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ŒUVRES COMPLETES
DE
CHARLES BAUDELAIRE
TRADUCTIONS
AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM
PAR
EDGAR POE
NOTICE, NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS
DE M. JACQUES CRÉPET
PARIS LOUIS CONARD, LIBRAIRE-ÉDITEUR
6, PLACE DE LA MADELEINE, 6
MCMXXX1V
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
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ŒUVRES COMPLETES
DE
, CHARLES BAUDELAIRE
LA PRESENTE EDITION
DES
ŒUVRES COMPLÈTES DE CHARLES BAUDELAIRE
A ÉTÉ TIRÉE
PAR L'IMPRIMERIE NATIONALE
EN VERTU
D'UNE AUTORISATION DE M. LE MINISTRE DES FINANCES
EN DATE DU 2.6 MARS IQI7
// a été tiré de cette édition :
50 exemplaires, numérotés 1 à 50, sur papier de Chine. 50 exemplaires, numérotés 51 à 100, sur papier du Japon impérial.
Les biographie, notes, notices, éclaircissements, index, etc., de M. JACQUES CrÉPET, complétant chacun des volumes de notre édition des œuvres de Baudelaire, sont la propriété exclusive de cette édition.
ŒUVRES COMPLETES
DE
CHARLES BAUDELAIRE
TRADUCTIONS
AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM
PAR
EDGAR POE
NOTICE, NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS
DE M. JACQUES CRÉPET
PARIS
LOUIS CONARD, LIBR AIRE-ÉDTTEUR
6, PLACE DE LA MADELEINE, 6
MCMXXXIV
V
AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM
DE NANTUCKET
COMPRENANT LES DÉTAILS D'UNE RÉVOLTE ET D'UN AFFREUX MASSACRE
A BORD DU BRICK AMÉRICAIN LE GRAMPUS,
FAISANT ROUTE VERS LES MERS DU SUD, EN JUIN 1827 :
PLUS, L'HISTOIRE DE LA REPRISE DU NAVIRE PAR LES SURVIVANTS;
LEUR NAUFRAGE ET LEURS HORRIBLES SOUFFRANCES PAR SUITE DE LA FAMINE;
LEUR DÉLIVRANCE PAR LA GOELETTE ANGLAISE LA JANE GUY;
COURTE EXPLORATION DE CE NAVIRE DANS L'OCÉAN ANTARCTIQUE;
PRISE DE LA GOELETTE ET MASSACRE DE L'EQUIPAGE DANS UN GROUPE D'ÎLES AU QUATRE-VINGT-QUATRIÈME PARALLÈLE
DE LATITUDE SUD;
CONJOINTEMENT, LES INCROYABLES AVENTURES ET DÉCOUVERTES
DANS L'EXTRÊME SUD,
DONT CE DÉPLORABLE DESASTRE A ÉTÉ L'ORIGINE.
PREFACE.
Lors de mon retour aux Etats-Unis, il y a quelques mois, après l'extraordinaire série d'aventures dans les mers du Sud et ailleurs, dont je donne le récit dans les pages suivantes, le hasard me fit faire la connaissance de plusieurs gentlemen de Richmond (Virginie), qui, prenant un profond intérêt à tout ce qui se rattache aux parages que j'avais visités, me pressaient incessamment et me faisaient un devoir de livrer ma relation au public. J'avais, toutefois, plusieurs raisons pour refuser d'agir ainsi : les unes, d'une nature tout à fait personnelle et ne concer- nant que moi; les autres, il est vrai, un peu différentes. Une considération qui particulièrement me faisait reculer, était que, n'ayant pas tenu de journal durant la plus grande partie de mon absence, je craignais de ne pouvoir rédiger de pure mémoire un compte rendu assez minutieux, assez lié pour avoir toute la phy- sionomie de la vérité, — dont il serait cependant l'expression réelle, — ne portant avec lui que l'exagération naturelle, inévi- table, à laquelle nous sommes tous portés quand nous relatons des événements dont l'influence a été puissante et active sur les facultés de l'imagination. Une autre raison, c'était que les inci- dents à raconter se trouvaient d'une nature si positivement mer- veilleuse, que, mes assertions n'ayant nécessairement d'autre support qu'elles-mêmes (je ne parle pas du témoignage d'un seul individu, et celui-là à moitié Indien), je ne pouvais espérer de créance que dans ma famille et chez ceux de mes amis qui, dans le cours de la vie, avaient eu occasion de se louer de ma véracité; — mais, selon toute probabilité, le grand public
VIII PREFACE.
regarderait mes assertions comme un impudent et ingénieux men- songe. Je dois dire aussi que ma défiance de mes talents d'écri- vain était une des causes principales qui m'empêchaient de céder aux suggestions de mes conseillers.
Parmi ces gentlemen de la Virginie que ma relation intéressait si vivement, particulièrement toute la partie ayant trait à l'océan Antarctique, se trouvait M. Poe, naguère éditeur du Southern Literary Messenger, revue mensuelle publiée à Richmond par M. Thomas W. White (l). II m'engagea fortement, lui entre autres, à rédiger tout de suite un récit complet de tout ce que j'avais vu et enduré, et à me fier à la sagacité et au sens commun du public, affirmant, non sans raison, que, si grossièrement venu que fût mon livre au point de vue littéraire, son étrangeté même, si toutefois il y en avait, serait pour lui la meilleure chance d'être accepté comme vérité.
Malgré cet avis, je ne pus me résoudre à obéir à ses conseils. II me proposa ensuite, voyant que je n'en voulais pas démordre, de lui permettre de rédiger à sa manière un récit de la première partie de mes aventures , d'après les faits rapportés par moi , et de la publier sous le manteau de la fiction dans le Messager du Sud. Je ne vis pas d'objection à faire à cela, j'y consentis et je stipulai seule- ment que mon nom véritable serait conservé. Deux morceaux de la prétendue fiction parurent conséquemment dans le Messager (numéros de janvier et février 1837), et, dans le but de bien établir que c'était une pure fiction, le nom de M. Poe fut placé en regard des articles à la table des matières du Magazine.
La façon dont cette supercherie fut accueillie m'induisit enfin à entreprendre une compilation régulière et une publication des- dites aventures ; car je vis qu'en dépit de l'air de fable dont avait été si ingénieusement revêtue cette partie de mon récit imprimée dans le Messager (où d'ailleurs pas un seul fait n'avait été altéré ou défiguré ) , le public n'était pas du tout disposé à l'accepter comme
(1) Edgar Poe fut le premier éditeur, pour ainsi dire le fondateur du Southern Literary Messenger. II était alors très-jeune. Voir la préface du pre- mier volume des Histoires extraordinaires. — C B.
PREFACE. IX
une pure fable, et plusieurs lettres furent adressées à M. Poe, qui témoignaient d'une conviction tout à fait contraire. J'en conclus que les faits de ma relation étaient de telle nature qu'ils portaient avec eux la preuve suffisante de leur authenticité, et que je n'avais conséquemment pas grand'chose à redouter du côté de l'incrédulité populaire.
Après cet exposé, on verra tout d'abord ce qui m'appartient, ce qui est bien de ma main dans le récit qui suit, et l'on com- prendra aussi qu'aucun fait n'a été travesti dans les quelques pages écrites par M. Poe. Même pour les lecteurs qui n'ont point vu les numéros du Messager, il serait superflu de marquer où finit sa part et où la mienne commence; la différence du style se fera bien sentir.
A. G. Pym.
New- York, juillet 1838.
AVENTURES
D'ARTHUR GORDON PYM.
AVENTURIERS PRECOCES.
Mon nom est Arthur Gordon Pym. Mon père était un respectable commerçant dans les fournitures de la ma- rine, à Nantucket, où je suis né. Mon aïeul maternel était attorney, avec une belle clientèle. II avait de la chance en toutes choses, et il fit plusieurs spéculations très-heureuses sur les fonds de VEdgarton New Bank, lors de sa création. Par ces moyens et par d'autres, il réussit à se faire une fortune assez passable. II avait plus d'affection pour moi, je crois, que pour toute autre personne au monde, et j'avais lieu d'espérer la plus grosse part de cette fortune à sa mort. II m'envoya, à l'âge de six ans, à l'école du vieux M. Ricketts, brave gentleman qui n'avait qu'un bras, et de manières assez excentriques; — il est bien connu de presque toutes les personnes qui ont visité New-Bedford, vie restai à son école jusqu'à l'âge de seize ans, et je la quittai alors pour l'académie de M. E. Ronald, sur la montagne. Là je me liai intimement avec le fils de M. Bar- nard, capitaine de navire, qui voyageait ordinairement pour la maison Lloyd et Vredenburg; — M. Barnard est bien connu aussi à New-Bedford, et il a, j'en suis sûr,
2 AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM.
plusieurs parents à Edgarton. Son fils s'appelait Auguste, et il était plus âgé que moi de deux ans à peu près. II avait fait un voyage avec son père sur le baleinier le John- Donaldson, et il me parlait sans cesse de ses aventures dans l'océan Pacifique du Sud. J'allais fréquemment avec lui dans sa famille, j'y passais la journée et quelquefois toute la nuit. Nous couchions dans le même lit, et il était bien sûr de me tenir éveillé presque jusqu'au jour en me racontant une foule d'histoires sur les naturels de l'île de Tinian, et autres lieux qu'il avait visités dans ses voyages. Je finis par prendre un intérêt particulier à tout ce qu'il me disait, et peu à peu je conçus le plus violent désir d'aller sur mer. Je possédais un canot à voiles qui s'ap- pelait Y Ariel, et qui valait bien soixante-quinze dollars environ. II avait un pont coupé, avec un coqueron, et il était gréé en sloop; — j'ai oublié son tonnage, mais il aurait pu tenir dix personnes sans trop de peine. C'était avec ce bateau que nous avions l'habitude de faire les plus folles équipées du monde; et maintenant, quand j'y pense, c'est pour moi le plus parfait des miracles que je sois encore vivant.
Je raconterai l'une de ces aventures, en matière d'in- troduction à un récit plus long et plus important. Un soir, il y avait du monde chez M. Barnard, et à la fin de la soirée, Auguste et moi, nous étions passablement gris. Comme je faisais d'ordinaire en pareil cas, au lieu de retourner chez moi, je préférai partager son lit. II s'en- dormit fort tranquillement, — je le crus du moins (il était à peu près une heure du matin quand la société se sé- para), ■ — et sans dire un mot sur son sujet favori. II pou- vait bien s'être écoulé une demi-heure depuis que nous étions au lit, et j'allais justement m'assoupir, quand il se réveilla soudainement et jura, avec un terrible juron, qu'il
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ne consentirait pas à dormir, pour tous les Arthur Pym de la chrétienté, quand soufflait une si belle brise du sud- ouest. Jamais de ma vie je ne fus si étonné , ne sachant pas ce. qu'il voulait dire, et pensant que les vins et les liqueurs qu'il avait absorbés l'avaient mis absolument hors de lui. II se mit néanmoins à causer très-tranquillement, disant qu'il savait bien que je le croyais ivre, mais qu'au contraire il n'avait jamais de sa vie été plus calme. II était seulement fatigué, ajouta-t-il, de rester au lit comme un chien par une nuit aussi belle, et il était résolu à se lever, à s'ha- biller, et à faire une partie en canot. Je ne saurais dire ce qui s'empara de moi; mais à peine ces mots étaient-ils sortis de sa bouche, que je sentis le frisson de l'excitation, la plus grande ardeur au plaisir, et je trouvai que sa folle idée était une des plus délicieuses et des plus raisonnables choses du monde. La brise qui soufflait était presque une tempête, et le temps était très-froid; — nous étions déjà assez avant en octobre. Je sautai du lit, toutefois, dans une espèce de démence, et je lui dis que j'étais aussi brave que lui, aussi fatigué que lui de rester au lit comme un chien, et aussi prêt à faire toutes les parties de plaisir du monde que tous les Auguste Barnard de Nantucket.
Nous mîmes nos habits en toute hâte, et nous nous pré- cipitâmes vers le canot. II était amarré au vieux quai ruiné près du chantier de construction de Pankey et Com- pagnie, battant affreusement de son bordage les solives raboteuses. Auguste entra dedans et se mit à le vider, car il était à moitié plein d'eau. Cela fait, nous hissâmes le foc et la grande voile, nous portâmes plein, et nous nous élançâmes avec audace vers le large.
Le vent, comme je l'ai dit, soufflait frais du sud-ouest. La nuit était claire et froide. Auguste avait pris la barre, et je m'étais installé près du mât sur le pont de la cabine.
1.
4 AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM.
Nous filions tout droit avec une grande vitesse, et nous n'avions ni l'un ni l'autre soufflé un mot depuis que nous avions détaché le canot du quai. Je demandai alors à mon camarade quelle route il prétendait tenir, et à quel mo- ment il croyait que nous reviendrions à terre. II siffla pen- dant quelques minutes, et puis dit d'un ton hargneux :
— Moi, je vais en mer; — quant à vous, vous pouvez bien aller à la maison si vous le jugez à propos!
Tournant mes yeux vers lui, je m'aperçus tout de suite que, malgré son insouciance affectée, il était en proie à une forte agitation. Je pouvais le voir distinctement à la clarté de la lune : son visage était plus pâle que du marbre, et sa main tremblait si fort qu'à peine pouvait- elle retenir la barre. Je vis qu'il était arrivé quelque chose de grave, et je devins sérieusement inquiet. A cette époque, je n'étais pas très-fort sur la manœuvre, et je me trouvais complètement à la merci de la science nautique de mon ami. Le vent venait aussi de fraîchir tout à coup , car nous étions vigoureusement poussés loin de la côte; cependant j'étais honteux de laisser voir la moindre crainte, et pendant près d'une heure je gardai réso- lument le silence. Toutefois, je ne pus pas supporter cette situation plus longtemps, et je parlai à Auguste de la nécessité de revenir à terre. Comme précédemment, il resta près d'une minute sans me répondre et sans faire attention à mon conseil.
— Tout à l'heure, — dit-il enfin, — ... nous avons le temps... chez nous... tout à l'heure.
Je m'attendais bien à une réponse de ce genre, mais il y avait dans l'accent de ses paroles quelque chose qui me remplit d'une sensation de crainte inexprimable. Je le considérai de nouveau attentivement. Ses lèvres étaient absolument livides, et ses genoux tremblaient si
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fort l'un contre l'autre qu'il semblait ne pouvoir qu'à peine se tenir debout.
- — Pour l'amour de Dieu! Auguste, — criai-je, com- plètement effrayé cette fois, — qu'avez-vous? — qu'y a-t-il? — que décidez-vous?
— Qu'y a-t-il! — balbutia Auguste avec toute l'appa- rence d'un grand étonnement, lâchant en même temps la barre du gouvernail et se laissant tomber en avant dans le fond du canot, — qu'y a-t-il! mais rien... rien du tout... à la maison... nous y allons, que diable!... ne le voyez-vous pas?
Alors toute la vérité m'apparut. Je m'élançai vers lui et le relevai. II était ivre, bestialement ivre; — il ne pouvait plus ni se tenir, ni parler, ni voir. Ses yeux étaient absolument vitreux. Dans l'excès de mon désespoir, je le lâchai, et il roula comme une bûche dans l'eau du fond du canot d'où je l'avais tiré. II était évident que, pendant la soirée, il avait bu beaucoup plus que je n'avais soup- çonné, et que sa conduite au lit était le résultat d'une de ces ivresses profondément concentrées, qui, comme la folie, donnent souvent à la victime la faculté d'imiter l'al- lure des gens en parfaite possession de leurs sens. L'atmosphère froide de la nuit avait produit bientôt son effet accoutumé; l'énergie spirituelle avait cédé à son influence, et la perception confuse que sans aucun doute il avait eue alors de notre périlleuse situation n'avait servi qu'à hâter la catastrophe. Maintenant il était absolument inerte, et il n'y avait aucune probabilité pour qu'il fût autrement avant quelques heures.
II n'est guère possible de se figurer toute l'étendue de mon effroi. Les fumées du vin s'étaient évaporées, et me laissaient doublement timide et irrésolu. Je savais que j'étais absolument incapable de manœuvrer le bateau et
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qu'une brise furieuse avec un fort reflux nous précipitait vers la mort. Une tempête s'amassait évidemment derrière nous; nous n'avions ni boussole ni provisions, et il était clair que, si nous tenions notre route actuelle, nous per- drions la terre de vue avant le point du jour. Ces pensées et [une foule d'autres, également terribles, traversèrent mon esprit avec une éblouissante rapidité, et pendant quelques instants elles me paralysèrent au point de m'ôter la possibilité de faire le moindre effort. Le canot fuyait en plein devant le vent; — il piquait dans l'eau et filait avec une terrible vitesse, — sans un ris dans le foc ni dans la grande voile, — et plongeant complètement son avant dans l'écume. C'était le miracle des miracles qu'il ne masquât pas, Auguste ayant lâché la barre, comme je l'ai dit, — et j'étais, quant à moi, trop agité pour penser à m'en emparer. Mais , par bonheur, le canot se tint devant le vent, et peu à peu je recouvrai en partie ma présence d'esprit. Le vent augmentait toujours d'une manière furieuse, et quand, après avoir plongé de l'avant, nous nous relevions, la lame retombait, écrasante sur notre arrière, et nous inondait d'eau. Et puis j'étais si abso- lument glacé dans tous mes membres que je n'avais presque pas conscience de mes sensations. Enfin j'invoquai la résolution du désespoir, et, me précipitant sur la grande voile, je larguai tout. Comme je pouvais m'y attendre, elle fila par-dessus l'avant, et, submergée par l'eau, elle emporta net le mât par-dessus le bord. Ce fut ce dernier accident qui me sauva d'une destruction imminente. Avec le foc seulement, je pouvais maintenant fuir devant le vent, embarquant de temps à autre de gros paquets de mer par l'arrière, mais soulagé de la terreur d'une mort immédiate. Je me saisis de la barre, et je respirai avec un peu plus de liberté, voyant qu'il nous restait encore une
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dernière chance de salut. Auguste gisait toujours anéanti dans le fond du canot; et, comme il était en danger im- minent d'être noyé (il y avait presque un pied d'eau à l'endroit où il était tombé), je m'ingéniai à le soulever un peu, et, pour le maintenir dans la position d'un homme assis, je lui passai autour de la taille une corde que j'attachai à un anneau sur le pont de la cabine. Ayant ainsi arrangé toutes choses du mieux que je pouvais , glacé et agité comme je l'étais, je me recommandai à Dieu, et je me résolus à supporter tout ce qui m'arriverait avec toute la bravoure dont j'étais capable.
A peine m'étais-je affermi dans ma résolution, que sou- dainement un grand, long cri, un hurlement, comme jaillissant des gosiers de mille démons, sembla courir à travers l'espace et passer par-dessus notre bateau. Jamais, tant que je vivrai, je n'oublierai l'intense agonie de terreur que j'éprouvai en ce moment. Mes cheveux se dressèrent roides sur ma tête, — je sentis mon sang se congeler dans mes veines, — mon cœur cessa entièrement de battre, et, sans même lever une fois les yeux pour voir ia cause de ma terreur, je tombai, la tête la première, comme un poids inerte, sur le corps de mon camarade.
Je me trouvai, quand je revins à moi, dans la chambre d'un grand navire baleinier, le Pingouin, à destination de Nantucket. Quelques individus se penchaient sur moi, et Auguste, plus pâle que la mort, s'ingéniait activement à me frictionner les mains. Quand il me vit ouvrir les yeux, ses exclamations de gratitude et de joie excitèrent alternativement le rire et les larmes parmi les hommes au rude visage qui nous entouraient. Le mystère de notre conservation me fut bientôt expliqué.
Nous avions été coulés par le baleinier, qui gouvernait au plus près et louvoyait vers Nantucket avec toute la
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toile qu'il pouvait risquer par un pareil temps ; consé- quemment, il courait sur nous presque à angle droit. Quelques hommes étaient de vigie à l'avant; mais ils n'aperçurent notre bateau que quand il était impossible d'éviter la rencontre : leurs cris d'alarme étaient ce qui m'avait tellement terrifié. Le vaste navire, me dit-on, avait passé sur nous avec autant de facilité que notre petit bateau aurait glissé sur une plume, et sans le moindre dérangement dans sa marche. Pas un cri ne s'éleva du pont du canot martyrisé; — il y eut seulement un léger bruit, comme d'un déchirement, qui se mêla au mugis- sement du vent et de l'eau, quand la barque fragile, déjà engloutie, fut rabotée par la quille de son bourreau, — mais ce fut tout. Pensant que notre bateau (démâté, on se le rappelle) n'était qu'une épave de rebut, le capitaine (capitaine E. T. V. Block, de New-London) allait conti- nuer sa route sans s'inquiéter autrement de l'aventure. Par bonheur, deux des hommes qui étaient en vigie jurèrent positivement qu'ils avaient aperçu quelqu'un à la barre et dirent qu'il était encore possible de le sauver. Une discussion s'ensuivit; mais Block se mit en colère et dit au bout d'un instant que «ce n'était pas son métier de veiller éternellement à toutes les coquilles d'oeuf; que le navire ne virerait certainement pas de bord pour une pareille bêtise, et que s'il y avait un homme englouti, c'était bien sa faute; qu'il ne s'en prît qu'à lui-même; qu'il pouvait bien se noyer et s'en aller au diable!» ou quelque autre discours dans le même sens. Henderson, le second, reprit la question, justement indigné, comme tout l'équipage d'ailleurs, d'un discours qui trahissait une telle cruauté, une telle absence de cœur. II parla fort nette- ment, se sentant soutenu par les matelots, — dit au capi- taine qu'il le considérait comme un sujet digne du gibet,
AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM. 9
et que, pour lui, il désobéirait à ses ordres, quand même if devrait être pendu pour cela au moment où il toucherait terre. II courut à l'arrière en bousculant Block (qui devint très-pâle et ne répondit pas un mot), et, s'emparant de la barre, cria d'une voix ferme : La barre toute sous le vent! Les hommes coururent à leurs postes, et le navire vira rondement. Tout cela avait pris à peu près cinq minutes, et il paraissait à peine possible maintenant de sauver l'in- dividu qu'on croyait avoir vu à bord du canot. Cepen- dant, comme le lecteur le sait, Auguste et moi nous avions été repêchés, et notre salut semblait être le résul- tat d'un de ces merveilleux bonheurs que les gens sages et pieux attribuent à l'intervention spéciale de la Provi- dence.
Pendant que le navire était toujours en panne, le second fit amener le canot et sauta dedans, je crois, avec les deux hommes qui prétendaient m'avoir vu à la barre. Ils venaient justement de quitter le bord de dessous le vent (la lune était toujours très-claire), quand le navire donna un fort et long coup de roulis du côté du vent, et Henderson, au même instant, se dressant sur son banc, cria à ses hommes de nager à cuier. II ne disait pas autre chose, criant toujours avec impatience : Nagez à cuier! nagez à cuier! Ils nageaient aussi vivement que possible; mais pendant ce temps le navire avait tourné et commen- çait à aller de l'avant, bien que tous les bras à bord s'em- ployassent à diminuer la toile. Malgré le danger de la ten- tative, le second se cramponna aux grands porte-haubans, aussitôt qu'ils furent à sa portée. Une nouvelle grosse embardée jeta alors le côté de tribord hors de l'eau presque jusqu'à la quille, et enfin la cause de son anxiété devint visible. Le corps d'un homme apparaissait, attaché de la manière la plus singulière au fond poli et brillant
IO AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM.
(le Pingouin était doublé et chevillé en cuivre), et battait violemment contre le navire à chaque mouvement de la coque. Après quelques efforts inefficaces, renouvelés à chaque embardée du navire, au risque d'écraser le canot, je fus enfin dégagé de ma périlleuse situation et hissé à bord, — car ce corps, c'était moi. II paraît que l'une des chevilles de la charpente, qui était ressortie et s'était frayé une voie à travers le cuivre, m'avait arrêté pendant que je passais sous le navire, et m'avait ainsi de la manière la plus singulière attaché au fond. La tête de la cheville avait percé le collet de ma veste de gros drap et la partie postérieure de mon cou et s'était enfoncée entre deux ten- dons, juste sous l'oreille droite. On m'avait mis immédia- tement au lit, — bien que la vie parût tout à fait éteinte en moi. II n'y avait pas de médecin à bord. Le capitaine néanmoins me traita avec toute sorte d'attentions, — sans doute pour faire amende aux yeux de son équipage de son atroce conduite dans la première partie de l'aventure. Cependant Henderson s'était de nouveau éloigné du navire, bien que le vent alors tournât presque à l'ou- ragan. Au bout de quelques minutes, il tomba sur quel- ques débris de notre bateau, et peu après l'un de ses hommes lui affirma qu'il distinguait de temps en temps un cri à travers le mugissement de la tempête. Cela poussa les courageux matelots à persévérer dans leurs recherches plus d'une demi-heure, malgré les signaux répétés du capitaine Block qui leur enjoignait de revenir, et bien que chaque minute dans cette frêle embarcation fût pour eux un danger mortel et imminent. II est vraiment difficile de concevoir comment leur petit canot a pu échapper à la destruction seulement une minute. II était d'ailleurs construit pour le service de la pêche à la baleine et muni, comme j'ai pu le vérifier depuis lors, de cavités à air, à
AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM. I 1
l'instar de quelques canots de sauvetage sur la côte du pays de Galles.
Après qu'ils eurent vainement cherché pendant tout le temps que j'ai dit, ils se déterminèrent à retourner à bord. Ils avaient à peine pris cette résolution, qu'un faible cri s'éleva d'un objet noir qui passait rapidement auprès d'eux. Ils se mirent à la poursuite de la chose et l'attra- pèrent. C'était le pont de Y Ariel et sa cabine. Auguste se débattait auprès, comme dans sa suprême agonie. En s'emparant de lui, on vit qu'il était attaché par une corde à la charpente flottante. Cette corde, on se le rappelle, c'était moi qui la lui avais passée autour de la taille et l'avais fixée à un anneau, pour le maintenir dans une bonne position; et, en faisant ainsi, j'avais finalement, à ce qu'il paraît, pourvu au moyen de lui sauver la vie. L' Ariel était légèrement construit, et toute sa charpente, en plongeant, s'était brisée; le pont de la cabine, tout naturellement, fut soulevé par la force de l'eau qui s'y précipitait, se détacha complètement de la membrure et se mit à flotter, avec d'autres fragments sans doute, à la sur- face; Auguste flottait avec, et avait ainsi échappé à une mort terrible.
Ce ne fut que plus d'une heure après avoir été déposé à bord du Pingouin qu'il put donner signe de vie et com- prendre la nature de l'accident qui était survenu à notre bateau. A la longue, il se réveilla complètement et parla longuement de ses sensations quand il était dans l'eau. A peine avait-il repris un peu conscience de lui-même qu'il s'était trouvé au-dessous du niveau de l'eau, tour- nant, tournant avec une inconcevable rapidité, et se sentant une corde étroitement serrée et roulée deux ou trois fois autour du cou. Un instant après, il s'était senti remonter rapidement, quand, sa tête heurtant violemment
12 AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM.
contre une matière dure, il était retombé dans son insen- sibilité. En revenant à lui de nouveau, il s'était senti plus maître de sa raison; — cependant elle était encore singu- lièrement confuse et obscurcie. II comprit alors qu'il était arrivé quelque accident et qu'il était dans l'eau, bien que sa bouche fût au-dessus de la surface et qu'il pût respirer avec quelque liberté. Peut-être en ce moment la cabine filait rapidement devant le vent et l'entraînait ainsi, lui flottant et couché sur le dos. Aussi longtemps qu'il aurait pu garder cette position, il eût été presque impossible qu'il fût noyé. Un coup de lame le jeta alors tout à fait en travers du pont; il s'efforça de garder cette position nou- velle, criant par intervalles : Au secours! Juste avant d'être enfin découvert par M. Henderson, il avait été obligé de lâcher prise par suite de son épuisement, et, retombant dans la mer, il s'était cru perdu. Pendant tout le temps qu'avait duré cette lutte, il ne lui était pas revenu le plus léger souvenir de Y Ariel ni d'aucune chose ayant rapport à l'origine de la catastrophe. Un vague sentiment de terreur et de désespoir avait pris possession de toutes ses facultés. Quand finalement il fut repêché, toute sa raison l'avait abandonné; et, comme je l'ai déjà dit, ce ne fut guère qu'une heure après avoir été pris à bord du Pingouin qu'il eut pleinement conscience de sa situation. En ce qui me concerne, je fus tiré d'un état très-voisin de la mort (et seulement après trois heures et demie, pen- dant lesquelles tous les moyens furent employés) par de vigoureuses frictions de flanelle trempée dans l'huile chaude, — procédé qui fut suggéré par Auguste. La bles- sure de mon cou, quoique d'une assez affreuse apparence, n'avait pas une grande gravité , et j'en guéris bien vite.
Le Pingouin entra au port à neuf heures du matin , après avoir eu à lutter contre une des brises les plus carabinées
AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM. I j
qui aient jamais soufflé au large de Nantucket. Auguste et moi, nous nous arrangeâmes pour paraître chez M. Bar- nard à l'heure du déjeuner, — qui, heureusement, se trouvait un peu retardée à cause de la soirée précédente. Je suppose que toutes les personnes présentes à table étaient trop fatiguées elles-mêmes pour remarquer notre physionomie harassée, — car il n'eût pas fallu une bien grande attention pour s'en apercevoir. D'ailleurs les éco- liers sont capables d'accomplir des miracles en fait de tromperie, et je ne crois pas qu'il soit venu à l'esprit d'un seul de nos amis de Nantucket que la terrible histoire que racontèrent en ville quelques marins : — qu'ils avaient coulé un navire en mer et noyé trente ou quarante pau- vres diables, — pût avoir trait à V Ariel, à mon camarade ou à moi. Lui et moi, nous avons depuis lors causé plus d'une fois de l'aventure, — mais jamais sans un frisson. Dans une de nos conversations, Auguste me confessa franchement que de toute sa vie il n'avait jamais éprouvé une si atroce sensation d'effroi que quand, sur notre petit bateau, il avait tout d'un coup découvert toute l'étendue de son ivresse, et qu'il s'était senti écraser par elle.
II
LA CACHETTE.
En toute histoire de simple dommage ou danger, nous ne pouvons tirer de conclusions certaines, pour ou contre, même des données les plus simples. On supposera peut- être qu'une catastrophe comme celle que je viens de raconter devait refroidir efficacement ma passion naissante pour la mer. Tout au contraire, je n'éprouvai jamais un si
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ardent désir de connaître les étranges aventures qui acci- dentent la vie d'un navigateur qu'une semaine après notre miraculeuse délivrance. Ce court espace de temps suffit amplement pour effacer de ma mémoire les parties téné- breuses, et pour amener en pleine lumière toutes les tou- ches de couleur délicieusement excitantes, tout le côté pittoresque de notre périlleux accident. Mes conversations avec Auguste devenaient de jour en jour plus fréquentes et d'un intérêt toujours croissant. II avait une manière de raconter ses histoires de mer (je soupçonne maintenant que c'étaient, pour la moitié au moins, de pures imagi- nations) bien faite pour agir sur un tempérament enthousiaste comme le mien, sur une imagination quelque peu sombre, mais toujours ardente. Ce qui n'est pas moins étrange, c'est que c'était surtout en me peignant les plus terribles moments de souffrance et de désespoir de la vie du marin, qu'il réussissait à enrôler toutes mes facultés et tous mes sentiments au service de cette roma- nesque profession. Pour le côté brillant de la peinture, je n'avais qu'une sympathie fort limitée. Toutes mes visions étaient de naufrage et de famine, de mort ou de captivité parmi des tribus barbares, d'une existence de douleurs et de larmes, traînée sur quelque rocher grisâtre et désolé, dans un océan inaccessible et inconnu. De telles rêveries, de tels désirs, — car cela montait jusqu'au désir, — sont fort communs, on me l'a affirmé depuis, parmi la très- nombreuse classe des hommes mélancoliques; — mais, à l'époque dont je parle, je les regardais comme des échap- pées prophétiques d'une destinée à laquelle je me sentais, pour ainsi dire, voué. Auguste entrait parfaitement dans la situation de mon esprit. Véritablement il est probable que notre intimité avait eu pour résultat un échange d'une partie de nos caractères.
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Huit mois environ après le désastre de Y Ariel, la maison Lloyd et Vredenburg (maison liée jusqu'à un certain point avec celle de MM. Enderby, de Liverpool, je crois) imagina de réparer et d'équiper le brick le Grampus pour une pêche à la baleine. C'était une vieille carcasse à peine en état de tenir la mer, même après qu'on eut tout fait pour la réparer. Pourquoi fut-il choisi de préférence à d'autres bons navires appartenant aux mêmes pro- priétaires, je ne sais trop, — mais enfin cela fut ainsi. M. Barnard fut chargé du commandement, et Auguste devait partir avec lui. Pendant qu'on équipait le brick, il me pressait souvent avec instance de profiter de l'excel- lente occasion qui s'offrait pour satisfaire mon désir de voyager. II me trouvait certes fort disposé à l'écouter; mais la chose n'était pas si facile à arranger. Mon père ne s'y opposait pas directement, mais ma mère tombait dans des attaques de nerfs sitôt qu'il était question du projet; et, pire que tout, mon grand-père, de qui j'attendais beau- coup, jura qu'il ne me laisserait pas un schelling si j'osais désormais entamer ce sujet avec lui. Mais ces difficultés, loin d'abattre mon désir, furent comme de l'huile sur le feu. Je résolus de partir à tout hasard; et, quand j'eus fait part de mon intention à Auguste, nous nous ingéniâmes à trouver un plan pour la mettre à exécution. Cependant, je me gardai bien de souffler désormais un mot du voyage à aucun de mes parents; et, comme je m'occupais ostensi- blement de mes études ordinaires, on supposa que j'avais abandonné le projet. Souvent, depuis lors, j'ai examiné ma conduite dans cette occasion avec autant de surprise que de déplaisir. Cette profonde hypocrisie dont j'usai pour l'accomplissement de mon projet, — hypocrisie dont, pendant un si long espace de temps, furent pénétrées toutes mes paroles et mes actions, — je n'avais pu me la
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rendre supportable à moi-même que grâce à l'ardente et étrange espérance avec laquelle je contemplais la réali- sation de mes rêves de voyage si longuement caressés.
Pour l'accomplissement de mon stratagème, j'étais nécessairement obligé d'abandonner beaucoup de choses à Auguste, employé la plus grande partie de la journée à bord du Grampus et s'occupant de divers arrangements pour son père dans la cabine et dans la cale; mais le soir nous étions sûrs de nous retrouver, et nous causions de nos espérances. Après un mois environ passé de cette façon , sans avoir pu rencontrer un plan d'une réussite vraisem- blable, il me dit enfin qu'il avait pourvu à tout.
J'avais un parent qui vivait à New-Bedford, un M. Ross, chez qui j'avais l'habitude de passer quelquefois deux ou trois semaines. Le brick devait mettre à la voile vers le milieu de juin (juin 1827), et il fut convenu qu'un Jouj- ou deux avant qu'il prît la mer, mon père recevrait, comme d'habitude, un billet de M. Ross, le priant de m'envoyer vers lui pour passer une quinzaine avec Robert et Emmet, ses fils. Auguste se chargea de rédiger ce billet et de le faire parvenir. Ayant donc feint de partir pour New-Bedford, je devais rejoindre mon camarade, qui me préparerait une cachette à bord du Grampus. Cette cachette, m'assura-t-il , serait installée d'une manière assez confortable pour y pouvoir rester quelques jours, durant lesquels je devais ne pas me montrer. Quand le brick aurait fait suffisamment de route pour qu'il ne pût pas être question de retour, alors, dit-il, je serais formellement installé dans toutes les jouissances de la cabine; et quant à son père, il rirait de bon cœur de ce joli tour. Nous ren- contrerions bien assez de navires par lesquels je pourrais faire parvenir une lettre à mes parents pour Ieurexpliquer l'aventure.
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Enfin, la mi-juin arriva, et tout était suffisamment mûri. Le billet fut écrit et envoyé, et un lundi au matin je quittai la maison, feignant de me rendre au paquebot de New-Bedford. Cependant, j'allai tout droit à Auguste, qui m'attendait au coin d'une rue. II entrait dans notre plan primitif que je me tiendrais caché jusqu'à la brune, et qu'alors je me glisserais à bord du brick; mais, comme nous avions en notre faveur un brouillard épais, il fut convenu que je ne perdrais pas de temps à me cacher. Auguste prit le chemin de l'embarcadère, et je le suivis à quelque distance, enveloppé dans un gros caban de ma- telot qu'il avait apporté avec lui, pour rendre ma per- sonne difficilement reconnaissable. Juste comme nous tournions au second coin, après avoir passé le -puits de M. Edmund, — qui apparut, se tenant droit devant moi et me regardant en plein visage? mon grand-père lui- même, le vieux M. Peterson!
— Eh bien! eh bien! — dit-il, après une longue pause, — Gordon! Dieu me pardonne! A qui ce paletot crasseux que vous avez sur le dos?
— Monsieur! — répliquai-je, prenant, aussi bien que je le pouvais, pour les besoins de la circonstance, un air de surprise offensée, et parlant sur le ton le plus rude qu'on puisse imaginer, — monsieur! vous faites erreur, que je crois; mon nom, avant tout, n'a rien de commun avec Goddin, et je désire pour vous que vous y voyiez un peu plus clair et que vous ne traitiez pas mon caban neuf de paletot crasseux, — drôle!
Je ne sais comment je me retins d'éclater de rire en voyant la manière bizarre dont le vieux gentleman reçut cette belle rebuffade. II sauta en arrière de deux ou trois pas, devint d'abord très-pâle, et puis excessivement rouge, releva ses lunettes, puis, les rabaissant, fondit sur
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moi à toute bride, en levant son parapluie. Cependant, il s'arrêta tout court dans sa carrière, comme frappé sou- dainement d'un souvenir; et alors il se détourna et s'en alla clopinant tout le long de la rue, frémissant toujours de rage et marmottant entre ses dents :
— Ça ne va pas! — des lunettes neuves! — j'aurais juré que c'était Gordon; — maudit propre à rien de ma- telot du diable!
Après l'avoir échappé belle, nous continuâmes notre route avec plus de prudence, et nous arrivâmes heureu- sement à notre destination. II n'y avait qu'un ou deux hommes à bord, et ils étaient occupés à je ne sais quoi sur le gaillard d'avant. Le capitaine Barnard, nous le savions, avait affaire chez Lloyd et Vredenburg, et- il y devait rester fort avant dans la soirée; nous n'avions donc pas grand'chose à craindre de son côté. Auguste monta le premier à bord du navire, et je l'y suivis bien vite, sans avoir été remarqué par les hommes qui travaillaient. Nous entrâmes tout de suite dans la chambre, et nous n'y trouvâmes personne. Elle était installée de la manière la plus confortable, chose assez insolite à bord d'un ba- leinier. II y avait quatre excellentes cabines d'officier avec des cadres larges et commodes. Je remarquai aussi un vaste poêle et un tapis très-beau et très-épais qui recou- vrait le plancher de la chambre et des cabines d'officier. Le plafond était bien à une hauteur de sept pieds, et tout était d'une apparence plus vaste et plus agréable que je ne l'avais espéré. Auguste, toutefois, n'accorda que peu de temps à ma curiosité et insista sur la nécessité de me cacher le plus promptement possible. II me conduisit dans sa propre cabine, qui était à tribord et tout près de la cloison étanche. En entrant, il tira la porte et la ferma au verrou. II me sembla que je n'avais jamais vu une plus
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jolie petite chambre que celle où je me trouvai alors. Elle était longue de dix pieds environ, et n'avait qu'un seul cadre, qui, comme je l'ai déjà dit, était large et com- mode. Dans la partie de la cabine contiguë à la cloison étanche, il y avait un espace de quatre pieds carrés, conte- nant une table, une chaise et une rangée de rayons chargés de livres, principalement de livres de voyages et de navigation. Je vis dans cette chambre une foule d'autres petites commodités, parmi lesquelles je ne dois pas oublier une espèce de garde-manger ou d'armoire aux rafraîchissements, dans laquelle Auguste me montra une collection choisie de friandises et de liqueurs.
II pressa avec ses doigts sur un certain endroit du tapis, dans un coin de l'espace dont j'ai parlé, me faisant voir qu'une portion du parquet, de seize pouces carrés environ, avait été soigneusement détachée et rajustée. Sous la pression, cette partie s'éleva suffisamment d'un côté pour livrer en dessous passage à son doigt. De cette ma- nière il agrandit l'ouverture de la trappe (à laquelle le tapis restait fixé par des pointes), et je vis qu'elle condui- sait dans la cale d'arrière. II alluma immédiatement une petite bougie à l'aide d'une allumette phosphorique, et, plaçant la lumière dans une lanterne sourde, il descendit à travers l'ouverture, me priant de le suivre. Je fis comme il disait, et alors il ramena la porte sur le trou au moyen d'un clou planté sur la face inférieure; le tapis reprenait ainsi sa position primitive sur le plancher de la cabine, et toutes les traces de l'ouverture se trouvaient dissimulées.
La bougie jetait un rayon si faible que ce n'était qu'à grandpeine que je pouvais trouver ma route à travers l'amas confus d'objets dont j'étais entouré. Cependant, mes yeux s'accoutumèrent par degrés à l'obscurité, et je m'avançai avec moins d'embarras, me tenant accroché
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aux basques de l'habit de mon camarade. II me conduisit enfin, après avoir rampé et tourné à travers d'innom- brables et étroits passages, à une caisse cerclée de fer semblable à celle dont on se sert quelquefois pour emballer la faïence de prix. Elle était haute d'environ quatre pieds et longue de six bons pieds, mais excessivement étroite. Deux vastes barriques d'huile vides étaient posées au- dessus, et par-dessus celles-ci une énorme quantité de paillassons empilés jusqu'au plafond. Tout autour et dans tous les sens, était arrimé, aussi serré que possible et jus- qu'au plafond, un véritable chaos de provisions de bord , avec un mélange hétérogène de cages, de paniers, de barils et de balles, au point que c'était pour moi comme un miracle que nous eussions pu nous frayer un chemin jusqu'à la caisse en question. J'appris ensuite qu'Auguste avait disposé à dessein tout l'arrimage dans la cale, dans le but de me préparer une excellente cachette, sans avoir eu d'autre aide dans ce travail qu'un seul homme qui ne partait pas avec le brick.
Mon camarade me montra alors que l'une des parois de la caisse pouvait s'enlever à volonté. II la fit glisser de côté et me montra l'intérieur, dont je me divertis beaucoup. Un matelas enlevé à l'un des cadres de la chambre recou- vrait tout le fond , et elle contenait tout les genres de confort qui avaient pu être accumulés dans un si petit espace, me laissant toutefois une place suffisante pour me tenir à ma guise, soit sur mon séant, soit couché tout de mon long. II y avait, entre autres choses, quelques livres, des plumes, de l'encre et du papier, trois couvertures, une grosse cruche pleine d'eau, un petit baril de biscuits, trois ou quatre énormes saucissons de Bologne, un vaste jambon, une cuisse froide de mouton rôti, et une demi- douzaine de cordiaux et de liqueurs. Je pris tout de suite
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possession de mon petit appartement avec un sentiment de satisfaction plus vaste, j'en suis certain, que jamais monarque n'en éprouva en entrant dans un nouveau palais. Auguste m'indiqua alors le moyen de fixer le côté mobile de la caisse; puis, rapprochant la bougie tout contre le pont, il me montra un bout de corde noire qui y était attaché. Cette corde, me dit-il, partait de ma cachette, serpentait à travers tout l'arrimage, et abou- tissait à un clou fixé dans le pont, juste au-dessous de la trappe qui conduisait dans sa cabine. Au moyen de cette corde, je pouvais facilement retrouver mon chemin sans qu'il me servît de guide, au cas où quelque accident im- prévu rendrait ce voyage nécessaire. II prit alors congé de moi, me laissant la lanterne, avec une bonne provision de bougies et de phosphore, et me promettant de me rendre visite aussi souvent qu'il le pourrait faire sans attirer l'at- tention. Nous étions alors au 17 juin.
Je restai dans ma cachette trois jours et trois nuits (autant, du moins, que je pus le deviner) sans en sortir, excepté deux fois, pour étirer mes membres à mon aise en me tenant debout entre deux cages, juste en face de l'ouverture. Durant tout ce temps, je n'eus aucunes nou- velles d'Auguste; mais cela ne me causa pas grande inquiétude, car je savais que le brick allait prendre la mer d'un moment à l'autre, et, dans toute cette agitation, mon ami ne devait pas trouver facilement l'occasion de des- cendre me voir. Enfin j'entendis la trappe s'ouvrir et se fermer, et il m'appela alors d'une voix sourde, me deman- dant si tout allait bien pour moi, et si j'avais besoin de quelque chose.
— De rien, — répondis-je; — je suis aussi bien que je puis être. Quand le brick met-il à la voile?
— Il lèvera l'ancre dans moins d'une demi-heure, —
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me répondit-il; — j'étais venu pour vous le faire savoir, et je craignais que vous ne fussiez inquiet de mon absence. Je n'aurai pas la chance de redescendre avant quelque temps, — peut-être bien avant trois ou quatre bons jours. Tout va bien là-haut. Après que je serai remonté et que j'aurai fermé la trappe, glissez-vous en suivant le filin jusqu'à l'endroit du clou. Vous y trouverez ma montre; — elle peut vous être utile, car vous n'avez pas la lumière du jour pour apprécier le temps. Je parie que vous ne pour- riez pas dire depuis combien de temps vous êtes enterré ici : — il n'y a que trois jours; nous sommes aujourd'hui le 20 du mois. Je porterais bien la montre jusqu'à votre caisse; mais je crains qu'on n'ait besoin de moi. Et puis il remonta.
Une heure environ après son départ, je sentis dis- tinctement le brick se mettre en marche, et je me félicitai de commencer un voyage pour de bon. Tout plein de cette idée, je résolus de me tenir en joie et d'attendre tran- quillement la suite des événements, jusqu'à ce qu'il me fût permis d'échanger mon étroite caisse pour les commodités plus vastes, mais à peine plus recherchées, de la cabine. Mon premier soin fut d'aller chercher la montre. Je laissai la bougie allumée, et je m'avançai à tâtons dans les ténè- bres, tout en suivant la corde à travers ses détours, tel- lement compliqués, que je m'apercevais quelquefois que, malgré tout mon travail et tout le chemin parcouru, j'étais ramené à un ou deux pieds d'une position précédente. A la longue cependant, j'atteignis le clou, et, massurant l'objet d'un si long voyage, je m'en revins heureusement. J'examinai alors les livres dont Auguste m'avait pourvu avec une si charmante sollicitude , et je choisis l'Expédition de Lewis et Clarbe à l'embouchure de la Columbia. Je m'en amusai pendant quelque temps, et puis, sentant mes yeux
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s'assoupir, j'éteignis soigneusement la bougie, et je tombai bientôt dans un profond sommeil.
En m'éveillant, je me sentis l'esprit singulièrement brouillé, et il s'écoula quelque temps avant que je pusse me rappeler les diverses circonstances de ma situation. Peu à peu, toutefois, je me souvins de tout. Je fis de la lumière et je regardai la montre ; mais elle s'était arrêtée ; je n'avais donc aucun moyen d'apprécier combien de temps avait duré mon sommeil. Mes membres étaient brisés par des crampes, et je fus obligé, pour les soulager, de me tenir debout [entre les cages. Comme je me sentis alors pris d'une faim presque dévorante, je pensai au mouton froid dont j'avais mangé un morceau avant de m'endormir, et que j'avais trouvé excellent. Mais quel fut mon étonnement en découvrant qu'il était dans un état de complète putréfaction! Cette circonstance me causa une grande inquiétude; car, rapprochant ceci du désordre d'esprit que j'avais senti en m'éveillant, je commençai à croire que j'avais dû dormir pendant une période de temps tout à fait insolite. L'atmosphère épaisse de la cale y était peut-être bien pour quelque chose, et pouvait, à la longue, amener les plus déplorables résultats. Ma tête me faisait excessivement souffrir; il me semblait que je ne pouvais tirer ma respiration qu'avec difficulté, et enfin j'étais comme oppressé par une foule de sensations mélan- coliques. Cependant je n'osais pas me hasarder à ouvrir la trappe ou à tenter quelque autre moyen qui aurait pu causer du trouble, et, ayant simplement remonté [a montre, je fis mon possible pour me résigner.
Pendant le long espace de vingt-quatre insupportable^ heures, personne ne vint à mon secours, et je ne pouvais m'empecher d'accuser Auguste de la plus grossière indiffé- rence. Ce qui m'alai niait principalement, c'était que feau
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de ma cruche était réduite à presque une demi-pinte, et que je souffrais beaucoup de la soif, ayant copieusement mangé du saucisson de Bologne après la perte de mon mouton. Je devins excessivement inquiet, et je ne pris plus aucun intérêt à mes livres. J'étais dominé aussi par un désir étonnant de sommeil, et je tremblais à l'idée de m'y abandonner, de peur qu'il n'existât dans l'air renfermé de la cale quelque influence pernicieuse, comme celle du charbon en ignition. Cependant, le roulis du brick me prouvait que nous étions en plein océan, et un bruit sourd , un ronflement, qui arrivait à mes oreilles comme d'une immense distance, me convainquait que la brise qui souf- flait n'était pas une brise ordinaire. Je ne pouvais imaginer aucune raison pour expliquer l'absence d'Auguste. Nous étions certainement assez avancés dans la route pour me permettre de monter sur le pont. II pouvait lui être arrivé quelque accident; — mais je n'en conjecturai aucun qui m'expliquât comment il me laissait si longtemps prison- nier, sauf qu'il fût mort subitement ou qu'il fût tombé par-dessus bord; et m'appesantir sur une pareille idée, quelques secondes seulement, était pour moi chose insup- portable. II était encore possible que nous eussions été battus par des vents de bout, et que nous fussions encore à proximité de Nantucket. Mais je fus bientôt obligé de renoncer à cette idée : car, si tel eût été le cas, le brick aurait souvent viré de bord, et j'étais parfaitement con- vaincu, d'après son inclinaison continuelle sur bâbord, qu'il avait fait route tout le temps avec une brise faite à tribord. D'ailleurs, en accordant que nous fussions tou- jours dans le voisinage de l'île, Auguste n'aurait-il pas dû me rendre visite et m'informer de la situation?
Tout en réfléchissant ainsi sur les embarras de ma situation déplorable et solitaire, je résolus d'attendre encore
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vingt-quatre autres heures, après lesquelles, si je ne rece- vais pas de secours, je me dirigerais vers la trappe et je m'efforcerais, soit d'obtenir une entrevue avec mon ami, soit du moins de respirer un peu d'air frais à travers l'ou- verture et d'emporter de sa cabine une nouvelle provision d'eau. Pendant que je m'occupais de cette idée, je tombai, malgré toute ma résistance, dans un profond sommeil ou plutôt dans une espèce de torpeur. Mes rêves étaient de la nature la plus terrible. Tous les genres de calamité et d'horreur s'abattirent sur moi. Entre autres misères, je me sentais étouffé jusqu'à la mort, sous d'énormes oreillers, par des démons de l'aspect le plus sinistre et le plus féroce. D'immenses serpents me tenaient dans leurs étreintes et me regardaient ardemment au visage avec des yeux affreu- sement brillants. Et puis des déserts sans limite et du caractère le plus désespéré, le plus chargé d'effroi, se pro- jetaient devant moi. De gigantesques troncs d'arbres gri- sâtres, sans feuilles, se dressaient, comme une procession sans fin, aussi loin que mon œil pouvait atteindre. Leurs racines étaient noyées dans d'immenses marécages dont les eaux s'étalaient au loin, affreusement noires, sinistres et terribles dans leur immobilité. Et les étranges arbres sem- blaient doués d'une vitalité humaine, et, agitant ça et là leurs bras de squelettes, demandaient grâce aux eaux silen- cieuses et criaient miséricorde avec l'accent vibrant, per- çant, du désespoir et de l'agonie la plus aiguë. Et puis la scène changeait, et je me trouvais debout, nu et seul, dans les sables brûlants du Sahara. A mes pieds gisait, blotti et ramassé, un lion féroce des tropiques. Soudainement ses yeux effarés s'ouvraient et tombaient sur moi. D'un bond convulsif il se dressait sur ses pieds et il découvrait l'hor- rible rangée de ses dents. Aussitôt, de son rouge gosier jaillissait un rugissement semblable au tonnerre du (irma-
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ment, et je me jetais impétueusement à terre. Suffoqué par le paroxysme de la terreur, je me sentis enfin éveillé à moitié. Et mon rêve n'était pas tout à fait un rêve. Main- tenant, au moins, j'étais en possession de mes sens. Les pattes de quelque énorme et véritable monstre s'ap- puyaient lourdement sur ma poitrine, — sa chaude haleine soufflait dans mon oreille, — et ses crocs blancs et sinistres brillaient sur moi à travers l'obscurité.
Quand, pour sauver mille fois ma vie, je n'aurais eu qu'à remuer un membre ou qu'à prononcer une syllabe, je n'aurais pu ni bouger ni parler. La bête, quelle qu'elle fût, gardait toujours sa position, sans tenter aucune attaque immédiate, et, moi, je restais couché au-dessous d'elle dans un état complet d'impuissance, que je croyais tout proche de la mort. Je sentais que mes facultés phy- siques et spirituelles m'abandonnaient rapidement, — en un mot, que je me mourais, et que je me mourais de pure terreur. Ma cervelle flottait, — la mortelle nausée du vertige m'envahissait, — mes yeux me trahissaient, et les globes étincelants dardés sur moi semblaient eux- mêmes s'obscurcir. Faisant un suprême et violent effort, je lançai enfin vers Dieu une faible prière, et je me rési- gnai à mourir. Le son de ma voix sembla réveiller toute la furie latente de l'animal; il se précipita tout de son long sur mon corps. Mais quelle fut ma stupéfaction quand, poussant un long et sourd gémissement, il commença à lécher mon visage et mes mains avec la plus grande pétu- lance et les plus extravagantes démonstrations d'affection et de joie ! J'étais comme étourdi , perdu d'étonnement, — mais je ne pouvais pas avoir oublié le geignement particu- lier de Tigre, mon terre-neuve, et je connaissais bien la manière bizarre de ses caresses. C'était lui. Je sentis comme un torrent de sang se ruer vers mes tempes, — comme
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une sensation vertigineuse, écrasante, de délivrance et de ressuscitation. Je me dressai précipitamment sur le matelas de mon agonie, et, me jetant au cou de mon fidèle com- pagnon et ami, je soulageai la longue oppression de mon cœur par un flot de larmes des plus passionnées.
Comme dans une circonstance précédente, mon cer- veau, quand j'eus quitté mon matelas, se trouvait dans une singulière confusion, dans un parfait désordre. Pendant assez longtemps, il me sembla presque impossible de lier deux idées; mais, lentement et graduellement, la faculté de penser me revint, et je me rappelai enfin les différentes circonstances de ma situation. Quant à la présence de Tigre, je m'efforçai en vain de me l'expliquer, et, après m'être perdu en mille conjectures diverses à son sujet, je me réjouis simplement, et sans plus de recherches, de ce qu'il était venu partager ma lugubre solitude et me récon- forter de ses caresses. Bien des gens aiment leurs chiens ; mais, moi, j'avais pour Tigre une affection de beaucoup plus ardente que l'affection commune, et jamais sans doute aucune créature ne la mérita mieux. Pendant sept ans il avait été mon inséparable compagnon, et, dans une mul- titude de cas, il m'avait donné la preuve de toutes les nobles qualités qui nous font estimer l'animal. Je l'avais arraché, quand il était tout petit, des griffes d'un méchant polisson de Nantucket qui le traînait à l'eau avec une corde au cou; et le chien, devenu grand, m'avait payé sa dette, trois ans plus tard à peu près, en me sauvant du gourdin d'un voleur de rue.
Je pris alors la montre et je m'aperçus, en l'appliquant à mon oreille, qu'elle s'était arrêtée de nouveau; mais je n'en fus nullement étonné, étant convaincu, d'après l'état particulier de mes sens, que j'avais dormi, comme cela m'était déjà arrivé, pendant une très-longue période de
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temps. Combien de temps? c'est ce qu'il m'était impossible de dire. J'étais consumé par la fièvre, et ma soif était presque intolérable. Je cherchai à tâtons à travers ma caisse le peu qui devait me rester de ma provision d'eau; car je n'avais pas de lumière, la bougie ayant brûlé jusqu'au ras du chandelier de la lanterne, et je ne pouvais pas mettre pour le moment la main sur le briquet. Enfin , trouvant la cruche, je m'aperçus qu'elle était vide; — Tigre, sans nul doute, n'avait pas résisté au désir de boire, aussi bien que de dévorer tout le restant du mouton dont l'os se prome- nait, admirablement nettoyé, à l'entrée de ma caisse. Je pouvais faire bon marché de la viande gâtée, mais je sen- tais le cœur me manquer, rien qu'à l'idée de l'eau. J'étais excessivement faible, si bien qu'au moindre mouvement, au plus léger effort, je tremblais de tout mon corps, comme dans un violent accès de fièvre. Pour ajouter à mes embarras , le brick tanguait et roulait avec une grande vio- lence, et les barriques d'huile placées au-dessus de ma caisse menaçaient à chaque instant de dégringoler, et de boucher ainsi l'unique issue de ma cachette. J'éprouvais aussi d'horribles souffrances par suite du mal de mer. Toutes ces considérations me déterminèrent à me diriger à tout hasard vers la trappe et à chercher immédiatement du secours, avant que j'en fusse devenu tout à fait inca- pable. Cette résolution prise, je cherchai de nouveau à tâtons le phosphore et les bougies. Je découvris le briquet phosphorique, non sans quelque peine; mais, ne trouvant pas les bougies aussi vite que je l'espérais (car je me rap- pelais à peu près l'endroit où je les avais placées), j'aban- donnai cette recherche pour le moment, et, recommandant à Tigre de se tenir tranquille, je commençai décidément mon voyage vers la trappe.
Dans cette tentative, mon extrême faiblesse devint
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encore plus manifeste. Ce n'était qu'avec la plus grande difficulté que je pouvais me traîner, et très-souvent mes membres se dérobaient soudainement sous moi; puis, tombant prosterné sur le visage, je restais pendant quelques minutes dans un état voisin de l'insensibilité. Cependant, je luttais toujours et j'avançais lentement, tremblant à tout moment de m'évanouir dans le laby- rinthe étroit et compliqué de l'arrimage, auquel cas je n'avais d'autre dénoûment à attendre que la mort. A la longue, faisant une poussée en avant avec toute l'énergie dont je pouvais disposer, je donnai violemment du front contre l'angle aigu d'une caisse bordée de fer. L'accident ne me causa qu'un étourdissement de quelques instants; mais je découvris avec un inexprimable chagrin que le roulis sec et violent du navire avait jeté la caisse juste en travers de mon chemin, de manière à barricader complè- tement le passage. En y mettant toute ma force, je ne pus pas la déranger seulement d'un pouce, car elle était très- solidement calée entre les caisses environnantes et tous les équipements de bord. II me fallait donc, faible comme je Tétais, ou lâcher le filin conducteur et chercher un autre passage, ou grimper par-dessus l'obstacle et reprendre ma route de l'autre côté. Le premier parti présentait trop de difficultés et de dangers; je n'y pouvais penser sans un frisson. Epuisé de corps et d'esprit, je devais infaillible- ment me perdre, si je tentais une pareille imprudence, et périr misérablement dans ce lugubre et dégoûtant laby- rinthe de la cale. Je commençai donc, sans hésitation, à rassembler tout ce qui me restait de force et de courage pour tâcher, si faire se pouvait, de grimper par-dessus la caisse.
Comme je me relevais dans ce but, je m'aperçus que l'entreprise dépassait mes prévisions et impliquait une
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besogne encore plus sérieuse que je ne l'avais imaginé. De chaque côté de l'étroit1 passage, se dressait un véritable mur fait d'une foule de matériaux des plus lourds; la moindre bévue de ma part pouvait les faire dégringoler sur ma tête; ou, si j'échappais à ce malheur, le retour pouvait m'être absolument fermé par la masse écroulée, et je me trouvais ainsi en face d'un nouvel obstacle. Quant à la caisse, elle était très-haute et très-massive, et le pied n'y pouvait trouver aucune prise. Enfin j'essayai, par tous les moyens possibles, d'attraper le haut, espérant pouvoir me soulever ainsi à la force des bras. Si j'avais réussi à l'atteindre, il est certain que ma force eût été tout à fait insuffisante pour me soulever, et, somme toute, il valait mieux que je n'y eusse pas réussi. A la longue, comme je faisais un effort désespéré pour déranger la caisse de sa place, je sentis comme une vibration sensible du côté qui me faisait face. Je glissai vivement ma main sur les inter- stices des planches, et je m'aperçus que l'une d'elles, une très-large, branlait. Avec mon couteau, que j'avais sur moi par bonheur, je réussis, mais non sans peine, à la détacher entièrement; et, passant à travers l'ouverture, je découvris, à ma grande joie, qu'il n'y avait pas de planches du côté opposé, — en d'autres termes, que le couvercle manquait, et que c'était à travers le fond que je m'étais frayé une voie. Dès lors, je suivis ma ligne sans trop de difficultés, jusqu'à ce qu'enfin j'atteignis le clou. Je me redressai avec un battement de cœur, et je poussai douce- ment la porte de la trappe. Elle ne s'éleva pas avec autant de promptitude que je l'avais espéré, et je la poussai avec un peu plus de décision, craignant toujours que quelque autre personne qu'Auguste ne se trouvât en ce moment dans sa cabine. Cependant, la porte, à mon grand éton- nement, resta ferme et je devins passablement inquiet,
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car je savais que primitivement elle cédait sans effort et à la moindre pression. Je la poussai vigoureusement, — elle ne bougea pas; de toute ma force, — elle ne voulut pas céder; avec rage, avec furie, avec désespoir, — elle défia tous mes efforts ; et il était évident, à en juger par l'inflexi- bilité de la résistance, que le trou avait été découvert et solidement condamné, ou bien que quelque énorme poids avait été placé dessus, qu'il ne fallait pas songer à sou- lever.
Ce que j'éprouvai fut une sensation extrême d'horreur et d'effroi. J'essayai en vain de raisonner sur la cause pro- bable qui me murait ainsi dans ma tombe. Je ne pouvais attraper aucune chaîne logique de réflexions; je. me laissai tomber sur le plancher, et je m'abandonnai sans résistance aux imaginations les plus noires, parmi lesquelles se dres- saient principalement, écrasants et terribles, la mort par la soif, la mort par la faim, l'asphyxie et l'enterrement prématuré. A la longue cependant, une partie de ma pré- sence d'esprit me revint. Je me relevai, et je cherchai avec mes doigts les joints et les fissures de [la trappe. Les ayant trouvés, je les examinai scrupuleusement, pour vérifier s'ils laissaient filtrer quelque lumière de la cabine; mais il n'y avait aucune lueur appréciable. J'introduisis alors la lame à tailler les plumes à travers les fentes jusqu'à ce que j'eusse rencontré un obstacle dur. En raclant, je découvris que c'était une masse énorme de fer, et, à la sensation par- ticulière d'ondulations que me rendit ma lame en frôlant tout le long, je conclus que ce devait être une chaîne. Le seul parti qui me restât à suivre maintenant était de reprendre ma route vers ma caisse, et là de me résigner à mon triste destin, ou de m'appliquer à pacifier mon esprit pour le rendre capable de combiner quelque plan de salut. J'entrepris immédiatement la chose, et je réussis, après
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d'innombrables difficultés, à effectuer mon retour. Comme je me laissais tomber, entièrement épuisé, sur mon mate- las, Tigre s'étendit tout de son long à mon côté, comme désirant, par ses caresses, me consoler de toutes mes peines et m'exhorter à les supporter avec courage.
A la longue, la singularité de sa conduite arrêta forte- ment mon attention. Après avoir léché mon visage et mes mains pendant quelques minutes, il s'arrêtait tout à coup et poussait un sourd gémissement. Quand j'étendais ma main vers lui, je le trouvais invariablement couché sur le dos, avec ses pattes en l'air. Cette conduite, si fréquem- ment répétée, me paraissait étrange, et je ne pouvais en aucune façon m'en rendre compte. Comme le pauvre chien semblait désolé, je conclus qu'il avait reçu quelque coup; et, prenant ses pattes dans mes mains, je les tâtai une à une, mais je n'y trouvai aucun symptôme de mal. Je sup- posai alors qu'il avait faim, et je lui donnai un gros mor- ceau de jambon qu'il dévora avidement, — et puis il recommença son extraordinaire manœuvre. J'imaginai alors qu'il souffrait, comme moi, les tortures de la soif, et j'allais adopter cette conclusion comme la seule vraie, quand l'idée me vint que je n'avais jusqu'alors examiné que ses pattes, et qu'il pouvait bien avoir une blessure en quelque endroit du corps ou de la tête. Je tâtai soigneu- sement la tête, mais je n'y trouvai rien. Mais en passant ma main le long du dos, je sentis comme une légère érection du poil qui le traversait dans toute sa largeur. En sondant le poil avec mon doigt, je découvris une ficelle que je suivis et qui passait tout autour du corps. Grâce à un examen plus soigneux, je rencontrai une petite bande qui me causa la sensation du papier à lettre; la ficelle tra- versait cette bande et avait été assujettie de façon à la fixer juste sous l'épaule gauche de l'animal.
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III TIGRE ENRAGÉ.
L'idée me vint tout de suite que ce papier était un billet d'Auguste, et que, quelque accident inconcevable l'ayant empêché de venir me tirer de ma prison, il avait avisé ce moyen pour me mettre au courant du véritable état des choses. Tout palpitant d'impatience, je me mis de nouveau à la recherche de mes allumettes phosphoriques et de mes bougies. J'avais comme un souvenir confus de les avoir soigneusement serrées quelque part, juste avant de m'as- soupir, et je crois bien qu'avant ma dernière expédition vers la trappe j'étais parfaitement capable de me rappeler l'endroit précis où je les avais déposées. Mais, maintenant, c'était en vain que je m'efforçais de me le rappeler, et je perdis bien une bonne heure dans une recherche inutile et irritante de ces maudits objets; jamais, certainement, je ne me trouvai dans un état plus douloureux d'anxiété et d'incertitude. Enfin, comme je tâtais partout, ma tête appuyée presque contre le lest, près de l'ouverture de ma caisse et un peu en dehors, j'entrevis comme une faible lueur dans la direction du poste. Très-étonné, je m'efforçai de me diriger vers cette lueur, qui me semblait n'être qu'à quelques pieds de moi. A peine avais-je commencé à me remuer dans ce but, que je l'avais entièrement perdue de vue; et, pour l'apercevoir de nouveau, je fus obligé de tâtonner le long de ma caisse jusqu'à ce que j'eusse exac- tement retrouvé ma position première. Alors, tâtonnant prudemment avec ma tête, deçà et delà, je découvris qu'en
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m'avançant lentement, avec la plus grande précaution, dans un sens opposé à celui que j'avais adopté d'abord, je pourrais arriver auprès de la lumière sans la perdre de vue. Enfin donc j'y parvins, non sans avoir suivi une route péniblement brisée par une foule de détours, et je décou- vris que cette lumière provenait de quelques fragments de mes allumettes éparpillées dans un baril vide et couché sur le côté. Je m'étonnais fort de les retrouver en pareil lieu, quand ma main tomba sur deux ou trois morceaux de cire qui avaient été évidemment mâchonnés par le chien. J'en conclus tout de suite qu'il avait dévoré toute ma provision de bougies, et je désespérai de pouvoir jamais lire le [billet d'Auguste. Les bribes de cire étaient si bien amalgamées avec d'autres débris dans le baril, que je renonçai à en tirer le moindre secours, et je les laissai où elles étaient. Quant au phosphore, dont il restait encore une ou deux miettes lumineuses, je le récoltai du mieux que je pus, et je retournai avec beaucoup de peine jusqu'à ma caisse, où Tigre était resté pendant tout ce temps.
Je ne savais, en vérité, que faire maintenant. La caie était si profondément sombre, que je ne pouvais pas voir ma main , même en l'approchant tout près de mon visage. Quant à la bande blanche de papier, je pouvais à peine la distinguer, et encore ce n'était pas en la regardant directe- ment, mais en tournant vers elle la partie extérieure de la rétine, c'est-à-dire en l'observant un peu de travers, que je parvenais à la rendre légèrement sensible à mon œil. On peut ainsi se figurer combien était noire la nuit de ma prison, et le billet de mon ami, si toutefois c'était un billet de lui, semblait ne devoir servir qu'à augmenter mon trouble, en tourmentant sans utilité mon pauvre esprit déjà si agité et si affaibli. En vain je roulais dans mon
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cerveau une foule d'expédients absurdes pour me procurer de la lumière, — des expédients analogues à ceux qu'ima- ginerait, pour un but semblable, un homme enveloppé du sommeil troublant de l'opium; chacun apparaissant tour à tour au songeur comme la plus raisonnable et la plus absurde des inventions, selon que les lueurs de la raison ou celles de l'imagination dominent dans son esprit vacillant. A la fin, une idée se présenta à moi, qui me parut rationnelle, et je ne m'étonnai que d'une chose, c'était de ne pas l'avoir trouvée tout de suite. Je plaçai la bande de papier sur le dos d'un livre, et, ramassant les débris d'allumettes chimiques que j'avais rapportés du baril, je les mis tous ensemble sur le papier; puis avec la paume de ma main, je frottai le tout vivement, mais soli- dement. Une lumière claire se répandit immédiatement à la surface, et s'il y avait eu quelque chose d'écrit dessus, je suis sûr que je n'aurais pas eu la moindre difficulté à le lire. II n'y avait pas une syllabe, rien qu'une triste et déso- lante blancheur; la clarté s'éteignit en quelques secondes, et je sentis mon cœur s'évanouir avec elle.
J'ai déjà dit que, pendant une période précédente, mon esprit s'était trouvé dans un état voisin de l'imbécillité. II y eut, il est vrai, quelques intervalles de parfaite lucidité et même, de temps à autre, d'énergie; mais ils avaient été peu nombreux. On doit se rappeler que je respirais, depuis plusieurs jours certainement, l'atmosphère presque pestilentielle d'un étroit cachot dans un navire baleinier, et, pendant une bonne partie de ce temps, je n'avais joui que d'une quantité d'eau très-insuffisante. Pendant les dernières quatorze ou quinze heures, j'en avais été tota- lement privé, — aussi bien que de sommeil. Des provi- sions salées de la nature la plus irritante avaient été ma principale et même, depuis la perte de mon mouton, mon
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unique nourriture, à l'exception du biscuit de nier; et encore ce dernier m'était devenu d'un usage tout à fait impossible, beaucoup trop sec et trop dur pour que ma gorge pût l'avaler, enflée et desséchée comme elle l'était. J'avais alors une fièvre très-intense, et j'étais à tous égards excessivement mal. Cela expliquera comment de longues misérables heures d'abattement aient pu s'écouler depuis l'aventure du phosphore, avant que l'idée me vînt que je n'avais encore examiné qu'un des côtés du papier. Je n'es- sayerai pas de décrire toutes mes sensations de rage (car je crois que la colère dominait toutes les autres), quand le remarquable oubli que j'avais commis éclata soudainement dans mon esprit. Cette bévue n'aurait pas été très-grave en elle-même, si ma folie et ma pétulance ne l'eussent pas rendue telle; — dans mon désappointement de ne pas trouver quelques mots sur la bande de papier, je l'avais puérilement déchirée, et j'en avais jeté les morceaux; — où? il m'était impossible de le savoir.
Je fus, pour la partie la plus ardue du problème, tiré d'affaire par la sagacité de Tigre. Ayant trouvé, après une longue recherche, un petit morceau de billet, je le mis sous le nez du chien, m'efforçant de lui faire comprendre qu'il fallait m apporter le reste. A mon grand étonnement (car je ne lui avais enseigné aucun des tours habituels qui font la renommée de ses^pareils), il sembla entrer tout de suite dans ma pensée, et, farfouillant pendant quelques moments, il en trouva bien vite un autre morceau assez important. II me l'apporta, fît une petite pause, et frottant son nez contre ma main, parut attendre que j'approuvasse ce qu'il avait fait. Je lui donnai une petite tape sur la tête, et il repartit immédiatement pour sa besogne. Quelques minutes s'écoulèrent avant qu'il revint, — mais enfin il rapporta .une grande bande qui complétait tout le papier
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perdu; — je ne i'avais lacéré, à ce qu'il paraît, qu'en trois morceaux. Très-heureusement, je n'eus pas grand'peine à retrouver le peu qui restait de phosphore, guidé par la lueur indistincte qu'émettaient toujours un ou deux petits fragments. Mes mésaventures m'avaient appris la nécessité de la prudence, et je pris alors le temps de réfléchir sur ce que j'allais faire. Très-probablement, pensai-je, quelques mots avaient été écrits sur le côté du papier que je n'avais pas examiné; — mais quel était ce coté? L'assemblage des morceaux ne me donnait aucun renseignement à cet égard et me garantissait simplement que je trouverais tous les mots (si toutefois il y avait quelque chose) du même coté, et se suivant logiquement comme ils avaient été écrits. Vérifier le point en question et d'une manière indubitable était une chose de la plus absolue nécessité; car les débris de phosphore eussent été tout à fait insuffisants pour une troisième épreuve, si j'échouais par malheur dans celle que j'allais tenter. Je plaçai, comme j'avais déjà fait, le papier sur un livre, et je m'assis pendant quelques minutes, mûrissant soigneusement la question dans mon esprit. A la fin, je pensai qu'il n'était pas tout à fait impossible que le côté écrit fût marqué de quelque inégalité à sa surface, inégalité qu'une vérification délicate par le toucher pouvait me révéler. Je résolus de faire l'expérience, et je passai soigneusement mon doigt sur le côté qui se présentait le premier; — je ne sentis absolument rien, et je retournai le papier, le rajustant sur le livre. Je promenai de nouveau mon index tout le long et avec une grande précaution , quand je découvris une lueur excessivement faible, mat^ cependant sensible, qui accompagnait mon doigt. Ceci ne pouvait évidemment provenir que de quelques petites molécules du phosphore dont j'avais frotté le papier dans ma première tentative. L'autre côté, le verso, était donc
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celui où était l'écriture, si toutefois je devais enfin trouver quelque chose d'écrit. Je retournai donc encore le billet et je me mis à l'œuvre, comme j'avais fait précédemment. Je frottai le phosphore; une lumière en résulta de nouveau, - — mais cette fois, quelques lignes d'une grosse écriture, et qui semblaient tracées avec de l'encre rouge, devinrent très-distinctement visibles. La clarté, quoique suffisam- ment brillante, ne fut que momentanée. Cependant, si je n'avais pas été trop fortement agité, j'aurais eu amplement le temps de déchiffrer les trois phrases entières placées sous mes yeux; — car je vis qu'il y en avait trois. Mais, dans mon impatience de tout lire d'un seul coup, je ne réussis qu'à attraper les sept mots de la fin qui étaient : . . . sang, — restez caché, votre vie en dépend.
Quand même j'aurais pu vérifier le contenu entier du billet, — le sens complet de l'avertissement que mon ami avait ainsi essayé de me donner, — cet avertissement, m'eût-il révélé l'histoire d'un désastre affreux, ineffable, n'aurait pas, j'en suis fermement convaincu, pénétré mon esprit d'un dixième de la maîtrisante et indéfinissable horreur que m'inspira ce lambeau d'avis reçu de cette façon. Et ce mot, — sang, — ce mot suprême, ce roi des mots, — toujours si riche de mystère, de souffrance et de terreur, — comme il m'apparut alors trois fois plus gros de significance! — Comme cette syllabe vague, — détachée de la série des mots précédents qui la qualifiaient et la rendaient distincte, — tombait, pesante et glacée, parmi les profondes ténèbres de ma prison , dans les régions les plus intimes de mon âme!
Auguste avait indubitablement de bonnes raisons pour désirer que je restasse caché, et je formai mille conjectures sur ce qu'elles pouvaient être; — mais je ne pus rien trouver qui me donnât une solution satisfaisante du
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mystère. Quand j'étais revenu de mon dernier voyage à la trappe, et avant que mon attention eût été attirée par la singulière conduite de Tigre, j'avais pris la résolution de me faire entendre à tout hasard par les hommes du bord, ou, si je n'y pouvais pas réussir, d'essayer de me frayer une voie à travers le faux pont. La presque certitude que j'avais d'être capable d'accomplir, à la dernière extrémité, l'une de ces deux entreprises, m'avait donné le courage (que je n'aurais pas eu autrement) d'endurer les douleurs de ma situation. Et voilà que les quelques mots que je venais de lire me coupaient ces deux ressources finales! Alors, pour la première fois, je sentis toute la misère de ma des- tinée. Dans un paroxysme de désespoir, je me rejetai sur le matelas, où je restai étendu, durant tout un jour et une nuit environ, dans une espèce de stupeur que traversaient par instants quelques lueurs de raison et de mémoire.
A la longue, je me levai une fois encore, et je m'oc- cupai à réfléchir sur les horreurs qui m'environnaient. II m'était bien difficile de vivre encore vingt-quatre heures sans eau; — au delà, c'était chose impossible. Durant la première période de ma réclusion, j'avais librement usé des liqueurs dont Auguste m'avait pourvu, mais elles n'avaient servi qu'à exciter ma fièvre, sans apaiser ma soif le moins du monde. II ne me restait plus maintenant que le quart d'une pinte, et c'était une espèce de forte liqueur de noyau qui me faisait lever le cœur. Les saucissons étaient entièrement consommés; du jambon il ne restait qu'un petit morceau de la peau; et, sauf quelques débris d'un seul biscuit, tout le reste avait été dévore par Tigre. Pour ajouter à mes angoisses, je sentais que mon mal de tête augmentait à chaque instant, toujours accompagné de cette espèce de délire qui m'avait plus ou moins tour- menté depuis mon premier assoupissement. Depuis plu-
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jxs heures déjà, je ne pouvais plus respirer qu'avec fa plus grande difficulté, et maintenant, chaque effort de oiration était suivi d'un mouvement spasmodique de la poitrine des plus alarmants. Mais j'avais encore une autre raison d'inquiétude, d'un genre tout à fait différent, et c'étaient les fatigantes terreurs qui en résultaient qui m'a- vaient surtout arraché à ma torpeur et m'avaient contraint à me relever sur mon matelas. Cette inquiétude me venait de la conduite du chien.
J'avais déjà observé une altération dans sa manière d'être, pendant que je frottais le phosphore sur le papier lors de ma dernière expérience. Juste comme je frottais, ii lit fourré son nez contre ma main avec un léger grogne- ment; mais jetais, en ce moment, trop fortement agité pour faire grande attention à cette circonstance. Peu de temps après, on se le rappelle, je m'étais jeté sur le ma- telas, et j'étais tombé dans une espèce de léthargie. Je m'aper- çus alors d'un singulier sifflement tout contre mon oreille, et je découvris que ce bruit provenait de Tigre, qui haletait et soufflait, comme s'il était en proie à la plus grande excitation, les globes de ses veux étincelant furieusement à travers l'obscurité. Je lui adressai la parole, et il me répondit par un sourd grognement; et puis il se tint tran- quille. Je retombai alors dans ma torpeur, et j'en fus de nouveau tiré de la même manière. Cela se répéta trois ou quatre fois; enfin sa conduite m'inspira une telle frayeur, que je me sentis tout à fait éveillé. II était alors couché tout contre l'ouverture de la caisse, grognant terriblement, quoique dans une espèce de ton bas et sourd, et grinçant des dents comme s'il était tourmenté par de fortes convul- sions.
Je ne doutais pas que la privation d'eau et l'atmosphère renfermée de la cale ne l'eussent rendu enragé, et je ne
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savais absolument quel parti prendre. Je ne pouvais pas supporter la pensée de le tuer, et cependant cela me sem- blait absolument nécessaire pour mon propre salut. Je dis- tinguais parfaitement ses yeux fixés sur moi avec une expression d'animosité mortelle, et je croyais à chaque instant qu'il allait m'attaquer. A la fin , je sentis que je ne pouvais pas endurer plus longtemps cette terrible situation , et je résolus de sortir de ma caisse à tout hasard et d'en finir avec lui, si une opposition de sa part rendait cette extré- mité nécessaire. II me fallait, pour fuir, passer directement sur son corps, et l'on eûtditqu'il pressentaitdéjà mon dessein; — il se dressa sur ses pattes de devant, — ce que je devinai au changement de position de ses yeux, — et déploya la rangée blanche de ses crocs que je pouvais distinguer sans peine. Je pris les restes de la peau de jambon et la bouteille qui contenait la liqueur, et je les assurai bien contre moi, ainsi qu'un grand couteau de table qu'Auguste m'avait laissé; — puis, m'enveloppant de mon paletot, serré autant que possible, je fis un mouvement vers l'ouverture de la caisse. A peine avais-je bougé, que le chien, avec un fort hurlement , s'élança à ma gorge. L'énorme poids de son corps me frappa à l'épaule droite, et je tombai violemment à gauche, pendant que l'animal enragé passait tout entier par-dessus moi. J'étais tombé sur mes genoux, ma tête ensevelie dans les couvertures, ce qui me protégeait contre les dangers d'une seconde attaque également furieuse; car je sentais les dents aiguës qui serraient vigoureusement la laine dont mon cou se trouvait enveloppé, et qui par grand bonheur se trouvaient impuissantes à en pénétrer tous les plis. J'étais alors placé sous l'animal, et en peu d'instants je devais me trouver complètement en son pou- voir. Le désespoir me donna de la vigueur; je me relevai violemment, repoussant le chien loin de moi par la simple
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sieurs heures déjà, je ne pouvais plus respirer qu'avec la plus grande difficulté, et maintenant, chaque effort de respiration était suivi d'un mouvement spasmodique de la poitrine des plus alarmants. Mais j'avais encore une autre raison d'inquiétude, d'un genre tout à fait différent, et c'étaient les fatigantes terreurs qui en résultaient qui m'a- vaient surtout arraché à ma torpeur et m'avaient contraint à me relever sur mon matelas. Cette inquiétude me venait de la conduite du chien.
J'avais déjà observé une altération dans sa manière d'être, pendant que je frottais le phosphore sur le papier lors de ma dernière expérience. Juste comme je frottais, il avait fourré son nez contre ma main avec un léger grogne- ment; mais j'étais, en ce moment, trop fortement agité pour faire grande attention à cette circonstance. Peu de temps après, on se le rappelle, je m'étais jeté sur le ma- telas, et j'étais tombé dans une espèce de léthargie. Je m'aper- çus alors d'un singulier sifflement tout contre mon oreille, et je découvris que ce bruit provenait de Tigre, qui haletait et soufflait, comme s'il était en proie à la plus grande excitation, les globes de ses yeux étincelant furieusement à travers l'obscurité. Je lui adressai la parole, et il me répondit par un sourd grognement; et puis il se tint tran- quille. Je retombai alors dans ma torpeur, et j'en fus de nouveau tiré de la même manière. Cela se répéta trois ou quatre fois; enfin sa conduite m'inspira une telle frayeur, que je me sentis tout à fait éveillé. II était alors couché tout contre l'ouverture de la caisse, grognant terriblement, quoique dans une espèce de ton bas et sourd, et grinçant des dents comme s'il était tourmenté par de fortes convul- sions.
Je ne doutais pas que la privation d'eau et l'atmosphère renfermée de la cale ne l'eussent rendu enragé, et je ne
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savais absolument quel parti prendre. Je ne pouvais pas supporter la pensée de le tuer, et cependant cela me sem- blait absolument nécessaire pour mon propre salut. Je dis- tinguais parfaitement ses yeux fixés sur moi avec une expression d'animosité mortelle, et je croyais à chaque instant qu'il allait m'attaquer. A la fin , je sentis que je ne pouvais pas endurer plus longtemps cette terrible situation , et je résolus de sortir de ma caisse à tout hasard et d'en finir avec lui, si une opposition de sa part rendait cette extré- mité nécessaire. II me fallait, pour fuir, passer directement sur son corps, et l'on eût dit qu'il pressentait déjà mon dessein ; — il se dressa sur ses pattes de devant, — ce que je devinai au changement de position de ses yeux, — et déploya la rangée blanche de ses crocs que je pouvais distinguer sans peine. Je pris les restes de la peau de jambon et la bouteille qui contenait la liqueur, et je les assurai bien contre moi , ainsi qu'un grand couteau de table qu'Auguste m'avait laissé; — puis, m'enveloppant de mon paletot, serré autant que possible, je fis un mouvement vers l'ouverture de la caisse. A peine avais-je bougé, que le chien, avec un fort hurlement , s'élança à ma gorge. L'énorme poids de son corps me frappa à l'épaule droite, et je tombai violemment à gauche , pendant que l'animal enragé passait tout entier par-dessus moi. J'étais tombé sur mes genoux, ma tête ensevelie dans les couvertures, ce qui me protégeait contre les dangers d'une seconde attaque également furieuse; car je sentais les dents aiguës qui serraient vigoureusement la laine dont mon cou se trouvait enveloppé, et qui par grand bonheur se trouvaient impuissantes à en pénétrer tous les plis. J'étais alors placé sous l'animal, et en peu d'instants je devais me trouver complètement en son pou- voir. Le désespoir me donna de la vigueur; je me relevai violemment, repoussant le chien loin de moi par la simple
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énergie de mon mouvement, et tirant avec moi les couver- tures de dessus le matelas. Je les jetai alors sur lui, et, avant qu'il eût pu s'en débarrasser, j'avais franchi la porte et l'avais heureusement fermée en cas de poursuite. Mais dans cette bataille, j'avais été forcé de lâcher le morceau de peau de jambon , et je me trouvai dès lors réduit à mon quart de pinte de liqueur pour toutes provisions. Quand cette réflexion traversa mon esprit, je me sentis emporté par un de ces accès de perversité W semblables au mouve- ment d'un enfant gâté dans un cas analogue, et, portant le flacon à mes lèvres, je le vidai jusqu'à la dernière goutte, et puis je le brisai avec fureur à mes pieds.
A peine l'écho du verre fracassé s'était-il évanoui , que j'entendis mon nom prononcé d'une voix inquiète, mais étouffée, dans la direction du logement de l'équipage. Un incident de cette nature était pour moi chose inattendue, et l'émotion qu'il me causa était si intense, que ce fut en vain que je m'efforçai de répondre. J'avais complètement perdu la faculté de parler, et, torturé par la crainte que mon ami n'en conclût que j'étais mort et ne s'en retournât sans essayer de me trouver, je me tenais debout entre les cages, près de la porte de la caisse, tremblant convulsive- ment, la bouche béante, et luttant pour retrouver la parole. Quand même un millier de mondes auraient dépendu d'une syllabe, je n'aurais pas pu la proférer. J'entendis alors comme un léger mouvement à travers l'arrimage, quelque part en avant de la position que j'occupais. Et puis le son devint moins distinct, — et puis encore moins, — enfin il allait toujours s'affaiblissant. Oublierai-je jamais mes sensations d'alors? II s'en allait, — lui, mon ami, mon
<il Voir, pour saisir toute l'étendue du terme, le Démon de la perversité et le Chat noir, dans le 2° vol. des Histoires extraordinaires. — C. B.
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compagnon, de qui j'avais le droit de tant attendre! — il s'en allait, — il voulait m'abandonner, — il était parti ! II voulait donc me laisser périr misérablement, expirer dans la plus horrible et la plus dégoûtante des prisons; — et un mot, une seule petite syllabe pouvait me sauver! — et cette syllabe unique, je ne pouvais pas la proférer! J'éprouvai, j'en suis sûr, plus de dix mille fois les tortures de la mort. La tête me tourna, et je tombai, pris d'une faiblesse mortelle, contre l'extrémité de la caisse.
Comme je tombais, le couteau de table sortit de la cein- ture de mon pantalon et coula sur le plancher avec le bruit sec du fer. Non, jamais musique délicieuse n'émut si dou- cement mon oreille! Avec la plus ardente inquiétude j'écoutai, — pour constater l'effet du bruit sur Auguste; car je savais que la personne qui prononçait mon nom ne pouvait être que lui. Tout resta silencieux pendant quelques instants. A la longue, j'entendis de nouveau le mot Arthur! répété à plusieurs reprises, d'un ton bas, et une fois plein d'hésitation. L'espérance renaissante délivra tout d'un coup ma parole enchaînée, et je criai de ma voix la plus forte :
— Auguste ! oh ! Auguste !
— Chut! peur l'amour de Dieu! taisez-vous! — répli- qua-t-il d'une voix palpitante d'agitation; — je vais être à vous tout de suite, — aussitôt que je me serai frayé un chemin à travers la cale.
Pendant longtemps, je l'entendis remuer parmi l'arri- mage, et chaque instant me semblait un siècle. Enfin je sentis sa main sur mon épaule, et il porta en même temps une bouteille d'eau à mes lèvres. Ceux-là seulement qui ont été soudainement arrachés des mâchoires de la mort, ou qui ont connu les insupportables tortures de la soif dans des circonstances aussi compliquées que celles qui m'assié- geaient dans ma lugubre prison, peuvent se faire une idée
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des ineffables délices que me causa ce bon coup, aspiré longuement, tout d'une haleine, — cette boisson exquise, — cette volupté , la plus parfaite de toutes !
Quand j'eus apaisé à peu près ma soif, Auguste tira de sa poche trois ou quatre pommes de terre bouillies et froides, que je dévorai avec la plus grande avidité. II avait apporté de la lumière dans une lanterne sourde, et les délicieux rayons ne me causaient pas moins de jouissance que la nourriture et le liquide. Mais j'étais impatient d'apprendre la cause de son absence prolongée, et il com- mença à me raconter ce qui était arrivé à bord durant mon incarcération.
IV
RÉVOLTE ET MASSACRE.
Le brick avait pris la mer, ainsi que j'avais deviné, une heure environ après qu'Auguste m'eut laissé sa montre. C'était alors le 20 juin. On se rappelle que j'étais déjà dans la cale depuis trois jours; et, pendant tout ce temps, il y avait eu à bord un si constant remue-ménage, tant d'allées et venues, particulièrement dans la chambre et les cabines d'officier, qu'il ne pouvait guère venir me voir sans courir Ie risque de livrer le secret de la trappe. Lorsque enfin il descendit, je lui affirmai que j'étais aussi bien que possible; pendant les deux jours qui suivirent, il n'éprouva donc pas une bien grande inquiétude à mon endroit; cependant il guettait toujours l'occasion de descendre. Ce ne fut que le quatrième jour qu'il la trouva enfin. Plusieurs fois durant cet intervalle, il avait pris la résolution d'avouer l'aven- ture à son père et de me faire décidément monter; mais
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nous étions toujours à proximité de Nantucket, et il était à craindre, à en juger par quelques mots qui avaient échappé au capitaine Barnard, qu'il ne revînt immédiate- ment sur son chemin, s'il découvrait que j'étais à bord. D'ailleurs, en pesant bien les choses, Auguste, à ce qu'il me dit, ne pouvait pas imaginer que je souffrisse de quelque besoin urgent, ou que j'hésitasse, en pareil cas, à donner de mes nouvelles par la trappe. Donc, tout bien considéré, il conclut à me laisser attendre jusqu'à ce qu'il pût trouver l'occasion de me venir voir sans être observé. Ceci, comme je l'ai dit, n'eut lieu que le quatrième jour après qu'il m'eut apporté la montre, et le septième depuis mon installation dans la cale. II descendit donc sans apporter avec lui d'eau ni de provisions, n'ayant d'abord en vue que d'attirer mon attention et de me faire venir de la caisse jusqu'à la trappe, puis alors de remonter dans sa chambre, et, de là, de me faire passer ce dont j'avais besoin. Quand il descendit dans ce but, il s'aperçut que je dormais; car il paraît que je ronflais très-haut. D'après toutes les conjectures que j'ai pu faire sur ce sujet, ce devait être ce malheureux assoupissement dans lequel je tombai juste après être revenu de la trappe avec la montre, sommeil qui a du, conséquemment, durer plus de trois nuits et trois jours entiers pour le moins. Tout récemment, j'avais appris à connaître, par ma propre expérience et par le témoignage des autres, les puissants effets soporifiques de l'odeur de la vieille huile de poisson quand elle est étroitement renfermée; et quand je pense à l'état de la cale dans laquelle j'étais emprisonné et au long espace de temps durant lequel le brick avait servi comme baleinier, je suis bien plus porté à m'étonner d'avoir pu me réveiller, une fois tombé dans ce dangereux sommeil, que d'avoir dormi sans interruption pendant tout le temps en question.
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Auguste m'appela d'abord à voix basse et sans fermer la trappe, — mais je ne fis aucune réponse. II ferma alors la trappe, et me parla sur un ton plus élevé, et enfin sur un diapason très-haut, — mais je continuais toujours à ronfler. II se trouva alors fort empêché. II lui fallait quelque temps pour'traverser tout le pêle-même de la cale et arriver jusqu'à ma guérite, et, pendant ce temps-là, son absence pouvait être remarquée par le capitaine Barnard, qui avait besoin de ses services à chaque minute pour mettre en ordre et transcrire des papiers relatifs au but du voyage. II résolut donc, toute réflexion faite, de remonter et d'attendre une autre occasion pour me rendre visite. II fut d'autant plus incliné à prendre ce parti, que mon sommeil semblait être du caractère le plus paisible, et il ne pouvait pas supposer que j'eusse éprouvé la moindre incommodité de mon emprisonnement. II venait justement de faire toutes ces réflexions, quand son attention fut attirée par un tumulte tout à fait insolite qui semblait partir de la cabine. II s'élança par la trappe aussi vivement que pos- sible, la ferma, et ouvrit la porte de sa chambre. A peine avait-il mis le pied sur le seuil, qu'un coup de pistolet lui partait au visage, et qu'il était terrassé au même instant par un coup d'anspect.
Une main vigoureuse le maintenait couché sur le plan- cher de la chambre et le serrait étroitement à la gorge; cependant il pouvait voir ce qui se passait autour de lui. Son père, lié par les mains et les pieds, était étendu le long des marches du capot d'échelle, la tête en bas, avec une profonde blessure dans le front, d'où le sang coulait incessamment comme un ruisseau. II ne disait pas un mot et avait l'air expirant. Sur lui se penchait le second, le regardant au visage avec une expression de moquerie diabolique, et lui fouillant tranquillement les poches, d'où
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il tirait en ce moment même un gros portefeuille et un chronomètre. Sept hommes de l'équipage (dont était le coq, — un nègre) fouillaient dans les cabines de bâbord pour y prendre des armes, et ils furent bien vite tous munis de fusils et de poudre. Sans compter Auguste et le capitaine Barnard, il y avait en tout neuf hommes dans la chambre, — les plus insignes coquins de tout l'équipage. Les bandits montèrent alors sur le pont, emmenant mon ami avec eux, après lui avoir lié les mains derrière le dos. Ils allèrent droit au gaillard d'avant, qui était fermé, — deux des mutins se tenant à côté avec des haches, — deux autres auprès du grand panneau. Le second cria à haute voix :
— Entendez-vous, vous autres, en bas? allons, haut sur le pont! — un à un, entendez-vous bien! — et qu'on ne bougonne pas!
II s'écoula quelques minutes avant qu'un seul osât se mon- trer; à la fin, un Anglais, qui s'était embarqué comme novice, grimpa en pleurant pitoyablement, et suppliant le second, de la manière la plus humble, de vouloir bien épargner sa vie. La seule réponse à sa prière fut un bon coup de hache sur le front. Le pauvre garçon roula sur le pont sans pous- ser un gémissement, et le coq noir l'enleva dans ses bras, comme il aurait fait d'un enfant, et le lança tranquillement à la mer. Après avoir entendu le coup et la chute du corps, les hommes d'en bas refusèrent absolument de se hasarder sur le pont; promesses et menaces, tout fut inutile; lorsque enfin quelqu'un proposa de les enfumer là-dedans. Ce fut alors un élan général, et l'on put croire un instant que le brick allait être reconquis. A la fin, cependant, les mu- tins parvinrent à refermer solidement le gaillard d'avant, et six de leurs adversaires seulement purent se jeter sur le pont. Ces six, se trouvant en forces si inégales et com-
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plétement privés d'armes, se soumirent après une lutte très-courte. Le second leur donna de belles paroles, — sans aucun doute pour amener ceux d'en bas à se sou- mettre; car ils pouvaient entendre sans peine tout ce qui se disait sur le pont. Le résultat prouva sa sagacité, aussi bien que sa scélératesse diabolique. Tous les hommes em- prisonnés dans le gaillard d'avant manifestèrent alors l'in- tention de se soumettre; et, montant un à un, ils furent garrottés et jetés sur le dos avec les six premiers, — en tout vingt-sept hommes d'équipage qui n'avaient pas pris part à la révolte.
Une épouvantable boucherie s'ensuivit. Les matelots garrottés furent traînés vers le passavant. Là le coq se tenait avec une hache, frappant chaque victime à la tête au mo- ment où les autres bandits la lui poussaient par-dessus le bord. Vingt-deux périrent de cette manière, et Auguste se considérait lui-même comme perdu, se figurant à chaque instant que son tour allait venir. Mais il paraît que les misérables étaient ou trop fatigués ou peut-être un peu dégoûtés de leur sanglante besogne; car les quatre derniers prisonniers, avec mon ami qui avait été jeté sur le pont comme les autres, furent épargnés pour le présent, pendant que le second envoyait en bas chercher du rhum, et toute la bande assassine commença une fête d'ivrognes qui dura jusqu'au coucher du soleil. Ils se mirent alors à se disputer relativement au sort des survivants, qui étaient couchés à quatre pas d'eux tout au plus, et qui ne pouvaient pas perdre un seul mot de la discussion. Sur quelques-uns des mutins la liqueur semblait avoir produit un effet adoucis- sant; car quelques voix s'élevèrent pour relâcher complète- ment les prisonniers, à la condition qu'ils se joindraient à la révolte et qu'ils accepteraient leur part des profits. Cepen- dant le coq nègre (qui, à tous égards, était un parfait
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démon, et qui semblait exercer autant d'influence, si ce n'est plus, que le second lui-même) ne voulait entendre à aucune proposition de cette espèce et se levait à chaque instant pour aller reprendre son office de bourreau au passavant. Très-heureusement il était tellement affaibli par l'ivresse, qu'il put être aisément contenu par les moins sanguinaires de la bande, parmi lesquels était un maître- cordier, connu sous le nom de Dirk Peters. Cet homme était le fils d'une Indienne, de la tribu des Upsarokas, qui occupe les forteresses naturelles des Montagnes Noires, près de la source du Missouri. Son père était un marchand de pelleteries, je crois, ou au moins avait des relations quel- conques avec les stations de commerce des Indiens sur la rivière Lewis. Quant à ce Peters, c'était un des hommes de l'aspect le plus féroce que j'aie jamais vus. II était de petite taille et n'avait pas plus de quatre pieds huit pouces de haut, mais ses membres étaient coulés dans un moule her- culéen. Ses mains surtout étaient si monstrueusement épaisses et larges, qu'elles avaient à peine conservé une forme humaine. Ses bras, comme ses jambes, étaient arqués de la façon la plus singulière et ne semblaient doués d'aucune flexibilité. Sa tête était également difforme, d'une grosseur prodigieuse, avec une dentelure au sommet, comme chez beaucoup de nègres, et entièrement chauve. Pou r déguiser ce dernier défaut, il portait habituellement une perruque faite avec la première fourrure venue, — quel- quefois la peau d'un épagneul ou d'un ours gris d'Amé- rique. A l'époque dont je parle, il portait un lambeau d'une de ces peaux d'ours, et cela ajoutait passablement à la férocité naturelle de sa physionomie, qui avait gardé le type de I'Upsaroka. La bouche s'étendait presque d'une oreille à l'autre; les lèvres étaient minces et semblaient, comme d'autres parties de sa personne, tout à fait dépour-
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vues d'élasticité, de sorte que leur expression dominante n'était jamais altérée par l'influence d'une émotion quel- conque. Cette expression habituelle se devinera, si l'on se figure des dents excessivement longues et proéminentes , que les lèvres ne recouvraient jamais, même partiellement. En ne jetant sur l'homme qu'un coup d'œil négligent, on aurait pu le croire convulsé par le rire; mais un meilleur examen faisait reconnaître en frissonnant que, si cette expression était le symptôme de la gaieté, cette gaieté ne pouvait être que celle d'un démon. Une foule d'anecdotes couraient sur cet être singulier parmi les marins de Nan- tucket. Toutes ces anecdotes tendaient à prouver sa force prodigieuse quand il était en proie à une excitation quel- conque, et quelques-unes faisaient soupçonner que sa raison n'était pas parfaitement saine. Mais à bord du Grampus il était, à ce qu'il paraît, au moment de la révolte, considéré plutôt comme un objet de dérision qu'autrement. Si je me suis un peu étendu sur le compte de Dirk Peters, c'est parce que, malgré toute sa férocité apparente, il devint le principal instrument de salut d'Auguste, et que j'aurai de fréquentes occasions de parler de lui dans le cours de mon récit; — récit qui, dans sa dernière partie, qu'il me soit permis de le dire, contiendra des incidents si com- plètement en dehors du registre de l'expérience humaine, et dépassant naturellement les bornes de la crédulité des hommes, que je ne le continue qu'avec le désespoir de jamais obtenir créance pour tout ce que j'ai à raconter, n'ayant pleine confiance que dans le temps et les progrès de la science pour vérifier quelques-unes de mes plus impor- tantes et improbables assertions.
Après beaucoup d'indécision et deux ou trois querelles violentes, il fut enfin décidé que tous les prisonniers ( à l'ex- ception d'Auguste, que Peters s'obstina, d'une manière
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comique, à vouloir garder comme son secrétaire) seraient abandonnés à la dérive dans une des plus petites balei- nières. Le second descendit dans la chambre pour voir si le capitaine Barnard vivait encore ; — car on se rappelle que , quand les révoltés étaient montés sur le pont, ils l'avaient laissé en bas. Ils reparurent bientôt tous les deux, le capi- taine pâle comme la mort, mais un peu remis des effets de sa blessure. II parla aux hommes d'une voix à peine intel- ligible , les supplia de ne pas l'abandonner à la dérive, mais de rentrer dans le devoir, leur promettant de les débarquer n'importe où ils voudraient, et de ne faire aucune démarche pour les livrer à la justice. II aurait aussi bien fait de parle- menter avec le vent. Deux des gredins l'empoignèrent par les bras et le jetèrent par-dessus le bord dans l'embar- cation, qui avait été amenée pendant que le second des- cendait dans la chambre. Les quatre hommes qui étaient couchés sur le pont furent alors débarrassés de leurs liens et reçurent l'ordre de descendre, ce qu'ils firent sans essayer la moindre résistance, — Auguste restant toujours dans sa douloureuse position, bien qu'il s'agitât et implorât la pauvre consolation de faire à son père ses derniers adieux. Une poignée de biscuits et une cruche d'eau furent alors passées aux malheureux, — mais point de mât, point de voile, point d'avirons, point de boussole. Puis l'embarcation fut remorquée à l'arrière pour quelques minutes, pendant lesquelles les révoltés tin- rent de nouveau conseil; — enfin ils lâchèrent le canot à la dérive. Pendant ce temps, la nuit était venue, — on ne voyait ni lune ni étoiles, — et la mer devenait courte et mauvaise, bien qu'il n'y eût pas une forte brise. Le canot se trouva tout de suite hors de vue, et il ne fallut conserver que bien peu d'espoir pour les infortunés qu'il portait. Cet événement, toutefois, se passait au 350 30' de latitude nord
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et 6i° 20' de longitude ouest, conséquemment à une dis- tance assez médiocre des Bermudes. Auguste s'efforça donc de se consoler en pensant que le canot réussirait peut-être à atteindre la terre, ou qu'il s'en rapprocherait suffisam- ment pour rencontrer quelqu'un des bâtiments de la côte. On mit alors toutes voiles dehors, et le brick continua sa route vers le sud-ouest, — les mutins ayant en vue quelque expédition de piraterie; il s'agissait, autant qu'Au- guste avait pu comprendre, de surprendre et d'arrêter un navire qui devait faire route des îles du cap Vert à Porto- Rico. On ne fit aucune attention à Auguste, qui fut délié et put aller librement partout en avant de l'échelle de la cabine. Dirk Peters le traita avec une certaine bonté, et dans une circonstance il le sauva de la brutalité du coq. Sa position était toujours des plus tristes et des plus difficiles , car les hommes étaient continuellement ivres, et il ne fallait pas faire grand fonds sur leur bonne humeur pré- sente et leur insouciance relativement à lui. Cependant, il me parla de son inquiétude à mon égard comme du résultat le plus douloureux de sa situation , et je n'avais vraiment aucune raison de douter de la sincérité de son amitié. Plus d'une fois il avait résolu de révéler aux mutins le secret de ma présence à bord ; mais il avait été retenu en partie par le souvenir des atrocités dont il avait été témoin, et en partie par l'espérance de pouvoir bientôt me porter secours. Pour y arriver, il était constamment aux aguets; mais, en dépit de la plus opiniâtre vigilance, trois jours s'écoulèrent, depuis qu'on avait abandonné le canot à la dérive, avant qu'une bonne chance se présentât. Enfin, le soir du troisième jour, un fort grain arriva de l'est et tous les hommes furent occupés à serrer la toile. Grâce à la confu- sion qui s'ensuivit, il put descendre sans être vu et entrer dans sa chambre. Quels furent son chagrin et son effroi en
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découvrant qu'on en avait fait un lieu de dépôt pour des provisions et une partie du matériel de bord, et que plu- sieurs brasses de vieilles chaînes, qui étaient primitivement arrimées sous l'échelle de la chambre, en avaient été retirées pour faire place à une caisse, et se trouvaient maintenant juste sur la trappe ! Les retirer sans être découvert était chose impossible; il était donc remonté sur le pont aussi vite qu'il avait pu. Comme il arrivait, le second le saisit à la gorge , lui demanda ce qu'il était allé faire dans la cabine , et il était au moment de le jeter par-dessus le mur de bâbord, quand Dirk Peters intervint, qui lui sauva encore une fois la vie. On lui mit alors les menottes (il y en avait plusieurs paires à bord), et on lui attacha étroitement les pieds. Puis on le porta dans la chambre de l'équipage et on le jeta dans un des cadres inférieurs tout contre la cloi- son étanche du gaillard d'avant, en lui affirmant qu'il ne remettrait les pieds sur le pont que quand le brich ne serait plus un brich. Telle fut l'expression du coq , qui le jeta dans le cadre; — quel sens précis il attachait à cette phrase, il est impossible de le dire. Cependant l'aventure avait fina- lement tourné à mon avantage et à mon soulagement, comme on le verra tout à l'heure.
V
LA LETTRE DE SANG.
Après que le coq eut quitté le gaillard d'avant. Auguste s'abandonna pendant quelques minutes au désespoir, ne croyant pas sortir jamais vivant de son cadre. II prit alors le parti d'informer de ma situation le premier homme qui
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descendrait, pensant qu'il valait mieux me laisser courir la chance de me tirer d'affaire avec les révoltés que de mourir de soif dans la cale; — car il y avait dix jours maintenant que j'y étais emprisonné, et ma cruche d'eau ne représentait pas une provision bien abondante, même pour qrîatrfc jours. Comme il réfléchissait à cela, l'idée lui vint tout à coup qu'il pourrait peut-être bien communiquer avec moi par la grande cale. Dans toute autre circonstance, la difficulté et les hasards de l'entreprise l'auraient em- pêché de la tenter; mais actuellement il n'avait, en somme, que peu d'espérance de vivre et conséquemment peu de chose à perdre; — il appliqua donc tout son esprit à cette nouvelle tentative.
Ses menottes étaient la première question à résoudre. D'abord il ne découvrit aucun moyen de s'en débarrasser et craignit de se trouver ainsi arrêté dès le début; mais, à un examen plus attentif, il découvrit qu'il pouvait simple- ment, en comprimant ses mains, les faire glisser à son gré hors des fers, sans trop d'effort ni d'inconvénient, — cette espèce de menottes étant tout à fait insuffisante pour gar- rotter les membres d'un tout jeune homme, dont les os plus menus cèdent facilement à la pression. II délia alors ses pieds, et, laissant la corde de telle façon qu'il pût la rajuster aisément, au cas où un homme descendrait, il se mit à examiner la cloison dans l'endroit où elle confinait au cadre. La séparation était formée d'une planche de sapin tendre, et il vit qu'il n'aurait pas grand mal à se frayer un chemin au travers. Une voix se fit alors entendre en haut de l'échelle du gaillard d'avant; il n'eut que tout juste le temps de fourrer sa main droite dans sa menotte ( la gauche n'était pas encore débarrassée de la sienne), et de serrer la corde en un nœud coulant autour de sa cheville; c'était Dirk Peters qui descendait, suivi de Tigre qui sauta im-
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médiatement dans le cadre et s'y coucha. Le chien avait été mené à bord par Auguste, qui connaissait mon attache- ment pour l'animal, et qui avait pensé qu'il me serait agréable de l'avoir auprès de moi tout le temps du voyage. II était venu le chercher à la maison de mon père immé- diatement après m'avoir conduit dans la cale, mais il n'avait pas pensé à me faire part de cette circonstance en m'apportant la montre. ^
Depuis la révolte, Auguste le voyait pour la première fois, faisant son apparition avec Dirk Peters, et il croyait l'animal perdu, supposant qu'il avait été jeté par-dessus bord par un des méchants drôles qui faisaient partie de la bande du second. II se trouva qu'il s'était traîné dans un trou sous une baleinière, d'où il ne pouvait plus se dégager, n'ayant pas suffisamment de place pour se retourner. Enfin Peters le délivra, et, avec une espèce de bon sentiment que mon ami sut apprécier, il le lui amenait dans le gaillard d'avant pour lui tenir compagnie, lui laissant en même temps une petite réserve de viande salée et des pommes de terre, avec un pot d'eau; puis il remonta sur le pont, pro- mettant de descendre encore le lendemain, avec quelque chose à manger.
Quand il fut parti, Auguste délivra ses deux mains de ses menottes et délia ses pieds; puis il rabattit le haut du matelas sur lequel il était couché, et, avec son canif (car les brigands avaient jugé superflu de le fouiller), il com- mença à entamer vigoureusement l'une des planches de la cloison, aussi près que possible du plancher qui faisait le fond du cadre. Ce fut l'endroit qu'il choisit, parce que, s'il se trouvait soudainement interrompu, il pouvait cacher la besogne commencée en laissant simplement retomber le haut du matelas à sa place ordinaire. Mais, pendant tout le reste du jour, il ne fut pas dérangé, et, à la
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nuit, il avait complètement coupé la planche. II faut remarquer qu'aucun des hommes de l'équipage ne se servait du gaillard d'avant comme de lieu de repos, et que, depuis la révolte, ils vivaient complètement dans la chambre de l'arrière, buvant les vins, festoyant avec les provisions du capitaine Barnard, et ne donnant à la manœuvre du bâtiment que l'attention strictement nécessaire.
Ces circonstances tournèrent à l'avantage d'Auguste et au mien ; car autrement il lui eût été impossible d'arriver jusqu'à moi. Dans cette conjoncture, il poursuivit son projet avec confiance. Cependant, le point du jour arriva qu'il n'avait pas encore achevé la seconde partie de son travail, c'est-à-dire la fente à un pied environ au-dessus de la première; car il s'agissait de faire une ouverture suffi- sante pour lui livrer un passage facile vers le faux pont. Une fois arrivé là, il parvint sans trop de peine à la grande écoutille inférieure, bien que dans cette opération il lui fallût grimper par-dessus des rangées de barriques d'huile empilées presque jusqu'au second pont, et lui laissant à peine un passage libre pour son corps. Quand il eut atteint I'écoutille, il s'aperçut que Tigre l'avait suivi en se faufilant entre deux rangées de barriques. Mais il était alors trop tard pour espérer d'arriver jusqu'à moi avant le jour, la principale difficulté consistant à passer à travers tout l'arri- mage dans la seconde cale.
II résolut donc de remonter et d'attendre jusqu'à la nuit. Dans ce but, il commença à lever I'écoutille; c'était autant de temps économisé pour le moment où il devait revenir. Mais à peine I'eut-il levée que Tigre bondit sur l'entre- bâillement, flaira avec impatience pendant un instant, et puis poussa un long gémissement, tout en grattant avec ses pattes, comme s'il voulait arracher la trappe. II était évident, d'après sa conduite, qu'il avait conscience de ma
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présence dans la cale, et Auguste pensa que la bête pour- rait bien venir jusqu'à moi, s'il la laissait descendre. II s'avisa alors de l'expédient du billet; car il était avant tout à désirer que je ne fisse aucune tentative pour sortir de ma cachette, au moins dans les circonstances présentes, et, en somme, il n'avait aucune certitude de pouvoir me venir trouver le matin suivant, comme il en avait l'intention. Les événements qui suivirent prouvèrent combien était heureuse l'idée qui lui vint alors; car si je n'avais pas reçu le billet, je me serais indubitablement arrêté à quelque plan désespéré pour donner l'alarme à l'équipage, et la conséquence très probable eût été l'immolation de nos deux existences.
Ayant donc résolu d'écrire, la difficulté maintenant était de se procurerles moyens de le faire. Un vieux cure-dents fut bientôt transformé en plume; encore fit-il l'opération au juger, par sentiment; car l'entre-pont était aussi noir que de la poix. Le feuillet extérieur d'une lettre lui fournit suf- fisamment de papier; — c'était un double de la fausse lettre fabriquée pour M. Ross. C'en était la première ébauche; mais Auguste, ne trouvant pas l'écriture convenablement imitée, en avait écrit une autre, et, par grand bonheur, avait fourré la première dans la poche de son habit, où il venait de la retrouver très à propos. II ne manquait plus que de l'encre, et il en trouva immédiatement l'équivalent dans une légère incision qu'il se fit avec son canif au bout du doigt, juste au-dessus de l'ongle; — il en jaillit un jet de sang très-suffisant, comme de toutes les blessures faites en cet endroit. II écrivit alors le billet aussi lisiblement qu'il le pouvait dans les ténèbres et dans une pareille circon- stance. Cette note m'expliquait brièvement qu'une révolte avait eu lieu : que le capitaine Barnard avait été abandonne au large, que je pouvais compter sur un secours immédiat
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quant aux provisions, mais que je ne devais pas me hasar- der à donner signe de vie. La missive concluait par ces mots : Je griffonne ceci avec du sang; — restez caché; — votre vie en dépend.
La bande de papier une fois attachée au chien, celui-ci avait été lâché à travers I'écoutille, et Auguste était retourné comme il avait pu vers le gaillard d'avant, où il n'avait trouvé aucun indice que quelqu'un de l'équipage fût venu pendant son absence. Pour cacher le trou dans la cloison , il planta son couteau juste au-dessus et y suspendit une grosse vareuse qu'il avait trouvée dans le cadre. II remit alors ses menottes et rajusta la corde autour de ses che- villes.
Ces dispositions étaient à peine terminées, que Dirk Peters descendit, très-ivre, mais de très-bonne humeur, et apportant à mon ami sa pitance pour la journée. Elle con- sistait en une douzaine de grosses pommes de terre d'Ir- lande grillées et une cruche d'eau. II s'assit pendant quelque temps sur une malle, à côté du cadre, et se mit à parler librement du second et à jaser sur toutes les affaires du bord. Ses manières étaient extrêmement capricieuses et même grotesques. A un certain moment, Auguste se sentit très-alarmé par sa conduite bizarre. A la fin, toute- fois, il remonta sur le pont en marmottant quelque chose comme une promesse d'apporter le lendemain un bon dîner à son prisonnier.
Pendant la journée, deux hommes de l'équipage, — des harponneurs, — descendirent accompagnés du coq, tous les trois à peu près dans le dernier état d'ivresse. Comme Peters , ils ne se firent aucun scrupule de parler de leurs projets, sans aucune réticence. II paraît qu'ils étaient tous très-divisés d'avis relativement au but final du voyage, et qu'ils ne s'accordaient en aucun point, excepté sur l'attaque
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projetée contre le navire qui arrivait des îles du Cap-Vert et qu'ils s'attendaient à rencontrer d'un moment à l'autre. Autant qu'il en put juger, la révolte n'avait pas été amenée uniquement par l'amour du butin ; une pique particulière du second contre le capitaine Barnard en avait été l'origine principale. II paraissait qu'il y avait maintenant à bord deux partis bien tranchés, — l'un présidé par le second, l'autre mené par le coq. Le premier parti voulait s'emparer du premier navire passable dont on ferait rencontre et l'équiper dans quelqu'une des Antilles pour faire une croi- sière de pirates. La deuxième faction, qui était la plus forte et comprenait Dirk Peters parmi ses partisans, inclinait à suivre la route primitivement assignée au brick vers l'océan Pacifique du Sud, et là, soit à pêcher la baleine, soit à agir autrement, suivant que les circonstances le commande- raient.
Les représentations de Peters, qui avait fréquemment visité ces parages , avaient apparemment une grande valeur auprès de ces mutins, oscillant et hésitant entre plusieurs idées mal conçues de profit et de plaisir. II insistait sur tout un monde de nouveauté et d'amusement qu'on devait trouver dans les innombrables îles du Pacifique, sur la par- faite sécurité et l'absolue liberté dont on jouirait là-bas, mais plus particulièrement encore sur les délices du climat, sur les ressources abondantes pour bien vivre et sur la voluptueuse beauté des femmes. Jusqu'alors, rien n'avait encore été absolument décidé; mais les peintures du maître cordier métis mordaient fortement sur les imaginations ardentes des matelots, et toutes les probabilités étaient pour la mise à exécution de son plan.
Les trois hommes s'en allèrent au bout d'une heure à peu près, et personne n'entra dans le gaillard d'avant de toute la journée. Auguste se tint coi jusqu'aux approches
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de la nuit. Alors il se débarrassa de ses fers et de sa corde , et se prépara à sa nouvelle tentative. II trouva une bouteille dans l'un des cadres et la remplit avec l'eau de la cruche laissée par Peters, puis il fourra dans ses poches des pommes de terre froides. A sa grande joie, il fit aussi la découverte d'une lanterne, où se trouvait un petit bout de chandelle. II pouvait l'allumer quand bo lui semblerait, ayant en sa possession une boîte d'allumettes phospho- riques.
Quand la nuit fut tout à fait venue, il se glissa par le trou de la cloison, ayant pris la précaution d'arranger les couvertures de manière à simuler un homme couché. Quand il eut passé, il suspendit de nouveau la vareuse à son couteau pour cacher l'ouverture, — manœuvre qu'il exécuta facilement, n'ayant rajusté le morceau de planche qu'après. II se trouva alors dans le faux pont et continua sa route, comme il avait déjà fait, entre le second pont et les barriques d'huile, jusqu'à la grande écoutille. Une fois arrivé là, il alluma son bout de chandelle et descendit à tâtons et avec la plus grande difficulté, à travers l'arrimage compact de la cale. Au bout de quelques instants, il fut très-alarmé de l'épaisseur de l'atmosphère et de son intolé- rable puanteur. II ne croyait pas possible que j'eusse sur- vécu à un si long emprisonnement, contraint de respirer un air aussi étouffant. II m'appela par mon nom à différentes reprises; mais je ne fis aucune réponse, et ses appréhen- sions lui semblèrent ainsi confirmées. Le brick roulait furieusement, et il y avait conséquemment un tel vacarme, qu'il était bien inutile de prêter l'oreille à un bruit aussi faible que celui de ma respiration ou de mon ronflement. II ouvrit la lanterne, et la tint aussi haut que possible à chaque fois qu'il trouva la place suffisante, dans le but de m'envoyer un peu de lumière et de me faire comprendre,
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si toutefois je vivais encore, que le secours approchait. Cependant aucun bruit ne lui venait de moi, et la suppo- sition de ma mort commençait à prendre le caractère d'une certitude. II résolut cependant de se frayer, s'il était pos- sible, un passage jusqu'à ma caisse, pour au moins vérifier d'une manière complète ses terribles craintes. II poussa quelque temps en avant dans un déplorable état d'anxiété, lorsque enfin il trouva le chemin complètement barricadé, et il n'y eut plus moyen pour lui de faire un pas dans la route où il s'était engagé. Vaincu alors par ses sensations, il se jeta de désespoir sur un amas confus d'objets et se mit à pleurer comme un enfant. Ce fut dans cet instant qu'il entendit le fracas de la bouteille que j'avais jetée à mes pieds. Mille fois heureux, en vérité, fut cet incident, — car c'est à cet incident, si trivial qu'il paraisse, qu'était attaché le fil de ma destinée. Plusieurs années se sont écoulées, cependant, avant que j'aie eu connaissance du fait. Une honte naturelle et un remords de sa faiblesse et de son indécision empêchèrent Auguste de m'avouer tout de suite ce qu'une intimité plus profonde et sans réserve lui permit plus tard de me révéler. En trouvant sa route à travers la cale empêchée par des obstacles dont il ne pou- vait pas triompher, il avait pris le parti de renoncer à son entreprise et de remonter décidément sur le gaillard d'avant. Avant de le condamner entièrement sur ce cha- pitre, les circonstances accablantes qui l'entouraient doi- vent être prises en considération. La nuit avançait rapide- ment, et son absence du gaillard d'avant pouvait être découverte; et cela devait nécessairement arriver s'il man- quait à retourner à son cadre avant le point du jour. Sa chandelle allait bientôt mourir dans I'emboîture, et il aurait eu la plus grande peine dans les ténèbres à retrouver son chemin vers l'écoutille. On accordera aussi qu'il avait
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toutes les raisons possibles de me croire mort, auquel cas il n'y avait aucun profit pour moi à ce qu'il atteignît ma caisse, et il y avait pour lui une foule de dangers à affronter très-inutilement. II m'avait appelé à plusieurs reprises, et je n'avais fait aucune réponse. J'étais resté onze jours et onze nuits sans autre eau que celle contenue dans la cruche qu'il m'avait laissée, — provision que très-probablement je n'avais pas dû beaucoup ménager au commencement de ma réclusion, quand j'avais tout lieu d'espérer un prompt élargissement. L'atmosphère de la cale devait lui paraître aussi, à lui sortant de l'air comparativement pur du gail- lard d'avant, d'une nature absolument empoisonnée, et bien autrement intolérable qu'elle ne m'avait semblé à moi-même lorsque j'avais pris pour la première fois pos- session de ma caisse, — les écoutilles étant restées constam- ment ouvertes depuis plusieurs mois. Ajoutez à ces consi- dérations cette scène d'horreur, cette effusion de sang, dont mon camarade avait été tout récemment témoin ; sa réclu- sion, ses privations, cette mort toujours suspendue, qu'il avait souvent vue de si près; sa vie qu'il ne devait qu'à une espèce de pacte aussi fragile qu'équivoque, circonstances toutes si bien faites pour abattre toute énergie morale , — et vous serez facilement amené, comme je le fus moi- même, à considérer son apparente défaillance dans l'amitié et la fidélité avec |un sentiment plutôt de tristesse que d'in- dignation.
Le bris de la bouteille avait été entendu par Auguste, mais il n'était pas sûr que ce bruit provînt de la cale. Le doute cependant était un encouragement suffisant pour persévérer. II grimpa presque jusqu'au faux pont au moyen de l'arrimage, et alors, profitant d'un temps d'arrêt dans le roulis furieux du navire, il m'appela de toute la force de sa voix, sans se soucier pour l'instant du danger d'être
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entendu de l'équipage. On se rappelle qu'en ce moment sa voix était arrivée jusqu'à moi, mais que j'étais dominé par une si violente agitation que je me sentis incapable de répondre. Persuadé alors que sa terrible crainte n'était que trop fondée, il descendit dans le but de retourner au gail- lard d'avant sans perdre de temps. Dans sa précipitation, il culbuta avec lui quelques petites caisses, dont le bruit, on se le rappelle, parvint à mon oreille. II avait déjà fait passablement de chemin pour s'en retourner, quand la chute de mon couteau le fit hésiter de nouveau. II revint immédiatement sur ses pas, et, grimpant une seconde fois par-dessus l'arrimage, il cria mon nom aussi haut qu'il avait déjà fait, en profitant d'une accalmie. Cette fois-ci, la voix m'était enfin revenue. Transporté de joie de voir que j'étais encore vivant, il résolut de braver toutes les difficultés et tous les dangers pour m'atteindre. Se dégageant aussi vite que possible de l'affreux labyrinthe dont il était enve- loppé, il tomba enfin sur une espèce de débouché qui promettait mieux, et finalement, après des efforts multi- pliés, il était arrivé à ma caisse dans un état de complet épuisement.
VI
LUEUR D'ESPOIR.
Tant que nous restâmes auprès de la caisse, Auguste ne me communiqua que les principales circonstances de ce récit. Ce ne fut que plus tard-qu'il entra pleinement dans tous les détails. II tremblait qu'on ne se fût aperçu de son absence, et j'éprouvais une ardente impatience de quitter mon infâme prison. Nous résolûmes de nous diriger tout
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de suite vers le trou de la cloison, près duquel je devais rester pour le présent, pendant qu'il irait en reconnais- sance. Abandonner Tigre dans la caisse était une pensée que nous ne pouvions supporter ni l'un ni l'autre. Cepen- dant, pouvions-nous agir autrement? Là était la question. Celui-ci semblait maintenant parfaitement calme, et, en appliquant notre oreille tout contre la caisse, nous ne pouvions même pas distinguer le bruit de sa respiration. J'étais convaincu qu'il était mort, et je me décidai à ouvrir la porte. Nous le trouvâmes couché tout de son long, comme plongé dans une profonde torpeur, mais vivant encore. Nous n'avions certainement pas de temps à perdre, et cependant je ne pouvais pas me résigner à abandonner, sans faire un effort pour le sauver, un animal qui avait été deux fois l'instrument de mon salut. Avec une fatigue et une peine inouïes nous le traînâmes donc avec nous ; Au- guste étant contraint, la plupart du temps, de grimper par-dessus les obstacles qui obstruaient notre voie avec l'énorme chien dans ses bras, — trait de force et d'adresse dont mon affreux épuisement m'aurait rendu complète- ment incapable. Nous réussîmes enfin à atteindre le trou, à travers lequel Auguste passa le premier; puis Tigre fut poussé dans le gaillard d'avant. Tout était pour le mieux , nous étions sains et saufs et nous ne manquâmes pas d'adresser à Dieu des grâces sincères pour nous avoir si merveilleusement tirés d'un imminent danger. Pour le pré- sent il fut décidé que je resterais près de l'ouverture, à tra- vers laquelle mon camarade pourrait aisément me faire passer une partie de sa provision journalière, et où j'aurais l'avantage de respirer une atmosphère plus pure, je veux dire relativement pure.
Pour l'éclaircissement de quelques parties de ce récit, où j'ai tant parlé de l'arrimage du brick, et qui peuvent
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paraître obscures à quelques-uns de mes lecteurs qui ont peut-être vu un arrimage régulier et bien fait, je dois éta- blir ici que la manière dont cette très-importante besogne avait été faite à bord du Grampus était un honteux exemple de négligence de la part du capitaine Barnard, qui n'était pas un marin aussi soigneux et aussi expérimenté que l'exigeait impérieusement la nature hasardeuse du service dont il était chargé. Un véritable arrimage doit être fait avec la méthode la plus soignée, et les plus désastreux accidents, à ma propre connaissance, sont souvent venus de l'incurie ou de l'ignorance dans cette partie du métier. Les bâtiments coders, dans la confusion et le mouvement qui accompagnent le chargement ou le déchargement d'une cargaison, sont les plus exposés à mal par manque d'atten- tion dans l'arrimage. Le grand point est de ne pas laisser au lest ou à la cargaison la possibilité de bouger, même dans les plus violents coups de roulis. A cette fin, on doit faire attention non -seulement au chargement en lui- même, mais aussi à la nature du chargement, et si c'est une cargaison complète ou seulement partielle.
Pour la plupart des frets, l'arrimage se prépare au moyen d'un cric à main. Ainsi, s'il s'agit d'une charge de tabac ou de farine, le tout est pressuré si étroitement dans la cale du navire que les barils ou les pièces, quand on les décharge, se trouvent complètement aplatis et sont quelque temps sans reprendre leur forme première. On a recours à cette méthode principalement pour obtenir plus de place dans la cale; car avec une charge complète de marchandises telles que le tabac et la farine, il ne peut pas y avoir de jeu ; il n'y a aucun danger que les pièces bou- gent, ou du moins il n'en peut résulter aucun inconvé- nient grave. II y a eu, à la vérité, des cas où ce procédé de pressurage au cric a amené les plus déplorables consé-
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quences, résultant d'une cause tout à fait distincte du danger des déplacements dans la cargaison. II est connu, par exemple, qu'une charge de coton, serrée et pressurée dans de certaines conditions, peut, par l'expansion de son volume, opérer des fissures dans un navire et occasionner des voies d'eau. Indubitablement, le même résultat aurait lieu dans le cas du tabac lorsqu'il subit sa fermentation ordinaire, sans les interstices qui se forment naturelle- ment sur la partie arrondie des pièces.
C'est quand on embarque une portion de cargaison que le danger du mouvement est particulièrement à craindre, et qu'il faut prendre toutes les précautions pour se garder d'un tel malheur. Ceux-là seulement qui ont essuyé un violent coup de vent, ou, mieux encore, ceux qui ont subi le roulis d'un navire, quand un calme soudain succède à la tempête, peuvent se faire une idée de la force effroyable des secousses. C'est alors que la nécessité d'un arrimage soigné, dans une cargaison partielle, devient manifeste. Quand un navire est à la cape (surtout avec une petite voile d'avant), si son avant n'est pas parfaitement con- struit, il est fréquemment jeté sur le côté; ceci peut arri- ver toutes les quinze ou vingt minutes, en moyenne, sans qu'il en résulte des conséquences bien sérieuses pourvu que l'arrimage soit convenablement jait. Mais , si on n'y a pas apporté un soin particulier, à la première de ces énormes embardées, toute la cargaison croule du côté du navire qui est appuyé sur l'eau, et, ne pouvant retrouver son équilibre, comme il ferait nécessairement sans cet acci- dent, il est sûr de faire eau en quelques secondes et de sombrer. On peut, sans exagération, affirmer que la moitié des cas où\ des navires ont coulé bas par de gros temps, peut être attribuée à un dérangement dans la car- gaison ou dans le lest.
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Quand on charge à bord une portion de cargaison de n'importe quelle espèce, le tout, après avoir été arrimé d'une manière aussi compacte que possible, doit être recouvert d'une couche de planches mobiles, s'étendant dans toute la largeur du navire. Sur ces planches il faut dresser de forts étançons provisoires, montant jusqu'à la charpente du pont, qui assujettissent ainsi chaque chose en sa place. Dans les chargements de grains ou de toute autre denrée analogue, il est nécessaire de prendre encore d'autres précautions. Une cale, entièrement pleine de grains en quittant le port, ne se trouvera plus qu'aux trois quarts pleine en arrivant à destination, — et cela, bien que le fret, mesuré boisseau par boisseau par le cosi- gnataire, dépasse considérablement (en raison du gonfle- ment du grain) la quantité consignée. Cela résulte du tassement pendant le voyage, — et ce tassement est en raison du plus ou moins de gros temps que le navire peut avoir à subir. Si le grain a été chargé d'une manière lâche, si bien assujetti qu'il soit par les planches mobiles et les étançons, il sera sujet à se déplacer si considérable- ment dans une longue traversée qu'il en peut résulter les plus tristes malheurs. Pour les prévenir, il faudra, avant de quitter le port, employer tous les moyens pour tasser la cargaison aussi bien que possible; il y a pour cela plu- sieurs procédés, parmi lesquels on peut citer l'usage d'en- foncer des coins dans ïe grain. Même après que tout cela sera fait et qu'on aura pris des peines infinies pour assu- jettir les planches mobiles, tout marin qui sait son affaire ne se sentira pas du tout rassuré, s'il survient un coup de vent un peu fort, ayant à son bord un chargement de grains, ou, pis encore, un chargement incomplet. Cepen- dant nous avons des centaines de caboteurs, et il y en a encore plus des différents ports d'Europe, qui naviguent
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journellement avec des cargaisons partielles, et même de la plus dangereuse nature, sans prendre aucune espèce de précautions. C'est miracle que les accidents ne soient pas plus fréquents. Un exemple déplorable de cette insou- ciance, parvenu à ma connaissance, est celui du capitaine Joël Rice, commandant la goélette le Fire-Fly, qui faisait route de Richmond (Virginie) à Madère, avec une car- gaison de céréales, en l'année 182^. Le capitaine avait fait nombre de voyages sans accident sérieux, bien qu'il eût pour habitude de ne donner aucune attention à son arri- mage , si ce n'est de l'assujettir selon la méthode ordinaire. II n'avait jamais fait de traversée avec un chargement de grains, et, en cette occasion, le blé avait été chargé à bord d'une manière assez lâche et ne remplissait guère plus de la moitié du bâtiment. Pendant la première partie de son voyage, il ne rencontra que de petites brises; mais, arrivé à une distance d'une journée de route de Madère, il fut assailli par un fort coup de vent du nord-nord-est qui le força à mettre à la cape. II amena la goélette au vent sous une simple misaine, avec deux ris, et le navire se com- porta aussi bien qu'on pouvait le désirer, n'embarquant pas une goutte d'eau. Vers la nuit, la tempête se calma un peu, et la goélette commença à rouler avec moins de régularité, se comportant toujours bien, toutefois, quand tout à coup un violent coup de mer la jeta sur le côté de tribord. On entendit alors tout le chargement de blé se déplacer en masse; l'énergie de la secousse fut telle, qu'elle fit sauter la grande écoutille. Le navire coula comme une balle de plomb. Cela arriva à portée de voix d'un petit sloop de Madère, qui repêcha un des hommes de l'équi- page (le seul qui fut sauvé), et qui avait l'air de jouer avec la tempête aussi aisément qu'aurait pu le faire une embarcation habilement manœuvrée.
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L'arrimage à bord du Grampus était très-grossièrement fait, si toutefois on peut appeler arrimage quelque chose qui n'était guère qu'un amas confus, un pêle-mêle de bar- riques d'huile l1) et de matériel de bord. J'ai déjà parlé de fa disposition des articles dans la cale. Dans le faux-pont, il y avait, comme je l'ai déjà dit, assez de place pour mon corps entre le second pont et les barriques d'huile; un espace était resté vide autour de la grande écoutille, et l'on avait aussi laissé vides plusieurs places assez considé- rables à travers l'arrimage. Près de l'ouverture pratiquée par Auguste dans la cloison du gaillard d'avant, il y aurait eu assez de place pour une barrique tout entière, et c'est dans cet endroit que je me trouvai pour le moment assez commodément installé.
Pendant le temps que mon camarade avait mis à rega- gner son cadre et à rajuster ses menottes et sa corde, le jour avait complètement paru. Vraiment, nous l'avions échappé belle ; car à peine avait-il fini tous ses arrange- ments que le second descendit avec Dirk Peters et le coq. Ils parlèrent quelques minutes du navire faisant voile du cap Vert, et ils semblaient extrêmement impatients de le voir paraître. A la fin, le coq s'avança vers la couchette d'Auguste et s'assit au chevet. Je pouvais tout voir et tout entendre de ma niche, car la planche enlevée n'avait pas été remise à sa place, et je craignais à chaque instant que le nègre ne tombât contre la vareuse suspendue pour cacher l'ouverture, auquel cas tout était découvert, et nous étions tous les deux sacrifiés, indubitablement. Notre bonne étoile cependant l'emporta, et bien qu'il touchât souvent le vêtement dans les coups de roulis, il ne s'y
M Généralement les baleiniers sont fournis de cuves en 1er pour l'huile. Pourquoi le Grampus n'en possédait-il pas , c'est ce cjue je n'ai jamais pu vérifier. — E. A. P.
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appuya jamais assez pour découvrir la chose. Le bas de la vareuse avait été soigneusement fixé à la cloison, de sorte qu'elle ne pouvait pas osciller et révéler ainsi l'existence du trou. Pendant tout ce temps, Tigre était au pied du lit, et semblait avoir recouvré en partie la santé, car je pouvais le voir de temps en temps ouvrir les yeux et tirer longuement sa respiration.
Au bout de quelques minutes, le second et le coq remontèrent, laissant derrière eux Dirk Peters, qui revint aussitôt qu'ils furent partis, et s'assit juste à la place occu- pée tout à l'heure par le second. II commença à causer avec Auguste d'une manière tout à fait amicale, et nous nous aperçûmes alors que son ivresse, — très apparente pen- dant que les deux autres étaient avec lui , — était feinte en grande partie. II répondit à toutes les questions de mon camarade avec une parfaite facilité. II lui dit qu'il ne dou- tait pas que son père eût été recueilli, parce que le jour où on l'avait largué en dérive, juste avant le coucher du soleil, il n'y avait pas moins de cinq voiles en vue ; enfin il se ser- vit d'un langage qu'il essavait de rendre consolateur, et qui ne me causa pas moins de surprise que de plaisir. A dire vrai, je commençais à concevoir l'espérance que Peters pourrait bien nous servir d'instrument pour reprendre possession du brick, et je fis part de cette idée à Auguste aussitôt que j'en trouvai l'occasion. II pensa comme moi que la chose était possible, mais il insista sur la nécessité de s'y prendre avec la plus grande prudence, parce que la conduite du métis ne lui paraissait gouvernée que par le plus arbitraire caprice ; et vraiment il était difficile de devi- ner s'il avait jamais l'esprit bien sain. Peters remonta sur le pont au bout d'une heure à peu près et ne redescendit qu'à midi, apportant alors à Auguste une fort belle por- tion de bœuf salé et de pudding. Quand nous fûmes seuls ,
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j'en pris joyeusement ma part, sans me donner la peine de repasser par le trou. Personne ne descendit dans le gaillard d'avant de toute la journée, et le soir je me mis dans le cadre d'Auguste, où je dormis profondément et délicieusement presque jusqu'au point du jour. II m'éveilla alors brusquement, ayant entendu du mouvement sur le pont, et je regagnai ma cachette aussi vivement que pos- sible. Quand il fit grand jour, nous vîmes que Tigre avait entièrement recouvré ses forces et ne donnait aucun signe d'hydrophobie ; car il but avec une remarquable avi- dité un peu d'eau qu'Auguste lui présenta. Pendant la journée, il reprit toute sa première vigueur et tout son appétit. Son étrange folie avait été causée sans aucun doute par la nature délétère de l'atmosphère de la cale, et n'avait aucun rapport avec la rage canine. Je ne pouvais assez me féliciter de m'être obstiné à le ramener avec moi de la caisse. Nous étions alors au 30 juin, et c'était le treizième jour depuis que le Grampus était parti de Nan- tucket.
Le 2 juillet, le second descendit , ivre selon son habi- tude, et tout à fait de bonne humeur. II vint au cadre d'Auguste, et, lui donnant une tape sur le dos, lui demanda s'il se conduirait bien désormais, au cas où on le relâcherait, et s'il voulait promettre de ne plus retour- ner dans la chambre. Mon ami, naturellement, répondit d'une manière affirmative ; alors le gredin le mit en liberté, après lui avoir fait boire un coup à un flacon de rhum qu'il tira de la poche de son paletot. Ils montèrent ensemble sur le pont, et je ne revis pas Auguste pendant trois heures à peu près. II descendit alors, en m'annon- çant, comme bonnes nouvelles, qu'il avait obtenu la per- mission d'aller partout où il lui plairait sur le brick, en avant du grand mât toutefois, et qu'on lui avait donné
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l'ordre de coucher, comme d'ordinaire, dans le gaillard d'avant. II m'apportait aussi un bon dîner et une bonne provision d'eau. Le brick croisait toujours pour rencontrer le navire parti du cap Vert, et il y avait maintenant une voile en vue qu'on croyait être le navire en question. Comme les événements des huit jours suivants furent de peu d'importance et n'ont pas de rapport direct avec les principaux incidents de mon récit, je vais les jeter ici sous forme de journal, parce que je ne veux cependant pas les omettre entièrement.
3 juillet. — Auguste me fournit trois couvertures, avec lesquelles je m'arrangeai un lit passable dans ma cachette. Personne ne descendit de la journée, excepté mon cama- rade. Tigre s'installa dans le cadre, juste à coté de l'ouver- ture, et dormit pesamment, comme s'il n'était pas encore tout à fait remis des atteintes de sa maladie. Vers le soir, une brise soudaine surprit le brick, avant qu'on eût le temps de serrer la toile, et le fit presque capoter. Cepen- dant cette bouffée se calma immédiatement, et nous n'at- trapâmes aucune avarie, sauf notre petit hunier qui se déchira par le milieu.
Dirk Peters traita Auguste tout le jour avec une grande bonté, et entra avec lui dans une longue conversation relative à l'océan Pacifique et aux îles qu'il avait visitées dans ces parages. II lui demanda s'il ne lui plairait pas d'entreprendre, avec l'équipage révolté, un voyage de plaisir et d'exploration dans ces régions, et lui dit que malheureusement les hommes inclinaient peu à peu vers les idées du second. Auguste jugea fort à propos de répondre qu'il serait très-heureux de prendre part à l'ex- pédition, qu'il n'y avait d'ailleurs rien de mieux à faire, et que tout était préférable à la vie de pirate.
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4. juillet. — Le navire en vue se trouva être un petit brick venant de Liverpool, et on îe laissa poursuivre sa route sans l'inquiéter. Auguste passa la plus grande partie de son temps sur le pont, dans le but de sur- prendre tous les renseignements possibles sur les inten- tions des révoltés. Ils avaient entre eux de violentes et fréquentes disputes, et au milieu d'une de ces altercations, un nommé Jim Bonner, un harponneur, fut jeté par- dessus bord. Le parti du second gagnait du terrain. Ce Jim Bonner appartenait à la bande du coq, dont Peters était aussi un partisan.
^ juillet. — Presque au point du jour il nous vint de l'ouest une brise carabinée, qui vers midi se changea en tempête, si bien que toute la toile fut réduite à la voile de senau et à la misaine. En serrant le petit hunier, Simms, un des simples matelots, appartenant aussi à la bande du coq, tomba à la mer; il était très-ivre, et il se noya sans qu'on fît le moindre effort pour le sauver. Le nombre total des hommes à bord fut alors réduit à treize, à savoir : Dirk Peters , — Seymour, le coq noir,. . . Jones ,. . . Greely, Hartmann Rogers, et William Allen, tous du parti du coq; le second, dont je n'ai jamais su le nom, Absalon Hicks,... Wilson, John Hunt, et Richard Parker, ceux-ci représentant la bande du second; enfin Auguste et moi.
6 juillet. — La tempête a tenu bon toute la journée , entremêlée de grosses rafales et accompagnée de pluie. Le brick a ramassé pas mal d'eau par ses coutures, et l'une des pompes n'a pas cessé de fonctionner, Auguste pom- pant à son tour comme les autres. Juste à la tombée de la nuit, un grand navire passa tout auprès de nous, qu'on n'aperçut que quand il fut à portée de voix. On supposa
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que ce navire était celui qu'on guettait depuis longtemps. Le second le héla, mais la réponse se perdit dans le mu- gissement de la tempête. A onze heures, nous embar- quâmes par le travers un gros coup de mer, qui emporta une grande partie de la muraille de bâbord et nous fit d'autres légères avaries. Vers le matin, le temps se calma, et, au lever du soleil, il ne ventait presque plus.
7 juillet. — Nous avons eu à supporter toute la journée une houle énorme, et le brick, étant peu chargé, a roulé horriblement, et même plusieurs articles dans la cale se sont détachés, comme je pus l'entendre distinctement de ma cachette. J'ai beaucoup souffert du mal de mer. Peters a eu, ce jour-là, une longue conversation avec Auguste, et il lui a dit que deux hommes de son parti, Greely et Allen, étaient passés du côté du second, déterminés à se faire pirates. II a fait à Auguste plusieurs questions, que celui-ci n'a pas parfaitement comprises. Pendant une par- tie de la soirée , on s'est aperçu que le navire faisait beau- coup plus d'eau, et il n'y avait guère moyen d'y remédier, car il fatiguait horriblement, et c'était par les coutures que l'eau s'introduisait. On a lardé une voile, qui a été fourrée sous l'avant, ce qui nous a été de quelque secours, de sorte qu'on a commencé à maîtriser la voie d'eau.
8 juillet. — Au lever du soleil, une brise s'est élevée de l'est, et le second a fait mettre le cap au sud-ouest pour attraper quelqu'une des Antilles et mettre à exécu- tion son projet de piraterie. Aucune opposition n'est venue de la part de Peters, non plus que du coq, du moins à la connaissance d'Auguste. L'idée de s'emparer du navire parti du cap Vert a été complètement abandonnée. La voie d'eau a été facilement maîtrisée par une seule pompe
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fonctionnant d'heure en heure pendant trois quarts d'heure. On a retiré la voile de dessous l'avant. Hélé deux petites goélettes dans la journée.
9 juillet. — Beau temps. Tous les hommes employés à réparer la muraille. Peters a encore eu une longue con- versation avec Auguste et s'est expliqué un peu plus clai- rement qu'il n'avait fait jusqu'alors. II a dit que rien au monde ne pourrait le contraindre à entrer dans les idées du second, et même il a laissé entrevoir l'intention de lui arracher le commandement du brick. II a demandé à mon ami s'il pouvait compter sur son aide en pareil cas ; à quoi Auguste a répondu : Oui, — sans hésitation. Peters lui a dit alors qu'il sonderait à ce sujet les hommes de son parti, et il l'a quitté. Pendant le reste de la jour- née, Auguste n'a pu trouver l'occasion de lui parler en particulier.
VII
PLAN DE DÉLIVRANCE.
10 juillet. — Hélé un brick venant de Rio, à destination de Norfolk. Temps brumeux avec une légère brise folle de l'est. Ce jour-là Hartman Rogers est mort ; dès le 8 , il avait été pris de spasmes après avoir bu un verre de grog. Cet homme appartenait au parti du coq, et c'en était un sur lequel Peters comptait plus particulièrement. Celui-ci dit à Auguste qu'il croyait que le second l'avait empoisonné, et qu'il craignait fort que son tour ne vînt bientôt, s'il n'avait pas l'œil ouvert. II n'y avait donc plus de son parti que lui-même, Jones et le coq, et de l'autre
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côté ils étaient cinq. II avait parlé à Jones de son projet d'ôter le commandement au second, et l'idée ayant été assez froidement accueillie, il s'était bien gardé d'insister sur la question, ou d'en toucher un seul mot au coq. Bien lui en prit d'avoir été prudent; car, dans l'après- midi, le coq exprima l'intention de se ranger du parti du second, et finalement il tourna de son côté; cependant que Jones saisissait une occasion de chercher querelle à Peters, et lui faisait entendre qu'il informerait le second du plan qui avait été agité. II n'y avait évidemment pas de temps à perdre, et Peters exprima sa résolution de tenter à tout hasard de s'emparer du navire, pourvu qu'Auguste lui prêtât main forte. Mon ami l'assura tout de suite de sa bonne volonté à entrer dans n'importe quel plan conçu dans ce but, et, pensant que l'occasion était favorable, il lui révéla ma présence à bord.
Le métis ne fut pas moins étonné qu'enchanté ; car il ne pouvait plus en aucune façon compter sur Jones, qu'il considérait déjà comme vendu au parti du second. Ils des- cendirent immédiatement; Auguste m'appela par mon nom, et Peters et moi nous eûmes bientôt fait connais- sance. II fut convenu que nous essayerions de reprendre le navire à la première bonne occasion, et que nous écarte- rions complètement Jones de nos conseils. Dans le cas de succès, nous devions faire entrer le brick dans le premier port qui s'offrirait, et là le remettre entre les mains de l'autorité. Peters, par suite de la trahison des siens, se voyait obligé de renoncer à son voyage dans le Pacifique , — expédition qui ne pouvait pas se faire sans un équi- page, — et il comptait soit sur un acquittement pour cause de démence (il nous jura solennellement que la folie seule l'avait poussé à prêter son assistance à la révolte), soit sur un pardon, au cas où il serait déclaré coupable, grâce
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à mon intercession et à celle d'Auguste. Notre délibéra- tion fut interrompue pour le moment par le cri : — Tout le monde à serrer la toile ! — et Peters et Auguste cou- rurent sur le pont.
Comme d'ordinaire, presque tous les hommes étaient ivres, et avant que les voiles fussent proprement serrées, une violente rafale avait couché le brick sur le côté. Cependant, en arrivant, il se redressa, mais il avait em- barqué beaucoup d'eau. A peine tout était-il réparé, qu'un autre coup de temps assaillit le navire, et puis encore un autre immédiatement après, — mais sans avaries. Selon toute apparence, nous allions avoir une tempête; en effet, elle ne se fit pas attendre, et le vent se mit à souffler furieusement du nord et de l'ouest. Tout fut serré aussi bien que possible, et nous mîmes à la cape, comme d'habitude, sous une misaine aux bas ris. Comme la nuit approchait, le vent fraîchit encore davantage, et la mer devint singulièrement grosse. Peters revint alors dans le gaillard d'avant avec Auguste, et nous reprîmes notre délibération.
Nous décidâmes qu'aucune occasion ne pouvait être plus favorable que celle qui se présentait maintenant pour mettre notre dessein à exécution, attendu qu'on ne pouvait pas s'attendre à une tentative de cette espèce dans une pareille conjoncture. Comme le brick était à la cape, presque à sec de toile, il n'y avait aucune raison de ma- nœuvrer jusqu'au retour du beau temps, et si nous réussis- sions dans notre tentative, nous pourrions délivrer un ou peut-être deux des hommes pour nous aider à ramener le navire dans un port. La principale difficulté consistait dans l'inégalité de nos forces. Nous n'étions que trois, et dans la chambre ils étaient neuf. Et puis, toutes les armes du bord étaient en leur possession, à l'exception d'une paire de
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petits pistolets, que Peters avait cachés sur lui, et du grand couteau de marin qu'il portait toujours dans la ceinture de son pantalon. Certains indices d'ailleurs nous donnaient à craindre que le second n'eût des soupçons, au moins à l'égard de Peters, et qu'il n'attendit qu'une occasion pour se débarrasser de lui; — ainsi, par exemple, on ne pouvait trouver aucune hache ni aucun anspect à leur place ordi- naire. II était évident que ce que nous étions résolus à faire ne pouvait se faire trop tôt. Cependant nous étions trop inégaux en forces pour ne pas procéder avec la plus grande précaution.
Peters s'offrit à monter sur le pont, et à entamer une conversation avec l'homme de quart (Allen), jusqu'à ce qu'il pût trouver un bon moment pour le jeter à la mer sans peine et sans faire de tapage ; ensuite Auguste et moi , nous devions monter et tâcher de nous emparer de n'im- porte quelles armes sur le pont; enfin, nous précipiter ensemble et nous assurer du capot d'échelle avant qu'on eût pu opposer la moindre résistance. Je m'opposai à ce plan, parce que je ne croyais pas que le second (qui était un gaillard très-avisé dans toutes les questions qui ne tou- chaient pas à ses préjugés superstitieux) fût homme à se laisser surprendre aussi aisément. Ce simple fait qu'il y avait un homme de quart sur le pont était une preuve suffi- sante que le second était sur le qui-vive; car il n'est pas d'usage, excepté à bord des navires où la discipline est rigoureusement observée, de mettre un homme de quart sur le pont quand un navire est à la cape pendant un coup de vent.
Comme j'écris surtout, sinon spécialement, pour les personnes qui n'ont jamais navigué, je ferai peut-être bien d'expliquer la situation exacte d'un navire dans de pareilles circonstances. Mettre en panne et mettre à la cape sont des
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manœuvres auxquelles on a recours pour différentes rai- sons, et qui s'effectuent de différentes manières. Par un temps maniable, on met fréquemment en panne simple- ment pour arrêter le navire, quand on attend un autre na- vire ou toute autre chose. Si le navire est alors sous toutes voiles, la manœuvre s'accomplit ordinairement en brassant à culer une partie de la voilure, de manière qu'elle soit masquée par le vent; le navire reste alors stationnaire. Mais nous parlons ici d'un navire à la cape pendant une tempête. Cela se fait avec le vent debout, et quand il est trop fort pour qu'on puisse porter de la toile sans danger de cha- virer, et quelquefois même avec une belle brise, quand la mer est trop grosse pour que le navire puisse fuir devant. Quand un navire court devant le vent avec une très-grosse houle, il arrive souvent de fortes avaries par suite des paquets de mer qu'on embarque à l'arrière, et quelquefois aussi par les violents coups de tangage de l'avant. En pareil cas, on n'a guère recours à ce moyen, excepté quand il y a nécessité. Quand un navire fait de l'eau, on le fait courir devant le vent même sur les plus grosses mers, parce que, s'il était à la cape, il fatiguerait trop pour ne pas élargir ses coutures, — tandis qu'en fuyant vent arrière il travaille beaucoup moins. Souvent aussi il y a nécessité de fuir devant le vent, quand la tempête est si effroyable qu'elle emporterait par morceaux fa toile, orientée pour avoir le vent en tête, ou quand, par suite d'une construction vicieuse ou, pour toute autre cause, la manœuvre préfé- rable ne peut pas s'effectuer.
Les navires mettent à la cape pendant la tempête de différentes manières, suivant leur construction particulière. Quelques-uns tiennent fort bien la cape sous une misaine, et c'est, je crois, la voile le plus ordinairement employée. Les grands navires matés à carré ont des voiles exprès, et
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«qui s'appellent voiles d'étai. Mais quelquefois on se sert du foc tout seul, — quelquefois du foc avec la misaine, ou d'une misaine avec deux ris, et souvent aussi des voiles de l'arrière. II peut arriver que les petits huniers rem- plissent mieux le but voulu que toute autre espèce de voile. Le Grampus mettait d'ordinaire à la cape sous une misaine avec deux ris.
Pour mettre à la cape, on amène le navire au plus près, de manière que le vent remplisse la voile, quand elle est bordée, c'est-à-dire quand elle traverse le navire en diago- nale. Cela fait, l'avant se trouve pointé à quelques degrés du point d'où vient le vent, et naturellement reçoit le choc de la houle par le côté du vent. Dans cette situation , un bon navire peut supporter une grande tempête sans em- barquer une goutte d'eau, et sans que les hommes aient besoin de s'en occuper davantage. Ordinairement, on attache la barre; mais cela est tout à fait inutile, car le gouvernail n'a pas d'action sur un navire à la cape, et cela ne se fait qu'à cause du tapage irritant que produit la barre quand elle est libre. On ferait mieux sans doute de la laisser libre que de l'attacher solidement comme on fait, parce que le gouvernail peut être enlevé par de gros coups de mer, si on ne lui laisse pas un jeu suffisant. Aussi long- temps que tient la toile, un navire bien construit peut gar- der sa position et franchir toutes les lames, comme s'il était doué de vie et de raison. Cependant, si la violence du vent déchirait la voile (malheur qui ne se produit généralement que par un véritable ouragan), alors il y aurait danger imminent. Le navire, dans ce cas, abat et tombe sous le vent, et, présentant le travers à la mer, il est complètement à sa merci. La seule ressource, dans ce cas, est de se mettre vivement devant le vent et de fuir vent arrière jusqu'à ce qu'on ait pu tendre une autre voile.
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II y a encore des navires qui mettent à la cape sans aucune espèce de voile; mais ceux-là ont beaucoup à craindre des gros coups de mer.
Mais finissons-en avec cette digression. — Le second n'avait jamais eu pour habitude de laisser en haut un homme de quart quand on mettait à la cape par un gros temps; or, il yen avait un maintenant, et, de plus, cette circonstance des haches et des anspects disparus nous démontrait clairement que l'équipage était trop bien sur ses gardes pour se laisser surprendre par le moyen que nous suggérait Peters. II fallait cependant prendre un parti , et cela, dans le plus bref délai possible; car il était bien cer- tain que Peters, ayant une fois attiré des soupçons, devait être sacrifié à la prochaine occasion. Cette occasion, on la trouverait à coup sûr, ou on la ferait naître à la première embellie.
Auguste suggéra alors que, si Peters pouvait seulement enlever, sous un prétexte quelconque, le paquet de chaînes placé sur la trappe de la cabine, nous réussirions peut-être à tomber sur eux à Pimproviste par le chemin de la cale; mais un peu de réflexion nous convainquit que le navire roulait et tanguait trop fort pour permettre une entreprise de cette nature.
Par grand bonheur, j'eus à la fin l'idée d'opérer sur les terreurs superstitieuses et la conscience coupable du second. On se rappelle qu'un des hommes de l'équipage, Hartman Rogers, était mort dans la matinée, ayant été pris par des convulsions deux jours auparavant, après avoir bu un peu d'eau et d'alcool. Peters nous avait ex- primé l'opinion que cet homme avait été empoisonné par le second, et il avait, disait-il, pour le croire, des raisons incontestables, mais que nous ne pûmes jamais lui arra- cher; ce refus obstiné était d'ailleurs conforme à tous
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égards à son caractère bizarre. Mais, qu'il eût ou qu'il n'eût pas de plus solides motifs que nous-mêmes de soup- çonner le second, nous nous laissâmes facilement persua- der par ses soupçons, et nous résolûmes d'agir en consé- quence.
Rogers était mort vers onze heures du matin, à peu près, dans de violentes convulsions; et son corps offrait, quelques minutes après la mort, un des plus horribles et des plus dégoûtants spectacles dont j'aie gardé le souvenir. L'estomac était démesurément gonflé, comme celui d'un noyé qui est resté sous l'eau pendant plusieurs semaines. Les mains avaient subi la même transformation, et le visage, ridé, ratatiné et d'une blancheur crayeuse, était, en deux ou trois endroits, comme cinglé d'éclaboussures d'un rouge ardent, semblables à celles occasionnées par l'érésipèle. Une de ces taches s'étendait en diagonale à travers la face et recouvrait complètement un œil, comme un bandeau de velours rouge. Dans cet état affreux, le corps avait été remonté de la chambre vers midi pour être jeté par-dessus bord, quand le second, y jetant un coup d'oeil (il le voyait alors pour la première fois), tou- ché peut-être du remords de son crime, ou simplement frappé d'horreur par un si affreux spectacle, ordonna aux hommes de le coudre dans son hamac et de lui octroyer la sépulture ^ordinaire des marins. Après avoir donné ces ordres, il redescendit, comme pour éviter désormais le spectacle de sa victime. Pendant qu'on faisait les prépara- tifs pour lui obéir, la tempête avait augmenté d'une manière furieuse, et, pour le présent, cette besogne fut laissée de coté. Le cadavre, abandonné à lui même, se mit à nager dans les dalots de bâbord, où il était encore au moment dont je parle, se débattant et se secouant à cha- cune des embardées furieuses du brick.
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Ayant arrangé notre plan, nous nous mîmes en devoir de l'exécuter aussi vivement que possible. Peters monta sur le pont, et, comme il l'avait prévu, il rencontra immé- diatement Allen, qui était posté sur le gaillard d'avant plutôt pour faire le guet que pour tout autre motif. Mais le sort de ce misérable fut décidé vivement et silencieuse- ment; car Peters, s'approchant de lui d'un air insouciant, comme pour lui parler, l'empoigna à la gorge, et, avant qu'il eût pu proférer un seul cri, il l'avait lancé par-dessus la muraille. Alors, il nous appela, et nous montâmes. Notre premier soin fut de regarder partout pour décou- vrir des armes quelconques, et, pour ce faire, nous nous avançâmes avec beaucoup de précautions; car il était impossible de se tenir un seul instant sur le pont sans s'accrocher à quelque chose, et de violents coups de mer brisaient sur le navire à chaque plongeon de l'avant. Cependant il était indispensable de procéder vivement dans notre opération; nous nous attendions à chaque in- stant à voir monter le second pour faire pomper, car il était évident que le brick devait faire beaucoup d'eau. Après avoir fureté pendant quelque temps, nous ne trou- vâmes rien de plus propre à notre dessein que les deux bringuebales de pompe, dont Auguste prit l'une, et moi l'autre. Après les avoir cachées, nous dépouillâmes le cadavre de sa chemise, et nous le jetâmes par-dessus bord. Peters et moi, nous redescendîmes, laissant Auguste en sentinelle sur le pont, où il prit justement le poste d'Allen, mais le dos tourné au capot d'échelle de la cabine, afin que, si l'un des hommes du second venait à monter, il supposât que c'était l'homme de quart.
Sitôt que je fus en bas, je commençai à me déguiser de manière à représenter le cadavre de Rogers. La chemise que nous lui avions ôtée devait nous aider beaucoup,
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parce qu'elle était d'un modèle et d'un caractère singulier, et très-aisément reconnaissable, — espèce de blouse que le défunt mettait par-dessus son autre vêtement. C'était un tricot bleu, traversé de larges raies blanches. Après l'avoir endossée, je commençai à m'accoutrer d'un estomac postiche à l'instar de l'horrible difformité du cadavre ballonné. A l'aide de quelques couvertures dont je me rembourrai, cela fut bientôt fait. Je donnai à mes mains une physionomie analogue avec une paire de mitaines de laine blanche que nous remplîmes de tous les chiffons que nous pûmes attraper. Alors, Peters grima mon visage, le frottant d'abord partout avec de la craie blanche, et ensuite l'éclaboussant et le paraphant avec du sang qu'il se tira lui même d'une entaille au bout du doigt. La grande raie rouge à travers l'œil ne fut pas oubliée, et elle était, certes, de l'aspect le plus repoussant.
VIII
LE REVENANT.
Lorsque enfin je me contemplai dans un fragment de miroir qui était pendu dans le poste, à la lueur obscure d'une espèce de fanal de combat, ma physionomie et le ressouvenir de l'épouvantable réalité que je représentais me pénétrèrent d'un vague effroi, si bien que je fus pris d'un violent tremblement, et que je pus à peine rassembler l'énergie nécessaire pour continuer mon rôle. II fallait cependant agir avec décision, et Peters et moi nous mon- tâmes sur le pont.
Là, nous vîmes que tout allait bien pour le moment, et
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suivant de près la muraille du navire, nous nous glissâmes tous les trois jusqu'au capot d'échelle de la chambre. II n'était pas entièrement fermé, et des bûches avaient été placées sur la première marche, précaution qui avait pour but de faire obstacle à la fermeture et d'empêcher que la porte ne fût soudainement poussée du dehors. Nous pûmes sans difficulté apercevoir tout l'intérieur de la chambre à travers les fentes produites par les gonds. II était vraiment bien heureux que nous n'eussions pas essayé de les atta- quer par surprise, car ils étaient évidemment sur leurs gardes. Un seul était endormi et couché juste au pied de l'échelle, avec un fusil à coté de lui. Les autres étaient assis sur quelques matelas qu'ils avaient tirés des cadres et jetés sur le plancher. Ils étaient engagés dans une conversation sérieuse, et bien qu'ils eussent fait carrousse, à en juger par deux cruches vides et quelques gobelets d'étain épar- pillés çà et là, ils n'étaient pas aussi déplorablement ivres que d'habitude. Tous avaient des couteaux, un ou deux avaient des pistolets, et de nombreux fusils étaient dépo- sés dans un cadre à leur portée.
Nous prêtâmes pendant quelque temps l'oreille à leur conversation , avant de nous décider sur ce que nous avions à faire, n'ayant rien résolu jusque-là, si ce n'est que, le moment de l'attaque venu, nous tenterions de paralyser leur résistance par l'apparition du Rogers. Ils étaient en train de discuter leurs plans de piraterie; et tout ce que nous pûmes entendre fut qu'ils devaient se réunir avec l'équipage de la goélette le Hornet, et même commencer, s'il était possible, par s'emparer de la goélette elle-même, comme préparation à une tentative d'une plus vaste échelle; quant aux détails de cette tentative, aucun de nous n'y put rien comprendre.
L'un des hommes parla de Peters; le second lui répon-
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dit à voix basse, et nous ne pûmes rien distinguer; peu après il ajouta, d'un ton plus élevé, «qu'il ne pouvait pas comprendre ce que Peters avait à faire si souvent dans le gaillard d'avant avec le marmot du capitaine, et qu'il fallait que tous les deux filassent par-dessus bord, et que le plus tôt serait le meilleur». A ces mots on ne fit pas de réponse; mais nous pûmes aisément comprendre que l'insinuation avait été bien accueillie par toute la bande, et plus particulièrement par Jones. En ce moment, j'étais excessivement agité, d'autant plus que je voyais qu'Auguste et Peters ne savaient que résoudre. Toutefois, je me décidai à vendre ma vie aussi chèrement que pos- sible et à ne me laisser dominer par aucun sentiment d'effroi.
Le vacarme effroyable produit par le mugissement du vent dans le gréement et par les coups de mer qui balayaient le pont nous empêchaient d'entendre ce qui se disait, excepté durant quelques accalmies momentanées. Ce fut dans un de ces intervalles que nous entendîmes dis- tinctement le second dire à l'un des hommes «d'aller à l'avant et d'ordonner à ces faillis chiens de descendre dans la chambre, parce que là il pourrait au moins avoir l'œil sur eux, et qu'il n'entendait pas qu'il y eût des secrets à bord du brick». Très heureusement pour nous, le tangage du navire était si vif à ce moment-là que l'ordre ne put pas être mis immédiatement à exécution. Le coq se leva de son matelas pour venir nous trouver, quand une embardée, si effroyable que je crus qu'elle allait emporter la mâture, lui fit piquer une tête contre la porte d'une des cabines de bâbord, si bien qu'il l'ouvrit avec son front, ce qui aug- menta encore le désordre. Heureusement, aucun de nous n'avait été culbuté, et nous eûmes le temps de battre pré- cipitamment en retraite vers le gaillard d'avant et d'impro-
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visera la hâte un plan d'action, avant que le messager fît son apparition, ou plutôt qu'il passât la tête hors du capot d'échelle; car il ne monta pas jusque sur le pont. De l'en- droit où il était placé , il ne pouvait pas remarquer l'absence d'Allen, et, en conséquence, le croyant toujours là, il se mit à le héler de toute sa force et à lui répéter les ordres du second. Peters répondit en criant sur le même ton et en déguisant sa voix : Oui ! oui ! — et le coq redescendit immédiatement, sans avoir même soupçonné que tout n'allait pas bien à bord.
Alors mes deux compagnons se dirigèrent hardiment vers l'arrière et descendirent dans la chambre, Peters refermant la porte après lui de la même façon qu'il l'avait trouvée. Le second les reçut avec une cordialité feinte, et dit à Auguste que , puisqu'il s'était conduit si gentiment dans ces derniers temps, il pouvait s'installer dans la cabine et se considérer désormais comme un des leurs. II lui rem- plit alors à moitié un grand verre de rhum, et l'obligea à boire. Je voyais et j'entendais tout cela, car j'avais suivi mes amis vers la cabine aussitôt que la porte avait été refer- mée, et j'avais repris mon premier poste d'observation. J'avais apporté avec moi les deux bringuebales de pompe, dont j'avais caché l'une près du capot-d'échelle, pour l'avoir au besoin sous la main.
Je m'affermis alors aussi bien que possible pour ne rien perdre de tout ce qui se passait en bas, et je m'efforçai de raidir ma volonté et mon courage pour descendre chez les révoltés aussitôt que Peters me ferait un signal, comme il avait été convenu. II s'efforçait en ce moment de tourner la conversation sur les épisodes sanglants de la révolte, et graduellement il amena les hommes à causer des mille superstitions qui sont généralement si répandues parmi les marins. Je ne distinguais pas tout ce qui se disait, mais je
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pouvais aisément voir l'effet de la conversation sur les phy- sionomies des assistants. Le second était évidemment très- agité, et quand, un moment après, l'un deux parla de l'aspect effrayant du cadavre de Rogers, je crus vraiment qu'il allait tomber en faiblesse. Peters lui demanda alors s'il ne pensait pas qu'il vaudrait mieux décidément le jeter par-dessus bord; car c'était, dit-il, une trop horrible chose de le voir ainsi se débattre et nager dans les dalots. Alors le misérable respira convulsivement et promena lentement autour de lui ses regards sur ses compagnons, comme s'il voulait supplier l'un deux de monter pour faire cette besogne. Néanmoins personne ne bougea,; et il était évi- dent que toute la compagnie était arrivée au plus haut degré d'excitation nerveuse. Peters me fit alors le signal; j'ouvris immédiatement la porte du capot-d'échelle, et, descendant sans prononcer une syllabe, je me dressai tout d'un coup au milieu de la bande.
Le prodigieux effet créé par cette soudaine apparition ne surprendra personne, si l'on veut bien considérer les diverses circonstances dans lesquelles elle se produisait. D'ordinaire, dans les cas de cette nature, il reste dans l'esprit du spectateur quelque chose comme une lueur de doute sur la réalité de la vision qu'il a devant les yeux; il conserve jusqu'à un certain point une espérance , si faible qu'elle soit, qu'il est la dupe d'une mystification, et que l'apparition n'est vraiment pas un visiteur venu du pays des ombres. On peut affirmer que ce doute opiniâtre a presque toujours accompagné les visitations de cette nature , et que l'horreur glaçante qu'elles ont quelquefois produite doit être attribuée, même dans les cas les plus marquants, dans ceux qui ont causé l'angoisse la plus vive, à une espèce d'effroi anticipé, à une peur que l'apparition ne soit réelle plutôt qu'à une croyance ferme à sa réalité. Mais, pour le
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cas présent, on verra tout de suite qu'il ne pouvait pas y avoir dans l'esprit des révoltés l'ombre d'une raison pour douter que l'apparition de Rogers ne fût vraiment la résurrection de son dégoûtant cadavre, ou au moins son image incorporelle. La position isolée du brick et l'impos- sibilité de l'accoster en raison de la tempête restreignaient les moyens possibles d'illusion dans de si étroites limites, qu'ils durent se croire capables de les embrasser tous d'un coup d'oeil. Depuis vingt-quatre jours qu'ils tenaient la mer, ils n'avaient eu de communication avec aucun navire, un seul excepté, qu'on avait simplement hélé. Tout l'équi- page , d'ailleurs , — tous ceux du moins qui , croyant former l'équipage complet, étaient à mille lieues de soupçonner la présence d'un autre individu à bord, — était rassemblé dans la chambre, à l'exception d'Allen, l'homme de quart; et quant à celui-ci, leurs yeux étaient trop bien fami- liarisés avec sa stature gigantesque (il avait six pieds six pouces de haut) pour que l'idée qu'il pût être la terrible apparition entrât un instant dans leur esprit. Ajoutez à ces considérations le caractère effrayant de la tempête et la nature de la conversation amenée par Peters, l'impression profonde que la hideur du véritable cadavre avait produite dans la matinée sur l'imagination de ces hommes, la per- fection de mon travestissement, et la lumière vacillante et incertaine à travers laquelle ils me voyaient, le fanal de la chambre oscillant violemment çà et là avec le navire et jetant sur moi des éclairs douteux et tremblants, et vous ne trouverez pas étonnant que l'effet de la supercherie ait été beaucoup plus grand que nous n'avions osé l'espérer.
Le second se dressa sur le matelas où il était couché, et, sans proférer une syllabe, retomba à la renverse, roide mort, sur le plancher de la chambre; un fort coup de roulis le roula sous le vent comme une bûche. Des sept qui res-
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taient, il n'y en eut que trois qui montrèrent d'abord quelque présence d'esprit. Les quatre autres restèrent assis pendant quelque temps, comme s'ils avaient pris racine dans le plancher; — c'étaient bien les plus pitoyables victimes de l'horreur et du désespoir que mes yeux aient jamais contemplées. La seule résistance que nous rencon- trâmes vint du coq, de Jones Hunt et de Richard Parker; mais leur défense fut faible et sans résolution. Les deux premiers furent immédiatement frappés par Peters, et avec la bringuebale que j'avais apportée avec moi j'assom- mai Parker d'un coup sur la tête. En même temps, Auguste s'emparait d'un des fusils déposés sur le plancher, et le déchargeait dans la poitrine de Wilson, un des autres révoltés. II n'en restait donc plus que trois; mais, pendant ce temps-là, ils s'étaient réveillés de leur stupeur, et com- mençaient peut-être à voir qu'ils avaient été dupes d'un stratagème; car ils combattirent avec beaucoup de réso- lution et de furie, et, sans l'effroyable force musculaire de Peters, ils auraient bien pu finalement avoir raison de nous. Ces trois hommes étaient Jones, Greely et Absalon Hicks. Jones avait renversé Auguste; il l'avait déjà frappé en plusieurs endroits au bras droit et l'aurait sans doute bientôt expédié (car, Peters et moi, nous ne pouvions pas nous débarrasser immédiatement de nos adversaires), si un ami sur l'assistance duquel nous n'avions certes pas compté n'était venu très à propos à son aide. Cet ami n'était autre que Tigre. Avec un sourd grondement il bondit dans la chambre au moment le plus critique pour Auguste, et, se jetant sur Jones, le cloua en un instant sur le plancher. Mon ami, toutefois, était trop gravement blessé pour nous prêter le moindre secours, et j'étais si empêtré dans mon déguisement, que je ne pouvais pas faire grand'chose. Le chien s'obstinait à ne pas lâcher la
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gorge de Jones; — cependant Peters était bien assez fort pour venir à bout des deux hommes qui restaient, et il les aurait sans doute expédiés plus tôt, s'il n'avait pas été gêné par l'étroit espace dans lequel il lui fallait agir et par les effroyables embardées du brick. II venait de s'emparer de l'un des lourds escabeaux qui gisaient sur le plancher. Avec cela, il défonça le crâne de Greely au moment où celui-ci allait décharger son fusil sur moi, et immédiatement après, un roulis du brick l'ayant jeté sur Hicks, il le saisit à la gorge et l'étrangla instantanément à la force du poignet. Ainsi, en moins de temps qu'il ne m'en a fallu pour le raconter, nous nous trouvions maîtres du brick.
Le seul de nos adversaires resté vivant était Richard Parker. On se rappelle qu'au commencement de l'attaque j'avais assommé cet homme d'un coup de ma bringuebale. II gisait immobile à côté de la porte de la cabine défoncée; mais, Peters l'ayant touché avec le pied, il retrouva la parole et demanda grâce. Sa tête n'était que légèrement fendue et il n'était pas autrement blessé, le coup l'ayant simplement étourdi. II se releva, et pour le moment, nous lui attachâmes les mains derrière le dos. Le chien était encore sur Jones, grondant toujours avec fureur; mais en regardant attentivement, nous vîmes que celui-ci était tout à fait mort; un ruisseau de sang jaillissait d'une bles- sure profonde à la gorge, que lui avaient faite les crocs puissants de l'animal.
II était alors une heure du matin, et le vent soufflait toujours d'une manière effroyable. Le brick fatiguait évi- demment beaucoup plus qu'à l'ordinaire, et il devenait indispensable de faire quelque chose pour l'alléger. Presque à chaque coup de roulis sous le vent il embarquait une lame, et quelques-unes s'étaient même répandues dans la chambre pendant notre lutte; car, en descendant, j'avais
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laissé l'écoutille ouverte. Toute la muraille de bâbord avait été emportée, ainsi que les fourneaux et le canot de l'arrière. Les craquements et les vibrations du grand mât nous prouvaient aussi qu'il allait bientôt céder. Pour faire une plus grande place à l'arrimage dans la cale d'arrière, le pied de ce mât avait été fixé dans I'entre-pont (exécrable méthode à laquelle ont souvent recours les constructeurs ignorants), de sorte qu'il courait grand risque de sortir de son emplanture. Mais, pour mettre le comble à nos mal- heurs, nous sondâmes l'archipompe, et nous ne trouvâmes pas moins de sept pieds d'eau.
Nous laissâmes donc les cadavres des hommes dans la chambre, et nous fîmes immédiatement jouer les pompes, — Parker, naturellement, ayant été relâché pour nous assister dans ce travail. Nous bandâmes le bras d'Auguste de notre mieux, et le pauvre garçon fit ce qu'il put, c'est- à-dire pas grand'chose. Cependant nous vîmes qu'en fai- sant fonctionner une pompe sans interruption, nous pou- vions tout juste maîtriser la voie d'eau, c'est-à-dire Pem- pêcher d'augmenter. Comme nous n'étions que quatre, c'était un rude labeur; mais nous tâchâmes de ne pas nous laisser abattre, et nous attendîmes le petit jour avec inquié- tude, espérant soulager alors le brick en coupant le grand
mât.
Nous passâmes ainsi une nuit pleine d'une anxiété et d'une fatigue horribles; quand enfin le jour parut, la tem- pête n'était pas le moins du monde calmée, et il n'y avait même aucun symptôme d'une prochaine embellie. Nous tirâmes alors les corps sur le pont, et nous les jetâmes par- dessus bord. Ensuite nous pensâmes à nous débarrasser du grand mât. Les préparatifs nécessaires ayant été faits, Peters, qui avait retrouvé les haches dans la cabine, entama le mât, pendant que, nous autres, nous veillions
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aux étais et aux garants. Comme le brick donnait une effroyable embardée sous le vent, le signal fut donné pour couper les garants, et, cela fait, toute cette masse de bois et de gréement tomba dans la mer, et débarrassa le brick sans nous faire d'avarie notable. Nous vîmes alors que le navire fatiguait moins qu'auparavant, mais notre situation était toujours extrêmement précaire, et en dépit des plus grands efforts, nous ne pouvions pas maîtriser la voie d'eau sans l'aide des deux pompes. Les services qu'Au- guste pouvait nous rendre étaient vraiment insignifiants. Pour ajouter à notre détresse, une lame énorme frappant le brick du coté du vent le jeta à quelques points hors du vent, et avant qu'il pût reprendre sa position, une autre lame déferlait en plein dessus et le roulait complètement sur le côté. Alors le lest se déplaça en masse et passa sous le vent (quant à l'arrimage, il était depuis quelque temps ballotté absolument à l'aventure), et pendant quelques secondes nous crûmes que nous allions inévitablement chavirer. Cependant nous nous relevâmes un peu; mais le lest restant toujours à bâbord, nous donnions tellement de la bande qu'il était inutile de songer à faire jouer les pompes, ce qu'en aucun cas d'ailleurs nous n'aurions pu faire plus longtemps , nos mains étant complètement ulcé- rées par notre excessif labeur et saignant d'une manière affreuse.
Contrairement à l'avis de Parker, nous commençâmes alors à abattre le mât de misaine; nous y réussîmes à la longue, avec la plus grande difficulté, à cause de notre position inclinée. En filant par-dessus bord il emporta avec lui le beaupré et laissa le brick à l'état de simple ponton.
Jusqu'alors nous avions lieu de nous réjouir d'avoir pu conserver notre chaloupe, qui n'avait pas été endommagée
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par tous ces gros coups de mer. Mais nous n'eûmes pas longtemps à nous féliciter; car le mât de misaine et la misaine, qui maintenaient un peu le brick, étant partis ensemble, chaque lame à présent venait briser complète- ment sur nous, et en cinq minutes notre pont fut balayé de bout en bout, la chaloupe et la muraille de tribord furent enlevées, et le guindeau lui-même mis en pièces. II était vraiment presque impossible d'être réduits à une condition plus déplorable.
A midi, nous eûmes quelque espoir de voir la tempête diminuer; mais nous fûmes cruellement désappointés, car elle ne se calma pendant quelques minutes que pour souf- fler ensuite avec plus de furie. A quatre heures de l'après- midi, elle avait pris une telle intensité qu'il était impossible de se tenir debout; et, quand vint la nuit, je n'avais plus conservé l'ombre d'une espérance. Je ne croyais pas que le navire pût tenir jusqu'au matin.
A minuit l'eau nous avait considérablement gagnés; elle montait alors jusqu'au faux pont. Peu de temps après, le gouvernail partit, et le coup de mer qui l'emporta souleva toute la partie de l'arrière hors de l'eau, de sorte qu'en retombant le brick talonna et donna une secousse sem- blable à celle d'un navire qui échoue. Nous avions tous calculé que le gouvernail tiendrait bon jusqu'à la fin, parce qu'il était singulièrement fort, et installé comme je n'en avais jamais vu jusqu'alors et comme je n'en ai pas vu depuis. Le long de sa pièce principale s'étendait une série de forts crochets de fer, et une autre semblable tout le long de I'étambot. A travers ces crochets passait une tige de fer forgé très-épaisse, le gouvernail étant ainsi rattaché à I'étambot et jouant librement sur la tige. La force terrible de la mer qui l'avait arraché peut être appréciée par ce fait, que les crochets de I'étambot, qui, comme je l'ai dit,
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s'étendaient d'un bout à l'autre et étaient rivés de l'autre côté, furent complètement retirés, tous sans exception, de la pièce de bois.
Nous avions à peine eu le temps de respirer après cette violente secousse, qu'une des plus épouvantables lames que j'eusse jamais vues vint briser d'aplomb par-dessus bord, emportant le capot-d'échelle, enfonçant les écou- tilles et inondant le navire d'un véritable déluge.
IX
LA PÊCHE AUX VIVRES.
Par bonheur, juste avant la nuit, nous nous étions soli- dement attachés tous les quatre aux débris du guindeau, et nous étions ainsi couchés sur le pont aussi à plat que pos- sible. Ce fut cette précaution qui nous sauva de la mort. Pour le moment nous étions tous plus ou moins étourdis par cet immense poids d'eau qui nous avait écrasés, et quand enfin elle se fut écoulée, nous nous sentîmes presque anéantis. Aussitôt que je pus respirer, j'appelai à haute voix mes compagnons. Auguste seul me répondit : — C'est fait de nous; que Dieu ait pitié de nos âmes! — Au bout de quelques instants les deux autres purent parler, et ils nous exhortèrent à prendre courage, disant qu'il y avait encore quelque espoir, qu'il était impossible que le brick coulât, à cause de la nature de sa cargaison , et qu'il y avait tout lieu de croire que la tempête se dissiperait vers le matin. Ces paroles me rendirent la vie; car, quelque étrange que cela puisse paraître, bien qu'il fût évident qu'un navire chargé de barriques vides ne pouvait pas
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sombrer, j'avais eu jusqu'ici l'esprit si troublé que cette considération m'avait complètement échappé, et c'était le danger de sombrer que je considérais depuis quelque temps comme le plus imminent. Sentant l'espérance revivre en moi, je saisis toutes les occasions de renforcer les amarres qui m'attachaient aux débris du guindeau, et je découvris bientôt que mes compagnons avaient eu la même idée et en faisaient autant. La nuit était aussi noire que possible, et il est inutile d'essayer de décrire le fracas étourdissant et le chaos dont nous étions enveloppés. Notre pont était au niveau de la mer, ou plutôt nous étions entourés d'une crête, d'un rempart d'écume, dont une par- tie passait à chaque instant par-dessus nous. Nos têtes, ce n'est pas trop dire, n'étaient vraiment hors de l'eau qu'une seconde sur trois. Quoique nous fussions couchés tout près les uns des autres, nous ne pouvions pas nous voir, et nous n'apercevions pas davantage la moindre partie du brick sur lequel nous étions si effroyablement secoués. Par intervalles nous nous appelions l'un l'autre, nous efforçant ainsi de raviver l'espérance et de donner un peu de consolation et d'encouragement à celui de nous qui pouvait en avoir le plus besoin. L'état de faiblesse d'Au- guste faisait de lui un objet d'inquiétude pour les autres; et comme, avec son bras droit déchiré, il devait lui être impossible d'assujettir assez solidement son amarre, nous nous figurions à chaque instant qu'il allait être emporté par-dessus bord; — quant à lui prêter secours, c'était une chose absolument impossible. Très-heureusement sa place était plus sûre qu'aucune des nôtres; car, la partie supé- rieure de son corps étant justement abritée par un mor- ceau du guindeau fracassé, la violence des lames qui tom- baient sur lui se trouvait grandement amortie. Dans toute autre position que celle-là (et il ne l'avait pas choisie, il
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y avait été jeté accidentellement après s'être attaché dans un endroit très-dangereux), il eût infailliblement péri avant le matin. Le brick, comme je l'ai dit, donnait beau- coup de la bande, et, grâce à cela, nous étions moins exposés à être emportés que nous ne l'eussions été dans un cas différent. Le côté par où le navire donnait de la bande était, comme je l'ai remarqué, celui de bâbord, et la moitié du pont à peu près était constamment sous l'eau. Conséquemment, les lames qui nous frappaient à tribord étaient en partie brisées par le côté du navire, et, couchés à plat sur le visage, nous n'en attrapions que de grosses éclaboussures; quant à celles qui nous venaient par bâbord, elles nous attaquaient par le dos, et n'avaient pas, en raison de notre posture, assez de prise sur nous pour nous arracher à nos amarres.
Nous restâmes couchés dans cette affreuse situation jusqu'à ce que le jour vînt nous montrer plus clairement les horreurs dont nous étions environnés. Le brick n'était plus qu'une bûche , roulant ça et là à la merci de chaque lame; la tempête augmentait toujours; c'était un parfait ouragan, s'il en fut jamais, et nous ne voyions aucune perspective naturelle de délivrance. Pendant quelques heures, nous gardâmes le silence, tremblant à chaque instant ou que nos amarres ne cédassent, ou que les débris du guindeau ne filassent par-dessus bord, ou qu'une des énormes lames qui mugissaient autour de nous, au-dessus de nous, dans tous les sens, ne plongeât la carcasse si avant sous l'eau que nous fussions noyés avant qu'elle pût re- monter à la surface. Cependant la] miséricorde de Dieu nous préserva de ces imminents dangers, et vers midi nous fûmes gratifiés de la lumière bénie du soleil. Peu de temps après, nous nous aperçûmes d'une diminution sen- sible dans la force du vent, et, pour la première fois
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depuis la fin de la soirée précédente, Auguste parla et demanda à Peters, qui était couché tout contre lui, s'il croyait qu'il y eût quelque chance de salut. Comme le métis ne fit d'abord aucune réponse à cette question, nous conclûmes tous qu'il avait été noyé sur place; mais bientôt, à notre grande joie, il parla, quoique d'une voix très- faible, disant qu'il souffrait beaucoup, qu'il était comme coupé par les amarres qui lui serraient étroitement l'esto- mac, et qu'il lui fallait trouver le moyen de les relâcher, ou mourir, parce qu'il lui était impossible d'endurer cette torture plus longtemps. Cela nous causa un grand cha- grin; car il ne fallait pas songer à venir à son secours, tant que la mer continuerait à courir sur nous comme elle faisait. Nous l'exhortâmes à supporter ses souffrances avec courage, et nous lui promîmes de saisir la première occa- sion qui s'offrirait pour le soulager. II répondit qu'il serait bientôt trop tard; que ce serait fait de lui avant que nous pussions lui venir en aide; et puis, après avoir gémi pen- dant quelques minutes, il retomba dans son silence, et nous conclûmes qu'il était mort.
Aux approches du soir, la mer tomba considérable- ment; c'était à peine si dans l'espace de cinq minutes plus d'une lame venait briser sur la coque du côté du vent; le vent s'était aussi beaucoup calmé, quoiqu'il soufflât encore grand frais. Je n'avais entendu parler aucun de mes cama- rades depuis plusieurs heures; j'appelai alors Auguste. II me répondit, mais si faiblement, que je ne pus pas distinguer ce qu'il disait. Je parlai alors à Peters et à Parker, mais aucun d'eux ne me fit de réponse.
Peu de temps après, je tombai dans une quasi-insensi- bilité, durant laquelle les images les plus charmantes flot- tèrent dans mon cerveau; telles que des arbres verdoyants, des prés magnifiques où ondulait le blé mûr, des procès-
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sions de jeunes danseuses, de superbes troupes de cava- lerie et autres fantasmagories. Je me rappelle maintenant que, dans tout ce qui défilait devant l'œil de mon esprit, le mouvement était l'idée prédominante. Ainsi, je ne rêvais jamais d'un objet immobile, tel qu'une maison, une mon- tagne ou tout autre du même genre; mais des moulins à vent, des navires, de grands oiseaux, des ballons, des hommes à cheval, des voitures filant avec une vitesse furieuse, et autres objets mouvants, se présentaient à moi et se succédaient interminablement. Quand je sortis de ce singulier état, le soleil était levé depuis une heure, autant que je pus le deviner. J'eus la plus grande peine à me souvenir des différentes circonstances qui se rattachaient à ma situation, et pendant quelque temps je restai ferme- ment convaincu que j'étais toujours dans la cale du brick, près de ma caisse, et je prenais le corps de Parker pour celui de Tigre.
Lorsque j'eus enfin complètement recouvré mes sens, je m'aperçus que le vent n'était plus qu'une brise très-modé- rée, et que la mer était comparativement calme, de sorte qu'elle n'embarquait plus sur le brick que par le travers. Mon bras gauche avait rompu ses liens et se trouvait gra- vement déchiré vers le coude; le droit était complètement paralysé, et la main et le poignet prodigieusement enflés par la pression du cordage, qui avait agi depuis l'épaule jusqu'en bas. Je souffrais aussi beaucoup d'une autre corde autour de la taille, qui avait été serrée à un point intolé- rable. En regardant mes camarades autour de moi, je vis que Peters vivait encore, bien qu'il eût autour des reins une grosse corde serrée si cruellement qu'il avait l'air presque coupé en deux; aussitôt que je bougeai, il me fit un geste faible de la main en me désignant la corde. Auguste ne donnait aucun symptôme de vie, et était
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presque plié en deux en travers d'un éclat du guindeau. Parker me parla quand il me vit remuer et me demanda si j'avais encore assez de force pour le délivrer de sa posi- tion, me disant que si je voulais ramasser toute mon énergie et si je réussissais à le délier, nous pouvions encore sauver nos vies, mais qu'autrement nous péririons tous. Je lui dis de prendre courage, et que je tâcherais de le délivrer. Tâtant dans la poche de mon pantalon, je pris mon canif, et, après plusieurs essais infructueux, je réussis à l'ouvrir. Je parvins alors avec ma main gauche à débar- rasser mon bras droit de ses amarres, et je coupai ensuite les autres cordes qui me retenaient. Mais en essayant de changer de place, je m'aperçus que mes jambes me man- quaient entièrement et que je ne pouvais me relever; il m'était également impossible de mouvoir mon bras droit dans un sens quelconque. Je le fis remarquer à Parker, qui me conseilla de rester tranquille pendant quelques minutes, en me tenant au guindeau avec la main gauche, pour donner au sang le temps de circuler. En effet, l'en- gourdissement commença bientôt à disparaître, de sorte que je pus d'abord remuer une jambe, et puis l'autre, et en peu de temps je recouvrai en partie l'usage de mon bras droit. Je me glissai alors vers Parker avec la plus grande précaution et sans me dresser sur mes jambes, et je coupai toutes les amarres autour de lui ; et au bout de peu de temps, comme moi, il recouvra en partie l'usage de ses membres. Nous nous dépêchâmes alors de défaire la corde de Peters. Elle avait fait une profonde entaille à travers la ceinture de son pantalon de laine et à travers deux chemises, et elle avait pénétré dans l'aine, d'où le sang jaillit abondamment quand nous enlevâmes la corde. Mais à peine avions-nous fini, que Peters se mit à parler et sembla éprouver un soulagement immédiat; — il était
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même capable de se remuer beaucoup plus aisément que Parker et moi, ce qu'il devait sans aucun doute à cette saignée involontaire.
Auguste ne donnait aucun signe de vie, et nous avions peu d'espoir de le voir reprendre ses sens, mais, en arri- vant à lui, nous vîmes qu'il s'était simplement évanoui par suite d'une perte de sang, les bandages dont nous avions entouré son bras ayant été arrachés par l'eau; aucune des cordes qui le retenaient au guindeau n'était suffisamment serrée pour occasionner sa mort. L'ayant débarrassé de ses liens et délivré du morceau de bois, nous le déposâmes du coté du vent, à un endroit sec, la tête un peu plus bas que le corps, et nous nous mîmes tous trois à lui frotter les membres. En une demi-heure à peu près il revint à lui; mais ce ne fut que le matin sui- vant qu'il laissa voir qu'il reconnaissait chacun de nous et qu'il trouva la force de parler. Pendant le temps que nous avions mis à nous débarrasser de toutes nos amarres, la nuit était venue, le ciel commençait à se couvrir, de sorte que nous avions une peur affreuse que le vent ne reprît avec violence, auquel cas rien ne pouvait nous sauver de la mort, épuisés comme nous l'étions. Par bonheur le temps se maintint très-convenablement pendant la nuit, et, la mer s'apaisant de plus en plus, nous conçûmes finale- ment l'espoir de nous sauver. Une jolie brise soufflait tou- jours du nord-ouest, mais le temps n'était pas froid du tout. Auguste, étant beaucoup trop faible pour se retenir lui-même, fut soigneusement attaché au guindeau, de peur que le roulis du navire ne le fît glisser par-dessus bord. Quant à nous, nous n'avions pas besoin de précautions semblables. Nous nous assîmes en nous serrant, et, nous appuyant l'un contre l'autre, en nous aidant des cordes rompues du guindeau, nous nous mîmes à causer des
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moyens de sortir de notre affreuse situation. Nous nous avisâmes très à propos de retirer nos habits, et nous les tordîmes pour en exprimer l'eau. Quand ensuite nous les remîmes, ils nous parurent singulièrement chauds et agréables et ne servirent pas peu à nous rendre de la vigueur. Nous débarrassâmes Auguste des siens, nous les tordîmes pour lui, et il en éprouva ïe même bien-être.
Nos principales souffrances étaient maintenant la faim et la soif, et quand nous pensions aux moyens futurs de nous soulager à cet égard, nous sentions le cœur nous manquer, et nous en venions même à regretter d'avoir échappé aux dangers moins terribles de la mer. Nous nous efforçâmes cependant de nous consoler avec l'espoir d'être bientôt recueillis par quelque navire, et nous nous encourageâmes à supporter avec résignation tous les maux qui pouvaient nous être encore réservés.
Enfin, l'aube du 14 parut, et le temps se maintint clair et doux, avec une brise constante mais très-légère du nord-ouest. La mer était maintenant tout à fait apaisée, et comme, pour une cause que nous ne pûmes deviner, le brick ne donnait plus autant de la bande, le pont était comparativement sec, et nous pouvions aller et venir en toute liberté. II y avait alors plus de trois jours et trois nuits que nous n'avions rien bu ni mangé, et il devenait absolument nécessaire de faire une tentative pour se pro- curer quelque chose d'en bas. Comme le brick était com- plètement plein d'eau, nous nous mîmes à l'œuvre avec tristesse et sans grand espoir d'attraper quelque chose. Nous fîmes une espèce de drague en plantant quelques clous, que nous arrachâmes aux débris du capot-d'échelle, dans deux pièces de bois. Nous les assujettîmes en croix, et, les attachant au bout d'une corde, nous les jetâmes dans la cabine et les promenâmes çà et là, avec le faible
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espoir d'accrocher quelque article qui pût servir à notre nourriture, ou du moins nous aider à nous la procurer. Nous passâmes la plus grande partie de la matinée à cette besogne, sans résultat, et nous ne péchâmes que quelques couvertures que les clous accrochèrent facilement. Notre invention était vraiment si grossière que nous ne pouvions guère compter sur un meilleur succès.
Nous recommençâmes l'épreuve dans le gaillard d'avant, mais sans plus de résultat, et nous nous abandonnions déjà au désespoir, quand Peters imagina de se faire atta- cher une corde autour du corps, et d'essayer d'attraper quelque chose en plongeant dans la cabine. Nous saluâmes la proposition avec toute la joie que peut inspirer l'espé- rance renaissante. II commença immédiatement à se dépouiller de ses vêtements, à l'exception de son pan- talon; et une forte corde fut soigneusement assujettie autour de sa taille, que nous ramenâmes par-dessus ses épaules, de manière à l'empêcher de glisser. L'entreprise était pleine de difficulté et de danger; car, comme nous n'espérions pas trouver grand'chose dans la chambre, à supposer même qu'il y eût encore quelques provisions, il fallait que le plongeur, après s'être laissé descendre, fît un tour à droite et marchât sous l'eau à une distance de dix ou douze pieds, à travers un passage étroit, jusqu'à la cam- buse, et revînt enfin sans avoir pu respirer.
Tout étant prêt, Peters descendit dans la cabine en sui- vant l'échelle jusqu'à ce que l'eau lui atteignît le menton. Alors il plongea, la tête la première, tourna à droite après avoir plongé et s'efforça de pénétrer dans la cambuse; . mais à la première tentative il échoua complètement. Il n'y avait pas une demi-minute qu'il avait disparu que nous sentîmes la corde secouée violemment; c'était le signal convenu pour le retirer de l'eau quand il le désirerait.
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Nous le tirâmes donc immédiatement, mais avec si peu de précautions que nous le meurtrîmes cruellement contre l'échelle. II ne rapportait rien avec lui, et il lui avait été impossible d'aller au delà d'un très-petit espace à travers le couloir, à cause des efforts constants qu'il lui fallait faire pour ne pas remonter et flotter contre le pont. Quand il sortit de la cabine, il était très-épuisé, et dut se reposer quinze bonnes minutes avant de se hasarder à redescendre. La seconde tentative fut encore plus malheureuse; car il resta si longtemps sous l'eau sans donner le signal, que, nous sentant fort inquiets pour lui, nous le tirâmes sans plus attendre; il se trouva qu'il était au moment d'être asphyxié; le malheureux avait déjà, dit-il, secoué la corde à plusieurs reprises, et nous ne l'avions pas senti. Cela tenait sans doute à ce qu'une partie de la corde s'était accro- chée dans la balustrade au pied de l'échelle. Cette balus- trade était un tel embarras, que nous résolûmes de l'arra- cher avant de procéder à une nouvelle tentative. Comme nous n'avions aucun moyen de l'enlever, excepté à la force des bras, nous descendîmes tous les quatre dans l'eau, aussi loin qu'il nous fut possible, et, donnant une bonne secousse avec nos forces réunies, nous réussîmes à la jeter à bas.
La troisième tentative ne réussit pas mieux que les deux premières, et il devint évident que nous ne pourrions rien obtenir par ce moyen sans le secours de quelque poids qui servît à maintenir le plongeur et à l'affermir sur le plancher de la cabine, pendant qu'il ferait sa recherche. Nous regar- dâmes longtemps autour de nous pour trouver quelque chose propre à remplir ce but; mais à la fin nous décou- vrîmes, à notre grande joie, un des porte-haubans de misaine, du côté du vent, qui était déjà si fortement ébranlé que nous n'eûmes aucune peine à le détacher entièrement. Peters l'ayant solidement assujetti à l'une de ses chevilles,
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opéra alors sa quatrième descente dans la cabine, et, cette fois, réussit à se frayer un chemin jusqu'à la porte de la cambuse. Mais, avec un chagrin inexprimable, il la trouva fermée et fut obligé de revenir sans avoir pu y pénétrer; car, en faisant les plus grands efforts, c'était tout au plus s'il pouvait rester une minute sous l'eau. Nos affaires prenaient décidément un caractère sinistre, et nous ne pûmes , Auguste et moi , nous empêcher de fondre en larmes en pensant à cette foule de difficultés qui nous assiégeaient et à la chance si improbable de notre salut. Mais cette fai- blesse ne fut pas de longue durée. Nous nous agenouillâmes et nous priâmes Dieu de nous assister dans les nombreux dangers dont nous étions assaillis; et puis, avec une espé- rance et une vigueur rajeunies, nous nous relevâmes, prêts à chercher encore et à entreprendre tous les moyens humains de délivrance.
X
LE BRICK MYSTÉRIEUX.
Peu de temps après, un incident eut lieu, qui, gros d'abord d'extrême joie et ensuite d'extrême horreur, m'ap- paraît, à cause de cela même, comme plus émouvant, plus terrible qu'aucun des hasards que j'aie connus posté- rieurement dans le cours de neuf longues années, — années si pleines d'événements de la nature la plus surpre- nante, et souvent même la plus inouïe, la plus inimagi- nable. Nous étions couchés sur le pont, près de l'échelle, et nous discutions encore la possibilité de pénétrer jusqu'à la cambuse, quand, tournant mes regards vers Auguste, qui me faisait face, je m'aperçus qu'il était tout d'un coup devenu
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d'une pâleur mortelle et que ses lèvres tremblaient d'une manière singulière et incompréhensible. Fortement alarmé, je lui adressai la parole, mais il ne répondit pas, et je commençais à croire qu'il avait été pris d'un mal subit, quand je fis attention à ses yeux, singulièrement brillants, et braqués sur quelque objet derrière moi. Je tournai la tête, et je n'oublierai jamais la joie extatique qui pénétra chaque partie de mon être quand j'aperçus un grand brick qui arrivait sur nous, et qui n'était guère à plus de deux milles au large. Je sautai sur mes pieds, comme si une balle de fusil m'avait frappé soudainement au cœur, et, étendant mes bras dans la direction du navire, je restai debout, immobile, incapable de prononcer une syllabe. Peters et Parker étaient également émus, quoique d'une manière différente. Le premier dansait sur le pont comme un fou, en débitant les plus monstrueuses extravagances, entremêlées de hurlements et d'imprécations, pendant que le second fondait en larmes, ne cessant pendant quelques minutes encore, de pleurer comme un petit enfant.
Le navire en vue était un grand brick- goélette, bâti à la hollandaise, peint en noir, avec une poulaine voyante et dorée. Il avait évidemment essuyé passablement de gros temps, et nous supposâmes qu'il avait beaucoup souffert de la tempête qui avait été la cause de notre désastre ; car il avait perdu son mât de hune de misaine ainsi qu'une partie de son mur de tribord. Quand nous le vîmes pour la première fois, il était, je l'ai déjà dit, à deux milles environ, au vent, et arrivant sur nous. La brise était très-faible, et ce qui nous étonna le plus, c'est qu'il ne portait pas d'autres voiles que sa misaine et sa grande voile, avec un clinfoc; aussi ne marchait-il que très-lentement, et notre impatience montait presque jusqu'à la frénésie. La manière maladroite dont il gouvernait fut remarquée par nous tous, malgré
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notre prodigieuse émotion. II donnait de telles embardées, qu'une fois ou deux nous crûmes qu'il ne nous avait pas vus, ou, qu'ayant découvert notre navire, mais n'ayant aperçu personne à bord, il allait virer de bord et reprendre une autre route. A chaque fois, nous poussions des cris et des hurlements de toute la force de nos poumons; et le navire inconnu semblait changer pour un moment d'inten- tion et remettait le cap sur nous; — cette singulière manœuvre se répéta deux ou trois fois, si bien qu'à la fin nous ne trouvâmes pas d'autre manière de nous l'expliquer que de supposer que le timonier était ivre.
Nous n'aperçûmes personne à son bord jusqu'à ce qu'il fût arrivé à un quart de mille de nous. Alors nous vîmes trois hommes qu'à leur costume nous prîmes pour des Hollandais. Deux d'entre eux étaient couchés sur de vieilles voiles près du gaillard d'avant, et le troisième, qui semblait nous regarder avec curiosité, était à l'avant, à tribord , près du beaupré. Ce dernier était un homme grand et vigoureux, avec la peau très-noire. II semblait, par ses gestes, nous encourager à prendre patience, nous saluant joyeusement de la tête, mais d'une manière qui ne laissait pas que d'être bizarre, et souriant constamment, comme pour déployer une rangée de dents blanches très-brillantes. Comme le navire se rapprochait, nous vîmes son bonnet de laine rouge tomber de sa tête dans l'eau; mais il n'y prit pas garde, continuant toujours ses sourires et ses gestes baroques. Je rapporte minutieusement ces choses et ces circonstances, et je les rapporte, cela doit être compris , précisément comme elles nous apparurent.
Le brick venait à nous lentement et avec plus de cer- titude dans sa manœuvre, et (je ne puis parler de sang- froid de cette aventure) nos cœurs sautaient follement dans nos poitrines, et nous répandions toute notre âme
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en cris d'allégresse et en actions de grâces à Dieu pour la complète, glorieuse et inespérée délivrance que nous avions si palpablement sous la main. Soudainement, du mysté- rieux navire, qui était maintenant tout proche de nous, nous arrivèrent, portées sur l'océan, une odeur, une puan- teur telles, qu'il n'y a pas dans le monde de mots pour l'exprimer, — infernales, suffocantes, intolérables, incon- cevables! J'ouvris la bouche pour respirer, et, me tournant vers mes camarades, je m'aperçus qu'ils étaient plus pâles que du marbre. Mais nous n'avions pas le temps de dis- cuter ou de raisonner, — le brick était à cinquante pieds de nous, — et il semblait avoir l'intention de nous accoster par notre voûte, afin que nous pussions l'aborder sans l'obliger à mettre un canot à la mer. Nous nous précipi- tâmes à l'arrière, quand tout à coup une forte embardée le jeta de cinq ou six points hors de la route qu'il tenait, et comme il passait à notre arrière à une distance d'environ vingt pieds, nous vîmes en plein son pont. Oublierai-je jamais la triple horreur de ce spectacle? Vingt-cinq ou trente corps humains, parmi lesquels quelques femmes, gisaient disséminés çà et là, entre l'arrière et la cuisine, dans le dernier et le plus dégoûtant état de putréfaction! Nous vîmes clairement qu'il n'y avait pas une âme vivante sur ce bateau maudit! Cependant nous ne pouvions pas nous empêcher d'appeler ces morts à notre secours! Oui, dans l'agonie du moment, nous avons lentement et forte- ment prié ces silencieuses et dégoûtantes images de s'arrêter pour nous , de ne pas nous laisser devenir semblables à elles, et de vouloir bien nous recevoir dans leur gracieuse compa- gnie! L'horreur et le désespoir nous faisaient extravaguer, — l'angoisse et la déception nous avaient rendus absolu- ment fous.
Quand nous poussâmes notre premier hurlement de
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terreur, quelque chose répondit qui venait du côté du beau- pré du navire étranger, et qui ressemblait si parfaitement au cri d'un gosier humain que l'oreille la plus délicate en aurait tressailli et s'y fût laissé prendre. En ce moment, une autre embardée soudaine ramena pour quelques minutes le gaillard d'avant sous nos yeux, et du même coup nous aperçûmes la cause du bruit. Nous vîmes le grand et robuste personnage toujours appuyé sur la mu- raille, faisant toujours aller sa tête de çà de là, mais la face tournée maintenant de manière que nous ne pouvions plus l'apercevoir. Ses bras étaient étendus sur la lisse, et ses mains tombaient en dehors. Ses genoux reposaient sur une grosse manœuvre, tendue roide et allant du pied du beaupré à l'un des bossoirs. Sur son dos, où une partie de la chemise avait été arrachée et laissait voir le nu, se tenait une mouette énorme, qui se gorgeait activement de l'hor- rible viande, son bec et ses serres profondément enfouis dans le corps, et son blanc plumage tout éclaboussé de sang. Comme le brick continuait à tourner comme pour nous voir de plus près, l'oiseau retira péniblement du trou sa tête sanglante , et , après nous avoir considérés un moment comme stupéfié, se détacha paresseusement du corps sur lequel il se régalait, puis il prit droit son vol au-dessus de notre pont et plana quelque temps dans l'air avec un mor- ceau de la substance coagulée et quasi vivante dans son bec. A la fin, l'horrible morceau tomba, avec un sinistre piaffe- ment, juste aux pieds de Parker. Dieu veuille me pardon- ner! mais alors, dans le premier moment, une pensée tra- versa mon esprit, — une pensée que je n'écrirai pas, — et je me sentis faisant un pas machinal vers la place ensan- glantée. Je levai les yeux, et mes regards rencontrèrent ceux d'Auguste qui étaient chargés d'un reproche si intense et si énergique que cela me rendit immédiatement à moi-
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même. Je m'élançai vivement, et, avec un profond frisson, je jetai l'horrible chose à la mer.
Le corps d'où le morceau avait été arraché, reposant ainsi sur cette manœuvre, oscillait aisément sous les efforts de l'oiseau carnassier, et c'était ce mouvement qui nous avait d'abord fait croire à un être vivant. Quand la mouette le débarrassa de son poids, il chancela, tourna et tomba à moitié , de sorte que nous pûmes voir son visage en plein. Non, jamais spectacle ne fut plus plein d'effroi! Les yeux n'existaient plus, et toutes les chairs de la bouche rongées laissaient les dents entièrement à nu. Tel était donc ce sourire qui avait encouragé notre espérance! Tel était... mais je m'arrête. Le brick, comme je l'ai dit, passa à notre arrière, et continua sa route lentement et régu- lièrement sous le vent. Avec lui et son terrible équipage s'évanouirent toutes nos heureuses visions de joie et de délivrance. Comme il mit quelque temps à passer derrière nous, nous aurions peut-être trouvé le moyen de l'aborder, si notre soudain désappointement et la nature effrayante de notre découverte n'avaient pas anéanti toutes nos facultés morales et physiques. Nous avions vu et senti ; mais nous ne pûmes penser et agir, hélas! que trop tard. On pourra juger par ce simple fait combien cet incident avait affaibli nos intelligences : — quand le navire se fut éloigné au point que nous n'apercevions plus que la moi- tié de sa coque, nous agitâmes sérieusement la proposi- tion d'essayer de l'attraper à la nage!
J'ai, depuis cette époque, fait tous mes efforts pour éclaircir le vague horrible qui enveloppait la destinée du navire inconnu. Sa coupe et sa physionomie générale nous donnèrent à penser, comme je l'ai déjà dit, que c'était un bâtiment de commerce hollandais, et le costume de son équipage nous confirma dans cette opinion. Nous aurions
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facilement pu lire son nom à son arrière , et prendre aussi d'autres observations qui nous auraient servi à déterminer son caractère; mais l'émotion profonde du moment nous aveugla et nous cacha tout indice de cette nature. D'après la couleur safranée de quelques-uns des cadavres qui n'étaient pas tout à fait décomposés, nous dûmes conclure que tout le monde à bord était mort de la fièvre jaune ou de quelque autre violent fléau d'espèce analogue. Si tel était le cas ( et en dehors de cela, je ne sais vraiment qu'imaginer), la mort, à en juger par la position des corps, avait dû les surprendre d'une façon tout à fait soudaine et accablante, d'une manière absolument distincte de celle qui caractérise même les pestes les plus mortelles avec lesquelles l'humanité a pu jusqu'ici se familiariser. Dans le fait, il se peut qu'un poison, introduit accidentellement dans quelqu'une des provisions du bord, ait amené ce désastre; peut-être avaient-ils mangé de quelque poisson inconnu, d'une espèce venimeuse, ou d'oiseau océanique ou de tout autre ani- mal marin, que sais-je? — mais il est absolument super- flu de former des conjectures sur un cas qui est enveloppé tout entier, et qui restera sans doute éternellement enve- loppé dans le plus effrayant et le plus insondable mystère.
XI
LA BOUTEILLE DE PORTO.
Nous passâmes le reste de la journée dans un état de léthargie stupide, regardant toujours le navire, jusqu'au moment où les ténèbres, le dérobant à notre vue, nous rendirent pour ainsi dire à ne us-mêmes. Les angoisses de
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la faim et de la soif nous reprirent alors, absorbant tous autres soucis et considérations. II n'y avait toutefois rien à faire jusqu'au matin, et, nous installant de notre mieux, nous nous efforçâmes d'attraper un peu de repos. J'y réussis, pour mon compte, au delà de mes espérances, et je dormis jusqu'au point du jour, quand mes camarades, qui avaient été moins favorisés que moi, m'éveillèrent pour recommencer nos malheureuses tentatives sur la cambuse.
II faisait alors un calme plat, avec une mer plus unie que je ne l'ai jamais vue, — le temps, chaud et agréable. Le brick fatal était hors de vue. Nous commençâmes nos opérations par arracher, mais non sans peine, un autre porte-haubans de misaine; et les ayant, tous les deux, attachés aux pieds de Peters, il essaya d'arriver encore une fois à la porte de la cambuse, pensant qu'il réussirait peut- être à la forcer, pourvu cependant qu'il pût l'atteindre en très-peu de temps; et il y comptait, parce que la carcasse du navire gardait sa position beaucoup mieux qu'aupara- vant.
II réussit en effet à atteindre très-vite la porte, et là, détachant un des poids de sa cheville, il essaya de s'en servir pour l'enfoncer; mais tous ses efforts furent vains, la charpente étant beaucoup plus forte qu'il ne s'y était attendu. II était complètement épuisé par ce long séjour sous l'eau, et il devenait indispensable qu'un de nous le remplaçât. Parker s'offrit immédiatement pour ce service; mais après trois voyages infructueux, il n'avait même pas réussi à arriver jusqu'à la porte. L'état déplorable du bras d'Auguste rendait de sa part tout essai superflu; car fût-il parvenu à atteindre la chambre, il eût été tout à fait inca- pable d'en forcer l'entrée; c'était donc à moi qu'incombait maintenant le devoir d'employer mes forces au salut de la communauté.
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Peters avait laissé un des porte- haubans dans le passage, et je vis, sitôt que j'eus plongé, que je n'avais pas un poids suffisant pour me tenir solidement sous l'eau. Je résolus donc, pour ma première tentative, de retrouver d'abord et simplement l'autre poids. Dans ce but, je tâtais le plancher du couloir, quand je sentis quelque chose de dur, que j'em- poignai immédiatement, n'ayant pas le temps de vérifier ce que c'était; puis je m'en revins et je remontai directe- ment à la surface. Ma trouvaille était une bouteille, et on concevra quelle fut notre joie quand nous vîmes qu'elle était pleine de vin de Porto. Nous rendîmes grâces à Dieu pour cette consolation et ce secours si opportun, puis, avec mon canif nous tirâmes le bouchon, et, pour une gorgée très-modérée qu'avala chacun de nous, nous nous en sentîmes singulièrement réconfortés, et comme inondés de chaleur, de forces et d'esprits vitaux. Nous rebouchâmes alors la bouteille soigneusement, et au moyen d'un mou- choir nous l'amarrâmes de façon qu'il lui fût impossible de se briser.
Je me reposai un peu après cette heureuse découverte, puis je descendis, et enfin je retrouvai le porte-haubans avec lequel je montai immédiatement. Après l'avoir attaché à mon pied, je me laissai couler pour la troisième fois, et il me fut démontré que je ne pourrais jamais réussir à forcer la porte de la cambuse. Je revins désolé.
Bien décidément, il fallait donc renoncer à toute espé- rance, et je pus voir dans les physionomies de mes cama- rades qu'ils avaient pris leur parti de mourir. Le vin leur avait donné une espèce de délire, dont ma dernière immersion m'avait peut-être préservé. Ils bavardaient d'une manière incohérente, et sur des choses qui n'avaient aucun rapport avec notre situation, Peters m'accablant de questions sur Nantucket. Auguste aussi, je me le rappelle, s'approcha de
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moi, d'un air fort sérieux, et me pria de lui prêter un peigne de poche, parce qu'il avait, disait-il, les cheveux pleins d'écaillés de poisson, et qu'il désirait se nettoyer avant de débarquer. Parker semblait un peu moins forte- ment affecté, et me pressait de plonger encore dans la chambre pour lui rapporter le premier objet qui me tom- berait sous la main. J'y consentis, et dès la première tenta- tive, après être resté sous l'eau une bonne minute, je rap- portai une petite malle de cuir appartenant au capitaine Barnard. Nous l'ouvrîmes immédiatement, avec le faible espoir qu'elle contiendrait peut-être quelque chose à boire ou à manger; mais nous n'y trouvâmes rien qu'une boîte à rasoirs et deux chemises de toile. Je plongeai encore, et je revins sans aucun résultat. Comme ma tête sortait de l'eau, j'entendis sur le pont le bruit de quelque chose qui se brisait , et, en remontant, je vis que mes compagnons d'infortune avaient ignoblement profité de mon absence pour boire le reste du vin , et qu'ils avaient laissé tomber la bouteille dans leur précipitation à la remettre en place avant que je les surprisse. Je leur remontrai leur manque de cœur, et Auguste fondit en larmes. Les deux autres essayèrent de rire et de tourner la chose en plaisanterie; mais j'espère ne jamais plus avoir à contempler un rire pareil; la convul- sion de leur physionomie était absolument effrayante. Dans le fait, il était visible que l'excitation produite dans leurs estomacs vides avait eu un effet violent et instan- tané, et qu'ils étaient tous effroyablement ivres. Ce ne fut qu'avec beaucoup de peine que j'obtins d'eux qu'ils se cou- chassent; ils tombèrent presque aussitôt dans un lourd sommeil, accompagné d'une respiration haute et ronflante. Je me trouvai alors, pour ainsi dire, seul sur le brick, et, certes, mes réflexions étaient de la nature la plus terrible et la plus noire. La seule perspective qui s'offrît à moi
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était de mourir de faim lentement, ou, en mettant les choses au mieux, d'être englouti par la première tempête qui s'élèverait; car nous ne pouvions pas, dans notre état d'épuisement, conserver l'espoir de survivre à une nou- velle.
La faim déchirante que j'éprouvais alors était presque intolérable, et je me sentis capable des dernières extrémi- tés pour l'apaiser. Avec mon couteau, je coupai un petit morceau de la malle de cuir, et je m'efforçai de le manger; mais il me fut absolument impossible d'en avaler même une parcelle; cependant il me sembla qu'en mâchant et en chiquant ïe cuir par petits fragments j'obtenais un léger soulagement à mes souffrances. Vers le soir, mes compa- gnons se réveillèrent, un à un, et tous dans un état de fai- blesse et d'horreur indescriptible, causé par le vin, dont les fumées étaient maintenant évaporées. Ils tremblaient, comme en proie à une violente fièvre, et imploraient de l'eau avec les cris les plus lamentables. Leur situation m'affecta de la manière la plus vive, et néanmoins je ne pouvais m'empêcher de me réjouir de l'heureux accident qui m'avait empêché de me laisser tenter par le vin, m'épargnant ainsi leurs sinistres et navrantes sensations. Cependant leur conduite m'alarmait et me causait une très-forte inquiétude; car il était évident qu'à moins d'un changement favorable dans leur état, ils ne pourraient me prêter aucune assistance pour pourvoir à notre salut com- mun. Je n'avais pas encore abandonné toute idée de rap- porter quelque chose d'en bas; mais l'épreuve ne pouvait se recommencer qu'à la condition que l'un d'eux fût assez maître de lui-même pour tenir le bout de la corde pendant que je descendrais. Parker semblait se posséder un peu mieux que les autres, et je m'efforçai de le ranimer par tous les moyens possibles. Présumant qu'un bain d'eau de
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mer pourrait avoir un heureux effet, je m'avisai de lui atta- cher un bout de corde autour du corps, et puis, le condui- sant au capot-d'échelle (lui, restant toujours inerte et passif), je l'y poussai et l'en retirai immédiatement. J'eus lieu de me féliciter de mon expérience , car il parut reprendre de la vie et de la force, et en remontant il me demanda d'un air tout à fait raisonnable pourquoi je le traitais ainsi. Quand je lui eus expliqué mon but, il me remercia du service, et dit qu'il se sentait beaucoup mieux depuis son bain; ensuite, il parla sensément de notre situation. Nous résolûmes alors d'appliquer le même traitement à Auguste et à Peters; ce que nous fîmes immédiatement, et le sai- sissement leur procura à tous deux un soulagement remar- quable. Cette idée d'immersion soudaine m'avait été sug- gérée par quelque vieille lecture médicale sur les heureux effets de I'affusion et de la douche dans les cas où le malade souffre du delirium tremens.
Voyant que je pouvais enfin me fier à mes camarades pour tenir le bout de la corde, je plongeai encore trois ou quatre fois dans la cabine, bien qu'il fît tout à fait nuit, et qu'une houle assez douce, mais très-allongée, venant du nord, ballottât tant soit peu notre ponton. Dans le cours de ces tentatives, je réussis à rapporter deux grands cou- teaux de table, une cruche de la contenance de trois gallons, mais vide, enfin une couverture, mais rien qui pût servir à soulager notre faim. Après avoir trouvé ces divers articles , je continuai mes efforts jusqu'à ce que je fusse com- plètement épuisé; mais je n'attrapai plus rien. Pendant la nuit, Parker et Peters firent la même besogne à tour de rôle; mais on ne pouvait plus mettre la main sur rien, et, persuadés que nous nous épuisions en vain, de désespoir nous abandonnâmes l'entreprise.
Nous passâmes le reste de la nuit dans la plus terrible
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angoisse morale et physique qui se puisse imaginer, Le matin du 16 se leva enfin, et nos yeux cherchèrent avec avidité le secours à tous les points de l'horizon , mais vai- nement. La mer était toujours très-unie, avec une longue houle du nord, comme la veille. II y avait alors six jours que nous n'avions goûté d'aucune nourriture ni bu d'au- cune boisson, à l'exception de la bouteille de porto, et il était clair que nous ne pourrions résister que fort peu de temps, à moins que nous ne fissions quelque trouvaille. Je n'avais jamais vu et je désire ne jamais revoir des êtres humains aussi complètement émaciés que Peters et Au- guste. Si je les avais rencontrés à terre dans leur état actuel, je n'aurais pas soupçonné que je les eusse jamais connus. Leur physionomie avait complètement changé de caractère, si bien que je pouvais à peine me persuader qu'ils étaient bien les mêmes individus avec lesquels j'étais en compagnie peu de jours auparavant. Parker, quoique piteusement réduit, et si faible qu'il ne pouvait lever sa tête de sa poitrine, n'en était cependant pas au même point que les deux autres. II souffrait avec une grande patience, ne poussait aucune plainte, et tâchait de nous inspirer l'espérance par tous les moyens qu'il pouvait inventer. Quant à moi, bien que j'eusse été malade au commencement du voyage, et que j'aie toujours été d'une constitution délicate, je souffrais moins qu'aucun d'eux; j'étais moins amaigri , et j'avais conservé à un degré sur- prenant les facultés de mon esprit, pendant que les autres étaient complètement accablés et semblaient tombés dans une sorte de seconde enfance , grimaçant un sourire niais, comme les idiots, et proférant les plus absurdes bêtises. Par intervalles toutefois, et très-soudainement, ils sem- blaient revivre, comme inspirés tout d'un coup par la conscience de leur situation; alors ils sautaient sur leurs
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pieds comme poussés par un accès momentané de vigueur, et parlaient de la question d'une manière tout à fait ration- nelle, mais pleine du plus intense désespoir. II est bien possible aussi que mes camarades aient eu de leur état la même opinion que moi du mien, et que je me sois rendu involontairement coupable des mêmes extravagances et des mêmes imbécillités; — c'est là un point qu'il m'est impossible de vérifier.
Vers midi, Parker déclara qu'il voyait la terre du côté de bâbord, et j'eus toutes les peines du monde à l'empêcher de se jeter à la mer pour gagner la côte à la nage. Peters et Auguste ne firent pas grande attention à ce qu'il disait; ils semblaient tous deux ensevelis dans une contemplation morne. En regardant dans la direction indiquée, il me fut impossible d'apercevoir la plus légère apparence de rivage : — d'ailleurs je savais trop bien que nous étions loin de toute terre pour m'abandonner à une espérance de cette nature.
II me fallut néanmoins beaucoup de temps pour convaincre Parker de sa méprise. II répandit alors un torrent de larmes, pleurnichant comme un enfant, avec de grands cris et des sanglots, pendant deux ou trois heures; enfin, épuisé par la fatigue de son désespoir, il s'endormit.
Peters et Auguste firent alors quelques efforts inefficaces pour avaler des morceaux de cuir. Je leur conseillai de chiquer le cuir et de le cracher, mais ils étaient trop affreusement affaiblis pour exécuter mon conseil. Je con- tinuai à mâcher des morceaux par intervalles , et j'en tirai quelque soulagement; mais ma principale souffrance était la privation d'eau, et je ne résistai à l'envie de boire de l'eau de mer qu'en me rappelant les horribles conséquences qui en étaient résultées pour d'autres individus placés dans les mêmes conditions que nous.
Le jour s'écoula de cette façon, quand je découvris sou-
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dainement une voile à Test, dans la direction de notre avant, du coté de bâbord. C'était, à ce qu'il me semblait, un grand navire, venant presque en travers de nous, et sans doute à une distance de douze ou quinze milles. Aucun de mes compagnons ne l'avait encore découvert, et je me gardais bien de le leur montrer tout de suite, dans la crainte que nous ne fussions encore frustrés de notre espérance. A la longue ,n;omme il approchait, je vis positivement qu'il avait le cap droit sur nous, avec ses voiles légères portant plein. Je ne pus me retenir plus longtemps, et je le montrai à mes compagnons de souf- france. Ils se dressèrent immédiatement sur leurs pieds, se livrant de nouveau aux plus extravagantes démonstrations de joie, pleurant, riant à la manière des idiots, sautant, piétinant sur le pont, s'arrachant les cheveux, priant et sacrant tour à tour. J'étais si influencé par leur conduite, aussi bien que par cette perspective de délivrance que je considérais maintenant comme sûre, que je ne pus m'em- pêcher de me joindre à eux, de participer à leurs folies, et de donner pleine liberté à toutes les explosions de ma joie et de mon bonheur, me vautrant et me roulant sur le pont, frappant des mains, criant et faisant mille enfan- tillages semblables, jusqu'à ce que je fusse rappelé à moi- même et aux dernières limites du désespoir et de la misère humaine, en voyant tout à coup le navire nous présenter maintenant son arrière en plein, et gouverner d'un côté tout à fait opposé à celui où je l'avais d'abord vu se diriger.
II me fallut quelque temps pour démontrer notre nou- veau malheur à mes pauvres camarades. Ils répondaient à toutes mes assertions par des regards fixes et des gestes qui signifiaient qu'ils ne pouvaient pas être dupes de pareilles plaisanteries. Ce fut Auguste dont la conduite
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me fit le plus de mal. En dépit de tout ce que je pus dire ou faire contre sa persuasion, il persista à affirmer que le navire se rapprochait vivement de nous, et à faire ses préparatifs pour monter à son bord. II montrait quel- ques plantes marines qui flottaient le long du brick, et il affirmait que c'était l'embarcation du navire; il s'efforça même de s'y jeter, hurlant et criant de manière à fendre le cœur; enfin j'employai la violence pour l'empêcher de se précipiter dans la mer.
Quand nous fûmes un peu remis de notre émotion, nous continuâmes à guetter le navire, jusqu'à ce que, le temps s'étant couvert et une petite brise s'étant levée, nous le perdîmes finalement de vue. Quand il eut entiè- rement disparu, Parker se tourna soudainement de mon coté avec une telle expression dans sa physionomie, que j'en eus le frisson. II avait un air de tranquillité, un sang- froid que je n'avais pas encore remarqué en lui jusqu'à présent, et avant qu'il eût ouvert la bouche, mon cœur m'avait appris ce qu'il allait dire. II me proposa, en termes brefs, que l'un de nous fût sacrifié pour sauver l'existence des autres.
XII
LA COURTE PAILLE.
Depuis quelque temps déjà j'avais réfléchi au cas où nous serions réduits à cette épouvantable extrémité, et j'avais pris la résolution secrète d'endurer n'importe quelle espèce de mort plutôt que d'invoquer une pareille ressource. Et cette résolution n'avait été en aucune façon
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affaiblie par la violence de la faim qui me travaillait. La proposition n'avait été entendue ni par Auguste ni par Peters. Je pris donc Parker à part, et priant Dieu menta- lement de me donner assez d'éloquence pour le dissuader de son abominable projet, je lui fis de longues Remon- trances, je le suppliai ardemment, je l'implorai au nom de tout ce qu'il tenait pour sacré, je le pressai, par toutes ïes espèces d'arguments que me suggéra ce cas suprême, d'abandonner son idée et de n'en faire part à aucun des deux autres.
II écouta tout ce que je lui dis sans essayer de réfuter mes raisons, et je commençais à espérer que je parvien- drais à le dominer; mais quand j'eus cessé de parler, il répondit qu'il savait que tout ce que je venais de dire était vrai, et que recourir à un pareil moyen était la plus horrible alternative qui pût se présenter à l'esprit humain , mais qu'il avait souffert aussi longtemps que la nature le pouvait endurer; qu'il n'était pas utile que tous mou- russent quand il était possible, et même probable, que par la mort d'un seul les autres fussent définitivement sauvés; ajoutant que je pouvais m'épargner la peine de vouloir le détourner de son projet, parce qu'il avait entiè- rement arrêté sa résolution là-dessus, même avant l'appa- rition du navire, et que c'était cette apparition seule qui l'avait empêché de faire sa proposition plus tôt.
Je le suppliai alors, si je ne pouvais pas obtenir qu'il lâchât son projet, de le différer au moins jusqu'à un autre jour, puisque quelque navire pouvait encore venir à notre secours; je repris tous les arguments qui me vinrent à l'esprit, et ceux que je présumai bons pour influencer une rude nature comme la sienne. II me répondit qu'il avait attendu, pour parler de cela, aussi longtemps que possible, — jusqu'à l'instant suprême; qu'il ne lui était pas
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possible de vivre sans un aliment quelconque; et, consé- quemment, que son idée, renvoyée à un autre jour, vien- drait trop tard, — du moins en ce qui le concernait.
Voyant que rien ne l'émouvait, et que je ne pouvais pas le prendre par la douceur, j'usai d'un ton différent, et je lui dis qu'il devait savoir que j'avais souffert moins qu'aucun d'eux de toutes nos calamités , que j'étais donc en ce moment bien supérieur en force et en santé, non- seulement à lui, mais même à Peters et à Auguste; bref, que j'étais en mesure d'employer la force si je le jugeais nécessaire, et que, s'if essayait d'une façon quelconque de faire part aux autres de son affreux projet de cannibale, je n'hésiterais pas à le jeter à la mer. Là-dessus, il m'em- poigna immédiatement à la gorge, et, tirant un couteau, il fit quelques efforts inutiles pour me frapper à l'estomac, atrocité que son extrême faiblesse l'empêcha seule d'ac- complir. Cependant, monté à un haut degré de colère, je le poussai jusqu'au bord du navire, avec la ferme inten- tion de le jeter par-dessus bord. Mais il fut sauvé de sa destinée par l'intervention de Peters, qui s'approcha et nous sépara, demandant le sujet de la querelle. Parker le lui dit avant que j'eusse trouvé un moyen de l'en em- pêcher.
L'effet de ces paroles fut encore plus terrible que je ne m'y étais attendu. Auguste et Peters, qui depuis longtemps, à ce qu'il paraît, nourrissaient en secret la terrible pensée que Parker avait simplement émise le premier, s'accor- dèrent avec lui, et insistèrent pour la mettre immédia- tement à exécution. J'avais présumé que l'un des deux au moins aurait encore assez de force d'âme et serait assez maître de lui pour se ranger de mon côté et s'opposer à l'exécution de cet affreux dessein; et avec l'aide de l'un d'eux je me croyais parfaitement capable d'en empêcher
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l'accomplissement. Frustré de cette espérance, il devenait indispensable pour moi de pourvoir à ma propre sûreté; car une plus longue résistance de ma part pouvait être considérée par ces hommes qu'exaspérait leur situation comme une excuse suffisante pour me refuser mon franc jeu dans la tragédie qui allait maintenant se jouer vive- ment.
Je leur dis que j'adhérais volontiers à la proposition, et que je demandais simplement un délai d'une heure à peu près pour laisser au brouillard qui nous enveloppait le temps de s'élever, parce qu'alors le navire que déjà nous avions aperçu serait peut-être encore en vue. Après de longues difficultés, j'obtins d'eux la promesse d'attendre encore jusque-là; et, comme je l'avais espéré, grâce à une brise qui survint rapidement, la brume s'éleva avant l'expiration de l'heure; mais aucun navire n'apparaissant à l'horizon, nous nous préparâmes à tirer au sort.
C'est avec une excessive répugnance que je m'étends sur la scène épouvantable qui suivit, scène qu'aucun évé- nement postérieur n'a pu effacer de ma mémoire, — qui y est restée gravée avec ses plus minutieux détails, et dont le cruel souvenir empoisonnera chaque instant de mon existence à venir. Qu'il me soit permis d'expédier cette partie de mon récit aussi promptement que le comporte la nature des incidents à relater. La seule méthode qui fût à notre disposition pour cette terrible loterie, dans laquelle nous avions chacun une chance à courir, était de tirer à la courte paille. De petits éclats de bois pouvaient remplir le but proposé, et il fut convenu que je tiendrais les lots. Je me retirai à un bout du navire , pendant que mes pauvres camarades prirent silencieusement position à l'autre bout, en me tournant le dos. Le moment le plus cruel de ce terrible drame, le plus plein d'angoisse, fut
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pendant que je m'occupais de l'arrangement des lots. II est peu de situations décisives pour l'homme où il n'attache pas à la conservation de son existence un profond intérêt, — intérêt qui s'accroît de minute en minute avec la fragi- lité du lien où cette existence est suspendue. Mais main- tenant, la nature silencieuse, positive, rigoureuse, de la besogne à laquelle je me livrais (si différente des tumul- tueux périls de la tempête ou des horreurs graduées et progressives de la famine) me donna à réfléchir sur le peu de chances que j'avais d'échapper à la plus effrayante des morts, — à une mort de la plus effrayante utilité, — et chaque parcelle de cette énergie qui m'avait si longtemps soutenu fuyait maintenant comme les plumes devant le vent, me laissant la proie impuissante delà plus abjecte, de la plus pitoyable terreur. D'abord, je ne pus même pas trouver la force suffisante pour arracher et pour assembler les petites esquilles de bois; mes doigts me refusaient absolument leur service, et mes genoux claquaient vio- lemment l'un contre l'autre. Mon esprit parcourut rapi- dement mille absurdes expédients pour éviter de jouer mon jeu dans cette affreuse spéculation. Je pensai à me jeter aux genoux de mes camarades et à les supplier de me permettre de me soustraire à cette nécessité; à me préci- piter sur eux à I'improviste, à en mettre un à mort, et à rendre ainsi superflue la décision par le sort; bref, je pensai à tout, excepté à exécuter ce que j'avais à faire. A la fin , après avoir perdu beaucoup de temps dans cette conduite imbécile, je fus rappelé à moi-même par la voix de Parker, qui me pressait de les tirer enfin de la terrible inquiétude qu'ils enduraient. Et encore, je ne pus me rési- gner à arranger sur le champ les éclats de bois. Je me pris à réfléchir sur toutes les finasseries à employer pour tricher au jeu, et pour induire un de mes pauvres compa-
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gnons d'inforture à tirer la courte paille, puisqu'il avait été convenu que celui qui tirerait la plus courte des quatre esquilles mourrait pour la conservation des autres. Que quiconque a envie de me condamner pour cette apparente infamie veuille bien se placer dans une position exacte- ment semblable à la mienne!
Enfin aucun délai n'était plus possible, et, sentant mon cœur près d'éclater dans ma poitrine, je m'avançai vers le gaillard d'avant, où mes camarades m'attendaient. Je pré- sentai ma main avec les esquilles, et Peters tira immédia- tement. II était libre! — son esquille, du moins, n'était pas la plus courte; j'avais donc maintenant une chance de plus contre moi. Je rassemblai toute mon énergie, et je tendis les lots à Auguste. II tira immédiatement le sien et se trouva également libre; et maintenant, que je dusse vivre ou mourir, les chances étaient précisément égales, En ce moment, toute la férocité du tigre s'empara de mon cœur, et je sentis contre Parker, mon semblable, mon pauvre camarade, la haine la plus intense et la plus diabo- lique. Mais ce sentiment ne dura pas, et à la longue, avec un frisson convulsif et les yeux fermés, je tendis vers lui les deux esquilles restantes. II s'écoula bien cinq bonnes minutes avant qu'il pût se résoudre à tirer la sienne, et, durant ce siècle d'indécision à déchirer le cœur, je n'ou- vris pas une seule fois les yeux. Enfin un des lots fut vive- ment tiré de ma main. Le sort était décidé, mais je ne savais pas s'il était pour ou contre moi. Personne ne disait mot, et je n'osais pas éclaircir mon incertitude en regar- dant le morceau qui me restait. A la fin, Peters me saisit la main, et je m'efforçai de regarder; mais je vis tout de suite, à la physionomie de Parker, que j'étais sauvé et qu'il était la victime condamnée. Je respirai convulsivement, et je tombai sur le pont sans connaissance.
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Je revins à temps de mon évanouissement pour voir le dénoûment de la tragédie et assister à la mort de celui qui, comme auteur de la proposition, était, pour ainsi dire, son propre meurtrier. II ne fit aucune résistance, et, frappé dans le dos par Peters, il tomba mort sur le coup. Je n'insisterai pas sur le terrible festin qui s'ensuivit im- médiatement : ces choses-là, on peut se les figurer, mais les mots n'ont pas une vertu suffisante pour frapper l'es- prit de la parfaite horreur de la réalité. Qu'il me suffise de dire qu'après avoir, jusqu'à un certain point, apaisé dans le sang de la victime la soif enragée qui nous dévorait, et détaché d'un commun accord les mains, les pieds et la tête, que nous jetâmes à la mer avec les' entrailles, nous dévorâmes le reste du corps, morceau par morceau , durant les quatre jours à jamais mémorables qui suivirent, 17, 18, 19 et 20 juillet.
Le 19, il survint une superbe averse qui dura quinze ou vingt minutes, et «pi nous permit de ramasser un peu d'eau au moyen d'un drap que notre drague avait péché dans la cabine juste après la tempête. La quantité que nous recueillîmes ainsi ne montait pas en tout à plus d'un demi-gallon; mais cette chétive provision suffit pourtant à nous rendre, comparativement, un peu de force et d'es- pérance.
Le 21, nous fûmes de nouveau réduits à la dernière extrémité. La température se maintenait chaude et agréable, avec quelque brouillard et de petites brises, variant généralement du nord à l'ouest.
Le 22, comme nous étions tous trois assis, serrés l'un contre l'autre, et rêvant mélancoliquement à notre lamen- table situation, mon esprit fut traversé d'une idée soudaine qui brilla comme un vif rayon d'espérance. Je me souvins que, quand le mât^de misaine avait été coupé, Peters se
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trouvant au vent, dans les porte-haubans, m'avait passé une des haches, en me priant de la mettre, s'il était pos- sible, en lieu de sûreté, et que, quelques minutes avant le dernier coup de mer qui avait attrapé et inondé le brick, j'avais serré cette hache dans le gaillard d'avant et l'avais déposée dans un des cadres de bâbord. Je pensais main- tenant que, si nous pouvions mettre la main dessus, il nous serait peut-être possible d'ouvrir le pont au-dessus de la cambuse et de nous procurer ainsi des provisions sans difficulté.
Quand je communiquai ce projet à mes camarades, ils poussèrent un faible cri de joie, et nous allâmes immédia- tement vers le gaillard d'avant. Ici la difficulté de des- cendre se présentait beaucoup plus grande que pour la cabine, l'ouverture étant beaucoup plus étroite; car on se rappelle que toute la charpente autour du capot-d'échelle de la chambre avait été enlevée, tandis que ïe passage vers le gaillard d'avant, n'étant qu'une simple écoutille de trois pieds carrés environ , était resté intact. Cependant je n'hé- sitai pas à tenter l'aventure, et, une corde ayant été assujettie autour de mon corps, comme précédemment, je plongeai hardiment, les pieds les premiers; je parvins rapi- dement au cadre, et du premier coup je rapportai la hache. Elle fut saluée avec extase, avec des cris de joie et de triomphe, et la facilité avec laquelle nous l'avions trouvée fut considérée comme un présage de notre salut définitif.
Nous commençâmes à attaquer le pont avec toute l'énergie de l'espérance rallumée, Peters et moi jouant de la hache à tour de rôle; quant à Auguste, son bras blessé l'em- pêchait de nous rendre aucun service. Comme nous étions encore trop faibles pour rester ainsi debout sans nourriture , et que nous ne pouvions pas conscquemmcnt travailler
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une minute ou deux sans nous reposer, il devint bientôt évident qu'il nous faudrait plusieurs longues heures pour accomplir une pareille tâche, — c'est-à-dire pour prati- quer une ouverture suffisamment large et nous frayer un libre accès vers la cambuse. Cette considération, toutefois, ne nous découragea pas, et, travaillant toute la nuit à la clarté de la lune, le matin du 23, au point du jour, nous en étions venus à nos fins.
Peters s'offrit alors pour descendre, et, ayant fait tous ses préparatifs ordinaires, il plongea et revint bientôt, rap- portant avec lui une petite jarre, qui, à notre grande joie, se trouva être pleine d'olives. Nous nous les partageâmes, et nous les dévorâmes avec la plus grande avidité; puis nous descendîmes Peters de nouveau. II réussit cette fois au delà de toutes nos espérances, car il revint immédia- tement avec un gros jambon et une bouteille de madère. Nous ne bûmes du vin qu'un petit coup chacun, sachant maintenant par expérience quels dangers il y avait à s'y livrer immodérément. Le jambon, sauf la valeur de deux livres environ près de l'os, avait été entièrement gâté par l'eau salée et n'était pas dans un état mangeable. La partie saine fut partagée en trois parts. Peters et Auguste, inca- pables de maîtriser leur appétit, engloutirent la leur immé- diatement; pour moi, je fus plus prudent, et, redoutant la soif qui devait en résulter, je ne mangeai qu'un petit mor- ceau de la mienne. Alors nous nous reposâmes un peu de notre labeur, qui avait été horriblement rude.
Vers midi, nous sentant un peu remis et fortifiés, nous recommençâmes nos attaques sur les provisions, Peters et moi plongeant alternativement, et toujours avec plus ou moins de succès, jusqu'au coucher du soleil. Pendant cet intervalle, nous eûmes le bonheur de rapporter en tout quatre nouvelles petites jarres d'olives, un autre jambon,
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une grosse bouteille d'osier contenant presque trois gal- lons d'excellent madère et, ce qui nous fit encore plus de plaisir, une petite tortue de*i**spèce galapago; le capitaine Barnard, au moment où le Grampus quittait le port, en avait reçu à son bord plusieurs de la goélette Mary-Pitts, qui revenait d'un voyage dans le Pacifique à la chasse du veau marin.
Dans une partie subséquente de ce récit, j'aurai fré- quemment l'occasion de parler de cette espèce de tortue. On la trouve principalement, comme la plupart de mes lecteurs le savent, dans le groupe d'îles appelées les Gala- pagos, qui, dans le fait, tirent leur nom de l'animal, — le mot espagnol galapago signifiant tortue d'eau douce. Sa forme particulière et son allure lui font donner quel- quefois le nom de tortue-éléphant. On en trouve souvent qui sont d'une grosseur énorme. J'en ai vu moi-même quelques-unes qui pesaient de douze à quinze cents livres, bien que je n'aie pas souvenir qu'aucun navigateur ait parlé de tortues de cette espèce pesant plus de huit cents livres. Leur aspect est singulier, et même répugnant. Leur démarche est très-lente, mesurée, lourde, le corps s'éle- vant à peu près à un pied du sol. Le cou est long et excessivement grêle; la longueur ordinaire de ce cou est de dix-huit pouces à deux pieds, et j'en ai tué une chez qui la distance de l'épaule à l'extrémité de la tête n'était pas de moins de trois pieds dix pouces. La tête a une ressemblance frappante avec celle d'un serpent. Elles peuvent vivre sans manger pendant un temps si long que c'est presque incroyable, et l'on cite des cas où des tortues de cette espèce ont été jetées dans la cale d'un navire et y sont restées deux ans sans aucune nourriture, aussi grasses et à tous égards aussi bien portantes à l'expi- ration de ce terme qu'au moment même où on les y avait
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mises. Par une particularité de leur organisme ces sin- guliers animaux ressemblent au dromadaire ou chameau du désert. Elles portent toujours une provision d'eau dans une poche à la naissance du cou. En les tuant après les avoir privées de toute nourriture pendant une année entière, on a quelquefois trouvé dans la poche de quelques-unes de ces tortues jusqu'à trois gallons d'eau parfaitement douce et fraîche. Elles mangent principalement du persil sauvage et du céleri, avec du pourpier, de la soude et des ra- quettes, ce dernier végétal, qui leur profite d'une manière étonnante, existant en grande abondance sur le versant des collines près du rivage où l'on trouve l'animal lui- même. Cette tortue, un aliment excellent et des plus substantiels, a servi sans aucun doute à conserver l'existence de milliers de marins employés à la pêche de la baleine et autres spéculations dans le Pacifique.
Celle que nous eûmes la chance de rapporter de la cambuse n'était pas très-grosse et pesait probablement soixante-cinq ou soixante-dix livres. C'était une femelle, dans un état excellent, excessivement grasse, et ayant dans son sac plus d'un quart de gallon d'eau douce et limpide. C'était vraiment un trésor; et, tombant sur nos genoux d'un commun accord , nous rendîmes à Dieu des actions de grâces ferventes pour ce soulagement si op- portun.
Nous eûmes beaucoup de peine à faire passer l'animal par l'ouverture; car il résistait avec fureur, et sa force était prodigieuse. II était sur le point d'échapper des mains de Peters et de retomber dans l'eau, quand Au- guste, lui jetant autour du cou une corde à nœud cou- lant, le retint par ce moyen jusqu'à ce que j'eusse sauté dans le trou à côté de Peters pour l'aider à soulever la bête jusqu'au pont.
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Nous transvasâmes joyeusement l'eau du sac de l'ani- mal dans la cruche que nous avions, comme on se le rappelle, rapportée précédemment de la cabine. Ensuite nous cassâmes le goulot d'une bouteille , de manière à faire à l'aide du bouchon, une espèce de verre à boire qui ne contenait pas tout à fait le quart d'une pinte. Nous bûmes chacun un de ces verres plein, et nous réso- lûmes de nous restreindre à cette quantité par jour, aussi longtemps que pourrait durer la provision.
Durant les deux ou trois derniers jours, le temps ayant été sec et doux, les couvertures que nous avions tirées de la cabine se trouvèrent complètement séchées, ainsi que nos vêtements, de sorte que nous passâmes cette nuit (la nuit du 23) dans une espèce de bien-être relatif, et que nous jouîmes d'un sommeil paisible, après nous être régalés d'olives et de jambon, ainsi que d'une petite ration de vin. Comme nous avions peur de voir quelqu'une de nos provisions filer par-dessus bord pendant la nuit, au cas où la brise se lèverait, nous les assujettîmes de notre mieux avec une corde aux débris du guindeau. Quant à notre tortue, que nous tenions vivement à con- server vivante aussi longtemps que possible, nous la tour- nâmes sur le dos, et nous l'attachâmes d'ailleurs soigneu- sement.
XIII
ENFIN !
24 juillet. — Le matin du 24 nous trouva singulière- ment restaurés en forces et en courage. Malgré la situa- tion périlleuse où nous étions placés, — ignorant notre
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position, à coup sûr loin de toute terre, — sans plus de nourriture que pour une quinzaine, même en la ména- geant soigneusement, — entièrement privés d'eau, et flottant çà et là, sur la plus piteuse épave du monde, à la merci de la houle et du vent, — les angoisses et les dangers infiniment plus terribles auxquels nous avions tout récemment et si providentiellement échappé nous faisaient considérer nos souffrances actuelles comme quelque chose d'assez ordinaire, — tant il est vrai que le bonheur et le malheur sont purement relatifs.
Au lever du soleil, nous nous préparions à recommen- cer nos tentatives pour rapporter quelque chose de la cambuse, quand, une vigoureuse averse étant survenue, nous mîmes tous nos soins à recueillir de l'eau avec le drap qui nous avait déjà servi à cet effet. Nous n'avions pas d'autre moyen pour recueillir la pluie que de tenir le drap tendu par le milieu avec une des ferrures des porte- haubans de misaine. L'eau, ainsi ramassée au centre, s'égouttait dans notre cruche. Nous l'avions presque rem- plie parce procédé, quand une forte rafale survenant du nord nous contraignit à lâcher prise; car notre bateau commençait à rouler si violemment que nous ne pouvions plus nous tenir sur nos pieds. Nous allâmes alors à l'avant, et, nous amarrant solidement au guindeau comme nous avions déjà fait, nous attendîmes les événements avec beau- coup plus de calme que nous ne l'aurions cru possible dans de pareilles circonstances. A midi, le vent avait fraîchi; c'était déjà une brise à serrer deux ris, et, à la nuit, une brise carabinée, accompagnée d'une houle effroyablement grosse. Cependant l'expérience nous ayant appris la meilleure méthode pour arranger nos amarres, nous sup- portâmes cette triste nuit sans trop d'inquiétude, bien que nous fussions à chaque minute entièrement inondés,
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et en perpétuel danger d'être balayés par la mer. Très- heureusement, le temps extrêmement chaud rendait l'eau presque agréable.
25 juillet. — Ce matin-là, la tempête calmée n'était plus qu'une brise à filer dix nœuds, et la mer était si considé- rablement tombée que nous pouvions nous tenir au sec sur le pont; mais, à notre grand chagrin, nous vîmes que deux de nos jarres d'olives, aussi bien que tout le jambon, avaient été balayés par-dessus bord, en dépit de tout le soin que nous avions mis à les attacher. Nous résolûmes de ne pas encore tuer la tortue, et nous nous conten- tâmes pour le présent de déjeuner de quelques olives et d'une petite ration d'eau à moitié étendue de vin; ce mé- lange servit beaucoup à nous soulager et à nous ranimer, et nous évitâmes ainsi la douloureuse ivresse qui était ré- sultée du porto. La mer était encore trop grosse pour re- commencer nos tentatives sur la cambuse. Pendant la journée, plusieurs articles, sans importance pour nous, dans notre situation présente, montèrent à la surface â travers l'ouverture et glissèrent immédiatement par-dessus bord. Nous observâmes aussi que notre carcasse donnait de plus en plus de la bande, si bien que nous ne pouvions plus nous tenir un instant debout sans nous attacher. Aussi nous passâmes une journée mélancolique et des plus pé- nibles. A midi le soleil nous apparut presque au-dessus de nos têtes, et nous ne doutâmes pas que cette longue suite de vents de nord et de nord-ouest ne nous eût entraînés presque à proximité de l'équateur. Vers le soir, nous vîmes quelques requins, et nous fûmes passablement alarmés par l'un d'eux, un énorme, qui s'approcha de nous d'une façon tout à fait audacieuse. Un instant, comme une embardée avait fait plonger le pont très-avant dans l'eau, le monstre
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nageait positivement au-dessus de nous; il se débattit pen- dant quelques moments juste au-dessus de I'écoutille, et frappa vivement Peters avec sa queue. Un fort coup de mer le roula par-dessus bord à notre grande satisfaction. Avec un temps calme, nous nous en serions facilement emparés.
26 juillet. — Ce matin, le vent était bien tombé, et, la mer n'étant plus très-grosse , nous résolûmes de reprendre notre pêche aux provisions dans la cambuse. Après un rude labeur qui dura toute la journée, nous vîmes qu'il n'y avait plus rien à espérer de ce côté, parce que les cloisons avaient été défoncées pendant la nuit et que les provisions avaient roulé dans la cale. Cette découverte, comme on doit le penser, nous remplit de désespoir.
27 juillet. — Mer presque unie, avec une légère brise, et toujours du nord ou de l'ouest. Le soleil dans l'après- midi étant devenu très-chaud, nous nous sommes occupés à sécher nos vêtements. Trouvé beaucoup dchsoulagement contre la soif et de bien-être de toute façon en nous bai- gnant dans la mer; mais il nous fallut user en cela de beau- coup de prudence, car nous avions une grande peur des requins, dont nous avions vu nager quelques-uns autour du brick pendant la journée.
28 juillet. — Toujours beau temps. Le brick commen- çait alors à se coucher sur le côté d'une manière si alar- mante que nous craignions qu'il ne tournât définitivement, la carène en l'air. Nous nous préparâmes de notre mieux à cet accident. Notre tortue, notre cruche d'eau et les deux jarres restantes d'olives, nous attachâmes tout du côté du vent, aussi loin que possible en dehors de la coque, au-
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dessous des grands porte-haubans. Toute la journée, une mer très-unie, avec peu ou point de vent.
2y juillet. — Continuation du même temps. Le bras blessé d'Auguste commençait à donner des symptômes de gangrène. Mon ami se plaignait d'un engourdissement et d'une soif excessive; mais de douleur aiguë, point. Nous ne pouvions rien faire pour le soulager, si ce n'est de frot- ter ses blessures avec un peu du vinaigre des olives, et il ne semblait pas qu'il en résultât aucun avantage. Nous fîmes pour lui tout ce qui était en notre pouvoir, et nous triplâmes sa ration d'eau.
30 juillet — Journée excessivement chaude, sans vent. Un énorme requin s'est tenu le long de la coque pendant toute l'après-midi. Nous avons fait quelques tentatives infructueuses pour le prendre au moyen d'un nœud coulant. Auguste allait beaucoup plus mal et s'affaiblissait évidem- ment autant par manque d'une nourriture convenable que par l'effet de ses blessures. II suppliait sans cesse qu'on le délivrât de ses souffrances, disant qu'il n'aspirait qu'à la mort. Ce soir-là, nous mangeâmes nos dernières olives, et nous trouvâmes l'eau de notre cruche trop putride pour pouvoir l'avaler sans y mêler un peu de vin. II fut décidé que nous tuerions notre tortue dans la matinée.
3 1 juillet. — Après une nuit d'inquiétude et de fatigue excessives, dues à la position du navire, nous nous mîmes à tuer et à dépecer notre tortue. II se trouva qu'elle était beaucoup moins forte que nous ne l'avions supposé, quoique de bonne qualité; — toute la chair que nous en pûmes tirer ne montait pas à plus de dix livres. Dans le but d'en réserver une portion aussi longtemps que possible,
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nous la coupâmes en tranches très-minces, nous en rem- plîmes les trois jarres restantes et la bouteille au madère (que nous avions précieusement conservées), et nous ver- sâmes dessus le vinaigre des olives. De cette façon, nous mîmes de côté trois livres environ de chair de tortue, nous promettant de n'y pas toucher avant d'avoir con- sommé le reste. Nous résolûmes de nous restreindre à une ration de quatre onces à peu près de viande par jour; le out devait donc nous durer treize jours. A la brune, pluie intense accompagnée d'éclairs et de violents coups de ton- nerre, — mais qui dura si peu de temps, que nous ne pûmes recueillir à peu près qu'une demi-pinte d'eau. D'un consentement commun, nous donnâmes tout à Auguste, qui semblait maintenant à la dernière extrémité. II buvait l'eau à même le drap à mesure que nous la recueillions, lui couché sur le pont, et nous, tenant le drap de ma- nière à laisser couler l'eau dans sa bouche; car il ne nous restait rien qui pût servir à contenir l'eau, à moins de vider le vin de la grosse bouteille d'osier, ou l'eau croupie de la cruche. Nous aurions eu cependant recours à l'un de ces expédients si l'averse avait duré.
Le malade ne sembla tirer de son breuvage qu'un pauvre soulagement. Son bras était complètement noir depuis le poignet jusqu'à l'épaule, et ses pieds étaient comme de la glace. Nous nous attendions à chaque instant à lui voir rendre le dernier soupir. II était effroyablement amaigri; à ce point que, bien qu'il pesât cent vingt-sept livres en quittant Nantucket, maintenant il ne pesait pas plus de quarante ou cinquante livres au maximum. Ses yeux étaient profondément enfoncés dans sa tête, visibles à peine, et la peau de ses joues pendait, lâche et traînante, au point de l'empêcher de mâcher aucune nourriture ou d'avaler aucun liquide à moins d'une excessive difficulté.
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1er août. — Toujours le même temps : grand calme, avec un soleil étouffant. Horriblement souffert de la soif, l'eau de la cruche étant absolument putride et fourmillant de vermine. Nous réussîmes cependant à en avaler une partie en la mêlant avec du vin; — mais notre soif n'en fut que médiocrement apaisée. Nous trouvâmes plus de soulagement à nous baigner dans la mer, mais nous ne pûmes recourir à cet expédient qu'à de longs intervalles, à cause de la présence continuelle des requins. Ce fut alors chose démontrée pour nous qu'Auguste était perdu; évidem- ment il se mourait. Nous ne pouvions rien faire pour di- minuer ses souffrances, qui semblaient horribfes. Vers midi, il expira dans de violentes convulsions, et sans avoir proféré un mot depuis plusieurs heures. Sa mort nous pénétra des plus mélancoliques pressentiments et eut sur nos esprits un effet si puissant, que nous restâmes cou- chés auprès du corps tout le reste du jour, sans échanger une parole, si ce n'est à voix basse. Ce ne fut qu'après la tombée de la nuit que nous eûmes le courage de nous lever et de jeter le cadavre par-dessus bord. II était alors hideux au delà de toute expression, et dans un tel état de décomposition, que Peters ayant essayé de le soulever, une jambe entière lui resta dans la main. Quand cette masse putréfiée glissa dans la mer par-dessus le mur du navire, nous découvrîmes, à la clarté phosphorique dont elle était pour ainsi dire enveloppée, sept ou huit requins, dont les affreuses dents rendirent, pendant qu'ils se parta- geaient leur proie par lambeaux, un craquement sinistre qui aurait pu être entendu à la distance d'un mille. A ce bruit funèbre, nous fûmes pénétrés d'horreur jusqu'au plus profond de notre être.
2 août. — Même temps, calme terrible, chaleur excès-
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sive. L'aube nous a surpris dans un état d'abattement pi- toyable et de complet épuisement physique. L'eau de la cruche n'était vraiment plus potable; ce n'était qu'une épaisse masse gélatineuse, mélange effrayant de vers et de vase. Nous la jetâmes, et, après avoir lavé soigneusement la cruche dans la mer, nous y versâmes un peu de vinaigre des bouteilles où nous faisions mariner les débris de la tortue. Notre soif alors, était presque intolérable, et nous essayâmes vainement de l'apaiser par le vin, qui semblait de l'huile sur le feu et qui nous poussait à une violente ivresse. Nous essayâmes ensuite de soulager nos souffrances par le mélange du vin avec de l'eau de mer; mais il en ré- sulta immédiatement les plus violentes nausées, de sorte que nous n'y revînmes plus. Pendant tout le jour nous guettâmes avec anxiété l'occasion de nous baigner, mais vainement; car notre ponton était littéralement assiégé de tous côtés par les requins, — les mêmes monstres, sans aucun doute, qui avaient dévoré notre pauvre camarade dans la soirée précédente, et qui attendaient à chaque instant un nouveau régal de même nature. Cette circon- stance nous causa le regret le plus amer et nous remplit des pressentiments les plus mélancoliques et les plus accablants. Le bain nous avait déjà procuré un soulagement inconce- vable, et nous ne pouvions endurer l'idée de nous voir frustrés de cette ressource d'une manière si affreuse. D'ail- leurs, nous n'étions pas absolument libres de toute crainte ni à l'abri d'un danger immédiat; car la plus légère glis- sade ou un faux mouvement pouvait nous jeter à la portée de ces poissons voraces, qui venaient en nageant sous le vent et poussaient souvent droit jusqu'à nous. Ni cris ni mouvements de notre part ne semblaient les effrayer. L'un des plus gros, ayant été frappé d'un coup de hache par Peters, et rudement blessé, n'en persista pas moins à
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s'avancer jusqu'à nous. Un nuage s'éleva à la brune, mais, à notre extrême désappointement, il passa sans crever. II est absolument impossible de concevoir ce que nous souffrions alors par la soif. En raison de ces tortures, et aussi par crainte des requins, nous passâmes une nuit sans sommeil.
^ août — Aucune perspective de soulagement, et le brick se couchant de plus en plus sur le côté, en sorte que nos pieds n'avaient plus du tout prise sur le pont. Nous être occupés à mettre en sûreté notre vin et nos restes de tortue, de manière à ne pas les perdre en cas de culbute. Arraché deux forts clous des porte-haubans de misaine, et, au moyen de la hache, les avoir enfoncés dans la coque du coté du vent, à une distance de l'eau de deux pieds environ; ce qui n'était pas très loin de la quille, car nous étions presque sur notre coté. A ces clous nous amarrâmes nos provisions, qui nous parurent plus en sûreté qu'à l'endroit où nous les avions placées précédemment. Hor- ribles souffrances par la soif pendant toute la journée; — pas d'occasion de nous baigner, à cause des requins qui ne nous quittèrent pas un instant. Le sommeil, impossible.
4 août. — Un peu de temps avant le point du jour, nous nous aperçûmes que le navire tournait la quille en l'air, et nous nou§ ingéniâmes pour éviter d'être lancés par le mouvement. D'abord, la révolution fut lente et graduée, et nous réussîmes très-bien à grimper tout en haut du côté du vent, ayant eu l'heureuse idée de laisser traîner des bouts de cordes aux clous qui retenaient nos provisions. Mais nous n'avions pas suffisamment calculé l'accélération de la force impulsive; car le mouvement devenait mainte- nant trop violent pour nous permettre de marcher de pair
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avec lui, et, avant que nous eussions eu le temps de nous reconnaître, nous nous sentîmes impétueusement précipités dans la mer, nous débattant à plusieurs brasses au-dessous du niveau de l'eau, avec l'énorme coque juste au-dessus de nous.
En plongeant sous l'eau j'avais été obligé de lâcher ma corde; et sentant que j'étais absolument sous le navire, mes pauvres forces complètement épuisées, je fis à peine un effort pour sauver ma vie, et en quelques secondes je me résignai à mourir. Mais encore en ceci je m'étais trompé, et je n'avais pas réfléchi au rebondissement naturel de la coque du côté du vent. Le tourbillonnement de l'eau qui remontait, causé par cette révolution partielle du navire, me ramena à la surface encore plus vivement que je n'avais été plongé. En revenant au-dessus de l'eau, je me trouvai à peu près à 20 yards de la coque, autant que j'en pus juger. Le navire avait tourné la quille en l'air et se balan- çait furieusement bord sur bord, et tout autour, dans tous les sens, la mer était très-agitée et pleine de violents tour- billons. Plus de Peters. Une barrique d'huile flottait à quelques pieds de moi, et d'autres articles provenant du brick étaient éparpillés çà et là.
Ma principale terreur avait pour objet les requins, que je savais être dans mon voisinage. Pour les éloigner de moi, s'il était possible, je battis violemment l'eau de mes pieds et de mes mains, tout en nageant vers la coque, et faisant ainsi une masse d'écume. Je ne doute pas que ce ne soit à cet expédient, si simple qu'il fût, que je dus mon salut; car, avant que le brick ne tournât, la mer tout autour four- millait tellement de ces monstres , que j'ai dû être et que j'ai été positivement en contact immédiat avec eux durant mon trajet Par grand hasard et très-heureusement, j'atteignis tou- tefois le bord du navire sain et sauf; mais j'étais si complé-
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tement épuisé par les violents efforts qu'il m'avait fallu déployer, que je n'aurais jamais pu y remonter sans l'assis- tance opportune de Peters, qui, ayant grimpé sur la quille par l'autre coté de la coque , reparut alors à ma grande joie, et me jeta un bout de corde , — d'une de celles que nous avions attachées aux clous.
A peine avions-nous échappé à ce danger que notre attention fut attirée par une autre imminence non moins terrible : mourir absolument de faim. Toutes nos provi- sions avaient disparu, avaient été balayées en dépit de tout le soin que nous avions mis à les placer en lieu de sûreté; et, ne voyant plus aucune possibilité de nous en procurer d'autres, nous nous abandonnâmes tous les deux au déses- poir, et nous nous mîmes à sangloter comme des enfants, aucun des deux n'essayant même de donner du courage à l'autre. A peine pourra-t-on comprendre une pareille fai- blesse, et ceux qui ne se sont jamais trouvés à pareille fête la jugeront sans doute hors nature; mais on doit se rappeler que notre intelligence était si complètement désorganisée par cette longue série de privations et de terreurs, que nous ne pouvions pas en ce moment être considérés comme jouissant des lumières des êtres raisonnables. Dans des périls subséquents, presque aussi graves, si ce n'est plus, j'ai lutté avec courage contre toutes les douleurs de ma situation, et Peters, comme on le verra, a montré une philosophie stoïque presque aussi inconcevable que son abandon actuel et sa présente imbécillité enfantine; — le tempérament moral a fait toute la différence.
Le renversement du brick, et même la perte du vin et de la tortue qui en était la conséquence, n'avaient pas, en somme, rendu notre situation beaucoup plus misérable qu'auparavant, n'était la disparition des draps et des cou- vertures, qui nous avaient servi jusqu'ici à recueillir l'eau
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de pluie , et de la cruche dans laquelle nous la conservions; car nous trouvâmes toute la carène, à partir de deux ou trois pieds de la préceinte jusqu'à la quille, et toute la quille elle-même, recouvertes d'une couche épaisse de gros cirrbo- podes, qui nous journirent une nourriture excellente et des plus substantielles. Ainsi l'accident qui d'abord nous avait causé une si grande frayeur avait tourné à notre profit plutôt qu'à notre dommage, relativement à deux choses des plus importantes; il nous avait découvert une mine de provi- sions que nous n'aurions pas pu, même en l'attaquant avec modération, épuiser en un mois; et il avait fortement contribué à alléger notre position, car nous nous trouvions maintenant bien plus à notre aise et infiniment moins ex- posés qu'auparavant.
Cependant la difficulté de nous procurer de l'eau nous fermait les yeux sur tous les bénéfices résultant de notre changement de position. Pour nous mettre en mesure de profiter, autant que possible, de la première ondée qui pouvait survenir, nous ôtâmes nos chemises afin d'en user comme nous avions fait des draps; mais, naturellement, nous n'espérions pas par ce moyen en recueillir, même dans les circonstances les plus favorables, plus d'un hui- tième de pinte en une fois. Aucune apparence de nuage ne se manifesta de toute la journée, et les souffrances de la soif devinrent presque intolérables. A la nuit, Peters par- vint à attraper une heure à peu près d'un sommeil agité; quant à moi, l'intensité de mes souffrances ne me permit pas de fermer les yeux un seul instant.
$ août. — Ce jour-là, une jolie brise se leva qui nous porta à travers une masse d'algues, parmi lesquelles nous eûmes le bonheur de découvrir onze petits crabes qui nous fournirent plusieurs repas délicieux. Comme les écailles en
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étaient très-tendres, nous les mangeâmes tout entiers, et nous découvrîmes qu'ils irritaient notre soif beaucoup moins que les cirrhopodes. Ne voyant pas trace de requins parmi les algues, nous nous hasardâmes à nous baigner, et nous restâmes dans l'eau quatre ou cinq heures, pendant lesquelles nous sentîmes une notable diminution dans notre soif. Nous en fûmes singulièrement réconfortés, et, ayant pu tous deux attraper un peu de sommeil, nous passâmes une nuit un peu moins pénible que la précédente.
6 août. — Nous fûmes ce jour-là gratifiés d'une pluie serrée et continue qui dura depuis midi environ jus- qu'après la brune. Alors , nous déplorâmes amèrement la perte de notre cruche et de notre bouteille d'osier; car, malgré l'insuffisance de nos moyens actuels pour recueillir Peau, nous aurions pu remplir l'une d'elles, si ce n'est toutes les deux. En somme, nous réussîmes à apaiser les ardeurs de notre soif en laissant nos chemises se saturer d'eau et en les tordant de manière à exprimer dans notre bouche le liquide béatifique. La journée entière se passa dans cette occupation.
y août. — Juste au point du jour, nous découvrîmes tous deux, au même instant, une voile à l'est qui se dirigeait êvidemme7it vers nous ! Nous saluâmes cette splendide appari- tion par un long et faible cri d'extase; et nous nous mîmes immédiatement à faire tous les signaux possibles, à fouet- ter l'air de nos chemises, à sauter aussi haut que notre fai- blesse le permettait, et même à crier de toute la force de nos poumons, bien que le navire fût à une distance de quinze milles au moins. Cependant, il continuait à se rap- procher de notre coque, et nous comprîmes que, s'il gou- vernait toujours du même coté, il viendrait infailliblement
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assez près de nous pour nous apercevoir. Une heure envi- ron après que nous l'eûmes découvert, nous pouvions faci- lement distinguer les hommes sur le pont. C'était une goé- lette longue et basse, avec une mâture très-inclinée sur l'arrière, et qui semblait posséder un nombreux équipage. Nous éprouvâmes alors une forte angoisse; car nous ne pouvions nous imaginer qu'elle ne nous vît pas, et nous tremblions qu'elle ne voulût nous abandonner à notre sort et nous laisser périr sur les débris de notre navire; — acte de barbarie vraiment diabolique, maintes fois accompli sur mer, quelque incroyable que cela puisse paraître, par des êtres qui étaient regardés comme appartenant à l'espèce humaine W. Mais nous étions cette fois, grâce à Dieu, des- tinés à nous tromper heureusement; car bientôt nous aper-
(1) Le cas du brick Polly, de Boston, se présente si naturellement ici, et sa destinée ressemble à tous égards si bien à la nôtre, que je ne puis résister au désir de le citer. Ce navire, de la contenance de 130 tonneaux, fit voile de Boston avec une cargaison de munitions et de vivres, pour Sainte-Croix, le 12 décembre 181 1, sous le commandement du capitaine Casneau. II y avait, sans compter le capitaine, huit personnes à bord : le second, quatre mate- lots et le coq, plus un M. Hunt, avec une négresse à lui appartenant. Le 15, après avoir passé le banc de George, il fit une voie d'eau dans un coup de vent de sud-est, et enfin il chavira; mais le grand mât étant parti par-dessus bord, il se releva bientôt. Us restèrent dans cette situation, sans feu et avec très-peu de provisions , pendant une période de cent quatre-vingt-onze jours ( du 15 décembre au 20 juin). Le capitaine Casneau et Samuel Bodger, les seuls survivants, furent alors recueillis par le Fame, de^HulI, capitaine Featherstone , en retour pour Rio-dc-Janeiro. Quand on les trouva, ils étaient à 2 8° de latitude nord, 130 de longitude ouest; ils avaient ainsi dérivé de deux mille milles! Le 9 juillet, le Fame rencontrait le brick Dromeo , capitaine Parkins, qui débarqua ces deux infortunés à Kennebec. La relation d'où nous tirons ces détails se termine par les lignes suivantes :
«Il est tout naturel de demander comment ils ont pu flotter dans «« si long espace sur la partie la plus fréquentée de l'Atlantique sans avoir été aperçus par qui que ce soit pendant tout ce temps. Plus de douze navires passèrent près d'eux, dont l'un s'approcha au point qu'ils purent voir distinctement les gens sur le pont et dans le gréement, qui les regardaient; mais, au grand désappointement de ces malheureux glacés et mourant de faim , ceux-ci étouffèrent la voix imperative de la charité, bissèrent delà toile, et les abandonnèrent à leur cruelle destinée.» — E. A. P.
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çûmes un mouvement soudain sur le pont du navire étran- ger, qui hissa immédiatement le pavillon anglais, et, serrant le vent, gouverna droit sur nous. Une demi-heure après, nous étions dans la chambre. Cette goélette était la Jane Guy, de Liverpool, capitaine Guy, partie pour chasser le veau marin et trafiquer dans les mers du Sud et le Paci- fique.
XIV
ALBATROS ET PINGOUINS.
La Jane Guy était une goélette de belle apparence, de la contenance de cent quatre-vingts tonneaux. Elle était sin- gulièrement affilée de l'avant, et au plus près, par un temps maniable, c'était bien le meilleur marcheur que j'aie jamais vu. Toutefois ses qualités, comme bateau propre à tenir la mer, étaient loin d'être aussi grandes, et son tirant d'eau était beaucoup trop considérable pour l'usage auquel elle était destinée. Pour ce service particulier, on a surtout besoin d'un navire plus gros et d'un tirant d'eau relative- ment faible, — c'est-à-dire d'un navire de trois à trois cent cinquante tonneaux. Elle aurait dû être gréée en trois-mâts- barque, et différera tous égards des constructions usitées pour les mers du Sud. II eût été indispensable qu'elle fût bien armée. Elle aurait dû avoir dix ou douze caronades de douze, et deux ou trois beaucoup plus longues, avec des espingoles de bronze et des caissons imperméables à l'eau pour chaque hune. Ses ancres et ses câbles auraient dû être beaucoup plus forts que ne l'exige tout autre ser- vice, et par-dessus tout, il lui fallait un équipage nom- breux et montant au moins à cinquante ou soixante
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hommes solides, ce qu'il faut à un navire de 1'espeee en question. La Jane Guy possédait un équipage de trente- cinq hommes, tous bons marins, sans compter le capitaine et le second ; mais elle n'était ni aussi bien armée ni aussi bien équipée qu'aurait pu le désirer un navigateur familia- risé avec les dangers et les difficultés de ce métier.
Le capitaine Guy était un gentleman de manières tout à fait distinguées, possédant une remarquable expérience de tout le négoce du Sud, auquel il avait consacré la plus grande partie de sa vie; mais il manquait d'énergie et conséquemment de l'esprit indispensable dans une entre- prise de ce genre. II était copropriétaire du navire sur lequel il faisait ses voyages, et possédait un pouvoir discré- tionnaire pour croiser dans les mers du Sud et embarquer toute cargaison qu'il pourrait se procurer facilement. II avait à bord, comme cela est d'usage dans ces sortes d'expéditions, des colliers, des miroirs, des briquets, des haches, des cognées, des scies, des erminettes, des rabots, des ciseaux, des gouges, des vrilles, des limes, des planes, des râpes, des marteaux, des clous, des couteaux, des ciseaux à découper, des rasoirs, des aiguilles, du fil, de la faïencerie, du calicot, de la bijouterie commune, et autres articles de même nature.
La goélette était partie de Liverpool le 10 juillet, avait passé le tropique du Cancer le 25, par 200 de longitude ouest, et le 29, ayant atteint Sal, une des îles du cap Vert, elle y avait pris du sel et autres provisions nécessaires pour le voyage. Le 3 août, elle avait quitté le cap Vert et avait gouverné au sud-ouest, en portant sur la côte du Brésil, de manière à traverser I'équateur entre 280 et 300 de longitude ouest. C'est la route habituellement suivie par les navires qui vont d'Europe au cap de Bonne-Espé- rance, ou qui vont au delà, jusqu'aux Indes Orientales.
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En suivant ce chemin, ils évitent les calmes et les fb^ts courants contraires qui régnent continuellement sur la côte de Guinée, de sorte que, tout compte fait, c'est le chemin le plus court, parce qu'on est toujours sûr de trouver ensuite des vents d'ouest qui vous poussent jus- qu'au Cap. Le capitaine Guy avait l'intention de faire sa première relâche à la terre de Kerguelen, — je ne sais trop pour quelle raison. Le jour où nous fûmes recueillis par lui, la goélette était à la hauteur du cap Saint-Roque, par 310 de longitude ouest, de sorte que, quand il nous découvrit, il est probable que nous n'avions pas dérivé de moins de vingt-cinq degrés, du nord au sud !
A bord de la Jane Guy nous fûmes traités avec toute la bienveillance que réclamait notre déplorable état. En une quinzaine de jours à peu près, pendant lesquels on gou- verna continuellement vers le sud-est, avec beau temps et jolies brises, Peters et moi, nous fûmes complètement remis de nos dernières privations et de nos terribles souf- frances, et bientôt tout le passé nous apparut plutôt comme un rêve effrayant d'où le réveil nous avait heureusement arrachés, que comme une suite d'événements ayant pris place dans la positive et pure réalité. J'ai eu depuis lors occasion de remarquer que cette espèce d'oubli partiel est ordinairement amené par une transition soudaine soit de la joie à la douleur, soit de la douleur à la joie, — la puis- sance d'oubli étant toujours proportionnée à l'énergie du contraste. Ainsi, dans mon propre cas, iï me semblait maintenant impossible de réaliser le total de misères que j'avais endurées pendant les jours passés sur notre ponton. On se rappelle bien les incidents, mais non plus les sensa- tions engendrées par les circonstances successives. Tout ce que je sais, c'est que, au fur et à mesure que ces événe- ments se produisaient, j'étais toujours convaincu que la
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nature humaine était incapable d'endurer la douleur à un degré au delà.
Pendant quelques semaines, nous continuâmes notre voyage sans incidents autrement importants, si ce n'est que nous rencontrâmes de temps en temps des baleiniers et plus souvent encore des baleines noires ou baleines franches, qu'on nomme ainsi pour les distinguer des cacha- lots. Le 16 septembre, comme nous étions à proximité du cap de Bonne-Espérance, la goélette attrapa son premier coup de vent un peu sérieux depuis son départ de Liver- pool. Dans ces parages, mais plus fréquemment au sud et à l'est du promontoire (nous étions à l'ouest), les naviga- teurs ont souvent à lutter contre les tempêtes du nord, qui soufflent avec une rage effroyable. Elles amènent tou- jours une grosse houle, et un de leurs caractères les plus dangereux est la saute de vent, la saute de vent subite, accident qui a presque toujours lieu au plus fort de la tem- pête. Un véritable ouragan soufflera, à un moment donné, du nord ou du nord-est, et une minute après, il ne viendra pas un souffle de vent du même côté; c'est au sud-ouest qu'aura sauté la tempête, et avec une violence presque inimaginable. Une éclaircie au sud-ouest est le symptôme avant-coureur le plus sûr d'un pareil changement, et les navires ont ainsi le moyen de prendre les précautions nécessaires.
II était à peu près six heures du matin quand le coup de temps arriva, du nord comme d'habitude, avec une rafale qu'aucun nuage n'avait annoncée. A huit heures, le vent s'était considérablement accru et avait lâché sur nous une des plus effroyables m^rs que j'aie jamais vues. On avait tout serré, aussi bien que possible, mais la goélette fati- guait horriblement et montrait son impuissance à bien tenir la mer, piquant violemment de l'avant à chaque fois
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qu'elle descendait sur la lame, et remontant avec la plus grande difficulté en attendant qu'elle fût engloutie par une lame nouvelle. Juste avant le coucher du soleil, Péclaircie que nous attendions avec inquiétude apparut au sud-ouest, et une heure plus tard notre unique petite voile d'avant ralinguait contre le mât. Deux minutes après, nous étions, en dépit de toutes nos précautions, jetés sur le côté comme par magie, et un effroyable tourbillon d'écume venait briser sur nous par le travers. Par grand bonheur, il se trouva que le coup de vent du sud-ouest n'était qu'une rafale momentanée, et nous eûmes la chance de nous relever sans avoir perdu un espars. Une grosse mer creuse nous causa pendant quelques heures encore beaucoup d'in- quiétude ; mais vers le matin nous nous trouvâmes à peu près dans d'aussi bonnes conditions qu'avant la tempête. Le capitaine Guy jugea que nous l'avions échappé belle et que notre salut était presque un miracle.
Le 13 octobre, nous arrivâmes en vue de l'île du Prince- Edouard, par 460 53' de latitude sud et 370 46' de longitude est. Deux jours après, nous nous trouvions près de l'île de la Possession ; nous doublâmes bientôt les îles Crozet par 420 59' de latitude sud et 480 de longitude est. Le 18, nous atteignîmes l'île de Kerguelen ou de la Désolation, dans l'océan Indien du Sud, et nous jetâmes l'ancre à Christmas-Harbour, sur quatre brasses d'eau.
Cette île ou plutôt ce groupe d'îles est situé au sud-est du cap de Bonne-Espérance, à une distance de 800 lieues environ. II fut découvert en 1772 par le baron de Kergulen ou Kerguelen, un Français qui, présumant que cette terre n'était qu'une portion d'un vaste continent au sud, fit à son retour un rapport dans ce sens, qui produisit alors une grande curiosité. Le gouvernement, s'emparant de la ques- tion, y renvoya le baron l'année suivante, dans le but de
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vérifier de nouveau sa découverte, et ce fut alors qu'on s'aperçut de la méprise. En 1777, le capitaine Cook aborda au même groupe, et donna à l'île le nom d'île de la Déso- lation, nom qu'elle mérite bien certainement. En appro- chant de la terre, le navigateur pourrait toutefois s'y trom- per et supposer le contraire, car le versant de presque toutes les collines, depuis septembre jusqu'à mars, est revêtu de la plus brillante verdure. Cet aspect illusoire est causé par une petite plante qui ressemble aux saxifrages et qui abonde dans les îles, croissant par larges nappes sur une espèce de mousse sans consistance. Sauf cette plante, on y trouve à peine trace de végétation, si nous exceptons toutefois près du port un peu de gazon sauvage et dur, quelques lichens, et un arbuste qui ressemble à un chou arrivé à maturité, et qui a un goût amer et acre.
L'aspect du pays est montagneux, bien qu'aucune de ses collines ne puisse s'appeler une montagne. Leurs som- mets sont éternellement couverts de neige. II y a plusieurs ports, et Christmas-Harbour est le plus commode. C'est le premier qu'on trouve du coté est de l'île, quand on a doublé le cap François qui marque le côté nord et qui sert par sa forme particulière, à distinguer le port. II se pro- jette , par son extrémité , en un rocher très-élevé , à travers lequel s'ouvre un grand trou, qui forme une arche natu- relle. L'entrée est par 480 40' de latitude sud et 690 6' de longitude est. Quand on a passé, on peut trouver un bon mouillage à l'abri de quelques petites îles qui vous protè- gent suffisamment contre tous les vents d'est. En avançant vers l'est à partir de ce mouillage, on trouve Wasp-Bay, à l'entrée du port. C'est un petit bassin, complètement fermé par la terre, dans lequel vous pouvez entrer sur quatre brasses d'eau et en trouver de dix à trois pour le mouillage, avec un fond d'argile compacte. Un navire
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peut rester là toute l'année sur sa seconde ancre sans aucun péril. A l'entrée de Wasp-Bay, à l'ouest, coule un petit ruisseau qui fournit une eau excellente, qu'on peut se procurer aisément.
On trouve dans l'île de Kerguelen quelques veaux marins à soies et à fourrure, et les phoques à trompe ou éléphants de mer y abondent. Les pingouins s'y trouvent en masse, et il y en a de quatre familles différentes. Le pingouin royal, ainsi nommé à cause de sa taille et de la beauté de son plumage, est le plus gros de tous. La partie supérieure de son corps est ordinairement grise, quelque- fois teintée de Iilas ; la partie inférieure est du blanc le plus pur qu'on puisse imaginer. La tête est d'un noir lustré et très-brillant, ainsi que les pieds. Mais la beauté princi- pale du plumage consiste dans deux larges raies couleur d'or qui descendent de la tête à la poitrine. Le bec est long, quelquefois rose, quelquefois d'un rouge vif. Ces oiseaux marchent très-droits, avec une allure pompeuse. Ils portent la tête très-haut, avec leurs ailes pendantes, comme deux bras ; et comme la queue se projette hors du corps sur la même ligne que les cuisses, l'analogie avec la figure humaine est vraiment frappante et pourrait tromper le spectateur au premier coup d'oeil ou dans le crépuscule du soir. Les pingouins royaux que nous trouvâmes sur la terre de Kerguelen étaient un peu plus gros que des oies. Les autres genres sont : le pingouin macaroni, le jacb-ass et le pingouin roobery. Ils sont beaucoup plus petits, d'un plumage moins beau, et différents à tous égards.
Outre le pingouin, on trouve encore sur cette île beau- coup d'autres oiseaux, parmi lesquels on peut citer ïe fou, le pétrel bleu, la sarcelle, le canard, la poule de Port- Egmont, le cormoran vert, le pigeon du Cap, la nelly, l'hirondelle de mer, la sterne, la guifette, le pétrel des
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tempêtes ou Mother Careys chicken, le grand pétrel, ou, dans la langue des marins, Mother Careys goose, enfin l'albatros.
Le grand pétrel est aussi gros que l'albatros commun, et il est carnivore. On le nomme souvent pétrel-brise-os, ou pétrel -balbusard. Ces oiseaux ne sont pas du tout farouches, et quand ils sont convenablement assaisonnés, ils font une nourriture assez passable. Quelquefois, en volant, ils rasent de très-près la surface des eaux, avec les ailes étendues , et sans paraître les remuer ou s'en servir le moins du monde.
L'albatros est un des plus gros et des plus rapides oiseaux des mers du Sud. II appartient à l'espèce goéland, et saisit sa proie au vol, ne posant jamais à terre que pour s'occuper des jeunes. Cet oiseau et le pingouin sont liés de la plus singulière sympathie. Leurs nids sont construits d'une manière très-uniforme, sur un plan concerté entre les deux espèces, celui de l'albatros étant placé au centre d'un petit carré formé par les nids de quatre pingouins. Les navigateurs se sont accordés à appeler cette sorte d'éta- blissement, ou assemblage de nids, une rookery. Ces espèces de colonies ont été décrites plus d'une fois; mais, comme tous nos lecteurs n'ont peut-être pas lu ces descrip- tions, et comme j'aurai plus tard l'occasion de parler du pingouin et de l'albatros, il ne me paraît pas hors de pro- pos de dire ici quelques mots sur leur mode de construc- tion et d'existence.
Quand la saison de l'incubation est arrivée, ces oiseaux se rassemblent par vastes troupes, et pendant quelques jours ils semblent délibérer sur la meilleure méthode à suivre. Enfin ils procèdent à l'action. Ils choisissent un emplacement uni, d'une étendue convenable, embrassant 3 ou 4 acres ordinairement, et situé aussi près de la mer
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que possible, quoique toujours au delà de ses atteintes. Ce qui les dirige particulièrement dans le choix du lieu est l'égalité de surface, et l'endroit préféré est celui qui est le moins encombré de pierres. Cette question vidée, les oiseaux se mettent d'un commun accord et comme mus par un seul esprit, à faire, avec une correction mathéma- tique, le tracé d'un carré ou de tout autre parallélo- gramme, le plus adaptable à la nature du terrain et d'une étendue suffisante pour loger toute la population, mais pas davantage, — semblant ainsi exprimer leur intention de fermer la colonie à tout vagabond qui n'aurait pas parti- cipé au travail du campement. L'un des côtés de la place court parallèlement au bord de la mer et reste ouvert pour les oiseaux qui entrent ou qui sortent.
Après avoir tracé les limites de l'habitation, ils com- mencent à la débarrasser de toute espèce de débris, ramas- sant tout, pierre à pierre, et les portant en dehors, mais tout près des lignes d'enceinte, de manière à élever une muraille sur les trois côtés qui regardent la terre. Contre ce mur et en dedans, ils forment une allée parfaitement plane et unie, large de 6 à 8 pieds, qui s'étend tout autour du campement, à cette fin d'établir une sorte de prome- noir commun.
L'opération qui suit consiste à partager tout le terrain en petits carrés absolument égaux en dimension. Ils font, pour obtenir cette division, des sentiers étroits, parfaite- ment aplanis et se croisant à angles droits, à travers toute l'étendue de la rookery. A chaque intersection se trouve un nid d'albatros , et au centre de chaque carré un nid de pingouins, de sorte que chaque pingouin est entouré de quatre albatros, et chaque albatros d'un nombre égal de pingouins. Le nid du pingouin consiste en un trou creusé dans la terre, seulement à une profondeur suffisante pour
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empêcher son œuf unique de rouler. L'albatros adopte un arrangement un peu moins simple, et élève un petit mon- ticule, haut d'un pied à peu près et large de deux. II le façonne avec de la terre, des algues et des coquilles. Au sommet il bâtit son nid.
Les oiseaux prennent un soin spécial pour ne jamais laisser les nids inoccupés pendant toute la durée de l'incu- bation, et même jusqu'à ce que la progéniture soit suffi- samment forte pour se pourvoir elle-même. Pendant l'absence du mâle qui est allé en mer à la recherche de la nourriture, la femelle reste à ses fonctions, et c'est. seule- ment au retour de son compagnon qu'elle se permet de sortir. Les œufs ne restent jamais sans être couvés ; quand un oiseau quitte le nid, l'autre niche à son tour. Cette précaution est indispensable à cause du penchant à la filou- terie qui règne dans la colonie, les habitants ne se faisant aucun scrupule de se voler réciproquement leurs œufs à chaque bonne occasion.
Bien qu'il existe quelques établissements de ce genre, peuplés uniquement de pingouins et d'albatros, cepen- dant on trouve dans la plupart une assez grande variété d'oiseaux océaniques qui jouissent de tous les droits de cité, éparpillant leurs nids çà et là, partout où ils peuvent trouver de la place, mais n'usurpant jamais les postes occupés par les plus grosses espèces. L'aspect de ces colo- nies, quand on les aperçoit de loin, est excessivement sin- gulier. Tout l'espace atmosphérique au-dessus de l'établis- sement est obscurci par une multitude d'albatros (mêlés d'espèces plus petites) qui planent continuellement sur la rookery, soit qu'ils partent pour l'Océan, soit qu'ils rentrent chez eux. En même temps, on remarque une foule de pingouins dont les uns vont et viennent à travers les ruelles étroites et d'autres marchent, avec cette pompeuse
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allure militaire qui les caractérise, le long du grand pro- menoir commun qui fait le tour de la cité. Bref, de quel- que façon qu'on envisage la chose, rien n'est plus surpre- nant que le sens de réflexion manifesté par ces êtres emplumés, et rien à coup sûr, n'est mieux fait pour pro- voquer la méditation dans toute intelligence humaine bien ordonnée.
Le matin même de notre arrivée à Christmas-Harbour, le second, — M. Patterson, — fit amener les embarcations, pour se mettre à la recherche du veau marin (bien que la saison fût peu avancée), et laissa le capitaine, avec un jeune parent à lui, sur un point du rivage à l'ouest, ces messieurs ayant probablement à faire, à l'intérieur de l'île, quelque chose dont je n'ai pu être instruit. Le capi- taine Guy emporta avec lui une bouteille, dans laquelle était une lettre cachetée, et se dirigea de l'endroit où il mit pied à terre vers un des pics les plus élevés du pays. II est presumable qu'il avait l'intention de déposer la lettre sur cette hauteur pour quelque navire qu'il savait devoir aborder après lui. Aussitôt que nous l'eûmes perdu de vue (car Peters et moi, nous étions dans le canot du second), nous commençâmes à explorer la côte, à la recherche du veau marin. Nous employâmes environ trois semaines à cette besogne, examinant avec un soin minu- tieux tous les coins et recoins, non seulement à la terre de Kerguelen, mais aussi dans quelques petites îles voisines. Cependant nos travaux ne furent pas couronnés d'un succès bien notable. Nous vîmes beaucoup de phoques à fourrure, mais ils étaient extrêmement soupçonneux, et, en nous donnant un mal infini, nous ne pûmes nous pro- curer que trois cent cinquante peaux en tout. Les élé- phants de mer, ou phoques à trompe, abondent particuliè- rement sur la côte est de l'île principale, mais nous n'en
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tuâmes qu'une vingtaine, et encore avec la plus grande difficulté. Sur les petites îles nous découvrîmes une grande quantité de phoques à poil rude, mais nous les laissâmes tranquilles. Le n novembre nous revînmes à bord de la goélette, où nous trouvâmes le capitaine Guy et son neveu, qui nous firent sur l'intérieur de l'île un détestable rap- port, la représentant comme une des contrées les plus tristes et les plus stériles de l'univers. Ils avaient passé deux nuits à terre, grâce à un malentendu entre eux et le lieutenant qui ne leur avait pas envoyé, aussitôt qu'il l'aurait fallu, une embarcation pour les ramener à bord.
XV
LES ÎLES INTROUVABLES.
Le 12, nous partîmes de Christmas-Harbour, en reve- nant sur notre route à l'ouest, et laissant à bâbord l'île Marion, une des îles de l'archipel Crozet. Nous passâmes ensuite l'île du Prince-Edouard, que nous laissâmes aussi sur notre gauche; puis, gouvernant plus au nord, nous atteignîmes en quinze jours les îles de Tristan d'Acunha, situées à 370 8' de latitude sud et 120 8' de longitude ouest.
Ce groupe, si bien connu aujourd'hui, et qui se com- pose de trois îles circulaires, fut découvert primitivement par les Portugais, visité plus tard par les Hollandais en 1643, et par les Français en 1767. Les trois îles forment ensemble un triangle et sont distantes l'une de l'autre de 10 milles environ, laissant ainsi entre elles de ïarges passes. Dans toutes les trois, la côte est très-haute, parti- culièrement à celle proprement dite Tristan d'Acunha.
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C'est l'île la plus grande du groupe : elle a 15 milles de circonférence, et elle est si élevée que par un temps clair on peut l'apercevoir d'une distance de 80 ou 90 milles. Une partie de la côte vers le nord s'élève perpendiculairement au-dessus de la mer à plus de 1.000 pieds. A cette hauteur il existe un plateau qui s'étend presque jusqu'au centre de l'île, et de ce plateau s'élance un cône semblable au pic de TénérifFe. La moitié inférieure de ce cône est revêtue d'arbres assez gros, mais la région supérieure est une roche nue, ordinairement cachée par les nuages et recou- verte de neige pendant la plus grande partie de l'année. II n'y a aux environs de l'île ni hauts-fonds ni dangers d'au- cune espèce ; les côtes sont singulièrement nettes et hardi- ment coupées, et les eaux sont profondes. Sur la côte du nord-ouest se trouve une baie, avec une plage de sable noir, où un canot peut facilement atterrir pourvu qu'il ait pour lui une brise du sud. On y trouve sans peine d'excellente eau en abondance, et l'on y pêche, à l'hame- çon et à la ligne, la morue et autres poissons.
L'île la plus grande après celle-ci, et le plus à l'ouest du groupe, s'appelle l'Inaccessible. Sa position exacte est par 370 7' de latitude sud et 120 24/ de longitude ouest. Elle a sept ou huit milles de circuit, et se présente de tous côtés sous l'aspect d'un rempart à pic. Le sommet est parfaite- ment aplati, et tout le pays est stérile; rien n'y vient, excepté quelques arbustes rabougris.
L'île Nightingale, la plus petite et la plus au sud, est située à 370 26' de latitude sud et 120 12' de longitude ouest. Au large de son extrémité sud se trouve un récif assez élevé formé de petits îlots rocheux; on en voit encore quelques-uns de semblable aspect au nord-est. Le terrain est stérile et irrégulier, et une vallée profonde traverse l'île en partie.
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Les côtes de ces îles abondent, dans la saison favorable, en lions marins, éléphants marins, veaux marins et pho- ques à fourrure, ainsi qu'en oiseaux océaniques de toute sorte. La baleine aussi est fréquente dans le voisinage. La facilité avec laquelle on s'emparait autrefois de ces diffé- rents animaux fit que ce groupe fut, dès sa découverte, fréquemment visité. Les Hollandais et les Français y vin- rent souvent et dès les premiers temps. En 1790, le capi- taine Patten, commandant le vaisseau Industry, de Phila- delphie, fit un voyage à Tristan d'Acunha, où il resta sept mois (d'août 1790 à avril 1791 ) , pour recueillir des peaux de veaux marins. Durant cette période, il n'en ramassa pas moins de cinq mille six cents, et il affirme qu'il n'aurait pas eu de peine à faire en trois semaines un chargement d'huile pour un grand navire. A son arrivée, il ne trouva pas de quadrupèdes, à l'exception de quelques œgagres ou chèvres sauvages ; maintenant l'île est fournie de tous nos meilleurs animaux domestiques, qui y ont été successivement introduits par les navigateurs.
Je crois que ce fut peu de temps après l'expédition du capitaine Patten que le capitaine Colquhoun, du brick amé- ricain Betsey, toucha à la plus grande des îïes pour se ravi- tailler. II planta des oignons, des pommes de terre, des choux et une foule d'autres légumes qu'on y trouve encore maintenant en abondance.
En 1811, un certain capitaine Heywood, [du Nereus, visita Tristan. II y trouva trois Américains qui étaient demeurés sur les îles pour préparer de l'huile et des peaux de veaux marins. L'un de ces hommes se nom- mait Jonathan Lambert, et il s'intitulait lui-même le souverain du pays. II avait défriché et cultivé environ soixante acres de terre, et mettait alors tous ses soins à y introduire le caféier et la cannej à sucre, [dont il
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avait été fourni par le ministre américain résidant à Rio-de-Janeiro. Finalement cet établissement fut aban- donné, et, en 18 17, le gouvernement anglais envoya un détachement du cap de Bonne-Espérance pour prendre possession des îles. Cependant ces nouveaux colons n'y restèrent pas longtemps; mais, après l'éva- cuation du pays comme possession de la Grande-Bre- tagne, deux ou trois familles anglaises y établirent leur résidence en dehors de tout concours du gouvernement. Le 2$ mars 1824, le Berwick, capitaine Jeffrey, parti de Londres à destination de la terre de Van-Diémen, toucha à l'île, où l'on trouva un Anglais nommé Glass, ex-caporal dans l'artillerie anglaise. II s'arrogeait le titre de gouverneur suprême des îles, et avait sous son contrôle vingt et un hommes et trois femmes. II fit un rapport très- favorable de la salubrité du climat et de la nature produc- tive du sol. Cette petite population s'occupait principa- lement à recueillir des peaux de phoques et de l'huile d'éléphant marin, dont elle trafiquait avec le cap de Bonne-Espérance, Glass étant propriétaire d'une petite goélette. A l'époque de notre arrivée, le gouverneur rési- dait encore, mais la petite communauté s'était multipliée, et il y avait à Tristan d'Acunha soixante-cinq individus, sans compter une colonie secondaire de sept personnes sur l'île Nightingale. Nous n'eûmes aucune peine à nous ravitailler convenablement, — car les moutons, les cochons, les bœufs, les lapins, la volaille, les chèvres, le poisson de diverses espèces et les légumes s'y trouvaient en grande abondance. Nous jetâmes l'ancre tout auprès de la grande île, sur dix-huit brasses de profondeur, et nous embarquâmes très-convenablement à notre bord tout ce dont nous avions besoin. Le capitaine Guy acheta aussi à Glass cinq cents peaux de phoques et une certaine
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quantité d'ivoire. Nous restâmes là une semaine, pendant laquelle les vents régnèrent toujours du nord-ouest, avec un temps passablement brumeux. Le 5 décembre, nous cinglâmes vers le sud-ouest pour faire une exploration positive relativement à un certain groupe d'îles nommées les Auroras, sur l'existence desquelles les opinions les plus diverses ont été émises.
On prétend que ces îles ont été découvertes, dès 1762, par le commandant du trois-mâts Aurora. En 1790, le capitaine Manuel de Oyarvido, du trois-mâts Princess, appartenant à la Compagnie royale des Philippines, affirme qu'il a passé directement à travers ces îles. En 1794, la corvette espagnole Atrevida partit dans le but de vérifier leur position exacte, et, dans un mémoire publié par la Société royale Hydrographique de Madrid en 1809, il est question de cette exploration dans les termes suivants :
«La corvette Atrevida a fait dans le voisinage immédiat de ces îles, du 21 au 27 janvier, toutes les observations nécessaires, et a mesuré avec des chronomètres la diffé- rence de longitude entre ces îles et le port de Soledad dans les Malvinas. Elles sont au nombre de trois, situées presque au même méridien, celle du milieu un peu plus bas, et les deux autres visibles à neuf lieues au large. »
Les observations faites à bord de Y Atrevida fournissent les résultats suivants relativement à la position précise de chaque île : Celle qui est plus au nord est située à 5 20 37 24" de latitude sud et à 470 43' 15" de longitude ouest; celle du milieu à 530 2' 40" de latitude sud et à 470 ce* \if de longitude ouest; enfin celle qui occupe l'ex- trémité sud, à 530 15' 22" de latitude sud et à 470 57' 15" de longitude ouest.
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Le 27 janvier 1820, le capitaine James Weddell, appartenant à la marine anglaise, fit voile de Staten- Land, toujours à la découverte des Auroras. II dit dans son rapport que, bien qu'il ait fait les recherches les plus laborieuses et qu'il soit passé non-seulement sur les points précis indiqués par le commandant de YAtrevida, mais encore dans tous les sens aux environs desdits points, il n'a pu découvrir aucun indice de terre. Ces rapports contradictoires ont incité d'autres navigateurs à chercher les îles; et, chose étrange à dire, pendant que quelques- uns sillonnaient la mer dans tous les sens à l'endroit supposé, sans pouvoir les découvrir, d'autres, — et ils sont nombreux, — déclarent positivement les avoir vues, et même s'être trouvés à proximité de leurs cotes. Le capitaine Guy avait l'intention de faire tous les efforts possibles pour résoudre une question si singulièrement controversée W.
Nous continuâmes notre route, entre le sud et l'ouest, avec des temps variables, jusqu'au 20 du même mois, et nous nous trouvâmes enfin sur le lieu en discussion, par 520 15' de latitude sud et 470 58' de longitude ouest, — c'est-à-dire presque à l'endroit désigné comme position de l'île méridionale du groupe. Comme nous n'aperce- vions pas trace de terre, nous continuâmes vers l'ouest par 530 de latitude sud, jusqu'à 500 de longitude ouest. Alors nous portâmes au nord jusqu'au 52e parallèle de latitude sud; puis nous tournâmes à l'est, et nous tînmes notre parallèle par double hauteur, matin et soir, et par les hauteurs méridiennes des planètes et de la lune.
(l) Parmi les navires qui ont prétendu, à différentes époques, avoir trouvé les Auroras, on peut citer le trois-mâts San-Miquel, en 1769; le trois-mâts Aurora, en 1774; le brick Pearl, en 1779, et le trois-mâts Dolorès, en 1790. Ils sont unanimes quant à la latitude : 53 degrés sud. — E. A. P.
1 l
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Ayant ainsi poussé vers l'est jusqu'à la cote ouest de Georgia, nous suivîmes ce méridien jusqu'à ce que nous eussions atteint la latitude d'où nous étions partis. Nous fîmes alors plusieurs diagonales à travers toute l'étendue de mer circonscrite, gardant une vigie en permanence à la tête de mât, et répétant soigneusement notre examen trois semaines durant, pendant lesquelles nous eûmes toujours un temps singulièrement beau et agréable, sans aucune brume. Aussi fûmes-nous pleinement convaincus que, si jamais des îles avaient existé dans le voisinage à une époque antécédente quelconque, présentement il n'en restait plus aucun vestige. Depuis mon retour dans mes foyers, j'apprends que le même parcours a été soigneu- sement suivi en 1822 par le capitaine Johnson, de la goélette américaine Henry, et par le capitaine Morrell, de ia goélette américaine Wasp; — mais ces messieurs n'ont pas obtenu de meilleurs résultats que nous.
XVI
EXPLORATIONS VERS LE POLE.
II entrait primitivement dans les intentions du capi- taine Guy, après avoir satisfait sa curiosité relativement aux Auroras, de filer par le détroit de Magellan et de longer la cote occidentale de Patagonie; mais un rensei- gnement qu'il avait reçu à Tristan d'Acunha le poussa à gouverner au sud, dans l'espérance de découvrir quelques petites îles qu'on lui avait dit être situées par 6o° de lati- tude sud et 410 20' de longitude ouest. Dans le cas où il ne trouverait pas ces terres, il avait le projet, pourvu que
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la saison le permît, de pousser vers le pole. Conséquem- ment, le 12 décembre W, nous cinglâmes dans cette direction. Le 18, nous nous trouvâmes sur la position indiquée par Glass, et nous croisâmes pendant trois jours aux environs sans découvrir aucune trace des fies en question. Le 21, le temps étant singulièrement beau, nous remîmes le cap au sud, avec la résolution de pousser dans cette route aussi loin que possible. Avant d'entrer dans cette partie de mon récit, je ferai peut-être aussi bien, pour l'instruction des lecteurs qui n'ont pas suivi avec attention la marche des découvertes dans ces régions, de donner un compte-rendu sommaire des quelques ten- tatives faites jusqu'à ce jour pour atteindre le pôle sud. L'expédition du capitaine Cook est la première sur laquelle nous ayons des documents positifs. En 1772 , il fît voile vers le sud, sur la Resolution, accompagné du lieute- nant Furneaux, commandant Y Adventure. En décembre, il se trouvait au 58e parallèle de latitude sud, par 260 57 de longitude est. Là, il rencontra des bancs de glace d'une épaisseur de 8 à 10 pouces environ, s'étendant au nord- ouest et au sud-est. Cette glace était amassée par blocs, et presque toujours si solidement amoncelée, que les navires avaient la plus grande peine à forcer le passage. A cette époque, le capitaine Cook supposa, d'après la multitude des oiseaux en vue et d'autres indices, qu'il était dans le voisinage de quelque terre. II continua vers le sud, avec un temps excessivement froid, jusqu'au 64e parallèle, par 380 14' de longitude est. Là il trouva un temps doux avec de jolies brises pendant cinq jours, le thermomètre marquant 36 degrés W. En janvier 1773, les
(1) Erreur de date, évidemment. — C. B. <:> Fahrenheit. — C. B.
1 1.
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navires traversaient le cercle Antarctique, mais ne pouvaient réussir à pénétrer plus loin; car, arrivés à 670 15' de latitude, ils trouvèrent leur marche arrêtée par un amas immense de glaces qui s'étendait sur tout l'ho- rizon sud aussi loin que, l'œil pouvait atteindre. Cette glace était en quantité variée, et quelques vastes bancs s'étendaient à plusieurs milles, formant une masse com- pacte et s'élevant à dix-huit ou vingt pieds au-dessus de l'eau. La saison était avancée, et, désespérant de pouvoir tourner ces obstacles, le capitaine Cook remonta à regret vers le nord.
Au mois de novembre suivant, il recommença son voyage d'exploration vers le pôle Antarctique. A 590 40' de latitude il rencontra un fort courant portant au sud. En décembre, comme les navires étaient à 670 31' de lati- tude et 1420 54/ de longitude ouest, ils trouvèrent un froid excessif, avec brouillards et grands vents. Là encore, les oiseaux étaient nombreux : l'albatros, le pingouin et par- ticulièrement le pétrel. A 700 23' de latitude, ils rencon- trèrent quelques vastes îles de glace, et un peu plus loin les nuages vers le sud apparurent d'une blancheur de neige, ce qui indiquait la proximité des champs de glace. A 710 10' de latitude et 1060 54/ de longitude ouest, les navigateurs furent arrêtés, comme la première fois, par une immense étendue de mer glacée qui bornait toute la ligne de l'horizon au sud. Le côté nord de cette plaine de glace était hérissé et dentelé, et tous ces blocs étaient si solidement assemblés qu'ils formaient une barrière abso- lument infranchissable, s'étendant jusqu'à un mille vers le sud. Au delà, la surface des glaces semblait s'aplanir comparativement dans une certaine étendue, jusqu'à ce qu'enfin elle fût bornée à son extrême limite par un amphithéâtre de gigantesques montagnes de glace, éche-
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Ionnées les unes sur les autres. Le capitaine Cook conclut que cette vaste étendue confinait au pôle ou à un conti- nent. M. J.-N. Reynolds, dont les vaillants efforts et la persévérance ont à la longue réussi à monter une expédi- tion nationale, dont le but partiel était d'explorer ces régions , parle en ces termes du voyage de la Résolution :
« Nous ne sommes pas surpris que ïe capitaine Cook n'ait pas pu aller au delà de 710 10' de latitude, mais nous sommes étonné qu'il ait pu atteindre ce point par 1060 54,' de longitude ouest. La terre de Palmer est située au sud des îles Shetland, à 640 de latitude, et s'étend au sud- ouest plus loin qu'aucun navigateur ait jamais pénétré jusqu'à ce jour. Cook faisait route vers cette terre, quand sa marche fut arrêtée par la glace, cas qui se représentera toujours, nous le craignons fort, surtout dans une saison aussi peu avancée que le 6 janvier, — et nous ne serions pas étonné qu'une portion des montagnes de glace en question se rattachât au corps principal de la terre de Palmer, ou à quelque autre partie de continent située plus avant vers le sud-ouest.
En 1803, Alexandre, empereur de Russie, chargea les capitaines Kreutzenstern et Lisiauski d'un grand voyage de circumnavigation. Dans leurs efforts pour pousser vers le sud, ils ne purent aller au delà de 590 58' de latitude et yo° 15' de longitude ouest. Là, ils rencontrèrent de forts courants portant vers l'est. La baleine était abon- dante, mais ils ne virent pas de glaces. Relativement à ce voyage, M. Reynolds remarque que, si Kreutzenstern était arrivé à ce point dans une saison moins avancée, il aurait indubitablement trouvé des glaces; — c'était en mars qu'il atteignait la latitude désignée. Les vents qui régnent alors du sud-ouest avaient, à l'aide des courants, poussé les banquises vers cette région glacée, bornée au
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nord par la Georgia, à l'est par les Sandwich et les Orkneys du sud, et à l'ouest par les Shetland du sud.
En 1822, le capitaine James Weddell, appartenant à la marine anglaise, pénétra, avec deux petits navires, plus loin dans le sud qu'aucun navigateur précédent, et même sans rencontrer d'extraordinaires difficultés. II rapporte que, bien qu'il ait été souvent entouré par les glaces avant d'atteindre le 72e parallèle, cependant, arrivé là, il n'en vit plus un morceau, et qu'ayant poussé jusqu'à 740 i^' de latitude, il n'aperçut pas de vastes étendues de glace, mais seulement trois petites îles. Ce qui est singulier, c'est que, bien qu'il eût vu de vastes bandes d'oiseaux et d'autres indices de terre, et qu'au sud des Shetland l'homme de vigie eût signalé des côtes inconnues s'étendant vers le sud, Weddell ait persisté à repousser l'idée qu'un conti- nent puisse exister dans les régions polaires du sud.
Le 11 janvier 1823, le capitaine Benjamin Morrell, de la goélette américaine Wasp, partit de la terre de Kerguelen avec l'intention de pousser vers le sud aussi loin que possible. Le Ier février, il se trouvait à 640 52' de latitude sud et 1180 2j de longitude est. J'extrais de son journal, à cette date, le passage suivant :
a Le vent fraîchit bientôt et devint une brise à filer onze nœuds; nous profitâmes de l'occasion pour nous diriger vers l'est; étant d'ailleurs pleinement convaincus que plus nous pousserions dans le sud au delà de 640, moins nous aurions à craindre les glaces, nous gouvernâmes un peu au sud, et, ayant franchi le cercle Antarctique, nous pous- sâmes jusqu'à 690 15' de latitude sud. Nous n'y trouvâmes aucune plaine de glace; seulement quelques petites îles de glace étaient en vue. »
A la date du 14 mars, je trouve aussi cette note :
« La mer était complètement libre de vastes banquises,
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et nous n'apercevions pas plus d'une douzaine d'îlots de glace. En même temps la température de l'air et de l'eau était au moins de 13 degrés plus élevée que nous ne l'avions jamais trouvée entre les 60e et 62e parallèles sud. Nous étions alors par 700 14' de latitude sud, et la tempé- rature de l'air était à 47, celle de l'eau à 44. Nous esti- mâmes alors que la déviation de la boussole était de 140 27' vers l'est, par azimut.. .J'ai franchi plusieurs fois le cercle Antarctique, à différents méridiens, et j'ai constamment remarqué que la température de l'air et de l'eau s'adoucis- sait de plus en plus, à proportion que je poussais au delà du 63e degré de latitude sud, et que la déclinaison magné- tique diminuait dans ïa même proportion. Tant que j'étais au nord de cette latitude, c'est-à-dire entre 6o° et 650, le navire avait souvent beaucoup de peine à se frayer un passage entre les énormes et innombrables îles de glace, dont quelques-unes avaient de 1 à 2 milles de circonfé- rence, et s'élevaient à plus de 500 pieds au-dessus du niveau de la mer. »
Se trouvant presque sans eau et sans combustible, privé d'instruments suffisants, la saison étant aussi très- avancée, le capitaine Morrell fut obligé de revenir, sans essayer de pousser plus loin vers le sud, bien qu'une mer complètement libre s'ouvrît devant lui. II prétend que si ces considérations impérieuses ne l'avaient pas contraint à battre en retraite, il aurait pénétré, sinon jusqu'au pôle, au moins jusqu'au 85e parallèle. J'ai relaté un peu longue- ment ses idées sur la matière, afin que le lecteur fût à même de juger jusqu'à quel point elles ont été corroborées par ma propre expérience.
En 1831, le capitaine Briscoe, naviguant pour MM. En- derby, armateurs baleiniers à Londres, fit voile sur le brick Lively pour les mers du Sud, accompagné du cutter
1 68 AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM.
Tula. Le 28 février, se trouvant par 66° 30' de latitude sud et 470 31' de longitude est, il aperçut la terre et « découvrit positivement à travers la neige les pics noirs d'une rangée de montagnes courant à Pest-sud-est. » II resta dans ces parages pendant tout le mois qui suivit, mais ne put s'approcher de plus de dix lieues de la côte, à cause de l'état effroyable du temps. Voyant qu'il lui était impossible de faire aucune découverte nouvelle pen- dant cette saison, il remit le cap au nord et alla hiverner à la terre de Van Diémen.
Au commencement de 1832, il se remit en route pour le Sud, et, le 4 février, il vit la terre au sud-est par 6j° 15' de latitude et 690 29' de longitude ouest. II se trouva que c'était une île située près de la partie avancée de la contrée qu'il avait d'abord découverte. Le 21 du même mois il réussit à atterrir à cette dernière, et en prit possession au nom de Guillaume IV, lui donnant le nom d'île Adélaïde, en l'honneur de la reine d'Angleterre. Ces détails ayant été transmis à la Société royale Géogra- phique de Londres, elle en conclut «qu'une vaste étendue de terre se continuait sans interruption depuis 470 30' de longitude est jusqu'à 690 29' de longitude ouest, entre les 66* et 67e degrés de latitude sud ».
Relativement à cette conclusion, M. Reynolds fait cette remarque : « Nous ne pouvons pas adopter cette conclu- sion comme rationnelle, et les découvertes de Briscoe ne justifient pas une pareille hypothèse. C'est justement à travers cet espace que Weddell a marché vers le sud en suivant un méridien à l'est de la Georgia, des Sandwich, de I'Orkney du Sud et des îles Shetland. » On verra que ma propre expérience sert à montrer plus nettement la fausseté des conclusions adoptées par la Société.
Telles sont les principales tentatives qui ont été faites
AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM. I 69
pour pénétrer jusqu'à une haute latitude sud, et Ton voit maintenant qu'il restait, avant le voyage de la Jane Guy, environ 300 degrés de longitude par lesquels on n'avait pas encore pénétré au delà du cercle Antarctique. Ainsi un vaste champ de découvertes s'ouvrait encore devant nous, et ce fut avec un sentiment de voluptueuse et ardente curiosité que j'entendis le capitaine Guy exprimer sa résolution de pousser hardiment vers le sud.
XVII
S TERRE !
Pendant quatre jours, après avoir renoncé à la re- cherche des îles de Glass, nous courûmes au sud sans trouver de glaces. Le 26, à midi, nous étions par 630 23' de latitude sud et 410 25' de longitude ouest. Nous vîmes alors quelques grosses îles de glace et une banquise qui n'était pas, à vrai dire, d'une étendue considérable. Les vents se tenaient généralement au sud-est, mais très- faibles. Quand nous avions le vent d'ouest, ce qui était fort rare, il était invariablement accompagné de rafales de pluie. Chaque jour, plus ou moins de neige. Le thermo- mètre, le 27, était à 35 degrés.
1" janvier 1828. — Ce jour-là, nous fûmes complète- ment environnés de glaces, et notre perspective était en vérité fort triste. Une forte tempête souffla du nord-est pendant toute la matinée et chassa contre le gouvernail et l'arrière du navire de gros glaçons avec une telle vigueur, que nous tremblâmes pour les conséquences.
170 AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM.
Vers le soir, la tempête soufflait encore avec furie; mais une vaste banquise en face de nous s'ouvrit, et nous pûmes enfin, en faisant force de voiles, nous frayer un passage à travers les glaçons plus petits jusqu'à la mer libre. Comme nous en approchions, nous diminuâmes la toile graduellement, et, à la fin, nous étant tirés d'affaire, nous mîmes à la cape sous la misaine avec un seul ris.
2 janvier, — Le temps fut assez passable. A midi, nous nous trouvions par 690 10' de latitude sud et 420 20' de longitude ouest, et nous avions passé le cercle Antarctique. Du côté du sud, nous n'apercevions que très-peu de glace, bien que nous eussions derrière nous de vastes banquises. Nous fabriquâmes une espèce de sonde avec un grand pot de fer, d'une contenance de vingt gallons, et une ligne de deux cents brasses. Nous trouvâmes le courant portant au sud, avec une vitesse d'un quart de mille à l'heure. La température de l'air était environ à 33 ; la déviation de l'ai- guille, de 140 28' vers l'est, par azimut.
^ janvier. — Nous nous sommes toujours avancés vers le sud sans trouver beaucoup d'obstacles. Ce matin cepen- dant, étant par 730 15' de latitude sud et 420 10' de longi- tude ouest, nous fîmes une nouvelle halte devant une immense étendue de glace. Néanmoins, nous apercevions au delà vers le sud la pleine mer, et nous étions persuadés que nous réussirions finalement à l'atteindre. Portant sur l'est et filant le long de la banquise, nous arrivâmes enfin à un passage, large d'un mille à peu près, à travers lequel nous fîmes, tant bien que mal, notre route au coucher du soleil. La mer dans laquelle nous nous trouvâmes alors était chargée d'îlots de glace, mais non plus de vastes bancs, et nous allâmes hardiment de l'avant comme précé-
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demment. Le froid ne semblait pas augmenter, bien que nous eussions fréquemment de la neige et de temps à autre des rafales de grêle d'une violence extrême. D'immenses troupes d'albatros ont passé ce jour-là au-dessus de la goé- lette, filant du sud-est au nord-ouest.
y janvier. — La mer toujours à peu près libre et ouverte, en sorte que nous pûmes continuer notre route sans em- pêchement. Nous vîmes à l'ouest quelques banquises d'une grosseur inconcevable, et dans l'après-midi nous passâmes très-près d'une de ces masses dont le sommet ne s'élevait certainement pas de moins de quatre cents brasses au-dessus de l'océan. Elle avait probablement à sa base trois quarts de lieue de circuit, et par quelques crevasses sur ses flancs couraient des filets d'eau. Nous gardâmes cette espèce d'île en vue pendant deux jours, et nous ne la perdîmes que dans un brouillard.
10 janvier. — D'assez grand matin nous eûmes le malheur de perdre un homme, qui tomba à la mer. C'était un Américain, nommé Peter Vredenburgh, natif de New-York, et l'un des meilleurs matelots que possédât la goélette. En passant sur l'avant, le pied lui glissa, et il tomba entre deux quartiers de glace pour ne jamais se relever. Ce jour- là, à midi, nous étions par 780 30' de latitude et 400 13' de longitude ouest. Le froid était main- tenant excessif, et nous attrapions continuellement des rafales de grêle du nord-est. Nous vîmes encore dans cette direction quelques banquises énormes, et tout l'horizon à l'est semblait fermé par une région de glaces élevant et superposant ses masses en amphithéâtre. Le soir, nous aperçûmes quelques blocs de bois flottant à la dérive, et au-dessus planait une immense quantité d'oiseaux, parmi
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lesquels se trouvaient des nellies, des pétrels, des albatros, et un gros oiseau bleu du plus brillant plumage. La varia- tion, par azimut, était alors un peu moins considérable que, précédemment, lorsque nous avions traversé le cercle Antarctique.
12 janvier. — Notre passage vers le sud est redevenu une chose fort douteuse; car nous ne pouvions rien voir dans la direction du pôle qu'une banquise en apparence sans limites, adossée contre de véritables montagnes de glace dentelée, qui formaient des précipices sourcilleux, échelonnés les uns sur les autres. Nous avons porté à l'ouest jusqu'au 14, dans l'espérance de découvrir un passage.
74 janvier. — Le matin du 14, nous atteignîmes l'extré- mité ouest de la banquise énorme qui nous barrait le pas- sage, et, l'ayant doublée, nous débouchâmes dans une mer libre où il n'y avait plus un morceau de glace. En sondant avec une ligne de deux cents brasses, nous trouvâmes un courant portant au sud avec une vitesse d'un demi-mille par heure. La température de l'air était à 47, celle de l'eau à 34. Nous cinglâmes vers le sud, sans rencontrer aucun obstacle grave, jusqu'au 16; à midi, nous étions par 8i° 21' de latitude et 420 de longitude ouest. Nous jetâmes de nouveau la sonde, et nous trouvâmes un courant portant toujours au sud avec une vitesse de trois quarts de mille par heure. La variation par azimut avait diminué, et la température était douce et agréable, le thermomètre mar- quant déjà 51. A cette époque, on n'apercevait plus un morceau de glace. Personne à bord ne doutait plus de la possibilité d'atteindre le pole.
1 y janvier. — Cette journée a été pleine d'incidents. D'innombrables bandes d'oiseaux passaient au-dessus de
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nous, se dirigeant vers le sud, et nous leur tirâmes quelques coups de fusil; l'un d'eux, une espèce de pélican, nous fournit une nourriture excellente. Vers le milieu du jour, l'homme de vigie découvrit par notre bossoir de bâbord un petit banc de glace et une espèce d'animal fort gros qui semblait reposer dessus. Comme le temps était beau et presque calme, le capitaine Guy donna l'ordre d'amener deux embarcations et d'aller voir ce que ce pou- vait être. Dirk Peters et moi, nous accompagnâmes le second dans le plus grand des deux canots. En arrivant au banc de glace, nous vîmes qu'il était occupé par un ours gigan- tesque de l'espèce arctique, mais d'une dimension qui dé- , passait de beaucoup celle du plus gros de ces animaux. Comme nous étions bien armés, nous n'hésitâmes pas à l'attaquer tout d'abord. Plusieurs coups de feu furent tirés rapidement, dont la plupart atteignirent évidemment l'ani- mal à la tète et au corps. Toutefois, le monstre, sans s'en inquiéter autrement, se précipita de son bloc de glace et se mit à nager, les mâchoires ouvertes, vers l'embarcation où nous étions, moi et Peters. A cause de la confusion qui s'ensuivit parmi nous et de la tournure inattendue de l'aventure, personne n'avait pu apprêter immédiatement son second coup, et l'ours avait positivement réussi à poser la moitié de sa masse énorme en travers de notre plat-bord et à saisir un de nos hommes par les reins, avant qu'on eût pris les mesures suffisantes pour le repousser. Dans cette extrémité, nous ne fûmes sauvés que par l'agilité et la promptitude de Peters. Sautant sur le dos de l'énorme bête, il lui enfonça derrière le cou la lame d'un couteau et attei- gnit du premier coup la moelle épinière. L'animal retomba dans la mer sans faire le moindre effort, inanimé, mais entraînant Peters dans sa chute et roulant sur lui. Celui-ci se releva bientôt; on lui jeta une corde, et, avant de remonter
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dans le canot, il attacha le corps de l'animal vaincu. Nous retournâmes en triomphe à la goélette, en remorquant notre trophée à la traîne. Cet ours, quand on le mesura, se trouva avoir quinze bons pieds dans sa plus grande lon- gueur. Son poil était d'une blancheur parfaite, très-rude et frisant très-serré. Les yeux étaient d'un rouge de sang, plus gros que ceux de l'ours arctique, — le museau plus arrondi et ressemblant presque au museau d'un boule- dogue. La chair en était tendre, mais excessivement rance et sentant le poisson; cependant, les hommes s'en régalèrent avec avidité, et la déclarèrent une nourriture excellente.
A peine avions-nous hissé notre proie le long du bord, que l'homme de vigie fit entendre le cri joyeux de « Terre par le bossoir de tribord !» Tout le monde se tint alors sur le qui- vive, et, une brise s'étant très-heureusement levée au nord- est, nous fûmes bientôt sur la côte. C'était un îlot bas et rocheux, d'une lieue environ de circonférence, et complè- tement privé de végétation, à l'exception d'une espèce de raquette épineuse. En approchant par le nord, nous vîmes un singulier rocher, faisant promontoire, qui imitait remarquablement la forme d'une balle de coton cordée. En doublant cette pointe vers l'ouest, nous trouvâmes une petite baie au fond de laquelle nos embarcations purent atterrir commodément.
II ne nous fallut pas beaucoup de temps pour explorer toutes les parties de l'île : mais, à une seule exception près, nous n'y trouvâmes rien qui fût digne d'observation. A l'extrémité sud, nous ramassâmes tout près du rivage, à moitié enterrée sous un monceau de pierres éparses, une pièce de bois, qui semblait avoir servi de proue à une em- barcation. II y avait eu évidemment quelque intention de sculpture, et le capitaine Guy crut y découvrir une figure de tortue, mais je dois avouer que, pour mon compte, la
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ressemblance ne me frappa que très-médiocrement. Sauf cette proue, si toutefois c'en était une, nous ne décou- vrîmes aucun indice qui prouvât qu'une créature vivante eût jamais habité ce lieu. Autour de la côte, nous trou- vâmes par-ci par-là quelques petits blocs de glace, — mais en très-petit nombre. La situation exacte de l'îlot (auquel le capitaine Guy donna le nom d'îlot de Bennet, en l'honneur de son associé dans la propriété de la goélette) est par 820 50' de latitude sud et 420 20' de longitude ouest.
Nous avions alors pénétré dans le sud de plus de huit degrés au delà des limites atteintes par tous les navigateurs précédents, et la mer s'étendait toujours devant nous par- faitement libre d'obstacles. Nous trouvions aussi que la variation diminuait régulièrement à mesure que nous avan- cions, et que la température atmosphérique, et plus récem- ment celle de l'eau, s'adoucissaient graduellement. Le temps pouvait s'appeler un temps agréable, et nous avions une brise très-douce mais constante, qui soufflait toujours de quelque point nord du compas. Le ciel était généralement clair; de temps en temps une vapeur légère et ténue appa- raissait à l'horizon sud; — mais, invariablement, elle était d'une très-courte durée. Nous n'apercevions que deux difficultés : nous étions à court de combustible, et des symptômes de scorbut s'étaient déjà manifestés chez quelques hommes de l'équipage. Ces considérations com- mençaient à agir sur l'esprit de M. Guy, et il parlait sou- vent de mettre le cap au nord. Pour ma part, persuadé, comme je l'étais, que nous allions bientôt rencontrer une terre de quelque valeur, en suivant toujours la même route, et que nous n'y trouverions pas le sol stérile des hautes latitudes arctiques, j'insistais chaudement auprès de lui sur la nécessité de persévérer, au moins pendant
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quelques jours encore, dans la direction suivie jusqu'alors. Une occasion aussi tentante de résoudre le grand pro- blême relatif à un continent antarctique ne s'était encore présentée à aucun homme, et je confesse que je me sentais gonflé d'indignation à chacune des timides et inoppor- tunes suggestions de notre commandant. Je crois positive- ment que tout ce que je ne pus m'empêcher de lui dire à ce sujet eut pour effet de le raffermir dans l'idée de pousser de l'avant. Aussi, bien que je sois obligé de déplorer les tristes et sanglants événements qui furent le résultat im- médiat de mon conseil, je crois que j'ai droit de me féli- citer un peu d'avoir été, jusqu'à un certain point, l'instru- ment d'une découverte, et d'avoir servi en quelque façon à ouvrir aux yeux de la science, un des plus enthousias- mants secrets qui aient jamais accaparé son attention.
XVIII
HOMMES NOUVEAUX.
1 8 janvier. — Ce matin-là W nous reprîmes notre route vers le sud, avec un temps aussi beau que les jours précé-
(,) Les termes matin et soir, dont j'ai fait usage pour éviter, autant que possible, la confusion dans mon récit, ne doivent pas, comme on le com- prend d'ailleurs, être pris dans le sens ordinaire. Depuis longtemps déjà nous ne connaissions plus la nuit, et nous étions sans cesse éclairés par la lumière du jour. Toutes les dates sont établies conformément au temps nautique, et les notes relevées par quantités de durée abstraite. C'est aussi le lieu de re- marquer que je ne prétends pas, dans le commencement de cette partie de mon récit, à une exactitude minutieuse à l'égard des dates, des latitudes et des longitudes; je n'ai commencé à tenir un journal régulier qu'après la pé- riode dont traite cette première partie. Dans beaucoup de cas, je me suis fié uniquement à ma mémoire. — E. A P.
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dents. La mer était complètement unie, le vent du nord- est, suffisamment chaud, la température de l'eau à 53. Nous recommençâmes notre opération de sondage, et, avec une ligne de 150 brasses, nous trouvâmes le courant portant au pôle avec une vitesse d'un mille par heure. Cette tendance constante du vent et du courant vers le sud suggérèrent passablement de réflexions et même quelque alarme parmi le monde de la goélette, et je vis positivement qu'elle avait produit une forte impression sur l'esprit du capitaine Guy. Mais par bonheur il était exces- sivement sensible au ridicule, et je réussis finalement à le faire lui-même se divertir de ses appréhensions. La varia- tion était maintenant presque insignifiante. Dans le cours de la journée, nous vîmes quelques baleines de l'espèce franche, et d'innombrables volées d'albatros passèrent au- dessus du navire. Nous péchâmes aussi une espèce de buis- son chargé de baies rouges comme celles de l'aubépine, et le corps d'un animal, évidemment terrestre, de l'aspect le plus singulier. II avait 3 pieds de long sur 6 pouces de hauteur seulement, avec quatre jambes très-courtes, les pieds armés de longues griffes d'un écarlate brillant et res- semblant fort à du corail. Le corps était revêtu d'un poil soyeux et uni, parfaitement blanc. La queue était effilée comme une queue de rat, et longue à peu près d'un pied et demi. La tête rappelait celle du chat, à l'exception des oreilles, rabattues et pendantes comme des oreilles de chien. Les dents étaient du même rouge vif que les griffes.
1 y janvier. — Ce jour-là, nous trouvant par 83° 20' de latitude et 430 5' de longitude ouest (la mer étant d'un foncé extraordinaire), la vigie signala la terre de nouveau, et, à un examen attentif, nous découvrîmes que c'était une île appartenant à un groupe de plusieurs îles tres-
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vastes. La côte était à pic et l'intérieur semblait bien boisé, circonstance qui nous causa une grande joie. Quatre heures environ après avoir découvert la terre, nous jetions l'ancre sur dix brasses de profondeur, avec un fond de sable, à une lieue de la côte; car un fort ressac, avec des remous courant çà et là, en rendaient l'abord d'une commodité douteuse. Nous reçûmes l'ordre d'amener les deux plus grandes embarcations, et un détachement bien armé (dont Peters et moi nous faisions partie) se mit en devoir de trouver une ouverture dans le récif qui faisait à l'île une espèce de ceinture. Après avoir cherché pendant quelque temps, nous découvrîmes une passe où nous en- trions déjà, quand nous aperçûmes quatre grands canots qui se détachaient du rivage, chargés d'hommes qui sem- blaient bien armés. Nous les laissâmes arriver, et, comme ils manœuvraient avec une grande célérité, ils furent bientôt à portée de la voix. Le capitaine Guy hissa alors un mouchoir blanc à la pointe d'un aviron : mais les sau- vages s'arrêtèrent tout net et se mirent soudainement à jacasser et à baragouiner très-haut, poussant de temps en temps de grands cris parmi lesquels nous pouvions distin- guer les mots : Anamoo-moo ! et Lama-Lama ! Ils conti- nuèrent leur vacarme pendant une bonne demi-heure, durant laquelle nous pûmes examiner leur physionomie tout à loisir.
Dans les quatre canots, qui pouvaient bien avoir cin- quante pieds de long et cinq de large, il y avait en tout cent dix sauvages. Ils avaient, à peu de chose près, la sta- ture ordinaire des Européens, mais avec une charpente plus musculeuse et plus charnue. Leur teint était d'un noir de jais, et leurs cheveux, longs, épais et laineux. Ils étaient vêtus de la peau d'un animal noir inconnu, à poils longs et soyeux, et ajustée assez convenablement au corps, la four-
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rure tournée en dedans, excepté autour du cou, des poi- gnets et des chevilles. Leurs armes consistaient principale- ment en bâtons d'un bois noir et en apparence très-lourd. Cependant, nous aperçûmes aussi quelques lances à pointe de silex et quelques frondes. Le fond des canots était chargé de pierres noires de la grosseur d'un gros œuf.
Quand ils eurent terminé leur harangue (car c'était évi- demment une harangue que cet affreux baragouinage), l'un d'eux, qui semblait être le chef, se leva à la proue de son canot et nous fit signe, à différentes reprises, d'amener nos embarcations au long de son bord. Nous fîmes semblant de ne pas comprendre son idée, pensant que le parti le plus sage était de maintenir, autant que possible, un espace suffisant entre lui et nous; car ils étaient plus de quatre fois plus nombreux que nous. Devinant notre pensée, le chef commanda aux trois autres canots de se tenir en arrière, pendant qu'il s'avançait vers nous avec le sien. Aussitôt qu'il nous eut atteints, il sauta à bord du plus grand de nos canots, et il s'assit à coté du capitaine Guy, montrant en même temps du doigt la goélette, et répétant les mots : Anamoo-moo ! Lama-Lama ! Nous retournâmes vers le navire, les quatre canots nous suivant à quelque distance.
En arrivant au long du bord, le chef donna les signes d'une surprise et d'un plaisir extrêmes, claquant des mains, se frappant les cuisses et la poitrine et poussant des éclats de rire étourdissants. Toute sa suite, qui nageait derrière nous, unit bientôt sa gaieté à la sienne, et en quelques minutes ce fut un tapage à nous rendre absolu- ment sourds. Heureux d'être ramené à son bord, le capi- taine Guy commanda de hisser les embarcations, comme précaution nécessaire, et donna a entendre au chef (qui s'appelait Too-wit, comme nous le découvrîmes bientôt)
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qu'il ne pouvait pas recevoir sur le pont plus de vingt de ses hommes à la fois. Celui-ci parut s'accommoder parfai- tement de cet arrangement, et transmit quelques ordres aux canots, dont l'un s'approcha, les autres restant à peu près à cinquante yards au large. Vingt des sauvages mon- tèrent à bord et se mirent à fureter dans toutes les parties du pont, à grimper çà et là dans le gréement, faisant comme s'ils étaient chez eux, et examinant chaque objet avec une excessive curiosité.
II était positivement évident qu'ils n'avaient jamais vu aucun individu de race blanche, — et d'ailleurs notre couleur semblait leur inspirer une singulière répugnance. Ils croyaient que la Jane était une créature vivante, et l'on eût dit qu'ils craignaient de la frapper avec la pointe de leurs lances, qu'ils retournaient soigneusement. II y eut un moment où tout notre équipage s'amusa beaucoup de la conduite de Too-wit. Le coq était en train de fendre du bois près de la cuisine, et, par accident, il enfonça sa hache dans le pont, où il fit une entaille d'une profondeur considérable. Le chef accourut immédiatement, et, bous- culant le coq assez rudement, il poussa un petit gémisse- ment, presque un cri, qui montrait énergiquement com- bien il sympathisait avec les douleurs de la goélette; et puis il se mit à tapoter et à patiner la blessure avec sa main et à la laver avec un seau d'eau de mer qui se trouvait à côté. II y avait là un degré d'ignorance auquel nous n'étions nullement préparés, et, pour mon compte, je ne pus m'empêcher de croire à un peu d'affectation.
Quand nos visiteurs eurent satisfait de leur mieux leur curiosité relativement au gréement et au pont, ils furent conduits en bas, où leur étonnement dépassa toutes les bornes. Leur stupéfaction semblait trop forte pour s'ex- primer par des paroles, car ils rôdaient partout en silence,
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ne poussant de temps à autre que de sourdes exclama- tions. Les armes leur fournissaient une grosse matière à réflexions, et on leur permit de les manier à loisir. Je crois qu'ils n'en soupçonnaient pas le moins du monde l'usage, mais qu'ils les prenaient plutôt pour des idoles, voyant quel soin nous en prenions et l'attention avec laquelle nous guettions tous leurs mouvements pendant qu'ils les maniaient. Les canons redoublèrent leur étonne- ment. Ils s'en approchèrent en donnant toutes les marques de la vénération et de la terreur la plus grande, mais ne voulurent pas les examiner minutieusement. Il y avait dans la cabine deux grandes glaces, et ce fut là l'apogée de leur émerveillement. Too-wit fut le premier qui s'en approcha, et il était déjà parvenu au milieu de la chambre, faisant face à l'une des glaces et tournant le dos à l'autre, avant de les avoir positivement aperçues. Quand le sau- vage leva les yeux et qu'il se vit réfléchi dans le miroir, je crus qu'il allait devenir fou; mais, comme il se tournait brusquement pour battre en retraite, il se revit encore fai- sant face à lui-même dans la direction opposée; pour le coup je crus qu'il allait rendre l'âme. Rien ne put le con- traindre à jeter sur l'objet un second coup d'oeil; tout moyen de persuasion fut inutile; il se jeta sur le parquet, cacha sa tête dans ses mains et resta immobile, si bien qu'enfin nous nous décidâmes â le transporter sur le pont. Tous les sauvages furent ainsi reçus à bord successive- ment, vingt par vingt; quant à Too-wit, il lui fut accordé de rester tout le temps. Nous ne découvrîmes chez eux aucun penchant au vol, et nous ne constatâmes après leur départ la disparition d'aucun objet. Pendant toute la durée de leur visite, ils montrèrent les manières les plus amicales. Il y avait cependant certains traits de leur conduite dont il nous fut impossible de nous rendre compte; par exemple,
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nous ne pûmes jamais les faire s'approcher de quelques objets inofïensifs, — tels que les voiles de la goélette, un œuf, un livre ouvert ou une écuelle de farine. Nous essayâmes de découvrir s'ils possédaient quelques articles qui pussent devenir objets de trafic et d'échange, mais nous eûmes la plus grande peine à nous faire comprendre. Toutefois, nous apprîmes avec le plus grand étonnement que les îles abondaient en grosses tortues de l'espèce des Galapagos, et nous en vîmes une dans le canot de Too- wit. Nous vîmes aussi de la biche de mer entre les mains d'un des sauvages, qui la dévorait à l'état de nature avec une grande avidité.
Ces anomalies, ou du moins ce que nous considérions comme anomalies relativement à la latitude, poussèrent le capitaine Guy à tenter une exploration complète du pays, dans l'espérance de tirer de sa découverte quelque spéculation profitable. Pour ma part, désireux comme je l'étais de pousser plus loin la découverte, je n'avais qu'une visée et qu'un but, je ne pensais qu'à poursuivre sans délai notre voyage vers le sud. Nous avions alors un beau temps, mais rien ne nous disait combien il durerait; et, nous trouvant déjà au quatre-vingt-quatrième parallèle, avec une mer complètement libre devant nous, un cou- rant qui portait vigoureusement au sud et un bon vent, je ne pouvais prêter patiemment l'oreille à loute proposi- tion de nous arrêter dans ces parages plu? longtemps qu'il n'était absolument nécessaire pour refaire la santé de l'équipage, pour nous ravitailler et embarquer une provi- sion suffisante de combustible. Je représentai au capitaine qu'il nous serait facile de relâcher à ce groupe d'îles lors de notre retour, et même d'y passer l'hiver dans le cas où les glaces nous barreraient le passage. A la longue, il se rangea à mon avis (car j'avais, par quelque moyen
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inconnu à moi-même, acquis un grand empire sur lui), et finalement il fut décidé que, même dans le cas où nous trouverions la biche de mer en abondance, nous ne reste- rions pas là plus d'une semaine pour nous refaire, et que nous pousserions vers le sud pendant que cela nous était possible.
Nous fîmes conséquemment tous les préparatifs néces- saires, et ayant conduit heureusement, d'après les indica- tions de Too-wit, la goélette à travers les récifs, nous jetâmes l'ancre à un mille environ du rivage, dans une baie excellente, fermée de tous côtés par la terre, sur la côte sud-est de l'île principale, et par dix brasses d'eau, avec un fond de sable noir. A l'extrémité de cette baie coulaient (nous dit-on) trois jolis ruisseaux d'une eau excellente, et nous vîmes que les environs étaient abondamment boisés. Les quatre canots nous suivaient, mais observant toujours une distance respectueuse. Quant à Too-wit, il resta à bord, et, quand nous eûmes jeté l'ancre, il nous invita à l'accompagner à terre et à visiter son village dans l'intérieur. Le capitaine Guy y consentit, et, dix des sau- vages ayant été laissés à bord comme otages, un détache- ment de douze hommes d'entre nous se prépara à suivre le chef. Nous prîmes soin de nous bien armer, mais sans laisser voir la moindre méfiance. La goélette avait mis ses canons aux sabords, hissé ses filets de bastingage, et l'on avait pris toutes les précautions convenables pour se gar- der d'une surprise. II fut particulièrement recommande au second de ne recevoir personne à bord pendant notre absence, et, dans le cas où nous n'aurions pas reparu au bout de douze heures, d'envoyer la chaloupe armée d'un pierrier, à notre recherche autour de l'île.
A chaque pas que nous faisions dans le pays, nous ac- quérions forcément la conviction que nous étions sur une
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terre qui différait essentiellement de toutes celles visitées jusqu'alors par les hommes civilisés. Rien de ce que nous apercevions ne nous était familier. Les arbres ne ressem- blaient à aucun des produits des zones torrides, des zones tempérées, ou des zones froides du Nord, et différaient essentiellement de ceux des latitudes inférieures méridio- nales que nous venions de traverser. Les roches elles- mêmes étaient nouvelles par leur masse, leur couleur et leurs stratifications; et les cours d'eau , quelque prodigieux que cela puisse paraître, avaient si peu de rapport avec ceux des autres climats, que nous hésitions à y goûter, et que_nous avions même de la peine à nous persuader que leurs qualités étaient purement naturelles. A un petit ruis- seau qui coupait notre chemin (le premier que nous ren- contrâmes), Too-wit et sa suite firent halte pour boire. En raison du caractère singulier de cette eau nous refusâmes d'y goûter, supposant qu'elle était corrompue; et ce ne fut qu'un peu plus tard que nous parvînmes à comprendre que telle était la physionomie de tous les cours d'eau dans tout cet archipel. Je ne sais vraiment comment m'y prendre pour donner une idée nette de la nature de ce liquide, et je ne puis le faire sans employer beaucoup de mots. Bien que cette eau coulât avec rapidité sur toutes les pentes, comme aurait; fait toute eau ordinaire, cependant elle n'avait jamais, excepté dans le cas de chute et de cascade, l'apparence habituelle de la limpidité. Néanmoins je dois dire qu'elle était aussi limpide qu'aucune eau calcaire exis- tante, et la différence n'existait que dans l'apparence. A première vue, et particulièrement dans les cas où la décli- vité était peu sensible, elle ressemblait un peu, quant à la consistance, à une épaisse dissolution de gomme arabique dans l'eau commune. Mais cela n'était que la moins remar- quable de ses extraordinaires qualités. Elle n'était pas in-
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colore; elle n'était pas non plus d'une couleur uniforme quelconque, et tout en coulant elle offrait à l'œil toutes les variétés possibles de la pourpre, comme des chatoiements et des reflets de soie changeante. Pour dire la vérité, cette variation dans la nuance s'effectuait d'une manière qui pro- duisit dans nos esprits un étonnement aussi profond que les miroirs avaient fait sur l'esprit de Too-wit. En puisant de cette eau plein un bassin quelconque, et en la laissant se rasseoir et prendre son niveau, nous remarquions que toute la masse de liquide était faite d'un certain nombre de veines distinctes, chacune d'une couleur particulière; que ces veines ne se mêlaient pas; et que leur cohésion était parfaite relativement aux molécules dont elles étaient for- mées, et imparfaite relativement aux veines voisines. En faisant passer la pointe d'un couteau à travers les tranches, l'eau se refermait subitement derrière la pointe, et quand on la retirait, toutes les traces du passage de la lame étaient immédiatement oblitérées. Mais, si la lame inter- sectait soigneusement deux veines, une séparation par- faite s'opérait, que la puissance de cohésion ne rectifiait pas immédiatement. Les phénomènes de cette eau for- mèrent le premier anneau défini de cette vaste chaîne de miracles apparents dont je devais être à la longue entouré.
XIX
KLOCK-KLOCK.
Nous mîmes à peu près trois heures pour arriver au village; il était à plus de trois milles dans l'intérieur des terres, et la route traversait une région raboteuse. Chemin
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faisant, le détachement de Too-wit (les cent dix sauvages des canots) se renforça d'instants en instants de petites troupes de six ou sept individus, qui, débouchant par dif- férents coudes de la route, nous rejoignirent comme par hasard. II y avait là comme un système, un tel parti pris, que je ne pus m'empêcher d'éprouver de la méfiance et que je fis part de mes appréhensions au capitaine Guy. Mais il était maintenant trop tard pour revenir sur nos pas, et nous convînmes que la meilleure manière de pourvoir à notre sûreté était de montrer la plus parfaite confiance dans la loyauté de Too-wit. Donc, nous poursuivîmes, ayant tou- jours un œil ouvert sur les manœuvres des sauvages, et ne leur permettant pas de diviser nos rangs par des poussées soudaines. Ayant ainsi traversé un ravin escarpé, nous par- vînmes à un groupe d'habitations qu'on nous dit être le seul existant sur toute l'île. Comme nous arrivions en vue du village, le chef poussa un cri et répéta à plusieurs reprises le mot Klock-Klock, que nous supposâmes être le nom du village, ou peut-être le nom générique appliqué à tous les villages.
Les habitations étaient de l'espèce la plus misérable qu'on puisse imaginer, et, différant en cela de celles des races les plus infimes dont notre humanité ait connaissance, elfes n'étaient pas construites sur un plan uniforme. Quel- ques-unes (et celles-ci appartenaient aux Wampoos ou Yampoos, les grands personnages de l'île) consistaient en un arbre coupé à quatre pieds environ de la racine, avec une grande peau noire étalée par -dessus, qui s'épandait à plis lâches sur le sol. C'était là-dessous que nichait le sau- vage. D'autres étaient faites au moyen de branches d'arbre non dégrossies, conservant encore leur feuillage desséché, piquées de façon à s'appuyer, en faisant un angle de qua- rante-cinq degrés, sur un banc d'argile, lequel était amon-
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celé, sans aucun souci de forme régulière, à une hauteur de cinq ou six pieds. D'autres étaient de simples trous creusés perpendiculairement en terre et recouverts de bran- chages semblables, que l'habitant de la cahute était obligé de repousser pour entrer, et qu'il lui fallait ensuite rassem- bler de nouveau. Quelques-unes étaient faites avec les branches fourchues des arbres, telles quelles, les branches supérieures étant entaillées à moitié et retombant sur les inférieures, de manière à former un abri plus épais contre le mauvais temps. Les plus nombreuses consistaient en de petites cavernes peu profondes, dont était, pour ainsi dire, égratignée la surface d'une paroi de pierre noire, tombant à pic et ressemblant fort à de la terre à foulon, qui bordait trois des côtés du village. A l'entrée de chacune de ces cavernes grossières se trouvait un petit quartier de roche que l'habitant du lieu plaçait soigneusement à l'ouverture chaque fois qu'il quittait sa niche; — dans quel but, je ne pus pas m'en rendre compte; car la pierre n'était jamais d'une grosseur suffisante pour boucher plus d'un tiers du passage.
Ce village, si toutefois cela méritait un pareil nom, était situé dans une vallée d'une certaine profondeur, et l'on ne pouvait y arriver que par le sud, la muraille ardue dont j'ai parlé fermant l'accès dans toute autre direction. A tra- vers le milieu de la vallée clapotait un courant d'eau de la même apparence magique que celle déjà décrite. Nous aperçûmes autour des habitations quelques étranges ani- maux qui semblaient tous parfaitement domestiqués. Les plus gros rappelaient notre cochon vulgaire, tant par la structure du corps que par le groin; la queue, toutefois, était touffue, et les jambes grêles comme celles de l'anti- lope. La démarche de la bête était indécise et gauche, et nous ne la vîmes jamais essayant de courir. Nous remar-
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quâmes aussi quelques animaux d'une physionomie ana- logue, mais plus longs de corps, et recouverts d'une laine noire. II y avait une grande variété de volailles domestiques qui se promenaient aux alentours, et qui semblaient con- stituer la principale nourriture des indigènes. A notre grand étonnement, nous aperçûmes parmi les oiseaux des alba- tros noirs complètement apprivoisés, qui allaient périodi- quement en mer chercher leur nourriture, revenant tou- jours au village comme à leur logis, et se servant seulement de la côte sud qui était à proximité comme de lieu d'incu- bation. Là, comme d'habitude, ils étaient associés avec leurs amis les pingouins, mais ces derniers ne les suivaient jamais jusqu'aux habitations des sauvages. Parmi les autres oiseaux apprivoisés il y avait des canards qui ne différaient pas beaucoup du canvass-back ou anas valisneria de notre pays, des boubies noires, et un gros oiseau qui ressemblait assez au busard , mais qui n'était pas carnivore. Le poisson sem- blait en grande abondance. Nous vîmes, pendant notre excursion, une quantité considérable de saumons secs, de morues, de dauphins bleus, de maquereaux, de tautogs, de raies, de congres, d'éléphants de mer, de mulets, de soles, de scares ou perroquets de mer, de leather-jacbets, de rougets, de merluches, de carrelets, de paracutas, et une foule d'autres espèces. Nous remarquâmes qu'elles ressem- blaient, pour la plupart, à celles qu'on trouve dans les parages de l'archipel de Lord Auckland, à 510 de latitude sud. La tortue galapago était aussi très abondante. Nous ne vîmes que très peu d'animaux sauvages, aucun de grosses proportions, aucun non plus qui nous fût connu. Un ou deux serpents d'un aspect formidable traversèrent notre chemin, mais les naturels n'y firent pas grande attention, et nous en conclûmes qu'ils n'étaient pas venimeux.
Comme nous approchions du village avec Too-wit et sa
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bande, une immense populace se précipita à notre ren- contre, poussant de grands cris parmi lesquels nous dis- tinguions les éternels Anamoo-moo ! et Lama-Lama! Nous fûmes très-étonnés de voir que ces nouveaux arrivants étaient, à une ou deux exceptions près, entièrement nus, les peaux à fourrure n'étant à l'usage que des hommes des canots. Toutes les armes du pays semblaient aussi en la possession de ces derniers, car nous n'en voyions pas une seule entre les mains des habitants du village. II y avait aussi une multitude de femmes et d'enfants, celles-ci ne manquant pas absolument de ce qu'on peut appeler beauté personnelle. Elles étaient droites, grandes, bien faites et douées d'une grâce et d'une liberté d'allure qu'on ne trouve pas dans une société civilisée. Mais leurs lèvres, comme celles des hommes, étaient épaisses et massives, à ce point que même en riant elles ne découvraient jamais les dents. Leur chevelure était d'une nature plus fine que celle des hommes. Parmi tous ces villageois nus, on pouvait bien trouver dix ou douze hommes habillés de peaux, comme la bande de Too-wit, et armés de lances et de lourdes massues. Ils paraissaient avoir une grande influence sur les autres, et on ne leur parlait jamais sans les honorer du titre de Wampoo. C'étaient les mêmes hommes qui habi- taient les fameux palais de peaux noires. L'habitation de Too-wit était située au centre du village, et beaucoup plus grande et un peu mieux construite que les autres de même espèce. L'arbre qui en formait le support avait été coupé à une distance de douze pieds environ de la racine, et au- dessous du point de la coupe quelques branches avaient été laissées, qui servaient à étaler la toiture et l'empêchaient ainsi de battre contre le tronc. Cette toiture, qui consistait en quatre grandes peaux reliées entre elles par des chevilles de bois, était assujettie par le bas avec de petits pieux
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qui la traversaient et s'enfonçaient dans la terre. Le sol était jonché d'une énorme quantité de feuilles sèches qui remplissaient l'office de tapis.
Nous fûmes conduits à cette hutte en grande solennité, et derrière nous s'amassa une foule de naturels, autant qu'il en put tenir. Too-wit s'assit sur les feuilles et nous engagea par signes à suivre son exemple. Nous obéîmes, et nous nous trouvâmes alors dans une situation singulièrement incommode, si ce n'est même critique. Nous étions assis par terre, au nombre de douze, avec les sauvages, au nombre de quarante, accroupis sur leurs jarrets, et nous serrant de si près que, s'il était survenu quelque désordre, il nous eût été impossible de faire usage de nos armes, ou même de nous dresser sur nos pieds. La cohue n'était pas seulement en dedans de la tente, mais aussi en dehors, où se foulait probablement toute la population de l'île, que les efforts et les vociférations de Too-wit empêchaient seuls de nous écraser sous ses pieds. Notre principale sécurité était dans la présence de Too-wit parmi nous, et, voyant que c'était encore la meilleure chance de nous tirer d'affaire, nous résolûmes de le serrer de près et de ne pas le lâcher, décidés à le sacrifier immédiatement à la première mani- festation hostile.
Après quelque tumulte, il fut possible d'obtenir un peu de silence, et le chef nous fit une harangue d'une belle longueur, qui ressemblait fort à celle qui nous avait été adressée des canots, sauf que les Anamoo-moo! s'y trouvaient un peu plus vigoureusement accentués que les Lama-Lama: Nous écoutâmes ce discours dans un profond silence jus- qu'à la péroraison; le capitaine Guy y répondit en assurant le chef de son amitié et de son éternelle bienveillance, et il conclut sa réplique en lui faisant cadeau de quelques chapelets ou colliers de verroterie bleue et d'un couteau.
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En recevant les colliers, le monarque, à notre grand éton- nement, releva le nez avec une certaine expression de dédain; mais le couteau lui causa une satisfaction indescrip- tible, et il commanda immédiatement le dîner.
Ce repas fut passé dans la tente par-dessus les têtes des assistants , et il consistait en entrailles palpitantes de quelque animal inconnu , probablement d'un de ces cochons à jambes grêles que nous avions remarqués en approchant du village. Voyant que nous ne savions comment nous y prendre, il commença, pour nous montrer l'exemple, à engloutir la séduisante nourriture yard par yard, si bien qu'à la fin il nous fut positivement impossible de supporter plus long- temps un pareil spectacle et que nous laissâmes voir des haut-Ie-cœur et de telles rébellions stomachiques, que Sa Majesté en éprouva un étonnement presque égal à celui que lui avait causé les miroirs. Nous refusâmes, malgré tout, de partager les merveilles culinaires qui nous étaient présentées, et nous nous efforçâmes de lui faire comprendre que nous n'avions aucun appétit, puisque nous venions tout justement d'achever un solide déjeuner.
Quand le monarque eut fini son régal, nous commen- çâmes à lui faire subir une espèce d'interrogatoire, de la façon la plus ingénieuse que nous pûmes imaginer, dans le but de découvrir quels étaient les principaux produits du pays, et s'il y en avait quelques-uns dont nous pussions tirer profit. A la longue, il parut avoir quelque idée de ce que nous voulions dire, et il nous offrit de nous accom- pagner jusqu'à un certain endroit de la côte , où nous devions, nous assura-t-il (et il désignait en même temps un échan- tillon de l'animal), trouver la biche de mer en grande abon- dance. Nous saisîmes avec bonheur cette occasion d'échap- per à l'oppression de la foule, et nous signifiâmes notre impatience de partir. Nous quittâmes donc la tente, et,
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accompagnés par toute la population du village, nous sui- vîmes le chef à l'extrémité sud-est de l'île, pas très loin de ïa baie où notre navire était mouillé. Nous attendîmes là une heure environ, jusqu'à ce que les quatre canots fussent ramenés par quelques-uns des sauvages jusqu'au lieu de notre station. Tout notre détachement s'embarqua dans l'un de ces canots, et nous fûmes conduits à la pagaie le long du récif dont j'ai parlé, puis vers un autre situé un peu plus au large, où nous vîmes une quantité de biche de mer plus abondante que n'en avait jamais vu le plus vieux de nos marins dans les archipels des latitudes inférieures si renommés pour cet article de commerce. Nous restâmes le long de ces récifs assez longtemps pour nous convaincre que nous en aurions facilement chargé une douzaine de navires s'il eût été nécessaire; et puis nous remontâmes à bord de la goélette, et nous prîmes congé de Too-wit, après lui avoir fait promettre qu'il nous apporterait , dans le délai de vingt-quatre heures, autant de canards canvass- back et de tortues galapagos que ses canots en pourraient contenir. Pendant toute cette aventure nous ne vîmes dans la conduite des naturels rien de propre à éveiller nos soup- çons, sauf la singulière manière systématique dont ils avaient grossi leur bande pendant notre marche de la goé- lette au village.
XX
ENTERRÉS VIVANTS!
Le chef fut fidèle à sa parole, et nous fûmes abondam- ment pourvus de provisions fraîches. Nous trouvâmes les tortues aussi bonnes qu'aucune que nous eussions jamais
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goûtée, et les canards étaient supérieurs à nos meilleures espèces d'oiseaux sauvages, — excessivement tendres, juteux, et d'une saveur exquise. En outre, les sauvages nous apportèrent, après que nous leur eûmes fait com- prendre notre désir, une grande quantité de céleri brun et de cochléaria, ou herbe au scorbut, avec un plein canot de poisson frais et de poisson sec. Le céleri fut pour nous un vrai régal, et le cochléaria eut un résultat admirable et servit à guérir ceux de nos hommes chez qui avaient déjà paru les symptômes du mal. En très-peu de temps nous n'eûmes plus un seul cas sur le rôle des malades. Nous reçûmes aussi d'autres provisions fraîches en abondance, parmi lesquelles je dois citer une espèce de coquillage qui par sa forme ressemblait à la moule, mais qui avait le goût de l'huître. Nous eûmes également en abondance des cre- vettes des deux espèces et des œufs d'albatros et d'autres oiseaux dont les coquilles étaient noires. Nous embar- quâmes encore une bonne provision de chair de cochon, de l'espèce dont j'ai déjà parlé. La plupart de nos hommes y trouvèrent une nourriture agréable; mais pour ma part elle me sembla imprégnée d'une odeur de poisson, et d'ail- leurs répugnante. En retour de toutes ces bonnes choses, nous offrîmes aux naturels des colliers à grains bleus, des bijoux de cuivre, des clous, des couteaux et des morceaux de toile rouge, et ils se montrèrent complètement enchantés de l'échange. Nous établîmes sur la côte un marché régu- lier, juste sous les canons de la goélette, et tout le trafic s'y opéra avec toutes les apparences de la bonne foi et avec un ordre auquel nous ne nous serions pas attendus de la part de ces sauvages, à en juger par leur conduite au village de Klock-Klock.
Les choses allèrent ainsi fort amiablement pendant quelques jours, et, durant cette période des bandes de
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naturels vinrent fréquemment à bord de la goélette, et des détachements de nos hommes descendirent souvent à terre, faisant de longues excursions dans l'intérieur et n'éprouvant de la part des habitants aucune espèce de vexation. Voyant avec quelle facilité le navire pouvait être chargé de biche de mer, grâce aux dispositions amicales des insulaires, et quels secours ils pouvaient prêter pour la ramasser, le capitaine Guy résolut d'entrer en négociation avec Too-wit relativement à l'érection de bâtiments com- modes, pour préparer l'article, et à la récompense due à lui et à ses hommes qui se chargeraient d'en recueillir le plus possible, pendant que nous profiterions du beau temps pour poursuivre notre voyage vers le sud. Quand il fit entendre son projet au chef, celui-ci sembla très-disposé à entrer en accommodement. Un marché fut donc conclu, parfaitement satisfaisant pour les deux parties, et on con- vint qu'après avoir fait les préparatifs nécessaires, tels que le tracé d'un emplacement convenable, l'érection d'une partie des bâtiments, et quelques autres besognes pour lesquelles tout notre équipage serait mis en réquisition, la goélette se remettrait en route, laissant sur l'île trois de ses hommes pour surveiller l'accomplissement du projet et enseigner aux naturels la dessiccation de la biche de mer. Quant aux conditions de traité, elles dépendaient du zèle et de l'activité des sauvages pendant notre absence. Ils devaient recevoir une quantité convenue de verroterie bleue, de couteaux, de toile rouge, et ainsi de suite, pour autant de fois un certain nombre de piculs de biche de mer, que nous devions trouver toute préparée à notre retour.
Une description de la nature de cet important article de commerce et de la méthode d^ le préparer peut être de quelque intérêt pour mes Iec;eurs, et je ne vois pas de meilleure place que celle-ci pour introduire ce compte-
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rendu. La notice complète qui suit, relative à la substance en question, est tirée d'une relation moderne de voyage dans les mers du sud :
« C'est ce mollusque des mers de l'Inde qui est connu dans le commerce sous le nom français de bouche de mer (fin morceau tiré de la mer). Si je ne me trompe pas, l'illustre Cuvier l'appelle gasteropoda pulmonijera. On le recueille en abondance sur les côtes des îles du Pacifique, principa- lement pour le marché chinois, où il est coté à un très- haut prix, presque autant que ces fameux nids comestibles, qui sont probablement faits d'une matière gélatineuse ramassée par une espèce d'hirondelle sur le corps de ces mollusques. Ils n'ont ni coquilles ni pattes, ni aucun membre proéminent, — rien que deux organes, l'un d'absorption, l'autre d'excrétion, situés à I'opposite l'un de l'autre; mais, grâce à leurs anneaux, élastiques comme ceux des chenilles et des vers, ils rampent vers les hauts- fonds, où, quand la mer est basse, ils sont aperçus par une espèce d'hirondelle, dont le bec aigu, piquant dans le corps tendre du mollusque, en retire une substance gommeuse et filamenteuse qui lui sert, en séchant, à solidifier les parois de son nid. De là le nom de gasteropoda pulmoni- jera.
«Ces mollusques sont de forme oblongue et d'une dimension variable de 3 à 18 pouces de long; j'en ai vu qui n'avaient pas moins de 2 pieds. Ils sont presque ronds, mais légèrement aplatis sur un côté, celui qui est tourné vers le fond de la mer, et ils sont d'une grosseur qui varie de 1 à 8 pouces. Ils grimpent en rampant dans les hauts- fonds à de certaines époques de l'année, — probablement pour se reproduire, car on les voit souvent alors par couples. C'est quand le soleil agit puissamment sur l'eau et qu'il l'attiédit qu'ils approchent de la côte; et ils vont
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quelquefois sur des fonds où l'eau est si basse que, la marée se retirant, ils restent à sec, exposés à la chaleur du soleil. Mais ils ne produisent pas leurs petits dans les hauts-fonds, car nous n'avons jamais vu un seul de ceux-ci, et quand on les a observés remontant des eaux profondes, ils étaient toujours parvenus à leur pleine croissance, lis se nour- rissent principalement de cette classe de zoophytes qui produit le corail.
« On prend généralement la biche de mer à une profon- deur de trois ou quatre pieds; après quoi on la porte à la côte, et on la fend par un bout avec un couteau, l'incision étant d'un pouce ou de plus, suivant la dimension du mol- lusque. A travers cette ouverture, l'on fait par la pression sortir les entrailles, qui d'ailleurs ressemblent beaucoup à celles de tous les menus habitants de la mer. On lave alors l'objet, puis on le fait bouillir à une certaine température qui ne doit être ni trop élevée ni trop faible. On l'ensevelit ensuite dans la terre pendant quatre heures, et on le fait encore bouillir pendant un peu de temps, après quoi on le met à sécher soit au feu, soit au soleil. Les mollusques qu'on fait sécher au soleil sont les meilleurs; mais quand j'en puis obtenir par ce moyen la valeur d'un picul (133 livres Y3), j'en puis faire sécher trente piculs par le feu. Quand ils sont convenablement séchés, on peut les conserver sans danger trois ou quatre ans dans un endroit sec; mais il faut les examiner de loin en loin, soit quatre fois par an, pour voir si quelque humidité ne les a pas atteints et gâtés.
«Les Chinois, comme nous l'avons dit, considèrent la biche de mer comme une friandise des plus recherchées, comme un mets des plus nourrissants et des plus fortifiants, et aussi comme très-propre à rajeunir un tempérament épuisé par les voluptés immodérées. L'article de première
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qualité est coté à un très-haut prix à Canton et se vend 90 dollars le picul; la seconde qualité, 75 dollars; la troi- sième, 50 dollars; la quatrième, 30 dollars; la cinquième, 20 dollars; la sixième, 12 dollars; la septième, 8 dollars; et la huitième, 4 dollars; toutefois, il arrivera souvent que de petites cargaisons rapporteront davantage sur les mar- chés de Manille, de Singapour et de Batavia. »
Nous entrâmes donc en arrangement, et nous débar- quâmes immédiatement tout ce qui était nécessaire pour commencer les bâtiments et déblayer le terrain. Nous fîmes choix d'un vaste espace uni près de la côte est de la baie, où se trouvaient en égale abondance l'eau et le bois, et à une distance convenable des principaux récifs sur lesquels on pouvait se procurer la biche de mer. Nous nous mîmes tous à l'œuvre avec une grande ardeur; bientôt, au grand étonnement des sauvages, nous eûmes abattu un nombre d'arbres suffisant pour notre dessein, et nous les fixâmes régulièrement pour établir la charpente des bâti- ments, qui en deux ou trois jours se trouvèrent assez avancés pour abandonner en toute confiance le reste de la besogne aux trois hommes que nous devions laisser der- rière nous. Ces hommes étaient John Carson, Alfred Harris et... Peterson (tous trois natifs de Londres, à ce que je crois), qui d'ailleurs s'offrirent d'eux-mêmes pour ce service.
A la fin du mois nous avions fait tous nos préparatifs de départ. Cependant nous étions convenus de faire une solennelle visite d'adieux au village, et Too-wit insista si opiniâtrement sur la nécessité de tenir notre promesse que nous ne jugeâmes pas convenable de l'offenser par un refus définitif. Je crois que pas un de nous à cette époque n'avait le plus léger soupçon relativement à la bonne foi des sau- vages. Ils s'étaient tous conduits avec les plus grands égards,
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nous aidant avec empressement dans notre besogne, nous offrant leurs marchandises souvent gratuitement, et jamais, dans aucun cas, n'escamotant un seul objet, bien qu'ils manifestassent par leurs éternelles et extravagantes démonstrations de joie, à chaque présent que nous leur faisions , quelle haute valeur ils attribuaient aux articles que nous avions en notre possession. Les femmes particu- lièrement étaient extrêmement obligeantes en toutes choses, et, en somme, nous aurions été les hommes les plus défiants du monde si nous avions soupçonné la moindre pensée de perfidie de la part d'un peuple qui nous traitait si bien. II nous suffit de très-peu de temps pour nous con- vaincre que cette bienveillance apparente n'était que le résultat d'un plan profondément étudié pour amener notre destruction, et que les insulaires qui nous avaient inspiré de si singuliers sentiments d'estime appartenaient à la race des plus barbares, des plus subtils et des plus san- guinaires misérables qui aient jamais contaminé la face du globe.
Ce fut le ier février que nous allâmes à terre pour rendre visite au village. Bien que nous n'eussions pas, je le répète, le plus léger soupçon, cependant aucune précaution conve- nable ne fut négligée. Six hommes restèrent à bord de la goélette, avec ordre de ne laisser approcher aucun sauvage pendant notre absence, sous quelque prétexte que ce fût, et de rester constamment sur le pont. On hissa les filets de bastingage, les canons reçurent une double charge de grappes de raisin et de mitraille, et les pierriers furent chargés de boîtes à balles de fusils. Le navire était mouillé, avec son ancre à pic, à un mille environ delà côte, et aucun canot ne pouvait en approcher d'aucun côté sans être aperçu et sans s'exposer immédiatement au feu de nos pierriers.
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Les six hommes laissés à bord, notre détachement se composait en tout de trente-deux individus. Nous étions armés jusqu'aux dents; nous avions des fusils, des pistolets et des poignards; chaque homme possédait en outre un long couteau de marin, ressemblant un peu au bowie-knije si popularisé maintenant dans toutes nos contrées du sud et de l'ouest. Une centaine de guerriers revêtus de peaux noires vint à notre rencontre au débarquement pour nous faire la conduite. Je dois dire que nous remarquâmes alors, non sans quelque surprise, qu'ils étaient complètement sans armes; et quand nous questionnâmes Too-wit relati- vement à cette circonstance, il répondit simplement : Mattee non we papa si, — c'est-à-dire : Là oit tous sont jures, il n'est pas besoin d'armes. Nous prîmes cela en bonne part, et
nous continuâmes notre route.
Nous avions passé la source et le ruisseau dont j'ai déjà parlé, et nous entrions dans une gorge étroite qui serpen- tait à travers les collines de pierre de savon au milieu des- quelles se trouvait situé le village. Cette gorge était rocheuse et très-inégale, au point que, lors de notre pre- mière excursion à KIock-KIock, nous n'avions pu la fran- chir qu'avec la plus grande difficulté. Le ravin, dans toute sa longueur, pouvait bien avoir un mille et demi ou même deux milles. II se contournait en mille sinuosités à travers les collines (il avait probablement, à une époque reculée, formé le lit d'un torrent), et jamais il ne se continuait plus de vingt yards sans faire un brusque coude. Je suis sûr que les versants de cette vallée s'élevaient, en moyenne, à 70 ou 80 pieds de hauteur perpendiculaire dans toute son étendue, et en quelques endroits les parois montaient à une élévation surprenante, obscurcissant tellement la passe que la lumière du jour n'y pénétrait plus qu'à peine. La largeur ordinaire était de quarante pieds environ, et quel-
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quefois elle se rétrécissait au point de ne livrer passage qu'à cinq ou six hommes de front. Bref, il ne pouvait pas y avoir au monde d'endroit mieux choisi pour une embus- cade, et il n'était que trop naturel de veiller soigneuse- ment à nos armes aussitôt que nous y entrâmes.
Quand maintenant je pense à notre prodigieuse folie, mon principal sujet d'étonnement est que nous ayons pu nous aventurer ainsi, dans n'importe quelles circonstances, et nous remettre à la discrétion de sauvages inconnus, au point de leur permettre de marcher devant et derrière nous tout le long de la ravine. Cependant, tel fut l'ordre de marche que nous adoptâmes en aveugles, nous fiant sottement à la force de notre troupe, à la disparition des armes chez Too-wit et ses hommes, à l'effet sûr de nos armes à feu (qui était encore un secret pour les naturels), et, avant toutes choses, à la longue affectation d'amitié de ces infâmes misérables. Cinq ou six d'entre eux ouvraient la marche, comme pour nous montrer la route, faisant grand étalage de bons soins et écartant pompeusement les grosses pierres et fes débris qui entravaient nos pas. Ensuite venait notre bande. Nous marchions serrés les uns contre les autres, ne prenant souci que d'empêcher notre séparation. Derrière suivait le corps principal des sau- vages, qui observait un ordre et un décorum tout à fait insolites.
Dirk Peters, un nommé Wilson Allen et moi, nous marchions à la droite de nos camarades, examinant tout le long de notre route les singulières stratifications de la muraille qui surplombait au-dessus de nos têtes. Une fis- sure dans la roche tendre attira notre attention. Elle était assez large pour permettre à un homme d'y entrer sans se serrer, et elle s'enfonçait dans la montagne à dix-huit ou vingt pieds en droite ligne, biaisant ensuite vers la gauche.
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La hauteur de cette ouverture , aussi loin que notre regard put pénétrer, était peut-être de soixante ou soixante-dix pieds. A travers les crevasses s'allongeaient deux ou trois arbustes rabougris, rappelant un peu le coudrier, que j'eus la curiosité d'examiner; m'avançant vivement dans ce but, je détachai cinq ou six noisettes d'une grappe, et je me retirai en toute hâte. Comme je me retournais, je vis que Peters et Allen m'avaient suivi. Je les priai de reculer, parce qu'il n'y avait pas place pour laisser passer deux personnes , et je leur dis que je leur donnerais quelques-unes de mes noisettes. En conséquence ils se retournèrent, et ils se faufilaient vers la route, Allen étant presque à l'orifice de la crevasse , quand j'éprouvai soudainement une secousse qui ne ressemblait à rien qui m'eût été familier jusqu'alors et qui m'inspira comme une vague idée (si en vérité je puis dire que j'eus une idée quelconque) que les fondations de notre globe massif s'entr'ouvraient tout à coup, et que nous touchions à l'heure de la destruction universelle.
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CATACLYSME ARTIFICIEL.
Aussitôt que je pus rappeler mes sens éperdus, je me sentis presque suffoqué, pataugeant dans une nuit com- plète parmi une masse de terre diffuse qui croulait lourde- ment sur moi de tous les côtés et menaçait de m'ensevelir entièrement. Horriblement alarmé par cette idée, je m'efforçai de reprendre pied, et à la fin j'y réussis. Je res- tai alors immobile pendant quelques instants, m'appli- quant à comprendre ce qui m'était arrivé et où je pouvais
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être. Bientôt j'entendis un profond gémissement tout contre mon oreille et peu de temps après la voix étouffée de Peters qui me suppliait au nom de Dieu de venir à son aide. Je m'avançai péniblement d'un ou deux pas, et je tombai juste sur la tête et les épaules de mon camarade, que je trouvai enseveli jusqu'à mi-corps dans une masse de terre molle, et qui luttait avec désespoir pour se déli- vrer de cette oppression. J'arrachai ïa terre tout autour de lui avec toute l'énergie dont je pouvais disposer, çt je réussis à la longue à le tirer d'affaire.
Aussitôt que nous fûmes suffisamment revenus de notre frayeur et de notre surprise et que nous pûmes causer rai- sonnablement, nous en vînmes tous deux à cette conclu- sion, que les murailles de la fissure dans laquelle nous nous étions aventurés s'étaient, par quelque convulsion de la nature ou probablement par leur propre poids, effon- drées par le haut, et que, nous trouvant ainsi ensevelis tout vivants, nous étions perdus à jamais. Pendant long- temps, nous nous abandonnâmes lâchement à la douleur et au désespoir le plus affreux, tels que ceux qui ne se sont pas trouvés dans une situation semblable ne pourront jamais se les figurer. Je crois fermement qu'aucun des accidents dont peut être semée l'existence humaine n'est plus propre à créer le paroxysme de la douleur physique et morale qu'un cas semblable au nôtre : — Etre enterrés vivants ! La noirceur des ténèbres qui enveloppent la vic- time, l'oppression terrible des poumons, les exhalaisons suffocantes de la terre humide se joignent à cette effrayante considération, — que nous sommes exilés au delà des confins les plus lointains de l'espérance et que nous sommes bien dans la condition spéciale des morts, — pour jeter dans le cœur humain un effroi, une horreur glaçante qui sont intolérables, — qu'il est impossible de concevoir!
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A la longue, Peters fut d'avis que nous devions avant tout vérifier jusqu'où s'étendait notre malheur et tâtonner à travers notre prison; car il n'était pas absolument impossible, ajouta-t-iï, que nous pussions découvrir une ouverture pour nous échapper. Je m'accrochai vivement à cet espoir, et, rappelant mon énergie, je m'efforçai de me frayer une voie à travers cet amas de terre éparse. J'avais à peine avancé d'un pas qu'un filet de lumière arriva jus- qu'à moi, imperceptible, il est vrai, mais suffisant pour me convaincre qu'en tout cas nous ne péririons pas immé- diatement par manque d'air. Nous reprîmes alors un peu courage, et nous tâchâmes de nous persuader mutuelle- ment que tout irait pour le mieux. Ayant grimpé par- dessus un banc de décombres qui obstruait notre passage dans la direction de la lumière, nous eûmes moins de peine à avancer, et nous éprouvâmes aussi quelque soula- gement à l'excessive oppression qui torturait nos poumons. II nous fut bientôt possible de distinguer les objets autour de nous, et nous découvrîmes que nous étions presque à l'extrémité de la partie de la fissure qui s'étendait en ligne droite, c'est-à-dire à l'endroit où elle faisait un coude sur la gauche. Encore quelques efforts, et nous atteignions le coude, où nous aperçûmes, avec une joie inexprimable, . une longue cicatrice ou lézarde qui s'étendait à une vaste distance vers la région supérieure, faisant généralement un angle de quarante-cinq degrés environ, mais quelque- fois beaucoup plus ardue. Notre œil ne pouvait pas par- courir toute l'étendue de cette ouverture; mais la lumière y descendant en quantité suffisante, nous avions presque la certitude (si toutefois nous pouvions grimper jusqu'au sommet) de trouver en haut un passage débouchant en plein air.
Je me souvins alors que nous étions trois qui avions
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quitté la gorge principale pour entrer dans cette fissure, et que notre camarade Allen n'était pas encore retrouvé; nous résolûmes donc de revenir sur nos pas et de le cher- cher. Après une longue perquisition , qui était d'ailleurs pleine de dangers à cause de la masse de terre supérieure qui s'effondrait sur nous, Peters me cria enfin qu'il venait d'empoigner l'un des pieds de notre camarade, et que tout son corps était si profondément enseveli sous les décombres qu'il était impossible de l'en retirer. Je découvris bientôt que ce que disait Peters n'était que trop vrai , et que la vie devait être éteinte depuis longtemps. Le cœur plein de tristesse, nous abandonnâmes donc le corps à sa destinée et nous nous acheminâmes de nouveau vers le coude du corridor.
La largeur de la déchirure était à peine suffisante pour notre corps, et, après une ou deux tentatives infruc- tueuses pour remonter, nous recommençâmes à désespé- rer. J'ai déjà dit que la chaîne de hauteurs à travers les- quelles se faufilait la gorge principale était formée d'une espèce de roches ressemblant à la steatite ou pierre de savon. Les parois de l'ouverture sur lesquelles nous nous efforcions alors de grimper étaient faites de la même sub- stance, et si glissantes et si mouillées que nos pieds pou- vaient à peine mordre sur les parties les moins ardues; en quelques endroits, quand la montée devenait presque per- pendiculaire, la difficulté se trouvait naturellement beau- coup plus grave, et pendant quelque temps nous crûmes positivement qu'elle serait insurmontable. Nous tirâmes toutefois le courage du désespoir, et, ayant eu l'heureuse idée de tailler des degrés dans la roche tendre avec nos bowie-bnives, nous nous suspendîmes, au risque de nous tuer, à de petites proéminences faites d'une espèce d'argile schisteuse un peu plus dure, qui saillaient çà et là de la
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masse générale, et nous arrivâmes enfin à une plate-forme naturelle d'où l'on pouvait apercevoir un lambeau de ciel bleu, à l'extrémité d'une ravine solidement boisée. Regar- dant alors derrière nous, et examinant un peu plus à loisir le passage à travers lequel nous avions émergé, nous vîmes clairement, à l'aspect de ses parois, qu'il était de formation récente, et nous en conclûmes que la secousse, de quelque nature qu'elle fût, qui nous avait si inopiné- ment engloutis, nous avait en même temps ouvert cette voie de salut. Presque épuisés par nos efforts, et vraiment si faibles que nous pouvions à peine nous tenir sur nos pieds et prononcer une parole, Peters eut l'idée de donner l'alarme à nos compagnons en déchargeant nos pistolets qui étaient restés fixés à notre ceinture; — car, pour les fusils et les coutelas, nous les avions perdus parmi les décombres de terre molle au fond de l'abîme. Les événe- ments subséquents prouvèrent que, si nous avions fait feu, nous nous en serions amèrement repentis; mais, par grand bonheur, un demi-soupçon de l'infâme tour dont nous étions victimes s'était pendant ce temps-là éveillé dans mon esprit, et nous prîmes bien garde de faire connaître aux sauvages en quel lieu nous nous trouvions.
Après nous être reposés pendant une heure environ, nous poussâmes lentement vers le haut de la ravine, et nous n'étions pas allés bien loin que nous entendîmes une série de hurlements effroyables. Nous atteignîmes enfin ce que nous pouvions décidément appeler la surface du sol; car notre route jusque-là, depuis que nous avions quitte la plate-forme, avait serpenté sous une voûte de roches élevées et de feuillage, à une grande distance au-dessus de nos têtes. Avec la plus grande prudence, nous nous coulâmes vers une étroite ouverture d'où il nous fut facile d'embrasser du regard toute la contrée environnante, et
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enfin tout le terrible secret du tremblement de terre nous fut révélé en un moment et au premier coup d'œil.
Notre point de vue n'était pas loin du sommet du pic le plus élevé parmi cette chaîne de montagne de steatite. La gorge dans laquelle s'était engagé notre détachement de trente-deux hommes courait à cinquante pieds à notre gauche. Mais, dans une étendue de cent yards au moins, le défilé, ou lit de cette gorge, était absolument comblé par les débris chaotiques de plus d'un million de tonnes de terre et de pierres , véritable avalanche artificielle qui y avait été adroitement précipitée. La méthode employée pour faire s'écrouler cette vaste masse était aussi simple qu'évidente, car il restait encore des traces positives de l'œuvre meurtrière. En quelques endroits, le long de la crête du côté est de la gorge (nous étions alors à l'ouest), nous pouvions apercevoir des poteaux de bois plantés dans la terre. En ces endroits-là la terre n'avait pas fléchi; mais tout le long de la paroi du précipice d'où la masse s'était détachée, il était évident, d'après certaines traces empreintes dans le sol et ressemblant à celles laissées par la sape, que des pieux semblables à ceux que nous voyions subsistant encore avaient été fixés, à une distance d'un yard au plus l'un de l'autre, dans une longueur peut- être de trois cents pieds, sur une ligne située à dix pieds environ du bord du précipice. De forts ligaments de vigne adhéraient encore aux poteaux subsistant sur la colline, et il était évident que des cordes de même nature avaient été attachées à chacun des autres poteaux. J'ai déjà parlé de la singulière stratification de ces collines de pierre de savon, et la description que j'ai faite tout à l'heure de l'étroite et profonde crevasse à travers laquelle nous avions échappé à notre terrible sépulture doit servir à en faire plus complètement comprendre la nature. Elle était
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telle que la première convulsion naturelle devait, à coup sûr, fendre le sol en couches perpendiculaires ou lignes de partage parallèles les unes aux autres, et qu'un effort très- modéré de l'art pouvait suffire pour obtenir le même résultat. C'était de cette stratification particulière que les sauvages s'étaient servis pour mener à bonne fin leur abo- minable traîtrise. II est impossible de mettre en doute qu'une rupture partielle du sol n'ait été opérée, grâce à cette ligne continue de poteaux, à une profondeur d'un ou deux pieds peut-être, et qu'un sauvage placé à l'extré- mité de chacune des cordes et tirant à lui (ces cordes étant attachées à la pointe des poteaux et s'étendant depuis la crête de la colline) n'ait obtenu une énorme puissance de levier capable de précipiter, à un signal donné, toute la paroi de la colline dans le fond du gouffre. La destinée de nos pauvres camarades ne pouvait plus être l'objet d'un doute. Seuls nous avions échappé à cet écrasant cataclysme artificiel. Nous étions les seuls hommes blancs restés vivants sur l'île.
XXII
TEKELI-LI !
Notre situation, telle qu'elle nous apparut alors, était à peine moins terrible que lorsque nous nous étions crus enterrés à tout jamais. Nous n'avions pas d'autre perspec- tive que d'être mis à mort par les sauyages ou de traîner parmi eux une misérable existence de captifs. Nous pou- vions, il est vrai, pendant quelque temps échapper à leur attention dans les replis des collines, et, à la dernière extrémité, dans l'abîme d'où nous venions de sortir; mais
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il nous fallait ou mourir de froid et de faim pendant ïe long hiver polaire, ou finalement trahir notre existence dans nos efforts pour trouver quelques ressources.
Tout le pays environnant semblait fourmiller de sau- vages, et de nouvelles bandes, que nous aperçûmes alors, étaient arrivées sur des radeaux des îles situées au sud, indubitablement pour aider à prendre et à piller la Jane. Le navire était toujours tranquillement à l'ancre dans la baie, les hommes à bord ne pouvant pas soupçonner qu'un danger quelconque les menaçât. Combien nous brûlâmes en ce moment d'être avec eux, soit pour les aider à opérer leur fuite, soit pour périr ensemble en essayant de nous défendre ! Nous n'apercevions même aucun moyen de les avertir du péril sans attirer immédiatement la mort sur nos têtes, et encore, dans ce cas, n'avions-nous que peu d'espoir de leur être utiles. Un coup de pistolet aurait suffi pour leur annoncer qu'il était arrivé un malheur; mais cet avis ne pouvait pas leur faire comprendre que leur seule chance de salut consistait à lever l'ancre immédiatement, — qu'aucun principe d'honneur ne les contraignait à rester, puisque leurs compagnons avaient disparu du rôle des vivants. Pour avoir entendu la décharge, ils ne pou- vaient pas être mieux préparés qu'ils n'étaient et qu'ils n'avaient été jusqu'alors à recevoir un ennemi prêt à l'attaque. Aucun avantage ne pouvait résulter d'une alarme donnée par un coup de feu, et il en pouvait résul- ter un mal infini; aussi, après mûre délibération, nous nous en abstînmes.
Nous eûmes ensuite l'idée de nous précipiter vers le navire, de nous emparer d'un des quatre canots amarrés à l'entrée de la baie, et d'essayer de nous frayer un passage jusqu'à la goélette. Mais l'absolue impossibilité de réussir dans cette tentative désespérée devint bientôt évidente.
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Tout le pays, comme je l'ai dit, fourmillait littéralement de sauvages, qui se rasaient derrière les buissons et les replis des collines de manière à ne pas être aperçus de la goélette. Particulièrement dans notre voisinage immédiat, et bloquant le seul passage par lequel nous pouvions espérer d'atteindre le rivage au bon endroit, était postée toute la bande des guerriers aux peaux noires, Too-wit à leur tête, qui semblait n'attendre que quelques renforts pour commencer l'abordage de la Jane. Les canots aussi, à l'entrée de la baie, étaient montés par des sauvages, non armés, il est vrai, mais ayant sans aucun doute des armes à leur portée. Nous fûmes donc forcés, malgré tout notre bon vouloir, de rester dans notre cachette, simples specta- teurs de la bataille qui ne tarda pas à s'engager.
Au bout d'une demi-heure à peu près, nous vîmes soixante ou soixante-dix radeaux, ou bateaux plats, à balanciers de pirogue, se remplir de sauvages et doubler la pointe sud de la baie. II ne paraissait pas qu'ils eussent d'autres armes que de courtes massues et des pierres amassées au fond des bateaux. Aussitôt après, un autre détachement, encore plus considérable, s'approcha par une direction opposée, avec des armes semblables. Les quatre canots se remplirent aussi très-rapidement d'une foule de naturels qui sortaient des fourrés, se dirigeant tous vers l'entrée du port, et qui poussèrent vivement au large pour rejoindre les autres troupes. Ainsi, en moins de temps qu'il ne m'en a fallu pour le raconter, et comme par magie, la Jane se vit assiégée par une multitude immense de forcenés évidemment résolus à s'en emparer à tout prix.
Qu'ils dussent réussir dans cette entreprise, nous n'osions pas en douter un seul instant. Les six hommes laissés sur le navire, quelque résolus qu'ils fussent à se
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bien défendre, étaient bien loin de suffire au service convenable des pièces, et de toutes façons ils étaient inca- pables de soutenir un combat aussi inégal. Je pouvais à peine me figurer qu'ils fissent la moindre résistance; mais en cela je me trompais; car je les vis bientôt s'embosser et amener le coté de tribord de manière que toute la bor- dée portât sur les canots qui se trouvaient alors à portée de pistolet, les radeaux restant à peu près à un quart de mille au vent. Par suite de quelque cause inconnue, pro- bablement de l'agitation de nos pauvres amis se voyant dans une position aussi désespérée, la décharge ne fut qu'un four complet. Pas un canot ne fut atteint, pas un sauvage blessé, le tir étant trop court, et la charge faisant ricochet par-dessus leurs têtes. Le seul effet produit sur eux fut un grand étonnement à cette détonation inatten- due et à cette fumée; et cet étonnement fut si grand que je crus pendant quelques instants qu'ils allaient abandon- ner leur dessein et regagner la côte. Et à coup sûr il en eût été comme je le crus d'abord, si nos hommes avaient soutenu leur bordée par une décharge de mousqueterie; car, pour le coup, les canots étant si près d'eux, ils n'au- raient pas manqué de faire quelques ravages qui eussent au moins suffi à empêcher cette bande-là de s'approcher davantage, et qui leur eussent permis de lâcher une autre bordée sur les radeaux. Mais, au contraire, en courant à bâbord pour recevoir les radeaux, ils laissèrent aux hommes des canots le temps de revenir de leur panique, et, en regardant autour d'eux, de vérifier qu'ils n'avaient subi aucun dommage.
La bordée de bâbord produisit l'effet le plus terrible. La mitraille et les boulets rames des gros canons cou- pèrent complètement sept ou huit des radeaux, et tuèrent roide trente ou quarante sauvages peut-être, pendant
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qu'une centaine au moins se trouvaient précipités dans l'eau , dont la plupart cruellement blessés. Ceux qui res- taient, perdant complètement la tête, commencèrent tout de suite une retraite précipitée, ne se donnant même pas le temps de repêcher leurs compagnons mutilés, qui nageaient çà et là de tous côtés, criant et hurlant au secours. Ce grand succès, néanmoins, arriva trop tard pour sauver nos énergiques camarades. La bande des canots était déjà à bord de la goélette au nombre de plus de cent cinquante hommes, la plupart d'entre eux ayant réussi à grimper aux porte-haubans et par-dessus les filets de bastingage, même avant que les mèches fussent appli- quées aux canons de bâbord. Rien ne pouvait plus arrêter la rage de ces brutes. Nos hommes furent tout de suite culbutés, écrasés, foulés aux pieds et complètement mis en lambeaux en un instant.
Voyant cela, les sauvages des radeaux revinrent de leur frayeur et arrivèrent en foule pour le pillage. En cinq minutes la Jane fut le théâtre déplorable d'une dévastation et d'un désordre sans pareil. Le pont fut fendu, arraché, entr'ouvert; les cordages, les voiles et toutes les ma- nœuvres, démolis comme par magie; cependant que, poussant à l'arrière, remorquant avec ses canots et hâlant sur les côtés, cette multitude de misérables qui nageait autour du navire parvint facilement à l'échouer à la côte (le câble ayant été filé par le bout), et le remit aux bons soins de Too-wit, qui, durant toute la bataille, comme un général consommé, avait précieusement gardé son poste d'observation au milieu des collines, mais qui main- tenant que la victoire était aussi complète qu'il le désirait, consentait à accourir avec son état-major velu et à prendre sa part du butin.
La descente de Too-wit nous permit de quitter notre
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cachette et de faire une reconnaissance dans la colline aux environs du ravin. A cinquante yards à peu près de Tentrée , nous vîmes une petite source où nous étanchâmes la soif brûlante qui nous consumait. Non loin de cette source nous découvrîmes quelques coudriers de l'espèce dont j'ai déjà parlé. En goûtant aux noisettes, nous les trouvâmes assez passables et ressemblant par leur saveur à la noisette anglaise commune. Nous en remplîmes immé- diatement nos chapeaux, nous les déposâmes dans la ravine et nous retournâmes à la cueillette. Pendant que nous nous occupions activement à les ramasser, un frémissement dans les buissons nous causa une vive alarme, et nous étions au moment de nous raser vers notre gîte, quand un gros oiseau noir du genre butor s'éleva lentement et pesamment des arbrisseaux. J'étais si surpris que je ne savais que faire; mais Peters eut assez de présence d'esprit pour courir sus à l'oiseau , avant qu'il pût s'échapper, et pour l'empoigner par le cou. L'animal se débattait furieusement et poussait de si effroyables cris que nous fûmes au moment de le lâcher, craignant que le bruit ne donnât l'alarme à quelques- uns des sauvages qui pouvaient encore être en embuscade aux environs. A la fin cependant, un bon coup de bowie- knije le terrassa, et nous le traînâmes dans la ravine, en nous félicitant d'avoir, en tout cas, mis la main sur une provision de nourriture qui pouvait nous suffire pour une semaine.
Nous sortîmes de nouveau pour regarder autour de nous, et nous nous aventurâmes à une distance considé- rable sur la pente sud de la montagne, mais nous ne décou- vrîmes rien de plus à ajouter à nos provisions. Nous ramassâmes donc une bonne quantité de bois sec, et nous nous en revînmes, voyant une ou deux grandes bandes de naturels qui se dirigeaient vers leur village, tout chargés
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du butin du navire, et qui pouvaient, nous le craignions fort, nous apercevoir en passant au pied de la colline.
Nous appliquâmes immédiatement nos soins à rendre notre lieu de retraite aussi sûr que possible, et, dans ce but, nous arrangeâmes quelques broussailles au-dessus de l'ou- verture dont j'ai parlé, celle à travers laquelle nous avions aperçu un morceau de ciel bleu, quand, remontant du gouffre, nous avions atteint la plate-forme. Nous ne lais- sâmes qu'un très-petit orifice, juste assez large pour nous permettre de surveiller la baie , sans courir le risque d'être aperçus d'en bas. Quand nous eûmes fini, nous nous féli- citâmes de la sûreté de notre position; car aussi longtemps qu'il nous plairait de rester dans la ravine et de ne pas nous hasarder sur la colline, nous étions absolument à l'abri de toute observation. Nous n'apercevions aucune trace qui prouvât que les sauvages fussent jamais entrés dans ce trou ; mais quand nous en vînmes à réfléchir que la fissure à tra- vers laquelle nous y étions parvenus avait été probable- ment opérée tout récemment par ïa chute du versant opposé, et que nous ne pouvions découvrir aucune autre voie pour y arriver, nous ne fûmes pas aussi portés à nous réjouir de la sécurité de notre abri qu'effrayés de l'idée qu'il nous serait absolument impossible de descendre. Nous résolûmes d'explorer entièrement le sommet de la colline, jusqu'à ce qu'une bonne occasion vînt s'offrir à nous. Cependant nous surveillions tous les mouvements des sau- vages à travers notre lucarne.
Ils avaient déjà complètement dévasté le navire, et ils se préparaient maintenant à y mettre le feu. En peu de temps nous vîmes la fumée monter en lourds tourbillons à tra- vers la grande écoutille, et bientôt une masse épaisse de flammes s'élança du gaillard d'avant. Le gréement, les mâts et ce qui pouvait rester des voiles prirent feu immédiate-
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ment, et l'incendie se propagea rapidement tout le long du pont. Cependant une foule de sauvages restaient toujours à leur poste sur le navire, attaquant, avec de grosses pierres, des haches et des boulets de canon tous les bou- lons, toutes les ferrures et tous les cuivres. Sur la côte, dans les canots, sur les radeaux, tout autour de la goé- lette, il y avait bien en tout dix mille insulaires, sans compter les bandes de ceux qui s'en retournaient chargés de butin vers l'intérieur ou vers les îles voisines. Nous comptâmes alors sur une catastrophe, et nous ne fûmes pas déçus dans notre espoir. Comme premier symptôme , il se produisit une vive secousse (dont nous sentîmes par- faitement le contre-coup, comme si nous avions éprouvé une légère décharge de pile voltaïque), mais qui ne fut pas suivie de signes visibles d'explosion. Les sauvages furent évidemment surpris, et ils interrompirent pour un instant leur besogne et leurs cris.
Ils étaient au moment de se remettre à l'œuvre, quand l'entre-pont vomit une masse soudaine de fumée qui ressem- blait à un lourd et ténébreux nuage électrique, — puis, comme jaillissant de ses entrailles, s'éleva une longue colonne de flamme brillante à une hauteur apparente d'un quart de mille, — puis il y eut une soudaine expansion cir- culaire de la flamme, — toute l'atmosphère fut magique- ment criblée, en un instant, d'un effroyable chaos de bois, de métal et de membres humains, — et finalement se pro- duisit la secousse suprême dans toute sa furie, qui nous renversa impétueusement pendant que les collines se ren- voyaient les échos multipliés de ce tonnerre et qu'une pluie de fragments imperceptibles s'abattait, droite et drue, de tous les côtés autour de nous.
Le ravage parmi les insulaires dépassa nos plus belles espérances, et ils recueillirent les fruits mûrs et parfaits de
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leur trahison. Un millier d'hommes peut-être périrent par l'explosion, et mille autres au moins furent effroyablement mutilés. Toute la surface de la baie était littéralement jon- chée de ces misérables se débattant et se noyant , et sur la côte les choses étaient pires encore, lis semblaient entière- ment terrifiés par la soudaineté et la perfection de leur déconfiture, et ils ne faisaient aucun effort pour se prêter secours les uns aux autres. A la fin nous remarquâmes un changement total dans leur conduite. D'une stupeur abso- lue ils parurent tout à coup passer au degré le plus élevé de l'excitation; ils se précipitèrent çà et là d'une manière désordonnée, courant vers un certain point de la baie et s'ënfuyant aussitôt, avec les plus étranges expressions de rage, de terreur et d'ardente curiosité peintes sur leurs phy- sionomies, et vociférant de toute la force de leurs pou- mons : Tekeli-li ! Tebeli-li !
Nous vîmes bientôt une grande troupe se retirer dans les collines d'où ils sortirent au bout de peu de temps, avec des pieux de bois. Ils les portèrent à l'endroit où la presse était le plus compacte, et cette multitude s'ouvrit comme pour nous révéler l'objet d'une si grande agitation. Nous aperçûmes quelque chose de blanc qui reposait sur le sol, mais nous ne pûmes pas distinguer immédiatement ce que c'était. A la longue, nous vîmes que c'était le corps de l'étrange animal aux dents et aux griffes écarlates, que la goélette avait péché en mer, le 18 janvier. Le capitaine Guy avait fait conserver le corps pour empailler la peau et la rapporter en Angleterre. Je me rappelle qu'il avait donné quelques ordres à ce sujet, juste avant de toucher à l'île, et qu'on avait porté dans la cabine et serré dans un des cais- sons ce précieux échantillon. II venait d'être jeté sur la côte par l'explosion; mais pourquoi causait-il une si grande agitation parmi les sauvages, c'est ce qui dépassait notre
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intelligence. Bien que la foule se fût amassée autour de la bête, à une petite distance, aucun d'eux n'avait l'air de vouloir en approcher tout à fait. Bientôt, les hommes armés de pieux les plantèrent en cercle autour du cadavre, et à peine cet arrangement fut-il achevé, que toute cette immense multitude se précipita vers l'intérieur de l'île, en vociférant ses Tekeli-H! Tekeli-li !
XXIII LE LABYRINTHE.
Pendant les six ou sept jours qui suivirent nous res- tâmes dans notre cachette sur la colline, ne sortant que de temps à autre, et toujours avec les plus grandes précau- tions, pour chercher de l'eau et des noisettes. Nous avions établi sur la plate-forme une espèce d'appentis ou de cabane, et nous l'avions meublée d'un lit de feuilles sèches et de trois grosses pierres plates, lesquelles nous servaient également de cheminée et de table. Nous allumâmes du feu sans peine en frottant l'un contre l'autre deux morceaux de bois, l'un tendre, l'autre dur. L'oiseau que nous avions pris si à propos nous procura une nourriture excellente, bien qu'un peu coriace. Ce n'était pas un oiseau océanique, mais une espèce de butor, avec un plumage d'un noir de jais parsemé de gris et des ailes fort petites relativement à sa grosseur. Nous en vîmes plus tard trois autres de même espèce dans les environs du ravin, qui avaient l'air de chercher celui que nous avions capturé; mais, comme ils ne s'abattirent pas une seule fois, nous ne pûmes nous en emparer.
Tant que dura l'animal, nous n'eûmes pas à souffrir de
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notre situation; mais il était maintenant entièrement consommé, et il y avait absolue nécessité d'aviser aux pro- visions. Les noisettes ne suffisaient pas à apaiser les angoisses de la faim; de plus, elles nous causaient de cruelles coliques d'intestins, et même de violents maux de tête quand nous en mangions abondamment. Nous avions aperçu quelques grosses tortues près du rivage, à l'est de la colline, et nous avions vu qu'il nous serait facile de nous en emparer, pourvu que nous puissions arriver jusqu'à elles sans être découverts par les naturels. Nous résolûmes donc de tenter une descente.
Nous commençâmes par descendre le long de la pente sud, qui semblait nous présenter de moindres difficultés; mais nous avions à peine fait cent yards que notre marche (comme nous l'avions prévu d'après l'inspection des lieux faite du sommet de la colline) fut complètement barrée par un embranchement de la gorge dans laquelle nos camarades avaient péri. Nous longeâmes le bord de cette ravine pendant un quart de mille à peu près; mais nous fûmes arrêtés de nouveau par un précipice d'une immense profondeur, et, comme il nous était impossible de descendre le long de sa paroi, nous fûmes contraints de revenir sur nos pas en suivant la ravine principale.
Nous poussâmes alors vers l'est, mais nous n'eûmes pas meilleure chance, et le cas se trouva exactement semblable. Après une heure d'une gymnastique à nous casser le cou, nous découvrîmes que nous étions simplement descendus dans un vaste abîme de granit noir, dont le fond était recouvert d'une poussière fine, et d'où nous ne pouvions sortir que par la route raboteuse que nous avions suivie pour y descendre. Nous nous échinâmes donc de nouveau sur ce chemin périlleux, et puis nous tentâmes la crête nord de la montagne. Là, nous fûmes obligés de manœu-
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vrer avec toutes les précautions imaginables, car la plus légère imprudence pouvait nous exposer en plein à la vue des sauvages du village. Nous nous mîmes donc à ramper sur nos mains et sur nos genoux, et de temps en temps il nous fallait nous jeter à plat-ventre, traînant alors notre corps en tirant sur les arbustes. Avec toutes ces précautions nous n'avions encore fait que fort peu de chemin, quand nous arrivâmes à un abîme encore plus profond qu'aucun que nous eussions vu jusque-là, et qui conduisait directe- ment dans la gorge principale. Ainsi nous vîmes nos craintes parfaitement confirmées, et nous nous trouvâmes complè- tement isolés et sans accès possible vers la contrée située au-dessous de nous. Radicalement épuisés par tant d'efforts , nous regagnâmes de notre mieux la plate-forme, et, nous jetant sur notre lit de feuilles, nous dormîmes pendant quelques heures d'un sommeil profond et bienfaisant.
Après cette recherche infructueuse, nous nous occu- pâmes pendant quelques jours à explorer dans toutes ses parties le sommet de la montagne pour vérifier quelles ressources réelles il pouvait nous offrir. Nous vîmes qu'il était impossible d'y trouver aucune nourriture, à l'excep- tion des pernicieuses noisettes et d'une espèce très-drue de cochléaria qui croissait sur une petite étendue de quatre verges carrées au plus, et que nous eûmes bientôt épuisée. Le 15 février, autant du moins que je puis me rappeler, il n'en restait plus un brin, et les noisettes devenaient rares; aussi nous était-il difficile de concevoir une situation plus déplorable W. Le 16, nous recommençâmes à longer les remparts de notre prison dans l'espérance de trouver quelque échappée; mais ce fut en vain. Nous redescen-
(,) Ce jour-là fut un jour notable, en ce que nous observâmes, du côté du sud, quelques-unes de ces immenses ondulations de vapeur grisâtre dont j'ai déjà parlé. — E. A. P.
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dîmes aussi dans le trou dans lequel nous avions été englou- tis, avec le faible espoir de découvrir, en suivant ce couloir, quelque ouverture aboutissant sur la ravine princi- pale. Là encore nous fûmes désappointés; mais nous trou- vâmes et nous rapportâmes avec nous un fusil.
Le 17, nous sortîmes, résolus à examiner plus soigneu- sement l'abîme de granit noir dans lequel nous étions entrés lors de notre première exploration. Nous nous sou- vînmes de n'avoir regardé qu'imparfaitement à travers l'une des fissures qui sillonnaient la paroi du gouffre, et nous nous sentîmes impatients de l'explorer, bien que nous n'eussions guère l'espoir de découvrir une issue.
Nous pûmes atteindre sans trop de peine le fond de cette cavité, comme nous avions déjà fait, et il nous fut alors possible de l'examiner tout à loisir. C'était positi- vement un des endroits les plus singuliers du monde, et il nous était difficile de nous persuader que ce fût là pure- ment l'œuvre de la nature. L'abîme avait, de l'extrémité est à l'extrémité ouest, à peu près cinq cents yards de long, en supposant toutes les sinuosités alignées bout à bout; la distance de l'est à l'ouest, en ligne droite, n'était guère de plus de quarante à cinquante yards, autant que je pus con- jecturer, car je n'avais pas de moyens exacts de mesurage. Au commencement de notre descente, c'est-à-dire jusqu'à une centaine de pieds à partir du sommet de la colline, les parois de l'abîme ressemblaient fort peu l'une à l'autre et ne paraissaient pas avoir été jamais réunies, l'une des surfaces étant de pierre de savon, l'autre de marne, mais granulée de je ne sais quelle substance métallique. La lar- geur moyenne, ou intervalle entre les deux murailles, était quelquefois de soixante pieds environ; mais ailleurs dispa- raissait toute régularité de formation. Toutefois, en des- cendant encore, au delà de la limite que j'ai indiquée,
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l'intervalle se rétrécissait rapidement, et les parois com- mençaient à courir parallèlement l'une à l'autre, quoiqu'elles fussent encore, jusqu'à une certaine étendue, différentes par la matière et par la physionomie de leur surface. En arrivant à cinquante pieds du fond commençait la régularité parfaite. Les murailles apparaissaient complètement uni- formes quant à la substance, à la couleur et à la direction latérale, la matière étant un granit très-noir et très-brillant, et l'intervalle entre les deux côtés , qui se faisaient réguliè-
Fig. i.
rement face l'un à l'autre, restant exactement de vingt yards. La forme précise de ce gouffre sera plus facile à comprendre, grâce à un dessin pris sur les lieux; car j'avais heureu- sement sur moi un portefeuille et un crayon que j'ai très- soigneusement conservés à travers une longue série d'aven- tures subséquentes, et auxquels je dois une foule de notes de toute espèce qui autrement auraient disparu de ma mémoire.
Cette figure (figure i ) donne le contour général de l'abîme, sauf les cavités moindres sur les parois, qui étaient assez fréquentes, chaque enfoncement correspondant à une saillie opposée. Le fond du gouffre était recouvert,
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jusqu'à 3 ou 4 pouces de profondeur, d'une poussière presque impalpable, sous_ laquelle nous trouvâmes un pro- longement du granit noir. A droite, à l'extrémité inférieure, on remarquera la figuration d'une petite ouverture; c'est la fissure dont j'ai parlé ci-dessus, et dont un examen plus minutieux faisait l'objet de notre seconde visite. Nous nous y poussâmes alors avec vigueur, élaguant une masse de ronces qui obstruaient notre route, et écartant des tas de cailloux aigus, dont la forme rappelait celle des sagit-
taires. Toutefois, nous nous sentîmes encouragés à persé- vérer, en apercevant une faible lumière qui venait de l'autre extrémité. A la longue, nous nous faufilâmes douloureu- sement pendant un espace de 30 pieds environ, et nous découvrîmes que l'ouverture en question était une voûte basse et d'une forme régulière, avec un fond de cette même poussière impalpable qui tapissait l'abîme principal. Une lumière vigoureuse éclata alors sur nous, et, faisant un brusque coude, nous nous trouvâmes dans une autre gale- rie élevée, semblable à tous égards, sauf par sa forme lon- gitudinale, à celle que nous venions de quitter. J'en donne ici la figure générale (figure 2).
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La longueur totale de cet abîme, en commençant par l'ouverture a, et en tournant par la courbe b jusqu'à l'ex- trémité d, est de 550 yards. A c nous découvrîmes une petite fissure semblable à celle par laquelle nous étions sor- tis de l'autre abîme, et celle-ci était pareillement encom- brée de ronces et d'une masse de cailloux jaunâtres en têtes de flèches. Nous nous y frayâmes notre chemin, et nous vîmes qu'à une distance de 4,0 pieds environ elle aboutis- sait à un troisième abîme. Celui-là aussi était exactement semblable au premier sauf par sa forme longitudinale, que représente la figure 3.
La longueur totale du troisième abîme se trouva être
Fig- 3-
Fig. 5.
de 320 yards. Au point a était une ouverture large de 6 pieds environ, qui s'enfonçait à une profondeur de 15 pieds dans le roc, où elle se terminait par une couche de marne; au delà il n'y avait pas d'autre abîme, comme d'ailleurs nous nous y attendions. Nous étions au moment de quitter cette fissure, dans laquelle la lumière ne péné- trait qu'à peine, quand Peters appela mon attention sur une rangée d'entailles d'apparence bizarre dont était déco- rée la surface de marne qui terminait le cul-de-sac. Avec un très-léger effort d'imagination, on aurait pu prendre l'entaille située à gauche, ou le plus au nord, pour la repré- sentation intentionnelle, quoique grossière, d'une figure humaine, se tenant debout avec un bras étendu. Quant aux autres, elles avaient quelque peu de ressemblance avec
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des caractères alphabétiques, et cette opinion en l'air, — que c'étaient réellement des caractères, — séduisit Peters, qui adopta cette conclusion à tout hasard. Je le convain- quis finalement de son erreur en dirigeant son attention vers le sol de la crevasse, où, parmi la poussière, nous ramassâmes, morceau par morceau, quelques gros éclats de marne qui avaient évidemment jailli, par l'effet de quelque convulsion, de la surface où apparaissaient les entailles, et qui gardaient encore des points de saillie s'adaptant exactement aux creux de la muraille; preuve que c'était bien l'ouvrage de la nature. La figure 4 repré- sente une copie soignée de l'ensemble. %
Après nous être bien convaincus que ces singulières cavités ne nous offraient aucun moyen de sortir de notre prison, nous reprîmes notre route, abattus et désespérés, vers le sommet de la colline. Pendant les vingt-quatre heures suivantes, il ne nous arriva rien valant la peine d'être rapporté, sauf qu'en examinant le terrain à l'est du troi- sième abîme, nous découvrîmes deux trous triangulaires d'une grande profondeur, dont les parois étaient également de granit noir. Quant à descendre dans ces trous, nous jugeâmes qu'ils n'en valaient pas la peine; car ils étaient sans issue et avaient l'apparence de simples puits naturels. Ils avaient chacun vingt pieds environ de circonférence, et
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leur forme, ainsi que leur position relativement au troi- sième gouffre, est indiquée plus haut dans la figure 5.
XXIV
L'ÉVASION.
Le 20 du mois, voyant qu'il nous était absolument impossible de vivre plus longtemps sur les noisettes, dont l'usage nous causait des tortures atroces, nous résolûmes de faire une tentative désespérée pour descendre le versant méridional de la colline. De ce côté, la paroi du précipice était d'une espèce de pierre de savon extrêmement tendre, mais presque perpendiculaire dans toute son étendue (une profondeur de cent cinquante pieds au moins), et même surplombant en plusieurs endroits. Après un long examen, nous découvrîmes une étroite saillie à vingt pieds à peu près au-dessous du bord du précipice; Peters réussit à sau- ter dessus; encore lui pretai-je toute l'assistance possible avec nos mouchoirs attachés ensemble. J'y descendis à mon tour avec un peu plus de difficulté; et nous vîmes alors qu'il y avait possibilité de descendre jusqu'au bas par le même procédé que nous avions employé pour grimper du gouffre où nous avait ensevelis la colline écroulée, c'est- à-dire en taillant avec nos couteaux des degrés sur la paroi de steatite. On peut à peine se figurer jusqu'à quel point l'entreprise était hasardeuse; mais, comme il n'y avait pas d'autre ressource, nous nous décidâmes à tenter l'aven- ture.
Sur la saillie où nous étions placés s'élevaient quelques méchants coudriers; à l'un deux nous attachâmes par un
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bout notre corde de mouchoirs. L'autre bout étant assujetti autour de la taille de Peters, je le descendis le long du préci- pice jusqu'à ce que les mouchoirs fussent tendus roides. II se mit alors à creuser un trou profond (de huit ou dix pouces environ) dans la pierre de savon, talutant la roche à un pied au-dessus à peu près, de manière à pouvoir planter, avec la crosse d'un pistolet, une cheville suffisamment forte dans la surface nivelée. Je le hissai alors de quatre pieds à peu près, et là il creusa un trou semblable au trou inférieur, planta une nouvelle cheville de la même manière, et obtint ainsi un point d'appui pour les deux pieds et les deux mains. Je détachai alors les mouchoirs de l'arbrisseau, et je lui jetai le bout, qu'il assujettit à la cheville du trou supérieur; il se laissa ensuite glisser doucement à trois pieds environ plus bas qu'il n'avait encore été, c'est-à-dire de la longueur totale des mouchoirs. Là il creusa un nouveau trou et planta une nouvelle cheville. Alors il se hissa lui- même, de manière à poser ses pieds dans le trou qu'il venait de creuser, empoignant avec ses mains la cheville dans le trou au-dessus.
II lui fallait alors détacher le bout du mouchoir de la cheville supérieure pour le fixer à la seconde, et ici il s'aperçut qu'il avait commis une faute en creusant les trous à une si grande distance l'un de l'autre. Néanmoins, après une ou deux tentatives périlleuses pour atteindre le nœud (ayant à se retenir avec sa main gauche pendant que la droite travaillait à défaire le nœud), il se décida enfin à couper la corde, laissant un lambeau de six pouces fixé à la cheville. Attachant alors les mouchoirs à la seconde che- ville, il descendit d'un degré au-dessous de la troisième, ayant bien soin cette fois de ne pas se laisser aller trop bas. Grâce à ce procédé (que pour mon compte je n'aurais jamais su inventer, et dont nous fûmes absolument rede-
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vables à l'ingéniosité et au courage de Peters), mon cama- rade réussit enfin, en s'aidant de temps à autre des saillies de la paroi, à atteindre le bas de la colline sans accident.
II me fallut un peu de temps pour rassembler l'énergie nécessaire pour le suivre; mais enfin j'entrepris la chose. Peters avait ôté sa chemise avant de descendre, et, en y joignant la mienne, je fis la corde nécessaire pour l'opéra- tion. Après avoir jeté le fusil trouvé dans l'abîme, j'atta- chai cette corde aux buissons et je me laissai couler rapi- dement, m'efforçant, par la vivacité de mes mouvements, de bannir l'effroi qu'autrement je n'aurais pas pu dominer.
Ce moyen me réussit en effet pour les quatre ou cinq premiers degrés; mais bientôt mon imagination se trouva terriblement frappée en pensant à l'immense hauteur que j'avais encore à descendre, à la fragilité et à l'insuffisance des chevilles et des trous glissants qui faisaient mon seul support. C'était en vain que je m'efforçais de chasser ces réflexions et de maintenir mes yeux fixés sur la muraille unie qui me faisait face. Plus je luttais vivement pour ne pas penser, plus mes pensées devenaient vives, intenses, affreu- sement distinctes. .
A la longue, arriva la crise de l'imagination, si redou- table dans tous les cas de cette nature, la crise dans laquelle nous appelons à nous les impressions qui doivent infailli- blement nous faire tomber, — nous figurant le mal de cœur, le vertige, la résistance suprême, le demi-évanouissement et enfin toute l'horreur d'une chute perpendiculaire et pré- cipitée. Et je voyais alors que ces images se transformaient d'elles-mêmes en réalités , et que toutes les horreurs évo- quées fondaient positivement sur moi. Je sentais mes genoux s'entre-choquer violemment tandis que mes doigts lâchaient graduellement mais très-certainement leur prise. II y avait un bourdonnement dans mes oreilles, et je me
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disais : C'est le glas de ma mort ! — Et voilà que je fus pris d'un désir irrésistible de regarder au-dessous de moi. Je ne pouvais plus, je ne voulais plus condamner mes yeux à ne voir que la muraille, et avec une émotion étrange, indéfinissable, moitié d'horreur, moitié d'oppres- sion soulagée, je plongeai mes regards dans l'abîme.
Pour un instant mes doigts s'accrochèrent convulsive- ment à leur prise, et, une fois encore, l'idée de mon salut pos- sible flotta, ombre légère, à travers mon esprit; un instant après, toute mon âme était pénétrée d'un immense désir de tomber, — un désir, une tendresse pour l'abîme ! une pas- sion absolument immaîtrisable ! Je lâchai tout à coup la cheville, et faisant un demi-tour contre la muraille, je res- tai une seconde vacillant sur cette surface polie. Mais alors se produisit un tournoiement dans mon cerveau; une voix imaginaire et stridente criait dans mes oreilles; une figure noirâtre, diabolique, nuageuse, se dressa juste au-dessous de moi; je soupirai, je sentis mon cœur prêt à se briser, et je me laissai tomber dans les bras du fantôme.
Je m'étais évanoui, et Peters s'était emparé de moi comme je tombais. De sa place , au bas de la colline , il avait étudié mes mouvements, et, apercevant mon imminent changer, il avait essayé de m'inspirer du courage par tous les moyens qui lui étaient venus à la pensée; mais ïe trouble de mon esprit était si grand que je n'avais pu entendre ce qu'il me disait et que je n'avais même pas soupçonné qu'il me parlât. A la fin, me voyant chanceler, il s'était dépêché de venir à mon secours, et enfin il était arrivé juste à temps pour me sauver. Si j'étais tombé de tout mon poids, la corde de linge se serait inévitablement rompue, et j'aurais été précipité dans l'abîme; mais, grâce à Peters, qui amor- tit la secousse, je pus tomber doucement, de manière à rester suspendu, sans danger, jusqu'à ce que je revinsse à
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la vie. Cela eut lieu au bout de quinze minutes. Quand je recouvrai mes sens, ma terreur s'était entièrement éva- nouie; je sentais en moi comme un être nouveau, et, en me faisant aider encore un peu par mon camarade, j'attei- gnis le fond sain et sauf.
Nous nous trouvâmes alors à peu de distance de la ravine qui avait été le tombeau de nos amis et au sud de l'endroit où la colline était tombée. Le lieu avait un aspect de dévastation étrange, qui me rappelait les descriptions que font les voyageurs de ces lugubres régions qui marquent l'emplacement de la Babylone ruinée. Pour ne pas parler des décombres de la colline arrachée qui for- maient une barrière chaotique devant l'horizon du nord, la surface du sol, de tous les autres côtés, était parsemée de vastes tumuli qui semblaient les débris de quelques gigantesques constructions artificielles. Cependant, en examinant les détails, il était impossible d'y découvrir un semblant d'art. Les scories étaient abondantes et de gros blocs de granit noir se mêlaient à des blocs de marne ll\ les deux espèces étant grenaillées de métal. Aussi loin que l'œil pouvait atteindre, il n'y avait aucune trace de végé- tation quelconque dans toute l'étendue de cette surface désolée. Nous vîmes quelques énormes scorpions et divers reptiles qui ne se trouvent pas ailleurs dans les hautes latitudes.
Comme la nourriture était notre but immédiat, nous résolûmes de nous diriger vers la côte, qui n*était située qu'à un demi-mille, dans l'idée de faire une chasse aux tortues, car nous en avions remarqué quelques-unes du haut de notre cachette sur la colline. Nous avions fait
I1' La marne aussi était noire. En somme, nous ne remarquâmes dans l'île aucune substance qui fût d'une couleur claire. — E. A. P.
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quelque chose comme cent yards, filant avec précaution derrière les grosses roches et les tumuîi, et nous tournions un angle, quand cinq sauvages s'élancèrent sur nous d'une petite caverne et terrassèrent Peters d'un coup de massue. Comme il tombait, toute la bande se jeta sur lui pour s'assurer de sa victime, et me laissa du temps pour reve- nir de ma surprise. J'avais encore le fusil, mais le canon avait été si endommagé par sa chute du haut de la mon- tagne que je le jetai comme une arme de rebut, préférant me fier à mes pistolets que j'avais soigneusement conser- vés et qui étaient en bon état. Je m'avançai avec mes armes sur les assaillants et je les ajustai rapidement l'un après l'autre. Deux des sauvages tombèrent, et un troisième, qui était au moment de percer Peters de sa lance, sauta sur ses pieds sans accomplir son dessein. Mon compagnon se trouvant ainsi dégagé, nous n'éprouvâmes plus d'embarras. II avait aussi ses pistolets, mais il jugea prudent de n'en pas faire usage, se fiant à son énorme force personnelle, qui était vraiment plus considérable que celle d'aucun homme que j'aie jamais connu. S'emparant du bâton d'un des sauvages qui étaient tombés, il fit sauter instantanément la cervelle des trois qui restaient, et tua chacun d'un seul coup de son arme, ce qui nous rendit complètement maîtres du champ de bataille.
Ces événements s'étaient passés si rapidement que nous pouvions à peine croire à leur réalité, et nous nous tenions debout auprès des cadavres dans une espèce de contem- plation stupide, quand nous fûmes rappelés à nous- mêmes par des cris retentissant dans le lointain. II était évident que les coups de feu avaient donné l'alarme aux sauvages et que nous étions en grand danger d'etre décou- verts. Pour regagner la montagne il eût fallu nous diriger dans la direction des cris; et quand même nous aurions
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AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM.
réussi à atteindre la base, nous n'aurions pas pu remonter sans être vus. Notre situation était des plus périlleuses, et nous ne savions de quel côté diriger notre fuite, quand un des sauvages sur lequel j'avais fait feu, et que je croyais mort, sauta vivement sur ses pieds et essaya de décamper. Cependant nous nous emparâmes de lui avant qu'il eût fait quelques pas, et nous allions le mettre à mort quand Peters eut l'idée qu'il y aurait peut-être quelque avantage pour nous à le contraindre à nous accompagner dans notre tentative de fuite. Nous le traînâmes donc avec nous, lui faisant bien comprendre que nous étions décidés à le tuer s'il faisait la moindre résistance. Au bout de quelques minutes il devint parfaitement docile, et se faufila à nos côtés pendant que nous poussions à travers les roches, toujours dans la direction du rivage.
Jusfjue-Ià les inégalités du terrain que nous avions par- couru avaient caché la mer à nos regards, excepté par intervalles, et quand enfin nous l'aperçûmes pleinement devant nous, elle était peut-être à une distance de deux cents yards. Comme nous surgissions à découvert dans la baie, nous vîmes, à notre grand effroi, une foule immense de naturels qui se précipitaient du village et de tous les points visibles de l'île, se dirigeant vers nous avec une gesticulation pleine de fureur, et hurlant comme des bêtes sauvages. Nous étions au moment de retourner sur nos pas et d'essayer de faire une retraite dans les abris que pouvaient nous offrir les irrégularités du terrain, quand nous découvrîmes l'avant de deux canots se projetant de derrière une grosse roche qui se continuait dans l'eau. Nous y courûmes de toute notre vitesse, et, les ayant atteints, nous les trouvâmes non occupés, chargés seule- ment de trois grosses tortues galapagos et pourvus des pagaies nécessaires pour soixante rameurs. Nous prîmes
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immédiatement possession d'un de ces canots, et, jetant notre captif à bord, nous poussâmes au large avec toute la vigueur dont nous pouvions disposer.
Mais nous ne nous étions pas éloignés du rivage de cin- quante yards que, nous trouvant un peu plus de sang- froid, nous comprimes quelle énorme bévue nous avions commise en laissant l'autre canot au pouvoir des sauvages, qui pendant ce temps s'étaient rapprochés de la baie, ne se trouvant plus qu'à une distance double de celle qui nous en séparait, et avançaient rapidement dans leur course. II n'y avait pas de temps à perdre. Notre espoir était un espoir chétif; mais enfin nous n'en avions point d'autres. II était douteux que, même en faisant les plus grands efforts, nous pussions arriver à temps pour nous emparer du canot avant eux; mais, cependant, il y avait chance. Si nous réussissions, nous pouvions nous sauver; mais, si nous ne faisions pas la tentative, nous n'avions qu'à nous résigner à une boucherie inévitable.
Notre canot était construit de telle façon que l'avant et l'arrière se trouvaient semblables, et au lieu de virer, nous changeâmes simplement de mouvement pour ramer. Aussitôt que les sauvages s'en aperçurent, ils redou- blèrent de cris et de vitesse et se rapprochèrent avec une inconcevable rapidité. Cependant nous nagions avec toute l'énergie du désespoir, et, quand nous atteignîmes le point disputé, un seul des sauvages y était arrivé. Cet homme paya cher son agilité supérieure; Peters lui déchargea un coup de pistolet dans la tète comme il touchait au rivage. Les plus avancés parmi les autres étaient peut-être à une distance de vingt ou trente pas quand nous nous empa- râmes du canot. Nous nous efforçâmes d'abord de le tirer pour le mettre à flot; mais, voyant qu'il était trop solide- ment échoué, et n'ayant pas de temps à perdre, Peters,
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d'un ou deux vigoureux coups avec la crosse du fusil, réussit à briser un bon morceau de l'avant et d'un des côtés. Alors nous poussâmes au large. Pendant ce temps, deux des naturels avaient empoigné notre bateau et refu- saient obstinément de le lâcher, si bien que nous fûmes obligés de les expédier avec nos couteaux.
Pour le coup, nous étions tirés d'affaire et nous filâmes rondement sur la mer. Le gros des sauvages, en arrivant au canot brisé, poussa les plus épouvantables cris de rage et de désappointement qu'on puisse imaginer. En vérité, d'après tout ce que j'ai pu connaître de ces misérables, ils m'ont apparu comme la race la plus méchante, la plus hypocrite, la plus vindicative, la plus sanguinaire, la plus positivement diabolique qui ait jamais habité la face du globe. II était clair que nous n'avions pas de miséricorde à espérer si nous étions tombés dans leurs mains. Ils firent une tentative insensée pour nous poursuivre avec le canot fracassé; mais, voyant qu'il ne pouvait plus servir, ils exhalèrent de nouveau leur rage dans une série de vociférations horribles, et puis ils se précipitèrent vers leurs collines.
Nous étions donc délivrés de tout danger immédiat; mais notre situation était toujours passablement sinistre. Nous savions que quatre canots de la même espèce que le nôtre avaient été, à un certain moment, en la possession des sauvages, et nous ignorions (fait qui nous fut plus tard affirmé par notre prisonnier) que deux de ces bateaux avaient été mis en pièces par l'explosion de la Jane Guy. Nous calculâmes donc que nous serions poursuivis aussi- tôt que nos ennemis auraient fait le tour et seraient arrivés à la baie (distante de trois milles environ) où les canots étaient ordinairement amarrés. Dans cette crainte, nous fîmes tous nos efforts pour laisser l'île derrière nous, et
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nous nous avançâmes rapidement en mer, forçant notre prisonnier de prendre une pagaie. Au bout d'une demi- heure à peu près, comme nous avions probablement fait cinq ou six milles vers le sud, nous vîmes une vaste flotte de radeaux et de bateaux à fond plat surgir de la baie, évidemment dans le but de nous poursuivre. Mais bientôt ils s'en retournèrent, désespérant de nous at- traper.
XXV
LE GÉANT BLANC.
Nous nous trouvâmes alors sur l'Océan Antarctique, immense et désolé, à une latitude de plus de 84 degrés, dans un canot fragile, sans autres provisions que les trois tortues. De plus, nous devions considérer que le long hiver polaire n'était pas très-éloigné, et il était indispen- sable de réfléchir mûrement sur la route à suivre. Nous avions six ou sept îles en vue, appartenant au même groupe, à une distance de cinq ou six lieues l'une de l'autre; mais nous n'étions pas tentés de nous aventurer sur aucune d'elles. En arrivant par le nord sur la Jane Guy, nous avions graduellement laissé derrière nous les régions les plus rigoureuses de glace, — et, bien que cela puisse paraître un absolu démenti aux notions géné- ralement acceptées sur l'Océan Antarctique, c'était là un fait que l'expérience ne nous permettait pas de nier. Aussi, essayer de retourner vers le nord eût été folie, — particulièrement à une période si avancée de la saison. Une seule route semblait encore ouverte à l'espérance. Nous nous décidâmes à gouverner hardiment vers le sud,
2 34 AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM.
où il y avait pour nous quelque chance de découvrir d'autres îles, et où il était plus que probable que nous trouverions un climat de plus en plus doux.
Jusqu'ici nous avions trouvé l'Océan Antarctique , comme l'Arctique, exempt de violentes tempêtes ou de lames trop rudes; mais notre canot était, pour ne pas dire pis, d'une construction fragile, quoique grand; et nous nous mîmes vivement à l'œuvre pour le rendre aussi sûr que le permettaient les moyens très-limités dont nous pou- vions disposer. La matière qui composait le fond du bateau était tout simplement de l'écorce , — écorce de quelque arbre inconnu. Les membrures étaient faites d'un osier vigoureux dont la nature s'appropriait parfaitement à l'usage en question. De l'avant à l'arrière nous avions un espace de cinquante pieds, de quatre à six en largeur, avec une profondeur générale de quatre pieds et demi ; — ces bateaux, comme on le voit, diffèrent singulièrement par leur forme de ceux de tous les habitants de l'Océan du Sud avec lesquels les nations civilisées ont pu entretenir des relations. Nous n'avions jamais cru qu'ils pussent être l'œuvre des ignorants insulaires qui les possédaient; et, quelques jours après, nous découvrîmes, en questionnant notre prisonnier, qu'en réalité ils avaient été construits par les naturels habitant un groupe d'îles au sud-ouest* de la contrée où nous les avions trouvés, et qu'ils étaient tombés accidentellement dans les mains de nos affreux barbares.
Ce que nous pouvions faire pour la sûreté de notre bateau était vraiment bien peu de chose. Nous décou- vrîmes quelques larges fentes auprès des deux bouts, et nous nous ingéniâmes à les raccommoder de notre mieux avec des morceaux de nos chemises de laine. A l'aide des pagaies superflues, qui se trouvaient en grande quantité,
AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM. 235
nous dressâmes une espèce de charpente autour de l'avant, de manière à amortir la force des lames qui pouvaient menacer d'embarquer par ce coté. Nous installâmes aussi deux avirons en guise de mâts, les plaçant à I'opposite l'un de l'autre, chacun sur un des plats-bords, nous épar- gnant ainsi la nécessité d'une vergue. A ces mâts nous attachâmes une voile faite avec nos chemises; — ce qui nous donna passablement de mal, car en cela il nous fut impossible de nous faire aider par notre prisonnier, bien qu'il ne se fût pas refusé à travailler à toutes les autres opérations. La vue de la toile parut l'affecter d'une façon très-singulière. Nous ne pûmes jamais le décider à y tou- cher ou même à en approcher ; il se mit à trembler quand nous voulûmes l'y contraindre, criant de toute sa force : Tekeli-li!
Quand nous eûmes terminé tous nos arrangements relativement à la sûreté du canot, nous naviguâmes vers le sud-sud-est, de manière à doubler l'île du groupe située le plus au sud. Cela fait, nous tournâmes l'avant droit au plein sud. Nous ne pouvions en aucune façon trouver le temps désagréable. Nous avions une brise très-douce qui soufflait constamment du nord, une mer unie, et un jour permanent. Nous n'apercevions aucune glace, et même nous n'en avions pas vu un morceau depuis que nous avions jrancbi le parallèle de l'îlot Bennet. La température de l'eau était alors vraiment trop chaude pour laisser subsister la moindre glace. Nous tuâmes la pfus grosse de nos tortues, d'où nous tirâmes non-seulement notre nourriture, mais encore une abondante provision d'eau, et nous continuâmes notre route, sans aucun incident important, pendant sept ou huit jours peut-être; et durant cette période nous dûmes avancer vers le sud d'une distance énorme, car le vent fut toujours pour nous , et un très-fort courant nous
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poussa continuellement dans la direction que nous voulions
suivre.
1er mars M. — Plusieurs phénomènes insolites nous indi- quèrent alors que nous entrions dans une région de nou- veauté et d'étonnement. Une haute barrière de vapeur grise et légère apparaissait constamment à l'horizon sud, s'empanachant quelquefois de longues raies lumineuses, courant tantôt de l'est à l'ouest, tantôt de l'ouest à l'est, et puis se rassemblant de nouveau de manière à offrir un sommet d'une seule ligne, — bref, se produisant avec toutes les étonnantes variations de l'aurore boréale. La hauteur moyenne de cette vapeur, telle qu'elle nous appa- raissait du point où nous étions situés, était à peu près de vingt-cinq degrés. La température de la mer semblait s'ac- croître à chaque instant, et il y avait dans sa couleur une très-sensible altération.
2 mars. — Ce jour-là, à force de questionner notre pri- sonnier, nous avons appris quelques détails relativement à l'île, théâtre du massacre, à ses habitants et à leurs usages; mais ces choses pourraient-elles maintenant arrêter l'attention du lecteur? Je puis dire cependant que nous apprîmes que le groupe comprenait huit îles; — qu'elles étaient gouvernées par un seul roi, nommé Tsalemon ou Psalemoun, qui résidait dans la plus petite de toutes; — que les peaux noires composant le costume des guerriers pro- venaient d'un animal énorme qui ne se trouvait que dans une vallée près de la résidence du roi ; — que les habitants
m Pour des raisons qui sautent aux yeux, je n'affirme en aucune façon l'exactitude précise de ces dates. Je ne les donne que pour éclaircir le récit, et je les transcris telles que je les trouve dans mes notes au crayon. — E. A. P.
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du groupe ne construisaient pas d'autres embarcations que les radeaux à fond plat; les quatre canots étant tout ce qu'ils possédaient dans l'autre genre et leur étant venus, par pur accident, d'une grande île située vers le sud-ouest; — que son nom, à lui, était Nu-Nu; — qu'il n'avait aucune connaissance de l'îlot Bennet, — et que le nom de l'îfe que nous venions de quitter était Tsalal. Le commen- cement des mots Tsalemon et Tsalal s'accusait avec un siffle- ment prolongé qu'il nous fut impossible d'imiter, même après des efforts répétés, et qui rappelait précisément l'accent du butor noir que nous avions mangé sur le som- met de la colline.
^ mars. — La chaleur de l'eau était alors vraiment remarquable, et sa couleur, subissant une altération ra- pide, perdit bientôt sa transparence et prit une nuance opaque et laiteuse. A proximité de nous, la mer était habituellement unie, jamais assez rude pour mettre le canot en danger; — mais nous étions souvent étonnés d'apercevoir, à notre droite et à notre gauche, à diffé- rentes distances, de soudaines et vastes agitations à la surface, lesquelles, nous le remarquâmes à la longue, étaient toujours précédées par d'étranges vacillations dans la région de vapeur au sud.
4. mars. — Le 4, dans le but d'agrandir notre voile, comme la brise du nord tombait sensiblement, je tirai de la poche de mon paletot un mouchoir blanc. Nu-Nu était assis tout contre moi, et, le linge lui ayant par ha- sard effleuré le visage, il fut pris de violentes convul- sions. Cette crise fut suivie de prostration, de stupeur et de ses éternels : Teheli-li! Tebcli-li! soupires d'une voix sourde.
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iy mars. — Le vent était entièrement tombé, mais il était évident que nous nous précipitions toujours vers le sud, sous l'influence d'un puissant courant. En vérité, il eût été tout naturel d'éprouver quelque frayeur au tour singulier que prenait l'aventure; — mais non, nous n'en éprouvions aucune! La physionomie de Peters ne trahissait rien de semblable, bien que de temps à autre elle revêtît une expression mystérieuse dont je ne pouvais pénétrer le sens. L'hiver polaire approchait évidemment, — mais il approchait sans son cortège de terreurs. Je sentais un engourdissement de corps et d'esprit, — une propension étonnante à la rêverie,-^— mais c'était tout.
6 mars. — La vapeur s'était alors élevée de plusieurs degrés au-dessus de l'horizon, et elle perdait graduelle- ment sa nuance grisâtre. La chaleur de l'eau était exces- sive, et sa nuance laiteuse plus évidente que jamais. Ce jour-là une violente agitation dans l'eau se produisit très- près du canot. Elle fut, comme d'ordinaire, accompagnée d'un étrange flamboiement de la vapeur à son sommet et d'une séparation momentanée à sa base. Une poussière blanche très-fine, ressemblant à de la cendre, — mais ce n'en était certainement pas, — tomba sur le canot et sur une vaste étendue de mer, pendant que la palpitation lumineuse de la vapeur s'évanouissait et que la commotion de l'eau s'apaisait. Nu-Nu se jeta alors sur le visage au fond du canot, et il fut impossible de lui persuader de se relever.
7 mars. — Nous questionnâmes Nu-Nu sur les motifs qui avaient pu pousser ses compatriotes à détruire nos camarades; mais il semblait dominé par une terreur qui l'empêchait de nous faire aucune réponse raisonnable.
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II se tenait toujours obstinément couché au fond du bateau; et comme nous recommencions sans cesse nos questions relativement au motif du massacre, il ne répon- dait que par des gestes idiots, comme, par exemple, de soulever avec son index sa lèvre supérieure et de mon- trer les dents qu'elle recouvrait. Elles étaient noires. Jus- qu'alors nous n'avions jamais vu les dents d'un habitant de Tsalal.
8 mars. — Ce jour-là, passa à côté de nous un de ces animaux blancs dont l'apparition sur la baie de Tsalal avait causé un si grand émoi parmi les sauvages. J'eus envie de l'accrocher au passage; mais un oubli, une indo- lence soudaine s'abattirent sur moi, et je n'y pensai plus. La chaleur de l'eau augmentait toujours, et la main ne pouvait plus la supporter. Peters parla peu, et je ne savais que penser de son apathie. Nu-Nu soupirait, et rien de plus.
p mars. — La substance cendreuse pleuvait alors inces- samment autour de nous et en énorme quantité. La barrière de vapeur au sud s'était élevée à une hauteur prodigieuse au-dessus de l'horizon, et elle commençait à prendre une grande netteté de formes. Je ne puis la comparer qu'à une cataracte sans limite, roulant silencieusement dans la mer du haut de quelque immense rempart perdu dans le ciel. Le gigantesque rideau occupait toute l'étendue de l'horizon sud. II n'émettait aucun bruit.
21 mars. — De funestes ténèbres planaient alors sur nous; — mais des profondeurs laiteuses de l'océan jaillis- sait un éclat lumineux qui glissait sur les flancs du canot.
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Nous étions presque accablés par cette averse cendreuse et blanche qui s'amassait sur nous et sur le bateau, mais qui fondait en tombant dans Peau. Le haut de la cataracte se perdait entièrement dans l'obscurité et dans l'espace. Cependant, il était évident que nous en approchions avec une horrible vélocité. Par intervalles, on pouvait aperce- voir sur cette nappe de vastes fentes béantes, mais elles n'étaient que momentanées, et à travers ces fentes, der- rière lesquelles s'agitait un chaos d'images flottantes et indistinctes, se précipitaient des courants d'air puissants, mais silencieux, qui labouraient dans leur vol l'océan en- flammé.
22 mars. — Les ténèbres s'étaient sensiblement épais- sies et n'étaient plus tempérées que par la clarté des eaux, réfléchissant le rideau blanc tendu devant nous. Une foule d'oiseaux gigantesques, d'un blanc livide, s'envolaient incessamment de derrière le singulier voile, et leur cri était le sempiternel Tekeli-li! qu'ils poussaient en s'enfuyant devant nous. Sur ces entrefaites, Nu-Nu remua un peu dans le fond du bateau; mais, comme nous le touchions, nous nous aperçûmes que son âme s'était envolée. Et alors nous nous précipitâmes dans les étreintes de la cataracte, où un gouffre s'entrouvrit, comme pour nous recevoir. Mais voilà qu'en travers de notre route se dressa une figure humaine voilée, de proportions beaucoup plus vastes que celles d'aucun habitant de la terre. Et la couleur de la peau de l'homme était la blancheur parfaite de la neige. .
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XXVI
CONJECTURES.
Les circonstances relatives à la mort récente de M. Pym, si soudaine et si déplorable, sont déjà bien connues du public, grâce aux communications de la presse quoti- dienne. II est à craindre que les chapitres restants qui devaient compléter sa relation, et qu'il avait gardés, pour les revoir, pendant que les précédents étaient sous presse , ne soient irrévocablement perdus par suite de la catas- trophe dans laquelle il a péri lui-même. Cependant il se pourrait que tel ne fût pas le cas, et le manuscrit, si fina- lement on le retrouve, sera livré au public.
On a tenté tous les moyens pour remédier à ce défaut. Le gentleman dont le nom est cité dans la préface, et qu'on aurait supposé capable, d'après ce qui est dit de lui, de combler la lacune, a décliné cette tâche, — et cela, pour des raisons suffisantes tirées de l'inexactitude générale des détails à lui communiqués et de sa défiance relativement à l'absolue vérité des dernières parties du récit. Peters, de qui on pourrait espérer quelques rensei- gnements, est encore vivant et réside dans I'IIIinois; mais on ne peut pas le trouver pour le moment. Plus tard, on pourra le voir, et sans aucun doute il fournira des docu- ments pour compléter le compte-rendu de M. Pym.
La perte des deux ou trois derniers chapitres (car il n'y en avait que deux ou trois) est une perte d'autant plus déplorable qu'ils contenaient indubitablement la matière relative au pole même, ou du moins aux régions situées
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dans la proximité immédiate du pôle, et que les affirma- tions de l'auteur relativement à ces régions pourraient être bientôt vérifiées ou contredites par l'expédition dans l'Océan Antarctique que le gouvernement prépare en ce moment même.
II y a un point de la relation sur lequel il est bon de présenter quelques observations ; et ce sera pour l'auteur de cet appendice un plaisir très-vif, si ses réflexions ont pour résultat de donner un certain crédit aux très-singu- lières pages récemment publiées. Nous voulons parler des gouffres découverts dans l'île de Tsalal et de l'ensemble des figures comprises dans le chapitre XXIII.
M. Pym a donné les dessins des abîmes sans commen- taire, et il décide résolument que les entailles trouvées à l'extrémité du gouffre situé le plus à l'est n'ont qu'une ressemblance fantastique avec des caractères alphabétiques, « — ■ enfin, et d'une manière positive, qu'elles ne sont pas des caractères. Cette assertion est faite d'une manière si simple et soutenue par une sorte de démonstration si concluante (c'est-à-dire l'adaptation des fragments trouvés dans la poussière dont les saillies remplissaient exactement les entailles du mur), que nous sommes forcés de croire l'écrivain de bonne foi; et aucun lecteur raisonnable ne supposera qu'il en soit autrement. Mais comme les faits relatifs à toutes les figures sont des plus singuliers ( particu- lièrement quand on les rapproche de certains détails dans le corps du récit), nous ferons peut-être bien de toucher quelques mots de l'ensemble de ces faits, et cela nous paraît d'autant plus à propos que les faits en question ont, sans aucun doute, échappé à l'attention de M. Poe.
Ainsi, les figures i, 2, 3, 4 et 5, quand on les joint l'une à l'autre dans l'ordre précis suivant lequel se pré- sentent les gouffres eux-mêmes, et quand on les débar-
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rasse des petits embranchements latéraux ou galeries voû- tées (qui, on se le rappelle, servaient simplement de moyens de communication entre les galeries principales et étaient d'un caractère totalement différent), constituent un mot-racine éthiopien, — la racine aaw- ou être téné- breux, — d'où viennent tous les dérivés ayant trait à l'ombre et aux ténèbres.
Quant à l'entaille placée à gauche et le plus au nord, dans la figure 4, il est plus que probable que l'opinion de Peters était bonne, et que son apparence hiéroglyphique était véritablement l'ouvrage de l'art et une représentation intentionnelle de la force humaine. Le lecteur a le dessin sous les yeux ; il saisira ou ne saisira pas la ressemblance indiquée; mais îa suite des entailles fournit une forte confirmation de l'idée de Peters. La rangée supérieure est évidemment le mot-racine arabe •o.ao, ou être blanc, d'où tous les dérivés ayant trait à l'éclat et à la blancheur. La rangée inférieure n'est pas aussi nette ni aussi facile à saisir. Les caractères sont quelque peu cassés et disjoints ; néanmoins il n'y a pas à douter que, dans leur état parfait, ils ne formassent complètement le mot égyptien n*«YPHc ou la région du sud. On remarquera que ces interpréta- tions confirment l'opinion de Peters relativement à la figure située le plus au nord. Le bras est étendu vers le sud.
De telles conclusions ouvrent un vaste champ aux rêve- ries et aux conjectures les plus excitantes. Peut-être doit-on les rapprocher de quelques-uns des incidents du récit qui sont le plus faiblement indiqués; quoique la chaîne des rapports ne saute pas aux yeux, elle est bien complète. Tekeli-li! était le cri des naturels de Tsalal épou- vantés à la vue du cadavre de l'animal blanc ramassé en mer. Tekeli-li! était aussi l'exclamation de terreur du captif tsalalien au contact des objets blancs appartenant à M. Pym.
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244 AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM.
C'était aussi le cri des gigantesques oiseaux blancs au vol rapide qui sortaient du rideau blanc de vapeur au sud. On n'a rien trouvé de blanc à Tsalal, et rien au contraire qui ne fût tel dans le voyage subséquent vers la région ulté- rieure. II ne serait pas impossible que Tsalal, le nom de l'île aux abîmes, soumis à une minutieuse analyse philolo- gique, ne trahît quelque parenté avec les gouffres alpha- bétiques ou quelque rapport avec les caractères éthio- piens si mystérieusement façonnés par leurs sinuosités.
J'ai grave cela dans la montagne, et ma vengeance est écrite dans la poussière du rocher.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS
HISTOIRE
DES
AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM.
Dans sa première étude d'ensemble sur Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages (1852), Baudelaire, après avoir insisté sur l'atmo- sphère toute particulière où baignent les contes de son auteur et notamment sur «le frisson surnaturel et galvanique» dont sont agités tant leurs personnages que leurs paysages, écrivait :
Une fois cependant, il [E. Poe] s'est appliqué à faire un livre pure- ment humain. La Narration d'Arthur Gordon Pym, qui n'a pas eu un grand succès, est une histoire de navigateurs qui, après de rudes avaries , ont été pris par les calmes dans les mers du Sud. Le génie de l'auteur se réjouit dans ces terribles scènes et dans les étonnantes peintures de peuplades et d'îles qui ne sont point marquées sur les cartes. L'exécution de ce livre est excessivement simple et minutieuse. D'ailleurs, il est présenté comme un livre de bord.
Plus tard, en juillet 1857, quand sa version française en aura été donnée, Baudelaire se montrera beaucoup plus enthousiaste de l'ouvrage :
Le Moniteur, écrit-il alors, a publié un excellent article (1) sur le second volume des œuvres d'Edgar Poe, dont je suis le très-orgucil-
(1) Celui d'Edouard Thierry, 7 avril 1857, sur les 'NOUVELLES Histoires Extraordinaires,
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NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
Ieux traducteur. M. Turgan a mis en lumière le troisième volume (Arthur Gordon Pym), un roman admirable.
Un roman admirable ! L'éloge n'est pas mince. Baudelaire, dont le goût était si sûr en matière littéraire, pouvait-il admirer sans réserve cet ouvrage de jeunesse dont quelques pages , il est vrai , comptent parmi les meilleures de Poe , dont certaines même sont d'une beauté et d'une hardiesse qu'il n'a guère dépassées, mais qui, tirant à la ligne, inégal, encombré de «leçons de choses» et tournant à Yboax, réunit tant de défauts? Nous croyons bien plutôt qu'il convient de rapporter aux circonstances le manque de mesure dont il témoignait ici. L'heure du procès des Fleurs du Mal allait sonner, et le destinataire de sa lettre n'était autre que M. le Ministre d'Etat, dont il s'agissait d'obtenir la protec- tion. D'où cette profusion de louanges distribuées tout à la fois à l'organe officiel, à son directeur, à son critique, et au roman par surcroît. L'utilité les avait dictées.
II semble aussi bien qu'elle ait été à la base même de la publi- cation. C'est à la date du 7 mai 1856 qu'on trouve dans les Lettres la première allusion à cet ouvrage, et voici en quels termes :
J'ai enfin trouvé un moyen de me procurer les quelques centaines de francs qui me manquent. — Je recommence un long ouvrage pour le Pai/sW. II me sera payé d'avance ; mais on ne me donnera rien avant que la moitié au moins ne soit faite. — Mires, le propriétaire du PaYs, sera ici dans quelques jours. II faut que je puisse déposer au journal quelques feuilletons pour le moment de son arrivée . . . Comme je vous l'ai dit, je viens d'écrire au directeur du journal que j'acceptais l'arrangement et que je travaillerais très-vite. (A Ancelle, lettre inédite.)
Non, ces lignes ne respirent pas l'enthousiasme que montre l'inventeur d'un incontestable chef-d'œuvre. Dans la suite, il est bien vrai que Baudelaire , si constamment appliqué à faire parfai-
(I) Le mot est constamment écrit ainsi chez notre auteur.
HISTOIRE DES A VENTURES DE GORDON PYM. 2^
tement tout ce qu'il faisait, n'apportera pas moins de zèle à l'éta- blissement de ce troisième volume qu'il n'en avait montré pour celui des deux premiers. De cela , nous aurons même à rapporter, au cours de cette histoire, quelques preuves fort pittoresques; — mais il faut convenir que le ton de ce billet à Anceiïe forme un singulier contraste avec l'admiration professée dans la lettre à M. Fould.
C'est donc au Pays, on vient de le voir, que la traduction qui nous occupe ici fut d'abord proposée, ou, pour dire plus exactement, le projet de la traduction, car, dans un post-scriptum du billet à Anceiïe , on lit : Pas une ligne n'est faite.
Un mois plus tard cependant, dans une lettre à Dutacq{1), Bau- delaire laissait voir des hésitations. II a la parole de Cohen, le rédacteur en chef du Pays (lequel d'ailleurs lui a déclaré «ne publier de pareilles absurdités que par complaisance»), mais est entré en pourparlers secrets avec le Constitutionnel «par suite, dit- il, d'une manie qui le pousse à paraître dans les journaux où il n'a pas encore paru». II ajoute que ce troisième volume, «inninté- rompable», puisque constitué d'une seule nouvelle, fera trente ou quarante feuilletons, et encore, — ce qui n'est pas sans surprendre de lui ni fait pour affaiblir notre scepticisme quant à son admira- tion pour Arthur Gordon Pym , — qu'il a hâte de se mettre à la tâche «pour en finir à tout jamais avec le Poe».
Mais le 5 juillet 1856, il s'est décidé — et ce n'est pas pour un des journaux de Mirés :
Le premier numéro paraîtra au Moniteur M du 20 au 30 de ce mois, mande-t-il à Mme Aupick. J'ai vendu convenablement la chose (2.500). Je me suis décidément brouillé avec le Pays, à qui j'avais promis l'ouvrage.
(1) Supplément de Figaro, 2 juin 1906. La lettre est datée 7 juin 1856.
<8) Dans notre édition des Histoires Extraordinaires, nous méprenant sur le sens de certains documents, nous avons écrit qu'il avait fallu trois ans au Moniteur pour s'apercevoir que les Aventures ne présentaient pas un caractère dangereux. L'indulgent lecteur est prié de biffer ces lignes fautives (p. 360, I. 14.-16).
250
NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
Des billets subséquents nous permettent de contrôler l'avance- ment de la traduction. Le 22 juillet Baudelaire écrit à sa mère que son deuxième volume [les Nouvelles Histoires Extra- ordinaires^ et le troisième marchent de front, et que ce dernier sera fini «pour le retour de la personne qui dirige le Moniteur»-, le 13 septembre, à la même, qu'il poursuit son travail grâce aux subsides qu'elle lui a envoyés; et le 9 décembre 1856, à Poulet- Malassis, que le premier numéro à' Arthur Gordon Pym paraî- tra irrévocablement le 8 janvier 1857.
Cependant des empêchements imprévus se présentent :
Ma place a été prise d'abord par Germaine de M. About, ensuite par un second feuilleton [Lettres d'un mineur en Australie, par Antoine FaucheryJ. Ce troisième volume devait commencer, il y a trois jours. Peut-être n'est-il retardé que pour un temps très bref. (A sa mère, 27 décembre 1856).
Un troisième ouvrage allait encore lui être préféré : les Légendes de la Campine, traduit du flamand de Jules Snoeck.
Baudelaire attendait son tour non sans quelque irritation :
Sur 18 feuilletons, mandait-il à Mme Aupick, j'en ai dix de faits. . . Tout sera fini samedi. . . J'ai une impatience diabolique de m'en aller au plus vite demeurer ailleurs. Mais comme je ne suis venu ici que pour travailler plus commodément au Moniteur, je ne veux m'en aller qu'après avoir fini le dernier feuilleton (8 février 1857).
Ici, c'est-à-dire Hôtel Voltaire, — au numéro 19 de ce même quai Voltaire dont le Moniteur occupait le numéro 13. En effet, pour être plus à portée de l'imprimerie où fallait appeler quo- tidiennement, bientôt, la correction des épreuves, Baudelaire avait trouvé ce moyen , ingénieux comme le légendaire pro- cédé de Christophe Colomb, mais auquel l'inventeur de l'Amé- rique lui-même n'aurait peut-être pas pensé : il avait démé- nagé !
D'autres billets témoignent de l'activité qu'il déploya dans les
HISTOIRE DES A VENTURES DE GORDON PYM. 2 5 1
dernières semaines qui précédèrent la publication & Arthur Gordon Pym :
Vendredi, 13 février 1857.
Hélas ! ma chère Mère , c'est moi maintenant qui vous prie de ne pas venir, même de quelques jours. On ne veut pas me donner un sol au Moniteur avant que la dernière ligne du dernier chapitre ne soit écrite. Je n'ai que jusqu'à mercredi — 5 jours pour une besogne qui en demande 15 — c'est à perdre la tête. Dans ces conditions, vous ne m'en voudrez pas si je m'enferme. (Inédit.)
Vendredi, 20 février 1857. • 6 heures du matin.
. . . J'ai piqué, de force, une tête dans le travail. Je suis talonné outre mesure par le Moniteur. Il faut que j'y porte tous les soirs une masse énorme de matière à 5 heures, et, en même temps, que je cor- rige les épreuves, sans compter les épreuves des poésies W. Si j'étais allé vous voir le matin, ma journée eût été perdue, et je ne veux pas, cette fois, que les 2000 francs m'échappent. . .
Cette heure, cinq heures du soir [sans doute fixée pour Ancelle pour le rendez-vous] est bien incommode, car il faut que je sois en même temps au bureau du journal, mais avec une voiture je m'en tirerai. Je vous prie seulement d'être indulgent, de ne pas me garder trop longtemps et de considérer que je serai possédé surtout, après l'envie de mon argent, de l'envie de dormir. (A Ancelle M.)
Plusieurs de ses contemporains aussi bien ont insisté particu- lièrement sur les soins qu'il donna à cette traduction-là :
Alors qu'il publiait dans le Moniteur les AVENTURES DE GOR- DON F*YM, écrit Asselineau (3), ... il courait les tavernes et les tables d'hôte pour découvrir un marin anglais qui pût lui donner le sens exact des termes de navigation, de manœuvre, etc. Un jour, le voyant se creuser la tête à propos d'un détail d'orientation , j'eus le malheur de le plaisanter sur sa rigueur d'exactitude :
— Eh bien ? me dit-il en relevant la tête , et les gens qui lisent en suivant sur la carte !
(l) Les Fleurs du Mai , alors à l'impression chez Poulet-Malassis.
ls) Supplément littéraire de Figaro, 25 juillet 1926.
(S) Charles Baudelaire , sa vie et son œuvre, Alphonse Lemerre, 1869.
252 NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
Je sens encore son regard chargé de mépris et de fureur, et qui voulait dire : Vous ne comprenez donc pas que toute chose que j'écris doit être irréprochable, et que je ne dois pas plus donner prise à la censure d'un matelot qu'à la critique d'un littérateur ?
J'avoue que je ne pus m'empêcher de rire ce jour-là en imaginant un abonné du Moniteur lisant son journal le doigt sur un atlas.
Et pourtant j'avais tort, et Baudelaire avait raison. Ce n'est que par ce soin scrupuleux, minutieux, opiniâtre, qu'on arrive à donner aux œuvres une valeur définitive.
Dans ses Souvenirs (Charpentier, 1882), Théodore de Ban- ville a témoigné pareillement :
Baudelaire possédait. .. tous les lexiques, mais dans sa tête, dans son vaste cerveau, et il n'en encombrait pas son appartement. Cepen- dant lorsqu'il traduisait Edgar Poe , on put le voir ... se servant d'atlas , de cartes, d'instruments de mathématiques nettoyés avec soin, car toujours par l'amour de la perfection (qui fut son unique régie!) il vérifiait les calculs nautiques de Gordon Pym , et voulait s'assurer per- sonnellement de leur exactitude.
Et nous verrons bientôt (p. 258 ) qu'Asselineau et Banville n'ont fait que rapporter Pexacte vérité , — nous le prouverons par des rapprochements qu'on avait négligés jusqu'à ce jour.
La publication d' Arthur Gordon Pym, en feuilleton, au Moniteur Universel (1), commença le 25 février 1857 pour prendre fin le 18 avril. Elle s'effectua régulièrement ou à peu près, coupée seulement de courtes interruptions : 28 février-4 mars, 7-1 1 et 22-29 du même mois, 8-14. avril. Baudelaire à la même époque cor- rigeait les épreuves des Fleurs, on l'a vu, et préparait le manus- crit des Curiosités Esthétiques, et l'abondance de ses travaux ne laissa pas de le mettre parfois dans une situation difficile vis- à-vis tant deTurgan, directeur du Moniteur, que de Poulet-Malassis. Témoin ces extraits de sa correspondance :
17 mars 1857 (A Poulet-Malassis) : «J'espérais pouvoir trouver M Voir p. 269.
HISTOIRE DES A VENTURES DE GORDON PYM. 253
aujourd'hui le temps de vous écrire une longue lettre, je ne l'ai pas pu, et cependant, j'ai raté, 'pour la première lois, mon feuilleton. »
18 mars (Au même) : «Votre deuxième volume !» [CURIOSITÉS Esthétiques]. Je vous supplie de me laisser finir ceci \Aethur Gordon Py m et Les Fleurs] d'abord; autrement vous me ferez mettre des vers dans la prose et de la prose dans les vers , ou bien de l'ornithologie ou des manœuvres de navire dont j'ai la tête cassée.
Mon cher Ami M,
Vous vous moquez de moi purement et simplement, il m'est impossible de mettre ce soir les quinze colonnes que je voulais mettre de GORDON Pym. J'avais répondu de vous ici et vous me laissez dans un grand embarras. — Ce n'est pas bien.
J. TURGAN.
Par contre la publication en librairie allait demander près de treize mois.
Ce n'est pas que Baudelaire eût encore à se mettre en quête d'un éditeur. Les pourparlers qu'il avait engagés dès longtemps avec Michel Lévy, chez qui avaient paru, comme on sait, les deux premiers volumes de ses traductions, et dont le choix, de ce fait, s'imposait pour le troisième, — ces pourparlers dont on le voit se plaindre, dans une lettre à sa mère du 11 septembre 1856, que la partie adverse lui fasse attendre la conclusion , avaient très cer- tainement abouti avant l'achèvement du feuilleton. A défaut du traité, qui n'a pas encore vu le jour, la preuve en est apportée, péremptoire, par l'annonce qu'on lit au verso du faux titre des Nouvelles Histoires Extraordinaires, mises en vente dès mars 1857 : DERNIÈRE HISTOIRE Extraordinaire — Aventures d'Arthur Gordon Pym, un volume.
(,) Emprunté à Charles Baudelaire, Etude biographique d'Eugène Crepet, revue et mise à jour par Jacques Crépet, suivie des Baudelairiana d'Asseli neau, A. Messein, 1906.
2 54 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Mais il restait à faire «la toilette» du livre, c'est-à-dire à le reviser dans le détail, en donnant la chasse à toutes les fautes, erreurs, coquilles qui avaient pu s'y glisser.
II restait aussi, éventuellement, à le compléter. Dans un billet à Sainte-Beuve, du 9 mars 1857, Baudelaire avait annoncé : «Le troisième volume (en train de publication au Moniteur) sera pré- cédé d'une troisième notice». Cette troisième notice, dont aucun fragment ne nous est parvenu, a-t-elle été réellement écrite, et à cette époque-là? C'est là un point que nous n'avons pas réussi à élucider (1). Mais a priori, vu la ténacité que Baudelaire a toujours fait paraître dans la poursuite de ses projets, on ne semble guère en droit de douter que, s'il renonça à l'accomplissement de celui-ci , ce ne fut pas sans avoir tenté de le mener à bien, et conséquem- ment que la rédaction ou la tentative de rédaction de la troisième notice dut compter parmi les causes du retard qui nous occupe.
Enfin Baudelaire voulait que l'achèvement d' Arthur Gordon Pym s'effectuât sans porter préjudice à ses autres travaux en cours. Et il en avait alors beaucoup, car 1857, dans sa carrière, ce
(1> Pour les années 1857-1858, le billet à Sainte-Beuve excepté, la Corres- pondance est muette quant à la troisième notice.
Par contre, dans une lettre à Poulet-Malassis , postérieure à la mise en vente d'ARTHUR Gordon Pïm et formant liste des matières à faire entrer dans les Notices Littéraires (15 décembre 1859), on trouve mentionné en IIIe article, après Edgar Poe, sa vie, ses œuvres (I) et Nouvelles notes sur Edgar Poe (II) : « Dernières notes sur Edgar Poe ( manuscrit resté à Honneur)», avec le commen- taire suivant : «Ces trois morceaux font l'objet d'une discussion avec cet infâme Michel. Cependant mes traités ne parlent que d'une quantité déterminée de matière originale, et nullement d'aperçus critiques sur l'auteur. D'ailleurs, le bon sens indique que je puis réimprimer dans mes œuvres personnelles la partie critique et biographique.»
Mais dans une autre lettre en date du même jour, celle-ci adressée à Mme Aupick, il n'est pas question, chose étrange, de la troisième notice : « Vilaine nouvelle : je serai peut-être obligé de faire un procès à Michel Lévy, qui ne veut pas me permettre de réimprimer, dans Notices littéraires, les deux notices critiques sur Edgar Poe, en tête des deux volumes Histoires Extraordinaires.»
Et, chose plus étrange encore, non seulement les Dernières notes ne seront plus mentionnées dans la Correspondance, mais encore elles ne seront pas portées sur la liste si détaillée que Baudelaire, en 1865, fournira à Julien
HISTOIRE DES A VENTURES DE GORDON PYM. 2 5 5
n'est point seulement l'année de la publication des Fleurs DU Mal, c'est encore celle où il a nourri les plus vaste** desseins.
J'avais pensé à cautériser ma fainéantise , et à la cautériser une fois pour toutes , au bord de la mer, par un travail acharné , loin de toute préoccupation frivole, soit sur mon troisième volume d'Edgar Poe, soit sur mon premier drame, dont il faudra bien que j'accouche bon gré mal gré.
Mais j'ai des travaux à faire qui ne peuvent pas se faire dans un lieu sans bibliothèques, sans estampes et sans musée. (A Mme Aupicb, 9 juillet 18^7.)
II faut que je finisse quatre volumes : troisième volume d'Edgar Poe, les Poèmes nocturnes. . . les Curiosités Esthétiques et le MANGEUR D'OPIUM . . . En outre, avant la fin de l'année, il fau- drait que je fisse à Honfleur un drame et un roman. (v4 la même, 27 juillet 1857.)
Or on sait comment, sur ces entrefaites (20 août), le Tribunal correctionnel, par un jugement à jamais mémorable, se chargea d'abattre cette glorieuse ardeur . . .
Ne nous étonnons donc pas si la mise au point des AVENTURES traîna si longtemps. Le 25 décembre 1857, le poète devait con- fesser à sa mère :
Je suis tombé depuis plusieurs inois dans une de ces affreuses lan- gueurs qui interrompent tout. Ma table est depuis le commencement
Lcmer en vue du placement de ses œuvres complètes, — liste où figurent les deux premières notices !
On voit les difficultés que présente la solution de l'énigme, et la multiplicité des questions qu'en soulèvent les données. Si la troisième notice n'a pas été écrite, comment Baudelaire a-t-il pu mander à Malassis que fe manuscrit en était resté à Honfleur ? Si elle n'a pas été écrite pour prendre place en tète des Aventures d'Arthur Gordon Pym, comment l'éditeur pouvait-il la revendiquer comme sienne en 1859 ? Si elle a été écrite, pourquoi n'a-t-elle jamais paru, sinon du vivant de l'auteur, du moins après sa mort, alors que, « l'infime Michel » s étant rendu acquéreur des œuvres critiques, ses droits exclusifs ne pouvaient plus faire question? Enfin et surtout, comment expli- quer qu'aucun fragment ne nous en soit parvenu ?
II est évident qu'en l'état actuel de la documentation baudelairiennc , toute conjecture serait plus que hasardeuse.
256
NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
du mois chargée d'épreuves auxquelles je n'ai pas le courage de mettre la main... J'aurais voulu, pour la Noël, vous offrir le troisième volume d'Edgar Poe; mais je viens de vous l'avouer, les épreuves traînent sur ma table depuis un mois , sans que je puisse secouer ma douloureuse lâcheté.
Deux mois plus tard cependant, il semblait avoir recouvré l'équilibre des heures fécondes, avec la volonté d'aboutir. Mme Aupick le pressant de venir à Honfleur, il répondait ferme- ment (19 février 1858) :
Je n'ai pas assez confiance en Michel Lévy pour quitter Paris en laissant derrière moi un livre en train chez un de ses imprimeurs. Tu connais l'effroyable soin que je mets à toute chose... (Le livre a huit feuilles, j'en suis à la cinquième, et le reste, en travaillant vivement, peut être fait en dix jours.)
Mais là-dessus survenait, avec Ancelle, une querelle déplorable qui, née d'un incident futile, presque burlesque, prenait bientôt du fait de la nervosité exaspérée du poète , des proportions déme- surées. Et, de nouveau, les dispositions au travail s'évanouissaient et de nouvelles plaintes s'élevaient vers la Maison-Joujou :
Ma pauvre journée d'hier, que je rêvais pleine de travail et de cor- rections d'épreuves ! Car je voulais me délivrer avant mon départ de mon inquiétude relativement au troisième volume de M. Lévy ! (28 février].
Et ces malheureuses épreuves ! Et cet imprimeur qui jette les hauts cris ! Et Michel Lévy qui m'écrit des lettres insolentes! (5 mars).
Mes affaires (de travail) vont tout de travers. Je viens de perdre des épreuves. L'imprimeur attend depuis un mois ... Je suis obligé pour réparer tout cela ... de partir pour Corbeil W où je travaillerai 2 jours à l'Imprimerie, jusqu'à ce que tout soit fini (19 mars).
Deux jours, et tout sera fini!... Ne se faisait-il pas illusion une
01 C'est par erreur, on le voit, qu'Asselineau , dans son Charles Baude- laire, a rapporté aux Nouvelles Histoires Extraordinaires ce long séjour à Corbeil.
H ISTO 1 RE DES A VENTURES DE GORDON PYM. 257
lois de plus ? Cela va de soi , et il ne devait pas tarder à le vérifier. Du moins cet exil quasi-héroïque allait l'amener à ses fins :
Corbeil, 1er avril 1858.
Je suis toujours cloué ici. Je croyais n'avoir que pour trois ou quatre jours de besogne et je suis ici depuis le 19, je crois. Et je m'ennuie ! Et je m'ennuie !
Enfin j'ai lieu de croire que tout ce fastidieux travail d'épreuves sera fini demain ou après-demain . . .
En somme, il est heureux que je sois venu ici, sans cela je n'en aurais jamais fini avec ce maudit troisième volume. Mais que je me suis ennuyé, bon Dieu !
Malgré le soin obstiné que j'apporte à toute chose littéraire , je ne suis pas tout à fait satisfait de ce dernier ouvrage. II me semble tou- jours que cela pourrait être mieux.
Le 13 avril, le volume était enfin au brochage (1).
Baudelaire n'avait pas tort de n'être «qu'à moitié satisfait» du livre, sous le rapport de l'exactitude typographique du moins. De quoi avaient servi toutes ses admonestations au personnel de l'imprimerie Crété, — à cette Ursule, à cette infâme Hortense. à cette s. . . Pulchérie dont Asselineau nous a conservé les noms ? (2) L'édition originale montre une dizaine de coquilles (5) sans compter d'autres fautes diverses. C'était beaucoup à coup sûr, pour un auteur que la moindre «faisait bondir» et dont «elle troublait le sommeil ».
Mais si l'on néglige cette insuffisance matérielle, Baudelaire était en droit par contre de se féliciter des résultats obtenus. II faut avoir collationné minutieusement les textes de 1857 et 1858, pour mesurer toute la supériorité que présente le second sur le pre- mier. Les mots parasites ont disparu, et les bévues, et les amphi- bologies; les relatifs, les conjonctions se sont raréfiés ainsi que lc>
(l) Lettre à Poulet-Malassis, de même date.
,2) Charles Baudelaire, Alphonse Lemerre, 1869.
(,) Voir notre relevé des variantes pour les pages 8, (. 18; 39, 1. 8; 68, 1. 6; 116, 1. 29; 120, 1. 11; 124, I. 19; 149, I. 6; 206, I. 20; p. 222 . I. | — V. aussi : GÉNÉRALITÉS, p. 270.
«7
258 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
verbes auxiliaires; le mot propre a remplacé l'approximatif; des phrases entières ont été remaniées pour y introduire plus d'ordre, de fidélité, d'élégance (1). Enfin des titres, de l'invention du tra- ducteur, ont pris place en tête des chapitres.
Aussi bien ne croyons-nous pas nécessaire d'insister ici, puisque notre édition comporte un relevé de toutes les variantes. Toutefois, et avant de passer outre, il est un point auquel nous avons déjà, fait allusion tout à l'heure (p. 252) et que nous tenons à signaler à l'attention du baudelainen, — nous dirions volon- tiers à sa piété. On a lu les témoignages d'Asselineau et de Ban- ville, au dire desquels Baudelaire, tandis qu'il traduisait ARTHUR Gordon Pym , suivait sur des cartes les parcours décrits et en contrôlait l'exactitude avec des instruments mathématiques. Mais à se souvenir qu'Asselineau n'était pas absolument dépourvu de malice et que l'hyperlynsme de Banville ne constitue pas une garantie de fidélité, peut-être n'a-t-on pas su se défendre de sou- rire. Eh bien ! il est cependant indéniable qu'ils n'ont attesté en l'espèce que ce qu'ils ont vu, et même qu'ils sont restés au-dessous de la vérité, car, si l'on ouvre ce volume aux pages 166 (I. 25), 167 (I. 23) et 170 (I. 16), on constate que, où Poe avait écrit : ouest , ouest, nord, Baudelaire a traduit : est, sud, sud!^\ Ainsi donc Bau- delaire ne s'est pas contenté de contrôler Poe, mais, la preuve en est faite, il l'a rectifié, silencieusement. — Oserons-nous l'avouer, ce trait, chez lui qui poussait si loin le respect et l'amour de son auteur, nous a, quand nous l'avons découvert, semblé plus émou- vant que les protestations du dévouement le plus enflammé !
La publication de l'édition originale fut annoncée au Journal de la Librairie le 12 juin 1858 sous le numéro .5804. Mais en réalité le livre avait paru environ cinq semaines auparavant, comme en témoigne la lettre à Mme Aupick, du 13 mai 1858, où on lit : «Ce
11 ' On verra toutefois dans nos notes que, pour les pages 13, I. 23-25; 109, I. 25-27 et 164, 1. 5-6, la première version nous semble préférable à la seconde.
(2) Voir aussi les corrections des pages 222, I. 6; 166, I. 29; 170, 1. 2 1 .
HISTOIRE DES A VENTURES DE GORDON PYM. 2 5 9
volume, mis en vente, m'a naturellement retenu encore quelques jours».
En voici la description :
Format grand in- 18.
Couverture gris-vert, avec filet d'encadrement. En haut : Collection Michel Lévy — 1 franc le volume — 1 franc 2^ centimes à l'étran- ger.— EDGAR POE y Traduction Charles Baudelaire || A VEN- TURES \\ D'ARTHUR GORDON PYM. — Au-dessous, le car- touche de l'éditeur : M.-L. ;puis : Paris || Michel Lévy frères, libraires- éditeurs Il rue Vivienne, 2 bis|| 1858.
Le faux-titre (texte donné page v); au verso, sous un filet : Corbeil, typographie et stereotypic de CRÉTÉ; le titre : Aventures || d'Arthur Gordon Pym || par || Edgar Poe Traduction de Charles Baudelaire. — Le reste comme sur la couverture, sauf que la date : 1858 est suivie de la mention : Droits de reproduction et de traduction réservés; verso blanc.
4 pages pour la Préface (-4); 273 pour le texte (—277, verso blanc); 2 pour la Table des matières (- 280).
Sur le second plat de la couverture (Paris, typ. Morris et Cie), dans la longue liste des ouvrages parus ou à paraître, sont mentionnés les trois volumes de traduction.
Arthur Gordon Pyai ne rencontra pas le succès qu'avaient obtenu les Histoires et Nouvelles Histoires. A négliger un coup de chapeau hâtif que lui tira Vapereau dans Y Année litté- raire et dramatique de 1858 (1), c'est tout juste si l'on peut citer trois articles dont il ait été l'objet (2).
!M « Ce roman n'offre pas moins d'intérêt que les Histoires extraordi- naires traduites précédemment par M. Baudelaire, ce propagateur dévouédela gloire de l'écrivain américain parmi nous. »
'" Nous ne mentionnons ici, bien entendu, que ceux qui sont relatifs à l'ouvrage dans la traduction de Baudelaire et contemporains de sa publication. Autrement il faudrait citer Thaïes Bernard qui, dans la Revue contemporaine du 31 décembre 1856, à l'occasion de la publication de ['édition posthume des œuvres de Poe , avait comparé les A VENTURES à l'Odyssée, regrettant que Dieu aussi bun que tout but moral et l'éloge des sentiments ou des institutions les plus respectables fussent absents du roman américain, et faisant une fois de plus le procès de l'art pour l'art. — Il faudrait citer également un article
»7-
2<5o NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Dans la Revue Contemporaine (l) , au cours d'une étude d'ensemble sur Edgar Poe et son œuvre (15 juillet 1857), Louis Etienne s'éleva contre ce genre de littérature qui appartient en propre aux Américains, celui des «faux voyages», et où le mérite con- siste «purement et simplement à bien mentir», c'est-à-dire à réunit- deux conditions : «la grosseur des mensonges et leur vraisem- blance».
Avec une sombre imagination, écrivait-il en substance, Edgar Poe a su allier la subtilité laborieuse , le génie des détails et le goût des surprises qui distinguent son pays... Outrer autant que possible l'hyperbole , ensuite pousser la démonstration jusqu'aux bords même de l'évidence, voilà son double procédé.
Et il s'appliquait à montrer, par des exemples, les trucs et ficelles dont ce double procédé implique l'emploi :
Poe pourrait ne laisser son héros que huit jours à fond de cale. C'en serait assez assurément pour lui faire souffrir toutes les affres
d'Arthur Arnould (Revue moderne, Ier juillet 1865) où on lit notamment au Arthur, avec les Histoires Extraordinaires , forme « la partie saillante et vraiment caractéristique de cette œuvre saisissante malgré son extrême mono- tonie ». — Pour la revue de la presse, nous ne saurions d'ailleurs trop engager le lecteur à se reporter aux ouvrages très complets de M. Léon Le- monnier : Les traducteurs d'Edgar Poe en France de 1845 à i8jj : Charles Baudelaire et Edgar Poe et la critique française de 184.5 ^ 1^75 (Paris, Presses universitaires, 1928, 2 vol. in-8°).
<n Un an plus tard (15 août 1858) la même revue consacrera à Arthur Gordon Pym, et surtout à son traducteur, une note non signée, assez longue. Mais comme il s'agit là d'une glose de complaisance, nous n'avons pas cru devoir la comprendre dans le corps de notre texte. Baudelaire s'en déclara satisfait. II écrivait à de Calonne : « Je viens de lire la note sur le Pym. Elle est excellente et, pour ainsi dire, caressante. Remerciez bien M. Hervé [un col- laborateur de la Revue~\. » (Inédit). En réalité, cet articulet était tout juste aimable, sans plus, louant le traducteur de son intelligence, de sa persévé- rance, de l'affection qu'il portait à son auteur, rappelant l'ardent et généreux panégyrique que constituait la préface des Histoires Extraordinaires , mais mentionnant que la cause de Poe « paraissait difficile à soutenir » et que ce roman d'aventures ne s'élevait pas aussi haut que les Contes, bien qu'il offrit, lui aussi, « un vif attrait de curiosité ».
HISTOIRE DES A VENTURES DE GORDON PYM. 2.6 I
de la faim et de la soif. Mais il ne se contente pas à moins de vingt jours. «Pour rendre ce long jeûne possible, il faut des sommeils d'une longueur démesurée. Arthur Gordon dort, en une seule fois, trois jours et trois nuits de suite. Mais pour procurer à l'estomac de son héros un repos si prolongé, il faut que le conteur lui tienne un soporifique tout prêt, bien naturel et bien imprévu. C'est l'odeur de la vieille huile de poisson quand elle est étroitement enfermée», etc., etc.
Quant à la traduction , il lui accordait bien quelques louanges , mais en y relevant l'abus des néologismes.
Plus favorable fut l'article de Charles Asselineau à la Revue française (mai 1858), encore que l'éloge s'y tempérât d'impor- tantes réserves :
Edgar Poe était à peine connu en France lorsque M. Charles Bau- delaire publia ses premières traductions. Quelques imitations plus ou moins libres étaient tout ce que nous avions en français pour nous édifier sur le génie d'un écrivain qui aura eu cette gloire d'ajouter une note au grand clavier de la poésie fantastique. Depuis ce temps - 1852, si je ne me trompe, — M. Baudelaire n'a pas cessé d'étudier son auteur et de publier lentement, mais assidûment, dans les jour- naux et dans les revues, les parties les plus remarquables et les plus saisissantes de son œuvre . . .
[Le volume] qui vient de paraître... est un tour de force de ce conteur singulier qui s'est toujours plu à faire sortir le fantastique du réel et à préparer les effets les plus étranges et les plus surnaturels par des détails précis, exacts, de la vie positive. Ou je me trompe fort, ou ce livre, ouvrage de la jeunesse de l'auteur, et qui certainement n'atteint pas à la hauteur ni à l'intensité poétique des H ISTOIRES EXTRAORDINAIRES , servira sensiblement à faire comprendre aux lecteurs français la nature du génie de Poe en leur rendant plus claire sa méthode de composition.
Evidemment l'écrivain qui, à vingt ans, nous dit-on, se posait le problème de composer, d'inventer une histoire des plus terribles et des plus circonstanciées et qui réussissait dans cette entreprise au point de donner des doutes aux lecteurs les plus expérimentés, et de faire accepter comme une relation véritable les combinaisons de
262 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
son imagination (l\ devait unir à une rare puissance d'imagination une non moins rare patience d'artiste et d'analyste.
Le critique montre ensuite comment la méthode de Poe consiste à rendre toujours plus vraisemblables, par une grande abondance de précisions et un sang-froid constant, les fictions les plus éton- nantes. II conclut :
C'est donc là un vrai livre, et un grand livre, et qui ne fait pas moins honneur au traducteur qu'à l'auteur; car si, comme je le disais tout à l'heure, c'est la vraie gloire en littérature que d'ajouter quelques notes fortes et franches au clavier universel, ce n'est pas un honneur moindre de savoir les interpréter.
Par contre, et dès le lendemain de la publication, Barbey d'Au- revilly, le seul critique de premier plan qui semble s'être soucié de celle-ci, faisait éclater ses foudres. Nous ne saurions reproduire cet article (2) qui, paru au Réveil, le 10 mai 1858, sous le titre : Le Roi des Bobêmes , a été recueilli d'abord dans Les Œuvres et les Hommes (Amyot, 1865), puis dans Littérature étrangère (Lemerre, 1891). Nous essayerons du moins d'en résumer la substance.
On ne saurait nier les dons de Poe. «II était né poète.» II était fait pour le plus haut destin. Son art est vraiment extraordinaire. II a poussé l'analyse « jusqu'à la fatigue suprême ». Cependant ni comme écrivain ni comme homme, il n'a tenu les espoirs qu'on pouvait fonder sur lui. II ne sera « qu'une chose curieuse ».
Les causes? Multiples et dues tant à son propre tempérament qu'aux réactions de celui-ci contre sa patrie, «le pays de la plus cynique utilité». Elles s'appellent l'orgueil, l'isolement volontaire, l'individualisme, I'égoïsme, la doctrine de l'Art pour l'Art, la vie intellectuelle «au hasard de sa pensée, de sa sensation ou de son rêve», ses vices et notamment l'ivrognerie où il se réfugia, oublieux de ses devoirs envers Dieu, la société, la famille.
(') Voyez dans nos Eclaircissements et Variantes, la note sur la page vin,
'' 32*
|2> V. E.-J. Crépet, op. cit., p. 328, une lettre relative à l'élaboration de
cet article.
HISTOIRE DES A VENTURES DE GORDON PYM. 263
Pour tout cela, Edgar Poe est le plus beau cadavre de la Bohême littéraire, il est «le roi des Bohèmes» et mérite qu'on l'étudié à ce titre.
Un génie n'est complet que si l'éducation morale l'a parfait. Quelle a été celle de Poe ? Son biographe « ne le dit pas et peut-être ne s'en soucie guère». Quelle a été la moralité de Poe? Le peu de place qu'occupe le sentiment dans son œuvre, l'indique suffisamment : il n'a su chanter que la curiosité et la peur, «ces deux choses vul- gaires», même quand il était sollicité par les énigmes du surnaturel.
En somme un «matérialiste halluciné», un «génie panique», assez habile pour «faire passer un frisson sur la peau et sur l'âme», mais « qui n'y entre pas , si l'on a une croyance , une foi religieuse , une certitude ».
Maigre domaine que le sien, et dont le tour est vite fait. Qu'il s'agisse des HISTOIRES EXTRAORDINAIRES ou d' ARTHUR GOR- DON PYM dont nous pourrons juger, parce que la traduction française en «est très bien faite », tout son mérite tient dans son procédé. C'est seulement par là qu'il se* montre un maître. « Le plus énergique des artistes volontaires... froidissant l'inspiration pour y ajouter.» Oui, vraiment, un prodigieux horloger doué de «la rouerie profonde du jongleur M»,- mais qui s'exerce aux dépens du poète qu'il aurait pu être.
Au total cet Hamlet américain n'a eu qu'une grandeur, son anxiété , son spleen, son obsession des revanches de la spiritualité sur le fameux matérialisme.
Quant à sa vie, ce fut, comme l'a très bien dit Baudelaire, un suicide préparé depuis longtemps . . . Poe ne mourut pas seulement du delirium tremens, il en avait vécu.
Et qu'on ne rejette pas ni sur la société ni sur l'Amérique la res- ponsabilité de cette affreuse existence! « Nous eussions de Baudelaire, d'une tête qui a parfois la froide lucidité de Poe, attendu une thèse plus virile »... Le Roi des Bohèmes !
Que Baudelaire ait ressenti cruellement la sévérité de cet ar- ticle, on n'en peut douter. — 11 mandera aussi bien, quelques
(I) Ou remarquera que Barbey replace ici le mot de jongleur, que Baude- laire avait relevé antérieurement. V. Histoires Extraordinaires , p 41g. et Nouvelles histoires extraordinaires, p. vu.
264
NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
semaines plus tard, à Mme Aupick (9 juin 1858) qu'il s'est « presque brouillé » avec son auteur. — Sous le coup de la surprise et de ïa colère, quelle forme, — orale, écrite? — il donna à sa protestation, on ne le sait. En tout cas celle-ci dut être vive, à en juger par la lettre ci-dessous, où l'on voit d'Aurevilly plaider l'obli- gation de conscience, et s'appliquera calmer son irascible ami :
Vendredi, 14. mai 1858.
Homme de peu de foi, pourquoi vous troublez-vous?
Un titre!
Un songe, . . me devrais- je inquiéter d'un songe?
Et de quoi donc avez-vous peur et vous étonnez-vous, mon ami?... Vous savez mes opinions littéraires sur Edgar Poe. Vous avez mon article du Pays^, et, tel qu'il est, avec les réserves qui s'y trouvent sur la valeur absolue des œuvres du conteur américain, cet article ne vous a pas mécontenté.
Je ne me déjuge point littérairement. Mon article du Réveil est la confirmation de mes opinions du Pays.
Voilà pour la littérature — le mérite intellectuel de l'homme que vous admirez.
Quant à mes opinions morales et non littéraires, vous savez ce que je suis... Du point de vue de cette moralité, qui est pour moi le sommet du haut duquel il faut embrasser et juger la vie , j'ai regardé Poe. Je l'ai trouvé coupable, et je l'ai dit.
...Bohême, il l'est!... et de tous les littérateurs dignes de ce nom, il est le plus fort, le plus poète, le plus grand, à sa manière; et voilà pourquoi, à mes yeux, il en est le roi.
. . . D'ailleurs . . . c'est un mot frappé depuis longtemps . . . vous vous en nommez vous-même. La SAINTE BOHEME (2), — a dit votre ami M. Théodore de Banville.
Mon ami, calmez-vous. L'article du Réveil n'est pas d'ailleurs fait de manière à diminuer l'importance de Poe et de votre publication. Au contraire. Il ne vous lésera pas dans vos intérêts de traducteur.
(1) Voyez Histoires Extraordinaires, p. 379-381.
(a) Chanson recueillie dans les Odes funambulesques (1857).
HISTOIRE DES A VENTURES DE GORDON PYM. 2 6 5
J'y montre même des entrailles pour votre homme de génie, tout en le condamnant; car vous savez si j'aime l'esprit. N'est-ce pas pour cela que je vous aime?
Jules Barbey d'Aurevilly w.
Pour contrebalancer l'effet d'un tel «éreintement», dont M. Léon Lemonnier a pu dater le déclin de l'influence de Poe, en France, au cours de la période 1 845-1 875, il eût fallu évidem- ment pouvoir lui opposer, auprès du public, la caution d'un nom particulièrement illustre, — d'un nom jouissant d'une autorité indiscutée. Baudelaire pensa à Sainte-Beuve qui, tant de fois, lui avait fait des promesses, sans les jamais tenir. Dès le 18 mai 1858, soit à peine reçue la lettre de Barbey d'Aurevilly, on le voit, dans sa correspondance, en solliciter un rendez-vous. Un mois plus tard, ses instances prennent un ton presque implorant.
14 juin 1858.
. . . On a tant parlé de Loève-Veimars et du service qu'il avait rendu à la littérature française (a; ! Ne trouverai-je donc pas un brave qui en dira autant de moi?
Par quelles câlineries, ami si puissant, obtiendrai-je cela de vous? Cependant, ce que je vous demande n'est pas une injustice. Ne me l'avez-vous pas un peu offert, au commencement? Les AVENTURES
(1) Cette lettre a été donnée in-extenso duns l'anonyme Charles Baude- laire, Souvenirs , Correspondances (Pincebourde, 1872) et reproduite de même chez E.-J. Crepet, op. cit., p. 329-330. — Plus tard, à propos des Contes Grotesques, traduits par Emile Hennequin, Barbey d'Aurevilly modifiera son point de vue et revisera spontanément l'arrêt qu'il s'était trop hâté de rendre. Il admettra alors notamment la responsabilité de l'Amérique dans le sort de Poe, et, sans retirer à celui-ci la royauté de la Bohême, lui accordera celle des Hommes de génie malheureux. Mais, chose étrange, il n'étendra pas l'expression de ses regrets jusqu'au tort causé au panégyriste de Poe. Même, quand il citera son nom, ce ne sera pas sans l'accompagner de quelque épithète peu amène ou de réserves plus ou moins formelles : «Baudelaire qui l'a traduit deux fois, dans ses oeuvres et dans sa vie, quoique la sienne ne lui pas comparable... Baudelaire, le libertin et froid Baudelaire... Baudelaire, que d'aucuns appellent déjà le grand Baudelaire ...»
(S) En lui révélant Hoffmann, faut-il le rappeler?
2.66 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
DE Pym ne sont-elles pas un excellent prétexte pour un aperçu générai? Vous qui aimez à vous jouer dans toutes les profondeurs, ne ferez- vous pas une excursion dans les profondeurs d'Edgar Poe?... H y a des jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau (,), et alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.
Or, justement, ces jours derniers , j'ai été littéralement traîné dans la boue, et (plaignez-moi, c'est la première fois que je manque de dignité) j'ai eu la faiblesse de répondre.
Je sais combien vous êtes occupé et plein d'application dans vos leçons, pour toutes vos fonctions et pour tous vos devoirs, etc. Mais , si on ne mettait pas parfois un peu d'excès dans la bienveillance , dans la bonté, où serait le héros de la bienveillance? Et, si on ne disait pas trop de bien des braves gens, comment les consolerait-on des injures de ceux qui ne veulent dire d'eux que trop de mal?
Enfin, je vous dirai, comme d'habitude, que tout ce qui sera votre volonté sera bien.
Mais c'est en vain que Baudelaire aura égrené son chapelet de «câlmeries». Ce sera la volonté de Sainte-Beuve de ne pas faire d'article (2); celui de Barbey d'Aurevilly restera sans réplique et l'apologiste de Poe sans défenseur.
Le volume se vendit mal. Il ne faudra pas moins de quatre ans pour que la première édition s'en écoule. (V. notre Tableau chro- nologique, Histoires Extraordinaires, p. 387.)
m Cette phrase, non plus que la suivante, ne semble viser Barbey d'Aure- villy particulièrement, mais bien plutôt Jean Rousseau qui, dans le Figaro des 6 et 13 juin 1858, avait attaqué Baudelaire avec une extrême violence. Cependant il convient d'observer que, dans sa lettre à Mme Aupick, en date du 9 juin, celui-ci avait «bloqué» ensemble tous les «cruels ennuis» qu'il venait de souffrir, et en faisant une allusion fort nette à l'incident survenu avec d'Aurevilly. « J'ai été attrapé avec une violence extrême par un écrivain dont je n'attendais pas cela. Puis je me suis presque brouillé avec un autre (un ami) pour un nouvel article de lui sur Poe. Enfin, j'ai été encore une fois traité d'une manière ignoble dans le Figaro de dimanche dernier. Je viens d'envoyer quelques lignes en réponse. Mais je m'en repens. J'aurais dû rester dans ma majesté habituelle et ne pas me commettre avec ces gens-là. » (Charles Baudelaire, Dernières Lettres inédites X sa Mère, Éditions Excelsior, Paris, 1926.)
(2) V. Fernand Vandérem , Baudelaire ET Sainte-Beuve, librairie Henri Leclerc, 191 7.
HISTOIREDES.4 VENTURES DE GORDON PYM. 267
En 1870, les Aventures d'Arthur Gordon Pym formèrent, avec Eureka, Philosophie de l'Ameublement et La Genèse d'un Poê'me (ces deux morceaux tirés des Histoires grotesques et sérieuses), ïe tome VII des Œuvres complètes, annoncées au Journal de la Librairie à la date du 7 mai sous le n° 3775.
Qui avait été chargé d'en établir le texte (comme celui des tomes antérieurs des traductions), la question serait intéressante à élucider, car ce texte ne constitue pas une simple réimpression (V. le chapitre suivant). II semble bien, à certains indices, que c'ait été Charles Asselineau, qui ne savait pas l'anglais, et qu'il se soit aidé parfois, pour sa tâche, des corrections manuscrites que devaient montrer les exemplaires de l'auteur.
Cependant ces indices ne sont pas assez probants pour per- mettre une conclusion formelle.
GENERALITES.
Première version française. Trois états : préoriginal (18^7); original (1858); posthume (1870), et un quatrième pour quelques pages citées au cours de l'essai : Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages (Revue de Paris, mars-avril 1852).
La question ne se pose pas de déterminer sur quel texte américain elle fut établie, car il n'y en a qu'un pour cet ouvrage, l'édition pos- thume (tome IV, 1856) n'offrant que des différences de ponctuation avec l'originale (1838) qui elle-même ne montre que des variantes insignifiantes pour les premiers chapitres (l, II, III et IV partiellement) qu'avait d'abord donnés le Southern Literary Messenger (1837).
Elle parut au rez-de-chaussée du Moniteur Universel (V. p. 2^2), numéros des 25, 26, 27, 28 février, 4, 6, 7, 11, 12 , 13, 15, 17, ai, 22, 29, 31 mars, 2, 4, 5, 7, 8, 14,, 15, 16, 17 et 18 avril 1857, son auteur ayant les honneurs du premier feuilleton jusqu'au 1 1 mars , date où il y fut supplanté par Théophile Gautier, avec Le roman de la Momie,
La publication s'en fit par tranches inégales, les feuilletons s'éten- dant sur 2 ou 3 pages.
En tête du premier figurait la longue mention qui trouvera place au faux titre de l'édition originale (p. V de ce volume) et qui sera supprimée dans l'édition posthume. A partir du second, elle fut rem- placée par le titre : La Relation d'Arthur Gordon Pym, de Nantucket, par Edgar Allan Poe. Au bas de chaque feuilleton on lisait : Traduit par Ch. Baudelaire.
L'ouvrage était alors divisé, comme chez Poe, en 25 chapitres sim- plement numérotés en chiffres romains, les pages finales (qui corres- pondent au chapitre XXVI des éditions originale et posthume et y
270 NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
portent le titre de Conjectures) figurant sans numéro comme Note et Commentaire Ajoutés par MM. les Editeurs [Chez Poe : Note].
C'est l'édition originale qui a apporté leurs titres aux 25 chapitres. Ils sont de l'invention du traducteur, nous l'avons dit.
Quelques précisions maintenant quant aux résultats de la collation des textes W.
FAUTES COMMUNES ( 1857-1858-1870).
Bévues : pp. 15, I. 1; 135, I. 13-14; 167, I. 31; contre-sens : pp. 109, 1. 25 et 31-33 (v. le S suivant, 1852); 14.2, 1. 9-1 1; omissions: pp. 49, I. 24-25; 238, I. 15-16.
PARTICULARITÉS RESPECTIVES.
1852 (pour les pp. 107-110) : un contre-sens p. 109, I. 13 et, même page, I. 31-33, une leçon qui nous semble préférable à la défi- nitive.
1857 : contre-sens ou faux sens pp. 49, I. 7-8 (répété 59, 1. 27-28); 156, I. 26-27; 209,1. 16-17; omissions : pp. 6, I. 31 ; 74, I. 27-29; 83, 1.8; 102,1. 19-22; 237, I. 17-18; deux étonnantes bévues de Poe, conservées parle traducteur (désignations de latitude Est) pp. 166, 1. 29 et 170, I. ai; quelques constructions maladroites : pp. 60, I. 19-20; 69, note; 88, I. 9-10; quelques répétitions et pléonasmes : pp. 9, I. 8; 53, I. 25-26; quelques coquilles : pp. 60, I. 22-23; 84, I. 13; 167, 1. 27; 196, 1. 11-12 ; 222, I. 3.
1858 : les fautes de 1857 ont généralement disparu. Mais une dizaine de coquilles (V. p. 257), trois omissions: pp. 46, I. 5; 85, I. 18-19; IX3» ^ 24> un contre-sens nouveau : p. 13, 1. 23-25. A signaler aussi quelques constructions sinon fautives du moins rare- ment usitées, ayant rapport à la correspondance entre les temps : pp. 86, I. 26-29; 108, I. 14-15; 118, I. 33; et jusqu'à ce que employé avec l'indicatif pp. 30, 1. 26, et 120, I. 13.
1870 : texte entièrement revisé sous le rapport de la correction syntaxique : pp. 30, 1. 26; 64, I. 5-6; 70, I. 16-17; 71, *• 23"24î ^5»
W Pour la détermination des fautes de traduction, M. André Koszul , professeur de littérature anglaise à l'Université de Strasbourg, a bien voulu nous accorder sa précieuse assistance.
GENERALITES. 27 1
I. 25; 1 17, I. 15-16; 1 18, I. 33; 120, I. 13; 124, I. 31; 14,0, I. 18 et 29-30; 14,6 , I. 13; 180, I. 11; 181 , I. 3 ; 209, I. 29-30; 211, I. 20; 214, I. 25; 220, I. 26. II se peut d'ailleurs que plusieurs des correc- tions qu'il montre soient de Baudelaire lui-même, dont tous les livres et papiers avaient été mis à la disposition des éditeurs posthumes. Mais si certaines d'entre elles paraissent justifiées (pp. 99,1. 21 ; 104, I. 21 ; 187, I. 5-6), d'autres par contre semblent bien avoir été effectuées sans égard pour le texte anglais (pp. 30, I. 33; 85, I. 25; 89, I. 4-5; 99, I. 26 ; 120, I. 1-2) ou aux dépens des nuances (pp. 72, 1. 9-10; 199, I. 23-24). Enfin cette édition-là, sans réparer les omis- sions de l'originale, en a apporté plusieurs autres (pp. 69, I. 13- 14; 82., I. 8-9; 235, I. 19-20) ainsi que des coquilles (pp. 22, I. 30; 79, I. 5; 88, I. 5; 142,1. 3; 159, I. 10; 171,1. 19; 240, I. 16).
Le texte par nous ici retenu est celui de 1858, que nous avons purgé de ses coquilles, et où nous avons rétabli deux passages omis, déjà signalés (pp. 46, I. 5 et 85, I. 18-19), en négligeant seulement un troisième (p. 113, I. 24) dont l'absence ne nuit guère au sens. Nous avons adopté la leçon posthume pour les lignes 18, p. 8, et 6, p. 149.
Pour les variantes dont le relevé suit, quand un millésime ne les accompagne pas , c'est qu'elles appartiennent à la version du Moniteur et à elle seule. Dans tous les autres cas, on les a fait précéder de la date de publication du ou des textes qui les présentent.
1852= Revue de Paris (pour les pages 107-110); 1852-1857 = Revue de Paris et Moniteur; 1870= édition posthume des ŒUVRES COMPLÈTES. Enfin le lecteur voudra bien se souvenir que ces variantes ont toutes été établies par rapport au texte de 1858.
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES.
Titre (1852): La Narration d'Arthur Gordon Pym; — (1857) : La Relation d'Arthur Gordon Pym, de Nantuchet.
Faux TITRE. — V. Généralités, p. 269; — (1857) : La Relation d'Ar- thur. . . 84e. . . l'origine ; par Edgar Allan Poé.
Page vu. Préface. — Titre apporté par le texte de 1858. — Poe, 1838 : Preface.
I. 4,-6 : gentlemen de Richmond (Virginie), qui prenaient un . ..
que ) avais visites, et qui me pressaient...
— I. 10 : que moi; et les autres...
— I. 1 1 : qui 'principalement me faisait reculer, était...
— 1. 14 : minutieux et assez lié...
— I. 16-17 ■ réelle, portant seulement l'exagération naturelle et iné- vitable qui est de notre penchant commun quand...
— i. 20 : raconter étaient d'une nature...
— 1. 25 : avaient eu /'occasion de...
Page v III , 1 . 3 : était /'une des causes.
274 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page VIII, I. 7 : Antarctique, était M. Poe,...
I. 20 : la publier dans le Messager du Sud sous le manteau de la
fiction. Je...
— I. 22 : Deux morceaux... — V. Généralités, p. 269, I. 9-10.
I. 32 : pas du tout disposé... — Le public montra la même
crédulité quand l'ouvrage eut paru in extenso. On lit dans la biogra- phie qui accompagne la Virginia edition des Œuvres Complètes de Poe, qu' Arthur Gordon Pym fut pris alors pour la relation authen- tique d'un voyage d'exploration contemporain.
NOTE (1870) : Voir la préface des Histoires Extraordinaires. —
La première leçon (1 857-1 838) — surtout si on la rapproche de celle de la note que montre la page 42 — semble procéder chez le traducteur du désir d'affirmer le lien étroit des HISTOIRES et Nou- velles Histoires qui ne constituent pas à ses yeux deux ouvrages distincts , mais bien un seul ouvrage en deux tomes. — Pour cette note-ci cependant, la correction de 1870 se justifie du fait qu'elle rend la référence plus claire pour le lecteur. Mais il en est différem- ment en ce qui concerne la note de la page 4,2 , comme on le verra.
Page IX, I. 8-9 : qui suit, et on comprendra...
TlTRE : La Relation d'Arthur...
Page 1, I. 1 : Aon nom... (coquille de l'éd. posth.)
■ I. 4.-5 : II avait du bonheur en toute chose [sing.], et...
I. 6-7 : de l'Edgarton New Bank [ital.], comme on l'appda dans
le principe. Par ... — Poe : the Edgarton New Bank , as it was for- merly called. — II semble que les mots : «comme on l'appela» aient été omis lors de la publication en volume.
I. 8 : il réussit à amasser un avoir assez passable.
I. 10 : de sa fortune...
Page 2, I. 15-16 : II était ponte à moitié, avec une cabine, et gréé en sloop;
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 275
Page 2,1. 24 (1870): chez M. Barnard; à la fin...
1. 25 : passablement ivres. Comme...
•[. 28 : tranquillement, — du moins je le croyais (il était...
Page 3,1. 19 : dans une espèce d'extase, et je lui dis...
I. 25-27 : près du chantier de rebut de Pankey et Compagnie,
et battait affreusement de son bord la paroi raboteuse. — I. 29 : voile, nous les déployâmes entièrement, et nous
Page 4, 1. 1-2 : Nous filions avec une grande vitesse , et nous n'avions dit un mot ni l'un ni l'autre depuis que...
— ~ I. 4-5 : à quel moment il serait convenable de revenir à terre. I. 6 : et puis il dit d'un . . . — [.16: manœuvre , et fêtais complètement . . .
I. 18-20 : tout à coup, et nous étions vigoureusement poussés
iom de la terre; cependant...
— 1. 29 : Je m'attendais bien à cette réponse, mais...
Page 5,1. 6 et 9 (1870) : Qu'y a-t-il ? — Le point d'exclamation que montre la version originale est plus fidèle. — Poe (l. 4-9) : «what ails you ? — what is the matter ? — What arc you going to do ?» «Matter!» he stammered... boat — «matter — wny> nothing is the — matter — going home — d — d — don't you see ?»
— I. 16-17 : ...une bûche dans le fond mouillé du canot d'où... I. 18-19 : (1857- 1870) plus que je ne /'avais soupçonne, et...
Page 6, I. 1-2 : brise furieuse avec une forte marée nous précipitait...
— I. 1 1-12 : sans un ris dans le foc ou dans la grande voile, I. 15-16 : et j'étais trop agité pour penser à m'en emparer
moi-même.
18.
2y6 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 6, I. 20 : nous nous relevions, la mer tombait, écrasante,...
I. 24-25 : me précipitant sur la grande voile, je la larguai com-
plètement. Comme . . .
I. 26-27 ' par-dessus le bord, et, submergée par l'eau, elle em-
porta brusquement le mât avec elle. Ce fut . . . — I. 31 : les mots : par l'arrière, sont omis.
Page 7, I. 1 : chance suprême de salut.
I. 2 : et, comme il y avait pour lui un danger...
I. 28-29 • excitèrent à la fois le rire...
Page 8, 1. 6 : Le vaste navire, me dirent-ils, a passé sur nous...
I. 18 : qui étaient au bossoir jurèrent... — (1870) Texte ici
adopté. — Ces deux variantes permettent d'expliquer l'étonnante leçon de l'édition originale, qu'ont reproduite les éditions successives à 1 fr. : « qui étaient en vigie soir jurèrent ...» Très évidemment le traducteur avait voulu remplacer au bossoir par en vigie, mais le mot bossoir se trouvant à cheval sur deux lignes il arriva que la seconde syllabe en fut conservée par mégarde. — Le texte de Poe donne : there were two of the look-out who swore . . .
Page 9, I. 5 : d'une voix ferme le mot : La barre toute dessous ! [ital.] Les hommes...
I. 8 : possible maintenant de pouvoir sauver...
I. 18 : de quitter le bord dessous le vent...
I. 25 : tourné, et rentrait dans son sillage, bien que...
I. 28 : se cramponna aux porte-haubans...
I. 30 : le côté de tribord du navire hors de l'eau...
Page io,I. 3-4 : Après quelques efforts inefficaces, qu'on fit à chaque embardée . . .
ÉCLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 277
Page 10, I. 14-15 : tout à fait éteinte. II n'y avait...
I. 20-21 : tournât presque à la tempête. Au bout...
I. 30-31 : à la destruction une minute seulement.
Page 1 1, 1. 6 : d'un objet qui passait. ..
I. 8 : C'était le pont tout entier de V Ariel. Auguste...
I. 19-20 : se détacha complètement du bordage et se mit...
I. 21-22 : flottait avec, et échappa ainsi à une mort terrible.
Page 13, I. 1 : soufflé de Nantucket (Traduction littérale du texte anglais : one of the severest gales ever experienced off Nantucket. )
I. 21 (1870) : écrase par elle.
I. 23-25 : Dans tous les cas ou le préjugé a une influence pour ou
contre, il nous est impossible de tirer des conclusions certaines, même des données les plus simples. — Poe : In no affairs of mere prejudice, pro or con, do we deduce inferences with entire cer- tainty even from the most simple data. [Dans tous les cas où la pure prévention joue un rôle, pour ou contre, il nous est impossible de tirer des conclusions certaines, même des données les plus simples.] — La première version était certainement la bonne, la seconde constitue un contre-sens.
Page 14, I. 11 : que c'était, pour...
I. 14-19 : Ce qui est aussi assez étrange: c'est qu'il enrôlait
surtout toutes mes facultés et tous mes sentiments en faveur de la vie du marin, quand il me peignait ses plus terribles moments de souffrance et de désespoir.
I. 24 : dans un Océan . . .
1. 25 : car elles montaient jusqu'. . .
Page 15, I. 1 (tous textes) : Huit mois environ... — Poe : About eighteen months... [Dix-huit].
278 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 15, 1.2 : liée en quelque façon avec . . .
1. 6 : tenir la mer après qu'on . . .
I. 13 : occasion qui s'offrait de satisfaire mon désir...
I. 22-23 : et> ayant fait part...
Page 16, I. 4 : Auguste , qui était employé . . .
I. 19-20: avec ses fils, Robert et Emmet.
Page 17, I. 4, : New-Bedford. Toutefois, j'allai...
Page 18, I. 7-8 : propre à rien de matelot! matelot du diable!
I. 14-15 : et devait y rester fort avant dans la soirée; — 1870
et il y devait rester fort avant la soirée ; . . Page 1 9 , I. 1 3 : II pressa alors avec . . . Page 20, I. 4-5 : pour emballer la vaisselle de prix. I. 1 1 : chaos de journitures de bord , . . .
I. il : barils et de malles,... — Poe : barrels, and baies.
Page 21, I. 13 : rendrait cette ■promenade nécessaire.
I. 22-23 (1857-1870) : aucune nouvelle [sing.]
Page 22, I. 1-3 : savoir, et dans la crainte quc.de redescendre vous trouver avant . . .
1. 30 (1870) : dont Auguste m'avait parlé avec... [coquille évi-
dente]. Poe : the books which had been so thoughtfully provided,. . . 1. 31-32 : II semble qu'il s'agisse ici de l'ouvrage de Patrick Glass
A Journal of the voyages of Capt' Lewis and Clarke, from the mouth of the River Missouri through the interior part's of North America to the Pacifc Ocean, in the years 1804-5, and 6; containing a Description of the country, London, 1800, 8°.
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 279
Page 23, 1. 26-28 : Cependant je ne pouvais pas me hasarder à causer du trouble en ouvrant la trappe, ou autrement, et, ayant...
Page 24., 1. 15 : avancés dans notre route .. .
Page 23, I. 3-6 : et d'emporter une nouvelle provision d'eau.
Page 26, I. 14 : d'impuissance, et que je...
I. 17-18 : je me mourais de pure frayeur. Ma cervelle...
Page 27, I. 29 : la montre et je m'aperçus...
Page 28, 1. 24, : ...incapable. Ayant donc pris cette résolution, je cherchai . . .
Page 29, I. 1 : encore plus apparente. Ce n'était...
I. 21 : ou lâcher la corde conductrice et chercher...
I. 24.-23 : penser sans frissonner.
Page 30, 1. 26 (1870) : jusqu'à ce qu'enfin j'atteignisse le clou. — On retrouvera cette tournure p. 120, I. 13.
I.33 (1870) : la porte... resta fermée. — Poe : remained steady.
La version posthume est ici fautive.
Page 31, I. 29 : La seule conduite qui me restât... Page 32, I. 4-3 : mes peines et m encourager à les...
I. 9 : gémissement. En étendant ma main...
I. 20 (1870) : qu'il souffrait comme moi des tortures de la soif.
1. 23 : qu'il pouvait bien ravoir...
I. 24 : en quelque endroit du corps ou de la tête. Je la tâtai
soigneusement , mais . . .
Page 33, 1. 19 : dans la direction de l'avant. Tics étonné,... — Poe in the direction of the steerage..
280 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 33, I. 26 : avec ma tête, de çà et de là,... Page 34., I. 2 : que j'avais d'abord suivi, je pourrais... Page 35, I. 11 : La bande du papier... Page 36, 1. 3 : impossible, étant trop sec...
I. 8 : avant que l'idée ne me vînt . . .
I. 3 1 : besogne. Il s'écoula quelques minutes avant . . .
Page 37, I. 19-20 : quelques minutes, en mûrissant...
Page 38, I. 9-10: j'aurais eu largement le temps.
Page 39, I. 7-8 (1858) : d'accomplir à la dernière extrémité, cTune de ces deux entreprises. [Coquille évidente.]
■ I. 21 (1870) : r/clusion. — Mais le même texte donne réclusion
p. 62, I. 9 et 18, où celui de l'édition originale par contre donne r/clusion.
Page 4,0, I. 6-7 : qui m'avaient plus spécialement arraché. . .
Page 41,1. 11 : et on eût dit .. .
Page 42 , I. 3 : pu se débarrasser. . .
■ ibid. (1870) : j'avais franchi la porte et je l'avais...
I. 16 : chose si inattendue,...
I. 24 : Quand même un millier de mondes aurait dépendu. . .
I. 26 : à travers ce fouillis d'objets, quelque part... — Poe :
among the lumber somewhere . . .
Note : 1857- 1858, texte commun, ici retenu. — 1870 :
dans les Histoires Extraordinaires. — Pour la première forme, v. p. vin, Note. — La leçon de 1870 ne s'explique guère par contre, puisque Le Chat Noir et Le Démon de la Perversité, entrés dans les Nouvelles Histoires Extraordinaires dès 1857, y avaient été maintenus par l'éditeur posthume.
ÉCLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 28 I
Page 4,4,, I. 7 : apporté avec lui de la lumière...
Page 46, I. 5 : II se trouva alors fort empêché. — Nous avons rétabli cette courte phrase, qui figurait dans le texte du Moniteur, et qui avait été omise dans les autres. Elle existe chez Poe sous cette forme : He was now at a loss what to do.
Page 47 , I. 1 2 : auprès de l'écoutille. Le second. . .
1. 14-1 5 : haut sur le pont ! un à un ! — Attention ! — et qu'on. . .
I. 24. : Comme il /aurait fait. . .
I. 27-28 (1870) : Iorsqu 'enfin. .. — Mais le même texte, p. 61 ,
1. 8, donne «lorsque enfin», — comme celui de l'édition originale.
Page 49, I. 7-8 : était un des principaux baleiniers connu sous le nom... — Faux sens. — Poe : line-manager. — (1870) : maître cordier [ sans trait d'union ].
I. 1 1 : la source de Missouri.
■ I. 14 : Quant à Peters, c'était...
I. 24-25 (tous textes) : Pour déguiser ce dernier défaut, il por-
tait habituellement... — Plusieurs mots omis. — Poe : To conceal this latter deficiency, which did not proceed from old age, he usually wore... [Pour déguiser ce dernier défaut, qui ne procédait pas de la vieillesse, il portait habituellement...]
Page 50, I. 13-14 : Quand il était sous l'empire d'une agitation quel- conque , . . .
Page 51 , I. 29 : — et la boule devenait. . . Page 52, I. 1 : et au 6i° 20' de...
I. 17 : il ne fallait pas faire grand fond...
1. 19-20 : comme de la part la plus douloureux de sa situation
d'alors, et je.. . — I. 22 : mais il fut retenu en partie...
282 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 52, I. 33 : Quel fut son chagrin et son effroi [sing.]...
Page 53, 1. 1-2 : pour une foule d'objets et pour une partie...
I. 3 : plusieurs brasses de chaîne [sing.].
I. 5 : place à un ballot, et se trouvaient...
— I. 21 : et à mon a///gement, comme...
I. 25-26 : au désespoir, désespérant de sortir jamais...
Page 54,, I. 7 : tout d'un coup...
I. 22 (1870) : dont les os plus menus cèdent plus facilement à
la pression. — Poe : in whom the smaller bones readily yield to pressure.
Page 55, I. 7-8 : circonstance quand il m 'avait apporte la montre.
I. 10- 11 : et il le croyait perdu,...
Page 56, I. 1 : complètement divisé la planche.
I. 16-17 : sans trop de peine à l'écoutille, bien que... — Poe :
with but little trouble to the lower main hatch, although...
I. 19 : presque jusqu'au pont, et... — Poe : nearly as high as
the upper deck , . . .
1. 24.-25 : à travers l'arrimage dans la cale inférieure. — Poe :
through the close stowage in the lower hold.
Page 57, 1. 6-7 : aucune certitude de pouvoir venir me trouver. . .
I. 9 : l'idée qui lui survint alors ;
I. 33 : au large, et que je pouvais...
Page 58, I. 21 : Ses allures étaient...
■ I. 25-26 : d'apporter le lendemain à son prisonnier un bon
dîner.
ÉCLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 283
Page 58, I. 33 : du voyage, et ne s'accordaient...
Page 59, I. 10 : quelqu'une des îles des Indes Occidentales pour... — Poe : some of the West India Islands for...
I. 14 : soit de pêcher la baleine, soit a1 agir autrement,...
I. 21 (1870) : et d'amusements. . .
I. 27-28 : les peintures du baleinier métis... — Poe : the pic- tures of the hybrid line-manager... — V. p. 4.9, I. 7-8.
Page 60, I. 16 : II se trouva dans le faux pont...
I. 17-18 : entre le pont et les barriques d'huile, jusqu'à la prin-
cipale écoutille.
I. 19-20 : descendit, tâtonnant son chemin avec la plus...
1. 22-23 : très-alarmé par cette atmosphère renfermée et par son
intolérable planteur. [Coquille sans doute.] — Poe : the insufferable stench.
Page 61, I. 10 : engagé. Oppressé alors par...
— — L 17 : néanmoins, avant que...
I. 22-23 : des obstacles qu'il ne pouvait pas surmonter, il avait...
Page 62, I. 15 (1870) : caisse, — les écoutilles étaient restées...
I. 9 et 18 (1870) : réclusion. — Cf. p. 39, I. 21.
1. 24. : moi-même, à regarder son apparente. .
1. 27 : Le brisement de la bouteille...
I. 33 : sans se soucier pour le moment d'être. . .
Page 63 , 1. 1 : entendu de l'équipage.
1. 4. : Persuadé maintenant que sa terrible. . .
Page 64, I. 2 : rester pour le moment présent, pendant...
2 84 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 64, I. 5-6 : Là était la question. // semblait maintenant... — (1870) : question. L'animal semblait maintenant. .. — , Poe : He now. . .
I. 16-17 : Nous le traînâmes donc avec nous avec une fatigue
et une peine inouïes. Page 6^, 1. 13 : qui accompagnent l'embarquement.
I. 22 : moyen d'une vis de pression. Ainsi... — Poe : by means
of a screw.
— I. 33 : pressurage à la vis a amené...
Page 66, I. 19-20 : (surtout avec un foc), si son...
I. 22-23 : sans qu'il en résulte de conséquence bien sérieuse,
[singulier].
Page 67, I. 4-5 : couche de planches mobiles qui s'étende dans... — — I. 26 : d'enfoncer des pieux dans le grain.
I. 3 1 : ou pire que tout un chargement. . .
Page 68 , I. 3 : C'est miracle si les accidents ne sont pas. . .
I. 6 : Joël Rice, commandant... [Coquille de I'éd. orig.].
I. 14 : assez lâche et i7ne remplissait...
I. 18-19 ' un ^ort C0UP de vent de nord-nord-est qui le força à
serrer la toile. II amena. . .
I. 21-23 : désirer, et n'embarqua pas une... la tempête se calma,
et la goélette. . .
— I. 24, : se comportant toujours fort bien,. ..
Page 69, I. 3 : qu'un amas confus, qu'un pêle-mêle...
I. 5 : de la disposition des objets dans la cale. — 1858 : faux-
pont [avec un trait d'union].
ÉCLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 285
Page 69, I. 7 : entre le pont et les barriques... — Poe : between the oilcasks and the upper-deck;...
I. 13-14 (1870) : je me trouvai assez commodément installé. —
Cette suppression ne semble point justifiée. Poe : for the present.
L ai : cap Vert, et semblaient très. . .
I. 30 : il n'y...
Note, I. 1 : fournis de vastes cruches d 'huile en fer. Pourquoi, .
I. 3 : vérifier. — Note de l'auteur.
Page 70, I. 3 : pas osciller d'un cote' et révéler...
I. 14-15 : — était en grande partie feinte. répondit...
I. 16-17 (1857- 1870) : ne doutait pas que son père n'eût été
recueilli,
1. 18 : on l'avait largué à la dérive,...
Page 71, I. 15-16 : Je ne pouvais pas assez me...
1. 23-24 (1870) : bien désormais, m cas où on le relâcherait,...
Page 72, I. 8-9 : les jeter ici sous la forme d'un journal,...
I. 9-10 (1870) : je ne veux pas les omettre entièrement. — Poe :
as I do not wish to omit them altogether. — 1. 17-18 : Vers le soir, une saute de vent surprit...
1. 19-20 : le fit presque masquer. Cependant cette brise soudaine
se calma. . .
I. 28-29 • et ^u' ^ ^ue ^es h°mmes malheureusement incli-
naient...
1. 30 : Auguste jugea rm-à-propos. . .
Page 73, 1. 14-15 : fut réduite à la cape et à la misaine.
286 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 74, I. 3-4 : nous embarquâmes un gros coup de mer,.. .
ï. 1 o : et même plusieurs objets dans. . .
I. 1 1 : comme j'ai pu l'entendre...
I. 15 : du second et étaient déterminés à...
I. 20 car le brick fatiguait...
I. 27-29 : Aucune opposition... connaissance d'Auguste. — Ce
passage avait été omis dans le Moniteur.
!.. 29-30 : du navire venant du cap Vert...
Page 75, I. 19-20 : une petite brise irrégulière de l'est. Aujourd'hui Hartman Rogers... — 1870 : de l'ouest. — Poe : from the east- ward.
I. 22-23 • et ^ était un de ceux sur lequel Peters...
Page 76, I. 7 : et finalement tourna de son côté; pendant que. ..
I. 1 6 : était favorable , lui révéla. . .
Page 77, I. 8 : cependant, en évitant, il se redressa...
I. 16 : sous une misaine avec trois ris. — 1870 : sous une misaine
au bas ris [sing.] — Poe : under a close-reefed foresail. Page 78, I. 18 : précipiter ensemble et fermer le capot d'échelle...
ï. 24-25 : une presse suffisante qu'i7 était sur. . .
I. 31 : qui n'ont jamais été sur mer, je ferai...
Page 79, 1. 5 ( 1 870) : ou tout autre chose. — Poe : or any similar object.
I. 6-7 : ordinairement en faisant virer une partie. . .
I. 14 : puisse fuir devant. Si on fait fuir un navire devant...
1. 17-18 : En pareil cas, on n'a donc guère recours. . .
I. 23-24 (1870) : il y a nécessité de courir devant. . .
ÉCLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 287
Page 79, I. 25 : la toile installée pour avoir...
I. 33 : Les grands navires gréés carrément ont des. . .
Page 80 , I. 2 : du foc avec une misaine, . ..
I. 3-4 : des voiles d'artimon. II peut. . .
I. 8 : Quand on veut mettre à la cape , . . .
I. 11 -12 : se trouve pointé à quelques points de l'endroit d'où
vient le vent, et naturellement le navire reçoit. . .
— I. 20 : On ferait vraiment mieux de la...
— I. 23-24 : Aussi longtemps que la toile tient, un navire..
— I. 25 : sa position et monter toutes les houles, comme s'il.
— I. 27 : la voile (accident qui ne se...
— I. 30 : tombe sous le vent, et, plongeant dans la mer par le tra- vers, il...
— I. 32 : se mettre tranquillement devant le vent,...
Page 8i,I. 2-3 : mais quant à ceux-là, il est bon de ne pas s'v fer. I. 7 : il y en avait un actuellement, et,...
I. 12 : dans le délai le plus bref possible;
I. 13 : que Peters ayant une fois attiré des soupçons, 1/ devait
être. . .
— I. 15-16 : naître aussitôt que la tempête serait calmée.
— I. 29-30 : Peters exprima l'opinion...
Page 82,1. 8-9 (1870) : après la mort, un des plus dégoûtants spec- tacles dont... — Cette suppression ne semble pas justifiée, car on lit chez Poe : one of the most horrid and loath -some spec- tacle» . . .
288 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 82, I. 12-15 ■ ^e yisage étût ridé!., crayeuse, excepte en deux ou trois endroits, ou il était comme cinglé...
I. 16 : Pérysipèle.
I. 24-25 : lui octroyer les honneurs ordinaires de la sépulture des
marins.
I. 29-30 : cette occupation fut laissée de côté.
Page 83, I. 8 : comme pour lui parler,... [Mots omis].
I. 1 1-12 : partout pour voir si nous ne pourrions pas nous armer de
quelque chose, et,...
■ I. 13 : précaution, [sing.]
I. 15-16 : de violents coups de mer tombaient sur le navire..
Page 84, I. 3 : par-dessus son autre chemise. C'était...
I. 5 : endossé...
I. 13 : la [coquille] paraphant...
14.-16 : au bout du doigt. 77 n'oublia pas... l'œil et lui donna le
caractère le plus sinistre et le plus repoussant.
I. 25-26 : obscure d'un fanal de combat.
Page 85 , 1. 8-9 : produites par les charnières. Il était vraiment bien heu- reux pour nous que. . .
1. 18-19 • Tous avaient des couteaux, un ou deux avaient des pis-
tolets et de nombreux fusils... — Les six mots en italique, corres- pondant rigoureusement au texte de Poe, et qui figurent dans celui du Moniteur, ont été omis tant dans l'édition originale que dans la posthume. Nous avons cru devoir les rétablir.
I. 23-24. : si ce n'est que, quand il nous faudrait les attaquer,
nous essayerions de paralyser. . .
I. 25 : par l'apparition de Rogers. — (1870) : par l'apparition
du spectre de Rogers. — Poe : bv means of the apparition of Rogers.
ÉCLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 289
Page 85, I. 27 : pûmes entendre était qu'ils...
I. 30-31 : une tentative d'une plus large échelle;
Page 86, I. 21 : d'ordonner à ces satanés marins d'eau douce de... — Poe : d-d lubbers. . .
Page 87, I. 23 (1870) : capot d'échelle [sans trait d'union]. Id. p. 88, I. 15; p. 95, I. 17; p. 102, L 29-31.
I. 32-33 : superstitions... généralement si populaires parmi les
marins. Page 88, I. 5 (1870) : tomber à la faiblesse. [?]
I. 6 : s'il ne pensait pas qu'il va/ait mieux. . .
I. 7 (1870) : car c'était, disait-il, une...
I. 9-10 : promena lentement des regards autour de lui sur ses
compagnons. . .
I. 15 (1870) : capot d'échelle. — Cf. p. 87, 1. 23.
I. 1 8 : le prodigieux effet produit par cette. . .
I. 20 : dans lesquelles il se produisait.
Page 89 , I. 3 : pour douter que l'apparition de Rogers fût. . .
1. 4-5 (1870) : son image corporelle. — Correction malheu-
reuse. — Poe : at least its spiritual image. — 1. 6-7 : restreignait [sing.] les moyens possibles apparents d'illu-
sion...
1. 1 1 : qu'on avait hélé.
1. 29 : ait été de beaucoup plus grand...
Page 90, 1. 13-14. : dans la poitrine d'un des autres révoltés (...Wil- son). II...
I. 20-21 : étaient... Jones..., Greely et Absalom Hicks.
'9
2(po NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
Page 90, I. 26 : très-à-propos...
I. 28 : dans la chambre dans le moment...
Page 91,1. 30-32 : Presque à chaque coup de roulis il embarquait des lames sous le vent, et quelques-unes...
Page 92, I. 6 : avait été fixé entre le pont et le faux-pont (exécrable...
Lu: pas moins de 7 pieds d'eau.
I. 25-26 : et d'une fatigue horrible; et quand...
Page 93, I. 1 : nous nous tenions à côte' des étais et des garants.
I. 7 : extrêmement incertaine, et en dépit...
I. 11-12 : à notre détresse, une grosse boule qui portait au vent
jeta le brick à quelques. . .
— I. 13-14 : une autre houle le frappait en plein par le travers et le roulait. . .
— I. 30-31 : à l'état de simple coque. — Poe : left us a complete hulk.
— I. 33 : notre grand canot, qui... endommagé...
Page 94, I. 4 : chaque boule à présent. ..
I. 6-7 : de bout en bout, le grand canot et la muraille de tribord
furent arrachés, et le guindeau. ..
— I. 8 : presque impossible de nous voir réduits...
— I. 27 : vu depuis. Derrière sa pièce principale...
Page 95 , I. 1-2 : d'un bout à l'autre, étalingués en dedans, furent. . . I. 7 (1870) : capot d'échelle; — Cf. p. 87, I. 2^ et p. 88, I. 15.
- I. 16-17 : écoulée, nous étions presque anéantis.
- I. 21-22 : prendre courage, parce qu'il y avait...
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 29 I
Page 96, I. 1-2 : cette considération m'était complètement échappée, et c'était...
I. 6 (1870J : au débris... [sing.].
I. 9-10 : le fracas étourdissant et le tobu-bobu dont...
I. 1 1-12 : ou plutôt nous étions enfermés par une crête, un rem- part. . .
I. 13-14 : Nos têtes, je puis le dire, n'étaient vraiment...
I. 20 : nous efforçant ainsi de prolonger l'espérance. . .
Page 97, I. 12-13 : qui nous venaient par tribord, elles... — Poe : from larboard.
I. 22-23 • délivrance. Depuis quelques heures nous gardions le
silence...
I. 26 : qu'une des énormes boules qui mugissaient...
I. 27 : ne plongeât la coque si avant...
Page 98, I. 19 : silence, d'où nous conclûmes...
I. 21 : Aux approches du soir, la boule tomba...
I. 30-31 : je tombai dans une espèce de léthargie incomplète,
durant. . .
Page 99, I. 21 (1870) : de sorte qu'elle n'embarquait sur le brick que. . . — Poe : so much so that it only washed over the brig. . . — II semble que la correction soit justifiée.
— I. 22 : ... ses liens, et était gravement...
— I. 26 (1870) : Je souffrais aussi d'une autre corde... — Poe great pain. — Suppression injustifiée.
— I. 29-30 : autour des reins un gros cable serré si...
— 1. 31-32 : que je bougeai, il fit vers moi un faible geste de la
main.
2p2 NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
Page ioo, I. 1 6 : Je fis remarquer cela à Parker,...
I. 32 : Mais à peine cela fut-il fait , que...
Page 101, I. 5-6 : de le voir revenir à lui; mais en nous approchant de lui, nous... „ >
I. 10- 11 : L'ayant délivré de ses liens et débarrassé du mor-
ceau. . .
I. 32-33 : l'un contre l'autre, à /'aide des cordes rompues autour
du guindeau,...
Page 102, . 1-2 : situation. Nous retirâmes très-judicieusement nos habits... — (1870) : Nous nous avisâmes fort à propos de reti- rer. . .
I. 9-10 : aux moyens à venir de nous,...
I. 14 : avec l'espoir d'être bientôt ramassés par quelque navire. . .
I. 18-19 • une krise constante, mais très-faible du nord-ouest.
— I. 19-22 : tout à fait calmée, le pont comparativement sec,... (2 lignes omises).
— I. 28 : sans grand espoir d'arracher quelque chose.
I. 29-31 : en plantant dans deux pièces de hois quelques clous que
nous arrachâmes aux débris du capot-d'échelle. Nous les... — (1870) : capot d'échelle. — Voir note sur la page 87, I. 23.
Page 1 03 , I. 8 : l'épreuve pour le gaillard. . .
I. 12-13 : Nous accueillîmes la proposition avec tout le plaisir
que peut. . . — I. 18 : de façon qu'il fût impossible qu'elle glissaf. L'entreprise...
I. 20-21 : grand' chose, à supposer même qu'il y eût quelques
provisions dans la cabine, il fallait...
Page 104, I. 8 : avant de s'aventurer à redescendre.
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 293
Page 104, I. 21 : et donnant une bonne poussée avec... — (1870) : avec nos forces réunies,... — Poe : with our united strength. — La correction semble donc justifiée.
1. 30-32 : à notre grande joie, une barre de fer qui était déjà si
fortement ébranlée que nous... la détacher entièrement. — I. 33 : assujettie...
Page 105, I. 7-8 : prenaient décidément un tour plus qu'alarmant, et, Auguste et moi , nous ne pûmes nous empêcher. . .
I. 14-16 : rajeunies, nous élevâmes notre pensée à tout ce qui pou-
vait encore être humainement fait pour accomplir notre délivrance. I. 18-19 : 'î1"' contenant l'extrême joie d'abord, et ensuite l'ex-
trême horreur, m'apparaît . . .
I. 21-22 : des hasards qui me sont survenus postérieurement durant
le cours... Page 106,1.9: qui courait droit sur nous , . . .
I. 1 1 : de fusil m'avait soudainement frappé au cœur ;
I. 18 : en larmes, et continuait, pendant... encore, à pleurer
comme un enfant.
— I. 20-21 : un grand brick mixte, d'une coupe hollandaise. ..
— I. 22-23 " évidemment supporté pas mal de mauvais temps, et nous...
— I. 27-28 : au vent, et courant droit sur nous.
— I. 30-31 : avec un petit foc; — naturellement il ne marchait que très-lentement...
— I. 33 : dont il 5e gouvernait ...
Page 107, I. 2 : une fois ou deux nous jugeâmes qu'il ne...
I. 3-4, : ou, qu'ayant aperçu notre navire, mais n'ayant découvert
personne
2p4 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Ici commence le texte de 1852, s étendant jusqu'à laçage 110, l. 1 y. Les variantes qu'il donne seront indiquées sous sa date. Quand le texte de 1 857 n'est pas mentionné, c'est qu'il est identique à celui de l'édition originale, ici retenu.
Page 107, I. 16-17 (1852-57) : qui paraissait nous .. .
1. 20-22 (1852-57) : nous faisant des signes qui nous semblaient
pleins de joie, mais qui ne laissaient pas que d'être bizarres, . . . — 1. 22 (1852) : et souriant immuablement, comme..
— î. 23-24 (1852-57) : très-brillantes. Le navire approchant davan- tage, nous vîmes...
I. 27-28 (1852) : Je rapporte toutes ces choses... — (1857) :
Je rapporte ces choses... — (1852-57) : et ces circonstances minu- tieusement, et je . . .
I. 30-31 (1852) : venait à nous lentement, et mettait mainte-
nant le cap droit sur nous, et — je ne... — (1 857) venait à nous lentement avec plus de certitude... — Poe : The brig came on slowly, and now more steadily than before, and — I cannot...
I. 32-33 (1852) : aventure; — nos cœurs sautaient follement
au-dedans de nous, et nous répandions toutes nos âmes... Page 108, I. 1 (1870) : en actions de grâce [sing.] à Dieu...
I. 3-5 (1852-57) : Tout à coup et tout à la fois [Poe : Of a sudden
and all at once], de l'étrange navire, nous étions maintenant sous le vent à lui, — nous arrivèrent... [Poe : which was now close upon us]...
— I. 6-7 (1852-57) : de mots pour les exprimer;...
— 1. 10- 1 1 (1852) : pas le temps de nous questionner ou de raison-
ner.
— I. 12-13 (1852) : il semblait dans l'intention de .. . — (1852-57): nous accoster par notre arrière, afin que...
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 295
Page 108, I. 13-14 (1852-57) : sans l'obliger à mettre son canot à la mer. — (1870) : sans l'obliger de mettre... •
I, 14-15 (1852) : Nous nous précipitâmes au-devant, quand...
I. 16 (1852-57) : six points hors du cap qu'il tenait,...
1. 18 (1852) : nous vîmes son pont en plein. Oublieraû-je. . .
i. 21 (1852-57) : çà et là, entre la dunette et la cuisine...
— 1. 25 (1852) : nous empêcher d'implorer ces morts pour notre salut!
— I. 28-29 (1852) : de ne pas nous abandonner à un sort semblable au leur, et de vouloir. . .
1. 30-32 (1852) : La terreur et le désespoir nous. .., l'angoisse et
\e découragement nous avaient rendus totalement fous. — 1. 33 (1852) : A nos premiers hurlements de...
Page 109, I. 2-1 1 (1852) : et qui ressemblait de si près au cri d'un gosier humain que l'oreille la plus délicate eût été surprise et trompée. A ce moment, une autre embardée soudaine ramena le gaillard d'avant sous nos yeux, et nous pûmes comprendre l'origine de ce bruit. Nous vîmes la grande forme robuste toujours appuvée sur le plat- bord et remuant toujours la tête deçà, delà, mais tournée de manière que nous ne pouvions lui voir la. face. Ses bras étaient étendus sur la lisse du bastingage, et...
— Le texte de 1857 est identique au texte de 1858 sauf poul- ies lignes 8-1 1 : appuyé sur le bastingage, faisant toujours aller sa tête de çà de là, mais tournée de manière que nous ne pouvions plus voir 5a face.
I. 12-18 (1852) : Ses genoux étaient placés sur une grosse amarre,
largement ouverts [Contre-sens. — Poe : His knees were lodged upon a stout rope, tightly stretched] et allant du fa/0/1 du beaupré à l'un des bossoirs. A l'un de ses côtés [Contre-sens. — Poe : On his back] où un morceau de la chemise avait été arraché, et laissait voir le nu, se tenait une énorme mouette, se gorgeant activement
2.0)6 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
de l'horrible viande, son bec et ses serres profondément enfoncés, et son. . .
— Une énorme mouette qui se gorgeait. . ,*i— Cf. Les Fleurs DU Mal, Un voyage à Cy there, 7e, 8e et 9e strophes :
Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez près Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches , Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches , Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.
De féroces oiseaux perchés sur leur pâture Détruisaient avec rage un pendu déjà, mûr, Chacun plantant, comme un outil, son bec impur Dans tous les coins saignants de cette pourriture;
Les yeux étaient deux trous,...
Page 109, I. 19-24. (1852) : Comme le brick tournait et allait nous passer sous le vent [so as to bring us close in view] l'oiseau, avec une apparente difficulté, retira sa tête rouge, et, après nous avoir regardés un moment comme s'il était stupéfié, se détacha paresseusement du corps sur lequel il festinait, puis il prit directement son vol... plana quelque temps avec un. . .
I. 25 (tous textes) : un morceau de la substance coagulée et
quasi vivante. . . — Contre-sens. Poe : a portion of clotted and Iiver-Iike substance... — Comme le remarque Marie Bonaparte dans sa monumentaïe étude psychanalytique : EDGAR Poe (les éditions Denoël et Steele, 2 forts vol. grand in-8°, 1933), le tra- ducteur a été trompé ici par la ressemblance que présentent les mots live = vivant et liver = foie. Pour rester fidèle au texte , il aurait dû écrire : de la substance coagulée et semblable à du foie. . .
— I. 26-31 : tomba, en l'éclaboussant (1) , juste aux pieds... machinal vers le morceau sanglant.
I. 31-33 (1852) : Je levai les yeux, et mes regards rencon-
trèrent ceux d'Auguste qui étaient pleins d'une intensif/ et d'une énergie de désir telles que cela me rendit immédiatement à moi-
f1' La première leçon, pour le sens, était plus exacte que la seconde où le traducteur semble s'être appliqué surtout à rendre le tour de son auteur : The
i
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 297
même. — Poe : I looked upward, and the eyes of Augustus met my own with a degree of intense and eager meaning which imme- diately brought me to my senses. — On ne comprend guère que le traducteur ait abandonné sa première version, qui était certai- nement meilleure que la seconde. — Marie Bonaparte (op. cit.), à propos de ce passage, écrit très justement : «II semble bien... d'après le sens le plus concret d'eager comme d'après tout le con- texte, qu'Auguste est en fait tout aussi tenté que Pym, et c'est la vision de sa propre convoitise sur la face d'un autre qui fait revenir à lui ce dernier.»
Page 110, I. 3-7 (1852) : Le cadavre d'où le morceau... ainsi sur l'amarre, était aisément ébranlé par les efforts de l'oiseau carnassier, et c'étaient d'abord ces secousses qui nous avaient induits à croire à un être vivant. Quand Y oiseau le débarrassa. . .
I. 7-1 1 (1852) : à moitié, et nous montra tout à fait sa figure.
Non, jamais il n'y eut d'objet aussi terrible! Les yeux n'y étaient plus et, toutes les chairs de la bouche rongées, les dents étaient entière- ment à nu.
I. 14-15 (1852) : et continua sa route en tombant sous le vent.
(1852) : s'évanouirent lentement toutes. . .
horrid morsel dropped at length with a sullen splash immediately at the feet of Parker.
Une remarque au sujet de cet épisode d'horreur; l'idée semble bien en avoir été empruntée à Lucain :
Saepe super vultus victoris, et impia signa Aut cruor, aut alto defluxit ab «there tabes, Membraque dejecit jam Iassis unguibus aies.
/ (La Pharsale, VII.)
Or dans les Fleurs du Mal aussi, on rencontre plusieurs réminiscences manifestes de ce poëme, — par exemple «les noirs enchantements » que montre Le Vin de l'Assassin ou le vers fameux du Tonneau de la Haine :
Et pour les ressaigner ressusciter leurs corps.
N'est-il pas curieux de constater que l'auteur et le traducteur se rejoignaient jusque dans le choix de leurs lectures ?
298 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 110, I. 17 : Ici se termine le texte de 1852.
î. 18-19 i1^0) '• trouv^ moyen de l'aborder...
Page ni, I. 16 : ait amené le désastre;...
I. 17-19 : d'une espèce venimeuse, ou de tout autre animal
marin, ou d'oiseau océanique, que sais-je?
Titre du chapitre xi (1870) : La bouteille de port. [Lettre
tombée. ]
Page 1 12, I. 9 : Cf. Un voyage à Cy there, strophe XI v :
— Le ciel était charmant, la mer était unie; Pour moi tout était noir et 'sanglant désormais , . . .
— I. 12-14 : sans peine, une autre chaîne, et /'ayant, avec la barre, attachée aux pieds. . .
I. 17-19 : parce que notre misérable carcasse se tenait sur le coté
beaucoup mieux qu'auparavant. — I. 21 : et là, détachant la chaîne de sa cheville. . .
Page 113, I. 1 : Peters avait laissé un de ses fers dans le passage,..
I. 5 : d'abord et simplement la chaîne. Dans ce but. . .
I. 16 : de force [singulier] et d'esprits vitaux.
I. 21-23 : puis je redescendis, et enfin je retrouvai la chaîne avec
Iaquel/e je remontai immédiatement. Après l'avoir attachée à mon pied,..,
I. 24, : je ne pourrais jamais, dans une pareille situation , avec tous
mes efforts, réussir à... — Poe : I became fully satisfied that no exertions whatever, in that situation, would enable meto...
Page 1 14, I. 33 (1857-70) : La seule perspective qui s'offrit à moi...
Page ii6,I. 15: par quelque ancienne lecture médicale...
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 299
Page 116, I. 17 : où le malade souffre de la mania a potu [ital.J. — C'est le terme employé par Poe.
I. 21-22 : mais très-allongée, qui venait du nord,...
I. 29 : la même bosogne. .. [coq. de J'éd. orig.].
I. 31-32 : en vain, nous abandonnâmes l'entreprise de déses- poir.
Page 117, I. 10 : je désire ne jamais revoir Metres humains...
I. 14-15 : Leurs physionomies avaient complètement changé de
caractère , . . .
— I. 15-16 (1870) : je pouvais à peine me persuader qu'ils fussent bien les mêmes...
— I. 27 : de mon esprit, cependant que les autres...
Page 118, I. 33 (1870) : Le jour allait s'écouler de cette façon, quand je découvris...
Page 119, I. 9-10 : sur nous, avec ses perroquets dehors. Je ne pus...
I. 25-27 : en voyant tout d'un coup le navire qui nous présentait
son arrière en plein, et qui maintenant gouvernait d'un côté...
Page 120, I. 1-2 (1870) : de tout ce que je pus dire et faire... — Poe : say or do.
I. 7 : même de s'y [ital.J jeter,...
Lu: nous continuâmes à guetter le navire [coquille de l'éd.
orig.].
1. 11-13 (l^7°) '• jusqu'à ce que... nous le perditions finalement
de vue. — Voir note sur la page 30, I. 26.
Page 121,1. 4 : de me donner /'éloquence de le dissuader...
1. 19-20 : quand il était possible, et même probable, que... les
autres seraient définitivement..
300 NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
Page 123, I. 4 : par ces Piommes exaspéré par leur situation,...
I. 16 : de l'heure; et aucun navire...
I. 19 : la scène épouvantable qui s'ensuivit, scène...
Page 124,, I. 18-19 : violemment Ynn contre l'autre [coquille de l'éd. orig.].
I. 31 (1870) : sur-le-champ... [traits d'union ajoutés].
Page 126, I. 9 : de l'horreur parfaite de la réalité.
I. 13 : à la mer, ainsi que les entrailles, nous...
1. 27 : avec quelques brouillards et...
I. 33, page 127, 1. 2 : Peters, se trouvant au vent, près du bastin-
gage, m'avait fait passer une des... Page 127, 1. 22-23 : je parvins rapidement au poste, et du premier... Page 129, I. 1 : une grosse bouteille contenant presque...
I. 3 : de l'espèce GaUipago. — Cette leçon se retrouvera I. 1 1
12 et 13; p. 182, 1. 9; p. 188, I. 27; p. 192, 1. 19; p. 230, 1. 32. Page 130, 1. 13-14 : Cette tortue est un aliment... substantiels, et a
servi...
I. 21-22 : plus d'un quart d'eau douce et limpide. — Poe : more
than a quart of limpid and sweet water. . .
Page 131, I. 1-2 : l'eau du sac dans la cruche...
I. 5 : faire, avec le bouchon, une...
I. 11-12 : que nous avions ramenées de la cabine...
Page 132, I. 17-18 : des porte-haubans au milieu. L'eau, ainsi...
I. 28-29 : Deux ris, et, vers le soir, c'était une brise...
I. 32 : sans trop d'inquiétudes,...
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 301
Page 133, I. 9-10 : deux de nos jarres d'olives, aussi bien que tout le jambon, avaient été balayées par-dessus...
I. 24 : nous tenir un instant sans nous attacher.
I. 33 : plonger le pont assez avant dans l'eau,...
Page 134., I. 8-9 : reprendre <Ians la cambuse notre pêche aux pro- visions.
1. 21-22 : nous avions grand'peur des requins,...
Page 135, h 1 : des porte-haubans.
I. 9 : pas qu'il en dût résulter aucun avantage.
I. 13-14 (tous textes) : pendant toute l'après-midi. — Bévue.
Poe : during the whole of the forenoon, [pendant toute la matinée]. — 27 : beaucoup plus petite que nous ne...
Page 136, I. 2 : les deux jarres... — Poe : three...
I. 6 : de ne pas y toucher avant. . .
I. 30-31 : dans sa tête, à peine visibles, et la peau...
Page 137, 1. 9-10 : Ce fut alors pour nous chose démontrée qu'Au- guste. . .
I. 18-19 • ^e ne fut qu'un peu de temps après la brune que nous
eûmes. . .
I. 27 : sept ou huit gros requins...
I. 28 : un c/aquement sinistre... — Poe : clashing.
Page 138, I. 10 : et nous poussait...
I. 27-29 : car la plus légère glissade, un faux mouvement pou-
vaient nous jeter. . . Page 139, I. 1 : Un nuage s'éleva sur la brune,. . .
302 NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
Page 139, I. 4 : ce que nous souffrîmes alors par...
I. 8 : se couchant toujours de plus en plus. ..
I. 9-10 : Nous nous sommes occupés...
I. 1 1 : en cas de sens dessus dessous. Arraché. . .
I. 12-13 : des porte-haubans, et, au moyen d'une hache,...
■ I. 1 5 : ce qui n'était pas extrêmement loin de. . .
I. 2^ : lente et gra.du.elle, et nous...
Page 14,0, I. 18 (1870) : et tout a/entour, dans tous les sens,...
1. 29-30 (1870) : avant que le brick tournât, la mer tout alentour.
Page 14,2, I. 3 (1870) : préceintre [ coquille J.
I. 9- 11 : il nous avait découvert une mine de provisions que
nous n'aurions pas pu, même en l'attaquant avec modération, épuiser en un mois;... — Poe : it had opened to us a supply of provisions, which we could not have exhausted, using it mode- rately, in a month ; . . . — On voit que le mot même ne figure pas dans le texte anglais et il semble qu'il constitue ici une façon de contre-sens. II figurait déjà cependant dans le texte du Moniteur, où on lisait : même en usant avec modération. — Mais , en déplaçant le mot, si l'on dit : «que nous n'aurions pas pu, en l'attaquant avec modération, épuiser même en un mois», le sens exact se trouve rétabli. Nous concluons qu'il s'agit ici d'une erreur typo- graphique qui aura échappé à la révision des épreuves.
I. 22-23 • Pms ^'un 7Marf de pinte. Aucune... — Poe : than
half a gill_at a time.
I. 29-31 : une jolie brise s'est levée qui nous a portes à travers...
parmi lesquelles nous avons eu le bonheur. . Page 143, I. 7 : ayant pu attraper tous deux un peu... I. 13 : moyens actuels de recueillir...
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 303
Page 143, I. 21-23 : qui venait évidemment droit sur nous!... cette triomphale apparition cri d'enthousiasme; et nous. . .
Page 14,4, I. 2-4 : C'était une longue goëlette à mâture peu élevée et fortement inclinée sur l'arrière , qui semblait. . .
I. 9-10 : diabolique, qui a été accompli maintes fois sur mer,...
— I. 12-13 • ma*s nous étions, grâce à Dieu, destinés à être délicieu- sement détrompés ; car. . .
Note, L 1-3 : de Boston est si frappant et à tous égards si sem-
blable au nôtre, que je ne puis pas résiter. .. de la contenance de 150 tonneaux... — Poe : hundred and thirty.
Ibid., I. 8-9 : coup de vent de sud-owest, et... — Poe : from the
southeast,...
— Ibid. , I. 25 : au lieu de E. A. P. : Note de l'auteur.
Page 14,5, I. 2 (1870) : Ne voyant pas de traces [pluriel]...
I. 4, (1870) : et passim : Jane-Guy [avec un trait d'union].
I. 10- 11 : de l'avant, et, avec une brise passable, c'était bien le
meilleur. . .
— I. 17-18 : de trois à quatre cents tonneaux.
— - I. 19-20 : usitées dans les mers du Sud.
I. 21-23 ' ^x ou douze caronades d'un fort calibre, avec des
espingoïes de cuivre et des caissons. . .
Page 146, I. 2-3 : un équipage de «parante-cinq hommes,... — Poe : thirty five...
I. 13 (1870) : il faisait des voyages,...
I. 25-27 : de longitude ouest, et ayant atteint Sal, une des îles
du cap Vert, le 29, elle y...
Page 147, l. 29 : endurées pendant les jours que j'avais passés sur...
•s
304 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 14,7, I. 31 -page 148, I. 1 : c'est que j'étais toujours convaincu, à mesure que ces événements se produisaient, que la nature...
Page 148, I. 30 : une des plus effroyables boules que j'aie...
Page 149, I. 6 : Deux minutes déplus, et nous étions... — (18^8) : Deux minutes après, et nous étions... — Nous avons ici adopté le texte posthume, la conjonction maintenue correspondant évidem- ment, dans celui de l'édition originale, aune correction incomplète.
— I. 12-13 • ^ne grosse boule qui nous prit ensuite par le travers nous causa. . .
— I. 25 : à Christmas Harbor, avec quatre brasses d'eau.
Page 1^0, ï. 2-3 : le capitaine Cook tomba sur le même arcbipel, et donna. . .
I. 10-1 1 : croissant par larges nappes, et stimulant une espèce de
mousse épaisse et granulée. Sauf cette plante,...
I. 12-14 : si nous exceptons toutefois un peu de gazon sauvage
et dur près du port, quelques lichens... — I. 31-32 : pouvez entrer par quatre brasses d'eau..
Page 151 , 1. 5-7 : veaux marins de l'espèce poilue. . . ou éléphants marins y abondent.
1. 17-18 (1870) : Ces oiseaux marchent très-droit [sing.].
I. 32 : la nelly. . . — Mots omis dans le texte du Moniteur. Plus
loin (p. 2 10, 1. 2 $), nelly avait été traduit originairement par éléonore.
Page 1^2, I. 5-6 : pétrel brise-os, ou balbusard.
I. 20-21 : à appeler ces sortes d'établissements, ou...
I. 29-30 : pendant quelques jours semblent délibérer...
I. 33 (1870): trois ou quatre... — (IO>57) : ordinairement, situé...
Page 1 53 , I. 1 7 : et les portant au dehors , . . .
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 305
Page 153, I. 21 (1870) : de six à huit pieds,...
Page 155, I. 8 : Christmas Harbor,...
I. 9-1 1 : les embarcations, et (bien que la saison fût peu avancée),
se mit à la recherche du yeau marin , et laissa. .
— I. 18-20 : l'intention de déposer cette lettre... qu'il savait devoir venir après lui.
I. 28-29 : beaucoup de veaux marins communs, ou veaux marins à
foil, mais ils. — I. 31-32 : Les éléphants marins ou phoques à trompe...
Page 156, I. 3 : de phoques à poil, mais nous...
I. 10- 11 : qu'il aurait fallu...
I. 25-26 (1870) : dix milles environ... — (1857 ) : entre elles un
beau passage. Dans. .
I. 26-27 ' particulièrement à Tristan d'Acunha, qui se trouve fort
bien nommée. C'est l'île... — Poe : especially in Tristan d'Acunha, properly so called. [Contre-sens.]
Page 157, I. 10 : est une roche nue, qui est ordinairement cachée...
I. 12 (1870) : ni hauts fonds [pas de trait d'union].
Page 158, I. 2-3 : éléphants marins, phoques velus et fourr/s, ainsi qu'en...
Page 159, I. 10 (1870) : Berwick [Coquille].
I. 1 2 : où on trouva. . .
I. 23 (1870) : multipliée, il y avait...
Page 160, I. 21 : entre les îles, et le port...
Page 161, I. 27 : jusqu'au cinquante-deuxième...
306 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 161, Note : Elle est suivie non d'initiales, mais de la mention : Note de l'auteur.
Page 162, I. 22 : côte occidentale de la Patagonie ; . . .
I. 26 (1870) : 40°2o'. — Poe : 4/°2o'.
Page 163, I. 12 (1 858-1 870): compte-rendu [sic).
I. 21-22 : par blocs, et si solidement amoncelée,...
I. 28-31 : trouva beau temps avec jolies... — Pas de Notes.
Page 164, I. 5-6 : Cette glace affectait toutes les formes, et quelques... — Poe : This ice was of every variety [Cette glace offrait les aspects les plus divers]. — La première version était donc préfé- rable.
I. 18-19 • étaient nombreux , particulièrement l'albatros , le pin-
gouin et le pétrel.
— I. 23-24 : II n'est pas impossible que la 7e strophe de l'Irrémé- diable (Les Fleurs du Mal, p. 138) soit due à une réminis- cence de ce passage :
Un navire pris dans le pôle, Comme en un piège de cristal , Cherchant par quel détroit fatal II est tombé dans cette geôle;
I. 29 : jusqu'à 1 mille...
Page 165, I. 13 : pénétré jusqu'ici. Cook...
I. 22-23 : d'un voyage de circumnavigation autour du globe. Dans
leurs...
I. 30-31 : des glaces; — ce fut en mars qu'il atteignit la...
Page 1 66 , L 8 : le soixante-douzième parallèle,...
I. 9 (1870) : et que, ayant poussé...
1. 12 : bien qu'il eût aperçu de vastes..
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 307
Page i66,I. 17 (1870): Benjamen Morrell [ coquille évidente]. — Titre de l'ouvrage en cause : A Narrative of Four Voyages, to the South Sea, North and South Pacific Ocean, Chinese Sea, Ethiopie and Southern Atlantic Ocean, Indian and Antartic Ocean. From the year 1822 to 1 83 1. Comprising critical surveys of Coasts and Islands, with Sailing directions. And an account of some new and valuable dis- coveries, including the Massacre Islands, where thirteen of the author's crew were massacred and eaten by cannibals. To which is prefixed a brief sketch of the author's early life. By capt. Ben- jamin Morrell, Jun., New York, Harper and Brothers, 1832. — II semble bien que Poe ait tiré de cet ouvrage plusieurs des inci- dents que montre le sien.
1. 23 : vers l'ouest; étant... — Poe : making to the west;...
1. 29 : jusqu'au 690 15 de latitude est. Nous n'y... — Poe :
latitude 690 1 5' E. — Bévue corrigée par le traducteur. Cf. la note sur la p. 170, I. 21.
I. 33 : La mer était complètement libre. . . — La fidélité du
récit de Morrell a été contestée par sir Douglas Mawson, un des hommes assurément les plus qualifiés en cette matière, qui a écrit plaisamment que les qualités de ce navigateur devaient être vrai- ment de tout premier ordre, puisque son navire avait réussi à traverser les montagnes qui se trouvent à l'endroit décrit.
Page 167, I. 8 : azimutè... (orthographe anglaise, adoptée aussi par le traducteur, en 18^7, p. 170, I. 18; p. 172, I. 3 et 25).
— I. 18-19 • au"dessus de la surface de la mer.»
— I. 24 : plus loin vers Y ouest, bien^qu'... — Poe : without attempting any farther progress to the westward , . . .
— 1. 25 : ne l'avaient pas oblige' à battre...
— I. 27 : jusqu'au 84e parallèle. — Poe : to the eighty-fifth parallel.
— I. 29 : jusqu'à quel point elles furent corroborées...
— 1. 31 (tous textes) : Briscoe. — C'est aussi l'orthographe chez Poe. Mais c'est Biscoe qu'il faut lire. L'ouvrage ici résumé a pour
20.
308 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
titre : Journal of a Voyage towards the South Pole 1830 to 1832, Edinburgh, 1834- Page 168, I. 2 : et 4,7° 13' de longitude est,... — Poe : 470 13' E.
I. 6 : mais ne put pas s'approcher. . .
I. 1 2 : la terre à l'est par. . . — Poe : to the southeast.
I. 16 : réussit à att/rir. .. — Même orthographe p. 174, 1. 24.
I. 23 : entre les soixante-sixième et soixante-septième degrés...
Page 169, I. 14 : quelques grandes îles de glace...
I. 20 : était à 25 degrés. — Poe : thirty-five.
Page 170, I. 1 : soufflait toujours avec furie.
I. 7 : sous une misaine avec. . .
I. 15-16 : portant au nord, avec une... — Poe : setting to the
north...
I. 16 : un quart de mille par heure.
I. 18 : azimutib. — Voir p. 167, I. 8.
I. 21 : 730 15' de latitude est... — Poe : latitude 730 15' E... —
Cf. la note sur la p. 166, i. 29. Page 171, I. 2-3 : de temps en temps des rafales...
I. 19 (1870) : Peters [coquille].
Î. 26 : de grêle du nord-norcf-est. — £oe : from the northward
and eastward.
Page 172, I. 1 : se trouvaient des éléonores, des pétrels... I. 3 : azimuti. — Voir la note sur la page 167, I. 8.
— I. 6-7 : Notre passage vers le sud s'est trouvé remis en question et
est redevenu fort douteux; car nous.
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 309
Page 172, I. 10 : qui formait...
L 11 : Nous avons porté sur l'ouest...
I. 25 : azimutè. — Voir la note sur la page 167, I. 8.
Page 173, I. 4-5, découvrit par notre avant de frabord... — Poe : starboard [tribord].
I. 12-13 • °iui dépassait de beaucoup celle. ..
I. 32-33 : Celui-ci revint bientôt à fui;...
Page 174, I. 7-8 : le museau fm-arrondi et..-.
— I. 13-14 : Terre par l'avant de bâbord! — Poe : «land on the starboard bow». — Cf. p. 173, I. 4-5.
I. 20 : un singulier rocher, faisant promontoire, et se projetant
dans la mer, qui imitait. . . — Poe : a singular ledge of rock is seen projecting into the sea , and bearing a strong resemblance to. .
— 1. 22-23 • vers l'ouest, on trouve une petite baie...
— I. 24 : attérir. — Cf. p. 168, I. 26.
Page 1 75 , I. 1 5 : diminuait d'une manière uniforme à mesure que. . .
I. 28 : souvent de remettre le cap... — Poe !: the necessity of
returning.
Page 176 : Note, dernière ligne : au lieu des initiales de la signa- ture : Note de l'auteur.
Page 177, I. 1-2 : le vent suffisamment chaud et du nord-est, la tem- pérature. . .
I. 29 (1870) : (la mer était d'un...). — Poe : the sea being.,.
Page 178, I. 3-4 : nous jetions l'ancre par dix brasses de profondeur, sur un fond...
I. 19 : s'arrêtèrent tous à la fois et se mirent...
3 I O NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 179, I. 15 : Devinant la question, le chef...
I. 2 1 : Anamoo-moo et Lama-Lama !
I. 24 (1870) : le chef donna des signes...
I. 31 : le capitaine Guy donna l'ordre de hisser...
Page 180, I. 11 (1870) : aucun individu de la race blanche, — ...
I. 13-14 : et on eût dit...
I. 31 : ils furent admis en bas,...
Page 181, I. 3 (1870) : matière à réflexion [sing.].
I. 5 (1870) : mais ils les prenaient...
I. 8 : Les pièces de gros calibre redoublèrent leur étonnement.
I. 23 : il se jeta simplement sur le parquet,...
Page 182, I. 9 : de l'espèce des Gal/ipagos, et nous... — Voir la note sur la p. 129, I. 3.
I. 32-33 (1870) : il se rangea de mon avis...
Page 183, I. 5-6 : vers le sud aussi loin qu'il nous serait possible.
I. 30-31 : le canot, armé d'un pierrier, ...
I. 32-33 : nous acquérions la conviction forcée que nous...
Page 185, 1. 18 : Mais, — contraste curieux, — si la lame... — Poe : If, however, the blade...
I. 21-23 : Les phénomènes de cette eau constituèrent le premier
anneau défini de cette vaste chaîne de miracles apparents qui devaif à la longue me circonvenir.
I. 27, p. 186, I. 1 : région raboteuse. Comme nous la suivions, le
détachement. . .
Page 186, 1. 30-31 (1870) : de branches d'arbre non encore dégrossies, conservant encore... — Poe : of rough limbs of trees, with...
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 3 I I
Page 187, I. 5-6 : de repousser pour entrer chez lui, et qui se refer- maient élastiquement après. Quelques-unes... — (1870) : pour entrer, et qu'il fallait ensuite... — Poe : these [the branches] being remo- ved when the tenant was about to enter, and pulled on again when he had entered.
I. 6-10 : étaient faites uniquement à l'aide de troncs fourchus, les
branches supérieures étant entaillées à moitié, et retombant, de manière à fournir une espèce d'abri suffisamment épais. . .
Lu: cavernes peu profondes, qui égratignaienf, pour ainsi
dire, la surface...
I. 131a pic, ressemblant fort à de la terre à foulon, et qui...
I. 22-33 : et on ne pouvait...
I. 24, : j'ai parlé en fermant...
I. 26 : que celle que j'ai déjà décrite.
Page 188, I. 12 : leurs amis les pélicans, mais...
I. 15 (1870) : du cavass-back. . . — Sur quelles raisons l'éditeur
posthume a modifié l'orthographe de ce mot, c'est ce que nous ignorons. Il ne s'agit pas ici d'une lettre tombée, car cavass-bacb se retrouve plus loin (p. 192, I. 18). Pour notre part nous avons vainement cherché cette forme dans les dictionnaires ou encyclo- pédies français, et, dans les anglais, nous n'avons trouvé que canvass-back , avec cannabis pour etymologic
I. 21 : de tautogs, de raies blanches, de congres... — N'est-ce
pas plutôt raies bouclées (skate)? Si c'est bien blanches, il est évi- dent que la suppression de cet adjectif s'imposait, puisque la prin- cipale particularité de la région décrite consiste dans l'absence du blanc. — Cf. notre note sur la page 222, I. 6.
I. 27 : La tortue Gal/ipago. .. — Voir p. 129, I. 3.
Page 189, 1. 10- 11 (1870) : Celles-ci ne manquaient pas... — Poe : not... wanting. ..
3 I 2 NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
Page 189, 1. 30-31 (1870) : et l'empêchaient de battre ainsi contre le tronc.
Page 191, I. 22 : une espèce d'interrogation contradictoire, de la...
I. 30 (tous textes) : biche de mer. — Poe : bêche de mer. —
On lit dans l'ouvrage précité de Marie Bonaparte : «Poe a écrit partout par erreur bêche de mer. Baudelaire l'a corrigé ». Cette double assertion ne paraît pas fondée. II résulte en effet d'une enquête Iexi- cologique ouverte par M. J. Derocquigny et instruite par M. Fer- nand Mossé à la Revue Anglo - Américaine (juin, octobre et dé- cembre 1929) que la forme anglaise la plus fréquente du nom portugais bicbo do mar (que les anciens navigateurs avaient donné à l'holothurie en question) était, dès le- commencement du XIXe siècle : bêche de mer, comme la forme francisée en était, dès la fin du XVIIIe : biche de mer. Poe et Baudelaire n'ont donc fait ici l'un et l'autre qu'employer la forme en usage dans leurs langues respectives.
Page 192, I. 4 : jusqu'à ce que les canots fussent...
I. 10-11 : tel que n'en avaient jamais vu le plus vieux de nos
marins... [coquille].
1. 18-19 (1870) cavass-back et de tortues gal/ipagos. . . — Voir
nos notes sur les pages 129, I. 3 et 188, I. 15.
— I. 23-24. : pendant notre trajet de la goélette au village.
I. 28- p. 193,1. 1 : aussi bonnes qu'aucunes que nous eussions
jamais goûtées, et les...
Page 193, I. 17 : oiseaux à coquille noire. Nous embarquâmes...
Page 194, I. 9-10 : de bâtiments commodes ou il fût possible de pré- parer l'article,...
I. 18 : le tracé d'un terrain convenable,...
I. 22-23 • e* enseigner ainsi aux naturels...
I. 24 : Quant aux termes du traité, ils dépendaient...
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 3 I 3
Page 194,, I. 33 (1870) : compte rendu [pas de trait d'union], — Cf. p. 241, I. 22.
Page 195, 1. 8-9 : sur les côtes des Iles Pacifiques, et principale- ment. . .
I. 11-12 : matière gélatineuse recueillie par une espèce...
Page 196, I. 1-2 : quelques fois sur des... si basse que, quand la marée se retire, ils restent au sec, exposés...
1. 4,-6 : nous rien avons jamais vu un seul, et on les a toujours
observés remontant des eaux profondes quand ils étaient par- venus à. . .
I. 11-12 : l'incision étant d'un pouce au plus, suivant... —
Poe : one inch or more. [ Donc coquille probable.]
— I. 17 (1870) : ne doit être ni élevée ni trop faible. — Poe : which must not be too much or too little.
— I. 26-27 : les examiner de temps en temps, mettons quatre fois...
Page 197, I. 19-20 : se trouvèrent si avancés, que nous pûmes en toute confiance abandonner le reste. . .
I. 28 : visite d'adieu au village,...
r- I, 33 : avec la plus grande convenance, nous aidant...
Page 198, I. 27-29 : une double charge de raisin et de mitraille, et les pierriers furent chargés de balles de fusil.
1. 32-33 : au feu de toutes nos pièces.
Page 199, I. 7-8 : Une centaine de guerriers à peau noire vint. — Poe : a hundred of the black skin warriors...
I. 23-24. (1870) : un mille et demi ou deux milles. II... —
Poe : or probably two miles. — I. 29-30 : dans tout son parcours , et n...
3 I 4 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 199, I. 32-33 : La largeur moyenne était de...
Page 200, I. 3-4. : par la consommation d'une embuscade,. ..
I. 23-24. : le corps principal des sauvages qui observaient un
ordre. . . Page 202, I. 4-5 : et je tombai directement sur la tête. ..
I. 1 8 : perdus à tout jamais.
■ I. 26 : La noirceur des ténèbres qui enveloppe la victime ,.. .
Page 203, I. 1 : A la longue, Peters était d'avis que...
I. 2-3 : et sortir à tâtons de notre prison; . . .
I. 13-14 : Ayant grimpé par-dessus une levée de décombres...
Page 204, I. 11 (1870) : Le cœur rem-pli de tristesse,...
Page 206, I. 8 : le défilé ou le lit de cette gorge était...
I. 9-10 : un million de tonneaux de terre...
I. 20 : dans le sol et rappelant celles... — (1838) : et ressem-
blant, celles [coquille]...
— 1. 21-22 : que des pieux sembla&fes à ceux que nous voyions sub-
sistants encore. . . Page 209, I. 7 : des guerriers noirs, Too-Witt. ..
I. 16-17 : ou bateaux plats, gréés tant bien que mal, se remplir.. .
Faux sens. — Poe : or flatboats, with outriggers,...
I. 29-30 (1870) : résolus de s'en emparer atout prix.
Page 210, I. 5-6 : car je les vis bientôt baler sur le câble et, à l'aide de grelins, amener... — Poe : I saw them get springs upon the cable and bring. . .
7-8 : à portée de pistolet, pendant que les radeaux restaient à
peu près...
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 3 I 5
Page 210, I. 13 : trop court, et les coups faisant ricochet...
I. 22-23 : Pas mancIué de produire quelques ravages qui auraient
au moins. . .
I. 24 : et qui leur auraient permis. . .
I. 3 1 : les boulets rames des pièces de gros calibre coupèrent . . .
Page 211, Lu : à grimper par-dessus les porte-haubans et les filets . . .
I. 12 (1870) : les filets de bastingages ,.. .
I. 20-21 (1870): le théâtre déplorable d'une dévastation et d'un
désordre sans pareils. — Poe : a pitiable scene indeed of havoc and tumultuous outrage.
— I. 23-24 : hâlant sur le côté [sing.], cette multitude...
— I. 26 : (le câble ayant été lâche') , et le...
I. 29-32 : maintenant que la victoire était obtenue à sa pleine
satisfaction , consentait à accourir avec son état-major de moricauds et à venir prendre sa part du butin.
Page 212, I. 11 : à les cueillir, un frémissement...
L 22-23 : s'échapper, et l'empoigna par le cou.
Page 214, I. 24-25 (1870) : magnifiquement criblée, un instant, d'une... — Poe : in a single instant [en un seul instant]...
I. 27-28 : qui nous fit sauter impétueusement sur nos pieds, pen- dant que. . .
I. 30-31 (1870) : et drue, de tous côtés, autour de nous.
Page 215, I. 18-19 : en peu de temps, rapportant des pieux de bois.
I. 29-30 : à l'île, et on avait... et serré dans une des armoires
ce précieux. . .
3 1 6 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 216, I. 14 : de cabane, que nous avions...
Page 217, I. 14 : nous ne nous étions pas avancés de cent yards...
I. 21 : profondeur, et , jugeant qu'il nous était impossible...
I. 32 : périlleux et nous tentâmes...
Page 218, I. 4-5 : il nous fallut... — (1 858-1 870) : à plat- ventre (51V). I. 10- 11 : Ainsi nos craintes se trouvèrent parfaitement Con-
firmées ...
— I. 17-18 : Pendant quelques jours après cette recherche infruc- tueuse, nous nous occupâmes à explorer...
— 1. 25 : autant du moins que je puis me le rappeler, il n'en...
— I. 28-29 • l°nger Ies murs de notre prison...
Note : elle n'est pas suivie d'initiales, mais de la mention :
Note de l'auteur.
Page 219, I. 18-19 : l'abîme, de l'extrémité est à l'extrémité ouest, avait à peu près. . .
I. 24,-25 : descente, c'est-à-dire à une centaine...
I. 31 : de soixante pieds peut-être; mais...
Page 220, I. 16-17 • auraient /mi de ma mémoire comme une foule en désordre.
Page 221, I. 16 : qui tapissait la route de l'abîme principaL
L 21 : Dans les textes de 1858 et de 1870, la figure est donnée
en bas de page, présentation peu agréable à l'œil. Afin d'obtenir ici un équilibre typographique plus satisfaisant, nous avons dû substituer un renvoi entre parenthèses [(figure 2)] aux deux points qu'ils montrent après : figure générale.
Page 222, I. 3 : l'extrémité d, est de /50 yards. — C'est bien 550 qu'on lit chez Poe.
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 3 I 7
Page 222, I. 4 (1858) : par laqulele [coquille].
I. 6 : de cailloux blancs en tête de flèches. — Poe : a quantity
of the white arrowhead flints. — Baudelaire avait donc traduit exactement le texte de son auteur dans sa première version. Pour- quoi donc a-t-il remplacé blancs par jaunâtres, en 1858? Nous pensons devoir en trouver la raison dans les Conjectures , p. 243- 24.4. — Cf. aussi notre note sur la page 188, I. 21. — Cependant on peut aussi se demander si ce n'est pas précisément à dessein et en vue de renforcer la signification néfaste attachée à la couleur blanche par les indigènes de Tsalal, que Poe avait donné cette couleur aux pointes de flèche, instruments de mort.
— 1. 13-14 : une ouverture de 6 pieds de large environ, ...
I. 23 : l'entaille située la plus à gauche ou au nord... — Poe :
the left, or more northern identures. ..
Page 224, I. 10 : tendre, bien que presque. . .
Page 225, 1. 3 : fussent tendus roide [sing.].
Page 226, 1. 14-16 : frappé par l'idée de l'immense hauteur qui me restait encore à descendre, de la fragilité et de l'insuffisance des...
I. 22 : A la longue, etc. — Cf. dans les NOUVELLES HIS- TOIRES Extraordinaires, Le Démon de la perversité, p. 5-6, et le commentaire du traducteur, même volume, p. IX.
1. 25-26 : — nous figurant le vertige, le mal de cœur, la résis- tance suprême...
Page 227, I. 8-9 : à leur prise, et en même temps l'idée de mon salut possible disparut absolument de mon esprit, comme une ombre légère; un instant. . .
Page 228, I. 3-4 : en me faisant encore un peu aider par mon cama- rade , . . .
1. 24 : qui ne se trouvent pas autre part dans les hautes lati- tudes.
3 I 8 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
Page 228, NOTE : Elle est suivie non d'initiales, mais de la men- tion : Note de l'auteur.
Page 230, I. 14-15 : à travers les roches, nous dirigeant toujours vers le rivage.
1. 32 : tortues gal/ipagos. . . — Voir p. 129,!. 3.
Page 231, I. 21 : nous changeâmes simplement de position pour ramer.
I. 28 : comme il s'approchait du rivage.
Page 233 : I. 1 1 : à une latitude dépassant 84 degrés,...
I. 16-17 : en vue> îul appartenaient au même groupe et qui
étaient à une distance. .
I. 21-22 : glace, — et, quelque contradictoire que cela puisse
paraître relativement aux notions. . .
Page 235, I. 19-20 : Cela fait, nous tournâmes l'avant droit au plein sud. — Cette phrase est omise dans l'édition posthume , bévue qui s'explique aisément du fait qu'elle se termine avec le même mot que la précédente.
1. 25 : l'îlot Benoit. — Poe : Bennett's Islet. — Même variante
p. 237, I. 6.
Page 236, I. 19-20 : à ses habitants, à leurs usages; — ... Note : Elle est suivie non d'initiales, mais de la mention :
Note de l'auteur. Page 237, I. 6 : l'îlot Benoit. — Cf. p. 235, 1. 25.
I. 17-18 : jamais assez rude pour mettre le canot en danger,
... [Mots omis].
— 1. 18-19 : à notre gauche, à des distances différentes, de sou- daines. . .
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 3 I p
Page 237, 1. 25 : la poche de mon vêtement un mouchoir blanc.
I. 28 : de prostration et de stupeur...
Page 238, I. 8 : elle revêtit une expression dont je ne pouvais...
I. 9 (1870) : mais il s'approchait sans... — Cf. pour l'idée le
Rêve d'un Curieux (FLEURS DU Mal) :
_ Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse;
Tout mon cœur s'arrachait au monde familier.
I. 15-16 (tous textes) : Après : «La chaleur de l'eau était exces-
sive,...» plusieurs mots omis. — * Poe : The heat of the water was extreme, even unpleasant to the touch, and its... [La chaleur de l'eau était excessive, même désagréable au toucher, et sa...]
Page 239, I. 9 : Ce jour-là, à côté de nous passa un de...
I. 21-22 : prendre une plus grande netteté de formes.
I. 22-29 ■ une cataracte... roulant silencieusement... quelque
immense rempart... Le gigantesque rideau. .. aucun bruit. . . De funestes ténèbres. . . mais des profondeurs de l'océan jaillissait un éclat lumineux. . . etc. — II semble évident que Baudelaire s'est souvenu«de ce passage dans son Rêve parisien (Les F LEURS DU Mal) où Théophile Gautier voyait «un cauchemar splendide et sombre, digne des Babels à la manière noire des Martynn», et que M. G. T. Clapton, dans son intéressante étude : Baudelaire et DE QuiNCEY (Société d'édition «Les Belles Lettres)), s. d., Paris) a cru devoir rapprocher des rêves du Mangeur d'Opium :
J'avais banni de ces spectacles Le végétal irrégulier,
Et des cataractes pesantes, Comme des rideaux de cristal, Se suspendaient, éblouissantes, A des murailles de métal.
Pendant des millions de lieues, Vers les confins de l'univers;
320 NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
C'étaient des pierres inouïes Et des flots magiques; c'étaient D'immenses glaces éblouies Par tout ce qu'elles reflétaient !
Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges De soleil, même au bas du ciel, Pour illuminer ces prodiges, Qui brillaient d'un feu personnel !
Et sur ces mouvantes merveilles Planait (terrible nouveauté ! Tout pour l'oeil , rien pour les oreilles ! ) Un silence d'éternité.
Page 24,0, 1. 14-15 : la clarté des eaux répercutées par le rideau blanc en face de nous. Nous. . .
I. 16 : d'un blanc pâle, s'envolaient... — (1870) : s'envolèrmt
incessamment. . .
I. 2 1 : nous nous aperçûmes qu'i/ avait cessé de vivre.
I. 23 : s'entr'ouvrit de lui-même comme pour...
I. 26-27 (tous textes) : Et la couleur de la peau de l'homme
était. . . — Poe : And the hue of the skine of the figure was. . . — Marie Bonaparte (op. cit., 1 , 440) écrit à ce sujet :
« Baudelaire a fort inexactement traduit. . . la répétition de « figure » par «homme»... Tout indique au contraire que cette figure est la figure maternelle.
«Ce manque d'intuition du traducteur en cet endroit est intéres- sant. Peut-être le poëte de la Lune offensée, que les héroïnes mor- tuaires de Poe fascinaient par ailleurs tellement, n'a-t-il pu concéder à la mère d'apparaître sous les espèces des grandes divinités mater- nelles nourricières. II haïssait sans doute trop pour cela la femme du général Aupick.»
Nous avons tenu à reproduire ces commentaires parce qu'ds pro- cèdent d'une rectification fondée et qui peut être jugée d'impor- tance, comme on voit. Mais le lecteur est prié de n'en pas inférer notre accord total avec leur auteur. Celui-ci a bien du talent, il est
ECLAIRCISSEMENTS ET VARIANTES. 32 I
vrai et il n'y a que justice à rendre hommage tant à l'esprit de sincérité qui l'anime qu'à la vigueur et à l'ampleur de son effort ; mais enfin son ouvrage est un essai psychanalytique et nous devons confesser que décidément, pour notre part, nous nous sentons très peu porté vers le système freudien, ses attitudes d'infail- libilité , ses explications universelles , son abracadabrant symbolisme ( mer = mère; fèces = cadeau; demande d'argent = amour ! etc., etc.), et fort mal à l'aise dans l'atmosphère où il se plaît. — D'ailleurs, pour revenir au passage qui nous occupe, l'hypothèse à laquelle Marie Bonaparte serait encline à rapporter le «manque d'intuition du traducteur», nous paraît bien peu vraisemblable, car Baudelaire, s'il s'est montré souvent très dur pour la femme , en revanche a plusieurs fois marqué, et de la façon la plus nette, son admiration et sa sympathie pour la mère. Témoin les extraits suivants , tirés de ses lettres à Mme Aupick précisément :
«... je pense à tout jamais, que la femme qui a souffert et fait un enfant est la seule qui soit l'égale de l'homme. Engendrer est la seule chose qui donne à la femelle l'intelligence morale. Quant aux jeunes femmes, sans état et sans enfants, ce n'est que coquetterie, implacabilité et crapule élégante.» (27 mars 1852.)
«Je suis désolé de t'arracher tes illusions sur le passage où tu as cru voir l'éloge de ce fameux sexe.
« Tu l'as compris tout de travers.
«Je crois qu'il n'a jamais été rien dit de si dur que ce que j'ai dit dans le Delacroix et dans le Figaro. Mais cela ne concerne pas la femme-mère.)) (Décembre 1863.)
C'est lui-même qui a pris soin de placer en italique ces deux derniers mots.
Page 241 : Le chapitre final ne porte pas de numéro, mais le titre : Note et Commentaire | Ajoutés par MM. les éditeurs. — Poe : Note.
I. 6 : sa Relation.
1. 17 (1870) : communiqués, de sa défiance...
- 1. 22 (1870) : compte rendu [sans trait d'union]. — Cf. p. 19^.,
33-
2 1
322 NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS.
Page 24.2 ,1.6 : un point de la Relation sur lequel. . .
I. 1 2 : le chapitre XXIV. [ Erreur.]
Page 24,3, I. 21 (1870) : Le mot égyptien est remplacé par un simple blanc.
Page 244, I. 7 : analyse philologique, trahît quelque parenté...
Dans le Moniteur, la publication se terminait par les mots :
FIN, Traduit par Ch. Baudelaire, et, en 1858, par : FIN
TABLE DES MATIÈRES (1858) : deux fautes dans les nombres de pagi- nation : 62 au lieu de 64, et 124 au lieu de 122. — Au-dessous du texte : FIN DE LA TABLE. — (1870) : Le titre de l'ouvrage seul figure, mais non ceux des chapitres.
TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
Préface vu
I. Aventuriers précoces i
II. La cachette 13
III. Tigre enragé 33
IV. Révolte et massacre 44.
V. La lettre de sang 54.
VI. Lueur d'espoir 63
VII. Plan de délivrance 75
VIII. Le revenant 84
IX. La pêche aux vivres 95
X. Le brick mystérieux 1 05
XI. La bouteille de porto 1 1 1
XII. La courte paille 120
XIII. Enfin! 131
XIV. Albatros et pingouins 1 ^ 5
XV. Les îles introuvables 1 5 h
XVI. Explorations vers le pôle 162
XVII. Terre! 169
XVIII. Hommes nouveaux 176
324 TABLE DES MATIÈRES.
XIX. KIock-KIock 185
XX. Enterrés vivants ! 192
XXI. Cataclysme artificiel 201
XXII. Tekeli-Ii! 207
XXIII. Le labyrinthe 216
XXIV. L'évasion 224,
XXV. Le géant blanc 233
XXVI. Conjectures 24,1
Notes et Éclaircissements 245
Histoire des Aventures d'Arthur Gordon Pym 247
généralités 269
Éclaircissements et Variantes 273
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