe Karl Ritter désignait comme but aux recherches des savants et des voyageurs appelés à s'occuper de l'étude du nord de la Syrie. ° MISS. SCIENT. —- lII. 23 ” — 330 — #7 Burckardt, au printemps de l'année 1810, traversa l'extrémité sud de ces montagnes, en se rendant de Massiad à Tripoli : c’est la première exploration qui ait porté quelque lumière sur la to- pographie d’une partie de ce Pays Depuis, entre les années 1848 et 1852, les missionnaires américains Éli Smith et Thomson, puis le chapelain Lyde, parcoururent ces montagnes pour chercher à y fonder une mission et des écoles protestantes; mais leurs efforts demeurèrent sans résultat. Éli Smith seul recueillit une série de notes géographiques du plus grand intérêt, qu'il communiqua à Karl Fütter. Mais, par suite de la mort prématurée de leur au- teur, ces renseignements paraissent à Jamais perdus pour la science. Quelques itinéraires du révérend M. Thomson, publiés dans la Bibliotheca sacra, nous ont fourni les premiers renseigne- ments sérieux sur les districts de Safita et d’El-Hosn. Ces régions furent encore visitées vers la même époque par le lieutenant Walpole, en apparence dans le même but que ses prédécesseurs; malheureusement, pas plus des notes publiées par Walpole que de celles du chapelain Lyde :l n’est possible de tirer la moindre notion exacte de la configuration du pays, ces deux voyageurs ne s'étant nullement préoccupés dans leurs re- cherches de prendré soin de la partie géographique. Le meilleur document et le seul auquel jai pu recourir avec fruit ne com- prend que le littoral : c’est la carte hydrographique levée en 1862 par le capitaine Mensell, de la marine britannique; encore n’ai-je pu en tirer que-des déterminations de certains points destinés à la reconnaissance des atterrages, et situés par conséquent fort près de la côte. Quant à la topographie qui relie ces points, elle est plus que légèrement traitée. Vers la fin du mois d'août, au moment où j'arrivai en Syrie, M. le duc de Luynes venait de terminer son exploration du bas- sin de la mer Morte, et je trouvai à Beyrouth M. Vignes, lieute- nant de vaisseau de la marine impériale, détaché par Son Excel- lence M. le Ministre de la marine près du savant académicien. Cet officier se disposait, pour compléter sa riche moisson scien- tifique, à aller, en compagnie d’un aspirant, rectifier la déter- mination astronomique de Palmyre et d’une série de points dans la vallée de l’'Oronte. Nous résolümes de relier nosttravaux géo- graphiques et mesuràmes ensemble, près de Tripoli, avant de nous séparer, un triangle compris entre le petit château arabe “ — 931 — de El-Kleïat, le Kalaat el-Hosn et la tour de Salita, ce triangle devant tout à la fois servir de point de départ et de raccordement à nos levers. Le 15 septembre 1864, nous quittons Tripoli et traversons, à peu d'heures d'intervalle, deux rivières : le Nahar el-Bared, au point où fut Orthosia, puis le Nahar el-Kebir, sur les bords du- quel nous campons près du santon nommé Scheïk-Aïasch. Les terrains qui avoisinent le premier de ces deux fieuves sont encore désignés de nos jours sous le nom de Ard-Artousy, et les nombreuses ruines que l’on y rencontre autorisent l'identification de ce lieu avec Artésie, ville épiscopale du comté de Tripoli, que nous trouvons mentionnée dans les chartes latines du moyen âge. Le second, le Nahar el-Kebir (Eleutheras des anciens), est aujour- d'hui l’une des principales rivières de la Syrie, séparant le district d'Akkar de celui de Salita. Les deux fleuves coulent dans une. vaste plaine, s'étendant au nord jusqu’à l'Isar ou plaine de TFor- tose, avec laquelle elle se confond. ‘Le 16 septembre au matin, je suis la même route que mes compagnons jusqu'à la. hauteur du village de Bordj-Maksour ; c'est là que nous nous séparons. M. Vignes se dirige vers Homs par Kalaat el-Hosn, tandis que j'appuie au nord-est. Nous nous donnons rendez-vous à Hamah vers le 10 octobre. À l'est et au nord-est, le terrain s'élève graduellement en col- lines arrondies : ce sont les premiers contre-forts des montagnes des Ansariés. Une partie de cette plaine et les premières pentes qui se voient à l’est-quart-nord forment le district de Chàra. À l'ouest, entre la plaine et la mer, sur les premiers gradins des montagnes, vers Safita, s'élève le village de Fléaï. Les pentes douces qu'il couronne sont des terrains calcaires émaillés çà et là de beaux bouquets de chênes-verts, entourant des tombeaux an- sariés aux coupoles d'une blancheur éclatante. Je traversai la plaine en remontant le cours du Nahar el-Kali- feh, qui, grossi du Nahar-Rouz, descendu des montagnes du Chära, constitue de la sorte le principal affluent du Nahar el-Ké- bir dans celte partie de son cours. Ce ruisseau forme la limite nord du canton de Chàra et partage la plaine en deux parties, connues sous le nom de Sahel el-Bordj et Sahel el-Kérab. On peut retrouver, je crois, dans le nom du Nahar el-Kalifeh le souvenir d’une dénomination territoriale du moyen age; car 23. 332 — nous savons par Guillaume de Tyr que, de son temps, cette par- tie du comté de Tripoli était nommée la Terre au Calife. Le district montueux de Safita, qui est devant moi, et celui de El-Hosn, qui s'étend à l'est, forment, à proprement parler, l'extrémité sud de ces montagnes, qui se prolongent vers le nord jusqu’à Antioche, où elles sont limitées, ainsi qu’à l’est, par la vallée de l'Oronte. C’est par l'étude de ce dernier district que nous allons commencer. Le Hosn forme une région très-étendue, généralement mon- tueuse et ne renfermant qu'une petite plaine nommée Poukheïa el-Hosn (c'est la Boqué des historiens des croisades). Cette plaine forme un grand bassin borné. au nord par les pentes du Djebel- Ksaiïr, qui s'étendent jusqu'au village de Tell-Djordan; et, à par- tir de ce point, à l'est et au sud-est, jusqu’au Ouady-Kaled, règne une série de mouvements de terrain rocailleux formant le Ouar el-Hosn (ou rocaille du Hosn), au delà duquel s'étend un district qui prend le nom de Ouar de Homs. La population du Hosn se compose en partie d’Ansariés et en partie de chrétiens. Ces derniers y sont assez nombreux pour qu'on ait dû leur donner un mudir ou gouverneur particulier. On trouve également dans ce canton un assez grand nombre de musulmans Dendechlis. Les chrétiens appartiennent générale- ment au rite grec schismatique, habitent surtout le Ouady-Rawil et passent pour très-belliqueux. Les montagnes peu élevées du district de Chàra, en fermant la Boukheia vers l’ouest, en font une véritable cuvette, dont le fond est complétement uni. Son altitude au-dessus du niveau de la mer est d'environ 408 mètres. Au nord-ouest de cette plaine, sur une colline reel du massif du Chära, s'élève la forteresse de Kalaat el-Hosn, qui a donné son nom au district: Àu moyen âge, ce château fut appelé le Krac des Chevaliers; il appartenait aux hospitaliers de Saint- Jean et sa masse imposante donne une grande idée de la puïis- sance de cet ordre militaire. Un ravin profond, nommé Ouady- Kéraibeh, sépare le massif du Chäâra de l'extrémité sud de la montagne des Ansariés. C’est au fond de cette vallée, à environ trois kilomètres du château, auprès du monastère grec de Saint- Georges, que je visitai le Fouar ou source sabbatique, dont les eaux réunies à celles du Ouady-Kéraïbeh donnent naissance au — 333 — Nahar-Rouz, le principal affluent du Nahar el-Kalifeh. La source ne jaillit que tous les trois ou quatre jours; l’arrivée de l'eau s’an- nonce par une détonation sourde et puissante, suivie d’un roule- ment qui, d'abord lointain, va toujours en se rapprochant; enfin des torrents d’eau s’échappent de la caverne et se précipitent dans la vallée. À droite et à gauche existent dans le rocher des failles, qui, elles aussi, se transforment alors en sources jaillissantes. Les eaux coulent pendant plusieurs heures, quelquefois durant une demi-journée, puis elles s'arrêtent. La durée ordinaire de linter- mittence est de quatre jours; quelquefois, elle est plus considé- rable. Il est de tradition qu'en 1822, à la suite du tremblement de terre qui détruisit Alep, une année s'écoula sans que l’eau jaillit une seule fois. Dans le nom de Nahar es-Sabté, que le Fouar porte encore de nos jours, il est facile de retrouver la ri- vière sabbatique de Josèphe, près de laquelle vint camper Titus, quand, au retour du siége de Jérusalem, il se dirigeait vers Ra- phanéa. La source est à 318 mètres au-dessus du niveau de la mer. Un contre-fort des montagnes des Ansariés, nommé le Djebel es-Saieh, que je franchis en me dirigeant vers Safita, sépare le bassin du Nahar el-Kébir de celui du Nahar el-Abrasch, dont j'ai exploré le cours inférieur pendant mon séjour à Safita. Dans cette excursion, je visitai le village de Turkab, où se rencontrent à chaque pas des débris antiques. Au centre se trouve une belle citerne, parfaitement! conservée , qui sert encore aux habitants; elle parait remonter au temps du Bas-Empire. A l’est, dans les jardins, se voient quelques vestiges d’une grande construction antique et quelques fragments épars d’une inscription grecque, malheureusement dépourvue d'intérêt. De là j'allai à Semkeh, où je fis une courte halte chez le scheik, dont les femmes, au nombre de quatre, étaient occupées à nettoyer du coton. À quelque distance des habitations, je péné- trai dans un massif de vieux oliviers sauvages; là sont des ruines nommées £l-Deir, qui doivent être les restes d’un couvent, ainsi que l'indique leur nom. Plusieurs arcades fort surbaissées sont tout ce qui en reste. Sur quelques pierres, je remarque des croix, et un peu plus loin une inscription tellement fruste que je n'ai pu en copier une seule lettre. Reprenant bientôt ma route, et inclinant au sud, je me diri- — 33h — geai vers les ruines de Kalaat el-Areymeh, jadis possession des chevaliers du Temple. Il me faut traverser le Nahar el-Abrasch pour atteindre ce château, établi sur le sommet d’une colline qui commande la vallée. Cette forteresse est dans un état de ruine fort avancé. Après deux heures consacrées à photographier et à prendre des angles, je regagnai Safita en remontant la vallée de l'Abrasch. | Avant de continuer le récit de mon exploration, permettez- moi, Monsieur le Ministre, de dire quelques mots sur les popu- lations du pays que je viens de décrire, et sur celles des autres cantons de ces montagnes. Des divers renseignements que j'ai pu recueillir durant mon voyage et des notes qu'a bien voulu me communiquer M. Blanche, vice-consul de France à Tripoli, il résulte que la population An- sariée se divise en achairs ou tribus, dont les principales sont : les Kaïatin, les Motaouara, les Chamsin et les Rosselan, qui ha- bitent plus particulièrement le pays de Safita. Voici d’ailleurs un tableau statistique dressé sur les données les plus dignes de foi : Less Raratinies en. ARRET LES AMI ERA MER 24,000 Les Haddadineh........ RE RE PES 11,000 és Nonasserd :2UNT: M0 PRE En ddr 10,000 Les Motaouarast ee. ALL EM EE. HU: RE h,o00 Lesshosselan : A lait. a. 48e Lué: 4 { Les Chaine Sri Rs EE Re Les louachera, . 700 RU En EN PISE ee Tres Kafahiles 200. 600 0e MERE Le Les Rochaoun ...... LME, CROIRE ER Les Mhebes. sn, ARE el Dans le district de Safita, les chrétiens appartenant au rite grec sont répartis en cinq villages : Bordj-Safita, Meschta-Beit el- Kalou, Yézidieh, Beit-Sbat et Djenin; ils forment une population d'environ 4,000 âmes. Les Maronites, au nombre de mille, occu- pent Meschta-Beit-Serkis, Bsarsa et Adida. Je ne m'étendrai pas ici sur la forteresse de Safita, ayant à revenir plus tard sur ce sujet. . | Au sortir de ce village, après avoir traversé l'Ouady-Bouéré, je m'engageai, pour gagner les hauteurs qui forment le bassin du Ouady-Kéis, dans un ravin, tributaire du Ramka, cours d’eau assez considérable qui prend sa source dans lOuady-Bouéré et se — 335 — jette dans la mer entre Amrit et Tortose. Chemin faisant, je ren- contrai des femmes ansariées; mais quel ne fut pas mon étonne- ment en les voyant s'enfuir à mon approche, comme de véritables sauvages! Après deux heures de marche environ, j'atteignis le village de Tocklé, où je fis une halte d’une heure et demie, pour lever la tour qui le domine, et que je crois avoir été un poste des Templiers. Je fis ensuite l'ascension d’une colline, surmontée du Koubbet où l’on voit le tombeau de Naby-Zaher, et qui est con- nue dans le pays sous le nom de ce personnage. Je pris de là des recoupements sur les montagnes de Daharet-Teffaha, de Naby- Metta et de Naby-Saleh. Devant moi, sur les pentes de la colline qui est au nord-est, s'élève le petit palais de Drékisch, qui sert aujourd'hui de sérail au gouverneur turc de Safita. C'était l'habi- tation du célèbre Ismail-Kaïer-Bey, qui, après avoir joué un grand rôle dans la montagne des Ansariés de 1854 à 1856, finit d’une manière si tragique à Aïn el-Karoun, trahi et mis à mort par ses propres parents. Après une courte halte chez le mutzellim turc, je remonte à cheval et prends le chemin des ruines de Hosn-Suleiman. Il était une heure quand, au sortir du village de Drékisch, je passe pour la première fois près d’un de ces petits tombeaux si communs dans la montagne des Ansariés. H est ombragé par un bouquet de chènes-verts, auxquels leur taille colossale permet d'attribuer une ancienneté fort reculée. Durant le cours de notre voyage dans ces montagnes, nous eûmes fréquemment l'occasion d'observer de ces grantis arbres, qui semblent avoir formé la principale essence forestière antérieurement au défrichement, quand, à une époque fort ancienne, la chaîne des monts Bargylus était, comme le Li- ban, couverte de forêts verdoyantes. À parür de Drékisch, la route suit le sommet d’une longue crête, s’élevant graduellement et ayant au nord le Ouady-Kéis, tandis qu’au sud descend une série de ravins tributaires du Ramka. Vers deux heures quarante minutes je suis au point culmi- nant de la crête, qui est à 1,032 mètres au-dessus du niveau de la mer. En ce lieu se trouvent trois gros arbres qui se voient de toute la contrée environnante. Aussi ce point est-il merveilleuse- ment choisi pour servir de lieu de station géodésique, car de là la vue embrasse tous les sommets d’alentour. {C'est ici que je commence à apercevoir des affleurements de roches ignées; toutes — 330 — les pentes que nous venons de gravir sont donc Îles témoins cal- caires des soulèvements plutoniens qui ont produit les sommets de la montagne des Ansariés. H est deux heures cinquante-six minutes quand je me remets en marche. Descendant par une pente rapide, ma petite caravane atteint l’origine d’une vallée qui prend naissance au pied même du Naby-Saleh, et j'y aperçois, au milieu des massifs d'arbres, les ruines de Hosn-Suleiman, où je suis rendu en moins de trois quarts d'heure. ë La première chose qui frappe le regard du voyageur arrivant au milieu ‘des ruines de l’ancienne Baétocécé est une vaste en- ceinte carrée de 144 mètres de long sur 90 de large. Son tracé est irrégulier et affecte la forme d’un trapèze, ce qui, comme en- semble général, donne à son plan quelque analogie avec celui su Haram cb Schérif de Jérusalem. C’est le plus beau spécimen d’enceinte sacrée ou Téuevos exis- tant encore en Syrie. Trop peu d’édifices de ce genre ont jusqu'ici été signalés pour que celui-ci ne me paraisse pas mériter une vé- ritable monographie, à laquelle je joindrai l’étude des divers dé- bris d'édifices semblables que je rencontrai dans le cours de mon voyage. Dans l'antiquité, on désignait sous le nom de Téuevos un champ ou un espace enclos, généralement au milieu d’un bois sacré, fermé au vulgaire et réservé au culte d’une divinité ou con- sacré à la mémoire d'un héros; on n’y laissait pénétrer le peuple qu'aux époques de certaines fêtes. Au centre de ces enceintes, habituellement plantées d'arbres, s'élevait un autel sur lequel on offrait alors des sacrifices. Plus tard aux autels on substitua des temples qui occupèrent le milieu de ces enclos sacrés, et le mot de réuevos devint à la longue synonyme de vas. La coutume d’entourer de la sorte les lieux de dévotion ou de pèlerinage paraït être originaire de l'Asie, d'où elle fut apportée en Grèce, car Pausanias mentionne fréquemment sous ce nom des enceintes sacrées. Dion Cassius désigne sous le nom de Téueros l’ensemble du temple de Jérusalem, en parlant de la prise de cette ville sur Antigone par Caius Sossius. L’enceinte du Haram d'Hébron n'est 3 Planche I. elle-même autre chose, et nous possédons une inscription grecque publiée par M. Letronne, mentionnant l'érection et la dédicace du réuevos d'Osiris à Philæ par Ptolémée Évergète. À ce sujet, le savant helléniste fait remarquer qu’au temps des Séleucides ce mot, bien qu'étant synonyme de vaôs, avait cependant une double acception, car il désignait également une enceinte sacrée, ou le temple et ses dépendances, et non plus seulement larea, mais l’ensemble du sanctuaire. Nous savons par plusieurs textes de l'antiquité, notamment par Hérodote et par Lucien, que l’on voyait diverses espèces d’ani- maux et d'oiseaux apprivoisés vaguant dans ces enceintes et dans les temples des dieux, en particulier à Hiérapolis. Ce mot s’étendit également aux terres consacrées; car nous trouvens dans Platon (De Legibus) la mention de trésoriers des temples chargés de toucher les loyers des réuevos. L'enceinte qui nous occupe, et dont les planches qui accom- pagnent ce rapport donnent une idée exacte, est construite en blocs mesurant de six à neuf mètres de long sur une hauteur qui varie entre deux et trois mètres !. Quant à l'épaisseur, elle est en moyenne de 0”,98 à 1",10. Leur mode de jointoiement et d’ap- pareïllage est identique à celui qu'on rencontre dans l’édifice d'Araq el-Émir, récemment étudié par mon savant ami M. de Saulcy, et depuis peu par M. le duc de Luynes. Quatre portes aux formes pyloniques donnent accès dans cette enceinte. Leurs linteaux sont formés de gigantesques monolithes. Sur l’un des pieds-droits de celle qui s'ouvre au milieu de la face nord de l'enceinte, et qui paraît avoir été de tout temps l'entrée principale de ce sanctuaire, se lit l'inscription ? déjà publiée par Bæœckh; mais, comme j'ai trouvé dans le texte du sa- vant épigraphiste quelques inexactitudes, je crois qu'il ne sera pas sans intérêt d'en donner ici une nouvelle copie, collationnée, d'après mon estampage, par M. Waddington, membre de lInsti- tut, qui a bien voulu m'aider dans cette partie de mon travail. Dans son axe et à peu près au centre de l'enceinte s'élève un petit temple pseudo-périptère d’ordre ionique, qui ne parait pas avoir été terminé *. ! Planche Ii. 2 Planche HI. 3 Planche IV. — 338 — En avant du péristyle, sur un large palier séparant en deux le perron du temple, se voit un: autel que, à certaines dispositions, je crois avoir dü être couvert d’un revêtement de bronze. Malheureusement-le tremblement de terre qui ruina les tem- ples de Baétocécé semble avoir particulièrement maltraité celui- ci. Aucune colonne du péristyle n’est restée debout, et, des co- lonnes engagées qui décorent la cella, deux seulement ont con- servé leurs chapiteaux. Quant aux trois autres portes !, elles sont à coup sûr plus an- ciennes; mais le profil de leurs moulures, le dessin des niches qui les flanquent et surtout le style du bas-relief du sofite, ainsi que les victoires et les télamons dont elles sont ornées, ne per- mettent pas de les considérer comme de beaucoup antérieures au premier siècle de notre ère. | Le bas-relief qui orne le sofite de ces quatre portes représente un aigle entre deux génies, tenant un caducée dans ses serres, ainsi qu'on peut le voir par le bois suivant. HUE | Pour ce qui est de l'enceinte elle-même, on doit remarquer 1 Planche V. — 339 — cette particularité que les grands blocs sont établis sur des assises d'un appareil beaucoup plus petit, et qui ne semblerait pas de- voir être attribué à une époque antérieure à la domination des Séleucides. Or ce même fait de la superposition de blocs gigan- tesques à des assises rentrant dans les dimensions ordinaires de l'architecture classique a été également observé à Baalbek par un habile architecte, M. Joyau, qui a bien voulu m'envoyer les deux dessins relatifs à cette localité, joints à ce rapport!; et ce même fait peut être facilement constaté à Naous. Voilà donc une particularité qui se reproduit dans trois en- droits différents. Ainsi répétée, on ne saurait plus la considérer comme le résultat d’un simple hasard, et elle semble devoir être prise en grande considération dans l'étude, tant controversée de- puis quelque temps, de l'antiquité plus ou moins grande des cons- tructions en blocs gigantesques qui se remarquent en diverses localités de la Syrie; car l’usage d’entourer les réuevos de mu- railles formées de blocs de grande dimension a été fort répandu dans cette contrée. Les célèbres blocs qui se voient encore sur les faces sud et ouest du temple de Baalbek, dont nous venons de parler, et ceux dont la présence a été récemment constatée par des fouilles sous la face orientale du grand temple, me paraissent être les restes d'une enceinte analogue à celle que nous trouvons ici, mais élevée avec des matériaux bien autrement grandioses et bien antérieurs aux temples construits à l’époque romaine. Aux deux angles de la face nord de lPenceinte se voient deux lions sculptés en ronde bosse. Celui de l'angle nord-ouest est pré- cédé d’un cyprès sculpté dans le même bloc. Ce sujet mytholo- gique n'a rien ici qui doive nous surprendre, car nous trouvons, au revers des monnaies d’Aradus frappées durant la période ro- maine, le cyprès s’élevant entre un lion et un taureau. D’après le savant M. Lajard, le culte de Jupiter chez les Syriens et les Phéniciens paraît avoir été la continuation directe du culte de Baal, à qui nous savons que le cyprès pyramidal fut aussi consacré. Un autre groupe d’édifices nommé El-Déir s'élève à quelques pas au nord-ouest des ruines que je viens de décrire ?. On y voit un petit temple à antes, assez bien conservé, puis les 1 Planches VI et VIT. 2 Planches VII et IX. .— 340 — restes d'un vaste édifice construit en blocs du plus bel appareil. Quelle fut sa destination? Je l’ignore; mais peut-être ne serait-1l pas téméraire dy voir le collége des prêtres de Jupiter Baétocétien. Dans le cours de ma seconde excursion, je visitai les sanc- tuaires de Naous, qui s'élèvent sur l’un des contre-forts du Liban, dominant la fertile plaine du Koura. Deux temples prostyles d'ordre corinthien, jadis entourés d'enceintes sacrées, se voient encore. Le premier est précédé d’une porte donnant accès jadis dans le réuevos, mais dont il ne reste plus que les pieds-droits monolithes. À 85 mètres environ en arrière s'élève le second temple, presque entièrement ruiné; mais l'enceinte qui l’envi- ronne est encore très-reconnaissable. La porte par laquelle on pé- nétrait dans le réuevos est en tout point semblable à la première, mais mieux conservée. Vers l’ouest, un mur de soutenement, composé de blocs de moyen appareil, taillés en bossage et assemblés sans ciment, forme une terrasse dominant toute la plaine et détermine de ce côté le réuevos, qui, au nord et à l’est, se trouve circonscrit par des murailles en gros blocs, taillés avec le plus grand soin. Sur la face nord, où s'ouvre la porte, la muraille est plus épaisse et les blocs qui la composent sont établis par boutisses et paneresses. Les boutisses donnent toute l'épaisseur du mur, tan- dis que deux paneresses parallèlement établies donnent une égale largeur. Tous ces blocs sont de fort grand appareil et mesurent fréquemment de 3,85 à 5",40 de long, sur 1,40 de haut, et 0,90 à 1”,10 d'épaisseur. À première vue, on sent que l’on se trouve ici devant un édi- fice de lous points semblable à celui de Hosn-Suleiman, mais élevé sur des proportions moins grandioses. Ici les jointoiements irréguliers, bien que se retrouvant encore, deviennent plus rares. Les blocs sont moins gigantesques; enfin l’on reconnaît que les mêmes traditions ont produit en plus petit un édifice presque identique, mais, selon toute apparence, postérieur au sanctuaire de Jupiter Baétocétien. | Un temple, également d'ordre corinthien, avons-nous dit, s’é- levait au centre de l'enceinte. Un stylobate, surmonté d’une mou- lure simple, mais pleine d'élégance et du meilleur style, règne à la base de l'édifice, dont le pavage est encore reconnaissable. Les murs de la cella ont complétement disparu; çà et là gisent quel- — 341 — ques beaux chapiteaux mutilés, des fûts de colonnes et des mor- ceaux d’architrave qui, par leur masse, ont résisté jusqu'à pré- sent aux tentatives des villageois d’alentour, lesquels malheureu- sement exploitent ces ruines comme une carrière et brisent chaque jour quelqu'un des beaux blocs qui forment les murailles de l’en- ceinte sacrée. Il n’en restera bientôt plus de traces, si cet état de choses doit se prolonger encore un certain nombre d'années. Ces deux temples semblent n'avoir pas été entièrement ache- vés. Le premier a encore une grande partie de sa porte dont les moulures ne sont qu'ébauchées, et les bases des colonnes ne sont que dégrossies. Quelle date doit-on assigner à cet ensemble de constructions? Telle est la première question qui se pose au moment où com- mence l'étude d’un monument antique, et je pencherais fort à croire qu'on devra attribuer à ces ruines de Naous une date con- temporaine du premier siècle de notre ère. Ce fut de Hosn-Suleiman que je fis l’ascension des deux mon- tagnes de Naby-Metta et de Naby-Saleh. Quittant notre campe- ment à onze heures du matin, et après avoir passé le village: de Aïn el-Dehab, j'atteignis rapidement le col qui sépare les deux sommets, au milieu duquel s'élève un piton de rocher que cou- ronnent les restes d'un petit château, nommé Kalaat el-K oleiah. Tout permet de croire que nous retrouvons là un poste militaire des croisades appelé château de la Colée. Sa position même nous donne l’étymologie de ce nom, car il gardait le col par où passait probablement au moyen âge une route se dirigeant vers le chà- teau de Mons-Ferandus, dont nous verrons plus tard les ruines dans la localité moderne de Baarin. La pente qui conduit au sommet du Naby-Metta est encom- brée de blocs de basalte arrondis; les fougères poussent en abon- dance sur le plateau qui couronne la montagne. L'observation barométrique que j'ai faite à l’oualy même, c'est-à-dire au point culminant, denna pour ce lieu une altitude de 1,197 mètres. Ce Naby-Metta ne peut s'identifier avec un autre lieu du même nom situé en face de Kalaat el-Médick, et signalé par Burckardt comme le point culminant de cette chaîne de montagnes, visitée depuis par le lieutenant Walpole. D'ici le regard en embrasse les principaux sommets : au nord-ouest et à peu de distance s'élève la montagne de Soulthan-Ibrahim, qu'ombrage un bouquet — J42 — d'arbres magnifiques; à l’ouest, on voit celle de Daharet-Teffaha ; au nord se déploient les montagnes de la Kadmousieh, que do- minent le Djebel er-Ras et le Naby-Schit; entre ces deux pitons on distingue la petite ville de Kadmous. J'effectuai mon retour au camp en passant par le sommet du Naby-Saleh, où lobservation barométrique me donna une alti- tude de 1,140 mètres. Cette cote, on le voit, se rapproche beau- coup de celle de Naby-Metta. Je regagnai Hosn-Suleiman en traversant un joli bois de chênes-liéges qui couvre les pentes occidentales de la montagne. Voici les remarques que j'ai pu faire relativement au costume des Ansariés. Leurs vêtements sont presque tous blancs, cette couleur étant considérée comme sacrée parmi eux. Une longue chemise de coton ouverte sur la poilrine, avec de larges manches pendantes, forme la principale partie de leur habillement, que complète un turban blanc. Quelques-uns seulement d’entre eux portent des vestes de drap foncé et de larges pantalons ou scher- wal, quand ils montent à cheval. À l'exception des moqaddems ou:chefs de villages, j'ai vu peu d'Ansariés porter des chaussures. Les enfants restent nus jusqu'à l’âge de dix ans environ. Quant aux femmes, leur costume semble consister également en une chemise de coton, une jaquette et un pantalon se serrant à la cheville; elles sont coiffées d’un tarbouche avec un mou- choir et n’ont pas l'habitude de se voiler, si ce n’est quand un étranger, qui n’est pas leur hôte, paraît s'occuper d'elles d’une manière insolite. J'ai eu lieu de faire à leur sujet une remarque assez singulière. Parmi toutes les femmes ansariées que je vis en assez grand nombre durant mon séjour dans la montagne, il n'en est pas une dont les vêtements ne fussent d’une cotonnade à raiés alternativement rouges et brunes, et d'une largeur has à de deux à trois centimètres. Le 24 septembre, nous quittâmes Hosn-Sulerman. Notre route suit, pour la contourner, l'extrémité sud des monts Ansariés et nous ramène vers le Kalaat el-Hosn, dont j'ai déjà parlé, en traversant les villages de Meschta, d'El-Aïoun, etc. Je note, en passant, ce dernier hameau, qui, je crois, s’identifie avec un ca- sal cité dans le recueil de Sébastien Paoïi, à propos d’une con- testation de propriété qui s’éleva entre les Hospitaliers du Krac et les Templiers de Tortose. 343 — Nous campions le même soir au couvent de Saint-Georges, déjà cité, et, après une nouvelle journée consacrée à revoir le Kalaat el-Hosn, je me dirigeai vers Massiad , en remontant une partie du Ouady-Rawil, et franchissant la montagne de Djebel- Ksaïr, qui forme les pentes orientales de cette vallée. Après avoir fait halte dans les villages de Douerlin et de Mouklos, j'arrivai au sommet à une heure trente minutes. En ce moment, l’observa- tion barométrique donne une altitude de 1,152 mètres au-dessus du niveau de la mer. À cinq heures, après avoir suivi des pentes que couvrent de tous côtés de belles cultures de vignes, je vins camper dans une petite plaine nommée Ard-Raphanieh, à l'ex- trémité ouest de laquelle se trouvent les ruines de Raphanieh. C'est la Raphanea citée par Josèphe, par Pline, et qui est men- _tionnée dans le Synecdemos de Hiéroclès. Ge fut au moyen âge un fief des Hospitaliers de Saint-Jean; mais 11 n'y a plus rien de remarquable dans les restes de cette ville, sinon quelques sarcophages sans inscriptions, et sur un tertre voisin les débris d’un édifice dont les murailles semblent avoir été d'appareil cyclopéen. Quelques traces de la nécropole se voient encore près de là, dans le fianc de la montagne; mais un éboulement de rochers l’a presque ensevelie. Sur la colline qui domine le Ard-Raphanieh s'élèvent les ruines du château de Baarin, déjà signalées par Burckardt. Sous le nom arabe de Baarin, nous retrouvons ici le Mons-Ferandaus des croi- sades, qui n'est plus qu'un monceau de décombres depuis le siége de cette place par latabek Zengui. Ces ruines furent ensuite données, en même temps que le Krac, aux Hospitaliers de Saint- Jean par le comte de Tripoli. Aboulfeda attribue la fondation de cette forteresse aux Byzantins, et je serais assez disposé à me ran- ger à cette opinion, d’après l'examen de certaines murailles en- core debout. Le lendemain, après avoir passé la matinée à parcourir lés ruines de Raphanea, je me dirigeai vers Deir-Soleib, où Burc- kardt indique des ruines importantes. Chemin faisant, je fran- chis à pied sec le Saroudj. Une grande déception m'attendait là, car ces ruines se bornent tout simplement aux restes d’un mo- nastère byzantin dépourvu de tout intérêt archéologique. Le 28 septembre, je me dirigeait de bonne heure vers Mas- — 944 — siad, où je parvins avant neuf heures du matin. Le château sé- lève sur un rocher d'environ une dizaine de mètres de relief, au pied même de l’escarpe de la montagne des Ansariés, qui est presque à pic de ce côté. C'est ici le lieu de noter un caractère constant dans le soulève- ment de ces montagnes. Elles forment une crête des plus abruptes vers l’est, tandis qu’elles s’abaissent vers la mer par une série de contre-forts que sillonnent de nombreuses vallées. Après une visite faite au gouverneur de Massiad, que je trou- vai fort pauvrement vêtu, je me mis à parcourir les ruines du château, où je vis la voûte décrite par Burckardi et où se lit le nom du mamelouk Toula. Des maisons modernes ont remplacé les ruines du vieux chà- teau des Ismaéliens. Je n’y remarquai que deux inscriptions arabes très-ornées, mais qui sont placées beaucoup trop haut pour qu’il n'ait été possible de les estamper. Au bas du château est le village, dont il n’y a rien à dire après la description qu’en a donnée Burckardi. Comme ce lieu n'offrait aucun sujet d'étude intéressant, je me décidai à m'acheminer directement sur Hamah. J'ai rarement vu dans mes voyages, même au cœur de l’Arabie Pétrée, quelque chose d'aussi triste et d'aussi désolé que la première partie de notre route. Pendant cinq heures environ, le chemin traverse un pays horriblement tourmenté, mais sans caractère topographique nettement accusé et où les accidents du terrain sont trop peu éle- vés pour être indiqués à une échelle géographique quelconque. Vers six heures, je traversai sur un pont de deux arches l'ouad qui prend naissance au pied du château de Massiad, et dont je n’ai pu me procurer le nom d’une manière exacte au point où nous le traversons. Au delà de ce cours d’eau les cul- tures reprennent. Devant nous, à l'horizon, se voient les som- mets des montagnes du Djebel-Arbaïn et du Djebel-Zéin el- Abdin, qui m'indiquent la position de la ville de Hamah. Nous passons près de deux campements arabes, et comme il fait déjà nuit noire, je campe à sept heures du soir au village de Ktesin. _ Le 29 septembre, moins de deux heures de marche m’ame- naient à Hamah, où je trouvais, chez l'agent consulaire de France, M. Hecquard, notre consul à Damas, et M. Bell, attaché à l’am- bassade de France à Constantinople. | PO) —= Après m'être repose pendant plusieurs jours, j'entrepris une course sur la rive droite de l'Oronte vers Selmieh, à la lisière même du désert. Pour cette excursion, une escorte ayant été Ju- gée nécessaire, deux cavaliers turcs m'accompagnèrent, outre mon drogman et mes domestiques. Parti de Hamah le 4 octobre, je suivis une route parallèle à l'Oronte, dont je remontais le cours. Vers l’est, à une distance de plusieurs kilomètres, s'élève une série de plateaux qui, de ce côté, limitent le désert. Au bout de six heures de marche, j'atteignis Selmieh, aujourd’hui Me- djid-Abad. Sur les ruines d’une ville byzantine, que la carte de Berghaus identifie avec Irenopolis, s’est fondée, peu après l’hé- oire, une ville musulmane. Là je visitai une vieille mosquée, où je recueillis quelques inscriptions couffiques, dont on doit la tra- duction ci-jointe à M. Sauvaire, drogman-chancelier du consulat général de France à Beyrouth. La première est sur une pierre tumulaire près du mur de la mosquée : « Dieu est un; c’est le Dieu éternel; il n’a point enfanté et n’a point été enfanté (Coran, sur. ex). Ô mon Dieu! accorde la bé- nédiction à ton serviteur Abou-Abd-Allah el-Hoseyn, fils de Mo- hammed le... I mourut en l’année 262 de l’hégire (875 de notre ère); que le salut et la paix reposent sur le Prophète, sur sa famille et ses Compagnons!» L'autre est relative à la restauration de cette mosquée, en l’an 481 de l’hégire : « Au nom du Dieu clément et miséricordieux, ce méchehed a été restauré sur ses vestiges bénis par El-Malek el-Âziz-Abou ‘1-Ha- san-Aly-Ebn-Djerir, que Dieu lui fasse miséricorde, avec les bien- faits de l’émir illustre, l'assisté (de Dieu), le soutien du royaume Seif ed-Daoulah-Khalaf-Ebn-Molaeb, que Dieu perpétue son élé- vation , et cela en l’année 481 (1088 de notre ère). » Dans la petite forteresse voisine se trouvent de nombreux dé- bris byzantins, qui ne sont pas sans quelque intérêt. Je visita également, pendant mon séjour à Selmieh, les ruines du chà- teau de Schoumaïmis, dont l'historien d'Alep, Kemal-Eddin- Abou-Hafs-Omar attribue la reconstruction au Malek-Moudjahid. Les annales d'Aboulféda nous apprennent que cette forteresse fut livrée en 645 de l'hégire par Malek el-Aschraf, prince de Homs, à Malek-Salch-Aioub. Ce château couronne une colline conique de calcaire marneux , MISS. SCIENT., — III. 2. 340 — dont le sommet parait avoir été aplani de main d'homme pour re- cevoir le château, qui présente une grande analogie avec celui d'Alep, encore plus ruiné malheureusement. La forme générale de cette forteresse est un cercle avec des flanquements dont la saillie est presque nulle. En revenant vers Hamah, je passai sur la rive gauche de lO- ronte, où je fis la reconnaissance topographique de Djebel-Ar- baïn : le point culminant de cette montagne est à 723 mètres au-dessus, du niveau de la mer. Je ne parlerai pas de Hamah, qui à été longuement étudié par mon savant devancier, M. Wad- dington. Le 7 octobre, je vis arriver dans cette ville M. Vignes et son compagnon, de retour de leur expédition à Palmyre. La Journée du 8 fut employée à déterminer la position astronomique de Hamah, qui n'avait jamais été fixée d’une manière satisfaisante. Nous nous séparames ensuite, eux se dirigeant vers la Méditerra- née et moi vers Alep. Le 10, accompagné de deux bachi-bouzouk, qui doivent ve- nir avec moi jusqu'à Marrah, je quittai Hamah, en contournant le pied du Dijebel-Zeïn el-Abdin, que je rangeai à droite de ma route à dix heures. Nous fimes halte au village de Taybeh, dont l'altitude au-dessus du niveau de la mer est de 369 mètres. Je repris bientôt ma route dans la direction de Khan-Schei- koun, où je passai la nuit. Durant toute la journée, je suivis la limite du désert. Je traverse, en me dirigeant au nord vers Mar- rah, une plaine qui semble bien cultivée. Parti à quatre heures du matin, j'atteins cette ville à neuf heures et j'y laisse les deux bachi-bouzouk d’escorte qui m'ont été donnés à Hamah. Au sortir de Marrah, la route s’infléchit nord-quart-ouest dans la direction de Sermin, où nos tentes se dressèrent après six nouvelles heures de marche. Parti le 12 au matün de ce village, je me dirigeai au nord-est et rencontrai successivement dans la journée les villages de Tell-Hyeh, de Teftanaz, Afis et Bennisch. À onze heures et demie, je passe auprès d’un tertre assez élevé nommé- Djebel- Aissa. À droite, au delà du Kouïik, se voient les villages de Zirbah,; El-Hader et Zeitoun. À trois heures et demie, notre camp s'établit dans une belle prairie, au bord de la rivière, près du village de Khan-Touman, et, le 13, j'étais de bonne heure à Alep. — — Je quittai cette ville le 15 octobre, et, en passant par Serbès, j'allai camper le même jour à Tedef, village habité par des Juifs, et où se trouve en ce moment une grande partie de la population israélite d'Alep, venue pour y célébrer la fête des Tabernacles. Dans ce village existe une synagogue sous laquelle se trouve une grotte où, d'après la tradition locale, le prophète Esdras aurait habité quand il écrivit le livre qui porte son nom. Sur une colline au nord-ouest se voit une grande mosquée, et à mi-côte un village en ruines, nommé El-Bab; c'est celui dont parle en ces termes l'historien arabe Ibn-Djobaïr : «Il y a dans une vallée près de Bozaa’h une grande bourgade nommée El-Bab, qui sert de passage entre Bozaa’h et Alep. Elle avait pour habi- tants depuis quatre-vingts ans une peuplade d'hérétiques Ismaé- liens, dont Dieu seul pouvait compter le nombre. Leurs étincelles voltigèrent, leur méchanceté et leurs méfaits interceptèrent cette voie de communication. Mais enfin un mouvement de zèle s’em- para des habitants de ce pays, la honte et l’indignation les exci- tèrent; ils se réunirent contre eux de toutes parts, les passèrent Le ruisseau qui passe à Tedef est considéré par le major-géné- ral Chesney et par le docteur Ainsworth comme le Daradax de la retraite des Dix-Mille. De Tedef, en visitant les ruines d'Areymeh, qui ne m'offtirent rien d'intéressant, si ce n'est l'inscription très-fruste d’une borne milliaire, sur laquelle on peut encore déchiffrer le nom de l’em- pereur Trajan, j'atteignis, le 17, le site de Membedj, l’ancienne Hiérapolis, où existait Jadis le temple dans lequel se célébrait le culte de la déesse de Syrie, que nous connaissons par le traité at- tribué à Lucien. Cette ville se voit, au milieu d’un plateau rocailleux, à dix ki- lomètres de l’Euphrate. L'altitude de ce point au-dessus du niveau de la mer est d'environ 447 mètres !. À première vue, en arrivant au milieu de ces ruines, on re- connaît la topographie des sanctuaires décrits par l'auteur grec. Ammien Marcellin, en citant Hiérapolis comme la plus célèbre ville de la Commagène, lui donne pour fondateur Ninus l’ancien. Parmi les Syriens, elle ‘porta d’abord le nom de Maboug; les | Planche X. — 548 — Grecs lappelèrent Hiérapolis, et ce ne fut que dans les premiers temps du christianisme qu'elle reprit son nom primitif. Au sud-ouest des ruines se voit encore à demi desséché le lac où se trouvaient les poissons sacrés, et sur les bords duquel se cé- lébrait la cérémonie de la descente au lac, dont l’auteur du traité de la déesse de Syrie nous fait le récit en ces termes : «A peu de distance du temple est un lac dans lequel on nour- rit une grande quantité de poissons de toute espèce. Quelques-uns sont d’une grosseur monstrueuse; ils ont des noms particuliers et ils viennent lorsqu'on les appelle. Il ÿ en avait un de mon temps qui portait un ornement d’or. C'était une fleur de ce métal sus- pendue à sa nageoire. Je l'ai vu souvent, et il portait son orne- ment d'or. «La profondeur du lac est considérable; je ne l'ai point son- dée, mais on m'a dit qu’elle descendait à plus de deux cents or- oyes. Au milieu de ce lac s'élève un autel de marbre. Au premier coup d'œil, on dirait qu'il flotte sur les eaux, et la multitude le croit ainsi; Mais mo1 Je pense que l'autel est soutenu sur une haute colonne. En tout temps il est couronné de guirlandes, et l'encens y fume sans cesse. Plusieurs personnes s’y rendent cha- que jour à la nage, pour y faire leur prière et ke couronner de fleurs. «On célèbre encore à Hiérapolis de grandes solennités; on les appelle les descentes au lac, parce que, en ces fêtes, toutes les statues des dieux descendent sur les bords du lac. Junon s’y rend la première en faveur des poissons et pour empêcher que Jupiter les voie avant elle; car, si cela arrivait, on prétend qu'ils mour- raient tous. Lorsque le dieu vient pour les voir, Junon se place devant lui, empêche de les regarder et, à force de prières et de supplications, elle le congédie !. k Un peu plus loin, on trouve la colline sur laquelle s'élevait le temple. L'orientation de son grand axe est nord-quart-ouest. Malheureusement ïl n’en reste plus pierre sur pierre; à peine quelques fragments informes se trouvent-ils dans les construc- tions arabes du moyen âge qui l'entourent. J'ai pu néanmoins oh oil un cerlain nombre d'insdraitéstés arabes, qui ne sont pas sans intérêt, et; au milieu des débris du ! Lucian. De Dea Syria, 45-47 — 349 — temple, une pelite stèle antique fragmentée, représentant la déesse de Syrie, assise sur un trône soutenu par deux lions. La manière dont cette divinité, que l’on assimilait à l'Aterga- lis ! de diverses autres localités de l'Asie, et dans la conception ‘de laquelle les Grecs trouvaient des rapprochements à la fois avec Junon, Minerve, Vénus, la Lune, Rhéa, Diane et Némésis?, est figurée sur la stèle dont j'ai rapporté l'original au musée du Louvre, et est exactement conforme à la description que Lucien donne du simulacre qui se voyait dans le sanctuaire d'Hiérapolis. « Elle est assise, portée sur des lions. D’une main elle tient le sceptre et de l’autre un fuseau. Sa tête est à la fois radiée et sur- montée d’une tour. Enfin on lui donne le ceste de Vénus Uranie 5. » Les monnaies de bronze frappées dans la cité sainte de Bam- byce sous le règne d'Alexandre Sévère, et que leurs légendes dé- signent comme la monnaie de la déesse elle-même, OEAC CYPIAC, offrent à nos regards une représentation identiquement semblable“. Tous ces monuments font l'image de la déesse syrienne pres- que pareille à celle de la Cybèle de Phrygie. D’autres monnaies, également frappées à Hiérapolis sous les empereurs romains, ré- vèlent un autre type de la même divinité, dans lequel elle est as- sise directement sur un lion passant. C’est le même type que nous offre une précieuse médaille d'argent, battue sous la domi nation des Achéménides, qui, de la riche collection du baron Behr, est passée au Cabinet des médailles. Décrite, mais non ai- tribuée, par M. Fr. Lenormant°, cette pièce nous parait devoir être restituée à Bambyce. Elle montre d’un côté la déesse de Sy- rie assise sur le lion et de l’autre son dieu synthrône, que Lucien assimile alternativement à Jupiter ou à Bacchus. ! Lucian. De Dea Syria, 14. Elle est appelée AYIDY sur une monnaie frappée à Hiérapolis, sous la domination des Achéménides, par le dynaste Abd-Hadad. — Duc de Luynes, Numism. des satrap. p. 39, pl. V. — De Longpérier, Journal asiatique, 5° série, 1. VI, p. 428. — Blau, Zeitschrift der deut. Morgent. Gesellsch. 1852, p. 473. — M. Waddington, Mélanges de numismatique, p. 91. ? Lucian. De Dea Syria, 32. * Lucian. De Dea Syria, 32. 4 Mionnet, Descr. de méd. ant. t. V,p. 141, n° 51 et 52. — Ch. Lenormant, Nouv. gal. mythol. pl. XI, n° 4-7. * Mionnet, t. V,p.140, n° 50: 142, n° 57. -— Lenormant, Nouv, qal, mythol. pl. XIII, n° 8 et 9. ® Catalogue Behr, pl. HE, n° 1 — 350 — | Dans ce second type, la déesse d'Hiérapolis prend une saisis- sante ressemblance avec l’Anaïtis babylonienne, que les cylindres nous montrent si souvent debout sur un lion passant i. L'influence asiatique avait, à une certaine époque, naturalisé cette représen- tation jusqu'en Égypte: car la déesse appelée Ken, et dans d’au- tres cas Anata (Anaïtis), est figurée, dans les sculptures de plu- sieurs stèles hiéroglyphiques, debout sur le lion ?. Plus conforme encore au type des cylindres chaldéens, nous retrouvons la même image dans l’intérieur de l'Asie Mineure, sur les rochers de Ya- sili-Kaïa, au point de contact entre les deux cultes issus d’une même Grigine, et sur la frontière qui délimite la Phrygie du bassin de l'Euphrate. Ma stèle, où malheureusement la tête de la déesse est brisée (ce qui ne permet pas de connaître la forme exacte de sa cou- ronne de tours), est précieuse en ce qu'elle fournit la première représentation monumentale de la déesse syrienne, connue en dehors des médailles. Mais elle n’est pas d’une bien haute anti- quité. Elle ne remonte pas au delà de la domination romaine et du second siècle de notre ère. On y lit en effet, au-dessous du bas-relief, quelques lettres grecques, dont la forme dénote le temps des Antonins, derniers vestiges d’une inscription votive : YFEP £ 10. I est facile d'y reconnaitre le début de la formule très-ordinaire sur les monuments de ce genre : Ürép cwrnpias. Hiérapolis fut le centre religieux de toute l’Aramée, et dans la fondation de son temple nous retrouvons les mêmes traditions mythologiques, d’après lesquelles le temple de Delphes et VÉ- rechtheion d'Athènes s’élevèrent près d'ouvertures considérées comme les bouches de l’abime. Le passage suivant de Lucien nous apprend que des rites solennels, où l’eau de la mer jouait un rôle considérable, se célébraient à Membedj en souvenir de Deucalion, auquel on attribue la fondation de ce temple. « Les habitants d'Hiérapolis rapportent une circonstance tout à fait surprenante. Ils disent que dans leur contrée il se fit à la 1 Cullimore, Oriental cylinders, pl. XVIII, n° 94; pl. XXX, n° 157. — Cha- bouillet, Catalogue des pierres gravées de la Bibliothèque impériale, n° 806, 807 et 812, 2 Prisse, Monuments “prions, pi. XXXVIT. — De Rougé, Notice du musée égyptien du Louvre, C, n° 86. — Cf. Ch. Lenormant et de Witte, Élite des mo- numents céramographiques , t. IV, p. 49 et suiY, — 9391 — terre une prodigieuse ouverture, par laquelle toute l’eau fut ab- sorbée. Après cet événement, Deucalion éleva des autels, et au- dessus de l’ouverture il construisit un temple, qu'il consacra à Junon. J'ai vu l'ouverture située sous ce temple; elle est assez étroite. Fut-elle plus vaste autrefois? Est-ce par le laps des temps qu'elle est devenue telle qu'on la voit aujourd’hui? Je lignore ; mais celle que je vis est petite. Ils pratiquent encore une cérémo- nie qui est comme la preuve de cette histoire. Deux fois l’année on fait venir dans le temple de l’eau de la mer. Ce ne sont pas les prêtres seuls qui l’apportent : la Syrie, l'Arabie entière, plu- sieurs peuples qui habitent au delà de l'Euphrate descendent sur les bords de la mer et y puisent de l’eau; ils la répandent d’a- bord dans le temple, d’où elle descend dans l'ouverture, qui, malgré sa petitesse, en reçoit une assez grande quantité. » N'y aurait-il pas lieu de rechercher si l’on ne devrait pas attri- buer l’origine de cette tradition à la présence dans la ville d’un cours d'eaux souterraines, signalé par Pockoke, quand en l’année 1741 il visita ces ruines? De nos jours encore, de nombreux puits permettent de constater l'existence de ces eaux, au moins pendant une partie de l’année, et au sommet du monticule sur lequel s'élevait le temple paraissent les traces d’un puits à peu près comblé, mais pourtant encore assez reconnaissable. Lors de son expédition contre la Perse en 362, Julien l'Apos- tat, après avoir hiverné à Antioche, se dirigea vers l’'Euphrate en passant par Hiérapolis. Ammien Marcellin nous apprend que, comme l'empereur franchissait les portes de cette vaste cité, le portique de gauche s’écroula tout à coup, écrasant sous le poids de ses débris cinquante soldats et en blessant un bien plus grand nombre. En 532, Khosroës s'étant approché d'Hiérapolis et trouvant cette ville défendue par de puissantes murailles, n'osa l’attaquer; il se borna à demander aux habitants un tribut de 3,000 livres d'argent, que ces derniers, moins confiants dans leurs forces, s'empressèrent d’acquitter sur-le-champ. Deux siècles après, cette ville tomba au pouvoir des Musul- mans. Zonaras nous apprend qu'elle fut reprise par Romain Dio- gène, qui en releva les murailles pour se faire de cette place un boulevard contre l'invasion musulmane, chaque jour plus mena- çante pour l'empire de Byzance. Les Grecs ne purent la conser- — 352 ver longtemps, car elle leur fut enlevée en 1075 par Nasrle Mardaschide. Membedj fut alors prise tour à tour par plusieurs princes musulmans, et cette ville tomba en même temps que Baalis entre les mains de Tancrède, en 1111. L'année 1124 wit livrer sous ses murs une grande bataille entre Jocelin, comte d'Édesse, et l'émir Baalak, dans laquelle ce dernier périt. Prise tour à tour par Nour ed-Din et Selah ed-Din, cette ville conserve quelques traces des monuments élevés par ce dernier conqué- rant, entre autres celles d’une belle mosquée, sur le minaret de laquelle se lit l'inscription suivante : « Au nom de Dieu clément et mistricordieux ! Ce nfinaret béni a été construit sous le règne de notre maître El-Malek en-Naser- Selah ed-Dounia-oua ed-Din-A bou ‘I-Moudhaffer, le vivificateur de la dynastie de l’'émir des croyants, le maitre de la gloire et de la puissance et de la victoire éclatante. Il a été construit par les soins du cheikh Abou ’I-Haseb-Yousef-Ebn-Aly el-Arbely et d’Abd er-Rahman-Agcha, en lan 551 (1156 de J. C.).» Le 19 octobre, je m'acheminai vers l'Euphrate par un temps déplorable. Aussi, après avoir vu ce fieuve et avoir foulé ses bords, je repris le chemin d’Alep, que j'eus grande peine à atteindre, tant les routes étaient défoncées par les pluies torrentielles qui tombaient depuis quelque temps. Je me vis ainsi forcé d’attendre près de notre agent dans cette ville la fin des pluies pour reprendre mes travaux. Je saisis avec empressement l'occasion de remercier ici offi- ciellement M. Bertrand, consul, de France à Alep, du concours qu’il n’a cessé de me prêter durant toute cette partie de ma mis- sion. Le 29, en quittant Alep, je traversai de nouveau la vaste plaine qui s'étend entre cette ville et la vallée de l'Oronte, et dont l'altitude moyenne est d'environ 350 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le second jour, j'arrivai d'assez bonne heure au village de Moharat-Mousserim, au delà duquel la route s’en- gage dans le Ouady er-Rouz, qui fait partie d’un système de val- lées marécageuses apportant leurs eaux à l’Oronte et dont les pentes sont à contreval du cours de ce fleuve. Ces diverses vallées sont séparées les unes des autres par des chaînes de collines, qui sont en quelque sorte les contre-forts du Djebel-Assergieh et du plateau que nous venons de traverser, — 353 — Le second jour après notre départ d'Alep, je campais au village de Djesr-Schogr. Ici, mesurée au pont, l'altitude de la vallée est de 101 mètres. Cette vallée est large el couverte de magnifiques prairies s'étendant jusqu’au pied des montagnes des Ansariés, auxquelles nous retrouvons l'aspect d’une crête abrupte et ro- cailleuse, comme je l’ai déjà observé antérieurement à Baarin et à Massiad. L'Oronte sépare ici le pachalick d'Alep du livà de Latakieh, qui dépend de l’eyalet de Beyrouth. Le chemin que je suis au sortir du village de Schogr s'élève rapidement le long des flancs de la montagne des Ansariés; les escarpements que je gravis sont des calcaires friables, au milieu desquels se voient des cou- ches de marnes jaunes et vertes. Au bout de deux heures, la route contourne une croupe de la montagne à peu près au niveau du col, que je franchis vers onze heures et demie au village de Hebdama. C’est là qu'est le point de séparation des eaux, qui se dirigent à l’est dans la vallée de l’Oronte, à l’ouest vers la Méditerranée, dont j'aperçois avec bonheur à l'horizon les flots étincelants. Ce point est à 574 mètres au-dessus du niveau de la mer. La route est des plus accidentées et tracée au milieu des sites les plus ro- mantiqnes. De toutes parts s'élèvent des rochers à pic, ainsi que des pentes couvertes d’une splendide végétation. Nous longeons un torrent qui coule au fond d’une crevasse profonde et que nous entendons mugir sans le voir. Alentour croissent des noyers, des platanes, des pins d'Alep, des lauriers, des peupliers et une foule d’autres arbres, s'étageant sur les flancs des hauteurs qui nous environnent. À deux heures trente-cinq minutes, je franchis le Djeser Bint el-Scheik, et à quatre heures mes tentes se dressent sous de beaux arbres au Ghalfar. . Le 1° novembre, j'arrivais à Latakieh à dix heures du matin. Le district ou livà de Latakieh s'étend depuis le torrent nommé El-Mameltein, qui descend du Mont-Cassius au nord, jusqu'à Tortose au sud, entre l’'Oronte à l’est et la mer à l’ouest. Ce dis- trict se compose de 17 cantons où moqtäabs, renfermant 760 villages ou hameaux, dont la population, y compris celle de La- takieh , qui est de 14,000 habitants, s'élève à 130,000 âmes en- iron, se réparlissant ainsi : 46,000 musulmans, 10,000 chré- — 00e tiens maronites ou grecs, 10,000 ismaéliens, et le surplus d’'An- sarlés. Voici la liste de ces 17 cantons : Latakieh. Sahioun. Markab. . Djebel-Akrad. Khaouaby. Bâyr. Kadmous. Boudjäk. Semti-Gibly. Bak-lou-lieh. Beni-Ali. Kahf. Kardaah ou Kelbieh. Djerbäz. Méhelbeh. Djeblé-Edhemi. Mozeiraah. = Durant cette période de mon voyage, je m’efforçai de recueil- lir le plus de renseignements possible sur les Ansariés et les Is- maéliens. | Les premiers, qu'on croit généralement originaires de la Perse, occupent les montagnes qui s'étendent depuis Tripoli jusqu'à Adana. Dans cette dernière ville, comme à Antioche, ils sont fort nombreux et la plupart feignent de professer l’islamisme. Les Ansariés s’adonnent tous à l’agriculture, et il y a lieu de pré- sumer que, sans les persécutions incessantes auxquelles ils sonten butte de la part des musulmans, ils quitteraient leurs montagnes pour s'établir dans des régions plus fertiles. Leur religion nous est encore fort peu connue; nous savons seulement qu'elle est toute mystique, que l’homme seul y est initié vers l’âge de dix- huit ans et après avoir été préparé par les scheïks de la religion à savoir garder les mystères qui leur sont révélés. La cérémonie de l'initiation se nomme T'eznir. Ils sont divisés religieusement en quatre rites : les chamsi, les camari, les kleisi et les chemali, adorant le soleil et la lune et donnant à chacun de ces astres le nom d'Émir el-Nahal (prince des abeilles), c’est-à-dire prince des étoiles gravitant autour d’eux comme les abeilles voltigeant autour d’une ruche. L’empyrée est leur paradis, et chaque étoile est pour eux l’âme d’un élu. Ces quatre rites semblent devoir être considérés comme autant de degrés d'initiation. Les femmes sont exclues de toute instruc- on religieuse, et l’on a souvent vu les Ansariés mourir au milieu des supplices plutôt que de divulguer les secrets de leur re- ligion. 1 | | : L | ; « | — 399 En fait de culte extérieur, ils ont des prières qu'ils récitent trois fois par jour en plein air. Ils se tournent pour prier vers l'Orient, et, si au moment de cet exercice religieux ils aperçoivent une bête immonde, leur prière n'est plus valable. Comme les Musulmans, ils ont les ablutions et la circoncision: la plupart d’entre eux feignent de jeûner pendant le Rhamadan. Leur prin- cipale fête religieuse se nomme le Ghadir et tombe le dix-hui- ième jour du mois du zou 1-hadj. Ils ont aussi des fêtes secon- daires qui se nomment Aid-Qoddas ou fête sacrée. Quant au reste, la doctrine des Ansariés paraît avoir quelque analogie avec celle des Druses. On a cru, à tort, que des réunions nocturnes d'hommes et de femmes se pratiquaient chez les Ansariés; elles n'ont lieu que chez les Ismaéliens, et encore est-ce douteux. Pour eux, la science religieuse consiste à savoir lire et écrire et à être initié. Celui qui se trouve dans ces trois conditions peut devenir chef religieux, et en général cette profession devient héréditaire dans sa famille. La polygamie est licite ainsi que le divorce. Les mariages se font par l'entremise et du consentement du moqaddem ou chef civil du canton, qui l’accorde par un écrit, qu'il fait payer plus ou moins cher selon la fortune des contractants. Les Ansariés sont en général indolents, superstitieux, igno- rants, enclins au vol, bien que l'hospitalité passe chez eux pour la première vertu. Ainsi l’Ansarié qui, pendant sa vie, a donné beaucoup à manger, passe pour saint aux yeux de ses coréligion- naires, et on élève une coupole au-dessus de son tombeau. Dé temps immémorial, chaque canton de la montagne était administré par un moqaddem, dont les fonctions étaient hérédi- taires et qui recevait son investiture du gouverneur turc résidant à Latakieh, chef-lieu de la province. Jusqu’aux derniers temps, les moqaddems étaient à peu près indépendants; aujourd'hui un grand nombre ont été obligés de ployer devant l'autorité turque, et les cantons de la haute montagne, dits cantons re- belles, sont les seuls qui aient gardé leur autonomie. Durant mon séjour à Latakieh, je décidai M. Lazani, vice-con- sul d'Autriche, qui a de nombreuses relations avec les moqad- dems des environs, à m'accompagner dans la course que je vais tenter au milieu de ces cantons inconnus. Le 4 novembre, nous quittons Latakieh dans lPaprès-midi et — 9356 — nous franchissons le Nahar el-Kébir, non loin de son embouchure, en face du village de Cheffatieh ; nous remontons ensuite un ruis- seau nommé le Nahar es-Sahioun et campons vers quatre heures et demie au pied du tertre que couronne le village de Moudjbab. Nous le quittons le lendemain à six heures et demie du matin. À huit heures trente minutes, nous faisons halte à El-Hafeh, qui s'élève au sommet des premières pentes de la montagne. L’altitude de ce village est de 279 mètres au-dessus du niveau de la mer. De ce point nous allons planter nos tentes au village de Seheir el- Kak, voisin des ruines du château de Sahioun. Il m'a semblé qu'il serait intéressant de grouper dans une même étude les monuments militaires élevés par les Croisés dans le nord de la Svrie, durant la période qui s’écoula du com- mencement du xrr° siècle à l’année 1291; et je m'estimerai heu- reux si je parviens à démontrer qu’ils appartiennent à deux écoles qui ont simultanément existé en Terre-Sainte. La première est représentée par les forteresses des Hospitaliers de Saint-Jean, dont les plus beaux types furent le Krac des Chevaliers et Mar- gat; l’autre a été plus particulièrement suivie par l’ordre des Templiers et paraît s'être inspirée au: contact de Part byzantin, issu lui-même de la fortification romaine. Les châteaux de Sa- hioun, de Safita, d’Areymeh, d’Atblit, et surtout la forteresse de Tortose, nous fournissent une série de types permettant de don- ner une étude aussi complète que possible de cet art, dont les meilleures productions se trouvent dans les principautés d’An- tioche et de Tripoli, si riches, la première particulièrement, en monuments grecs où byzantins. : Les Provençaux, qui étaient alors les intermédiaires naturels entre la France et les Croisés établis-dans cette partie de la Syrie, en rapportèrent les éléments de l'art religieux qui produisit la plupart des églises élevées dans le midi de la France durant le cours du xur° siècle. Peut-être parviendrons-nous à établir que les édifices militaires dont nous nous occupons en ce moment ne fu- rent pas sans influence sur les tracés des murailles d’Aigues- Mortes, d'Avignon, d'Orange et autres villes du Comtat-Venaissin et de PTtalie. Nous avons dit que la première école avait produit des chefs- d'œuvre dans Margat et le Krac. Ces deux chàteaux, par le choix de leur assiette et leur double enceinte flanquée de tourelles — 357 — rondes, appartiennent sans contestation à l’art qui produisit alors le Château-Gaillard des Andelys et, dans le siècle suivant, les murailles de Carcassonne, puis le château de Coucy, et tant de forteresses qu'il serait trop long d’énumérer. - Si maintenant nous recherchons, pour le second groupe, quelle a pu être l’origine de l'adoption des tours carrées et barlongues, nous pourrons lui en trouver une double. D'abord, l'emploi de ce mode de flanquements, usité parmi les Normands et les Poite- vins jusqu'au xn° siècle, fut transporté par les premiers en Sicile, ainsi que nous pouvons le constater par l'étude des châteaux qu'ils y ont élevés et qui présentent des défenses rectangulaires; ce mode de fortification parait alors s'être étendu dans une grande partie de lTtalie. La seconde cause est l'existence d’un grand nombre de forteresses et chäteaux byzantins dans les prin- cipautés d’Antioche et d'Édesse, tombés les premiers entre les mains des Croisés. Ce qui pourrait corroborer cette opinion, c’est que les châteaux de cette époque construits par les Arabes en Syrie sont presque identiques à ceux des chrétiens, non-seu- lement comme plan, mais encore comme appareil, flanquements et crénelages. | Le Kalaat-Sahioun fut au temps des croisades un des fiefs les plus importants de la principauté d’Antioche. La famille de Sa- hône, qui le possédait, a fourni un chapitre aux Lignages d’outre- mer; elle est plusieurs fois mentionnée dans les actes du xrr‘siècle, et la veuve de Guillaume de Sahône épousa Joscelin IT, comte d'Édesse. En se réunissant, deux ravins profonds, aux parois abruptes, isolent de deux côtés la colline couronnée par le château, qu'un _ énorme fossé sépare, vers l’est, du plateau où se trouvent les ruines de la ville. Ce fossé, taillé dans le roc vif, est un des ou- vrages les plus remarquables en ce genre que les Croisés aient. laissé en Syrie. La pile du pont, qui faisait communiquer la ville avec le château, était ménagée dans la masse et apparaît aujour- d'hui aux regards du voyageur étonné comme un gigantesque obélisque. Les témoins laissés par les ingénieurs dans Îles travaux de terrassement en donnent une idée fort exacte. Sur les parois du fossé, une rangée de mangeoires taillées dans le roc à un mètre au-dessus du sol nous apprend que les chevaux y étaient logés en temps de paix. — 58 — Une partie de l'enceinte, plusieurs tours, un vaste donjon carré, des magasins et des citernes énormes : voilà ce qui subsiste encore de l'occupation chrétienne à Sahioun. Le donjon, la muraille et les tours sont construits avec des blocs de fort grand appareil taillés à bossages. Nous rencontrons : ici des tourelles rondes et des tours carrées, employées simulta- nément; les premières, d’un faible diamètre, massives depuis la base et n’ayant qu'un étage de défense au niveau du chemin de ronde, sont identiques à celles qui furent élevées en France du xI® au xu° siècle; les secondes sont beaucoup plus considérables et mesurent de quinze à vingt mètres de côté. Mais, chose digne de remarque, les tours ont ici peu de saillie sur les courtines, c'est-à-dire qu'elles sont plus qu'à moitié engagées dans la place, et, ne communiquant pas avec les courtines, elles pouvaient en cas de surprise devenir autant de forts isolés. Les chemins de ronde qui couronnent les remparts ont environ la moitié de leur largeur prise en encorbellement, suivant l'usage byzantin; les créneaux portent les traces d'encastrement des vo- lets destinés à protéger le défenseur, mais les merlons ne sont pas percés de meurtrières. | Quant au donjon, il ne diffère des autres tours que par ses proportions considérables. Composé, à chaque-étage, d’une vaste salle, il est couronné par une plate-forme crénelée. Trois des entrées de ce château, jadis munies de herses, sont encore debout. De vastes magasins, et deux citernes immenses taillées dans le roc et voûtées en ogive, sont tellement bien conservés que, lors- que je les visitai, les citernes contenaient dans toute leur étendue plus d’un mètre d’eau. La forteresse de Sahioun fut enlevée aux chrétiens, en 1187, par Saladin, peu après la prise de Jérusalem. Le château de Djébail (le Giblet des croisades) fut le premier que je visitai durant cette excursion. Il se compose d’une enceinte avec saillants rectangulaires, au centre de laquelle s'élève la tour citée par Vilbrand d’Oldenbourg. C’est un donjon datant des pre- mières années du xu° siècle et presque en tous points semblable à celui que nous avons trouvé au Kalaat-Sahïoun. Je visitai ensuite le château qui domine le village moderne de Safita. Il parait pouvoir s'identifier avec le Chastel-Blane que — 359 — nous trouvons mentionné dans Guillaume de Tyr, ainsi que dans plusieurs actes publiés par Sébastien Paoli. L'enceinte de cette forteresse affecte la forme d’un polygone irrégulier, au centre duquel s'élève le Bordj ou donjon de Sañita. Ce château appartenait aux Templiers et leur fut enlevé par Bybars peu de jours avant que ce soulthan commencät le siége de Krac. Une double enceinte de remparts flanqués de tours barlongues entoure le donjon en s’étageant; et si l'appareil est taillé à bossages dans certaines parties, dans d’autres il est à faces lisses, notamment au donjon. Le rez-de-chaussée de cette tour se compose d'une chapelle servant encore aujourd'hui d'église à la population de Safita, en grande partie composée de chrétiens grecs. À l'étage supérieur est une vaste salle d'armes, où l’on re- trouve sur une plus petite échelle le plan de la grande salle de Tortose. Une plate-forme crénelée couronne l'édifice. | Les diverses places de guerre possédées au moyen âge par les chrétiens dans cette partie de la Terre-Sainte étaient reliées entre elles par de petits postes ou tours élevées d'après un plan uni- forme. Un grand nombre de ces tours subsistent aujourd’hui, sa- voir : Bordj ez-Zahra, Bordj-Maksour, Om el-Maasch, Ain el- Arab, Miar, Toklé, etc. c’est cette dernière que j'ai choisie comme type d'étude. | Ces tours, présentant en petit toutes les dispositions d’un don- jon, sont invariablement carrées et se composent de deux étages voûtés, subdivisés eux-mêmes par des planchers en bois, système dont j'avais déja remarqué lemploi dans les casernements du château de Cérines dans l’ile de Chypre et au donjon de Dje- baïl. La porte de la tour est à linteau, avec arc de décharge; un puits se trouve au centre de la salle basse. La porte de l’'es- calier donnant accès à l'étage supérieur s'ouvre au niveau du premier plancher. Une plate-forme avec machicoulis et parapet crénelé termine l'édifice. Ces tours, qui ne pouvaient avoir qu'une très-faible garnison, assuraient la communication des châteaux entre eux et jouaient alors le rôle des blockhaus mo- dernes. Des diverses places que je viens de décrire, aucune n'a l'im- portance de Tortose, l'Antaradus des anciens, l’Antartous des chroniques. Vilbrand d'Oldenbourg, après avoir dit que Tortose est une pe — 3060 — tite ville peu fortifiée et assise au bord de la mer, décrit la forte- resse en ces termes : «In capite habens castrum fortissimum, optimo circumdatum «muro, et undecim turribus sicut undecim pretiosis lapidibus «ornatum. » Une première enceinte, entourant la ville du moyen âge, se compose d’une muraille flanquée de tours barlongues et munie d’un fossé aujourd’hui comblé, que dut autrefois remplir l'eau de la mer. Ce vaste espace n’est plus occupé maintenant que par des vergers. C’est là que, au milieu d’une végétation du plus riant aspect, et entourée de jardins où la nature a prodigué toutes les richesses de la flore syrienne, se dresse majestueusement la vieille cathédrale de Notre-Dame de Tortose, encore presque 1in- tacte malgré les efforts des siècles. Elle était autrefois un lieu de pèlerinage en grande vénération; mais aujourd’hui nous avons le regret de la voir profanée par les Arabes, qui l'ont transformée en mosquée. Le château, composé de deux enceintes munies de fossés taillés dans le roc, s'élève à l'angle nord-ouest de l'emplacement jadis occupé par la ville. Nulle part, à cette époque, on ne déploya pareil luxe dans l'emploi des matériaux, et j'ai tout lieu de croire que les ruines phéniciennes de Rouad, d’Amrit et de Carné du- rent être mises à contribution pour élever ces gigantesques mu- railles, composées d'énormes blocs taillés à bossages. Dans une tour carrée, formant barbacane, s'ouvre la porte qui donne accès dans la première enceinte; un pont-levis à tiroir pa- “rait avoir existé à l'extrémité de la chaussée qui conduisait à cette porte. Dès qu'on l’a franchie, on se trouve au milieu d’une vaste salle voûtée à nervures, occupant le centre de la tour, dont parle mon savant devancier, M. Renan, et qu'il a décrite avec cette rare élégance de style qu'on lui connaît. Comme plan général, la se- conde enceinte présente une grande analogie avec la première ligne de défense qu’elle écniénett ainsi que nous en pouvons ju- ger par la partie demeurée intacte de nos jours. La hauteur de la seconde muraille fait penser que les défen- seurs garnissant la double ligne crénelée qui la couronne pou- vaient prendre part au combat en cas d'attaque de la première enceinte. Une brèche à remplacé la porte par laquelle on péné- trait jadis dans ce réduit, au milieu duquel s'élèvent tous les ac- — 361 — cessoires d'une grande forteresse du moyen àge, chapelle, donjon, grand’salle, etc. Vers la mer règne une muraille à laquelle se butent les di- verses enceintes que nous venons de décrire. Toute cette partie du château est revêtue à sa base de grands talus en pierres de taille destinés en même temps à amortir le choc des vagues et à prévenir toute tentative venant de ce côté. Quand on pénètre dans la cour intérieure du château, on trouve à sa gauche un vaste bâtiment ayant la forme d'une longue galerie, ornée d’arcatures à l'extérieur : c'était la grand'salle, complément indispensable des châteaux du moyen âge. Là on suspendait les armes, les écus, les cors, les drapeaux, les tro- phées pris dans les combats, tandis que de riches tentures en complétaient l’ornementation. Là aussi se tenaient les assemblées, et l’on recevait les envoyés étrangers. | Celle que nous avons sous les yeux est, à coup sûr, la plus vaste et la plus belle qui existàt jamais en Syrie. Elle se compo- sait de deux nefs formées de douze travées retombant au centre sur une rangée de six piliers carrés, et ie long des murs sur des culs-de-lampes ornés de têtes et de feuillages. Les arcs doubleaux sont à nervures prismatiques, comme à Safita, mais d’une orne- mentation beaucoup plus riche. Nous trouvons appliqué ici le système de construction des voûtes usité dans la plus grande par- tie de la France à la fin du xn° siècle, et décrit par M. Viollet Le Duc. Entre les formerets ou arcs-doubleaux, on a bandé des nervures de pierres; et les triangles de remplissage, qui ont eux- mêmes été construits d’après un tracé évidemment dérivé de la voûte d’arête romaine, forment un angle rentrant, de telle sorte que arcs-doubleaux et nervures deviennent un véritable cintragé permanent, qui, en même temps quil soulage la voùte, cache les sutures des triangles de remplissage. Cette salle est éclairée vers la place par six grandes fenêtres en plein cintre, s’ouvrant irrégulièrement dans les travées. La décoration extérieure de ces fenêtres, qui parait avoir été fort élégante, à en juger par ce qui en reste, a été malheureusement mutilée dans ces dernières an- nées. Celle du milieu seule a été plus épargnée et a conservé ses colonnettes à chapiteaux romans. L’arcature est ornée de feuil- lages entrelacés qui se voient encore parfaitement; au sommet se trouve un agneau portant un oriflamme à la croix. MISS. SCIENT. —- fit. 5 — 302 — Au-dessus de ces baies aujourd’hui murées s'ouvre dans l'axe de chaque travée une petite fenêtre à lancette. Deux portes pré- cédées de perrons donnent accès dans cette grand'salle, au-des- sous de laquelle règne une série de petites pièces voûtées, qui pa- raissent avoir été des magasins ou des prisons. Près de là s'élève la chapelle, hélas! fort dégradée aujourd’ hui, mais dont la voûte existe presque en entiér. La décoration de ce monument est des plus simples. Construite dans le même style que la grand'salle, elle en diffère par une plus grande sobriété d'ornementation. L'intérieur de l'édifice est encombré par des constructions modernes qui gênent beaucoup pour en juger l'effet. Un avant-porche paraît avoir précédé le portail de cette chapelle. Au milieu de la place se trouve un puits. Au sud s'étend la ville moderne, composée d’une centaine de maisons couvrant l’espace où, selon toute apparence, étaient les logements de la garnison, le palais du Commandeur, etc. Le long des murailles, à l’est et au sud, ee de vastes ma- gasins voutés, d’où l’on pouvait prendre part à la défense grâce à de hautes archères dont ils sont percés. Au centre de la place, et tangente à la mer, s'élève la base d’un énorme donjon carré, en grande partie cachée aujourd'hui sous des maisons arabes modernes. N’y aurait-1i pas lieu dy chercher l'explication des textes de Jacques de Vitry, qui désigne toujours Tortose sous le nom de Turris Antaradis, et de Vilbrand d'Oldenbourg, qui, à la suite du texie cité plus haut, où il décrit les murailles du château de Tortose, parle avec admiration d’une tour colossale qu’il vit dans cette forteresse, et dont il attribue la construction aux rois de France? En parlant de l'attaque dirigée par Salah-Eddin, en 1187, contre Tortose, dont il démantela les murailles, l'historien arabe Ibn el-Atir mentionne une tour très-forte, où s'était renfermé le grand maître du Temple avec ses chevaliers, et qui résista victo- rieusement à tous les efforts des musulmans. | De vastes souterrains existent encore sous ce massif et commu- niquent avec la mer par une poterne s’ouvrant à fleur d’eau, qui permettait ainsi aux navires chrétiens de ravitailler les défen- seurs de cette tour. L'étude de cette seconde école nous amène à rechesis les | — 363 — principes dont s'inspirérent les ingénieurs qui ont élevé ces di- verses places. D'abord, le peu de saillie des tours donne à penser qu'ils se sont peu préoccupés de l'importance des flanquements, tandis qu’à en juger par la profondeur des fossés creusés à grands frais dans le roc et remplis d'eau, comme à Tortose et à Athlit, ainsi que par la hauteur des murailles, ils ont tenu à se garantir des escalades et des travaux du mineur. Aïlleurs, comme à Sahioun, au Toron, à Safita ou à Areymebh, ils ont assis les bases de leurs murailles au sommet de pentes escarpées, obviant par ce moyen aux mêmes inconvénients; en élevant chaque ligne de défense de manière à dominer la précédente et en lui permettant ainsi de concourir à la défense du point attaqué, ils rendaient les ap- proches de la place fort meurtrières pour l'assaillant. | Si la première de ces deux écoles a suivi à Margat et au Krac un système se rapprochant davantage des données .que nous re- trouvons en Europe, néanmoins nous ne pouvons nous dispenser de remarquer dans ces places l'emploi sur une très-srande échelle d’un ouvrage fort peu usité en France à cette époque, je veux parler de ces énormes talus en pierre qui, triplant à la base lé- paisseur des murailles, trompaient le mineur sur l'axe vrai des défenses qu'il attaquait, en même temps qu'ils entravaient énor- mément les travaux de sape. Comme l'étude de la vieille forteresse des sires de Sahône nous a pris toute la journée du 5 novembre, nous partons le 6 dès le point du jour pour aller camper à Méhelbeh, qui donne son nom à l’un des cantons de la montagne. Toutes les collines que nous contournons ou gravissons appartiennent aux terrains cal- caires crétacés et sont sillonnées par de profonds ravins aux pa- rois abruptes, dont les flancs dénudés fatiguent l'œil par leur biancheur éclatante. Les hauts sommets qui forment la crête la plus élevée de cette partie de la montagne portent le nom de Dje- bel-Darious. À trois heures, nous avons atteint le village de Mé- helbeh, situé à ure altitude de 682 mètres, et nous faisons l’as- cension de la montagne, que couronne le château du même nom, lequel ne présente aux regards qu'un amas confus de dé- bris appartenant, les uns au moyen âge chrétien, les autres à lé- poque musulmane. Après avoir fait une station en ce point, dont l'altitude est de 920 mètres au-dessus du niveau de la mer, nous 2% — 3064 — rentrons au Camp, où nous recevons la visite du moqaddem du canton. Le 7 nous nous acheminons vers Djibleh, d’où nous repartons le 8 pour explorer la Kadmousie. : Quittant Djibleh à cinq heures du matin, nous suivons le lit- toral jusqu'au cap nommé Ras-Baldy el-Malek, où s’éleva jadis Paltos, cité par les géographes de l'antiquité. Au moyen âge, ce lieu paraît avoir porté le nom de Toron-de-Boldo. C'est de ce point que, après avoir franchi l’embouchure du Nahar-Sin, nous nous engageons dans les montagnes, en remontant le cours d’un ravin, dont nous atteignons la naissance vers une heure et demie. En face de nous, de l’autre côté de la profonde vallée de Ouady- Djobar, s'élèvent sur un contre-fort de la montagne le village et le château d’Aleïka, si souvent mentionné parles auteurs du moyen âge qui ont écrit sur les Bathéniens ou Haschischiens, et où rési- daient ces scheiks redoutables que nos chroniques désignaient sous le nom général de Vieux de la Montagne. Malheureusement, ce château est presque complétement ruiné et n'offre plus aucun intérêt. Nous remontons le flanc gauche de la vallée, en suivant un sentier. à peine tracé sur le bord des pentes qui s’abaissent brus- quement et font de cette vallée un affreux précipice. Les bois qui couvrent les hauteurs sur lesquelles nous cheminons ont été ré- cemment brûlés; la terre est encore chargée de cendres blanchà- tres, et çà et là des arbrisseaux et quelques gros chênes verts, noircis par le feu et entièrement dépouillés de leurs feuilles, se tiennent encore debout, quoique ayant cessé de vivre. Ces traces récentes d’un incendie au milieu de ces gorges si abruptes les font paraître encore plus sauvages et plus désolées. À peine aper- coit-on au loin quelques chétifs hameaux qui semblent accrochés aux flancs des montagnes voisines, et quand vers Île soir nous at- teignons le point nommé Ain el-Hatmieh, pendant que nos tentes se dressent, je découvre au fond d’un ravin un village composé de plusieurs maisons qu'ombragent des noyers séculaires. Métant dirigé de ce côté, je trouvai des maisons complétement abandon- nées et sans un seul habitant. Grand fut mon étonnement. L’a- bandon de ce hameau me fut expliqué par l’approche des recru- teurs turcs. Le 9 nous étions de bonne heure à Kadmous, où nous atten- — 365 — dait une hospitalité des plus gracieuses chez l'émir Assad, chef des Ismaéliens, qui forment la majorité des habitants de ce can- ton. Kadmous est un grand village entouré de murailles percées de deux portes; on y compte environ cent cinquante maisons, une mosquée et un petit bazar. Un rocher escarpé, sur lequel s'élevait le Kalaat-Kadmous, détruit par Ibrahim-Pacha, domine le tout. 4 Ce même jour nous fimes, en compagnie de quelques cava- hiers de l’émir, l'ascension de la montagne du Neby-Schit, que nous avions déjà aperçue du sommet de la montagne de Naby- Metta; l'altitude de ce point est de 1071 mètres. C’est un cône de soulèvement plulonien, au sommet duquel se sont fait Jour des roches porphyriques. D'épaisses fougères couvrent les pertes supérieures de ce piton, au sommet duquel se voit un prétendu tombeau de Seth, qui a donné son nom à cette montagne. De ce lieu, jè recoupe les points déja connus, tels que la tour de Safita, le Koubbet Soulthan-Ibrahim, les sommets de Naby-Metta, de Naby-Saleh, de Daharet-Teffah, enfin le château de Markab à l'ouest-quart-nord. Je comptais le lendemain faire l'ascension du Djebel-Ras; mais le temps devint tellement mauvais que nous dûmes passer la journée du 10 chez l'émir. On nous dit alors que Masyad n'était éloigné que de quatre heures de Kadmous, sous un angle de 85 degrés environ; ce qui ne m'étonne nullement par suite du ré- sultat que m'ont donné mes observations géodésiques. Le 11, nous partimes de bonne heure de Kadmous, nous di- rigeant vers Markab. La route que nous suivimes traverse un pays en tout analogue à celui que nous avions vu les jours précédents : mêmes rochers abruptes, qu'égayent de loin en loin quelques verts bouquets de myrtes et de lentisques. La route suit le bord d’un ravin nommé Ouady-Méhika. Vers onze heures, nous attei- gnons le sommet des hauteurs fermant la vallée du ruisseau qui se jette à la mer sous le nom de Nahar-Marakiah. Après avoir aperçu et noté successivement les villages de Tanita, de Sere- din, etc. nous arrivàmes vers trois heures à la vieille forteresse des Hospitaliers, que je revoyais pour la seconde fois à quatre ans de date. C’est ici que je me sépare de mon compagnon, qui reprend le chemin de Latakieh. Après y avoir passé la nuit, Je gagnai Tortose, le 12, et, — 366 — comme la saison des pluies devenait chaque jour plus menaçante, je me dirigeai vers Tripoli pour aller prendre mes quartiers d’hi- ver à Beyrouth. Après la course que je viens de raconter, bien des lacunes exis- taient encore dans mon travail. Je me préparai donc à compléter mes recherches par de nouvelles excursions entreprises dans le ÈS) printemps de l'année 1865. Les derniers jours de mars furent employés à visiter aux environs de Tyr les ruines du château de Krein, le Montfort des Chevaliers Teutoniques. Durant cette ex- cursion, Je copiai au village grec de Bassa l'inscription suivante, = — D —=] LE — 7 laquelle, bien que fort mutilée, ne laisse pas que de présen- er quelque intérêt. — 367 — Je repris ensuite le chemin du nord de la Syrie, et après avoir fait une étude détaillée des sanctuaires de Naous, je quitta le 9 avril Tripoli, me dirigeant vers le canton de Kaouaby, en traver- sant la partie nord-ouest du district de Safita. Mon plan était de pousser vers le nord jusqu’au Djeser el-Hadid, près d’Antioche, en visitant les parties encore inexplorées de la montagne, que J'a- vais été obligé de négliger durant mon précédent voyage, particu- lièrement les districts de Kourdäah et de Beni-Ali, puis les mon- tagnes où le Nahar el-Kebir de Latakieh prend sa source, et qui pour nous sont encore complétement inexplorées entre le Ghatfar et la source de ce fleuve. Je campai le même jour au village de Tléaï, d’où le lende- main, en repassant par Bordj-Om-Maach, Safita et Toklé, visités dans la course précédente, je vins franchir, au bas de ce dernier point, le cours du Ouady-Kéis, et, après l'avoir traversé, je m’en- gageai sur les escarpements abruptes qui se trouvent à la base de la montagne de Daharet-Teffaha; je laissai mes bagages et mes tentes au village de ce nom, et j'atteignis le point culminant de la montagne vers trois heures et demie. C’est un cône de roches porphyriques, de tous points semblable aux autres montagnes de la même chaîne dont j'ai déjà effectué l'ascension. De là, je pus recouper les principaux sommets vus dans ma première excur- sion, Kadmous, Naby-Schit, Djebel-Ras, Naby-Metta, Naby-Za- her, Bordj Safita, etc. À l’ouest, je voyais distinctement l'ile de Rouad. En redescendant au village de Teffaha, où je n'étais pas entré tout d'abord, je fus stupéfait de la sauvagerie des habitants. Les femmes s’enfuient à mon approche, ainsi que la plupart des indigènes; trois ou quatre seulement, qui étaient allés à Tortose ou à Tripoli, se hasardent à nous approcher et nous apprennent que jamais Européen n’a été vu dans ce pays. Pendant toute la Journée, j'ai été mouillé par des averses successives, et dans la nuit je fus pris d’un grand malaise. Le 11, néanmoins, je conti: nuai mon chemin vers Tortose, comptant de là.gagner Kaouaby. Parti à six heures quinze minutes du village de Teffaha, je des- cendis dans une vallée qui va se réunir au Ouady-Kéis. Elle est remplie de beaux arbres, chênes-verts, platanes, noyers, elc. que festonnent en s’enlaçant à leurs troncs et à leurs branches d'énormes vignes sauvages. Çà et là plusieurs arbres de Judée aux fleurs éclatantes sont mêlés à des grenadiers sauvages et produi- — 368 — sent de belles teintes d'ombre et de verdure, sur lesquelles nos regards se reposent avec un indicible plaisir. Après avoir dépassé le village d’Ain-Tchesnou, nous traver- sons, vers huit heures, la vallée du Ouady-Kéïs, que je trouve bien cultivée; ici sa direction est du sud-est à l’ouest-nord-ouest. Après avoir suivi son cours durant trois quarts d'heure, je gravis les pentes de la rive gauche, dont je gagnai le sommet à neuf heures quinze minutes, au village de Melchi. Après avoir succes- sivement dépassé les hameaux de Bdérieh et de Semmaka, je des- cendis à onze heures dans l’Isar de Tortose. On désigne sous ce nom la plaine du littoral dans la partie où elle avoisine cette ville. Cette plaine demeure inculte, à cause des nombreux marais qui la rendent très-fiévreuse pendant la plus grande partie de l’année. La journée du 12 fut employée à compléter mes études ar- chéologiques de Tortose. J’espérais le 13 reprendre ma route vers le nord, mais il devait en être autrement. Je fus pris d’un si vio- lent accès de fièvre que je n’eus plus d’autre ressource que de re- venir à Tripoli, pour y chercher les soins d’un médecin européen. Le 14, plusieurs heures avant d'arriver dans cette ville, je fus at- teint d'un accès pernicieux qui m'eüût été fatal sans les soins em- pressés que je trouvai au consulat de France, Je fus bientôt hors de danger, mais tout espoir de continuer cette course fut perdu pour moi; je dus songer à me rapatrier pour échapper aux suites de ces influences paludéennes. Trois feuilles grand-aigle d’itinéraires à échelle du cent-mui- lième, une carte historique de la principauté de Tyr au temps des Croisades, douze plans de sites de villes antiques ou d’édifices, dix grands dessins d'architecture, vingt-cinq photographies et un grand nombre d’estampages, etc. complètent les principaux ré- sultats de cette mission. J'avais été souvent frappé, durant les travaux auxquels je me suis déjà livré sur l’histoire du moyen âge chrétien en Syrie, de la pauvreté des renseignements recueillis jusqu'à ce jour sur la géographie intérieure des principautés chrétiennes en Orient; et cependant plusieurs ouvrages d’un grand intérêt historique, tels que le Code diplomatique de Sébastien Paoli, le Cartulaire du Saint-Sépulcre, publié par M. de Rozières, de nombreuses chartes au diplômes du temps, nous offrent des sources du plus grand in- térêt, auxquelles je me suis efforcé de puiser les éléments d’une — 369 — identification avec les localités modernes, des villes, forteresses et casaux mentionnés dans ces divers traités. J'ai donc établi, comme spécimen de ce travail, dans une carte que je joins à ce rapport, l’état auquel je suis parvenu à amener nos connaissances sur la géographie des Croisades; J'ai pris pour type les environs de Tyr et de Saint-Jean-d’Acre. Durant l’existence du royaume de Jérusalem, le nom de casal était donné par les Latins à des villages ou à des fermes impor- tantes, habités par des Syriens, des Grecs, des Turcs, ou même des Bédouins chrétiens ou musulmans. La population se divisait en hommes-liges devant le service militaire, et parmi lesquels il y en avait d'origine franque, et en vilains ou serfs ruraux attachés à la glèbe. Le territoire du casal se divisait en gastines, qui se subdivi- saient elles-mêmes en charrues; et c'était sur le nombre de ces dernières qu'étaient généralement établies les redevances que chaque casal payait à la seigneurie dont il relevait. Nous savons par le Continuateur de Guillaume de Tyr que les quarante jours qui précédaient la cessation ou la rupture d’une trêve avec les Sarrasins étaient employés à retirer les gens des casaux, pour les faire rentrer dans les villes ou dans les forte- resses. Je joins ici des listes d'identification de diverses localités des environs de Tyr et d’une partie de la Galilée : ENVIRONS DE TYR. NOMS MODERNES. NOMS DU MOYEN ÂGE. Halouzieh. Hanosie. Malekich. Mélekieh. Bédias. Bédias. Âabasieh. « Abbasia. Deirkanoun. Derchanno. Tell-ed-Debbaal. Kafer-ed-Baal. Ianous. Hianoz. Bazourieh. Labosorie. Deirkanoun Dercanon. Âasich. Hasye. Terharfa. Terfalsa. Tarbika. Tarbouka. Kana. Canna. Sedakia. Sedquie. NOMS MODERNES. Deir Hamis. Dereme. Maharonna. Maharona. Mj-eidel. Madgadela. Djouaya. Joie. Dbäal. Dabacl. Zourkaya. Szorcorum. Niha. Nyha. Maroun. Maharoun. Derkiffa. Andrequisse. Terezibna. Teretenne. Kabrikha. Kabrinka. Meïs. Mées. Bleideh. Belide. Kades. Cades. Tershiha. Tertia. Derdagayé. Dordochie. GALILÉE. NOMS MODERNES. Tell Kaimon. — 9370 — NOMS DU MOYEN ÂGE. NOMS DU MOYEN ÂGE. Le Caimont. Kouekat. Coket. Kefer Menda. Capharmada. lrbid. Arbel. Kana el Déeelil. Cana Galilé. Touran. Touran. Kefer Cana. Kapharchemme. Kefer Sabt. Kapharsepht. Dabourieh. Buria. El Mezraa. Mesara. El Fouleh. EI ful. Merlouf. Malouf. Loubieh. Lubié. Attl. Hatil. Endor. Endor. En terminant ce rapport, Je crois devoir, Monsieur le Ministre, énumérer à Votre Excellence les monuments dont j'ai pu enri- chir le Musée impérial du Louvre, dans le cours de cette dernière mission. : Ne. A. LISTE DES OBJETS ANTIQUES ENVOYÉS AU MUSÉE IMPÉRIAL DU LOUVRE PAR M. E. G. REY, À LA SUITE DE LA MISSION SCIENTIFIQUE DONT IL À ÉTÉ CHARGÉ PAR SON EXG. M, LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. OBJETS. Stèle phénicienne, en pierre, représentant une femme en adoration , surmontée du globe aïlé ........... Buste de femme, en calcaire tendre, époque phéni- DR neRdique.s -r. : 27,1 00 2 UOMENENNE DRE, 2e Statuette de femme, en calcaire tendre, tenant une fleur de lotus à la main et ornée de peintures rouges. Bloc de marbre, représentant un personnage dans la pose de l’adoration , basse époque phénicienne..... Figurine phénicienne de la meilleure époque, en pierre, portant un bouc sur ses épaules .,,....... Figurine en pierre, ayant pour sujet un personnage drapé et offrant une grande analogie avec la statuc rapportée par moi de Dali (île de Chypre) en 1860, D au Musée, ...,....:,.. secs se Fragment de vase en serpentine, de style égyptien , rc- présentant des personnages et des sphinx en bas-re- D + PACE DD DIU GTI RO CR En Groupe phénicien de trois personnages, représentant ün repas funèbre, en terre cuité. .,......,1..4, PROVENANCES. Tyr. Chypre. | Chypre. Amrit. Amrit. Ammrit, Chypre. Amrit. Ne IE j9: 20. 21. 22. 25. 24. + OBJETS. Cylindre en stuc, avec le symbole du culte de Vénus Astarté.. .. MAS UE tee are SAS ere RC Ne eee Figurine grecque d'homme à cheval, tenant un bou- clier, exéculéeeniterre cuiller - Tête en terre cuite, avec une coiffure égyptienne... .. Figurine en terre cuite, représentant un homme à che- val, grossièrement modelé, conservant encore quel- ques traces de peinture. ..,..4..2 270060 NUE Neuf fragments de poteries, portant des estampilles de potienssienienès.--. 0. Cet CRE CE Deux têtes en terre cuite, dont une coiffée d’un casque. Figurine de femme assise et drapée, en terre cuite. . Deux figures en terre cuite, représentant des person- nages assis, style babylonien. ......,..,........ Une Vénus Mylitta, en terre cuite, complétement nue. Figure en terre cuite, ornée d’un collier, et dont les cheveux portent des traces de peinture. ........ . Série ide huititêtes en calcaire: .., 200 000 Jolie tête, en terre cuite, portant la tiare, ornée de TOSACES. 5 0... Von rs ve de ele ae Foto lchiele Trois figurines, en calcaire, représentant des femmes allaitant destÆnfants. ee ÉL : Quatre figurines phéniciennes , en terre cuite, très-ar- chaïques et avec des traces de peinture .......... Quatre petites têtes, en terre cuite, de style égyptien. . Figure en terre cuite, représentant un personnage te- nant le sceptre, de style archaïque... ......,.:... PROVENANCES. Amrit. Amrit. Amrit. Tortose. Tortose. Saïda. Tortose. Ailah. Hüllah. Chypre. Chypre. Chypre. Chypre. Chypre. Chypre. Amrit. — 373 — Ne OBJETS. PROVENANCES. 25. Grand fragment de poterie cannelée, d'époque très- à 2 RL à Raphanieh. A ne manette antique, en marbre! . .......1:...... Beyrouth. 27. Bas-relief en lave, représentant la déesse de Syrie, as- sise sur un trône supporté par deux lions ........ Membedi. Tels sont, Monsieur le Ministre, les principaux résultats de la mission que Votre Excellence a bien voulu me confier. Je suis avec le plus profond respect, Monsieur le Ministre, votre très-humble serviteur. E. G. Rey. k ; Loc prete 4e | de dde ptet à dors cduile AL CIE 4 1 t'a Ag: Pé: tee ñ L 4 ‘ “ ! ; “ ï d'A" UE Ho TR { LS E # 7 ï F ie 4 un LUS e 28 bu AU PEN AU FA AI | rs ; : L'ANE CES n D ARC SN Loir" Anse, ! NH ra ut 2 Vas si à : it 0 : # | a + M” AT LA a a sa an c' LL , É SA 6 AT : HAE "ONCE TETE Ta Er Le din: a: nd Le pa - L puis, 1 NE EP fe Fa , * - “ Fo Ve 4 Lu r > 13 fine, Por AIT 8 tale SAME re A PA » ù lt ; EU HPYE J v Te | | Li LA A La ‘ rat a #3 : nds" at tes pos {à D LAEET t'en “pe 4 LRU L | sul # v CÉR, LANCIA Hi D'ÉFSOIMIREE be, À | s f de . } ; ï RL. + r d.6 MANS x é . ( LL = 2 ' - “ ÿ - ! (° \ V é jt , * d : =: . 10) Le MÉMOIRE SUR L'AFFRANCHISSEMENT DES ESCLAVES, PAR FORME DE VENTE À UNE DIVINITÉ, D'APRÈS LES INSCRIPTIONS DE DELPHES, PAR M. P. FOUCART, ANCIEN MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE D’ATHÈNES À. Décembre 1 863. L’affranchissement des esclaves, par forme de vente à une di- vinité, ne nous est connu que par les inscriptions grecques. On en a trouvé dans plusieurs villes de la Grèce, mais en petitnombre; cest à Delphes que ce genre d’affranchissement paraît avoir été le plus en faveur. Quelques-uns de ces textes ont été publiés depuis longtemps dans le Corpus Inscriptionum græcarum. Cinquante et une inscriplions relatives au même sujet, retrouvées par Otf. Müller dans les ruines de Delphes, ont été publiées par son ami Curtius et par Lebas?. Dès leur apparition, ces documents ont attiré l’at- tention des savants français. M. Eoger, dans un article du Journal de l'Instruction publique, en avait signalé l'importance, et M. Wal- lon en avait tiré parti dans son intéressante histoire de l'esclavage *. Depuis ces travaux, les fouilles que j'ai faites à Delphes en 1860, - et que j'ai reprises en 1661, de concert avec mon collègue de l'école française d'Athènes M. Wescher ont mis au jour quatre ! Ce Mémoire fait suite à celui qui a été inséré dans le tome IT des Archives des Missions , nouvelle série, p. 1 et suiv. | ? Corp. Inscr. græc. 1699-1711. — Curtus, Anecdota Delphica, Berlin 1844. — Lebas, Voyage archéologique en Grèce et en Asie Mineure, n° 898-963. % Journal général de l'Instruction publique, 1845, n° 53. — Wallon, Histoire de l'esclavage dans l'antiquité, t. T, chap. x. — 9760 —- cent quatre-vingts inscriptions, dont quatre cent trente-deux con- tiennent des actes d’affranchissement !. La date est fixée d’une manière certaine par le nom des stra- téges étoliens qui figurent à côté des archontes de Delphes. Tous ces textes appartiennent au commencement du n° siècle avant notre ère?. Mais il ne faut pas croire que cette coutume date d’une époque aussi récente; à voir les complications à travers les- quelles on arrive à la liberté de l’esclave, sans y avoir songé pour ainsi dire, sans presque l'avoir voulu, on reconnaît que ce mode d’affranchissement est dérivé, par une série de transformations, de l'antique coutume de consacrer des esclaves à une divinité, et qu'il faut en rechercher l’origine première dans les temps les plus an- ciens. Pas plus dans leurs institutions que dans leurs monuments, les Grecs n’ont fait table rase du passé; ils n’ont pas tout détruit pour tout reconstruire; et, de même qu'il arrive fréquemment de retrouver les assises régulières de l'époque hellénique reposant sur les constructions polygonales des Pélasges, de même, c'est souvent dans les temps primitifs qu'il faut rechercher l'origine et l'expli- cation des usages et des institutions des époques plus récentes. Ici, malheureusement, nous n'avons pas la série des transformations qui ont fait de la consécration au dieu ce mode d’affranchissement que nous retrouvons au 1° siècle avant notre ère. On ne peut que les entrevoir, grâce à une étude patiente de ces documents. J'ai surtout essayé, dans ce travail, de donner le sens de ces actes, de montrer la raison de ces clauses confuses au premier abord et qui semblent contradictoires, les unes favorables, les au- tres défavorables à la liberté de Pesclave, tantôt allégeant, tantôt aggravant la servitude, et je me suis efforcé de faire voir qu'elles - + . L} (4 « L, à. ! Institut impérial. Rapport sur Îles travaux de 1 École française d'Athènes, par M. Egger, 1° août 186. Pour les fouilles faites à Delphes, au nom de l'Ecole française d'Athènes, et . pour tous les détails archéologiques re'atifs à ces inscriptions, je ne puis que ren- voyer au Mémoire que j'ai publié dans les archives des Missions scientifiques , nou- velle série, t. IL. Pour le texte même des inscriptions, Jnscriptions recueillies à Delphes, Paris, Firmin Didot, 1863. ? [est difficile de fixer l'année précise de chacun de ces actes : on ne peut le tenter avec quelque certitude que pour la période de 193 à 173; je renverrai à la liste chronologique des archontes delphiens, proposée par M. À. Mommsen et publiée dans le Philoloqus de 1866. — 311 — procèdent toutes d’une seule et même cause, la forme de vente à une divinité. Pour cela, j'ai âché de bien marquer la nature de l'acte en lui-même, sa forme, ses garanties; puis les restrictions qui le modifient dans un sens ou dans l’autre; cette étude permet d'apprécier la portée de ces affranchissements et de voir quelle influence ils ont pu avoir pour la condition des esclaves et pour l'esclavage lui-même. Enfin, j'ai réuni dans un dernier chapitre les renseignements que donnent ces inscriptions sur l'origine et le prix des esclaves dans la Grèce, au n° siècle avant notre ère. La date de chacun de ces actes est marquée, selon l'usage des anciens, par le nom de l’archonte et le mois; souvent on y ajoute le nom des trois sénateurs en charge pendant le semestre. Si le vendeur est étranger, on désigne de plus le magistrat de sa patrie, quelquefois même celui de sa ville, et le mois correspondant au mois Delphien. Puis vient l'acte lui-même. Voici la formule la plus simple et à laquelle peuvent se ramener toutes les autres. « Cléon, fils de Cléoxénos, a vendu à Apollon Pythien un corps mâle, qui a nom Istiæos, Syrien, pour le prix de quatre mines, à condition qu'Istiæos soit libre, et que nul ne puisse mettre la main sur lui pendant toute sa vie !.» Ainsi, dans sa forme la plus simple, l'acte contient le nom du vendeur et de son père, le plus souvent sa patrie; le sexe et le nom de l’esclave, son origine, quand elle est connue, et le prix de la vente. Laissons pour le moment ce côté, pour ainsi dire extérieur, et occupons-nous de l'acte en lui-même. Il est évident qu'il s’agit, non d'une consécration au dieu, quoiqu'on rencontre deux ou trois fois le mot dvéfnxe, mais d'une vente. L'expression érédoro ne signifie nullement « a donné, » mais « a vendu; » c'est le mot qu'em- ploient les auteurs anciens en parlant des prisonniers que l'on vend. Si nous examinons maintenant les clauses du contrat, nous ver- rons que cette vente a un double caractère qu'il importe de bien marquer. D'un côté elle est une fiction, puisque l'acquéreur achète, non pour posséder l’esclave, mais pour lui rendre la li- ! Emi roïode dnédoro KAëwy KAcoËévou 7 Ând)kon 75 Ilublw oüua dvdpeior ® dvoua lotiaios , rù yévos Züpoy, riuäs dpyvplou uväv recadpwv, Q' dre éXebepor eluey xai dvéQanTov drd mdyrwy Tov mävra Biov. (N° 53.) MISS. SCIENT. — 111. 26 — 378 — berté en échange de la somme qu'il a payée au maitre. De l’autre, elle est une réalité, en ce sens que les deux parties contractent des obligations réciproques, et que le vendeur, comme dans un marché ordinaire, doit fournir toutes les garanties nécessaires pour assurer à l'acheteur la paisible possession de ce qu'il lui vend. Le fond même de l'acte est la transmission des droits de pro- priété contenue dans ces mots : Un tel a vendu à Apollon Pythien. Get acte suppose chez celui qui le fait la capacité de posséder el d’aliéner; c’est un des plus importants de la vie civile. Iln’arien qui puisse nous surprendre quand le vendeur est un homme. Mais dans nos inscriptions, on trouve aussi des femmes vendant en leur nom, et ce cas se présente trop souvent pour qu’on puisse y voir une erreur ou l’omission d’une formalité. Il y a donc là, avec la loi civile de Rome et d'Athènes, une différence complète, et qu’il est nécessaire de bien établir. À Rome, la femme était dans une dépendance étroite et cons- tante à l'égard de l’homme. Nunquam exuitur servitus muliebris, disait un tribun du peuple, et ces fortes expressions que lui prête l'historien ! peignent avec énergie la condition de la femme. Plus tard, les jurisconsultes de l'empire, à force de subterfuges et de subtilités, surent changer cette condition rigoureuse en une di- berté à peu près complète; mais, sous la république, la femme était dans une servitude perpétuelle. La loi civile des Athéniens, bien plus douce à tous autres égards que la loi romaine, ne reconnaissait pas davantage la femme comme une personne civile. Elle né la traitait pas en esclave, mais en en- fant. Elle prenait les précautions les plus minutieuses pour pro- téger sa personne etses biens, parce qu’elle était considérée comme un être faible, impuissant à se défendre par lui-même. Pour la même raison, elle la regardait comme incapable d'agir dans la vie civile. Fallait-1l intenter une action en justice, témoigner devant le tribunal, acheter ou vendre, la femme ne pouvait rien faire que par un mandataire. La loi le désignait d'avance, le mari pour la femme mariée, le fils ou le frère pour la veuve. Ce mandataire, qu'il ne lui était permis ni de choisir ni de changer, était donc un véritable tuteur, un maître, et c’est le nom que lui donne la loi ! Tite-Live, L, xxxiv, 7, et Caton, ch. 11, dit : «Majores nostni nullam, ne privalam quidem rem agere feminas sine tutore auctore voluerunt; in manu esse parentinm , fratrum, virorum. » ii — 379 — athénienne, XUPLOS. Ainsi à Rome, servitude perpétuelle; à Athènes, enfance, et par suite tutelle perpétuelle : telle était la condition de la femme dans les deux principaux États de l'antiquité. Elle paraît tout autre dans ces inscriptions de Delphes. La femme y est une personne civile, non seulement à Delphes, mais encore à Amphissa, en Locride, en Phocide, en Doride, en Éto- lie, c'est-a-dire dans presque toute la Grèce du nord. Il y a plus de trente exemples de femmes qui vendent en leur propre nom, sans mandataire, sans tuteur, sans ce x0p10S dont la loi athénienne exigeait l'intervention. Elles déclarent avoir recu le prix de la vente, fixent les conditions auxquelles l’esclave est cédé au dieu, énoncent les restrictions apportées à sa liberté, stipulent les per- sonnes à qui il devra, dans certains cas, payer une somme d’ar- gent, en un mot, elles disposent, absolument et sans contrôle, de leur propriété!. Bien plus, cette vente peut, en certains cas, don- ner lieu à une action civile; c’est encore la femme, et non un mandataire, qui engage sa responsabilité. Il y a donc opposition avec la loi athénienne; faire des contrats, vendre et acheter, pa- raître en justice, sont des actes de la vie civile que la femme athénienne ne peut faire sans son xÿpsos. Au contraire, nous voyons qu'ici elle a le droit de les accomplir, sans le concours de personne, directement et en son propre nom. Le fait est incontes- table. Faut-il donc supposer dans la Grèce du nord lexistence d’une législation toute différente de celle de Rome et d'Athènes, reposant sur des principes entièrement opposés, et reconnaissant à la femme des droits qui partout ailleurs lui étaient refusés? Ce serait un fait trop grave pour qu'on pût l’affirmer sans autres preuves. Ne faut-il pas plutôt y voir une exception à la règle com- mune et l'expliquer par la forme même de ces affranchissements? À l’origine, ce fut une offrande réelle à la divinité, et, pour cet acte de piété, la femme n'avait pas besoin de l'autorisation d’un tuteur. Quand l’offrande ne fut plus qu’une vente déguisée, on conserva encore la forme de la consécration, et avec cette forme religieuse subsista pour la femme le droit d’agir en son propre nom. Dès lors il lui était impossible de se soustraire aux consé- quences de cet acte; et ainsi, peu à peu, et pour ainsi dire sans qu'on y prit garde, elle devenait une personne civile. Je regrette 2 N"36, 37, 6o, 202, 203, 251, 260, cic. 26. — 380 — de n'avoir à présenter qu'une hypothèse, mais, pour le présent, il suffit d’avoir montré que, pour ces actes de vente, la déclara- tion de la femme, aussi bien que celle de l’homme, est considérée comme suffisante pour transférer au dieu la propriété de l’esclave. H en était de même lorsque l’esclave appartenait à plusieurs maîtres, hommes ou femmes. Le cas le plus fréquent et le plus naturel est celui d’une vente faite à la fois par le mari et la femme. I n’est pas plus étonnant de trouver cette communauté de pos- session entre frères et sœurs : c’est alors un héritage. Maïs ce genre de possession devait susciter bien des difficultés, et, pour les évi- ter, on avait recours à la vente; par exemple}, nous voyons deux frères vendre en une seule fois trois esclaves, qui, vraisemblable- ment, provenaient d’un héritage. Nous trouvons encore des esclaves vendus par le père et le fils?, par une mère et son fils, par la grand’mère, la mère et les deux fils$. I n'est pas rare non plus de rencontrer des esclaves vendus par plusieurs maîtres qui ne sont unis entre eux par aucun lien de famille“, et même qui ne sont pas de la même ville; ainsi, dans le n° 284, l'un des deux maîtres est d'OEthania et l’autre d'Érinée. Quelque singulière que nous paraisse cette manière de posséder un esclave, surtout dans le dernier cas, elle n’a rien qui soit con- traire aux usages de l'antiquité. L’esclave était une propriété comme une autre, comme un fonds de terre ou un meuble: on se partageait son travail effectif ou le produit de son travail. On sait jusqu’à quel point cette communauté pouvait être poussée; les orateurs attiques nous ont conservé des exemples de citoyens s’associant pour acheter une courtisane et, par de scandaleux ar- bitrages, la loi reconnaissait et réglait le partage du bien com- mun ÿ. Peut-être ici y avait-il des choses analogues pour des femmes vendues par plusieurs maîtres de familles différentes. S’agissait-il de vendre au dieu un esclave ainsi divisé, il fallait le concours de ses différents maîtres. | La déclaration des possesseurs actuels ne semblait pas encore 1 N° :08. IN DNA 4 N°23, 30, 49, 160, 284, 301, 943 etc. * Wallon, t.1, p.191. — 381 — suffisante; on y ajoutait aussi l'approbation de ceux qui, un jour, pouvaient avoir des droits sur l’esclave vendu. Tel est le sens de cette mention qui revient fréquemment : ouremawvéovros, œuveudo- xéovtos, c'est-à-dire « d’'acord avec le vendeur, un tel a trouvé bon, a approuvé. » Ces mots ne doivent pas être pris dans le sens d’une autorisation donnant au vendeur le droit de faire le contrat qui, sans elle, serait nul; c'est une simple approbation de l'acte et, par suite, un engagement implicite de ne pas en attaquer les stipulations ni les conséquences. On serait tenté dy voir une auto- risation, lorsqu'il s'agit d’une vente faite par une femme en puis- sance de mari, ouveudoxéovros Toù dvdpès aûräs!. Mais le même terme est employé lorsqu'il s’agit de l'approbation donnée par la femme à une vente faite par le mari?; c’est encore le même pour l'approbation des fils ou des filles à une vente faite par Île père et la mère $. Comment supposer que la femme eût un droit sur les biens propres de son mari, les enfants sur ceux de leurs parents? Comment surtout l’admettre, quand il est question d’en- fants en bas âge (oœuveudoxeévTor Tv œaidaplwr), c'est-à-dire de personnes incapables de donner une autorisation“? Les personnes dont on constate l'approbation doivent donc être considérées, non comme faisant la vente ou y participant, mais comme la recon- naissant, sans pouvoir l'empêcher. Ce n’est plus ce que nous avons vu plus haut, un esclave possédé en commun et par conséquent vendu en commun; il y a une propriété particulière à l’un des deux époux, et, par suite, d’autres droits, une autre forme de vente. Si l’esclave appartient à la famille du chef du mari, c’est en son nom seulement que se fait la vente, et la femme y donne son approbation; si c'est du chef de la femme, c’est elle qui vend l’esclave, et le mari ne fait qu'approuver la vente 5. MN; 324-902, 236, 267, etc. MN B7ay7; 228, eic. 3 N° 502,113, 225, etc. 4 N°38. * L'étude de ces inscriptions pourrait fournir des documents précis pour la connaissance du droit civil. En voici un exemple. Au n° 277, deux époux vendent deux jeunes esclaves et stipulent qu’elles resteront à leur service pendant toute la vie des deux vendeurs ; c'était une propriété commune; en effet, il est dit que ce sont eux-mêmes qui les ont élevées. Au contraire, au n° 31, c’est la femme qui vend un esclave, et le mari ne fait qu'approuver. C’est auprès de la femme seule- ment que l’esclave doit rester trois ans, c’est elle qui doit hériter de lui. La femme — 382 — Pour apprécier la cause et la valeur de cette intervention , ül faut considérer non les droits actuels de ceux qui interviennent, mais leurs droits possibles dans l'avenir. Ni le mari, ni les enfants n’ont de droits sur la propriété particulière de la femme ou de la mère; mais, en cas de mort, ils en sont les héritiers naturels, et, à ce titre, ils auraient pu réclamer la possession de l’esclave vendu. Pour prévenir ces chicanes, on a soin de mentionner qu'ils ont approuvé la vente et qu’ils ont ainsi renoncé d’avance aux droits qu'ils pourraient avoir plus tard comme héritiers. Cette approba- tion n'était pas nécessaire pour permettre au vendeur de disposer de son bien; mais, pour l'acheteur, c'était une garantie que la vente serait respectée, non-seulement pendant la vie du vendeur, mais aussi après sa mort et par ses héritiers. L'examen des personnes qui donnent cette approbation achève de montrer que tel en est le sens. Nous avons déjà mentionné celle du mari pour la femme, de la femme pour le mari, des en- fants, fils ou filles, pour le père et la mère ou pour chacun d’eux séparément. On descend aussi jusqu’à la seconde génération; ainsi une femme ajoute à l'approbation de sa fille et de son fils celle du fils de sa fille!; une autre, celle des deux fils de sa flle?. On re- monte même aux ascendants, on trouve l'approbation : Du père et de la mère; Du père seul“; De la mère seule: De la mère et de la grand'mèref; De la grand'mère 7. mariée conservait donc des biens propres, et elle en avait la libre disposition. Un autre exemple montrera la confusion de droits résultant de la possession indivise d'esclaves et le rôle différent des membres de la même famille dans ces ventes. La même année, deux esclaves sont vendus au dieu, le premier par les deux fils et la fille avec l'approbation de la grand'mère paternelle et de la mère; le second, par la grand'mère paternelle, la bru et les deux petits-fils, avec l'approbation du fils (96 et 127). Une autre année, la mère seule vend avec l'approbation du fils aîné; le fils aîné, avec l'approbation de la grand’mère paternelle (70 et 364 ). 1 N° 91. — Curtius, 11. | | AN? 240: 3 N° 432. 4 N° 78. 5 N°53, 141,445, etc. 6 N° 96, 364. ; 7 N° 364. — 9383 — Quelquefois même les collatéraux sont cités, ainsi le frère!, la sœur, et peut-être même le mari de la sœur?. Cette approbation se rencontre dans un assez grand nombre d'inscriptions pour qu'on puisse la considérer comme d’un usage général. Les irrégularités qui se présentent dans quelques cas achèvent de prouver que ce n'était pas üne formalité nécessaire, mais simplement un surcroît de garantie pour l'acheteur. L'acte de vente est suivi d’une espèce de reçu xai Tav Ta ëxee macar. Mention rapide où a disparu toute trace de la céré- monie qui accompagnait la vente et en marquait le caractère re- ligieux. Heureusement quelques inscriptions sont moins brèves, et les détails qu'elles ont conservés permettent d'en indiquer les traits principaux. Le maître, accompagné de l’esclave, se présente devant le temple d'Apollon, passe près de l'autel extérieur, le grand autel, et s'avance vers la grande porte, mais sans en franchir le seuil. Les prêtres viennent à la rencontre de l’esclave qu'on amène au dieu; en présence des sénateurs et d’un certain nombre de témoins, ils remettent au maître le prix convenu et reçoivent le serment des deux parties. Cette cérémonie, souvenir du temps où la vente au dieu était réelle, avait une solennité propre à frap- per les esprits. Les offrandes, hommages du monde grec tout en- tier, cette grande porte au-dessus de laquelle était gravée la fameuse maxime : Connaiïs-loi toi-méme; le-sanctuaire, avec l'omphalos et les statues des Parques, au fond duquel où apercevait l'entrée du mystérieux adyton; ces lieux enfin tout pleins de la divinité; lin- tervention des prêtres , ses serviteurs et ses représentants#; la pré- sence des magistrats : tout cela dut faire une vive impression sur les premiers qui vendirent au dieu leurs esclaves. Mais la répéti- ton fréquente et presque journalière de cette cérémonie lui avait enlevé son importance; ce n'était plus qu'une simple formalité, et, comme elle ne portait pas sur les clauses essentielles du mar- ché, on négligeait de la rappeler dans l'inscription qui constatait la vente, ou on l'indiquait par ces mots : Tara dÈ éyévero dvà uéoov TOÙ (Bwpoÿ xai ToÙ vaod*. Dès que la somme stipulée avait été remise au maitre, l’esclave LMie3, 75. 2 N° 133. 3 Kai ro dpyÜproy EAaGe éy T® vaÿ émi ToÙ Gd0Ù xarà Td uéya SÜpoua. (N° 288, 5 N° 345, 346, 376, 384, Ao7. — 384 — cessait de lui appartenir, sauf les restrictions dont nous aurons à parler plus loin. Appartenait-il au dieu ? Devenait-il un de ces hié- rodules qui étaient en grand nombre dans quelques sanctuaires, ce Ads oixprwp Seoù! dont parle le poëte? Sans aucun doute, il en était ainsi à l'origine; encore maintenant, on le trouve appelé sacré, propriété du dieu. Mais il suffit de jeter un coup d'œil sur les inscriptions pour voir que la propriété du dieu n’est que fictive, comme l'avait été le payement fait en son nom. Nous avons vu les prêtres remettre la somme convenue au maître, mais c’est l’esclave qui l’a fournie. Ce payement est toujours constaté xaDos émioreuce To ES Tv Qvdv, « comme l’esclave a confié au dieu la vente, » c'est- à-dire le soin et les moyens de l'acheter. Il y avait donc un double contrat : l'un entre le maïtre et le dieu, par lequel l’esclave deve- nait la propriété du dieu qui l’achetait; l'autre entre le dieu et l’es- clave, qui attestait que celui-ci avait confié au dieu la somme néces- saire à la rançon, à condition d’être libre. La liberté de l'esclave, tel était donc le résultat final de l'acte. Cette condition essentielle est stipulée dans toutes les inscriptions sans exception, et avec les précautions les plus minutieuses. On trouve quelques différences dans les détails; mais, au fond, le sens de la formule est toujours le même. Le maïître a vendu à Apollon Pythien l’esclave, et l'esclave a confié la vente au dieu à ces conditions : &@ dr (&@ we, wole) )eUbepor eue (xupreverv aÿrooauTod) nai dvéOarlor dnd mdvrwr Tôv æavra (Biov où xp0vor. Tloréovra © na Sékn ai dmorpéyoyra ois xa Séln (év mavri TÔT, ou, © xx Sédwvts oinéovra, datpiéerr el ua aÿro SélwvrTs.) Etre libre, être son propre maitre, voilà la stipulation essentielle, la condition de la vente; les autres y sont implicitement comprises et n'en sont que le développement naturel. Cependant on prend souvent soin de les préciser; et cela n’est pas inutile, car nous ver- rons tout à l'heure à quelles restrictions cette liberté pouvait être soumise. Ne pouvoir étre saisi par personne et en aucun temps. Nous exami- nerons également les précautions prises pour assurer l'inviolabilité de l'affranchi. | | ! Euripide, Androm. v. 1089. 1UN% 70, 045,421, 124. — 385 — Faire ce qu'il veut, courir où il veut, habiter où il veut; condition importante, car nous lui voyons parfois imposer l'obligation d'ha- biter dans une ville ou l'interdiction de s'établir dans une autre. ll en est de même lorsque l'effet de la vente est ajourné à la mort du maître. « Si Polyon vient à mourir, que Simon et Taurion appartiennent au dieu , étant libres et insaisissables toute leur vie et faisant ce qu'ils veulent, comme ils ont confié la vente au dieu !. » La vente au dieu est donc fictive: les esclaves lui sont vendus, mais à condition d'être libres sur-le-champ, sauf les restrictions stipulées par le maître. STÉE Voilà donc l’esclave. déclaré libre au moyen de cette vente fic- tive. Mais en dépit de toutes les précautions prises pour assurer la vente, la liberté du nouvel affranchi pouvait encore être me- nacée. Quels étaient ses moyens de défense? Quelles étaient ses garanties ? « Si quelqu'un porte la main sur Manès pour l’asservir, que Ma- nès soit maître de se défendre lui-même par la force, comme étant libre ?. » De même pour la femme : « Si quelqu'un tente d’asservir Dorcis, qu’elle soit maîtresse de se défendre elle-même par la force. » | Les expressions employées pour marquer cette tentative d’as- servir l'affranchi varient, mais reviennent toujours au même sens: el vus éQaémrouro, dvOanîntor, dnInrœ ëmi xaradoulioud, ou en un seul mot, xaradou\itorro, &yor, émrhau£dvouTo. Le mot oukées qui désigne le droit de l’affranchi a une grande énergie; il signifie primitivement voler, enlever, et ici, arracher par force; l’affranchi jouit donc des mêmes droits que l’homme libre, il peut opposer une résistance matérielle à celui qui veut attenter à sa liberté, et, pour mieux marquer quil peut, sans l'intervention de personne, résister lui-même à celui qui veut 1 Eÿ dé ré xa ma0n IoÂtwr, où Seoû éolwoay Eluwy, Tavplwv, éAeüdepor dvres xal duéQanros tou mdvra Blov, moiéovress Ô na SÉÂwvrt, xalds émiolevoay Tà Ed räv dvay Eiuwy, Taupiwv. (N° 314.) ? Ef dé ris éQ@anlorro Maveos émi xaradouhou®, xÜpios èorTw Mavns aÿowror auAéwv &s ékedbepos dv. (N° 31.) % Ei dé res narahouAigorro Aopuida, xÜpia olw aÿaauray ouAéouoa. (N° 36.) — 386 — mettre la main sur lui, on insiste en mettant ovAéw» aÿros éaurov!. En outre l’agresseur s'expose à être traduit en justice et condamné à une amende. « Si quelqu'un saisit Olbia pour l’asservir, qu'Olbia puisse le traduire en justice ?. » Dans un autre exemple, l'amende “est prononcée d'avance. « Si quelqu'un porte la main sur Soso ou Sostratos pour les asservir, qu’il paye... mines d'argent *. » De plus, le premier venu avait le droit de venir à son secours. «De même, que les particuliers qui seront présents soient les maitres de défendre Mélissa par la force comme étant libre, sans que les défenseurs soient exposés à aucun procès ou passibles d’au- cune amende. » Cette faculté reconnue à tout citoyen de défendre l’affranchi menacé dans sa liberté est tout à fait conforme à l’es- prit des républiques grecques; chaque citoyen pouvait réprimer ce- lui qui violait les lois ou portait atteinte au droit d'autrui. Le soin que l’on prend d’ajouter constamment sans étre exposé à aucun procès el passible d'aucune amende, montre l'importance de cette clause. C'était une chose grave de vouloir soustraire un esclave à son maitre, ou à celui qui se prétendait son maître; on s'expo- sait à un procès et à une demande en dommages et intérêts. Le danger est facile à voir, d'après ce PA PINS retrouvé en Égypte et qui était une affiche promettant une récompense à celui qui dé- signera la retraite d'esclaves fugitifs. Le maître promet 2 talents 3000 drachmes de cuivre (2 mines 1/2) à celui qui le ramènera; 1 talent 2000 drachmes (1 mine), à celui qui indique sa retraite, si c'est un lieu sacré ; 3 talents 500 drachmes (3 mines), si c’est la demeure d’un homme solvable. Letronne , dans son commentaire, a très-bien donné l'explication de cette dernière somme; la récom- pense promise est moins forte pour celui qui ramène l’esclave fu- gitif que pour celui qui désigne sa retraite, si c’est la demeure d’un homme solvable. C’est que, dans ce dernier cas, le maitre ! Dans cette expression, le premier pronom est devenu invariable aÿros aurai, æÿros aur@v, puis, par abréviation, aÿoavré» et même aÿowror ou goavrôr, où l'on aurait peine à reconnaître l'expression primitive, si on ne l’avait suivie à tra- vers les altérations successives qu’elle a subies. 2 Ef dé vis na dnTnra ÔXGlus x) naradoulouG , Êrddmos Eole ÜAGIa. fe 130.) 3 Eë dé ris éQanTouro Ywooûs à Zwolpdrou éri xaradoulouÿ, éroricdrw dpyu- piou....... (N° 42. ) "+ hi dë ua oi AGE QAMQNRES TÔy idiwTär xÜpror Édvrwy ouÂéovres Mé- Moouv &s éAevdépar Éooav, déamuor Sdvtes nai dvunoduxos Toi ovAéONTES mous dinas nai Cauias. (N° 34.) — 0 — rentrait en possession de son esclave, et, de plus, pouvait faire condamner à une amende celui qui lui avait donné asile. Les plai- doyers de Démosthènes en fournissent une autre preuve. Le père de Théocrinès, qui avait enlevé une femme esclave à son maitre, avait été condamné à une amende de 5 mines pour les frais de justice, et de 5 autres mines à payer au maitre. À Athènes, tout citoyen pouvait intervenir pour faire donner la liberté provi- soire à hnerpersonne réclamée comme esclave; mais, en cas d’er- reur, il avait à payer la moitié de sa valeur !. La crainte d’un pro- cès et d’une amende aurait pu arrêter les citoyens disposés à in- tervenir en faveur de l’affranchi, et à défendre sa liberté. Aussi a-t-on soin, dans les documents delphiques, de ne jamais omettre cette garantie : « Les défenseurs étant à l'abri de tout procès et de toute amende?. Mais ce n'était pas pour l’esclave lui-même qu'était donné à tout citoyen le droit de le défendre contre un ravisseur; il en pro- fitait, mais indirectement, comme il était devenu libre indirec- tement, par une vente fictive. Ce n'étaient pas ses droits, mais Jes droits de l'acheteur, la propriété d’Apollon qu'on défendait en lui; c'était au nom du dieu qu'on intervenait. « Que les citoyens présents aient le droit de le défendre, selon Pinscription et la vente inscrite dans le temple, » — « comme étant libre pour le dieu“. » ? Demosth. p. 1227. ? Wallon, p. 211. — L'inscription découverte, il y a quelques années, à Andanie contient des prescriptions intéressantes sur le droit d'asile et sur la res- ponsabilité que Ton encouraiten venant en aide à un esclave fugitif. Diéypov eluey voës dovhos. Toës doilois Qymmor &olw Tù iepèv, xafds àv of iepoi dro- delÉwyrs TÔy rômov, nai undeis LR ANr roùs dpaméras UTE oiTodoreiTe pmÔË ëpya sx ere Ô dé œouûv Tà PE EEE , Vrôdixos EcTw Tr Ru Tês Toû owuaros dimaoias délus nai émripéov Sparte œevranociar. OÔ d8 à ispeds ÊTI- npivÉTO mepi Tv dparerimdv, Oco1 na hyrau Êx Ts duerépas mÜÀEOS, Xai OOOUS 1% xaranpives mapadére Toïs xvpioist àv dà ph mapadide, SÉtolw Tr xupiw dmorpexei yours. « Que les esclaves puissent se réfugier dans le temple, dans le lieu que détermineront les prêtres. Que personne ne reçoive les esclaves fugitifs, ne les nourrisse, ne leur donne de l'ouvrage; si quelqu'un agit contrairement à ces dispositions, qu'il soit tenu à payer au maître deux fois la valeur de l’esclave et une amende de 500 drachmes. Le prêtre devra juger au sujet de tous les es- claves fugitifs qui seront de notre ville, et livrer au maître tous ceux qu'il condam- nera; s’il ne les livre pas , que le maître ait le droit de s’en emparer et de les em- mener.» (L. 81-85.) 3 N°78, 97, 98, 99, 190, etc. 4 N° 100. — 388 — « Qu'ils aient le droit de le défendre pour la vente du dieu » ê7i ràv Toù Seoù dvdr !. — Et encore plus clairement. « Si quelqu'un veut s'emparer de Mélita, que le premier venu soit libre de lar- racher par force et de défendre Mélita au nom du dieu ?.» H est donc bien évident que c’est au nom d’Apollon que se fait la revendication de la liberté de l’esclave; les défenseurs ont le droit d'employer la force pour maintenir la vente faite au dieu, et, comme cette vente stipulait la liberté de l’esclave, cette liberté. Aussi trouve-t-on ces deux choses confondues comme libre et ap- partenant au dieu, cs é}eUbepor OvTa ua TOÙ eo: maïs la première n'est que la conséquence, et la seconde le principe même, l’origine de cette garantie. On voit donc quelle influence avait cette forme de la vente au dieu, quoiqu’elle fût devenue une pure fiction; les sûretés que l'acquéreur avait le droit d'exiger du vendeur de- venaient pour l’esclave autant de garanties ; en songeant à défendre les droits du dieu, quand la vente était réelle, comme à l’origine, on était arrivé insensiblement à protéger les droits de l’esclave, alors que la vente n’était plus que simulée. Telle est encore l’origine de la dernière et de la plus sérieuse des garanties, que l'exemple suivant, pris entre plusieurs, nous fait connaître. « Si quelqu'un porte la main sur Diodora pour l’as- servir, que le vendeur Andromenès et le garant Athambos garan- tissent la vente au dieu; mais s'ils ne garantissent pas la vente au dieu, qu'une action puisse leur être intentée selon les lois de la ville 4. » Cette formule est reproduite d'ordinaire telle que nous venons de la citer, ou avec quelques variantes qui l’éclaircissent et la complètent. Ainsi la liberté. de l’esclave était protégée non- seulement par le droit qu'il avait de la défendre lui-même par 1 IN°590! 2? Eÿ dé rs émhauGävorro MeXras, éÉovola 80lw T® mepiruyôvrs ouXéonrt nai mpoioTaupévew Meliras Ürèp roy S-éov. N° 286. 3 On en voit une preuve encore plus claire dans les inscriptions analogues de Tithorée, de Stiris, de Daulis (Curtius, p. 21 et sq. ). Une amende considérable, de 10 à 6o mines, est prononcée contre celui qui essayera d’asservir l’esclave vendu au dieu; cette amende est consacrée à la divinité; une moitié reste au dieu, l'autre moîitié est promise à celui qui aura pris la défense de l'esclave au nom du dieu. Ef dé ris na évaminru Aiodwpas ëmi xaradouloud, Bééuor œapeydvrw Tàv dvèy T$ Se Ô Te droddueros Âvdpouéyns nai 6 Beburnp ÀGauos* ei d un mapéyxoier Bébuor Tèv wvdr T® ed, mpdxTImos ÉGVTY xATÈ TOY vOjLOY TËS m0- Atos. (N° 45.) — 989 — la force, par la faculté laissée à tout citoyen d'intervenir pour la protéger, mais encore et surtout par l'obligation imposée au mâäître et au garant de la faire respecter, sous peine de procès et d’a- mende. Il est impossible de supposer cette dernière obligation con- tractée directement par le maïître envers de l’esclave; elle serait trop contraire au principe même de l'esclavage. L'esclave était un corps, une propriété dont le possesseur pouvait user et abuser à son gré; à son égard, il avait tous les droits, mais aucun devoir. Qu'il lui rendit la liberté gratuitement ou moyennant rançon, plei- nement ou avec restriction, on le conçoit sans peine : c'était une manière de disposer de son bien. Mais comment s'expliquer qu’il ait conclu un contrat avec sa chose, qu'il se soit reconnu des obli- gations envers elle, qu'il lui ait accordé le droit de lui intenter une action, de le faire condamner à une amende? Cette récipro- cité d'obligations suppose entre les deux parties une égalité qu'il est impossible d'admettre entre le maître et l’esclave. Aussi n’était-ce pas envers lui, mais envers le dieu que le ven- eur s'engageait. Cette vente à Apollon, nous l'avons déjà dit, était une fiction, en ce sens que le dieu ne devenait le possesseur de l’esclave qu’à la condition de lui rendre la liberté; mais, à lé- gard du vendeur, elle était une réalité. I y avait un véritable contrat, entrainant des droits et des obligations réciproques; de la part du dieu, payement de la somme stipulée, respect des ré- serves faites par le vendeur; de la part de celui-ci, obligation d'assurer au dieu la paisible jouissance de lPobjet acquis. Les ter- mes mêmes de la clause le montrent clairement : « Qu'ils assurent la vente au dieu,» Béœov mapeyôvre rar var T@ Se. Y est-il question de la liberté de l’esclave, d'engagement pris avec lui? Nullement, mais d’un contrat fait avec le dieu et de la charge imposée au vendeur d'en assurer lexécution. S'il est obligé de prévenir ou de réprimer toute tentative faite pour asservir l’es- clave, c’est que mettre la main sur celui-ci, vouloir le réduire en servitude, c’est porter atteinte à la propriété du dieu, infirmer la vente. Ainsi la protection assurée à l’esclave n'est qu'indirecte, elle est une des conséquences du contrat fait avec le dieu, un des avantages de ce mode d’affranchissement. Cette obligation de faire respecter la vente fait eau dieu et, par suite, la hiberté de l’esclave , qui en est une des conditions, est contractée par les vendeurs, . — 390 — qu'il y en ait un ou plusieurs, que ce soit un homme ou une femme !. Nous avons montré que leur droit de vendre était égal; il est donc naturel que l'obligation résultant de la vente soit la même. Souvent elle est aussi contractée par ceux qui n’ont donné que leur approbation, c'est-à-dire par les héritiers ?; quelquefois même ils sont désignés par ce nom de érivouos. « Si quelqu'un porte la main sur Aphrodisia pour l’asservir, que les vendeurs ou leurs héritiers légitimes garantissent la vente au dieu $. » Ce que nous venons de dire des obligations du maitre à l'égard du dieu et, par suite, de l’esclave qui lui appartient, explique l'existence et le rôle du personnage appelé BEbaœrcwrne. Outre sa propre garantie, le vendeur était tenu de fournir celle d’un ou de plusieurs citoyens, qui s’engageaient à repousser toute tentative qui, en portant atteinte à la liberté de l’affranchi, aurait infirmé la vente. De là le nom de garant, Bebacwrip, ou plus explicitement « garant des conditions de la vente, » Be6awrp xabos à cv Eyes. Cette caution était essentielle, car, sur quatre cents actes environ qui nous sont connus, 1l n’y en a pas un seul où elle soit omise. C'était une des charges du vendeur de trouver un citoyen qui vou- lüt accepter cette responsabilité. Il était donc naturel qu'il fût dé- signé, non par l’esclave, qui n'était pas directement en cause, mais par le maitre, à qui était imposée l'obligation de donner une cau- tion. Deux inscriptions nous en fournissent une preuve plus di- recte; ce sont deux actes de vente faits par des femmes, et il est dit que tel citoyen a été désigné comme garant par la volonté du mari xeeuoavros. Dès lors, il n’est pas étonnant que très-souvent ces garants soient les plus proches parents des vendeurs, les fils£, le frère ou le mari, si c’est une femme qui vend ?. Lorsqu'on ne voit aucun lien de parenté, on se demande quel motif pouvait faire accepter cette lourde responsabilité qu'entrai- nait la qualité de garant; car rien ne permet de supposer qu'elle 1'N° 20,29, 02, 40, Ho,cetc. 2TN°21, 94; 10, 299, etc: ; 3 Bébuor mapeyôvro F$ Seÿ Tàv dvav oï re dmodôuevos à oi érivouor. (N° 52, 147.) 4 N° pe: 5 N% 120, 236. ‘INT 96, UD, 74, 1 A20, ele: N° 32,78, 118, etc. et Curtius, 2g ct 52. — 991 — ue füt pas gratuite. C'était probablement un moyen pour ceux qui voulaient parvenir aux honneurs de gagner la reconnaissance de leurs concitoyens ou de s'attacher la clientèle des étrangers; en effet, les noms qui reviennent le plus fréquemment sont ceux des citoyens qui appartiennent aux premières familles de la ville de Delphes, et qui deviennent sénateurs, archontes, prêtres d’Apollon. Le plus souvent il n'y a qu’un seul garant, deux assez fréquem- ment, et parfois trois ou quatre. If serait difficile d'indiquer les causes de ces différences. Elles ne dépendent ni du nombre ni du prix des esclaves vendus; pour deux esclaves vendus ensemble 6 mines, il n’y a qu'un garant}, tandis qu’on en trouve deux pour une seule femme vendue 2 mines?. On pourrait croire que le nombre varie selon les garanties qu'offre le vendeur, si l’on ne trouvait tantôt deux garants, tantôt un seul, pour des ventes faites par le même maître *. Lorsque le vendeur est un étranger, on trouve d'ordinaire, outre le garant delphien, un étranger. L’esclave étant vendu au dieu, à condition d'aller où il voudrait, n'était pas obligé de rester à Delphes, mais retournait vraisemblablement dans la cité où il avait été esclave; il fallait donc que là aussi il ÿY eût un garant pour faire respecter les conditions de la vente. Aussi trouve-t-on, dans un grand nombre d'inscriptions, un garant de Delphes et un autre de la patrie du vendeur *. Mais ici encore se présentent de nombreuses irrégularités. Quoique la vente soit faite par un étran- ger, il n'y a souvent comme garants que des habitants de Delphes. On le comprend, pour une vente faite par un maïtre achéen qui défend à l’esclave de rentrer en Achaïeÿ; il n’était pas besoin d’un garant dans un pays où l’affranchi ne devait pas retourner et où, par conséquent, la vente ne pouvait pas être attaquée. Etait-ce la même raison, dans les autres cas, où il n’y a que des Del- phiens 2 En revanche, les garants sont fréquemment tous étran- gers, le plus souvent des compatriotes du vendeur, mais parfois PR. HT 2 N 46. N® 66 et:77; 86, 136 et 142. E Na, 59%, 75, 82, etc. LAN 2090. DN096, 265, 297. — 992 — aussi des habitants d’une cité différente !, Ces exemples, dans lun et l’autre cas, sont trop nombreux pour qu'on puisse y voir une erreur ou une irrégularité. Comme pour le nombre et la patrie des témoins, il n'y avait rien de fixe n1 de constant. La seule règle qu'on puisse établir, c’est que le vendeur devait fournir au moins un garant qui s’engageàt à maintenir la vente faite au dieu. Le garant acceptait, ou séparément ou conjointement avec le maître, l'obligation de faire respecter les conditions de la vente. Ce ne pouvait être évidemment qu’en prêtant main-forte à l’es- clave ou à ceux qui lui portaient secours pour défendre sa liberté, en l'aidant à poursuivre en justice, à faire condamner celui qui avait essayé de l’asservir. Mais cette intervention, qui était un simple droit pour les autres citoyens, devenait une obligation pour le vendeur et Îe garant. En y manquant, ils s’exposaient à une action judiciaire, à une amende. Le chiffre en est marqué dans quelques inscriptions; il varie, maïs sans jamais être inférieur au prix de la vente; tantôt c'est ce prix même, tantôt une fois et de- mie ce prix rÔ fpuouov, par exemple 6 mines pourun esclave vendu 4 mines, 12 mines pour deux esclaves vendus 8 mines ?; l'amende peut même monier jusqu'a 30 mines pour des esclaves vendus 5 mines ?. , ? Comme c'était au dieu qu'était donnée la garantie, c'était aussi en son nom que l'action était intentée; par suite, l'affranchi, à qui le dieu a transmis ses droits, où le mandataire de laffranchi, pouvaient poursuivre legarant qui manquait à ses devoirs : « Qu'une action puisse leur être intentée par le dieu et Satyros, et par celui qui voudra agir au nom du dieu ou de Satyros pour une fois et demie la somme payée, 6 mines'. » On n'oublie pas de stipuler que ceux qui voudront se charger des intérêts de l’esclave n’auront. à encourir ni procès ni amende. Le même droit est reconnu à ceux envers lesquels l’affranchi a contracté certaines obligations, qu'il serait impuisssant à remplir s’il état privé de la liberté®. Cette 1 N° 90, 118,241, 106. ? N° 341, 347, 384, 4oz. 3, N°03, 9% À Ef dé ua un mapéywrti, mpaurimor é0vro 7 Seÿ nai SarÜpw xui T® ÜnÈp Ty « edr À Edrupor Séovtt mpacoer aûroÿ xai roÙ muuolou var ÉË. (N° 384. Voir ho7.) NM — 395 — mention si précise, mpéxTmor TD HED Où ÜTEÈPp TÔr Sedr, esl omise dans la plupart des inscriptions; mais il suffit de la trouver clairement exprimée dans quelques-unes pour découvrir l’origine de ce droit de poursuivre en justice, donné à l’affranchi ou à son mandataire. Si l'on voulait voir dans le Be6œrwrnp un protecteur donné à l'esclave, son rôle serait également inexplicable des deux côtés. Concevrait-on l’esclave ayant un protecteur désigné par son ancien maître, choisi parmi ses parents, ses héritiers, c'est-à-dire parmi ceux qui peuvent être intéressés à attaquer sa liberté? D'un autre côté, serait-il plus facile de concevoir un protecteur qui consent non-seulement à défendre la liberté de lesclave, mais encore qui en accepte l'obligation, sous peine d'amende. Au contraire, tout s'explique naturellement, si l'on voit dans le Bebarwrne une cau- tion donnée au dieu. Il estchargé d'assurer la vente, de là son nom de Bebœarnp; il représente et remplace le vendeur, &poaradôrns, et si quelquefois il est appelé æpooldrns, défenseur, c’est que, pour assurer la vente faite au dieu , il fallait bien défendre la li- berté de l’esclave, qui en était la condition. Ces garanties ne sont donc pas particulières à l’affranchissement des esclaves, mais elles sont une application de ce principe fonda- mental de tout contrat, que le vendeur doit assurer à l'acquéreur la possession de la chose vendue. Nous rentrons ainsi dans le droit commun , dans la loi civile ordinaire !, On comprend alors pourquoi il est dit que l’assureur est nommé selon la loi de Ja ville de Del- phes, que l'action pourra être intentée selon la loi x4Td Tôr voor Täs woluos Tv Ae}Pv. Si l'emploi du singulier faisait pen- ! Cette obligation de fournir un garant responsable de l'exécution du contrat n'est pas particulière à ces ventes d'esclaves; on trouve des exemples analogues dans les autres parties de la Grèce et pour des contrats d’une nature différente. À Andanie, celui qui s'engage à fournir les victimes pour la célébration des mys- tères doit donner des garants, et si les conditions du marché ne sont pas rem- plies, ces garants auront à payer une fois et demie la valeur des victimes (nsc. d'Andanie , 1. 70). En Attique, un citoyen qui prend à ferme un atelier apparte- nant au dème des Cythériens donne aussi un garant pour répondre de l'exécu- tion des clauses du baïl ( Revue arch. 1866 , p. 353). À Delphes, si le maître doit donner un garant ou assureur, c’est parce qu'il y a vente, et par conséquent con- trat. À Chéronée, à Coronée, à Daulis, à Süris, où l'esclave n’est pas vendu, mais consacré au dieu , il n'y a pas de Bebuwrhp, parce que c'est un don et non un contrat. MISS, SCIENT. [IT 27 — 394 — ser qu'il s’agit d’une loi particulière, le doute n’est plus possible lorsqu'on trouve le pluriel xœr& Toùs vouous. La désignation d'an garant, l'action à intenter aux vendeurs et aux garants, s'ils man- quent à leurs engagements, sont soumis aux lois qui régissent les contrats ordinaires. Quand le vendeur est étranger, après ces mots : x4rd Tv vouor Tor Aes1Gür, on ajoute xai xatrd Tù ouu6okor où Ta ouu6oXkdr. Que faut-il entendre par ce mot oüx60)or, convention, traité? Est-ce une convention particulière entre le maître et l’esclave? Ou le traité conclu entre Delphes et les autres États dont les citoyens viennent vendre leurs esclaves à l’Apollon Pythien, traité ayant pour but d'assurer dans ces États l'exécution des contrats faits à Delphes? Si c'était une convention particulière conclue lorsqu'il y a des restrictions apportées à la liberté de l’esclave, ne devrait- on pas trouver ce mot oüy6olov, dès que la vente est condition- : nelle, que le vendeur soit Delphien ou étranger? Enfin, ce qui montre évidemment que oÿu£oo désigne un traité, une conven- tion internationale, c’est qu’on trouve xard Tùv vouov Tor Ae1Çür xai xaTa Tù ouuÉohor Tor Doxéewr!. Il est clair qu'ici il ne s’agit plus d’une convention particulière, mais d’une convention entre la cité de Delphes et les Phocidiens. C'était une nécessité dans la Grèce, où les républiques étaient si nombreuses et si rapprochées, où les rapports devaient être si fréquents. Supposez qu’un contrat fait dans une cité ne fût plus valable dans la cité voisine, et toute transaction devenait impossible. Pour la ville de Delphes, en par- ticulier, située à Rue heures à peine d'Amphissa, de la Lo- cride, de la Phocide, à une journée de l'Étolie et de la Doride, où nous voyons les habitants de ces pays venir si fréquemment vendre leurs esclaves, il fallait que la vente faite dans le temple püt obliger les deux parties, même en dehors de son territoire. De là ces traités conclus entre la ville de Delphes et les États voisins : Béotie, Achaïe, Locride, Amphissa, Étolie, Doride, Phocide et même Thessalie. Peut-être même ces traités réglaient-ils tous les rapports entre les Delphiens et les étrangers ?. À coup sûr, ils 1 N° 47. 2? Voir Egger, Études histori iques sur les traités publiés de les Grecset des Ro- mans , depuis les temps les plus anciens jusqu'aux prenuers siècles de l'ère chrétienne Paris, 1866. — 395 — fixaient la manière dont on devait donner les garanties pour la vente faite à Apollon. Ainsi cette vente, et par suite la liberté de l'esclave, était protégée à Delphes par la loi civile; à l'étranger, parles traités qui obligeaient les vendeurs et les garants à repous- ser toute tentative d’asservissement contre l’affranchi, ou sinon à payer une amende. Il s'agissait enfin d'assurer la publicité de la vente et la conser- vation du titre. De tout temps, la présence des témoins a été la garantie la plus naturelle. Aussi, à la fin de chaque inscription, trouvons-nous la liste de ceux qui ont été présents à la vente. Sous ce nom commun de HLOPTUPES, on comprend trois sortes de té- MOINS : I: 1° Les prêtres d'Apollon Pythien, toujours nommés les pre- miers, puisqu'ils jouaient lé principal rôle dans la vente et re- présentaient le dieu, qui était censé acheter l’esclave. Ils étaient deux, et leur dignité était à vie, car on retrouve les mêmes pré: tres sous plusieurs archontats. Quelquefois, un seul est présent, ce qui n'empêche pas de mettre les prêtres, au pluriel; oi iepeïs. 2° À côté des prêtres parait souvent un personnage appelé le néocore. Son nom seul indique ses fonctions, celui qui a soin du temple. Cette charge, assez humble en elle-même, puisqu'elle ne se rapportait qu'au matériel du temple, était relevée par la gran- deur et la richesse du sanctuaire; elle était devenue assez impor- tante pour être confiée à des hommes qui avaient été sénateurs et archontes, comme Ménès, néocore pendant plusieurs sacerdoces successifs. Naturellement, il était très-souvent le dépositaire des actes de vente. 3° Plus rarement on trouve, à côté du néocore, à æpoolérns ou oi æpoclére. I] ne faut pas les confondre avec le garant à qui on donne quelquefois le même titre de æpooldrns. Dans les actes où sont mentionnés ces défenseurs , ils ne sont pas les mêmes que les garants !. Comme le citoyen désigné par ce titre est nommé avec les prêtres et avant le néocore, cette fonction devait se rap- porter au temple. Le titre complet est wpoolaras rod iepoi?. I semble avoir été chargé de protéger les biens du dieu et de dé- fendre ses droits devant les tribunaux. 1 N° 384, 4o7, hr: 2 N°68. nn" — 396 — IL. Les archontes où sénateurs, oi &pyovres ou oi Bouheutar. L’archonte éponyme ne figure jamais parmi les témoins; ce sont les sénateurs en charge, qui se renouvelaient par semestre; l’un d'eux portait aussi le titre de greffier du Sénat. Il n°y a jamais plus de trois sénateurs en fonctions; lorsqu'à la suite du mot &pyov- res, il y a plus de trois noms, c'est une négligence du graveur, qui a négligé de mettre le mot diras devant les simples particuliers ; on peut s'en assurer en regardant une autre vente faite sous le même archontat. Quelquelois il n'y a que deux sénateurs pré- sents à la vente ou même un seul; assez rarement, aucun n’est désigné comme y assistant. NL. Irôras, les simples particuliers désignés par leur nom et celui de leur père, avec l'indication de leur patrie, par conséquent des hommes libres. Leur nombre n'avait rien de fixe, et nous le voyons varier depuis deux jusqu'à dix-sept. Ces variations ne dé- pendent pas du prix, car cinq particuliers sont témoins pour une esclave vendue une mine , et deux seulement pour une autre vendue 5 mines !; ni du nombre des esclaves compris dans le même acte. Il n’y a que deux témoins pour trois femmes esclaves, tandis qu'il y en a douze pour un seul esclave ?. Leur nombre varie également pour des ventes faites par le même maître ou sous le même ar- chonte | Tous les témoins sont de Delphes lorsque le vendeur est Del- phien. S'il est étranger, un certain nonbre de ses concitoyens assiste à la vente. Une femme de Lilæa a pour témoins cinq Del- phiens et cinq habitants de Lilæa * ; mais tantôt les Delphiens, tantôt les étrangers, sont les plus nombreux. Souvent même ils ne sont pas de la même ville que le vendeur. Aïnsi, sur seize témoins qui assistent à une vente faite par un habitant d'Amphissa, cinq sont Delphiens, six Amphissiens; mais deux habitent Callium, en Étolie; deux autres, Naupacte; et un dernier, Physcis 6. Ces exem- ples, pris entre beaucoup d’autres, suffisent pour montrer que Île nombre des témoins était tout à fait irrégulier. 1 N 3925: 2 N° 57,95. 3 N°86, 56 et ul 2: à N° 35. Nb OT 7: ; N'a. — 397 — La présence des prêtres, des magistrats et d'un certain nombre de particuliers était une nouvelle précaution pour assurer la pu- blicité de acte et prévenir les contestations; il faut l'ajouter aux précautions que nous connaissons déjà. Enfin, pour assurer la conservation de l'acte, il restait entre les mains d'un habitant de Delphes, d'ordinaire un prêtre ou le néocore; 1l était gravé dans l'enceinte sacrée; une copie en était donnée à l’un des témoins ou au garant!, On ne prenait pas tou- jours autant de précautions pour tous les actes; l'inscription sur les murs du temple était, à ce qu'il semble, la garantie la plus sûre et le titre le plus certain. $ IL. Jusqu'ici nous n'avons examiné que les actes où le dieu devenait immédiatement possesseur de l’esclave qu'il était censé acheter, et où celui-ci devenait libre sur-le-champ. Mais bien souvent, c’est- à-dire dans le tiers environ de ces actes, l'effet de la vente était ajourné où soumis à des restrictions. Qu'y a-t-1l de surprenant ? Tout possesseur a le droit de vendre ses biens en tout ou en partie, de les aliéner en conservant l’usufruit; pourquoi n’en aurait-il pas été de même pour l’esclave, que les anciens considé- raient et traitaient comme une propriété ordinaire? Nous l’avons vu, cet acte n'était pas, à proprement parler, un affranchissement ; l’affranchissement en était le résultat, mais indirectement ; au fond, c'était un contrat de vente entre le dieu et le maître. Pourquoi le vendeur n’aurait-il pas eu le droit de faire ses conditions? Aussi varient-elles suivant ses intérêts ou ses dispositions à l'égard de l'esclave. Elles sont faites au gré de sa volonté capricieuse, quelque- fois, mais bien rarement, équitable, le plus souvent exigeante et intéressée, cherchant à tirer de l’esclave le plus d'argent ou le plus de services possible. De là ces restrictions nombreuses qui por- tent sur les biens ou sur la personne de l’esclave vendu, parfois sur les deux en même temps. Ce n’est pas la partie la moins in- ! Les formules les plus complètes sont, dans une inscription du Corpus, n° 1719 B. Téepou rhv dvnr rÿ uèv éyyapd£aoa eis 10 ispôy roù ITudlou Ârdlw- vos eis Séarpoy xarà Tôv vouov, Tÿ 0è TÜdeuu eis rà daudoia r&s mous ypdupuara dia roù ypauparéws ; et au n° 247 : À dvà Ep r@ iepÿ nai wapà rdv vaxOpoy Mévnra, nai dyrrypaQa mapa HayxAñ. Même formule au n° 248. — 9398 — téressante de ces inscriptions; elle achèvera de nous montrer Île véritable esprit de ces actes, et, à la fois, elle nous fera voir de plus près la condition de l’esclave par des détails précis et parti- culiers. | \ En recevant la somme stipulée, le maître ne renonçaït pas à tous ses droits, et l’affranchi, même en possession de la liberté, n'acquérait pas pour cela la disposition de ses biens. À cet égard, le maître pouvait imposer ses conditions, et elles sont plus ou moins dures, suivant son humeur. Tantôtil se réserve absolument le droit d'hériter. « Si quelque malheur arrive à Boéthos, que les biens qu'il laissera appartiennent à Alexandre et à son fils!.» Tantôtil y à une réserve pour les enfants de l’esclave; s'ils sont nés après l'acte de vente, les biens acquis par l’affranchi leur appartien- dront légitimement; sinon ils feront retour au maître. « Si Sarapias vient à mourir, laissant des enfants nés après l’archontat de Phi- locratès, fils de Xénon, que ces enfants possèdent les biens de Sarapias; mais si elle n’a pas d'enfants, que tous ses biens appar- tiennent à Astoxénos et à ses descendants ?. » Ce droit est même étendu jusqu’à la seconde génération; si les enfants de l’affranchi meurent eux-mêmes sans enfants, c’est au maitre et à ses descen- dants que revient l'héritage $. Défense par conséquent à l’affranchi d’aliéner ce qu'il possède; s’il donne quelque partie de ses biens, la donation est nulle, et s'il le fait de son vivant, la vente elle- même est annulée, et par conséquent l’affranchi rentre dans la servitude. « Si, pendant sa vie, Sosos fait à quelqu'un donation de ses biens, que la vente soit sans effet. » Conséquence bien rigou- reuse, mais conséquence logique de l'acte. La validité de la vente dépend de l’entier accomplissement de toutes les conditions; man- quer à l’une d'elles, c'était résilier le contrat. Les exigences du maître ne sont pas toujours poussées aussi loin; quelquefois il est dit que les biens acquis par l’esclave pendant son séjour auprès l Ei dé sé dv0pémivos yévoiro wepi Bdaloy, & na uarañimn Bôabos À AeËdydpou &o Ta xai roÿ droù. (N° 152. Voir 53, 94.) 2 Ki dé xd ve mdôn Zupamds nai Éyn yevedy drd Tâs dpyäs Täs Dilonpäreos Toù Eévwvos, xÜpia Éolw Éyouca à yevea Tà Zapamaddos* ei dè dyéveios ein Eaparids, œavrà rà Éndpyovra rà Eapameddos ÂooËévou éole nai rüv éxydvwr Âoloëévou. (N° 226. Voir 213 et 425.) 3, NN a9> À Ei dé tu Cow déc moéoro Tv idiwv Züoos, drehs à va &07w, (N° 2x5. Voir 53, 94, 226.) — 399 — - du maïtre lui appartiendront!; mais c’est une concession qu’il a le droit de ne pas accorder. Et comme tout dépend de la volonté du maître , il peut même arriver que, pour reconnaître les bons ser- vices de l’esclave, ou se concilier son affection; il lui attribue une part de son héritage *. Est-il besoin d’ajouter que c’est une très-rare exception ? Les enfants nés de la femme esclave étaient la propriété du maître, au même titre que les produits de ses troupeaux. C'était un revenu assez considérable, à en juger par le nombre des esclavesnés à la maison, évdoyeveïs, olxoyeveïs, qui sont mentionnés dans ces inscriptions. Aussi fallait-il payer pour leur assurer la li- berté, et l’on trouve fréquemment dans le même acte une femme vendue avec ses enfants, par exemple, une juive avec ses deux filles * ; une mère avec son enfant à la mamelle; mais la rançon aug- mentait. La femme devait-elle rester encore un certain temps au service du vendeur, le sort des enfants à naître pendant ces années était réglé par une clause spéciale. Le plus souvent, il est déclaré qu'ils seront libres. « Dans le cas où Damarchis aurait des enfants pendant la vie de Theudora et son séjour auprès d'elle, que ces enfants soient libres comme Damarchis elle-même, et que nul ne puisse porter la main sur eux pendant toute leur vie, qu’elle en ait un ou plusieurs®.» Mais l'énonciation même de cette clause montre que l’affranchissement de la mère n’entraïnait pas celui des enfants à naître, de même qu'il ne lui donnait pas le droit de disposer de ses biens. Une preuve directe nous est fournie par une inscription déjà connue, où nous voyons le maître vendre deux femmes esclaves! en leur imposant l'obligation de rester auprès de lui jusqu’à sa mort, et en se réservant la propriété des enfants qui naîtront pendant ce temps : Tà yervn0éyra 8Ë adrv êv T® Tÿs wa- pauovñs ypéve Éclwoay doÿha5. Peu importe que cet exemple soit le seul connu; il suffit pour prouver l'existence des droits du maître sur les enfants de l’esclave, même après la vente au dieu. IN%.:133 et 273. 2 N°134 et 435. 3 N°° 57 et 289. Opolws dà nai ei yevéay mouiouro Aauapyis, Oevdpas Biouous xal pévouoa map Oevdwpar, éAeulépa Eolw nai dvéQanlos à yeved xalds nai Aapapyls dnd œévruwy rôu mdvra Flo, elre nai Êv yévorro aura eire nai mAelova muddpia. ( N° 133.) $ Bœckh, C. Inscr. 1608. &e — C0 — Il est très-fréquent de voir une femme vendue avec ses en- ” fants, mais non un homme; le père était presque toujours incer- tain, le mariage n'étant que rarement reconnu entre esclaves. Xénophon conseillait de linterdire aux mauvais serviteurs, et de l'accorder seulement aux bons, comme une récompense. Voici un exemple de cette union régulière, et les autres particularités que contient cet acte m'engagent à y insister. « Timo, fille d'Eu- dicos, a vendu au dieu une petite fille, nommée Méda, pour le prix de 2 mines..... Que Méda nourrisse Sosibios, son propre père, et Soso sa propre mère, et qu'elle pourvoie à leur entretien, lorsqu'elle sera en âge, dans le cas où Sosibios ou Soso auraient besoin de nourriture ou d'entretien, qu’ils soient esclaves ou qu'ils soient devenus libres !. » Les expressions du texte, eŸre doukevorres oîer ete é}eUbepor yE- yovôrTes, montrent qu’à l’époque de la vente le père et la mère sont encore en servitude, puisqu'on prévoit le cas où ils en seront sortis. L’esclave vendue, Méda, est encore une petite fille (xo- pdoiov) qui n’a pu gagner les 2 mines de sa rançon. Elles ont donc été payées par les parents, qui ont voulu assurer à leur fille la liberté, avant de la posséder pour eux-mêmes. Ainsi, chez ces esclaves que les anciens appelaient dédaigneusement des corps, (owuara), la servitude n'avait pu étouffer le sentiment de la fa- mille. En revanche les parents stipulent, ou plutôt la maitresse stipule pour eux, afin d’éviter une charge dans l'avenir, que leur fille, lorsqu'elle sera en âge, devra les assister dans leurs besoins. Pour garantir l'exécution de cette clause contre l’ingratitude de la fille ou les tentatives des étrangers, il faut reconnaître à ces pa- rents esclaves des droits contre des personnes libres; le droit de châtier ou de faire châtier à leur gré leur fille devenue libre, si elle manque à ses devoirs envers eux, le droit de poursuivre en 1 Âxédoro Tud Evdinou ua yuvamxeïon xopdciov & dvoua Myda Tiuës dpyv- piou uväv dvo....... TpeQérw dè Mnda EwoiGioy Tôv Idioy marépa nai Tu parépa Ewod nai etoynponbéto, émet na v dAuxiar &À0m, ei xpelav Éyorcar Zwoibios à Ewot TpoQäs À edcynuonouod, eire doudecyres eiev ere éheÜbepor yeyovores" ei dè ph TpéQor à un etoynuoviéor Mida Zwoibior À Ewod ypelar Éyovtas, éÉouoia 20 1w Zwoi6iw ua Zwoot xoXd£er Mndar ® Déhoir Tpore, nai à] w Unèp Ewoibion À Zwod dy na nehebn ZwoiBios à Ewow. Ei dé ris éQdmrouro Mydas émi xaradou- lopw, Bééuor mapexovre T@ Seÿ Tr dvav à re drodopéva Tino nai Ô BeSuwrp Apouoxheidas * ei dè un mapéyoioav, rpdxripor ëcrwr Mrnôdg nai EwoiGiw xai Ewoot dpyvpiou pväv recodpwvy xaTà TÔv voor & Te dmodouéva xai à (Be6ouwrhp. (N° 43.) à — O1 — justice ceux qui tenteraient de la réduire en servitude, et par conséquent l'empêécheraient de pourvoir à leurs besoins. On voit quelles étranges et bizarres complications se produisaient, dès qu'on voulait traiter avec les esclaves, et combien il était impos- sible de rester conséquent en violant les droits de la nature. Je citerai encore l'acte suivant qui montre ce qu'était la famille pour l'esclave : « Ménécratéa, fille de Ménæos, avec l'approbation de son fils Theudotos, a vendu à Apollon une petite fille appelée Callicratéa, pour le prix de 25 statères d'argent, et elle en a reçu le prix. GCallicratéa, a confié la vente au dieu pour être libre et fille de Sosicha et d'Hermogénès, fils de Dioscouridas!. » On a ajouté à la vente cette sorte de reconnaissance de la fa- mille, mais la condition des parents n’est pas la même que dans l'exemple précédent. Sosicha la mère est une esclave, mais le père est un homme libre, puisqu’à son nom il peut ajouter celui de son père. On voit donc que la servitude de la mère entraïnait celle de l'enfant, car Callicratéa, quoique fille d’un homme libre a été esclave, et elle aurait continué à l'être, si elle n'avait pas été rachetée. En même temps, elle est reconnue par son père, mais cest un exemple unique. Dans un grand nombre d'actes, où sont vendus des enfants, la mère seule est nommée, et il est bien pro- bable que le maître aux caprices duquel ils devaient la naissance les laissait en esclavage. Le vendeur pouvait aussi imposer à l’esclave vendu la charge de pourvoir aux besoins d’une personne qu'il désignait. « Nicon, fils de Théoxénos, a vendu à Apollon, pour le prix de 3 demi- mines, une petite fille nommée Hédyla, aux conditions suivantes : elle sera libre, nul ne pourra mettre la main sur elle en aucun temps , elle sera regardée comme fille de Doréma et fera pour Do- réma tout ce qu'il est d'usage de faire pour ses parents ?. » 1  xédoro Mevexparma Mevaiou, ouveudonéovros ai rod ÿoù Oevdorou, T® Àxd)- T lovs x@ Iludiw oûua yuvareïoy nopidiov à ovoua Kakuixparia, tiuâs dpyupiou orarhpuy elxoot mévTe, nai Tav Tiuav yes nâcav, xabws érioreuce Kakuxparia T1$ Seÿ rèv dvdy, Q’ & re éheudépa eluev nai Suydrnp Ewoiyas ua Épuoyéveos roÿ Aiocxoupida, ai dyéQanros drd wadvrwy TÔv wavra YpÜvor, moiéovoa d ua DEAN xai dmorpeyoÿoa os xa Sékn. (N° 270.) 2 Ârédoro dè Nixwr OecoËévou r& Ârddown 7% Luis xai xopidion à dvoua HôvXa riuôs dpyupiou Tpuôv huuvaiwy mi roïode dore éheudépay eluev nai dvéQanror dmo ravrwv Trou ravra ypôvor, vopiéouévar Suyarépa Awphuaros xai moéovour Aw- pur dou vouilerag roïs yovedor. (N° 138.) — 02 — Un autre esclave, Thracidas, vendu par Alexon doit, après la mort de celui-ci, « nourrir Dorcas, si elle veut habiter avec lui; si elle ne le veut pas, que Thracidas donne à Dorcas pour sa nour- riture quatre demi-setiers de froment et un conge de vin par mois !. » io: | Quelquefois le maïtre s'assure pour lui-même une vieillesse tranquille. « Que Kintos reste auprès d'Euphronios tant qu’il vivra sans mériter de reproches et exécutant tous ses ordres; qu’il nour- risse Euphronios, pourvoie à ses besoins, qu'il paye pour Euphro- nios les contributions fixées pour les tribus, et qu'après sa mort il l’ensevelisse et fasse les autres cérémonies en usage?.» Souvent aussi l'esclave était chargé du payement des dettes du maître et en particulier des ëpavos. Dans les républiques grecques, et en particulier à Athènes, les citoyens avaient formé des sociétés de prêts mutuels. Un membre de lassociation tombait-il dans le besoin, fallait-il payer une rançon ou faire face à des exigences trop pressantes, il avait le droit de demander à ses associés la somme qui lui était nécessaire; cette somme devait être remboursée, soit à un terme fixé, soit lorsque ses moyens le lui permettaient. Mais, pour répondre du payement, il devait donner hypothèque sur ses biens ou fournir des répondants. Nous en trouvons plusieurs exemples dans ces actes d’affranchissement. Outre le prix payé par l’esclave, le maitre exigeait que l’esclave se chargeät d’ac- quitter l'éranos qu'il avait contracté ou pour lequel il s'était porté garant, et, afin d’être plus sûr du payement, il imposait à l'esclave l'obligation de rester à son service jusqu'à l'extinction de l’éranos. C'était à la fois un moyen commode de payer ses dettes et de pro- fiter plus longtemps des services de l'esclaveÿ. l TpeQérw Opauidas Aopudèa, ei na SÉéÂn oineïy ou aër® * ei O ph, év6aÀAËTE Opquidas Aopuddr rpoQèr rod pmvds Éxdorou œupôr Técoapa Émuextd, oivou æpd- xov. (N° 219.) | ? Hopauerwaro Kivros mapà EÿQpomor dyps où xx Can HÜ@portos, dyévnAnTos dy nai moëdy TÔ moriracoôuevor m&vy nai ToÉQur EtOpovios nai etoynuoviéwr nai rds ounGolds év rûs QuAds didos Tà dinaa Ürèp Eÿ@pôviov, ua mel xx dmoûdym, Sabärw Kivros, nai rès d\lafeddas roncdrw xaûds vouièerar. (N° 66.) Cet Euphro- nos avait pourtant un fils que nous voyons vendre à son tour un esclave (n°79 ); et, dans un autre acte de vente (n° 77), Euphronios, vendant une femme esclave, supule qu'elle restera à son service jusqu'à sa mort, ou, s’il meurt avant six an- nées, au service de son füls. N°" 89, 107 126,259, 2192448 — 103 — La sépulture et les honneurs à rendre aux morts étaient, pour le vendeur, une source de nouvelles exigences; pour lesclave vendu, de nouvelles charges. On sait quelle importance les an- ciens attachaient à l’exact accomplissement de ces cérémonies; pour mieux l'assurer, le maître faisait insérer cette obligation comme une des clauses essentielles du contrat de vente, Les hé- ritiers étaient chargés de veiller à son exécution. Pour stimuler le zèle des affranchis, un maître leur laissait une part de son hé- ritage *, un autre les obligeait à rendre compte des frais à la ville de Delphes *. Dans un troisième acte, une femme faisait ainsi ré- diger le contrat, dans lequel on peut retrouver la trace d’un drame domestique : « Si Larissa vient à mourir, que Mithradatès fasse toutes les cérémonies d'usage, avec l'argent de Larissa qu'il pourra avoir, qu'il les fasse le mieux possible dans la première année, si les circonstances le lui permettent; et, s’il reste quelque chose des biens de Larissa, qu'il le garde, à moins que le fils de celle-ci ne soit de retour; dans le cas où il serait de retour avant que les cérémonies soient achevées, que Mithradatès, après avoir remis tous les biens de Larissa à son fils, soit libre ; mais, s’il n’est pas revenu, que Mithradatès, après avoir célébré les cérémonies d'usage, soit libre, etc.» Quelques-uns obligeaient même l'af- franchi à venir couronner leur tombeau de fleurs °. Cet usage était général chez les anciens; il a passé chez les modernes, le même en apparence, tout autre par le sens qu’on y attache. Chez nous, c’est un soin laissé au pieux souvenir des parents et des amis, un honneur qui tire tout son prix de l'affection qui l'inspire. Les an- ciens tenaient moins au sentiment, qu'à l’exact accomplissement de la cérémonie extérieure; aussi était-ce souvent une charge im- NE, 58,60! 137, 136, 142. ? N° 435. + N° 436. 4 Ei dé ri xa man Adpiou, momodrw td vopuïouevz ædvre Miboaddrns x Tüv Aapious &E by na yn BéAriola y TS mpwoT éviauT®, el na O0 n&PÔs AT ÉXTO , ab el ri aœ fr mepioodr Tv Auplous, aûros Éyérw, ei x pui Ô vios aÿräs ma vé0n" ei dé na érav}0n mp Toù Tà vouitouera auyrehédc, æœapadods Mipaddrns rà Aapicas müévra r@ vig Tÿ Aapioas, éheudepos éolw: ei dé na un mapayévnr, moinoas rà vowéouerax MiOpaddrns éhebdepos &olew nai dvéQarTos dmd œdvrwy rdv œdure ypôvov, uupiebwv aÿros aÿroÿ xai dmorpÉxwy ois na -SÉÀN. 5 ZreQaywérw dà TÔ pväua To KAeuvixas nor’ évvaurôv vaîs Gplois, waÜds émio- reuse 7® eg Tèv var. (N° 110.) — 0h — posée aux affranchis. De là des exigences détaillées avec une mi- nutie qui enlève à ce devoir tout ce qu’il a de touchant. Nous en trouvons un exemple dans ces inscriptions de Delphes. Un Del- phien, Philon, fils de Télésarchos, dans quatre actes de vente, paraît principalement préoccupé des honneurs à rendre à son tombeau. Dans le premier acte (183 avant J. C.), l’esclave ven- due est astreinte seulement à rester auprès de Philon jusqu’à sa mort l; mais les exigences augmentent avec les années, et les honneurs à rendre à son tombeau le préoccupent davantage. Aussi en 175, vendant une seconde esclave, il lui impose l'obligation de rester auprès de lui tant qu'il vivra, et, après sa mort, de cou- ronner son image d'une couronne de laurier tressé, deux fois par mois, à la nouvelle lune et au septième jour?. Cette obligation lui tenait tant à cœur qu’elle ne lui parut pas assez assurée par cette rédaction, et la même année, le même mois, il fait graver sur une autre partie du mur le même acte, mais en y ajoutant une garantie plus explicite : «que Istio n’ait pas le droit d’'habiter autre part qu'à Delphes, qu’elle couronne... etc. #» L'année sui- vante, une troisième esclave est vendue avec les mêmes restric- tions : rester auprès de lui et exécuter tous ses ordres, couronner sa tombe de fleurs deux fois par mois, et, pour cela, demeurer à Delphes“. Dans un acte postérieur 5, Philon la dispensa de l'obliga- tion de rester auprès de lui et de travailler près de lui; mais il n'est pas question des couronnes, ce qui permet de supposer que cette obligation subsiste. Ainsi, même après la mort du maître, voilà deux esclaves atta- chées au sol de Delphes et enchaïinées à son tombeau. Poussé à ce point, ce n'est plus un désir touchant, c’est l'exigence d’un maître volontaire et puéril qui, prolonge sa tyrannie au delà de la mort. Au reste, en parcourant les diverses restrictions apportées à la HN DO" ? Karomeirw dè y Ae]Qoîs nai oTeDavwérw ray DiÂwyos einôova xa0° ExaoTov uiva dis daQvivo oTeQdvw mhenTS, vouunvia ai É6doua. (N° 136.) 3 XreQavourw dè nard va vouumvia nai ÉGdoua Täv Dilwvos cinova daQrive olepdve aœhenré. (N° 142.) l Mn éééole d8 lolo dAay& naromeïr A1’ à év AeAGois, olepayoirw dE... (N° 420.) N°66: — 105 — liberté des affranchis, on voit qu'il n’y a d’autres règles que le ca- price du vendeur; c'était à l'acheteur, c'est-à-dire à l’esclave qui se rachetait par l'intermédiaire du dieu, à subir ses conditions. Pour celui-ci, défense de rentrer dans le pays où il avait servi; pour celle-là, au coniraire, défense de le quitter ou d'acquérir le droit de cité sans l’aveu du vendeur?; l’une doit accompagner son maître dans un voyage d'Égypte en Macédoine$; une autre, élever loyalement deux enfants*; un troisième , enseigner son métier de corroyeur à de jeunes compagnons d’esclavageÿ; un jeune enfant doit aller, pendant un temps fixé, apprendre le métier de foulon, et faire gratuitement tous les ouvrages de cette sorte pour la fa- mille de son ancien maitre °. Enfin, et ce n’est pas le moins curieux, deux frères vendent un esclave qu'ils possédaient en commun; mais l’un des deux était médecin, et il stipule que l’affranchi devra pendant cinq ans l'aider à exercer son art; en échange, il recevra la nourriture le vêtement et le coucher 7. Voilà donc un esclave pratiquant la médecine; son habileté n'était pas grande, à en juger par le prix qu'il paye pour sa rançon, 6 mines seulement, tandis qu'un ou- vrier corroyeur est yendu 10 mines et une joueuse de flüte le même prix. Pour comprendre de quelle façon le maïtre pouvait l’'employer, il faut se rappeler une institution des Grecs. I! y avait 1 Éi roisde dmédoro Mparias Tehcota Aiyieds Euwriwva té  row T@ Ilvbw, TIUGS dpyvpiou uvâäv Évyéa..... EQ’ ® aÿrov éAeldepor eluer...…. DOIÉOYTA Ô x SéÂn, u ériGaivoyra ër Âyaïav. (N° 100.) 2 My oëxnodrw dè Âoia ÉËw Audaias undè modlurevodrow äyeu Tâs Ériyapida yv6- pas ei dè oixnou Ÿ moIMTEUGMTO, duvpos adräs Eolw à wya ai dreAns. (N° 53. Voir 165.) | 3 Evuraparepÿarw Eÿropix dè Acaydpor eis MaxeSoviay nai dow oùrws &Aeu- Oépa. (N° 406.) 4 Hapauervdrw dè Nixw wapà MyaciËevor, dpt xa Éwn Myaotëevos, nai éxÜpe- Véruw djo mœuddpia dddws. (N° 54.) 5 Teyviray éydidaËdrw Süoos KakiËévew, ei na dun KaAAiËevos Td œaidadpior Zwcv. (N° 213.) 6 Iapaperwvdrw dù Ewoäs mxpà Àpreuldwpor pavdvwr rèv réyvar rèv yvaQirèv TÔv ypÜvoy év T4 ovyypaQñ yEeypaupévov..... Êrei dé na pan Zwoäs rdv réyvar rdv yvaQixdv, ua dmé}n mapà Apredwpou, épyabécbw rà épya 7% yvaQiuñ Téyva év rdv Apouoxhelôa oixiay mavra. [N° 230.) 7 Êxi roîsde dmédoro Asovboios nai Todiras oi Acdvdpou à Âmdhdon +5 Ilubéo côua dydpeïov, D dvoua Adpwv....Ei dè ypeiar Eyor Aiovdoios, œuviarpeuéro Aduwy per’ aÿroÿ ërn mévre, AauGdvwy ré Ep rdv TpoQav wadvra nai ÉvdudIouduEvos .… xai oTpouxra hauGdrwv. (N° 231.) — 06 — dans chaque cité des médecins publics qui devaient soigner gra- tuitement tous les malades; ils n'étaient pas payés par les clients, mais ils recevaient une certaine somme de la ville; à Delphes elle était fournie par une contribution appelée +0 iatpuxôv et que devaient payer tout les citoyens !. Il est probable que le médecin public ne se contentait pas de cette rémunération et que, sous une forme ou sous une autre, il trouvait moyen de se faire payer par ses clients. Si ce n’était pas un droit, c'était du moins un usage toléré puisqu’un décret des habitants de Karpathos avait décerné à un médecin public une couronne et une statue pour le récompenser de son zèle dans une épidémie et de son désin- téressement. Dionysos était sans doute le médecin public de Del- phes, et il se proposait d'employer son affranchi pour les ma- lades trop pauvres ou trop. éloignés. Ces esclaves médecins existaient à Athènes; Platon les peint courant par la ville ou restant dans la boutique de leurs maîtres. « Ges sortes de mé- decins, dit-il, n’entrent dans aucun raisonnement avec le ma- lade au sujet de son mal et ne souffrent pas qu'il en raisonne; et après avoir prescrit en vrais tyrans, et avec toute la suffisance de gens habiles, ce que la routine leur suggère, ils le quittent pour aller à un autre esclave malade, déchargeant ainsi leurs maitres d’une partie des soins de leur profession.» Nous voyons qu'un meilleur sort n’était pas réservé, à Delphes, aux malades de basse condition, et que le médecin public livrait les moins riches de ses clients à la routine et aux prescriptions tyranniques de son ancien esclave, qu'il faisait travailler à son profit, même après sa vente au dieu. La mort même du vendeur n’était pas toujours le terme de Îa servitude. I avait le droit de stipuler, qu'après sa mort, l’esclave resterait au service d'une ou de plusieurs personnes qu'il désignait. C'était, le plus souvent, à des parents du vendeur qu'était réservé cet usufruit, «Si Euphronios vient à mourir, qu’Agatha reste auprès de Theudoros {le fils d'Euphronios) pendant six ans ?. » « Que Phalacra reste auprès d'Euphranor, tant qu'il vivra. ... Si Euphranor vient à mourir avant que son fils Timangélos ait no 2 |: 2 Ki dé ré xa maln Ev@porios, mapauewdre ÀÂyalà wap Oeldwpor dd Täc Aadda dpyäs tn 6€. (N° 77.) | — 107 — pris femme, que Phalacra reste auprès de Timangélos, jusqu'à ce qu'il prenne femme, et qu’elle exécute ses ordres, dans tout ce qui sera possible !. » Le maître pouvait aussi transférer ses droits à un étranger. Ainsi Ariston vendant une esclave à Apollon fait insérer cette clause : « Que Cléo reste auprès d’Athanion, tant que vivra Athanion. » . Dans d’autres cas: le vendeur se réservait les services de l’es- clave, seulement pour un certain nombre d'années?. On mar- quait alors le mois à partir duquel le service devait compter, on prévoyait le cas de maladie, et l’on fixait le temps pendant lequel l'esclave avait le droit d’être malade, sans que le maître püt ré- clamer une compensation du travail perdu. « Dans le cas où Sotérichos serait malade (puisse-t-il n’en pas être ainsi) plus de deux mois, que Sotérichos rende à Amyntas le surplus et reste auprès de lui au delà du terme fixé 5. » Si ce n'était pas en travail effectif, c'était en argent que l’es- clave devait rendre au maître le temps qu'il lui faisait perdre. « Qu'Eunous reste dix ans auprès de Praxon et fasse ce qui lui sera commandé. S'il ne veut pas rester, qu'il paye à Praxon 30 statères d'argent pour chacune des années qu'il ne restera pas “. » | Pour d’autres, c’est une mine ou une demi-mine, selon la va- leur de l’esclave 5. 1 Iapauervdrew dè Dalanpa mapà EiQpdvopa &ype na Cÿ EÜOpdvwp...… Ei dé vi xx malor EtQpdrwp mp roû rôv vioy aûroÿ Tiudyyelov yuvalua AaGeir, mapauet- véto Daédaxpa Tiuayyéhw dypi où xa yuvaiua Ad6m, moréouoa Tù woriTacoduEvor œûy rù duvarov. (N° 82.) — Clauses semblables, n°* 301 et 306. 2 N°° 32, 37, 158, 177, 290, etc. 3 Ei dè pahaxodein Ewrhpiyos, à pi) yévorro, meïoy dufvou, émamoddro roÿ mhelovos ypôvou Zwripiyos Âuvra, xai morimapaueivdre. (N° 167.) Remarquer l'euphémisme pahaxobein; ce mot pouvait être encore un mauvais présage, et, pour en détourner l'effet, on avait ajouté ce souhait : à ph yévorro. — Le maître ne pouvait élever de réclamations, si le temps pendant lequel lesclave avait manqué à son service était moindre de deux mois. To dé éynxAnpa ph mixpoTepor émixahelolw dihvov. (N°167.) S'il y avait plus de deux mois, la question était ju- gée parle tribunal dont nous parlerons plus loin. À HMapapervarw Evous map IpaËwva tn déua, moidr rd woriracoduevoy. Ei dé xœ pi) ÉéAn mapauéver, xaruQepérw Ipd£wv, ToÙ évraurod OÙ ax pu mapauérn, àp- yupiou olarñpas rpiixovra. | N° 146.) 5 N° 31, 58,099, 178, 251, etc. — 08 — Il avait encore la ressource de se substituer un remplaçant. Mais le maître prenait ses précautions : « Qu'Aphrodisia reste au- près de Callistratos et de Thaumion pendant toute leur vie... Mais si Aphrodisia veut s'affranchir plus tôt, du vivant de Kallis- tratos et de Thaumion, qu'elle leur achète en sa place une femme ayant le même âge qu’elle 1. Le maître pouvait renoncer à ses droits, comme dans l'exemple suivant: « Philon ayant son bon sens, étant sain d'esprit et de corps, a trouvé bon que Leæna fût affranchie de l'obligation de rester auprès de lui et de travailler pour lui, comme :1l est écrit dans la vente, qu’elle soit libre, n'appartenant plus en rien à per- sonne ?. » Cette dispense accordée gratuitement était l'exception. Nous avons déjà vu plusieurs cas où l’esclave doit payer une certaine somme par année de service qu'il manquera. En voici un autre, où une esclave, après avoir déjà payé 5 mines, est obligé de se racheter une seconde fois: « Hiéroclès et Hiérocleia ont dispensé et délivré Agathéméris de la nécessité de rester auprès d'Hiéroclès et d’'Hiérocléia, pendant toute leur vie, comme il est écrit dans l'enceinte sacrée, et ils ont reçu d'elle la somme de 3 mines d'argent. » On voit combien ces restrictions modifiaient aux dépens de l’esclave et au profit du maitre les conditions de la vente; une première somme de 5 mines, plusieurs années de travail et une seconde somme de 3 mines, voilà ce qu'avait coûté à Aga- théméris la jouissance complète de sa liberté. Pendant le temps de son séjour, l’esclave doit rester dans la ! Iapauervdre dè ÂGpodioia rapà Ka%ioTpuroy xai Oavpros dpi où xa Cowvr LAC Ei dé æpôrepor Sékos ÂQpodoia drodteolu drd KaXuolparou xai Oav- gioy Cwovrov, dvrimpiobw ÂPpodoia KalioTpdro nai Oauuiw sua yuvanesior rdv aûrèy duxiay Eyou. (N° 52.) 2 Tôy aûroy dè rpôror DiÂwry voéwy nai Ppovéwy nai Üyiaivowr nai Nécuvay dmo- Acluuévar eluer Ts mapauoväs nai épyaotas dm” aûrocauroÿ, als v r& dv& yé- ypanla, nai ÉcTw ékeudépa, pnÜeri pmÜèr æpocixouoav. (N° 86.) Voir l'acte de vente de cette même esclave, avec obligation de rester auprès du vendeur jus- qu'à sa mort, au n° 136. 8 Acte de vente n° 253. An n° 254 : Âxéolar ai dreAtOn» jspoxAs TT Îepo- nea Ayaapepidos Tâs mapauoräs Täs wapà ÎepoxAÿ nai lepéxksa Tâs ee à co uévas év Tà iepé Täs êde! ei a Ayabapspida mp ÏepouXÿ xai Îepoxear dpyr na Écwvrt leponXs xai leponkea, AaGôvres dpyvpiou M M M. D'après la table de M. A. Mommsen, le premier acte est de 179; le second de 150. L’esclave avait donc encore servi neuf années après la vente. ET maison du maître, travailler pour lui, exécuter tout ce qui sera commandé , si c'est possible, sans mériter de reproches; sinon les coups le forceront à l’obéissance. « Que Bérénica et Æolis restent auprès de Callis, pendant toute sa vie, exécutant tout ce qui leur sera commandé sans mériter de reproche; mais si Bérénice et Æolis, n'exécutent pas quelqu'une des choses commandées par Callis, en étant capables, comme il est écrit, qu'il soit permis à Callis de les châtier, comme elle le voudra, et à tout autre que Callis en aura chargé, sans qu'ils puissent être cités en justice et condamnés à une amende! .» Veut-on voir tout ce qu’un maitre pouvait encore tirer d’un es- clave dont il avait déjà reçu la valeur? Voici un exemple qui mon- trera combien le vendeur était ingénieux à exploiter le serviteur qu'il cédait au dieu, et quelles lourdes charges pouvait faire ac- cepter l'espérance, même lointaine, de la liberté. Après l'acte de vente où il est dit que Callixénos a reçu de Sosos la somme de 6 mines et les stipulations ordinaires de ces contrats, viennent les restrictions. «Que Sosos paye l’éranos de 4o mines contracté par Amynéas fils de Callixénos, dont la moitié est au nom de Callixé- nos, Jusqu'à ce que l'éranos soit payé, et qu’alors la vente faite au dieu soit valable. S'il ne paye pas, que Callixénos puisse saisir Sosos, lui et tout ce qu'il possède. Dans le cas où Sosos mourrait sans enfants, que tous les biens laissés par Sosos appartiennent à Callixénos; si Sosos, de son vivant, fait à quelqu'un donation de ses biens, que la vente soit sans effet, Que Sosos fasse tout l’ou- vrage de Callixénos jusqu'au payement de l’éranos, Si Sosos ne ‘fait pas l'ouvrage de Callixénos, comme il est écrit plus haut, que la vente soit sans effet; à moins que Sosos ne soit malade, qu'il apprenne son métier à un jeune esclave de Callixénos, si celui-ci lui en donne à instruire ?. » | Hapauerwdvror Bepevina nai Aiods œapà Kahiv dypr ua Éun Kaldis mouéou- dat TÔ moritacooduevor mâvy dyevxÂpTws" El dé TÉ HS UN WOIMOWYTI Bepevina PET Aiois rüv moriraocopévwr ünd KahAidos xadws yéypanla duvarai oùou, éEéolw Kad: noddèein xals na aûrd SéAn, xai d2kw ÿrèp KaAAiy dv xa KadAis xeelom déæulous dvrois nai dvurodinots wadoas dinas xai Cauias. (N° 90. Voir les n° 38, 42, 54, 83, 87, 110, etc.) : 2 Kareveyxarw dë rov épavoy Edoos Tov ouvâËe À uvvéas XaprËévou ro TETTApa- xoyrapvaïor, Tà fwioooy aÿroÿ émi T0 KaAMËEyOU dvoux, ax pu xa éËvéy 40n 6 Épavos, xai oÿrw Béémos Éolw à dvd r® ed: ei dE un narevéyxa, dywymuos &01w Eüoos KaMËéne aûros xai ra aûroÿ mavra’ ei dé na reheurdon ZGaos drenvos, Tà nara- MISS. SCIENT. — III. 28 — 10 — . Dans cette nouvelle position cependant, queiques limites étaient ‘ixées au pouvoir du maïître. D'abord, il ne pouvait plus vendre d’esclave : « Si Mithradatès ne reste pas ou ne fait pas tout ce qui ui sera commandé, en étant capable, que Larissa ou celui qu’elle en chargera, aient le droit de le châtier de la manière qu'ils ‘voudront, mais sans le vendre}. » Gette restriction n’est exprimée que dans quelques cas, mais il faut évidemment l’étendre à tous les autres. En effet, l’esclave cédé au dieu, même avec des ré- serves, n'était plus la propriété du vendeur; celui-ci n’en avait conservé que l’usufruit, il ne pouvait donc plus en disposer ab- solument et aliéner ce qui appartenait à un autre. Ensuite, les coups eux-mêmes n'étaient pas complétement laissés à la discrétion du maître. Une inscription prend soin d'en déterminer la nature. « Qu'il ait le droit de punir Scylla et de le frapper de coups qui ne fassent aucun dommage ?. » Pourquoi cette restriction ? Ce n’est point par humanité; mais blesser l’es- clave en le frappant, lui briser un membre, c'était en diminuer la valeur, c'était faire tort à l'acheteur qui en possédait la nu- propriété. Cette interprétation ne surprendra personne, si l'on se rappelle comment les esclaves étaient traités dans les procès où leur témoignage était demandé; la loi reconnaissait le droit d'in- terroger par la torture les esclaves de la partie adverse. Mais, s'ils étaient blessés dans l'épreuve, celui qui l'avait réclamée devait une indemnité, non pas à l'esclave, dont on s'inquiétait peu, mais au maître, dont on avait détérioré la propriété. Démosthènes, dans le plaidoyer contre Néère s'appuie sur cette loi acceptée de tous et mise en pratique tous les jours, pour dire comme la chose la plus naturelle xat eŸ re x Tv Bacdvewr Bhanîeinoar ai &vÜpwror, drro- Téveir dre (Babeinoar. C’est ici le même principe qui ne permet au maître que des coups sans dommage, æAayais douvéous. Nous pouvons maintenant comprendre une clause insérée dans AeQévra Ündpyovra Eboou mévra Ka ËËvoU ÉcTwy : ei dé rive Éowy docti woéouro Tôv idiwy E@oos, drekts à dvd Écrow: rà dè pya ouvrehcirw Eücos rà Ka MËEvou dvra, dyps ua Ô Épavos narevéy4Ün' ei dE na un ouvréln Edoos Tà épya xabs érdvo yéypanlu, drehñs à dvà EcTw, ei pr dppwolos yÉvorro EGoos, nai reyvirar &y idaËdrw SGoos KaliËéve, eï na don KaÂMËEevos Td mudadpior Ewow. (N° 213.) 1 Ei dè un mapaueiva Mibpadarns À un mdeor mûv Tù MOTITATOOLEVOY JUVATOS éwv, xÜpia ÉoTw Adpioa xoXd£ouoa & na Sédn Tpônw ÿ dv x Adpiou xeÂebomn, mg ph molnodro. (N° 134, 354, et Curtius, 16.) 2 Küpros &0lo émiriméwy ExbAda noi maotiyow» mhayaïis dorvéois. (Curtins, 3.) — ll — deux actes de vente, et qui parait bizarre au premier abord. «Si Sophrona n'obéit pas, que Dromon ait le droit de châtier, de la façon qu'il voudra, Sophrona, comme étant libre!.» Ces mots, ws éeubépæ, sont assez singuliers, au moment où il s'agit des coups que Dromon se réserve le droit de donner à Sophrona; mais on voit, d'après les clauses examinées précédemment de quelle façon il faut les entendre : que Dromon ait le droit de frapper Sophrona, mais sans la blesser; qu'il puisse la châtier, mais seulement si elle désobéit, mais sans pouvoir la vendre, puisqu'elle a été vendue au dieu. En ajoutant ces mots, &s éXeudépa on rappelait que, depuis la vente au dieu, le maître n’avait plus tout pouvoir sur l’esclave. Des coups, tel est le chàtiment de la désobéissance ordinaire. La faute était-elle plus grave, portait-elle atteinte aux clauses mêmes du contrat, par exemple, si l'esclave ne restait pas le temps fixé ou ne payait pas une indemnité, s’il ne servait pas sans mé- riter de reproches, s’il portait préjudice au maïtre en le volant, ou en disposant de ses biens en faveur d’un étranger, la vente était nulle et sans effet drelns ua &xupos ?. L’annulation de la vente, et par conséquent la servitude, telle est la menace toujours sus- pendue sur la tête de l'esclave, lorsque la vente est soumise à des restrictions. C'est seulement après leur entier accomplissement que le contrat a toute sa force, que l'esclave appartient tout à fait au dieu, c’est-à-dire, devient tout à fait libre. Jusqu'à ce mo- ment, toutes les garanties sont suspendues; le devoir pour le ga- rant de faire respecter les conditions de la vente, le droit pour l’esclave de défendre lui-même par la force sa liberté menacée, et pour tout citoyen de lui prêter secours, sans s’exposer à ua procès, ne commencent que le jour où l’affranchi a rempli toute; ses obligations envers le maitre. Et cette stipulation est si impor- tante, que parfois le vendeur la fait répéter jusqu à trois fois dans le même acteÿ. Poussons à l'extrême cette faculté d'imposer à l’esclave vendu l'obligation de rester auprès du vendeur ou de la personne qu'il désigne, la vente au dieu couvrira une vente faite à un autre ci- toyen. Nous en trouvons deux exemples. Un certain Boéthos achète | Ef dè un mæerdapyéor Ew@pôva, xÜpios Éolw Apouwr émrméwr Ew@pora ws éhevbépa. (N° 49, et Curtius, 11.) 2 N% 23,53, 56,82, 94, 146, 154. 5 N° 210. — 12 — une esclave à Alexandros; selon les conditions, il doit la consacrer à Apollon au nom d’Alexandros, mais il en est le possesseur pen- dant toute sa vie! ; l’esclave n'aura donc fait que changer de maître. Le second est encore plus curieux, parce que le résultat de l'acte est moins l'affranchissement qu'une ageravation de servitude. «Cléon archonte, le mois Poitropios, Nico, fille d'Athanion, a donné à Apollon Pythien un corps mâle, appelé Phainéas, pour la somme de 5 mines, et elle a reçu ce prix; comme Phainéas et Apollodoros, fils de Sopater, ont confié la vente au dieu, Phai- néas doit rester auprès d’Apollodoros tant qu'il vivra, et le nourrir dans sa vieillesse, puisque Apollodoros a donné à Nico les cinq mines pour Phainéas; que Phainéas fasse pour Apollodoros tout ce qui est possible, sans mériter de reproches, et le jour et la nuit, qu'il n’abandonne Apollodoros sous aucun prétexte; sinon, que Phainéas puisse être emmené en tout lieu, de toute ville et de tout temple, par Apollodoros ou par celui à qui Apollodoros le commandera; qu’il soit permis à Apollodoros, et à tout autre à qui il l’'ordonnera, de châtier Phainéas de la façon qu'il voudra, si Phaï- néas est surpris à le tromper ou à ne pas exécuter les conventions, mais sans qu'Apollodoros puisse le vendre. Après que Phainéas aura nourri Apollodoros dans sa vieillesse, sans mériter de repro- ches, qu'il l'aura enseveli, et qu'il lui aura rendu tousles honneurs que l’on rend aux morts, qu'il soit libre?. » On se demande ce qu'a gagné l’esclave à cette vente faite sous le nom du dieu. Pour la- venir, il a l'espoir de la liberté, mais ii a payé bien cher cet es- LNP.20 à Àpyovros KAéwvos unvôs ILosrpomiou, mi roïode dmédoro Nix ÂGavlovos rot Ârdkœm rot Iulor cua dvSpeïoy dr vou Douvéas, Teruäs dpyvplou uväy mévTe- nai râv repèy Eye, nalds diemioreucur Daivéas xai ÂroAAddwpOs 6 Ewrdrpou TG Se rdv Gvdv, dole wapaueïvas Daivéay rapà À ro AddwpOY, dws na Eÿ ÂroXAGd- pos, xai ynporpoPñou Davéar Âro)Ad0wpor Ty Ewrarpou, Érei ddwneE ÂxoX6- dwpos.drèp Davéay Nixoï râs mévre pyôs' moicirw dè Dovéas Ârolodpe mévra T.duvarà dvEXAÂMTOS HA VUXTÔS HO duépas, xai évxaraumére Davéas ÂroÀÀd- dwpoy undeuiu mapeupéoe” ei d pr, dywytuos Éorw Dauvéas mavray00er x mécas Gdhios nai ipod Ârodod@por xai nd Tive GAÂOI GUVTÉEN Âxo)Addwpos, nai SÉéolo Âmoodépor xai dos ümèp ÂmoAddwpoy 6v ua ÂmoAXGdwpos nedeon xoXdéer Dasvéay Tpôros oi ua SÉÂwor, À Ti dAicnorro Daivéas xaxoTE vd Kai A DOIDY Tà yEypaunéra, mhdr ph mwlnodrw Ârolddwpos Douvéav. Érei dé xa ynporpo@hon Douvéas ÂroAXGdwpOY dveynAñrTos ai Sdlmn nai rà vowlopera moon mévra dox voulera rois reÜvaxdrous, éAetdepos Éorw xai Ÿ ris ÉPdnTorro Douvéa, üpros or guAéwv aÿsaurov, xai 6 SéÂwv, déduor dures xai duurddixor. [N° 58.) — 13 — poir par l’accomplissement de toutes les obligations énumérées dans le contrat, et par la suppression du droit d'asile dans Îles temples, dernière ressource de l’esclave placé dans la condition commune. Qu'y avait-il de changé dans les rapports du maître et de l’es- clave pendant le temps que ce dernier devait continuer à servir? Nous avons déjà vu que le pouvoir du maïtre cessait d’être absolu, parce qu'il avait à respecter les droits du dieu à qui il avait cédé la propriété de l'esclave en n'en gardant que l’usufruit. Ainsi il ne peut vendre l’esclave, première limite posée à son pouvoir; il a le droit de le châtier, de le faire frapper, mais si l’esclave refuse d’o- béir lorsqu'il le peut, s'il ne sert pas sans mériter de reproches. Mais qui sera chargé d'interpréter ce mot si vague, dveyxAntws ? Qui décidera si la vente doit être annulée ou maintenue? Quelques inscriptions plus complètes nous permettent de tran- cher cette question, dont il n’est pas besoin de montrer l’impor- tance. On n'avait pas voulu permettre au maître d’être à la fois juge et partie; il était facile de comprendre que l’esclave aurait eu peu de chances d’avoir raison devant celui qui était le plus inté- ressé à lui donner tort. Un tribunal de trois arbitres était créé pour régler toutes leurs contestations à ce sujet. « Si Sotérichos affirme qu'il est resté sans mériter de reproches et qu'il n’a fait rien de mal contre Amyntas ni contre son fils, mais si Amyntas ou son fils ont des reproches à faire à Sotérichos, qu'ils soient jugés devant les trois personnes qu'ils ont choisies : Diodore, fils de Mnasithéos ; Cleudamos, fils de Cléon; Archélaos, fils de Thébagoras; et le jugement qu'ils rendront, après avoir prêté ser- ment, sera souverain 1. » Ce tribunal est plus brièvement indiqué dans quelques autres l Tapaueivare oè mapd Auüyrar Zornpryos tn éxrd dvevnAnrTws" ei dè Ô pèv Qaln dvevxAñrws mapauévers nai unÜëv xarà Âuiyra XaXÔV DpacoEir UMÔÈ XATÈ TOÙ vioÿ Aubvra, Âpiyras dè ei évnañéor à 6 vids aÿrod Âubvras Zwrnpryos, xpiÜËvTeo. £y &ydpors tpiois oùs ouveikovro, Aiodwpæ Myaoidéov, Kaevddue Khéwvos, Âpye- Adw OnGaydpa: d T1 dé na oÙror npivwvrs Oudcavres, roùro nüpioy &olw* ei dé ri dyÜpémuyoy yÉvoro mepi riva Tv nowvdy y rois éréois tros yeypayuévois, Çehéo- Owy ho dvr aÿroÿ nai 6 ÉQupebeis xpivéro era TÔy noëwds ouvnpnuévwv" ei dè ph Sédor Âpüvras à Zwrnpiyos dyri Tv droyevouévwr nolvwr elte évds ere mhetdvwy ouveQæupeïoloi roùds noivods T@ Sédovts aûrüv éQaupeiv, nai xüpros édvrw oi xaraheyopevor eire els ere mheloves eiey of xpivoytes xaÜds éndvw yé- ypanra (N° 1:67.) ee MN = inscriptions}, mais il est impossible de supposer qu’il n'ait pas existé, même lorsqu'il n’en est pas fait mention expressément. C'était à ces arbitres qu'il appartenait de décider si l’esclave avait ou n'avait pas manqué à ses devoirs, si la vente devait être annulée ou maintenue. Le jugement qu'ils rendaient, après avoir prêté serment, était sans appel. La composition du tribunal n'avait pas moins d'importance; les arbitres étaient choisis par les deux parties, comme le monire l'acte déjà cité; on avait même prévu le cas où l’un des arbitres vien- drait à mourir et réglé les difficultés qui pourraient en résulter : « Si quelque malheur arrive à quelqu'un des juges communs pen- dant les années désignées [les huit années que l’esclave devait encore passer au service du maitre), qu’ils en choisissent un autre pour le remplacer, et que celui qu'ils auront choisi, juge avec les autres désignés en commun. Si Sotérichos et Amyntas ne s'enten- dent pas pour remplacer les juges communs qui seront morts, qu’il y en ait un ou plusieurs, si l’un des deux ne veut pas élire des juges communs d'accord avec l’autre, que les juges désignés, qu'il y en ait un ou plusieurs, décident encore souverainement, comme il est dit plus haut. » | « Si Leæna ou Aristomachos ont des griefs contre Satyros, ou Satyros contre Leæna ou Aristomachos, qu'ils soient jugés devant les prêtres d’Apollon, et Criton, fils de Nicaïidas, et que la décision qu’ils rendront après avoir prêlé serment, soit souveraine. Si Cri- ton vient à mourir, que Leæna, Aristomachos et Satyros choisis- sent à sa place celui qu’ils voudront ?. » Ces citations étaient nécessaires pour mettre en lumière un fait tout nouveau et de la plus grande importance, puisqu'il substi- tuait à la volonté capricieuse et à l'appréciation intéressée du mai- tre le jugement de trois arbitres choisis en commun. Outre ce tribunal qui assurait les droits de l’esclave, sa dignité d'homme était relevée par le serment que son maître et lui pré- taient devant l'autel en présence des prêtres et des témoins. « Que PEN 2 O0 10e 200 000, VDGE 2 KE dé ti na émmakéwprs Aéuva à Âpiolduayos Sarüpe, à Zdrupos moti Aéavar À Âpiolôpayor, xpifévrwr ép roîs iepéous rod Âmo)wvos nai êy Kpirwn Nixalda: ai à té xa oÙros xpivowure xÜprov Élu ei dé té na waûn Kpirwv, 4) Aov dyÜehË UE» AËcuva nai ApioToutayos ua Zdrupos dy na aÿroi SédwyTi Taèra dè ÉyÉvETO dy- meoov To vaoÿ xai roÿ Bo. (N° 38/4.) — 15 — devant les prêtres, Ménarchos prête le serment ordinaire à Apol- lon, qu'il jure de ne faire aucune injustice à Ménon ou à Peitho- laos, tant qu'il vivra, et de ne le permettre à aucun autre; mais. si lui-même commet quelque injustice ou s’il le permet à un au- tre, que Ménarchos soit dévoué pour son parjure et pour avoir transgressé les conventions; pareillement, que les garantis, et tout autre qui le voudra, aient le droit de rendre Xénon et Peitholaos au temple, sans être exposés à aucun procès et à aucune amende. Xénon et Peitholaos prêtent le même serment que Ménarchos, ils jurent de rester près de Ménarchos, tant qu'il vivra, le servant avec une entière bonne volonté et exécutant tous ses ordres...» Ainsi le maître n'avait plus seulement des droits sur ses esclaves?, il avait aussi des devoirs à remplir envers eux, ne pas leur faire tort, ne pas permettre à un autre de les léser; en ÿ manquant, il était dévoué à la colère des dieux, comme parjure, et en même temps il perdait tout droit sur ses serviteurs, qui étaient rendus au temple. Pour lesclave, exiger de lui un serment, n'était-ce ce pas le relever de cet état dégradant, où il comptait, non pour un homme, mais pour un instrument, n’était-ce pas supposer une àme à cet être qu'avant on appelait un corps mâle ou femelle, le croire capable de comprendre la sainteté du serment, de respecter la foijurée, c’est-à-dire de faire acte d'homme ? N’était-ce pas enfin, avant de lui rendre la liberté, lui rendre déjà sa dignité? | Madra dè éyévero dvdusoov Toÿ vaoÿ nai roù Bwuoÿ. Ouocdrw dé Mévapyos évavrion Tv icpéwv Tôv vépupor dpxor mapà rdv Ânolw pire aÿrov ddtmpoer Eévowva pmdë ILeohsov &s na Éÿ undè dAAw émerpébeur ei dè à aûrds ddiméor À EE émirpéVou, évoyos olw Mévapyos r@ re éQropueïr nai mapabaiver Tà ouvuelueva, xai Opolws xÜpro4 ÉOVTW Oo TE BeSuwrñpas ai &Ahos Ô Séwr droualiolaovres Eé- vaova xai IeDdhaov év ro iepôv dédusor nai dvurodinor dvres mdoas dinas nai Ga- uéas® rdv airôy dE pxov dpoodyrw Eévwy nai Ie:daos Merdoyw mapauéver map Mévapyov y té ua Gun uerà macas eûvolus douhedonres nai mouéovtes Td woriTacou- mevoy. Ei dé sé xa émexalÿ Mévapyos Zévwon à Ietohdo à Eévwr À HetÜ6}aos dvri- Aéywvrs mori Mévapyov, xpÜévüwv êv roïs ispéois roù Ârô)wvos nai KAéwyt Alwvos, xai à té ua oùros plvwyrs xÜpiov &o lu ei dé ua mn KAËwy, Roy dr0eXéoU« Me- vapyos AeAQdy ëp xa aÿrds Sen. Quocay mor TG Bouÿ nai «ira duEpa évavri Tv iepéoy pai ru papripar. (N° 1o7.) ? Bæœckh, p. 784, traduit éveyxAñrws par sine controversia, c'est-à-dire sans que le dieu puisse contester au maître la possession de l'esclave. Les passages que nous venons de citer montrent trop clairement le vrai sens de ce mot, sans que l'esclave mérite de reproches, pour qu'il soit nécessaire d'insister. * Le texte porte toujours côua yurarxeïon, aëua drdpeios & évopa ee Ne L'inscription citée est la seule où il soit formellement parlé de ce serment réciproque. Était-ce une exception ? Il semble, heureuse- ment, qu'on peut croire le contraire. L'expression Tô» vépuor Gpuor duoodtw indique qu’il s’agit, non d’une cérémonie extraor- dinaire, mais d’un cas prévu et régulier, pour lequel existait une formule de serment. N'est-ce pas cette cérémonie du serment qui est indiquée par cette brève mention à la fin de quelques autres actes : raèra Ôè éyévero dvà péoov Toù Bœuod nai Toù vaod!. Plus d’une fois nous avons eu occasion de faire remarquer avec quelle négligence étaient rédigées ces inscriptions, qui ne sont pas l'acte original de laffranchissement, mais une copie souvent abrégée de l'acte déposé entre les mains des prêtres, du néocore ou des té- moins. On prenait grand soin de mentionner les stipulations qui portaient sur les intérêts matériels, jusqu’à les répéter trois ou. quatre fois, mais le serment et la cérémonie religieuse étaient devenus de pures formalités, dont l’accomplissement ne semblait pas valoir la peine d’être mentionné. Ces deux faits, la prestation d’un serment réciproque, l’établis- sement d’un tribunal d’arbitres chargé de décider entre le maitre et l'esclave sont en contradiction évidente avec les théories des an- cens sur l'esclavage. Pour être conséquents, ils ne devaient ni fixer des limites à l'autorité du maïître sur un être qui était une chose, un instrument, ni demander à lesclave ce que l’homme seul peut faire. Mais l'esclavage, comme toutes les violences faites au droit naturel par la force brutale, ne pouvait vivre que par des contradictions. D'ailleurs, nous l'avons montré, ce n’est pas envers l’esclave que le maître s’engageait, c’est envers le dieu au- quel il le vendait. Sans cet intermédiaire, on ne pourrait com- prendre de pareilles concessions faites à l’esclave. S IV. L'examen détaillé que nous venons de faire permet de juger le caractère de ces affranchissements et d'apprécier leur influence sur l'esclavage. | | Il faut le reconnaître, ces affranchissements n'ont été inspirés ni par une idée morale, ni par un sentimentreligieux. L'antiquité I N° 343, 345, 346, 376, 384, ho7. — 117 — grecque n’a pas eu de scrupules sur la légitimité de l'esclavage, el la philosophie, loin de le condamner, s’est malheureusement ap- pliquée à le justifier par des sophismes. Peut-on croire, du moins, que la religion païenne a plus fait que la philosophie pour les es- claves, qu’Apollon, qui, lui aussi, fut condamné à servir, voulut adoucir la dure condition qu'il avait subie? Pas davantage, et si un grand nombre d'esclaves furent affranchis dans son temple de Delphes, n'oublions pas que Délos fut le plus grand marché d’es- claves de la Grèce. Au reste, ce genre d’affranchissement n’est pas particulier à Apollon; on a retrouvé des actes analogues dans les temples d'Esculape à Süris et à Élatée; de Sérapis à Chéronée, à Tithorée, à Coronée; de Bacchus à Naupacte, de Minerve Poliade à Daulis et même de Vénus Syrienne à Phiscis, comme le montre une inscription récemment découverte en Étolie par mon collègue M. Bazin !. C'était la divinité principale de chaque ville dont le temple servait à ces affranchissements. Nous avons montré que ces actes n’ont de religieux que la forme et l'usage qui en fut l’origine; ce n’est pas une consécration, mais une vente au dieu où le maître trouve non moins d'avantage que l’esclave. On se demande en effet où le maître aurait pu rencontrer un acheteur aussi accommodant que le dieu, et une forme de vente plus profitable. L’esclave était-il vieux, il valait mieux lui rendre ainsi la hberté, moyennant une somme qui n'était pas inférieure à la valeur ordinaire des esclaves, que de conserver un serviteur usé et qui n’était plus qu'une charge; trop jeune, il était encore impropre à servir utilement. S'il était dans la force de l’âge, le maître se réservait le droit de le garder un certain nombre d’an- nées, de lui imposer des obligations qui se prolongeaient même au delà de la vie; il recevait le prix de l'esclave en continuant à profiter de ses services. Évidemment, nul autre acquéreur que le dieu, qui achetait, mais non pour posséder, n'aurait pu accepter de pareïlles conditions. Pour les esclaves, il n’est pas moins facile de voir quels motifs leur faisaient rechercher ce mode d’affranchissement. Ils deve- naient les affranchis, non de leur ancien maître, mais du dieu, patron beaucoup moins exigeant; ils n'avaient pas à redouter ces actions que le maître athénien pouvait intenter à un affranchi ingrat. | Archives des Missions scientifiques , nouvelle série, t. T, Mémoire sur l'Étolie. (es Puis toutes ces garanties que le vendeur était obligé de donner au dieu assuraient sa liberté; la publicité de l'acte fait devant les pré- tres, les magistrats et un certain nombre de particuliers; l’inscrip- tion sur les murs-du sanctuaire; la protection des garants obligés, sous peine d'amende, à défendre les droits de l’affranchi ; la faculté donnée -à tout citoyen d'intervenir en sa faveur et de l'aider à se défendre, même par la force. S'il n’était pas immédiatement rendu à la liberté, il en avait du moins l'espoir. Son sort, nous l'avons vu, était encore bien rude, mais quel progrès sur celui de les- clave ordinaire! Quelle satisfaction d’avoir à son tour des droits, de ne plus être soumis à la volonté capricieuse du maître, mais au jugement d'un-tribunal d’arbitres; de ne plus être considéré comme un instrument, CoMmé un corps, mais comme un homme qui pouvait donner et recevoir des serments! Pour être juste, il faut reconnaître qu’il doit tous ces avantages à cette forme de vente. Si le maître avait traité directement avec son esclave, jamais il n’eût consenti à lui reconnaïtre de pareils droits ; mais, en traitant avec le dieu, il fallait bien lui donner les garanties que tout vendeur doit à l'acheteur, et c'est l’esclave qui a le plus gagné à cette intervention. Mais cette forme elle-même n’a pas été imaginée pour le protéger; elle est née d’un usage an- tique, qui peu à peu perdit son sens primitif. Dès les temps hé- roïques, on vendait des esclaves qui devenaient des hiérodules ou esclaves sacrés. Le service des dieux était bien plus doux que celui des hommes, témoin le jeune lon, qui n’imaginait pas de sort plus heureux, et ces captives, qui souhaitaient de servir le dieu de Delphes. De là, l'effort des esclaves pour changer de maï- tre et appartenir aux temples. Dans l’origine, sans doute, la vente fut réelle, et l’esclave acheté par le dieu demeura dans Île sanc- tuaire. De cette vente réelle, la transition est naturelle à cette vente fictive qui aboutit à l’affranchissement; l’esclave confiait au dieu la rançon qu’il fallait payer au maître. Ainsi se conserva l'ap- pareil religieux dans les cérémonies et dans la formule d’un acte qui au fond n’a rien de religieux. Ce que nous avons dit fait voir également que ces affranchis- sements, quel qu'en füt le nombre, ne pouvaient amener l'extinc- tion de l'esclavage. Ce ne fut pas un mouvement général, inspiré par la piété et l'équité, qui entraina les maîtres à réparer l'injus- tice dont souffraient les esclaves, ce fut un usage local, qui em- — 19 — prunta à la cité où il prit naissance une forme religieuse, mais qui ne s’étendit guère au delà de Delphes et des contrées voisines. ‘était sans doute une grande amélioration apportée à la condition de quelques esclaves; on leur rendait au moins l'espérance; ils ne se voyaient pas condamnés à servir sans autre terme que la mort; la liberté pouvait être le fruit du travail; c'était beaucoup pour adoucir le sort de celui qui se sentait le courage de la conquérir par un labeur incessant. Mais pour l'esclavage rien n’était changé. L’esclave vendu pouvait et, sans doute, devait être remplacé; les besoins du service restaient les mêmes, et l'on ne connaissait d’autres moyens d'y pourvoir que l’esclavage. Aux portes même de Delphes se tenait le marché de Pylæa, et le maître qui, aux jeux pythiques, venait de Phocide ou d'Étolie, affranchir son esclave en le vendant à Apollon, pouvait, en sortant du sanctuaire, en acheter un autre avec l'argent même qu'il avait reçu. Il n’y avait donc pas une diminution dans le nombre des esclaves, mais un simple changement; les uns sortaient de la maison du maitre pour devenir libres, d’autres Y rentraient pour les remplacer, et l'odieux trafic des marchands d'hommes, alimenté par la guerre et les enlèvements, était toujours en mesure de fournir à ces be- sOIns. On ne doit donc pas exagérer la portée de ces affranchissements, ni y entrevoir le germe d’une révolution qui aurait abouti à la disparition de l’esclavage. Pour le détruire, ou même pour le res- treindre, il était nécessaire de l’attaquer dans son principe, de le condamner au nom du droit et de la justice. Et ces principes plus élevés, il ne faut les demander ni à la philosophie antique ni à la religion païenne, qui n’ont eu ni la force ni même la prétention de remédier aux maux de la société. Pour mieux sentir ce qui a manqué à ces actes d’affranchisse- ment et ce qui les a rendus stériles pour le progrès de l'humanité, qu'on les compare à un acte d’affranchissement de l’époque ché- tienne (354 après Jésus-Christ), retrouvé sur un papyrus de la Haute-Égypte. Cet affranchissement, sous forme de déclaration adressée aux esclaves, est ainsi conçu : «Je déclare volontairement, de mon plein gré et sans regret, que je vous rends la liberté... par piété envers le Dieu plein de miséricorde... et par reconnaissance pour la bonne volonté que vous m'avez toujours montrée, pour — 120 — votre affection et vos services... et qu'il ne soit permis à aucun de mes héritiers de s'opposer à cet acte de piété à l'égard d'aucun de vous et d'aucune façon. ei Ouokoyé éxouoiws na œOapéros xai dueravontos dQinévar Üuas é)evbépous...… xaT” eUoeblay To mavehkenuoros Oeoù. xai dv@ cv évedeléwole po xard Xpôvoy edvoias nai olopyñs Tr TE xal ÜTnpe- GHASIUES nai pr} éÉéolar à pndert rüv éudv xAnporduowr dmTaË dmAds durikéyeuw pou Taÿtn Th etoebeia mepi undevds xaTà undËva TPOT Ov. Ici il n’y a pour l’esclave ni rançon à payer, ni dures restric- tions, ni obligations onéreuses; la liberté lui est rendue gratuite- ment et complétement. La forme de Pacte n’est pas religieuse comme à Delphes, mais il est inspiré par un véritable sentiment de religion et d'humanité. Il est impossible de ne pas voir quelle distance sépare ces deux sortes d’affranchissements, l’un, qui n'est qu'une vente où le maître ne sacrifie rien de ses intérêts, et qui consacre plus qu'il ne condamne l'esclavage; l’autre, où l'on sent déjà l’accomplissement d’une révolution et où commence l’extinc- tion de l'esclavage avec les doutes du maître sur la légitimité de ses droits. $ V. On peut encore tirer de ces inscriptions des données précises sur le prix et l'origine des esclaves. M. Wallon, dans son excellent ouvrage, a très-bien montré que le recrutement des esclaves n'était pas moins odieux et moins in- juste que l'esclavage lui-même. La guerre et la piraterie, c'est-à- dire la violence et l'abus de la force, sous deux formes un peu différentes, servaient à le recruter. Les textes que nous publions ne fournissent que peu de renseignements positifs à cet égard. Il est seulement fait mention d’une femme de Chalcis, prisonnière, æiyudkwros !. Mais sans doute ce n’était pas la seule que la guerre eût réduite en servitude; c'était le sort réservé d'ordinaire aux vaincus : ils étaient vendus aux marchands d'esclaves qui suivaient les armées. Ces inscriptions jettent un jour nouveau sur une autre source de l'esclavage, et la plus abondante, l'esclavage lui-même. Les femmes étaient plus nombreuses que les hommes; sur cinq cent MINE TON CP — 21 — cinquante esclaves dont nous connaissons l'acte de la vente, nous trouvons trois cent vingt-deux femmes et deux cent vingt-huit hommes, c’est à peu près la proportion de quatre contre trois. Ce fait explique le grand nombre d'esclaves désignés par l’expres- sion de oëxoyeveïs où évdoyeveis. Sur deux cent vingt-neuf dont l'origine est indiquée, cent cinq sont nés à la maison. Et de ceux pour lesquels cette désignation est omise, la plupart doivent avoir eu la même origine. Par exemple, lorsque nous voyons une femme vendue avec ses deux enfants en bas âge, on peut être indécis sur l'origine de la mère, mais n'est-il pas presque certain que ces en- fants (mœsddpzov où xopidiov selon le sexe) sont nés dans la demeure du maître? Ces enfants n'étaient pas le fruit d'unions régulières. On saït que les maîtres ne permettaient que rarement le mariage entre esclaves, et Xénophon, en conseillant de l’accorder comme une récompense aux bons serviteurs, adoucissait en cela la règle commune. Une seule fois nous voyons nommés le père et la mère d'une petite fille vendue à Apollon; au contraire, on rencontre fréquemment la mère seule vendue avec ses enfants. La suppres- sion de la famille, telle est la conséquence logique de l'esclavage, dans tous les pays et dans tous les temps. Pour mieux faire sentir à l'esclave qu'il n'était qu'un corps, on s’efforçait d’étouffer en lui tous les sentiments de l'homme. A la place du mariage, les ca- prices du maître, ou des unions passagères avec des compagnons de servitude , unions tolérées par le maître, pour qui elles étaient un revenu, comme le produit de ses troupeaux. Pour les esclaves nés hors de la maison, nous connaissons l’ori- gine de cent vingt-quatre d’entre eux !. La Syrie et la Thrace avaient à ORIENT. OCCIDENT. a ——— ——— EE ASIE. ASIE MINEURE, GRÈCE. FR ITALIE. ET BARBARES, Syrie...... 22 Galatie..... 8 Laconie..., 8 Thrace. . ,.. 21 Rome: #14" 1 Judée:-:6. … 2 Armenie.... 4 Thessalie... À Maccdoine., 6 Ltalié. 4. à 1 Phénicie.., 2 Cappadoce.. 3 Amphissa... 3 Ilyrie ..., 4- Messapie... 1 Arabie. .,., 2 PODDSE. 2, 2 Phocide.... 3 Sarmatie,.. 4 Luücanie:... "1 Égypte or 2 Mysie...... 2 Eubée ...., 2 Bastarne ,,. 1 Samnium,,. 1 Lydie...... 2 Locride.. , 1 Bruttium.,, 1 Phrygie.... 2 Étolie....., 1 Chypre..... 1 Dépt, A5. 1 Paphlagonie. 1 Mégare..... 1 Bithynie..., 1 Epire....., 2 ‘30 26 m: 36 6 — 122 — conservé le triste privilége de fournir le plus grand nombre d'es- claves, grâce aux guerres acharnées des petits rois de Thrace, aux révolutions et aux guerres civiles du royaume de Syrie; peut-être même , le Juif et la Juive que nous trouvons dans nos inscriptions ont-ils été arrachés de leur patrie, dans la lutte des Séleucides contre les Macchabées. Les différentes contrées de l'Asie Mineure ne fournissent pas moins de vingt-six esclaves, parmi lesquels huit Galates. L’esclavage atteignait jusqu'aux extrémités du monde an- cien, et nous trouvons à Delphes ou dans les villes voisines des Arabes servant à côté de Bastarnes, de Sarmates et d’Illyriens. L'Occident fournissait bien moins que l'Orient; six esclaves seu- lement sur cent vingt-quatre : un Italien, un Lucanien, un Sam- nite, une Bruttienne, une Messapienne, et enfin une Romaine, nommée Bibia. On pourrait s'étonner de voir une Romaine obligée de se racheter, à l’époque de Flamininus et de Paul-Émile. Mais nul titre, pas même celui de Romain, n’était une garantie contre la servitude, et les droits du maïître sur l’esclave paraïssaient si sacrés aux anciens que, même vainqueurs et tout-puissants, les Romains les respectèrent en Grèce et ne voulurent pas arracher à leurs possesseurs ceux de leurs soldats qu’Annibal avait vendus. Les Grecs eux-mêmes n'échappaient pas au sort qu'ils faisaient subir aux autres; ils forment un cinquième des esclaves dont nous connaissons l'origine. Grâce aux tyrans de Sparte, les Laconiens sont les plus nombreux, huit sur vingt-six. Pas plus au n° siècle qu’à l’époque de la guerre du Péloponèse, ils ne se souvenaient qu'ils étaient frères et qu’ils avaient une commune origine. Ainsi l'esclavage se recrutait dans tout le monde ancien; c'était une menace toujours suspendue sur la tête de l'homme libre, et que rien ne pouvait prévenir, ni la richesse, ni la noble origine, ni l'indépendance présente. Les vers qu'Euripide mettait dans la bouche de ses Troyennes captives, ont été vrais pendant toute l'antiquité. Ces inscriptions fournissent des renseignements précis sur la valeur des esclaves au 11° siècle. Sur quatre cent quatre-vingt-seize, vingt-cinq seulement sont vendus au-dessous de 2 mines; soixante et douze, de 2 à 3 mines; cent soixante et dix, de 3 à 4 mines; cent trente-neuf, À mines: soixante, 5 mines; trente, 6 mines. Ce sont là les prix qui reviennent le plus fréquemment, mais on en trouve aussi de plus élevés; un esclave vendu 7 mines; huit à 8 mines; — 123 — trois à g mines; huit à 10 mines; un à 13 mines; un à 19, un à 18 mines. La rançon payée est donc en moyenne de 3 à 5 mines. Mais, en se tenant à ce prix, on resterait au-dessous de la valeur réelle des esclaves. Nous avons indiqué plus haut quelles restrictions étaient mises à la liberté des affranchis, quelles obligations leur étaient encore imposées après la vente. Ainsi nous avons vu une femme esclave payant d’abord 5 mines pour être vendue à Apollon, mais obligée de servir jusqu'à la mort des vendeurs, restant neuf années auprès d'eux, et enfin payant encore 3 mines pour être dispensée de cette obligation !. Ce n’est donc pas à 5 mines, mais à plus de 8 mines qu'il faut en fixer la valeur. De même, aurait-on le prix réel d’une autre esclave vendue 3 mines, si l’on ne comp- tait pour une certaine somme les dix années de service qu'elle doit encore à sa maîtresse ? Chacune de ces années était évaluée, selon la valeur de l’esclave, 30 statères pour l’un, 1 mine ou une demi- mine pour d’autres. C'est 1à une somme nouvelle qu'il est difficile d'évaluer précisément, mais dont il faut tenir compte pour fixer le prix de lesclave. D'un autre côté, plusieurs de ces affranchis sont des enfants vendus avec leur mère, et on marque seulement la somme payée pour cette vente collective. Or la valeur de ces enfants n’est pas celle des esclaves dans la force de l’âge. Par exemple, lorsque nous trouvons une femme vendue avec son enfant à la mamelle pour 8 mines, n'est-il pas évident que la mère vaut beaucoup plus que la moitié de cette somme? C’est encore une raison d'élever le prix moyen que donnent nos inscriptions. Enfin, ces esclaves ne sont pas vendus à un nouvel acquéreur, qui n'aurait voulu que d’un serviteur capable de travailler. C’est l'esclave qui se rachète lui-même, avec le pécule qu'il a lentement amassé. Beaucoup, sans doute, ont usé leurs forces à gagner cet argent et ne se rachètent qu'à un àge avancé, les 2 ou 3 mines qu'ils payent alors ne représentent pas la valeur qu'ils avaient dans la force de l’âge. Ces différents motifs nous conduisent à considérer comme trop faible la moyenne de 3 à 5 mines que donnent les chiffres des inscriptions pris absolument, et nous croyons nous rapprocher DIN 299et 254. — 924 — de la vérité en portant la valeur moyenne d’un esclave à 5 ou 6 mines. Tel nous paraït être le prix de l’esclave ordinaire, employé aux services de la maison ou aux travaux des champs. Dès qu'il avait un métier, son prix augmentait. Ainsi un corroyeur est estimé 10 mines; même prix pour une joueuse de flûte. Un artisan n’est vendu que 6 mines, mais il doit rester auprès du vendeur Jjus- qu'à la mort de celui-ci, apprendre son métier à un jeune esclave, payer une contribution due par le maïtre. Il en est de même, pro- bablement, pour les autres esclaves vendus un prix supérieur & da valeur que nous venons de fixer. Ün autre fait qui ressort de ces inscriptions, c’est qu’en moyenne le prix est le même pour les esclaves nés à la maison et pour les étrangers, pour les hommes et pour les femmes. La nation de l'esclave ne peut servir non plus à établir une distinction dans les prix. Ainsi un Arménien est vendu 18 mines, et un autre Armé- nien 3 mines; un Galate 10 mines, et un autre 3 mines; une femme syrienne 10 mines, et d’autres Syriens 2 et 3 mines; de même pour les Thraces. Les esclaves de race grecque n'ont pas plus de valeur que les barbares; pour les Lacédémoniens en par- ticulier, le prix varie depuis 3 mines jusqu'à 10. La valeur ne dé- pendait ni du sexe ni de l’origine, mais de l’âge, de la force ou de l'adresse de l’esclave. On peut donc dire qu'en Grèce, au 1° siècle, le prix était de 5 à 6 mines pour les esclaves ordinaires, de 10 mines et au- dessus pour ceux qui avaient quelque métier. Ces prix ne sont donc pas inférieurs à ceux que nous connaissons pour la même époque. C'est une preuve de plus que cette vente au dieu ne coù- tait rien à la piété du propriétaire, et que, si l'esclave y gagnait un bien inestimable, la liberté, le maître ne sacrifait rien de ses ‘intérêts et faisait un marché aussi avantageux qu’une vente ordi- naire. DEUXIÈME RAPPORT SUR UNE MISSION SCIENTIFIQUE EN ÉGYPTE PAR M. LE VICOMTE E. DE ROUGÉ. MEMBRE DE L'INSTITUT. 26 avril 1866. Monsieur le ministre, J'ai eu l’honneur d'exposer à Votre Excellence, dans un pre- mier rapport à la date du 15 juin 1864, les principaux résultats de notre mission en Égypte. Après avoir collectionné des maté- riaux abondants et très-variés, notre premier devoir était de nous livrer au travail nécessaire pour les classer et en réconnaître Pintérêt. Il était non moins urgent de rechercher les moyens d’une publication satisfaisante et suffisamment rapide. Votre Excellence sait quels obtacles opposait sur ce point à nos désirs l’exiguité des ressources que le budget met à la dispo- sition du ministère pour les publications scientifiques, et je re- connus d’ailleurs, au premier examen, que les voies exiraordi- naires eussent entrainé des délais très-regrettables. Le plan de publication que Votre Excellence a bien voulu approuver, aura pour résultat de mettre promptement entre les mains du public une portion très considérable de nos documents nouveaux. Nous constatämes d’abord avec joie que la plus grande partie des né- gatifs photographiques recueillis avec tant de précautions et de fatigues par M. de Banville était d’une conservation si parfaite qu’elle pouvait servir de matière à une publication immédiate. Un savant professeur, M. Samson, se chargea d'en faire une édi- tion complète, et l’Album de la mission d'Egypte, contenant 155 planches photographites, a, depuis près d’un an, pris sa place dans les bibliothèques scientifiques. Ce mode de publication pré- MISS. SCIENT. —— IIT, 20 OR sente de grands avantages à cause de son incontestable fidélité; ici, pas d’interprétations dues aux habitudes de lartiste et altérant le style des figures; pas de faute possible dans la copie des ins- criptions, et chaque planche fait foi dans la question des lec- tures douteuses. Mais le prix élevé des bonnes épreuves a, de son côté, des inconvénients sérieux, et je fais étudier, en ce moment, la ques: tion de savoir si l’on ne pourrait pas, à l’aide de la lithographie, donner une édition spéciale de nos inscriptions, suffisamment li- sible et à un prix très-modéré, qui en augmenterait singulière- ment le profit scientifique. En attendant ce très-utile complément, les principaux centres scientifiques de la France et de l'étranger possèdent au moins le type photographique de notre collection. Je n’ai voulu accompagner ces planches que d’une très-courte no- tice, destinée à indiquer le sujet et à justifier notre choix en ap- pelant l'attention des archéologues sur les matériaux qui leur sont offerts. Les notes et fragments d'inscriptions de toute sorte qui rem- plissent nos carnets de voyage demandaient une autre nature de publication. Un travail préliminaire était nécessaire pour dépouiller ces matériaux et pour les féconder par une étude comparative avec les monuments déjà connus. En cherchant à établir des divisions, je m'aperçus bientôt qu’une portion consi- dérable de nos inscriptions se groupait autour du point de vue géographique. Mon fils, qui avait copié la plupart de ces textes, se chargea, sous ma direction, de leur étude spéciale et de leur publication. Maïs, pour ne pas multiplier inutilement la répéti- tion des mêmes formules, je lui conseillai de prendre, comme type de son travail, le grand texte géographique gravé au pour- tour extérieur du sanctuaire d’Edfou, texte dont la reproduction serait donnée in extenso, en enrichissant l'explication de ce mo- nument à l’aide de tous les documents nouveaux recueillis dans les autres listes de même nature. Les scènes géographiques déco- rent, dans les monuments égyptiens, le soubassement d’une quan- tité de salles ou de galeries; elles se reconnaissent sous la forme de longues processions de personnages symboliques, qui suivent le Pharaon fondateur du temple, et viennent offrir aux dieux lo- caux les productions de chaque province; elles contiennent un trésor de documents statistiques sur les villes, les territoires et les — 127 — canaux de chacun des nomes, sur leurs produits, sur leurs divini- tés spéciales, sur leurs sacerdoces et sur leurs jours de fête. La Revue archéologique s’est chargée de la publication de ce travail; les articles qui ont paru jusqu'ici comprennent les cinq premiers nomes de la haute Égypte. L’utilité de cette publication a été appréciée, et la science en a déjà tiré bon parti; elle sera continuée sans retard. Je m'étais reservé l'étude des matériaux qui présentaient un ca- ractère plus spécialement historique; ils deviendront le sujet d’une série de mémoires pour servir à l’histoire d'Egypte que j'ai l'in- tention de présenter successivement à l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Je puis joindre, dès aujourd’hui, à ce rapport le pre- mier de ces mémoires; 1l contient le dépouillement des documents qui se rattachent aux six premières dynasties égyptiennes, Me bornant à analyser sommairement les travaux antérieurs, je me suis attaché à expliquer spécialement ce que les nouvelles décou- vertes ajoutaient à nos connaissances sur ces temps primitifs. Cette méthode n'est pas rapide , elle exige un grand travail, et la publica- tion en est souvent retardée par les lenteurs de l'impression, mais il me parait certain qu'elle doit porter des fruits plus durables pour la science. M. Wescher a résumé dans un rapport spécial, en date du 17 juillet 1864, le résultat général de ses recherches sur les inscrip- tions grecques et latines découvertes par lui dans le cours de la mission ; mais ici la publication n'a pas pu marcher aussi vite que nos désirs. Nous apprenons avec plaisir que la commission chargée d’exa- miner cette queslion a conclu récemment à l'autorisation d’une publication spéciale, et nous pouvons espérer de la voir entreprise sans nouveaux délais. M. Wescher a dù toutefois, et pour prendre date, communiquer quelques-unes des inscriptions les plus inté- ressantes à la Revue archéologique et à l'Institut archéologique de Rome. Les sciences littéraires suivent, dans notre temps, une marche aussi rapide que celle de l’industrie, quoique leurs pro- grès soient peu retentissants et demeurent inaperçus pour le plus grand nombre. Une prompte publication est souvent une condi- tion nécessaire du succès, en présence de l’ardeur que témoignent nos rivaux des pays voisins, à l'annonce ou au simple pressenti- ment d'une découverte. C’est donc un devoir pour moi d'appeler 29 ” — 1928 — de nouveau l'attention de Votre Excellence sur les inscriptions re- cueillies avec tant d’ardeur et de savoir par M. Wescher et de lui demander instamment que la publication n’en soit pas différée !. J'ai l'honneur d'être, Monsieur le ministre, de Votre Excellence le très-humble serviteur, Vicomte E. pe Rouc. 1 Le Ministre de l'Instruction publique a décidé que le Recueil des inscrip- tions grecques et latines découvertes par M. Wescher, pendant le cours de sa mission en Égypte, serait publié sous les auspices de son département. RAPPORT SUR ‘ LES RECHERCHES FAITES AUX ARCHIVES DE VENISE, PAR M. DE MAS-LATRIE. RELATION SUR LA SITUATION DE LA FRANCE EN 1786, “ENVOYÉE AU SÉNAT DE VENISE PAR L’'AMBASSADEUR DANIEL DOLFIN. Paris, décembre 1865. Monsieur le Ministre, On sait la différence des Relations et des Dépêches émanées des ambassadeurs vénitiens résidant auprès des cours étrangères. La Relation terminait la mission et résumait les appréciations et les notions recueillies par l'ambassadeur dans le pays auprès duquel il était accrédité; appréciations et opinions consignées déjà la plu- part, mais disséminées, au jour le jour, dans les dépêches de la correspondance courante. On connaït la valeur particulière des Relations vénitiennes du xvi° et du xvu° siècle. Pour être moins Re celles du siècle suivant ne doivent pas être négligées; et j'ai souvent signalé à Votre Excellence le haut intérêt que présenterait le recueil, facile à former, de tous ces monuments historiques e en ce qui concerne la France. Ordinairement la Relation était lue par l'ambassadeur lui-même Lee) 1 Voyez, sur les Archives de Venise, la 1°” série des Archives des Missions, t. 1, P- 261, 341, et 2° série ft. F. P. 105. hSO — au Conseil des Prégadi après son retour à Venise, en présence du doge. Mais les circonstances pouvaient excuser l'absence de l’am- bassadeur et l’autoriser à modifier la forme de sa Relation, ou le dispenser même quelquefois de la présenter. La Relation de 1786, que j'ai l'honneur de vous transmettre au- jourd’hui, fut écrite de Paris, en dépèches successives, par l’ambas- sadeur Daniel Dolfin, qui avait ordre de se rendre directement dé Paris à la résidence de Vienne, sans passer par l'Italie. Dolfin avait séjourné cinq ans à la cour de Versailles. Il avait vu commencer et finir la guerre d'Amérique; il avait su tous les inci- dents des difficultés de l'Autriche et de la Hollande: il avait suivi la conduite de la Russie envers de la Porte. I ne dissimule pas son estime et son admiration pour la poli- tique résolue, prudénte et généreuse de M. de Vergennes. Au commencement de 1786, il voit la France, jouissant au dehors d’une incontestable prépondérance, devenue par le cours des événements l’arbitre et la maitresse de la paix européenne. Au dedans, l’état des esprits ne l’occupe pas. La convocation des notables n'avait pas encore porté le premier coup de la rénova- tion nationale, si malheureusement détournée de son cours régu- lier. Le déficit financier l’inquiète; mais 1} croit le mal très-répa- rable vu l’immensité des ressources du pays. La grandeur, la richesse, les embellissements de: Paris (Font frappé. Paris, ecrit-il, a 700,000 habitants. Les étrangers y versent annuellement plus de 30 millions : «Ce ‘sera donc'toujours une pensée politique dans le:gouvernement de ce pays, pensée con: forme d’ailleurs aux principes de Sully et de Colbert, de n’épar: gner aucun sacrifice pour embellir de plus-en pe cette es ah d'y attirer toujours les étrangers. » Veuillez agréer, etc. | pere) | L.' De Mas-LATRIE. — 151 — SOMMAIRE. Forcé de se rendre à Vienne sans passer par Venise ,.le chevalier Dolfin suppléera par ses dépèches à la Relation que l'usage et les lois obligent chaque ambassadeur à lire au Sénat, au retour de sa mission. Dolfin exposera dans 3 ou 4 dépêches les objets suivants : 1° Les affaires particulières de la république de Venise ; 2° La situation de l'Europe; 3° Les forces intérieures et la situation politique actuelle de la France à l'extérieur. £ La présente dépêche sera consacrée aux affaires de Venise. La seule question qui intéresse en ce moment les relations de la ré- publique avec la France est l'affaire de MM. Chomel et Jourdan, négo- ciants hollandais. Le comte de Vergennes est on ne peut mieux disposé au sujet de la médiation. Mais il croit qu'il est préférable de ne plus agir. Si l'affaire se réveillait, le Sénat peut se borner à s’en référer à son promemoria du 27 novembre 1784, qui a été approuvé de toutes les cours. Jamais d'ailleurs la Hollande ne voudra en venir à des actes d'hostilité pour un si mince motif. N° 259. Solo. Serenissimo Principe, L'onorevole ed importante incarico di servir l Eccellentissimo Senato nell” ambasciata di Vienna occupa le mie cure incessanti per mettermi in grado di produrmi a quella Corte, subito che sia un poco mitigato il rigore della stagione, e che le strade della Ger- mania permettano il sicuro trasporto del mio equipaggio. Fra queste disposizioni ed applicazioni non tralascio di cogliere i momenti d’intervallo per consacrarlo in altro modo al servizio della patria e all’esatta obbedienza delle leggi. Non essendomi concesso l’onor speciosissimo di produrmi personalmente a de- ponere Ÿ ambasciata di Francia a piedi del trono di Vostra Sere: nità, non mi credo tuttavia dispensato dal dovere che m’impone la legge di rassegnare la Relazione dell” ambasciata medesima. Affinchè la lettura ne riesca meno incomoda al} Eccellentissimo Senato, ho stimato proprio dividerla in tre e forse quattro dis- ! Solo dispaccio , seule dépêche de ce jour. — 132 — pacci, ognuno dei quali tratterà materie separate, e potrà per consequenza esser ascoltato disgiuntamente dagli altri, in quel modo che & solito per gli ordinari dispacci degli ambasciatori. Tutti gli argomenti sui quali pud esercitarsi la vigilanza di quel ministero che mi è toccato di sostenere per un periodo di tempo, la metà quasi piu lunga dell’ ordinario, fra le combina- zioni d'importantissimi avvenimenti, mi sembrano riuniti e com- pressi sotto tre sommi capi : Primo, gli affari di Vostre Eccellenze ; Secondo, il sistema politico dell Europa ; Terzo, la situazione politica della Francia. Mi propongo dunque di render conto in questa umilissima Relazione, in primo luogo in quale stato rimangano gli affari pu- blici pendenti; in secondo luogo, quale sia lo stato attuale degli affari e rapporti reciproci delle primarie potenze, che costituis- cono la bilancia dell” Europa; in terzo luogo. qual sia particolar- mente la forza e l'influenza politica della Francia, nel tempo presente. Se l’importanza di questi argomenti supera di troppo la scarsezza dei miei talenti, non posso promettere altro riparo, che quello che pud dipendere dal trattarli con zelo et con verita. I primo punto sara il soggetto del presente divoto foglio. L’unico affare di Vostre Eccellenze che resta sospeso a questa corte è la mediazione intrapresa dal signor conte di Vergennes nella strana vertenza promossa dalla repubblica di Ollanda. per le note pretese dei negozianti Chomel et Jourdan !. Se questo argo- mento giace nel silenzio da qualche tempo non è già che al se- gretario di Stato si sia raffredato nelle ottime sue disposizionti, ed in quella intima persuasione che ha costantemente manifestato a favor della causa pubblica: Particolarmente nei miei riverenti numeri 206 e 209, stanno esposti con verità 1 sentiment che il signor conte di Vergennes ha sempre mantenuti in questo négo- zio e che furono accolti da Vostre Eccellenze con giusto aggradi- mento. Ma perchè ad onta del verace suo impegno, l’affare non è tuttavia terminato, nè gli Stati Generali hanno ancora richiesto l'interposizione di questa corte come sembra che fosse il desiderio dell Eccellentissimo Senato e lo spirito delle sovrane ducali dei ! Cette affaire, dont les dépêches citées ne précisent pas les circonstances, pa- rait être une répétition de MM. Chomel et Jourdan, vivement soutenue par les Etats généraux, contre le ministre vénitien Gavalli, leur débiteur, — 153 — 20. agosto. decorso, cosi reputo mio dovere di espor con chia- rezza i motivi di tal sospensione. Se avessi voluto riferire alle Eccellenze Vostre di volta in volta ogni discorso che feci col signor conte di Vergennes su di questo argomento , avrei tenuto di comparire voglioso di ostentare le con- tinue sollecitudini che ho poste in opera e per coltivare il minis- tro e per cogliere ogni occasione propizia onde risvegliare il suo impegno e cavarne frutto. Ho reso esatto conto de colloqui essen- ziali, ed ho creduto di non dover occupare il tempo prezioso dell Eccellentissimo Senato con quelli che non conducevano a ri- sultati ed effetti nuovi e significanti. Ora poi ripassando i sum- marÿ dei moltiplici argomenti, posso raccogliere insieme quelle parti che sono relative al presente mio assunto. | Con quel natural fervore che l’amor patrio ispira nell obbe- dire ai comandi di Vostre Eccellenze e con quella famigliar con- fidenza alla quale il segretario di Stato si compiaceva di admet- termi ,10 gli parlavo sovente in questi termini : « Vostra Eccellenza potrebbe terminare la vertenza della repubblica Veneta con quella di Ollanda; basta ch’ Ella lo voglia e tutto sara fatio. Gli Stati Generali devono avere il più gran riguardo per ogni suo cenno, s Ella, signor conte, mostrerà desiderio d’impor fine a questa disgustosa controversia, essi dovranno pregarla ad aver compia- cenza ch Ella voglia interporsi, benchè si tratti di affare tenue e privato in origine. » Con questi modi adoperati in diverse guise ed amplificati se- condo gl incontri, non cessavo di dar eccitamenti al signor conte di Vergennes per conseguire gli effetti che mi furono dal Eccellen- tissimo Senato inculcati. — Ma il ministro mi rispondeva spessa che se stupiva che io lo stimolassi in questo affare, che non vedeva cosa potesse l’Eccellentissimo Senato guadagnare dal provocarne la trattazione; che se gli Stati Generali non agivano non si poteva che perdere risvegliandoli, che l’affare era affatto passivo per parte Veneta, che essendo in se stesso di poca importanza, me- ritava di finir col silenzio, e che non vi era altra via piu sicura per finirlo con onore e senza danno. Ordinariamente nelle tratta- zaomi chi dimanda vuol sempre spuntare di ottener qualche cosa, nè mancano mai speciosi prelesli per insistere; allincontro se gli Stati Generali si tengono nel silenzio, cosa si pud desiderare di più per parte Veneta 2 OO he Vostre Eccellenze possono ben immaginarsi che sebbene questi argomenti non mi sembrassero destituti di forza, pure non las- ciavo d'insorgere, tenendo sempre fisso nell’animo lo spirito delle pubbliche commissioni. Diceva perd, che cid che Vostre Eccellenze desideravano era la loro tranquillità, e che questa era stata già troppe volte turbata dalle spiacevoli rimostranze ed ostili deliberazioni degli Stati Generali. Non bastavano queste, se non veniva suscitata anche la corte di Prussia a frammuschiarsi in affare si piccolo con replicati memoriali. Esser poi tempo che finiscano tanti disturbi e doversi sperar che cosi succeda senz’alcun dubbio, poco che voglia frapporsi l’autorevole influenza del Re Cristianissimo, il qual sembra aver fatto sua gloria di conciliar le discordie fra i potentati et protegger la pace universale. Più volte pareva disposto il signor conte di Vergennes a far qualche nuova insinuazione a questi ambasciatori di Ollanda o anche a farla eseguire all Aja col mezzo dell ambasciatore di questa corte, ma in seguito poi ritornava sempre a dirmi, che non vedeva utilità di svegliare questo negozio, e che da nessuna trattazione l'Eccellentissimo Senato poteva guadagnar tanto quanto dal silenzio; che più l’affare invecchia, piu si raffredda l’impegno di quei soggetti medesimi che l’hanno spinto e protteto finora al} Aja, e che non vi era miglior partito, che di schermirsi con dolci e destri modi ogni ülteriore tentativo, che facessero gl in- teressati Chomel et Jourdan, anche col mezzo della corte di Prussia. | Fale è la sostanza delle moltissime conversazioni avute col ministro su questo proposito. Egli poi fini di confermarsi nella sua persuasione allorchè vide che la pluralità delle provincie;,, non adotto la proposizione ostile fatta da quella di Ollanda il di primo marzo decorso, e da me riferita col rispettoso, n° 220. Restava un solo impedimento perchè questo affare potesse esser sepolto nel silenzio, et questo impedimento era la presenza di un resi- dente Veneto all Aja. — Vostre Eccellenze hanno opportuna- mente rimosso questo ostacolo ed or si pud dire con evidente ar- gomentazione, che se gli Stati Generali non abbracciarono l’occa- sione di entrare in trattazione durante il lungo soggiorno appresso di essi fatto da un residente di Vostra Serenita spedito colà per questlo preciso oggelto, e se non si sono curati di profittare della mediazione di questa corte che ad essi avanzd suflicienti aperture — 135 — a tal fine, più patente non saprebbe esser Îa loro intensione di lasciar cadere in oblio questo affare. Se si osservano 1 modi e le vie con cui lo hanno diretto, è facile conoscere che hanno avuto sempre in mira d’imponere con ogni sorte di minaccie, delle quale non avrebbero avuto bisogno se fos- sero stati persuasi che le loro dimande erano giuste, giacchè allora non avrebbero dubitato di prender per arbitra o per mediatrice qualche: corte straniera. Si sono sottratti dall” uno e dal! altro di questi espedienti perchè non hanno mai avuto lusinga di riuscire nel loro assunto se non per la via delle minaccie; ma l’Eccellentis- simo Senato ha deluso con nobilissima fermezza i loro poco nobili consigli, ed ha trovato la vera via di confonderli col prudentissimo promemoria del 27 novembre 1784, il quale fu ammirato, e ap- plaudito in tutte le corti dell Europa. Dopo quella vittoriosa carta non si sono più fatti sentire altro che per vie indirette, e si puo dir con franchezza che quella carta ha imposto fine all’ ingrata vertenza. Siami dunque permesso di umilmente rappresentare all Eccel- lentissimo Senato, per epilogo e conclusione del presente divoto mio fogho, che forma il primo argomento della mia Relazione, che questo affare si pud considerare come terminato, che importa non far verun passo, e che quando gli Stati Generali o altre corti lo risvegliassero in qualunque modo, sarà facile all insigne virtü di Vostre Eccellenze, il sottrarsi da ulteriori disturbi riportandosi -unicamente al suddetto promemoria del 27 novembre. Posso as- sicurare con tulta fermezza all Eccellenze Vostre che in Ollanda non ha mai esistito l’intensione di venire ad aperte ostilità per questo. piccolissimo motivo. Sarebbe stato tutt al più ordinato läresto! déi Veneti bastimenti nei porti di quella repubblica, ma quest’ ordine mon avrebbe avuto altro oggetto che di pura mi- naccia, € posso afflermare con fondamento che non sarebbe stato eséguito giammai. Mi compiacerei di avere sodisfatto ai mier ultimi doveri su di quésto argomento, se il presente divoto foglio potesse servire à sollevare 1 Eccellentissimo Senato da ogni ulteriore apprensione, € pensiero per questo conto. — Grazie. Panigi, li 23 gennaro 1785!. Daniel Docrix, primo ambasciatore. L Style de Venise, qui commençait l'année au 1° mars. — 36 — SOMMAIRE. II. ÉTAT DE L'EUROPE, De grands événements sont survenus pendant le séjour de l'ambas- sadeur en France. Le plus considérable est la déclaration d’indépen- dance des colonies anglaises d'Amérique. Depuis la chute de l'Empire romain, on n'a pas vu de démembrement politique aussi important dans le monde. Tout annonce que ce sera là un échec réel pour la force in- térieure de l'Angleterre et un amoindrissement sensible de son influence extérieure. Il en résulte en tout cas et dès maintenant un bien général, cest l’affaiblissement de l'idée de sa prépotence maritime. Ces grands résultats sont dus à la valeur des Français qui ont combattu en Amé- rique, à l'intelligence du cabinet francais ét aussi à la ligue de neutra- lité armée formée par l'impératrice de Russie. Refroidissement de la Russie et de l'Autriche à l'égard de l’Angle- terre, qui semble isolée. Le Danemark seul est attaché à à l'Angleterre. L' nl de la Prusse et de l'Angleterre n’a pas de raison essentielle et durable. L'Angleterre peut se relever par une longue paix en s'occupant du commerce. La Suède a renouvelé son alliance avec la France. La rivalité du Danemark et de la Suède amène toujours ces puissances à chercher des alliances contraires. Quelque forte que soit la Russie, jamais cette puissance n'aurait fait la conquête de la Crimée, si l'Autriche s y était opposée. Aussi la Russie s’est-elle refroidie avec la Prusse pour ménager l'Autriche. La Russie, cherchant toujours à s’agrandir aux dépens de la Turquie, doit ménager l'Autriche. C'est là la cause de l'alliance actuelle de la Czarine et de l'Empereur. L'Empereur trouve, d’ailleurs, dans ces bonnes relations son avan- tage contre la Prusse. Mais les autres puissances doivent veiller à ce quil n'y ait pas une trop intime alliance entre deux États aussi for- midables que l'Autriche et la Russie. La France défendra l'équilibre européen et ne partagera pas les vues que peuvent avoir la Czarine et l'Empereur. — Quant à l'Espagne, elle a pour premier intérêt d'être la bonne alliée de la France. — On doit donc espérer qu'on ne verra rien de semblable au funeste partage de la Pologne, qui s'est effectué avec la participation de la Prusse. Du reste l’animosité entre les cours de Vienne et de Berlin ne fait — NS7 — qu'augmenter; nul n'ignore l'énergique opposition qu'a faite la Prusse à l'échange de la Bavière contre les Pays-Bas autrichiens. Il reste à voir si l'Angleterre serait disposée à seconder les vues des deux cours impériales, au cas qu'elles voulussent opérer des change- ments en Europe. Cela est peu probable. L'Angleterre est en froideur avec ces cours; elle a besoin de la paix. Le roi est d’ailleurs lié à la Confédération Germanique comme électeur de Hanovre. En résumé, il existe en ce moment une sorte d'alliance offensive et défensive entre les deux cours impériales de Vienne et de Pétersbourg. Quoique possédant de vastes territoires, personne n'oserait dire que les deux couronnes n'ont pas une ambition plus grande encore. C’est là en ce moment le seul danger qui puisse menacer la paix de l'Europe. Les autres alliances existant actuellement ne sont que des alliances défensives. Les grandes puissances se lient avec les puissances secon- daires : l'Angleterre avec le Danemark, la France avec l'Espagne, la Hollande et la Suède, dans des intérêts principalement commerciaux. L'ancienne alliance de 1750 entre la France et l'Autriche est de fait abolie. N° 260. Solo. Serenissimo Principe, Dopo aver, col divoto foglio del 23 del decorso, descritto lo stata degli affari di Vostra Serenità pendenti a questa corte, il secondo punto che mi sono proposio per tesser la Relazione dell ambas- ciata che ho avuto l’onore di sostenere, mi chiama a rendere conto del Sistema politico attuale dell” Europa. Grandi sono i cangiamenti che ha sofferto nel corso del mio ser- vizio, durante il quale è successo un vastissimo smembramento, una guerra, una pace e molti altri trattati ed avvenimenti di sommo significato. Siccome la serie dei fatti sta giàa presente all insigne reminiscenza di Vostre Eccellenze, cosi stimo limitarmi a indagare le loro conseguenze, ossia le alterazioni che sono deri- vate nelle forze particolari e nei rapporti reciprocti delle primarie Potenze dell” Europa. La rivoluzione più strepitosa è senza dubbio quella che toccd all Anghilterra, di sopportare. Tre milioni di sudditi sottratti al suo dominio, tredici Provincie separate dalla Metropoli formano uno smembramento del quale non vi è idea dopo la caduta del romano impero. Se ad una perdita tanto grande si aggiungono i tesori versati per sostenere una guerra si sfortunata, se si os: — 138 — serva l’immenso peso dei debiti di cui la Gran Bretagna rimane aggravata e se si considerano le condizioni alquanto ineguali alle quali ha dovuto adattarsi per ottenere la pace, si pud con cer- tezza conchiudere, che la potenza Anglicana ha perduto una porzione non mediocre della sua forza intrinseca e di quella con- siderazione estrinseca che imponeva generalmente. N° è venuto un gran bene, cioè che 1 navigatori Inglesi hanno moderato assai quelle idee di superiorità che li conducevano spesso ad usar pre- potenze; e lo spirito di uguaglianza fra le diverse nazioni non ha forse mai regnato sul mare a quel grado come nei tempi presenti. Questo felice sistema di libertà e di equita è dovuto senza dubbio in primo luogo al valore col quale i Francesi sostennero l'ultima guerra e all avvedutezza e destrezza estrema di questo Gabinetto nel maneggiarla; ma in secondo luogo non si puo ne- gare una parte del merito anche alla Imperatrice delle Russie, ed alla Lega della neutralità armata, che fu da lei immaginata e composta. Da quel punto ha preso origine un altro cangiamento politico, glacchè comincid a raffreddarsi quell intima connessione, che passar soleva fra i Gabinetti di Londra e di Petersbourg. Ter- min0 poi d'indebolirsi allor quando apparirono in piena luce le nuove e strettissime relazioni della Czarina con Cesare. Ho già in- dividuato nel riverente N° 236, le cause per cui non sussiste più in Inghilterra l’antica propensione alla corte d’Austria. Raffred- data cosi l’amicizia delle due corti Imperiali verso la Gran-Bre- tagna, questa Potenza si pud nel momento presente considerare come quasi isolata. La Danimarca è forse la sola che le resta at- taccata, per l’unico oggetto di non ricever la legge dalla Russia. Passa è vero attualmente ottima corrispondenza tra la corte di Londra e quella di Russia; ma questa corrispondenza non ha una base stabile, perchè gl interessi delle due Poienze sono affatto diversi. La loro amicizia o inimicizia, caso che si accendesse una guerra in Europa, dipenderebbe unicamente dall esser piuttosto quelli che questi i principi belligeranti. | Se l’Inghilterra pud mantenersi in pace per serie d’anni non breve potrebbe risorgere ancora nel pristino splendore. — Per questo non le bissogna di estendere il suo presente dominio; basta che si occupi bene ad incorraggire il commercio con sane leggi e discipline. La situazione delle Isole Britanniche è fatta per essere … de la sede della prima potenza marittima del mondo, e la prima po- tenza marittima sarà sempre formidabile e avrà grande influenza anche nel sistema politice del continente. Dalla Gran-Bretagna passando a ragionare delle corti del Nord, non ho materia da trattenermi sulla Danimarca e la Svezia. La prima ho già detto di sopra, che si mantiene attaccata alla corte di Londra; la seconda ha ravvivato da poco in quà gli antichi suoi legami con la Francia come ne rassegnai le notizie a suo tempo. La Danimarca e la Svezia, come Potenze finitime, sono neces- sariamente rivali e gelose l’una dell altra. Ne viene di conse- ouenza, che i loro rispettivi rapporti devono essere con potenze rivali, quali sono l'Inghilterra e la Francia. Molte cose avrei da dire della Russia se le gloriose gesta della reenante Czarina non fossero note all Eccellentissimo Senato, e se dell’intrinseco vigore di quel vastissimo Imperio potessero man- cargli le più individuate notizie. La corte di Petersbourg fu per qualche tempo collegata con quella di Berlino. Ma questa non era tanto a portata (li secondare i suoi progetti per la conquista della Crimea, come lo era la casa d’Austria. Anzi se questa con le sue formidabili forze avesse fatto ostacolo, giam- mai la Czarina avrebbe potuto venire a capo di quell impresa. Era dunque indispensabile, volendo occupar la Crimea, di rinun- ziare ogni legame col rè di Prussia senza di che ogni lusinga sulla cooperazione, o dissimulazione di Cesare sarebbe stata vana. Tutta la consumata sagacita di Federico secondo non potè riparar questo colpo; perchè l amicizia per forte che sia non pu sussistere con- tro l’interesse. Siccome la Moscovia non ha altre parti ove possa sperar dilatazione più facile che a danno dei Turchi, cosi è sua interesse di stringersi colla casa d’Austria, che è sopra ogni altra potenza meglio situata per secondarla o per metterli impedi- mento. La Czarina si è dunque legata manifestamente e stretta- mente con Cesare affine di poter di tanto in tanto guadagnar qualche cosa sui Turchi ed affine di conservare tranquillamente ciù che va conquistando; e Cesare ha accolto, e coltiva, con ogni studio e condiscendenza, l'amicizia della czarina, ad oggetto di to- gliere per sempre questo appoggio al suo implacabile avversario 1l Rè di Prussia. Questi sono 1 cardini sui quali consiste l’alleanza e la corrispendenza presente fra le due corti Imperial. L'unione di esse è tanto formidabile che pone in necessità tutte — 40 — le altre di prender cautele perchè nessuna altra Potenza di primo _rango si accosti alle dette due, mentre allora l'equilibrio politico dell Europa sarebbe in grave pericolo di rovina. Importa dunque ora di esaminare se questo caso succeder possa. La Francia fu sempre protettrice dell” equilibrio, ed è rival per natura della casa d’Austria; e perd non vi è probabilità che passi mai di concerto colle corti di Vienna e di Russia per operar can- giamenti notabili nel sistema attual delle cose. La Spagna è lontana dal centro dell Europa, il suo primo interesse è quello di non aver la Francia inimica ed è dedita naturalmente alla pace; per questi ed altri motivi creder si pud che non entrerà mai neï progetti dei due formidabili alleati. Fu un tempo, alla verità, nel quale il Re di Prussia si vide con- giunto con essi per dividere in terzo una gran porzione della Po- lonia, ma quel tempo di terribile rimembranza giova sperar che più non ritorni. Nello stato presente delle cose, la corte di Berlino non pu accettare ne immaginare alcuna proposizione di nuovi partagei con le due corti Imperiali, poichè ogni loro ulteriore in- grandimento ed ogni ansa maggiore, che data fosse al sistema di conquistare, non lascierebbero nelle medesime alcun ritegno per invadere espartire fra loro due solamente, tutta la Turchia Euro- pea. Del resto, lungi che vi sia luogo à temer di avvicinamenti e concerti, cresce ogni giorno più l’'animosità fra le corti di Vienna e di Berlino, essendo ben nota a Vostre Eccellenze lopposizione veemente fatta dal Re di Prussia alla permuta della Baviera coi Paesi Bassi Austriaci, indè la lega Germanica da lui promossa ad oggetto di mettere impedimento non solo a questa permuta, ma ad ogni altra novità ed alterazione, la quale turbasse le pos- sessioni attuali dei Principi dell Impero. . Resterebbe ad esaminare se ŸInghilterra potesse per aventura associarsi alle due corti Imperiali; ma ho già indicato il raffred- damento della sua amicizia verso di esse, e il gran bisogno che ha di lunga pace, al che si aggiunge l’adesione di quel Monarca alla Lega Germanica in qualità di Elettore di Annover. É’ vero che il Re non fa che una parte della costituzione Inglese e che à suoi trattati, come Elettore, non portano la conseguenza che l’Inghil- terra si appiglierà allo stesso partito qualor dovesse decidersi; ma le disposizioni presenti del Gabinetto Brittannico, l’ottima sua corrispondenza con la corte di Berlino, e la manifesta freddezza — Al — verso le corti Imperiali sono tutte circostanze che formano un com- plesso di probabilità e di tendenza in favor della Lega Germanica. Epilogando le cose dette, mi sembra dunque che i rapporti politici attuali fra le primarie potenze dell” Europa si debbano considerare sotto due punti di vista. Le alleanze offensive e le alleanze difensive. Chiamo alleanze offensive quelle che, sebbene non contengano espressa l’intenzione di far la guerra o spiegar petizioni e pretese contro altri Principi nominatamente, sono perd concepite e fondate sul principio di procurare l ingrandimento reciproco. Di tal natura viene considerata l’alleanza fra le due corone Imperiali. Abbenchè potentissime, abbenchè padrone di vastissimi Stati, nessuno ardirebbe affermare che siano contente di ci che possedono, e che non aspirino a dilatarsi. Questa è pertanto l’unica alleanza che potrebbe disturbare la pace dell Europa. Tutte le altre alleanze sono puramente difen- sive e fondate sul solo manifesto fine di provvedere alla sicurezza dei contrattanti e di mantener la bilancia. Le potenze che sono di secondo ordine in quanto alle forze, si attaccano-e si congiun- sono alle primarie per procacciare un appoggio valido alla pro- pria quiete e conservazione. Le potenze primarie accolgono volen- tieri le secondarie per ingrossare il proprio partito e per islituire qualche avvantaggio reciproco di commercio. Di queste categorie sono le alleanze difensive dell Inghilterra con la Danimarca; della Francia con la Spagna, l’Ollanda, la Sve- zia; del Re di Prussia con diversi Elettori e Principi dell Impero. Quanto all alleanza difensiva stipulata nel 1756, tra le corti di Francia e di Vienna, siccome nel corso di trent’ anni non vi fu mai data esecuzione, cosi credo di non commettere errore, la- sciandola nel annulo delle obsolete. Questo à nel momento presente il quadro politico dell Europa. À dipinger il quale con minor noja di Vostre Eccellenze, biso- gnava in vero occhio più perspicace, e mano più esperta della mia non perd lingua più verace, ni cuore pin dedito del mio al servizio della patria. Grazie. Parigi, hi 6 febbraro 1709. Daniel DocriN, primo ambasciator. MISS, SCIENT, — Il]. 30 = ho ee SOMMAIRE. IT. RESSOURCES INTÉRIEURES ET INFLUENCE POLITIQUE DE LA FRANCE. $ Fr, —_ État intérieur. Recettes et dépenses. L'influence politique d'un État repose sur deux bases : la puissance intérieure dépendant de son étendue, de sa fertilité, de sa population et de sa richesse; et la puissance extérieure dépendant de sa considéra- tion et de ses alliances. À La France, sans comprendre l'ile de Corse et ses colonies, est un pays de 27,000 lieues carrées. Elle comprend 32 grandes provinces, 19 archevêchés, etc. 24,700,000 habitants. Le sol est fertile, la nation industrieuse; l'agriculture donnerait de plus grands revenus, si elle n'était surchargée d'impôts, effets fâcheux de la fréquence et du haut intérêt des emprunts publics. Les gens riches s'éloignent de la cam- pagne. Abus et fâcheuse conséquence des placements viagers chez les Français, toujours pressés de jouir. ' Les arts et le commerce sont plus favorisés que l'agriculture. Dé- penses de l'État à ce sujet. Exquise perfection des arts de luxe. Rensei- gnement de Necker sur l'exportation des bijoux. Valeur générale des importations et des exportations de la France. Des sciences et des lettres. Ce pays a des hommes éminents dans toutes les branches des sciences et des arts. Quelques désavantages réels de la France contribuent néanmoins à sa richesse. Le revenu public s'élève à 585 millions. Paris, qui a 700,000 habitants, paye seul la septième ou la huitième partie de cette somme. Aussi, conformément aux idées de Sully et de Colbert, les gou- vernements de la France auront-ils raison de ne rien épargner pour embellir toujours la capitale, où les étrangers versent annuellement plus de 30 milons. Tous frais de perception déduits, les revenus du roi de F rance sont de 540 millions, y compris 9 millions de revenus particuliers. Aucun prince n'a autant de fortune. Compte des dépenses g sénérales et a du roi. Énormité de la dette dont il faut servir sn rente. Dépenses de la guerre. Forces mili- taires de la France. Dépenses de la marine. Forces PR ts Dépenses de la maison du roi. Somme élevée destinée aux pensions. Déficit annuel de 10 à 12 millions. On ne profite pas de la paix pour diminuer les dettes. La bonté du — NAS — roi ne sait pas résister aux propositions qu on lui soumet, et les minis- tres ne veulent pas assumer l'odieux des refus ou des rigueurs. Aussi les dépenses et les impositions augmentent-elles annuellement, En temps de guerre, on supportait volontairement toutes les charges. Pour que les plaintes parvinssent au roi, il PES qu He fussent por- tées à l'exces. Mais ce ne sont là que des maux passagers et bien en disproportion avec les forces et les ressources de ce grand royaume. On peut dire que la France est en ce moment le plus puissant État du monde, par l'en- semble des avantages et des forces qu'élle réunit seule. N° 261. Solo. -Serenissimo Principe, Per compimento dell intrapresa Relazione dell ambasciata da me sostenuta, mi resta da render conto all’ Eccellentissimo Senato della forza e influenza politica della. Francia nel momento pre- sente, che & il terzo ed ultimo punto che mi sono proposto. Sopra due basi è fondata per mio riverente parere l’influenza politica di una Potenza. Primo, sulla forza interna dipendente dall estenzione e fertilità, popolazione e ricchezza dello Stato, dalla prosperità adeguata delle rendite pubbliche alle spese e ai bisogni dell’ Erario. Secondo, sulla forza esterna dipendente dal credito e dai legami con le altre corti. Quanto più sono degne di essere trat- tate con distinzione queste due parti dell’ influenza politica di una delle più potenti monarchie dell universo . tanto più mi conviene invocare 1 riflessi indulgenti di Vostre Eccellenze sopra la vastità e moltitudine degli argomenti che si presentano a spaventare la mia insufficienza. L’estenzione del Regno di Francia {senza comprendere l’isola di Corsica, nè le possessioni di questa corona, nelle altre tre parti del mondo) ,è stata determinata dalle ultime operazioni geografiche in poco meno di ventisette mila leghe quadrate, che corrispondono, segundo il calcolo matematico, a cento cinquanta cinque mila mi- glia quadrate. — Se la figura di questo Regno fosse un quadrato perfetto, ogni stato tirerebbe all incirca quattrocento miglia, e la diagonale cinque cento settanta. E composto di trenta due grandi provincie che si suddividono in cento € otto territor]; vi si contano diecianove arcivescovati, e cento venti due vescovati; contiene circa trecento fra città e grosse terre murate; e la sua popolazione, se- Rs 20. ET MD = condo le più recenti verificazioni, ascende a ventiquattro milioni settecento mila anime. In generale il suolo è fertile, e la Nazione piena d’industria e di attività non lascia ditrarne profitto. Ad ogni modo i prodotti delle terre sono più scarsi notabilmente di quel che potrebbero essere, se l’Agricultura fosse meno aggravata d’imposizione, e se non abbondassero altri mezzi più seducenti per aumentare le fortune private rapidamente. La frequenza degli imprestiti reali, che da alquanti anni offeriscono sempre, sotto diverse forme, un’interesse magpiore del sei per cento, odel nove, e anche del dieci per cento nei vitalizi; la facilità delle intraprese di commercio, gl impieghi ubertosi delle finanze e delle ferme, l'ambizione dei posti alla corte, i piaceri della Metropoli sono tutti allettamenti fortissimi che attirano la gente e il danaro; sic- chè gran parte dei proprietar] delle terre se ne allontana 0 non si applica con fervore alla loro coltivazione, e 1 possessorti di soldo poco si curano d’impiegarlo all acquisto di stabili di campagna. Le investite a vitalizio sono quelle sopra tutto che adescano la Nazione, perchè 1l Francese è impaziente di godere. Questo nuoce veramente alla conservazione delle famiglie o del loro lustro, ma come ogni individuo ha la vaghezza di prendere un cognome par- ticolare, cosi le rivoluzioni delle fortune dei casati non cadono quasi sotto l’occhio, e del resto par che non periscano i princip] di uno Stato monarchico. - Le arti ed il commercio sono più favorite dal Governo di quel che sia l'agricoltura. L’Erario Regio spande ogni anno ottocento mila franchi per incorraggire l’industria, premiar le invenzioni € ajutar le intraprese anche con somministrazioni di capitali. — Le arti, e specialmente quelle di lusso, sono in fat condotte ad un grado esquisito di finitezza e di perfezione. Il signor Necker che fa aultorità in queste malerie, mi disse con asseveranza, che entrano in Francia almeno cento cinquanta milioni di franchi all anno per il solo articolo detto dei bjouæ. Questo felice smercio aguzza l’in- gegno e la mano, e dalla propria riuscita nascono sempre mag- giori incentivi alla perfezione delle arti. In complesso secondo gli ultimi bilancj, il commercio attivo ossia le esportazioni de’ pro- dotti e manifatture francesi per le diverse parti del mondo ascen- dono presto poco a trecento milioni di franchi all anno; e il com- mercio passivo ossia le importazioni dei generi stranieri non sogliono oltrepassare due cento trenta milioni; per il chè la bilan- — 45 — cia del commercio sta in favor della Francia per settanta milioni all anno. Le scienze e le lettere ottengono pure benefici, éccifamenté, ed ajuti da parte del Governo. Questa partita non va niente meno che ha un mezzo millione di franchi all anno, disposti al manteni- mento delle Università, delle Accademie, dell” immensa Real bi- blioteca, del Giardino botanico, e del Gabinetto di Storia natu- rale, come pure in frequenti gratificazioni e in pensioni generose ai soggetti che più si distinguono o che fanno utili scoperte. Ne viene in fatti che nel tempo presente questa Nazione non lo cede ad alcun altra nella copia di uomini di prima sfera 1 in quasi tuttii rami delle scienze e delle arti. Ho dato un’ idea succinta degli avvantaggi principali di questa Nazione, ma la sua ricchezza pud misurarsi anche dai suoi disav- vantaggi, cioè, dalla grandezza de’ tributi che fornisce per alimen- tare i bisogni della corona. La rendita pubblica i in monte, e tutto compreso, ascende a cinquecento ottanta cinque milioni di fran- chi. Se questa somma si compartisce egualmente sul} estenzione o sulla popolazione del Regno, si trova che ogni lega quadrata di terreno contribuisce ventidue mila franchi circa, e gli abitanti, uno per l’altro, ventitre franchi, tredici soldi e otto danari; il che viene a star più di due zecchini Veneti per testa. Ë cosa degna da notarsi che la sola città di Parigi la di cui popolazione va a circa settecento mila anime, paga la settima o l’ottava parte del totale delle Rendite pubbliche, in guisa che si puo dire con verità che il Re non ha alcuna Provincia la quale gli frutti tanto quanto la metropoli. Diviene percio un oggetto politico del Governo, die- tro alle massime di Sully e di Colbert, di non risparmiare sacrifizi per abbellirla e per invitare il concorso degli stranieri con la fama di scelti spettacoli. Il soldo che versano 1 forestieri in questa capi- tale si computa a più di trenta milioni di franchi all anno. : Dibbattendo dal complesso della pubblica esazione tutte le spese di percezione, e aggiungendovi nove milioni di entrate particolari del Re provenienti dalle sue terre e signorie, resta netta l’ingresso nel Real tesoro di cinquecento quaranta milioni di franchi all anno, rendita che sorpassa notabilmente quella di ogni altro So- vrano dell Europa. Passo ora a considerare gli aggrav]j e le spese, in cui viene im- piegata e consunta questa grandiosa entrata. In primo Iuogo, ce. RG debiti pubblici sono stati gradatamente ingrossati, a segno che adesso la somma degli annuiï pro fa spavento; poichè monta a due- cento sedici milioni di franchi. Entrano per altri in questi circa ottant un milione d’interessi vitalizj, i quali non esigono alcuna restituzione di capitale, ma si vanno continuamente estinguendo a misura che muojono gli usufruttuar]. Se si fa un computo al cinque per cento relativamente agli altri cento trentacinque milioni di livelli perpetui, risulta che questa corona è debitrice dell enorme somma di due mila settecento milioni di capitali. Dopo il pagamenio degli annui prd, la spesa piu forte è quella che fa il dipartimento della guerra e che monta a cento ventidue milioni circa all anno. In questa partita meritano particolar menzione due articoli, cioè, il mantenimento degf Invalidi, che costa un milione tre- cento mila franchi; e il mantenimento della scuola militare che ne costa un milione seicento mila. Le Truppe di questa corona secondo il piano di pace, ascendono a poco più di duecento mila uomini d’infanteria, e à trenta mila di cavalleria. In caso perd di guerra , questo numero si aumenta di molto, e persino del doppio. Le cer- nide, qui dette milizie, consistono in sessanta mila teste. Il terzo capo di greve dispendio è quello della marina, che as- sorbe all incirca quaranta, cinque milioni di franchi all anno. La Francia possiede atfualmente settanta navi di linea, almeno altret- tante fregate, e più di novanta piccoli legni di guerra; cid che forma ‘una formidabile marina di più di duecento trenta vascelli da guerra. Le spese d’ogni sorte per il mantenimento della casa del Re, nelle quali à compreso il traftamento della famiglia Reale, e gli stipendj di tutte le persone destinate della corte, importano per lo meno trentatre milioni all anno. Finalmente un articolo assai gravoso è quello delle pensioni, il complesso delle quali monta alla riguardevole somma di milioni vent otto. Saziate le grosse partite fin qui enumerate, rimangono dell entrata circa cento milioni, 1 quali non bastano a tutti gli al- tri dispendÿ di ogni genere, di modo che nel piano ordinario vi è deficienza di dieci a dodici miliont. Ë vero che in questo piano sta inclusa una partita di ventisette milioni destinati ad affrancazioni, per il chè in realtà vi dovrebbe essere un avanzo annuo di diecisette milioni il qual crescerebbe a — M misura che andasse calando la somma dei prù in virtü delle affran- cazioni. Ma come le spese estraordinarie sogliono atterrare grave- mente il piano, cosi ne nasce la necessità di ricorrere a nuovi imprestiti, coi quali si aumenta la massa dei debiti invece di pro- fittar della pace per diminuirli. La bontà del Re non sa dar negative, quando gli vengono pro- poste intraprese sotto utile aspetto o in favor del commercio, o per fabbriche ad ornamento della metropoli, o quando si tratta di beneficare quelli che s’impiegano nel suo servizio. Quindi è che alla fine di ogni anno vi è sempre un notabile sbilancio, giacchè, se il Sovrano è facile a condiscendere, non è naturale che li minis- tri vogliono esporsi all odiosità col rendersi autori e promotori dell’economia, e dei rifiuti delle grazie. Ë vero che intanto non si allegeriscono le imposte che opprimono le Provincie, e che in tempo di guerra venivano sopportate in silenzio a contemplazione della necessità, ma perchè i clamori pervengono fino al monarca, bisogna ordinariamente che siano portati all eccesso. Del resto questi sono mali per anco molti inferiori alle forze di -un corpo robustissimo, e alle infinite risorse che pud somminis- trare la Francia. Non ho fatto parola delle possession: di questa corona fuori dell Europa, perchè il maggiore frutto che rendono consiste negli avvan- tagoi di commercio, del quale esposi in pieno la bilancia. I tribut di que’ paesi sono di poco conto, se si dibbattano le spese occorrenti al mantenimento dei presidj e al! amministrazione del governo e della giustizia. Conchiuderd dunque che le intrinseche forze di questo Regno sono assai grandi, e tali che senza dubbio pud dirsi che un’ altro non siavi nel mondo cosi potente per la riunione di tanti avvan- taggi. La China sarà più popolata, il Mogol più ricco, l Inghilterra più florida nel commercio marittimo, le possessioni della corona di Spagna molto più vaste, e le Truppe dell Imperatore, o del Re di Prussia meglio disciplinate e più formidabili, ma ogni una di queste Potenze è inferiore alla Francia per tanti capi, che niuna pu stare al suo paragone, quando si sommano insieme tutti li re- quisiti concorrenti a formare la forza di un Regno. Mi resterebbe ora da trattare qual venga ad éssere in conse- guenza il credito esterno della Francia e la sua influenza politica attuale nelle altre corti, ma questo tema per non abbusare della — 48 — clemente sofferenza di Vostre Eccellenze richiede un’ altro foglio, che sarà l’ultimo della presente umilissima mia Relazione. Grazie. ‘ Parigi, li 20 febbraro 1785. Daniel DorriN, primo ambasciator. S If. — Situation politique de la France à l'extérieur. La France est en ce moment alliée à l'Espagne, à la Hollande et à la Suède. L'Espagne n'a rien à craindre en Europe que de la France. Elle a tout intérêt à rester l’alliée de la France, qui seule peut protéger son commerce et ses colonies contre l'Angleterre. La France a intérêt aussi à l'alliance espagnole, parce que, en cas de guerre au Nord, l'Espagne pourrait faire une grave diversion contre elle, et parce que, infiniment moins industrieuse, l'Espagne offre un grand débouché à son commerce. Voilà, mieux que les liens de famille, les vraies bases de l’union des [ deux pays. On peut tenir pour principe qu'en toute grave occurrence le cabinet de Madrid sera forcé de se subordonner à celui de Versailles. Mais il faut que celui-ci soit prudent pour ne pas blesser l'orgueil es- pagnol. — Au commencement de la dernière guerre, la cour de Madrid refusait d'entrer en hostilités contre la Grande-Bretagne; Versailles in- sista, fit entrevoir la possibilité de reconquérir Gibraltar et l'île de Mi- norque, et l'Espagne céda. L'alliance avec la Hollande repose sur d’autres motifs. On ne peut attendre aucune coopération effective de ce pays; tant qu’ onn ‘attaquera pas ses propres frontières. Rivalité des: partis. La raison presque unique du cabinet de Versailles à conclure cette alliance a été de détacher de l'Angleterre un ancien partisan; pour la Hollande , il s'est agi avant tout de s'assurer éventuellement l'appui des forces imposantes du roi très- chrétien, quand les propres forces de la République ont tant diminué. L'inimitié de la Prusse et de l'Autriche ne lui a pas suffi pour la rassu- rer. Elle a recherché l'amitié de la France, se fondant sur cette maxime politique qu'on ne peut attendre que du bien d'un allié avec lequel on n'est pas limitrophe. Grâce à l'alliance de la France, les États-Généraux conservent encore quelque crédit dans les choses politiques et main- tiennent les lances ouvertes à la possibilité de rétablir peus être l'an- cienne splendeur de la République. Leur conduite à été généralement approuvée, Rd de Gén. Le nl L''ORRr n° Le traité avec la Suède, bien qu'il paraisse moins important que les autres , si l'on s'en tient aux faits précis des stipulations commerciales, est pour la France d'une tout autre valeur que l'alliance avec la Hol- lande , autant en raison de la force et de la situation de la Suède que de la concentration des pouvoirs dans les mains du roi en ce pays. Si à la force que lui donne sa situation intérieure on ajoute la force de ses alliances, on voit comment la France est l'arbitre et la médiatrice nécessaire de toutes les grandes discussions publiques en Europe, ainsi que les derniers événements l'ont prouvé. On ne peut dire assurément que le cabinet de Versailles ait une in- fluence directe sur la cour de Londres, et néanmoins, comme les Fran- çais se sont conduits dans la dernière guerre non-seulement avec bra- voure, mais avec une grande noblesse de procédés, il est manifeste qu'ils ont conquis l'estime de leurs ennemis. La cour de France est donc considérée et respectée à Londres en ce moment plus qu'elle ne l'a jamais été. À Berlin , nulle puissance n'est plus écoutée que la France, à cause de la rivalité de la France contre l'Autriche avec laquelle elle confine (par les Pays-Bas). Le cabinet de Berlin entretient une correspondance très-suivie avec celui de Versailles. Le premier, il a dénoncé au cabinet français les vues de la Russie sur la Crimée, et les arrière-pensées de l'Autriche, qui menaçait la Hollande uniquement pour en arriver à échanger les Pays-Bas contre la Bavière. Il est bien vrai que la Prusse a toujours soin d'ajouter un peu du sien à la réalité des choses afin de pousser toujours les autres à la guerre. Quant à la cour de Pétersbourg, il est évident que la France n'y a aucune influence par suite de l'intime conformité de vues de la Czarine et de l'empereur d'Autriche. La rivalité de la France et de l'Autriche n'empèche pas néanmoins la cour de Versailles de se faire sérieusement écouter à Vienne. La ma- jorité de la nation francaise croit le contraire et attribue une grande influence à la cour de Vienne sur la cour de France, parce que la reine, qui est sœur de l'Empereur, est tendrement aimée du roi son époux. Les peuples sont toujours disposés à exagérer ces sortes d'influences at- tribuées à des princesses étrangères, qui en s’expatriant regrettent néces- sairement un peu leur pays natal. Il est bien vrai qu'afin de réconci- lier l'empereur avec la Hollande, le roi de France a fini par sacrifier neuf millions. Aux yeux du vulgaire, c'est là une sortede concession hu- miliante. L'ambassadeur s’est attaché à découvrir le vrai motif politique de cette mesure et il l'a dit au sénat dans sa dépêche n° 252. Pour prou- ver le crédit de la cour de France à Vienne, il suflit de rappeler que, lorsque l'Empereur, sous le prétexte de rectifier ses frontières, menaça la Turquie, le roi de France, comme le sénat a dù en être informé par _ — 150 — son baile' de Constantinople, fit clairement savoir à Vienne qu'on ne pourrait en rien seconder de pareilles vues et qu'il fallait se radoucir avec le Turc, si l’on ne voulait altérer les affectueuses relations des cours de Versailles et de Vienne. Auprès de la Porte-Ottomane, la France jouit du plus incontesté cré- dit. Les raisons en ,sont faciles à comprendre. La Russie et l'Autriche confinent et convoitent plusieurs provinces turques. L'Angleterre, pour dés gens dont l'opinion se forme principalement sur les apparences ma- térielles, a beaucoup décliné depuis les revers de sa dernière guerre. La Prusse n'est estimée que comme ennemie de l'Autriche; d’ailleurs elle ne possède pas de marine. Seule la France a tout ce qu'il faut pour ins- pirer une entière confiance aux Ottomans, la puissance et le désinté- ressement. Aussi peut-on dire que depuis quelques années la Porte, dans toute sa conduite politique, suit toujours les conseils de Versailles, et en cela elle a raison. ; Telle est la force et la situation de ce on pays. Le sénat de Venise ne saurait donc mieux faire que de placer en lui toute sa confiance, sur- tout tant que les affaires politiques seront dans les mains du comte de Vergennes, esprit équitable, comme le roi son maître. N° 262. Solo. Serenissimo Principe, Coll ultimo riverente foglio ho presentato a Vostre Eccellenze un’ idea delle forze e risorse interne di questo gran regno. Mi resta da trattar della forza esterna, cioè del credito e della in- fluenza di questa corte nelle altre primarie di Europa. Sara in tal modo con questo quarto mio Dispaccio esaurito il terzo ed ultimo punto dell’assunta mia Relazione, nel quale mi proposi di render conto della forza ed influenza politica dois Francia nel momento presente. Dissi già di passaggio nel penultimo foglio, annoverando le al- leanze difensive ora sussistenti, che la Francia è collegata con la Spagna, l'Ollanda e la Svezia. Ma ognuna di queste alleanze ri- chiede speciale esame ed analisi, giacchè il loro significato è molto diverso anche facendo astrazione della disparità delle forze. Notissimo è il Patto di famiglia e li principj sui quali è fon- 1 ['ambassadeur de la république de Venise auprès de la Porte avait conservé le titre de baile, que portait autrefois son consul de Constantinople. =. = dato. La Spagna non ha altra potenza da temer in Europa se non la Francia. Circondata e difesa dall’ Oceano a tramontana, dal Mediterraneo a mezzogiorno, ha due soli principi confinanti, il Portogallo e la Francia. Il primo è troppo debole al suo confronto. La seconda è di molto piu forte, quantunque 1 suoi stati in com- plesso siano men vasti. Si puo dir presso poco, che quanto sarebbe malagevole al Portogallo il resistere ad un’invasione degli Spagnoli, tanto sarebbe difficile alla Spagna il far argine ad un’ invasione de’ Francesi. Il primo interesse della Spagna è dunque di non aver mai per inimica la Francia; ed anzi ha interesse di averla amica ed alleata, giacchè senza il suo appoggio riceverebbe colpi mortali dal!’ Inghülterra sia nel commercio, sia nelle possessioni marit- time fuori di Europa. Dal! altra parte, diverse ragioni concorrono a far che la Francia abbia interesse di aver amica la Spagna; si perchè un’attacco delle truppe espagnole sarebbe un diversivo mo- lesto in momento nel quale la Francia si trovasse impegnata in guerra con altre Potenze, si perchè il commercio attivo di questa Nazione con la Spagnola , mèno industriosa, forma un’ oggetto con- siderabile. Su questi fondamenti, più che sui legami della con- sanguineità, sta appoggiata l’unione dei due monarchi. Si pud piantar per principio, che in ogni emergenza politica d’impor- tanza , la corte di Madrid sarà sempre ligia di quella di Versailles; ma altresi à necessario che questa si conduca con molta industria per non parere di darle ia legge. L'orgoglio spagnolo ne sarebbe offeso , e l’orgoglio è sempre sospettoso. Nel principio dell” ultima guerra premeva alla Francia d’indur la Spagna a sfoderar la spada contro la Gran-Bretagna. Incontrd fortissime resistenze nel gabinetto di Madrid, ma seppe vincerle ben presto, esibendo prestargli ajuto per la conquista di Gibilterra e dell isola di Minorica. L’alleanza della Francia con lOllanda è di un’ altra natura. La corte di Versailles non pud contar tanto sulle forze di quella Repubblica, quanto su quelle molto maggiori del Re Cattolico. La diversità dei pareri fra le provincie, le mtestine animosità fra il partito Repubblicano e quello dello Statolder, mettono impedi- mento ad agire con vigore. Per riunire gli animi e renderli tutti concordi per la comune salvezza, bisognerebbe che l'Ollanda fosse attaccata nelle proprie sue possessioni. Fuori di questo caso, un aleato di quella Repubblica non pud lusingarsi di trarne ajuti — 1159 — efficaci. Cid nonostante, il ministero di Versailles ha accolto di buon grado l’alleanza proposta dagli Stati Generali, poichè serve a render più manifesto e deciso il loro distacco dalle precedenti connessioni con l’Inghilterra. Si trattava di togliere alla potenza rivale un antico partigiano. Questo à quasi l’unico motivo, che persuase il Re Cristianissimo a gradir questa lega. Per quel che sia all’ intenzione degli Stati Generali nel chiederla, apparisce dalle loro deliberazioni essere stata quella di provvedersi di un valido appoggio riconoscendo la decadenza delle proprie forze in confronto d’altri tempi, neï quali non fu mediocre nè indifferente il peso di quella Repubblica nella bilancia politica. Circondata da sue vicini formidabili, il Re di Prussia e l’Imperatore, non giudico sufficiente in adesso alla propria salvezza e conservazione l’inimicizia implacabile che regna fra i detti due Principi, la quale sembrerebbe assicurar l’Ollanda che se uno di essi volesse opprimerla l’altro non mancherebbe di darle potente soccorso. Stimd necessario di ricercare l’alleanza della Francia, fondando sulla massima, che un’ alleato non con- finante non puo far che del bene. | Con questo trattato le loro Alte Potenze tengono vivo il nome di quella Repubblica nel codice diplomatico, conservano un certo credito, ed una necessaria ingerenza nei maneggi ed affari poli- tici,e tengono aperta la porta a ricuperare il loro antico splendore, se qualche circostanza favorevole si presenti. Non ho sentito alcuna voce imparziale, e perita di queste materie, la quale abbia disap- provato per nessun verso questo consiglio degli Stati Generali. Finalmente l’alleanza di questa corona con quella di Svezia è di minor momento delle altre due, se si guardano gli articoli es- pliciti che tendono quasi unicamente a favor del commercio re- CIproco. Ma in sostanza questa corle fa molto più caso de’ suoi legami con quella di Stockolm, di quel che sia dell alleanza con l'Ollan- da, si perchè quel monarca non è l’ultimo fra i potentati del Nord, si perchè pud fornire al bisogno una squadra navale, si perchè finalmente le sue deliberazioni non dipendono se non da lui solo. Se alla grandezza delle interne forze della corona di Francia si aggiunge il corredo delle esterne, consistenti nelle annonciate sue relazioni ed alleanze con la Spagna e l'Ollanda e la Svezia, ne nasce un complesso {al di potere, che rende la Francia, o arbitra, ; ë - — 153 — o mediatrice necessaria in tutte le discussioni politiche dell Eu- ropa, come fa fede l’istoria degli anni recenti. Ma per soddisfare al mio assunto con più precisione, procurer di definire, se non altro con rapidi cenni, qual grado d’influenza goda attualmente questa corte in ciascuna delle altre di primo rango fuori di quelle che ho già nominate. Non si pud certamente dire , che il gabinetto di Versailles abbia veruna influenza diretta su quello di Londra, giacchè la pace non estingue la rivalità naturale fra due Nazioni, e Pultima fu troppo amara agl Inglesi per non lasciare nel fondo de’ loro cuori un ir- ritamento che aguzza Panimosità nativa. Ma come i Francesi st sono condotti nella guerra non solamente con valore, ma anche con nobilta di procedere, cosi è manifesto per giornaliere prove, che hanno molto guadagnato nella stima dei loro inimici. Tutto il credito che pud aver questa corte appresso quella di Londra consiste nell esser considerata e rispettata, e giammai non lo fu certamente a quel grado come è ne’ tempi presenti. Passo alla corte di Berlino, e non temo asserire che niuna Po- tenza ha tanto credito appresso di quella quanto la Francia. Questa essendo confinante e di sua natura rivale della casa d’Austria, ne viene che il Re di Prussia, come inimico dichiarato di Cesare, è alleato necessariamente della Francia. Egli mantiene per massima una corrispondenza metodica ed intima con questo gabinetto, al quale comunica sempre ogni sua scoperta. Cosi ha fatto allorche la Czarina minacciava li Turchi e fini per impossessarsi della Crimea, cosi quando l’Imperatore meditava progetti e stringeva legami colla Czarina medesima, cosi pure quando Cesare teneva a bada l'Europa minacciando gli Ollandesi nel mentre che stava trattando secretamente il cambio dei Paesi Bassi con la Baviera. In tutte queste grandi fermentaziont, il Re di Prussia fu quasi sempre il primo a fare scoperte e tosto le inviava al gabinetto di Francia. Ë ben vero che spesse volte vi aggiungeva del suo, per- chè voleva irritare la Francia contro l'Imperatore, ed accendere una guerra. Ma questo Ministero seppe accarezzarlo e tenerlo amico, senza lasciarsi trasportare a passi violenti. Per quello che riguarda la Corte di Petersbourg, è manifesto per le cose già dette, che quella di Versailles non pud avervi al- cuna influenza nel tempo presente. Le intime connessioni della Czarina con lImperalore vi fanno ostacolo, attesa l'accennata ri- — 54 — valità fra la Nazione francese e l’Austriaca. Questa rivalita per altro non impedisce che questa Corte non abbia attualmente un certo grado d'influenza appresso quella di Vienna. La maggior parte de’ Francesi pretende il contrario; cioè, che la Corte Impe- riale influisca non poco su quella di Francia, atteso che questa Sovrana, sorella di Cesare, à molto amata ed ascoltata dal Mo- narca suO SpoOsO. Le Nazioni attribuiscono facilmente alle Principesse straniere l'amor della casa e del regno nativo. Ma le Nazioni esagerano pur facilmente in questa sorte di sospetti. Ë vero, che per conéiliare l'Imperator coll Ollanda, questa Corte si è piegata perfino a sacri- ficare nove milioni del proprio, sacrificio che sembra avvilirla agl’ occhi di quelli che non sono a portata di penetrare nelle intime ragioni dei Gabinetti. Jo mi sono ingegnato di approfondarle,.e ne ho fatto l’esposizione all’ Eccellentissimo Senato nel mio rive- rente n° 252. Ma in prova del credito che gode questa Corte appresso quella di Vienna, mi basta rammentare le pretensioni intavolate da Cesare contro i Turchi sotto titolo di regolar la con- finazione. Queste pretese sarebbero andate molto avanti, ed avreb- bero fatto una dilatazione riflessibile dell’ Imperio Austriaco in quelle parti, come vostre Eccellenze ne avranno ricevuto gl’ in- dividuati ragguagli dall” Eccellentissimo Bailo. Ma queste pretese dovettero soffocarsi e le trattazioni languiscono già da qualche tempo, e ci per nessun altra ragione se non perchè il Re di Francia scrisse chiaramente all” Imperatore, che non potrebbe secondarle, e che lo pregava a raddolcirle assai, affinchè non do- vesse sofirirne l'ottima corrispondenza che passava fra le due Corone. Se si considera finalmente l’influenza della Francia sui consigli della Porta Ottomana è facile da provare che nessun’ altra corle vi gode tanto credito, e tanta fiducia quanto quella di Versailles. In fatti, la Russia e la casa d’Austria sono due potenze finitime, con le quali il Gran Signore ha continue questioni, e le quali sono guardate dai Turchi con somma gelosia e diffidenza. L’InghHterra dopo i cattivi successi del! ultima guerra ha perduto una parte del suo potere appresso una Corte come quella di Costantinopoli, dove le apparenze e la fortuna decidono grandemente dell opinione. Il Re di Prussia è stimato alla Porta, ed è facile indovinarne 1l mo- vo. Ma come ei non è potenza marittima, cosi gli manca una EE ST RIT EU CN OS VON I DUT , — 155 — parte di quella forza che pud interessare il governo e la politica dei Turchi. La Francia è la sola fra le primarie Potenze, che ha tutto quello che & necessario per ispirar la fiducia ed escluder la diffidenza negli Ottomani. Da alcuni anni in quà si pud dire che il gabinetto di Costantinopoli è condotto quasi intieramente dai consigli di quello di Versailles. Ne fa fede il prudente contegno tenuto dalla Porta verso le due Corti Imperiali in circostanze sca- brosissime. Parmi di aver sufficientemente mostrato quanto sia grande la forza e l'influenza politica di questa Corona nei presenti tempi. Mi sia lecito di conchiudere, alzando i miei voti all” Eccellentissimo Senato, perche riponga la principal sua confidenza nel robustissimo appogsio di questa Corte , massime fin a tanto che gli affari politici saranno diretti dall’egregio e impareggiabile Signor Conte di Ver- gennes, ministro abilissimo, ingenuo, e portato a far il bene, egualmente che il Sovrano suo padrone. Sono giunto al termine della mia Relazione secondo quel piano, che mi ero proposto e che ho diviso in tre parti, le quali sono state da me trattate in quattro Dispacci. Nella prima parte, ho reso conto degli affari di Vostra Serenità pendenti, ed ho rappresentato che l'ingrata vertenza con l’Ollanda si pud considerar terminata dopo il saggio e luminoso Promemoria di Vostre Eccellenze del 27 no- vembre 1784, o dopo ritirala la presenza di un Veneto Residente all Aja; la qual presenza impediva che l’affare cadesse nel silen- zio. Nella seconda parte, ho tentato di presentare sotto gli occhi dell Eccellenze Vostre il quadrodel sistema politico attuale dell Europa. Nella terza parte, ho dimostrato con due separali miei fogli, nel primo la forza interna del Regno di Francia e nel secondo, che & questo che ora sono per chiudere , la forza esterna dipendente dal credito e dall’influenza politica di questa Corte nelle altre pri- marie dell” Europa. Dedicate in tal modo alla Patria tutte quelle poche cognizioni che ho potuto raccogliere nel corso di questa Ambasciata, di cui per più d’anni cinque ho sostenuto imperfettamente il peso, mi giova sperare che la clemenza di Vostre Eccellenze condoni gl in- volontarj miei difetti. Quantunque le nevi non cessino di apporre ostacoli al trasporto del mio bagaglio, pure sono in procinto di prender le mosse alla volta di Vienna, dove la Serenita Vostra mi ha conceduto l’onore di rappresentarla à quella Corte Imperiale. — 56 — Restami solo da far presenti alla clemenza pubblica le circos- tanze del fedelissimo segretario Cassina, il quale ricondotto alla Patria da sue domestiche convenienze incontra la spesa gravosa del viagoio sulla fiducia di riportar quei soccorsi e risarcimenti che sono soliti della pubblica Munificenza in casi simili. Grazie. Parigi, li 6 marzo 1766. Daniel Dorrin, Cavaliere, primo Ambasciatore. Archives des missions seLerndifiques, torne 11. PT Imprimerie Impéricle RUINES DES SANCTUAIRES DE HOSN-SULEIMAN BAÉTOCÉCE LR Pr. , tome IL. EEE l q ues f “ iSSLONS scienti {| es des À un Arch Pr ET * Auits LT mn ® suit x FA eh ; (NES, LE ee ” 4 5 , =. : 2 Te D ESS EE ee A où 7 RE ue GA TS Die TOR 7 t L > ve ue” PRET - + L s = > … = À > , + CA + + * \ > Ne . - ” ” arr nn lue anne auteur Rae ra à, de a om Éd D mb ec aie a 68 ver AU . om mt es de mt + 1271 idée AERET 2 LIVE js PE LS] _ — PT AAS AIT ne = AE LC 1 | mn AES tot t ah = sf ee n bé A6 # L LA + QE OI4 LHNHYNIX22NOd3LOdLINHNHN-IVHOLIVENHLNHNOIVLIXdVLVAAO9 10 LIINWVNAVHIVHNIGONONOdXNOLVLNVLIVIIDMLAVIVNHOHAMXNAIHOIIII DHNIVIO LIVHD0IVAOD09VI3-IdIN3IHLIdILIONIOLNIEXINIIOdLIIYNHOIIVILNAI AO9VIVISVNOIdALIVLOVHVIVILOO VX NAOMO99N9IIONOILVNWHNWOLIAIONIN DIdMX3AVLYHOHOO V3 : NISdIVXMWHbAITIOXOILNVIAIVIOVA 9MIVIOVIAOXOILNVHVOLOIILS | LISYVMYADAVANVANSIIOA VIN ATODNIEMISEE AYSILLUVYdVYLLNAIOIAV LONANLIOANNVYIONIAON dIAOSIVLV4 OMNdAYSIMOAINALILA ASNINVILALANIIALHASNON VIDA "AIVAOILNYMWADAHN SHIVILAVY VWNOTTIHAV YYSAVD SANISSITIION SANVIAIIVA ‘SANINOTYS SAIX SANATIIVO . SAINIDIT- SAIIIAd : HVSAV D NI LA: DAY :XT1Id4d-SAI SANVIHATV A: SAI NIDIT SAITIAd YVSAV:-dNI da y wo “sanbifquaros suoissif S2p S2a94y NVZV1390OdLl N-NIWAONAMDOdLINMILNVUOLANHDVAIILNYVNVISONHIIV 9Jd 9OAIVINOLIOLNOLIVY9IVI9999AINOGONOLILIIINMLIVA 9INMLOLAIHLIOIVAOINVdAOAO!IIVIOXOLVHIO 9MIVOHLIVUVHIONILIVI3d HLUSHDAOVILIIdMXOLOLMLNIMO9NI3VMUIMIONOVMZVEIOVIVA VVOLIVdL9LIVY3VV VOLIVdVNVIMIVOHLIVUVHIONILOVISdHUSIV} DAOVILIVHIHXOdVLHI99VHOdLIIOLNAOVXOHIOLNAOdISXILS3VHWAOLHd O1V9M9VOLIIHLAOLAONSWOVAINILII9IVLHNANIOdUIIIAOINVIIOLIIVL NIXdVLA " L9VVIHIOLOOdLINVINHNOdIINHLIVIOVYVNINOIHOVALINMILHdO IV 9VdMXILIIIVHVOAVLNINMLVIVYIINMYLVILNVLIVOIIXdINVIVITANVN VI MLIAOJAVOIONGObNIUIMIVOLUIHLVWOIIDH À DION3WAOVHV9IIOLIMOEAOVONVIVLHNIIVNIIVLOIO 3910IVNHDVdINAOI39H9VMd3IIMLAVOLNIIVNHOILIVHHNIOIVHVHLI N9VOVYdIILNVVLIVHILIVNHDVdIVNVVISAFIVIVNIINOXONINMNINWNV d I 9 JOdLINMLIDILNONIWOIHOMILNYN99VNOLIHII30XIN9904L19M39Hdd0LV DVIN9VHWNOWVOIILIINVNHWNMNIVNHLNOVAIVNOdIININOLIVNISIVYIVVAVIdL IV} HLVH9VIVHILNILIHLOIDVILVOISdAJIHNVLPNHANVLVHIVYAVIVLNMIVIVLIIO AO9OAOLOLAAONGNVL990VYAOLOLIAY LNONIILNAIAOdIIAOLNII = 2 Archives des Missions scientifiques, tome III. Pc. Il. IMP :CAESAR PVBLIVS LICIN IVS : VALERIANVS PIVISHEE EDS AVICEETNINIPE CAESAR : PVBLIVS :LICINIVS: GALLIENVS PIVS SALONINVS. VALERIANVS NOBILISSIMVS CAESAR AVRELIOMA..AETALIIS REGVMANTIQVABE. EFICIACONSVETVDINETETIAMINSE.VTITENPORISADPRO BATAISQVIPROVINCIAMREGITREMOTAVIOLENTIAPARTISAD . ERSAEINCOLV MIAVOBISMANERECVRABIT €TIICTOAHANTIOXOYBACIAEWC BACIAEYCANTIOXOCEYHHMUWXAIPEIN: EAOOHOKATAKEXHPIC MENOCYTTOMNHMATICMOCTENECOWOYNKAOOTIAEAHAUWTAITIEPIWNAEIAIACOY CYNTEAECOHNAITIPOCENEXOENTOCMOITIEPITHCENEPTEIACOEOYAIOCBAITOKAIKHC EKPIOHCYNXWPHOHNAIAYTHEICATIANTATONXPONONOOENKAIHAYNAMICTOY OEOYKATAPXETAIKGWMHNTHNBAITOKAI--NHNHNITPOTEPONECXENAHMHTPIOC AHMHTPIOYTOYMNACAIOYENTOYPIGNATHCITEPIATTAMIANCATPATIEIACCYNTOIC CYNKYPOYCIKAIKAOHKOYCITIACIKATATOYCTIPOY, XONTACTTEPIOPICMOYC RATIO ET O M ENECITD POLETUYCTENHMACIN ANAAIGKHT AIEICTACKATAMHNACCYNTEAUYMENACOYCIACKAIT ANA ATATIPOCAYZH CINTOYIEPOYCYNTEINONT AYTTOTOYKAOGECTAMENOYYTMOTOYOEOYIEPEWCUWCEI OICTAIATWNTAIAEKAIKATAMHNATIANHIYPEICATEAEICTHITENTEKAIAEKATHKAI TPIAKAAIKAIEINAITOMENIEPONACYAONTHNAEKWMHNANETTICOAMONMHAEMIAC ATIOPPHCEWCTIPOCENEXOEICHCTONAEENANTIQHOHCOMENONTICITHNIPOTE TPAMMENGWNENOXONEINAIACEBEIAANATPADHNAITEKAITAANTIT PADAEN CTHAHAIOINHKAITEOHNAIENTOAYTHIEPHAEHCEIOYNT PAbHNAIOICEI GICTAIINATENHTAIAKOAOYOWCTOICAHAOYMENOIC WHDICMATHCTIOAEWCTTEMPOENOEWAYT OYCTEW ETTANANKECAEANEPXECOAITANTATAWNEIAAIATWNENTAYOAKAIETTIXWPAC ATOPHTWNTIPAOHCOMENAKAGEACTHNIEPOMHNIANTIPOCTOIIIAAETT. . YTTAPXIN TTACITOICANIOYCEITIPOCKYNHTAICETTIMEAOMENOYTOYTHCTTOAEWCAT O PHTOYMHAEETTIXEIPOYNTOCHOXAOYNTOCTIPOPACEITAPOXHCKAITEAOYC KAIETIHPEIACTINOCHATTAITHCAIWCANAPATIOAAAEKAITETPATIOAAÀ KAIAOITTAZWAOMOIWCNWAEICOWENT(WTONMWXWPICTEAOYCHETTH PEIACTINOCHATIAITHCAIWC OIKATOXOIATIOYOYPANIOYAIOCTHCYTMOTUWUNCE BACTWUNEICTETONOEONEYCEBEIACKAITONTOTONEAEYOE PE ACTHNOEIANANTITPADHNYITOIANTUWNIPOCKYNOYMEN:N TIPOETAZAN #2 Archives des Missions scientifiques , tome III. Pr. [V. fiques, tome II. sctenti LSSLOns Archives des M $ (TR) l'E = oi p. Brie LL LL ‘ r Imprimerie Îm dé: Aroheves des Missions soéentifiques et Ülteratres, tome 111, 2° serie. + ARBANANS, es é # A5 8 pi Éluigen lili ° | « pa ‘ { L | «+ ANNEE 3 Le. - | L Me ” : es TA | k $ $ 1 4 PES | ee 2 er pre br ' ï PSE DATES M x L CL … 0 \ x * . : ” xS s ? My e : , ; + Los ês k ; l } pe % + “4 re ] 1: M LS 4 FA “ . * " À . 4 l | … SE” “ar » " + re 1% ù PURES 2, Pée : VEN AM 7. "ln EAU M a H rà Le * ; À fa + tdi ; RÉ 2 2 à 1/0 148 pal LE RE Mar, = A ver \ En 1 sh a * AS 7 *. Fr d 19 ÿ Fra | | Oil DR PL VI. ONE ; : _ D È Imprimerie Impériale. << Mr jt | | | | | | | | | | | | | | | | | | | Joyau del | : | Î BAALBECK. Archives des Missions scientifiques, tome IT. Pr. VOTE nl AL | il Ko ufr ln $ | | Archives des Missions scientihiques, tome LL. IX. Pr. (7 Archives des missions sclentifiques tome. IT. | PLAN DÉ MEMBEDJ HIERAPOLIS PIX. as Impériale. À E; mplacement du Ternp le. c Mosquée de Salah-eddin. B Zac sacre S Zombeaux de Santons. Le Echelle Te TABLE DES MATIÈRES ” SUIVANT L’ORDRE DANS LEQUEL ELLES SONT PLACÉES DANS CE VOLUME. Deuxième rapport sur les recherches faites à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétershbourg, concernant les lettres originales et manuscrits fran- çais sortis de France, par M. le comte Hector DE La FERRIÈRE, membre non résident du comité des travaux historiques et des sociétés savantes. Mémoire sur les ruines de Sunium et de la côte de l'Attique , depuis la baie squ'à la presqu'ile de Courouni, par M. Terrier, membre de S mois de juin, juillet et octobre 1865, par M. ScxiImMPER, pro- Rome à Strasbours. .. .,.,.......,.,.:,...4:.. NA Ra apport RL” une mission littéraire en Angleterre, par M. Paul MEÿEr, membre du comité: ‘impérial des travaux historiques des sociétés sa- RE nn mes se © à na an ao © SR D RS MO ce Rapport sur une mission scientifique accomplie en 1864-1865 dans le nord moe, par M. E. G. Rex... ........ PRISE SRE PIE EL. se Mémoire sur l'affranchissement des esclaves, par forme de vente à une divinité, d'après les inscriptions de Delphes, par M. P. Foucarr, ancien membre de l'École française d'Athènes. ..... CS PR EE EE Rapport sur une mission scientifique en Égypte, par M. le vicomte E. Dx Roucé, membre de l'Institut .,....... PR al AMP EP RL LE AREAS DE FE sur les recherches faites aux archives de Venise, par M. px Mas- .. LE RO ET D TT D RAR EPP NS M1SS. SCIENT. — I. 31 Pages. 131 165 247 329 “ He SNS Les ARCHIVES DES Missions SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES : se vendent au prix de 9 francs le volume, ON SOUSCRIT A PARIS, cHEz FRANCK, RUE RICHELIEU, N° 67; ET CHEZ À. DURAND, Rue Cusas, N° 5. on = F EX 9) A DATA SARA TAYITAEAIA 9COR'0 SYex RAAARA LR AR A à o NCA 2 “À : $ a La 4 4. " Ce ÿ 7” F © d Le : ) à F F1 li Do Te de. NE | - : Î » î - Ca] LD #? dd 4 AS + NE POV Ste LH IE PON DRE LAN ‘jINArE TES | it ni NL NAT ! ( LE Al tra At Narrit L Non AA ‘ À à ÿ {1 4 . N "CU n (IT MA MT Lai RE" A LNPN Li Uf A f W' | ALU } k L} | LIT l / ti de qu } f | fi a N WW Fi ( vit A ï \ « . ‘ LA 4? à nn 9088 01298 7780