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ET NUISIBLES

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LEÇONS

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ANIMAUX UTILES

ET NUISIBLES

LES BÊTES CALOMNIÉES ET MAL .ILCÉES Le Professeur CARL VOGT

TIIADI'ITES III! L'iLl,EM.l\D

PAR M. G. BAYVET REVUES PAR L'AUTEUR ET ACCOJIPAG.^ÉES DE GRAVURES SUR BOIS

NOUVELLE ÉDITION

mVRAGE mumi par IA SOCItlÉ PIlfiTECTRICE DES AMIIAUX

^ PARIS

C. REINWALD ET C'% LIBRAIIIES-ÉDITEUISS

IS. nUE DES SAINTS-PÈpES

187 5 Tous droits réservés

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PEÉFACE.

Depuis une dixaine d'années notre petite répu- blique de Genève possède des cours publics libres. Ce ne sont pas, comme ailleurs, de simples séances on aborde un sujet nécessairement restreint et qui, trop souvent, dégénèrent en joutes oratoires ou littéraires. Les autorités de Genève ont offert au public des séries de conférences de huit à dix leçons chacune qui ont lieu pendant toute la durée de l'hiver. Cela permet au professeur d'embrasser un sujet plus vaste et d'étudier avec quelques dévelop-

VI PBÉFACE.

pements une branche entière de la science. Ces cours libres'sont devenus maintenant un élément important du mouvement littéraire et scientifique de Genève. La population entière ne saurait plus s'en passer sans regret, et chaque soir, pendant les mois d'hiver, on voit se presser sur les bancs de la salle du Grand- Conseil un public nombreux, recruté dans toutes les classes de la société ; il suit avec intérêt les profes- seurs qui viennent tour à tour l'entretenir d'histoire, de politique, de littérature, d'arts et de sciences exactes.

C'est dans cette salle du Grand-Conseil que, dans l'hiver de 1860/61, je fis sur les animaux utiles et nuisibles, les bêtes calomniées et mal jugées, quel- ques leçons que je fis paraître en allemand de 1861 à 1864 dans une revue très répandue en Allemagne : Die Gartenlaube (,,la chaumière"). Depuis je les ai ré- unies dans un petit volume j'ai remplacé en partie par des gravures sur bois les grands tableaux dont je me sers ordinairement pour les conférences pu-

PEÉFACE. VII

bliqiies. Telle est l'histoire de ces leçons dont Mr. G. Bayvet et Mr. Reinwald ont voulu donner une édition française.

Je ne pouvais pas songer à présenter dans un cadre aussi restreint un traité complet sur la matière.

D'ailleurs chaque pays possède sur ce sujet d'ex- cellents livres remplis d'observations bien faites, de renseignements exacts et de descriptions détaillées. Les journaux politiques, scientifiques et littéraires publient journellement des articles sur de semblables sujets. Mais ces livres, ces articles ne sont faits en général que pour les personnes familiarisées avec le langage scientifique, ou pour des gens de métier, des forestiers, par exemple, auxquels cela présente un intérêt spécial.

J'ai voulu appeler l'attention des petits proprié- taires, des horticulteurs et des agriculteurs sur un terrain fertile en observations. Ici chacun peut ap- porter sa part d'études ; il suffit d'un peu de patience et d'application pour recueillir des faits curieux,

VIII PRÉFACE.

combler des lacunes dcans la science et avancer même le bien matériel de tous en faisant connaitre les mœurs et le genre de vie de ces petits amis et ennemis de l'économie humaine, avec lesquels nous sommes en contact continuel. Chacun pourra faire de ces observations ; il suffit d'avoir quelques moments de loisir, un'jardin, un champ, une vigne ou seule- ment quelques pots de fleurs sous la main. Ceux qui auront une fois goûté le charme d'une semblable occupation continueront, j'en suis sûr, séduits par les jouissances tranquilles qu'elle procure.

Au moment j'écris ces lignes la nature se réveille pour une vie nouvelle. Les bourgeons des poiriers et des pommiers commencent à s'épanouir. „Je crains bien, me dit le jardinier, que Monsieur n'ait pas beaucoup de pommes cette année." Et pourquoi cela, mon brave? „Parceque les fleurs commencent à se brûler. Le soleil était trop chaud hier avant l'orage. Voyez vous même!" Et il me montre des boutons de fleurs, dont les enveloppes

PRÉFACE. IX

extérieures commencent à se crisper, tandis que quel- ques uns des bourgeons prennent une teinte jaunâtre. Je regarde attentivement le pommier nain dont nous nous sommes approchés. „Ah, brigand, je te tiens !" et au moyen d'une petite pince, que je porte tou- jours sur moi, je retire un petit charançon gris- brun, long tout au glus de trois millimètres, qui se tenait caché sous une écaille soulevée de Fécorce. „Voilà, dis-je au jardinier, un des malfaiteurs. C'est le charançon des pommiers. Ces bourgeons rasés au bout sont son ouvrage et si vous voulez voir son œuf, je vous le montrerai dans ce bouton de fleur, troué près de la tige et qui commence à jaunir.'^ Le jar- dinier fait une figure incrédule. J'écarte avec ma pince les feuilles crispées qui enveloppent les fleurs et j'en retire quelques petites chenilles, les unes vertes à tête noire, les autres d'un rouge brun, qui se démènent sur ma main comme des diables dans un bénitier et cherchent à se sauver en se laissant tomber pendues à un mince fil. En fouillant entre

X PRÉFACE.

les fleurs, je retire peut-être une demi-douzaine de ces chenilles, longues à peine de trois millimètres et grosses comme un fil. Voilà, dis-je au jardinier, les autres ennemis de nos pommiers. Ce sont des chenilles tordeuses que vous verrez grandir aux dépens des fleurs qu'elles sont en train de dévorer. Croyez-vous encore que ce soit le soleil qui les brûle?" Ah, Monsieur, me répond le jardinier, mon ancien maitre m'avait toujours dit que rien n'était plus pernicieux pour les fleurs que de fouiller les bourgeons comme vous le faites. Maintenant je vois que j'avais tort. Maudites chenilles! Être si petites et faire déjà tant de mal ! Mais que faire pour arrêter leurs ravages ? „Laissez seulement agir mes garçons, lui repondis-je. L'un s'occupe d'une collection de coléoptères, l'autre élève des chenilles pour en avoir les papillons. Dans leurs moments de loisir ils vous aideront à chercher les malfaiteurs. Si, au lieu de les chasser du jardin, vous stimulez leur ardeur, vous en verrez les bons effets." Monsieur, répond le jardinier

PRÉFACE. XI

tout ébalii, Monsieur pourrait bien me prêter une pince comme il en a une, je saurai m'en servir."

J'espère que beaucoup de mes pommes seront sau- vées et que bien des lecteurs de mon petit livre pour- ront trouver profit à le lire.

GENÈVE, ce 15 Mars 1867.

C. Vogt.

PEEMIÈRE LEÇON.

Idées fausses sur les animaux nuisibles. Circonscription du sujet. Difficultés de l'observation. Ordre des matiè- res. — Moyens de préservation et de destruction. Mam- mifères in.sectivores. Chauves - souris, Taupes, Musarai- gnes, Hérissons.

Messieurs!

Il y a plus de dix ans, à Nice, un Abbé de mes amis me pria d'examiner les épouvantables ravages commis dans un grand champ d'artichauts par une. armée de chenilles. Nous trouvâmes le propriétaire et tous les siens désespérés ; la moitié de la récolte d'un champ, qui avait au moins un hectare et de- mi, était déjà perdue sans remède. A sa couleur brun-grisâtre et à ses épines blanches et rameuses, je reconnus, au premier coup d'œil, la chenille du chardon ou de la belle-dame (Vanessa cardui), que, dans ma jeunesse, j'avais souvent élevée.

Un fossé à sec coupait le champ en deux ; d'un

côté, il ne restait plus que les tiges des artichauts

flétries couvertes de milliers de chenilles qui man-

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2 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

geaient avec avidité. Les chenilles n'avaient pas en- core traversé le fossé; je conseillai de le remplir d'eau pour arrctèr les progrès de la dévastation, et de se mettre à détruire cette vermine dans la pkrtie attaquée.

Le cultivateur me répondit, en levant les épaules, qu'on ne pouvait rien imaginer de plus insensé, que, huit jours avant, par un fort vent du sud les chenilles étaient venues d'Afrique par-dessus la mer sous la forme de tout petits objets, et qu'ayant traversé la Méditerranée elles ne se laisseraient pas arrêter par un fossé plein d'eau et large de quelque pieds seulement. Je me donnai une peine inutile pour faire comprendre à cet homme le rapport exis- tant entre ces chenilles et quelques papillons af- faiblis qui voltigeaient ça et là. Il s'obstina à leur attribuer une origine africaine, soutint que l'eau ne pouvait pas arrêter leurs ravages, fit dire quel- ques messes contre ce fléau diabolique, et vit dé- vaster la seconde moitié de son champ avec la tran- quille résignation du chrétien crédule et souffrant sans employer aucun moyen de préservation.

Je dois avouer que cet exemple .éveilla mon at- tention. L'ignorance des paysans italiens est sans doute déplorable ; mais nous qui nous flattons d'être

PREMIÈRE LEÇON. 3

plus civilisés, pouvons-nous lever fièrement la tête (levant ce Niçard? N'y a-t-il pas dans le peuple et même chez les personnes instruites d'insurmon- tables préjugés? Le paysan qui cloue à sa porte une buse ou un hibou, et qui paye au taupier quel- ques sous par taupe prise, ne se cause -t-il pas un dommage direct en tuant l'ennemi de ses en- nemis, tandis que l'Italien se contente d'invoquer contre un mal actif un secours impuissant qu'il croit efficace dans sa naïve crédulité?

En voulant parler ici des animaux nuisibles et utiles, des bêtes méconnues et mal jugées, je prends la question dans le sens exclusif de l'égoïsme éco- nomique et humain satis me préoccuper de la grande question du bien et du mal dans la nature. Je me borne aux rapports des animaux avec l'homme que je reconnais, de fait, le tyran absolu de la créa- tion, et je dis: Les ennemis de nos ennemis sont nos amis les amis de nos ennemis sont nos en- nemis — les amis de nos amis sont nos amis comme nous l'apprend le vieux proverbe français. Tout ce qui nous est opposé, nous est nuisible, tout ce qui nous prête directement ou indirecte- ment secours pour la destruction de nos ennemis, nous est utile.

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4 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES,

Je dois attirer l'attention sur ce dernier point. La nature véritable est dans un état réel de guerre; pour exister, chacun livre un combat incessant con- tre des ennemis et des concurrents auxquels, par mo- ments, l'hiver impose une halte qu'on peut appeler la trêve des saisons. Quand nous parlons de paix dans la nature, nous ne faisons que reporter en elle nos sentiments du moment, et nous nous aban- donnons à des illusions motivées par la disposition de notre esprit. Nous aimons à nous coucher tran- quillement dans le frais gazon de la forêt, au bord du ruisseau qui murmure ou dans la mousse épaisse, et nous sommes alors portés à chanter dans notre cœur un dithyrambe pour célébrer la paix de la nature. Et cependant tout autour de nous, dans l'air, dans le gazon, dans la terre, et dans l'eau, la mort veille, et tous les animaux grands et petits dont nous suivons avec plaisir les mouvements, se font une guerre perpétuelle pour soutenir leur propre exis- tence. Voyez ce petit oiseau qui sautille si gra- cieusement de branche en branche et qui, par in- stants, s'arrête pour gazouiller; il semble se livrer à des occupations paisibles, et cependant il nourrit des pensées de meurtre contre les mouches qui se chauffent au soleil sur les feuilles des arbres.

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Le pic que vous entendez cogner au loin, par ses coups, fait sortir des insectes ou des larves pour son dîner. Cette jolie guêpe svelte à ailes vibrantes, l'ichneumon qui volète de fleurs en fleurs, cherche une malheureuse victime pour la transpercer de son aiguillon. Au milieu des travaux et des soins auxquels il se livre pour soutenir sa propre existence aux dépens des autres créatures, l'homme est entouré de combats; non seulement il accepte tout être qui est son allié, cette alliance fut -elle le fruit d'un calcul égoïste, mais il le protège et le respecte sans réfléchir aux autres qualités morales, qu'il pour- rait quelquefois chercher chez son allié. Est-ce que l'ibis honoré par les anciens Egyptiens, est-ce que la cigogne et l'hirondelle protégées en Allemagne et en Suisse, est-ce que ces utiles animaux se nour- rissant exclusivement de bêtes vivantes, sont moins cruelles que le faucon que nous poursuivons de tou- tes les façons ? 11 est vrai qu'il y a une difi'érence ! Les uns ne mangent que des bêtes immondes, nui- sibles ou incommodes, tandis que les autres dévo- rent des animaux que nous nous proposons de man- ger nous mêmes !

Je limite donc l'objet de ces leçons aux animaux utiles ou nuisibles à l'homme. Il faut même que je

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borne plus étroitement la matière, car elle dépas- serait de beaucoup les courts instants qui nous sont accordés. Je mets de côté les animaux parasites de toutes espèces et les bêtes domestiques ; je ne m'oc- cupe pas du gibier, je laisse les animaux qui vi- vent principalement dans les bois aux forestiers qui, par leurs fonctions, s'en occupent nécessairement. Je n'examine que les êtres présentant un intérêt majeur pour l'agriculture et le jardinage.

Même dans de si étroites limites le sujet est ex- trêmement vaste et permet à notre fantaisie toutes soi'tes développements.

Dans l'espace de quelques leçons il est impossible de nommer et de caractériser en peu de mots tous les amis et ennemis, grands et petits, de l'agricul- ture. Je suis donc forcé de faire un choix, qui m'est dicté par la situation spéciale de l'Europe centrale et plus particulièrement par quelques considérations de justice.

Il en est du monde animal comme de la société humaine, certains animaux valent mieux que leur réputation; d'autres, sont à tort estimés et proté- gés et ne méritent ni les soins ni le respect que l'homme leur accorde.

J'insisterai particulièrement sur les animaux mé-

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connus et calomniés qu'on méprise sans raison, qu'on poursuit à tort par suite de leur vie secrète €t nocturne, de leur vilaine apparence, de leur odeur désagréable ou même à cause de vieilles légendes menteuses, de fables étrangères, qui se perpétuent chez nous; je chercherai à combattre également la réputation usurpée de bonté que d'autres bêtes ont eu la chance de se faire donner sans raison.

Malgré toutes les instructions qui ont été pu- bliées depuis quelques dizaines d'années, il reste en- core un champ assez vaste pour celui qui cherche à faire pénétrer dans le peuple la connaissance des faits recueillis par la science. C'est pour cela que j'attache plus de prix à éveiller l'attention de mes lecteurs, à leur inspirer le désir d'observer, qu'à leur communiquer ce qui à déjà été observé.

Celui qui a appris une fois à connaître combien il y a de charme à étudier la vie et les habitudes de ces petits êtres qui circulent dans nos champs et nos jardins, aura de la peine à s'arracher à cette occupation, quoiqu'elle présente des difficultés, et demande beaucoup de temps. La patience est ici la première qualité dont l'observateur doit s'armer; de la patience pour contempler pendant des heures immobile, en plein soleil, les infatigables mouvements

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d'un insecte qui bourdonne en tout sens; de la patience pour ne pas déranger, en le regardant à la loupe, le coléoptère qui cherche à introduire son œuf dans le sein d'une plante; de la patience et de la critique dans l'observation, car, en négligeant certaines circonstances peu importantes en appa- rence, on peut arriver à un résultat contraire à la réalité. L'attention la plus scrupuleuse de la part de l'observateur ne peut pas toujours éviter de sem- blables fautes qui viennent du manque de connais- sances suffisantes en histoire naturelle. Citons un exemple.

Un jardinier soigneux trouve sur une certaine plante qui lui est chère, des excroissances, des galles, -habi- tées par des larves sous forme de vers. Pour ap- prendre à connaître le mal dans son origine, il soigne ces galles jusqu'à la transformation et l'éclosion des vers, et à la fin il a la joie devoir sortir des chrysa- lides une jolie petite guêpe couleur d'or. Y a-t-il une conclusion plus naturelle que celle-ci: Cette guêpe, par sa piqûre, a déterminé l'excroissance oii elle a introduit ses œufs, pour qu'ils s'y transformas- sent eu vers et eu chrysalides. Cependant, la con- clusion est fausse dans ce cas spécial. La guêpe qu'on a élevée appartient à la famille des ichneu-

PKEMIÈEE LEÇON. ^ raonides ou mouches vibrantes qui déposent leurs œufs dans les œufs et les larves des autres insectes, pour qu'en parasites elles se nourrissent aux dépens d'autrui. L'ichneumon-mère s'est posée pendant quel- ques instants sur la galle, et ce moment fatal a échappé à notre observateur. L'ichneumon a accompli son œuvre. Au moyen d'une longue tarière qu'elle porte à son extrémité postérieure, elle a percé non seulement l'excroissance due à un tout autre insecte, à une guêpe gallicole ou Cynips, mais même la larve vivante de son régulier propriétaire; elle y a déposé un œuf et a donné à sa progéniture le ' moyen de se développer à la place de la larve de la gallicole.

Après de trop fréquentes complications de ce genre, peut-on s'étonner encore si nous connaissons incomplètement la vie de tant d'insectes communs dont les ravages nous causent des dommages consi- dérables, et si de cette ignorance résulte naturelle- ment pour rhomme l'impossibilité de combattre ces ennemis? De mille espèces on ne connaît ici que la larve, là, que l'insecte complet ou même un seul des sexes diversement conformés. Les conditions vitales de la plupart des espèces dans tel ou tel état de leur transformation sont généralement fort

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peu connues. Pour le plus commun de nos petits ennemis, le hanneton, on ne sait pas encore au- jourd'hui avec complète certitude, si la durée de sa vie embrasse une période de trois ou de quatre ans ; si, dans la Suisse républicaine, il acquiert son développement et la faculté de reproduction, un an plus tôt que dans la monarchique Allemagne, sa croissance semble demander beaucoup plus de temps sous la haute tutelle de l'autorité.

Vous voyez donc qu'il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine, et tous ceux qui peuvent fréquen- ter un petit champ ou un jardin, qui cultivent quel- ques pots de fleurs sur leur fenêtre, sont en état, s'ils veulent s'en donner la peine et le loisir, d'ap- porter leur contingent à l'enrichissement de la science.

Pour mes leçons j'ai choisi l'ordre de la classi- fication zoologique, et je suppose que le lecteur en connaît les points les plus importants; car, dans le peu de temps qui m'est accordé, il m'est impos- sible d'entrer dans les détails de l'histoire naturelle. On peut d'ailleurs les trouver dans tout manuel. Le système naturel se fondant sur la communauté d'organisation réunit à cause de leur parenté les animaux qui ont les plus nombreux caractères com- muns ; de même il rapproche les animaux dont les

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mœurs et les habitudes se ressemblent dans leurs traits généraux, car les mœurs sont le résultat de l'ensemble de l'organisation. Quand certaines par- ticularités concordent dans la construction du corps, les habitudes et les traits généraux des fonctions intelligentes doivent également concorder.

J'avoue qu'il serait plus agréable pour beaucoup de gens de voir la matière divisée d'après les dif- férentes plantes cultivées ou suivant certaines ha- bitudes saillantes des animaux. Mais beaucoup d'ob- stacles s'opposent à cette division. Des espèces très- différentes peuvent habiter sur la même plante, et, par contre, la même espèce peut avoir un cercle /d'action très-étendu. Les vers blancs et les courti- lières rongent toutes les racines sans distinction, et le chêne allemand, l'arbre noueux des terrains hu- mides, a plus de parasites que tous les autres arbres de notre zone pris ensemble.

Je dirai peu de mots des moyens préservatifs ou défensifs accueillis trop souvent par tout le monde avec une foi aveugle. Quand on connaît exactement les animaux et les particularités de leur vie jusque dans ses plus petits détails, les moyens de nous dé- fendre contre nos ennemis et de protéger nos amis se présentent d'eux-mêmes à l'esprit avec un peu

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de réflexion ; si on ne les connaît pas, on battra l'eau, et mieux vaut s'armer de résignation que d'emplo- yer des moyens mal raisonnés. On ne saurait croire combien on a déjà commis de fautes semblables et combien on en commet encore chaque jour. On pro- clamerait fou sans hésitation le paysan qui atta- cherait aux branches d'un arbre un piège à taupe, dans l'espérance que la taupe volera après l'appât suspendu. Mais on propose avec un grand sérieux de détourner la puce de terre (Haliica) des plan- tes qu'elle menace, en entourant les semis de ga- zon. On suppose que les puces s'y égarent et ne doivent pas aller plus loin. La plus simple obser- vation nous montre que ces petits animaux, après avoir dévoré une planche, s'envolent pour aller sa- tisfaire leur appétit sur une autre. Beaucoup de ces moyens sont involontairement adaptés à la nature humaine; c'est comme si on voulait chasser les mou- ches de viandes, les vautours et les corbeaux par l'odeur de la charogne, si repoussante pour les hom- mes. Dans de rares cas, l'homme peut, par son seul travail, combattre avec efficacité les ravages que ses ennemis commettent à son grand préjudice. Le plus souvent, au contraire, il doit se borner à ne pas dé- truire volontairement les aides que la nature lui

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offre, ou même il doit chercher à les propager par des soins assidus. Les ratiers de la France, tous ensemble, ne prennent pas en un an autant de sou- ris des champs que les hibous des Vosges en un mois, et les ratiers se font payer, tandis que les oiseaux de nuit font la besogne gratis. Ne vaudrait- il pas mieux conserver les hiboux au lieu de les poursuivre? ne vaudrait -il pas mieux employer à élever des chasseurs naturels de souris l'argent qu'on donne aux ratiers? L'exemple que je cite se rapporte à des ennemis proportionnellement très- gros ; mais comment s'y prendre quand nous avons af- faire à ces petits ennemis qui échappent presque à nos yeux, et dont nous ne pouvons nous emparer qu'avec de grands efforts et après de longues recher- ches: en pareille ocurrence, la lenteur démesurée de nos moyens devient un obstacle. Prenons un exemple.

Le professeur Fabre d'Avignon qui a étudié avec une merveilleuse patience la vie d'une espèce de guêpe fouisseuse du genre Cerceris, et que j'aurai encore l'occasion de cité- plus loin, avait remarqué qu'elle choississait comme victime un charançon que sa cou- leur noire et sa longueur de 5 à 6 lignes rendent aisé- ment visible à Tceil nu. Une guêpe à laquelle, il avait

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enlevé son charançon, mettait en moyenne dix mi- nutes à apporter un autre coléoptère. Pour complé- ter ses observations par un essai, il voulut réunir quelques charançons vivants qui n'avaient pas en- core été aiguillonnés par une guêpe. „Vignes, champs de luzerne, terres à blé, haies, tas de pierres, bords des chemins", dit-il, „j'ai tout visité, tout scruté; et après deux mortelles journées de recherches minutieuses j'étais possesseur, oserais-je le dire, j'étais posses- seur de trois charançons tout pelés, souillés de pous- sière, privés d'antennes ou de tarses, vétérans éclo- pés, dont les Cerceris ne voudront peut - être pas. Puissance admirable de l'instinct ! Dans les mêmes lieux et dans bien moins de temps, c'est par cen- taines que nos guêpes auraient trouvé ces charan- çons introuvables pour l'homme. Elles les auraient trouvés frais, lustrés, récemment sortis sans doute de leurs coques de nymphes." Ce seul exemple peut suffire pour vous montrer combien l'homme seul est impuissant contre ces petits ennemis. S'il s'agit de détruire quelques animaux, le plus souvent la peine et le temps employés ne sont pas en rapport avec le dommage empêché. S'il s'agit d'en détruire ^de grandes quantités, quand les hannetons, les saute- relles ou les chenilles font de grands ravages, il con-

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vient réellement mieux de faire agir en toute liberté les moyens relativement sauvages et grossiers sur lesquels nous commandons.

Mais alors se présente un autre inconvénient ; de cette vermine qu'on veut détruire, une partie échappe à la destruction, et en se multipliant laisse le germe de nouveaux dommages; on croit souvent avoir obtenu un grand résultat et on voit dans la ces- sation du mal, l'année suivante, la preuve évidente de l'efficacité des moyens employés ; mais on oublie que l'ennemi met trois ans à se développer, et que, dans trois ans seulement, de nouveaux ravages nous montrerons combien d'ancêtres de ces nouveaux dé- vastateurs ont échappé à nos recherches.

Je dois cependant abandonner ces considérations générales qui, plus tard, viendront d'elles-mêmes, quand nous serons bien maîtres des faits, à leur ap- pui, et je vais commencer l'examen spécial d'une seule classe du règne animal, les mammifères.

Parmi les mammifères spécialement méconnus et poursuivis à tort, viennent, en première ligne, les Insectivores. La plupart de ces petits mammifères sont d'un extérieur laid et même repoussant, me- nant autour de nous une vie nocturne et cachée, ils excitent contre eux to.us les préjugés qu'inspi-

16 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

rent les animaux nocturnes. On voit ici la vérité du vieux dicton, que la nuit n'est pas l'amie de I homme. Tout ce qui voltige ou rampe la nuit est haï et détesté par le sentiment populaire sans plus ample recherche, et il est extrêmement difficile de persua- der à la multitude que le mouchard et l'agent de police ne peuvent pas se livrer à leurs recherches à la lumière du jour, quand ils veulent se mettre sur la piste d'un criminel qui travaille la nuit. Il faut bien alors qu'ils le suivent dans l'ombre.

La chauve - souris^ le hérisson^ la musaraigne et

la taupe sont les quatre types di- vers qui représen- tentles insectivores dans notre zone. Un coup d'œil dans la gueule ouverte de ces animaux nous convainc de suite que ces animaux ne peuvent être que carnassiers, plus carnassiers encore, si on peut s'exprimer ainsi, que le chien et le chat, que la clas- sification générale nomme par excellence carnassiers. Les deux mâchoires sont hérissées de pointes et de crocs aigus. Des dents comme des poignards s'élè-

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vent tantôt à la place des canines, tantôt tout à fait par derrière au-dessus du niveau des dents mâchelières. Des pyramides aiguës, dont les poin- tes ressemblent à une scie à . double rang, alter- nent avec des dents qui ont quelque ressemblance avec la lame d'un couteau de poche. Cette conforma- tion prouve que ces dents sont destinées à saisir et à percer même des insectes à enveloppe dure comme les coléoptères. Ces caractères ne trompent pas, et de même que Brillât Savarin pouvait écrire: „Dis- moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es", de même on peut dire des mammifères: „Montre-moi tes dents, je te dirai ce que tu manges." Les in- sectivores ne mâchent ni ne broyent avec les dents, ils mordent et perforent. La couronne de leurs dents n'est point usée en haut par le frottement de la mastication, mais au contraire aiguisée par l'oppo- sition des dentelures. Si on prend la peine de compa- rer le râtelier d'un petit rongeur, d'un rat par exem- ple, avec celui d'une chauve-souris ou d'une taupe^ les caractères distinctifs des deux sautent claire- ment aux yeux. Le râtelier d'une chauve- souris grossi à la grandeur naturelle de celui du lion présente- rait un effroyable instrument de destruction.

La voracité de tous ces animaux dépasse beau-

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coup celle des carnassiers proprement dits, et on croit, au moins pour plusieurs d'entre eux, qu'ils con- somment chaque jour un poids de nourriture égal à leur propre poids, ce qui me paraît un peu exa- géré. Mais ils sont petits, peu visibles, et ils doi- vent généralement chercher leur butin dans le cercle des animaux oii les ennemis de l'homme sont les plus nombreux. Il leur arrive quelque fois, il est vrai, de saisir une plus grosse proie la taupe en- traîne sous terre une grenouille, le hibou dérobe un nid de cailles place sur le sol, avec les petits qu'il renferme, mais ce ne sont que des exceptions, des régals extraordinaires, et, dans la vie habituelle, ces petits carnivores sont obligés de satisfaire les exi- gences de leur insatiable estomac en chassant, sans repos ni trêve, des insectes, des colimaçons et des vers.

Les chauves-souris tiennent le premier rang. Que n'a-t-on pas fait de ces infortunés chéiroptères ! Le législateur juif les tenait pour des animaux impurs et maudits, les Grecs leur empruntaient les ailes des harpies, les Chrétiens, celles du diable. Un ef- froi général s'empare de toute réunion quand un de ces pauvres animaux s'est égaré dans le voisinage, attiré peut-être par l'éclat de la lumière autour de

PREMIÈRE LEÇON. 19

laquelle on est attablé au frais, le soir d'une chaude journée d'été.

Pour les gens crédules son approche est déjà un mauvais signe, et les plus braves d'entre les dames excusent leur frayeur en soutenant que ces bêtes se mettent dans les cheveux, crainte sans doute légitime, s'ils sont peuplés d'insectes.

Il est vrai que ces chéiroptères noctîirnes ne sont ni beaux ni gracieux. Cette peau lisse, noirâtre et mince qui est tendue entre leurs doigts allongés, comme le talietas d'un parapluie entre ses baleines, ces ongles affreux aux pieds de derrière, ce corps gris de souris, ces appendices nus de la face parmi lesquels le nez et les oreilles sont souvent conformés d'une façon bizarre, ce vol étrange, interrompu, sans direction déterminée, autour des buissons et des arbres, cette apparition sans bruit et cette dispa- rition dans le silence de la nuit, enfin ce cri aigu et rapide que toutes les oreilles ne peuvent pas supporter, tant le ton en est élevé, ne sont pas faits pour attirer à ces animaux l'amitié de l'homme.

Nous avons néanmoins dans nos contrées beaucoup d'espèces de ces mammifères volants; chacune d'elle a ses habitudes, son vol. Les unes, comme le fer- à-cheval, sont sensibles au froid, paraissent tard, vo-

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lent lentement et bas par les temps secs et chauds, et passent volontiers le jour dans les trous des vieilles masures. Les autres, comme les oreillards, choisis- sent les bosquets, les bois, les forêts. La harhastelle poursuit les insectes qui voltigent sur l'eau, tan- dis que la nodule et la pipistrelle fendent l'air comme l'hirondelle, et comme la chauve-souris or- dinaire, préfèrent à toute autre retraite les maisons et surtout le chaud abri des cheminées. On le re- connaît bien lorsqu'on voit des noctules accourir de localités éloignées pour se rassembler dans un lieu qui leur plaît, et, pendant rhivernage, y dormir réunies en grand nombre pendues par les pieds, la tête en bas. Il y a quelques années au château de Lucens, près de Morges en Suisse, on avait fait du feu dans une cheminée qui n'avait pas servi depuis longtemps. Le feu ne voulait pas prendre. La flamme de bois et de copeaux bien secs rentrait avec la fumée dans la chambre. Dans la cheminée s'éleva tout - à - coup un bruissement étrange, un frôlement singulier. Quelques chauves-souris tombaient rôties dans la flamme, d'autres, à demi brûlées, voletaient anxieusement dans la chambre ; enfin, au dehors, s'é- leva de la cheminée un véritable nuage de chauve- souris, qui, tourmentées par le froid, cherchaient un

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refuge ; et il y en avait tant que toutes les chauves- souris, tous les animaux nocturnes du pieux canton de Vaud semblaient s'être donné rendez-vous pour passer ensemble leur sommeil d'hiver dans la che- minée de Lucens.

C'est parce qu'elles choisissent de préférence l'abri des cheminées, qu'on fait, à tort, aux chauves-sou- ris ordinaires, la réputation de manger le lard et les saucisses dans les cheminées les paysans les fu- ment. En hiver, quand le lard et les viandes fumés sont pendus dans la cheminée, l'animal engourdi dort .paisiblement à côté, et n'éprouve ni faim ni soif. A l'aide des vigoureux ongles crochus de ses pieds postérieurs il s'est accroché n'importe où, la tête et « le corps enveloppés de ses ailes comme d'un vaste manteau, et engourdi, immobile, il attend le soleil réchauffant du printemps, qui rappelera en même temps à la vie le monde des insectes. Alors il cherche sa nourriture, et une douzaine de hanne- tons bien dodus ne sont pas de trop pour une noc- tule, ou 60 à 70 mouches pour le repas du soir d'une chauve-souris oreillard, si on la laisse agir à sa guise. Même dans la captivité, elles ne pren- nent que des insectes vivants et au plus un peu de lait. On ne saurait mieux faire pour purger de mouches

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une chambre ou une cuisine, que d'y garder, le jour, un rouge-gorge, et la nuit, une chauve -souris. En liberté, les chauves - souris sont les plus insatiables chasseurs. Elles s'occupent à détruire les hannetons et les scarabées et poursuivent hardiment tous ces papillons de nuit dont les chenilles causent de si grands ravages, et que nouS connaissons sous les noms de phalènes, arpenteuses, tordeuses, teignes et autres. La livrée, les bombyx cul-d'or, cul-brun et feuille-morte dont les chenilles ravagent nos arbres et détruisent tant de fruits, sont des friandises pour ces pauvres animaux qui passent cependant pour nos ennemis, et qui chassent tandis que nous pouvons, dans un doux sommeil, rêver aux pommes et aux poi- res qu'ils défendent pour nous. Qu"on ne se laisse donc plus égarer par des récits de vampires et de fantastiques lutins, quaud même il y aurait dans les contrées méridionales des chauves - souris qui boivent et sucent le sang jusqu'à l'épuisement de bêtes et gens; nous ne vivons pas sous les tropi- ques, et les espèces de nos pays n'ont soif que du sang blanc et froid des insectes qui bourdonnent. Elles ne veulent pas du sang chaud et rouge de l'homme vivant.

Les chauves -souris ne tètent pas le lait au pis

PEEMIÈRE LEÇON. . 23

de la vache' ou de la chèvre, et ne donnent pas non plus aux enfants, comme on le croit en maint en- droit, des poux ni des gales. Elles sont, il est vrai, iiffligées de parasites particuliers appelés Nijdéri- bies, qui ressemblent à des araignées à six pattes, mais qui vont aussi peu sur l'homme que les poux des pigeons et des poulets, dont cependant le pou- lailler et le pigeonnier sont pleins.

Si la chauve- souris est un infatigable chasseur dans les airs, la taupe sous terre ne chasse pas moins activement les vers rouges, gris et blancs. L'animal est bâti pour fouiller ; son corps épais et vigoureux, sa fourrure fine, sa queue courte, son mu- seau conique, sa longue trompe extrêmement déli- cate, qui est spécialement soutenue par un os par- ticulier, et se termine par un large disque cartila- gineux, ses larges pio^s fouilleurs en forme de pelle, ses yeux extraordinairement petits, entourés et pro- tégés par des poils, le manque d'oreilles externes, tous ces caractères lui viennent en aide pour sa vie et ses travaux continuels sous terre; mais tous ces caractères ne disent rien sur la nourriture de la taupe, car il y a aussi des souris fouilleuses qui ne remuent pas la terre avec moins de vigueur et mangent principalement les racines. La taupe ne doit-

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elle pas chercher une même nourriture ? Pour acqué- rir une certitude, examinons le système dentaire. Vingt-quatre dents toutes tranchantes et pointues, des canines semblables à des poignards, des mâche- lières semblables à des couronnes murales ou à des scies, cela ressemble-t~ il à la mâchoire d'un her- bivore? Et cependantl'o- pinion presque générale des paysans et des jar- diniers est encore aujourd'hui : que la taupe mange les racines, tandis qu'il nous paraît impossible de comprendre comment, avec ses dents aiguës, propres seulement à déchirer, elle pourrait broyer les fibres des plantes. Vox populi, vox Dei! Peut-être la, taupe mange-t-elle aussi des racines malgré sa mâ- choire de carnassier? Peut-être forme-t-elle une ex- ception dans l'ordre des mammifères ? Mais ce qu'elle a mangé, elle doit l'avoir dans l'estomac Regardons dans l'estomac. Nous trouvons dans le magasin ali- mentaire des tronçons de vers rouges à moitiés di- gérés, des fragments de téguments jaunâtres que nous reconnaissons sans peine pour les débris de la tête, des pinces et des pattes du ver blanc, des élytres-, des anneaux, des pieds et d'autres débris cornés et

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indigérables, de la carapace des coléoptères, des cuirasses de mille -pieds et autres larves souter- raines, des insectes de toutes espèces, mais jamais une fibre de plante, une feuille, un morceau d'écorce ou de bois, pas une trace de matières végétais-, même avec le microcospe on réussit difficilement à découvrir, çà et là, des cellules de végétaux prove- nant de l'intestin des animaux avalés, dont l'estomac nous offre les débris. J'ai disséqué des douzaines de taupes sans jamais rencontrer un fragment végétal dans l'estomac ou l'intestin.

L'examen des taupes captives ji'est pas moins con- vaincant. M. Flourens, le secrétaire actuel et perpé- tuel de l'Académie des sciences à Paris, fit l'expérience physiologique suivante: il avait enfermé, dans un ton- neau, deux taupes vivantes et leur donnait pour nour- riture des racines et des navets, pensant qu'elles étaient herbivores. Le lendemain il ne trouva d'une des deux taupes que la peau, retournée, le reste était mangé, les racines au contraire intactes, quoique la taupe parut très-inquiète et très-affamée. M. Flourens introduisit alors dans le tonneau un moineau auquel il avait arraché les plumes des ailes. La taupe le flaira tout autour, en reçut quelques coups de bec, puis se précipita aveuglément sur lui, lui déchira le ven-

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tre, grandit l'ouverture avec ses ongles et eut en peu de temps dévoré,, avec une sorte de rage, la moitié de ce que contenait la peau.^M. Flourens introduisit alors un verre d'eau complètement plein; il vit la taupe se dresser contre le verre, se tenir au bord avec ses pieds de devant et boire avec avidité; puis, elle mangea encore un peu du moineau et fut pleinement repue. Il lui enleva l'eau et les restes de l'oiseau; six heures après elle était déjà affamée, inquiète et affaiblie; avec son nez,, elle flairait con- tinuellement de tous les côtés. A peine eut-on in- troduit un autre moineau vivant qu'elle se jeta sur lui et le mordit à l'abdomen pour arriver de suite aux intestins. Après qu'elle en eut dévoré la moitié et bu copieusement, elle parut rassassiée de nouveau et resta tranquille. Le lendemain, le reste était dé- voré jusqu'à la peau, et cependant, la taupe avait encore faim. Elle mangea de suite une grenouille en commençant toujours par les intestins. Le sur- lendemain, comme elle avait faim, on lui donna un crapaud. Dès qu'elle approcha du crapaud, celui-ci se gonfla et la taupe détourna son museau, comme si elle éprouvait un dégoût invincible; alors on ne lui donna que des carottes, des choux et de la sa- lade. Le jour suivant elle était morte de faim, sans

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avoir rien touché. A la suite de cela trois tau- pes furent réduites à des racines et à des feuilles. Elles moururent de faim toutes trois. Plusieurs au contraire nourries de moineaux vivants et de gre- nouilles ou de viande, de vers rouges, de cloportes •qu'elles aiment particulièrement, vécurent très-long- temps. Lorsque les taupes attaquent les racines^ c'est qu'elles trouvent au millieu d'elles des vers^ des insectes et surtout des larves.

Oken ajoute à ce résumé de Flourens : „Pendant trois mois j'ai eu une taupe dans une caisse pleine de sable. En fouillant elle y circulait presque aussi rapidement qu'un poisson dans l'eau, le museau en avant, les pieds de devant jetant le sable de côté, tandis que les pieds postérieurs le repoussaient par derrière. Je lui donnai dans des soucoupes de l'eau et de la viande coupée tantôt crue, tantôt cuite, comme je l'avais sous la main. Elle ne montrait pas une avidité extraordinaire. Elle ne touchait ni au pain ni aux matières végétales. Du reste, elle se portait bien et travaillait presque sans interruption dans son sable. Je parvins à m'en procurer une seconde que je mis avec elle. A peine se furent-elles aperçues qu'elles se jetèrent l'une sur l'autre, se saisirent avec leurs mâchoires et se mordirent pendant quel-

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ques instants. La nouvelle se mit alors à fuir, l'an- cienne la chercha partout en traversant le sable avec la rapidité de Téclair. Je fis à la seconde un espèce d'abri dans un verre que je mis, pendant la nuit^ dans la caisse ; le lendemain matin elle était morte dans le sable, mais elle n'avait pas été entamée, elle était sans doute sortie du verre et avait été tuée par l'autre, évidemment pas par faim, mais par mé- chanceté naturelle. La mâchoire inférieure, de cette taupe, plus faible, était brisée en deux. Le surlen- demain, l'autre était également morte sans blessures, mais, à ce qu'il me sembla, de l'excitation et de l'épuisement du combat."

Nous avons donc, de toutes les façons, la preuve que la taupe est un animal purement carnassier, qu'elle peut tout au plus nuire aux plantes et no- tamment aux prairies par les souterrains qu'elle pra- tique, qu'elle est l'ennemi insatiable de tous les ani- maux qui vivent sous terre et qui, comme les vers gris, rouges et blancs, attaquent les racines des plantes utiles. La taupe est un animal féroce, harg- neux, insociable, qui livre des combats à mort à toutes les créatures vivantes qu'elle rencontre sur son chemin, voir même à ses semblables, et qui passe toute l'année à chasser.

PREMIÈRE LEÇON. 29

Le solide fort qu'habite la taupe, est un édifice tout particulier et très-artistement construit. D'or- dinaire il est situé dans un endroit abrité, sous une haie, un mur ou entre les racines d'un arbre à la profondeur de trois pieds au-dessous du sol. Au

Habitation de la taupe.

a. Trou de sortie habituel, b. Conduit en forme de siphon qui mène à c. Chambre, d. Conduits qui rayonnent vers e. Chemin circulaire infé- ; ieur. f. Conduits.ascendants qui relient le chemin circulaire inférieur à Chemin supérieur, h. Conduits de communication de ce chemin à la

chambre c.

milieu se trouve une chambre bien lissée à l'inté- rieur affectant la forme d"une bouteille; elle est rem- bourrée de mousse et de tiges d'herbes fines que la taupe recueille la nuit sur le sol. La chambre a différentes issues : vers le bas un conduit en forme

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de siphon devient plus loin horizontal et débouche dans le tube de sortie commun ; en haut, trois con- duits courts mènent dans un chemin circulaire à quelques pouces au-dessus de la chambre. De ce cer- cle supérieur cinq à six petits tubes conduisent à un second chemin circulaire qui entoure la cham- bre et est à peu près au même niveau. Du grand chemin de ronde inférieur rayonnent en tous sens souvent jusqu'à douze conduits qui, après un petit parcours, se courbent et débouchent tous dans le tube de sortie commun. De cette façon la taupe a, de tous côtés dans sa chambre, des issues qui lui permet- tent de se sauver dans toutes les directions sitôt qu'un danger la menace. Le tube de sortie est un chemin large, bien battu et lissé en dedans, qui a souvent 100 et 150 pas en direction horizontale, et c'est à son extrémité que commence en réalité le terrain de chasse reconnaissable aux buttes sou- levées. La taupe ne chasse jamais dans le voisi- nage immédiat de sa demeure. Elle va s'y reposer quand elle a fini son repas. Au moins trois fois par jour elle court chercher son gibier et quand on connaît le conduit de sortie, indiqué par une teinte plus jaune du gazon, on peut facilement observer l'entrée et la sortie de la taupe et la grande rapi-

PREiMIÈRE LEÇON. 31

dite avec laquelle elle se meut dans son tube; il suffit d'y introduire des pailles très minces armées de petits pavillons qui, en remuant, indiquent sa marche. Malheur à la pauvre souris ou à la mus- araigne égarée dans un semblable conduit, elle est perdue sans ressource; malheur aussi à la taupe plus faible que la maître^e du logis rencontre sur son chemin. Après un rude combat, pour prouver qu'elle aime son prochain, elle le mangera, fut-il son enfant.

Au bout du tuyau de sortie commence le terrain de chasse qui se compose de chemins, sans régula- rité, creusés tout en chassant, car la taupe pousse la terre devant elle et, en la rejetant dehors, forme des buttes de distance en distance. A chaque chasse elle creuse de nouveaux chemins, rejette de nou- velles buttes, et il est rare qu'elle repasse une se- conde fois dans le même endroit. Les taupiers ha- biles savent très -bien cela, aussi placent -ils leurs pièges dans le tube de sortie même oii la taupe passe au moins six fois par jour au grand étonne- ment des profanes qui voient placer lea pièges dans des endroits l'on ne voit aucune taupinière.

Les liens de famille sont peu de chose pour la taupe; elle n'en a pas moins la jalousie d'un vrai

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Barbe- bleue. Au printemps, elle circule pour cher- cher une femelle et s'en empare par la force; si un rival s'approche, la femelle est promptement enfermée dans un endroit d'où elle ne peut pas fuir, et le mâle s'avance courageusement contre celui qui veut troubler sa paix. Dès que les deux rivaux se rencontrent dans un espace rapidement creusé sous terre, ils se livrent un violent combat qui se termine par la mort ou la fuite du plus faible. Connaissant sans doute cette vérité si sou- vent méconnue par les hommes que les morts seuls ne reviennent pas, le vainqueur commence par dé- vorer le vaincu avant de retourner vers son épouse tremblante. Il construit alors, dans un endroit abrité, un nid thaud et bien rembourré, dans lequel les époux vivent Ifidèlement et amoureusement. La tendresse matrimoniale doit être si grande pendant la lune de miel qu'on dit avoir trouvé des mâles morts de douleur dans le voisinage de l'endroit uu la femelle avait été prise. Des passions si vives ne durent pas longtemps d'ordinaire; dès que les pe- tits, qui abandonnent le nid au bout de deux mois, sont venus au monde pelés et lourdauds, le papa semble ennuyé de leurs cris. 11 abandonne bientôt la famille pour mener de nouveau la vie de gar-

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çon, jusqu'à ce qu'au printemps prochain l'amour tout-puissant le pousse dans les bras d'une autre épouse.

Et maintenant que nous connaissons la vie et la nourriture de la taupe, examinons si cet animal est réellement aussi nuisible qu'on le croit ou qu'on pourrait le croire d'après les poursuites incessan- tes auxquelles il est victime. Sur les buttes soule- vées dans les prairies par ce fouilleur infatigable, quelques brins d'herbe sont bien déracinés, mais ils reprennent vite dans cette terre parfaitement divi- sée, et si on les laisse faire, ils donnent de la con- sistance aux taupinières dont la grande quantité em- pêche de faucher le pré. Pans les jardins, l'apparition |ide la taupe n'est pas agréable; beaucoup de jeunes plantes sont soulevées et se fanent si le jardinier n'est pas là, à temps, pour comprimer la taupinière. Mais ces ennuis peuvent -ils être comparés aux dommages que les vers et les larves sont en état de causer? Ne voit-on pas souvent toute une partie de pré fanée et séchée, parce que les vers blancs ont mangé les racines? Ne faut-il pas, dans maint jardin, combattre avec acharnement ces voraces ennemis qui dévastent même les pépinières et les planches de ro- isiers en coupant des racines grosses comme le doigt?

3

34 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

Un léger examen nous montre que la taupe, pour' apaiser sa faim, mange en moyenne une quantité de larves équivalente à la moitié de son propre poids et qu'elle doit, par conséquent, en détruire une immense quantité, cent fois plus que nous n'en saurions détruire nous-mêmes. Les jardiniers anglais ont triomphé du . mauvais vouloir général contre les crapauds en sig- nalant l'utilité singulière de ces animaux, et ils les ; emploient aujourd'hui à faire la chasse aux colimaçons. . Nous pourrions aussi bien faire des taupes les gardiens i de nos jardins. Puisqu'elles se reprennent si aisément,, il serait facile, au printemps, de leur faire, pendant: quelques temps, nettoyer nos jardins et nos prairies î de cette vermine souterraine, qui nous cause tant deî dommages. Je connais des cultivateurs qui suiventt cette pratique et s'en trouvent bien. Ils donuenti volontiers quelques sous pour une taupe vivante; qu'ils placent dans un champ ravagé par les vers? gris et blancs; et ils ne reculent pas devant la peine; de suivre chaque jour les taupinières, de les foulerr ou de les étendre au râteau, et enfin de reprendre? la taupe sitôt qu'elle a fait sa tâche. Je connais,, à dire vrai, des pays entiers tout au contraire? l'autorité donne une prime pour chaque taupe prise,, et j'ai entendu parler d'un propriétaire qui avait;

PREMIÈRE LEÇON.

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une sorte de rage fanatique contre les taupes. Il en faisait prendre une grande quantité. Un beau jour il eut l'idée de choisir, parmi elles, celles d'une variété gris -argent, pour en faire une pelisse au roi. Il avait, en l'offrant à sa Majesté, la ferme con- viction d'avoir gagné Tordre du mérite par ses no- bles efforts en faveur de l'agriculture. Il obtint un froid remerciment pour ses fourrures qui perdaient leur poil, et ses champs furent affreusement ravagés par une masse de vers blancs.

La musaraigne est proche parente de la taupe, mais elle ne travaille pas exclusivement sous terre. Elle est de même intrépide, hargneuse, vorace et carnassière, et aussi infatigable pour chasser les lar- ves, les insectes, les vers et les jeunes souris qu'elle

nue presque sans poils, et par une odeur musquée que répand une poche latérale -, mais sa malheureuse ressemblance lui attire fatalement les mêmes ennemis, quelques uns cependant, et notamment les chats, la

Crâne de la musaraigne an double de la grandeur naturelle.

dévore avec un appétit incroyable. Elle se dis- tingue de la souris par Son museau pointu, sa mâchoire hérissée de dents aiguës, sa queue

36 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

tuent simplement sans la manger. La musaraigne des maisons seule s'attaque à la viande sèche, au laitage.- Toutes les autres espèces habitent les champs, les bois, les jardins, les écuries et les granges. La mus- araigne d'eau poursuit dans l'eau les écrévisses, les grenouilles et les poissons, mais avant tout, les in- sectes et les vers. J'ai' souvent observé qu'elles se querellaient avec force morsures à propos d'une proie quelconque; elles n'en méritent pas moins (j'entends les espèces des champs et des bois) notre attention et nos soins, car elles rendent à la surface et dans sa couche supérieure du sol les mêmes services que la taupe à une plus grande profondeur"; on pourrait bien ne pas manifester la même tendresse pour les musaraignes d'eau, car des observations positives ont prouvé qu'elles attaquent même de gros poissons dans les viviers et les boites pour leur manger la cer- velle.

L'odeur musquée de* la musaraigne est vraisem- blablement la cause du préjugé populaire qui la fait complètement méconnaître. On raconte que sa morsure est vénimeuse pour l'homme, et qu'elle peut même causer au paturon des chevaux des plaies in- curables. Mon Dieu! Ses dents sont à peine assez fortes pour entamer d'une manière sensible la peau

PEEMIÈRE LEÇON. 37

d'un cheval ou d'un homme. Son contact même se- rait empoisonné, il ferait enfler la main et même le bras. Si cela était vrai, combien de naturalistes por- teraient le bras en écharpe!

Je me permet, de recommander à votre protec- tion toute spéciale le hérisson, car c'est un mal- heureux animal tranquille et utile. Je dois dire que la légende allemande, dans l'histoire si connue de la course avec le lièvre, lui accorde plus de ruse qu'il n'en possède réellement. Il est très - étonnant que les naturalistes n'aient pas encore réussi à constater bien positivement la différence que les paysans allemands

j:„__x„ -1 , Crâne du hérisson.

disent avoir observée

chez les hérissons, et qu'ils indiquent par le nom de hérisson-porc et hérisson - chien. Le hérisson - porc qui aurait un large grouin un peu comme le cochon, serait bon à manger, et le hérisson-chien ne le serait pas Je me souviens encore très-bien qu'en Vétéravie, dans le pays natal de mon père, nous passions d'or- dinaire les vacances, les paysans racontaient, avec dé. goût; que les Français avaient rôti à la broche des

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hérissons-chiens et s'en étaient régalés ; nous cher- châmes à cette époque tous les hérissons que nous pûmes nous procurer pour apprendre à connaître la différence. Mais le vieux paysan, qui était notre oracle, les déclara tous ensemble des hérissons-chiens que ne sont pas mangeables, et il ajouta ensuite avec un rire malin que les hérissons-porc se montraient peut-être partout ailleurs que dans les champs. Peut- être la différence ne vient-elle qua de lage ou du sexe;

Le pauvre hérisson dort tout l'hiver sur une chaude couche de feuilles et de mousse, sous les haies ou les pierres. En été, pour chercher sa nour- riture, il parcourt lentement les haies et les clô- tures, les coteaux exposés au midi et les bords des forêts; il choisit de préférence la nuit, et il dort le jour, roulé en boule. Cette faculté de se mettre en boule protège le hérisson contre ses ennemis, il s'entoure de tous côtés des ses piquants, et c'est à cause de cela que les enfants et les gran- des personnes exercent sur lui leur malice; on le jette dans l'eau, on le chatouille avec des brins d'herbe ou des épines pour le décider à se dérouler, et on finit par le tuer le plus souvent par colère de ne pas réussir. Pour justifier cette cruauté on

PREMIÈEE LEÇON. 39

lui a imputé une foule de choses extravagantes dont il est incapable. Il est moins exclusivement car- nassier que la taupe et la musaraigne, il grignote quelquefois les fruits tombés des arbres, ou se per- met de goûter dans une laiterie le beurre et le fro- mage, mais quant à grimper sur les arbres, les se- couer, se rouler stir les fruits pourles porter fichés sur ses piquants à ses petits dans son nid, ce sont des fables comme tant d'autres. Le hérisson ne peut ni grimper, ni employer ses piquants autrement que pour sa défense en les hérissant.

Sa principale nourriture consiste en insectes, co- limaçons des champs, coléoptères, vers blancs qu'il évente et déterre avec son nez et ses griffes, en ver- mine de toutes espèces et particulièrement en souris. Si le hérisson n'avait pas une odeur aussi désa- gréable, si sa chasse n'était pas si bruyante et si tapageuse qu'il réveille ses commensaux, on le pré- férerait certainement au chat, comme chasseur do- mestique. Il remplace par la ruse et la patience ce qui lui manque d'agilité et de rapidité, et ses bru- yantes allées et venues font fuir plus de souris en- core qu'il n'en détruit. Dans les granges et les étables on n'a pas à redouter ces inconvénients, il sera par cela même un animal domestique utile.

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I Mais je dois yous signaler une faculté spéciale, du hérisson qui le rend jusqu'à un certain point insensible aux venins. Je ne repète pas ceci d'a- près l'opinion populaire, mais d'après les observa- tions et les recherches de naturalistes célèbres. Pal- las, zoologiste bien connu, qui nous a notamment appris à connaître les animaux de 1 empire russe, comme personne avant lui, Pallas, vit un hérissoii faire tout un repas de mouches cantharides que- nous employons, comme on sait, à la préparation des vésicatoires et qui, à cause de leur propriété caustique, ne peuvent être digérées par aucun autre animal. Lenz, professeur à Schnepfenthal, fit des ex- périences sur des hérissons et des vipères. Je choisis une de ces expériences pour la rapporter ici.

Lenz avait dans une caisse une femelle de héris- son qui nourrissait ses petits. Il y mit une grande et vigoureuse vipère commune qui s'enroula dans- le coin opposé. Le hérisson s'approcha lentement, flaira la vipère et se retira tout d'abord, quand elle se dressa pour lui montrer les dents; comme il approchait une autre fois sans précaution, il fut mordu au museau, et une goutte de sang sortit; il recula, lécha sa blessure, puis revint à la charge; il reçut une seconde morsure à la langue, mais, sans

PREMIÈRE LEÇON. •il

se laisser intimider, il saisit le serpent par le corps; les deux adversaires étaient devenus furieux, le hérisson grognait, se secouait souvent, la vipère de son côté lançait morsure sur morsure, et de ses crochets se blessait aussi souvent qu'elle atteignait le hérisson; tout- à -coup, le hérisson lui saisit la tête, la broya et dévora de suite sans autre signe d'émotion la moitié antérieure du reptile, puis, re- tourna tranquillement à ses petits pour les allaiter. Le lendemain il mangea le reste de la vipère. Cette expérience fut répétée maintes fois et eut toujours- le même résultat, ni le hérisson, ni les petits ne furent malades un seul instant.

Un observateur plus récent, Link à Blaubeuren^ s'exprime ainsi : Il est surprenant en vériCé de voir avec quelle insouciance le hérisson supporte les mor- sures de la vipère, dans la chaleur du combat, lors- qu'il cherche à la tuer pour faire un friand repas. Du reste je ne peux pas affirmer qu'il ne souffre pas de ces morsures. Un très-fort individu de cette espèce a été malade plusieurs jours chez moi après avoir été mordu deux fois au sang par une vipère fraîchement prise. Je suis cependant convaincu qu'un chien, peut-être même un homme eut succombé aux deux morsures.

42 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

Nous ne nous occuperons pas de savoir si, comme le croit Oken, le hérisson est tellement insensible aux poisons qu'il peut manger impunément de l'a- cide prussique, de l'arsénic, de l'opium, du sublimé corrosif; nous nous contenterons d'engager les phy- siologistes à faire des recherches là-dessus. Mais nous pensons bien que le hérisson se tient volontiers dans les lieux se plaisent les vipères, et que ses pro priétés jusqu'ici bien constatées suffisent pour lui mé- riter notre protection et nos soins empressés, et pour lui faire une place parmi les animaux que chacun aime et protège, comme T'hirondelle.

DEUXIÈME LEÇON.

Les oiseaux conside're's comme gibier. De jeunes choucas remplaçant des pigeons. Les oiseaux gardiens des champs et des jardins. Destruction des oiseaux en Italie. Diminution du nombre des oiseaux et progrès de la cul- ture. — Dommages causés par la cigogne. Les pies et les diaconesses en Saxe. La buse et le hibou, chats ailés. Les oiseaux insectivores. Histoire d'un pic- vert. Les hirondelles. Le coucou.

Messieurs !

Depuis quelques années il s'est fait dans pres- que tous les pays germaniques une vraie croisade en faveur des petits oiseaux, qu'on veut protéger contre les poursuites de l'homme; un grand nom- bre de raisons ont été mises en avant pour prou- ver qu'on cause de grands dommages quand on prend plaisir à manger les alouettes de Leipsig, les gri- ves de la Forêt -Noire et les ortolans de la Pro- vence. Cette inclination à prendre les habitants em- pluniés de l'air et à les manger comme un gibier délicat paraît habituelle à tous les hommes depuis

44 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

toute antiquité, et peu d'oiseaux seulement se trou- vent partout également protégées par les croyances populaires ou à cause du goût repoussant de leur chair. Mais autre pays, d'autres mœurs! L'hi- rondelle qui, en Allemagne et efi Suisse, sert si sou- vent de point de mire, mais qui, du reste, est cho- yée et protégée comme un heureux présage pour le bonheur de la maison, l'hirondelle trouve sur son chemin, vers le sud, de nombreux ennemis dans les habitants des bords de la Méditérannée ; ils les at- tendent avec des filets, des lignes et de longues per- ches, lorsque, fatiguées du voyage, elles rasent les ruisseaux et les flaques d'eau pour saisir quelques mouches au vol. En Allemagne personne ne voudrait . manger les oiseaux de proie, les corbeaux, les chou-- cas, corneilles, les pétrels ou les plongeurs, et j'aii encore devant les yeux la profonde horreur qu'éprouva . à Giessen, ma patrie, une joyeuse société qu'un chas- seur passionné avait invitée à manger un délicat, rôti inusité. La rigueur de l'hiver avait attirée près de la Lahn deux magnifiqes harles, et le chasseur avait été assez heureux pour les tuer tous deux; on laissa passer les autres plats sans pour ainsi dire y toucher, pour faire honneur au rôti, qui, suivant l'opinion générale, devait être aussi bon que les oi-

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seaux étaient beaux. Cruelle déception ! Le plat d'hon- neur sentait l'huile de poisson et était si coriace qu'on aurait pu exercer ses dents avçc autant de succès sur un soulier de chasse bien graissé. Les Lapons et les Islandais qui, dans leurs repas, rem- placent le vin par l'huile de poisson, auraient trouvé sans doute un pareil rôti superlativement délicat. Nos pauvres étudiants boursiers, nourris d'ordinaire, disait l'un d'eux, de soupes si maigres qu'ils auraient autant profité en mettant leur langue à la fenêtre pendant la pluie, rebutés, malgré le féroce appétit de leur âge, se rattrapèrent bravement sur de jeu- nes choucas présentés sous le nom flatteur de pi- geons.

On peut en vérité se demander, dans beaucoup de cas, si l'utilité que nous retirons d'un oiseau comme subsistance, contrebalance le dommage qu'il peut nous causer à l'état de liberté. Les chasseurs se récrieront sans doute si on affirme de sang froid que, excepté peut-être la bécasse, tout le gi- bier doit être rangé parmi les animaux nuisibles que la civilisation progressive doit combattre et extir- per à tout prix. Mais en laissant mêrtie ces consi- dérations de côté, on peut, dans beaucoup de cas, douter si l'utile ou le nuisible l'emporte ; aussi, te-

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nons-nous fermes aux principes cités plus haut, et nous en concluerons facilement, que tous les oiseaux mangeurs d'insectes, sans exception, sont pour nous de la plus grande utilité, que par la chasse inces- sante qu'ils donnent à nos petits ennemis, ils mé- ritent toute la protection et tous les soins possibles.

Les hirondelles, les coucous, les engoulevents (crapaud volant), les gobes mouches, les fauvettes, toute la troupe des gentils chanteurs au bec déli- cat, trop faible pour écraser les graines, sont dans ce cas et forment une armée de soldats de police bien équipés qui sont appelés à défendre nos champs et nos bois, nos potagers et nos jardins. Il ne peut y avoir ici aucun doute: on d£)it d'autant plus les protéger que la chair maigre et sans goût de la plupart n'a pas grande valeur. Il en est tout autrement des oi- seaux qui se nourissent de graines, de baies et de fruits, comme les grives, et notamment les gros becs (cocco- thraustes) et les pinsons qui décortiquent, avec leur puissant bec, les graines les plus dures et se nourissent volontiers de leur contenu oléagineux.Beaucoup de ces mêmes animaux se nourissent de préférence de ces graines, que nous méprisons comme mauvaises her- bes, et personne ne haïra le gentil chardonneret (pinson du chardon), parce qu'il détruit le futur

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régal de l'âne. Mais la plupart de ces oiseaux con- naissent très-bien les graines utiles et agréables au goût, et le paysan qui a semé du millet de ce que les linottes mangent aussi le grain de l'ivraie, ne se privera de leur lancer des coups de fusil, si elles vien- nent faire du bruit dans son champ de mil. Cela dépend des convenances personnelles du propriétaire et de son exploitation. L'amateur de jardins, qui ne cherche que les fleurs, les légumes et tout au plus quelques espaliers, verra avec plaisir les oiseaux de toutes espèces lui nettoyer ses planches et ses ar- bustes. Mais le propriétaire d'une cerisaie n'accep- tera pas avec joie la protection que son voisin ac- corde aux oiseaux. Je connaissais dans la Hesse un pasteur, le meilleur des hommes, qui n'avait jamais fait de mal à aucune créature ; à l'époque de la ma- turité des cerises le paisible presbytère était dans une excitation vraiment fiévreuse et semblait un champ de carnage. Les filles faisaient des filets, les fils et les gamins de l'école préparaient des lacets, des car- touches, des pétards, des marrons; on voyait toujours armés le maître et ses domestiques. Les cris des moineaux réveillaient le pasteur dès le point du jour ;, au chant d'un merle il serrait les poings, et le cri du. pirol le mettait en colère. Aussi après vingt ans de

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peine le brave homme avait élevé un grand verger de cerisiers des meilleurs espèces, qui lui rappor- tait plus que ses appointements de pasteur. Le conseiller Perner de Munich et le pasteur Tschudi de Glaris auraient en vain prêché à cet excellent ecclésiastique le respect des innocents petits oiseaux, pour lesquels le premier, notamment, a déjà dépensé tant d'argent en publications dans les journaux.

Si nous examinons l'attitude des oiseaux envers les insectes, nous trouvons des relations très-diver- ses, à l'exception des pigeons, qui sont dans toutes circonstances nuisibles à l'agriculture. La plupart des granivores, principalement à l'époque ils ont des petits, cherchent volontiers des insectes, et nous rendent par cela même les plus grands services, au point qu'on peut accorder volontiers aux moineaux les quelques grains de blés qu'ils attrapent, en fa- veur de ce service. D'autres, comme les corbeaux, les corneilles, les choucas (corneilles de murailles), les étourneaux, les pie-grièches, les guêpiers, vivent principalement d'insectes et de larves, mais ne dé- daignent pas de dévorer de jeunes oiseaux ou toute proie semblable, si l'occasion s'en présente. La plu- part des petits oiseaux de proie, comme l'émouchet et l'émérillon, ne tombent sur les insectes que ça

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€t là, quand ils ne peuvent rien trouver de mieux. Mais cela n'empêche pas que, pour ce dernier, le dommage qu'il cause, en destruïsant les petits oi- seaux, dépasse de beaucoup les services qu'il pour- rait rendre en certaines circonstances.

En général, les habitants des campagnes ont une haine vigoureuse contre les grands oiseaux de proie, et ils la prouvent bien en clouant leurs cadavres sur les portes des granges. C'est ainsi que, pendant le moyen âge, on exposait sur les portes, des villes les corps des criminels célèbres jusqu'à leur entière décomposi- tion, comme cela se pratique encore en Orient. Cette haine est certainement justifiée pour les faucons, les éperviers, les hobereaux et les milans, qui ne se nou- rissent guère que d'oiseaux; mais il faut la combattre quand elle se tourne contre les oiseaux de proie qui vivent principalement de rats et de souris, de mu- lots et d'autres vermines. Dans sa joie de clouer une buse sur la porte de sa grange le paysan se fait, sans le savoir, plus de tort que s'il jetait à l'eau un boisseau de blé. Les ravages fréquents que de notre temps les insectes ont causé, ont, comme je l'ai déjà dit, fourni Toccasion de chercher les moyens qu'on peut opposer à ces dévastations, et on a déjà fait remarquer dans ce livre que le respect des oi-

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seaux en général, et surtout des petits oiseaux chan- teurs, contribue à la destruction de la vermine. Le pasteur Frédéric de Tschudi, déjà connu par un ex- cellent ouvrage sur les Alpes, a rendu de plus grands services encore en publiant sur la vermine et les oi- seaux une brochure il donne en peu de mots et d'une façon très-remarquable toutes les raisons qui nous commandent de protéger les oiseaux comme des- tructeurs d'insectes. Il est à souhaiter que ce petit livre reçoive la plus grande publicité, et il serait très-désirable que les enseignements contenus dans cet ouvrage pussent trouver en France la plus en- tière créance; il est réellement irritant de voir la quantité de chasseurs majeurs et mineurs qui, le dimanche et les jours de fêtes, se glissent le long des haies et des bouquets de bois pour user leur poudre sur les moineaux et les fauvettes.

Tschudi pense avec beaucoup de raison que, dans l'Europe civilisée, le nombre des oiseaux utiles a considérablement diminué et est en diminution con- stante. Il met cette diminution principalement sur le compte de ces chasses de destruction qui ont lieu en Italie, sur les bords de la Méditerranée serait plus exact, et il trouve que la disparition des oiseaux ex- plique pourquoi les ravages des insectes ont augmenté.

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Je me permettrai de ne pas être de son avis sur ce point. Tout au contraire, avec le progrès de la culture et de la civilisation, les dégâts causés par les chenilles, les sauterelles et les coléoptères sont cer- tainement devenus plus rares et moins graves. Dans la suite de ces leçons j'aurai l'occassion de vous don- ner quelques exemples des ravages des insectes au moyen âge ; ils surpassent tout ce qu'on a souffert dans ce siècle. On cherchait à s'en défendre par des procès et des processions, tandis que maintenant on emploie contre eux le travail de l'homme, quoique insuffisant. La forêt, qui est le véritable asile de toute cette vermine, disparaît presque entièrement (devant la civilisation ou se civilise elle-même. Déjà, idans bien des contrées d'Allemagne, il y a presque lautant de gardes-chasses et de gardes-forestiers que de troncs dans les futaies. Mais avec la grande di- minution des forêts, avec la destruction des haies on fait disparaître de plus en plus les retraites et les refuges des insectes ; la suppression de la jachère et l'introduction d'une culture rationnelle entravent de plus en plus le développement des larves sous terre, 2Slt la jachère jadis en usage, était une heureuse pé- riode de propagation pour les larves d'insectes, les fers blancs et les colimaçons; aujourd'hui chaque

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labour et chaque hersage d'un champ ramène des milliers de bêtes à la lumière mortelle du soleil ou les expose aux becs des corbeaux, des corneilles et des choucas, qui n'émigrent pas l'hiver, et ne peu- vent donc pas être pris au passage par les Italiens.

Tschudi fçappe en passant sur lâchasse des alouet- tes aux environs de Leipsig et des oiseaux dans la Thuringue, chasse d'autant plus fâcheuse qu'on en- tend de tous côtés se plaindre de leur disparition. Au moyen -âge on se livrait avec tant de passion à cette chasse, dans ces contrées, qu'il fallut arra- cher à ses filets pour le mettre sur le trône un des plus grands empereurs d'Allemagne, Henri l'Oise- leur. Mais pour ce qui est des alouettes de Leipsig il serait aussi difficile de faire sentir aux gens qu'il faut les laisser vivre, parce qu'elles mangent des vers, qu'il est facile de leur faire comprendre qu'il faut lais- ser vivre la brebis parce qu'elle donne de la laine. En dehors de toute humanité les alouettes grasses de Leipsig sont un mets exquis, et jusqu'ici on n'a pas entendu dire que les plaines de Leipsig, si pro- ductives par la chasse aux alouettes, aient souffert dans leur récoltes.

En Italie, la destruction des oiseaux se fait en grand, et Tschudi a pleinement raison quand il

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entre en campagne contre elle; mais on doit dire aussi, comme excuse, que l'occasion fait le larron et qu'il est difficile de résister à la tentation. Au printemps, les oiseaux, fatigués d'avoir traversé la mer, arrivent de bien loin pour se reposer sur la côte ; c'est alors qu'on peut abattre avec des joncs la rapide hirondelle et prendre la caille à la main. Je n'ai jamais su me résoudre à chasser l'hirondelle, comme je l'ai souvent vu pratiquer à Nice, mais j'ai pris à la main plus d'une caille, quoique je ne sois pas doué de grande agilité. Quand on a vu, il y a quel- ques années, le vol de cailles qui s'étaient égarées dans la ville même de Genève, quand on a vu pren- dre à la main, dans tous les passages et dans tou- tes les allées, ces pauvres bêtes, demi- mortes de fa- tigue, on comprend bien qu'on ne résiste pas, en pareille occasion, au désir de se donner un rôti dé- licat. En résumé, il faut avouer que les Italiens sont pleinement dans leur droit quand ils en détruisent ce qu'ils peuvent; car tous ces oiseaux qui, au prin- temps et pendant l'été, se nourrissent chez nous d'in- sectes, les fauvettes et les becs fins, comme les pin- sons et les grives, se jettent en automne sur les fruits du midi avec un appétit insatiable aiguisé par le voy- age. Ils se gorgent de raisins de figues, d'olives à tel

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point qu'ils ne peuvent pour ainsi dire presque plus voler ; sur toute la côte provençale de Nice à Mar- seille il y a un proverbe qui dit: „Saoûl comme une grive;" on compare le vol incertain et les mouve- ments chancelants dus à un repas trop abondant, à l'ivresse que le raisin produit sur les grives. A cette époque de l'année les grives ont sur tout le corps une couche de graisse épaisse d'un doigt, et les fauvettes semblent avoir été roulées dans le beurre ; les gourmets reconnaissent, du premier coup d'oeil, les oiseaux qui se sont engraissés avec des olives ; comme on le comprend aisément, ils sont bien in- férieurs, pour le goût, à ceux qui viennent des co- teaux boisés et s'y sont nourris de baies aromati- ques. Comment peut-on raisonnablement engager les Italiens à respecter les oiseaux qui détruisent leurs récoltes, parce que ces mêmes oiseaux, au printemps, mangent les insectes dans les pays du Nord on se livre à d'autres cultures?

Nous ne devons pas oublier, qu'en Italie, la chasse des oiseaux a été pratiquée de toute antiquité, et que parmi les populations, jadis si nombreuses de l'Italie, la destruction des oiseaux était relativement beaucoup plus considérable. Les Romains mettaient la grive au-dessus de toute la plume, comme le

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lièvre au-dessus de tout le poil ') ; et tandis qu'au- jourd'hui nous nous contentons de prendre au lacet les grives et les merles, les Romains les engrais- saient. Varron et Columelle nous apprennent qu'on regardait un parc à grives comme aussi important en agriculture qu'aujourd'hui les poulaillers et les ca- ges pour les oies. C'est LucuUus qui, d'après PIu- tarque, doit avoir inventé l'art d'engraisser les gri- ves, et je ne serais pas étonné si de nouvelles re- cherches démontraient que les anciens pratiquaient sur elles le chaponnage. Les parcs à grives étaient obscurs et disposés de telle sorte que les oiseaux ne pouvaient apercevoir ni les champs ni les bois, afin que le désir d'y retourner et la nostalgie ne troublassent pas leur tranquillité et leur appétit. On voit, par ce détail, que les Romains connais- saient l'influence des localités obscures sur l'engrais- sement tout aussi bien que nos éleveurs d'oies ac- tuels. On engraissait les oiseaux avec une sorte de pâtée faite de millet pelé et de figues écrasées aux- quelles on ajoutait des baies de lierre, de myrte et de pistaches pour donner plus d'arôme à la chair; après un traitement préalable, dans des espaces plus

•) Nil melius turdo Rien de meilleur qu'une grive, dit Horace dans une de ses lettres.

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vastes, les animaux étaient mis à l'engrais pendant vingt jours encore dans une cage très-étroite et ob- scure et, alors seulement, portés sur la table.

Il y avait une telle quantité de parcs à grives^ autour de Rome, qu'on fumait les champs avec leur fumier et qu'on engraissait des bœufs et des cochons avec leurs restes Que peut-on dire de la chasse aux oiseaux qui se fait actuellement en Italie à côté de ces destructions en masse des grives et des oi- seaux analogues; si Tschudi rapporte que, dans un seul district, 60 à 70,000 oiseaux sont détruits cha- que année, c'est vraiment un nombre insignifiant à. côté de la masse que les Romains sacrifiaient à leur bouche.

Si donc un mal qui agit sans cesse, depuis déjà 2000 ans et plus, ne commence à exercer une in- fluence sensible que lorsqu'il est en décroissance, le mal qui doit nous en revenir ne paraît plus si grave. La diminution du nombre des oiseaux ea général, et en particulier des oiseaux chanteurs dans

1) On trouve encore aujourd'hui dans quelques contrées de l'Italie un souvenir de ces établissements Romains, quoique sur une plus petite échelle, seulement on engraisse aujourd'- hui des ortolans. Dans une maison de campagne près de Gènes, j'ai vu un engraissage d'ortolans qui était occupé par envi- ron 5000 bétes, et sentait plus mauvais qu'une porcherie.

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nos environs, peut avoir quelques rapports avec leur destruction dans les pays méridionnaux, mais elle ne peut pas en provenir uniquement. Elle vient, comme en général la diminution de toutes les bêtes sauvages, de circonstances bien plus importantes, de l'envahissement continu de la culture, du dessèche- ment des marais et des tourbières, de l'extension du travail non interrompu du sol sur toutes les su- perficies qui enlèvent tout refuge aux bêtes sau- vages dont les oiseaux font partie. Cette culture toujours croissante, cette influence souveraine et ir- résistible ne peuvent pas trouver un obstacle dans ces faits dont personne, cependant, ne saurait con- tester l'utilité. Le mouton est sans contredit un des animaux domestiques les plus utiles, et, abstraction faite de la matière nutritive qu'il nous fournit, on peut hardiment soutenir que la civilisation dans nos contrées tempérées eut été impossible sans la laine ; cependant les progrès de la culture font peu à peu disparaître, dans cette partie du monde, le mouton comme producteur de laine, et ne le conservent que comme machine à faire de la viande. La production de la laine demande de vastes étendues de bruyères, des plaines comme dans la Haute-Silésie où, d'après l'expression de Léopold de Buch, on ne voit que

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le ciel, des barons et des moutons. Les conditions de l'existence du mouton, comme producteur de laine, disparaissent chaque jour de cette partie du monde, et la production de la laine, si nécessaire qu'elle puisse être à notre existence, s'est en grande par- tie réfugiée en Australie. De même, bien qu'on pro- tège de plus en plus les oiseaux et qu'on cherche autant que possible à supprimer toutes les causes de leur rapide disparition, ils diminueront de plus en plus dans nos contrées, parce que l'homme ré- clame toute la place pour lui et sa subsistance.

Tschudi a bien senti cela, et, parmi les moyens qu'il recommande, se trouvent bien des demi-tenta- tives de retour en arrière qui ne sont guère accep- tables. Il faudrait planter de grands arbres forestiers dans les champs, autant que possible les entourer de haies vives, pour que les petits oiseaux puis- sent s'y établir. Eh bien! Demandez aux agricul- teurs Bernois ce qu'ils pensent des chênes dressés de tous côtés dans les champs, près de Fribourg, avant la construction du chemin de fer qui les a employés pour ses traverses. Chaque chêne, sans compter le dommage causé par son ombre aux cé- réales, répand autour de lui une quantité notable de bêtes nuisibles qui, de ce château fort, se pré-

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cipitent sur les champs voisins. Dans chaque haie vive grouille dix fois plus de vermine que ne peu- vent en détruire les oiseaux chanteurs qui y ha- bitent.

Pour se convaincre de cette vérité il suffit de jeter un regard sur les innombrables paquets de chenilles qui sont accrochés, sans qu'on puisse les détruire, aux épines des haies privées de feuilles. Celui qui s'occupe de lagriculture ou de jardinage^ celui qui n'est pas assez riche pour avoir un parc et qui doit utiliser chaque coin de terre, (le plus grand nombre se trouve dans ce cas) malgré le charme du chant de la fauvette, arrachera les haies vives, s'il le peut, et à leur place il choisira un moyen de clôture qui offre moins de refuges et pro- tège mieux. „Les forestiers", dit Tschudi, „doivent laisser dans les forêts les vieux arbres creux pour que les oiseaux utiles y puissent commodément faire leur nid" ; mais les forestiers nous répondront que la population a besoin de bois avant tout, qu'un arbre vieux et creux ne produit plus de combustible et prend la place d'une demi douzaine de jeunes su- jets qui poussent du bois ; que l'homme veut d'abord être logé, cuire ses aliments et se chauffer, avant de songer oti les oiseaux peuvent trouver un abri.

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Il faut donc bien observer le choix des moyens, ar- rêter cette fureur de destruction par la poudre, les lacets, l'enlèvement des nids, mais pour tout le reste ne pas se laisser entraîner par sentimentalité à re- commander des choses inexécutables.

Aux animaux nuisibles appartiennent incontesta- blement les faucons, les éperviers, les hobereaux et les milans, la cigogne et la pie. Par rapport à ces deux dernières bêtes, je crois entendre quelques contradictions. La cigogne n'est -elle pas poétisée chez tous les peuples civilisés et même honorée à ce point qu'elle forme le cachet spécial de la ville de Strasbourg, on la voit reproduite des centai- nes de fois dans les sculptures de la cathédrale ; ne croit-on pas que c'est une bénédiction pour une mai- son, quand une paire de cigognes y fait son nid, et ne place-t-on pas, sur le haut des pignons, des roues pour les attirer ? Elles sont très-utiles au couvreur car elles lui donnent bien vite de l'ouvrage. Les cigognes étaient chez les Grecs le symbole de la modération, de la fidélité conjugale, de l'amour pa- ternel. Les Athéniens avaient une loi qui leur emprun- tait son nom, et qui imposait aux enfants le devoir de nourrir leurs vieux parents. Elles étaient pour les augures un présage favorable comme signe de

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coDCorde et de paix, et les apothicaires les ont pri- ses comme animal héraldique, dans leur blason sans tache, à cause de leurs attributs de bienfaiteurs de l'humanité et d'inventeurs du clystère.

Tout cela est vrai, mais ces fameuses qualités morales n'existent pas plus que leur utilité maté- rielle pour l'homme. La cigogne est l'animal le plus méchant, le plus colère, le plus féroce et le plus égoïste qu'on puisse imaginer. Semblable à l'assassin, elle tue, même quand sa faim est apai- sée, elle attaque la femelle en train de couver ou les petits de sa voisine, et quant à ce qui est de la fidélité conjugale si renommée .....

Dans un village près de Soleure nichait de- puis quelques années une paire de cigognes. Un jour on remarqua, peu de temps après leur retour, que chaque fois que l'époux s'envolait pour cher- cher sa nourriture, un jeune mâle venait au nid et faisait le beau avec la femelle. Repoussé au com- mencement le jeune mâle continua ses tentatives et finit par gagner si bien les bonnes grâces de la fe- melle qu'un beau jour ils s'envolèrent tous deux ensemble vers la prairie le mari guettait des grenouilles et le tuèrent à coups de bec.

Nous trouvons la cigogne principalement dans les

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prairies humides, le long des fossés pleins d'eau, mais janiais dans les endroits exposés au soleil ; sa principale nourriture consiste en grenouilles, en cou- leuvres à collier et en taupes qu'elle enlève d'un coup de bec rapide au moment celles-ci soulèvent la terre. On prétend qu'elle détruit également les venimeuses vipères ; cependant, on ne la rencontre jamais dans les coteaux du midi, dans les endroits pierreux et les bordures de forêt bien sèches se tiennent les vipères. Mais les grenouilles, les cra- pauds et les taupes qu'elles détruisent avec passion, sont plutôt utiles à l'homme, et jusqu'ici la cou- leuvre n'a fait de mal à personne. La souris des champs qui préfère les terrains secs et fuit les .prai- ries humides, rencontre rarement la cigogne sur son chemin, et les jeunes oiseaux de marais, victi- mes de cet échassier, sont autant de rôtis délicats de moins dans notre cuisine. Son vaste nid offre, il est vrai, aux moineaux un emplacement pour se faire un abri. Mais voyez comment se conduit le père aux longues jambes, s'il vient à avoir faim, et que par caprice, il ne veuille pas voler ; il allonge tout à coup son long cou, fouille avec son bec, saisit le premier locataire venu du rez-de-chaussée de son palais et le dévore avec appétit. Les services ren-

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ius l'homme par la cigogne sont introuvables juand on allumerait des milliers de lanternes.

Comme deuxième oiseau nuisible j'ai nommé la 7Îe, et je maintiendrai mon opinion, même contre es membres de la Chambre des Seigneurs de Saxe [ui ont donné au monde une preuve saisissante des préjugés encore vivants de notre temps, en faisant publier une invitation de tuer des pies pour l'éta- Dlissement des Diaconesses, pendant une certaine époque consacrée, si je ne me trompe, du 20 Dé- ;embre au 8 Janvier. De ces pies, tuées à une époque tainte, les pieuses femmes font une poudre qui gué- Kit inévitablement l'épilepsie, et a déjà rendu la >.anté à des milliers de personnes.

Sainte naïveté! Je connaissais au Val de Travers un nharmacien qui, tous les ans, vendait une assez jolie luantité de poudre anti-épileptique faite de taupes réduites en cendre; mais cet homme n'en faisait pas tne jonglerie religieuse. Il prenait les taupes comme >n les lui apportait, et si les taupes venaient à nanquer, ou que les demandes de poudre augmen- assent, de temps en temps une souris ou un rat ntrait dans son four, ce qui ne causait aucun pré- udice à la vertu de la poudre, car s'il y a en elle |n principe efficace, il ne vient ni des Diaconesses,

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ni de l'époque sainte, ni des prières, mais seule- ment de l'huile cmpyreumatique qui se développe quand on carbonise une matière animale en vase clos. Peut-être appartient-il „aux signes du temps" qu'une semblable recommandation vienne d'une telle as- semblée.

Mais si les membres de la première chambre de Saxe croient avoir travaillé pour l'humanité souffrante €n faisant tuer pour les diaconesses beaucoup de pies sur leurs domaines, ils se sont certainement rendus à eux-mêmes les plus grands services, car la pie, Rossini nous l'a depuis longtemps prouvé dans son opéra, non seulement est voleuse, puisqu'elle cache dans son nid toutes sortes d'objets brillants, mais elle est en même temps un animal haïssable, aimant le meurtre; elle fait plus de mal aux jeu- nes poulets et aux jeunes canards que les oiseaux de proie et poursuit, sans relâche, tous les petits oiseaux qui se montrent autour de sa résidence ; au- cun oiseau chanteur ne peut nicher dans les jardins fruitiers et les bosquets elle se tient volontiers, et, d'un autre côté, elle n'est pas en état de rem- placer les services des chanteurs pour la destruc- tion de la petite vermine. Il est d'autant plus in- compréhensible que la pie en tant d'endroits, et

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notamment dans les pays allemands, soit protégée par la crainte d'un préjugé. Dans le dialecte suisse les œils de perdrix sont nommés „œils de pies," et le peuple a la ferme persuasion qu'il arrivera un grand malheur à celui qui a tué une pie. Jérémias Gott- helf a pris ce préjugé pour sujet d'un de ses premiers contes, et dans beaucoup de localités du canton de Berne on ne voit dans le voisinage des villages et des fermes isolées que des pies qui se promènent en hochant la queue ; elles ont complètement détruit ou chassé les oiseaux chanteurs du voisinage.

Aux oiseaux certainement utiles appartiennent avant tout les lourds oiseaux de proie, auxquels leurs courtes ailes ne permettent pas de poursuivre et happer au vol les autres oiseaux. Leur nature les destine aux petits mammifères, tels que les souris, les mulots, les rats et les taupes, et aux gros in- sectes, tels que les hannetons et les sauterelles. Quel- quefois un jeune levreau ou une perdrix tombent sous leurs serres, quoique ce soit fort rare. Les busards de toute espèce, la bondrée, la harpaye, mais sur- tout la buse proprement dite, sont à ce point de vue des oiseaux éminemment utiles. Ces lourds oiseaux, que leur épais plumage protège contre un bon coup

de fusil tiré par devant, restent des heures entières

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perchés sur une grosse branche saillante au bord d'un bois, sur un rocher élevé, sur un tronc d'arbre; ils sont immobiles comme des statues, pendant que leurs yeux surveillent les champs voisins; s'il n'y a pas de gibier dans la localité, ils volent près du sol à coups d'ailes lents et nonchalants, vers un autre poste ils recommencent leur silen- cieuse observation. Tout à coup ils s'élancent sur le sol, moitié volant, moitié sautant, enfoncent pro- fondément en terre leur bec et leurs griffes et en retirent une taupe ou une souris qu'ils tuent de quelques coups de bec pour la manger ou la por- ter à leurs petits, lourds, hideux, affamés et toujours criants; on les a souvent pris par erreur pour des aiglons. Pour de semblable service le paysan les cloue avec grande joie sur la porte de sa grange, et Monsieur le Maire, après vérification de la prise, paie la prime établie comme pour un grand oiseau de proie, en admirant convenablement les soins pa- ternels que le gouvernement prend pour l'agricul- ture.

Les hibous, comme tous les oiseaux de nuit, ont contre eux le préjugé. Leur vol semblable à celui des esprits silencieux, leurs yeux gros, ronds et brillants, et avant tout leur cri sinistre, ont de tout

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temps donné mauvaise réputation à la race des hi- bous. C'est sans doute le cri éclatant des grandes espèces qui a donné naissance à la légende popu- laire de la chasse infernale. Il est vrai que, chez les Grecs, le hibou était le symbole de la sagesse, et Pallas Athénée ne paraît jamais sans être accom- pagnée de l'oiseau philosophique, qui réfléchit aux problêmes les plus élevés de la science dans le creux des arbres, les fentes des rochers et les trous des murs. Mais les hibous, malgré cela, étaient déjà chez les Grecs l'oiseau de mauvais présage, et chez les crédules Romains ils excitaient un véritable effroi. „Tous les oiseaux de nuit," dit Pline, „avec des on- gles aux serres, comme les hibous, Forfraie, et sur- tout le grand-duc, sont des présages souverainement fâcheux pour les affaires publiques. Le grand-duc notamment n'aime que les localités solitaires et même les endroits redoutables et difficilement accessibles. C'est un animal monstrueux, qui ne chante ni ne crie ; il ne fait que pleurer et gémir sans interruption. Si on le voit dans le jour près d'une ville ou n'importe en quel endroit il signifie une affreuse catastrophe." Cependant Pline ajoute en matière de consolation qu'il connaît plusieurs habitations sur lesquels un grand-duc s'est posé, sans qu'il s'en soit suivi pour

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cela un malheur notable. „Sous le consulat de Sex- tus Papilius Ister et de Lucius Pedanius un grand- duc s'égara jusque dans le sanctuaire du temple de Jupiter, ce qui causa une frayeur indicible dans toute la population, à ce point qu'on fit des pro- cessions générales et des sacrifices pour apaiser les dieux irrités."

Les mêmes préjugés existent aussi chez nous et dans rénumération de divers présages effrayants, Jérôme Jobs dit: ,,Un hibou à minuit a poussé sur l'église son cri lamentable."

Le grand et le petit chat-huant sont les oiseaux de la mort; leur appel lamentable près d'une mai- son indique que le malade va bientôt mourir ; cela n'ar- rive qu'à la campagne, car dans les villes l'éclairage au gaz fait quelque tort à la puissance du hibou. De même que, suivant l'affirmation de Henri Heine, un fantôme ne peut pas se promener dans Paris, parce qu'à minuit, l'heure des revenants, la ville est aussi vivante que l'Allemagne en plein jour; de même le f)rophète de mort ne peut exercer son art que près des maisons isolées. Il y est attiré, comme tous- les animaux nocturnes, par les lumières auxquelles il n'est pas accoutumé ; car il faut que cela aille mal et que le paysan soit bien malade pour que la lampe

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de nuit reste allumée. On raconte en Vétéravie cette histoire caractéristique :

Une femme réveille son mari en lui disant: ,;A1- lume un peu la lumière, je crois que je me meurs." Le mari lui répond de mauvaise humeur : „0n croi- rait que tu ne peux pas mourir dans l'obscurité." Après cela doit -on s'étonner, si les hibous et les chats-huants, qui accourent à une lumière inaccou- tumée ne poussent leurs hurlements lamentables que dans le voisinage d'un malade en danger de mort? Observez seulement tout ce qui grouille contre une fenêtre ainsi éclairée, des cousins et des mouches, de petits et de grands papillons de nuit, ça et un cerf-volant, un stercoraire qui se lancent violem- ment contre les vitres comme s'ils voulaient les bri- ser, et vous comprendrez qu'une lumière brillante dans la campagne doit attirer de quelques kilomè- tres à la ronde tous les rôdeurs nocturnes ailés ou non.

Malgré cela les hibous sont sans comparaison les animaux les plus utiles et une vraie bénédiction pour les localités oii ils s'établissent. Les heures pen- dant lesquelles ils volent, leur donnent comme proie la vermine nocturne, et s'ils happent par-ci par-là un petit oiseau, les souris et les insectes de nuit sont

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leur vrai gibier. Quand Tschudi raconte qu'une paire de hibous en une seule nuit de juin porta à ses petits onze souris et qu'on a trouvé dans Testomac d'une chouette 75 larves de ces chenilles si nuisibles du sphynx du pin, il caractérise d'une façon générale laction des hibous. Non seulement on devrait pro- téger ces animaux, mais même les soigner et les encourager à établir leur domicile près des villages et des habitations. La plupart des hibous se laissent apprivoiser; leurs mouvements et leur gestes singu- liers n'en font pas de désagréables compagnons. Un observateur français raconte qu'il avait dans sa mai- son une chevêche, qui était un charmant oiseau. Elle se laissait caresser même le jour, et quoiqu'elle prit volontiers toute espèce de nourriture, elle préférait la viande crue qu'elle défendait vigoureusement si on voulait la lui enlever; le jour elle allait dans le jardin chasser les insectes, et même en hiver où. on n'en trouve pi'esque aucun, elle rejetait deux fois par jour une crotte de la grosseur d'une noix, composée d'ailes et de pattes non digérées. Elle pour- suivait également les petits oiseaux et se précipi- tait sur ceux qui étaient empaillés, dans l'espoir de les mangër.

Il y avait en même temps dans la maison une

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corneille-choucas qui vivait en bonne camarade avec un chien, et la chevêche était si amie avec un chat qu'ils dormaient souvent ensemble dans le même panier. La corneille et la chevêche étaient ennemies déclarées ; mais comme elles étaient toutes deux de force à peu près égale, après quelques combats très vifs elles s'évitèrent, et elles s'étaient si bien par- tagées le jardin, qu'aucune des deux ne pénétrait sur le domaine de l'autre. Mais la nuit, la chevêche était seule maîtresse, et elle piétinait si activement dans le jardin qu'on l'aurait prise pour un rat.

Les hibous sont de vrais chats ailés par leurs habi- tudes, leur nourriture et leur gibier, et ils rendent dans les champs les mêmes services que les chats dans des endroits clos. Il est vrai que le cri du hibou n'est pas une agréable musique ; mais le miaulement du chat en amour n'est vraiment pas bien mélodieux, et les chats mangent parfaitement, sans aucun re- mord, oiseaux, levreaux et viande. On prend soin du chat, comme animal domestique, quand il a qua- tre pattes ; on le poursuit, quand il vole.

Parmi les petits oiseaux, comme j'ai déjà eu oc- casion de le remarquer, les plus utiles sont les vrais mangeurs d'insectes, quoiqu'il y en ait aussi parmi eux qui peuvent se vanter d'être complètement mé-

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connus. La pie-grièche et l'écorcheur qui embro- chent sur les buissons les plus gros insectes et quel- quefois aussi s'attaquent aux petits oiseaux et aux souris, tous les petits chanteurs, comme les fauvet- tes, les rouges-gorges, les rouges-queues, les ros- signols et les lavandières qui cherchent leur nour- riture, et particulièrement les dernières, sur la terre, au bord de l'eau et dans les champs fraîchement retournés, la querelleuse mésange, le grimpereau, le roitelet, le torche -pot qui enlèvent avec adresse les larves sur les arbres et les arbustes ou sou- vent même les font sortir à coup de bec de dessous l'écorce, le pic-marteleur, le torcol, les becs-fins à large gueule qui prennent les insectes au vol, le gobe- mouche, l'hirondelle ordinaire, le martinet, l'engou- levent ou hirondelle de nuit, enfin toute la famille des corbeaux (corvidés) qui va vêtue simplement de noir, comme les étourneaux, les choucas, les cor- neilles, qui se nourrissent principalement de vers, de larves et de charogne, tous ces oiseaux sont à nos yeux des animaux utiles, qu'il faut protéger et soigner. On peut disputer sur les merles proprement dit, les pinsons et les gros-becs, utiles ou nuisibles suivant les circonstances ; dans nos contrées les gri- ves qui se nourrissent de baies, les litornes, les mau-

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vis et les merles ne font pas les plus petits dégâts, car ces oiseaux se tiennent de préférence dans les genévrières et les sorbiers, qu'on ne saurait utiliser autrement. C'est aussi à tort qu'on poursuit la grive des vignes en l'accusant d'être friande de raisin; elle ne cherche dans les vignobles que des vers et des limaces. Mais un oiseau extrêmement nuisible est sans contredit la draine ou grive du gui (Tur- dus viscivorus), la plus grosse de toutes les espèces indigènes, qui se tient chez nous tout l'été et a une passion toute particulière pour cet arbuste pa- rasite qui joue un si grand rôle f'.ins la mytholo- gie du nord. Les baies du gui sont la principale nourriture de cette espèce de grives à la fin de l'au- tomne, et comme les graines traversent leur corps sans être digérées et en restant entourées d'une ma- tière qui les fait adhérer facilement partout, ces grives sèment de tous côtés le -nuisible parasite sur Jes arbres oiî elles se posent.

Les pics sont peu aimés des forestiers qui les ac- cusent de causer des dommages sérieux aux arbres par leur martelage ; cependan-t Tschudi a parfaite- nient raison lorsqu'il prend sous sa protection et ! ( commande à nos soins ces compagnons courageux €t robustes, malgré leur travail de charpentier. Leurs

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coups ont double motif. Tantôt ils ouvrent à coup de becs de longues fentes dans l'écorce et l'au- bier jusqu'au bois pour y piquer avec leur langue pointue les insectes et les larves qui creusent im- médiatement en -dessous. Tantôt ils ne font que frapper pour faire sortir les insectes de leurs re- traites de l'autre côté de l'arbre. C'est pour cela, qu'après quelques coups, on les voit se glisser de l'autre côté du tronc avec une rapidité extrême et examiner avec attention les fentes de l'écorce. L'opinion publique s'imagine, il est vrai, que le pic perce les arbreL et ne se précipite si vivement sur l'autre face que pour y voir si la pointe de son propre bec a traversé. Dans ce cas, on lui attribue, une forte dose de bêtise, mais d'un autre côté le pic noir joue un grand rôle dans les vieilles his- toires allemandes par l'habilité avec laquelle il sait découvrir la racine mystérieuse qui ouvre toutes les serrures.

Si utilés que soient les pics, ils peuvent dans des cas donnés causer de très-grands ennuis. Un de mes oncles avait construit une cabane sur une place libre dans un bois qui lui appartenait. C'était, en été, le but de ses promenades. L'emplacement était joli, om- bragé par des pins et de hauts mélèzes avec un petit

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ruisseau murmurant dans le voisinage. Nous y pé- chions des écrevisses, pendant que l'oncle fumait sa pipe après déjeûuer. Toute cette idylle fut troublée par un pic qui, avec une ténacité diabolique, avait choisi pour retraite l'intérieur de la cabane. 11 était entré par la cheminée et avait fait de grands ravages dans le revêtement de bois, qui était habité vraisem- blablement par quelques vers. L'oncle fit mettre une trappe à la cheminée. Le lendemain le pic avait fait un trou gros comme le poing dans la trappe de bois et était rentré dans la cabane. On garnit la trappe de fer blanc. Lorsque la fois suivante l'oncle ouvrit la porte, le pic lui vola presque dans la figure et s'échappa à grand bruit d'ailes. Il avait percé un trou dans le volet et l'appui de la fenêtre. Nouvel appel au ferblantier qui dut garnir le volet. Lorsque l'oncle revint quelques jours après il vit devant lui un grand trou dans les épais madriers de la porte, (lui avaient résisté jusque à toutes les tentatives (les vagabonds du pays. La colère du propriétaire ne connut plus de bornes; un piège fut tendu et 1 intrus y fut pris. Mais l'oncle était un brave em- ployé des contributions, pressurant les contribuables jusqu'au dernier sou, mais" incapable d'écraser une mouche. Lorsque l'oiseau qu'il avait empoigné d'une

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main vigoureuse, le regarda avec des yeux presque suppliants, il en eut pitié. Il donna à un petit men- diant, qui cherchait des fraises, l'oiseau et quelques sous, pour aller tordre le cou au pic dans un en- droit écarté. Le lendemain le pic était encore dans la cabane. Le gamin avait mis les sous dans sa poche et lâché l'oiseau. L'oncle renonça à la lutte, et la cabane tomba, car il ne la visitait plus. Mais le pic s'y trouvait bien, et il mit en pièces les der- niers débris, avec lesquels, l'automne de l'année sui- vante, -nous allumâmes du feu pour cuire des pommes de terre.

Depuis le temps de Procné de charmantes croyances et de séduisants préjugés se sont attachés au peuple des hirondelles qui volent si légèrement. Tobie dut, il est vrai, son infortune à une hirondelle, et les na- turalistes ont vainement cherché, jusqu'à présent, le poisson que l'ange trouva pour lors si aisément, et qui rendrait inutile 1-e docteur Gràfe de Berlin et tous ses élèves, voir même le docteur Liebreich à Paris. Il est bien certain que les nids des hiron- delles dans les corniches des maisons signifient en- core aujourd'hui du bonheur, et quoique l'arrivée d'une seule hirondelle ne fasse pas la belle saison, le paysan comme le citadin épient le gai gazouille-

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ment qui annonce leur venue, et préjugent de l'hiver qui approche, par leur départ prompt ou tardif. Au moyen âge les hirondelles portaient dans leurs corps des panacées pour toutes les maladies. Chaque membre avait une vertu particulière. Les muscles de la poi- trine broyés étaient le meilleur contre-poison contre la morsure des serpents et la piqûre des scorpions ; la fiente délayée avec de l'eau et prise en boisson préservait de la rage et du délire; les jeunes hiron- delles étaient pilées dans un mortier distillées avec du castoreum et du vinaigre, et cet affreux mélange donnait la fameuse eau d'hirondelles qui, comme le vrai et pur tabac de Schneeberg, guérissait toutes iles congestions cérébrales et toutes sortes d'infirmi- tés même ; il fallait ne l'employer que dans les cas les plus graves, car elle faisait immédiatement tom- ber les cheveux. Etre chauve n'était pas une recom- mandation alors pour un savant ou un homme d'état, comme ce fut le cas plus tard en France du temps de Guizot, la calvitie sur un crâne jeune témoigna <lc nuits passées ardemment au travail et ouvrit aisé- un iit le chemin de l académie; on ne sacrifiait l'orne- inf'iit de sa tète que dans le danger le plus pres- iit pour sauver sa vie.

La douceur des lois Toscanes est connue. Malgré

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cela les hirondelles y sont placées parmi les oiseaux mal famés et, comme les oiseaux de proie, les cor- beaux et les moineaux, sont déclarés oiseaux francs. Pour les autres petits oiseaux la loi a des pre- scriptions protectrices qui, à vrai dire, ne sont ob- servées et respectées aulle part; mais elle ne con- tient pas un mot pour les hirondelles. Aussi, avec quelle ardeur on tombe sur ces pauvres bêtes pen- dant le temps oiî la chasse est fermée, le port du fusil puni et la pose des pièges et des lacets pour les autres oiseaux défendue. De tous côtés pendent des filets de soie verts et très-fins que les pauvres hirondelles ne voient pas dans leurs rapides évo- lutions ; de tous côtés voltigent des hameçons gar- nis de coléoptères ou de sauterelles en vie qu'elles avalent gloutonnement pour se prendre.

L'hirondelle de nuit ou engoulevent est à l'hiron- delle ce que le hibou est au faucon. Sa tête courte, épaisse, avec de gros yeux ronds, son plumage sombre, son vol silencieux, son gri désagréable, son som- meil pendant le jour dans des endroits écartés, tout cela ressemble aux hibous et appartient aux carac- tères des oiseaux de nuit qui commencent et ter- minent leur vie active avec l'obscurité. Le bec est extrêmement mince et flexible, le gosier large, et

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par leur construction intérieure les engoulevents (cra- pauds-volants) tiennent de très-près aux hirondel- les et surtout aux martinets. La défiance que les engoulevents inspirent, comme tous les animaux noc- turnes, remonte jusqu'aux anciens Grecs ; on prétend qu-'ils sucent jusqu'à épuisement complet les mam- melles des chèvres. Un coup de leur aile rend le bétail aveugle, et leur cri lamentable, qui ressemble à celui de la chouette avec quelque chose de plus per- çant encore présage, comme celui des hibous, tous ' les malheurs possibles. Une espèce de l'Amérique du Nord n'a pas chez les habitants de ces contrées une moindre réputation que la chouette en Europe, et ceux qui ont lu les romans de Cooper peuvent se rappeler les scènes fréquentes le cri du Whip- poor-Will retentissant tristement dans la nuit an- nonce une surprise menaçante des Indiens ou un simple malheur. ^

Dernièrement encore un de ces engoulevents a donné lieu à une méprise excusable. C'était dans une campagne au hord du lac de Genève, oii un grand Seigneur, ami des sciences, se délasse quel- quefois pendant l'été. „Avons-nous des reptiles dan- gereux dans ce pays?" me demanda- 1- on à dîner. Et moi d'énumérer les vipères, couleuvres, lézards,

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crapauds et grenouilles. „Ce n'est pas cela", me fût-il repondu. „Le chef des travaux, brave enfant de Paris, a vu dans la forêt un hideux animal de plus d'un pied de long, couleur de terre. Sa tête était grosse comme celle d'un chat, il avait des écailles hérissées et rampait à terre sur de cour- tes pattes. A son approche, l'animal a ouvert une gueule large comme la paume de la main, rouge de sang, effrayante! L'homme a reculé en tirant son couteau mais étant à quelque distance, il s'est sauvé à toutes jambes." Je me creusai inutile- ment la tête pour trouver un nom au phénomène et les épigrammes tombaient, drûs comme grêle, sur les savants qui connaissent les bêtes du monde en- tier, et qui ignorent celles qui sont à leurs portes ! Nous nous séparâmes sans avoir trouvé une expli- cation satisfaisante.

C'était une de ces soirées tièdes, embaumées oii par un beau clair de lune ou aime rêver à la fe- nêtre avant de se coucher. Je fus tiré de mes rê- veries par un cri lointain. Je dresse l'oreille le cri se repète il n'y a plus à en douter, c'est le cri de l'engoulevent! Et je voyais la pauvre bête, blottie au plus épais du fourré, dormant du som- meil du juste et reveillée soudainement par l'intru,

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qui parcourt la forêt. L'oiseau, surpris, se presse contre terre, étalant sa queue, rampant sur ses cour- tes pattes, ouvrant enfin sa large gueule en pous- sant la respiration avec un son rauque et sifflant 1 Inutile d'ajouter que le Professeur parût rayon- nant au déjeûner et que le crapaud-volant fût pro- clamé à l'unanimité l'explication de l'énigme de la veille.

Mais il faut ici combattre le préjuge populaire aussi vigoureusement que pour les hibous, car les engoulevents appartiennent, comme leurs cousins, aux oiseaux les plus utiles qui existent. Ils ne traient pas, n'aveuglent pas, ils ne mangent ni grain, ni viande; ils happent avec une voracité incroyable tous les insectes de nuit parmi lesquels se trouvent nos principaux ennemis. Ces grands coléoptères qui bour- donnent dans l'obscurité et dont les larves rongent les racines et le bois, ces lourds papillons de nuit dont les chenilles dévastent nos arbres et nos lé- gumes, toute la petite vermine, les teignes et les mouches, les taons et les cousins trouvent un tom- beau dans le vaste gosier de l'engoulevent qui rode dans les écuries et les étables pour cette seule rai- son que la vermine aussi s'y rassemble. Qu'on le laisse donc faire librement; il ne trouble le som-

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meil de personne, et la nuit il travaille pour l'homme, qui, en récompense, le méconnaît et le poursuit.

J'arrive en dernier lieu au coucou, au plus décrié des oiseaux, et peut-être au plus utile que nous con- naissions. C'est le sonneur infatigable du printemps et de l'été qui approche. Il est mêlé à cent histoi- res et, d'après la fable, au concours de chant il rem- porta le prix sur le rossignol, parce qu'il chantait bien le plein chant et que, l'âne, comme de raison, était juge. Nous l'avons tous entendu, mais peu de nous ont aperçu le bel et craintif oiseau qui s'ex- pose rarement aux coups de fusil. Il est très-ma- lin, ne construit pas de nid, mais en ami de la fauvette, de la lavandière ou du roitelet, il dépose ses œufs dans le nid d'un de ces petits oiseaux qui soignent mieux le jeune coucou que leurs propres enfants ; ils les laissent dépérir pour soigner l'intru ! C'est peut-être par indignation morale contre le mau- vais exemple qu'il donne à l'homme que le conseil d'Uri a, jusque dans les derniers temps, donné une prime pour chaque coucou tué. Détruire cet oiseau était une action patriotique. Cette idée de pour- suivre le coucou au nom de la morale outragée, ne remonte-elle pas plus haut, jusqu'aux vieux et maus- sades temps? Était-elle peut-être fondée sur la si-

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tuation d'un des plus hauts magistrats de la vieille et noble république, qui ne pouvait entendre le cri du coucou sans y trouver une allusion? Quoi- qu'il en soit, il est bien certain que, jusque dans ces derniers temps, le coucou était proscrit dans le can- ton éclairé d'Uri, la bastonnade et la schlague sont encore en force de loi et qu'il vient seule- ment d'être rétabli dans ses droits primordiaux.

Le coucou ne joue pas un moindre rôle dans les superstitions, il signifie le diable, quand on n'ose pas l'appeler par son nom. „Que le coucou te prenne!" „ya-t-en au coucou!" sont des expressions couran- tes, et si son cri indique les années et les saisons, il présage aussi une foule de choses à venir. On dit du phtisique, qui s'éteint au printemps, qu'il n'en- tendra plus chanter le coucou; à la jeune fille amou- reuse il indique pendant combien d'années elle doit attendre son amant, aux enfants combien d'étés ils ont encore à vivre. Si on a beaucoup d'argent dans sa poche, quand on entend chanter le coucou pour la première fois, on reste riche tout le long de Fan- née. Il est réellement malheureux que, pour les citadins du moins, cela n'arrive guère que dans des parties de campagne l'on n'a pas l'habitude de porter beaucoup d'argent sur soi. „Les vieilles fem-

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mes," dit un vieil auteur français, „qui ne peuvent plus espérer ni un chaud amour ni une vie fort longue, se contentent habilement de ramasser un peu de la terre sur laquelle était posé le coucou au moment elles l'ont entendu pour la première fois, et re- gardent cette terre comme un bon préservatif con- tre les puces; si le coucou est sur un arbre, un peu de la terre sur laquelle pose le pied droit a la même vertu."

D'autres histoires encore circulent parmi les fo- restiers et les paysans. En automne l'oiseau èst éper- vier et au printemps coucou ; d'autres le changent l'hiver en un crapaud qui se met dans le creux des arbres ; d'autres savent quelque chose de ses migra- tions. Si la fauvette nourrit les petits du coucou, le i milan l'emporte du pays et le rapporte sur son dos.

Et la vérité de tout cela? C'est que le coucou détruit les chenilles des futaies. Il mange aussi d'au- tres insectes; mais les chenilles hérissées de poils et de piquants , les chenilles processionnaires noires et velues, qui ont des propriétés venimeuses, sont celles qu'il préfère pour ses repas journaliers. Il s'en remplit tellement l'estomac, qu'on l'a cru d'abord garni de poils ; ce sont simplement les poils pointus des chenilles qui se piquent dans les membranes de

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l'estomac et sont feutrés par ses contractions. Le coucou peut rendre d'incroyables services par sa voracité. „Je ne m'étonne plus," raconte Ratzebourg, rillustre'i observateur des insectes des bois, „que nos nids de chenilles se soient dépeuplés si vite, depuis que j'ai vu qu'un coucou s'était établi dans le voi- sinage."

TROISIÈME LEÇON.

liiipulsion pour tous les reptiles. Regazzoni et la somnam- bule guërie. Serpens venimeux. Appareil qui porte le poison et son mécanisme. Suites d'une morsure. Comment il faut se garantir des suites du poison. Cou- leuvres. — Orvet. Grenouilles et crapauds. La sa- lamandre à l'épreuve du feu. Comme quoi les crapauds sont méconnus. Leur emploi dans les jardins. Cra- paud-accoucheur.

Messieurs !

La classe d'animaux dont nous devons nous oc- cuper aujourd'hui inspire, en général, un dégoût in- volontaire. Quoique j'aie longtemps étudié, je pour- rais presque dire avec amour les habitudes et la vie de quelques uns de ces animaux, il m'est im- possible de résister complètement à une sensation désagréable, à une sorte d'horreur, lorsque je suis sur le point 'de prendre dans la main un serpent ou une grenouille, une salamandre ou un crapaud. Cette impression froide, cadavéreuse, Todeur re- ' poussante de la sécrétion visqueuse de leur peau, leurs mouvements étranges, leur passage subit de

TROISIÈME LEÇON. 87

l'immobilité à mi mouvement prompt comme l'éclair, le mystère de leur vie et des demeures qu'ils choi- sissent, leur nature rampante, méchante, venimeuse, attributions justes pour quelques uns seulement, fausses pour la plupart, tout se réunit pour em- pêcher les reptiles de paraître des hôtes agréables. Quand on n'y est pas préparé, l'impression de froid que produit une grenouille par exemple, est la sen- sation la plus antipathique qu'on puisse imaginer. On a, par ce moyen, découvert des tromperies dont on aurait vainement cherché la trace de toute autre façon.

Il y a quelques années un certain Regazzoni par- courait tous les pays et s'enrichissait de la crédu- lité publique avec le magnétisme, la seconde vue, le somnambulisme et autres artifices pour l'exécu- tion desquels il avait quelques excellents sujets. Il avait surtout une femme extraordinaire comme exem- ple d'insensibilité corporelle. Plongée dans le som- meil magnétique, elle ne donnait pas le moindre signe de sentiment, quand même on lui causait les plus vives douleurs. Pour les savants, ce résultat d'études stoïques n'avait rien de trop étonnant; l'atroce puissance d'imagination que des femmes ont déployée pour se martyriser et se rendre remar-

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quées, est vraiment incroyable. Les annales de la médecine sont pleines de faits analogues; des in- trigantes se sont fait des blessures qui les condui- saient aux bords du tombeau rien que pour inté- resser le médecin crédule et lui faire écrire une bro- chure sur ce cas extraordinaire. C'est ainsi que la stoïcienne de Regazzoni supportait, sans le moindre tressaillement, des douleurs réelles. Sa réputation se répandait avec celle de l'illustre professeur, et de tous côtés des gens apportaient leur argent pour comtempler crédulement ce miracle. Mais cela eut une fin à Francfort. Un de mes amis voulut démas- quer la tromperie; il avait dans sa poche une gre- nouille vivante qu'il glissa subitement dans le dos de la dormeuse insensible. Elle poussa un cri, fit un mouvement, la farce était jouée.

Nous n'avons dans nos contrées que deux espèces de serpents venimeux, et ils sont relativement si rares, que très-peu de gens les ont vu ou en ont été menacés. On peut donc presque nier, que la haine, que tous les reptiles ont amassée contre eux, soit véritablement instinctive ; nous voyons dans la réalité que dans les vieilles légendes allemandes les gre- nouilles, les couleuvres et les crapauds ne jouaient pas du tout le rôle qu'on leur attribue aujourd'hui.

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Les princes enchantés sont souvent changés en gre- nouilles, et sous cette forme se comportent avec amabilité et charité; les crapauds sonneurs sont sur un pied très -intime avec les enfants et mangent avec eux dans la même écuelle. Les serpents sont amis de l'homme et portent leurs plaintes jusque de- vant le trône de l'empereur. Dans les pays du Nord, le grand serpent Midgard entoure le monde de ses anneaux. Avec le christianisme, la scène change com- plètement, pendant que les fables et les idées de l'Orient sont apportées à l'Occident. La Bible y a beaucoup contribué. La poésie des anciens Juifs est pleine de lions, de serpents et de sautertlles, articles importés, qui trouvent, il est vrai, chez nous un terrain fécond, mais qui n'y ont pas leur croissance naturelle. Comment un véritable Allemand peut-il trouver dans ces bêtes des motifs raisonnés et lé- gitimes de frayeur? Il n'a vu les lions qu'empaillés ou emprisonnés derrière des barreaux de fer ; des ser- pents il n'a vu que l'inoffensif orvet, et il n'a ap- pris à connaître la sauterelle que par cet animal qui saute et bruit doucement dans l'herbe. C'est bien autre chose en Orient. De ses troupeaux, l'homme fait régulièrement la part du lion, de ses moissons, celle des sauterelles, et son pied nu doit se gar-

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der de la morsure des serpents venimeux. Je suis fermement convaincu que les courtes cornes portées par le diable sur beaucoup de vieilles et de récen- tes peintures, et qui, à proprement parler, ne sont que comme deux excroissances sur son front, vien- nent de la vipère à cornes ou céraste, avec laquelle les Juifs eurent souvent à combattre en Egypte, pendant la fuite dans le désert et plus tard encore dans ce pierreiix et stérile coin de terre qu'on a nommé, par ironie, la terre promise.

Dans le fait, les vipères cornues qui sont extrê- mement venimeuses, avec leurs courtes excroissan- ces au-dessus des yeux, ressemblent beaucoup à la p.ersonnification traditionelle du mauvais principe. Les Juifs connaissaient parfaitement toutes les jongle- ries des charmeurs de serpents, des psylles de l'É- gypte et de l'Inde et le bâton d'Aaron, qui se chan- geait en serpent devant Pharaon, se montre aujour- d'hui au Caire et à Alexandrie sur toutes les places, sur tous les marchés;, sans l'intervention protectrice d'un Aaron, d'un Pharaon ou d'une puissance miracu- leuse quelconque. La haine contre les reptiles et leur mauvaise renommée viennent de bien loin et n'appar- tiennent pas au génie germanique. Elles n'en re- posent pas moins sur un fond réel.

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Dans le fait, les contrées tempérées de l'Europe, des Alpes à la Suède, possèdent deux espèces de serpents venimeux: la grande vipère (Porte- croix, Felias berus), plus fréquente au nord, et la petite vipère (Vipera communis ou Aspis), plus fréquente au midi. De l'autre côté des Alpes, en Italie, les espèces venimeuses augmentent, et les plus terribles I se rencontrent, comme on sait, sous les tropiques. ! Nos deux espèces indigènes se ressemblent beau-

Tête de la grande vipère, Tête de la petite vipère,

porte-croix, Pelias beruB. Vipera aspis.

coup, et un examen attentif peut seul les distinguer par les plaques que la plus petite porte sur sa large tête, tandis que la plus grosse n'a que des écailles. Les couleurs de la grande tournent aussi moins sou- vent au brun-rouge et au noir que celles de la petite,

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quia cependant une apparence générale plus grisâtre. Les deux espèces sont des serpents gros et courts, avec une tête large et triangulaire, des dessins som- bres sur le dos qui ne disparaissent presque entière- ment que dans la variété toute noire rencontrée dans quelques localités ; car leurs couleurs passent,^ chose singulière, du gris d'argent par toutes les nuances du brun sale et du rouge de cuivre jusqu'au noir parfait. Les femelles, qui sont d'un tiers plus longues et plus grosses que les mâles, sont plus fréquemment vêtues de couleurs sombres. Au nord de l'Allemagne, à côté de la vipère, on ne trouve que la couleuvre à col- lier qui, d'ordinaire, devient plus grosse; aussi est- il impossible de confondre les vipères venimeuses avec les serpents inoffensifs ; mais dans le Sud, il existe une espèce sans venin (Coluber viperinus) tel- lement semblable à la vipère dans ses signes ex- térieurs qu'on peut aisément les prendre l'une pour l'autre quand on voit un de ces animaux en mou- vement. Le naturaliste Duméril, pendant plus de 40 ans, s'est occupé spécialement des reptiles au jar- din des plantes de Paris et s'est rendu célèbre en publiant sur ces animaux un ouvrage capital en huit volumes. Semblable méprise lui est cependant arri- vée, comme pour le railler de ses longues recherches.

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En se promenant dans un bois aux environs de Pa- ris, il vit un serpent ramper sur le chemin ; trompé par son apparence svelte il sauta dessus et le sai- sit par le milieu du corps, le prenant pour une in- ofifensive couleuvre; mais, lorsqu'il eût été mordu au pouce et à l'index, il reconnut à l'instant son erreur et prit de suite quelques précautions qui n'em- pêchèrent pas une incommodité de plusieurs jours.

Le meilleur signe pour reconnaître nos serpents -venimeux est le dangereux appareil qu'ils portent dans leur bouche et dont la forme fait nos vipères proches parentes de plusieurs serpents venimeux des tropiques, tels que le fer de lance de la Martinique €t le serpent à sonnettes. Leur bouche est exces- sivement grande et peut se dilater plus que celle d'aucun autre serpent. En dehors des crochets ve- nimeux ils ne portent sur la mâchoire qu'un petit nombre de dents trop faibles pour blesser forte- ment une grosse proie ou simplement la maintenir. Les crochets mêmes sont isolés sur la mâchoire supérieure, courte et très-mobile ; des muscles par- ticuliers leur permettent d'agir de telle sorte que, lorsque la bouche se ferme, la dent aiguë s'incline en arrière, lorsqu'elle s'ouvre au contraire elle se place en quelque sorte à angle droit avec la mâ-

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choire inférieure. Ce point est très-important puis- que, par cette disposition, le serpent mordra diffi- cilement un membre garni de muscles dont la sur- face est ronde, comme les bras ou les jambes ; il préférera s'attaquer aux membres isolés comme les pieds et les mains, et surtout les doigts.

Autour des crochets venimeux, la gencive forme une sorte de gaîne qui, lorsque la bouche se ferme, les enveloppe avec les dents de réserve noyées dans la masse des gencives, derrière la dent en fonction. Il est évident que les crochets venimeux sont chan- gés de temps en temps et remplacés par de nou- veaux, sans même avoir servi. Le surveillant de la ménagerie des serpents au jardin des plantes de Pa- ris m'a raconté qu'il trouvait de temps en temps des dents tombées dans la cage des serpents venimeux; il en possédait en effet toute une collection. D'après la forme et la grosseur il savait très-bien distinguer les dents des différentes espèces de serpent à son- nettes, des serpents à lunettes (Coluber naja) et du fameux fer de lance des colonies françaises.

Le mécanisme de l'appareil venimeux est simple. Une glande, semblable aux glandes salivaires, est placée en-dessous et en arrière de l'œil ; elle envoie, à la base de la dent, un conduit le plus souvent

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recourbé en siphon qui a d'ordinaire un renflement en forme de poche pour servir de réservoir; dans toute sa longueur, ce conduit est disposé en spirale, le canal qui le continue jusqu'à la pointe se ter- mine par une fente et donne à cette pointe l'ap- parence d'un cure-dents taillé fin. Pour mordre, le serpent se soulève à mi-corps et lance sa tête en avant avec la rapidité d'une flèche. Au moment il mord, le muscle de la glande comprime le ré- servoir et fait jaillir une goutte de poison mortel dans la blessure qui ressemble à une légère égra- tignure faite avec une aiguille. La liqueur venimeuse semblable à de la salive claire et fluide a une réac- tion acide, une odeur faible et nauséabonde, et, en séchant, elle laisse sur un linge blanc une tache lé- gèrement jaunâtre.

C'est un fait bien établi que le poison de la vipère qui, dans des circonstances favorables a son action, produit une prompte décomposition du sang, comme beaucoup d'autres poisons, n'agit que quand il est in- troduit directement dans le sang. Il ne produit pas la moindre action, si on le place sur la langue. Il se décompose à l'instant dans l'estomac ou le foie, sans occasionner le moindre effet nuisible sur l'organisa- tion quand il est administré par la voie interne.

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Mais l'action est terrible quand le poison est in- troduit directement dans la circulation du sang, et d'autant plus redoutable, que la vipère est plus grosse, que le poison est plus abondant dans le réservoir des crochets , que la saison est plus chaude et que l'homme est plus prédisposé à une altération du sang par réchauffement ou la fatigue. C'est pour cela que les serpents des tropiques doivent être d'autant plus dangereux que la chaleur persistante dispose na- turellement le sang à s'altérer aisément ; d'ordinaire, la blessure fait mal immédiatement comme la piqûre d'une abeille ; bientôt un affaiblissement général, une langueur mortelle, Timpossibilité d'avancer, indiquent que le poison s'est répandu dans la masse du sang et a déterminé l'état morbide du système nerveux central. Une soif insatiable accompagne d'ordinaire les indices généraux de la maladie qui se continue par la diarrhée, les vomissements, plus tard le dé- lire, et conduit à la mort. On peut quelquefois par une fièvre violente et des transpirations abondantes obtenir la guérison.

Ce mal général, occasionné par la décomposition du sang, est accompagné de violents symptômes lo- caux. Le membre mordu enfle énormément, quel- quefois même l'enflure s'étend sur tout le corps, la

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morsure devient bleue, noirâtre, gangrénée, le membre complètement insensible, et souvent cette insensibi- lité ne disparaît qu'à la longue, preuve évidente de l'action énergique sur le système nerveux.

Maintenant, comment peut-on se défendre contre tout cela?

Il faut d'abord éviter de s'exposer à être mordu, ce qui est d'habitude très-facile. La vipère porte- croix est un animal indolent, apathique, qui aime le soleil et les endroits secs. Elle choisit pour sa résidence les coteaux pierreux, couverts de ^buissons clair-semés, et elle se cache dans des retraites à fleur de terre ou s'étend au soleil dans une im- mobilité complète. Elle ne poursuit ni ne fuit. Elle ne mord que si elle est attaquée, excitée ou agacée, ce qu'on fait le plus souvent, sans le savoir. Aussi elle ne mord d'ordinaire que des gens occupés à ramasser du bois, à cueillir des baies ou des plantes. Des bottes et un pantalon protègent complètement contre la morsure de nos serpents venimeux indi- gènes. Le plus souvent un bas suffit pour retenir la plus grande partie du poison et rendre la mor- sure presque inoffensive. Avec un bâton ou une simple badine on peut briser l'épine dorsale d'un serpent et le mettre hors d'état d'attaquer. Il m'est arrivé

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de tuer une vipère qui dormait dans le chemin et sur laquelle des promeneurs avaient passé avant moi sans la remarquer. On regarde avec soin au-

' tour de soi quand ou est dans des localités se trouvent des serpents de cette espèce, et on ne met jamais la main dans des trous qu'on n'a pas pu auparavant sondés de l'œil ou de la canne.

Quand on a le malheur d'être mordu, le premier soin est d'empêcher que le poison passe dans la

, circulation. Si on a sous la main un couteau ou même une forte épine, il ne faut pas craindre d'agrandir la blessure par, une incision convenable et de faire couler abondamment le sang; il vaut mieux souffrir d'une coupure profonde que d'une morsure veni- meuse. On active l'écoulement du sang en laissant pendre le membre blessé, en le lavant avec de l'eau tiède si on peut s'en procurer. On lave et on net- toie pour enlever tout ce qu'on peut; si on a la facilité de porter le membre à sa bouche, ou si une autre personne est présente, on peut sucer immé- diatement le sang et le venin de la blessure. Nous avons des récits moraux pour les enfants dans les- quels sucer la morsure d'un serpent venimeux est représenté comme l'acte le plus grand d'héroisme maternel et de dévouement. La chose n'est pas si

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grave. Quand on a des gencives saines et fermes qui ne saignent pas en suçant, quand on crache de temps en temps ce qu'on a sucé, on ne ressent pas le moindre inconvénient; dans le cas contraire une légère enflure des lèvres et de la langue, quelques envies de vomir vous puniront de votre audace. On peut donc avoir cette bravoure quand il s'agit de conserver sa propre santé ou celle de son prochain.

Puis on lie fortement le membre, aussitôt que possible, au-dessus de la morsure, pour arrêter la circulation et empêcher que le venin ne se mêle à la masse du sang. Suivant les circonstances, on n'in- tercepte que les vaisseaux superficiels et les veines de la peau, et il est d'ordinaire facile de comprimer les principales veines superficielles avec un morceau d'étoffe qu'on déchire au besoin de ses habits, de telle façon que la circulation soit presque complète- ment arrêtée, si on n'a pas pu y arriver entièrement, l'introduction graduelle du poison dans le sang est de grande importance, l'état morbide en est consi- dérablement diminué et affaibli. Castelnau raconte que, dans l'Amérique du sud, on traite de cette fa- çon les morsures de serpents; de temps en temps on défait pour un instant la ligature du membre, puis on la resserre pour recommencer quelques mi-

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nutes après la même opération. Il se produit à cha- que ouverture de la ligature de légères convulsions qui deviennent sans danger, parce qu'elles sont ré- parties sur un temps plus long, tandis que par l'in- troduction subite de tout le poison elles augmentent de force et amènent la mort.

Ce que l'on peut faire, il faut le faire promp- tement, sans y mettre le flegme allemand ou de lon- gues réflexions. On déchire un morceau de son vête- ment pour entourer son doigt, on prend son cou- teau, on fait une incision, on suce, on crache et on recommence à sucer, tout cela doit être l'ou- vrage de quelques secondes, car le cœur de l'homme va vite, et en une minute la masse du sang a par- couru le corps entier. Si, après ces moyens éner- giques, des symptômes généraux de malaise se pré- sentent, c'est l'affaire du médecin. On peut cepen- dant indiquer l'emploi de la transpiration, comme un moyen spécial à employer.

Ainsi que nous l'avons déjà dit, la vipère ne mord l'homme que lorsqu'elle y est contrainte pour se défendre ; elle se nourrit de petits animaux qu'elle peut engloutir complètement, et parvient rarement à saisir des oiseaux à cause de son indolence et de sa lenteur. Ce qu'on raconte du charme fascinateur de

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ses yeux, réellement beaux, est pure fable. Sa nour- riture préférée se compose de souris et de taupes, qu'elle avale tout entières. Wyder de Lausanne, un de ces rares amis des serpents, avait littéralement rempli sa maison de reptiles vivants. Un»jour il trouva une vipère porte-croix couchée sans mou- vement au travers du chemin et visiblement gon- flée de nourriture. Pour Icnferraer dans une bou- teille, il eut de la peine à faire passer son corps gonflé par le goulot, et rapporta sa capture à la mai- son. Arrivé là, il trouva dans la bouteille sa vipère toute amincie et à côté d'elle le corps d'une grosse taupe qu'on ne pouvait plus sortir par le goulot.

Le hérisson est l'ennemi acharné de la vipère, je l'ai déjà dit. Mais la martre et la belette, le putois, l'hermine et aussi la buse et la bondrée ne craignent pas plus que lui la morsure de la vi- père et la saisissent quand ils la trouvent sur leur chemin. Le venin n'agit pas non plus sur les ani- maux à sang froid, comme la grenouille.

Les autres serpents que nous possédons en Al- lemagne et en Suisse, la couleuvre à collier (Colu- ber [Tropidonotusj natrix), avec son collier jai^ne, ordinairement bordé de noir; la belle couleuvre de Schwalhach (Colub(r flavescens), avec le dos noir

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et le ventre jaune-soufre; la couleuvre lacet ou cou- leuvre d'Autriche toute lisse (Coronella lœvis), le corps rouge-gris, avec des taches brunes disposées presque alternativement sur le dos; la couleuvre vipérine (Coluber viperinus), qui par ses signes ex- térieurs ressemble tant à la vipère , tous ces ser- pents sont des animaux complètement inoffensifs qui peuvent à peine entamer la peau de l'homme; ils se nourrissent de grenouilles, de jeunes souris ou d'autres petites bêtes qu'ils avalent entières. Un nouvel auteur a récemment peint avec une abondance des plus poétiques cet étouffement des greno'iil- les par les couleuvres. Nous ne le suivrons pas dant; sa description, je me permettrai seulement de citer ses derniers mots, rien que pour montrer jusqu'où peut s'égarer la prolixité: „A ce moment le pauvre animal pousse régulièrement ce lamentable cri de douleur que nous avons déjà entendu, et, sous l'im- pression de ce doulftureux soupir, I3 dernier regard de tristesse que la grenouille jette sur le monde sem- ble avoir une expression particulière."

Pour éviter toute incertitude, on peut poser en principe qu'il est bon de tuer, sans autre examen, tous les serpentS' qu'on rencontre, puisque les in- offensifs mêmes ne sont d'aucune utilité particulièer

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dans réconoinie humaine, mais alors je serai obligé de dire quelques mots pour la protection d'un ani- mal auquel sa fâcheuse forme attire une foule de persécutions imméritées, et qui, pour son malheur, porte un masque peu favorable. Je veux parler de l'orvet, (Verborgne, Anguis fragilis), pauvre petit serpent cylindrique de couleur brune que nous ren- controns dans les endroits gazonnés, les sentiers des bois, le long des haies et des buissons ; il avance en rempant lentement, se brise facilement, quand on le frappe, et meurt le plus souvent victime de notre colère contre les serpents. Cette ardeur à le poursuivre cesserait certainement, si les gens vou- laient bien se persuader que l'orvet n'est pas un serpent, mais un simple lézard sans pattes, complè- tement organisé comme les autres lézards, ces gra- cieuses petites bêtes auxquelles personne ne songe à faire de mal. Il n'en diffère que par l'absence de pattes , car le caractère distinctif des serpents et des lézards ne consiste pas dans les pattes; il y a des serpents avec des rudiments de pattes, comme les boas, des lézards à deux pattes et des lézards sans pattes. La différence est au contraire dans l'organisation de la bouche et du gosier. Chez les serpents les os de la mâchoire inférieure sont

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séparés au milieu et s'articulent avec le crâne au moyen d'un appareil compliqué d'osselets, de telle façon que cette mâchoire inférieure peut se dila- ter beaucoup non seulement de haut en bas, mais encore de côté, et le gosier lui-même peut en se distendant avoir cinq à six fois le diamètre du corps du serpent. Les lézards sont organisés autrement ; chez eux les deux moitiés de la mâchoire inférieure sont solidement soudées au menton et attachées di- rectement au crâne. Le gosier ne peut s'ouvrir que faiblement, comme celui d'un mammifère, et l'é- cartement latéral est impossible. L'orvet est orga- nisé de cette façon: il a, comme tous les lézards, la bouche ainsi conformée avec de petites dents ex- trêmement fines, qui font sur la peau une impres- sion à peine visible.

11 se nourrit comme eux. J'ai ouvert des douzai- nes d'orvets, et je n'ai jamais trouvé dans leur es- tomac que des limaces et surtout le limaçon des champs et celui des jardins qui paraissent être sa nourriture préférée. On le trouve dans le gazon près des planches de nos jardins, et il est extrêmement utile pour la destruction des ennemis de nos cul- tures. Il ne tète pas les brebis et les vaches plus que la couleuvre à collier, qui va dans le voisinage

TROISIÈME LEÇON. 100

4es étables pour déposer ses œufs clans les tas de famier eu fermentation. 11 ne rend pas aveugles les personnes qui dorment, en passant sur leurs yeux, et ne pénètre pas dans l'estomac par la bouche ouverte, pour mordre le cœur, comme dit le peuple. C'est un des plus innocents, des plus misérables et en même temps des plus utiles animaux qu'on puisse conserver dans un jardin; comme utilité if rivalise avec ses congénères aux pieds rapides, les lézards des murailles et des champs qui courent, grimpent et sautent après les insectes, les limaçons et toute cette vermine.

Je dois aussi recommander à votre amitié et à vos soins attentifs les amphibies de l'ordre des ba- traciens : la rainette, la grenouille des prés, les cra- pauds de toute espèce, comme aussi la salamandre à queue. L'église savait bien que les cuisses de gre- nouilles étaient un mets des plus délicats , et c'est pour cela qu'elle les a placés avec les poissons parmi les plats maigres. Les pauvres rainettes sont chè- res aux pharmaciens qui dans quelques contrées les emploient comme baromètre vivant , et s'amu- sent des bonds qu'elles font après les mouches dans leur prison Dans le fait, les rainettes se distinguent complètement dts baromètres physiques en ce que

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le baromètre indique avec plus ou moins de certi- tude le temps qu'il va faire, et la rainette le temps qu'il fait au moment même, Pour moi du moins j'ai toujours remarqué que la rainette ne m'en dit pas plus qu'un coup d'œil par la fenêtre, qu'elle reste dans l'eau quand il pleut dehors, et qu'elle se tient sur- son échelle quand le soleil paraît. Mais il est agréable à des hommes de science, comme le sont gé- néralement les pharmaciens, de posséder un con- trôle de leurs observations immédiates.

Les petites salamandres d'eau, dites Tritons, aux nageoires larges et plates qui vivent dans les fos- sés et les flaques d'eau, passent dans quelques con- trées de l'Allemagne pour indiquer les sources d'eau bonne à boire, comme les goujons, quoiqu'elles se tiennent aussi bien dans les fossés vaseux, les fla- ques d'eau dormante que dans les silencieux ruis- seaux des bois. Du reste la voix populaire n'a at- taché aucune signification à ces petits animaux, mais elle s'est largement rattrapée avec la grande sala- mandre terrestre, à la queue ronde et aux taches jaunes, qu'on rencontre souvent dans les parties hu- mides des bois. Son épiderme sécrète un mucilage visqueux et blanc qui répand une odeur d'ail et a quelques propriétés caustiques; mais on les a beau-

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coup exagérés. J'ai tenu des heures entières des sa- lamandres vivantes dans ma main. Un jour dans une excursion au Stockhorn, oiî nous avions été surpris par un violent orage, lorsque la pluie eut cessé, nous récoltâmes à la main plus de cent salamandres noi- res des Alpes, espèce voisine de la salamandre tache- tée, que l'humidité avait chassées de leurs retraites; nous n'en éprouvâmes d'autre désagrément que cette odeur insupportable qui tient aux mains. On prétend en Italie avoir extrait récemment de cette sécrétion cutanée un poison extraordinairement violent, qui n'agirait que par s;)n introduction directe dans le sang et la circulation comme le venin des vipères ; mais la quantité obtenue était si faible qu'on n'a pas pu jusqu'ici faire des recherches plus exactes. La sécrétion abondante qui se produit, lorsqu'on irrite ou tourm.'nte les salamandres, peut éteindre quel- ques charbons, quand on les jette dans le feu. C'est ce qui paraît avoir donné naissance à la fable qui les fait vivre dans le feu et leur attribue une ac- tion venimeuse énergique. Les anciens se sont déjà occupés de ces contes, A.ristote, il est vrai, avec de I grands doutes mais Pline, le compilateur, avec des exagérations étonnantes Permettez-moi de donner la traduction des passages qui s'y rapportent.

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Aristote n'en dit' que ces mots: „La nature est capable de mettre certains animaux à l'épreuve du feu, comme nous le montre la salamandre qui, à ce qu'on rapporte éteint le feu en le traversant." (Li- vre V, chnp. 17 ou 19.)

Pline, au contraire, nous dit: ,,La salamandre a la forme d'un lézard; son corps est étoilé. Elle ne paraît jamais que dans les grandes pluies et dis- paraît avec le beau temps. Elle est si froide que par son contact elle éteint le feu, comme ferait la glace. Le liquide blanc comme du lait qu'elle rejette par la bouche, fait tomber le poil de toutes les par- ties du corps humain qu'elle touche et laisse une tache blanche sur la partie touchée." (Livre X, cha- pitre 86.)

„Des animaux venimeux la salamandre est le plus dangereux. Les autres ne frappent qu'une seule personne; en tuer plusieurs à la fois leur est im- possible; et même on dit que, dès qu'ils ont mordu un homme, la conscience de leur forfait les mène peu à peu à la mort et que la terre les repousse ; mais la salamandre peut tuer à la fois toute une popula- tion imprudente. Si elle rampe sur un arbre, elle empoisonne tous les fruits, et tous ceux qui en man- gent succombent à un poison non moins énergique

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que l'aconit ; si on cuit du pain avec du bois qu'elle a touché rien que de la patte, le mal est le même. L'eau du puits elle tombe, est de même empoi- sonnée. Sa bave en quelque endroit qu'elle nous at- teigne, même sur le pied, fait instantanément tom- ber les poils de tout le corps. Quelques animaux cependant avalent impunérnent cet être doué d'un poison destructeur, le porc par exemple, tant les contrastes sont fréquents dans la nature. Le virus de la salamandre a, pour premier remède, les ani- maux qui la mangent ; puis les cantharides en breu- vage, les lézards comme aliment solide ; les autres antidotes ont été indiqués plus haut, ou bien le se- ront plus bas, à mesure qu'ils paraîtront Si les magiciens avaient raison dans ce qu'ils disent de la propriété qu'a la salamandre d'éteindre le feu, Rome l'aurait sans doute constaté par l'expérience; mais SextiuS: qui regarde la salam-xndre comme aphro- disiaque, lorsqu'on la mange gardée dans le miel après ablation des intestins, de la tête et des pattes, lui refuse la propriété d'éteindre le feu." (Liv. XXIX, chap. 23.)

Benvenuto Cellini, dans ses mémoires, nous raconte que son père vit une salamandre dansant dans le ;feu, ce qui nous prouve que cette antique fable

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était accréditée au moyen- âge. L'observation nous apprend que la salamandre est un pauvre animal qui habite les lieux humides, ombragés et sombres, se tient caché le jour, ne sort de sa retraite que la nuit ou par un temps de pluie, et se nourrit principalement de vers, de limaces et d'insectes.

J'arrive au crapaud qui, zoologiquement, diffère de la grenouille moins par sa peau visqueuse, sa démarche lente et rampante que par l'absence de dents dans la bouche. Y a-t-il rien de plus hideux que ce gros' crapaud épaté, au ventre gonflé, qui pro- mène ses lentes pérégrinations nocturnes à travers les plantes et les pierres. Il trouble le calme du clair de lune pendant les chaudes nuits d'été et répand au- tour de lui une repoussante odeur d'ail. Le gamin de Paris, comme l'habitant de Sachsenhausen, ap- pellent leur adversaire ^crapaud", quand ils veulent lui témoigner un profond mépris.

On a pu remarquer un fait signalé récemment par tous les journaux. Il se fait actuellement entre la France et l'Angleterre un commerce considé- rable de crapauds. Un crapaud de bonne grosseur .et en bon état se paie à Londres jusqu'à un shil- ling, une livre la douzaine. On met dans les jar- dms maraîchers ces crapauds auxquels on à pré-

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paré des abris. Beaucoup de gens ont secoué la tête en apprenant cette nouvelle bizarrerie des An- glais; mais rira bien qui rira le dernier. Les An- glais ont raison cette fois. J'avais dans mon jardin un crapaud brun, gros comme le poing. Le soir il rampait hors de son buisson et allait sous un banc de jardin. Je veillais soigneusement sur lui; une femme qui l'aperçut un jour, le tua d'un coup de bêche et crut avoir fait une belle action ; mais les lima- çons mangèrent les résédas qui embaumaient tout autour du banc. Qu'est-ce qu'on n'a pas dit en vers sur ces pauvres bêtes! Dans le Décameron de Boc- cace deux amants sont tués par les exhalaisons d'un crapaud caché dans une touffe de sauge près de la- quelle ils s'étaient rencontrés. C'est une faible par- tie des méfaits prêtés à la pauvre bête.

Il est vrai que la plupart des espèces, particu- lièrement les grosses, le crapaud brun (Bufo vul- garis) et le crapaud vert ou calamité (Bufo cala- mita) ont une peau rugueuse, tuberculeuse et pleine de glandes qui laissent échapper un liquide âcre et blanchâtre; chez ces derniers surtout ce liquide' a une odeur très-acre et très-désagréable et peut- être même est-il capable d'irriter légèrement une peau très-tendre. Les oiseaux auxquels on a ino-

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culé ce liquide, meurent promptement dans les con- vulsions. Leur goût ne paraît pas très-agréable ; du moins, beaucoup d'animaux qui mangent les grenouil- les respectent les crapauds Dans une ménagerie, un de mes amis jeta dans la cage des tigres et des lions quelques crapauds vivants. Les carnassiers se se jetèrent dessus avec colère, mais ils les laissèrent promi)tement tomber de leurs gueules en montrant tous les signes du dégoût, puis ils se secouèrent, sa- livèrent abondamment, et avec leurs pattes repous- sèrent les reptiles par-dessous la grille hors de la cage. La sécrétion cutanée des crapauds peut avoir un goût et une odeur désagréable, peut-être même des propriétés caustiques, mais elle n'est ni venimeuse ni même dangereuse pour l'homme. J'ai ouvert bien des crapauds, j'en ai longtemps tenus dans ma main et je ne me suis jamais trouvé trace de rougeur ou d'irritation. Peut-être l'introduction immédiate dans le sang peut-elle avoir une action venimeuse, mais un crapaud ne saurait blesser un homme.

Parmi les fables qu'enfants nous apprenons tous par cœur se trouve celle du ver luisant et du cra- paud qui lance contre lui tout son venin. Les cra- pauds ne lancent pas de venin. Quand on les tour- mente, ils émettent souvent par le derrière un

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liquide clair comme de l'eau; la grenouille en fait autant, et aucun homme ne regarde chez elle ce li- quide comme venimeux; c'est presque de l'eau pure que ces animaux projettent hors d'eux de cette ma- nière à l'aide de leur vessie, et il n'y a pas le moindre poison dedans.

Lamorsure du crapaud dit-on est très-venimeuse. Je le croirai volontiers, quand j'aurais vu la morsure d'un crapaud. Ses mâchoires sont privées de dents, recouvertes d'une peau molle qui n'est pas moitié aussi dure, cornée ou puissante que le bec d'un oi- seau ou d'une tortue; elle est si mince, si faible qu'un crapaud ne peut pas serrer à beaucoup près aussi fort qu'un enfant nouveau avec ses gen- cives dégarnies, qui lui donnent à peine- la force de saisir le sein de sa mère; soutiendra- 1- on qu'un nourrisson de quelques jours peut mordre jusqu'au sang.

C'est bien! Ils ne mordent pas; mais ils tètent les chèvres et les vaches dans les étables et leur bave, par son action venimeuse, fait perdre le lait aux animaux. De la bave, ils en ont à peine, et les cra- pauds peuvent aussi peu tèter que les grenouilles ; la conformation de leur bouche ne le leur permet pas.

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114 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

Toutes ces accusations sont des erreurs et dc^ calomnies. Laissons cela de côté et allons au fon-i des choses. Nous voyons qu'un animal nocturne d'une épouvantable laideur, par sa vie étrange, son odeui désagréable doit nécessairement amasser sur sa tête tous les ^préjugés défavorables. Mais interrogeon.^ l'observation, la froide observation, et notre horreui se changera tout au moins en tolérance. Nous trou- vons un animal qui à la chute du jour, par les tempj humides et la pluie, abandonne ses sombres re- traites et s'avance lentement sur le sol, moitié sau- tant, moitié rampant, explorant de l'œil le chamj ou le jardin. Il peut supporter la faim extrême- ment longtemps, il sèche et passe alors presque î l'état de momie. Il peut prendre des repas abon- dants et dévorer presque sans mesure. Mais on n(

trouvera j^imais dans son estomac autre chose qu( i ' I des débris non digérés d'insectes, de coléoptères '

de larves et de vers, et surtout de limaces ; un cra-^

paud en détruit de si grandes quantités qu'on nal

saurait trouver un meiUeur gardien pour les tenJ

drcs plants de salade et les jeunes légumes. Quanàl

la nuit, par les temps humides, les limaçons sortenll

du sol, le crapaud commence sa chasse lente mais

sûre, et ne la cesse qu'au lever du soleil. Il n'a qu'un

TROISIÈME LEÇON. 115

petit district, il l'explore à fond et apprend d'au- tant mieux à le connaître qu'une longue vie lui per- met de le parcourir pendant bien des années.

Les jardiniers anglais les utilisent aujourd'hui. Depuis des siècles les naturalistes prêchaient que les crapauds étaient inoffensifs, mais on ne les écou- tai pas. Cuvier disait il y a cinquante ans: „Les crapauds sont des animaux d'une forme laide et hideuse que l'on accuse à tort d'être venimeux par leur salive, leur morsure, leur urine et même leur sécrétion cutanée." Aujourd'hui que les Anglais se sont mis au-dessus d'une repulsion, d'un préjugé historique, d'autres pays suivront peut-être leur exemple. On trouvera que les crapauds sont des animaux hautement utiles, qu'ils ne répandent au- cun poison et qu'on n'a pas besoin de les défendre contre les araignées; ils n'éclatent pas en passant sous leurs toiles. On pourra aisément se convaincre qu'un jardin dans lequel habitent des crapauds, des orvets et des taupes rapporte beaucoup plus de légumes que celui qu'on a débarassé avec soin de tous ces reptiles et de ces fouisseurs ; alors on y entretiendra avec plaisir des crapauds et on les verra devenir de véritables animaux domestiques.

Dans le fait, les crapauds s'habituent à l'homme

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116 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

et ne paraissent pas insensibles aux sentiments ten- dres; on connaît l'histoire qui semble empruntée aux vieux contes populaires d'un crapaud qui, de- puis trente ans, habitait sous un escalier et sortait le soir, quand la famille prenait son repas, pour en avoir sa part comme les chiens et les chats. La famille pleura le jour un accident priva de la vie ce dévoué serviteur. Quelques uns de mes amis croient qu'après avoir comblé de bienfaits m crapaud ils ont obtenu de ce vilain animal des preu- ves évidentes de reconnaissance. Un certain capitaine Percy qui se vantait d'être un successeur du fameux Hotspur m'a raconté que dans un voyage à l'intérieui de la Sicile il avait trouvé, sur un chemin, un ser- pent en train de dévorer un crapaud. Il tua le ser pent ; le crapaud s'éloigna. Six jours plus tard i repassait par le même chemin; tout à coup queUÉti que chose lui saute après la jambe, c'était son crajA paud, qui voulait de cette manière lui témoigner s; reconnaissance et qui l'avait positivement reconnu

,,MaiSj Capitaine", lui dis-je, „comment avez-vou; pu reconnaître le crapaud, que vous aviez sauvé' Un crapaud ressemble autant à un crapaud qu'i œuf à un œuf."

C'est vrai", reprit le capitaine, „mais il m'a re

TROISIÈME LEÇON. H'

ardé avec des yeux si reconnaissants que je n'ai as pu douter de son identité."

Si quelqu'un voulait nier encore que les cra- auds mal famés puissent fournir des exemples re- ommandables de tendres vertus, je lui rappelerais rapaud dit accoucheur (Alytes obstetricans). La Miielle pond un chapelet d'œufs entourés d'une < au épaisse, qui se durcit au point de ressembler une masse de caoutchouc. Le mâle l'aide à mèt- re au jour cette masse d'œufs qu'il enroule au- our de ses jambes; puis, il va, avec son fardeau, se acher souvent à plusieurs pieds de profondeur dans (' l'argile humide, et il resta des semaines en- nés sans nourriture dans un trou noir pour y lire éclore les œufs. Lorsque les larves sont as- Gz développées pour pouvoir vivre toutes seules, cesse son incubation et cherche la flaque d'eau fi plus voisine pour les y déposer. Pendant tout jn été, j'ai tenu une colonie de ces crapauds cou- jeurs dans de la glaise au fond d'un grand poêle în terre, et j'en ai trouvé quelques uns qui s'é- nient tellement serré la cuisse qu'elle s'était gan- arénée. Ils passaient le temps de leur emprison- nement à pousser des sons de cloche ressemblant ceux d'un harmonica dans le lointain, et, souvent,

118 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

ils faisaient tendre l'oreille à nos visiteurs qui ne pouvaient pas découvrir de quel endroit cela ve- nait. Nos crapauds ne rappellent-ils pas bien ces prin- ces d'Otahiti que Cook trouva dans le lit d'accou- chement parce que leur femme venait d'avoir un en- fant, et qui, pendant les quatres semaines des couches, ne prisaient plus, malgré leur passion pour le tabac, parce que cela pouvait faire mal à l'enfant?

Les crapauds sonneurs (Bombinators à ventre jaune et bleu) qui se trouvent dans les flaques d'eau sont également d'habiles ventriloques et leur ounk! ounk! semble venir de loin, lorsqu'ils crient dans une flaque d'eau à côté de nous.

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QUATRIÈME LEÇON.

(limaçons. Leurs migrations. Vers de terre et leur force musculaire. Fable des tronçons de vers coupés qui se ressoudent. Les mille-pieds. Aventure d'un officier prussien. Les cloportes. Les Arachnides. Les ricins et les mites. Hahnemann, le fondateur de l'bomœopathie et la gale. Mite du fromage. Le ci- ron tisserand. Faucheur.s. Araignées fileuses, vaga- bondes et chasseuses. La tarantule, sa morsure, son habitation et son cœur.

Messieurs!

Avant de passer aux insectes qui doivent rem- ir le reste de nos leçons, je crois devoir, dans

présente séance, réunir quelques animaux qui appartiennent ni aux vertébrés ni aux insectes et î sont pas cependant sans influence sur l'économie amaine. Les uns sont des mollusques, des colima- ms avec ou sans coquille dont le corps gluant glisse ir un pied plat puissamment musculé. Ils portent a dedans de leurs lèvres molles des mandibules ou lôme des façons de râpes particulières, qu'on ap- <elle leur langue, sortes de lames cornées sur les- luelles sont souvent disposées en grand nombre

120 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

des dents très-fines régulièrement rangées. Cette langue-râpe travaille, à l'aide de ses fines dents cor- nées, contre un bourrelet opposé de même matière, et peut de cette façon produire une action notable, principalement sur les parties molles des plantes.

Tous nos limaçons respirent par des poumons en forme de poche. Observez un limaçon se pro- menant tranquillement, vous verrez, sur le côté droit de son corps, à une certaine distance derrière la tête un trou ovale qu'il ouvre et ferme de temps en temps. La cavité qui se trouve derrière ce trou ne mène pas seulement à un vaste sac respiratoire, mais aussi aux ouvertures du canal intestinal et des parties sexuelles. Le besoin de respiration est ce- pendant beaucoup moins grand chez les limaçons que chez les autres animaux ; ils peuvent, pendant des semaines, rester daps leur coquille fermée par un couvercle et ne souffrent pas sensiblement.

L'humidité est un besoin absolu, l'obscurité un bienfait pour les limaçons. Leur corps "sécrète con- tinuellement une mucosité abondante, visqueuse et filante qui reste sur leur chemin et trahit leur pas- sage par une sorte d'enduit à éclat argenté. Ils ne peuvent avancer que quand l'objet sur lequel ils se trouvent est humecté par cette mucosité ; aussi leur

QUATRIÈME LEÇON. 121

est -il très- difficile de marcher sur la cendre, la sciure de bois et autres matières semblables qui adhèrent à cette mucosité. On a imaginé, d'après cela, un moyen de défendre les planches des jardins contre les limaçons en couvrant les sentiers qui les entourent de sable, de sciure, de cendre, de sco- ries et de poussier de charbon bien sec et pulvé- risé très-fin. Seulement, on a oublié que les ravages du limaçon, en général, n'étaient à redouter que dans les années humides et pluvieuses ; alors les j)luies fréquentes donnent à tous ces obstacles une surface lisse et unie que le limaçon peut franchir sans peine. Un long voyage sur un grand chemin, par un soleil ardent, tuerait indubitablement une limace. L'abondante sécrétion visqueuse avec la- quelle elle cherche à se garantir des rayons du so-- leil devient bientôt si épaisse qu'elle empêche tout mouvement; elle se sèche et prend l'apparence d'un morceau de corne. Si cet état dure trop longtemps, la limace finit par mourir ; c'est pour cela que, par les journées chaudes et sèches, les limaces se ca- chent dans la terre, sous les haies et les feuilles, au pied des troncs d'arbres et des murs, et ne sor- tent que la nuit, sitôt que la rosée commence, ou lorsque la pluie tombe.

12-2 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

Dans les champs et les jardins c'est principale- ment la petite limace grise, jaunâtre ou brune (Li-

Limace grise.

maxagrestis) qui, dans les années pluvieuses comme 1816 et 1817, fait des ravages terribles et dévore avec avidité les jeunes trèfles, les céréales qui lè- vent, les salades, les haricots, les fraises, les cu- curbitacées et même les navets et les choux. Dès le commencement du printemps, elle rampe hors de terre, elle a pris ses quartiers d'hiver à une pro- fondeur de 2 à 3 pieds et elle a attendu, re- pHée sur elle-même, la venue des pluies printa- nières. Souvent même, par le dégel, l'humidité qui pénètre la réveille de si bonne heure qu'elle arrive à la surface du sol sous la neige en fusion. Sa repro- duction se fait pendant tout Tété de Mai à No- vembre, et, comme ces animaux sont hermaphrodi- tes, que les organes masculins et féminins sont com- plets sur chaque individu, ils se fécondent récipro- quement et déposent des centaines d'œufs sous les feuilles sèches, en terre, le long des murs et des

QUATRIÈME LEÇON. 123

haies. Il est très-facile de se procurer de ces œufs. Il suffit de nourrir dans une boîte humide quel- ques limaçons avec des feuilles de salade et on trou- vera presque régulièrement chaque matin, à la sur- face inférieure de ces feuilles, une masse d'œufs ronds et moyennement gros qui ont une coque calcaire très-mince. A l'intérieur un vitellus visible à peine à l'œil nu nage dans un liquide albumineux abon- dant et clair comme de l'eau. Le développement de ces œufs dure de 14 jours à 3 semaines En deux mois, avec une bonne nourriture, le limaçon éclos est déjà arrivé à plus de la moitié de sa grosseur.

Les grandes limaces rouges et grises (Arion em- piricorum et hortensis) qu'on emploie pour faire du bouillon gélatineux, notamment dans les maladies de poitrine, et la très-grande limace tachetée de gris (Limax maximus) qui se rencontre assez fréquem- ment dans les caves ne viennent presque jamais en quantité telle qu'elles puissent causer des dommages sensibles. Elles sont cependant des hôtes tout aussi désagréables que le grand colimaçon de vigne avec sa coquille brun-jaune (Hélix pomatia) et les coli- maçons des buissons et des haies (Hélix nemoralis et hortensis) avec leurs coquilles jaunes ou rouges souvent ornées de bandes brunes ; ils causent quel-

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quefois des dommages sérieux aux arbustes d'orne- ment et aux arbres à fruit.

Les ennemis des limaces sont nombreux. Les crapauds et les orvets s'en nourrissent presque ex- clusivement. Les taupes, les musaraignes, les ca- nards, les poules, les choucas, les corneilles, les pics et les corbeaux les chassent avec avidité et le carabé doré lui-même ne les dédaigne pas. Leur plus grand destructeur dans nos jardins est le cra- paud, comme nous l'avons dit plus haut- Les bor- dures de buis plantées autour des plates -bandes favorisent particulièrement la reproduction de ces vilaines bêtes qui trouvent un abris dans le feuil- lage épais et toujours vert. On attire facilement les limaces en plaçant sur le gazon, pendant la nuit, une planche mouillée qu'on arrose pour entretenir l'humidité tout autour. Dans les plates-bandes on place çà et des morceaux de courge dont elles sont' friandes. Ce dernier moyen de les attirer a le mauvais côté de ne pouvoir être employé qu'à l'automne, quand les courges approchent de leur maturité, et c'est au printemps que les limaçons font le plus de mal en mangeant les jeunes plantes.

Dois-je aussi vous parler des vers de terre (Lum- bricus agricola) qui mènent sous terre une vie ca-

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QUATRIÈME LEÇON. 125

chée, ne sortent que par les pluies chaudes, et ont encore la précaution de rester engagés dans leur trou par la partie postérieure du corps pour pou- voir s'y retirer rapidement au moindre ébranlement du sol. Ils ne sont véritablement pas très-nuisibles, quoique très-voraces, et la terre riche d'humus ne leur suffisant pas, „ils cherchent les plantes pour- ries", dit un de leurs observateurs, ,,et quand ils n'en trouvent pas, ils préparent eux-mêmes leur nourriture en traînant dans leur trou ce qui s'offre à eux. On sait que les brins de paille, les plumes, les feuilles, les morceaux de papier qu'on voit le matin fichés en terre dans les cours et les jardins et qui ont l'air d'avoir été plantés par des enfants, sont enterrés la nuit par ces vers. Bien des per- sonnes ont de la peine à croire qu'avec de si faibles moyens d'action un vers puisse triompher de si grands obstacles. Quand on a éprouvé la résistance qu'op- pose un ver, si on veut l'arracher de la terre, on n'est plus étonné de la force musculaire d'un animal, qui n'est presque composé que de muscles et de peau. Il saisit par le milieu un gros brin de paille et tire si fort qu'il le brise en deux pour l'entrer dans son trou. Il introduit de même sans aucune dif- ficulté de grosses plumes de poule avec leurs barbes

126 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

et déchire une feuille de framboisier pour le faire entrer dans un trou étroit." Aussi les vers de terre sont-ils particulièrement nuisibles aux jeunes plan- tes qu'ils entraînent dans leurs cavités. Les carabes, les scolopendres et les mille-pieds, mais surtout les taupes, sont les ennemis acharnés des vers de terre.

Il faut que je combatte ici encore un préjugé. Les jardiniers m'ont souvent montré des vers sur le corps desquels une zone de quelques lignes de long était plus rouge et sensiblement gonflée. ,,Vous voyez bien, la bêche l'a coupée par le milieu et il s'est ressoudé." Je ne sais pas si les vers, comme d'autres animaux inférieurs, peuvent remplacer une partie de leur corps. On n'a pas fait là-dessus d'ex- périences, mais les naturalistes savent que tous les vers possèdent cette zone qui gonfle beaucoup au temps de la reproduction et qui joue à cet égard un rôle important. Quoique des centaines de vers soient coupés en deux, quahd on retourne les plan- ches des jardins, je n'ai jamais trouvé un ver ci- catrisé ou en train de repousser; aussi je crois que les parties séparées meurent promptement et disparaissent.

Dans les lieux humides et marécageux, sous les écorces et dans la mousse, dans les caves et sous

QUATRIÈME LEÇON.

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terre nous trouvons souvent de petits animaux ar- ticulés, formés de nombreux anneaux réunis qui possèdent une tête visible avec des yeux et des antennes. Ils courent sur un nombre infini de pat- tes, d'où leur nom de mille-pieds (Myriapodes). Ce sont des intermédiaires entre les crustacés et les insectes. Pendant qu'ils respirent, comme ces der- niers à l'aide de nombreux conduits d'air dissémi-

nés dans le corps qu'on appelle des trachées, ils ont à chaque anneau des appendices articulés ou pattes disposées comme celles des écrévisses. Les grosses scolopendres des contrées méridionales sont connues par leur morsure venimeuse. Les petites espèces qui vivent chez nous, peuvent avec leurs faibles mâchoires terrasser un petit insecte, ou, comme nous l'avons vu tout à l'heure, attaquer un ver avec succès, mais elles ne peuvent pas entamer la peau de l'homme. Néanmoins, le plus grand nombre de ces mille-pieds sont nuisibles. Tous attaquent vo- lontiers les fruits mûrs, les carottes, et dans les derniers temps j'ai vu des champs de betteraves

Mille-pieds.

128 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

entièrement ravagés par un de ces mille-pieds, le Ju- ins terrestris. Cette espèce cylindrique, assez épaisse, longue d'un pouce au plus, d'un gris d'acier foncé et qui a l'habitude de se rouler en cercle, creuse des trous profonds sous l'épiderme des betteraves autour du collet et mange les jeunes pousses. Les blessures de la racine laissent suinter un suc pu- tride et nauséabond, les feuilles, mal développées, jaunissent et se flétrissent, et la racine, au lieu de grossir, finit par. pourrir. Je le répète,, j'ai vu des dégâts très-considérables dûs à ce mille-pieds dans les environs de Francfort, et il est probable qu'il faut aussi lui attribuer les ravages observés dans les départemens du Nord de la France. Quelques agriculteurs auraient considéré, me dit-on, l'animal comme une chenille et auraient allumé de grands feux pour en détruire les papillons. Peine perdue ! Les mille -pieds ne subissent point de métamor- phoses ; ils posent leurs œufs, qui ressemblent à des gouttelettes de rosée, sur l'épiderme des racines ou dans la terre, et les petits qui en éclosent ont déjà; en naissant, la forme des parents, sauf un nom- bre moins considérable de pieds.

Le mille-pieds électrique (Scolopendra electrica) jette une faible lueur dans l'obscurité; il laisse même

QUATRIÈME LEÇON. ,129

un léger trait lumineux sur son passage. On le trouve dans les endroits on place le fumier, dans les étables et les vieux celliers humides.

Un jour, pendant la guerre de sept ans, un lieu- tenant de hussards prussiens en expédition dut pas- ser la nuit dans un vieux bâtiment il dormit sur une botte de paille étendue à terre. La nuit était pluvieuse et glaciale, le vent mugissait tristement et ébranlait vigoureusement les portes vermoulues. Pendant la nuit, le mugissement devint si fort que le lieutenant s'éveilla. A son grand effroi, il vit sur le sol, sur les murs, au plafond même, des traînées lumineuses qui s'entrelaçaient d'une façon étrange, offrant çà et quelque ressemblance avec des ca- ractères hébreux. Le brave lieutenant éprouvait une impression singulière; il croyait peut-être, dans ces^ traits lumineux, dont il ne pouvait pas deviner le sens, voir son propre Mané Tekel, Pharès, que, par méprise, la chancellerie infernale lui présentait sous les caractères de l'ancien testament inintelligibles pour lui. Ses sens surexcités lui faisaient déjà sen- tir l'odeur sulfureuse du diable, et, dans les mu- . gissements de la tempête, il croyait distinguer le chœur infernal des démons qui fêtaient la récep- tion de sa pauvre âme. Mais cependant comme notre

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130 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

lieutenant , appartenait à l'armée du vieux Fritz (le grand Frédéric) il se remit bientôt, saisit ses ar- i mes et étendit la main vers un de ces traits lu- i mineux qui avaient l'air de se mouvoir devant lui.J Il sentit alors comme une légère piqûre, et remar--' qua que l'objet lumineux restait attaché à ses doigtsa Sa frayeur disparut aussitôt. II ralluma la chandellei et vit à la lueur de la lanterna de petites bêtes qui rampaient sur le sol. Il en prit quelques in-i dividus et les envoya, dans un tuyau de plume, aui pasteur Gotze, non pas au fameux pasteur que sa; dispute avec Lessing a rendu si célèbre, mais à celuj de Magdebourg qui vivait dans ces temps naïfs o^^ un prêtre pouvait encore s'occuper des entozoairess des insectes et des animaux microscopiques, sana que ces études d'histoire naturelle fissent scandalé parmi ses ouailles. Le pasteur Gôtze, naturalistd sérieux, dont le nom jouit encore aujourd'hui d'una excellente réputation, reconnut de suite le milles pieds phosphorescent et conclut simplement de toutt l'aventure que de Geer avait tort, quand il doutaii de la phosphorescence de ces animaux. Il est vraii ment dommage que l'histoire ne soit pas tombéé

1) On sait que malgré ses succès il était passablement ini crédule et athée. Les choses ont bien changé en Prusse. 1

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QUATRIÈME LEÇON. 131

en meilleures mains. Pour un auteur de petits trai- tés bibliques ou un élève d'un séminaire de mis- sionnaires protestants cela eut valu quelques livres sterlings.

Les cloportes (Oniscus murarius) sont voisins des mille-pieds, quoiqu'ils s'en distinguent sensiblement, et que leur organisation les rap- proche davantage des crustacés. Leur respiration sefaitpardes mem- branes particulières avec des cavi- tés ramifiées qui sont cachées sous des valves à la partie inférieure du ventre. Chez les femelles elles ser- vent aussi d'abri aux œufs pendant leur incubation. Les différentes es- pèces dont quelques unes ont la faculté de se met- tre en boule, vivent dans les endroits humides et sombres, dans les caves, sous l'écorce des vieux ar- bres etc, Ils se cachent pendant le jour sous les pierres, les feuilles mortes et sortent la nuit pour chercher leur nourriture qui se compose principa- lement de matières végétales en décomposition. Cette façon de se nourrir pourrait difficilement leur mé- riter notre haine, mais comme ils attaquent aussi les fruits savoureux qu'on garde en cave, tels que les

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poires, dans les parties la peau est déjà en- dommagée et qu'ils entament les fruits sur les es- paliers, on fait bien de chercher en détruire le plus possible. Ils ont une prédilection particulière pour certaines espèces de semis et de boutures, sur- tout pour les pétuni-as dont ils dévastent souvent les couches.. Comme cette plante est devenue une fleur recherchée dans nos jardins modernes, on doit recommander quelques précautions à cet égard.

Les Arachnides qui comprennent les araignées proprement dites, les scorpions, lés faucheurs (Pha- langium), les ricins et les mites ou cirons se dis-, tinguent presque toutes par leur caractère rapace, sournois et le venin qu'elles portent dans leurs man- dibules ou dans leur queue. Par la variété d'or- ganisation et de forme, ils représentent, en quel- que sorte, dans la classe invertébrée des articulés, les reptiles avec lesquels ils n'ont du reste aucune ressemblance même éloignée Malgré leur laideur et leur aspect repoussant, la plupart sont simple- ment utiles à l'homme. Leur venin n'est nuisible qu'aux petits animaux parmi lesquels l'homme a de si nombreux ennemis^ Ce dont on les accuse est le résultat de fables ou de méprises et ne peut pas tenir devant le naturaliste sensé.

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Les ricins (Ricinus) et les mites ou cirons (Aca- riis) sont presque tous parasites et par conséquent

0 rentrent pas dans le cercle de nos études, quoi- ([u'il y ait sur eux beaucoup à dire. L'humanité n'a pas peu à souffrir des attaques (^es cirons, car

1 est bien établi aujourd'hui que le ,ciron de la aie (Sarcoptes scabiei), vilain et microscopique bête e cette famille est la cause unique de cette ma- ladie de peau et de ses démangeaisons. Le petit animal pénètre sous la peau et y dépose ses œufs. Ses petits creusent plus loin, et, par l'iuflammation, déterminent des pustules et de l'irritation. Si un seul ciron vivant arrive sur la peau d'un autre in- dividu, il détermine chez lui la même maladie. Ja- dis les hommes souffraient autant du traitement que du mal. On n'en connaissait pas la nature, et par une grossière erreur pathologique les esprits étaient persuadés que cette prétendue maladie avait des suites terribles. La gale ordinaire, la Psoriasis, ser- vit de cheval de bataille au grand Hahnemann, l'hon- neur de son temps, l'inventeur de l'homœopathie pour se produire à la foule étonnée, et lui donna gloire et argent. Une gale rentrée était dans ce temps le Shiboleth pour toutes les maladies ' chro- niques sans exception, et comme tout individu a

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certainement eu une fois dans sa vie des boutons ou des rougeurs sur la peau, la gale intérieure était de suite prouvée et la cause de la maladie trouvée. Maintenant qu'on connaît le petit animal, qu'on a étudié sa vie dans ses plus petits détails, ces chi- mères d'une spéculation fondée sur la crédulité sont retombées dans le néant. On guérit la gale en tuant les cirons. On les tue aussi rapidement que pos- sible en quelques heures avec quelques bains et des pommades caustiques, procédé qu'on aurait jadis re- gardé comme un attentat à la vie humaine, et on ne sait plus rien de toutes ces maladies terribles, que devait causer la gale rentrée.

Mais retournons à notre véritable sujet.

Il y a une foule de cirons qui ressemblent tous plus ou moins à celui de la gale et qui causent beaucoup de dégâts dans nos denrées alimentaires. On en rencontre même avec plaisir quelques uns, car on les regarde comme une preuve de la bonté de la marchandise. Le vieux fromage tombe peu à peu en poussière; si on examine de près cette pous- sière au microscope, on y voit grouiller une masse innombrable de petits cirons à huit pattes qui, peu à peu, dévorent si bien le fromage qu'il ne reste bientôt plus que les peaux vides de ces animaux et

QUATRIÈME LEÇON. 135

eurs excréments. Aux yeux de bien de gens c'est la véritable essence du fromage, et pas un gourmet ne )ermettra qu'on lai présente du vieux Roquefort sans ;ette poudre 'de cirons. Ces désordres sont causés )ar le ciron du fromage (Acarus sii'o) reconnu par

Ciron du fromage.

Linné. Sur les prunes sèches et les pruneaux de Tours, sur les figues et les dattes, on voit une ef- florescence blanchâtre ou jaunâtre qui garantit la bonté de la marchandise. Dans l'opinion des bon- nes ménagères, c'est une efflorescence de sucre. La loupe change cette poussière en petits cirons qui se

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nourrissent, il est vrai, avec le sucre des fruits secs. Dans le vieux pain, dans la farine, les aman- des, dans toutes les matières en putréfaction on trouve différentes espèces de cirons qu'on reconnaît bien vite quand on les examine.

Le petit ciron verdâtro, qu'on appelle le ciron tisserand (Acarus telarius), fait beaucoup de ra- vages sur les tilleuls et les haricots, dans les chas- sis et les couches. Il établit sur la face inférieure de la feuille ses toiles extrêmement fines et soyeu- ses, véritables repaires s'agitent des millions d'animaux. Ils pompent la sève verte à tel point que les feuilles se fanent et tombent, les plantes- deviennent malades et meurent. Ils ne se développent - que par les temps chauds et secs, et on peut fa- cilement les éloigner en arrosant fréquemment les feuilles avec de l'eau froide. ^ Tout au contraire, à côté des araignées propre- ment ' dites, les fawheurs (Phalangium opilio) sont d'une utilité particulière. Sur des jambes, qui n'en finissent pas, ces singuliers querelleurs portent en le balançant un petit corps presque sphérique et au moindre contact laissent tomber leurs longues échasses qui, longtemps après avoir été séparées du corps, continuent encore à se contracter. Ce sont des '

QUATRIÈME LEyON. 137

animaux nocturnes qui, pendant le jour, se tapissent volontiers dans une retraite, mais la nuit, circulent de tous côtés et surprennent surtout les mouches pour les sucer.

Examinons les araignées proprement dites. Elles se divisent en deux classes : les araignées filetises, qui, pour prendre au vol les insectes, disposent ar- tistement une toile variant de forme et de gros- seur .suivant les espèces, et les araignées chasse- resses ou araignées-ïonps qui ne font pas de toiles. Elles se mettent simplement dans une cachette, d'oii elles s'élancent sur leur proie vivante. Toutes les araignées possèdent de fortes mandibules garnies de crochets qui sont percés à peu près comme les dents venimeuses des serpents , et communiquent avec une poche à venin. Elles entrent ces crocs aigus dans le corps de leur victime, qui est pres- que aussitôt parai) sée et tuée par l'.action du poi- son; elles sucent l'intérieur, puis, laissent tomber la carapace vide. Les araignées sont cruelles et insatiables; elles tuent tout ce qui tombe en leur pouvoir. Elles entourent de leurs fils les animaux plus petits de leur race, et ceux dont elles n'ont pas besoin pour leur nourriture immédiate, afin de les garder jusqu'à ce qu'elles aient l'occasion delessucer.

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Cette cruauté explique la façon particulière dont l'accouplement et la reproduction s'effectuent chez ces animaux. Les palpes des mâles sont faits en forme de cuillère et peuvent recevoir dans leur ca- vité la liqueur fécondante. Les mâles remplissent avec soin ces palpes quand ils se décident à aller trouver dans leurs toiles les femelles la plupart du temps pluï^ grosses et plus fortes de moitié. Voici ce que raconte de Geer:

„Je vis une grosse épeire diadème femelle (Araig- née à croix papale comme l'appelle Geoffroy) se ba- lancer voluptueusement au centre de sa toile. Un pauvre petit mâle s'approcha très lentement avec toutes les précautions possibles, recula plusieurs fois et s'approcha de nouveau en posant ses pieds avec lenteur. Tout d'un coup il sauta sur la femelle et voulut l'embrasser. Mais mal lui en prit. La grosse mégère le saisit avec ses pinces, le tua d'un coup de crocs, l'enveloppa d'un tissu en le tournant comme un ballot et le suça entièrement en ne laissant que la peau vide. Ce spectacle, dit le grand-maitre du palais de sa majesté suédoise, me remplit réellement de dégoût, de frayeur et de honte pour notre pauvre sexe, si avili parmi ces insectes."

On peut souvent observer pendant les beaux jours

QUATRIÈME LEÇON. 139

'Id'été les amours de cette espèce qui file si souvent Si s toiles sur les vignes. Le mâle s'approche avec <U's précautions infinies ; au moindre mouvement de la puissante femelle, il recule avec frayeur ou se laisse tomber à terre au bout d'un fil. Dès qu'il a touché les orifices sexuels de la femelle avec ses palpes et que la fécondation est accomplie il se re- tire au plus vite, parce que, même après ce doux M rvice d'amour, sa vie est en danger.

A la fin de l'été on trouve souvent les araig- vées vagabondes^ chasseresses ou araignées-loups (Ly- cosida), avec une poche attachée au derrière, dans la- quelle elles portent leurs œufs ou leurs petits à peine éclos. Elles s'élancent d'un bond sur leur proie et il est vraiment curieux d'observer comment elles guettent les mouches sur une muraille blanche bien éclairée par le soleil. C'est qu'on peut le mieux suivre de loin les mouvements de ces araignées pres- que toujours noires et des mouches de couleur sombre. La mouche se repose tranquillement et se nettoie avec les pattes de devant. L' araignée-loup court en un instant sur elle, mais de telle façon que la mouche lui tourne le dos et ne puisse pas la voir. Si la mouche se retourne, l'araignée fait un circuit pour reprendre son poste par derrière. Si la mouche se

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tourne plusieurs fois à droite et à gauche, il semble que l'araignée soit liée à son dos par une ligne in- visible, tant elle la suit exactement dans ses circuits en s'approchant de plus en plus de la mouche pendant ces évolutions. Enfin elle est auprès; alors d'un bond vigoureux elle se précipite comme un tigre sur sa tranquille proie qu'elle ne lâche pas, même en tom- bant de la muraille, et la suçe à l'instant.

A la famille des araignées-loups appartient aussi la fameuse tarentule (Lycosa tarentula) que la crédulité, italienne accuse de cette maladie particulière décrite par Oken de la manière suivante d'après les obser-

La tarentule.

vations que fit le médecin suédos Kâhler, dans le siècle dernier : „Une personne devient plus silencieuse, elle parait beaucoup refléchir, puis devient inquiète, perd

QUATRIÈME LEÇON. 141

Tappétit, éprouve de la lourdeur dans les membres ; elle n'a plus ni force ni énergie, elle sent une pression au-dessous du cœur, et une grande inquiétude ; son teint jaunit; enfin ses dents se mettent à branler, son urine est fréquente et incolore; tojit son être devient mélancolique et farouche. Cet état dure quel- quefois deux ou trois ans. On croit alors que la tarentule l'a piquée, quoique ni elle, ni personne n'en sache rien, et on imagine que le mal peut être enlevé par la musique. On fait alors venir des musiciens, avec un violon ou une guitare, pour jouer une mé- lodie particulière. Au commencement le malade mar- que la mesure avec une voix caverneuse et lamen- table, puis sa figure se colore et il se met tout- à-fait en danse. Plus la maladie est ancienne et en- racinée plus longtemps dure la danse, souvent jus- qu'à deux heures sans interruption. Si les musi- ciens s'arrêtaient avant que l'accès soit passé on «roit que le malade en mourrait. Aux fausses notes, il pousse un cri triste, tout son corps tressaille, et il fait des gestes comme s'il éprouvait la plus vive douleur. Quelques fois le serrement de cœur et l'in- quiétude sont si violents qu'il ne peut plus danser. Il tombe alors dans une abondante transpiration, on lui donne un verre d'eau et de vin, et on le laisse

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reposer une heure. On le fait danser ainsi trois fois à un jour d'intervalle, mais toujours sur un air par- ticulier, car aucun autre n'agit sur lui. Si dans l'in- tervalle, il entend par hazard le même air, il ne peut pas s'empêcher de danser. Ensuite, il n'en a plus aucune envie pendant une année entière, jus- qu'au retour de la même saison on emploie de nouveau le même moyen de guérison. Il y a des gens qui ont dansé 16 et même 25 ans. Quand la maladie tire à sa fin, il vient quelquefois à une ar- ticulation une grosseur sur laquelle on met des feuilles de concombre sauvage. Les personnes distinguées tiennent la maladie secrète. Pendant mon séjour à Tarente, je fis venir deux musiciens pour apprendre cet air. Une jeune fille qui traversait la chambre se mit à danser sitôt qu'elle entendit l'air, et continua pendant trois heure^ quoiqu'il n'eut pas été question de piqûre de tarentule. Toute la maladie n'est pas autre chose qu'une sorte d'hypocondrie produite dans ces villes si sales par la vie sédentaire, principalement chez les femmes."

Léon Dufour, l'entomologiste célèbre qui a tant fait pour la connaissance des insectes, raconte ce qui suit de la Tarentule qu'il eut occasion d'ob- server en Espagne:

QUATRIÈME LEÇON. 143

„La Tarentule, dit Mr. Léon Dufour, habite de préférence les lieux découverts, secs, arides, incultes, exposés au soleil. Elle se tient dans des conduits souterrains, véritables terriers qu'elle se creuse elle- même. Cylindriques et souvent d'un pouce de dia- - mètre, ces terriers s'enfoncent jusqu'à plus d'un pied dans la profondeur du sol; mais ils ne sont pas perpendiculaires, ainsi qu'on l'a avancé. L'ha- bitant de ce boyau prouve qu'il est en même temps chasseur adroit et ingénieur habile. Il ne s'agis- sait pas seulement pour lui de construire un réduit profond qui pût le dérober aux poursuites de ses ennemis ; il fallait encore qu'il établit son ob- servatoire pour épier sa proie et s'élancer sur elle comme un trait. La tarentule a tout prévu. Le con- duit souterrain a effectivement une direction d'abord verticale ; mais à 4 ou 5 pouces du sol il se fléchit en angle obtus, forme un coude horizontal, puis re- devient perpendiculaire. C'est à l'origine de ce coude que la tarentule s'établit en sentinelle vigilante, ne perdant pas un instant de vue la porte de sa de- meure; c'est qu'à l'époque je lui faisais la chasse j'apercevais ses yeux étincclants comme des diamants, lumineux comme ceux du chat dans l'obs- curité.

144 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

L'orifice extérieur du terrier de la tarentule est ordinairement terminé par un tuyau construit de toutes pièces par elle-même et dont les auteurs ne font pas mention. Ce tuyau, véritable ouvrage d'architecture, s'élève jusqu'à un pouce, au-dessus du sol et a parfois deux pouces de diamètre, en sorte qu'il est plus large que le terrier lui-même. Cette dernière circonstance, qui semble avoir été calculée, par l'industrieuse aranéïde, se prête à mer- veille au développement obligé des pattes au mo- ment où il faut saisir la proie; Ce tube est com- posé principalement de morceaux de bois secs mas- tiqués avec de la terre glaise et si artistement dis- posés les uns au-dessus des autres qu'ils forment une sorte d'échafaudage figurant une colonne creuse à l'intérieur. Ce qui établit surtout la solidité de cet édifice c'est qu'il est revêtu, tapissé- en dedans d'un tissu ourdi par les filières de l'araignée et qui con- tinue dans tout l'intérieur du terrier. Il est facile de concevoir combien ce revêtement si habilement fa- briqué doit lui être utile pour prévenir les éboule- ments, les déformations et pour l'entretien de la pro- preté et faciliter aux grilîes de la tarentule l'esca- lade de la forteresse."

„La première fois que je découvris les clapiers de

QUATRIÈME LEÇON. 145

la tarentule et que je constatai qu'ils étaient habités <Mi l'apercevant en arrêt au premier étage de sa de- meure, qui est le coude dont j'ai parlé, je crus, pour m'en rendre maître, devoir l'attaquer de vive force et la poursuivre à outrance. Je passai des heures entières à ouvrir la tranchée avec un couteau pour investir son domicile. Je creusai à une profondeur de plus d'un pied sur deux de largeur, sans trou- ver la tarentule. Je fus donc obligé de changer de plan d'attaque et je recourus à la ruse. La néces- ; sité est, dit-on, la mère de l'industrie. J'eus idée, I pour imiter un appât, de prendre un chaume de fgraminée surmonté d'un épillet et de frotter, d'a- I giter doucement celui-ci à l'orifice du clapier. Je ne tardai pas à m'apercevoir que l'attention et les désirs de la tarentule étaient éveillés. Séduite par cette amorce, elle s'avançait à pas mesurés et en onnant vers i'épillet et, en relevant à propos ce- .i-ci an peu en dehors du trou pour ne pas lui laisser le temps de la réflexion, elle s'élançait sou- vent d'un seul trait hors de sa demeure dont je m'empressais de lui fermer l'entrée. Alors la taren- itQle déconcertée était- fort gauche à éluder mes ; poursuites et je l'obligeais à entrer dans un cor- net de papier que je fermais aussitôt. Quelquefois,

10

■j

146 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

se doutant du piège ou moins pressée peut-être par la faim, elle se tenait sur la réserve, immo- bile, à une^ petite distance de sa porte qu'elle ne jugeait pas à propos de franchir. Sa patience las- sait la mienne; dans ce cas, voici la tactique que j'employais: après avoir reconnu la direction du boyau et la position de la lycose, J'enfonçai avec force et obliquement une lame de couteau de ma- nière à surprendre l'animal par derrière et à lui couper la retraite en lui barrant le clapier. Dans cette situation critique, ou bien la tarentule ef- frayée quittait sa demeure pour gagner le large, ou bien elle s'obstinait à demeurer acculée contre la lame du couteau. Alors en faisant exécuter à celle-ci un mouvement de bascule assez brusque, on lançait au loin et la terre et la lycose et on s'emparait de celle-ci. En employant ce procédé de chasse, je prenais parfois jusqu'à une quinzaine de tarentules dans l'espace^ d'une heure. Les pay- sans de la Fouille, au rapport de Baglivi, font aussi la chasse à la tarentule en imitant à l'orifice de son terrier le bourdonnement d'un insecte au mo- yen d'un chaume d'avoine, dans lequel ils soufflent. La tarentule, ajoute Baglivi, croyant prendre une mouche, est prise elle-même par l'insidieux campa-

QUATRIÈME LEÇON. 147

^nard. La morsure du reste n'est dangereuse qu'aux petits insectes dont elle fait sa nourriture, et elle se laisse facilement apprivoiser, comme j'en ai fait moi-même l'expérience."

Je ne serais cependant pas charmé de la posséder omme hôte, car.^malgré la bande rouge qu'elle a iir le ventre, elle est particulièrement repoussante; et comme elle est beaucoup plus grosse que l'araignée porte-croiXf sa morsure n'est^ peut-être pas sans dou- leur, si elle est sans danger.

10*

CINQUIÈME LEÇON.

L'insecte et sa nature. Son développement. Les larves et les chrysalides. Les métamorphoses. Les œufs des insectes. Comment et ils sont déposés. Les larves et leur voracité. Larves des coléoptères, hyménoptères, névroptères, lépidoptères, chenilles. La vie des larves. Nymphes et chrysalides. Comment l'insecte éclot de sa chrysalide.

Messieurs !

Dans cette leçon et les suivantes nous devons nous occuper de l'innombrable armée ailée qui, dans les différentes transformations de sa vie, est en guerre ouverte avec le maître de la création. La plupart de ces êtres nous paraissent relativement petits et peu visibles comme individus, mais ils sont dangereux en masse, et prouvent bien la justesse de cette pensée: qu'à la surface du globe l'influence des animaux dans la nature est en général d'autant plus grande que l'es- pèce est plus petite. Les iufusoires microscopiques, les infiniment petits rhizopodes ou foraminifères, les polypes si exigus ont construit des montagnes, pen-

CINQUIÈME LEÇON. 149

dant que les puissants éléphants et les rhinocéros n'ont laissé que quelques os. Tout va de même. Là, le bon vouloir des princes prise plus haut le plai- sir de la chasse que la sueur du paysan, les dégâts que causent le sanglier et cerf, ne peuvent pas se comparer avec les dommages effroyables occasionnés par les chenilles, les larves de mouches, les saute- relles et toute cette armée si peu apparente.

Sous le nom d'insectes nous comprenons aujour- d'hui les animaux articulés dont le corps se com- pose de trois parties principales, bien séparées : la tête, le thorax et l'abdomen ; chaque partie est à son tour formée de plusieurs anneaux, et possède des fonctions entièrement distinctes. La tête porte tou- jours, du moins chez l'insecte parfait, une seule paire d'antennes de formes et de grandeurs diverses, des- tinées aussi bien à toucher qu'à sentir et peut-être même à entendre. Sur la tête sont encore placés des yeux ordinairement composés et souvent extrême- ment gros, qui manquent à fort peu d'insectes par- faits, mais font défaut chez la plupart des larves; ils sont souvent accompagnés d'yeux simples ou stem- mates. Enfin à la partie inférieure de la tête s'ouvre une bouche de forme très-variable dont nous aurons à nous occuper plus loin.

150 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

Le thorax porte à sa face supérieure les organes de locomotion aérienne, une ou deux paires d'ailes attachées sur les deux derniers anneaux thoraciques ; à la face inférieure trois paires de pattes, jamais plus, jamais moins, dont la forme donne lieu à mille caractères distinctifs.

Enfin dans l'abdomen, composé d'ordinaire de neuf anneaux, se trouvent les principaux organes de la vie animale : le canal digestif, le cœur, les organes de sécrétion et de reproduction. L'abdomen ne porte pas, comme les deux autres parties du corps, des membres destinés à la locomotion, mais souvent, d'autres appendices qui ont rapport à la propagation de l'espèce.

Il devient facile de distinguer un insecte des deux autres grands groupes d'animaux articulés, les crus- tacés et les arachnides. Si l'animal a des ailes, c'est à coup sûr un insecte ; s'il n'a pas d'ailes, les six pattes suffisent pour le distinguer des arachnides qui en ont huit, et l'abdomen privé de membres, ainsi que la présence d'orifices ou de stigmates, qui conduisent à un système de canaux respiratoires répandus dans l'intérieur du corps, le distinguent des crustacés.

Nous n'avons parlé jusqu'ici que de l'insecte parfait, état que les naturalistes ont désigné sous le nom

CINQUIÈME LEÇON. 151

d'image, et, dans le fait, ce n'est que que nous trouvons tous les signes distinctifs dans toute leur puissanC'i. Mais, avant d'arriver à cet état parfait, tous les insectes passent par différentes transfor- mations d'autant plus importantes pour ~ nous que quelques-unes de ces formes sont justement celles qui nous causent le plus de dommages, et que d'autres se prêtent merveilleusement à la destruction de l'es- pèce. Avant d'examiner de plus près ces divers états, qu'il nous soit permis de nous arrêter encore un in- stant sur l'insecte parfait.

Cliez un très-grand nombre d'insectes, cet état parfait, pendant lequel seul tous les actes de la re- production peuvent être accomplis, a une durée re- lativement fort courte au point qu'on pourrait pres- que formuler cette loi générale: que l'insecte mâle ne vit que jusqu'au moment de la fécondation et la femelle jusqu'à ce qu'elle ait pris soin de sa progéniture. En général pendant la courte durée de leur état parfait, beaucoup de mâles ne pren- nent aucune nourriture et se soutiennent aux dé- pens de la substance amassée par la larve; il y en a mémo quelques-uns chez lesquels l'ouverture buccale est entièrement fermée; ils ne peuvent in- troduire aucune nourriture dans leur corps. Si les

152 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

femelles vivent plus longtemps, comme par exemple les abeilles femelles ou reines, qui atteignent deux et trois ans, la raison en est que les soins pour leur famille, la ponte des œufs ne cessent qu'au bout de ce temps. En général, ces cas sont des excep- tions, et dans la grande armée des insectes c'est presque une règle, que le temps de leur afjparition est limité à quelques jours, quelques semaines, au plus à une année, et que, par suite, les périodes des diverses métamorphoses sont liées à certaines saisons.

D'ordinaire, l'insecte parfait n'apparaît qu'une fois par an à une époque déterminée, qui ne varie pas plus que l'apparition des bourgeons et des fleurs. Dans d'autres cas cependant il se produit plusieurs générations dans le courant de la même année. La règle pour le plus grand nombre est que la période de développement pour toutes les diverses méta- morphoses s'accomplit dans la durée d'une seule année; cependant on en trouve aussi qui ont be- soin d'une période de plusieurs années pour toutes leurs transformation. Nous en avons un exemple dans le hanneton bien connu de tout le monde. L'insecte parfait ne paraît qu'une fois pai' an, quel- quefois déjà en Avril, mais d'ordinaire seulement en Mai, suivant la rigueur de l'hiver et la venue

CINQUIÈME LEÇON. 153

du printemps. Le mâle ne vit que quelques jours, la femelle environ deux semaines, jusqu'à ce qu'elle ait pris soin de ses œufs; comme tous les hannetons ne sortent pas en même temps de terre, la période pendant laquelle on les voit voler, dure six semai- nes et souvent deux mois. Mais le hanneton ne se développe pas en un an. Il vit plusieurs années en terre à l'état de ver blanc. De sorte que, par exemple, les fils des hannetons qui ont vécu en Mai 1861, ne reparaissent hannetons à la surface qu'en Mai 1864. La période de développement est d'au moins trois ans; d'où on peut présumer, qu'en 1870 on reverra beaucoup de hannetons dans les pays, qui en ont eu beaucoup en 1866, et que les années in- termédiaires se distingueront par une moindre quan- tité de ces bêtes.

L'insecte parfait porte seul des ailes avec les- quelles il peut s'élever dans l'air, une ou deux pai- res suivant l'organisation de l'ordr^ auquel il ap- partient. Il y a cependant ici encore des exceptions. Certains insectes par tout le reste de leur organi- sation appartiennent à des ordres ailés et passent cependant toute leur vie sans ailes. Les punaises de lit (Cimex lectularis) appartiennent sans aucun doute iiu même ordre que les punaises ailées, et cependant

Î54 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

elles n'ont jamais d'ailes dans aucune de leurs mé- tamorphoses, dans aucune période de leur vie. Par tous les traits de sou organisation la puce qui reste sans ailes, appartient aux mouches à deux ailes ou diptères. Il existe même des différences entre les sexes dans le développement des ailes. Le mâle possède toujours les moyens de locomotion les plus complets. Il voltige çà et pour chercher la femelle, qui semble beaucoup plus lourde que lui, car elle a le corps rempli d'œufs. Souvent les ailes manquent complètement aux femelles, qui n'ont que les pat- tes pour se mouvoir, pendant que le mâle au con- traire peut fendre l'air de ses ailes brillantes. Le ver luisant (Lampyre splendidule) est la femelle sans aile d'un petit coléoptère ailé. La femelle de Varpenteuse des brumes est forcée de monter sur les arbres avec ses longues pattes pour y déposer ses œufs dans les bourgeons, tandis que le mâle porte quatre grandes ailes de papillon, avec lesquelles il voltige pendant les froides soirées d'automne.

Si nous faisons abstraction de ces anomalies et de ces exceptions, les ailes nous offrent par le nom- bre, la forme et la conformation, des différences si essentielles, qu'elles peuvent utilement servir de si- gnes distinctifs pour les différents groupes, comme

CINQUIÈME LEÇON. 155

I avait si remarquablement imaginé Linné, le père de l'histoire naturelle moderne.

Nous trouvons une importance au moins égale aux appareils buccaux que, contrairement à Linné, Fa- bricius a utilisés pour la classification des insectes.

II m'est impossible d'entrer plus avant dans l'étude (le ces organes et de leurs modifications successives, malgré la séduction d'une exposition plus appro-

)udie; car c'est à peine si l'anatomie comparée oâ're un sujet qui puisse être, plus que celui-ci, la preuve éclatante de l'intelligence et du don d'observation ( liez un naturaliste. Il y a des insectes dont la bouche mâche, chez d'autres elle suce. Les larves de tous l(.'s insectes ne possèdent que des organes de mas- tication, et les recherches les plus délicates dont

ivigny le premier a donné l'exemple, ont montré (le quelles façons les appareils de mastication doi- vent se modifier petit-à-petit pour former en der- nier lieu un appareil de succion. Aussi est-ce dans la manière dont la bouche se modifie chez les in- sectes que résident les caractères les plus complets pour distinguer les différents groupes, ordres, fa- milles et espèces.

La troisième différence, et peut-être la plus es- sentielle, se trouve enfin dans la façon dont l'insecte

156 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

parcourt son existence et accomplit ses métamor- phoses. Permettez-moi de ne dire que quelques mots là-dessus et de m'en tenir à ces apparences bien connues de chacun de nous, de la chenille, de la chrysalide et du papillon.

Le papillon pond des œufs d'où naissent de petites larves appelées chenilles Nous savons tous que ces larves ont la forme de vers, qu'elles possèdent de très-petits pieds rudimentaires et une notable vora- cité, qui les fait grandir avec une rapidité surpre- nante. La peau, qui n'offre pas une grande élasticité, devient, littéralement parlant, trop étroite pour leurs repas répétés, elles la brisent alors et en changent. A chaque mue, la chenille paraît plus grosse, et elle continue à muer jusqu'à ce qu'elle ait atteint sa grosseur définitive. Outre l'ensemble des divers or- ganes, le corps de la chenille contient en ce moment une provision notable de matière qui doit être utilisée pendant les périodes suivantes et qu'on a appelée assez improprement le corps graisseux ; car ce n'est que pendant ce premier état de larve que l'insecte grandit en réalité. Il amasse les différents matériaux qui doivent servir à former les organes de locomo- tion et de reproduction ; en un mot, tous les organes qui se présenteront plus tard chez l'insecte parfait.

CINQUIÈME LEÇON. 157

Une erreur, trés-généralement répandue, fait croire que Tinsecte parfait grandit encore. On prend de petites mouches pour de jeunes mouches qui devien- dront grandes avec le temps, et, étant enfant, j'ai bien souvent cherché moi-même à faire grandir, en les nourrissant abondamment de miel, des espèces de petits papillons, qui étaient sortis de leur chry- salide entre mes mains. Peine inutile! Ceux qui, à Tétat de larves, ne sont pas gros, ne peuvent pas, à l'état parfait, réparer ce défaut de grandeur.

Eetournons maintenant à nos papillons. Dès que la chenille a atteint le terme de sa croissance, elle se change en chrysalide. Elle se sépare de la nature entière ; enfermée dans une enveloppe plus résistante, elle ne prend pas un atome de nourriture, et ne communique avec le monde extérieur que par sa respiration qui continue pendant tout ce temps, quoi- que moins abondante. Mais, tandis qu'au dehors elle semble ne pas changer, l'activité créatrice travaille l'intérieur aux dépens de la matière que la larve a amassée. Tous les organes dont l'insecte parfait a besoin, sont maintenant disposés et formés à ce point qu'il n'a plus besoin que de se mettre en liberté en sortant de la chrysalide pour les faire agir. Quand cet état a duré plus ou moins longtemps, l'insecte

158 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

parfait rompt effectivement l'enveloppe et en sort tout équipé pour la propogation de l'espèce.

Tous les insectes qui, comme le papillon, sortent des œufs à l'état de larves et passent par l'état léthargique de la chrysalide, sont nommés insectes à métamorphoses complètes.

Pour l'autre grande série des insectes, prenons comme exemple la sauterelle. encore l'insecte complet dépose son œuf, et de cet œuf sort un être qui a une ressemblance plus ou moins éloignée avec l'insecte parfait, d'ordinaire cependant beaucoup plus grande que dans la série précédente; mais il est encore privé d'ailes. C'est la larve qui possède une voracité terrible, grandit vite et mue plusieurs fois. A chaque changement de peau, elle devient plus semblable à l'insecte et ses ailes, notamment, se développent peu à peu. Au commencement on n'en voit aucune trace ; à la première mue apparaissent des appendices rudimentaires qui grandissent à la seconde et, à la dernière enfin, sortent ailes com- plètes. On pourrait presque comparer cette méta- morphose avec celle de l'habillement dans l'armée fédérale suisse, et si Distéli, le spirituel caricatu- riste, vivait encore, il n'aurait certes pas manqué d'ajouter à sa vie d'une sauterelle quelques feuilles

CINQUIÈME LEÇON. 159

pour dessiner ces métamorphoses. La veste, Thabit eu queue de morue et la tunique, qui dans le déve- loppement successif de la milice Suisse lui ont été mis sur le dos, reproduisent, par la progression gra- duelle du vêtement, celui des ailes de la sauterelle. Pendant tout le temps de sa croissance, l'animal mange beaucoup, il ne se renferme pas dans l'immo- bilité et s'avance vers son état complet et définitif à travers plusieurs changements de peau.

Nous nommons insectes à métamorphoses incom- plètes tous ceux qui se développent de la sorte.

Si on combine les caractères qui ressortent des trois points fondamentaux de l'organisation des in- ctes, savoir le nombre et la structure des ailes, la disposition des organes buccaux et l'accomplis- sement des métamorphoses, on arrive facilement à

procurer la clef qui, avec peu de recherches et de réflexions, conduit à l'ordre auquel appartient riusecte examiné. C'est déjà gagner beaucoup que de posséder, sans des connaissances approfondies en histoire naturelle, le moyen d'apprendre à recon- lître les ennemis qui nous nuisent. Je place ici um tableau qui pourra servir de guide.

160

ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

Métamor- phoses.

Appareil buc- cal.

Ailes.

Noms des Ordres,*

Nombre.

structure.

Complètes.

Masticateur.

Quatre.

Ailes antérieures cornées, formant des étuis ou ély- tres. Ailes pos- térieures mem- braneuses repli- ées en deux.

Coléoptères

Complètes.

Masticateur avec une langue en forme de trompe.

Quatre.

Membraneuses avec quelques ra- res nervures vei- nées.

Hyménop- tères.

Complètes.

Masticateur.

Quatre.

Membraneuses à nervures réti- culées.

Nevroptère;

Complètes.

Suceur; trompe molle enroulée, composée de deux moitiés latérales.

Quatre.

Couvertes de poussière colorée.

Lépidop- tères.

Complètes.

Suceur; trompe molle dans une gaine complète.

Deux.

Membraneuses avec nervures veinées.

Diptères.

Incom- plètes.

Masticateur.

Quatre.

Ailes antérieures membraneuses;

ailes postérieures pliées en forme d'éventail.

Orthoptèrat

Incom- plètes.

Suceur; bec per- forateur articulé.

Quatre.

Ailes antérieures généralement à demi cornées. Ailes postérieures réticulées.

Hémiptères

1

CINQUIÈME LEÇON. 161

Examinons maintenant d'un peu plus près les dif- férents états de l'insecte.

Dans aucune classe du règne animal, les œufs ne présentent des formes aussi nombreuses, des modifications aussi diverses que dans celle des insec- tes. De la forme complètement sphérique les œufs pas- sent par tous les degrés jusqu'aux cylindres allon- gés; de la lentille à la poire ou au tonnelet, on trouve toutes les formes que peut inventer l'ima- gination la plus féconde, et la nature ne s'en tient même pas là. Ici l'œuf repose sur un démesurément long et grêle pédoncule à l'aide duquel il adhère comme une excroissance à la surface supérieure de la feuille; il pend après un long .fil mince dont l'extrémité élastique forme un véritable nœud ; ail- leurs c'est au moyen de cornes ou d'appendices en forme d'ailes que l'œuf se tient à la surface de l'é- lément liquide. Tout le monde connaît ces hideu- ses larves qui sortent des lieux et des trous à fu- miers; au moyen des contractions vermiformes de li'ur corps et de leur queue en fouet elles savent

I grimper le long des surfaces rugueuses. Elles vien- nent des œufs de la mouche de fumier remarqua-

I bles par leurs larges ailes qui les empêchent de

s'enfoncer dans le liquide infect. Nous trouvons des

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162 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

ailes semblables en forme de petites lancettes auprès l'œuf de la mouche du vinaigre qui est posé sur le liquide en fermentation. Non moins merveilleuse est l'enveloppe extérieure de l'œuf de l'insecte dans ses diverses structures. On y rencontre des pores qui tantôt servent à renouveler l'air, tantôt sont des- tinés au passage de la semence fécondante.

Souvent les œufs sont pondus isolément dans des cachettes en terre, dans les fissures et les fen- tes de l écorce, dans l'intérieur des tissus végétaux ou même dans le corps d'autres animaux aux dé- pens desquels la larve doit se nourrir et se déve- lopper. D'ordinaire aussi les œufs sont très-petits, en rapport avec leur grand nombre et avec la pe- tite taille de l'insecte , leur couleur correspond gé- néralement aux objets sur lesquels ils doivent être attachés, car rarement l'œuf est blanc ou gris ; le contenu est jaune, verdâtre, rouge, brun ou même noir; aussi est-il presque toujours très-difficile de trouver les œufs et de les détruire.

Beaucoup d'insectes, il est vrai, facilitent cette besogne en déposant leurs œufs en tas; souvent même ils les rendent plus visibles à laide d'une enveloppe commune ou d'une viscosité particulière qui les agglutine tous ensemble. L'œuf isolé, gris-

CINQUIÈME LEÇON. 163

îrdâtre, de la livrée (Bombyx neustria) qui a exac- îment la couleur du rameau sur lequel il est placé, îrait extrêmement difficile à découvrir ; mais comme L femelle dépose autour de la branche quelques cen- lines d'œufs en les enchaînant l'un à l'autre et en iS disposant de telle sorte qu'ils forment un anneau )lide, une sorte de bracelet, on peut, sans la moin- re peine, apercevoir ces anneaux sur les arbustes, issitôt qu'ils ont perdu leurs feuilles, les enlever t les détruire. Il serait aussi difficile de trouver œuf isolé du cul-d'or (Bombyx chrysorrhaea) ; mais ' papillon s'arrache les poils orangés qui ornent iii abdomen, il en recouvre ses amas d'œufs col- à la surface inférieure des feuilles et leur donne apparence d'un champignon amadou d'un pouce de iiig, ce qui permet de les trouver et de les détruire icilement. On sait que les œufs déposés par la nonne ionibyx piniperda) dans les fissures de l'écorce des ' ifères sont tellement nombreux qu'on peut les ra- . ;-ser par boisseaux.

La durée de l'existence de l'œuf depuis sa ponte iisqu'à l'éclosion de la larve nous paraît extrême- Dent importante. D'ordinaire son existence est courte, Rielques jours, quelques semaines. Dans beaucoup

<e cas cependant, il reste tranquille tout l'hiver et

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164 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

sert à continuer l'espèce d'un été à' l'autre. Pou la formation de la larve dans l'intérieur de l'œuf, il est besoin d'une certaine chaleur et ce degré de tem- pérature nécessaire pour le développement diffère dans chaque espèce ; en général, il est réglé sur celui qu'exigent les parties des plantes dont les lar- ves se nourrissent. Chaque espèce d'œuf est capable de supporter un certain degré de froid qui , dans quelques cas, peut aller très-bas. L'œuf de la nonne par exemple supporte sans périr jusqu'à 20 degrés au-dessous de 0°. De même chaque espèce a besoin d'une chaleur déterminée pour être amenée à éclo- sion. Nous connaissons très-exactement ces tempé- ratures dans l'éducation des vers à soie; on tient les œufs au frais en les gardant dans des caves froi- des, quand on veut retarder l'éclosion ; on les porte au contraire à la chaleur, dès qu'on possède pour les nourrir assez de feuilles de mûrier fraîchement épa- nouies. Le plus souvent il se trouve que cette con- servation des œufs pendant l'hiver a lieu chez les espèces dont l'existence repose entièrement sur cel- les des parties vertes et tendres des plantes à feuil- les caduques. Il y a des familles, comme celles des pucerons dont les générations se suivent avec une rapidité incroyable qui, pendant l'été seulement, pro-

CINQUIÈME LEÇON. 165

duisent des petits vivants, tandis que, pendant l'hi- ver, l'existence de l'espèce est assurée par des œufs.

Indépendamment de ce que j'ai déjà dit plus haut sur la voracité des larves, on comprend aisé- ment qu'elles sont les principaux ennemis contre lesquels nous avons à combattre et que , dans le cas oîi nous^aisons la guerre aux insectes complets, nous combattons contre les propagateurs de nos destructeurs futurs et non contre ces destructeurs eux-mêmes» Le charmant papillon qui voltige de fleur en fleur et aspire le miel avec sa trompe sou- ple, est incapable de causer le moindre dommage. Mais quand nous tuons une femelle nous détruisons en même temps beaucoup d'œufs d'où seraient sor- ties de voraces chenilles.

Les larves ont d'ordinaire la forme d'un ver ; dans la plupart des cas elles sont sans pieds (apodes) ou elles n'ont que des rudiments de pattes, mais elles offrent dans le reste de leuï organisme, dans leur vie, leur nourriture des différences si nom- breuses qu'il est impossible de les comprendre dans des formules générales. On peut dire que toute sub- stance d'origine végétale ou animale sert de nour- riture ou de refuge à une larve d'insecte. Leurs puis- santes mandibules attaquent parfois les métaux mê-

166 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

mes pour se frayer un chemin jusqu'à leur nourriture. Presque toutes mènent une vie cachée et secrète, les unes dans la terre ou dans le bois vermoulu, les autres dans le bois le plus dur et la moelle interne des plantes ; celles-ci dans la charogne, les autres dans la chair vivante, les racines, les graines, les os ou les poils, voire même dans la corne dure et dans les organes internes des animaux. Peu d'insectes sont carnivores et se rendent utiles en poursuivant les insectes plus petits; la plupart, au contraire, nous sont nuisibles, car ils attaquent nos plantations, nos récoltes, nos provisions et même nos vêtements et nos maisons. De cette façon, les larves des Insectes ramènent dans la circulation générale des substances organiques une énorme quantité de matières végé- tales et animales tandis qu'elles-mêmes servent à la nourriture d'autres animaux. Beaucoup en eflPet sont chargées de la petite police de la nature, et à cet égard leur action atteint des proportions con- sidérables. Elles enlèvent les matières corrompues, les débris animaux, toutes ces substances qui par leur putréfaction peuvent être dangereuses pour les hommes, et elles les transforment dans leur corps en une matière vivante propre à des combinaisons nouvelles.

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CINQUIÈME LEÇON. 167

On aperçoit rarement les larves des coléoptères, même celles qui vivent de proie vivante, comme les larves des carabes et des cincideles. Elles cherchent A se cacher dans les trous de la terre et en sortent innir s'élancer sur leur proie. Ces larves carnassières ut d'ordinaire d'assez longues jambes, tandis que les autres larves de coléoptères dont le cercle d'acti- vité est limité, n'ont que des pieds très-courts ou de simples rudiments qui peuvent au plus leur servir à ramper. Les larves carnassières sont le plus sou- vent noirâtres, mais celles qui vivent dans Tintérieur des plantes et des fruits ou qui mangent les vers de terre, sont habituellement d'un ton jaune ou rouge pâle. Chez toutes la tête est faite de forte corne, les mandibules sont vigoureusement conformées, et cette conformation est vraiment nécessaire au genre de vie qu'elles mènent. Beaucoup de ces larves vivent en creusant dans l'écorce, l'aubier, le bois et la moelle des plantes, dans les fruits depuis les plus sa- voureux jusqu'à ceux qui sont plus durs que la pierre. D'autres se nourrissent de nos provisions, comme les vers de la farine, d'autres enfin rongent nos fourrures, nos étoffes de laine, nos collections ar- tistiques et d'histoire naturelle, nos meubles et nos ustensiles. Généralement les insectes complets ne

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s'inquiètent de leurs rejetons à l'état de larve que pour déposer les œufs dans les endroits la larve peut se nourrir ; dans certains cas, chez la plupart des charançons par exemple, cela ne demande pas. peu de soins et de travail. Du reste les larves vi- vent d'ordinaire par elles-mêmes, sans que leurs pa- rents, morts depuis longtemps, puissent s'inquiéter encore d'elles.

Il en est tout autrement chez la plupart des hy- ménoptères; lorsque l'œuf a été déposé dans l'en- droit où la larve doit se développer, celle des galle- insectes et celle des guêpes porte- scie restent aban- données à elles-mêmes, tandis qu'on voit la plupart des autres hyménoptères, notamment les guêpes, les- abeilles, les bourdons et les fourmis donner les soins les plus intéressants et les plus tendres à leur postérité. Beaucoup de guêpes porte-scie ont des- larves semblables à des chenilles, on les a quel- quefois tnommées à cause de cela fausses chenilles, et elles se distinguent des véritables par le nom- bre beaucoup plus considérable de fausses pattes membraneuses qu'elles possèdent; mais les autres hyménoptères armés d'aiguillons venimeux ne pro- duisent que des larves sans pieds, infirmes, qui, gé- néralement, ont besoin d'être nourries pendant tout

CINQUIÈME LEÇON. 169

le temps qu'elles conservent cet état. Ces nids, ces sociétés, ces organisations politiques que nous ad-, mirons chez beaucoup d'insectes, sont nécessités et maintenus par les soins à donner à leurs petits; la nature va si loin dans la rigueur de ses dispo- sitions, que, dans beaucoup de ces sociétés, chez les abeilles et les fourmis par exemple, une nourriture particulière mutile les invidus femelles au point d'em- pêcher la formation des organes sexuels, et ces tra- vailleuses neutres ne peuvent plus être employées que pour la vie commune de la ruche et les soins à donner aux petits.

Les névroptères dont nous allons maintenant nous occuper sont peu nombreux ; ils possèdent, et parmi eux notamment les hémérobes et les fourmis-lions, des larves carnassières au plus haut degré avec un corps large et aplati, des mandibules longues et en forme de tenailles qui leur servent à sucer leur proie. Ces larves ont un type si particulier qu'on ne peut, en aucun cas, manquer de les reconnaître ou les con- fondre avec d'autres.

En général on reconnaît aussi facilement les lar- ves des papillons que nous désignons habituellement par le nom de chenilles, quoiqu'en réalité il y en ait qui, par la configuration de leur corps clypéiforme,

170 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

(en bouclier) et les excroissances singulières qu'el- - les possèdent, démentent assez leur parenté. Un petit nombre d'entr'elles vit dans l'intérieur des plantes, comme la grande chenille hrune du saule (Cossus ligniperda) dans le tronc du saule et du peuplier, ou les larves des sphinx à ailes transparentes (Sesia) dans la tige de diverses plantes et arbrisseaux. La plupart des chenilles se nourrissent de la partie verte des plantes, des bourgeons, feuilles et ra- meaux charnus. Quelques unes rongent les fruits des- séchés, les provisions et même le linge, la laine ou la cire. Les caractères distinctifs des chenilles sont, outre les trois pattes véritables, attachées aux trois premiers anneaux qui viennent après leur tête cor- née, des fausses pattes abdominales eu nombre plus ou moins considérable, terminées d'ordinaire par une ventouse discoïdale et attachées par paire aux anneaux de la partie postérieure du corps. Les vé- ritables pieds antérieurs, qui, d'ordinaire, sont mu- nis d'ongles, répondent uniquement aux six pattes de l'insecte parfait. Si on coupe un de ces pieds à la chenille, le papillon sort de la chrysalide privé de la patte correspondante, tandis que la suppression' d'une fausse patte abdominale ne laisse après elle aucune trace. D'ordinaire les chenilles possèdent cinq

CINQIUÈME LEÇON. 171

paires de pieds abdominaux; la première est placée à peu près au milieu de l'abdomen, la dernière au contraire tout-à-fait à l'extrémité. Souvent les pai- res du milieu manquent, comme dans les chenilles arpenteiises (Géomètres). L'animal contracte de une démarche particulière; il allonge et raccourcit alternativement son corps, comme s'il mesurait l'es- pace avec un compas.

Les larves des diptères enfin, d'après les lieux qu'elles habitent, peuvent bien être appelées les vi- dangeurs des insectes. En réalité, leurs éléments sont la boue, la poussière et le purin. Ces vers sans pieds, appelés aussi asticots, vivent dans les eaux sta- gnantes, les flaques, les réservoirs, et les larves fort communes des cousins et des moucherons, dans le jus des cloaques, des fumiers, dans toutes les matiè- res végétales et animales en putréfaction, dans les blessures en suppuration, les tumeurs et même dans l'estomac et le tube intestinal d'animaux vivants. D'autres cependant ne dédaignent pas la nourriture végétale fraîche et préfèrent généralement les sub- stances les plus tendres, comme les baies et la chair des fruits à noyau aux tissus plus résistants.

Jamais les larves ne montrent un instinct parti- culier ou des facultés aussi remarquablement intelli-

172 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

gentes que les insectes parfaits. Les travaux ma- tériels, le soin d'amasser leur nourriture et les ma- tériaux nécessaires à leur croissance, les occupent entièrement et bornent leur activité pendant la plus grande partie de leur existence à trouver le pain de chaque jour. Souvent cette existence est longue, surtout chez les coléoptères; si le hanneton par- court une période de trois ans, nous savons avec certitude que les larves de certains buprestes creu- sent le bois pendant au moins huit ans, et que vrai- semblablement le cerf-volant habite tout aussi long- temps dans le chêne avant d'aller, pour ainsi dire, s'achever dans le sol.

Vers la fin de l'existence de la larve, lorsque sont réunis tous les matériaux nécessaires aux mé- tamorphoses, se produisent quelques actes intelli- gents destinés principalement à donner aide et pro- tection à la chrysalide pendant son sommeil léthar- gique. La plupart des larves des coléoptères res- tent dans les cachettes elles ont l'habitude de se tenir, ou s'enfoncent en terre en s'entourant d'une simple enveloppe soyeuse filée sans art; quelque- fois elles forment une sorte de boule de terre à l'intérieur de laquelle se trouve une cavité bien lissée dort la chrysalide.

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Les chenilles ont les plus grands soins de leur chrysalide. Tout le monde sait que l'industrie tire du cocon tissé par le ver-à-soie cette matière in- estimable qu'aucune autre ne saurait remplacer. Quelques chenilles pénètrent dans le sol et s'y en- dorment tantôt complètement nues, tantôt entourées d'une mince enveloppe. ^ D'autres enfin se suspen- dent par leur extrémité postérieure, comme celles du paxyillon blanc du chou (Pieris brassica) ou s'en- tourent le thorax d'une ceinture qui les maintient dans une position horizontale, comme celles pa- pillon flambé (Papilio podalirius). Ordinairement la métamorphose en chrysalide a lieu sitôt que son logement est achevé. Il y a aussi des larves, no- tamment celles de beaucoup de guêpes porte-scie^ qui restent encore pendant des semaines à l'état de ver dans leur cocon et ne prennent la peau de chrysalide que peu de jours avant leur métamor- phose en insecte complet. On comprend aisément que presque toutes les larves qui vivent de débris végétaux verts et fanés, passent l'hiver à l'état de chrysalide, et que celles seulement qui vivent de matières persistantes, de bois ou de racines, ne tien- nent aucun compte du changement de saison.

On ne peut cependant pas faire de cela une règle

174 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

générale, car il y a beaucoup d'insectes annuels dont les larves vivent de feuilles et autres matiè- res semblables, et qui cependant passent les froids à l'état de larves dans une sorte de sommeil d'hi- ver. Ces chenilles velues, recouvertes de longs poils, dont les papillons à couleurs brillantes portent le nom d'écaillés ou drapeaux (Caja), passent seules leur hi- ver dans le gazon sous la mousse ou les feuilles sèches. De même les chenilles de \2i piéride de V alisier (Pieris cratœgi) et du cul-d'or (Bombyx chrysorrhaea) sup- portent des fî'oids intenses dans leur épaisse en- veloppe, leur nid, et aux premières chaleurs du prin- temps sortent en bandes pour dévorer les jeunes et frais bourgeons.

Les chrysalides mêmes peuvent être d'ordinaire aisément nommées d'après les différents ordres d'in- sectes. Chez les lépidoptères on rencontre généra- lement les chrysalides proprement dites ou à relief dans lesquelles non seulement les contours du corps, mais même les membres distincts sont indiqués par une sorte de rond de bosse. On distingue dans ces chrysalides la tête, le thorax et l'abdomen. On voit aussi les ailes rudimentaires et les pattes, mais seu- lement indiquées par un relief sculpté dans l'enve- oppe dure. Elles ne sont pas encore détachées. La

CINQUIÈME LEÇON. 175

trompe seule fait souvent exception chez les papil- lons ; elle présente comme une sorte de prolonge- ment en forme de bec dans une enveloppe particu- lière à la face inférieure.

La peau même de la chrysalide est un nouveau tégument; il s'est d'abord formé tendre et mou sous l'ancienne peau de la larve qui est tombée lors de l'éclosion de la chrysalide et n'est plus qu'une en- veloppe inerte.

Chez beaucoup d'autres ordres, notamment les coléoptères, les névroptères et les hyménoptères, la ressemblance de la chrysalide avec l'insecte parfait est encore plus grande. Une membrane fine enve- loppe le corps ; chaque membre a son étui dans le- quel il repose serré au corps sans mouvement ni sentiment. Au premier coup d'œil on distingue sur ces chrysalides, nommées aussi des momies ou plus généralement des nymphes, les antennes, les pat- teS; les ailes qui se rapprochent de leur forme dans l'insecte complet. Ces gros corps ovoïdes que les fourmis traînent souvent au soleil pendant l'été, et qu'on cherche pour nourrir les rossignols, ne sont pas des œufs, ce sont des nymphes. Il suffit d'enle- ver avec précaution, à l'aide d'une pincette, le cocon mince qui cnvel()pp(i un de ces soitdisants œufs de

176 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

fourmi. On y trouve une jeune fourmi blanche et immobile, mais avec tous ses membres, enveloppés chacun dans un étui séparé.

Les plus remarquables des chrysalides sont 'cel- les des diptères qui sortent de petits vers. La peau du ver se dessèche pour former une chrysalide très- étroite en forme de bouteille ou de tonnelet dans la- quelle les mouches sont aussi étroitement emmail- lotées qu'autrefois les enfants dans leurs maillots. On comprend à peine, en vérité, comment la mouche qui vient de naître et qui semble occuper un espace trois fois plus grand que ce tonneau, a pu trouver •place dans une nymphe ou pupè aussi rétrécie ; on conçoit en même temps la possibilité pour la larve de se développer au sein de sa mère et d'être mise au jour à l'état de petite chrysahdes ovoïde, comme c'est le cas pour les mouches pupipares (Nycteribia ; Hippobosca).

Faut-il vous décrire comment Finsect parfait sort de la chrysalide? Je crois que cela serait peu utile. Vous savez tous que la peau de la chrysalide se détache, que tantôt elle se soulève en partie, comme un couvercle, tantôt il se fait une déchirure par la- quelle l'insecte très-faible d'abord se dégage avec peine ; il attend ensuite que ses téguments externes

CINQUIÈME LEÇON. 177

prennent de la consistance. Vous savez qu'au com- mencement, lorsque les ailes du papillon naissant sont repliées le long du corps, elles deviennent, à vue d'oeil, extensibles et solides, jusqu'à ce qu'elles soient en état de servir à leur destination, et vous savez aussi qu'il ne faut pas que ce développement soit troublé, pour que les ailes puissent se déployer de toute leur ampleur. Souvent quelques minutes suf- fisent pour achever l'insecte; mais souvent aussi il faut un temps plus long. C'est pour cela qu'on trouve assez souvent en terre, même pendant l'hiver, des hannetons entièrement conformés, mais encore mous, qui attendent dans la terre le moment ils pour- ront paraître à la surface.

Il y a peu de choses à dire des insectes à méta- morphoses incomplètes. Si chez eux on distingue des larves et des chrysalides, cela n'a pour ainsi dire lieu que par la formation successive des ailes ; du reste, à peu d'exceptions près, les habitudes et la nourriture des chrysalides sont les mêmes que celles de l'insecte complet.

Maintenant que nous avons appris à connaître les traits généraux de l'organisation du monde des insectes, nous pouvons passer à l'examen particulier des espèces et des ordres.

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SIXIÈME LEÇON.

Un colonel de cavalerie collectionneur de coléoptères Signes distinctifs des coléoptères. Le carabe à la chasse du hanneton. Les fossoyeurs ou nécrophores. Les bête» à bon dieu. Les charançons et leur industrie. Le charançon des vignes et sou activité. Procès contre les charançons. Calandres, charnnçon du blé. Le han- neton et sa vie. Danger des vers blancs. Le hanne- ton employé comme engrais. Procédés pour combattre le hanneton. Quelques autres coléoptères. Les larves des Dermestes. Histoire de la maladie d'une femme et d'un hypocondriaque.

Messieurs !

Les coléoptères ne sont placés en tête des insectes ni par leur intelligence ni par l'ensemble de leur organisation, quoique souvent on leur attribue cette , place ; cependant ils renferment les familles les plus nombreuses et les plus séduisantes pour le collection- neur et le naturaliste. Les téguments durs et cornés de leurs élytres dans des cas exceptionnels seulement, comme chez les cantarelles (Meloë), laissent à décou- vert une partie de l'abdomen ; leur solide carapace, qui, semblable à une cuirasse, garnit la tête et le tho-

SIXIÈME LEÇON. *179

rax leur permet de se défendre aisément, et offre, contre les influences extérieures, une protection que nous cherchons en vain dans les autres ordres d'in- sectes. On trouve une diversité extraordinaire des formes du corps dans l'ensemble, comme dans chacune des parties, et, chez beaucoup d'espèces, un arrange- ment plein de goût de couleurs vives et presque in- destructibles ; aussi ne sera-t-on pas étonné si les collections de coléoptères sont fréquentes, tandis que les collections de coléoptères bien classées et riches sont fort rares par cela même que le nombre des es- pèces est énorme et que la détermination ou la ténuité deg signes distinctifs, principalement dans les organes mccaux, est extrêmement difficile sur des individus pelquefois microscopiques. Une des plus grandes et

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fl)lus riches collections de coléoptères, surtout pour les )(espèces européennes , était celle du comte Déjean. Sa- ■^•pz-vous comment elle a été faite? Le comte Déjean . : [dit, sous Napoléon, colonel de cavalerie, et de même ^ î'ie dans l'armée autrichienne, les artilleurs de la i.rigade Véga portaient dans un tube de fer blanc îles tables de logarithmes pour les calculs de leur .Thef, de même chaque cavalier du régiment Déjean «avait dans son porte-manteau une bouteille d'espritjde «vin dans laquelle il recueillait des coléoptères pen-

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180 . ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

dant les moments de repos que laissait le service. Comme ce régiment fut employé dans tous les pays oii Napoléon fit la guerre, ces cavaliers purent col- lectionner dans presque toute l'Europe. La passion du comte était si connue dans les armées ennemies que, après les combats et les batailles, on lui ren- voyait aimablement les bouteilles pleines de coléop- tères trouvées sur les morts et les prisonniers.

Tâchons d'embrasser en peu de mots les caractères des coléoptères qui peuvent nous intéresser. Si on exa- mine le dos d'un hanneton, il paraît formé de trois parties. Par devant, sa petite tête presque carrée porte à sa base deux yeux composés noirs et brillants comme du jais dirigés en bas et immobiles. En avant de

ces yeux fixes sont placées les antennes dont l'ex- trémité ressemble à un peigne composé de plusieurs lames plus grandes et plus nombreuses chez les

mâles. Sous la tête est situé l'appareil buccal avec ses puissantes mandibules en forme de crochet, ses mâchoires ou maxilles membraneuses avec leurs

Hanneton (Melolontha vulgaris).

SIXIÈME LEÇON. 181

{uilpes articulées qui sont presque continuellement en mouvement. Derrière la tête se trouve une partie large on forme de bouclier, brune ou noire, avec des poils LM-is, c'est le premier anneau du thorax, que l'on n omme ordinairement le corselet; il ne porte jamais d'ailes, mais c'est à sa partie inférieure qu'est attachée la première paire de pattes. Derrière le bouclier tho- racique ou corselet, qui chez les coléoptères présente Livent des formes et des excroissances particulières, sont attachées les solides étuis ou élytres qui pro- tègent seulement la partie postérieure du corps et n î servent point au vol. Chez quelques coléoptè- res ils sont soudés par le milieu de telle sorte que les- ailes proprement dites, portées par le troisième anneau thoracique, sont obligées de se déployer par des ouvertures latérales. Ces ailes postérieures qui sont renfermées complètement sous les élytres, sont repliées plusieurs fois sur elles-mêmes et tra- versées dans toute leur longueur par de fortes ner- vures. Entre les élytres, à leur point d'attache, on voit un petit espace triangulaire qu'on appelle l'écusson; il est d'un beau noir chez le hanneton. Souvent, comme chez le hanneton, au-delà des ély- tres, l'extrémité de l'abdomen se prolonge en pointe ; les trois paires de nattes attachées aux trois an-

182 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

neaux thoraciques sont organisées d'ordinaire pour courir, rarement pour sauter ou nager. On peut pres- que dire qu'elles sont disposées sur le modèle de la jambe humaine. Elles ont une tête articulaire ou coxe soudée au fémur, un tibia souvent couvert de piquants et de poils, et enfin des tarses composés de trois, qua- tre ou cinq articles et elles portent d'ordinaire à leur extrémité deux ongles tranchants et crochus avec lesquels les coléoptères peuvent saisir fortement et par suite gravir aisément. Les antennes dont la forme est extrêmement variable , l'appareil buccal et les pieds servent en première ligne de signes distinctifs pour reconnaître les groupes, familles et espèces. Le cas échéant c'est qu'il faut regarder d'abord pour déterminer un coléoptère qu'on a trouvé ; ensuite, on cherche les autres signes distinctifs dans la taille, la couleur et les formes particulières pour établir l'espèce.

Les coléoptères ont des métamorphoses complè- tes et presque tous des larves cylindriques dont les anneaux sont très-aisés à distinguer; ces larves pos- sèdent une tête cornée, avec de fortes mandibules, courtes d'ordinaire et rarement allongées; souvent les pattes manquent, et si elles existent, elles sont attachées aux trois anneaux thoraciques. Jamais une

SIXIEME LEÇON. 183

larve de coléoptère n'a de fausses pattes abdomi- nales, comme les chenilles et les fausses chenilles.

Larve d'un carabe.

Rarement elles sont velues et de plusieurs cou- leurs. D'ordinaire elles sont incolores, rougeâtres, jaunâtres ou noires. Beaucoup sont carnassières et sortent de leurs trous en terre pour chasser sur le s'ol les autres insectes. Mais la plupart vivent ca- chées soit en terre, soit dans le bois vermoulu, dans la boue, le fumier et dans d'autres matières végétales vivantes. Les nymphes finement sculptées ont le

Pupe d'un hanneton dans la terre.

sommeil léthargique ; rarement elles sont entourées d'un cocon, mais souvent elles sont comme roulées dans une boule de terre.

Chez les coléoptères nos amis sont bien moins nombreux que nos ennemis, et malgré ce titre ils

184 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

sont poursuivis par les gens de la campagne et troublés dans leur utile action. Il faut du reste avouer que la plupart d'entre eux ne se distinguent pas par des propriétés très-agréables. Pre.sque tous les car- nassiers sentent mauvais ; aussi les coléoptères car- nassiers qui se nourrissent de proies vivantes, ou ceux qui, comme les fossoyeurs, sont cbargés de détruire les charognes ne peuvent guère se recom- mander par leur bonne odeur. Les familles les plus carnassières sont les Cicindèles, coléoptères allongés d'un beau vert, avec des points clairs- On le§ trouve partout dans les chemins et les localités exposées au soleil. C'est qu'on les voit courir avec une très- grande vitesse ou voler rapidement à la chasse d'une proie. Leurs larves sont difficiles à apercevoir, car elles possèdent un collier gibbeux qui leur sert à fermer leur trou pratiqué dans le sable, et c'est de qu'elles s'élancent sur les mouches et les autres insectes.

Nos véritables amis sont presque tous des espèces appartenant à la famille des carabes et avant tout le carabe doré, appelé aussi le jardinier. Ce beau coléoptère, d'un pouce de long, aux élytres verts et or, à l'abdomen noir et aux pattes brun-rouges, court dans nos jardins et nos prairies et fait un

SIXIÈME LEÇON. 185

ravage étonnant parmi la vermine; car il attaque avec ses vigoureuses mâchoires non seulement les autres insectes, mais même les limaçons, les vers,

Carabe doré.

les perce-oreilles (forficulesi et les mille-pieds, et quand il ne suffit pas seul à vaincre, il trouve pour l'aider des camarades, qui se rassemblent promp- tement. Au moment j'écris, les hannetons se rap- prochent déjà de la surface du sol, et on nous en annonce pour cette année une grande abondance dans les environs de Genève; il sera donc facile d'observer les carabes chassant les hannetons plus lourds, il est vrai, que leurs ennemis, mais de faible défense. D'un saut le carabe se précipite sur sa proie et la saisit à l'extrémité postérieure avec ses pin- ces redoutables. Le hanneton cherche à s'envoler, mais le carabe tient ferme et arrache à sa mal- heureuse victime les derniers anneaux de l'abdomen. L'intestin et les autres viscères abdominaux sont attachés à ces anneaux; le hanneton, tout en per- dant ses forces, essaie de s'envoler et dévide lui-

186 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

même ses entrailles que le carabe avale vivement; il le tient ferme et le suit pour continuer son hor- rible repas avec une cruauté raffinée jusqu'à ce que le hanneton tombe mort. C'est un vaste champ pour l'activité de la loi de Graramont et de ses illus- tres promoteurs ; car si le hanneton ne mérite au- cun respect, l'ordre moral du monde ne devrait pour- tant pas permettre que le criminel soit conduit d'une aussi affreuse façon de vie à trépas. Sans doute que la nature ne connaît ni l'ordre moral ni l'accom- phssement humanitaire de sa tâche; elle ne s'in- quiète pas des blessés qu'elle laisse périr miséra- blement, et dans tous les combats elle laisse triom- pher la plus horrible cruauté. Nous avons assez porter la responsabilité de nos propres péchés sans qu'on puisse nous charger encore de ceux des carabes, même si nous les laissons vivre ; aussi croy- ons-nous devoir donner aux jardiniers et aux pay- sans le sage conseil de respecter ces coléoptères et ne pas les tuer d'un coup de pioche ou de bêche, comme le reste de la vermine, quand il en vient à leur portée ; car un carabe vivant détruit une grande quantité d'ennemis dangereux. Il faut aussi laisser tranquilles ces noirs et infects coléoptères appelés staphylins (Staphylinus) avec leurs élytres raccour-

SIXIÈME LEÇON. 187

cis, qui ressemblent à un habit noir, avec leur long abdomen qu'ils lèvent en l'air comme pour menacer, quand on les touche, et les fossoyeurs (Nécropho- rus) d'ordinaire d'un beau noir brillant, souvent ta- chetés de points rouge sombre. Les premiers ne sont pas moins utiles que les carabes, les derniers enterrent avec ardeur les cadavres des petits mam- mifères, oiseaux et reptiles pour nourrir leurs lar- ves aux dépens de ces débris. Ils semblent montrer beaucoup d'intelligence dans cette occupation, car ils enterrent les cadavres les plus légers dans des fosses qu'ils creusent à côté, et ils minent par dessous les plus gros qui s'enfoncent lentement. On va jusqu'à raconter que quel- ques uns de ces nécrophores, réunis souvent au nombre d'une demi-douzaine pour travailler en commun, minèrent un bâton plan-

, ,1 ., Fossoyeur (Nécrophorus).

te en terre sur lequel on avait fiché, je ne sais comment, un crapaud ; si bien qu'ils finirent par le faire tomber et s'emparèrent du ca- davre.

Un mot encore en faveur des petites et gentilles lêtes à bon dieu (Coccinella), qui aux premiers rayons

188 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

du soleil du printemps sortent des retraites elles ont passé l'hiver, et sont si connues des enfants par leurs élytres arrondis et polis, à taches noires et

rouges, par leur vol léger et la liqueur jaune et puante qui sort en gouttelettes de leurs articulations - Leurs larves sont en forme de bouclier, velues et d'ordinaire toutes couvertes de touffes de fils de cire qu'elles sécrètent; mais la larve et l'insecte sont les ennemis insatiables des pucerons, qu'ils poursui- vent de bourgeon en bourgeon, de branche en branche. Parmi les hémérobes, genre de névroptères, et les syrphes, qui comptent parmi les diptères, se trouvent encore d'autres ennemis des pucerons qui ne sont pas inférieurs en voracité aux bêtes à bon dieu, toutes ces larves méritent qu'on les respecte et les protège; quand on veut débarasser complètement de pucerons une plante en pot, on enlève avec un pinceau quelques-unes des larves aisément recon-

Bêtfî à bon dieu (grossie). (Coccinella septempunctata .)

SIXIÈME LEÇON.

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naissables qu'on trouve sur les arbustes habitent les pucerons, et on les dépose sur la plante.

Si nous nous occupons maintenant des coléoptères nuisibles, la famille extrêmement nombreuse des charançons (Curculionida) s'offre à nous la première. C'est sans exception celle du règne animal qui nous cause le plus de dégâts. Ces coléoptères sont aisés à reconnaître ; leur tête se prolonge en un bec droit et immobile qui devient quelquefois extraordinaire- ment long et fin, plus long même que le reste du corps, il porte à son extrémité de fortes mâchoires très-petites, mais tranchantes comme des rasoirs. Sur le côté du bec d'ordinaire vers le milieu, sont attachées les antennes repliées le plus ^souvent en coude et en forme de fouet. Souvent elles peuvent se loger dans une cavité spéciale sur le côté du bec. A la naissance du bec sont de petits yeux en croissant D'ordinaire le corps est fortement bombé et les élytres sont si dures qu'il est difficile de les percer avec une épingle. Les grosses espèces de nos contrées atteignent seules la longueur d'un demi-pouce, mais la plupart ont au plus d'une à deux lignes.

La longueur de la trompe est en raison de l'endroit l'animal doit déposer ses œufs, car leurs larves vivent dans l'intérieur des graines et des fruits des

190 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

feuilles, des bourgeons, des rameaux et des tiges. Elles, sont toutes sans pieds repliées en demi-cercle, et ne peuvent ronger que dans leur voisinage im- médiat, car elles ne sauraient se mouvoir d'une place à l'autre. L'industrie des charançons consiste à entail- ler les plantes avec leurs puissantes mandibules et à creuser dans le, tissu jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'endroit leur larve doit se nourrir. Ils prennent alors leur œuf presque microscopique, entre leurs mandibules, et le poussent au fond du canal qu'ils ont creusé. Le charançon des noisettes (Balaninus) par exemple, dont beaucoup de lecteurs ont trouvé la rougeâtre et hideuse larve dans la délicate noisette, a une trompe arquée extraordinairement longue et fine, parce qu'il doit percer dans les noisettes encore jeunes et tendres toutes les enveloppes extérieures, la capsule, la peau, la chair et le germe pour pouvoir introduire son œuf jusque dans le milieu de l'amande. Au contraire le charançon des pois (Bruchus) qui n'a besoin de percer que la gousse pour déposer son œuf dans le pois ou le haricot, ne possède qu'une courte et large trompe. Outre les dégâts immédiats que cau- sent ces larves en dévorant les graines et les amandes et souvent même en détruisant les fruits dans la fleur même, beaucoup de charançons, comme celui de la

SIXIÈME LEÇON. 191

vigne (Rhyncliites betuleti), sont extrêmement nui- sibles; ils entament tellement les pousses des plantes et les jeunes scions de l'année leurs larves doivent

vivre, que ces pousses se fanent et meurent. Parmi toutes les espèces de charançons nous n'en prendrons que trois qui nous donneront une idée de la vie des autres, et qui, malgré les effroyables dégâts qu'ils causent dans nos principaux aliments, le pain et le vin, ne sont connus de presque personne.

Linné, le grand fondateur de l'histoire naturelle mo- derne, a confondu le charançon des pommiers (Rhyn- chites bacchus) avec celui de la vigne, appelé aussi la bêche; c'est pour cela qu'il lui a donné bien à tort ce nom significatif du dieu. Ces deux espèces ont en réalité une grande ressemblance pour la taille; ils ont le bec cylindrique commun à tous les ryn-

Balaniniis grossi.

192 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

chophores et plus large à son extrémité, des anten- nes coudées et placées dans une longue rainure pra- tiquée le long de la tête ; la véritable bêche est sans

Le charançon des pommiers, grossi.

poil; le charançon du pommier se distingue par sa teinte plus rouge et un duvet notable, et entame les boutons et les bourgeons des poiriers et des pommiers. La figure représente son travail sur un bourgeon.

Il dépose ses œufs dans les jeunes poi-^ res et les jeunes pommes et détruit souvent presqu'entièrement une ré- colte, surtout sur les arbres nains.

Le charançon desprunes i^Rhynchites cupreus) attaque de même les prunes et les quetches, pendant que celui des arbres fruitiers (Rhyncliites conicus) Bourgeon de poirier couteute dc pcrcer Ics branches ver-

entamd par un cha- rançon, tes et les jeunes pousses dans les tissus

desquels la larve peut se nourrir et se développer.

SIXIÈME LEÇON.

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L'aftelabe de la vigne, la bècJie ou lisette (Rhyn- hites betuleti) n'est que trop connu par ses ravages dans les vignobles de l'Alleniagne du sud, de l'Al- sace et de la Bourgogne. Il est de la grosseur d'une mouche ordinaire, avec une longue trompe courbée n bas, de hautes jambès et des reflets métalli- ques D'ordinaire il est d'un beau bleu d'acier, sou-

vent aussi vert doré, couleur de bronze ou même rouge de cuivre, mais toujours complètement lisse et sans poil. La vigne ne souffre pas seule de ses ravages, il attaque différents arbres forestiers et fruitiers, et sourtout les poiriers, sur lesquels il se fait remarquer par cette particularité qu'il roule en forme de cigarre une douzaine et plus de jeunes feuilles tendres. Au commencement du printemps il semble se tenir de préférence dans les bois, mais dès que la vigne commence à bourgeonner, il émigré vers sa plante favorite, et on le rencontre souvent alors en quantité innombrable dans les vignobles. Là, son action est très-diverse. Pour se nourrir, ce

La bêche, grossie.

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194 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

coléoptère ronge sur la face sup.érieiire de la feuille > des bandes droites de plusieurs millimètres de lon^ et de la largeur de sa trompe; il en mange la par-- tie verte en ne laissant subsister que le tissu trans-- parent qui est au-dessous; la feuille se dessèche;: alors il coupe à demi les pousses tendres et encore? charnues, et, plus tard, la tige même des jeunes scions ^ au point qu'ils se recourbent et se fanent complète- - ment. Il semble que ce charançon préfère les parties? des plantes à moitié flétries à celles qui sont toutes > fraîches. Pendant ce temps, les feuilles de la vigne se» sont complètement développées et la bêche commence » à s'occuper de sa progéniture. Les feuilles sont àt moitié rongées au pédoncule de telle sorte qu'elles 5 se fanent et se roulent sur elles-mêmes. Le coléoptère? y aide souvent avec de grands efforts et finit par* confectionner un rouleau composé de plusieurs? grandes feuilles et de quelques petites; les mâles? et les femelles travaillent d'ordinaire en commun, ett quand le rouleau est terminé, ils percent de dehors f plusieurs trous par les œufs sont déposés dans? l'intérieur. Les larves en sortent au bout de huiti jours et ici finit leur histoire. '

Il est à peine croyable que l'existence de ceti animal ne soit pas plus exactement connue, quand! t

SIXIÈME LEÇON. 195

on pense qu'on a pu le recueillir au boisseau pendant bien des années dans le Palatinat et le pays de lîade, que par ordre de l'autorité on dut le ramasser en Alsace et dans le Margraviat, et qu'il fut enfin, Lonirae je l'expliquerai tout-à-l'heure, la cause de lu-ocès d'état au moyen-âge. Et~ c'est cependant la vérité. Il règne la plus grande incertitude sur le développement des larves enfermées dans ces rou- leaux de feuilles, sur leur transformation en chrysa- lide, sur la durée de la génération chez ces animaux. On balance pour la durée de l'existence des larves entre 14 jours et six semaines. Les uns croient que la métamorphose en chrysalide a lieu en terre, d'autres dans les fissures des écorces. Il semble seulement bien établi, qu'à la fin de l'été, en Août et Sep- tembre, apparaissent de jeunes coléoptères ; mais à cette époque de l'année ils n'enroulent plus les feuilles en forme de cigarres, sans pour cela s'occuper moins activement de la propagation de l'espèce. Les charançons éclos en automne passent-ils seuls l'hiver pour reparaître au printemps, ou pondent-ils des œufs dont les larves trouvent encore assez de nour- riture pour se métamorphoser en chrysalide avant l'hiver et pour pouvoir attendre sous terre le réveil du printemps? Jusqu'ici aucune de ces questions n'est

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196 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

résolue. On ne sait pas par conséquent si l'insecte produit dans l'année une génération simple ou double.

On voit combien les dégâts de Tattelabe peuvent être considérables par les procès qui leur furent intentés au moyen-âge ; je vais vous en raconter un des environs de Genève. Je regrette seulement que le charme particulier du vieux français naïf dans lequel sont dressés les actes, disparaisse forcément dans un abrégé.

En 1545, les attelabes avaient ravagé les vigno- bles de St. Julien, dans le voisinage de St. Jean de Maurienne, en Savoie. Une instruction judiciaire fut ouverte et une plâinte formée par les habitants devant le tribunal épiscopal de St. Jean de Maurienne. On donna aux insectes un fiscal (avocat) qui prononça leur défense, mais le jugement fut suspendu par la disparition subite des accusés. Ils reparurent 42 ans plus tard, en 1587. Les autorités communales por- tèrent de nouveau le procès devant le vicaire général de l'évêque de Maurienne, qui donna aussitôt aux insectes un tuteur et un avocat ; il fit envoyer aux fidèles un mandement, pour ordonner des prières et des processions publiques, et exposer en même temps à la population, que cette calamité était un châtiment du ciel pour l'acquittement irrégulier des

SIXIÈME LEÇON. 197

dîmes, et qu'elle pourrait l'écarter à l'avenir en payant exactement et libéralement les impôts et les taxes ecclésiastiques. Le peuple paya ces dîmes et y ajouta péniblement des présents ; mais tout cela ne suffit pas encore, paraît-il, à satisfaire l'appétit des prêtres et à apaiser complètement la colère du ciel. Cepen- dant le procès continuait son cours. On plaida pour et contre, et comme le défenseur des insectes soutint que ses clients avaient le droit de vivre en tant que créatures de Dieu, les autorités municipales appelèrent les bourgeois de St. Julien à une assemblée publique sur la place, on leur exposa : qu'il était utile et nécessaire de fournir aux dits animaux des pacages et des champs en dehors des vignes de St. Julien, .pour qu'ils puissent y vivre sans être forcés de dévorer et de ravager ces vignobles.

Les bourgeois, tout d'une voix, offrirent aux in- sectes un morceau de terrain communal d'environ 50 journaux dont les tuteurs et procurateurs des dits animaux devaient prendre connaissance et se contenter; „car," disaient les bourgeois, ce terrain est bien planté de maintes sortes de bois, d'arbustes et d'herbes, tels que l'alisier, le cerisier, le chêne, le hêtre, le frêne et autres arbres et arbrisseaux, avec une grande abondance de beau gazon et de pré."

198 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

Mais dans cette donation les habitants de St. Julien se réservèrent le droit de passage sur le morceau de terre, sans vouloir par cela gêner en rien les repas des insectes. Comme ce lieu était un excellent refuge en temps de guerre et avait d'excellentes sources dont les coléoptères pouvaient user à leur convenance, les habitants garderènt le droit de se réfugier là, mais ils promirent, en tout cas, de.fairê préparer un contrat en bonne forme valable à per- pétuité et sous les conditions indiquées pour la cession de ce morceau de terre.

Cette résolution fut prise le 29 Juin. Le 24 Juillet, l'avocat des habitants fit la demande suivante : Plaise au juge dans le cas oii les accusés ne consentiraient ^pas à accepter les offres faites, de lui adjuger ses conclusions dans lesquelles il demandait que les accusés fussent tenus de se retirer immédiatement des vignobles de la commune et qu'il leur fut défendu sous les peines les plus sévères d'y rôder à l'avenir." L'avocat des insectes demanda un délai pour déposer ses contre-conclusions, et au 3 Septembre, quand l'affaire fut reprise, il déclara qu'il ne pouvait pas accepter les propositions, que le terrain offert était complètement stérile et ne produisait rien qui pût nourrir ses clients. Ce fut la fin de l'histoire ; car

SIXIÈME LEÇON. i99

après la iiomiiiatioii d'experts qui durent visiter les lieux, les insectes disparurent malicieusement sans que jamais ils aient depuis reparu en causant de pareils dégâts.

Vous pourrez, peut-être croire, messieurs, que le ])rocès dont je viens de vous faire un récit abrégé, st une exception, qui ne saurait offrir un témoignage riatteur pour l'esprit de nos chers voisins les Savo- yards. Vous tomberiez dans une profonde erreur. Daus ces temps remarquables d'ignorance oii on voudrait nous ramener volontiers, on rabaissait les gens du peuple au niveau des animaux, et par contre, on égalait les bêtes aux hommes. Alors les procès contre les bêtes étaient journaliers, et les autorités ecclésiastiques lançaient autant d'anathêmes et d'excommunications contre les bêtes malfaisantes que contre les humains, avec cette seule différence que les premières semblaient avoir atteint un degré d'intelligence supérieur, puisque les excommunications n'exerçaient pas la moindre influence sur leur mul- tiplication, tandis que les hommes étaient souvent assez simples pour s'en inquiéter.

Le charançon noir, la calandre du blé, le ver noir du blé (Calandra granaria) est un proche parent de la bêche. C'est un petit coléoptère allongé, à peine

200 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

gros comme une puce, avec un corselet très-allongé^ les ailes de dessous imparfaites, les élytres si dures qu'elles craquent quand on marche dessus. C'est un

Charançon noir du blé, considérablenicnt grossi.

merveilleux petit animal qui, par ses ravages dans les greniers, a déjà causé à maint accapareur et aussi à plus d'un honnête homme bien du déficit dans ses comptes. Il est encore une preuve frap- pante des dommages que peuvent causer ces petits ennemis dès qu'ils apparaissent en grande quantité. La vie d'un charançon s'écoule dans un seul grain de blé. Après avoir passé l'hiver à demi engourdi dans les fentes et l'épaisseur des planches des gre- niers, dans la paille et les menus débris, au commen- cement du printemps il introduit son œuf dans un grain de blé qu'il a coupé, soit à l'endroit du germe, soit à l'extrémité barbelée; après dix à douze jours la larve épaisse, blanchâtre, à petite tête brune et sans pieds sort de l'œuf et creuse peu à peu le grain de blé; elle consomme toute la.partie farineuse et ne laisse que le son et ses propres excréments. Alors elle se métamorphose en chrysalide, et, après

SIXIÈME LEÇON. 201

environ quarante jours, vers le mois de Juillet, ap- paraissent les jeunes coléoptères, qui ' s'accouplent

Larve et chrysalide du charançon, fortement grossies. Charançon noir (grandeur naturelle).

aussitôt et produisent avant la fin de l'automne une nouvelle génération. Le coléoptère, quand il est complètement développé, ne se nourrit que de la farine du grain qu'il attaque et qu'il fouille avec son bec.

Un seul charançon ne peut pas faire beaucoup de mal, mais il en vient des millions qui en produisent des milliards, et à la fin les greniers infestés res- semblent à une ruche ; la chaleur propre aux in- sectes se développe à ce point qu'on la sent avec la main ; des greniers élevés et aérés, des pelletages et des remuages fréquents, une grande propreté et le blanchissage de toutes les crevasses au commen- cement du printemps avec de la chaux fraîchement délayée sont les meilleurs moyens pour se garantir des charançons.

Passons les autres charançons qui vivent dans les gousses du colza, dans les noyaux de cerises, les

202 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

noisettes, dans les fleurs des pommiers, dans les pépi- nières, sur les cerisiers, les pruniers, dans les jeunes pousses des arbres fruitiers, on peut presque dire dans toutes les plantes utiles. J'ai ici un reproche grave à faire aux livres sur l'agriculture; ils indi- quent la manière de vivre de ces insectes, en con- fondant continuellement les espèces, et nous mettent en tête des moyens de préservation et de destruction la plupart du temps fort peu efficaces; ils sont, en général, tout aussi utiles que l'excommunication au moyen-âge.

Je mentionnerai seulement parmi les espèces nuisibles les Fer ce-bois (Xylophagi), comprenant les Bostriches, Scolytes, Hylésins qui fouillent l'écorce, l'aubier et le bois en y creusant des galeries de forme spéciale ils déposent leurs œufs ; par leur proi)re industrie et par celle de leurs larves ils causent souvent de très-grands dégâts sur les arbres des parcs et des forêts Les Capricornes (Cérambyx) avec leurs longues antennes, donnent aussi naissance à des larves apodes qui rongent le bois'. Je pourrais faire un grand chapitre sur mes malheurs personnels avec ces affreuses bêtes, car il y a ,des années que je suis en guerre avec elles. Une espèce de Bos- triches a fait périr devant la fenêtre de mon cabinet.

SIXIÈME LEÇON. 203

et sans que je puisse arrêter ses ravages, un superbe frêne de deux pieds de diamètre, et une larve de capricorne ronge la moelle des pousses de mes poiriers nains. Elle y développe une tumeur informe, empêche les bourgeons de se développer et fait tomber les branches qui, en se détachant, laissent une cicatrice ronde et lisse. Jusqu'àprésent il m'a été impossible de déterminer l'espèce de ces larves, car j'ai vaine- ment cherché l'insecte parfait.

Le Hanneton (Melolontha vulgaris), le plus connu des coléoptères qui, dans toute l'Europe, est le jouet des enfants et le chagrin des parents, nous demande un peu plus d'attention. Il apparaît après l'hiver dans

Hanneton.

le sud de l'Allemagne et en Suisse souvent dès le milieu d'Avril. 11 sort alors de ses trous profondé- ment enfoncés en terre qui se trouvent souvent en quantité dans les endroits sablonneux, et qui sont assez larges pour qu'on puisse fourrer le doigt dans l'ouverture. A une grande profondeur repose le han- neton engourdi et sans mouvement depuis l'automne,

204 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

et il n'est pas rare, au commencement du printemps, de trouver en bêchant des hannetons vivants qui remuent leurs membres comme en rêvant et ont peine à revenir à la vie, même à la chaleur de la chambre. Pendant les soirées tièdes, les hanne- tons sortent, volent sur les arbres et les arbustes et mangent, principalement la nuit, les feuilles et les bourgeons de presque toutes les espèces arbores- centes et frutescentes sans distinction, à l'exception des poiriers, des noyers et des véritables châtaigniers, qu'ils n'attaquent que quand tout le reste est mangé à blanc. Par les soirées chaudes, ils volètent çà et là. Au jour naissant, et surtout au lever du soleil, ils sont attachés aux branches comme engourdis et se laissent alors secouer facilement. Les mâles qui se distinguent par les peignes plus longs des an- tennes, ne vivent pas plus de 15 jours, les femelles, qui doivent prendre soin des œufs pendant environ un mois ; mais comme tous_ les hannetons ne sortent pas de terre à la même époque, on en voit voler pendant deux mois et quelquefois plus.

Après l'accouplement, la femelle cherche un sol convenable, de préférence léger et sablonneux, dans lequel elle fait un trou profond d'environ un demi- pied pour y déposer une trentaine d'œufs. Bientôt

SIXIÈME LEÇON. 205

après ce travail elle meurt, souvent dans le trou même. Les jeunes larves sortent de l'œuf quatre à six semaines plus tard en Juin on Juillet. Une tête jaune avec de fortes mandibules très - tranchantes, un corps blanc jaunâtre, de longues pattes jaunes, un abdomen dégoûtant, en forme de sac, à travers lequel on aperçoit les excréments de couleur foncée contenus dans le rectum; tels sont les caractères qui suffisent pour reconnaître ces larves générale- ment connues sous le nom de vers blancs, turcs ou mans. Pendant la première partie de Tété les vers blancs sortis du même amas d'œufs restent encore ensemble et cherchent leur nourriture dans le voisinage de leur nid. En automne ils s'enfoncent plus profon- dément en terre et changent de peau ; ils se séparent

Le ver blanc.

de plus en plus pendant la seconde et la troisième ' année à la fin de laquelle ils ont atteint toute leur grandeur.

Pendant ce temps les vers blancs sont de ter-

206 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

ribles ennemis pour presque toutes les plantes dont ils mangent les racines: la salade, les choux, les raves, les haricots, le lin, le chanvre, les céréa- les, les racines de fraisiers, le gazon, les pommes de terre et les oignons sont leur nourriture préfé- rée. On doit ajouter qu'ils coupent aisément des racines d'arbres forestiers d'un pouce d'épaisseur, surtout celles des jeunes sapins, et, qu'en mangeant les racines, ils ont détruit des pépinières entières et des plantations de rosiers comme j'en ai fait moi-même la triste expérience. ils pullulent on ne retourne pas une planche sans en mettre quel- ques douzaines au jour.

J'ai souvent vu par moi-même des plantes déli- cates, telles que des verveines, qui ne peuvent sup- porter aucune blessure, courber la tête et se flé- trir, pendant que je les regardais. Avec une petite pelle j'amenais aisément au jour la cause de cette défaillance subite, un gros ver blanc qui avait en- tamé la racine au collet. Ses puissantes mandibu- les cornées sont extrêmement tranchantes et- peu- vent pincer sensiblement. Je n'oublierai jamais l'effroi d'un de mes enfants qui en suivant le jardinier en- train de labourer ses planches, prit avec la main un gros ver blanc gisant par terre. L'animal se crani-

SIXIÈME LE(,'ON. 207

ponna si bieu à son doigt qu'on eut quelque peine à le faire lâcher. Il avait mordu au sang.

A la fin de l'automne, quand la gelée pénètre en terre, les vers blancs s'enfoncent davantage pour changer de peau et se rapprocher de la surface au printemps ; ils se métamorphosent en chrysa- lide à une grande profondeur, dans une boule de terre pétrie, creuse et lisse à l'intérieur. Au bout de cinq à six semaines apparaît le coléoptère, qui, comme nous l'avons observé plus haut, passe l'hi- ver en terre.

Il s'écoule ainsi trois années pleines, du mois de Mai au mois Mai, jusqu'à ce que la progéniture d'un hanneton réapparaisse à la surface. De tout ce temps il a passé près de six mois sous terre dans un demi- engourdissement, un mois à manger et à faire l'a- mour sur terre à l'état d'insecte parfait, six semai- nes dans l'œuf, six semaines en chrysalide, de sorte que de 36 mois dont sa vie se compose, il a vécu 26 mois sous la forme de ver blanc.

Il est maintenant facile de comprendre que les années favorables, les hannetons ont paru en quantité considérable, font sentir longtemps leur in- fluence pendant une période de trois ans. Suppo- sons que cette année soit une année à hannetons.

208 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES

Les nombreux hannetons qui paraissent cette année, ponderont une énorme masse d'œufs qui produi- ront beaucoup de vers blancs, et, dans trois ans de nouveau, beaucoup d'insectes parfaits. C'est sur le retour des années on les voit voler qu'on n'est pas complètement d'accord. On veut en Franconie et dans le Nord de l'Allemagne admettre une période de quatre ans, tandis qu'en Suisse et en France elle est certainement de trois ans. Il est très-remar- quable que la Suisse appartienne à deux systèmes différents : la Suisse orientale a la même période que les contrées allemandes voisines, et la Suisse occidentale la même que la Bourgogne et l'Est de la France. Je me repens presque d'avoir parlé de ce rapprochement, car qui sait si un jour la passion d'annexion de la France ne mettra pas en avant les hannetons pour justifier la possession de la Suisse occidental. On a vu donner de plus mauvaises rai- sons !

Cependant il ne faut pas compter sur le retour certain de ces périodes et il faut bien penser que . des circonstances particulières peuvent modifier leur durée. Plusieurs années successives humides et froi- des peuvent tuer les larves et les chrysalides, les troubler dans leur développement et ramener une

SIXIÈME LEÇON.

année d'abondance des quantités minimes. Une saison particulière peut au contraire favoriser leur développement, nuire aux ennemis du hanneton et transformer, pour une longue période, une année or- dinaire'en une année d'abondance.

Quoiqu'il en soit, il est certain que souvent les hannetons paraissent en nombre immense, et qu'il s'agit alors de savoir non pas comment en ramasser un quintal, mais comment employer tous ceux qu'on a recueillis. Les poules et les cochons ne peuvent pas venir à bnut de t( lies quantités et se dégoûtent d'en manger. Les hannetons se sauvent de l'eau oii on les jette ; les écraser est dégoûtant et peu praticable quand on en a des boisselées, et les enterrer c'est, comme on dit, jeter le poisson dans l'eau pour le noyer. Dans le canton de Berne, je me rappelle avoir vu les au- torités sérieusement embarrassées, jusqu'à ce que l'idée leur vint de louer une huilerie et d'y faire piler les hannetons, ce qui donna un excellent fu- mier. Par malheur, j'ai oublié de noter combien de simri (la plus petite mesure de capacité du pays) furent lécoltés rien qu'à Thun j'étais alors, à raison d'un centime par simri; cela frise les mille et une nuits ; mais si on refléchit que le 18 Mai 1832, à 9 heures du soir, la diligence à six chevaux fut

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210 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

forcée de rebrousser chemin entre Gonrnay et Gi- sors à cause des essaims innombrables de hannetons qu'elle rencontra et qui faisaient peur aux chevaux; quand on pense qu'en Mai 1841 à Mâcon les ponts sur la Saône, pendant quelques soirées, n'étaient plus praticables à cause de la masse de hannetons qui remplissaient l'air, on commence à comprendre les épouvantables dégâts que ces animaux peuvent quel- quefois causer dans les champs, les jardins et les bois. '

Les moyens qu'on a proposés contre les hanne- i tons sont, le plus souvent, complètement insuffisants i| quand les dégâts sont considérables ; en général, on 1 ne peut les employer que contre l'insecte parfait; mais dans le sol le ver blanc échappe complètement, surtout dans certains endroits, comme les près et les bois, «ù la terre n'est jamais retournée. Dans les jardins et les champs la bêche et la charrue en amènent quelques uns à la surface, et il faut bien dire que l'abandon de la jachère dans l'agricul- ture moderne et le travail répété de la terre offrent l'avantage immédiat de détruire beaucoup de larves. Voyez l'attention avec laquelle les oiseaux de la race des corbeaux, les corneilles, les choucas et les étourneaux suivent la charrue, picotant à droite et

SIXIÈME LEÇON. 211

à gauche et mangeant avec délices les gras vers blancs qui remuent entre les mottes de terre. Voyez les perdreaux et les autres petits oiseaux aller, quand le laboureur s'est éloigné, grattant les sillons fraîche- ment retournés ; vous vous convaincrez de nouveau des riches bénédictions que le cultivateur trouve dans les fréquents labourages du sol.

Mais comment faire s'il y a des vers blancs dans les prés et les bois? Le froid le plus rigoureux ne les atteint pas, et ils résistent même à une inondation qui met les prés un mois sous l'eau . Je ne connais en réalité qu'un seul moyen; c'est la multiplication des taupes. Selon moi, la question se pose ainsi: qu'est ce qui coûte le plus de retourner de temps en temps tout un pré et de perdre une certaine quan- tité de fourrage ou de répandre les buttes des taupes, travail qu'il faut recommencer pendant environ un mois au printemps ? Si on établit le compte, par doit et avoir, on saura ce qu'on doit faire.

Contre le hanneton lui même il n'y a pas, en définitif, d'autre moyen que la récolte de l'insecte encouragée par l'état, ce qui se pratique le mieux le matin de bonne heure au lever du soleil, quand l'insecte est engourdi; il tombe, si on le secoue. Le« ennemis des insectes, et parmi eux les oiseaux

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212 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

insectivores, n'ont pas la même périodicité dans lour développement et ne peuvent pas suffire à beau- coup près, même avec les plus grands efforts, à la tâche que leur impose la quantité innombrable de hannetons. Les dispositions qu'il faut prendre et qui consistent principalement en une somme payée par mesure de hannetons recueillis, doivent venir de l'autorité, car le mal est général ; il ne s'attaque pas à une seule localité, un seul district, mais à de grandes étendues de pays. A quoi bon, par exemple, qu'un particulier ramasse les hannetons sur ses pro- priétés, si un voisin les laisse circuler en liberté? ' A quoi sert-il à nous autres Génevois de faire | ramasser les hannetons, même dans tout le canton, si nos voisins de France, que nous pouvons aller ^ trouver en une heure dans toutes les directions, ne i prennent pas les mêmes soins? Il y a quelques années le mont Salève situé à une heure de Genève, paraissait, au mois de Mai, brun au lieu de vert, et, dans une excursion que nous y fîmes, nous enten- dîmes dans le bas de la forêt un bruit semblable à celui de la pluie qui tombe. Il venait de millions de hannetons qui dévoraient les derniers bourgeons des broussailles. Croit-on que ces essaims ne se ré- pandent pas sur le territoire de Genève, et que leurs

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enfants respecteront le poteau qui marque la frontière (le la république?

Le nombre des autres coléoptères nuisibles est trop grand pour que je puisse seulement les nommer ici. 11 y a certains taupins (Elater) qui, au moyen d'un ap- pareil particulier adap(é à la poitrine, sautent en Tair dès qu'on les met sur le dos et dont les larves raides comme des morceaux de fil de fer causent de grands ravages dans les céréales, surtout dans le nord ; le firand bouclier noir (Silpha) qui se nourrit princi- j)alement de charogne et dont la larve fait beaucoup de tort aux jeunes navets et aux jeunes betteraves; les nitidules qui attaquent la fleur du colza et rongent ses organes intérieurs de telle sorte qu'elle ne vient pas à fruit; le dermeste du lard et des

Dermeste du lard grossi.

fourrures dont les larves recouvertes de poils rai- ' des font de si grands ravages dans nos provisions et nos vêtements d'hiver. Ce sont de fâcheux com-

214 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

pagnons dans nos maisons. Celui qui porte une bande brun clair ornée de trois points noirs sur les élytres et qui est aisément reconnaissable, passe l'hiver dans les crevasses; il produit des larves beaucoup plus grandes, brunes en-dessus, blanches en-dessous, qui rongent surtout les fourrures graisseuses et les peaux, laissent partoût leurs ordures et leur enveloppe toute hérissée de poilj raides. Ils se métamorpho- sent en chrysalide dans la fourrure même en tissant ses poils dans leur coque.

Larve du dermeste considérablement groissie.

Je nommerai enfin le Tenebrio molitor, dont la larve appelée ver de farine se trouve souvent dans la farine, le son et lo pain. Comme les rossignols préfèrent ces vers à toute autre nourriture, l'édu- cation des vers de farine est un petit profit ac- cessoire pour les boulangers et les meuniers, dans les pays on a la barbare habitude de garder de ces oiseaux en cage. Du reste ces larves jaunes et dures sont les hôtes les plus désagréables des coffres à fafine. Les larves de l'espèce voisine ap-

SIXIÈME LEÇON. 215

pelées vers de cuisine (Teuebrio culiuarius) et les croque-morts (Blaps mortisaga) vivent dans la poussière et les ordures des habitations malpropres, il y a quelques années, on m'apporta quelques-unes (le ces larves qu'une femme, souffrant d'une maladie •rganique d'estomac, devait avoir rendues en vomis- sant. La femme soutenait mordicus qu'elle avait des vers dans l'estomac, et que ces vers étaient la cause de sa maladie invétérée. Le médecin ne paraissait pas éloigné de se ranger à cette opinion, et j'eus assez de peine à le convaincre que ces vers n'avaient pas pu vivre dans l'estomac, mais qu'ils étaient sortis des fentes du parquet pour gagner le copieux repas que les vomissements leur apportaient. Il me souvient, à ce propos, de l'histoire de cet hypocondre, qui, à la façon de certaines gens, examinait chaque fois avec grande attention ses déjections et, tout plein de frayeur, apporta un jour à son médecin quelques vers velus, qu'il crut la cause de ses maux d'entrailles. Le médecin reconnut de suite la larve velue du larron (Ptinus fur) et se convainquit par des recherches plus précises que toute une colonie de ces coléoptères habitait dans le coussin détérioré de la chaise percée, d'où ils étaient tombés dans le vase.

216 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

Le noir et puant croque-mort (Blaps; qui rôde la nuit dans les maisons et qu'on trouve quelquefois dans la cuisine, lorsqu'on veut préparer quelque chose pour un malade, passe pour un présage de mort, comme l'opiniâtre horloge de mort (Anobium pertinax) dont les coups sourds dans le bois il fouille, ressemblent au battement d'une montre. Pendant que l'insecte fait ce bruit, il pense moins à la mort qu'à la vie future qu'il peut donner lui- même : il appelle sa femelle en frappant avec sa tête.

SEPTIÈME LEÇON.

Description des Hyménoptères. Leur utilitë. Guêpes porte-scie et Ichneumouides (ujouches vibrantes). Larves du Cynips du cbêne à galle (mouche des Galles). Dé- ceptions des éleveurs de papillons. Combat d'une guêpe dorée (Chrysis) et d'une abeille maçonne. Instinct des guêpes fouisseuses. Comment elles atteignent leur proie. Combat d'une guêpe fouisseuse et d'un Coléoptère.

Les abeilles maçonnes et la fécondation des plantes-

Les fourmis et leurs travaux. L'esclavage chez les fourmis.

Messieurs !

Les insectes ont certainement leur type le plus parfait dans le merveilleux ordre des Hyménoptères ailes membraneuses J qui méritent notre attention toute spéciale, moins par leurs couleurs et leurs foi mes extérieures que par le remarquable dévelop- pement de leur intelligence dans leur économie domestique. Quand je dis que les abeilles et les fourmis appartiennent à cet ordre, chacun sait im- médiatement que nous avous affaire à des êtres Qui, par le développement de leur nature individuelle

218 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

et sociale, occupent parmi les animaux un rang élevé dans l'échelle de l'intelligence. Avant de pénétrer plus avant parmi ces merveilles, nous examinerons de plus près les particularités de la formation et du développement des hyménoptères qui servent à les faire reconnaître.

Le nom indique déjà qu'on trouve chez ces in- sectes quatre ailes membraneuses le plus souvent complètement transparentes, incolores et portant quel- ques nervures. Elles ne manquent que dans des cas très-peii nombreux, chez les ouvrières des fourmis par exemple. D'ordinaire ces ailes sont longues, vigoureuses; le vol est très-rapide et soutenu à tel point que, sous ce rapport, peu d'insectes peuvent se mesurer avec les hyménoptères. La tête est moyenne- ment grosse, fortement prononcée ; ses gros yeux com- posés, placés généralement, de côté, la fout paraître plus large que longue; les antennes sont presque toujours filamenteuses ou soyeuses. L appareil buccal" est encore masticateur, mais souvent aussi un allonge- ment notable de la lèvre inférieure lui permet en même temps de sucer, on pourrait presque dire de lapper. L'abdomen est généralement élancé, cylin- drique, tantôt attaché au thorax dans toute sa lar- geur comme chez les portes-scie (^TenthredoJ, d'autres

SEPTIÈME LEÇON. 219

fois il n'y tient que par un mince pédoncule, comme chez les guêpes proprement dites. Ils sont armés soit d'une aiguillon venimeux, qui peut se rentrer complètement, soit de tarières protégées par des lames latérales. Comme l'aiguillon n'est qu'une mo- dification des tarières, il manque toujours chez le fficâle et n'existe que sur les femelles ou sur les individus appelés neutres, qui ne sont que des femelles atrophiées.

11 y a des différences trés-remarquables dans la formation des larves. Chez tout un groupe de l'ordre chez les guêpes portes-scie, (Urocères et Tenthredo) outre les véritables pieds thoraciques, les larves possèdent d'ordinaire un grand nombre de faux pieds abdominaux, aussi les a-t-on appelés fausses chenilles. Chez la plupart des autres hyménoptères au contraire, les larves sont des vers sans pieds au corps vermiforme ; elles sont presque incapables de changer de place, et sont tantôt déposées par leurs parents dans le voisinage immédiat de leur nour- riture, tantôt nourries par ces parents et des nour- ricières. Les chrysalides sont, en général, enveloppées dans un tissu léger et finement sculptées de telle façon que les différentes parties du futur insecte peuvent être clairement reconnues.

220 ANIMAUX UTILES NUISIBLES.

Dans cet ordre, le bien et le mal pour l'homme i sont presque également partagés, le bien cependant j l'emporte peut-être ; car si les portes-scie détruisent beaucoup de plantes utiles, li les guêpes et les fourmis font beaucoup de tort à nos provisions, nous ne devons pas oublier à côté de cela les précieux produits de l'abeille, le miel et la cire, les i nombreux services que les ichneumonides et les I guêpes fouisseuses nous rendent en détruisant des i masses d'insectes nuisibles, et les abeilles sauvages et les bourdons, en fructifiant beaucoup de nos plantes j utiles. Chez quelques espèces les dégâts que causent les espèces voisines, se changent en services évidents par l'utilisation des excroissances maladives que leurs piqûres déterminent sur les plantes. Un des ; principes essentiels de l'encre est la noix de galle, produite sur le chêne par la piqûre du Cynips du chêne au pédoncule des feuilles. Que serait le monde sans l'encre? On n'ose pas pousser plus loin cette réflexion, et le parti rétrogade qui voudrait faire retourner eu arrière le char du temps et de la science, n'a certes pas encore songé à nous faire reculer jusqu'à cette époque la simplicité pa- triarcale ne connaissait d'autres matières pour écrire que le ciseau et la pierre.

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Parmi les hyménoptères nuisibles nous trouvons tout d'abord les guêpes portes-scie (Tenthredonida). Une tête large sessile, la partie postérieure du corps épaisse et ramassée qui forme la continuation du thorax, des antennns assez longues et la tarière peu saillante les caractérisent suffisamment ; leurs larves, dites fausses chenilles, sont munies de 18 à 22piedsot généralrment de petits yeux ; d'ordinaire elles roulent en colimaçon la partie postérieure de leur corps et

Guêpe portes-scie du rosier (Hylotoma rosarum), grossie de moiti(^.

vivent surtout de feuilles. Nous trouvons sur les rosiers î)lasieurs variétés de ces chenilles qui souvent dévo- rent toutes les feuilles ; nous en 1^ trouvons également d'autres va- Faussc-cheniiic du colza riétes sur Ic colza, sur les ceri-

(Tenthredo spinarum) . . ,

ayant sept paires de faua-

siers, sur les groseilliers à maque- ses pattes. ^^^^ groscilUers ordinaires. Toutes ont une façon de vivre commune. La mère

222 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

au moyen de sa tarière en forme de scie entame la feuille et introduit, sous l'épiderme, son œuf qui se développe bientôt. Les petites chenilles une fois nées se cachent souvent dans une enveloppe filée ou dans leurs propres déjections visqueuses, ce qui leur donne l'apparence de petits limaçons: quand elles ont atteint leur croissance, elles font leur coque dans le sol. D'ordinaire elles passent l'hiver, dans leur coque à l'état de larve et ne se changent en chrysalides que peu de temps avant leur dernière métamorphose, de telle façon que leur vie, comme chrysalide réelle, êst très-courte par rapport au temps qu'elles ont passé à l'état de larve engourdie. D'autres larves qui se tordent, à pieds très- courts, habitent l'intérieur des fruits, parmi lesquelles la guêpe des pruneaux (Tenthredo flavicornis) nous fait beaucoup de tort. Dès que la fleur du prunier s'est ouverte, cette guêpe fait un trou dans le calice et introduit son œuf jusque dans le microscopique embryon du fruit qui est au centre de la fleur; le petit ver, bientôt éclos, se nourrit du jeune fruit, creuse jusqu' au milieu de l'amande, la mange et porte un tel trouble dans la prune, qu'elle se fane peu à peu et tombe à terre quand elle a atteint à peine la moitié de sa grosseur. On reconnaît facilement la présence

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de la larve au trou gommeux qui sert à mener dehors ses sécrétions répandant une odeur de punaise, et on commet généralement l'imprudence de laisser à terre les prunes tombées C'est, en vérité, une grande imprévoyance, car, sitôt que la prune est à terre, la larve sort et s'enfonce dans le sol pour y faire sa coque. Elle échappe de cette façon à d'autres recherches. La plus grande partie de la récolte des quetches (prunes longues, prunes à pruneaux) est détruite bien souvent par cette larve. Le plus simple moyen de préservation est de ramasser plusieurs fois par jour les prunes tombées et de les donner aux cochons qui mangent et digèrent très-bien la prune et la larve.

Une autre grande tribu d'hyménoptères à tarière est composée des nombreuses guêpes pupivores ou ichneumonides, dont les larves parasites vivent aux dépens d'autres insectes. La partie postérieure de leur corps, souvent attachée au thorax par un mince pédoncule, est en général longue et effilée; les tarières sont d'ordinaire très-ténues, souvent très- longues et munies à l'intérieur d'un aiguillon, de telle sorte qu'en volant, beaucoup d'espèces doivent porter l'abdomen et ces tarières comme un balan- cier. Les espèces les pins grosses, généralement,

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aux vives couleurs, se rencontrpnt partout sur les herbes et les arbustes, tâtant continuollement avec leurs longues et fines antennes, furetant vivement çà et et mangeant parfois le suc des fleurs. Les petites espèces sont presque microscopiques et parées, même dans ce cas, des plus vives nuances. Il n'est dit- on, si petit pot qui ne trouve son couvercle. De même chaque insecte a, parmi la famille des Ichneu- monides, non pas un. mais plusieurs ennemis parasites

Une guêpe (Bracon flavator), grossie.

dont les larves se nourrissent à ses dépens. Non- seulement les insectes parfaits, mais les œufs, les larves et les chrysalides sont visités par ces guêpes

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pupivores qui y déposent l'œuf microscopique d'où sortira leur larve. C'est dans ce but que ces es- pèces portent de longues tarières, au moyen des- quelles elles atteignent jusque dans les retraites et les cavités oiî ils se cachent, les insectes qui deviennent leurs victimes. La larve des gallicoles, qui habite l'intérieur de ces excroissances maladives des plantes, des galles, les chenilles et divers pa- pillons qui vivent dans l'intérieur des tiges herba- cées, dans l'aubier et Técorce, les coléoptères et leurs larves qui fouillent le bois, ne sont pas à l'abri des at- taques des ichneumonides ; elles introduisent leurs tarières à travers l'épaisse paroi des galles, à travers l'écorce, l'aubier, le bois et savent atteindre à coup sûr la larve pour déposer un œuf dans son corps. Les plus petites espèces habitent d'ordinaire les plus petits insectes. Il y a plusieurs ichneumonides dont tout le développement~depuis l'œuf, la larve et la chrysalide jusqu'à l'éclosion se^ passe dans l'œuf microscopique d'un papillon. La petite goutte de vitellus qui forme le contenu d'un semblable œuf, suffit à nourrir la larve plus microscopique encore qui est sortie de son œuf dans l'intérieur du premier. On ne peut pas dire cependant que la grosseur de la larve des ichi^eumonides parasites

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226 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

soit en rapport avec la grosseur de l'insecte dans lequel elle réside, puisque souvent la quantité rem- place la grosseur. Combien d'amateurs de papil- lons n'ont ils pas été trompés dans leur espoir de voir un beau papillon naître d'une chenille rare. La chenille bien partante en apparence se change en chry- salide, puis, au bout d'un peu de temps, sort de la chry- salide un essaim de guêpes infiniment petites qui peu- vent bien intéresser le naturaliste, mais qui désespè- rent l'amateur de papillons. Dans notre enfance nous étions d'ardents chasseurs de papillons et nous en faisions de continuels échanges; on les estimait d'après leur rareté dans nos environs. Le sphynx du tithymale (Sphynx euphorbiae) était très-rare à Giessen, ma ville natale, tandis qu'à Darmstadt il était déjà plus commun, mais néanmoins encore d'un prix élevé. Un jour, pendant une tournée de vacances à cette fameuse capitale du duché de Hesse, que Ton a appelée aussi le sablier du saiut empire ro- main, en arrivant au vaste champ d'exercice près de la , ville on inculque en même temps aux braves i Hessois le maniement des armes et la phthisie pul- monaire, nous étions tout étonnés de trouver le sol sablonneux couvert de tithyraales sur lesquelles se nourrissait une grande quantité de chenilles du

SEPTIÈME LEÇON, 227

précieux sphynx. Nous en ramassâmes des centaines et les rapportâmes triomphalement à la maison, mal-- gré la prédiction de nos petits camarades de Darm- stadt ; ils affirmaient énergiquement que les chenilles ramassées sur le champ de Mars étaient frappées de stérilité par la malédiction de la guerre, et ne produisaient que de petites mouches, mais jamais un papillon; que, pour en avoir, il fallait recueillir des œufs et élever dans un endroit bien fermé les chenilles écloses de ces œufs. Malgré toutes ces prédictions, nous nous réjouissions de voir nos che- nilles manger comme des ogres et descendre pour se métamorphoser en chrysalides. Jamais il ne parut un papillon. Les chrysalides examinées étaient vides, on n'y trouvait qu'une quantité de petits cocons dont sortaient de petites mouches. Ce phénomène qui nous semblait alors une énigme, s'explique tout naturellement, quand on sait que les plaines de sable autour de Darmstadt sont peuplées d'ichneu- monides.

Les ichneumonides ne s'attaquent pas seulement aux insectes dés autres ordres, elles s'en prennent à leurs propres congénères, et on a vu des exemples de larves d'ichneumonides parasites sur d'autres insectes servant elles-mêmes de demeure à une larve

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d'ichneumonide doublement parasite. Il y a une pe- tite espèce (Aphidius) qui habite dans les pucerons, une autre (Bracon) dans les chenilles. Des espèces plus petites encore (Chrysolampas et Hemiteles) savent trouver dans l'intérieur des pucerons et des cheniUes les larves parasites de leurs congénères, les percer de leurs tarières et déposer leurs œufs dans leur intérieur.

On croirait maintenant que l'insecte qui recèle un semblable parasite, doit bientôt en mourir. Ce n'est pas toujours le cas. Comme je le disais dans une leçon précédente, l'état de larve est destiné à former une provision de matières qui sert aux dé- veloppements ultérieurs. Cet amas de provisions, ce corps graisseux qui enveloppe les organes essentiels de la larve, sert à nourrir les larves parasites sans que cela mette un terme â la vie de la larve en attaquant ses organes. Dans le cas rapporté plus haut la chenille continue à vivre et à manger ; mais la matière dont elle a besoin pour ses métamorphoses, lui est constamment dévorée par la larve parasite du Bracon, laquelle, à son tour, ne mange pas pour elle-même, puisque dans son sein habite la larve de l'Hemiteles qui lui enlève la matière volée dont elle aurait besoin pour ses métamorphoses, véritable

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emboîtement de voleurs dans d'autres voleurs sans anologie dans la société humaine.

La plupart des ichneumonides sont pour nous des animaux utiles à coup sûr; car ils détruisent les chenilles nuisibles en y déposant leur progéniture. La conviction de cette utilité est allée si loin que, dans beaucoup de forêts dévastées par les chenilles, on a établi des appareils particuliers dans lesquels on voulait élever des essaims d'ichneumonides, qui devaient tomber sur les* chenilles comme les fléaux de l'Apocalypse. On est aujourd'hui convaincu de l'inefficacité complète de semblables essais et on laisse les ichneumonides continuer tranquillement leur vie sans chercher à arrêter ou à développer leur reproduction.

Les guêpes dorées (Chrysidida) portent de longues tarières qui se rentrent et s'allongent comme une lunette avec un petit aiguillon venimeux à leur extrémité. Elles peuvent se mettre en boule comme un cloporte de telle façon que leur abdomen large et brillant des plus beaux reflets métalliques cache le dessous du corps. Elles ont encore une autre industrie; elles jouent, dit un observateur, dans la classe des insectes à peu près le même rôle que le coucou parmi les oiseaux. Incapables de construire

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un abri et une habitation pour leurs larves, elles s'emparent par la ruse des nids que des congénères plus industrieuses ont préparés. Ces parasites éhontés guettent le moment une abeille solitaire quitte son nid, y introduisent leurs tarières et déposent,

Guêpe dorée, rouge feu (Chrysis ignita).

au milieu des provisions amassées par l'abeille, leur œuf à côté de celui de la propriétaire légi- time. La larve de la guêpe dorée grandit beau- coup plus vite que celle de l'abeille et lui mange sa nouriture si bien qu'elle la fait mourir de faim, ou bien elle se cramponne solidement sur son dos et la suce lentement avant de lui donner le coup de la mort. Mais ce crime ne reste pas toujours im- puni, et malheur à la guêpe si l'abeille plus forte la prend sur le fait. Lepelletier de St. Fargeau dont les observations ont ajouté beaucoup à nos connaissances sur les mœurs des hyménoptères, rapporte un exemple

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que je ne puis pas m'empêcher de citer. La. guêpe dorée royale (Hedyclirum regium) a soin de déposer ses œufs dans le nid de V abeille maronne (Osmia muraria). J'ai observé, dit ce naturaliste, une femelle de cet hédychre qui, après lêtre entrée la tête la première dans une cellule presque achevée de cette osmie,'en était ressortie et commençait a y intro- duire la partie postérieure de son corps en marchant en arrière, dans l'intention d'y déposer un œuf, lors- que l'abeille arriva portant une provision de pollen

Abeille maçonne (Osmia muraria).

et de miel; elle se jeta aussitôt sur l'hédychre et il me parût en ce moment que ses ailes produi- saient un bruissement qui n'est point ordinaire. Elle saisit son ennemie avec ses mandibules; celle-ci, selon l'habitude des chrysides, se contracta aussitôt en boule, et si parfaitement que les ailes seules dépassaient. L'abeille, ne pouvant la blesser, ses

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mandibules n'ayant aucune prise sur un corps si lisse, lui coupa les quatre ailes au ras du corselet et la laissa tomber à terre. Elle visita ensuite sa cellule avec une sorte d'inquiétude puis, après avoir déposé sa charge, elle i:etourna aux champs. Alors l'hédychre qui était resté quelque temps contracté, remonta le long du mur, directement au nid d'où il avait été précipité, et revint tranquillement pon- dre son œuf dans la cellule de l'abeille. Il place cet œuf, ajoute Lepelletier de Saint Fargean, au- dessous du niveau contre les parois de la cellule, ce qui empêche l'abeille de l'apercevoir. (Ency- clop. méth. X, 8.)

On voit par cet exemple que dans la nature le bon droit n'est pas toujours récompensé, et que, mal- gré la bravoure et la prudence montrées par l'abeille, la guêpe dorée atteignit son but avec une extrême habilité. L'abeille avait certainement oublié la vieille et prudente maxime : les morts seuls ne reviennent pas.

Parmi les hyménoptères armés d'aiguillons pas- sent avant tous les autres les guêpes fouisseuses (Fossores) qui vivent solitairement. Chez elles les femelles et les mâles sont également ailés, et on ne rencontre pas de travailleuses neutres. La fe-

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inelle fait son nid en terre, dans le bois, dans les murs, mais surtout de préférence dans le sable ; aussi trouve-t-on fréquemment dans les sables exposés

Guêpe fouisseuse, grossie (Cerceris arenaria).

fiu midi,, dans les dunes et sur les chemins des iuêpes aux belles couleurs, à la taille élancée, creu- sant avec une grande rapidité une longue galerie au fond de laquelle sont les cellules dans lesquelles les œufs doivent être déposés. Les larves sont apodes, vermiformes, faibles, avec une petite tête dure, à peine capables de terrasser une proie et cependant destinées à vivre d'insectes vivants. L'instinct de la mère est vraiment admirable, car il rend la chose possible. Chaque espèce de guêpe dorée poursuit une famille particulière d'insectes et approvisionne de leurs corps inanimés la cellule elle a déposé son œuf. L'une apporte des chenilles, l'autre des coléoptères, une autre des araignées, et les grands

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cancrelats des colonies ont eux-mêmes pour ennemis une variété de puissantes guêpes fouisseuses qui les porte à son nid. Les espèces d'araignées les plus rares qu'on a de la peine à rencontrer pendant des journées de recherches se trouvent par douzaines dans les cellules de semblables guêpes fouisseuses, et pour le collectionneur de coléoptères un semblable nid est souvent une heureuse découverte, car les exemplaires qui y sont déposés sont toujours aussi frais que s'ils sortaient de la chrysalide.

Les victimes apportées par les guêpes fouisseuses sont dans un état singulier. Elles ne sont pas mortes et cependant ne vivent pas ; elles se trouvent dans un état complet d'inertie, à peine capables de remuer un membre et tout-à-fait incapables de l'employer à une action déterminée. Les animaux continuent à vivre des semaines dans cet état sans se pourrir ou se corrompre, de sorte que la larve a le temps de se rouler successivement auprès de ces cadavres vivants et de les dévorer tous complètement au point de n'en plus laisser que l'enveloppe vide. Si les animaux pouvaient se mouvoir, la larve sans armes et sans pieds serait incapable d'en triompher. S'ils étaient complètement morts, ils se corrom- praient avant que la larve ait atteint sa croissance.

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Les conditions indispensables pour le développe- ment de la larve sont donc procurées par cette léthargie la victime est plongée.

Mais quel procédé la guêpe fouisseuse emploie- t-elle pour garnir ainsi son nid de provisions et pour déterminer cet état que nous venons de décrire? Ecoutons sur ce sujet le même observateur que je vous ai déjà présenté, Mr. Fabre d'Avignon. La guêpe fouisseuse qu'il a observée est une nouvelle espèce appelée de son nom Cerceris fabreiana, dont le gibier est un des plus gros charançons euro- péens le Cleonus optbalmicus.

„0n voit," dit Fabre, „le ravisseur arriver pesam- ment chargé, portant sa victime entre les pattes, ventre à ventre, tête contre tête, et s'abattre lour- dement à quelque distance de son trou pour achever le reste du trajet sans le secours des ailes, mais en traînant péniblement sa proie avec les mandibules sur un plan vertical ou au moins très-incliné, cause de fréquentes culbutes qui font rouler pêle-mêle l'hyménoptère et sa victime jusqu'au bas du talus, niais incapables de décourager l'infatigable mère qui, souillée de poussière, plonge enfin au fond du ter- rier avec le butin dont elle ne s'est point dessaisie un instant. Si la marche avec un tel fardeau n'est

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pas aisée pour le Cerceris, surtout sur un pareil terrain, il n'en est pas ainsi du vol dont la puissance est admirable, si l'on considère, que la robuste bes- tiole emporte une proie presque aussi grosse et plus pesante qu'elle. J'ai eu la curiosité de peser com- parativement le Cerceris et son gibier : j'ai trouvé pour le premier 150 milligrammes, pour le second, en moyenne, 255 milligrammes. Ces nombres par- lent assez éloquemment en faveur des vigoureux chas- seurs ; aussi ne pouvais-je me lasser d'admirer avec quelle prestesse, quelle aisance il reprenait son vol. Le gibier entre, les pattes, il s'élevait à une hauteur je le perdais de vue lorsque, traqué de trop près par ma curiosité indiscrète, il se décidait à fuir pour sauver son précieux butin. Mais il ne fuyait pas toujours et je parvenais alors, mais non sans difficulté, pour ne pas blesser le chasseur en le harcelant, en le culbutant avec une paille, à lui faire abandonner sa proie dont je m'emparais aussitôt. Le Cerceris ainsi dépouillé cherchait un instant çà et là, rentrait un moment dans sa tannière, et en sortait bientôt après pour voler à de nouvelles chasses. En moins de dix minutes, l'adroit investigateur avait trouvé une nouvelle victime, consommé le meurtre et accompli le rapt que je me suis souvent peiné

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de faire tourner à mon profit. Huit fois aux dépens lu même individu j'ai commis coup sur coup le même larcin, huit fois, avec une constance inébranlable, il a recommencé son expédition infructueuse. Sa pa- tience a lassé la mienne et sa neuvième capture lui est restée définitivement acquise."

„Comment s'y prennent les Cerceris," continue Fabre, ,,pour donner à leur gibier cette apparence de mort? Un Cerceris vient d'entrer dans sa galerie avec sa proie accoutumée ; avant qu'il ressorte pour une autre expédition, je place un charançon à quelques pou- ces du trou. Le charançon va et vient ; quand il s'écarte trop, je le ramène à son poste. Enfin le Cerceris montre sa large face et sort du trou : le cœur me bat d'émotion. L'hyménoptère arpente quelques in- stants les abords de son domicile, voit le charançon, le coudoie, se retourne, lui passe à plusieurs reprises sur le dos, et s'envole sans honorer sa proie d'un coup de mandibule. J'étais confondu. Nouveaux es- sais à d'autres trous, nouvelles déceptions. Décidé- ment ces chasseurs délicats ne veulent pas du gibier que je leur offre. Peut-être le trouvent-ils trop vieux, trop fané ; peut-être en le prenant entre les doigts lui ai-je communiqué quelques émanations odoran- tes qui les rebutent. Serai-je plus heureux en ob-

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ligeant le Cerceris à faire usage de son dard pour sa propre défense ? J'ai enfermé dans le même flacon un Cerceris et un charançon, que j'ai irrité par quel- ques secousses. L'hyménoptère plus effrayé que l'autre prisonnier songe à la fuite et non à l'attaque, les rôles même sont intervertis, et le charançon deve- nant l'agresseur, saisit parfois entre ses mandibules une patte de son mortel ennemi qui ne cherche même pas à se défendre, tant la frayeur le domine."

„J'étais à bout de ressources, et mon désir d'as- sister au dénoûment n'avait fait qu'augmenter par les difficultés déjà éprouvées. Voyons, cherchons encore. Il faut offrir mon gibier dédaigné au Cerceris au plus fort de l'ardeur de sa chasse; peut-être qu'alorSj emporté par la préoccupation qui l'absorbe, il ne s'apercevra pas de ses imperfections. J'ai déjà dit qu'en revenant de la chasse le Cerceris s'abat au pied du talus, à quelque distanôe du trou il achève de traîner péniblement sa proie. Il s'agit alors de lui enlever cette victime en la tiraillant doucement par une patte avec des pinces et de lui jeter aussitôt en échange un charançon vivant. Cette manœuvre m'a parfaitement réussi. Dès que le Cerceris a senti sa proie glisser sous son ventre et lui échapper, il frappe le sol de ses pattes avec impatience, se tourne

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deçà et delà et apercevant le charançon qui a remplacé le sien, il se précipite sur lui et l'enlace de ses pattes pour l'emporter. Mais il s'aperçoit promptement que la proie est vivante, et alors le drame commence pour s'achever avec une rapidité inconcevable. L'hyménoptère se met face à face avec sa victime, lui saisit le cou entre ses puissantes mandibules, l'assujetit vigoureusement et tandis que le Curculionide se cambre sur les jambes, l'autre avec les pattes antérieures le presse avec effort sur le dos comme pour faire bâiller quelque articulation ventrale. On voit alors l'abdomen du meurtrier glisser sous le ventre du charançon, se recourber et darder vivement à deux ou trois reprises son stylet veni- meux à la jointure du prothorax entre la première et la seconde paire de pattes. En un clin d'œil tout est fait; sans le moindre mouvement convulsif, sans aucune de ces pandiculations des membres qui accompagnent l'agonie d'un animal, la victime, comme foudroyée, tombe pour toujours immobile. C'est ter- rible en même temps qu'admirable de rapidité. Puis, le ravisseur retourne le cadavre sur le dos, se met ventre à ventre avec lui, jambes de çà, jambes de- là, l'enlace et s'envole.'' „L'aiguillon a sans doute atteint le gros ganglion

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thoracique. Pour compléter ma démonstration il me reste à établir qu'on peut à volonté en imitant les manœuvres des Cerceris, plonger dans une en- tière immobilité, soit en leur conservant la vie vé- gétative les insectes coléoptères dont l'appareil ner- veux se prête à ce genre d'expérience. L'opération est on ne peut plus simple ; il s'agit, avec une pointe acérée d'acier, ou avec un tube de verre convenable- ment effilé, d'amener une gouttelette de quelque li- quide corrosif sur les centres médullaires thoraci- ques en piquant légèrement l'insecte à la jointure du prothorax en arrière de la première paire de pattes. Le liquide que j'emploie est l'ammoniaque ; mais il est évident que tout autre liquide ayant une action aussi énergique produirait les mêmes résul- tats. L'effet est instantané, tout mouvement cesse subitement, sans convulsions, dès que la fatale gout- telette a touché les centres médullaires. La piqûre des Cerceris ne produit pas un anéantissement plus prompt. Mais ne s'arrête pas la ressemblance des effets produits par le dard de l'hyménoptère et par l'aiguille empoisonnée avec de l'ammoniaque. Les sca- rabées, les buprestes et les charançons piqués arti- ficiellement, malgré leur immobilité complète, conser- vent pendant trois semaines, un mois et même deux,

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la parfaite flexibilité de toutes leurs articulations et la fraîcheur normale de leur viscères."

Outre les guêpes, les bourdons et les abeilles vivant en société et dont nous aurons encore à repar- ler plus loin, il y a une grande quantité d'hyménop- tères solitaires, la plupart portant un certain duvet ressemblent souvent aux petits bourdons de terre (Apis terrestris) et font des nids isolés dans lesquels ils déposent le miel et le pollen dont leurs larves se nourrissent. L'abeille maçonne (Osmia muraria) dont nous avons parlé plus haut, fait ses cellules avec un mortier qui possède une dureté extraordinaire et résiste souvent aux intempéries plus longtemps que la pierre à laquelle les cellules sont attachées. D'autres de ces abeilles solitaires rongent le bois, icomme, notamment, un très gros bourdon bleu d'acier foncé qu'on trouve assez fréquemment aux environs de Genève. D'autres font leurs ouvrages dans le sol, ou découpent élégamment des feuilles pour y hire le nid de leurs larves. Je n'hésite pas à déclarer Iqftte tous ces insectes, aussi bien que les abeilles 'vivant en société, sont des animaux extrêmement lutiles, dont l'utilité même est loin d'être connue. Toutes ces espèces d'abeilles et de bourdons sauvages qui se nourrissent de miel et de pollen, rôdent dans

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tous les calices, ouvrent les anthères (poches renfer- mant le pollen), et se couvrent de cette poussière fé- condante ; toutes ces abeilles me semblent les agents les plus précieux pour la fertilisation des plantes. Si je ne me trompe, c'est sur la vanille qu'on a observé pour la première fois qu'elle ne produisait aucun fruit dans nos serres, parce qu'elle n'y trou- vait pas, l'insecte qui porte le pollen fécondant sur le pistil. Morren de Liège, il y a trente ans, eut l'idée de remplacer l'insecte par un pinceau, et, depuis ce temps, on obtient dans nos serres d'Europe des gousses de vanille qui ne sont pas moins aromati- ques que celles du Mexique et qui se vendent même plus cher. Il est hors de doute que pour beaucoup de plantes de nos contrées, bien que nous nous en doutions à peine jusqu'à présent, la visite des bour- dons et des abeilles entre dans les calculs de la nature et que ces plantes ne produisent des fruits et des graines que quand ces visites ont été rendues possibles. Le fameux auteur du livre de la formation des espèces qui dans ces derniers temps a excité à un si haut point l'attention, Darwin, rapporte à ce sujet et à propos de l'enchaînement qui relie entre elles les diverses espèces, un exemple que je ne puis m'empêcher de vous citer. „Beaucoup de

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„nos Orchidées", dit-il, ont absolument besoin d'être visitées par des mouches qui portent leur pollen et les fécondent. J'ai de même bien des motifs pour croire que les bourdons sont nécessaires à la fécondation de la Pensée (Viola tricolor), puisqu'on ne voit jamais aucun autre insecte se poser sur cette fleur. Des expériences m'ont démontré que la visite des abeilles était nécessaire pour la fécondation de plu- sieurs espèces de trèfle. Cent tiges de trèfle blanc (Trifolium repens) m'ont ainsi donné 2290 graines, pendant que vingt autres pieds de cette espèce qui avaient été rendus inaccessibles aux abeilles, ne pro- duisirent pas une seule graine. De même cent tiges de trèfle rouge (Trifolium pratense) me donnèrent 2700 graines et je n'en récoltai pas une sur un égal nombre de pieds défendus contre les abeilles. Les bourdons visitent seuls le trèfle rouge, les autres espè- ces d'abeilles ne pouvant pas atteindre le suc de ces fleurs. Je suis convaincu que la pensée et le trèfle rouge deviendraient très-rares ou disparaîtraient même entièrement en Angleterre, si Ton y détruisait les bourdons. Or, le nombre des bourdons de terre est généralement en raison inverse de celui des souris de la contrée qui pénètrent dans leurs nids et mangent leurs larves et leurs provisions. Monsieur H. New-

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manu qui a longtemps observé les mœurs des bour- dons, croit que plus de deux tiers de leurs nids SQnt détruits en Angleterre par la souris des champs- Comme chacun sait, le nombre des souris est en raison inverse de celui des chats; aussi Newmann dit avoir trouvé le plus grand nombre de nids de bourdons dans le voisinage des villages et des hameaux, ce qu'il attribue à la destruction plus complète des souris par les chats. Ceci porte à croire que la présence de nombreux animaux ayant les instincts du chat, peut avoir dans une contrée de l'influence sur l'abondance de certaines plantes par l'intermédiaire des souris et des /abeilles."

On pourrait pousser plus loin encore ces con" ' clusions. L'énorme production de viande à laquelle les Anglais sont contraints pour l'entretien de leur industrie et de leur marine, n'est rendue possible que par l'emploi d'une culture rationnelle et prin- cipalement par la production des plantes fourragères, parmi lesquelles le trèfle joue un rôle important. Sans trèfle, pas de bœuf, sans bœuf pas de roast-]?eef, sans roast-beef pas d'Angleterre. On voit donc que la/ vieille Angleterre doit à tout prix protéger le libre^ travail des bourdons et laisser carrière aux chats.

Je. ne traiterai point ici des mouches à miel (abeilles) i

SEPTIEME LEÇON. '^4^5 vivant en société, élevées dans toute l'Europe civilisée au rang d'animaux domestiques. En revanche, je me permettrai de vous dire encore quelques mots de ces hyménoptères sociaux que nous pouvons avec cer- titude ranger au nombre des nuisibles. Je veux parler des guêpes, des freslons (Vespa crabro) et desfourmw.

Ce ne sont pas tes plus mauvais fruits que les guêpes entament ; elles sont à la campagne les hôtes les plus désagréables et nous causent maint ennui par leur voracité et leur redoutable aiguillon. Elles tombent avec ardeur non-seulement sur les fruits mûrs, le sucre, le miel, mais aussi sur la viande et les insectes vivants; elles prennent les abeilles au vol pour les ouvrir avec leurs puissantes man- dibules et extraire le miel de leur estomac. Leur piqûre est très-douloureuse, et je connais un cas elle a amené la mort. Un jardinier avait ramassé à terre un beurré et y avait mordu sans façon. Dans cette portion était cachée une guêpe qui, au moment oii il avalait le morceau, lui piqua la glotte. Elle enfla en peu de temps si bien, que le mal- heureux mourut suffoqué.

Les mœurs de ces animaux sont intéressantes. Vers l'automne apparaissent de grosses femelles trois fois plus fortes que les mâles avec lesquels elles

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s'accouplent en volant. Les mâles meurent bientôt et les femelles fécondées se retirent dans quelque endroit chaud, à l'abri, pour passer l'hiver en léthargie. Au commencement du printemps, les femelles, que le froid n'a pas tuées, reparaissent et s'occupent avec ardeur de bâtir leur nid composé de fragments de bois, agglutinés au moyen de leur salive et for- mant une sorte de papier gris solide. Les cellules du nid sont semblables aux cellules des abeilles; elles sont bien vite occupées par un œuf d'où sort une grosse larve sans pieds qui, la tête renversée, se fixe au fond de la cellule à l'aide de deux ventouses postérieures, et est nourrie par la mère. Bientôt des centaines de cellules sont construites et sont occupées par des œufs et des larves qui toutes reçoivent leur nourriture de cette infatigable mère, jusqu'à ce qu'elles s'enveloppent dans un fin cocon de soie. La mère semble alors malingre, épuisée, ternie et pelée; elle est la véritable image d'un dévouement maternel sans borne qui s'immole pour sa progéniture. Arrive enfin l'éclosion des premières jeunes guêpes; ce sont des travailleuses avec les or- ganes sexuels atrophiés beaucoup plus petites que la mère, mais aussi actives qu'elle aux soins de la . maison. La mère s'abandonne au repos, elle ne quitte

SEPTIÈME LEÇON. 247

plus le nid, se fait nourrir par les travailleuses, ne fait plus que la police de l'intérieur et pond sans relâche des œufs dans les cellules que les travailleuses élèvent. Alors apparaissent peu à peu de petits mâles qui ne possèdent pas d'aiguillon et se font aussi nourrir par les travailleuses. Enfin vient en automne cette génération de grosses femelles qui nous est si désagréable au temps des fruits et qui aide aux travailleuses jusqu'aux premiers froids. Vers la fin de l'automne les mâles meurent les premiers, ensuite les travailleuses, pendant que les larves qui ne sont pas encore transformées en chry- salides, sont arrachées de leurs cellules et tuées. Les femelles fécondées se séparent pour se caqher et au printemps commencer un nouveau nid, comme nous l'avons raconté tout à l'heure. On trouve quelquefois vers la fin de l'automne de grands nids qui semblent faits de parchemin; ils ont plus d'un pied de diamètre, plusieurs milliers de cellules ré- parties en une douzaine d'étages, et sont l'ouvrage d'un seul été. Il est fort remarquable de voir chez les guêpes si décriées des centaines de femelles vivre et travailler pacifiquement en communauté dans le même nid, tandis que chez les douces abeil- les la souveraineté cause ces terribles combats de

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. reines, à la suite desquels une seule reste au pou- voir.

Un mot encore pour finir sur les fourmis. Nous avons à livrer des combats bien difficiles à leur in- dustrieuse activité, car elle savent arriver à leurs fins avec une admirable intelligence. Ce n'est certes pas un conte que de supposer ces animaux ca- pables de se faire entre eux des communications assez compliquées au moyen des signes que décri- vent leurs antennes. Ce n'est pas une fable que de croire les pucerons leurs vaches à lait. Elles les soignent avec toute la sollicitude que l'agriculteur le plus sérieux peut donner à son étable. A toutes leurs propriétés destructives les fourmis ajoutent -cela de bien qu'elles peuvent servir de guide vers la retraite des pucerons et des tigres des plantes. On peut être sûr qu'il y a des pucerons sur une plante, quand des fourmis y montent et en descen- dent fréquemment et, en les suivant, on sera con- duit à coup sûr à la place habitent ces enne- mis de la végétation.

C'est aussi le seul service que peuvent rendre ces intelligentes bêtes qui, pour tout le reste, sont capables de développer une puissance de destruc- tion vraiment grandiose. Il est faux qu'elles emma-

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gasinent des provisions pour l'hiver. La fable de la cigale et de la fourmi n'a pas le moindre fon- dement réel. Ce qu'elles portent dans leur nid, sert ou à sa construction ou à la nourriture de leur nom- breuse progéniture, des femelles et des mâles oi- sifs, souvent si nombreux dans une fourmilière que leur essaim en sortant obscurcit l'iiir. En hiver, les mâles sont morts, les femelles dans les nids et les petits élevés. Les fourmis tombent alors en léthar- gie pour en sortir quelquefois par les jours de cha- leur, et aussitôt on les voit aller à la provision qui manque absolument dans la fourmilière. Presque toutes les matières animales et végétales leur ser- vent de nourriture, de même que tous les liquides sucrés suintant naturellement des plantes ou produits par la piqûre des pucerons, des tigres, cochenilles et autres insectes, les gommes, les matières amylacées, * les fruits de toutes sortes, les matières animales, les corps des insectes en putréfaction, des vers, des lima- çons, et même de plus gros animaux, sitôt qu'ils n'ont plus leur peau. En revanche, elles n'entament jamais de germes ou de bourgeons, rarement même des fruits, elles utilisent seulement les blessures faites par la dent des autres animaux pour y creuser plus avant. Il n'y a pas de difficulté, de peine, d'éloignement

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qui les arrête. Dans la cave d'une pharmacie connue de Berne il y avait depuis des années à la même place un énorme vase de sirop qu'on remplissait toujours. Depuis des années les fourmis y allaient comme chez elles; un jour nous fûmes curieux de suivre leur chemin. Il nous conduisit par le soupirail dans la rue, la principale rue de Berne il y a beau- coup de circulation, de à travers le ruisseau, à la grande promenade de la terrasse de l'église, puis à travers les allées et le gazon jusqu'au parapet, et enfin au bas des murs de la terrasse, qui a envi- ron 150 pieds de haut; dans la muraille se trou- vait la fourmilière. Le chemin avec ses détours me- surait plus de 600 mètres, traversait une 'prome- nade très-fréquentée, plusieurs grandes rues en long et en large, un ruisseau, pour arriver enfin à un pot de sirop. N'est-ce pas pour le petit peuple des fourmis un travail qui dépasse de beaucoup le fa- meux chemin de fer du Sômmering?

Mais la particularité la plus intéressante des mœurs des fourmis c'est l'existence irrécusable de l'esclavage, d'un esclavage obligatoire d'abord, puis plus tard volontaire, à ce qu'il semble, sur lequel est fondée l'économie de quelques espèces. Dans le vignoble de mon jardin à Genève existait une

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fourmilière de l'espèce nommée par Huber amazones. Je les observais pendant les mois chauds de Juin et de Juillet. Le soir entre trois et quatre heures on voyait de petites fourmis grisâtres sortir par les trous de la fourmilière établie en terre. Puis ve- naient quelques fourmis plus grosses, d'un rouge jaunâtre, qui se laissaient caresser et flatter par les grisâtres, allaient çà et là, rentraient et sortaient. Ces dernières augmentaient bientôt et un puissant essaim se précipitait des trous avec une hâte sau- vage dans une direction donnée, généralement vers les couches et les châssis du jardin ; à droite et à gauche du corps d'armée galoppaient quelques four- mis en guise de patrouille et de flanqueurs. Les rougeâtres couraient alors avec un empressement tumultueux vers les murs oiî se trouvaient les nids des petites fourmis grisâtres, et se précipitaient comme un torrent dans tous les trous, toutes les fissures du mur. Çà et paraissaient de petites four- mis grisâtres, toutes pareilles à celles que j'avais vues près du nid des amazones, fuyant avec terreur, quelquefois portant dans leurs mandibules une chry- salide (autrement dit un œuf de fourmi). Si une fourmi rouge survenait, la grise laissait tomber la chry- salide et se sauvait. Jamais je n'ai vu un combat

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sérieux. Quelque temps après les rougeâtres res- sortaient des trous et des fentes, portant presque toutes une chrysalide dans leurs mandibules. Cel- les qui n'avaient rien attrapé, se hâtaient devant en éclaireurs. Celles qui étaient pesamment chargées, se traînaient par derrière. Près de la fourmilière se tenaient des myriades d'esclaves grisâtres qui venaient alors au-devant des rouges, leur prenaient les œufs pour s'en charger, ou portaient leur maî- tresses mêmes pour les rentrer à la maison. J'ai souvent vu une des esclaves grisâtres saisir une fourmi rouge de moitié plus grosse, la maîtresse s'enroulait autour de son cou en tenant la chry- salide dans ses mandibules et se faisait porter ^kus l'intérieur de la fourmilière. De cette façon la pe- tite ouvrière avait certainement porté le triple de son poids.

De ces chrysalides volées naissent des travail- leuses grisâtres qui, éclosent dans la fourmilière des amazones, y font tous les travaux, portent leurs maîtresses avec un attachement remarquable, les nourrissent, les caressent, les nettoyent. Il ne reste plus aux amazones d'autres travaux que la gaerre, car la nature leur a défendu l'amour. Je me suis bien souvent étonné que cet esclavage

SEPTIÈME LEÇON. 253

établi par la nature chez quelques fourmis, ne se retrouve pas parmi les arguments que les escla- vagistes des Etats-Unis sont dans l'habitude de présenter pour leur défense. En leur qualité de pieux chrétiens et de bons croyants, ils ont épuisé la Bible jusqu'à la dernière goutte pour présenter l'esclavage comme une institution divine, approuvée par le Sauveur, prêchée par les apôtres. Ils ont fait venir d'Europe des naturalistes spéciaux assez dénués de probité pour chercher à établir sur des raisons et des distinctions zoologiques le droit de la race humaine la plus élevée, la race caucasique, à tenir eu esclavage la race la plus basse, les nègres. Pourquoi ne pas appeler la nature en tiers dans cette alliance, quand la religion et la science viennent déjà à leur aide. Les fourmis donneraient avec la fidélité d'un miroir l'image la plus exacte de tout cela. Une race blond -roux qui ne fait que jouir, fait la guerre, par hazard, comme par passe-temps et se livre à la rapine, et une race gris -noir, plus faible, esclave, qui travaille pour ses maîtres, les nourrit, les transporte, soigne et élève leur postérité, comme si c'étaient ses semblables. Imiter le créateur ! Que voulez- vous de plus?

HUITIÈME LEÇON.

Les papillons. Combien ils sont nuisibles. Voracité des chenilles, Structure de leurs pieds. Elles sont les

' ennemis de nos jardins. Les Sphynx (crépusculaires) et les Bombyx. Les arpenteuses et leur destruction. Les teignes blanches et noires, jaunes et noires. La teigne du blë.

Messieurs !

Il n'y a pas dans la nature de figures plus poétiques que les papillons, ces bateleurs de l'air aux brillantes couleurs; d'une aile légère ils voltigent de fleur en fleur, de calice en calice, hument le miel çà et ou folâtrant l'un avec l'autre se balancent au-dessus du sol comme s'ils étaient libres de tout souci. Dans notre jeunesse nous nourrissions un véritable en- thousiasme pour ces charmants habitants de l'air ; nous les poursuivions avec des filets; dans l'inté- rêt de notre santé nous avons fui bien souvent les ennuyeuses heures d'étude et au lieu de conjuguer sur les bancs le barbare „tupto, tupteis" nous chas- sions à travers les forêts et les bois, les prés et les

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haies, les iris, les belles-dames et les vulcains. Quel- les peines nous nous donnions pour élever des chry- salides et des chenilles, quelles guerres terribles nous avions pour nos chers élèves avec nos mères et les servantes ! Dans leur esprit les boîtes à chenil- les et les cages à chrysalides mettaient le désordre au logis.

Cette passion est si vive que j'ai vu des hom- mes graves s'arracher à leurs méditations habituel- les en voyant pour la première fois le beau papil- lon des montagnes, l'Apollon, voltiger sur des co- teaux abrupts. Ils oubliaient pour un instant le re- gret de la patrie, le malheur de l'exil pour courir, le chapeau à la main, après la charmante créature.

Dans le fait, les papillons sont sans contredit les plus beaux insectes, mais aussi ceux dont la beauté est la plus délicate. Les ailes, généralement très- grandes, sont recouvertes de petites écailles aux mille formes originales et diverses, qui s'enlèvent comme une poussière colorée. Par suite de la con- formation particulière de leurs nervures, la lumière se réflète sauvent d'une façon si particulière que chez le grand Mars (Papilio iris), par exemple, les couleurs paraissent complètement différentes, bru- nes ou bleues, suivant qu'on considère les ailes d'un

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côté OU de l'autre. Outre les ailes recouvertes d'une fine poussière et rarement atrophiées ou absentes chez quelques femelles, les papillons possèdent encore comme caractère distinctif une trompe élastique gé- néralement roulée en spirale qui se compose de deux demi rigoles assemblées du côté de la partie concave de manière à former un tube. C'est par que ces insectes peuvent pomper le suc mielleux des fleurs. Cette trompe provient de la transformation des man- dibules qui se présentent chez toutes les chenilles dans la forme ordinaire. Les antennes sont disposées de façons très-diverses. Chez les papillons de jour elles sont généralement claviformes (en forme de massue). A leur extrémité se trouve un petit bouton ; chez les papillons de nuit elles ont fréquemment l'apparence de plumes ou de bouquet de plumes. Les pattes du papillon sont généralement longues et souvent armées d'éperons et de piquants. Le corps des femelles est beaucoup plus épais que celui des mâles qui sont plus petits et montrent des différences notables dans la dimension, la forme et la couleur des ailes.

Tout le monde sait que les papillons sont des insectes dont les métamorphoses sont complètes. Ils viennent d'œufs,.de chenilles et de chrysalide^,

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HUITIÈME LEÇON. 257

et l'état de chenille est le seul sous lequel ces bêtes causent des dégâts par leur voracité; car à l'ex- ception des vers à soie dont le fil est si précieux pour nos vêtements, toutes les larves de papillon, sans exception sont au plus haut degré des ani- maux nuisibles que nous sommes obligés de pour- suivre pour notre propre conservation. Dans le cours de ces leçons nous avons déjà appris à connaître plusieurs de ces dévastateurs qui font cruellement la guerre à l'espèce humaine; aucun autre ordre d'insectes ne peut produire des ravages aussi terribles que ceux de maintes chenilles dans les bois, les champs, les jardins et les prés. Si le papillon nous représente le symbole de l'âme pure, qui sous la forme de Psyché (^^xv) s'élève vers plus hautes sphères, il faut avouer que les impuretés dont Psyché doit se débarasser avant d'arriver à sa transfiguration, ne sont pas de peu d'importance ; elles appartiennent principalement à ces passions incapables de con- duire à ce qui est grand, car les chenilles sont esclaves d'une passion à peu près unique, uné vora- cité vraiment incroyable. Mais le papillon ne vit que d'amour, quoiqu'il ne le comprenne pas de la façon platonique la plus élevée que l'âme puisse concevoir.

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Les œufs qui montrent souvent des formes toutes particulières et sont généralement enveloppés d'une épaisse coque, sont pondus par la femelle tantôt un à un, tantôt en paquets ou en amas tout-à- fait caractéristiques sur les plantes qui doivent ser- vir aux chenilles après leur éclosiou. Dans beau- coup d'espèces, les œufs passent l'hiver ; les chenil- les naissent aux premières chaleurs du printemps et peuvent tomber de suite sur les jeunes et ten- dres pousses qui forment leur premier aliment. Dans d'autres cas exceptionnels, les chenilles passent les froids de l'hiver dans le gazon ,^ en terre, envelop- pées dans un tissu qu'elles se filent elles-mêmes; d'ordinaire c'est à l'état de chrysalide que les nou- velles générations passent la période du froid.

Les petites chenilles qui sortent des œufs, man- gent d'abord la coque d'où elles sont sorties, et commencent ensuite leurs ravages sur les plantes. Celles qui naissent d'œufs en pelote restent en com- pagnie au moins pendant les premiers temps de leur existence, souvent même pendant toute sa durée, sous la forme de chenille, et souvent cette socia- bilité va si loin que les mouvements d'ensemble, les marches, les migrations sont exécutées en commun, au commandement pour ainsi dire. Les

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chenilles processionnaires qui. causent de si terri- bles ravages dans beaucoup de forêts, offrent un frappant exemple de cette sociabilité. Il n'y a pas de soldats qui puissent plus régulièrement mar- cher et exécuter des évolutions, épaule contre épaule, que ces armées de chenilles. Elles ne se mettent en mouvement que lorsque les derniers rangs tou- chent de la tête l'extrémité postérieure des pre- miers rangs.

Avec la voracité peu commune que montrent tou- tes les chenilles, il ne faut pas s'étonner de les voir grandir extraordinairement vite et à cause de cela même changer plusieurs fois de peau pendant leur vie. Cet événement n'est pas, sans danger pour leur exis- tence. D'ordinaire la chenille est, par son alimenta- tion même, bornée à une espèce de plante et meurt plutôt que d'en manger aucune autre. Mais les es- pèces les plus destructives dévorent presque toutes les plantes ou au moins un choix assez étendu pour attaquer avec une égale voracité celles de la même famille. Les excréments qu'elles rendent en grande quantité affectent ordinairement un aspect et des dépressions particulières qui résultent de la conformation de la dernière portion de l'intestin; ils servent souvent de signe de reconnaissance au

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savant et peuvent indiquer l'endroit la chenille s'est cachée.

La structure des chenilles, et principalement celle de leurs pieds, est d'une importance capitale. Toutes ont, à la partie antérieure du corps, de véritables pieds cornés, formés de plusieurs articulations ; el- les possèdent en outre ce qu'on appelle de faux pieds ou pieds abdominaux dont le nombre varie suivant le groupe. Elles ont, au maximum, comme chez la plupart des papillons diurnes, des sphynx et des vers à soie, cinq paires de semblables pieds ; la dernière est placée d'ordinaire à l'extrémité du corps, les autres sont situées plus vers le milieu de l'abdomen. Chez les chenilles arpenteuses (Geometra) leur nombre se réduit quelquefois à deux paires qui sont alors à l'extrémité postérieure du corps, de sorte qu'à chaque pas la chenille fait le dos de chat et ramène l'extrémité du corps pour la fixer de nouveau à proximité de la tête. Pendant qu'on distingue les groupes à ces signes généraux, la gran- deur, la coloration et principalement la quantité de poils que possèdent beaucoup de chenilles, servent à reconnaître les espèces. Beaucoup de chenilles sont complètement glabres, d'autres sont couvertes de longs poils qui, au microscope, ont l'air de lan-

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ces OU d'épines armées de crochets. Ces poils se brisent aisément et peuvent causer des accidents très-désagréables sur un individu. On ne prend pas impunément une chenille processionnaire. La peau rougit et s'enflamme, et dans les bois qui sont pleins de cette chenille, on a constaté que la simple aspi- ration des fragments de poils empoisonnés que l'air entraîne avec lui, détermine dans le canal respira- toire des inflammations dangereuses et douloureuses. Dernièrement encore j'ai vu les mains, la figure, le cou et la nuque d'un de mes garçons couverts de boutons simulant une maladie éruptive, pour avoir déchiré des nids vides de chenilles procession- naires.

Après leur dernier changement de peau, et il peut y en avoir jusqu'à sept, la chenille se prépare à la léthargie de la chrysalide. Les unes, notam- ment celles des papillons de jour, ne filent pas de cocon, mais se suspendent en liberté par la queue ou entourent leur poitrine de fils transverses de façon à être dans une position horizontale. D'autres, prin- cipalement les noctuelles et les sphynx, pénètrent en terre à une certaine profondeur et s'y méta- morphosent en une chrysalide qui n'est générale- ment protégée que par une cavité lisse. A l'aide

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d'une liqueur visqueuse et épaisse sécrétée par les glandes fileuses qui s'étendent souvent tout le long du corps jusque près de la bouche, la plupart des papillons de nuit se filent un tissu plus ou moins artistique en forme de cocon. A l'intérieur, est la chrysalide. On peut déjà reconnaître presque toutes les parties du corps jusqu'à la trompe. On sait que le tissu des vers à soie est plus facile à utiliser que tout autre, parce que le fil si solide dont il est formé, est disposé en spirale avec une régularité extrême, ce qui promet de le dévider aisément.

Au-dedans de la chrysalide pendant la période de léthargie tous les organes qui distinguent le papUlon de la chenille, se développent aux dépens de la masse considérable de substances accumulées pour servir de matériaux. C'est en ce moment que se forment notam- ment les organes sexuels, de sorte que le papillon, quand il brise l'enveloppe de la chrysalide, apparaît complètement préparé à la reproduction. Aussi l'ac- couplement est-il d'ordinaire immédiat, et nous voyons les mâles rechercher avec beaucoup d'ardeur les fe- melles en déployant, pour les trouver, une finesse de sens remarquable. Tous les collectionneurs de pa- pillons savent que, surtout pour certaines espèces nocturnes, même quand elles sont assez rares dans

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une contrée, il suffit d'exposer dehors, fixée avec une épingle, une femelle sortant de la chrysalide, pour voir après peu d'heures quelques mâles réu- nis dans le voisinage.

D'ordinaire les papillons n'ont qu'une génération par an. Le papillon paraît au printemps ou pen- dant l'été. Les chenilles sorties des œufs mangent pendant l'été, se transforment en chrysalides à l'au- tomne, et au printemps apparaissent de nouveau sous la forme de papillons. Souvent aussi, quand le papillon a paru à la ûn de l'été, la chenille passe l'hiver, mange encore au printemps et ne reste chry- salide que pendant fort peu de temps au commen- cement de l'été. Cependant on trouve souvent aussi, surtout chez les petites espèces, deux générations dans l'année, car le papillon paraît au printemps et à l'automne.

Les papilloiis de jour (Papilio) ont des ailes gran- des et larges, généralement ornées de vives couleurs, placées au repos verticalement au-dessus du corps, des antennes en massue terminées par un bouton, une longue trompe et souvent la première paire de pieds atrophiée. Parmi eux nous avons un petit nombre d'ennemis, qui font du mal surtout dans les jardins. Ce sont avant tous les papillons

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blancs (les Piérides) dont les ailes recouvertes d'une sorte de farine n'offrent d'ordinaire que quelques raies ou taches noires. Ils causent de terribles ravages sur les plantes utiles. Les Piérides de l'alisier (Papilio cratsegi) qui dévorent les poiriers, les pommiers et les pruniers, ceux dît choux (P. brassicae) qui atta- quent les choux ordinaires, les choux frisés, l'œillette, les choux-raves et les navets, de la rave (P. rapse) qui font de plus une guerre terrible à l'odorant réséda, comme aussi ceux du navet (P. napi) qui s'attachent notamment aux colzas, appartiennent à ce groupe auquel les paysans ont donné le nom assez élégant de marins des prés. Les œufs de tous ces papillons ont la forme d'une petite bou- teille à col court; leur couleur est généralement jaunâtre; ils sont placés en amas de plusieurs cen- taines à la surface inférieure des feuilles sur les plantes qui les nourrissent, et on peut aisément les découvrir. Les Piérides de l'alisier volent surtout en Juillet. Les chenilles qui naissent quinze jours après la ponte se tiennent ensemble et forment, en entourant les feuilles de leurs fils, un seul nid qu'elles agrandissent et elles se retirent par le mauvais temps ou par les grandes ardeurs du soleil. Au commencement, quand les chenilles sont encore très-

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petites, elles ne mangent que la partie verte des feuilles, en laissant subsister les nervures. A ce moment ces petites bêtes jaunâtres, à tête el à collier noir, qui sont alignées les unes contre les autres sur une feuille et avancent simultanément en mangeant, ressemblent assez à un microscopique troupeau de moutons. En automne, quand elles cessent de manger, le nid est notablement renforcé et souvent il est rendu si solide par une espèce de lien passé autour des ramilles que ces ramilles meurent par suite de la trop forte compression de l'écorce. Chaque chenille a filé à l'intérieur une cellule séparée et elles entrent dans une demi-léthargie pour dévorer dès les premiers jours du printemps les boutons •à fleurs et les feuilles nouvelles. A la fin d'Avril et souvent même suivant l'année, à la fin de Mai, les chenilles sont à leur grandeur et émigrent de tous côtés, notamment celles du choux, pour chercher une place convenable à leurs métamorphoses. C'est à ce moment qu'elles sont le plus désagréables dans les campagnes et les kiosques. Elles entrent par- tout, visitent en tous lieux les coins et les recoins pour s'y suspendre et y prendre la forme d'une chry- salide cornue tachetée de jaune et de noir. C'est à ce moment qu'on peut voir combien les mouches

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ichneumons font de ravages parmi ces chenilles. Dans bien des années, sur des centaines il s'en trouve à 'peine une qui arrive réellement à l'état de chry- salide. Les autres ont l'air de poules sur des œufs, car la chenille évidée se dessèche sur les innom-- brables petites chrysalides jaunes d'une espèce d'ich-- neumons (Microgaster) qui se percent un chemin horss de son corps après avoir dévoré les entrailles.

L'agriculture a peu à faire avec les sphynx, pa-* pillons généralement grands, au corps épais, auxi ailes pointues qui, sans se poser, sucent les fleurs- en bourdonnant au-dessus d'elles. Cependant leurs r chenilles sont très-grosses, très-voraces, comme parr exemple celles des têtes de mor^ (Sphynx atropos);; elles atteignent d'ordinaire sur les pommes de terres la longueur d'un demi-pied et la grosseur d'un doigt;: mais elles ne se présentent jamais en masse et née peuvent réellement pas causer de dégâts. Ici aussi,., comme dans toute la nature, prévaut cette loi quee ce n'est pas la grandeur de l'individu, mais au con- traire le grand nombre de petits êtres qui remplit! le rôle le plus important dans les évolutions de laa nature. Ce sont les animaux et les plantes micro- scopiques qui, par leur multitude, ont formé des cou- ches et des montagnes ; de même nous voyons dans:

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le sujet qui nous occupe, les petites espèces se pré- senter comme dévastatrices et les grandes ne jouer qu'un rôle secondaire.

Si nous pouvons laisser de côté les sphynx, il n'est pas possible de montrer la même indifférence pour les bombyx. Parmi eux il y a des espèces que cette chère police elle-même s'est donné la peine de chasser, et il faut noter ce cas extraordinaire car d'habitude elle a l'impardonnable nialadresse de tout faire à l'envers. Les bombyx se distinguent par un corps ramassé presque toujours très-velu; ' leurs ailes au repos sont réunies en forme de toit, leur trompe est très-courte et les mâles ont des antennes armées d'un double peigne ; chez eux aussi il faut se défier de la blancheur de l'in- nocence dont s'enveloppent les espèces les plus dangereuses. Les bombyx ne volent que la nuit d'un vol incertain et sautillant de branche en branche; les paysans de Berne leur donnent le nom très- caractérisque de spectres de nuit. Jeune homme si tu veux cultiver le jardin de tes pères, garde-toi de ces spectres qui dans leurs blanches enveloppes voltigent le soir et la nuit et veulent déposer la masse spongieuse de leurs œufs sur tes arbres fruitiers.

Le cMÏ-brun (Bombyx chrysorrhœa) et le cul-d'or

268 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

(Bombyx auriflua) jouent assez bien parmi les papil- lons le rôle du pélican, car ils s'arrachent les poils

colorés qui forment un paquet à l'extrémité du corps pour en couvrir leurs œufs ; mais malgré ce trait touchant d'a- Bombyx cul-d'or, femelle. mour paternel ils ne mé- ritent aucune pitié. Les œufs couverts d'un duvet

épais de poils bruns-jau nâtres et qui sont pla- cés sur le dessous des feuilles, ressemblent e" réalité à de petits morceaux d'éponge ; le trous mêmes n'y man- quent pas sitôt les che nilles écloses. Toutes ces chenilles rongent d'abord le vert de 1 feuille, puis plus tard/ devenues plus fortes, el- les dévorent la feuillee tout entière. La progé-:

Masse spongieuse des œufs du cul- -, ^ \

brun (Bo|ibyi cbrysorrhœa). Ulture dO CeS deUX OSpe-

HUITIÈME LEÇON. ^69

ces passe l'hiver à l'état de chenille, celles du cul-brun dans de gros nids à tissus épais qui sont attachés aux

Chenille du cul d'or. Grandeur naturelle.

ramilles, celles du cul- d'or dans des cocons isolés qui sont placés dans des cachettes. Au printemps, à la pousse des feuilles elles font encore de forts repas, puis la chenille devient chrysalide.

La chenille de la livrée (Bombyx neustria) n'est pas moins redoutable que les précédentes. C'est un

Livrée femelle (Bombyx neustria).

bombyx rouge, jaunâtre avec des bandes brunes sur les ailes; il se distingue par la façon particulière

Oeufs de la livrée.

dont il dépose ses œufs. Leur amas forme un véri- table bracelet autour d'une petite bi*anche. Les œufs

270 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

très-distincts sont coulés dans une masse visqueuse qui devient peu à peu si ferme qu'elle se détache en conservant sa forme quand on fend un côté de l'anneau. Les petits œufs sont artistement rangés les uns à côté des autres dans cette masse visqueuse, mais pas assez garantis cependant pour résister à

Chenille de la livrée, ayant atteint le terme de sa croissance.

toutes les attaques des ichneumonides. C'est dans cet état que les œufs affrontent toutes les intempéries de l'hiver pour éclore au printemps et tomber sur les premiers bourgeons.

Les noctuelles dont la petite tête est enfoncée dans les épaules et dont la chrysalide est générale- ment sans enveloppe ou entourée seulement d'un léger tissu, se développent en terre et ajoutent ainsi leur contingent aux armées de nos ennemis. Parmi elles se trouvent notamment: la noctuelle du chou (Noctua brassicEe) dont la chenille est connue sous le nom de ver de cœur, parce qu'elle perce le cœur du chou qu'elle rend inmangeable par l'amas de ses excréments infects, la noctuelle des laitues (N. oleracea) qui détruit les salades et les choux dans

HUITIÈME LEÇON.

271

nos jardins, la noctuelle de près (N. loliij qu'on voit sourtout dans les prairies artificielles et le raigras, la wot5Sow«ez«5e(N.segetum) qui apparaît en automne, ravage les jeunes céréales et, en se cachant en terre dans le voisinage des racines, sait échapper aux recherches, la noctuelle du foin (N. graminis) qui notamment dans le nord dévore par place les prairies à ce point qu'il ne reste plus un brin d'herbe, et enfin la noctuelle des petits pois (N. gammaj dont la chenille ressemble à la chenille arpenteuse et dévaste les légumes et les champs de chanvre. Je me hâte de passer sur tous ces papillons peu in- téressants par leurs mœurs, pour arriver aux pha- lènes dont quelques-uns offrent des habitudes toutes particulières.

Les espèces que j'ai en vue, sont le grand et le petit phalène hiemale (Geometra defoliaria et bru-

mata) dont la dernière surtout apparaît quelquefois en quantités innombrables et en bien des années

1. Chenille.

2. Femelle sans ailes.

272 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

détruit complètement la récolte des fruits. Les pa- pillons paraissent tard en automne et en hiver, de la fin d'Octobre jusqu'en Décembre. Pendant ce

3. Mâle

du grand phalène hlemale (Geometra defoliaria).

temps, les mâles avec leurs grandes . ailes minces volent de tous côtés dans les jardins fruitiers. Par bonheur' les femelles sont complètement privées de la faculté de voler ; la femelle de la grande espèce que l'on appelle aussi la faiseuse de cuillères, par- ce que les boutons rongés par la chenille prennent cette forme, n'a pas d'ailes ; celle de la petite espèce n'en a que de courts rudiments. Par contre les femelles ont de longues jambes armées de pointes, au moyen desquelles elles peuvent grimper après les surfaces perpendiculaires et unies et dont elles se servent pour monter sur le tronc des arbres et déposer leurs œufs isolés sur les petites branches. Il est fort difficile de découvrir les petits œufs, quoi- qu'ils se trouvent sur tous les arbres fruitiers ou

HUITIÈME LEÇON. 273

d'agrément et en quantités énormes dans certaines années. Ils supportent le froid le plus dur, éclosent aux premiers jours du printemps et rongent aussitôt l'intérieur des bourgeons. Ils préfèrent les boutons à fleurs oii ils peuvent enlacer fleurs et feuilles pour se former une retraite et un abri. Des plan- tations entières d'arbres fruitiers sont parfois ra- vagées si complètement par ces chenilles que pas une fleur ne parvient à se développer et que les arbres ont l'air d'avoir été brûlés.

Pàr bonheur, en privant d'ailes la femelle, la nature même nous fournit Je moyen de mettre une borne à ses ravages. On gratte sur le tronc à une cer- taine hauteur une bande annulaire sur laquelle on fixe une emplâtre goudronnée qu'on prépare avec du papier imbibé de goudron et qu'on attache forte- ment avec une corde. On a soin auparavant de remplir avec de l'argile, de la chaux ou du plâtre tous les vides qui peuvent exister entre le tronc et l'emplâtre, afin que le petit animal ne puisse pas se glisser entre le tronc et le papier goudronné. Puis on barbouille cet emplâtre qui doit avoir au moin» la largeur de la main, avec du goudron épais, et on recommence dès que la surface devient sèche.- On pose cet emplâtre en Octobre et on l'entretient

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274 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

jusqu'en Janvier par de fréquents enduits de manière à ce que la surface soit toujours gluante

On verra avec étonnement quelle quantité de pe- tites bêtes d'espèces diverses se sont prises sur cet emplâtre goudronné en cherchant un refuge dans les fentes du bois. Dans les années favorables au dé- veloppement des arpenteuses, une nuit souvent suf- fit pour couvrir le goudron de femelles de ce pa- pillon, en tel nombre, qu'on peut craindre que quel- ques-unes passant sur le corps des autres n'aient pu arriver jusqu'aux branches.

Je me rappelle très-bien que dans mon pays, à Giessen, vers la fin de 1820 les propriétaires de jar- dins reçurent quelques indications sur les ravages des arpenteuses et que mon père se donna une peine infinie pour propager par des leçons populaires l'histoire de ces animaux. Cela ne fut d'abord d'au- cune utilité ! On riait avec incrédulité des assertions de mou père, affirmant que la femelle d'un papillon était

1) Note du traducteur. Dans quelques pays, notamment en Afrique, on défend les arbres fruitiers contre la vermine grim- pante en entourant le tronc avant la naissance des premières branches avec une sorte de cuvette en zinc, on la rend étanche avec du mastic et on la tient pleine d'eau. Les bétes qui grim- 'pent le long du tronc, sont arrêtées par cet obstacle ou se noient dans l'eau.

HUITIÈME LEÇON. 275

sans ailes et pouvait être prise avec un anneau de goudron, pendant que le mâle volait très-bien.

Nous avions un grand jardin fruitier avec plus de cent arbres à haute tige; il avait été pris sur les anciens remparts et était placé au milieu d'autres jardins semblables. Pendant plusieurs années mon père, sans se lasser enduisait, à coups de pinceaux, avec de l'eau de chaux, tous nos arbres jusqu'aux dernières branches et, pendant l'automne, employait son anneau de goudron. L'enduit de chaux souvent répété déve- loppa sur les arbres une nouvelle écorce lisse qui n'offrait plus de refuge à la vermine; sur les an- neaux de goudrons se prenaient des milliers d'ar- penteuses à tel point que, l'après-midi, toute la famille était occupée à renouveler l'enduit. Les pro- meneurs qui passaient le long du rempart se per- mettaient maintes moqueries piquantes, maintes ex- clamations railleuses sur les arbres fantômes de mon père, et les jeunes goudronneurs n'étaient pas épargnés. Mais quand, au printemps suivant, notre jardin resplendissait dans sa luxuriante floraison, pendant que les jardins voisins semblaient grillés par le souffle empesté du désert, lorsque nous ré- coltions en été des cerises, en automne des prunes, des pommes et des poires, tandis que les voisins

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276 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

pouvaient se lécher les doigts, on ne trouvait plus si laids les arbres blanchis, ni l'anneau de goudron si mauvais, et il ne fut pas besoin de l'expérience d'une seconde année pour voir ces précautions géné- ralement prises.

Ces papillons sont loin de terminer la série de nos ennemis. Il y a une multitude de petits ^m^i^ Ions-, microlépidoptères, qui vivent dans le crépus- cule et dans l'obscurité de la nuit et n'attirent guère l'attention à cause de leur petitesse et de leurs, couleurs peu visibles. Ils sont, par cela même, fort peu prisés par les jeunes collectionneurs; ils méri-- tent néanmoins une très-grande attention.

Les Fyrales (Pyralis) dont le papillon a, outre ses; grandes antennes, de grandes palpes qui se dres-- sent sur sa tête comme des cornes, les tordeuses^ (Tortrix) dont les papillons portent de larges épau-- lettes sur les ailes, dont les chenilles roulent gé- néralement les feuilles en forme de cigarre et per- cent souvent aussi les fruits et les bourgeons, les: teignes ^Tinea) dont les ailes au repos couvrent 1 corps comme un manteau de cour, toute cette mi croscopique armée du royaume des papillons tram ses entreprises secrètes contre nous dans nos champ et nos bois, les jardins, les prairies, les maisons, 1

HUITIÈME LEÇON. 277

écuries et les granges, dans les habits, les provi- sions, à tel point que nous savons à peine nous défendre. Passe encore si tout était dit avec les tordeuses et les teignes qui sont aisément visibles ; mais comment se défendre contre toutes ces invi- sibles chenilles tordeuses qui ont roulé avec leurs fils les nombreux parchemins à moitié vermoulus dont on doit faire l'Allemagne unie ? Qui nous dé- bara^sera de ces chenilles et ces teignes! Ce n'est certes pas la police.

Parmi les Pyrales de ce pays il faut citer la Fy- rale du colza (Pyralis margaritalis) qui fait ça et

des dégâts notables. Elle perce dans les cosses du colza et autres crucifères qui servent à faire de l'huile, de grands trous qui les ' font ressembler à un fifre. La chenille ne mange que les graines et vit assez long-temps pour per- cer de part en part plusieurs cosses Sur la rive droite du Rhin nous avons beaucoup à faire avec ces insectes amateurs de musique, pendant que la rive gauche combat avec beaucoup moins de succès que contre les "Autrichiens la Pyrale

1. Chenille.

3. Mâle de la Pyrale de la tigne<

278 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

de la vigne (Pyralis vitana) ; en détruisant les récoltes des vignobles cette tordeuse menace de calmer sen- siblement l'ardeur guerrière des Français et, à plu- sieurs reprises, elle a terriblement maltraité la pa- trie de Lamartine, les environs de Mâcon, sans égard pour les embarras financiers du poète. Le papil- lon vole en Août, dépose ses œufs jaunâtres en amas sur la face supérieure de la feuille en les recouvrant d'une visquosité à demi durcie, de telle façon qu'on peut aisément les apercevoir et les enlever. Les chenilles entourent de leurs fils tout ce qui se trouve dans leur voisinage, feuilles, vrilles, pousses ; elles ne font pas encore beaucoup de mal à ce moment, car elles sont petites, ne mangent que le vert de la feuille, et aux premiers froids se retirent dans les interstices de l'écorce et des échalas elles passent l'hiver en léthargie. Elles sortent dès le commencement du printemps, tombent sur les bourgeons et se filent en commun des nids destinés à grossir encore et d'où on ne peut pas les faire sortir. C'est à ce moment qu'elles dévastent affreusement les vignes. Le seul moyen qu'on re- commande contre ces ravages, consiste à récolter les œufs sur les feuilles de la vigne en Août. Les vignerons allemands ont à souffrir de la tor-

HUITIÈME LEÇON. 279

deuse des vignes (Tortrix uvaiia) dont la première génération apparaît au commencement du printemps et la seconde en Juillet. Les chenilles du printemps appelées vers du foin à cause de l'époque de leur ap- parition, mangent, dans les bourgeons principalement, les boutons à fleurs; celles qui paraissent en automne à la seconde génération, attaquent les grains de rai- sin eux-mêmes, les entament et creusent jusqu'aux pépins. Ces grains de raisin attaqués présentent dans le voisinage du pédoncule une tnche bleuâtre avec un petit trou par lequel les excréments sont rejetés. La chenille creuse les grains les uns après les autres, les entoure de ses fils, détermine une fermentation et souvent détruit entièrement des ré- coltes, notamment en Wurtemberg et dans le pays de Bade autour du lac de Constance.

Une autre chenille, la tordeuse des pommes (Tor- trix pomouana), très-connue à coup sûr de tous mes lecteurs, vit sur les pQ.mmes, une autre sur les prunes. Les œufs sont déposés dans les fleurs par les petits papillons. Les jeunes chenilles pénètrent générale- ment par le haut du calice dans la pomme jusqu'au cœur en se ménageant au dehors une issue par la- quelle elles rejettent leurs ordures, et elles ont un talent tout particulier pour trouver la place oiî deux

280 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

pommes pendant l'une à côt6 de l'autre se touchent, de manière à passer d'un fruit dans l'autre. Les fruits attaqués tombent généralement avant les au- tres; la chenille les abandonne à ce moment, se re- tire dans quelque abri, de préférence dans le bois pourri, et y file un cocon elle attend le printemps sans changer de forme. L'espèce du prunier (Tortrix nigricana) vit de la même façon sur toutes les espè- ces de prunes et particulièrement sur les quetches.

Secouer avec soin et enlever les fruits mûrs bonne heure est certainement le meilleur moyen de limiter les ravages de cet odieux ver.

A fous égards les plus désagréables chenilles pour ceux qui cultivent les fruits, sont ces insupporta- bles tordeuses qui s'établissent de préférence dans les boutons à fleurs des arbres fruitiers (Tortrix variegana, ocellana, pruniania); elles entourent de leurs fiJs et dévorent à l'intérieur les boutons à fleurs et à feuilles qui ne sont pas encore déve- loppés. Chaque arbre a presque son espèce parti- culière, et il est lamentable de voir une fleur a derai- rongée sortir d'un bouton tout plissé et ne pas pro-' duire un fruit mangeable, de voir les boutons à feuilles eux-mêmes dévorés, ce qui nous privera au printemps prochain de bois à fruit et de fleurs sur

1. Chenille delateigue du blé sur quelques grains réunis par ses fils.

HUITIÈME LEÇON. 281

les arbres nains. On peut aisément détruire sur les arbres nains les chenilles au milieu des boutons réunis par leur fils, mais on est complètement impuissant contre l'ennemi qui réside sur les hautes branches.

Parmi les teignes le ver Uanc dto hîé (Tinea gra- nella) a souvent troublé le sommeil de bien des

agriculteurs et de bien des spé- culateurs en grains. Les teignes volent surtout en Mai et Juin, ne déposent leurs œufs que sur les grains en greniers qui sont promptement attaqués par les petites chenilles blanches à la tête brune, au bouclier blanc et lisse. La chenille ne dévore que l'intérieur farineux du grain, l'entoure de ses fils ainsi que ses ordures et jusqu'en Septembre, époque à laquelle elle a atteint sa croissance, détruit de vingt à trente grains qui sont tous agglomérés par son tissu et entrent en fermentation. Les chenilles se transfor- ment en chrysalides tantôt dans les amas de grains mêmes, tantôt dans les fentes du plancher elles recouvrent leurs cocons de bois rongé et ne pas- sent à l'état de chrysalide dans cette coque qu'au

2. Sa chrysalide.

3. Son papillon.

282 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

printemps suivant. Le seul moyen complètement efficace est de dessécher vivement le grain attaqué dans des fours à l'aide d'une forte chaleur qui tue les chenilles et les chrysalides. „Malgré cela, dit Oken, l'avare marchand de grains juif cherche à gagner là-dessus, et quoique la teigne du blé soit créée pour le punir en donnant aux grains des ailes pour s'échapper par les lucarnes, ces usuriers ne se font pas conscience de vendre des tas de blé vidé comme du bon grain ou tout au moins de le mélanger sans réfléchir qu'ils volent l'argent de leur prochain par ce procédé déloyal, et que, même le pain infect préparé avec ces grains, peut donner des maladies. C'est une espèce de ver du blé dont je n'ai point affaire, aussi j'en laisserai à d'autres l'étude."

Quand à Gœttingue le père Blumenbach arrivait dans ses leçons aux teignes, il avait le soin d'ap- porter avec lui une vieille fourrure mangée et de la battre avec une baguette devant ses auditeurs en s'écriant chaque fois : A la porte les non-payants ! Je ne raconte ce fait que pour attirer l'attention sur les teignes de la fourrure, des habits, des ta- pis, des matelas, de la laine, des cheveux (Tinea pellionella, crinella, tapecella, lacteella) qui vivent

HUITIÈME LEÇON. 283

dans toutes ces matières et les mangent. On ne peut les détruire qu'en secouant, en donnant de l'air, en séchant fortement dans des fours, en saupou- drant de sublimé corrosif ou d'arsénic. Ce sont en quelque sorte des avertissements donnés à la manie qu'ont maintes ménagères d'amasser de gran- des quantités de ces objets, qui servent moins à l'usage qu'à la vanité; car ceux qui sont souvent utilisés, lavés, aérés par cela même, ne donnent pas aux papillons le temps de se développer comme il leur convient.

Je ne veux plus citer que la teigne de la cire (Tinea cerella) qui cause beaucoup de dommages aux éleveurs d'abeilles. Son papillon couleur bois tirant sur le gris se trouve généralement sur les ruches par les fentes desquelles il cherche à in- troduire un œuf dans l'intérieur, quelquefois même par l'ouverture de la ruche, quand elle n'est pas gardée, tentative dans laquelle à vrai dire beaucoup sont attaqués et tués par les abeilles. Les petites chenilles se creusent un chemin dans les rayons, et quand elles ont atteint toute leur croissance, elles peuvent arriver à la grosseur d'un tuyau de plume. Elles couvrent soigneusement de fils épais toutes les issues et les rayons de façon à interdire aux

284 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

abeilles l'accès du miel, et elles peuvent être aiosi la cause de la mort des habitants d'une ruche pen- dant l'hiver. Elles ne mangent que la cire, trahissent leur présence par leurs excréments plats, bruns et dentelés, et sont difficiles à détruire, tandis qu'il est relativement aise de tuer les papillons et les chry- salides, et tout d'abord, de prévenir leur introduction dans les ruches, en bouchant avec soin toutes les fissures et en rétrécissant l'entrée.

NEUVIÈME LEÇON.

Les sauterelles. La mante prie-Dieu. Les sauterelles de passage. Les taupes grillons (courtillières); moyen de les prendre. Une bête qui se mange elle-même. L'amour des courtillières. Les blattes de Prusse, de Eussie et de Souabe. Le perce-oreille (forficule). Les intelligentes punaises. Punaises des lits, des or- dures et du chou. Auacrëon et la Cigale. Pucerons. Les pucerons vaches laitières des fourmis. Coche- nilles ou Kermès.

Messieurs !

Jusqu'à présent nous n'avons eu à faire qu'aux ordres d'insectes possédant les métamorphoses com- plètes ou au moins restant un certain temps à l'état léthargique des chrysalides. Tout au contraire, les sauterelles et les punaises que nous allons consi- dérer maintenant, ne restent jamais en repos, man- gent toujours et ne subissent qu'une métamorphose incomplète, car elles acquièrent des ailes par plu- sieurs changements de peau successifs. Les Orthop- tères (insectes à ailes droites) se distinguent tout

286 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

particulièrement des autres insectes par leurs qua- tre grandes ailes membraneuses. Celles de devant ne sont jamais repliées ; au repos elles sont sim- plement rabattues sur le corps en forme de toit, pendant que celles de derrière se replient en rayons comme un éventail. La tête de l'animal est géné- ralement composée d'antennes très-longues en forme de fil et de mâchoires extraordinairement fortes ; les pattes de derrière sont généralement très-al- longées et les cuisses souvent grossies de telle sorte qu'elles peuvent faire des sauts considérables. Dans cet ordre nous ne trouvons que des ennemis, car à la seule exception de la Mante prie-Dieu (Man- tis) toutes les autres espèces ne se nourrissent que de matières végétales, arrivent souvent en essaims innombrables, qui littéralement parlant, tombent brutalement sur les récoltes ; aussi est-il sage de leur faire, par tous les moyens, une guerre à ou-^ trance. Sur ce point, la croyance populaire ne s'est jamais égarée, et ce n'est qu'à l'égard de la mante prie-Dieu nommée plus haut que de pieux natura- listes, comme François de Paula-Schrenk, le natu- raliste catholique de la Bavière, ont eu des idées toutes particulières. Nous possédons en effet dans la France méridionale et en Italie une espèce d'Or-

NEUVIÈME LEÇON.

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thoptères qui s'avance quelquefois jusque dans l'Al- lemagne du Sud et qui se distingue au premier coup d'œil des autres insectes de la même famille par sa

tête extrêmement mobile et ses pattes de devant d'une conformation toute particulière. Ces pattes préliensives sont armées d'une lame à dents aiguës en dedans et tranchantes sur la dernière articula- tion; comme la lame d'un couteau de poche elle peut se rabattre sur l'articulation du milieu éga- lement tranchante à l'intérieur. L'animal porte en l'air la partie antérieure et effilée de son corps ainsi que ses pattes préhensibles ; il ressemble ainsi à un individu qui prie en levant ses mains au ciel. Na- turellement aussi cette bête devait servir d'exemple pour bien des sermons. ,,Le créateur, disent les Turcs et les naturalistes pieux, l'a donnée à l'homme comme un avertissement pour lui rappeler formellement

288 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

la prière. Le maigre animal ne se nourrit que de la rosée envoyée directement du ciel en récompense de sa pieuse vie, mais en quantité seulement suf- fisante pour lui fournir la nourriture indispensable. L'humanité pécheresse est avertie par son corps maigre et desséché d'ajouter à la prière le jeûne et les macérations et elle est guidée par cet exemple vivant sur le chemin de la vertu." Dans la réalité la Mante prie-Dieu n'est qu'un féroce animal car- nassier qui guette les autres insectes, les saisit, les coupe avec ses pattes en harpon et se nourrit de préférence de mouches et de sauterelles sans même respecter ses semblables dans la captivité.

Parmi les sauterelles proprement dites, la sau- terelle ou' criquet de passage (Gryllus migratorius) s'est particulièrement attirée une triste renommée par les ravages qu'elle fait. Sa patrie proprement dite est l'Orient, les plates steppes de la Russie du Sud, les plaines sablonneuses de la Tartarie et de l'intérieur de l'Asie et de l'Afrique. C'est de que viennent ces innombrables essaims qui, semblables aux hardis Mongols, tombent sur une contrée et la ravagent effroyablement; le soleil est obscurci par leurs nuées; non seulement elles dévorent la ver- dure jusqu'aux racines, mais leurs corps en putré-

NEUVIÈME LEÇON. faction développent des miasmes pestilentiels. Il y

Le criquet de passage quand il vole.

a quelques années dans les gouvernements de Cher- son et de Bessarabie, se montrèrent des essaims

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290 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

si considérables qu'ils occupaient une bande de ter- rain de 60 verstes de long sur 20 de large (la verste correspond à peu près au kilomètre), l'es- saim passa le] Dniester.j dévastant tout sur son pas- sage et s'approcha dej,la Mer Noire. On rassembla une vraie armée d'environ^ vingt mille paysans avec quelques compagnies de'cosaques qui, pendant trois semaines, tuèrent des millions de sauterelles et pous- sèrent les survivantes à la mer. Sur ce seul exemple on peut se former une idée des effroyables essaims qui dévastent ces contrées.

On aurait cependant tort de croire que les sau- terelles soient renfermées dans l'Orient et qu'une erreur de marche seule les amène quelquefois en Allemagne et en Suisse. Le criquet de passage se rencontre assez souvent, aussi bien dans la marche de Brandebourg que dans le Valais si remarquable par ses particularités zoologiques. Il est à présu- mer qu'avec une culture moins avancée et si on revenait quelque peu à l'état tant vanté du moyen ^ âge, nous aurions encore des essaims considérables .. de ces insectes dans les années favorables. Dans ,^ l'étroite vallée du Rhône qui forme la région du Va- lais, le criquet de passage est un fléau habituel et fréquemment de petits essaims traversant le lac vien-

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NEUVIÈME LEÇON. 291

neiit s'abattre à Genève ; pendant douze ans de sé- jour, deux fois j'ai trouvé de nombreux individus de cette espèce sur la plaine de Plainpalais. On détruit facilement ces sauterelles en les écrasant au moment leurs ailes ne sont pas suffisam- ment développées. Mais plus tard, quand elles vo- lent complètement, les traques qu'on pourrait or- ganiser n'auraient que de faibles résultats. La fe- melle pond ses œufs enveloppés d'une épaisse vis- quosité en groupes de cent environ dans des trous en terre d'un pouce de profondeur. Elle choisit de préférence pour faire ce dépôt les terrains légers et sablonneux qui reçoivent directement la chaleur solaire.

Toutes les autres espèces de sauterelles ont la même manière de vivre et ne causent pas de î moindres ravages, quand elles se présentent en quantités aussi considérables. Mais, d'ordinaire, le , dommage qu'elles occasionnent est beaucoup jnoins i saillant à cause de leur plus petit nombre ; tels sont le grillon domestique, et le grillon des champs (Acheta domestica et vulgaris), beaucoup plus in- supportables à cause de leur cri désagréable et perçant qu'à cause de leur voracité. Un hôte des plus désagréables et des plus des-

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structeurs habite nos champs ,et nos jardins, la^ taupe-grillon, Courtillière (Gryllotalpa vulgaris) donti les nombreuses dénominations populaires indiquent! combien cet animal fait de ravages dans nos cultures.

Taupe-Grillon (Cburtillière).

Ce hideux animal traîne à terre un corps épais ! il a des pattes fouilleuses, larges et en forme dej pelle, un long bouclier thoracique semblable à unej cuirasse, une tête petite, munie d'yeux rusés eB d'une multitude de palpes, d'antennes, d'organesl tactiles, de mandibules. Semblable à la taupe, i| vit dans la terre il creuse près de la surfacq de nombreux souterrains tortueux qui paraisseï légèrement soulevés et sont faciles à reconnaîtrr surtout après la pluie, parce qu'ils sèchent pli vite que la terre environnante. On peut facilemei introduire le doigt dans un de ces Conduits. Si o:il continue à y avancer le doigt, il est rare qu'on soi» longtemps à voir le chemin s'enfoncer en terrfj on ne peut pas pénétrer plus avant. C'est l'entrée dj

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son habitation souterraine composée de conduits lis- ses, vastes, avec des excavations plus larges, tandis que les chemins de chasse qui se trouvent à la surface ne sont que légèrement soulevés, s'écroulent fréquem- ment et ne présentent pas trace de parois lisses. Si on veut prendre une courtillière, il suffit d'appuyer un peu ferme avec le doigt sur l'entrée de la galerie qui s'enfonce en terre pour qu'elle ne s'écroule pas ; on y introduit quelques gouttes d'huile au moyen d'une feuille de chou roulée en tube ou mieux encore avec un entonnoir en papier, puis on y verse de l'eau. Il faut souvent beaucoup d'eau, deux ou trois arrosoirs, jusqu'à ce que toutes les galeries soient remplies et que l'eau en regorge. Alors la cour- tillière rampe hors du sol, souvent par le trou même on a versé de l'eau, souvent aussi par une toute autre issue. Elle se traîne dehors vis- queuse, hideusement grasse, à moitié suffoquée ; sou- vent même elle ne possède plus la force de se traîner dehors, souvent aussi elle ne peut qu'atteindre la surface oii elle meurt dans des convulsions. L'huile s'est attachée à son corps, a bouché ses trous respiratoires et elle est asphyxiée comme un mam- mifère auquel on serre le cou avec une corde. Mais n'avons-nous peut-être pas tort de pour-

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suivre la courtillière? NVt-elle pas pendant des siècles souffert du préjugé populaire attendant que l'époque actuelle essaye de lui faire rendre justice? Nous ne pouvons certes pas nier que la taupe-gril- lon tojnbe avec plaisir sur les proies vivantes ; elle attaque le ver blanc et le ver rouge qu'elle ren- contre dans ses obscures galeries. Son extrême et rare voracité lui fait tuer et dévorer les petits et les larves de sa propre espèce. En captivité les courtillières se déchirent et se dévorent récipro- quement comme les lions de la fable, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que les queues. „Ce que vit mon père, à ce sujet," raconte Nordlinger, „dé- passe tout ce qu'on peut imaginer. En bêchant une. planche de fleurs dans le jardin, il avait, avec sa bêche, jeté dans l'allée une courtillière et l'avait coupée en deux pensant à tort l'avoir tuée. Lors- qu'un quart d'heure après ses regards se reportè- rent sur la courtillière, sa partie antérieure était occupée (peut-être par un sentiment de vide dans le ventre) à avaler avec voracité son train de derrière inerte.'' L'histoire ressemble à celle du baron de Miinchhausen 1) dont le cheval coupé en deux par

1) Pendant de Monsieur de Crac dans les contes. populaires d'Allemagne et popularisé aujourd'hui en France par Gustave Doré et Théophile Gautier.

NEUVIÈME LEÇON. 295

la herse continue à boire de l'eau; et cependant elle est complètement vraie, car j'ai eu occasion de faire de semblables observations. La courtillière ne dédaigne pas la nolirriture animale, et beaucoup de ses galeries servent sans doute à la chasse de proies vivantes. Du moins, je remarque souvent dans mon jar- din que les courtillières font leurs galeries tout au- tour des pois goulus et les laissent pousser sans les attaquer lorsqu'on devrait croire qu'elles les man- geront. Vraisemblablement elles chassent les limaces . qui dévorent les pois.

Mais cette capacité ou ce désir de tout dévorer n'empêchent pas du tout les courtillières d'attaquer aussi les plantes et de les faire périr. Il suffit d'exa- miner leur estomac pour se convaincre qu'il est en partie rempli de substances végétales. Du reste leurs dégâts sur les plantes ne sont point occultes. Qui veut observer attentivement et silencieusement le matin ou à la chute du jour, peut aisément con- stater, la bêche à la main, qu'une salade incline la tête, parce qu'une courtillière attaque ses racines. Elle ne peut pas faire d'aussi grands ravages que le ver blanc dans les prairies et les champs, parce que, malgré sa grosseur, ses mâchoires semblent être plus faibles et qu'elle n'attaque les racines des

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arbres ou des vignes qu'à la dernière extrémité. Mais dans les jardins elle est aussi nuisible, peut- être plus même que le ver blanc ; il mange les ra- cines par le bas, tandis que la courtillière, par ses nombreuses galeries, fait périr les semis et les jeunes plantes en les déchaussant mécaniquement.

Les courtillières ont leurs amours. En Juin et Juillet il leur prend un besoin particulier de mou- vement qui leur fait abandonner leurs trous pendant le jour, elles circulent çà et sur le sol ou vol- tigent lourdement en bourdonnant. Le mâle se place volontiers devant un trou d'entrée et avec ses pattes de derrière joue du violon sur le bord de ses ailes ; cela produit un son bas et aigre analogue à celui du grillon des champs, mais beaucoup plus sourd.

D'ordinaire la femelle construit en terre à un demi-pied de profondeur un nid qui se compose d'une boule de terre grosse comme le poing ren- fermant une cavité bien lissée de la grosseur d'une noix. L'entrée conduisant de la surface du sol à ce nid, est courbée en spirale avec des inflexions nom- breuses ; un œil exercé la reconnait aisément ; aussi, est-il très-avantageux dans les endroits les cour- tillières font de grands ravages d'apprendre aux ou- vriers à trouver ces nids. Dans la cavité lissée avec soin

NEUVIÈME LEÇON. 297

la femelle dépose souvent plus de deux cents œufs, puis se tient dans le voisinage, comme si elle veil- lait sur ce nid. Les petits éclos au bout d'un mois ressemblent à de grosses fourmis; ils se tiennent encore réunis en troupeaux, et ravagent plus volon- tiers les endroits gazonnés on reconnaît leur présence à des places qui deviennent jaunes et se desséchent. En hiver ils s'enfoncent en terre, en été ils viennent plus près de la surface. A chaque changement de peau la longueur de leurs ailes s'accroît, elle est complétée par la cinquième mue. Comme je l'ai déjà remarqué, ils passent, quoique avec beaucoup moins de mal, par presque les mêmes formes d'habillement que l'armée suisse ; avec les in- nombrables commissions, rapports des experts, des conseils et des colonels fédéraux elle est allée de la veste sans basque au demi frac, à la queue de morue, enfin à la tunique qui selon Jahn, le père des gym- nastes, recouvre les parties les plus importantes du troupier, savoir le derrière et le ventre.

Enlever les nids ou prendre l'animal lui-même au moyen de l'huile et de l'eau semblent les seuls moyens efficaces pour détruire les courtillières. Dans mon jardin dont le sol léger et riche en humus favorise indéfiniment leurs travaux de toutes sortes

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j'ai, par le second procédé, restreint suffisamment leurs ravages. On conseille aussi d'enterrer en automne du fumier de cheval à la profondeur d'un ou deux pieds. Les courtillières, à cause de la chaleur qui s'y développe, s'y dirigent, creusent dans le fumier et dès les froids arrivés peuvent y être facilement prises et détruites. Mais il me semble q[ue le moyen aurait plus d'incovénient que d'utilité, car il doit en résulter que les courtillières seront attirées seulement dans le voisinage de l'endroit échauffé, y résisteront plus facilement à l'hiver et feront des ravages d'autant plus certains au printemps.

Cancrelat oriental (Blat.ta orientalis) mâle.

Ce que sont les courtillières dans le jardin, les Uattes ou cancrelats le sont dans les habitations ;

NEUVIÈME LEÇON.

des hôtes hideux, répugnants, au corps aplati, velu, dentelé sur le côté. Ils ont de longues jambes bar- belées et de fines antennes plus longues encore. Le jour, ils se cachent dans les recoins et les fissures, mais la nuit, ils courent de tous côtés et rongent tout ce qui peut leur servir de nourriture. Dans l'Europe orientale notamment leur nombre dépasse toute description. En Russie principalement non seulement les maisons de paysans et les cabarets, mais encore les hôtels et les demeures de luxe fourmillent de ces animaux à l'odeur repoussante ; des amis m'ont raconté que tout d'abord leurs chambres d'hôtel leur avaient paru revêtues de bois de noyer bosselé, jusqu'à ce qu'ils se fussent convaincus que des cancrelats tapissaient la muraille, immobiles l'un à côté de l'autre. Les peuples se rejettent l'un sur l'autre, d'iine singulière façon, l'introduction de cette vermine. Les Piusses les appellent Prussiens et sont fermement convaincus que la race germanique a voulu jouer un mauvais tour à la race slave en lui envoyant ce parasite. Les loyaux Tyroliens chez lesquels l'u- nité de croyance est si profondément enracinée dans le cœur qu'ils exigent, avant tout, qu'on soit catho- lique pour obtenir le droit de résider dans leur pays, les Tyroliens les appellent Russes, et les regardent

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vraisemblablement comme des agents de la propa- gande grecque et hérétique. Les autres populations de l'Allemagne les appellent Souabes, comme si les braves mais malheureux porteurs du ci-devant éten- dard impérial, entre autres bienfaits, auraient aussi répandu celui-là sur la commune patrie allemande.

Elle est vraiment merveilleuse la multiplication de ces rongeurs de nuit contre lesquels rien n'est à l'abri, pas même les talons des malades, et que nous trouvons surtout dans les offices, les boulan- geries et les magasins à farine. Les femelles ne pondent pas de gros œufs dentelés qu'elles portent longtemps attachés à leur derrière, comme le dit un tout récent livre sur l'histoire des petits enne- mis de l'agriculture, livre rempli d'ailleurs d'excel- lentes observations. Les corps relativement gros, jaunes d'abord, puis bruns, que la femelle porte avec elle, sont des enveloppes d'œufs, de vrais cocons membraneux qui contiennent 30 à 40 œufs.

Les cancrelats sont très-difficiles à détruire dans les endroits ils se sont une fois implantés ; en lavant souvent à l'eau chaude le parquet, les encoignures, en employant de la vapeur de soufre, de la farine ou du biscuit mélangé d'arsenic, ou simplement en rafraîchissant le local on peut ai-

NEUVIÈME LEÇON. 301

sèment s'en préserver. Le dernier moyen surtout agit parfaitement bien; car, malgré leur extension dans le nord, les cancrelats ne redoutent rien plus que le froid et l'air. Laissez ouvertes portes et fenêtres pendant quelques froides nuits d'hiver, et vous les tuez aussi sûrement que les mouches d'ap- partement.

Je ne dois pas oublier les perce-oreilles (Forficula auricularia). Ceux qui ont cultivé ces plantes grim- pantes à cloches bleu foncé, appelées par les bo- tanistes Cobœa scandens, doivent se rappeler les soucis que leur ont causés les perce-oreilles. Des centaines se tiennent dans les clochettes, les dévorent complètement, mangent les feuilles, agissent en un mot comme si le Cobcea était leur victime préférée. De plus, ils vont la nuit après les fruits, les pétales des roses, des dahlias et des œillets, et, faute de mieux, après la plupart des plantes fleuristes her- bacées et charnues, comme les pétunias. Le jour, ils se cachent dans les fentes et les trous, et il peut bien arriver parfois qu'un perce-oreille s'insinue dans l'oreille ou le nez d'un dormeur sur le gazon ; mais ce n'est certes que pour trouver un abri. Le chatouillement dans l'oreille doit causer une sen- sation des plus désagréables, mais il est en pareil

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cas un moyen facile de se débrrasser de l'intrus. On injecte dans l'oreille quelques gouttes d'huile qui agissent sur le perce-oreille comme sur la cour- tillière< On prend très-aisément les perce-oreilles en pendant, après les espaliers, des cornes ou des sabots creux de chèvres et de vaches. Il s'y réfugient volontiers.

LES PUNAISES OU HÉMIPTÈRES.

Un bec généralement articulé, solide, rond, tubu- laire qui peut d'ordinaire se rabattre sur la poitrine et faire des piqûres très-sensibles, quatre ailes tantôt également veinées et transparentes, tantôt dissem- blables, celles de devant étant en partie membra- neuses et opaques, une métamorphose incomplète, des transformations et des mues sans léthargie pen- dant lesquelles les ailes se forment peu à peu, tels sont les signes généraux qui se rapportent à l'ordre des Hémiptères (Rhynchota). Mais dans les détails se présentent des différences si grandes et si no- tables que ces animaux paraissent assez peu sem- blables entre eux.

Les punaises ressemblent assez aux coléoptères: leurs élytres sont souvent très -solides et ornées de couleurs brillantes et métalliques. Presque tcu-

NEUVIÈME LEÇON. 303

tes sont carnassières. A l'aide de leur bec vigou- reux et pointu elles piquent et sucent d'autres in- sectes et par cela même ont une certaine utilité. L'odeur que la plupart répandent est insuppor- table; elle s'attache aux doigts et aux habits, à tel point qu'on a peine à l'enlever. Du reste les pu- naises paraissent des bêtes très-bien organisées et très - intelligentes, semblables aux fourmis à cer- tains égards, avec cette différence qu'elles vivent seules et en dehors de toute communauté. Elles savent utiliser toutes les occasions pour atteindre leur but. Tout le monde sait que la punaise de lit, le plus hideux de tous les parasites, pour sucer le sang du dormeur se laisse tomber du ciel de lit, lorsque le lit est inaccessible pour elle; elle sait se cacher avec une extrême prudence sitôt que quel- que danger la menace. Chez la plupart des punaises les soins qu'elles donnent à leurs petits sont des plus tendres et des plus durables. La mère garde ses œufs, se place dessus comme si elle voulait les couver; elle conduit ses petits, qui au commence- ment n'ont pas d'ailes, comme la poule mène ses poussins, les protège de son corps contre le dan- ger ou les en éloigne en les emportant sur son dos. Les punaises semblent entre elles de meilleure

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composition que beaucoup d'autres insectes; mais elles sont dangereuses pour les autres espèces à cause de leur bec venimeux.

Je n'en dirai pas plus long de la punaise de lit (Acanthia lectularia) qui ne porte jamais d'ailes, même à l'état parfait, et qui malgré les assertions

Punaise de lit (grossie).

contraires était maudite par les Grecs et les Ro- mains aussi bien que par les nations modernes. On dit qu'elles habitent en quantités effroyables le nord de l'Amérique, et qu'à New-York, notam- ment, on ne peut pas toujours s'en préserver avec la plus grande propreté. On a sérieusement pro- posé de placer dans les chambres, pour chasser la punaise de lit, l'affreux Béduve masqué (Reduvius personatus) qui se tient dans les ordures et la pous- sière, et la nuit avec son puissant bec recourbé tombe sur les autres insectes pour les sucer. Je crois cependant que le remède serait pire que le

NEUVIÈME LEÇON. 305

mal, car le réduve sent plus mauvais encore que la punaise de lit, et sa piqûre est beaucoup plus sensible et plus douloureuse. Chez nos voisins de Savoie dont les étroites vallées en partie inacces- sibles ne se font pas toujours remarquer par la plus grande propreté, on semble ça et croire que les punaises et les puces se font la guerre. Du moins une hôtesse répondait à un de mes amis qui lui demandait, s'il n'y avait pas beaucoup de puces dans le lit il devait passer la nuit: „Des puces! Y pensez-vous, mon bon Monsieur? Les pu- naises les ont toutes mangées!"

Les punaises qui dans les jardins et les 'champs se nourrissent de plantes et parmi lesquelles on distingue IsLpunaise du chou (Cimex oleraceus), creu- sent les parties vertes des plantes et surtout les feuilles au moyen de leur trompe de telle sorte qu'elles finissent par ressembler à un crible et meu- rent. Souvent même elles piquent aussi les fruits qu elles rendent, de plus, immangeables par l'odeur qu'elles leur communiquent. Outre l'espèce des choux j'ai trouvé à Nice et à Genève une très-fréquente et très-nuisible espèce de punaises dont les larves entièrement noires tombent en nombre effroyable sur les jeunes plants d'artichauts au point de les

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306 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

faire souvent périr. J'ai malheureusement négligé de déterminer de plus près et d'étudier plus exac- tement les mœurs de cette espèce que je ne vois mentionnée nulle part. En automne les punaises de jardins deviennent souverainement incommodes ; elles cherchent tous les moyens de s'introduire dans les maisons pour passer l'hiver dans quelque re- coin et empester les meubles. *

Il ne faut pas non plus oublier les Cigales parmi les hémiptères nuisibles. On ne peut pas com- prendre comment les anciens donnaient le prix du

Cigale ordinaire (Cicada plebeja).

chant à cette insupportable chanteuse avec sa grosse tête, ses gros et larges yeux, ses ailes générale- ment opaques, qui suce les plantes d'une déplorable façon. J'avoue que ce seul fait m'a donné une idée

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très-peu avantageuse de l'instruction musicale des Grecs et des Romains, car* il n'y a pas pour une oreille quelque peu sensible de bruit plus désa- gréable que le continuel chant en fausset des mil- liers de cigales qui en Italie fêtent l'arrivée du printemps du matin au soir sur chaque buisson, sur chijque arbre. Anacréon a fait, il est vrai, une si ravissante ode sur elles que je ne puis ^ m' em- pêcher de vous en donner la traduction:

,, Cigale, que ton sort est digne d'envie, quand, suspendue „au bout d'un rameau, et nourrie de quelques gouttes de „rosée, tu chantes, lieureuse et libre comme un roi! Tout ,,ce que tu vois dans les champs t'appartient, et tout ce „que les saisons font naître. Chérie des laboureurs, aux- „quels tu ne causes aucun tort; honorée des mortels, aux- „quels, aimable avant-courrière, tu prédis le printemps; „tu es l'amie des Muses; tu es l'amie de Phébus lui- „méme, qui t'a donné une voix éclatante. Douée de la ,, sagesse, ô fille de la Terre! chantre inspiré, exempte „des maux et des passions, corps aérien, tu es presque „régale des dieux!"

(Traduction il'Amb. Firmin Didot.)

Virgile les connaît mieux. Selon lui les buissons pendant l'ardeur du soleil retentissent du cri aigu des cigales, et il paraît clairement, par l'épithète

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308 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

qu'il emploie, que leur chant n'était pas pour lui très réjouissant.

Heureusement que chez nous les grosses cigales bruyantes sont rares. Çà et seulement on trouve sur les ormeaux une grosse espèce dont la larve est m.unie de pieds antérieurs si particuliers qu'on me l'a souvent apportée comme un animal complète- ment étranger. Parmi les petites cigales sautillantes il faut citer une espèce d'une ligne de long au plus, jaune soufre pâle, qui est extrêmement fréquente sur les rosiers et troue leurs feuilles à la façon d'un crible (Cicada rosse) et aussi la Gercope écumeuse (Gercopis spumaria) dont la larve suce volontiers les brins de gazon, les herbes des prés et les feuilles des saules et s'enveloppe entièrement de la mousse de ses sécrétions qui a tout à fait l'air d'une goutte de salive ; c'est ce que le peuple appelle „crachat de grenouille", et quoique cette espèce ne cause pas d'or- dinaire de bien grands dommages aux plantes, j'ai déjà vu des saules pleureurs malades de leur mul- titude. Ces bêtes sont encore désagréables en ce que cette mousse sucrée qu'elles font sortir des arbres tombe si serrée qu'il est impossible de jouir de l'om- brage des arbres sur lesquels elles vivent en grand nombre.

NEUVIÈME LEÇON. 309

Auprès dés cigales se tiennent les Psylles ou faux- piicetms (Psylla) qui possèdent également des pattes pour sauter. Ils portent la trompe entre les pattes de devant, comme si elle sortait de leur poitrine,

Psylle du ft'ène (Psylla fraxini).

et les femelles sont munies d'une grande et forte, tarière, au moyen de laquelle elles introduisent leurs œufs dans le feutre des boutons ou entre leurs feuilles. Sur les poiriers et les pommiers notamment il y a deux espèces différentes (Psylla pyrisuga et mali) qui paraissent au printemps et dont les larves et les nymphes percent et sucent les boutons à fleurs et à feuilles ; c'est pour cela qu'ils se contractent, ces- sent de pousser, se fanent et meurent; à cette époque, ces animaux sont extrêmement nuisibles.

Les pucerons (Aphis) que mes lecteurs connais- sent déjà, sont encore plus nuisibles. Des espèces extrêmement nombreuses se rencontrent sur un nombre infini de plantes qui, généralement, souffrent beaucoup de ces parasites. Ce sont de lourds ani-

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maux à longues jambes, au corps épais, leurs ailes sont transparentes comme du verre, leurs antennes sont longues, filamenteuses, ils possèdent d'ordinaire à l'extrémité postérieure du corps deux conduits particuliers, par ils peuvent sécréter des goutte- lettes de jus sucré. Ils se placent sur le dessous des feuilles ou sur les pousses vertes des plantes en troupeaux nombreux, et, quand ils les ont piquées et sucées avec leur trompe longue et droite, ne chan- gent plus guère de place pendant leur vie. Ils offrent . des procédés de multiplication tout particuliers.

Chez la plupart des espèces deux modes de géné- ration se présentent à l'aide d'individus femelles différents; les uns mettent au monde des petits vivants sans accouplement ; les autres, au contraire, s'accouplent avec les mâles plus petits et pondent des œufs qui sont destinés spécialement à continuer l'espèce après les froids de l'hiver. Les mâles ont toujours des ailes. Tantôt les femelles en ont aussi, tantôt elles en sont privées suivant les espèces, sans qu'on puisse établir une règle fixe. On a observé avec beaucoup de patience la durée des diverses générations qui, pendant l'été, peuvent naître d'un puceron, et on a se convaincre que, si des en- nemis et des causes de destruction de toutes sortes

NEUVIÈME LEÇON. 311

ne limitaient pas continuellement le nombre des pucerons, la progéniture d'une seule femelle vivipare pourrait en un été atteindre des millions ; car chez le puceron du pommier sur lequel Schmidtberger a fait les observations les plus exactes, il faut d'ordinaire de sept à douze jours pour qu'une femelle nouvellement née commence elle-même à donner des petits, et de chaque femelle naissent de trente à quarante petits en huit jours. On peut, par cette multiplication rapide, s'expliquer comment les plantes sur lesquelles quelques pucerons seule- ment se sont dérobés à nos recherches, peuvent en très-peu de temps en être couvertes. Du reste, toutes ces générations qui se suivent sans interruption, dépendent beaucoup du temps, du soleil, de la liourriture que ces animaux trouvent, et les femelles ailées semblent spécialement destinées à fonder des colonies sur d'autres plantes, tandis que les femelles privées d'ailes sont chargées des soins de la mul- tiplication sur la plante originaire.

Les rapports des pucerons avec les fourmis pré- sentent le plus grand intérêt, comme nous l'avons dit dans une des leçons précédentes. Les pucerons sont réellement les vaches à lait des fourmis, et il y a quelques espèces complètement privées d'ailes,

312 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

qui vivent sous terre sur les racines et que les four- mis soignent l'hiver avec grand soin ; elles les pro- tègent par des constructions et les traitent en vé- ritable bétail. Comme les colonies de pucerons se tiennent souvent sur la face inférieure de la feuille ou même dans les excroissances déterminées par leur succion, elles sont assez difficiles à découvrir, mais si on veut les trouver de suite, il suffit de suivre les fourmis qui ont toujours des chemins frayés con- duisant aux colonies de pucerons. Si on observe une de ces fourmis, on la voit aller d'un puceron à l'autre, les caressant avec ses antennes, leur frap- pant doucement sur le dos, les cajolant de mille manières jusqu'à ce qu'enfin, des conduits à miel de la partie postérieure du corps, sorte une gouttelette limpide, à la saveur sucrée, que la fourmi recueille avec avidité. Quand elle s'est rassasiée, elle se re- tire, laissant la place à d'autres qui recommencent le même jeu.

Il n'y a pas de doute que des amas considérables de pucerons dont le nombre est légion, ne puissent causer de grands dommages. Parmi les plantes fleu- ristes, ce sont les roses et les géraniums, parmi les plantes utiles, ce sont les pommiers et les gro- seillers qui, dans les années favorables, sont couverts

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de pucerons en telles quantités que tous les bour- geons meurent, et qu'on est souvent obligé de re- tailler la plante aussi bas que possible pour déter- miner un turion ordinaire. Ils ont, il est vrai, énor- mément d'ennemis, tels que les hêtes à bon dieu, les mites rouges, les larves des syrphes, des homhyles et des Jiéniérohes, les punaises généralement carnassières et même la petite fauvette et le roitelet (Troglo- dyte d'Europe). Néanmoins, les efforts de tous ces ennemis sont peu de chose par rapport à l'effroyable multiplication que nous offrent certaines espèces. Ecraser, brosser, arroser ne peuvent jamais arriver à un résultat complet. On a un autre moyen fa- cile, on cherche sur le houblon les larves de bêtes à bon dieu qui s'y trouvent abondamment, et on leur fait dévorer les pucerons.

L'élément immobile qui se rencontre dans la na- ture comme dans la race humaine et qui préfère mourir à la même place, plutôt que de se mouvoir est représenté parmi les hémiptères par les Cocci- dés (Coccus). Les recherches sur ces singuliers ani- maux sont loin d'être complètes car, on n'est pas encore bien fixé sur le point de savoir si une gé- nération ailée qui est extrêmement petite et qui n'a pas de bec appartient réellement, comme on l'a

314 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

cru jusqu'ici, au genre masculin. De plus récentes recherches laissent sup- poser que ces petits êtres ailés sont plutôt des femelles destinées à trans- porter les colonies surd'autresplantes. On ne connaît, à vrai dire que les Kermès de la vigne femclles cn forme de bouclier im-

(Coccus Titis) posé

surletissucotonneux mobiles, et sans ailes qui se trou-

renfermant ses œufs. , i i i <

vent sur beaucoup de plantes, no- tamment sur les rosiers, les pêchers, les orangers, la vigne, le chêne et qui, par leur forme extérieure, ressemblent tantôt à une lentille, tantôt à un large bateau ou à un bouclier. Par leur couleur brune, ces animaux ont plutôt l'air d'une verrue ou d'une excroissance et, sur les rosiers notamment, sont fa- cilement confondus avec une épine mal développée. Si on examine cette bête immobile attachée à la plante, on voit que la partie inférieure de la tête possède un bec perçant a si bien introduit dans l'écorce, que souvent, pour la détacher, il faut bri- ser ce bec. Ses pattes sont généralement atro- phiées et les parties sexuelles extraordinairement développées. Ces femelles ainsi constituées pondent leurs œufs sous elles, et couvrent cet amas d'œufs, comme un bouclier, même après leur mort qui arrive

NEUVIÈME LEÇON. 315

lorsque la reproduction est terminée. Elles se dessè- chent complètement et ne forment plus qu'une petite plaque cornée protégeant souvent des milliers d'œufs. Les petits qui éclosent au bout de quelques jours, com- mencent par courir de tous côtés avec voracité puis, après plusieurs mues se fixent, et alors, comme leurs parents, se livrent tout entiers à la multiplication. Plus que toutes les autres plantes, les pêchers, les rosiers, les vignes d'espaliers, les orangers, les citron- niers et les oliviers que nous gardons dans nos serres ont beaucoup à souffrir de ces Coccidés, qu'on a de la peine à éloigner au moyen de brossages éner- giques.

DIXIÈME LEÇON.

N^vroptères, Mouches ou Diptères. Le sentiment national.

Les blattes en Russie et les âmes mortes de Gogol.

Libellules et demoiselles. Fourmi-lions. Mouches de toutes espèces. Conclusion.

Messieurs !

Le sentiment national est un noble et beau sen- timent, il élève le cœur, fortifie notre confiance et la met en action, car il permet de nous sentir tous membres d'une grande famille qui a pour devise: „Un pour tous, tous pour un". Nous devons accor- der des éloges à ceux qui, à l'étranger, portent haut le drapeau de leur pa3^s, défendent ses prétentions, mettent en vive lumière ses qualités.

Mais lorsque ce sentiment national va assez loin pour aveugler sur les vices et les fautes qui se montrent chez les peuples comme chez les indivi- dus; quand il va jusqu'à nier les faits et deman- der aux autres de les regarder comme faux pour

DIXIÈME LEÇON. 317

qu'on n'aperçoive aucune tache dans le tableau; s'il est aussi chatouilleux que le compagnon des feuilles volantes 0 auquel l'index sur le poteau fait faire la grimace et un saut de côté; il est temps de combattre de semblables écarts. Dans une des précédentes leçons, j'ai parlé des blattes et de leur extrême abondance en Russie. Il ne m'est pas venu à l'idée, qu'il pouvait y avoir une personne capable de sentir son orgueil national atteint ou au moins affecté par ce fait d'histoire naturelle, qu'il y a beaucoup de blattes dans son pays. C'est arrivé cependant. On m'a reproché d'exagérer. Après m'a- voir nié tout d'abord l'existence des blattes, on as- surait -que les Prussiens" ne se rencontraient que

dans les plus humbles cabanes, et jamais en telle «

quantité que je le prétendais.

Il me sera très-aisé de démontrer que oii je n'ai pas vu, je n'ai pas observé par moi-même, je n'ai rien avancé sans un sûr garant. J'ai là, de- vant moi, le roman de Gogol: „Les âmes mortes." Au temps de son apparition, ce livre fit en Russie plus d'impression encore et à plus juste titre, que les Mystères de Paris d'Eugène Sue. On s'émerveillait de la vérité des peintures, de la finesse des obser- .

Journal de caricatures dans le genre du Punch.

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318 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

vations, souvent même de la crudité avec laquelle les choses étaient dites. On reconnaissait et on re- connaît encore généralement que jamais les faces de la vie russe n'ont été peintes avec une égale fidélité, avec une vérité intime ainsi dénuée d'indulgence. „Gogol", dit un critique, „ne met pas des gants jau- nes pour toucher délicatement les blessures, il frappe au-contraire comme un ours avec sa patte lourde, et jette k la figure du gouvernement et du peuple maintes amères vérités. C'est un ardent patriote qui aime son pays avec le brûlant enthousiasme d'un Italien et en même temps avec l'opiniâtre persé- vérance de l'homme du Nord; mais cet amour ne l'aveugle pas sur les défauts réels". Maintenant, Messieurs, lisez ce roman véridique et dites-nous, qui a raison moi ou de ceux qui me contredi- sent. Le héros de l'histoire arrive dans le premier hôtel de la capitale du gouvernement de **. Le garçon le conduit à sa chambre. „La chambre, dit Gogol, avait l'aspect habituel et trop connu. L'hôtel ne se distinguait en aucune façon du type commun dans les capitales de gouvernement où, pour deux roubles, le voyageur peut avoir une chambre tran- quille avec des myriades de cancrelats qui, comme des prunes, pendent à toutes les encoignures".

DIXIÈIVIE LEÇON. 319

Je pourrais vous apporter vingt autres passages semblables mais je préfère revenir à notre sujet. Le fait d'histoire naturelle subsiste malgré l'orgueil na- tional et si les Suisses voulaient me défendre de parler du ténia, le créole de la chique ou puce pénétrante, les Italiens de la puce, les Islandais des vers hyda- tides parce que leur pays en possède beaucoup, il ne me resterait plus à la fin qu'à me taire, comme le faisaient beaucoup d'écrivains politiques au temps de la censure.

Un autre reproche me semble beaucoup plus grave. Vous êtes, me dit-on, à la fin de vos leçons, vous avez traité de tous les insectes, pourquoi ne nous parlez- vous pas des névroptères? Pourquoi à l'occa- sion des cancrelats ne dites-vous rien des Demoi- selles et des libellules qui ont une si proche parenté avec eux.

J'avoue que je suis quelque peu en faute; que j'aurais au moins mentionner les libellules, mais je craignais de m'étendre trop, de ne pas pouvoir mener à bonne fin mon projet, de pas pouvoir tenir ma promesse, et comme on dit en langage d'étu- diant, de laisser une queue ou d'être obligé de prolonger ces leçons au delà du temps fixé. J'ai une crainte secrète de ces sortes de queues, d'au-

320 ANIMAUX. UTILES ET NUISIBLES.

tant plus que, lorsque j'habitais Giessen, le profes- seur de droit Romain traitant des successions ne laissait pas une simple queue, mais une queue de queues; les successions, comme une maladie éternelle, se prolongeaient jusque dans le troisième semestre, et le cours ne serait peut-être pas encore terminé aujourd'hui, si les étudiants n'y avaient pas mis fin en déclarant avec toute l'énergie possible, „que c'en était assez, et que, si les derniers Romains ne pouvaient plus hériter avant les vacances de Pâques, ils pouvaient aller au diable sans successions." Ceux qui, pendant une demi-année de leur vie, ont mâché vingt vers de l'odyssée chez l'ennuyeux professeur du Gymnase, ceux qui chez Pfannkuchen, c'était son nom d'heureuse mémoire, durent suer pendant un semestre sur un seul vers d'Habacuc ou d'Isaïe, ceux la ont appris le sain emploi du temps et passeront sur un cha- pitre comme le coq sur des charbons ardents, plu- tôt que de s'exposer à s'égarer avec des auditeurs dans toutes les broussailles scientifiques.

Les névroptères, comme ils sont classés aujour- d'hui dans la plupart des livres de science ne for- ment pas en réalité un groupe naturel. Les libel- lules (Libellula, Aeschna) et les demoiselles (Agrion) ont plus de rapport avec les orthoptères qu'avec

DIXIÈME LEÇON. 32 1

les autres névroptères auprès desquels on les place d'ordinaire. Elles ont, il est vrai, des ailes avec un réseau fin de nervures, mais leurs métamorphoses ne sont pas complètes, quoique leurs larves vivent dans l'eau, et l'insecte complet presque exclusive- ment dans l'air; par l'absence de l'état de chrysa- lide, comme par la structure de leur appareil de mastication, elles sont bien plus près des orthop- tères. Xous ces faux névroptères, comme on les a appelés, sont de hardis et fugitifs voleurs dont les larves vivent dans l'eau de vers, d'autres larves et même de tout petits poissons, tandis que l'insecte complet au vol puissant et rapide prend et dévore dans l'air, les mouches, les cousins, et même les abeilles et les bourdons. Aussi sont elles beaucoup plus utiles que nuisibles ; elles peuvent rendre quel- ques services aux habitants des endroits humides en détruisant d'insupportables insectes. Mais à coup sûr nous devons regarder comme utiles quelques vé- ritables névroptères dont les larves se nourrissent d'insectes; par leurs métamorphoses complètes ils se distinguent des demoiselles.

En tête, se placent les demoiselles terrestres (He- merobius) ravissantes mouches à quatre ailes trans- parentes'^ qui, malgré leurs vastes ailes, volent len-

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322 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES,

tement, se reposent partout et attachent leurs pe- tits œufs à la face inférieure des feuilles au moyen

La demoiselle terrestre verte (Hemerobius perla).

d'un fil transparent et extrêmement tenu. Ces œufe ont l'apparence de ces épingles très-fines q^i'on em- ploie pour piquer les plus petits insectes ; les lar- ves qui en sortent sont hideuses, ressemblent à des gros poux dont elles ne se distinguent que par un abdomen plus long et par deux longues mâchoires, recourbées et pointues qui, dans toute leur longueur, sont percées d'un canal ouvrant dans la gorge. Généralement les larves sont fortement enveloppées de poussière ou de leurs propres sécrétions qu'el- les portent sur leur dos, aussi n'offrent-elles pas un aspect agréable. Néanmoins l'amateur de jar- din aime leur activité pour laquelle Réaumur, qui a étudié leurs mœurs, les appelait lions des puce- rons. Dans le fait, elles rampent sur les feuilles au milieu des pucerons qui n'en prennent point souci, plongent tout à coup dans le corps d'une victime leurs mâchoires acérées, sucent l'intérieur et re-

DIXIÈME LEÇON. 323

jettent l'enveloppe. Elles détruisent de la sorte une masse de pucerons, et dans leur œuvre de destruc- tion l'emportent de beaucoup sur les bêtes à bon Dieu et les syrphes.

L'industrie des fourmis-lions (Myrmeleo) est en- core plus intéressante. Leur larve au corps large et court est armée de deux mâchoires creuses en forme de

Fourmi-lion.

tenailles qui sont presque aussi longues que le corps de l'animal. C'est une singulière bête"-', me disait un jour un propriétaire en m'indiquant les trous en entonnoir qui se montraient en ligne dans le sable fin d'une allée tout contre le mur de la mai- son et placés de telle sorte que la saillie du toit les protégait contre la pluie. ,,Je les ai longtemps observées", me disait le brave homme, „et je sais maintenant tout ce qu'elles font. En ce moment elles restent tranquilles pendant quelques mois tout au

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324 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

fond de leur entonnoir d'où sortent seulement leurs terribles mandibules, et elles happent les fourmis et les autres bêtes qui tombent dedans. Elles les saisissent aussitôt avec leurs pinces, les sucent et rejettent l'enveloppe vide au dehors de leur trou. Si l'animal ne fait que chanceler sur la pente ra- pide de l'entonnoir et s'il cherche à se retenir, elles lui lancent, avec les crochets, une pincée de sable et le précipitent ainsi au fond. Si je détruis ces entonnoirs, en peu de temps elles les reconstrui- sent de nouveau en imprimant à leur derrière un mouvement circulaire dans le sable qu'elles rejet- tent en même temps sur le côté." Jusqu'ici les ob- servations sont rigoureusement exactes. Mais quant à la transformation en chrysalide, mon homme avait des idées singulières en rapport peut-être avec les . rêveries de Swedenborg, dont il était grand partisan. „Quand elles sont restées ainsi une couple de mois, me disait-il, elles deviennent notablement inquiètes, sortent de leurs entonnoirs et courent çà et sur le sable, aussi vite que le permettent leurs petites jambes. Ces efforts inaccoutumés les mettent bien- tôt en sueur et comme cette sueur est visqueuse, les grains de sable acjphèrent après elles et finis- sent par leur former une véritable enveloppe. Elles

DIXIÈME LEÇON. 325

S enfoncent alors en terre et se transforment en chrysalide dans ce cocon de sueur." Ceci n'est pas exact.

La fourmi-lion ne fait que sucer les autres in- sectes et elle emploie leurs sucs à la nourriture immédiate de son corps; la nature ne lui aurait donc donné un anus que comme ornement ainsi que le disait un jour un spirituel physiologiste, si la partie postérieure de leur intestin impraticable aux aliments ne leur servait pas d'organe pour filer. Dans le fait, la fourmi-lion après avoir couru quel- que temps avec inquiétude pour trouver un endroit convenable se file un cocon elle enveloppe des grains de sable, et elle attend sa transforma- tion en insecte parfait, ce qui a lieu au printemps suivant.

Mais je me hâte de passer, au dernier et nom- breux ordre que nous avons encore à examiner. C'est celui des:

MOUCHES OU DIPTÈRES.

Il est très- difficile de ne pas reconnaître un in- secte appartenant à cet ordre. Les deux ailes qui sont attachées au milieu du thorax sont générale- ment grandes et puissantes ; derrière, se trouvent, en

à2b ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

guise de rudiments des ailes postérieures, de petits balanciers qui ont tout-à-fait la forme de ces ra- quettes dont on se sert pour jouer au volant. La trompe de succion est d'ordinaire molle et possède une extrémité plus épaisse. Les métamorphoses sont complètes depuis la larve sans pieds, que nous appelons d'ordinaire un ver; elles caractérisent si complète- ment tous les animaux appartenant à cet ordre, qu'avec des recherches exactes aucune méprise n'est possible. Les chrysalides sont aussi toutes particu- lières. Chez les cécidomies par exemple, elles pa- raissent si finement travaillées, que les organes de l'insecte futur y sont visibles. D'ordinaire, elles ont la forme d'un tonnelet, d'une bouteille ou d'une goutte de verre et sont formées de la peau même de la larve, qui se dessèche et les comprime dans un tout petit espace ; aussi a-t-on peine à comprendre à la sortie de la mouche, comment elle a pu trouver place dans un si petit tonnelet. Leurs larves sont de vilaines bêtes. Les ordures, la poussière, les ma- tières en putréfaction, les eaux croupies, les muco- sités, le pus sont les milieux dans lesquels elles se plaisent, et généralement elles apparaissent en grand nombre la putréfaction a été déterminée par l'état atmosphérique ou toute autre circonstance. Les

DIXIÈME LEÇON. 327

eaux croupissantes et stagnantes fourmillent d'essainis innombrables de cousins, de moustiques, de coutu- rières, qui rendent presque inhabitables les plaines basses de la zone torride aussi bien que les tourbières de la région polaire. Les matières végétales en putré- faction sont des milieux d'incubation pour un nombre considérable de mouches dont l'armée est conduite par la mouche domestique de nos chambres.

Fidèle à mon programme, je ne vous parlerai pas ici de ces mouches parasites, qui tourmentent les hommes et les animaux, des taons (Tabanus), des mouches piquantes (Stomoxys), des mouches- araignées (Hippobosca), des cousins (Culex), des moustiques (Simulia), ni des puces, qui sont, à vrai dire, des mouches sans ailes. Toutes sucent le sang des hommes et des animaux; les femelles se font remarquer par leur férocité. Je ne parlerai pas non plus des Oestres (Oestrus), qui déposent leurs œufs sur la peau des animaux et dont la larve vit en parasite dans les abcès ou dans l'estomac Nous avons malheureusement dans le champ qui nous est circonscrit encore assez d'ennemis nui- sibles.

Les cécidomies (Cecidomyia) sont des animaux tout petitS; généralement noirs, avec de longues an-

328 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

tennes sur lesquelles sont placés des poils hérissés qui leur donnent de la ressemblance avec ces brosses pour nettoyer les bouteilles. Tout le monde regar- derait ces petites bêtes comme inoffensives et ce- pendant, à leur genre appartient la terrible mouche hessoise ou cécidomie du blé, (C. destructor); ja- dis dans l'Amérique du Nord on avait la folie de la croire apportée dans la paille par ces malheu- reux soldats Hessois que leur bon père et souve- rain vendait au-delà des mers, comme chair à ca- non, contre le bon argent sonnant des Anglais. La larve vit dans l'intérieur de la tige du froment qu'elle a creusée, et la fait tomber et faner avant la for- mation de l'épi. En Amérique, en Angleterre, en Hongrie, des récoltes entières ont été détruites par cette terrible larve qui, cependant, n'est abondante que de loin en loin.

Sur les poiriers vivent quelques Cécidomies (C. nigra et pyricola) qui, avec la mouche en deuil, (Sciara pyri) détruisent souvent une grande partie de la ré- colte des poires. Les femelles, à l'aide d'une lon- gue tarière qu'elles introduisent de l'extérieur, dé- posent d'ordinaire leurs œufs au milieu des bou- tons à fleurs, avant leur épanouissement. Pendant que la fleur se fane et que le fruit se noue, la larve

DIXIÈME LEÇON. 329

éclot; elle fait son trou dans le voisinage du pé- doncule et travaille pour pénétrer dans le cœur qu'elle fouille. Les petites poires se fanent, se ra- tatinent, se gercent et finissent par tomber. La larve sort à ce moment, s'enfonce en terre elle passe à l'état de chrysalide, ce qui arrive quel- quefois même dans l'intérieur des poires tombées, si elles n'ont pas le temps de les abandonner. Dans certaines années, les poires tombent presque toutes ensemble, et, comme les mouches sont petites fit difficiles à remarquer, il n'y a pas d'autre moyen pour arrêter les ravages que de recueillir avec soin les poires tombées et de les donner aux co- chons, avant que la larve ait eu le temps de s'é- chapper.

Parmi les mouches proprement dites qui, par la disposition de leurs antennes courtes, à trois arti- cles et munies d'une soie raide, ressemblent aux mouches de nos appartements, nous devons signa- ler particulièrement la mouche des betteraves (An- thomia conformis), des oignons (A. ceparum) et du chou (A. brassicae). La larve de la première perce les feuilles des betteraves et mange la partie verte, réservant les deux pellicules épidermiques. Celle des oignons mange complètement les oignons au

330 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

point qu'ils pourrissent à l'intérieur et celle des choux vit dans la tige des diverses espèces de choux qu'elle fait pourrir. Mais la plus désagréable de ces mouches est, sans contredit, celle du cerisier (Ortalis cerasi) qui se trouve à l'état de larve dans l'intérieur des cerises. Il y a réellement des années l'intérieur de toutes les cerises est fané et gâté, et, sur des centaines, on en trouve à peine une ne réside pas un affreux ver blanc-jaunâtre qui creuse la chair pour en sortir, quand la cerise est tombée. Il se change en un petit tonneau d'où s'é- chappe au printemps suivant une mouche tachetée portant des bandes brunes sur les ailes.

Il ne faut pas . non plus oublier la mouche du fromage (Piophila casei) dont le ver blanc et ferme se ploie et saute comme un ressort; beaucoup d'a- mateurs de fromage le regardent comme une preuve de la maturité du fromage et comme un témoig- nage 'de sa qualité. Il n'est vraiment pas néces- saire de combattre cette idée erronée et de mont- rer que les œufs, d'où naissent ces larves, ont été déposés sur le fromage par une mouche relative- ment petite, lisse et d'un beau noir, dont les an- tennes, les pattes et la tête sont colorées en brun- rouge. Une cloche bien hermétique posée sur le

DIXIÈME LEÇON. * 331

fromage empêche complètement rintroduction des mouches et eiî même temps l'éclosion des larves qui, par leurs ordures, salissent le fromage et, pour cela même, peuvent à bon droit être appelées des bêtes nuisibles. Je ferais tort à l'ordre des mou- ches (diptères) si je n'indiquais pas, pour conclure, les animaux utiles qu'il renferme.

Les tachines (Tachina) qui ressemblent assez aux mouches de viande, mais sont en général plus grosses, plus velues, ne nous rendent pas de moindres ser- vices que les ichneumonides pour la destruction des chenilles. D'un vol excessivement rapide, bourdon- nantes elles circulent de tous côtés dans les jardins, les champs et les bois, déposent leurs œufs sur la peau des chenilles qu'elles poursuivent dans leurs cachettes et occupent ainsi un grand nombre de ces voraces et nuisibles ravageurs. La larve s'in- troduit dans la chenille,, en dévore la graisse, se transforme d'ordinaire en chrysalide dans l'inté- rieur ou au dehors dans une sorte de tonneau lisse d'où sort la mouche au bout de peu de Jours. Les mouches rapaces (Asilida) ne doivent pas non plus être oubliées avec leurs grandes ailes, leur courte trompe, toute droite; d'ordinaire elles ont de vives couleurs. Elles font la chasse aux autres

332 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

insectes même aux abeilles qu'elles percent et su- cent avec leur trompe.

Mais je signalerai plus volontiers en- core les syrphes (Syr- phus) ces mouches semblables aux bour- dons, aux vives cou- leurs, avec un gros corps et un abdomen aplati j semblables à des faucons elles pla- nent longtemps au

Chrysalide,

même endroit, chan- gent de place tout- à-coup avec la rapi- dité d'une flèche et planent de nouveau sur une feuille' sur laquelle elles se re-

, , Insecte parfait du syrphe.

posent a peine pour

y déposer un petit œuf d'ordinaire rouge jaunâtre. De cet œuf naît rapidement une larve aux taches et aux couleurs brillantes qui a presque la forme d'une sangsue, car elle porte à l'extrémité pos-

DIXIÈME LEÇON. 333

térieure une large ventouse, tandis que l'extrémité antérieure pointue est armée de fortes mandibules en forme de bec. Ces sangsues des imcerons se nour- rissent uniquement et exclusivement de pucerons. Rien n'est plus intéressant que de suivre une larve pareille dans ses évolutions. Les pucerons passent à côté de leur ennemi placé au milieu d'eux comme s'il était inoffensif. La larve se tourne, tâte un in- stant avec l'extrémité pointue de sa tête, saisit avec ses mâchoires le premier puceron à sa portée, le suce, laisse tomber la dépouille vide, se repose un instant et choisit alors une nouvelle' victime. Elle travaille ainsi tout le jour et grossit à vue d'oeil pen- dant que les pucerons diminuent rapidement. Le petit tonneau la larve se fait chrysalide res- semble à une goutte de verre et se ferme à une extrémité par un couvercle. Avec une si riche nour- riture la larve grandit très-rapidement, elle ne reste chrysalide que quinze jours, aussi plusieurs géné- ration de ces utiles s^rphes se succèdent pendant l'été.

Nous sommes arrivés à la conclusion de ces leçons dont l'espace était malheureusement trop restreint;

334 ANIMAUX UTILES ET NUISIBLES.

je n'ai pu qu'attirer l'attention sur une multitude de faits que la science a appris à reconnaître dans ce champ si étendu. Mais, si la moisson d'observations recueillies par les efforts de tant de gens, doit être considérée comme très-abondante, ne nous dissimu- lons pas d'un autre côté qu'il y a encore énormé- ment à faire. Sur presque aucun point la série des observations n'a été complétée. Puissent tous ceux qui s'intéressent à cette étude avoir toujours cette idée présente, et, suivant leurs forces, puissent-ils travailler à remplir les lacunes signalées et rendre service à l'humanité même.

TABLE DES MATIÈRES

Préface V

Première Leçon 1

Deuxième Leçon 43

Troisième Leçon 86

Quatrième Leçon 119

Cinquième Leçon 148

Sixième Leçon 178

Septième Leçon 217

Huitième Leçon 254

Neuvième Leçon 285

Dixième Leçon 316

C. KEINWALD, LIBKAIKE A PAKIS.

LEÇONS

SUR L'HOMME

SA PLACE DANS LA CRÉATION

ET DANS L'HISTOIRE DE LA TEERE

PAK

CARL VOGT

Professeur à l'Académie de Genève, président de l'Institut genevois.

' 'taduction française de j.-j. moulinié

Membre de l'Institut genevois. KEVUE PAR L'AUTEUR Un volume in -8% avec 128 gravures sur bois intercalées dans le texte. Prix : 12 francs

Nous livrons aujourd'hui au public la traduction d'une des dernières publications de M. le professeur C. Vogt, l'un des écrivains scientifiques les plus populaires et les plus justement considérés de l'Allemagne. Cet ouvrage traite d'une étude géné- rale de l'Homme.

On compte en France bon nombre d'anthropologues fort distingues, et c'est vraiment merveille, car nous manquons complètement de livres élémentaires d'anthropologie. L'ouvrage que nous annonçons vient combler très-avantageusement cette

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fâcheuse lacune, et donnera certainement un nouvel élan, une nouvelle impulsion aux études anthropologiques.

11 est impossible d'exposer avec plus de clarté, de netteté et en mémo temps d'une manière plus attrayante, les prin- cipes d'une science qui demande une extrême précision et régularité d'observation. Il fallait donner un grand nombre de mesures, employer une foule de mots spéciaux qui pouvaient effrayer les commençants, les gens du monde. M. Vogt est parvenu à soutenir parfaitement l'attention tout en donnant ces chiffres, tout eu employant ces mots.

Il ne peut y avoir qu'un seul avis sur l'ouvrage de M. Vogt pour ce qiii concerne les principes et les faits scientifiques. Quant aux doctrines philosophiques, M. Vogt ne voit dans le monde qu'un développement logique et régulier des lois de la nature. Admettant la théorie de la transformation de l'e- spèce, il fait descendre l'Homme du Singe, ou plutôt les Hom- mes des Singes, car il pense que les séries distinctes de Singes ont donné naissance à des types différents d'Hommes. C'est la pluralité des espèces humaines associée à l'idée de déve- loppement progressif des êtres.

«Les vues exposées dans cet ouvrage, dit l'auteur dans sa « préface, trouveront beaucoup de contradicteurs et peut-être « peu d'adhérents. Je suis toujours prêt à accepter im fait, « une observation avec toutes ses conséquences ; je me défeii- « drai toujours contre tout raisonnement à priori. La lumière « jaillit de la discussion, de la contradiction, du combat même, « pourvu qu'il soit livré avec des armes loyales. Loin de croire « qu'il y va de l'honneur de soutenir une idée erronée, je suis <! persuadé au contraire que l'on doit abandonner immédiate- « ment sa manière de voir, dès que la fausseté en est prou- « vée; mais aussi faut-il des preuves palpables, patentes. La V crainte des conséquences ne doit jamais avoir aucune in- « fluence sur les conclusions scientifiques. La nature n'est pas 0 faite pour être l'esclave théorique de l'homme. »

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